Forbes Afrique décembre 2013, incluant un
Transcription
Forbes Afrique décembre 2013, incluant un
LE BOOM DE LA FRANCHISE • LE “CHÂTEAU” DE KINSHASA AFRIQUE ÉDITION DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 DIDIER DROGBA — BUSINESSMAN PHILANTHROPE DOSSIER SPÉCIAL ÉNERGIE : LE DÉFI AFRICAIN ÉDITION DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 L’AUTRE DROGBA LA STAR IVOIRIENNE DES TERRAINS DE FOOTBALL EST DEVENUE UN ENTREPRENEUR ENGAGÉ. M 06312 - 11 - F: 4,90 E - RD Bénin, Burkina Faso, République centrafricaine, Mali, Niger : 5000 FCFA | Cameroun, République du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal : 4900 FCFA | Djibouti : 6,50 € | Belgique, Madagascar, Ile Maurice : 5,50 € | République démocratique du Congo : 5,70 € 3’:HIKQNB=WUY^UZ:?k@a@b@l@a"; SOMMAIRE — DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 VOLUME 2 — NUMÉRO 11 24 | SÉCURITÉ INFORMATIQUE PROTECTION DES DONNÉES 26 | SHODAN LE MOTEUR DE RECHERCHE DES PIRATES ÉDITORIAL 7 | LOVING BUSINESS PAR MARC JÉZÉGABEL Les enseignements sur l’Afrique du rapport Doing Business de la Banque mondiale 8 | FAITS & COMMENTAIRES PAR STEVE FORBES Chers sénateurs, ne ménagez pas la future présidente de la Fed! 10 | NOUVELLES DE KINSHASA PAR MICHEL LOBÉ EWANÉ L’ouverture de nouveaux horizons en République démocratique du Congo ACTUALITÉS 12 | Les Hommes et les entreprises qui font l’économie © CHRISTIAN PEACOCK POUR FORBES - ETHAN PINES POUR FORBES - ALEXANDRE BOUGHA - HERY ANDRIAMIANDRA - JEAN-MARIE HEIDINGER - 2R CONSULTING - TRAUNKARCHIVE/PHOTOSENSO 20 | AGENDA Les rendez-vous des mois à venir 28 | JEAN-LUC RAJAONA INGENOSYA 30 | MICHEL ELAME L’ARTISAN DU SUCCÈS DE WARID CONGO CHRONIQUES 22 | UNE ANNÉE AFRICAINE À L’IMAGE DE HOPE CITY PAR GASTON KELMAN Une nouvelle Afrique en construction 69 | LE TRIOMPHE DU RÉALISME DES MARCHÉS PAR JACQUES LEROUEIL Les leçons à tirer du prix Nobel d’économie 2013 87 | LA MÉLODIE DU BONHEUR PAR NADIA MENSAH-ACOGNY Réflexion sur la notion de bonheur appliquée au monde de l’entreprise TECHNOLOGIE 34 | CHARLES BRUNO DOGBE TECNODIS INTERNATIONAL 24 | SÉCURITÉ PAR KASHMIR HILL 32 | ROGERS TEUNKAM 2R CONSULTING Protection des données : traque-moi si tu peux! 26 | SÉCURITÉ PAR KASHMIR HILL Shodan : un Google pour pirates informatiques ACTEURS 28 | ENTREPRENEURIAT PAR HERY ANDRIAMIANDRA Jean-Luc Rajaona, le pionnier de l’offshore 30 | TÉLÉCOMS PAR MICHAEL TOBIAS Michel Elame, le hussard de la téléphonie 32 | RECRUTEMENT PAR JACQUES MATAND’ Rogers Teunkam, le recruteur de talents et de compétences 34 | IMMOBILIER PAR GASTON KELMAN Charles Bruno Dogbe, promoteur sans frontières EN COUVERTURE 36 | DIDIER DROGBA BUSINESSMAN PHILANTHROPE 36 | FOOT-BUSINESS PAR PASCAL FERRÉ L’autre visage de Didier Drogba DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 3 SOMMAIRE — DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 VOLUME 2 — NUMÉRO 11 ANALYSE 44 | POLITIQUE PAR PIERRE LEBLACHE Obama et l’Afrique : dans les méandres d’une complexe histoire d’amour ENQUÊTE 44 | OBAMA ET L’AFRIQUE 46 | BUSINESS ANALYSE PAR SERGE TCHAHA La franchise, un levier de développement économique 52 | LE CAP-VERT PAYS 58 | LE CHÂTEAU LA BOURSE INFORMELLE DE KINSHASA 52 | ÉCONOMIE PAR JACQUES LEROUEIL Le Cap-Vert contre vents et marée ENQUÊTE 58 | FINANCE PAR JACQUES MATAND’ Le Château, la grande place de la finance congolaise ACTEURS 64 | FINANCE PAR HERY ANDRIAMIANDRA Maminiaina Rasolondraibe, le militant des fonds de pension 66 | ÉCONOMIE 70 | BENJAMIN AGBOLI PRODUCTEUR DE WHISKY PAR JEAN-MICHEL MEYER Jean-Michel Severino, le financier du développement 70 | SPIRITUEUX PAR VIVIANE FORSON Benjamin Agboli, le prince africain du whisky écossais 73 | TOURISME PAR NADIA MENSAH-ACOGNY Praveen Moman, l’artisan de l’écotourisme DOSSIER 76 | ÉNERGIE PAR MARC JÉZÉGABEL Le défi énergétique de l’Afrique 73 | PRAVEEN MOMAN CHANTRE DE L’ÉCOTOURISME 64 | MAMINIAINA RASOLONDRAIBE FUNRECO CARRIÈRE 84 | RESSOURCES HUMAINES PAR MYRIAM DUBERTRAND Management : tenir compte des spécificités africaines LA VIE FORBES 88 | CULTURE PAR GASTON KELMAN Manu Dibango, le père de la renaissance africaine 90 | CONSOMMATION Les montres de gousset 91 | BOISSONS PAR SOPHIE LEISER 76 | ÉNERGIE Les ambitions africaines du champagne LE DÉFI DU CONTINENT 94 | TOURISME PAR NATACHA WOLINSKI Le Bulgari Hotel, un paquebot au cœur de Londres 88 | CULTURE 97 | RESTAURANTS MANU DIBANGO PAR DEBORA ALTMAN God save the British cuisine 98 | PENSÉES 94 | TOURISME LE BULGARI HOTEL DE LONDRES 4 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Réflexions sur les fêtes de fin d’année PHOTO DE COUVERTURE : TULLIO M. PUGLIA/GETTY IMAGES FOR GOLDEN FOOT/AFP IMAGEFORUM © GARY CAMERON/REUTERS - DIDI JUNIOR KANNAH - MICHEL PORRO/GETTY IMAGES - VIVIANE FORSON - VOLCANOE SAFARIS - HERY ANDRIAMIANDRA - CRAIG MAYHEW ET ROBERT SIMMON/NASA GSFC - LAMINE DIAKITÉ - RICHARD BRYANT/ARCAID MODÈLE DE RÉUSSITE Ensemble, relevons les défis d’aujourd’hui et de demain. Avec nous à vos côtés, envisagez d’aller encore plus loin car notre motivation est de vous accompagner à chaque étape de votre vie. www.orabank.net Groupe Orabank : Bénin - Gabon - Guinée - Mauritanie - Tchad - Togo Orabank, un partenaire à votre écoute DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 – VOLUME 2 NUMÉRO 11 ÉDITÉ PAR F. AFRIQUE MEDIA SAS FONDATEUR Lucien Ebata ASSOCIÉ UNIQUE F. Afrique Medias Holding SA PRÉSIDENT Jean-Marie Simon CONSEIL D’ADMINISTRATION Lucien Ebata, Sylvain Lekaka, Jean-Marie Simon DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jean-Marie Simon DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Marc Jézégabel RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ Michel Lobé Ewané contact@forbesafrique.com CHRONIQUEURS Gaston Kelman, Jacques Leroueil, Nadia Mensah-Acogny REPORTERSHery Andriamiandra, François Bikindou, Jérémy Collado, Bruno Deme, Myriam Dubertrand, Pascal Ferré, Viviane Forson, Serge Alain Godong, Kashmir Hill, Hyacine Kacou-Amondji, Gaston Kelman, Pierre Leblache, Sophie Leiser, Jacques Leroueil, Henri Loizeau, Tania Mahoungoud, Jean-Jacques Arthur Malu Malu, Jacques Matand’, Nadia Mensah-Acogny, Jean-Michel Meyer, Set Ngom Priso, Emmanuelle Sodji, Serge Tchaha, Michael Tobias, Elodie Vermeil, Natacha Wolinski LA VIE FORBES Debora Altman daltman@forbesafrique.com CONCEPTION RÉALISATION STUDIO 92 DIRECTEUR ARTISTIQUE Emilien Guillon MAQUETTISTE Victor Mourain SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Emilie Esnaud-Victor CHEF DE FABRICATIONDiane Mourareau PHOTO IMAGE & COM DIRECTRICE Debora Altman REPORTERS PHOTO Hery Andriamiandra, Alexandre Bougha, Jean-Marie Heidinger, Didi Junior Kannah, Elodie Vermeil TRADUCTRICEJulia H. Prévost PUBLICITÉ COM C COM DIRECTEUR Marc Davisseau marc.davisseau@comccom.fr Tél. : +33 142 810 809 Marc de Brébisson mdb@comccom.fr Tél. : +33 6 45 07 10 95 PRODUCTION ET IMPRESSION PERKA BVBA Industrieweg 12 9990 Maldegem, Belgique FORBES MEDIA RÉDACTEUR EN CHEF Steve Forbes VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION Christopher Forbes DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ Lewis D’Vorkin PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL Michael S. Perlis DIRECTEUR GÉNÉRAL Michael Federle PRÉSIDENT CHARGÉ DU DÉVELOPPEMENT Miguel Forbes CONSEILLER PRINCIPAL À L’INTERNATIONAL Tom Wolf FONDÉ EN 1917 B. C. Forbes, rédacteur en chef (1917-1954) Malcolm S. Forbes, rédacteur en chef (1954-1990) FORBES est une marque brevetée et utilisée sous licence de FORBES LLC. Forbes Afrique est publié par F. Afrique Media SAS, 18, avenue Franklin-Roosevelt 75008 Paris, France, sous accord de licence avec Forbes Media LLC, 60 Fifth Avenue, New York, New York, 10011, États-Unis d’Amérique. Copyright ©2013 Forbes Afrique Media. N° Commission paritaire : 1114 I 91585. Dépôt légal : juillet 2013. N° ISSN : 2262-1547. Abonnement annuel : 30€ TTC, prix de vente au numéro : 4,90€ TTC. Ce numéro s’accompagne d’un encart abonnement sur une partie de sa diffusion. 6 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE L’ÉDITORIAL DE MARC JÉZÉGABEL LOVING BUSINESS L e taux de croissance est devenu l’indicateur roi. Le totem de l’économiemonde. Proche de zéro, comme en Europe, c’est la déprime. Entre 1 et 2,5%, la Russie ou l’Inde sont, par exemple, considérées comme des traînards. Mais avec plus de 5% de moyenne, le continent africain fait figure de nouvelle frontière. Rien de tout cela n’est faux, mais c’est un peu court. D’abord parce que croissance ne signifie pas développement. Ensuite parce que cet indicateur mesure l’évolution du PIB, mais pas l’activité. Or l’exportation de matières premières, entre autres, brouille les comparaisons, et masque la réalité. Pour corriger le tir, la Banque mondiale produit depuis dix ans un rapport annuel intitulé «Doing Business*», qui mesure la qualité de l’environnement du monde des affaires dans 185 économies du globe. L’étude évalue le cadre juridique, réglementaire, financier et fiscal, ainsi que sa capacité à faciliter ou au contraire entraver le business. Cela va des formalités pour créer une entreprise à l’obtention d’un prêt, en passant par l’exécution des contrats, le système d’imposition et l’embauche des travailleurs. Au total, 11 étapes vitales de la vie d’une entreprise sont passées au crible. L’objectif étant de donner des repères aux Etats pour favoriser la réglementation intelligente («smart», pour simplifiée, mesurable, adaptable, relative, transparente) de l’activité. Dans ce classement mondial au sommet duquel trône la ville-Etat de Singapour, l’Afrique a son champion : le Rwanda. Numéro deux mondial en terme de progression, ce petit pays enclavé pointe à la 32e place du tableau général. Premier enseignement du rapport, et il est réconfortant, la tendance générale est la convergence. Effet induit de la mondialisation, les écarts entre nations se resserrent. Il y a dix ans, l’une des principales conclusions était que les économies à faible revenu avaient des systèmes de réglementation très complexes. Or, note la dernière édition, parmi les 50 économies qui ont fait le plus de progrès depuis 2005, la plus grande part – un tiers – se trouve en Afrique subsaharienne. Le meilleur exemple de convergence est fourni par la facilité à créer une entreprise. Il fallait en moyenne cent douze jours en 2003 dans les pays les moins performants. Le délai est désormais réduit de moitié. Les indicateurs de Doing Business forment en outre une formidable feuille de route pour accompagner la transition d’une partie de l’économie informelle vers le secteur officiel. L’informel a certes l’avantage de la souplesse au démarrage. Mais, revers de la médaille, les entreprises s’y développent plus lentement, l’accès au crédit est plus difficile, l’emploi plus restreint et non protégé, la fiscalité inexistante. Le secteur privé représente environ 90% des emplois dans les pays en développement. Favoriser le climat des affaires, c’est-à-dire promouvoir des entreprises qui investissent, créent des emplois et améliorent la productivité, constitue donc la clé qui permet de couvrir la distance qui sépare la croissance d’un véritable développement inclusif. Les bonnes décisions macroéconomiques sont nécessaires, mais la qualité des mécanismes législatifs, réglementaires et financiers ne l’est pas moins pour engendrer le «loving business». * www.doingbusiness.org/data. Voir aussi p. 17. POUR TOUS COMMENTAIRES ET REMARQUES, MERCI D’ADRESSER UN COURRIEL À MARC JÉZÉGABEL : MJEZEGABEL@FORBESAFRIQUE.COM. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 7 FORBES AFRIQUE FAITS & COMMENTAIRES — STEVE FORBES « Donner tout son sens à l’information » CHERS SÉNATEURS, NE MÉNAGEZ PAS LA FUTURE PRÉSIDENTE DE LA FED ! PAR STEVE FORBES, RÉDACTEUR EN CHEF E nfin ! Barack Obama a momentanément cessé de mener en bateau les élus républicains du Congrès à propos de la dotation budgétaire provisoire et de l’augmentation du plafond de la dette, et désigné Janet Yellen comme candidate à la succession de Ben Bernanke à la présidence de la Réserve fédérale américaine. Le Sénat, qui doit auditionner l’intéressée, ne devra pas hésiter à l’interroger sur des sujets cruciaux, et à rejeter sa candidature si ses réponses se révélaient insatisfaisantes. Sur ordre de Ben Bernanke, la Banque centrale a mis en place des mesures sans précédent, qui ont considérablement nui aux marchés du crédit et retardé la reprise économique. Elles risquent de causer un préjudice plus grave encore que la crise de 2008-2009. Affranchie de l’autorité du Congrès, la Fed s’est arrogé des prérogatives économiques démesurées. Pire encore, le Congrès lui a confié de nouvelles attributions, qui mettent en péril l’avenir économique du pays. Ainsi, la Fed abrite le Consumer Financial Protection Bureau et lui octroie tout le financement qu’il réclame. L’agence de protection des consommateurs de produits financiers exerce un pouvoir quasi discrétionnaire auprès des banques et des établissements financiers sur les prêts hypothécaires, cartes de crédit et 8 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 autres activités de prêt. Elle n’a pas véritablement de comptes à rendre au Congrès. A l’heure où le budget fédéral subit des coupes claires, elle recrute donc à tout-va et engloutit 95 millions de dollars pour «rénover ses bureaux». A l’issue de leur vote concernant Janet Yellen, les sénateurs seront probablement peu enclins à valider toute action d’envergure. En particulier les républicains, qui ne voudront pas être accusés d’opportunisme politique face à l’enjeu que représente un poste aussi stratégique et sensible. Mais le temps est venu de se comporter en hommes d’Etat. La politique monétaire est un sujet à part. Non par sa complexité, car ses principes de base sont assez simples. Pourtant, la dimension psychologique de la politique monétaire provoque des sueurs froides et des palpitations chez la plupart des membres du Congrès. Mais compte tenu du rôle majeur que joue la Fed à l’heure actuelle, il leur faut surmonter cette peur dans l’intérêt du pays. Le candidat désigné doit être mis sur le gril au sujet de son plan d’action pour remédier à la frénésie d’achat d’obligations de la Fed. La récente tentative avortée de tapering de la Banque centrale, visant à réduire progressivement les achats de titres, donne une idée de l’ampleur de la tâche. A Wall Street, la plupart sont accros à cette méthode. La question du prix risque d’être épineuse lors de la «liquidation» des obligations. Les marchés tentent d’anticiper, et si les traders et les investisseurs s’attendent à des taux d’intérêt normaux, ils diminueront dès aujourd’hui et sans transition la valeur de ces obligations. Jamais auparavant une Banque centrale de cette envergure n’avait agi comme la Fed en achetant massivement des obligations d’Etat à long terme et des titres hypothécaires grâce à des emprunts de fonds à court terme auprès des banques. Ben Bernanke et consorts ont acheté des centaines de milliards de bons du Trésor américain à un prix supérieur à leur valeur nominale. Ils auront ainsi déboursé 1200 dollars pour une obligation émise à 1000 dollars. Voilà ce qui arrive quand on supprime les taux d’intérêt à long terme. Selon David Malpass, économiste et chroniqueur chez Forbes, ces primes dépassent désormais 200 milliards de dollars et devraient être comptabilisées au titre de la dette des Etats-Unis. Pourquoi d’ailleurs ces excédents ne sont-ils pas déjà comptabilisés dans la dette? Le plafond de cette dette avait en fait été dépassé depuis longtemps lorsque le département du Trésor américain a confirmé la nouvelle. L’assouplissement quantitatif a perturbé les marchés du crédit américain. Il a restreint l’offre disponible pour les emprunteurs les moins favorisés et a permis au gouvernement fédéral de financer le déficit «sans pleurs». Washington ne paie pratiquement aucun intérêt sur ses nouveaux emprunts et, grâce à la Fed, peut désormais emprunter à l’envi, dans la limite du plafond de la dette, jusqu’à ce que le Congrès finisse, comme toujours, par relever ce dernier. Les grandes entreprises accèdent également sans peine au crédit, ce qui explique notamment la solidité de leurs bilans financiers. Le marché de l’immobilier a profité d’achats massifs et réguliers de centaines de milliards de dollars de titres adossés à des créances hypothécaires. Mais de plus petites entreprises créatrices d’emploi ont fait les frais de cette rigidité du crédit. Ce n’est que très récemment que celui-ci s’est libéré en faveur de ce secteur vital de l’économie, grâce, entre autres, à un formidable trait de caractère des Américains : face à une impasse, les chefs d’entreprise savent tirer leur épingle du jeu. Ainsi, ces petites entreprises ont pu compter sur de nombreuses sources de financement non bancaires, dont les fonds communs de placement en actions, qui comblent désormais ce vide. Mais qui donc a confié l’attribution des crédits à la Fed? Autre question majeure : pourquoi un tiers des achats d’obligations effectués par la Fed depuis le fléchissement de l’activité économique a-t-il été immobilisé au lieu de servir au développement économique? On observe cette étrange logique depuis plusieurs années. Pourquoi la Banque centrale n’a-t-elle jamais abordé ce problème? Essentiellement en raison de la pression exercée sur les banques par les organismes de réglementation, pour restreindre l’attribution de crédits au gouvernement fédéral, afin d’améliorer le bilan des banques. Mais cette logique de protection a largement franchi la limite. Maintenant que ces réserves excédentaires étouffent les Etats-Unis, qu’est-ce qui pourrait empêcher le retour d’une spirale inflationniste? En 2008, la Fed a obtenu l’autorisation de payer des intérêts sur ses réserves. Cette mesure a-telle eu pour effet de bloquer le crédit en faveur des petites entreprises? La Fed a-t-elle mené des études pour s’informer sur ce sujet? Et si elle ne l’a pas fait, pourquoi? Quelles preuves concrètes permettent de soutenir que l’assouplissement quantitatif a véritablement stimulé la croissance économique, aux Etats-Unis comme ailleurs? Jamais dans l’histoire du pays on n’a observé reprise aussi précaire après une détérioration marquée, pas même à la suite de la Grande Dépression. Les fortes contractions ont toujours été suivies d’un redressement rapide. La question est alors de savoir si cette reprise sera durable. Au prochain tapering de la Fed, qu’est-ce qui empêchera la survenue d’une crise semblable à la crise asiatique de 1997-1998? Les Américains ont eu un avant-goût de ce qui pourrait advenir avec la brève réduction d’achats de titres de cette année. En prévision de l’augmentation des taux aux Etats-Unis, les capitaux ont été extraits en masse de pays comme le Brésil, l’Inde et l’Indonésie, à la suite de quoi leurs devises ont subi des attaques spéculatives. C’est un sujet crucial. Trop souvent, les Banques centrales ne savent pas comment défendre leur monnaie. Avant toute chose, il est nécessaire que le gouvernement annonce clairement qu’il compte défendre sa devise. Il doit ensuite confirmer son intention en augmentant les taux d’intérêt. Puis, il lui faut, de manière agressive, acheter sa propre monnaie sur les marchés des changes avec les dollars de ses réserves. Correctement mise en œuvre, cette dernière étape sauvegardera l’intégrité de la monnaie. Les Banques centrales échouent cependant trop souvent à réduire l’ampleur de leur base monétaire, qui inclut les pièces et billets en circulation et les fonds de réserve des banques nationales. Voici ce qui se passe. Une Banque centrale achète sa devise avec des dollars, ce qui est une bonne chose. Cependant, elle réinjecte rapidement cet argent dans l’économie nationale en rachetant, en général, de la dette publique nationale. Elle donne de la main droite l’argent qu’elle a pris de la gauche. La base monétaire reste inchangée. La banque a tout simplement réduit ses réserves, en vain. Les économistes ont nommé ce processus «stérilisation». Cette pratique inefficace resurgit ponctuellement. En 1997, la Thaïlande disposait de réserves considérables, de l’ordre de 40 milliards de dollars. La valeur de sa monnaie, le baht, était liée au dollar. Lorsque le baht a commencé à s’affaiblir, la Banque centrale aurait dû réduire sa base monétaire en utilisant des dollars pour acheter des bahts sur les marchés des changes. La Thaïlande disposait de suffisamment de dollars pour acheter deux fois la totalité de sa base monétaire. Au lieu de cela, elle a décidé de la stériliser. Elle a épuisé ses réserves de change, laissé flotter le baht, ce qui a entraîné une chute libre de sa devise. Au cours de la crise financière de 2008-2009, un pays a su résister aux sirènes de la stérilisation : la Russie. Lorsque le rouble s’est retrouvé sous le feu des attaques spéculatives, la Banque centrale a d’abord répliqué en appliquant la stérilisation. Puis, début 2009, après la parution dans la Pravda d’un article de Nathan Lewis, expert en politique monétaire et chroniqueur chez Forbes, la Russie a réduit sa base monétaire. Résultat : le rouble s’est renforcé, les spéculateurs ont été mis en déroute et la devise russe est sortie victorieuse de la crise. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 9 FORBES AFRIQUE L’ÉDITORIAL DE MICHEL LOBÉ EWANÉ NOUVELLES DE KINSHASA F RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ aut-il croire qu’une brise nouvelle souffle sur Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo? Ce pays immense, considéré comme un scandale géologique, mais meurtri depuis des décennies par des guerres civiles interminables, longtemps soumis à l’une des dictatures postcoloniales les plus kleptocratiques, rongé par la corruption, miné par des conflits politiques, est resté jusqu’à aujourd’hui une nation qui renvoie le miroir d’une Afrique livrée à ses démons les plus sordides, avec ses enfants soldats, ses femmes violées, ses ressources pillées. Ce Congo-là a longtemps été une blessure vivante et douloureuse au cœur de l’Afrique. Mais faut-il espérer qu’un horizon nouveau puisse s’ouvrir bientôt, à l’orée de cette année 2014 qui s’annonce? Il aura suffi d’un discours et de paroles fortes annonçant des gestes symboliques du président congolais, Joseph Kabila, 42 ans, dont près de treize à la tête du pays. Il a prévu le rapatriement des restes du président Mobutu Sese Seko et de Moïse Tshombé, ainsi que des obsèques nationales. Il aura fallu quelques victoires militaires sur le front de l’Est contre le M23, l’un de ces groupes rebelles qui depuis plusieurs décennies alimentent l’instabilité et servent de carburant à la machine à tuer. Ces paroles et ces succès auront été suffisants pour que les Congolais, les investisseurs et les observateurs étrangers s’autorisent à reprendre espoir. Sur le front économique, dont on parle pourtant si peu, le Congo a également remporté quelques victoires significatives : un taux de 10 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 croissance de 8,2% en 2013, une inflation maîtrisée autour de 0,3% pour la même période, une monnaie – le franc congolais – stabilisée et des réserves de change en hausse (1,7 milliard de dollars en 2013, contre 250 millions en 2008). Dans ce pays qui reste fort mal classé dans l’index Mo Ibrahim de bonne gouvernance, il est presque réconfortant d’entendre le président dénoncer «l’ambiance de corruption, de détournement des deniers publics, de coulage des recettes publiques et d’enrichissement illicite». Mais il est encore plus rassurant de noter que depuis quelque temps le gouvernement s’efforce d’ériger des barrières pour encadrer l’utilisation de l’argent public, avec pour objectif de stopper l’appétit de politiciens véreux qui usent d’astuces de toutes sortes pour émarger indûment sur le Trésor public. Ne nous laissons bercer par aucune illusion. Le Congo n’est pas encore sorti de ses problèmes, et ses démons sont toujours présents. Mais ce vent qui souffle de Kinshasa s’accompagne de la forte dynamique de la société civile, de l’imagination et de l’esprit d’entreprise de nombreux jeunes Congolais – dont beaucoup sont issus de la diaspora –, qui n’ont pas attendu l’Etat pour se jeter à l’eau avec force projets, l’ambition de réussir, de créer des emplois et de la richesse en faisant bouger les lignes. Il est arrivé à Forbes Afrique d’en mettre certains en lumière. C’est grâce à eux que ce pays immense pourra un jour décoller, émerger et étonner le monde. POUR TOUS COMMENTAIRES, COMPLIMENTS, CRITIQUES OU SUGGESTIONS, MERCI D’ADRESSER UN COURRIEL À NOTRE RÉDACTEUR EN CHEF DÉLÉGUÉ, MICHEL LOBÉ EWANÉ : MLOBE@FORBESAFRIQUE.COM Notre métier, l’assurance SUNU ASSURANCES HOLDING SA 59 bis, avenue Foch 94100 Saint-Maur des Fossés France Tél. : + 33 (0)1.48.86.62.66 Fax : + 33 (0)1.48.86.62.55 E-mail : sunu-assurances@sunu-group.com Site internet : www.sunu-group.com BURKINA-FASO RAYNAL S.A. Tél. : (226) 50.30.25.12 E-mail : raynalsa@fasonet.bf BENIN Union Béninoise d’Assurance Vie (UBA-Vie) Tél. : (229) 21.30.02.12 E-mail : uba@ubavie.com Avie Tél. : (229) 21.31.83.55 E-mail : infos@avieassur.com CAMEROUN Union des Assurances du Cameroun Vie (UA Cam-Vie) Tél. : (237) 33.42.12.46 E-mail : contact.uacam@uacamvie.com CENTRAFRIQUE Union des Assurances Centrafricaines-IARD (UAC-IARD) Tél. : (236) 21.61.31.02 E-mail : uac-iard@uac-iard.com CÔTE D’IVOIRE Union des Assurances de Côte d’Ivoire Vie (UA-Vie) Tél. : (225) 20.31.04.00 E-mail : info@uavie.ci MALI Union des Assurances du Mali-IARD (UAM-IARD) Tél. : (223) 75.59.26.11 E-mail : info.mali@ua-iard.com Le Millénium Assurances Internationales-IARD (LMAI-IARD) Tél. : (225) 20.25.18.18 E-mail : lmai-iard@lmai-iard.com NIGER Union Générale des Assurances du Niger-IARD (UGAN-IARD) Tél. : (227) 20.73.40.71 E-mail : ugan-iard@ugan-iard.com Le Millénium Assurances Internationales-Vie (LMAI-Vie) Tél. : (225) 20.25.44.44 E-mail : lmai-vie@lmai-vie.com Union Générale des Assurances du Niger-Vie (UGAN-Vie) Tél. : (227) 20.73.41.75 E-mail : ugan-vie@ugan-vie.com L’Alliance Africaine d’Assurances Vie (3A-Vie) Tél. : (225) 20.33.98.20 E-mail : aaavie@aaavie.com SENEGAL Union des Assurances du Sénégal-Vie (UASen-Vie) Tél. : (221) 33.889.00.40 E-mail : uasenvie@uasen.com GABON Union des Assurances du Gabon-Vie (UAG-Vie) Tél. : (241) 01.74.34.34 E-mail : uagvie@uagvie.com GUINÉE Union des Assurances de Guinée-IARD (UA-IARD) Tél : (224) 666.10.10.27 E-mail : info.guinee@ua-iard.com TOGO Union des Assurances du Togo-IARD (UAT-IARD) Tél. : (228) 22.21.10.31 E-mail : uat.iard@uatiard.com Union des Assurances du Togo-Vie (UAT-Vie) Tél. : (228) 22.22.51.95 E-mail : uat.vie@uatvie.com Réalisation FilBleuSAS : contact@filbleu.net Le réseau SUNU en Afrique ACTUALITÉS Actualités L’ESSENTIEL DES NOUVELLES NOMINATIONS AFRIQUE FRANCOPHONE EURAPHARMA : UN NOUVEAU DIRECTEUR POUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE Le groupe CFAO a annoncé la nomination, effective le 1er octobre 2013, de Ken Accajou au poste de directeur pour l’Afrique francophone et Madagascar d’Europharma. Ken Accajou était depuis 2009 directeur général de Sopharma. Auparavant, il avait été directeur adjoint de la zone Maghreb, Afrique anglophone et lusophone de Sopharma. Ken Accajou devient membre des comités exécutifs de CFAO et d’Eurapharma. RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO JEAN-PIERRE AYEYEMI DÉSIGNÉ KIWAKANA KIMAYALA, ADE RESPONSABLE DE BHARTI AIRTEL CITIGROUP La direction de la région AFRIQUE SUBSAHARIENNE Afrique francophone du groupe indien de télécoms Bharti Airtel vient de nommer l’ancien conseiller économique de la présidence de la République, économiste et homme d’affaires congolais Jean-Pierre Kiwakana Kimayala président du conseil d’administration en République démocratique du Congo. Sa mission est d’accroître la connectivité au sein du deuxième plus grand pays en Afrique. Citigroup a choisi de placer à la tête de ses opérations en Afrique subsaharienne le Nigérian Ade Ayeyemi, en remplacement de Naveed Raiz. Cette nomination est un signal fort pour la société qui concentre ses efforts pour «saisir les opportunités qui existent dans la région subsaharienne». Ade Ayeyemi travaille pour Citigroup depuis vingt-cinq ans. Il a occupé plusieurs postes, dont celui de senior country officer au Kenya et en Afrique de l’Est et responsable du service transactions de Citi pour l’Afrique. FINANCE FRANCE A l’initiative du Club d’affaires Afrique et du cabinet Deloitte s’est tenu le 24 octobre dernier à Paris un forum sur les investissements et levées de fonds en Afrique. La problématique de cette rencontre, qui réunissait des investisseurs, des cabinets de conseil financier, des business angels et des créateurs d’entreprises, tournait autour de l’investissement en capital en Afrique francophone. Avec un constat récurrent : la région ne présente pas de dispositif fiscal attractif dans ce domaine, le cadre réglementaire, juridique et fiscal reste à harmoniser et stabiliser. Il y a également une pénurie de professionnels qualifiés et la perception du risque est élevée dans la zone. Ce constat fait, il apparaît pourtant que le développement de l’activité de fonds d’investissement a été appréciable dans le continent pris globalement. Ainsi, en 2013, le nombre de fonds de private equity levés sur l’Afrique a été de 68, avec une taille cumulée de 13 milliards de dollars et une taille moyenne de 191 millions de dollars. Il convient de noter qu’en 2012, sur les 25% des capitaux de private equity placés sur les marches émergents, seulement 4% ont concerné l’Afrique subsaharienne. 12 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 © DR FORUM SUR LES INVESTISSEMENTS ET LES LEVÉES DE FONDS EN AFRIQUE NOMINATIONS SÉNÉGAL RÉPUBLIQUE DU CONGO Personnalité bien connue du monde des affaires au Sénégal, Alioune Ndour Diouf était jusqu’à présent en charge de l’Afrique subsaharienne pour le groupe Axa. Il avait occupé ce même poste durant six ans pour Ecobank à Dakar. Avec la prochaine installation de BOA-Sénégal dans son nouveau siège du quartier des Almadies de Dakar, la nomination en juin dernier d’un nouveau directeur général, une augmentation du capital jusqu’à 10 milliards de francs CFA et des fonds propres à plus de 16 milliards de francs CFA, BOA-Sénégal affiche ses ambitions de développement. Le cabinet Deloitte a ouvert un nouveau bureau à Brazzaville, avec à sa tête Raphaël Ebanga. C’est le second pôle du groupe en Afrique centrale après celui de Pointe-Noire. Présent depuis 2007 dans la capitale économique, principalement auprès des acteurs locaux et étrangers des secteurs minier, pétrolier et gazier, Deloitte Congo diversifie son offre, notamment dans le secteur public. Ce nouveau bureau conforte la présence dans la région du cabinet déjà installé à Kinshasa, Lubumbashi, Malabo, Libreville et Douala. A noter que Deloitte dispose désormais de 13 bureaux en Afrique francophone. ALIOUNE NDOUR DIOUF, NOUVEAU PRÉSIDENT DE BANK OF AFRICA SÉNÉGAL RAPHAËL EBANGA, DIRECTEUR DU BUREAU DELOITTE À BRAZZAVILLE FINANCE TCHAD © AFP IMAGEFORUM LANCEMENT D’UN DEUXIÈME EMPRUNT OBLIGATAIRE APRÈS CELUI DE 2011 Les autorités tchadiennes ont lancé un nouvel emprunt obligataire par appel public qui vise à lever 85 milliards de francs CFA, remboursables sur cinq ans, dans la zone CEMAC. Le document de présentation officiel, intitulé «Etat du Tchad 6% 2013-2018», précise que l’opération doit permettre de compléter le financement d’une Cité internationale des affaires, gage «d’une représentation d’un cadre des affaires qui permettrait à l’économie d’être tirée par le secteur des services comme dans d’autres pays». Le lancement de cet emprunt a été suivi d’une intense campagne de communication dans la région pour inciter les pays voisins à souscrire. L’Etat tchadien a pour sa part donné quelques garanties sur l’évolution et la stabilité économique du pays. La SCB Cameroun, filiale du groupe Attijariwafa Bank, cochef de file de l’emprunt, est chargée de la structuration de l’opération suivant les règles en vigueur sur les marchés financiers de la CEMAC. Objectif : permettre la cotation simultanée des obligations de l’emprunt aux deux Bourses de la sous-région, Douala et Libreville. La CMF et la COSUMAF ont approuvé cette opération. Idriss Déby, le président tchadien, veut faire de N’Djamena un centre d’affaires incontournable en Afrique. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 13 Actualités ÉNERGIE ALGÉRIE La compagnie nationale algérienne des hydrocarbures, dirigée par Abdelamine Zerguine (cidessus), vient d’annoncer la découverte d’un important gisement pétrolier dans le centre-nord du pays. Il s’agit selon les autorités algériennes de «l’une des plus importantes de ces vingt dernières années». A 112 kilomètres de Hassi Messaoud gisent à 3700 mètres de profondeur près de 1,3 milliard de barils de pétrole. Pour l’exploitation, la société nationale a indiqué qu’elle devrait recourir à la fracturation hydraulique pour la moitié de la production. Une opération qui représente une hausse de 10% du coût de production par rapport à une extraction conventionnelle. BÉNIN DÉCOUVERTE D’UN GISEMENT DE PÉTROLE ESTIMÉ À 87 MILLIONS DE BARILS Le Bénin dispose d’un important gisement de pétrole sur le bloc 1 du champ pétrolifère de Sèmè-Kpodji, au sud-est du pays. C’est ce qui a été officiellement annoncé au chef de l’Etat Boni Yayi lors d’une audience qu’il a accordée au groupe d’experts de la South Atlantic Petroleum (Sapetro) ayant prospecté ce bloc du bassin côtier du Bénin. L’or noir qui proviendra des puits pétroliers de Sèmè-Kpodji sera produit d’ici à la fin de l’année prochaine. La production envisagée par Sapetro, qui doit exploiter ce gisement, est de 7500 barils par jour. Des travaux de recherche complémentaires sur un autre gisement évalué à 100 millions de barils seront engagés dans les mois à venir. 14 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 ÉTHIOPIE INAUGURATION DU PLUS GRAND PARC ÉOLIEN D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE C’est dans le nord de l’Ethiopie, à Ashegoda, que le plus grand parc éolien d’Afrique subsaharienne a été inauguré le 26 octobre. Avec 84 turbines installées sur 100 km2, ce parc dispose d’une puissance de 120 MW, soit 400 GWh distribués annuellement. Il permettra ainsi d’économiser 300000 tonnes de CO2 par an et de satisfaire en électricité renouvelable les besoins de près d’un million de personnes. Le coût du projet s’est élevé à 210 millions d’euros. Ce montant a été majoritairement assuré par des prêts concessionnels accordés à l’Etat éthiopien par l’Agence française de développement (AFD) et la banque française BNP Paribas. La ferme éolienne a été construite par la PME française spécialisée dans les énergies renouvelables Vergnet, en collaboration avec le groupe Alstom. © AFP IMAGEFORUM - JENNY VAUGHAN/AFP IMAGEFORUM LA SONATRACH DÉCOUVRE UN IMPORTANT GISEMENT DE PÉTROLE CÔTE D’IVOIRE © SIA KAMBOU/AFP IMAGEFORUM - DR BOLLORÉ LIVRE DES BUS 100 % ÉLECTRIQUES À ABIDJAN Le groupe Bolloré vient d’inaugurer dans la capitale ivoirienne la toute première ligne de bus 100% électriques d’Afrique, en présence du président de la République Alassane Ouattara. Deux bus électriques, des Bluebus de 22 places, seront ainsi exploités sur le campus de l’université Félix-Houphouët-Boigny de Cocody pour le transport des étudiants. Alimentés par des batteries lithium-métalpolymère (LMP), ils disposent d’une autonomie de 150 km. Quatre autres véhicules seront livrés dans les mois à venir. Ce projet de 1,2 milliard de francs CFA a été entièrement financé par Bolloré. Parallèlement, 288 panneaux photovoltaïques ont été installés sur le site par SunPower, une filiale de Total, sur une surface de 2000 m2 au sol. De son côté, Bolloré a fourni six packs de batteries LMP de 25 kWh où sera stockée l’énergie solaire durant la journée pour assurer une distribution aux bus 24h/24. La Côte d’Ivoire devient le premier pays africain à bénéficier de cette technologie. Fort de ce succès, le groupe français songe à dupliquer ces modèles dans d’autres pays du continent. MODE La styliste camerounaise Anna Ngann Yonn a fondé il y a plus de dix ans la marque Kreyann’ et a organisé pour la première fois l’année dernière le K-Walk. CAMEROUN UNE FASHION WEEK À YAOUNDÉ Le K-Walk 2013, la nouvelle grand-messe de la mode africaine, s’est tenu le 1er novembre dernier à Yaoundé. Le rendez-vous a réuni plus de 1000 invités triés sur le volet pour découvrir les collections de Kreyann’, la marque de la Camerounaise Anna Ngann Yonn, et celles de deux autres talentueux designers internationaux : le Sud-Africain Shaldon Kopman et le Français Stéphane Rolland. «La collection que je présente cette année est inspirée de la vie dans les plantations de canne à sucre à l’époque de l’esclavage, explique Anna Ngann Yonn. Au cours de cette période, on a pu observer qu’à côté de l’image triste et sombre que renvoyait la traite négrière, il y avait une certaine bourgeoisie blanche qui s’était établie, caractérisée notamment par un côté fastueux chez les maîtres qui prenaient la peine de bien s’habiller. Ma collection part de cette période en utilisant les formes modernes, chic et élégantes. J’ai utilisé des matières naturelles qui rappellent les fibres de canne à sucre, les feux de brousse, des couleurs chaudes.» C’est le Namibien Jan Malan, le plus grand producteur de Fashion Shows en Afrique, qui a orchestré le spectacle. Le K-Walk est une plate-forme de rencontres entre les différents métiers de la mode. Pour Anna Ngann Yonn, «les retombées pour toutes les personnes qui y participent sont nombreuses avec de nouvelles opportunités, des contacts et des partenariats». DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 15 Actualités BUSINESS AFRIQUE SUBSAHARIENNE INDUSTRIE La nouvelle édition du rapport Doing Business de la Banque mondiale (voir aussi p. 7) vient de paraître. Premier enseignement : durant les cinq dernières années, neuf des vingt pays qui ont le plus réformé la réglementation des affaires sont situés au sud du Sahara. Il s’agit du Burundi, de la Sierra Leone, de la Guinée-Bissau, du Rwanda, du Togo, du Bénin, du Ghana, du Liberia et de la Côte d’Ivoire. A lui seul, le Rwanda a entrepris des réformes dans huit des dix domaines couverts par l’étude. Cette modification de l’environnement réglementaire a permis au pays de gagner 20 places dans le classement Doing Business, passant du 52e au 32e rang mondial. En revanche, le rapport note que «la région Moyen-Orient et Afrique du Nord a quant à elle enregistré la plus faible proportion d’économies à avoir mis en œuvre des réformes TOP 10 DES PAYS réglementaires dans au moins un AFRICAINS domaine (40%)», contre 66% en 1. Ile Maurice (20e) Afrique subsaharienne, une contre2. Rwanda (32e) e 3. Afrique du Sud (41 ) performance «partiellement imputable aux troubles 4. Tunisie (51e) 5. Botswana (56e) politiques que connaît la région 6. Ghana (67e) actuellement». Doing Business 7. Seychelles (80e) 2014 met l’accent sur les réformes 8. Zambie (83e) e entreprises par les pays d’Afrique 9. Maroc (87 ) subsaharienne afin d’améliorer 10. Namibie (98e) l’environnement réglementaire. AFRIQUE DE L’OUEST DOING BUSINESS 2014 : L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE PROGRESSE AFRIQUE © BANQUE MONDIALE - CABINET PWC LE CONTINENT AUX STANDARDS MONDIAUX L’étude The Africa Business Agenda – consultable sur www.pwc.com/theagenda –, réalisée par le cabinet PWC, représente six mois de travail et 330 entretiens avec les acteurs majeurs de l’économie en Afrique. Premier constat : le niveau d’optimisme et de confiance à long terme est fort. Fait plus inattendu, il est bien réparti sur le continent, bénéficiant d’une sorte d’émulation intracontinentale. Deuxième constat : les dirigeants africains sont de plus en plus matures, il n’existe plus de décalage avec le reste du monde. On note par ailleurs que l’objectif le mieux partagé par les pays est celui de faire croître leur part de marché. L’attention est donc portée sur l’innovation et le développement de produits adaptés aux modes de consommation africains. Les dirigeants sont également préoccupés par la crédibilité internationale et donc sensibles au concept de bonne gouvernance. Enfin, deux points faibles : les infrastructures, qui restent un handicap, et le middle management, qui enregistre un vrai déficit de compétences. DANONE S’OFFRE 49 % DE FAN MILK Selon les termes de l’accord entre Danone et Abraaj, en partie rendus publics dans un communiqué conjoint, le groupe français participera à la reprise de Fan Milk à hauteur de 49%, Abraaj conservant 51%. Ce n’est pourtant qu’en juin dernier que le capital-investisseur Abraaj, basé à Dubai, avait signé le rachat du premier fabricant et distributeur de produits laitiers glacés et de jus en Afrique de l’Ouest, détenu jusqu’à présent par la famille Emborg et le fonds Maj Invest Equity. Avec un chiffre d’affaires d’environ 118 millions d’euros en 2012, pour 13,2 millions d’euros de bénéfices et une marge d’EBITDA de 29%, Fan Milk est une cible de choix : la société dont le siège est au Danemark dispose de près de 3000 agents et franchisés et environ 30000 revendeurs au Ghana, au Nigeria, au Togo, au Burkina Faso, au Bénin et en Côte d’Ivoire. Ses marques – telles FanVanille, FanDango ou FanChoco – sont très connues dans la région. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 17 Actualités NUMÉRIQUE AFRIQUE NIGERIA JUMIA REMPORTE LE PRIX DU MEILLEUR LANCEMENT POUR UNE ENTREPRISE DE VENTE AU DÉTAIL La start-up Jumia poursuit sa course aux records en devenant le premier détaillant africain à décrocher le prix du meilleur lancement de l’année, décerné par le World Retail Congress. La plate-forme de commerce en ligne est devenue, en à peine un an et demi, la destination numéro un de shopping en ligne du Nigeria, avec plus de 100000 visiteurs par jour et une base d’abonnés de plus de 400000 personnes. Fondée par l’incubateur allemand Rocket Internet, l’entreprise est également active au Maroc, en Côte d’Ivoire, en Egypte et au Kenya. 18 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 L’opérateur de télécoms indien Bharti Airtel et Wikimedia, la fondation à but non lucratif qui gère l’encyclopédie en ligne Wikipédia, annoncent la signature d’un accord stratégique qui permettra aux 70 millions de clients d’Airtel en Afrique d’accéder gratuitement à des contenus multilingues sur le site mobile de Wikipédia via toutes sortes de téléphones portables. Le programme pilote va démarrer au Kenya, avant d’être étendu aux 16 autres pays d’Afrique subsaharienne où opère Bharti Airtel. Les clients d’Airtel possédant des téléphones offrant la connexion Internet pourront RWANDA accéder au site sans payer de frais de données. Les clients qui ne disposent pas d’appareils compatibles «Tant que les lions n’auront pas leurs auront accès à Wikipédia propres historiens, dit le proverbe, l’histoire par message texte. de la chasse glorifiera toujours le chasseur.» Le service utilise C’est la philosophie qui a inspiré le gouvernement la technologie rwandais pour Rwandapedia, un site Internet USSD (service «développé, géré et détenu par le Rwanda», où il donne supplémentaire sa propre version de l’histoire de son développement. pour données Lancé fin octobre, ce site non collaboratif, conçu par le non strucbureau du porte-parole du gouvernement rwandais – avec turées). le soutien financier de la BAD – est le fruit d’un an et demi de travail. En anglais et en kinyarwanda, il présente 23 articles, qui mettent notamment l’accent sur les «home grown solutions» chères à Kigali : ces politiques «maison» inspirées de la tradition rwandaise. LE RWANDA RACONTÉ PAR KIGALI © PIUS UTOMI EPKEI/AFP IMAGEFORUM - AFP IMAGEFORUM - MIKE CLARKE/AFP IMAGEFORUM BHARTI AIRTEL OFFRE À SES CLIENTS EN AFRIQUE UN ACCÈS GRATUIT À WIKIPÉDIA RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT KENYA IBM OUVRE SON PREMIER LABORATOIRE DE RECHERCHE EN AFRIQUE C’est au Kenya que le géant de l’informatique IBM vient d’ouvrir un laboratoire de recherche, en collaboration avec le ministère kenyan de l’Information, de la Communication et des Technologies, à travers le Conseil kenyan des TIC. Situé à l’université catholique d’Afrique de l’Est, sur le campus de Lang’ata, à Nairobi, il se concentre sur la numérisation des services publics, le développement urbain, la planification et la formation des compétences en TIC. L’objectif est de développer et déployer des applications informatiques innovantes pour relever les défis tels que le manque d’efficacité dans la gestion des marchés publics, l’eau et l’assainissement, la gestion de l’énergie, l’inclusion financière, les embouteillages ou encore l’insécurité alimentaire, autant de problèmes qui entravent la croissance économique en Afrique. Le gouvernement kenyan investira 2 millions de dollars sur les cinq prochaines années. De son côté, IBM aura à sa charge le matériel, les logiciels et l’expertise scientifique de haut niveau. NUMÉRIQUE MONDE © RENE SPALEK/AFP IMAGEFORUM - WANG ZHAO/AFP IMAGEFORUM LES GÉANTS DU NET S’ALLIENT POUR CONNECTER LES PAYS ÉMERGENTS Une trentaine d’entreprises et d’organisations, dont les géants américains Google, Facebook et Microsoft, ont lancé l’Alliance for Affordable Internet, sous l’égide de la World Wide Web Foundation. L’objectif est de faire passer le coût de connexion à Internet dans le monde sous la barre des 5% du revenu mensuel moyen de chaque pays, un objectif déjà affiché par l’ONU. Car si 39% de la population mondiale a accès à Internet, ce sont en grande majorité (77%) les habitants des pays développés qui bénéficient d’une connexion à un coût raisonnable. Une fracture numérique que l’organisation entend diminuer avec l’appui de plusieurs Etats et d’organisations de la société civile dans les pays émergents, en particulier ceux situés sur le continent africain. MAROC VIADEO OUVRE SON HUB AFRIQUE AU MAROC Le groupe Viadeo, 2e réseau social professionnel à l’échelle mondiale avec 55 millions de membres dans 186 pays, renforce son positionnement sur le continent en faisant du Maroc son hub régional. Avec 3 millions d’utilisateurs en Afrique pour 2013, dont le tiers au Maroc, Viadeo a élaboré une nouvelle vision qui tient compte de la logistique, du développement économique et de la présence des principaux acteurs locaux francophones. «Dans chaque pays, l’utilisateur doit nous identifier comme un réseau social professionnel local», explique Dan Serfaty, directeur général et cofondateur de Viadeo. Dans le cas du Maroc, le groupe français a mis en place une plate-forme en langue arabe. Rappelons que l’entreprise possède également un bureau à Dakar. Dan Serfaty, 47 ans, a lancé le réseau social professionnel Viadeo en 2004. Actualités AGENDA LES RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER Décembre Fidak Foire internationale de Dakar 28 NOVEMBRE AU 11 DÉCEMBRE DAKAR, SÉNÉGAL C’est l’occasion de découvrir les différents potentiels économique, culturel et touristique des pays présents. La Fidak permet également aux entreprises d’élargir ou de renforcer leurs relations d’affaires avec les autres participants et offre une porte d’entrée à un sous-marché régional de plus de 200 millions de consommateurs. Informations : Tél. : +221 33 827 25 30, dec@cicesfidak.com, www.cicesfidak.com Février Basango Jazz Festival 5 AU 7 DÉCEMBRE POINTE-NOIRE, RÉPUBLIQUE DU CONGO La musique et la danse sont à n’en pas douter les meilleurs vecteurs qui soient pour sensibiliser et fédérer l’opinion publique, et notamment la jeunesse. C’est dans cette optique qu’a été imaginé le Basango Jazz Festival, avec la volonté d’en faire un événement culturel, artistique et médiatique voué à promouvoir la culture et les traditions congolaises. Pour ce faire, une pléiade d’artistes sera réunie. Informations : Tél. :+242 05 772 51 90, willymassamba@gmail.com, www.basango.info Build Africa Forum 5 AU 7 FÉVRIER BRAZZAVILLE, RÉPUBLIQUE DU CONGO Pour la première fois en Afrique subsaharienne, le Build Africa Forum, forum d’affaires et d’investissement sur les infrastructures en Afrique, fournira un cadre d’échange pragmatique entre les acteurs mondiaux qui forgent le développement de l’Afrique. Lors de cet événement, plus de 500 dirigeants et experts du monde entier se réuniront pour formuler des solutions à une question : comment encourager le développement social et économique à travers de nouvelles infrastructures sur le continent? Informations : www.buildafricaforum.com Sita MAURITANIE AZALAÏ HOTELS S’IMPLANTE À NOUAKCHOTT Nouvelle ouverture pour le groupe Azalaï Hotels, qui annonce avoir signé un accord avec la Société nationale industrielle et minière (SNIM) pour la reprise de l’hôtel Marhaba à Nouakchott. Créée en 1974 à la suite de la nationalisation des mines de fer mauritaniennes, la SNIM gère plusieurs établissements hôteliers dans le pays, dont plusieurs ont cessé leurs activités. Elle a donc décidé de les confier en location-gérance et a lancé pour cela un premier appel d’offres au début de cette année sur le Marhaba, remporté donc par Azalaï, qui, après le Mali, le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Bénin et très prochainement la Côte d’Ivoire, continue de tisser sa toile en Afrique de l’Ouest. Le groupe, spécialisé dans le tourisme d’affaires, va dans un premier temps rénover les 64 chambres existantes de l’établissement, dont la réouverture est prévue pour fin 2014. Une deuxième tranche portera ensuite sur son extension, afin de porter ses capacités à 124 chambres à mi-2015. L’ensemble de l’investissement représente 9 millions d’euros. Un maillon de plus pour Azalaï, qui a également des projets au Sénégal, en Guinée, au Niger et au Nigeria, devant voir le jour «d’ici à 2020». 20 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 De renommée internationale, le Salon international du tourisme et de l’artisanat (Sita) constitue une importante plate-forme de rencontres qui permet aux participants de promouvoir leurs destinations et de comprendre les évolutions du marché. L’événement présente une vision des voyages à 360°, couvrant tous les motifs de déplacement : loisirs, affaires et événementiel. Informations : Tél. : +225 20 34 79 05, info@sita-ci.net www.sita-ci.net Africallia Forum ouest-africain de développement des entreprises 26 AU 28 FÉVRIER OUAGADOUGOU, BURKINA FASO Cet événement multisectoriel ouvre les portes du monde aux chefs d’entreprise de la sous-région à la recherche d’investisseurs et de partenariats stratégiques, commerciaux, technologiques ou financiers. Informations : www.africallia.com © DR HÔTELLERIE 6 AU 9 FÉVRIER ABIDJAN, CÔTE D’IVOIRE REVIVAL OF HERBAL TEAS Ever since Conserverie Sarjua launched the Betel and Tulsi tea in 2006, we have noted an increase in demand over the years. At SIAL fair 2006 in France the betel tea was prized by the juries as the best beverage because of its medicinal values. We were unique because all ingredients were natural and real. Based on the same principles of processing we have already launched the following:(1) Noni tea - Anti Cancer | (2) Cinnamon - Anti-Obesity | (3) Massala chai - Anti fatigue mentale | (4) Rodrigues lemon tea - Good for Healthy skin | (5) Tulsi tea - Purity & Health | (6) Bettel tea - Digesif & Détente | (7) Aloe Vera & Cinnamon Anti-ageing | (8) Bael tea - Good for brain & heart | (9) Ginger tea - Anti-Inflammatory In fact every herbal tea contains many nutritional values. We have observed that the Chinese community drinks herbal teas and in Japan 30,000 women have exceeded 100 years of age. The Japanese ladies prepare their own recipes at home. Worldwide people are under stress and they spend sleepless nights or suffer from diabetes and high blood pressure and disorders like obesity and cardio vascular diseases. Regarding terms of payment, we would suggest an advance pay. Beneficiary:- Conserverie Sarjua Internationale Ltd. Bank: MCB. A/C NO MRU:130021598. A/C NO IN EUR:130035947 - A/C NO IN POUND STERLLING:011881801. Daness SARJUA : Tel - +230 5775 1054 PRICE: 80 to 100 Euros. Depending on the location. Super Printing Co. Ltd. We are confident to heal Mauritius and the world. We have to return back to the habits of our ancestors and consume natural medicinal herbs that are simply grown in Mauritius and have no side-effects. Swami Ramdeo is preaching “Le Bien Fait” of all types of medicinal herbs and spices and particularly consumption of Aloe Vera. FORBES AFRIQUE LA CHRONIQUE DE GASTON KELMAN L ’année s’achève et je me réjouis de ce qu’elle ait été un bon cru pour l’Afrique. Je ne parle pas de cette nouvelle race d’afro-optimistes psalmodiques qui entonnent bien malgré eux la nouvelle antienne du développement de l’Afrique. Formatés par une vision dépassée, ils sont incapables de maîtriser de nouveaux codes et continuent à penser que c’est grâce aux termes de l’échange qu’ils auront fixés, à l’aide qu’ils n’ont plus les moyens de se prétendre aptes à apporter ou enfin au financement des organismes de Bretton Woods dont ils élaborent les méthodes de prédation, que l’Afrique se développe. Ma connaissance de l’économie égale difficilement celle de ma grand-mère, qui s’arrêtait aux cases «recettes» et «dépenses». Elle faisait bien mieux que moi, puisque je suis perclus de découverts bancaires, alors que son solde à elle n’était jamais négatif. Avec un tel bagage, je n’oserais pas défier ces sommités qui longtemps ont pensé le développement de l’Afrique sous les critères définis plus haut. Mais cette année a également été un bon cru pour moi, parce que, grâce à mon aventure au sein de Forbes Afrique, j’ai rencontré d’autres sommités que je suis plus porté à croire, qui ont parlé des classes moyennes et de leur rôle dans le développement économique des pays. L’indicateur le plus probant du développement de l’Afrique, m’a-t-on dit, c’est la place prépondérante qu’occupent de plus en plus ces classes moyennes, animatrices de consommation et de débat d’idées. Je me félicite de l’innovation dans la presse africaine qu’est Forbes Afrique, publication 22 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 entièrement vouée aux créateurs des richesses. Car jadis, même quand elle se prétendait économique, la presse se mettait au service des sponsors politiques dont elle se faisait le thuriféraire, les trémolos dans la voix ayant autant de o que les zéros du chèque. Aujourd’hui, on voit émerger de toute l’Afrique des ambitions créatrices. Celle qui m’a le plus interpellé en cette fin d’année est sans conteste la construction du parc technologique du Ghana, près d’Accra, la bien nommée cité de l’Espoir (Hope City), une Silicon Valley africaine dont certaines tours culmineront à plus de 250 mètres. Ici, il ne s’agit plus de ces usines à gaz qu’on larguait dans la nature à qui mieux mieux. Il ne s’agit pas de ces villes nouvelles qui créaient des clairières inachevées dans l’immensité verte. Il s’agit d’une réalisation dont la programmation est claire, nette et précise. «Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de l’horizon soumis à la règle, à l’équerre et au compas. Les forêts fauchées, les collines anéanties, vallons et fleuves dans les fers […]. Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière de silence au travail.» Dans mes nouvelles envolées qui chantent l’Afrique en mouvement, les classiques de mon enfance me reviennent avec une autre saveur, bien plus douce. Senghor avait intitulé «Mon calvaire» cet extrait de son poème Chaka. Ce songe, hier vision apocalyptique, est aujourd’hui une vision d’espoir, comme ce projet qui surgit des forêts fauchées des environs d’Accra, celle d’une Afrique en construction, celle que les Africains construisent eux-mêmes pour eux-mêmes. © JEAN-PIERRE KEPSEU UNE ANNÉE AFRICAINE À L’IMAGE DE HOPE CITY Notre patrimoine est véritablement unique. Depuis 1846, nous créons des tissus exclusifs qui ont marqué de leur empreinte la mode d’Afrique centrale et de l’Ouest. Reflet du grand savoirfaire hollandais, ces textiles étaient initialement connus sous le nom de Hollandais. À ce jour, nous sommes toujours la seule marque à produire d’authentiques wax hollandais. Découvrez cette saison Celebrate et l’art du dessin de Vlisco. Marque internationale au patrimoine inestimable, Vlisco a encore de nombreuses histoires fascinantes à raconter. Rendez-vous sur vlisco.com pour d’autres histoires secrètes. Sonna France est le distributeur officiel de Vlisco en France www.sonna.fr – france@sonna.com – tel: 01.43.11.21.61 FORBES AFRIQUE TECHNOLOGIE SÉCURITÉ Protection des données Traque-moi si tu peux ! Le récent scandale d’espionnage de la NSA a alimenté l’obsession des consommateurs et des investisseurs pour les services en ligne tels que Disconnect, un logiciel antitraçage qui permet aux internautes de surfer anonymement sur le Web. PAR KASHMIR HILL 24 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Commission (FTC), l’agence américaine en charge de la protection des consommateurs, pousse les concepteurs de navigateurs Web, les groupes de défense de consommateurs et les annonceurs à concevoir une option «Ne pas tracer», pour permettre aux internautes de refuser explicitement le traçage. Les négociations ont failli tourner court, les annonceurs et les défenseurs du droit à la vie privée ne parvenant pas à s’entendre sur l’étendue de la protection requise. Les fondateurs de Disconnect : Brian Kennish (à droite), ingénieur logiciel, et Casey Oppenheim, avocat spécialisé dans le droit des consommateurs. UNE NOUVELLE VAGUE Une multitude d’entreprises apparues ces dernières années dans le secteur de la protection de la vie privée et de ses applications concentrent aujourd’hui les financements et l’attention. L’application Snapchat, qui permet d’envoyer des photos s’autodétruisant au bout de quelques secondes, a ainsi été valorisée à 800 millions de dollars après la finalisation en juin 2013 d’une levée de fonds de 60 millions de dollars. Quant à Silent Circle, qui propose de chiffrer les appels et les SMS, il est préinstallé sur les smartphones Vertu à 10000 dollars, comme pour rappeler que la vie privée est un produit de luxe. Disconnect, qui appartient à cette nouvelle vague, se trouve en plein cœur du camp adverse. Son siège, à Palo Alto, en Californie, « Toutes les traces que vous laissez sur Internet n’ont pas à être conservées indéfiniment. » © CHRISTIAN PEACOCK POUR FORBES P ar une chaude après-midi, quatre ingénieurs logiciel, un avocat et Lunch, un pinscher nain, se pressent autour de l’ordinateur de Dan Kwon, concepteur dans une start-up de San Francisco. Ils visionnent la dernière vidéo pédagogique de leur société, Unwanted Tracking Is Not Cool, «Le traçage intrusif, ce n’est pas sympa». L’objet promu : Disconnect, un logiciel antitraçage conçu pour contrer les aspects les plus orwelliens du Web. Ce module d’extension pour navigateur Internet affiche le nombre de requêtes envoyées par le site visité pour obtenir vos données, les bloque et augmente ainsi la vitesse de navigation. Edward Snowden, le lanceur d’alerte de la NSA, avait donc raison : Internet est «une télévision qui nous épie». Disconnect, qui a d’abord eu du mal à trouver des investisseurs, tire à présent profit de la paranoïa alimentée par les révélations de l’informaticien. La NSA se serait associée à des poids lourds de la Silicon Valley, dont Facebook, Google et Apple, afin de recueillir des communications électroniques. Une véritable course à armes inégales est aujourd’hui à l’œuvre pour le contrôle des données personnelles. Facebook et ses 62 milliards de dollars de capitalisation boursière témoignent de la valeur d’une base de données stockant les détails de la vie d’un milliard d’individus. Mais le scandale de la NSA a fait souffler un vent de panique sur les internautes. La Federal Trade n’utiliserait l’outil», se souvient Brian Kennish. Ils parviennent pourtant à récolter 600000 dollars auprès de deux sociétés de capital-risque et de six business angels, et passent un an à améliorer leur produit et à créer des versions compatibles avec les principaux navigateurs du marché. La dernière de ces versions empêche plus de 2000 tiers de s’approprier des données. En juin dernier, Edward Snowden fait les gros titres partout dans le monde et la société lève rapidement 3,5 millions de dollars supplémentaires. «Toutes les traces que vous laissez sur Internet n’ont pas à être conservées indéfiniment, affirme Rick Heitzmann, directeur général de FirstMark Capital, investisseur de Disconnect. Les gens ne gèrent pas la protection de leur vie privée de manière proactive. Mais le vent va bientôt tourner.» est installé juste au-dessus de Disney Games, auquel la FTC a infligé en 2011 une amende de 3 millions de dollars pour la collecte illégale de données auprès de ses très jeunes joueurs. Dans toute la Silicon Valley, beaucoup d’entreprises moins connues offrent des produits en échange de publicité sur les écrans ou de collecte et de monétisation des informations personnelles. Avec Disconnect, la tâche sera plus difficile. La société a lancé une application mobile destinée aux enfants, qui empêche traceurs et tiers de recueillir des informations à partir des téléphones portables. Elle a été conçue par Patrick Jackson, qui, comble de l’ironie, est un ancien de la NSA. Brian Kennish, 37 ans et cofondateur de Disconnect, faisait autrefois partie des traceurs. Il y a cinq ans, la régie publicitaire DoubleClick avait chargé l’ingénieur de déterminer comment cibler les publicités sur les portables. A l’époque, les téléphones basiques permettaient déjà de recueillir des informations étonnamment révélatrices. En 2003, il est engagé par Google, pour qui il développe des produits publicitaires, puis des extensions pour le navigateur Chrome. En 2010, Facebook admet avoir accidentellement divulgué des données et permis à des annonceurs d’obtenir l’identité des individus ayant cliqué sur leurs publicités. Brian Kennish s’interroge alors sur la capacité du réseau social à suivre ses traces sur le Web au moyen du module de connexion Facebook Connect, qui apparaît après un clic sur les boutons «J’aime» et «Partager». En trente minutes, il écrit 20 lignes de code pour filtrer et bloquer les flux vers Facebook, baptise le module «Facebook Disconnect» et le propose en téléchargement gratuit. En deux semaines, 50000 utilisateurs l’ajoutent à leur navigateur. Au cours des six mois suivants, Brian et le cofondateur de Disconnect, Casey Oppenheim, un avocat de 39 ans, présentent leur module à 50 investisseurs potentiels. «Nous avons essuyé de nombreux refus. Personne ne se préoccupait de la protection de la vie privée. Ils pensaient que tout le monde s’en fichait et que personne ÉTABLIR UN DIALOGUE Mike Zaneis, directeur des affaires juridiques de l’Interactive Advertising Bureau, qui représente les acteurs de la publicité sur Internet, se dit concerné par l’impact de ces outils sur le marché de la publicité en ligne, qui en 2012 atteignait 36,6 milliards de dollars de recettes. «C’est un échange économique : vous vous rendez sur un site, vous y voyez des pubs. Si vous les bloquez, vous affamez les créateurs de contenus, explique-t-il. La généralisation de ces outils causerait la faillite de dizaines de milliers de petits éditeurs.» Pour Mike Zaneis, le développement de sociétés de protection de la vie privée obligerait les agences de marketing à trouver de nouvelles solutions pour tracer les individus et leurs plates-formes de navigation. Les cookies font déjà place au «fingerprinting», qui permet d’identifier un utilisateur à l’aide d’une signature unique déterminée par la taille du moniteur de son ordinateur et les paramètres comme l’horloge, les modules d’extension et les polices installées. «Notre but n’est pas de bloquer les publicités. Malheureusement, le seul moyen aujourd’hui d’empêcher de manière fiable le traçage, c’est de bloquer toutes les requêtes, qui sont souvent intégrées aux publicités, justifie Brian Kennish. Nous voulons créer un dialogue entre les sites et leurs utilisateurs, voire les annonceurs, pour que les internautes aient leur mot à dire au sujet des données qu’ils abandonnent sur le Web.» DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 25 FORBES AFRIQUE TECHNOLOGIE SÉCURITÉ Shodan : un Google pour pirates informatiques PAR KASHMIR HILL U n soir, Marc Gilbert, un habitant de Houston, entend une voix inconnue provenant de la chambre de sa fille de 2 ans : «Réveille-toi, petite saleté.» Il se précipite dans la pièce, réalise que le son provient du babyphone et que la personne contrôle aussi la caméra. Le visiophone, fabriqué par Foscam, permet aux utilisateurs d’accéder via Internet à la surveillance audio et vidéo, où qu’ils se trouvent. Peu avant cet incident, des spécialistes avaient repéré des failles permettant aux pirates de prendre le contrôle de l’appareil ou de se connecter au flux de données avec l’identifiant par défaut «admin». Foscam avait discrètement publié un correctif, mais sans en informer ses clients. Marc Gilbert, en vérifiant son compte Foscam, découvre que le pirate a ajouté son propre identifiant pour se connecter à son gré. Il envisage un recours collectif contre l’entreprise, car il a identifié d’autres plaignants grâce à un moteur de recherche : Shodan. Le pervers l’avait probablement repéré de la même manière. Shodan fouille Internet à la recherche d’appareils, dont la plupart peuvent être activés via le réseau. Le moteur a recensé voitures, dopplers fœtaux, systèmes de régulation 26 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 du chauffage de bureaux, stations d’épuration, systèmes de commande de centrales électriques ou feux de signalisation. On trouve ainsi plus de 40000 autres utilisateurs de la caméra IP de Foscam. Des proies faciles. RÉPERTORIER LES APPAREILS «Google explore Internet pour indexer les sites. Moi, j’indexe les appareils», explique John Matherly, 29 ans, qui a créé Shodan en 2009. Pour lui, le moteur de recherche devait servir à des géants des réseaux comme Cisco, Juniper ou Microsoft, pour s’informer sur les produits de leurs concurrents. Pourtant, Shodan est devenu indispensable aux spécialistes en sécurité informatique, aux universitaires, à la police et aux pirates. Selon un rapport sectoriel publié par Ericsson, d’ici à 2020, environ 50 milliards d’appareils se retrouveront en réseau dans «l’Internet des objets connectés». John Matherly est le seul à répertorier ces appareils grâce à un moteur de Shodan est devenu indispensable aux spécialistes en sécurité informatique, à la police et aux pirates. recherche public. «Je ne pense pas que Shodan soit effrayant, dit-il. Ce qui est effrayant, ce sont ces centrales électriques connectées à Internet.» Shodan a repéré des webcams dont la sécurité était si faible qu’il a suffi de saisir leur adresse IP dans le moteur de recherche pour s’y connecter. Dan Tentler, un spécialiste en sécurité ayant collaboré avec Twitter, a conçu Eagleeyes, qui détecte via Shodan des webcams auxquelles il accède pour effectuer des captures d’écran. Il en a recensé près d’un million. Billy Rios, spécialiste de la sécurité, a détecté une vulnérabilité dans un logiciel, et, à l’aide de Shodan et d’un autre programme, est entré dans les systèmes de sécurité, d’éclairage et de chauffage en ligne de banques, d’immeubles, de centres de congrès et même du siège de Google en Australie. D’après lui, «2000 installations sont actuellement sur Internet, et il suffirait d’obtenir leur adresse IP pour les contrôler.» Début 2013, le département de la Sécurité intérieure des Etats-Unis a ainsi révélé qu’en 2012 des pirates étaient entrés virtuellement par effraction dans les systèmes de gestion de l’énergie d’une installation d’Etat pour en augmenter le chauffage. Via Shodan. UNE OFFRE FREEMIUM John Matherly grandit en Suisse, abandonne le lycée à 17 ans et s’installe aux Etats-Unis chez sa tante. Il travaille dans une librairie, fréquente un community college, puis décroche un diplôme en bio-informatique à l’université de Californie. Il obtient un © ETHAN PINES POUR FORBES Le moteur de recherche Shodan est un outil utilisé par les gentils comme par les méchants pour repérer tous les appareils connectés à Internet : feux de signalisation, centrales électriques et même babyphones. John Matherly, le créateur de Shodan. il lui suffit d’un simple clic pour se retrouver chez vous. Auernheimer pour avoir violé l’accès d’un site Internet de la société de télécommunications AT&T. Celle-ci y avait publié par mégarde les adresses électroniques de ses clients détenteurs d’iPad. emploi au San Diego Supercomputer Center, avant de devenir programmeur informatique pour une start-up et designer Web pour l’Union-Tribune, le quotidien de San Diego. Il s’attelle alors à la conception de Shodan. Il choisit le freemium en offrant des services de base gratuits et des options payantes, ce qui permet de payer les factures et d’ajouter des robots qui indexeront une plus grande partie d’Internet. Une recherche gratuite sur de l’interface épurée de Google. Pour obtenir des résultats, il faut au préalable connaître quelques éléments de la signature d’un appareil. Et ces résultats contiennent du langage Internet, le protocole IP, peu familier de l’utilisateur lambda. Mais il s’agit peut-être du moyen le plus efficace pour démontrer l’impact des failles de sécurité d’un produit. La page de résultats affiche une liste de correspondances, qui précise le DES ENTREPRISES PAIENT CHAQUE ANNÉE DES DIZAINES DE MILLIERS DE DOLLARS 3285$&&'(5$8b0,//,$5''Þ$33$Ŝ REILS DE LA BASE DE DONNÉES DE SHODAN. Shodan donne droit à dix résultats. Près de 10000 utilisateurs choisissent de payer au maximum 20 dollars pour accéder aux 10000 premiers résultats d’une recherche. Une dizaine d’utilisateurs institutionnels, des entreprises de cybersécurité, paient chaque année des dizaines de milliers de dollars pour accéder au 1,5 milliard d’appareils de la base de données. Shodan est clairement l’œuvre d’une seule personne; on est loin nombre de dispositifs présents sur Internet et leur localisation. Les agents fédéraux américains pourraient mettre des bâtons dans les roues de John Matherly s’ils décidaient de le poursuivre en vertu de la loi sur la répression des fraudes et des infractions dans le domaine informatique, qui prohibe l’accès illicite aux systèmes informatiques. En mars 2013, un procureur pugnace a ainsi fait condamner Andrew ERREURS ET NÉGLIGENCES Au lieu de poursuivre John Matherly en justice, il faudrait le récompenser pour avoir mis en lumière les erreurs incroyables commises par les fabricants de gadgets, et la négligence des consommateurs quant à la sécurité des produits qu’ils achètent. Tous les objets connectés à Internet devraient être protégés par un mot de passe. Et ces appareils ne devraient certainement pas être livrés avec un nom d’utilisateur et un mot de passe par défaut. En 2012, un utilisateur anonyme a pris le contrôle de plus de 400000 appareils connectés en utilisant uniquement quatre mots de passe par défaut. Il les a rassemblés dans une base de données similaire à celle de Shodan. «Tout le monde ne parle que de prouesses extraordinaires ou de cyberguerre, écrit ce mystérieux protagoniste, qui a opté pour l’anonymat afin d’éviter tous démêlés avec la justice. Mais il suffit de quatre mots de passe tout bêtes du protocole Telnet pour accéder à des appareils appartenant à des centaines de milliers de particuliers, ainsi qu’à des dizaines de milliers de dispositifs industriels, où qu’ils se trouvent.» John Matherly espère que Shodan encouragera la transparence et exposera les entreprises commercialisant des systèmes vulnérables. Mais il n’est pas optimiste. «Tout ce qui nous entoure sera bientôt connecté à Internet, qu’on le veuille ou non.» DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 27 FORBES AFRIQUE ENTREPRENEURIAT ACTEURS Jean-Luc Rajaona Le pionnier de l’offshore C’est en 1999 que Jean-Luc Rajaona crée Ingenosya, une société malgache spécialisée dans l’externalisation de services informatiques. Quatorze ans plus tard, il a diversifié ses activités et défie la crise économique. PAR HERY ANDRIAMIANDRA UNE CONNAISSANCE DE L’ENTREPRISE Marié à une cadre supérieure d’une multinationale rencontrée en France durant ses études supérieures et père de deux enfants, Jean-Luc Rajaona considère que l’équilibre familial est essentiel. ll est luimême né dans une famille d’intellectuels : un père agrégé de lettres, décédé en juillet dernier, et un oncle agrégé de médecine. Les années 1980 marquent à jamais son parcours. Pour financer ses études, ses parents créent une entreprise dans 28 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 A 47 ans, JeanLuc Rajaona est un businessman accompli. Après avoir rencontré le succès avec Ingenosya, il s’est lancé dans la menuiserie PVC, un domaine jusquelà largement inexploité à Madagascar. l’agroalimentaire, au sein de la propriété familiale d’Ambodiafontsy, son lieu de résidence actuel. La société pourvoit en yaourts et fromage les deux grandes surfaces et plusieurs épiceries de la capitale, au moment où le pays manque de devises. Toute la famille s’y met. Après l’école, l’élève des jésuites du collège Saint-Michel s’applique, avec ses frères et sœurs, à fabriquer et emballer les produits laitiers, tout en apprenant le fonctionnement du circuit de distribution. Ce parcours initiatique dès le plus jeune âge dans le monde de l’entreprise forgera son caractère de battant. '66213/86-(81(*(-($1Ŝ/8& 5$-$21$$335(1'/()21&7,211(Ŝ 0(17'Þ81&,5&8,7'(',675,%87,21 © HERY ANDRIAMIANDRA Q uadra à l’allure juvénile, Jean-Luc Rajaona, fondateur et directeur général d’Ingenosya, nous reçoit au 4e étage de sa plate-forme d’Anosizato, où travaillent une cinquantaine d’ingénieurs. L’endroit fait partie d’un complexe d’environ 35000 m2 appartenant à la communauté Bohra, à la périphérie d’Antananarivo, la capitale malgache. Ici, des techniciens développent des logiciels pour une clientèle située à 80% en France, en Belgique, en Irlande, en Suisse et au Canada. Les 20% restants se composent d’entreprises et institutions de la place : les banques BMOI (filiale de BPCE) et BNI (filiale du Crédit agricole), ainsi que Fiaro (Financière d’investissement Aro), première société de capital-risque à Madagascar. Au terme de ses études secondaires, en 1983, il obtient un bac C. Après son service national, il s’envole pour la France, où il décroche un diplôme d’ingénieur informatique en 1989. Il intègre alors Capgemini Consulting, mais reprend ses études de 1991 à 1992 en préparant un MBA en parallèle à l’Ecole de management de Lyon et à la Cranfield School of Management, en Angleterre. Il revient ensuite chez Capgemini, puis entre à la Caisse des dépôts et consignations comme ingénieur financier, où il reste de 1994 à 1999. COMPÉTITIVITÉ ET FORMATION Après dix ans passés dans l’Hexagone, Jean-Luc Rajaona se rend compte du gouffre informatique séparant son pays d’origine de l’Europe. Sa décision est prise, le retour au pays est inéluctable. Après des études de faisabilité sur l’implantation d’une société informatique à Madagascar, il franchit le pas en 1999. Avec un associé, Dominique Morvan, il crée la SSII Ingenosya, une structure «bicéphale». D’un côté, une plate-forme de réalisation sur la Grande Ile, qu’il gère luimême en tant qu’actionnaire majoritaire; de l’autre, une structure commerciale en France, dirigée par son partenaire. L’étude de marché révèle un coût de la prestation trois fois moins élevé à Madagascar qu’en France, avec des ingénieurs de qualité formés localement. Ingenosya, dont le siège est situé dans les Yvelines, en France, et le bureau d’études et de réalisation à Madagascar, conçoit pour ses clients, principalement offshore, des logiciels, mais aussi des applications pour smartphones. Ingenosya emploie une trentaine d’ingénieurs en 2001. Dix ans, plus tard, ce sont cinquante professionnels qui forment l’ossature de l’entreprise. Ils sortent pour la plupart de l’Ecole nationale d’informatique de Fianarantsoa. Ingenosya démarre avec un capital d’environ 150000 euros (745000 francs français de l’époque), en bénéficiant d’un crédit de Fiaro (actionnaire minoritaire à 34%). Compte tenu de leur rareté sur le marché, Ingenosya forme ses ingénieurs durant six mois. Ils sont une trentaine en 2001. Dix ans, plus tard, ce sont cinquante professionnels qui forment l’ossature de l’entreprise. JeanLuc Rajaona rappelle que l’île Maurice recrute des ingénieurs malgaches depuis 2009. Et que les call centers commencent à s’implanter à Madagascar. Le système lancastérien permet de pallier la rareté de la main-d’œuvre technique. «Les ingénieurs expérimentés forment leurs homologues fraîchement arrivés sur le marché du travail», précise Jean-Luc Rajaona. Il souligne également que le Groupement des opérateurs en technologie de l’information et de la communication (Goticom), dont il est le viceprésident, assure une formation de niveau master en technologie de l’information, en collaboration avec l’université d’Antananarivo. «Madagascar est en train de rattraper son retard par rapport à l’île Maurice, qui bénéficie depuis une quinzaine d’années d’une politique de croissance axée sur trois piliers : le tourisme, l’industrie sucrière et les nouvelles technologies de l’information et de la communication.» En septembre 2008, le chef d’entreprise a diversifié ses activités en créant, quelques mois avant le début de la crise politique, Millenium Industrie Madagascar (MIM), spécialisée dans la menuiserie PVC, avec l’appui de Business Partner International (filiale de la Société financière internationale) et d’un apport personnel. Ce grand voyageur profite toujours de ses sauts hors de la Grande Ile pour trouver de nouvelles idées. «En visitant la foire internationale de Guangzhou, en Chine, j’ai réalisé l’absence flagrante de la menuiserie PVC à Madagascar, avec une domination sur ce créneau de l’aluminium et du bois.» Le travail et l’intuition guident cet entrepreneur d’un optimisme certain. Avec dix employés à ses débuts, MIM, qui a désormais des filiales dans cinq provinces, emploie actuellement 100 personnes. Une performance en plein marasme économique. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 29 FORBES AFRIQUE TÉLÉCOMS ACTEURS Ce manager s’est taillé une place unique dans l’univers des télécommunications en Afrique francophone. Son itinéraire est tout sauf un long fleuve tranquille. PAR MICHAEL TOBIAS A nticonformiste, proche de ses collaborateurs, allergique au protocole, l’homme est un fonceur, qui dérange souvent, mais est toujours disponible pour les challenges périlleux. Le dernier en date a eu lieu sur les rives du fleuve Congo, côté Brazzaville, et résume parfaitement le parcours à la hussarde de Michel Elame. Lorsqu’en février 2010 il débarque à la tête de l’opérateur de téléphonie mobile Warid Congo, qui appartient au groupe d’Abu Dhabi Essar, celuici est bien mal en point. Il s’agit d’un petit opérateur, le troisième au Congo-Brazzaville, derrière MTN et Airtel, mais devant Azur. Il compte moins de 260000 abonnés et est endetté. Le moral du personnel est au plus bas. Michel Elame arrive sur un terrain connu, car il a déjà dirigé, ici même à Brazzaville, Airtel Congo, une entreprise qu’il a quittée au terme d’une rupture contentieuse. Le voilà donc de retour, sous les habits de concurrent… Peut-être est-ce ce qui va faire la fortune de Warid, car le nouveau CEO connaît les points forts d’Airtel, mais surtout ses points faibles. Le petit arrivant va, sous la férule de Michel Elame, remonter la pente. En trois ans, Warid multiplie par quatre le nombre de ses abonnés et dépasse aujourd’hui le chiffre 30 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 symbolique d’un million. «Nous avons réussi à créer des conditions favorables pour permettre à notre équipe de se sentir à l’aise et de donner le meilleur d’elle-même, explique Michel Elame. Nous avons fait le pari de la compétence. Je suis souvent allé chercher des cadres congolais de la diaspora, et j’ai également ouvert les portes à des Africains d’autres nationalités. Et j’ai toujours tout fait pour rester proche de mon personnel. Il m’arrive de descendre sur le terrain, de partager des moments de détente, par exemple lors de nos activités sociales, de jouer au basket, de mettre la main à la pâte aux côtés des employés. Nous partageons une ambiance conviviale, tout en restant concentrés sur le souci de performance et de qualité du service.» Warid va rapidement combler son endettement et devenir profitable. Alors qu’elle était au bord du gouffre en 2010, l’entreprise du cheikh d’Abu Dhabi réalise en 2013 un chiffre Grâce à Michel Elame, en trois ans, l’opérateur de téléphonie Warid multiplie par quatre le nombre de ses abonnés et dépasse le chiffre symbolique d’un million. d’affaires de près de 40 milliards de francs CFA et dégage une marge bénéficiaire (EBITDA) de plus de 20%. Pourtant, Essar, la maison mère, décide de se séparer de la société. Ironie du sort, c’est Airtel qui emporte le morceau dans une cession pour laquelle le groupe français Orange avait également manifesté son intérêt. UNE CARRIÈRE ATYPIQUE Une fois de plus, le parcours de Michel Elame, fait d’accélérations et de ruptures, doit emprunter une nouvelle bifurcation. Pourtant, rien ne garantit qu’il va quitter l’aventure. Le groupe Airtel se verrait bien continuer avec lui dans la nouvelle entité qui va naître de la fusion. On lui demande d’apporter l’esprit Warid qui a permis au petit opérateur de devenir une successstory et une entreprise profitable. Cela fait un peu plus de dix ans que Michel Elame est entré dans l’univers de la téléphonie mobile. Titulaire d’un diplôme en International Business et Marketing de la Leeds Metropolitan University, il a suivi le Advanced Management Program de la London Business School, avant de passer huit ans dans le secteur pétrolier. D’abord à Mobil Oil, puis à Texaco. Il entre dans les télécoms au sein du groupe MTN, au Cameroun, son pays natal, avant de découvrir la République démocratique Congo avec Celtel. Celtel RDC en 2003, ce sont 700 employés, un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars et une marge bénéficiaire de 91 millions de dollars. Avant de devenir CEO de l’opérateur en 2005, il sera sales director, puis managing director. Il contribue à faire de lui le numéro un du pays. Entre 2003 et 2004, il organise notamment l’opération de rebranding de l’entreprise qui permet © ALEXANDRE BOUGHA Michel Elame Le hussard de la téléphonie Michel Elame a permis à l’opérateur Warid Congo de redresser à la fois ses comptes et son image, jusqu’à en faire une entreprise à la marge bénéficiaire plus qu’honorable. de conquérir le leadership du marché et fait passer le nombre d’abonnés de 360000 à plus de 750000 et les revenus de 82 millions à 146 millions de dollars. La réorganisation totale du système de distribution sous sa houlette fait augmenter de 50% le nombre de points de vente. SPÉCIALISTE DU SECTEUR On le retrouve ensuite au CongoBrazzaville, en tant que CEO de Zain Congo, de mai 2007 à décembre 2008. Il dirige 400 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 211 millions de dollars, avec une marge bénéficiaire de 43% en 2007 contre 39% en 2006. Zain est entretemps devenu Airtel, après son rachat par le groupe indien. Entre ces deux expériences, il sera directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest de Roamware, leader mondial des solutions de roaming présent dans plus de 140 pays à travers le monde. Michel Elame couvre alors le Nigeria, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Cameroun. «J’ai été impressionné par la connaissance qu’il a du business des télécommunications, sa réactivité et sa capacité à faire se réaliser les choses», affirme à son sujet Rajneesh Kapoor, qui était alors general manager de Roamware. Alors qu’il s’apprête à tourner la page de la séquence Warid de sa carrière, Michel Elame ne cache pas une certaine émotion en évoquant un poème encadré comme un diplôme que ses collaborateurs lui ont remis pour célébrer ces années au cours desquelles ils ont écrit ensemble, dans cette «oasis» (la traduction du mot arabe «warid»), «une histoire qui [les] aura marqués pour le reste de [leur] existence». DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 31 FORBES AFRIQUE RECRUTEMENT ACTEURS Rogers Teunkam Le recruteur de talents et de compétences A la tête du cabinet 2R Consulting, Rogers Teunkam a mis au point une méthode de recrutement qui donne sa chance à chacun, évitant soigneusement toute discrimination, afin que l’égalité des chances devienne une réalité. Une méthodologie difficile à vendre, mais une fois qu’on y a goûté, on en redemande. PAR JACQUES MATAND’ 32 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Rogers Teunkam et l’équipe de recruteurs qui l’entoure chez 2R Consulting sont tous des passionnés. pensé à mettre sur pied une méthode de recrutement qui ne tienne pas compte des erreurs de parcours des candidats, de leur quartier ou de leur adresse, et encore moins de leur nom ou de leurs origines», détaille Rogers Teunkam. BONNE SANTÉ FINANCIÈRE Cela fait près de vingt ans qu’il travaille dans ce domaine, et c’est seulement en 2002 qu’il décide de créer son cabinet, le deuxième de sa carrière. 2R Consulting est l’une des structures parisiennes spécialisées dans le recrutement qui affichent une bonne santé financière. Bien que le secteur ne soit pas épargné par la crise, le fondateur de 2R Consulting projette de dépasser les 5 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2015. «L’année dernière, nous avons recruté plus de 480 personnes pour un chiffre d’affaires de plus de 2 millions d’euros. Le cabinet connaît une progression de l’ordre de 30% chaque année, et ce depuis sa création», expose-t-il. A sa sortie de l’université en 1987, son master en sciences économiques en poche, Rogers Teunkam est parmi les premiers jeunes traders à intégrer le palais Brongniart, le temple de la Bourse en France. «C’est nous qui avons lancé le marché à terme d’instruments financiers (Matif ) à la Bourse de Paris. C’est l’un des marchés les plus compliqués», note- © 2R CONSULTING R ogers Teunkam se félicite : «Nous avons recruté une dizaine de cadres dirigeants pour la Chambre de promotion de l’industrie en Cote d’Ivoire au début du mois de mai.» Avec son francparler et la transparence en prime, le directeur associé et fondateur de 2R Consulting, entreprise spécialisée dans le recrutement des commerciaux et des cadres dirigeants, affirme que sa méthodologie ne contient aucun piège et donne leur chance à tous ceux qui ont des compétences à faire valoir. Un mode de sélection qui lutte contre les discriminations et qui veut contribuer à construire des entreprises à l’image de la société : diversifiées. «J’avais remarqué que dans mon domaine, notamment pour le recrutement des commerciaux, il n’y avait pas beaucoup de profils différents (accidents de parcours professionnel, couleur de peau, personnes en situation de handicap…). C’est pour cela que j’ai t-il. Mais au bout de deux ans, à la surprise de ses collègues, il démissionne. «Il manquait à ce milieu des valeurs auxquelles je crois… Tout se résumait à l’argent», explique-t-il. Le jeune économiste qui claque la porte au monde de la finance envisage alors de se lancer dans l’écriture de romans, non sans ambition. «J’avais des choses à dire et voulais le faire à travers mes livres. Mais j’ai très vite déchanté», avoue-t-il. Il entre alors dans le secteur du recrutement par hasard. «Je ne savais même pas que ce métier existait, je ne savais pas ce que voulait dire “chasser de têtes”. Un genre de chasse assez particulier», s’amuse Rogers Teunkam, devenu au fil des ans un recruteur d’excellence. Sa carrière commence au cabinet Bernard Krieff, l’un des grands 2R Consulting. «Il était temps de travailler pour moi», affirme-t-il. UNE JOURNÉE DE RECRUTEMENT A la tête de son cabinet, il développe ses propres méthodes de travail. Ses séances de recrutement tiennent en une journée et le candidat retenu pour le poste en est informé immédiatement. Ceux qui ne le sont pas connaissent les raisons pour lesquelles ils n’ont pas été sélectionnés et reçoivent une proposition de coaching et de conseil pour mieux se vendre la fois suivante. Pendant cette journée de recrutement, le candidat dévoile sa personnalité et permet aux recruteurs de voir s’il est en adéquation avec ce que l’on attend de lui en entreprise. «On ne regarde que les compétences, LES CLIENTS DE 2R CONSULTING SE TARGUENT DE L’IMAGE NOVATRICE QUE LE CABINET DONNE À LEUR ENTREPRISE. chasseurs de tête de Paris. Après trois ans, un associé de chez Bernard Krieff et Rogers Teunkam créent leur premier cabinet de recrutement : Mix Ressources humaines. Une aventure qui dure de 1992 à 2002. Rogers Teunkam y est chargé du département recrutement. En février 2002, il décide de créer le niveau d’études et d’autres qualités requises pour le poste avant de convoquer les candidats à l’entretien collectif de sélection. Tout au long des exercices et des mises en situation, les candidats qui jouaient un rôle finissent par tomber le masque, les CV et présentations apprises par cœur au fil des entretiens d’embauche ne servent plus à rien, surtout lorsqu’ils sont dans des études de cas. Nous leur présentons des situations auxquelles ils doivent réagir comme s’ils étaient déjà sur terrain», explique Rogers Teunkam, qui estime que sa méthodologie permet de réduire considérablement les ratés du recrutement classique. «Certaines entreprises ont écarté de bons candidats parce qu’ils n’avaient pas tel ou tel diplôme. Et pourtant, nous constatons un taux d’échec de 25% dans le recrutement classique. Sur 100 candidats recrutés, 25 sont incompétents. Avec ma méthode, ce taux varie entre 10 et 15%», indique-t-il. UNE IMAGE NOVATRICE Le produit du cabinet a fait son chemin et ses clients ne se plaignent pas de la qualité ou des compétences des nouvelles recrues. Ils en redemandent. La méthode de Rogers Teunkam est un dosage équilibré de sociologie et de psychologie associées au sens des affaires, avec des valeurs humaines et sociales en sus. Le fondateur de 2R Consulting soutient que son mode de sélection donne une vision plus objective, un regard sans a priori sur les candidats. Ses clients se targuent de l’image novatrice, moderne que cela donne à leur entreprise et de la richesse qui naît forcément du brassage des cultures. Enfin, la saine émulation et l’ambiance conviviale facilitent l’intégration des candidats recrutés et, par voie de conséquence, diminuent nettement le turn-over de l’entreprise. Rogers Teunkam fait le bonheur de nombreuses multinationales qui recrutent de plus en plus pour l’Afrique des cadres africains formés et ayant une expérience probante en Occident. Il travaille également avec des groupes africains qui professionnalisent de plus en plus leurs recrutements et qui ont décidé de passer de la logique de la «cooptation» à celle des compétences. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 33 FORBES AFRIQUE IMMOBILIER ACTEURS Charles Bruno Dogbe Promoteur sans frontières A la tête de Tecnodis International, la société de développement immobilier qu’il a fondée en France, ce SénégaloTogolais cherche à faire bouger les lignes et les frontières du business en montrant par l’exemple qu’un Africain peut brillamment réussir en tant que chef d’entreprise ailleurs que dans son pays. PAR GASTON KELMAN I 34 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 de rien à la fin des années 1990. On apprécie le chemin parcouru», raconte-t-il. Le globetrotter repart ensuite pour Dakar, où il vend des usines clés en main pour Transglobal International, société de droit espagnol. VAINCRE LES PRÉJUGÉS L’aventure française de Charles Bruno Dogbe commence en 2004. «Je voulais prouver que des études et une première expérience professionnelle africaines pouvaient permettre l’intégration dans une grande société française», explique-t-il. Ce sera International Buyers, filiale de la BNP. Il a en charge le dossier du crédit immobilier pour Français non résidents investissant en France. Après un peu plus d’un an, il s’installe à son compte. Le sourire malicieux toujours aux lèvres, l’homme d’affaires est fier de mettre en pratique ses convictions et d’être un exemple de réussite. © JEAN-MARIE HEIDINGER l a déboulé comme un météore dans les locaux parisiens de Forbes Afrique avec une bonne humeur contagieuse. Il rentre d’un périple de six jours : Bénin, les deux Congos, puis Togo et France. L’homme a 45 ans et il est le propriétaire de la société de développement immobilier Tecnodis International, basée dans la capitale française. Charles Bruno Dogbe est né au Sénégal d’un père venu en aventurier du Togo, qui finira instituteur, et d’une mère sénégalaise. Après des études à Dakar – un troisième cycle en sciences économiques option gestion de projets en 1995 –, il dirige pendant deux ans entre sa Casamance natale et Dakar une entreprise de transformation de jus de fruits créée par un Sénégalais de la diaspora. Suit un contrat d’un an à Conakry pour une société italienne de matériaux de construction. En 1996, il rejoint en Guinée équatoriale l’agence d’architecture de Pierre Goudiaby Atepa, porteuse d’un gros projet d’immobilier public. «J’ai vu ce pays partir L’intérêt pour de potentiels investisseurs africains lui vient au moment où explose le dossier dit «des biens mal acquis», ces fortunes que certains se donnent le droit de reprocher aux leaders africains d’avoir construites sur le dos de leur pauvre population. Pour avoir travaillé dans la finance, il sait qu’il n’y a pas que cela; que beaucoup d’Africains ont des comptes dormants dans les banques à l’étranger. Il va leur conseiller d’investir dans la pierre, en prévision d’un toit pour les études de leurs enfants ou simplement pour posséder un patrimoine. «Je faisais l’interface entre les promoteurs immobiliers et les banques pour le compte de mes clients. Au départ, personne n’y croyait.» Sauf lui. Les difficultés ne s’arrêtent pas là. «C’est seulement en mars 2013 que j’ai ajouté “manager” sur ma carte de visite», se souvientil. L’Africain étant encore peu crédible aux yeux des Africains eux-mêmes comme chef d’entreprise au pays des Blancs, il était obligé de se présenter comme collaborateur d’un patron français. «C’est la preuve qu’avec de l’acharnement, on vient à bout des complexes les plus solides.» Aujourd’hui, il est installé dans le quartier d’affaires parisien, la Défense, avec une succursale à Dakar – CCI Patrimoine Afrique –, une à Lomé – CCI Patrimoine Personal Finance – et un total de dix collaborateurs. Son aventure, Charles Bruno Dogbe la vit comme un parcours pédagogique pour la jeunesse africaine désireuse d’investir la mondialisation sans complexe, de s’installer où elle veut. «Internet permet d’être dans un village et de vendre de la pierre à Dubai, Denver, Dakar.» UNE DÉMARCHE SOCIOLOGIQUE Deuxième phase de son projet, se positionner dans tous les domaines de l’immobilier, la finance, l’ingénierie, le marketing et la sociologie. «On est surpris que j’introduise la notion sociologique et culturelle dans ma démarche. Mais elle est peut-être la plus importante. Il ne s’agit ni plus ni moins que de changer les mentalités au Nord et au Sud, de faire accepter qu’avec les mêmes compétences on puisse avoir les mêmes ambitions partout», détaille Charles Bruno Dogbe. Il parle des structures et des hommes qui ont été ses modèles : Shelter Afrique, géant continental de l’immobilier social, installé à Nairobi, au Kenya, et avec lequel il collabore; son compatriote sénégalais Pierre Goudiaby Atepa, cet architecte qui lui a mis le pied à l’étrier et dont on ne compte plus les réalisations pharaoniques. Aujourd’hui, Charles Bruno Dogbe est partenaire de nombreux programmes immobiliers en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Congo-Brazzaville, au Togo. Au fil du temps, il a développé un savoir-faire unique dans le montage de projets d’envergure. Il peut ainsi convaincre les fonds d’investissement. Les notions de pédagogie et de dynamique de groupe ne sont jamais loin. Avec des partenaires de la diaspora, il va lancer en 2014 le fonds AREF, pour l’accompagnement des promoteurs privés en Afrique. S’il reconnaît volontiers qu’il y a encore des écueils à éviter, il jure qu’il a décroché ţ,/6Þ$*,7'(&+$1*(5/(6 0(17$/,76$8125'(7$868''( )$,5($&&(37(548Þ$9(&/(600(6 &2037(1&(62138,66($92,5/(6 00(6$0%,7,2163$57287ť plusieurs opérations sans le moindre pot-devin. Pour lui, on est loin de la caricature des biens mal acquis. Hérault de la renaissance du continent, il a amené nombre d’Africains à comprendre que l’on peut investir dans la pierre dans un autre pays africain que le sien et pas nécessairement en Europe. «L’Afrique avance, répète-t-il comme un leitmotiv. Je ne me mêle pas de politique, mais quand un de mes clients devient ministre, je lui dis qu’on l’attend au tournant de la compétence.» Seule certitude, il ne se fera jamais l’écho de cette critique facile et méprisante envers les leaders africains, dont beaucoup prennent de plus en plus rendez-vous avec le développement. Il cite les exemples du Congo-Brazzaville, du Tchad ou encore de la Guinée équatoriale. Il dit qu’au Sénégal l’administration ne se contente plus des militants politiques, mais embauche beaucoup de personnes ayant les compétences qui ont fait leurs preuves sur le marché. L’homme est indubitablement atypique, l’un des rares entrepreneurs français venus d’Afrique. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 35 L’AUTRE VISAGE DE DROGBA Plus qu’un footballeur, l’Ivoirien Didier Drogba est une véritable star internationale. A 35 ans, l’attaquant de Galatasaray n’a pas encore prévu de mettre un terme à sa carrière, mais s’engage déjà depuis plusieurs années dans de nouvelles activités. Découverte d’un entrepreneur philanthrope qui veut avant toute chose venir en aide à son pays. © TRUNKARCHIVE/PHOTOSENSO PAR PASCAL FERRÉ 36 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 37 DROGBA EN COUVERTURE Q Très investi dans sa fondation, Didier Drogba va régulièrement à la rencontre d’enfants malades ou démunis en Côte d’Ivoire. Il organise également des galas afin de collecter des fonds, comme ci-dessus à Londres en 2012, où il assistait à l’événement avec sa femme Estelle. A l’inverse de certains footballeurs qui snobent parfois leur patrie dès les premiers oripeaux de gloire amassés loin de chez eux, lui n’a jamais coupé le fil qui le relie indéfectiblement à l’Afrique. 38 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Obama ou de Steve Jobs. Si les honneurs s’empilent à l’orée d’une fin de carrière qui se dessine du côté de Galatasaray (à Istanbul, en Turquie), où il a atterri en janvier 2013, on dirait que le temps n’a rien effacé ni patiné. Didier Drogba a conservé cette attractivité, mais aussi cette curiosité et surtout cet attachement indéfectible à sa terre. A l’inverse de certains footballeurs qui snobent parfois leur patrie dès les premiers oripeaux de gloire amassés loin de chez eux, lui n’a jamais coupé le fil, celui qui le relie indéfectiblement à l’Afrique, et plus spécialement à la Côte d’Ivoire. LA GLOIRE D’ABIDJAN A Abidjan, les autographes – non certifiés – de l’ancien joueur de Chelsea continuent de se marchander aux alentours de 30000 francs CFA au Plateau, le quartier administratif. Pour son – prétendu – numéro de téléphone, ce sera le double. Un illuminé, un certain Augustin, a © MIKE MARSLAND - DROGBA FOUNDATION ue reste-t-il du petit Tebily – son deuxième prénom, qui lui a été donné en souvenir de son grandpère – de Yopougon, ce quartier populaire d’Abidjan? Que reste-t-il du petit Tito, surnommé ainsi par sa maman Clotilde, qui avait un faible pour le dirigeant yougoslave, en larmes alors qu’il avait 5 ans sur la passerelle de l’avion le conduisant en France pour rejoindre son oncle footballeur, Michel Goba? Depuis, le gamin qui raffolait du poulet kédjénou s’est mû en icône internationale. Le buteur s’est fait leader d’opinion et orgueil national. Il est devenu à la fois exemple vénéré, référence écoutée et autorité courtisée. Des attributs qui, forcément, dépassent son statut de footballeur multititré. Conscience sociale et politique, le footballeur a évolué sur tous les terrains. En évitant toujours le hors-jeu. Si c’est lui qui a par exemple lancé un vibrant appel à la paix au peuple ivoirien à la télévision en 2006, alors que le pays était déchiré par une guerre civile, il n’a jamais choisi de camp. Sauf celui de la (ré)conciliation. Pas par opportunisme, juste par souci d’équité. Time Magazine l’a placé en 2010 parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde, aux côtés notamment de Barack © ALAIN MOUNIC A Drogbakro, «le village de Drogba», au sud d’Abidjan, on voue un véritable culte au footballeur, qui incarne un modèle de réussite. même carrément aménagé tout un périmètre à la gloire de son idole du côté de Koumassi Remblais, un secteur très populaire de la capitale économique ivoirienne. Bienvenue à «Drogbakro» («le village de Drogba», en baoulé), un musée artisanal entièrement dédié au capitaine des Eléphants. «Au début, on a eu du mal à accepter toute cette folie autour de Didier, raconte Albert, le père du footballeur. Et puis on a fini par admettre qu’il appartenait à tous les Ivoiriens.» Une adoration, voire une vénération, qui suinte à chaque coin de rue d’Abidjan. Comme en ce jour de 2007, lorsqu’il était venu visiter à l’improviste sa maison d’enfance, à Yopougon. Quand il se hisse jusqu’au balcon de la bâtisse, duquel il contemplait plus jeune les lumières de la ville et s’amusait à sauter pour se faire peur, il est accueilli par une foule d’au moins un millier de personnes, accourue pour venir saluer «son» enfant prodige. Pendant de longues minutes, il reste là, à saluer cette cohorte enamourée. Ça chante, ça gronde, ça chahute. La communion est poignante et prégnante. Bouleversé par l’hommage impromptu, Drogba restera longtemps scotché à cette tribune de fortune. «C’est ici que j’ai appris à être libre, raconte-t-il. Etre devenu footballeur, c’est bien. Mais être resté, je crois, quelqu’un de naturel et de lucide, c’est cent fois mieux. Ça me servirait à quoi d’avoir des millions, si j’avais complètement raté ma vie d’homme?» Dans la gestion de sa fortune, l’intéressé ne s’est pas raté non plus. Contrairement à beaucoup de ses congénères footballeurs, il n’a pas flambé ni dilapidé ses millions. Dès ses premiers gros salaires, il a en effet principalement investi dans l’immobilier. «La pierre, c’est un placement sûr, estimet-il. Comme je n’avais à mes débuts aucune connaissance dans la gestion d’un patrimoine, j’ai été au moins risqué. J’ai vu DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 39 DROGBA EN COUVERTURE des footballeurs se faire spolier et flouer et je n’avais pas envie de tout voir partir en fumée en misant sur des projets ou des personnes qui me semblaient un peu floues. Ces investissements dans l’immobilier avaient en plus l’avantage de me constituer petit à petit un solide patrimoine, que je pourrai par la suite transmettre à mes enfants. Comme dans une carrière de footballeur on ne sait jamais si ça va durer, il vaut mieux être prudent et pragmatique.» Il a ainsi acquis un certain nombre d’appartements, aussi bien en France qu’en Côte d’Ivoire. Jusqu’à ce qu’il décide de diversifier ses placements. 40 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 aller en France. «Je n’avais pas encore tous les bons contacts, avoue, encore ému, Drogba. Mais cette mort m’a fait mal. Très mal. Je me sentais un peu responsable et en même temps tellement démuni face à cette tragédie. Je n’oublierai jamais cet épisode. C’est la raison pour laquelle j’ai alors décidé de m’organiser afin d’aider les enfants.» En 2007, pour mieux structurer ses intentions, il crée donc la fondation Didier Drogba. Les desseins sont alors un peu épars. Dans un premier temps, la fondation sillonne les orphelinats de la région d’Abidjan afin de distribuer des dons en nature aux plus jeunes nécessiteux. «Mais on s’est rendu compte que ce n’était pas la bonne approche, raconte Drogba. Il ne fallait pas rendre A chacun de ses retours dans son pays natal, le footballeur (cidessus avec sa tante en 2007) et sa famille réalisent que l’image et l’histoire de Didier Drogba appartiennent aujourd’hui à l’ensemble du peuple ivoirien. © ALAIN MOUNIC LA FONDATION DIDIER DROGBA Une diversification liée à un bouleversement qui l’a conduit à l’idée de la fondation Didier Drogba, un véritable déclencheur personnel. En 2005, celui qui évolue alors à Chelsea subit de plein fouet un drame qui va lui servir de révélateur. Il voit partir le frère de son meilleur ami, âgé de 16 ans, atteint d’une leucémie. A l’époque, Drogba se bat et se débat pour tenter de donner une chance à Stéphane, ce petit Ivoirien qui avait été le premier à créer un fan-club Drogba à Abidjan dès l’entrée de l’enfant de Yopougon en sélection, en 2002. Il veut le faire soigner en France. Dans les dédales administratifs pour l’obtention d’un visa pour le jeune malade, Drogba perd un peu de temps. Et finalement aussi son combat, puisque le garçon décède avant d’avoir pu tous ces gens dépendants uniquement de la fondation. Il fallait au contraire les aider à devenir plus autonomes.» C’est un autre drame qui va le faire évoluer dans son approche. En avril 2009, lors d’un match des Eléphants à Abidjan (contre le Malawi) survient une gigantesque bousculade en tribune. Bilan : 19 morts. Son passage dans les jours suivants au centre hospitalier d’Abidjan révolte autant qu’il choque Drogba. «J’y ai vu des conditions d’accueil que je ne soupçonnais pas. Neuf enfants malades entassés dans une pièce de 10 m2 avec leurs mères, ce n’est pas possible. A partir de là, j’ai décidé que ma fondation devait en priorité s’occuper des conditions d’accueil des jeunes malades.» Une prise de conscience qui s’accompagne d’un nouveau parrainage. Parmi les gamins rencontrés ce jour-là, il se prend d’affection pour le petit Yao, 9 ans, qui a une leucémie. «Quand tu croises le regard de ces enfants qui ont compris que tu allais essayer de leur donner une chance de plus, c’est bouleversant. Tu vois la flamme briller dans leurs petits yeux. Il se dégage une telle force de ces enfants- Didier Drogba a de grands projets pour son pays. Grâce à sa fondation, il construit des maisons médicalisées destinées à accueillir des enfants nécessitant les premiers soins. Ses endroits préférés à Abidjan et aux alentours LA PLAGE D’ASSINIE A une centaine de kilomètres d’Abidjan, c’est un peu la Riviera de la Côte d’Ivoire, avec ses maisons cossues et ses plages magnifiques bordées par le golfe de Guinée. «J’adore ce coin-là, c’est très reposant.» Un havre de paix plutôt luxueux fréquenté par les décideurs les plus influents du pays. ATTÉCOUBÉ C’est dans ce quartier, situé entre le Plateau, Adjamé et Yopougon, que sera construit le premier hôpital de la fondation Didier Drogba, non loin du siège de l’ONU à Abidjan. «Forcément, c’est symbolique pour moi. C’est un lieu qui marque un vrai départ.» LE RESTAURANT CHEZ ADJED Un maquis en grande partie en plein air, comme il les aime. Celui-ci est tenu par l’ancien international ivoirien Ahmed Ouattara, établi dans le quartier de Cocody-Angré. «C’est un passage obligé quand je suis à Abidjan, notamment après les matchs. Un lieu où j’aime retrouver mes amis pour décompresser un peu. L’ambiance y est très conviviale.» S’y croisent des vedettes de la musique et du sport, accourues pour déguster notamment le kédjénou maison. là.» Mais le sauvetage de Yao n’ira pas jusqu’à son terme, puisqu’il décédera en dépit d’une hospitalisation en Suisse. Il n’empêche. Cet épisode finit de convaincre Drogba de la marche à suivre dans la conduite de sa fondation. Plutôt que de se lancer dans la construction d’écoles comme il l’envisageait également à l’origine, il décide de centrer tous ses efforts sur des maisons médicalisées pour des premiers soins. «J’ai beaucoup réfléchi. Car je ne voulais pas me tromper et je souhaitais surtout essayer d’être le plus utile possible à mon peuple. Quand tu as un peu réussi, c’est normal de tendre la main à ton tour. Et quoi de plus beau que de mettre sur pied des installations médicales pour les enfants? Depuis la crise, il y a beaucoup d’enfants dans les rues. Il y a trop de laisséspour-compte. Ils ont vraiment besoin d’aide.» UN VASTE CHANTIER Un projet qu’il a forcément fallu structurer et charpenter. Accaparé par ses activités de footballeur, Didier Drogba a donc mis sur pied une petite structure composée de Thierno Seydi, son fidèle agent depuis ses débuts, de Guy Roland Tanoh, un homme d’affaires ivoirien également très proche du footballeur, et de Caroline McAteer, une professionnelle de la communication qui travaille pour l’ancien Blues depuis ses années londoniennes. Un trio très actif qui va l’accompagner et le soutenir dans la collecte de fonds nécessaires à ce vaste projet. Car depuis lors, la fondation est devenue une petite entreprise à elle seule, permettant à son boss, Didier Drogba, de faire petit à petit son apprentissage dans le domaine des affaires. Pour lancer et faire connaître l’organisation, DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 41 EN COUVERTURE trois dîners de charité ont ainsi été organisés à Londres entre 2009 et 2012. Le premier a rapporté 500000 livres sterling et les deux autres 300000 chacun, à travers des ventes aux enchères d’objets de sportifs (casque de Senna, chaussures de Maradona, etc.). Des galas qui ne sont pas passés inaperçus en Angleterre. On a ainsi pu lire : «Drogba, un homme qui prend ses responsabilités pour reconstruire son pays» (The Sun) ou encore «Un avant-centre plus puissant que le président de son pays» (The Telegraph). Grâce à ces opérations, ce sont quelque 2,9 millions d’euros qui vont être consacrés aux activités de la fondation. Il faut dire que le chantier est vaste : cinq centres de santé basés à Yamoussoukro, Abidjan, San Pédro, Man et Korhogo. La pose de la première pierre de ces bâtiments (imaginés par l’architecte libano-ivoirien Pierre Fakhoury, lequel a notamment réalisé la basilique de Yamoussoukro) est prévue pour le mois de décembre. Ces petits hôpitaux accueilleront ainsi des enfants et leurs mères, contre de modiques tickets modérateurs qui faciliteront l’accès aux soins du plus grand nombre. Pour faire aboutir cette entreprise, Didier Drogba s’est beaucoup battu depuis quatre ans. «Gamin, je me souviens que je voulais être médecin. Depuis tout petit, on m’a de toute façon inculqué comme valeur le partage. A travers cette fondation, je ne 42 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 En 2006, sous le maillot ivoirien, Didier Drogba atteint avec son équipe la finale de la Coupe d’Afrique des nations. C’est également l’année où il lance son appel à la paix à une Côte d’Ivoire aux prises avec la guerre civile. cherche pas à me donner bonne conscience, mais vraiment à donner un sens à ma vie.» UNE ÂME D’ENTREPRENEUR Parce qu’il faut aussi donner l’exemple, Drogba a complètement orienté sa petite entreprise personnelle vers sa fondation. Aussi a-t-il versé à cette dernière l’intégralité des revenus de ses contrats publicitaires (avec notamment Pepsi, Orange et Nike). Il est également parvenu à convaincre le club de Chelsea d’apporter son obole. Des succès et des démarches qui ont fini par dessiner les contours de son après-football. «Désormais, je sais ce que je veux faire. Cette aventure avec la fondation m’a prouvé que j’aimais entreprendre.» La preuve : en juin dernier, il a acquis 5%, cédés par l’Etat, des mines d’or d’Ity, contrôlées par les Canadiens de La Mancha et qui produisaient 800000 onces. «C’était une belle opportunité, explique Drogba. Mais tout est réfléchi. Je ne me suis pas levé un matin en me disant : “Tiens, et si je m’achetais une mine d’or?” C’est un placement sur lequel mes conseillers ont beaucoup travaillé. J’aime aussi l’idée que ça va permettre la réouverture de ces lieux, donc de créer des emplois.» Didier Drogba a versé à sa fondation l’intégralité des revenus de ses contrats publicitaires (avec notamment Pepsi, Orange et Nike). © ALAIN MOUNIC - PEPSI DROGBA © MURAD SEZER/REUTERS Une idée fixe. Alors qu’il vient de signer un partenariat avec la marque marseillaise de sous-vêtements Hom, il veut dépasser le simple engagement commercial. Certes, un pourcentage des ventes des modèles estampillés Drogba, commercialisés à partir de 2014, ira à sa fondation. Mais le footballeur a d’autres aspirations. «Le but est de construire des usines de fabrication de sous-vêtements en Côte d’Ivoire, afin de créer encore des emplois. J’ai vraiment envie que mon pays s’en sorte.» Un vrai discours d’entrepreneur. «C’est vrai que le milieu des affaires me plaît. J’aime ces trajectoires de patrons partis de rien qui bâtissent des empires. Les success-stories me font rêver. Mais tout ça ne s’improvise pas. C’est la raison pour laquelle je vais d’ailleurs consacrer mes prochaines vacances à des séminaires, de manière à accélérer ma formation. Car je sais aussi que dans ce milieu tout le monde n’est pas forcément tout beau et tout gentil. J’ai payé pour le savoir… Pour réussir dans les affaires, je veux tout comprendre. C’est comme sur un terrain, en fait : il y a ceux qui essaient de se faufiler en douce et ceux qui construisent leur action à plusieurs. Moi, j’ai compris que j’y arriverais en me faisant aider par des connaisseurs. Reste juste à éloigner certains profiteurs qui tentent de m’attirer dans des projets un peu fumeux.» Patiemment, l’Ivoirien s’applique à se dessiner les contours d’un avenir. «Une chose est sûre, plus tard, je serai en costume : soit sur un banc pour entraîner si le démon du ballon m’a repris, soit dans des bureaux, dans le cadre de mes affaires.» Avec toujours le même humanisme chevillé au corps. Celui-là même qui pointait déjà chez le petit Tito… Didier Drogba a reçu à Monaco en octobre dernier le Golden Foot Award, qui récompense les joueurs de plus de 28 ans qui ont brillé par leurs réalisations athlétiques et leur personnalité. Après avoir fait les beaux jours de l’Olympique de Marseille et surtout de Chelsea, Didier Drogba évolue aujourd’hui à Galatasaray, l’un des deux clubs stambouliotes. L’heure de la retraite ? EST-CE BIEN RAISONNABLE? A 35 ANS, DIDIER DROGBA CONTINUE DE COURIR DERRIÈRE UN BALLON, LUI QUI A SIGNÉ EN JANVIER DERNIER POUR DIX-HUIT MOIS AVEC LE CLUB TURC DE GALATASARAY APRÈS UN SÉJOUR DE SIX MOIS EN CHINE. «Pourquoi faudrait-il être raisonnable? s’amuse l’intéressé. Je ne savais pas que le foot était interdit aux plus de 35 ans. Je ne vois aucune raison valable qui pourrait me faire dire qu’il est temps d’arrêter.» Pas même une certaine usure, lui qui a débuté avec Le Mans il y a déjà quinze ans? Quelque 650 matchs plus tard, assortis de plus de 310 buts, l’attaquant conserve une envie de jeunot. «Je continue de m’éclater chaque jour. Le foot, je ne veux pas qu’on me l’enlève. Tant que mon corps dit oui, je veux continuer. C’est un peu ma came, ma drogue douce. Quand je pars en vacances, au bout de deux semaines, je suis en manque. J’ai envie de frapper dans un ballon. Même après toutes ces années, ça reste ma passion, mon rêve.» En Europe, ils sont d’ailleurs quelques trentenaires à faire de la résistance au plus haut niveau : Totti (AS Roma, 37 ans), Giggs (Manchester United, 39 ans), Klose (Lazio Rome, 35 ans) ou encore Pirlo (Juventus, 35 ans). L’Ivoirien n’a pour l’instant pas encore décidé quand il arrêterait sa carrière. Aussi croque-t-il sans arrière-pensées dans tous les matchs qui se présentent à lui. «Comme j’ai commencé le haut niveau assez tard, je ne suis pas du tout rassasié. J’ai toujours aussi faim. Je dirais même que j’ai encore plus faim. Ce n’est pas après la gloire que je cours, mais toujours après les titres.» A le voir bouger, notamment en Ligue des champions, pas de doute, Drogbadaboum, comme certains de ses supporters le surnomment, n’est pas encore en préretraite : «Demandez aux défenseurs du Real ou de la Juve que j’ai croisés il n’y a pas si longtemps s’ils avaient l’impression de jouer contre un vieux monsieur! Moi, j’ai le sentiment d’être resté un gamin en pleine forme. Et je suis content de ne pas avoir trop grandi, d’avoir toujours les mêmes réflexes de môme. J’aime toujours autant la gagne et je supporte toujours aussi mal de perdre. Et ça, ça me suivra jusqu’à mon dernier match.» Tant qu’il y a de l’envie… DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 43 FORBES AFRIQUE POLITIQUE ANALYSE Obama et l’Afrique Dans les méandres d’une complexe histoire d’amour… Près de cinq ans après son arrivée au pouvoir, le temps est venu d’examiner les fondements de l’image du président américain, ses rapports avec l’Afrique, ses engagements et les perspectives, tant par rapport à ses prédécesseurs qu’aux autres partenaires du continent. PAR PIERRE LEBLACHE UNE IMAGE INTACTE En Afrique, le capital de séduction et le niveau d’approbation de Barack Obama n’ont pas varié, même si l’adulation des premiers mois s’est quelque peu calmée. Près d’un an après le début de son second mandat, voici le moment d’analyser ses rapports avec le continent. Selon toutes les confirmations officielles, Obama est né à Hawaï d’un père kényan et d’une mère américaine. Il n’a donc pas vu le jour en Afrique, 44 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 bien que ses détracteurs continuent à répandre la rumeur de sa naissance au Kenya. C’est en effet une exigence de la Constitution américaine qu’un président soit né aux Etats-Unis. Partiellement éduqué en Indonésie, il dit y avoir acquis une tolérance de toutes les religions et minorités, une ouverture d’esprit faisant la différence avec ses prédécesseurs et que nombre de ses ennemis considèrent surtout comme un préjugé favorable à l’islam. La mise sous scellés de tous les documents concernant ses années à Harvard a également fait beaucoup parler, notamment sur l’hypothèse jamais confirmée d’une demande de bourse comme étudiant étranger (indonésien). Ses adversaires ne sont parvenus ni à démontrer quoi que ce soit ni à écorner une flatteuse image de président «New Style». On aurait pu s’attendre à ce que, fier de ses racines, le président voyage en Obama a promis un sommet entre l’Amérique et l’Afrique subsaharienne l’an prochain à Washington. Attendons de voir ce qu’il en adviendra. terre africaine. Mais avec seulement quatre pays en cinq ans, Barack Obama a jusqu’ici bien moins couvert l’Afrique que ses deux prédécesseurs. Bill Clinton s’était arrêté dans huit pays, George W. Bush dans dix. Pour la Maison Blanche, la longévité politique de dirigeants en place depuis vingt ans et plus n’est pas un gage de dynamisme démocratique. Cela peut expliquer que les présidents Biya, Muzeveni et Sassou-Nguesso n’aient pas figuré sur la liste, même si d’autres dirigeants américains se déclarent impressionnés par les progrès accomplis dans leurs pays. Mais pourquoi pas Abidjan ou Nairobi? Pour ce qui est du Kenya, on a dit qu’Obama ne tenait pas à rencontrer certains membres de sa famille qui ont eu maille à partir avec la justice américaine... Il a toutefois promis que tous les dirigeants du continent seraient les bienvenus à Washington l’an prochain pour un sommet entre l’Amérique et l’Afrique subsaharienne. Attendons de voir ce qu’il en adviendra. LES ENGAGEMENTS Sur le plan des engagements futurs, deux têtes de chapitre constituent des innovations : le programme Power Africa, destiné à stimuler l’électrification du continent, © GARY CAMERON/REUTERS C ela a dû être un puissant réconfort pour Barack Obama, au milieu de la tourmente qu’il affronte avant le premier anniversaire de sa réélection à la présidence des Etats-Unis, d’apprendre qu’il continue à jouir auprès des Africains d’une grande popularité. Depuis 2008, il n’a jamais perdu sa double image, celle du héros et du héraut d’une Afrique que l’Amérique se devait de reconnaître comme la terre d’origine de sa «première famille» et par conséquent comme un partenaire privilégié. Affaibli par la crise syrienne, confronté à un blocage parlementaire, menacé d’un plafonnement de la dette, le président américain n’a pas eu, ces derniers temps, beaucoup d’occasions de se réjouir. Michelle et Barack Obama le 1er juillet dernier, chaleureusement accueillis lors de leur arrivée à Dar es-Salaam, en Tanzanie, la dernière étape de la tournée africaine de la présidence américaine, après le Sénégal et l’Afrique du Sud. subventionné par 7 milliards de dollars en cinq ans, et une montée en rythme des stages de formation offerts dans les universités américaines, 500 par an au début, puis jusqu’à 1300 par an. Ces deux initiatives sont certes les bienvenues, mais la subvention «électrique» représente moins de 3% de l’investissement nécessaire sur vingt ans et une faible fraction de ce qu’offre, beaucoup plus discrètement, la Chine. Il faudrait, pour gonfler ces chiffres, que l’investissement privé prenne le relais, une perspective douteuse dans le cadre des limites actuelles ou prévisibles de l’AGOA. Quant à l’éducation et la formation, elles ne représenteront que 2% des offres mondiales de stages à l’Afrique, et beaucoup moins pour les pays francophones, alors que la Chine forme annuellement 30000 Africains. S’il est un domaine où les Etats-Unis ont depuis longtemps pris l’initiative d’une assistance déterminante, c’est celui de la santé, notamment pour l’éradication du sida et du paludisme. Le PEPFAR (lutte antisida) et le PMI (contre la malaria) ont été lancés en 2003 et 2005 par George W. Bush. A la hauteur de toutes les espérances, leur réussite est la sienne personnelle. La fondation de l’ex-président Clinton s’y est jointe par la suite et a apporté une aide non négligeable. L’administration actuelle n’a bien entendu pas supprimé cette assistance, mais l’initiative et ses succès déterminants viennent d’ailleurs. Spécialement dans ce domaine si porteur d’émotions, Barack Obama doit absolument créer un programme distinct et bien doté sur un autre sujet, par exemple la tuberculose résistante ou la grippe porcine. C’est à ce prix qu’il écrira son nom dans l’histoire de la santé africaine. DOUTES ET CRITIQUES Alors qu’il reste très populaire sur les rives africaines, Barack Obama suscite actuellement chez certains de ses compatriotes des critiques et des doutes qui ne sont pas anormaux à mi-parcours d’une gouvernance difficile. Parmi les ratés et les crises, certains concernent directement l’Afrique, qu’il s’agisse de l’affaire de Benghazi en septembre 2012 ou de l’attaque récente du centre Westgate de Nairobi. On ne peut s’empêcher de penser que les coupables de cette prise d’otages et leurs projets étaient connus à l’avance, tant a été rapide la réaction américaine. Que les Navy Seals de la marine américaine aient, par un raid éclair en Somalie, éliminé ou capturé les principaux responsables d’Al-Shabab impliqués moins d’une semaine après le carnage ne tient pas du miracle, mais des écoutes et de l’information préventive. La quête du renseignement et le respect des souverainetés nationales relèvent d’un difficile équilibre... Comme avec le reste du monde, l’histoire d’amour entre l’Afrique et Obama tient autant à sa jeunesse, à son look et à son extraordinaire éloquence qu’à ses actions et ses résultats. C’est parfaitement légitime. Rendez-vous dans trente-six mois pour faire un bilan comparatif de son apport aux Africains. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 45 FORBES AFRIQUE BUSINESS ENQUÊTE La franchise, un levier de développement économique Avec des dépenses de consommation qui passeront à 1 400 milliards de dollars d’ici à 2020, contre 860 milliards en 2008, une croissance robuste et une plus grande stabilité politique, l’Afrique rassemble plus que jamais les éléments nécessaires à l’émergence d’un développement significatif du business des franchises. PAR SERGE TCHAHA N ombre de spécialistes, comme le docteur Rozenn Perrigot, enseignante-chercheuse titulaire de la chaire Franchise et commerce en réseau à l’IGR-IAE, croient au potentiel de l’Afrique. Jointe au téléphone, elle a confié à Forbes Afrique : «Le potentiel de développement [de la franchise] en Afrique est significatif à court, moyen et long termes, en fonction des contraintes réglementaires et des structures facilitant l’entrepreneuriat.» La dimension juridique est importante, car ce que le franchiseur vend au franchisé, c’est son concept, sa marque, son savoir-faire. Si ces derniers ne peuvent pas être protégés, alors l’entreprise est évidemment fragile. C’est pourquoi Michel Gagnon, consultant canadien, fondateur de Davier Consultants, entreprise spécialisée dans le conseil en management et franchisage, estime que l’engagement des gouvernements africains est déterminant pour garantir le succès. Au vu de la fortune que ce modèle d’entrepreneuriat a connu sous d’autres cieux, et en tenant compte de la vitesse avec laquelle il peut faire grandir une marque, accroître le chiffre d’affaires et les bénéfices 46 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 d’une entreprise, développer le secteur privé et les PME, on peut penser que les gouvernements africains devraient en effet tout mettre en œuvre pour améliorer leur attractivité concernant le développement du franchisage. Les franchises américaines font partie des mieux implantées en Afrique. Mais les entreprises françaises ne sont pas en reste, particulièrement au Maghreb. Reste aujourd’hui à mieux exporter les franchises africaines, à travers le continent et en dehors. PLUS DE 30000 MARQUES Selon l’European Franchise Federation (EFF), qui a compilé et publié en 2010 des données provenant des associations nationales de la franchise, il y aurait un peu plus de 30000 marques de franchise en opération dans le monde, dont plus de 10000 en Europe, 4000 en Chine et 2200 aux EtatsUnis. À l’échelle de la planète, on estime qu’il Comment réussir son internationalisation ? Selon le Dr Rozenn Perrigot, il faut : • Savoir s’adapter au contexte local, tout en maintenant l’uniformité du concept sur le plan mondial. • Avoir une bonne connaissance du marché et de ses spécificités (par exemple via une collaboration avec un master franchisé). • Avoir les ressources humaines, logistiques, financières et technologiques pour mener à bien cette internationalisation. y a 2,5 millions d’unités franchisées. Rozenn Perrigot nous signale qu’aux Etats-Unis seulement, on dénombre «800000 franchisés, 8000000 d’emplois créés et 802 milliards de dollars de recettes totales générées dans les réseaux de franchise». Du côté du Continent noir, on recenserait 531 marques de franchise en Afrique du Sud, 360 en Egypte et 315 au Maroc. Cependant, dans nombre d’autres pays africains, la franchise est une réalité qui en est à peine à ses balbutiements. C’est ce qui fait dire à Michel Gagnon que la plupart des pays africains ne sont qu’à l’étape 1, celle qui consiste à laisser s’implanter sur leur sol des franchises internationales à la réputation bien établie, telles que McDonald’s, Starbucks, Hertz ou encore les hôtels Accor. LES FRANCHISES MADE IN AFRICA Une fois à la deuxième étape, d’après ce spécialiste qui cumule près de trente années d’expérience dans le secteur, «on ne dépend plus des étrangers. Et à ce moment-là, l’argent reste dans le pays». Par ces propos, il nous oblige à soulever deux éléments cruciaux. D’une part : qu’en est-il des franchises made in Africa? Les situations sont évidemment variées. L’Afrique du Sud, forte d’une longue tradition de franchise, joue les premiers rôles avec 88% de franchises nationales, selon les données fournies par l’EFF. L’Egypte se situe quant à elle à 43% et le Maroc à 15%. Mais de nombreux joueurs africains se font remarquer. Entre 2010 et 2011, la Société financière internationale a investi 28,5 millions de dollars dans deux chaînes de restauration rapide nigérianes : Tantalizers et Food Concepts PLC. Et on compte des franchiseurs africains qui s’internationalisent de plus en plus et s’implantent hors du continent. Pour Scott Lehr, vice-président senior EtatsUnis et développement international de l’International Franchise Association, «certaines marques sud-africaines, à l’instar de Famous Brands [voir p. 49], sont bien DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 47 BUSINESS ENQUÊTE INTÉRÊTS AMÉRICAINS À titre d’exemple, dans la note Doing Business In Nigeria: 2010 Country Commercial Guide for US Companies, les diplomates américains invitent les 48 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 franchiseurs intéressés par le marché nigérian à utiliser leurs services afin «d’identifier, préqualifier et sélectionner un master franchisé compétent ou un partenaire capable de développer une région du pays». Cet intérêt pour le Nigeria est d’autant plus volontariste qu’un document produit par le US Commercial Service affirme que le pays d’Aliko Dangote représenterait un marché potentiel de 100 milliards de dollars pour les franchiseurs. Mais les Etats-Unis s’intéressent aussi à d’autres pays africains. D’après les documents consultés par Forbes Afrique, le pays de Barack Obama encourage les franchiseurs américains à renforcer leur présence dans Un «faux» Starbucks – non autorisé par le groupe – à Mekele, en Ethiopie. En 2007, Ambes Tewelde a nommé son café, qui sert 400 tasses par jour, comme le géant américain. Il n’est pas rare de trouver dans de nombreux pays des enseignes qui reprennent le nom et/ou le logo des grandes franchises internationales. SELON LES AUTORITÉS AMÉRICAINES, LE NIGERIA REPRÉSENTERAIT UN MARCHÉ POTENTIEL DE b0,//,$5'6'('2//$563285 LES FRANCHISEURS. © RADU SIGHETI/REUTERS positionnées pour prendre de l’ampleur et s’étendre au niveau international [y compris en dehors du continent, NDLR]». D’autre part, les paroles de Michel Gagnon, l’air de rien, viennent nous rappeler que, par essence, le système de la franchise, avec les royalties qui sont imposées, conduit nécessairement à ce qu’une partie des revenus générés quitte le territoire africain si la maison mère se trouve hors du continent. Combiné au fait que vendre une franchise à l’international constitue également l’exportation d’un savoir-faire national, d’un mode de consommation, d’un style de vie, on comprend aisément que les franchises aient une incidence qui dépasse le seul cadre économique. Par conséquent, il n’est pas étonnant que les Etats-Unis mobilisent le US Commercial Service et leur diplomatie pour promouvoir leurs franchiseurs. Présence internationale de Famous Brands Royaume-Uni : 110 (nombre de restaurants) Dubai : 3 Nigeria : 8 Soudan : 5 Côte d’Ivoire : 4 Kenya : 13 SOURCE : FAMOUS BRANDS Zambie : 27 Tanzanie : 3 Botswana : 28 Malawi : 4 Namibie : 27 Ile Maurice : 28 Afrique du Sud : 1881 Zimbabwe : 8 Lesotho : 3 Mozambique : 3 Swaziland : 8 le domaine de la restauration rapide en Egypte, un secteur prometteur, notamment en raison de la jeunesse d’une population exposée à la culture occidentale. Ce marché pèserait à l’heure actuelle quelque 700 millions de dollars. Les franchiseurs américains sont leaders de ce marché et on y trouve des marques telles que Chili’s, TGIF, Hard Rock Cafe, KFC, McDonald’s, Pizza Hut, Burger King, Hardee’s, Domino’s Pizza, Papa John’s, Sbarro, Outback Steakhouse, Subway, Auntie Anne’s ou Tea Leaf, explique le US Commercial Service dans son guide explicatif pour faire des affaires en Egypte en 2012. La présence américaine dans les franchises en Egypte est très importante, puisque, selon ce même document, elle représente 40% des franchiseurs internationaux présents dans le pays. De son côté, la publication intitulée Country : Kenya – franchising, qui date de mai dernier, précise que «les franchises dans les industries alimentaire, de la restauration et des boissons sont celles qui connaissent le plus de succès […]. Les Kényans passent plus de temps et dépensent plus d’argent pour manger à l’extérieur ou commandent leurs repas pendant les heures de travail. Et l’industrie de la restauration rapide en a grandement profité.» LA PLACE FRANÇAISE Au Maroc, une fois encore, les EtatsUnis occupent une place importante dans le domaine de la restauration rapide. Dans Famous Brands est une entreprise sudafricaine qui détient plusieurs bannières de restaurants. Selon les données fournies dans son rapport annuel pour l’année s’achevant le 28 février 2013, l’entreprise compte 2163 restaurants. Son chiffre d’affaires pour cette année financière s’élevait à 2,516 milliards de rands (environ 250 millions de dollars), pour 466 millions de rands (environ 46 millions de dollars) de bénéfices. un document publié en 2009, Thanae Bennani, spécialiste en commerce au consulat général américain, nous apprend qu’ils s’arrogent même la part du lion. Cependant, si on tient compte de toutes les sortes de franchise, les Etats-Unis sont, avec 12% du marché et 20 marques, derrière la France, qui y détiendrait 45% du marché, avec 27 marques de franchise installées sur le sol marocain. La France, justement, est l’autre pays important dans le monde de franchise. Premier Etat européen avec 1658 réseaux de franchise, elle a de nombreux représentants sur le Continent noir. Stéphanie Morlan, responsable communication au sein de la Fédération française de la franchise (FFF), le confirme : «En 2011, une enquête CSA indiquait que 30% des réseaux interrogés avaient des points de vente à l’étranger. Sur ce panel [156 réseaux, NDLR], 14% avaient des points de vente en Afrique.» Elle complète en donnant des précisions concernant la présence géographique des franchiseurs français en Afrique. «Sur ces 14%, l’enquête CSA précise que seulement 3% sont présents avec des points de vente en Afrique subsaharienne.» Tant pour les franchiseurs nationaux qu’internationaux, les perspectives sont on ne peut plus prometteuses en Afrique. Espérons que tous les acteurs partageront le point de vue de Michel Gagnon, pour qui «la franchise est un levier économique très important». DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 49 BUSINESS ENQUÊTE Afrique francophone Passeport pour la prospérité pour trois franchisés Ils opèrent au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, ils ont choisi la franchise ou on la leur a proposée, mais tous l’ont adoptée avec l’idée qu’elle leur permettrait d’accéder à une certaine richesse. 50 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 l’ambition d’ouvrir trois à quatre autres franchises dans les trois prochaines années. CRÉATIVITÉ ET AUDACE Les deux autres franchisés que nous avons rencontrés ont adopté une stratégie quelque peu différente. En effet, leur licence de franchise est notamment utilisée pour diversifier leur clientèle et leurs sources de revenus. Parlons d’abord de Dîner en blanc (DEB) – Abidjan. Il s’agit d’un «chic pique-nique» qui a eu lieu dans la capitale économique ivoirienne pour la deuxième fois en 2013. Eric M’Boua, coorganisateur de l’activité, nous explique ce qui motive les clients : «Je crois que les personnes recherchent l’évasion de leur quotidien. Elles veulent être transportées dans une aventure urbaine qui rallie des convives autour d’un nouveau genre d’événement. Il y a un côté happening ou flash mob qui crée un souvenir spontané, un mouvement organique dans lequel les invités se plongent avec créativité et audace!» Affilié à Dîner en blanc International, cet événement féérique, qui compte comme Fondée à Montréal en 1995, la marque Presse Café s’est développée dans le monde sous forme de franchise à partir de 2003. En Afrique, elle est présente à Dakar, Casablanca et Rabat. ©XXXX F rial Yahya exploite avec son frère Presse Café, à Dakar. Il s’agit d’une bannière canadienne présente dans plusieurs pays, dont le Sénégal et le Maroc. Ouverte depuis 2012, cette franchise est une sorte de porte-drapeau canadien dans la capitale sénégalaise. Dans ses locaux ont déjà été reçus plusieurs dignitaires, à l’instar de Jean-François Lisée, ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur canadien, de Jean Charest, ancien Premier ministre du Québec, ou de Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada. Frial Yahya nous a expliqué comment est née l’idée de se franchiser. «J’ai travaillé dans de grandes sociétés à Dakar. En tant que directrice financière, j’ai voyagé dans des pays anglophones et je me suis installée dans des endroits où l’on peut se réunir autour d’un café, ce qui manquait chez nous. Un espace où l’on peut “décompresser, boire, manger” [slogan de l’entreprise, NDLR] n’existait pas au Sénégal. J’ai fini par décider de me lancer dans cette voie en tant qu’entrepreneur, convaincue que mon projet s’inscrivait étroitement dans les mutations sociales et culturelles de la société dakaroise et que ce type d’activité allait répondre à un besoin réel du marché.» Master franchisé au Sénégal, elle nourrit Né à Paris en 1988, le concept de Dîner en blanc s’est depuis exporté dans 40 villes à travers le monde. Pour l’heure, outre Abidjan, Kigali, Le Cap et Johannesburg accueillent l’événement en Afrique. partenaires Air Côte d’Ivoire, Air France, Moët & Chandon ou l’hôtel Pullman, est organisé par Evenet SARL, une société spécialisée dans l’événementiel et les relations publiques. Employant cinq personnes, elle envisage d’organiser le Dîner en blanc dans d’autres villes en Côte d’Ivoire, voire au-delà. DIVERSIFIER SES ACTIVITÉS Jean Ketcha, président-directeur général de Kecth, entreprise spécialisée dans l’entretien et le réaménagement des routes, nous corrige d’entrée de jeu : «Nous n’avons pas sollicité une franchise. En effet, c’est le groupe Mr. Bricolage qui cherchait un partenaire de premier plan réunissant une batterie de critères très pointus dans le but de développer ses activités sur le territoire camerounais.» Le partenariat entre le groupe camerounais Ketch et l’enseigne française Mr. Bricolage a été signé fin 2012. Après un premier point de vente à Douala, l’accord prévoit l’ouverture de magasins dans les principales villes du pays. Il nous explique en quoi cette nouvelle activité permettra à son entreprise de diversifier ses activités. «Nous mettons déjà cette logique en œuvre au moyen de la distribution des matériaux de construction à forte valeur ajoutée, comme le béton prêt à l’emploi et ses produits dérivés, et à travers le lancement de notre activité immobilière, dont le souci premier est la qualité. À cet effet, nous avons choisi de développer une véritable plate-forme pour fournir des matériaux de construction et de finition de très grande qualité. L’activité principale de notre partenaire [Mr. Bricolage, NDLR], qui place l’exigence de qualité au cœur de son métier, est la distribution de matériel de bricolage et de matériaux de construction, ainsi que l’aménagement des maisons et la décoration. C’est pour cette raison qu’elle a toute sa place dans la stratégie de diversification qui est la nôtre.» Si Jean Ketcha n’a pas souhaité nous préciser s’il comptait à l’avenir solliciter des master franchises pour d’autres pays en Afrique centrale, il a tout de même conclu : «Ce qui est sûr, c’est que désormais, dans ce domaine précis, nous ne laissons pas indifférentes de nombreuses marques de niveau mondial.» DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 51 LE CAP-VERT CONTRE VENTS ET MARÉE Petite nation insulaire dénuée de ressources naturelles, le CapVert n’en a pas moins relevé avec succès son pari de devenir un acteur gagnant de la mondialisation. Un modèle cap-verdien aujourd’hui encensé, et fondé tant sur la croissance économique que sur des institutions démocratiques solides. Décryptage. PAR JACQUES LEROUEIL 52 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Buracona, sur l’île de Sal, au nord-est de l’archipel du Cap-Vert. La mer y a creusé des grottes et des piscines naturelles dans la roche. Depuis quelques années, le pays a vu son attractivité augmenter, notamment grâce à la mise en avant de sites touristiques. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 53 ÉCONOMIE PAYS D LE MODÈLE CAPVERDIEN Dans un pays où l’émigration a longtemps été le choix le plus judicieux pour fuir une difficile condition, c’est désormais l’immigration économique de jeunes actifs en provenance du Portugal, l’ancienne puissance coloniale, qui occupe les esprits. Fuyant la sinistrose du Vieux Continent, ouverts à la découverte de nouveaux horizons, ils débarquent aujourd’hui à l’aéroport de Praia comme leurs aïeux embarquaient autrefois pour les lointaines destinations comme le Brésil ou l’Argentine. Dans l’espoir d’une vie meilleure et avec la conviction d’être au bon endroit, au bon moment. Un optimisme que partagent également les membres de la diaspora capverdienne (700000 ressortissants à l’étranger pour une population d’un demimillion d’habitants dans l’archipel), de plus en plus nombreux à revenir au pays pour y travailler et investir. Développement de complexes touristiques, lancement de centres commerciaux, construction d’infrastructures éoliennes, il n’y a jamais eu autant d’argent en 54 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Ci-dessus : Barack Obama a reçu en mars dernier quatre dirigeants africains, dont le Premier ministre capverdien José Maria Neves (à droite), lors d’une réunion visant à saluer des démocraties solides et émergentes. Ci-contre : Le président du Cap-Vert, Jorge Carlos Fonseca. Le pays a organisé des élections libres dès 1991. circulation. Le flux annuel d’investissements directs étrangers (IDE) évolue aujourd’hui autour de 100 millions de dollars, un ordre de grandeur similaire à celui de l’ensemble des IDE entrants au Cap-Vert au cours de la décennie 1990 (146 millions de dollars)! Et pourtant, la partie n’était pas gagnée d’avance. «Aucun pays du continent n’a relevé les nombreux défis qui se posent au © P. 36-37 : MICHEL PORRO/GETTY IMAGES - P. 38 : MANDEL NGAN/AFP IMAGEFORUM - THIERRY CHARLIER/AFP IMAGEFORUM ans la galaxie des pays africains émergents, le CapVert occupe une position qui est à l’image de sa situation géographique : à part. Confetti d’îles situées à l’extrémité occidentale du continent, dénué de presque tout, le CapVert a pourtant réussi le tour de force de se transformer en champion de la croissance. Avec 7% de progression annuelle moyenne du PIB depuis 1993 et un revenu par habitant qui a progressé de 160% net sur la période, il est sans conteste aujourd’hui l’un des meilleurs élèves de la classe africaine. Une performance économique qui va de pair avec des institutions démocratiques citées en exemple : les élections y sont libres et transparentes depuis maintenant plus de vingt ans. Une image de bonne gouvernance consacrée de façon éclatante par la remise en 2011 du prix de la fondation Mo Ibrahim à l’ancien président Pedro Pires, distinction destinée à récompenser «le leadership d’excellence en Afrique». © MICHELE NGAN/CORBIS - MICHEL PORRO/GETTY IMAGES Cap-Vert. Cet Etat pauvre en ressources naturelles, doté d’un climat aride de type sahélien et d’une faible superficie de terres arables, est en passe d’atteindre la plupart des Objectifs du millénaire pour le développement», commentait ainsi Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement, au cours d’une visite en 2010. En novembre 2012, l’institution qu’il dirige a d’ailleurs publié un rapport sur le sujet, sobrement intitulé Cap-Vert, un modèle de réussite. On devine ici sans peine les ressorts de l’attrait que peut exercer le «modèle capverdien» : réussite économique et respect consacré des droits politiques. Certes, le pays n’a ni la masse critique d’un géant en devenir tel que le Nigeria, ni Le site de construction d’un complexe hôtelier destiné aux touristes, en grande majorité étrangers, à Sal Rei, au nord-ouest de l’île de Boa Vista. la force d’édification d’une nation phénix repartie de zéro comme le Rwanda. Mais il enseigne une leçon inestimable : aussi difficiles que soient les conditions de départ, il est toujours possible de les surmonter pour bâtir un succès durable. Sur ce point, le Cap-Vert sait assurément ce que signifie l’hostilité de l’environnement et l’adversité des circonstances. A l’exception de ressources halieutiques importantes, le pays n’a presque aucune richesse naturelle et seules quatre îles sur dix disposent d’une activité agricole digne de ce nom. La tentation de prendre le large a donc longtemps été la meilleure solution. Un choix de départ qui est désormais de moins en moins tentant. Le succès de la recette capverdienne est passé par là. UN PARI RÉUSSI Vingt ans seulement ont suffi pour faire de cette petite nation insulaire un modèle de croissance et de bonne gouvernance. Comment expliquer une telle mutation? Le point d’inflexion majeur est à chercher au début des années 1990 : le multipartisme est instauré et l’économie de marché promue. Une tactique gagnante, empreinte de réalisme et de pragmatisme. Sans miracle, mais fondée sur le bon sens, et dont la bonne exécution est à mettre à l’actif des dirigeants politiques qui se sont succédé dans le pays depuis le début des années 1990. Le Cap-Vert se tourne alors progressivement vers des activités de service à haute DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 55 valeur ajoutée (transport, commerce de transit et tourisme) et fait le pari de tirer pleinement parti de la mondialisation. Et il réussit : loin de l’isolement d’antan, le Cap-Vert d’aujourd’hui – idéalement situé à équidistance du Brésil, le géant économique lusophone, et du Portugal, la puissance tutélaire d’hier et porte d’entrée du marché commun de l’Union européenne – est partie prenante de l’économie-monde. Ses exportations de biens et services sont ainsi passées de 145 millions de dollars en 2000 à près d’un milliard en 2012; un montant toujours inférieur aux importations (1,4 milliard de dollars), mais cette tendance pourrait s’inverser au cours des toutes Malgré l’importance du secteur de la pêche, le Cap-Vert importe 80% de ses besoins alimentaires. Même si l’on compte des bananeraies et des plantations de canne à sucre, l’agriculture est en effet peu importante, le pays ne disposant, sur l’ensemble des îles, que d’environ 10% de terres arables. prochaines années : les ventes à l’étranger progressent désormais près de deux fois plus vite que les achats (17% de progression moyenne annuelle contre 10%). Une logique d’intégration économique, vue «non comme une fin en soi, mais comme une stratégie délibérée consistant à exploiter un avantage géographique pour éventuellement devenir une plaque tournante à portée de certains des plus grands marchés mondiaux», relève fort justement Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique. Dans tous les cas, une approche gagnante, qui a définitivement mis en lumière le Cap-Vert. Autrefois surtout connu des amoureux de la Diva aux pieds nus (feu la chanteuse Cesária Evora) et de sa mélancolique morna, le pays est aujourd’hui «tendance», jusqu’à 3$5,5866,b/2,1'(/Þ,62/(0(17'Þ$17$1/(&$3Ŝ9(57 'Þ$8-285'Þ+8,,'$/(0(176,7848,',67$1&('8%56,/ (7'832578*$/(673$57,(35(1$17('(/Þ&2120,(Ŝ021'( 56 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 © RICCARDO SPILA/GRAND TOUR/CORBIS - MICHELE FALZONE/JAI/CORBIS - ANDREAS HUB/LAIF-REA ÉCONOMIE PAYS © PHILIPPE TURPIN/AFP IMAGEFORUM être considéré par le guide Lonely Planet comme l’une des dix destinations touristiques les plus populaires du monde en 2011! Un message reçu 5 sur 5 : de 100000 en 2000, les touristes sont désormais plus de 500000 à venir profiter chaque année des plages de sable fin de l’archipel. Une fréquentation égale à la population totale du pays. A l’avant-garde des évolutions structurelles que connaît le Cap-Vert, la diaspora. Travaillant de concert avec les autorités du pays, elle apporte avec elle argent (12% du PIB), réseaux et compétences. Un concours décisif qui explique une bonne partie de la réussite du modèle capverdien. C’est ainsi qu’une situation initialement défavorable est progressivement inversée pour se changer en dynamique gagnante. Les chiffres corroborent ce spectaculaire changement : un PIB global multiplié par quatre depuis 2000 (de 500 millions de dollars à près de 2 milliards), un revenu par habitant porté à plus de 3600 dollars, contre à peine 1200 au début du siècle, et des indicateurs sociaux (santé et éducation) qui sont parmi les meilleurs du continent. Mais le Cap-Vert «nouvelle mouture» a son revers de la médaille. La croissance des dernières années, si flatteuse soit-elle, demeure inégalement répartie et bénéficie surtout au tourisme, au secteur financier, aux transports et aux télécommunications. Des secteurs qui représentent près de 70% de la richesse du pays, mais emploient moins de la moitié de la population active. Sans parler de l’aggravation des inégalités, notamment entre les populations urbaines et rurales. Le modèle capverdien tant vanté a aussi ses propres ratés, comme le souligne André Corsino Tolentino, de l’Institut d’Afrique occidentale à Praia, lorsqu’il évoque «le taux de chômage très élevé, une pauvreté encore considérable (20% des Capverdiens vivent toujours sous le seuil de pauvreté) et un niveau d’éducation qui, malgré de remarquables progrès, avoisine encore les 20% d’analphabètes». De quoi relativiser le succès de la nation insulaire. Mais sans remettre en cause la pertinence de la leçon capverdienne : être suffisamment réaliste pour faire avec ce que l’on a, tout en capitalisant opportunément sur le moindre avantage comparatif. Le tout dans un cadre d’ensemble garant d’ordre et de stabilité pour pouvoir faire la différence dans la durée. Un enseignement plus que jamais d’actualité. C’est notamment grâce à ses plages de rêve (ici à Ponta Preta, spot bien connu des surfeurs sur l’île de Sal) que le Cap-Vert a pu capitaliser sur le tourisme pour accélérer son développement. A l’avantgarde des évolutions structurelles que connaît le pays, la diaspora. Elle apporte avec elle argent, réseaux et compétences. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 57 © 58 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE FINANCE CHANGE Le Château, la grande place de la finance congolaise A Kinshasa, il n’existe pas de Bourse officielle. Mais l’endroit que l’on appelle « le Château » se comporte comme un véritable marché financier. Plongée dans le temple de la finance informelle le plus influent de la République démocratique du Congo. PAR JACQUES MATAND’ © DIDI JUNIOR KANNAH I l fait chaud à Kinshasa en ce jour de juillet. Sur le trottoir du boulevard du 30-Juin, l’épine dorsale du centre des affaires, sous de gros parasols, devant l’immeuble du Centenaire, jadis surnommé «immeuble de la rigueur», des hommes et des femmes que l’on appelle communément les «cambistes» guettent les clients potentiels qui voudraient changer des dollars contre des francs congolais, la monnaie locale, très instable car victime des inflations diverses qu’a connues l’économie congolaise au cours des deux dernières décennies. Au croisement des avenues Isiro, du Plateau et Gécamines, des changeurs de monnaie sont installés sur des chaises en plastique ou des tabourets. Ils disposent en évidence des liasses de billets de francs congolais. D’autres changeurs apostrophent des passants pour proposer leurs services. «Papa, maman, change dollars? Euros?» Une femme hèle les promeneurs et accompagne ses paroles de mouvements de doigts, comme si elle comptait des billets de banque virtuels. D’autres encore vous saluent et sourient largement comme de vieilles connaissances. Histoire de marquer des points face à leurs concurrents. «Bienvenue à la place Le Château… Nous sommes comme la Bourse du Congo. Tout le monde vient ici, dans cette espèce de marché financier. Nous ne sommes ni une banque, ni un bureau de change, ni un organisme de microfinance. Nous sommes tout ça à la fois», lance fièrement Donat Lenghu, président honoraire du comité professionnel des changeurs de monnaie. «Le Château est notre Wall Street, affirme Marie-Josée, commerçante. Avant d’ouvrir nos magasins au grand marché, on se réfère d’abord au Château pour connaître le taux du dollar. Et nous suivons le mouvement tout au long de la journée.» Elle n’est pas la seule à avoir ce réflexe. Michel Losembe, actuel administrateur délégué de la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (Biac), abonde dans le même sens. «Quand j’étais trader de monnaies étrangères à la Citibank, j’appelais les changeurs du Château pour déterminer le taux que notre banque devait appliquer. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 59 Je faisais pratiquement le même travail qu’eux. La différence est que je le faisais depuis un bureau, avec un téléphone et un ordinateur», explique-t-il. UNE PLACE INFLUENTE Cette «Bourse» ne dispose d’aucune salle de marché, ni d’écrans géants comme toutes les autres grandes places boursières du monde. Elle a cependant toute son influence sur les transactions financières. Pour Donat Lenghu, le fonctionnement du Château est comparable à celui des Bourses classiques. «Nous avons des forces en présence sur le marché. Les sociétés brassicoles en quête de liquidités, les sociétés de panification, l’agroalimentaire et même certaines banques en quête de devises. Nous servons le plus offrant, comme cela se passe en Bourse. Le Château détermine le taux sur lequel les opérateurs s’alignent. Même les commerçants qui font leurs business vers l’Asie viennent s’approvisionner ici», observe-t-il. Un jeune homme à l’allure d’athlète extirpe de son sac de sport plus de dix briques de billets de 500 francs congolais qu’il pose sur une table, entouré par d’autres changeurs. Un rapide calcul : c’est l’équivalent de plus de 3000 dollars qu’il vient de sortir sans prendre aucune mesure de La nécessité des devises se fait sentir avec acuité lors de l’arrivée des premiers commerçants venus d’Afrique de l’Ouest et des voyages des Congolais pour acheter des marchandises. C’est le début des grandes opérations de change. 60 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 sécurité. A ses côtés, une dame manipule deux briques de nouvelles coupures de 1000 francs congolais posées sur un tabouret. Au taux du jour (9100 francs congolais pour 10 dollars américains), elle a l’équivalent de plus de 2000 dollars. «Sur les 17 milliards de francs congolais qui circulent hors du circuit bancaire, plusieurs millions passent tous les jours entre les mains des changeurs congolais, dont une grande partie au Château. Entre 3 et 5 millions les jours des grosses opérations», estime Donat Lenghu. Difficile à vérifier, bien sûr, parce qu’il n’existe aucun chiffre officiel. Lors de fortes affluences, Tumba Chico, président des changeurs du Château et du bureau de change Rabi, dit avoir déjà réalisé des bénéfices de l’ordre de 40000 dollars en une journée. Dans les années 1990, des sommes d’argent énormes circulaient entre les mains des cambistes. «Il y avait plusieurs centres d’ordonnancement, plusieurs points de sortie et beaucoup d’argent en circulation. Certains changeurs avaient des accointances avec des hommes politiques qui leur donnaient de l’argent pour jouer sur les leviers de l’inflation», observe Donat Lenghu. «A cette époque-là, je pouvais me retrouver à la fin d’une journée avec 5000 ou 8000 dollars de bénéfice», confie madame Beya, elle aussi changeur. Ils sont ainsi un peu plus de 1000 dont le change est le métier, répartis entre les 11 cellules que compte Le Château. Les plus importantes sont le Parlement, Ami-Congo, Memling, Savanana et Aile Belgique. ORIGINES DU CHÂTEAU Les origines du Château sont méconnues. Pour comprendre les origines de la place et de ses activités, un détour dans l’histoire s’impose. Des années avant la colonisation, autour du xviie et du xviiie siècle, des deux côtés du fleuve Congo, les populations s’adonnaient déjà à des échanges à caractère commercial. Et elles n’ont pas attendu l’arrivée des banques pour effectuer des opérations de change. «C’est de la nécessité des échanges internationaux qu’est né le besoin d’opérations de change entre les peuples des deux rives du fleuve, explique Donat Lenghu. De chaque côté du Congo, ce sont des intermédiaires qui s’occupaient de ces transactions. Les cambistes sont par conséquent les ancêtres des banquiers actuels.» C’est vers le bas du Pool Malebo, le lac qui va de Kwamouth à l’actuel chantier naval de Kinshasa, que le troc se faisait entre les commerçants des rives du roi Makoko (Brazzaville) et de celles du chef Ngaliema (Kinshasa). Un peu en amont, des baobabs, encore présents, servaient à marquer les grandes places de troc. «Avant la construction de la ville de Kinshasa par les Belges, la place du Château était sous contrôle du chef Ngobila, dont le nom a été donné au Beach [port, NDLR] qui relie les deux capitales les plus rapprochées du monde», relate Donat Lenghu, qui n’hésite pas à exhiber de vieilles photos des premiers maîtres des lieux. Les comptoirs des administrateurs et commerçants occidentaux y auraient aussi troqué vêtements, miroirs et sels, contre de l’ivoire rapporté par les populations locales. L’arrivée de la monnaie a introduit de nouvelles règles du jeu sur le marché du troc. Les riverains ont commencé à faire leurs premières opérations de change de chaque côté du fleuve Congo. La nécessité des devises se fait sentir avec acuité lors de l’arrivée des premiers commerçants venus d’Afrique de l’Ouest et des voyages des Congolais qui cherchent à acheter des marchandises. Il y a également à cette époque un important commerce de pagnes et de tissus indigo. C’est © DIDI JUNIOR KANNAH FINANCE CHANGE Le plus souvent installés sur des chaises en plastique, parfois dans un bureau, les cambistes attendent chaque jour les clients au Château. le début des premières grandes opérations de change. A leur arrivée, les colonisateurs auraient construit un «château» sur la place. Et c’est là que se retrouvaient les premiers banquiers de l’époque pour parler affaires et se divertir. «Il y avait un bar, une discothèque, des restaurants, des magasins et bureaux dans le Château. Et c’est non loin qu’a aussi été construite la première banque Rwanda-Urundi», explique Donat Lenghu. Il parle du Château avec enthousiasme, comme étant «un monument et le lieu où se trouve l’âme de l’entrepreneuriat congolais». Des discussions sont en cours pour rebaptiser le Château en place Hugo-Tanzambi (du nom de l’un des célèbres changeurs, mort pendant les violences électorales de la présidentielle de 2006). Au risque de voir l’histoire de cette place disparaître avec ce changement, ce que regrette Donat Lenghu. DES PARTENAIRES ÉCONOMIQUES Malgré le fait que le Château soit historique, les changeurs n’ont pas toujours connu des jours paisibles. Sous l’ère Mobutu, ils ont été traqués par différents gouvernements. SOUS L’ÈRE MOBUTU, ON DISAIT DES CAMBISTES QU’ILS CONTRIBUAIENT À LA DÉVALUATION DE LA MONNAIE LOCALE. «On a été emprisonnés, on nous a tiré dessus à bout portant et des changeurs sont morts. Certains gouvernements nous prenaient pour des personnes qui bradent la monnaie locale. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nous travaillons dans le calme», reconnaît Tumba Chico, confortablement assis dans son bureau de change. Ces changeurs ont été qualifiés de «cambistes», nom qui leur colle à la peau, pour exprimer le fait qu’ils contribuaient à la dévaluation de la monnaie locale au profit des devises étrangères. Ils étaient aussi considérés comme des personnes sapant les efforts du gouvernement pour stabiliser le cadre macroéconomique. Le sens péjoratif de ce nom n’a cependant rien à voir avec son origine. «“Cambiste” vient de l’italien cambio, qui veut dire table du changeur de monnaie ou bureau, croit savoir Donat Lenghu. Dans DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 61 FINANCE CHANGE 62 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 le change des francs CFA. J’ai donc commencé celui des Deutsche Marks, des francs suisses, des francs belges et des livres sterling pour me démarquer. Jusqu’à avoir un bureau aujourd’hui», raconte-t-il. Madame Yolande, assise avec ses collègues non loin d’un restaurant, est dans la profession depuis vingtcinq ans. Elle a débuté ses activités au Beach Ngobila, avant de s’installer au Château. Quelques billets verts en main, elle dit ne pas être capable de faire autre chose que du change. Aujourd’hui, les changeurs luttent pour que le cambisme soit reconnu comme une profession à part entière et un métier respectable. UNE RELATION DE CONFIANCE De nos jours, l’activité des changeurs n’est plus aussi dense qu’autrefois. La rareté des francs congolais en circulation se fait sentir. Les cambistes sont partagés. «Comme il n’y a pas beaucoup d’argent en circulation, nous avons moins d’activité et faisons peu de bénéfices. Ce n’est plus comme au bon vieux temps», avoue une dame assise devant ses briques de francs congolais. Non loin, un homme a un avis plus nuancé. «Grâce aux nouvelles politiques, le cadre macroéconomique est maîtrisé», dit-il. Le président honoraire des cambistes estime qu’eux aussi ont contribué à cette stabilisation. A l’heure où la ville de Kinshasa voit plusieurs banques s’installer, l’avenir des cambistes pourrait être menacé. Mais pour l’heure, la présence des banques n’a pas changé considérablement le comportement de bon nombre de Kinois. Ils ont encore recours aux cambistes pour des opérations de change quotidiennes, alors que les banques proposent le même service. La raison? «Les gens se sentent à l’aise avec les cambistes, qu’ils connaissent depuis longtemps. C’est une question de confiance. Et chez les cambistes, il n’y a pas autant de formalités que dans les banques classiques. Nous sommes les banquiers naturels de la population», argumente Donat Lenghu. Et si les cambistes n’ont pas encore de bâtiment dédié à la domiciliation de l’argent, l’idée circule parmi eux. Donat Lenghu compare ceux de sa profession à des banquiers qui évoluent dans un système financier à part entière. Un système qu’il espère voir se raffermir un jour. Il souhaite monter sa propre banque, qui fonctionnera sur le modèle du travail des cambistes. Pour l’instant, il n’envisage pas de mutualiser les moyens ou les efforts avec d’autres acteurs de sa profession pour réaliser son rêve. Au gré des opérations de change, il garnit son portefeuille. Il lui faudra attendre encore longtemps avant que sa banque puisse voir le jour. Il doit se contenter de quelques milliers de dollars et des services de son associé qui n’a pour seul guichet que son bureau de change au Château. Bien que les chiffres officiels soient inexistants, le comité professionnel des changeurs de monnaie estime que les sommes qui passent quotidiennement entre les mains des cambistes se montent à plusieurs millions de francs congolais. © DIDI JUNIOR KANNAH les mentalités des Kinois, cette image n’est plus négative.» Les cambistes d’aujourd’hui se considèrent comme des partenaires économiques de l’Etat. C’est ainsi que Donat Lenghu a souvent été convié aux réunions stratégiques avec le gouvernement et les acteurs économiques. Le parcours de ce changeur est atypique. En 1980, à 17 ans, Donat Lenghu, découvre par hasard le travail du change. «Je faisais les opérations de femmes qui venaient vendre leur poisson fumé. Après les ventes en monnaie locale, elles me remettaient l’argent pour que je puisse trouver des francs CFA (utilisés dans les anciennes colonies françaises de l’Afrique centrale et de l’Ouest)», se souvient-il. L’un de ses amis s’occupait des femmes vendeuses de vêtements entre le Congo-Brazzaville et Kinshasa. Certains changeurs se comportaient comme les banquiers des différentes communautés. Après avoir appris le métier de change sur le tas, Donat Lenghu fait des études pour mieux comprendre le fonctionnement et l’esprit de cette place financière. A l’université Cardinal Malula, il obtient une licence (niveau master 2) en banque et opérations monétaires. Il travaille sur la tentative de récupération du marché parallèle de change par l’économie formelle. C’est ce travail qui aurait permis la création des premiers bureaux de change. Fièrement, il présente les diplômes reçus durant ses formations complémentaires. Formation au patronat en 1990; dynamique de groupe et solidarité en 1995; certificat d’entreprise obtenu en 2002 durant la première formation des entrepreneurs. Tumba Chico, l’actuel président des changeurs du Château, découvre quant à lui le métier en 1988 et se spécialise dans les devises rares. «Beaucoup de gens faisaient FORBES AFRIQUE FINANCE ACTEURS Le militant des fonds de pension Maminiaina Rasolondraibe est le fondateur de Funreco, premier fonds de pension privé malgache. Il est aussi propriétaire d’autres entreprises, dont Nams, une société d’édition multimédia. Ce jeune PDG fait partie de la génération d’entrepreneurs ayant accompagné le virage libéral de la Grande Ile dans les années 1990. PAR HERY ANDRIAMIANDRA 64 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 sa troisième entreprise, une société d’édition dont le fer de lance est le quotidien La Nation, assez critique vis-à-vis des politiciens locaux. Optimiste de nature, Maminiaina Rasolondraibe se réjouit tout de même de l’organisation des élections présidentielles, après quatre ans de marasme économique. L’homme se défend toutefois de rouler pour un candidat, n’ayant jamais adhéré à un parti politique, et affirme sa foi dans «l’entreprise créatrice de richesse». DE BRILLANTES ÉTUDES Grâce à l’éducation de son défunt père, qui était enseignant, il croit à la rédemption de l’homme par l’excellence au travail. A la fin du lycée, en 1978, une bourse lui permet de partir en France. Il étudie l’économie et la finance à l’Institut © HERY ANDRIAMIANDRA M aminiaina Rasolondraibe n’a pas vraiment changé depuis notre dernière rencontre, en 1986. Discret, il accorde peu d’interviews. Cet entretien avec Forbes Afrique est exceptionnel. L’itinéraire de ce businessman ne l’est pas moins. C’est en pleine crise politique, en mars 2009, qu’il crée d’études politiques de Grenoble et Son objectif est d’offrir une alternative retraites à Madagascar a été inspiré obtient une maîtrise en recherche fiable au système public de retraite par le modèle français. Et les textes appliquée en mathématiques. Suivra actuel. «Funreco, affirme-t-il, est juridiques le régissant datent des l’Ecole nationale de l’aéronautique devenu un instrument pour soutenir années 1960.» Le système est axé sur et de l’espace de Toulouse, d’où il l’innovation et la croissance dans le soutien intergénérationnel public et sort ingénieur en juin 1985. Il intègre l’économie. J’ai décidé de créer ce ces règlements ne correspondent pas à ensuite Exapi, une agence financière fonds de pension privé pour construire la situation économique actuelle. parisienne, entre 1985 et 1989, puis une source de financement abordable bifurque vers le secteur automobile pour les institutions de microfinance. UN BRISEUR DE MONOPOLE dans une filiale financière de Renault. Ce système reste encore un champ Pour Maminiaina Rasolondraibe, Il va aussi créer avec un ami, vert pour les pays francophones la solution réside dans le dialogue Thierry Rajaonah, une association, d’Afrique. A Madagascar, le taux entre l’Etat et les entreprises, pour le Jeune Patronat de Madagascar (JPM), d’intérêt des prêts bancaires est bien de tous, dans un environnement regroupant des cadres supérieurs très élevé. C’est l’un des principaux serein. «L’absence de certaines lois malgaches voulant saisir l’opportunité obstacles à l’expansion des PME, à la et règlements de base à Madagascar, de créer un jour une entreprise dans croissance et à la création d’emplois. précise-t-il, ne garantit pas une bonne leur pays d’origine. C’est en revenant Cela pourrait s’expliquer par le coût gouvernance de l’administration. Cette entre 1991 et 1993 à Antananarivo, de l’intermédiation de refinancement carence dans un contexte économique dans le cadre de la privatisation des banques commerciales et des et social dégradé exige des solutions de la banque nouvelles et BTM (devenue durables.» Bank Of Africa) En 2005, ţ/Þ2%-(&7,)'()815(&2(67'('(9(1,5 pour le cabinet conscient de /$35(0,5(,167,787,21'()21'6 Eurogroup l’existence de '(3(16,2135,96(1ť Consulting, cet écart, il a qu’il décide pris l’initiative, d’apporter sa sans être institutions de microfinance. Donc, pierre à l’édifice de la reconstruction parlementaire, de faire voter une si la régulation institutionnelle est économique. La Grande Ile sort alors proposition de loi sur les fonds de bien développée et son application d’une anesthésie étatique, après pension. Malgré les obstacles, il a plus efficace, l’accès au refinancement dix ans de socialisme qui ont mis convaincu politiciens et partenaires pourrait être plus abordable pour l’économie à genoux. économiques et sociaux. Le texte les institutions financières, puis a également légitimé ses propres pour les entrepreneurs.» SOUTENIR LA CROISSANCE activités de fonds de pension et brisé Plus de 75% des Malgaches sont C’est l’industriel Charles le monopole de la Caisse nationale agriculteurs et ils comptent sur les Ramanantsoa, fondateur de de prévoyance sociale (CNAPS). institutions de microfinance. «C’est l’unité de fabrication de produits Le marché est encore vaste et pourquoi la réduction de la pauvreté pharmaceutiques Farmad, qui lui met présente des perspectives. Seulement par le renforcement des institutions le pied à l’étrier. Il le nomme fondé 8% des ouvriers et employés sont de microfinance fait partie de notre de pouvoir de son empire et devient cotisants. Le défi est de convaincre les stratégie. L’objectif de Funreco est son mentor. Au même moment, organismes sociaux, d’autres firmes de devenir la première institution de Maminiaina Rasolondraibe fonde et le grand public de l’opportunité fonds de pension privés en 2018», avec Thierry Rajaonah le cabinet de permettre à des organismes soutient Maminiaina Rasolondraibe, d’études FTHM, associé au cabinet privés et/ou publics de gérer le qui tient à ajouter que «le système Canadian Houston Associates. système de protection sociale. de pensions et de retraites ne doit La libéralisation de l’économie Pour faire face à cette bataille, pas être monopolisé par une apporte un nouveau souffle à Maminiaina Rasolondraibe a créé sa institution publique». Madagascar, avec la création de propre société de médias, Nams, afin Mais il insiste sur la lourdeur du milliers d’emplois dans les années de défendre ses valeurs. «Nous avons système. «En tant qu’entrepreneur, 1990. C’est en lisant un article sur commencé à publier un quotidien et je pense que le marché libre est la les fonds de pension hollandais que un hebdomadaire, tirés respectivement meilleure option, même pour la Maminiaina Rasolondraibe choisit de à plus de 10000 et 5000 exemplaires. protection sociale et la santé. Mais créer Funreco, le premier et unique Les deux journaux sont aujourd’hui que se passe-t-il? Le système des fonds de pension privé à Madagascar. des leaders d’opinion.» DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 65 FORBES AFRIQUE ÉCONOMIE ACTEURS Jean-Michel Severino, le financier du développement Gérant depuis 2011 du fonds Investisseurs & Partenaires (I&P), basé à Paris, Jean-Michel Severino vient d’initier avec ses équipes une levée de fonds de 25 millions d’euros. L’ex-directeur général de l’Agence française de développement cherche de cette manière à financer les oubliés du développement africain : les start-up et les PME. PAR JEAN-MICHEL MEYER 66 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Jean-Michel Severino prend part aux réunions du groupe de personnalités éminentes sur le programme de développement post-2015 du PNUD (ici en Indonésie, le 27 mars dernier). « Nous voulons créer une rupture. En dix ans, nous révolutionnerons le système de création d’entreprise en Afrique. » possible et nous révolutionnerons le système de création d’entreprise en Afrique», plaide Jean-Michel Severino. UNE ENFANCE AFRICAINE En ces temps de crise, quel investisseur irait hasarder un dollar, un euro ou un franc CFA dans une start-up ou une PME africaine? Tout simplement un financier du développement animé par la reconnaissance © ÉRIC PIERMONT/AFP IMAGEFORUM - MADE NAGI/EPA/MAXPPP C alme et posé. A 56 ans, JeanMichel Severino cultive une forme de retenue qui lui offre la liberté de mûrir de grands projets. Discret, le gérant du fonds Investisseurs & Partenaires (I&P) n’en est pas moins déterminé. Son ambition? Mener une révolution tranquille du capitalisme africain. Elle doit aboutir à financer dans les dix ans à venir 500 nouvelles entreprises et start-up du continent qui donneront le jour à 15000 emplois. Une mission inédite sur le sol africain. Dans ce but, I&P veut mobiliser 25 millions d’euros auprès de family offices, d’investisseurs institutionnels ou de fondations de grandes entreprises industrielles ou bancaires qui ont des intérêts stratégiques sur le continent. Lancée en septembre 2013, la levée de fonds s’étendra sur au moins un an. Un café à la main, l’homme serein de la finance africaine expose cet objectif comme une évidence qui s’impose à tous. Sans effets de manche. Ni la caution de chefs d’Etat africains. «Nous voulons élaborer un mécanisme qui peut se développer de manière soutenable et qui ne dépendra pas de subventions. Nous voulons créer une rupture. En dix ans, nous donnerons la preuve que c’est Lorsqu’il dirigeait l’AFD, Jean-Michel Severino a notamment participé au lancement d’un fonds multilatéral de développement solidaire en 2009 (à gauche) et aux grands forums économiques mondiaux (comme ici au Cap, en Afrique du Sud, à droite). © LUDOVIC/REA - ÉRIC PIERMONT/AFP IMAGEFORUM t-il. Mais l’Afrique traverse alors une crise profonde. «Durant mes études supérieures, il était absolument évident que si l’on voulait travailler en relation avec le continent africain, il n’y avait aucune perspective dans le privé. L’économie africaine était entrée dans une récession majeure. Un gigantesque travail de restructuration économique était à mener. J’étais convaincu que ce qui comptait, c’était d’arriver à transformer cette situation économique ainsi que les politiques publiques pour contribuer à remettre le continent sur un chemin de croissance. C’était le rôle de la macroéconomie. Pour moi, c’était ce qu’il fallait faire, sans hésitation.» d’avoir vécu une enfance heureuse en Afrique. Bien plus qu’une dette à rembourser, une forme de gratitude. Jean-Michel Severino est né à Abidjan en 1957. Il a grandi dans une famille d’immigrés italiens. L’ombre de la misère enveloppera longtemps l’histoire de ses parents. Un passé familial qui contraste avec ses premières années d’existence dans la capitale ivoirienne, qui n’est alors qu’une bourgade. Des souvenirs de parfums, de paysages, de visages et d’une grande liberté. «Une Afrique magique et heureuse quand on a l’insouciance de l’enfance. Les difficultés du continent, je ne les ai découvertes que bien plus tard», se souvient-il avec émotion. Puis c’est l’arrivée en France, à Nice, à 12 ans. C’est le choc. Un environnement perçu comme hostile et déroutant. Ce qui n’empêchera pas le parcours sans faute du très bon élève Severino. Il est tour à tour diplômé de l’ESCP (1978), de Siences-Po (1980) et de l’ENA (1984). Une brillante carrière de haut fonctionnaire évoluant dans les cabinets ministériels lui tend les bras. Il préférera la fidélité à son enfance. «J’ai grandi en Afrique et j’ai toujours eu envie de travailler avec le continent», tranche- Jean-Michel Severino, accompagné de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, et René Caron, président de Crédit agricole SA, en 2010 lors du lancement de CAAM AFD Avenirs durables, un fonds commun de placement innovant initié par l’Agence française de développement et Crédit agricole Asset Management. ţ'85$17 0(6 78'(6,/ 1Þ<$9$,7 $8&81( 3(56Ŝ 3(&7,9( '$16/( 35,9(1 $)5,48(ť AU CŒUR DE LA COOPÉRATION Après quatre années en tant qu’inspecteur des finances, de 1984 à 1988, il devient conseiller technique du ministre de la Coopération Jacques Pelletier, puis chef du service macroéconomique et directeur du développement au ministère de la Coopération de 1989 à 1996. «Nous étions au cœur des ajustements structurels africains, se souvientil. Ce dont on discutait tout au long de l’année, c’était de la façon de gérer la dette africaine, de payer les salaires de la fonction publique... On ne parlait pas alors de la manière de booster l’investissement comme aujourd’hui!» Il fait partie des équipes qui organiseront la dévaluation du franc CFA en 1994. Un électrochoc. La BIAO, une filiale de BNP Paribas où avait travaillé son père, fermera ses portes. «La dévaluation du franc CFA est un souvenir difficile et professionnellement intense. Elle a eu des coûts sociaux de court terme, mais d’immenses bénéfices à moyen terme, en permettant de relancer les économies, de créer de l’emploi et de remettre les pays sur le sentier de la croissance. C’était indispensable, mais socialement pénalisant et politiquement compliqué à imaginer et à mettre en œuvre», analyse-t-il. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 67 ÉCONOMIE ACTEURS CRÉER DES FONDS LOCAUX A chacun son rôle. Au fonds I&P de financer les oubliés du développement en Afrique : les start-up et les PME. Le secret : agir au plus près du terrain. Pour identifier et financer 500 entreprises, le holding de Paris veut fonder des «mini I&P» gérés par des 68 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 En 1999, aux côtés d’Hubert Neiss, directeur du bureau régional du FMI pour l’Asie et le Pacifique. Jean-Michel Severino a travaillé pour la Banque mondiale pendant cinq ans, avant de rejoindre l’Agence française de développement. I&P : accompagner les entrepreneurs africains LE FONDS INVESTISSEURS & PARTENAIRES (I&P) A ÉTÉ FONDÉ EN 2002 PAR PATRICE HOPPENOT. Jean-Michel Severino prend le relais en 2011. I&P, c’est aujourd’hui une équipe de 20 salariés dont sept dans les bureaux africains d’Abidjan, Accra, Dakar, Douala et Antananarivo. Décidé à agir pour une croissance durable et l’émergence d’entrepreneurs africains responsables, le fonds possède deux véhicules. En dix ans, I&P Développement (IPDEV), le véhicule social historique, a investi 11 millions d’euros dans une trentaine d’entreprises africaines pour des participations inférieures à 300000 euros. Ce portefeuille est arrivé à maturité. IPDEV se poursuit à travers la levée de 25 millions d’euros amorcée en septembre pour financer 500 entreprises africaines. Le véhicule I&P Afrique Entrepreneurs (IPAE) a, lui, conclu son troisième et dernier closing en mai 2013, levant au total 54 millions d’euros. L’objectif est d’investir en fonds propres de 300000 à 1,5 million d’euros dans 40 à 50 entreprises. Une quinzaine d’investissements ont déjà été réalisés. © ROSLAN RAHMAN/AFP IMAGEFORUM De 1996 à 2001, Jean-Michel Severino s’octroie un break pour être directeur de la Banque mondiale pour l’Europe centrale, puis vice-président pour l’Asie. De retour en France pour des raisons familiales, il devient directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et président de Proparco de 2001 à 2010. L’idéal pour se reconnecter à l’Afrique. «Si l’on est un ami du continent et que l’on veut contribuer à l’enjeu fondamental de l’Afrique, qui est de générer une croissance durable, il y a deux choses à faire. La première, contribuer à doter le continent d’infrastructures. C’est le métier que j’ai fait à l’AFD. La deuxième est de faire émerger ce tissu d’entreprises africaines qui assurera la durabilité de la croissance. Là, vous êtes au cœur du développement. Nous avons besoin d’entrepreneurs africains dynamiques, ambitieux et responsables. C’est fondamental. Pour le reste, c’est aux Africains de se fabriquer leurs propres institutions politiques, de santé, d’éducation… Laissons-les faire, ils sont chez eux», exhorte-t-il. équipes africaines. «Notre projet vise à créer dix nouveaux fonds locaux, investissant de 30000 à 300000 euros dans des entreprises au sud du Sahara. Ce qui sera unique, ce sera de créer ce réseau organisé de véhicules locaux», détaille Jean-Michel Severino. Un premier véhicule local a déjà vu le jour au Niger : la Société d’investissement au Niger, gestion & initiatives (Sinergi), avec sept entreprises en portefeuille. Et un deuxième véhicule est en voie d’achèvement au Burkina Faso. Les autres suivront d’ici le deuxième semestre 2014, notamment dans les pays où I&P est déjà implanté : Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal ou Cameroun. Ces structures locales devront déceler les futures pépites africaines, mais elles devront aussi attirer les financements d’investisseurs locaux, de banques et d’industriels ainsi que de filiales de grands groupes implantées dans ces pays. «L’effet levier est gigantesque, de 1 à 12», assure le patron d’I&P. De là à créer un nouveau modèle reproductible de financement de l’investissement sociétal, il n’y a qu’un pas, qu’espère bien franchir Jean-Michel Severino. «Le jour où I&P aura montré que l’on est capable de mettre dix fonds locaux en réseau, il sera possible d’en connecter 20, 30, 40 ou autant qu’il y a de pays africains. Et chacun d’entre eux pourra se développer localement, sans subventions», prédit Jean-Michel Severino. Rendez-vous dans dix ans. FORBES AFRIQUE LA CHRONIQUE FINANCIÈRE DE JACQUES LEROUEIL LE TRIOMPHE DU RÉALISME DES MARCHÉS © DR L a remise en cette fin d’année du prix Nobel d’économie à l’Américain Robert Shiller* aura pour une fois récompensé l’originalité sur le conformisme. Une bonne nouvelle, car lui accorder la prestigieuse distinction revient à reconnaître la portée du message qu’il martèle depuis trente ans : les marchés financiers sont tout sauf rationnels, oscillant constamment entre bulles et krachs, au gré des forces psychologiques sous-jacentes qui animent les investisseurs. Une évidence pour les praticiens de la Bourse, mais longtemps un anathème dans les rangs académiques, qui professaient a contrario que les marchés étaient efficients, que tout était livré à la marche du hasard, et que personne ne pouvait prétendre dégager durablement une performance supérieure à la moyenne. Le talent des meilleurs et les fortunes accumulées par certains investisseurs ne seraient dès lors que des anomalies statistiques, le grain de sable dans la belle mécanique conceptuelle de ces érudits, dont les modélisations mathématiques complexes ont tout prévu, sauf l’essentiel : l’imprévisibilité inhérente aux marchés et les aberrations extrêmes qui peuvent parfois y survenir. Une nature chaotique et aléatoire contre laquelle Robert Shiller a toujours mis en garde et qui aujourd’hui, enfin, se voit acceptée. Mais l’utilité fondamentale du postulat de Shiller est autre. De ses observations empiriques, une approche pratique d’investissement peut être tirée : si les marchés sont irrationnels et soumis aux extrêmes à intervalles réguliers, ils reviennent tôt ou tard à la normale et peuvent donc être source de profits pour l’investisseur averti. Acheter sur faiblesse et vendre sur force, les meilleures affaires étant souvent faites dans les pires moments de l’Histoire. Une logique universelle. La crise postélectorale ivoirienne de 2011? Un lointain souvenir pour les courtiers de la place d’Abidjan, qui ont vu entretemps l’indice BRVM Composite progresser de 50%. La chute récente des frères musulmans en Egypte? Quelques frayeurs à la Bourse du Caire au plus fort des événements, mais depuis c’est l’envolée : près de 40% en moins d’un semestre. De telles hausses sont-elles logiques, de manière si forte et si brève? Probablement pas. Mais la même remarque pourrait être faite des violents mouvements baissiers les ayant précédées. «Personne n’a jamais réussi à comprendre la logique des amples fluctuations dont font l’objet les prix financiers. Il semble que ces fluctuations soient aussi vieilles que les marchés financiers eux-mêmes», relevait déjà Robert Shiller dans son essai Les Esprits animaux. Une vérité enfin entendue par une majorité d’économistes, mais comprise, appliquée et mise à profit depuis longtemps déjà par les opérateurs de marché les plus perspicaces. La fin d’un mythe en somme, et le triomphe du réalisme et de l’humilité : reconnaître que derrière les oscillations incessantes de valeurs, ce sont d’abord des hommes, avec leur raison tout autant que leurs illusions, leurs peurs et leurs espoirs, qui apparaissent en filigrane. * Le prix Nobel d’économie 2013 a été décerné aux Américains Robert Shiller (université de Yale), Eugene Fama (université de Chicago) et Lars Peter Hansen (université de Chicago également) pour leurs travaux sur les marchés financiers. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 69 FORBES AFRIQUE SPIRITUEUX ACTEURS Benjamin Agboli Le prince africain du whisky écossais À 43 ans, ce Togolais, frère du chef traditionnel de Notsé, fait une entrée remarquée dans le cercle très fermé des producteurs de spiritueux de luxe. Sa marque de whisky Dunadd figure en bonne place dans les rayons des plus grands magasins en Europe ainsi qu’en Russie, et est distribuée en Afrique. Chiffre d’affaires estimé : 2,5 millions d’euros. PAR VIVIANE FORSON 70 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 britanniques, et obtient notamment un diplôme de 3e cycle en commerce international. Il travaille d’abord une quinzaine d’années pour le groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline, pour lequel il est en charge du développement des exportations couvrant les marchés africains. Ensuite, chez Sugar Exporters Ltd, il s’occupe du négoce de matières premières en Asie, en Afrique et sur les marchés du Benelux. UN PREMIER PROJET Après cela, son parcours le mène chez Itochu Europe, où il cherche à développer l’entreprise et ses stratégies de prix à l’international, en particulier au Moyen-Orient, en Afrique centrale et sur les marchés européens. C’est sa dernière étape professionnelle avant de créer sa société, Willimott House, qui produit et distribue la marque Dunadd Blended Scotch Whisky et ses différentes variétés (trois, douze et quinze ans d’âge). «Nous sommes en 2004. Au tout début, mon projet principal était de moderniser la production du vin de palme pour en faire un rhum de palme, exactement comme la canne à sucre a été la base de la production de rhum au xviie siècle. J’ai mené mes recherches avec une distillerie en Ecosse. Malheureusement, j’ai découvert que le coût de mon projet initial serait de plus de 100 millions de livres sterling. Comme je n’avais pas ce budget et que je savais qu’aucune banque ne m’aiderait, j’ai été obligé de l’abandonner», se souvient Benjamin Agboli. Un revers qu’il accepte difficilement dans un premier temps. Mais il va être rapidement recontacté par l’usine écossaise, qui a vu en lui une personne intègre, ambitieuse et déterminée. «J’apprenais que je pouvais devenir propriétaire d’un whisky écossais, à condition que je crée une marque et que je sois capable de développer mes marchés pour la distribution de mes propres whiskies. J’ai mené des recherches en Ecosse de 2004 à 2006, car, quand bien même la suggestion faite était merveilleuse, je reconnaissais que la « Je pouvais devenir propriétaire d’un whisky écossais, à condition de créer une marque et de développer mes propres marchés pour la distribution. » © VIVIANE FORSON E tre le frère de Togbé Agboli Agokoli IV de Notsé, le président des chefs traditionnels du Togo, n’est pas une mince affaire. Mais Benjamin Agboli a su jouer de sa position de dernier de la famille pour échapper à un destin tout tracé. Notsé est la capitale du peuple Ewé et se trouve dans la région des Plateaux au Togo. C’est la terre d’un royaume qui s’est développé autour du xve siècle. De ce socle familial, Benjamin Agboli garde le souvenir de nombreuses vacances passées avec ses cousins provenant du Bénin voisin ou encore du Ghana. L’un d’eux va particulièrement se rapprocher de lui, David Koffi. Il est ghanéen et parle donc couramment anglais. À cette époque, la langue de Shakespeare fascine le jeune Benjamin et il se voit bien étudier à Londres, et pourquoi pas y faire sa vie. Mais selon les souhaits de sa famille, c’est en France qu’il doit poursuivre ses études… Il s’exécute et va rejoindre un oncle. Une fois sur place, il se rend compte qu’une échappatoire est encore possible. Sans le soutien de la famille, et surtout sans aide financière, il prend le chemin de la capitale anglaise. Benjamin Agboli fréquente plusieurs grandes universités ţ0$0$548( '(9$,75$&217(5 81(+,672,5(ť Michelle et Barack Obama le 1er juillet dernier, chaleureusement accueillis lors de leur arrivée à Dar es-Salaam, en Tanzanie, la dernière étape de la tournée africaine de la présidence américaine, après le Sénégal et l’Afrique du Sud. tâche ne serait pas facile, bien que le budget soit en dessous de celui du rhum de palme. J’avais compris dès le départ que si je devais créer un whisky écossais, il fallait que sa marque s’impose par son nom, sa prononciation et, surtout, elle devait absolument raconter une histoire. La marque Dunadd a d’abord été déposée et enregistrée au RoyaumeUni puis dans l’Union européenne, en Russie et en Ukraine.» FAIRE PREUVE DE CRÉATIVITÉ Dunadd est le premier whisky dans cette industrie qui ne vienne pas d’une histoire familiale. Le Benjamin Agboli et sa femme PamelaMaud forment une équipe solide et complémentaire dans la gestion de l’entreprise Willimott House. nouveau businessman surprend son monde en redécouvrant les fondements de l’histoire de l’Ecosse. La forteresse de Dunadd... Imaginez une fortification complexe défendue par quatre lignes de murs de différents niveaux, constitués de roche, dont une paroi plus fine, avec une série de gravures située sur une dalle proche du sommet. La mise en avant par ce jeune Togolais de ce qui est aujourd’hui l’un des plus célèbres sites médiévaux d’Ecosse va apporter selon les spécialistes et distributeurs une certaine créativité, et donc stimuler la concurrence dans le secteur. Les premières démarches prennent du temps, et demandent des investissements importants. «C’est vrai qu’il est très difficile de convaincre les banques pour les prêts. Ce n’était pas facile avant la crise économique globale, et l’avènement de cette crise n’a fait qu’empirer les choses. J’ai vendu ma maison à Richmond, une ville proche de Londres. Mais cela ne suffisait pas», raconte l’homme d’affaires. Un moment compliqué à traverser pour Benjamin Agboli, mais il ne sera pas seul. La rencontre avec son épouse, à Paris, va marquer le début d’une véritable aventure à deux. Pamela-Maud, une AngloCamerounaise de douze ans sa cadette, laisse tout derrière elle pour le suivre en Angleterre, apportant au foyer, en plus d’un petit garçon issu d’une union précédente, toutes ses connaissances en gestion. «C’est elle ma conseillère financière, car, dans des situations pareilles, il faut un support non seulement psychologique, mais dans tous les domaines, sinon on risque de se perdre et de dépenser n’importe comment.» À deux, ils créent un petit négoce pour exporter des pneus et des véhicules Land Rover en Afrique. Les profits de cette société sont réinvestis dans Willimott House Ltd, pour financer le projet. Depuis leur mariage, la famille s’est agrandie avec la naissance de deux autres garçons. Plus qu’une histoire d’amour, Pamela-Maud DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 71 SPIRITUEUX ACTEURS et Benjamin Agboli forment un duo complice, complémentaire et foncièrement optimiste. 72 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Les whiskies douze et quinze ans d’âge produits par Benjamin Agboli forment le haut de la gamme Dunadd. Glossaire pour amateurs de whisky LE BLEND : Un blend ou blended whisky est un whisky issu de l’assemblage de whiskies d’une ou de plusieurs distilleries. Il peut contenir des whiskies de différentes années, de différentes origines (single malt, bourbon, rye), mélangés à du whisky de grain, voire à de l’alcool neutre. CARACTÈRE : Le style ou le caractère du blend est défini par des saveurs dominantes. Celles-ci sont tributaires des lieux d’où les ingrédients du whisky sont originaires. JAMBES : Faites tourner votre whisky dans un verre clair et propre. Vous remarquerez qu’il demeure sur les parois quand vous reposerez votre verre sur la table. Les rayures qui en résultent sont les «jambes» du whisky. Elles dépendent de la teneur en alcool et de la viscosité naturelle. VERRE À NEZ : Afin de savourer pleinement l’arôme d’un whisky, l’équipe du blending utilise un verre à nez. Celui-ci possède une large coupe, une ouverture étroite et un petit couvercle pour contrôler l’ouverture. On peut en partie obtenir le même effet en utilisant un verre à vin. © VIVIANE FORSON - DUNADD VENTE DIRECTE ET INDIRECTE Pour sa production, Willimott House s’appuie sur les compétences de master blenders de renom, les frères Fred et Stewart Laing, réputés pour la qualité et la variété de leur sélection. Ils disposent encore de fûts des distilleries les plus prestigieuses : Glenfarclas, Talisker, Ardbeg… La suite logique de cette aventure pour Benjamin Agboli, c’est la distribution. Avec deux types de stratégie : la vente directe et la vente indirecte. «La vente directe s’applique aux grandes surfaces. Cependant, pour les ventes indirectes, nous sommes condamnés à choisir des distributeurs et Cash & Carries pour la plupart des marchés», détaille le chef d’entreprise. La vente directe permet dans un premier temps d’avoir un accès rapide au marché, le profit peut être optimisé et la marque est rapidement exposée au grand public. En revanche, cela demande beaucoup de négociations et implique des coûts supplémentaires de stockage. Pour la vente indirecte, le distributeur ou Cash & Carry peut faire du stock, apporte sa connaissance du marché et supporte tous les risques. «A court terme, nous voulons d’abord maximiser les marchés déjà acquis, à savoir la France, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne et la Russie, et ceux couverts par notre distributeur en Afrique, l’Afrique du Nord, le Togo et le Bénin. Puis nous étudierons une possible expansion. A long terme, nous allons lancer le single malt et notre propre London gin, dont les deux marques sont déjà déposées et enregistrées», projette Benjamin Agboli. Le whisky Dunadd est désormais distribué dans le monde entier. Il faut compter 11 à 27 euros pour le trois ans d’âge, y compris en Afrique. «Bien évidemment, le whisky Dunadd a de l’avenir en Afrique. Selon le rapport de la Scotch Whisky Association (SWA), le continent représente un grand marché. Les pays les plus porteurs sont le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, le Nigeria, le Cameroun, l’Angola et l’Afrique du Sud», insiste Benjamin Agboli. Le fondateur de Willimott House se rêve en modèle pour l’Afrique. Avec son expérience d’entrepreneur, il souhaite transmettre les valeurs de travail, de recherche de marques, qui ne sont pas assez présentes dans le business sur le continent. S’il n’est pas sûr que son projet initial rebondira un jour, Benjamin Agboli est convaincu que son parcours étonnant devrait en inspirer plus d’un. FORBES AFRIQUE TOURISME ACTEURS Praveen Moman L’artisan de l’écotourisme Cet ancien conseiller politique revenu sur les terres ougandaises de son enfance a décidé en 1997 de se lancer dans l’écotourisme en Afrique. Depuis, le succès et la reconnaissance internationale sont au rendez-vous. PAR NADIA MENSAH-ACOGNY D © VOLCANOES SAFARI ans la tradition de migration indienne en Afrique des années 1850, sa famille arrive au Kenya en 1930, puis s’installe rapidement en Ouganda. C’est là que naît Praveen Moman, d’un père fonctionnaire et d’une mère directrice d’école, et qu’il vit de belles années jusqu’à l’expulsion des Indiens par Idi Amin Dada en 1972. Cet épisode terrible traumatise l’adolescent et sa famille, qui tirent un trait sur l’Afrique et s’installent en Grande-Bretagne. Il y terminera sa scolarité, puis étudiera à Cambridge, avant d’embrasser une carrière de conseiller politique du gouvernement britannique, puis de l’Union européenne. ALLIANCE DU TOURISME ET DE L’AIDE Praveen Moman ne remettra les pieds sur le continent africain qu’au milieu des années 1990, à l’occasion d’une visite politique en Afrique du Sud et en Ouganda. Il ne peut alors réprimer un coup de foudre mêlé de nostalgie pour sa terre natale. Après plusieurs allers-retours et le constat d’un Praveen Moman a été distingué cette année par le magazine américain Departures pour son œuvre pour la conservation des espèces animales en Afrique. apaisement politique dans la région, il décide en 1997, avec un associé, de créer en Ouganda Volcanoes Safaris, pour faire revivre le safari des grands singes. Il poursuit sur sa lancée et, en 2000, il sera le premier à implanter une société internationale au Rwanda. Il tentera également une ouverture en République démocratique du Congo, sans succès. Praveen Moman centre son activité sur l’écotourisme de luxe, pratiqué de manière Après son départ pour la Grande-Bretagne à l’adolescence, Praveen Moman ne remettra les pieds sur le continent africain qu’au milieu des années 1990, à l’occasion d’une visite politique en Afrique du Sud et en Ouganda. Il ne peut alors réprimer un coup de foudre mêlé de nostalgie pour sa terre natale. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 73 TOURISME ACTEURS 74 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 immuable : départ pour le safari dès 6 heures du matin et retour pour un déjeuner tardif. L’après-midi, les écotouristes peuvent partir à la découverte d’autres animaux ou s’investir dans un projet caritatif. En Ouganda, on trouve tous les animaux, sauf le rhinocéros. Le pays abrite notamment 1200 espèces d’oiseaux, tandis que le Rwanda en compte 700. Le safari consiste à marcher dans la forêt ou la jungle à la recherche des gorilles. On ne peut les approcher à moins de sept mètres. Généralement, on les trouve en groupes composés de nombreux individus. L’observation dure environ une heure. Le Mount Gahinga Lodge de Volcanoe Safaris. Il est situé au sein du Mgahinga Gorilla National Park, au pied des montagnes volcaniques des Virunga, à la frontière de l’Ouganda, du Rwanda et de la République démocratique du Congo. UNE SOIF DE RÉUSSIR La fierté de Praveen Moman, c’est de voir le chemin parcouru par ses employés en termes d’apprentissage et de qualité des « Aider est une démarche très délicate, car il s’agit d’apporter un soutien sans être paternaliste, sans trop protéger. » © VOLCANOES SAFARI intelligente : sans mettre les gorilles en danger, et en venant en aide aux communautés locales. «Les riches s’intéressent aux singes, les pauvres s’intéressent au pain quotidien», explique-t-il. Aussi cherche-t-il le moyen d’instaurer une connexion entre les touristes et les populations, et pas simplement à bâtir des lodges pour les nantis. Les indigènes considèrent les animaux sauvages comme de la nourriture potentielle. Mais en travaillant de près avec eux, ils finissent par adhérer et collaborer aux projets. Selon le fondateur de Volcanoes Safaris, «aider est une démarche très délicate, car il s’agit d’apporter un soutien sans être paternaliste, sans trop protéger, sans orchestrer un spectacle des pauvres pour les riches. Il faut savoir préserver la dignité des populations». Pour chaque touriste reçu, les lodges versent 100 dollars au Volcanoes Safaris Partnership Trust, une organisation caritative qui finance de nombreux projets communautaires. Les lodges reçoivent un maximum de huit personnes à la fois. Le séjour dépasse rarement quatre jours, avec un rituel démographique et l’accroissement exponentiel de la consommation. Pour Praveen Moman, il faudrait réfléchir ensemble au bon équilibre entre les besoins du développement économique et la conservation de l’environnement en Afrique. prestations, compte tenu des conditions dans lesquelles ils vivent. Cette soif d’apprendre et de réussir avec leurs équipes les motive, son épouse et lui, tous les jours. Sans compter l’association entre tourisme et conservation, et ce lien qui se crée entre les clients très aisés, en majorité américains, et la population locale, qui est fort touchant. Praveen Moman réalise au quotidien à quel point l’environnement naturel en Afrique est terriblement menacé. Son rêve est de pouvoir faire passer le message aux autorités gouvernementales et aux entreprises, afin qu’elles y prêtent plus d’attention, car nombre de projets sont basés sur une vision dangereuse à court terme. La destruction des forêts pour des constructions touristiques de masse tue les écosystèmes, avec des conséquences dramatiques. Cela est encore aggravé par l’explosion Les safaris partant à la découverte des grands singes sont la principale activité des touristes qui fréquentent les lodges de Praveen Moman. FAIRE UNE DIFFÉRENCE Est-il aisé de faire du business en Afrique? Praveen Moman sourit avant de répondre. «Ce n’est pas simple. Je suis revenu en croyant que je pouvais recréer l’Afrique de mon enfance. J’étais très naïf et plein d’enthousiasme. La réalité est autre. Les niveaux de compétences sont très bas dans ma région. Il a fallu commencer avec le B. A. BA et progresser pas à pas. Tous les employés des lodges sont des Africains noirs. Dans les bureaux, il y a plus de mixité. Nous motivons le personnel et les aidons à faire des progrès. Il faut éviter les clichés. L’objectif est de donner à chacun la possibilité de faire une différence dans l’entreprise, dans sa propre famille et dans sa vie. Gérer une entreprise d’écotourisme en Afrique est un casse-tête.» Praveen Moman et son épouse ont vendu leurs biens pour investir dans ce projet de vie, car il leur était difficile d’obtenir un prêt. Ils ont créé trois entités distinctes pour éviter les complications, une en Ouganda, une au Rwanda et une troisième au RoyaumeUni. Le Rwanda a le plus gros chiffre d’affaires avec 65% d’occupation annuelle. L’Ouganda emploie le plus de monde avec une équipe d’environ 180 personnes. Le bureau londonien est tout petit et gère essentiellement le marketing. Et si c’était à refaire? Il rit de bon cœur : «Il est plus facile de construire et de gérer un grand hôtel en ville qu’un petit lodge en brousse. Chez nous, tout est petit, fait main, sur mesure et donc très cher. Ce secteur ne convient qu’à des entrepreneurs passionnés, travaillant sur le long terme, et pour qui l’objectif premier n’est pas de s’enrichir, mais de servir.» Praveen Moman vient de rénover entièrement le Mount Gahinga Lodge. L’aventure continue. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 75 LE DÉFI ÉNERGÉTIQUE DE L’AFRIQUE L’énergie constitue l’un des principaux enjeux pour un véritable décollage économique durable du continent. Comparée aux autres grandes régions de la planète, l’Afrique accuse un réel retard. Mais certaines régions plus que d’autres. Etat des lieux à la lumière du « Choiseul Energy Index », qui mesure et compare la compétitivité des pays en matière énergétique. PROPOS RECUEILLIS PAR MARC JÉZÉGABEL 76 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 ţ/Þ1(5*,( 5(356(17(81 '),0$-(853285 /Þ$)5,48(/Þ(6625 &2120,48( 'Þ813$<6(67 ',5(&7(0(17 &255//Þ$&&6 '(66285&(6 'Þ1(5*,(ť DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 77 FORBES AFRIQUE : Votre étude, le Choiseul Energy Index, concerne l’ensemble de la planète. Comment se situe le continent africain en matière de politique énergétique par rapport aux autres continents ? PASCAL LOROT : L’énergie représente un défi majeur pour l’Afrique. L’essor économique d’un pays est directement corrélé à l’accès libre et sans entrave à des sources d’énergie. L’accès à l’énergie, aux énergies, il faut le souligner, conditionne lui-même l’amélioration du niveau de vie Président de l’institut Choiseul, docteur en économie et en sciences politiques, Pascal Lorot a été directeur des études économiques du groupe Total, membre de la Commission de régulation de l’énergie (en France) et conseiller ministériel. Il est le conseiller de plusieurs Etats et grands groupes internationaux. En comparaison de son poids démographique, l’Afrique consomme très peu d’énergie. Elle compte pour 15 % de la population mondiale et seulement 3 % de la consommation énergétique. 78 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 des populations; il est aussi la source du développement. Or, force est de constater que beaucoup reste encore à faire sur un continent où la majorité de la population recourt au bois de chauffe pour faire face à ses besoins. Aujourd’hui, un Africain sur deux n’a pas accès à l’électricité. Le chiffre est de un sur quatre à l’échelle de la planète, c’est dire le retard de l’Afrique en ce domaine. En comparaison de son poids démographique, l’Afrique consomme très peu d’énergie. Elle compte pour 15% de la population mondiale et seulement 3% de la consommation énergétique. Un Africain consomme en moyenne dix fois mois d’énergie qu’un Européen… et vingt fois moins qu’un Américain. Et encore ne s’agit-il là que d’une moyenne. En effet, si l’on exclut l’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud, la consommation d’un habitant d’Afrique subsaharienne sera elle-même inférieure des deux tiers à la consommation moyenne du continent. Pour en revenir à notre étude, ses résultats reflètent le constat que je viens de faire. L’Afrique reste clairement en retrait par rapport aux autres grands ensembles géopolitiques. Elle est le continent offrant le © P. 76-77 : CRAIG MAYHEW ET ROBERT SIMMON/NASA GSFC - P. 78 : DR - SIPHIWE SIBEKO/REUTERS ÉNERGIE DOSSIER La centrale hydroélectrique de Bujagali Falls, en Ouganda. Elle a produit 250 MW en 2012. En haut : Annonce d’un projet de valorisation énergétique des déchets dans la capitale nigériane. On prévoit des productions allant jusqu’à 50 MW dans les années à venir. Ci-contre : Le réseau électrique de la capitale nigériane. La majorité des Nigérians n’ont toujours pas accès à cette énergie. © THOMAS KOEHLER/PHOTOTHEK/GETTY IMAGES - AKINTUNDE AKINLEYE/REUTERS score le moins élevé, après l’Asie et en dessous de la moyenne mondiale. Il convient toutefois de faire une distinction entre l’Afrique du Nord, dont les résultats approximent la moyenne mondiale, et l’Afrique subsaharienne qui reste, elle, encore très en deçà. Comment se définit la qualité d’un bouquet énergétique ? P.L. : Le bouquet énergétique est une notion qui tend à quantifier et qualifier le bon équilibrage entre les différentes ressources et inputs énergétiques auxquels un Etat a recours pour faire face à ses besoins. Un pays présentant un mix (ou bouquet) énergétique équilibré sera caractérisé par une situation où le déficit en matière énergétique est peu important, où les gaspillages sont contenus, où la part des énergies renouvelables est significative ou en croissance, où enfin la dépendance au pétrole ressort plutôt faiblement. A cette aune, à l’échelle de l’Afrique, plusieurs pays bénéficient d’un «bon» bouquet et sortent du rang. C’est le cas, par exemple, des deux Congos, de la Guinée équatoriale, de l’Angola ou encore du Gabon, et, côté Afrique du Nord, de l’Algérie. L’accès à l’électricité reste un grave problème dans la plupart des pays africains. A quelle échéance et à quelles conditions ce déficit peut-il être résorbé, au moins en partie ? P.L. : L’Afrique reste le continent le moins électrifié. Plus de 500 millions d’Africains n’ont pas accès à cette source d’énergie. C’est notamment le cas en Afrique subsaharienne, où les infrastructures sont généralement assez vétustes et peu en phase avec les variations de la demande. Ce qui conduit à des interruptions, à des pertes en ligne et à des délestages fréquents, qui pénalisent l’activité économique. Le système électrique africain se caractérise par une électrification avant tout urbaine, celle des grands centres, alors que les zones rurales sont peu concernées. Il est également caractérisé par le manque d’interconnexions au niveau des grandes régions et sous-régions, Institut Choiseul BASÉ À PARIS, L’INSTITUT CHOISEUL EST UN CENTRE DE RECHERCHE INDÉPENDANT, spécialisé dans l’analyse des grands enjeux économiques, énergétiques et stratégiques internationaux. Au carrefour du monde politique et institutionnel, du monde de l’économie et de celui des idées, il publie de nombreuses études, ainsi que la revue bimestrielle de référence Géoéconomie. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 79 ÉNERGIE DOSSIER Un continent dans la pénombre EN MATIÈRE DE PERFORMANCES ÉNERGÉTIQUES, C’EST L’EUROPE QUI MÈNE LE BAL, DEVANT LES ETATS-UNIS ET LE CONTINENT ASIATIQUE, qui en vingt ans a rattrapé un important retard. Si la moyenne mondiale se situe juste sous la barre des 42 (sur 100), l’Afrique du Nord (38,9) est pratiquement parvenue à se hisser au standard mondial. Toutefois, la moyenne du continent (33,7) masque mal des disparités contrastées, puisque l’Afrique de l’Est – la sous-région la moins bien notée – et l’Afrique de l’Ouest ont dix points de retard sur le Maghreb. Et avec des consommations plus faibles et donc potentiellement moins de déperdition. Pour l’Afrique subsaharienne, réduire ce handicap est un défi majeur. NON DÉFINI PAYS INTERMÉDIAIRES PAYS LES PLUS PERFORMANTS PAYS DÉFICIENTS PAYS PERFORMANTS PAYS DÉFAILLANTS Un atelier de Greenpeace à Durban, en 2011 : le projet vise à expliquer aux jeunes Sud-Africains le fonctionnement des énergies renouvelables et à les promouvoir au sein de la population. 80 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Performance énergétique par continent Note sur 100, les notes les plus élevées correspondant aux régions les plus performantes. 48,5 EUROPE 43,6 41,9 41 33,7 AMÉRIQUE MONDE ASIE AFRIQUE En matière d’empreinte environnementale, qu’est-ce qui fait la différence ? P.L. : L’environnement est évidemment un sujet clé. Il est au cœur des problématiques Présentation et méthodologie LE CHOISEUL ENERGY INDEX EST UN CLASSEMENT UNIQUE, RÉALISÉ PAR L’INSTITUT CHOISEUL. Il mesure la compétitivité et la performance des politiques publiques en matière énergétique de 146 Etats. Pour sa réalisation, il s’appuie sur l’exploitation de données officielles issues des principales bases statistiques internationales qui, une fois sélectionnées, font l’objet d’appréciations et de pondérations aboutissant à une classification globale. L’étude complète 2014 ainsi que les résultats détaillés du continent africain peuvent être obtenus auprès de l’Institut Choiseul (www.choiseul.info, simone.ditonno@choiseul.info). © ROGAN WARD/REUTERS ce qui empêche toute convergence entre Etats et systèmes nationaux. Ce que je dis concerne moins l’Afrique australe, où l’électrification est plus développée et touche une proportion bien plus importante de la population locale. Et encore moins l’Afrique du Nord qui, elle, a pratiquement achevé son processus d’électrification. Dès lors, pour en venir aux conditions nécessaires pour résorber ce déficit, il est clair qu’un effort d’investissement doit être entrepris. Celui-ci doit privilégier, me semble-t-il, lorsque cela est possible, la création d’infrastructures hydroélectriques. L’Afrique dispose de ressources en eau colossales, partout sur le continent, dont bien peu sont toutefois exploitées. Le coût de l’investissement est certes important mais, ensuite, les capacités sont là pour longtemps. Les capacités de production dites centralisées doivent aussi être renforcées, notamment dans les centres urbains, surtout lorsque ceux-ci sont éloignés des sources hydroélectriques. Enfin, il faut permettre aux zones rurales d’accéder à l’électricité. Pour cela, il faut privilégier le développement rapide de sources électriques alternatives, bien adaptées aux ruralités d’Afrique subsaharienne, comme les minicentrales solaires, la géothermie, voire de petits groupes électriques. Il faut le comprendre, il existe un formidable potentiel de développement des énergies renouvelables en Afrique, aujourd’hui largement inexploité. Saiton par exemple que 30% des ressources éoliennes mondiales se situent en Afrique? Et que dire du potentiel solaire thermique et photovoltaïque, lorsque l’on sait que la moitié du continent bénéficie d’un ensoleillement supérieur à 2000 kWh/m2? 100 Afrique sub-saharienne AFRIQUE DU NORD Tunisie Maroc Algérie Cap-Vert Libye Égypte Mauritanie Mali Niger Sénégal Érythrée Gambie Guinée-Bissau Tchad Burkina Faso Sierra Leone Liberia AFRIQUE DE L’OUEST Côte d’Ivoire Soudan Djibouti Nigeria Éthiopie RCA Ghana Cameroun Togo Guinée Bénin équatoriale Gabon Rép. dém. du Congo Ouganda Rép. du Congo AFRIQUE SUBSAHARIENNE AFRIQUE CENTRALE Somalie Kenya Tanzanie Angola Rwanda Burundi Madagascar Zambie internationales et personne, aujourd’hui, ne peut faire l’impasse sur cette question. L’Afrique pas plus qu’un autre continent. Si l’Afrique a encore des efforts à faire pour se hisser vers les plus hautes marches du podium en matière de compétitivité énergétique, il faut reconnaître qu’en ce qui concerne la compatibilité des politiques suivies avec la préservation de l’environnement, elle recueille des résultats honorables. Notre étude révèle que six pays africains (le Botswana, le Congo-Brazzaville, le Kenya, le Maroc, l’Angola et le Cameroun) se situent parmi les 25 pays les mieux positionnés en ce domaine. C’est bien mais, objectivement, l’Afrique peut mieux faire. Surtout lorsque l’on connaît, ainsi qu’évoqué précédemment, le formidable potentiel de ce continent en matière d’énergies renouvelables, hydrauliques bien sûr, mais pas uniquement. Si l’on resserre la focale sur les grandes régions du continent, l’Afrique de l’Ouest et celle de l’Est semblent à la traîne en matière de compétitivité énergétique, notamment par rapport aux autres Malawi Zimbabwe Namibie AFRIQUE DE L’EST Mozambique Botswana Afrique du Sud Swaziland Lesotho Île Maurice AFRIQUE AUSTRALE ET MADAGASCAR sous-régions de l’Afrique subsaharienne. Comment cela s’explique-t-il ? P.L. : C’est la surprise de l’étude. Il est de bon ton de dire que l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, toutes deux anglophones, sont plus performantes dans le domaine économique que ne l’est l’Afrique francophone. Mais en matière énergétique, cette assertion est en partie infirmée. Le score de l’Afrique centrale (Angola, Cameroun, CongoBrazzaville, Congo-Kinshasa, Gabon, Personne, aujourd’hui, ne peut faire l’impasse sur la question de l’environnement. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 81 ÉNERGIE DOSSIER Le parc éolien de Ngong Hills, au Kenya. Sa puissance nominale totale est estimée à 14 MW. La plate-forme pétrolière à Limbe, au Cameroun. Le continent représente 10 à 12% de la production mondiale. Guinée équatoriale) devance légèrement celui de l’Afrique australe et plus encore celui de l’Afrique orientale. Il faut y voir la conséquence d’un bon mix énergétique et d’une stratégie qui prennent davantage en compte les problématiques environnementales. Cela découle aussi – et cela relativise en partie notre assertion – d’une plus faible industrialisation et de besoins, de fait, moins importants. Compte tenu des découvertes récentes de nouvelles réserves en pétrole et en gaz, la hiérarchie continentale va-t-elle beaucoup bouger dans les années qui viennent ? P.L. : Oui, sans doute. Bien sûr, et hors événements tragiques (comme la guerre en Libye par exemple), la plupart des grands acteurs le resteront encore longtemps. L’Algérie, la Libye, le Nigeria, l’Angola et divers autres pays du golfe de Guinée sont appelés à demeurer des producteurs d’hydrocarbures de premier rang. Il est vrai cependant que l’on enregistre de nouvelles L’Afrique peut basculer découvertes qui pourraient directement vers nous forcer à revisiter la carte des pouvoirs. Les réserves un système où les en gaz du Mozambique sont énergies renouvelables présentées aujourd’hui comme seraient au cœur de sa aussi importantes que celles politique énergétique. du Nigeria, si ce n’est plus. Des découvertes de pétrole, 82 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 parfois significatives, ont été faites en Ouganda ou dans la région des Grands Lacs. La Mauritanie compte bien elle aussi avoir confirmation de son potentiel en hydrocarbures… Des réserves sont là, bien présentes. Maintenant, il va falloir investir massivement pour les mettre en production, et cela prendra nécessairement du temps. Un peu à l’image de ce qui s’est passé avec la téléphonie mobile, le retard en matière énergétique ne peut-il devenir une chance pour engager cette transition énergétique ? P.L. : L’Afrique a clairement la chance de son retard. Elle est en mesure de basculer directement vers un système où les énergies renouvelables pourraient être au cœur de sa politique énergétique. C’est bien sûr davantage le cas pour l’Afrique subsaharienne que pour les pays du Maghreb, tant les disponibilités en eau (grands fleuves), l’ensoleillement (énergie solaire), les couloirs de vent (énergie éolienne), les ressources géothermiques, mais aussi les déchets végétaux (agrocarburants et biomasse) sont abondants. Reste aujourd’hui à mettre en œuvre une politique d’investissements qui traduise cette opportunité et ce dessein. Le plus dur commence… © THOMAS MUKOYA/REUTERS - BRENDAN VAN SON L’Afrique du Nord fait encore mieux. Pourquoi ? P.L. : L’Afrique du Nord bénéficie d’une vraie tradition en matière d’infrastructures. Cela est le cas notamment dans le domaine énergétique. Il y a des sociétés nationales puissantes, des institutions très professionnelles, dont l’origine remonte aux premières grandes découvertes pétrolières. Même s’il souffre encore de carences, le réseau électrique est plutôt bien développé et satisfait une grande partie des besoins de cette région. Les ressources locales, abondantes, couvrent aussi l’essentiel de la demande. FORBES AFRIQUE RESSOURCES HUMAINES CARRIÈRE Management : tenir compte des spécificités africaines Mondialisation oblige, une question taraude les entreprises : le management est-il une science universelle ? Autrement dit, y a-t-il non pas un, mais des styles de management, adaptés aux cultures locales ? PAR MYRIAM DUBERTRAND LA GESTION D’ÉQUIPE Les jeunes diplômés en management devront donc passer du registre du savoir à celui du savoir-être. Si au niveau des formations techniques, il n’y a aucun problème de transposition, la situation devient différente dès qu’il s’agit de gestion d’équipe. Les exemples ne manquent pas. Ainsi, si l’individu seul est mis en avant aux Etats-Unis et dans de nombreux 84 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 autres pays anglo-saxons, en matière de politique de motivation et d’évaluation des performances, il vaut mieux penser et agir au niveau du groupe en Afrique. Conséquence : «La mise en place d’un système de primes individuelles serait une grosse erreur qui ne ferait que semer la zizanie, avertit Evalde Mutabazi. Avec, à la clé, la création de résistances très fortes, voire un risque de conflit ouvert. Parfois, la révolte peut être silencieuse et les salariés peuvent, par exemple, lever le pied. Les coûts cachés de la démotivation peuvent alors être énormes.» La solution? Mettre en place une part de récompense collective. Dans ces conditions, il sera possible de concilier l’exigence de productivité Total bouscule la culture LE GROUPE PÉTROLIER COMPTE 97000 SALARIÉS DANS PLUS DE 130 PAYS, DONT PRÈS DE 10000 EN AFRIQUE. Sa philosophie? Que l’ensemble des collaborateurs du groupe ait accès à des avantages de même nature – que ce soit en matière de rémunération, de protection sociale ou d’épargne salariale –, mais adaptés aux situations locales. Quitte à bousculer certains aspects culturels. «Alors que nos collaborateurs africains n’étaient pas demandeurs et qu’ils souhaitaient une augmentation immédiate en espèces sonnantes et trébuchantes, nous avons réussi à mettre en place un système de retraite complémentaire, financé aux deux tiers par l’entreprise, afin de compléter les faibles retraites publiques, explique Tony Brisset, directeur de la gestion des carrières de la branche marketing et services, ancien DRH de Total Afrique Moyen-Orient. Il nous a fallu convaincre. Cela n’a pas toujours été évident, mais aujourd’hui, le taux d’adhésion à ce système basé sur le volontariat est proche de 100%.» Créé en 2008, il est en vigueur dans 33 pays africains sur les 40 où Total est implanté. © AFRICAIMAGES A la question : «L’enseignement du management dispensé sur les bancs d’universités américaines ou européennes s’applique-t-il tel quel en Afrique ou ailleurs?», la réponse d’Evalde Mutabazi, docteur en sociologie des entreprises et professeur consultant à l’EM Lyon Business School, qui a la double nationalité française et rwandaise, est claire et nette. «Non. Si les managers ne tiennent pas compte des spécificités locales, ils vont au-devant de sévères difficultés.» Ce que confirme Emmanuel Kamdem, sociologue de l’organisation et directeur de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) de l’université de Douala : «Dans le cadre de la mondialisation, la question se pose, en effet, de façon urgente. Il faut raisonner à la fois en termes d’universalité managériale (hiérarchie, délégation, prévision…) et de contingences, c’est-à-dire ne pas transférer intégralement les outils.» et la culture africaine, où la solidarité de groupe est très forte. COMPRENDRE LES RISQUES Autre exemple de spécificités managériales : «L’Afrique est un continent à grande distance hiérarchique», note Emile-Michel Hernandez, professeur à la faculté de sciences économiques et de gestion de Reims, qui a enseigné les sciences de gestion en Côte d’Ivoire et au Togo. Un leadership très autoritaire n’est pas rare et peut très bien passer auprès des troupes. «Le manager est considéré comme une sorte de père à qui l’on doit une très forte loyauté», explique Evalde Mutabazi. Dans ce contexte, le paternalisme a largement droit de cité. Pour Emmanuel Kamdem, ce style de management a des effets positifs : «Cela signifie que l’entreprise est gérée en bon père de famille et que le lien personnel et affectif entre le manager et les salariés n’est pas détruit par la relation productive. Le patron est soucieux du bien-être de ses salariés.» Le danger, selon le directeur de l’Essec de Douala? Aller trop loin et tomber dans l’infantilisation. Autre risque : que le leadership vire à l’omnipotence. Un jeune cadre sénégalais ne décolère pas en racontant une récente expérience : «J’ai eu une demande de devis d’un important client étranger à laquelle je me devais de répondre en vingt-quatre ou quarante-huit heures maximum. Cela m’a En Afrique, l’enseignement du management et sa pratique doivent tenir compte de multiples spécificités culturelles, telles que l’importance du groupe par rapport à l’individu. Mais si certaines valeurs demeurent solidement ancrées, d’autres sont en pleine évolution. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 85 RESSOURCES HUMAINES CARRIÈRE basé essentiellement sur l’écrit, à travers des fiches /(6&+26(692/8(17b/(6 d’objectifs par exemple, a SPÉCIFICITÉS DU MANAGEMENT toutes les chances d’échouer. EN AFRIQUE NE SONT PAS La communication directe est indispensable. «Si un GRAVÉES DANS LE MARBRE. responsable reste dans son bureau, il ne peut pas être un pris très exactement un mois et neuf jours… bon manager, ajoute-t-il. La pause-café est Pourquoi? Parce que le directeur, qui est à aussi importante qu’une réunion formelle.» la fois propriétaire, directeur des ressources humaines et directeur administratif et LA QUESTION DU RECRUTEMENT financier, a, pendant ses vacances, mis à Parmi les problèmes de management, l’arrêt tout le bureau commercial. Alors celui du recrutement est essentiel. «La même qu’un responsable export et grands pression pour embaucher un membre comptes, une directrice commerciale et de sa famille, de son village ou de son un directeur financier étaient là pour faire groupe ethnique est encore forte, note fonctionner le service! Face à l’urgence Emile-Michel Hernandez. Et il n’est pas de la situation, j’ai demandé une réunion évident d’y mettre un frein.» Une pression aux cadres du bureau commercial pour communautaire que confirme Emmanuel ce dossier important. Mais personne n’a Kamdem. «Le manager a tendance à se voulu se mouiller. En somme, l’entreprise voir comme un redistributeur social des se résume à une seule et unique personne. ressources, mais il faut qu’il ait le courage Je pense, comme pas mal d’amis de mon de résister à cette pression.» âge, avoir affaire à un style de management Alors, quel management pour demain? complètement dépassé.» Ces spécificités ne sont pas gravées dans le marbre. Ainsi, Emile-Michel Hernandez PRENDRE LE TEMPS D’ÉCHANGER pressent une tendance à l’individualisation Un point d’achoppement fondamental, des comportements liée à l’urbanisation selon Evalde Mutabazi, concerne la gestion galopante, même s’il ne s’agit pas d’un du temps. «C’est une question de priorité. Le individualisme de même nature qu’en temps ne s’investit pas que dans le travail, Occident. D’autre part, l’arrivée dans contrairement aux Américains, pour qui les entreprises de nouvelles générations “Time is money”». Mais, si une équipe fait – décrites comme plus réfractaires à sienne un projet, elle ne comptera pas son l’autorité – pourrait mettre à mal une temps et l’investissement sera très fort. certaine forme de management. De quoi «Le temps n’est pas considéré comme une rebattre les cartes? Certes, mais sans pour ressource limitée. Il est important de se autant changer le fond des valeurs et des laisser le temps nécessaire pour négocier», règles de conduite sociale. explique Emmanuel Kamdem. Bref, échanger n’est jamais considéré comme une perte En Afrique, un management trop formaliste, de temps. «Il est fondamental de prendre et notamment basé essentiellement sur le temps de se parler et de rencontrer l’écrit, à travers des fiches d’objectifs par les personnes d’abord», résume Evalde Mutabazi. Les e-mails ne viennent qu’après exemple, a toutes les chances d’échouer. La cette phase. «La tradition orale est très communication directe est indispensable. forte», confirme Tony Brisset, directeur de la gestion des carrières de la branche marketing Si un responsable reste dans son bureau, il ne peut pas être un bon manager. et services du groupe Total. Aussi, un management trop formaliste, et notamment 86 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE LA CHRONIQUE DE NADIA MENSAH-ACOGNY LA MÉLODIE DU BONHEUR © DR L e bonheur. On court tous après. Mais qu’est-ce que le bonheur? Comment peut-on le mesurer? Est-ce à l’aune de nos biens? A celle de notre propre santé ou du bien-être de nos proches? Est-il proportionnel à notre succès professionnel? Vaste question, car la notion de bonheur est subjective. Elle couvre tout aussi bien les petites joies que les grandes émotions. Le marketing capitaliste nous bombarde d’images de gens souriant à pleines dents dans un cadre opulent, ce qui sousentendrait que le bonheur est dans l’abondance matérielle. Et tandis que la morale chrétienne oppose richesse et bonheur, le Bhoutan est le seul pays à ce jour à s’être doté d’un ministère du Bonheur. Pour autant, ce bonheur est-il palpable et mesurable? Peut-on déterminer un taux de bonheur de la même manière qu’on parle de taux de natalité ou de mortalité? Il est des individus à forte propension au bonheur, qui affichent leur joie de vivre envers et contre tout. Et d’autres dont le mal de vivre ternit tout, même la fortune. Devant cette quadrature du cercle, j’ai choisi de partager avec vous ma vision du bonheur. Le bonheur est un rêve d’absolu. Jamais atteint, toujours en devenir. A chaque fois que nous nous en rapprochons, nous éprouvons une émotion plus ou moins intense. Ces parcelles de bonheur nous irradient d’un sentiment de plénitude. Elles jonchent le chemin de la vie. Mais certains passent à côté. Et pour cause, elles sont minuscules, il faut ouvrir les yeux. Quid du bonheur au travail? C’est le grand sujet de notre époque : comment rendre ses employés heureux? Comment de ce fait maximiser leur rentabilité? Les entreprises commencent enfin à voir la forte corrélation entre le bonheur de leurs employés et leurs performances. Plus les gens sont malheureux, insatisfaits, frustrés, inoccupés, minimisés, ignorés, mal équipés, mal installés, confrontés à une atmosphère conflictuelle… plus ils souffrent de déprime, de dépression, de maladies psychosomatiques dont la manifestation peut être physique : maux de ventre, ulcères, éruptions cutanées, maux de tête, affections malignes… De ces symptômes de mal-être résultent autant d’arrêts maladie, d’absences et de baisse de productivité. Qui se traduisent en pertes financières réelles et conséquentes. Or, il existe des moyens de pallier ce fléau en veillant au bonheur de vos troupes. Choisissez de créer un programme d’incentive pour les employés les plus performants. Offrez-leur par exemple un voyage de rêve avec leur conjoint. C’est inoubliable, cela renforce la loyauté et la productivité du bénéficiaire et lui assure le soutien de son partenaire lorsqu’il se donne entièrement à son travail. Ou encore, améliorez l’espace de travail, faites attention à l’ergonomie des bureaux, mettez de la lumière, de la couleur. Proposez un abonnement à la salle de gym ou chez le coiffeur, créez un coin détente… La liste est longue : communiquez avec des mots positifs, impliquez vos employés, soyez créatif. Faites quelque chose. Cela vous coûtera un peu d’argent, mais vous ne le regretterez pas. Le bonheur soit avec vous et avec vos équipes, maintenant et toujours. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 87 LA VIE FORBES CULTURE Manu Dibango Le père de la renaissance musicale africaine A 80 ans, Manu Dibango n’est pas seulement le plus grand saxophoniste africain de sa génération. Il est aussi et surtout l’homme par qui la musique du continent est sortie du folklore. C ’est un peu comme Noël / Noël et ses trésors / qui s’arrêteraient chez nous aux équinoxes d’or». Ainsi chantait Jacques Brel dans Les Bergers. C’est ce que Manu Dibango a dû ressentir quand il a découvert cette année le résultat d’une enquête du magazine américain Watch and Listen : Soul Makossa y était sacrée plus belle chanson de tous les temps avec 45% des voix, devant Imagine de John Lennon (25%) et Like a rolling stone de Bob Dylan (17%). Pourtant, rien, absolument rien, ne présageait au musicien camerounais un parcours aussi exceptionnel. Sans en déterminer les contours exacts, Manu Dibango rêve d’une renaissance africaine dans laquelle il jouerait un rôle essentiel avec la musique. UNE BALADE CONQUÉRANTE 1949. L’hivernage bat son plein à Douala, avec des averses comme on n’en trouve que dans cette ville de l’estuaire du Wouri. Là-bas, c’est tout sauf l’été indien, et en août et en septembre, il pleut sans arrêt. Mais ce jour-là, le ciel est radieux. Un enfant de 15 ans, vêtu d’un beau costume blanc, la raie impeccable, embarque vers la France pour accomplir les rêves de son père : poursuivre ses études et rentrer auréolé du titre de médecin ou d’ingénieur. Il choisira la musique et le père, furieux, lui coupera les vivres. Mais l’enfant se nomme N’Djoké, «l’éléphant», et un éléphant, ça trompe énormément. Alors, armé de sa trompe-saxophone, il entreprend une balade conquérante qui en fera le plus grand musicien africain, le premier à introduire la musique business sur le continent. 88 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Il commence en écumant le Saint-Germaindes-Prés jazzy de l’après-guerre, puis Bruxelles, où il rencontre Joseph Kabasele. Le musicien congolais est un homme d’affaires hors pair. Il engage Manu, le met dans ses bagages pour une tournée de quelques semaines dans son pays. Elle durera deux ans. Manu découvre une Afrique insoupçonnée, où le musicien n’est pas un baladin famélique, mais un être adulé, loin de l’idée que s’en faisait son père. Il invite celuici au Congo et le laisse ébloui. Son fils vit dans le quartier chic, dirige un orchestre avec des «ouvriers» à son compte. Il doit s’installer au Cameroun, pour l’honneur du clan. Manu était bien au Congo. En France, l’adolescent avait rencontré une jeunesse africaine de toutes les origines, Ivoiriens, Sénégalais, Guinéens... Il s’était forgé un univers panafricain et l’image d’une Afrique sans frontières. Sans en déterminer les contours exacts, il rêve d’une renaissance africaine dans laquelle il jouerait un rôle essentiel avec la musique. Léopoldville, comme on appelait alors la capitale du Congo, est l’Eden de la musique en ce début des années 1960. C’est là qu’est sa place. Mais les désirs d’un père sont sacrés. Alors, un jour de 1963, il met le cap sur le Cameroun. Il rentre au bercail pour écrire son «cahier d’un retour au pays natal», comme l’avait fait © LAMINE DIAKITÉ - WAGRAM PAR GASTON KELMAN Aimé Césaire, cet autre père de la renaissance nègre. La suite de la «balade en saxo dans les coulisses de [sa] vie» – titre du livre de réflexions qu’il vient de publier – est un séjour mitigé d’un an au pays, puis le retour en France. Là, il vit une belle aventure à la télévision avec Impulsions, une émission hebdomadaire diffusée à une heure de grande écoute. Il est le premier Africain à occuper la celle du Mondial ou des Jeux olympiques. Au verso du 45-tour support de l’hymne, il commet un morceau qui fait rire son père et les enfants, qui l’entendent répéter dans la maison familiale. «Mama ko, mama sa… Tu bégaies déjà, mon Son dernier album, chez fils?» s’écrie le père. Les commanditaires sont Wagram, est sorti en satisfaits de l’hymne, mais écoutent, perplexes, novembre dernier, de Soul Makossa. Le titre qui lui ouvrira les portes même que ses mémoires, Balade en saxo dans du monde et celles de la renommée. les coulisses de ma vie A partir de là, Manu occupe (Editions de l’archipel). une place unique dans le sacre de la musique africaine. Grâce à lui, les Américains la MANU OCCUPE AUJOURD’HUI découvrent. On l’invite aux Etats-Unis pour un mois de UNE PLACE UNIQUE DANS concerts, ils dureront deux ans. Il a formé des musiciens LE SACRE MONDIAL DE LA dans de multiples pays, et notamment en Côte d’Ivoire, où MUSIQUE AFRICAINE. il séjourne quatre ans comme directeur de l’orchestre de la Radio Télévision ivoirienne (RTI). Partout où il passe, la musique sort du folklore. Au Cameroun, les cabarets, place de chef d’orchestre. S’en suivront des dont il a introduit le concept, fleurissent et de jeunes artistes expériences encore et toujours uniques, investissent ce créneau. Son succès américain lui ouvre les portes avec Nino Ferrer, Dick Rivers… Et puis, de l’Olympia, à Paris, où il sera le premier Africain à se produire. un beau jour, c’est l’explosion universelle. En France, à l’avènement des radios libres, la musique africaine n’avait pas droit de cité. Manu Dibango anime sur Tropic FM LES PORTES DU MONDE la première émission française dédiée à la musique du continent. 1972. Malgré les succès sur la scène Aujourd’hui, on peut comparer son destin à celui de Prométhée, française, Manu n’a pas oublié sa terre. Le qui offrit le feu aux hommes, et à propos duquel un chroniqueur antique Cameroun accueille la Coupe d’Afrique des a écrit : «Bene meruisse de genere humano.» De même, Manu mérite nations. On lui confie la composition de la reconnaissance du genre humain, et de l’Afrique en particulier, qui l’hymne. L’aura de ce tournoi de football dans se doit de rendre un vibrant hommage à l’occasion de son quatreune Afrique en quête de fierté n’a d’égale que vingtième anniversaire au père incontesté de sa renaissance musicale. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 89 FORBES AFRIQUE TECHNOLOGY LA VIE FORBES RUNNING HED CONSO Hedis Always30 BOVET BLANCPAIN COLLECTION AMADEO COLLECTION Ped que dolorer ereniate quiae estrum venducipsam sitio. Ad ut veliste Fleurier 0 (209800 $) Ce tourbillon paré d’une délicate VILLERET paribus andandi tatemqu iasitat quatem et et aut platur. gravure se transforme en un tour de main en montre de poche, montre de table ou montre-bracelet réversible, et révèle un second visage grâce à son aiguillage inversé. Montre de poche demi- savonnette (64500 $) BY FIRST LAST Tout le plaisir est dans les détails : le boîtier en or rouge 18 carats, le cadran en émail «grand feu» et les trois motifs de gravure au choix. GIRARD-PERREGAUX C’est dans la poche ! Une belle idée de cadeau pour les fêtes de fin d’année que ces montres de poche d’inspiration vintage qui remettent au goût du jour technique et esthétique séculaires. Tourbillon sous trois ponts d’or (575000 $) Le cadran de ce modèle inspiré du tourbillon original de 1889 rend hommage au classicisme. Le dos du boîtier, tout en transparence, dévoile le mécanisme et les trois ponts, dignes de l’imagination de Jules Verne. BREGUET VACHERON CONSTANTIN COLLECTION EXCELLENCE PLATINE CREDIT RIGHT Patrimony Contemporaine (69900 $) Retour à l’âge d’or des montres de gousset avec ce garde-temps en édition limitée, qui fait la part belle à un métal noble, le platine. 90 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Equi tem quatempe aut eum non ea aut veliquuntia nos mintur remporecae nonsernatur aditisin © DAVID ARKY Montre de poche à quantième perpétuel (112900 $) L’optimisme de ce quantième perpétuel séculaire aurait pu séduire la reine MarieAntoinette, illustre cliente de Breguet. Winston Churchill, autre adepte de la maison, aurait été conquis par la phase de lune, qui était à l’origine un support de planification des campagnes militaires. FORBES AFRIQUE LA VIE FORBES BOISSONS Les ambitions africaines du champagne Avec une consommation en pleine expansion, le continent se positionne comme la destination montante des exportations de champagne. A © MICHEL FAINSILBER/DOM PÉRIGNON vec près de 900000 bouteilles en 2012, le pays du continent qui consomme le plus de champagne est le Nigeria. En Afrique francophone, les plus gros consommateurs sont le Maroc, le Gabon, le Congo-Brazzaville, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. Avec ce nouveau marché en ébullition, les grands groupes commencent à s’implanter sur le continent, comme Pernod Ricard, no 2 des vins et spiritueux dans le monde, qui a ouvert de nouvelles filiales en Angola, au Nigeria et au Kenya, ou la maison Canard-Duchêne, qui confirme sa croissance à deux chiffres grâce à l’ouverture récente de deux nouveaux marchés majeurs, le Gabon et la Côte d’Ivoire, avec l’intégration de réseaux de distribution bien structurés. UNE FORTE VALEUR AJOUTÉE Victimes de la crise, les marques convoitent de nouvelles terres de ventes. Ainsi, Mumm (groupe Pernod Ricard) vise «les marchés à haute valeur ajoutée, comme les marchés américain ou africain : le Maroc, l’Angola, le Nigeria ou l’Afrique du Sud», a commenté Philippe Guettat, le nouveau PDG de la marque, dans le journal champenois L’Union. Le no 1 en France et dans le top 5 mondial, Nicolas Feuillatte, a quant à lui triplé ses ventes africaines PAR SOPHIE LEISER en dix ans. Omniprésente sur le continent, la marque propose aujourd’hui des cuvées d’exception réservées auparavant aux marchés plus matures, comme l’Europe ou les Etats-Unis. Sa dernière création, la cuvée Bohème chic, lancée mondialement pour les fêtes de fin d’année, devrait séduire les consommateurs africains. DE NOUVELLES HABITUDES Avec l’émergence d’une classe moyenne en Afrique, de nouvelles habitudes naissent : «Consommer du champagne est devenu assez courant», précise Alexandre Ricard, directeur général adjoint du groupe Pernod Ricard. L’élite nigériane serait la plus friande de fines bulles. A Lagos, les millionnaires du pétrole et du cinéma, ainsi que les proches du pouvoir contribuent au succès local du champagne. Ainsi, la boisson d’exception est surtout consommée lors de sorties festives dans les restaurants, les boîtes de nuit ou les hôtels des capitales africaines, comme à Lagos, à Abidjan ou Libreville. DOM PÉRIGNON MILLÉSIME ROSÉ 2003 ÉDITION LIMITÉE Reconnu comme le meilleur champagne du monde, Dom Pérignon propose ce nouveau millésime, habillé de la Balloon Venus de l’artiste Jeff Koons, qui symbolise l’énergie de la créativité. «C’est le millésime des superlatifs», commente le chef de cave Dom Pérignon : une année inédite avec des gelées printanières et une canicule. Le bouquet est marqué par le fruit mûr. Limité à 650 exemplaires, le Balloon Venus Dom Pérignon by Jeff Koons est disponible sur commande (15000 € HT). Le coffret Dom Pérignon par Jeff Koons (sans la Vénus) est en vente jusqu’à la fin de l’année. Prix conseillé : 290 € le millésime rosé 2003 et 150 € le coffret millésime blanc 2004. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 91 LA VIE FORBES BOISSONS fines bulles 1 2 3 LAURENT-PERRIER Cuvée Alexandra 2004 GOSSET Celebris Vintage 2002 KRUG Grande Cuvée 92 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION. Les nouvelles créations des grandes maisons de Champagne pour les fêtes de fin d’année La cuvée phare de la maison Laurent-Perrier. Alexandra rosé 2004 est le septième millésime depuis 1987. Ce vin d’exception exprime toute la passion, l’exigence et l’excellence de la maison Laurent-Perrier. Au nez, des arômes d’agrumes confits s’exhalent, profonds et gourmands, pour s’épanouir ensuite dans une succession de saveurs d’épices suaves, de nuances métalliques, de fruits acidulés, de roses séchées. Prix de vente conseillé : 340 euros TTC. 2VINGOSSET CELEBRIS VINTAGE 2002 D’EXCELLENCE La plus ancienne maison des vins de Champagne est reconnue pour son style respectueux d’un artisanat de tradition et ses crus d’excellence. Celebris Vintage 2002 extra brut est le cinquième millésime d’exception de la maison Gosset. Il dégage un bouquet printanier d’ananas et de pomme Granny Smith, aux légères notes torréfiées avec 52% de chardonnay et 48% de pinot noir. A découvrir dans un écrin haute couture, accompagné d’un duo de flûtes en cristal gravées du monogramme Celebris. Prix de vente conseillé : 160 euros TTC. SOURCE : COMITÉ INTERPROFESSIONNEL FRANÇAIS DU CHAMPAGNE (CIVC) LAURENT-PERRIER 1MILLÉSIME CUVÉE ALEXANDRA 2004 ICONIQUE La part de l’Afrique Evolution des exportations de champagne vers le continent. 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Export total (en bouteilles) 103 582 951 98 172 497 112 706 991 119 273 475 123 056 480 129 304 879 140 660 196 150 845 967 141 249 644 112 560 485 134 364 880 141 328 649 137 380 641 Export vers l’Afrique 2 148 929 2 117 632 2 265 658 2 412 461 2 427 489 2 868 679 3 286 125 3 493 776 4 200 418 3 488 346 3 754 977 3 985 090 4 215 580 % du total export 2,07% 2,16% 2,01% 2,02% 1,97% 2,22% 2,34% 2,32% 2,97% 3,10% 2,79% 2,82% 3,07% Progression – 12,7% – 1,5% 7,0% 6,5% 0,6% 18,2% 14,6% 6,3% 20,2% – 17,0% 7,6% 6,1% 5,8% 3LEKRUG GRANDE CUVÉE MIEUX COTÉ La célèbre maison de Champagne recrée tous les ans une cuvée de prestige, indépendamment des hasards du climat, en constituant une bibliothèque de vins de réserve. Krug Grande Cuvée naît de plus de 120 vins issus de dix millésimes différents. Ses arômes : floraisons, pain d’épice et agrumes, accompagnés de notes de noisette, de nougat, de sucre d’orge, de brioche et de miel. Grande Cuvée fait de Krug la maison de Champagne la mieux notée au monde. Prix de vente conseillé : 140 euros TTC. © LAURENT-PERRIER - GOSSET - KRUG - TAITTINGER - CANARD-DUCHÊNE TAITTINGER 4 PRESTIGE ROSÉ ASSEMBLAGE FRUITÉ La maison familiale Taittinger se distingue par ses secrets d’élaboration et son assemblage à forte proportion de chardonnay. 15% de vin rouge, issu des meilleurs pinots noirs de la Montagne de Reims et des Riceys, et 30% de chardonnay donnent à cette cuvée son incomparable couleur et sa vibrante intensité en bouche. Avec ses arômes de fruits rouges, Taittinger Prestige rosé se déguste à l’apéritif ou avec un dessert aux fruits. Prix de vente conseillé : 49 euros TTC. CANARD-DUCHÊNE 5VALEUR CHARLES VII SÛRE À PETIT COÛT Pour les fêtes, Canard-Duchêne propose un champagne royal : les coffrets Charles VII Blanc de blancs et Blanc de noirs. La maison a voulu rendre hommage au roi de France, sacré dans la cathédrale de Reims, au cœur des terres champenoises. La cuvée Blanc de blancs est issue exclusivement de chardonnay provenant de différents crus assemblé à 20% de vins de réserve. La cuvée Blanc de noirs repose sur un subtil assemblage de 70% de pinot noir et de 30% de pinot meunier. Les deux cuvées sont parées d’un élégant fourreau pour célébrer les fêtes de fin d’année. Prix de vente conseillé : 36 et 40 euros TTC. 4 5 TAITTINGER Prestige rosé CANARD-DUCHÊNE Charles VII DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 93 LA VIE FORBES TOURISME Le Bulgari Hotel Un paquebot au cœur de Londres Depuis juin 2012, l’hôtel Bulgari fait le bonheur des amateurs de grand luxe dans la capitale britannique. Visite guidée. PAR NATACHA WOLINSKI 94 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 Pratique Bulgari Hotel & Residences, 171 Knightsbridge City of Westminster, SW7 1DW, Royaume-Uni Tél. : 00 44 20 7151 1010 www.bulgarihotels.com PAR AVION : Service VIP et navette à l’aéroport d’Heathrow. TARIFS : Chambre à partir de 440 £ hors taxes la nuit. Junior Suite à partir de 990 £ HT. Studio Suite à partir de 1100 £ HT. Bulgari Suite à partir de 8500 £ HT. A l’intérieur, on se croirait convié sur un yacht de luxe : dallage en granit noir poli, acajou brillant sur les parois murales et cloisons en acier brossé. © RICHARD BRYANT/ARCAID O n n’avait pas vu cela depuis quarante ans à Londres. Un palace flambant neuf, construit sur 15 étages (dont six en sous-sol), qui surgit dans le prestigieux quartier de Knightsbridge et impose tranquillement sa griffe. Pas n’importe laquelle bien sûr : on parle ici de Bulgari, la marque italienne de haute joaillerie qui se diversifie depuis quelque temps dans l’hôtellerie de luxe. Elle a déjà inauguré un hôtel à Milan, un autre à Bali et prévoit pour 2015 un quatrième palace à Shanghai. A Londres, le Bulgari Hotel & Residences a ouvert ses portes il y a un an et demi à peine et le bruit court qu’il est déjà l’un des plus en vogue de la capitale. De l’extérieur, l’immeuble, situé à deux pas de Hyde Park, du grand magasin Harrods et du Royal Albert Hall, n’a rien de tapageur. La façade est sobrement revêtue de pierre claire de Portland, celle qui a également servi à bâtir la cathédrale SaintPaul ou le palais de Buckingham. A l’intérieur, c’est une autre histoire : on se croirait convié sur un yacht de luxe. Dallage en granit noir poli, acajou brillant sur les parois murales, cloisons en acier brossé ou tressé, le décor est à la fois ultra-design et cosy, sans ostentation aucune. Pas de boutique Bulgari, pas d’œuvres d’art contemporain aux murs, mais des lignes épurées et des matériaux nobles, un alliage impeccable conçu par le cabinet d’architectes Antonio Citterio, Patricia Viel and Partners, qui a su jouer en finesse du patrimoine de Bulgari. Partout dans l’hôtel, des ornements rendent en effet hommage au passé d’orfèvre de la marque. Le bar est à lui seul un objet de collection : impressionnant comptoir ovale en acier inoxydable martelé sur lequel on sert d’excellents cocktails italiens, de sorte qu’à 19 heures, l’Aperol Spritz (prosecco et Aperol), spécialité du barman, remplace bien souvent le champagne. Dans l’immense salle de réception, la coupole de sept mètres de diamètre est illuminée de deux spectaculaires lustres en argent massif. Quant aux chambres et suites, l’atmosphère est encore au yachting, avec acajou mat en lames de parquet sur le sol et vernis sur les murs, mais, tradition oblige, les lampes de chevet rappellent subtilement les chandeliers Bulgari en argent... DES ÉQUIPEMENTS EXCEPTIONNELS Ce cinq-étoiles londonien a donc tout d’un précieux paquebot. A ceci près qu’on n’y compte pas l’espace : les chambres sont vastes (43 m2), et les suites, plus encore (de 55 à 100 m2), avec des détails charmants qui participent au sentiment d’évasion, comme ces minibars intégrés dans des malles de voyage. Les sept suites «Signature» frôlent quant à elles les 300 m2 et font office de véritables appartements, avec cheminée, cuisine, salle à manger, bureau, terrasse et majordome particulier capable de trouver dans l’heure un Warhol à accrocher dans une chambre, une Lamborghini jaune affichant 0 mile au compteur ou d’organiser au pied levé une cérémonie de mariage… Autant de requêtes inattendues auxquelles l’hôtel a fait face cette année sans broncher. Depuis certaines de ces suites, la vue est imprenable sur Knightsbridge. Se lasserait-on du panorama que l’on peut toujours descendre au deuxième étage, où se trouve une salle de cinéma 3D avec système son Dolby 8.2. De quoi faire pâlir d’envie nombre de cinémas de Londres qui sont moins bien équipés. D’autant que l’hôtel dispose d’une filmothèque de 200 œuvres qui permet de réviser ses classiques ou de voir un blockbuster tout Des suites au spa, en passant par le bar et la salle de cinéma, tout dans cet établissement est marqué du sceau de la finesse et de l’élégance. DEPUIS CERTAINES SUITES, LA VUE EST IMPRENABLE SUR LE QUARTIER DE KNIGHTSBRIDGE. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 95 LA VIE FORBES TOURISME Trois des atouts de taille du Bulgari Hotel : sa cave à cigares (ci-dessus), son restaurant italien et sa superbe piscine de 25 mètres. juste sorti en salle. Autre exclusivité de ce palace, le «Cigar Shop» typiquement british, avec ses confortables fauteuils de cuir : un salon chaleureux où l’on peut déguster des raretés tels le Davidoff Dom Perignon ou le Cohiba Sublimes Ltd Edition 2004. Le maître des lieux, Eddie Sahakian, est l’un des plus grands experts en cigares au monde. Et si, en dépit des frimas londoniens, l’heure est au bain de minuit, rien n’empêche de plonger dans la piscine de 25 mètres de longueur, parée de petits carreaux de verre émeraude et or. Quant au spa de l’hôtel, qui occupe deux étages et est ouvert 24 heures sur 24, c’est l’un des plus spacieux de Londres et on ne sait pas si on doit opter pour la double cabine spéciale disposant d’un vestiaire, d’une douche hydromassante et d’un espace de massage privé où l’on peut se relaxer en duo, ou choisir les cours de musculation personnalisés de James Duigan, l’entraîneur de célébrités comme Elle Macpherson ou Hugh Grant. Enfin, si le devoir, et seul le devoir, appelle le visiteur dans la City, direction le centre d’affaires, qui dispose d’une connectique digne d’un film de James Bond, avec écrans en tous genres et parfaite insonorisation pour garantir l’absolue discrétion des échanges. Et concernant la discrétion, il existe une entrée voiture à l’arrière de l’hôtel pour ceux qui craignent les flashs. C’est l’entrée des people, mais au Bulgari de Londres, tout le monde se sent un peu people. Des mini-panettones servis pour l’«afternoon tea» en plus des traditionnels scones, des panettones géants empaquetés dans du papier d’argent pour offrir à ses amis, un repas de réveillon de Noël avec de la burrata fraîche aux truffes et un dîner de Nouvel An avec de la langouste et des raviolis aux fruits de mer : les fêtes de fin d’année au Bulgari se vivent à l’italienne. En cuisine, Robin Pepin, Anglo-Ecossais fou d’Italie passé par l’Andana, l’auberge d’Alain Ducasse en Toscane. De fait, c’est ce dernier qui conseille, officieusement du moins, le restaurant. Le 31 décembre au soir, l’horloge de Big Ben est projetée sur le mur du bar et le compte à rebours est lancé avant que The Amazonica, «the» DJ du moment, fasse tourner les platines jusqu’au bout de la nuit. 96 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 © RICHARD BRYANT/ARCAID Noël italien à Londres LA VIE FORBES RESTAURANTS : NOTRE SÉLECTION God save the British cuisine Trois restaurants londoniens, trois chefs britanniques, trois bonnes raison d’aimer la cuisine anglaise. Pour finir l’année en beauté et pour tordre le cou aux préjugés, ces tables sauront vous séduire par leur qualité made in England. PAR DEBORA ALTMAN © GORDON RAMSAY - THE LEDBURY - DINNER BY HESTON BLUMENTHAL Gordon Ramsay 68 Royal Hospital Road, SW3 4HP, Londres Tél. : +44 (0) 20 7352 4441 Du lundi au vendredi, 12h-14h15, 18h30-22h15. L’établissement vedette de Gordon Ramsay propose encore et toujours une expérience gastronomique de haut niveau. Ce chef, présentateur de plusieurs émissions culinaires à la télévision, compte parmi les trois cuisiniers ayant été gratifiés de trois étoiles en une fois par l’édition britannique du Guide Michelin. Mais depuis 2008, le vrai chef en cuisine, c’est Clare Smyth, première femme anglaise à diriger un trois-étoiles. Elle a travaillé au Louis XV de Ducasse à Monaco, a été couronnée chef de l’année par le UK Good Food Guide 2013 et faite membre de l’Ordre de l’Empire britannique par Sa Majesté Elizabeth II pour service rendu à l’industrie hôtelière. Sa cuisine est faite de précision et de grâce, tels le pied de cochon braisé, puis frit à la poêle et sa sauce hollandaise, ou le foie gras rôti au vinaigre de cabernet-sauvignon au velouté d’amandes. Deux chefs d’enfer pour un petit coin de paradis. Carte : à partir de 45 £ pour le déjeuner. 95 £ pour 3 plats. Menus : 125 £ (menu Prestige), 155 £ (Seasonal Inspiration, le soir seulement). Web : www.gordonramsay.com/ royalhospitalroad Dinner by Heston Blumenthal The Ledbury 127 Ledbury Road, W11 2AQ Londres Tél. : +44 (0) 20 7792 9090 12h-14h, 18h30-22h15. Fermé le lundi midi. C’est dans cette salle à manger claire et lumineuse, au cœur du quartier de Notting Hill, que Brett Graham séduit depuis maintenant huit ans le Tout-Londres avec une cuisine extrêmement recherchée, usant des meilleurs ingrédients purement britanniques. Ce qui lui vaut ses deux étoiles au Michelin et sa 13e place au classement 2013 du World’s 50 Best Restaurants. Sa cuisine, assez classique avec des touches de modernité, repose sur des produits régionaux remarquables, à l’image du tartare d’huîtres et citron avec une huître en beignet, ou encore du cabillaud et petits poireaux. Carte : 120 £. Menus : 35 £ pour le déjeuner, 105 £ pour le dîner. Web : www.theledbury.com 66 Knightsbridge, SW1X 7LA Londres Tél. : +44 (0) 20 7201 3833 Tous les jours, 12h-14h30, 18h30-22h30. Heston Blumenthal aime revisiter des plats britanniques historiques en leur insufflant un zeste de nouveauté. Après Fat Duck, son trois-étoiles, lui et son double Ashley PalmerWatts ont réussi leur pari : deux étoiles au Michelin et une place dans le top 10 du World’s 50 Best Restaurants cette année. De cette vaste brasserie contemporaine avec sa cuisine apparente sortent de plats ressuscités de l’histoire. A chacun son origine et son époque estimée de naissance, qui vous sont précisées sur la carte. On se laisse guider dans un accord mets et vins sous la direction d’un sommelier portugais de génie. On savoure un œuf basse température accompagné de céleri et de radis ou un saumon fumé à l’Earl Grey (vers 1730), on fait un bond de quelques décennies pour atterrir en 1780 avec un pigeon épicé, sauce légère à la bière et artichauts, avant de revenir dans la première partie du XVIIIe siècle avec une barre au chocolat très cacaotée, sa marmelade de fruits de la passion et sa glace au gingembre. Bon voyage dans le passé! Carte : 50-70 £. Menus : 39 £ pour le déjeuner. Web : www.dinnerbyheston.com DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 97 ULTIMES RÉFLEXIONS PENSÉES Voici venu le temps des cartes de vœux, et les seuls que cette perspective horripile sont les quelques harpagons que nous comptons parmi nous, et les facteurs. — MALCOLM FORBES « L’année 1933 a enseigné une chose à la finance, à l’industrie et aux entreprises américaines : elles doivent absolument embaucher le Père Noël. Grâce à une petite partie de son esprit de générosité, qui a permis de réanimer l’activité économique des Etats-Unis, nous avons pu prévenir une révolution sociale durant les heures critiques traversées par le pays depuis 1929. L’avenir est quant à lui voué à connaître soit l’avènement du Père Noël, soit celui du socialisme d’Etat, voire d’une dictature. Quelles sont l’idée fondamentale, la signification et l’intention originelles, la dynamique profonde de toutes les expériences menées dans le cadre du New Deal ? La finance, l’industrie, les entreprises, les travailleurs, l’humanité doivent réaliser qu’ils sont les gardiens de leurs frères, et agir conformément à ce principe. Il est nécessaire d’établir une plus juste répartition de l’ensemble des fruits issus du labeur, de l’ingéniosité et de la réussite de l’être humain. La famine et l’esprit du Père Noël sont antinomiques dans un pays bénéficiant de ressources suffisantes pour tous les honnêtes gens. Nous ne nous contenterons pas d’un Père Noël qui règne uniquement sur Washington. » — FORBES, 15 DÉCEMBRE 1933 Le casse-tête des fêtes de fin d’année ? Il vous faut un verre pour estomper la gêne issue de l’amalgame entre relations de travail et festivités, mais vous buvez trop et vous vous retrouvez le lundi matin dans une situation qui vous semble encore plus gênante sous la lumière dégrisante des néons. — MATTHEW LATKIEWICZ De tous les grogs, le rhum chaud au beurre est, à mon avis, le pire. Je pense que sa consommation devrait être autorisée uniquement dans le passage du Nord-Ouest [qui relie l’Atlantique au Pacifique via l’Arctique]. Même là, elle serait réservée aux romanciers les plus imaginatifs et exaltés. — DAVID A. EMBURY Le juif que je suis ne reconnaît pas Jésus, mais il reconnaît Noël. Noël est l’une des meilleures choses que vous, les chrétiens, nous ayez apportées, avec les macaronis au fromage, Bono, le croquet et la politesse. — DAVID BROOKS Autrefois, les gens buvaient parce qu’ils souffraient de phobie sociale ou parce qu’ils avaient besoin d’évacuer la pression en fin d’année. Aujourd’hui, ils le font avec excès parce qu’on a réduit leurs primes, augmenté leur nombre d’heures ou parce que la sécurité de leur emploi n’est plus garantie. — HARRIS STRATYNER C’est pourquoi le Seigneur luimême vous donnera un signe. Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. — ISAÏE 7:14 Si Noël est une fête de famille, que faire si la vôtre est disséminée aux quatre coins du pays ? Je suis presque certaine que Dieu veut s’assurer que je verrai bien tout le monde, quitte à passer le jour de son anniversaire dans un avion de Delta Air Lines. — GAIL COLLINS Aucune méthode conçue par l’être humain n’est un tant soit peu aussi pratique et efficace pour renverser les barrières, faire rapidement connaissance avec le type d’à côté et briser la glace que de sombrer dans l’ébriété, à peu près au même rythme que votre ou vos voisins, dans un cadre plaisant. — KINGSLEY AMIS SOURCES : FORBES.COM; GRUBSTREET.COM; NYTIMES.COM; THE QUOTABLE HITCHENS: FROM ALCOHOL TO ZIONISM. 98 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 © DAVID BROOKS : BRENDAN SMIALOWSKI/GETTY IMAGES; - KINGSLEY AMIS : DAVID LEVENSON/GETTY IMAGES RÉFLEXIONS SUR LES FÊTES DE FIN D’ANNÉE