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Revue des étudiants en linguistique du Québec Quebec Student Journal of Linguistics Vol. I, No. 2, Printemps/Spring 2006 www.relq.uqam.ca RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Revue des étudiants en linguistique du Québec Quebec Student Journal of Linguistics Vol. I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction À propos de la RÉLQ/About the QSJL..................................................................... iv Orientation éditoriale/Editorial Focus....................................................................... vi Éditorial/Editorial Davy Bigot et/and Adel Jebali ................................................................................. vii Articles/Papers Louis-Félix Bergeron Typologie de systèmes écrits pour les langues signéés ....................................... 1 Laëtitia Constant Syndète, asyndète et ambiguïté ......................................................................... 25 Danh Thành Do-Hurinville La cooccurrence du passé simple et du passé composé dans la presse française 54 Ana Ibáñez Moreno The codification of movement in language an analysis of English and Unish . 74 Cécile Petitjean Plurilinguisme et politique linguistique éducative en Europe : de la théorie à la pratique ............................................................................................................. 98 Etleva Vocaj Quatre façons de traduire parce que. Analyse contrastive des connecteurs de cause en français et en albanais ........................................................................ 126 Livres disponibles/Available for review ............................................................ 143 ii RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 La publication de cette revue a été rendue possible grâce au financement partiel du BEP de l’UQAM. Publication of this journal has been made possible in part by funding from the BEP of UQAM iii RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 À propos de la RÉLQ La RELQ/QSJL est l’initiative d’étudiants de doctorat en linguistique des universités du Québec (plus spécifiquement de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université de Montréal, de l’Université Laval, de l’Université de Sherbrooke et enfin, de l’Université Mc Gill), mais elle concerne tous les étudiants de toutes les universités quel que soit leur niveau. Compte tenu de l’importance des publications dans le domaine de la recherche universitaire (notamment aux niveaux du deuxième et du troisième cycle), mais également des difficultés des étudiants à publier dans des revues scientifiques, il nous est apparu qu’une revue dédiée exclusivement à la publication de travaux d’étudiants pourrait permettre une diffusion plus simple et plus large d’articles de qualité. Nous attendons donc dès maintenant vos contributions. Nous tenons tout particulièrement à remercier les personnes suivantes : Louisette Emirkanian (professeure et directrice des cycles supérieurs au département de linguistique et didactique des langues à l’UQAM) pour son soutien tout au long de la création de cette revue, Robert Papen (professeur associé au département de linguistique et didactique des langues de l’UQAM) pour ses précieux conseils en matière d’édition et d’organisation d’une revue scientifique, le centre HumaniTic de l’UQAM pour la création du site web, enfin, le Bureau de l’enseignement et des programmes de l’UQAM pour leur appui financier. Nous remercions également Simon Boisjoli pour ses talents de créateur. Il nous a fourni, gratuitement, un magnifique logo. Un dernier merci aux différents responsables des départements de linguistique qui nous ont permis de rentrer en contact avec leurs étudiants. Merci à tous! La rédaction. About the QSJL The QSJL/RÉLQ is an initiative of doctoral students in linguistics attending universities in Quebec (more specifically the University of Quebec at Montreal, the University of Montreal, the University of Laval, Sherbrooke University and finally, McGill University), but it concerns all students of all universities, no matter what their level of education. Taking into account the importance of publications in the university research setting (especially at the post-graduate levels), but also the difficulty students have in being published in scientific journals, it became apparent to us that a journal dedicated exclusively to the publication of student work could permit simpler and broader distribution of quality articles. We are, from this moment on, accepting contributions. iv RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 We would particularly like to thank the following people: Louisette Emirkanian (professor and Director of Graduate Studies of the Department of Linguistics and Didactics of Languages at UQAM) for her continuing support during the creation of this journal; Robert Papen (associated professor of the Department of Linguistics and Didactics of Languages at UQAM) for his precious advice on publishing and organizing a scientific journal; the HumaniTIC centre of UQAM for the creation of the web site; finally, the BEP (Bureau de l’enseignement et des programmes of UQAM) for their financial support. We would like to express thanks to Simon Boisjoli for the logo. One final thanks to the many people in charge of various linguistic departments that allowed us to get in touch with their students. Thank you all! The Editorial Board v RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Orientation éditoriale La revue des étudiants en linguistique du Québec est une revue de linguistique bilingue (français et anglais), électronique et totalement gratuite. Elle a pour but de favoriser la diffusion d’articles d’étudiants en linguistique, et cela, directement via son site Internet. Pour des raisons logistiques, les domaines concernés sont, pour l’instant, les suivants : la phonologie, la phonétique, la syntaxe, la morphologie, la sémantique, la sociolinguistique (incluant les langues en contact, l’étude des Créoles et la linguistique variationniste), la dialectologie, l’analyse du discours, la pragmatique, la lexicologie, la lexicographie, le traitement automatique des langues naturelles, les langues signées, et l’acquisition des langues. Cette orientation n’est cependant pas définitive, et elle évoluera au gré des étudiants qui nous rejoindront dans cette entreprise. Les différents numéros publiés deux fois par an (à l’automne et au printemps) comprendront des articles libres ou organisés occasionnellement selon des thèmes de recherche, des actes de conférences qui ne seraient pas publiés, mais aussi des comptes-rendus d’ouvrages récemment publiés. La rédaction Editorial Focus The Quebec Students Journal of Linguistics is a completely free online bilingual linguistics journal (in French and English). Our goal is to distribute articles of students in linguistics directly on our web site. For logistic reasons, the domains concerned are the following: phonology, phonetics, syntax, morphology, semantics, sociolinguistics (including languages in contact, creole studies, and variationist linguistics), dialectology, discourse analysis, pragmatics, lexicology, lexicography, natural language processing (NLP), sign languages and language acquisition. However, this orientation is not definitive and will evolve as it pleases the students that join us in this enterprise. The different issues, published twice a year (fall and spring), will be made up of independent or occasionally organized articles according to research themes, unpublished conference summaries and reviews of recently published works. The Editorial Board vi RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Éditorial Ce deuxième numéro de la RELQ est riche sur plus d’un plan. Tout d’abord, les auteurs qui y ont contribué viennent de plusieurs universités, réparties sur les deux continents européen et américain. Les langues étudiées sont diversifiées (les langues signées, le français, l’anglais, l’unish et l’albanais). Cette diversité touche aussi les sujets traités et les approches théoriques privilégiées par les auteurs, et représente avec fidélité certaines des orientations de recherche dans la communauté linguistique. En ouverture, l’article de Louis-Félix Bergeron traite d’une question qui touche la LSQ, et à travers cet exemple les langues signées en général : comment peut-on convenablement mettre en place un système d’écriture pour ces langues? Si les langues parlées ont commencé à être écrites depuis des milliers d’années, les langues signées n’ont pas ce privilège. Aussi, l’auteur nous propose une typologie des différents systèmes d’écriture, proposés pour ces langues, avec une extrême minutie et un effort remarquable en vue de vulgariser les caractéristiques des langues signées pour le grand public qui n’y est pas habitué. Le deuxième article, rédigé par Laetitia Constant, pose essentiellement des questions d’ordre sémantique, qui touchent à la présence et à l’absence de connecteurs dans le discours et à l’effet de cette présence ou absence sur l’ambiguïté. L’auteure procède en comparant des énoncés dotés de connecteurs sémantico-logiques (des énoncés syndétiques) à des énoncés asyndétiques pour répondre à la question suivante : est-ce que les connecteurs sont indispensables? En fait, si nous pouvons construire le sens sans ces connecteurs, alors nous pouvons en déduire qu’ils sont redondants, voire inutiles. Dans une analyse d’un corpus journalistique cette fois-ci, Danh Thàh DoHurinville nous propose une étude détaillée de l’usage des deux formes simple et composé du passé dans la presse française. Cette étude vise à démontrer que le passé simple n’est pas en train de disparaître face au passé composé, comme on pourrait le croire. Le passé simple serait, au contraire, en train de subir une mutation qui lui permettrait de survivre face à son « rival ». Cette approche met donc en question la théorie dichotomique (histoire/discours) de Benveniste (1966) et se propose pour but ultime de la nuancer. Le quatrième article, écrit par Ana Ibáñez Moreno s’inscrit dans un cadre sémantique. La question soulevée par cette auteure est la suivante : comment peuton classer les verbes de mouvement induit? Pour parvenir à une réponse et donc fournir un classement adéquat, une comparaison entre les verbes de mouvement de deux langues (l’anglais et l’unish) est menée dans le cadre de l’Analyse componentielle. Cette comparaison ne permet pas seulement de proposer une typologie des verbes de mouvement, elle démontre, en outre, que l’étude des langues artificielles peut s’avérer importante pour la compréhension de la syntaxe et de la sémantique des langues naturelles. Cécile Petitjean part d’un cadre quelque peu différent. L’étude qu’elle nous présente dans ce cinquième article est de nature sociolinguistique et elle traite la question de la place des différentes langues que parlent les Européens dans la vii RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 construction de l’Union européenne. Autrement dit, le problème soulevé est celui de l’unité à travers la diversité et la préservation, voire la défense, des différences. La question est vitale pour l’Europe, d’autant plus qu’il faudrait, selon l’auteure, instaurer une politique linguistique commune dans le cadre d’un enseignement pluriel des langues et le respect des spécificités culturelles et linguistiques des pays membres. En cloture de ce numéro, l’article de Etleva Vocaj est rédigé sur une note comparative entre les connecteurs de cause en français et en albanais. Cette comparaison démontre que les différences observées dans l’emploi de ces connecteurs sont en rapport avec ce que l’auteure appelle « les instructions pragmatiques » de ces expressions linguistiques, et plus précisément avec les conditions d’emploi et les schémas inférentiels. Cette approche fournit une explication convaincante des difficultés de traduction du connecteur français parce que vers l’albanais. Cette explication, il va sans dire, permet en même temps de faciliter la tâche du traducteur entre ces deux langues. La rédaction Editorial This second issue of the QSJL is rich in more ways than one. First of all, the authors that contributed to this issue come from several universities, spread out over the European and American continents. The languages studied are diverse (sign languages, French, English, Unish and Albanian). This diversity also influences the subjects addressed and the theoretical approaches favoured by the authors, and faithfully represents a number of research orientations in the linguistic community. Opening this issue, the article of Louis-Félix Bergeron addresses a question concerning QSL, and through this example, sign languages in general: how can a writing system for these languages be established properly? Sign languages do not have the advantage of spoken languages, which began to be written thousands of years ago. The author also puts forward a typology of different writing systems proposed for these languages with extreme attention to detail and remarkable effort, aiming to popularize the characteristics of sign languages for the general public who is not accustomed to them. The second article, written by Laetitia Constant, asks essential questions of a semantic nature, which address the presence and absence of connectors in discourse and the effect of this presence or absence on ambiguity. The author proceeds to compare statements containing logical and semantic connectors (syndetic statements) to asyndetic statements in order to answer the following question: are connectors indispensable? If, in fact, we can construct meaning without connectors, we could deduce that they are redundant, if not useless. With an analysis of a journalistic corpus, Danh Thành Do-Hurinville proposes a detailed study of the use of the two passé simple and passé composé forms in the viii RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 French press. This study aims to demonstrate that the passé simple is not on its way to disappearing in favour of the passé composé, as some believe. The passé simple is, on the contrary, in the midst of going through a transformation that will allow it to survive in the face of its “rival.” This approach puts the dichotomist theory (history/speech) of Benveniste (1966) into question and proposes to nuance this theory as its ultimate goal. The fourth article, written by Ana Ibáñez Moreno, falls within a semantic framework. The question raised by this author is the following: how can we classify verbs of induced movement? In order to arrive at an answer and therefore provide an adequate classification, a comparison between movement verbs of two languages (English and Unish) is undertaken within a Componential Analysis framework. This comparison not only permits us to propose a typology of movement verbs, it shows, moreover, that the study of artificial languages can prove to be important in understanding the syntax and semantics of natural languages. Cécile Petitjean hails from a slightly different framework. The study she presents to us in this fifth article is of a sociolinguistic nature and addresses the question of the place of different languages spoken by Europeans within the construct of the European Union. In other words, she raises the problem of unity through diversity and preservation, indeed the defense, of differences. The question is vital for Europe, all the more because we must, according to the author, establish common linguistic policies within the structure of a pluralistic teaching of languages, as well as respect for the cultural and linguistic particularities of member countries. To close this issue, the article of Etleva Vocaj is written on a note of comparison between causal connectors in French and Albanian. This comparison demonstrates that the differences observed in the use of these connectors are related to what the author calls the “pragmatic instructions” of these linguistic expressions and, more precisely, to their conditions of use and inferential models. This approach provides a convincing explanation of the difficulties in translating the French connector parce que into Albanian. This explanation, it goes without saying, also simplifies the task of translating between these two languages. The Editorial Board ix TYPOLOGIE DE SYSTÈMES ÉCRITS POUR LES LANGUES SIGNÉES Louis-Félix Bergeron Université du Québec À Montréal Résumé Au cours des 40 dernières années, la multiplication des besoins de transcription des langues signées a amené la création de plusieurs systèmes écrits conçus pour différents objectifs comme la description des unités phonologiques ou la représentation des relations syntaxiques entre les signes. Par ailleurs, alors que les langues des signes ne sont pratiquement pas écrites par leurs utilisateurs, il existe pourtant quelques systèmes pouvant servir à l’écriture courante. Pour y voir plus clair dans toutes ces possibilités peu connues, nous présentons d’abord quelques caractéristiques des langues des signes à prendre en considération pour leur représentation écrite, telles que l’iconicité, l’utilisation de l’espace et la simultanéité. Nous proposons ensuite une typologie de systèmes écrits pour les langues des signes, classant ces systèmes selon leur niveau de représentation, les caractéristiques de leurs graphèmes et leur arrangement. Abstract During the last 40 years, the growing needs for sign language transcription led to the creation of several writing systems designed for different goals such as the description of phonological units or the representation of syntactical relations between signs. In addition, whereas sign languages are practically not written by their users, there are however some systems that could be used for everyday writing. In order to have a clearer view of all these little known possibilities, we initially expose some characteristics of sign languages to be taken into account for their written representation, such as iconicity, use of space and simultaneity. Then, we propose a typology of writing systems for sign languages, classifying these systems according to their level of representation, the characteristics of their graphemes and their layout. RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction Depuis plus de 5000 ans, l’être humain écrit et différents systèmes d’écriture ont été créés pour représenter des langues orales. La « découverte » de l’existence de langues des signes (LS) pose maintenant de nouveaux défis à l’écriture. Une première tentative d’écriture de la langue des signes française (LSF) voit le jour en 1825 avec la Mimographie d’Auguste Bébian. Mais ce n’est qu’à partir des années 1960, avec les travaux de William Stokoe et de ses collaborateurs, que se multiplient les systèmes écrits pour les LS, principalement créés en fonction des différents besoins de la recherche. Paradoxalement, les LS du monde sont très peu écrites par leurs utilisateurs et, même si des systèmes d’écriture ont été créés de façon à offrir une véritable modalité écrite d’usage courant pour ces langues, ces systèmes restent encore peu connus par les sourds. Pourtant, ce ne sont pas les raisons qui manquent pour se mettre à écrire et à lire en LS, comme l’éducation bilingue des sourds, la reconnaissance des LS et de la culture sourde, etc. Il est possible que parmi les obstacles qui retardent l’adoption et l’utilisation d’une modalité écrite pour les LS, il y ait la difficulté de s’imaginer comment des LS pourraient être écrites, étant donné qu’on associe depuis longtemps l’écriture aux langues orales. Dans le cadre de nos recherches sur l’écriture de la langue des signes québécoise (LSQ), nous nous sommes intéressés aux différentes possibilités de systèmes écrits pour les LS. Voyant à quel point les propositions de systèmes de transcription et d’écriture sont construites selon des contraintes et des buts différents, nous avons cherché à dresser un portrait d’ensemble de ces systèmes. Cet article présentera d’abord quelques caractéristiques des LS à tenir compte dans leur représentation écrite. Puis, nous proposerons une typologie de systèmes d’écriture et de transcription actuellement disponibles pour les LS. Cette typologie nous permettra de faire un tour d’horizon des moyens proposés jusqu’à présent pour représenter les LS à l’écrit selon différents objectifs et différents critères. 1. Quelques caractéristiques des langues signées L’étude des LS est encore très jeune et la description de ces langues n’est que partielle. Cependant, jusqu’à présent, on a identifié les niveaux de représentation linguistique des LS et décrit les principaux composants, notamment leur système de représentation phonologique. Par exemple, dans le premier tome de la Grammaire descriptive de la LSQ (Dubuisson et al., 1999), on décrit cette langue en fonction des sept paramètres de formation des signes suivants : • • • • La configuration manuelle : la forme de la main; Le lieu d’articulation : l’emplacement de la main dans l’espace ou sur le corps du signeur. Il peut s’agir d’un point de départ ou d’arrivée d’un mouvement, lorsque le signe comporte deux lieux d’articulation; Le mouvement : le déplacement de la main ou le changement d’état des articulateurs lors de la production d’un signe; L’orientation : les directions vers lesquelles sont dirigés les mains et les doigts; 2 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 • • • Le contact : le lieu de rencontre entre la main qui exécute le signe et une autre partie du corps (incluant l’autre main); L’arrangement : la disposition des deux mains l’une par rapport à l’autre; Le comportement non manuel : l’état des autres parties du corps impliquées dans la production d’un signe (tronc, tête, visage, yeux, etc.). La figure 1 nous montre le signe ANNÉE-PASSÉE formé d’au moins un élément de chaque paramètre. Dans ce signe, alors que la main non dominante n’a qu’une configuration (poing fermé), la main dominante en a deux : d’abord le poing fermé puis l’index tendu. Cette main fait un mouvement arrière de l’espace neutre (lieu d’articulation de départ) vers l’épaule (lieu d’articulation d’arrivée). Pendant ce mouvement, l’orientation de la main dominante passe de la paume orientée vers à la gauche à la paume orientée vers l’arrière. L’index de cette main est également orienté vers l’arrière. Juste avant le mouvement, les deux mains font contact l’une sur l’autre. Au moment de ce contact, l’arrangement des deux mains est de telle sorte que la main dominante est placée au-dessus de la main non dominante. Enfin, pendant le mouvement de la main vers l’arrière, la tête se tourne vers l’épaule (comportement non manuel). Figure 1 : Anné-Passée Cet exemple nous montre qu’un même signe peut être composé d’une ou de plusieurs configurations, d’un ou de plusieurs lieux d’articulation, d’un ou de plusieurs mouvements, etc. Chaque paramètre constitue en fait ce qu’on pourrait appeler un inventaire de phonèmes (qui sont aussi parfois appelés chérèmes dans l’étude des LS), c’est-à-dire les unités minimales non porteuses de sens de la langue. Par exemple, on a recensé 116 configurations manuelles utilisées en LSQ (Dubuisson et al., 1999). Toutefois, il n’est pas simple de constituer une liste fermée de ces phonèmes pour chacun des sept paramètres. Ainsi, même si on parvient à identifier des mouvements et des lieux d’articulation spécifiques (surtout lorsqu’ils sont en lien avec des parties du corps), leur dénombrement est moins évident quand il s’agit de mouvements ou de lieux d’articulation associés à un endroit quelconque dans l’espace neutre. Liddell (2000) discute de ce problème pour la description des lieux d’articulation de l’espace devant le signeur et de son impact, entre autres, sur la notion d’accord verbal. 3 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 L’espace dont dispose le signeur pour la production des LS est très vaste comparativement à l’espace disponible dans la cavité orale des locuteurs de langues orales. Cette première spécificité articulatoire, attribuable à la modalité, multiplie les traits phonologiques possibles, ce qui rend difficile l’inventaire des phonèmes de chacune des LS. Cette difficulté a mené quelques chercheurs, dont Cuxac (1997, 2000), à remettre en question la pertinence de l’analyse des LS selon des paramètres strictement phonologiques. Cuxac propose plutôt de considérer cette analyse du point de vue morphologique par le biais de l’iconicité (c’est-à-dire le lien entre la forme des signes et la forme de ce qu’ils représentent) dans la structure des signes et dans leur réalisation en énonciation. Dans le signe, tous les paramètres, qu’on appelle aussi constituants structurels, n’ont pas la même importance et ne sont pas traités de la même façon. Les chercheurs s’entendent généralement pour considérer quatre paramètres majeurs, soit la configuration manuelle, le mouvement, le lieu d’articulation et l’orientation (Stokoe, 1976). Les unités minimales comprises dans chacun de ces quatre paramètres ont été les premières à être décrites et identifiées comme des phonèmes de la langue. Ce sont aussi les quatre paramètres qui interviennent dans la reconnaissance mentale des signes (Emmorey, 2002). On peut également rendre compte du contact et de l’arrangement dans la description de ces constituants. Par ailleurs, alors que tous les signes manuels requièrent nécessairement au moins une configuration, un mouvement, un lieu d’articulation et une orientation, le contact, l’arrangement et le comportement non manuel ne sont pas toujours présents en forme de citation. Par exemple, le comportement non manuel joue rarement un rôle lexical dans des signes comme ANNÉE-PASSÉE, que nous avons vu dans la figure 1. Cependant, le contexte d’un ou plusieurs signes peut impliquer la superposition d’un comportement non manuel à ces signes. Les sourcils relevés, par exemple, peuvent indiquer la surprise ou marquer la forme interrogative d’une phrase. Mis à part le mouvement, l’ensemble des paramètres implique la simultanéité de la production des phonèmes dans les LS. Contrairement aux langues orales, qui sont produites par concaténation de phonèmes vocaliques et consonantiques, les signes d’une LS sont produits avec des séries de phonèmes simultanés, réalisés par plusieurs articulateurs à la fois, dont les mains, les bras, les épaules, le tronc, le visage. Cette simultanéité de phonèmes est très productive et suscite des phénomènes linguistiques absents en langues orales. Par exemple, sur le plan syntaxique, les LS permettent l’encodage parallèle, c’est-à-dire la production simultanée de deux signes, à raison d’un par main (Miller et Dubuisson, 1992). Sur le plan morphologique, on peut également produire simultanément plusieurs morphèmes dans la composition, la flexion ou la dérivation. Par exemple, on compose le signe GARAGE1 (figure 2) à partir de deux classificateurs sémantiques, soit le CL-/V’/ dont le sens est un véhicule et le CL-/B’/ dont le sens est une surface plate. On peut aussi fléchir un verbe en en modifiant les lieux d’articulation en fonction de la personne grammaticale tout en conservant la même configuration manuelle, comme avec le verbe DONNER (figures 3 et 4). 1 Les exemples de cette section sont tirés de Dubuisson et al. (1996 et 1999). 4 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 2 : Garage Figure 3 : 1-Donner-2 Figure 4 : 2-Donner-1 Les caractéristiques des LS soulèvent des questions différentes de celles auxquelles est confrontée la représentation écrite des langues orales. Par exemple, d’un point de vue physiologique, la parole est produite par un complexe articulatoire dont les articulateurs ne sont pas autonomes les uns par rapport aux autres dans la production des sons. L’indépendance des articulateurs impliqués dans la production des LS permet une plus grande simultanéité dans la production des différents niveaux de représentation de la langue : phonologique, morphologique, lexical, syntaxique et discursif. De plus, l’utilisation de l’espace pour établir les relations référentielles est aussi une stratégie propre aux LS. La localisation des éléments dans l’espace ou l’utilisation de marqueurs non manuels tels que la direction du regard, de la tête, des épaules et du tronc sont différents moyens d’encoder les relations entre les éléments syntaxiques en utilisant la matrice spatiale. 5 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 2. Proposition de typologie de systèmes écrits pour les langues signées Il existe différents types de systèmes écrits pour les langues de signes. Ces systèmes se divisent principalement en deux catégories : les systèmes de notation et de transcription, d’une part, et les systèmes d’écriture pour un usage courant, d’autre part. Un système de transcription vise à rendre à l’écrit un ou plusieurs aspects linguistiques de la structure d’une LS. Dans les systèmes de transcription, on ne vise pas la convivialité, mais plutôt la précision. En ce sens, ils sont comparables à l’Alphabet phonétique international (API) utilisé pour rendre compte de la phonétique et de la phonologie des langues orales. Ces systèmes sont généralement très descriptifs et n’ont pas pour objectif l’économie de lecture ou d’écriture. La nécessité d’employer de tels systèmes est apparue dès le début des recherches en LS. Le pionnier de ces recherches, William Stokoe (1960), a créé son propre système qui a connu par la suite plusieurs versions au fil des nouvelles LS étudiées et à mesure que les besoins de représentation écrite se sont précisés (Miller, 1994). À la suite de Stokoe, d’autres chercheurs ont proposé leurs propres systèmes, ce qui a enrichi l’inventaire des systèmes disponibles pour la transcription des LS (Miller, 1994) : • • • • • • • • le système LaMont West; le système Papaspyrou; HamNoSys; le système Jouison; le système de notation de danse Laban-Benesh; le système Liddell-Johnson; SignFont; etc. Cependant, la pluralité de ces systèmes et les fonctions particulières pour lesquelles ils ont été créés peuvent compliquer la diffusion et l’accessibilité des recherches de chacun, comme le note Miller (1994). En ce qui a trait aux systèmes d’écriture, ils se distinguent des systèmes précédents par leur objectif d’utilisation usuelle par l’ensemble des locuteurs d’une langue plutôt que par des spécialistes seulement. Par cet objectif, ces systèmes se comparent à l’orthographe d’une langue orale. Ces systèmes visent explicitement à constituer une modalité écrite pour une LS et sont créés dans cette optique. Certaines propositions, comme celle de Gérald Tilkin (Tilkin, manuscrit), cherchent à employer les mêmes graphèmes que les systèmes pour les langues orales. Par exemple, avec le système de Tilkin, le signe ÉCRIRE de la LSF (tel qu’illustré dans Moody, 1986) s’écrit de cette façon : s28dd+!F-l7. La graphie de ce signe rend compte des éléments suivants : 6 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 5 : Écrire (en LSF) tiré de Moody (1986) s28 : Configuration /S/ (s) ; variante digitale de l’index (2) ; paume de la main orientée vers le bas (8) dd+ : Mouvement tout droit répété deux fois (deux fois d) ; vers l’avant (+) !F : Contact de la main dominante (!) ; avec l’autre main (F) -: Changement de main l7 : Main non dominante tendue, doigts non écartés (i) ; paume orientée vers le haut (7). Ce système est composé d’une soixantaine de lettres, de chiffres et de symboles typographiques divisés en sept groupes : • • • • • • • les lettres-formes (18 lettres représentant chacune une configuration de la main); les lettres-mouvements (9 lettres représentant chacune un type de mouvement de la main); les lettres-corps (6 lettres représentant chacune un lieu d’articulation); les lettres-visages (12 lettres représentant chacune une expression faciale); les lettres-directions (6 caractères, dont 4 chiffres et deux symboles typographiques, représentant chacun une direction); les lettres-parties (5 chiffres qui, associés aux lettres-corps, précisent une partie du corps); les « autres lettres » (4 symboles typographiques qui représentent le changement de main, le parallélisme ou la symétrie des comportements manuels, ou le contact). Dans le système de Tilkin, toutes les associations entre les graphèmes et ce qu’il nomme des « part-de-gestes » (c’est-à-dire un chérème) sont totalement arbitraires et n’ont rien à voir avec la forme des graphèmes ou la forme des chérèmes. D’autres propositions, comme le Sutton’s SignWriting, emploient des graphèmes iconiques plus particuliers aux caractéristiques des LS. Ces graphèmes sont bien différents de ceux utilisés pour les langues orales. La figure 6 illustre la graphie du signe ÉCRIRE (en LSF) dans ce système. 7 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 6 : Écrire (en LSF) écrit en Sutton’s SignWriting tiré de Moody (1986), graphèmes tirés de SignBank Online Database Cette graphie se décompose en trois graphèmes : • • • Ce graphème représente la configuration /Bs/ exécutée par la main non dominante sur le plan horizontal, la paume tournée vers le haut, avec les doigts orientés à 45 degrés entre l’avant et le côté droit. Ce graphème représente la configuration /1o/ exécutée par la main dominante sur le plan horizontal, la paume tournée vers le bas, avec les jointures métacarpiennes orientées vers l’avant. Ces deux flèches représentent un mouvement linéaire sur le plan horizontal à 45 degrés entre l’avant et le côté droit, exécuté deux fois. Ce signe a été écrit en fonction du point de vue du signeur, c’est-à-dire que l’image écrite du signe correspond à ce que le signeur perçoit lorsqu’il exécute ce signe et non à ce que l’interlocuteur perçoit lorsqu’il regarde le signeur. C’est pourquoi le mouvement du signe écrit semble être contradictoire avec le mouvement du signe illustré. Devant des possibilités aussi variées de représentation écrite d’une LS, nous proposons dans le tableau 1 une typologie qui nous permettra de mieux comprendre et comparer les caractéristiques des systèmes d’écriture et de transcription disponibles pour les LS. 8 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Tableau 1 : Typologie des systèmes d’écriture et de transcription pour les langues signées Types de systèmes Niveaux de représentation Caractéristiques des graphèmes Exemples de systèmes Systèmes de transcription Phonologique Alphanumériques unilinéaires Liddell-Johnson Iconiques unilinéaires HamNoSys Semi-iconiques unilinéaires Jouison Mixtes dactylologiques unilinéaires Alphanumériques unilinéaires Stokoe Gloses, Berkeley TS Alphanumériques multilinéaires Gloses Alphanumériques unilinéaires Proposition Tilkin Iconiques unilinéaires SignFont Iconiques bidimensionnels Sutton’s SignWriting Sémantique Systèmes d’écriture Phonologique 2.1. Types de systèmes Parmi les types de systèmes possibles, nous retrouvons les systèmes de transcription et les systèmes d’écriture. Cette distinction est importante à faire puisqu’elle conditionne directement l’ensemble des autres caractéristiques. Un système de transcription est généralement utilisé pour la description d’une langue, principalement dans les recherches en linguistique. Que ce soit pour des études sur la phonologie, la syntaxe, la morphologie ou la sémantique des LS, les chercheurs doivent avoir recours à un moyen quelconque de représenter la langue par écrit afin de pouvoir traiter leurs données et diffuser leurs recherches, leurs données et leurs résultats. De plus, avec l’utilisation croissante de l’informatique, notamment pour la saisie et le traitement des données et pour la synthèse des LS, le besoin d’un support écrit ne cesse de croître. Le premier objectif des systèmes de transcription est de pouvoir rendre à l’écrit tous les détails pertinents pour la recherche et la description de la langue. La liste de ces détails peut être longue. Par exemple, on peut vouloir transcrire tous les phonèmes d’une langue, tous les traits des phonèmes, toutes les informations morphologiques et sémantiques contenues dans un mot ou un signe, etc. Ces systèmes sont donc susceptibles d’être modifiés et révisés régulièrement afin de s’adapter aux besoins de la recherche et aux données analysées. Pour leur part, les systèmes d’écriture destinés à un usage courant par les locuteurs d’une langue ont été conçus dans un but de communication dans cette langue. Dans ce type de système, la représentation de la langue par écrit doit être assez détaillée pour que les liens soient relativement évidents entre la modalité orale et la modalité écrite. Cependant, peu de systèmes d’écriture représentent une langue avec une grande précision. Le niveau de détails de la représentation doit être 9 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 suffisant pour la compréhension sans alourdir la communication. Pour les langues orales, ces systèmes équivalent à des conventions pouvant être issues d’une analyse plus ou moins approfondie de la langue à représenter et possiblement conditionnées par des facteurs politiques, historiques ou sociologiques. Une fois établies et fixées, ces conventions sont peu susceptibles de subir de changements. Avec le temps, elles tendent à s’éloigner de la langue orale représentée si aucune mesure n’est prise pour adapter régulièrement la modalité écrite à l’évolution de la modalité orale. Ce phénomène explique en partie le décalage fréquent qui existe entre une langue écrite et une langue orale. Quelques systèmes d’écriture ont été proposés pour représenter les LS. Tout comme les systèmes d’écriture des langues orales, les systèmes d’écriture des LS ont été conçus pour représenter les signes à l’écrit avec un niveau de détails relativement limité afin de ne pas compromettre l’économie de ces systèmes et leur apprentissage par les locuteurs. Par conséquent, les systèmes d’écriture des LS comportent souvent beaucoup moins de graphèmes que ceux utilisés en transcription. 2.2. Niveaux de représentation Les systèmes de transcription et d’écriture s’articulent sur un niveau de représentation, c’est-à-dire l’unité linguistique de base représentée par un graphème, comme le mot, la syllabe, la consonne, le phonème. Tout comme les systèmes d’écriture et de transcription pour les langues orales, les systèmes écrits pour les LS peuvent aussi avoir différents niveaux de représentation. Dans l’état actuel des recherches sur les LS, on distingue principalement deux niveaux de représentation pour les systèmes écrits, soit le niveau phonologique et le niveau sémantique. Dans les systèmes basés sur le niveau phonologique, les graphèmes représentent des phonèmes. Par conséquent, un signe doit être écrit avec des graphèmes représentant l’ensemble des phonèmes de ce signe. On aura alors dans un même système une série de graphèmes pour représenter les configurations manuelles, une autre série pour les lieux d’articulation, une autre série pour les mouvements, etc. Les systèmes basés sur le niveau sémantique, pour leur part, représentent principalement le sens des signes. Ces systèmes sont principalement utilisés lorsqu’il n’est pas utile de transcrire le niveau phonologique dans une recherche, par exemple dans des analyses sur des aspects syntaxiques, morphologiques ou discursifs. Ces systèmes permettent seulement une représentation des unités porteuses de sens, sans distinguer les unités non porteuses de sens. À notre connaissance, aucun système d’écriture proposé pour les LS n’est basé sur le niveau sémantique. Ce niveau de représentation semble exclusivement utilisé en transcription. 2.3. Caractéristiques des graphèmes Outre le type de système et le niveau de représentation, les systèmes d’écriture et de transcription pour les LS présentent d’autres caractéristiques quant à l’aspect et à l’arrangement des graphèmes utilisés. L’aspect des graphèmes réfère à la forme graphique des caractères utilisés par un système. Cette forme peut découler du type de relation (arbitraire ou motivée) entre les graphèmes et les unités linguistiques 10 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 représentées. Dans notre analyse, nous aborderons les aspects alphanumérique, dactylologique, iconique, semi-iconique et mixte. Alphanumérique Un système d’écriture ou de transcription peut être considéré alphanumérique quand son inventaire de graphèmes est composé de lettres, de chiffres et parfois d’autres caractères typographiques courants comme la barre oblique, le tiret, etc. Ainsi, dans un système alphanumérique, les graphèmes sont souvent limités à ce qu’on peut retrouver dans la norme ASCII (American Standard Code for Information Interchange), c’est-à-dire la table de codage de 128 caractères utilisée couramment en informatique. Les raisons qui motivent le choix de ce type de graphème pour un système d’écriture ou de transcription d’une LS découlent surtout du souci de disposer d’un système pouvant être utilisable sur un ordinateur avec des logiciels courants de traitement de texte ou de données, sans nécessiter de logiciels spécialisés et spécifiques à l’écriture ou à la transcription en LS. Dans les systèmes alphanumériques, la forme des graphèmes a généralement peu ou pas de lien avec la forme des phonèmes. Dans les systèmes de transcription, le recours à des caractères alphanumériques induit souvent des références à la langue orale des chercheurs. Par exemple, le système de Liddell et Johnson décrit certaines caractéristiques du mouvement avec des abréviations comme « str » (straight, en ligne droite), « rnd » (round, arrondi), « arc » (en arc de cercle) ou « acc » (accéléré). Les systèmes à gloses, pour leur part, font franchement référence à la langue orale en y empruntant des mots ayant un sens similaire aux signes décrits. Par exemple, dans les figures 5 et 6, nous avons identifié le signe illustré par le mot ÉCRIRE écrit en majuscules. Cette glose peut donc représenter ce signe par le recours à un mot d’une langue orale ayant le même sens. Les systèmes alphanumériques, en plus d’être conçus pour des fins de compatibilité avec les outils informatiques servant aux recherches, peuvent donc aussi inclure des indications mnémoniques, comme des références à des mots de langues orales, pour en faciliter l’apprentissage et l’utilisation. La représentation des LS par ces systèmes peut donc passer par une description des signes à l’aide de références provenant de langues orales. Il est à noter que dans les systèmes alphanumériques que nous connaissons, seuls les systèmes de transcription utilisent des références à des langues orales. Le système d’écriture alphanumérique (la proposition de Tilkin) que nous avons inclus à notre typologie ne comporte pas de références aux langues orales. Le choix de caractères alphanumériques dans ce système répond seulement à des besoins de compatibilité informatique. La relation entre les graphèmes et les phonèmes est généralement arbitraire. Dactylologique Les systèmes dactylologiques, regroupés dans notre typologie dans l’ensemble des variantes du système de Stokoe, représentent certaines configurations manuelles servant pour l’alphabet manuel (c’est-à-dire l’ensemble des configurations manuelles choisies pour représenter les lettres de l’alphabet) ou pour signer des chiffres à l’aide de caractères alphanumériques (des lettres et des chiffres) correspondant à ces configurations. Par exemple, comme le montre la figure 7, on 11 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 peut représenter en LSQ la configuration avec les doigts fermés et le pouce ouvert sur le côté de la main par la lettre A puisque cette configuration représente la lettre A dans l’alphabet manuel de la LSQ. La configuration formée des doigts ouverts et collés avec le pouce fermé sur la paume de la main est représentée par B puisque cette configuration représente cette lettre dans l’alphabet manuel de la LSQ. Ainsi, pour noter ces configurations par écrit, on peut utiliser des caractères alphanumériques qu’on associera aux configurations correspondant à ces lettres dans l’alphabet manuel de la LS à écrire. Ce type de système peut aussi comporter des diacritiques afin d’identifier des configurations voisines de celles qu’on retrouve dans l’alphabet manuel. C’est le type de système de transcription des configurations manuelles qu’utilisent Dubuisson et al. (1999) dans la Grammaire descriptive de la LSQ. Dans ce cas, la lettre représente les doigts sélectionnés (ou les doigts jouant un rôle primaire dans la configuration), un diacritique précise le comportement des doigts (pliés, courbés, etc.) et un autre diacritique représente le pouce (ouvert sur le côté, en parallèle avec la main, fermé sur la paume ou sur les doigts, etc.). Par exemple, comme on le retrouve dans la figure 7, on distinguera une configuration avec les doigts fermés et le pouce fermé sur les doigts en la représentant par /As/ (le « A » représente les doigts fermés et le « s » représente le pouce fermé) d’une autre configuration avec les doigts fermés et le pouce fermé sur le côté de la main en notant celle-ci par /A"/ (le « A » représente les doigts fermés et le guillemet représente le pouce collé sur le côté). Il est à noter qu’un système ne peut être exclusivement dactylologique puisque cet aspect ne sert qu’à représenter les configurations manuelles et ne peut s’appliquer aux autres paramètres du signe comme le lieu d’articulation ou le mouvement. Figure 7 : Notations dactylologiques de quelques configurations A B /As/ /A"/ Iconique L’aspect iconique d’un système d’écriture ou de transcription découle du fait que le graphème représente un phonème en en illustrant la forme. Ainsi, la forme du graphème réfère à la forme du phonème représenté. Il est important de distinguer le caractère iconique ou arbitraire de la relation entre un graphème et un phonème du choix arbitraire d’un graphème pour représenter une unité linguistique quelconque. Dans notre analyse et notre discussion, lorsque nous parlons d’iconicité ou d’arbitraire, nous ne le faisons qu’en fonction de la relation entre un graphème et ce qu’il représente. La notion de choix arbitraire entre plusieurs graphèmes possibles, qu’ils soient iconiques ou non, pour représenter une unité linguistique n’est pas pertinente pour notre propos puisque ce choix est invariablement arbitraire, peu 12 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 importe le type de relation (arbitraire ou motivée) entre les graphèmes et ce qu’ils représentent. Le degré d’iconicité peut être variable selon le système. Par exemple, les systèmes SignWriting et HamNoSys représentent les configurations manuelles par des dessins de la main ayant une forme similaire à celle des configurations représentées, ce qui exprime l’iconicité relativement directe de ces systèmes. Les figures 8 et 9 illustrent des configurations dans ces systèmes. Le système SignFont, pour sa part, opte pour une iconicité plus métonymique, c’est-à-dire que le graphème tend à représenter la partie la plus signifiante (comme les doigts sélectionnés) ou la plus saillante du phonème. Par exemple, dans les configurations manuelles illustrées dans la figure 10, seuls les doigts significatifs des configurations sont représentés par les graphèmes, sans que l’ensemble de la main ne soit nécessairement inclus dans la représentation. En fait, tout ce système est conçu en fonction de maintenir un compromis entre une certaine iconicité et une économie du nombre de graphèmes représentant les constituants les plus signifiants des signes. Le système SignFont constitue réellement un système d’écriture, au sens où il cherche à représenter à l’écrit les aspects importants d’une langue sans offrir une représentation phonologique détaillée, alors qu’un système de transcription comme HamNoSys vise au contraire à transcrire tous les détails du comportement des articulateurs, sans considérer l’importance du facteur de l’économie de lecture et d’écriture. Figure 8 : Notation iconique de quelques configurations avec SignWriting (Sutton, 1996) Figure 9 : Notation iconique de quelques configurations avec HamNoSys tiré de Prillwitz et Zienert (1990) 13 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 10 : Configurations du système SignFont tiré de McIntire, Newkirk, Hutchins & Poizner (1987) Nous n’avons illustré que la représentation écrite des configurations, mais les graphèmes iconiques de ces systèmes permettent aussi de représenter chacun des éléments phonologiques (les mouvements, les lieux d’articulations, etc.), comme le montre la figure 11. 14 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 11 : « Lire » écrit en SignWriting (haut) et en HamNoSys (bas) Dans cet exemple, on peut remarquer le contraste entre l’approche analytique de HamNoSys et l’approche synthétique de SignWriting. Dans la première paire de crochets [ ], la notation HamNoSys rend compte de la configuration de chaque main et de l’orientation des mains. Par exemple, les quatre graphèmes signifient respectivement que la main dominante prend la configuration /Vs/, que les doigts sont orientés vers le haut et vers la gauche du signeur, et que la paume est orientée à 45 degrés entre l’avant et le bas. La main non dominante est décrite de façon aussi précise ( : « configuration /B’/ », « doigts orientés vers l’avant-droite », « paume orientée vers le signeur »). La graphie en SignWriting comporte moins de précision et met les graphèmes en relation entre eux pour représenter une part des composantes du signe. Par exemple, en SignWriting, chaque configuration est représentée par un graphème ressemblant à la forme des mains, mais l’orientation de la paume est intégrée à ces graphèmes par la couleur de ceux-ci (noir et blanc, par contraste à blanc seulement pour « paume vers le signeur » et noir seulement pour « dos de la main vers le signeur ») plutôt que par des graphèmes supplémentaires. De plus, l’orientation des doigts est donnée par l’arrangement des graphèmes (les doigts de la main dominante sont orientés vers la main non dominante) plutôt que par une description géométrique de cette orientation (« vers le haut et vers la gauche »). Le même principe vaut pour le lieu d’articulation. En HamNoSys, les graphèmes décrivent le lieu d’articulation comme étant « devant le signeur » et « près du corps », alors que cette information est donnée en SignWriting par la position des configurations manuelles sous le graphème de la tête (qui indique aussi la direction du regard vers la main non dominante, une information qui n’est pas donnée en HamNoSys). L’absence de graphèmes représentant un contact ou une partie du corps précise implique que le signe est exécuté dans l’espace neutre. Enfin, le mouvement est représenté en HamNoSys par les graphèmes . La flèche pointée vers le bas signifie « mouvement vers le bas », la flèche pointée vers la droite avec queue en V indique un changement de paramètres à être précisé par les graphèmes suivants, les deux graphèmes subséquents précisent ce changement en donnant une nouvelle orientation : « doigts orientés vers la gauche du signeur » et « paume vers le bas ». De plus, le graphème « + » indique que ce qui est indiqué entre crochets est répété une autre fois. En SignWriting, les deux flèches à double 15 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 barre représentent le même mouvement vers le bas répété deux fois, d’où la répétition des flèches (par contraste, deux flèches à barre simple orientées de la même façon auraient représenté un mouvement vers l’arrière répété deux fois). Le changement d’orientation de la main qu’implique ce mouvement n’est pas précisé, puisqu’il n’ajoute pas de sens au signe. Semi-iconique Nous avons identifié le système Jouison (1990) comme étant semi-iconique, car bien que la forme de ses graphèmes soit déterminée par la forme des phonèmes, cette iconicité n’est pas aussi transparente et intuitive que celle qu’on peut retrouver dans des systèmes comme HamNoSys ou SignWriting. En fait, l’iconicité du système Jouison est plutôt interne au système. Par exemple, comme le montre la figure 12, les configurations sont représentées sur un patron imaginaire composé de quatre lignes droites horizontales, un peu à la manière d’une portée en écriture musicale, et d’une ligne droite verticale. Chaque ligne horizontale sert à ancrer un doigt, avec l’index sur la ligne la plus haute et l’auriculaire sur la ligne la plus basse. La ligne verticale sert de division entre les doigts dits « fermés » et les doigts « ouverts ». À partir de ce patron, on dessine des courbes et des droites selon l’état des doigts. Un demi-cercle avec la courbure orientée vers la droite sert à représenter un ensemble de doigts fermés. Cet ensemble est défini par la position de ce demicercle sur le patron de lignes horizontales. Ainsi, dans la figure 12, ce demi-cercle recoupe les trois premières lignes du haut, ce qui signifie que l’index, le majeur et l’annulaire sont repliés. De la même façon, un demi-cercle avec la courbure vers la gauche représente un ensemble de doigts ouverts et écartés. Une droite verticale représente un ensemble de doigts ouverts et collés. Une ligne oblique représente deux doigts consécutifs dont l’un est ouvert et l’autre, fermé. Par exemple, une oblique comme celle-ci « / » signifie que le doigt du haut est ouvert et celui du bas est fermé, alors que cette oblique « \ » représente le contraire. Sur la figure 12, une ligne oblique « \ » relie l’annulaire et l’auriculaire, signifiant que l’annulaire est fermé alors que l’auriculaire est ouvert. Au milieu de cet ensemble de courbures et de droites peut figurer le pouce. Celui-ci n’est représenté par une ligne droite horizontale que lorsqu’il est ouvert. S’il est fermé, la configuration ne comporte aucune indication sur le pouce. 16 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 12 : Représentation d’une configuration avec le système Jouison (1990) index majeur pouce annul. auric. fermé ouvert Bien que Jouison explique le fonctionnement de son système de cette façon pour les configurations, les caractères qu’il emploie sont un peu plus compacts et ne représentent pas les lignes horizontales et verticales illustrées à la figure 13. Cette économie a une incidence sur l’iconicité des caractères. En effet, la droite verticale déterminant l’ouverture ou la fermeture des doigts ne semble plus signifiante dans la figure 13. Seule la position des courbes et des droites indique la position des doigts. Figure 13 : Quelques configurations notées avec le système Jouison Ce n’est qu’une fois qu’on a compris le principe de ce système qu’on arrive à reconnaître et à prédire les différentes configurations manuelles représentées. Cependant, sans l’explication du fonctionnement de ce type de représentation, peu d’indices permettent de deviner qu’il s’agit de configurations manuelles, alors que les graphèmes de systèmes comme HamNoSys ou SignWriting sont plus explicites et tendent vers plus de transparence en eux-mêmes. Les autres graphèmes du système de Jouison nécessitent aussi une certaine part d’explication pour comprendre ce qu’ils représentent. Mixte La catégorie mixte regroupe des systèmes qui utilisent plusieurs types de formes de caractères. Par exemple, les variantes dérivées du système de Stokoe utilisent des 17 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 caractères alphanumériques pour représenter les configurations, des caractères plus iconiques pour représenter certains mouvements et certains lieux d’articulation ainsi que d’autres caractères plus arbitraires ou plus opaques pour représenter d’autres aspects des signes, comme le contact ou le comportement non-manuel. La figure 14 illustre la phrase « Papa Ours lit le journal » signée en ASL, similaire en LSQ. Chaque signe est transcrit en système Stokoe. On peut remarquer que les configurations sont représentées par des chiffres et des lettres (par exemple, la configuration de PAPA avec tous les doigts ouverts et écartés est représentée par 5, la configuration de OURS avec les doigts courbés et écartés est représentée par C, etc.), les lieux d’articulation sont représentés par des caractères plus iconiques (le front de PAPA par un demi-cercle, le tronc de OURS par une paire de crochets) et d’autres aspects des signes sont représentés par des graphèmes plus opaques (le contact glissé des mains sur le tronc dans OURS est représenté par un x minuscule, le mouvement d’écartement des bras dans JOURNAL est représenté par le symbole mathématique de division). Figure 14 : Transcription d’une phrase signée en système de notation Stokoe (tiré de www.signwriting.org) PAPA OURS JOURNAL LIRE Papa Ours lit le journal. La description des aspects des graphèmes nous amène à aborder le type de relation qui peut exister entre les graphèmes d’un système et les unités linguistiques (phonèmes, morphèmes, etc.) qu’ils représentent. Pour notre analyse, nous pouvons retenir quatre types de relations entre les graphèmes et les unités linguistiques : l’iconicité transparente, l’iconicité schématique, la mnémonicité et l’arbitraire. L’iconicité transparente se définit comme une relation évidente entre la forme d’un graphème et la forme de ce qu’il représente. Le SignWriting fonctionne de façon très iconique, autant dans la forme des graphèmes que dans leur disposition sur papier (voir section suivante). L’iconicité schématique s’apparente à l’iconicité transparente en ce sens que la forme d’un graphème peut permettre de prédire la forme de ce qui est représenté. Cependant, ce type de relation est soumis à un ensemble de règles de construction des graphèmes permettant de faire l’analogie entre la forme du graphème et la forme de l’unité linguistique représentée. Si on ne connaît pas ces règles, la forme de cette unité peut être difficile à déduire de la forme du graphème. Le système de Jouison est un bon exemple de système où les graphèmes sont une sorte de schématisation de la forme des phonèmes qu’ils représentent. Une relation mnénomique entre un graphème et une unité linguistique découle d’indices, autres que celui de la forme, portés par le graphème à propos de 18 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 ce qui est représenté. Par exemple, les systèmes utilisant des caractères alphanumériques pour représenter des configurations manuelles faisant partie de l’alphabet manuel (comme les systèmes inspirés de Stokoe) peuvent être considérés mnémoniques, car même si la forme du graphème n’a rien à voir avec la forme du phonème, ce graphème représente une lettre ou un chiffre également représenté par cette configuration dans l’alphabet manuel. La mnémonicité découle donc de la parenté de ce que le graphème et l’unité linguistique représentent respectivement. Enfin, dans une relation arbitraire, rien ne motive l’emploi d’un graphème plutôt qu’un autre pour représenter une unité linguistique. Par exemple, dans le système de Tilkin illustré à la figure 5, l’association des graphèmes et des phonèmes n’est faite qu’à partir du jumelage de deux listes, chacune étant ordonnée de façon arbitraire. 2.4. Arrangement des graphèmes En plus de recourir à différents types de graphèmes, les systèmes d’écriture et de transcription divergent également par leur façon d’organiser et d’arranger les graphèmes sur papier. Nous avons relevé trois types d’arrangement : unilinéaire, multilinéaire et bidimensionnel. Unilinéaire Un système est unilinéaire lorsqu’il arrange ses graphèmes sur une seule ligne, comme le font les systèmes d’écriture et de transcription pour les langues orales. La plupart des systèmes d’écriture et de transcription pour les LS sont aussi unilinéaires. Cet état de fait découle probablement de deux causes. La première est que nous avons l’habitude d’écrire de façon unilinéaire et la deuxième est que les outils informatiques d’emmagasinage et de traitement de données, utilisés dans l’étude des LS, s’accommodent beaucoup mieux d’un arrangement unilinéaire que multilinéaire ou bidimensionnel. La figure 15 illustre une transcription linéaire en HamNoSys. La figure 16 montre l’apparence d’un texte linéaire signé en LSF (dont nous n’avons pas la traduction) et transcrit avec le système Jouison. Figure 15 : Transcription unilinéaire en HamNoSys d’une phrase signée (tiré de www.signwriting.org) PAPA OURS JOURNAL LIRE Papa Ours lit le journal. 19 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 16 : Extrait d’un texte signé transcrit avec le système de Jouison tiré de Jouison (1990) La linéarité du système engendre une transcription plus descriptive en ce sens qu’en lisant un graphème après l’autre, on reconstruit le signe étape par étape. La forme globale du signe n’est accessible que lorsque toutes les informations transcrites pour ce signe ont été lues successivement. De cette façon, un système linéaire peut commencer par transcrire la configuration manuelle, puis son lieu d’articulation, puis son action. En fait, l’ordre des composantes du signe peut différer d’un système de transcription à l’autre. Multilinéaire Un système est multilinéaire quand il permet d’écrire un signe ou un énoncé en LS sur plusieurs lignes simultanément. Par exemple, on peut avoir un système qui utilise une ligne pour la main dominante (Md), une ligne pour les deux mains (2m), une ligne pour la main non dominante (Mnd) et une ligne pour la traduction, comme dans la transcription en gloses donnée ici et tirée de Parisot (2003). (2) Md PONT(byz) BICYCLETTETRAVERSER(yz) 2m AUTOROUTE(a) BICYCLETTE(c) Mnd __________ ___________________________ Sens : La bicyclette traverse le pont au-dessus de l’autoroute. Dans un autre exemple, tiré de Dubuisson et al. (1999), la transcription peut donner le comportement manuel sur la ligne du bas et le comportement non manuel sur la ligne du haut. On peut noter que, dans cette phrase, le seul moyen de savoir qu’il s’agit d’une interrogative est de disposer de la transcription du comportement non manuel, soit les sourcils relevés (SR) et la tête inclinée vers le bas (↓) pendant toute la durée de la phrase (gloses surlignées). Autrement, elle pourrait être interprétée comme une affirmative. 20 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (3) SAVOIR PTÉ2 Sens : Tu sais que j’étudie? SR, ↓ PTÉ1 ÉTUDIER Certains systèmes ont adopté un arrangement multilinéaire afin de pouvoir rendre compte de l’action simultanée des articulateurs puisque cette simultanéité semblait moins évidente à transcrire avec des systèmes unilinéaires. Le fonctionnement de l’écriture multilinéaire rappelle celui de l’écriture musicale sur des portées permettant de voir aussi bien l’enchaînement des notes que les notes jouées simultanément. À cet égard, un système multilinéaire peut rendre compte d’une certaine part de simultanéité dans les signes en regroupant des articulateurs sur plusieurs lignes. Bidimensionnel Un système bidimensionnel représente les signes en disposant les graphèmes sur un plan à deux dimensions plutôt que sur une seule dimension (comme les systèmes uni- ou multilinéaires). Dans l’exemple de SignWriting donné à la figure 17, les différents graphèmes sont disposés sur une surface bidimensionnelle de telle sorte que leur arrangement rend compte de l’organisation spatiale des phonèmes dans la production d’un signe. La figure 18 illustre la paire minimale des signes PAPA et MAMAN, qui se distinguent uniquement par leur lieu d’articulation. Figure 17 : Transcription bidimensionnelle en SignWriting d’une phrase signée (tiré de www.signwriting.org) PAPA OURS JOURNAL LIRE Papa Ours lit le journal. 21 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Figure 18 : Exemple de différenciation de paires minimales en SignWriting (tiré de www.signwriting.org) Dans le signe PAPA, le bout du pouce touche le côté du front, alors que dans le signe MAMAN, il touche le côté du menton. La version écrite en SignWriting de ces signes rend compte de cette différence précisément par la position de la main par rapport à celle de la tête (il est à noter que le comportement non manuel peut ne pas être noté, en SignWriting, s’il n’est pas pertinent au sens du signe). L’arrangement des graphèmes tend ici à donner une illustration synthétique des signes plutôt qu’une description analytique et séquentielle comme dans les systèmes linéaires (uni ou multi). La lecture d’un système bidimensionnel permet d’avoir une vue d’ensemble de l’organisation des phonèmes entre eux plutôt qu’une description nécessitant une reconstruction mentale du signe. Conclusion Notre typologie met en relief les différences dans la façon de représenter les LS. Ces différences s’expliquent autant par les besoins de représentation (description phonologique, représentation syntaxique, écriture courante) et les utilisateurs potentiels de ces systèmes (chercheurs, signeurs) que par les contraintes humaines (lisibilité, facilité d’utilisation et de mémorisation) ou techniques (traitement informatique, échange de données). Le choix d’un système écrit reste donc tributaire de toutes ces considérations et la justesse de ce choix repose essentiellement sur une bonne définition des caractéristiques de ce qui doit être représenté et des besoins de la communauté des utilisateurs. Références Cuxac, C. 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Nous pensons, par exemple, à la construction du fictif et aux différents irréels. Reste, alors, à chercher les paramètres qui rentrent en jeu dans la construction du sens. À quels types de marqueurs avons-nous alors affaire ? Les connecteurs suffisent-ils à construire du sens ? Existe-t-il d’autres paramètres que les marqueurs ? Y a-t-il un paramètre omniprésent ? Il est, dans certains cas, possible de manipuler des énoncés syndétiques, c’est-à-dire avec un connecteur, pour donner des énoncés asyndétiques où le sens n’a pas disparu. Les connecteurs sont-ils, alors, essentiels, indispensables ? Abstract Meaning construction is often said to be even more a source of ambiguity when there is no connector. And yet, the causal value, in the broad sense of the term, can take a construction with or without a connector. When we use the term causal value, we mean the semantic and logical linkings involving the notions of cause, consequence and condition. Sometimes, connectors may be ambiguous. Sometimes, rather complex semantic and logical linkings can be constructed without a connector and without any ambiguity. Instances are utterances involving irrealis. We need to find out the different parameters which come in the construction of meaning. What kind of markers do we deal with ? Are connectors sufficient to construct meaning ? Are there other parameters other than markers ? Is there a parameter we find in any case ? Sometimes, utterances with a connector, can be manipulated and turned into utterances without a connector but with the same meaning. Are connectors always essential, necessary to construct meaning ? RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction Bernstein (1971) part du principe qu’un locuteur utilisant une syntaxe complexe (« code élaboré »), essentiellement hypotaxique, sera moins à même de produire des énoncés sources d’ambiguïtés que des locuteurs ayant recours à une syntaxe plus « simple » (« code restreint »), c’est-à-dire asyndétique. Cependant, que penser de tous ces exemples courants où le locuteur, pensant comme Bernstein qu’il produira un énoncé plus clair et moins source d’ambiguïtés, utilise une syntaxe complexe et où, au bout du compte, le sens reste obscur. Nous pensons notamment aux cas des étudiants qui se voient complexifier leur syntaxe à tel point qu’ils en deviennent incompréhensibles. Ainsi, ce « code élaboré » dont Bernstein nous vante les mérites, cette soi-disant syntaxe complexe qui véhicule un sens clair et limpide, est-il si « élaboré » que Bernstein veut bien nous le faire croire ? Finalement, les marques de cette complexité syntaxique que sont les connecteurs ne sont-elles pas, dans certains cas, redondantes ? Cette syntaxe complexe peut être source d’ambiguïté au même titre qu’une syntaxe plus « simple », asyndétique. Dans certains cas, cette dernière est même plus efficace, véhicule un sens plus clair. Ces quelques constatations nous amènent à nous poser certaines questions, auxquelles nous tenterons d’apporter des éléments de réponse : 1. Les structures asyndétiques sont-elles, comme semble le laisser entendre Bernstein, moins « élaborées », plus « restreintes » que les structures syndétiques ? 2. Les connecteurs sont-ils indispensables à la construction d’un lien sémanticologique clair et sans ambiguïté entre deux propositions ? Le sens naît-il exclusivement de l’opération qu’ils marquent ? Autrement dit, une syntaxe complexe et un « code élaboré » sont-ils les seuls garants d’un sens clair ? 3. Les structures asyndétiques sont-elles moins « claires », « élaborées », plus « restreintes » que les structures syndétiques, qu’une syntaxe complexe ? Autrement dit, les énoncés sans connecteur sont-ils davantage source d’ambiguïté que les énoncés syndétiques, avec connecteur ? Nous nous proposons d’aborder ces questions en rendant compte de la syndète, dans un premier temps, et de l’asyndète, dans un deuxième temps. Nous commençons avec le cas de la syndète. Nous avons choisi de nous pencher plus particulièrement sur le cas de la valeur causale, de la construction du lien sémantico-logique de cause. 26 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 1. Syndète et valeur causale Il s’agira, tout d’abord, de nous intéresser à quelques connecteurs de cause et au problème de la portée. Puis, nous aborderons les connecteurs comme des marqueurs potentiellement source d’ambiguïté. Nous commençons avec le problème de la portée, en ce qui concerne quelques connecteurs de cause ou plutôt, devrait-on dire, quelques connecteurs qui participent à la construction du lien sémantico-logique de cause. 1.1. Quelques connecteurs de cause et le problème de la portée Rappelons que nous avons deux types de portée : la portée dite sur le « dit », ou encore sur l’énoncé, d’une part, et la portée dite sur le « dire », ou sur l’énonciation, d’autre part. Lorsque nous avons une portée sur le dit, le contenu de la proposition introduite par le connecteur donne la cause, la justification, la conséquence ou encore les circonstances du contenu de la proposition dite « principale », que nous appelons également p. Dans le cas de la portée sur le dire, le contenu de la proposition introduite par le connecteur donne la justification, la conséquence ou les circonstances non plus du contenu mais de l’énonciation de la proposition dite principale, ou p. Il existe trois tests syntaxiques qui permettent de savoir si l’on a affaire à une portée sur le dit ou une portée sur le dire. S’il est possible d’antéposer ou de cliver la proposition introduite par le connecteur ou si cette même proposition peut être une réponse à une question posée à partir de la proposition dite principale, ou p, alors, nous avons une portée sur le dit. Ces trois tests syntaxiques ne fonctionnent cependant pas pour tous les connecteurs. Pour un connecteur comme since où, selon le contexte, nous pouvons avoir deux effets de sens, la construction d’un lien sémantique et d’un lien sémantico-logique, alors, ces trois tests syntaxiques ne permettent plus de savoir quel type de portée nous avons. Ils permettent de distinguer l’effet de sens de cause, la construction du lien sémantico-logique. Nous commençons par revenir très rapidement sur le cas des pronoms relatifs. 1.1.1. Pronoms relatifs : deux portées Nous avons les deux types de portée avec les pronoms relatifs. Nous avons une portée sur l’énonciation lorsque nous avons des propositions relatives dites appositives ou encore descriptives ou encore non restrictives. Par ailleurs, lorsque nous avons une portée sur le dit, la proposition relative apparaît avant le prédicat de la proposition dite principale alors que, lorsque nous avons une portée sur le dire ou l’énonciation, la proposition relative apparaît en fin d’énoncé. Nous souhaitons maintenant aborder le cas du marqueur prototypique de la cause. 27 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 1.1.2. Because : deux portées Nous avons une portée sur le dire dans les énoncés (1) et (2). Vous remarquerez la présence de la virgule avant le connecteur. Cette virgule est souvent accompagnée d’une intonation, d’un contour mélodique particulier et/ou d’une pause. Le contenu de la proposition introduite par because, à savoir c’est le cas que c’était le cas que <she-be-there too> justifie l’énonciation de la proposition dite principale, ou p, à savoir que c’est le cas que c’était le cas que <he-be-there>. Si nous opérons la manipulation qui consiste à enlever la virgule ainsi que le contour intonatif et/ou la pause qui l’accompagne, nous avons alors une portée sur le dit, comme c’est le cas dans les énoncés (1’) et (2’). Nous pouvons opérer les trois tests syntaxiques : antéposition de la proposition introduite par because : Because you know the difference between right and wrong, you hesitated, clivage de la proposition introduite par because : It’s because she was there too that he was there, la proposition introduite par because a comme statut celui de réponse à une question construite à partir de la proposition dite principale, ou p : Why was he there ? Because she was there too. (1) He was there, because she was there too. (Freaky Deaky, p. 170) (1’) He was there because she was there too. (Freaky Deaky, p.170) (2) You hesitated, because you know the difference between right and wrong. (Hard Revolution, p. 24) (2’) You hesitated because you know the difference between right and wrong. Notons que le connecteur as, quant à lui, ne semble pouvoir donner lieu qu’à une seule portée. 1.1.3. Since : une seule portée ? Dans l’énoncé (3), le contenu de la proposition introduite par since justifie le fait de se demander (wondered). (3) I wondered if she kept any other stuff there, since Wendell didn’t find anything. (Freaky Deaky, p. 255) Il semble, pourtant, que dans les énoncés (4) et (5), le contenu de la proposition introduite par since, ne donne pas une justification de l’énonciation de p mais bien la cause du contenu de p, et ce, malgré la présence de la virgule avant since. Remarquons que l’antéposition de la proposition introduite par since dans l’énoncé (5), comme nous l’avons dit, n’est pas un indice du fait que nous ayons affaire à une portée sur le dit mais au lien sémantico-logique de cause et non au lien sémantique temporel. 28 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (4) Walker had to bow his head at the foot of the stairway, since the ceiling there was kind of low. (Soul Circus, p.45) (5) Since I’ve never been a paragon of moral virtue, I couldn’t say much to her without sounding like a hypocrite. (Darkness, Take my Hand, p. 32) Dans l’énoncé (6), nous pouvons nous demander si nous avons réellement une portée sur le dire, autrement dit sur l’énonciation. En effet, le contenu de la proposition introduite par since ne porte pas sur l’énonciation de p, ou de la proposition dite principale, mais sur une partie de cette proposition, à savoir la proposition complétive ou encore nominale qui a comme fonction complément d’objet direct du verbe assume. (6) […] and I assumed the inch of sideburns by each ear were fake, since he didn’t have them when I saw him last. (Darkness, Take my Hand, p. 408) Dans sa thèse, Deléchelle (1989) explique que le connecteur ’cause ne peut qu’introduire une proposition dont le contenu justifie l’énonciation de la proposition dite principale. Pour lui, on ne peut plus parler de lien sémantico-logique. En outre, le connecteur se réduit parfois à ‘cause ou ‘cos, cet allégement morphologique reflétant un affaiblissement sémantique. Certes, justifier un dire consiste aussi à donner des raisons, mais on s’éloigne de la valeur initiale de because. (Deléchelle, 1989, p. 431). 1.1.4. ’Cause : une seule portée ? Dans les énoncés (7) et (8), le contenu de la proposition introduite par ’cause justifie bien l’énonciation de la proposition dite principale. Nous avons souvent une connotation agressive ou l’idée d’une menace, comme c’est le cas dans l’énoncé (8). Par ailleurs, on trouve souvent la proposition introduite par ’cause dans le cadre du style direct rapporté et précédée d’une proposition interrogative directe qui n’est vraisemblablement pas une vraie question mais plutôt une question rhétorique. (7) There’s something in it, ’cause she hid it while you were talking to her. (Freaky Deaky, p. 202) (8) “I’m the one you and your partners were crackin’ on, callin’ me Fred Sanford and shit while I was walking to my car. Y’all were smokin’ herb in a beige Caprice. You and a boy with cornrows, and another boy, had a long nose. Remember me now ? ’Cause I sure do remember you.” (Hell to Pay, p. 311) Pourtant, dans les énoncés (9) et (10), il semble bien que le contenu de la proposition introduite par ’cause ne justifie pas l’énonciation de p mais donne bien la cause du contenu de p. Nous remarquons d’ailleurs que la proposition introduite par ’cause est antéposée dans l’énoncé (9). Par ailleurs, nous pouvons appliquer les deux autres tests syntaxiques : clivage de la proposition introduite par ’cause pour l’énoncé (10) : It’s ‘cause I’m scared that I’m leaving, proposition introduite par ’cause 29 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 comme réponse à une question construite à partir de p toujours pour l’énoncé (10) : Why are you leaving ? ‘Cause I’m scared. (9) “Yeah, ’cause she’s a woman,” Jerry said, “she doesn’t have to worry about getting hit in the mouth.” (Freaky Deaky, p. 9) (10) I’m leaving, ’cause I’m scared. (Freaky Deaky, p. 45) Les connecteurs peuvent introduire une proposition qui portera soit sur le dit, soit sur le dire. Les connecteurs peuvent aussi participer à la construction de plusieurs liens. 1.2. Ambiguïté des connecteurs : contre l’idée que l’hypotaxe syndétique est explicite et non ambiguë Nous commençons par le cas du connecteur while, qui peut participer à la construction d’un lien sémantique ou bien à celui d’un lien sémantico-logique. 1.2.1. Le cas de while 1.2.1.1. Lien sémantique temporel Dans les énoncés (11) et (12), les procès des deux propositions ont leurs bornes qui correspondent. La borne de gauche de play et la borne de gauche de check sont ouvertes au même moment et la borne de droite de ces mêmes verbes est refermée au même moment. Nous avons du prétérit simple dans le premier énoncé et l’aspect be+V-ing pour le verbe de la proposition introduite par while dans le deuxième énoncé, l’énoncé (12). (11) In the office, Greco played with a spiked rubber ball while Strange checked his stock portfolio […]. (Hell to Pay e-book, p. 37) (12) Well, naturally, you know, I continued to see other girls while I was dating Linda. (Hell to Pay e-book, p. 253) Dans l’énoncé (13), nous avons toujours l’aspect be+V-ing sur le verbe de la proposition introduite par while mais cette fois, le procès steal s’inscrit à l’intérieur du procès attend. La borne de gauche de attend est ouverte avant la borne de gauche de steal et la borne de droite de attend est vraisemblablement refermée après la borne de droite de steal. (13) It had been stolen from the Union Station parking lot while he was attending a movie at the AMC. (Hell to Pay e-book, p. 199) 1.2.1.2. Lien sémantico-logique adversatif En ce qui concerne le lien sémantico-logique adversatif, nous pensons que ce lien est avant tout construit par le lien des notions entre elles : dans l’énoncé (14), SIT, dans la proposition dite principale s’oppose à ROCK dans la proposition introduite par while. 30 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (14) […] I’m supposed to just sit on my hands while everybody’s world gets rocked ? (Hell to Pay e-book, p. 32) Nous passons au cas du connecteur when, qui peut participer à la construction d’un lien sémantique ou à la construction de trois liens sémantico-logiques. 1.2.2. Le cas de when Nous ne traitons pas du lien sémantique temporel qui s’apparente au lien sémantique temporel tel qu’il est construit par while. 1.2.2.1. Lien sémantico-logique de cause Lorsque nous avons un lien sémantico-logique de cause, when ne peut introduire qu’une proposition relative comme c’est le cas dans l’énoncé (15), que nous pourrions gloser avec un énoncé comportant because à la place de when : She timed her day so that she could have this relatively light chore after lunch BECAUSE she tended to grow tired after lunch. C’est le lien des notions LIGHT CHORE et TIRED qui construisent le lien sémantico-logique. (15) She timed her day so that she could have this relatively light chore after lunch, when she tended to grow tired. (Hard Revolution, p. 32) 1.2.2.2. Lien sémantico-logique de condition Nous pouvons gloser l’énoncé (16) avec un énoncé comportant if à la place de when : if you side with a man, you stay with him. (16) When you side with a man, you stay with him. (Soul Circus, p. 297) 1.2.2.3. Lien sémantico-logique adversatif Pour les énoncés (17) à (20), il s’agit d’un lien sémantico-logique adversatif. Dans l’énoncé (17), BLOCK s’oppose à la notion complexe THERE BE OTHER SPACES. Dans l’énoncé (18), DISTRACTIONS s’oppose à WORKING. Dans l’énoncé (19), BED s’oppose à la notion complexe LIE COLD IN THE GROUND. Il n’est parfois pas évident de savoir à quel effet de sens nous avons affaire, quel lien est construit, comme c’est le cas dans l’énoncé (20) où il semble que nous ayons une équipondération du lien sémantico-logique de condition et du lien sémanticologique adversatif. (17) Dumb ones, too, if they thought he was gonna let them block his way when there were plenty of other spaces in the lot. (Hell to Pay e-book, p. 190) (18) He also tended to seek out distractions when he should have been working non-stop behind his desk. (Hell to Pay e-book, p. 256) 31 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (19) “There’s no death penalty in the District, if that’s what you mean. But they’d do long time. They’d get twenty-five, thirty years. Maybe on a good day they’d get life.” “And what would that do ? Give those boys a bed and three squares a day, when Joe Wilder’s lying cold in the ground ? Joe’s gonna be dead forever, man.” (Hell to Pay e-book, p. 298) (20) Now I know you already got the details, what you heard, anyway, so I won’t go into it, and besides, it’s not right to be talkin’ about this boy’s business when he’s not here. (Hell to Pay e-book, p. 55) 1.2.3. Le cas de where Where peut participer à la construction d’un lien sémantique ou bien de deux liens sémantico-logiques. 1.2.3.1. Lien sémantique spatial Lorsqu’il participe à la construction du lien sémantique spatial, where introduit une proposition relative. Nous remarquons que dans l’énoncé (21), l’antécédent n’est pas présent, mais il est facilement reconstructible : I didn’t tell ‘em THE PLACE where she lived. (21) I didn’t tell ’em where she lived […]. (Hell to Pay e-book, p. 211) 1.2.3.2. Lien sémantico-logique de cause Lorsqu’il participe à la construction d’un lien sémantico-logique de cause, where introduit également une proposition relative. Nous pouvons gloser l’énoncé (22) avec un énoncé comportant le connecteur because : He made sure to get the area at the base of the stools BECAUSE grease tended to collect there (sous-entendu at the base of the stools). (22) He made sure to get the area at the base of the stools, where grease tended to collect. (Hard Revolution, p. 42) 1.2.3.3. Lien sémantico-logique adversatif Dans l’énoncé (23), ce sont avant tout les notions complexes GOOD, d’une part et GET DROWNED, d’autre part, qui construisent le lien sémantico-logique adversatif étant donné qu’elles s’opposent. (23) “It’s all good. Good to be livin’ in a place where you can’t even be lookin’ at anyone long for fear you’re gonna get drowned…!” (Hell to Pay e-book, p. 211) Le connecteur as, quant à lui, peut participer à la construction d’un lien sémantique temporel ou d’un lien sémantico-logique de cause. 32 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 1.2.4. Le cas de as : construction d’un lien sémantique temporel ou d’un lien sémantico-logique de cause Nous ne traitons que du lien sémantique temporel étant donné que le lien sémantico-logique de cause a déjà été traité précédemment. Pour les énoncés (24) et (25), les deux derniers, nous pouvons hésiter entre deux interprétations, comme c’est souvent le cas avec les connecteurs. Nous pouvons considérer que les deux procès sont concomitants. Dans ce cas, nous avons un lien sémantico-logique de cause. Nous pourrions également considérer que le procès hear s’inscrit à l’intérieur du procès open, c’est-à-dire que la borne de gauche de open est ouverte avant la borne de gauche de hear et que la borne de droite de open est peutêtre refermée après la borne de droite de hear. Dans ce cas, nous aurons affaire à un lien sémantique temporel. Il n’est pas facile de savoir à quel effet de sens nous avons affaire. D’ailleurs, nombreux sont les énoncés où nous sommes tentée de parler d’équipondération de deux effets de sens. (24) I’ll be with you in a minute, soon as I get settled. (Hell to Pay e-book, p. 28) (25) He heard them laughing as he opened his toolbox and looked inside of it […]. (Hell to Pay e-book, p. 51) Since peut participer à la construction d’un lien sémantique temporel ou bien d’un lien sémantico-logique de cause, tout comme nous l’avons vu. 1.2.5. Le cas de since : construction d’un lien sémantique temporel ou d’un lien sémantico-logique de cause Nous ne nous traiterons pas, dans cet article du lien sémantique temporel, tel qu’il est construit par since Because peut ne pas construire de lien sémantico-logique. 1.2.6. Le cas de because : pas de construction de lien sémantico-logique Nous empruntons l’énoncé (49) à Schleppegrell, qui le cite dans son article de 1991 intitulé « Paratactic Because ». Nous terminons avec une citation de Schleppegrell, qui écrit : In actual use in discourse because often connects sequences which are not causally related. Instead, it merely indicates further elaboration. We see this in the following example, spoken by a dance instructor : (49) the fifth position break is in a lot of dances. Especially in a lot of Latin dances. Because this is the fifth position break. This because neither contributes propositional content nor explains in a discourse-reflexive way why the speaker has made the previous assertion. It 33 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 does not subordinate one clause to another. Instead it paratactically links the clause it introduces with the prior discourse. Its role can best be explained by examining the contribution such becauses make to the structure of conversational interaction. (Schleppegrell, 1991p. 327-329). Dans l’énoncé (49), il n’y a pas de lien sémantico-logique de cause entre les deux propositions. Because joue le rôle de structurateur de discours. Il permet au locuteur et au co-locuteur de gérer l’interaction. Le locuteur, en utilisant because, comme c’est le cas dans l’énoncé (49), indique qu’il n’a pas fini de parler et qu’il ne souhaite pas donner la parole au co-locuteur. Il semble que seule une approche pragmatique permette de rendre compte de ce fonctionnement de because. Pour Schleppegrell, nous n’avons plus affaire à une conjonction de subordination, mais à une conjonction de coordination dont le rôle est de permettre à l’énonciateur de garder la parole, de signaler au co-énonciateur qu’il n’a pas fini de parler. Because empêche, en quelque sorte, le co-énonciateur de prendre la parole. If peut ne pas participer à la construction du lien sémantico-logique de condition, autrement dit, du plan du fictif. 1.2.7. Le cas de if : comme ne participant pas à la construction d’un plan du fictif 1.2.7.1. If concessif C’est le cas, par exemple, lorsque if participe à la construction de la concessivité, comme dans l’énoncé (26). Nous pouvons gloser cet énoncé avec un énoncé comportant though ou although : THOUGH/ALTHOUGH he was cross-eyed, he didn’t see it himself. (26) If he was cross-eyed, he didn’t see it himself. (Right as Rain, p. 44) If, lorsqu’il apparaît dans la structure what if, peut ne pas participer à la construction du plan du fictif. 1.2.7.2. Le cas de what if Dans les énoncés (27) à (29), if participe bien à la construction d’un plan du fictif. Dans l’énoncé (27), nous remarquons la présence de deux if dans le contexte amont. Par ailleurs, la réponse, dans le contexte aval direct, nous indique bien que nous sommes dans le non certain et que sont envisagées les deux zones du domaine notionnel, à savoir c’est le cas que c’est le cas que <we-find-him first> et c’est le cas que ce n’est pas le cas que <we-find-him first>. L’énonciateur se situe au niveau du hiatus. Nous avons bifurcabilité. Dans l’énoncé (28), nous avons à nouveau if dans le contexte amont et nous remarquons l’auxiliaire de modalité will dans le contexte aval direct. Finalement, dans l’énoncé (29), nous trouvons également l’auxiliaire modal will mais au prétérit dans le contexte aval direct. 34 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (27) “You’re right. If it doesn’t happen today, it’ll happen tomorrow, if you know what I mean. The police are gonna get those boys soon enough.” “What if we find them first ?” “I haven’t figured that out yet, Terry […].” (Hell to Pay e-book, p. 275) (28) “[…] If you get sight of him, you call me.” “What if you see him first ?” “I’ll do the same.” (Hell to Pay e-book, p. 283) (29) “Ms. Emerson mustn’t know I told you about the boy dating Nadia. I won’t have to testify at his trial, will I ?” “That’s not my decision, sir.” “Perhaps another time.” “Sir, I’m afraid this can’t wait.” “What if I refuse to give you your statement ? What if I deny I ever said anything about Jeremiah and the girl ?” “That wouldn’t be the truth, would it ?” (Murder at Ford’s Theatre, p. 228) Dans l’énoncé (30), par contre, if ne participe plus à la construction du plan du fictif. Nous sommes dans de l’assertif, et même de l’assertif fort de l’ordre d’une exclamation. Le contexte aval direct nous permet à nouveau de nous faire interpréter if comme ne construisant pas du fictif. Nous avons affaire à l’opération inverse de celle du frayage puisque nous avons une rétroaction interprétative. La traduction d’une telle structure en français passerait par une phrase assertive suivie par et alors ?! Il y a souvent un sous-entendu ou bien une connotation négative. Nous pensons par exemple à l’exemple suivant : He failed in his exams. So what if he did! Où se cache l’idée de He deserves it! Ou encore en français : Bien fait pour lui! Il n’a que ce qu’il mérite! La présence de so juste avant what if, comme dans l’énoncé (32), semble frayer cette interprétation. (30) It was his fault, wholly and solely his fault, that they had missed the train. What if the idiotic hotel people had refused to produce the bill ? Wasn’t that simply because he hadn’t impressed upon the waiter at lunch that they must have it by two o’clock. « The Escape » (from Bliss, and Other Stories, Katherine Mansfield, 1920) (31) “Lerner’s love of the ladies isn’t exactly news.” “Hell, he’s single. So what if he has fling with a sexy intern ?” “It’s not like it’s anything new in this town.” (Murder at Ford’s Theatre, pp. 41-42) Les connecteurs peuvent exprimer deux sortes de portée et peuvent participer à la construction de plusieurs liens, comme nous l’avons vu. Il n’est d’ailleurs pas facile de savoir à quel lien nous avons affaire. Il est parfois impossible de choisir entre deux liens. Les connecteurs peuvent donc être source d’ambiguïté. Ceci nous amène à considérer notre deuxième partie, à savoir l’asyndète et la valeur causale. Nous nous intéresserons plus particulièrement au cas du lien sémantico-logique de condition. N’oublions pas que la condition n’est ni plus ni moins que de la cause/conséquence mais sur le plan du fictif. 35 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 2. Asyndète et valeur causale : le cas du lien sémantico-logique de condition Nous commencerons par manipuler quelques énoncés syndétiques avant d’analyser quelques paramètres en jeu dans la construction du lien sémantico-logique de condition pour finalement nier l’idée de Bernstein (1971) selon laquelle l’asyndète serait moins « élaborée » que la syndète. 2.1. Manipulations 2.1.1. Etude d’énoncés : construction d’un lien sémantico-logique de cause 2.1.1.1. Because Nous pouvons gloser les énoncés de ce chapitre 2.1. par un énoncé sans connecteur, avec un point entre les deux propositions, pour le lien sémantico-logique de cause/conséquence, et avec une virgule entre les deux propositions, en ce qui concerne le lien sémantico-logique de condition. Le sens reste clair. Nous avons toujours le lien sémantico-logique. Ce lien est construit par le lien établi par les notions ou notions complexes présentes dans les deux propositions. Dans l’énoncé (32), la notion SPOTLESS peut impliquer la notion complexe NEVER USED. (32) Angie’s kitchen is spotless because she’s never used it. (Darkness, Take my Hand, p. 88) Dans l’énoncé (33), l’appartement des parents s’oppose à son appartement, semble-t-il et la notion PARENTS s’oppose à la notion ALONE. (33) He went back to his parents’ apartment because he couldn’t stand to go back to his place alone. (Hard Revolution, p. 261) Dans l’énoncé (34), COLD s’oppose à SOUTH. Il semble que nous devions faire également appel à la connaissance partagée (« shared knowledge »). Tout le monde s’accorde à dire que la notion sud rime avec la notion CHALEUR. (34) He stuffed it with underwear and a few pairs of jeans and some shirts, and one leather jacket, but he left most of the cold-weather stuff on the hangers because he had already decided that he was headed south. (Hell to Pay, p. 272) Dans l’énoncé (35), la notion OUT s’oppose à IN. (35) Ray had brought the heroin out because he didn’t want to go back in that room more than one time tonight. (Right as Rain, p. 302) Dans l’énoncé (36), la notion SURE implique un doute qui correspond, dans la deuxième proposition à l’opposition de notions ONE THING/SOMETHING ELSE. 36 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (36) “I guess I’m not much good tonight,” she said. “It’s okay. This is good. We can just do this.” “You sure ?” Stephanie smiled weakly as she reached down and brushed her fingers down the shaft of his hardening cock. “Because you’re mouth is saying one thing and your body’s telling me something else.” (Shame the Devil, p. 154) Dans l’énoncé (37), la notion SEE associée à la notion ONE DAY, qui implique la notion de hasard, s’oppose à la notion complexe CALL AND ASK, qui implique la notion de quelque chose de prévu et qui s’oppose à la notion de hasard. Cette opposition implique la notion SURE questionnée. Par ailleurs, YOU s’oppose à SHE. That implique la présence de la validation d’une autre relation prédicative. (37) “I heard you moved.” “You did ?” said Carmen in a slightly mocking way. “Saw your sister one day, on the street.” “You sure it was like that ? ’Cause she said you called her up and asked her where I’d gone to.” (Hard Revolution, p. 210) Dans l’énoncé (38), la notion complexe DO ELSE s’oppose à la notion complexe THERE BE NOTHING ELSE. (38) “I don’t know if it is or if it isn’t. But take a look around you, boy. What else we gonna do ? ’Cause there ain’t nothin’ else.” (Right as Rain, p. 183) Que l’on ait une portée sur le dit, ou une portée sur le dire, c’est-à-dire de la cause du contenu de p ou de la justification de l’énonciation de p, le lien sémantico-logique établi entre les deux propositions est construit, avant tout, par le lien des notions ou notions complexes des deux propositions et/ou du contexte amont. Rentre également parfois en ligne de compte, la connaissance partagée (« shared knowledge »). Le connecteur n’est alors plus là que pour expliciter un lien, un sens déjà construit. Il devient redondant et non essentiel à la construction du lien sémantico-logique. 2.1.1.2. As Nous faisons apparaître en gras les notions complexes en jeu dans la construction du lien sémantico-logique de cause, pour les énoncés (39) à (44). (39) Errol gets a little nervous, as he doesn’t understand. (God is a Bullet, p. 155) (40) Soon the boy grew bored, as he did not understand the meanings of Dr. King’s words. (Hard Revolution, p. 76) (41) But this controversy would fade, as this was a part of the city rarely seen by commuters and generally ignored but the press, out of sight and easily forgotten. (Soul Circus, p. 81) 37 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (42) Carmichael talked to the crowd and told them not to initiate any violence, that it would be harmful to them, as they were outnumbered and would be outgunned. (Hard Revolution, p. 326) (43) He was embarrassed to write them letters, as he couldn’t spell for shit. (Hard Revolution, p. 114) (44) His legs were spread wide, as he couldn’t hope to fit them under the desk, and he was fanning them back and forth. (Shame the Devil, p. 195) Le sens est construit, là encore, par le lien qu’entretiennent les notions complexes des deux propositions. Le connecteur est redondant et non essentiel à la construction du sens. Il explicite un lien préétabli. 2.1.1.3. Since Dans l’énoncé (45), le lien sémantico-logique est construit par le lien entre la notion complexe NOT MIX et la notion complexe NEVER BE PUT TOGETHER. (45) The working relationship between their fathers had caused their hookup. Otherwise they never would have been put together, since most of the time, outside of sporting events and first jobs, colored boys and white boys didn’t mix. (Hard Revolution, p. 6) Nous trouvons de rares cas, comme nous l’avons dit plus haut, où le contenu de la proposition introduite par since donne la cause du contenu de la proposition dite principale. Dans l’énoncé (46), la notion complexe CEILING BE LOW implique la notion complexe BOW ONE’S HEAD. (46) Walker had to bow his head at the foot of the stairway, since the ceiling there was kind of low. (Soul Circus, p. 45) Dans l’énoncé (47), le lien sémantico-logique est construit par le lien entre les notions complexes HE NOT HAVE THEM WHEN I SAW HIM et THEY BE FAKE. Il faut également faire entrer en ligne de compte la connaissance partagée (« shared knowledge »). Nous savons qu’il faut du temps pour faire pousser des pattes. (47) […] and I assumed the inch of sideburns by each ear were fake, since he didn’t have them when I saw him last. (Darkness, Take my Hand, p. 408) Since n’est pas essentiel à la construction du lien sémantico-logique dans les cas que nous venons de voir. Il est redondant et ne fait qu’expliciter un lien qui a déjà été construit par le lien des notions complexes des deux propositions. Le lien sémantico-logique de cause ou de justification, dans les cas que nous avons vus, n’est pas construit par le connecteur mais par le lien entre les notions complexes dans les deux propositions et/ou dans le contexte amont. Notons qu’il nous 38 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 faut également parfois avoir recours au paramètre de la connaissance partagée. Le connecteur est donc redondant et ne fait qu’expliciter un lien déjà existant. 2.1.2. Construction d’un lien sémantico-logique de conséquence Nous nous intéresserons aux énoncés avec de l’hypotaxe syndétique, puis ceux avec de la parataxe syndétique. 2.1.2.1. Hypotaxe syndétique Nous faisons apparaître en gras les notions complexes en jeu dans la construction du lien sémantico-logique de conséquence, pour les énoncés (48) à (50). (48) Their lovemaking had been so physical that when it was over, the bed was halfway across the room from where it had started. (Hard Revolution, p. 258) (49) The music was so loud he’d never hear me, so I pulled down the window instead. (Darkness, Take my Hand, p. 119) (50) The air-conditioning has been off so long the room is thick with leftover air. (Freaky Deaky, p. 280) Les conjonctions de subordination dans les cas précédents ne sont pas essentielles à la construction du lien sémantico-logique de conséquence. Elles sont redondantes et ne servent qu’à expliciter un lien sémantico-logique déjà construit par le lien des notions complexes présentes dans les deux propositions. 2.1.2.2. Parataxe syndétique Nous faisons apparaître en gras les notions complexes en jeu dans la construction du lien sémantico-logique de conséquence, pour les énoncés (51) et (52). (51) There was no wind, so the sheet was still. (God is a Bullet, p. 191) (52) The April evenings were cool and damp, so he would need the warmth. (Hard Revolution, p. 37) La conjonction est redondante. Elle ne construit pas le lien sémantico-logique de conséquence. Elle n’est là que pour expliciter un sens qui a déjà été établi grâce aux liens entre les notions complexes des deux propositions. 2.1.3. Construction d’un lien sémantico-logique de condition 2.1.3.1. Hypotaxe syndétique Dans l’énoncé (53), le lien sémantico-logique de condition est construit par le lien entre les notions STOP et BASE, d’une part, et les notions CANNOT et RISE, d’autre part. Le plan du fictif est construit par un frayage dans le contexte amont. Le 39 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 fait que nous sachions que le feu a été arrêté nous fait interpréter notre énoncé non pas comme une assertion mais comme du fictif. (53) It’s safe here. We stopped the fire in the low floors. It can’t reach us up here. If you stop it at its base, it can’t rise. (Darkness, Take my Hand, p. 12) La conjonction de subordination if n’est pas essentielle dans la construction du lien sémantico-logique de condition, étant donné que celui-ci a déjà été construit. Elle ne fait qu’expliciter ce lien qui a été construit au préalable par la cooccurrence de différents marqueurs et/ou paramètres comme les notions complexes, le frayage du contexte amont ou bien certains verbes ou auxiliaires exprimant une altérité. Nous pouvons gloser l’énoncé (54) avec un énoncé sans when, avec une virgule entre les deux propositions. La fiction est construite par le contexte aval. Nous avons une rétro-action interprétative. La présence de la conjonction de subordination if nous force à réinterpréter notre énoncé non pas comme une assertion mais comme de la cause/conséquence sur un plan fictif. (54) “When you side with a man, you stay with him,” said Quinn. “And if you can’t do that, you’re like some animal. You’re finished.” (Soul Circus, p. 297) When ne construit pas le lien sémantico-logique de condition. Il ne fait qu’expliciter un sens préexistant. Il est redondant et non essentiel à la construction du lien sémantico-logique de condition. Dans l’énoncé (55), la construction du plan du fictif est frayée, dans le contexte amont, par la présence du point d’interrogation, de la question. (55) “Ready for prime time ?” “Sign me up.” She eyes the place. “I see you redecorated.” “As long as there’s people and garbage, I’m in business.” (God is a Bullet, p. 73) Les conjonctions de subordination sont redondantes. En effet, le lien sémanticologique de condition est construit au préalable, notamment le plan du fictif pour la construction duquel le contexte est très important. Nous avons affaire à un frayage, avec le contexte amont et/ou une rétro-action interprétative, avec le contexte aval. 2.1.3.2. Parataxe syndétique Dans l’énoncé (56), la notion complexe BLOW COBWEBS OUT peut impliquer la notion NEW. Le plan du fictif est construit, entre autres, par l’aspect be+V-ing sur le verbe GO, dans l’apodose, qui, dans ce contexte, exprime l’avenir. (56) Blow the cobwebs out, and it’s going to be just like new. (Hell to Pay, p. 317) 40 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans l’énoncé (57), le fictif est frayé par la présence de la notion DEAL, dans le contexte amont. (57) That’s the deal. Find the blonde and you find a witness. (The Big Blowdown, p. 216) Dans l’énoncé (58), le fictif est frayé par la présence de l’impératif, dans le contexte amont, ce qui implique que le co-locuteur n’est pas encore assis et ne peut donc pas encore se lever. L’impératif sur le verbe sit nie l’interprétation de get up en assertion. (58) “Sit there,” said Karras. “Get up and I’ll knock you down myself.” (The Big Blowdown, p. 254) Dans l’énoncé (59), nous avons une rétro-action interprétative avec will, dans le contexte aval. (59) “Good. You’ll be okay if you move fast and leave nothing behind. The reverend leaving town, well, it happens. Folks’ll just figure he was throwing it to one of the parishioners’ wives. Anyway, you bury him deep enough and they’ll never find him.” “I’ll do it.” Farrow looked at Toomey. “See you around, Lee.” (Shame the Devil, pp. 162163) Dans les énoncés étudiés, les conjonctions ne sont pas essentielles à la construction du lien sémantico-logique de condition. Elles sont redondantes. La cause/conséquence est souvent construite par le lien des notions complexes présentes dans les deux propositions et le plan du fictif, grâce à un frayage, avec le contexte amont, et/ou une rétro-action interprétative, avec le contexte aval. Les liens sémantico-logiques de cause, de conséquence et de condition ne sont pas construits, en ce qui concerne les énoncés que nous avons étudiés par les conjonctions mais par le lien des notions complexes, paramètre qui peut entrer en cooccurrence avec d’autres paramètres comme le contexte amont et/ou aval, la connaissance partagée et des marqueurs comme certains verbes ou auxiliaires qui peuvent contribuer à la construction du plan du fictif. Les conjonctions sont, dans nos énoncés, redondantes. Nous en déduisons que le langage n’est pas à analyser comme étant lié à l’économie ou la paresse. Nous voyons, au contraire, que l’énonciateur a besoin d’expliciter les liens sémantico-logiques. Beaucoup de théories linguistiques, dans le sens général – nous incluons par exemple la phonétique et la phonologie – font appel au principe d’économie, encore appelé paresse, pour ériger des règles ou rendre compte de certains faits langagiers. Pourtant, nous voyons bien que, dans certains cas, le connecteur ne fait qu’expliciter un lien déjà existant. Le connecteur peut être alors considéré comme redondant, voire inutile. Le langage est tout sauf économique. L’énonciateur a besoin de se répéter. 41 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Les raisons en sont diverses. Il passe son temps à redire la même chose autrement, à expliciter. Les reformulations font partie intégrante de l’acte langagier. Nous entrapercevons alors quelques rouages du fonctionnement du langage. Ces processus de reformulation, d’explicitation sont en quelque sorte, une petite fenêtre ouverte sur le mécanisme complexe qu’est celui de la production du sens. Le frayage (contexte amont) et les rétro-actions interprétatives (contexte aval) sont autant d’indices que la langue se répète. Certes, nous trouvons également des cas où il y a ellipse – il est peut-être trop facile de parler d’ellipse ou d’absence, d’ailleurs – où le sens se construit sans explicitation d’un lien sémantico-logique par un connecteur, par exemple. Mais ces structures ne sont pas plus nombreuses que les cas où le langage se répète. Notons que le langage est redondant, et ce, quel que soit le registre ou niveau de langue. Le principe d’économie du langage ou bien celui de la paresse est faux. Le langage a horreur du vide. Nous pensons à tous les cas de structures réflexives, de structures méta discursives ou bien à tous les cas de répétitions. Il est possible de transformer certains énoncés syndétiques en énoncés asyndétiques sans perdre le lien sémantico-logique, mais on trouve également des structures asyndétiques telles quelles dans notre corpus. 2.2. Quelques paramètres en jeu dans la construction du lien sémantico-logique de condition Nous commencerons par nous demander si la ponctuation est réellement un paramètre qui participe à la construction du lien sémantico-logique de condition, comme veulent bien nous le laisser croire de nombreux linguistes et grammairiens. 2.2.1. Ponctuation : un paramètre qui participe à la construction du lien sémanticologique de condition ? Nous commencerons par étudier quelques énoncés avec un signe de ponctuation avant de nous pencher sur des énoncés sans signe de ponctuation. 2.2.1.1. Construction d’un lien sémantico-logique avec un signe de ponctuation Dans les énoncés (60) et (61), nous avons bien une virgule entre la protase et l’apodose. Pourtant, si nous lisons ces énoncés à voix haute, ou bien si nous les soumettons à une lecture sublabiale, nous voyons qu’ils ne marquent pas de pause entre les deux propositions. (60) “I’m out plenty.” Strange stood, slipping the papers he needed into a manila folder. He undid his belt, looped it through the sheath of his Buck knife, moved the sheath so that it rested firmly beside his cell holster on his hip, and refastened the belt buckle. “You ready ?” Quinn nodded at the knife. “You are.” “Comes in handy sometimes.” “You had a gun, you wouldn’t need to carry a knife.” (Soul Circus, p. 149) 42 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (61) “You want to question her. You bring her in. She won’t come in, forget it. Then give her name over to the FBI. You understand ?” (God is a Bullet, p. 38) Par ailleurs, nous trouvons des énoncés où nous avons construction d’un lien sémantico-logique de condition sans que nous ayons de signe de ponctuation entre les deux propositions, comme c’est le cas dans les énoncés (62) à (64), où d’autres paramètres entrent en ligne de compte dans la construction du lien sémantico-logique de condition. 2.2.1.2. Construction d’un lien sémantico-logique avec absence de ponctuation Ce lien peut être construit, comme dans l’énoncé (62), avec un marqueur de parcours. Ever marque que l’énonciateur considère toutes les occurrences de validation de la relation prédicative <they-quit-making clocks […]> sans s’arrêter sur aucune en particulier. L’opération de parcours peut également être marquée par any seul ou en composition avec thing ou where. Dans ce cas, l’énonciateur ne passe pas en revue des relations prédicatives mais des occurrences de notions : CHOSE et MOMENT. (62) “It’s ten forty,” Robin said. “They ever quit making clocks with hands on ‘em I’m out of business.” (Freaky Deaky, p. 160) Le lien peut également être construit par un marqueur de renvoi à l’avenir, comme c’est le cas avec l’énoncé (63), où nous trouvons dans l’apodose postposée gonna. L’énonciateur se place alors sur un le plan du fictif et non pas de l’assertif, du factif. GONNA participe donc à la construction du lien sémantique de condition. L’énonciateur envisage une relation prédicative qui est validable mais non validée. Le renvoi à l’avenir peut également être marqué par l’aspect be+V-ing, par exemple. (63) Chris said, “You don’t get your ass out of there right now I’m gonna pull you out,” and couldn’t believe it when the guy put both of his hands over the can of peanuts, turned a shoulder to Chris and yelled, “Donnell! Who is this ?” (Freaky Deaky, p. 90) Le lien peut également être construit par une expression de la modalité comme have to, dans l’énoncé (64), le propre des auxiliaires modaux ou expressions de la modalité étant de ne pas présenter la relation prédicative comme validée. Nous ne sommes jamais dans le factif, dans l’effectif mais dans le fictif. Nous remarquons que les marqueurs interagissent souvent. Ici, have to, dans l’apodose antéposée, entre en cooccurrence avec le verbe à modalité téléonomique want, dans la protase postposée. (64) “You think that’s bad and that ain’t even the real jail, that’s the police jail. You have to be in the old Wayne County jail sometime you want to experience a jail.” (Freaky Deaky, p. 115) 43 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Nous pensons qu’il est peut-être exagéré de parler d’une plus ou moins grande sémantisation pour les signes de ponctuation. Nous pensons même qu’ils ne participent pas à la construction d’un quelconque lien entre les propositions. S’interroger sur le rôle potentiellement joué par la ponctuation dans la construction du lien sémantico-logique de condition, c’est immanquablement s’interroger sur le rôle de l’intonation dans la construction du lien sémantico-logique de condition, et ce, étant donné que les signes de ponctuation sont souvent un moyen pour l’écrivain de tenter de reproduire l’intonation de l’énoncé. Rappelons qu’il n’existe pas de règles en ce qui concerne cette transcription de l’intonation et que les signes de ponctuation ne sont que des outils approximatifs. 2.2.2. Intonation : un paramètre qui participe à la construction du lien sémanticologique de condition ? A première vue, il semble que l’intonation, le contour mélodique et/ou les pauses entre les propositions soient un paramètre essentiel, indispensable à la construction du lien sémantico-logique de condition. N’oublions pas qu’il y a de très nombreux énoncés où il y a une ambiguïté potentielle entre du fictif et de l’assertif ou bien du fictif et de l’injonction, comme nous avons pu le voir dans notre exposé lors du colloque sur les connecteurs, organisé par l’équipe LILA, fin mai, à Charles V. Pourtant, nous pensons que l’intonation n’est pas un paramètre essentiel à la construction du lien sémantico-logique de condition, qu’il apparaît lors d’une deuxième phase. En effet, lors d’une lecture sublabiale ou encore d’une lecture à voix haute, le fait de donner la bonne intonation implique la bonne compréhension du sens de l’énoncé. Pour pouvoir donner la bonne intonation, il faut qu’il y ait déjà eu construction du lien sémantico-logique. Il semble que deux hypothèses soient possibles. Soit nous considérons que l’intonation participe à la construction du sens au même titre que les autres marqueurs ou paramètres et qu’elle est essentielle (nous sommes toujours dans le cadre de la lecture, et donc nous ne nous positionnons pas comme auteur mais bien comme lecteur) soit nous considérons qu’elle participe, certes, à la construction du sens mais n’est pas essentielle. Rappelons notre position en tant que lecteur et le fait que nous n’étudions pas un corpus oral, mais bien une transcription de l’oral, telle que l’auteur s’imagine cet oral. Cette position de lecteur semble clairement donner à l’intonation un rôle moindre que dans le cas de corpus oraux ou dans le cas où nous nous positionnons comme auteur. Nous dirons donc que dans tous les cas, elle participe à la construction du sens, mais qu’elle nous semble néanmoins non essentielle à la construction de ce sens dans le cas d’un positionnement en tant que lecteur puisque nous pensons qu’elle n’intervient que lors d’une deuxième phase et qu’elle suit donc une première phase où se construit le sens. Pour nous, l’intonation n’est là qu’au niveau de la re-lecture, re-construction du sens. Nous insistons bien sur le fait que cela ne serait pas le cas dans le cadre de l’étude d’un corpus oral où l’intonation devient alors, non seulement un marqueur prosodique et/ou intonatif intégré, mais un paramètre essentiel à la construction du sens. Nous insistons, également, sur les ambiguïtés de la ponctuation par opposition aux non ambiguïtés de l’intonation à l’oral. Par ailleurs, la lecture nécessite parfois une relecture, dans les irréels, en particulier. Se pose alors la question du statut à accorder à l’obstacle dans le la lecture 44 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 et dans la relecture. Nous ne travaillons que les connecteurs et l’absence de connecteurs à l’écrit, non pas à l’oral, dans la construction du sens et surtout sa reconstruction. Le sens est construit par différents paramètres qui peuvent interagir, comme la présence dans le contexte amont et/ou aval d’une notion ou d’une notion complexe qui va, dans le cas de la construction du fictif, s’opposer à la notion ou la notion complexe présente dans l’une des deux propositions de l’énoncé où nous avons construction du lien sémantico-logique de condition. Par ailleurs, dans le contexte amont et/ou aval, nous pouvons trouver un élément qui nie ce qui est énoncé dans l’une des deux propositions – il s’agit souvent de la protase. 2.2.3. Contexte linguistique (négation/opposition) 2.2.3.1. Contexte amont Dans l’énoncé (65), les notions complexes DOG, TRASH-TALK et ALWAYS START FIGHTS s’opposent à la notion STRAIGHTEN dans la protase antéposée. Ce paramètre interagit avec l’auxiliaire de modalité can dans l’apodose postposée. Par ailleurs, not, dans not welcome back et off, dans off the team, nient CAN PLAY. (65) “Call her back,” said Strange, “and tell her he’s not welcome back. He’s off the team. Didn’t like him around the rest of the kids anyway. Doggin’ it, trash-talking, always starting fights.” […] “I’m not giving up on him or anyone else. He straightens himself out, he can play for us next season. […]”(Hell to Pay, pp. 46-47) Dans l’énoncé (66), la notion complexe KEEP HANGIN’ WITH HIM nie DIDN’T HAVE DIRTY. Nous précisons que Carlton et Dirty sont la même et unique personne. (66) Potter didn’t know why he bothered talking to Carlton. But he figured he’d keep hangin’ with him anyhow. He didn’t have Dirty, he didn’t have no one at all. (Hell to Pay, pp. 318-319) (Carlton est Dirty) Nous avons, pour ces deux énoncés, frayage du fictif. 2.2.3.2. Contexte aval Dans les énoncés (67) et (68), nous ne pouvons plus parler de frayage. Nous parlerons plutôt de rétroaction interprétative. Dans l’énoncé (68), la notion WALK, dans la protase antéposée s’oppose à la notion STAND, dans le contexte aval. (67) “Anyone of you walks”, yelled Arrington, as they jogged off the line, and you all are gonna do four more.” The men stood together in the end zone and watched the sea of faded green uniforms move slowly around the track. (Hell to Pay, p. 46) 45 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans l’énoncé (68), la notion WORK, dans la protase postposée s’oppose à la notion complexe NOT HAVE A JOB dans le contexte aval. Nous remarquons la présence de l’auxiliaire de modalité can dans l’apodose antéposée. In fact, comme but, est un indice du retour sur le plan de l’assertif. Il nous indique que nous quittons le plan du fictif. (68) “You can get your own car like this someday, you work hard like your uncle.” In fact, Lorenze Wilder hadn’t had a job in years. (Hell to Pay, p. 188) Les marqueurs fonctionnent rarement seuls. Nous trouvons souvent une interaction de différents marqueurs. Seul le paramètre des notions complexes peut suffire à construire un lien sémantico-logique de condition par exemple. Nous avons vu précédemment que l’un des marqueurs qui participent fréquemment à la construction du lien sémantico-logique de condition se trouve être le marqueur de parcours. 2.2.4. Parcours Le parcours peut être construit par différentes catégories comme any ou ever, ou bien des verbes avec un sémantisme positionnant l’énonciateur au niveau du hiatus qui ouvre sur les deux zones du domaine notionnel. On trouve, entre autres, des mots comme any ou bien encore l’adverbe ever, des verbes avec un sémantisme positionnant l’énonciateur au niveau du hiatus, les auxiliaires modaux, les verbes exprimant une modalité ou bien les prédicats marquant une modalité téléonomique, comme nous avons vus précédemment. Un autre paramètre participant à la construction du lien sémantico-logique de condition se trouve être les marqueurs de référence à l’avenir comme gonna ou encore les groupes prépositionnels. 2.2.5. Marqueurs de référence à l’avenir Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cet article, étudier tous les marqueurs de référence à l’avenir, mais nous tenons à citer le marquage par les groupes prépositionnels. Dans (69), nous trouvons le groupe prépositionnel Next time I see him dans la protase antéposée. Ce marqueur entre en cooccurrence avec any, toujours dans la protase antéposée, maybe, dans l’apodose postposée et l’auxiliaire de modalité will, toujours dans l’apodose postposée. (69) “You shot out his car windsurf, Patrick ? Jesus.” “I was a tad perturbed.” “Yeah, but shooting out his car window ?” “Angie,” I said, “he threatened Mae and Grace. He does anything that uncool next time I see him, maybe I’ll just forget the car and shoot him.” (Darkness Take my Hand, p.217) 46 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans l’énoncé (70), le groupe prépositionnel introduit par before dans la protase antéposée interagit avec l’auxiliaire de modalité can au prétérit dans l’apodose postposée. (70) “The owner collects,” said Dennis, answering without having to think on it, knowing then what this was about. “What I’m saying’. People in the neighborhood got to pay their debt on that day, otherwise they gonna lose their credit. So we ain’t talking about no pennies. We get it done before the man goes to the bank, late in the afternoon, we could walk away with, shit, I don’t know, a thousand dollars. You do this thing for us, you gonna get yourself a cut.” (Hard Revolution, p. 127) Nous avons vu que les notions complexes sont omniprésentes. Ce paramètre est négligé dans les grammaires et autres ouvrages et articles de linguistique alors qu’il nous semble essentiel à la construction des liens sémantico-logiques puisque c’est le seul marqueur qui peut se suffire à lui-même pour construire un lien sémanticologique. 2.2.6. Lien des notions complexes Nous voyons que les notions complexes sont omniprésentes dans la construction du sens et des liens sémantico-logiques. Ce paramètre peut même, dans certains cas, suffire à la construction du sens. Il semble que ce paramètre soit le seul paramètre qui puisse se suffire à lui-même pour la construction d’un lien d’ordre sémantico-logique, dans le cadre de la lecture. Ceci est différent dans le cas de la production ou bien dans le cadre de l’oral. Le lien établi entre les notions complexes peut se faire au niveau des deux propositions ou bien entre une notion ou notion complexe d’une proposition et une notion ou notion complexe du contexte amont ou aval. Par ailleurs, il existe différents types de lien entre les notions complexes. Cette différence de lien semble pouvoir expliquer pourquoi, notamment dans le cas du lien sémantico-logique de cause/conséquence, le connecteur est indispensable ou bien redondant, si l’on peut parler de redondance. Il semble que dans le cas du lien sémantico-logique de conséquence, le lien des notions complexes, de quelque nature qu’il soit, suffise à construire ce lien sémantico-logique, que l’on ait une portée sur le dit ou sur le dire. Par contre, en ce qui concerne le lien sémantico-logique de cause, il semble que le type de lien entre les notions complexes entre en ligne de compte pour déterminer s’il est possible ou non d’enlever le connecteur. Il semble impossible d’enlever le connecteur lorsque les notions complexes ne sont pas symétriques et donc non réversibles. Autrement dit, le connecteur construisant le lien sémanticologique de cause est indispensable, semble-t-il, lorsque les notions ou notions complexes englobent d’autres notions complexes et que ce sont celles-ci qui permettent le lien parataxique. Nous citons l’exemple suivant : ? ? I left. It began to rain. I left BECAUSE it began to rain. 47 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 La seule interprétation possible pour cet énoncé serait que mon départ soit à l’origine de la pluie. Nous avons besoin du connecteur de cause entre les deux propositions pour construire un lien sémantico-logique de cause, étant donné que les notions LEAVE et RAIN ne sont pas symétriques. La notion RAIN ne contient pas, dans ses propriétés définitoires, la notion LEAVE. Il est possible de construire de la condition, du fictif sans connecteur, grâce à l’interaction de différents paramètres. Il est même possible de construire sans protase du fictif. 2.3. Contre l’idée que l’asyndète est moins « élaborée » que la syndète, plus particulièrement : exemple de la construction du lien sémantico-logique de condition sans protase Nous renvoyons également le lecteur, comme illustration du fait que l’asyndète n’est pas moins élaborée que la syndète, à l’article à paraître intitulé « Asyndète et construction du fictif dans certaines variétés d’anglais », cité dans la bibliographie. Nous pensons que l’asyndète n’est pas moins élaborée que la syndète. Nous en avons pour preuve les cas où nous pouvons construire du fictif sans avoir de protase. Nous commencerons par le cas du potentiel. Nous avons de l’altérité, autrement dit, l’énonciateur se situe au niveau de l’hiatus. Nous avons bifurcabilité. Nous sommes dans le non certain. L’énonciateur ne choisit pas entre les deux zones du domaine notionnel, entre p et p’, entre l’intérieur et l’extérieur du domaine notionnel. 2.3.1. Le cas du potentiel Nous trouvons dans le contexte amont des verbes dont le sémantisme fraye une lecture fictive. 2.3.1.1. Le sémantisme des verbes dans le contexte amont fraye une lecture fictive Nous trouvons le verbe exprimant une modalité téléonomique want dans l’énoncé (71). Nous remarquons la présence de l’auxiliaire de modalité can au prétérit dans ce que nous serions tentée d’appeler l’apodose. (71) “Want to go ?” said Karras. “We could probably get you a ticket outside Turner’s.” (The Big Blowdown, p. 46) Dans l’énoncé (72), nous trouvons le verbe tempt à la voix passive. Nous remarquons à nouveau la présence d’un auxiliaire de modalité au prétérit dans l’apodose supposée. (72) “[…] I’m tempted to withdraw, leave the theatre, and buy a cabin in the Maine woods.” “Wouldn’t help,” Mac said. (Murder at Ford’s Theatre, p. 53) 48 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans l’énoncé (73), nous avons le verbe know, accompagné de not. Ce verbe entre en cooccurrence avec maybe ainsi qu’avec will au prétérit et le verbe exprimant une modalité have to dans l’apodose. (73) “Okay. But what the hell are you going to do if you don’t do this ?” “I don’t know. I’ll find something. Maybe I’ll take the civil service exam.” “A government man,” said Recevo. “That’s a laugh. You’d have to get up before noon, you ever think of that ?” (The Big Blowdown, p. 68) On trouve aussi parfois dans le contexte amont why associé à une base verbale, comme c’est le cas dans l’énoncé (74). 2.3.1.2. Why associé à BV, dans le contexte amont, fraye une lecture fictive Nous notons la présence de l’auxiliaire de modalité will au prétérit dans la supposée apodose. (74) “Last week you were in Athens, where the Olympics have gone over budget and under attended. Why bring the games to New York ?” “{ } It would be an enormous boon for New York city. We could raise the money here. It would all be done privately. NYC is the media capital of the world. And there are a bunch of sport freaks here. The Olympic village would be housing we desperately need, all funded privately. In terms of spirit, it’s the chance to tell the world just how safe and open New York is. And that’s one of the things you’re going to see this week” Michael Bloomberg answered. (A) – Sept 6, 2004 – 10 questions for Michael Bloomberg On trouve également énormément de cas d’irréels sans protase. 2.3.2. Le cas de l’irréel Nous avons de l’altération du réel et non plus de l’altérité. L’énonciateur rebrousse la branche du domaine notionnel qui correspond à ce qui est/a été validé. Il se place au niveau de l’hiatus et considère l’autre branche du domaine notionnel. C’est à nouveau le contexte qui va jouer un rôle dans la construction du lien sémantico-logique. Il s’agira d’un élément qui entrera en opposition avec un élément de la supposée apodose ou bien d’un élément qui niera un autre élément dans cette même apodose. 2.3.2.1. Contexte linguistique (négation/opposition) Nous faisons apparaître en gras les paramètres participant à la construction du lien sémantico-logique de condition, pour les énoncés (75) à (80). Dans l’énoncé (75), la notion RADIO, dans le contexte amont, implique la notion MUSIC. Le fait que la notion RADIO soit niée implique la négation de la notion MUSIC. La négation des notions entre en cooccurrence avec d’autres marqueurs comme l’auxiliaire de modalité will suffixé en -ed, où le prétérit a une valeur modale. 49 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Ces deux paramètres se combinent avec la présence de l’aspect have+V-en, qui joue le rôle du prétérit temporel. (75) The Plymouth started with a cough. Florek pumped the gas a couple of times, let the engine idle. No heat in this one ever, and no radio. He could have done without the heater, but he really would have liked some music. (The Big Blowdown, pp. 106-107) Dans l’énoncé (76), la notion KILL implique la notion DEAD, dans le contexte amont. Là encore, nous avons une négation de notions. La négation de notions entre également en cooccurrence avec un auxiliaire de modalité, le prétérit modal et l’aspect have+V-en à valeur de prétérit temporel. (76) “It’s still breathin’.” Perre Angelos spread his fingers wide. “What are we gonna do, Pete ?” “It ain’t dead,” Boyle said. “We ought to just kill it.” “The joker who sold this rifle to us said it was just like a twenty-two,” said Recevo. “But this here is no twenty-two. A twenty-two woulda killed it.” (The Big Blowdown, p. 24) Dans l’énoncé (77), nous avons une opposition de notions. La notion RIGHT, dans le contexte amont, s’oppose à la notion LEFT. L’opposition de notions entre en cooccurrence avec les mêmes marqueurs que pour les énoncés précédents. L’énonciateur sait pertinemment que la relation prédicative <you-watch out for-the left> n’a pas été validée mais il envisage quand même la validation de celle-ci. (77) Recevo, his eyes fixed on the right hand of the nun, did not comply. The nun’s left hand slashed out of nowhere, slapping him sharply across the cheek. Recevo rubbed the red mark as the children laughed. Sister Cumilliana walked back to the head of the class, a smile in her eyes. You shoulda watched the left, Joey, thought Karras. You shoulda watched out for the left. ( The Big Blowdown, p. 22) Dans l’énoncé (78), la notion STREET CAR entre en opposition avec la notion WALK, dans le contexte amont. Nous retrouvons le même faisceau de paramètres contextuels que dans les énoncés précédents. L’énonciateur rebrousse le chemin qui mène vers l’effectif, à savoir la non validation de la relation prédicative <you-catch-a street car>, et considère le chemin qui mène vers l’autre domaine notionnel, à savoir la validation de cette même relation prédicative. (78) “Maybe you ought to get yourself a nice, quiet sedan.” “I got my eye on the new models when they come out. A Hudson, maybe. Anyway, I don’t need advice from a guy who doesn’t even own a set of wheels.” “I like to walk, is what it is.” “Yeah, you took a good one tonight. You know, you coulda caught a street car, Pete.” (The Big Blowdown, p. 57) 50 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Nous remarquons la présence de but dans l’énoncé (79), qui marque le passage au plan du réel, le fait que nous passons du fictif au factif. Nous retrouvons une opposition de notions entre la notion complexe GET ON BUS, d’une part, et la notion WALK, d’autre part, dans le contexte aval, cette fois. (79) Kay laughed, kissed him once more as the bus pulled to the curb. The doors opened and she went up the steps. Florek waved her off, thinking he should have gotten on the bus himself. But he was very happy walking home, noting as he neared R Street that he had not thought once about the route he had taken in his journey from downtown to Shaw. (The Big Blowdown, p. 172) Dans l’énoncé (80), nous devons remonter à plusieurs chapitres en arrière où nous avons appris que Cale était mort. Nous voyons avec ce dernier exemple que le contexte ne doit pas être envisagé comme renvoyant à quelques lignes avant ou après l’énoncé étudié mais qu’il peut s’agir d’un contexte très large. La notion DEAD, dans le contexte amont éloigné, implique que la notion WANT, n’est pas envisageable. (80) Cale would have wanted this interview shown. (Murder on Capitol Hill, p. 61) Parfois, le contexte linguistique ne suffit pas et il faut alors se tourner vers la situation extralinguistique, comme c’est le cas avec l’énoncé (81). 2.3.2.2. Situation extralinguistique Le fait que le locuteur s’adresse au co-locuteur justifie le fait que ce même colocuteur n’ait pas été open up from ear to ear. (81) Ike would’ve opened you up from ear to ear. (The Big Blowdown, p. 243) Il est possible de construire un schéma complexe comme l’est l’irréel, autrement dit, il est possible d’énoncer le contraire de ce qui s’est passé ou de ce qui se passe, et cela sans connecteur et même sans repère fictif. Conclusion D’autres paramètres que les connecteurs peuvent participer à la construction d’un lien sémantico-logique. Parfois, le paramètre des notions complexes et des liens qu’elles entretiennent peut même suffire à construire un lien sémantico-logique. Nous pensons donc que l’asyndète n’est pas moins « élaborée » que la syndète. Nous allons un peu plus loin et présentons l’idée que nous pourrions être tentée de considérer que les connecteurs sont, dans certains cas, redondants – rappelons que, contrairement à ce que l’on trouve souvent écrit sur le sujet, le langage n’a pas peur de la redondance – voire inutiles. En effet, les notions complexes suffisent – même si parfois elles interagissent avec d’autres paramètres – à construire un lien sémantico- 51 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 logique et même parfois un lien sémantico-logique complexe comme celui de l’irréel. Le connecteur n’est alors plus là que pour rendre explicite un lien sémantico-logique déjà construit. Nous insistons sur le fait que nous ne pouvons pas généraliser et que nous devons absolument moduler notre propos. En effet, il est possible d’enlever des connecteurs sans que le sens n’en pâtisse dans certains cas seulement. Nous trouvons, en effet, énormément de cas où il est impossible d’enlever le connecteur. Par ailleurs, dire que les connecteurs peuvent paraître, dans certains cas, redondants ne veut pas dire que le sens de l’énoncé sans le connecteur est exactement le même que le sens avec le connecteur. N’oublions pas que since, because, for ou as ne participe pas à la construction de la même valeur causale, si l’on peut parler de valeur causale puisque les modalités de prise en charge (prise en charge de la relation prédicative des deux propositions et du lien entre les deux propositions) sont totalement différentes pour ces différents connecteurs. Références Bernstein, B. 1971. Class, Codes and Control. Volume 1. Theoretical Studies towards a Sociology of Language. Londres, Routledge and Kegan Paul. Deléchelle, G. 1989. « L’expression de la cause en anglais contemporain : étude de quelques connecteurs et opérations », Thèse d’État, manuscrit non publié. Connelly, M. 2002. The Black Echo. New York Boston, Warner Books. Lehane, D. 1997. Darkness, Take my Hand. Londres, Bantam Books. Lehane, D. 2001. Mystic River. New York, Harper Torch. Leonard, E. 1988. Freaky Deaky. Londres, Penguin Books. Pelecanos, G. P. 1999. The Big Blowdown. New York, St Martin’s Minotaur/St Martin’s Griffin. Pelecanos, G. P. 1998. King Suckerman. Londres, Serpent’s Tail. Pelecanos, G. P. 2003. Shame the Devil. Londres, Orion. Pelecanos, G. P. 2003. Hell to Pay. Londres, Orion. Pelecanos, G. P. 2003. Soul Circus. Londres, Orion. Pelecanos, G. P. 2004. Right as Rain. Londres, Orion. Pelecanos, G. P. 2005. Hard Revolution. Londres, Phoenix. Schleppegrell, M. J. 1991. « Paratactic because », in Journal of Pragmatics, vol. 16, no. 4, pp. 323-337. 52 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Teran, B. 2000. God is a Bullet. Londres, Pan Books. Trévise, A et L. Constant. A paraître. « Asyndète et construction du fictif dans certaines variétés d’anglais », in Peter Lang (éd.) Les connecteurs, jalons du discours. Coll. Sciences pour la Communication dirigée par A. Berrendonner. Truman, M. 2001. Murder on Capitol Hill. New York, Ballantine Books. Truman, M. 2003. Murder at Ford’s Theatre. New York, Ballantine Books. 53 LA COOCCURRENCE DU PASSÉ SIMPLE ET DU PASSÉ COMPOSÉ DANS LA PRESSE FRANÇAISE Danh Thành Do-Hurinville Université de Paris VII Jussieu Résumé Cet article, composé de deux parties, porte sur l’emploi du passé simple et du passé composé dans la presse française. La première partie, consacrée à l’examen de la cooccurrence simple du passé simple et du passé composé, met l’accent sur deux types de structures narratives : ternaire (passé composé - passé simple - passé composé) et binaire (passé simple - passé composé). La seconde partie, qui étudie la cooccurrence complexe du passé simple et du passé composé, est pourvue d’extraits journalistiques où ces deux tiroirs s’entremêlent intimement. Si la théorie dichotomique de Benveniste (1966) paraît efficace pour interpréter l’emploi de ces tiroirs dans la première partie, elle ne s’applique plus à l’analyse des textes de la seconde partie. Le passé simple n’est pas en voie de disparition, mais il serait « en mutation » pour survivre face au passé composé et à d’autres temps verbaux. Abstract The present article is composed of two parts and deals with the use of the passé simple and the passé composé in the French press. The first part, devoted to the examination of the simple co-occurrence of the passé simple and the passé composé, emphasizes two types of narrative structures : ternary structure (passé composé passé simple - passé composé) and binary structure (passé simple - passé composé). The second part, in which the complex co-occurrence of the passé simple and the passé composé is studied, contains press excerpts in which those two tenses are closely mingled. If Benveniste’s (1966) dichotomic theory seems an effective way of interpreting the use of those tenses in the first part, it cannot be applied to the analysis of the texts in the second part. The passé simple is not on the road to disappearance but it is probably changing in order to survive in the face of the passé composé and other tenses. RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction Le présent article, qui a pour objectif de décrire et d’étudier la cooccurrence1 du passé simple (noté désormais PS) et du passé composé (noté désormais PC) dans la presse française de nos jours, s’appuie sur un corpus2 composé d’une cinquantaine d’articles empruntés aux journaux, aux revues et aux magazines suivants : L’Equipe, Le Figaro, Le Monde, Le Monde Télévision, Le Journal de Paris, Le Matin, Le Marché Immobilier, Le Canard enchaîné, Le Nouvel Observateur, Le Monde de l’Éducation, Le Monde de la Musique, Radio classique, Télérama, Télé Z, Le Tennis Magazine, Les Sports, Epok, GEO, HEC, Dossiers secrets de l’histoire, 18-25, Info Pertinence, J’aime la France, Défense de la langue française. Selon le dictionnaire Grand Larousse de la langue française (tome 5 : 40394050), le PS est hérité du parfait latin (feci > fei) alors que le PC, forme auxiliée, a son origine dans les formes périphrastiques du latin parlé (venutus sum, scriptum habeo), qui se répandent et se fixent comme formes coalescentes en bas latin. Dans son article intitulé La disparition du prétérit, paru en 1920, Foulet a pour thème principal de dater la disparition du PS, qu’il appelle le prétérit, de la langue parlée. Selon ce linguiste, le PC et le PS sont déjà en concurrence, en ancien et en moyen français, pour l’expression du passé. En effet, le PS, entre le XIIe siècle et le e XVI siècle, a été éliminé de l’usage oral par le PC, dont la valeur primitive de parfait s’était doublée, comme il était arrivé au parfait latin, d’une valeur de prétérit. Selon Galet (1974, p. 27), dès la fin du XVIe siècle, des grammairiens3 ont étudié la valeur contrastive entre le PS et le PC en fixant des règles précises relatives à l’emploi de ces tiroirs4. C’est Estienne qui a signalé la subtilité dès 1569 et a introduit au XVIe siècle la loi des vingt-quatre-heures : les événements au-delà de la nuit sont exprimés au PS et ceux en deçà au PC (Riegel et al., 1994, p. 305). Fournier (1998, p. 396) précise que l’opposition entre ces deux tiroirs est « d’ordre aspectuel et énonciatif, et non pas référentiel, entre un passé éloigné et un passé récent ». Après avoir présenté la théorie de Benveniste, nous examinerons la cooccurrence du PS et du PC dans la presse française. 1 Selon la grammaire de Arrivé et al. (1986, p. 186), la cooccurrence « est une relation de coexistence ou de coprésence d’une ou de plusieurs unités avec une unité donnée à l’intérieur d’un énoncé ». Nous utilisons ce terme pour indiquer la coexistence du passé simple et du passé composé soit à l’intérieur d’un paragraphe, soit à l’intérieur d’une phrase. 2 Ce corpus contient des articles parus de 1988 à 2006. 3 Estienne (1569, Traité de la conformité du langage français avec le grec), Maupas (1607, Grammaire et syntaxe françoise), Oudin (1632, Grammaire françoise rapportée au langage du temps), Chiflet (1659, Essay d’une parfaite grammaire de la langue françoise), Arnauld et Lancelot (1660, Grammaire générale et raisonnée), Andry de Boisregard (1692, Réflexions ou Remarques critiques sur l’usage présent de la langue françoise), Régnier-Desmarais (1705, Traité de la grammaire françoise), Buffier (1709, Grammaire françoise sur un plan nouveau). 4 Terme proposé par Damourette & Pichon (1911-1936) désignant les temps grammaticaux et correspondant à tenses en anglais. 55 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 1. L’approche de Benveniste (1966) 1.1. L’approche de Benveniste Dans le chapitre intitulé Les relations de temps dans le verbe français (tome 1, pp. 237-250), Benveniste distingue deux systèmes complémentaires : l’Histoire (ou le Récit) et le Discours. Dans le premier, qui relève de la « langue écrite » et caractérise « le récit des événements passés », il n’existe ni locuteur ni narrateur, car « personne ne parle; les événements semblent se raconter eux-mêmes ». Du critère fondamental de cette théorie découlent des contraintes sur les personnes et les déictiques : ni je, ni tu, ni ici, ni maintenant. Outre le PS, tiroir fondamental, on utilise le passé antérieur, le conditionnel, le « prospectif »5. Dans le second système, qui appartient aussi bien à l’écrit qu’à l’oral, il existe un locuteur qui dit je, un allocutaire qui dit tu, et les déictiques : ici, maintenant. Le locuteur oppose une « non-personne » (il) à une personne (je / tu). Les tiroirs fondamentaux sont le PC, le présent et le futur. Le plus-que-parfait et l’imparfait sont communs à ces deux systèmes. 1.2. Brève présentation des valeurs du PS et du PC Le PS situe le procès6 dans le passé, comme l’imparfait, mais à la différence de ce tiroir, le PS donne du procès une vision globale : il en présente tout à la fois le terme initial, le développement complet et le terme final. Autrement dit, le procès est perçu de l’extérieur, dans sa globalité, considéré comme un noyau indivisible. Les procès au PS sont complètement coupés de t°. De ce fait, le PS traduit l’aspect global en opposition avec l’imparfait qui exprime l’aspect sécant7. À la différence du PC, le PS n’est pas formellement mis en relation avec t° et il est donc plus apte à rapporter des faits passés coupés du présent de l’énonciateur. C’est un tiroir narratif par excellence. Le PC, forme composée du présent, exprime l’aspect accompli8 et marque l’antériorité par rapport au présent. Mais cette valeur d’antériorité s’oriente vers le 5 Formes périphrastiques aller / devoir à l’imparfait + verbe à l’infinitif : Richelieu allait / devait en subir les conséquences plus tard (Maingueneau, 1994, p. 76). 6 « On entend par procès, l’action ou l’état décrit par la phrase entière et non seulement par le verbe » (Martin, 1988 : 5). 7 La distinction entre l’aspect global et l’aspect sécant permet d’opposer deux manières d’envisager le déroulement du procès. Celui-ci peut être perçu de l’extérieur, dans sa globalité, considéré comme un tout indivisible. C’est l’aspect global, que représente le PS. Le procès peut être envisagé de l’intérieur, depuis l’une des étapes de son déroulement, sans que soient prises en compte les limites extrêmes ; autrement dit, on ne voit ni le début ni la fin du procès. C’est l’aspect sécant qu’exprime l’imparfait. 8 Dans tous les modes français (indicatif, subjonctif, infinitif, participe), l’opposition entre l’aspect accompli et l’aspect non accompli ou inaccompli se manifeste par celle existant entre les formes composées et les formes simples du verbe. Les formes simples expriment l’aspect non accompli qui saisit le procès en cours de déroulement. Autrement dit, le procès est vu en 56 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 passé lorsque le PC prend dans l’énonciation de discours une valeur équivalant à celle du PS dans l’énonciation historique (Benveniste). Sur le plan aspectuel, le PC s’oppose au présent comme toute forme composée vis-à-vis de la forme simple correspondante. Riegel et al. (1994, p. 302) distinguent trois emplois du PC. ● Accompli du présent : le PC envisage un procès comme accompli et marque l’état résultant de l’achèvement du procès au moment de l’énonciation t°. Dans Paul est arrivé (= Paul est là), le PC indique qu’à t° Paul se trouve devant le locuteur. ● Antérieur du présent : dans une structure où le PC est utilisé en corrélation avec le présent, il marque l’antériorité par rapport au présent. « Ce qui est accompli au moment de l’énonciation lui est inévitablement antérieur » (Riegel et al.) Dans Quand il a écrit une lettre, il l’envoie (Benveniste), le procès envoyer ne commence qu’une fois le procès écrire une lettre achevé. Quand il a écrit une lettre équivaut à après avoir écrit une lettre. ● Temps du passé (« aoriste du discours », Benveniste) : le passé composé peut situer totalement le procès dans le passé : le repère de l’événement est antérieur à t° : Mlle Daisy a vu un rhinocéros unicorne (Ionesco). 1.3. Quelques remarques sur le PS et le PC Le PS et le PC s’opposent sur les deux plans suivants : sur le plan aspectuel, le PS exprime l’aspect global, tandis que le PC traduit l’aspect accompli. Quant au plan énonciatif, le PS est un « aoriste du récit », alors que le PC est un « aoriste du discours ». Les deux premiers emplois du PC (« accompli du présent » et « antérieur du présent ») ne peuvent pas être remplacés par le PS. En revanche, lorsque le PC fonctionne comme un « aoriste du discours » (troisième emploi), il peut commuter avec le PS, mais l’équivalence n’est pas parfaite. Avec le PC, l’événement passé n’est pas complètement coupé du présent, mais il est envisagé par le locuteur avec une certaine « proximité psychologique » (Imbs, 1960). 2. Cooccurrence simple du PS et du PC Nous distinguerons ici deux types de structures concernant l’utilisation du PS et du PC : la structure narrative ternaire d’ordre PC-PS-PC, et la structure narrative binaire d’ordre PS-PC. Le schéma ternaire est déjà mentionné dans les articles de Galet (1977) et de Monville-Burston et Waugh (1985). 2.1. La structure ternaire (1) L’aérostier français L. D., âgé de 50 ans, a effectué, dimanche, un envol qui lui a coûté la vie. Alors qu’il tentait de maintenir au sol sa montgolfière gonflée d’air chaud, le ballon plus léger que l’air se mit en mouvement et cours d’accomplissement. Quant aux formes composées, elles traduisent l’aspect accompli qui envisage le procès au-delà de son terme, comme étant réalisé, achevé. 57 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 enleva le pilote suspendu au panier d’osier. Après avoir essayé, vainement, de saisir une amarre de la nacelle avec ses pieds, il lâcha prise d’une hauteur de 20 mètres et s’écrasa sur l’aire de départ. Très grièvement (sic) blessé (fractures multiples, hémorragies internes), L. D., transporté d’urgence à l’Hôpital de Belfort, est décédé quelques heures après son admission. (Envol Tragique, Le Matin, 02/09/1986, cité par Béguelin, 1988) (2) Tiberio Fiorilli (1608-1694), l’illustre comédien et génial pantomime, a diverti le Paris du XVIIe siècle pendant près de cinquante ans. Pilier de la troupe italienne des comédiens du roi, il savait transformer en rires les cris de colère de Louis XIV, l’enfant-roi. Applaudi dans le personnage de Scaramouche, bouffon séducteur et vénal le plus ancien de la commedia dell’arte, il fut le maître de Molière, avec lequel il partageait la salle du Petit-Bourbon puis celle du Palais-Royal. Il a laissé des souvenirs vivaces, que son compère Mezetin, alias Costantini, s’est employé à relater. (La vie de Scaramouche, Le Nouvel Observateur, no. 1784, 14/01/1999) La structure ternaire, illustrée par les textes (1) et (2), est pourvue d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion. Dans l’introduction, l’emploi du PC est quasiment exclusif pour exprimer un fait aussi bien ancien que récent. L’idée selon laquelle le PS représente un fait ancien, et le PC un fait récent, n’est pas prise en compte9. Dans le développement, le temps verbal dominant est le PS permettant de détailler le contenu des textes. Dans la conclusion, le temps utilisé de préférence est le PC. La théorie de Benveniste peut s’appliquer à l’étude de ces articles. Par conséquent, l’ordre PC-PS-PC peut correspondre à Discours-HistoireDiscours. 2.2. La structure binaire : PS - PC (3) Appréciées depuis plus de cinq siècles, les huîtres de Cancale ravissaient déjà François 1er, Henri IV et Marie-Antoinette ! Jusqu’au XVIIIe siècle, les pêcheurs ramassaient jusqu’à 20000 tonnes d’huîtres plates chaque année… Le banc naturel commença à s’épuiser et il fallut se résoudre à « élever » des huîtres. C’est ainsi qu’en 1858 débuta l’ostréiculture française. Aujourd’hui, les plates de Cancale sont devenues une denrée rare : 400 tonnes par an pour 2000 tonnes d’huîtres creuses. (J’aime la France, La Bretagne, Atlas, 09/1995) (4) Cette ancienne colonie française a sa langue officielle, le vietnamien, dont l’écriture fut latinisée par le jésuite Alexandre de Rhodes en 1646. Aujourd’hui, quelques francophones perpétuent au Vietnam la pratique du français, qui n’a aucun statut particulier […] Point d’histoire : après la Première Guerre du Vietnam (1946-1954), qui s’est achevée par la défaite de la France, et la seconde (1962-1973), dans laquelle se sont engagés les États-Unis, la réunification du Nord et du Sud a 9 Cette remarque est confirmée également par Galet (1974), Monville-Burston et Waugh (1985), et Fournier (1998). 58 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 permis d'instituer en 1976 la république socialiste du Vietnam […] (Vietnam, GEO, no. 138, 08/1990) (5) Sydney est la plus vieille ville d’Australie. Elle fut fondée pour être une colonie pénitentiaire britannique. En 1788, le capitaine Arthur Philip débarqua là, […], accompagné de 730 bagnards […] Ils furent ainsi 160 000 « convicts » à émigrer par force jusqu’en 1868. Cette population n’étant pas suffisante pour exploiter toutes les richesses de ce nouveau continent, on fit également appel à l’immigration libre. Grâce à différents subterfuges, celle-ci fut très sélective : Anglais et Irlandais étaient autrefois les candidats privilégiés. Vinrent ensuite les Européens du sud puis ceux de l’est et finalement, ce sont aujourd’hui les asiatiques (sic) qui constituent le plus gros du contingent annuel : 40%. Après avoir été soigneusement évincés durant deux siècles, « les jaunes (sic) » ne sont plus redoutés ; l’Australie admet enfin qu’elle est tout simplement le sud de l’Asie. Cependant, ce constat se fait à contrecœur. Tout récemment, les Australiens ont réaffirmé leur allégeance à la Couronne d’Angleterre et renoncé à devenir une République. Ce geste purement symbolique prouve à quel point cette petite nation de 18 millions d’habitants reste attachée à sa culture originelle occidentale face à 2 milliards d’Extrême-orientaux (sic) […] (Sydney, Le Marché Immobilier, 07/2000) La structure binaire, représentée par les textes (3) à (5), est pourvue de deux parties. Dans la première, on recourt au PS pour évoquer des faits lointains. Dans la seconde, on fait appel au PC ou au présent, précédé des adverbes aujourd’hui, tout récemment pour présenter des faits proches de t°. Cette structure met en relief la chronologie temporelle entre le PS et le PC : le premier tiroir exprime des faits anciens, le second des faits récents. La théorie de Benveniste peut s’adapter à l’analyse de ces articles, dans lesquels l’ordre PS-PC peut équivaloir à l’ordre Histoire - Discours. 2.3. Le PC dans la structure ternaire et la structure binaire 2.3.1. Le PC dans la structure ternaire L’examen des textes (1) et (2) à structure ternaire montre qu’il existe un lien étroit entre ce temps verbal et les premières et dernières phrases. Du point de vue informationnel, la phrase 1 sert de résumé en livrant les principales informations de l’article. Dans le texte (1), cette phrase informe du nom du personnage (L.D.), de sa profession (aérostier), de sa nationalité (française), de son âge (50 ans), du jour de son accident (dimanche), et de la cause de cet accident (un envol). Dans le texte (2), la phrase 1 contient le nom du personnage (Fiorilli), ses dates de naissance et de décès (1608-1694), sa profession (comédien et pantomime), la durée de ses activités professionnelles (divertir le Paris du XVIIe siècle pendant près de 50 ans). 59 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Du point de vue thématique, (1) et (2) illustrent une progression à thème constant : le nom propre (L.D. ou Tiberio Fiorilli), thème de la phrase 1, est ensuite repris dans les phrases suivantes par le pronom anaphorique de la 3e personne. Du point de vue temporel, dimanche dans le texte (1) sert de cadre ( ) aux faits racontés. Le texte (2) comprend deux types de circonstanciel : le circonstanciel de localisation (le Paris du XVIIe siècle), qui situe le procès de la phrase 1 par rapport au calendrier institutionnel, et le circonstanciel de durée (pendant près de 50 ans), qui insiste sur la taille de l’intervalle circonstanciel. Notons que, dans les textes (1) et (2), la phrase 1 est un énoncé autonome qui n’a besoin d’aucun contexte narratif précédent. Elle est composée en effet des éléments constitutifs autonomes suivants : noms propres (L.D. ; Tiberio Fiorilli), descriptions définies (l’aérostier français ; l’illustre comédien et génial pantomime), expressions temporelles et spatiales autonomes (1608-1694, le Paris du XVIIe siècle). Compte tenu des éléments temporels et thématiques ci-dessus, la première phrase est un énoncé « encapsulant » (Saussure, 1998, p. 252), qui englobe les autres phrases des textes (1) et (2), appelées énoncés « encapsulés ». L’examen de la phrase 1 des textes (1) et (2) indique que le choix du PC est indispensable du fait qu’il sert à établir le premier contact entre, d’une part, le lecteur et l’événement (E), d’autre part, le lecteur et le scripteur (S), et cela quelle que soit la distance temporelle réelle entre E et S : deux jours dans le texte (1) et trois siècles dans le texte (2). Le PC, eu égard à ses propriétés morphologiques (composé d’un auxiliaire au présent et d’un participe passé), parvient à gommer psychologiquement la distance temporelle effective entre E et S, comme dans l’extrait suivant : C’est le temps de celui qui relate les faits en témoin, en participant ; c’est donc aussi le temps que choisira quiconque veut faire retentir jusqu’à nous l’événement rapporté et le rattacher à notre présent (Benveniste, 1966, p. 244). Il ne nous paraît pas possible de commuter le PC avec le PS dans la première phrase pour les raisons suivantes : le PC, tiroir autosuffisant par excellence (Gosselin, 1996, p. 114), est compatible avec le statut autonome de la phrase 1. Par conséquent, ce tiroir permet de conférer à cette phrase sa fonction de résumé, de créer une « proximité psychologique » entre E et S, et de présenter un fait qui englobe thématiquement et temporellement les autres faits au PS des textes (1) et (2). L’extrait ci-après soutient notre point de vue : Le PC est réservé de préférence à l’expression de procès qui présentent un fait globalement, avant que le PS (ou éventuellement l’imparfait pittoresque) en détaille les péripéties ; la globalité du fait a plus de chance en effet que la succession des événements qui la composent de laisser des traces perceptibles au présent (Martin, 1971, p. 109). 60 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Le PS, quant à lui, n’est pas un tiroir autosuffisant (Gosselin), et de ce fait il ne se prête pas au statut de la phrase 1. Il est incompatible, théoriquement, avec le circonstanciel de temps déictique dimanche (texte 1). Les journalistes recourent également au PC (est décédé, a laissé, s’est employé) dans la dernière phrase des textes (1) et (2) pour souligner que ces actions sont encore valables à t°. 2.3.2. Le PC dans la structure binaire Dans les textes (3) et (5), pour souligner que la conséquence des procès est encore valable à t°, le scripteur se sert des PC (sont devenus, ont réaffirmé, ont renoncé) précédés de circonstanciels de temps déictiques comme aujourd’hui (texte 3) et tout récemment (texte 5). Il n’est donc pas possible de remplacer ces PC par des PS. Dans (4), les PC (s’est achevée, se sont engagés, a permis), précédés de circonstanciels de temps absolus comme 1946-1954, 1962-1973, 1976, sont des « aoristes du discours » ; ils peuvent commuter avec des PS « aoristes du récit ». Toutefois, le journaliste utilise le PC et non le PS pour deux raisons : le PC peut créer, d’une part, un impact psychologique à t°, et d’autre part, une opposition d’ordre temporel avec le fait historique au PS (fut latinisée) daté de 1646. 2.4. Le PS dans la structure ternaire et la structure binaire Dans (1) et (2) à structure ternaire et (3) à (5) à structure binaire, le PS conserve sa valeur narrative pour faire progresser le récit. Les procès au PS correspondent à une série d’événements successifs, où le premier précède le deuxième ( ) et n’est achevé que lorsque le deuxième commence. Il en va de même pour chacun des événements suivants qui s’enchaînent ensuite. Cette succession est manifeste lorsque les procès au PS sont juxtaposés (se mit, enleva, lâcha prise, s’écrasa, texte 1). Les textes (1), (3), (5) illustrent l’emploi d’une succession de procès au PS. 3. Cooccurrence complexe Dans certains articles de presse, le PC et le PS sont utilisés dans un même paragraphe ou dans une même phrase. On peut même rencontrer quelques titres de textes au PS. Si la théorie dichotomique de Benveniste semble efficace pour l’étude de la cooccurrence simple, en revanche, elle s’adapte beaucoup moins à l’analyse des textes qui illustrent la cooccurrence complexe, car il ne serait plus pertinent de distinguer l’Histoire du Discours. En nous appuyant sur les structures syntaxiques de la phrase, nous proposerons une lecture thématique selon le modèle proposé par Combettes (1983) pour tenter d’expliquer les combinaisons du PC et du PS. 61 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 3.1. La progression à thème constant Cette progression indique qu’un même thème est repris dans des phrases successives, pourvues de rhèmes différents. Nous examinerons ce type de progression dans des propositions indépendantes, coordonnées, juxtaposées, conjonctives et relatives. 3.1.1. Propositions indépendantes (6) Ces lieux furent mon terrain de jeu en 1945. Ils ont bien changé, goudron et voiture ayant envahi l’espace… (extrait d’un prospectus, 1994) (7) Leur rencontre, en mars 1992, sur le plateau d’Arte, fut fulgurante. Le couple Didier Lockwood - Caroline Casadesus en a fait un spectacle, qu’il a baptisé en paraphrasant Nougaro « le Jazz et la Diva ». (Quand le Jazz vit heureux avec l’opéra, Le journal de Paris, 25/05/2005) Dans (6), la progression thématique est assurée par le pronom anaphorique ils désignant ces lieux (6). Dans (7), l’adjectif possessif leur à valeur cataphorique réfère au couple Lockwood et Casadesus. Dans ces exemples, le verbe être suivi d’un syntagme nominal ou d’un adjectif est au PS. On recourt au PS (furent mon terrain, fut fulgurante) pour décrire des faits appartenant complètement au passé (en 1945 et en 1992). En revanche, on fait appel au PC (ont changé, a fait un spectacle, a baptisé) pour souligner que ces procès sont liés à t° : le changement du terrain de jeu dans (7), et le concert dans (9). Dans ces exemples, il nous paraît difficile de remplacer ces PC par des PS. (8) […] Arrivé aux Etats-Unis en 1939, Mgr Iakovos a été nommé archevêque en 1959. Cette même année, il rencontra le pape Jean XXIII, devenant ainsi le premier archevêque grec orthodoxe à rencontrer le chef de l’Eglise catholique depuis 350 ans. Il a participé à la marche pour les droits civiques avec Martin Luther King en 1965. Il prit position contre la guerre du Vietnam. L’archevêque a également été président du Conseil mondial des Eglises pendant neuf ans. (Le Monde, 14/04/2005) L’extrait (8), composé de cinq propositions indépendantes, illustre parfaitement la progression à thème unique (Mgr Iakovos) avec cinq rhèmes différents (archevêque en 1959, le pape Jean XXIII, la marche pour les droits civiques, la guerre du Vietnam, président du Conseil…). Dans ce texte, le journaliste alterne le PC (trois occurrences) avec le PS (deux occurrences) pour varier son style. Par conséquent, une permutation de ces tiroirs est tout à fait envisageable. 3.1.2. Propositions coordonnées et juxtaposées (9) En politique, François Mitterrand fut d’abord profondément respectueux de la personne humaine, et c’est pourquoi il a décidé d’abolir la peine de mort. (Discours de J. Chirac, 10/01/1996) 62 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 L’extrait (9) comprend deux propositions coordonnées avec et et c’est pourquoi. En dépit du décès récent de Mitterrand (par rapport à t°), le choix du PS (fut respectueux…) montre que l’ancien président défunt est déjà considéré comme un personnage historique. En revanche, le recours au PC (a décidé) permet de souligner que l’abolition de la peine de mort est toujours valable à t°. (10) Brest a payé très cher d’avoir servi de base pour les sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale : la ville fut totalement détruite par l’aviation alliée en 1944. (J’aime la France, Atlas, 09/1995) (11) Les femmes compositeurs ont souvent rencontré préjugés et interdits : elles ne durent la plupart du temps leur formation musicale qu’à l’initiative de leur famille et celles qui sont restées les plus célèbres, Clara Schumann et Fanny Mendelssohn, furent découragées par leurs proches. (Le Monde de la Musique Radio Classique, no. 237, 11/1999) Les exemples (10) et (11) sont des phrases complexes, composées de deux propositions juxtaposées indiquées par les deux points (:). La première proposition au PC (a payé, ont rencontré) sert à annoncer un fait global. Il est difficile de dater avec précision ces procès au PC. On peut utiliser souvent dans (11) pour exprimer un fait à valeur générale, pouvant se vérifier, quelle que soit l’époque. Dans ce cas, le PC (ont rencontré) peut être accompagné d’adverbes comme toujours, jamais, etc. La seconde proposition au PS (fut détruite, durent), précédée des deux-points (:) vise à expliquer ou détailler le procès annoncé au PC. 3.1.3. Propositions subordonnées conjonctives Il est fréquent de rencontrer, dans des phrases complexes, le PS dans les propositions subordonnées conjonctives commençant par quand, dès que, etc. et le PC dans les propositions principales. (12) Quand Dieu créa le ciel et la terre il a dû finir par l’Australie et sans doute n’avait-il plus grand-chose sous la main pour planter le décor. (Le Marché immobilier, 09/2000) (13) Dès qu’il y eut deux hommes sur terre, tout naturellement, ils se sont battus. (publicité, 2000) Nous pensons que le choix du PS dans les subordonnées vise à détacher les procès de t°, et que le recours au PC dans les principales permet de les rattacher psychologiquement à t°. Dans (12), l’antériorité du procès au PS (créa le ciel et la terre) par rapport à celui au PC (a dû finir par l’Australie) est due à l’opposition sémantique entre les verbes créer et finir. Dans (13), le procès au PS doit être logiquement antérieur à celui au PC. Les journalistes se servent du PS dans les subordonnées pour annoncer des faits passés purs, et du PC dans les principales pour développer la suite de ce qui est annoncé au PS. Le verbe devoir et les adverbes sans doute dans (12), et tout 63 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 naturellement dans (13), relevant de modalités d’énoncé, constituent autant de traces de commentaire des journalistes. 3.1.4. Propositions subordonnées relatives L’un des lieux de rencontre privilégiés du PC et du PS est dans des phrases complexes, où le PC est situé dans les principales, et le PS utilisé dans les relatives. Les extraits (14) à (17) en sont des exemples illustratifs. (14) Celle qui fut donnée comme possible Premier ministre a finalement conservé, lors du remaniement gouvernemental après la victoire du non au référendum, son portefeuille de la Défense. Un poste que Michèle AlliotMarie, numéro trois de l’équipe Villepin, occupe depuis plus de trois ans. (Le Parisien, 07/2005) (15) En dépit des manœuvres de déstabilisation dont il fut la cible, l’ancien président a rendu son écharpe aux civils à la date prévue (03/1985). (Joao Baptista Figueiedo, Le Monde, 12/1999) (16) Puissance vocale, musicalité parfaite, chaleur du timbre, présence dramatique irrésistible lui ont assuré pendant quarante ans une suprématie naturelle, auréolée de la gloire d’avoir chanté à Bayreuth (Kundry et Sieglinde) et à Salzbourg, où Karajan lui demanda d’incarner une Brünnhilde humaine et fragile. (Crespin, Le Monde Télévision, 12/1999) (17) Bernard Vernier-Pallier a ensuite été ambassadeur de France aux Etats-Unis de 1982 à 1984, date à laquelle il fut élevé à la dignité d’ambassadeur de France. (Vernier-Pallier, Le Figaro, 12/1999) Du point de vue syntaxique, nous distinguons deux types de relatives. Dans (14) et (15), les PS sont utilisés dans des relatives déterminatives (qui fut donnée comme possible Premier ministre, dont il fut la cible), qui ne peuvent pas être supprimées, au risque de modifier ou d’obscurcir le sens des principales. Quant à (16) et (17), les PS sont placés dans des relatives appositives ou non déterminatives (qui, où, laquelle) à cause de la virgule qui les précède. Ces relatives peuvent être supprimées sans nuire à la compréhension des principales, mais d’un point de vue informationnel, elles contiennent des données importantes liées souvent à la consécration professionnelle d’une personnalité. Monville-Burston et Waugh (1985, p. 159) confèrent la valeur de « mise en retrait » au PS dans les relatives des exemples (16) et (17). Cette valeur n’est pas liée aux propriétés sémantiques du PS, mais vient du fait que le PS est placé dans les relatives appositives, qui, du point de vue syntaxique, sont moins importantes que les principales au PC. Mais d’un point de vue informationnel, les renseignements apportés par les relatives au PS ne sont pas négligeables. Il s’agit d’un emploi isolé du PS, très fréquent dans le discours journalistique de nos jours. 64 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 3.2. La progression à deux thèmes différents Nous étudierons la distribution du PS et du PC dans des propositions où la progression ne se fait plus à thème unique, mais à deux ou trois thèmes différents. 3.2.1. Propositions indépendantes Dans (18) à (22), le PS et le PC se trouvent dans deux propositions indépendantes successives. Un changement de thèmes entre la première et la seconde proposition entraîne un changement de tiroirs verbaux. (18) Les médias ont encensé la princesse (Lady Diana) jusqu’à en faire une icône, une déesse, un objet de culte. Son enterrement a été retransmis en France […] Mère Thérésa, la sainte de Calcutta, fut reléguée au second plan. Les médias ne parlaient d’elle qu’en la liant à la si généreuse Diana, qui avait tant fait espace de trop pour les mines anti-personnel (sic). Deux femmes, deux cœurs, c’était le scénario rêvé pour les vampires. (18-25, no. 8, 03/2000) (19) Le Rhône et la Méditerranée se sont donné rendez-vous en Camargue […]. Les hommes y ajoutèrent les digues, les chemins […] (J’aime la France, La Provence, Atlas, 08/1995) (20) D’abord, il y a eu le Journal de monsieur Nabe. Un millier de pages complaisantes, exhibitionnistes et… parfois antisémites […]. Ensuite, il y eut les réflexions du même acabit de monsieur Camus dans son Journal de campagne […] (Epok, n° 8, Edito, 2000) (21) Au moment du boum économique des années 1970, la décision n’a pas été prise de décentraliser les zones d’activité, au contraire, on pratiqua la surconcentration en construisant des tours là où les promoteurs étaient sûrs d’en tirer profit. (Le Marché Immobilier, 07/2000) (22) Il paraît qu'à Dubai, il ne pleut que 5 jours par an... Le 23 février fut donc un de ces 5 jours. Seules Mauresmo et Kuznetsova ont réussi à débuter leur quart de finale, entre les gouttes. (Les Sports, 23 /02/06) Dans (18) à (20), il nous paraît que les procès au PC (ont encensé, se sont donné, il y a eu) sont antérieurs à ceux au PS (fut reléguée, ajoutèrent, il y eut). Cela se vérifie dans (20) où le PC et le PS sont précédés respectivement par d’abord et ensuite. Dans (18), ce sont les médias qui ont encensé la princesse Diana et relégué Mère Thérésa au second plan, et dans (21), c’est le pronom on qui est le sujet du procès (pratiquer la surconcentration). Les journalistes changent de tiroirs pour mettre en relief l’opposition sémantique entre encenser et reléguer (18), décentraliser et surconcentration (21). Ce contraste est accentué ( ) par la locution au contraire dans (21). 65 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans (22), le procès au PS (fut) appartient entièrement au passé (la pluie est un fâcheux contretemps qui perturbe le déroulement des matchs), alors que le procès au PC (ont réussi) conserve un lien direct avec le présent par l’intermédiaire du résultat du match de tennis entre les joueuses Mauresmo et Kuznetsova. Ce serait moins pertinent d’inverser l’emploi du PS et du PC dans cet extrait. 3.2.2. Propositions subordonnées conjonctives Les extraits (23) et (24) sont des phrases complexes dans lesquelles le PS est utilisé dans les subordonnées et le PC dans les principales. À la différence de (12) et (13) dont la progression est à thème constant, (23) et (24) sont pourvus de deux thèmes différents. (23) Si la finale fut décevante, la quinzaine de Venus Williams a été exemplaire. (Le Monde, 07/2000) (24) Même si le premier set fut serré, l’issue n’a jamais vraiment souffert le moindre doute dans cette finale. (Les sports, Kim Clijsters, 06/2005) En général, les journalistes font souvent appel au PC pour présenter un bilan avec une vue globale, et au PS pour un détail unique. Dans (23), la finale et la quinzaine diffèrent l’un de l’autre en terme de durée. Le sujet la finale désigne le dernier jour de la compétition, tandis que le second sujet la quinzaine représente les deux semaines de la compétition d’un grand chelem en tennis. Par conséquent, le journaliste recourt d’abord au PS dans la subordonnée pour mettre en relief le procès ponctuel (être décevante), et use ensuite du PC dans la seconde proposition pour faire le bilan de la prestation sportive, pendant tout le tournoi, de la joueuse américaine V. Williams. Le changement de tiroirs permet de mettre en contraste l’opposition sémantique des prédicats entre les subordonnées et les principales : être décevante / être exemplaire dans (23), être serré / ne pas avoir souffert dans (24). 3.3. La progression à thème linéaire Nous analyserons l’utilisation du PS et du PC dans des propositions indépendantes où la progression se fait de façon linéaire : le thème d’une proposition est issu du rhème de la proposition précédente. Les journalistes recourent souvent au PC dans la première proposition, et au PS dans la proposition suivante débutant par un pronom ou un déterminant à valeur anaphorique, comme dans les extraits suivants : (25) En l’honneur de la fête nationale du Vietnam, le 2 septembre 1996, […] le centre de langues étrangères de Hue a organisé un concours de français pour les étudiants et élèves âgés de vingt ans. Cela donna l’occasion, aux étudiants et élèves participant à ce concours, de tester leur connaissance du français. (Défense de la langue française, no. 183, 1997) (26) Affichant des idées progressistes sous le Front populaire, Maurice Papon a fait ses premiers pas professionnels comme chargé de mission dans différents ministères. Ce label politique lui permit de rebondir après la libération. (Le Monde, 03 / 1996, cité par A. Judge, 1998, p. 230) 66 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (27) De 1972 à 1988, il a été président de l’Académie pontificale des sciences du Vatican, période durant laquelle il a dirigé les recherches sur la datation du saint suaire et mené le procès de réhabilitation de Galilée. Ce procès dura douze ans et la réhabilitation de l’astronome fut annoncée par Jean Paul II, en 1992. (Carlos Chagas Filho, Le Monde, 02/2000) (28) L’AN MIL n’a pas eu lieu. C’est Raoul Glaber qui l’a inventé. Ce fut une année plutôt morne, sans éclat ni drame. Un tremblement de terre, le passage d’une comète. Pas de quoi noircir le parchemin des annales. Entre Anjou et Picardie, entre Aquitaine et Champagne, dans ce qui n’est pas encore la France, l’an Mil est né, a vécu, puis a rejoint sans bruit le cortège infini des années qui passent. (Le Monde, 07/2000) Dans (25) à (28), les PC, datés explicitement ou non, servent à annoncer le thème principal du texte, tandis que les PS, précédés de syntagmes à valeur anaphorique comme cela, ce label, ce procès, ce, visent à commenter ou caractériser les procès précédents au PC. Le changement de tiroir est un des moyens efficaces pour attirer l’attention du lecteur. Si ce et cela sont des reprises anaphoriques neutres, en revanche, ce label politique (26) est une reprise anaphorique de type conceptuel, qui résume le contenu de la proposition précédente. Quant à ce procès (27), il s’agit d’une reprise anaphorique de type fidèle. 3.4. Le PS « démarcateur » Dans leur article (1985, p. 135), M.-Burston et Waugh soulignent la valeur de détachement du PS, qu’ils appellent PS « démarcateur », pour marquer les limites initiales et finales d’un texte. En effet, il est assez fréquent de rencontrer un PS isolé utilisé soit dans le titre, soit dans la première phrase (PS d’ouverture), soit dans la dernière phrase (PS de clôture) d’un article de presse. 3.4.1. Le PS dans les titres Le titre d’un article de presse est aussi un des lieux privilégiés où l’on peut rencontrer le PS. Dans (29), le titre au PS, qui annonce le thème central, s’oppose au texte rédigé exclusivement au PC pour développer ce thème. (29) L’homme qui voulut devenir roi (du poulet) Une fois devenu roi du poulet (en produisant de plus en plus, de plus en plus vite, et de moins en moins cher), Gérard Bourgoin s’est senti pousser des ailes : il s’est acheté (avec son ami Depardieu) un jet privé, un Falcon 10, pour la modique somme de 100 millions de francs. « Un simple outil de travail », a-t-il dit à « Capital » (2/4), qui lui permet d’être partout à temps et surtout à Auxerre, où le roi du poulet codirige l’équipe de foot avec son ami Guy Roux. Toujours avec son ami Depardieu, le roi du poulet s’est mis en tête de trouver du pétrole à Cuba (il faut dire que Fidel est lui aussi un ami). Ensemble, ils ont donc déboursé 200 millions de francs et n’ont trouvé que quelques gouttes de fuel. Le coup de la poule aux œufs d’or, ça ne marche pas à tous les coups. 67 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 En politique, après avoir soutenu son ami Chirac, puis son ami Madelin, puis essayé de se faire soutenir par ses amis Pasqua-Villiers, il a fini par se faire bombarder patron du CNI, parti croupion de droite, dont il rêvait de faire le « premier parti des entrepreneurs » (tous des amis). En fait, les seuls qui ne sont pas vraiment ses amis, ce sont ses salariés et ses éleveurs… (Le Canard enchaîné, 05/04/2000) Le PS dans le titre a une très forte valeur de détachement (comme le PS d’ouverture), d’autant plus que, du point de vue syntaxique, le titre ci-dessus est une phrase incomplète, qui incite le lecteur à lire le texte pour satisfaire sa curiosité. Emprunté au journal satirique Le Canard enchaîné, le choix du PS (voulut) recèle de l’ironie à l’égard de G. Bourgoin ; ce titre fait penser à ceux de Fabliaux, également au PS (Le Prêtre qui mangea les mûres, Le Larron qui embrassa un rayon de lune, La Dame qui fit entendre à son mari qu’il rêvait, etc.) ou encore à celui d’un film américain L’homme qui voulut être roi (d’après Rudyard Kipling). Toutefois, les titres au PS n’expriment pas toujours de l’ironie. Cela dépend du contexte dans lequel est utilisé le PS. Examinons un autre titre au PS dans (30). (30) Et la Terre s’arrêta Avait-on vu ça depuis le 11 Septembre ? On peut en douter. A dix heures pile, alors que le cercueil du pape Jean-Paul II est déposé sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, il se passe quelque chose d’inouï sur nos écrans de télé. Les nôtres et ceux de la planète entière. TV Romania, Bulgaria TV, TV Montenegro, Abou Dhabi TV, Al-Jazira, Sat 7 (Tunisie), Sky News, CNN, BBC, toutes les déclinaisons de la RAI, TF1, LCI, France 2, Telepace, EWTN, Polonia TV, la ZDF… Toutes les chaînes du monde ou presque (à l’exception notable de la Chine, de la Russie et de quelques autres) sont en direct du Vatican, et l’exercice du zapping réduit d’un coup la planète à un seul lieu pendant trois heures : la place Saint-Pierre […] (Télérama, n° 2883, 13/04/2005) Le PS, qui permet de figer momentanément le procès s’arrêter dans le passé, s’oppose au présent (de narration) qui relate la cérémonie des obsèques du Pape et ses conséquences médiatiques. Le titre au PS indique qu’à un moment précis, tous les regards se tournent vers la place Saint-Pierre, mais qu’à l’heure actuelle (t°), la vie a repris. Les effets co(n)textuels confèrent au PS (Et la terre s’arrêta) une dimension historique, détachée de t°, que n’aurait pas le PC (Et la terre s’est arrêtée), puisque le PC est lié à t°, ce qui n’est pas le cas du PS. 3.4.2. Le PS d’ouverture L’emploi d’un PS isolé, situé dans la première phrase des extraits (31) et (32), crée un effet de contraste avec le choix du PC dans (31) et du présent dans (32). (31) Ce fut d’abord le week-end de retraite à l’abbaye de Mondaye, en décembre. Malgré les désagréments causés par un froid assez vif, nous avons pu prendre du recul, réaffirmer notre foi à partir de la relation fondamentale de l’homme à Dieu. (Hommes et Commerce, 07/1997) 68 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (32) Ce fut le plus beau Noël de sa vie. Le premier décembre et la nuit du 24, Bocelli chante devant le Pape, dans la Basilique Saint-Pierre de Rome. Les arrangements du maestro Renato Setio font ressortir son talent d’interprétation. (Le petit inédit de Andréa Bocelli, 1999) Du point de vue informationnel, les journalistes se servent du PS dès la première ligne pour donner une information ou une appréciation générale sur le reste du texte. Cet emploi du PS est fréquent dans la presse écrite, où le verbe être au PS, associé au démonstratif ce à valeur cataphorique, incite le lecteur à entrer directement dans le sujet « sans lui laisser le temps de s’orienter ». (Imbs, 1960) Notons que la situation énonciative dans (31) et (32) diffère de celle rencontrée dans (1) et (2) qui commence par un PC. En utilisant le PS dans (31) et (32), le journaliste joue le rôle d’un observateur objectif avec une certaine distance psychologique. Mais, aussitôt qu’il développe son texte, il recourt au PC (31) ou au présent narratif (32). Voyons maintenant un autre cas de l’opposition PS / PC : le PS est utilisé dans la question, le PC est employé dans la réponse. (33) Question : Quel fut le rôle d’EDS au sein de ce projet d’envergure mondiale ? Réponse : Le Comité Français d’Organisation a décidé d’externaliser l’informatique […], EDS a joué le rôle de conseil en gestion de l’événement. L’entreprise a, par ailleurs, été chargée de la gestion des opérations […] (Entretien avec Gouillou, Directeur du projet Coupe du monde 1998, Info Pertinence, no. 5, 09/1999) L’extrait (33) est une interview, mais il peut être considéré comme un texte écrit, car les deux parties (le journaliste et l’interviewé) ont probablement préparé leur texte. Il est intéressant de remarquer l’emploi du PS (fut le rôle) dans la question qui ouvre l’interview, et le choix du PC (EDS a joué le rôle) dans la réponse. Le PS peut expliquer l’attitude neutre du journaliste, alors que le PC montre que l’interviewé (Directeur du projet) s’implique complètement dans son projet. 3.4.3. Le PS de clôture Dans (34), à la différence de (31) et (32), l’auteur rédige l’introduction et le développement de son texte uniquement au PC. Dans la dernière phrase de son article, il choisit le PS. (34) L’assemblée annuelle du Club a réuni (sic) à l’Association, le 15 décembre 1998, […]. Activités 1998 : M. Bruder a rappelé le rôle d’HEC-RAE […]. Les réunions mensuelles des premier et troisième mardis ont été très régulièrement tenues […]. Exposés et conférences ont été repris dans le Bulletin d’information […]. Après ces exposés et approbation du rapport financier, il a été procédé à la désignation du Bureau pour 1999. Bureau HEC-RAE 1999. M. Bruder a proposé P. Wertheimer pour présider […]. 69 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 L’agenda des réunions du premier semestre a été remis aux participants et sera diffusé courant janvier avec l’appel des cotisations 1999. Le principe du programme ayant été adopté, la séance fut levée pour laisser la place au pot de l’amitié. (P. W, Assemblée annuelle du Club, Revue HEC, Hommes & Commerce, no. 269, Février 1999) Nous constatons que les PS d’ouverture dans (31) et (32) et de clôture dans (34) sont situés dans des phrases relativement courtes. La plupart d’entre elles sont des phrases simples, dont le style qualifié d’énergique vise à inciter le lecteur à poursuivre sa lecture pour mieux comprendre le texte dans le cas des PS d’ouverture (31 et 32). Quant au PS de clôture dans (34), il tend à ramasser le texte sur lui-même et semble obliger le lecteur à regarder en arrière. Conclusion Cet article, qui avait pour objectif de décrire et d’analyser l’emploi du PS et du PC dans la presse française contemporaine, nous a conduit à distinguer deux types de combinaisons de ces tiroirs : la cooccurrence simple et la cooccurrence complexe. Si l’approche énonciative dichotomique de Benveniste s’avère efficace dans l’étude de la cooccurrence simple du PS et du PC, elle se révèle en revanche beaucoup moins pertinente dans l’analyse de leur cooccurrence complexe. Dans la cooccurrence simple du PS et du PC, nous avons constaté deux structures narratives, ternaire et binaire. Dans la structure ternaire, le choix du PC est quasiment exclusif dans l’introduction pour représenter des procès aussi bien anciens que récents par rapport au moment de l’énonciation t°. On recourt aussi à ce tiroir, dans la conclusion, pour indiquer que les procès sont encore valables à t°. Quant au PS, il est utilisé dans le développement pour décrire une série de procès successifs. Autrement dit, la structure ternaire (PC-PS-PC) correspond à l’ordre DiscoursHistoire-Discours. À la différence de la structure précédente, la structure binaire met l’accent sur l’opposition référentielle du PS et du PC : le premier tiroir exprime des procès anciens, le second des procès récents par rapport à t°. L’ordre PS-PC dans cette structure répond à l’ordre Histoire-Discours. Pour étudier la cooccurrence complexe du PS et du PC, nous avons fait appel à des structures syntaxiques de la phrase et au modèle de la progression thématique de Combettes, et avons analysé les combinaisons du PS et du PC dans des textes à progression à thème constant, des textes à progression à deux thèmes différents, et des textes à progression à thème linéaire. Notre corpus sur cette cooccurrence complexe tend à montrer qu’à l’heure actuelle, il est prématuré d’envisager la disparition du PS notamment dans la presse écrite, car les journalistes continuent à recourir au PS et au PC pour créer des effets de contraste d’ordres syntaxique et informationnel : les PS, utilisés dans les subordonnées (conjonctives ou relatives), fournissent des informations non négligeables, alors que les PC, employés dans les principales, ont une valeur de bilan. En outre, lorsqu’on change de thèmes, on change de tiroirs : l’ordre de préférence est PC-PS. Cela a pour but de donner du relief à la relation des événements. 70 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Références Arrivé, M., Gadet, F. et Galmiche, M. 1986. La grammaire d’aujourd’hui : guide alphabétique de linguistique française. Paris, Flammarion. Benveniste, E. 1966. Problèmes de linguistique générale. Vol. 1 et 2. Paris, Gallimard. Bres, J. 2005. L’imparfait dit narratif. Paris, CNRS. 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Nous défendons l'opinion que les langues artificielles sont utiles dans la communication cross-countries et globale ainsi que dans l'étude contrastive de la sémantique et de la syntaxe des langues naturelles. Cette étude est réalisée en suivant le cadre théorique de l'Analyse Componentielle, selon laquelle différents types sémantiques de verbes reflètent différentes structures syntaxiques et arguments sémantiques. Ceci explique la relation directe du type de verbe avec le type d'argument locatif qu'il prend1. Abstract This paper deals with the semantic classification of induced motion verbs. We organise them in two groups, with similar and contrasting features, according to the types of prepositional phrases they take. This acknowledges the essential role that locative expressions play in the lexical decomposition of movement verbs, and gives evidence for the interrelation of verbs with the rest of elements in the clause. Besides, We make a comparative analysis of these verbs in English and in Unish. The results allow the identification of the universal semantic features of movement verbs in both languages. Hence, we argue for the usefulness of artificial languages not only in global, cross-cultural communication, but also in the contrastive syntactic and semantic analysis of natural languages. This study is done within the semantic approach of Componential Analysis, according to which the different semantic classes of verbs reflect different syntactic and semantic argument structures. This explains the direct relation of the type of verb with the type of locative argument it takes. ∗ This paper has been funded through the research grant ANGI 2005/14, awarded by CAR institution. 1 I would like to thank my colleagues, Belinca Carbajo and Raquel Ureta, for their valuable help and guidance in the elaboration of this manuscript, especially in the French part of it. RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction This paper is devoted to verbs of induced movement, here called, in terms of Aktionsart –as developed by Vendler (1957 [1967]) and later on by Van Valin and LaPolla (1997)- causative accomplishment movement verbs. These verbs, as it is described in the ongoing sections, are verbs of motion that evoke a state of affairs in which a participant causes another participant (either animate or inanimate) to move from one place to another. An example of this is install in John installed the TV aerial on the roof, where participant A (John) causes participant B (the TV aerial) to be on the roof. An analysis of samples from a corpus of 6,100 English verbs and 8,500 locative expressions (spatial prepositions and adverbs) has been carried out. Their semantic components have been studied at the semantics-syntax interface. According to the results, causative accomplishment movement verbs have been organized in two main groups. This paper is organized as follows: in order to highlight the areas under scrutiny, the first section presents the scope of analysis. After this, section two constitutes the centre of this piece of research, in which two subsections are established, according to the two types of verbs investigated. Section three is dedicated to Unish. Unish is an artificial language created in 2000, which results from gathering data of different languages. We find mainly English features regarding vocabulary, Romance languages regarding phonological features and Oriental languages regarding syntactic and morphological features. Causative accomplishment movement verbs are analysed in this artificial language in order to extract the differences and similarities between it and English. This permits the identification of the common semantic features of both languages, and consequently, common components in the encoding of induced movement in language. Finally, the last section presents the conclusions, which are revealing as regards a number of issues related to complement distribution, thematic relations and the grammatical organization in languages. This study has been done within the semantic approach of Componential Analysis, according to which lexical decomposition is used as a basic device that provides a description of the meaning components of words (in this case, of movement verbs). These meaning components permit the organization of verbs into groups and provide a way to deal with their argument structure. Thus, the view is held that different semantic classes of verbs reflect different syntactic as well as semantic argument structures. This explains the direct relation of the type of verb with the type of prepositional phrase the verb takes2. The description of syntactic structures through an analysis of the semantic components of movement verbs is reached, which provides valid criteria for classifying them. In this line, we can state that a word has meaning components which are relevant to grouping and identifying its corresponding grammatical processes, and meaning components which contribute to establishing particular differences of this word from others in its group. Thus, for our study, we have grouped all the words in English that share the semantic features of causative accomplishment verbs of motion, such as [+telic], [+induced], etc. All these features are explained in section 2 below. Then, within this group, we can identify 2 There are a few studies in Componential Analysis, related to the interaction between semantics and syntax, which are worth seeing: Pinker (1989), Gropen et al. (1991), Levin (1993) and Levin & Rappaport (1995) among others. 75 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 different subgroups of words with certain specific features, such as being [+dynamic] or [-dynamic], as is also explained below. This distinction has already been identified by Pinker (1989) in his Grammatically Relevant Subsystem Hypothesis, according to which those meaning components that are relevant to group words are labelled semantic markers, and those meaning components that permit distinguishing one group from another are called semantic distinguishers. This is equivalent to Grimshaw’s (1994) distinction between semantic structure and semantic content. In this paper, the metalanguage used for the semantic representation of the verbs analyzed is the one adopted in Role and Reference Grammar, as developed by the main authors of such theory, Van Valin and LaPolla (1997). 1. Scope of the analysis and theoretical assumptions The typology presented here is based on Aktionsart, which in German means ‘form of action.’ This term was originally proposed by Vendler (1957, 1967), and it has been adopted by Van Valin and LaPolla (1997) to Role and Reference Grammar.3 According to this, verbs are classified in terms of their inherent temporal properties. There are four basic classes: states, activities, accomplishments and achievements. Thus, Aktionsart refers to such inherent properties of verbs, and it is defined through three main features (Van Valin and LaPolla, 1997, p. 93): (1) a. State b. Activity c. Accomplishment d. Achievement [+static], [-telic], [-punctual] [-static], [-telic], [-punctual] [-static], [+telic], [-punctual] [-static], [-telic], [+punctual] The distinction between static and non-static verbs is essential for this classification. Hence, states code non-happenings, and so there is no change involved, while non-static verbs code happenings, and therefore involve internal change. For example, in a sentence like John believes in fairies there is not an external event taking place in the outside world. That is, nothing that can alter the state of affairs occurs. Hence, believe is [+static]. On the other hand, in sentences like John runs in the park every morning there is an event occurring. In this case, we have a situation in which one participant carries out an action in a concrete setting, and this action alters the original features of the state of affairs. If we were witnessing such a non-state we would be able to identify it very easily. On the other hand, if we witness a state we cannot easily distinguish when it starts or ends. How can we know that John believes in fairies just by looking at him? Hence, run is [-static]. Smith (1991) also divides situations into states, which are [+static], and events, which are [-static]. States hold, events occur. That is, events have an identifiable beginning and end within the state of affairs itself. The feature [+/-telic] refers to whether the verb denotes a state of affairs with an inherent terminal point or not. Thus, run in the sentence above does not refer to a 3 There are, nonetheless, other Aktionsart typologies. The most recent one is found in Bache (1997). I have selected the one of Role and Reference Grammar because it is functionally representative of real facts and because it is economic and reliable, as I show below. 76 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 temporal limit, so it is [-telic]. However, run in John runs to his place of work every morning implies that there is a terminal point for the activity of running, which will take place when John arrives to his final destination. Such an alternation, called activity-active accomplishment alternation, by way of which an atelic verb becomes telic (Dowty 1979, Levin 1993), is important for the hypothesis posed in this paper. Note the way this change takes place: it is the prepositional phrase to his place of work which modifies the verbal Aktionsart. Note that the verbal tense is not relevant for this alternation. It is the statement of a final location that transforms an activity into an active accomplishment. Thus, the same alternation holds for John ran in the park every morning and John ran to his place of work every morning. It is the expression of a final location where the action ends what makes an action verb such as run telic and therefore composes an active accomplishment Aktionsart. Dealing with accomplishment Aktionsarts, we should distinguish active accomplishments from plain accomplishments, which are those modes of action in which the verb already has the [+telic] feature, as is seen in (1.c) above. See, then, the difference between John sat down and the above sentences. In the latter, the verb codes a happening that is telic, without the need to specify the location in which the event takes place. Finally, the feature [+/-punctual] refers to the internal duration of verbs. For example, the verb run involves a change of location, but it is different from a verb such as explode in that the former takes place over a certain period of time while the latter is instantaneous. According to the typology proposed in (1), accomplishments are [-punctual]. However, in this paper I demonstrate that within this class there are some differences that should be accounted for, since not all causative accomplishment movement verbs comply with the three features that are assigned to them in the same degree. A further distinction is required before continuing: states of affairs may be induced or spontaneous. The four Aktionsart classes in (2) correspond to spontaneous states of affairs. Correspondingly, for each of these classes there is a causative class, which is related to an induced state of affairs. This is shown in (2): (2) a. State John is angry a’. Causative state b. Achievement b’. Causative achievement c. Accomplishment c’. Causative accomplishment d. Activity d’. Causative activity Mary angers John The bomb exploded John exploded the bomb The water freezes John freezes the water The ball moves around the park John moves the ball around the park The causative versions of the non-causative ones can be distinguished by applying the following paraphrases: (3) a’. Mary causes John to be angry b’. John caused the bomb to explode 77 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 c’. John causes the water to freeze d’. John causes the ball to move around the park. Besides this, Van Valin and LaPolla (1997) distinguish another class, derived from activities: active accomplishments, which are accomplishment uses of activity verbs, as noted above when dealing with the feature [+/-telic]. As seen in the previous example, an activity verb such as run can become an active accomplishment thanks to the argument-adjunct4 it takes (in this case, the prepositional phrase to his place of work in John runs to his place of work every morning). Active accomplishments also have a causative version. An illustration of this is given in Van Valin and LaPolla (1997, p. 101) : (4) a. The soldiers marched to the barracks (plain active accomplishment) a’. The sergeant marched the soldiers to the barracks (causative active accomplishment) In the light of the terminological criteria posed above, note that the term active is not used as opposed to passive, but as opposed to non-active. That is, it refers to those verbs that are [-static] and [-punctual]. Following all these criteria, I establish a typology of causative accomplishment movement verbs that completes the one posed by Van Valin and LaPolla (1997). It must be pointed out that in this paper, all causative accomplishment movement verbs are assumed to have a semantic valence of three and a syntactic valence of two or three. For an example of this, see (5): (5) a. Mary fixed the switch on the garden wall a’. Mary fixed the switch b. Mary looked up the wall In (5.a) the syntactic valence is three, because the third argument (the garden wall) is expressed. However, if we say Mary fixed the switch, as in (5.a’), the syntactic valence is two –that is, this clause has two syntactic arguments: Mary and the switch-, but the semantic valence is still three, even if the third argument is not overtly expressed. This is because the semantic valence of a clause is tied to the argument structure of the verb, which is, from my position, invariable, while the syntactic valence is related to the actual realisation of the clause, that is, to form. Thus, in (5.a) we see that there are three arguments expressed: Mary, the switch and the garden wall, while in (5.b) there are just two: Mary and the wall. Thus, the syntactic valence of (5.a) and (5.b) is three and two, respectively. 4 Argument-adjunct is the name given in Role and Reference Grammar to those expressions which stand in the middle between being arguments, that is, being essential for the logical structure of the clause, and being adjuncts, that is, being additional elements that modify the clause as a whole. Locative arguments are included within this group, due to the fact that the locative word that introduces them modifies the Aktionsart and the meaning of the verb as a whole. That is, saying Put the book on the table is not the same as saying Put the book down the table. 78 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Another issue that should be noted is that both (5.a) and (5.b) are transitive constructions. Nevertheless, there is an important difference between them: in (5.a) the prepositional phrase on provides the new location for the second argument, the switch. This second argument has undergone a change of location, and this change has been caused by the first argument, Mary. In (5.b), by contrast, there is no movement of the second argument, expressed here by the noun phrase the wall. In this case, up functions as a particle, and such a particle indicates the orientation of the action predicated by the verb. There is not a causality element, and therefore the first argument, Mary, does not cause the second argument, the wall, to move. Up is working at the level of the nucleus (that is, the verb and its Aktionsart), not at the level of the clause. Thus, in (5.a) we have a causative construction, while in (5.b) we do not. Note, therefore, that all causative constructions are transitive, but that not all transitive constructions are causative. Causativity is related to semantics, and transitivity is related to syntax. Now that this is clear, my concern focuses on the establishment of an adequate logical structure5 for causative accomplishment movement verbs. The prototypical logical structure for the verbs I am studying, according to Van Valin and LaPolla (1997), is given in (6): (6) Peter put the book on the table [do’ (x, Ø)] CAUSE [BECOME be-LOC’ (z, y)] With regards to the logical representation of the above sentence, it is explained in section 2 below. For the time being, it is important to note that causative accomplishment movement verbs are examined here from the perspective of their interrelation with spatial items. Spatial words perform the essential function of orientation, which is basic for human cognition. Despite this, spatial constructions have been usually consigned to a marginal position in grammatical and semantic theories. Orientating can be realised by two types of elements: situating and linking elements. Situating is a property of adverbs, while linking is a property of prepositional phrases. Thus, the prepositional phrase on the table in (6) links the argument that is represented by the book to the place in which it is finally located, that is, the table, through the preposition on. On the other hand, in Peter put the book near we have an adverb, near, that situates the book around a certain location, although it does not provide a referent to a concrete location such as the table. Apart from this semantic distinction, they perform the same role in the logical structure of verbs of movement. This role is that of granting the clause with a complete meaning. That is, the causative accomplishment verb of motion put has a number of features that characterize it as such. However, in order for it to function as a whole accomplishment verb in a clause, a spatial expression has to be included. Thus, *John put the book is ungrammatical. A spatial expression such as on the table has to be included in order for the clause to be complete. This example shows the importance of spatial expressions for accomplishment verbs of movement. Going further, in this article I show another important role of spatial items when these verbs are concerned: 5 Note that in Role and Reference Grammar the concept logical structure refers to the semantic argument structure of the verb, not to its syntactic structure. 79 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 they permit the distinction of these verbs into two different groups with different logical structures, as is shown in the following sections. If one looks at locative words in detail, a very powerful and complex system of organization arises. This system plays an essential role in human languages and must therefore be carefully studied. I have analysed these elements with respect to the types of verbs they are realized with, first in English, and then in Unish, in order to extract information about the specific behaviour of such verbs both semantically and syntactically. Due to the limitations of this article, I have only focused on the analysis of spatial items functioning as prepositional phrases. There is general agreement, from works like Dik (1978) or Chomsky (1981) onwards, that the semantic and the syntactic properties of predicates are interrelated. This is followed by the LexicoGrammar Model (Faber and Mairal 1999, Mairal 2001, Mairal and Faber 2002, Mairal and Cortés 2002), and it is taken as a starting point in this piece of research. Nonetheless, since this model is still under construction, I have selected the Role and Reference Grammar’s system of semantic representation as a starting point for my explanations, as I have mentioned above. 2. A semantic typology of causative accomplishment movement verbs Although all the verbs of the corpus correspond to the same type of verbs (causative movement verbs), important semantic differences can be found between some verbs and others, and such differences in meaning constrain the type of argument-adjuncts they can take and the number of prepositional phrases they admit in one clause. All these verbs can be divided into two main groups, and within each group some features allow for further subdivisions. The differences among each group are called variables. The two groups of verbs are causative active accomplishment verbs and causative accomplishment verbs. Both groups are similar in that they are accomplishments. This is represented in the logical structure by ‘BECOME’. This means that they are “temporally extended (not instantaneous) changes of state leading to a terminal point” (Van Valin and LaPolla, 1997, p. 92). The BECOME feature makes them durative in the sense that the event does not take place in a punctual way. It extends in time, despite having an end. In this sense, note the difference between explode and freeze. Explode refers to an instantaneous happening, while freeze implies that the event has an end, but that it happens along a certain time interval. Therefore, telicity is an inherent feature of all these verbs. The third verbal argument is the one that carries and expresses such a feature: a LOCATION argument. Furthermore, they are both [-punctual], that is, the change of state is not instantaneous, and, evidently, [-static]. Hence, according to the three basic features that define Aktionsart, both types of verbs coincide. However, the Aktionsart of each group differs, and the states of affairs they encode are also different: causative active accomplishments encode a state of affairs that goes from the point of origin of the UNDERGOER6 to the endpoint. That is, the 6 The semantic macroroles ACTOR and UNDERGOER are generalizations across thematic roles. That is, under the label ACTOR and UNDERGOER -coded as the participant most affected by the action- they embrace a number of thematic roles, also called microroles. The 80 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 language user can mentally represent any of the moments that compose the activity from the beginning to the end and express it linguistically through the addition of many locative prepositional phrases, as seen below: (7) John escorted the politicians from their hotel, through the city, to the secret meeting point. Depending on whether the GOAL7 is specified or not we can have an activity or an active accomplishment Aktionsart, as already mentioned. On the other hand, causative accomplishment verbs only encode that state of affairs at the endpoint. They express the resulting state of a non-active process of change. A change is understood as extended in time, but it is not the change that is evoked by these verbs; only the result is. That is, in both kinds of verbs one can imagine the whole process, but this is a product of epistemic knowledge, since we all know that if an UNDERGOER is in one location it is due to the fact that an ACTOR has placed it there. Thus, in (non-active) accomplishment verbs their referring scope is the endpoint, in time and in space. Consequently, (non-active) accomplishment verbs always take a GOAL prepositional phrase, which functions as an argument-adjunct and specifies the endpoint location. They do not admit other locative prepositional phrases, as active accomplishments do. This is shown in (8): (8) John placed the picture (*from the box) (*through the corridor) on the wall. Nonetheless, up until now there has not been a clear distinction in Role and Reference Grammar between these verbs of movement as regards their semantic features and ACTOR is the generalized AGENT-type role, and the UNDERGOER is the generalized PATIENT-type role. In this way, in an active construction the ACTOR is the subject and the UNDERGOER is the object, while in a passive construction it is the other way round. With respect to intransitive verbs, the single argument they have can be either an ACTOR or an UNDERGOER. One may wonder, if there are various argument-types in a logical structure, which one will be selected for the ACTOR macrorole and which for the UNDERGOER one. In fact, there are principles that govern macrorole assignment, which are not going to be developed here in full. For a complete overview, I refer to Van Valin & LaPolla (1997:144146). In this work I will just mention that the unmarked choice for ACTOR is the ‘argument of DO’ (AGENT), and that the unmarked choice for UNDERGOER is the ‘argument of pred’ (x)’ (PATIENT). Apart from this, it is important to note that in the case of the verbs under study here the UNDERGOER is a THEME, because they do not have a PATIENT in their logical structure. A THEME, in terms of participant roles, is similar to a PATIENT, but with the difference that it does not suffer an internal change. Similarly, an EFFECTOR is similar to an AGENT, but the action it carries out is not necessarily willful. 7 In relation to locative expressions, in the clauses we are analyzing they play the role of argument-adjuncts, as already mentioned. Such argument-adjuncts represent a LOCATION. Nonetheless, it must be specified which kind of location it is. Thus, spatial prepositions can be divided into different types, and depending on that, the prepositional phrase they head will perform one role or another. Bennett (1975) divides them into five basic cases: LOCATIVE, SOURCE, PATH, GOAL and EXTENT. In the case of the verbs under analysis here, the LOCATION is expressed by a GOAL argument adjunct. If it is not a GOAL, then it is just an adjunct, and it consequently does not belong to the logical structure of the verb. 81 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 their logical structure, despite the admittance of their different Aktionsarts. Thus, in what follows, a detailed analysis of these verbs is carried out. A different logical structure is proposed for each type, since the common logical structure rendered in Van Valin and LaPolla (1997) –the one in (6)- does not account for the differences between them. Furthermore, the feature [+/-] dynamic is applied at a clausal level in order to account for such differences. 2.1. Causative active accomplishment movement verbs The verbs that form this group take GOAL prepositional phrases as a third argument, but they also admit PATH prepositional phrases. However, PATH prepositional phrases cannot work as LOCATION arguments, since they do not express an endpoint, but refer to a transitional stage. PATH prepositional phrases are those headed by prepositions such as through, across or along, while GOAL prepositional phrases are those headed by prepositions such as to or into. If the movement verbs in this section take a GOAL prepositional phrase, they are called active accomplishments. If they are not followed by such prepositional phrase, but only by a PATH prepositional phrase or by no prepositional phrase at all, they are called activity verbs. This is because, as noted above, the accomplishments are realised through the semantic feature of telicity, which is expressed through GOAL prepositional phrases. For an illustration of this, see the examples below: (9) a. John guided the tourists through the field (Path prepositional phrase) [causative active verb] b. John guided Mary to the house (Goal prepositional phrase) [causative active accomplishment verb] c. John guided Mary from the house (Source prepositional phrase) through the big avenue (Path prepositional phrase) to the school (Goal prepositional phrase) [causative active accomplishment verb] Guide is a prototypical8 example of a causative active accomplishment movement verb. It has the three maximally possible arguments: ACTOR, UNDERGOER and LOCATION, if we focus on macrorole assignment (ACTOR, UNDERGOER) and primitive abstract predicates (LOCATION), and AGENT, THEME and GOAL, if we specify the correspondent microroles. However, as can be observed in (9.a), guide can also be a causative active verb if the GOAL prepositional phrase is omitted. Additionally, it may admit more than one prepositional phrase, as in (9.c), although only the GOAL prepositional phrase is relevant for its logical structure. Van Valin and LaPolla (1997, p. 182) provide evidence for such activity-active accomplishment alternations in languages which meet three criteria: morphological evidence, generality (that is, this alternation is not limited to a small number of verbs) and predictability according to a putative lexical rule. This is not the case in English, where there is no morphological evidence. However, according to theory internal 8 The concept of prototypicality is based on Taylor (1989). 82 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 criteria - economy, motivation and predictability - these authors (1997) demonstrate that English has lexical rules to derive this alternation, as well as lexical rules to derive the causative version of predicates. According to Van Valin and LaPolla (1997, p. 101), active accomplishments are not causative, but there are simply causative versions of active accomplishment verbs, as seen in the example shown in (4) above. However, in this piece of research, it is further demonstrated that there are causative active accomplishment verbs, not only versions of non-causative ones, since all the verbs which have been selected for the corpus of analysis are only causative, and do not have an alternative non-causative version from which they (supposedly) derive. For some instances of this fact, see (10) below: (10) a. * That man transported to the north of the state b. That man transported the goods to the north of the state. c. * John guided to the new house d. John guided us to the new house As these examples show, these verbs, together with the ones in (11) below, only have this causative Aktionsart. For such cases it is not possible to look for any of the three criteria posed by Van Valin and LaPolla (1997) related to alternations between active accomplishment verbs and causality, since there is not an alternative non-causative version. It is true that the causative versions are usually derived from the four basic types of Aktionsart: states, activities, accomplishments and achievements, but in many cases use brings about a weakening of the original verbal types. Historically, English verbs from the Old English period onwards have evolved, in a significant number of cases, from non-causative (typically strong ones) to causative (typically weak)9,10. This is a universal tendency of languages. In many cases, verbs maintain both forms, but in others they have lost their original non-causative version. As a result, from a synchronic perspective we cannot state that causative verbs are secondary to non-causative ones. Thus, I defend the view that there are ten classes of Aktionsart, with a similar status: (11) states, activities, accomplishments, achievements, active accomplishments, causative states, causative activities, causative accomplishments, causative achievements, causative active accomplishments. 9 As has been noted in section 1, transitivity is a different notion from causativity, but both are interrelated, in the sense that for a verb to be causative it necessarily has to be transitive, though a transitive verb does not need to be causative. With respect to this diachronic phenomenon, see Martín Arista (2001). 10 Old English verbs were of two main types: strong or weak. Strong verbs such as sincan ‘sink’ had irregular conjugations (sanc as first person past singular, suncon as first person past plural, suncen as past particple), and they are the origin of Present Day English irregular verbs such as sink, while weak verbs such as murnan ‘mourned’ had a regular conjugation (murnde past simple tense), always adding a dental character to form the past tenses. They are the origin of regular verbs in Present Day English, which form the past tenses by adding –ed. 83 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Taking this into account, the verbs verbs under analysis in this section are listed below: (12) Guide, lead, conduct, escort, accompany, show, direct, draw, tow, usher, carry, bear, bring, fetch, transport, deliver, ship, dispatch, despatch, take, propel. These verbs belong to different lexical fields, in such a way that further subgroups could be established11. In this paper, however, I focus only on their core sense, related to their common logical structure, which could be paraphrased as: 'to cause an object to be on a specific location.' Jolly (1991, p. 90 and 1993) states that these verbs take GOAL, PATH and SOURCE prepositional phrases as part of their logical structures. In this line, Van Valin and LaPolla (1997:161) claim that “there can be more than one argumentadjunct […] They are specifying the range of motion with a verb of motion (e.g. run, walk) or induced motion (e.g. push, pull, move), which includes specification of a SOURCE, a PATH and/or a GOAL”. I disagree with this because the feature [+telic], which is the essence of their logical structure, is just provided by the GOAL argument-adjunct, so the rest of adjuncts (SOURCE and PATH) are superfluous, and this should be reflected in semantic representation. Besides, Van Valin and LaPolla (1997) themselves state that verbs allow for a maximum of three arguments (which includes argument-adjuncts). In a nutshell, causative active accomplishment verbs allow for the occurrence of multiple locational prepositions. That is, PATH and SOURCE prepositional phrases can be specified, and this is due to their inherent nature as derivations of active predicates, which are dynamic and therefore provide the verb with a complex combination of temporal and spatial indeterminacy. However, the only inherent and necessary prepositional phrase to complete their logical structure is the GOAL prepositional phrase, which is the one that carries the telicity feature. In order to finish up this subsection, it must be noted that the logical structure of the verbs presented here differs from the general logical structure given in Role and Reference Grammar for causative accomplishment movement verbs, which has been given in (6). A proposal is provided below: (13) DO (x, [do’ (x, Ø)] CAUSE [do’(z,[go’(z)]) & BECOME be-at’ (y, z)]) In the first place we have the activity part: DO (x, [do’ (x, Ø)]. This structure is crucial for distinguishing active from non-active accomplishment movement verbs. In terms of semantic features, this part provides these verbs with an additional feature that Van Valin and LaPolla (1997, p. 95) add to distinguish activities from achievements and accomplishments: dynamicity. Thus, activities are [+dynamic], while the other two are [-dynamic]. This feature turns out to be essential for the 11 The further subgroups into which they can be divided are: a. guide, lead, conduct, escort, accompany, show, usher, direct, draw, tow; b. carry, bear, transport, ship, despatch/dispatch; c. bring, fetch, deliver, take; d. propel. For a deeper analysis to each of them see Ibáñez Moreno & Ortigosa Pastor (2004) and Ibáñez Moreno (2005). 84 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 distinction between active and non-active accomplishment movement verbs, as is shown below: (14) a. Causative Accomplishment [+induced], [-static], [+telic],[punctual] [-dynamic] Mary painted the walls green b. Causative Activity [+induced], [-static], [-telic],[punctual] [+dynamic] Æ Mary exercised her students around the tennis court c. Causative Active [+induced], [-static], [+telic], Accomplishment: [-punctual], [+dynamic] Mary drove the dog to the park As can be observed, if we only take into account the three basic features present in (1) we cannot distinguish active from (non-active) causative accomplishments. This feature provides active accomplishment movement verbs with the ability to co-occur with prepositional phrases that do not involve a goal, that is, that do not encode an endpoint, but that refer to the time that lies between the beginning and the end of the action encoded by the verb: PATH prepositional phrases. The novelty of this work, with respect to Van Van and LaPolla (1997), is double: first, I add the quality of codifying such a transitional period of time to this dynamic feature. For Van Valin and LaPolla (1997), the fact that a verb is [+dynamic] simply implies that it can coocur with adverbs such as actively or vigorously. These adverbs modify the action predicated by the verb, but do not refer to the middle of the bounded action or process. However, the fact that active accomplishments are dynamic also implies such a quality - that is, they encode the middle of the action or process - and hence it has to be represented in the logical structure of such verbs. Note that the fact that this quality is realised through PATH prepositional phrases demonstrates the importance of locative expressions for the analysis of the logical structure of movement verbs. Second, by admitting this feature for active accomplishment verbs I go a step further than Van Valin and LaPolla (1997), who only recognise it as a property of activity verbs. However, the logical structure as a whole, as presented in (13), brings about some problems that need to be solved: in the first place, there is no specification of the type of action carried out. In the second place, it must be observed that the predicate [go’(z)] has been used after (do’) to further represent the fact that these verbs carry the [+dynamic] feature. With such logical structure, one cannot extract any differences from any of the verbs in (12). This means that this logical structure is incomplete. Thus, in order to specify the type of action encoded by each verb, a logical structure as the following should be used: (15) DO (x, [do’ (x, [guide’ (x, z)])) Here, the predicate (go’) has been substituted by a more specific one: (guide’). This logical representation is more specific, since it is only applied to the verb guide. However, as can be seen, this logical structure is not complete enough, since guide is not a primitive verb. Unfortunately, Role and Reference Grammar does not provide 85 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 the lexical decomposition of all verbs, but it constitutes an excellent starting point to develop it. This has been followed by the Lexico-Grammar Model, but it is still in an evolving process. For my purposes a representation as the one above is enough, although just as an example in (16) I conjecture about the lexical primitives of the verb just mentioned, guide, in order for the reader to see more clearly how these verbs fit into my proposed formula: (16) DO (x, [do’ (x, [go.with’ (x, z)]) CAUSE [do’(z,[go’(z)]) & BECOME be-at’ (y, z)]) Nonetheless, further studies on this issue may contribute to enriching the common logical structure given in (15) and to improving the one given in (16) as a proposal. 2.2. Causative accomplishment movement verbs Causative accomplishment verbs are the result of a process of change. Additionally, they are telic. The only feature that distinguishes them from active accomplishments is dynamicity, as seen in (14). However, this small difference is the origin of big differences between them. Again, such differences become apparent in the clause through locative prepositional phrases. As in the case of active accomplishments, we may suppose that if the GOAL prepositional phrase is not specified the verb cannot be considered an accomplishment verb. However, the difference lies precisely in that this is not the case: even if no prepositional phrase is realised in the clause, these verbs are invariably accomplishments. This fact is shown in (17): (17) a. John guided Mary to the house (GOAL prepositional phrase) [causative active accomplishment verb] b. John guided the tourists (no GOAL prepositional phrase) [causative active verb] c. John placed the book on the table (GOAL prepositional phrase) [causative accomplishment verb] d. ?? John placed the book (no GOAL prepositional phrase) [causative accomplishment verb]12 In (17.a) and (17.b) we have the verb guide, which functions as an active accomplishment verb when it co-occurs with a GOAL prepositional phrase (17.a) and adopts a different Aktionsart when it does not (17.b). On the other hand we have place, which always functions as a causative accomplishment verb. However, note the question marks in (17.d), indicating that although this sentence is not grammatically wrong, it is odd. This is because (non-active) accomplishment movement verbs do not allow for alternations as the activity-active accomplishment 12 Please note that the two question marks are used to show that the sentence is not grammatically nor semantically fully correct. 86 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 alternation that concerns active verbs, and they are prototypically realised with their locative prepositional phrases functioning as argument-adjuncts. As a result, their logical structure is always the same, so when no argumentadjunct is overtly specified a slot should be left empty to show that there may be some location there. Their logical structure has already been given in (6), and it is repeated below: (18) [do’ (x, Ø)] CAUSE [BECOME be-LOC’ (z, y)] In the semantic field of movement, these are the only verbs accounted for in Van Valin and LaPolla (1997) because they are more frequent. In fact, these authors (1997:102) state that in case of doubt, a verb will more likely be an accomplishment than an active accomplishment: “Causative accomplishments are derived from a state predicate, whereas causative active accomplishments are derived from an activity predicate. […] It should also be noted that causative accomplishments are much more common than causative active accomplishments, and therefore in unclear cases it is more likely that the verb would be a causative accomplishment rather than a causative active accomplishment.” Nonetheless, movement verbs are very clearly differentiated. The following verbs constitute the group under study in this subsection, that is, causative accomplishment movement verbs: (19) Fit, fix, install, place, space, clap, locate, situate, site, position, station, stick, remove, wrench, extract, withdraw, eject, bar, jam, seal, stuff (in the sense of ‘put into’), scatter, sprinkle, cast, chuck, toss. Contrary to active accomplishment verbs, they are not derived from an active verb, but from a state verb. Note that this does not mean that they are [+static]. In order to show this clearly, let us look at the following example: (20) a. The glass is on the cupboard a’. John has placed the glass on the table b. The tourists walked in the park b’. John guided the tourists to the park [+static] [-static] [-static] [-static] Clauses (20.a) and (20.b) are non causative versions of (20.a’) and (20.b’) respectively. As can be observed, the clause in (20.a’) has a causative accomplishment movement verb, place, and in order for the situation presented in it to take place there must have been a previous situation such as the one presented by the clause in (20.a), which contains a state verb, be. The fact that causative accomplishments derive from state verbs determines their logical structure and the kind of prepositional phrases they admit. In this case, they are characterized as causative accomplishment verbs because they do not admit any other directional or locational prepositional phrase apart from the GOAL prepositional phrase, which functions as an argument-adjunct. Hence, although they are [-punctual], which 87 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 implies that they last in time, their scope of reference only accounts for the last part of the process of change of location. Consequently, they can not admit PATH prepositional phrases, which express the transition from one point to another. These accomplishment verbs express that the action is finished and that the affected argument of the action has been located in a certain place. They focus on this terminal point. This explains why Lindstromberg (1997) calls them endpoint verbs. According to this codification of states of affairs, accomplishments lie in between active accomplishments and achievements: (21) a. Active Accomplishment b. Accomplishment c. Achievement [-punctual], [+dynamic] [-punctual], [-dynamic] [+punctual], [-dynamic] As comes out from this figure, an example of an achievement would be explode, which evokes a punctual event that codifies an internal change on the part of the argument(s). For example, in The bomb exploded, the event accounted for by the verb takes place at a precise moment and the argument the bomb undergoes a sudden change but, what is more important, the verb does not codify such change. For this, we cannot say The bomb exploded along the meeting. This codification takes place in active accomplishments, where verbs such as carry encode all the process of movement from the original setting to the goal. Thus, in Mary carried the bags all the way along the path to the house we can include the phrases all the way and along the path precisely because carry is [+dynamic] and allows for the linguistic representation of this process. Note the difference with an accomplishment such as Mary placed the bag on the chair. We can not include a phrase such as all the way through in it: *Mary placed the bag all the way through on the chair. Another example of an accomplishment verb would be arrive. Arrive, in John arrived at the station late, codifies the precise moment in which John is at the station, and therefore, it does not refer to the entire process that John has undergone to get to the goal. Thus, arrive is [-dynamic]. However, it is not [+punctual] since the event of arriving at a place does not take place in a sudden way. It is extended in time, although the verb only codifies the last part of that process. That is why we can say The train is arriving. The reason for this is that this verb is not [+dynamic]. In my opinion, neither of these two features alone can explain the Aktionsart of (non-active) accomplishment movement verbs, that is, the fact that they do invoke the state of affairs at the endpoint, despite being [-punctual]. It is the interrelation between not being punctual and at the same time not being dynamic (which accounts, as I have stated above, for the fact that a verb codifies the internal process of change) that explains this. Thus, (non-active) accomplishment movement verbs refer to an extended process of change but only encode the result of this process. Of course, there are other types of causative (active) accomplishments besides movement ones. Movement verbs are just one subgroup of verbs that refer to a specific semantic field, that is, motion. Some examples of other causative accomplishments are transform, as in Mary transformed that piece of ice into a beautiful statue; freeze, as in John froze the bread; or corrupt, as in Power has corrupted the president. In all cases, we have the same structure: we have an ACTOR (Mary, John, Power) that causes an UNDERGOER (that piece of ice, the bread, the 88 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 president) to change (BECOME a statue, BECOME frozen, BECOME corrupted). The fact that I analyze only movement verbs is due to the need to limit the field of analysis so as to get higher accuracy in the description and explanation of data. It is also due to the idea that movement is a universal event that may not be always be codified in the same way in different languages. Therefore, a meta-linguistic and cross-linguistic analysis of how different languages encode movement seems necessary in order to ensure the validity of the semantic representations being used here, as well as of the accuracy and naturalness of the languages analyzed. 3. Causative movement verbs in Unish: a role and reference grammar analysis So far, I have presented the hypothesis that causative movement verbs are divided into two different groups. I have also suggested that their logical structure must always include an argument-adjunct that refers to the location where the action finishes. In this section, then, I re-analyse some of the examples I have provided with the novelty that I compare them to Unish. This analysis shows that this artificial language is correctly adapted to language structure and use and that it constitutes a step further in human communication. Going further, the purpose of this comparative study is to provide evidence that the system of semantic analysis and representation used by functional theories - in this case, more specifically, by Role and Reference Grammar - can be applied to all languages and that it constitutes a highly applicable tool in the development of artificial languages. In fact, the typology of verbs put forward by Van Valin and LaPolla (1997) is said to have universal validity. Actually, examples are provided for more than one hundred languages. Among them, we find French, Spanish, Icelandic, Barai, Yagua, Georgian, Basque, Russian, Hausa, Japanese, Piraha, Mandarin, Italian, Lakhota, Tepehua, Qiang, etc. Accordingly, verbs in Unish should also admit such classification in order to fulfil the requirements of human natural languages. My aim is also to show that by investigating artificial languages we can gather further and more useful evidence for the internal processes that underlie linguistic use. At the same time, Role and Reference Grammar should be a complete tool that allows the identification and systematisation of these processes, and that contributes to the further elaboration of Unish. Unish is an international auxiliary language of very recent creation (2000). It is based on 16 different languages: Arabic, Chinese, English, Esperanto, French, German, Greek, Hindi, Italian, Japanese, Korean, Latin, Malay, Portuguese, Russian, and Spanish. Since it is still under construction, at the moment it is composed of about 10,000 words. It adopts English word order as a general rule, with the difference that interrogative and imperative sentences do not vary in word order. It is only the intonation that changes in the case of spoken Unish. If it is written, a question mark or an exclamation mark will be added at the end and at the beginning of the sentence. Unish constitutes, then, an attempt to simplify language so that it can be easily acquired and communicated.13 This is related to the fact that it is an analytic 13 This statement implies that there are languages that are easier to learn than others. I must point out, then, that this is just my personal opinion based on certain epistemological beliefs about the nature of language. For an analysis of language learners’ beliefs and how they 89 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 language with no exceptional rules. In the case of lexical items, they are created according to frequency of use. The word that is dominant, among the 16 languages that are surveyed, is borrowed. In many cases, it undergoes phonological and graphemic changes, in such a way that the created word is simpler and more faithful to the distinction between form and pronunciation. Thus, the English word house becomes haus, since this latter item is more representative of how house is pronounced in English: /haus/. Due to this method, most words in Unish have been adopted from Present Day English, since English is, as we know, one of the primary spoken languages in the world and the most widely used as a first or as a second language. Other international auxiliary languages are Esperanto, Ido or Interlingua, of which the most widespread and commonly known in Esperanto. All international auxiliary languages try to accomplish the same goal: to serve as a common language to different speaking communities and be used at institutional and educational levels. That is, they are intended to comply with the requirement of being a tool to transmit knowledge and information, respecting the cultural richness of other natural languages and the other functions of natural languages, such as producing literary works - that is, art through language, beauty - or thought. In a nutshell, they are “languages for practical purposes” (Gobbo, 2005, p. 7) Each of these languages has its supporters and its opponents. Gobbo (2005, p. 9) is one of the supporters of Esperanto: “Structural analysis will reveal how many European citizens may find the candidate language familiar without studying it due to its phonology, writing system and lexicon and after non-intensive study because of its morphology and syntax.” Esperanto is aimed, then, at being a language of the European Union, according to this author, although it may also be spread all over the world. In any case, what is important is that all of them have been created deliberately by man, and as such, they lack the irregularities that natural languages have. Thus, an artificial language has a phonetic alphabet (which means that words are pronounced as they are written), contrarily to English, which was originally phonetic but which underwent a shift in the XVIth century. Besides, English has many vowels (at least 12), which in an auxiliary language are reduced to a maximum of five (Jung 2004: 35). Also, natural languages are full of syntactic and morphological irregularities which are avoided in artificial languages. For instance, verbs in English can either be regular or irregular, and depending on this they are conjugated in one way or another. As regards syntax, there are lots of “illogical” - but diachronically explicable - rules that have to be followed, such as the use of got in I have got two cars or the use of the Saxon Genitive in order to express possession. In this sense, all international auxiliary languages are simple, regular and neutral. Nevertheless, there are no important differences between the English and Unish with respect to their internal logical structure. Some of the differences and similarities are analysed here. First of all, let as compare the sentence given in (22.a) to its correspondent one in Unish: influence second language learning, see Horwitz (1988) and Mori (1999). Nonetheless, not everybody agrees with this. 90 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (22) a. Mary fixed the switch on the garden wall [do’ (Mary, Ø)] CAUSE [BECOME be-on’ (garden wall, switch)] b. Mary fixed switch um garden mur [do’ (Mary, Ø)] CAUSE [BECOME be-um’ (garden mur, switch)] As can be observed in (22), the same logical structure can be applied to Unish and to English. Only the terms vary. This is a proof of the adequacy of Unish to the internal requirements of a language. Even more, if we pay attention to (22.b), we can see that the system of semantic representation used for such logical structure is more faithful to Unish than to English. This is because in Role and Reference Grammar, articles are not represented in semantic logical structures, and in Unish articles are not used. This elision of articles seems to be coherent with internal mechanisms of the linguistic construction of meaning. Articles are functional words that perform a number of auxiliary functions in the building of meaning of the sentence as a whole. Nouns, Adjectives, Adverbs and Verbs are content words, and they are thus basic in the transmission of meaning. Going further, Nouns and Verbs are present in all languages, while Adjectives and Adverbs are not typologically universal. Then, as long as an artificial language contains verbs and nouns it can be considered to be complete. The omission of articles in Unish also shows that this language is basically a scientifically objective instrument of communication which gets rid of those elements of languages that are not essential for this aim. That is, articles are mainly functional words, and although they are present in many uses of language, with regards to communication alone they are not strictly necessary. This means that Unish is an auxiliary linguistic system devised to be mainly used for communication purposes. A fact that proves this is that it is not possible to distinguish a reference to an already known entity from one that is firstly introduced into discourse. In the first case we would use the definite article the in English, and in the second case we would use the indefinite article a/an. In Unish, since articles are not used, this distinction is not produced. This may be explained by the fact that such functions of language are not primary or basic and so are not essential for the transmission of information. Evidence for this is that the distinction of the definite and the indefinite articles is not universal. In fact, the Chinese language does not have functional equivalents of the English definite and indefinite article. This poses problems for Chinese learners of English, who usually omit the article where native speakers of English would use one. Moreover, the fact that a referent is already known or not to the addressee(s) can actually be easily deduced from the context, as already noted in the Unish grammar which is available online at http://.www.unish.org/STATIC/english/gram_detail.html. Thus, there is no need to have another device that carries out the same function. Redundancy is avoided. An example of this is provided in the above web site, and it is repeated it below: (23) Albert has a dog. The dog barked last night. Albert hav dog. Dog barked last nait. With respect to the use of personal pronouns in causative constructions of movement, there is a formal difference between English and Unish: in Unish, object 91 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 pronouns have the same form as subject pronouns. Only the function of such pronouns in the clause changes. Thus, word order is essential for the identification of clausal constituents. This means that Unish is an analytic language, as opposed to synthetic languages such as Spanish, where the word function is given through inflections, and therefore word order does not need to be so strict. As an example of this, see (24) below: (24) a. John guided us to his new house. a’. John guided des tu le's neu haus. b. We guided John to his new house. b’. Des guided John tu le’s new haus. This proves to be highly economic, since it reduces the number of words to be learned an also the forms these words take. Again, word order and the context is essential for a correct understanding of the word. Apart from this, it must be noted that the causative active accomplishment movement verb guide possesses the same meaning and the same argument structure in both languages. That is, its logical structure is the same. In fact, if we elide the object pronoun, the clause is incorrect in both of them, as can be observed in (25): (25) a. * John guided to his new house b. *John guided tu le's neu haus With regards to the clause in (25.b), we know that it is ungrammatical even if there are not native speakers of the language because in order to assess its grammaticality we apply the rules that have been elaborated in order to construct Unish. Artificial languages in general cannot be evaluated through native speaker intuitions, as natural languages can. The only way to test their accuracy is to see whether they fit the rules that have been designed for them and to compare their internal semantic and syntactic structures to the internal structures of natural languages. This is what I do in this study. Thus, with respect to (25), the reason for these clauses being incorrect is that in the logical structure of guide, as well as all the verbs under study, we have, as I have shown above, three arguments: an AGENT, a THEME, and a LOCATION (GOAL). The THEME is the entity that undergoes the action carried out by the AGENT. It is equivalent to what has traditionally been called object. Thus, us in (24.a) and des in (24.b) are the THEME, so they are essential for the logical structure of the verb. This phenomenon has an important implication for the creation process of Unish. In Unish, the word guide has been borrowed, together with its meaning. This, consequently, implies that also the logical structure of guide has been adopted. Therefore, there are three elements to take into account in the borrowing of a lexical item: its form, its meaning, and its logical structure. In this sense, it would be possible, for instance, to borrow the form of a word without borrowing its content, i.e. its meaning. This shows that the different existing processes in the creation of words are universal, and that they are the same as the ones used in the creation of artificial languages. In the case of Unish, such a language follows a basic rule of simplicity, so that the three elements - form, content, and logical structure - are adopted simultaneously from the pertinent dominant language, which is, as already mentioned, the language that is most 92 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 frequently used in order to represent a certain item out of all the languages from which vocabulary is borrowed. To finish up this section, I focus on Unish vocabulary. If we pay attention to the range of causative accomplishment movement verbs available in English, which totals 48 as extracted from the Lexicon of Contemporary English (1985), we can observe that most of them have already been accounted for in Unish. They have been adopted either from English itself, which is the most frequent case, such as guide or lead, or from another language, such as dirig. Below we have the verbs in English and their correspondent ones in Unish. A verb that is not yet in Unish is indicated by two question marks: (26)Causative active accomplishment verbs of motion: Guide-guide, lead-lead, conduct-kondot, escort-eskort, accompany-akompani, show-sho, direct-dirig, draw-dro, tow-taun, usher-??, carry-kari, bear-forber, bring-bring, fetch-fech, transport-transport, deliver-deliver, ship-leadit, dispatch-dispach, despatch-??, take-teik, propel-??. Causative (non-active) accomplishment verbs of motion: Fit-fit, fixfix, install-instal, place-plas, space-spas, clap-klap, locate-loki, situate-??, site-sito, position-poz, station-staso, stick-stik, remove-remuv, wrench-rench, extract-estrat, withdraw-widro, eject-ejet, bar-bar, jam-jam, seal-selo, stuff??, scatter??, sprinkle-??, cast-gips, chuck-chuk, toss-?? As can be seen, most of the verbs that do not have an equivalent in Unish are of low frequency of use. One reason for this incompleteness is that this language is still under construction. Another reason may be that such verbs are not of primary importance for a language, since they have many synonyms which are more frequently used and that can perform the same function. That is, there is not a clear need for creating more terms in order to cover a meaning which has is already been acknowledged. For instance, dispatch and despatch are explained by a free variation in spelling in English. In Unish, these two variants are unified into the most frequent one: dispatch, which is the only one that has an equivalent verb, dispach. As regards the verbs that have a counterpart in Unish, it can be seen that most of them have been adopted from English, with some graphemic changes so as to make them more loyal to their phonological features, as in akompani for accompany, or teik for take. There are, nonetheless, exceptions, such as leadit for ship, or gips for cast. At that point, however, it would be necessary to unify the range of correspondences between one language and the other. The problem is, therefore, that if one looks up the verb despatch in Unish, no equivalent verb is obtained. The correct way to get a satisfactory system of equivalences must not be based on creating a new term that is equivalent to despatch, since the meaning of this verb is already covered by another term, dispach, adopted from dispatch. Such processes would go against the rule of simplicity, followed in the construction of Unish. The solution would be to implement the same equivalent term for despatch in the computerised database, i.e. dispach. Thus, the term despach in Unish could be translated as both dispatch and despatch. This would provide Unish with an economic range of vocabulary that follows the principle of non-synonymy. That is, in Unish just one 93 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 term exists for one meaning, independently of how many terms exist in other languages to cover that same meaning. Again, this grants such language with a scientific status, free of ambiguities, so that it can be used as an instrument to communicate information objectively, and, above all, with a high degree of economy. In a nutshell, Unish, as it is currently devised, is an artificial language aimed at fulfilling one specific function of natural languages: communication of information. That is, this language lacks other devices that are used to achieve other aims, such as thinking or creating art through language. Unish has not been created to be used for literary aims. It is just an auxiliary system of communication that could be internationally applied in order to satisfy specific communicative needs. Conclusion In this paper I have demonstrated that causative accomplishment movement verbs are of two different Aktionsart types, and that, consequently, they respond to two different logical structures. Going further, I have shown how this is directly reflected in the types of prepositional phrases they take, which assume different semantic and syntactic functions. In this sense, the GOAL thematic relation is expressed differently in causative active accomplishment movement verbs than in causative accomplishment movement verbs. Active accomplishments can admit multiple directional or locational prepositional phrases, and accomplishments only admit one, which can either be a SOURCE or a GOAL prepositional phrase, but never a PATH prepositional phrase, which encodes the process of extended duration in space and/or time. Additionally, causative active accomplishment movement verbs have a [+dynamic] feature which is not present in causative non-active accomplishment movement verbs, and it is this feature which influences the verbal logical structure as a whole. The result of the action or of the process is the same, which is obtained from their accomplishment Aktionsart. However, the preposition to (and related ones: into, onto…) as a GOAL for active accomplishment verbs shows that there is a PATH role to undergo first, either if it is explicitly realised in the clause as a PATH prepositional phrase or not. All this should be reflected in the logical structure. I have made a proposal in this line in subsection 2.1. Furthermore, I have proved that causative accomplishment movement verbs in Unish possess the same logical structure as those in English, and that they respond to the same grammatical and semantic phenomena. Moreover, clausal constructions in Unish are nearer to their semantic representation in the sense that articles are elided and that pronouns always have the same form, independently of their function. Only their position in the clause changes. In the same way, articles are omitted in logical structure and content words are used in their bare form, i.e. without any inflectional morpheme. Additionally, the place they occupy in logical structure is what determines their role in the clause, and more importantly, with respect to the verbal predicate. Thus, the position of the first term is filled by the AGENT, the one of the second term by the LOCATION, and the one of the third by the THEME, as seen in Mary (AG) fixed switch (TH) um garden mur (LOC). Word order is therefore of 94 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 primary importance. This shows that Unish follows the principle of simplicity, which contributes to its status as an auxiliary language. SOURCE and GOAL are similar in terms of argument-adjuncts - though verbs which take a SOURCE prepositional phrase as an argument are less frequent -, because a location is specified. The PATH role cannot be represented as an argumentadjunct because, according to the logical structure of both kinds of induced motion verbs, a resulting location should be specified. A PATH role does not carry the telicity feature needed in this case. The case with SOURCE is different: it codes a state of affairs in which an object has been displaced from its original location, and so a new situation has begun, leaving the old one behind. For this process to take place, that old situation must have had an ending. Accomplishment movement verbs which take a SOURCE prepositional phrase as a general rule instead of a GOAL prepositional phrase are given in (27), together with their corresponding logical structure14: (27) Remove, wrench, extract, withdraw, eject [do’ (x, Ø) CAUSE [BECOME NOT be-LOC’ (y, z)] With respect to each of these Aktionsart types in semantic representation, we have seen that the Role and Reference Grammar typology constitutes a useful tool to codify states of affairs universally, although it shows some insufficiencies in order to represent some variables, especially in the case of causative active accomplishment movement verbs. For this, I have proposed a new logical structure and added some additional features to explain them. Nonetheless, further proposals that contribute to complete them would be welcome. References Bache, C. 1997. The Study of Aspect, Tense and Action. Frankfurt and Main, Peter Lang. Bennett, David. C.1975. Spatial and Temporal Uses of English Prepositions: an Essay in Stratificational Semantics. London, Longman. Dik, S. 1978. Functional Grammar. Dordrecht, Foris. Dowty, D. 1979. Word Meaning and Montague Grammar. Dordrecht, Reidel. Faber, P. & Mairal, R. 1999. Constructing a Lexicon of English Verbs. Berlin, Mouton de Gruyter. Gobbo, F. 2005. « The European Union’s need for an international auxiliary language ». Journal of Universal Language, no. 6, pp. 1-28. 14 These verbs have not been fully developed. For a better understanding of their logical structure and mode of action, see Ibáñez Moreno and Ortigosa Pastor (2004). 95 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Grimshaw, J. 1994. Argument Structure. Cambridge (Mass), MIT Press. Gropen et al.1991. « Affectedness and direct objects: the role of lexical semantics in the acquisition of verb argument structure ». In B. Levin and S. Pinker (éd.), Lexical and Conceptual semantics. Oxford, Blackwell. pp. 153-195. Horwitz, Elaine K. 1988. « The beliefs about language learning of beginning university foreign language students ». Modern Language Journal 72, no. 3, pp. 283-294. Ibáñez Moreno, A. & Ortigosa Pastor, A. 2004. « A semantic typology of causative accomplishment movement verbs and their argument-adjuncts in Role Reference Grammar ». Atlantis, vol. 26, no. 2, pp. 35-50. Ibáñez Moreno, A. 2005. « A semantic analysis of causative accomplishment verbs of movement ». SKY Journal of Linguistics, no. 18, pp. 175-196. Jolly, J. 1991. 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La réalisation d’une unité dans la diversité au sein d’une Union européenne composée de 25 États membres, requiert l’apparition d’un sentiment partagé d’appartenance à cette « maison commune » qu’est l’Europe, cette citoyenneté supranationale nécessitant une gestion des langues amenant, en premier lieu, à l’intercompréhension entre des individus participant à cette nouvelle communauté et, en second lieu, à la garantie pour chacun du respect de ses spécificités linguistiques et culturelles. Cette connaissance mutuelle des langues et des cultures passe par un apprentissage diversifié des langues qui soit partagé par l’ensemble des citoyens européens. Il s’agit de considérer, en partant des situations propres à chaque État membre, selon quels principes et méthodes l’Europe politique prévoit établir un pont entre la diversité linguistique qui la caractérise et un enseignement pluriel des langues, et ce, afin d’éclaircir la faisabilité et la pertinence de ce processus. Abstract Sociolinguistics can be applied for the description and the analysis of linguistic policies. The issue about the political management of languages is directly linked to the process of a European construction. Carrying out a unity in diversity within European Union (composed of 25 states) requires the appearance of a shared awareness, the awareness of belonging to the same community – Europe. Therefore, this supra national citizenship requires the management of languages, i.e. (1) the mutual understanding between the individuals that take part in the new community and (2) the guarantee that the linguistic and cultural specificities of each community may be respected. The mutual knowledge of languages and cultures implies a diversified learning of languages, which may be shared by all European citizens. Therefore, starting from the specific situations of each member state, political Europe may draw up the principles and the methods that have been used to establish a link between linguistic diversity – which defines Europe – and the plural teaching of languages, hence to clear up the feasability and the relevance of this process. RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction Cet article se situe dans une perspective sociolinguistique, et plus précisément dans l’un de ses domaines d’application qu’est la description et l’analyse des politiques linguistiques. Sachant que la sociolinguistique s’intéresse aux rapports existants entre variables linguistiques et variables sociales, la politologie linguistique porte sur l’ensemble des choix conscients qui sont réalisés par un groupe d’individus dans le domaine des rapports entre langue et vie sociale (Calvet, 1997). Ces choix peuvent concerner le corpus de la langue (imposition de nouvelles terminologies, réformes orthographiques) ou le statut de la langue (officialisation d’une langue, d’une situation de bilinguisme, gestion des relations entre plusieurs langues présentes au sein d’un même territoire). La question relative à la gestion politique des langues concerne directement le processus de construction européenne. En effet, nous sommes face, d’une part, à 25 États qui disposent dans leur ensemble, d’après la Commission européenne (Eurydice, 2005), d’environ 60 langues pratiquées par des groupes de plus ou moins grande importance. Nous sommes confrontés, d’autre part, à la construction d’une Union européenne qui a pour finalité d’élaborer une cohésion dans le cadre même de cette hétérogénéité. L’Europe politique1 se constitue sur des bases uniques : elle n’est ni une fédération, à l’instar des États-Unis, ni une organisation de coopération entre les gouvernements, sur le modèle des Nations Unies. Les pays qui constituent l’Union européenne, ses États membres, exercent leur souveraineté en commun pour acquérir, au niveau international, une puissance et une influence auxquelles nul d’entre eux, isolément, ne pourrait prétendre. Le partage de la souveraineté signifie, en pratique, que les États membres acceptent de déléguer une partie de leur pouvoir décisionnel aux institutions communes qu’ils ont mises en place. Cette Union dispose en elle-même de 20 langues officielles, 21 en 2007 avec l’officialisation de l’irlandais, et bientôt 23 avec celle du roumain et du bulgare. La réalisation d’une unité dans la diversité2 requiert l’apparition d’un sentiment partagé d’appartenance à cette maison commune qu’est l’Europe, et ce sentiment supranational nécessite une gestion des langues amenant, en premier lieu, à l’intercompréhension entre des individus participant à cette nouvelle communauté et, en second lieu, à la garantie pour chacun du respect de ses spécificités linguistiques et culturelles. Cette connaissance mutuelle des langues et des cultures passe par un apprentissage des langues et cultures qui soit partagé par l’ensemble des citoyens européens. Les institutions européennes3 réfléchissent donc à la mise en œuvre d’une politique linguistique éducative qui puisse être opérationnelle au sein des différentes composantes de l’Union. Il s’agit de considérer de quelle manière l’Europe pourrait établir un pont entre la diversité linguistique qui la caractérise et un enseignement pluriel des langues, en élaborant une politique linguistique éducative partagée par 1 Nous parlerons d’Europe politique par opposition à l’Europe géographique, celle-ci s’étendant, à l’est, jusqu’à l’Oural. 2 L’unité dans la diversité constitue la devise de l’Union européenne. 3 Les institutions européennes reposent sur un triangle institutionnel : le Parlement européen représente les citoyens européens, le Conseil de l’Union européenne représente les états membres, tandis que la Commission européenne a pour finalité de défendre les intérêts de l’Union dans son ensemble. 99 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 l’ensemble des différents États membres, sachant qu’une politique linguistique éducative correspond à la composante particulière d’une politique linguistique dont le domaine d’application concerne spécifiquement l’enseignement des langues. Parmi l’ensemble des choix conscients réalisés dans le cadre d’une politique de la langue, une politique linguistique éducative se limite à ceux traitant exclusivement de l’enseignement et de l’apprentissage des langues. En partant des situations propres à chaque État membre de l’Union européenne, du point de vue de la gestion politique des langues et de leur enseignement scolaire des langues, nous nous pencherons sur les principes et les méthodes proposées par les institutions européennes relativement à une démarche d’homogénéisation des politiques ayant trait à l’enseignement des langues, et ce, afin d’éclaircir la faisabilité et la pertinence de ce processus. Les documents de travail utilisés dans le cadre de cet article sont les suivants : Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (2000) du Comité de l’Education « Apprentissage des langues et citoyenneté européenne » du Conseil de la Coopération Culturelle ; le Guide pour l’Élaboration des Politiques Linguistiques Éducatives en Europe (2003) édité par la Division des Politiques Linguistiques du Conseil de l’Europe ; une première Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité Économique et Social et au Comité des Régions s’intitulant : Promouvoir l’apprentissage des langues et la diversité linguistique : un plan d’action 2004-2006 (juillet 2003) qui constitue un document dont la paternité revient à la Commission des Communautés Européennes ; une seconde Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen, au Comité Économique et Social et au Comité des Régions s’intitulant : Un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme (novembre 2005)4. 1. Gestion et enseignement des langues dans les États membres de l’Union européenne Le tableau que nous proposons tend à présenter la gestion des langues des différents États membres de l’Union européenne en se basant, d’une part, sur le type de politique linguistique mise en place par les États et, d’autre part, sur les modalités d’enseignement des langues définies par ceux-ci. 4 Ces différents documents, lorsqu’ils seront cités dans le cours du texte, recevront respectivement les abréviations suivantes : le CECRL (2000), le Guide (2003), la Communication I (2003) et la Communication II (2005). 100 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Tableau 1. Répartition des États membres de l’Union européenne selon le type de politique linguistique et le type de politique linguistique éducative Mesures et actions en faveur des langues minoritaires Æ ratification de la CELROM Enseignement obligatoire d’une ou plusieurs langue(s) étrangère(s) à partir du cycle préprimaire (3-6 ans) Enseignement obligatoire d’une ou plusieurs langue(s) langue(s) étrangères à partir du cycle primaire (6-11 ans) Enseignement obligatoire d’une ou plusieurs langue(s) étrangère(s) au cours du cycle secondaire 1 langue officielle de facto Danemark Hongrie Suède Angleterre République tchè que (1) Danemark (1) Hongrie (1) Suède (1) République tchè que (2) Danemark (2) Hongrie (2) Suède (2) Angleterre (1) 1 langue officielle de jure Slovaquie Estonie (2) Grèce (1) Lettonie (1) Lituanie (1) Pologne (1) Portugal (1) France* (1) Estonie (2) Grèce (2) France (2) Lettonie (2) Lituanie (2) Pologne (2) Portugal (2) Slovaquie (2) Chypre (1) Chypre (2) Malte (1) Belgique (1) Luxembourg (2) Belgique (1) Luxembourg (3) Allemagne* (1) Finlande (1) Italie (1) Autriche* (1) Slovénie (1) Pays-Bas (1) Espagne (1) Allemagne (1) Finlande (2) Espagne (1) Italie (1) Pays-Bas (3) Autriche (2) Slovénie (2) Enseignement facultatif de la langue étrangère (tout cycles confondus) Irlande 2 langues officielles de facto 2 langues officielles de jure 3 langues officielles Langue(s) officielle(s) d’État + langue(s) minoritaire(s) à statut officiel Malte (1) Luxembourg Slovénie Autriche Finlande Allemagne Pays-Bas Espagne Espagne* (1) Pays-Bas (1) 1.1. Diversité relative aux types de politiques linguistiques mises en place au niveau européen par les différents États membres Au vu de ce tableau synthétisant les différentes données concernant la gestion politique des langues dans les différentes composantes de l’Union européenne, on note une certaine diversité quant aux solutions choisies par les différents acteurs européens. L’opposition qui est proposée entre officialisation de facto et officialisation de jure met en exergue le fait que tous les membres de l’Union européenne n’ont pas défini de politiques linguistiques au sens strict du terme. L’officialisation de facto équivaut à une gestion in vivo de la situation linguistique du 101 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 territoire concerné (Calvet, 1993a) : le choix de la langue nationale est engendré par la pratique même des locuteurs, et non par des décisions de type bureaucratique. Généralement, la solution qui est apportée aux difficultés concernant la gestion de la pluralité linguistique par le biais de l’absence d’interventionnisme linguistique profite aux États dont le paysage linguistique est relativement homogène. Au Danemark, pour ne citer que lui, on rencontre 98 % de locuteurs dont le danois est la langue première, les 2 % restant l’ayant comme langue seconde. Cinq États membres de l’Union européenne ont opté pour le non-interventionnisme linguistique (cf. tableau 1). Par ailleurs, pour reprendre l’opposition entre officialisation de facto et officialisation de jure, on constate que la majorité des États membres privilégie la définition d’une politique linguistique à dominante monolingue5 se concrétisant en partie par l’officialisation d’une langue unique, ce statut de la langue étant enregistré dans les textes de loi des États concernés. Au niveau européen, 9 États membres disposent d’une politique linguistique monolingue (cf. tableau 1). Enfin, le troisième et dernier type de politique linguistique que l’on peut rencontrer au sein de l’Union renvoie à la mise en place de politiques linguistiques à dominante plurilingue. Ce modèle de gestion politique des langues peut se réaliser selon deux formes. D’une part, il peut s’agir d’officialiser deux ou plus de deux langues, et ce, au niveau national. En d’autres termes, l’officialisation plurilingue concerne le territoire dans son entier. D’autre part, il peut s’agir d’officialiser une langue au niveau national et d’instaurer une co-officialité relative à des langues régionales ou minoritaires au niveau infranational. Le statut officiel des langues autres que la langue officialisée au niveau national ne concerne qu’une partie limitée du territoire. Les États privilégiant la première de ces deux options sont minoritaires : seuls 4 États disposent de plusieurs langues officielles au niveau national. Par contre, les composantes politiques européennes ayant préféré une pluri-officialisation linguistique de niveaux différents (national et infranational) sont plus nombreuses : à l’échelle européenne, 7 États se placent dans cette situation. Au-delà de cette diversité, trois grandes tendances se dégagent. En premier lieu, on voit apparaître une nette tendance à l’interventionnisme linguistique, ce dernier se traduisant majoritairement par l’instauration d’une langue unique, au niveau national ou infranational. En effet, on peut parler, dans certains États comme la Belgique ou la Finlande, et ce, malgré une politique linguistique officiellement plurilingue, de plurimonolinguisme : si plusieurs langues cohabitent officiellement au niveau national (allemand, néerlandais et français dans le premier cas ; finnois et suédois dans le second cas), on note au niveau local une situation majoritaire de monolinguisme6. Enfin, l’École demeure l’outil principal de l’aménagement 5 On préférera parler ici de politique à dominante monolingue ou plurilingue, en raison du caractère non absolu de ces catégorisations : les types de politiques linguistiques se situent sur un continuum dont les deux extrémités seraient l’imposition d’une langue unique et le maintien pacifique de deux ou plus de deux langues (Petitjean, 2004). 6 En Belgique, Bruxelles est la seule ville apparaissant comme bilingue au niveau des pratiques, avec une parité entre le français et le néerlandais. En Finlande, les communes unilingues (unilingues finnophones ou unilingue suédophones) sont bien plus nombreuses que les communes bilingues. 102 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 linguistique – concrétisation d’une politique linguistique – et ce, dans la majorité des États membres. Les bases de données PISA (2000) et PITRLS7 (2001) fournissent à ce sujet des données pertinentes. Il semblerait que très peu d’élèves européens parlent à la maison une autre langue que la langue d’enseignement. La proportion d’élèves de 9 et 10 ans parlant toujours à la maison une autre langue que celle de l’école est négligeable (les pourcentages les plus hauts se trouvent en Slovaquie et aux PaysBas). La proportion d’élèves de 9 et 10 ans parlant parfois à la maison une autre langue que celle de l’école est sensiblement plus élevée, mais demeure non significative (la proportion la plus haute caractérise l’État chypriote avec 15 % d’élèves parlant parfois à la maison une autre langue que la langue d’enseignement). Il existe donc une interaction entre politique linguistique (domination du modèle monolingue), organisation de l’enseignement institutionnel des langues (choix de la langue d’enseignement, préférentiellement la langue officielle de l’État concerné) et pratiques des locuteurs (langues des sphères privée et scolaire identiques). 1.2. Diversité des modalités d’enseignement définies par les différents états membres : apprentissage des langues minoritaires nationales et des langues étrangères Concernant l’enseignement des langues minoritaires ou régionales, nous avons privilégié ce que nous appellerons l’indice de la CELROM. Ce sigle désigne la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, conçue par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe et rédigée par un groupe d’experts nommés par le Conseil de l’Europe. Cette Charte, ouverte à la signature le 5 novembre 1992, et entrée en vigueur le 1er mars 1998, a le statut de convention du Conseil de l’Europe. Son objectif est de « protéger ou promouvoir les langues régionales ou minoritaires en tant qu’aspect menacé du patrimoine culturel européen » (Rapport explicatif, 1992, p. 5). Elle fonctionne sur la base d’un ensemble de mesures que doivent respecter les États signataires, sachant que ces derniers ont la possibilité de choisir parmi une série d’options celles qu’ils estiment être compatibles avec leur Constitution, ainsi qu’avec leur tradition juridique et politique. L’article 8 de la Charte concerne l’enseignement des langues régionales et minoritaires, et prévoit un enseignement préscolaire, primaire et secondaire de la langue concernée. Le Secrétariat général du Conseil de l’Europe est chargé d’évaluer la conformité des actions réalisées par chacun des États signataires avec les mesures enregistrées dans la Charte. La ratification induit la mise en place d’actions précises concernant la protection et le développement des langues minoritaires, alors que la signature seule demeure au niveau du symbolique, et peut engendrer une position passive, si ce n’est attentiste, des signataires. Étant donné que la CELROM prévoit l’établissement d’un enseignement efficace des langues concernées, évalué par les institutions européennes, sa ratification apparaît comme étant un indice pertinent pour évaluer le degré d’implication des différents États membres dans l’enseignement des langues 7 La base de données PISA 2000 résulte d’une enquête réalisée sous l’égide de l’OCDE dans 32 pays à travers le monde dont la finalité réside dans l’évaluation générale des performances des élèves de 15 ans. La base de données PIRLS 2001 découle, quant à elle, d’une enquête internationale réalisée sous l’égide de l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire dans 35 pays à travers le monde, dont l’objectif est l’évaluation des élèves de 4e en compréhension de lecture. 103 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 minoritaires au sein de leurs systèmes éducatifs. Par ailleurs, l’activité des différents États en matière de défense des langues minoritaires, que ce soit au niveau spécifiquement éducatif ou plus globalement institutionnel, est très diversifiée (initiation à la langue minoritaire ou régionale, enseignement bilingue reposant sur la parité entre langue officielle et langue locale, reconnaissance nationale, signature de certains traités internationaux…), et les États les plus actifs et les plus performants en la matière ont naturellement ratifié la CELROM. La ratification de cette charte nous permet ainsi de synthétiser une masse importante de données qu’il serait trop complexe d’exposer dans le cadre de cette communication. Douze États membres de l’Union européenne ont signé et ratifié la CELROM, ce qui induit le fait qu’ils ont donc établi des actions précises et évaluées relatives à l’enseignement des langues minoritaires ou régionales traditionnellement présentes au sein de leur territoire. Il est à noter que seul un État, la Slovaquie, disposant d’une politique linguistique à dominante monolingue, a ratifié la CELROM. L’officialisation d’une langue unique, inscrite dans la Constitution d’un État, semble donc freiner, si ce n’est parfois empêcher, la prise en compte des minorités linguistiques. Concernant maintenant l’enseignement des langues étrangères, on peut dessiner des tendances se généralisant à l’ensemble des composantes politiques européennes. Par langue étrangère, nous entendons une langue qui n’est pas pratiquée par une population installée depuis plusieurs générations dans une zone géographique donnée. Par ailleurs, il s’agira ici de l’enseignement obligatoire des langues étrangères tel qu’il apparaît dans les systèmes éducatifs des différents États membres. En premier lieu, tous les États membres de l’Union européenne proposent un enseignement obligatoire des langues étrangères, à l’exception de l’Irlande, qui limite son offre éducative à un enseignement facultatif des langues étrangères. En second lieu, l’enseignement des langues étrangères est de plus en plus précoce, et dure un plus grand nombre d’années. Le nombre d’années au cours desquelles l’enseignement d’une langue étrangère est obligatoire est passé, entre 1994 et 2003, de 8,4 % à 9 % du nombre total d’années que dure le cursus scolaire, ce qui équivaut approximativement à une année scolaire (Rapport Eurydice, 2005). Par ailleurs, l’enseignement obligatoire d’une langue étrangère débute dès le cycle primaire au sein de tous les États membres, mis à part en Angleterre et en Slovaquie où cet enseignement ne débute qu’à partir du cycle secondaire. Il est également à noter que seuls 3 États proposent un tel enseignement à partir du cycle préprimaire, en sachant que cet enseignement précoce des langues étrangères n’existe pour l’instant que dans des États disposant d’une politique linguistique à dominante plurilingue. Enfin, tous les États membres proposent un enseignement obligatoire des langues étrangères durant le cycle secondaire (sauf l’Irlande, pour les mêmes raisons, exposées plus haut). On note également la domination, durant le cycle primaire, d’un enseignement limité à une seule langue étrangère, tandis qu’à partir du cycle secondaire, la majorité des États proposent au moins deux langues étrangères dans leur offre éducative. La seconde tendance commune à l’ensemble des États membres de l’Union européenne réside dans le fait qu’il existe aujourd’hui une généralisation d’un enseignement de type « Émile », qui correspond à un Enseignement d’une matière par intégration d’une langue étrangère. L’enseignement de type « Émile » fournit donc aux élèves une instruction qui se réalise dans deux langues différentes au moins : soit la seconde langue d’instruction est une langue non autochtone (aux Pays-Bas, l’anglais et le néerlandais), soit une langue régionale (en France, le basque, le breton, l’occitan, le 104 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 corse et le français), soit, enfin, une langue minoritaire (en Slovénie, le hongrois, l’italien et le slovène). Vingt États membres ont souscrit à cette modalité d’enseignement : l’Espagne , la France, l’Italie, l’Angleterre, l’Irlande, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Slovénie, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, la Lettonie, l’Estonie, la Finlande, la Suède, le Luxembourg, et Malte. Dans ces différents États, l’enseignement de type « Émile » appartient à l’offre éducative établie. En Lituanie, cet enseignement est uniquement proposé dans le cadre d’un projet pilote. La Grèce, le Portugal, le Danemark et Chypre ne proposent pas cette modalité d’enseignement. Enfin, la dernière caractéristique commune aux enseignements de langues étrangères des systèmes éducatifs européens apparaît dans la nette domination de l’anglais. Cette langue apparaît comme celle étant la plus enseignée au niveau du cycle primaire. Les effectifs d’élèves du cycle primaire suivant un enseignement anglophone ont fortement augmenté. En Italie, la proportion d’élèves suivant un enseignement de la langue anglaise a évolué exponentiellement de 42,3 % en 1998 à 75,1 % en 2002. En Espagne, on note un phénomène analogue : en 1998, 72,1 % des élèves du cycle primaire apprenaient l’anglais, tandis qu’en 2002, cette proportion s’élève à 85,2 %. De la même façon, en Lituanie, le nombre d’élèves du cycle primaire suivant un enseignement d’anglais a doublé en l’espace de cinq ans (Rapport Eurydice, 2005). La domination de la langue anglaise concerne également le cycle secondaire. L’augmentation des effectifs d’élèves apprenant l’anglais touche particulièrement les pays d’Europe centrale et orientale, à l’instar de la Slovénie, pays au sein duquel la proportion d’élèves du cycle secondaire apprenant l’anglais est passée de 64,6 % en 1998 à 85 % en 2002 (Rapport Eurydice, 2005). On rencontre par ailleurs, dans certains États membres, une proportion maximale d’apprenants anglophones : pour l’année scolaire 2002-2003, 96 % d’élèves du cycle secondaire apprennent l’anglais en France, 99,8 % à Chypre. Cependant, au-delà de ces grandes tendances, on constate une grande hétérogénéité relative aux modalités d’enseignement des langues étrangères des différents États membres de l’Union européenne. Cette diversité apparaît au niveau du temps d’enseignement qui est consacré aux langues étrangères : concernant l’année scolaire 2002-2003, cette part peut varier de 9 % (Pologne) à 34 % (Luxembourg) du temps total d’enseignement. L’Autriche, le Danemark et la Suède se situent dans la moyenne, avec environ 20 % du temps total d’enseignement consacré à l’enseignement des langues étrangères (Rapport Eurydice, 2005). De façon analogue, le nombre d’heures annuelles consacrées à l’enseignement obligatoire d’une langue étrangère durant le cycle primaire (année 2002-2003) peut être fort variable : le Luxembourg, Malte et la Belgique sont les plus généreux, avec respectivement 351 heures, 159 heures et 101 heures annuelles consacrées à l’enseignement linguistique. Le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Suède et l’Italie se placent dans une moyenne avec respectivement 40 heures, 57 heures, 66 heures, 67 heures, et 80 heures annuelles consacrées à l’enseignement des langues étrangères. Enfin, dans d’autres États, le nombre d’heures annuelles consacrées à l’enseignement des langues étrangères ne dépasse pas le chiffre 40 : Lituanie (13 h), Chypre (24 h), Allemagne (28 h), Hongrie (28 h), Autriche (30 h), France (32 h), République tchèque (33 h), Lettonie (35 h), Pologne (37 h), Finlande (38 h), Grèce (39 h), Slovénie (39 h) (Rapport Eurydice, 2005). La diversité émaillant le contenu linguistique des systèmes éducatifs des différents États membres découle également 105 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 des différents âges auxquels est censé débuter l’enseignement obligatoire d’une langue étrangère : 3 ans en Espagne, 7 ans en Italie, 8 ans en Allemagne et en France, 9 ans en République tchèque, 10 ans au Danemark… On constate par ailleurs une certaine hétérogénéité concernant l’obligation, ou non, d’apprendre certaines langues. Si tous les États membres imposent un enseignement des langues étrangères, certains d’entre eux imposent précisément quelles devront être ces langues : la Belgique (anglais et français), le Danemark (anglais), l’Allemagne (anglais), la Grèce (anglais), Chypre (anglais puis français), la Lettonie (anglais), le Luxembourg (allemand, français puis anglais), Malte (anglais), les Pays-Bas (anglais), la Finlande (finnois), la Suède (anglais). Les États restants laissent libres les apprenants de choisir quelles langues appartiendront à leur formation linguistique qui, elle, demeure dans tous les cas obligatoire. Tous systèmes éducatifs confondus, 30 langues étrangères sont proposées aux apprenants à l’échelle européenne, en sachant toutefois que l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol et le russe constituent à eux seuls 95 % de l’ensemble des langues enseignées. Les divergences émaillant les modes d’enseignement linguistique des différents États membres concernent en outre la possible autonomisation des établissements scolaires, ces derniers pouvant proposer l’introduction de l’enseignement d’une langue étrangère supplémentaire dans le cadre de l’offre minimale d’enseignement (dans ce cas, tous les élèves inscrits dans l’établissement concerné sont dans l’obligation de suivre cet enseignement). Dix-sept États européens, dont la France, l’Angleterre, l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Belgique, la Slovénie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne, la Finlande, la Lituanie, la Lettonie, le Danemark et les Pays-Bas, privilégient ce mode d’autonomisation des établissements scolaires, contrairement à l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce, la Suède, l’Estonie, Chypre, Malte et le Luxembourg. Par ailleurs, les différentes composantes de l’Europe politique s’impliquent, à des degrés divers, dans la mise en œuvre de projets pilotes8 dont la finalité est le développement de l’enseignement précoce des langues étrangères, tous niveaux confondus. Le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Slovénie, l’Autriche, l’Allemagne, la Lettonie et l’Irlande proposent le développement de plusieurs projets pilotes. Par ailleurs, on note une certaine diversité relative à la qualification des enseignants : durant le cycle primaire, certains États (la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Slovénie, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre, la Belgique, le Portugal, la Suède, l’Estonie et le Danemark) préfèrent l’emploi d’enseignants dits généralistes. Ces enseignants sont qualifiés pour enseigner toutes ou presque toutes les matières du programme scolaire, y compris les langues étrangères. Cependant, l’enseignement des langues étrangères peut leur être confié, qu’ils aient ou non reçu une formation spécifique dans ce domaine. D’autres États (l’Espagne, la Slovaquie, la République tchèque, la Pologne et la Grèce) privilégient l’emploi d’enseignants dits spécialistes. Ces derniers ont été spécialement formés pour l’enseignement des langues étrangères, cette formation pouvant également aboutir à une double compétence des enseignants. Au niveau du cycle secondaire, on retrouve cette même hétérogénéité, avec toutefois une majorité d’États réclamant une 8 Par l’expression projet pilote, on entend des projets d’expérimentation limités dans le temps, et en partie mis en place et financés par les pouvoirs publics. 106 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 qualification spécialisée pour les enseignants de langue étrangère. On constate par ailleurs une diversité relative aux processus pédagogiques définis par les États membres. En effet, si tous les programmes officiels d’enseignement des langues étrangères regroupent leurs objectifs autour de quatre macrocompétences (écouter, parler, lire, écrire), on peut répartir les États membres dans différents groupes selon le traitement, au niveau du cycle primaire, de ces savoir-faire linguistiques. Le premier de ces groupes tend à affirmer clairement l’équivalence entre les quatre macrocompétences : Belgique, Danemark, Estonie, Espagne, Chypre, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Hongrie, Portugal, Slovénie, Slovaquie, Angleterre. Le second groupe privilégie les macrocompétences relatives à l’oralité (parler/écouter) : République tchèque, Allemagne, France, Italie, Malte, Autriche, Pologne, Suède. Enfin, le troisième et dernier groupe place les macrocompétences orales et l’une des macrocompétences écrites (lire) comme prioritaires : Pays-Bas, Belgique (zone francophone). Enfin, les prescriptions ou recommandations relatives au nombre maximal d’élèves pour les cours d’enseignement des langues étrangères au niveau du cycle primaire (année 2002-2003) apparaissent comme une autre source d’hétérogénéisation des systèmes éducatifs européens : les classes de langue doivent accueillir un maximum de 13 élèves en Hongrie, ce seuil pouvant aller jusqu’à 20 élèves en Espagne, 25 en Italie, 28 en Slovénie, ou encore 36 en Estonie. Malgré des évolutions communes aux membres de l’Union européenne, on note donc une très grande hétérogénéité, que celle-ci se matérialise au niveau de la gestion politique des langues ou au niveau des modalités d’enseignement des langues nationales et étrangères. Comment dès lors mettre en place une politique linguistique éducative européenne qui transcende ces particularités nationales ? Est-il possible d’établir un « concept global » (Guide, 2003, p. 7) pour l’enseignement des langues qui puisse respecter les spécificités des systèmes éducatifs nationaux et donc entraîner une adhésion commune des différentes parties à un programme partagé d’enseignement des langues ? 2. Élaboration d’une politique linguistique éducative partagée au niveau européen Les différentes institutions européennes impliquées dans la problématique de la gestion de la diversité linguistique européenne ont établi un certain nombre d’objectifs à atteindre et défini des principes et des méthodes permettant de concrétiser ces finalités. Précisons dès maintenant que, lorsque nous parlerons d’enseignement ou d’apprentissage des langues, il s’agira des langues non premières de l’apprenant : les langues européennes, les langues régionales ou minoritaires traditionnellement implantées sur le territoire d’un État, les langues dites de l’immigration, ainsi que les langues étrangères (non employées dans les territoires composant l’Europe politique). 2.1. Les objectifs L’objectif princeps des institutions européennes est de permettre l’élaboration ou la réorganisation des enseignements de langues dans les États membres, et ce, en suscitant l’adhésion autour de principes et de modalités d’actions qui puissent être 107 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 communes aux différents acteurs concernés. Il s’agit de définir une politique cohérente qui se distingue d’une addition de décisions prises au coup par coup. Les principes sous-tendant cette homogénéisation de l’enseignement des langues doivent être compatibles avec les valeurs prônées par le Conseil de l’Europe, garant d’une entité à laquelle les États ont souscrit. Ainsi, à l’instar de la devise de l’Union européenne, l’unité dans la diversité, l’un des mots d’ordre à partir duquel doit être pensée une politique linguistique éducative commune réside dans la notion de plurilinguisme : « la diversité linguistique est l’un des traits distinctifs de l’Union européenne. Le respect de la diversité des langues de l’Union est un principe fondateur de la Communauté européenne » (Communication I, 2003, p. 13). Il est intéressant de noter que, dans le cadre de cette démarche, les objectifs et les causes sont sensiblement les mêmes : en effet, si la finalité de l’Europe politique est de promouvoir un apprentissage cohérent des langues au niveau européen afin de créer une dynamique de construction identitaire et culturelle partagée par l’ensemble des citoyens européens reposant sur la diversité linguistique et culturelle constitutive de l’Europe, la source de cette finalité réside elle-même dans la nécessaire gestion de cette diversité. En effet, l’Europe s’apparente à une véritable mosaïque linguistique. Elle regroupe, pour l’instant, 25 membres, dispose de 20 langues officielles pour un territoire au sein duquel sont pratiquées approximativement 60 langues. Il existe en outre 380 combinaisons de traduction possibles au niveau des institutions européennes. Surviennent dès lors deux problématiques étroitement imbriquées l’une dans l’autre : une première problématique relative à l’intercompréhension entre des locuteurs censés appartenir à une même entité politique ; une seconde problématique relative à la construction d’un sentiment d’appartenance à une communauté supranationale. L’Europe ne se résume pas seulement à une mosaïque linguistique : elle revêt également l’apparence d’un puzzle culturel. Si la langue ne détermine pas une vision de la réalité, elle apparaît cependant comme le médium d’une vision culturelle de la réalité. Elle tend à refléter les expériences faites par une communauté dans un environnement spécifique (Mounin, 1968). Outre sa dimension culturelle, la langue dispose en outre d’une dimension identitaire. La langue n’est pas que la langue, en cela qu’elle participe aussi de nos identités personnelles et collectives (nation, région, communauté…). À l’échelle de la collectivité, elle témoigne de notre appartenance à un groupe et de notre distinction par rapport à un groupe exogène. Au niveau individuel, être obligé de parler une autre langue que la sienne propre peut être vécu comme une négation de son identité, comme une « dépossession » (Todorov, 2003). Le tout est de déterminer si cette hétérogénéité linguistique, cette diversité culturelle, cette multiplicité, si ce n’est cette infinité, des modes de construction identitaire sont perçues comme une richesse ou comme une menace (Breton, 1991). On se rend compte précisément que les citoyens des différents États membres ne se réclament pas majoritairement de cette diversité culturelle. En effet, lorsque l’on interroge les Européens sur ce qui leur vient le plus spontanément à l’esprit lorsqu’ils pensent à l’Europe, 60 % évoquent l’euro, tandis que seuls 36 % citent la diversité culturelle et 17 % la perte de leur identité culturelle. À la question, « le fait que votre pays appartienne à l’Europe vous donne-t-il le sentiment que votre identité et votre culture sont plus ou moins protégées ? », 28 % des enquêtés répondent qu’ils estiment que leur culture et leur identité sont davantage protégées, tandis que 40 % répondent a contrario qu’ils jugent qu’elles sont davantage menacées. Concernant précisément 108 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 l’élaboration d’un sentiment d’appartenance à une même communauté européenne, 45 % des enquêtés considèrent l’adhésion à une économie de marché comme constituant la valeur rassemblant le plus les Européens, tandis que seuls 25 % estiment que cette valeur commune réside dans un patrimoine culturel commun. Enfin, 58 % des enquêtés jugent qu’il est préférable d’adopter des mesures relatives à l’éducation scolaire au niveau national et non à l’échelle européenne (Sondage Arte / TNS Sofres, 2005). Conséquemment, l’élaboration de cette maison commune qu’est l’Union européenne semble difficile, du moins en ce qui concerne les fondations humaines de cette maison, car, si les fondements économiques de l’Union semblent bénéficier d’une dynamique et d’une certaine solidité, les fondements culturels et linguistiques peinent à émerger. Il ne semble pas pertinent de sombrer dans un euroscepticisme stérile, mais il importe toutefois de prendre en compte le fait que la gestion des langues, et donc indirectement du paysage culturel de l’Europe, sont en corrélation directe avec la construction d’un sentiment supranational partagé. Par ailleurs, sachant que les conflits intercommunautaires proviennent, dans la grande majorité des cas, de la traduction d’une différence en infériorité, traduction résultant d’une méconnaissance ou d’une ignorance des différences culturelles et linguistiques, un enseignement cohérent et partagé des langues au sein de l’Union européenne peut efficacement contribuer à prévenir l’intolérance et la xénophobie. La noncompréhension d’une langue ne se résume pas à la non-compréhension d’une structure linguistique : elle peut amener à la non-compréhension d’une structure humaine, donc à la peur, et conséquemment à des comportements agressifs. La finalité de l’élaboration d’une politique linguistique éducative européenne réside dans le fait de développer la compétence linguistique des locuteurs européens, et de leur faire prendre conscience de leur capacité à développer cette compétence. Cependant, le développement et la valorisation des apprentissages linguistiques, s’ils sont nécessaires, ne sont pas suffisants : il importe par ailleurs d’amener les citoyens européens à faire l’expérience concrète de l’Europe, et donc de sa diversité. Asseoir le fondement de la communication européenne, en privilégiant la tolérance linguistique, demeure l’un des objectifs fondamentaux de la mise en œuvre d’une politique linguistique éducative partagée à l’échelle européenne. Les documents de travail utilisés dans le cadre de cette communication insistent tous sur le fait que l’objectif de cette politique partagée n’est pas tant la maîtrise de telle ou telle langue que le développement d’une compétence plurilingue et pluriculturelle qui conduisent au respect de la diversité, et amène à une caractérisation des citoyens européens. Ainsi, les auteurs du Guide (2003) affirment que « les politiques qui ne se limitent pas à la gestion de la diversité des langues, mais qui adoptent le plurilinguisme comme finalité sont en effet susceptibles de fonder plus concrètement la citoyenneté démocratique en Europe » (Guide, 2003, p. 8). Une distinction doit ainsi être établie entre la formation plurilingue – valoriser et développer les répertoires linguistiques des locuteurs – et l’éducation au plurilinguisme – valoriser et développer la tolérance linguistique au travers d’un enseignement, non plus nécessairement des langues, mais destinés à éduquer les individus à la diversité linguistique et à la citoyenneté européenne. L’éducation plurilingue correspond à l’association de ces deux modes éducatifs. L’objectif des institutions européennes réside ainsi dans la volonté de généraliser en Europe une éducation plurilingue, qui dépasse, tout en l’intégrant, l’enseignement traditionnel des langues. 109 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 2.2. Les principes La notion de plurilinguisme est à la base de la démarche de gestion linguistique telle qu’elle est prônée par l’Union européenne. Ainsi, « avec le respect des individus, l’ouverture aux autres cultures, la tolérance et l’acceptation des autres, le respect de la diversité linguistique constitue une valeur fondamentale de l’Union européenne » (Communication II, 2005, p. 4). De la même façon : […] la Commission européenne estime que les principaux domaines d’action au niveau européen sont : l’adoption d’une approche linguistique fondée sur l’intégration, la création de communautés plus favorables aux langues et l’amélioration de l’offre d’apprentissage des langues et du niveau de participation (Communication I, 2003, p. 13). Il est par ailleurs acquis que les principes linguistiques en vigueur dans chacune des composantes politiques européennes ne peuvent être valables pour l’ensemble de ces composantes. En effet, l’Europe politique ne peut se construire efficacement à la manière d’un État-nation : il ne suffirait pas de choisir deux ou trois langues officielles pour définir une identité paneuropéenne et résoudre les difficultés d’intercommunication. En outre, contrairement à certains États, à l’instar de la France, au sein desquels l’officialisation d’une langue résulte en partie d’un processus historique, aucune langue au sein de l’Union européenne n’a occupé de place dominante dans la longue durée. Par ailleurs, parler de langue dominante et de langue dominée revient à signifier une hiérarchisation entre les groupes employant ces mêmes langues. Or, l’Europe fonctionne sur une égalité de principe entre les différents membres la composant : son organisation requiert un pouvoir décisionnel équivalent entre les États, qu’ils soient plus ou moins performants d’un point de vue économique, qu’ils soient une composante historiquement plus ou moins ancienne de l’Union européenne. Le caractère fondamentalement égalitaire de l’Europe politique engendre l’impossibilité de définir autoritairement quelle sera la langue ou quelles seront les langues de l’Union : ainsi, l’Europe a davantage besoin de principes linguistiques communs que de langues communes. De la même façon, si l’on peut supposer que la circulation des biens et des personnes pourrait être assurée par la définition de linguae francae ou de langues véhiculaires, cette démarche ne suffirait pas pour élaborer une cohésion culturelle entre les citoyens européens. Au-delà du principe fondateur du plurilinguisme, l’un des fondements de la construction de l’éducation plurilingue européenne consiste à abandonner une politique de juxtaposition des langues pour aller dans le sens d’une interaction entre les langues de l’Europe. En d’autres termes, il s’agit d’éviter l’internationalisation de certaines langues au détriment des autres, donc de lutter contre l’homogénéisation linguistique, tout en se prémunissant contre toutes les formes de renfermement communautaire et le développement de nationalismes à base ethnocentrique. La définition d’une politique linguistique éducative partagée au niveau européen doit donc permettre de dépasser ce double mouvement contradictoire : éviter la perte de soi (abandon des langues premières) et le repli sur soi (refus des autres langues) (Dalgalian, 2002, p. 218). 110 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Au vue de la volonté prônée par l’Union européenne de combattre l’exclusion et de protéger toutes les formes d’altérité et d’extériorité, est également acquise comme principe européen une fonction de l’enseignement basée sur l’apprentissage premier de valeurs linguistiques communes devant sous-tendre l’apprentissage des systèmes linguistiques. Les enseignants impliqués dans la concrétisation d’une éducation plurilingue européenne ne doivent donc pas remplir le même rôle que celui des enseignants ayant participé, dans certains États-nations, à la définition d’une unité nationale par l’imposition de certaines pratiques linguistiques au sein de l’institution scolaire9. Ces principes, représentant le soubassement de la définition d’une politique linguistique éducative partagée par les différentes composantes de l’Union européenne, ont été officialisés au travers d’une série de documents provenant des diverses institutions européennes. Ces textes proposent la définition d’orientations précises relatives à la gestion politique des langues en général, et à l’enseignement des langues en particulier. La Convention culturelle européenne (19 décembre 1954) précise, à l’article 2, que : […] chaque Partie contractante, dans la mesure du possible, encouragera chez ses nationaux l’étude des langues, de l’histoire et de la civilisation des autres Parties contractantes, […] s’efforcera de développer l’étude de sa langue ou de ses langues, de son histoire et de sa civilisation sur le territoire des autres Parties contractantes […]. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (5 novembre 1992), qui participe de la Série des traités européens no. 148, tend à privilégier la protection et la promotion des langues minoritaires ou régionales, au travers notamment de leur intégration à l’offre éducative nationale. La Convention-cadre (Titre II, article 5) pour la protection des minorités nationales (1995), qui participe de la Série des traités européens no. 157, précise que les États membres du Conseil européen s’engagent : […] à promouvoir les conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités nationales de conserver et de développer leur culture, ainsi que de préserver les éléments essentiels de leur identité que sont leur religion, leur langue, leurs traditions et leur patrimoine culturel. Existe par ailleurs une série de résolutions et de recommandations s’orientant dans la même direction que les documents précédents. Elles constituent des axes pour les actions des États concernant précisément les enseignements de langues. On peut citer la Résolution (69) 2, formulée à la clôture du Projet majeur du Conseil de la coopération culturelle (découlant de la Conférence des ministres européens de l’Éducation qui s’est tenue à Hambourg en 1961), la Recommandation R (82) 18 découlant du Projet nº 4 du Conseil de la coopération culturelle (« Langues Vivantes 1971-1978 »), ou encore la Déclaration finale du 2e Sommet du Conseil européen (10-11 octobre 1997). La Recommandation R (98) 6 du Comité des ministres aux États membres, issue du Projet « Apprentissage des langues et citoyenneté 9 Voir à ce sujet le rôle de l’École et des enseignants dans l’imposition du français comme langue unique en France : Vargas, 1987 ; Petitjean, 2004. 111 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 européenne » (ressortant du Comité de l’Éducation, 1989-1996), prône quant à elle la « promotion du plurilinguisme à grande échelle » (annexe à la Recommandation, A.2, source électronique). La Recommandation 1383 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (1998) affirme que : […] la maîtrise des langues étrangères, outre ses dimensions culturelle et utilitaire, est un facteur décisif de compréhension entre les peuples, de tolérance entres les diverses communautés, qu’elles soient nationales ou étrangères, ainsi que de la paix entre les nations, et constitue un moyen privilégié de s’opposer au retour des barbaries de toute nature. La Recommandation 1539 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, consacrée à l’Année européenne des langues (2001), est également intéressante en cela qu’elle propose une définition nouvelle du plurilinguisme européen : « une certaine capacité à communiquer dans plusieurs langues et non nécessairement comme maîtrise parfaite de ces langues » (source électronique). Enfin, la Résolution du Parlement européen du 13 novembre 2001 préconise des mesures pour l’apprentissage des langues et de la diversité linguistique, tandis que la Décision du Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 découle de la demande des chefs d’État et du gouvernement de l’Union européenne d’un apprentissage d’au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge. Tous ces textes, qui ne constituent qu’une partie de l’ensemble des mesures officielles de l’Union européenne, insistent tous sur la mise en œuvre, par tous les États membres, d’actions visant à favoriser les compétences langagières de leurs nationaux, et placent le développement de répertoires plurilingues comme la priorité des politiques linguistiques éducatives des États participants. Ils mettent également en exergue l’interrelation entre composante plurilingue et composante pluriculturelle : il s’agit de favoriser les compétences linguistiques des individus pour les amener à mieux appréhender de nouveaux environnements linguistiques, mais aussi pour leur permettre de mieux comprendre et, dans la mesure du possible, de s’identifier aux valeurs et comportements d’autres groupes. 2.3. Les méthodes Comment organiser concrètement les formations linguistiques fondées sur la base du principe plurilingue ? L’action prônée par l’Europe repose tout d’abord sur la prise en compte des situations locales. L’objectif des institutions européennes n’est pas d’amener tous les citoyens européens à connaître les mêmes langues, mais de valoriser le développement d’un répertoire linguistique pluriel adapté aux spécificités de chaque État : « il ne s’agit pas de créer partout en Europe des citoyens disposant du même répertoire linguistique, mais de valoriser et d’étendre les répertoires en fonction des situations locales, dans le cadre d’une éducation plurilingue partagée » (Guide, 2003, p.82). Cette qualification de la politique linguistique éducative européenne, qui doit donc être partagée, est importante. En effet, cela signifie que les politiques éducatives ne doivent pas forcément être identiques d’un État à l’autre, mais qu’elles doivent s’apparenter à des variations centrées sur un même thème, qui est celui du plurilinguisme. Ainsi, parmi différentes options, chaque État membre pourrait choisir celles qu’il estime être nécessaires à la réalisation de l’objectif 112 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 commun à l’ensemble des États membres, et ce, en fonction de sa situation linguistique, culturelle et sociale, de ses traditions éducatives, et des ressources dont il dispose. Parmi les options qui pourraient être proposées par les institutions européennes, on pourrait citer la spécification des caractéristiques régionales et sociales amenant à des formes particulières d’enseignement linguistique (régions frontalières, implantation des communautés immigrées, formes de régionalisme…), la spécification de l’articulation entre enseignement de langues et enseignement des autres disciplines, ou encore la spécification de la forme des programmes éducatifs et du degré de compétence à atteindre à un moment de la scolarité. La spécification des contenus thématiques (plus particulièrement des contenus culturels) doit être couplée à la spécification des institutions éducatives impliquées. Il s’agit par ailleurs de spécifier les modes de présence des langues enseignées (obligatoire, facultatif), le format des enseignements (volume horaire, répartition par semestre, année), ainsi que les méthodologies d’enseignement privilégiées. La spécification des formes d’évaluation et de certification revêt également une place non négligeable. Cette réorganisation des enseignements linguistiques nécessite cependant des ressources spécifiques, parmi lesquelles la création d’instruments de gestion et de coordination. Ces outils pourraient, au préalable, permettre à chaque État membre d’évaluer la nature de son offre relative à l’enseignement des langues, et ce, dans une perspective quantitative (effectif d’enseignants, effectif d’apprenants, parcours longitudinaux, niveau de compétence atteint à un moment donné de la scolarité) et dans une perspective qualitative (nature des programmes, variétés linguistiques disponibles, ordre de leur introduction dans le cursus, considération relative aux réactions des usagers face à l’offre des institutions éducatives nationales). Par ailleurs, ces instruments de gestion rendraient possible l’identification des obstacles administratifs à la mise en place d’une politique linguistique éducative partagée : coût horaire de la formation, nécessité de créer des postes supplémentaires pour la première phase de la mise en place d’une éducation plurilingue, qualification des enseignants et définition de leurs obligations de service, type de recrutement des enseignants (local ou national), emploi du temps et mobilité des enseignants, place des langues dans les examens scolaires (connaissance des langues vérifiée ou non dans les examens nationaux). La diversification du profil des enseignants impliqués dans les formations plurilingues constitue l’un des moyens également retenus afin d’optimaliser une politique éducative plurilingue. S’il existe aujourd’hui différentes catégories d’enseignants (professeur, assistant, lecteur, professeur d’échange), la domination d’un modèle unique demeure toujours d’actualité : la monocompétence des enseignants (professeur d’anglais ou d’allemand ou d’italien) est largement généralisée. D’après le Guide (2003) : […] la traditionnelle séparation des langues dans l’enseignement conduit souvent à la domination d’un modèle d’enseignant : l’enseignant d’une langue […]. Mais les formations plurilingues impliquent la possibilité de transférer des compétences et des connaissances d’une langue à l’autre. Elles invitent donc à élaborer d’autres profils de compétences des enseignants, qui devraient disposer d’une gamme d’expériences langagières et de possibilités d’enseignement elles-mêmes variées. (Guide, 2003, p. 86) 113 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Cette diversification pourrait passer par une formation spécifique des enseignants les amenant à enseigner soit deux ou plusieurs langues étrangères (avec des niveaux de compétence différents), soit une variété nationale et une variété étrangère, soit une langue dite vivante et une langue dite classique, soit, enfin, une langue et une discipline émanant des sciences humaines et sociales. Enfin, la diversification des contenus pédagogiques pourrait être engendrée par la constitution d’équipes de réflexions tendant à réunir des acteurs du monde éducatif qui n’entretiennent pas traditionnellement des relations étroites : personnels administratifs, enseignants de différents cycles, enseignants de disciplines linguistiques et non linguistiques… En outre, la création de liens pérennes avec des équipes universitaires rendrait possible la réalisation d’enquêtes de terrain, permettant ainsi d’asseoir sur des bases objectives une nouvelle élaboration des contenus pédagogiques. Cependant, au-delà de l’élaboration de ressources communes permettant aux différents États membres de réaliser au mieux les objectifs visés relativement à la réorganisation des enseignements de langues, la Communication I (2003) insiste particulièrement sur le « partage des responsabilités » (p. 5) : l’établissement d’une politique linguistique éducative partagée au niveau européen ne peut incomber aux seules institutions européennes. Si chaque État membre peut spécifier un certain nombre de caractéristiques dans la définition d’une éducation plurilingue qui soit adaptée et réalisable dans son environnement, il doit par ailleurs faire en sorte d’appliquer et de développer des actions favorables aux principes et aux finalités européens : « c’est aux autorités des États membres qu’incombe avant tout la responsabilité de mettre en œuvre la nouvelle action en faveur de l’apprentissage des langues en tenant compte des circonstances et politiques locales, tout en poursuivant les objectifs généraux européens » (p. 5). Un des exemples de cette co-action entre composantes européennes et Union européenne réside dans l’engagement pris en 2003 par la Commission de lancer 45 nouvelles actions destinées à encourager les autorités nationales, régionales et locales, dans leur participation à une réorganisation profonde quant à la promotion de l’apprentissage des langues et de la diversité linguistique (Communication II, 2005). Par ailleurs, assurer la coordination longitudinale des parcours de formation et de l’offre en langue des systèmes éducatifs apparaît comme une priorité dans la concrétisation d’une éducation plurilingue : […] l’apprentissage des langues est ouvert à tous les citoyens, tout au long de leur vie. Que ce soit à la maison, dans la rue, à la bibliothèque et au centre culturel, de même que dans chaque établissement d’enseignement ou de formation et dans chaque entreprise, tous les citoyens doivent avoir l’occasion de mieux connaître, d’entendre, d’enseigner, d’apprendre d’autres langues. (Communication I, 2003, p. 13) Il s’agit donc ici de penser la formation plurilingue dans sa globalité et dans sa continuité : […] on pourrait, par exemple, créer, au plus haut niveau, un coordinateur national pour les politiques linguistiques, dont les fonctions seraient, entre autres, d’assurer la cohérence et la coordination entre toutes les institutions impliquées dans les formations en langues. (Guide, 2003, p. 88) 114 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Le décloisonnement des formations linguistiques participe également de la méthodologie amenant, selon les institutions européennes, à la réalisation d’une politique linguistique éducative partagée. En effet, le cloisonnement scolaire conduit à une hiérarchisation des langues enseignées, selon la modalité obligatoire ou optionnelle de leur apprentissage, selon la chronologie dans laquelle elles sont introduites dans le cursus scolaire de l’apprenant : […] il est important que les écoles et les établissements de formation adoptent une approche holistique de l’enseignement des langues établissant des liens appropriés entre l’enseignement de la langue « maternelle », des langues « étrangères », de la langue dans laquelle l’instruction est dispensée et les langues des communautés migrantes ; ces politiques aideront les enfants à développer l’ensemble de leurs capacités de communication. (Communication I, 2003, p.10) Il est posé comme principe pédagogique princeps l’apprentissage d’une nouvelle langue qui soit fondée sur les connaissances développées lors d’apprentissages linguistiques antérieurs : la finalité est d’amener l’apprenant à percevoir « l’unicité du fonctionnement du langage à travers la pluralité des langues naturelles » (Guide, 2003, p. 89). Il est par ailleurs préconisé « l’enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère » (Communication II, 2005, p. 7). Au même titre que le décloisonnement des formations linguistiques, la diversification des parcours de formation revêt une importance non négligeable. Les institutions européennes insistent sur le rôle du développement de l’autodidaxie, qui consiste en un apprentissage réalisé en dehors de l’enseignement institutionnel, mais reconnu cependant dans la formation de l’apprenant. Les séjours linguistiques à l’étranger sont privilégiés, et participe d’ores et déjà à l’offre éducative de la majorité des États membres : […] à travers les programmes Socrates et Leonardo da Vinci, elle [la Commission européenne] investit plus de 30 millions d’euros par an dans des bourses permettant [entre autres] le financement d’échanges de classes pour encourager les élèves à apprendre les langues, la création de nouveaux cours de langues sur CD et Internet […]. (Communication II, 2005, p. 5) Le programme Socrates est un programme communautaire en matière d’éducation créé en 1995. Nous sommes actuellement dans la seconde phase du programme (1er janvier 2000 – 31décembre 2006). Son objectif est d’améliorer la connaissance des langues européennes en développant la coopération entre les établissements scolaires des différents États membres et la mobilité des apprenants. Il se subdivise en différents modules : Comenius, relatif à l’enseignement scolaire (de la maternelle au secondaire) ; Erasmus, relatif à l’enseignement supérieur ; Grundtvig, relatif à l’éducation des adultes et aux autres parcours éducatifs. Tous les États membres participent à ce programme commun d’éducation plurilingue. Le programme Leonardo da Vinci, créé en 1994, est de même facture que le précédent modèle, tout en orientant son action vers la formation professionnelle. Le Guide (2003) préconise également, outre le recours pédagogique à la fréquentation des médias (télévision, presse, Internet…), « l’appropriation des variétés linguistiques par formation 115 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 mutuelle de locuteurs non experts (en tandem/paires, en présentiel ou sur Internet, dans le cadre de clubs d’échange de savoirs…), tout spécialement, l’apprentissage mutuel de la variété première de l’autre » (p. 92). Le développement de l’autodidaxie doit être associé à la mise en place d’un instrument destiné à l’auto-évaluation des apprenants : les Portfolios européens des langues constituent des outils créés afin de permettre aux apprenants d’évaluer leurs compétences linguistiques en fonction d’une liste de savoirs corrélés à des degrés de compétence. Ces instruments contiennent chacun un passeport de langues que l’apprenant met régulièrement à jour en s’aidant d’une grille définissant ses compétences linguistiques, et ce, d’après des critères homogénéisés au niveau européen. Il importe par ailleurs de moduler les programmes d’enseignement des langues, en abandonnant premièrement l’idée selon laquelle il n’existerait qu’une seule façon d’enseigner les langues. La diversification des modes d’enseignements, et des finalités assignées à ces derniers, découle du constat selon lequel les techniques d’enseignements ne devraient pas être les mêmes selon que la connaissance d’une langue à pour visée de lire la presse internationale ou de discuter avec son voisin dans un hôtel international. Le Comité des ministres a ainsi mis l’accent sur « l’importance politique aujourd’hui et dans l’avenir du développement de domaines d’action particuliers tels que les stratégies de diversification et d’intensification de l’apprentissage des langues afin de promouvoir le plurilinguisme en contexte paneuropéen » (CECRL, 2000, p. 11). En outre, la diversification des modes d’enseignements s’accompagne d’une diversification des formes d’évaluation des savoirs linguistiques : il s’agit dès lors d’abandonner l’idée selon laquelle la connaissance d’une langue est une connaissance globale (bien/un peu/mal parler une langue) ou, en d’autres termes, de renoncer à un objectif de perfection. À ce sujet, le CECRL propose une typologie des compétences ou des éléments de compétence en langue étrangère. Ce document, élaboré à la suite de recherches scientifiques et d’une série de consultations, correspond à un instrument pratique permettant de lister les éléments communs à atteindre lors des étapes successives de l’apprentissage. Il constitue une base commune pour l’élaboration des programmes de langues, des manuels d’enseignement des langues et des examens en langues. Il incite également à la reconnaissance mutuelle des qualifications linguistiques : […] en fournissant des bases communes à des descriptions explicites d’objectifs, de contenus et de méthodes, le Cadre de Référence améliorera la transparence des cours, des programmes et des qualifications, favorisant ainsi la coopération internationale dans le domaine des langues vivantes. Donner des critères objectifs pour décrire la compétence langagière facilitera la reconnaissance mutuelle des qualifications obtenues dans des contextes d’apprentissage divers, et, en conséquence, ira dans le sens de la mobilité en Europe. (CECRL, 2000, p. 9) Il s’agit en outre de diversifier le contenu des enseignements, en insistant d’une part sur le caractère transversal des apprentissages linguistiques (« il peut s’agir, par exemple, d’articuler les formations en langues à une éducation civique, conçue dans le cadre national, ou à une éducation à la citoyenneté démocratique », Guide, 2003, p. 101), et, d’autre part, sur la nécessaire interaction entre l’accroissement des compétences linguistiques (phonétique, prosodique, morphologique, syntaxique, 116 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 lexicosémantique, graphique) et des compétences de communication (Hymes, 1967) reposant sur la notion d’actes de langage (modes de salutations, compétence relationnelle, savoir s’informer, savoir interpréter des faits culturels, sociaux, politiques…). Cette organisation cohésive entre compétences linguistique et communicative renvoie à la diversification des méthodologies d’enseignement des langues, privilégiant les méthodologies dites communicatives : […] celles-ci sont fondées sur un découpage de la matière verbale à enseigner non en unités formelles (des catégories comme : article, adjectif, proposition, subordonnée…) comme jusqu’alors, mais en unités fonctionnelles (les actes de langage comme : s’excuser, proposer quelque chose à quelqu’un, donner un conseil). (Guide, 2003, p. 105) 3. L’éducation plurilingue comme point commun à une politique linguistique éducative partagée : de la théorie à la pratique Les institutions européennes n’imposent donc pas une forme précise d’enseignement des langues qui soit la même pour tous les États membres de l’Union européenne, mais privilégient au contraire l’adoption commune d’un ensemble de principes s’articulant autour d’une notion qui est celle d’éducation plurilingue. L’Europe politique, au travers de ses rapporteurs, ne tend pas à proposer une solution unique. Cela semble plutôt pertinent au vue de l’hétérogénéité que nous avons pu constater dans la première partie de cette communication : diversité linguistique, diversité des politiques linguistiques, diversité des modalités éducatives nationales relatives aux langues. Il s’agit donc de proposer des cheminements différents en direction d’un seul et même objectif : la connaissance des langues pour une meilleure tolérance linguistique et culturelle, visant à l’élaboration d’un sentiment de citoyenneté européenne. On peut donc parler de plurilinguisme pluriel (Guide, 2003) qui se concrétise au travers d’un triple objectif : que l’apprenant atteigne des savoirfaire linguistiques, des savoir-apprendre (être disposé à découvrir l’Autre : une langue, un individu, une culture), et des savoir-être culturels. Cependant, les avantages des principes émis par les institutions européennes peuvent en eux-mêmes engendrer un certain nombre de difficultés. 3.1. De la souplesse à l’attentisme On pourrait faire, au sujet des propositions émises par les instances politiques européennes concernant l’enseignement des langues, les mêmes critiques qui ont été préalablement formulées à l’encontre de la CELROM. Cette Charte fonctionne elle aussi sur le refus d’imposer des mesures précises aux États signataires : chaque partie contractante a ainsi la possibilité de choisir parmi une liste d’options celles qu’elle estime être compatible avec sa Constitution et ses traditions juridiques et politiques, ainsi qu’avec la situation linguistique de son territoire. Cette grande souplesse a engendré de fortes critiques dans le camp des défenseurs de la diversité linguistique, ceux-ci estimant que ce texte encouragerait la passivité de certains États contractants tout en leur assurant une image publique positive. Le chef du gouvernement de la Catalogne, Jordi Pujol, a ainsi publiquement dénoncé en avril 1992 les bénéfices zéro que pouvait apporter la Charte aux langues minoritaires et régionales. Si la définition 117 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 d’une éducation plurilingue comme dénominateur commun des politiques linguistiques éducatives en Europe présente un intérêt certain, elle engendre par ailleurs un certain danger : chaque État membre, de par le choix qui lui est offert parmi un certain nombre d’options techniques et par la prise en compte de sa spécificité et de ses traditions éducatives, peut être amené à traduire cette souplesse en position attentiste. 3.2. Des pratiques linguistiques aux représentations sociales de la langue Les difficultés inhérentes à la mise en place d’une politique linguistique éducative partagée ne sont pas du seul fait des pouvoirs politiques : les locuteurs peuvent également créer une certaine force d’inertie résultant, en partie, de leurs représentations linguistiques. Cette question soulève en elle-même des difficultés, par le caractère imprécis et non délimité, qui est rattaché à la notion de représentation linguistique. En effet, cette dernière est fréquemment utilisée, mais peu ou pas définie. Nous travaillons actuellement sur cette question des représentations linguistiques, et, au stade actuel de nos recherches, nous pouvons proposer une définition de cette notion. L’originalité de celle-ci réside dans l’orientation interdisciplinaire de notre démarche fondée sur un dialogue entre sociolinguistique et psychologie sociale10. Une représentation linguistique serait un ensemble de connaissances non scientifiques, socialement élaborées et partagées, fondamentalement interactives et de nature discursive, disposant d’un degré plus ou moins élevé de jugement et de figement, et permettant au(x) locuteur(s) d’élaborer une construction commune de la réalité linguistique, c’est-à-dire de la ou des langues de la communauté ou de la ou des langues des communautés exogènes, et de gérer leurs activités langagières au sein de cette interprétation commune de la réalité linguistique. Cette définition demeure provisoire, mais, malgré son caractère imparfait, nous permet de cerner plus précisément un concept qui revêt trop fréquemment un caractère d’évidence. Par ailleurs, la notion de représentation linguistique est aujourd’hui très présente dans le domaine de la didactique des langues, ainsi que dans les travaux portant sur l’acquisition des langues (Matthey, 1997 ; Zarate et Candelier, 1997). Les représentations des langues disposeraient d’une forte influence quant aux stratégies et procédures établies pour apprendre et employer la langue ainsi représentée (Dabène, 1997). Cain et Briane (1996) distinguent ainsi les zones de vacuité culturelle, caractérisées par une très faible quantité de connaissances chez l’apprenant relativement à la langue apprise et à la culture y répondant, et les zones de stéréotype, spécifiées par un haut degré représentationnel. Ces travaux tendent également à mettre en place une démarche comparatiste amenant l’apprenant à réajuster, au besoin, ses propres représentations. La prise en compte de ces tendances représentationnelles apparaît donc comme fondamentale dans l’établissement d’une éducation plurilingue. Cette considération renvoie à son tour à une quadruple problématique : en premier lieu, il importe de définir une méthodologie d’enquête permettant de décrire ces représentations, en évitant une projection des représentations linguistiques de l’enquêteur sur les données à analyser. Une fois ces représentations décrites, il s’agit d’évaluer la possibilité d’agir sur ces 10 Petitjean C., (2006) : « La notion de représentation linguistique : problèmes définitoires », in Actes du 3e Colloque Jeunes Chercheurs en Sciences du Langage sur Intra-disciplinarité et Extra-disciplinarité en Sciences du Langage, 14-15 juin 2006, Nanterre (à paraître). 118 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 représentations, alors même que celles-ci revêtent un caractère d’évidence pour les locuteurs. En second lieu, le fait que les représentations linguistiques ne renvoient pas au seul domaine de la langue, mais sont en corrélation avec un processus historique et les représentations sociales en général complexifie l’interprétation des données. Enfin, il semble indispensable de comprendre les processus de constitution d’une représentation linguistique. Une représentation linguistique est-elle fixe ou dynamique ? Peut-on parler des représentations linguistiques des Français, des Espagnols, ou bien de celles des Provençaux, des Marseillais, des Catalans, des Barcelonais ? Il importe donc de tenter de répondre à ces différentes interrogations avant même d’envisager la prise en compte des représentations linguistiques dans les réflexions relatives à la définition d’une politique linguistique éducative partagée au niveau européen. 3.3. La dimension économique de l’éducation plurilingue La concrétisation d’une politique linguistique éducative partagée reposant sur le développement du plurilinguisme, et donc sur l’accroissement de l’offre pédagogique en langue, a un coût financier. L’apprentissage des langues constitue un enjeu culturel et social fondamental, engendrant l’enrichissement culturel et intellectuel et favorisant la tolérance linguistique et l’ouverture aux autres cultures. Cependant, les dirigeants politiques peuvent parfois avoir d’autres priorités, concernant notamment la gestion d’un budget national. La formation des enseignants, l’augmentation de la durée en nombre d’années de l’enseignement des langues, l’accroissement du nombre d’heures hebdomadaires consacrées à cet apprentissage, la création de nouveaux manuels, le développement des séjours linguistiques : ces différents outils représentent une charge économique. Il ne s’agit pas ici de remettre en question la pertinence des mesures relatives à la mise en œuvre d’une éducation plurilingue, bien au contraire, mais d’insister sur le fait que le poids économique d’une telle démarche peut représenter un obstacle non négligeable à la participation des États quant à la mise en œuvre d’une éducation plurilingue à l’échelle européenne. Seul le Guide (2003) insiste sur cet éventuel obstacle à la concrétisation d’une éducation plurilingue européenne : « il ne faut […] pas se cacher que tout investissement accrû pour mettre en place une formation plurilingue impliquera probablement des créations de postes, au moins pour la période de mise en place » (p.84). Cependant, on rencontre, a contrario, la valorisation d’un enseignement pluralisé des langues à l’échelle économique dans la Communication II (2005), qui parle, non plus d’éducation, mais d’économie plurilingue. L’apprentissage des langues apparaît comme un apport considérable concernant le potentiel économique des citoyens européens et des entreprises qui les emploient : […] l'Union européenne met en place une économie hautement compétitive. Les aptitudes à la communication interculturelle jouent un rôle de plus en plus grand dans les stratégies de commerce et de vente sur le plan mondial. […] Pour que le marché unique soit efficace, l’Union doit disposer d’une main-d’œuvre plus mobile. Des compétences dans plusieurs langues multiplient les débouchés sur le marché de l’emploi notamment par la possibilité de travailler ou d’étudier dans un autre État membre (Communication II, 2005, p. 10). 119 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 L’argument principal réside ici dans le fait suivant : pour commercer avec des sociétés implantées dans un autre État membre, les entreprises européennes ont besoin de disposer de personnels connaissant les langues de l’Union, et, plus généralement, les langues de l’ensemble des partenaires commerciaux au niveau mondial. Par ailleurs, la Communication II (2005) met en exergue le potentiel d’emploi des professions et industries liées aux langues (traduction, édition, technologies linguistiques, formation linguistique, enseignement des langues…). Les services de traduction et d’interprétation constituent notamment un secteur d’activité devant probablement bénéficier très prochainement d’une forte expansion, au regard des 20 langues officielles de l’Union et des 380 combinaisons de traductions possibles en résultant11. Les États membres sont ainsi invités à « revoir les programmes de formation dans les universités, de manière à donner aux étudiants des professions linguistiques les compétences adaptées à des conditions de travail en évolution rapide » (Communication II, 2005, p. 14). Relativement à la problématique générale concernant l’économie multilingue, la Commission prévoit en 2006 une étude sur l’incidence de la pénurie de compétences linguistiques sur l’économie européenne. Il importe in fine d’évaluer si les dépenses engendrées par la mise en œuvre d’une éducation plurilingue seront compensées, ou non, par les bénéfices d’un tel enseignement dans le développement de l’économie européenne. 3.4. Ambiguïté relative à la notion de plurilinguisme Cette ambiguïté concerne les différentes interprétations qui sont faites de la notion de plurilinguisme dans le cadre des institutions européennes, et non sa définition scientifique. Le plurilinguisme est présenté comme le leitmotiv de la définition des politiques linguistiques éducatives à l’échelle européenne. Mais cette notion, dans une perspective politique, peut renvoyer à des interprétations sensiblement différentes. Une conception qualitative du plurilinguisme corrèle la notion de plurilinguisme à l’amélioration et à la diversification de l’enseignement des langues, tandis que la conception quantitative du plurilinguisme renvoie à l’accroissement de l’offre en langue au sein des systèmes éducatifs (nombre de langues proposées, mais également nombre d’apprenants, volume horaire, nombre d’enseignants). Une autre perspective dans la conception politique de la notion de plurilinguisme correspond à une conception patrimoniale de la diversité linguistique, c’est-à-dire à la préservation de la diversité linguistique de l’Europe et à la protection d’un patrimoine culturel et anthropologique. Enfin, on peut évoquer une conception cognitive du plurilinguisme, au travers de laquelle est mise en exergue la compétence non exceptionnelle selon laquelle tous les locuteurs partagent la même capacité d’apprendre plusieurs langues, compétence qu’il importe par ailleurs de faire émerger à la conscience des locuteurs et de valoriser. Il importe d’éclairer précisément ce à quoi renvoie cette notion de plurilinguisme au niveau politique, et ce, afin de mettre en place des mesures efficaces. En effet, les objectifs sont difficilement atteignables lorsque les finalités souffrent d’une certaine ambiguïté. Par ailleurs, il existe une certaine ambiguïté en ce qui concerne la distinction qui est faite entre plurilinguisme et multilinguisme. Le CECRL (2000) établit une 11 L’officialisation future de l’irlandais, du roumain et du bulgare engendrera 506 combinaisons de traductions possibles. 120 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 différence entre, d’une part, la notion de plurilinguisme, qui renvoie à la compétence dont dispose tout locuteur de diversifier ses connaissances en langues et de développer un savoir communicatif au sein duquel les langues sont en corrélation, en interaction, et le multilinguisme, qui concerne la coexistence de plusieurs langues au niveau territorial, et s’accompagnant de la connaissance d’un certain nombre de langues. Le Guide (2003) privilégie la notion de plurilinguisme : […] on peut préciser l’interprétation du plurilinguisme retenue dans ce Guide, en soulignant : qu’il est considéré comme une compétence d’acquisition […], un répertoire non nécessairement homogène […], un répertoire de ressources communicatives […], une compétence transversale aux langues maîtrisées […], un versant culturel, constituant ainsi la compétence plurilingue et pluriculturelle […] (Guide, 2003, p. 37-38). D’autres documents, à l’instar de la Communication II (2005), emploient le seul terme de multilinguisme, celui-ci désignant simultanément la coexistence de plusieurs langues au niveau géographique et la connaissance de plusieurs langues sur le plan cognitif : « le multilinguisme désigne à la fois la capacité d’une personne d’utiliser plusieurs langues et la coexistence de plusieurs communautés linguistiques dans une zone géographique donnée » (p. 4). Certains textes tendent donc à poser comme objectif des actions des institutions européennes le développement du plurilinguisme dans une perspective cognitive sans intégrer la perspective géographique du maintien de la diversité linguistique des différents territoires composant l’Europe politique. D’autres documents vont a contrario dans le sens d’une cohésion relative aux deux perspectives évoquées. 3.5. Le choix des institutions européennes versus le choix des locuteurs européens L’opposition entre gestion in vitro et gestion in vivo des langues (Calvet, 1987) renvoie au fait que, face à une situation de multilinguisme, il peut y avoir confrontation entre les choix réalisés par la communauté (choix d’une langue véhiculaire, comme le swahili en Afrique orientale ; élaboration d’une langue dite approximative – les pidgins), et les choix réalisés par les instances politiques (éradication des langues régionales en France après la Révolution (Petitjean, 2003, 2004) ; officialisation de plusieurs langues en Suisse). Les premiers résultent de la pratique des locuteurs tandis que les seconds relèvent de décisions de type bureaucratique. Concernant l’Europe, on peut, en guise d’illustration, prendre l’exemple de l’anglais. La diffusion de l’anglais est perçue comme une menace, en cela qu’elle pourrait amener à l’homogénéisation linguistique de l’Europe. On peut cependant se demander si cette peur concerne véritablement les responsables des systèmes éducatifs nationaux et les locuteurs au regard des chiffres relatifs à l’enseignement de l’anglais dans les États membres. En effet, au niveau de l’organisation des systèmes éducatifs des différents États membres, on note une tendance à imposer l’apprentissage de l’anglais. Cette tendance n’est d’ailleurs pas nouvelle : la plupart des États qui imposent cet apprentissage en 2002/2003 avaient préalablement adopté cette politique en 1982/1983 (Rapport Eurydice, 2005). Dix États européens imposent l’apprentissage de l’anglais comme enseignement obligatoire dans le cursus scolaire 121 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 de l’apprenant (Belgique – communauté flamande, Danemark, Allemagne, Grèce, Chypre, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Suède) contre seulement 4 le français (Belgique – communauté germanophone, Belgique – communauté flamande, Chypre, Luxembourg). Dix États incluent l’anglais dans l’offre éducative comme enseignement facultatif et, parmi les exceptions, on compte deux pays anglophones (Irlande, Angleterre) et trois pays non anglophones (Hongrie, Pologne, Finlande). Pour ce qui est des locuteurs, 90 % des élèves du secondaire apprennent l’anglais, tous États confondus, que cet apprentissage soit imposé ou non. L’anglais apparaît en outre comme la langue la plus enseignée au niveau primaire dans tous les États membres, à l’exception du Luxembourg et de la Belgique. Dans 10 pays de l’Union européenne, le pourcentage des élèves du cycle primaire apprenant l’anglais dépasse les 50 %. En Espagne, ce pourcentage atteint les 85 %, et, en Italie, les 75 % tandis qu’en Autriche et à Malte, il dépasse les 95 %. Entre 1998 et 2002, l’augmentation du nombre d’élèves apprenant l’anglais au niveau primaire est commune à tous les États membres, et ce, sans exception (Rapport Eurydice, 2005). Surviennent dès lors des difficultés certaines quant à la définition de mesures officielles allant à l’encontre de cet engouement des locuteurs pour l’apprentissage de l’anglais. Par ailleurs, on peut légitimement se demander si cela est pertinent. De la même façon qu’il est difficile, voire impossible, pour les pouvoirs politiques français d’imposer le terme mâchouillons à la place de chewing-gum aux locuteurs francophones, il paraît difficile d’accroître la diversité de l’offre en langue à l’échelle européenne alors même que les locuteurs privilégient par leurs pratiques une langue particulière. Ce constat est loin d’être propre à l’enseignement de l’anglais : il pourrait concerner l’enseignement de certaines langues dans certains États en fonction des besoins de la communauté et de la situation linguistique propre à chaque État. Il s’agit précisément de mettre en miroir le formidable apport de la connaissance de langues aussi diverses que l’hébreu, le croate, le romani, ou autres, au niveau de la coexistence pacifique intercommunautaire, et les choix pragmatiques réalisés par les locuteurs. À ce sujet, seule la France propose un enseignement de l’hébreu tandis que seuls deux États assurent un enseignement du croate, l’Autriche et la Slovénie… On peut constater le degré de difficulté soulevé par la définition, au niveau européen, d’une politique linguistique en général, et d’une politique linguistique éducative en particulier. Le choix du plurilinguisme comme dénominateur commun de la formation linguistique en Europe se retrouve confronté aux mêmes obstacles que ce qui fait la richesse de la construction européenne : la diversité. Une grande diversité linguistique et culturelle, une grande diversité éducative, une grande diversité représentationnelle : cette hétérogénéité pluridimensionnelle amène les institutions européennes à proposer un plurilinguisme qui soit lui-même pluriel. Il ne s’agit pas d’imposer un même plurilinguisme à chaque État, mais de permettre à chaque composante européenne de s’approprier ce principe commun en fonction de ses spécificités. Les obstacles à la réalisation de cette entreprise sont nombreux, et, en premier lieu, apparaît le doute suivant : les locuteurs, et les États qu’ils constituent, sont-ils prêts à assumer le poids de ce plurilinguisme, et ce, afin d’accéder aux multiples bénéfices de celui-ci, ou préfèrent-ils, au détriment d’un comportement linguistique humaniste, le choix d’un comportement linguistique pragmatique ? L’observation et l’analyse des représentations linguistiques des locuteurs européens pourraient à ce sujet apporter une pierre à cet édifice en construction. 122 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Références Baggioni, D. 1997. Langues et nations en Europe. Coll. Bibliothèque Scientifique. Paris, Éditions Payot et Rivages. Beacco, J.-C. et M. Byram 2003. Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe. De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue. Strasbourg, Division des Politiques Linguistiques, Conseil de l’Europe. Breton, R. 1991. « Géographie du plurilinguisme. », in Coste D. et J. Hébrard (coord.), Vers le plurilinguisme ?, Coll. École et politique linguistique. Paris, Hachette, pp. 20-31. 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L’analyse des connecteurs de l’albanais nous permettra de réaffirmer que les difficultés de traduction sont, en partie, liées au fait que la particularité de chaque langue réside dans la mise en correspondance d’un morphème et d’une combinaison d’instructions, organisées en procédure (Luscher 1994). Ce sont, justement, le nombre d’instructions que les connecteurs ont en commun ou non (la relation CAUSE (Q,P), l’instruction pragmatique d’inférence invitée) et l’ordre dans lequel les instructions interviennent, qui jouent un grand rôle pour différencier les connecteurs de l’albanais entre eux et, également, pour les différencier par rapport au connecteur français. Abstract This article demonstrates that differences observed between the Albanian connectors sepse, se, ngase, ngaqë, which translate the French connector parce que (because), are related to the pragmatic instructions which they express. The subtle differences in meaning and use between each of those four expressions will be better understood in light of the very differences present in the two elements that constitute these instructions: conditions of use and inferential schema. Following our analysis of Albanian connectors, we reassert that translation challenges are, in part, due to the fact that one language’s specificity is related to its particular way of linking a morpheme to a set of instructions, organized into a procedure (Luscher 1994). Precisely, the number of instructions that connectors have in common (the CAUSES (Q,P) relation; the invited inference pragmatic instruction) and the specific order in which these instructions are executed, play a major role in discriminating amongst the Albanian connectors and, also, between the Albanian connectors and the French connector. RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Introduction L’albanais a la particularité de traduire le parce que1 français par se, sepse, ngase ou ngaqë. Tout comme parce que, ils fonctionnent comme des connecteurs, signalent une relation causale et la présentent comme issue d’un raisonnement inférentiel. Dans les grammaires de l’albanais et dans les dictionnaires bilingues, ils sont présentés comme des synonymes parfaits (1) et on n’insiste pas sur les différences que présentent leurs paradigmes d’emploi (2). (1) Treni nuk punon sepse/se/ngase/ngaqë i ka rënë bateria. ‘Le train ne fonctionne pas parce que la pile est déchargée’ (2) Ana është e sëmurë sepse/??se/*ngaqë/*ngase nuk e kam parë sot. Ana est malade parce que je ne l’ai pas vue de la journée. Suite à ces observations, nous nous sommes demandé quelle est la relation entre les valeurs de se/sepse/ngaqë/ngase et comment ces marqueurs se partagent-ils le ‘champ’ de parce que. Nous débuterons par la présentation des différents emplois et du fonctionnement du marqueur français, pour passer ensuite à une analyse constrastive qui permettra de faire surgir les spécificités du fonctionnement de chacun des marqueurs albanais. La description des marqueurs de causalité en albanais, sera faite à partir des trois conditions d’emploi principales : la directionalité de la relation CAUSE, le caractère illocutoire de P (marqué ou non marqué) et le statut énonciatif de P (marqué ou non). Nous terminerons par la présentation sous forme de procédure (Luscher 1994) des typologies d’emploi de chacun des connecteurs albanais. L’approche théorique que nous avons choisie est celle de la pragmatique de la pertinence (Sperber et Wilson (1986, 1989) et les travaux inspirés de cette théorie (Moeschler 1989, 1994, 1996; Luscher 1994)), qui nous permet de comprendre le rôle des connecteurs dans la construction du contexte et dans le processus de l’interprétation du discours réel. 1 Il est important de signaler que les connecteurs de l’albanais qui font l’objet de cette analyse sont des synonymes du connecteur parce que en français. L’albanais a, lui aussi, d’autres morphèmes përderisa, si, pasi qui recouvrent respectivement les emplois de puisque, comme, pour, cependant l’objectif de ce travail étant le paradigme des emplois de parce que et la façon dont ils sont traduits par l’albanais, nous nous sommes limité à ces quatre connecteurs. Une analyse plus détaillée de la causalité en albanais serait d’un grand intérêt pour de futures recherches. 127 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 1. Analyse de parce que Dans cette première section, nous présentons brièvement les différents emplois2 de parce que, pour passer à l’analyse pragmatique de Moeschler (1989) qui décrit ces différents emplois du connecteur parce que à partir d’une description sémantique unifiée et d’une procédure hiérarchique pragmatique. 1.1. Les emplois de parce que Les descriptions sémantiques classiques (Groupe λ-1, 1975) ont montré que parce que avait deux propriétés. - Il est considéré comme un opérateur sémantique qui connecte deux contenus sémantiques (propositions), P et Q, à l’intérieur d’un seul acte de langage. Dans cet emploi P parce que Q est une explication d’un fait. - De l’autre côté, parce que pouvait relier non seulement un acte de langage, mais aussi deux actes de langage, enchaînant sur un acte illocutoire, et se comporter comme car et puisque. Dans cet emploi, il présuppose la vérité de Q et il introduit en P une information nouvelle. Dans l’exemple (3), la portée de parce que donne lieu à deux interprétations. Quand elle est limitée à l’énoncé qu’il introduit, la lecture explicative est la seule possible (4), tandis que quand elle englobe les deux propositions connectées, la phrase a une lecture causale (5). (3) Marie est heureuse parce que Jean l’aime. (Moeschler, 1996, p. 219) (4) L’amour de Jean pour Marie est la cause de son bonheur. (5) L’assertion du locuteur que Marie est heureuse est appuyée par le fait (présupposé) que Jean aime Marie. La différence entre emploi opérateur et emploi de connecteur est plus marquée avec les énoncés négatifs et interrogatifs. Dans le cas des négatives, (6a) nie la relation causale entre l’amour de Jean et le bonheur de Marie, alors qu’en (6b) il est asserté de Marie qu’elle n’est pas heureuse et que l’amour de Jean pour elle est un argument appuyant cette affirmation. (6) a. Marie n’est pas heureuse parce que Jean l’aime (mais parce que Pierre l’aime). b. Marie n’est pas heureuse, parce que Jean l’aime. 2 Pour une analyse plus complète nous recommandons au lecteur de consulter les travaux de Sweetser (1992), Fornel (1989) et surtout l’analyse de Moeschler (1989). 128 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans le cas des interrogatives, (7a) interroge la relation causale possible entre l’amour de Jean et le bonheur de Marie, alors que (7b) donne une raison (l’amour de Jean pour Marie) pour la pertinence de la question. (7) a. Est-ce que Marie est heureuse parce que Jean l’aime? b. Est-ce Marie est heureuse? Parce que Jean l’aime. - Parce que peut donner lieu à une autre lecture, une lecture épistémique « inversée » (Fornel, 1989; Sweetser, 1992). Cette lecture est à première vue paradoxale, puisqu’elle consiste à inverser l’ordre de la relation causale habituelle de parce que, mais elle est facilitée par l’ordre inverse par rapport à la relation causale dans le monde réel3. L’interprétation la plus accessible est l’interprétation d’inférence invitée (Fornel, 1989). (8) a. Pierre est malade parce qu’il est à l’hôpital. b. Lecture : Q parce que P - Moeschler (1989) signale un autre emploi de parce que (7), un emploi « énonciatif », qu’il qualifie, suite aux travaux de Luscher (1989) sur d’ailleurs, d’emploi de retour sur l’énonciation. (9) a. Il y a du poulet dans le frigo, parce que je n’ai pas envie de faire à manger. b. Lecture : Q parce que DIRE (P) Il s’agit d’un cas hybride: premièrement, les arguments de la relation CAUSE sont inversés (de P à Q), mais pour compléter la description, il est nécessaire d’ajouter un prédicat de nature pragmatique DIRE à P, ce qui déclenche l’interprétation retour sur l’énonciation. 1.2. L’analyse procédurale de parce que Les différents emplois de parce que ont été l’objet de nombreuses analyses. Pour arriver à rendre compte de tous les emplois que nous venons de voir, elles ont soit multiplié les entrées lexicales de parce que, soit eu recours à une suite de règles ou principes. Dans notre présentation nous nous basons sur l’analyse proposée par Moeschler (1989), qui s’appuie sur l’analyse logique de parce que proposée par Blakemore (1987), mais qui insiste sur la manière dont interagissent les informations linguistiques et les informations non linguistiques, arrivant à donner, ainsi, une 3 Les deux lecteurs anonymes du texte ont souligné que les deux lectures seraient possibles : CAUSE (P,Q) our CAUSE (Q,P). Nous sommes tout à fait d’accord avec leurs remarques, en fonction du contexte on peut avoir les deux lectures. Il reste à comprendre pourquoi on ne peut pas l’avoir avoir avec tous les connecteurs en albanais. Si cela dépendait uniquement du contenu propositionnel, elle serait possible même avec ngase ou se, cependant seulement sepse le permet. 129 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 description unifiée des différents emplois de parce que. Moeschler montre que la distinction entre les emplois de parce que comme opérateur et connecteur ne consiste pas dans une distinction entre lecture causale et lecture explicative mais elle est une opposition de niveau d’analyse sémantique vs pragmatique. Plus la distance entre contenus propositionnels est étroite, plus la lecture est sémantique; inversement, plus la distance entre contenus propositionnels est grande, plus la lecture est pragmatique. Selon l’analyse classique, l’interprétation causale est dérivée de l’interprétation explicative. (10) Marie est malade parce qu’elle a trop mangé. (11) a. Marie est malade, et la raison qui fait qu’elle est malade est qu’elle a trop mangé. (interprétation explicative) b. C’est parce que Marie a trop mangé qu’elle est malade. (interprétation causale) Pour Moeschler l’interprétation causale de parce que est la relation de base, mise en défaut dans certains de ses emplois, et non une relation dérivée. La description sémantique de parce que serait celle proposée par Blakemore (1987). (12) Règle d’élimination de parce que input : P parce que Q output : (a) P (b) Q (c) CAUSE (Q, P) Le connecteur donne une instruction générale sur la connexion entre unités, même si les unités peuvent varier quant à leur statut (contenu propositionnel P, acte illocutoire F (P) ou acte d’énonciation E(P)). À ce schéma sémantique générale, Moeschler ajoute un principe d’interprétation par défaut, qui sera convoqué au niveau pragmatique lorsque la valeur causale CAUSE (Q,P), est inconsistante avec la garantie de pertinence optimale. «L’interprétation causale sera donc considérée comme la valeur par défaut, soit confirmée par l’interprétation explicative, soit infirmée par des énoncées comme (6), dont l’interprétation la plus accessible est l’interprétation d’inférence invitée» (Moeschler 1989, p. 191). (13) Principe d’interprétation par défaut de parce que Par défaut, la valeur sémantique de P parce que Q est donnée par (10.c). Si une telle valeur est inconsistante, elle est remplacée par la relation inverse : Cause (P, Q). Le principe d’interprétation par défaut intervient dans les cas suivants : 130 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (14) Jacques est tombé à mobylette, parce qu’il a le bras dans le plâtre. Appliquant la règle d’élimination de parce que, nous aurions les résultats suivants : Input : Jacques est tombé à mobylette, parce qu’il a le bras dans le plâtre. Output : (i) Jacques est tombé à mobylette. (ii) Jacques a le bras dans le plâtre. (iii) CAUSE (Jacques a le bras dans le plâtre, Jacques est tombé à mobylette). L’implication (iii) pose problème, parce que dans la connaissance que nous avons du monde, cette représentation est fausse (inconstante référentiellement) et il n’existe pas de postulat de sens pour articuler les propositions connectées (inconstante théoriquement). L’hypothèse de Moeschler pour résoudre ce problème est la suivante : «(l’implication) doit être produite au niveau sémantique et … ce n’est qu’au niveau pragmatique que la relation est renversée» (Moeschler 1989, p. 202). Le postulat de sens ne doit pas articuler les propositions connectées, mais les concepts des propositions de la forme logique. Le concept «bras dans le plâtre» implique le concept «conséquence d’un accident». Le concept «tomber à mobylette» implique le concept «accident». Donc, nous avons : CAUSE ( x est tombé à mobylette, x a le bras dans le plâtre) Une relation dérivée des informations attachées sous les entrées encyclopédiques des deux concepts. Mais comment le système déductif opère-t-il dans un cas pareil? Comment sont effectuées les modifications à la forme logique fournie par l’entrée logique du connecteur? C’est le principe de pertinence qui est à la base de la permutation des arguments de la relation CAUSE. Moeschler constate aussi que l’enchaînement sur l’acte illocutoire regroupe deux cas de figure bien distincts : - les enchaînements sur les actes représentatifs; - les enchaînements sur un type illocutoire marqué. Dans le premier cas, la directionalité de CAUSE est simplement inversée, sans nécessité l’intégration de la force illocutoire attachée à P. (15) a. Marie est malade, parce que je ne l’ai pas vue de la journée. b. CAUSE (Marie est malade, je n’ai pas vu Marie) 131 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Dans le second cas, la directionalité de la relation Cause est conservée, mais intègre nécessairement la force illocutoire P. (16) a. Est-ce Marie est malade? Parce que je ne l’ai pas vue de la journée. b. CAUSE (je n’ai pas vu Marie, QUESTION (Marie est malade)) La typologie des emplois de parce que peut être représentée sous forme de procédure en mettant au centre la relation causale comme relation de base de tous les emplois. Cette relation CAUSE peut être satisfaite ou inconsistante avec la garantie de pertinence optimale. - Quand elle est satisfaite et que la valeur illocutoire de P (notée F) est non marquée (sous-type représentatif) la question de la lecture connecteur ou opérateur ne se pose pas; Q est présenté comme CAUSE de P. - Quand P est marqué illocutoirement sa force illocutoire intervient dans la représentation de la relation. - Quand la relation CAUSE, valeur par défaut, est inconsistante avec la garantie de pertinence optimale, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin; la relation est inversée et le calcul peut continuer. - En cas d’interprétation incomplète de la relation CAUSE (P, Q), le prédicat générique DIRE est automatiquement attaché à P et déclenche l’interprétation retour à l’énonciation. Figure 1 : Analyse procédurale des emplois de parce que tiré de Moeschler (1989, p. 201) P parce que Q CAUSE (Q, P) + P non –marqué (P, Q) - illocutoirement P non – marqué énonciativement + (DIRE (P), Q) + CAUSE (Q, P) CAUSE (Q. F (P)) CAUSE (P, Q) CAUSE (DIRE (P),Q) 132 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 2. Les connecteurs correspondants en albanais. Nous passons maintenant à l’analyse contrastive qui permettra de faire surgir les spécificités du fonctionnement des marqueurs albanais se, sepse, ngase, ngaqë4, par le biais de la description du fonctionnement du marqueur français. Les observations relatives au fonctionnement de base de parce que sont également valides pour le fonctionnement de se (dans son emploi causal), sepse, ngase, ngaqë. Nous admettons par conséquent que se (dans son emploi causal), sepse, ngase, ngaqë partagent les propriétés basiques de parce que : - fonctionner comme connecteurs, - signaler une relation causale, - présenter cette relation CAUSE comme issue d’un raisonnement inférentiel. Les divergences apparaissent quand on met en jeu le paradigme d’emploi des connecteurs. Dans les grammaires descriptives de l’albanais, il n’y a pas de différences notées. Des conjonctions comme sepse, ngase, ngaqë selon ces grammaires ont seulement un sens lexical plus clair et plus concret. Elles n’expriment que la relation de cause. Pour la description des différents emplois de se, sepse, ngase, ngaqë, nous allons partir des trois conditions d’emploi principales qui représentaient les différents emplois de parce que : - La directionalité de la relation CAUSE - Le caractère marqué ou non-marqué illocutoire de P - Le statut énonciatif de P (marqué ou non). 2.1. La spécificité de ‘se’ et son analyse procédurale La conjonction se (P se Q)5 n’exprime pas seulement la relation CAUSE entre les contenus propositionnels. Elle est une des conjonctions les plus polysémiques en albanais (Fjalori i Gjuhës së Sotme Shqipe, 1980) : 4 Pour déterminer les marqueurs équivalents de parce que, nous nous sommes basés sur les dictionnaires de V. Kokona (Albanais – Français et Français –Albanais) et sur les traductions que des locuteurs natifs de l’albanais ont fait des exemples avec parce que, tirés du Trésor de la Langue Française. 5 Il est important de signale au lecteur que même le connecteur që peut être employé pour marquer la causalité. Il est employé uniquement quand il est sélectionné par un verbe de modalité dans la principale. Une analyse plus détaillé de ces deux connecteurs dépasse le cadre de ce travail. 133 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 a. Elle connecte une proposition subordonnée (complétive, sujet ou objet) à une principale : (17) Dihet se Toka rrotullohet rreth Diellit. On sait que la Terre tourne autour du Soleil. (18) Të premtoj se nuk do të vonohem. Je te promets que je ne tarderais pas. Le contenu de la subordonnée complète, explique celui de la principale. Il s’agit d’une affirmation, d’une déclaration. b. Les deux propositions peuvent être en relation de comparaison : (19) Dolën më mirë se parashikohej. Ils ont réussi mieux que ce qui était prévu. (20) Më mirë të dish se të kesh. Mieux vaut savoir qu’avoir. c. Les deux propositions entretiennent une relation causale. (21) E dëgjonin me ëndje se kishte zë të bukur. Ils l’écoutaient avec plaisir, parce qu’elle/il avait une belle voix. (22) Kishte harruar t’i thoshte që ironinë ta përdorte me kujdes e masë, se është thikë me dy tehe që pret tjetrin edhe ty. (Fjalor Demokratik. R. Qosja 1996, p. 99) Elle avait oublié de lui dire de se servir prudemment de l’ironie, parce qu’elle est comme un couteau à double tranchant qui coupe l’autre et toi même aussi. Pour les grammairiens albanais, ces trois emplois de se semblent très loin l’un de l’autre et il semble difficile de déterminer la valeur sémantique de base de tous ces emplois6. Dans les grammaires descriptives de l’albanais elle est considérée comme une conjonction dépourvue de sens, étant donné que «… nuk mund të dallojmë sot një kuptim themelor që të motivonte gjithë kuptimet e tjera…7 (Gramatika e gjuhës shqipe, 2002). Chaque valeur de se, l’instruction sur la connexion entre unités qu’elle 6 À notre avis une analyse sur la base d’un prototype (Lakoff 1992, Talmy, etc.) pourrait rendre compte de tous ces emplois et de la désémantisation dont parlent ces grammairiens. Cependant une telle étude n’est pas l’objectif de ce travail. 7 Nous ne pouvons pas remarquer actuellement un sens de base qui pourrait motiver tous les autres… (traduction libre). 134 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 effectue, sera déterminée grâce à son contexte d’emploi. Il s’agira soit de compléter P, soit de comparer l’information contenue en P, soit de donner la cause de P. Nous pensons que dans tous ces cas, nous avons des constructions d’acte de langage, qui se trouvent dans des propositions qui expriment différents raisonnements, parmi lesquels même la raison. Le connecteur dans tous ces emplois donne une direction constante de la relation entre les unités «de Q à P». Cette directionalité est maintenue même dans le cas de la relation CAUSE : (23) P se Q – CAUSE (Q, P) Le connecteur se va contenir comme sous-spécification sémantique seulement la valeur causale «CAUSE (Q, P)». Se, donc, porte toujours en arrière, la directionnalité de CAUSE ne peut pas être inversée. Se introduit toujours la cause de P, n’acceptant pas la lecture inférentielle que parce que peut avoir. (24) (25) (26) a.Gjoni ra se e shtyu Maxi. Jean est tombé parce que Max l’a poussé. b. CAUSE (Max l’a poussé, Gjon est tombé) a.* Maxi e shtyu se Gjoni ra. Max l’a poussé parce que Jean est tombé. b. *CAUSE (Gjon est tombé, Max l’a poussé) a. Maria është e sëmurë se ka ngrënë shumë. Marie est malade parce qu’elle a trop mangé. b. CAUSE (Marie a trop mangé, Marie est malade) La cause de la maladie est le fait d’avoir trop mangé. (27) ? Maria ka ngrënë shumë se është e sëmurë. Marie a trop mangé parce qu’elle est malade. Logiquement cette phrase ne serait pas acceptée. Normalement on ne mange pas beaucoup parce qu’on est malade. Tout comme en français la relation CAUSE, exprimées par se, peut intégrer la force illocutoire P : (28) a. Hajde këtu! Se kam nja dy fjalë me ty. Viens ici! Parce que j’ai deux mots à te dire. b. CAUSE (j’ai deux mots à te dire, ORDRE (tu viens)) (29) a. A vjen me mua sonte në kinema? Se ka një film të bukur. Est-ce que tu viens avec moi au cinéma ce soir? Parce qu’il y a un bon film. 135 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 b. CAUSE (il y a un beau film au cinéma, OFFRE (tu viens avec moi ce soir)) (30) a. A është e sëmurë Maria? Se nuk e kam parë sot. Est-ce que Marie est malade? Parce que je ne l’ai pas vue aujourd’hui b. CAUSE (je n’ai pas vu Marie aujourd’hui, QUESTION (Marie est malade)) (31) a. Të premtoj se do ta ruaj me kujdes, se e di që e ke kujtim. Je te promets d’y faire attention, parce que je sais que c’est un souvenir. b. CAUSE (je sais que c’est un souvenir, PROMESSE (j’y ferai attention)) Les calculs interprétatifs déclenchés par le connecteur se peuvent être représentés selon le schéma procédural ci-dessous (Fig.2). Figure 2 : Schéma procédural de se P se Q RELATION Q Q compare P CAUSE (Q, P) P non – marqué illocutoirement - + CAUSE (Q, P) CAUSE (Q F (P)) 136 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 2.2. La spécificité de ‘sepse’ et son analyse procédurale Sepse semble être le connecteur qui a les mêmes caractéristiques et les mêmes instructions que parce que, le connecteur causal par excellence (formé de se + pse «pourquoi»). La valeur sémantique de base est celle de la causalité. (32) a.Kanë dalë faqebardhë sepse punuan me ngulm. (Fjalori i Gjuhës së Sotme Shqipe, 1980) Ils ont réussi parce qu’ils ont travaillé fort. b. CAUSE (ils ont travaillé fort, ils ont réussi) Cependant sepse semble enchaîner difficilement sur un acte illocutoire marqué, surtout dans la langue parlée : (33) ? Hajde këtu! Sepse kam nja dy fjalë me ty. Viens ici! Parce que j’ai deux mots à te dire. (34) ? A është e sëmurë Ana? Sepse nuk e kam parë sot. Est-ce qu’Ana est malade? Parce que je ne l’ai pas vue aujourd’hui. Sepse tout comme parce que permet la lecture pragmatique «en avant», et permet à l’interlocuteur d’inférer la vraie cause. (35) a. Adi ka bërë aksident me bicikletë, sepse e ka këmbën në allçi. Adi a eu un accident de vélo, parce qu’il a la jambe dans le plâtre. b. CAUSE (Adi a eu un accident de vélo, Adi a la jambe dans le plâtre) (36) a. Punuan me ngulm, sepse kanë dalë faqebardhë. Ils ont travaillé fort, parce qu’ils ont réussi. b. CAUSE (Ils ont travaillé fort, ils ont réussi) (37) a. Ishte larg sepse nuk e pashë. Il était loin, parce que je ne l’ai pas vu. b. CAUSE (il était loin, je ne l’ai pas vu) Le statut énonciatif de P (marqué ou non) joue un rôle dans les emplois de sepse. Sepse pourrait être employé dans une situation de retour à l’énonciation, pareille à celle de parce que. (38) a. Kemi supë me pulë gati, sepse s’ma ka qejfi të gatuaj. Il y a de la soupe au poulet, parce que je n’ai pas envie de cuisiner. b. CAUSE (DIRE (il y a de la soupe su poulet), parce que je n’ai pas envie de cuisiner) 137 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Le schéma procédural de sepse qui rend compte de tous ces emplois est le suivant : Figure 3 : Schéma procédural de sepse P sepse Q CAUSE (P, Q) (Q, P) CAUSE (Q, P) P non – marqué énonciativement (DIRE (P), Q) + CAUSE (P, Q) CAUSE Ces deux connecteurs partagent la propriété de base des connecteurs que nous analysons : ils expriment la relation CAUSE entre P et Q. Sémantiquement, ngase et ngaqë ont la même description que celle de parce que en français, la directionalité de la CAUSE va de Q à P. Les exemples suivants le montrent très clairement. (39) a. …(ata) ndjehen keq ngase flasin keq për të keqen”.... (tiré « Metropol », 26 juin 2005) Ils se sentent mal parce qu’ils parlent mal du mal b. CAUSE (ils parlent mal du mal, ils se sentent mal) (40) a. Federata u shpërbë ngaqë Serbia ishte më i forti entitet. La Fédération s’est défaite parce que la Serbie était l’entité la plus forte. b. CAUSE (la Serbie était l’entité la plus forte, la Fédération s’est défaite) Ces deux connecteurs ne permettent pas de lecture inférentielle, c’est-à-dire, par inférence invitée). La directionnalité de la relation CAUSE ne peut jamais être inversée (40). Une telle directionnalité de la relation CAUSE (40.b), met à défaut l’organisation sémantique des connaissances au niveau de la mémoire encyclopédique. 138 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 (41) Nuk dolën ngaqë/ngase binte shi. Ils ne sont pas sortis parce qu’il pleuvait. (42) a. CAUSE (Il pleuvait, ils ne sont pas sortis) b. *CAUSE (Ils ne sont pas sortis, ils pleuvait) Différemment de se, les connecteurs ngaqë et ngase n’enchaînent pas sur un acte illocutoire marqué: (43) ?? Nuk të lejoj të dalësh, ngase bie shi. Je ne te permets pas de sortir, parce qu’il pleut. (44) * Mos u nis! Ngaqë je i sëmurë. Ne pars pas! Parce que tu es malade. Il est intéressant de relever, pour conclure la description de ces connecteurs, que les différences avec les autres connecteurs de causalité, surtout celles concernées la directionalité de la relation CAUSE, semblent être corroborées par l’étymologie de ces deux conjonctions. Ils sont construits tous les deux sur la base de la préposition nga «de – provenance» + les conjonctions se ou që, les conjonctions les plus anciennes et sémantiquement les plus larges. L’orientation spatiale (provenance d’un endroit éloigné) qui les caractérise diachroniquement, semble les prédisposer à présenter la causalité comme provenant de l’unité qu’ils introduisent. Leur schéma procédural est plus simple que celui des autres connecteurs. Figure 4 : Schéma procédural de ngase/ngaqë P ngase/ngaqë Q CAUSE (Q, P) CAUSE (Q, P) 139 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Conclusions Au terme de l’analyse que nous avons proposée pour les connecteurs se, sepse, ngase, ngaqë, comparée à celle de parce que proposée par Moeschler, nous constatons que, les connecteurs albanais partagent les emplois de parce que. Les deux facteurs proposés par Luscher, Moeschler et les autres chercheurs du groupe de Genève : - le nombre d’instructions que les connecteurs ont en commun - l’ordre dans lequel les instructions interviennent (ce qui différencie les emplois de se) jouent un grand rôle pour différencier les connecteurs de l’albanais entre eux et deuxièmement pour les différencier par rapport au connecteur français. Sepse, ngase, ngaqë ont en commun une séquence d’instructions, celle de la relation CAUSE (Q, P), mais ngase, ngaqë ne partagent pas l’instruction pragmatique d’inférence invitée8. Sepse semble être le connecteur qui traduirait mieux parce que en albanais, mais lui non plus ne partage pas la totalité des instructions contenues dans la procédure proposée pour parce que. Références Blakemore, D. 1987. Semantic Coinstraints on Relevance. Oxford, Basil Blackwell. Conte, M. E. 1977. Linguistica testuale – condizioni di coerenza. Milano, Feltrinelli. Ducrot, O. 1980. Les mots du discours. Paris, Minuit. Ducrot, O. et T. Todorov. 1972. Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris, Seuil. Fjalor i gjuhës shqipe (Dictionnaire de la langue albanaise). 1980. Tiranë, Akademia e Shkencave. Fornel, M. de. 1989. «Parce que et le problème de l’inférence.» in Cahiers de Linguistique Française, no. 10, Université de Genève, pp. 171-192 Gramatika e gjuhës shqipe. 2002. Tiranë, Akademia e Shkencave. 8 C’est probablement à cause de la séquence d’instructions que ces connecteurs ont en commun, excluant les instructions de nature pragmatique, que les grammairiens albanais (le Dictionnaire de la Langue Albanaise, 1980; Mëniku 1998) les considèrent comme des synonymes et n’insistent pas sur les différences d’emploi entre eux. 140 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Groupe λ-l. 1975. «Car, parce que, puisque.» in Revue Romane, no. 10, pp.248-280. Halliday, M.A.K. et R. Hasan. 1976. Cohesion in English. London, Longman. Kokona, V. 1989. Fjalor Frengjisht-Shqip. Tirane, Shtepia Botuese Naim Fransheri. Kokona, V. 1998. Fjalor Shqip-Frengjisht. Tirane, Toena. Luscher, J.M. 1989. « Connecteurs et marques de pertinence. L’exemple de d’ailleurs. » in Cahiers de Linguistique Française, no. 10, Université de Genève, pp. 101-145 Luscher, J.M. 1994. « Les marques de connexion : des guides pour l’interprétation.» in Language et pertinence. 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Cambridge, Cambridge University Press, 226 pages. 1 Ces livres sont disponibles grâce à la contribution de la Revue Canadienne de Linguistique Appliquée. Nous remercions beaucoup Robert Papen pour sa générosité. 143 RELQ/QSJL Vol I, No. 2, Printemps/Spring 2006 Gordon, Elizabeth, Lyle Campbell, Jennifer Hay, Margaret Maclagan et Peter Trudgill. 2004. Cambridge, Cambridge University Press, 370 pages. Gussenhoven, Carlos. 2004. The phonology of tone and intonation. Cambridge, Cambridge University Press, 355 pages. Heinz, Michaela. 2003. Le possessif en français : aspects sémantiques et pragmatiques. Bruxelles, De Boeck.Duculot. 520 pages. Jacobs, Neil G. 2005. Yiddish : a linguistic introduction. Cambridge, Cambridge University Press, 327 pages. Kendon, Adam. 2004. Gesture : visible action as utterance. Cambridge, Cambridge University Press, 400 pages. Kroeger, Paul R. 2005. Analysing grammar : an introduction. Cambridge, Cambridge University Press, 364 pages. 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