Totalité de la thèse de A. Millerand - CMGE
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Totalité de la thèse de A. Millerand - CMGE
UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS VI) Faculté de médecine Pierre et Marie Curie ANNEE 2011 N°2011PA06G THESE DOCTORAT EN MEDECINE MEDECINE GENERALE PAR Anne MILLERAND Présentée et soutenue publiquement le 4 Mai 2011 La modernisation de la médecine japonaise d'Edo à Meiji : Rupture ou continuité ? DIRECTEUR M. Philippe CORNET, Professeur associé de médecine générale PRESIDENT M. Pierre HELARDOT, Professeur des universités JURY M Christine GRAPIN-DAGORNO, Professeur des universités M. Francis GOLD, Professeur des universités M. Patrice JOSSET, Maître de conférences des universités me 1 2 Remerciements À Monsieur le Professeur Pierre Hélardot, Vous me faites l’honneur de présider cette thèse. Veuillez trouver ici le témoignage de mon profond respect. À Monsieur le Professeur Philippe Cornet, Vous m’avez fait confiance en acceptant la direction de cette thèse. Je vous remercie pour votre soutien et vos éclairages essentiels. À Madame le Professeur Christine Grapin-Dagorno, Vous avez accepté d’être membre de mon jury. Veuillez recevoir mes sincères remerciements. À Monsieur le Professeur Francis Gold, Vous avez accepté d’être membre de mon jury. Veuillez croire en ma gratitude profonde. À Monsieur le Maître de conférences Patrice Josset, Vous avez accueilli ce sujet avec enthousiasme et intérêt, Je vous remercie de l'appui si précieux que vous m'avez accordé. Aux bibliothécaires et employés de la BIUM qui ont gentiment attiré mon attention sur les rares ouvrages japonais de la réserve, notamment Madame Florence Karpp qui a récemment exhumé le Yoka hiroku et le Zoku Yoka hiroku du chirurgien Soken Honma. À Madame Cécile Galichet, bibliothécaire à la BIUM pour m'avoir aidée dans une traduction ardue de l'allemand médical du 19e siècle. À Madame Claire Nguyen, bibliothécaire à la BIUM, pour avoir facilité mon accès à la bibliothèque de l'Académie. Au Colonel Pierre Geoffroy pour m'avoir éclairée sur la pensée biopolitique du Maréchal Liautey. Je remercie toutes ces personnes pour avoir rendu mes travaux encore plus passionnants. À mes parents, pour leur soutien de toujours, À Aurélien, pour sa pensée positive, 3 PROFESSEURS DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS UFR MÉDICALE PIERRE ET MARIE CURIE SITE SAINT-ANTOINE AMARENCO Gérard AMSELEM Serge Rééducation fonctionnelle et neurologique Hôpital ROTHSCHILD Génétique Hôpital TROUSSEAU ANDRE Thierry Cancérologie Hôpital La Salpétrière ANTOINE Jean Marie Gynécologie Obstétrique/Médecine de la Reproduction Hôpital TENON ARACTINGI Sélim Unité de Dermatologie Hôpital TENON ARLET Guillaume Bactériologie Hôpital TENON ARRIVE Lionel Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE AUCOUTURIER Pierre INSERM U 712 Hôpital Saint-Antoine AUDRY Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU BALLADUR Pierre Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE BARDET Jean (surnombre) Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE BAUD Laurent Explorations fonctionnelles multidisciplinaires Hôpital TENON BAUDON Jean Jacques (surnombre) Néonatologie Hôpital TROUSSEAU BEAUGERIE Laurent Gastroentérologie et Nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE BEAUSSIER Marc Anesthésie Ŕ Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE BENIFLA Jean Louis Gynécologie Obstétrique Hôpital ROTHSCHILD BENSMAN Albert Néphrologie, Dialyses et transplantations pédiatriques Hôpital TROUSSEAU BERENBAUM Francis Rhumatologie Hôpital SAINT-ANTOINE BEREZIAT Gilbert (surnombre) UMR 7079 Physiologie et physiopathologie Campus Jussieu BERNAUDIN Jean François Histologie biologie tumorale Hôpital TENON BILLETTE DE VILLEMEUR Thierry Neuropédiatrie Hôpital TROUSSEAU BOCCON GIBOD Liliane (surnombre) Anatomie pathologique Hôpital TROUSSEAU BONNET Francis Anesthésie réanimation Hôpital TENON BORDERIE Vincent Ophtalmologie CNHO des 15/20 BOUCHARD Philippe Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE BOUDGHENE STAMBOULI Franck Radiologie Hôpital TENON BREART Gérard Gynécologie obstétrique Hôpital TENON CABANE Jean Médecine interne Hôpital SAINT-ANTOINE 4 CADRANEL Jacques Pneumologie Hôpital TENON CALLARD Patrice Anatomie pathologique Hôpital TENON CAPEAU Jacqueline Inserm U.680 Faculté de Médecine P. & M. Curie CARBAJAL SANCHEZ Ricardo Urgences pédiatriques Hôpital TROUSSEAU CARBONNE Bruno Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE CARETTE Marie France Radiologie Hôpital TENON CASADEVALL Nicole Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE CAYRE Yvon Hématologie immunologie Hôpital DEBRE CHAZOUILLERES Olivier Hépatologie gastroentérologie Hôpital SAINT-ANTOINE CHOSIDOW Olivier Dermatologie Ŕ Allergologie Hôpital TENON CHOUAID Christos Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE CHRISTIN-MAITRE Sophie Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE CLEMENT Annick Pneumologie Hôpital TROUSSEAU CLERGUE François Anesthésiologie Hôpital Cantonal 24, rue Micheli-du-Crest GENEVE 14 (Détaché au Ministère des Affaires Etrangères) COHEN Aron Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE CONSTANT Isabelle Anesthésiologie réanimation Hôpital TROUSSEAU COSNES Jacques Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE COULOMB Aurore Anatomie et cytologie pathologiques Hôpital TROUSSEAU DAMSIN Jean Paul Orthopédie Hôpital TROUSSEAU DARAI Emilen Gynécologie obstétrique Hôpital TENON DE GRAMONT Aimery Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE DENOYELLE Françoise ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU DEVAUX Jean Yves Biophysique et médecine nucléaire Hôpital SAINT-ANTOINE DOUAY Luc Hématologie biologique Hôpital TROUSSEAU DOURSOUNIAN Levon Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE DUCOU LE POINTE Hubert Radiologie Hôpital TROUSSEAU DURON Françoise Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE DUSSAULE Jean Claude Physiologie Hôpital SAINT-ANTOINE FAUROUX Brigitte Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU FERON Jean Marc Chirurgie orthopédique et traumatologique Hôpital SAINT-ANTOINE FLEJOU Jean François Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE 5 FLORENT Christian Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE FRANCES Camille Dermatologie Ŕ Allergologie Hôpital TENON FUNCK BRENTANO Christian Pharmacologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE GARABEDIAN Eréa Noël ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU GARBARG CHENON Antoine Bactériologie virologie Hôpital TROUSSEAU GATTEGNO Bernard (surnombre) Urologie Hôpital SAINT-ANTOINE GENDRE Jean Pierre (surnombre) Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE GIRARD Pierre Marie Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE GIRARDET Jean Philippe Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU GIROT Robert Hématologie biologique Hôpital TENON GOLD Francis Néonatologie Hôpital TROUSSEAU GORIN Norbert Hématologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE GRATEAU Gilles Médecine interne Hôpital TENON GRIMFELD Alain (surnombre) Pédiatrie: pneumologie et allergologie Hôpital TROUSSEAU GRIMPREL Emmanuel Pédiatrie générale Hôpital TROUSSEAU GRUNENWALD Dominique Chirurgie thoracique Hôpital TENON GUIDET Bertrand Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE HAAB François Urologie Hôpital TENON HELARDOT Pierre Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU HOURY Sidney Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON HOUSSET Chantal Biologie cellulaire Ŕ Inserm U. 680 Faculté de Médecine P. & M. Curie JAILLON Patrice Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie JOUANNIC Jean-Marie Gynécologie obstétrique Hôpital TROUSSEAU JUST Jocelyne Pneumologie et allergologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LACAINE François Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON LACAU SAINT GUILY Jean ORL Hôpital TENON LACAVE Roger Histologie biologie tumorale Hôpital TENON LANDMAN-PARKER Judith Hématologie et oncologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LAROCHE Laurent Ophtalmologie CHNO des Quinze-Vingts LE BOUC Yves Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU LEBEAU Bernard Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE 6 LEGRAND Ollivier Hématologie Oncologie médicale Hôpital HOTEL DIEU LEVERGER Guy Hématologie et Oncologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LEVY Richard Neurologie Hôpital SAINT-ANTOINE LIENHART André Anesthésie Ŕ Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE LOTZ Jean Pierre Cancérologie Hôpital TENON LOUVET Christophe Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE MARIE Jean Pierre Hématologie Hôpital HOTEL-DIEU MARSAULT Claude Radiologie Hôpital TENON MASLIAH Joëlle Inserm U.538 Faculté de Médecine P. & M. Curie MAURY Eric Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE MAYAUD Marie Yves Pneumologie Hôpital TENON MENU Yves Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE MEYER Bernard ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TENON MEYOHAS Marie Caroline Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE MICHEL Pierre Louis Cardiologie Hôpital TENON MILLIEZ Jacques Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE MIMOUN Maurice Chirurgie plastique Hôpital ROTHSCHILD MITANCHEZ Delphine Néonatologie Hôpital TROUSSEAU MONTRAVERS Françoise Biophysique et médecine nucléaire Hôpital TENON MURAT Isabelle Anesthésie réanimation Hôpital TROUSSEAU NICOLAS Jean Claude Virologie Hôpital TENON OFFENSTADT Georges Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE PAQUES Michel Ophtalmologie CHNO des 15/20 PARC Yann Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE PATERON Dominique Service d’accueil des Urgences Hôpital SAINT-ANTOINE PAYE François Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE PERETTI Charles-Siegfried Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE PERIE Sophie ORL Hôpital TENON PETIT Jean Claude Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE PIALOUX Gilles Maladies infectieuses et tropicales Hôpital TENON POUPON Raoul Hépatologie et gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE RENOLLEAU Sylvain Réanimation néonatale Hôpital TROUSSEAU 7 RODRIGUEZ Diana Neuro-pédiatrie Hôpital TROUSSEAU RONCO Pierre Marie Néphrologie et dialyses Hôpital TENON RONDEAU Eric Urgences néphrologiques Ŕ Transplantation rénale Hôpital TENON ROSMORDUC Olivier Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE ROUGER Philippe I.N.T.S. 6, rue Alexandre Cabanel 75739 Paris cedex 15 ROUZIER Roman Gynécologie obstétrique Hôpital TENON ROZENBAUM Willy Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-LOUIS SAHEL José Alain Ophtalmologie CHNO des 15/20 SAUTET Alain Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE SEZEUR Alain Chirurgie générale Hôpital des DIACONESSES SIFFROI Jean Pierre Génétique et embryologie médicales Hôpital TROUSSEAU SOUBRIER Florent Département de génétique Groupe Hospitalier PITIE SALPETRIERE TALBOT Jean Noël Biophysique médecine nucléaire Hôpital TENON THIBAULT Philippe (surnombre) Urologie Hôpital TENON THOMAS Guy Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE THOUMIE Philippe Rééducation neuro-orthopédique Hôpital ROTHSCHILD TIRET Emmanuel Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE TOUBOUL Emmanuel Radiothérapie Hôpital TENON TOUNIAN Patrick Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU TRAXER Olivier Urologie Hôpital TENON TRUGNAN Germain Inserm U538 Faculté de Médecine P. & M. Curie TUBIANA Jean Michel (surnombre) Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE UZAN Serge Gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction Hôpital TENON VALLERON Alain Jacques Unité de santé publique Hôpital SAINT-ANTOINE VAYSSAIRAT Michel Cardiologie Hôpital TENON VAZQUEZ Marie Paule Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Hôpital TROUSSEAU WENDUM Dominique Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE WISLEZ Marie Pneumologie Hôpital TENON 8 SITE PITIÉ ACAR Christophe Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire AGID Yves (surnombre) Fédération de neurologie AGUT Henri Bactériologie-virologie-hygiène ALLILAIRE Jean-François Psychiatrie d’adultes AMOURA Zahir Médecine interne ASTAGNEAU Pascal Epidémiologie/Santé publique AURENGO André Biophysique et Médecine nucléaire AUTRAN Brigitte Immunologie BARROU Benoît Urologie BASDEVANT Arnaud Nutrition BAULAC Michel Anatomie / Neurologie BAUMELOU Alain Néphrologie BELMIN Joël Médecine interne IVRY BENHAMOU Albert Chirurgie vasculaire BENVENISTE Olivier Médecine interne BERTRAND Jacques-Charles Stomatologie et Chirurgie maxillo-faciale BITKER Marc Olivier Urologie BODAGHI Bahram Ophtalmologie BOISVIEUX Jean-François (surnombre) Biostatistiques et Informatique médicale BOURGEOIS Pierre Rhumatologie BRICAIRE François Maladies infectieuses - Maladies tropicales BRICE Alexis Génétique BRUCKERT Eric Endocrinologie et Maladies métaboliques CABANIS Emmanuel (surnombre) Radiologie et Imagerie médicale CACOUB Patrice Médecine interne (Chef de service par intérim) CALVEZ Vincent Virologie et Bactériologie CAPRON Frédérique Anatomie et Cytologie pathologique CARPENTIER Alexandre Neurochirurgie CATALA Martin Cytologie et Histologie (département de génétique) CATONNE Yves Chirurgie orthopédique et traumatologique CAUMES Eric Maladies infectieuses - Maladies tropicales 9 CESSELIN François Biochimie et Biologie moléculaire CHAMBAZ Jean Biologie cellulaire CHARTIER-KASTLER Emmanuel Urologie CHASTRE Jean Réanimation médicale CHERIN Patrick Médecine interne CHIGOT Jean-Paul (surnombre) Chirurgie générale CHIRAS Jacques Radiologie et Imagerie médicale III CLEMENT-LAUSCH Karine Nutrition CLUZEL Philippe Radiologie et Imagerie médicale II COHEN David Pédopsychiatrie COHEN Laurent Neurologie COMBES Alain Réanimation médicale CORIAT Pierre Anesthésiologie et Réanimation chirurgicale CORNU Philippe Neurochirurgie COURAUD François Biochimie et Biologie moléculaire DANIS Martin (surnombre) Parasitologie DAUTZENBERG Bertrand Pneumologie DAVI Frédéric Hématologie biologique DEBRE Patrice Immunologie DELATTRE Jean-Yves Neurologie Fédération MAZARIN DERAY Gilbert Néphrologie DERENNE Jean-Philippe (surnombre) Pneumologie DOMMERGUES Marc Gynécologie Ŕ Obstétrique DORMONT Didier Radiologie et Imagerie médicale DUBOIS Bruno Neurologie DURON Jean-Jacques (surnombre) Chirurgie digestive DUGUET Alexandre Pneumologie DUYCKAERTS Charles Anatomie et Cytologie pathologiques EYMARD Bruno Neurologie FAUTREL Bruno Rhumatologie FERRE Pascal Biochimie et Biologie moléculaire 10 FONTAINE Bertrand Fédération de neurologie FOSSATI Philippe Psychiatrie d’adultes FOURET Pierre Anatomie et Cytologie pathologiques GANDJBAKHCH Iradj (surnombre) Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire GIRERD Xavier Thérapeutique / Endocrinologie GOROCHOV Guy Immunologie GRENIER Philippe Radiologie et Imagerie médicale II GRIMALDI André Endocrinologie et Maladies métaboliques HAERTIG Alain Médecine légale / Urologie HANNOUN Laurent Chirurgie générale HAUW Jean-Jacques (surnombre) Anatomie et Cytologie pathologiques HELFT Gérard Département de cardiologie HERSON Serge Thérapeutique /Médecine interne HEURTIER Agnès Endocrinologie et Maladies métaboliques HOANG XUAN Khê Neurologie ISNARD Richard Cardiologie et Maladies vasculaires ISNARD-BAGNIS Corinne Néphrologie JARLIER Vincent Bactériologie-Hygiène JOUVENT Roland Psychiatrie d'adultes KATLAMA née WATY Christine Maladies infectieuses et tropicales KHAYAT David Oncologie médicale KIEFFER Edouard Chirurgie vasculaire KLATZMANN David Immunologie KOMAJDA Michel Cardiologie et maladies vasculaires KOSKAS Fabien Chirurgie vasculaire LAMAS Georges Oto-rhino-laryngologie LANGERON Olivier Anesthésiologie LAZENNEC Jean-Yves Anatomie / Chirurgie orthopédique LE FEUVRE Claude Département de cardiologie LEBLOND née MISSENARD Véronique Hématologie clinique LEENHARDT Laurence Endocrinologie / médecine nucléaire LEFRANC Jean-Pierre Chirurgie générale 11 LEHERICY Stéphane Radiologie et imagerie médicale III LEHOANG Phuc Ophtalmologie LEMOINE François Immunologie LEPRINCE Pascal Chirurgie thoracique LUBETZKI ép. ZALC Catherine Fédération de neurologie LYON-CAEN Olivier Fédération de neurologie MALLET Alain Biostatistiques et informatique médicale MARIANI Jean Biologie cellulaire/Médecine interne MAZERON Jean-Jacques Radiothérapie MAZIER Dominique Parasitologie MEININGER Vincent Neurologie Fédération MAZARIN MENEGAUX Fabrice Chirurgie générale MERLE-BERAL Hélène Hématologie biologique METZGER Jean-Philippe Cardiologie et maladies vasculaires MONTALESCOT Gilles Cardiologie et maladies vasculaires OPPERT Jean-Michel Nutrition PASCAL-MOUSSELLARD Hugues Chirurgie orthopédique et traumatologique PAVIE Alain Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire. PERRIGOT Michel Rééducation fonctionnelle PETITCLERC Thierry Biophysique / Néphrologie PIERROT-DESEILLIGNY Charles Neurologie PIETTE François Médecine interne IVRY PIETTE Jean-Charles Médecine interne POIROT Catherine Cytologie et histologie POYNARD Thierry Hépato-gastro-entérologie PUYBASSET Louis Anesthésiologie et Réanimation chirurgicale RATIU Vlad hépato-gastro-entérologie RICHARD François Urologie RIOU Bruno Anesthésiologie/Urgences médico-chirurgicale ROBAIN Gilberte Rééducation fonctionnelle IVRY ROUBY Jean-Jacques Anesthésiologie et Réanimation chirurgicale 12 SAMSON Yves Neurologie/Urgences cérébro-vasculaires SIMILOWSKI Thomas Pneumologie SPANO Jean-Philippe Oncologie médicale THOMAS Daniel Cardiologie et Maladies vasculaires TOUITOU Yvan (surnombre) Nutrition / Biochimie TOURAINE Philippe Endocrinologie et Maladies métaboliques VAILLANT Jean-Christophe Chirurgie générale VAN EFFENTERRE Rémy Neurochirurgie VERNANT Jean-Paul Hématologie Clinique VERNY Marc Médecine interne Pavillon MARGUERITE BOTTARD VIDAILHET Marie-José Neurologie VOIT Thomas Pédiatrie neurologique WILLER Jean-Vincent Physiologie ZELTER Marc Physiologie / Explorations fonctionnelles 13 14 INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 19 MATÉRIEL ET MÉTHODE ........................................................................................................................ 21 CHAPITRE 1: LA FORMATION DE LA PENSÉE MÉDICALE JAPONAISE .............................................. 23 I LA DEUXIÈME PÉRIODE SINO-JAPONAISE : D'UNE MÉDECINE CHINOISE SPÉCULATIVE VERS UNE MÉDECINE PLUS EMPIRISTE .............................................................................................................................. 24 A Assimilation de la médecine des correspondances Jin-Yuan .................................................. 24 B L'honzo gaku et l'école Kohoha (école des classiques) : vers plus d'empirisme ...................... 31 Conclusion de la partie « La deuxième période sino-japonaise » ............................................... 46 Illustrations de la partie « La deuxième période sino-japonaise » ............................................... 47 II LA PÉRIODE RANGAKU ................................................................................................................... 55 A La transformation de l'anatomie ............................................................................................. 56 B La transformation de la médecine et de la thérapeutique ........................................................ 81 C La transformation de la chirurgie .......................................................................................... 102 III MEIJI ........................................................................................................................................ 125 A Le paradigme expérimental allemand ................................................................................... 125 B Le paradigme évolutionniste................................................................................................. 151 C Développement d'une thérapeutique japonaise .................................................................... 159 Conclusion de la partie « Meiji » .............................................................................................. 167 CONCLUSION DU CHAPITRE 1 .......................................................................................................... 168 CHAPITRE 2: L’ÉVOLUTION DE LA PROFESSION MÉDICALE............................................................ 171 I EVOLUTION DU SYSTÈME TRADITIONNEL ......................................................................................... 172 A Le système kagaku et la tradition des moines médecins ....................................................... 172 B L'évolution de la profession sous Muromachi........................................................................ 172 C La profession médicale pendant la période de séclusion ...................................................... 174 II MEIJI ......................................................................................................................................... 184 A Le choix du système allemand ............................................................................................. 184 B La mise en place du nouveau système ................................................................................. 187 CONCLUSION DU CHAPITRE 2 .......................................................................................................... 191 CHAPITRE 3: LA CRÉATION DE LA SANTÉ PUBLIQUE JAPONAISE ................................................. 193 I L'ORGANISATION SANITAIRE À LA PÉRIODE PRÉMODERNE ................................................................. 194 A L'organisation sanitaire du Japon prémoderne ..................................................................... 194 B L'émergence d'une pensée biopolitique ................................................................................ 202 II LES DÉBUTS DE LA SANTÉ PUBLIQUE SOUS MEIJI ............................................................................ 206 A Les raisons de l'adoption d'un système de santé publique moderne ..................................... 206 B Structure et financement ...................................................................................................... 207 C Les plans de santé publique................................................................................................. 212 CONCLUSION DU CHAPITRE 3 .......................................................................................................... 224 CHAPITRE 4: EVOLUTION DES NOTIONS DE CORPS, DE MALADIE ET DE SOIN AU NIVEAU DE LA SOCIÉTÉ ........................................................................................................................................... 227 I LA CULTURE MÉDICALE POPULAIRE DE LA PÉRIODE PRÉMODERNE ..................................................... 228 A Concepts archaïques ........................................................................................................... 228 B Concepts empruntés à la littérature savante ......................................................................... 233 II LA MODERNISATION : UNE NOUVELLE DIALECTIQUE ? ...................................................................... 236 A Devenir des concepts archaïques ........................................................................................ 236 B Passage du yojo à l'eisei ...................................................................................................... 242 C Survivance de la médecine des correspondances ................................................................ 245 III LE CONSUMÉRISME MÉDICAL D ’EDO À NOS JOURS : IMAGE DU MÉDECIN ET PLURALISME JAPONAIS ...... 248 CONCLUSION DU CHAPITRE 4 .......................................................................................................... 251 ILLUSTRATIONS DU CHAPITRE 4 ....................................................................................................... 252 CONCLUSION......................................................................................................................................... 277 BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE ................................................................................................................ 283 GLOSSAIRE............................................................................................................................................ 303 ANNEXES ............................................................................................................................................... 311 ANNEXE 1 : REPÈRES CHRONOLOGIQUES AVANT ET APRÈS EDO ........................................................ 312 15 ANNEXE 2 : OUVRAGES OCCIDENTAUX ÉTUDIÉS PAR LES RANGAKUSHA............................................... 313 ANNEXE 3 : PUBLICATIONS JAPONAISES ET LEURS SOURCES D’INSPIRATION SOUS EDO ......................... 325 ANNEXE 4 : L’ÉLABORATION DU CONCEPT JAPONAIS DE SANTÉ PUBLIQUE ............................................ 337 Nagayo Sensai et l'eisei .......................................................................................................... 337 Shinpei Goto et le darwinisme social ....................................................................................... 340 16 Notes concernant la transcription : Titre des ouvrages : Dans le texte, les titres des ouvrages sont signalés en italique (hormis dans les annexes 2 et 3). Noms propres : Il est de coutume au Japon de donner dans l’ordre le nom de famille puis le prénom. Par commodité, nous avons préféré nous conformer à l’usage occidental (prénom-patronyme). Mots japonais : Par souci de simplification, nous n’avons pas reproduit les signes diacritiques (macron, accent circonflexe) utilisés pour marquer les syllabes longues. Seuls les noms figurés dans les dictionnaires français (samouraï, shogun, daimyo) reçoivent le pluriel, les autres sont considérés comme invariables. Mots chinois : En ce qui concerne les mots chinois, nous avons utilisé la transcription en pinyin sans reproduire l’accentuation. 17 18 Introduction Quelles images nous renvoie la médecine japonaise ? Espérance de vie la plus importante au monde, matériel high-tech, médecine traditionnelle nommée kampo. Tout cela est un peu confus. Le contexte entourant la modernisation de cette médecine l’est encore plus. Tout au mieux, on le confond avec le processus d’ouverture initié au 19 e siècle, quand, vivant en autarcie depuis 250 ans, le Japon embraya une modernisation accélérée afin d’égaliser avec un Occident menaçant. Ce dernier lui aurait ainsi permis de s’émanciper de la torpeur féodale imposée par une farouche élite guerrière. En effet, suite à la restauration de l'Empereur Meiji (1868), le gouvernement japonais décréta un changement de modèle médical, c'est-à-dire le remplacement du système traditionnel par un système moderne à l'occidental. Cette décision impliquait de substituer au mode de pensée sino-japonais fondé sur la philosophie néoconfucianiste le paradigme occidental hérité de la pensée mécaniste. Cette conversion scientifique nécessitait également l'adhésion de la population. Enfin toutes ces transformations étaient elles-mêmes assujetties à la mise en place d'un enseignement médical et de structures sanitaires modernes. Bien qu’une telle acculturation semble irréalisable en à peine 30 ans, hôpitaux, universités, médecins et programmes de santé publique étaient pourtant devenus des réalités concrètes dès la fin du 19e siècle. Ce constat singulier nous a stimulé à examiner les arcanes du « miracle » japonais. Postulant que ce phénomène de modernisation ne saurait correspondre au transfert passif d'un modèle extérieur Ŕ l'Occident apportant la science médicale au « barbare japonais », l’objectif de notre thèse est donc de montrer que la médecine japonaise a obéi à une évolution endogène propre (idée de continuité) et qu'elle s'est nourrie des apports extérieurs qu'elle a adaptés aux conditions locales (idée d'adaptation). Pour cela, nous proposons d’étudier l'évolution de la médecine japonaise de la période féodale (dite prémoderne ou période Edo) à la période moderne (Meiji) en nous concentrant sur 4 domaines représentatifs : la pensée médicale, la profession de médecin, le système de santé publique et la représentation populaire de la maladie. Dans la première partie, nous étudierons l'évolution de la pensée médicale japonaise, de la deuxième moitié du 16e siècle jusque dans les années 1920. Tout d’abord, nous assisterons au passage d'une médecine chinoise spéculative vers une médecine plus empiriste, phénomène débouchant sur la publication du Kaitai shinsho (1774). La parution de ce traité d'anatomie « moderne » sera considérée comme le point de départ de la seconde étape, dite période rangaku. Cette période sera appréhendée à travers la transformation de l'anatomie, de la médecine, de la thérapeutique et de la chirurgie. Enfin, nous examinerons les profonds changements survenus pendant l’ère Meiji. Pour cela nous nous concentrerons sur l'introduction du paradigme expérimental allemand, puis du paradigme évolutionniste, et enfin sur les développements d'une thérapeutique japonaise moderne. Dans la deuxième partie, nous verrons les mutations de la profession médicale depuis l'époque Muromachi (1336-1573) jusqu'à la fin de l’ère Meiji (1912). Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la transition d'un art réservé à l'élite vers un métier dont l'exercice se démocratise. Nous analyserons les raisons de cet essor en se concentrant sur les transformations du statut social et les modalités de la professionnalisation. Ensuite nous examinerons les effets de la restauration de Meiji. Nous essaierons de comprendre les raisons qui motivèrent le choix du modèle 19 éducatif allemand. Enfin, nous exposerons les caractéristiques du système professionnel moderne. Dans la troisième partie, nous explorerons les évolutions du système sanitaire depuis ses balbutiements jusqu'aux années 1920. Tout d'abord, nous verrons l'organisation sanitaire du Japon prémoderne, puis les débuts de l'intrusion du pouvoir dans la sphère individuelle. Ensuite, nous étudierons la création du système publique moderne à travers ses institutions, son mode de financement et ses programmes sanitaires. Dans la quatrième partie, nous nous intéresserons à la représentation populaire du corps, de la maladie et du soin, d'Edo à Meiji avec des incursions dans la période contemporaine. Dans un premier temps, nous exposerons les différents modes de représentations de la maladie, répartis en concepts dits archaïques (démonologie, religion) et en concepts empruntés à la médecine savante. Dans un deuxième temps nous examinerons le devenir de ces concepts sous Meiji jusqu'à nos jours. Enfin, nous conclurons par l'étude du consumérisme médical d'Edo à nos jours. La conclusion permettra de revenir sur notre hypothèse de départ (continuité et adaptation) au regard de ces différents chapitres. 20 Matériel et méthode Méthodologie : Dans un premier temps, nous avons fixé le cadre de notre étude. Pour cela, nous avons cherché à déterminer : les éléments que l’on pourrait définir comme les constituants fondamentaux de tout système médical (pensée médicale, aspects professionnels, offre de soin, aspects anthropologiques). Une fois définis, ces items délimitèrent la structure thématique de notre plan (axe thématique de la thèse). les repères chronologiques de l’évolution de la médecine japonaise. Ces éléments permirent de diviser notre exposé en phases significatives (axe chronologique de la thèse). Dans un deuxième temps, nous nous sommes astreints à identifier les changements qui relevaient soit d'une maturation endogène, soit d’influences extérieures. Ainsi cette analyse exigea l'étude comparative des modèles médicaux importés au Japon (chinois, occidental). Matériel : Nous avons réalisé une revue de la littérature concernant l'histoire de la médecine japonaise et corollairement occidentale. Cette recherche s’est effectuée en langue française et anglaise, et accessoirement allemande. En dépit de l’abondance de sources en langue originale, notre étude a été obligatoirement limitée du fait de notre ignorance du japonais. Nos mots-clés initiaux étaient : « médecine japonaise » (« japanese medicine »), « modernisation » (« modernization »), « Edo », « Meiji ». Au fur et à mesure que nous progressions dans notre étude, la recherche de mots-clés plus spécifiques s’imposa, mots-clés ayant trait à la culture médicale japonaise (« kampo », « ranpo », « Kaitai Shinsho », « Hanaoka Seishu », etc.), chinoise (« traditional chinese medicine », « TCM », « qi », « médecine Jin-Yuan », etc.) et occidentale (« vitalisme », « mécanisme », « Boerhaave », etc.). La recherche des mots-clés s'est effectuée : dans des catalogues de bibliothèques (Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, Bibliothèque de l’Académie de médecine, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l'École française d'Extrême Orient, Bibliothèque interuniversitaire des langues orientales, bibliothèque de la Maison de la culture du Japon à Paris, Bibliothèque du Muséum national d'Histoire naturelle, British Library, Bibliothèque Sainte-Geneviève) sur portails internet (le portail scientifique japonais anglophone CiNii, Google, Medline). Ainsi notre matériel regroupe : articles de revue, encyclopédies, monographies, symposium, romans documents anciens (livres, manuscrits, estampes) sous forme numérisée accessibles sur des sites internet institutionnels : BIUM [34], Waseda library [355], Naito Museum of Pharmaceutical Science and Industry [88], Collection 21 Kano de la Tohoku University Library, National Library of Medicine [340], University of California of San Francisco (UCSF) [342], Googlebook, Archive.org, etc. informations accessibles sur des sites internet spécialisés : site History of cultural contacts Europe - East Asia du Pr. Wolgang MICHEL (Professeur d'histoire de la médecine à l'Université de Kyushu) [206], site JapanNetherlands Exchanges in the Edo Period mis en place par la National Diet Library (Japon) et la Koninklijke Bibliotheek (Pays-Bas) [231], Website for History of the Body, Disease, Society and Medicine du Pr. Akhito SUZUKI (Professeur d'histoire de la médecine à l’université de Keio) [322], site de l'École française d'Extrême Orient, etc. Indexation de la bibliographie et des notes de bas de page : En fin de thèse, les références bibliographiques sont indexées par ordre alphabétique des noms d’auteur et numérotées. Dans le corps de la thèse, la citation d’une référence est signalée en fin de phrase par le numéro d’indexation de la référence placé entre crochets. Lorsque la source est un livre, le numéro de la page citée est fréquemment indiqué entre parenthèses après le numéro de la référence. Enfin, les numéros placés en indice dans le texte renvoient aux notes de bas de page correspondantes. Illustrations Les illustrations proviennent pour la plupart de collections numérisées disponibles en ligne. Leur source est identifiée en légende entre crochets. 22 Chapitre 1: La formation de la pensée médicale japonaise I LA DEUXIÈME PÉRIODE SINO-JAPONAISE : D'UNE MÉDECINE CHINOISE SPÉCULATIVE VERS UNE MÉDECINE PLUS EMPIRISTE .............................................................................................................................. 24 A Assimilation de la médecine des correspondances Jin-Yuan .................................................. 24 1) La médecine des correspondances ................................................................................................. 24 2) L'implantation de la médecine Jin-Yuan sous Edo............................................................................ 28 3) La médecine des missionnaires (Nanban-ryu geka) : une influence controversée ............................. 29 Conclusion de la partie « Assimilation de la médecine des correspondances » ..................................... 30 B L'honzo gaku et l'école Kohoha (école des classiques) : vers plus d'empirisme ...................... 31 1) L'essor de la pharmacologie et des sciences naturelles japonaises, le honzo gaku ........................... 32 2) L'école Kohoha ............................................................................................................................... 34 3) Les afférences médicales hollandaises dans la première moitié d'Edo (avant le Kaitai Shinsho) ........ 39 Conclusion de la partie « La deuxième période sino-japonaise » ............................................... 46 Illustrations de la partie « La deuxième période sino-japonaise » ............................................... 47 II LA PÉRIODE RANGAKU ................................................................................................................... 55 A La transformation de l'anatomie ............................................................................................. 56 1) Le travail de traduction .................................................................................................................... 56 2) La pratique de la dissection ............................................................................................................. 68 Conclusion de la partie « La transformation de l’anatomie » ................................................................. 80 B La transformation de la médecine et de la thérapeutique ........................................................ 81 1) Médecine ....................................................................................................................................... 81 2) Thérapeutique ................................................................................................................................ 93 Conclusion générale de la partie « Médecine et Thérapeutique » ....................................................... 101 C La transformation de la chirurgie .......................................................................................... 102 1) Obstétrique................................................................................................................................... 102 2) Ophtalmologie .............................................................................................................................. 110 3) La chirurgie générale .................................................................................................................... 117 Conclusion de la partie « La transformation de la chirurgie » .............................................................. 124 III MEIJI ........................................................................................................................................ 125 A Le paradigme expérimental allemand ................................................................................... 125 1) La théorie cellulaire....................................................................................................................... 125 2) Neurosciences.............................................................................................................................. 134 3) Le paradigme bactériologique ....................................................................................................... 141 Conclusion générale de la partie « Le paradigme expérimental allemand »......................................... 150 B Le paradigme évolutionniste................................................................................................. 151 1) L'anthropologie biologique............................................................................................................. 151 2) Génétique et eugénisme ............................................................................................................... 154 Conclusion de la partie « Le paradigme évolutionniste » .................................................................... 157 C Développement d'une thérapeutique japonaise .................................................................... 159 1) La naissance d'une recherche en acupuncture et moxibustion ....................................................... 159 2) Recherche pharmacologique......................................................................................................... 162 3) La psychothérapie de Morita ......................................................................................................... 164 Conclusion générale de la partie thérapeutique japonaise .................................................................. 166 Conclusion de la partie « Meiji » .............................................................................................. 167 CONCLUSION DU CHAPITRE 1 .......................................................................................................... 168 23 Lorsqu'en tant qu'occidental on aborde la modernisation de la pensée médicale japonaise sous Meiji, deux éléments posent problème : la notion de transfert scientifique (germano-japonais) et la notion d'étape chronologique (par rapport à l'idée que nous nous faisons de la science). Ainsi la notion de transfert semble contredire celle d'histoire des sciences. Or, nous voulions montrer qu'il n'y pas eu de réelle rupture, mais plutôt une continuité de pensée entre Edo et Meiji. Afin d'établir cette continuité, nous avons cherché les germes d'un esprit scientifique à la période prémoderne. Ainsi nous verrons que l'idée de transfert ne signifie pas simple imitation et qu'elle s'intègre dans un processus de maturation endogène. Ceci permettra de comprendre la modernisation japonaise sous un angle un peu moins réducteur et ethnocentré, et, plutôt de souligner l'originalité épistémologique nippone. Ainsi nous étudierons cette dynamique épistémologique selon trois grandes périodes : -la 2e période sino-japonaise -la période rangaku -la période moderne I La deuxième période sino-japonaise : d'une médecine chinoise spéculative vers une médecine plus empiriste A Assimilation de la médecine des correspondances Jin-Yuan A partir du 15e siècle et jusqu'à la période de séclusion, des voyageurs japonais ramenèrent de Chine la forme la plus aboutie de la médecine des correspondances, la médecine dite Jin-Yuan. La médecine Jin-Yuan commença à s'implanter au Japon à la fin du 16e siècle, pour véritablement s'épanouir pendant la période de séclusion (sakoku) conjointement au néoconfucianisme Zhu Xi. 1) La médecine des correspondances a) Mode de raisonnement et soubassements philosophiques La médecine chinoise fait appel à un mode de pensée inductif et holiste, associé à la notion de correspondance systématique de tous les phénomènes. Ainsi, Manfred Porkert définit cette induction comme le lien logique entre deux positions simultanées mais distantes spatialement, par opposition au mode causal occidental, qui lui est un lien logique entre deux positions situées au même endroit de l'espace mais à des moments différents [268]. Joseph Needham précise que cette pensée corrélative correspond à une vision différente de l'univers. Pour cela, il cite une phrase de Marcel Granet convoyant ce qu'il appelle une « conception morphologique de l'univers » [233] : « Au1 lieu de constater des successions de phénomènes, les Chinois enregistrent des alternances d’aspects. Si deux aspects leur apparaissent liés, ce n’est pas à la façon d’une cause et d’un effet : ils leur semblent appariés 1 Phrase originale de Marcel Granet cité en anglais par Joseph Needham. 24 comme le sont l'endroit et l’envers, ou, pour utiliser une métaphore consacrée dès le temps du Hi ts’eu, comme l’écho et le son, ou, encore, l’ombre et la lumière. » [187] (pages 329-330) Ainsi l'univers est conçu comme une alternance cyclique et non une succession caténaire d'évènements, comme un tout et non un assemblage de parties : « Ainsi le mécanique et le quantitatif, ce qui est forcé ou imposé de l'extérieur étaient tous absents. La notion d'Ordre excluait celle de Loi. » [233] Unschuld stipule que les « correspondances magiques » (archaïques) furent organisées en un système élaboré, un « paradigme de correspondance » dans lequel « les manipulations d'un élément au niveau d'une ligne de correspondance spécifique peuvent influencer les autres éléments de la même ligne » [345]. Par ailleurs, il montre que l'histoire de cette pensée suit de près l'évolution de la doctrine confucianiste et la transformation socio-économique du pays. Cette filiation est très importante car en retour elle éclaire la conceptualisation du corps humain, tant au niveau de la structure que de la physiologie [345]. b) Les deux sous-paradigmes de la médecine des correspondances Le paradigme de correspondance de la médecine chinoise réalise lui-même le syncrétisme entre deux sous-paradigmes : la théorie du yin/yang et la théorie des 5 phases (wu-xing). Ces deux théories naquirent de manière indépendante dans la deuxième moitié du premier millénaire avant J.C. Elles reposent sur une philosophie naturelle, comparable à celle apparue en Grèce à peu près à la même époque, qui tente non plus d'expliquer les phénomènes par la démonologie mais par des causes naturelles [345] (p55). -La théorie du yin/yang L'univers est conçu comme la somme de deux entités opposées et complémentaires, évoluant en sens inverse. Les premières traces écrites de cette théorie se trouvent dans le Shijing (Classique des vers ou Livres des odes, premier millénaire av J.C.). Un des vers évoque les deux versants d'une colline sous le soleil. Le yang renvoie à l'adret de la montagne (versant ensoleillé, sec et chaud) tandis que le yin correspond à l'ubac (versant ombragé, humide et froid). Le yang c'est aussi la partie masculine, l'extérieur, le haut ; alors que le yin est la partie féminine, l'intérieur, le bas [345](p5556). -La théorie des 5 phases (wu-xing) Zou Yan (350-270 av. JC) est considéré comme le fondateur de cette seconde philosophie naturelle, et donc, par extension, de la médecine des correspondances. Cette doctrine organise les phénomènes naturels en 5 lignes de correspondances symbolisées par 5 éléments : métal, bois, eau, feu, terre. Les différentes lignes entretiennent entre elles des relations, dont les plus connues sont celles de destruction et de génération mutuelles. Elles s'expriment ainsi : L'eau surpasse le feu ; le feu fond le métal ; le métal -sous la forme d'un couteau par exemple- surpasse le bois ; le bois -en tant que bêche- surpasse la terre ; la terre Ŕ en tant que digue- contrôle l'eau. 25 L'eau produit les plantes et les arbres, c-à-d le bois ; le bois fournit le feu ; le feu produit des cendres, c-à-d la terre ; la terre fournit le métal ; quand il est chauffé, le métal produit de la vapeur, c-à-d l'eau. L'assignation des phénomènes naturels aux lignes de correspondances, que ce soit dans le système yin-yang ou dans celui 5 phases, était totalement subjectif, ce qui explique l'existence d'une variabilité entre les diverses écoles [345](p58-61). c) La médecine systématisée des correspondances Cette médecine est exposée dans le canon médical chinois Huangdi neijing. -Théorie Elle émergea sous les Han (-207+220), après que l'Empereur Qin eut réussi à unifier le pays pour la première fois en -221. A la même époque, le confucianisme fut finalement adopté comme doctrine d'État. Cette période correspondait à un phénomène de circulation des biens, d'expansion des canaux d'irrigation, de création de greniers. Aussi cette vision de l'environnement socio-économique fut transférée par les philosophes à la structure et à la fonction du corps humain [345](p79-80). Ainsi les organes furent classés en zang (cœur, foie, rate, poumons, reins, péricarde) et en fu (petit intestin, estomac, vésicule biliaire, grand intestin, vessie et triple réchauffeur). zang signifie « dépôt », ce qui ramène à l'idée de grenier. Fu signifie « palais », c'est-à-dire les centres de consommation [345](p77,81). De la même manière, le système de conduit traversant le corps symbolise le système d'irrigation [345](p75, 81-82) : -les 12 canaux principaux qui relient les organes entre eux s'appellent jing-mo, terme faisant référence au fleuve, -les canaux de traverse qui relient les canaux principaux entre eux s'appellent luo, terme qui s'applique dans les villes aux canaux d'évacuation des eaux usées vers la rivière. -le chong-mo, sorte de Grand Canal traversant de part en part l'organisme et desservant tous les autres canaux. Il existe un organe imaginaire appelé triple réchauffeur qui se trouve réparti en trois endroits du corps pour transformer par le moyen de la chaleur les matières brutes. On notera l'analogie avec les fonderies et salines [345](p81). Enfin, c'est aussi vers -200-300 que se cristallisa le concept de qi, c'est-à-dire d'influences environnementales qui affectent l'organisme de l'extérieur (dont des influences néfastes xie qi) mais qui sont aussi présentes dans l'organisme. Le qi est donc l'élément circulant dans le système de canalisation, sorte de courant formé de particules très fines, un souffle matériel comparable au pneuma grec. Unschuld rapproche d'ailleurs le pictogramme qi (気, figurant de la vapeur surmontant un récipient contenant du riz) au concept (phusai ek ton perittomaton2), idée pathogénique centrale de la médecine hippocratique au 4e siècle avant J.C [345](p67-73). Cette médecine reposait ainsi sur la relation entre microcosme et macrocosme, les deux étant soumis au dogme du yin-yang et des 5 phases. Zang, fu, qi intérieur et extérieur, astres, saisons, couleurs et odeurs, aliments, tous étaient intégrés dans ce système. Cosmos et soma suivaient les mêmes lois universelles de changement ; l'alternance du jour (yang), de la nuit (yin), le cycle du printemps (bois), de l'été (feu), de l'automne (métal), de l'hiver (eau). Les éléments cosmiques et somatiques 2 Signification: Le souffle s’exhalant de la nourriture digérée, Cf. [270],[186]. 26 figuraient au même plan, la dichotomie entre intérieur et extérieur avait peu d'importance. Toutefois, réparti en plusieurs textes d'époques et d'auteurs différents, le Huangdi neijing contenait une vision hétérogène et partiellement systématisée de la médecine des correspondances. Aussi vers la fin des Han, on mit à plat et réécrivit le corpus théorique de la médecine des correspondances d'une façon cohérente et homogène dans le Nanching [345](p83-99). Au 8e siècle ap. J.-C., dans sa révision du Huangdi Neijing Suwen, Wang Ping corréla le système de correspondance au calendrier astrologique, au point d'obtenir un concept cosmobiologique extrêmement complexe appelé wu-yun liu-qi, 5 phases (de circulation) et 6 qi (climatiques) lequel délivrait les configurations sur un cycle de 60 ans [345](p170-171),[344](p393-394). -Clinique et thérapeutique L'art médical consistait à prévenir la maladie, tout comme le souverain devait prévenir le désordre social. Ainsi le philosophe confucéen Xun Zi (312-230 av. JC.) déclarait : « Le véritable souverain commence à mettre de l'ordre alors que celui-ci prévaut déjà ; il n'attend pas que l'insurrection ait déjà éclaté. » Le Huangdi neijing applique ce concept à la médecine : « Les sages ne traitent pas ceux qui sont déjà malades, mais plutôt ceux qui ne le sont pas encore. Ils ne mettent pas de l'ordre lorsqu'il y a une révolte, mais avant que l'insurrection n'ait lieu. » [345](p63) Le diagnostic reposait sur la prise des pouls, lesquels reflétaient l'état du qi au niveau des différents zang et fu. L'arsenal thérapeutique incluait acupuncture sur les méridiens (projection cutanée des canaux internes) et médication. En fait, le Huangdi neijing préconisait la piqure de certain points acupuncturaux en fonction du tableau, mais indépendamment de la logique des correspondances [345](p92-99). Par ailleurs, il restait évasif en termes de pharmacopée ; seule des versions tardives comme celle du 8e siècle de Wang Ping (Huangdi Neijing Suwen), contenait une sorte de pharmacopée abstraite. Cette dernière exposait les propriétés thérapeutiques des médications, en accord avec les théories de la médecine des correspondances, mais sans mentionner leur nom [345](p99,179-181). Aux époques suivantes, le confucianisme, ainsi que la médecine des correspondances, subirent la concurrence du taoïsme et du bouddhisme. Mais sous les Song, des philosophes décidèrent de régénérer la doctrine essoufflée. On nomme ce courant le néoconfucianisme. Le bouddhisme enseignait que le monde n'était qu'illusion. En réaction, les néoconfucianistes réaffirmèrent que l'univers était constitué de qi matériel, preuve de sa réalité. Puis ils ajoutèrent un nouveau concept : le li ; c'est-à-dire le principe qui sous-tend tous les phénomènes, qu'ils soient naturels, humains, sociaux. Le li était aussi bien l'éthique que la physique. Ainsi l'ancienne doctrine sociale fondée sur la vertu était remplacée par une métaphysique dualiste de l'univers, laquelle ne justifiait plus le recours au bouddhisme et encourageait à une nouvelle compréhension du monde, au gewu/qiongli (investigation des choses/étude approfondie de leur principe). Son principal représentant était le philosophe Zhu Xi (1130-1200) [80](p4243),[345],[317](p240). En fait cette conception métaphysique du monde permit au courant confucianiste de concurrencer le bouddhisme et le taoïsme : c'était une vision très proche du taoïsme qui prêche l'unité de l'homme et de la nature, et une alternative séduisante au bouddhisme qui n'offre qu'une vision pessimiste de la condition humaine (pas d'espoir dans la vie en cours). Prônant l’intelligibilité des choses, cette philosophie encourageait d’une certaine façon l’essor des « sciences ». 27 La reviviscence du confucianisme se traduisit rapidement par le renouveau de la médecine des correspondances. Celle-ci subit alors deux types de transformations. D'une part, on tenta de la simplifier en appliquant un certain réductionnisme étiologique. D'autre part, on essaya d'y intégrer la pharmacopée qui jusque-là était restée déconnectée de la démarche théorique. Pour cela, on s'inspirait de la démarche du Shanghan lun, un traité de la fin des Han qui s'axait principalement sur l'influence néfaste du « froid », et donnait des indications thérapeutiques concrètes. Le Shanghan lun avait été longtemps ignoré, jusqu'à sa réédition sous les Song sous directive impériale. Mais on suivit aussi la démarche cosmobiologique extrêmement complexe (wu-yun liu-qi, 5 phases de circulation et 6 influences climatiques) employée dans le Huangdi Neijing Suwen de Wang Ping, cela notamment pour classification des drogues [345](p168-171),[163](p57). Faisant appel à une argumentation totalement spéculative et subjective, les différents auteurs ne pouvaient parvenir qu'à des résultats divergents tant au niveau de la théorie que de l'action pharmacologique des drogues [345](p179-187). Aussi il était fréquent qu'en plus des aspects théoriques, les livres contiennent un appendice simplement intitulé « Traitement des symptômes » [345](p188). Ainsi plusieurs grandes écoles virent le jour : notamment celles de Liu et de Zhang pendant la dynastie Jin (1115-1279, la dynastie mandchoue Chin avait pris le pouvoir au nord), puis celles de Li et de Zhu sous le règne mongol (1271-1338, la dynastie mongole Yuan avait remplacé les Song du sud et les Jin du nord). Les deux premiers sont dits représentants de la médecine Jin, les autres de la médecine Yuan, d'où le nom de médecine Jin-Yuan. 2) L'implantation de la médecine Jin-Yuan sous Edo Au début de la deuxième vague chinoise (1400-1858), une poignée de moines et de laïcs japonais partirent étudier la médecine Jin-Yuan. Toutefois, on ne commença vraiment à comprendre les théories Jin-Yuan qu'à la fin du 16e siècle, cela grâce à Dosan Manase (1507-1594). Manase qui disposait d'une formation confucianiste et bouddhiste, fut sensibilisé à la médecine Yuan par le moine Sanki Tashiro. Tashiro était l'un de ces voyageurs indépendants partis se former en Chine. Manase, quant à lui, se lança dans la synthèse des théories de Li et de Zhu [317](p213-216). Li (1180-1252) pensait que la déficience de la rate et de l'estomac, organes corrélés à la terre, jouaient un rôle pathogénique prépondérant. L'endommagement interne de ces organes était provoqué par une intempérance dans la nourriture, la boisson et le travail. Son principe était de « renforcer la rate et l'estomac » ou « reconstituer la terre » [345](p177),[292](p28). Dans la continuité de Li, Zhu (1281-1358) considérait que le mode de vie jouait un rôle prédominant dans la pathogénie. Il existait toujours selon lui une tendance à l'excès de yang couplée à une tendance déficitaire yin, aussi fallait-il élever le taux de yin, notamment par rapport à son rôle dans la fonction splénique et gastrique ; d'où le nom d’école de l'entretien du yin [292](p30). Manase exposa toutes ces théories dans le livre Keitekishu (1574, publié en 1648), lequel fut recopié par ses centaines de disciples. Gensaku Manase, le fils adoptif de Dosan poursuivit ce travail. Ainsi une médecine épurée d’éléments bouddhistes et intégrant le système des correspondances apparut au Japon à la fin du 16e siècle. Elle prit le nom de Goseihoha (école des derniers développements) c'est-à-dire école moderniste par rapport à la période pré-Song [317](p215-216, 279). 28 Au milieu du 17e siècle, la médecine Jin fut à son tour introduite au Japon. Ainsi l'école Goseiho beppa (école moderniste variante) diffusa les théories de Liu et de Zhang. Liu (1110-1200) pensait que les phases feu et chaleur avaient un rôle pathogénique capital et prescrivait des médications aux propriétés froides pour contrer ces influences néfastes ; d'où le nom d'école du froid [345](p172). Zhang (1156-1228) considérait les influences extérieures différentes des influences intérieures, aussi sa démarche ne consistait pas à établir un état d'équilibre mais à chasser les influences extérieures par l'emploi d'émétiques, purgatifs et diaphorétiques [345](p174),[292](p28). Les partisans de l'école Goseiho beppa étaient Toan Aeba (1615-1673) et Ippo Okamoto (1686-1754). Bien qu'importante, cette école n'égalisa jamais avec la Goseihoha de Dosan Manase. Ainsi les théories Jin-Yuan furent synthétisées et vulgarisées au Japon à la fin du 16e siècle, si bien qu'elles tinrent lieu d'orthodoxie médicale dès le 17e siècle. La communauté médicale digérait le corpus chinois. C'était l'étape d'assimilation nécessaire avant la remise en question [176],[115]. Enfin on peut noter qu'au Japon la médecine Jin-Yuan précéda l'implantation du néoconfucianisme Zhu Xi (Shushigaku), phénomène inverse de ce qui s'était passé en Chine [317](p215). Or au 16e siècle, les missionnaires européens étaient déjà implantés au Japon. Ainsi, Manase s'était converti au christianisme. Cependant, il ne portait aucun intérêt à la médecine importée par ces hommes. Aussi quelle influence l’art médical des jésuites eut-il vraiment au Japon ? 3) La médecine des missionnaires (Nanban-ryu geka) : une influence controversée En raison du Concile de Tours de 1163 (Ecclesia abhorret a sanguine), les missionnaires ne devaient ni enseigner, ni pratiquer la médecine. Ainsi le seul chirurgien licencié, le nouveau converti Luis de Almeida (1525-1583) ne put exercer que pendant trois années (circ. 1560). Or on mentionne classiquement une école japonaise d'inspiration occidentale, l'école de chirurgie des barbares du Sud (nanban=barbares du sud ; ryu=style ; geka=chirurgie). Ses principaux représentants furent Doki Kurisaki (1582-1665) et l’apostat Chuan Sawano (1580-1652), alias Christovao Ferreira. Il semblerait que Doki Kurisaki (1582-1665) ait reçu des principes de chirurgie ibère pendant qu’il vivait aux Philippines. De retour au Japon, il s’installa comme médecin à Nagasaki. Cependant le Pr. Wolfgang Michel fait remarquer que les écrits de son école ne contiennent aucune référence à des ouvrages occidentaux, pas plus qu’elle ne parle d'anatomie, matière pourtant chère aux universités médicales et aux guildes de chirurgie européennes. De surcroît la description du traitement des furoncles, le point phare de l'enseignement de Kurisaki, ne correspond pas du tout à celle faite dans les livres européens [208]. L’autre pionnier de la Nanban-ryu geka, l’ex-missionnaire portugais Chuan Sawano, n’était pas plus chirurgien que Kurisaki ; cherchant à acquérir quelques connaissances médicales, il venait même assister aux « opérations » pratiquées par les Hollandais du comptoir de Nagasaki (traitement de plaies) [32](p25). Aussi ses écrits (Nanban geka hidensho, Namban Chuan geka hidensho, Nanban geka-shu) ne faisaient que décrire la théorie des humeurs hippocratique, la genèse de la purulence, ainsi que de nombreux emplâtres censés la combattre [251]. 29 Aussi la nanban-ryu geka correspondait plutôt à une chirurgie empirique pratiquée par des praticiens autoproclamés, homologues de nos chirurgiens barbiers. Par ailleurs, les missionnaires eux-mêmes se fiaient à la médecine et à la pharmacopée sino-japonaise. En cas de maladie, ils n'hésitaient pas à consulter les praticiens tels que Dosan Manase. Le père Luis Frois relate même s’être initié à la prise traditionnelle du pouls (myakushin), tandis que d’autres s’intéressaient à la moxibustion. D’ailleurs, hormis l’introduction de l'alcool pour la détersion des plaies, l'huile d'olive et la graisse de porc, les missionnaires se servaient majoritairement des remèdes disponibles (réglisse, noix d'arec, cinabre...) [208],[176]. Ainsi, en dépit de ce que laisserait penser le terme de « chirurgie des barbares du Sud », la chirurgie, pas plus que la médecine ibérique, n'ont influencé la pensée médicale japonaise. En fait, les conditions nécessaires à ce changement n'étaient pas réunies. Certes quelques japonais parlaient le portugais voire le latin. Mais la politique anti-chrétienne débutée dans les années 1580 assombrit rapidement l’avenir de la médecine occidentale, d’autant plus que le Clergé lui-même refusait à ses membres de la pratiquer. De toute façon, la médecine européenne du 16 e siècle étant encore balbutiante. Par ailleurs, les Japonais ne montraient aucun enthousiasme vis-à-vis des techniques invasives occidentales. Ainsi Luis Frois regrettait que les Japonais n’acceptent ni la saignée, ni les lavements, ni les cautérisations. De même, les chirurgiens japonais (kinso-i) se refusaient à utiliser l’huile bouillante pour cautériser les blessures [208]. Pour toutes ces raisons, l'école nanban n'a jamais pu correspondre à un changement de paradigme. Conclusion de la partie « Assimilation de la médecine des correspondances » Sous l'impulsion du néoconfucianisme Song, la médecine chinoise subit une théorisation métaphysique (médecine Jin-Yuan). A la fin du 16e siècle, ce modèle fut translaté au Japon par Manase Dosan. Ce phénomène entérinait une sécularisation de la science médicale. La médecine occidentale (médecine des missionnaires), quant à elle, n'eut pas de réelle influence à cette époque. 30 B L'honzo gaku et l'école Kohoha (école des classiques) : vers plus d'empirisme Sous les Ming et les Qing, on poursuivit l'entreprise des médecins Jin-Yuan. Aussi les approches individuelles se multiplièrent et la médecine des correspondances atteignit un degré d'interprétation jusque-là inégalé. Pour reprendre les termes de Unschuld : « le cadre conceptuel de la médecine des correspondances à cette époque n'était rien de plus qu'un labyrinthe complexe, dans lequel les penseurs cherchant des solutions aux questions médicales, erraient sans but dans toutes les directions, manquant d'orientation et étant incapables de trouver une voie » [345](p197). Toutefois, ces efforts ne furent pas complètement vains. Parmi les voies explorées, certaines contenaient en ferment les idées qui précipiteront la révolution épistémologique japonaise au 18 e siècle. A ce titre, nous retiendrons les initiatives suivantes : - la reconstruction des textes originels : en réaction aux interprétations Jin-Yuan, plusieurs médecins proposèrent un retour aux classiques originels de la période Han. Ainsi Fang Youzhi (1522-1593) et Yu Chang (1585-1664) entreprirent une étude philologique du Shanghan lun. Le Shanghan lun fut reconnu par les médecins du Sud comme unique en son genre puisqu'il permettait de relier démarche clinique et traitement, contrairement au Huangdi neijing uniquement versé dans les aspects théoriques. En réhabilitant cet ouvrage jusque-là méconnu, ces philologues faisaient de Zhang Zhongjing la figure fondatrice de la médecine, à l'instar de Mencius et Confucius pour le confucianisme. Or, le directeur de l'académie de médecine impériale appartenait également à cette école du sud. Aussi lorsque l'empereur Qianlong, obsédé par l'instauration d'une orthodoxie savante, lui commanda un compendium médical, l'œuvre de Zhang Zhongjing devint la référence [112],[345](p209). - les débuts de la protoinfectiologie : au 17e, Wu Youxing (1582-1652) déclara que le déséquilibre saisonnier ne pouvait à lui seul expliquer le phénomène de masse observé dans les épidémies ; il postula l'existence d'un nouvel agent étiologique passant par la bouche et le nez, le li-qi (influence pestilentielle). Wu Youxing venait ainsi d'inventer un concept proche du concept d'agent infectieux [238],[345]. - le renouveau de l'histoire naturelle : Li Shizen (1518-1593) compulsa l'encyclopédie Bencao gangmu (Compendium de materia medica) à partir de la littérature pentsaologique existante (952 sources) et de ses observations sur le terrain. Li Shizen mêlait ainsi étude philologique, empirisme, sans pourtant départir de la cosmobiologie wu-yun liu-qi (5 phases de circulation et 6 influences climatiques). Publié en 1596, le Bencao gangmu aura un impact immédiat en Chine et dans toute l'Asie du Sud-Est [346],[112],[202]. Sur le plan philosophique, ce phénomène s'inscrivait dans la lignée des études concrètes (ou encore études pratiques, shixue) et des études philologiques (connues sous le terme de kaozhengxue, la recherche des épreuves) entreprises au 17e siècle. Les premières, dans la lignée du gewu néoconfucianiste (l'investigation des choses) mettaient l'accent sur la praticité du savoir. Les secondes, prônées par Gu Yanwu (1613-1682) et Dai Zhen (1724-1777) Ŕ lesquels rendaient le néoconfucianisme Zhu Xi responsable du déclin de l'Empire chinois (invasion 31 mongole), défendaient le retour aux textes confucianistes les plus proches de la philosophie originelle, c'est-à-dire ceux des exégètes Han (d'où aussi l’appellation Han-xue : étude des enseignements Han) [238]. A partir de la deuxième moitié du 17e siècle, un processus similaire se déroula au Japon. Le courant kogaku ou études antiquaristes (Soko Yamaga, Jinsai Ito, Sorai Ogyu) apparut, critiquant la métaphysique Zhu Xi et appelant à l'étude des classiques confucéens originels. Il influença de nombreux médecins, qui d'une manière encore plus véhémente que leurs homologues chinois, attaquèrent les aspects hautement spéculatifs et théoriques de la médecine systématisée Jin-Yuan. Il s'agissait de l'école Kohoha (école antiquariste). Par ailleurs, les enseignements positifs de Zhu Xi prenaient aussi une nouvelle tournure, que ce soit les études pratiques (jitsu gaku) prônées en réaction au vide bouddhiste et représentant les connaissances utiles à la société, ou bien l'encouragement au doute. Ainsi le penseur et médecin Ekiken Kaibara (1630-1714) commence son livre Taigiroku (Le recueil des grands doutes) en exhortant au doute : « Un Confucianiste3 disait : « Il est regrettable de ne pas avoir de doute dans les études. Si nous doutons, dans ce cas, il y aura du progrès et ensuite nous apprendrons. Les débutants ne peuvent pas comprendre tous les aspects de ce qu'ils étudient. Donc il est essentiel de douter lorsqu'on étudie. En effet le doute devrait être respecté, car sans lui on ne peut pas faire de progrès. » Et comme le soulignait Zhu Xi : « Il est important pour ceux qui n'ont habituellement aucun doute d'en avoir, et il est nécessaire pour ceux qui en ont de les résoudre. » Il notait également que « si notre doute est grand, notre progrès sera signifiant ; si notre doute est petit notre doute sera insignifiant. Si nous n'avons pas de doute, nous ne progresserons pas. » [148](p79) Bien qu’un peu critique vis-à-vis du transcendantalisme Zhu Xi, on voit ici que Kaibara se sentait néanmoins débiteur envers cette philosophie [80](p106-107). Ce courant positiviste participa également à l'essor d'un certain empirisme en sciences naturelles et en médecine. 1) L'essor de la pharmacologie et des sciences naturelles japonaises, le honzo gaku Le bakufu fit l'acquisition en 1607 d'un exemplaire du Bencao gangmu (1596) de Li Shizen, le monument de la pharmacologie chinoise (pentsaologie). Dans l'optique du jitsu gaku (études pratiques), dès 1638, il fit aménager à Edo des jardins botaniques destinés à la culture d'herbes médicinales (yakuen) et encouragea l'inventaire des ressources indigènes. Cette démarche avait aussi une justification économique ; elle permettrait d'économiser l'achat de produits étrangers. L'initiative fut suivie dans les fiefs [354],[202]. Dans ce contexte, des médecins cherchèrent à créer une pharmacologie purement japonaise en s'inspirant du Bencao gangmu de Li Shizen. Ekiken Kaibara (1630-1714) fut le précurseur de ces études avec son Yamato Honzo (Pharmacopée japonaise, 1709). Jakusui Ino (1655-1715), auteur du Shobutsu ruisan (Recueil par catégories des choses, commandé en 1696, achevé par son élève en 1747) et Ranzan Ono (1729-1810), auteur du Honzo komoku keimo 3 Sous-entendu Lu Xiangshan (1139-1193). 32 (Éclaircissement du Bencao gangmu, 1803) se situent dans la filiation intellectuelle de Kaibara. Alors que le Yamato Honzo est un ouvrage de vulgarisation à usage populaire et pratique, le Shobutsu ruisan correspond à une commande seigneuriale et le Honzo komoku keimo à un recueil de cours de botanique. Dans le premier, Kaibara traite la pharmacopée japonaise et non chinoise : on y trouve des produits mentionnés dans le Bencao mais aussi des produits uniquement japonais. Par ailleurs il omet volontairement la cosmobiologie wu-yun liu-qi (5 phases de circulation et 6 influences climatiques). En effet, le Yamato Honzo revêt une dimension plus naturaliste que thérapeutique : il recense toutes les ressources disponibles tant pour se soigner que pour d'autres usages. Son apport épistémologique à l’histoire naturelle japonaise est comparable en Occident au traité pré-linnéen, le Cruijdeboeck de Dodonaeus (1554)[354]. Les deux érudits, Jakusui Ino et Ranzan Ono, adoptent une démarche différente. Partant exclusivement du Bencao gangmu, ils identifient les produits cités dans le livre chinois dans la nature japonaise puis indiquent les noms japonais vernaculaires, la provenance géographique, les ersatz s'ils existent. Ino rajoute même des descriptions naturalistes à celles contenues dans le Bencao afin d'identifier plus facilement les produits. Contrairement à Kaibara, ces botanistes partent encore du livre vers la réalité [202]. Même si l'objectif des auteurs est différent, leurs livres traduisent le même besoin de rupture. Les botanistes ne veulent plus se contenter d'images imprécises et non identifiées contenues dans les classiques chinois [202]. Ainsi, Mitsufusa Shimada expose ce besoin dans la préface de Ka'i 4 (Catalogue des fleurs, 1759-65), ouvrage co-écrit avec Ranzan Ono : « Qu'est-ce que le Ka'i ? C'est un ouvrage pour transmettre la forme des plantes. Malgré le grand nombre de livres qui existent depuis l'Antiquité avec des illustrations de plantes, dans beaucoup de cas, il est difficile d'en identifier une correctement à partir de ces images. Depuis mon enfance, j'aime les plantes tant terrestres qu'aquatiques. J'ai parcouru les montagnes, exploré les rivières et la mer. Les plantes proches, je les ai mises dans le jardin familial, celles qui poussent au loin, je les ai dessinées pour les conserver de cette façon. Ainsi ai-je fait pendant des lustres. À cause de l'imprécision des images des livres, il n'était pas possible de les reconnaître précisément. Aussi, quand j'ai eu du loisir, je les ai décrites en m'efforçant d'être clair, de façon à ce que l'on puisse les reconnaître toujours en les voyant, malgré des différences liées aux conditions du sol et de climat. Pour décider des noms corrects, j'ai suivi scrupuleusement les avis des apothicaires sans rien ajouter. Ceux qui partagent mes goûts, par monts et par vaux en quête de plantes, ne seront plus dans l'indécision s'ils emportent mes images. » 5 Ces médecins avaient compris que l'étape naturaliste, empiriste, était nécessaire. On passait ainsi d'un regard sur l'environnement japonais biaisé par les textes chinois, à une appréhension directe des objets naturels, quand bien même il fallait avoir recours à ces références. Cela eut deux conséquences : 4 Ce livre sera traduit en français par le Dr Savatier, un médecin ayant vécu au Japon entre 1866 et 1876, sous le nom de Livres Kwa-wi, traduits du japonais avec l'aide de M. Saba, Paris, éditeur F. Savy, 1873. 5 Mitsufusa Shimada cité en français par l’historien Georges Métailié, spécialiste des savoirs naturalistes en Chine et au Japon, cf.[202]. 33 A partir de ce moment, la pharmacologie fut d'avantage basée sur l'observation et l'expérience ; on peut parler d'empirisme. Ces médecins dépassèrent le cadre de la pharmacopée pour celui de la taxinomie ; les premiers naturalistes japonais (honzo gakusha) furent ainsi des médecins. 2) L'école Kohoha Au cours du 17e, les médecins japonais avaient pu assimiler l'ensemble des théories Jin-Yuan par l'intermédiaire des écoles Goseiho et Goseiho beppa. Or, sous l'influence des penseurs chinois dissidents, le mouvement confucianiste Kogaku (Jinsai Ito (1627-1705), Sorai Ogyu (1666-1728)), dénonçait dans la deuxième moitié du 17e siècle la réinterprétation tardive des canons confucéens sous les Song. Pour remédier à cette falsification, il prônait l'étude philologique des textes confucianistes fondateurs [317](p246-247). Par ces enseignements, le courant Kogaku encouragea des médecins déjà sceptiques à se désolidariser de la médecine Jin-Yuan profondément marquée par la métaphysique néoconfucianiste Zhu Xi. En contrepartie, le Shanghan lun, que l'école conservatrice chinoise venait de faire revivre, semblait plus pragmatique. On se libéra alors de la métaphysique éthique. On chercha à simplifier les théories, et à répondre plus concrètement aux problèmes cliniques. C'est ainsi qu'émergea un nouveau courant, l'école Kohoha (école antiquariste). Nous allons étudier le tâtonnement positiviste des principaux représentants de cette école. En effet, ces derniers firent preuve d'un empirisme et d'un scepticisme, qui, bien que limités, conduisirent quand même à la réalisation d'une dissection. Geni Nagoya (1629-1696) Il étudia le Shanghan lun dont il suivit les prescriptions, sans toutefois départir des théories traditionnelles. Bien qu'il soit traditionnellement considéré comme le fondateur de l'école Kohoha, sa pensée diffère de ses successeurs. C'était néanmoins un précurseur car sa pensée précéda d'une dizaine d'années le courant philosophique hétérodoxe Kogaku [317](p282),[115]. Konzan Goto (1659-1733) Disciple de Geni Nagoya et influencé par Jinsai Ito, Konzan Goto s'émancipa de la médecine des correspondances. Bien que se basant sur le Huangdi neijing et le Nanching, il est l'auteur d'une théorie reposant uniquement sur le concept de stase de l'énergie vitale (ki). Selon lui, seule importait la circulation du ki, les théories du yin-yang ou des 5 phases étant secondaires, ainsi que la notion de déplétion du ki. Le flux du ki pouvait être affecté par des facteurs psychologiques ou une mauvaise diététique, ouvrant alors la voie à l'intrusion de facteurs pathogènes exogènes. Les symptômes étaient fonction de la localisation et du degré de stagnation du ki ou de la localisation et de la nature des facteurs pathogènes exogènes. Aussi fallait-il utiliser tous les moyens susceptibles de faire circuler le ki : sources chaudes, moxibustion et plantes [115]. Avant lui, la mode était aux sources froides car selon la théorie de déplétion, les sources chaudes épuisaient le ki en le faisant sortir par les pores cutanés. Par ailleurs, on sait qu'il mena une sorte de recherche clinique au onsen de Kinasaki : il y soignait ses patients et notait leur évolution [324]. Ainsi avec Konzan Goto, on passait d’une physiologie de l’équilibre entre le microcosme et le macrocosme à un système de circulation du ki. Le Pr. Shigehisa Kuriyama a une thèse intéressante au sujet de ce changement de conception. Sous 34 Edo, l’essor d’une économie de marché liée à un phénomène d’urbanisation accélérée fit basculer le Japon dans une « ère de révolution industrieuse ». Aussi selon lui, la théorie de la circulation du ki s’inspire du leitmotiv économique de cette période : travail et flux économique (santé) versus inactivité et stagnation (pathologie) [164]. Shuan Kagawa (1683-1755) Ce disciple de Konzan Goto affirmait rejeter toutes les théories contenues dans les traités classiques que ce soit le Huangdi neijing, le Nanching et le Shanghan lun, afin de recréer sa propre médecine. En réalité, il se distingua plus par cette déclaration iconoclaste, que par son œuvre, laquelle reprenait en fait les théories qu'il disait combattre [115]. Par exemple, il s'appuya sur les théories naturalistes de l'époque pour expliquer les effets bénéfiques des sources chaudes préconisées par son maitre. Il se référa à l'explication « physique » du mécanisme des sources chaudes contenues dans le Shobutsu Ruisan de Jakusui Ino. Reprenant ce livre, il déclara que les sources chaudes étaient formées par l'union de « racines de feu » et de « racines d'eau » sous terre, puis que « le yang ki de ces sources aidait à faire circuler le ki humain ». Ainsi la tentative d'explication physiologique naturaliste retombait vite dans la spéculation. On peut noter que d'autres disciples moins doctrinaires, affirmèrent que l'efficacité des sources était due à la composition minérale de l'eau, inventant même des dispositifs thermaux artificiels à base de soufre et de son de riz [324]. Enfin Kagawa considérait que confucianisme et médecine ne formaient qu’un, conviction reflétée par son nom littéraire, Ippondo, voie du principe unique [317](p283). Todo Yoshimasu (1702-1773) Pensant que « l'on ne doit pas parler de ce que l'on ne peut voir », Todo Yoshimasu balaya en bloc toutes les théories physiologiques chinoises (5 phases, yin-yang, cosmobiologie, théorie des canaux et des viscères) et simplifia le dogmatisme étiogénique à l'extrême. Ainsi, dans son système médical, toutes les maladies étaient dues à un principe toxique unique (manbyo ichidoku setsu). L'art médical consistait à diagnostiquer l'endroit affecté, puis de prescrire des remèdes (laxatifs, émétiques, diaphorétiques) afin d'éliminer le poison [317](p374),[368]. La palpation abdominale (fukushin) devint le principal outil de localisation, et donc l'étape clé de l'examen clinique. Cette technique qui avait été développée par Dosan Manase au 16e siècle, n'avait pas d'équivalent en Chine. En effet, les Chinois se servaient presque exclusivement de l'examen du pouls (en japonais : myakushin) au poignet, lequel permettait de lire l'état du souffle qi tout en respectant la pudeur confucéenne [345](p88). Avec Yoshimasu, la médecine japonaise n'avait jamais été aussi proche du solidisme occidental [226]. En fait, son objectif était de court-circuiter la théorie afin de corréler directement la phytothérapie aux symptômes. Dans cet état d'esprit, il publia le best-seller Ruijuho (Prescriptions classifiées, 1864), lequel contenait 220 prescriptions tirées du Shanghan lun et du Jin Kui Yao Lue de Zhang Zhongjing [317](p374). Jusqu'à présent, le rôle du médecin consistait surtout à prévenir la maladie, et non à la traiter une fois déclarée. Dans Tenmei-setsu (Théorie de la vie don du Ciel), Yoshimasu déclara que « la maladie était du ressort du praticien », et que celui-ci avait un pouvoir d'action sur « la mort causée par la maladie ». Ainsi le médecin ne devait pas se préoccuper des affaires métaphysiques (« volonté du Ciel ») mais seulement de soigner son patient [255]. Cette séparation des voies de la Nature et 35 des lois de la médecine correspondait chez les médecins Kohoha à l'émergence d'une philosophie nouvelle de l'homme à la nature. En effet Yoshimasu expliquait qu'il était inapproprié de vouloir appliquer le concept de qi, qui qualifie l'Univers, au corps humain et à la médecine [226]. On trouve des idées similaires chez son contemporain, Kinkei Nakagami. Cet autre médecin Kohoha disait : « Les concepts de déficience et d'excès sont seulement des concepts de philosophie naturelle, et le médecin n'a pas besoin de s'y référer. » [326] Ainsi avec des penseurs comme Yoshimasu ou Nakagami, la maladie n'était plus conçue comme le résultat d'un manquement éthique et la médecine sortait désormais de la dimension métaphysique. Toyo Yamawaki (1705-1762) Contrairement aux autres médecins Kohoha, Yamawaki ne se tourna pas vers la médecine interne, mais vers la réalité anatomique. Ce domaine était resté quasiment inexploré en Chine comme au Japon. Le désintérêt des médecins traditionnels pour l'anatomie s'explique de deux façons. D'une part, un triple interdit culturel entourait la pratique de la dissection : - interdit shinto : le cadavre représente un état d'impureté extrême, la dissection est considérée une souillure (tsumikegare) [143](p118). Ainsi le code légal Norito (927) définit comme crime d’impureté le fait de « couper de la chair vivante, de couper de la chair morte, la lèpre, les excroissances cutanées » [243](p36). - interdit confucéen : le corps est légué par les parents et c'est donc un devoir de piété filiale que le garder intact [317](p379). - interdit bouddhiste : après la mort, l’âme part séjourner auprès du Bouddha mais revient au bout de quelques semaines, aussi faut-il garder le corps intact pendant cette période [46](p15). Le système légal du 8e siècle ritsuryo interdisait de toute façon la dissection, entérinant ainsi ces tabous culturels [317](p379). Or quelques exceptions étaient permises. En effet, on autorisait aux etas, en tant que préposés à la souillure et aux exécutions capitales, de prélever la bile des condamnés à mort, bile dont ils faisaient le commerce à des fins médicinales. D'autre part, le système théorique chinois s'était construit en dehors des réalités anatomiques. Il s'agissait d'une conception radicalement différente de la vision mécaniste : les organes n'étaient pas étudiés et individualisés comme des entités physiques et autonomes, mais symbolisés par rapport à relation fonctionnelle qu'ils entretenaient entre eux et les canaux où circule le qi [207]. Ainsi la planche anatomique de référence sous Edo était une splanchnologie chinoise datant de 1045 et réalisée par Song Jing lors de la dissection de rebelles [173](p57-58). Cette vue sagittale d'un corps masculin privé de ses membres montre, comme par transparence, les « cinq organes pleins » (gozo) et « six organes creux » (roppu) de la tradition chinoise (Cf. Image 1 p37). Ici l'objectif n'est pas la réalité anatomique mais bien la représentation du système canalaire par lesquels s'écoule le ki. Des planches supplémentaires permettent d'ailleurs de visualiser uniquement ces canaux de dos, de face, et de côté : ce sont les planches de méridiens [207]. Ainsi les planches chinoises sont des « chartes de navigation » : en surface correspondent les points sur lesquels on peut agir par acupuncture ou moxibustion (Cf. Image 2 p38). 36 Image 1: Planche des gozo roppu, issue d'une édition japonaise du Leijing Tuyi (Complément illustré du Canon classifié –c-à-d le Huangdi neijing, 1624) de Zhang Jiebin, [Source de l’image : [207]] Légende : 1) mer de moelle, Yin suprême, communique avec le sacro-coccyx, 2) 3 vertèbres verticales, 3) larynx, 4) pharynx, 5) poumon, 6) milieu de la poitrine, 7) péricarde, 8) cœur, 9) canal de la rate, 10) canal de l'estomac, 11) canal du foie, 12) canal des reins, 13) diaphragme, 14) rate, 15) adipose ou zone graisseuse, 16) cardia, 17) estomac, 18) foie, 19) pylore, 20) vésicule biliaire , 21) rein, 22) nombril, 23) petit intestin, 24) valvule iléo-cæcale, 25) gros intestin, 26) ?,27) vessie, 28) porte de la vie, 29) rectum, 30) urètre, 31) canal déférent, 32) anus, 33) coccyx, (traduction d’après [173]) 37 Image 2: Planche des méridiens, issue d'une édition japonaise du Leijing Tuyi (Complément illustré du canon classifié- c-à-d le Huangdi Neijing, 1624) de Zhang Jiebin, [Source de l’image : [207]] En accord avec la volonté révisionniste du mouvement Kohoha, Toyo Yawamaki voulait vérifier ces données. En 1754, lui et deux de ses élèves obtinrent du magistrat de Kyoto l'autorisation d'assister à la dissection d'un criminel [317](p380). Toutefois il faut souligner que son objectif n'était pas de renier les théories chinoises : il pensait que le savoir chinois antique était correct mais qu'il avait été victime d'une falsification ultérieure. Ainsi, les textes chinois les plus anciens, le Zhouli et la section Pangeng du Shu Jing (Le Classique des documents) ne mentionnaient pas le petit intestin et ne parlaient que de 9 organes, éléments que Yamawaki confirma lors de la dissection. Selon lui, le petit intestin n'existait pas, c'était un mythe inventé par la suite [162],[207]. Yamawaki fait penser aux anatomistes de la Renaissance qui cherchaient à valider le savoir galéniste lors des dissections ; de cette façon, Léonard de Vinci avait fini par retrouver des pores sur la cloison interventriculaire. Aussi il ne faut pas faire l'erreur de voir en Yamawaki un Vésale japonais. Toutefois, son apport à la médecine japonaise est très important pour trois raisons : Il contrevient à un triple interdit culturel. Il pratique la dissection dans le but de vérifier une hypothèse (sa théorie des 9 organes) : c'est de l'empirisme rationnel (et donc une démarche scientifique). Enfin, même sans le vouloir, il amorce le pas vers la conception mécaniste du corps, conception que ses contemporains, même Kohoha ne sont pas encore prêts à adopter6. 6 Ainsi, dans Idan (Discussion à propos de la maladie, 1759), Todo Yoshimasu déclare que l'observation clinique et la thérapie sont plus importantes que les théories, l'anatomie n'étant elle qu'une contemplation de la théorie. Voulant rompre avec les théories spéculatives chinoises, Yoshimasu finissait, par pragmatisme immédiat, à rejeter la connaissance de l'anatomie. On parvenait ainsi aux limites du positivisme Kohoha. Dans un genre plus traditionnel, le médecin Sano Yasusada, reprocha à Yamawaki de ne s'intéresser qu'à la forme des organes morts, alors que ce qui importe est leur fonction. Ainsi il écrit dans son 38 Le néoconfucianisme, le moins conservateur soit-il, même s'il stimulait l'esprit critique et l'observation empirique, enseignait que la vérité se trouvait à l'âge d'or. Il était responsable d'une pensée en vase clos. Aussi les médecins de l'école Kohoha ne réussirent pas à aller au bout de leur démarche positiviste : même lorsqu'ils rompaient avec la tradition Jin-Yuan et faisaient preuve d'un certain empirisme, c'était toujours dans l'idée d'authentifier des classiques médicaux chinois. Seul Yoshimasu semble avoir réussi à dépasser ce stade ; il découpla les affaires médicales de la métaphysique confucianiste. Toutefois, son rejet implacable des théories physiologiques traditionnelles l'enferra dans une position extrémiste vis-à-vis des savoirs fondamentaux, ce qui l'empêcha de comprendre l'intérêt même de l'anatomie. Oscillant entre velléités et radicalisme dogmatique, le mouvement Kohoha a néanmoins conduit à la réalisation d'une dissection (Yamawaki, 1754), événement crucial puisqu'il catalysera la révolution épistémologique de la fin du 18 e siècle (Cf. La période rangaku p55). Or la tournure d'esprit positiviste qui animait la génération Kogaku avait aussi été stimulée de l'extérieur. Aussi convient-il de jauger dans quelle proportions ces afférences occidentales ont participé à cette révélation. 3) Les afférences médicales hollandaises dans la première moitié d'Edo (avant le Kaitai Shinsho) Pendant la première partie d'Edo, les médecins japonais furent également confrontés au savoir occidental par l'intermédiaire des livres médicaux hollandais et des chirurgiens affectés au comptoir de Dejima. Aussi nous voudrions déterminer le rôle de ces afférences dans la formation de la pensée médicale japonaise. On peut donc distinguer deux phases : tout d'abord, une faible perméabilité aux concepts étrangers (17e), puis un changement d'attitude au contact des manuels d'anatomie (première moitié 18e). a) L'école de chirurgie des cheveux rouges (Komo-ryu geka) au 17e siècle Au 17e siècle, la Compagnie des Indes enrôlaient sur ses bâtiments des chirurgiens et très peu de médecins. Les premiers appartenaient à une guilde spéciale formée en un an au traitement des fractures, des luxations et des blessures de guerre [32](p38-39). Toutefois, certains médecins de formation universitaire passèrent aussi au comptoir de Dejima ; on retiendra notamment les noms de ten Rhijne, Cleijer et Kaempfer [106](p39). De l’interaction entre praticiens hollandais et interprètes officiels naquit le style de chirurgie des cheveux rouges (komo=cheveux rouges), la Komo-ryu geka. Des seigneurs envoyèrent également leur médecin personnels se former à ces techniques. pamphlet Hi zoshi (Anti-Zoshi, 1760): « Ce que zo (viscère) signifie n'est pas seulement une question de morphologie; ils servent à stocker le ki dans le but d'assurer différentes fonctions. Si le ki (souffle vital) est absent, alors le zo (viscère) n'est rien d'autre qu'un récipient vide. Rien ne peut être appris de la dissection car le ki (énergie vitale) est absent. » Bien que Yamawaki soit d'accord avec la vision « fonctionnelle » de Sano, par sa démarche il engage néanmoins la médecine japonaise sur la voie mécaniste [31],[207]. 39 Il existait plusieurs écoles de Komo-ryu geka [242], [32](p39-44), [106](p38-41) : la Kasuparu-ryu du nom du hollandais Caspar Schambergen (1649-51), fondée par Dembei Inomata (1666) avec pour suiveurs Dogyu (1671-1734) et son petitfils Koken Irako (1737-1798). la Narabayashi-ryu fondée par Chinzan Narabayashi (1648-1711) la Nishi-ryu fondée par Kichibei Nishi (1653-1684) la Katsuragawa-ryu fondée par Hoan Arashiyama (1633-1692). Néanmoins, l’art pratiqué par les Japonais n’avait de hollandais que le nom. En effet, l'anatomie, la chirurgie et la théorie des humeurs eurent une influence très limitée au 17e siècle. (1) Anatomie En Europe, l’anatomie était une matière primordiale tant pour les médecins universitaires que pour les chirurgiens ; elle représentait notamment les 2/3 du manuel destiné à la formation des aspirants au titre de chirurgien de la Compagnie des Indes, le Examen der chyrurgie (1645,1663) de Cornelisz Herls [209]. Or, dans les manuscrits des étudiants de la komo-ryu geka, on trouve rarement des termes anatomiques, exceptés quelques noms d'os, mais plutôt des périphrases comme « la peau entre le thorax et l'abdomen », « la fine peau autour du cerveau » [209]. Pourtant, en 1682 l'interprète Ryoi Motoki (1628-1697) reçut l’ordre de traduire la 2 e édition hollandaise du Catoptrum microcosmicum (1619) de J. Remmelin, le Pinax Microcosmographicus (Amsterdam, 1667). Cette édition tenait compte de la découverte révolutionnaire de la circulation du sang [288]. Aidé des commentaires des chirurgiens hollandais de Dejima, Motoki écrivit Oranda keiraku myakuraku kinmyaku zofuzukai (Explication illustrée des conduits, vaisseaux, sinus et viscères hollandais, 1682) [288]. Des copies de la « traduction » furent alors distribuées aux médecins formés à Dejima [288], (Cf. Image 3 p47, Image 4 p47, Image 5 p48). Mais l'ouvrage différait trop de la conception des 5 organes pleins et 6 organes creux (gozo roppu). Par ailleurs, Motoki n’était pas parvenu à intégrer les concepts de nerf et de vaisseau. Certes, il s’était bien aperçu qu’il existait une différence entre les deux termes. Il appela ainsi les nerfs « suji » (ligne) et les vaisseaux, « kei » (méridien). Mais pour lui, le mot kei gardait sa signification traditionnelle de véhicule du ki, alors que le terme suji ne renvoyait à rien de très clair [193]. Ce manuscrit, plutôt incompréhensible, n’éveilla aucun intérêt et tomba rapidement dans l'oubli [288]. (2) Chirurgie Au 17e, les chirurgiens européens pouvaient pratiquer des interventions assez invasives, allant de la phlébotomie et de l’excision d’abcès à des opérations plus compliquées comme les amputations, la trépanation ou encore la lithotomie. Aidé des instructeurs de Nagasaki (le chirurgien Hoffman et les médecins ten Rhijne, Cleijer et Kaempfer), l’interprète Chinzan Narabayashi compulsa Geka soden (1706), un célèbre traité de chirurgie préfacé par Ekiken Kaibara. L’ouvrage ne fut pas publié mais plusieurs fois recopié (l’original a aujourd’hui disparu) 7. C’est en quelque sorte l’opus magnum de la geka-ryu geka. Or son contenu est plutôt contradictoire. 7 Ces copies ne contiennent pas systématiquement toutes les sections du Geka Soden. Ainsi, le Kinso tesuboku ryoji-no-sho en (1735) de l’interprète Gentetsu Nishi (1680-1760) ou encore le manuscrit de la famille Arashiyama (Lukacs 2008) (p219-234) ne reprennent que la partie traitant de l’orthopédie, avec en bonus quelques huiles et emplâtres. 40 On répertorie traditionnellement 6 sections [173](p219),[120](p93),[251] : - kinsosho (blessures) [texte] et kinso tetsuboku zu (traitement illustré des blessures) [atlas], se rapportant au domaine orthopédique, - shikakesho (pathologies et leur traitement), se rapportant surtout aux affections des parties molles (tumeurs mammaires, abcès, ulcères syphilitiques, hémorroïdes…) - abura no sho (emploi des huiles médicinales) [texte], aburatoriyo no sho (préparation des huiles) [atlas] et koyakusho (emploi des emplâtres), tout trois ayant trait à la materia chirurgica. Certes les deux premières sections, kinsosho et kinso tetsuboku zu, contiennent des adaptations du texte et des illustrations de Paré8, de Scultetus (Armamentarium chirurgicum, 1666) et de Spiegel (De Humani Corporis Fabrica,1627) [173]. On y trouve notamment les trois techniques de réduction de luxation de l’épaule (Cf. Image 11 p50), l’extraction de flèche transfixiante (Cf. Image 10 p50), la suture sèche d’une plaie faciale (Cf. Image 7 p49), les soins pour les blessures par balles (Cf. Image 12 p50) mais aussi des opérations plus impressionnantes comme la trépanation (Cf. Image 8 p49) ou encore l’amputation de jambe [173](p203-207). Or les chirurgiens du comptoir n’auraient jamais pratiqué d’interventions de ce type à Nagasaki [173](p245). Aussi il semble évident que le kinso tetsuboku zu relève parfois plus du cabinet de curiosité que de la pratique. En fait, la plupart des écrits utilitaires de la komo-ryu geka ne mentionnaient pas d’opérations invasives mais revenaient sans cesse sur le traitement des blessures et des fractures [208]. Aussi, en dépit de ce que suggèrent les riches illustrations du Geka soden, la komogeka des interprètes japonais était très éloignée de son homologue occidentale. (3) Théories humorales et materia chirurgica e Au milieu du 17 siècle, l’interprète Dembei Inomata et ses acolytes compulsèrent les enseignements du chirurgien Caspar Schambergen dans Kasuparu-ryu i-sho (Livre médical de l’école de Caspar) et Oranda geka-sho (Livre de chirurgie hollandaise). Outre la description des « 17 emplâtres et onguents de Caspar », ces écrits introduisaient surtout le système galénique au Japon [251]. A l’aide d’emprunts tels que umorou (humor), sangi (sanguis), korera (cholera), malenkonya (melancholia), le Oranda geka-sho explique donc la pathologie chirurgicale (ulcère, tumeur...) en termes de déséquilibre des humeurs. Mais ce passage n’allait pas retenir l’intérêt des chirurgiens japonais. Ainsi le Oranda geka-sho demeura pendant près d’un demisiècle le seul texte consacré à la théorie des humeurs ; celle-ci n’étant que très rarement reprise dans les écrits de la Kasaparu-ryu et de surcroît mélangé à l’humorisme bouddhiste influencé par le tridosa indien 9 [209]. Pour expliquer la pathogénèse des ulcères et tumeurs, les Japonais continuèrent de se référer aux théories traditionnelles, notamment au traité chinois Waike Zhengzong (en japonais Geka seiso) du chirurgien Chen Shigong (1555-1636). Ce fut par exemple le cas du chirurgien Gensho Mukai (1609-1677) qui reprit les notes de l’interprète Inomata, ou encore de Narabayashi, dans le chapitre shikakesho du Geka soden [173](p215). 8 Il est communément admis que Narabayashi aurait acquis en 1688 l’édition d’Amsterdam de 1649, basée sur l’édition française de 1585. A titre de rappel, les éditions françaises des Œuvres de Paré : 1e éd.1575, 2e Ed.1579, Ed. Latine 1579, et pseudo « 4e Ed. » de 1585 [84],[216]. 9 Dans la philosophie naturelle bouddhiste, le corps était composé de 4 éléments (terre, eau, feu, vent), le dysfonctionnement d’un seul de ces élément peut causer 101 maladies, ce qui fait monter à 404 le nombre de maladie possible. En Ayurveda, le tridosa est quant à lui un système à trois humeurs. Ainsi la médecine chinoise fut influencée par la médecine bouddhiste et plus ou moins par la théorie du tridosa [345](p141). Aussi Michel fait remarquer que dans le Oranda geka-sho, le terme chinois tan, qui dériverait de la théorie du tridosa indien, se retrouve mêlé aux humeurs de Galien [209]. 41 A l’inverse de l’humorisme galénique, les « emplâtres de Caspar » remportèrent un fort succès jusqu’à la fin d’Edo [209]. En effet, les écrits de la komo-ryu geka restèrent très portés sur la materia chirurgica hollandaise, à savoir les onguents et huiles médicinales. En contrepartie, ces remèdes rendaient les Japonais dépendants des importations hollandaises. Aussi, dès 1672, les autorités commandèrent aux hollandais la construction d’une distillerie. Dans le cadre de ce transfert technologique, un pharmacien nommé Braun enseigna les méthodes d’extraction d’huiles médicinales à 6 interprètes (Cf. Image 14 p51) ; les médecins hollandais, quant à eux, furent dès lors autorisés à s’aventurer en dehors de Dejima pour diriger des ateliers d’initiations à la botanique [209]. C’est ainsi que la materia chirurgica du Geka Soden repose sur les huiles médicinales et onguents extraits de la pharmacopée hollandaise, de même que l’atlas dédié aux « huiles » expose les procédés d’extraction appris en 1672 [173] (Cf. Image 13 p51). Ainsi les adeptes de la komo-ryu geka se basaient essentiellement sur les théories médicales chinoises, auxquelles ils avaient incorporé quelques tours de main occidentaux (traitements de blessures superficielles, des fractures, réalisation d’onguents et d’huiles médicinales). On ne pouvait donc en aucun cas parler de changement de paradigme. En fait la médecine occidentale ne pouvait pas encore s’implanter au Japon en raison de plusieurs obstacles ; obstacle de la langue, désintérêt pour un système médical identique sur le fond (système galénique versus système des correspondances), et conception du traitement radicalement différente : -L'obstacle de la langue. Le portugais resta longtemps la lingua franca. Les interprètes ne connaissaient guère que les termes nécessaires au négoce et les Hollandais n'étaient pas autorisés à avoir leurs propres interprètes. Aussi la traduction des cours des médecins hollandais ou des livres était un véritable calvaire, et ce d'autant plus que l'on avait à faire aux notions abstraites de pathogénèse ou d'organes invisibles. Les mots étaient transcris phonétiquement et mettaient des décennies avant d'être correctement traduits [209]. -Le système galénique, pour les rares japonais capables d'en saisir les grandes lignes, n'offrait rien de mieux sur le plan rationnel que la théorie des 5 phases et du yin yang de la médecine Jin-Yuan. Par ailleurs, celle-ci était bien implantée et servait de paradigme confortable [208],[288]. -Enfin il ne faut surtout pas oublier que les médecins japonais abhorraient tout ce qui touchait à l'ouverture du corps. La dissection était interdite et la médecine traditionnelle se passait de l'anatomie. Elle reposait sur la fonction des organes, laquelle était indépendante de leur forme ou de leur localisation. Il suffisait d'agir en surface : le pouls reflétait la fonction des organes, sur lesquels on pouvait agir par moxibustion, donc toujours en surface [31]. De plus, l'harmonie microcosme/ macrocosme était un concept majeur, qui laissait peu de place à des mesures chirurgicales invasives [208]. Par conséquent la komo-ryu geka différait très peu de la précédente nanban-ryu geka. D’ailleurs, un grand nombre d’interprètes initialement formés au style nanban s’étaient rapidement ralliés à l’école hollandaise. Ainsi l’héritier de l’école Kurisaki, Doyu Kurisaki (1660-1726), ainsi que Kishibei Nishi formé auprès de l’apostat Chuan Sawano (1580-1652), s’étaient rapidement tournés vers la komo-ryu geka enseignée à Dejima [106](p38,40). 42 De plus, du côté des lettrés, on peut penser que l’attrait pour les remèdes exotiques importés (thériaque, momies10, huiles médicinales) a en partie alimenté l’essor du honzo gaku. Par exemple, le Yamato honzo (1709) de Ekiken Kaibara contient un article détaillé sur la nature, la provenance et les indications thérapeutiques (fractures, blessures, faiblesse de l’énergie vitale et du sang,…) des momies hollandaises (miira). En accord avec les principes confucéens Kaibara restait néanmoins très critique à l’égard de ce « remède » ; considérant cette pratique immorale (cannibalisme) et très certainement inefficace [157]. b) Les premières dissections japonaises du 18e : à la croisée de l'iconographie occidentale et de l'empirisme japonais En 1720, le 8e shogun Yoshimune assouplit l'importation des livres occidentaux qui était jusque-là exclusivement réservée aux officiels. A partir de cette date, les médecins japonais purent plus facilement se procurer des atlas anatomiques. Or c’est aussi à cette époque que le corps humain devint un centre de curiosité. En effet dès 1730, des médecins commencèrent à se presser autour des lieux d'exécution pour récupérer les dépouilles de condamnés à mort. De cette façon, l'ophtalmologue Toshuku Negoro, probablement affilié à l'école Kohoha, réalisa en 1741 une planche d'ostéologie assez ressemblante11 (Cf. Image 15 p52) [288] [241]. En 1754, le médecin Kohoha Toyo Yamawaki réalisa la première dissection japonaise dont les résultats furent compulsés dans Zoshi (Traité sur les viscères, 1759). Conformément à la tradition, dans le Zoshi ne sont représentés ni le squelette (hormis colonne vertébrale), ni les muscles, mais met uniquement les viscères (Cf. Image 16 p53). Toutefois ces planches de splanchnologie n'ont rien à voir avec le gozo roppu stylisée de Song Jing, on reconnaît bien là des images de dissection. Par ailleurs, Toyo Yamawaki écrit dans Zoshi : « Je consulte à présent un traité d'anatomie fait par un Occidental que je possède depuis un certain temps, parce que je viens d'assister à une séance de dissection, et je m'aperçois que tous les organes situés dans le thorax et la région dorsale correspondent parfaitement aux planches représentants ces organes. Ceux qui accomplissent les choses authentiques se répondent même à dix mille li de distance. Comment ne pas être plein d'admiration ? » 12 Ainsi l’ouvrage auquel Yamawaki fait ici allusion est la version hollandaise du traité d’anatomie de Johann Vesling (1598-1649), Konstige ontledingh des menschelijken lichaems (Syntagma anatomicum, 1641) [216],[317](p381). Son initiative inspira ses disciples qui, à leur tour, pratiquèrent des dissections [210](p151),[182],[106](p77-79) : 10 La médecine occidentale utilisait les momies égyptiennes comme remède depuis le 14e siècle. La momie-thérapie eut son heure de gloire du 15e au 17e siècle, aussi bien en Europe qu’aux Amériques. Le chirurgien Guy de Chauliac (1298-1368) décrivait la « Mumie, la chair des morts embaumez » comme un tonique sanguin. François 1er quant à lui se poudrait le corps d’une mixture de momie et de rhubarbe. Dans Discours de la mumie, des venins, de la licorne et de la peste (Paris 1582), Ambroise Paré condamnait violemment l’utilisation de momies à des fins médicinales. De leur côté, les Japonais commandèrent aux hollandais de grandes quantités de ces momies aux soi-disant vertus e médicinales jusqu’au 19 siècle [157]. 11 Jinshin renkotsu shinkei zu (Dessin de la vraie forme du squelette du corps humain, 1741). Explications et dessins réalisés par Toshuku Negoro à partir de l’observation des ossements de 2 criminels exécutés à Kyoto en 1732. Non publié. 12 Traduction française d’un extrait du Zoshi (1759) par la japonologue Mieko Macé [177]. 43 Koan Kuriyama (dissections en 1758, 1759 : 1ère dissection des organes féminins) Tomon Yamawaki, fils de Toyo Yamawaki (dissections en 1771, 1775, 1776) De leur côté, les adeptes de la komo-ryu geka s'intéressèrent également à l’anatomie. En effet, Koken Irako13, interprète à Nagasaki et affilié à l'école de Caspar, disséqua un corps humain en 1758 [106](p250). Il publia également la simili traduction de Paré qui circulait sous forme de copies manuscrites depuis un demi-siècle, le Geka Soden de Narabayashi sous le nom de Geka Kinmo Zui 14 (Planches d'enseignement de chirurgie, 1769). De la même façon, un médecin nommé Soun Suzuki, décida de publier le manuscrit de l'interprète Ryoi Motoki (1682), traduction du Pinax micocosmographicus de Remmelin sous le nom de Oranda zenku naigai bungozu oyobi (Planches anatomiques hollandaises du corps humain, 1772) [193]. Remmelin avait repris un procédé déjà utilisé par Vésale : des volets collés par leurs extrémités figuraient les différentes couches anatomiques (Image 3 p 47). On se rappelle que la traduction de Motoki n'avait pas rencontré de succès au 17 e siècle. Mais un siècle plus tard, le format particulier de ce livre suscitait de l’intérêt, probablement car il réalisait une sorte de dissection virtuelle. Ainsi, le réalisme et la différence des planches anatomiques occidentales a certainement alimenté la curiosité des médecins japonais, les confortant à disséquer afin de vérifier par eux-mêmes la réalité anatomique. Malgré cette fébrilité autour de l'anatomie, on n’assistait pas pour autant à un changement de paradigme. Trois domaines en témoignent : la pratique de la dissection : pour un représentant du courant Kohoha tel que Toyo Yamawaki, les théories correctes étaient contenues dans les traités des Han et des Tang. Poussé par son maître Konzan, Toyo Yamawaki s’était mis à disséquer dans le but de réhabiliter la théorie des 9 organes. Bien qu’il ait admis le réalisme des planches hollandaises, il n’abandonnait pas pour autant la vision chinoise du corps humain. la pratique de la saignée (shiraku) : Gengai Ogino et Tomon Yamawaki, le fils de Toyo Yamawaki, s'intéressèrent tout particulièrement à la saignée, technique évoquée dans les traités chinois mais qui n’était pas pratiquée au Japon15. Ainsi ces deux médecins Kohoha partirent à Nagasaki étudier la phlébotomie occidentale auprès de l’interprète Kogyu (Kozaemon) Yoshio 13 Koken (Mitsuaki) Irako était le petit-fils de Dogyu Irako, un des successeurs du fondateur de la Kaspar-ryu geka, Dembei Inomata [32], [106]( p38). 14 Koken Irako a essentiellement repris la partie kinso tetsuboku zu ainsi que quelques recettes d’huiles et d’emplâtres du Geka Soden [173](p235). 15 Les textes du Huangdi Neijing enseignent la piqure de certains sites afin d’induire une émission de sang. En fonction des auteurs, le but de ce traitement allait de l’expulsion directe d’un « sang mauvais » (connotation mécaniste), à la stimulation du flux des influences (qi). Néanmoins, l’acupuncture perdit rapidement son versant vasculaire . Le Pr. Unschuld corrèle ce phénomène à la montée d’une médecine focalisée sur le jeu des correspondances et du qi [345](p96-97). En fait, parmi les points indiqués dans les classiques, on trouvait des veines superficielles mais également des artères. En plus du tabou confucianiste concernant l’intégrité corporelle, c’est certainement l’une des raisons de l’abandon précoce de la saignée en Chine. Au Japon, Manase parlait de l’acupuncture sanglante dans son livre Teikitekishu. Toutefois, lui et ses disciples ne la pratiquaient que dans des indications très limitées [303] 44 (1723-1800) [303], [182]. Par la suite, Tomon Yamawaki opta pour l’aiguille chinoise à bout triangulaire décrite dans le Neijing. Dans son essai Tomon sensei zuihitsu (date inconnue), il se réfère d’ailleurs aux traités chinois (le Neijing, le Lingshu et le Shazhang Yuheng16) et compare même la lancette occidentale à l’une des aiguilles chinoises du Lingshu [182]. Ogino, quant à lui, publia Shiraku hen (Essai sur la saignée, 1770). Ce traité présente les aiguilles à saignée chinoise ainsi que les lancettes hollandaises, le garrot et le bâton des chirurgiens barbiers européens (Cf. Image 17 p54) [303]. Et tout cela sans oublier de citer le Neijing [182]. Ainsi Gengai Ogino et Tomon Yamawaki étaient devenus de fervents partisans de la saignée en conformité avec les principes de l’école antiquariste (Kohoha), c’est-à-dire afin de ressusciter une technique chinoise antique17. le concept anatomique de nerfs et de vaisseaux dans les traductions japonaises d'ouvrages hollandais : le médecin Soun Suzuki se contenta de publier la traduction de Remmelin sans corriger les erreurs de compréhension commise 90 ans auparavant par l’interprète Ryoi Motoki. En effet, on se rappelle que Motoki introduisit le terme suji (ligne) pour nommer le concept étranger de nerf qu'il fit cohabiter avec le terme kei (méridien) pour exprimer les vaisseaux [193]. Ce fut le même problème pour le Geka soden de Narabayashi. Dans les copies et versions ultérieures de cet ouvrage 18, le terme zeinun est utilisé comme traduction du mot hollandais nerf. Or ces zeinun sont dépeints comme les racines des 12 méridiens et le lieu où circule le kiketsu, c’est-à-dire le sang et le ki [193]. Ainsi les médecins et interprètes de la komo-ryu geka se référaient toujours au paradigme chinois reposant sur les méridiens et le ki. La compréhension des concepts de système sanguin et nerveux n’avait pas progressé depuis l’arrivée des Nanban au 16 e siècle. Ainsi les médecins traditionnels piochaient dans la médecine occidentale sans pour autant quitter leur cadre de pensée traditionnel. En réalité, aucun d'entre eux ne voulait renverser le cadre conceptuel de la médecine chinoise, aussi leur mode de représentation se cantonnait au système des méridiens et du ki. L'assouplissement de la politique d'importation des livres étrangers avait fait sortir la médecine hollandaise du cadre restreint des interprètes. Ainsi, à partir de 1720, les planches anatomiques occidentales stimulèrent les médecins japonais à examiner le corps humain. Néanmoins la première dissection apparaît bien au terme d'une maturation intellectuelle endogène. En effet, la médecine traditionnelle connaissait un renouveau avec l'école Kohoha. Le pionnier de la dissection fut ainsi un médecin Kohoha, et non un interprète occidentalisant de Nagasaki. Mais l'objectif de ces médecins était de réhabiliter la médecine chinoise antique et en aucun cas de changer de système de pensée. Aussi l'iconographie hollandaise, tout 16 Le Shazhang Yuheng (1684) fut publié vers 1720 au Japon. L’auteur de ce livre décrit des sites de saignée différents des sites traditionnels chinois, aussi peut-on penser qu’il fut influencé par des médecins européens de passage en Chine [303]. 17 Tomon Yamawaki et Dokushoan Nagatomi, un élève du père de Tomon, sont considérés comme les fondateurs de l'école syncrétique sino-hollandaise de Kyoto (Setchu-ha) [115]. 18 On se rappelle du Geka Soden que Chinzan Narabayashi (fondateur de la Narabayashi-ryu) avait écrit en 1706 en s’inspirant des Œuvres de Paré. L’ouvrage ne fut pas publié mais recopié pendant une soixantaine d’années. De plus, d’autres versions parurent: le manuscrit Kinso tetsuboku ryoji no sho (Traitement des blessures par sabre et contusion, 1735) de Genetsu Nishi (Nishi-ryu), ainsi que la publication de Koken Irako (Kasuparu-ryu), Geka Kinmo zui (Planches éducatives de chirurgie, 1769). Le contenu de ces ouvrages est en réalité assez proche [200],[193]. 45 comme la technique de saignée, étaient des sources utilisées pour approfondir la médecine traditionnelle. Il n'existait encore aucune volonté de changement de paradigme. Les planches anatomiques occidentales servirent tout au plus d'encouragement à la dissection. Conclusion de la partie « La deuxième période sino-japonaise » De la fin du 16e à la première moitié du 17e siècle, les Japonais assimilèrent la médecine systématisée des correspondances Jin-Yuan, laquelle se divisa en écoles Goseiho et Goseiho beppa, dites modernistes. Puis au cours du 17e siècle, inspirés par les nouveaux courants intellectuels (philosophie dissidente au néoconfucianisme des Song, partisans du Hanxue) et médicaux des Ming et des Qing (école du Shanghan lun, Bencao gangmu de Li Shizen), les médecins japonais se révoltèrent contre l'aspect métaphysique et hautement spéculatif des écoles modernistes. Ainsi l'école antiquariste Kohoha rassembla des contestataires aux méthodes de travail très variées, passant de l'étude philologique des classiques au rejet implacable de toutes les théories physiologiques (Todo Yoshimasu). Dans le même temps, d'autres, adeptes du shixue ou jitsugaku (études pratiques), se firent naturalistes (honzo gakusha). A l'extérieur du néoconfucianisme Zhu Xi, l'école Kohoha s'affranchissait peu à peu de la métaphysique, et même à l'intérieur de celui-ci, la devise gewu ou kyuritsu (investigation des choses) appelait à plus d'empirisme. Ainsi Todo Yamawaki outrepassa les limites culturelles en lançant la vogue des dissections, pratique qui ne parvint pas à s'imposer en Chine. En effet, le médecin Wang Qingren (1768-1832) réalisa des planches de dissection en 1797 sans pour autant réussir à lancer la mode des dissections comme ce fut le cas au Japon [345]. Par ailleurs, la médecine des missionnaires (nanban-ryu geka, fin 16e-début 17e), pas plus que celle des chirurgiens hollandais (komo-ryu geka, 17e) n'influencèrent l'évolution de la médecine traditionnelle jusqu'en 1720. En effet, jusqu'au début du 18e siècle, seuls quelques aspects de la médecine occidentale étaient exploités par les interprètes autorisés à séjourner à Nagasaki (chirurgie mineure). Mais, grâce à la politique d'ouverture du 8e shogun, les médecins Kohoha finirent par posséder des livres d'anatomie occidentaux. Bien qu'incapables de lire ces ouvrages, le réalisme des planches anatomiques attisa leur curiosité, et certainement leur envie de disséquer. La technique de saignée occidentale attira certains médecins Kohoha intéressés par la reviviscence de l'acupuncture sanglante chinoise. D'autres publièrent des traductions plus ou moins fantaisistes du 17e siècle (Geka Soden inspirés de Paré, et la traduction du Pinax de Remmelin) sans se rendre compte des incohérences conceptuelles qu'elles contenaient (amalgame entre le concept chinois de méridien et les concepts occidentaux de nerf voire de vaisseau sanguin). Ainsi c'est bien parce que les praticiens japonais s'étaient tournés vers l'empirisme au 17e qu'ils devinrent réceptifs à la médecine occidentale au 18e et non l'inverse. Toutefois la révérence du passé (confucianisme) fut le principal frein épistémologique qui empêcha ces médecins d'entrevoir la réalité anatomique. 46 Illustrations de la partie « La deuxième période sino-japonaise » Image 3 : Catoptrum microcosmicum (édition de 1619) de Johan Remmelin (1583-1632), artiste Lucas Kilian. La première édition fut publiée illégalement en 1613. Ici, anatomie masculine et féminine, détail du mode de lecture. La structure anatomique s’explore en ouvrant les feuillets disposés en 15 couches (soit 120 unités). Ce procédé n’était pas nouveau ; ainsi l’Epitome de Vésale (1543) contenait des planches découpables et l’Ophthalmodouleia de Bartisch (1583), 2 planches de ce type. Toutefois le Captoptrum fut le premier atlas anatomique utilisant ce procédé de manière systématique. Catoptrum Microcosmicum signifie miroir du microcosme. De faible valeur anatomique, mais riches en allégories théologiques, il était avant tout destiné aux néophytes [Collection : Hardin Library, University of Iowa] [343], commentaire d’après [69] Image 4 : Pinax Microcosmographicus (édition hollandaise de 1667) du Catoptrum microcosmicum de Remmelin. Anatomie masculine et féminine (planche 2 et 3). C’est cette édition qui servit de modèle à l’interprète Motoki. On remarque la richesse du décor ou se mêlent organes et références théologiques (croix, cranes, etc.) [Collection : National Library of Medicine, History of Medicine] 47 Image 5 : Anatomie masculine et féminine d’après Oranda keiraku myakuraku kinmyaku zofuzukai de Motoki. Les allégories théologiques ont complètement disparu dans la version japonaise [Collection : Université de Tokyo] Image 6 : Le squelette laboureur du Geka kinmo zui, par Koken Irako, 1769 [Collection : Université de Tokyo], à coté l’ « original » chez Paré (Dix livres de la chirurgie, 1564) [Collection : BIUM]. Dans les ouvrages des adeptes de la Komo-geka, la connaissance anatomique n’était clairement pas une priorité. 48 Image 7 : Suture sèche dans le Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1767 [Collection: Université de Waseda] et chez Paré (Dix livres de la chirurgie, 1564) [Collection : BIUM] Image 8 : Trépanation avec un triploïde dans Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1767 [Collection : Université de Waseda] et chez Scultetus (Armamentarium Chirurgicum, édition de 1666), pl. III [Collection : BIUM], pl. XXXII [Collection : University of Iowa Libraries, Hardin Library] Image 9 : opération du bec de lièvre dans Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1767 [Collection: Université de Waseda] et chez Paré (Dix livres de la chirurgie, 1564) [Collection : BIUM] 49 Image 10 : Méthodes pour extraire les flèches dans le Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1769 [Collection: Université de Tokyo], et chez Paré (La maniere de traicter les playes, Paré, 1552), [Collection : BIUM] Image 11 : Réductions de luxation de l'épaule dans le Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1769, [Collection: Université de Tokyo], et chez Paré (Cinq livres de chirurgie, 1572), [Collection : BIUM] Image 12: extraction des balles dans le Geka kinmo zui, de Koken Irako, 1769 [Université de Tokyo], et chez Scultetus (Armamentarium Chirurgicum, pl. XXXII, 1666) [Collection: University of Iowa Libraries, Hardin Library , John Martin Rare Book Room] 50 Image 13 : A gauche : méthodes de distillation tirées du Geka Soden [Source: [173]]. Narabayashi expose les procédés enseignés en 1672 par le pharmacien Braun , tout en s’inspirant de l’iconographie de « Autre maniere pour distiller liqueurs au soleil donnant sa chaleur contre grosses boules de cristal » (Dix livres de la chirurgie, Paré, 1564 ) [Collection: BIUM] Image 14: Oranda yu dogu sumpo no zu narabi ni sempo sho [Source: [205]], techniques de distillation enseignées par les pharmaciens hollandais en 1672 et compulsées par les interprètes de Dejima. 51 Image 15: Jinshin Renkotsu Shinkei Zu (Dessin de la vraie forme du squelette du corps humain, 1741). Explications et planches réalisés par Toshuku Negoro à partir de l’observation des ossements de 2 criminels exécutés à Kyoto en 1732, [Source : [210] p139] 52 Image 16 : Planches du Zoshi de Toyo Yamawaki, 1759, d’après la première dissection réalisée au Japon (1754) [Collection: Université de Waseda] 53 Image 17 : Shiraku hen (Traité sur la saignée, 1771), de Gengai Ogino. Bâton de chirurgien-barbier utilisé pour la saignée (image de gauche), lancette européenne classique avec rabat en écaille de tortue (image du milieu, à droite), lancettes à ressort allemande (image de droite, à droite), et aiguilles d’acupuncture sanglante japonaises (shiraku), [Collection: Université de Waseda] 54 II La période rangaku Dans la 1ère moitié du 18e siècle, les médecins kohoha intrigués par l'iconographie hollandaise commençaient à se poser des questions sur le bien-fondé de l'anatomie Jin-Yuan. Mais ils étaient incapables de remettre en question le dogme traditionnel de manière radicale. Toutefois, cette expérience ne fut pas totalement vaine : leur attitude révisionniste finit par susciter le doute vis-à-vis du modèle chinois lui-même, et poussa certains à explorer le modèle occidental. Aussi, en 1774, un groupe de médecins19 publia la traduction d'un traité d'anatomie, l’Ontleedkundige Tafelen, version hollandaise de l’Anatomische Tabellen (1722) de l’Allemand Johann Kulmus (Kaitai shinsho, 1774). Ce livre fut une véritable révélation pour la communauté intellectuelle japonaise. Il lança la mode des études rangaku (ran=hollandais, forme abrégée de oranda, la transcription phonétique japonaise du mot portugais Hollanda, et du mot gaku=étude). A partir de ce moment, les lettrés n'eurent de cesse de traduire, assimiler, thésauriser les connaissances médicales occidentales. Ce savoir n'intéressait pas seulement la caste des intellectuels théoriciens. Les chirurgiens du comptoir de Dejima formèrent aussi des élèves, qui devinrent de véritables praticiens. D'autres japonais, plus ou moins autodidactes, captaient et réutilisaient les connaissances en transit à des fins expérimentales ou thérapeutiques. Ainsi la médecine japonaise semblait avoir déjà changé de visage à la veille de Meiji. Néanmoins, il ne faut pas oublier les problèmes liés au phénomène d'acculturation. D'une part, le transfert de savoir était loin d'être homogène : en fonction des disciplines, il pouvait être totalement livresque et théorique, ou uniquement technique. Mais surtout, les Japonais disposaient d'une culture néoconfucianiste et holiste résolument éloignée du raisonnement mécaniste et causal, soubassement du savoir importé. 19 Le comité de rédaction du Kaitai shinsho se constituait de: Gempaku Sugita (1733-1817): se présente comme l’auteur principal, mais fut surtout le meneur du projet. Parcours: Issu d’une famille de médecin kampo, il s’initia à la komo-ryu geka auprès des interprètes Genetsu Nishi (auteur du Geka soden de 1735, école Nishi-ryu) et Kogyu Yoshio(*). Ryotaku Maeno (1723-1803): le seul à connaitre quelques mots de hollandais au moment de la traduction du Kaitai shinsho. Sa contribution fut très importante, bien qu’il ne souhaitât pas apparaitre sur la liste des auteurs. Parcours : Médecin de fief (style Kohoha), il se rapprocha de l’interrogateur des hollandais lors de leur visite annuelle au shogun (Edo), le jusha Kon’yo Aoki, puis du milieu des interprètes de Nagasaki, notamment de Kogyu Yoshio(*). Hoshu Katsuragawa (1751-1809): héritier de l’art de la famille Katsugawara, une lignée de médecin officiel du bakufu dont l’ancêtre, Hochiki Katsuragawa (1661-1747), avait appris la komoryu geka auprès de Hoan Arayashima. Junan Nakagawa (1739-86): un samouraï Genjo Ishikawa: un élève de Ryotaku Maeno. Il faut souligner que Sugita, Maeno et Nakagawa avaient tout trois assisté à une dissection en 1771, dissection souvent rapportée comme l’élément catalyseur de la traduction du livre de Kulmus. (*)L’interprète Kogyu (Kozaemon) Yoshio (1723-1800), auteur de l’avant-propos du Kaitai shinsho, joua un rôle important dans l’essor du rangaku. C’était l’un des japonais les plus occidentalisés de la e fin du 18 siècle (il vivait même dans une maison de style hollandais). Le chirurgien Bauer (1760-2), le capitaine Jan Crans (un « homme de grand savoir » selon Sugita), le médecin suédois Thurnberg (1775-6) l’avaient formé. Il étudia Chirurgie (1719) de Heister et se mit à pratiquer la saignée. Son école (Yoshio-ryu) devint le phare du komo-ryu geka (nous rappelons qu’il avait enseigné la saignée aux médecins « éclectiques » Tomon Yamawaki et Gengai Ogino ; cf. partie Chapitre 1:I B b) p21). Ainsi l’interprète Yoshio fut en quelque sorte un chainon entre la komo-ryu geka et les études rangaku [173](p39),[242],[106],(p49,79-84). 55 Aussi nous voudrions montrer qu'il y a bien eu changement de paradigme et que cette transition ne s'effectua pas forcément en opposition avec le mode cognitif traditionnel. Pour cela nous allons étudier le cheminement intellectuel des acteurs de cette modernisation. Nous organiserons notre exposé en quatre parties : la transformation de l'anatomie japonaise. la transformation de la chirurgie japonaise. la transformation de la médecine interne japonaise. la transformation de la thérapeutique japonaise. Enfin nous tenons à faire remarquer que ce phénomène de modernisation est indissociable d'un contexte géopolitique et social très spécifique. Sans cette configuration particulière, elle n'aurait jamais pu avoir lieu. Nous aborderons cet aspect de façon plus détaillée au chapitre « L’évolution de la profession médicale » (p171). A La transformation de l'anatomie En l'espace de trente ans furent réalisées trois traductions majeures, bases du savoir anatomique moderne : le Kaitai Shinsho, le Jutei (ou Chotei) Kaitai shinsho, l'Ihan teiko. Avec ces ouvrages le paradigme anatomique changea : les médecins passèrent de l'ancien diagramme splanchnologique à la représentation mécaniste du corps humain. En retour, cette révolution modifia la pratique de la dissection. Nous allons tenter d'analyser le déroulement de cette assimilation. Notre étude concernera les deux processus évoqués ci-dessus, soit : le travail de traduction. la pratique de la dissection. 1) Le travail de traduction Les rangakusha traduisirent des traités d'anatomie baroque. Ils adaptèrent ainsi les ouvrages de Bartholin, Vesling, Remmelin, Blankaart, Palfin, Kulmus,… (nous invitons le lecteur à consulter la liste des traductions des rangakusha en Annexe 2 p312 et Annexe 3 p314). Les publications les plus importantes, furent le Kaitai shinsho, le Jutei Kaitai shinsho20, édition révisée du Kaitai shinsho, et le Ihan teiko21. Parmi eux, le Kaitai shinsho, est un symbole fort de l'histoire des sciences, car on considère qu'il a catalysé la transformation scientifique de la pensée japonaise. Du processus de traduction, nous dégagerons 3 évènements significatifs : la constitution de la terminologie médicale moderne la compréhension des concepts étrangers la révolution de l'iconographie anatomique japonaise 20 L’auteur du Jutei kaitai shinsho est Gentaku Otsuki (1757-1827). Fils d’un médecin de fief, il partit spontanément à l’âge de 22 ans étudier le rangaku auprès de Sugita Gempaku et Maeno Ryotaku. Il fonda la première école de rangaku, le Shirando (1786), et fut appointé au bureau de traduction des livres hollandais du bakufu (1811). On peut le considérer comme le père des études rangaku [106](p119-121). 21 L’auteur de l’Ihan teiko est Genshin Udagawa (1769-1834). Ce médecin traditionnel fut converti au rangaku et adopté par Genzui Udagawa (1755-97). Genzui avait eu un parcours similaire à son élève ; de médecin traditionnel, il était passé rangakusha après avoir rencontré l’équipe du Kaitai shinsho. En plus des enseignements de Genzui, Genshin fut aussi formé par Otsuki [106](p134-135). 56 La vision du corps et son abord différait radicalement d'une culture à l'autre. La médecine occidentale, offrait une conception mécanique du corps basée sur la dissection. La médecine traditionnelle le considérait comme un espace symbolique de correspondance microcosme-macrocosme. Le corps était abordé d'un point de vue philosophique et non expérimental. Ainsi l'organe, quand il existait, était totalement découplé de sa fonction physiologique réelle. Aussi la tâche du traducteur était double : recréer la langue et introduire de nouveaux concepts. a) Constitution de la terminologie médicale moderne Les auteurs du Kaitai shinsho employèrent trois méthodes : la traduction proprement dite (emploi du mot chinois équivalent lorsqu'il existe), la traduction sémantique (création de néologisme à partir de racines chinoises) et la transcription phonétique (sinisation du mot hollandais) [177]. En réalité, ils utilisèrent le moins possible la transcription phonétique qu'ils préféraient réserver aux concepts non élucidés [288],[177]. Ainsi, dans le Kaitai shinsho ils introduisirent des termes encore utilisés : shinkei (nerf), enzui (bulbe rachidien), domyaku (artère), nankotsu (cartilage), monmyaku (veine porte), mocho (caecum), junishi cho (duodénum) [179]. Cette nomenclature fut reprise et enrichie lors des traductions ultérieures. Ainsi, Gentaku Otsuki, lorsqu'il révisa le Kaitai shinsho, créa de nouveaux mots, parmi lesquels : kaibo (dissection ou anatomie), jomyaku (veine), daino (encéphale), shono (cervelet), undo (mouvement), shikaku (perception), sayo (action), bunpi (sécrétion)... [179]. Dans la traduction de De nieuw hervormde anatomie, 1687 de Stephan Blankaart, Udagawa ajouta : sakotsu (clavicule), sen (glande), shibo (graisse), shi shinkei (nerf optique), chitsu (vagin), sui (pancréas), jintai (ligament), fukumaku (péritoine), nyodo (urètre)... [179]. Ainsi, entre le Kaitai shinsho et le Jutei Kaitai shinsho, 1309 nouveaux termes médicaux intégrèrent la langue japonaise [77] 22. A la Renaissance, les médecins européens avaient dû revenir aux racines grecques et latines pour inventer de nouveau termes médicaux [271](p242). De la même façon, les rangakusha utilisèrent le chinois classique pour créer une terminologie moderne, scientifique et compréhensible. Or il ne s'agissait pas d'un simple processus de traduction-combinaison : les rangakusha devaient non seulement changer de langue mais de paradigme scientifique. b) Compréhension des concepts étrangers Les auteurs du Kaitai shinsho ne s'étaient pas trompés en traduisant l'Anatomische Tabellen de Kulmus. En effet, ce traité post-vésalien tenait compte des grandes découvertes physiologiques issues de la philosophie mécaniste. Ainsi Kulmus exposait le système fermé de la grande circulation de Harvey, le système lymphatique ainsi que les concepts de glande et de sécrétion, si chers aux médecins de l'époque [284]. Il donnait quelques notions d'embryologie opposées au concept de génération spontanée ; faisant allusion à l'omne vivum ex ovo de Harvey, à la découverte de la migration de l'œuf dans les trompes de Fallope (sans citer De Graaf), ainsi qu'aux animalcules spermatiques de Leeuwenhoek (nommés 22 En retour, la terminologie scientifique créée par les Japonais sera ramenée en Chine; par exemple le mot nerf: shenjing (ch) shinkei (jpn) [301]. 57 vermisseaux) [160](p199-202). De plus, Kulmus savait reconnaître l'obscurité de certains concepts, comme celui des « esprits-animaux » [160](p92-95), et évoquait la théorie cartésienne de la glande pinéale avec circonspection [160](p88-89). Et s'il lui arrivait de citer la Bible, c'était uniquement dans un but de réconciliation. Par exemple, il interprétait les paroles du Roi Salomon comme des preuves de sa connaissance du système cardio-vasculaire et lymphatique [160](p138). De plus, ce livre destiné aux étudiants et chirurgiens barbiers, était écrit dans un style clair et didactique. Ainsi les débutants japonais ne pouvaient espérer meilleur ouvrage pour comprendre l'anatomie réformée du 17e [32]. Cependant, le message anatomique restait difficile à décrypter pour ces médecins de formation sino-japonaise, ce d'autant plus que leur démarche n'était pas toujours très orthodoxe. Certes, les rangakusha utilisèrent pour la compréhension de nombreux livres européens (pas moins de 12 pour la rédaction du Kaitai shinsho [173] (p40-41)), mais aussi des traités chinois du 17e très influencés par la médecine galéniste des jésuites (le Yixue yuanshi et le Wuli xiaoshi) ou encore des encyclopédies de sciences physiques chinoises comme le Mengxi bitan [179]. Par ailleurs, il semblerait qu'ils ne pratiquèrent que très peu de dissections. Laissés à l'interprétation livresque, les concepts furent donc traduits de façon inégale. Ainsi dans le Kaitai shinsho, la description du cœur et de la rate est plutôt fantaisiste, contrairement à celle, plus correcte, de l'estomac, du rein et de la vessie [288]. Le concept de glande, incompris, fut traduit phonétiquement (Kier->kiriru). Ce n'est que dans le Ihan teiko que l'on voit apparaître la notion de sécrétion et de glande, ainsi que le terme « sen » (glande) [173](p72-73),[198]. Du fait de leur ignorance des lois de l'optique, les auteurs du Kaitai Shinsho furent gênés par les concepts de rayons lumineux, de réfraction. Aussi ils écrivirent « que toute chose qui a une forme [les rayons lumineux], passe à travers l'iris, puis la pupille, pour se réfléchir dans le vitré et ensuite atteindre la rétine ». Pour comprendre le mécanisme de convergence du cristallin, ils s'étaient référés au livre de science Mengxi bitan du polymathe chinois Shen Kuo (1031-1095) : « Si les miroirs ardents renversent l'image des objets qu'ils reflètent, c'est parce qu'un resserrement se trouve en leur sein. Les mathématiciens appellent cela la technique des resserrements. » [179], [288]. Mais, les rangakusha eurent encore plus de mal avec les concepts abstraits de nerfs et de cerveau. Dans ses Tables Anatomiques, Kulmus écrit que le cerveau est « l'organe des sens internes », « qu'il sépare un fluide nerveux » (page 86), et, en note de bas de page : « L'usage du cerveau et des nerfs est de représenter à l'âme tous les objets et tous les changements qui arrivent aux corps, afin qu'elle puisse en porter un jugement convenable […] Les nerfs produisent toutes les sensations et tous les mouvements qui arrivent dans toutes les parties du corps ; mais il n'est pas encore bien démontré si le mouvement se fait par le moyen des esprits animaux, lesquels doivent pour cet effet le porter dans les nerfs, y couler avec une grande rapidité, et leur donner de la force en les gonflant ; ou plutôt si les nerfs ont la force de produire tous les mouvements du corps par leur vertu élastique. » (pages 92-93) 23 23 Rappel sur la neurophysiologie des Lumière Galien pensait qu'il existait au niveau de la base du crane un réseau artériel nommé rete mirabile (filet merveilleux) qui permettait la modification des « esprits vitaux » (provenant de la nourriture) en 58 Or, dans le Huangdi neijing, la conception du système nerveux était totalement différente. Le cerveau et la moelle ne figuraient même pas dans la liste des organes ordinaires, mais dans celle des qiheng zhi fu (6 entrailles curieuses), le couple cerveau-moelle constituant le réceptacle de l'essence séminale issue des reins. De plus, les nerfs n'existaient pas. En fait, la psyché était répartie en quatre entités énergétiques, deux de nature yin (le jing et le po) associées aux influences terrestres et deux de nature yang (le shen et le hun), associées aux influences de l'Éther. Chacune de ces entités étaient entreposées dans un organe : le shen (esprit) situé dans le cœur, le jing situé dans les reins, le hun (âme versant Éther et parallèle au concept de shen) situé dans le foie et le po (âme versant Terre, parallèle au jing) situé dans les poumons [372]. Quant à la perception extérieure, elle était véhiculée par l'intermédiaire des 5 guan (terme que l'on pourrait traduire par organes sensoriels) aux 5 organes solides (wuzang) de la façon suivante : Le nez est le guan du poumon ; L'oeil est le guan du foie ; La bouche est le guan de la rate ; La langue est le guan du cœur ; L'oreille est le guan du rein. Dans un texte du 14e siècle, la fonction des guans apparait de manière encore plus explicite : Par le biais de l'oeil, le foie distingue les 5 couleurs Par le biais du nez, les poumons inhalent les 5 senteurs Par le biais de la bouche, la rate goûte les 5 céréales Par le biais de la langue, le coeur juge les 5 saveurs Par le biais de l'oreille, le rein distingue les 5 sons [301]. Ainsi, à l'inverse de la médecine occidentale, il n'existait pas un organe centralisateur des fonctions sensorielles et psychiques, mais une implication de tous les viscères thoraco-abdominaux. La conception céphalocentrique occidentale dut vraiment paraitre révolutionnaire aux traducteurs du Kulmus. Toutefois, les auteurs du Kaitai shinsho s'affranchirent brillamment de ces différences conceptuelles. D'une part, ils écrivirent : « le cerveau est le centre de la conscience, et gouverne le corps » [302]. D'autre part, ils distinguèrent pour la première fois l'existence d'un système sanguin et d'un système nerveux séparés et différents du système des méridiens, contrairement à leur prédécesseurs, que ce soit Ryoi Motoki dans sa traduction du Pinax ou les interprètes-chirurgiens auteurs des Geka Soden, inspirés de Paré [193]. En dépit de ces avancées, un certain syncrétisme perdurait. En effet, les rangakusha continuaient de lire les classiques chinois afin d'établir des analogies entre les concepts traditionnels et le savoir occidental. Ainsi, Sugita chercha dans le Huangdi neijing les traces des concepts occidentaux de moelle et de cerveau24 ; Otsuki « esprits-animaux » (les traducteurs latins ont traduits pneuma par spiritus animalis) [82](p283). Les deux grands neurophysiologistes du 17e, Descartes et Willis, reprennent l'association galéniste des esprits- animaux à la circulation sanguine, postulant que des esprits-animaux se séparaient du sang après avoir filtrés au travers de pores très étroits au niveau du cerveau. Ces esprits animaux, substance mobile extrêmement fine, diffusaient ensuite dans les tubes nerveux. Boerhaave reprendra lui-aussi ce concept [81, 82] [70]. 24 Dans le Huangdi neijing, on apprend qu'à la conception, l'essence séminale provenant des reins (jing) donne le cerveau et la moelle. Le cerveau est par ailleurs appelé « mer de moelle ». Ainsi, il existe une connexion entre cerveau, moelle et rein (connexion qui est d'ailleurs suggérée sur les planches anatomiques chinoises à partir du 16e siècle) (Cf. Image 18p42). En outre, on apprend aussi 59 accrocha un concept taoïste à la notion de « sens internes ». Mais c'est le néologisme créé par Sugita pour traduire le mot nerf qui est le plus parlant. En effet, Sugita opéra un curieux rapprochement. Il associa l'image du nerf à celle du keimyaku (canal censé véhiculer le ki et le sang, équivalent chinois : ching-mo) et le concept de fluide nerveux à celui de shinki (entité énergétique qui circule dans le keimyaku, équivalent chinois : shenqi). En contractant shin (ki) et kei (myaku), il obtint ainsi shinkei [301]. Par exemple, Otsuki continua sur cette lancée en cherchant une explication au renouvellement du fluide nerveux, fluide qu'il nomme rei eki (liquide suprême). Pour cela, dans l'annexe du Jutei Kaitai shinsho, il adopte la théorie contenue dans le livre Yixue yuanshi inspiré de la médecine des jésuites : le fluide nerveux se renouvelle dans le cerveau pendant le sommeil car il s'épuise quand le corps est en activité. Udagawa reprit textuellement cette explication dans Ihan teiko [179]. Enfin, Sugita n'avait vraiment pas abandonné le concept de ki, car dans des écrits plus tardifs, Sugita shi kazo ho (Le recueil thérapeutique de la famille Sugita) et Isai sensei kazo ho (Le recueil thérapeutique de la famille Isai 25), il attribuait la croissance des tumeurs à « l’accumulation de ki et de sang dans un canal étroit » [193]. Ceci rappelle étonnamment la théorie de stagnation du ki du médecin Kohoha Goto Gonzan. Image 18: Connexion entre rein et moelle, Ere Qing [Source de l’image : [302]] c) La révolution de l'iconographie anatomique Nous allons maintenant étudier la reformulation du message iconographique par les Japonais. Jusqu’à présent, les planches anatomiques japonaises étaient d'un style naïf, que ce soit les schémas sans membres représentant le gozo roppu ou les planches des traducteurs interprètes. En effet, les artistes japonais ignoraient alors la technique de la perspective. Ainsi l'illustrateur du livre de Ryoi Motoki n'avait pas su reproduire les jambes levées (vue en fuite) des personnages représentés dans le Pinax Microcosmographicus de Remmelin. Par conséquent, le personnage japonais (femme) exhibait une jambe étrangement atrophiée (Cf. image 5 p48) [271]. que les liquides issus des aliments, pénètrent dans les os, arrivent au cerveau et à la moelle qu'ils nourrissent, puis redescendent jusqu'à l'entrejambe. Ceci fait constater à Sugita qu'il existe des routes qui montent et descendent du cerveau au coccyx, comparables aux nerfs de la médecine occidentale [302],[179]. 25 Isai étant l’autre nom de Gempaku. 60 Or, à la fin du 18e, un nouveau courant artistique, l'école d'Akita26, rendit possible l'adoption de l'anatomie occidentale au Japon. En effet, une des connaissances de Sugita, le médecin polymathe Gennai Hiraga avait introduit l'art de la peinture hollandaise dans le cercle des samouraïs du fief d'Akita. Hiraga recommanda son disciple Naotake Odano à Sugita pour illustrer le Kaitai shinsho [173](p53). Ainsi, Odano recopia les planches occidentales grâce à sa connaissance de la perspective et du clair-obscur. Sans la maitrise de ces techniques graphiques, ç'eut été plus difficile de crédibiliser l'anatomie hollandaise. L'emploi de la gravure sur bois (xylographie) rendait néanmoins le trait plus épais et donc les contours moins précis que ceux des planches européennes (Tables anatomiques de Kulmus et autres sources utilisées, Cf. Image 24 p66). C'est encore un suiveur d'Hiraga, Shiba Kokan27, qui remédia à ce problème. Peintre d'ukiyo-e et imprimeur, en 1783, il introduisit la chalcographie (technique européenne de gravure sur cuivre décrite dans l’encyclopédie de l’Abbé lyonnais Chomel). Plus tard, les graveurs de l'Ihan teiko et du Jutei kaitai shinsho utilisèrent ce procédé [241], et leurs planches devinrent encore plus proches des originales (Cf. Image 25 p67). Ainsi la collaboration entre les artistes de l'école d'Akita et les traducteurs rangakusha rappelle la coopération entre les illustrateurs et les anatomistes de la Renaissance [31]. Toutefois, il ne s'agissait pas simplement de reproduire des images. Encore fallait-il les adapter au contexte japonais. Déjà, les illustrateurs du Oranda keiraku myakuraku kinmyaku zofuzukai (traduction du Pinax) s’étaient sentis obligés d’épurer les planches hollandaises de tout élément ornemental (Cf. Image 3, Image 4, Image 5, p48). Il s’agissait non seulement de simplifier le contenu mais également d’éviter toute référence religieuse (particulièrement nombreuses dans le Pinax). Les auteurs du Kaitai shinsho furent confrontés au même problème. Ainsi voici un petit aperçu de ces tribulations iconographiques. Au regard des représentations traditionnelles du corps humains, les images contenues dans le Kaitai shinsho avaient valeur de révolution galiléenne. Aussi avant de publier cet ouvrage, les auteurs prirent la précaution de tester une maquette du projet ; ils réalisèrent un fascicule contenant quelques planches anatomiques accompagnées d’un bref commentaire, le Kaitai yakuzu (Cf.Image 19 p64), qui fut 26 L'école de peinture occidentale d'Akita (Ranga Akita) Le rangakusha Gennai Hiraga était un touche-à-tout. Féru d'histoire naturelle (honzo-gaku), il s’intéressait aussi à l'extraction minière, à la confection de thermomètre, de générateur électrique, de vêtements en amiante ou encore la peinture occidentale. C’est ainsi qu’il insuffla au seigneur du fief d'Akita, Shozan (Yoshiatsu) Satake la passion des techniques graphiques hollandaises. Celui-ci fonda alors l'école de peinture occidentale du clan Akita (Akita ranga) et envoya l'artiste Naotake Odano compléter sa formation auprès de Hiraga. Le daimyo Satake écrivit vers 1778 les premiers essais japonais sur l'art occidental, Gaho koryo (Eléments de l'art de peindre), Gazu rikai (Pour comprendre la peinture et la composition), et Tansei (Couleurs). Il introduisit ainsi de nouvelles théories artistiques: la perspective, la réflexion sur l'eau, le clair-obscur, le mélange des pigments... En fait, l'école d'Akita mêlait ces nouvelles techniques aux techniques traditionnelle, traitant ainsi l'arrière-plan à la manière des paysages européens et le premier-plan à la japonaise [271](p214-215),[141],[128]. 27 Le peintre Kokan Shiba (1747-1818) s'intéressa lui-aussi à l'art du trompe-l'œil. Il entra en contact avec Hiraga et Odano. Il voulait redécouvrir la technique de gravure sur cuivre (chalcographie), laquelle lui permettrait de perfectionner les images destinées aux machines à vues alors à la mode (megane). Le missionnaire Giovani Niccolo avait introduit cette technique à la fin du 16e siècle, mais ce savoir-faire s’était envolé pendant la persécution chrétienne. Otsuki traduisit pour Shiba des passages tirés du Dictionnaire économique de Chomel qui décrivaient ce procédé. En 1883 Shiba réalisa alors la première gravure sur cuivre, Mimeguri-zu (Vue du santuaire Mimeguri) [271](p126, 218-219),[216]. Plus tard, il publia Seiyo gadan (Essai sur la peinture occidentale, 1799). Il appelait cette nouvelle technique shashin, c’est-à-dire « copier la vérité », terme qui signifie maintenant photographie [106](p253). 61 présenté par l’intermédiaire de la famille Katsuragawa (lignée de médecins officiels du bakufu) aux autorités [288],[216],[106](p85). Ensuite, ils remplacèrent le frontispice original des Tables anatomiques de Kulmus (Cf Image 23 p65) par celui du Vivae imagines Partium Corporis Humani (Cf. Image 22 p65), un des plagiats du 16e siècle de De fabrica et de l'Epitome de Vésale28. Le frontispice des Tables anatomiques représentait l'allégorie de l'Anatomie ; une femme en train de disséquer un corps féminin dans un théâtre anatomique, avec au premier plan des instruments chirurgicaux disposés sur une table. Le frontispice du Vivae imagines, quant à lui, mettait en scène la chute d'Adam et Ève dans un décor architectural baroque, Adam tenant la pomme de la connaissance, et aux pieds du couple, le serpent, le crâne rappel du caractère éphémère de l'existence humaine, ainsi qu'un compas symbole de la maxime Labore et Constantia (maxime de l'éditeur Plantin d'Anvers) [32],[173](p49). Or, les Japonais avaient une interprétation bien différente de ces images. En effet, l'idée d'une femme chirurgien disséquant le corps d'une autre femme était doublement incongru, tant sur le plan socio-professionnel [171] que culturel (tabou de la dissection). Par ailleurs, les représentations de la nudité n'existaient que dans la littérature pornographique [173](p56). C’est certainement pour toutes ces raisons, qu’ils écartèrent le frontispice des Tables au profit d'un autre, apparemment plus sage, et dont on ignorait bien évidemment le symbolisme chrétien. Quoiqu'il en soit, Odano rajusta certains détails (Cf. Image 20 p65), ramenant tout de même la main d'Adam sur son sexe et échangeant, on ne sait trop pourquoi, le blason aux armes de Philippe II d'Espagne contre deux dauphins [173](p54-55). Moins d'un demi-siècle plus tard, le frontispice des Tables anatomiques réintégrait sa place « originale » dans l'édition révisée du Kaitai shinsho, le Jutei kaitai shinsho d'Otsuki. Le cadavre féminin dérangeant était dissimulé sous un drap, et le microscope, symbole de la technologie occidentale, faisait son apparition au premier plan (Cf. Image 21 p65). Du point de vue épistémologique, il est intéressant de souligner l'importance de l'image dans l'introduction de la médecine occidentale au Japon, et par extension des sciences occidentales. D'une part ce sont les images qui incitèrent les médecins Kohoha à pratiquer des dissections, puis les médecins rangaku à traduire les livres médicaux hollandais. En effet Sugita écrivit à propos du premier livre occidental qu'il eut l'occasion de voir (il s'agissait du Chirurgie de Lorenz Heister [162]) : « Cela va sans dire, j'étais incapable de lire le livre, pas un mot, pas une ligne. Mais ses illustrations semblaient fondamentalement différentes de celles des livres japonais ou chinois. Rien qu'en contemplant leur précision exquise je me sentais comme illuminé. Aussi j'empruntai le livre pour un certain temps car je voulais au moins en recopier les images. » [102], Chapitre 10. Ainsi la révélation des initiateurs du projet Kaitai shinsho semble d'abord d'ordre artistique avant d'être scientifique. L'image occidentale induisit un changement de regard sur le monde, prémisse de la démarche objective en science. Dans l'introduction du Kaitai shinsho, Sugita déclare : « Tous ceux qui lisent ce livre 28 L’histoire de ce livre est assez complexe. L’éditeur fit regraver les planches du Historia de la composicion del cuerpo humano de l’espagnol Juan Valverde de Amusco, qui lui-même avait plagié celles de la Fabrica de Vésale. Pour le texte, on reprit l’Epitome de Vésale et Anatomes totius ære insculpta delineatio (1565) de Grévin (ce dernier s’inspirait du Compendiosa totius anatomes delineatio (1545) de l’Anglais Gemini, qui lui-même était un abrégé de l’Epitome) [69]. 62 doivent changer leur manière de voir. » [177] Ainsi l'expression memboku o aratameru (changer sa manière de voir) est omniprésente dans les écrits de Sugita [162]. Celle-ci résonne avec la pensée du seigneur Shozan, le fondateur de l'école d'Akita. Dans son traité d'art Gaho koryo, Shozan écrit : « Une peinture a de la valeur lorsqu'elle représente exactement l'objet dépeint. […] Il existe une théorie selon laquelle l'esprit d'une peinture est plus important que la représentation réaliste ; cette conception cependant perd de vue l'objet réel de la peinture. » [271] De la même façon, l'artiste occidentalisant Shiba disait : « Un tableau qui ne représente pas la réalité fidèlement n'est pas bien fait […]. Les tableaux orientaux n'ont pas de précision dans le détail, et sans cette précision, un tableau n'est pas réellement un tableau. [...] Aucune technique autre que celle qui nous vient de l'Occident ne peut donner complètement cette sensation de réalité. » [271](p219) Ainsi anatomistes et artistes avaient en même temps pris conscience de la nécessité de changer de perspective. D'autre part, pour diffuser le nouveau message anatomique et convertir les esprits, il fallait aussi maitriser l'outil de persuasion, c'est-à-dire le dessin occidental. C'est à ce moment que les intérêts des artistes et des médecins convergèrent. Néanmoins ils devaient persuader sans choquer. Dans ce sens, l'image avait valeur de baromètre ; le destin du frontispice du Kulmus en est un bon exemple : son rejet puis sa réintégration peut suggérer l'assimilation de concepts culturels très abstraits en à peine un demi-siècle (ici, la représentation allégorique de l'Anatomie).Tout au moins, elle reflète une disposition d'ouverture inconditionnelle au modèle choisi (en l'occurrence le modèle européen), selon une logique d'aspiration des données, symptomatique du phénomène rangaku. Enfin, l'ensemble de ces phénomènes n'est pas complètement exogène, il s'inscrit dans une démarche cognitive confucéenne. En effet, le confucianisme considère la perception comme un processus actif et l'objectivité comme une obligation spirituelle. Et c'est au nom de cet enseignement que Sugita appelle à un changement de regard sur le monde. De la même manière, les artistes occidentalisant d'Akita revendiquent le réalisme en art comme l'objectif des études pratiques, le jitsu-gaku [162]. 63 Illustrations de la partie « Le travail de traduction » Image 19 : Planches anatomiques du Kaitai Yakuzu (1773), maquette du Kaitai shinsho. Ce fascicule qui contenait 5 planches de texte et d’illustrations fut utilisé pour tester la réponse sociale du Kaitai shinsho [Collection : Université de Tokyo]. 64 Image 20 : Frontispice du Kaitai shinsho (1774) par Gempaku Sugita, Ryotaku Maeno, Hoshu Katsuragawa, Junan Nakagawa, Genjo Ishikawa (avant-propros), [Collection : Université de Waseda] Image 21 : Frontispice du Jutei kaitai shinsho, Gentaku Otsuki, (1826). Un microscope (symbole du rangaku) fait intrusion dans le frontispice de Kulmus, [Collection : Université de Tokyo] Image 22 : Frontispice de l’édition d’Anvers de Vivæ imagines partium corporis humani æris formis expressæ (Anvers, Plantin, 1566), [Collection : BIUM] Image 23 : Frontispice des Tables anatomiques de Kulmus (éd. française de 1734), traduction Pierre Massuet, [Collection : Université de Keio] 65 Image 24 : Planches extraites : du Kaitai shinsho, 1774 (colonne de gauche) [Collection : National Library of Medicine] des Tables anatomiques de Kulmus, édition française de 1734 (colonne de droite, en haut) [Collection : Université de Keio] du Ontleding des menschelyken lichaams de Bidloo, 1690 (colonne de droite, en bas) [Collection : National Library of Medicine] 66 Image 25 : Colonne de gauche, planches extraites du Jutei Kaitai shinsho de Gentaku Otsuki (2e édition, 1843) [Collection Université de Tokyo], colonne de droite, planches extraites de De corporis humani fabrica libri septem de Vésale, 1543 [Collection : National Library of Medicine]. Dans la version japonaise, le caractère allégorique des planches s’efface devant l’intérêt anatomique ; ainsi l’arbre mort sur lequel se lamente le squelette fait place à une omoplate. 67 2) La pratique de la dissection Les japonais pratiquaient de plus en plus de dissections, et compulsaient leurs observations dans des rouleaux, ou kaibo-emaki. On peut distinguer trois types de démarches : .une démarche de vérification des classiques, dite « biaisée » .une démarche plus objective, mais profane .une démarche scientifique a) La démarche de vérification des classiques Les médecins réalisaient des dissections, mais leurs observations n'étaient pas forcément personnelles et objectives. En fonction de leur école, ils pouvaient soit chercher à recopier les dessins occidentaux, soit la splanchnologie chinoise traditionnelle. Par exemple, l’auteur du Kaitai hatsumo (1813), qui réalisa une dissection en 1802, a néanmoins complètement repris les illustrations du Kaitai Shinsho. Système vasculaire, canal thoracique et réseau chylifère mésentérique, nerfs rachidiens, tous sont tirés de l’iconographie occidentale (Image 27 p73). L'auteur du makemono conservé à la Bium31 adopte quant à lui une démarche mixte. D'une part, il se réfère au Kaitai shinsho pour introduire de nouvelles structures anatomiques, notamment le ligament rond (« la bande du nombril ») (Cf. Image 28 p74), ou encore le fameux terme shinkei (nerf). D’ailleurs il cite l'ouvrage à plusieurs reprises. Mais, en même temps, son intérêt prononcé pour la splanchnologie trahit sa filiation chinoise. Ceci se confirme avec la description du système urinaire et du cœur (Cf. Image 28 p74). Il décrit le rein comme un organe de reproduction, ayant l'odeur et la couleur du sperme, et ne communiquant pas avec la vessie (absence des uretères au pole supérieur de la vessie). Enfin, même s'il décrit l'existence de 4 cavités cardiaques, il ne peut retrouver le nombre de gros vaisseaux et explique que « Conformément à l'ancienne théorie, il [le cœur] possède 7 ou 8 vaisseaux. » [118],[173] (p69-70) b) La démarche profane Sous des abords pseudo-scientifiques, la séance de dissection permettait également d'assouvir une curiosité profane. Les auteurs de certains kaibo-emaki semblaient ainsi poursuivre un objectif plus artistique que scientifique. Au lieu d'objectiver des structures anatomiques, les schémas ne faisaient que traduire le réalisme du corps disséqué, à renfort de couleurs et de détails glauques égarant le lecteur. Les têtes étaient représentées sectionnées, sanguinolentes (Cf. Image 30 p75). L'œuvre rapportait souvent le nom de l'individu disséqué (Heijiro29, Aocha Baba30, San’nosuke31). On était donc très loin des corps magnifiés, en noir et blanc, vivants et anonymes de l'anatomie baroque. Ici la lecture anatomique était rendue malaisée, et passait d'ailleurs au second plan [207](Cf. Image 29 p74). Ainsi dans le Seyakuin 29 Le criminel de 40 ans disséqué en 1784 à Kyoto a donné son nom au kaibo-emaki Heijiro zozu (Organes d’Heijiro). Cette séance fut réalisée par Nankei Tachibana assisté de Genshun Koishi et du peintre Ranshu Yoshimura [241], [297]. 30 Aocha Baba (Mémé Aocha, Aocha signifiant Thé vert) est la criminelle d’une cinquantaine d’années dont le corps fut disséqué devant Gempaku Sugita, Ryotaku Maeno et Junan Nakagawa en 1771. 31 Criminel disséqué à Osaka en 1796. Un makémono conservé au musée Naito rapporte cette séance ; la BIUM en possède une copie réalisée en 1842, le manuscrit référencé 2228-479 [132]. 68 kainan taizozu (Anatomie masculine illustrée de Seyakuin32, 1799), Sokichi Hashimoto sous-titre en hollandais des structures anatomiques à peine reconnaissables (Cf. Image 31 p76). Au regard de ces éléments, la séance de dissection s'apparentait parfois plus à un spectacle et le kaibo-emaki à une performance artistique. Mais le réalisme morbide de ces kaibo-emaki avait peut-être une autre dimension. En effet, il existe dans l'iconographie bouddhique une image intitulée les « 9 aspects du cadavre en décomposition » (kusozu). Cette image qui montre des stades successifs de la décomposition d'un cadavre féminin, a pour vocation de révéler la vacuité de l'existence humaine d'une manière similaire aux vanités de la Renaissance [165] 33. Aussi, il serait tentant de rapprocher ce type de kaibo-emaki des ouvrages d'anatomie moralisée européens. Ainsi, sous Edo, la dissection semble répondre à une curiosité profane, tout au mieux elle permet de vérifier les connaissances contenues dans les classiques (traités traditionnels ou Kaitai shinsho). Cependant, il ne faut pas oublier que cette pratique était encore toute jeune et les interdits culturels prégnants. En effet, les obstacles à la dissection étaient nombreux. En premier lieu, il fallait obtenir l'autorisation du magistrat de la ville (bugyo). Ensuite, la séance devait se terminer dans la journée et il était interdit de conserver des parties de cadavres [241](p68). Seules les dissections de condamnés à mort étaient permises. Parfois les médecins négociaient directement avec le condamné le droit de disséquer sa dépouille en échange d'une réduction du supplice34. Aussi, vue la rareté des occasions, une séance de dissection pouvait rassembler plusieurs dizaines de médecins autour d'un cadavre [241] ; comme le montre le rapport de dissections du rangakusha Sanpaku Inamura (1758-1811), élève de Gentaku Otsuki (Cf. Image cidessous). Image 26 : Compte-rendu des séances de dissection qui eurent lieu à Kyoto en 1806 sous la direction de Sanpaku Inamura, [Source : collection Blondelet [71]] 32 Rapport d’une dissection réalisée en 1798 à Kyoto par Kanzen Mikumo sur le corps d’un homme de 34 ans. Explications écrites par Genshun Koishi, illustrations réalisées par l’artiste Ranshu Yoshimura, et annotations en hollandais par Sokichi Hashimoto. [241], [297] 33 A l’époque médiévale, les moines contemplaient les « 9 stades de la décomposition » de cadavres exposés à l’air libre. Cette pratique avait pour vocation de canaliser les désirs, notamment sexuels. Ce concept se retrouve en littérature dans un genre nommé kusokanshi (poème de contemplation des 9 stades de décomposition du corps) [150]. 34 Ainsi, en 1759 à Yamaguchi, une jeune femme de 17 ans avait été condamnée à la crucifixion pour avoir agressé physiquement son mari infidèle. En échange d'une décapitation, elle laissa Koan Kuriyama, l'élève de Toyo Yamawaki disséquer son corps. Ce fut ainsi la première dissection d’un cadavre féminin au Japon [47](p67). 69 Enfin, les médecins eux-mêmes n'étaient pas détachés des croyances shintobouddhistes. Certains demandaient officiellement pardon à l'âme insultée du défunt. Ainsi le manuscrit (référence 2228-479) de la BIUM relate une cérémonie de ce type. Le médecin implore le pardon de l’âme du supplicié. Mais il déclare agir sous le patronage de l’Empereur Jaune et de son ministre médecin Qi Bai 35, donc pour faire avancer l’art médical. Enfin il rajoute que la dépouille a été reconstituée et déposée honorablement dans une urne, qu’une libation fut faite et une prière dite [118]. Les préjugés socioculturels entourant la dissection rendaient le travail des anatomistes japonais très difficile. Mais l'esprit expérimental n'était pas pour autant absent, et l'on peut même noter une progression de la qualité des travaux anatomiques sous Edo. c) La démarche scientifique Les personnalités qui illustrent le mieux ce courant positiviste sont Shinnin (Nobuto) kawaguchi, Fuseya Soteki et Neiichi (ou Yasukazu) Minagaki. La première dissection scientifique par Shinnin Kawaguchi 36 Au lieu d'assister passivement au travail des etas, comme c'était la règle sous Edo, Kawaguchi (1736-1806) réalisa lui-même la dissection de deux suppliciés en 1770. Il préleva systématiquement chaque organe, y compris le cerveau, et les passa à son compagnon (Harada) qui en apprécia la forme. Il insuffla de l’air dans les poumons à l’aide d’un bambou, et observa la modification du contenu intestinal [207]. Cette démarche traduit un changement. Elle se rapproche de celle de Vésale : kawaguchi ne délègue pas la préparation aux etas (comme les médecins de la Renaissance qui se reposaient sur les chirurgiens barbiers) et décide de faire preuve d'objectivité (il ne se laisse pas guider par un livre). L'intérêt qu'il porte au cerveau, jusque-là négligé du fait de son rôle secondaire en médecine traditionnelle, est la preuve de son objectivité. Il s'agit donc de la première dissection menée d'une manière moderne et détachée. Or Gengai Ogino, maitre de Kawaguchi et ancien disciple du pionnier Toyo Yamawaki, avait également assisté à cette dissection. Du fait de son appartenance à l’école Kohoha, Ogino était encore tiraillé entre le respect du Huangdi neijing et la réalité anatomique [182]. Il voulut s’opposer à toute publication. Malgré ces réticences [207], Kawaguchi fit sculpter les matrices par un artiste et la description de l’autopsie parut en 1772 sous le nom de Kaishihen (Commentaires sur l'autopsie d'un cadavre, 1772) (Cf. Image 32 p77). Désormais on apprenait que la morphologie des poumons décrite par les anciens ne correspondait pas à ce que l’on pouvait observer chez le cadavre, pas plus que l’emplacement de la rate et de l’estomac, etc. [182] Le contexte psychologique de cette publication est très important : la découverte expérimentale détronait enfin l’attitude révérencieuse envers les classiques. 35 dont les dialogues légendaires constituent la trame du canon de la médecine chinoise, le Huangdi Neijing. 36 Shinnin kawaguchi avait d’abord étudié la Komo geka à Nagasaki auprès de Doi Kurisaki et du célèbre interprète Kogyu Yoshio. Il devint ensuite l’élève de Gengai Ogino, le disciple de Toyo Yamawaki [207]. 70 La physiologie expérimentale de Soteki Fuseya, Shosai Oya et Bunken Kagami Oya et Kagami injectèrent directement de l'indigo dans le parenchyme rénal d'un cadavre au cours d'une dissection. Leur expérience est immortalisée dans Kansei no fujin kaibozu (Planche anatomique du corps de la femme observée en 1800) dans lequel on voit l'encre bleue remplir les uretères et la vessie (Cf. Image 33 p78). Leur ami Fuseya (1747-1811) reproduisit cette expérience chez l'animal. Il injecta cette fois de l'encre de Chine directement dans l'artère rénale d'un porc, puis, après avoir pressé le rein et la vessie, put voir de l'eau assez peu teintée s'écouler du pénis. Coupant le rein en deux, il retrouva le pigment noir retenu dans le cortex (Cf. Image 34 p78). Par la suite, il vérifia la reproductibilité de cette expérience chez d'autres espèces animales. Dans Oranda Iwa (Discours sur la médecine hollandaise, 1805), il conclut : « le composant noir de l'encre de Chine est analogue au sang, et l'eau claire à l'urine » [122]. Dans ces expériences, deux éléments paraissent importants : l'emploi d'une technique d'injection et le changement de paradigme anatomique. Ces japonais avaient peut-être eu vent des techniques d'injections pratiquées par les européens au 16e et 17e. Par exemple Kulmus disait en note des Tables anatomiques : « Quand on serre avec un fil la veine émulgente, comme le pratiquoient Eustache, Bellini et Malpighi, et que l'on seringue ensuite quelque eau colorée dans l'artère émulgente [...] » (Tables anatomiques, édition française 1734, p194). Toutefois cette éventualité reste peu probable, cela pour deux bonnes raisons ; d'une part ces médecins ne lisaient pas le hollandais, et par ailleurs, les auteurs du Kaitai shinsho n'avaient pas traduit les notes du Kulmus. On peut donc penser qu'il s'agissait d'une découverte originale. Par ailleurs, ces médecins se projetaient dans un nouveau paradigme anatomique. Selon les théories chinoises, l'urine était formée dans les intestins alors que les reins étaient impliqués dans la reproduction. Or la littérature rangaku exposait l'idée d'une épuration rénale du sang. En effet dans Oranda Iji mondo (Discours sur la médecine hollandaise, publié en 1795), Sugita reprenait le concept de « séparation sanguine » de l'urine exprimé dans les Tables anatomiques de Kulmus 37 puis comparait le rein à un pot en terre cuite capable de filtrer l'encre de Chine [122]. Cette analyse, bien qu'anatomiquement grossière, résumait cependant bien l'essentiel des connaissances physiologiques européennes38. 37 Les galénistes pensaient qu'il existait une membrane filtrante horizontale (le colatorium ou crible), séparant le rein en une cavité supérieure (recevant le sang artériel et veineux) et une cavité inférieure (recevant l'urine filtrée); Vésale réfuta cette théorie par la dissection. Il introduisit l'idée que le tissu rénal était en lui-même un filtre: « Au contraire, c'est la masse rénale en elle-même, qui grâce à des propriétés congénitales et dans des proportions correctes et appropriées filtrera les sérosités provenant du sang artériel et veineux distribué dans la masse rénale et amenant ce filtrat dans la cavité, il quittera le rein au travers du conduit urinaire » (Extrait de De Humani Corporis Fabrica tiré de [83]). L'anatomie fonctionnelle de la « boite noire » rénale s'affina quelque peu au cours du 17e siècle, notamment grâce aux travaux de Bellini, Ruysch, Malpighi et la redécouverte des travaux d'Eustachio au début du 18e siècle [204], [272]. Enfin, au milieu du 19e siècle Bowman et Ludwig formuleront les premières théories concernant la filtration glomérulaire, la sécrétion et la réabsorption tubulaire. 38 On trouve dans l'édition française de 1734 du livre de Kulmus, deux passages se référant à l'épuration sanguine rénale: Page 193: « La circonférence de cette substance qui en est comme l'écorce n'est pas constituée de glandes; mais d'une infinité de petits vaisseaux qui séparent l'urine. », puis page 194: « Usage: Les 71 Par conséquent, on peut dire qu’Oya, Kagami et Fuseya validaient expérimentalement l'hypothèse physiologique occidentale : primo, Oya et Kagami montraient la continuité existant entre la vascularisation rénale et le tractus urinaire ; secundo, Fuseya prouvait la fonction de filtre du rein [251],[45]. Le premier anatomiste japonais, Neiichi (ou Yasukazu) Minagaki Contrairement à ses prédécesseurs qui se contentaient d'adapter les schémas occidentaux après avoir réalisé une ou deux dissections, Neiichi Minagaki (17841825) disséqua 40 cadavres et dessina lui-même, à la manière occidentale, les 83 planches de son Kaibo sonshinzu (Planches anatomiques exactes, 1819) (Otori 1964)(p270), (Ogawa 1975)(p68). Certes il est difficile de juger de l'originalité réelle des observations de Minagaki. Par ailleurs, il ne s'était pas complètement émancipé de la tradition artistique japonaise. Néanmoins, son initiative semble plus proche d'une réelle démarche scientifique. Par ailleurs, Minagaki reçut les compliments de Siebold ; celui-ci, impressionné par la qualité des illustrations (Cf. Image 30 p75) parafa l'ouvrage au côté des deux rangakusha Genshin Udagawa et Gentaku Otsuki. D'autres travaux scientifiques : La structure de l'œil fut correctement décrite par l'ophtalmologue Ryukei Sugita dans le traité Ganka shinsho, 1815 (voir partie Ophtalmologie p110) Le canal thoracique fut réellement observé en 1822 (Kaizo-Zofu (ou zufu) de Tozo Ikeda, 1822) (Cf. Image 35 p79). Le système lymphatique intriguait beaucoup les médecins japonais mais jusque-là on n'était jamais parvenu à individualiser le canal thoracique [241], [198](p310). En ostéologie, nous pouvons citer l'anatomie factice des orthopédistes Ryotsu Hoshino et Bunken Kagami ainsi que du médecin Banri Okuda (squelette en bois ou mokkotsu, Cf. Image 36 p79) (voir partie La chirurgie générale p117). reins purifient le sang, et le séparent d'avec la sérosité qui s'y trouve » [160]. 72 Illustrations de la partie « La pratique de la dissection » Image 27 : Système nerveux, système vasculaire et réseau chylifère mésentérique. Colonne de gauche: Kaitai hatsumo [édition de 1823], colonne de droite: Kaitai shinsho [Collection : Université de Waseda] 73 Image 28 : Kaibo-emaki (makemono) réalisé d’après la dissection du criminel San’nosuke en 1796 (daté 1842). A gauche, le ligament rond, une conquête de l'anatomie occidentale. A droite, le cœur, figuré en rouge selon la tradition chinoise [Collection : BIUM ; clichés personnels], (Commentaire d’après[118] ,[173],[132]) Image 29 : Kaibo-emaki (makemono) réalisé d’après la dissection du criminel San’nosuke en 1796 par Iku Miyazaki [Collection : Musée Naito]. Cette peinture, n’offrant aucun intérêt anatomique, se rapproche étonnamment de la tradition du kuso-zu (« les 9 aspects du cadavres en décomposition »). 74 Image 30: Kaibo sonshinzu (Planches anatomiques exactes, 1819) par Neiichi Minagaki [Collection : Université de Tohoku] 75 Image 31: Seyakuin Kainan Taizozu (1799). Rapport d’une dissection réalisée par Kanzen Mikumo en 1798, Genshun Koishi (auteur du texte), Ranshu Yoshimura (artiste), Sokichi Hashimoto (auteur du sous-titrage hollandais). Ici l’articulation glénohumérale à peine reconnaissable (Schouder bladen = omoplate) [Collection : Université de Waseda] 76 Image 32 : Kaishi-hen de Shinin Kawaguchi (Commentaires de l'autopsie d'un cadavre, 1772) [Collection : National Library of Medicine]. Rapport de la première dissection réalisée de manière objective en 1770. L’auteur critique la théorie des 5 viscères et 6 entrailles et dissèque pour la première fois le cerveau. 77 Image 33 : Kansei no fujin kaibozu (Planche anatomique du corps de la femme observée en 1800) de Shosai Oya et Bunken Kagami. Expérience montrant le passage d’encre indigo dans le tractus urinaire [Source de l’image : [122]] Image 34 : Oranda Iwa (Discours sur la médecine hollandaise, 1805) de Soteki Fuseya: Injection d’encre de Chine dans l’artère rénale d’un cochon. Le texte japonais au bas du dessin situé dans le cadran supérieur gauche stipule que l’urine émergeant de l’uretère est relativement peu teintée (la couleur noire sur le dessin illustre seulement le passage de l’urine) ; en coupe sagittale, l’encre reste dans le cortex [source de l’image : [122]] 78 Image 35 : Kaizo zufu, Tozo Ikeda (1822). Planche représentant une anse intestinale avec son pédicule lymphatique et le canal thoracique d’après une dissection réalisée en 1821. Correspond à la première observation du canal thoracique au Japon [Collection : National Library of Australia] (commentaire d’après [241]). Image 36 : Squelette en bois (Mokkotsu) réalisé sous la direction du Dr Banri Okuda, Edo (circ.1820). Bois de cyprès naturel, articulations peintes en blanc, attaches par système de pivot en bronze ou de tenon/mortaise. Il correspond au squelette d’une femme adulte. Les os sont disposés dans 5 boites de paulownia, prêts à l’assemblage (image de gauche), [Collection : National Museum of Nature and Science, Tokyo] (commentaire d’après [16]) 79 Conclusion de la partie « La transformation de l‟anatomie » Avec la traduction du Kaitai Shinsho (1771-1774), l'anatomie japonaise entrait dans une nouvelle ère. En effet les auteurs du Kaitai Shinsho, du Jutei Kaitai Shinsho et du Ihan Teiko mirent en place les bases de la terminologie moderne et introduisirent les concepts fondamentaux de l'anatomie réformée du 17e siècle. Grâce à l'émergence du mouvement réaliste d'Akita dont les membres étaient proches du milieu rangaku, l'iconographie s'occidentalisa et devint persuasive. D'un autre côté, la pratique de la dissection devint plus expérimentale, scientifique, grâce à des médecins tels que Shinnin Kawaguchi, Neiichi Minagaki, Soteki Fuseya, Shosai Oya, Bunken Kagami... Toutefois, ce phénomène ne concernait qu'un certain nombre de médecins, lesquels n'avaient pas totalement rompu avec le paradigme traditionnel. En effet, les rangakusha recyclaient des termes et des concepts chinois. Par ailleurs, la majorité des médecins qui pratiquaient des dissections le faisaient dans un souci de vérification des classiques, que ce soit les rangakusha avec le Kaitai shinsho ou les médecins traditionnels avec les classiques chinois. 80 B La transformation de la médecine et de la thérapeutique 1) Médecine De la publication du Kaitai shinsho (1774) à la restauration de Meiji (1868), les rangakusha ont cherché à assimiler les principes de la médecine occidentale. Aussi il est possible de distinguer 3 phases : -1774-1850 : introduction de la médecine mécaniste de Boerhaave (médecine des Lumières) -1820-1855 : introduction de la médecine vitaliste de Hufeland -1857-1868 : introduction de la médecine scientifique ; école anatomo-clinique française, école cytologique allemande. Enfin, en ce qui concerne la protoinfectiologie (on se place ici avant la révolution bactériologique), il est illusoire d'envisager une étude chronologique. En l'absence d'une théorie unificatrice, plusieurs modèles étiologiques coexistaient. Avec l'essor des études rangaku, ces branches évoluèrent de façon indépendante. Nous traiterons donc ce sujet à part, de manière transversale (par modèles) et non chronologique. a) La médecine des lumières Proche de l'école de Leyde par ses amis Linné et Burmann, le médecin du comptoir Karl Peter Thunberg (1775-6) a très probablement introduit la médecine des Lumières au Japon39 . En effet, lors de la visite de protocole au shogun (Edo), il sensibilisa deux des auteurs du Kaitai shinsho, Hoshu Katsuragawa et Junan Nakagawa, aux théories de Boerhaave, Rosen von Rosenstein, van Swieten et de Gorter [2, 98]. Ses successeurs, les Allemands Bernard Keller, Herman Retzke (rencontra Otsuki), ou encore l'élève de Plenck, Hermann Helke (rencontra Ryotei Shingu) ont également influencé le milieu rangaku de l'époque [98](p53-54). Mais les rangakusha ont surtout appris par eux-mêmes, en traduisant les ouvrages occidentaux du 17e et du 18e siècle. Ainsi Genzui Udagawa (1755-97), initié par le cercle du Kaitai shinsho, traduisit Gezuiverde geneeskonst (1744) de Gorter (Seisetsu naikasenyo, 1793-1810). Son élève, Genshin Udagawa (1769-1835), en plus de peaufiner Gorter, traduisit entre autres, Korte beschryving (1760) de van Swieten, Practicaal geneeskundig (1761) de Heister mais aussi Nieuw lichtende (1678) du iatrochimiste Blankaart (Zoho-chotei naikasenyo (1822); Ensei gunchu-byoho (date inconnue) ; Heister naikasho, (date inconnue) ; Blankaart naikasho (1798) [216]. Cependant les Japonais n'étaient pas assez dégagés du paradigme traditionnel pour comprendre les principes de la médecine mécaniste basée sur la pensée de 39 L'école de Leyde est fondée par le grand précepteur Hermann Boerhaave (1668-1738). Elle avait plusieurs extensions: -l'école de Vienne, dont faisait partie Van Swieten, de Haen, Stork, Gorter. -l'école d'Édimbourg avec Huxham -l'école allemande avec Heister Le suédois Rosen von Rosenstein (considéré comme le père de la pédiatrie) et le polymathe suisse Haller furent aussi des élèves de Boerhaave. Plenck, quant à lui, était le suiveur de Stork et de de Haen. 81 Descartes et de Newton. De plus, l'apprentissage du hollandais se faisait en même temps que l'on traduisait. Aussi Genshin écrivit en 1822 : « Si un médecin désirait savoir quel traitement rationnel prescrire dans un cas particulier, il n'avait plus qu'à se lamenter ; et ceux qui désiraient acquérir le savoir qui leur manquait pour avancer dans leurs études, finissaient par se désespérer et à tout abandonner en plein milieu. » 40 En fait, les traducteurs ne réalisaient même pas la parenté d'école qui existait entre tous les auteurs traduits [3]. Genshin s'aperçut néanmoins que l'on citait souvent un certain Grooten Boerhaave (le Grand Boerhaave) dans la littérature hollandaise [2]. Pressentant que Boherhaave tenait un rôle important dans la pensée médicale européenne, il mit un de ses élèves, Shindo Tsuboi (1795-1848), à l'étude du grand théoricien [78]. Au lieu de s'attaquer directement aux trop ardus Aphorismes de Boerhaave, Shindo traduisit Verklaaring der korte (1760-63) de van Swieten (Manbyo chijun, 1823-26). C'était un choix judicieux car cet ouvrage explicitait de façon simple les principes de Boerhaave (Van Swieten avait mis 34 ans à commenter les 1479 aphorismes de son maître Boerhaave) [78]. Contrairement à son maître Udagawa, Shindo Tsuboi parvint à s'émanciper du paradigme de pensée confucianiste et employa des termes plus appropriés41. Ceci lui permit de formuler les grandes théories de la médecine mécaniste : -la circulation sanguine mue par le cœur (le motus sanguinis de Harvey) [78] -le processus mécanique de la digestion42 [78] -la théorie de la préformation des organes43 [79] -la théorie de la transformation mécanique de la nourriture en sang 44 [79] -la théorie de la structure fibrillaire des tissus [106]( p227) 40 Genshin Udagawa cité par Beukers [32]. Les rangakusha et la traduction du mot nature Tsuboi et Udagawa édulcorèrent le sens originel des concepts européens en recyclant le vocabulaire confucianiste. Ceci est flagrant pour la notion de nature. Au 17e, vitalistes et mécanistes s'opposent sur l'interprétation du sens du mot physis chez Hippocrate. Selon les vitalistes, la nature chez Hippocrate signifie l'esprit, alors que pour les mécanistes, elle correspond à la structure corporelle. Les Japonais, cherchant à traduire la vision mécaniste de la nature humaine, remplacent alors le mot nature par des termes confucianistes (shizen, honzen). Or la pensée néoconfucianiste est dans un sens plus proche du vitalisme; en effet on peut rapprocher le ki de l'anima de Stahl. Aussi des termes confucianistes ne peuvent pas rendre l'idée d'un corps matériel inanimé. Par ailleurs, pour expliciter la notion de nature mécaniste, Udagawa utilise carrément la philosophie Zhu Xi: « la nature (shizen) est une phénoménalisation du Ri » . Ceci contredit totalement la doctrine mécaniste. En effet celle-ci repose sur l'idée d'un corps-machine qui se meut de lui-même, et rejette l'intervention de toute force immatérielle. Ainsi, en ne s'affranchissant pas du paradigme néoconfucianiste, Udagawa finit par transformer le discours mécaniste d'Heister en vitalisme. Chez Tsuboi, l'emploi de termes traditionnels se fait par nécessité linguistique et non philosophique. Il comprend, contrairement à son maître, l'essence de la doctrine mécaniste et ne cherche pas à faire correspondre deux philosophies incompatibles. Ainsi, même si elle n'est pas exempte de connotation confucianiste, sa traduction s'éloigne moins de l'original mécaniste [78]. 42 Selon les mécanistes, le sang provenait de la transformation mécanique de la nourriture au cours de son passage par le tractus digestif, le cœur, les vaisseaux puis dans les poumons sous l'action de l'air; Cette théorie contredisait la tradition galéniste qui situait l'hématopoïèse dans le foie. 43 Selon les préformationnistes ovistes, le corps existe déjà à l'origine sous forme miniature dans l'ovule et ne fait que croître lors du développement. 44 Digestion et circulation apparaissaient comme des processus fonctionnant de manière mécanique sans l'intervention de la volonté, ce qui démontrait la validité de la théorie mécaniste, tout en invalidant la théorie vitaliste de Stahl. 41 82 Le Manbyo chijun introduisit également des notions abstraites telles que l'idée grecque de physis, la signification mécaniste du mot natuur [2] [78], ainsi que la conception d'un microcosme biologique, héritage de Leeuwenhoek et Malpighi. Jusque-là les rangakusha possédaient quelques notions d'anatomie (issues du Kaitai shinsho) et de thérapeutique occidentale (chirurgie, saignée), mais ignoraient les théories médicales sous-jacentes [3]. Aussi, même s'il véhiculait un savoir vieux de cents ans, et sans aucun intérêt pratique, le Manbyo chijun constituait une étape épistémologique importante en médecine : l'acquisition du mode de pensée mécaniste. Ainsi cet ouvrage stimula les rangakusha à s'intéresser à la philosophie médicale du 18e, mais aussi aux sciences fondamentales qui la sous-tendaient [2]. Yoan Udagawa (1798-1846), un autre élève de Genshin Udagawa, écrivit et publia le premier ouvrage de chimie moderne, Semi Kaiso (1836-1846), principalement à partir des livres de Lavoisier, Henry, et plus accessoirement de Kasteleijn, Trommsdorff et Stratingh [106](p137-138). Il construisit également la première pile vers 1830 [339]. Enfin, le disciple de Tsuboi, Genkyo Hirose (1821-70), exposa le principe d'irritabilité de Haller45 dans Chiseiron (publié en 1856) (traduction de Handleiding tot de physiologie de Ypey, 1809) [98],[152],[291]. b) La médecine vitaliste allemande L'introduction de la médecine allemande remonte aux années 1820. Elle coïncide avec le passage à Dejima de Siebold (1823-29), un médecin allemand qui avait reçu une formation académique à Wurzburg [138](p122-124). Ce fut le premier médecin du comptoir autorisé à instruire directement des étudiants japonais dans une école à Nagasaki (1824) [174]. Après son départ (1929), ses étudiants se lancèrent brutalement dans la traduction des auteurs allemands [138]. Un des plus doués, Choei Takano (1804-50) écrivit Igen suyo (publié en 1832) à partir des traités de physiologie de l’Allemand Roose (Handboek der natuurkunde, 1809), de La Faye (Beginselen der heel-kunde, 1777), et de Blumenbach (Grondbeginselen der natuurkunde, 1791) [98],[152]. Dans son explication, Takano opérait un rapprochement entre la force sensitive de Blumenbach et l'image traditionnelle du souffle circulant dans les vaisseaux-conduits [179]. Par sa présentation pratique, l'Encyclopedisch de Most séduisit aussi beaucoup de rangakusha. Elle leur permettait de rapidement trouver des informations sur un grand nombre de sujets : béribéri, maladies vénériennes, maladies des yeux, etc. [138](p125). Elle donna lieu à de nombreuses publications[216]. Most était connu comme Monsieur Mosetu (Mosetu-shi), Chelius, Monsieur Che (Che-shi), etc. Mais le plus révéré de tous ces médecins étrangers était Monsieur Hu (Hu-shi), c'est-à-dire Hufeland. En effet, les Japonais furent très rapidement attirés par l'œuvre du vitaliste allemand : Ideen uber Pathologie (1796) fut traduit par Genzui Ishikawa (Gembyoron, 1812), puis par Genshin Udagawa (Ensei ikan byohi hen). Ce livre exposait la théorie de Cullen et le système de Brown [106](p227). Il ne sera publié qu'en 1849 par Koan Ogata (Byogaku Tsuron). emerkungen er das Nervenfie er (1799) fut traduit par Ryotei Shingu (Taisei ekiron, publié en 1824). L'ouvrage portait sur les « fièvres nerveuses » (typhus, etc.). 45 Haller a identifié les propriétés physiologiques élémentaires d'irritation et de sensibilité, caractéristiques de certaines fibres. Selon lui, toute partie du corps qui bouge lorsqu'on la stimule est dite irritable, caractère des fibres musculaires. Si ce mouvement s'accompagne d'une douleur, l'organe est dit sensible, caractère des fibres nerveuses. Ces conclusions reposaient sur des observations expérimentales, contrairement aux spéculations de ses contemporains [59, 86]. 83 Sodo Horiuchi publia Yoyo seigi (1848), traduction de emerkungen er die nat rli hen und geimpften lattern (1789). Il s'agissait d'un livre sur la prise en charge de l'épidémie de variole à Weimar en 1788. L'ouvrage de Hufeland qui eut le plus de retentissement fut l'Enchiridion medicum (1836)46. Les 3 parties de ce compendium (Diagnostic, Pratique, Les trois remèdes cardinaux et les relations du médecin) firent l'objet d'une dizaine de publications dont la plus célèbre est Hushi keiken ikun de Koan Ogata (1810-1863), une des grandes figures du mouvement rangaku au 19e siècle 47. Hushi keiken ikun (1842-1847) couvrait la partie Pratique de l'Enchiridion, laquelle abordait systématiquement toutes les maladies selon un plan standard ; pathogénie-symptôme-traitement [98]. Ogata s'inspira également des principes éthiques développé dans la 3e partie du livre, pour mettre au point un code de déontologie, Fushi ikai no ryaku (1857) (voir à la partie Déontologie page 179) [172]. Quelles sont les raisons de cet engouement pour l'Enchiridion Medicum ? Tout d'abord cet ouvrage concentrait en un seul manuel tous les aspects théoriques, pratiques et déontologiques de l'art médical, et c'est certainement ce caractère systématisé qui séduisit les apprentis médecins au 19e siècle. Par ailleurs, n'oublions pas qu'Hufeland est le père de la macrobiotique. En Europe, c'est le livre Makrobiotik (1796), et non Enchiridion (1836) qui le fit passer à la postérité. Dans Makrobiotik, Hufeland enseignait que l'observation de certaines règles hygiéno-diététiques permettait d'économiser la force vitale. Ceci rappelle évidemment la bible japonaise Yojo-kun de Kaibara Ekkiken (L'art de conserver l'énergie vitale). Même si Makrobiotik ne fut publié que très tardivement au Japon (Choseiho de Shokai Tsuji, 1867), les rangakusha avaient déjà pu apprécier cette philosophie dans l'Enchiridion. Ainsi, la théorie du « marasme sénile » développé dans l'Enchiridion est l'illustration parfaite de cette pensée48. Ceci expliquerait le succès du vitalisme allemand dans le Japon d'Edo. En outre, Hufeland était aussi un défenseur du moxa (il y a 15 occurrences du terme moxa dans l'Enchiridion), ce qui appuie notre hypothèse. Ainsi, au début du 19e siècle, la médecine vitaliste allemande se greffa à la pensée mécaniste de Boerhaave, Van Swieten, Huxham, Gorter, Plenck... Il existait certaines analogies entre le paradigme traditionnel et le paradigme romantique allemand ; notamment la ressemblance entre le concept traditionnel de ki et de force vitale, ainsi que la vision cosmogonique de l'homme dans sa relation à la nature. En raison de sa sensibilité hygiéniste et de son intérêt pour la clinique, Hufeland devint le messager du vitalisme allemand au Japon49. Enfin, il convient de souligner un fait 46 Guillaume-Chrétien Hufeland (Premier médecin du Roi de Prusse), Enchiridion Medicum ou Manuel de médecine pratique, fruit d'une expérience de cinquante ans, 1838, traduit de la 4e édition allemande par A.J-L Jourdan, visible sur gallica 47 Ancien élève de Tsuboi Shindo, Ogata Koan œuvra beaucoup au développement des études rangaku à la fin d'Edo; il fonda une école privée dans la cité marchande d'Osaka, le Tekijuku puis fut nommé directeur de l'académie officielle du bakufu à Edo. Ces deux institutions avec l'école de Pompe ont fourni l'élite intellectuelle de la société de Meiji. 48 A l'entrée « marasme sénile »de l'Enchiridion (édition française de 1838, p341), on trouve notamment la phrase suivante: « le marasme sénile se développe aussi d'une manière prématurée chez ceux qui usent la vie, c'est-à-dire qui accélèrent leur propre consommation par des excès de tous genres, par la prodigalité avec laquelle ils dissipent les humeurs les plus nobles, et surtout par l'abus qu'ils font des plaisirs, de sorte qu'ils épuisent la somme de vie qui leur avait été accordée avant même d'être arrivés au milieu de la carrière que la Nature leur aurait permis de fournir ». 49 Bien que partisan de la Naturphilosophie, Hufeland voyait d'un mauvais œil son intrusion systématique dans le domaine médical et demeurait persuadé de l'importance de l'expérience clinique 84 intrigant, mais caractéristique du processus d'acculturation japonais. Les rangakusha ne prêtèrent pas attention au conflit qui opposait mécanistes et vitalistes en Europe ; ils assimilèrent les différents concepts qu'ils firent coexister sans se poser de questions [2], [106](p226). c) La médecine scientifique des rangakusha Nous aborderons l'introduction du courant anatomo-pathologique et des premiers instruments médicaux, ainsi que l'expansion des sciences fondamentales à la fin d'Edo (années 1850-1868) (1) La naissance du courant anatomo-pathologique Dans la première moitié du 19e siècle, l'émergence de l'anatomopathologie annonçait la transformation scientifique de la médecine européenne ; école anatomoclinique en France, puis école cytologique en Allemagne. Cette vague atteignit le Japon dans les années 1850. Par exemple, Genkyo Hirose traduisit les Nouveaux éléments de physiologie (1801) dans lequel Anthelme Richerand s'inspirait du concept anatomo-fonctionnel du système tissulaire de Bichat (Riserando jinshin kyurisho, 1855) [2]. En cette période, les autorités shogunales voulaient se doter d'une défense navale moderne, aussi demandèrent-elles directement à la Hollande l'envoi d'instructeurs et parmi eux, d'un chirurgien. A son arrivée, le Dr Pompe van Meedervoort fut alors invité à enseigner la médecine occidentale à des étudiants japonais. En tant que chirurgien naval, Pompe s'inspira du Collège médical d'Utrecht. Ce collège fonctionnait sur le modèle du Val de Grâce [174]. Ainsi Pompe introduisit la méthode anatomo-clinique à Nagasaki (1857-62). Il fit construire cote à cote une école médicale et un hôpital, les cours théoriques étaient ainsi prolongés par un enseignement clinique au lit du malade. Pour illustrer ses cours, Pompe utilisait un écorché en carton-pâte de Auzoux, le Kunstlijk [48](p30),[174]. Il finit par obtenir l'autorisation d'organiser une séance de dissection en 1859 [48](p31). Les manuels utilisés à l'école de Nagasaki étaient Handbuch der pathologie und Therapie (184656) du clinicien Wunderlich, et Cellularpathologie (1858) du cytologiste Virchow [98]. (2) Instruments médicaux Le microscope et le thermomètre furent vraisemblablement introduits dans la deuxième moitié du 18e siècle, le stéthoscope et l'ophtalmoscope au milieu du 19e siècle. .Le thermomètre A partir de 1750 on l'utilisa comme aide à la prédiction météorologique en adjonction des théories du yin et du yang et, dès 1768, Gennai Hiraga déclarait en avoir construit un. Mais le thermomètre fit sa première apparition en tant qu'instrument médical dans Manbyo chijun (1823-26). En référence à Boerhaave, Tsuboi Shindo y expliquait qu'il pouvait servir à mesurer la température corporelle. Enfin, vers le milieu du 19e siècle, un médecin l'aurait utilisé pour ses patients avant de l'appliquer avec succès à l'élevage du vers à soie [338]. et des particularités individuelles. Aussi il mettait en garde ses contemporains contre les risques de la spéculation philosophique en médecine [54]. 85 .Le microscope L’instrument connut immédiatement un fort succès auprès des rangakusha. La littérature (Oranda Banashi, 1765 de Rishun Goto ; Komo satzuwa, 1787 de Churyo Morishima) le décrit comme un outil merveilleux ouvrant sur une autre réalité. Ainsi, il participa à la révélation visuelle de la 2e moitié du 18e siècle, au même titre que l’iconographie occidentale. A ce sujet, l’anatomiste Nankei Tachibana livre des réflexions plutôt étonnantes dans Saiyu ki (Le voyage vers l’Ouest, 1795) : « La précision du microscope est telle que si vous mettez une goutte d’eau au bout d’une aiguille et que vous la regardez, vous verrez qu’elle contient une multitude de créatures, toutes de formes bizarres. Des formes jamais observées dans ce monde sont ainsi mises à jour …Le microscope surpasse ainsi les yeux des Bouddhas. Or il peut exister quelque chose de si petit que même le microscope ne peut atteindre ; dans cette éventualité, on ne peut plus placer de restriction sur la nature infinitésimale de la matière. En poussant la logique plus loin, on peut supposer qu’il n’y a pas non plus de limite en termes d’étendue. L’univers que nous habitons peut donc être comparé à une goutte d’eau contenant des millions d’univers. » 50 Dans un registre plus sérieux, Hoshu Katsuragawa, médecin et co-auteur du Kaitai shinsho, écrivit Méthodes pour utiliser le microscope (Kembikyo yoho, 1802) [106](p84). Mais à part quelques observations d’insectes (ou de corps ciliaires, Cf. partie Ophtalmologie page 110), point de Leeuwenhoek ou de Swammerdam nippon. L’instrument faisait avant tout partie du cabinet de curiosité (Cf. Image 37 cidessous). .Le stéthoscope Vers 1848, l'Allemand Mohnike apporta le stéthoscope au Japon et en promut l'utilisation. Des modèles en bois furent alors réalisés ; le premier se trouve au musée de l'Université de Nagasaki (Cf. Image 38 ci-dessous) [201]. Un élève de Tsuboi Shindo, Seikei Sugita, écrivit également Explication de l'utilisation du stéthoscope (Chokokiyohoryakusetsu, 1850) [106](p181). .L'ophtalmoscope Vers 1862, nous rappelons que Bauduin, ancien professeur au collège médical militaire d'Utrecht, introduisit l'ophtalmoscope, dont il décrivit de manière très didactique le fonctionnement (séjour de Bauduin à Nagasaki : 1862-1867) [210]. 50 Nankei Tachibana cité par Screech [296], page 6. 86 Image 37: microscope en bois de fabrication japonaise [Collection: Museum of Osaka University] Image 38: stéthoscope amené par Mohnike, [Collection : Nagasaki University Library] En dépit de l’affaiblissement de la médecine hollandaise, au 19e siècle, le collège militaire d'Utrecht restait une institution d'avant-garde. Les nouveaux microscopes, le stéthoscope de Laennec, ou encore le thermomètre de Wunderlich y avaient tout de suite étaient adoptés51 [174]. Or Pompe avait reçu sa formation dans ce collège, et ses successeurs Bauduin, Koenraad W. Gratama y furent même professeurs. Ainsi les Japonais eurent l’opportunité d'accueillir des précepteurs qui leur permirent de se familiariser avec le fonctionnement de ces instruments. (3) L'attrait des rangakusha pour les sciences fondamentales Vers 1860, les rangakusha se détournèrent de la médecine pour l'étude des sciences fondamentales : de nombreux livres de sciences physiques et de chimie furent traduits, voire même réimprimés en version hollandaise. Il s'agissait d'une nouvelle catégorie de rangakusha, plus orientés vers les aspects scientifiques de la médecine. Par exemple, Genkyo Hirose traduisit le manuel de physique utilisé à l'école de médecine de Vienne, Naturlehre f r angehende rtze und Wund rzte de Isfording (1814) qu'il publia sous le nom de Rigaku teiyo (plusieurs éditions 1854, 1856, 1860) [291]. Komin Kawamoto publia Kikai kanran kogi (1851-1858), version augmentée de Kikai Kanran, traduction par son beau-père Rinso Aochi du Natuurkundig schoolboek de Johannes Buys. Ce livre était un manuel scolaire traitant des sciences naturelles, de physique, d’astronomie, de chimie, de botanique, des organes sensoriels, etc. [106](p181) On réalisa également des matrices pour l'impression des ouvrages 51 La mesure systématique de la température corporelle remonte au milieu du 19e siècle. Déjà au 18e Boerhaave préconisait l'emploi du thermomètre, et au début du 19e l'école clinique française avait estimé la valeur normale à 37°C. Pendant 18 ans (1850-1868) l'Allemand Wunderlich fit prendre la température des patients hospitalisés dans son service. La publication de ses résultats (Das Verhalten der Eigenwarme in Krankheiten, 1868) fit définitivement entrer le thermomètre à l'hôpital. [184] 87 originaux d'Isfordink et Buys. D'autres exemples de ce phénomène sont consultables à l’Annexe 3 page 314. A Nagasaki, c'étaient les débuts de l'enseignement systématisé de la médecine. En effet, Pompe avait mis en place les premier cours de biologie, chimie, physique [48](p30), cursus que ses successeurs Bauduin (1862-1867) et son adjoint Gratama, puis Mansvelt (1867-1871) améliorèrent. Bauduin utilisait son propre manuel de physiologie Handleiding tot de natuurkunde van den gezonden mensch (Donders, F.C. et Bauduin, A.F., 1851), dans lequel il était question des dernières recherches menées par Dutrochet, Brucke, Vierordt, Liebig et Lehmann[174],[32](p85). Les étudiants japonais qui deviendraient l'élite médicale de Meiji furent donc formés à ce nouveau paradigme. Le futur chef de la santé publique de Meiji, Sensai Nagayo, fut ainsi conditionné à l'idée que la médecine et les sciences fondamentales formaient un tout indissociable. La veille de son départ pour la mission Iwakura (1871), Mansvelt lui rabâcha pendant plus de deux heures la nécessité de mener à fond une réforme du système éducatif, réforme basée sur la continuité entre les connaissances théoriques (physique, chimie, anatomie, physiologie, pathologie) et la médecine clinique [178]. A partir des années 1850, il y eut un renouveau des échanges médicaux à Nagasaki. Confronté à la menace impérialiste occidentale, le bakufu mettait un terme au refroidissement diplomatique dû à l'incident Siebold52. Il fit appel à l'expertise hollandaise pour moderniser sa flotte et mettre en place un enseignement médical occidental. Issus de l'école scientifique du 19e siècle, les nouvelles recrues hollandaises étaient à même de transposer au Japon les éléments de la médecine moderne européenne. De leur côté, les rangakusha qui avait fait le tour de la médecine des systèmes, accueillirent avec avidité les sciences fondamentales occidentales. C'est ainsi que la médecine rangaku débuta sa modernisation pendant le Bakumatsu. 52 Le médecin allemand Siebold avait été accusé d'espionnage, après avoir été pris en possession d'une carte du Japon. Le shogun le bannit; quelques-uns de ses amis japonais furent emprisonnés, et le cartographe fautif mourut en détention. 88 d) Un domaine à part : la protoinfectiologie En Europe, le sujet divisa les médecins jusqu'à l'avènement de la bactériologie : miasme ou contagion ? Au Japon, de la même façon, on s'interrogeait sur l'étiologie des épidémies (au sens ancien du terme : epi-, dessus ; demos, le peuple, soit : une affection qui s'abat sur une grande quantité de personnes en même temps), mais aussi de maladies plus insidieuses comme la tuberculose. Nous verrons comment les rangakusha adoptèrent au gré des livres importés certaines notions occidentales, reproduisant en quelque sorte le polymorphisme nosographique qui existait en Europe. Cette étude permet de relativiser la supériorité de la médecine européenne, mais surtout elle montre que l'assimilation des concepts a pu débuter dès Edo car il existait déjà certaines analogies conceptuelles. A ce titre, nous étudierons l'évolution nosographique de trois affections : la variole, le rhume, la tuberculose. (1) La variole : introduction de la notion de contagion En médecine traditionnelle, on pensait que la variole résultait de la conjonction d'un poison originel et de la configuration du temps (théorie du yin/yang) [281](p16). La mère du fait d'une mauvaise alimentation, ou de facteurs psychologiques, produisait un poison qu'elle transmettait à l'enfant in-utero (taidoku= poison utérin). Sous l'action d'influences néfastes extérieures, le poison s'activait ; il remontait alors au niveau de la peau, responsable d'une éruption qui durait le temps de sa consommation totale [281](p17). La notion de contagion n'existait pas. Les moyens préventifs consistaient à diluer le poison originel grâce à des médications ou à renforcer le principe vital par un régime alimentaire particulier [281]( p94-95, 109). Or au début du 19e, le médecin Hakuju Hashimoto introduisit le concept de contagiosité. Dans le livre Dandokuron (l'Art de couper court au poison, p.1810), il expliquait que la variole, la syphilis, la rougeole et la gale étaient des maladies contagieuses. Selon lui, des miasmes pénétraient par la bouche et le nez, puis dans les cinq viscères et six organes, et enfin, attaquaient les humeurs saines. Ces miasmes agissaient sur des airs vénéneux (dokki) présents dès la naissance. Si le poison produit n'était pas expulsé par les humeurs saines, le patient mourrait pendant la période de fièvre initiale. Par contre, si les humeurs saines prenaient le dessus, le poison serait expulsé en surface (pustule). Aussi Hashimoto préconisait d'éviter les foules, l'air contaminé des habitations, les vêtements, objets et aliments touchés par les malades. Il recommandait même la mise en quarantaine des patients dans des cabanes, telle qu’elle était pratiquée de façon empirique dans certaines localités. Sensibilisé à la médecine hollandaise lors d'un séjour d'un an à Nagasaki, Hashimoto s'était en fait inspiré d'un manuel de chirurgie militaire du 18e (Het nieuw hervormde examen van land- en zee-chirurgie, Joh. Verbrugge, 1740). Il réalisait ainsi un syncrétisme des théories médicales occidentales (notion de contagion et technique d'isolement) et traditionnelles (recyclage de l'idée du poison originel taidoku en airs vénéneux dokki) [281](p16-19,211-221),[216],[32]. De la même façon, un autre médecin, Choei Takano, adopta les concepts occidentaux de miasmes et de contagion. Dans Hieki yoho (Méthodes pour éviter les épidémies, 1836), il expliquait que certaines vapeurs se développeraient dans les cours insalubres et l'air vicié des habitations mal ventilées, provoquant ensuite des maladies fébriles. Il conseillait donc l'isolement des patients dans des hôpitaux (!), de façon à limiter la propagation de l'épidémie et à ne pas laisser les malades dans le dénuement [222],[223]. 89 Ainsi dans la 2e partie d'Edo, plusieurs médecins influencés par la médecine occidentale introduisirent une idée totalement nouvelle, la notion de contagion. Par ce biais, le concept de quarantaine fit également son intrusion dans le langage médical. Toutefois, nous pouvons remarquer une analogie entre les influences néfastes extérieures de la médecine chinoise et les miasmes de la tradition hippocratique. Aussi sur ce point on assiste plutôt à une occidentalisation du concept traditionnel d'influences extérieures qui finit par se teinter de sanitarisme : apparition des termes « ventilation », « cours intérieures malpropres ». (2) Le rhume : du kaze au catarrhe Les médecins traditionnels pensaient que le rhume et la grippe étaient provoqués par le mécanisme de « pénétration du vent (kaze) ». En fait cette idée est apparue au cours du 18e siècle car jusque-là le mécanisme de « pénétration par le vent » désignait surtout les maladies neurologiques au Japon. Effectivement, en médecine traditionnelle, on pensait qu'un vent mauvais (c'est-à-dire qui soufflait dans une mauvaise direction par rapport à la saison) pouvait pénétrer par l'un des cinq viscères, le plus souvent le cœur (considéré comme le siège des fonctions cognitives et motrices), et provoquait son dysfonctionnement ; épilepsie, Parkinson, hémiplégie [287]. D'où l'aphorisme « le vent (kaze) est à l'origine de 100 maladies » [287]. Or au 18e, les médecins redécouvrirent le Shanghan lun (traité des maladies fébriles). La nosographie du Shanghan lun était différente de celle contenue dans les traités classiques. Ce livre décrivait 6 types de maladies fébriles en fonction de leur localisation. La maladie la moins grave appelée taiyang était la maladie la plus superficielle, c'est-à-dire cantonnée à la peau. Les signes cliniques de cette maladie taiyang étaient ceux du syndrome grippal, et son mécanisme pathogénique la « pénétration par le vent ». Ainsi il y eut un glissement sémantique de l'expression « pénétration par le vent » : les « maladies dues au vent kaze » désignaient désormais les viroses banales et grippe. C'est aussi de cette manière que naquit le proverbe « le rhume est à l'origine de 100 maladies ». La stratégie thérapeutique consistait à provoquer la sudation afin expulser l'influence néfaste située au niveau de la peau [287]. Au 19e siècle Koan Ogata reconnut dans la « catarrhe » d'Hufeland le kaze japonais, correspondance qu'il établit clairement son célèbre Fushi keiken ikun (1857) [287]. En fait, sur ce point, les deux médecines étaient parvenues à des théories physiopathologiques et thérapeutiques très proches. En effet, pour Hufeland rhumatisme et catarrhe étaient les pendants d'une même affection dont voici la pathogénie : le refroidissement cutané (froid, humidité, courant d'air) provoque l'interruption de la perspiration gazeuse (mécanisme physiologique imaginaire). Comme la perspiration gazeuse est le principal émonctoire du corps humain, son blocage entraîne la rétention de déchets toxiques capables de corrompre les humeurs saines. Aussi Hufeland préconisait de rétablir la fonction de la peau par l'usage de diaphorétiques (qui provoquent la sudation), de vésicatoires (qui provoquent des « levées » de la peau : ampoules,...). Par ailleurs, il fait remarquer que « Le rhumatisme peut devenir lui-même cause des maladies les plus diversifiées, soit aigues [...], soit chroniques. » [121](p177-185, p188-191). Ainsi, dans les deux cultures, on retrouve le même facteur étiologique (agent climatique extérieur), le même type de thérapie (sudorifique) ainsi qu'un pronostic similaire (le rhume origine de tous les maux). Aussi ces similitudes ont certainement facilité le passage du Kaze au catarrhe dans la deuxième partie d'Edo. 90 (3) La tuberculose : la rosai, petite sœur de la phtisie Du 16e au 18e siècle, les médecins japonais ont élaboré le concept de rosai 53, entité nosographique correspondant actuellement à notre tuberculose pulmonaire. D'abord Dosan Manase dressa au 16e siècle les grandes lignes de cette affection : affection grevée d'un pronostic sombre et associant amaigrissement, toux, hémoptysies, tubercules cutanés et scrofules. Du point de vue étiologique, il décrivit le rôle de facteurs internes (conséquence d'une autre maladie, fièvre, excès sexuel) et précisa le caractère particulièrement contagieux de la maladie. Au 18e siècle, Konzan Goto ajouta à ce tableau le concept d'animalcule, le denshi 54, renforçant ainsi la notion de contagiosité. Comme la rosai touchait en général tous les enfants d'un même foyer, Goto qualifia la maladie de congénitale, mais sans pour autant avancer un mode de transmission héréditaire. Ainsi à la fin du 18e siècle, la rosai japonaise s'acheminait vers un tableau très proche de celui de la phtisie européenne en cours aux 17e et 18e siècles. En effet, en Europe, on oscillait entre 3 thèses : thèse contagioniste, constitutionnelle (suites de maladie, rigueur du climat, prédisposition héréditaire) et thèse comportementale [30]. Cette similitude n'échappa guère aux rangakusha plongés dans la littérature médicale hollandaise. Par exemple, en traduisant un texte de Blankaart (1650-1702), Genshin Udagawa rencontra des notions familières : existence d'une toxine sanguine putréfiant les organes, notion de contagiosité, d'hérédité, et de pronostic sombre [142]. Cependant la médecine européenne insistait plus sur le caractère héréditaire de l'affection, le rôle de l'alimentation, du travail, de toxines produites par d'autres maladies (facteurs internes). Par conséquent, les rangakusha incorporèrent ces nouveaux concepts au savoir traditionnel. Ainsi ils considéraient la rosai comme une maladie contagieuse et héréditaire, que l'on pouvait traiter aussi bien par les moxas, les herbes kampo que par l'héliothérapie, le repos et une alimentation carnée. Ainsi la nosographie inventée par les médecins Goseiha et Kohoha dans la première moitié d'Edo avait facilité l'acceptation du concept de phtisie par les rangakusha dans la deuxième moitié d'Edo. 53 Rosai est un terme pour le moins évocateur; en effet ro signifie épuisement ; sai veut dire assister à une cérémonie funèbre. Par comparaison, les mots phtisie et consomption viennent du grec et du latin consumptio, les deux signifiant « amaigrissement excessif », « fait de devenir décharné, atrophié, squelettique ». [30] 54 Denshi: Vieux concept taoïste datant du 12e siècle. L'idéogramme shi signifie mort mais aussi bestiole; aussi denshi peut se lire transmission de la mort ou transmission de la bestiole. Cette idée est très proche de celle de Benjamin Marten. Contemporain de Leeuwenhoek, il adapte la théorie de l'animalcule à la phtisie: « On sait que les intestins sont pleins de vers, pourquoi ne pourrait-t-on pas supposer que des animalcules puissent se développer dans toutes les autres parties du corps ? » [30] 91 Conclusion de la partie « Médecine » À la fin du 18e, les rangakusha, issus du paradigme confucianiste, se sensibilisèrent à la philosophie médicale mécaniste, clé de voûte de la pensée médicale occidentale. Ceci posait les bases nécessaires aux développements scientifiques ultérieurs. Toutefois ce processus n'était ni déterminé ni conscient ; les rangakusha traduisaient les auteurs européens qui se présentaient, sans saisir le lien d'école qui les unissait. Ce n'est qu'avec l'introduction des commentaires de Van Swieten qu'ils ont finalement compris la philosophie mécaniste, et établi le rôle originel de Boerhaave [3]. Ensuite les Japonais s'intéressèrent à la littérature vitaliste allemande. Il y a plusieurs raisons à cela. D'une part, la Hollande affaiblie par l'occupation napoléonienne n'était plus un phare médical en Europe comme à l'époque de Boerhaave ; au début du 19e, elle n'envoyait plus que des traductions d'auteurs allemands, français, anglais. De plus, le médecin du comptoir, Siebold, différait des habituels chirurgiens militaires ; c'était un allemand qui avait reçu une formation académique à l'Université de Wurzburg. Enfin nous avons pu noter que les concepts vitalistes s'intégraient plus ou moins au paradigme traditionnel. Toutefois, le courant vitaliste ne remplaça pas le courant mécaniste. On assista à une cohabitation paradoxale des deux systèmes, les Japonais ne sentant pas la nécessité d'opter pour un modèle plus que l'autre. Ils étaient en phase d'assimilation, comme autrefois vis-à-vis du modèle chinois. Ainsi étaient-ils capables de traduire pendant des années un livre dépassé de plus de cent ans en Europe, ce qui n'est pas sans rappeler la méthode d'étude philologique des textes confucianistes. Or, en marge des traductions individuelles, un comité de rangakusha s'organisa de part et d'autre du Japon pour éditer un journal, Taisei meii iko (Journal des publications des médecins occidentaux). Ce journal, inspiré du périodique hollandais Practisch tijdschrift voor de geneeskunde (1822-1856), fut publié de 1836 à 1843 [138](p125-126). L'existence d'un tel réseau national témoigne d'une évolution de la pensée médicale, notamment de la rupture de la transmission secrète du savoir (hiden). Par ailleurs, elle révèle qu'on pouvait trouver un périodique hollandais d'un bout à l'autre du territoire, ce qui souligne le degré d'imprégnation occidentale dans la deuxième partie d'Edo. Enfin, à la fin d'Edo, les rangakusha se détournaient peu à peu de la médecine des systèmes pour approfondir les matières fondamentales. A la même époque, une nouvelle génération de chirurgiens hollandais issus du réputé Collège militaire d'Utrecht arriva au comptoir de Nagasaki. Les étudiants japonais ne pouvaient mieux espérer comme professeurs. En effet ils enseignèrent la médecine scientifique du 19e siècle (méthode anatomoclinique française, Cellularpathologie de Virchow) et introduisirent de nouveaux instruments (stéthoscope, ophtalmoscope). Ainsi, avec la création du complexe hospitalo-universitaire de Pompe à Nagasaki, on peut dire que l'adoption officielle de la médecine occidentale débuta dès la fin d'Edo. Il semble que les rangakusha aient saisi le train au bon moment : d'abord la médecine du 18e, retombée du siècle des Lumières, soubassement philosophique de la pensée médicale occidentale, puis, la médecine scientifique du 19e siècle, tout juste émergente en Europe. Ils ont même réussi à dépêtrer de la confuse protoinfectiologie européenne certaines idées positives, comme la notion de contagion et de quarantaine ainsi que celle de sanitarisme. L'existence de certaines analogies conceptuelles et philosophiques entre les deux cultures a tout de même facilité ce processus. 92 2) Thérapeutique a) Les principes thérapeutiques : les « 3 remèdes cardinaux » Il ne faut pas oublier que, dans l'objectif de rétablir l'équilibre ou le flux du ki, la thérapeutique traditionnelle fonctionnait sur les mêmes principes que son homologue occidentale. En plus des moxas, les maîtres mots étaient bains thermaux, diaphorétiques, purgatifs, émétiques, et plus récemment saignée [223]. En effet, dans la deuxième moitié du 18e siècle, les Japonais pratiquèrent de plus en plus la phlébotomie. Au début c'était dans le but de faire revivre une antique technique chinoise (l'acupuncture sanglante)55. Mais au 19e, avec la mode des études rangaku, la phlébotomie s'inscrivait désormais dans l'héritage galéniste. En effet les rangakusha s'étaient familiarisé aux trois grands remèdes européens de l'époque saignée, émétiques et opium, comme en attestent le Ranka naigai sampohoten (Manuel des 3 méthodes, 1805, révision 1813) traduction de Pharmacopea galenicochemico-medica de van Wouter par Sokichi Hashimoto, et le Saisei sampo (les trois remèdes cardinaux, 1849) traduction de la partie Les 3 remèdes cardinaux de l'Enchiridion d'Hufeland par Seikei Sugita [106](p133, 181),[216]. La saignée devint si courante au Japon que Pompe en déplorait l'usage lors de l'épidémie de choléra de 1858 [100]. Ainsi, au cours du 19e, les rangakusha n'eurent pas de mal à accepter les principes thérapeutiques occidentaux, qui étaient très proches de ceux de la médecine traditionnelle du 18e. C'est ainsi que Sugita faisait ses prescriptions en s'aidant du livre de Plenck (Materia chirurgica) et Koan Ogata en s’aidant du livre de Schwencke (Schets van de heelmiddelen, 1745) [216]. b) Pharmacopée et nouvelles drogues C'est Genshin Udagawa qui fit connaître la pharmacopée hollandaise : il traduisit Pharmacopea hodierna de Hamel (Oranda kyokuho, 1805), De nieuwe nederduitsche apotheek (Shinsen oranda kyokuho, date inconnue) et De nieuw Amsterdamsche apotheek (Shinsen kyokuho, date inconnue). Ces travaux débouchèrent sur la publication de deux traités : Oranda kakkyo (Reflet de la pharmacopée hollandaise, 1820, révision 1828-35), Ensei ihomeibutsuko (Traité de pharmacopée occidentale, 1822-25, révision 1833-34) [106](p13),[216]. De nouvelles drogues furent introduites par les médecins du comptoir : Siebold utilisait l'opium, la quinine, la digitale, l'hyoscyamine (Hyoscyamus niger ou jusquiame noire) et la scopolamine (Scopolia japonica Maxim) -la belladone n'étant pas disponible au Japon [286],[210]. Sous la férule de Siebold, Ryosai Ko écrivit et publia Yakuin ojuroku (1826), sorte de mémorandum pharmacologique de toutes les drogues hollandaises disponibles au Japon [216],[13]. De leur côté, les ophtalmologues japonais adoptèrent rapidement les mydriatiques qui facilitaient l'abaissement de la cataracte. Par ailleurs les rangakusha s'intéressaient aussi aux procédés pharmaceutiques : ainsi la méthode d'isolation de la quinine fut décrite dès 55 Précédemment nous avons vu qu'au 18e Tomon Yamawaki et Gengai Ogino s'étaient occupés à faire revivre une très ancienne technique d'acupuncture sanglante. Cette idée s'inscrivait dans le mouvement de retour aux sources du 18e tel qu'il était prôné par l'école kohoha. Mais pour faire revivre cette technique depuis longtemps abandonnée par les Chinois, ces médecins traditionnels empruntèrent à la saignée occidentale, donnant naissance à une technique syncrétique appelée shiraku. 93 1833 ; Yoan Udagawa l'avait traduite du livre de Stratingh (Scheikundige verhandeling, 1822) et la citait dans son célèbre Semi kaiso [216]. En 1862, Ryokai Shiba traduisit et publia un article de Pompe (Beknopte handleiding tot de geneesmiddelleer, 1862) qui parlait de 7 nouvelles substances : iode, nitrate d'argent, tartre stibié (émétique composé de tartre et d'antimoine), cinchonine (alcaloïde du quinquina), santonine (antihelminthique), morphine et huile de foie de morue [216]. Enfin Bauduin introduisit l'atropine (Atropa belladonna) et l'usage des anti-infectieux en ophtalmologie (nitrate d'argent et mercure) [210](p203). Toutefois certains de ces principes étaient déjà employés au Japon, notamment l'opium et le mercure56, tous deux hérités de la pharmacopée chinoise. Ainsi, l'opium entrait dans la composition de formules telles que le ichiryu kintan, thériaque aux indications multiples : troubles digestifs accompagnés de fortes diarrhées, mais aussi excès de fatigue, paralysie des membres inférieurs 57 [181]. Le mercure était quant à lui connu depuis le 8e siècle ; drogue d'immortalité des alchimistes taoïstes, il était aussi indiqué dans la cure des affections cutanées et génitales voire utilisé comme abortif [200],[345]. Néanmoins, les médecins japonais, comme leurs homologues chinois, se méfiaient des effets toxiques du mercure, si bien qu'un ouvrage syphiligraphique, le Kubai yoho (Abrégé des thérapeutiques antisyphilitiques, 1831) fut même censuré pour en avoir préconisé l'usage [52]. Par ailleurs, ce type de médications faisait l'objet d'un monopole commercial patenté par les autorités, soit à cause de la rareté des produits utilisés (mercure importé de Chine) [52], soit à cause de la composition gardée secrète (cas du ichiryu kintan dont la recette se transmettait de génération en génération) [181]. Enfin, nous conclurons par une petite anecdote rapportée par le Dr Briot. Au début du 18e siècle, le médecin Kohoha Shuan Kagawa avait déjà remarqué que la malaria guérissait de la syphilis tardive « Il y a maintenant des malades qui ont contracté autrefois une syphilis avec chancres et bubons, puis des gommes, et qui, par la suite ont attrapé la malaria ; chez les malades, toutes les gommes disparaissent » ; en 1927 l'autrichien Wagner von Jauregg reçut le prix Nobel pour avoir inventé la malariathérapie dans les manifestations cérébrales de la syphilis tertiaire (pyrothérapie) [52]. 56 Dans le Bencao gangmu, Li Shizen critique ces pilules d'immortalité responsables d'effets toxiques (Unschuld, 1985, p350), mais il indique aussi des préparations à base de mercure pour le traitement de la syphilis (voie interne ou fumigation) [52] 57 La thériaque grecque aurait transité jusque dans la Chine des Tang où elle aurait pris le nom de Ti yeh Chia (le Chiu Thang Shu dit qu'une ambassade de Byzance l'aurait offerte en 667). Le Bencao gangmu rapporte qu'elle est pour la première fois mentionnée dans le Hsin-hsiu pen-ts'ao du 7e siècle, sans vraiment y porter beaucoup d'importance. L'opium y est présenté comme un traitement récemment à la mode, notamment utilisé dans l'art de la Chambre; ses indications sont les diarrhées, la toux, les douleurs articulaires [232, 346]. 94 Image 39 : Bons médicaments supprimant les mauvaises maladies grâce à la protection des kami (Shoshin no kago ni yorite ryoyaku akubyo o tai ji su, 1858) par Yoshikazu Utagawa. Affiche publicitaire montrant les remèdes occidentaux (archers et guerriers en armure) en train de combattre les maladies (en blanc, à gauche), sous le regard bienveillant des dieux. Parmi les drogues, se trouvent : la gomme arabique, la digitaline, le quinquina, la liqueur d’Hoffman, le magnésium, la santonine, la jusquiame noire (Hyoscyamus niger) ... En tête des dieux, brandissant un rameau, le Gyuto Tenno (Empereur vaccine), [Collection : UCSF; traduction d’après [281]] c) Les limites de la thérapeutique occidentale En dépit de leur enthousiasme, les rangakusha prirent rapidement conscience des limites de la thérapeutique occidentale, ce qui les conforta à ne pas abandonner la pharmacopée traditionnelle. Aussi, Sugita explique dans Keiei-yawa (1802) qu'il faudrait rechercher les effets pharmacologiques des drogues traditionnelles afin de les utiliser dans une perspective occidentale [286]. Son élève Gentaku Otsuki parvint aux mêmes conclusions [180]. Or l'épidémie de choléra de 1858 suscita de nouvelles interrogations. Pompe, alors en poste à Nagasaki, rédigea des recommandations à l'adresse des médecins japonais. Il préconisa la quinine comme antipyrétique et l'opium associé à des bains chauds en cas de douleurs abdominales [47](p186-187). Il fit également parvenir au magistrat de Nagasaki une liste de mesures préventives : éviter les fruits et légumes (concombres, melon d'eau, abricots et prunes vertes) et se couvrir la nuit - « les Japonais ne mangeant pas de fruits murs et ayant l'habitude de dormir à moitié nus sur leur vérandas ». [323],[220],[100]. Sept ans plus tard, dans une revue hollandaise, Pompe expliquera avoir utilisé la quinine au Japon pour deux raisons ; l'existence fréquente chez les malades d'une coinfection par la malaria et les bons résultats obtenus dans les mêmes conditions par ses collègues basés en Inde (On the treatment of cholera asiatica by quinine 95 sulfate in Japan, Nederl. Tijdschr. Geneesk., Amster., 1865 cité dans [100]). Les connaissances en matière de choléra n'avaient guère progressé en Europe, aussi la démarche de Pompe était en fait plus que raisonnable pour l’époque 58. Toutefois Koan Ogata, qui avait reçu une copie des recommandations de Pompe, fit savoir son insatisfaction à l'égard d'un protocole jugé « incomplet » [220], [329]. Peut-être, comme beaucoup de ses concitoyens, éprouvait-il du ressentiment à l'égard de ceux qui avaient apporté la maladie au Japon [329], ou ne parvenait-il pas à saisir l'emphase de Pompe sur les mesures environnementales [220]. Quoiqu'il en soit, il publia à son tour Korera chijun (Traitement standard du choléra, 1858), une sorte d'état de l'art sur le choléra réalisé à partir des sources européennes disponibles (notamment l'encyclopédie de Most (Encyclopedisch woordenboek der practische genees-, heel- en verloskunde. Amsterdam, 1835-39), mais également des livres de Conradi (Handboek der bijzondere pathologie en therapie, 1832-1837) et de Canstatt (De bijzondere ziekte-, 1843-1854/1857) [216]. En fait, Ogata s'était rallié à l'utilisation de la quinine et de l'opium. Mais surtout, il ne parla plus de saigner les patients atteints de choléra, comme le recommandait Hufeland [220]. C'était un désaveu du Hushi keiken ikun, traduction de l'Enchiridion d'Hufeland qu'il venait juste de publier. En effet dans l'Enchiridion, à l'entrée « choléra », Hufeland déclarait : « Les principaux moyens sont, toutes les fois que la faiblesse du sujet ne les interdit pas, une saignée et un vomitif » [121](p106, 418). Le choléra était une maladie nouvelle au Japon ; les médecins qui s’étaient tournés vers l’expertise hollandaise, purent alors s’apercevoir des limites de la thérapeutique occidentale, mais surtout que les trois remèdes cardinaux d'Hufeland commençaient à dater. Ainsi, la médecine occidentale n'était pas une alternative encore très enviable du 19e siècle. Mais elle l'était au moins dans un domaine, celui de la lutte antivariolique. d) La lutte anti-variolique (1) La variolisation La variolisation chinoise fut introduite par des migrants installés à Nagasaki au 17e siècle [138](p13). Elle consistait à insuffler dans une narine du matériel variolique humain (croûte réduite en poudre) à l'aide d'une canule. Faisant autant peur que la variole elle-même, cette technique demeura secrète et était très peu utilisée. Or, à la fin du 18e, les rangakusha apprirent par l'intermédiaire des livres hollandais les bénéfices de la variolisation turque [138](p21). Par exemple, Heister, grand défenseur de cette méthode, la décrivait dans son traité Chirurgie (1719). Dans emerkungen er die nat rli hen und geimpften lattern, Hufeland relatait également son expérience de la variolisation pendant l'épidémie de Weimar de 1788 [265]. Mais surtout, pendant la période 1790-1795, le médecin du comptoir Keller, enseigna la technique aux rangakusha -notamment à Gentaku Otsuki. Ainsi il montra comment inoculer la sérosité extraite de vésicules varioliques à l'aide d'une lancette dans le bras d'un enfant. 58 Au 19e siècle, les mesures préventives oscillaient entre contrôle environnemental et isolement, des précautions dérisoires étant données aux populations les plus démunies (se couvrir, ne pas manger de fruits ni de légumes). Mais surtout, les traitements relevaient de « l'homicide bienveillant »: pratique de la saignée, administration d'émétiques, de quinine, d'opium, électrothérapie, vésication par ventouse voire par brûlure à l'eau bouillante, bains glacés ou chauds, etc. [116] 96 Tous ces évènements contribuèrent alors au renouveau de la variolisation chinoise. Ainsi, le rangakusha Hakuju Hashimoto la recommanda dans son manuel Dandokuron (Traité pour couper court au poison, publié en 1810) [216]. De son côté, le médecin Shunsaku Ogata, étudia sur le terrain les conditions optimales de recueil et de conservation du matériel variolique (croûtes). Son traité Shuto hitsu jun ben (Nécessité de la variolisation, 1793) expose les résultats de cette recherche59 [138](p23). Les Japonais pratiquaient aussi la variolisation hollandaise. Certains traduisirent et publièrent la section « inoculation » du livre Chirurgie (1719) d'Heister (Genshin Kuwata, Shuto shimpen (publié en 1814) ; Gentaku Otsuki, Yoishinsho sekkato-hen, publié en 1816). Plus tard, d'autres s'attablèrent à la traduction du emerkungen er die nat rli hen und geimpften lattern de Hufeland (1798) (Sodo Horiuchi, Yoyo seigi publié en1843-1848 ; Seikei Sugita, Chito shinketsu, publié en 1849) [216]. Enfin, dans les années 1830, les médecins développèrent une technique mixte sinohollandaise, la jinto shuto. Dans le jinto shuto, les sérosités de la procédure hollandaise étaient substituées par de la poudre de croûte, reconnue plus efficace. A ce titre, il est intéressant de citer le travail de recherche réalisé par Taizen Sato, Toka shussei (1835). Dans cet article il compare cette technique à une série de 23 cas européens sélectionnés dans la littérature hollandaise [138](p127-128), [216]. Mais en réalité, les rangakusha s'orientaient déjà à la même époque vers une autre technique occidentale, la vaccination jennerienne. (2) La vaccination jennerienne En effet, la nouvelle de cette découverte (1798) avait commencé à se répandre au Japon dans les années 1820. De nombreux livres traitant de la vaccination jennerienne circulaient à cette époque : Inquiry (1798) de Jenner, Algemeene beschouwing (1801) de l'Allemand Goldschmidt, le tract Ying-chi-li kuo hsin-ch'u chung-tou ch'i-shu (1805) de Alexander Pearson (chirurgien britannique en poste à Canton), l’Encyclopedisch de Most (183334), mais aussi l'Encheridion Medicum (1836) de Hufeland 60, ou encore un manuel chinois, Yin dou lue (1817) [138](p85,131,183). A noter aussi que la première monographie sur le sujet fut ramenée de Russie par un ancien prisonnier japonais ; il s'agissait de Sposo iz avit'sja soveršenno (1803), un tract gouvernemental édité par le comité médico-philanthropique de l'Académie impériale des sciences de Moscou [138](p71). Les rangakusha traduisirent alors la plupart de ces auteurs 61. 59 Appliquant la méthode chinoise, il préconisait le recueil des croûtes à J11 de la maladie et le stockage dans un récipient hermétique en porcelaine, au frais et à l'abri de la lumière. Il renseigne même la durée de viabilité en fonction de la saison: 50 jours en hiver contre 30 en été [138]. 60 Hufeland était déjà un défenseur de la variolisation. Dans emerkungen er die nat rli hen und geimpften Blattern (1789), il avait décrit la prise en charge de l'épidémie de variole de 1788 à Weimar. Après la parution de Inquiry de Jenner (1798), il se mettra à promouvoir la vaccination comme une méthode sure et efficace [265]. Ainsi dans l'Enchiridion Medicum, l'ouvrage de référence des rangakusha, il écrit: « On voit aisément quel avantage immense la vaccine a sur l'inoculation, puisqu'elle ne met jamais la vie en danger, puisqu'en imposant à l'homme une affection cutanée insignifiante et souvent à peine perceptible, elle le préserve de la plus redoutable des maladies, elle le garantit de toutes les affreuses difformités que celle-ci entraîne à sa suite, puisqu'enfin elle n'engendre pas de nouveau virus variolique. » (Ed française 1838, p450) 61 Diverses traductions d’ouvrages occidentaux portant sur la vaccination jennerienne: .Dès 1813, l'interprète Sajuro Baba s'attela à traduire le manuel russe Sposo iz avit'sja soveršenno ot ospennoj zarazy posredstvom vseo ščago privivanija korov'ej ospy (Sočinenie MedikoFilantropičeskago komiteta. Saint-Pétersbourg, 1803). Il acheva son Tonka hiketsu en 1820 [216]. Le livre fut publié à titre posthume en 1850 sous le nom de Roshia gyuto zensho [216]. 97 En outre, les médecins du comptoir, y compris le respecté Siebold (1823-1829), démontrèrent à plusieurs reprises la simplicité de cette technique [138](p93). Mais comme l'on ne parvenait pas à importer la vaccine depuis le comptoir de Java (inactivation par la chaleur lors du transport), toutes les tentatives de vaccination se soldaient par des échecs. En dépit de cela, les rangakusha furent tout de même convaincus de la supériorité de la méthode jennerienne [138](p129). Un certain Shuntatsu Nagayo62 tenta même de varioliser une vache pour produire de la vaccine [138](p174). L'intérêt pour la vaccination était devenu si fort, qu'au début des années 1840, plusieurs médecins convainquirent leurs daimyos de commander de la vaccine aux Hollandais. Persuadés que la matière vaccinale se conserverait mieux sous forme de croutes (du fait de leur expérience de la variolisation), certains insistèrent pour que l'on tente de ramener des croûtes au lieu de la lymphe [138](p129). Finalement, au cours de l'été 1849, le médecin du comptoir d'origine allemande, Otto Mohnike, réussit la première vaccination à partir de croûte, confirmant ainsi le bien-fondé du savoir empirique traditionnel [138](p151). En l'espace de 6 mois, la vaccination se propagea de Nagasaki aux grandes villes, pour finalement atteindre les provinces (Cf. Image 73 p199) ; cela soit « bras à bras », soit par le transport de croutes (Cf. Image 40, ci-dessous). Les anciens élèves de Siebold 63 servaient de relais au niveau des capitales de province [138](p103). Ces médecins tenaient un registre daté des vaccinations réalisées, ce qui leur permettait d'identifier les porteurs les plus virulents susceptibles de fournir la vaccine. Pour mener à bien cette entreprise, ils comptaient sur un réseau de relations (collègues, élèves, daimyos, marchands), préalablement sensibilisées. Pour convaincre de nouveaux collègues, ils publièrent les livres étrangers traduits par leurs prédécesseurs (Cf. note 61 ci-dessus) mais également le récit de leur expérience personnelle (Gyuto mondo, publié en 1850 par Hakuo Kasahara ; Gyuto hatsumo, publié en 1849 par Ryusai Kuwata ; Gyuto shoko, publié en 1849 par Soken Narabayashi) [138](p154). Par exemple, dans Gyuto hatsumo (publié en 1849), Ryusai Kuwata comparait statistiquement l'efficacité et l'innocuité de la vaccination par rapport à la variolisation et à l'infection naturelle. Mais c'est le témoignage de Soken Narabayashi64, le père du premier enfant vacciné au Japon, qui fut de loin le plus convaincant [138] (p152). Les pionniers vaccinateurs créèrent en 1858 un institut de vaccination à Edo, l'Otamagaike Shutojo [138](p163). En 1861, le bakufu fit de ce centre privé son .Genboku Ito et Sane-ei Kozeki écrivirent respectivement Gyuto Shuho-hen (1838) et Gyuto shuho (date inconnue) à partir de la partie vaccination de l'Enchiridion Medicum. A ce titre n'oublions pas la célèbre traduction de Koan Ogata, Hu-Shi keiken Ikun (publié en 1842-1857) de Koan Ogata [216]. .Taizen Sato écrivit Most gyuto-hen (après 1839) à partir de l'article sur la vaccination de l'Encyclopadie de Most [216],[138](p128). Setsuzo Arima, un élève de Koan Ogata, écrivit Gyuto shinsho, 1847 à partir du Algemeene beschouwing de Goldschmidt [216]. Le livre fut publié à titre posthume en 1850 [138](p151). .Hirose Genkyo publia en 1850 Shintei gyuto kiho. C'était la traduction de Keisuke Ito du tract Yingchi-li kuo hsin-ch'u chung-tou ch'i-shu (Treatise on the European style of vaccination,1805) de Alexander Pearson, chirurgien de la compagnie des Indes britanniques en poste à Canton [138] (p46,151), [291]. .Un traité de vaccination chinois, Yin dou lue (1817), fut également traduit en Japonais par le médecin kampo Shisei Koyama (Into shinpo zensho) [138](p131). Ryusai Kuwata en publia une forme abrégée en 1849, Into yo ryakkai [138](p153). 62 Shuntatsu Nagayo était le grand-père de Sensai Nagayo, futur chef de la santé publique sous Meiji. 63 Edo: Genboku Ito, Shunsai Otsuki, Ryusai Kuwata, Taizen Sato ; Kyoto: Teisai Hino ; Osaka: Koan Ogata ; Fukui: Hakuo Kasahara, [138]. 64 Soken Narabayashi défendit très tôt la vaccination; il avait assisté Siebold, depuis 30 ans il entretenait des relations avec les Hollandais du comptoir dans l'optique d'introduire la vaccine au Japon. 98 Institut de médecine occidentale (Seiyo Igakusho), lequel est nos jours considéré comme l'ancêtre de la faculté de médecine de Tokyo. Les médecins, ranpo et kampo n'ont pas seulement adopté la vaccination jennerienne, mais ont activement participé à son implantation pendant quarante ans. Avant même que la vaccine ne soit disponible, ils s'intéressèrent aux aspects théoriques de la technique. Cette étude préparatoire permit en temps voulu de réaliser la campagne de vaccination. Ils mirent même à contribution leur expertise en matière de variolisation, ce qui permit de trouver une solution au problème de l'acheminement du matériel variolique. Se fiant à l'expérience de leurs homologues occidentaux, ils n'hésitèrent pas à vacciner en premier leurs enfants. Enfin ces médecins travaillaient en collaboration, ce qui atteste la thèse d'un réseau de rangakusha ayant rompu avec la tradition de la transmission secrète du savoir. Ainsi il existait déjà sous Edo une communauté médicale fonctionnant selon des mécanismes modernes, dont les membres étaient dotés d'une ouverture d'esprit scientifique. Ce mouvement a de lui-même apporté les preuves au bakufu de la « supériorité » de la médecine occidentale, participant ainsi à la reconnaissance officielle de cette dernière avant la restauration de Meiji. 99 Image 40: Les 2 techniques de vaccination pratiquées à l’arrivée de la vaccine (1849): .technique utilisant les croutes varioliques (en couleur) d’après Naika Hiroku (1864) par Soken Honma [Collection : Université de Waseda] . technique de vaccination « bras à bras » (en noir et blanc) d’après Shintei gyuto kiho de Hirose Genkyo (1849) [Source : [138]] 100 Conclusion générale de la partie « Médecine et Thérapeutique » Dans la deuxième moitié d'Edo (1774-1858), les rangakusha ont cherché à assimiler 150 ans de médecine occidentale (1700-1850), tant sur le plan théorique, clinique que thérapeutique. Ce fut un exercice difficile car la médecine mécaniste ne reposait pas sur les mêmes fondations scientifiques que la médecine traditionnelle. Cependant, les médecins japonais pouvaient retrouver une certaine similitude avec la médecine vitaliste allemande (Hufeland). Par ailleurs, les principes thérapeutiques (phlébotomie, variolisation) et la protoinfectiologie n'étaient pas si éloignés de leurs équivalents occidentaux au 19e. En outre, ils n'étaient pas simplement attirés par les aspects techniques mais également par les sciences fondamentales. En fait, la thérapeutique occidentale (hormis la vaccination) n'avait encore rien de mieux à offrir que la pharmacopée chinoise. Mais les rangakusha avaient pris conscience du caractère systématisé du paradigme médical occidental. De plus, le rangaku entérinait la mort de la transmission secrète. La parution du journal Taisei meii iko ainsi que la coordination corporatiste des vaccinateurs mettent en lumière la naissance d'un réseau scientifique. Aussi peut-on dire qu'un véritable esprit scientifique japonais (au sens moderne) émergea dans la deuxième moitié d'Edo. Cependant, l'assimilation de la médecine occidentale ne se réalisait pas pour autant en opposition au paradigme de pensée confucianiste. En effet, les rangakusha se référaient à des ouvrages européens vieux de plus de 100 ans comme le faisaient les médecins Goseiha et Kohoha avec les canons chinois. Par ailleurs, ils renouaient avec la tradition japonaise d'importation en bloc d'une pensée étrangère, comme cela avait été le cas pour la médecine chinoise. Cette tradition cognitive conduisit à la coexistence sans discrimination des différents courants occidentaux (mécanisme, vitalisme). En l'absence d'une politique d'importation éclairée, la modernisation de la pensée médicale japonaise demeurait chaotique Enfin, on peut remarquer que l'assimilation accélérée de la médecine spéculative du 18e avait permis d'incorporer au moment opportun les avancées d'une médecine plus scientifique. 101 C La transformation de la chirurgie 1) Obstétrique A l'époque où certains s'affairaient à disséquer et à traduire des livres occidentaux, Genetsu Kagawa (1700-1777) réformait la pratique de l'obstétrique à Kyoto, donnant naissance à la dynastie Kagawa. De la même façon que pour l'anatomie, une littérature d'un nouveau genre voyait le jour : Sanron (Manuel d'obstétrique, 1765) : opus magnum de Genetsu Kagawa San'iku hen (1773) de Bunhaku Yamabe [216],[98],[199] Sanron'yoku (Explication du Sanron, 1775), version révisée du Sanron par Genteki Kagawa, disciple de Genetsu Sanka hatsumo (Illumination obstétricale, 1799) de Kakuryo Katakura 65, un autre élève de Genetsu [216],[348],[199] Sanka Shinron (1820) par Ryutei Tatsuno [349] San'iku zensho (1850) par Sansetsu (Gihaku) Mizuhara [349] Tassei zusetsu (1858) par Kenzan Kondo [349]. Néanmoins, peut-on établir une analogie, voire une corrélation, entre l'apparition des anatomistes rangakusha et l'émergence de cette nouvelle génération d'obstétriciens ? Nous montrerons qu'il s'agissait en fait de deux processus différents, notamment en ce qui concerne leurs rapports à la science occidentale. Certains historiens apparentent le médecin Genetsu Kagawa à l'école Kohoha [98], d'autres disent qu'il s'agirait d'un profane formé sur le tas [2]. Quoiqu'il en soit, Kagawa mit la démarche expérimentale un peu plus au centre de la discipline. En se basant sur ses observations personnelles, il réfuta d'anciennes croyances et pratiques parfois délétères : -1° Il corrigea certaines idées concernant la position in-utero du fœtus : -l'idée selon laquelle le fœtus demeurait debout jusqu'au terme et ne se tournait qu'au moment de l'accouchement. C'était selon lui un processus inconcevable du fait de la taille de l'enfant. Il décrivait au contraire un processus de présentation céphalique avec descente progressive dans le défilé osseux [214]. Selon l'historien Achiwa, Kagawa aurait fait cette découverte en constatant que lors d'extraction de fœtus morts, les blessures infligées par les faiseuses d'anges se situaient la plupart du temps au niveau de sa partie céphalique 66 [2]. -l'idée selon laquelle le sexe déterminait une latéralisation de l'enfant [214]. -2° Il condamna 3 pratiques : -La contention nocturne : la parturiente devait dormir recroquevillée sur elle-même, une bande entourant la tête et les genoux, afin d'éviter que le fœtus ne glisse entre ses cuisses. Genetsu reprochait à cette méthode de favoriser les présentations transversales [214]. 65 Kakuryo Katakura appelé aussi Kuwakuryo ou Genshu ou encore Shinho Katakura Avortement : les sages-femmes introduisaient dans l'utérus des aiguilles ou des baguettes de bois. On parle aussi d'absorption de décoctions vénéneuses, voire même de mercure, de plomb, phosphore. En raison du caractère hasardeux de ces techniques, on préférait en général l'infanticide (mabiki) à l'avortement [145]. 66 102 -L'usage de l'inconfortable chaise de couches : l'accouchée devait rester une semaine assise sur une chaise en bois, avec interdiction de s'allonger. Il accusait cette pratique de favoriser le prolapsus et les hémorragies du post-partum [214]. -L'usage de la ceinture abdominale (Iwata-obi), pratique qui visait à contenir l'expansion du fœtus. Il expliquait que la croissance fœtale était un processus naturel dont il ne fallait se mêler, à l'instar des animaux qui « mettent leurs petits au monde sans danger, sans bandage de ventre » [214]. Jusque-là, le médecin n'interférait pas dans les affaires obstétricales, lesquelles étaient dévolues aux sages-femmes (toriagebaba), qui étaient également chargées de l'avortement et de l'infanticide (mabiki)67. Tout au plus, on faisait appel à ses talents d'interniste, afin qu'il prescrive des médications kampo [214]. Mais avec de Kagawa, l'activité médicale gagna en pragmatisme. En effet Kagawa détermina plusieurs situations dystociques (présentation « à l'envers » c-à-d par le siège ; présentation de l'épaule ; grossesse gémellaire, Cf. Image 41 p105) et développa l'art de la manipulation obstétricale. Il inventa une technique de massage abdominal pendant la grossesse pour réduire les présentations transversales, ainsi que des manœuvres de version interne et externe (Cf. Image 48 p108). Toutefois, en dernier recours, il préconisait la « 5e méthode qui sauve la vie ». Cette technique, simplement évoquée mais non décrite dans le Sanron, consistait à tracter l'enfant à l'aide d'un double crochet…Enfin il insistait sur la nécessité de bien évacuer le placenta [214]. Ainsi, grâce à Kagawa on assistait à la naissance d'une spécialité au sens moderne du terme ; d'interniste traditionnel passif le médecin se démarquait de la toriagebaba pour se rapprocher de l'obstétricien interventionniste moderne. Dans son sillage, d'autres développèrent au 19 e siècle des techniques d'extractions mécaniques : Gihaku Mizuhara et Ransai Kagawa inventèrent indépendamment un appareil utilisant une longue et fine anse de baleine à ramollir dans l’eau chaude (tanganki, Cf. Image 43 p106) [98],[349], procédé dont se servit Ransai lors d'un accouchement au palais impérial en 1812 [214]. Néanmoins l'anse de baleine blessait souvent la tête de l'enfant. Aussi chercha-t-on à améliorer ce système ; Randai Kagawa imagina une pièce de soie tendue entre deux baguettes en os de baleine (procédé employé pour accoucher un prince impérial en 1832, Cf. Image 43 p106), Ranko Kagawa remplaça la pièce de soie par un ruban (sei-ochu). Ryutei Tatsuno, quant à lui employait un filet en soie (hotuki, Cf. Image 44 p107) [98],[349]. Il est difficile de quantifier le rôle des ouvrages occidentaux dans le développement de l'obstétrique japonaise à la fin d'Edo. Certains pensent que Kagawa aurait effectivement étudié ces traités pour acquérir des « méthodes secrètes » [98], [349]. Mais cette influence est encore plus claire chez ses suiveurs. Dans le Sanka hatsumo (1799) de son élève Katakura, on identifie clairement 27 planches tirées de Manuale operatien, zijnde een niew ligt (1701) (version française, Observations importantes sur le manuel des accouchements) de Deventer (Cf. Image 42 p105) et 2 planches (Cf. Image 45 p107), montrant des forceps incurvés, tirées de A sett of anatomical tables de Smellie (1754) [216]. Katakura ne cachait d'ailleurs pas s'être inspiré de la Oranda-Ryu-Geka [349]. On retrouve également les forceps de Smellie dans le manuscrit San'iku hen (1773) de Bunhaku Yamabe [98] [216] et dans le San'iku zensho (1850) de Sansetsu Mizuhara. En fait, il semblerait que quelques 67 Toriagebaba : Le terme toriage basan, révèle qu’elles avaient le pouvoir de saisir et d’accueillir la vie, comme celui de l’enlever, ce qui correspond au deuxième sens du verbe toriageru. Les folkloristes leur attribuent aussi le pouvoir d’intégrer l’âme du nouveau-né, d’où son rôle privilégié pour la restituer [145]. 103 médecins entrés en contact avec les Hollandais utilisaient les forceps déjà du temps du premier Kagawa [214]. Enfin, le filet de soie (Cf. Image 44 p107) utilisé par Ryutei Tatsuno (Sanka Shinron, 1821) ressemblait quelque peu à l'appareil de Pierre Armand présenté dans Nouvelles observations sur la pratique des accouchements avec la manière de se servir d'une nouvelle machine, très commode et facile, pour tirer promptement et sûrement, la tête de l'enfant, séparée de son corps, etc. (1714) [349]. Par ailleurs Smellie mentionne également un dispositif avec tige de baleine et filet (Cf. Image 46 p107), qui peut rappeler le tanganki de Mizuhara voire même le filet de Ryutei Tatsuno. A la lumière de ces données, il semble que l'iconographie occidentale ait surtout conditionné les Japonais à une certaine forme d'interventionnisme en cas d'accouchement difficile. Mais le transfert d'idées s'arrêta à la technique, car sur le plan théorique, les obstétriciens se référaient toujours au savoir traditionnel. Outre l'aménorrhée et les vomissements, le diagnostic formel de grossesse s'établissait par la prise du pouls (myakushin)68. On attribuait les manifestations de l'HTA gravidique au déséquilibre de l'énergie interne engendré par des facteurs psychologiques ; l'exacerbation ou le refoulement d'une des sept émotions (joie, colère, chagrin, plaisir, amour, haine, avarice) augmentait le feu intérieur, le gros intestin s'échauffait et la chaleur se répandait aux autres viscères [214]. En accord avec la théorie des correspondances, les Kagawa pensaient qu'un fœtus avorté présentait les 5 couleurs (noir, rouge, blanc, vert, jaune) en corrélation avec les 5 éléments, « preuve que l'essence véritable de l'homme se compose des 5 éléments : l'eau, le feu, le métal, le bois et la terre » [214],[349]. Enfin, ces médecins ne jugeaient pas nécessaire d'assimiler le savoir anatomique sous-jacent et méconnaissaient l'anatomie féminine. Par exemple, dans le Sanron, Kagawa mentionne comme seuls repères « l’os transversal » (branche ischio-pubienne) et « l’os unissant » (symphyse pubienne), sans aucune notion anatomique déterminée [214](p535). De la même façon, dans le Sanka Hatsumo, les images européennes côtoient des schémas naïfs (Image 47 p108). Kagawa ne peut être considéré comme le fondateur de l'obstétrique moderne, mais plutôt comme un réformateur de l'obstétrique traditionnelle. Contrairement aux rangakusha absorbés dans l'étude des disciplines médicales fondamentales, les obstétriciens ne changèrent pas de paradigme : technique et théories furent déconnectées, et seule la technique influença la pratique. 68 Pour cela, on prenait le pouls au niveau: 1. des artères des extrémités digitales (le médecin plaçant ses extrémités digitales avec ceux de la femme) 2. de l'artère crurale 3. de l'artère radiale selon Genetsu, si les artères n°1 et 2 battaient plus fort que l’artère n°3, la femme était enceinte [214]. 104 Illustrations de la partie « Obstétrique » Image 41 : Sanron’yoku de Genteki Kagawa (1775) [Collection : Université de Waseda]. Quelques exemples de présentations dystociques. Dans le sens horaire: présentation de la face (tête défléchie), de l’épaule gauche, de deux jumeaux en siège, en siège décomplété. En ce qui concerne les grossesses gémellaires, Kagawa distingue bien les grossesses monochoriales des grossesses dichoriales, mais semble méconnaitre les cas de grossesse gémellaire monochoriale monoamniotique. Image 42 : A gauche: Sanka Hatsumo (Illumination obstétricale, 1799) de Kakuryo Katakura, [Collection : Université de Waseda], à droite: Planche 7 de Observations importantes sur le manuel des accouchemens de Deventer (édition française de 1734) [Collection : BIUM] 105 Planche 1 Planche 2 Image 43 : Instruments obstétricaux de la famille Kagawa, [Source de l’image : [214]] Le 1er appareil comprend une longue anse de baleine ou tanganki (fig.1, Pl.1), une lame de baleine plate percée de 2 trous (fig.2, Pl.1) et une poignée en bois percée de 4 trous (fig.3, Pl.1).L’utilisation de cet appareil est montrée dans la fig 3 de la planche 2: d’abord on ramollit l’anse de baleine dans l’eau chaude, on l’introduit dans les voies génitales puis on passe les extrémités de l’anse dans les trous de la lame plate, on tire à soi les extrémités de l’anse jusqu’à ce l’on trouve un point d’appui sous le menton ou à l’occiput, puis on remplace la lame de baleine plate par la poignée en bois. Le 2e appareil utilisé comprend une serviette de soie tendue entre deux baguettes en os de baleine (fig.4, Pl.1) et une spatule de fer percée d’un trou quadrangulaire (fig.8, Pl.1). L’utilisation de cet appareil est montrée dans les figures 1 puis 2 de la planche 2. Après avoir ramolli les 2 baguettes dans de l’eau chaude, on les unit à la serviette de soie de telle façon que la moitié de la serviette soit enroulée autour de chaque tige. Puis on introduit l’appareil en longeant la paroi postérieure ou antérieure du vagin jusqu’à ce que l’extrémité de l’appareil soit parvenue à la hauteur du menton. Alors on déroule les 2 tiges en sens inverse de façon à ce que la serviette enveloppe toute la tete. Les 2 baguettes libres sont alors retirées et les 2 bouts de la serviette sont passés dans le trou quadrangulaire de la spatule de fer. Puis en meme temps que l’on pousse la spatule en avant, on tord les deux bouts de la serviette. La spatule est alors retirée. Le 3e appareil utilisé pour rectifier les positions transversales comprend deux baguettes en os de baleine percées à leur extrémité (fig.5, Pl.1), un long filet de soie, une tige en fer munie d’un œillet de guidage (fig.6, Pl.1), une lame de baleine plate terminée en V, pour mieux épouser l’aisselle du fœtus (fig.7, Pl.1). L’utilisation de cet appareil est montrée dans les figures 5 puis 4 de la planche 2. 106 Image 44 : filet de Ryutei Tatsuno dans son Sanka Shinron, 1820 [Collection : Université de Waseda] ; Description et utilisation du tire-teste de Armand, dans Nouvelles observations sur la pratique des accouchements, 1714 [Collection : BIUM] Image 45 : Utilisation des forceps incurvés. A gauche: Sanka Hatsumo (Illumination obstétricale, 1799) de Kakuryo Katakura [Collection : Université de Waseda], à droite: Planche 16 des Tabulae anatomicae de Smellie (Nürnberg, 1757) [Collection : BIUM] Image 46: dispositif obstétrical utilisant une anse de baleine et un tissu, planche 38 du Tabulae anatomicae de Smellie (Nürnberg, 1757) [Collection : BIUM] 107 Image 47: A gauche, représentation traditionnelle de la latéralisation in-utero en fonction du sexe dans le Sanka Hatsumo (1799) de Kakuryo Katakura. A droite, système génital féminin dans Tassei zusetsu de Kenzan Kondo (1858) [Collection : Université de Waseda] Image 48 : Tassei zusetsu de Kenzan Kondo (1858): manœuvre de version externe [Collection : Université de Waseda] 108 Image 49 : Tassei zusetsu de Kenzan Kondo (1858): manœuvre de version interne, transformation d’une présentation transverse en un siège [Collection : Université de Waseda] Image 50 : à gauche et en haut à droite Tassei zusetsu de Kenzan Kondo (1858): manœuvre similaire à la manœuvre de Mauriceau utilisée en cas de dystocie de la tête dernière. On retrouve la même manœuvre dans le San iku zensho (1850) de Sansetsu Mizuhara (image en bas à droite) [Collection : Université de Waseda] 109 2) Ophtalmologie Contrairement à l'obstétrique, l'ophtalmologie japonaise opéra une transition assez homogène -tant sur le plan théorique que technique- dans la 2e partie d'Edo. a) L'ophtalmologie sino-japonaise Cette discipline émergea au 16e siècle, dans les traces de l’école du moine Seigan Majima, le fondateur historique de l’ophtalmologie japonaise (fin du 14 e siècle, cf.note69). Elle s'inspirait du modèle chinois des Song, lequel recyclait lui-même le savoir indien. La physiopathologie traditionnelle était basée sur la théorie des 5 anneaux. Les Chinois pensaient que l'œil reflétait l'état des organes. On le divisait en 5 anneaux concentriques (ou sphères), chaque anneau étant affecté à un viscère (Cf. Image 52p114). Ainsi, la pupille (sphère de l'eau) correspondait au rein, l'iris (sphère du vent) au foie, la sclère (sphère de l'air) au poumon, les paupières (sphère de la chair) à la rate, les canthi (sphère du sang) au cœur. En fait, cette théorie des 5 anneaux résultait du syncrétisme de la théorie des correspondances chinoises avec la représentation cosmogonique indienne de l'œil en 5 mandalas contenue dans le Susruta Samhita69. Sous les Ming, les Chinois ajoutèrent à la théorie des 5 anneaux la théorie des 8 enclos, théorie issue du milieu des diseurs de bonne aventure. Celleci consistait à assigner 8 éléments aux différents organes et ensuite aux différentes parties de l'œil ; son influence fut limitée au Japon [210] (p100-102). La terminologie chinoise, basée sur l'observation clinique, distinguait 2 types d'affections : les affections internes (cataracte, glaucome, amaurose, …) et les affections externes. Les affections internes étaient classées en 5 couleurs, en rappel de l'ancienne classification indienne70. Les Japonais reprirent la répartition dichotomique en affections internes (sokohi) et externes (sotohi), à laquelle l'école Majima ajouta une nouvelle catégorie ; les affections intermédiaires (naka sokohi ; affections de la cornée et du segment antérieur). Par ailleurs, les ophtalmologues japonais développèrent de leur côté une nouvelle nosographie [210](p102). Ils conservèrent néanmoins la méthode de classification des affections internes en 5 couleurs [210](p97). Au niveau chirurgical, chinois et Japonais pratiquaient deux techniques d'origine indienne, l'abaissement de la cataracte à l'aide d'aiguilles en or (décrite dans le 69 Le Susruta Samhita est un traité ayurvédique dont l'original disparu remonterait à -600 avant J.C. Le Longshu Pusa Yanlun (Traité ophtalmologique du Boddhisattva Nagarjuna), très probablement une traduction chinoise d'un livre du moine indien Nagajurna (2e siècle) inspiré du Susruta Samhita, aurait été importé au Japon au début du 9e siècle et servit à la rédaction de l'Ishinpo (984). Ce livre contenait la description de l'abaissement de cataracte. Toutefois cette opération n’entra pas dans les mœurs. A nouveau, pendant la période Kamakura, deux livres chinois (période Song) furent importés au Japon; le Taiping Shenghui Fang (une commande impériale) et le Shengji Zonglu. Le Taiping Shenghui Fang (992) décrivait la théorie chinoise des 5 anneaux, celle des maladies externes et des internes, leur traitement, ainsi que la chirurgie de cataracte. Le Shengji Zonglu (1111-7) quant à lui ne contenait pas la description de la cure de cataracte. Aussi le Pr.Mishima suggère qu’au 14e siècle le moine Seigan Majima (fondateur de l’ophtalmologie japonaise) disposait soit du Longshu Pusa Yanlun ou du Taiping Shenghui Fang. Les livres des Ming (contenant la théorie des 8 enclos), quant à eux diffusèrent surtout à la fin d’Edo alors que l’ophtalmologie hollandaise était déjà bien implantée[210](p41-2,59-62,85-7,96-7,99-102). 70 Dans le Susruta Samhita, l'œil est représenté sous la forme de 5 sphères concentriques, traduction directe des mandala indiens: 1) mandala pakschma (anneau des cils); 2) mandala vartma (paupières); 3) mandala sveta (sclère et cornée); 4) mandala krishna (choroïde) 5) mandala drishti (pupille) [210](p100). 110 Susruta Samhita) [210](p88)) et la section des ptérygions au crochet [210](p97-98) (Cf. Image 56 p116). Les techniques employées variaient en fonction des écoles, ils pratiquaient notamment la discission ou division de la cataracte en passant par la pupille [210](p195). Les topiques oculaires étaient élaborés à partir de minéraux, animaux et végétaux. Dans ce domaine les Japonais avaient développé leurs propres formules ; l'exemple typique est le shinjusan, poudre de perle écrasée [210](p204-207). Mais, au milieu du 18e siècle, l'ophtalmologue Toshuku Negoro (qui avait également dessiné la première planche d'ostéologie Cf. Image 15 p52), ressentit la nécessité de donner une explication mécanique au phénomène de la cataracte. Au lieu d'utiliser la traditionnelle cartographie en 5 anneaux, dans Ganmoku gyokai (Ophtalmologie élucidée, 1742), il décrivit pour la première fois une structure tridimensionnelle (Cf. Image 53 p114). Cette nouvelle conception anatomophysiologique marquait un tournant épistémologique. La rupture fut entérinée par l'introduction de l'ophtalmologie occidentale à la fin du 18e siècle. Dans ce processus on distingue deux étapes : la traduction par les rangakusha du corpus théorique, suivie de l'adhésion des praticiens traditionnels. b) Les traductions des rangakusha Trois livres eurent un impact important dans ce domaine : Anatomische Tabellen de Kulmus, Chirurgie de Heister, mais surtout Doctrina de Morbis Ocularum de Plenck. Le Kaitai shinsho (publié en 1774) apporta la représentation tridimensionnelle de l'œil et de ses muscles, ainsi qu'une nouvelle terminologie anatomique [210](p165). Puis Ryukei Sugita, le fils de Genpaku Sugita, écrivit Ganka shinsho (Nouveau livre d'ophtalmologie, 1815), la traduction de Doctrina de morbis ocularum (1777) de l'autrichien Plenck [210](p167-169). Ce traité reflétait les grandes avancées de l'ophtalmologie du 18e. On y trouvait notamment l'étiologie de la cataracte découverte par Brisseau 71 et la controverse européenne sur l'extraction du cristallin72. Or le Ganka shinsho n'était pas une simple traduction. D'abord il introduisait une nouvelle nosographie, classant ainsi les maladies par structure anatomique et non plus par symptôme. Ensuite il reniait ouvertement la physiopathologie chinoise de la cataracte (dysfonctionnement des reins selon la théorie des 5 anneaux). Enfin il reflétait un travail de réflexion personnelle. En effet, cet ouvrage préconisait l'abaissement conseillé par Percival Pott plutôt que l'extraction du cristallin73 pratiquée par Daviel, ce qui montre que Ryukei avait parfaitement saisi l'enjeu de la controverse européenne. Enfin, il était doté de planches iconographiques ainsi que d'un addendum pharmacologique, tous deux absents de l'original viennois. Pour réaliser ces illustrations, Ryukei disséqua un œil dont il observa la structure au microscope (notamment le corps ciliaire) (Cf. Image 55 71 Le Susruta Samhita décrit 6 types de cataractes: 1) rougeâtre 2) bleuâtre-jaune 3) blanc 4) rouge sang 5) mixte 6) bleuâtre. Dans la classification chinoise, il existait ainsi: 1) la cataracte blancbleuâtre, 2)noire, 3)jaune, 4)rouge, 5)bleue [210]. On remarquera que dans (Ophthalmodouleia, 1583), Bartisch opte aussi pour une classification de la cataracte en 6 couleurs (blanc, bleu, gris, vert, jaune, noir). 72 On doit la découverte de la nature de la cataracte aux travaux de Maitre-Jan et de Michel Brisseau. Tous deux découvrirent indépendamment sur des pièces d'autopsie que la cataracte était due à l'opacification du cristallin et non comme on le croyait à une excroissance placée en avant. En 1708 l'Académie Royale des Sciences reconnut cette découverte[17],[309]. 73 En 1745, Daviel inventa la technique d'extraction du cristallin; or cette méthode se grevait plus fréquemment de complications infectieuses, aussi le consensus resta à l'abaissement jusqu'au milieu du 19e. 111 p115). Pour l'addendum, il se servit de la pharmacopée hollandaise traduite par Genshin Udagawa [210](p168-169). Ainsi, Ryukei ne se contentait pas de transférer les connaissances européennes. Adoptant la démarche expérimentale (dissection, microscope) et recyclant le thésaurus de connaissances nouvellement importées (pharmacopée), il participait, à son tour, à la production de savoir. Enfin, il traduisit également la partie ophtalmologique de l'ouvrage d'Heister, qu'il publia sous le nom de Yoi shinsho ganmokuhen (publié en 1809) [210](p194). *L'adhésion des praticiens traditionnels On pourrait penser que ce phénomène était uniquement limité aux rangakusha. En fait, beaucoup d'ophtalmologues traditionnels s'intéressèrent à l'ophtalmologie hollandaise, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Certains se mirent à disséquer l'œil et à écrire des traités. A ce titre, il est intéressant de mentionner Ganmoku meiben (Ophtalmologie mise au clair, 1810) de Jun'an Kinudome (Image 54 p115). Dans cet ouvrage, l'auteur entreprit une classification anatomique des maladies de l'œil, soit 5 ans avant la célèbre adaptation par Ryukei Sugita du livre de Plenck (Ganka shinsho, p1815) [210](p170). De surcroit, ces médecins se rapprochèrent des chirurgiens du comptoir dans le but d'acquérir les techniques chirurgicales occidentales. C'est ainsi qu'ils se mirent à pratiquer la réclinaison du cristallin dans le vitrée, technique européenne inventée à la fin du 18e siècle [210](p196), adoptant du même coup les instruments chirurgicaux occidentaux. Ce phénomène est bien visible dans le Ganka kinno de Shin'ichi Honjo (Sac d'ophtalmologie en brocard, 1831) (Cf. Image 57 p116) [210](p199-200). e Image 51: abaissement et réclinaison de la cataracte au 19 siècle d’après [183]. Lors de la réclinaison l'aiguille passe par la sclère, entre cristallin et iris, puis récline le cristallin dans le vitrée (à droite). Lors de l’abaissement elle le fait glisser en dessous (à gauche). Les abaissements sino-japonais s’effectuaient plutôt en passant par la chambre antérieure, par abord transpupillaire, réalisant ainsi une rupture du cristallin [210](p194). c) L'apport de Siebold et Bauduin Enfin deux médecins du comptoir ont particulièrement contribué à la modernisation de l'ophtalmologie japonaise ; il s'agit du Dr Siebold et du Dr Bauduin. .Siebold et ses élèves (période 1823-1829) Siebold introduisit l'usage des mydriatiques pour faciliter l'abaissement de la cataracte. Comme la Belladone (atropine) n'existait pas au Japon, il indiqua à ses élèves deux ersatz : Scopolia japonica Maxim (scopolamine) et Hyoscyamus niger (hyoscyamine). Les Japonais adoptèrent l'Hyoscyamus qui était plus courante chez eux. De plus, il enseigna l'iridectomie optique de Beer (pupille artificielle) développée pour le traitement de l'amblyopie due aux leucomes. Ses élèves adoptèrent avec succès ces techniques. Ainsi Genseki Habu abaissait la cataracte à l'aide de mydriatiques dès 1826 ; Ryosai Ko pratiquait en plus l'iridotomie. Les dossiers de 112 Gensho Habu74 (période 1851-1859) montrent un taux de complications dans l'abaissement de cataracte comparable à ceux rencontrés en Europe à la même époque (13%) (Okuzawa Yasumasa cité dans [210](p197)). Toutefois ces même dossiers révèlent la persistance de certaines pratiques, comme le diagnostic de maturité de la cataracte en fonction de la couleur, l'inclination à opérer le matin et pendant les mois de printemps chauds... .Bauduin et ses élèves (période 1862-1867) Au milieu du 19e siècle, au moment où l'ophtalmologie étendait son champ d'étude au segment postérieur (invention de l'ophtalmoscope par Helmhotz en 1851), le Pr. Bauduin arriva au Japon. C'était un spécialiste en la matière ; ancien collaborateur de Donders (à qui l'on doit la description du glaucome chronique en 1862), il avait publié une monographie sur l'étude du fond d'œil (Handleiding voor het onderzoek van het oog met den oogspiel, 1859). Ce professeur était donc à même de prodiguer les cours les plus avancés de son temps. Les notes de cours d'un de ses élèves confirment l'étendue de son enseignement : .histologie, anatomie de l'œil et des muscles oculomoteurs .bases d'optique, mécanisme de l'accommodation .fonctionnement de l'ophtalmoscope direct et indirect .strabisme, cure du strabisme et du ptosis congénital .maladies du segment antérieur .cataracte, méthode d'abaissement, méthode d'extraction (désormais préférée) .étude du FO .nouvelles avancées : hémorragie rétinienne et atrophie choroïdienne compliquant la myopie forte, les deux types de glaucomes (aigu et chronique), excavation atrophique de la papille dans le glaucome chronique (von Graefe 1854, Muller 1858, Donders 1862), technique d'iridectomie en secteur en cas de glaucome aigu (iridectomie antiphlogistique de von Graefe, peu après 1857) .il introduisit l'atropine, le nitrate d'argent, mercure, et un myotique l'ésérine du haricot de Calabre (effets décrits en 1863 par von Graefe et Argyll-Robertson) Ainsi, à la différence de l'obstétrique, l'ophtalmologie occidentale suscita l'engouement immédiat des rangakusha et l'adhésion rapide des praticiens traditionnels. Le passage de spécialistes réputés, comme Siebold et Bauduin, a vraisemblablement joué un rôle dans ce phénomène. 74 Fils adoptif de Genseki Habu. 113 Illustrations de la partie « Ophtalmologie » Image 52 : cartographie traditionnelle de l’œil selon la théorie des 5 anneaux, exposée dans un hidensho e du 16 siècle (hidensho=manuscrit secret d’une famille), le Meigan gokui hiden (à droite) et un hidensho de la mi-Edo ayant été transmis au sein de la famille Majima [Source des images : [210]] Image 53 : représentation tridimensionnelle de l'œil dans Ganmoku gyokai de Negoro Toshuku (1742), Grâce à son expérience de la chirurgie de cataracte, Negoro arrive à construire un modèle tridimensionnel. Il décrit l'iris qui comporte un trou central, correspondant à la pupille. En avant et en arrière de l'iris, existe une « eau divine » qui circule en permanence. Si cette eau s'arrête de circuler, elle se trouble et l'individu perd la vue. Au fond de la pupille se situe une substance qui, en devenant opaque, constitue la cataracte. Du fait de sa position anatomique, il range la cataracte dans la catégorie des affections intermédiaires, alors que l'ophtalmologie traditionnelle la considère comme une « affection interne ». Ainsi Negoro nous livre une description assez correcte de la chambre antérieure, de la circulation de l'humeur aqueuse et du siège de la cataracte. Il serait même tentant d'interpréter son histoire de stagnation de « l'eau divine » comme un début d'explication du glaucome... [Source des images : [210]] 114 Image 54 : Ganmoku Meiben (L’ophtalmologie clarifiée, 1810) par Jun’an Kinudome. Conquis par les illustrations du Kaitai shinsho (1774), cet ophtalmologue traditionnel disséqua l’œil et tenta de formuler une classification des maladies à partir des structures anatomiques [Source de l’image :[210]] Image 55 : Ganka Shinsho (1815) de Ryukei Sugita [Collection: Université de Waseda]. Pour illustrer sa traduction du traité de Plenck, Ryukei Sugita dissèque l’œil. De gauche à droite en partant d’en haut:1) les muscles oculomoteurs ; 2) œil sans les muscles ; 3)moitié antérieure de l’œil ; 4) moitié postérieure de l’œil ; 5) rétine ; 6) vue sagittale ; 7) moitié antérieure de l’œil vue au microscope ; 8) cristallin, vitré, et corps ciliaires après résection partielle des tuniques (commentaires d’après [210]) 115 Image 56 : Chirurgie traditionnelle. En haut à gauche: Les 2 aiguilles en or traditionnelles. Les 3 autres planches proviennent du Ganmoku gyokai (Negoro Toshuku, 1742): Manière de tenir l'aiguille ; Cure de la cataracte (rupture de la face antérieure soit discission) ; Section d’un ptérygion au crochet [Source des images : [210]] Image 57 : En haut : Ganka Kinno de Shin'ichi Honjo (1831): adoption des méthodes et instruments occidentaux [Collection : Université de Waseda] ; par comparaison, en bas: abaissement de la cataracte sur l’œil droit par un droitier dans A system of surgery de Benjamin Bell, Vol 3, planche 35, 1785, [Collection : BIUM] 116 3) La chirurgie générale Au Japon, comme en Europe, la chirurgie fut longtemps considérée comme une discipline inférieure. Il existait deux types de chirurgiens : les exciseurs de furoncles (yoka) et les soigneurs de blessures de guerre (kinso-i). Ces praticiens non versés dans l'étude de la médecine interne et qui côtoyaient la « souillure » jouissaient d'un statut comparable à celui des chirurgiens-barbiers. Au contact des Portugais puis des Hollandais, une nouvelle caste de chirurgiens apparut à Nagasaki : celle des interprètes-chirurgiens. On leur doit l'introduction des Œuvres de Paré dans la 2e moitié du 17e siècle [242]. Mais comme ces lettrés n'étaient pas de véritables praticiens, leurs traductions étaient plus que fantaisistes. En effet, dans ces Geka soden (traités chirurgicaux), quelques illustrations de Paré côtoient un commentaire souvent inventé [84](p205-206). Leur art chirurgical, sous sa forme la plus avancée, prit le nom de seikotsu jutsu. Cette discipline, qui ne reposait sur aucune connaissance anatomique, était cantonnée au traitement des dislocations et des fractures. Les chirurgiens qui la pratiquaient s'appelaient les seikotsuka [98]. Néanmoins, vers la fin du 18e siècle, les chirurgiens prirent conscience que la connaissance de l'anatomie était un prérequis incontournable. Lors d'une promenade, le médecin Ryoetsu Hoshino (1754-1802) trouva un crâne, et du coup la méthode pour réduire les luxations mandibulaires. Réalisant alors l'importance de l'ostéologie en orthopédie, il demanda l’autorisation de disséquer des cadavres et fit fabriquer une réplique en bois du squelette ; c'est ainsi que naquit vers 1793 la mode des mokkotsu (squelettes en bois à visée éducative) [151](p39). A la même époque, Bunken Kagami (1755-1819) écrivit un traité d'orthopédie (seikotsu) qui contrairement aux manuels classiques contenait des illustrations réalistes des structures osseuses et ligamentaires ; le Seikotsu shinsho accompagné de son atlas anatomique Kakkotsu shinkeizu (Cf. Image 58 p121) furent publiés en 1810 [200](p152). Ainsi une étape épistémologique était désormais franchie. Encore restait-il à développer les techniques chirurgicales correspondantes. En effet, les chirurgiens japonais (kinso-i, yoka et seikotsuka) ne pratiquaient qu'en « surface ». Or l'un d'entre eux, Seishu Hanaoka, libéra la discipline de ce tabou. Seishu Hanaoka (1760-1835) disposait d'une formation mixte. Son père qui était chirurgien commença son apprentissage à Wakayama [106](p79). Puis de 1782 à 1785, Hanaoka se perfectionna à Kyoto auprès de l’interniste Nangai Yoshimasu (fils du médecin Kohoha Todo Yoshimasu) et du chirurgien Kenryu Yamato 75 (école Kasuparu-ryu) [191](p446),[242]. Confronté à la souffrance de ses patients, Seishu Hanaoka décida d'élaborer un anesthésiant à partir de la mandarage (plante du genre Datura). Il est difficile de savoir s'il fut influencé par la pharmacopée chinoise ou occidentale. En effet, l'utilisation orale de la mandarage était déjà connue en Chine depuis le 14e siècle et ses effets décrits dans le Bencao gangmu de Li Shizen. Par ailleurs, le Cruydt Boeck de Dodonaeus traduit vers 1750 par le botaniste Noro Genjo (Oranda honzo wage76, Traduction d'un livre de botanique hollandais) mentionnait aussi les effets sédatifs du datura [240]. Pendant près de 20 ans, Hanaoka peaufina sa formule, testant différents dosages sur des chiens et des chats, puis plus tard sur sa mère et sa femme. Cette démarche peut être comparée -toutes 75 Kenryu Yamato était le fils de Kensui Yamato, lui-même un ancien élève de Dogyu Irako. Dogyu est aussi le grand-père de Koken Irako, l’auteur du Geka kinmo zui (1769). 76 L’Oranda honzo wage demeura néanmoins sous forme manuscrite [216]. 117 mesures gardées, aux premières phases de développement d'un médicament (phase d'essai préclinique puis étude de phase 1). En 1805, Hanaoka réalisa une tumorectomie du sein chez une patiente endormie par le tsusensan 77, soit 37 ans avant l'utilisation chirurgicale de l'éther en Occident78. Aussi la littérature le dépeint souvent comme le pionnier mondial de l'anesthésie générale. Cependant les effets du tsusensan étaient plus proches de l'intoxication atropinique que de l'anesthésie. Par ailleurs, il existait déjà en Europe une potion analogue, le Vin de Mandragore décrit par Dioscoride, médecin grec du 1 e siècle79. Quoiqu'il en soit, le tsusensan permit à Hanaoka et ses élèves d'accomplir des interventions que nul n'osait réaliser jusque-là : amputation des extrémités, extirpation de tumeurs volumineuses -notamment mammaires, opérations plastiques (dont fente labiale), cancer de la langue, fistule anale, phimosis, etc. (Cf. Image 59, Image 60, Image 61, p122). L'hémostase était assurée par compression, ligature vasculaire et cautérisation [98]. Affilié à la Komo geka ryu (Kasuparu ryu), Hanaoka s'inspirait des traités occidentaux, notamment des Œuvres de Paré dont il copia des planches pour illustrer ses propres écrits [200],[84](p205). Mais ses notes étaient également riches d'observations personnelles. On retrouve ainsi des remarques sur l'influence de l'âge, du sexe et de l'état clinique sur l'anesthésie au tsusensan [314]. De la même façon, il observa que les suites opératoires dépendaient de la détersion scrupuleuse des plaies. Aussi il expérimenta diverses solutions désinfectantes (distillat de rose, solutions alcooliques de titration variée), concluant que l'alcool pur (c-à-d alcool local à 30°) assurait les meilleurs résultats. Il tint également une liste des patientes qu'il avait opérées de tumeur du sein pendant ses 31 ans d'exercice, léguant ainsi la première série japonaise de chirurgie mammaire (n=156 cas) [191]. Les apports d'Hanaoka sont donc multiples : introduction de l'anesthésie générale introduction d'une chirurgie plus invasive mise à l'honneur de l'esprit expérimental dans le respect d'une certaine éthique. 77 Il existait en réalité plusieurs formules de tsusensan, ce mot n'étant qu'un terme générique. Le tableau ci-dessous ne reprend en fait que les principes actifs du tsusensan. Principes Actifs Du Tsusensan (D'après [191];[240]) Plantes de la préparation Composés Actifs Actions Pharmacologiques Effets Indesirables Plante du genre Datura (mandarage) alcaloides 0,4%: hyoscyamine, atropine, scopolamine hypnotique intoxication atropinique mydriase, bradycardie Aconite japonaise (souzou) alcaloides 0,5%: aconitine paresthésie, analgésie tachycardie et trouble du rythme Plante du genre Angelica angelicotoxine hypotension sédation Préparation: infusion des plantes dans l'eau bouillante et agitation pendant quelques minutes, puis administration de la potion entière ou du surnageant. Délai et durée d'action variables en fonction des formules: Délai 3-4h, Durée 6-12h, parfois 24h 78 En 1842, le Dr Crawford Williamson Long réalisa l'exérèse d'une tumeur cervicale chez un patient endormi à l'éther. C'était la première fois qu'en Occident une intervention chirurgicale était pratiquée sous anesthésie générale. 79 Une décoction de la racine de mandragore dans du vin est préconisée « quand on ne peut dormir, ou pour amortir une douleur véhémente, ou bien avant de cautériser ou couper un membre, pour se garder de sentir la douleur » (Les Commentaires de M.P. André Matthiole sur les six livres de la matière médicale de Pedacius Dioscoride, traduit par Antoine Du Pinet, 1680 p402). 118 En parallèle, les rangakusha adaptèrent des traités de chirurgie occidentaux, ce qui participa à l'expansion de la discipline. Genpaku Sugita et Gentaku Otsuki traduisirent De chirurgie de l'Allemand Heister (Yoi shinsho, publié en1822). Cette adaptation fut adoptée comme manuel de cours au Tekijuku, l'école rangaku la plus prestigieuse de la fin d'Edo. Ryukei Sugita traduisit également le Compendium de Chirurgie de l'autrichien Plenck (Yoka shinsen, publié en 1832) [211],[98](p56). Par ailleurs, ces savants ne restaient pas isolés mais confrontaient leurs idées. Ainsi, en 1798, Hoshino vint présenter son anatomie factice (mokkotsu) à Otsuki. Celui-ci était alors occupé à réviser le Kaitai Shinsho. Ils purent ainsi vérifier la concordance de leurs travaux anatomiques [151]. De même, Sugita félicita Hanaoka pour son Tsusensan et ses opérations. Par la suite, Sugita et Otsuki maintinrent une correspondance professionnelle avec le chirurgien. Ainsi, au début du 19e, praticiens et théoriciens constituaient une sorte de réseau, au-delà de la traditionnelle « transmission secrète » (hiden). Les chirurgiens du comptoir de la trempe de Siebold (1823-1829), Niemann (18341838) ou encore Pompe (1857-1862) accélérèrent l'assimilation de nouvelles notions. Gensho (Soken) Honma (1804-1872) fut l'élève de Hanaoka et de Siebold, mais aussi du rangakusha Ryukei Sugita et du médecin traditionnel Hara Nan’yo [354]. Il s'installa à Edo, où il pratiqua la chirurgie à la manière d'Hanaoka. Il écrivit en 1837 le Yoka hiroku (Secret du traitement des ulcères, publié en 1847). Cet ouvrage parle principalement de tumeurs cutanées, de sarcomes, furoncles, abcès, cancers mammaires, hémorroïdes, etc. Toutefois les planches laissent un sentiment étrange. L’arsenal instrumental y est rudimentaire, une tumeur est cautérisée au moxa, un sarcome du genou au fer rouge. Certaines affections acquièrent une allure fantastique ; un homme étant doté d’une « queue, comparable à celle d’un chien » [200], (queue faunesque de la spina bifida ?) Honma fut peut-être inspiré par les cas monstrueux de Paré, comme « l’enfant demy-chien » né en 1493…Douze en plus tard, ses élèves publièrent une suite à ce curieux traité, le Zoku yoka hiroku (publié en 1859). Le Zoku décrit, entre autre, une amputation du membre inférieur gangréné, la résection de cancer de langue, le traitement du pied bot (réduction par attelle ou tarsectomie…), ainsi que diverses situations urogénitales (urolithiase, infection sur phimosis). En effet Honma connaissait la technique de lithotomie par abord périnéal (sectio lateralis) et pratiquait l’exérèse de varicocèle80 (Fujikawa 1978). Ces traités eurent un profond retentissement [98](p58). En dévoilant des techniques novatrices, Honma rompait la tradition du secret particulièrement prégnante en chirurgie 81 [181],[354]. La BIUM possède des exemplaires du Yoka hiroku et du Zoku yoka hiroku (cote 21887 et 21887A). Enfin, Taizen Sato (1804Ŕ1872), rangakusha et élève de Niemann (1835-8) ouvrit l'école Juntendo [106](p175-176). Shochu Sato, l'ami rangakusha que Taizen avait adopté comme successeur, transforma Juntendo en un complexe hospitalouniversitaire privé sous Meiji [210, 211]. Ryojun Matsumoto (1832-1907), le véritable 80 Le Zoku yoka hiroku traite également des différents types d’empoisonnements (fugu, champignons, médicaments, morphine), du cancer œsophagien, des anévrysmes, de l’infection de blessure, du tétanos. Le Yoka hiroku quant à lui contiendrait la première description de la tularémie [200], [354]. Soken Honma écrivit également un traité de médecine interne traditionnel, le Naikai hiroku, dont des illustrations (technique de vaccination) sont reproduites dans la thèse (Cf. Image 40 75). 81 Par exemple, en accord avec le règlement du Shunrinken (école d'Hanaoka), Honma avait signé un serment de non divulgation du grand secret de l'école, c'est-à-dire du tsusensan. A cette occasion Hanaoka remettait au disciple un rouleau contenant la dite formule (denjusho), alors que l'élève faisait serment sur papier (kishobun) [181]. 119 fils de Taizen, fut le bras droit de Pompe à l'école de Nagasaki, puis le chirurgien en chef de l'armée du shogun pendant la guerre du Boshin [48](p45-46). En 1873, il devint le premier chirurgien général de l'armée impériale. Ainsi, la modernisation de la chirurgie japonaise est un processus amorcé à la fin du 18e siècle. Ce phénomène s'explique indéniablement par l'émergence de l'anatomie moderne dans la deuxième moitié du 18e siècle. C'était l'ère du Kaitai shinsho. Les praticiens seikotsuka recadrèrent alors leur discipline autour de l'anatomie. Ensuite Seishu Hanaoka inventa l'anesthésie, ce qui permit d'envisager une chirurgie plus invasive, inspirée des traités occidentaux. Ainsi cette nouvelle chirurgie n'était ni traditionnelle, ni occidentale, ni syncrétique dans le sens péjoratif, mais progressive. Rangakusha et chirurgiens traditionnels entrevoyaient le potentiel de la chirurgie occidentale. Cet intérêt assura la bonne réception des savoirs hollandais au 19e. Ainsi les médecins du comptoir n'ont fait que répondre à un besoin interne. Enfin, il nous semble important de corréler l'expansion de l'art chirurgical à l'approche de la révolution de Meiji. Au 19e siècle, la menace d'une révolution interne voire d'une colonisation par les occidentaux a certainement stimulé le développement de la chirurgie. En effet, le shogunat ne fit jamais obstacle à l'enseignement de la chirurgie occidentale, même lorsque la médecine européenne fut temporairement interdite : il la savait efficace sur un champ de bataille. En retour il est intéressant de remarquer l'accélération des traductions des traités de chirurgie militaire par les rangakusha à la fin d’Edo (Cf. Annexe 2 p312 et Annexe 3 p314). 120 Illustrations de la partie « Chirurgie générale » 2 1 3 5 4 6 Image 58 : Planches d’ostéologie du Kakkotsu shinkeizu (1810) de Bunken Kagami (images 1 et 2). Attelle dans Seikotsu shinsho (1810) de Bunken Kagami (image 3) ; techniques de réduction de luxation mandibulaire et gléno-humérale (images 4, 5,6) dans Seikotsuhan (1808) de Genka Ninomiya [Collection: université de Waseda] 121 Image 59: Extraction d'une tumeur du sein par Seishu Hanaoka. Planches extraite du manuscrit d’un de ses élèves (non daté). On y trouve également l’ablation d’une tumeur cervicale et la cure du phimosis [Collection : Musée Naito] Image 60: instruments chirurgicaux de l’école de Seishu Hanaoka [Collection : Musée Naito] Image 61: opération du cancer du sein similaire à celle d'Hanaoka dans le Geka Kihai de son élève Keishu Kamata (1851) [Collection : Wellcome Library, London] 122 Image 62 : Zoku yoka hiroku, par Soken Honma et ses élèves (dont Sei Kawamata), 1859 [Collection : Université de Waseda]. A gauche: traitement sanglante du pied bot (tarsectomie suivie de suture), à droite traitement orthopédique du pied bot (attelle) (commentaires d'après[120]) Image 63 : Yoka hiroku,Soken Honma, 1847 [Collection : Université de Waseda] A gauche, cautérisation d'une tumeur cutanée à l'aide de moxa. A droite, homme présentant une « queue, comme celle d'un chien », (commentaires d'après [200]) 123 Conclusion de la partie « La transformation de la chirurgie » Dans la deuxième moitié du 18e siècle, l'afflux de connaissances occidentales stimula les chirurgiens japonais à s'interroger sur leur pratique. L'obstétrique se fit plus interventionniste. L'ophtalmologie se libéra de la représentation bidimensionnelle de l'œil, se dota d'une nouvelle nomenclature et des dernières connaissances sur la cataracte. L'orthopédie s'appuya sur des connaissances anatomiques et Seishu Hanaoka développa une nouvelle technique chirurgicale en utilisant l'anesthésie générale. Au 19e siècle, deux facteurs catalysèrent la modernisation en cours : Le séjour à Nagasaki d'ophtalmologues étrangers (Siebold, Bauduin). La menace d'une guerre imminente (pression de l'impérialisme occidental), laquelle justifiait le développement d'une chirurgie invasive. En dépit de ces avancées, les chirurgiens ne montraient pas tous le même engouement pour les aspects fondamentaux que les rangakusha. Ainsi les obstétriciens étaient plus avides de techniques que d'anatomie féminine, et en général on continuait de se référer aux théories traditionnelles. Somme toute, que ce soit par curiosité intellectuelle ou nécessité sociétale, les chirurgiens de la période rangaku se sont s’imprégnés des techniques « hollandaises » qui leur semblaient plus pragmatiques. Dès ce moment, même si la chirurgie restait ancrée dans la tradition (aspects théoriques), elle s’émancipait du carcan de « surface » dans lequel elle s’était cantonnée jusque-là. Ainsi la discipline naquit bien en tant que telle dans la deuxième moitié d’Edo en réponse à des besoins internes. Ce processus valide notre hypothèse d’une maturation endogène de la pensée japonaise, lit de la « modernisation » de Meiji (idée de continuité). 124 III Meiji A Le paradigme expérimental allemand Meiji correspond avant tout à la transposition du modèle de recherche expérimental allemand. La plupart des travaux de cette époque furent réalisés sous l'égide de prestigieux professeurs allemands, et plus tard, dans des laboratoires japonais de tradition germanique. Aussi, dans le sillage du mentor allemand, la recherche médicale japonaise s'orienta principalement en trois directions : la théorie cellulaire, les neurosciences, l'infectiologie. 1) La théorie cellulaire Cette théorie, considérée comme un des principes fondateurs de la médecine moderne, fut formulée en Allemagne au cours de la première moitié du 19e siècle : 1/ d'abord vers 1838, le botaniste Matthias Jacob Schleiden (1804-1881) et le zoologiste Theodor Schwann (1810-1882) définirent la cellule comme l'unité de base des organismes vivants. C'était le premier postulat. 2/ enfin dans les années 1850, Robert Remak (1815-1865), Rudolph Virchow (18211902) et Albert Kolliker (1817-1905) montrèrent que toutes les cellules provenaient de la division de cellules préexistantes, et non du blastème (sorte de fluide) comme le pensaient Schleiden et Schwann. D'où l'aphorisme omnis cellula e cellula (à l'origine de toute cellule, une cellule), considéré comme le second postulat. [196], [351](p117-121). Les bases de ce nouveau paradigme étant jetées, on commença alors à considérer les maladies en termes d'altération cellulaire. Au Japon, l'opus magnum de Virchow, Cellularpathologie (1858), fut introduit par le Hollandais Pompe pendant le Bakumatsu, puis utilisé comme manuel de cours à l'université de Tokyo sous Meiji [142],[48](p104),[98]. La future élite médicale fut alors envoyée se perfectionner auprès des pathologistes allemands, c’est-à-dire à la source même de la théorie cellulaire : Katsusaburo Yamagiwa chez Rudolf Virchow à Berlin, Kenji Kiyono et Sunao Tawara chez Ludwig Aschoff à Marburg. Ainsi propulsés dans le paradigme cellulaire, nous verrons que ces médecins se distinguèrent rapidement dans le domaine de la cancérogénèse expérimentale et de l'histologie. a) Cancérogénèse expérimentale A la fin du 19e siècle, il existait trois grandes théories de la cancérogénèse : -La théorie de l'irritation ou Reiztheorie de Virchow, selon laquelle le cancer résultait de l'irritation mécanique, chimique ou physique des cellules. -La théorie du repos embryonnaire de Julius Cohnheim (élève de Virchow), selon laquelle seules les cellules embryonnaires à l'état dormant possédaient les capacités prolifératives requises à la cancérogénèse. -Enfin la troisième théorie suggérait une origine infectieuse ; la bactériologie émergente avait renouvelé l'ancien concept de contagiosité remontant au 17e siècle [315],[4]. 125 En fait, la cancérogénèse expérimentale, bien que très intensément étudiée, ne progressa qu'à partir du 20e siècle, et de façon très lente [114]. En 1908, le Français Jean Clunet obtint le premier cancer radio-induit chez le rat, résultat qui ne retint pourtant guère l'attention de ses contemporains. Puis, l'Américain Peyton Rous fut le premier à démontrer l'origine virale du sarcome du poulet (1911)82. Enfin le danois Fibiger crut à tort avoir découvert un mécanisme de cancérogénèse parasitaire (1913)83. Or, les chercheurs occidentaux qui étudiaient les effets des irritants chimiques chez l'animal dans l'optique de démontrer la Reiztheorie, ne parvenaient pas au stade de carcinome. Toutefois Katsusaburo Yamagiwa (1863-1930), chef du département de pathologie de Tokyo (1894-1923), joua un rôle déterminant dans ce domaine, rôle pourtant occulté par la communauté internationale. En effet, Yamagiwa et son assistant, Koichi Ishikawa, obtinrent en 1915 le premier cancer expérimental chimio-induit en appliquant de la houille sur l'oreille de lapins. Yamagiwa avait étudié la pathologie auprès de Virchow (1892-1894) et fait de la Reiztheorie son dogme. La réussite de Yamagiwa comparée aux échecs de ses contemporains s'explique par la combinaison de trois paramètres déterminants : -l'utilisation d'un produit depuis longtemps suspecté d'être responsable du cancer scrotal : la houille. En effet le Dr Percival Pott avait fait le rapprochement entre le cancer scrotal des ramoneurs et la houille dès 1775. -une durée d'exposition au carcinogène chimique particulièrement longue : une application tous les 3 jours sur une durée maximum d'environ 250 jours. On peut penser que Yamagiwa avait compris l'importance du facteur durée depuis ses travaux sur la carcinogénèse gastrique (1905). En effet, il était convaincu que l'ulcère gastrique chronique jouait un rôle majeur dans le développement du cancer de l'estomac [60]. Ainsi, il chercha à dépasser le stade précancéreux, jusqu'à l'obtention d'un carcinome, voire de métastases [361],[114]. -le choix (fortuit) d'une espèce sensible aux irritants chimiques, le lapin. En effet, on sait maintenant que le chien et le rat, espèces utilisées par les tous premiers chercheurs, sont très résistants aux agressions chimiques, ce qui peut expliquer leurs échecs [36]. En fait, Yamagiwa avait cherché un organe « pour lequel la littérature n'avait jamais rapporté de cas de croissance spontanée », d'où le choix de l'oreille de lapin [361]. Sur ce point, il s'agissait donc d'un choix fortuit, bien que correctement justifié d'un point de vue méthodologique (si un cancer se développait, on ne pourrait donc l'imputer qu'à l'irritation). Cette expérience eut une importance capitale en cancérologie : -Hidejiro Tsusui, ancien élève de Yamagiwa simplifia la procédure en utilisant la souris (1918). Ainsi cette technique simple et reproductible devint la méthode standard pour la production de cancers expérimentaux [22]. On passa ainsi d'une cancérologie statique (étude post mortem) à une cancérologie dynamique (étude in vivo). -Elle fit prendre conscience que le cancer résultait d'une répétition anormalement élevée d'évènements rares [36]. 82 Avant l'invention du microscope électronique, Martinus Beijerinck (1851-1931) définit en 1898 le virus comme un « contagium vivum fluidum », un agent ultrafiltrable capable de provoquer la maladie après plusieurs passages d'un individu à l'autre (à la différence de la toxine). Un pathologiste japonais, Kan Fujinami, s'intéressa aussi à la transmission du sarcome du poulet, mais ne prouva son caractère ultrafiltrable qu'en 1913. 83 En effet, Fibiger pensait avoir provoqué un cancer chez la souris infectée par des nématodes; ultérieurement il fut démontré qu'il s'agissait d'une papillomatose induite par avitaminose A [37]. 126 -Enfin, elle ouvrait la voie à l'identification des carcinogènes. Ainsi en 1929, le britannique Kennaway isola la molécule cancérogène de la houille ; il s'agissait du 1:2:5:6-dibenzanthracene chimiques [36]. A la lumière de ces éléments, il est difficile de comprendre pourquoi Yamagiwa, auteur du premier cancer chimio-induit ne partagea pas le prix Nobel de 1926 avec le danois Johannes Fibiger, auteur du pseudo cancer parasitaire (1913). En fait les historiens émettent plusieurs hypothèse : le fait que le cancer était plutôt considéré comme une maladie parasitaire à l'époque [315], le mauvais état de santé de Yamagiwa qui l'isola de la communauté internationale au moment où il aurait du défendre sa découverte, le manque d'assurance de ses collègues qui soumirent sa candidature, et peut-être aussi le chauvinisme européen [22]. En plus de cet achèvement scientifique, Yamagiwa fonda le journal Gan84 (1907) et l'Association de Recherche en Cancérologie Japonaise (1908). Ainsi, ce pathologiste de tradition allemande eut une influence durable sur la recherche en cancérologie. En effet, jusqu'au milieu du 20e siècle, cette recherche fut principalement axée sur l'étude de la carcinogénèse expérimentale 85 et la caractérisation cytologique des tumeurs humaines [370]. Image 64 : Haiku écrit par Yamagiwa en 1915 : « Cancer was produced. Proudly I walk a few steps. » [d'après Bishop [37], p149] 84 Actuellement Japanese Journal of Cancerology Research. En 1905, l'Allemand Bernhard Fischer intéressé par la cancérogénèse expérimentale, tenta en vain de mettre à profit chez le lapin l'action proliférative des colorants dérivés de l'ortho-aminozotoluène (le Soudan lll et le rouge écarlate) [335]. Cette expérience a certainement inspiré Yamagiwa. Aussi les chercheurs japonais reprirent l'étude des teintures azo, dans une perspective d'organotropie chimique et découvrirent que leur administration per os était responsable de cancers hépatiques. Avec l'orthoaminozotoluène Takaoki Sasaki (Institut Sasaki, Tokyo) obtint un hépatome chez le rat (1932), son assistant Tomizo Yoshida s'intéressa à l'induction d'hépatomes ascitiques à partir de 1943, et Ryojin Kinoshita (Chaire de pathologie d'Osaka) découvrit que le colorant alimentaire jaune-beurre (4dimethylaminoazobenzene) possédait une activité carcinogène hépatique encore plus intense que l'ortho-aminozotoluène (1932-1940) [49, 152, 370]. 85 127 b) Histologie En ce qui concerne l'histologie, nous avons sélectionné deux découvertes significatives sur le plan épistémologique : les travaux de Tawara sur le tissu de conduction cardiaque, et ceux de Kiyono sur le système réticulo-endothélial. (1) Les travaux de Sunao Tawara (1873-1952) Le pathologiste Sunao Tawara réalisa ses travaux sur la conduction cardiaque pendant son voyage d'étude en Allemagne sous la direction du Pr. Ludwig Aschoff (Marburg, 1903-1906). Initialement, Aschoff lui avait confié la dissection de 150 cœurs atteints de myocardite, étude qui déboucha sur la description des nodules du rhumatisme articulaire aigu (nodule d'Aschoff). Mais, dans le même temps, Tawara examina la région atrioventriculaire, ce qui conduisit à ses découvertes sur le système de conduction. Aschoff, conscient de l'importance de ces travaux s'arrangea pour qu'ils soient publiés sous la forme d'une monographie, Das Reizleitungssystem des Saugetierherzens-Eine anatomisch-pathologische Studie uber das Atrioventrikularbundel und die Purkinjeschen Faden (Iena, 1906), livre d'ailleurs récemment traduit en anglais86. Bien qu'il soit difficile de dissocier le nom de Tawara de celui de son mentor, on notera qu'Aschoff ne s'associa pas à la découverte du Japonais. Afin de saisir la signification épistémologique des travaux de Tawara, il convient d'abord de rappeler l'état des connaissances sur le système excito-conducteur cardiaque au début du 20e siècle. A la fin du 19e siècle, l'origine du battement cardiaque n'était toujours pas établie. Deux théories s'opposaient : la théorie myogénique (excitation du muscle lui-même) et la théorie neurogénique (stimulus neurovégétatif). Par ailleurs, les structures anatomiques du système étaient partiellement connues et leurs fonctions restaient floues. Ainsi le physiologiste tchèque Jan E. Purkinje (1787-1869) avait découvert en 1839 les fibres éponymes, néanmoins il les considérait seulement comme des cellules « gélatineuses embryonnaires ». Dans les années 1880, le physiologiste britannique Walter Gaskell (1847-1914) étudia la structure anatomique et les effets antagonistes du système neurovégétatif cardiaque. En dénervant un échantillon de tissu cardiaque, il montra que la rythmicité reposait sur la « persistance d'un état primitif du muscle cardiaque », confortant ainsi la théorie myogénique. Le suisse Wilhelm His (1863-1934), pathologiste de formation allemande, décrivit en 1893 le faisceau musculaire atrioventriculaire mais sans démontrer son rôle physiologique [308]. Dans ce contexte, Tawara, fit une découverte révolutionnaire. En effet, il révéla l'existence d'un réseau cellulaire faisant intervenir les structures que l'on croyait jusque-là sans rapport (faisceau de His et réseau de Purkinje), réseau qu'il compara à un arbre. Ainsi il écrivit : « Le système est un réseau musculaire clos qui ressemble à un arbre, ayant une origine ou racine, et des branches [...] le système se connecte 86 The Conduction System of the Mammalian Heart: An Anatomico-histological Study of the Atrioventricular Bundle and the Purkinje Fibers, London: Imperial College Press, 2000. 128 pour la première fois avec le muscle ordinaire au niveau des ramifications terminales. » [308]. Selon le professeur Kozo Suma (auteur de la version anglaise du Das Reizleitungssystem), on peut résumer les contributions de Tawara de la manière suivante [318] : -1°identification du nœud atrio-ventriculaire, origine de ce réseau. -2°description précise du chemin des faisceaux droit et gauche. -3°description des faux tendons comme étant des éléments du système de conduction -4°description des fibres de Purkinje comme étant les ramifications terminales du système de conduction. -5°description histologique précise des différentes fibres constituant le système. -6°estimation précise de la vitesse de conduction, et du processus d'excitation. Contrairement à ses contemporains, il était d'avis que l'excitation ventriculaire se faisait de l'apex vers la base et que la conduction atrioventriculaire était retardée dans le nœud atrioventriculaire et non dans le faisceau de His. Ainsi, pour la première fois, grâce à Tawara, on envisageait la propagation du phénomène d'excitation cardiaque en termes de système de conduction musculaire. Par ailleurs, la nature musculaire, et non pas nerveuse, des structures décrites créditait la théorie myogénique. Ces travaux mirent Arthur Keith (1866-1955) sur la piste du nœud sinusal (1906) et fournirent au physiologiste hollandais Willem Einthoven (1860-1927), qui venait juste de découvrir le galvanomètre à cordes87, les clés théoriques de l'interprétation de l'ECG (1908). Ces deux médecins étaient bien conscients de l'importance des découvertes de Tawara. Ainsi Keith écrira dans son autobiographie : « Avec la découverte du système de conduction de Tawara, la recherche cardiaque entrait dans une nouvelle ère. » [308] 87 Ancêtre de l’électrocardiographe. 129 Image 65 : Système de Tawara: k: nœud atrio-ventriculaire t: site de division du faisceau de His ll, r: branches gauche et droite (P: pars membranacea septi, X : limite entre l’atrium et le ventricule) En haut le manuscrit de Tawara [Collection : Kyushu Library] En bas, extrait de Das Reizleitungssystem des Säugetierherzens. Jena: Gustav Fischer, 1906 [Source du diagramme : [318]] 130 Image 66 : La branche gauche et ses ramifications terminales (paroi antérieure du ventricule gauche réséquée), extrait de Das Reizleitungssystem des Säugetierherzens, 1906, Planche 6 fig. 1. Image 67 : Représentation de la transition entre les fibres de Purkinje (a) et les fibres musculaires ordinaires (b). Fig. A, planche extraite de Das Reizleitungssystem des Säugetierherzens, 1906, Planche 4 fig. 8 Fig. B, Comparaison de la planche précédente avec un cliché au microscope électronique (d'après [318]). 131 (2) Les travaux de Kenji Kiyono (1885-1955) Kenji Kiyono a joué un rôle capital dans l'élaboration de la théorie du système réticulo-endothélial (RES). En effet, l'étude histologique qu'il réalisa dans le laboratoire d'Aschoff (Freiburg, 1914-1918) constitue les fondations même du système formulé plus tard par ce dernier [325]. A cours du 19e siècle, les biologistes avaient développé la technique des colorations intravitales : injection d'un colorant du vivant de l'animal, puis euthanasie et observation de coupes tissulaires au microscope. Le comportement des cellules visà-vis de ces colorants donnait des indications sur la physiologie cellulaire [72]. Ainsi, dans le cadre du paradigme phagocytosique de Metschnikoff 88, Kiyono utilisa différentes colorations intravitales, et notamment celle au carmin lithiné (Li-Car) introduite par Ribbert en 1904. Ribbert avait déjà remarqué que le Li-Car ne s'accumulait qu'au niveau de quelques cellules de certains tissus de l'organisme (foie, moelle osseuse, ganglions lymphatiques) [18]. Kiyono focalisa son étude sur le processus inflammatoire, et différencia plusieurs types cellulaires. Par exemple, après avoir introduit des morceaux d'éponge dans la cavité péritonéale d'un lapin, il put observer l'afflux des différentes cellules inflammatoires tout en décrivant leur comportement face au carmin. Ainsi à H+24, il trouve les PNN (microphages88de Metschnikoff) dépourvus de carmin, les macrophages contenant de grosses granulations, les fibroblastes parsemés de fins granules puis à J6 la fusion des macrophages en cellule géante à gros granules [18]. De la même façon, il étudia la réaction inflammatoire artificielle de la cornée ou encore celle accompagnant les sarcomes et carcinomes [40]. Par ces expériences, il établissait une relation entre inflammation et cellules prenant le carmin. Pensant que le macrophage de Metschnikoff était d'origine tissulaire, il le nomma histiocyte, abréviation de cellule libre histiogène89 [105]. Les précurseurs de l'histiocyte (nommés histioblastes) étaient selon lui les cellules réticulaires (cellules stromales des ganglions lymphatiques et de la pulpe splénique) et les cellules réticulo-endothéliales phagocytaires (paroi des capillaires veineux de la rate, de la moelle, des sinus hépatiques, des sinus lymphoïdes..), d'où le terme de cellules réticulo-endothéliales [18],[325]. En dépit de s'être trompé sur l'origine du macrophage, Kiyono a néanmoins établi que les monocytes circulants étaient de la même famille que les histiocytes. En effet, il regroupa l'ensemble de ces cellules, histiocytes et monocytes, sous le terme d'éléments histiocytaires. Au sommet de cette classification, le système histiocytaire de Kiyono englobait les éléments histiocytaires et les cellules réticulo-endothéliales (précurseurs selon lui) [18],[325]. Kawai a repris l'expérience historique à l'origine de cette formulation afin de comprendre où se logeait l'erreur commise par Kiyono. Pour cela, il étudia les sinus hépatiques du rat après injection de Li-car. Au niveau du versant luminal du sinus, il se rendit vite compte de deux choses. D'une part, les cellules de Kupffer (phagocytose), les cellules endothéliales (pinocytose) et les monocytes prenaient tous la coloration au Li-Car. D'autre part, il était morphologiquement impossible de 88 En 1883, Metschnikoff (1845-1916) découvrit l'existence de cellules amiboïdes capable d'incorporer des débris cellulaires et des corps étrangers qu'il nomma phagocytes (1887). Il distingua des macrophages des microphages (PNN). Inventeur du concept de phagocytose et de défenseurs cellulaires de l'organisme, il est le théoricien du concept d'immunité cellulaire. On notera que ses travaux phylogéniques s'inscrivent dans une perspective évolutionniste, le phagocyte répondant au niveau cellulaire à la notion de struggle for life (Prix Nobel 1908) [331]. 89 De (rouleau du tisserand) ou (voile du mat, tissu), soit la notion de tissu. 132 distinguer en microscopie optique les cellules de Kupffer des cellules endothéliales 90. Ceci expliquerait pourquoi Kiyono eut l'impression que les éléments histiocytaires (monocyte-macrophage) provenaient d'un certain « réticulo-endothélium phagocytaire », en l'occurrence le mur vasculaire. Enfin, cela vérifiait que le système histiocytaire de Kiyono regroupait bien un ensemble de cellules douées de propriétés de phago-pinocytose vis-à-vis du Li-Car [154]. Le pathologiste Aschoff reprendra le système histiocytaire de son disciple pour formuler la théorie du système réticulo-endothélial, celui-ci désignant selon lui un ensemble de cellules caractérisées par leur aptitude à accumuler des colorants vitaux [154]. C'était ainsi la première fois que l'on concevait l'existence d'un organe diffus chargé d'une défense de l'organisme par phagocytose. L'idée de RES dura sous cette forme près d'un demi siècle, jusqu'à ce que Furth prouve en 1972 que les macrophages dérivaient des monocytes et non l'inverse, établissant du coup l'origine médullaire des macrophages. Il proposa alors de remplacer le concept de RES par celui de système phagocytes-mononucléaires, excluant désormais la cellule endothéliale et les cellules de soutien (cellules réticulaires des organes hématopoïétiques, cellules endothéliales et fibroblastes) [352]. Malgré tout, le nouveau terme n'a toujours pas supplanté l'ancien. De surcroît certains éléments amènent à s'interroger sur la réelle supériorité du MPS par rapport au RES. Ainsi la description faite il y a 100 ans par Kiyono serait toujours d'actualité si l'on considère les capacités phagocytaires et immunologiques de la cellule endothéliale sinusoïde hépatique ou encore le potentiel mitotique de la cellule de Kupffer91. Tableau 1 : Système histiocytaire de Kiyono (1918) [extrait de [325]] 1) Histiocytes 2) Cellules réticulo-endothéliales Cellules réticulaires Cellules réticulo-endothéliales phagocytaires Ainsi, les médecins japonais mis à l'école cellulaire allemande tels que Yamagiwa, Tawara ou encore Kiyono, participèrent de facto à la recherche dans des discipline émergentes comme la cancérologie ou l'histologie. La science médicale hérita de leurs découvertes et leur pays de professeurs des plus qualifiés. 90 Il faudra attendre 1970, pour que Eddie Wisse établisse en microscopie électronique une distinction claire entre cellules de Kupffer et cellules endothéliales [352]. 91 La cellule endothéliale du sinus hépatique est en fait dotée d'un pouvoir de pinocytose élevé, aussi certains hépatologues pensent que l'ancienne notion de RES est plus pertinente. De plus la cellule endothéliale posséderait également des propriétés de phagocytose et de présentation de l'antigène. Enfin, la cinétique de la population des cellules de Kupffer est loin d'être aussi simple: il semblerait que cette cellule conserve une capacité de mitose. Elle serait donc capable de se diviser en cas d'inflammation, contrairement au postulat du MPS [273] ,[35], [90]. 133 2) Neurosciences Nous allons essayer d'évaluer l'influence allemande sur l'essor des neurosciences au Japon. D'abord nous montrerons qu'au contact du paradigme allemand, la physiologie japonaise s'est rapidement orientée vers l'étude du système nerveux. Pour cela nous analyserons le parcours scientifique de deux figures emblématiques : les professeurs Kenji Osawa (1852-1927) et Genichi Kato (1890-1979). Ensuite nous étudierons l'influence de la neuropathologie allemande sur le développement de la neuropsychiatrie et de la neuroanatomie japonaise. Enfin nous verrons que l'intérêt japonais pour les neurosciences ne saurait s'expliquer sans tenir compte de certains traits culturels, historiques et épidémiologiques. a) L'influence de la neurophysiologie allemande Au 19e siècle, les physiologistes allemands se distinguèrent dans le domaine de la neurophysiologie et de l'électrophysiologie, notamment Johannes Muller (1801-1858) et ses élèves Emil du Bois-Reymond (1818-1896) et Herman von Helmholtz (18211894). Muller réitéra la théorie de l'énergie spécifique des nerfs et confirma la loi de Bell-Magendie chez la grenouille (démonstration de la fonction motrice des racines antérieures et de la fonction sensitive des racines postérieures). Helmoltz étudia la physiologie de l'ouïe et de la vision, et estima la vitesse de conduction nerveuse. Emil du Bois-Reymond qui développa des techniques de stimulation et d'enregistrement des courants, découvrit le potentiel de démarcation et le potentiel d'action [59](p129),[50]. Aussi, les Japonais partis s'imprégner du modèle germanique, vont translater le paradigme neurophysiologique dans leur pays. En effet, Kenji Osawa, considéré à l'heure actuelle comme le père de la physiologie japonaise, fut envoyé très tôt se perfectionner en Allemagne auprès de Helmoltz et du Bois-Raymond (Berlin, 1871-1874). De retour au Japon, il devint l'assistant d’Ernst Tiegel, le professeur allemand engagé pour enseigner la physiologie à l'université de Tokyo. Or Tiegel manifestait aussi un intérêt particulier pour l'étude du système nerveux, intérêt qu'il avait hérité du Pr Goltz, un ancien élève de Helmoltz. Tiegel associa Osawa à ses recherches, publiant avec lui une étude sur la moelle épinière des reptiles92. Pour finir, il envoya son protégé à Strasbourg auprès du Pr.Goltz, afin d'effectuer une thèse intitulée Études des voies de conduction nerveuse dans la moelle épinière chez le chien93 (1882). Une fois diplômé, Osawa mena une carrière d'enseignant-chercheur à l'université, jusqu'à ce qu'une chaire spécialisée soit créée en 1893. Il devint alors le premier professeur de la chaire de physiologie de Tokyo. Ainsi, le parcours et les relations scientifiques de ce pionnier expliquent en grande partie l'intérêt des physiologistes japonais pour la neurophysiologie [341],[152]. Un autre physiologiste, Genichi Kato (Université de Keio), joua, lui-aussi, un rôle déterminant dans l'essor de cette discipline. En effet, Kato acquit une renommée 92 Beobachtungen über die Funktionen des Rückenmarks der Schlangen. Osawa, K. und E. Tiegel. 1878. Archiv für die gesammte Physiologie des Menschen und der Thiere 16: 90-100. 93 Untersuchungen uber die Leitungsbahnen im Ruckenmark des Hundes,1882 134 internationale en démontrant, par une série de blocs réalisés sur des segments nerveux de taille variable, que la théorie de la conduction décrémentielle de Verworn était fausse94. Or, son professeur, Hidetsurumaru Ishikawa (chaire de physiologie de l'université de Kyoto), lui-même spécialiste de la conduction nerveuse, avait été formé par Verworn et n'admettait pas que l'on remette en question la théorie de son mentor. Ce débat monopolisa pendant plus de 10 ans la conférence annuelle de la Société de physiologie japonaise, enracinant ainsi le discours physiologique sur l'étude du système nerveux. Au-delà d'un simple conflit d'écoles, la recherche japonaise acquérait son autonomie vis-à-vis de son professeur [152](p47-49). Dans le cadre de ces travaux sur les blocs nerveux, un des collaborateurs de Kato, Ichiji Tasaki, réussit par microdissection à isoler la fibre nerveuse in vivo. Grâce à cette préparation tissulaire, il devint désormais possible d'étudier la microphysiologie du nerf, mais aussi le rôle du nœud de Ranvier au niveau des fibres myélinisées. Ainsi, dans le sillage des blocs nerveux de Kato, la technique de microdissection rendit possible la découverte de la propagation saltatoire dans les années 1950 par Ichiji Tasaki,Taiji Takeuchi, Andrew Huxley et Robert Stampfli [263]. A coté de ces figures fondatrices, il en existe d'autres, certes moins connues, mais dont les travaux illustrent bien le dynamisme de la neurophysiologie japonaise de l'époque. On peut citer à titre d'exemples : -l'isolement d'une substance physiologique pouvant induire le sommeil par Kuniomi Ishimori (1874-1955) en 1909. -l'invention par Shiro Tashiro (1882-1963) d'un appareil capable de mesurer la production de C02 afin d'étudier le métabolisme chimique neuronal [152](p52). -les études sur le contrôle neurologique de la sécrétion des glandes sudoripares par Kiichiro Muto et Yas Kuno [152](p53). b) L'influence de la neuropathologie allemande L'influence germanique ne se limita pas à la neurophysiologie. Les Japonais partirent également se former auprès des grandes figure de la neuropathologie allemande et de ses extensions suisse et autrichienne : Carl Friedrich Otto Westphal (1833-1890) à Berlin, Ludwig Edinger (1855Ŕ1918) à Francfort, Franz Nissl (1860-1919) à Heildelberg, Alfons Maria Jakob (1884-1931) à Hambourg, Walther Spielmeyer (1879-1935) à Munich, Heinrich Obersteiner (1847-1922) à Vienne, Constantin von Monakoff (1853-1930) à Zurich... [239]. En raison du caractère interdisciplinaire de ces laboratoires où se côtoyaient psychiatres, neurologues, pathologistes et anatomistes, une recherche de pointe en neuropsychiatrie et neuroanatomie émergea au Japon. 94 Au début du 20e siècle, la théorie de conduction décrémentielle de Verworn était un dogme prévalent en physiologie. On savait qu'en condition normale, l'influx nerveux se propageait sans décroître en amplitude et selon la loi du tout ou rien. Mais dans un nerf anesthésié ou lésé, on pensait que ces principes n'étaient pas respectés. Ainsi, l'amplitude de l'influx et la vitesse de conduction décroîtraient au fur-et-à-mesure de la propagation. En fait, cette théorie reposait sur de mauvaises observations; en effet on croyait que le temps mis pour que l'influx s'arrête dépendait de la longueur de la portion anesthésiée. Kato et son assistant Ryokichi Maki montrèrent que cette longueur n'influençait pas le résultat et que lorsque la conduction s'arrêtait, elle le faisait de façon simultanée en tous points de la portion anesthésiée. Cela prouvait qu'il n'existait pas de décrément de l'influx et que la loi du tout ou rien était respectée dans un nerf anesthésié [337],[22]. 135 L'unité de psychiatrie de l'université de Tokyo joua un rôle majeur dans l'essor de la neuropsychiatrie japonaise. Le Pr. Hajime Sakaki (1857-1897), qui revenait d'un séjour de quatre ans auprès de Westphall et Virchow à Berlin (1882-1886), fonda ce département en 1886. En Allemagne, on envisageait avant tout la neuropsychiatrie sous l'angle anatomopathologique ; ainsi Sakaki eut l'occasion d'étudier le tissu nerveux de sujets atteints de paranoïa hallucinatoire chronique, de tabes dorsalis et d'hémichorée... Suivant le modèle germanique, il fit de la neuropathologie l'axe de recherche en neuropsychiatrie [194]. A la mort prématurée de Sakaki, son élève Shuzo Kure (1865-1932) prit la relève. Kure passa 4 ans de perfectionnement (1897-1901) auprès de Krafft-Ebing et Obersteiner à Vienne, puis auprès de Nissl, Kraepelin et Erb à Heidelberg. Il réalisa une étude sur le noyau trigéminal et importa la coloration de Nissl et la classification de Kraepelin au Japon. Contrairement à Sakaki, sa carrière professorale fut longue, aussi le considère-t-on comme le patriarche de la psychiatrie japonaise. Ses nombreux élèves continuèrent la recherche en neuropathologie, que ce soit en collaboration avec leurs mentors étrangers ou au Japon. Ainsi Koichi Miyake (18761954) succédera à Kure à la tête du département de psychiatrie de Tokyo. Il introduisit la coloration de Bielschowsky au Japon. Yuushi Uchimura (1897-1980) et Kiyoshi Onari (1885-1939) ramenèrent la méthode d'Holzer à leur retour de Munich [239] ; Uchimura sera affecté à la chaire d'Hokkaido puis de Tokyo [41], Sadamichi Kitabayashi (1872-1948) à celle de Nagoya, Michitomo Hayashi (1885-1973) à celle d'Okayama où il ouvrit la voie à l'exploration du métabolisme cérébral du patient schizophrène ; en effet ses travaux sur le métabolisme cérébral respiratoire inspirèrent ceux du Pr Utena concernant la consommation cérébrale de glucose [347]. Voici un aperçu de quelques-unes des études menées dans le cadre de la collaboration germano-nipponne (deuxième moitié Meiji, Taisho) : -Histologie du cerveau âgé par Koichi Miyake (laboratoire d'Obersteiner, Vienne, 1906) Dans le prolongement des travaux de Emil Redlich (Vienne, 1898), Koichi Miyake étudia les changements histologiques du cerveau âgé. Il retrouva la « sclérose miliaire » (plaques séniles) décrite par Redlich, la croyant lui-aussi d'origine gliale. Ses travaux n'apportèrent rien de nouveau, mais il est intéressant de noter qu'ils étaient contemporains de ceux de Fischer et Alzheimer (1907), qui justement entrevoyaient plutôt ces anomalies comme des atteintes exogènes (Fischer pensait à une origine infectieuse, Alzheimer à un dépôt métabolique) [105]. -Découverte de dépôts de fer microgliaux dans la neurosyphilis paralytique (démence syphilitique) par Michitomo Hayashi (Japon, 1913) Bonfiglio avait déjà noté en 1911 l'existence de dépôt dans le cortex de patient atteint de démence paralytique. En 1913 Hayashi montra qu'il s'agissait d'une lésion histologique caractéristique de la maladie. Ces travaux seront repris par le munichois Spatz qui développa une technique de diagnostic post-mortem rapide en 1922 [239],[197]. -Étude du rôle du plexus choroïde dans l'étiopathogénie de la schizophrénie par Sadamichi Kitabayashi (laboratoire de Monakoff, Zurich,1919) Monakoff pensait qu'un dysfonctionnement du plexus choroïde pouvait être à l'origine de la schizophrénie. Cette théorie s'inspirait des travaux de la neurophysiologiste russe Lina Stern (1878-1968) concernant le rôle de la barrière 136 hémato-encéphalique. Dans ce contexte, Kitabayashi décrivit chez des cerveaux de schizophrènes des altérations histologiques de la barrière sang-liquide cérébrospinal (atrophie villositaire, vacuolisation épithéliale), mais sans pouvoir avancer d'arguments suffisants pour conclure à une spécificité pathologique. Cette théorie, bien que controversée à l'époque, sera reprise dans le livre co-écrit par Monakoff et le psychiatre français Raoul Mourgue95 [358]. -Histopathologie de la maladie de Pick par Kiyoshi Onari et Hugo Spatz (laboratoire de Spielmeyer, Munich 1926) Onari et Spatz ont formulé la première définition histologique de la maladie décrite par Pick en 1892. En effet, ils avaient réussi à cerner les principales caractéristiques de cette affection : atteinte caractéristique de la 2e et de la 3e couche, état de spongiose, gonflements neuronaux, et inclusions argyrophiles (initialement décrites par Alzheimer et plus tard appelées corps de Pick) [155]. -Investigation vasculaire de la sclérose de la Corne d'Ammon par Yuushi Uchimura (laboratoire de Spielmeyer, Munich, 1925-1927) Dans l'optique de démontrer l'origine ischémique de la sclérose de la corne d'Ammon, Yuushi Uchimura compara la vascularisation de cette région chez le sujet susceptible de présenter la pathologie (épilepsie temporale, ..) et le sujet normal. A l'époque, il existait deux théories sur l'origine de la sclérose de la corne d'Ammon. Spielmeyer croyait qu'elle était d'origine vasculaire, et laissa donc à son élève Uchimura le soin de le démontrer. A contrario, Cécile et Oskar Vogt pensaient qu'il s'agissait d'une vulnérabilité inhérente liée aux propriétés physico-chimique du neurone. Les Vogt avaient raison, mais sans la neurobiologie moléculaire, il était impossible de le savoir. Uchimura fournit une étude détaillée de la vascularisation de l'hippocampe qui permit de soutenir jusqu'à récemment la thèse erronée de Spielmeyer [41]. Ainsi, au contact de leurs mentors allemands, les neuropsychiatres japonais furent mis au courant des dernières techniques neurohistologiques et placés dans des thématiques de pointe. Non seulement ils avaient rattrapé le retard technologique, mais avaient également atteint un niveau d'excellence. On remarque que la neuropathologie fut avant tout une discipline de neuropsychiatres. Néanmoins, d'autres spécialistes (internistes, anatomistes) partirent également dans ces instituts, contribuant aussi à l'épanouissement des neurosciences japonaises. Dans le domaine de la médecine interne, on retiendra les travaux de Junjiro Shimazono (1877-1937). Sous la direction d'Edinger (Francfort, 1911-1913), il reproduisit un béribéri expérimental chez l'oiseau (pigeons nourris avec du riz dépoli) afin d'étudier la traduction neurohistologique de cette pathologie. Il put alors mettre en évidence l'existence d'une dégénérescence segmentaire au niveau de la moelle épinière. A son retour au Japon, ce professeur de l'Université de Tokyo s'évertua pendant dix ans à démontrer l'origine carentielle du béribéri (1914-1924). En réunissant des preuves expérimentales, épidémiologiques et cliniques, il parvint finalement à faire fléchir la théorie bactériologique [11, 239]. En effet, le paradigme bactériologique prédominait à cette époque au Japon, s'opposant à la l'acceptation 95 C. Monakow et R. Mourgue Introduction biologique à l'étude de la neurologie et de la psychopathologie: intégration et désintégration de la fonction, 1928. 137 de la théorie nutritionnelle. Nous expliquons plus en détail l'origine de ce phénomène au chapitre, Le paradoxe de la recherche sur l'étiologie du béribéri, page 148. Dans le domaine de la neuroanatomie, on n'oubliera pas la prolifique filière suisse issue du laboratoire de Constantin von Monakoff à Zurich. D'origine russe, Von Monakoff fut sensibilisé à la neuropathologie allemande par Eduard Hitzig (1838Ŕ 1907) et Bernhard von Gudden (1824Ŕ1886). Ainsi ce médecin utilisait le microtome cérébral de Gudden et se servait du mécanisme de dégénérescence rétrograde pour systématiser les connexions neuronales. Anti-localisationniste, il devint le théoricien du concept de diaschisis [285]. Son laboratoire attira beaucoup de scientifiques japonais qui voulaient se former aux techniques de neurohistologie et à leur application en neuroanatomie humaine et comparée. Le Tableau 2 ci-dessous donne un aperçu de leurs travaux : Uzaburo Tsuchida (1865-1932) Histologie du système oculomoteur : étude des noyaux oculo-moteurs et des fibres de connexion, 1906 Niro Masuda (1867-) Cytoarchitecture et ontogénèse des noyaux pontins, études de leurs projections cérébelleuses et corticales par dégénérescence secondaire à des lésions ou malformations corticales ou cérébelleuses, 1914 Gennosuke Fuse (1880-1946) Étude des noyaux oculomoteurs ; étude histologique et comparée du IV et par dégénérescence rétrograde du VI Étude de la région comprise entre le pédoncule cérébelleux inférieur et le noyau vestibulaire médial Étude de la bande comprise entre le lemnisque latéral et le pédoncule cérébelleux supérieur Analyse du plancher du 4e ventricule (Noyaux du VIII, X, IX) Revue des connaissances sur les voies acoustiques Première description du noyau prétectal olivaire Hisakiyo Uemura Première description post-mortem d'une dégénérescence rétrograde après lésion cérébelleuse (plaie par arme à feu), 1917 Tsunesuke Fukuda (1876-) Étude des projections thalamo-frontales par dégénérescence secondaire à des lésions frontales ; découverte du noyau de relais dorsomédial au cortex préfrontal, 1919 Goichi Hirako (1887-1967) Étude de la myélogénèse corticale, 1922 Itsuki Nagino Étude des voies acoustiques centrales par dégénérescence secondaire, 1925. Tableau 2 Scientifiques japonais passés chez Von Monakoff à Zurich, d’après [7] Gennosuke Fuse (1880Ŕ1946) est la figure la plus importante de ce groupe. Assistant de Monakoff entre 1907 et 1911, puis à nouveau entre 1914-1916, il est connu pour sa description en 1913 du noyau éponyme, le noyau de Kolliker-Fuse96. 96 Le noyau de Kolliker-Fuse et le noyau parabrachialis median forment le centre pneumotaxique qui joue un rôle dans le contrôle du rythme respiratoire. 138 Ses découvertes zurichoises sont résumées dans un atlas co-écrit avec Monakoff, Mikroskopischer Atlas des Menschlichen Gehirns- Die Medulla Oblongata (Zürich, 1916), publication patronnée par la International Brain Commission. De retour au Japon en 1918, il devint professeur d'anatomie à l'Université Tohoku de Sendai (Banlieue de Tokyo) où il poursuivit ses études sur le système nerveux central. Ses élèves et lui publiaient leurs résultats en allemand dans leur propre revue, Arbeiten aus dem Anatomischen Institut der Kaiserlich Japanischen Universtat zu Sendai (1918-1942). Deux de ses étudiants se distingueront à leur tour dans ce domaine : Sakuemon Kodama (1895-1970), futur professeur d'anatomie à l'Université de Sapporo et Teizo Ogawa (1901-1984), futur professeur d'anatomie à l'université impériale de Tokyo. Kodama travailla 5 ans dans le laboratoire de Monakoff (1923-1928). En utilisant la traditionnelle dégénérescence rétrograde, il décrivit les connexions des noyaux de la base avec les structures corticales et subcorticales (1926). Ogawa, quant à lui, fit un bref séjour aux États-Unis (Harvard 1937-1938) où il entreprit une étude sur l'anatomie comparée du noyau rouge. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il incita un jeune psychiatre Hirotaro Narabayashi à fabriquer un instrument stéréotaxique ; ce dernier réalisa en 1952 la première pallidotomie au monde [244]. Ogawa devint directeur du Brain Research Institute de l'Université de Tokyo, puis du Tokyo Metropolitan Institute for Neuroscience (1972). Enfin, de la même génération, Ko Hirasawa (1900-1989), se consacra à l'étude du système extrapyramidal. Il était lui aussi passé par le laboratoire de Monakoff et celui de Spielmeyer (1928-1929). Il devint professeur d'anatomie à l'Université de Kyoto puis recteur. Pendant Meiji et Taisho, les Japonais qui avaient côtoyé les instituts de neurosciences européens, transposèrent cet axe de recherche au Japon. C'est ainsi que les neuropsychiatres, anatomistes et internistes étaient fortement tournés vers la neuropathologie et la neuroanatomie. c) L'attrait japonais pour les neurosciences Nous avons vu qu'au contact des médecins allemands, les Japonais développèrent un intérêt hypertrophié pour le système nerveux : neurophysiologie, neuropathologie, neuroanatomie. Mais au lieu de se lisser, cette tendance se confirma au cours du temps. En effet, dans les années 1960, 50% de la recherche en physiologie concernait le nerf, le muscle, le système nerveux autonome et central et les mécanismes sensoriels, à l'inverse de l'Occident (Allemagne y compris) où prédominait l'étude du système cardio-vasculaire et de la circulation [152](diagrammes p74-75). Aussi, l'influence germanique initiale ne saurait à elle seule expliquer un tel tropisme. Nous pensons qu'il existe obligatoirement des raisons endogènes. Ainsi, nous proposons quelques hypothèses : -L'absence de système nerveux dans la médecine traditionnelle Avec la physiologie et l'anatomie hollandaises, on était passé pendant Edo du cardiocentrisme chinois au céphalocentrisme occidental. Ainsi, les rangakusha s'évertuaient à comprendre le fonctionnement de cet organe inconnu et mystérieux ; c'est comme si l'absence de système nerveux dans la médecine traditionnelle avait créé une sorte de fascination durable pour la neurophysiologie. 139 -L'héritage de la médecine hollandaise A ce titre, le parcours de l'ophtalmologue Tatsuji Inouye (1881-1976) mérite notre attention. Inouye est connu pour avoir topographié le cortex visuel de soldats victimes de plaies crâniennes pénétrantes (conflit russo-japonais, 1904-1905). Il avait construit à cet effet un instrument capable de retracer les coordonnées de la trajectoire intracrânienne du projectile [144]. En fait, Tatsuji appartenait à une vieille lignée d'ophtalmologues. Son père, Tatsuya Inouye, qui avait été formé par le Pr. Bauduin sous Edo à l'ophtalmologie moderne, fonda la Société d'ophtalmologie japonaise (1884), société que le spécialiste Julius Hirschberg (1843-1925) jugeait en 1892 d'un niveau équivalent à celui de ses homologues occidentales. Ainsi, on peut penser que la création d'un cours d'ophtalmologie de haut niveau sous Edo a permis aux Japonais de rapidement explorer le versant neurologique de cette spécialité -La volonté de donner un support neurologique à l'acupuncture. Ce point sera développé ultérieurement à la partie « La naissance d'une recherche en acupuncture et moxibustion », page 159. -L'influence du schéma épidémiologique La forte prévalence au Japon de maladies neurologiques comme le béribéri ou les affections vasculo-cérébrales a certainement orienté la recherche. Dans ce registre, on peut également ajouter l'osmydrose, véritable obsession japonaise. En effet, sous Taisho, cette « pathologie » sera étudiée sous l'angle génétique (voir partie Paradigme évolutionniste, à Anthropologie page 151) et neurologique : études sur le contrôle neurologique de la sécrétion des glandes sudoripares par Kiichiro Muto et Yas Kuno [152](p53). Plus récemment, le boom des affections neurologiques liées à l'âge ne peut qu'entretenir cette tendance. -L'existence d'aptitudes particulières : Enfin l'historien de la médecine Bowers pense que la précision et la dextérité développées dès l'enfance pour l'écriture des kanji, prédisposent les scientifiques japonais à des techniques requérant beaucoup de méticulosité [45]. Si les neurosciences allemandes ont littéralement explosées au Japon, c'est bien en raison de circonstances culturelles et épidémiologiques propices. De nos jours, le domaine s'est considérablement ramifié, devant répondre à des questions aussi diverses que le vieillissement démographique, l'intelligence artificielle, la robotique. En effet, les Japonais envisagent cette discipline non pas comme un faisceau de sciences convergeant sur le cerveau, mais dans un contexte élargi à la société, l'environnement, la technologie. C'est une approche globale typiquement japonaise et donc encore la preuve d'un syncrétisme plus que d'une simple assimilation [246]. 140 3) Le paradigme bactériologique Nous allons étudier la transposition du paradigme bactériologique au Japon. Nous aborderons trois points : -le développement d'une recherche de pointe en infectiologie -la contribution japonaise à l'élaboration de la théorie humorale -le paradoxe de la recherche sur le béribéri. a) Le développement d'une recherche de pointe en infectiologie (1) La bactériologie A la fin du 19e siècle, les idées concernant les maladies infectieuses étaient encore assez confuses. Ainsi, en Allemagne, la théorie du germe était loin de faire l'unanimité dans le milieu académique. Alors que le bactériologiste Robert Koch (1843-1910) défendait cette position, d'autres étaient partisans de la théorie miasmatique, et, entre les deux clans, se trouvaient les conciliateurs adeptes du contagionisme contingent, avec comme chef de file Max von Pettenkofer (1818Ŕ 1901), fondateur de l'Institut d'Hygiène de Munich. Le cytologiste Rudolf Virchow était lui-aussi profondément opposé à la théorie du germe ; en effet, pour le fondateur de la théorie cellulaire, les maladies ne pouvaient résulter que de dysfonctionnement cellulaire. Aussi, sous Meiji, les infectiologues japonais furent envoyés auprès de professeurs aux convictions plutôt divergentes. Masanori Ogata (1845-1919) et Shibasaburo Kitasato (1853-1931) reçurent les bases de la bactériologie chez Koch. Ogata se sensibilisa aux techniques hygiénistes chez Pettenkofer, ce que Kitasato, en bactériologue convaincu, refusa catégoriquement de faire malgré les ordres officiels [21](p75,73). A son retour, Ogata devint professeur du laboratoire d'hygiène de la Faculté de Médecine de Tokyo (1886). Il y implanta les techniques sanitaristes tout en se frayant une carrière de bactériologiste. Kitasato, quant à lui, fonda l'Institut des maladies infectieuses (1892), puis l'Institut Kitasato (1914). Se rappelant les déboires de Koch, il préférait conserver une certaine indépendance vis-à-vis du milieu académique. Enfin, des centres de recherche se développèrent également dans les colonies japonaises [124]. Ainsi ces scientifiques surent garder un esprit critique vis-à-vis du conflit européen (théorie du germe/théorie miasmatique) et s'orientèrent très rapidement sur la voie bactériologique. (2) La parasitologie Le père de la parasitologie japonaise est Isao Iijima (1861-1921), élève de Morse et de son successeur Charles O. Whitman. Il effectua sa thèse à Leipzig sous la direction du célèbre zoologiste parasitologue Rudolf Leuckart (1822-1898). A son retour (1885), il forma une génération de parasitologues dans le département de zoologie de l'Université de Tokyo. Parmi ses élèves, on trouve Mikinosuke Miyajima (chef du département de parasitologie à l'institut des maladies infectieuses de Tokyo puis chercheur à l'institut Kitasato), Makoto Koizumi (fondateur de la branche taiwanaise, 1914) et Harujiro Kobayashi (fondateur de la branche coréenne de parasitologie). On notera par ailleurs que la parasitologie japonaise n'était pas une discipline médicale mais zoologique, souvent rattachée aux laboratoires d'hygiène ou de médecine interne [124],[300]. 141 A la fin du 19e siècle, la bactériologie et la parasitologie émergeaient en Europe. Sous Meiji, les Japonais importèrent ces disciplines de pointe. En particulier, ils appliquèrent leurs compétences à l'étude des maladies endémiques aussi bien au Japon que dans les colonies (Taiwan, Corée, Mandchourie), contribuant ainsi à de nombreuses avancées dans le domaine des maladies tropicales. Le Tableau 3 cidessous récapitule l'ensemble de leurs travaux, donnant ainsi un aperçu de l'étendue des sujets abordés. Tétanos Peste Dysenterie Maladie de Weil Maladie du Sodoku (So=rat ; doku=poison) Fièvre des 7 jours (région de Fukuoka) Fièvre fluviale du Japon (Tsutsugamushi Tsutsuga=maladie; mushi=insecte rouge) Typhus murin Encéphalite japonaise Filariose lymphatique Culture pure de Clostridium tetani en milieu anaérobie (Kitasato, 1889) Découverte controversée du bacille (Kitasato, 1894). Seul Alexandre Yersin passe à la postérité (Yersinia pestis). Découverte du rôle de la puce comme agent de transmission de la peste (M.Ogata, 1897), simultanément avec Paul-Louis Simond (épidémie indienne de 1897). Découverte de Shigella dysenteriae (K.Shiga, 1898) Découverte de Leptospira ictero-hemorragiae (R. Inada et Y. Ido, 1914) Réservoir, rat ; Transmission par eau contaminée (R. Inada et Y. Ido, 1914) Mise au point du sérum (R. Inada et Y. Ido, 1914 ) Description princeps de la maladie (Miyake, 1902) Utilisation du salvarsan (Hata, 1912) Découverte de Spirochaeta morsus muris (K.Futaki et coll., 1915), plus tard reconnu identique au Spirillum minus découvert chez le rat par Carter en 1887. Découverte de Leptospira hebdomadis (Y.Ido, 1918) Description princeps de la maladie (Baelz, Kawakami, 1879) De 1900 à 1930, cette maladie fait l'objet d'une recherche intensive (M.Miyajima, M.Nagayo, N.Ogata, R. Kawamura, …). Seront découverts le vecteur, l'acarien Trombicula akamushi, le réservoir, le campagnol Microtus montebelli et Rickettsia tsutsugamushi nommé Rickettsia orientalis par M.Nagayo (1930). Mise en évidence du « Rickettsia mandchouriae » (Kodama, 1932), c'est-à-dire Rickettsia typhi. Découverte d'une entité clinique distincte de l'encéphalite léthargique décrite par Von Economo en 1917 (R.Kaneko, Aoki, 1928) Mise en évidence du caractère filtrable du virus (Takaki, 1925) Mise en évidence du vecteur, le moustique japonais Culex tritaeniorhinchus (A.Mitamura et S.Yamada, 1938) Mise au point du test sérologique (Hayashi, 1934) Mise en évidence de microfilaires sanguines au Japon (S.Sato, 1877) (E.Baelz, 1877) 142 Bilharziose artério- Découverte du ver Schistosoma japonicum (F.Katsurada, 1904) veineuse (K. Fujinami, 1904) Transmission percutanée (F.Katsurada, 1904) (K. Fujinami, 1904) Parcours cardio-pulmonaire de la larve (Miyagawa, 1912) Mise en évidence de l'hôte intermédiaire, l'escargot d'eau douce Oncomelania et de la forme infestante libre, la furcocercaire (Y.Miyairi, 1913) Distomatose Mode de contamination digestive par ingestion d'un poisson d'eau hépatique douce, hôte intermédiaire de Clonorchis sinensis (H.Kobayashi, (C.sinensis) 1915) Découverte du premier hôte intermédiaire, l'escargot d'eau douce Parafossarulus Manchouricus (M. Muto, 1918) Distomatose Contamination digestive par ingestion d'un crabe d'eau douce, hôte pulmonaire intermédiaire de Paragonimus Westermanni. Découverte du premier hôte, un mollusque du genre Melania. (K.Nakagawa, 1915) Distomatose Découverte d'un œuf différent de celui de C.sinensis (douve du intestinale foie), l'œuf de Metagonimus yokogawai. Contamination digestive par ingestion de l'hôte intermédiaire, un poisson d'eau douce (S.Yokogawa, 1912) Découverte du premier hôte, un mollusque du genre Melania (M.Muto, 1916) Ascaridiose Découverte de deux formes d'œufs, forme embryonnée et forme non-embryonnée (K.Miura, 1902) Mise en évidence du cycle évolutif chez l'homme (S.Yoshida, 1918) Ankylostomose Possibilité de contamination par voie orale (Y.Miyagawa, 1912) duodénale Trichostrongylose Découverte du Trichostrongylus orientalis (K.Jimbo, 1914) Paludisme Taxonomie et répartition des Anophèles à Taiwan (M.Koizumi, 1921) Syphilis Mise en évidence du tréponème dans le cerveau (H.Noguchi,1913, Institut Rockfeller, USA) A noter par ailleurs que Noguchi découvre le genre Leptospira en 1917, en son honneur, un leptospire reçoit son nom (Leptospira noguchii). Tableau 3 : Principales contributions en parasitologie et bactériologie. D’après [221], [28], [55], [152], [51], [33], [260], [327], [127], [316], [299], [109] . Entre parenthèses quelques informations concernant les circonstances de découverte (nom du biologiste, date). d) L'élaboration de la théorie de l'immunité humorale Dans le domaine de la vaccinologie/sérologie, on peut remarquer une certaine continuité d'Edo à Meiji. Sous Edo, les médecins japonais adoptèrent l'inoculation jennerienne (rédaction de nombreux traités, traduction de livres hollandais, création de l'Institut de vaccination d'Edo). A la Restauration, un petit-fils de vaccinateur Sensai Nagayo, le chef de la santé publique-, importa le processus de production de vaccine. Puis, avec les microbiologistes de la nouvelle génération, on assista au passage de l'empirique vaccination jennerienne à la science de l'immunologie. Mais il ne faudrait pas croire à une simple translation du modèle germanique. En effet, la recherche japonaise sous Meiji était très active dans ce domaine. Ainsi, nous allons 143 voir comment certains chercheurs, que ce soit au Japon (Ogata et Jasuhara), ou à l'étranger (Kitasato) participèrent activement à la découverte de l'immunité humorale. Dans les années 1880, l'immunologie en était encore à ses balbutiements. Certes Elias Metschnikoff avait formulé l'ancêtre de la théorie cellulaire, la théorie des phagocytes (1884)97 (Nous avons vu que cette théorie fut reprise 25 ans plus tard par Kenji Kiyono pour la formulation du système RES). Mais à coté de cette conception « active » de l'immunité, les autres théories menaient à une impasse ; en effet elles envisageaient l'organisme comme un hôte passif, allant ainsi à l'encontre du principe même de défense immunitaire : théorie de l'épuisement de la matière nutritive (Pasteur, 1880), de l'imprégnation par des substances inhibitrices produites par l'agent infectieux (M.A. Chauveau, M. Von Nencki), de l'accoutumance ou mithridatisation 98. Or, vers la fin des années 1880, une nouvelle piste se précisait ; celle de l'immunité humorale. En effet, quelques chercheurs s'étaient aperçu que le sérum possédait un pouvoir bactéricide in vitro99. (1) Les travaux d'Ogata et Jasuhara Dans ce contexte, le professeur Ogata et son assistant Jasuhara de l'Institut d'Hygiène de Tokyo réalisèrent en 1890 une série d'expériences concernant le transfert de l'immunité passive. Ainsi, l'une de ses expériences consistait à injecter du sérum de chiens convalescents de la maladie du charbon à la souris, ce qui lui conférait ainsi une immunité à Bacillus anthracis [262]. Mais ils montraient également que le passage de différentes bactéries dans le sang ou le sérum d'animaux atténuait leur virulence [44](p678),[283]. Ils expliquaient ces phénomènes par l’action d’enzymes bactéricides. Or leur démarche n'était pas rigoureuse, les expériences portant aussi bien sur le sérum d'animaux préalablement immunisés, que sur le sérum ou le sang d'espèces naturellement résistantes. Ainsi, en l'absence d'un protocole exact, ils ne pouvaient élucider le mécanisme de l'immunité humorale. Par ailleurs, on ne peut s'empêcher d'émettre quelques doutes sur la validité de leurs travaux : en effet Roudenko et Peterman (Institut Pasteur) ainsi qu'Enderlen (Munich) 97 Ueber eine Sprosspilzkrankheit der Daphnien. Beitrag zur Lehre uber den Kampf der Phagocyten gegen Krankheitserreger (A propos d'une maladie causée par une levure. Une contribution à la théorie des phagocytes en tant qu'agents pour la lutte contre les organismes infectieux.), Archiv f. pathologische Anatomie und Physiologie und f. klinische Medicin, Vol. 96, pp177-195. (cf. [203]) 98 Pour expliquer la non répétition d'une maladie infectieuse, on disposait à l'époque de trois théories: -Théorie de l'épuisement de la matière nutritive: la première génération de germes épuiserait les substances nutritives présentes dans l'organisme, si bien que de nouveaux germes ne pourraient plus s'y développer. -Théorie de l'imprégnation: les germes produiraient des substances toxiques (ptomaïnes) qui inhiberaient la croissance de nouveaux germes. -Théorie de l'accoutumance: l'infection est comparée à un empoisonnement et l'immunité acquise à la mithridatisation [25], [332]. 99 Les pionniers de la théorie humorale de l'immunité (reposant sur des agents solubles) sont: Jozsef Fodor (1843Ŕ1901), George Henry Falkiner Nutall (1862Ŕ1937) et Carl Flügge (1847Ŕ1923), Hans Buchner (1850Ŕ1902). Ils étudiaient la bactéricidie du sérum dans l'optique de trouver une nouvelle explication au mécanisme immunitaire; c'était des détracteurs de la théorie cellulaire de Metschnikoff. Le Hongrois Fodor remarqua le premier que le sang pouvait inhiber in vitro la croissance de Bacillus anthracis (1886). L'Américain Nuttall refit cette expérience avec du sang défibriné dans le laboratoire de Flügge à Gottingen (1888). Excluant de ce fait le piégeage des bactéries dans le réseau fibrineux, il montrait que l'action bactéricide était bien due au sérum et, de plus, qu'elle disparaissait à la chaleur. L'Allemand Buchner arriva aux mêmes conclusions. Il imputa ce phénomène à l'existence de substances sériques qu'il nomma « alexines ». Il s'agissait des protéines du complément que Bordet distinguera en 1895 des anticorps, lesquels furent découverts par Behring et Kitasato [332], [294]. 144 en suivant le même protocole expérimental parvenaient à des résultats contradictoires [262, 283]. Malgré tout, Ogata et Jasuhara étaient très proches de la formulation de la théorie de l'immunité humorale. Toutefois nous verrons que celle-ci va réellement naître des travaux conjoints de deux chercheurs : Shibasaburo Kitasato et Emil Adolf von Behring (1845-1917) (Laboratoire de Koch à Berlin, 1890). (2) Les travaux de Kitasato et Behring Au début l'orientation scientifique de Kitasato et Behring était assez différente. Ils menèrent d'abord des recherches séparées (phase préparatoire), jusqu'à ce qu'un intérêt commun les rapproche. 1) La phase préparatoire *Les travaux de Kitasato Kitasato avait entrepris d'étudier Clostridium tetani de la même façon que Yersin et Roux l'avaient fait pour Corynebacterium diphteriae. En fait, Kitasato était déjà le spécialiste de Clostridium tetani100. Sur les instances de Koch, il avait réussi à cultiver le bacille identifié depuis 1884 par Nicolaier ; après s'être rendu compte que Clostridium tetani était un organisme anaérobie résistant à la chaleur, Kitasato avait isolé le germe par chauffage pour ensuite le cultiver en atmosphère d'hydrogène [22]. Or, comme Yersin et Roux avaient découvert l'existence de la toxine diphtérique en 1889, le Japonais pensa qu'il devait bien exister une toxine tétanique. En 1890, il isola un filtrat abacillaire qui, une fois injecté à l'animal, reproduisait les symptômes du tétanos. Il avait ainsi découvert la toxine tétanique, en même temps que le suédois Knut Faber (considéré comme le véritable découvreur). Roux et Yersin s'étaient d'abord intéressés à la toxine diphtérique, essayant soit d'immuniser les animaux de laboratoire par « accoutumance » soit de neutraliser cette substance par dénaturation thermique ou chimique. Mais, en absence de résultats, ils finirent par suivre la méthode d'atténuation pastorienne du bacille. Or, à l'institut Koch, l'ancien professeur de Yersin, Carl Fraenkel décida de reprendre les travaux français sur la toxine diphtérique. Kitasato fit de même pour la toxine tétanique. Ainsi dans le sillage de Roux et Yersin, il essaya à son tour d'immuniser des souris par injection de doses croissantes de toxines tétaniques. Il étudia également les effets de la dénaturation thermique ou chimique de la toxine [158],[168]. *Les travaux de Behring Pour Behring, la lutte antibactérienne reposait plutôt sur des solutions chimiques. Très tôt, ce médecin s'orienta vers l'étude des antiseptiques (iodoforme), dans l'idée de pouvoir les utiliser un jour in vivo [168](p28-40). Son intérêt pour la bactéricidie sérique fut plus tardif, et s'intègre d'ailleurs dans ce paradigme chimique. En effet, dans ses premiers travaux (Institut pharmaceutique de Bonn, 1888), il attribuait la bactéricidie sérique à une modification du pH due à des substances alcalines bactériennes ; cette conception était en fait très proche de la théorie de 100 Il faut rappeler que Kitasato avait déjà une certaine expérience du genre Clostridium: il avait réussi à cultiver le bacille anaérobie Clostridium chauvei (agent du charbon symptomatique des bovins) en atmosphère d'hydrogène [22]. 145 l'imprégnation [168](p47-51). Cependant, ses idées évoluèrent dans l'ambiance bactériologique de l'Institut Koch. En effet, Koch lui demanda d'étudier avec Nissen (un élève de Flügge) la relation entre immunité et bactéricidie du sérum. Au cours de ces investigations, deux observations se révéleront d'un intérêt majeur. D'abord, l'idée que la résistance à une bactérie soit dans certains cas101 conditionnée par l'existence de substances sériques spécifiquement dirigées contre cette bactérie, et d'autre part le fait que la bactéricidie du sérum soit conférable in vitro au sérum d'une autre espèce naturellement dépourvu d'une telle activité ; ce second point préfigurait ainsi la notion de transfert de l'immunité [168](p59-62). Mais Behring n'avait pas pour autant abandonné sa recherche sur les « antiseptiques parentéraux » [168](p65-66). Il obtint quelques bons résultats avec le trichlorure d'iode. S'il inoculait à un cobaye Corynebacterium diphteriae, puis immédiatement, au même point d'entrée, du trichlorure d'iode, il arrivait parfois à enrayer la maladie. Par la même occasion, il remarqua que cet antiseptique atténuait également la virulence d'un bouillon de culture. Or depuis les travaux de Roux et Yersin, on connaissait le rôle de la toxine diphtérique dans l'étiopathogénie de la maladie. Aussi Behring en déduisit que le trichlorure d'iode agissait peut-être en neutralisant la toxine de Corynebacterium diphteriae [168](p67). Ainsi Kitasato et Behring partageaient désormais les mêmes centres d’intérêt ; en effet leurs travaux convergeaient sur l'étude des toxines bactériennes. Cette annéelà, leur collaboration déboucha sur la mise en évidence de l'immunité humorale. 2) La mise en évidence de l'immunité humorale Kitasato réussit à immuniser un lapin par inoculation d'un bouillon de Clostridium tetani traité au trichlorure d'iode. Puis, il réalisa deux expériences : 1° il inocula du sérum de lapin immunisé à des souris préalablement infectées par Clostridium tetani. 2° il mélangea un filtrat de toxine tétanique au sérum du lapin, mixture qu'il inocula ensuite à une souris. Dans les deux cas, les souris ne montrèrent aucun symptôme, alors que celles du groupe témoin décédèrent. Behring mena des expériences similaires pour la diphtérie [168](p73-77). En décembre 1890, Kitasato et Behring publièrent leurs découvertes dans le journal Deutsche medizinische Wochenschrift 102. Ces travaux étaient révolutionnaires à plusieurs titres [168](p76-77),[75](p123-124) : 101 Behring et Nissen se rendirent compte que lorsque le sérum était bactéricide envers une bactérie, l'animal était résistant envers cette bactérie; mais qu’à l'inverse, la résistance ne s'accompagnait pas forcément d'une bactéricidie sérique [168](p62). 102 Le premier article, daté du 4 décembre 1890, se focalisait sur les expériences concernant la toxine tétanique: E.Behring, S. Kitasato, Ueber das Zustandekommen der Diphtherie-Immunitat und der Tetanus-Immunitat bei thieren. Deutsche medizinsche Wochenschrift, 16:1113-1114. Bien que cosigné par les deux chercheurs, il semble probable que l'unique rédacteur fut Kitasato [22]. Le second article, daté du 11 décembre 1890, était consacré à la diphtérie. On note que seul le nom de Behring apparaît cette fois: E.Behring, Untersuchungen ueber das Zustandekommen der Diphtherie-Immunitat bei Thieren, Deutsche medizinsche Wochenschrift, 16:1145- 1148. Ces deux articles existent en version anglaise dans une récente biographie de Behring [168](p450-454, 454460). 146 1°sur le plan théorique, la découverte de Kitasato et Behring représentait une avancée épistémologique majeure car elle faisait passer du paradigme cellulaire à l'immunochimie. En effet, la théorie de Metschnikoff était la seule tangible jusque-là, puisqu'elle reposait sur l'observation directe d'agents capable de phagocyter les bactéries. Toutefois, il fallut attendre les travaux de Paul Ehrlich (Seitenkettentheorie ou théorie des chaines latérales) pour obtenir la première conceptualisation théorique du phénomène humoral. 2°sur le plan technique, on note une rigueur analytique qui contraste avec celle de leurs prédécesseurs. En utilisant des toxines, ils montraient clairement que l'immunité reposait sur des substances sériques spécifiques : les antitoxines. 3°sur le plan thérapeutique, la transférabilité de l'immunité humorale ouvrait la voie à la sérothérapie. D'autres avaient déjà pris cette voie, mais sans aller jusqu'au bout de leur démonstration103. En démontrant que l'immunité humorale était transférable à un autre organisme, Kitasato et Behring posaient les bases de la sérothérapie. Ainsi une véritable révolution thérapeutique s'annonçait. Là encore, d'autres chercheurs prirent le relais : Roux mit au point le sérum antitétanique en 1892, puis antidiphtérique en 1894. Kitasato ramena la sérothérapie au Japon. Dès 1895, il traitait des patients atteints de diphtérie et mettait au point un sérum anti-choléra [362]. En 1902, son institut exportait une version améliorée du sérum anti-diphtérique [20]. Ainsi, vers 1890, les microbiologistes japonais se trouvaient déjà à la pointe de la recherche en immunologie. Tout comme leurs homologues occidentaux, ils pressentaient bien que l'immunité ne pouvait se résumer aux seuls phagocytes de Metschnikoff. Ogata se rapprocha de la solution, et Kitasato la co-découvrit avec Behring qui reçut (seul) le prix Nobel en 1901104. Ainsi, des vaccinateurs d'Edo aux microbiologistes de Meiji, les médecins japonais étaient restés en phase avec les avancées thérapeutiques et fondamentales de leur époque. 103 Déjà Héricourt et Richet avaient obtenu une immunité passive chez le lapin par inoculation d'un sérum de chien auparavant infecté par Staphylococcus pyosepticus. Afin de valider leur hypothèse, ils essayèrent leur méthode de transfert de l'immunité à la tuberculose: ils avaient choisi par malchance une maladie à immunité cellulaire ! Cet échec leur fit abandonner leurs travaux sur la transférabilité de l'immunité humorale [25] (p285-286). 104 Seul Behring reçut le prix Nobel (1901). L'exclusion de Kitasato a fait naître une polémique quant à la paternité de la découverte, certains historiens l'attribuant à Kitasato, d'autre à Behring [22], [168]. L'analyse de leurs travaux montre qu'il s'agissait du résultat d'un tâtonnement conjoint, aussi peut-on seulement déplorer le comportement de la communauté scientifique occidentale de l'époque à l'égard de l'élite japonaise. 147 e) Le paradoxe de la recherche sur l'étiologie du béribéri Cette affection, mal connue des Occidentaux frappait en revanche toutes les classes sociales japonaises. Par conséquent, le gouvernement lança en 1878 un programme de recherche afin d'éradiquer ce qu'il considérait comme une menace pour le « corps-nation ». Cependant cette recherche s'enlisa pendant plus de 30 ans dans la voie bactériologique. Nous voudrions montrer que ce phénomène apparemment aberrant s'inscrit dans une logique paradigmatique (paradigme infectieux allemand). Toutefois nous verrons que cet entêtement dans la voie bactériologique repose également sur des mécanismes endogènes. (1) Adhésion au paradigme infectieux allemand Les concepts étiologiques suivirent l'évolution des théories infectieuses occidentales. On étudia d'abord le béribéri sous l'angle miasmatique (théorie du miasme) puis bactériologique (théorie du germe). *Théorie du miasme Il existait plusieurs théories étiologiques mais la plus tangible semblait être celle d'un miasme. En effet, les Hollandais Pompe et Bauduin avaient formulé pendant le Bakumatsu l'hypothèse d'un miasme toxique [237] ; cette idée fut reprise sous Meiji. Par analogie avec le miasme de la malaria, certains médecins modernes proposèrent même d'utiliser la quinine pour traiter le béribéri [237]. En marge de la théorie du miasme, l'oyatoi Agathon Wernich émit aussi l'hypothèse d'un syndrome de malabsorption causé par un état inflammatoire digestif [237]. Wernich se plaçait ainsi dans le continuum de la théorie cellulaire. Pendant quatre ans (1878-1882), des médecins japonais tentèrent de vérifier ces hypothèses à l'Hôpital du béribéri, en appliquant la méthode anatomo-clinique. En absence de résultats probants, on ferma l'hôpital en 1882. *Théorie du germe Entre-temps l'Europe était passée à l'ère bactériologique ; les découvertes de Koch et de Pasteur furent rapidement rapportées au Japon par les oyatoi [237]. A partir de ce moment, la nouvelle génération se mit en tête de rechercher le germe du béribéri ; en 1885 Ogata Masanori pensait ainsi avoir isolé le « Beriberi bacillus ». Or Kitasato écrivit depuis Berlin deux articles (un japonais et un allemand) critiquant la méthodologie d'Ogata. Il s'agissait d'une requête de son mentor Koch pour qui la science devait précéder les sentiments, même celui de la piété confucianiste qui pouvait lier Kitasato au professeur Ogata. En dépit de ce bruyant démenti, la communauté scientifique japonaise persista dans cette voie. Ainsi sous Meiji, la recherche sur le béribéri s'était enracinée dans le paradigme infectieux. Cette obstination s'explique également par des processus internes que nous allons aborder. (2) Les causes endogènes On peut distinguer trois facteurs endogènes : la réutilisation de concepts traditionnels, un rejet thérapeutique et une position épistémologique. Ces deux derniers points seront illustrés par l'affaire Takaki. 148 *Recyclage d’un concept traditionnel En fait la théorie miasmatique proposée par Pompe à la fin d'Edo divergeait très peu de la conception traditionnelle. En effet, la médecine kampo spéculait sur l'existence d'un vent-poison (fudoku) issu du sol et pénétrant l'organisme par les pieds. Cette similitude conceptuelle a conforté l'adoption de la théorie miasmatique sous Meiji [237]. *L'affaire Takaki Dès 1884, un médecin de la Marine, Kanehiro Takaki, avait réussi à démontrer l'étiologie carentielle du béribéri. Après avoir étudié différents facteurs environnementaux (habitat, vêtements, alimentation, …) chez les équipages, il se focalisa sur le régime diététique qui semblait être le seul paramètre à varier. Ayant obtenu de bons résultats en changeant l'alimentation de quelques patients atteints du béribéri dans les hôpitaux militaires, Takaki eut l'autorisation de vérifier son hypothèse à plus grande échelle. Pour ce faire, il occidentalisa la cambuse d'un navire de 333 hommes. Seuls 16 furent atteints de béribéri (4% de l'équipage). Un an auparavant, pour un navire qui avait suivi la même route on dénombra 169 cas de béribéri (45% de l'équipage) dont 25 mortels. Face à ce résultat, la marine changea le régime alimentaire de ses recrues et l'incidence du béribéri chez les marins passa de 40% en 1882 à 0,6% en 1885 [237],[23],[24]. Mais il ne réussit à persuader ni la communauté scientifique japonaise, ni l'armée de terre. Il fallut attendre le milieu des années 1910 pour que le milieu académique admette le bien-fondé de la thèse nutritionnelle. Toutefois, l'existence du paradigme bactériologique n'explique pas à lui seul le rejet de la théorie nutritionnelle. Il semble exister deux autres raisons : 1/ La première, d'ordre philosophique, concerne la perception de l'outil statistique en médecine. En effet, la théorie de Takaki reposait sur une démonstration statistique. Or les statistiques, bien qu'introduites très tôt sous Meiji, furent sous-utilisées dans le domaine de la recherche médicale car considérées comme un outil plutôt qu'une science. Ce débat sur la nature des statistiques (outil vs. sciences) n'est pas spécifique au Japon, c'était un thème récurrent dans la communauté scientifique 105. Ainsi, pour discréditer l'étude de Takaki, le médecin Mori Ogai mettait en garde contre la notion de corrélation [363],[161],[23],[24]. 2/ Enfin, la seconde raison était contextuelle ; elle était liée au besoin d'affirmation de la médecine moderne scientifique face à la médecine kampo traditionnelle106. En cas de béribéri, les médecins Kampo prescrivaient des plantes et recommandaient un régime composé de haricots azuki, d'orge mais dépourvu de riz blanc [23],[24]. Or Takaki préconisait lui aussi de remplacer le riz blanc par de l'orge. Aussi, pour les médecins modernes, son approche nutritionnelle avait des allures chinoises, anti105 Ainsi Claude Bernard écrivait: « J’avoue que je ne comprends pas pourquoi on appelle loi les résultats que l’on peut tirer de la statistique; car la loi scientifique, selon moi, ne peut être fondée que sur la certitude et sur un déterminisme absolu et non sur une probabilité. » [29](p112) 106 Dès le début, la recherche sur le béribéri avait été conçue dans l'optique de discréditer la médecine kampo. En effet, à l'hôpital du béribéri, le chef de la santé publique japonaise, Sensai Nagayo, avait mis en compétition une équipe ranpo contre une équipe kampo, chacune utilisant ses propres moyens thérapeutiques. Ainsi, à l'époque, on avait qualifié cet épisode de sumo entre la médecine kampo et la médecine moderne. 149 modernes, et lui-même était un charlatan [23],[24]. De surcroît, Takaki imputait le béribéri à un déficit azoté, par référence au postulat nutritionnel de l'hygiéniste britannique Parkes. Ce dernier pensait qu'une ration équilibrée reposait sur le respect d'un rapport Azote/Carbone égal à 15 [161]. Or plusieurs personnalités médicales (le professeur de physiologie Osawa Kenji, le médecin chef de l'armée de terre Mori Ogai) montrèrent par des calculs physiologiques que son hypothèse n'était pas fondée [237],[23],[24]. En lui reprochant de ne pas rechercher la cause de la maladie, on pointait ainsi le doigt sur le manque d'esprit scientifique de Takaki. Ce dernier incarnait en quelque sorte l'empirisme traditionnel alors abhorré par les défenseurs de la médecine scientifique de tradition germanique. La recherche sur le béribéri illustrait les travers de l'adoption du paradigme allemand. Néanmoins ce phénomène ne se résumait pas à une adhésion aveugle au modèle. En effet, on retrouve une permanence conceptuelle, une prise de position épistémologique et un refus de la tradition. C'est l'occasion de noter une certaine ambivalence vis-à-vis du passé, entre recyclage et rejet. Conclusion de la partie « Paradigme bactériologique » Les japonais furent formés auprès des leaders de l'infectiologie, au moment où émergeaient des disciplines révolutionnaires : bactériologie, immunologie. Sur place, ils prirent directement part à l'élaboration de la science ; la découverte de l'immunité humorale par Kitasato est une des plus belles illustrations de ce phénomène. De surcroît, ils apprirent les techniques sanitaristes et bactériologiques sans reproduire le conflit d'écoles qui persistait en Europe (miasme vs germe). Ainsi le paradigme bactériologique s'implanta au Japon, donnant naissance à une infectiologie de pointe. En contrepartie, dans le cas du béribéri, les scientifiques ne surent pas apprécier la justesse de la théorie nutritionnelle et s'obstinèrent dans l'approche bactériologique. Vraisemblablement, ils n'avaient pas pu résister à certains travers : confort du paradigme, refus obstiné de la méthode épidémiologique ou encore rejet de tout ce qui pouvait rappeler la médecine traditionnelle. Conclusion générale de la partie « Le paradigme expérimental allemand » Sous Meiji, les élèves japonais ont transféré chez eux le modèle de recherche de l'école expérimentale allemande à laquelle ils avaient été formés. Ils se placèrent rapidement à un niveau d'excellence dans les domaines de la biologie cellulaire, des neurosciences et de l'infectiologie. Toutefois, même si l'on ressent une forte influence germanique dans ces orientations, on ne peut occulter le rôle de facteurs internes. Ainsi nous nous sommes aperçus que l'attrait pour les neurosciences est plus complexe qu'il n'y paraît. De la même façon, l'enlisement de la recherche sur le béribéri tient autant du piège paradigmatique allemand que d'une ambiguïté vis-à-vis de la tradition. Ainsi, bien qu’elle soit devenue scientifique, cette médecine demeure néanmoins « japonaise », les chercheurs restant tributaires du terreau culturel et historique dans lequel ils évoluent. Un tel processus coïncide bien avec notre postulat de départ, la notion d’adaptation. 150 B Le paradigme évolutionniste L'ère Meiji fut également la période d'assimilation des théories sur l'évolution et l'hérédité. Dans le domaine médical, cela se traduisit par l'émergence de l'anthropologie biologique et de l'eugénisme. Nous verrons que sous des allures scientifiques et modernes, ces deux nouvelles disciplines puisaient leurs sources au plus profond de la pensée collective traditionnelle. 1) L'anthropologie biologique Au Japon, les premières études anthropologiques furent menées par des occidentaux. Ainsi c'est le naturaliste américain Edward Sylvester Morse qui introduisit l'anthropologie évolutionniste107 au Japon (1877-1880). Vers la fin des années 1880, les anatomistes japonais s'emparèrent de la discipline. Ce fut alors la mode des études de paléontologie, d'anatomie et de physiologie comparées. L'anthropologie jusque-là culturelle devint « biologique ». Les médecins anthropologues suivaient deux objectifs : -déterminer l'origine du japonais en le définissant biologiquement par rapport à ses voisins (perspective régionale). -définir biologiquement le Japonais par rapport aux autres « races » (perspective globale). Nous allons donc étudier ces deux approches. a) La perspective anthropologique régionale En ce qui concerne l'origine des japonais, deux théories se succédèrent : 1°La théorie de la substitution : un peuple extérieur est venu et a repoussé les populations indigènes. C'était la thèse du professeur d'anatomie Yoshikiyo Koganei (1859-1944). Après avoir comparé les squelettes des Aïnous et des habitants des Kouriles à ceux retrouvés sur le site préhistorique d'Omori108, il retrouve chez les trois la même plactynémie tibiale, et conclut à une lignée commune [230]. Selon lui, l'arrivant japonais aurait repoussé ces populations vers le nord. Ultérieurement, il fut établi que sur le plan statistique la taille des échantillons de son étude était trop petite [111]. 2°La théorie de la transformation : le Japonais actuel descend de l'homme préhistorique de Jomon (néolithique -10.000, 300 Av. JC). 107 Dès son apparition (2e moitié du 19e siècle), l'anthropologie se place dans le paradigme évolutionniste, d'où le nom d’anthropologie évolutionniste. C'est avant tout une théorie sociologique puisant dans le positivisme d'Auguste Comte ou encore le darwinisme social de Herbert Spencer. Ainsi le père de la discipline, Lewis Henry Morgan postule l'existence de trois stades: la préhistoire ou état de « sauvagerie » caractérisée par la chasse et la cueillette, ensuite vient l'état de « barbarie » qui correspond à l'agriculture et l'élevage, et finalement le stade de « civilisation » avec l'industrie, le commerce et la science. Elle reflète également la vision condescendante des sociétés occidentales impérialistes (état de civilisation) vis-à-vis des peuples colonisés. 108 L'Américain Morse découvrit l'amas coquiller d'Omori en 1877. Sous Meiji, c'était la première fois que l'on mettait en évidence un site préhistorique au Japon. Le gouvernement engagea alors Morse comme professeur à l'Université de Tokyo. 151 C'est la théorie avancée par la seconde génération d'anthropologues, tel que le professeur de médecine légale Tanemoto Furuhata (1891-1975), les anatomistes Kotondo Hasebe (1882-1969) et Kenji Kiyono (1885-1955). Furuhata décida de comparer l'index biochimique racial 109 des différentes ethnies de l'empire Japonais. Ses travaux révélèrent de grands écart entre Japonais, Aïnous, Taiwanais, et Coréens [101]. En conclusion dans les années 1930, Furuhata postulait qu'il existait bien une race japonaise spécifique formée depuis longtemps dans l'archipel [235]. Quant aux anatomistes Hasebe et Kiyono, ils comparèrent les squelettes préhistoriques à ceux des populations voisines. Kiyono pensait que la population japonaise résultait du mélange de l'homme de Jomon avec des migrants venus du continent asiatique (théorie de l'hybridation). Selon lui, l'homme de Jomon aurait évolué soit vers le Japonais actuel (brassage avec les peuples du sud de l'Asie) soit vers l'Aïnou (brassage avec les peuples du nord de l'Asie). À l'inverse, Hasebe minimisait le rôle des afflux extérieurs ; il considérait que l'homme de Jomon avait surtout subi des microévolutions morphologiques sous pression environnementale (théorie de la continuité) [235],[111]. En fait, la théorie de la substitution remontait au 18e siècle ; elle fut successivement formulée par le néoconfucianiste Hakuseki Arai (1657-1725), l'archéologue Sekitei Kinouchi (1724-1808), et l'historien Teikan To (1732-1797). Selon eux, les foudres de pierre, outils lithiques que l'on disait de « l'âge des dieux », étaient en réalité bien d'origine humaine, mais non japonaise. Par ailleurs, ils identifiaient les peuples indigènes des mythes japonais (les Emishi, les Shukushin)110 aux Aïnous. Peu à peu, les Aïnous devinrent les auteurs des outils de l'âge de pierre. Aussi, à la période moderne, le struggle for life darwiniste arrivait à point pour expliquer la thèse antiquariste : un peuple conquérant serait venu pour mater une population primitive indigène [15](p65),[230]. L'idéologie spencériste recyclait le néoconfucianisme, la loi naturelle immuable (le principe du Ri) devenant la loi économique du laissez-faire libéral [76]. Par ailleurs, en dépit de leurs divergences d'idée (substitution, de la continuité, de l'hybridation), ces médecins insistaient sur la notion d'homogénéité du peuple japonais. De cette manière, ils accréditaient le mythe fondateur du peuple Yamato décrit dans les chroniques anciennes et mis à la mode sous Edo par le mouvement Kokugaku (Études nationales) [235]. Aussi peut-on penser que l'anthropologie biologique servit de lien entre le protonationalisme de la période prémoderne et le nationalisme nécessaire à la construction de l'État-Nation. Enfin la recherche anthropologique suivait de près l'actualité coloniale : pendant la première phase (1880-1890) on s'intéressait aux Aïnous, puis ce fut le tour des Taiwanais, des Coréens, des Chinois. Ainsi le nombre de publications explosa pendant la phase expansionniste de l'entre-deux-guerres (x6). En même temps que Koganei dépeignait l'Aïnou comme un homme primitif en voie d'extinction, le gouvernement japonais poursuivait la confiscation systématique de ses terres. Pour les Coréens, le discours fut totalement différent. Selon l'anatomiste Tsunekishi Ueda 109 Cet index fut inventé par l'Allemand H. Hirschfeld en 1919 pour étudier la répartition des groupes sanguins du système ABO. Il correspond ainsi dans une population au rapport du pourcentage de phénotypes A sur le pourcentage de phénotypes B, soit (A+AB)/ (B+AB). Cela permit à Hirschfelf de retrouver un profil sanguin dit « européen » (index>2), un profil dit « afroasiatique » (index <1) et un profil dit « intermédiaire » (index situé entre 1 et 2). 110 e e Selon les chroniques japonaises datant des 7 -8 siècles (Kojiki et Nihon shoki), le premier empereur Jinmu, descendant de la déesse solaire Amaterasu, aurait combattu des populations indigènes farouches pour unifier le pays. 152 (1887Ŕ1966), il existait plus de similitudes entre les Coréens et les Japonais de Corée, qu'entre les Japonais des différentes régions de l'archipel. Le gouvernement s'appuya sur cette thèse pour inciter les colons japonais au mariage mixte [235]. Ainsi l'anthropologie biologique donnait des indications sur la politique à adopter visà-vis des populations colonisées, ou du moins venait-elle entériner la politique d'assimilation gouvernementale. Des études comparatives fleurirent dans cet unique but. Par exemple, le gynécologue Yamazaki Masahige (1872-1950) étudia l'âge de la ménarche et les coutumes de différentes populations. Il voulait corréler la ménarche à la qualité du stimulus culturel : selon lui, plus une population était civilisée, plus la ménarche était précoce. Malheureusement, il s'avéra qu'en dépit d'un « contexte culturel très arriéré », l'âge de la ménarche des femmes aïnoues précédaient celui des Taiwanaises et des habitantes des iles Ryukyu. Masahige contourna le problème, déclarant qu'il devait exister des caractéristiques raciales innées, lesquelles prenaient parfois le pas sur les conditions environnementales... [333] b) La perspective anthropologique globale Les nations colonialistes affirmaient la supériorité de la « race blanche » à grand renfort d'études comparatives. Par ailleurs, les observateurs étrangers étaient souvent acerbes à l'égard du corps japonais. En réponse, les anthropologues entrèrent à leur tour dans cette compétition malsaine, dont voici un petit extrait. En premier lieu, il convenait de réhabiliter l'intelligence japonaise. Aussi ces médecins étudièrent le crâne et son contenu : craniométrie, poids du cerveau, poids du cerveau rapporté au poids corporel, présence de la scissure simiesque... On découvrit alors que le poids de l'encéphale japonais était honorable, d'autant plus s'il était ramené à la masse corporelle [51](p70). Reprenant la méthode de Hirschfeld, de nombreux anthropologues avaient travaillé sur l'index biochimique japonais. Passant en revue tous les résultats obtenus, Furuhata établit une moyenne nationale de 1, 57 [101]. Ainsi le Japonais était du « type intermédiaire » (entre 1 et 2), type situé entre l’européen (>2) et l'afroasiatique (<1). Enfin, il convient de citer les travaux de l'anatomiste Buntaro Adachi (1865-1945), figure médicale controversée mais néanmoins brillante. Pendant 30 ans, Adachi se consacra principalement à l'étude du système artériel humain, disséquant pour cela un nombre incroyable de cadavres (à titre indicatif, il utilisa au moins 400 cadavres rien que pour étudier le membre inférieur). Aussi il répertoria 95 anomalies anatomiques et put corriger 10 erreurs communément retrouvées. Son livre Das Arteriensystem der Japaner (Kyoto, 1928) demeure une bible de l'anatomie vasculaire (variantes anatomiques, statistiques..) [247]. Mais, au-delà d'une étude encyclopédique, Adachi voulait introduire le concept d'anatomie raciale ; les anomalies relevées au cours de son travail lui permettaient de hiérarchiser les « races » (ici japonais et européens) dans une perspective évolutionniste. Pour cela, il avait défini deux types d'anomalies ; celles relevant d'une évolution, et celles caractéristiques de l'état primitif [51](p68). Adachi s'intéressa également aux mystères de l'odeur corporelle, de la sueur et du cérumen. Cette idée peut faire sourire, mais correspond à une obsession spécifiquement japonaise. En effet l'odeur corporelle relève du pathologique au Japon : une odeur forte est un motif de réforme dans l'armée et c'est l'osmydrose (non l'hyperhydrose) qui motive la chirurgie des glandes sudoripares. En fait, Adachi était parti d'un constat fait lors de ses études en Europe : l'odeur corporelle du jeune 153 adulte européen était insoutenable pour un nez japonais 111. Plus tard il établit une corrélation entre le cérumen et la sueur : il existerait un phénotype cérumen liquide/sudation abondante, et un phénotype cérumen sec/faible sudation. Le premier phénotype se retrouverait chez 100% des africains et aïnous, 70% des européens, 10% des japonais et 3% des chinois112. Adachi est considéré comme une figure importante de l'anatomie vasculaire, mais son ouvrage ne fut jamais traduit, ni réimprimé, si bien qu'il est devenu assez rare. Il est vrai que la tonalité de son œuvre soulève parfois de vilains souvenirs. Toutefois deux équipes de chercheurs, au Japon et en Allemagne ont récemment publié des études qui remettent au goût du jour ses hypothèses sur l'existence d'un phénotype cérumen/sueur, lequel permettrait de modéliser génétiquement le phénomène migratoire asiatique [188],[371]. Après l'anthropologie biologique, nous allons maintenant nous intéresser aux débuts de la génétique et de l'idéologie scientifique 113 qui en découle, l'eugénisme. 2) Génétique et eugénisme Il est d'abord important de distinguer les généticiens des idéologues eugénistes. Les premiers généticiens japonais étaient surtout des agronomes, les médecins ont longtemps été des idéologues. a) Les débuts de la génétique japonaise Les théories de l'hérédité (théorie de Weismann114 et lois de Mendel) furent très tôt connues des scientifiques japonais. Dans le contexte économique japonais, la génétique mendélienne ouvrait des perspectives intéressantes en agronomie [123]. Ainsi, avec ses recherches sur le ver à soie (On the Hybridology of the Silkworm, 1906), l'agronome Kametaro Toyama (1867-1918) fut l'un des premiers à vérifier les lois de Mendel chez l'animal. On pourrait donc le placer dans la catégorie des redécouvreurs mendéliens, au même titre que Ugo de Vries, Carl Correns ou Erich von Tschermack [249],[252]. Quant à la génétique humaine, le médecin légiste Furuhata proposa le modèle de transmission triallélique (allèles A, B, O) du groupe sanguin (1925) [366]. Toutefois, la démarche des premiers généticiens japonais n’était pas si orthodoxe ; en effet ils poursuivaient plusieurs pistes de recherche (hérédité cytoplasmique, lamarckisme). Cette diversité s'explique par la conjonction de plusieurs facteurs : •Une vision holiste de la génétique : 111 L’étude d'Adachi, Geruch der Europäer. In: Globus, Illustrierte Zeitschrift für Länder- und Völkerkunde, Bd. 83, S. 14-15, 1903 est citée dans [89]. 112 Cet article s’intitule Das Ohrenschmalz als Rassenmerkmalund der Rassengeruch (« Achselgeruch ») nebst dem Rassenunterschied der Schweissdriisen (Zeitschrift für rassenkunde und die gesamte forschung am menschen. Stuttgart, Germany, 1937, 6: 273-307). [6] 113 Selon la définition de Canguilhem dans Idéologie et rationalité dans l‟histoire des s ien es de la vie (1981), page 44: « L'idéologie scientifique […] est une croyance qui louche du coté d'une science déjà instituée dont elle reconnaît le prestige et cherche à en imiter le style. » 114 Le biologiste allemand August Weismann (1834-1914) formula la théorie de continuité du plasma germinatif, réfutation théorique de la transmission des caractères acquis (lamarckisme): « somatogenic or acquired characters cannot be transmitted » [357](p462). 154 La plupart des généticiens japonais avaient une formation initiale en physiologie ou en cytologie. De plus, leurs mentors allemands avaient adopté un style de « recherche globale », c’est-à-dire qu’ils considéraient la génétique sous l’angle de la physiologie cellulaire, s’intéressant aussi bien au noyau qu’au cytoplasme. Leur approche n'était pas réductionniste (nucléaire) comparativement à celle de l’Américain Thomas Hunt Morgan qui établit les premières cartes génétiques. Ainsi, le cytologiste Kenjiro Fuji (1866-1952) qui fonda le premier laboratoire de génétique japonaise115(1918), concevait aussi la génétique dans la perspective d'une « physiologie cellulaire globale » [123]. De façon comparable, le botaniste Hitoshi Kihara116 (1893-1986), spécialisé en physiologie, fut aussi influencé par les travaux de son mentor Correns concernant l'hérédité cytoplasmique [123]. Pour ces scientifiques, il n’existait pas de réelle dichotomie entre noyau et cytoplasme. Ainsi, en 1936, le zoologue Daigoro Moriwaki et le botaniste Yoshitaka Imai proposaient un modèle de transmission cytoplasmique lié au sexe pour la neuropathie optique de Leber, affection désormais reconnue comme une maladie mitochondriale [366],[126]. •Des relations étroites avec la communauté de Chicago : Les généticiens japonais entretenaient des relations avec des chercheurs de Chicago qui affichaient dans les années 1910 un certain scepticisme à l'égard du dogme mendélien. Ainsi le zoologue Whitman, ancien professeur de l'Université de Tokyo et désormais à la chaire de Chicago, s'impliqua dans cette direction. Les séjours du phycologue Shigeo Yamanouchi117 (1876-1973) auprès de ces « dissidents » l'influencèrent dans ce sens [252]. Vers 1914, Yamanouchi utilisa comme argument la théorie du gradient physiologique de Charles Manning Child 118 (1869-1964) pour remettre en question la théorie de Weismann : selon lui la théorie de la réjuvenescence de Child pouvait suggérer que les cellules somatiques et les cellules germinales n'étaient pas totalement isolées, et donc que des changement dans les cellules somatiques pouvaient affecter le plasma germinatif [252],[254]. •Le caractère optimiste du lamarckisme : La transmission des caractères acquis laissait espérer la possibilité d'une amélioration biologique, amélioration prônée par des généticiens comme Yamanouchi, et le physiologiste Kenjo Osawa. Ceci nous amène à parler de l'eugénisme médical japonais. 115 Ce laboratoire fut créé au sein du département de botanique de l’université de Tokyo. Hitoshi Kihara a notamment établi le caryotype des différentes espèces de blé. 117 Shigeo Yamanouchi était un spécialiste du cycle de reproduction des algues. 118 Le biologiste Charles Manning Child (1869-1954) qui étudiait le développement de la planaire (un ver marin) avait formulé la théorie du gradient métabolique: les différentes régions de la planaire réagissent différemment à la composition chimique du milieu (oxygène, toxiques...), définissant ainsi un gradient métabolique le long de l'axe de cet organisme. Une fois mutilée, la région distale de cet organisme est capable de se régénérer en hydranthe (partie apportant la nourriture), sauf si on l'en empêche en l'enterrant dans le sable. Dans ce cas c'est la région proximale qui développe l'hydranthe. Selon Child c'est parce que la région distale posséderait le gradient métabolique le plus élevé qu'elle serait capable de régénérer l'hydranthe. Viendrait ensuite la région proximale, laquelle prendrait le relais en cas d'inactivation de la région distale (Théorie de la réjuvenescence). Il voit là une interaction entre milieu, cytoplasme et gènes: il y aurait une activation de certains gènes en fonction du signal [38]. 116 155 b) L'eugénisme japonais En fait, l'ambivalence japonaise par rapport aux théories de l'hérédité se traduisit par une forme particulière d'eugénisme, qui va de l'euthénie à l'eugénisme, le plus négatif. D'un coté le lamarckisme conduisit à la pratique de l'euthénie : en améliorant l'environnement (éducation, alimentation), les lamarckiens japonais pensaient que l'individu acquerrait des caractéristiques transmissibles à sa descendance. Pour cette raison, le physiologiste Kenji Osawa (1852-1927) milita pour l'éducation supérieure des filles, la pratique sportive et, à l'encontre du bouddhisme, pour une alimentation carnée. [253]. Pour justifier cette position, Yamanouchi citait comme argument l'étude de Casper L. Redfield, Dynamic Evolution : A Study of the Causes of Evolution and Degeneracy, (1914).Celle-ci soulignait que les grands hommes naissaient en général de parents âgés ; preuve selon Yamanouchi de la transmission héréditaire des caractères acquis [254]. Couplé à la hantise de dégénérescence raciale, le lamarckisme encouragea les pratiques eugénistes. En effet, il venait justifier la discrimination de maladies chroniques pourtant non héréditaires (lèpre, tuberculose, maladies vénériennes) ainsi que l'émergence d'une nosographie de la dégénérescence (exemple du concept de neurasthénie). Plus tard, le physiologiste Hisomu Nagai, qui adhérait totalement aux théories de Mendel et Weismann, continua de préconiser le même type d'eugénisme inclusif ; dans son cas il s'agissait d'un argument purement démagogique destiné aux mouvements féminins (lutte contre les maladies vénériennes ou l'alcoolisme) [254]. Toutefois, il ne faudrait pas considérer l'eugénisme et le concept de dégénérescence comme l'apanage exclusif de la civilisation moderne. On retrouve des signes avant-coureurs du mouvement eugéniste à la période prémoderne. D'abord, on constate au cours d'Edo une transformation nosographique spécifique : certaines maladies chroniques acquièrent une forte connotation héréditaire ; c'est le cas de la tuberculose [142] et de la lèpre qui furent reliées par les médecins au concept de sang et de lignée [58]. Mais surtout, il s'était opéré un amalgame entre délinquance et maladie. Certes, dans le bouddhisme, la maladie était considérée comme une sorte de rétribution karmique et pour le soignant, un potentiel champ de mérite. Sous Edo, le néoconfucianisme renforça la structuration sociale ; certains malades comme les malades mentaux, lépreux et handicapés étant assimilés aux hinin (hors castes). Le nombre de hinin ne cessant de croître, le bakufu décida de les canaliser en les regroupant dans des ghettos, et créa même au 19e siècle des maisons de forces ou ninsoku yoseba [267]. On retrouve des idées similaires dans le darwinisme social de Spencer et l'eugénisme de Galton ; l'inégalité sociale est à respecter au nom de la sélection naturelle... Ainsi, certains occidentaux comme le professeur de médecine Baelz entérinaient cette dichotomie : Baelz distinguait deux « morphotypes sociaux » ; le type mongoloïde de la classe supérieure d'origine sino-coréenne, longiligne et au visage altier et le type malais, « plus commun », bréviligne, brachycéphale à peau sombre [15]. Ainsi on comprend mieux la volonté du dermatologue Kensuke Mitsuda (1876-1964) d'incarcérer les lépreux dans des léproseries prisons, cela en dépit de toute justification scientifique (la lèpre étant déjà considérée à l'époque comme faiblement contagieuse) [63]. 156 Enfin, nous rappelons qu'il existait également dans la haute société une coutume des mariages arrangés. Le but était de préserver la lignée des tares congénitales. Ainsi Osawa Kenji repris cette idée lorsqu'il préconisa la mise en place des certificats prénuptiaux en 1904. Cette année-là les eugénistes occidentaux faisaient la même requête en Angleterre et en Allemagne [253]. Par ailleurs, on peut remarquer que le concept de neurasthénie était presque plus chinois qu'occidental. En effet, le discours médical traditionnel était depuis toujours centré sur la crainte de la déplétion, provoquée par des pratiques nocives (excès alimentaire, sexuel...). Ainsi les Chinois avaient depuis longtemps formulé une théorie énergétique sexuelle en miroir du concept de neurasthénie. Dans le yangsheng taoïste, (Cf. Le yojo ou yangsheng page 233) il existait une technique appelée huanjing bunao (« faire circuler l'essence séminale pour remplir le cerveau »). En figuré, l'individu retenait son sperme, qu'il transformait grâce à une sorte d'alchimie interne en énergie vitale (qi), laquelle montait au cerveau et fortifiait l'esprit shen. Aussi la splanchnologie traditionnelle représentait la moelle comme un passage reliant les reins (organes reproducteurs) au cerveau (Image 18 p60) [302]. Ceci permettrait de mieux saisir le succès de la neurasthénie de Beard 119 chez les médecins de Meiji et Taisho. C’est ainsi notamment que le gynécologue Eiji Habuto combattit sa vie entière ce « fléau national », traduisant Krafft-Ebing (Psychopathia Sexualis) et Havelock Ellis (Studies in the Psychology of Sex) [97]. Conclusion de la partie « Le paradigme évolutionniste » En absence d'obstacle religieux (tradition judéo-chrétienne), la théorie de l'évolution s'implanta très tôt au Japon (années 1870) [289]. Néanmoins, il ne s'agissait pas de darwinisme biologique, mais bien de son avatar idéologique, le darwinisme social ou spencérisme [254, 289]. En fait, dans sa conception de la société, le spencérisme était assez proche du néoconfucianisme (similitude entre doctrine du laissez-faire et ordre du Ri) [76]. L'anthropologie biologique se plaça ainsi dans une optique évolutionniste. D'un coté, elle justifiait nationalisme et colonialisme. Mais de l'autre, elle reflétait le questionnement existentialiste d'une jeune nation réputée de statut inférieur sur l'échelle de valeur occidentale. A la lumière de ce dernier élément, il semblerait par ailleurs légitime d'interpréter le succès du lamarckisme comme une sorte d'optimisme scientifique, une forme de technique d'amélioration biologique. En outre, cette tendance pourrait expliquer la sympathie japonaise pour le lysenkoisme (néolamarckisme russe) jusqu'aux années 1970. Ainsi, si de nombreux médecins japonais semblent avoir entretenu des rapports particuliers avec la théorie de l’évolution (engouement et sélection de certains éléments), c’est bien parce que celle-ci leur permettait de recycler certaines problématiques culturelles et sociétales. Les spécificités du paradigme évolutionniste japonais illustrent donc bien notre hypothèse de départ (idée de la continuité et de l’adaptation). 119 En 1869, l'Américain George Miller Beard invente le terme neurasthénie pour désigner un tableau associant fatigue, anxiété, névralgie, céphalée, névralgie, humeur dépressive. Ce serait le résultat d'un épuisement du système nerveux inhérent au mode de vie moderne. On le relie également à des pratiques sexuelles considérées comme déviantes (homosexualité, masturbation). 157 Toutefois nous soulignons que les médecins japonais n'étaient pas tous lamarckiens, eugénistes ou encore spencéristes. Nous insisterons sur ce point en citant le cas de Taku Komai (1886-1972). Après avoir étudié la génétique et l'embryologie expérimentale auprès de Thomas Morgan (1923-1925), celui-ci prit ses distances avec le mouvement eugéniste qu'il trouvait déconnecté de la recherche. Il introduisit la recherche en génétique humaine avec des études sur l'albinisme. De son école de Kyoto est notamment issu Tomoo Kimura (1924-1994), l'auteur de la théorie neutraliste de l'évolution (théorie neutre de l’évolution moléculaire) formulée à partir des années 70. 158 C Développement d'une thérapeutique japonaise La modernisation de la médecine japonaise ne signifiait pas abandon des thérapies traditionnelles. Au contraire, des chercheurs tentèrent de valider scientifiquement les savoirs empiriques (acupuncture, drogues kampo) légués par leur prédécesseurs. L'esprit de synthèse-adaptation de la « période chinoise » refit également surface ; la psychothérapie de Morita en est une illustration. 1) La naissance d'une recherche en acupuncture et moxibustion Quelques voyageurs hollandais, tels que les médecins du comptoir ten Rhijne (16471700) et Kaempfer (1651-171), ou encore le marchand Titsingh (1740-1812), firent connaître par leurs écrits l'acupuncture et la moxibustion japonaise aux Européens. Ten Rhijne écrivit Dissertatio de arthritide: mantissa schematica: de acupunctura: et orationes tres (1683) ; Kaempfer, Amoenitatum exoticarum politico-physico medicarum(1712) lequel paru en latin, hollandais, allemand et français ; Titsingh, Beschreiving van het naalde steeken en moxa branden, traduction d'un manuel d'acupuncture dont le manuscrit est conservé à la BIUM (cote MS 45) [32]. Au début du 19e, cette thérapie connut un engouement subit en France. Mentionnée dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, elle attira l'attention d'un médecin de campagne Louis Joseph Berlioz (1776-1848), le père du compositeur. Il la pratiqua sur quelques patients puis publia Mémoires sur les maladies chroniques et sur les évacuations sanguines et l'acupuncture (1916), introduisant ainsi la mode de l'acupuncture en France. A Paris, le chirurgien Jules Germain Cloquet (1790-1855) de la fit entrer dans l'usage hospitalier en1825 (Hôpital Saint-Louis). Il inspira la même année deux thèses de médecine : Dissertation sur l'acupuncture et ses effets thérapeutiques (J.Morand, 1825) et Quelques propositions sur l'acupuncture (T.M. Dantu, 1825) [43]. Néanmoins la technique française différait radicalement de l'originale : les thérapeutes enfonçaient profondément leurs aiguilles, les perdant parfois dans l'abdomen ou le thorax des patients. Selon Dantu, on attribuait alors le décès à une « commotion morale très vive » [107]. Comme c'était aussi la vogue du galvanisme, on inventa l'électroacupuncture. Jean Baptiste de Sarlandière (1787-1838) qui utilisait électrostatisme et galvanisme en revendiqua la paternité, dans un livre où il publiait la traduction du japonologue Titsingh : Mémoire sur l'électro-puncture considérée comme moyen nouveau de traiter efficacement la goutte, les rhumatismes et les affections nerveuses, et sur l'emploi du moxa en France ; suivi d'un traité de l'acupuncture et du moxa, principaux moyens curatifs chez les peuples de la Chine, de la Corée et du Japon ; orné de figures japonaises (Paris, 1825) [32, 43]. Toutefois, les tentatives d'explications du mode d'action acupunctural n'étaient pas très claires. En général, on invoquait un désengorgement du fluide nerveux accumulé en certaines zones ou une interruption de la conduction de ce fluide. Ainsi le professeur de physique médicale Pierre Pelletan (1782-1845) supputait : « la douleur serait diminuée ou guérie, parce que l'on aurait diminué l'innervation en arrêtant un certains nombre des courans qui la déterminent » [258]. Quant à l'électroacupuncture, Dantu reprenant Cloquet, suggérait qu'elle pouvait peut-être « contrebalancer le déficit de fluide nerveux des paralysies » [107], Sarlandière qu'elle « renforçait l'action de l'aiguille » [43]. Quoi qu'il en soit, l’acupuncture finit par tomber en disgrâce pendant près d'un siècle, relayée au statut péjoratif d'ethnomédecine [107],[119]. 159 En retour, l'électrothérapie occidentale fit son incursion au Japon. Le médecin naturaliste (honzo gaku) et physicien, Gennai Hiraga (1720-1780) introduisit l'électricité et l'électrothérapie vers 1776. Son générateur-condensateur d'électricité statique, l'erekituru, était la réplique d'un modèle hollandais cassé. L'original, un appareil à usage médical offert par la compagnie hollandaise avait été refusé par le shogun qui le trouvait inutile [275]. En 1859, le rangakusha Shozan Sakuma, inventeur du slogan « éthique japonaise, technologie occidentale », construisit une pile galvanique dont il vantait certaines applications médicales. Il semblerait que sous Meiji, certains médecins japonais aient utilisé les électrodes de ce type d'engin comme des cônes de moxas [53].Toutefois l'électrothérapie eut un succès limité au Japon, d'autant plus qu'à cette époque, elle était déjà passée de mode en Europe [131]. De leur coté, les universitaires japonais, loin de rejeter l'acupuncture, ont cherché à lui apporter un crédit scientifique. Dans leur approche, nous distinguons trois directions. Il nous semble intéressant de les aborder à la lumière des théories actuelles. a) L'abord anatomique Le médecin Tekisai Okubo (1840-1911) disposait d'une formation à la fois traditionnelle et hollandaise. Sous Meiji, il entreprit de disséquer des cadavres à la recherche de correspondances entre les points d'acupuncture et les structures vasculaires et nerveuses sous-jacentes. Ayant constaté que dans certains cas l'action des aiguilles reposait sur la stimulation de ganglions sympathiques (commande viscérale), il développa une technique invasive dite shinshi (piqûre profonde) dans le but de piquer directement les ganglions nerveux. Dans son livre Shinshi shinsho (Nouveau livre d'Acupuncture, 1911), il expose ces nouveaux principes [53]. De nos jours des équipes recherchent toujours un substrat anatomique aux points d'acupuncture. Ainsi l'étude histologique de points identifiés électriquement à la surface cutanée (zone de moindre résistance électrique) retrouverait des complexes neurovasculaires dermo-épidermiques particuliers (Faculté de médecine de Montpellier, Thèse 1975-1984 de Terral avec les Pr Senelar et Auziech) [334]. b) L'abord neurophysiologique Kinnosuke Miura (1864-1950), détenteur de la chaire de pathologie de Tokyo, fondateur de la société de neurologie japonaise (1903), fut le patron de la recherche en acupuncture. Selon lui, il y avait interdépendance entre celle-ci et l'étude du système nerveux autonome [53]. Michio Goto aborda le problème sous l'angle des zones de Head. Il conclut en 1914 : « D'après mes recherches, les points de l'acupuncture classique coïncident avec les points de sensibilité maximale des zones de Head, et si l'on fait de l'acupuncture ou de la moxibustion au niveau de ces points, on obtient une action sédative. »120 120 Michio Goto cité en français par Briot et Wong [53]. 160 En fait, la plupart des neurologues japonais impliqués dans ces études considéraient l'acupuncture comme une sorte de stimulothérapie des zones de Head faisant intervenir le système végétatif au niveau segmentaire [53]. On sait désormais que les douleurs référées sont liées à la projection des afférences sensitives somatiques (cutanée et musculaire) et viscérales au niveau des neurones à convergence de la corne postérieure (couche V de Rexed) [166]. Néanmoins, en médecine occidentale, les zones de Head ne sont utilisées qu'à titre diagnostique [27]. Toutefois la réflexologie prône l'existence de réflexes somato-viscéraux métamériques responsables en partie des effets thérapeutiques de l'acupuncture [42]. La théorie du portillon ou « gate-control theory of pain » de Wall et Melzack (1965) postule pour une inhibition présynaptique de la transmission douloureuse par une stimulation non nociceptive homosegmentaire (ou extrasegmentaire avec mise en jeu des interneurones) des fibres sensitives de gros diamètres. Dans ce sens l'acupuncture serait comparable à la TENS classique (neurostimulation électrique transcutanée). A ce titre, Goto avait déjà remarqué qu'il n'était pas nécessaire que la moxibustion soit douloureuse pour être efficace ; il introduisit ainsi la méthode du moxa tiède (onkyu-ho)[53]. Après la seconde guerre mondiale, le Pr Yoshio Manaka (Kyoto) suspecta l'intervention de mécanismes d'origine suprasegmentaire [53]. Depuis, les avancées en matière de physiologie de la douleur ont permis d'appuyer cette hypothèse. En 1976, Pomeranz antagonise l'action analgésique de l'acupuncture par l'injection de naloxone, ce qui fait suspecter l'intervention des voies inhibitrices opioïdergiques descendantes [266]. Plus récemment, la théorie des CIDN (contrôles inhibiteurs diffus induits par stimulations nociceptives) avancée par le Pr.Bars explique l'hypalgésie constatée en cas de stimulation hétérosegmentaire et nociceptive, donc l'efficacité des ancestrales techniques de contre-irritation auxquelles s'apparentent certaines formes d'acupuncture (moxibustion, électroacupuncture, ou acupuncture appuyée)121. c) L'abord « humoral » La médecine moderne était démunie face à la pathologie tuberculeuse, et pendant Meiji, la population eut recours aux moxas traditionnellement indiqués dans cette affection. Par conséquent, à la fin de Meiji et pendant l'entre-deux-guerres, des médecins se mirent à rechercher les effets immunologiques de la moxibustion. Ainsi Shimetaro Hara (Kyushu) et Seitoku Aochi (université de Kyoto) auraient retrouvé une augmentation des GB. Aochi note une élévation du taux du complément et des anticorps. Nakayama montre une augmentation de la résistance antituberculeuse chez le lapin. Les Japonais évaluèrent ainsi tous les effets biologiques potentiels de l'acupuncture et de la moxibustion (métabolisme osseux, hépatique, hématopoïétique...) [53],[228]. Désormais, les effets humoraux de l'acupuncture sont abordés sous la perspective d'une boucle neurohormonale. L'intégration neurologique du stimulus acupunctural solliciterait le système hypothalomo-hypophysaire, avec régulation de la sécrétion hypophysaire d'ACTH (et 121 Selon la théorie des CNID, en réponse à une stimulation nociceptive, le faisceau réticulospinal (descendant) inhiberait les afférences nociceptives somesthésique (bruit de fond) au niveau de la corne dorsale (libération de sérotonine et d'endorphine), pour extraire le signal douloureux. Ainsi une douleur plus intense en masquerait une plus faible, l'aphorisme d'Hippocrate prenant alors tout son sens: « De deux souffrances survenant en même temps, mais en des points différents du corps, la plus forte fait taire la plus faible » [166, 359]. 161 donc de cortisol et catécholamines surrénaliennes), de bétaendorphine et d'ocytocine122. Une équipe japonaise a récemment fait remarquer que les effets immunomodulateurs de l'acupuncture pourraient être dus à l'action stimulatrice des bétaendorphines sur les cellules NK (production d'IFN gamma et augmentation de l'activité cytotoxique des cellules NK de la rate) [293](p125-131). Enfin, au niveau local, il y aurait par stimulation antidromique (réflexe d'axone) une neurosécrétion de peptides vasoactifs et stimulateurs de la trophicité tissulaire (neuropeptides SP, VIP, CGRP). La découverte de nerfs spinaux dichotomisés (ayant des branches dans deux types de tissus : par exemple nerfs intercostosplanchniques) pourrait aussi expliquer l'action profonde de l'acupuncture [61]. Conclusion de la partie « La naissance d’une recherche en acupuncture et moxibustion » Au début, l'objectif des pionniers était de réhabiliter l'acupuncture. Ils ont ainsi ouvert la voie à un nouveau domaine de recherche. Ceci a contribué à la redécouverte de la discipline en Europe ; en effet l'un des grands instigateurs français de cette entreprise, le diplomate Soulié de Morant, publia en 1934 les travaux d'un de ces chercheurs japonais, Acupuncture et la médecine chinoise vérifiées au Japon (1934). Sur le plan épistémologique, nous retiendrons la pensée visionnaire du professeur Miura. Le mécanisme d'action de l'acupuncture s'explique de mieux en mieux grâce aux découvertes concernant le système nerveux. En retour, la curiosité qu'attise le phénomène acupunctural semble contribuer à la recherche en neurophysiologie, comme le prouve l'intérêt de figures comme Wall, Melzack, Le Bars pour l'acupuncture. Enfin nous remarquons que l'incursion de la médecine scientifique n'est pas anodine. Comme toute recherche, elle amène une modification des pratiques et des indications, que ce soit Goto avec l’onkyu-ho, Okubo avec le shinshi. Mais surtout elle montre que le mode d'action de l'acupuncture ne dépend pas toujours de la mise en jeu de sites cutanés particuliers : ce fut le cas dans l'entredeux-guerres lorsque les Japonais ramenèrent l'acupuncture à une sorte d'immunothérapie ; actuellement les thèses concernant la boucle neurohormonale, les CIDN, ou encore l'effet suggestif soulèvent le même problème. Ainsi cette aventure pourrait finalement conduire à l'oubli des méridiens. 2) Recherche pharmacologique On évoque souvent les débuts de la pharmacologie japonaise avec la découverte de l'antisyphilitique salvarsan par Sahachiro Hata et Paul Ehrlich (1910) ou l'isolement de l'adrénaline par Jokichi Takamine (1900), au détriment d’autres travaux. En effet, la pharmacologie japonaise se spécialisa sous Meiji dans l'étude des produits naturels, animaux et végétaux : isolement de composés actifs par les chimistes, étude clinique des effets pharmacologiques par les médecins. La découverte de l'éphédrine par Nagayoshi Nagai marque le début de ce phénomène. En effet, 122 En fonction de l'intensité du stimulus acupunctural, il y aurait soit inhibition soit sollicitation de l'axe adréno-cortico-surrénalien. Une stimulation non douloureuse (acupuncture manuelle normale) serait inhibitrice et à contrario une stimulation nociceptive (acupuncture douloureuse) excitatrice; les variations d'ACTH se traduisant bien entendu par une fluctuation de la production surrénalienne de catécholamines et de cortisol [293]. 162 Nagayoshi Nagai (1844-1929) peut être considéré comme l'instigateur de ce mouvement. Issu d'une famille de médecins Kampo, il fit d'abord des études médicales, avant d'être envoyé à Berlin (1871). Là, il se réorienta vers l'étude de la chimie organique et devint l'assistant personnel du Pr. August von Hoffman (18181892). A son retour au Japon (1883), il se rapprocha de l'industrie pharmaceutique et obtint la chaire de pharmacie de la faculté de Tokyo (1893) [21](p79),[295](p325326). Dès 1887, il s'intéressa à l'Ephedra sinica, plante composant la drogue traditionnelle ma huang. En médecine chinoise, le ma huang était entre autre indiqué dans le traitement des affections dyspnéisantes. Rapidement, le Pr. Nagai isola le composé actif qu'il nomma éphédrine, et établit sa structure. Ensuite il demanda à Kinnosuke Miura, alors étudiant en médecine, d'étudier les effets cliniques de la drogue ; celui-ci découvrit son action mydriatique (1887). En 1911, Nagai parvint à synthétiser la molécule qu'il commercialisa sous le nom de Méthylmydriatine. Quelques années plus tard, Amatsu et Kubota mirent en évidence ses actions systémiques (1917), et les Japonais le commercialisèrent comme antiasthmatique (Asthmatol) en Manchourie. Toutefois, l'éphédrine restait méconnue au niveau international. Il fallut attendre que Schmidt et Chen, deux pharmacologistes américains basés à Pékin, répètent l'expérience de Nagai en 1924. A ce moment, l'éphédrine fut redécouverte et finit par entrer dans la pharmacopée occidentale comme vasopresseur [67],[212],[295](p325-326). Les débuts de la pharmacologie japonaise regorgent d'initiatives similaires : -à partir des années 1920, Kakuji Goto étudia l’alcaloïde sinoménine (issu du Han Fang Ji japonais123 employé comme antirhumatismal) : il détermine sa structure (énantiomère des morphiniques naturels) et le convertit en +morphine (non naturelle). Il montre que les morphiniques non naturels (+morphine) sont dépourvus d'action analgésique, contrairement à l'alcaloïde naturel, mais qu'ils ont toutefois une action antitussive. Il signalait ainsi une nouvelle piste : les récepteurs reconnaissent de façon distincte les énantiomères. [73](p128-123),[113](p268) -Dans les traces du Pr Wieland, Munio Kotake étudie les bufanédiolides digitalinelike obtenus à partir des secrétions venimeuses de crapauds (drogue nommée senso, en chinois Chan su) [360]. En fait, l'idée sous-jacente était de valider scientifiquement, et de façon interdisciplinaire (collaboration médecins/chimistes) l'efficacité des drogues kampo. Il s'agissait donc d'une approche ethnopharmacologique124. Dans le contexte japonais, cette approche était logique ; n'oublions pas la fonction double du médecin sous Edo, à la fois médecin et naturaliste (honzo gakusha). Souvent issus du milieu kampo, ces scientifiques connaissaient les propriétés présumées des drogues traditionnelles. Ainsi, il n'y avait pas de rupture avec le savoir traditionnel, il suffisait de le redéfinir scientifiquement. A l'ère de la pénicilline, les Japonais surent changer d'orientation ; la recherche pour le développement de nouveaux antibiotiques ayant débuté avant l'occupation américaine. Néanmoins, l'étude des drogues kampo ne fut jamais abandonnée ; en 123 Le Han Fang Ji japonais est constitué de Rhizoma sinomenii acuti, la tige liane de Sinomenium acutum Rheder et Wilson. 124 En Occident la première expérience d'ethnopharmacologie réussie fut initiée par le naturaliste français Leschenault de la Tour (1803). D'abord, il récolta la plante amazonienne (upas tieuté) utilisée par les indiens pour empoisonner leurs flèches. Le botaniste de Jussieu l'apparenta à l'espèce des Strychnos (Nux vomica). Puis, par expérimentation animale, Magendie et Raffeneau-Delile mirent en évidence ses effets convulsivant à l'étage spinal. Quelques années plus tard, les chimistes Pelletier et Caventou isolèrent la strychnine et, finalement, celle-ci fut introduite dans le domaine thérapeutique (effet stimulant à faible dose), [295]. 163 2001 le Ministère de l'éducation japonais finissait par incorporer l'enseignement de la médecine Kampo au cursus médical [234]. De nos jours, les composés étudiés sous Meiji continuent de livrer de nouveaux secrets et, d'une manière plus générale, les pharmacopées traditionnelles représentent pour la médecine moderne un véritable défi [295](p338-341). Ainsi, sans le savoir, les premiers pharmacologues japonais s'inscrivaient dans une dynamique résolument moderne. 3) La psychothérapie de Morita Dans le domaine psychiatrique, on peut mentionner l'invention d'une thérapie originale, la thérapie « expérientielle » ou « naturelle » de Morita. En Occident, le 19e siècle finissant correspondait à la période de conceptualisation des névroses (Janet et Charcot en France, Beard aux Etats-Unis, Freud en Autriche). A cette même époque, la nosographie kraepelienne 125 et la psychiatrie biologique furent introduites au Japon. En marge du courant général, le professeur Morita (1874-1938), un élève de Shuzo Kure (introducteur de la nosographie kraepelienne), formula sa propre théorie psychopathologique et développa une méthode de traitement originale. a) Théorie psychopathologique Chez Morita, la névrose prend le nom de shinkeishitsu (nervosisme). Il en distingue trois types : le nervosisme simple, les idées obsessionnelles, le nervosisme paroxystique [217](p134). Dans la terminologie moderne, le shinkeishitsu engloberait la plupart des troubles anxieux : trouble anxieux non spécifié, hypocondrie, trouble obsessionnel compulsif, phobie sociale, anxiété généralisée, trouble panique, agoraphobie avec attaques de panique [217] (p137-138). Il faut remarquer qu'il existe une forme particulière de phobie sociale au Japon, incluse dans le shinkeishitsu qui appartient aux troubles spécifiques à une culture donnée. Il s'agit du taijin kyofu ou anthropophobie caractérisée par la peur des contacts sociaux, une extrême timidité, la crainte extrême que le fait de rougir, de regarder quelqu'un dans les yeux ou que sa propre odeur corporelle soit une offense pour les autres (Annexe I du DSM-IV, [12]). Contrairement au courant psychiatrique allemand en vogue au Japon, Morita rejette l'abord biologique et fait reposer sa théorie sur un mécanisme psychologique [217](p23). Ainsi le shinkeishitsu résulte obligatoirement de la combinaison de 3 facteurs : prédisposition psychique congénitale (le « tempérament hypochondriaque ») évènement déclenchant processus mental (le seishin kogo sayo ou « action réciproque psychique ») Selon lui, le tempérament hypocondriaque est une condition sine qua non du développement du shinkeishitsu. Chez le sujet normal, les facteurs déclenchant (douleur banale, sensation de tachycardie, etc.) n'ont aucune prise. Mais, chez le sujet au tempérament hypocondriaque, ces situations sont à l'origine d'un cercle vicieux (action réciproque psychique) débouchant sur les symptômes de l'angoisse. Morita décrit ainsi ce mécanisme : 125 La nosographie kraepelienne marque une rupture en psychiatrie. Emil Kraepelin prend en compte l'évolutivité de l'affection, et pas seulement les symptômes [103]. 164 « Plus nous nous concentrons sur une sensation, plus elle devient intense et plus notre attention se focalise sur elle : cette action réciproque de l'attention et de la sensation exacerbe la sensation. » [217](p23-25). En outre, il existe un deuxième point important pour Morita, c'est le conflit entre réalité et idéal ; par exemple, le sujet conscient d'une anxiété ou d'une crainte essaie de lutter contre elles car elles vont à l'encontre de la conduite idéale. C'est principalement sur ce phénomène que la thérapie de Morita interviendra [224]. Enfin, on peut relever un concept crucial, l'antagonisme entre le désir de vivre (sei no yokubo) et l'intellect porteur de la conscience de mort. Ainsi, il s'agirait d'une incursion de la philosophie vitaliste de Bergson alors à la mode au Japon [245]. En effet, le psychiatre cite le philosophe et reprend une thématique bergsonienne : l'intelligence en rendant l'homme conscient de la finitude entrave l'élan vital qui l'anime. b) La thérapie de Morita L'objectif de cette thérapie est double [224] : 1. Changer d'attitude envers l'angoisse qui est une réaction naturelle ; ne pas chercher à la combattre mais l'accepter telle quelle. C'est le concept d'arugamama (accepter les choses telles qu'elles sont). 2. Exalter le désir de vivre au travers d'activités constructives. Sur le plan pratique, la thérapie comporte 4 phases : repos au lit, travail léger, travail intensif, préparation à la vie sociale. Pendant toute la durée du traitement, le patient est totalement pris en charge au domicile du thérapeute dont l'épouse joue le rôle de mère adoptive. A aucun moment le patient n'est encouragé à exprimer le contenu de ses angoisses. Par contre, il doit tenir un journal quotidien à partir de la deuxième phase, journal que le thérapeute annote à son tour [224]. Dans l'élaboration de cette thérapie, Morita a autant emprunté à la psychothérapie occidentale qu'aux philosophies et religions orientales. D'une part, il s'est inspiré de 3 types de psychothérapie en vogue à la fin du 19 e [224] : la « rest cure » de Mitchell (1877) : Dans la première phase le patient est contraint de garder le lit, alors qu'il ne s'agit que d'une possibilité chez Mitchell. Le but est de le confronter à son angoisse afin qu'il l'accepte sans chercher à la combattre (phase 1). l'ergothérapie -la méthode orthodoxe de Biswanger (1896) qui associait un emploi du temps strict, des repas hypercaloriques et une extraction du milieu familial. Morita reproche à Biswanger d'automatiser l'individu. Il préfère une activité spontanée (phases 2 et 3 de sa thérapie). -l'ergothérapie de Dieckhoff qui préconisait le travail pour les malades mentaux ainsi qu'une attitude bienveillante de la part du thérapeute. la méthode persuasive rationnelle de Dubois (1910) consistait à dialoguer avec le patient pour le convaincre de l'inexistence de sa maladie. Mais Morita s'aperçoit rapidement qu'il est inutile d'essayer de réformer les idées d'un tiers par de simples injonctions, d'autant plus que le problème ne vient pas de ses 165 idées mais d'un processus mental (obsessions). Aussi il modifie cette méthode et préfère laisser le patient expérimenter par lui-même, pour ensuite suggérer sa propre interprétation. Par ailleurs ses rapports avec la psychanalyse sont plutôt ambivalents. Certes il emploie des concepts freudiens (inconscient, traumatisme), mais sans chercher à élaborer des théories trop abstraites [146]. Ainsi son œuvre restait compréhensible pour ses patients. Quant à la recherche du trauma, elle ne lui semblait d'aucun intérêt ; en absence d'état hypocondriaque prédisposant, un trauma ne générerait pas le shinkeishitsu [217](p25). D'autre part, on peut déceler de nombreuses influences bouddhistes et confucianistes : -Le patient fait partie de la famille, le thérapeute entretient avec lui une relation paternaliste du type maître-disciple. Aussi, cette thérapie reprend le mode d'apprentissage traditionnel auprès d'un maitre [336]. -Le concept d'arugamama renvoie au bouddhisme zen qui prône le lâcher-prise : on doit accepter la réalité en elle-même [146]. Selon Morita, sa méthode vise à atteindre le satori (illumination du zen). Il compare également le shinkeishitsu à un bonsaï (arbre maintenu artificiellement à l'état nain), le travail du thérapeute consistant à le replanter en terre naturelle [245]. -Enfin, on retrouve certaines racines de la thérapie de Morita à l'époque d'Edo, que ce soit la méthode Naikan du moine zen Haikun ou la méthode persuasive du Dr Imaizumi (Ryochi Yawa, Notes de chevet sur les traitements médicaux, 1860). La première prônait l'introspection sous la direction d'un « superviseur », tandis que la seconde visait à « distraire l'esprit du patient et changer son état physique et mental » [146]. De la même façon qu'il existe des troubles spécifiques à une culture donnée, la thérapie de Morita s'applique parfaitement au patient japonais [336]. Depuis la fin de la révolution culturelle, elle intéresse également les psychiatres chinois [373] , [336]. Pour les mêmes raisons, elle a moins de succès en Occident126. Conclusion générale de la partie thérapeutique japonaise Les médecins japonais initièrent une recherche portant sur les mécanismes neurologiques et humoraux de l'acupuncture. Les fils de médecins kampo étudièrent la pharmacologie et la composition chimique des médications traditionnelles et par extension des composés naturels (animaux, végétaux). Le psychiatre Morita élabora une méthode originale qui mélangeait diverses influences : thérapies modernes occidentales, philosophie Bergsonienne, lâcher-prise du bouddhisme zen et principes de la relation traditionnelle maître-élève. Ainsi, ces scientifiques utilisèrent leur formation occidentale pour redécouvrir le patrimoine thérapeutique sino-japonais. Là encore, la modernisation n’est pas vécue comme une rupture avec le passé, mais bien en termes de continuité et d’adaptation. 126 Leonhard a tenté d'introduire la méthode de Morita en Allemagne dans les années 60, mais les patients parvenaient difficilement à accepter le concept d'arugamama [147]. 166 Conclusion de la partie « Meiji » La modernisation de l'ère Meiji est souvent dépeinte comme un phénomène d'assimilation accélérée des sciences et techniques occidentales. Dans le domaine médical, ceci se traduisit en effet par l'adoption du paradigme scientifique européen de la fin du 19e siècle : théorie cellulaire, théorie bactériologique, neurosciences, théorie de l'évolution. Les médecins japonais, formés chez les plus grands professeurs allemands, hissèrent la recherche japonaise à un niveau de pointe. A ce titre, nous rappelons les travaux de Yamagiwa sur la cancérogénèse expérimentale, de Tawara sur le système de conduction cardiaque, de Kiyono sur le RES, de Kitasato sur l'immunité humorale, de Kato sur la conduction nerveuse. La vitalité de l'infectiologie japonaise sous Meiji est une preuve de la réussite de la transplantation du paradigme bactériologique au Japon. Par ailleurs, l'histoire du béribéri illustre bien l'envers de tout paradigme. Tous ces éléments semblent ainsi justifier l'idée d'une assimilation du paradigme scientifique européen. Cependant, nous avons pu constater qu'il s'agissait d'un processus bien plus complexe. En effet, ces scientifiques sélectionnèrent spécifiquement certaines théories et thèmes de recherche de la médecine européenne, en fonction des exigences japonaises. Ainsi l'explosion des neurosciences ou l'adhésion au lamarckisme répondaient à des facteurs culturels, historiques et bien sur épidémiologiques. Par ailleurs, la science occidentale permit de recycler certains savoirs traditionnels comme le montrent les études entreprises dans le domaine thérapeutique : étude pharmacologique des drogues kampo, étude des mécanismes neurophysiologiques et humoraux de l'acupuncture, réinterprétation psychothérapeutique de la méthode zen. Même une idéologie scientifique telle que le darwinisme social fut saisie comme prétexte afin de perpétrer l'ordre social néoconfucianiste. A la lumière de ces derniers éléments, la modernisation de Meiji n'apparait plus comme le résultat d'une assimilation mais d'un syncrétisme entre le savoir traditionnel et la science occidentale. 167 Conclusion du chapitre 1 « La civilisation [le progrès] est le chemin qu'empruntent les forces vives de l'homme pour se manifester. » Soseki, La civilisation japonaise moderne127 Au sortir d'une période de semi-séclusion, les médecins japonais assimilèrent le paradigme chinois Jin-Yuan ainsi que son sous-bassement philosophique, le néoconfucianisme des Song (école Goseiho fin 16e-17e). Mais rapidement, dès la fin du 17e siècle, la communauté médicale se mit en quête de nouveaux repères, plus empiriques, ou originels. Les médecins réformèrent les théories (école Kohoha), naturalisèrent (honzo gaku), tout cela dans le cadre néoconfucianiste ou sous l'influence de ses variantes. C'est pourquoi ils ne cherchèrent pas à remettre en question tout le modèle mais seulement la version ultérieure de celui-ci. Or Yamawaki, encouragé par les images occidentales si différentes des traditionnels gozo roppu, finit par disséquer (1754). Ainsi, les ouvrages occidentaux arrivaient à point nommé, c'est-à-dire au terme d'une maturation endogène. A partir de cet instant, le modèle commença à dévier. Une autre catégorie de médecins, les rangakusha, se mit alors à traduire les livres hollandais. Ils créèrent une nouvelle terminologie anatomique, importèrent les théories médicales occidentales (école de Leyde, vitalisme allemand, début de la médecine scientifique du 19e) et thérapeutiques (les trois moyens d'Hufeland, la vaccination). Au 19e siècle, les médecins du comptoir (Siebold, Mohnike, Pompe, Bauduin) guidèrent ces esprits réceptifs. Les rangakusha intégrèrent la philosophie scientifique occidentale : rupture du mode transmission secrète (hiden), prise de conscience du caractère systématisé et du mode de pensée causal de la science occidentale. Ils changeaient ainsi de paradigme. Certaines analogies conceptuelles facilitèrent néanmoins cette transition (théorie de la protoinfectiologie, vitalisme d'Hufeland). De leur côté, les chirurgiens, qui n'étaient pas des rangakusha, semblent s'être plutôt inspiré des techniques occidentales sans vraiment s'intéresser aux théories sous-jacentes. La dynastie des obstétriciens Kagawa illustre bien ce phénomène. Cependant quelques ophtalmologues et orthopédistes s'intéressèrent néanmoins à l'anatomie (mokkotsu, structure interne de l'œil). Ainsi, l'évolution du modèle était véritablement inéluctable, même du côté des « techniciens ». Mis à l'école allemande, les élèves de Meiji absorbèrent les grandes théories et disciplines de la deuxième moitié du 19e siècle : théorie cellulaire, bactériologie, neurosciences, théorie de l'évolution. Au-delà de cette assimilation accélérée, s'opérait une sélection adaptation des concepts. C'est ainsi par exemple que les neurosciences et le lamarckisme prirent une importance démesurée au Japon. Par ailleurs, les outils occidentaux permettaient également de recycler les anciens savoirs et idéologies, que ce soit dans le domaine de la thérapeutique (acupuncture, kampo, zen) ou de l'hygiène sociale (structure néoconfucianiste survivant à travers le darwinisme social). Ainsi la modernisation japonaise ne doit pas être considérée comme une simple acculturation mais comme un syncrétisme culturel. Elle n'opère pas une rupture, mais poursuit une dynamique intellectuelle née sous Edo (étude rangaku), 127 Conférence Gendai nihon no kaika, prononcée le 15 aout 1911, dans la salle de réunion de la préfecture de Wakayama et retranscripte par Allioux [8], pp 129-156. 168 dynamique elle-même issue d'un désir d'émancipation du modèle chinois (école Kohoha versus Goseiho). Cette étude souligne toute l'originalité de la pensée médicale japonaise : emprunt en bloc puis digestion/sélection et élaboration d'un modèle adéquat. 169 170 Chapitre 2: L’évolution de la profession médicale I EVOLUTION DU SYSTÈME TRADITIONNEL ......................................................................................... 172 A Le système kagaku et la tradition des moines médecins ....................................................... 172 B L'évolution de la profession sous Muromachi........................................................................ 172 C La profession médicale pendant la période de séclusion ...................................................... 174 1) Le statut social de la médecine ..................................................................................................... 174 2) Vers la professionnalisation : éducation médicale, déontologie, corporatisme ................................. 177 II MEIJI ......................................................................................................................................... 184 A Le choix du système allemand ............................................................................................. 184 1) Un choix scientifique ? .................................................................................................................. 185 2) Ou plutôt un pragmatisme politique ? ............................................................................................ 186 B La mise en place du nouveau système ................................................................................. 187 CONCLUSION DU CHAPITRE 2 .......................................................................................................... 191 171 I Evolution du système traditionnel A Le système kagaku et la tradition des moines médecins Malgré une courte période de formation sur concours inspirée du système chinois (système ritsuryo institué par le code Taiho en 701 et le code Yoro en 718 [317](p12), au 9e siècle l’enseignement passa aux mains de familles et la charge professorale devint héréditaire (système kagaku). Ainsi dans le domaine médical, deux familles monopolisèrent l’enseignement académique à partir du 10 e siècle, les Tanba et les Wake. Cette fonction incluait les soins de la famille impériale et de l’aristocratie [317](p116-117,p140). Au cours des siècles suivants, ce système des codes ne sera pas remis en cause par le pouvoir shogunal, mais l’organisation de la profession évoluera d’elle-même [176]. Du côté monastique, la médecine faisait partie des 5 disciplines complémentaires des études bouddhiques. Ceci explique la longue tradition des moines-médecins au Japon [176]. B L'évolution de la profession sous Muromachi Sous Muromachi (1336-1573), le métier connut des transformations importantes : diversification, sécularisation, diffusion de l’enseignement et codification de la pratique. D’une part, une nouvelle catégorie de médecins non professionnels (de formation plus empiriste) apparut. Du même coup, s’amorça un début de spécialisation. En effet, à la fin du 14e siècle, le moine Majima se mit à enseigner l'abaissement de la cataracte [317](p147), donc à former les premiers ophtalmologues japonais. Plus tard, pendant la période des provinces en guerre (ou période Sengoku 14501600), des samurais appelés kinso-i (kin, sabre, so blessure, i, médecine), se spécialisèrent dans le traitement des blessures superficielles et dans la pratique de l’obstétrique. La logique sous-jacente de cette association était que dans les deux cas, les saignements n’étaient pas causés par une maladie [317](p214-215). Néanmoins ces professionnels jouissaient d’un statut inférieur à celui des médecins internistes. En effet il existait une nette démarcation entre médecine interne (hondo) et chirurgie (geka). Ces chirurgiens étaient plutôt des illettrés formés sur le tas comparables aux chirurgiens barbiers européens, contrairement aux internistes, détenteurs des théories médicales chinoises. De plus leur besogne était considérée comme impure. Au même niveau que les kinso-i, d’autres chirurgiens appelés yoka, s’occupaient plutôt des tuméfactions cutanées (tumeurs, furoncles, éruptions cutanées) regroupées sous le terme générique de haremono (gonflement) [242],[207]. D’autre part, au début du 15 e siècle, des moines partirent étudier la médecine en Chine, en dehors du cadre religieux. Cela amorçait la dissociation entre affaires religieuses et activité médicale [317](p147). Les acteurs déterminants de ce schisme furent les moines Sanki Tashiro (1465-1537) et son élève Dosan Manase (15071594). Tashiro, qui avait étudié la médecine Yuan en Chine pendant 11 ans, quitta la robe monastique à son retour au Japon. Le moine Dosan Manase reçut son 172 enseignement et, à son tour, quitta le milieu monacal (il se convertira d’ailleurs au christianisme). Manase fonda la première école médicale à Kyoto, le Keitekiin [317](p216). Manase forma un grand nombre d’élèves (environ 800), d'origines sociales diverses, et en dehors du cadre familial habituel. Pour la première fois, une école médicale propageait son enseignement à travers tout l’archipel. Ainsi, Manase amorçait une fêlure dans le processus de transmission secrète. Cette initiative se généralisa au cours du 17e, aboutissant à une véritable pénétration de la médecine chinoise JinYuan au Japon. De plus, Manase codifia l’exercice en un ensemble de 57 préceptes, préceptes exposés dans son recueil de secrets professionnels, le Kirigami. Voici quelques-uns de ces principes : La médecine est la « manifestation de la compassion » (Article 1) ; « Les médicaments, comme les armes n’existent que pour combattre le mal ; aussi même si un remède est doux et sans effets secondaires, il ne doit pas être utilisé qu’en cas de maladie, et cela d’autant plus si le remède est fort et dangereux. » (Article 23) ; Ne pas prendre en compte le contexte social ou économique (Article 51) ; « L’essence de la thérapie est de guérir les maladies avant qu’elles ne surviennent et non pas après que le patient ne soit tombé malade. » (Article 12) [317](p216), [176]. Le dernier précepte est particulièrement intéressant. Il indique le rôle du médecin tel qu’il est enseigné dans le Huangdi neijing (cf. La médecine systématisée des correspondances p26). Nous verrons que cette position sera critiquée par Todo Yoshimasu au cours d’Edo. Ses successeurs reprendront le message déontologique du Kirigami qu’ils synthétiseront sous le nom des « 17 règles de l’école Enjuin ». Ce code est désormais considéré comme l’équivalent japonais du serment d’Hippocrate. En effet, il enjoint les médecins au respect de leurs professeurs et du droit privé de leurs patients. Il prône la probité morale, l'humanisme envers autrui et la fraternité médicale. Enfin, il interdit de pratiquer l'avortement et l'euthanasie. LES 17 REGLES DE L'ECOLE ENJUIN 128 1. Chaque individu doit suivre la voie montrée par les cieux (Bouddha, les dieux) 2. Vous devez toujours être bon avec les gens. Vous devez toujours vous efforcer d‟aimer les gens. 3. L‟enseignement de la méde ine devrait être restreint à ertaines personnes. 4. Vous ne devez pas dire à d‟autres e que vous apprenez à propos des traitements sans en obtenir la permission. 5. Vous ne devez pas vous asso ier ave des do teurs qui n‟appartiennent pas à notre école. 6. Tous les successeurs et descendants des disciples de notre école doivent suivre les enseignements des anciens. 7. Si un disciple cesse de pratiquer la médecine, ou si à sa mort on ne lui trouve pas d‟héritier, tous les livres de l‟é ole doivent être renvoyés à l‟E ole d‟Enjuin. 8. Vous ne devez pas tuer des êtres vivants, pas plus que vous ne devez admirer la pêche ou la chasse. 9. Dans notre é ole, il est stri tement interdit d‟enseigner sur les poisons, pas plus que vous ne devriez re evoir un tel enseignement de la part d‟autres méde ins. De plus, vous ne devez pas prescrire des substances abortives. 128 Traduction d’après Bowers [47](p8-9) 173 10. Vous devez secourir tous les patients, même ceux que vous détestez ou qui vous dégoutent. Vous devez agir vertueusement mais de façon à ce que cela ne soit pas connu. Faire de bonnes actions secrètement est un signe de vertu. 11. Vous ne devez pas faire preuve d‟avari e ou essayer d‟être onnu. Vous ne devez pas rejeter ou réprimander un patient, même s‟il ne vous donne pas d‟argent ou des iens en ré ompense de votre pratique. 12. Vous devez être heureux si, après avoir traité un patient sans succès, celui-ci est guéri par le traitement d‟un autre méde in. 13. Vous ne devez pas dire du mal des autres médecins. 14. Vous ne devez pas révéler ce que vous avez appris lors de votre visite dans la ham re d‟une femme. De plus, vous ne devez pas avoir des pensées obscènes ou immorales en l‟examinant. 15. Que ce soit juste ou non, vous ne devez pas divulguer aux autres ce que vous avez appris pendant les cours ou ce que vous avez appris sur la prescription des médicaments. 16. Vous ne devez pas appré ier l‟extravagan e. Si vous suivez ce train de vie, votre avarice va grandir et vous perdrez votre capacité à être bon envers les autres. 17. Si vous ne suivez pas les lois et les réglementations de l‟é ole, alors vous serez exclu en tant que disciple. Pour des cas plus sévères, le châtiment sera plus important. C La profession médicale pendant la période de séclusion 1) Le statut social de la médecine a) Explosion de la filière au début d’Edo Le médecin jouissait d’un statut particulier. L’institut de médecine (Tenyakuryo) du système des codes formellement maintenu par les descendants de la famille Wake (la famille Nakarai) fournissait officiellement les médecins de la cour impériale. Toutefois il ne s’agissait-là que d’une académie de façade. La majorité des médecins provenaient d’écoles privées (shijuku), du même acabit que le Keiteki-in, ou s’autoproclamaient du métier. Le shogunat et les seigneurs employaient également des médecins dont la charge officielle était plus ou moins héréditaire. Ces praticiens percevaient une rente et à haut niveau, devaient se raser la tête, à la manière des moines bouddhistes (en dépit du mouvement de sécularisation) 129. Ils se tenaient ainsi clairement en dehors de la hiérarchie des minbun (samourai-fermier-artisanmarchand) [317](p288-289). Dans le privé, ils étaient rangés dans la catégorie des artisans. Toutefois ils pouvaient vivre honorablement de leur métier, étaient respectés et avaient même le droit de porter un sabre (qui devint un sabre factice en bois ou bokuto) et un hakama (pantalon spécial) [243](p170),[48](p13). La mutation sociale imprimée par le shogunat Tokugawa influença fortement le devenir de la profession. En effet, pour assurer son pouvoir, le shogun dota le pays d’une administration centralisée et les membres de la classe guerrière furent transformés en administrateurs des villes sous château. Dans cette reconversion, de nombreux samurais de basse extraction se retrouvèrent sans terres. En parallèle, on 129 Le même phénomène touchait également les conseillers confucianistes. 174 assista au développement d’une économie de marché avec l’émergence d’une bourgeoisie constituée de riches marchands et paysans. Par conséquent, les samurais qui avaient été privés de revenus se rabattirent sur un nouveau moyen de subsistance, l'exercice et l'enseignement de la médecine. Ils créèrent alors des écoles médicales privées (shijuku) sur le modèle du Keitekiin de Manase [226],[274]. Par ailleurs, du fait des débouchés qu’offrait le métier d’imprimeur, les médecins enrichis se lancèrent également dans la publication. En effet, l’imprimerie (connue depuis le 8e siècle) fut longtemps confinée au domaine religieux. Mais, au 17e siècle, une forte demande séculière se faisant ressentir, des médecins, tels que Genseku Manase (1549-1631), l’héritier de l’école Goseiha, devinrent imprimeurs [21](p45). Ainsi ces médecins-imprimeurs, contribuèrent un peu plus au démantèlement du système de la transmission secrète. Enfin la structuration en ie (le ie élargit le concept de famille aux enfants adoptés) permit de contourner la fixité sociale imposée par le système des castes. Dans un ie, l’ainé reprenait l'affaire familiale, tandis que le cadet devait être adopté par un autre ie. Ainsi, la profession médicale n’était pas exclusivement réservée aux fils de médecins. A côté des ainés de fils de famille de médecins, on trouvait également les cadets de famille de paysans ou autres [129]. Par conséquent, la configuration sociale de l’ère Tokugawa encouragea indirectement l’essor des études médicales et sa relative démocratisation. Le nombre de médecins augmentant, une certaine compétition naquit. Ce savoir pratique était devenu une richesse dont la plus-value reposait sur la nouveauté. Sur cette nouvelle échelle de valeur, les connaissances exogènes possédaient un bel avenir. b) Dans la 2e moitié d'Edo (1720-1868) : les études hollandaises, entre la carotte et le bâton Du côté shogunal, la crainte entourant les savoirs occidentaux s'était quelque peu dissipée. D’abord, le penseur néoconfucianiste Arai Hakuseki, précepteur et conseiller du shogun Yoshimune (règne 1716-1745), avait compris que science occidentale et religion catholique étaient deux domaines séparés. De ses entretiens avec le jésuite captif Sidotti, il avait réalisé, non sans étonnement, que la religion chrétienne, bien qu’absurde à ses yeux, n'empêchait pas les occidentaux de disposer de sciences rationnelles, voire plus « avancées » [271],[317](p310-311). De son côté, le shogun désireux de promouvoir le jitsugaku (études pratiques), manifestait de l’intérêt pour les sciences occidentales. Aussi il leva l’interdiction d’importer des livres occidentaux en 1720 (hormis bien sûr la littérature chrétienne) [317](p311-313). Ceci permit la diffusion dans la première moitié du 18e des traités anatomiques, notamment aux médecins. On assista alors à un changement d’attitude vis-à-vis du savoir médical importé. Jusqu'à présent, les seuls intellectuels autorisés à étudier les sciences occidentales, c'est-à-dire les astronomes et les interprètes officiels, ne s'étaient bornés qu'à des taches bien spécifiques. Ayant un statut de fonctionnaire héréditaire, ils s'étaient contentés de rester dans les limites de leur fonction, sans chercher à introduire de nouveaux paradigmes. Mais les médecins privés n’avaient pas les mêmes motivations. Jouissant d’une liberté plus importante, ils virent dans ces connaissances l’alternative à un savoir sclérosé. En effet, dans un système reposant sur la valeur intrinsèque du savoir et la nouveauté, les études hollandaises représentaient le nec plus ultra [226],[274]. Aussi ces médecins (rangakusha) se 175 mirent à traduire les livres hollandais (Genpaku Sugita, etc.) tandis que d’autres pratiquèrent une médecine éclectique (Seishu Hanaoka, Soteki Fuseya). Dans la deuxième moitié du 18e siècle, le shogun ne s’inquiéta pas de ces initiatives. En 1794 Hoshu Katsuragawa (un des traducteurs du Kaitai shinsho) fut même nommé instructeur de komo geka à l’Igakkan, l’ancien shijuku des Taki instituée 4 ans auparavant Académie médicale du bakufu [106](p134). Mais, peu à peu, on prit conscience du potentiel qu’offraient les études rangaku. Aussi le pouvoir central chercha à reprendre le contrôle du courtage informationnel. En 1811, il créa un bureau de traduction des livres scientifiques hollandais au sein du Tenmongata 130 (Bureau de recherches astronomique et calendaire), où il plaça des rangakusha comme Gentaku Otsuki. Ces médecins rangakusha servirent alors d’interface politico-intellectuelle avec l’Occident. En fait, on se méfiait toujours des effets subversifs des études rangaku. Deux incidents confortèrent cette crainte. D’abord, en 1828, le médecin Siebold fut surpris en train d’embarquer des cartes du Japon à bord du navire de la compagnie hollandaise. Cet acte équivalait à une tentative d’espionnage. Le médecin hollandais fut condamné à l’exil 131 et ses complices japonais poursuivis. Plus tard, deux des anciens élèves de Siebold, les médecins Choei Takano et San'ei Koseki traduisirent des ouvrages pour le compte de Kazan Watanabe, un samouraï chargé de la protection des côtes de Tahara. De cette collaboration, naquit un groupe de réflexion politique. Depuis 1825, le bakufu avait décidé de barrer la route à tous les bâtiments étrangers à l’approche des cotes japonaises. Aussi Takano déplora l’accueil réservé un an auparavant au Morrison 132 dans Yume-monogatari, Le conte d’un rêve. Au même moment Kanzan écrivit Shinkiron, Sur la prudence à adopter. Ayant été dénoncés aux autorités shogunales, ces intellectuels, traités comme des dissidents politiques, furent acculés à se suicider. L’incident porta le nom de Bansha no goku (Persécution du cercle des barbares) [317](p336-346). Conscient de la supériorité militaire et scientifique de l'Occident, le bakufu finit néanmoins par mandater des experts hollandais pour la création de plusieurs académies militaires, instituts de science occidentale et de langues à Edo et Nagasaki. L’école de Pompe fondée en 1861 faisait partie de ce groupe. Par ailleurs, en 1860, le shogun institua sa propre académie de médecine hollandaise à partir de l’ancien centre de vaccination des vaccinateurs ranpo, le Shutojo d’Edo. Le rangakusha Koan Ogata, fondateur du Tekijuku, véritable phare des études hollandaises sous Edo, fut nommé directeur de cette académie shogunale. 130 Plus tard, face aux besoins croissants, il en fit un organe autonome, le Bansho Shirabesho (Bureau d’étude des écrits barbares, 1855), futur Kaseisho (1863). 131 Siebold s’était mis en ménage avec une japonaise dont il avait eu une file, Ine. 132 En 1837, ce bâtiment américain chargé de ramener des marins japonais naufragés fut reçu à coups de canon. 176 2) Vers la professionnalisation : corporatisme éducation médicale, déontologie, a) L’essor des écoles médicales Des écoles privées de médecine sino-japonaise ou shijuku s’étaient installées au 17 e siècle. Dans le prolongement de la publication du Kaitai Shinsho (1774), des shijuku de médecine hollandaise (rangaku) fleurirent dans les métropoles (cf. Tableau 4 et Image 68 ci-dessous). A la même époque, le shogunat institua l’école de la famille Taki en tant qu’école médicale officielle du bakufu, nommée Igakkan (1791) ; mais une dizaine de fiefs avaient déjà précédé cette initiative (le précurseur étant celui de Kumamoto). A la fin d'Edo près d'un quart des fiefs possédaient une igakkan, soit environ une trentaine dispensant un enseignement médical aux samurais [190]. Création Nom de l’école Lieu Fondateur Remarques 1786 Shirando Edo Gentaku Otsuki Première école 1798/1801 Shikando Osaka Sokichi Hashimoto Élève d’Otsuki 1800 Rikugado Kyoto Motokichi Yoshio 1801 Kyurido Kyoto Genshun Koishi Élève d’Otsuki 1805 Inamurajuku Kyoto Sanpanku Inamura Élève d’Otsuki ? Udagawajuku Edo Genshin Udagawa Élève d’Otsuki 1805 Shunrinkenjuku Kishu Hirayama 1817 Nakajuku Osaka 1824 Naturakijuku Nagasaki 1829 Nisshudo Edo Shindo Tsuboi Élève d’Udagawa 1833 Shosendo Edo Genboku Ito Élève de Siebold 1836 Chozendo Osaka Ryosai Ko Élève de Siebold 1838 Tekitekisaijuku (tekijuku) Osaka Koan Ogata Élève de Shindo 1838 Juntendo Edo/Sakur a Taizen Sato Élève de Nieman (Nagasaki) 1839 Junseishoin Kyoto Ryotei Shingu Élève de Feilke et Bateij (Nagasaki) 1844 Dokushokenjuku Osaka Ikuzo Ogata 1846 Taiseikan Nagasaki Soken Narabayashi 1847 Jishudo Kyoto Seishu Hanaoka Ten’yu Naka Élève d’Hashimoto Siebold Elève de Siebold Genkyo Hirose Tableau 4:Liste des écoles rangaku et éclectiques, d'après [129],[317](p335) 177 Image 68: Localisation des fiefs possédant un igakkan sous Edo (carte tirée de [190](p91) Shijuku (écoles privées) et igakkan (écoles officielles) utilisaient la même méthode pédagogique. Il s’agissait d’un enseignement néoconfucianiste reposant sur des méthodes cognitives chinoises : sodoku (apprentissage par cœur à voix haute), séances collectives de kaidoku (groupes de lecture) et de rinko (groupes de discussion sur les textes) [190],[85](p142). Toutefois, la mission sociale de ces deux types d’établissement était radicalement opposée, ce qui se traduisait par une divergence du contenu des enseignements. Les igakkan étaient plutôt des lieux d’endoctrinement néoconfucianiste voués à la pérennisation du système féodal ; en effet, au 17e siècle les fiefs avaient ouvert des écoles d’enseignement général (hanko dans les capitales et gogaku en zone rurale pour les samurais) vouées en réalité à l’enseignement du néoconfucianisme d’état (étude du néoconfucianisme Zhu Xi appelée Shushigaku), sur le modèle de l’académie officielle d’Edo (Shohei-ko) fondée par le conseiller shogunal Razan Hayashi (1583-1657). Les igakkan se situaient dans cette continuité. Quant aux shijuku, elles répondaient à un besoin social et devaient donc combler l’écart entre la pratique et la théorie. Ainsi, les médecins de l’école Kohoha inspirés par le néoconfucianisme hétérodoxe Kogaku tentèrent de se démarquer de la démarche cognitive orthodoxe. Ils mirent la palpation abdominale au cœur de l’examen clinique, et commencèrent les premières dissections. Le plus radical d’entre eux, Todo Yoshimasu (1701-1773) se distancia de la métaphysique confucianiste en affirmant que le ki de l’univers n’avait rien à voir avec la médecine [226]. Ce revirement illustre bien l’émergence d’un certain matérialisme dans la pratique. Quoiqu’il en soit, la réponse au besoin de pragmatisme vint de l’extérieur. En effet, parmi les shijuku, seules les écoles rangaku furent en mesure de produire et transmettre une science nouvelle, les rangakusha étant des courtiers du savoir. Certains médecins incorporèrent les connaissances occidentales dans une perspective pratique immédiate. C’était le cas des shijuku qui 178 enseignaient une médecine éclectique, comme le Shunrinken de Seishu Hanaoka. Au lieu d’une simple mission médicale, les écoles de rangaku devinrent rapidement des universités de langue et de science occidentale. En effet, au 19e siècle, face à la menace occidentale, l’acquisition des sciences physiques et militaires apparaissaient cruciales aux yeux des samurais. Ceux-ci affluèrent donc dans les écoles rangaku. Le Tekijuku de Koan Ogata fondé dans la capitale marchande d’Osaka illustrait parfaitement ce phénomène. Enfin, on remarque que le développement des écoles médicales entamait le système de transmission secrète (hiden) sans pour autant le faire totalement disparaitre. Ainsi l’enseignement technique pouvait être l’objet d’un pacte de secret ou serment (kishobun), comme c’était le cas au Shunrinken d’Hanaoka [181]. b) Déontologie A la fin du 16e siècle, le précepte confucianiste « I-wa-Jinjutsu » (La médecine est l’art de la Vertu parfaite) s’infusa dans le milieu médical japonais. Dans la terminologie confucéenne, Jin signifie bienfaisance, humanité, « Vertu parfaite », c’est-à-dire, selon les paroles de Confucius « se vaincre soi-même et rendre à son cœur l’honnêteté qu’il tient de la nature »; et jutsu, « art » [328]. En termes plus clairs, cet adage invitait le médecin à soigner ses patients sans attendre de rémunération en retour. Ce concept chinois aurait transité par l’intermédiaire d’un livre écrit par Xu Chunfu (1520-1596) dans lequel on trouve : « Le mot médecine signifie dévouement à l’être humain, aussi la médecine est l’art de la Vertu parfaite. » Toutefois, cette idée n’était pas totalement nouvelle, Su miao l’avait déjà exprimée au 7e siècle (Tanida 2004). Quoiqu’il en soit, en admettant que le principe « I-waJinjutsu » fut applicable à une certaine époque en Chine par des individus dispensés de gagner leur vie, dans le Japon d’Edo, ce précepte posait un réel problème aux médecins privés. Aussi ceux-ci contournèrent cette injonction en vendant des médicaments, pratique désignée par l’euphémisme kusuridai (paiement des médicaments) [243](p170). Néanmoins, cette coutume devint rapidement une source d’abus, si bien que de l’aphorisme confucianiste « I-wa-Jinjutsu », on passa à l’ironique « I-wa-Sanjutsu » (La médecine est l’art du calcul) [328]. L’approche plus pragmatique de l’enseignement des shijuku n’occultait pas pour autant la dimension éthique. Par exemple, Yoshimasu Todo prônait un changement d’attitude vis-à-vis du pronostic. Traditionnellement, le rôle du médecin était préventif. Dans le cas où la maladie se déclarait, le pronostic déterminait l’éventualité d’une prise en charge. Or selon Yoshimasu, le devoir du médecin était de soigner le patient quelle que soit la sévérité de sa maladie. Cette avancée éthique résultait avant tout d’une évolution épistémologique (Cf. L'école Kohoha page 34). Toutefois, on peut aussi penser que ce revirement vis-à-vis du pronostic trahissait une amélioration du statut médical. En effet, l'annonce d’un pronostic fatal aurait longtemps servi à protéger le praticien en cas de décès de son patient [255]. Cette évolution se perçoit aisément dans ce senryu : Le docteur l’a tué Mais ils expriment leurs remerciements Très gracieusement. (Senryu anonyme daté de 1757)133 133 D’après un recueil de senryu d’époques diverses traduite en américain: cf. [39] (page 20) 179 Chez les médecins ranpo, les préoccupations éthiques s’enrichirent des apports extérieurs ; Koan Ogata rédigea un code de déontologie en 12 points calqué sur la section « Les relations du médecin » de l‟En hiridion Medi um de Hufeland [121](p778-790). Ce code intitulé Fushi ikai no ryaku (Les conseils de M. Fu) fut diffusé aux élèves du Tekijuku [220]. FUSHI IKAI NO RYAKU134 Le médecin ne vit pas pour lui-même mais pour les autres135. C‟est l‟essen e de sa profession. Ne cherchez pas la renommée ou le profit. Travaillez pour sauver les autres même à votre détriment. Maintenir la vie, rétablir les malades, amoindrir la douleur, vous n‟avez pas d‟autres uts. En fa e d‟un patient, gardez seulement à l‟esprit qu‟il est malade et ou liez son statut ou sa fortune. Entre la main pleine d‟or de l‟homme ri he ou les larmes de gratitude du pauvre, que préférez-vous recevoir ? Lorsque vous pratiquez, rappelez-vous que le patient est la cible, pas la flèche ou l‟ar . Ne jouez pas ave lui. Pensez sans préjugés et jugez ave pré ision. En tant que médecin, vous devez être moderne et érudit, mais vous devez également apprendre à gagner la confiance des malades par vos paroles et vos actes. Faites cependant attention à ce que cela ne soit pas superficiel ou creux. Ne tenez pas des discours basés sur des hypothèses ambiguës ou trompeuses. La nuit venue, repensez aux évènements de la journée. Ecrivez vos expériences et observations, cela sera bénéfique pour le patient et la communauté. Un examen attentif et une seule visite valent bien plus que de nombreuses visites et examens approximatifs. Ne refusez cependant de vous déplacer régulièrement, même dans des endroits infamants. Même lorsque la maladie est incurable, comprenez la douleur de votre patient et faites de votre mieux pour le maintenir en vie. Il est inhumain d‟a andonner. Même lorsque vous ne pouvez le sauver, vous pouvez le ré onforter. Ce i est l‟art humain. Essayez de prolongez sa vie, mais s‟il ne s‟agit que d‟un ourt instant. Ne lui dites pas que son cas est sans espoir. Par votre discrétion en mots et en actes, vous ne lui laisserez pas deviner sa vraie situation. Arrangez-vous pour que la maladie coute le moins possible à un patient. Quel serait l‟intérêt de lui sauver la vie en lui enlevant ses moyens de su sistan e ? Le méde in doit gagner le œur du pu li . Quels que soient votre compétence ou la noblesse de votre conduite, vous devrez cultiver votre bonté jusqu'à ce que les gens vous fassent onfian e. Vous devez omprendre l‟état d‟esprit des hommes et du public. Vous qui vous intéressez tant à la vie, qui écoutez la vérité la plus crue, qui entendez la confession des pêchés les plus honteux, vous devrez faire preuve de caractère et gentillesse. Evitez les ragots, le silence est bien plus bénéfique. Est-il par ailleurs nécessaire de vous avertir des méfaits du jeu, de l‟al ool, des ex ès sexuels ou de la quête de célébrité ? Respectez et appréciez vos collègues. Si cela est impossible, soyez au moins patient. Ne parlez pas d‟autres méde ins. Rapporter leurs travers, voilà la honte de l‟homme sage. Parler de leurs défauts est du ressort des « petits ». Une courte 134 D’après la traduction anglaise du texte de Koan Ogata par Lucia [172]. Traduction littérale de l’Enchiridion medicum, dans lequel Hufeland écrit : « Vivre pour les autres et non pour soi » [121]. 135 180 dis ussion à propos d‟une simple erreur peut endommager dura lement une réputation. Ayez bien en tête toutes ces conséquences. Chaque médecin a ses propres méthodes, ses propres caractéristiques. Ne jugez pas hâtivement. Respectez les médecins plus âgés et jugez sympathiquement les plus jeunes. Mettez l‟a ent sur leurs ons ôtés et refusez de dis uter de leurs traitements puisque vous n‟avez pas vu le patient. Si nécessaire, une consultation collégiale ne devrait pas réunir plus de 3 médecins. Choisissez-les avec précaution. Pendant la réunion, seule la sécurité du malade doit être le sujet de la dis ussion, ne parlez de rien d‟autre. Un patient peut quitter son médecin pour vous consulter. Ne soyez pas dupe. Essayez de vous mettre dans la peau dans l‟an ien méde in. Par ontre, si vous pensez que le traitement est mauvais, il est contre le code de rester indifférent. Particulièrement, si la vie est en danger, agissez vigoureusement. J‟ai rédigé es 12 recommandations et ne les ai montrés qu‟à un petit nom re, ar je les ai avant tout écrits pour mon propre compte. c) Réglementation et Corporatisme En dépit d’une tentative précoce d’institutionnalisation de la profession (système ritsuryo), il n’existait sous Edo aucun véritable contrôle des médecins. Certes, dans certains fiefs, les médecins des igakkan auraient eu un droit de regard sur les praticiens de leur juridiction [190]. De même, au 19e siècle l’Igakkan officielle dirigée par la famille Taki aurait incité le bakufu à interdire la médecine ranpo, à l’exclusion de l’ophtalmologie et de la chirurgie. Toutefois, en raison de la multiplicité des écoles et de l’absence de volonté centrale, la réglementation de la profession était impossible. En dépit des signes extérieurs (port du bokuto, crâne rasé des hauts-fonctionnaires ou coiffure distinctive pour les médecins de bas rang, port du hakama), l’esprit corporatiste semble moins important que le concept d’appartenance à une école, si l’on en juge par les pactes de secret et la relation oyabun/kobun (maitre/élève). Néanmoins, il est intéressant de de souligner que les médecins ranpo cherchaient également une légitimité historique à leur exercice. C’est ainsi qu’au 19e siècle, Gentaku Otsuki, le fondateur de la première école rangaku lança le culte d’Hippocrate au Japon [106](p120). Ainsi, le jour du Nouvel An hollandais 1795, Otsuki organisa un banquet dans son école pour la communauté rangaku. Le dessin Shirando shingenkai zu immortalise l’évènement (Cf Image 69, ci-dessous) : une assemblée de 29 médecins dine sous le regard d’Hippocrate dont le portrait est placardé au mur. La figure d’Hippocrate devenait ainsi l’équivalent du fondateur mythique de la médecine chinoise, Shennong, ou de son équivalent japonais le Kami Onanunshi no Mikoto, auquel les médecins kampo rendaient un culte le jour de l’an chinois (Cf. images du culte japonais d’Hippocrate, ci-dessous). Par ailleurs ce rassemblement autour de valeurs communes reflétait en quelque sorte la naissance d’un esprit corporatiste chez les rangakusha [135],[106](p120). 181 Image 69: Shirando shingenkai zu (1795) de Gakuzan Ichikawa et Gentaku Otsuki. Immortalisation du banquet donné par Gentaku Otsuki à son école privée Shirando (Edo) pour fêter le Nouvel An hollandais 1795. Au mur, le portrait d'Hippocrate, grossi ci-dessous. [Collection : Waseda University Library] 182 Image 70: Culte japonais voué à Hippocrate au 19e siècle. En haut à gauche, par Hipokuratesu zo narabini san par Kunyasu Katsugarawa (1816). En haut à droite, Hipokuratesu zo par Tairo Ishikawa et Yoan Udagawa (1839). En bas à gauche, Hipokuratesu gazo par Yoan Udagawa. En bas à droite, Hipokuratesu zo par Bunryu Inada, (1862) [Collection : Waseda University Library] 183 II Meiji A la Restauration, dans la dynamique de modernisation des institutions, le nouveau gouvernement décida d’adopter la médecine occidentale. Cette entreprise nécessitait l’abandon du paradigme néoconfucianiste pour le paradigme scientifique. Plusieurs éléments idéologiques facilitèrent cette transition. En effet, en parallèle des études rangaku s’était développé le mouvement des « études nationales » (kokugaku), dont une des grandes figures fut le médecin Motoori Norinaga. Le kokugaku avait fait revivre le mythe fondateur de la famille impériale, de la religion shinto, affirmant en quelque sorte l’existence d’un esprit japonais immuable. Au-delà des structures importées, celui-ci transcendait la société. Le savoir importé ne pouvait donc l’altérer [274]. Par ailleurs, l’ancien modèle était déjà un emprunt, les Japonais auraient donc moins de scrupules à en changer. Il suffisait de réitérer un processus d’assimilation déjà éprouvé [226]. A Le choix du système allemand Au cours des premières années de Meiji, en attendant le retour de la mission d’observation Iwakura (1871-1873), le Japon commença à adopter les savoirs et techniques des nations avec lesquelles il était entré en contact au cours du 19e. En effet il emprunta à la France l'armée et le droit, à l'Angleterre la marine, aux ÉtatsUnis l'agriculture et le commerce. Pendant le Bakumatsu, le bakufu avait embauché environ 200 yatoi (experts étrangers) : 80 français, 60 hollandais, 30 anglais, les autres étant allemands ou américains [48](p63). Mais en ce qui concerne la médecine il choisit dès 1869 le modèle allemand bien que les relations entretenues avec l'Allemagne fussent jusqu'ici restées discrètes. Ce choix paraît d'autant plus singulier qu'il existait déjà au Japon un passé médical hollandais et plus récemment, une présence médicale anglaise. En effet pendant la période de transition, la langue et la médecine anglaise avait commencé à s'implanter dans les écoles grâce à la venue de missionnaires anglais et américains. Et surtout, pendant la guerre du Boshin, le Consul britannique Harry Parkes avait prêté aux troupes pro-impériales William Willis, le chirurgien militaire de la délégation anglaise. Il fonda un hôpital militaire à Yokohama. A la Restauration, l'Empereur le décora pour son héroïsme. Willis participa au transfert de l’hôpital de Yokohama sur le site de la future faculté médicale du gouvernement à Tokyo [250] où il commença à enseigner la médecine clinique anglaise [48](p45). Pour toutes ces raisons, Willis était naturellement pressenti pour devenir le directeur de la future école médicale. Par ailleurs, au contact des différentes nations occidentales le bakufu avait déjà commencé à relativiser l'importance de la Hollande. Déjà en quête d'un nouveau modèle médical, il avait envoyé une mission d'observation en Europe [250]. Ceci écartait donc le modèle hollandais et son représentant sur place, Bauduin, le successeur de Pompe. Les médecins français et allemands n'étaient guère présents au Japon. Certes quelques médecins de la Marine française transitèrent lors de la période d'ouverture, mais ce fut plus en tant qu'observateurs qu'acteurs. A ce titre il convient de citer le médecin de première classe Léon Ardouin, auteur de Aperçu sur l'histoire de la médecine au Japon (1884) et le Dr Ludovic Savatier, plus connu pour ses travaux sur la botanique japonaise (Enumeratio plantarum in Japonia sponte crescentium, 1879). 184 Aussi, logiquement, le gouvernement aurait dû sélectionner l'Angleterre et attribuer le poste de directeur de la faculté médicale à Willis. Mais il choisit une autre solution : faire venir des professeurs allemands. La raison de ce choix est toujours demeurée obscure : choix scientifique ou politique ? 1) Un choix scientifique ? La version classique le décrit plutôt comme un choix scientifique. En effet dans la 1ère moitié du 19e ce fut d'abord l'heure de gloire de la médecine française avec l'école anatomo-clinique, mais dans la 2ème moitié du 19e on passa à la médecine de laboratoire rapidement monopolisée par les allemands. On retrouvait à l'origine de cet épanouissement deux éléments majeurs : la liberté d'enseignement-recherche selon l'idéal d'Humboldt et la création de laboratoires universitaires aux budgets conséquents [227]. Sagara Tomoyasu et Iwasa Jun, deux médecins formés à Nagasaki par les Hollandais, furent chargés de trouver le futur modèle d'enseignement médical. Ils demandèrent conseil à un consultant américain d'origine hollandaise, Guido Verbeck. Ce missionnaire qui enseignait au Japon depuis 1859 venait d'être mandaté par le nouveau gouvernement pour améliorer les études de langues étrangères à l'institut Kaiseijo. Verbeck aurait alors fait l'éloge de la médecine allemande [48](p46-48). Tanadori Ishiguro relata plus tard cet épisode : « Vers 1870, de nombreuses personnes étaient persuadées que l’éducation japonaise devait être anglaise ou américaine et que des professeurs anglais ou américains devaient être embauchés. En ces temps, les docteurs Iwasa, Sagara, Hasagawa et moi-même soutenions que la science médicale devrait être allemande. Comme nous avons été critiqués et ridiculisés par le public ! A cette période, le Dr Verbeck était déjà respecté et écouté par le public. Un jour, le Dr Sagara eut un entretien avec lui au cours duquel il évoqua la nécessité de réaffirmer nos points du vue sur la science médicale. Le professeur américain exprima sa sympathie pour notre opinion. Ce fut par ses conseils au gouvernement que des Allemands finirent par être embauchés pour enseigner la médecine. »136 Certes, les rangakusha avaient eu le temps de s’apercevoir que de nombreux médecins de la compagnie hollandaise étaient de nationalité allemande (Kämpfer, Siebold, Mohnike), tout comme de nombreux auteurs qu’ils traduisaient [48](p48). C’était notamment le cas d’Hufeland, un des plus célèbres au Japon. Toutefois, pourquoi le gouvernement se sentit-il obligé de choisir un modèle médical dès 1869, alors que 2 ans plus tard une mission d’observation, la mission Iwakura (1871-1873) partait justement en Occident afin de résoudre ce genre de questions ? En dehors de l’intérêt scientifique, d’autres éléments pesaient certainement dans la balance. Aussi le choix de 1869 aurait été prédéterminé, Verbeck n’étant qu’un paravent. En effet, Mueller, le médecin allemand qui fut chargé de la réforme de l'enseignement médical sous Meiji, écrivit que Verbeck était « un missionnaire américain formé comme un plombier et obséquieux envers n’importe quel caprice des autorités japonaises » 136 Tanadori Ishiguro cité en anglais par le yatoi américain William Elliot, cf. [108], pages 210-211. (Griffis avait lui-même été chargé de la modernisation de l’enseignement dans un fief sous Meiji) 185 (Tokio Igaku: Skizzen und Erinnerungen aus der Zeit des geistigen Umschwungs in Japan, 1871-1876, Deutsche Rundschau,1888, 57:316, p 446, cité dans [48] (note 28 p69)). 2) Ou plutôt un pragmatisme politique ? Dans l'ouvrage Naimusho eiseikyoku (50 ans de politique médicale, 1925), on retrouve un tout autre discours. Pour appuyer l’adoption de la médecine allemande, Tomoyasu Sagara aurait dit : La « force nationale » de la Hollande est faible, la « richesse nationale » de la France est insuffisante, les Anglais « regardent le peuple japonais d'en haut », mais « la politique nationale allemande ressemble à la nôtre. De plus, l'Allemagne ne s'est pas encore risquée en Asie » [167],[56]. Ainsi le choix aurait été plutôt dicté par la nature du régime, l’économie, la force militaire mais surtout la politique coloniale du pays. En fait de nombreux historiens de la médecine s'accordent sur le fait que le choix a plutôt été d'ordre politique [120],[192],[250],[167],[56]. Les restaurateurs de Meiji étaient conservateurs, la démocratie ne faisait pas partie de leurs priorités. Certes ils désiraient fonder un État moderne puissant par l'adoption des savoirs étrangers mais se méfiaient de la propension impérialiste des Occidentaux. La structure importée ne devait pas être le cheval de Troie de la contestation sociale ou de la menace coloniale. Sur le versant social, la France, initiatrice de la Révolution, et l'Angleterre parlementaire étaient de mauvais prétendants pour le Japon. Sur le plan colonial, les Japonais pouvaient se méfier de tous les pays en lice, mais encore plus de l'Angleterre. En effet Américains, Anglais, Français, Russes, Hollandais avaient tous forcé le Japon à signer des traités inégaux en 1854 et 1858. Ils avaient également participé au bombardement de Shimonoseki en 1864 en riposte aux exactions japonaises anti-étrangères. Par ailleurs, tous avaient des visions expansionnistes dans la région. La France qui possédait le comptoir de Pondichery depuis 1685 avait conquis le Vietnam (1862) et le Cambodge (1863). L'Indonésie et le Sri-Lanka étaient hollandaises depuis 1796. La Russie était en conflit avec le Japon pour Sakhaline. Mais c'est surtout l'Angleterre qui avait frappé les esprits. En plus de l’empire Indien, elle s’était emparée de Singapour en 1830 et avait fait signer les premiers traités inégaux à la Chine en 1842 (guerre de l'Opium). Harry Parkes, le Consul britannique qui défendait les intérêts du chirurgien Willis, revenait d'ailleurs d'un mandat en Chine. Aussi, les Japonais auraient préféré comme modèle une grande nation au régime plutôt conservateur qui leur ressemblât mais également sans visée colonialiste dans la région. L'Allemagne leur parut le candidat idéal. Bismarck avait réussi à unifier le pays et constituer une armée forte, le tout en se passant de la volonté populaire, « dans le sang et le fer » selon sa formule. On peut ainsi construire un parallèle entre la restauration de Meiji et l'unification allemande toutes deux réalisées à la moitié du 19e, toutes deux venues « d'en haut » et dont l'ambition commune était la construction d'une nation riche avec une armée puissante. Enfin l'Allemagne n'affichait aucune ambition coloniale ni au Japon, ni en Asie : elle n'avait que tardivement signé un traité commercial avec le Japon (1861), n'avait pas participé à la canonnade de Shimonoseki et ne possédait aucune colonie en Asie. Or nous avons vu qu’en 1869 le système médical risquait d'évoluer vers le modèle anglais : les Japonais se sentaient redevables envers Willis lequel était pressenti pour devenir le directeur de la future faculté médicale de Tokyo. Comme il fallait écarter l’influence anglaise, le choix se porta sur l'Allemagne et Willis fut « invité » à 186 Kagoshima par son défenseur Takamori Saigo pour y enseigner ; son élève le médecin naval Kanehiro Takagi créa plus tard le collège Jikei, seule enclave médicale pro-britannique au Japon. B La mise en place du nouveau système L’ambassadeur allemand Brandt consulté par les Japonais, conseilla à son gouvernement le recrutement de médecins militaires. Selon lui, « par la nature de leur statut, ils seraient considérés en plus haute estime dans tous les milieux et seraient acceptés par l’aristocratie, voire pourraient même devenir les médecins personnels de sa majesté le Tenno » [48](p65). Deux chirurgiens militaires formés à l’hôpital de la Charité (Berlin) arrivèrent donc en 1871 : le Dr Benjamin Karl Leopold Mueller, ancien professeur à la Pépinière (école militaire de Berlin) et le Dr Theodor Hoffman, chirurgien dans la Marine. Mueller qui avait déjà mené la réforme de l’enseignement médical à Port au Prince fut nommé responsable de la mission [48](p65-66). Ces deux médecins réorganisèrent la faculté selon les standards de l’école militaire allemande. Ils instaurèrent l’allemand comme langue d’enseignement, une discipline militaire et de nouvelles règles de recrutement. Les handicapés qui entraient traditionnellement dans la profession médicale furent écartés de la formation. En effet sous Edo, les aveugles qui bénéficiaient de la protection du shogun monopolisaient le métier d'acupuncteur et de masseur (anma) 137 [48](p74). Initialement, le curriculum comptait 8 années : 3 années préparatoires d’enseignement général, 4 années de médecine et 1 an de polyclinique. En 1886, le programme se calqua totalement sur le modèle germanique : 7 années d’école préparatoire (sur le modèle du Gymnasium) puis 5 années de médecine et 3 années de perfectionnement en Allemagne [48](p73). Afin de mener à bien ce programme, Mueller et Hoffman s’entourèrent rapidement d’autres yatoi allemands. En 1874, la loi Eisei fixa le cadre de formation et d’exercice des médecins. Cette loi instaurait un examen diplômant national obligatoire dont seuls étaient exemptés les étudiants de Tokyo. Elle augurait ainsi la disparition de la formation kampo indépendante. Néanmoins elle n’entra en application qu’en 1884, une dérogation existant même jusqu’en 1906 [178]. Les femmes obtinrent le droit de passer le concours dès 1884. La première diplômée, Ginko Ogino (1851-1913), devint une activiste féministe. Toutefois, en raison des brimades de leurs confrères masculins, les rares écoles à accepter des filles finirent par refuser leur inscription. Pour pallier au manque, une des pionnières, Yayoi Yoshioka (1871-1959) fonda en 1900 la première école médicale pour femmes. Les premières femmes médecins japonaises devinrent gynéco-obstétriciennes. Du fait de l’examen diplômant national, elles furent 137 Avant Edo, les aveugles étaient musiciens. Mais l'un d'entre eux, Waichi Sugiyama (1610-1694) inventa une nouvelle méthode d'acupuncture utilisant des tubes pour le guidage des aiguilles, la e Kanshin-jyutsu. Soutenu par le 5 shogun, il créa une école d’acupuncture pour aveugles. Au total 45 écoles de ce type furent créées et au milieu du 19e siècle un système de au braille fut même utilisé. [210](p146-7), 187 immédiatement reconnues, contrairement à certaines de leurs homologues occidentales138 [257]. Image 71: Ginko Ogino (1851-1913), première femme médecin de Meiji (promotion 1884-1885). Ayant obtenu en 1884 une audience auprès du chef de la Santé publique japonaise, Sensai Nagayo, elle défendit le droit des femmes à passer l'examen en se reposant sur l'œuvre du célèbre Ekiken Kaibara. En effet dans Wakan Meisu, Kaibara parlait de femme-médecin, [Source de l’image : [257]] Image 72: Trois des quatre diplômées de la promotion de 1890. Ici à droite, Yayoi Yoshioka (1871-1959), 27e diplômée, ouvrira la première école de médecine pour femme en 1900, [Source de l’image : [257]] En 1881 Ito Hirobumi réussit à évincer le parti démocratique pro-britannique d'Okuma. Alors le gouvernement put s'orienter définitivement vers le modèle monarchique pro-germanique et renforcer le contrôle bureaucratique des institutions. Sur le plan de l’enseignement médical, ceci se traduisit par une reprise en main des écoles indépendantes qui s’étaient développées dans tout le pays dès la fin d’Edo. Celles-ci employaient des professeurs hollandais, des missionnaires américains et anglais [129] ou enseignaient encore la médecine Kampo. Désormais le gouvernement les obligeait à embaucher un quota d’enseignants issus de la faculté médicale de Tokyo. Par la suite, il coupa les subventions locales mais ne nationalisa qu’un nombre restreint d’écoles. Ainsi, de 469 petites écoles en 1879, il n’en restait plus que 25 en 1886, puis 5 collèges nationalisés (Chiba, Sendai, Okayama, Kanazawa, Nagasaki) et 3 écoles privées (Kyoto, Osaka, Aichi) en 1887. Il créa d’autres facultés dans les grandes villes, ainsi dans les années 20, en plus des 5 collèges sus cités, il y avait 7 facultés dans les universités impériales de Tokyo, Kyoto, Tohoku, Kyushu, Hokkaido, Osaka, Nagoya [250]. En parallèle, le gouvernement finança le perfectionnement des jeunes diplômés de Tokyo à l’étranger (séjour de 3 à 5 ans), l’objectif étant de se passer des professeurs allemands (yatoi). La plupart furent envoyés en Allemagne et en Autriche (Berlin, Munich, Strasbourg, Fribourg et Vienne). Avec la première vague d’étudiants (1880- 138 e Ainsi à la fin du 19 siècle aux Etats-Unis, les femmes bien qu’autorisées à exercer, suivaient une formation d’un niveau inférieur à celui des hommes et ne parvenaient pas à être reconnues professionnellement [257]. 188 1886) la majorité des yatoi de la faculté de Tokyo était remplacée au début du 20 e [250] (cf. Tableau 5 ci-dessous) Premier étudiant parti sous Meiji (1869) Financement personnel Professeur de chirurgie, dirige l’école privée Susumu Sato, fils de Shochu Juntendo de Tokyo, fondée par Taizen Sato Sato (1838) devient élève de Theodor Billroth (Vienne) promotion 1870 rappelée en 1873 139 Kenji Osawa Nagoyoshi Nagai 1er professeur de physiologie 1er professeur japonais à la Faculté médicale de Tokyo, 1882. Père de la pharmacie, revenu en 1884 (a découvert l'éphédrine) promotion 1879 Ikutaro Shimizu (décès prématuré) Kinnojo Ume (décès prématuré) Jiro Shundo promotion 1880 1er professeur de gynéco-obstétrique 1er professeur d'ophtalmologie boursiers Masanori Ogata Ryosei Koganei Shuku Sakaki pionnier hygiène et bactériologie anthropologue 1er professeur de psychiatrie Financeme nt personnel Gentatsu Hamada Cho (sukasa) Hirota père de la gynéco-obstétrique père de la pédiatrie promotion 1881 boursiers autres Moriharu Miura Juntaro Takahashi Rintaro Mori pionnier de la pathologie 1er professeur de pharmacologie carrière militaire et littéraire Tableau 5 : Devenir des premiers étudiants partis en Europe, d’après [250] Le système de transmission dans les ie (famille) déboucha sur du népotisme universitaire. Il était courant qu’un chef de service mariât sa fille à l’étudiant qu’il envisageait comme successeur. Ainsi en Juillet 1898, le journal Koshu Iji (santé publique) dénonçait les professeurs de la faculté de médecine de Tokyo qui se préoccupaient plus de trouver un bon gendre qu’un étudiant compétent pour leur succéder [21](p162). L’élu en question était évidemment celui qui bénéficierait de la bourse pour étudier à l’étranger. De son côté, le modèle allemand avait induit plusieurs biais dans la formation : un autoritarisme professoral qui n’autorisait pas la discussion (trait commun à la communauté universitaire de la fin 19 e [21](p77), l’importance sociale du doctorat (igaku hakase) calqué sur le privatdozent, lequel valorisait la théorie au détriment de la clinique (Oshima). Créé en 1888, ce diplôme, 139 Le gouvernement avait déjà essayé d'envoyer un groupe d'étudiants en 1870, mais ce fut un échec car ceux-ci ne maîtrisaient pas les bases ainsi que l'allemand. Aussi il les rappela dès 1873, réalisant qu'une solide formation préliminaire était nécessaire pour ce projet. Quelques-uns restèrent à leurs propres frais en Europe, poursuivant par la suite une prestigieuse carrière; ainsi Kenji Osawa deviendra le premier professeur japonais de la Faculté médicale de Tokyo en 1882. [250] 189 facultatif pour l’exercice de la profession, mais qui faisait forte impression sur la clientèle, couronnait 4 ans de recherche fondamentale [21](p225),[307](p98). Le milieu médical d’Edo (kampo et ranpo) fut la catégorie qui fournit le plus de scientifiques sous Meiji (environ 46% des scientifiques étaient issus du milieu Kampo) [21](p56). Par ailleurs, la médecine demeura la plus courue des disciplines : sur les 1360 doctorants entre 1888 et 1920, on comptait 656 (48%) médecins, 366 (27%) ingénieurs, 138 (10%) agronomes, 200 (15%) divers, dont seulement 54 physiciens et 22 mathématiciens [21](p51). La carrière médicale continuait d’attirer les mêmes catégories sociales. Les motivations étaient identiques : prestige du statut social, reprise du métier paternel (médecin kampo et ranpo). L’Eisei avait officialisé la rémunération des médecins sans pour autant réguler le montant des honoraires. Aussi le métier devint très lucratif, du moins pour les praticiens (En fait les professeurs de matières fondamentales (cancérologie) n’étaient pas autorisés à traiter de patients, aussi leur rémunération pouvait être 40 fois inférieure à celle d'un clinicien [21](p85). L’association des médecins japonais (Nihon Ishi Kai) fondée en 1916 devint un puissant organisme de défense corporatiste [307](p98) 190 Conclusion du chapitre 2 Au 16e siècle, Dosan Manase amorça la professionnalisation de la médecine. Son école assurait une formation médicale en dehors de la transmission héréditaire des grandes familles et de plus sécularisée. Sous Edo le processus se poursuivit, entretenu par la fixité sociale du bakuhan taisei. En effet pour les samurais pauvres, une carrière scientifique offrait une chance de rémunération et de promotion sociale. Avec la naissance d’une bourgeoisie faite de marchands et de paysans enrichis, l’exercice médical et son enseignement devinrent particulièrement attractifs. Mais il fallait obtenir des résultats concrets, et donc renouveler les connaissances traditionnelles. Ce processus débuta dans les shijuku dont l’enseignement tranchait avec celui des igakkan vouées à la pérennisation de l’ordre féodal. Dans ce système en vase-clos, le savoir hollandais acquerrait une plus-value, se traduisant par l’essor des écoles privées rangaku à la fin du 18e siècle. Dans les écoles dissidentes chinoises et hollandaises, le savoir se renouvelait ainsi que l’esprit éthique. Un sentiment corporatiste naissait chez les rangakusha. Or l’attitude du shogunat vis-àvis de cette dernière catégorie fut ambivalente. D’un côté, lui-même attiré par la science occidentale, il se montrait bienveillant vis-à-vis des courtiers rangakusha (politique d’encouragement du jitsu gaku de Yoshimun, levée d’interdiction de l’importation des livres occidentaux), mais de l’autre, se méfiant d’une potentielle ingérence, il n'hésitait pas à réprimer les médecins jugés impudents (Bansha no goku). Cette relative ouverture scientifique couplée à un conservatisme sociopolitique extrême a précipité sa désagrégation, processus dans lequel les intellectuels médecins jouèrent un rôle non négligeable. Ainsi le médecin Norinaga Motoori (1730-1801) fut l’un des fondateurs des études nationalistes Kokugaku. Au Tekijuku d’Osaka, Koan Ogata forma des samurais impliqués dans la guerre du Boshin, comme Masujiro Omura. D’autres joueront un rôle politique sous Meiji. Keisuke Otori devint le directeur de l’école Impériale (gakushuin) destinée à la formation de l’aristocratie, puis ambassadeur en Corée et en Chine. Eiju Sano aida à l’organisation de la Croix-Rouge Japonaise et de la Marine. Yukichi Fukuzawa fonda l’université de Keio, Sensai Nagayo devint chef de la santé publique, Jun Matsumoto participa au développement le corps médical de l’armée impériale puis devint membre de la chambre des pairs (baron) [106](p183)… Les membres de la très influente association Meirokusha étaient en grande partie des rangakusha. Ainsi, la médecine qui avait servi de véhicule aux sciences occidentales contribua à la remise en question du système de pensée et donc de l’ordre féodal. Toutefois, le gouvernement de Meiji reprit en quelque sorte la relève politique du bakufu. En effet, outre ses préoccupations scientifiques, le choix de la médecine allemande puis la démarche de centralisation forcée de l’enseignement médical s’inscrivaient dans un climat de méfiance antibritannique et une volonté de contrôle institutionnel et social. Par ailleurs, on remarquera la répétition d’un processus de transfert éprouvé 1000 ans plus tôt, lorsque le Japon se mit à l’école du modèle de référence chinois. L’allemand remplaça le hollandais qui avait remplacé le chinois. La méthode scientifique remplaça la méthode philologique kohoha qui avait remplacé la méthode néoconfucianiste Goseiha. Et tout cela n’altérait pas l’esprit japonais « immuable ». Déjà dans les écoles rangaku, les règlements disaient d’étudier le hollandais tout en gardant la moralité japonaise [129](p61). La formule des Restaurateurs devint « esprit japonais, techniques occidentales ». En dehors d’une professionnalisation 191 évidente du métier, l’ordre social traditionnel survivait. Le système des ie nourrit un certain népotisme universitaire. L’autoritarisme universitaire européen consolida la relation traditionnelle oyabun/kobun (maitre/élève). Dans les années 1930, un célèbre chirurgien de l’Université de Tokyo refusait toujours l’entrée de son bloc à tout visiteur, perpétuant ainsi le système de transmission secrète (hiden) [255]. L’importance accordée au Igaku Hakase par rapport à l’expérience clinique n’est pas sans rappeler celle accordée traditionnellement aux savants confucéens (jusha) par rapport aux techniciens [274]. L’officialisation de la rémunération asseyait un statut social déjà enviable. Ainsi ne changèrent ni l’origine sociale ni la motivation. Les médecins conservèrent une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir, la vie médicale étant la scène d’un factionnalisme omniprésent. Sous Meiji, certains médecins prirent des libertés assez étonnante au regard de la rigidité du gouvernement. Ainsi Kitasato manœuvra pour que l’institut des maladies infectieuses reste en dehors de la compétence du ministère de l’Education, et dans un deuxième temps obtint même pour son institut privé le droit de commercialiser des vaccins [21]. Ancien chef de la santé publique, Shinpei Goto devint gouverneur de Taiwan. L’association Nihon Ishi Kai (JMA) se transforma progressivement en un organe politique puissant, incorporé au processus décisionnel de la santé publique [68]. Actuellement, cette association influence la politique de financement de santé publique japonaise. Au niveau hospitalier, le secteur privé est ainsi toujours favorisé au détriment du secteur public. De même, les praticiens ont conservé le rôle de délivreur de médicaments, élément déterminant de leur rémunération. A la lumière de ces éléments, nous allons maintenir pouvoir revenir à notre hypothèse de départ. Nous avons vu que le processus de professionnalisation médicale débute sous Edo en réponse à des besoins sociétaux internes. Sous Meiji, un grand nombre de mœurs héritées de la tradition persistent. Par ailleurs, un mode cognitif spécifique vis-à-vis des savoirs importés se pérennise. Somme toute, nous sommes bien face à un phénomène de continuité et d’adaptation, lequel fut essentiel à la « rupture » de Meiji. 192 Chapitre 3: La création de la santé publique japonaise I L'ORGANISATION SANITAIRE À LA PÉRIODE PRÉMODERNE ................................................................. 194 A L'organisation sanitaire du Japon prémoderne ..................................................................... 194 1) Les institutions de charité .............................................................................................................. 194 2) Mesures shogunales et seigneuriales ............................................................................................ 197 3) Secteur privé ................................................................................................................................ 201 B L'émergence d'une pensée biopolitique ................................................................................ 202 1) La création des ninsoku yoseba .................................................................................................... 202 2) La médicalisation des aïnous ........................................................................................................ 203 II LES DÉBUTS DE LA SANTÉ PUBLIQUE SOUS MEIJI ............................................................................ 206 A Les raisons de l'adoption d'un système de santé publique moderne ..................................... 206 B Structure et financement ...................................................................................................... 207 1) La protection sociale et son financement ....................................................................................... 207 2) Le paysage hospitalier moderne de Meiji ....................................................................................... 209 C Les plans de santé publique................................................................................................. 212 1) Lutte contre les épidémies ............................................................................................................ 212 2) Lutte contre les maladies chroniques et mentales .......................................................................... 216 3) La santé militaire .......................................................................................................................... 220 4) La santé coloniale ......................................................................................................................... 221 CONCLUSION DU CHAPITRE 3 .......................................................................................................... 224 193 Étant parvenu au début du 17e siècle à contrôler l'ensemble du pays, le shogunat des Tokugawa relégua la gestion des fiefs à ses vassaux. Dans cette société féodale, le système sanitaire reposait essentiellement sur des infrastructures caritatives et des mesures seigneuriales. Mais les cinquante dernières années du shogunat Tokugawa furent marquées par des phénomènes sociétaux et territoriaux particuliers. Face à ces nouveaux problèmes, le bakufu réalisa l'utilité d'une certaine forme d'interventionnisme sanitaire. Cependant la restauration de Meiji (1868) mit un terme à l'ordre féodal et ses velléités. Dans sa politique de modernisation, le nouveau gouvernement décida alors d'instaurer un système de santé publique inspiré des états occidentaux (l'Eisei). Nous voulons montrer que la mise en place du système de santé publique sous Meiji ne réalisait pas tant une rupture qu'une certaine pérennisation des institutions féodales. Pour cela, nous étudierons l'organisation sanitaire de la période prémoderne, et dans un second temps, le système de santé publique introduit sous Meiji. I L'organisation sanitaire à la période prémoderne Nous divisons notre exposé en deux parties : . la première partie décrit le schéma sanitaire du Japon prémoderne . la seconde partie révèle les débuts d'une instrumentalisation politique de la santé publique par le shogunat Tokugawa. A L'organisation sanitaire du Japon prémoderne Il serait inapproprié de parler d'un système de santé publique à cette époque. Toutefois, des institutions proches de nos hospices, ainsi que quelques programmes de protection sociale existaient néanmoins. 1) Les institutions de charité Trois types d'institutions caritatives s'implantèrent à des époques successives : les œuvres bouddhiques et impériales (Nara et Heian), les œuvres chrétiennes (2 e moitié du 16e siècle, période Nanban) et les œuvres shogunales (Edo). Dans un premier temps, nous rappellerons le principe des institutions bouddhistes, impériales et chrétiennes, toutes implantées ou ayant périclité avant l'arrivée des Tokugawa. Ensuite nous décrirons les initiatives caritatives entreprises par les Tokugawa. Cette étude permettra d'éclairer la mission sociale et la signification politique de ces œuvres. a) Œuvres de la famille impériale et du clergé bouddhiste Dans la religion bouddhique, le bénéficiaire d'un don (fuse) constituait pour le donateur un « champ de mérite », ce champ de mérite pouvant être soit un « champ de respect » s'il s'agissait d'offrande à caractère cultuel adressée au Bouddha ou aux moines, soit d'un « champ de compassion » si elle est faite aux indigents et aux animaux. Sur ce principe, les temples de province possédaient des hospices (hidenin) gérés par les moines en même temps que des fuseya (auberges disposées le 194 long des routes) [185]. Très tôt le gouvernement (famille impériale et famille Fujiwara qui fournissait les impératrices) encouragea ce type d'initiatives. En marge du système dédié à la santé de l'aristocratie (régi par le système des codes ou ritsuryo), la famille impériale et la famille Fujiwara fondèrent des institutions annexes aux grands temples bouddhistes. Il s'agissait de dispensaires appelés seyaku-in et d'hospices pour pauvres et orphelins ou hiden-in. On retient principalement : l’hiden-in, le seyaku-in et le ryobyoin (hôpital) du temple Shitennoji (Osaka) construits dans la deuxième moitié du 6e siècle par le Prince Shotoku taishi (574-622), l’hiden-in et le seyaku-in du temple Kofuku-ji (Nara) fondés en 723 sous le patronage de la famille Fujiwara, l'Hiden-in et le Seyaku-in construits à Nara en 730 par l'impératrice Komyo (701-760) (qui appartenait aussi à la lignée Fujiwara) et transférés ultérieurement à Heian (Kyoto) [185],[156],[317](p101-102). Un organe gouvernemental, indépendant de l’Institut de médecine impérial, fut même créé en 825 pour gérer l'Hiden-in de la princesse Komyo [317](p101-102). Toutefois, ce système, dit « hors code », périclita rapidement, les moines préférant désaffecter les œuvres charitables pour pratiquer des rites d’exorcisme auprès de l’aristocratie [176]. Ce n’est qu’au 13e siècle que l’on note une reprise des activités charitables. En effet le moine Ninsho fit restaurer l'hiden-in du Shitennoji, créa à Nara la plus ancienne léproserie du Japon, le Kitayama juhakken-do [185] ainsi qu’un hôpital et une lazaret au temple Gokurakuji de Kamakura [156], [317](p141). Au-delà de l’indigence de cette organisation, il est important de souligner que le pouvoir central avait profondément ancré le concept de soin à la compassion bouddhiste [317](p101-102) b) Œuvres catholiques Durant le 16eme siècle, les missionnaires jésuites apportèrent de l'aide aux pauvres et aux fermiers dans l'espoir de leur conversion. Ils fondèrent des confréries de la miséricorde, organisations caritatives implantées à Funai (1555), Yamaguchi (1555), Hirado (1557), Nagasaki (1583), Kyoto et Sakai (1591-1592). Ces confréries dispensaient un enseignement gratuit et apportaient assistance aux personnes âgées et aux destitués. Des convertis japonais (Konishi Yukinaga, Hozokawa Gracia) prêtèrent main forte à ce mouvement. Les autres ordres (franciscains, dominicains et augustiniens) pratiquaient la même politique. Ces initiatives arrivaient à point nommé vu le déclin des fondations impériales. Pour illustrer ce phénomène nous nous arrêterons sur la mission de Funai, siège d’une activité médicale « illicite ». En effet le père Gago fonda en 1555 un dispensaire appelé « Notre dame de piété du Bungo » à Funai (maintenant Oita), avec l'accord du daimyo. L’année suivante, l’institution fut divisée en deux parties : l'une vouée à soigner les patients, l'autre réservée aux incurables tels que les lépreux. L’établissement rencontrant un grand succès, on l’agrandit en 1559. On confia alors la direction des locaux à un jésuite chirurgien, le nouveau converti Luis de Almeida. Il pratiquait la petite chirurgie, accueillait les lépreux et les syphilitiques, qu'elle que soit leur religion et leur 195 condition sociale. Or les jésuites n'avaient pas le droit de pratiquer ou d'enseigner la médecine, et ne devaient porter assistance qu'aux évangélisés. De surcroit, il était mal perçu de soigner les maladies vénériennes. A Rome, on s'indigna de la liberté que prenaient les missionnaires avec les décisions des conciles. On les rappela à l'ordre en 1561 et il ne fut plus question de soins dès 1562. Cette sanction intervenait également dans le cadre d'une chasse aux nouveaux convertis au sein de l'ordre jésuite, lesquels étaient très souvent des médecins. Ainsi en 1561, Almeida abandonna la direction de l'hôpital qui revint aux mains des Japonais. De surcroit, le shogunat ne voyait pas d'un bon œil le nombre croissant de convertis. Dans le cadre de sa politique anti-chrétienne, l'hôpital fut fermé en 1589 [271](p62-66). c) Œuvres shogunales (1) Restauration des grandes œuvres historiques Parallèlement à l'expulsion des catholiques, le pouvoir shogunal fit reconstruire quelques institutions des anciens temps laissées à l'abandon. Ainsi, peu avant 1600, Hideyoshi Totoyomi rétablit le seyaku-in de Kyoto [159],[277](p571) et y nomma comme intendant le médecin Zenso Tanba. En 1654, on rétablit l'hiden-in du temple Sennyu-ji de Kyoto (vestige de l'hiden-in de l'impératrice Komyo déplacé à Kyoto) [185]. De la même façon fut reconstruit le lazaret Kitayama juhakken-do de Nara (détruit par un incendie en 1567) [185],[156]. (2) Création du Koishikawa yojosho Sous le règne de Yoshimune Tokugawa (1716-1745), un médecin nommé Shoson Ogawa demanda, par l'intermédiaire de la boite à suggestions du shogun (meyasabuko), la construction d'un hôpital comparable aux anciens seyaku-in impériaux. Le pays traversait une grave crise sociale ; avec d’un côté l’émergence d’une riche classe marchande, de l’autre l’appauvrissement des campagnes. Ainsi l’inadéquation du système féodal devenait de plus en plus évidente. Préoccupé par le risque d'instabilité sociale, Yoshimune, encouragea d’ailleurs l'étude de nouvelles espèces vivrière (canne à sucre, patate douce…)[106](p50). Dans ces circonstances, il n'était pas étonnant qu'il réponde favorablement à la requête d'Ogawa. Le seyakuin shogunal, fondé au sein du jardin des simples de Koishikawa (Koishikawa yakuen) ouvrit le 4 décembre 1722. Administré par le magistrat de la ville (Edo machi bugyo), il employait trois médecins [277](p571-572). On y soignait des indigents répertoriés par la ville [159]. Les registres révèlent qu'en 1723, 57 patients furent hospitalisés et 314 autres vinrent en consultation. De 40 lits à son ouverture, il passa en 10 ans à 170 lits. Il était doté d'un département de médecine interne, de chirurgie et d'ophtalmologie [156](p3). Cet hôpital est à l'origine d'une fiction, Barberousse, de Shugoro Yamamoto (Akahige Shinryotan, 1964). Ce roman, porté à l'écran par le réalisateur Kurosawa, décrit l'apprentissage du jeune docteur Noboru Yasumoto au Koishikawa yojosho dirigé par le bourru Kyojo Niide, dit Barberousse. Quoiqu'il en soit, ce fut la première et dernière initiative de ce type de la part du bakufu. Outre le Koishikawa yojosho et les institutions reconstruites, certaines sectes bouddhistes dispensaient également des soins aux malades mentaux. Ainsi, au moment de la restauration de Meiji, il existait 27 asiles affiliés aux sectes bouddhistes Mikkyo (traitement par l’eau des cascades), Jodoshin (traitement par 196 herbes kampo et moxa) et Nichiren (techniques de conjuration au son des tambours ou par le travail) [248]. Enfin on rappellera qu'à partir des années 1770, certains fiefs se dotèrent d'écoles médicales publiques, les igakkan. Celles-ci pouvaient participer aux soins de la population démunie et avaient parfois un rôle de superviseur des médecins établis dans le fief [190]. 2) Mesures shogunales et seigneuriales Dans la deuxième moitié d'Edo, de nombreuses famines ravagèrent le pays. On peut ainsi citer la famine de la période Kyoho (1732-1733), celle de la période Horeki (1755-1756), celle de la période Tenmei (1783-1786) ou encore celle de la période Tempo (1836-1838). Pour donner une idée de la mortalité, la famine de Kyoho décima vingt pour cent de la population du domaine de Fukuoka (Nord du Japon, Kyushu) [149]. L'autre pendant de la famine était le mabiki ou « élagage », c'est-à-dire l'élimination des nouvelles bouches à nourrir par l'avortement ou l'infanticide. Les épidémies, notamment de variole ou de rougeole, constituaient le troisième fléau. Aussi les autorités féodales introduisirent des programmes pour prévenir les effets pervers des désastres naturels et encourager la croissance démographique. Au niveau local, il existait deux types de mesures : soit constituer des réserves d'argent et de riz pour les situations d'urgence, soit encourager la solidarité villageoise (c'est-à-dire que les familles les plus riches aident les plus pauvres). a) Mesures ordonnées à la population (kakoimai, mabiki, goningumi) (1) Mesures de prévention de la famine Au 18e siècle, les autorités locales et le bakufu lancèrent de façon régulière des programmes de stockage de riz et d'argent afin de parer aux famines. Ainsi le bakufu gérait personnellement les fonds des grandes villes comme Edo, Kyoto, Osaka. C'est en 1683 qu'il ordonna pour la première fois aux fiefs de stocker du riz dans des greniers appelés shaso. En réalité, ces plans de prévention étaient assez hétérogènes. Leur mode de financement était variable : impôt prélevé auprès de la population locale, subvention des autorités, taxes sur certaines activités (par exemple la pêche à la baleine, le commerce du sel) ... Certains furent temporaires, alors que d'autres ne furent abolis qu'après la Restauration. Plusieurs plans pouvaient se superposer en même temps. En cas de mauvaises récoltes, d'épidémies ou de catastrophes naturelles (typhon, incendies, tremblements de terre), les autorités distribuaient le riz ou l’argent. Il s'agissait de prêts remboursables sans intérêt ou de véritables dons [185], [149]. Tous ces plans furent désignés par le terme générique kakoimai, qui signifie réserve de riz. A Edo, un plan d'aide shogunal, le shichibu tsumikin (« 70% de l'épargne ») se mua en un véritable organe de protection sociale, le Edo machi-kaisho. En effet, le conseiller shogunal Sadanobu Matsudaira demanda à la ville d'Edo d'économiser 7% de ses dépenses ; l'objectif était de constituer un fond d'aide à la population à hauteur de 70% de cette économie. Par la suite, ce fond se dota de bureaux de quartier, les machi-kaisho, et de greniers de riz. Ces machi-kaisho, gérés par des 197 administrateurs shogunaux, pouvaient ainsi distribuer du grain, de l'argent ou encore baisser la location des terrains et des loyers [185]. Il serait difficile d'évaluer l'efficacité de ces plans. Aussi, pour se faire une idée, voici un exemple chiffré : en 1782 dans la région de Fukuoka, la moitié de la quantité de riz épargnée depuis 1870 permit de nourrir un quart de la population pendant un mois [149]. En plus de ces plans de réserve, il existait aussi des organes de régulation du prix du riz appelés joheiso. En effet pour enrayer l'inflation, les autorités locales stockaient du riz prêt à être revendu en cas de mauvaise récolte [185]. (2) Mesures prises contre le mabiki Depuis 1646, le bakufu émit à plusieurs reprises l'ordre d'interdiction de l'infanticide, mais en vain. Les daimyos prirent aussi des mesures contre le mabiki. A côté des peines plus ou moins lourdes, les daimyos encourageaient également la natalité par des cours sur les soins à apporter aux enfants et l'attribution d'allocation. Les administrateurs de villages, les « groupes de cinq » (goningumi140) et les moines bouddhistes furent également impliqués dans ces campagnes de lutte. Par exemple dans le domaine de Fukuoka, fut introduit en 1764 le ubugo-yioku-mai, le « fond pour élever les enfants ». Cette allocation, financée par l'impôt, permettait aux familles pauvres de recevoir 3 hyo (180kg) de riz tous les ans à partir du deuxième enfant et cela jusqu'à ce que l'enfant atteigne 10 sai (9 ans) [149]. L'homme désigné à l'attribution de l'allocation devait contrôler le déroulement des grossesses et l'enregistrement des naissances 141 tous les mois [149]. Ainsi on estime que cette aide fut attribuée à 20 % des enfants [149]. (3) Mesures prises contre la variole *Mesures de quarantaine En cas d'épidémie, certains fiefs pratiquaient un évitement empirique, soit en déplaçant la population dans une zone non affectée, soit en isolant les malades dans des cabanes de montagne. Dans le second cas, on rémunérait des gardes malades déjà immunisés pour s'occuper des personnes placées en quarantaine. Toutefois ce type de mesures ne concernait qu'une poignée de fiefs. En règle générale, l'épidémie de variole donnait lieu à des fêtes collectives (consacrées au dieu de la variole, le kami Hoso) qui augmentaient plutôt les risques de contagion [281](p212, 214). 140 Le gouvernement shogunal avait mis en place un quadrillage de la société en goningumi (groupe de cinq). Au début, l'intention était de débusquer les traitres parmi les samurais de l'entourage du shogun. Ainsi Tokugawa Ieyasu obligea les samurais de ses domaines à former des groupes de 5 afin de débusquer les rônins (samurai indépendants) ou encore ceux qui s'employaient à promouvoir le christianisme ou d'autres activités illégales. Par la suite Tokugawa Iemitsu en fit l'unité de base administrative et fiscale de tous les domaines (domaines du bakufu et des daimyos). Ainsi les goningumi étaient des groupes constitués normalement de 5 familles de paysans, mais en réalité ils pouvaient compter 4 à 8 familles. Il existait des registres de goningumi dans chaque village. Les familles d'un même goningumi étaient collectivement responsables du paiement de l'impôt, de la maintenance des routes ou de corvées de travail, de la résolution de dispute internes, du comportement de chacun, et des statistiques de naissance, mariage et décès [159]. Il faut remarquer que le goningumi est en fait un recyclage par le bakufu du yui, un groupe d'entraide dans les taches agricoles inventé par les paysans au Moyen-Age [185]. 141 Le registre d'état civil d'Edo (shumon aratame cho): dans le cadre de l'inquisition anti-chrétienne, le shogun avait ordonné aux familles de s'enregistrer auprès des temples bouddhistes. Ceci expliquait la tenue scrupuleuse par les moines d'un registre des naissances et des décès, sorte de registre d'état civil, le shumon aratame cho. 198 *Campagne de vaccination Lorsqu'en 1849 la vaccine arriva depuis Java à Nagasaki, de nombreux seigneurs s'impliquèrent dans la vaccination de la population. Ainsi le puissant daimyo Naomasa Nabeshima fit acheminer la vaccine (par le biais d'un enfant vacciné) sur son fief de Saga, puis à Edo où il la partagea avec d'autres daimyos. En général, ces seigneurs faisaient vacciner leurs propres enfants en premier, puis ceux de leur fief et de leur yashiki à Edo (résidence secondaire). En parallèle du circuit NagasakiSaga-Edo, la vaccine transita sous forme de croutes de Nagasaki à Kyoto d'où le médecin Koan Ogata la ramena à Osaka. De là, il la partagea avec d'autres praticiens de la région du Kansai [138](p139-145,p158). Ainsi Ogata fut lui-même appelé par son daimyo, le seigneur du fief d'Ashimori. Rien que dans cette région, Ogata et son cousin vaccinèrent 6500 personnes en 3 mois [129]. Grâce à ces initiatives locales, la campagne de vaccination se répandit en 6 mois (cf. carte de propagation ci-dessous) sans que l'autorité centrale n'en soit officiellement avisée [138](p139-145,p158). Image 73 : Carte illustrant la progression de la vaccination jennerienne au Japon, d'après [138] 199 Tableau 6 :Déroulement de la campagne de vaccination anti-variolique 11 aout 1849 : Arrivée de la vaccine au Japon Le médecin hollandais Otto Mohnike apporte la vaccine depuis Java à Nagasaki. 1849 : campagne des médecins ranpo Diffusion Nagasaki-Saga-Edo Le seigneur de Saga également responsable de la protection de Nagasaki, Naomasa Nabeshima, fait envoyer le premier enfant vacciné dans son château de Saga. Il s'agissait du fils ainé du médecin ranpo Soken Narabayashi*. En octobre, Naomasa Nabeshima fait vacciner son fils ainé puis ses gens de Saga par son médecin personnel qu'il a envoyé se former à Nagasaki. En Novembre, le seigneur Nabeshima emmène la vaccine à Edo où il la remet aux médecins ranpo Genboku Ito* et Shunsai Otsuki. Nabeshima et un autre seigneur, Masayoshi Hotta, font vacciner leurs familles dans leur yashiki d'Edo. A Edo, la vaccine est répartie entre seigneurs et médecins de différentes régions ; par exemple le Seigneur Masayoshi Hotta la rapporte à Chiba en janvier 1850 ; Ryusai Kuwata qui pratiquait la variolisation à Edo passe immédiatement à la vaccination. En février 1858, la clinique de vaccination d'Edo (Otamagaike shutojo) est fondée par la communauté rangaku. Diffusion Nagasaki-Kyoto-Osaka-Fukui En Octobre 1849, un interprète assigné aux affaires chinoises envoie des croutes varioliques au médecin ranpo Teisai Hino* à Kyoto. Les médecins (Teisai Hino et son élève Hakuo Kasahara de Fukui, Eiken Narabayashi-le frère de Soken) ouvrent deux centres de vaccination à Kyoto. Après avoir observé la méthode auprès de Teisai Hino, Koan Ogata ouvre en décembre 1849 un centre de vaccination dans son école Tekijuku d'Osaka. On remarquera la campagne menée par Koan Ogata depuis Osaka à Ashimori, son fief d'origine. La vaccine est alors partagée par les méde ins de la région du Kansai (région d‟Osaka et Kyoto) et en janvier 1850 Hakuo Kasahara ramène 4 enfants vaccinés à Fukui. Diffusion maritime Nagasaki-Nagoya Keisuke Ito* introduisit la vaccination à Nagoya grâce à la vaccine apportée par Hoan Shibata*. NB : Les médecins signalés par un astérisque (soit la majorité) avaient été élèves de Siebold : Genboku Ito, Soken Narabayashi, Teisai Hino, Keisuke Ito, Hoan Shibata. 1857 : campagne shogunale dans la provine septentrionale d'Ezo En avril 1857, le bakufu envoie 6 médecins ranpo vacciner les habitants (colons et Aïnous) de la province d'Ezo. Parmi eux : Ryusai Kuwata, l'enthousiaste promoteur de la vaccination, inventeur du tract de l'enfant à la vaccine (1850). 200 (4) Politique d'encouragement des dons privés Les daimyos avaient instauré un système récompensant les donateurs privés. Lorsqu'un riche marchand effectuait un don ou annulait des dettes, les autorités lui remettaient une lettre de louange. Cette lettre pouvait être employée de deux façons ; soit à titre d'assurance142 (en cas de faillite), soit comme recommandation politique (par exemple pour accéder au statut de chef de village). De surcroît, les grands donateurs était immédiatement remerciés par l'acquisition de privilèges honorifiques ; on leur octroyait le droit de porter un sabre (uniquement réservé à la caste des samurais), d'utiliser un surnom, et ils pouvaient même être invités au château, voire au cérémonial du départ pour Edo, lors du sankin kotai. Ces mesures d'encouragement furent plutôt efficaces si l'on en juge par le nombre de donateurs sous Edo [149]. Avec le déclin du pouvoir ecclésiastique et impérial, puis l'expulsion des chrétiens, le nombre d'institution de charité avait décliné au début du 17e siècle. Le pouvoir shogunal raviva quelque peu la tradition religieuse par la reconstruction d'édifices détruits et la création du Yojosho Koishikawa. Par ailleurs, se développa une forme de protection sociale, conjonction d'un réseau d'entraide et de mesures administratives (kakoimai, allocation pour l'enfance). Or les affaires sanitaires du fief reposaient en grande part sur l'humanisme du daimyo qui en avait la charge. En outre, la meilleure des volontés ne peut pallier l'ignorance : les mandats de justice émis par le bakufu contre les épidémies de variole en sont une preuve ingénue. En effet, dans les domaines dont il avait la charge directe, le bakufu rédigeait des mandats à l'encontre des démons des épidémies : il les enjoignait à se disperser sous peine d'invocation du dieu Gozutenno. Les notables locaux lisaient ces mandats au chevet des malades ou les affichaient à l'entrée de la maison ou sur un panneau public [281](p82) ... Aussi les premiers programmes sanitaires centralisés n'apparurent qu'avec la mise en place d'un système de santé publique moderne sous Meiji. Mais, dans les 50 dernières années d'Edo, le bakufu avait tout de même réalisé une chose : la politique sanitaire pouvait être un moyen de pression sociale, ce que Foucault a appelé biopolitique. 3) Secteur privé Sous Edo, la population pouvait également faire appel à des praticiens privés. Ainsi dans les villes on trouvait des machi-i ou machi-isha (médecins de ville), des kinso-i (chirurgiens -rebouteux), des ophtalmologues, des obstétriciens, et des spécialistes des maladies de la bouche. Certains disposaient d’échoppes, d’autres de cliniques, que ce soit les chirurgiens comme Seishu Hanaoka, ou encore les médecins vaccinateurs comme Koan Ogata. Au 19 e siècle, deux asiles privés pour malades mentaux furent même ouverts : l’Ishimaru-Tenkyoin (1818) et le KomatsugawaKyobyochiryosho (1846). Des psychiatres y traitaient les malades à l’aide de remèdes kampo, et mettaient les plus agités dans des chambres fermées [248]. 142 Le cas du marchand Kaneuchi fournit un très bon exemple du premier usage de la lettre de louange. Kaneuchi avait fait un don en 1733 à l'occasion de la famine de Kyoho. Les autorités lui accordèrent en retour une pension alimentaire à vie. Elles lui promirent aussi de sauver son affaire en cas de faillite. Sept ans plus tard, elles tinrent promesse en lui évitant la banqueroute, mais seulement après qu'il ait envoyé une copie de sa fameuse lettre [149]. 201 Toutefois, le cout d’une consultation pouvait s’avérer prohibitif, du moins pour les familles modestes, et restait donc peu accessible à la population générale [328]. Mais il existait des exceptions, par exemple le cout d’une vaccination était assez faible (2 shu c’est-à-dire l’équivalent de 2 litre de soja), si bien que même pour des paysans ce n'était pas une somme énorme à débourser [153]. On faisait également appel aux sages-femmes (toriagebaba) et aux masseurs acupuncteurs aveugles (anma). Les prêtres bouddhistes et shintos (kannushi) ainsi que les maitres du yin et du yang (onmyoji) et les ascètes yamabushi, appelés par la famille pratiquaient des rituels ou vendaient des amulettes. B L'émergence d'une pensée biopolitique La santé publique d'un pays est tributaire de facteurs scientifiques et politiques. Au Japon, il fallut attendre que les médecins ranpo disposent d'une arme concrète, le vaccin jennerien, pour que puisse apparaitre au 19e siècle le premier réseau de santé publique. Mais celui-ci ne se développa d'abord qu'en périphérie, le bakufu s'étant désintéressé de la politique sanitaire des fiefs. C'est d'une toute autre façon qu'il s'éveilla au concept de santé publique. A la fin du 18e siècle, le bakufu réalisa qu'il disposait d'un instrument de contrôle des individus jusque-là insoupçonné. Ainsi dans la première moitié du 19e, il prit deux décisions : -l'enfermement des fous et des marginaux -la médicalisation de la population aïnoue de la province d'Ezo (partie septentrionale du Japon). La première était en réponse à la rapide transformation sociale (urbanisation) du 18e siècle. On peut la comparer à la politique d'internement des fous et vagabonds apparue au 16e siècle en Europe. La seconde était une façon de contrer l'expansionnisme russe et ainsi d'asseoir la légitimité nippone au nord. Cette politique qui reposait sur la médicalisation et notamment la vaccination de la population indigène aïnoue fut également pratiquée au 19e siècle par les colons britanniques et hollandais en Inde et à Java. 1) La création des ninsoku yoseba Dans un Japon en rapide mutation sociale, le bakufu décida d'enfermer fous et marginaux, d'une manière comparable à ce qui s'était passé en Europe à partir du 17e siècle. Jusque-là, le bakufu avait assigné les hors castes (hinin et eta) à résider dans certains quartiers, hors du bon peuple (ryomin). Dans ces ghettos, hinin 143 et eta passaient officiellement sous une juridiction différente ; c'est-à-dire sous l'autorité des chefs des gueux. Or au cours du 18e siècle, de nouvelles catégories vinrent enfler les rangs du « vil peuple » (senmin) : paysans venus s'entasser dans les villes pour 143 Les hinin (non humains) étaient des déchus (amants ayant raté leur double suicide, individus ruinés par le jeu), des petits délinquants, des mendiants, des infirmes. Le bakufu édita plusieurs codes régentant le sort des hinin. L'un d'eux, connu sous le nom de « cents articles » disait qu'une fois la sentence prononcée, le sujet était rayé du registre civil et les liens avec les parents étaient rompus, dégageant ainsi ceux-ci de leur devoir de solidarité. Ensuite le déclaré hinin était placé sous la juridiction du chef des hinin. Les etas (êtres « souillés ») jouissaient d'un statut héréditaire, contrairement aux hinin qui pouvaient parfois regagner le « bon peuple ». Eux-aussi étaient placés sous l'autorité d'un chef des eta)[267]. 202 fuir la misère des campagnes, fous, handicapés, certains malades comme les lépreux, enfants naturels ou abandonnés, orphelins, filles vendues au bordel... Ainsi on estime qu'à la fin du 18e siècle, en raison du phénomène d'urbanisation, cette classe composite représentait la moitié de la population des villes, ce qui représente un chiffre important quand on sait que le Japon était avec l'Angleterre une des sociétés les plus urbanisées au monde (taux d'urbanisation d'environ 15%) [267]. Aussi le gouvernement jugea bon de canaliser ce « monde flottant ». Donc, à la fin du 18e siècle le bakufu changea de politique : d'une discrimination il passa à l'enfermement et aux travaux forcés. Jusque-là, fous et lépreux, certes marginalisés, pouvaient vagabonder librement. Mais en 1790, le conseiller du shogun, Sadanobu Matsudaira ouvrit à Edo le premier centre de détention pour sans-logis (ninsoku yoseba) sur l'île d'Ishikawa. C'est le policier Heizo Hasegawa, préposé aux incendiaires et voleurs, qui lui avait soufflé cette idée. Le pouvoir s'attela à réaliser une quarantaine des indésirables que l'on enfermait systématiquement dans les maisons de force. L'objectif était triple : maîtriser, rentabiliser et rééduquer par le travail. Ainsi on ne différenciait pas les malades des délinquants. D'autres villes suivirent cet exemple : dans la province de Hitachi, puis à Nagasaki (1814), Osaka (1843), Kyoto (1844), Nagaoka (1851), Usubetsu près de Hakodate (1861), Matsuyama (1867) et Yokosuka (1868) [267],[185]. Cette entreprise rappelle l'enfermement des fous et des improductifs en Europe au 17e siècle tel que décrit l'œuvre de Michel Foucault [94](p54-81). Si Foucault retient comme date repère la fondation en 1656 de l'Hôpital général à Paris, il souligne que cette « structure propre à l'ordre monarchique et bourgeois » apparut en premier dans les régions les plus industrialisées : le premier Hôpital général a d'abord ouvert à Lyon 40 ans avant celui de Paris, en Angleterre les workhouse furent d'abord créés à Worcester, Norwich, Bristol ; en Allemagne Hambourg eut son premier Zuchthaus en 1620 [94](p68-69). « Avant d'avoir le sens médical que nous lui donnons, ou que du moins nous aimons lui supposer, l'internement a été exigé par tout autre chose que le souci de la guérison. Notre philanthropie voudrait bien reconnaître les signes d'une bienveillance envers la maladie, là où se marque seulement la condamnation de l'oisiveté. […] L'alternance est claire : main-d'œuvre à bon marché, dans les temps de plein emploi et de hauts salaires ; et en période de chômage, résorption des oisifs, et protection sociale contre l'agitation et les émeutes. » [94](p68) Les ninsoku yoseba représentent peut-être la tendance coercitive caractéristique des débuts de tout système de santé publique. Le décalage de deux cents ans entre le Japon et l'Europe ne serait alors qu'une affaire de contexte socio-économique. 2) La médicalisation des aïnous Au 19e siècle, le bakufu décida d'affirmer son autorité dans la province d'Ezo en médicalisant la population locale. Cette province, administrée depuis 200 ans par la famille Matsumae, comprenait l'ile de Sakhaline, les iles Kouriles et l'ile d'Hokkaido [353]. Elle était peuplée d'indigènes aïnous et de colons japonais, les Wajin. Les Japonais considéraient les Aïnous comme une race inférieure, les « barbares poilus ». Par ailleurs, les daimyos Matsumae s'étaient depuis toujours désintéressés du sort de la population locale. 203 Sans cesse ravagée par les épidémies, elle ne recevait jamais aucune aide financière ni médicale. Mais les Russes, plus prolixes, gagnèrent peu à peu la sympathie de la population locale. S'apercevant de ces dysfonctionnements, le bakufu se débarrassa des Matsumae et envoya un nouvel administrateur à Ezo. Rapidement, celui-ci expliqua que la popularité des russes reposait sur leur attitude bienveillante. Il conseilla donc au bakufu de « prendre soin » des Aïnous. Aussi ces derniers « porteraient dans leur cœur le Japon et ne seraient pas tenter de s'expatrier dans des territoires étrangers. » [353] Sous les conseils de son nouvel observateur, le bakufu changea de politique à l'égard des Aïnous. Il déclara qu'il fallait leur inculquer « la voie des 5 relations »144 (c'est-à-dire le code moral confucianiste) et fit appliquer les mêmes dispositions de protection sociale que dans le reste du pays. Il instaura des fonds d'entraide, créa des dispensaires et envoya une dizaine de médecins dispenser des soins gratuits (et par la même occasion soigner les Japonais blessés lors d'affrontements avec les Russes) [353]. C'est également dans le cadre de cette politique d'assimilation, que le bakufu fit mener la première campagne officielle de vaccination (Image 74 cidessous). En effet, en 1857 il envoya plusieurs médecins vaccinateurs dans la province d'Ezo [353]. On peut penser que cette dernière expérience encouragea le shogun à légitimer la médecine ranpo jusque-là marginalisée par l'académie de médecine officielle (Igakkan d'Edo). Image 74 : Ezojin shuto no zu, 1857 par Byozan Hirasawa. Campagne de vaccination des Aïnous de la province d'Ezo planifiée par le bakufu. On y voit Ryusai Kuwata et deux disciples vacciner des Aïnous dans l'est d'Ezo. A gauche est assis le greffier ; trois officiels du bakufu sont assis dans le fond. Derrière eux se trouvent des objets japonais appelés ikor (trésors) par les Aïnous. Il s'agissait de vaisselle en laque, de tissus, de riz et de saké utilisés pour promouvoir la vaccination [Source de l’image : Hokkaido university library, Sapporo], Commentaire d’après [353] 144 Le code moral des 5 relations humaines (wu lun). On le retrouve exposé dans le Mengzi. Il s'agit de: l'amour entre père et fils, le devoir entre supérieur et inférieur, le mérite entre époux, la préséance des personnes âgées sur les jeunes, la loyauté entre amis. De ces 5 relations découlent 10 règles de conduite pratique qui vont régir le comportement social. Le père chérit son fils, qui en retour respecte son devoir filial. Le maître soutient son sujet, qui en retour lui est fidèle. Le mari respecte ses devoirs envers sa femme qui en retour l'écoute et lui obéit. L'ainé est bienveillant envers le plus jeune qui lui est obéissant. Enfin on donne à son ami et lui en retour se doit de rembourser sa dette [367](V.2 p664). 204 A la fin d'Edo, l'attitude des autorités vis-à-vis des mesures de santé publique se modifia. Hormis le Koishikawa yojosho et l'édiction de lois d'entraide collective (kakoimai, allocations), le shogunat avait jusque-là laissé la gestion sanitaire des fiefs aux seigneurs. Or dans la première moitié du 19e siècle, il décida de pratiquer l'internement systématique de ses indésirables, fous et malades vagabonds. En parallèle, la campagne de vaccination jennérienne développée en périphérie, finit par séduire le gouvernement qui l'utilisa à des fins territoriales en 1857. Ceci pava la voie à l'adoption officielle de la médecine occidentale (Pompe arrive fin 1857, sa première dissection en 1859, autorisation de construire l'hôpital de Pompe en 1860, inauguration de la première académie de médecine occidentale du bakufu en 1860). Ce revirement s'inscrivait dans une période d'instabilité militaire. La pression occidentale s'accentuait aux frontières et à l'intérieur du pays, des daimyos remettaient en cause la légitimité du shogun. Seule la chirurgie occidentale serait capable de répondre aux blessures de guerre. Ainsi on s'aperçoit que le bakufu adopta les premières mesures de santé publique à la fin d'Edo uniquement en fonction de l'intérêt politique ou économique qu'il pouvait en tirer. Les réels artisans du progrès étaient les seigneurs ou les médecins ranpo formés aux techniques occidentales, tels que les médecins vaccinateurs, ou encore Ryojun Matsumoto, le pionnier de la première campagne anti-syphilis145. 145 La première campagne anti-syphilis En 1860, un navire russe fit escale à Nagasaki pendant plusieurs mois. Le commandant demanda aux autorités locales d’effectuer un dépistage chez les prostituées. Mais c'était s'attaquer à une institution trop puissante. Les familles pauvres vendaient leur fille aux maisons closes selon un prix fixé par le gouvernement. Cette pratique était monnaie courante car au regard des 5 relations morales (confucianisme), elle correspondait au sacrifice légitime de la fille envers ses parents. Le nombre de maisons closes était démesuré par rapport à la population, le plus petit hameau ayant la sienne. Ces institutions, sous étroite surveillance policière, permettait également d'appréhender criminels et voleurs [48](p20-21). Par ailleurs, la syphilis était une affection qui ne préoccupait pas vraiment les Japonais. En raison de tous ces facteurs, la requête russe indigna les Japonais. Mais l'assistant de Pompe, Ryojun Matsumoto trouva un compromis: il recruterait des femmes uniquement pour les marins russes, qui en échange d'une bonne rémunération se plieraient à un examen gynécologique. L'idée plut aux tenanciers, et le gouverneur accepta, ironisant: « Quelle bonne opportunité que les habitants de ma juridiction puisse profiter de ces étrangers. » [10], [56]. Néanmoins Matsumoto continua de s'impliquer dans la lutte contre la syphilis. Dans un manuel de vulgarisation médicale, au chapitre « Affaires de la chambre », il écrivit:« La syphilis se propage de personne à personne, le poison gagnant en importance. A cause d'elle, on ne perd pas seulement sa vie, mais également celle de ses enfants […] il est impossible de savoir combien de milliers de gens sont infecté par une femme syphilitique. » [56] En fait, la médecine occidentale avait été tolérée par les autorités et seul un médecin ranpo avait compris l'enjeu épidémiologique. 205 II Les débuts de la santé publique sous Meiji A Les raisons de l'adoption d'un système de santé publique moderne « The characteristics of public health in Japan show that the science of public health had not born as the natural child of Japan, but it was a stepchild who was adopted. » Marui, Public Health and Koshu-Eisei, 1980 [189] En fait pour cet historien, la santé publique est une « une science native et appliquée », qui ne pouvait trouver dans le Japon de Meiji le « substrat social » nécessaire à son développement [189] Mais en quoi le substrat japonais était-il si différent ? Et pour quelle raison cette société fut-elle contrainte à adopter un concept qui lui était si étranger ? Certes la population était un réservoir de maladies chroniques (syphilis importée de Chine au début du 16e siècle, tuberculose, parasites) et connaissait les ravages de la variole. Néanmoins le Japon avait été préservé du choléra par sa politique de séclusion (sakoku). En outre, il n'avait pas encore entamé sa révolution industrielle. Au milieu du 19e siècle, il se trouvait donc dans un schéma épidémiologique totalement différent de l'occident. Par ailleurs, les concepts de droit de l'homme ou de droit individuel, et donc de droit à la santé étaient inconnus au Japon. Mais, à la fin d'Edo, le schéma se modifia avec la reprise des relations étrangères. L'accès au commerce international le fit entrer dans le cycle des grandes épidémies du 19e. Sur le plan social, le changement ne vint pas d'une volonté populaire. En effet il n'y avait eu aucun mouvement de contestation populaire comparable à notre révolution ; la restauration de Meiji pouvant être comparée au renversement d'un suzerain par ses vassaux. Sous des airs de fausse démocratie parlementaire, des oligarques autoproclamés entreprirent la modernisation accélérée du Japon. Bien évidemment, le système de santé publique avait été mis en place pour la même raison qu'en Occident, c'est-à-dire pour juguler la menace cholérique. Cependant le contexte politique et social était complètement différent : ce n'était pas en réponse à l'industrialisation ni au lendemain d'une révolution citoyenne, mais en réponse à la menace impérialiste occidentale. Il s'agissait de rattraper un retard technologique et scientifique, et ce malgré une conception féodale et confucéenne des relations sociales. Le gouvernement adopta la santé publique comme une science occidentale dans l'optique d'égaliser (se défendre=1ère phase), voire de concurrencer l'Occident (vision expansionniste=2ème phase). La santé publique devait permettre d'accomplir l'agenda politique énoncé dans le slogan « une nation riche, une armée forte » (fukoku kyohei). 206 B Structure et financement 1) La protection sociale et son financement a) Une politique de non-engagement de l'Etat Le 6 avril 1868, jour de la proclamation par l'Empereur du « serment des cinq articles », le gouvernement fit placarder publiquement cinq notices. Sur la première était écrit : « 1. Tout le monde doit scrupuleusement adhérer aux règles morales présidant aux cinq relations humaines (les relations confucéennes, cf. note 144 cidessus), 2. Avoir de la compassion pour les personnes sans appuis et infirmes, 3. Ne pas commettre d'actes d'homicide, incendie, vol, etc. » [277] (p574) Le gouvernement exhortait clairement la population à se secourir elle-même, pérennisant ainsi la politique sociale du bakufu. Les seules mesures d'aide sociales existant encore - reliquats de l'ère féodale, disparurent avec l'abolition des fiefs en 1871. Le gouvernement fut bien forcé, face à la pauvreté grandissante, de promulguer un Régime d'assistance en 1874. Mais cette loi s'avéra en fait totalement inefficace : pour bénéficier de l'aide en question, c'est-à-dire une quantité de riz annuelle, il fallait être infirme (ou atteint d'une maladie chronique débilitante) mais surtout sans attaches familiales. De plus, seul le Ministre de l'Intérieur en personne avait le droit de traiter les dossiers de demande. Par conséquent, le nombre de bénéficiaire fut ridicule [277] (p575). De surcroît, en 1908 le gouvernement décréta que c'était d'abord aux autorités locales (commune, voire préfecture) de financer cette aide, et en dernier recours à l'État, si bien que la dépense fut divisée par 3, le nombre de bénéficiaires passant de 13.000 (1907) à 3.753 (1909), [277](p582). Pour les fermiers incapables de payer la taxe foncière pour cause de mauvaise récolte, l'expert français Paul Mayet rédigea une loi, la loi du Fond de secours contre la famine (1880). Dans cette loi, il n'était pas question d'exemption mais de délai de paiement avec possibilité d'emprunt, de subvention alimentaire voire de don de semences. Le fond était financé par l'État et les fermiers. A chaque crise, un projet de protection sociale était proposé au Parlement, mais à chaque fois débouté : proposition de 1890 faite à la suite du plan déflationniste Matsukata, proposition de 1897 en période de post-guerre, proposition de 1904 dans un contexte d'agitation sociale (vague de chômage et interdiction du Parti Socialiste). Ainsi en 1897, Goto Shinpei, directeur du bureau de santé publique, suggéra d'affecter une partie des réparations payées par la Chine aux familles des blessés de guerre. Se heurtant à un refus, il proposa alors un système d'assurance maladie financé par les classes aisées, l'État et une taxe générale. Ce projet fut également rejeté [277](p578-579) Le gouvernement de Meiji niait la responsabilité et les obligations de l'État en matière de protection sociale, mais faisait appel au devoir moral confucianiste. Ainsi il construisit l'idéologie d'une « famille Nation », sorte de famille étendue dans laquelle tous les citoyens-frères devaient se montrer solidaires146). A ce titre, il encouragea les actions de charité qu'il finit même par institutionnaliser. 146 Dans la philosophie confucianiste, la famille occupe une place centrale: elle permet l'accomplissement humain de l'individu et est gage de stabilité politique. En effet le respect des lois familiales prépare l'individu à l'obéissance sociale. La hiérarchie familiale et l'autoritarisme gouvernemental se renforcent mutuellement. Le philosophe Mengzi disait: « l'Empire trouve ses 207 b) L'institutionnalisation du secteur à but non lucratif Sous Meiji, une législation favorisant les associations caritatives ou religieuses fut instaurée ; le système koeki hojin, établi en même temps que le code civil (1896). Les associations régies par le koeki hojin étaient exemptées de taxes. Cette mesure trouvait son origine dans la tradition d'exemption de taxe foncières des temples [364](p24-25). Ainsi la Croix-Rouge japonaise (Hakuai-sha) établie en 1877 passa sous le régime koeki hojin et reçut beaucoup de dons impériaux. Par ailleurs, l'Impératrice perpétuait la tradition de l'aumône ; ainsi la famille impériale créditait en son nom les comptes de diverses associations : Croix-Rouge, Association des jeunes femmes patriotes, orphelinat, etc. En 1908, l'État créa un organe gouvernemental chargé de la coordination de ces associations, le Chuo jizen kyogikai (Association centrale pour les œuvres de charité). Il s'agissait surtout d'organiser la non-intervention de l'État dans le secteur social [364](p27). Chaque grande crise sociale ou catastrophe naturelle était l'occasion d'un don impérial. L'apothéose fut atteinte en 1911. Deux semaines après l'exécution de 12 activistes de gauche impliqués dans un complot visant l'Empereur, la famille impériale faisait un don conséquent pour subvenir aux soins des plus pauvres [104](p91). Cette somme associée à d'importants dons privés servit à créer la fondation Saiseikai, première institution du type onshi zaidan. Les onshi zaidan n'étaient pas de simples institutions de charité régies par le système Koeki hojin, mais des institutions soutenues par l'État. Le cabinet ministériel établissait ces fondations spéciales, puis la famille impériale et le gouvernement amenaient une mise de fond, lequel était ensuite approvisionnée par les milieux d'affaires, les tycoon (les magnats de l'économie : Iwasaki, Mitsui, Yasuda) [364] (p25). Ainsi le premier onshi zaidan, le Saiseikai (1911), permit l'ouverture d'une chaîne d'hôpitaux gratuits [364](p25). Et ce n'était alors qu'un début147. La presse accusa l'Empereur d'utiliser la philanthropie comme antidote au socialisme. En effet, la famille impériale avec la connotation traditionnelle de bienfaisance qui lui était attachée était devenu l'instrument approprié pour contrer le socialisme et entretenir l'idéologie nationaliste [104](p91). Le gouvernement de Meiji renoua avec l'ancienne tradition de charité bouddhique et impériale, allant même jusqu'à créer un cadre juridique favorable au secteur caritatif. Il institutionnalisa ce secteur, avec la création d'un organe de coordination (1908) et d'onshi zaidan (1911). Cette politique lui permettait de retarder son engagement en matière de protection sociale et de garder un droit de regard sur le monde associatif. c) Un plan de protection sociale arraché aux pouvoirs publics Les premières avancées sociales concernèrent les employés du secteur minier (lois de 1890 et 1905) et du secteur public (lois de 1875, 1879, 1902, 1907). La loi de 1907 instituait une assurance maladie, accident, décès pour les employés du secteur public [277](p583-584). appuis dans l'état, l'État trouve ses appuis dans la famille, la famille trouve ses appuis en ellemême. » [367](V.1 p 96) 147 D'autres onshi zaidan seront établis plus tard: le service d'aide sociale Keifukukai (1924), le Aiikukai (1934) pour la santé des mères et des enfants, etc. [364](p25-26) 208 Les travailleurs du secteur privé n'avaient aucune prise en charge. Aussi à partir de 1887, les employés et les entreprises créèrent des mutuelles privées (kyosai kumiai). Le Japon finit par compter 14 mutuelles privées, toutes fondées par Édit impérial sans implication du Parlement. Ces assurances (maladie, accident et décès) étaient financées par l'employé et l'employeur [277](p585). Or des bureaucrates démontrèrent la responsabilité des usines textile dans la propagation fulgurante de la tuberculose. Ceci aboutit finalement au vote de la Loi du travail (décret impérial de 1911), qui obligeait le patronat à indemniser les employés [277](p587-588). Cependant, il s'agissait d'un compromis, les patrons ayant obtenu que le travail de nuit pour les femmes et le travail des enfants soient maintenus. De plus le gouvernement, influencé par le lobby industriel, réussit à retarder l'application de la loi jusqu'en 1916 [143](p230-231). Cependant que ce soit dans le secteur privé (loi 1911) ou le secteur public (loi 1907), les risques causés par la négligence de l'employé ou survenant en dehors du travail étaient toutefois exclus de la loi. Certes il existait une législation pour la prise en charge de quelques maladies ; loi sur les maladies contagieuses (1897), les maladies mentales (1900 puis 1906), la lèpre (1907), la tuberculose (1919), le trachome (1919), les hôpitaux psychiatriques (1919) [277](p580,588), cependant les mesures prévues étaient uniquement de nature coercitive. Face à la tension sociale, le gouvernement vota pour les employés du secteur privé la Loi d'assurance maladie de 1922. Celle-ci étendait l'assurance prévue par la loi 1911 au cadre extraprofessionnel. Elle imposait aussi un financement à part égale entre l'entreprise et l'employé [277](p590). Toutefois, il fallait compter 180 jours d'arrêt maladie avant d'avoir droit à ces indemnités ; et la plupart du temps les employeurs renvoyaient les travailleurs malades pour un autre prétexte afin de ne pas avoir à leur verser cet argent [143](p260). De plus, elle ne couvrait pas les personnes à charge. Ce n'est qu'en 1961, que le Japon se dota d'un système public de couverture sociale universelle. 2) Le paysage hospitalier moderne de Meiji a) 1868-1880 : le monopole du secteur public Sous Meiji, le nombre d'hôpitaux augmenta de façon exponentielle : en 7 ans (18741881) ce nombre passa de 52 à 510 [10]. Toutefois, ces chiffres ne rendent pas compte de la réalité de l'hôpital sous Meiji. *Un grand nombre de petites structures Au début de Meiji, ce que l'on appelait hôpital était le plus souvent un ancien temple abandonné transformé en structure pouvant héberger une dizaine de patients environ. La plupart du temps, on n'y trouvait aucune infirmière, les soins étant assurés par la famille du patient. Les praticiens qui y exerçaient ne faisaient pas partie de la nouvelle génération médicale [57]. *Une poignée d'hôpitaux attachés aux écoles publiques Dans les hôpitaux attachés aux écoles médicales régnait une atmosphère très particulière. Sous influence germanique, le chef du département, à la façon du Chef Artz, tenait sous son contrôle tout le personnel, infirmières et médecins inclus [156]. Officiellement ces hôpitaux avaient été créés pour soigner toute la population. Mais au contraire de leurs homologues européens, rapidement, seuls les patients fortunés y furent reçus. 209 Ainsi en 1876, le Bureau de santé publique remarquait à juste titre : « Les hôpitaux de notre pays sont très différents de ceux d'Europe ou d'Amérique car ils prodiguent majoritairement des soins aux classes les plus aisées. » [57] b) 1880-1900 : L'explosion du secteur privé (1) Politique gouvernementale de fermeture des hôpitaux publics L'eisei (1874) prévoyait que seuls les hôpitaux attachés aux écoles médicales pouvaient prétendre à un financement gouvernemental, lequel devait être complété par des aides locales. Ainsi le financement d'un hôpital public dépendait totalement de son affiliation à une école publique [156]. Or, en raison d'une politique déflationniste, le gouvernement programma par la suite la disparition des écoles publiques. La loi de 1882 força à la fermeture les écoles n'employant pas de diplômés de la Faculté médicale de Tokyo. Mais c'est surtout la loi de financement de 1886 (décret d'application 1889) qui sonna le glas du secteur public : elle supprimait le financement des écoles par les taxes locales, ce qui revenait à couper les vivres aux écoles publiques non nationalisées. Par conséquent, à partir de 1889 la plupart des écoles publiques fermèrent ainsi que les hôpitaux qui y étaient rattachés. Les autres furent convertis en hôpitaux privés [156],[10]. (2) Ouverture de cliniques privées en zone urbaine En parallèle, on assista à une explosion du secteur privé. Les jeunes médecins ambitieux formés pendant la décennie 1870 se retrouvèrent sur le marché à partir des années 1880. Ils créèrent leurs propres cliniques, de préférence en zone urbaine. La fermeture des structures publiques préfectorales et municipales débutée en 1889 précipita cette tendance. Par exemple à Tokyo, le quartier Surugadai (Kanda) fut alors surnommé le « quartier des hôpitaux », les cliniques privées proliférant comme des champignons le long des rues. Comme la concurrence était forte, ces cliniques se lançaient dans des campagnes publicitaires parfois éhontées, promettant par exemple « la guérison totale de l'épilepsie en une semaine ». Comme pour les précédents hôpitaux publics, ces cliniques privées s'adressaient aux classes les plus favorisées [57]. En conséquence de la politique gouvernementale et de l'arrivée des premiers médecins « modernes » à partir de 1888 le ratio entre secteur public et privé s'inversa : de 241 hôpitaux publics pour 122 hôpitaux privés en 1880, on passa à 136 hôpitaux publics pour 518 hôpitaux privés en 1898 [10]. 210 c) Le troisième secteur japonais... Je regroupe sous ce terme tous les hôpitaux privés ou semi-privés à but non lucratif, régis par le système koeki hojin et des onshi zaidan. (1) L'hôpital Jikeikai En 1882, Kanehiro Takaki, médecin de la Marine, fonda l'hôpital de charité Yushi kyoritsu Tokyo byoin. On peut traduire Yushi kyoritsu Tokyo byoin par « l'hôpital de Tokyo fondé par des personnes intéressées par le bien-être de la communauté ». Takehiro Takaki, formé au Saint Thomas Hospital de Londres, voulait rompre avec la tendance des hôpitaux publics japonais ; en effet au Yushi kyoritsu Tokyo byoin, Takaki refusait de soigner les gens riches. Il reçut l'appui financier des médecins officiers de la Marine et de la famille impériale. Au début le directeur de l'hôpital était le Prince Takehito Arisugawa. Ce prince issu de la branche cadette de la famille impériale était lui aussi un officier de la Marine, et comme beaucoup d'entre eux, avait été formé en Angleterre. Rebaptisé par la suite Jikeikai Iin, cet hôpital resta sous le mécénat de la famille impériale. (2) Les hôpitaux de la croix rouge japonaise (Hakuai-sha byoin) Le fondateur de la Croix Rouge japonaise est le médecin Tsunetami Sano. Formé par Koan Ogata puis par Pompe il avait été chargé pendant le bakumatsu de moderniser les forces militaires de son fief. A la Restauration il garda ce statut d'expert militaire et partit en mission en Europe. Là, il découvrit le principe de la Croix-Rouge. En 1877 éclata la guerre du Seinan (guerre du sud-Ouest). Il s'agissait en fait de l'insurrection d'anciens samouraïs qui se sentaient lésés par la perte de leur statut. Touché du sort de ses anciens compagnons, Sano proposa au Prince Takehito Arisugawa de fonder la Hakuai-sha, littéralement « Société de philanthropie ». Malgré l'opposition du gouvernement central, il finit par établir cette société dans le sud, à Kumamoto. Placée sous la responsabilité des médecins chef de l'Armée et de la Marine, la Hakuai-sha dispensait des soins aux blessés des deux camps (Armée Impériale et samouraïs rebelles). A l'occasion de son adhésion à la convention internationale de Genève, la Croix-Rouge japonaise créa son premier hôpital, le Hakuai-sha byoin en 1887 [185]. (3) Les hôpitaux Saiseikai En 1911, l'Empereur Meiji proclama la création d'une fondation privée destinée aux démunis, la Saiseikai. En 1936, cette fondation comportait 15 hôpitaux, 3 sanatoriums, une maternité, une infirmerie, 10 unités mobiles de médecins, 12 unités mobiles d'infirmières et 61 cliniques [10]. Après la deuxième guerre mondiale, elle devint un véritable organe de santé publique avec un hôpital dans chaque préfecture [261]. 211 C Les plans de santé publique Pendant Meiji, le modèle de santé publique s'est forgé dans le creuset de la lutte épidémiologique. La campagne de vaccination antivariolique et l'éradication du choléra monopolisèrent les trente premières années de Meiji, aussi peut-on les considérer comme les deux plans fondateurs du système de santé japonais. 1) Lutte contre les épidémies L'ouverture des ports au commerce international (1858) fut suivie d'une augmentation rapide de la morbidité et de la mortalité. Des épidémies de choléra et de rougeole, puis de typhus et de peste bubonique dévastèrent le pays. A part la rougeole, toutes ces maladies étaient nouvelles. Les épidémies de choléra provoquaient des émeutes populaires, de la même manière qu'en Europe. Dans le même temps, la variole -depuis longtemps endémique, continuait de sévir [137]. Le gouvernement considérait ces épidémies comme une double menace. D'un côté, elles affectaient les ressources humaines de la nation et de l'autre, étaient synonymes d'instabilité sociale. Aussi la lutte contre les maladies infectieuses devint la priorité numéro une. Sensai Nagayo, le directeur du Bureau des affaires médicales, se polarisa sur 2 axes : la vaccination antivariolique et la lutte contre le choléra. a) La campagne de vaccination antivariolique Pendant l'hiver 1870-1871, comme une sévère épidémie de variole ravageait Tokyo, deux médecins de la légation anglaise, Siddall et Newton, persuadèrent le gouvernement de mener une campagne de vaccination [48](p46). Le gouvernement de Meiji fit d'abord des recommandations aux autorités locales [10] et finit par nommer au poste de directeur des affaires médicales un rangakusha rompu à la vaccination jennérienne, Sensai Nagayo. Nagayo était médecin ranpo vaccinateur de formation, tout comme son père et son grand-père. Ce dernier, Shuntatsu Nagayo, avait été un pionnier de la méthode jennerienne 148. Le penchant de la famille Nagayo pour les études rangaku et la vaccination jennérienne fut certainement un argument décisif en faveur de cette nomination. De plus Sensai avait fait partie de la mission Iwakura (1871-1873). (1) Réglementation et bonnes pratiques La première initiative de Nagayo fut d'interdire la variolisation au profit de la méthode jennérienne. Seuls des médecins certifiés avaient le droit de vacciner. Ils devaient vérifier le résultat et délivrer un certificat en cas de réussite. Toutes ces prestations étaient gratuites [137]. En 1876, la vaccination devint vraiment obligatoire [99]. Les enfants devaient être vaccinés entre 75 et 100 jours, avec deux rappels tous les 7 ans. Le fait de ne pas respecter cette obligation était sanctionné par une amende [137]. 148 Avant même que la vaccine ne soit disponible au Japon, il étudiait la technique jennérienne dans des ouvrages hollandais et essaya d'infecter des vaches dans le but de vacciner des enfants [48](p 25), [138] (p138). A l'arrivée de la vaccine (1849), il partit chercher la lymphe hollandaise à Nagasaki pour vacciner son fief (Hizen à Omura) [137]. 212 (2) Le premier centre de référence vaccinal Pendant Edo, un réseau de médecins vaccinateurs s'était développé en périphérie de l’autorité centrale, mais ceux-ci ne savaient utiliser que la méthode « bras à bras », dont l'efficacité s'atténuait au cours des passages. Aussi, pendant son séjour à la Hague en 1871, Nagayo avait tenu à assister à la production de vaccine à partir de lymphe de veau [137]. Il acheta l'équipement qui lui permit de reproduire ce procédé dès 1873. En 1874, le premier Centre de distribution de vaccine ouvrit à Tokyo. Il comprenait une clinique de vaccination gratuite et un laboratoire de production. Ce centre devint rapidement une référence dans la région : les émissaires de l'ambassade de Corée puis de Russie vinrent demander conseil aux japonais en 1880 [137]. A présent, le Japon disposait de sa propre chaîne de production-distribution de vaccin, bien que la méthode « bras à bras » restât une bonne alternative dans les régions reculées [137]. (3) La mise en place des statistiques sanitaires Sous Edo, les temples tenaient des registres de naissance et décès, ou kakocho, l'équivalent de nos registres paroissiaux. Ceux-ci contenaient parfois quelques indications sur les circonstances de décès. Selon le Pr. Jannetta, les kakocho seraient plus fiables que les registres shogunaux (shumon aratame cho149) [139]. Mais à partir de 1849, les médecins vaccinateurs se mirent aussi à tenir des statistiques de leurs résultats [137]. Par exemple, Brett Walker relate la tenue de statistiques assez complètes pendant la campagne de vaccination des Aïnous de la province d'Ezo [353]. Toutefois, ce phénomène n'avait rien de systématique et variait suivant les régions et les volontés. En 1872, l'Etat remplaça le système shogunal du shumon aratame cho par le koseki, un registre où devaient être signalés les différents évènements familiaux (naissance, adoption, mariage, décès) [139]. De son côté, Nagayo systématisa la démarche des médecins vaccinateurs à l'échelle nationale. Il demanda aux médecins d'envoyer le recueil des cas de variole et de vaccination au Bureau d'hygiène tous les 6 mois [137]. Cette méthode de recueil allait servir de prototype pour les autres maladies infectieuses [137]. En à peine une dizaine d'années (1872-1880), le Japon se rendit autonome en matière de vaccination tout en jouissant d'une certaine notoriété vis à vis de ses voisins. Ce fut aussi l'occasion de mettre en place le premier agenda de santé publique, d'appliquer des règles de bonne pratique et d'introduire un système de recueil statistique à l'échelle nationale. Mais en plus de la vaccination, Nagayo eut rapidement une autre campagne à mener : celle de la lutte anticholérique. b) La lutte anticholérique Au 19e siècle, la menace cholérique stimula l'essor des techniques de santé publique [269](p 88). Cependant il n'existait pas de règles fermement établies, 149 Ces derniers contiendraient plusieurs biais. D'une part, la population se méfiait des conséquences de ces déclarations sur le montant de l'imposition ou pour la conscription, et par ailleurs les samouraïs en étaient exclus [139]. 213 chaque pays oscillant entre deux types de mesures : amélioration des conditions de vie pour les partisans de la théorie des miasmes ou quarantaines pour les défenseurs du contagionisme. Ceci se comprend puisqu'il n'y avait pas encore de preuve tangible de l'étiologie infectieuse de cette maladie. Certains médecins, peutêtre plus sages, choisirent même un compromis théorique, c'est le cas par exemple de Pettenkoffer avec son « contagionisme contingent ». On pourrait donc se demander ce qui guidait les états dans le choix d'une politique de santé publique. Or les historiens de la médecine ont repéré l'existence d'une relation entre la politique économique du pays et le type de lutte choisi. Ainsi le Pr. Erwin Ackerknecht a avancé en 1948 une théorie qui depuis fait autorité. Cette théorie oppose le modèle libéral en faveur de la méthode environnementale et le modèle conservateur en faveur d'un modèle quarantenaire et centralisé [5]. Nous proposons de vérifier l'hypothèse d'Ackerknecht dans le Japon de Meiji. Dans cette optique, nous décrirons d'abord le type de lutte anticholérique choisi sous Meiji (politique sanitaire). Puis, en se basant sur la théorie dichotomique d'Ackerknecht, nous verrons que l'archétype politico-économique n'est pas un argument totalement viable (modélisation). (1) Politique sanitaire Première phase Le Bureau d'hygiène (Eisei kyoku) ne commença à s'occuper sérieusement du choléra qu'avec l'épidémie de 1877. Il publia alors quelques directives de prévention et ouvrit surtout les premiers hôpitaux de quarantaine. De ces premières directives, on passa en 1880 à un règlement provisoire contre 6 maladies infectieuses (choléra, typhus, diphtérie, dysenterie, typhoïde et variole), lequel serait finalisé en 1897 par la loi de prévention des maladies infectieuses (concrètement : ajout de 2 autres maladies, la scarlatine et la peste) [65]. Ces lois successives prévoyaient l'assainissement du milieu de vie, la création d'hôpitaux d'isolement, la déclaration des cas, le signalement des foyers atteints par un écriteau et des mesures de quarantaine internationale. Mais la réalité était différente. La police traînait les malades dans des hôpitaux d'isolement -véritables mouroirs, alors que les traités inégaux150 rendaient toute quarantaine illusoire [65]. En 1879, le gouvernement créa le Comité central d'hygiène (Chuo eiseikai). Au début doté d'un rôle consultatif et provisoire, cet organe devint vite permanent et autonome. Il statuait sur les différents problèmes de santé publique et émettait des lois qui étaient ensuite adoptées par le Bureau d'hygiène151. Ce Comité Central était relayé au niveau des préfectures par des Départements sanitaires (Eisei ka) dirigés par des élus locaux. Ces Départements sanitaires étaient chargés d'appliquer les mesures de santé publiques émises par le Bureau d'hygiène et le Comité central, en collaboration avec les médecins et la police. Mais à partir de 1886, le gouvernement changea complètement de politique. Deuxième phase En 1886, le gouvernement supprima les élections de responsables civils locaux et remit les Départements sanitaires aux mains de la police : chaque préfecture de 150 Les puissances occidentales forcèrent le Japon à signer ce que l'on appelle les traités inégaux. A terme, ces traités entérinaient la libre circulation des navires de commerce occidentaux dans les principaux ports du Japon. 151 A sa tête se succédèrent des politiciens du clan Satsuma (1879-1885), Sensai Nagayo (18851902) puis Tanadori Ishiguro (chirurgien général de l'Armée depuis 1890 [143](p174-175). 214 police avait désormais la charge de coordonner les affaires sanitaires locales, sous la direction d'un officier de santé. La même année, le gouvernement compléta ce réseau par la création dans chaque village d'une Coopérative sanitaire (Eisei kumiai). Il confia la tête de ces groupuscules aux notables des villages. En 1896, il existait ainsi 160.000 Eisei kumiai qui collaboraient avec les médecins locaux, les officiers de santé, et la police. Ce réseau fonctionnait de la même façon que les anciens goningumi d'Edo, mais au lieu de faire la chasse aux chrétiens, il s'agissait de dénoncer les cas de choléra [143](p176-177). Ainsi au niveau local le pouvoir sanitaire passait totalement aux mains de la police. La lutte anticholérique n'était pas la seule visée. En effet, à partir de 1885, la campagne de vaccination devint elle aussi plus coercitive Les médecins devaient rapporter tous les mois le nom et l'adresse des personnes vaccinées aux autorités. Les citoyens quant à eux étaient tenus de déclarer les vaccinations au registre koseki. Mais surtout, la police locale contrôlait les certificats de vaccination et les koseki de sa juridiction, et venait vérifier dans les foyers s'il n'y avait pas d'enfants non vaccinés. Le système était devenu un puissant instrument de contrôle des individus mis à disposition du gouvernement [137]. Les pères fondateurs de la santé publique japonaise, Sensai Nagayo et son successeur Shinpei Goto, étaient conscients des lacunes de ce système dont la nature coercitive tranchait avec le manque de financement. Une meilleure coopération de la population ne pouvait passer que par la compréhension et la confiance. Dans cette optique, Nagayo fonda en 1883 la Société privée d'hygiène du Japon (Dai nihon shiritsu eiseikai), rapidement relayée par des Sociétés d'hygiène locales. Ce réseau fonctionnait comme une association privée, ce qui permettait aux bureaucrates d'approfondir les thèmes insuffisamment traités par le gouvernement sans attirer la méfiance de la population [143](p177-178). Par des conférences et des publications, ces sociétés cherchaient à sensibiliser la population à l'hygiène, et notamment à partir de 1890 aux dangers de la tuberculose, alors occultés par le gouvernement. (2) Modélisation Selon la théorie d'Ackerknecht, on aurait tendance à dire que le Japon a d'abord adopté un système mixte, mêlant quarantaines et gouvernance locale à l'anglaise (1872-1885), puis à partir de 1886, un système centralisé et coercitif, comparable au modèle germanique de Sanität Polizei de Frank. Cependant cette vision est quelque peu réductrice. D'une part, on commence récemment à nuancer la théorie politico-économique de Ackerknecht [219],[19](p22-33). Certes cette théorie peut servir de fil directeur à la compréhension d'un processus complexe, mais comme toute explication schématique, elle ne tient pas compte de toutes les subtilités. Par ailleurs, au moment de son élaboration, elle avait également valeur de parabole, l'auteur cherchant à éclairer l'actualité à la lumière du passé. En effet, cette dichotomie fut conceptualisée en 1948 aux États-Unis par un médecin ayant fui l'Allemagne nazie et au moment où le président Harry Truman envisageait de mettre en place un système d'assurance maladie universelle. L'auteur voulait réhabiliter les partisans de la théorie des miasmes qui, à partir d'une théorie fausse, avaient néanmoins mené des réformes progressistes. C'était un message à l'adresse du monde de la santé publique alors en plein chantier [110]. En fait il semblerait aussi qu'au 19e siècle les modèles allemands et anglais n'étaient pas si éloignés et avaient même fini par se rejoindre. Par exemple en Angleterre les officiers de santé étaient chargés de la police sanitaire au niveau local. Il existait bien une police sanitaire en Angleterre, mais en raison de l'idéologie libérale la 215 terminologie restait différente, on évitait de parler de « medical police » [62]. En outre, au milieu du 19e siècle, le système allemand n'avait jamais été aussi décentralisé [356]. Enfin, si l'on compare les réglementations japonaise et anglaise, on se rend compte que le Japon n'a en fait adopté la déclaration obligatoire des maladies qu'avec seulement 19 ans d'avance par rapport à l'Angleterre (1880/1899) [219]. Aussi il semble caricatural de penser qu'un modèle de santé publique ne s'explique que par l'idéologie politique et économique de ses dirigeants. Ainsi le facteur géo-épidémiologique joue également un rôle dans ce processus. La distance par rapport au foyer épidémique (Inde) aurait donc influencé les gouvernements dans leur choix [19](p211-243). Cette théorie peut également s'appliquer au Japon. Enfin les Japonais étaient confrontés à un paramètre important : les traités inégaux. Jusqu'à la révision de ces traités (1897), aucun contrôle des navires de commerce étrangers n'était autorisé. Or dès 1884, on savait la théorie contagioniste correcte. Peut-être, les Japonais pensaient qu'en durcissant le contrôle exercé sur la population, ils arriveraient à contrebalancer l'effet néfaste des traités inégaux ? 2) Lutte contre les maladies chroniques et mentales Hanté par la peur d'une insurrection, le gouvernement de Meiji se concentra uniquement sur le contrôle des épidémies, délaissant les maladies plus insidieuses. Certes les bureaucrates cherchèrent à remédier à ces faiblesses en créant la Société Privée d'Hygiène du Japon, néanmoins celle-ci n'avait rien d'un véritable programme de santé publique. Au mieux, elle permettait de vulgariser les découvertes scientifiques concernant les maladies négligées par le gouvernement. De surcroît, un amalgame inquiétant s'amorçait. En effet, au Japon, on pensait que les maladies chroniques incurables affectaient la descendance, d'où le terme de yamai make, « lignée malade ». Ces croyances traditionnelles trouvaient écho dans le darwinisme social qui attribuait l'origine des maladies et des déviances à l'hérédité. Les malades devenaient des délinquants qu'il fallait retrancher du reste de la société. Cette politique de santé publique pavait la voie à l'eugénisme national 152. a) La gestion de la Lèpre Au début de Meiji, outre l'abolition des ninsoku yoseba il n'y eut pas de grand changement dans la vie des lépreux. La plupart d’entre eux menait une vie d'errance. Dans la lignée des lazarets bouddhiques et des misericordia Nanban, des fondations religieuses, d'obédience bouddhique (secte Nichiren) ou chrétienne (léproserie de Kamizawa fondée en 1889 par le Français Germain Léger Testevuide, léproserie de Kumamoto fondée par l'Anglaise Hannah Riddel en 1894) continuaient à les accueillir [66]. Mais à partir de 1899, année où les étrangers furent autorisés à circuler librement au Japon, le gouvernement s'intéressa soudainement au sort de ses lépreux. L'image du Japon moderne ne devait pas souffrir de l'existence de ces éclopés errants sur les routes. 152 En 1940, le Japon vota la loi sur l'eugénisme national. Inspirée de la loi allemande de 1933 celle-ci préconisait la stérilisation des individus atteints de maladies héréditaires, des malades mentaux et des criminels. 216 Un an après, le gouvernement recensait ces malades (30.000 cas en 1900), et examinait d'un œil attentif les projets de lois concoctés par le dermatologue Kensuke Mitsuda. Mitsuda était partisan d'une quarantaine totale des lépreux. Certes, lors du premier congrès international contre la lèpre (Berlin, 1897), auquel avaient assisté deux médecins japonais [215], le dermatologue français Ernest Besnier (1831-1909) avait réussi à faire admettre la faible contagiosité de cette maladie et l’inutilité d’une quarantaine absolue [256]. Néanmoins, d’un point de vue colonialiste (hantise des lépreux d’Inde et d’Asie), il existait des partisans de l’isolement systématique [256]. L’un des plus virulents, l’Américain Ashmead, avait travaillé 3 ans à Tokyo. Cet homme déclarait : « In the absence then of a cure for leprosy there is nothing that will solve the problem but laws of isolation as strict as those proposed by the isolation fanatics. » [14] Dans ces circonstances, le gouvernement japonais accorda raison à Mitsuda et vota la Loi de Prévention de la lèpre (1907). Celle-ci stipulait que tout lépreux surpris en train de vagabonder devait être arrêté par les forces de police et amené dans un des cinq établissements prévus à cet effet [66]. Les mesures prises à l'encontre des lépreux se durcirent encore plus : en 1916 décision d'une quarantaine absolue sur l'ile de Nagashima, en 1931 interdiction de certains métiers et extension de la quarantaine à tous les lépreux, en 1938 création de pièces spéciales de nature pénitentiaire (tokubetsu byoshitsu), en 1948 officialisation de la vasectomie et de l’IVG (pratiques existantes depuis 1915, avec notamment des cas d’euthanasie des nourrissons) [66],[215]. Et même malgré l'existence d'un traitement sulfoné (le Promine, dès 1941) la quarantaine continua après la guerre, l'occupant américain la respectant même à Okinawa [66]. En 1953, elle ne fut qu'assouplie et il fallut attendre 1996 pour que soient abolies toutes les lois discriminatoires à l'encontre des lépreux [66]. b) Maladies vénériennes De 1867 à 1870, le Dr Newton, médecin de la légation anglaise, s'était employé à doter les principales villes portuaires d'hôpitaux vénériens [48](p46). Le gouvernement japonais prit ensuite le relais. Au retour de la mission Iwakura (1873), Toshiyoshi Kawaji, qui avait été chargé de l'observation des systèmes de police européens, remit un rapport dans lequel il décrivait la façon dont Allemands et Français géraient ce problème. À Paris et à Berlin, c'était la police qui obligeait les prostituées licenciées à se soumettre à des examens réguliers. Aussi le gouvernement japonais copia ses modèles : à Tokyo, il réserva 5 quartiers au commerce de la prostitution et dans chacun établit un centre de contrôle [56]. En 1882, le Japon comptait 130 hôpitaux de ce type [10]. De leur côté, les autorités locales prirent des dispositions pour le dépistage de la syphilis chez les prostituées, avec possibilité d'internement en cas de maladie. Mais en l'absence d'un encadrement sérieux et de la gratuité des soins, ces mesures restaient illusoires. En effet, l'hospitalisation des malades était le plus souvent abrégée pour des raisons économiques, sous la pression des tenanciers impatients [96](p42-48). En 1900, le gouvernement prit le contrôle du dossier. Le ministère de l'intérieur édicta le Règlement de régulation des prostituées licenciées. Pour obtenir une licence, il fallait désormais passer un examen médical, puis se soumettre à un contrôle hebdomadaire. La police pouvait arrêter les prostituées illégales et les contraindre à passer l'examen [96](p42-48). Cette loi fut élargie aux geishas en 1927 [10]. 217 Néanmoins le système de santé ne se focalisait que sur la surveillance des prostituées, les hommes étant exclus du programme. Par ailleurs, avec la loi de 1900, le gouvernement ne faisait que légitimer une tradition instaurée par les Tokugawa (système de licence). Seul l'occupant américain osa s'attaquer aux sources du problème : il interdit la prostitution en 1946 et mit en place en 1948 un programme de prévention (éducation et dépistage prénuptial) [10]. c) Tuberculose Depuis le début du 19ème siècle, la tuberculose décimait les jeunes ouvrières des filatures. Une fois malades, elles rentraient dans leur village et contaminaient leur famille. Les professeurs d'écoles et les conscrits n'étaient pas épargnés par la tuberculose : on lui imputait 40% des décès dans l'armée [143](p244) et un tiers des décès dans le corps enseignant [143](p235). C'était par ailleurs le motif principal d'exemption pour le service militaire. Officiellement le Japon reconnaissait l'étiologie bactériologique et l'unicité de la maladie : des médecins avaient assisté au congrès international de Paris en 1899 et les manuels enseignaient que seul l'examen bactériologique pouvait apporter la certitude du diagnostic [142]. Mais, dans la pratique, il n'existait pas de programme de prévention et les médecins se cachaient derrière l'ancienne nosographie cytologique, parlant de « pleurésie », ou encore de « bronchite caséeuse »… [142]. Ceci entraînait une sous-estimation de l'incidence. En 1909, le Bureau des statistiques demanda vainement aux médecins d'inscrire le mot tuberculose sur les certificats de décès [142]. En l'absence de programme public, des associations privées s'établirent à travers le pays : il existait plusieurs associations locales dans les préfectures et une association chrétienne à Tokyo (Société de la Croix Blanche, Haku juji kai). Le réseau de la Société privée d'hygiène créé par Nagayo (1883) œuvrait aussi à faire connaître la tuberculose depuis 1890. L'exemple du Saiseikai (1911) stimula quelques membres de l'élite médicale (dont Kitasato et Takaki) et politique (l'ancien Premier Ministre Yoshikawa Yoshiaki) à créer la Ligue japonaise contre la tuberculose (1913). La Société privée d'hygiène et la Ligue japonaise contre la tuberculose fonctionnaient sur un mode semi-officiel, étant même autorisées à collecter une taxe auprès de la population à partir de 1920 [143](p257). Ce mode de fonctionnement permettait de court-circuiter la machinerie législative, c’est-à-dire de puiser directement dans des fonds publics, évitant ainsi les compromis hasardeux comme ceux passés lors du vote de la Loi du travail (1911) [143](p233-236). Sur le plan législatif, le lobby des associations privées et du bureau sanitaire (présidé par Shigoro Sugiyama) aboutit au vote de deux lois : la loi sur la Création de sanatorium (1914) et loi sur la prévention de la tuberculose (1919). Toutefois, il s'agissait de mesures fantômes. La plupart des sanatoriums n'ouvrirent pas avant 1920, offrant un nombre de lits dérisoires par rapport à la demande. Quant à la loi de 1919, outre quelques recommandations (bruler les effets des malades décédés), elle donnait surtout à la police le pouvoir d'interner les malades vagabonds dans les sanatoriums. Hormis son caractère coercitif, cette loi s'inscrivait en droite lignée de la loi sur les Crachoirs (1904), préconisant l'installation de crachoirs à l'entrée des lieux publics [143](p242-248). 218 En fait, il fallut attendre l'aube de la seconde guerre mondiale pour voir apparaître de véritables mesures de prévention, seule la perspective militaire étant capable de mobiliser le gouvernement153. d) Maladies mentales Pendant longtemps la psychiatrie japonaise accusa un retard paradoxal en matière de soins. Alors qu'il existait depuis 1886 un département de psychiatrie universitaire à Tokyo, le gouvernement se contenta d'un seul hôpital psychiatrique public jusqu'à la seconde guerre mondiale, le Matsuzawa-Byoin fondé en 1879 par les autorités de Tokyo. Par ailleurs, les anciens asiles furent reconvertis en hôpitaux modernes privés, certains perpétuant les thérapies pratiquées sous Edo [248]. En réalité, la plupart des malades mentaux étaient gardés par leur propre famille. Conformément à la tradition, ils étaient enfermés dans des sashiko (cages attenantes à la maison, voire pièce aménagée) [321]. L'histoire tragique du daimyo Soma Tomotane (1879-1892) permit de remettre en question l'arbitraire de l'internement. Soma Tomotane avait été interné abusivement par son entourage qui voulait le spolier de ses biens. D'abord emprisonné chez lui, il fut ensuite interné dans hôpital psychiatrique privé, puis au Matsuzawa-Byoin où, d'après la rumeur, il mourut empoisonné. Dès le début, un ami de Tomotane fit connaître l'histoire et oeuvra pour sa libération. Ainsi il impliqua Shinpei Goto dans cette affaire. Dans Policy toward Mental Illness, 1890 Goto critiqua l'attitude complaisante des psychiatres et la carence légale en matière de protection des malades mentaux. Cette affaire passionna la presse et l'opinion publique pendant plusieurs années [56]. Cet événement influença l'adoption de la Loi sur l'internement des malades mentaux (1900). Cette loi punissait les internements abusifs et obligeait la famille à demander la permission des autorités avant d'enfermer un de ses membres dans un sashiko. En fait, elle réglementait l'internement domestique mais ne l'interdisait pas. Elle légalisait simplement une ancienne pratique [319]. Un professeur de l'université de Tokyo publia en 1918 une étude sur les conditions de vie misérables des malades enfermés dans les sashiko. En 1919, le gouvernement vota la Loi sur les hôpitaux psychiatriques mais sans débloquer les fonds nécessaires pour la construction d’hôpitaux [10]. Le gouvernement était face à un paradoxe : il voulait isoler les malades, perçus comme une menace pour la nation, mais sans construire de structures adaptées. La solution était donc de se dédouaner sur la famille. Pendant la seconde guerre 153 En 1931, à l'occasion de l'Incident de Mandchourie, l'Armée mena une étude sur la tuberculose chez les soldats. Les constatations étaient alarmantes: l'armée épuisait les jeunes paysans robustes qui finissaient par contracter la tuberculose, puis étaient renvoyés sans le sou dans leur foyer, de surcroît inaptes au travail. Pour un Japon en pleine phase expansionniste, le péril était double: la tuberculose minait la Nation de l'extérieur (sur le front) et de l'intérieur [143](p270-284). Poussé par le pouvoir militaire, le gouvernement commença à prendre de véritables mesures. En 1938, à la demande du Bureau médical de l'Armée, le gouvernement créa un Ministère de la santé (Koseisho), et dans le creuset de la guerre, il affecta les fonds nécessaires à la prévention de la tuberculose. Il remplaça l'ancienne Ligue japonaise contre la tuberculose par une organisation plus officielle, l'Association japonaise contre la Tuberculose (1939), fondée comme le Saiseikai par un don de l'Impératrice. Et surtout il vota la Loi sur la santé nationale (1940): celle-ci mettait à disposition de plus de 10 millions de Japonais (majoritairement les garçons entre 15 et 25 ans et les travailleurs) un programme de dépistage (IDR, radiographie), de vaccination et de traitement antituberculeux (1945). Le Ministère de la santé et l'Association firent également construire de nouveaux sanatorium et des pièces d'isolement dans les foyers comptant un cas de tuberculose [143](p279-284). 219 mondiale, la loi de stérilisation (1940) fit peu de victimes, mais par contre beaucoup de malades mentaux moururent de faim dans les hôpitaux psychiatriques [248]. L'internement domestique ne fut aboli qu'en 1950, sous l'occupation américaine. 3) La santé militaire La médecine militaire était une discipline très importante aux yeux du gouvernement. Pendant la période des traités inégaux, la crainte de l'ingérence occidentale motivait l'entretien d'une armée de défense, perspective qui fit rapidement place au rêve de panasiatisme. Dans ce contexte, les médecins militaires s'intéressèrent très tôt à l'amélioration des conditions de vie des soldats, laissant derrière eux une littérature assez impressionnante. Dès 1884, le chirurgien naval Kanehiro Takaki, formé au Saint Thomas Hospital de Londres, clamait l'étiologie nutritionnelle au béribéri. Dans son article On the Cause and Prevention of Kakke (Etiologie et prévention du béribéri, 1885), il expliquait ses recherches sur le régime des marins, citant le livre du professeur Edmund Alexander Parkes (A Manual of Pactical Hygiene, 1864), hygiéniste militaire anglais connu pour avoir demandé l'amélioration des conditions de vie des soldats britannique en Turquie [195]. A l'occasion du premier conflit sino-japonais (1895-1896), Mori Ogai (futur chirurgien général de l'armée impériale) et Yasuzumi Saneyoshi (futur amiral) publièrent deux monographies concernant l'hygiène militaire. Le livre d'Ogai, Eisei Shinron (Un Nouveau Manuel d'Hygiène, 1897), revisitait le Lehrbuch der Hygiene (1890) de Max Lubner sous un angle strictement militaire. Considéré comme une bible au Japon, il devint le manuel de cours des étudiants de l'armée [167]. L'autre ouvrage, traduit en anglais sous le titre The Surgical and Medical History of the Naval War Between Japan and China, 1894-1895 (1901) relatait tous les événements médicochirurgicaux de la campagne de 1895. Ainsi il décrivait en détail les blessures rencontrées (jusqu'au mécanisme lésionnel), les interventions chirurgicales et les mesures de prévention employées (chimioprophylaxie de la malaria, prévention du choléra, du béribéri [290]. A l'approche de la guerre russo-japonaise, le gouvernement japonais augmenta drastiquement le nombre de chaires médicales au détriment des autres disciplines universitaires (droit, sciences, ingénierie, lettres, agriculture) [167]. Les efforts du Japon dans le domaine de la santé militaire forcèrent l'admiration du chirurgien américain, le général Louis Livingston Seaman, observateur pendant le conflit russo-japonais (1904-1905). Dans son livre, The Real Triumph of Japan. The Conquest of The Silent Foe (1906), il soulignait l'importance du rôle de la médecine militaire japonaise dans la victoire sur la Russie. Selon lui, depuis 200 ans d'histoire militaire, on n'avait jamais vu une mortalité indirecte si faible. En effet les statistiques militaires (tables de Longmore) montrent qu'il existait jusque-là un rapport constant de 4 décès par maladie (cause indirecte) pour un décès par blessure de guerre (cause directe) (guerre de Crimée, campagne française à Madagascar en 1895, guerre d'Indépendance, guerre des anglais en Afrique du Sud ou guerre de Boer, guerre entre le Mexique et les États-Unis, guerre hispano-américaine, guerre sinojaponaise). Or pendant la guerre russo-japonaise, ce rapport passa de 1 décès par maladie pour 3 décès par blessure de guerre [298](p2-5). Ainsi, de son expérience de 1895 le Japon avait tiré un enseignement : la première guerre à mener se situait dans le domaine de la santé. La santé militaire avait fait 220 d'énormes progrès en matière de prévention contre les maladies infectieuses. L'officier de santé militaire devait être polyvalent : « In fact, everything which tends to the maintenance of the physical and moral welfare of the soldiers comes within the province of the military medical officer. Furthermore, it's demanded of him that he be well grounded and experienced in the practice of medicine and surgery in their various branches: he is at once a sanitary expert, a general practitioner, a surgeon, a specialist in various diseases, sometimes a chemist, a microscopist, an X-ray operator, and so far as insects are concerned in the propagation of diseases, something of an entomologist. » [298], pages 147-148. Malgré sa victoire sur un pays occidental et le record remarqué par Seaman, l'état des troupes n'était pas si reluisant. En raison d'un conflit d'école entre l'Armée progermanique et la Marine pro-britannique, et certainement aussi pour des raisons économiques, l'Armée s'était obstinée à ne pas enrichir le régime de ses soldats. Le béribéri touchait 20% des soldats dans l'armée, alors qu'il avait complètement disparu de la Marine depuis que Takaki Kanehiro ayant fait améliorer la cambuse [237]. Par ailleurs, en raison du retard dans la prise en charge civile des maladies chroniques, moins de 10% des conscrits étaient aptes vers 1900 car atteints de tuberculose, syphilis, ou encore de maladie digestives [65]. 4) La santé coloniale A l'issue de sa défaite lors du premier conflit sino-japonais (1894-1895), lors du traité de Shimonoseki (1895) la Chine céda Taiwan et le Liaodong au Japon, et reconnut l'indépendance de la Corée. Le docteur Shinpei Goto, ancien directeur du Bureau d'hygiène, devint gouverneur civil de Taiwan (1898-1906) et plus tard, directeur du chemin de fer sud-mandchourien (1906-1908). Sur les traces de ce haut-fonctionnaire, nous verrons comment la médecine servit alors à la pénétration coloniale en Asie du Sud-Est, notamment à Taiwan et dans le Liaodong. Ce sera également l'occasion de rappeler les rapports entre colonialisme et recherche biomédicale. a) Taiwan Jusqu'à l'arrivée de Goto (1908), les précédents gouverneurs avaient chargé l'Armée de maintenir l'ordre, mais en réalité ils ne contrôlaient pas en profondeur la société taiwanaise. Goto décida alors de mettre en application ses « principes biologiques » : pour transplanter avec succès le système japonais à Taiwan, il fallait l'adapter aux structures sociales indigènes. Goto Shinpei envisageait la gestion de Taiwan de façon globale : d'abord il pénétrerait les mœurs sociales, et ensuite créerait un réseau de contrôle aussi bien dans le domaine sanitaire, qu'économique. La médecine coloniale servirait d'écheveau à cette prise de contrôle154. 154 Ainsi Goto créa le Comité d'investigation des vieilles traditions taiwanaises (1901), lequel compulsa un volumineux rapport, source de renseignement précieux sur les coutumes taiwanaises et chinoises [133](p 74). Il fit recenser les surfaces arables (1898) et la population (1903) dans le but d'estimer les richesses du pays. Il fit également un travail de mise en valeur: construction des infrastructures, de l'industrie sucrière. A la fin de son mandat, en moins de 10 ans (1898-1906), les revenus fiscaux de Taiwan la rendait indépendante de Tokyo [133](p74-79). 221 D'abord il donna le pouvoir civil et sanitaire à la police, tout comme au Japon. Au Japon, la police travaillait en collaboration avec les Coopératives sanitaires (Eisei kumiai), aussi il fallait inventer l'équivalent taiwanais de ces Coopératives sanitaires. Les Coopératives sanitaires japonaises (Eisei kumiai) s'inspiraient des anciens goningumi d'Edo. Or au 17e siècle les Chinois avaient instauré à Taiwan le baojia qui était un système d'auto-surveillance de la population comparable aux goningumi d'Edo. Le baojia (hoko en japonais) était organisé de la manière suivante : dix foyers formaient un ko et 10 ko formaient un ho. Aussi Goto décida de se servir de ces hoko pour créer les coopératives sanitaires taiwanaises. De la même façon qu'au Japon, les chefs des ho et des ko étaient approuvés par les autorités locales, c'est-à-dire la police. Ainsi les forces de police et les chefs des Hoko collaboraient pour faire appliquer la loi et respecter les mesures de santé publique. Le gouvernement japonais établit le département médical de l'Université impériale de Taipei, sur le modèle de Tokyo et la médecine traditionnelle fut marginalisée. Il construisit également des hôpitaux de quarantaine pour les maladies épidémiques, puis pour la lèpre et la tuberculose [117]. L'autre objectif était de créer une enclave sanitaire pour les colons, ce qui passait par le contrôle sanitaire des indigènes et la résolution des maladies endémiques. A cet effet, fut créé le Comité de recherche en maladies locales et infectieuses (1899). Goto s'entoura alors d'infectiologues proches de l'éminent Shibasaburo Kitasato. Tomoe Takaki, un ancien assistant de Kitasato (recherches sur la peste à HongKong en 1894) fut nommé Directeur du Bureau d'hygiène de Taiwan. Il était alors responsable au Japon de la section de quarantaines du Bureau d'hygiène. La lutte contre la malaria occupa le gouvernement colonial jusqu'à la rétrocession de Taiwan à la Chine (1945) [124]. En fait, cette lutte présentait un problème économique majeur : fallait-il choisir la méthode anti-vectorielle prônée par l'Anglais Ronald Ross dans les colonies britanniques ou plutôt la chimio-prophylaxie telle que Koch l'expérimentait en Nouvelle-Guinée ? On orienta la recherche vers la deuxième solution, apparemment moins onéreuse. En 1913, le gouvernement colonial approuva le programme de lutte proposé par Tomoe Takaki : chefs des hoko et police devraient obliger la population à un dépistage sanguin systématique, lequel en cas de positivité serait suivi d'une prise de quinine sur 18j en présence d'un policier. Néanmoins ce programme ne s'appliqua qu'aux régions mises en valeur ou habitées par des colons japonais et qu'aux individus âgés de 2 à 50 ans. Cette campagne ne permit pas de faire reculer la malaria. Or, pendant la construction du canal de Panama, les Américains triomphèrent du paludisme en éradiquant l'Anophèle. Aussi à partir de 1919, le gouvernement japonais confia à la population la tâche d'éradiquer les gîtes vectoriels sous le contrôle des chefs de hoko et de la police [369](p35-44). Toutefois la population taiwanaise trouva cette entreprise non seulement infaisable mais également l'abattage des forets de bambou inacceptable (sacrilège culturel) [300]. b) Péninsule du Liaodong (Mandchourie du Sud) Dans la péninsule du Liaodong, la Compagnie Ferroviaire Sud-Manchoue permit d'implanter comme à Taiwan un système de santé publique recyclant la structure sociale autochtone mais aussi un Comité de Recherche en Maladies Infectieuses et Locales et une école médicale. On développa la recherche en parasitologie et infectiologie, l'accent étant mis sur la schizostomiase et la malaria [124]. Un autre organisme de recherche, l'Institut de Santé Publique de la Compagnie Ferroviaire 222 (1926), travaillait en étroite collaboration avec l'Institut Kitasato de Tokyo. Il fut intégré à l'Unité 731 en 1938 [124]. De la même façon qu'au Japon, la santé publique connut deux phases : d'abord celles des édits d'urgence (quarantaine, prostitution, gestion des ordures) puis à partir de 1910 des campagnes de prévention scolaire, de vaccination, de contrôles sanitaires et même la construction de l'hôpital moderne de Dairen, vitrine d'avancée technologique dans toute l'Asie du sud-est (1926), mais néanmoins réservé aux riches colons [259]. Ainsi, après avoir participé au plan de modernisation du Japon, la médecine moderne participa au plan de colonisation en Asie du Sud Est. Elle contribua de deux façons à l'implantation japonaise. D'un côté, elle assainissait le milieu, recréant des conditions de vie favorables aux colons. De l'autre, elle créait un espace disciplinaire qui permettait de contrôler l'ensemble des affaires intérieures. Par ailleurs, la médecine coloniale servit de tremplin à la recherche en infectiologie et parasitologie. Chaque colonie possédait un institut de recherche travaillant en collaboration étroite avec l'Institut de maladies infectieuses de Tokyo et l'Institut Kitasato (sujet développé dans « La formation de la pensée médicale ») Sur le plan international, à partir des années 1910, se greffa un autre objectif : asseoir l'autorité japonaise dans la région tout en vantant les bienfaits du colonialisme (exemple de l'hôpital de Dairen), même au-delà des colonies. Dans cette optique, le Japon créa l'Association extrême-orientale de médecine tropicale (1910), le Bureau de veille épidémiologique extrême-orientale de Singapour (1925), l'Institut des sciences naturelles de Shanghai (1931). Deux fondations reçurent l'appui du gouvernement pour concurrencer l'activité de la Fondation Rockefeller en Chine : le Dojinkai et le Hakuaikai qui envoyèrent des missions médicales et établirent des hôpitaux [124]. Il faut noter qu'à la fin du 19e siècle, la médecine coloniale était une discipline toute nouvelle. A peine 30 ans après le début de sa propre modernisation, le Japon était dans ce domaine en phase avec l'Occident. Toutefois, la pensée de Shinpei Goto n'offre pas de place au doute quant au rôle de la médicalisation des populations colonisées. Cette position tranche avec l'idéal du Maréchal Lyautey qui, invité à présider la Session des Journées Médicales de Bruxelles de 1926, exposait sa conception du rôle du médecin colonial. Il concluait : « Certes, l'expansion coloniale a ses rudesses. Elle n'est ni sans reproches, ni sans tares, mais si quelque chose l'ennoblit et la justifie, c'est l'action du médecin comprise comme une mission et un apostolat. » [175], page 443. 223 Conclusion du chapitre 3 Sous Edo, le pouvoir shogunal absorba le rôle caritatif jusque-là dévolu au corps ecclésiastique. Toutefois il ne s'agissait que de perpétuer le symbole de l'aumône et non de pourvoir aux besoins d'une population. Des mesures plus pragmatiques furent néanmoins instaurées au niveau des fiefs. Les autorités organisaient des collectes d'argent et de riz afin de lutter contre la famine (kakoimai) et de décourager l'infanticide. Les médecins attachés aux igakkan devaient également participer à la prise en charge des affaires sanitaires. En outre, les daimyos avaient institué un système de récompense encourageant les dons privés. A la fin d'Edo, le schéma se modifia en réponse à de nouvelles menaces. Pour endiguer la montée du monde flottant dont faisaient partie lépreux, fous et handicapés, les grandes villes se munirent de maisons de force (ninsoku yoseba). Dans le même temps, le pouvoir central lança sa première véritable campagne sanitaire afin d'affirmer sa légitimité territoriale dans les contrées septentrionales mitoyennes de la Russie. Le bakufu se sentant menacé de l'intérieur comme de l'extérieur entrapercevait le potentiel disciplinaire de la médicalisation. Sous Meiji, le nouveau gouvernement décida de mettre en place un modèle de santé publique moderne. D'un côté, il repoussa le plus longtemps possible la mise en place d'un système de protection sociale, tout en se déchargeant sur le secteur privé. Le secteur privé comportait des systèmes de mutuelles privées mais surtout des associations caritatives à but non lucratif (3e secteur). En contrepartie, la lutte contre les maladies infectieuses fut marquée par l'emploi d'une politique extrêmement centralisée et quarantenaire. Outre l'éradication de la variole, la campagne de vaccination permit la mise en place d'un réseau de déclaration national. La lutte contre le choléra se résuma à la rafle des malades par la police puis au cantonnement dans des hôpitaux-mouroirs. Ce phénomène aurait plusieurs explications. La restauration de Meiji n'était pas le fruit d'une insurrection citoyenne mais bien seigneuriale, d'où l'absence de la notion de droit à la santé qui augurait un retard en matière de protection sociale. La mutation d'un schéma féodal vers un État-nation justifiait l'emploi d'un certain autoritarisme. Par ailleurs, le Japon dut se moderniser dans un court laps de temps et dans un climat de concurrence avec l'Occident. Au début (1873-1885), le modèle était plutôt progressiste pour l'époque, mais le manque de temps, la réticence de la population, l'entrave que représentaient les traités inégaux jusqu'à leur révision en 1897, ainsi que la proximité du foyer cholérique (Chine et Inde) ont peut-être fini par orienter les gouvernants vers l'emploi de la fermeté. Quoiqu'il en soit, la lutte contre les maladies épidémiques se solda par de bons résultats. La vaccination jennerienne permit un déclin impressionnant de la mortalité à partir de 1885 [137] et en 1899, le Japon était le seul pays d'Asie à avoir éradiqué le choléra [65]. Dans le cas des maladies chroniques (lèpre, tuberculose, maladies mentales et vénériennes), la politique de désengagement social aboutit à une discrimination des malades sans contenir la progression du nombre de cas (tuberculose, syphilis). Enfin, on note une hypertrophie de l'intérêt porté à la santé militaire et coloniale. L'état ne lésina pas à la formation de médecins militaires, qui parvinrent malgré le manque de moyens, à maintenir l'état de santé des troupes. Pour achever le rêve de panasiatisme, on choisit de mettre à profit les compétences biopolitiques de l'expert sanitaire Shinpei pour prendre possession de Taiwan et du Liaodong. 224 En fait, le système de santé publique de Meiji reflète les deux caractéristiques de la modernisation japonaise: la rupture par rapport au système féodal (naissance d'une véritable politique de santé publique) et une certaine continuité socio-culturelle. En effet on assiste à plusieurs reprises au recyclage d'anciennes structures et concepts. La tradition caritative et la coutume d'encouragement des dons privés mises en place par les autorités féodales servirent de trame à la structure sanitaire de Meiji. La rapidité du développement de mutuelles privées avec hôpitaux mutualistes s'expliquent certainement par la prégnance du modèle confucianiste et de ses dérivés économiques comme les ko155. Ninsoku yoseba et médicalisation des aïnous préfigurent en quelque sorte la politique quarantenaire et coloniale de l'ère moderne. La centralisation de Meiji repose sur des structures sociales d'auto-surveillance éprouvées, que ce soit en métropole avec les goningumi, à Taiwan et dans le Liaodong avec le baojia (hoko en japonais). On relève également une continuité entre le système de registre sous Edo (shumon aratame cho, kakocho) et le koseki auquel les parents sont tenus de signaler les vaccinations. De plus, le recueil des vaccinations par les médecins ranpo facilita le système de déclaration centralisé des cas mis en place par Nagayo. Ainsi les statistiques épidémiologiques et démographiques n'apparurent pas ex nihilo. Enfin, la longue politique de non-engagement social semble trancher avec la volonté précoce de police sanitaire centralisée ; la première d'appartenance plutôt libérale et la deuxième plutôt bismarckienne. En fait, ce paradoxe illustre la manière dont l'état japonais a assimilé des modèles étrangers. Il a sélectionné dans chacun des modèles certains éléments qui lui semblaient opportuns et aucunement reproduit un système en bloc. 155 les Ko Il existait de petites associations de personnes organisées dans un but économique ou religieux, les ko. Ces ko connues dès le Moyen-Age eurent un grand essor à partir d'Edo. Les ko religieux correspondent à une dévotion particulière à une divinité du panthéon shinto, bouddhiste, ou syncrétique. Les ko économiques sont ceux qui nous intéressent tout particulièrement. Ces associations nommées tanomoshi-ko ou mujin-ko permettait de mettre en commun une somme d'argent afin de soit la prêter à l'un des membres tiré au sort, soit de payer des entrepreneurs. Trouvant leur origine parmi les indigents au Moyen-Age, sous Edo elles servirent de système financier dans les couches populaires. C'était en fait un fond d'entraide, comme leur nom l'indique d'ailleurs : tanomoshi, du verbe tanomu (demander de l'aide) et mujin (inépuisable) [185]. 225 226 Chapitre 4: Evolution des notions de corps, de maladie et de soin au niveau de la société Table des matières I LA CULTURE MÉDICALE POPULAIRE DE LA PÉRIODE PRÉMODERNE ..................................................... 228 A Concepts archaïques ........................................................................................................... 228 1) Les entités démoniaques .............................................................................................................. 228 2) Le concept d'impureté-rétribution karmique.................................................................................... 231 3) La croyance dans le Koshin .......................................................................................................... 232 B Concepts empruntés à la littérature savante ......................................................................... 233 1) Le yojo ou yangsheng ................................................................................................................... 233 2) Le gozo roppu zu .......................................................................................................................... 234 3) Le concept du corps comme microcosme ...................................................................................... 234 II LA MODERNISATION : UNE NOUVELLE DIALECTIQUE ? ...................................................................... 236 A Devenir des concepts archaïques ........................................................................................ 236 1) Démons et apparentés .................................................................................................................. 236 2) Le concept d'impureté-rétribution .................................................................................................. 240 B Passage du yojo à l'eisei ...................................................................................................... 242 1) La tension créée autour du corps .................................................................................................. 243 2) Les signes d'assimilation ou de continuité...................................................................................... 244 C Survivance de la médecine des correspondances ................................................................ 245 III LE CONSUMÉRISME MÉDICAL D ’EDO À NOS JOURS : IMAGE DU MÉDECIN ET PLURALISME JAPONAIS ...... 248 CONCLUSION DU CHAPITRE 4 .......................................................................................................... 251 ILLUSTRATIONS DU CHAPITRE 4 ....................................................................................................... 252 227 I La culture médicale populaire de la période prémoderne Nous nous intéresserons d'abord aux concepts dits archaïques, puis aux concepts empruntés à la médecine savante d'Edo. A Concepts archaïques Ces concepts appartiennent à la démonologie et à la religion. 1) Les entités démoniaques Selon cette conception ancestrale, une entité surnaturelle envahit le corps et provoque la survenue de certaines affections (infectieuses, psychiatriques). Elle explique le recours aux pratiques shamanistiques et religieuses. a) La possession par les esprits vengeurs On croyait que l'esprit des défunts était capable d'assaillir les vivants. Le plus souvent, c'était le ressentiment (urami) lié à un sentiment d'incomplétude qui motivait le mort [264],[350] : criminel mal enterré ou mutilé, personne morte trop jeune, défunt sans descendance, fœtus avortés ou enfants tués à la naissance (victimes du mabiki), femmes mortes en couches, personnes ayant manqué à leurs devoirs sociaux (dette non honorée ou créance non recouvrée, non-respect de la parole donnée) [264]. Mais le défunt pouvait aussi agir par amour ou par haine. La possession était en quelque sorte liée à « l’état d'âme » du défunt. Par ailleurs, en accord avec la « causalité interdépendante » bouddhiste156 opposée à la pensée individualisante chrétienne, ces esprits pouvaient frapper en absence de toute culpabilité personnelle [264]. A titre préventif, les vivants multipliaient les rites d'apaisement, les ancêtres faisant l'objet d'une vénération domestique pendant des générations. En cas de risque important, les prêtres bouddhistes donnaient des cérémonies. En marge du clergé officiel, les maitres du yin et du yang (onmyoji) pratiquaient des marquages corporels, vendaient des talismans à coller aux fenêtres, et les ascètes yamabushi 157 récitaient des formules religieuses magiques à la manière des dharani sanskrits, les hika [264](Cf. Image 80 p256). On pouvait pratiquer la marche sur des sentiers de feu, le feu étant connu pour éloigner ces esprits [350], tirer son sabre ou faire vibrer la corde d'un arc (pouvoir inhérent aux arcs et aux sabres) [264]. De même, on croyait que des esprits féminins vengeurs incitaient à l'onanisme, pratique délétère car responsable de la perte d'énergie vitale, le ki [350],[264]. Sur ce point, deux types de savoirs étaient habilement mélangés, la démonologie populaire (les esprits féminins proches de nos succubes) et le yangsheng appartenant à la médecine savante (perte de l'énergie vitale ki par perte de semence). Ce deuxième point sera détaillé dans le chapitre consacré au Yojo ou yangsheng, page 233. 156 « Origine interdépendante: Appelé aussi causalité interdépendante, émergence simultanée ou coproduction conditionnée. Une doctrine bouddhique exprimant l'interdépendance de toutes choses. Elle enseigne qu'aucun être ou phénomène n'existe par lui-même, mais qu'il existe ou se produit du fait de sa relation avec d'autres êtres ou phénomènes. Tout en ce monde apparaît en réponse à des causes et des conditions. En d'autres termes, rien ne peut exister indépendamment d'autres éléments, ou naitre de manière isolée. » [125] 157 Ascètes du shugendo vivant dans les montagnes. Le shugendo est une pratique spirituelle issue du syncrétisme entre le shinto, le bouddhisme et le taoïsme. 228 b) La possession par le renard (kitsune-tsuki) On pensait que l'esprit renard avait la capacité de prendre possession du corps d'un individu, puis d'affecter sa santé ou son comportement. Cette croyance se serait cristallisée sous Edo, à la convergence de trois représentations du renard : la divinité Inari, le renard sauvage et le renard messager des dieux. En effet, la divinité Inari était devenue très populaire sous Edo ; c'était le kami de la fertilité associé à la culture du riz. Le renard sauvage quant à lui pouvait endosser une forme humaine afin de séduire un individu. Enfin, on croyait aussi en l'existence d'une troisième forme située à mi-chemin entre les deux précédentes, celle du renard messager des dieux [87],[91]. Ainsi, l'image associée au renard variait sur une échelle située entre deux extrêmes, du spirituel (Inari) au sauvage, de la prescience (messager des dieux) à l'incontrôlable. On signalera un autre type de possession, celle par le Tengu. Le Tengu est une figure démoniaque venue de Chine, le Tien ku (chien céleste) qui désignait initialement une météorite à tête de chien. Au Japon, de corps astral, le Tengu devint un démon des montagnes, dépeint sous la forme soit d'un gobelin à bec d'oiseau, soit d'un moine à long nez rouge avec des ailes. On l'associait volontiers à l'âme pervertie d'un moine défunt, un moine du shugendo qui en voulant acquérir des pouvoirs extraordinaires finissait par emprunter le tengudo, sorte de voie du Mal. Le Tengu était notamment responsable du kamikakushi (« rapt divin », « échappée de l'esprit »). Il s'en prenait en général à un jeune garçon qui après avoir disparu quelque temps dans la montagne, revenait parfois relatant un voyage extraordinaire ou était retrouvé errant dans la montagne [350],[313]. Dans les deux cas (renard, tengu), les possédés étaient considérés comme des victimes vertueuses, et la possession un état réversible. Par exemple, dans le cas du kitsune-tsuki, on faisait appel à une shamane shinto (appelée miko) ou à un prêtre capable d'exorciser le démon. Ceux-ci pratiquaient alors un rite appelé kaji-kito : incantations, mesures physiques (envelopper la personne dans de la fumée, la taper). Lorsqu'on estimait que l'esprit renard avait quitté le corps, on le « mettait » dans un temple. Il devenait ainsi un objet de révérence [87]. Cette possession correspondait la plupart du temps à une pathologie mentale. Mais on évoquait aussi des cas de femme mises enceintes par un renard. Dans ce cas non plus, il n'y avait pas de discrimination de « l'enfant renard » [350]. Ceci laisse suggérer que ces histoires de possessions couvraient parfois des cas d'abus sexuels [93](p178). c) Les kamis des épidémies : variole, rougeole, grippe On attribuait aussi à certaines divinités démoniaques le pouvoir de provoquer la variole (le kami Hoso), la rougeole (le kami Hashika) [281], et à partir du 18e siècle, les épidémies de grippe (le kami Kaze) [287]. Toutefois, seul le kami Hoso devint véritablement l’objet d’un culte établi. (1) Le kami de la variole Ainsi en temps de variole, on faisait appel aux ascètes yamabushi qui, par leur filiation shinto-bouddhiste et taoïste, étaient passés maitres dans l'art protecteur des amulettes, des formules magiques (hika), et des potions. Leur temple constituait d’ailleurs une aire sacrée infranchissable par le kami Hoso. Les parents pratiquaient des manœuvres de détournement : 229 -attraction du kami Hoso à l'extérieur du village par la danse du Hoso odori ; il s’agissait de rituels du « renvoi du kami » (kami-okuri). -utilisation de la couleur rouge apotropaïque : décor monochromatique de la chambre de l’enfant (poupée de Daruma, vêtements, tentures, serpentin en papier ou gohei, tous sont rouges, même la lumière, Cf. Image 75 p252), accrochage d’estampes de la variole (hoso-e) aux portes d’entrée, la plupart étant rouges (aka-e ou « images rouges » : Cf. Image 76 p253, Image 77 p253, Image 79 p255) voire polychromes (nishiki-e) (Cf. Image 78 p254) mais véhiculant toujours un message magique. - rites d'évitement divers (port d'un chapeau de paille donné par le temple, œuf portant le nom de l'enfant et enterré sous le seuil de la maison), marquage corporels magiques. Enfin, dans le foyer de l'enfant atteint, on dressait un autel (Hoso-dana) et une fête en l'honneur du kami Hoso devait se tenir au 6e jour et au 12e jour de la maladie. Les offrandes propitiatoires devenaient alors le prétexte à recevoir les voisins et échanger des cadeaux. Dans Dandokuron (1810), Hakuju Hashimoto décriait cette tradition d’échange qu'il comparait à un acte meurtrier. Enfin, d'autres préféraient honorer des kamis anti-kami, comme les divinités Fudo, Kannon ou encore Daimyojin (Cf. Image 81 p257) [281]. (2) Le kami de la rougeole L’iconographie populaire traite également d’un démon de la rougeole, le kami Hashika. Toutefois, celui-ci ne fit pas l’objet d’un culte domestique particulier. Les rites magiques étaient calqués sur ceux de la variole. Certes il existait également des estampes de la rougeole (ou hashika-e), mais celles-ci ne revêtaient pas le même sens que les hoso-e. En effet, les hashika-e ne s’adressaient pas directement au dieu (rôle démonifuge), mais avaient une vocation plus didactique. Elles montraient les rites magiques à pratiquer (Cf. Image 83 p259) et surtout les consignes d’hygiène alimentaire à observer (Cf. Image 82 p258, Image 85p 261 Image 87 p262), consignes que nous ferons ici qu’évoquer ici puisque n’appartenant pas à la démonologie. En effet, l’alimentation tenait un rôle majeur dans la lutte antiinfectieuse. Ceci s’explique de deux manières : d’une part par le caractère impur de certains aliments à éviter (concept d’impureté shinto), d’autre part par le leitmotiv de « nourrir le principe vital » (concept savant de yojo) [323], [281](p103-116). On est donc face à des croyances complexes, mêlant démonologie, concept d’impureté shinto et art du yojo. Nous abordons les deux derniers concepts aux chapitres consacrés (Le concept d'impureté-rétribution karmique p 231 et Le yojo ou yangsheng p233). (3) Le kami des épidémies grippales Enfin, les divinités des épidémies grippales (kami kaze) sont d’apparition plus tardive (deuxième moitié du 18e siècle). Comme pour la variole, elles donnèrent lieu à des festivals villageois de renvoi de la divinité (kami-okuri) : lâcher d’effigies en paille au son des tambours et des gongs [287]. 230 2) Le concept d'impureté-rétribution karmique a) Architecture religieuse du concept C'est un concept issu du syncrétisme shinto-bouddhiste. En effet, le Shinto est ancré dans une esthétique de la pureté. Celle-ci se construit en opposition à trois idées consacrées : kegare (souillure), tsumi (comportement non conforme), wazawai (calamité naturelle, tel qu'un arbre dévasté par la foudre ou un tremblement de terre). En fait, le terme kegare désigne plusieurs situations : la mort (souillure noire), le sang menstruel (souillure rouge) et la naissance (souillure blanche), les excréments, les maladies débilitantes par référence à la mort et à l'émission de fluide putrides. Le terme tsumi, quant à lui, ne doit pas se traduire comme péché, mais comme l'acte répréhensible de briser un tabou divin, somme toute une attitude socialement inacceptable [9](p32). Ainsi, selon le médecin Norinaga Motoori, le fait de découper un individu était un tsumi ; c'est l'incision qui, en polluant les deux protagonistes, manifestait une transgression morale [143](p118). Par conséquent, kegare et tsumi désignaient les impuretés en rapport avec l'être humain, contrairement au wazawai (calamité naturelle), et étaient souvent regroupées en un seul vocable, kegaretsumi [9](p29). Par ailleurs, il existait une relation triangulaire entre les divinités, la communauté et la famille. Les divinités détestant la souillure, dans le cas de maladie, il y avait rupture de l'harmonie. La famille faisait donc tout pour rétablir l'harmonie, jusqu'à se séparer de l'individu si la souillure ne pouvait être purifiée par des rituels shinto. C'était le cas des maladies incurables [143](p117-119). Enfin, la souillure était considéré comme shokue, c’est-à-dire « contaminante » [9](p29-30). Aussi la contournait-on en recourant aux hors castes (eta). Ceux-ci étaient donc chargés du transport et de la crémation des cadavres, des exécutions capitales, des travaux de boucherie et de tannage, ou encore de l'administration des communautés de lépreux [1](p104). Au moyen-âge, le bouddhisme apporta la notion de rétribution karmique. En effet, le Sutra du Lotus stipule que certaines maladies (lèpre appelée gobyo, « maladie de rétribution karmique », difformités, handicaps, maladie incurables) ainsi que l'état d'extrême pauvreté sont des punitions aux mauvaises actions commises dans une vie antérieure [1](p106). D'un côté, ce concept expliquait les affections congénitales ou celle touchant les hommes vertueux, mais de l'autre, il suggérait l'existence d'une faute morale antérieure. C'est ainsi que la notion de pêché se greffa au concept d'impureté, détériorant d'autant l'image du kegaretsumi [163], [143](p119-120). b) Répercussions au niveau de la médecine populaire Ainsi, sous l'action combinée des concepts d'impureté et de rétribution karmique, se construisit toute une symbolique de la physiologie féminine et de la maladie : (1) La grossesse et les menstruations (souillure rouge) La femme enceinte devait s'isoler dans une cabine à la périphérie du village (ubuya ou ubugoya), dans laquelle elle accouchait et restait quelques dizaines de jours à l'écart du foyer. Il en était de même lors de la période menstruelle [9](p28),[365]. 231 (2) La maladie Dans ce système, la maladie est perçue comme une souillure. D'ailleurs, le médecin philologue Norinaga Motoori pensait que kegaretsumi venait du japonais archaïque tsutsumi « infortune », « maladie » [143](p118). Ce rapprochement reflétait bien la conception de la maladie à l'époque d'Edo. Dans le Shinto comme dans le bouddhisme, on pensait que l'eau possédait des propriétés purificatrices158. Par exemple un poème magique (hika) utilisé dans la lutte contre la variole disait : « Puisque c'est l'eau pure du fleuve Mogami qui s'écoule, toute souillure s'y dépose, et moi je serai en bonne santé. »159 Ainsi, les hiden-in (léproserie) étaient souvent construites au bord des rivières ou des onsen [9](p29). De même il existait une psychothérapie par l'eau employée pour soigner les malades mentaux ; la secte bouddhiste mikkyo s'était ainsi spécialisée dans le traitement des psychotiques par l'eau des cascades [248]. Le corps des servantes agonisantes pouvait être immergé dans un cours d'eau pour éviter de polluer la maison du maitre ; la mort d'une femme étant, par ailleurs, doublement polluante [243](p36-37). Or, les personnes handicapées ou atteintes de maladies incurables, représentaient des souillures indélébiles, signe d'une rupture irréversible de l'équilibre. Aussi la famille et la communauté finissaient par les abandonner à leur propre sort [143](p121). Lépreux, malades mentaux, et handicapés étaient ainsi souvent jetés sur les routes [267], les fous pouvant être également isolés dans des sashiko, sorte de cage attenante à la maison [321]. Dans certaines régions, on abandonnait également les enfants atteints de variole dans la montagne, la maladie étant perçue comme une souillure infligée par le kami Hoso [229]. Par ailleurs, en cas d’épidémies (rougeole, variole,..), il fallait éviter certaines situations ayant acquis un caractère polluant, c’est-à-dire certains aliments considérés comme impurs notamment par leur odeur (thon, poireau, ail, …), ainsi que les relations sexuelles pendant 75 jours (« Ne pas faire comme Izanagi et Izanami »160), les personnes aux fortes odeurs d’aisselle, les toilettes, etc. (Cf. Image 84 p260,Image 85 p261,Image 82 p258, Image 101p275) [281](p103-116). Enfin, on considérait que certaines maladies-souillures atteignaient toute la lignée, d'où la notion de lignée malade (yamai make) et la tradition d'enquêter sur les ascendants avant de contracter une union [143](p120). 3) La croyance dans le Koshin Cette croyance est d'origine taoïste. Elle fut rapportée de Chine par les moines bouddhistes zen qui l'incorporèrent à leur pratique. Prétexte à des festivités aristocratiques sous Heian, elle se diffusa à partir du 15e siècle au reste de la 158 La légende de l'impératrice Komyoshi (701-760) révèle le caractère religieux du bain au Japon. Cette femme très pieuse aurait un jour décidé d'aider à laver 1000 personnes. Or la dernière personne qu'elle devait laver était un lépreux sale et couverts de plaies suintantes. Après quelques hésitations, Komyoshi commença à le laver. Puis le lépreux lui demanda d'aspirer le pus de ses plaies. Quand elle eut fini, celui-ci se changea en Bouddha et lui dit: « je ressens ta foi profonde » [324]. 159 Poème cité en français par le japonologue Hartmut Rotermund, cf [282] page 381. 160 Dans la mythologie shinto, couple de divinités qui ont présidé à la création de l’univers. 232 population. Sous Edo, c'était une représentation commune du corps humain et de la pathogénie. Selon cette croyance, l'organisme humain contenait 900 millions de vers. Or, il ne s'agissait pas d'une simple vermine, de parasites au sens moderne, mais de déités démoniaques. A la tête de ces vers, se trouvaient trois shoguns, des vers anthropomorphes appelés sanshi. Ces sanshi étaient chargés d'épier la conduite de leur hôte. Tous les 60 jours, la nuit du Koshin (date du calendrier astrologique), les sanshi pouvaient sortir du corps endormi pour rapporter les fautes commises à la Divinité responsable de la destinée. En représailles, la Divinité ordonnait aux vers de provoquer des maladies dont la gravité étaient déterminée par celle des pêchés. Par conséquent, les villageois s'efforçaient de rester éveillés cette nuit-là, afin d'empêcher les sanshi de quitter leur corps. Par ailleurs, on considérait les sanshi comme une partie intégrante de soi, présente dès la naissance. En plus du rôle de surveillant-tortionnaire que nous venons de voir, ces sanshi étaient aussi responsables des désirs basiques : le shi supérieur provoquait les désirs matériels, le shi du milieu les désirs de nourriture et de boisson et le shi inférieur les désirs sexuels [306],[305]. En fait, le système du Koshin et des sanshi était très élaboré. Il condensait quatre grands thèmes en vogue dans l'est asiatique [163] : 1) l'association entre maladie et démons (cf. concept d’entité démoniaque abordé au chapitre précédent) 2) entre maladie et faute morale (cf.concept de rétribution karmique abordé au chapitre précédent) 3) entre santé et rythme cosmique (la notion de microcosme-macrocosme que nous aborderons au chapitre suivant repose aussi sur cette notion) 4) entre maladie et désirs (la notion de yangsheng que nous aborderons au chapitre suivant repose aussi sur cette notion). B Concepts empruntés à la littérature savante Sous Edo, on assiste à un phénomène de vulgarisation médicale. Celui-ci est à corréler à une certaine stabilité sociale, au développement d'une économie de marché et l'émergence d'une bourgeoisie urbaine. Plusieurs concepts savants sont popularisés : le yangsheng, le gozo roppu zu, et la notion de macrocosmemicrocosme. 1) Le yojo ou yangsheng Cette pratique se nourrit des philosophies taoïste et confucianiste. Elle fut importée de Chine entre le 7e et le 10e siècle. Elle consiste à percevoir le corps comme le récipient d'une quantité finie d'énergie vitale, le ki. L'art du yangsheng est de préserver le ki par une tempérance des appétits naturels (nourriture, boisson, sexe) et une modération dans les efforts. De plus, si l'on ne se trouve pas en déplétion de ki, les agressions extérieures ne peuvent agir [163]. La publication des yojo-ron (manuels exposant cette théorie ainsi que les pratiques associées) explosa sous Edo. Le plus célèbre fut le Yojo-kun (1713) de Ekiken Kaibara [326]. Ces ouvrages se concentraient principalement sur les règles d'hygiène alimentaire [326]. Par ailleurs, les concepts évoluèrent avec le contexte socio-culturel. Au début du 18e siècle, l'idée de stagnation du ki prit le pas sur celui de déplétion. Le travail 233 était en train de perdre la connotation négative que les taoïstes lui avaient donnée, l'oisiveté étant désormais reliée à la notion de stagnation. En fait c'était l'ère de la « révolution industrieuse » du Japon où le leitmotiv était d'accroitre les richesses par le travail individuel. Au point de vue nosographique, apparut également toute une terminologie de la « stagnation-congélation » du ki : senki, shaku, kenpeki (les deux premiers termes évoquaient des pathologies abdominales, le dernier une contracture douloureuse des épaules). En effet, les Japonais souffraient en masse de ces affections de la « congélation » que l'on traitait par massage, moxa (Cf. Image 88 p263), onsen (source chaude)[164], [306]. Aussi, à côté des yojo-ron, apparurent les onsen-ron, guides exposant les spécificités de chaque onsen (indications thérapeutiques, marche à respecter). Sous les instances des seigneurs propriétaires des onsen, les médecins de fiefs étaient chargés de la rédaction de ces manuels [324]. 2) Le gozo roppu zu L'Encyclopédie sino-japonaise illustrée (Wakan sansai zue, publié en 1713) de Ryoan Terashima permit la diffusion de la représentation savante du corps dite gozo roppu zu (image des cinq viscères et 6 entrailles) [305]. Il s'agissait d'un schéma des organes imaginaires de la médecine chinoise en vue sagittale. Ce dessin n'avait aucun rapport avec l'iconographie anatomique occidentale, il représentait l'intérieur du corps comme par magie sans effraction cutanée (Cf. Image 89 p264). Cette représentation des 5 viscères et 6 entrailles par transparence fut reprise dans la littérature populaire. Ainsi nous la retrouvons notamment dans une estampe du Manuel d‟oreiller de Eisen Keisai (Makura bunko, 1822-32) (Cf. Image 90p 264) [305]. 3) Le concept du corps comme microcosme L'encyclopédie sino-japonaise illustrée Wakan sansai zue véhiculait également la notion du corps microcosme dans un macrocosme. Selon le Huangdi neijing, le corps est un microcosme en correspondance avec le macrocosme, c'est-à-dire la terre et le ciel. Ce concept est introduit dans l'Encyclopédie : « le corps humain est semblable au macrocosme. Par exemple la tête peut être considérée comme le ciel, les pieds comme la terre, les os comme des rocs, [...], le sang comme l'eau de mer, les émonctoires comme la pluie [...] ». La métaphore va même plus loin, les différents organes sont comparés aux différentes fonctions d'une maison (bouche porte, rein coffre d'or et d'argent, estomac grenier) [305]. Le thème du microcosme se retrouva ainsi dans les kibyoshi, manuels populaires « à couvertures jaunes » publié de 1775 à 1806. Par exemple, dans le kibyoshi 14 courtisanes à l'intérieur de l'abdomen (Jushi keisei hara no uchi, écrit par Zenko Shiba et illustré par Shigemasa Kitao, 1793), l'organisme interne d'une courtisane est comparé à la boutique d'un marchand ; le cœur étant la propriétaire, les autres organes étant les employés ; le foie le chef comptable, la rate et l'estomac le stand des delicatessen, etc. [305] (Cf. Image 91 p264) En fait ces différents concepts, yojo, gozo roppu zu et microcosme, ne répondaient pas aux mêmes objectifs. D'un côté, le yojo reflétait les attentes de santé de la population ; il symbolisait en quelque sorte le début du consumérisme médical. 234 De l'autre, les gozo roppu zu et autres paysages intérieurs répondaient à la montée en puissance de la curiosité anatomique (Image 92 p265). Cette appétit est à corréler à la vogue de dissections de la fin du 18e siècle et la parution du Kaitai Shinsho ; en effet c'est à cette époque que se développèrent la représentation des viscères par transparence ainsi que les kiboyoshi relatant la vie du « paysage intérieur ». C'est aussi pour cela que se trouvèrent mêlés aux classiques gozo roppu zu des organes empruntés à la médecine hollandaise shirasug [305]. Ainsi dans une illustration exposant l'anatomie féminine, extraite du Manuel d‟oreiller (Makura bunko) de Eisen Keisai, on retrouve les ovaires et les trompes de Fallope, jusque-là inconnues de la médecine Kampo (Cf. Image 93 p265). Enfin ces trois conceptions du corps humain n'étaient pas exclusives les unes des autres, mais au contraire, s'agençaient parfaitement entre elles. On les retrouve ainsi superposées dans le diptyque d'ukiyo-e exécutées par Kunisada Utagawa et intitulées Règles d'hygiène diététique et Règles d'hygiène sexuelle (Inshoku yojo kagami ; Boji yojo kagami, 1855) (Cf. Image 94 p267). En outre, le corps féminin mis en scène dans le Boji yojo kagami, expose également ovaires et trompes de Fallope. 235 II La modernisation : une nouvelle dialectique ? A Devenir des concepts archaïques 1) Démons et apparentés a) Réinterprétation du Kami Hoso par les vaccinateurs rangaku A la fin d'Edo (date d'arrivée de la vaccine : 1849), les parents pouvaient montrer quelques résistances à la vaccination jennérienne. Par exemple, dans le Japon septentrional, on craignait que cette technique ne transforme la personne en vache [280]. Aussi, les médecins ranpo lancèrent des campagnes de sensibilisation. Et d'une manière très subtile, ils réutilisèrent le concept étiologique populaire, c'est-à-dire le Kami de la variole. Dans l'un des tracts publiés en 1850, on peut lire un poème : « Hosogami ? Kami de la variole ? Qui peut donner un tel nom à un Démon hors-la-loi qui apporte le malheur à tous ? » Suivait une revue historique de la vaccination, puis : « [cette technique] fut pour la première fois utilisée à la période Bunka (1804-1818), en Hollande, par un certain Eto Ienner ». Un autre imprimé (1851) reliait le miraculeux effet de la vaccination à la foi dans le Kami. Ainsi, dans les deux cas, on ne cherchait pas à remettre en question la nature fantastique de l'affection (Kami ou Démon), mais bien l'attitude thérapeutique à adopter (vaccination au lieu de rites religieux). Enfin pour rassurer le lecteur, on expliquait l'origine et l'innocuité de la méthode tout en soulignant l'expérience acquise dans ce domaine. Ainsi un document daté de 1855 disait : « Pendant la période Kansei (1789-1800), une méthode utilisant la vaccine fut développée en Hollande, et introduite au Japon 4 ou 5 ans après. Mon maitre l'emploie depuis 1850. Aucune des 15.000 personnes traitées n'a souffert de mauvais effets. » [280] Mais le tract le mieux réussi reste celui représentant un enfant hollandais avec une marque de vaccination sur le bras, assis sur une vache (réservoir de la vaccine) et dirigeant une gigantesque lance (lancette employée pour la vaccination) contre le kami de la variole (Image 95 p271, Image 96 p271). Cette allégorie inventée en 1850 par le médecin Ryusai Kuwata fut reprise par d'autres (dont Koan Ogata) et l'enfant à la lance terrassant Hosogami devint l'icône de la campagne [138](p156157),[281](p274). Ainsi pour inciter les parents à faire vacciner leurs enfants, les médecins japonais avaient compris qu'il fallait concilier les nouveaux symboles aux anciennes croyances. La technique jennérienne était entrée progressivement dans les mœurs à la fin d'Edo, ce qui facilita certainement la campagne de vaccination obligatoire sous Meiji. On trouve les traces de cette acceptation dans la littérature populaire. Ainsi, sous Edo, un thème récurrent des senryu (court poème satyrique) était le mariage délicat des jeunes femmes vérolées : « Dans l'étreinte du kami de la variole, la fille est dévaluée. » « Quand la variole est menaçante, la meilleure chose à faire : trouver à votre fille un mari. » 236 Mais sous Meiji, les senryu insistaient désormais sur la vaccination avant le mariage : « La vaccination devrait être réalisée quand bave encore le bébé. » « Les intermédiaires insistent pour avoir des preuves de vaccination. »161 Ainsi le syncrétisme des médecins vaccinateurs s'était révélé efficace dans le cadre de la variole ; les parents n’hésitaient pas à faire plusieurs kilomètres pour aller faire vacciner leurs enfants [153]. Mais le gouvernement de Meiji décida d'adopter une attitude bien plus radicale vis-vis des croyances populaires. Il les combattit de front, lançant une campagne anti-yokai, les yokai étant les monstres, c'est-à-dire les êtres fantastiques des croyances populaires. b) La campagne anti-yokai de Meiji Le gouvernement tenta de rationaliser les esprits. Pour combattre l'obscurantisme, il fit appel au philosophe Enryo Inoue (1858-1919). Celui-ci était l'inventeur d'une nouvelle discipline, la démonologie ou yokai gaku, considérée comme une branche de la philosophie reposant sur la psychologie (shinrigaku) 162. Son idée était de répertorier tous les yokai selon une sorte de nomenclature linnéenne. Une fois « naturalisés », les monstres étaient passés au crible scientifique. Dans la plupart des cas, une seule conclusion s'imposait : les monstres ne sont que des constructions mentales, issues d'un mécanisme psychologique. Les théories du 161 On doit la traduction française de ces 4 senryu au japonologue Hartmut Rotermund, cf [280]. Enryo Inoue fonda le Tetsugakugan, ancêtre de la faculté de philosophie de Tokyo (1887) et la Société de Recherche sur les Mystères (1886) en s'inspirant de la Britain's Society of Psychical Research (1882). On dit qu'il introduisit la psychologie comme une discipline à part entière au Japon. Mais, en son temps, il fut surtout connu en tant que « Professeur des monstres »: il établit une sorte de classification des phénomènes surnaturels (fushigi) dans l'intention de combattre les superstitions. Il montra que la plupart des fushigi étaient dus en réalité à une erreur de perception d'origine psychologique (shinriteki yokai) ou organique (butsuriteki yokai) (organique c'est-à-dire du à la vision, une pathologie cérébrale...). Le yokai était désormais internalisé: ce que l'on percevait avant comme un phénomène extérieur (fantôme, Tengu) n'était en réalité que le produit d'une opération mentale. Il désigna ces croyances par le terme de croyances errantes (meishin). Par contre, à l'opposé de ces meishin, il existait un vrai Mystère de l'Univers (shinkai), mystère d'ordre religieux que l'homme ne peut appréhender (comparable au noumène de Kant ou au Unknowable d'Herbert Spencer). Inoue fit correspondre ce vrai Mystère à la notion bouddhique de Shin'nyo (vraie réalité). Dans le système d'Inoue, il n'existait donc plus que les phénomènes naturels (étudiés par la science) et le vrai Mystère (shinkai). Le meishin était au monde une sorte de savoir aberrant qui n'avait plus lieu d'être, ce d'autant plus qu'il obstruait l'esprit du peuple. Aussi, il comparait la yokai gaku à la médecine du corps national malade des « bactéries de la superstition ». L'emploi de termes médicaux n'était pas innocent, il annonçait la médicalisation, le rôle de la médecine, la justification de l'État pour s'immiscer dans la sphère individuelle: Inoue voulait soigner les gens de la superstition car la santé des individus était nécessaire à la santé de l'État. Enfin il finit par rapprocher le mystère transcendantal Shinkai à l'idéal du corps national impérial: l'objectif de la monstrologie était d'éradiquer les superstitions (meishin) et d'ouvrir la voie à ce vrai Mystère, c'est-à-dire le sentiment national. Cette vision résonnait parfaitement avec l'idéologie en vogue, c'est-à-dire la construction de l'État basée sur le mythe de la divinité impériale et le sacrifice collectif. Entre un éditorial paru dans le Journal des études japonaises (1894-1895), un livre Yokai Koji (1896) et une conférence donnée au Tetsugakugan (1897), Inoue finit par attirer l'intérêt du Ministère de l'Éducation. Or, celui-ci venait juste de créer un comité responsable de l'approbation des manuels d'éthique scolaires. C'est ainsi que le « professeur des monstres » intégra ce nouvel organe, et put vulgariser ses théories, participant ainsi à l'éclairement de Meiji [93]. 162 237 « professeur des monstres » furent introduites dans la presse dans les années 1890, puis à partir de 1903 dans les manuels d'éthique scolaires [93](p82). Mais quelle furent les conséquences et l'efficacité réelle de cette propagande ? En ce qui concerne la variole, on continua de pratiquer les rituels religieux et magiques. Des Hoso-e continuèrent d’être éditées. La valeur apotropaïque du rouge se maintenait. Ainsi dans Botchan (Le petit maitre, 1906), un des professeurs porte en permanence une chemise de couleur rouge car « porter du rouge c’est bon pour la santé ». Natsume Soseki se moquait de ses contemporains qui, dans leur quête effrénée des valeurs occidentales, réalisaient un syncrétisme pathétique [312]. Dans le cas de la possession par le renard, possédés et shamanes furent reclassés dans la catégorie scientifique des malades mentaux. Pour Inoue, il s'agissait d'un « monstre de cause psychologique » (shinriteki yokai) [93](p97-98). L'oyatoi Baelz attribua ce phénomène à un « dédoublement de personnalité par dissociation des deux hémisphères cérébraux » [56]. D'autres parlèrent d'hystérie, la reliant au concept en vogue de dégénérescence du darwinisme social, en en faisant une tare héréditaire liée à l'alcoolisme. Toutefois, cette affection posait quand même problème. Morita, qui ne trouvait pas d'équivalent dans la nosographie kraepelinienne la nomma Invokationpsychose, psychose d'invocation 163. Cette redéfinition de la kitsune-tsuki n'était pas une avancée pour les malades. Autrefois on les considérait comme des possédés temporaires, désormais on les diagnostiquait fous et incurables [93](p99). Ils passaient ainsi dans la case « impureté-rétribution », avec ce que tout cela implique. De la même façon, la shamane était elle-aussi candidate à l'internement (ce d'autant plus que son statut de médium lui conférait l'image d'agitatrice), comme d'ailleurs tous ceux pris en train d'errer dans la montagne [93](p104). De nos jours, le thème de la possession par le renard est moins fréquent, mais n'a toujours pas disparu. Il peut être associé à différentes pathologies (schizophrénie, psychose réactive brève) [87]. Mais en lui-même, il correspond à un mécanisme psychologique métaphorique. Son contenu se nourrit du sentiment de crainte et de culpabilité envers les aïeux défunts, sentiment profondément ancré dans la pensée japonaise, comme nous avons vu plus haut. Il existe une notion de « transmission verticale », la possession par le renard étant en quelque sorte un moment d'introspection, le moment où l'individu réfléchit à des relations conflictuelles passées et essaie de reconstruire son parcours [91]. Par ailleurs, les patients proviennent d'un contexte familial et social particulier, fortement imprégné par la mythologie shinto et pour lequel les pouvoirs de guérison des prêtres sont toujours reconnus. Par exemple le psychiatre japonais Eguchi décrit plusieurs cas de patients provenant de la région de Kasuhara [87]. Malgré son absence de la DSM-IV, le kitsune-tsuki apparaît bien comme un syndrome lié à la culture (Culture bound syndrome) ; l'anthropologue canadienne Locke le considère d'ailleurs comme le véritable bound syndrom japonais contrairement au taijin kyoshu 164 [170], qui par contre est reconnu par la DSM-IV [12]. 163 Morita ne trouvait pas d'équivalent dans la nosographie kraepelinienne de la kitsune-tsuki. En 1915, il publia une étude clinique qui devint un classique de la psychiatrie japonaise, De la psychose de possession. Il redéfinit alors la kitsune-tsuki comme une: « Psychose particulière causée par l'invocation (la prière) ou des circonstances analogues, dans laquelle on peut observer un changement de personnalité et l'apparition d'idées religieuses et/ou de possession. La durée en est de quelques jours à quelques semaines. [...] On peut trouver trois formes, confusionnelle, stuporeuse, et avec changement de personnalité. [...] J'inclus dans cette psychose les cas locaux de possession par le « chien divin », par le renard et d'autres animaux. » [217] 164 Anthropophobie. 238 Quant à la croyance dans le Koshin, elle persista jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Par ailleurs, le culte de Koshin-sama, assimilé à la divinité bouddhiste Shomen kongo (spécialisée dans les pouvoirs médicaux) est toujours vivant au Japon [243](p160). Enfin dans certaines contrées, on pratique toujours une veillée à cette date particulière du calendrier taoïste (le 57e jour de chaque cycle de 60 jours), appelée Koshin machi (attente de Koshin) [185]. De plus, comme de nouvelles maladies apparaissaient, de nouvelles croyances enrichirent la nosographie démonologique : le choléra était une punition divine pour avoir ouvert le pays aux étrangers [65] et on le représentait notamment sous les traits d’un démon (Cf. Image 97 p272). Enfin, un démon plutôt inattendu a lui aussi survécu à la modernité : l'esprit de l'enfant mort. La pratique de l'avortement, bien que répandue, est très mal supportée de nos jours. Les Japonaises éprouvent des troubles psychosomatiques, un sentiment de culpabilité [243](p78). Néanmoins, elles n’expliquent pas l’origine de leur problème en termes de psychologie mais de surnaturel. Aussi, une « thérapie » spéciale s'est développée, le mizuko no kuyo (mizuko= enfant de l'eau, c'est-à-dire fœtus avorté ; et kuyo= service funéraire), c'est-à-dire le service funéraire pour les fœtus avortés. Certains temples spécialisés proposent des petites tombes surmontées du boddhisattva Jizo, protecteur des enfants morts (Image 98 p272), ou pour une somme plus modique, des tablettes sur lesquelles un moine inscrit le nom posthume de l'enfant (kaimyo). Ces tablettes sont ensuite suspendues dans l'autel domestique. On peut également placer un ex-voto (ema) dans un temple, sur lequel on inscrit une sorte de lettre destinée au fœtus [243]. En voici trois exemples trouvés dans le temple Zôjôji situé au pied de la tour de Tokyo : Exemple 1 : « De la part de Jiro et de Yurika Pardonne-moi de ne pas avoir pu te mettre au monde Jamais je ne t’oublierai Repose en paix... [puis un mot du père] Je te demande pardon J’espère que tu pourras renaître un jour Et veille sur notre bonheur… » Exemple 2 : « Par notre faute, tu n’as pu vivre et nous t’en demandons pardon. Nous sommes vraiment désolés de n’avoir pu te mettre au monde. Protège-nous quand même... et sois sûr qu’on n’oubliera jamais cet Incident… » [Daté le 17 août 1997] Exemple 3 : « Bonne année Protège-moi encore cette année Prends bien soin de ta santé à cause du froid. »165 Ainsi la crainte à peine voilée du ressentiment du défunt (urumi) n'est pas sans rappeler les anciennes peurs d'antan, celles qui hantaient les parents auteurs de 165 Textes rapportés en français par Jolivet [145]. 239 mabiki. L'âme du fœtus avorté devient une sorte de kami tutélaire qu'il convient d'honorer afin d'éviter divers maux. En contrepartie, l'État forgea ses propres yokai (monstre). Par exemple, les mouches suspectées d'être des vecteurs de maladies (choléra) devinrent elles-mêmes synonymes de maladies. En 1916, alors qu'une épidémie de choléra sévissait à Yokohama (30km au sud de Tokyo), le Bureau de police de l'agglomération de Tokyo décréta l'éradication des mouches. En 1920, une organisation semigouvernementale de santé publique sponsorisa à Osaka « le jour où l'on écrase les mouches », idée qui fut reprise par la ville de Tokyo après le grand tremblement de terre de 1923. Le philanthrope Seiko Goto promit même un sen pour chaque mouche tuée. L'expérience fut reconduite chaque été. Ainsi, dans les années 20, elle devint un véritable phénomène de société. Des affiches montraient l'inoffensive créature comme un véritable monstre (Cf. Image 99 p273). Dans une frénésie collective, la population s'évertuait à tuer les yokai engendrés par la bactériologie [300]. 2) Le concept d'impureté-rétribution Profondément ancré dans les mentalités, le kegaretsumi fusionna avec d'autres représentations modernes. Ainsi, sous Meiji, le kegaretsumi trouva écho dans les concepts européens de constitution consomptive héréditaire, de darwinisme social, pour finalement absorber les dernières avancées bactériologiques [163]. L'image des maladies incurables se détériora encore plus, pour les patients et leurs familles. Dans les années 1890, on estime que la plupart des suicides étaient liés à la pression sociale exercée sur ces patients [143](p 115-116). Ainsi nous nous intéresserons à la représentation des maladies incurables de l'époque, c'est-dire la tuberculose, la lèpre et la folie. Enfin, nous parlerons des reliquats actuels du kegaretsumi. a) La tuberculose La condition des tuberculeux devint insoutenable dans les milieux populaires. Ainsi, dans le roman Kofu (le Mineur) de Soseki, on assiste à la lente déshumanisation du vieux mineur Kin, qui tapi sous une couverture à même le sol, est ignoré voire maltraité par ses compagnons à la manière du Gregor Samsa de La Métamorphose (Soseki et Kafka était tout deux atteints de tuberculose) [310]. Le lecteur aurait tort de penser qu'il s'agit-là d’une simple fiction. En effet, une enquête conduite par le Bureau de Police de Tokyo entre 1930 et 1933 révélait que même les parents proches adoptaient ce type de comportement à l'égard de leur malade. Dans les foyers comptant un membre décédé de tuberculose, 30% avouaient ne s'être jamais occupé du malade, 40% avoir seulement fait quelques efforts et 30% avoir fait ce qu'ils pouvaient. Ainsi, les jeunes ouvrières contaminées dans les usines de textile étaient à leur retour souvent abandonnées à leur propre sort dans une pièce de la maison. D'autres devaient se retirer dans une cabane de montagne [143](p115). Aussi, poussé au désespoir, un jeune homme élimina sa grand-mère et un tiers des habitants de son village en 1938 [143](p105-114). Cependant le constat était moins grave dans les familles citadines aisées, plus aptes à comprendre le mécanisme infectieux de la maladie. Dans l'imaginaire, cette affection se teintait même de romantisme, l'allure longiligne et la grâce maladive de la jeune femme tuberculeuse rappelant les canons d'Edo, aussi parlait-on de charme 240 tuberculeux (kekkaku bonomi), de beauté tuberculeuse (kekkaku bijin) [143](p151). Mais, même dans le meilleur des cas, l'individu restait prisonnier de son diagnostic et de son ascendance. La nouvelle Bruine de Neige (Sasameyuki, 1943-1948) de Junichiro Tanizaki illustre bien ce type de conflit : dans le cadre d'un mariage arrangé, la jeune Yukiko pourvue du « kekkaku bonomi » se fait rejeter lorsque la famille du prétendant découvre que sa mère était tuberculeuse. Pour éviter de condamner socialement leur patient, les praticiens choisirent l'euphémisme. Ils continuèrent ainsi d'utiliser la nosographie cellulaire de Virchow (pneumonie caséeuse, bronchite catarrhale, etc.) plutôt que de prononcer le mot tuberculose [143]. Ainsi, dans Le Mineur, le héros à qui l'on vient de diagnostiquer une « bronchite » pense immédiatement : « Bronchite, c'est-à-dire à terme, phtisie. Phtisie, c'est-à-dire plus d'espoir. Je ne m'étais donc pas trompé en songeant à ma mort prochaine, tout à l'heure, lorsque j'avais senti l'odeur de médicaments. » [310](p281) Ainsi la modernité déboucha sur une dichotomie sociale de la perception de la tuberculose, aussi relative soit-elle. Mais à la fin des années 1940, avec l'arrivée de la streptomycine, la tuberculose devint une pathologie curable et l'image qui lui était associée changea radicalement [143](p108). b) La lèpre « A l’instant où quelqu'un attrape la lèpre, son humanité est détruite. Il meurt. Ce n'est pas qu'il cesse d'être un être humain au sens social du terme. Non, il ne s'agit pas simplement de ce genre de mort superficielle. Par contre, si vous réussissez à vivre complètement comme un lépreux, alors vous pouvez revivre en tant qu'être humain. Il peut même s'agir de votre nouvelle vie en tant qu'être humain. Mr Oda, vous êtes mort. Et puisque vous êtes mort, vous n'êtes plus un être humain. D'où viennent donc votre douleur et votre désespoir ? Réfléchissez-y s'il vous plait. N'est-ce-pas parce que vous aspirez toujours à reprendre votre ancienne vie, alors même que vous êtes mort ? » Hojo Tamio, Inochi no shoya, 1936166,. Les lépreux, qui pourtant ne constituaient pas une menace de santé publique, firent l'objet d'une quarantaine carcérale jusqu'à la période post-moderne, cela même après la découverte de la promine [63]. Cette attitude conduisit notamment à un suicide collectif en 1951 [63]. Il fallut néanmoins attendre 1996 pour que toutes les mesures discriminatoires soit levées à leur égard [63]. En comparaison avec l'évolution de la perception de la tuberculose, la persistance d'un tel comportement vis-à-vis des lépreux semble incompréhensible. Hormis une évidente culpabilité politique (système de santé publique répressif), on peut penser que le caractère déformant de cette affection l'ancra profondément dans le registre inconscient des kegaretsumi. Cela, couplé au faible nombre de patients atteints, a certainement conforté l'absence de réaction populaire. 166 Extrait de la nouvelle de Hojo Tamio cité par l’Américaine Burns [58]. 241 c) La maladie mentale En ce qui concerne les malades mentaux, faute d'ouvrir des hôpitaux psychiatrique, le gouvernement légalisa la pratique de l'internement domestique dans les sashiko [321]. Il incombait à la famille d'isoler le membre atteint, la folie restant une sorte de tare héréditaire à assumer et occulter au sein de l'alcôve familiale. d) Quelques reliquats du kegaretsumi Ce concept archaïque se manifeste encore dans la culture médicale populaire : (1) Hygiène et kegaretsumi Par exemple, la notion de lavage se teinte d'une dichotomie extérieur/intérieur représentative du tandem shinto de souillure/pureté. Ainsi, apprend-on aux petits japonais à se laver les mains, les pieds et même la gorge lorsqu'ils rentrent chez eux. De la même façon doit-on enlever ses chaussures dans le genkan qui constitue une sorte de sas hygiénique à l'entrée de la maison. Derrière le motif microbien introduit par la théorie bactérienne, se cache en fait une spatialisation intérieur (pur)/ extérieur (impur). Les parties du corps sur lesquelles on doit insister sont celles qui ont été en contact avec l'extérieur, lieu d'impureté où s'accumulent les souillures des autres. C'est aussi dans cette optique que l'on porte volontiers un masque dans la rue, alors qu'en Occident, l'utilisation du masque est plutôt réservée au professionnel de santé, qui le plus souvent cherche à protéger ses patients de ses propres germes. Dans le même ordre d'idée, la personne qui revient de funérailles s'asperge de sel, afin de se laver de la « souillure noire » [243](p21-31,36). Enfin, le bain a gardé une connotation de purification et de régénération morale et physique [243](p34-35). (2) Cancer et kegaretsumi Les japonais préfèrent ne pas être informés en cas de cancer. Dans le milieu médical des années 1980, c'était encore un véritable crime que de donner le diagnostic au patient [243]. Actuellement, les médecins japonais suivent la volonté de la famille, de la même façon que leurs homologues méditerranéens (Italie, Espagne, Grèce, Égypte, Arabie Saoudite) [218]. On peut penser que cette attitude est liée à l'intense connotation culturelle des maladies incurables qui, au-delà du pronostic rend la maladie doublement insupportable. Par ailleurs, on s'aperçoit que l'expérience de la maladie est toujours perçue comme une expérience communautaire. B Passage du yojo à l'eisei Sous Meiji, on passa du concept d'hygiène individuelle (yojo) au concept de santé publique (eisei). Ainsi les manuels de yojo (yojo-ron) devinrent des eisei-ron (Image 100 p274). L'ennemi n'était plus soi-même (tentation), mais un poison (naturel, biologique, chimique) venant de l'extérieur. Le leitmotiv n'était plus de suivre un régime diététique mais de se protéger des pathogènes externes (techniques de désinfection, d'assainissement domestique et environnemental). On passait aussi d'une volonté individuelle au contrôle par l'État [326]. Et bien évidemment, les représentations savantes d'autrefois (gozo roppu zu, microcosme-macrocosme) devenaient obsolètes. Les connaissances furent 242 reconfigurées, des dictionnaires spécialisés reliant la nouvelle terminologie à l'ancienne [287]. De nouveaux soignants substituèrent les anciens : psychiatres pour shaman exorciste, sages-femmes licenciées (sanba) au lieu des vieilles toriagebaba, médecins de formation germanique au lieu des médecins kampo. La véritable fracture médicale de Meiji semblerait donc se trouver ici, dans le passage du yojo à l'eisei. Toutefois, nous allons voir que ce phénomène est plus complexe qu'il n'y paraît. 1) La tension créée autour du corps Les médecins bureaucrates (Nagayo, Goto) introduisirent un nouveau discours : concept de « corps national », de santé « devoir national », comparaison de la santé publique avec les « griffes et crocs » d'un animal (cf. Annexe 4 l’élaboration du concept japonais de santé publique p337). La notion d'un corps japonais commençait déjà à poindre pendant le bakumatsu. En effet, lorsque pour la première fois un occidental, le Dr Pompe, réalisa une dissection, les autorités shogunales furent contraintes d'ériger une construction temporaire placée sous haute surveillance [47](p184-185). Ryojun Matsumoto, l'assistant de Pompe, écrivit dans ses mémoires : « A l'époque le slogan « expulser les barbares » était très populaire, aussi prendre le corps d'un Japonais, même celui d'un criminel, et le donner à un étranger afin qu'il puisse découper ses entrailles et prélever ses yeux était très proche d'entamer l'honneur de la nation. »167 Mais en même temps que se dessinait un corps national, les limites du corps individuel s'estompaient. Ce sentiment de désappropriation, couplé à l'impression de violation territoriale (le choléra était apparu en même temps que l'ouverture forcée du pays aux occidentaux) fut exacerbé par la nature particulièrement répressive de la santé publique de Meiji (eisei). Aussi l'eisei fut rapidement perçu comme un oppresseur, notamment dans le cadre des quarantaines anticholérique. On suspectait les médecins d'éviscérer les patients encore vivants pour vendre leur foie168. La lance de désinfection au phénol était considérée comme un moyen utilisé par le gouvernement pour répandre la maladie chez les pauvres. Aussi lors de l'épidémie de 1879, une cinquantaine d'émeutes visèrent les institutions de santé publique. Les hôpitaux de quarantaine furent attaqués, plusieurs médecins lynchés, notamment l'un d'entre eux connu pour déterrer les cadavres en vue de les disséquer [65],[323]. Néanmoins il ne s'agissait pas d'une spécificité japonaise ; en Europe les épidémies de choléra alimentèrent également émeutes et rumeurs au 19e siècle169. Plus tard, le problème se posa à nouveau pour les maladies chroniques (lèpre, tuberculose, maladies vénériennes). Par exemple, les « femmes à la profession honteuse » (shugyofu) étaient désormais contraintes à un contrôle médical, cela afin 167 Ryojun Matsumoto cité en anglais par l’Américaine Burns [56]. Au cours de l'épidémie de 1831-1832, il y eut de nombreuses révoltes en Russie, à Paris, en Angleterre. En Russie les serfs accusaient le seigneur d'empoisonner l'eau dans une politique malthusianiste. A Paris la population s'en prenait aux médecins pour la même raison alors qu'en Angleterre on pensait qu'ils voulaient s'approvisionner en corps pour les dissections [269]. 169 Cette croyance trouve ses racines à la période prémoderne. En effet, sous Edo, il était d'usage que les etas prélèvent le foie des condamnés à mort afin le vendre comme médication. 168 243 d'obtenir leur licence. Un journal de l'époque décrit les conditions dégradantes de l'examen en question : la prostituée se dévêtissait en présence de 4 à 5 médecins qui l'examinaient ensuite, si elle ne se débattait pas en hurlant [56]. Par ailleurs, pour faire passer les mesures coercitives, on invoquait le devoir national en se servant de la mythologie impériale. Ainsi l'impératrice Sadako patronnait l'association de prévention pour la lèpre (Rai yobo kyokai), insistant sur le principe moral de cette lutte [66]. Le corps était devenu la propriété de l'état. Être en bonne santé était une obligation morale envers l'Empereur et la Nation. Suivre l'eisei, c'était faire preuve de citoyenneté hygiénique. Des intellectuels s'élevèrent contre cet endoctrinement social. Ainsi à l'occasion d'une conférence donnée à l'école des Pairs en 1914, Natsume Soseki invitait la future élite à s'interroger sur les limites de l'interventionnisme étatique : « […] il n'est pas très drôle pour moi, le principal intéressé, de devoir manger mon riz en pensant à tout cela, dans l'intérêt de l'état, de me débarbouiller, au service de l'état, et même d'aller aux toilettes en ayant l'état en tête ».[311](page 81) 2) Les signes d'assimilation ou de continuité a) L'eisei ou l'accession à la classe Haikara Sous Meiji apparut le concept de haikara, de « high collar », le haut col symbole vestimentaire du riche occidental. Être haikara signifiait appartenir à la haute société japonaise occidentalisée. Ceci demandait de savoir maitriser le mode de vie occidental, et pour les femmes, l'hygiène de leur foyer. En 1889, la loi sur l'éducation féminine imposa la création d'écoles supérieures destinées à inculquer l'hygiène domestique aux filles. L'obtention de ce diplôme était un gage d'appartenance à la classe haikara. Aussi dans ces débuts (1890-1905), la profession d'infirmière fut considérée comme valorisante, et les postulantes recrutées dans les classes aisées170 [213]. Ainsi, on peut s'apercevoir que la classe dominante aspirait profondément à assimiler les préceptes hygiénistes, signes extérieurs de modernité (Cf. Image 100 p274). b) Le syncrétisme eisei-yojo En réalité, l'eisei ne fit pas totalement disparaître le yojo. Nous avons vu qu'au début de Meiji, les connaissances occidentales en matière de choléra n'étaient pas encore au point. Notamment, on conseillait au peuple d'éviter certains aliments pouvant entraver la digestion et de se couvrir la nuit. Par conséquent, dès 1876, les autorités de Meiji faisaient les mêmes recommandations à sa population [323]. De manière fortuite, celles-ci reprenaient les anciennes mises en garde alimentaires qui existaient sous Edo lors des épidémies de variole, ce qui, par ailleurs, perpétua le phénomène prémoderne de fluctuation des prix des denrées. De surcroit, ces précautions résonnaient parfaitement avec un vieux concept traditionnel, le shokusho (indigestion). Ce terme désignait le phénomène pathogénique suivant : 170 Toutefois, à partir de la guerre russo-japonaise, les conditions d'accès se démocratisèrent, et l'image de l'infirmière de détériora, devenant le symbole du prolétariat. 244 un refroidissement de l'estomac ou un excès alimentaire entraine une stagnation de la nourriture qui finit par se putréfier [323]. Au vu de ces éléments, on comprend l'installation d'une ambiguïté durable à propos de l'étiologie du choléra. Ce phénomène qui touchait également l'élite éclairée persista en dépit de la révolution bactériologique. Ainsi, pendant longtemps, les journaux mirent en avant le rôle du régime, relayant au second plan le rôle du germe lui-même [323]. Cette obsession autour de l'alimentation se répercuta également dans le milieu scientifique, et des dizaines d'études sur la survie du vibrion dans les crustacés et poissons furent menées au début du 20e siècle [323]. Ainsi les vieilles règles du yojo qui visaient certains aliments aquatiques survivaient grâce à la réinterprétation bactériologique. De la même façon, le traitement du béribéri par la vitamine B1 entra facilement dans les mœurs ; aussi dans Bruine de Neige, Tanizaki fait dire à Sachiko, l'une des sœurs Makioka : « Mais j'y pense ! Je suis en « manque de B ». Tu ne voudrais pas aller en bas, Koisan, et demander qu'on stérilise la seringue ? Était-ce à cause du béribéri qui régnait à l'état endémique dans la région de Kobe et d'Osaka ? Chaque année, toute la famille l'attrapait entre été et automne, à commencer par les parents et jusqu'à Etsuko, qui venait d'entrer à l'école. On en avait contracté la manie des injections de vitamine B. Depuis quelque temps, on n'allait même plus chez le médecin ; on avait toujours en réserve des ampoules de bétaxine concentrée et on se piquait mutuellement sans hésiter et chercher plus loin. La moindre indisposition était imputée à une insuffisance de vitamine B ; d'où l'expression que quelqu'un avait dû lancer : « être en manque de B. » [330], (pages 6-7) Au-delà de l'assimilation d'une thérapie moderne, cet extrait reflète surtout la survivance d'anciens concepts : caractère climatique de l'affection, utilisation de la vitamine B dans l'esprit de nourrir l'énergie vitale. En fait, ce fut bientôt l'explosion du marché des vitamines au Japon. C'est ainsi qu'en copiant une des boissons énergétiques japonaises, le Lipovitan (Laboratoire Taisho, 1962), une compagnie thaïlandaise créa le Kratingdaeng, plus connue sous le nom de Red Bull [24]. Par ailleurs, le concept de déplétion séminale avait été recyclé dans le concept de neurasthénie sexuelle (seiteki shinkei suijaku). Beard ne déclarait-il pas lui-même : « Seminal emissions are frequently the cause of nervous and other diseases. » [26](p118-119) Au début, on réprima la masturbation chez les enfants. Mais, peu à peu, la maladie ne désigna plus qu'une fatigue intellectuelle qui, elle aussi, déboucha sur la mode de produits censés cette fois-ci stimuler la vigueur masculine, tel que le Topakkine (extraits testiculaires animaux) [97]. Officiellement, le concept d’alicament est né au Japon, à la fin des années 80, avec le label FOSHU (Food for Specified Health Use). Toutefois, nous venons de constater que les origines de cette tendance sont bien plus anciennes et relèvent du yojo. C Survivance de la médecine des correspondances La compréhension populaire des mécanismes pathologiques dérive encore en grande partie de des anciens concepts de microcosme/macrocosme, de déséquilibre et d’influences extérieures. 245 Sous Edo, on disait souvent souffrir de kenpeki (congélation des épaules), que l'on attribuait à la stagnation du ki par oisiveté. Le kenpeki était traité par massage et moxa réputés activer la circulation du ki. En fait, le massage était devenu une véritable institution, chasse gardée des anma, les masseurs aveugles. Mais sous Meiji, la disparition de la théorie de stagnation du ki entraina avec elle le concept de kenpeki. Néanmoins celui-ci fit sa réapparition en tant que katakori, contracture musculaire douloureuse des épaules liée au surmenage. Les manuels de massage domestiques se dotèrent alors de planches de myologie. De nos jours, en cas de katakori, les Japonais manifestent toujours une préférence pour le massage mais surtout nient toute implication psychologique [164]. Ce n'est pas parce qu’ils méconnaissent la notion de maladie nerveuse, au contraire celle-ci est très souvent invoquée, néanmoins le sens qui lui est donné est totalement différent. En fait, au Japon, l'étiologie nerveuse (shinkei) d'une maladie renvoie à la physiologie et non à la psychologie. Ainsi, même la pathologie anxiodépressive sera imputée à un déséquilibre du système neurovégétatif, mais pas un problème d'ordre émotionnel, psychologique [243](p76). Un autre concept étiologique important est la notion de type sanguin. Par exemple, on corrèle le groupe sanguin à la propension à développer certaine maladies. De la même façon, le pH est aussi mis en correspondance avec certaines pathologies. Ainsi le pH sanguin acide est associé au cancer, au diabète, et à l'ulcère gastrique. Aussi faut-il éviter les aliments classés acides : viande, volaille, poisson, beurre, fromage, jaune d'œuf, saké, bière, etc. (alors que fruits, végétaux, légumes, blanc d'œuf, lait, vin sont réputés alcalins). Ainsi on continue d'utiliser le mode de pensée magique et corrélatif. Voyons maintenant la transformation de la compréhension du syndrome grippal. La plupart des gens (médecins compris) pensent que la meilleure prévention consiste à entretenir sa peau (ne pas trop se couvrir, la frotter avec une serviette sèche, la renforcer en s'exposant au froid), à se couvrir le cou, et que l'absorption de boissons aux propriétés sudorifiques va hâter la guérison. Sans le savoir, ces personnes se réfèrent à l'ancienne médecine savante d'Edo, qui stipulait que le kaze (vent) entrait par les pores cutanés ouverts par la chaleur ou par un point d'acupuncture situé à la nuque (le Palais des vents). En accord avec le Shanghan lun, on prescrivait une drogue à base d'éphédrine, le kakkonto [287]. De la même façon, on préconise toujours le port d'une bande abdominale, car dans l'inconscient collectif, l'estomac est un organe majeur qui peut être « refroidi » [243]. Cela justifie également le port d’une forme allégée de iwata obi, la ceinture de grossesse de 4 mètres de long dont Kagawa décriait l’usage au 18 e siècle [243]. Par ailleurs, le concept du kaze à l'origine de toutes les maladies n'a toujours pas disparu, les Japonais se référant toujours à des mécanismes atmosphériques pour expliquer de nombreuses maladies. L'anthropologue japonaise Ohnuki Tierney appelle ce mode de pensée du « physiomorphisme » [243]. D'une part, parce qu'il y a une sorte de projection de la Nature sur le corps, c'est-à-dire une explication des affections par un déséquilibre de la nature interne (microcosme), voire par un élément naturel extérieur (agent climatique), cela sans jamais faire appel à la psychologie tant invoquée dans la 246 pensée populaire occidentale. D'autre part, le terme est aussi un clin d'œil au mode de pensée magique et corrélatif de la médecine traditionnelle sino-japonaise171. 171 Il s'agit d'un terme emprunté à Levi Strauss dans La pensée sauvage, p293. Levi Strauss explique que la religion est une humanisation des lois naturelles (anthropomorphisme de la nature) et la pensée magique une naturalisation des actes humains (physiomorphisme de l'homme). 247 III Le consumérisme médical d’Edo à nos jours : image du médecin et pluralisme japonais Sous Edo, avec la naissance d'une économie de marché, l'accès au médecin et à ses remèdes se démocratisa quelque peu (Image 86 p261). Toutefois on nourrissait des sentiments assez ambivalents à l'égard du praticien. C'était à la fois une figure d'autorité et un sujet de raillerie. En fait, les patients étaient conscients des limites de l'art médical, si l'on en juge par les senryu de l’époque : Le docteur réplique: La vie et la mort dépendent de la volonté du ciel. (Senryu anonyme, daté 1757) Le docteur palabre en suivant la Materia Medica.172 (Senryu anonyme, daté 1757) ou encore plus acerbe : Mourir, facile. Vivre, difficile : Le médecin charlatan. (Senryu anonyme)173 L'expression consacrée pour le médecin charlatan était médecin yabu, yabu signifiant « bosquet de bambou », ce qui donnait lieu à des jeux de mots ; par exemple, un conte de la province d'Echigo (ancienne Niigata) raconte comment un bonze se joue d'un médecin en l'appelant pour soigner son bosquet de bambous [74](p68). Les médecins d'Edo étaient le plus souvent dépeints comme des personnes lucres et arrogantes. Ainsi l'éthique médicale donnait lieu à un calembour : « La médecine, art de la Vertu parfaite » (I wa jin-jutsu), « La médecine, art du calcul » (I wa san-jutsu) [328] L’iconographie populaire ne tarit pas de ce type d’allusion (Cf. Image 101 p275 et Image 87 p262). Mais l'image du médecin ne s'améliora pas avec la modernisation. En effet, à côté de la classe restreinte des haikara, les patients n'étaient pas vraiment convaincus des apports de la médecine moderne. Les citadins reprochaient au nouveau système son manque d'humanité. Dans la littérature, les médecins hospitaliers, entourés de roides infirmières, semblaient pratiquer l'inquisition : L'infirmière qui accompagne le chef médecin dans sa visite ne sourit pas. (Senryu Anonyme) Le stéthoscope : 172 C'est-à-dire que le médecin répète ce qui est contenu dans le Bancao gangmu de Li Shizen. Ces 3 senryu ainsi que les 3 qui vont suivre sont extraits et traduits du recueil de l’Américain Blyth cf. [39], pages 322, 332. 173 248 La femme médecin a un regard sévère. (Senryu signé Shijiro) De surcroit, on émettait certains doutes vis-à-vis de l'efficacité et de la technicité des nouveaux praticiens : Minutieusement, mais vraiment à perte, le stéthoscope. (Senryu signé Ichiro)174 Dans les campagnes, les paysans n'avaient pas accès aux médecins modernes. Et Yukichi Fukuzawa de constater en 1892 : comment attendre des stars du Kabuki qu'elles viennent s'enterrer dans les campagnes s’il n’y a pas d’argent [178] ? Ainsi l'écrivain Izumi Kyoka dans sa nouvelle Koya hijiri (Le Moine du Mont Koya, 1900), fait un état des lieux de cette époque : dans les montagnes de la province d'Hida, se croisaient un cynique marchand ambulant de mankitan (un type de remède populaire), un médecin charlatan pratiquant aussi bien le soin des yeux, l'application de cataplasme que la saignée (certainement un médecin d'Edo vaguement formé à la médecine hollandaise qui fut autorisé à pratiquer dans le cadre de la transition), et sa fille, une guérisseuse shamane complètement dérangée [134]. En ce qui concerne l'accouchement, les anciennes femmes (toriagebaba) furent longtemps préférées aux nouvelles licenciées (sanba), car elles étaient certainement moins regardantes à pratiquer l'avortement. Aussi les nouvelles sanba, pour gagner la confiance des familles, accompagnaient les anciennes toriagebaba dans leur tournée. Par ailleurs, la population se méfia longtemps des médicaments modernes, préférant utiliser les remèdes traditionnels. Une étude japonaise réalisée dans les années 40 permet d'apprécier la pénétration de la médecine moderne dans la population, 30 ans après Meiji. Dans cette étude, les patients avaient schématiquement plusieurs possibilités : s'automédiquer à l'aide de remèdes traditionnels, recourir au médecin ou à des thérapies religieuses [320]. Comme on s'y attendrait, il ressort une grande disparité en fonction des revenus. Toutefois, on peut remarquer quelques tendances révélatrices. Par exemple, personne ne consultait le médecin en cas de katakori. Les pauvres étaient plus enclins à consulter en cas de maux dentaires, et les riches en cas de maladies infectieuses aigues. Pour les affections cutanées, les pauvres préféraient acheter un médicament plus onéreux nommé « le baume de la pieuvre » (tako no suidashi) plutôt que le Mentholeum américain utilisé par les plus riches [320]. Ainsi les comportements étaient non seulement dictés par le cout mais aussi par la façon de penser la maladie. Le katakori restait une affection d'antan, tout comme l'image d'une pieuvre aspirant les mauvaises humeurs était caractéristique de la pensée traditionnelle sino-japonaise. Ainsi la dichotomie pauvres/riches transparait clairement dans les propos de Soseki (dans la bouche de son mineur anonyme) : 174 Cf 173 page 250. 249 « Il était déjà pour le moins étrange que des hommes sauvages [les mineurs] fussent malades, mais que l'on eut conçu de leur fournir les moyens de guérir -sous forme de bâtiment, d'instrument spécifiques, de médicaments, de médecins- me fit d'avantage éprouver la bizarrerie du monde. Comme si des voleurs avaient mis en commun leur butin pour faire édifier une école destinée à leurs rejetons. Les deux extrêmes des Lumières et de l'Obscurantisme se trouvaient réunis dans cette construction peinte en bleu. A la faveur de leur rencontre, l'Obscurantisme devenait plus noir encore. Résultat opposé à ce que l'on aurait escompté. » [310] (pages 276-277) Certes cette dichotomie allait peu à peu disparaitre avec l’homogénéisation des classes sociales ; néanmoins on continuerait de faire appel aux différentes médecines, aboutissant au pluralisme japonais actuel : religion/kampo/biomédecine. Par ailleurs, on intégra à la biomédecine l'éthique confucianiste et bouddhiste, ce qui créa plusieurs biais : 1-paternalisme médical important. 2-maladie vécue comme une expérience communautaire (l'interlocuteur reste la famille avant le patient pour les annonces de diagnostic). 3-tendance à obéir aux « lois de la nature » (laquelle incite à poursuivre les soins chez les patients en fin de vie, et représente un frein à la transplantation d'organe). 4-rémunération reposant sur la délivrance de médicaments, héritée de l'époque d'Edo pour contourner le « I wa jin-jutsu » (pratique qui incite à la surmédication). Aussi, de nos jours, des médecins s’élèvent contre le maintien de ces traditions, pensant qu’elles sont incompatibles avec la biomédecine [225], [328]. 250 Conclusion du chapitre 4 Au Japon, la conception populaire de la maladie est comme stratifiée. En effet, les apports des différentes périodes se sont successivement agglomérés sans jamais complètement chasser les plus anciens. Ainsi démonologie, souillure shinto, rétribution karmique bouddhiste, Koshin et yojo taoïstes, médecine des correspondances (concept de microcosme-macrocosme), médecine moderne (anatomie, bactériologie) se sont accumulées au cours du temps. Le peuple japonais a incorporé ces théories savantes (savante du moins en leur époque) en parvenant même à les agencer entre elles. Sous Meiji, les théories modernes n'ont pas échappé à ce syncrétisme. Aussi apercevrait-on plus de signes de continuité que de rupture. En fait, l'eisei nourrie du concept de darwinisme social a surtout souligné la compartimentation sociale prémoderne, englobant du coup pauvreté-maladiesouillure-burakumin. Cette pensée composite est à l'origine du pluralisme médical actuel. En effet les Japonais font aussi bien appel à la biomédecine, qu'aux praticiens traditionnels (acupuncteurs, kampo), qu'aux thérapies religieuses, ou encore aux remèdes populaires. Toutefois le maintien de certaines traditions pervertit parfois l'exercice du praticien moderne. 251 Illustrations du chapitre 4 Image 75 : Rites communément observés dans la chambre d'un enfant malade atteint de variole. La mère l’a habillé d'un bonnet et d'une tenue de nuit rouge, et a dressé un autel en l'honneur du Kami Hoso (hoso-dana ou kami-dana). Ce kami-dana se compose d'un sandawara (plaque ronde paillée) sur lequel est posé un serpentin en papier rouge (gohei) et un gâteau de riz rond (kagami mochi). A gauche se trouvent une poupée de Daruma et une chouette cornue (tous deux rouges). Apparue sous Edo, la poupée Daruma reprend la figure légendaire de l'ascète Bodhidharma resté 9 ans assis en méditation. Lestée de façon à rester toujours debout, elle est un signe de bon augure. En général des tentures rouges sont également accrochées au mur, ainsi que des papiers huilés rouges qui délivrent une lumière… rouge. Illustration tirée du livre Mukashigatari inazuma byoshi de Kyoden Santo (1806), retouchée pour rendre l'ambiance « rouge » d’une chambre de varioleux. Commentaires d'après [153] et [281] ; [Collection :Université de Waseda] 252 Image 76 : Hoso-e porteuse d’un poème magique: « Déjà les bourgeons tout précoces des pruniers, deux ici, trois là, sur la neige bien clairement traces du chien qui s'en va. » Les premiers pruniers éclos sous la neige symbolisent les forces vitales. Quant au chien (inu), il se retrouve souvent dans les hoso-e à cause de l'homonymie avec le verbe « s'en aller, se retirer » (hinu), Artiste Yoshimori Utagawa, 19e siècle. Traduction et commentaire d'après [281] ; [Collection : musée Naito] Image 77 : Hoso-e par Gototei Kunisada (1815-42). L'Empereur chinois Genso (685-762) assailli en cauchemar par de nombreux démons reçut la visite d’un fantôme guerrier nommé Shoki. A son réveil, Genso demanda que l'on réalise le portrait de son sauveur. Depuis Shoki est considéré comme un héros démonifuge et son image utilisée comme talisman anti-épidémique. Ici Shoki contre le démon de la variole [Collection : musée Naito] 253 Image 78 : Hoso-e par Kunimaro Utagawa: La légende de Tametomo, dieu rayonnant, gardien de l'ile de Hachijo (Hachijo-jima no chinju, sho ichii Tametomo daimyojin raiyu, circa 1860). Le grand archer Minamoto no Tametomo (1139-1170) aurait chassé le démon de la variole de l'ile de Hachijo. Ainsi ce personnage dont la force repose sur les arts martiaux est, comme Shoki, invoqué en cas de variole. Ici le texte raconte que l'archer a fait promettre au démon -un vieillard venu de la mer, de ne pas revenir, en lui faisant apposer l'empreinte de sa main au bas d'un pacte. L'effigie d'une main est souvent utilisée comme talisman symbolique contre les épidémies. Commentaire d’après [281] ; [Collection : UCSF] 254 Image 79 : Suppression de la variole (Hoso taiji no zu, 19e s.), hoso-e par Shungyo. Traduction du texte japonais (en haut): « C'est un ami de longue date, amateur de choses anciennes, qui possédait cette illustration dont on ignore l'auteur. Il en donne l'explication suivante: on dit que cette image représente une espèce de dessin magique destiné à protéger contre la variole. J'ai oublié de quelle divinité il s'agit. Au moment où une épidémie de variole fait rage, j'en vins à penser que cette image pourrait constituer un adjuvant populaire capable de juguler cette épidémie maligne. En répondant à la demande de l'imprimeur, j'ai donc reproduit ce dessin tel que je m'en souvenais. » Dans le bas de l'image, les deux démons rouges qui s'enfuient déclarent: « L'affiche au portrait du Seigneur Tametomo ou à l'empreinte de sa paume-depuis toujours nous sommes très familiers avec, et il n'y a donc rien de particulier à craindre. Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Une chose épouvantable est apparue, qu'elle est inquiétante, filons, filons, vite ! » Traduction d’après [281] ; [Collection : UCSF] 255 Image 80 : Chapelle portative (zushi) du Shugendo. Les ascètes du shugendo reconnaissent comme père fondateur le moine En No Gyoja (personnage de droite avec un bonnet). Alors que le monde allait entrer e dans une ère de dégénérescence (10 siècle), Gyoja aurait invoqué l’aide d’une divinité suffisamment farouche pour faire fuir les forces démoniaques, le kami des montagnes Zao-Gongen (divinité noire, courroucée, à la chevelure dressée, au milieu). De par cette filiation spirituelle, on comprend mieux que les ascètes du shugendo (moines yamabushi) étaient à même de pratiquer des rites démonifuges antivarioliques, voire des exorcismes. Ils pouvaient se marier avec les mikos, prêtresses des temples shinto chargées des kaji-kito (exorcisme des possessions par le renard). Dans ces cas-là, miko et ascètes du shugendo formaient une équipe aux pouvoirs magico-religieux, Commentaires d’après [95] et [92] ; [Collection personnelle] 256 Image 81: Chapelle portative (zushi) en hommage à 3 divinités classiquement invoquées en cas de maladie: le boddhisattva Jizo (vantail de gauche), le boddhisattva Kannon (milieu) et Fudo-myo. Jizo est le protecteur des enfants (notamment avortés et victimes du mabiki) ; Kannon et Fudo sont des divinités aux pouvoirs génériques, notamment invoquées en cas de variole, et plus tard en cas de choléra. [Collection personnelle] 257 Image 82 : Admonitions et conseils diététiques de prévention contre la rougeole (Hashika no imashime, 1862), hashika-e par Yoshifuji Utagawa. Devant un parterre attentif, un médecin (dont on remarquera le crâne rasé et le sabre), déploie un portrait de Shennong, le dieu de la pharmacopée traditionnelle, admonestant à consommer tel ou tel aliment. Dans le cadre du yojo, la diététique joue un rôle très important dans la lutte contre les épidémies. [Collection : UCSF] 258 Image 83 : Pour alléger les symptômes de la rougeole (Hashika o karoku suruden, 1862), hashika-e par Yoshimune Utagawa. Il s’agit ici d’un rituel magique de prévention contre la rougeole. Un garçon est agenouillé tandis qu'un prêtre shinto lui recouvre la tête d'un baquet en bois. A droite le cheval sacré du temple d'Ise portant un serpentin en papier blanc (gohei), à gauche la mère tient une feuille de tarayo (Ilex latifolia, Houx à larges feuilles) censée posséder des vertus protectrices. Légende: « Fuji, mont sacré qui assure la victoire contre la rougeole, tous vous Kami malveillants ne vous y opposez pas. » Le mont Fuji est un symbole de bon augure. On le retrouve aussi dans certains hoso-e. Dans ce cas on encourage l'enfant à « franchir le Fuji-Yama », en clair, à surmonter la variole. Traduction d’après [281] ; [Collection : UCSF] 259 Image 84 : Calendrier pour cocher rapidement les 75 jours de la variole (Ryuko hashika shichiju gonichi hibi hayami, 1862) par Yoshitoshi Taiso (1839-1892). Ici allusion à l’abstinence sexuelle de 75 jours préconisée en cas de rougeole. [Collection : UCSF] 260 Image 85 : Diptyque d’estampes par Yoshitora Utagawa, (Hashika kinmotsu aramashi, 1862). Les conseils diététiques en cas de rougeoles : bons et mauvais aliments. [Collection : UCSF] Image 86 : un inro, boite à casiers empilables dans lesquels on mettait des médicaments (ou des sceaux). La vogue de ce type d’accessoires pendant Edo traduit bien la montée du consumérisme médical. [Collection personnelle] 261 Image 87 : Emporter la variole au loin (Hashika okuri-dashi no zu, 1862), hashika-e par Yoshifuji Utagawa. Le kami de la variole sous les traits d’un bébé-monstre, flanqué de deux éléments propitiatoires, le serpentin en papier rouge (gohei) et les offrandes (gâteaux de riz ou kagami mochi), est assis sur un rond de paille, est porté par un cortège d'hommes-aliments (des hommes à tête d'orange,...). En marge de la parade, un médecin s’agite ; sa tête porte la mention « médicaments » et dans sa main, un éventail décoré de pièces de monnaie. La scène imite le kami-okuri, le festival de « renvoi d’une divinité », ostension shinto au cours de laquelle on porte solennellement l'autel d'une divinité en dehors de la ville. Mais en fait, elle souligne surtout l'importance apportée au régime diététique, sans lequel médecin, argent et médicaments ne sont rien. Commentaire d’après [281] ; [Collection : UCSF] 262 Image 88 : Les 32 aspects des mœurs: elle semble avoir chaud (Fuzoku sanjuniso atsuso, 1888), estampe par Yoshitoshi Taiso. Les Japonais pratiquaient la moxathérapie à domicile. [Collection : UCSF] 263 Image 89 : gozo roppu zu (les 5 viscères et 6 entrailles), estampe par Ryoan Terashima, extraite de Wakan sansai zue (Encyclopédie sinojaponaise illustrée, 1713). Cette encyclopédie permit de vulgariser à grande échelle la conception savante du gozo roppu zu. [Source de l’image: [305]] Image 90 : estampe par Eisen Keisan extraite de Makura bunko, V.3 (La bibliothèque de l'oreiller, 1822-1832). Exemple d'application du concept savant du gozo roppu zu à la littérature populaire: description des organes internes d'une courtisane, [source de l’image : [305]] Image 91 : Jushi keisei hara no uchi (14 Courtisanes à l'intérieur de l'abdomen, 1793) de Zenko Shiba. Ce livre compare l'organisme d'une courtisane à un magasin dans lequel chacun des employés est un organe. Shiba reprend ainsi le concept du corps paysage (microcosme) de l'Encyclopédie sino-japonaise illustrée (Wakan sansai zue de Ryoan Terashima, 1713), ouvrage d’ailleurs cité ici. Dans cette scénette: à gauche, le foie (chef-comptable), au milieu la vésicule biliaire (employé accroupi) et à droite le cœur (la propriétaire du magasin). Commentaires d’après [304] ; [Collection : Université de Waseda] 264 Image 92 : Dans ces deux ouvrages, les protagonistes sont capables de « voir » l’intérieur de l’abdomen grâce au microscope hollandais posé sur le nombril… A gauche, La vraie vie de Koganeyama Fukuzo (Koganeyama Fukuzo jikki, 1778) de Rinsho. Le protagoniste Fukuzo est le fils d’un hollandais et d’une prostituée de Nagasaki. Devenu médecin, il adopte un nom hollandais pour impressionner ses patients. Sans expérience, son seul atout repose sur les instruments laissés par son père. A droite, L’aventure comique à l’intérieur des intestins (Hara no uchi gesaku no tanehon, 1811) de Sanba Shikitei. Ici un jeu de mots: Sanba demande à un ami de regarder l’intérieur de son ventre (c.-à-d. son cœur, son âme), l’autre lui décrit la descente des aliments dans les intestins. Outre la satire, on s’aperçoit que Kaitai shinsho et microscope hollandais éveillent la curiosité anatomique. [Source des images :[296]] Image 93: Les organes génitaux de la femme, vue externe et vue interne, estampes par Eisen Keisan extraites de Makura bunko, V.2 (La bibliothèque de l'oreiller, 1822-1832). Les organes de la médecine occidentale (ovaires et trompes de Fallope) font irruption dans l’iconographie populaire. Dans l’estampe de droite, l’auteur explique même s’être servi du Kaitai shinsho. Commentaires d'après [305] 265 Détails de scénettes et traduction des phylactères « Le Cœur, le plus important des organes. Comme le comptable d’une maison close, aux courtisanes: Vos clients ne sont pas nombreux en ce moment. » « L’Ovaire: Comme nous donnons les graines, nous sommes responsables de la naissance des enfants. » 266 Image 94 : Page précédente et page présente : Diptyque d’estampes par Kunisada Utagawa, 1855. Page présente, Les Règles d'hygiène diététique (Inshoku yojo kagami) et page précédente, Les Règles d'hygiène sexuelle (Boji yojo kagami). Ces estampes dépeignent le fonctionnement des organes internes selon la théorie du gozo roppu (cf. texte annexe traduit ci-dessous), tout en y incorporant des concepts occidentaux. Les organes de la médecine occidentale (ovaires et trompes de Fallope) font notamment irruption. Sur le plan graphique, se mêlent les procédés traditionnels du corps microcosme (petites scénettes impliquant des personnages) et de la vision par transparence. Le message de ce diptyque est axé sur le yojo: mise en garde contre l’intempérance diététique et sexuelle. [Collection : UCSF] 267 TRADUCTION DU TEXTE ANNEXE AUX ESTAMPES [Collection : UCSF, traduction d'après [132]] L’homme Avant-propos Comme on l'a vu dans cette estampe, les organes sont similaires mêmes si les « habitants » peuvent occuper des positions sociales variées (le noble, l'humble, le sage ou l'imbécile). Les excréments et l'urine ne sont pas sales tant qu'ils sont à l'intérieur du corps. Ce sont des déchets dont la décharge est indispensable à la vie. Les éruptions cutanées comme l'eczéma ou les croutes sont dues un excès d'appétit. Ceux qui veulent profiter longuement de la vie doivent se modérer et prendre soin de leur santé. Poumons : Les poumons sont de couleur blanche et rentrent dans la catégorie Métal dans la théorie des 5 phases. Le poumon va du nez au gros intestin et est constitué de 8 feuilles avec 24 trous. Les nourritures et les boissons sont organisées par cet organe. Ainsi le poumon qui est appelé le « Premier ministre » (qui aide le monarque, le cœur), règne sur divers aliments et génère le Ki (esprit) pour les 5 autres viscères. C'est pour cela qu’en termes d’importance, les poumons sont situés en deuxième position par rapport au cœur. Cœur : Le cœur est rouge et appartient à la catégorie du Feu dans la théorie des 5 phases. Il est situé sur le diaphragme, en dessous du poumon droit. Il mène au petit intestin. Le cœur a la forme d'une graine de lotus avec des trous. Certaines personnes ont de nombreux trous, d'autres seulement quelques uns. 4 vaisseaux quittent le cœur et sont reliés aux reins, au foie, à l'estomac et à la rate. Le cœur est donc très important, c'est pour cette raison qu’il s’agit du Monarque : il donne les ordres, règne sur tous les autres organes, et détermine les lois. Rate : La rate est jaune et appartient à la catégorie de la Terre dans la théorie des 5 éléments. Elle est placée dans la partie supérieure gauche de la cavité abdominale, près de l'estomac. Une membrane les relie. La rate est dénommée l'Intendant de l'entrepôt. Il stocke de la nourriture et des boissons chaque jour. Tout ce que vous mangez comme riz, accompagnements, saké ou thé est envoyé à la rate. Si vous mangez ou buvez trop, vous risquez d'endommager la rate, ce qui cause de nombreuses maladies. Il s'agit donc d'un endroit à considérer avec sérieux. L'estomac : L'estomac est adjacent à la rate. Comme la rate, c'est un Intendant de l'entrepôt. Il stocke nourriture et boisson, et les fournit au reste du corps. Il faut donc en prendre soin. Certaines personnes ont un désordre de la rate ou de l'estomac car ils mangent trop, d'autres souffrent de malnutrition à cause d'une nourriture de faible qualité et en trop petite quantité. La plupart des maladies sont dues à un désordre de la rate ou de l'estomac. Il importe donc de faire attention quotidiennement à ce que vous mangez et buvez, et de vous restreindre à ne pas manger des produits superflus. Sinon vous serez probablement en proie à des maladies et raccourcirez votre longévité. Le foie : Le foie est bleu et appartient à la catégorie du Bois dans la théorie des 5 phases. Il est situé dans la partie supérieure de l'abdomen, sous la poitrine. Le foie est appelé le Général, il digère toutes les nourritures et boissons et nourrit les 5 viscères et 6 entrailles avec le Ki. Une nourriture bien digérée va rapidement vers la rate et est bien absorbée dans le corps. Mais si vous buvez ou mangez trop, le foie n'a pas le temps de digérer, ce qui cause la panique. Au final, le foie devient défaillant et est la cause de nombreuses maladies. Ne faites pas porter un fardeau trop important à votre foie. 268 Vésicule biliaire : La vésicule biliaire est bleue, appartient à la catégorie Bois dans la théorie des 5 phases. Elle est située sous le foie. Elle est garante de l'équité, résout les problèmes de façon amicale et décide d'un certain nombre de choses dans le corps. Lorsque vous mettez en colère ou que vous êtes surpris par quelque chose, cet organe ne fonctionne pas normalement. Les fortes émotions ou l'étonnement peuvent tout d'abord apporte douleur ou détresse au cœur. Puis, si la vésicule biliaire est influencée, votre ki décroit et vous perdez de l'appétit et de l'énergie. Même si vous buvez du saké pour divertir votre esprit, votre condition ne fera qu'empirer. Petit intestin : Le petit intestin est rouge et est situé 6 cm au dessus du nombril. Son extrémité supérieure est reliée à l'estomac, l'extrémité inférieure mène au gros intestin. Tous les aliments sont digérés et absorbés par le corps, les déchets sont alors déchargés dans le gros intestin. Les restes de soupe, de saké, de thé ou d'autres liquides sont eux déversés dans la vessie. Si vous faites attention à votre nutrition, et que la nourriture circule bien dans votre corps alors il n'y a aucun problème dans le petit intestin et vous bénéficiez d'une bonne santé. Dans la plupart des cas, la nourriture mal digérée ou mal absorbée stagne dans cet organe. Vessie : La vessie est située sous la vésicule biliaire, en face du gros intestin. Elle a une sortie, mais pas de bouche d'entrée. Toute nourriture est digérée dans le foie, arrive dans le petit intestin par la rate et l'estomac puis est divisée en deux groupes. Le saké, le thé et d'autres fluides sont filtrés et donnés à la vessie puis déversés dans le corps en tant qu'urine. Les autres déchets sont acheminés vers le gros intestin. Ceux qui mangent toujours trop (c-à-d ceux qui boivent du saké et mangent quelque chose avant même que ce qu'ils avaient mangé ou bu précédemment soit dans le petit intestin) vomiront et se sentiront mal car la nourriture ou le saké n'est pas entièrement digéré par le foie. L'excès de saké donne la gueule de bois et des malaises, qui tendent à se développer en d'autres maladies. Reins : Vous avez deux reins. Ils sont attachés à droite et à gauche du 7e joint de la colonne vertébrale. Le rein est appelé officiel du sakyo et le dieu des esprits y réside. Les reins sont si importants que vous ne devriez pas trop faire l'amour, mais plutôt vous conduire prudemment en prenant soin de votre santé. Alors le Ciel pourra vous offrir une descendance. Gros intestin : Le gros intestin fait 16 tours autour nombril, dans le sens anti-horaire. Il est dénommé l'Officiel de la transmission. Des aliments variés arrivent dans cet organe et rejoignent l'anus à travers le rectum. Une vie débridée peut causer relâchement des intestins, constipation, ou bien difficulté à purger l'intestin de ses restes. Œsophage : Nourriture et boisson sont indispensables pour la vie quotidienne car ils sont la source de l'énergie corporelle. Il arrive que vous mangiez plus que nécessaire. Ceux qui travaillent durement et qui font attention à leur santé peuvent tout manger. Ceux qui mènent une vie oisive devraient fortement se méfier d'une suralimentation. Trachée : Grace à cet organe vous pouvez parler, chanter, ou alterner les voix pendant le joruri (récitation chantée pendant un spectacle de marionnettes). 269 Les organes de la femme. Avant-propos : Ceux qui veulent avoir une vie longue et saine doivent faire attention à leur vie sexuelle autant qu'à leur alimentation. Les relations entre maladies et nutrition ont été explicitées dans la partie sur les règles diététiques, en s'appuyant sur la carte anatomique du corps masculin. Maladies et raccourcissement de la vie sont les témoins d'une activité sexuelle excessive. Il s'agit donc ici de donner quelques règles à ceux qui aiment faire l'amour. La sécrétion de lait : Elle est produite à partir des aliments et des boissons bien digérés et transportés depuis le « réservoir de lait » à travers les glandes mammaires dans la poitrine. Une mère qui doit nourrir son enfant mange plus que d'habitude, ce qui est naturel vu qu'elle doit produire le lait à partir de son alimentation. Le réservoir de lait : Le réservoir de lait est un organe en forme de sac, situé près des reins. Les secrétions sont transportés vers la poitrine afin de nourrir l’enfant. Dans le corps masculin et le corps féminin, les sécrétions de lait sont transportées vers le cœur et les poumons et sont mélangées avec le sang pour nourrir le corps. Menstruation : Lorsqu'une femme atteint l’âge de 14 ou 15 ans, la quantité de sang qui circule entre les reins et l'utérus peut atteindre un niveau plus important que nécessaire. Ce surplus est alors évacué du corps tous les mois. Lorsqu'une femme et enceinte, ce surplus sanguin sert à nourrir l'enfant. Une femme enceinte n'a donc pas de surplus de sang à évacuer tous les mois. C'est pourquoi les femmes ont plus de sang que les hommes. Certaines femmes ont des règles plus importantes que d'autres, suivant la quantité de sang disponible dans le corps. Ainsi, celles qui ont quand même une menstruation pendant la grossesse produisent simplement une quantité très importante de sang, plus que celle absorbée par le nourrisson. Elles n'ont donc pas à s'inquiéter de ces saignements à moins qu'elle ne souffre d'une maladie particulière. Après la naissance, il n'y a pas de surplus de sang car il est transformé en lait pour nourrir l'enfant, et il n'y a donc pas de menstruation. Si les règles apparaissent rapidement après l'accouchement, alors c'est un signe que la femme a largement assez de sang. La menstruation reprendra avec la fin de la sécrétion du lait, 3 ou 4 ans après la naissance. Des douleurs dans l'abdomen peuvent être ressenties pendant ou à la fin des règles. Une température élevée, des maux de têtes, les jambes lourdes peuvent être dues à la menstruation. Utérus : Il se situe entre la vessie et l'intestin, il a environ la taille d'un œuf de poule. Il y a une petite ouverture dans sa partie inférieure. Lorsqu'une femme tombe enceinte, son utérus grossit. Il y a deux oviductes à gauche et à droite qui mène aux ovaires. Un ovaire a à peu près la taille d'un œuf de pigeon et contient une vingtaine d’organes similaires à des haricots de soja noir. Le fluide épais et clair dans ces organes est appelé « liquide purifié » et fait partie de la semence. Les ovaires flétrissent avec l’âge, tout comme les testicules. Chez les jeunes, les deux sont petits et tendres. Le « liquide purifié » est produit à partir du sang. Par conséquent, si ce liquide est gâché par une activité sexuelle trop importante, le corps pourrait éprouver des difficultés en cas de manque de sang. L'homme et la femme perdront alors leur vigueur, s'amaigriront et deviendront pales. Un certain nombre de maladies graves peuvent alors survenir. 270 Image 95 : Frontispice du Gyuto hatsumo, 1849 de Ryusai Kuwata, [Collection : Université de Waseda]. Illustration inventée par le médecin Ryusai Kuwata: un Bodhisattva (divinité bouddhique) secourt un enfant menacé par le démon de la variole. L’animal-monture du bodhisattva est inhabituel ; il s’agit de la vache, réservoir de la vaccine. Kuwata opère ainsi un syncrétisme judicieux. Mais ne n’était que la première étape. Le syncrétisme devient réellement opérant dans l’image suivante : Image 96: Tract publicitaire représentant « l'enfant à la vaccine », commandé par le médecin Ryusai Kuwata, date Kaei 3.1 (début de l'année 1850). L'enfant portant des signes de vaccination sur le bras, chasse le démon de la variole avec une lance (symbole de la lancette utilisée pour la vaccination), assis sur une vache (réservoir de la vaccine). Il devint le symbole de la campagne de vaccination débutée en 1849. Commentaires d'après [138](p156-157) ; [Source de l’image : [281]] 271 Image 97 : « Conseil pour la prévention du choléra » (Korori fusegi no etoki, 1877), estampe par Yoshitoshi Taiso. Le démon du choléra est combattu par une escouade de soldats qui déverse du phénol. [Collection : UCSF] Image 98 : Petites statues du Bodhisattva Jizo utilisées dans le cadre du mizuko no kuyo, Cimetière du temple Zojoji, Minato-ku, Tokyo. Jizo est le patron des enfants morts et des voyageurs.[Source de l’image : Wikimedia Commons] 272 Image 99 : Affiche commémorant la « Journée où l'on écrase les mouches » dans la Préfecture de Mie, 1924 [Collection: Ohara Institute for Social Research, Hosei University, Source de l’image : [300]] 273 Image 100 : Anatomie des voies digestives dans Yojo no susume (1876) de Toshiyuki Takizawa. Dans ce yojo-ron de l’époque Meiji, le lecteur est désormais familiarisé à l’anatomie et à la physiologie moderne. Dans cet ouvrage, l’étude du yojo est également présentée comme un prérequis à la promotion sociale. En outre, les préceptes originels taoïstes et confucianistes sont eux-mêmes mélangés à l’idéologie nationaliste. En résumé: L’individu est doué d’une intelligence qui lui permet de connaitre la nature, notamment ce qui est bon pour son corps, c.-à-d. le yojo. Le yojo est le point de départ de la santé, la santé est la base de l’effort et de l’endurance, du bonheur et de la longévité. Par ailleurs, il faut préserver son corps, non seulement par piété filiale, mais aussi par devoir envers l’Etat. [source de l’image : [77]] 274 Image 101 : Les aliments pouvant être mangés en temps de rougeole (Shokushite yoroshiki mono, circa 1860), hashika-e par Yoshimori Utagawa. En plus de prodiguer des conseils diététiques, cette estampe montre le rapport ambigu liant médecin et patient. Un patient vomit des pièces de monnaie dans un bol, devant son médecin et sa fille. Il se plaint: « Ah j'ai encore craché de l’argent. Quand j’aurais ainsi vomi tout mon argent, la rougeole sera-t-elle pour autant guérie ? » Le médecin dit que si les médicaments sont pris avec foi, alors il recouvrira la santé. Et qu'après tout: « La prescription des médicaments est fonction de la rémunération, hahaha. » Pendant ce temps de petits personnages symbolisant les « bons aliments » sautillent autour du patient, et semblent se plaindre au médecin. Au fond, de petits démons vêtus de noir et symbolisant la rougeole s'agitent, impuissants. (leur chorégraphie mime les idéogrammes utilisés dans hashika). Le texte dresse une liste des « bons aliments » et des « mauvais aliments ». Là encore, l’idée principale est que sans un bon régime diététique, médecin et médicaments sont inutiles. Commentaires d’après [281] , [Collection : UCSF] 275 276 Conclusion L'évolution de la médecine japonaise traditionnelle vers la biomédecine a été étudiée sous 4 angles : -épistémologique (formation de la pensée médicale) -professionnel (évolution de la profession) -sanitaire (création de la santé publique) -et anthropologique (évolution de la représentation populaire du corps, de la maladie et du soin) 1) Dans un premier temps, nous avons examiné la dynamique intellectuelle qui conduisit d'un paradigme sino-centré vers le paradigme scientifique. Du 16e au 17e siècle, les médecins japonais ingérèrent la médecine des correspondances Jin-Yuan et son socle philosophique le néoconfucianisme Zhu Xi. Ainsi naquirent les écoles modernistes ; principalement l'école Goseiho de Dosan Manase et plus accessoirement l'école Goseiho beppa. Or au 17e siècle, la philosophie néoconfucianiste prit de nouvelles directions: développement des « études concrètes » ou « pratiques » (shixue ; jitsugaku) dans la lignée du gewu néoconfucianiste (« investigation des choses » en japonais kyuritsu), et courant de retour aux textes originels de la période Han non pervertis par la métaphysique Zhu Xi (courant Hanxue). Dans le domaine médical, ceci se traduisit par l'essor de l'histoire naturelle (honzo gaku) et de l'école antiquariste Kohoha. Les honzo gakusha (Ekiken Kaibara) ne se contentaient plus de la pentsaologie livresque mais partaient appréhender directement les plantes japonaises. L'école Kohoha, encouragée par la philosophie hétérodoxe Kogaku (jinsai Ito, Sorai Ogyu), s'insurgea contre l'édulcoration métaphysique et la complexification de la médecine antique par les théoriciens Jin-Yuan. Ainsi Todo Yoshimasu pensait qu'il fallait séparer les « affaires de la nature » des « affaires humaines et médicales ». De plus, ces médecins cherchèrent à réduire les spéculations physiologiques à des théories plus matérialistes : .en faisant abstraction des « correspondances » (5 phases, yin/yang) et en ne se focalisant que sur la composante pneumatique à l'instar de Konzan Goto et sa théorie de stagnation du ki. .en s'abstenant à une théorie étiogénique basique, tel que Todo Yoshimasu et sa théorie du poison. En outre, Yoshimasu fit de la palpation abdominale (myakushin) le moyen de localiser le poison ; la médecine japonaise n'avait jamais été aussi proche du solidisme occidental [226]. Dans cet élan révisionniste, Toyo Yamawaki enfreignit le triple tabou entourant la dissection afin de restaurer les connaissances anatomiques antiques (1754) ; initiative qui fut immédiatement imitée par ces disciples. Jusque-là, les apports occidentaux étaient plutôt minces, que ce soit la médecine des missionnaires au 16e siècle (Nanban geka) ou la chirurgie hollandaise au 17e siècle (Komo geka). Certes les interprètes se montraient friands des « tours de mains » hollandais et de leur pharmacopée, mais aucun d'entre eux ne s'était véritablement penché sur les bases théoriques de ce savoir (anatomie, théorie des humeurs). Le cout prohibitif des matières premières a tout au plus stimulé les honzo gakusha à trouver des ersatz locaux et les ouvrages de botanique (tel que le Cruydeboek de Dodonaeus) ont peut-être, au même titre que le Bencao gangmu, les études de Kaibara. 277 Or la levée de l'embargo sur les ouvrages occidentaux (1720), démocratisa l'accès à la nouvelle iconographie médicale. Ainsi la divergence des planches hollandaises conforta les médecins Kohoha dans leurs interrogations et leurs projets de dissection. Mais ces savants restaient prisonniers du paradigme confucianiste qui situait l’âge d'or de la connaissance à l'antiquité. Aussi, si certains se mirent à disséquer (Toyo Yamawaki, Koan Kuriyama, Tomon Yamawaki), voire à apprendre la saignée occidentale (école éclectique : Gengai Ogino, Tomon Yamawaki), c'était uniquement dans le but de restaurer le savoir antique chinois altéré par des siècles de réinterprétation. Toutefois ces efforts ne furent pas totalement inutiles ; si les adeptes de l'école Kohoha n'étaient pas encore capables de remettre en question le dogme chinois, ce ne fut pas le cas de la nouvelle génération de médecins, littéralement fascinée par le réalisme des illustrations hollandaises. Ces ouvrages les invitaient à « changer de perspective » (memboku o aratameru). L'Anatomische tabellen fut leur pierre de Rosette. A partir de cette traduction, un réel changement de paradigme pouvait s'effectuer. D'une part ces médecins introduisirent la terminologie médicale moderne ainsi que les grandes lignes de l'anatomie réformée du 17e siècle. Bien que l'on notait une progression de l'esprit scientifique avec la réalisation de dissections plus expérimentales (Shinnin Kawaguchi, Fuseya Soteki), le savoir s'édifiait surtout à partir des ressources livresques. Ils se familiarisèrent à l'école mécaniste de Leyde (Boerhaave), au vitalisme allemand d'Hufeland, et avec les précepteurs du collège d'Utrecht (Pompe, Bauduin), ils purent même s'initier aux bases de la médecine scientifiques du 19e siècle. En moins d'un siècle, ils avaient ainsi survolé 250 ans de médecine occidentale. La conversion au système de pensée mécaniste, soubassement de la médecine occidentale, nécessita plusieurs réajustements (famille Udagawa). Toutefois, il existait entre les deux médecines, quelques analogies ; notamment entre le vitalisme d'Hufeland et le yojo, entre les deux protoinfectiologies (concepts de consomption, de miasme,...), voire encore entre les principes thérapeutiques (émétiques, diaphorétiques, saignée et même variolisation). Ces « ponts » facilitèrent certainement la transition. La chirurgie occidentale influença également la geka japonaise. Certains prirent conscience de l'intérêt de l'anatomie dans la pratique chirurgicale (intérêt des seikotsusha pour l'ostéologie, des ophtalmologues pour l'anatomie oculaire), d'autres devinrent plus interventionnistes (l'art obstétrical des Kagawa, la chirurgie de l'école d'Hanaoka), voire adoptèrent carrément certaines techniques occidentales (la réclinaison du cristallin par exemple). Aussi même si ces apports étaient trop hétérogènes pour que l'on puisse parler de changement de paradigme, l'évolution du modèle était inéluctable. Ainsi dès 1742, l'ophtalmologue traditionnel Toshuku Negoro avait ressenti la nécessité d'abandonner le diagramme magique des 5 anneaux concentriques pour une représentation anatomique tridimensionnelle. Dans la deuxième moitié d'Edo (1774-1868), un véritable esprit scientifique vit le jour. A l'inverse de leurs prédécesseurs (interprètes de Dejima et médecins kohoha éclectiques), les rangakusha n'étaient pas uniquement intéressés par les aspects techniques, mais aussi par les sciences fondamentales. De plus ils s'engageaient sur la voie du partage scientifique ; la constitution d'un réseau de vaccinateurs, l'élaboration du journal Taisei mei iko, les échanges entre chirurgiens et anatomistes rangaku sont autant d'éléments qui reflètent ce phénomène. Mais cette assimilation restait néanmoins fidèle à la tradition japonaise. Les rangakusha importaient « en bloc » une pensée étrangère, comme cela avait déjà été le cas pour la médecine chinoise. De plus ils puisaient dans des sources parfois espacées de plus de 278 cent ans, faisant coexister Boerhaave et Hufeland, cela sans départir de l'approche confucianiste du savoir. Sous Meiji, le gouvernement officialisa la politique de transfert scientifique. Ainsi les Japonais transplantèrent le paradigme expérimental allemand (théorie cellulaire, bactériologie, neurosciences) ainsi que les autres théories scientifiques de la fin du 19e siècle (théorie de l'évolution notamment). Ces médecins s'illustrèrent rapidement dans le domaine de la recherche : cancérogénèse expérimentale (Katsusaburo Yamagiwa), découverte du système de conduction cardiaque (Sunao Tawara), conceptualisation de la théorie du système réticulo-endothélial (Kenji Kiyono et Ludwig Aschoff), mise en évidence de l'immunité humorale (Shibasaburo Kitasato et Emil Behring), réfutation de la théorie décrémentielle de Verworn (Genichi Kato). Mais la modernisation de la médecine japonaise ne consiste pas en une simple translation du modèle allemand. Par exemple, on pouvait remarquer un engouement persistant pour le lamarckisme et les neurosciences. La science occidentale donnait aussi l'opportunité de reconfigurer certains savoirs ou concepts traditionnels. Dans le domaine thérapeutique, l'aire traditionnelle se redéfinissait scientifiquement : ethnopharmacologie (drogues kampo), étude de la physiologie acupuncturale ou encore réutilisation de la philosophie zen en psychothérapie (thérapie expérientielle de Morita). De même, on préféra à la théorie de l'évolution ses avatars idéologiques, darwinisme social et anthropologie biologique, lesquels permettaient de recycler l'ordre du Ri (néoconfucianisme) et l'historiographie prémoderne (origine du peuple Yamato). Ainsi nous avons montré que la modernisation de la pensée médicale japonaise est bien le résultat d'un long processus endogène et non d'une acculturation brutale. 2) Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés aux grandes étapes de l'évolution de la profession médicale. Le métier resta pendant des siècles le monopole du clergé bouddhique et de deux familles prestigieuses, les Tanba et les Wake. Hormis quelques moines qui consacrèrent leur art au peuple (actions caritatives des 8e, 9e et 14e siècles), la majorité de ces praticiens étaient assignés aux soins de l'aristocratie et du pouvoir guerrier. Toutefois, sous Muromachi, on assista à un début de professionnalisation. Le moine Dosan Manase quitta le clergé, ouvrit la première école privée (shijuku) où il enseigna la médecine chinoise savante (médecine Yuan) et institua le premier code de déontologie. A cette époque, apparurent également les premiers spécialistes (ophtalmologues et chirurgiens empiristes kinso-i). Ce processus s'amplifia au cours d'Edo. Du fait de la transformation socio-économique (apparition d'une riche classe marchande et appauvrissement de la tranche guerrière laissée sans terre), la médecine devint le refuge idéal ; c'était l'un des seuls domaines intellectuels dont on pouvait vivre honorablement. Ainsi de nombreux samouraïs se rabattirent sur l'enseignement et l'exercice de la médecine, d'où l'essor des écoles privées (shijuku) puis de fief (igakkan à la fin du 18e siècle). Toutefois, dans cette pensée en vase-clos, seul le savoir hollandais était gage de renouveau. Ces intellectuels relativement indépendamment vis-à-vis du pouvoir, contrairement aux interprètes fonctionnaires, se comportèrent alors en courtiers du savoir. Ils s'intéressaient à la médecine mais aussi à 279 toutes les sciences en général. Leurs académies privées constituaient de véritables universités. Du point de vue déontologique, la médecine devint « l'art de la Vertu parfaite » (I wa jutsu), ce qui induisit la pratique du kusuridai (paiement du médicament). Todo Yoshimasu, quant à lui, se libérait du dictat du pronostic, signe évident d'une amélioration du statut professionnel. Par ailleurs, il n'existait pas encore de réglementation professionnelle ; l'académie officielle n'avait guère qu'un rôle symbolique. Enfin nous avons évoqué l'essor du culte d'Hippocrate dans le milieu rangaku, phénomène qui pourrait suggérer la naissance d'un certain corporatisme ranpo au début du 19e siècle. L'attitude du pouvoir central vis-à-vis des rangakusha était assez ambivalente ; il les laissait publier et mettait à profit leurs compétences (création d'un bureau de traduction en 1811 avec nomination de Gentaku Otsuki), tout en réprimant farouchement toute initiative pouvant mettre en péril son autorité (incident Siebold de 1828, Bansha no goku 1839). Mais avec les puissances occidentales qui piaffaient à ses frontières et des vassaux brulant de le renverser, c'était peine perdue. Contraint de signer les traités inégaux, le shogun finit par demander l'expertise hollandaise (École médicale de Pompe à Nagasaki) et envoya même une mission d'observation en Europe. A la Restauration, le nouveau gouvernement choisit le modèle éducatif allemand, pour des raisons scientifiques mais surtout politiques. Contrairement aux autres pays en lice (France, Angleterre), l'Allemagne n'avait ni passé révolutionnaire ni antécédents coloniaux. Outre la mise en place d'un système universitaire allemand, le changement le plus important fut la réglementation de la profession (Eisei). Toutefois le passage de l'examen national obligatoire ne devint véritablement incontournable qu'à partir de 1906. Sur de nombreux points, la modernisation ne fit qu'entériner le mode de fonctionnement prémoderne : . recrutement dans les familles de médecins et l'ancienne classe guerrière, et népotisme universitaire, tous deux hérités du système des ie. .autoritarisme professoral s'appuyant sur la relation oyabun/kobun. .importance sociale du igaku hakase (version japonaise du privatdozent) reposant sur la conception confucianiste du savoir (prestige du savant par rapport au technicien). .légalisation du kusuridai sans régulation des honoraires. .factionnalisme médical (liberté institutionnelle de Kitasato, ascension politique de Shinpei Goto) en directe lignée du statut particulier du médecin prémoderne (courtier informationnel). Par ailleurs, on ne faisait que réitérer un processus cognitif vieux de mille ans ; mais cette fois l'allemand remplaçait le chinois et la méthode scientifique le paradigme (néo)confucianiste. Ainsi la professionnalisation du métier sous Meiji ne faisait que modifier le contenu (modèle éducatif allemand) tout en ratifiant des modes de fonctionnement traditionnels. 3) Dans un troisième temps, nous avons étudié la transformation du modèle sanitaire féodal en un système de santé publique moderne. A la période prémoderne, l'infrastructure sanitaire reposait essentiellement sur le secteur caritatif, c'est-à-dire sur une poignée de dispensaires bouddhistes, ainsi qu'un seul hôpital shogunal, le Koishikawa yojosho (1772). 280 Pour parer aux crises (famines), les autorités féodales avaient également instauré un système d'aides financé par l'impôt (kakoimai pour la prévention de la famine, allocation pour la prévention de l'infanticide) mais aussi par des dons privés. Ainsi le pouvoir (impérial puis shogunal) avait très tôt relié le concept de « santé publique » à l'aumône bouddhiste (fuse), volonté qui tranchait avec la création précoce d'une structure laïque vouée aux soins de l'aristocratie (Institut de médecine du système ritsuryo). A la fin d'Edo, le pouvoir central s'impliqua personnellement dans deux nouveaux « programmes » : la création de centres de travail pour les hors castes (comprenant lépreux et fous) et la médicalisation des aïnous au nord. A la Restauration, le gouvernement décida d'adopter un système de santé publique moderne. Outre la menace épidémique, il s'agissait de construire un État moderne à l'image des nations occidentales, et dans un second temps, d'accomplir l'agenda expansionniste. Or la révolution japonaise n'étant pas le fruit d'une insurrection populaire, le concept de droit au bien-être ou de droit à la santé fut totalement absent des réformes. Ceci conduisit à une réactualisation des structures antiques : .institutionnalisation du secteur à but non lucratif (système koeki hojin et onshi zaidan) .rappel du devoir d'entraide confucianiste et création de mutuelles privées, dérivées modernes des ko économiques .exclusivité des institutions officielles (hôpitaux universitaires) réservées aux classes aisées. La biopolitique, à l'état de germe dans les 50 dernières années du bakufu, prit son essor sous Meiji : enregistrement épidémiologique, quarantaine des malades atteints de choléra et de lèpre, prise de contrôle des peuples colonisés. Les structures sociales prémodernes (goningumi japonais, hoko taiwanais) servirent de tremplin à cette prise de contrôle aussi bien en métropole que dans les colonies. Par conséquent, l'analyse du système de santé publique moderne révèle une étonnante continuité ; les outils modernes européens (hôpitaux de quarantaine, comités sanitaires locaux) ayant surtout servi à perpétrer la politique sanitaire féodale. 4) Dans un dernier temps, nous nous sommes intéressés aux retentissements anthropologiques de la modernisation médicale, c'est-à-dire à la reformulation des concepts de corps, de maladie et de soins dans la pensée populaire. Sous Edo, en raison d'un phénomène de vulgarisation (essor des publications), la population maniait aussi bien les concepts archaïques (démonologie, concept shintobouddhique d'impureté-rétribution, croyance dans le Koshin) que des concepts hérités de la médecine savante (yojo, gozo roppu, représentation du corps microcosme). La modernisation n'effaça pas cette culture. Les concepts archaïques et savants furent reformulés au travers le prisme bactériologique et sanitaire, sans pour autant perdre leurs connotations antérieures. On aboutit ainsi à des schèmes extrêmement complexes et spécifiquement japonais. Par ailleurs, l'eisei, fortement inspirée du darwinisme social, a également renforcé le clivage social prémoderne, justifiant par conséquent l'association burakumin-souillurepauvreté-maladie. Là encore, en dépit d'une apparente rupture (propagande anti-yokai, caractère collectif de l'eisei opposé au caractère individuel du yojo), esprits vengeurs, souillure shinto, yojo, et médecine des correspondances ont persisté jusqu'à nos jours sous la forme du mizuko no kuyo, de l'hygiène ritualisée, de FOSHU ou encore du « physiomorphisme ». 281 Ainsi le terme de « modernisation » de la médecine japonaise semble mal choisi. Point de rupture, point de phénomène passif exercé de l'extérieur. Pour le médecin et le pouvoir central, le phénomène prend sa source bien plut tôt et s'inscrit dans une dynamique naturelle. Du coté de la population, le processus est identique ; adaptation à l'eisei selon des normes culturellement établies et intégration des concepts selon un mode syncrétique. De cette façon, les Japonais de Meiji ont en quelque sorte adapté la biomédecine au « terrain », ce qui a induit des problèmes d'ordre éthique (darwinisme social) et encore de nos jours (effets pervers du kusuridai, obstacle au don d'organes, manque de transparence dans l'information du patient). Perspectives Il serait intéressant de vérifier si ce mode de transfert a eu des répercussions au niveau de la pensée médicale et de la santé publique au delà de Meiji, notamment s'il a résisté à la pression américaine. Par ailleurs, on pourrait examiner les apports éventuels du modèle japonais à nos sociétés. Par exemple, le système des coopératives de santé, inspiré de l'époque prémoderne (réseau d'entraide économique, confucianisme, yojo), offre des perspectives intéressantes. Dans ces coopératives de nombreux patients sont acteurs de leur prise en charge ; ils adhèrent à des programmes d'information (prévention et surveillance) et sont capables de réaliser des actes élémentaires (surveillance active de la TA et du diabète) [261]. Ainsi il permettrait une responsabilisation de l'individu face à la raréfaction du personnel médical. Ce concept développé par David Werner, mais dans le cadre du Tiers monde (Where there is no doctor, a village health care handbook, 1977, 2003) mérite peut-être d'être étudié dans le cas de la désertification médicale moderne : « Healthcare is not everyone's right, but everyone's responsability. » De la même manière, on pourrait s’interroger sur l’évolution de la pensée médicale chinoise face au modèle occidental. Ce serait également l’occasion de vérifier si la tendance compulsive à l’accumulation des concepts est commune à la pensée populaire asiatique ou s’il ne s’agit que d’une particularité japonaise.[236] [140] Enfin, l’exploitation des nombreuses sources disponibles en langue japonaise pourrait également s’avérer intéressante dans l’optique de la poursuite de notre étude. 282 Bibliographie générale 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. Abe, R., Mantra, Hinin, and the Feminine: On the Salvational Strategies of Myōe and Eizon. Cahiers d'Extrême-Asie, 2002. 13(1): p. 101-125. Achiwa, G., On the Westernization of Japanese medicine: with emphasis on the influence of Herman Boerhaave, in Circa tiliam : studia historiae medicinae Gerrit Arie Lindeboom, septuagenario oblata, G.A. Lindeboom, Editor. 1974, Brill Academic Publishers: Leiden. p. pp49-60. Achiwa, G., A study of Shindo Tsuboi's Translation, Manbyochijun, of Commentaria in Hermanni Boerhaave Aphorismos. 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Zou, Y., History Review of International Exchange; dernier accès le 20/02/2011; disponible sur: http://www.cma-mh.org/english/articlecontent.asp?articleId=27447 301 302 Glossaire Tableau 7 : Terme japonais aka-e arugamama bakuhan taisei Bakumatsu Bansha no goku Bansho Shirabesho bokuto bunpi bugyo chitsu Chuo eiseikai Chuo jizen yogikai Dai nihon shiritsu eiseikai daimyo daino denshi dokki domyaku eisei Eisei ka Eisei kumiai Eisei kyoku ema Emishi, Shukushin enzui eta fudoku fukoku kyohei fukumaku fukushin fuse Geka soden gobyo gohei goningumi images rouges « accepter les choses telles qu'elles sont » (psychothérapie moritienne) système politique féodal mis en place sous le gouvernement de la famille Tokugawa (de bakufu= « gouvernement sous la tente »; et han= fief) dernière années du shogunat Tokugawa (interruption forcée de la politique de séclusion : 1853-1868) Persécution du cercle des Barbares (répression de 1839) Bureau d’étude des écrits barbares (créé sous Bakumatsu) sabre en bois sécrétion magistrat vagin Comité central d'hygiène (Meiji) organe gouvernemental de coordination des associations caritatives Société privée d'hygiène du Japon seigneur (titre de noblesse) encéphale animalcule (concept taoïste) « airs vénéneux » (théorie humorale de Hakuju Hashimoto) artère santé publique (Meiji) Départements sanitaires (Meiji) Coopérative Sanitaire Bureau d'hygiène (Meiji) ex-voto peuples mythiques des légendes aïnoues bulbe rachidien hors caste héréditaire, êtres « souillés » (concept shinto) miasme issu du sol et provoquant le béribéri (étiologie traditionnelle) « Une nation riche, une armée forte « (slogan de Meiji) péritoine palpation abdominale don (concept bouddhiste) traités chirurgicaux inspirés de Paré « maladie de rétribution karmique » (lèpre) serpentin en papier (rite antivariolique) groupe de 5 (organisation sociale) 303 Goseiho beppa Goseihoha gozo-roppu haikara hakama Hakuai-sha haremono hashika hashika-e hiden hiden-in hika hinin hoko honzo gaku honzo gakusha hoso hoso odori Hoso-dana (kami-dana) hotuki I wa jin-jutsu I wa san-jutsu ichiryu kintan ie igakkan igaku hakase Jikeikai jintai jinto shuto jitsu gaku jomyaku junishi cho jusha kagaku kaibo kaibo-emaki kaidoku kaimyo kaji-kito école moderniste variante école des derniers développements, c'est-à-dire école moderniste 5 organes pleins et 6 organes creux De l'anglais « high collar » : haute société occidentalisée de Meiji pantalon large plissé porté par les samouraïs et les nobles Croix-Rouge japonaise « tuméfactions », domaine auquel sont assignés les chirurgiens rougeole estampe populaire sur le thème de la rougeole enseignement secret hospices pour pauvres et orphelins poème secret à portée magique individus déchus socialement organisation sociale chinoise implantée à Taiwan au 7 e siècle (en chinois : baojia) et repris par les colons japonais à la période moderne. étude d'histoire naturelle et de pharmacologie savant naturaliste (Edo) variole danse de la variole autel pour le kami hoso (rite antivariolique) filet de soie (instrument obstétrical) Calembour visant les médecins « La médecine, art de la Vertu parfaite ; la médecine, art du calcul » (Edo) remède kampo à base d'opium (sorte de panacée) produit dans le fiefde Tsugaru unité familiale japonaise école médicale de fief (Edo) doctorat en médecine (diplôme facultatif, Meiji) institution hospitalière caritative fondée par Kanehiro Takaki ligament technique de variolisation syncrétique (nippo-hollandaise) études pratiques, concrètes veine duodénum savants confucéens système d'enseignement héréditaire instauré au 9e siècle dissection ou anatomie rouleau anatomique groupe de lecture (pédagogie néoconfucianiste) nom posthume donné à un défunt rite religieux à vocation thérapeutique 304 kakke kakkonto kakocho kakoimai kakubutsu/kyuri kami kamikakushi kami-okuri kampo kannushi kanshin-jyutsu Kasuparu-ryu kaze kegare kei keimyaku kekkaku bonomi, kekkaku bijin kenpeki (Edo), katakori (période moderne) ki kinso-i kishobun kitsune-tsuki ko Koeki hojin Kogaku Kohoha Koishikawa yojosho Kokugaku Komo-ryu geka Koseisho koseki Koshin kusokanshi kusozu béribéri remède kampo utilisé au cours du syndrome grippal, rhume (à base de pueraria lobata, gingembre, cannelle, ephédrine, pivoine) registre des temples réserve de riz (système de protection) investigation des choses/étude approfondie du principe des choses (prônées par le néoconfucianisme) divinité shinto « rapt divin », « échappée de l'esprit » (croyance populaire shinto) festival shinto de renvoi de la divinité médecine sino-japonaise (kam : de han désignant « les Chinois ») prêtre shinto technique d'acupuncture guidée par des tubes (Edo) école de Caspar (Cf. Komo ryu-geka) vent, rhume souillure (concept shinto) méridien 12 canaux principaux desservant les 12 organes « charme tuberculeux », « beauté tuberculeuse » (Meiji) contracture douloureuse des épaules souffle matériel, influence (influence parfois néfaste) soigneur de blessures de guerre serment de respect du secret de l'enseignement (hiden) possession par le Renard système d'entraide financière (concept confucianiste) système d'exemption de taxes pour les associations caritatives (Meiji) études antiquaristes (philosophie) école antiquariste, dite des Classiques hôpital de charité shogunal situé à Edo courant de pensée nationaliste de la période prémoderne école de chirurgie des cheveux rouges (c.à.d des hollandais) Ministère de la santé (1938) registre d'état civil mis en place sous Meiji représentation démonologique du corps et de la maladie (concept taoïste) « neuf aspects du cadavre en décomposition » (genre poétique) « neuf aspects du cadavre en décomposition » 305 kyosai kumiai mabiki machi-isha Manbyo ichidoku setsu mandarage mankitan Matsuzawa-Byoin megane-e Meirokusha memboku o aratameru meyasabuko miko mizuko no kuyo mocho mokkotsu monmyaku myakushin naka sokohi Nanban geka nankotsu Nihon Ishi Kai ninsoku yoseba nishiki-e nyodo onkyu-ho onmyoji onsen onshi zaidan oyabun/kobun Rai yobo kyokai rangaku ranpo rei eki ri rinko ritsuryo rosai (iconographie) mutuelles privées (Meiji) infanticide médecin de ville théorie étiologique du « poison toxique unique » (théorie de Todo Yoshimasu) datura remède populaire traditionnel Hôpital psychiatrique publique de Tokyo (unique sous Meiji) image en perspective s'insérant dans les lanternes magiques Société des 6 de Meiji (intelligentsia de la période moderne) « changer de perspective » (leitmotiv de Gempaku Sugita) boite à suggestions shogunale shamane shinto service funéraire pour les fœtus avortés caecum squelette factice en bois veine porte prise du pouls affections « intermédiaires » de l'œil (ophtalmologie traditionnelle) école de chirurgie des barbares du sud (c-à-d les missionnaires ibères) cartilage Association médicale japonaise maisons de forces estampe polychrome urètre méthode du moxa tiède (technique introduite par Michio Goto) maitres du yin et du yang (spécialiste en magie) source thermale chaude fondations caritatives privées soutenues par l'Etat (Meiji) relation maitre-élève (concept confucianiste) Association de prévention pour la lèpre (Meiji) études hollandaises médecine hollandaise « liquide suprême » (pour fluide nerveux) principe de l'univers (concept néoconfucianiste) groupe de discussion des textes (pédagogie néoconfucianiste) « système des codes » ; code légal impérial mis en place au 8e siècle sur le modèle de la Chine des Tang phtisie (médecine sino-japonaise) 306 ryomin Saiseikai sakoku sakotsu sanba sandawara sankin kotai sashiko satori sayo sei no yokubo seikotsu-jutsu, seikotsuka sei-ochu sen sengoku senki senmin senryu seyaku-in shaso shibo shichibu tsumikin shijuku shikaku shimenawa shinjusan shinkei shinkeishitsu shinrigaku shinshi shiraku shizen, honzen shokue shokusho shono shugendo shugyofu « bon peuple » par opposition au « vil peuple » (Edo) fondation caritative impériale séclusion politique clavicule sage-femme licenciée de Meiji plaque ronde faite de paille (rite antivariolique) système de résidence alternée instaurée sous Edo (famille des daimyos gardée en otage à Edo) cage où l'on enfermait les malades mentaux (sous Edo et Meiji) Illumination (concept zen) action « désir de vivre » (psychothérapie moritienne) art de soigner les fractures et dislocation, médecin qui pratique cet art ruban de soie (instrument obstétrical sous Edo) glande âge des provinces en guerre (1450-1600) affections abdominales (Edo) « vil peuple » par opposition au « bon peuple » (Edo) court poème satyrique dispensaires grenier à riz graisse « 70% de l'épargne » (système de protection sociale d’Edo) écoles médicales privées (Edo) perception cordes de paille accrochées autour des maisons (rite antivariolique) collyre à la poudre de perle nerf nervosisme psychologie piqûre profonde (technique d'acupuncture développée par Tekisai Okubo sous Meiji) technique de saignée nature caractère contaminant de la souillure (concept shinto) physiopathologie traditionnelle de l'indigestion cervelet pratique ascétique issue du syncrétisme entre le shinto, le bouddhisme et le taoïsme « femmes à la profession honteuse » c-à-d prostituées (Meiji) 307 shumon aratame cho Shushigaku sodoku so-i sokohi sotohi sui taidoku taijin kyofu tanganki tengu Tenmongata Todoza toriagebaba tsumi tsumikegare tsusensan ubugo-yioku-mai ubuya ou ubugoya ukiyo-e undo urami Wajin wazawai yakuen yamabushi yamai make yatoi yojo yoka yokai registre des temples (initiative shogunale, ancêtre du koseki) études du néoconfucianisme de Zhu Xi apprentissage par cœur à voix haute (pédagogie néoconfucianiste) moine-médecin affections « internes » de l'œil (ophtalmologie traditionnelle) affections « externes » de l'œil (ophtalmologie traditionnelle) pancréas « poison utérin » (humorisme traditionnel) anthropophobie (phobie sociale japonaise) anse de baleine (instrument obstétrical) sorte de gobelin avec un long nez et des ailes (concept shinto) Bureau de recherches astronomique et calendaire (Edo) association des acupuncteurs aveugles d'Edo sage-femme sous Edo comportement non conforme (concept shinto) souillure (concept shinto) formule anesthésiante de Seishu Hanaoka « fond pour élever les enfants » (Edo) cabine d'isolement utilisé lors de la grossesse ou pendant les règles. estampe mouvement ressentiment colons japonais installés dans la province septentrionale d'Ezo calamité naturelle (concept shinto) jardin botanique (herbes médicinales) moine ascète du shugendo lignée malade experts étrangers embauchés par le gouvernement de Meiji « l’art de conserver la vie » (concept taoïste) exciseur de furoncles monstre (fantastique) 308 Tableau 8 : Terme chinois (et équivalents japonais) baojia hoko ching-mo fu gewu qiongli système d’organisation sociale d’origine chinoise Grand-Canal (méridien) organe palais (petit intestin, estomac, vésicule biliaire, grand intestin, vessie et triple réchauffeur) investigation des choses/étude approfondie du kakubutsu kyuri principe des choses (concept néoconfucianiste) guan ouvertures sensorielles Han-xue étude des textes et enseignements de l'époque Han huanjing bunao technique sexuelle du yangsheng jing-mo keimyaku kaozhengxue li 12 canaux principaux desservant les 12 organes recherche des épreuves, études philologiques ri principe de l'univers (concept néoconfucianiste) « influences pestilentielles » (Wu Youxing, 15821652), concept proche du concept d'agent infectieux canal reliant les canaux principaux (ching-mo) entre eux li-qi luo ma huang remède traditionnel à base d'éphédrine nei zhang sokohi Qi ki qiheng zhi fu affections « internes » de l'œil (sens traditionnel) souffle matériel, influence ; xie-qi : influences néfastes les 6 entrailles curieuses (comprend le cerveau) shixue jitsu gaku études pratiques, concrètes du néoconfucianisme wai zhang sotohi affections « externes » de l'œil (sens traditionnel) wu lun code moral des 5 relations humaines (concept confucianiste) wu-xing théorie des 5 phases 5 phases climatiques wu-yun liu-qi yangsheng zang yojo de circulation et 6 influences « l’art de conserver la vie » (concept taoïste) organe dépôt (cœur, foie, rate, poumons, reins, péricarde) 309 310 Annexes 311 Annexe 1 : Repères Chronologiques avant et après Edo 312 Annexe 2 : Ouvrages occidentaux étudiés par les Rangakusha Dans cette annexe, nous dressons une liste aussi exhaustive que possible des ouvrages occidentaux étudiés par les japonais sous Edo. Cette liste est subdivisée par discipline (10 tables). Au Japon ne circulaient que des livres hollandais ou les traductions hollandaises d’ouvrages européens (exceptionnellement les versions originales175). Aussi avonsnous tenu à retrouver les titres des ouvrages dans leur langue originale (allemand, français, hollandais, suédois, anglais, latin …). Pour cela nous nous sommes servis des notices bibliographiques rédigées par les bibliothèques universitaires et nationales des Pays-Bas (catalogues internet) ainsi que de diverses sources [216], [130], [106], [173], [138], [140], [236]. En cas d’incertitude sur l’ouvrage original, nous avons donné le titre de la traduction hollandaise suivi du probable titre original (ces cas sont signalés par un point d’interrogation placé entre parenthèses). 175 On trouve néanmoins quelques exceptions : un livre en anglais (n°3 table 9) ; un en russe (n°13 table 9), ainsi que quelques livres directement écrits en chinois par les occidentaux installés en Chine au 19e siècle (le missionnaire Benjamin Hobson ou encore Pearson, chirurgien britannique de la Compagnie des Indes Orientales à Canton). 313 1 2 MUSSCHENBROEK, J. van MARTIN, B Elementa physicae conscripta in usus academicos. (Leyden, 1734) The philosophical grammar; being a view of the present state of experimented physiology, or natural philosophy. I. Somatology. II. Cosmology. III. Aerology. IV. Geology. (London, 1735) 3 KASTELEIJN, P J Beschouwende en werkende pharmaceutische, oeconomische, en natuurkundige chemie. (Amsterdam, 1786-1794) 4 FOURCROY, AF Philosophie chimique, ou Vérités fondamentales de la chimie moderne, disposées dans un nouvel ordre. (Paris, 1792) 5 LAVOISIER, AL Traité élémentaire de chimie, présenté dans un ordre nouveau et d'après les découvertes modernes. (Paris, 1789) 6 BUYS, J Natuurkundig schoolboek. (Leyden, 1800) 7 Volks-natuurkunde, of Onderwijs in de natuurkunde voor mingeoefenden, …. (Amsterdam, 1811) 8 Gronden der natuurkunde, getrokken uit het Natuurkundig schoolboek. (Leyden, 1818) 9 HENRY, W An Epitome of chemistry in three parts. (London, 1801) 10 PLENCK, JJ. von Elementa chymiae. (Vienne, 1800) 11 HIJMAN, H.S Ontwerp van eene algemeene scheikunde. (Dordrecht, 1820) 12 ISFORDINK EDLER VON atur e re f r ange ende rt e und und r te a s in eitung in das tudium der ei kunst um e rau e der KOSNITZ, JN or esungen f r die fe d r t i en g inge der medi inis -chirurgischen Josephs-Akademie. (Vienne, 1814) [manuel de cours au le Josephinum, l’académie militaire de Vienne] 13 SMALLENBURG, F. van Catz Leerboek der scheikunde. (Leyden, 1827-1833) 14 MEYER, Moritz Gronden der krijgskundige scheikunde, voor de kadetten der artillerie en genie (Breda, 1840) [manuel de cours militaire] --(?) Lehrbuch der Pyrotechnik (Berlin, 1840) 15 HOMMES, HK yst ematis e and eiding of tafe vormig over igt tot et doen van en ten ge ruike ij qua itative, emis -analyt d'après le livre de Hans Rose, Handbuch der analytischen Chemie, Berlin, 1829. (Amsterdam, 1845) 16 GIRARDIN, JPL Leçons de chimie élémentaire: appliquées aux arts industriels, et faites le dimanche à l'école municipale de Rouen. Part I: Chimie inorganique. Part II Chimie organique. (Paris, 1836-37) 17 BURG, P. van der Eerste grondbeginselen der natuurkunde. (Gouda, 1844-47) 18 STOECKHARDT, JA Die Schule der Chemie, oder erster Unterricht in der Chemie, versinnlicht durch einfache Experimente. (Braunschweig, 1846) 19 FRESENIUS, CF Anleitung zur qualitativen chemischen Analyse. (Braunschweig, 1842) 20 GUNNING, JW Leerboek der scheikunde. (Schoonhoven, 1858-62 ) 21 YPEY, A Sijstematische Handboek der Beschouwende en Werkdaadige Scheikunde. (Amsterdam, 1804-1812) Table 1 : Physique et chimie. 314 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 COITER, V VALVERDE REMMELIN, J VESLING, J BARTHOLIN, Th BLANKAART, S SPIEGEL, A WINSLOW, JB BIBLOO, G PALFIN, J KULMUS, JA ALBINUS, BS LA FAYE, G. de PLENCK, JJ Externarum et internarum principalium humani corporis partium tabulae. (Nurnberg,1573) Vivae imagines partium corporis humani aereis formis expressae. (Anvers, 1566) d'après Valverde, Vésale, Grévin Catoptrum microcosmicum. (Augsburg, 1619) (1ère version illicite Catoptron microcosmicum, Ulm, 1613) Syntagma anatomicum. (Padoue, 1641) Institutiones anatomicae (ouvrage de Caspar Bartholin père, révisé par Bartholin Thomas fils) (Leiden, 1641) De nieuw hervormde anatomie, ofte Ontleding des menschen lighaams. (Amsterdam, 1678) Opera quae extant omnia. (Amsterdam, 1645) Exposition anatomique de la structure du corps humain. (Paris, 1732) Anatomia humani Corporis. (Liège, 1685) ee konstige ont eeding van’s mens en i aam. (Leyden, 1718) Anatomische Tabellen. (Dantzig,1722) Physiologia, of natuurkundige ontleding van het menschelyke lichaam. (Amsterdam, 1758) Principes de chirurgie. (Paris, 1738) Primae lineae anatomes. (Vienne, 1770) Hygrologia corporis humani, sive Doctrina chemico-physiologica de humoribus, in corpore humano contentis. (Vienne, 1794) BLUMENBACH, JF nstitutiones ysio ogi ae. ( ttingen, 1786) HUFELAND, CW Pathogenie. (Jena, 1799), volume unique de la série Pathologie: zu academische Vorlesungen ROOSE, TGA Handboek der natuurkunde van den mensch. (Amsterdam, 1809) --( ) er die esund eit des ens en ein ysio ogis er ersu ( ttingen, 1793) 19 YPEY, A Handleiding tot de physiologie, ofte tot de kennis van het maaksel en van de werking, ... (Amsterdam, 1809) 20 CONSBRUCH, GW at o ogis es as en u . (Lei ig, 1813) ait artie de A gemeine n y o die f r raktis e r te und und r te. 21 RICHERAND, A ouveau mens de ysio ogie. ( aris, 18 1) 22 MAYGRIER, JP Manuel de ’anatomiste. ( aris, 18 7) 23 SCHROETER, JF et mens e ijk Oog en Oor, vo gens de af ee dingen van den oog eeraar mmering ( oemmerring), ( roningen, 1827) 24 HYRTL, J. Le r u der Anatomie des ens en, mit ksi t auf ysio ogis e egr ndung und raktis e Anwendung ( rague, 1846) 25 BUDGE, J Memoranda der speciellen Physiologie des Menschen: ein Leitfaden für Vorlesungen und zum Selbststudium (Weimar,1848) 26 LUBACH, D Eerste grondbeginselen der natuurkunde van den mensch : een populair leesboek... (Gouda, 1855) 27 HERMANN, L. Grundriss der Physiologie des Menschen (Berlin, 1863) 28 HOBSON, B Quanti xinlun (A new essay on the entire body, Guandong, 1851) Table 2 : Anatomie, physiologie, pathologie. 315 1 2 HUFELAND, CW PERSILLE, LF Makrobiotik oder Die Kunst das menschliche Leben zu verlängern (Jena, 1796) Handleiding tot de algemeene geneesleer ten gebruike bij het onderwijs aan 's rijks kweekschool voor militaire geneeskundigen (Utrecht, 1855) [manuel de cours à l’école médicale militaire] 3 KOPS, JL. de Bruijn Eenvoudige gezondheidsleer : een boekje voor allen (Amsterdam, 1856) Table 3 : Hygiène et santé publique. 1 2 3 4 5 6 DODONAEUS, R BESLER, B SWEERTS, E JONSTONUS, J NYLANDT, P BLANKAART, S 7 8 9 SWAMMERDAM, J WEINMANN, JW t ,A Cruijdeboeck. (Anvers, 1554) ortus ystettensis, sive, Di igens et a urata omnium antarum, f orum, stir ium, e variis or is ….( urem erg, 1613) ori egium am issimum et se e tissimum, quo non, tantum varia diversorum f orum ….( rankfurt, 1614; Amsterdam, 1620) Historiae naturalis de quadrupetibus libri : cum aeneis figuris (Frankfurt 1650-1653) De Nederlandtse Herbarius, of Kruydt- oe k, es ryvende de ges a ten, ……(Amsterdam, 167 ) Den eder ands en er arius ofte kruid oek der voornaamste kruiden, tot de medi yne, …..(Amsterdam, 1698) Biblia naturae : sive historia insectorum... = Bybel der natuure : of historie der insecten... (Leyden, 1737-38) ytant o a onogra ia, sive ons e tus a iquot mi ium, tam indigenarum quam e oti arum….. ( atis onne, 1737-1745) Libellus, quo demonstratur: cicutam non solum usu interno tutissime exhiberi, sed et esse simul remedium valde utile in multis morbis, qui hucusque curatu impossibiles dicebantur (Vienne, 1760) 10 HOUTTUYN, M Systema naturæ, sive Regna tria naturæ, systematice proposita per classes, ordines, genera, & species. (Leyden, 1735) [interprétation par M. Houttuyn du Systema naturæ de C.von Linné] 11 THUNBERG, CP Flora Iaponica sistens plantas insularum Iaponicarum secundum systema sexuale emendatum redactas ad XX classes, ordines, genera et species (Lipsiae, 1784) 12 ZORN, J Icones plantarum medicinalium= Abbildungen von Ar neygew sen ( urem erg, 1779-1790) 13 BLUMENBACH, JJ and u der aturges i te. ( ttingen, 1779-80). 14 BASTER, J Natuurkundige uitspanningen, behelzende eene beschrijving, van meer dan vier hondert planten(Harleem,1759-1765) Table 4 : Botanique, zoologie, et minéralogie. 316 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 LEMERY, N SCHWENCKE, T PLENCK, JJ rait universe des drogues sim es ( aris, 1698) Schets van de heelmiddelen en haar uitwerkingen op het lichaam (s-Gravenhage, 1745) Materia irurgi a oder Le re von den irkungen der in der undar ney ge r u i en ei mitte ( ienne, 1771) arma ia irurgi a, seu, Do trina de medi amentis ræ aratis a om ositis, ….( ienne,1775) YPEY, A Handboek der “materies medica” ofte aanwij ing der kentekenen en kragten ….(Amsterdam, 1811) TROMMSDORFF, JB Lehrbuch der pharmaceutischen Experimentalchemie (Altone, 1796) HOUTE, HJ van Handleiding tot de materies medica, of leer der geneesmiddelen (Amsterdam, 1817) (-) Formulae medicinales novae : ad usum nosocomii Amstelaedamensis suburbani. (Amsterdam, 1822) NIEUWENHUYS, CJ Nadeelige en bijna algemeene vooroordeelen en misbruiken in de geneeskunde, bestreden en gewijzigd. Amsterdam, 1810. MAGENDIE, F Formulaire pour la r aration et em oi de usieurs nouveau m di amens, te s que a noi vomique, a mor ine, a ide russique, a stry nine, a v ratrine, es a a is des quinquinas, iode, et . ( aris, 1821) 11 STRATINGH, Ez. S Scheikundige verhandeling over de Cinchonine en Quinine. (Groningen, 1822) 12 STOWE, W A toxicological chart, exhibiting at one view the symptoms, treatment, and modes of detecting the various poisons, mineral, vegetable and animal (London, 2e ed 1820, 1ed non retrouvée) [Planche murale destinée aux cabinets médicaux] 13 WATER, JA. van de Beknopt doch zoo veel mogelijk volledig handboek, voor de leer der geneesmiddelen (Amsterdam,1829) 14 MOST, GF n yk o dis es andw rter u der ra tis en Ar neimitte e re. ( osto k, 1842) 15 PEREIRA, J The elements of materia medica and therapeutics. (London, 1839-40) 16 SCHLESINGER, J Einathmung des Schwefel-Aethers in ihren Wirkungen auf Menschen und Thiere : besonders als Mittel bei chirurgischen Operationen. (2e ed. Leipzig, 1847; 1e ed non retrouvée) 17 HOEBEKE, JP et Geneeskundig dagboekje; klein zak-receptenboek ten behoeve van hospitalen, apotheken, liefdadig heids-gestichten (Tiel, DENIQUE, C 1843) 18 ASCHENBRENNER, M De nieuwere geneesmiddelen, de vormen waarin en de ziekten, waarbij zij worden aangewend. (Arnhem, 1851) --( ) Die neueren Ar neimitte und Ar nei ereitungsformen mit vor g i er er ksi tigun des ed rfnisses raktis er r te. ( r angen, 1848) 19 ANTON, KC Volledig pathologisch geordend zakboek der meest e roefde geneeskundig…( ie , 1852) --( ) o st ndiges as en u der ew rtesten ei forme n na den rank eiten geordnet, mit den n t igen in eitungen u. emerkungen er die s e ie e Anwendung der e e te, f r raktis e r te. (Lei ig,1846) 20 POMPE van Beknopte handleiding tot de Geneesmiddelleer : ten gebruike van de Keizerlijke Japansche Geneeskundige School te MEEDERVORT, JLC Nagasaki (Desima: Nederlandsche Drukkerij, 1862) 21 OPWIJRDA, RJ Algemeene en bijzondere recepteerkunst: (ars formu as medi as raes ri endi et rae arandi)….(Amsterdam, 1871) Table 5 : Pharmacologie. 317 1 Collegium Amstelaedamense LIS, W. van Medicum Pharmacopoea Amstelredamensis, of d'Amsterdammer apotheek, in welke allerlei medicamenten, (9e éd. Amsterdam, 1736) 2 Pharmacopoea galeno-chemico-medica probatissimis auctoribus, ratione et experientia fundata : behelsende de voornaamste tegenwoordig in gebruik zynde genees- en heelmiddelen (Rotterdam, 1747) 3 HAMEL, P. van Pharmacopaea hodierna ofte Hedendaegsche apotheek; (Utrecht, 1749) 4 (-) Nieuwe Nederduitsche apotheek (Leyden, 1753). 5 OOSTERDIJK, HG, (Collegium Pharmacopoea Amstelodamensis nova (Amsterdam, 1792) Medicum Amstelaedamense) 6 (-) Handleiding tot de reagentia of herkennende en wederwerkende middelen, welke in de Pharmacopoea Belgica zijn voorgeschreven (Amsterdam, 1823) 7 S. J BRUGMANS; P.DRIESSEN G. Pharmacopoea Batava (Amsterdam,1805) VROLIK; J. R.DEIMAN 8 N.C. DE FREMERY; Pharmacopoea Belgica (La Hague,1823) G. VROLIK; SJ. BRUGMANS ; JB. VAN MONS 9 PLAGGE, MW e e t oek vo gens de arma o œa e gi a een ak oekje tot dage ijks ge ruik ( otterdam, 1829) 10 SCHMIDT, T Compendium der geneesmiddel-leer, met 228 tusschen den tekst gedrukte voorschriften. (Maassluis, 1872), en addition de la Pharmacopoea neerlandica --(?) original allemand non retrouvé. Table 6 : Pharmacopées. 318 1 BLANKAART, S 2 3 4 BUYSEN, H 5 J.D. GORTER 6 7 8 9 BAKER, H SWIETEN, G. van 10 LIS, W. van 11 TISSOT, SA 12 HUXHAM, J 13 14 MONRO, D BUCHAN, W 15 16 17 STOERCK, A. van THEDEN, JCA BARNEVELD, W. Van DEKKERS, F HEISTER, L Nieuw lichtende praktyk der medicynen, gefondeert op de gronden van de deftighste aut euren deses tijdts nevens de hedendaagse chymia, als ook de Nederlantsche apothekers winkel. (Amsterdam, 1678) Verhandelinge van de uitwerpingen des menschelyken ligchaams. (Amsterdam, 1706) Practyk der medicine, ofte Oeffenende geneeskunde. (Haarlem, 1710) Exercitationes practicae circa medendi methodum, auctoritate, ratione, observationibusve plurimis confirmatae ac figuris illustratae: cum capitum, rerum, verborum ac medicamentorum indice locupletissimo.(Leyden, 1673) Gezuiverde geneeskonst, of kort onderwys der meeste inwendige ziekten : ten nutte van chirurgyns, die ter zee of velde dienende, of in andere omstandigheden, zig genoodzaakt vinden dusdanige ziekten te behandelen (Amsterdam, 1744) The microscope made easy. (London,1742) Commentaria in Hermanni Boerhaave Aphorismos de cognoscendis et curandis morbis. (Leyden, 1742-1772) ur e es rei ung und ei ungsart der rank eiten, we e am ftesten in dem e d ager eo a tet werden. (Wien,1758) Practisches medicinisches Handbuch (Leipzig, 1744) d'après Compendium medicinae practicae: cui praemissa est de medicinae mechanicae praestantia dissertation. (Amsterdam, 1743) Genees- en heelkundige oeffeningen, op de rede en ondervinding steunende : waarin de voornaamste in- en uitwendige ziekten beschreven en derzelver oorzaken, kentekenen, voor eggingen en gene ingswij e worden aangetoont, met ijvoeg e en en aanmerkingen ( idde urg, 1763) De la santé des gens de lettres et des valétudinaires (Lausanne,1768), (d'après le discours inaugural prononcé en latin à l'académie de Berne le 9 avril 1766: Sermo inauguralis de valetudine litteratorum) Proeve over de koortsen, en de kinderpokjes: voor een groot deel op nieuwe gronden voorgedraagen. (Amsterdam, 1771) --(?)An essay on fevers,and their various kinds, as depending on different constitutions of the blood: with dissertations on slow nervous fevers; on putrid, pestilential, spotted fevers; on the smallpox; and on pleurisies and peripneumonies. (London, 2e ed, 1750) An Essay on the dropsy and its different species (London, 1755) Domestic medicine, or The family physician, being an attempt to render the medical art more generally useful, by shewing people what is in their own power both with respect to the prevention and cure of diseases, chiefly calculated to recommend a proper attention to regimen and simple medicines [or A treatise on the prevention and cure of diseases, by regimens and simple medicines; containing observations on vaccine inoculation, with instructions for performing the operation]. (Edinburgh, 1769) edi inis - raktis er nterri t f r die e d- und Landwund r te der sterrei is en taaten ( ienne, 1776) Unterricht für die Unterwundärzte bey Armeen, besonders bey dem Königlich-Preussichen Artillerie-corps (Berlin, 1774) Geneekundige electriciteit. Amsterdam, 1785-1789. 319 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 Collegium Medicum Handleiding tot de Geneezing der Inwendige Ziekten. (Leyden, 1788) (Berlin, Allemagne) -(?)Kurze Anleitung f r die und r te auf dem atten Lande wie so e ey der ur der inner i en rank eiten unter den ens en verfa ren so en auf einer nig i en ajest t a ergn digsten e ia ( er in, 1785) HUFELAND, CW emerkungen er das ervenfie er und seine Complicationen in den Iahren 1796, 1797 und 1798 (Iéna, 1799) n iridion medi um oder An eitung ur medi inis en ra is erm tniss einer f nf igj rigen rfa rung ( er in, 1836) REECE, R The medical guide, for the use of the clergy, heads of families, and practitioners in medicine and surgery : being a practical treatise on the prevention, symptoms, causes, and cure, of the diseases incident to the human fram; comprising the latest and most important discoveries in medicine (London,1802) JENNER, E A letter to Charles Henry Parry, on the influence of artificial eruptions in certain diseases incidental to the human body, with an inquiry respecting the probable advantages to be derived from further experiments (London, 1822) CONSBRUCH, GW Klinisches Taschenbuch für practische Ärzte. Allgemeine Encyclopädie für practische Ärzte und Wundärzte(Leipzig, 4e ed 1804) MOLL, A and oek tot de eer der teekenen van ge ond eid en iekte ( emio ogia edi a) …( orin em, 1820-1822) BUECHNER, WF Geneeskundig handboek voor beginnende kunstoefenaren. (Amsterdam, 1821-1839) BOWIER, A Beschreibung der Cholera morbus. Article du Bataviasche courant, 1821, n°12. périodique édité à Batavia, 1816-1828. SPRENGEL, KPJ Therapia generalis, le vol VI de Institutiones medicae (Amsterdam, 1809-1819) BISCHOFF, IR runds t e der raktis en ei kunde dur rank eitsf e er utert um e rau e f r und r te ( rag, 1823-1825) CONRADI, JWH Handbuch der speciellen Pathologie und Therapie: zum Gebrauche bei seinen Vorlesungen (4e ed, Marburg 1831-34) OSIANDER, JF Volksarzneymittel und einfache, nichtpharmazeutische Heilmittel gegen Krankheiten des Menschen. (Tübingen, 1826) CANSTATT, C et Die specielle Pathologie und Therapie : vom klinischen Standpunkte aus bearbeitet. (Erlangen, 1841-56) (supplément par HENOCH, EH Henoch en 1854) MAYOR, ML La médecine et la chirurgie populaires: en rapport avec l'état actuel de ces sciences et de la civilisation. (Lausanne, 1845) WUNDERLICH,CA Handbuch der Pathologie und Therapie. (Stuttgartt, 1846-1854) STROMEYER, GFL Ueber den Verlauf des Typhus unter dem Einflusse einer methodischen Ventilation. (Hannover, 1855) NIEMEYER, F Lehrbuch der speciellen Pathologie und Therapie mit besonderer Rücksicht auf Physiologie und pathologische Anatomie. (Berlin, 1858) LEBERT, H Handbuch der praktischen Medicin (Tübingen, 1859) L.G. KRAUS Vollstaendiges therapeutisches Taschenbuch f r raktis e Aer te und undaer te a a etis geordnete Darste ung der e and ungsweise a er innern und ussern rank eiten mit s e ia er er ksi tigung der Augen-, aut-, rauen-, inderkrank eiten und der y i is mit en t ung der an den er msten iniken ge r u i en ei forme n ( ien, 1861). HOBSON, B Neike xinshuo (Practice of medicine and Materia medica, Renji yiguan, 1858) Table 7 : Médecine. 320 1 PARE, A 2 3 SCULTETUS, J VERBRUGGE, J 4 5 6 KOUWENBURG, J WYCK, J. van 7 BASS, H 8 ULHOORN, H 9 HEISTER, L 10 11 12 13 14 15 GORTER, J. de PLENCK, JJ 16 17 GESSCHER, D. Van BUCHNER, F. PLENCK, JJ HAAFF, G. ten Les Oeuvres d'Ambroise Paré, conseiller, et premier chirurgien du roy. Divisees en vingt huict livres, avec les figures & portraicts, tant de l'anatomie, que des instruments de chirurgie, & de plusieurs monstres. Reveuës & augmentees par l'autheur (Paris, 1575) Armamentarium chirurgicum. (Ulm,1655) Chirurgijns of heelmeesters reys-boeck, : handelende I. Vande scheeps-medicament of chirurgyns reys-kist. II. Vande gemeene scheeps-kost... (3e éd. Middelburg, circa 1671) Het nieuw hervormde examen van land- en zee-chirurgie (2e ed, Amsterdam, 1740) Zeechirurgie of Matroosen troost in zeer veel gebreken, den zeeman overkomende (Middelburg, 1721) Proeve der redelijke heelkunst: waarin de bespiegelende en handwerkende chirurgia ; alsmede het onderwerp der zelve, kort en klaar, vraagwyze verhandelt wordt (Rotterdam, 1732) r nd i er eri t von andagen. Darinnen ent a ten eine ausf r i e es rei ung, wie so wo ein edi us a s au irurgus ey a en usser i en den und irurgis en O erationen (Lei ig, 172 ) Korte voorstelling wegens eene pomp-spuit, welke tot het inbrengen en aftrekken van vogten ... ten hoogsten nodig is. (Amsterdam, 1741) Chirurgie: in welcher alles was ur undt-Art ney ge ret, na der neuesten und esten Art, gr nd i a ge ande t, und in vielen Kupffer-Tafeln die neuerfundene und dienlichste Instrumenten nebst den bequemsten Handgriffen der chirurgischen Operationen und Bandagen deutlich vorgestellet werden (Nuremberg, 1718) Chirurgia repurgata (Leyden, 1742) Doctrina de morbis venereis (Vienne, 1779) Doctrina de morbis oculorum (Vienne, 1777) Methodus nova et facilis argentum vivum aegris venerea labe infectis exhibendi (Vienne, 1764) Le rs t e der raktis en undar neywissens aft um e rau seiner u rer. ienne, 1774-76 Verhandeling over de voornaamste kwetzuuren : die den scheeps-heelmeesteren op 's lands schepen van oorlog kunnen voorkomen, door gevallen dienaangaande gesterkt : mitsgaders over het niet of al afzetten der leden (Rotterdam, 1781) Hedendaagsche oeffenende heelkunde (Amsterdam, 1781-86) Waarneming van eene ontbinding der crijstalvogten, na den dood onderzogt in de oogen van zekere weduwe, in eene der godshuizen der stad Amsteldam overleden, waarbij gevoegd zijn eenige aanmerkingen over dezelve (Amsterdam, 1801) 321 18 BUCHHORN, W.H.J. 19 20 21 22 WY, G. Van STEVENSON, J TITTMANN, JA ONSENOORT, AG. van 23 24 WENDT, J 25 26 27 28 29 LASSUS, P DZONDI, K.H EPEN, GJ. Van CHELIUS, MJ 30 31 32 33 STROMEYER, L 34 35 C.BERNARD; C.HUETTE REES, PA Van BRUTEL de la RIVIÈRE GROSS, S.D LINHART, W De eratony is, eine neue gefa ren osere et ode den grauen taar u o erieren ne st einigen er a ternden Operationsgeschichten. (Magdeburg, 1811) Nieuwe manier van cataract of staarsnijding beneffens heel en vroedkundige waarneemingen (Arnhem, 1792) On the morbid sensibility of the eye, commonly called weakness of sight (London, 1811) Le r u der irurgie u or esungen f r das Dresdner o egium edi o-Chirurgicum bestimmt (Leipzig, 1800-1802) Verhandeling over de graauwe staar, met betrekking inzonderheid tot de verschillende kunstbewerkingen welke tegenwoordig tot derzelver genezing in gebruik zijn : als mede iets over den kunstigen oogappel en de belangrijkste zedert Cheselden tot op heden aangewende en nog bestaande methoden, door welke dezelve kan gevormd worden. (Amsterdam, 1818) De operative heelkunde stelselmatige voorgedragen (Amsterdam, 1822-36) Die Lustseuche in allen ihren Richtungen und in allen ihren Gestalten zum Behufe akademischer Vorlesungen dargestellt (Breslau, 1816) Pathologie chirurgicale (Paris, 1805-1809) Neue zuverlässige Heilart der Lustseuche in allen ihren Formen (Halle, 1826) Beknopte handleiding tot de leer der verbanden : naar Luttens, Stark en anderen (Amsterdam, 1829 Handbuch der Chirurgie: zum gebrauche bei seinen Vorlesungen. (Heidelberg, 1822) Handbuch der Augenheilkunde: zum Gebrauche bei seinen Vorlesungen. T1: Die organischen Krankheiten des Auges. T2: Die Entzündungen und Neurosen des Auges (Stuttgart, 1839-1843) Handbuch der Chirurgie (Freiburg, 1844) Maximen der Kriegsheilkunst (Hannover, 1855) r is i onogra ique de m de ine o ratoire et d anatomie irurgi a e. ( aris, 1846.) Memorandum voor den jeugdigen Zee-officier (Nieuwediep, 1859) A system of surgery: pathological, diagnostic, therapeutic and operative (Philadelphie, 1859) Beknopt leerboek der heelkundige kunstbewerkingen. (Tiel, 1864) --(?)Compendium der chirurgischen Operationslehre (Vienne, 1856) 36 FISCHER, WC Beknopte leerboek der heelkunde. (Tiel, 1864) --(?)Compendium der chirurgischen Pathologie und Therapie (Vienne, 1864) 37 HOBSON, B Xiyi lüelun (First lines of the practice of surgery in the west, Renji yiguan, 1857) Table 8 : Chirurgie, dermatologie et ophtalmologie. 322 1 2 MAURICEAU, F HOORN, J van rait des ma adies des femmes grosses et de e es qui sont nouve ement a ou es ( aris, 1668) e twenne gudfru tige, i sitt ka trogne, o t erf re af udi w e nte jordegummor i ra o ua. ( to k o m, 1715) [suédois] 3 SMELLIE W A sett of anatomical tables, with explanations, and an abridgment, of the practice of midwifery (Londres, 1e ed, 1754) 4 PLATNER, JZ Handleiding tot de chirurgie of heelkonst. (Amsterdam, 1764-65) --( ) nstitutiones irurgiae rationa is tum medi ae, tum manua is in usum dis entium. (Lei ig, 1745) * atin+ r nd i e in eitung in die irurgie, oder kur e Anweisung a e rank eiten…. (Lei ig, 1748-1749)[allemand] 5 ROSENSTEIN, NR. van Underrättelser om barn-sjukdomar och deras bote-medel (Stockholm, 1764) 6 LAAR, A. van der Schets der geheele verloskunde. Geschikt om derzelver grondbeginselen volkomen te leeren (Gravenhage, 1774) 7 BAUDELOCQUE, JL Principes sur art des a ou emens, ar demandes et re onses en faveur des ves sages-femme de la campagne (Paris, 1775) 8 BECKER, EP Verhandeling over den witten vloed : benevens eene verhandeling over de tanden. (Amsterdam, 1786) 9 DEVENTER, H. Van Operationes chirurgicae novum lumen exhibentes obstetricantibus, quo fideliter manifestatur ars obstetricandi, et quidquid ad eam requiritur (Leyden, 1701) [ latin]. Manuale operatien, zijnde een niew ligt voor vroed-meesters en vroedvrouwen ...(Gravenhage,1701) [hollandais] 10 HUFELAND, WC emerkungen er die nat r i en und geim ften attern u eimar im . 1788.(Lei ig, 1789) 11 GOLDSCHMIDT, HT A gemeine ersi t der es i te der u o ken und deren inim fung ( rankfurt, 18 1) 12 MARSCHALL, HG nterri t ur f ege der Ledigen, wangern, tter und inder in i ren esondern rank eiten un uf en (Offen a am Main, 1789) 13 očinenie edikooso i avit sja soveršenno ot os ennoj ara y osredstvom vseo ščago rivivanija korov ej os y / očinenie edikoi antro ičeskago komiteta i antro ičeskago komiteta. 14 PLENCK, JJ Doctrina de cognoscendis et curandis morbis infantum (Vienne, 1807) 15 Doctrina de morbis sexus feminei (Vienne, 1808) 16 SALOMON, G Handleiding tot de verloskunde.(Amsterdam, 1817) 17 DUGÈS, AL anue d o st trique ou r is de a s ien e et de art des a ou ements, suivi de e osition des rin i a es ma adies des femmes et des enfans nouveau-n s, et ontenant un r is sur a saign e et sur a vaccination (Paris, 1826) 18 BUSH, DWH Die t eoretis e und ra tis e e urtskunde dur A i dungen er utert ( er in, 1838) 19 POMPE van Meedervoort Korte beschouwing der pokziekte en hare wijzigingen, in verband met de voorbehoedende koepok inenting (Dejima. 1858) 20 PEARSON, A Ying-chi-li kuo hsin-ch'u chung-tou ch'i-shu (Treatise on the European style of vaccination, Canton, 1805) 21 HOBSON, B Fuying xinshuo (Treatise on midwifery and diseases of children, Renji yiguan, 1858) Table 9 : Gynécologie, obstétrique, pédiatrie et variolisation/vaccination. 323 1 WOYT,JJ 2 CHOMEL, N. 3 BUYS, E. 4 5 MOST, G.F. Encyclopédie 6 Revue a o y a ium medi o- ysi um, oder, at - ammer medi inis - und nat r i er Dinge in we er a e medi inis e unst- rter, (2) inn- und user i e ran k eiten ne st derse en eness- itte n, (3) a e inera ien, eta e, rt te, rden, (4) ur edi in ge rige frem de und ein eimis e iere, (5) r uter, umen, aamen, ffte, Oe e, art te . ; (6) alle rare Specereyen und Materialien, und (7) vie uri se ur e ani ge rige unst- riffe, in einer ri tigen ateinis en A a et-Ordnung auff das deut i ste erk ret, vorgeste et und mit einem n t igen egister verse en werden. (Leipzing, 1709) Dictionnaire oeconomique, contenant divers moyens d'augmenter et conserver son bien, et même sa santé ... Avec plusieurs remedes ... pour un trés-grand nombre de maladies ... Quantité de moyens pour élever ... toutes sortes d'animaux domestiques ... Une infinité de secrets découverts dans le jardinage, la botanique, l'agriculture ... Tout ce que doivent faire les artisans, jardiniers, vignerons, marchands .. chaque chose étant rangée par ordre alphabetique comme dans les autres dictionnaires ... (Lyon, 1709) Nieuw en volkomen woordenboek van konsten en weetenschappen : bevattende alle de takken der nuttige kennis ..10 tomes. Amsterdam, 1769-1778. = A new and complete dictionary of terms of art : Containing a sufficient explication, of all words derived from the Hebrew, Arabic, Greek, Latin, Spanish, French ... and other languages; made use of to expres any art, science, custom, sickness ... (Amsterdam, 1768-1769) n yk o die (ou n yk o die) der gesammten medi inis en und irurgis en Praxis (Leipzig, 1833-34) atkamer voor a e standen e e ende eene menigte wetenswaardige ij onder eden, uis oude ijke voors riften en zeer veel van hetgeen in de zamenleving noodig, nuttig en aangenaam kan geacht worden (Amsterdam 1842-1856) ra tis tijds rift voor de geneeskunde in a aren omvang uit de nieuwste uiten ands e werken, uit oors ronke ijke ijdragen van eder ands e geneeskundigen, en uit eigene waarnemingen, in onder eid ook ten dienste van jonge artsen en van heelmeesters ten platten lande. Fondateurs: A. Moll, C. van Eldik. (Gorinchem, 1822-1856) Table 10 : Encyclopédies et périodiques. 324 Annexe 3 : Publications japonaises et leurs sources d’inspiration sous Edo Les tables 11 et 12 ne rapportent que les ouvrages ayant été publiés sans tenir compte des nombreux manuscrits jamais édités (ces derniers pouvaient néanmoins impacter sur la communautée rangaku). Plusieurs dizaines d’années pouvant séparer la rédaction de la publication, seules les dates de publication (parfois approximatives) sont ici données. En ce qui concerne les sources occidentales ayant servi de près ou de loin à la rédaction des ouvrages japonais, nous mentionnons le nom de l’auteur, suivi entre parenthèse de la version originale en possession des rangakusha (version hollandaise la plus souvent), avec entre parenthèses un renvoi vers les tables de l’annexe 3 (le premier nombre renvoie au numéro de la table, le second au rang de l’ouvrage dans cette table). Sources des tables 11 et 12 : [216] [173], [106], [138], [140], [236] 325 Table 11: Publications japonaises et leurs sources d’inspiration « hollandaises » sous Edo PUBLICATIONS JAPONAISES 1. Zoshi REMARQUES DATES AUTEURS OUVRAGES OCCIDENTAUX UTILISÉS En arrière-fond de la 1ere 1759 dissection réalisée au Japon (1754) Toyo Yamawaki Vesling (Konstige ontleding des menschelijken lichaems, 1659 ou 1661) (2,4) 2. Kakampu-ryakusetsu 3. Geka kinmozui médecine (abestose) chirurgie 1765 1769 Gennai Hiraga Koken Irako 4. Oranda zenku naigai bungozu (1682) 1ere tentative de traduction d'un traité d'anatomie occidentale Maquette-test du Kaitai shinsho 1er traité d'anatomie « moderne » basé principalement sur les Tables anatomiques de Kulmus 1772 Ryoi Motoki Woyt (Gazophylacium medico-physicum, 1741) (10,1) Paré (De chirurgie ende alle de opera, 1649) (8,4) Spiegel176 (Opera quae extant omnia, Amsterdam, 1645) (2,7) Scultetus176 (Armamentarium chirurgicum, 1666) (8,2) Remmelin (Pinax microcosmographicus, 1667)(2,3) 1773 Gempaku Sugita cf. Kaitai shinsho 1774 Gempaku Sugita, Ryotaku Maeno, Jun-an Nakagawa, Hoshu Katsuragawa Churyo Morishima Kulmus (Ontleedkundige tafelen, 1734) (2,11) Bartolyn (Anatomia: ofte ontledinge des menschelijken lichaems, 1653 ou 1656 ou 1658 ou 1669) (2,5) Blankaart (De niew hervormde anatomie, 1686 ou 1696) (2,6) Coiter176(Externarum et internarum principalium, 1573) (2,1) Bidloo176(Ontleding des menschelyken lichaams, 1690) (2,9) Valverde (Vivae imagines, Ed. Anvers, 1566, 1572 ou 1568,1614) (2,2) Vesling (Konstige ontleding des menschelijken lichaems, 1659 ou 1661) (2,4) Palfyn (Heelkonstige Ontleding van 's Menschen Lichaam, 1718 ou 1733)(2,10) Swammerdam (Biblia naturae, 1737/38) (4,7) Genzui Udagawa Gorter (Gezuiverde geneeskonst, 1744) (7,5) 5. Kaitai yakuzu 6. Kaitai shinsho (rédigé vers 1771-1774) 7. Komo zatsuwa 8. Seisetsu naikasenyo Miscellanées, planches 1787 entomologiques 1er ouvrage de médecine 1793 326 9. Kanno shingen 10. Sanka hatsumo 11. Oranda iwa synopsis des Tables anat. de Kulmus obstétrique (planches) 1797 Gentaku Otsuki Kulmus (Ontleedkundige tafelen, 1734) (2,11) 1799 Genshu Katakura Smellie (A sett of anatomical tables, 1754) (9,3) Deventer (Nieuw licht, 4e ed 1790) (9,9) Vesling (Konstige ontleding des menschelijken lichaems, 1659 ou 1661) (2,4) a fyn ( ee konstige ont eeding van ’s mens en i aam , 1733) (2,1 ) Blankaart (De niew hervormde anatomie, 1696) (2,6) Blankaart (De niew hervormde anatomie, 1696) (2,6) Palfyn (Heelkonstige Ontleding van 's Menschen Lichaam, 1718) (2,10) Winslowi (une édition hollandaise de l'Exposition anatomique) (2,8) Lis (Pharmacopea Galenico-chemico-medica, 1747) (6,2) En arrière-fond des 1805 expériences réalisées par Fuseya (filtration rénale, 1803) manue d’anatomie 1805 physiologie, pathologie (1805) et son atlas (1808) pharmacopée 1805 Soteki Fuseya médecine (maladies « infectieuses »: syphilis) médecine (fièvres) 1810 Hakuju Hashimoto 1814 Choshuku Yoshida 16. Shuto shimpen 17. Geka shuko, Hobaku zushiki 18. In-eki hatsubi Chirurgie (variolisation) chirurgie (bandages) 1814 1814 Genshin Kuwata Genkan Otsuki médecine (urine) 1815 Kosaku Yoshio 19. Kaijobiyo gaishomon 20. Ganka shinsho chirurgie (blessures) 1er ouvrage d'ophtalmologie médecine (émonctoires) 1815 1815 Buyzen (Verhandelinge van de uitwerpingen des menschelyken ligchaams, 1706/1731/1756) (7,2) Hoshu Katsuragawa Kouwenburg (Zeechirurgie of Matroosen troost,1758) (8,5) Ryukei Sugita Plenck (Verhandeling over de oogziekten, 1787) 1816 Shunrei Ema 22. Yoi shinsho sekkato-hen chirurgie (variolisation) 23. Kyuri gekasoku chirurgie 1816 1816 Gentaku Otsuki Ryotei Shingu 24. Oranda iho-sanyo médecine 1817 Shunrei Ema 25. Rampo suki médecine (générale) 1817 Tou Komori 12. Seisetsu ihan teiko shakugi/ Naisho dohanzu 13. Ranka naigai sampohoten 14. Dandokuron 15. Taisei netsubyoron 21. Go-eki shimpo Genshin Udagawa Sokichi Hashimoto Verbrugge (Het nieuw hervormde examen van land- en zee-chirurgie, 3e ed 1748) (8,3) Huxham (Proeve over de koortsen, en de kinderpokjes, 3e ed 1771) (7,12) Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) Buyzen (Verhandelinge van de uitwerpingen des menschelyken ligchaams, 1706/1731/1756) (7,2) Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) Gorter (Nieuwe gezuiverde heelkonst, 3e ed 1761, et 4e ed 1790) (8,10) Buyzen (Practyk der medicine 1710/2e ed,1712/3e ed, 1729/4e ed, Rotterdam/1743) (7,3) Buchan (Huislyke geneeskunde, 2e ed, 1780) (7,14) 327 26. Rikubutsu shinshi, Ran- -6 remèdes: sirène en tekiho champignon, licorne, muscade, momie, safran ; -19 autres médications 27. Seiyo iji shusei hokan médecine (pathologies et 1035 remèdes) 28. Ranyaku kyogen materia medica 29. Oranda yakkyo Introduction de la pharmacopée hollandaise(1) 1817 Gentaku Otsuki Woyt (Gazophylacium medico-physicum, 1741) (10,1) Jonston (Beschrijving van de natuur, 1660) (4,4) 1819 Sokichi Hashimoto Woyt (Gazophylacium medico-physicum, 1741) (10,1) 1820 1820 Choshuku Yoshida Genshin Udagawa 30. Shinyaku oranda naigaiyoho 31. Yoka seisen-zukai chirurgie (navale) 1820 Josan Yoshio Lemery (Woordenboek of algemeene, 1743) (5,1) Hamel (Pharmacopaea hodierna ofte Hedendaegsche apotheek, 1749) (6,3) De nieuwe Nederduitsche apotheek, 2e ed 1766 (6,4) De nieuwe Amsterdamsche apotheek, 1795 (6,5) Bataafsche apotheek, 1807 (6,7) Kouwenburg (Zeechirurgie of Matroosen troost,1758) (8,5) chirurgie (planches expliquées) maladies vénériennes Atlas d'anatomie 1820 Norimoto Koshimura Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) 1821 1822 Introduction de la pharmacopée hollandaise(2) 1822 Ryukei Sugita Hosaku Saito Tamaki Naka Genshin Udagawa 32. Baiso shinsho 33. Palfyn kaibozu/Zofu 34. Ensei ihomeibutsuko Plenck (Verhandeling over de venusziekten, 2e ed, 1787)(8,11) Palfyn (Heelkonstige Ontleding van 's Menschen Lichaam, 1733)(2,10) De nieuwe Nederduitsche apotheek, 2e ed 1766 (6,4) De nieuwe Amsterdamsche apotheek, 1795 (6,5) Bataafsche apotheek, 1807 (6,7) Weinmann (« der plaat », 1739-1748) (4,8) Gorter (Gezuiverde geneeskonst, 4e ed, 1773) (7,5) 35. Zoho-chotei naikasenyo médecine interne (Seisetsu 1822 naikasenyo révisé) 36. Botanika-kyo botanique 1822 Genshin Udagawa 37. Taisei ekiron 38. Yojutsu Chinshin 1824 1824 Ryotei Shingu Genkan Otsuki 1825 1825 Yasusuke Fujibayashi Ypey (Handboek der materies medica, 1811) (5,5) Ransai Uno Swieten (Korte beschryving en geneeswys der ziekten, 5e ed, 1780) (7,7) 39. Oranda yakuseiben 40. Seii chiyo, Angeria keikenho médecine (fièvres, typhus) chirurgie (sondage, hémorroïdes) materia medica médecine Yoan Udagawa Buys (Nieuw en volkomen woordenboek van konsten en weetenschappen, 1768-69) (10,3) Hufeland (Waarnemingen omtrent de zenuw-koortsen, 1809) (7,19) Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) 328 41. Yoi shinsho (écrit vers 1er ouvrage de chirurgie 1790) 42. Yoi shinsho shiraku-hen chirurgie (saignée) 1825 Gentaku Otsuki Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) 1825 Gentaku Otsuki 43. Chotei kaitaishinsho/ Kulmus kaitaifu (écrit vers 1798) 44. Kikai kanran 45. Seii shinsho 46. Honzo zufu 47. Yoyaku ryakki 48. Seii Hosen édition révisée du Kaitai shinsho et Atlas 1826 Gentaku Otsuki Heister (Heelkundige onderwyzingen, 2e ed 1755) (8,9) ome (A gemeen uis oude ijk-, 2e ed 1778-93) (10,2) Cf. Kaitai shinsho 1er ouvrage de physique médecine botanique materia medica médecine 1827 1827 1828 1828 1828 Rinso Aochi Ryosai Ko Kan-en Iwasaki Issai Ko Yasusuke Fujibayashi 49. Ensei Dodonaeus somoku-fu Tsuneemon Ishii, Josan Yoshio, Kyuichi Yoshida 51. Taisei hokagami Livre de botanique 1829 partiellement publié par le conseiller shogunal Matsudaira Introduction de la 1829 taxinomie linnéenne à la flore japonaise médecine (sémiologie) 1829 52. Oranda geka yoho materia chirurgica 1831 53. Iho kenki 54. Seisetsu Igen suyo médecine 1ère publication de physiologie 1831 1832 Rikkei Sugita, Jian Sekiguchi Choshun Adachi Choei Takano 55. Seii gembyo-ryaku (ou Gakugo ryakusetsu) 56. Taisei naika shusei 57. Yoka shinsen médecine 1832 San-ei Kozeki médecine 1832 Le plus important ouvrage 1832 de chirurgie San-ei Kozeki Ryukei Sugita 50. Taisei honzo meiso Buys (Natuurkundig schoolboek, 1ed, 1800) (1,6) Consbruch (Geneeskundig handboek, 2e ed 1824-27) (7,23) Weinmann (Taalryk register der plaat, 1739-1748) (4,8) Houte (Handleiding tot de materies medica, 1817) (5,7) Stoerck (Onderwys in de beoeffenende geneeskunde, 1779) (7,15) + 53 autres livres hollandais Dodonaeus (Cruydeboek, 1618) (4,1) Keisuke Ito Thunberg (Flora Iaponica, 1784) (4,11) Tou Komori Moll (Handboek tot de leer der teekenen,2e ed 1826) (7,24) + 94 autres livres Plenck (Materia chirurgica, 1772/1808) (5,3) Stoerck (Onderwys in de beoeffenende geneeskunde, 1779) (7,15) La Faye (Beginselen der heel-kunde, 1777/1778) (2,13) Blumenbach (Grondbeginselen der natuurkunde, 1791) (2,16) Roose (Handboek der natuurkunde, 1809/1845) (2,18) Consbruch (Geneeskundig handboek, 2e ed 1824-27) (7,23) Hufeland (Pathologie, I.Pathogenie, 1801) (2,17) Consbruch (Geneeskundig handboek, 2e ed 1824-27) (7,23) Plenck (Korte leerstellingen der algemeene oeffenende heelkunde, 3e ed 1800) (8,14) 329 58. Oranda somokufu (écrit vers 1817) 59. Shokugaku keigen 60. Iryo seishi botanique 1833 Josan Yoshio Nylandt (De Nederlandtse Herbarius, 1670) (4,5) botanique médecine 1833 1835 Yoan Udagawa Genboku Ito 61. Taisei meii-iko Premier périodique médical édité entre 1836 et 1843. 1836 62. Kubai yoho 63. Geka genshiki syphilographie chirurgie (blessures et tumeurs) Livre médical le plus influent avant Meiji (la section déontologie fut traduite à part: Fushi ikai no ryaku, 1857) médecine (sémiologie) Ouvrage de pédiatrie le plus influent (variole) 1er ouvrage de chimie 1838 1839 Gempo Mitsukuri, Yoan Udagawa, Shindo Tsuboi, Genboku Ito, Shunsai Otsuki, Dokai Hayashi, Koan Ogata, Kenzo Aoki 177 Ryosai Ko Junzo Kodama Baster (Natuurkundige, 1817) (4,14) Bischoff (Grondbeginsels der praktische geneeskunde, 1826-1828) (7,28) Practisch tijdschrift voor de geneeskunde, Périodique, années 1831-36 (10,6) Smallenburg (Leerboek der scheikunde, 1827-1833) (1,13) [chap. sur strychnine, morphine, narcotine] Magendie (Voorschrift tot de bereiding, 2e ed , 1822) (5,10) 64. Hu-shi keiken-ikun 65. Iryoseigi choko-hen 66. Yoyo seigi 67. Semi kaiso (écrit vers 1837) 68. Seii konnichiho 69. Byogaku tsuron 1842 Koan Ogata, Ikuzo Ogata 1845 1845 Gensui Ishikawa Sodo Horiuchi 1846 pharmacopée 1848 1er ouvrage de pathogénie 1849 D ondi ( ieuwe ekere geneeswij e der enus iekte, 1827) (8,26) Plenck (Korte leerstellingen der algemeene oeffenende heelkunde, 3e ed 1800/4e ed 1814) Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Smallenburg (Leerboek der scheikunde, 1827-33) (1,13) Moll (Handboek tot de leer der teekenen,2e ed 1826) (7,24) ufe and ( aarneemingen over de natuur ijke en inge nte kinderpokje, 1802) (9,10) Yoan Udagawa Henry (Chemie, 1803) (1,9) Kasteleijn (« natuurkundige chemie », 1788) (1,3) Lavoisier (« sheikunde », 1800) (1,5) Trommsdorff (Leerboek der artseneimengkundige, 1815/32) (5,6) Stratingh (« over de Cinchonine en Quinine », 1822) (5,11) Yasusuke Fujibayashi Bataafsche apotheek, 1807 (6,7) Koan Ogata Hufeland (Pathologie, I.Pathogenie, 1801) (2,17) 330 (synthèse) 70. Saisei sampo, Ikai 71. Chito shinketsu médecine variolisation 1849 1849 Seikei Sugita Seikei sugita 72. Gyuto shinsho vaccination jennerienne 1850 Setsuzo Arima 177 73. Saisei biko Consbruch (« ziektekunde », 1817) (2,20) Conradi (Handboek der bijzondere pathologie en therapie, 1832-1837) (7,29) Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Hufeland (Waarneemingen over de natuur ijke en inge nte kinderpokje, 1802) (9,10) Goldschmidt (Algemeene beschouwing van de geschiedenis der koepokke, 1802) (9,11) Schlesinger (Over den invloed, 1845-47) (5,16) Most (Encyclopedisch woordenboek, 1835-39) (10,4) anesthésie à l'éther (introduction du mot masui: anesthésie) vaccination jennerienne 1850 Seikei Sugita 1850 Ikuzo ogata 75. Roshia gyuto zensho (rédigé à partir de 1820) 76. Fujin byoron vaccination jennerienne 1850 Sajuro Baba gynécologie 1850 Takusuke Funabiki 77. Shintei gyuto kiho vaccination jennerienne 1850 Genkyo Hirose 78. Kikai kanran kogi 2e ouvrage de physique, révision du Kikai kanran médecine sciences fondamentales (physique) sciences fondamentales 1851 Komin Kawamoto Goldschmidt (Algemeene beschouwing van de geschiedenis der koepokke, 1802) (9,11) očinenie ediko- i antro ičeskago komiteta ( oso i avit sja soveršenno, 18 3) (9,13) Plenck (Handleiding tot de kennis en genezing van de ziekten van het vrouwe ijke ges a t, 18 9)(9,15) Alexander Pearson (Ying-chi-li kuo hsin-ch'u chung-tou ch'i-shu, 1805) (9,20) , Janetta, p46, 151 Buys (Natuurkundig schoolboek, 5e ed 1828) (1,6) 1853 1854 Kosai Aoki Genkyo Hirose Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Isfordink (Natuurkundig handboek, Amsterdam, 1826) (1,12) 1854 Komin Kawamoto chirurgie (blessures par armes à feu) chimie (salpêtre, gravimétrie NaCl) physiologie physique, chimie, physiologie,... 1854 Shunsai Otsuki 1854 Ito Keisuke 1855 1856 Genkyo Hirose Banri Hoashi Burg (Eerste grondbeginselen der natuurkunde, 1847-53) (1,17) Hommes (« qualitative, chemisch-analytische », 1845) (1,15) Chelius (Leerboek der heelkunde1830-32/1834-36) (8,28) Most (Encyclopedisch woordenboek, 1835-39) (10,4) Schatkamer voor alle standen, 1842-1856 (10,5) Kasteleijn (« natuurkundige chemie », 1788) (1,3) Richerand (« der naturkunde van den mensch », 2e ed 1826) (2,21) Musschenbroek (Beginsels der natuurkunde, 2e ed 1739) (1,1) Ypey (« Scheikunde », 1804-1812) (1,21) 74. Sanka kinno 79. Satsubyo kikan 80. Rigaku teiyo 81. Ensei kikijutsu 82. Juso sagen 83.Bampo sosho shosekihen (ou Shoseki-hen) 84. Richerand jinshin kyuri 85. Kyuritsu (1810) 331 1856 1856 Genkyo Hirose Yokusai Iinuma 1856 Dokai Hayashi Water (Beknopt doch zoo,1834) (5,13) 89. Saisei ippo 90. Ika hikkei 91. Seii myakukagami 92. Minkan naigeka yoho 93. Shoni zensho physiologie 1ères planches botanique annotées selon le système linnéen 1er ouvrage de pharmacologie (théorie) médecine (peste) materia medica médecine (sémiologie) médecine pédiatrie Richerand (« der naturkunde van den mensch », 1826) (2,21) Consbruch (« Zietekunde », 1817) (2,20) Ypey (Handleiding tot de phijsiologie, 1809) (2,19) Linné/ Houttyuyn (Natuurlijke historie, 1761-85) (4,10) 1856 1857 1857 1857 1857 94. Kaitai soku 95. Myakuron 96. Hu-shi shindan 97. Cholera byoron anatomie médecine médecine médecine (choléra) 1858 1858 1858 1858 Consbruch (Geneeskundig handboek, 2e ed 1824-27) (7,23) Ypey (Handboek der materies medica, 1811/1818) (5,5) Moll (Handboek tot de leer der teekenen,2e ed 1826) (7,24) Mayor (Genees- en heelkunde voor het volk, 1846) (7,32) Plenck (Handleiding tot de kennis en genezing van de ziekten der kinderen, 1808) (9,14) Plenck (Schets der ontledkunde, 1804) (2,14) Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Bowier (« Cholera morbus »Bataviasche courant, 1821) (7,26) Most (Encyclopedisch woordenboek, 1835-39) (10,4) 98. Cholera chijun médecine (choléra) 1858 Genteki Onodera Churyo Horiuchi Genkyo Hirose Gentan Sugita Ryomin Shingu, Ryokaku Shingu Ryotei Shingu Junzo Tsuda Chibi Yamamoto Yoan Udagawa, Ryokaku Shingu, Ryomin Shingu, Tatsukichi Omura Koan Ogata 99. Sanka shogen 100. Taisei shichi-kin yakusetsu vaccination jennerienne 7 métaux et leurs propriétés 1858 1858 Shohei Yagi Sajuro Baba 101. Bampo tamatebako 102. Semi benran 103. Jinshin bunrisoku ? chimie Physiologie (fluides corporels) 1858 1859 1859 Seikei Sugita Teizo Kono Ryotei Shingu 86. Chiseiron 87. Somoku zusetsu 88. Water yakuseiron Conradi (Handboek der bijzondere pathologie en therapie, 1832-1837) (7,29) Most (Encyclopedisch woordenboek, 1835-39) (10,4) Canstatt (De bijzondere ziekte- , 1843-1854/1857) (7,31) Pompe (Korte beschouwing der pokziekte, 1858) (9,19) ome (A gemeen uis oude ijk-, 2e ed 1778-93) (10,2) Buys (Nieuw en volkomen woordenboek van konsten en weetenschappen, 1768-69) (10,3) Schatkamer voor alle standen, 1842-1856 (10,5) Hommes (« qualitative, chemisch-analytische », 1845) (1,15) Plenck (Natuur- en scheikundige, 1797) (2,15) 332 104. Gaiyo hofu tampo-hen materia chirurgica 1859 Ryokaku Shingu 105. Joto yakugen 106. Hoebeke ichiyo-hoso 107. Seino chinju 108.Con-shi isog yokkai, Con-shi byogaku engen 109. Bampo shinsho 110. Ganka shinsen vaccination jennerienne pharmacie hospitalière médecine (prescription) médecine 1859 1860 1860 1860 Shunsan Yanagawa Kansai Ito Tenko Ema Junzo Kodama ? ophtalmologie 1860 1861 111. Ganka shinsetsu ophtalmologie 1861 112. Semikyoku hikkei 113. Ekidoku yobosetsu chimie hygiene 1862 1862 114. Ensei hoi 115. Shichi shinyaku 116. Kokuto sagen 117. Ryoeki shimpo (ou Nisshin ijisho) 118. Korori teate shirouto kokoroesho 119. Ganka yoryaku materia medica materia medica médecine (peste) médecine (typhus) 1862 1862 1862 1862 Pompe (Korte beschouwing der pokziekte, 1858) (9,19) Hoebeke, Denique (Geneeskundig dagboekje, 1850) (5,17) Buechner (Geneeskundig handboek, 1821) (7,25) Conradi (Handboek der bijzondere pathologie en therapie, 1832-1837) (7,29) Kosai Udagawa Schatkamer voor alle standen, 1842-1856 (10,5) Tenko Ema Buchner (Waarneming van eene ontbinding der crijstalvogten, 1801) (8,17) Takataka Ochi Tittmann (Leerboek der heelkunde, 1816/2e ed 1819/ 3e ed 1827) (8,21) Hikoma Ueno Girardin (Scheikunde, 1851) (1,16) le Yosho shirabesho Kops (Eenvoudige, 1856) (3,3) Schatkamer voor alle standen, 1842-1856 (10,5) Kansai Ito Anton (Volledig pathologisch, 1852) (5,19) Ryokai Shiba Pompe (Beknopte handleiding, 1862) (5,20) Rippon Kaburagi Canstatt (De bijzondere ziekte- , 1843-1854/1857) (7,31) Ikuzo Ogata Stromeyer (Over het verloop van den typhus, 1856) (7,34) médecine (choléra) 1863 Keisuke Ito Osiander (Volksgeneeskunde, of eenvoudige, 5e ed 1835) (7,30) ophtalmologie 1863 Tansai Nakagawa 1863 Kansai Ito Plenck (Verhandeling over de oogziekten, 1787) Chelius (Handboek der oogheelkunde, 1844-47) (8,29) Chelius (Handboek der oogheelkunde, 1844-47) (8,29) 1864 Tansai Nakagawa 120. Chelius ganka shimpen ophtalmologie (inflammations) 121. Seii nichiyoho médecine Plenck (Heelkundige artzenywinkel, 2e ed 1798) (5,4) Hufeland (Enchiridion medicum, 2e ed 1838) (7,20) Plagge (Receptboek volgens de Pharmacopea Belgica, 1829) Bischoff (Grondbeginsels der praktische geneeskunde, 1826-28)(7,28) Water (Beknopt doch zoo, 2e ed, 1834) (5,13) Practisch tijdschrift, Périodique, 1822-1856 (10,6) Udagawa (Oranda yakkyo ) Udagawa (Ensei ihomeibutsuko) 333 122. Canstatt naikasho médecine (rougeole, fièvre, vaccine, syphilis) physique 1864 Shinryo Tsuboi Canstatt (De bijzondere ziekte- ,1857) (7,31) 1865 Sessai Oba Buys (Volks-natuurkunde, 1811) (1,7) 1865 1865 Shochu Sato Shochu Sato 1866 1866 Teiho Shimamura Shinryo Tsuboi Stromeyer (Handboek der heelkunde, 1845) (8,30) Stromeyer (Gronden der militaire genees- en heelkunde, 2e ed 1862) (8,31) Lubach (Eerste grondbeginselen, 1855) Aschenbrenner (De nieuwere geneesmiddelen, 1851) (5,18) 128. Iryo shinsho 129. Naigai Shimpo chirurgie chirurgie (blessures par armes à feu) physiologie sélection de 192 prescriptions maladies respiratoires médecine 1866 1866 Hoshu Tsuboi Ikuzo Ogata 130. Geka kampo chirurgie (blessures) 1866 131. Soi shinsetsu 132. Kagakunyumon chirurgie (blessures) chimie 1866 1867 133. Choseiho 134. Sampei yojoron 135. Kenzengaku 136. Mo-shi yakuron 137. Iryo zassan manuel de santé populaire manuel de santé populaire hygiène materia medica chirurgie (brulures) 1867 1867 1867 1867 1867 138. Setsudan yoho chirurgie (opérations et anesthésie) 1868 123. Minkan kakuchi mondo 124. Geka iho 125. Stromeyer hoiron 126. Seiri hatsumo 127. Shinyaku hyappinko 139. Shikan kokoroe geryo chirurgie (navale) 1868 Lebert (Handboek der praktische geneeskunde, 1861-63) (7,36) Kraus (Volledig zakboek der therapie voor praktiserende geneesheeren, 1862) (7,37) Wunderlich (Handboek der pathologie en therapie, 1849-55) (7,33) Ryotei Shingu, Plenck (Korte leerstellingen der algemeene oeffenende heelkunde, 3e Ryokaku Shingu (fils) ed 1800) (8,14) Teiho Shimamura Gross (Handboek der heelkunde, 1863-66) (8,34) Heijiro Takehara, Girardin (Scheikunde, 1851) (1,16) Hosaku Katsuragawa, Hachiro Ishibashi Shokai Tsuji Hufeland (Kunst om het menschelijk, 1799) (3,1) Shunsai Kunga Persille (Handleiding tot de algemeene, 1855) (3,2) Gentan Sugita Kops (Eenvoudige, 1856) (3,3) Gonnosuke Ema Most (Encyclopedisch...geneesmiddeleer, 1843-44) (5,14) Shunsai Otsuki Osiander (Volksgeneeskunde, of eenvoudige, 5e ed 1835) (7,30) Most (Encyclopedisch woordenboek, 1835-39) (10,4) Chelius (Leerboek der heelkunde1830-32/1834-36) (8,28) Motonori Tashiro Bernard et Huette (Handboek der heelkundige ontleedkunde en kunstbewerkingen, 1854/2e ed 1856) (8,32) Linhart (Beknopt leerboek der heelkundige kunstbewerkingen, 1864) (8,35) Gross (Handboek der heelkunde, 1863-66) (8,34) Seiichiro Kondo Rees et Brutel de la Rivière (Memorandum voor den jeugdigen Zee- 334 ippan 140. Pompe-shi yakuron 141. Yakuin zatsubutsu shikenhyo 142. Cholera-ron 143. Niemeyer naika-soku 144. Kozuieki setsu 145. Geka setsuyaku 146. Kagakutokuhon 147. Shoho gaku 148. Jika teiko 149. Saishu-roku 150. Oranda rosai-hen materia medica 1869 1871 Ryokai Shiba Shosuke Misaki médecine (choléra) 1871 Tadanori Ishiguro médecine (maladies de la 1872 gorge) médecine (typhus) 1873 Ryomin Shingu, Ryokaku Shingu Ryomin Shingu, Ryokaku Shingu chirurgie Ishiguro Tanadori Komin Kawamoto Tsuna Hayashi Gakuji Kashiwabara Shochu sato 1873 1874 1875 1876 1879 materia medica chirurgie (otologie) médecine (maladies respiratoires, circulatoires, et digestives) médecine (phtisiologie) ? Genshin Udagawa officier, 1859) (8,33) Pompe (Beknopte handleiding, 1862) (5,20) Fresenius (« de qualitative chemische analyse », 1857) (1,19) Niemeyer (Leerboek der bijzondere pathologie en therapie, 2e ed 186873) (7-35) Niemeyer (Leerboek der bijzondere pathologie en therapie, 2e ed 186873) (7-35) Canstatt (De bijzondere ziekte- ,1857) (7,31) Niemeyer (Leerboek der bijzondere pathologie en therapie, 2e ed 186873) (7-35) Lebert (Handboek der praktische geneeskunde, 1861-63) (7,36) Fischer (Beknopte leerboek der heelkunde, 1864) (8,36) Gunning (Leerboek der scheikunde, 2e ed 1864-66) (1,20) Opwijrda (Algemeene en bijzondere recepteerkunst, 1871/1874)(5,21) Gross (Handboek der heelkunde, 1863-66) (8,34) Niemeyer (Leerboek der bijzondere pathologie en therapie, 2e ed 186873) (7-35) Blankaart (Nieuw lichtende praktyk der medicynen, 6e ed 1707) (7,1) 335 Table 12: Réimpressions japonaises d’ouvrages occidentaux sous Edo. TITRES JAPONAIS Kakuchi mondo Zentai shinronii Rigaku nyumon Seiyi-ryakuronii ? Rigaku kinmo Naika shinsetsuii Fuei shinsetsuii ? ? ? ? ? DATES 1856 1857 1857 1858 1858 1858 1859 1859 ? ? ? ? 1858 TITRES ORIGINAUX Buys (Natuurkundig schoolboek, 5e ed 1828) (1,6) Hobson (Quanti xinlun, 1851) (2,28) Isfordink (Natuurkundig handboek, Amsterdam, 1826) (1,12) Hobson (Xiyi lüelun, 1857) (8,37) Buys (Volks-natuurkunde, 1811) (1,7) Buys (Volks-natuurkunde, 2e ed. 1831) (1,7) Hobson (Neike xinshuo, 1858) (7,38) Hobson (Fuying xinshuo, 1858) (9,21) Stöckardt (De scheikunde, 1855) (1,18) Hermann (« der physiologie van den mensc », 1864) (2,27) Roose (Handboek der natuurkunde van den mensch, édition de 1809) (2,18) Roose (Handboek der natuurkunde van den mensch, édition de 1845) (2,18) Hufeland (Enchiridion medicum, 1838) (7,20) THÈME Physique anatomie et physiologie sciences fondamentales chirurgie physique physique médecine et materia medica obstétrique chimie physiologie physiologie physiologie partie « Principes thérapeutiques » 336 Annexe 4 : L’élaboration du concept japonais de santé publique L'élite de Meiji acclimata le concept occidental de santé publique à la culture japonaise et aux impératifs politiques de l'époque. Nous allons voir comment. Nagayo Sensai et l'eisei A la Restauration, Nagayo Sensai ancien élève d'Ogata Koan et de Pompe, se fit remarquer du gouvernement en rénovant la formation médicale à Nagasaki. En 1870, on l’appela pour encadrer la réforme de l'enseignement médical à Tokyo. Mais ce poste attisait beaucoup trop de convoitises au gout de Nagayo. Aussi lorsque le gouvernement projeta d'envoyer une mission d'observation en Occident (la mission Iwakura), Nagayo demanda à en faire partie [136]. Ainsi débuta en 1871 la carrière du père fondateur de la santé publique japonaise. -1ère étape : la mission Iwakura et le Mont Lu (1871-1873) Confronté à la condescendance de ces interlocuteurs à Washington, il préféra abréger son séjour aux Etats-Unis. Il partit directement pour l'Angleterre, devançant de plusieurs mois le reste de la délégation. Là il put admirer le système d'égouts de Londres et les débuts des comités d'hygiène locaux. A chaque district était affecté un officier de santé publique et un comité d'hygiène. Ceux-ci étaient responsables de la prise en charge de la population locale, du recueil statistique en cas d'épidémie, et de l'application des mesures sanitaires. Nagayo trouva ce système particulièrement approprié à la structure sociale japonaise [276](p136-164,141). Mais l’étape germanique de son voyage fut encore plus marquante. En Allemagne, les médecins hygiénistes avaient réussi à élever l'hygiène au rang de science et la bureaucratie médicale avait une véritable influence politique. A Berlin, le Pr. Rudolph Virchow, qui siégeait au conseil municipal, avait poussé la ville à se doter d'un système d'égouts et à moderniser l'hôpital la Charité. En Bavière, se trouvait un autre champion de l'hygiène, le conseiller sanitaire Max von Pettenkofer. Chimiste de formation, Pettenkofer avait fait de l’hygiène une spécialité interdisciplinaire à la croisée de la chimie, de la physique, de la physiologie et des statistiques. Grâce à ses travaux, les universités de Bavière furent les premières au monde à enseigner l'hygiène (1865). Il réussit également à faire construire un réseau d'égouts et d'eau courante à Munich [169]. Nagayo fut aussi sensibilisé à la notion de police sanitaire et d'interventionnisme étatique par le livre de Johann Peter Frank, System einer vollstandigen medicinischen Polizey (1779), récemment remis au gout du jour par Eduard Reich178[276] (p136-164,142-143). Ainsi le médecin rangaku comprit la réelle dimension du concept de santé publique : la santé n'était plus une affaire individuelle mais collective. Il existait un « supraréseau » chargé de promouvoir la santé des individus en application d'un 178 Eduard Reich, inspiré par Frank, venait de publier System der Hygiene (1871). Dans son livre Reich déterminait quatre domaines d'intervention de l'Etat: l'hygiène mentale, l'hygiène sociale, l'hygiène diététique et la police sanitaire 337 ensemble de lois. Parlant de cette découverte, Nagayo dira que c'était comme « Voir le Mont Lu en pénétrant le Mont Lu. »179 [276](p 138) A son retour, il devint directeur du Bureau des affaires médicales placé sous l'égide du Ministère de l'Education (Monbusho). -2e étape : la ré-invention de l'Eisei (1875) « En écrivant la maquette du Code médical national [en 1875], je pensais utiliser des mots directement traduits des termes occidentaux, comme kenko [pour santé] ou hoken [pour hygiène]. Mais ces mots semblaient fades, aussi j’en cherchai un autres plus approprié. Je me rappelai alors du mot eisei [chinois weisheng] tiré du Koshoso hen [chinois : Gengsang Chu pian] de Soshi [chinois : Zhuangzi]. Bien évidemment la signification originale de ce mot était légèrement différente [du concept occidental], mais son graphisme était élégant et sa prononciation agréable, aussi je le choisis pour désigner l’administration de santé publique. » Extrait des mémoires de Nagayo180 Nagayo voulait évoquer la notion de santé individuelle mais surtout celle de contrôle étatique. En fait il cherchait un mot exprimant un concept moderne mais avec une connotation traditionnelle. Alors il pensa que le terme chinois, eisei (weisheng) qu'il avait retrouvé dans le classique taoïste Soshi (Zhuangzi) était approprié. Jusque-là au Japon, la santé se disait yojo, et renvoyait à une pratique d’hygiène individuelle, physique et mentale. On employait le plus souvent le mot yojo, mais de façon moins fréquente un synonyme, eisei. Aussi pourquoi avoir repris un terme si éloigné du concept de santé collective ? Des historiens ont trouvé plusieurs explications. William Johnston a montré que le premier caractère chinois de eisei (wei en chinois) signifiait policer ou patrouiller, ce qui ramène à la notion de police sanitaire [143] (pp179, note 66 p345). Ruth Rogaski fait une autre analyse. Elle souligne que Nagayo a recyclé le terme eisei de la même façon que son maître Ogata Koan avait nommé son école Tekijuku (Académie de la joie en service), c’est-à-dire par référence aux 2 cultures médicales. En effet, le mot « joie » se référait à deux textes. Le premier, tiré du classique Zhuangzi, exalte la joie d’enseigner à des disciples. L’autre écrit par Hufeland, l’auteur de prédilection du rangakusha, parlait de la joie du médecin qui aime exercer son métier. De la même façon qu’Ogata Koan, Nagayo rendait lui aussi hommage 179 En fait il faisait référence à un poème chinois du 11e siècle: « D’un coté, tout un panorama, de l’autre, un seul pic De loin en proche, de haut en bas, pas deux vues semblables, Pourquoi ne puis-je pas décrire le Mont-Lu ? Parce que je suis dedans. » Shu Shi Cette parabole bouddhiste détournée de son sens initial devint dans le langage populaire chinois une simple maxime « Le vrai visage du Mont Lu », c'est-à-dire comprendre d'un coup une réalité que l'on avait jusque-là que partiellement entrevue. Pour Nagayo, cela signifiait se rendre compte de la complexité d'un système jusque-là qu'entre-aperçu. 180 Nagayo cité en anglais par la sinologue américaine Ruth Rosgaki, cf. [276], pages 136-164,136. 338 aux deux cultures en nommant la santé publique eisei181 [276](pp 136-164, p145146). Ce terme eisei devint également le nom du code de santé publique rédigé par Nagayo en 1875. Ce code de 76 articles régentait l'ensemble des affaires médicales aussi bien au niveau de la formation, de la pratique et des affaires sanitaires. Il fut accepté par le gouvernement de Meiji. Néanmoins, les activités qu'il réglementait furent rapidement séparées. L'enseignement médical demeura au sein du Ministère de l'Education (Monbusho) alors que les affaires sanitaires passèrent aux mains du Ministère de l'Intérieur (Naimusho). Le Bureau des affaires médicales, désormais sous le contrôle du Naimusho devint le Bureau d'Hygiène (Eisei kyoku, 1875) [136](p160). Ce transfert préfigurait la politique des années 1880. -3e étape : le Kokutai : le Leviathan japonais (à partir des années 1880) Le gouvernement voulait une « nation riche, une armée forte », « accroître la production, promouvoir l'industrie ». Ito Hirobumi, le père de la Constitution japonaise, avait déclaré que le mot kokutai était « un terme générique pour le pays, le peuple, la langue, l’habillement et les institutions étatiques » [167]. Par cette synecdoque, les intérêts individuels s'effaçaient devant l'intérêt collectif, ou plutôt devant celui de l'Etat ou Kokutai. Ce qui primait, c'était que le peuple construise l'Etat moderne, à ses dépends s'il le fallait. Appliquée au domaine de la santé publique, cette doctrine politique et économique se traduirait par une centralisation et le recours à la police sanitaire. En fait il s'agissait d'un retour à la conception de la santé publique de Frank. En effet cette tendance était née de la doctrine mercantiliste des Etats européens à la fin du 17e et au 18e. L'historien Rosen a exploré cette relation entre doctrine politicoéconomique et santé publique, notamment en Allemagne où le mercantilisme appelé caméralisme persista plus tardivement [278]. Selon lui la santé publique des états modernes, des « Léviathan », s'est forgée dans le creuset du mercantilisme. « Politically, raison d'état was the fulcrum of social policy. » [279](p85-86) Puisque l'acception moderne, ou plutôt caméraliste d'eisei n'avait pas été comprise du peuple, Nagayo publia en 1883 un court article intitulé Dissiper les malentendus concernant l‟hygiène, article dans lequel il tentait de rétablir la signification officielle du mot eisei. L'hygiène ne correspondait pas à la poursuite « d'une vie facile, d'une nourriture délicieuse ou du luxe », mais sa fonction consistait à « renforcer la vitalité des soldats », « discipliner le corps » et à « rendre la chair capable de résister au mauvais temps et à d'humbles conditions de vie » [56]. La même année, il déclara également : « des corps en bonne santé et des esprits actifs sont les seuls véritables fondations de la richesse et du pouvoir japonais » [56]. Aussi l'eisei de Nagayo semblait plutôt correspondre à la conception européenne de la santé publique du 18ème siècle. 181 Cette analyse témoigne du tiraillement dans lequel se trouvait l'élite éclairée de l'époque, entre conservatisme et modernité. L'exercice de traduction dans le domaine médical était révélateur de ce schisme. 339 Shinpei Goto et le darwinisme social Goto Shinpei faisait partie de la nouvelle génération médicale formée sous Meiji. Il s'intéressa très tôt à la santé publique : instaura la police sanitaire de Nagoya et participa aux quarantaines pendant les épidémies de choléra. Ayant remarqué ses talents d'hygiéniste, Nagayo lui fit intégrer le Bureau d'Hygiène en 1882. Dix ans après, Goto devenait à son tour le directeur du Bureau d'hygiène. Le darwinisme social peut-être considéré comme l'un des axes majeurs de sa pensée sanitaire puis politique. -Le profond impact du darwinisme social L'élite intellectuelle de Meiji, la Meirokusha, adhéra immédiatement aux notions occidentales libérales, au naturalisme scientifique et au darwinisme social qu'elle introduisit sous des traits confucianistes. Par exemple Amane Nishi et Mamichi Tsuda, deux rangakusha qui avaient raccompagné Pompe en Europe (1862), étaient devenus les disciples de l'économiste hollandais Simon Vissering, partisan de la doctrine libérale du laissezfaire. Tsuda Mamichi utilisa la notion confucéenne de ri (le ri étant le principe fondamental qui régit l'univers notamment en médecine traditionnelle) pour justifier cette politique. L'appliquant à la liberté de commerce, et pour expliquer les traités inégaux, il écrivit : « Le principe de l'échange commercial est comme celui du vent et de la marée, avançant et reculant, de l'ouest vers l'est et vice versa, le vent et la marée finissant par atteindre l'équilibre. » [76] Yukichi Fukuzawa, ancien compagnon de Nagayo au Tekijuku, se servit de la notion confucéenne d'âge d'or pour justifier les inégalités sociales : la pirouette rhétorique consistant à situer habilement l'âge d'or dans le futur, et de conclure « la civilisation est notre objectif » [76]... Néanmoins ce mélange de théories naturelles, sociales, et économiques manquait de crédit scientifique. Alors le gouvernement décida d'embaucher en 1877 un prestigieux biologiste américain, adepte de la théorie de l'évolution, Edward Sylvester Morse. En parallèle de ses travaux de biologiste, Morse se passionnait aussi pour le spencérisme, organisait des conférences et publiait fréquemment pour expliquer ses théories sur le darwinisme social ; la Meirokusha aurait ainsi prit connaissance de ses idées sociales par l'intermédiaire du Popular Science Monthly. Il disait : « Il y a des raisons de croire que l'inégalité chez les hommes prend sa source dans les lois naturelles et que, de la même manière que l'on peut classifier les espèces suivant leur niveau de développement et leur structure, la position sociale d'un individu est régi par les mêmes lois. » Lors d'une conférence de l'American Association for the Advancement of Sciences (1876), il déclarait : « Les lois de la sélection naturelle mettent à notre portée un outil puissant d'amélioration de la race. L'étude de l'hérédité nous montre que les agitateurs sociaux, les criminels et les chômeurs souffrent d'une tare de naissance. » La solution était de les enfermer pendant 10 ou 20 ans, afin d'éviter qu'ils ne se reproduisent ; les lois pénales devant par ailleurs être révisées au regard des lois scientifiques de l'évolution [76]. Le gouvernement japonais offrit à Morse la chaire de zoologie de l'Université de Tokyo et celui-ci donna des conférences de vulgarisation d’un bout à l’autre du pays. Le darwinisme social trouva un écho dans toute la société. Les inégalités sociales se justifiaient régulièrement par le concept de survie du supérieur, et le concept de struggle for existence fut traduit par seizon kyoso (combat pour la survie). Ce phénomène retarda l'arrivée de la « vraie » théorie darwinienne au Japon. Ainsi, la 340 majorité des articles du Toyo gakugei zasshi (l’équivalent de Nature) portant sur le darwinisme étaient des articles de sciences sociales (26% contre 5% en biologie) [76]. -Goto Shinpei, premier biopoliticien En 1889, Goto Shinpei écrivit le premier essai japonais de santé publique, Principes d'Hygiène Nationale (Kokka eisei genri) [276](p153). Dans ce livre, il expose sa conception de la santé publique, conception fortement influencées par le darwinisme social de Spencer, la médecine sociale de Virchow et le modèle centralisé de Bismarck [167]. En société, le « combat individuel pour la survie » (struggle for life de Darwin) ne peut que nuire aux intérêts de l'ensemble. La responsabilité du maintien de la santé doit donc être transférée à la Nation, sorte d' « organisme national ». Néanmoins, l'interventionnisme étatique ne doit pas se résumer à une police sanitaire, mais aussi comporter des mesures d'amélioration des conditions de vie [276](p153). Enfin, selon lui, la maitrise de cette discipline exige avant tout de connaitre la nature de la société et de l’individu [167]. En effet, l'État doit d'abord étudier les variations des mœurs locales par des enquêtes sanitaires (eisei chosa= enquêtes sanitaire de préfecture). Ces enquêtes renseignent sur les travers qu’il faudra corriger et les structures traditionnelles que l’on conservera pour le nouveau système [276](p154). Par ailleurs, Goto distinguait deux types d’hygiène : l'hygiène ordinaire civile et l'hygiène d'urgence c.-à-d. militaire. Plus tard il compara même la santé publique aux griffes et crocs d'un animal [167]. On voit ainsi à quel point l’idéologie impérialiste avait pénétré la pensée médicale. En 1890, il reçut une bourse pour effectuer sa thèse à Munich auprès de Pettenkofer. Son étude portait sur l'histoire comparée des polices sanitaires en Europe et au Japon (Verdgleichende Darstellung der Medizinischen Polizei und Medizinalverwaltung in Japan und anderen Straaten, Présentation comparée des polices sanitaires et de l'administration médicale du Japon et dans d'autres Etats) [64]. Ses intentions étaient claires : il se préparait à accentuer le modèle de police sanitaire instauré par Nagayo. En 1892, à la remise des diplômes du Collège médical Jikei, Goto fit un discours révélateur. En effet c'était l'occasion pour le nouveau Directeur du Bureau d'Hygiène de délivrer un message très révélateur. Il établissait une correspondance entre sa conception de l'exercice médical et la classification professionnelle chinoise (classe supérieure, moyenne, et inférieure) : « Il y a trois types de médecins. Les meilleurs sont ceux qui s'occupent de la Nation, ceux de la classe moyenne forment les autres praticiens, ceux de la classe inférieure soignent les gens. Vous nouveaux diplômés, deviendrez ceux qui s'occupent des gens. Ceux qui comme moi prennent soin de la Nation appartiennent à l’élite. » [167] -De l'expert sanitaire au stratège colonialiste A partir de 1895, Goto va appliquer ses Principes d'Hygiène Nationale (Kokka eisei genri) aux colonies. Pendant la première guerre sino-japonaise (1894-1895), Goto servit à Hiroshima, planifiant la quarantaine des soldats revenant du front. A la fin de la guerre, Taiwan devint la première colonie japonaise. Ayant apprécié le travail de Goto dans l'armée, le général Kodama Gentaro le propulsa alors gouverneur civil de Taiwan. Goto 341 décida alors d'appliquer ses « principes biologiques » : il fallait étudier les mœurs et spécificités des indigènes. Il dit : « Il est impossible de changer les yeux d'un pleuronecte182 en ceux d'une daurade. Les yeux d'une daurade se développement harmonieusement de chaque coté de la tête, tandis que ceux d'un pleuronecte se développent ensemble du même coté. Même si cela semble étrange, on ne peut pas transformer un pleuronecte en une daurade. Les yeux du pleuronecte se développent du même coté par nécessité biologique. [...] Ce point est aussi important en politique. [...] Aussi lorsque je pris possession de Taiwan, le plus important était d'abord d'étudier scientifiquement et en profondeur l'ancien système et les coutumes de l'ile et de gouverner en s'adaptant au peuple. [...] Pour ceux qui ne comprenaient pas cela et qui essayaient d'importer et d'appliquer d'un coup les lois et le système japonais à Taiwan, c'était comme tenter de changer les yeux d'un pleuronecte en ceux d'une daurade ; cette bande ne connaissait rien à la vraie politique. »183 Fort de son expérience coloniale, en 1906 il devint le premier directeur de la compagnie des chemins de fer mandchous. Cet organisme servit d'instrument de pénétration japonaise dans la péninsule du Liaodong. Sa carrière d'expert colonial fut couronnée par son affectation au poste de Directeur du Bureau de Colonisation (1912). Retourné au Japon en 1908, proche du premier Ministre Katsura, il connut une ascension politique fulgurante, nommé deux fois ministre de l'intérieur (1916 et 1923) et ministre des affaires étrangères (1918). Partisan du panasiatisme, il encouragea la politique expansionniste agressive, notamment l'intervention en Sibérie. Après le grand tremblement de terre du Kanto (1923), il contribua grandement à la reconstruction de Tokyo dont il avait été le maire en 1920. C'était l'occasion de mettre en pratique les réformes urbanistiques tant admiré chez l'hygiéniste Pettenkofer, et une manière de renouer avec son passé d'expert sanitaire. ii (Goodman 20) D’après (Jianhui, 2009); (Norman, 2006) 182 183 Poisson plat qui a les yeux du même coté comme la limande. Goto Shinpei cité en anglais par les Taiwanais Itō et Chen, Cf. [133], page 69 342 Résumé : Pendant sa phase d'ouverture (ère Meiji, 1868-1912), le Japon passa d'une médecine traditionnelle sino-centrée à une médecine moderne occidentale. Or s’agissait-il d’une acculturation médicale? Ce processus n’était-il pas plutôt l'aboutissement d'une évolution endogène propre ? Pour élucider ce point nous avons étudié l’histoire de la médecine japonaise, de la période prémoderne (ère Edo, 1600-1868) à la période moderne (ère Meiji), en se concentrant sur 4 aspects: 1) La pensée médicale. D’abord s’implante la médecine des correspondances Jin-Yuan, socle du paradigme traditionnel sino-japonais, avec pour arrière-fond le néoconfucianisme Zhu Xi. Rapidement de nouveaux courants (Kohoha et Honzogaku) cherchent à pallier les lacunes de ce modèle. Ceci mène à la première dissection japonaise (1754) et à la mode des études hollandaises (rangaku). Enfin sous Meiji, la recherche thérapeutique (acupuncture, ethnopharmacologie, thérapie de Morita) et le paradigme évolutionniste vont offrir de nombreux exemples de continuité conceptuelle et d’adaptation. 2) La profession. Outre une systématisation institutionnelle, Meiji recycle des mœurs séculaires. 3) La santé publique. Née en tant que telle sous Meiji, elle s’organise autour de concepts féodaux. 4) Les concepts populaires. Les concepts modernes sont réinterprétés à travers le prisme de la tradition et inversement. Ainsi notre étude montre que la modernisation de la médecine japonaise offre plus de signes de continuité que de rupture avec le passé. Elle souligne aussi une caractéristique japonaise : la prégnance de l’adaptation des concepts exogènes au modèle interne. Mots-clés : médecine histoire Japon – paradigme (épistémologie) – confucianisme – anthropologie médicale – médecine Japon 1600-1868 (époque d’Edo) – médecine Japon 1868-1912 (ère Meiji) Titre anglais : The Modernization of Japanese Medicine : Paradigm Shift or Continuity ?