Entretiens avec les jeunes - La métropole Aix Marseille Provence

Transcription

Entretiens avec les jeunes - La métropole Aix Marseille Provence
LES JEUNES, ACTEURS D’UN TERRITOIRE EN CONSTRUCTION
Entretiens
avec les jeunes
SOMMAIRE
Présentation générale......................................................................................................... 5
ompte-rendu de la rencontre avec les jeunes
C
présents lors de l’atelier « Les jeunes et l’insertion
professionnelle »........................................................................................................................ 7
ompte-rendu de la rencontre avec des jeunes en
C
difficulté de la permanence ACSA, Félix PYAT............................... 21
ompte-rendu de la rencontre avec des jeunes
C
en difficulté de la permanence APEQ
du centre-ville de Marseille...................................................................................... 35
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PRÉSENTATION GÉNÉRALE
LA JEUNESSE AU COEUR DES PRIORITÉS
Instance représentative de la société civile, le Conseil de développement est chargé d’enrichir les travaux de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole. En 2013, il a choisi de s'interroger sur
la situation des jeunes, notamment les plus en difficulté.
Le territoire de Marseille Provence Métropole est confronté à de fortes inégalités qui vont croissant. Les
jeunes sont les premiers concernés avec, ici plus qu’ailleurs, des sorties précoces du système scolaire,
un niveau général de formation faible, un taux chômage élevé et une pauvreté grandissante. A l’heure où
s’envisage et se dessine un nouveau territoire métropolitain, des caps doivent être pris, des ambitions
affirmées, des responsabilités assumées. Pour le Conseil de développement, l’insertion des jeunes doit
être au cœur de ces priorités car c’est avec eux que ce nouveau territoire se construira.
Les jeunes au cœur des réflexions
Dans ce cadre, un colloque citoyen est organisé le 3 octobre 2013, sur le thème les « jeunes, acteurs
d’un territoire en construction ». Autour d’experts et acteurs de terrain, la problématique globale de
l’insertion des jeunes dans la société sera débattue à travers les difficultés d’accès à l’emploi, au logement, aux transports, et à la culture. De cet évènement seront issues des pistes de travail concrètes,
soumises à la réflexion des décideurs du territoire. François GUY, Président de la Commission « Habitat Solidarité » du Conseil de développement Marseille Provence Métropole, a présenté la philosophie
de cette démarche citoyenne : « il s'agit de confronter des expériences réussies à une vision large des
problèmes des jeunes pour identifier les facteurs de réussite, améliorer et développer les dispositifs et
les synergies ».
Débattre de jeunesse sans écouter les jeunes conduirait cette entreprise à l’échec. Aussi, le Conseil de
développement a fait un choix méthodologique déterminant : placer la parole des jeunes au centre des
travaux et sortir des logiques d’acteurs traditionnelles.
Durant plusieurs mois des rencontres ont été organisées avec des groupes de jeunes, notamment habitant dans les quartiers en difficulté, réduisant le déficit de communication entre les jeunes et les
institutions. Ces rencontres ont utilement complété trois ateliers thématiques consacrés à l’insertion
professionnelle, au logement, au transport et à la culture. Lors de ces réunions, chaque action a été
présentée par un jeune bénéficiaire, avec l’appui de l’institution qui en a la charge.
Le présent document propose la retranscription intégrale des trois rencontres réalisées avec les jeunes
de quartiers en difficulté, qui se sont déroulées les 29 mai, 24 et 28 juin 2013 dans les locaux de l’Ecole
de la deuxième chance, de l’ACSA à Félix Pyat et de l’APEQ. Il met en avant à travers leurs témoignages
les difficultés qu’ils rencontrent dans leur parcours d’insertion et leurs représentations du territoire.
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Compte-rendu de la rencontre
avec les jeunes présents lors de
l’atelier « Les jeunes et l’insertion
professionnelle »
DATE : 29/05/13
LIEU : Ecole de la 2ème chance
Réflexion «Les jeunes, acteurs d’un territoire
en construction »
Rapporteur : Thomas MARTINETTI, Chargé de mission du conseil de developpement MPM
Étaient présents :
Jeunes: BENABDELKADER Sarah, BOUZRANE Said, DAFFE Ismaela, Daouda CISSE, GERVAIS Flora, Medhi IDLANE, HASNI Ines, LABDALI Omar, LOUIS Aymeraude, MELENNEC Quentin, MERIEUX
Nans, KALIMA Moustapha, PATIENT Céline, SAIDOUN Joris.
Techniciens / accompagnateurs : APOTHELOZ Christian (animateur), BARUSSEAU Jean-Christophe (PLIE Centre MPM), BOUVET Karen (Mission Métropole), CICCIONE Sonia (E2C) DAFFE Mohammed (Association ACSA), DELPHINO Max (E2C), GUY François (CdD MPM), LANGEVIN Philippe
(CdD MPM), MAGAUD Carole (E2C), MAJERI Ramzi (ADDAP 13), URDY Lionel (E2C), ZAID Sabrina
(UNIS CITE), Rachid ZEROUAL (Association Réseau).
F. GUY présente la démarche portée par le Conseil de développement sur la jeunesse en difficulté
dans le cadre de ses travaux sur les solidarités. Il rappelle qu’un Conseil de développement est
composé d’acteurs issus de la société civile qui viennent bénévolement travailler au sein de cette
structure et dont la mission est de formuler des propositions au monde politique pour favoriser le
développement de l’agglomération.
Le Conseil de développement a choisi de se saisir de la question de la jeunesse en difficulté avec
l’ambition d’organiser un grand colloque citoyen sur la question, qui permettrait de formuler des
propositions pour améliorer les dispositifs existants ou d’en trouver de nouveaux. Chaque atelier
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est conçu thématiquement (insertion professionnelle, accès aux transports, au logement, à l’offre
et à la pratique culturelle) et a pour but d’alimenter ce colloque.
L’idée de cette rencontre est d’approfondir l’échange amorcé le 11 avril dernier à l’école de la 2ème
chance sur l’accès à l’emploi et de préparer les futurs ateliers du 18 juin et 11 juillet prochain.
T. MARTINETTI complète en indiquant que les réflexions du Conseil de développement portent sur
la jeunesse en difficulté, celle qui est très représentée sur notre territoire et qui connaît le plus de
problèmes.
L’objectif de cette rencontre est triple :
−− Connaître la réaction des jeunes sur le 1er atelier, identifier les choses qui ont fonctionné ou qui
n’ont pas fonctionné, les idées retenues, les non-dits, et approfondir le débat ;
−− Préparer le débat de la prochaine rencontre sur l’accès au logement et aux transports ;
−− Etudier avec les jeunes la possibilité de réaliser des vidéos « micro-trottoir » sur leurs problématiques quotidiennes, qui pourraient ouvrir le débat du colloque d’octobre prochain.
1.Réactions sur l’atelier « Les jeunes et l’insertion professionnelle, enjeux et perspectives à 5 ans » du 11 avril 2013 à l’Ecole de la 2ème chance
Sabrina ZAID, Coordonnatrice du programme «Rêve et réalise » à UNIS CITE est venue avec quatre
volontaires. Elle a apprécié cette 1ère rencontre, très intéressante où il y a eu beaucoup d’échanges
mais aussi trop d’interlocuteurs qui ont empêché de creuser certains sujets intéressants. Parfois,
on a plus eu le droit à une présentation des institutions que de leurs actions respectives et des problématiques rencontrées dans leur mise en œuvre.
Omar LABDALI, volontaire au projet « Rêve et réalise » trouve l’idée intéressante que de mettre
en place des réunions sur les problématiques des jeunes et qu'on leur donne la parole, ce qui est
trop rarement le cas : « On ne voit pas beaucoup de réunions où l’on voit des jeunes échanger avec
des institutions ». Il indique la difficulté pour certains jeunes comme lui non préparé à l’exercice de
prendre la parole en public.
François GUY demande si cette rencontre leur a permis de découvrir des institutions ou des dispositifs qui sont susceptibles de les aider dans leur parcours d’insertion.
Omar LABDALI indique que cette rencontre lui a notamment permis de connaître les actions d’insertion dans le bâtiment que porte le PLIE MPM.
Flora GERVAIS est volontaire au projet « Rêve et réalise » et exerce par ailleurs dans une compagnie de théâtre. Elle précise que sa thématique d’action sociale est centrée sur l’accès à la culture.
N’étant pas présente lors du 1er atelier, elle a trouvé la démarche et le débat intéressant.
Mehdi IDLANE, volontaire au projet « rêve et réalise », est en charge d’une action socioculturelle dont l’objectif est de lier le foot et la musique : l’idée est d’utiliser le foot pour réunir des jeunes
et les impliquer dans un spectacle culturel avec pour objectif le décloisonnement et l’échange entre
la jeunesse.
La démarche est intéressante mais trop ciblée sur les personnes présentes plutôt que sur les
actions, leurs avantages et leurs inconvénients. Il a trouvé le discours trop optimiste sur l’impact
des dispositifs présentés. Il y a aussi de nombreux échecs et il ne faut pas embellir la situation : « Il
vaut mieux dire les réalités ».
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Ines HASNI, volontaire à Unis CITE, est en charge d’un projet axé sur la mode avec l’idée de rendre actrices les femmes sur un large territoire et pas seulement sur les quartiers nord. Elle n’a pas participé
au 1er atelier mais trouve intéressant tout ce qui est mené par les institutions sur la jeunesse.
Daouda CISSE, stagiaire à l’E2C, ne connaissait pas les actions présentées lors de l’atelier du 11
avril. Comme l’indique F.GUY, on peut en effet s’interroger sur la visibilité des dispositifs existants
pour les jeunes et il existe un vrai enjeu d’information.
Quentin MELENNEC, élève à l’E2C trouve intéressant de s’intéresser à la jeunesse et à ce « qu’elle
peut ressentir dans ces quartiers et essayer de trouver des solutions ». Il était intéressant d’avoir
autour de la table l’ensemble des structures concernées (Mission locale, l’E2C, les entreprises, la
fédération du bâtiment…). Les jeunes n’avaient pas forcément conscience qu’il existait toute cette
offre à leur disposition sur le territoire où ils vivent. « Il y a un vrai problème de visibilité de l’offre
existante pour les jeunes. A titre personnel, j’ai trouvé l’E2C sur Internet… ». Il considère qu’il faut
aussi creuser davantage les sujets, le débat a été relativement court et tous les jeunes n’ont pu
s’exprimer.
François GUY pense que le problème de l’information est central, l’offre est présente sur le territoire mais il faut mettre en place les outils pour mieux la faire connaître.
Quentin MELENNEC : Avant que les jeunes quittent l’école, il faudrait que l’on puisse les informer sur
les dispositifs existants, cette action de sensibilisation doit se faire dans les écoles : on nous laisse quitter l’école, sans nous dire où il faut aller, qu’est-ce qu’on peut faire, quelles aides on peut avoir. C’est
difficile au début car il faut trouver ses repères, faut savoir où aller (…) On ne devrait pas les laisser partir comme ça. Bien que tous les jeunes connaissent la Mission locale, j’ai mis un ou deux mois à savoir
que la Mission locale existait et à quoi cela servait.
Joris SAIDOUN, élève à l’E2C a trouvé le concept intéressant mais trop de personnes se sont étalées sur leurs actions « sans prendre des exemples concrets de réussite étayés par des chiffres (taux
de réussite,…) c’est-à-dire quelque chose qui peut nous intéresser et nous pousser à aller les voir ».
François GUY confirme que l’ambition de ces rencontres est de rentrer le plus possible dans le
détail des actions, voir ce qui a marché ou pas et pour quelles raisons.
Carole MAGOU, formatrice à l’E2C indique que certains jeunes ont trouvé que les délais de prise de
parole étaient contraignant surtout pour eux qui ne sont pas habitués à l’exercice.
Aymeraude LOUIS, stagiaire à l’E2C a trouvé le débat un peu technique et certains mots n’étaient
pas compréhensibles. « Le fait que l’on ait parlé entreprise » l’a intéressé et notamment « les informations sur les secteurs d’activité qui embauchent actuellement ». Travaillant dans le secteur de la
restauration, elle a relevé qu’il est difficile de trouver des stages pour des jeunes qui ont un certain
âge par rapport à ceux du CFA.
Rachid ZEROUAL travaillant au sein de l’association Réseau en partenariat avec l’APEQ trouve que c’est
une bonne initiative même s’il y avait des choses techniques à régler. Les structures ont plutôt mis
l’accent sur ce qui fonctionne bien et moins sur ce qui va mal, ce qui aurait été intéressant. Il manquait
aussi des images qui auraient permis d’illustrer les propos des intervenants. Il aurait été aussi intéressant de disposer d’informations synthétiques sur les actions portées par l’ensemble des structures.
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Sabrina ZAID indique qu’un dossier a été remis en début de réunion, ce qui a permis à la plupart des
structures présentes de communiquer sur leurs actions.
Mohammed DAFE, enseignant au collège Edouard Manet à la Busserine n’était pas présent lors de la
dernière rencontre. Il représente plusieurs associations notamment l’association ACSA (« Culture Sport
et Animation ») qui travaille en partenariat avec l’APEQ sur le 3ème, 13ème et 14ème arrondissement pour
permettre par le biais du sport d’aider les jeunes dans la réussite scolaire et l’épanouissement personnel.
Il travaille également en partenariat avec l’APEQ et avec l’association « Eclosion de la cité », pour faire de
l’accompagnement scolaire, de l’orientation et de l’accompagnement à l’emploi pour les jeunes adultes
afin de faciliter leurs démarches d’insertion. « Il y a de gros problème d’orientation avec des jeunes qui n’ont
comme repère que ce qu’ils voient dans les quartiers au quotidien, des jeunes en bas des bâtiments. Les
jeunes ne savent souvent pas où se situe la Mission Locale ou à quoi elle sert ».
Il travaille également dans l’association de défense des consommateurs avec la CLCV, (Consommateurs,
Logements et Cadre de Vie) qui mènent des actions sur le 8ème et 3ème arrondissement de Marseille (accompagnement aux démarches administratives et juridiques).
Nans MERIEUX trouve intéressant d’impliquer les jeunes sur leurs problèmes notamment en vue de proposer des éléments de réponse aux politiques.
Karen BOUVET est la référente du chantier « jeunesse » à la Mission de préfiguration de la Métropole
Aix-Marseille Provence. Elle présente la démarche mise en place par l’Etat pour mettre en place une
métropole à l’échelle de la grande agglomération marseillaise, considéré comme le réel bassin de vie
des habitants (Istres, Martigues, Marseille, Aubagne, Aix-en-Provence…). Mettre les jeunes au cœur du
dispositif de réflexion est essentiel et elle souhaite s’associer à la démarche lancée par le Conseil de
développement jugée très innovante.
Ramzi MAJERI est éducateur ADDAP dans le 15ème et 16ème arrondissement.
Ali AMOUCHE, Directeur de l’APEQ indique que comme proposé lors du dernier Comité de pilotage
« jeunes », plusieurs groupes de discussion « jeunes » sur les quartiers concernés seront mis en
place sur Félix Piat, Les Oliviers A, La Maurelette.
Karim GHRISSI, Directeur de l’association « Artiste de l’ombre » était présent lors de la rencontre
du 11 avril dernier et pense que les jeunes ont un langage particulier qu’il faut capter si l’on veut
arriver à communiquer avec eux. L’association intervient avec des collégiens et des lycéens.
2.Débat
Thomas MARTINETTI constate qu’il existe souvent un décalage de perception de la réalité entre
le monde institutionnel et la jeunesse. Celui-ci est en partie générationnel. La plus-value de ces
rencontres est d’identifier avec les jeunes présents les problèmes rencontrés dans la construction
de leur projet de vie, dans l’accès à l’emploi et à l’autonomie.
Afin de structurer les échanges et de faciliter le débat et la prise de parole, il propose d’échanger
autour de questions thématisées sur la perception du travail et des métiers, l’éducation, l’orientation, la formation et l’insertion professionnelle.
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« Traditionnellement, on a tendance à voir l’insertion sociale par le travail. Qu’en pensez-vous et qu’elle
est votre perception du travail ? Est-ce un levier dans la vie, un moyen d’épanouissement personnel ?
Un mal nécessaire ? »
Flora GERVAIS : Si l’activité professionnelle a été pleinement choisie, voulue et construite, c’est un
moyen d’épanouissement. En général, il y a deux cas de figure, celui où la personne sait très tôt ce
qu’elle veut faire et celui où la personne ne sait pas très bien où elle va et qui de « fil en aiguilles » sera
assez débrouillarde pour trouver son chemin. Pour beaucoup, la question se pose en ces termes : pour
être autonome et se construire, il faut un logement, pour avoir un logement, il faut de l’argent et donc
travailler.
Thomas MARTINETTI : Qu’est ce qu’un bon travail, un travail attractif ?
Ines HASNI : Il faut être réaliste, dans la vie, il y a deux possibilités : soit on a le choix de faire le métier
qu’on veut, soit on n’a pas le choix. Le nerf de la guerre, reste l’argent, cela ne tombe pas du ciel. Il faut
penser à se nourrir, à se déplacer à se soigner. Je connais certains grands diplômés qui finissent caissiers parce qu’ils n’ont pas le choix et certains qui feront le métier dont ils rêvaient parce qu’ils ont eu
de la chance, ou ceux qui tombent par hasard sur une activité qui ne connaissaient pas et dans laquelle
ils vont s’épanouir. Dans ce cas là, en général, on vieillit bien. Sinon, on le fait par dépit parce qu’on a
une famille, il faut vivre et c’est la société qui nous y oblige, on change d’emploi, et on vieillit plus vite. Il
faut être réaliste surtout aujourd’hui dans la société et la ville dans laquelle on vit.
« J’ai étudié dans les quartiers nord et dans les quartiers sud : j’ai grandi à la Maurelette, puis j’ai vécu
vers Perrier et il a fallut que m’a mère m’inscrive au lycée sud Daumier pour que je puisse trouver une
voie qui m’intéresse et prétendre à de longues études. C’est un moyen d’avoir une bonne éducation mais
bon, au final cela ne veut vraiment rien dire car j’ai fait des études et au final, je ne sais pas ce que je
veux faire ». Il a fallut que j’aille sur Paris pour trouver des gens qui vont me donner la chance de faire
des choses qui me plaisent.
François GUY : La faute à qui ? Qu’est-ce qui vous a orienté dans cette voie ?
Ines HASNI : Aujourd’hui on est dans une société très élitiste. Si on fait de longues études, c’est bien
vu, sinon tu es plombier, tu es mécanicien. J’ai fait du droit, c’était tout de suite bien vu par les parents.
On veut tous un fils avocat, médecin, architecte. On veut le meilleur pour ses enfants.
Ma conseillère m’a dit que j’écrivais bien et m’a conseillé de faire des études de droit mais cela ne me
plaisait pas. Il a fallut que je passe par UNIS CITE pour découvrir une passion que je ne connaissais
pas grâce au parrainage. Ce que je pourrais conseiller c’est pouvoir rencontrer des gens qui sont déjà
dans le monde du travail grâce à ce système et qui pourrait m’éclairer sur la nature de leur activité. On
ne peut pas deviner tout seul quoi faire dans la vie sans l’expérience des autres et avoir une conseillère
d’éducation pour quarante ne sert à rien.
Thomas MARTINETTI : Que pensez-vous globalement de l’orientation à l’école ? Ses avantages, ses
limites ? Mehdi IDLANE : « L’école, il faut tout changer. Rester cloîtré dans une classe avec quelqu’un qui me
dit que Napoléon était fort en 1600… D’accord c’est de la culture, cela m’instruit mais bon… qu’est ce
que cela m’apporte, il est mort quoi ». Ce manque de lien entre les études réalisées et la réalité d’une
activité qui m’intéresserait et que je pourrais exercer plus tard fait que cela ne m’a pas motivé [...]
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Ce qui est dommage concernant les conseillers d’orientation, c’est que dans leur tête, ils ont des
cases et doivent les remplir. Par exemple, tu es fort en math, on va te conseiller de faire comptable…
On ne sait pas si cette personne qui aime les chiffres, elle n’aime pas aussi autre chose. Je n’avais pas
de bon résultat, on m’a conseillé le bâtiment alors qu’à la base, je voulais être dans le commerce.
Résultat [...]
On ne cherche pas vraiment à connaître la personne, on le juge à un instant T sur ses résultats scolaires.
On ne s’intéresse pas par exemple à ses capacités extrascolaires : qu’est-ce que tu aimes à part l’école… François GUY : Est-ce qu’il n’y a pas avant tout un grand problème d’information sur les métiers existants à l’école ?
Quand j’étais enfant, l’horizon de ce qu’on pouvait faire dans la vie était assez clair. Dans les années
60, la société évoluait doucement du point technologique et on comprenait les métiers qui s’offraient à
nous et comment y accéder. D’ailleurs le métier de conseiller d’orientation n’existait pas. Aujourd’hui
les métiers se sont diversifiés et lorsque l’on est à l’école, on ne les connaît pas forcément. En outre, il
y a un vrai enjeu sur la valeur des métiers. Dans notre pays, il y a un manque de valorisation du travail
manuel. J’ai lu quelque part qu’un travailleur manuel, c’est un travailleur intellectuel qui sait se servir
de ses mains, cela change un peu le regard lorsque l’on dit cela.
Il y a plein de métiers où l’on manque de professionnels parce que ces derniers ne sont pas attractifs et
l’on n’a pas assez formé de jeunes. Nans MERIEUX : Je vais parler de mon expérience personnelle. L’année dernière, j’étais en terminal et
on devait formuler des choix d’orientations. Personnellement, je ne me sentais pas concerné, car j’avais
le théâtre. Je pensais avoir le bac puis faire la fac. Le problème, c’est qu’on n’est pas du tout informé.
C’est la même chose plus tôt lorsque l’on passe le brevet, pour savoir si on va faire le lycée pro, faire un
métier parce que les études cela nous fait chier, on n’a aucune information.
Quand on va à la fac, c’est pour devenir profs. Je rentre en socio, et on vous le dit dès le 1er jour : si vous
êtes là, c’est pour devenir enseignant ou prof-chercheurs. Il existe un manque d’information total sur
les débouchés.
Quentin MELENNEC : La faculté de sciences humaines, c’est sûr que c’est quelque chose qui ne
débute pas forcément sur l’entreprise.
Nans MERIEUX : C’est vrai mais après ton bac, on ne te prépare même pas aux métiers que tu peux
faire plus tard, c’est à toi de choisir…
Thomas MARTINETTI : C’est vrai qu’il y a un vrai problème d’information sur les métiers. Pour rebondir sur les propos de François GUY, quelle est votre perception des métiers manuels ? Les trouvez-vous
assez valorisés ? Quels sont pour vous des exemples de réussite professionnelle ? Pouvez-vous me citer
des professions que vous trouvez valorisantes ?
Moustapha Kalima : C’est dans la formation des enseignants que se situe le problème notamment au
collège. Celle-ci n’est pas adaptée aux publics rencontrés. Par exemple, à mon époque, les professeurs
n’étaient pas en capacité de donner des informations sur les professions présentées par METIERAMA
lors de leur forum et on a fait cela comme si c’était une promenade. J’ai connu deux environnements
différents à la période du collège, le collège Arenc-Bachas à Bougainville et celui de Marignane. A
Marignane, les professeurs étaient à l’écoute de leurs élèves et savaient se mettre à leur niveau. Dans
l’autre établissement, ils n’ont pas été en mesure de comprendre la demande de leurs élèves et de
leur expliquer les débouchés possibles en lien avec les matières étudiées. En matière d’orientation, les
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choses sont bâclées, en quatrième, on m’a tout de suite parlé de BEP chaudronnerie que je ne connaissais pas et dont je ne savais pas sur quoi cela déboucherait.
Karim GHRISSI : Un bon élève dans beaucoup de collèges ou dans les lycées dans les quartiers, ce n’est
pas celui qui a 16 ou 17 mais celui qui ne pose pas de problème.
Les élèvent appellent souvent les conseillers d’orientation « les conseillers de désorientation ». Les
choix d’orientation sont souvent réalisés avec l’aval des parents sans que ceux-ci ne réalisent vraiment
ce qu’ils signifient.
Moustapha KALIMA : Il fallait que je trouve un BEP que mes parents pourraient accepter, j’ai fait celui
de comptabilité que j’ai eu jusqu’au bac pro mais cela s’est fait sans réelle réflexion.
Rachid ZEROUAL : A notre époque, le travail nous permettait d’atteindre nos objectifs de vie : fonder
une famille, avoir une maison, une belle voiture. Aujourd’hui, je me demande si c’est toujours le cas.
Concernant l’orientation, je fais de l’accompagnement à l’emploi (simulation d’entretien, préparation
de CV…). Parfois, sur la vingtaine de personnes que je reçois, la plupart viennent du même quartier : je
cherche des électriciens, une grande partie des candidats que je reçois vient de Félix Piat, même chose
avec des chaudronniers ou des plombiers où les personnes viennent de Malpassé ! On a l’impression
que selon les quartiers, les conseillers d’orientation orientent les élèves selon les métiers qu’ils ont en
main. Ce n’est pas les jeunes qui manquent d’information mais plutôt les conseillers d’orientation qui
manque d’information et de formation : Ils ne connaissent pas la palette de métiers existante sur notre
ville et sur le territoire national.
Ines HASNI : On ne peut pas dire que l’on manque d’information sur les métiers : il existe de nombreux
magazines, centres de ressources, internet etc. Par ailleurs, on ne peut pas demander à une conseillère
d’orientation d’entretenir une relation privilégiée avec chaque élève sur du long terme car ces derniers
sont trop nombreux.
Je peux me tromper mais j’ai l’impression par ailleurs qu’il y a des quotas pour remplir les formations : il y a certains lycées pro à remplir et certains élèves sont orientés en conséquence. De manière
concomitante, il y a un phénomène de concurrence entre les lycées généraux qui se disputent les bons
élèves pour avoir de bons taux de réussite. J’avais un côté artistique mais les tests que la conseillère
d’orientation m’a fait passé ne les faisaient pas ressortir. Comme j’avais de bons résultats et que j’avais
les parents derrière, on m’a placé d’office dans la filière générale.
En tout état de cause, le fait d’avoir pu déroger à la carte scolaire m’a permis d’éviter les mauvais collèges sur Marseille ».
Moustapha kalima : Mes parents auraient certainement fait la même chose mais ne connaissaient
pas le dispositif à l’époque…
Ines HASNI : Les professeurs qui suivent leurs classes toute l’année connaissent leurs élèves et
devraient être en capacité de pouvoir les aider dans leurs orientations. Les élèves du lycée pourraient
peut-être aussi faire du parrainage auprès de collégiens.
Flora GERVAIS : On intervient avec la compagnie de théâtre dans le collège Arthur Rimbaud et j’ai eu
l’occasion d’échanger avec plusieurs professeurs : beaucoup d’entre eux sont de jeunes professeurs qui
font « leurs classes » de manière forcée dans ces quartiers et en partent rapidement ce qui nuit notamment au développement d’une relation privilégiée avec les élèves qu’ils suivent.
Je regrette aussi le côté utilitariste de l’école qui ne doit pas seulement servir à apprendre une fonction mais
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à comprendre son environnement et nous aider à nous révéler. A l’Université par exemple, on nous demande
d’apprendre. Il n’y a pas que l’école pour s’épanouir et je ne veux pas vivre pour travailler.
Ines HASNI : Je suis d’accord, c’est des cours magistraux, où l’on doit restituer des concepts de manière
mécanique et si possible sans fautes d’orthographe avec une sélection à la clé.
En Allemagne et en Suisse, la méthode est différente : il y a le travail purement scolaire, souvent le
matin mais des activités artistiques, culturelles et sportives ont lieu l’après-midi. Dans ces pays, l’activité manuelle est beaucoup mieux valorisée, au point parfois d’être mieux perçue que l’activité intellectuelle. En France, il y a une culture du diplôme et on le voit notamment chez les politiques. Par ailleurs,
dans les pays anglo-saxons, le bac est plus spécialisé, ce qui permet une orientation plus facile.
François GUY : Ce débat est intéressant et je pense qu’il est utile d’identifier avec vous, les problématiques « amont » de l’insertion professionnelle des jeunes et qui se situent au niveau de l’éducation
nationale. Les grandes carences que nous avons évoqués (enseignement, information sur les métiers,
orientation,…) pourront peut-être nous permettre d’interpeller l’Etat sur ces sujets. Toutefois, le sujet
qui nous préoccupe particulièrement est celui de l’insertion professionnelle, c’est à dire le moment où
vous sortez du système scolaire car c’est un domaine où les collectivités locales peuvent agir et où nous
pouvons, par nos propositions être le plus utile.
Sur l’information « métiers », comme il y a certains d’entre vous qui sont dans le théâtre, je prends
l’exemple des métiers dans les Arts du spectacle : au-delà du comédien ou metteur en scène, il existe
le métier de machiniste, éclairagiste, confectionneur de décors de théâtre, etc et je ne suis pas sûr que
cela soit dans vos brochures…
Ines HASNI : La documentation existe et les formations aussi mais…
Nans MERIEUX : Le problème c’est qu’il faudrait quelqu’un pour présenter ces informations car à
15 ans, nous ne sommes pas en capacité de tout comprendre. On nous donne le dossier et on doit se
démerder. Il faudrait des présentations sur les métiers évoqués, un accompagnement individualisé…
Christian APOTHELOZ : Parmi ceux qui sont là, qui sont ceux qui sont déjà allés à la Cité des Métiers ?
(les deux-tiers des personnes lèvent le bras). Bon, une grande partie d’entre vous. Or, c’est l’endroit
où est rassemblé la plupart des informations pour les métiers.
Flora GERVAIS : Aujourd’hui, le système scolaire est conçu de sorte que l’on n’est pas acteur de son
apprentissage mais plus des consommateurs de connaissances, ce qui ne nous laisse pas l’opportunité
de voir ce qui se passe autour de nous et de réfléchir à ce qu’on aime. J’ai l’impression que les jeunes
s’intéressent de moins en moins à ce qu’ils aiment faire. Ils deviennent passifs et attendent qu’on leur
donne l’information.
François GUY : Quelle est l’explication ?
Nans MERIEUX : J’ai l’impression qu’on nous donne un peu tout…
Ines HASNI : Nous sommes un peu une génération d’assistés aussi…
Mehdi IDLANE : On n’est pas pris au sérieux aussi, on nous infantilise, nous sommes une génération couvée.
Concernant les métiers manuels, j’ai eu l’occasion d’en exercer plusieurs. On pense que cela va être
physique mais en réalité la vraie difficulté n’est pas là. Les anciens dans l’entreprise ont forcément rai-
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son et les nouveaux ne peuvent donner leur avis ou même émettre une remarque qu’elle soit constructive ou pas. Parfois, alors que nous avons le bagage théorique, et on sait quel geste effectuer mais on
nous déjuge dans nos choix et on nous dit ils ont tord, il faut faire comme cela. C’est trop strict.
La salle : Ce n’est pas partout pareil, il ne faut pas généraliser.
Mehdi IDLANE : Ce que je veux dire c’est que j’aurais voulu que l’on nous fasse aussi un peu confiance.
Lorsque l’on va démarcher pour un job, j’aurais aussi aimé qu’on nous explique également la palette des
métiers existants dans le secteur qui nous intéresse, tu peux être commercial dans cela, tu peux vendre
du pain, comme du peux vendre des habits, des chaussures, etc.
Ines HASDI : On propose, on propose, (…) tu ne penses pas à chercher par toi-même ?
Mehdi IDLANE J’aurais au moins aimé qu’on me dise : selon ce que tu me dis, tu seras peut-être plutôt
meilleur dans ce métier que celui-là.
Thomas MARTINETTI : Est-ce qu’on vous parle assez des métiers présents sur le territoire ? Par
exemple, c’est quoi pour vous les grands métiers emblématiques du territoire ? Est-ce que vous pouvez
me citer 3 ou 4 grandes entreprises que vous connaissez ?
Ines HASDI : RTM, la Ville, Véolia, CGM-CGA
Quelqu’un depuis la salle : Eurocopter !
Thomas MARTINETTI : Pourquoi cette question, c’est que souvent les jeunes ne le savent pas, il existe
plein de filières en développement sur le territoire qui ne trouvent pas preneur alors que leurs entreprises cherchent à recruter : les métiers liés à l’industrie navale, la métallurgie, la logistique, etc. Marseille possède quand même par exemple le plus grand port de méditerranée et comprend une multitude
de métiers liés à cette activité.
Mehdi IDLANE : Il y a des formations liées à ces métiers mais souvent, on n’en a jamais entendu parler. Je vais prendre un exemple, j’ai un ami qui a eu son CASSES (Certificat d’Aptitude à la Conduite En
Sécurité). Je ne savais pas ce que c’était. Cela lui permettait de ranger les entrepôts de magasins et il
avait eu connaissance du dispositif par la Mission Locale. Je l’ai donc appris par hasard et j’ai dû faire
des pieds et des mains à la Mission Locale pour avoir plus d’informations.
Karim GHRISSI : Le problème c’est que personne ne leur a appris comment on cherche….
Moustapha KALIMA : Chez les jeunes, il existe des effets de bande, il faut casser cela et prendre les
gens individuellement afin qu’ils puissent se développer en tant qu’individu et leur expliquer les avantages du travail et les accompagner dans leurs démarches d’orientation et de recherche.
Ali AMOUCHE : En ce qui concerne l’orientation, il n’y a qu’une personne ici qui a parlé des parents. Quelle
place donne-t-on aujourd’hui aux parents dans l’orientation ? Souvent, en discutant avec eux, on a l’impression qu’ils se sentent complètement dépossédés des choix réalisés à l’école pour leurs enfants.
L’école instruit, les parents éduquent. Ces derniers connaissent leurs enfants, ils ont un rôle important
à jouer dans le développement de leurs enfants. L’école oublie parfois le rôle essentiel des parents
en ce domaine. Il faut donc des espaces où les parents participent avec l’école aux grandes décisions
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concernant leurs enfants. Les meilleurs élèves vont dans les meilleures écoles et les autres vont
sans aucune cohérence remplir les classes afin qu’elles ne ferment pas. Il y a beaucoup de choses à
inventer pour que les parents puissent entrer dans l’école. Il faut faire exister l’école dans le quartier, c'est-à-dire dans le quotidien de la famille et faire exister le quartier dans l’école. L’enfant ne
s’arrête pas d’être élève lorsqu’il sort de l’école. C’est un processus continu où les parents doivent
avoir toute leur part.
Dans les cadre de nos relations avec les établissements scolaires des quartiers sud, un Principal
me disait : vous me donnez les 10 meilleurs élèves des quartiers nord, ils ne tiendront pas un mois,
à la fois pour des raisons de contenu de l’enseignement que d’environnement culturel.
Quentin MELENNEC : Je suis sûr que chaque professeur est là pour apporter le meilleur à ses élèves
mais souvent il n’est pas perçu comme cela. La proximité entre l’élève et le professeur est essentielle et
doit être développée. Du lien existant entre le professeur et l’élève dépend son implication, sa motivation
à travailler. Ce rapprochement doit donc être favorisé pour éviter que la fracture se développe entre ces
deux mondes et que le décrochage s’opère et que l’élève se braque contre l’école. A titre personnel, je
l’ai vécu et c’est grâce à cette proximité que j’ai pu m’épanouir à l’Ecole de la 2ème chance.
Ines HASNI : Avec le dispositif ZFU, dans le 15 et 16ème arrondissement de Marseille, on aurait dû
plus inciter les entrepreneurs à embaucher des jeunes en situation difficile dans les quartiers,
d’autant que souvent ceux-ci n’ont pas beaucoup de possibilité pour se déplacer. Personnellement,
je ne vais pas postuler sur un poste dans le 15 et 16ème arrondissement dans le cadre du dispositif
ZFU par solidarité car je pense qu’il existe des gens plus prioritaires que moi sur ces territoires.
Sur Marseille, il y a de quoi faire, il y a beaucoup de secteurs d’activité qui pourraient faire de
l’insertion surtout avec tous les chantiers en cours (Euroméditerranée,...). La principale force de la
ville reste toutefois son port. Celui-ci est à priori fort demandeur en main d'œuvre faiblement qualifiée mais faute de volonté politique, force est de constater que rien ne bouge depuis des années
alors que l’on pourrait embaucher énormément de jeunes.
Il y a aussi beaucoup de structures en matière d’insertion que ne fonctionnent pas parfaitement :
La Mission Locale par exemple ne m’a pas aidé parce que j’avais un diplôme. Or j’avais besoin d’être
insérée, j’avais 23 ans et je n’avais pas d’emploi… On m’a dit que je devais laisser la place à des
jeunes qui étaient plus prioritaires.
François GUY regrette que beaucoup de chefs d’entreprise ne soient pas venus à la rencontre du 11
avril dernier et a contacté l’association Cap au nord entreprendre, Fédération d’employeurs sur les
ZFU. Il serait intéressant d’avoir leur avis sur le sujet.
Ali AMOUCHE : Ce n’est pas parce qu’on est sur ces territoires en difficulté, qu’il ne faut faire que
du social et ne parler que d’insertion et de réinsertion. Il faut distinguer ce qui relève de l’insertion
sur ces territoire, du recrutement ordinaire qui heureusement arrive tous les jours et qui n’est pas
différent d’autres secteurs. Il faut faire attention aux termes employés qui peuvent être clivant.
Thomas MARTINETTI : Dans la mesure, où il ne reste plus beaucoup de temps et pour ne frustrer
personne, chacun sera invité à réagir au questionnaire qui a été réalisé et qui couvre une bonne
partie du sujet qui nous occupe.
Je vais essayer de regrouper les questions en se ciblant sur les freins que vous pouvez rencontrer
en matière d’accès à l’emploi, dans la mesure où l’ensemble des sujets sur lesquels nous nous
penchons sont quelque part liés à cela.
Selon votre vécu, quels sont vos principaux freins d’accès à l’emploi ? L’accès au logement, aux
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transports, votre réseau personnel, la visibilité des offres d’emploi, savoir préparer un entretien
d’embauche, les discriminations ?
Sur ce dernier point, il s’agit d’un vrai sujet de société. Comment avez-vous l’impression que les
jeunes sont perçus dans la société ?
Omar LABDALI: On est jeune donc inexpérimenté (…) et puis moi, j’ai une tête d’arabe. Les arabes et
les noirs, ils sont un peu mal vus et les gens, ils nous stigmatisent direct. Ils ont des clichés sur nous.
Je généralise un peu, je sais que ce n’est pas comme cela partout.
Aymeraude LOUIS : J’avais un entretien ce matin et le patron voulait me voir avant d’accepter que je
fasse un stage chez lui. Ce n’est pas forcément parce que je suis noire, c’est parce qu’il voulait s’assurer
de ma motivation, que la personne qu’il allait former n’allait pas laisser tomber en cours de route. On
ne va pas forcément subir une discrimination de couleur ou parce qu’on vient de la cité. Moi je dis qu’il
faut montrer qu’on peut…et qu’on veut.
François GUY : Et vous avez été embauchée ?
Aymeraude LOUIS : Oui
François GUY : Et bien bravo !
Mehdi IDLANE : Il y a aussi la discrimination sur l’expérience, c’est normal mais sous prétexte qu’on
serait débutant dans le métier, on pense que nous former, cela va être plus long et donc constituer un
frein à l’entreprise.
Rachid ZEROUAL : Un des grands freins, cela peut être soi-même déjà : beaucoup se disent, ce n’est
pas la peine, je n’ai aucune chance, je n’y vais pas.
Mehdi IDLANE : On se sent inférieur devant l’employeur. On se sous-estime, c’est normal.
François GUY : Il ne faut pas. Aymeraude a été embauchée parce qu’elle a su montrer qu’elle était
passionnée par son métier.
Karim GHRISSI : La discrimination, cela commence très jeune. On a beaucoup de témoignages de
jeunes qui nous racontent ce qu'ils vivent comme une injustice. Il faudrait trouver un système de recherche d’emploi et de stage qui permet d’éviter cela.
Karen BOUVET : En tant qu’ancien chef d’entreprise, je voudrais apporter mon témoignage sur le sujet.
Il faut bien voir qu’un patron a des responsabilités et doit faire tourner une boîte, il y a des familles
derrière et il n’y a pas forcément le temps de prendre un jeune et de le former. En revanche, je pense
fondamentalement qu’on a le devoir dans sa vie quotidienne et professionnelle d’accompagnement et
de tutorat des jeunes. Il faut s’interroger pour permettre à ce lien entre la jeunesse et le monde de
l’entreprise de se développer.
Ines HASNI : Je trouve que l’apprentissage est un bon moyen de développer cela : les cours théoriques
délivrés par l’école et l’aspect pratique dans l’entreprise permettent de trouver un bon équilibre profitable
à l’élève dans son insertion ainsi qu’à l’entreprise qui va former de manière adaptée à moindre coût le futur
salarié. Le jeune finit ses études de la meilleure des manières tout en gagnant en autonomie financière,
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acquiert de l’expérience, un réseau et cela facilite son arrivée dans l’entreprise. Je regrette de pas l’avoir fait
car en plus j’aurais probablement abordé certains métiers différemment.
Thomas MARTINETTI : En matière de mobilité, y a-t-il eu déjà dans la salle des personnes qui faute de
transport ont du renoncer à une formation ou un emploi ?
Omar LABDALI : Plein de fois, à cause de la voiture. On nous disait revenez quand vous aurez la voiture.
Par exemple, j’avais la possibilité d’avoir un CDI à Fos, j’avais le BEP chaudronnerie et comme je n’avais
pas le permis, on m’a dit que ce n’était pas possible.
Thomas MARTINETTI : En ce qui concerne les transports en commun, les trouvez-vous bien adaptés ?
Est-ce qu’ils relient bien les grands bassins de consommation ou d’emploi comme la zone industrielle
de Fos, Plan de Campagne, la Valentine, etc ?
Mehdi IDLANE : Ce n’est pas pratique et trop cher. J’ai dû refuser des offres, parce que l’emploi se
trouvait soit à Vitrolles, soit à Martigues, Cassis ou dans les alentours de Marseille. Pour moi d’ailleurs,
tout cela, c’est Marseille, c’est la même chose. Par exemple sur Cassis, bien qu’il y est un train qui y mène, c’était compliqué pour moi car je n’avais pas
d’argent de côté et je n’étais pas en capacité de faire l’avance pour le 1er mois alors que je ne touchais
pas encore de salaire. Je n’avais pas de mise de départ.
Thomas MARTINETTI : Il y a le problème du prix mais il y aussi peut-être le problème de l’accessibilité.
Il existe c’est vrai une ligne de train avec de nombreuses gares (St Joseph Le Castellas, Saint Antoine,
Picon-Busserine, etc.) qui traverse les quartiers nord et qui relie Cassis mais comment vous y rendez
-vous depuis votre domicile ? Trouvez-vous cela facile ?
Ines HASNI : Tout dépend du secteur…
Karim GHRISSI : je ne pense pas que le vrai problème, c’est l’emploi, après on arrive toujours à se
débrouiller…
Rachid ZEROUAL : Je pense quand même qu’il y a un vrai problème d’accessibilité sur les quartiers et
que la question doit être étudiée.
Nans MERIEUX : Je pense qu’il y a un problème de transport et de mobilité. Pour aller en centre-ville, je
suis obligé soit de prendre le bus pour prendre le train, soit de prendre le bus 25 puis le métro. Ce n’est
pas normal. Sur toute la métropole, il faudrait que les transports en commun soient faciles d’accès.
J’habite à Saint-Antoine et par exemple pour me rendre à Aix, il n’y a pas de ligne directe et je suis obligé
de rejoindre une gare et de prendre le train.
Ramzi MAJERI : J’accompagne des jeunes dans leurs démarches de recherche de stage et d’emploi et je
constate que le jeune choisi son stage dans une zone réduite. Il recherche toujours des entreprises qui ne seront
pas trop loin de son domicile. Je trouve aussi que certaines cités, sont très mal desservies : certains jeunes
pour aller au lycée ou pour chercher un emploi doivent prendre deux bus. Pour les jeunes, c’est un de trop. Il
faut partir à 6h-7h du matin, attendre le bus, changer, attendre 20 min pour le deuxième, et en hiver, cela peut
vouloir dire attendre sous la pluie à un arrêt de bus sans abris. Ils y vont une fois ou deux puis abandonnent. La
plupart des jeunes essayent alors d’être autonomes et font un ou plusieurs petits boulots pour avoir leur scooter
et prétendre ensuite chercher plus loin. Par ailleurs, le prix du ticket, à 1,80€ n’est pas très attractif….
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Thomas MARTINETTI : Le débat est intéressant mais faute de temps, nous devons écourter. Je suis
à votre disposition pour poursuivre cet échange et je vous invite à nous rejoindre le 18 juin prochain à
l’Association d’Aide aux Jeunes Travailleurs à proximité de la gare Saint-Charles pour discuter plus
particulièrement des problématiques d’accès au logement et aux transports que vous connaissez ou
avez connu dans votre parcours d’insertion professionnelle.
Un autre atelier est également prévu le 11 juillet prochain au Théâtre TOURSKY sur les problématiques
d’accès aux pratiques et à l’offre culturelle.
François GUY : Tous ces sujets s’interpénètrent et vous êtes les bienvenus pour ces prochaines rencontres pour qu’ensemble, nous construisions les propositions qui seront proposées au colloque d’octobre prochain en présence des élus.
Thomas MARTINETTI : En ce qui concerne le colloque, nous souhaitons réaliser avec vous trois ou
quatre petits films sous le format micros-trottoirs. Leur objectif est de vous faire témoigner sur les problèmes que vous rencontrez au quotidien (accès à l’emploi, aux transports, à la culture…), de manière à
introduire ces sujets lors de différentes tables rondes du colloque et de poser le débat.
On pourrait par exemple composer 4 équipes de 5 personnes pour un tournage de 2 heures sur un lieu
à chaque fois différent (Ecole de la 2ème chance, etc.) et emblématiques des quartiers en difficulté. Le
montage serait effectué avec votre aide pour ne retenir au final que 3 à 5 min de film par tournage.
Dernière chose, des photos du 1er atelier sont à votre disposition, merci de nous indiquer ceux qui retiennent vos préférences afin que nous vous les fassions parvenir. Merci de votre participation et à très
bientôt.
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Compte-rendu de la rencontre
avec des jeunes en difficulté de
la permanence ACSA, Félix PYAT
Date : 24/06/13
Lieu : Boulevard Gouzian, 13003 Marseille
Réflexion «Les jeunes, acteurs d’un territoire en
construction »
Rapporteur : Thomas MARTINETTI, Chargé de mission du Conseil de développement MPM
Étaient présents :
Jeunes: AHMED Rachida, BACAR Azhar, ILIASSA Jlabibou, KALIMA Mustapha, LAKNLAFA Saumi,
MADIDJAE Antoy, MHOUSSINI Mamoud, NOBILE Liza, SOILIHI Omar-ben, ZOULEIRI Mohammed.
Techniciens / accompagnateurs : AMOUCHE Ali, ZEROUAL Karim, MARTINETTI Thomas, DAFFE
Mohammed.
Rappel de la démarche
T.MARTINETTI présente la démarche portée par le Conseil de développement MPM sur la jeunesse
en difficulté. L’idée est de recueillir l’avis des jeunes sur les problématiques qu’ils connaissent
au quotidien dans leur démarche d’insertion afin de construire avec eux des propositions pour
essayer d'améliorer les choses.
Antoy MADIDJAE : J’ai 17 ans et je suis en formation de conducteur routier.
Liza NOBILE : Je suis secrétaire de l’association ACSA.
Mohammed ZOULEIRI : Je suis animateur à l’association ACSA, je suis une formation de moniteur
éducateur.
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Rachida AHMED : J’ai 21 ans et je viens d’avoir mon bac pro secrétariat. Si je ne trouve pas rapidement
un emploi, j’irai à la fac.
Saumi LAKNLAFA : J’ai un bac +2, je cherche un poste de responsable logistique en entreprise.
Jlabibou ILIASSA : J’ai un CAP maçonnerie et j’ai une formation de préparateur de commande, magasinier, cariste (CACES) et je recherche un emploi.
Omar-ben SOILIHI : J’ai 18 ans, j’ai un CAP menuiserie bois et je n’ai pas eu mon bac pro menuiserie
aluminium et suis à la recherche d’emploi.
Mamoud MHOUSSINI : J’ai 21 ans et j’ai un CAP en hygiène propreté, environnement. Je recherche un
emploi depuis deux ans. Avant, j’étais médiateur social mandaté par 13 Habitat.
Azhar BACAR : J’habite à Félix Pyat et je viens de passer mon bac logistique et je recherche un emploi
à compter de septembre.
Mohammed DAFFE : Je suis enseignant au collège Edouard Manet dans le XIVème arrondissement et
co-responsable de l’association ACSA.
Mustapha KALIMA : J’ai 35 ans et je suis à la recherche d’un emploi depuis un an.
Thomas MARTINETTI : Quel est votre image du travail ? Est-ce que c’est quelque chose de nécessaire,
un moyen d’épanouissement ?
La salle : On a besoin de travailler.
Mohammed ZOULEIRI : Le travail peut nous permettre de subvenir à nos besoins et de devenir autonome, pour se construire soit même. S’épanouir, là franchement, je ne sais pas. On est jeune, le premier
boulot que l’on trouve, c’est pour subvenir à ses besoins. Pour faire un bon boulot, il faut des études et
quand on a personne derrière, c’est difficile d’y arriver.
Thomas MARTINETTI : Déjà pour faire des études supérieures, il faut déjà avoir le bac et beaucoup de
jeunes des quartiers n’arrivent pas à ce niveau de qualification. Après, c’est vrai, il faut de l’argent pour
avoir un logement, acheter des manuels, etc.Tu penses qu’un bon boulot, cela passe par de longues
études ?
Mohammed ZOULEIRI : Non pas forcément. Pour moi, c’est un boulot que j’aurai envie de faire suite
à une formation que j’aurai choisi et qui me permettrait d’avoir du temps libre sans être tout le temps
crevé. Des fois, on fait des boulots où les horaires sont pénibles et on ne vit plus quand on rentre chez
nous.
Rachid ZEROUAL : Cela te fait peur d’avoir un boulot comme ça ?
Mohammed ZOULEIRI : Oui, quand je vois nos parents comme ils ont vécu et le salaire de misère qu’ils
avaient, on espère avoir un métier plus confortable.
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Thomas MARTINETTI : Dans le meilleur des mondes, c’est censé être l’école qui vous prépare à un
travail qui vous correspond. Est-ce vous trouvez que l’école vous a aidé et sinon pourquoi ? Beaucoup
d’entre vous ne sont pas, par exemple, aller jusqu’au lycée. Quelles ont été en deux mots vos difficultés ?
L’enseignement était trop abstrait pour vous ? Un jeune que nous avons déjà rencontré à l’Ecole de la
2ème chance avait déjà regretté l’absence de lien concret entre l’enseignement et les professions qu’ils
auraient pu exercer dans le futur et cela a été une des raisons de son manque d’implication dans les
études et son décrochage scolaire.
Jlabibou ILIASSA : Cela dépend le type de formation. Moi je trouve que des jeunes qui ont un diplôme
professionnel (CAP, BAC PRO, etc) ont plus de chance de trouver un emploi que ceux qui ont un BAC
général car c’est ce que recherche les employeurs.
Thomas MARTINETTI : Souvent, on a tendance à dire que les métiers manuels ne sont pas suffisamment
valorisés chez les jeunes en France. On a pourtant des emplois non pourvus dans les métiers manuels
et des facultés surchargées avec parfois peu de débouchés derrière.
Jlabibou ILIASSA : Oui, on en a conscience, on préfère avoir un CAP et travailler plutôt que d’avoir un
BAC+2 et regarder la TV toute la journée.
Thomas MARTINETTI : Vous avez conscience de l’offre d’emploi existant spécifiquement sur notre
territoire ? A Marseille, il y a des filières économiques qui embauchent comme par exemple la logistique
urbaine, la réparation navale, …
Un jeune depuis la salle : Les Travaux publics !
Thomas MARTINETTI : Tous ces secteurs n’arrivent pas forcément à trouver des salariés qualifiés.
Souvent c’est parce que ces métiers sont pas connus, et parce qu’il n’y a pas de formation ou parce
qu’ils sont considérés comme des métiers trop pénibles etc.
Mustapha KALIMA : Les jeunes réfléchissent souvent aux emplois qui se situent à proximité de leur
lieu de vie. Ils ont l’impression que les métiers de l’ouest Etang de Berre, c’est pour ceux de Martigues
ou Istres. Ils se sentent moins concernés par ces métiers car à l’école, on ne leur en a pas parlé de ces
métiers là. C’est après notre cursus scolaire qu’on nous en a parlé, à la Mission locale ou à pôle emploi.
Rachid ZEROUL : On n’a pas préparé ces jeunes pour les postes qui allaient être disponibles, on a préparé des jeunes pour des postes qui aujourd’hui sont « complets ».
Mustapha KALIMA : Il y a des jeunes à Marignane ou Vitrolles qui sont plus susceptibles d’être informés
sur ces métiers parce qu’ils sont à proximité de ces emplois. J’en connais qui par exemple ont passé le
BEP Chaudronnerie.
Thomas MARTINETTI : Cela veut dire que les conseillers d’orientation auront plutôt tendance à orienter leurs élèves vers les centres de formation existants à proximité du quartier ou du pôle urbain dans
lequel se situe l’établissement et qui sont liés au tissu économique local ? Rachid ZEROUAL : J’étais coach à la Canebière et j’encadrais une trentaine de personne qui venaient
de Félix Pyat qui avaient une formation d’élèctricien, dans un autre quartier, que des plombiers.
23
Pourquoi ? Parce que l’école du quartier avait orienté les jeunes en fonction de l’environnement économique dans lequel ils étaient. On ne les a pas orienté vers des postes disponibles ou qui allaient être
crées dans le cadre par exemple des grands projets marseillais (MP 2013 capitale européenne de la
culture, Euroméditerrannée, etc). Qui a entendu parler de ces projets et des débouchés possibles il y a
5 ou 6 ans dans les écoles ?
La salle : Personne.
Mustapha KALIMA : Ceux de Marseille, on leur parle des métiers du port, ceux de Marignane, on leur
parle d’Eurocopter, ceux de Martigues, les métiers de Total, etc.
Mohammed DAFFE : Les établissements et les conseillers d’orientation ne possèdent souvent pas
une bonne information sur les métiers existants sur le territoire. Les liens entre pôle emploi et la
mission locale ne se font pas.
Mustapha KALIMA : Si on avait eu la métropole depuis 40 ans et une unité au niveau des structures administratives, on aurait, je pense été plus informé sur les métiers existant sur l’ensemble du territoire.
Sur le plan de l’accessibilité, les choses auraient été aussi plus simples et on pourrait accéder aujourd’hui plus facilement à Fos ou Aubagne. Pour nous, là, c’est quasiment un autre monde ces secteurs
tant ils sont difficilement accessibles.
Thomas MARTINETTI : Il y a donc le problème d’information sur les métiers qui existent et sur l’accessibilité. A part l’école, qui vous renseigne sur les métiers ? La famille ?
Saumi LAKNLAFA : Cela joue un peu et on essaye toujours d’avoir des meilleurs métiers que nos
parents. Mais c’est vrai qu’au niveau de l’information, c’est compliqué, on essaye de chercher mais ce
n’est pas facile. Elle ne vient pas à nous l’information, c’est à nous d’aller la chercher.
La salle : C’est vrai.
Thomas MARTINETTI : C’est quelque chose qui est ressorti lors de nos rencontres avec d’autres
jeunes : « On cherche de l’information mais cela est compliqué car elle est éparpillée et on voudrait
qu’elle vienne à nous ». C’est la même chose pour la culture.
Saumi LAKNLAFA : C’est important pour nous d’avoir un lieu unique car cela nous éviterait de nous
éparpiller car on va là et là et à force on se démotive et le moral baisse.
Thomas MARTINETTI : Pourquoi ?
Saumi LAKNLAFA : Parce qu’on cherche de partout ! Cela serait bien qu’il y ait une structure unique à
partir de laquelle on saurait où aller.
Thomas MARTINETTI : Vous ne pensez pas que l’école a un rôle à jouer là dessus, car c’est l’endroit
où tout le monde passe et où se fait les grands choix d’orientation ? Certains jeunes disent « On quitte
l’école avec ou sans le diplôme et après on doit se débrouiller tout seul ».
La salle : Oui c’est sûr.
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Mohammed DAFFE : Tu parlais de la famille tout à l’heure. La famille peut servir de source d’information sur les formations et les opportunités d’emploi qui s’offrent aux jeunes. Le problème c’est que
la famille pour nous dans les quartiers, c’est pas une référence parce qu’on est entouré de chômeurs,
le grand frère est souvent chômeur. La communication entre les membres de la famille est différente
selon les individus et parfois la famille ne fait pas partie de ton réseau d’information. Dans les quartiers,
les rapports entre les frères et sœurs n’est pas aussi fluide qu’ailleurs.
Thomas MARTINETTI : L’aîné n’est pas forcément un modèle ?
Mohammed DAFFE : Cela peut être un modèle s’il a un bon travail et une situation enviable.
Dans notre collège, les professeurs dispensent les cours mais ne posent pas forcément la question à leur
élèves sur ce qu’ils veulent faire plus tard. Parfois nous avons des relations plus poussées lorsqu’on leur
parle de leur expérience en stage et on peut jouer alors le rôle de « professeur orienteur » même si cela
n’est pas forcément notre rôle. J’ai constaté qu’il manque un lien avec le conseiller d’orientation et
les professeurs et on ignore souvent ce qu’ils savent et parfois ils n’ont pas l’information.
Thomas MARTINETTI : Il est certain qu’il existe une inégalité en matière d’information entre les jeunes
selon leur réseau familial. Vous avez tous rencontré une conseillère d’orientation ?
Salle : Oui, au collège ou à la Mission locale. Mohammed DAFFE : A l’échelle de Marseille, il y a aussi une grande disparité entre les quartiers nord
et sud entre les élèves au niveau médico-social : le dépistage précoce de maladies infantiles est de
moins bonne qualité (enseignants et familles moins sensibilisés). Celles-ci sont difficiles à traiter par
la suite et cela handicapent l’élève dans sa scolarité (dyspraxie, dyslexie…). Il y a aussi moins de professions paramédicales (ostéopathes, orthophonistes, kinés rééducateurs, ergothérapeutes…) dans ces
quartiers et, étant assez onéreuses et non remboursées, les familles n’y recourent pas. On se retrouve
avec des gosses qui ont des problèmes et qui ont une scolarité difficile.
Thomas MARTINETTI : Quelles sont les professions qui vous font rêver ?
Mohammed ZOULEIRI : Dans les cités, les jeunes veulent tous devenir footballeur. De toute façon, il n’y
a que des terrains de foot dans les quartiers. Les jeunes vont prendre comme exemples des personnes
issues des trafics parce qu’ils ont une voiture ou une moto alors que l’autre il va prendre le bus, il va
« galerer » à l’école. Cela décourage les jeunes à aller à l’école et cela les incite plus à rester dans les
quartiers en bas des immeubles.
Thomas MARTINETTI : Il manque peut être des exemples de gens qui ont réussis dans les quartiers et
qui pourraient constituer des modèles : entre le plombier et le dealer, il y a une marge. Il y en a qui sont
devenus chefs d’entreprise ou avocats.
La salle :
- Il y en a qui finissent pas se dire : il a travaillé à l’école, il bosse, il bosse et regarde il a pas de travail.
Et y en a qui font rien, et ils ont tout de suite le salaire.
- Aussi, ceux qui réussissent, ne restent plus là. On ne voit que les mauvais avec leurs belles bagnoles.
Pour beaucoup de petits, cela devient la norme, le modèle.
- Après on peut comprendre ceux qui partent…
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Thomas MARTINETTI : Et pourquoi ?
Mustapha KALIMA : Je connais un collègue qui était de la Solidarité qui est devenu avocat. Il est parti parce
qu’il a eu peur de se faire agresser, jalouser. Il ne pouvait pas non plus avoir les mêmes fréquentations à
cause de son nouveau métier.
Mohammed DAFFE : Les exemples et les richesses se concentrent d’un côté de la barrière au sud et les
pauvres et les exemples peu enviables de l’autre côté de la ville, au nord.
Thomas MARTINETTI : Que faire pour que les gens restent ?
Un jeune depuis la salle : Il faudrait que les quartiers nord soient comme les quartiers sud.
Par exemple à Paris, il y a des avocats et des hommes d’affaires, dans les quartiers difficiles, des équipements culturels, etc. Djamel DEBOUZZE a eu par exemple accès au théâtre, ici il y a peu de théâtre ou de
cinéma.
Ali AMOUCHE : Ce qu’on vit aujourd’hui est la conséquence de choix réalisés il y a plusieurs dizaines
d’années. Aujourd’hui, même si vous avez un travail et que vous voulez partir, vous pouvez subir la discrimination si vous voulez vous installer dans les quartiers favorisés.
Thomas MARTINETTI : La discrimination est une réalité mais je pense qu’elle est peut-être survécue par
certains jeunes. Cela peut devenir une excuse pour certains jeunes : « Quoi que je fasse je suis perdant
alors je n’y vais pas ». Cela entraîne un manque de la confiance en soi.
Ali AMOUCHE : L’INSEE dit qu’à qualification égale, « un jeune noir » a 4 fois moins de chance de passer
un entretien d’emploi. Il y a aussi le problème de la représentativité des minorités dans la sphère politique.
Tu es noir, tu es costaud, tu vas faire de la sécurité, tu es une femme, il y a de forte chance que tu fasses
des ménages. Beaucoup de jeunes maintenant se disent que c’est la norme pour eux.
Thomas MARTINETTI : Je pense que c’est un rejet qui est plus lié aux représentations territoriales, liées
aux quartiers d’où vient le jeune qu’à un réel racisme : « Tu viens de tel quartier, donc tu n’es pas bon et
tu peux foutre le bordel ».
Rachid ZEROUAL : Il y a aussi ce que tu dis sur la confiance de soi, et beaucoup de jeunes vont se mettre
des barrières psychologiques.
Mohammed DAFFE : J’ai l’exemple d’une personne qui postulait pour un poste d’expert comptable sur
Marseille et qui ne voulait pas mettre son adresse parce qu’elle pensait que cela la pénaliserait.
Mustapha KALIMA : Il n’y a pas que le quartier, c’est tout l’arrondissement qui est stigmatisé. A part les
grandes entreprises publiques qui recrutent, les autres entreprises marseillaises, c’est que du piston.
C’est rare qu’il y ait quelqu’un des quartiers qui soient recrutés.
Karim ZEROUAL : Je ne pense pas que les entreprises soient racistes parce qu’elles ont besoin de mains
d’œuvres spécialisées mais j’ai l’impression que nous sommes dans des bulles. On a des tas de jeunes qui
sont motivés et qui ont une formation. J’ai rencontré un représentant de l’entreprise Weldom qui me disait
qu’il préférait embaucher un mec motivé plutôt que l’inverse et blindé de diplômes.
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Les entreprises avec qui nous travaillons nous relancent maintenant pour trouver des jeunes dans nos
quartiers et les potentialités sont énormes. On a vraiment l’impression de deux mondes qui s’ignorent.
Il y a plein de postes disponibles que les jeunes et que mêmes les structures d’insertion comme le Pôle
emploi ou la Mission Locale ne connaissent pas et à l’inverse les entreprises ne sont pas au courant des
potentiels existants dans les cités.
Mustapha KALIMA : C’est sûr qu’aussi si on grandissait avec des personnes moins en difficulté avec
une vie « normale », les choses seraient plus simples pour nous et on serait « normaux » aussi. Quand
tu es entouré de personnes en difficulté, tu es dans une dynamique négative.
Thomas MARTINETTI : Si souvent, les jeunes des quartiers sont employés sur des métiers faiblement
qualifiés, c’est qu’il existe un déficit de qualification, dû en particulier à l’importance de l’échec scolaire. L’école de la République doit normalement offrir les mêmes chances de réussite quelque soit le
territoire. La dernière fois Mustapha, tu avais dis l’école n’est pas adaptée à tout les publics, tu peux
préciser ?
Ali AMOUCHE : L’école devrait déjà être la même partout. Nous n’avons pas les mêmes écoles et les
mêmes enseignants dans les quartiers nord et sud : je suis intervenant dans plusieurs établissements
scolaires (Saint Mauront, Versailles, Edouard Manet,…) et je peux vous le dire. Je suis né en 1964 et
en 1970, j’étais élève à l’école du Maille : on était sept personnes d'origine magrébine. Mes collèges
du même âge qui étaient à l’école de la Busserine en arrivant au collège ne savaient pas lire car les
professeurs ne s’impliquaient pas beaucoup dans leur instruction. J’ai vu la différence entre ceux des
Flamants et ceux de la Busserine.
Rachid ZEROUAL : On met aussi nos profs « punis » dans nos quartiers.
Thomas MARTINETTI : En quoi l’école n’a pas pu ou su répondre à vos besoins ?
Mohammed ZOULEIRI : On est en ZEP, on est dans un quartier difficile, on est un groupe de collègues
et après on se retrouve à l’école avec le même groupe de collègues. Cela crée des phénomènes de
bande et on venait à l’école plus pour s’amuser que pour travailler.
Mustapha KALIMA : les jeunes ont effectivement l’habitude de rester en bande et les professeurs ne
s’adresse pas à eux de manière individualisée ce qui renforce cette tendance et empêche la personne de
s’autonomiser et de se détacher du groupe : « Et venez là, etc ».
Mohammed DAFFE : Les objectifs scolaires dans les établissements sont moins élevés, il y a un écart
considérable en matière d’avancement des programmes entre les quartiers nord et sud. Cela s’explique
notamment par le manque d’implication des parents dans le suivi scolaire de leurs enfants. Dans les
quartiers sud, vous ratez un petit chapitre dans le programme de l’année et vous allez avoir un parent
médecin ou professeur qui va vous tomber dessus. Il y a plus de pression pour les professeurs là-bas
qu’ici.
Thomas MARTINETTI : Les parents ont un rôle majeur dans le suivi scolaire de leur enfant en lien avec
l’école. Ali avait dit la dernière fois que ces passerelles dans les quartiers nord étaient insuffisantes et
restaient à construire.
Mohammed DAFFE : Ce n’est pas que les parents ne veulent pas suivre leurs enfants. C’est qu’ils ne sont
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pas suffisamment outillés pour leur suivi éducatif. Ils savent que l’enfant doit aller à l’école, avoir des
bonnes notes, respecter leur professeur mais après dans la réalité du programme, ce qui a été réellement délivré, et le « package fondamental » qu’il doit intégrer, ils ne sont pas suffisamment outillés
pour pouvoir en juger.
On a plus souvent tendance à donner des bonnes notes à ces élèves alors que l’on sait très bien que
c’est artificiel et que l’écart avec les quartiers sud à note équivalente est considérable. On fait cela pour
leur faciliter l’accès au lycée qui est un lieu de mixité et qui pourrait les tirer vers le haut. Mais ils se
retrouvent avec les élèves des zones favorisées qui les surclassent.
Mais il est certain que le professeur ne se comportera pas de la même manière dans les quartiers nord
et sud.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que c’est parce que les enseignants vivent leur passage dans les quartiers nord comme une punition ?
Un jeune depuis la salle : Il faut dire qu’il y en a qui se font agresser.
Mustapha KALIMA : Ce qui est sûr, c'est que les personnes qui viennent travailler dans les quartiers,
quelque soit le métier ne se comportent pas de la même façon qu’ailleurs du facteur au livreur de pizza
en passant par le chauffeur de bus. Ils ne font pas leur activité sérieusement.
La salle :
- On a toujours délaissé les quartiers…
- On a une mauvaise image de ces quartiers.
Rachid ZEROUAL : On ne met pas tous les œufs dans le même panier. On a des professeurs qui sont des
militants qui font un travail formidable pour que ces jeunes réussissent.
Thomas MARTINETTI : Ce que vous essayez de dire c’est que le quartier est vu comme une zone de non
droit et que les gens qui vont venir ici ne vont pas se comporter de la même façon. Ils vont essayer de
faire leur temps et partir le plus rapidement possible, c'est bien cela ?
Rachid ZEROUAL : Il y a des professeurs qui ont fait le choix de venir travailler dans ces quartiers mais
les lacunes des élèves sont tellement importantes que c’est difficile de rattraper le retard. On ne peut
pas éduquer les jeunes sans leur donner une perspective de vie. Pourquoi je fais cette formation, je vais
à l’école. Cela manque de rêve et aussi d’exemples.
Un jeune depuis la salle : Il y a qu’à la TV où l’on voit des avocats…
Mohammed DAFFE : Les dérogations de la carte scolaire des habitants sont également un problème
qui ne favorise pas la mixité sociale. Le collège Anatole France est un établissement qui se trouve en
plein cœur du quartier d’avocats autour du cours Pierre Puget à Marseille mais il n’y a aucun fils d’avocat qui y étudie. Les enfants viennent de Noailles, du Vieux Port et sont en difficulté et les enfants des
notables sont inscrits dans les structures privées des alentours.
Thomas MARTINETTI : Régler ces problématiques demandera un bouleversement complet du logiciel
éducatif sur les quartiers en difficulté. Peut être que Marseille deviendra un laboratoire en la matière
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mais cela demandera du temps. A plus court terme, on peut s’interroger sur les mesures immédiates à
mener pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté. Quelles sont les problématiques
quotidiennes que vous rencontrez dans vos démarches d’insertion ?
La salle :
- C’est trop loin, on trouve des postes à Martigues, à Fos mais on n’a pas les moyens de s’y rendre.
- L’accessibilité.
- On n’arrive pas à avoir des informations sur l’offre existante.
- Pas assez de proposition.
Thomas MARTINETTI : Et la Mission Locale ?
La salle : Ils nous donnent un listing, ils nous disent quand on doit être convoqué et ils nous laissent.
C’est comme Pôle emploi.
Thomas MARTINETTI : Donc il y a un problème de visibilité des offres et un accompagnement qui n’est
pas assez personnalisé. Est-ce que l’accès au permis est un problème pour vous ?
La salle :
- Pas de sous pour le payer.
- Il y en a pour qui c’est cher et il y en a qui suivent exprès le cursus de routier pour l’avoir afin d’avoir le
permis poids lourd et de travailler dans la livraison.
- Si on veut le permis c’est pour avoir la mobilité, parce que maintenant si on veut avoir un travail, on te
demande si tu as d’abord le permis.
Thomas MARTINETTI : Votre quartier est bien desservi par les transports en commun ?
Mohammed ZOULEIRI : Ici à Félix Pyat, ça va, on a le métro. Mais plus au nord c’est plus compliqué.
D’une manière générale, les jeunes restent souvent dans leur quartier, et ils se déplacent en groupe.
C’est pour cela aussi qu’ils se font stigmatiser, contrôler.
Thomas MARTINETTI : C’est un peu deux mondes qui s’ignorent. Pourquoi vous sortez en groupe ?
Ali AMOUCHE : Il y a personne qui sort tout seul, ils sortent avec leurs amis mais on les remarque parce
qu’ils sont différents.
Rachid ZEROUAL : Mais ils sont visibles aussi car ils sortent tous au même endroit.
Ali AMOUCHE : Félix Pyat bénéficie d’un emplacement « privilégié » par rapport à d’autres cités
marseillaises. C’est un quartier difficile situé à proximité du port, de la gare, de la friche de la belle
de mai, du centre-ville avec un accès direct par le métro. Les autres quartiers plus au nord sont plus
enclavés : La Bricarde, la Solidarité, etc.
Félix Pyat est considéré maintenant comme un quartier nord mais ce n’est pas en fonction de sa position
géographique. C’est malheureux mais maintenant c’est devenu une sorte de « label ».
Thomas MARTINETTI : Est-ce que vous êtes attachés à votre territoire ou est-ce que vous souhaitez
partir ?
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La salle : On aime Marseille, c’est le sud.
Lisa NOBILE : J’aimerai découvrir une autre ville et partir à Lyon par exemple. Mais je ne peux pas car je
connais personnes et toute ma famille est à Marseille et je n’ai pas envie d’aller là-bas et me retrouver
toute seule.
On a voulu vivre aussi dans d’autres quartiers sur Marseille, on a fait plusieurs demandes de relogement mais cela n’a pas été accepté. J’ai fait aussi un entretien pour un poste. Mais alors qu’on allait
me prendre, la personne m’a dit « j’ai eu un désaccord avec mon collègue qui ne veut pas vous prendre
parce que vous venez de la Castellane ». La discrimination, on la vit à plusieurs niveaux. C’est la honte
ceux qui viennent de la Castellane, ou ceux qui viennent de la Bricarde !
Ali AMOUCHE : J’ai suivi des jeunes de Félix Pyat et certains préféraient mettre l’adresse des copains
qui habitaient ailleurs sur Marseille sur leur CV !
Thomas MARTINETTI : Vous pâtissez de la mauvaise réputation du territoire en somme.
Rachid ZEROUAL : Et pourtant, je suis persuadé que la plupart des entreprises seraient très satisfaites
du travail de ces jeunes.
Thomas MARTINETTI : Ne pensez-vous pas qu’il faut mettre en avant des exemples d’insertion professionnelle réussis de jeunes issus de ces quartiers devant les entreprises ?
Rachid ZEROUAL : Si on faisait autant d’information sur ces exemples qu’on ne le fait sur ces dealers,
je pense qu’on changerait le regard des entreprises et de la population.
Ali AMOUCHE : Il faudrait le retour des entreprises qui emploient des jeunes des cités depuis quatre ou cinq
ans et organiser un évènement pour les mettre en lumière. Il faut mobiliser les acteurs économiques sur cet
objectif. Il faut aussi les valoriser auprès des jeunes des quartiers, dans les collèges, dans les lycées, etc. Il
faut mettre en avant des jeunes qui ont réussi sur des emplois non qualifiés mais aussi qualifiés.
Thomas MARTINETTI : Trouvez-vous les métiers manuels suffisamment valorisés à l’école, par
exemple menuisier, boulanger, etc ?
La salle : Non, mais il nous propose que cela, pourtant il n’y a pas que cela.
Mustapha KALIMA : On a pris conscience il y a quelque temps, que c’était une voie honorable. Souvent
c’était perçu comme un voie d’échec. Souvent aussi, on était recruté comme salarié, comme la petite
main. Maintenant, on voit émerger des jeunes des quartiers qui se sont établis à leur compte en tant
qu’artisan et qui ont réussi et cela nous donne plus envie. Ils savent que les rémunérations sont intéressantes et qu’ils peuvent partir aussi s’installer où ils veulent.
Un jeune depuis la salle : Il y en a qui font cela pour partir.
Thomas MARTINETTI : En ce qui concerne le logement, vous êtes presque tous majeur. Vous vivez
encore chez vos parents ?
(Toutes les mains se lèvent sauf une.)
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Rachida AHMED : Ma sœur m’a laissé son appartement et est partie à la réunion. Moi, je voulais faire
une année sabbatique à la fac pour travailler et pouvoir passer mon permis.
Thomas MARTINETTI : Les filles réussissent mieux que les garçons ?
Mohammed ZOULEIRI : Les filles réussissent mieux parce qu’elles ne traînent pas trop dehors.
Mustapha KALIMA : Les femmes sont les piliers à la maison et passé la porte, c’est l’espace des
hommes. Avant, non, les choses ont changé. Avant, elles sortaient plus et se mêlaient à la vie de la cité.
Les filles sortent plus que les garçons mais hors de la cité. Elles font aussi cela car elles ont peur du
regard social que les hommes vont avoir sur elles.
Ali AMOUCHE : Les filles ont deux ou trois générations d’avance par rapport aux garçons en matière de
sociabilisation, qui eux se construisent dans la cité, au pied de leur bâtiment…
Mustapha KALIMA : Je pense qu’il faut avoir accès au lycée. Les filles accèdent plus par exemple au lycée. Une fois arrivée au lycée, on va faire connaissance avec des jeunes venus d’autres milieux sociaux.
Mohammed DAFFE : C’est vrai qu’on rencontre d’autres milieux sociaux, l’ambiance est plus apaisée et
on peut plus se concentrer sur le travail. C’est là où je me suis ouvert.
Thomas MARTINETTI : Mettre en place des collèges avec plus de mixité sociale permettrait
de sortir les jeunes de leur logique de quartier, cela peut être un levier. Ce qui manque, c’est
un peu de respiration avec des jeunes qui viennent d’ailleurs ?
Ali AMOUCHE : Il faut sortir d’un cercle pour en rentrer dans un autre plus vertueux. Il faut
sortir les jeunes de leur monde.
Mustapha KALIMA : Il faut que les jeunes puissent être dans des « classes normales ».
Thomas MARTINETTI : En résumé, on pourrait dire qu’il y a des inégalités au niveau de la répartition
des équipements, au niveau social avec une concentration des difficultés dans certaines zones (des
parents moins instruits et plus pauvres, soumis à des contraintes professionnelles plus fortes, des
fréquentations difficiles…) et des logiques de cloisonnement qui ne facilitent pas l’évolution des choses.
Sur le logement, j’ai noté que tout le monde vit chez ses parents pour des raisons d’argent et veulent
partir.
Liza NOBILE : Le loyer est cher : 500, 600€, en fait, c’est cher par rapport aux revenus que l’on peut
avoir.
Thomas MARTINETTI : Votre rêve, c’est un habitat collectif ou une maison individuelle en périphérie ?
Un jeune depuis la salle : La maison à la campagne.
Thomas MARTINETTI : Pour vous la culture, c’est quoi et qu’est ce que vous en attendez ?
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La salle :
−− C’est s’ouvrir au monde.
−− Un jeune : le cinéma, la musique…
−− C’est quelque chose qui permet de s’évader.
Mustapha KALIMA : La France c’est le pays de la culture, pourtant quand on regarde les quartiers nord,
on ne dirait pas… il n’y a pas de théâtre, de cinéma, etc.
Rachid ZEROUAL : Il y a aussi des musées intéressants à Marseille mais les jeunes n’y vont pas.
Thomas MARTINETTI : Pourtant il y a des tarifications intéressantes. Le MUCEM est gratuit par exemple
le 1er dimanche du mois, pour les chômeurs ou les moins de 18 ans.
La salle :
- Ah bon ?
- Toute cette information, on ne l’a pas.
Rachid ZEROUAL : Il y a des jeunes qui ne savent pas que ces musées existent. Les chinois le savent
et nos propres jeunes, non. Il faut arriver à transmettre l’information à ces jeunes par l’école, les différentes formations, etc.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que vous vous dîtes, le MUCEM ce n’est pas pour moi ?
Mohammed ZOULEIRI : Non, c’est juste qu’il nous manque l’information.
Des fois, je cherche à faire des sorties culturelles avec des filles, le seul lieu que je connaisse, c’est
Notre-Dame de la Garde. J’essaie d’avoir des informations sur des trucs qui seraient gratuits mais je
n’y arrive pas. Pourtant les amener au musée, j’aimerai bien…
Thomas MARTINETTI : Là aussi le phénomène d’enfermement joue également et la cité fonctionnant
en vase clos, tu n’as pas forcément l’information sur ce qui se passe. Il y a également deux mondes qui
s’ignorent. Et l’école ne vous offrait pas cette ouverture ?
Mohammed ZOULEIRI : Il y a qu’en primaire qu’on faisait des sorties culturelles…au collège on n’a pas
eu grand-chose.
Mohammed DAFFE : La seule chose que mon père m’a fait visiter quand j’étais petit, c’était la prison
des Baumettes.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que vous pratiquez une activité culturelle ?
Mohammed ZOULEIRI : On fait du foot. Dans nos quartiers, ils nous ont fait que des stades de foot...
C’est gratuit et comme on a que cela à faire... On aurait des bibliothèques, on serait peut-être architecte,
astronome, etc.
On a essayé aussi de faire du rap ou de la danse mais le problème, c’était les moyens. Faire un enregistrement, on le fait pas comme cela. Je me souviens, on prenait l’ordinateur portable, on appuyait sur
REC et on essayait de chanter et puis après on a vu que cela menait à rien et on a arrêté.
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Mustapha KALIMA: Pour réussir, il faut aussi de la compétence.
Thomas MARTINETTI : C’est ce qu'essaye de faire par exemple Ferdinand RICHARD sur la Belle de Mai
en mettant en place des équipements et un accompagnement pour les jeunes qui veulent se lancer dans
une activité artistique.
Liza NOBILE: Je le connais, j’ai fais de la danse là-bas.
Thomas MARTINETTI : La culture est également un formidable moyen d’ouverture, de rencontre, c’est
aussi quelque chose qui te fait réfléchir et prendre du recul sur ta vie, etc. Tu vas rencontrer des gens
issus d’autres milieux qui partagent la même passion que toi, etc. Les choses les plus riches dans la
vie, c’est les rencontres humaines, les gens n’ont pas les mêmes parcours que toi, les mêmes idées, les
mêmes expériences, la même histoire.
Parmi les inégalités, il y a également la fracture numérique. Est-ce que vous avez tous internet ?
Internet, c’est justement l’accès à des milliers de bibliothèques, c’est des bibliothèques chez vous.
C’est une source d’information sur l’emploi, la culture etc. Par exemple, vous tapez « MUCEM » et
vous avez accès à la tarification et aux horaires d’ouverture. C’est une ouverture sur Marseille, sur le
monde.
Ali AMOUCHE : C’est une bonne idée. Il suffit simplement que les bailleurs sociaux prennent en
charge l’installation de borne wifi.
La salle : Pour la plupart, nous avons internet, mais c’est payant.
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Compte-rendu de la rencontre avec des
jeunes en difficulté de la permanence
APEQ du centre-ville de Marseille
Date : 28/06/13
Lieu : 65, rue Longue des capucins, 13001 Marseille
Réflexion «Les jeunes, acteurs d’un territoire
en construction »
Rapporteur : Thomas MARTINETTI, Chargé de mission du Conseil de développement MPM
Étaient présents :
Jeunes: AMARA Malek, AMARA Yanisse, AMOUCHE Nadir, BELTIFA Djemaï, BELTIFA Zidane,.
GHEMARI Lilia, KERMICHE Sofiane, LAZLAOUI Adam, NADJI Baya-Salena, RAMOS EVORA Brice,
SAADAOUI Rim, ZEROUAL Hocine, ZEROUAL Imen.
Techniciens / accompagnateurs : AMOUCHE Ali, ZEROUAL Karim, MARTINETTI Thomas
T.MARTINETTI présente la démarche portée par le Conseil de développement MPM sur la jeunesse
en difficulté. L’idée est de recueillir l’avis des jeunes sur les problématiques qu’ils connaissent
au quotidien dans leur démarche d’insertion afin de construire avec eux des propositions pour
essayer d'améliorer les choses.
Malek AMARA : J’ai arrêté l’école après mon BEP. Actuellement, je ne fais rien, mais j’ai envie de travailler.
Thomas MARTINETTI : Il y a quelque chose en particulier qui t’intéresse ?
Malek AMARA : Pour l’instant je n’ai pas trop d’idée…
Hocin ZEROUAL : J’ai un bac pro Industrie des procédés et je suis en recherche d’emploi.
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Zidane BELTIFA : Je suis magasinier au magasin BUS à Plan de Campagne et j’ai un BEP installation
sanitaire et thermique et j’habite dans le XIVème arrondissement.
Thomas MARTINETTI : Je pense que tu pourras nous éclairer sur les difficultés que tu rencontres dans
tes déplacements domicile-travail…
Zidane BELTIFA : J’ai une voiture parce qu’en transports en commun, c’est impossible.
Sofiane KERMICHE : J’ai un bac STG et je viens de rater ma 1ère année à la fac et je cherche un travail,
de préférence cantonnier pour pouvoir continuer mes études mais je suis prêt à faire n’importe quoi.
L’idéal serait de trouver un travail où je puisse travailler le matin sinon, si c’est à temps plein, j’arrêterai
les études.
Adam LAZLAOUI : je n’ai aucun diplôme et je recherche un travail. J’ai travaillé en tant que magasinier
et je voudrais trouver un emploi stable, c’est tout.
Yanisse AMARA : J’ai arrêté l’école en 3ème après le brevet, je suis parti travailler en centre de formation au foot, après j’ai eu un accident et j’ai arrêté. J’ai fait un peu d’intérim.
Djemaï BELTIFA : J’ai un BEP menuiserie et j’ai arrêté au niveau bac sans avoir l’examen, j’ai un enfant
et j’aimerai bien avoir un travail mais je ne trouve pas et personne n’a voulu me prendre en menuiserie.
De toute façon, ce n’est pas ce que je voulais faire. Sinon, j’ai travaillé dans le ménage.
Imen ZEROUAL : j’ai un BAC ES, j’ai fait deux ans de fac que j’ai raté et là je ne fais rien, je suis à la
recherche d’emploi.
Lilia GHEMARI : J’ai un BEP secrétariat, et suis à la recherche d’emploi.
Baya-Salena NADJI : J‘ai un BEP secrétariat, je viens de passer le BAC pro, j’attends mes résultats.
Thomas MARTINETTI : Sur Marseille, nous avons une spécificité par rapport aux autres grandes villes
françaises, il y a environ 25% de jeunes qui n’ont aucun diplôme et c’est un frein considérable dans l’accès à l’emploi. On sait que plus on a de diplômes, plus on a de chance de s’insérer professionnellement
et d’améliorer son niveau de revenus.
Pourquoi un tel résultat ? Nous savons que nous avons chez nous un taux d’échec à l’école important et
que les difficultés commencent dès le primaire où les savoirs fondamentaux, lire, écrire, compter, ne
sont pas acquis. Arrivé au collège, beaucoup de jeunes sont noyés et décrochent…
Cependant, nous savons qu’en France, et cela nous a été plusieurs fois souligné par d’autres jeunes, on
valorise trop le diplôme et beaucoup d’autres qualités ou aptitudes ne sont pas forcément reconnus et
valorisées.
Djemaï BELTIFA : C’est l’inverse en ce qui me concerne : plus tu as des diplômes, plus tu seras défavorisé. Les employeurs vont préférer embaucher des jeunes sans diplômes afin de les payer moins. Par
ailleurs, ma sœur a bac +6 et elle ne travaille pas, pourtant elle a fait ses études à la Sorbonne.
Thomas MARTINETTI : Le chômage est un problème qui touche toutes les catégories de jeunes.
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Selon les secteurs professionnels sur lesquels tu te positionnes, c’est parfois difficile de rentrer. Il y
a des secteurs qui embauchent plus que d’autres et ce qui manque souvent c’est l’information sur les
formations et débouchés qui y sont associés. Certains pensent aussi que beaucoup de formations sont
déconnectées des besoins des entreprises.
Je ne sais pas si vous le savez mais sur le territoire, il a des filières qui recrutent mais qui ne trouvent
pas. Par exemple, la réparation navale, l’aéronautique, les métiers industriels liés à la métallurgie, la
pétrochimie que l’on peut trouver à Fos sur Mer, l’hôtellerie-restauration, etc.
La salle : Mais pour cela, il faut un diplôme, ils ne te prennent pas comme cela…
Thomas MARTINETTI : Effectivement, mais le niveau n'est pas forcément élevé. Je vous prends un
exemple : le secteur de la pétrochimie, qui a des difficultés à trouver des opérateurs pour différentes
raisons (métiers non connus ou pâtissant d’une mauvaise image en raison d’une pénibilité et toxicité
supposés, etc).
Sofiane KERMICHE : Le problème, c’est qu'à Fos, il faut pouvoir déjà s’y rendre…
Thomas MARTINETTI : Le problème de l’accessibilité ?
Sofiane KERMICHE : Oui, c’est cela.
La salle : Il faut dire aussi que ces métiers, on ne les connaît pas…
Thomas MARTINETTI : Comme vous le voyez, les raisons qui font que vous n’accédez pas à un emploi
sont multiples et je vous propose de les aborder par grande catégorie. J’ai d’abord une première question, un peu globale, pour vous le travail, c’est quoi ? Un moyen de s’accomplir, de s’épanouir ?
Un jeune depuis la salle : C’est un moyen de s’intégrer dans la société.
Djemaï BELTIFA : C’est un moyen de gagner de l’argent, pour faire vivre sa famille.
La salle : - La stabilité !
- Dans cette vie, sans travail, tu n’as rien, tu fais rien. Qu’est ce que tu fais, sinon, tu vas aller
voler, tu vas aller en prison ?
Baya-Salena NADJI : Il y a dans les quartiers des jeunes qui ne travaillent pas, ils s’en foutent. Certains
se contentent de petits boulots complétés par les minimas sociaux grâce aux enfants. Moi personnellement, je ne peux pas rester chez moi, je suis obligée de bouger, de travailler. Même si j’avais un mari qui
aurait des sous, j’irai travailler. C’est un besoin mental… C’est l’indépendance.
Thomas MARTINETTI : Le fait que certains ne veulent pas travailler, c’est quelque chose de répandu
autour de vous, car on entend souvent cela ? Pourtant tous les jeunes des quartiers difficiles que j’ai
rencontrés jusqu’à présent me disent qu’ils veulent travailler.
Il y a aussi l’image que tu as de toi que tu renvoies à la société, tu te sens inutile. Tu perds l’estime de soi
et tu rentres dans un processus négatif.
La salle : Oui, c’est tout à fait cela et l’image que tu renvoies par rapport aux autres, c’est que tu es un
fainéant.
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Yanisse AMARA : c’est une question de fierté. Tu sais, c’est la guerre à la maison, avec la maman. Mon
petit frère, il peut vous le dire, c’est la guerre à la maison.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que vos parents sont moteurs dans votre recherche d’emploi ? Déjà, estce qu’ils travaillent tous ? Nous savons que beaucoup de parents des jeunes des quartiers sont souvent
au chômage. Ils ne constituent pas forcément un modèle pour leurs enfants. Qu’en pensez-vous ?
La salle : C’est la guerre tous les jours, ils nous disent : « va travailler, va travailler … »
Thomas MARTINETTI : Ils vous poussent plutôt à aller travailler ?
Djemaï BELTIFA : Quel est le père qui va vous dire, c’est bon rentre à la maison, je vais te donner des
sous.
Thomas MARTINETTI : Vous avez tous des familles « complètes » ?
La salle : Il y a beaucoup de familles monoparentales, des femmes seules qui élèvent leur enfant…
Un jeune depuis la salle : Ma mère a divorcé puis s’est remariée. Moi-même, j’ai un enfant et je vis
seule. Je suis étudiante mais je recherche du travail.
Nadir AMOUCHE : J’ai étudié, j’ai arrêté l’école. J’ai eu mon bac pro électronique et je recherche un
emploi.
Thomas MARTINETTI : Donc pour vous le travail c’est une nécessité et un moyen de s’accomplir. Mais
qu’est ce que c’est pour vous un bon job ? Un travail réussi ? Quels sont vos modèles ?
Un jeune depuis la salle : Etre un patron d’une société qui a réussi.
Djemaï BELTIFA : Faut pas croire, être patron, tu as des soucis !
Un jeune depuis la salle: Mais si cela tourne bien et que tu as de bons salariés, y a pas de problème !
Djemaï BELTIFA : Footballeur !
Thomas MARTINETTI : Pourquoi ?
Djemaï BELTIFA : Pratiquement tout le monde aime le foot, tu fais ce que tu aimes et tu es payé des
millions.
Thomas MARTINETTI : Etre riche, célèbre, c’est cela qui vous attire ?
Djemaï BELTIFA : Déjà tu fais ce que tu aimes. Travailler dans ce que tu aimes, il n’y a pas mieux.
Thomas MARTINETTI : C’est des métiers que vous voyez à la TV qui vous font rêver ?
Djemaï BELTIFA : Je ne sais pas, Il y en a d’autres qui aimeraient chanter etc.
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Un jeune depuis la salle : Déjà la plus belle des choses, c’est d’être instruit et puis cela permet d’avoir
un bon métier.
Djemaï BELTIFA : Cela ne veut rien dire […].
Un jeune depuis la salle: Je suis désolé, tu fais des études, tu auras un bon travail et une bonne rémunération. Sinon tu n’y arriveras jamais, à moins que tu ais une idée et que tu ouvres ton entreprise.
Djemaï BELTIFA : Il y en a qui ne savent ni lire ni écrire sur le chantier et ils gagnent 2000 € par mois…
Une jeune depuis la salle : Je suis d’accord. Pour réussir, soit tu travailles dans un métier pénible, tu
mets des sous de côté et tu montes ton entreprise soit tu travailles à l’école, tu as une bourse, tu fais
des études et tu trouve un job.
Thomas MARTINETTI : On sent en tout cas, que vous avez de la suite dans les idées, de l’ambition. Estce que c’est quelque chose de partagé dans les quartiers ? Est-ce que beaucoup d’entre vous partent
perdant, où vous vous dites déjà si j’arrive à avoir un travail, ce n’est déjà pas si mal ?
La salle : On part perdant.
Yanisse AMARA : Si on en est là, vous savez, c'est qu’on part tous avec une épine dans le pied.
Thomas MARTINETTI : Mais cela ne veut pas dire que vous n’allez pas réussir, si vous y croyiez, vous
savez. Il y a de nombreux exemples.
Djemaï BELTIFA : Un bon job, c’est être bien payé, pas trop se tuer à la tache et voilà !
Un jeune depuis la salle : Cela n’existe pas, on n’est pas né sous la belle étoile eh !
Je constate aussi que dans nos quartiers, il y a beaucoup de gens qui ne regardent pas loin. Beaucoup
pensent à s’habiller, plutôt que d’investir dans les études parce que beaucoup sont attachés à ce que les
autres vont dire d’eux, parce que c’est un petit monde.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que votre vie se passe beaucoup dans les quartiers ?
La salle : On a rarement quitté Marseille…
Un jeune depuis la salle : Quand on est petit, on ne quitte pas le quartier, après on sort avec les copines.
Thomas MARTINETTI : Vous avez tous le permis ?
(La moitié des mains se lèvent.)
Malek AMARA : Moi c’est mon grand frère qui m’a payé le permis.
La salle : Une voiture, c’est un gouffre, l’essence, l’assurance, le contrôle technique, etc. C’est indispensable surtout si on veut travailler, sinon on sort avec ses amis, on se débrouille.
Thomas MARTINETTI : Et ceux qui n’ont pas la voiture ? Que pensez-vous des transports en commun ?
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Un jeune depuis la salle: C’est mal foutu, il y a trop monde, on est serré.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que c’est bien conçu pour rejoindre le centre-ville depuis les quartiers,
les zones d’emploi ou de loisirs comme Plan de Campagne, Aix, l’ouest Etang de Berre ?
Djemaï BELTIFA : Il y a des quartiers qui ont accès au métro et c’est pratique. Pour les autres habitants,
plus au nord, il faut prendre le bus et c’est long. Il y a des quartiers où pour arriver au métro, il faut bien
compter une demi-heure !
Salle : En plus, lorsqu’il y a des agressions, il n’y a plus aucun bus et tout est bloqué.
Thomas MARTINETTI : Et sur les plages horaires desservies ? Est-ce satisfaisant ?
Un jeune depuis la salle: Le soir, il n’y a plus de bus ou de métro. Après, bon c’est vrai, s’il y a plus de
bus, il faut payer plus de chauffeurs.
Djemaï BELTIFA : Des fois, je vois des choses que les collectivités font dans les quartiers, ce n’est pas
normal. Par exemple à la Cayolle : ils ont fait un truc provisoire qui a du coûter assez cher, cela a durédeux semaines, après ils l’ont enlevé. A la place, il aurait fallu faire quelque chose pour les jeunes, je ne
sais pas, moi, un stade de foot. En plus c’est notre argent.
Thomas MARTINETTI : Trouvez vous qu’il y a plus d’équipement dans les quartiers sud ?
La salle :
- Largement.
- Une voiture brulée dans les quartiers sud, le lendemain, elle est enlevée. Dans les quartiers nord, la
voiture reste comme cela 3 à 4 mois. Les petits jouent dedans. Il y a moins de personnes et de moyens
mis dans les quartiers nord alors qu’il y a pourtant plus de personnes.
Thomas MARTINETTI : Vous avez l’impression qu’en termes de service public, il y a beaucoup moins
d’efforts faits pour les quartiers nord ?
La salle : Les efforts sont là mais je suppose qu’ils doivent mettre moins de personnel.
Ali AMOUCHE : Cela peut être volontaire de laisser par exemple les voitures dans les quartiers nord,
justement pour alimenter une certaine image de certains quartiers.
Thomas MARTINETTI : Je reviens sur le travail. Concernant vos démarches d’emploi, qu’est ce qui
bloque selon vous ?
Djemaï BELTIFA : J’ai fait beaucoup de démarches pour trouver un emploi avec la Mission locale notamment pour des chantiers d’insertion mais comme ton adresse est à la Cayolle, je n’ai jamais rien obtenu.
La salle : C’est tout par piston, il faut connaître les bonnes personnes pour réussir. Vous faites plein de
démarches et comme vous n’y arrivez pas, c’est frustrant car c’est pour rien.
Thomas MARTINETTI : Il y a le bon et le mauvais piston, le premier, tu es « l’ami et le fils de » et
sans mérite tu vas y arriver et puis il y a le réseau de personnes que tu vas te construire grâce à tes
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démarches, tes rencontres, ton activité, tes expériences professionnelles. C’est une dynamique. C’est
un concept vaste, cela peut être une personne dans votre entourage qui va vous aider à un moment pour
trouver une formation, vous aider à trouver une voie professionnelle qui vous plait, etc.
Un jeune depuis la salle : Il y a aussi la Cité des métiers, j’avais mon bac, je me suis renseigné et puis
je suis parti à la fac de droit grâce à eux.
La salle : Cela ne nous apporte pas toujours les réponses que l’on souhaite.
GHEMARI Lilia : la Mission locale, c’est bien, cela nous fait faire des formations.
Un jeune depuis la salle : La Mission locale m’a proposé des emplois pour lesquels j’ai postulé mais
personne ne m’a rappelé. Pourtant ça n’était pas n’importe quoi, ils correspondaient à mon profil.
Thomas MARTINETTI : Il y a un coté discriminant dans la recherche d’emploi, on en a souvent parlé et celuici est dû à différents facteurs notamment le quartier dans lequel vous habitez et qui est connoté. Mais il y a
aussi peut-être d’autres problèmes pour certains, par exemple un manque de confiance en soi et de volonté ?
Quelqu’un depuis la salle : J’essaie toujours mais l’échec répété use et démotive.
Thomas MARTINETTI : Vos problèmes également, c’est le faible niveau de qualification. Quelles en sont les
causes ? Pourquoi vous n’avez pas mieux réussi à l’école ?
Yanisse AMARA : Moi, j’ai arrêté l’école à cause du foot. Je suis parti en centre de formation, il y avait des
cours par correspondance avec le CNED. Mais c’était le bordel, on a rien appris. Après je suis parti en Suisse,
j’ai eu une blessure au genou, j’ai dû arrêter et je me suis retrouvé sans rien mais j’ai les bases, lire, écrire,
compter. Je veux rentrer dans un travail que j’aime, qui me permette de faire mon sport le soir.
Thomas MARTINETTI : Qui t’aide dans cette démarche ?
Yanisse AMARA : Personne.
Thomas MARTINETTI : Qu’est ce qui vous manque pour réintégrer une formation ou trouver un job ?
Quelqu’un depuis la salle : Il manque le travail.
Un jeune depuis la salle : Il faut arrêter, il y a plein de petits boulots par l’interim, sur internet sur le bon
coin, etc.
Quelqu’un depuis la salle : Je cherche un job en rapport avec mes qualifications.
Thomas MARTINETTI : Il faut d’abord savoir où tu veux aller, sinon tu vas dans tous les sens et tu ne vas
nulle part. Il faut quelqu’un pour vous accompagner dans la construction de votre projet professionnel.
Yanisse AMARA : Moi je veux rentrer à MPM, cantonnier, espace vert, n’importe quoi qui puisse me permettre d’avoir une vie et continuer mon sport à côté. J’ai 25 ans, je suis inscris au chômage dans un mois et
demi je touche plus rien.
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Thomas MARTINETTI : Il y a personne qui prenne le temps de t’orienter vers des métiers liés au sport ?
Yanisse AMARA : Rien du tout, Pôle emploi ne sert à rien : il n’y a pas de suivi personnalisé, il t’écoute,
il tape et on se revoit un mois plus tard. Mission locale encore pire que Pôle emploi : tu dois faire différentes démarches assez pénibles pour au final pas grand chose.
Thomas MARTINETTI : Il y a une crise économique qui pénalise l’emploi sur notre territoire, mais il
y a surtout des problèmes, je pense, liés à l’accompagnement et d’orientation vers des offres qui vous
correspondraient ; Les offres existent, mais ne sont pas forcément connues. Par exemple, Pôle emploi
ne recense qu’une minorité des offres d’emploi, le reste, c’est ce qu’on appelle les offres dormantes.
Avoir un réseau développé permets de toucher ses offres. Ce qui manque c’est ce lien entre la demande
et les offres existantes sur le territoire.
La salle : Il nous manque une personne qui nous oriente vers des choses qu’on a envie de faire. On n’a
pas assez de soutien, on nous envoie à Pôle emploi, l’entretien dure 10 min, ils tapent, on s’en va, pas
de suivi, rien du tout.
Thomas MARTINETTI : Vous menez quoi comme démarche à côté ? Par exemple, vous avez internet ?
Tout le monde à internet ?
La salle : Oui, qui n’a pas internet à Marseille ?
Quelqu’un depuis la salle : Je veux faire un métier qui me plaît. J’ai travaillé à Lidl, j’ai été facteur, je
n’aime pas, etc. Si à l’école, on avait pris le temps de discuter ensemble, voir ce qui m’intéresse, cela ne
serait pas arrivé… C’est un peu au petit bonheur la chance, je vais faire cela, ça ne marche pas, j’essaie
autre chose, etc.
Thomas MARTINETTI : Qui vous aide dans votre orientation ? Les conseillers d’orientation ?
Sofiane KERMICHE : On en a vu, ils sont bidons, mais on ne va pas changer le monde, on ne va pas lutter
contre le système. C’est du gâchis. J’avais un bon niveau sans forcer mais ils s’en sont rendu compte qu’en
terminale alors que depuis la seconde, j’avais le même professeur. Après, je suis allé à la fac. Je n’aime pas
l’école mais je continue mes études car c’est la seule façon d’avoir un bon travail. Je voulais faire éco-management à la faculté mais le conseiller d’orientation n’était pas capable de m’expliquer concrètement ce que
c’était et m’a orienté vers AES. Heureusement je n’ai pas suivi cette voie. On n’est pas bien orienté depuis le
collège.
Ali AMOUCHE : Normalement, le conseiller d’orientation devrait en fonction de son potentiel évalué sur les
notes et l’entretien, t’envoyer dans les bonnes directions professionnelles. Or, le problème est pris à l’envers,
les conseillers vont avoir comme objectif de remplir les formations pour ne pas avoir des filières pénuriques.
En revanche, le conseiller d’orientation dont les parents seront plus regardants sur les choix proposés pour
leur enfant sera plus vigilant dans les propositions qu’il formulera.
Sofiane KERMICHE : Le conseiller d’orientation ne voit même pas tes notes…
Djemaï BELTIFA : Le problème de l’orientation, c’est la base : cela part du collège. Je voulais faire chauffeur
poids lourds et on m’a dit de faire menuiserie. J’ai perdu plusieurs années et maintenant je ne peux plus
revenir en arrière.
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Thomas MARTINETTI : Quand je vous écoute, le problème après l’école, cela semble être que les
jeunes se sentent lâchés dans la nature puis traités par de « grosses machines administratives » sans
personnalisation. On vous envoie à droite à gauche sur des formations sans que vous y voyiez de logique
avec votre projet de vie. Vous allez essayer une fois, deux fois, puis vous allez laissez tomber. C’est ça ?
Yanisse AMARA : Vous n’êtes pas à coté de la plaque, c’est cela. Il manque des personnes qui nous
appuient.
Thomas MARTINETTI : Nous trouvons que l’idée du parrainage avec un actif est intéressante dans la
mesure où elle permet de vous construire un réseau et d’avoir quelqu’un qui vous renseigne sur son
activité et qui peut vous appuyer dans vos démarches.
Par ailleurs, compte tenu des difficultés rencontrées, j’ai l’impression que vous êtes assez pragmatique,
et que vous recherchez un métier dit « accessible ». Les métiers du style médecin ou avocat vous
semblent inaccessibles ?
La salle : Trop difficile…
Thomas MARTINETTI : Il y a beaucoup de jeunes, qui se mettent des barrières : j’ai l’impression qu’il y
a des barrières psychologiques qui vous empêchent de voir plus loin, de rêver.
Djemaï BELTIFA : C’est normal, quand le prof te dit depuis que tu es petit, tu es un con, tu n’arriveras
à rien. A la fin, tu te sens con.
Thomas MARTINETTI : Votre échec scolaire, vous le mettez surtout sur le système scolaire, les enseignants ?
La salle : Un peu de nous, un peu des profs.
Thomas MARTINETTI : Pour les profs, ce n’est pas évident non plus, c’est souvent des jeunes enseignants qui doivent travailler avec des publics difficiles. En dehors du système scolaire et de ses carences,
quelles ont été vos problématiques personnelles dans votre scolarité: la famille, les fréquentations ?
Ali AMOUCHE : Est-ce que vous pensez que vous avez le droit de réussir ? Que vous avez les mêmes
droits que les autres là-dessus ?
Sofiane KERMICHE : Bien sûr, qu’on a les mêmes droits, on est des citoyens. On n’a pas les mêmes
chances mais on a les mêmes droits.
Ali AMOUCHE : Certains se privent pourtant de penser à certains métiers. Je pense que ceux qui dans
nos quartiers, auraient la possibilité de réussir, ne font pas l’effort de réussir. Certains ont des facilités
et n’ont pas le droit de ne pas réussir.
Sofiane KERMICHE : Moi je n’ai pas le droit, c’est vrai.
Thomas MARTINETTI : Alors pourquoi ?
Sofiane KERMICHE : C’est l’engrenage depuis le début du collège et je n’arrive pas à rattraper le
retard, et je ne me suis jamais remis à l’école sérieusement. On m’aurait mis dans les quartiers sud,
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à une époque dans une classe calme, cela aurait été différent. Moi j’étais toujours assis à côté du plus
bordel de la classe.
Djemaï BELTIFA : On est trop dans les classes.
Thomas MARTINETTI : Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui foutent le bordel parce qu’ils décrochent
rapidement et s’ennuient en classe. Ce décrochage et les effets négatifs qu’ils génèrent vont pénaliser tout
le monde et en particulier les bons éléments qui ont un fort potentiel et qui ne pourront pas le développer.
Djemaï BELTIFA : Il n’y a aussi personne qui m’a poussé en me disant : « vas-y tu es fort, continue ».
Thomas MARTINETTI : Qu’est ce qui fait que selon vous, il y a une concentration des échecs dans les quartiers mis à part ce qu’on a déjà entendu, le manque de moyen, l’inexpérience des professeurs, etc ?
Nous avons eu des témoignages de jeunes de Félix Pyat qui nous disaient qu’en arrivant au lycée, les choses
s’était améliorées pour eux car il y avait une plus grande ouverture sociale, ils rencontraient d’autres gens
issus de milieux plus favorisés et cela tirait les gens vers le haut.
La concentration des personnes en échec engendrée par le manque de mixité fait que c’est un peu un engrenage. S'il n’y en avait pas cent personnes en décrochage mais une seule, forcément il y aurait moins d'agitateurs en classe. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de l’adaptation de l’école avec le public avec lequel elle
est confrontée ?
Sofiane KERMICHE : Dans les quartiers nord et sud, ce n’est pas la même vie, les mêmes problèmes. Il y a
beaucoup de familles monoparentales, il faut traiter les jeunes de manière différente dans les classes, c’est
logique. Si chez eux, il y a plus de problèmes que chez les autres, à 13 ou 14 ans, il va y avoir forcément plus
de déviances. Il faut les traiter avec plus de moyens et de psychologie que les autres parce qu’ils ont plus de
chance de mal tourner que les autres, et pour faire vivre leur famille et trouver une place dans la société, ils
tomberont dans différents trafics, puis la prison. Après, si on ne veut pas voir cela en face, cela ne changera
jamais.
Thomas MARTINETTI : Il y a aussi peut-être un problème de valorisation des exemples réussis dans les
quartiers : certains réussissent mais sont méconnus, et puis cette réussite s’accompagne souvent d’une
migration vers les zones plus favorisées.
Djemaï BELTIFA : Il y a 1 personne sur 100 qui va s’en sortir en devenant avocat, mais il y a 25 personnes sur
100 qui vont s’en sortir grâce à la drogue. Le petit dans les quartiers va suivre quel exemple selon vous ? Celui
qui va à l’école en étant mal habillé ou l’autre bien habillé qui a une super voiture ?
Thomas MARTINETTI : Que pensez-vous des métiers manuels ?
La salle : On ne trouve pas qu’un métier manuel est moins valorisant qu’un métier intellectuel.
Quelqu’un depuis la salle : Mais on nous les présente souvent comme des voies de garage. On nous dit, toi
tu vas finir maçon, ou tu vas monter des pneus alors que dans ce métier tu es souvent mieux payé que professeur. On ne te parle pas aussi des métiers qui existent dans la société.
Thomas MARTINETTI : En ce qui concerne les transports à présent, si le jeune n’a pas le permis et finit
ses études comment fait-il pour se rendre à son travail ? Y-a-t’il des boulots que vous avez refusé pour des
raisons de transport ?
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Djemaï BELTIFA : J’habite à la Cayolle et mon lycée était à Diderot et je faisais une heure et demie de
transports en commun pour m’y rendre. Avant j’habitais aux Cèdres dans le nord et j’ai déménagé.
Rachid ZEROUAL : Est-ce que vous avez toutes les informations sur ce qui existe comme emploi ou
formation sur Marseille ?
La salle :
- Non.
- On cherche surtout sur la zone Marseille, Aix, Vitrolles, Aubagne.
Thomas MARTINETTI : Est-ce que c’est le même territoire que Marseille pour vous ?
Un jeune depuis la salle : Oui, c’est le même territoire, avec des pôles d’activités qui sont implantés
autour.
Thomas MARTINETTI : Certains élus ne pensent pas comme cela et ce territoire est actuellement
éclaté administrativement ce qui conduit à avoir plusieurs politiques en matière d’habitat ou de transport, etc.
La salle :
- Oui c’est vrai, ce n’est pas les mêmes tarifs, les mêmes horaires, les mêmes trajets…
- A Aubagne, c’est gratuit, d’ailleurs.
Yanisse AMARA : Si tu dois travailler à Plan de Campagne et que tu habites dans les quartiers nord. Tu
dois redescendre au centre-ville prendre le bus et repartir à Plan de Campagne.
Zidane BELTIFA: J’ai un ami qui travaille avec moi au magasin BUT et qui fait cela : il descend au centre
ville en métro et repart sur Plan de Campagne en car.
Djemaï BELTIFA : C’est une honte. Tout cela c’est le même territoire, Aix, Aubagne, Martigues, c’est des
marseillais ces gens-là. C’est le grand Marseille !
La salle : Mais réorganiser tous les transports va mettre des années….
Thomas MARTINETTI : Il y a des choses qui peuvent aller vite comme l’installation d’une carte unique
des transports, un tarif unique et des horaires coordonnées entre les différents transports en commun.
La salle : ça serait déjà un énorme plus.
Thomas MARTINETTI : Sur le logement, prendre un logement individuel est une condition essentielle
pour se construire ? Vous vivez tous encore chez vos parents ?
La salle :
- Oui, tous.
- Pour avoir un logement, il faut un salaire, pour avoir un salaire, il faut travailler.
Thomas MARTINETTI : Quel serait votre rêve ? Vivre dans le quartier ? Ailleurs, en périphérie ?
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Djemaï BELTIFA : Moi je ne veux pas que mon enfant vive la même chose que moi, si je peux, je m’en
vais.
La salle : On est tous d’accord.
Yanisse AMARA : Il y a beaucoup de gens des quartiers qui veulent même quitter la France. Ma femme
est partie pour aller en Belgique pour aller faire ses études d’infirmière parce qu’il y a pas de concours.
Elle rentre en 3ème année.
Thomas MARTINETTI : Pour résumer, en quelques mots, comment vous percevez vos problématiques
d’accès à l’emploi ?
La salle : C’est du piston à Marseille.
Thomas MARTINETTI : Même si ce n’est pas totalement vrai, c’est l’image que vous en avez et c'est
cela qui est important pour nous.
Quelqu’un depuis la salle : Moi je cherche plus du travail où je peux me faire recommander que du
travail « normal » parce que cela ne fonctionne que comme cela ici…
Yanisse AMARA : Tous les petits jobs à la poste ou autres que j’ai pu avoir, c’est par rapport à telle ou
telle personne. J’ai tous les CASSE et je n’ai jamais été cariste malgré de nombreuses demandes. Vous
n’avez pas d’expérience, alors on ne vous prend pas.
Thomas MARTINETTI : Vous avez un double handicap : pas d’expérience et peu de diplôme et c’est bien
le problème.
Djemaï BELTIFA : J’avais un diplôme qui correspond au poste mais ils préfèrent prendre quelqu’un de
plus jeune en formation CAP et après ils le gardent dans la boîte.
Thomas MARTINETTI : Les entreprises peuvent préférer en effet prendre une jeune qu’ils vont former
tout en le payant moins car il est en quelque sorte stagiaire. C’est le système de l’apprentissage.
Djemaï BELTIFA : Moi, je ne connaissais pas ce système qui m’aurait aidé, c’est donc que ma conseillère d’orientation m’a mal aiguillé…
Thomas MARTINETTI : Si vous avez un seul message à faire passer aux élus par rapport aux problèmes
de l’emploi que vous rencontrez dans les quartiers ?
La salle : - Silence - Donner nous notre chance de montrer que nous sommes capables de réussir.
Ali AMOUCHE : il y a là une occasion de dire certaines vérités à nos élus qui ont besoin de les entendre.
Qu’avez-vous à leur dire ? Il y a qu’un moment où on peut influer sur les choses et c’est à l’approche des
élections.
Sofiane KERMICHE : On ne va pas changer le système, il ne faut pas rêver. On va changer le système qui
existe depuis qu’on est petit à l’école ? Ce n’est pas possible. Les problèmes sont deux fois plus lourds
dans nos quartiers, il faut donc les traiter deux fois plus fortement. Les jeunes qui étaient dans les
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quartiers sud, ils n’avaient pas les mêmes problèmes que moi, donc il ne fallait pas me traiter comme
eux. C’est logique.
Au collège, il ne fallait pas par exemple traiter les classes de la même façon que dans les autres quartiers. Là bas, le père il travaille la mère elle travaille, nous on est issus pour beaucoup de famille monoparentales, nos mères elles sont femmes de ménage, nos pères on les voit pas tous le temps, dans la
tête ce n’est pas la même chose. On avait tous les mêmes problèmes, on ne pouvait pas tous se concentrer à l’école et on a vrillé plus vite.
Moi si vous voulez, je vais leur dire cela. Mais le système ne changera pas et moi ce que je veux maintenant, c’est trouver un travail et réussir ma vie et je suis prêt à faire deux heures de trajet pour aller
travailler.
On m’a proposé « une classe prépa » mais j’ai refusé car après j’aurai intégré une école de commerce
mais je n’aurai pas pu la payer ! 30 000€ pour 3 ans… J’ai préféré faire l’université et travailler à côté.
Maintenant je préfère presque travailler et laisser tomber les études.
Il faut plus de profs, mieux formés, avec des psychologues pour les jeunes qui ont des problèmes,
mettre en avant les exemples réussis issus dans les quartiers dans les écoles au contact des élèves, etc.
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