dossier où sont passées les féministes?
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dossier où sont passées les féministes?
MODE LE RETOUR DU BCBG DOSSIER OÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES ? ENQUÊTE le paradoxe Sarkozy ANTI-68: TOP TENDANCE 17 Directrice de la publication Véronique Richard, directrice du CELSA Directeur de la rédaction Arnaud Le Gal, professeur associé au CELSA Rédaction en chef Marc-Antoine de Poret Anastasia Svoboda Rédaction Nicolas Allix, Nassim Alloy, Leslie Benzaquen, Aline Brachet, Gaël Chavance, Virginie de Rocquiny, Claire Fleury, Samuel Forey, Alicia Gaydier, Justine Gourichon, Antoine Guinard, Alix Le Bourdon, Samia Malas, Marine Miller, Agnès Millet, Jean-Baptiste Mouttet, Rabya Oussibrahim, Marie Piquemal, Marc-Antoine de Poret, Anne Soetemondt, Aude Soufi, Anastasia Svoboda, Morgane Tual, Clément Zampa Directrice artistique Marie-Madeleine Sabouret, chargée de cours au CELSA Secrétariat de rédaction Nathalie Avril, chargée de cours au CELSA, Aline Brachet, Gaël Chavance, Alicia Gaydier, Aude Soufi, Morgane Tual Photographe Samuel Forey Iconographe Clément Zampa Formule Avec l’aimable autorisation de Madame Figaro Remerciements Hervé Demailly, Gérard Loustau (CELSA), Christophe Forcari Impression Advence, Paris Macadame Figaro est édité par l’Université de Paris-Sorbonne, CELSA, École des hautes études en sciences de l’information et de la communication CELSA 77, rue de Villiers 92200 Neuilly-sur-Seine Tél. : 01 46 43 76 76 Fax : 01 47 4566 04 Fax rédaction : 01 46 43 7630 49 26 DE VOUS A MOI 5 « Baba, bobo… bling bling » par Anastasia Svoboda et Marc-Antoine de Poret EN WEEK-END… 6 Renaud Blanchard NOTRE CHRONIQUEUR 7 Le carnet de Sam CULTURES MACADAME 8 9 10 11 Cinéma Télévision Livres Musiques En couverture Justine Kennedy porte une robe Friperie Maquillage Eïleen Caytan Photo Samuel Forey Chien Nimbus de marque bulldog DÉCRYPTAGE ENQUÊTE 12 Une bonne claque à l’Éducation nationale ? 40 Nicolas Sarkozy, soixantehuitard contrarié 42 Anti-68, pourquoi ça marche ? RENCONTRES 15 Mai 68, je réécris ton nom 22 « Voter Boutin, c’est rejeter Mai 68 » MODE 17 Retour du BCBG CONVERSATION 24 La désillusion en marche DOSSIER OÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? 28 Conversation. Éric Zemmour 29 Conversation. Violaine Lucas 30 Portraits. Féministes, mais pourquoi ? 31 Danièle Sallenave : « Vivre dans la paix des sexes » 32 Reportage. Machisme ordinaire : « Sois vierge et tais-toi ! » 34 Témoignages. Femmes au foyer pas désespérées 37 En blanc et contre tout 38 Rencontre. « Il est interdit de ne pas jouir » 39 L’avortement, un droit souvent oublié VOS RUBRIQUES 43 Horoscope 46 Les héritiers RENDEZ-VOUS MADAME 44 Voyage : Paris, capitale de l’oubli 45 Forme : cocaïne, les rails du conformisme CUISINE 47 Un chef se livre BEAUTÉ 48 Du caviar dans la peau DÉCO 49 Dominique Imbert, artiste au foyer SANTÉ 50 Cosmétique bio, la poudre aux yeux 3 4 DEVOUSÀMOI baba, bobo… bling bling ! Sous les pavés, le mirage ? En mai 1968, une crise culturelle, politique et sociale traversait la France. Passage d’un monde figé à une société moderne pour les uns, apologie du laxisme pour les a u t res. Les jeunes s’affranchissent du joug autoritaire. Les étudiants conspuent le consumérisme grandissant. Ils vivent sans temps mort et jouissent sans entrave. Quarante ans plus tard, le temps est passé et lui non plus ne s’est pas privé. Les soixante-huitards, à force de jouir, ont fini par acheter. À croire que l’interdiction d’interdire a servi le libéralisme. D’idéaliste, le baba cool semble avoir pris goût à l’individualisme. S’est installé dans des quartiers huppés. A acquis un style de vie aisé. A tenté de conserver sa liberté de penser. Mais s’est muté en bobo. Aïe ! De quoi rester bouche bée… Heureusement, dans le sommeil du bourgeois bohème survit un utopiste prêt à lancer des pavés et à casser du CRS. Peu importe l’ivresse, l’important c’est le flacon. Un bel appart ement, du strass, du diamant et une veste plaquée or pour ceux qui l’ont re t o u rnée… Bling bling ! Le nouveau héro s n’est plus Dany mais Sarko. Pas un grain de sable dans la Rolex, quoique… Vi v re sans temps mort, certes, mais pour travailler plus. C’est le B.A.BA du baba, passé bobo pour devenir, un prince du bling bling. La boucle est bouclée. Retour à l’âge d’or. Que s’est-il passé pour échanger une plage c o n t re tout ce babillage ? Un lieu commun veut que l’héritage de Mai 68 ait été réquisitionné par la gauche et piétiné par la droite. Et certains estiment en payer cher les droits de succession. Sur le testament, pourtant, il y a à pre n d re et à laisser. Alors, faut-il blâmer ou se battre ? À chacun d’apprécier si la barricade a fermé la rue ou ouvert la voie. MARC-ANTOINE DE PORET ANASTASIA SVOBODA 5 ENWEEK-END… « N on, je ne me sens pas héritier de Mai 68! Contrairement aux idées re ç u e s , dans cette vallée des Cévennes, je n’ai jamais rencontré de soixanteh u i t a rds… À trente minutes de marche du premier hameau, je ne vois pas grand monde. Mes seuls voisins sont le Chasseur, sa femme et ses deux enfants. Vi v re en autarcie, ne pas utiliser de machines électroniques, ça n’intéresse pas les babas. Beaucoup sont retournés dans leurs maisons confortables, avec un salaire qui tombe chaque mois. De mon côté, je n’ai pas écouté de grandes théories. Je me suis construit par moi-même. La mécanisation a engendré un monde individualiste où plus personne ne se rencontre. Après avoir vécu toute mon enfance en Seine-Saint-Denis, j’ai cherché un style de vie qui me corresponde mieux. L’an dernier, en janvier, je suis parti du Diois (Drôme), à la recherche d’un terrain cultivable. Après plusieurs jours de marche, … Renaud Blanchard POUSSÉ PAR UN DÉSIR DE RETOUR À LA TERRE, IL VIT RECLUS DANS LES CÉVENNES, MAIS POSE UN REGARD CRITIQUE SUR LES SOIXANTEHUITARDS. À 32 ANS, SES CONVICTIONS SONT EN ADÉQUATION AVEC CE LIEU AU NOM ÉVOCATEUR: LA VALLÉE PERDUE. SES ADRESSES • BASSIN NATUREL « LA PISCINE » OU « GOURG DU POMMIER », La Vallée perdue. Tenue correcte non exigée. Attention, risque d’assèchement l’été. • RIVIÈRE LE CHASSEZAC, frontière entre la Lozère, le Gard et l’Ardèche. Tenue de bain non obligatoire, nudité autorisée. • COOPÉRATIVE ASSOCIATION BIO LIBRE PARTAGE, La Grand Font, 07260 Joyeuses. Tél. : 04 75 35 98 92. • LA VIEILLE USINE, cuirs et peaux, stocks d’usine. Beauregard, 26300 Châteauneufsur-Isère. Tél. : 04 75 05 05 15. • LE GRAND SAULE, brins d’osiers réputés pour le tressage de panier. La Vallée perdue. 6 je suis arrivé à La Vallée perdue sur les conseils de gens croisés sur la route. Je ne me suis pas dit : c’est magnifique, posons le sac à dos là! Non, il faut être pragmatique. Les terrasses étaient cultivables, elles étaient bien exposées et l’eau ne manquait pas. Je suis resté. Comble du luxe, il y avait une maison de pierre inhabitée sans eau ni électricité. Mais ça ne me pose pas de problème. Grâce à La Vallée perdue, j’ai trouvé mon é q u i l i b re. Mes choix de vie sont réalisables, même si les rencontres féminines sont rares (rires). Le quotidien n’est pas de tout repos. Il faut sans cesse remonter les murettes des terrasses en mauvais état, ramasser les châtaignes pour les v e n d reà des coopératives. Toutes les petites activités prennent du temps: aller c h e rcher de l’eau à pied, ramasser du bois… L’hiver, je passe une grande partie de la journée autour du feu. J’y fais mon linge, la cuisine. Quand j’ai un moment, je vais chez des amis, Sylvain et Chloé, à une heure de marche d’ici. On se rend des petits services, ils me donnent des œufs… Nous discutons, jouons aux cartes. L’été, je vais me baigner dans la rivière, le Chassezac. Parfois, je vais au hameau pour me connecter à Internet. C’est la seule technologie qui me soit encore indispensable. Grâce au Web, je m’informe sur les techniques de cultures. M’en séparer, ça signifierait que je n’ai plus rien à appre n d re. Chaque fois que je renonce à un objet superflu, c’est une délivrance… Ce choix de vie, les soixante-huitards l’ont vite abandonné. Il faut bien avouer que, grâce à eux, les Cévenoles ont moins peur des grands gars barbus aux cheveux longs comme moi. Pourtant, il faut tourner la page. Ils avaient des projets politiques et spirituels qu’ils voulaient étendre à l’ensemble de la société. Le chemin à e m p runter doit être plus authentique, moins idéologique. Aujourd’hui, des gens expérimentent d’autres styles de vie, chacun de leur côté. Peut-être qu’un jour, nous nous rassemblerons.» PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-BAPTISTE MOUTTET Anne Soetemondt pose devant les futures pages du journal. Christophe Forcari et MarieMadeleine Sabouret reçoivent les ovations du public. LECARNET DE SAMUEL FOREY Une partie de la fine équipe s’est réunie pour le shooting mode qu’on peut retrouver dans ces pages. De gauche à droite et de haut en bas : Clément Zampa, Nassim Alloy, Ana Svoboda, Leslie Benzaquen, Agnès Millet, Nick Allix, Samuel Forey, Marc-Antoine de Poret, Marine Miller. “MACADAME FIGARO” LA NAISSANCE D’UNE STAR En mai 1968, les jeunes lançaient des pavés. Quarante ans après, ils lancent des journaux. Les journalistes du CELSA ont tous apporté leur contribution au nouveau chouchou des revues de presse, le bien nommé Macadame Figaro. Les célébrités se sont aussi penchées au-dessus du berceau du petit nouveau. Les bouclettes roses et blondes de Marie-Madeleine Sabouret et Nathalie Avril ont plané au-dessus des écrans d’ordinateur. Les étudiantes sont devenues de séduisants mannequins, voire des vestales pour Arnaud Le Gal, admiratif. Christophe Forcari, extatique, reste sceptique sur certains articles. Gérard Loustau vogue de claviers en écrans, présence discrète mais indispensable. Le programme était chargé. Avec les buffets de Stevens et Balloche, ils ont tous tenu. Les traits tirés, les yeux rougis, les étudiants ont accouché d’un bébé de papier glacé. Né dans l’amour et avec un brin de gloire, Macadame a la beauté d’une future star. Les pauses, un moment toujours privilégié pour Clément Zampa et Antoine Guinard. Marine Miller et Leslie Benzaquen se sont pacsées dimanche dernier. Elles fêteront bientôt un nouvel événement : Marine est enceinte d’une petite Lilas-Lou. C’est Nick Allix, le futur père de Lilas-Lou, qui a trouvé ce beau prénom. Jamais à court de bonnes idées, il prépare sa nouvelle émission de sport. De haut en bas : Rabya Oussibrahim et Aline Brachet ont toujours été présents et attentifs. Morgane Tual, à la tour de contrôle. Aude Soufi et Gaël Chavance, le couple le plus glamour du moment, mais surtout les deux têtes pensantes du secrétariat de rédaction. 7 CULTURESÉCRANS ON AIME/ON N’AIME PAS… TENDANCE REFLUX DE MARÉE LE CINÉMA EN 2008 En 2008, la Nouvelle vague est déjà loin. Que reste-t-il de ce mouvement cinématographique amorcé dans les années cinquante ? Ou sont passés les Tru ffaut, Chabrol, Rivette et Rohmer ? À l’heure d’Astérix chez les Ch’tis, et autre Bronzés font du Taxi, pas facile de re t ro uver les héritiers du courant. Avec une grande liberté dans le traitement de l’histoire, une simplification des méthodes de tournage, une génération de réalisateurs surfaient la Nouvelle vague en inondant le milieu de nouveaux codes professionnels et n a rratifs. Un demi-siècle plus tard , l’écume laissée par la déferlante paraît bien pauvre, presque invisible. Le Péril jeune laissait entrevoir un certain espoir de relève en la personne de Cédric Klapisch. C’était avant que la lame se brise sur Paris. Unique surv ivant, Philippe Garrel signait en 2005 une évocation sensible de Mai 68 dans Les Amants réguliers. Mais attention aux a priori. Avant d’accuser le cinéma français de tomber dans la grosse production abêtissante, il ne faut pas oublier son plus gros succès en salle. La Grande vadrouille (1966) et ses 17 millions d’entrées rappellent que le cinéma populaire ne date pas du XXIe siècle. En réalité, si le mouvement n’a pas trouvé d’échos dans le cinéma français contemporain, c’est pour laisser place à une multitude de styles. Aujourd’hui, le cinéma français compte presque autant de genres qu’il existe de réalisateurs. En témoignent récemment : l’horreur de Frontière(s) de Xavier Gens, la sciencefiction pour Dante 01 de Marc Caro, le polar futuriste version Chrysalis de Julien L e c l e rcq, l’animation avec Peur(s) du noir et le thriller hypnotique façon Cortex de Nicolas Boukhrief. Le cinéma français ne s’est jamais autant réinventé. La Nouvelle vague s’est fracassée sur les rochers pour mieux faire jaillir ce flot d’imagination. MARC ANTOINE DE PORET INNOVATION LE DERNIER COMBAT DES BOBINES Fini les grosses bobines à l’ancienne. Les films sont désormais contenus sur des disques durs offrant de grosses économies pour les studios et les distributeurs. Frein à cette nouvelle technologie, seuls 5 % des écrans dans le monde sont équipés pour utiliser le numérique. Les équipements coûtent cher aux exploitants et à, l’arrivée, les économies réalisées ne leur profitent pas. À terme, dans le cinéma du futur, les films pourraient bien être distribués via un vaste réseau informatique, éliminant par la même occasion les réseaux de distribution. M.A.P. 8 ON AIME… – La diversité. Savoir qu’à chaque instant il est possible de voir à l’écran une superproduction bourrée d’effets spéciaux, une stoner comedy (film de défonce) ou un drame intimiste dans le fin fond du Vietnam. – L’invention du « love seat » dans un cinéma du 13e arrondissement de Paris. Soulever un accoudoir et transformer les sièges en canapé permet de conclure beaucoup plus facilement. Au lieu de rapporter le cinéma chez soi avec un écran plat, voilà son propre sofa directement dans la salle obscure. ON N’AIME PAS… – Les téléphones portables allumés en permanence et les séances interrompues à tout moment par une sonnerie aussi stupide qu’agressive. – La disparition du cinéma familial et de l’entracte. Terminé la petite conversation avec le guichetier ou le projectionniste. Dépêchez-vous, la prochaine séance va bientôt commencer ! M.A.P. TV VERSION ÉDULCORÉE LE DOUBLAGE En trente ans de métier, Éric Legrand a doublé des dizaines de séries étrangères. Il rechigne, bien sûr, à modifier les dialogues de la version originale, mais il avoue son impuissance face aux clients. « C’est leur produit et ils font ce qu’ils veulent. Parfois, on tombe face à des cons…» Des traductions absurdes, il en a donc vu défiler. Toutes cherchent à gommer ce qui pourrait choquer le téléspectateur. Petite compilation : AVANT MAI 68, L’ÉTAT GARANTISSAIT LE RESPECT DE LA MORALITÉ DANS LES PROGRAMMES DE TÉLÉVISION. IL A CÉDÉ LA PLACE À DES ACTEURS PRIVÉS, QUI ONT, EUX AUSSI, LEURS IMPÉRATIFS. Indépendants… mais bien-pensants F igure consensuelle du PAF, devenue mémoire de la télévision, on n’attend pas vraiment Pierre Tc h e rnia sur le terrain de la censure . Dans les années 1950, alors qu’il présente la Boîte à Sel, une émission de chansonniers à l’humour grinçant, il est pourtant l’un des premiers à s’y opposer. « On jouissait d’une liberté totale, se rappelle-t-il. Mes complices, Jacques Grello et Robert Rocca, parlaient de tout. Y compris, à demi-mot, de la Guerre d’Algérie. » Cette liberté durera cinq ans. Sous la p ression de «certains députés» et après la diffusion d’un sketch sur Michel Debré, le ministre de l’Information Louis Terrenoire impose un contrôle préalable de l’émission. Pierre Tchernia renonce devant l’un des tout premiers exemples de censure à la télévision. Exhibition. Ancien chef opérateur à l’ORTF, Jean-Jacques Ledos a tout connu de cette époque. « En fait, il n’y avait ni censure ni liberté d’expression. Seulement de l’autocensure . » Et les trans- gressions étaient rares. « En 1961, Maurice Cazeneuve avait montré une actrice nue, de dos, pendant quinze secondes, se souvient-il. Cela avait pro v o q u é un tollé ! » Depuis, la libération des mœurs postMai68 a imposé la nudité et le sexe sur le petit écran. Avec en point d’orgue l’année 1985 où Canal+ diffuse Exhibition, son premier film X. Les soixante-huitards sont aux manettes des chaînes. Ils libèrent les p rogrammes et accompagnent la libéralisation du secteur. Drogue, putes et pudeur. Un secteur qui, entre-temps, s’est ouvert au privé. Cinq mois seulement après Mai 68, la publicité faisait son apparition à la télévision. « Elle a considérablement modifié le contenu des émissions, relève Jean-Jacques Ledos. Les chaînes se sont rapidement soumises à l’attente des publicitaires.» Avec un seul mot d’ordre: préserver le téléspectateur, devenu consommateur. Ce constat, le comédien Éric Legrand le fait au quotidien. « Il y a vingt ans, • Merde = Oh non ! C’est pas vrai ! Bon sang ! • Conneries = sottises • Roi des connards = personnage odieux • Saloperie = saleté • Héroïne, cocaïne = poudre • Whisky = boisson • Dégueulasse = pas juste • Foutre le camp = partir d’ici • Ferrari = voiture de sport • Le « Nazi » = le tyran (extrait de Grey’s Anatomy) • « Combien de fois par jour tu joues avec popaul ? » = « Tu me trouverais mieux avec les cheveux éclaircis ? » (extrait de Dawson) C. Z je travaillais sur un téléfilm où il était question de deux choses : la drogue et les putes. Seul problème : on n’avait pas le droit d’utiliser ces termes dans la version française ! » En cause, les clients qui «veulent imprimer leur marque » sur les séries qu’ils ont achetées. « Souvent, on s’autocensure pour ne pas avoir à réenregistrer une prise dans laquelle un mot grossier aurait déplu », constate Éric Legrand (lire encadré). Outre cette pudeur verbale, interdiction f o rmelle de se moquer des minorités ethniques ou sexuelles. Et aussi de citer les marques. «Dans ce cas, il faut contrebalancer et citer les concurrents. » Et les professionnels ne peuvent rien faire , malgré leur agacement. « Il n’y a pas beaucoup de personnes capables de faire avancer les choses, conclut Pierre Tc h e rnia. Coluche, par exemple, allait loin dans ce qu’il racontait, et personne ne s’est jamais plaint. Mais il avait un vrai charisme. » CLÉMENT ZAMPA 9 CULTURESLIVRES AUSSI NOMBREUX QUE LES PAVÉS DANS LE QUARTIER LATIN, ON NE COMPTE PLUS LES LIVRES SUR MAI 68 SORTIS CETTE ANNÉE. L’HÉRITAGE DE CETTE PÉRIODE CONTINUE D’ALIMENTER LES DÉBATS DANS LES DIFFÉRENTS OUVRAGES. QUE RESTE-T-IL DE MAI 68? DES PAVÉS! Che Sous les pavés… les pages LA PHILOSOPHIE EST DANS LA RUE ! DE VINCENT CESPEDES MAI 68 EXPLIQUÉ À NICOLAS SARKOZY D’ANDRÉ ET RAPHAËL GLUCKSMANN Renier ou renouer avec Mai 68 ? Voilà le dilemme auquel semble livré Nicolas Sarkozy. Le 29 avril 2007, alors candidat à l’élection présidentielle, il se lance dans une grande attaque contre Mai 68. Pourtant, selon André et Raphaël Glucksmann, le président est plus son héritier contrarié que son pourfendeur acharné. Les auteurs passent de Nieztche à Flaubert, de Montaigne à CohnBendit, de Stendhal à Shakespeare, pour analyser l’appropriation et le rejet des événements par le candidat Sarkozy. Un livre d’ailleurs centré davantage sur la personnalité du chef de l’État, qu’André Glucksmann a ouvert e m e n t soutenu durant la campagne, et son attitude stratégique de rupture vis-à-vis de Mai 68, que sur l’héritage et les changements provenant de cette période. Décevant… Plus qu’un événement historique, Mai 68 est un concept philosophique. C’est du moins la thèse que défend Vincent Cespedes. Pour lui, la crise qui a conduit aux événements de ce célèbre mois de mai est avant tout d’ordre philosophique. C’est à la philosophie de l’époque que les soixante-huitards s’en sont prise, c’est aussi à la philosophie du mouvement que s’en prennent aujourd’hui ses détracteurs et c’est encore la philosophie de Mai 68 que ses héritiers revendiquent. Une idée qui peut paraître abstraite. Mais Vincent Cespedes parvient à montrer en quoi l’incompréhension de ce tournant philosophique a généré les crises actuelles de la société française. Une prouesse pour un homme né en 1973… Éditions Larousse, coll. Philosopher, 17 e, sortie le 26 mars 2008. ESSAI PHILOSOPHIQUE Éditions Denoël, 233 p., 30 e, Sortie le 14 février 2008. LIQUIDER MAI 68 ? DE MATHIEU GRIMPRET ET CHANTAL DELSOL Universitaires, philosophes, journalistes, mais aussi humoristes, témoins, responsables associatifs et leaders d’opinion, français et étrangers : ils dressent le bilan de Mai 68 et l’inscrivent pour la majorité dans la colonne « passif ». Un ouvrage satirique, parfois comique, mais trop souvent critique. Édition des Presses de la Renaissance, 341 p., 21 e, sortie le 1er avril 2008 10 À CEUX QUI NE L’ONT PAS VÉCU DE PATRICK ROTMAN Que s’est-il réellement passé en mai 1968 ? Une révolte estudiantine, la plus grande grève de l’histoire, une crise politique et économique sans précédent? Une déferlante qui a marqué durablement la France des années 1970 et qui continue de diviser aujourd’hui. Loin des préjugés, des opinions partisanes, des idées préconçues, des légendes et de la mythologie qui entourent Mai 68, Patrick Rotman revient sur les faits avec un re g a rd lucide et distancié. L’auteur retrace fidèlement les événements de cette période et en propose une interprétation rigoureuse, pour mieux comprendre un mois qui a marqué l’histoire. Éditions du Seuil, 168 p., 12 e, sortie le 7 février 2008. CULTURESMUSIQUE Cheveux courts À L’HEURE OÙ L’ON COMMÉMORE MAI 68, PLUSIEURS AUTEURS SE PENCHENT SUR UNE AUTRE RÉVOLTE. PLUS NOIRE ET PESSIMISTE, LE PUNK FERA VOLER LES IDÉAUX DE 1968 ET INJECTERA DU SANG NEUF AU ROCK. et idées noires I l aura fallu attendre moins d’une décennie pour voir s’eff o n d rer les auteurs de la bande-son de Mai 68. Dès 1975, quatre traîne-savates new-yorkais fauchés qui s’ennuient se mettent à jouer une musique effrénée, basique, mais diablement efficace, aux antipodes du rock expérimental et progressif qui inonde les ondes. C’est l’avènement des Ramones. Suivis de près par les Sex Pistols, les Clash ou encore les Buzzcocks outre-Atlantique, ils vont allumer la mèche qui dynamitera les derniers dinosaures du Flower Power et rendre le rock au peuple. Exit les soli d’orgue interminables des virtuoses de Yes, Deep Purple et autre King Crimson. Place à un rock re b e l l e , crasseux, brut, qui crache ses tripes et sa désillusion. Caractérisé par des concert s souvent violents, des morceaux cours et rugueux, joué par des amateurs volontiers maladroits, le punk s’érige tout d’abord en antithèse du rock psychédélique qui a accompagné et marqué les années 1960. Faisant table rase du passé, il va redonner au genre une certaine sincérité et surtout l’urgence qui lui est si vitale. Antagoniste de ses prédécesseurs musicaux dans la forme, le punk l’est aussi sur le fond par la nature même de ses acteurs. Le slogan de Mai 68 «J’ai quelque chose à dire mais je ne sais pas quoi » trouve, certes, son écho chez Johnny Rotten, brailleur en chef des Sex Pistols, qui « ne sait pas ce qu’il veut mais sait comment l’obtenir». Pourtant, si les ro ckers des sixties étaient généralement issus, comme la majorité des étudiants de 1968, de la classe moyenne, voire de la bourgeoisie, les punks se situent pour la plupart en bas de l’échelle sociale. Le Working class hero célébré par John Lennon en 1970, ce ne sont pas les lanceurs de pavés parisiens ou les hippies du quartier Haight Asbury à San Francisco qui l’incarnent, mais bien eux. “JUSTE POUR FAIRE CHIER LE BOURGEOIS” La conscience et l’activisme politique, chers à leurs aînés plus favorisés, sont donc remplacés par le cynisme, la dérision et la provocation. À l’inverse de la génération de 1968, les punks vont souvent agir en réaction à cette hyperpolitisation. L’esprit nihiliste qui caractérise le mouvement à ses débuts se traduit, entre autres, par la désacralisation des symboles. On ne s’affiche plus Mao-spontex, trotskiste ou sympathisant d’une cause noble et lointaine. Sigles communistes, imageries du troisième Reich et crucifix sont au contraire exhibés sans discernement, «juste pour faire chier le bourgeois», comme l’écrit Rémi Pépin dans Rebelles, qui raconte l’histoire du rock alternatif. « Soyez réalistes, demandez l’impossible», disait-on en 1968. En 1977, considérée comme l’année ultime du punk avec la parution de plusieurs albums cultes du genre, l’espoir d’un monde plus juste s’est déjà estompé face à la f roide réalité de la crise économique. No future sera le mot d’ord re de cette frange désabusée de la jeunesse qui f o rme le creuset du mouvement punk. Marsu, vétéran de la scène parisienne, résume leur état d’esprit : « La génération précédente pouvait espérer un meilleur avenir pour leurs enfants. Pas nous. » ANTOINE GUINARD 11 DÉCRYPTAGE La violence tend à se généraliser en classe. “Interdire d’INTERDIRE” a-t-il fait plus de mal que de bien à l’école? une bonne claque à l’Éduc DIDIER PLEUX psychologue et auteur du livre “De l’enfant roi à l’enfant tyran” VOUS AVIEZ 17 ANS EN 1968 ET ÉTIEZ TRÈS ENGAGÉ. AUJOURD’HUI, VOUS PRÔNEZ L’AUTORITÉ. CELA NE VA-T-IL PAS À L’ENCONTRE DE VOTRE PASSÉ MILITANT ? Préconiser l’autorité dans l’éducation n’a rien à voir avec la politique ! Dans mes livres, je lutte autant contre l’autoritarisme du temps des blouses grises que la permissivité de certaines familles d’aujourd’hui, un travers issu des théories Dolto. En dignes héritiers de la mouvance de 1968, ces principes ont créé des enfants rois qui n’acceptent de se soumettre à aucun interdit. La bonne autorité, c’est le fait de mixer amour et frustration. QU’OBSERVEZ-VOUS CHEZ LES PATIENTS QUI ONT DES PROBLÈMES DE DISCIPLINE AVEC LEUR ENFANT ? En général, ces personnes sont déboussolées. Le grand impact de Dolto, c’est de nous avoir fait croire qu’il y avait un double en nous, une sorte d’ennemi intérieur. Comment voulez-vous que des parents ou des enseignants éduquent rationnellement des enfants dans ces conditions ? Actuellement, les Français ont trop tendance à être conditionnés par la vulgarisation de la psychanalyse. La France est le dernier pays, avec l’Argentine, à croire autant au mythe freudien. Ailleurs, cela fait bien longtemps que l’autorité est à nouveau au goût du jour. On revient à des principes simples où l’enfant gagne son argent de poche, participe aux tâches ménagères et fait du sport. VOS THÉORIES POURRAIENT-ELLES AVOIR UN ÉCHO SUR LES FUTURS JEUNES PARENTS ? Il y a toute une génération qui a souffert de parents permissifs. Eux ont compris l’importance de l’autorité. Mais aujourd’hui encore, on m’amène des enfants de 2 ans qui ont des problèmes de discipline à la maison. Ces comportements sont le résultat d’un mauvais cocktail entre la société de consommation – qui nous pousse à satisfaire nos plaisirs immédiats – et l’éducation d’un enfant, une entreprise qui suppose rigueur et exigence. MAIS N’Y A-T-IL PAS JUSTEMENT UN CHANGEMENT DE MENTALITÉ VIS-À-VIS DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION ? Tout ça va dans le bon sens. On assiste peut-être à la fin de l’hédonisme à court terme que peut proposer le système capitaliste. Finalement, il y a une seule grande question : peut-on parvenir à éduquer l’humain pour qu’il accepte un équilibre entre son plaisir et le principe de réalité? PROPOS RECUEILLIS PAR ALIX LE BOURDON 12 L a gifle est tendance. C’est même l’école qui l’a remise au goût du jour. Car ces derniers temps, ça a claqué dans les salles de classe. La dern i è re en date a visé un collégien de 10 ans de Berlaimont qui a eu le «connard ! » un peu facile. Aujourd’hui, les enseignants ont du mal à imposer leur autorité et l’école ressemble parfois à un ring de boxe. Reste à savoir qui du prof ou de l’élève finira KO. Les syndicats d’enseignants publient communiqué sur communiqué. Le syndicat national des lycées et des collèges, le Snalc-CSEN, s’est ainsi insurgé contre le placement en garde à vue du p rof de Berlaimont, poursuivi en correctionnelle pour «v i olence aggravée sur mineur», et a re g retté qu’il « n’ait pas eu le bras assez long pour gifler les parents de ce mal éduqué». « Des petits princes ». L’éducation. C’est bien ce qui semble être à la base du problème. Pour Jean-Bern a rdColdebœuf, exprésident de l’Autonome de solidarité laïque, une association de défense des enseignants, les slogans prônés en 1968, comme le fameux «il est interdit d’interdire», ont causé du tort à l’école. «Les enfants sont éduqués comme des petits princes. Si un incident se produit en classe, les parents agressent l’enseignant ! » À ses yeux, « lorsque les soixante-huitards sont devenus parents, ils ont voulu appliquer les principes qu’ils ont défendus. Le résultat : leurs enfants n’ont pas été assez serrés et tout explose». Les parents rendraient responsables les enseignants de ce qu’ils n’ont pas été capables de faire . L’institution montrée du doigt. À une époque, on craignait son maître comme un père de famille autoritaire. Mai 68, en balayant ces institutions poussiéreuses, a permis à l’Éducation nationale de pre n d reun nouveau départ quelque peu… original. Profs antipunitions ou antinotes, l’école a vu émerger une nouvelle génération d’enseignants. Plus ouverts, plus sympathiques, mais efficaces ? Jean-Bernard Coldeboeuf le reconnaît: «Ces professeurs n’étaient qu’une minorité. Mai 68 n’est pas responsable de tout, même si une bonne partie des p roblèmes en vient. » Mais alors comment perm e t t re aux enseignants de re t rouver cette autorité qu’ils disent perd u e ? Punitions physiques et uniformes ? C’est mamie qui va être contente ! LESLIE BENZAQUEN FAUT-IL ABANDONNER LA MIXITÉ À L’ÉCOLE ? Des relations entre garçons et filles quasi inexistantes. C’est le constat que font certains professeurs. « Les garçons vont vers les filles pour la drague, mais pas dans un cadre convivial. Ils se permettent de leur dire Tais-toi ! Salope, pute!» déplore Marie-Christine Montiel, principale du collège Léon Blum, à Villeneuve d’Ascq (Nord). Et si les garçons sont plus agressifs, les filles ne sont pas à court de vocabulaire pour se défendre… Mais ce n’est pas là qu’il y a le plus de tensions. Pour certains, les séances d’EPS sont de plus en plus embarrassantes. À l’adolescence, la transformation du corps gêne, les comportements sociaux se construisent. Quelques collèges ont donc eu l’idée d’organiser des cours de gym non mixtes et pas seulement. L’an dernier, le collège Albert-Camus, à Lille, a mis en place un atelier cinéma. Très vite, le projet mixte a été abandonné. Les garçons ont réalisé un film sur le foot, les filles sur la danse. Pendant quarante ans, la mixité scolaire a semblé s’imposer. Aujourd’hui, professeurs et associations constatent une dégradation des relations entre filles et garçons. «On s’est interrogé sur les difficultés des garçons à l’école et on s’est demandé s’il fallait qu’ils suivent des enseignements en groupe », illustre MarieChristine Montiel. Toutefois, le dialogue et la prévention peuvent désamorcer la situation. Les cours d’éducation sexuelle, ou ceux d’histoire-géo sur la condition féminine en sont l’exemple. Pour ces professeurs qui s’alarment, c’est toute la société qu’il faut impliquer. Pour éviter un retour en arrière que certaines jeunes filles semblent déjà avoir accepté. AGNÈS MILLET que à l’Éducation nationale? LES HUSSARDS DU B.A.BA Françoise Candelier se défend d’être une maîtresse ringarde. Pourtant, dans sa classe de CE1, les enfants planchent sur des leçons et des exercices repris dans des manuels qui datent parfois… de la première moitié du XXe siècle ! À Roncq (Nord), l’école Jacques-Brel compte quatre classes expérimentales Slecc (Savoir lire écrire compter calculer) agréées par l’Éducation nationale. Mis en place par le Grip, groupement de réflexion interdisciplinaire des programmes, le projet, défendu par d’éminents universitaires, entend revenir à une véritable « instruction publique » calquée sur le modèle de l’école publique de Jules Ferry. Après trente ans de carrière dans l’enseignement, Françoise Candelier émet un constat sans appel : « Les élèves n’apprennent plus rien dans l’école d’aujourd’hui. » Son cheval de bataille, la pédagogie ambiante qui règne sur le système scolaire. « Le sacro-saint principe de l’autonomie régit tout le système actuel ! » s’emporte-t-elle. L’enfant doit construire son propre savoir, émettre lui-même des hypothèses… C’est une perte de temps ! » Ainsi, dans les classes Slecc, pas question de laisser les enfants rédiger eux-mêmes le règlement intérieur de l’établissement, comme le veut la tendance. Méthode alphabétique pour apprendre à lire – le fameux B.A.BA –, textes d’auteurs classiques dès le primaire, les programmes se rapprochent de ceux des années soixante. Pour autant, les CE1 Jacques-Brel ne sont pas menés à la baguette façon école d’antan. Comme partout ailleurs, ils travaillent parfois en petits groupes ou débattent dans la cour. « Le problème ne réside pas dans les méthodes dites modernes, mais dans le contenu », martèle l’institutrice. Pour elle, la réflexion autour de la faillite de l’autorité est un faux débat : si les enfants n’obéissent plus, c’est que les enseignants n’ont plus de savoir à leur transmettre. « Les instituteurs deviennent des animateurs, déplore Françoise Candelier, ou pire VIRGINIE DE ROCQUIGNY des copains, à qui l’on tape sur l’épaule… » JE-SAIS-LI-RE En 2006, la méthode syllabique est devenue officiellement la seule façon d’apprendre à lire au C.P. Aux oubliettes les méthodes globales ou mixtes ! B.A.BA. C’est uniquement par syllabes que les petits font leurs premiers pas. Malgré un certain succès, la méthode globale aurait fait des dégâts. Mémoriser des mots entiers plutôt que divisés augmenterait les fautes d’orthographe. Pourtant, aujourd’hui, seuls 7 % des enseignants déclarent utiliser une méthode purement syllabique. L.B. 13 RENCONTRE De g. à dr. : Charles Sylvestre, Bernard Pudal et Brigitte Dionnet. Image de fond : L’Humanité, article du 3 mai 1968. Mai 68, je réécris ton nom LE PARTI COMMUNISTE RETOURNE-T-IL SA VESTE ? DU MOINS IL ESSAIE. DE LA CRITIQUE VIRULENTE DU MOUVEMENT ÉTUDIANT À SA DÉFENSE, LE CHEMIN Par Jean-Baptiste Mouttet N’EST PAS AISÉ. « D e faux révolutionnaires à démasquer». L’éditorial de Georges Marchais fait la une de L’Humanité le 3 mai 1968. Les attaques sont virulentes: Daniel Cohn-Bendit est un «anarchiste allemand», les mouvements d’extrême gauche des «groupuscules gauchistes». Ces termes collent aujourd’hui encore à la peau du parti alors que certains de ses membres, comme le député Patrick Braouezec, ont signé la pétition intitulée «Mai 68, ce n’est pas qu’un début : c’est une actualité urgente». Un collectif Mai 68 a même été créé au sein du parti pour la commémoration du quarantième anniversaire. Flash-back. À l’époque, le PC craint de voir « s a » révolution lui échapper. Seule la classe ouvrière, portée par le p a rti, peut mener la révolte. Les « fils de grands bourgeois », eux, se détourneront rapidement de la cause pour «diriger l’entreprise de papa», affirme Georges Marchais, qui vise notamment le Mouvement du 22 mars ou la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire ) . Aujourd’hui, le parti joue une autre musique. « Nous avons tout intérêt à travailler avec l’ensemble des partis de gauche. Mai 68 est plus à re f a i re qu’à défaire », se défend Brigitte Dionnet, dirigeante du collectif Mai 68. Preuve de ces bonnes résolutions: les municipales où le PC décide de jouer le jeu des unions, du Parti des travailleurs aux socialistes. Mais tous les rassemblements ne fonctionnent pas. « À Clerm o n t - F e rrand, la LCR est restée sur une ligne sectaire. Même Lutte ouvrière nous avait rejoints. » Les anniversaires défilent, les querelles demeure n t . Tourner la page. Le sentiment est partagé par de nombreux militants. Marcel Zaidner, successeur de Georges Marchais à la tête de la fédération du Val-de-Marne, avoue n’avoir pas perçu la signification profonde du mouvement. Bern a rdPudal, historien du communisme, confirme: «Les communistes n’ont rien compris. Ils étaient en contradiction avec les valeurs défendues par les étudiants et leur préféraient la discipline ou l’autorité du père . » Aux yeux de Marcel Zaidner, le parti n’a pas été anti-68. Il y a eu deux mouvements qui ne se sont pas réunis: les ouvriers et les étudiants. Et même quand Waldeck Rochet, le secrétaire général, parle le 9 mai de solidarité avec les étudiants en lutte, l’accueil est froid. Lors la manifestation du 13 mai, Daniel Cohn-Bendit lance: «Ce qui m’a fait plaisir cet après-midi, c’est d’avoir marché en tête d’un défilé où les crapules staliniennes étaient à la remorque.» «Les torts étaient partagés», rappelle Charles Sylvestre, qui a couvert les événements pour L’Humanité. S’il dit regretter la confrontation, il avoue ne pas avoir digéré les propos haineux du meneur du Mouvement du 22 mars. Ces regrets font doucement r i re Patrick Braouezec : « Moi, je ne suis pas dans la commémoration. Mai 68 a porté des idées. Il faut se baser sur cert a i n e s , comme l’écologie, pour constru i re notre société.» Il poursuit : « Chacun va tenter de tord re la réalité à sa manière. Le PC n’échappera pas à une relecture.» 15 BON CHIC …bon genre La mode se débarrasse des BARIOLÉS HIPPIES pour s’attarder sur le style BCBG, au MASCULIN comme au FÉMININ. Chemises, robes et tweeds retrouvent le GRIS et le NOIR. En bref, le simplement CHIC. AS P S F HOTOS AMUEL OREY 17 COURSE AUX I DÉAUX LE COSTUME, OUI, MAIS AVEC DÉCONTRACTION. À gauche, cravate dénouée, chemise ouverte et baskets. C’est la lutte finale… contre la mode guindée. AUX GRANDES FEM MES … LA MODE RECONNAISSANTE. À droite, les pantalons à pince mettent en valeur les longues jambes et les pulls cintrés les tailles de guêpe. 19 CUI R ET COTON MUTINE, COQUINE. À gauche, la femme de 2008 peut être classe et libertine. Tout est suggéré, chuchoté, mais assumé. LASCI VE, SUGGESTIVE GRIS CHINÉ, BLANC RAYÉ… À droite, la tendance est à la sobriété. Chic, mais pudique : le cache-cœur laisse la place à tous les fantasmes. 21 RENCONTRE “Voter Boutin, c’est rejeter Mai 68” « Q ue chacun ait du plaisir, pourquoi pas, mais jouir sans entrave, là, ça va trop loin»: Jean-Frédéric Poisson annonce la couleur. Pas de dédain pour les soixantehuitards de la part de ce proche de Christine Boutin, juste la conviction qu’ils se sont trompés. En clair, selon le député Poisson, Mai 68 a été trop loin dans l’égocentrisme, dans l’envie de se faire plaisir. Le plaisir : c’est là que le bât blesse. «Ce que Mai 68 a oublié, c’est l’aspect raisonnable de la vie.» Comprenez que dans le parti présidé par Christine Boutin, le Forum des républicains sociaux (FRS), la raison est bien supérieure aux sentiments. «Les valeurs traditionnelles posent des limites à la jouissance, et elles ont raison, car les excès nuisent à ceux qui les pratiquent.» La messe est dite. De là à voir en la doctrine boutiniste un bébé de Mai 68, c’est plus compliqué. D’abord parce que Mai 68 n’est Ambroise Touvet et Jacques Lefort (de gauche à droite) lors d’une réunion de présentation du Forum des Républicains sociaux en janvier 2008. 22 QUARANTE ANS APRÈS, DES ANTI-68 SONT AU POUVOIR. LA GARDE RAPPROCHÉE DE CHRISTINE BOUTIN, MINISTRE DU LOGEMENT ET DE LA VILLE, AFFICHE SES POSITIONNEMENTS TRÈS MORAUX, EN RUPTURE TOTALE AVEC L’ESPRIT DE MAI. UNE RUPTURE ASSUMÉE PAR NICOLAS SARKOZY PENDANT SA CAMPAGNE. Par Anne Soetemondt qu’une étape de l’histoire : «On ne peut nier son caractère accélérateur, mais le mouvement était déjà en marche », rappelle Jean-Frédéric Poisson. Ensuite parce que le FRS refuse d’en être réduit à ça. Aucune trace dans les statuts, pas de référence officielle à la révolution du Quartier latin dans les textes. «Non, non et non, Mai 68 ne stru c t u repas notre discours. » Et pourtant, dans la jeune garde du parti, les avis sont plus tranchés et clairement en défaveur du mouvement. «Moi, c’est la lutte contre les soixantehuitards attardés qui m’a fait entrer en politique », explique Jacques Lefort, à la tête des jeunes du FRS. Pourtant, il ne rejette pas toutes les valeurs véhiculées par Mai 68: « Il y a aussi certains aspects positifs dans ce que cette crise a engendré, par exemple la meilleure prise en compte des jeunes générations, c’est indéniable, et j’en suis le premier bénéficiaire, vous n’avez qu’à regarder la création des sections de jeunes dans les partis politiques. » “UNE EXCROISSANCE PRINTANIÈRE” L’énumération des bons points est courte, celle des mauvais l’est beaucoup moins. D’abord la remise en cause de la famille. « M a i 68 a testé les autres modèles familiaux : les couples homos, pas de couple, les couples à trois. Une manière de tenter de petites expériences sympathiques, mais pour quel résultat ? Pas d’engagement, pas de responsabilité, et il y a toujours un perdant, c’est évident! » s’énerve Jacques. Mais pour cet ingénieur de 31 ans, la plus grosse « connerie de Mai 68 », c’est sans conteste d’avoir érigé le plaisir en valeur suprême. «C ro i reque le plaisir est un therm o m è t re de la vie, une sorte de réalisation de soi est une erreur. En cela, c’est une exubérance, une excroissance printanière d’une philosophie adolescente.» Au plaisir, Jacques répond famille, construction, prise de re s p o nsabilité. «Et Christine Boutin est la seule femme politique à ne pas faire allégeance aux thèses de 1968, croit savoir Jacques, alors y’a pas photo ! » S’il fait plus librement référence à Mai 68 que ses aînés, il admet que dans le discours politique de Boutin, la thématique est absente. « C’est évident, c’est devenu implicite. » A m b roise aurait presque préféré que le rejet de Mai 68 soit exprimé plus librement. Responsable des idées aux jeunes FRS, il avoue avoir été agréablement surpris que «Nicolas Sarkozy ose prendre des risques sur ce thème lors de la dernière campagne. C’est évident que si Christine Boutin avait pris la parole, on l’aurait encore taxée de catho tradi de droite, alors qu’au moins, avec Sarko, le problème a été posé et c’est tant mieux». Le 29 avril 2007, le candidat Sarkozy prononçait un discours dans lequel il se positionnait très clairement contre l’héritage du mouvement: « Dans cette élection, il s’agit de savoir si l’héritage de Mai 68 doit être perpétué, ou s’il doit être liquidé une bonne fois pour toutes.» Ambroise et ses camarades du FRS ont choisi. Ce sera la liquidation: «Voter Boutin, et Sarkozy en l’occurrence, c’est rejeter Mai 68, là-dessus, aucun tabou. » “MOI, J’AI 29 ANS ET JE SUIS VIERGE” Interdire d’interdire. À en croire Ambroise, c’est LA grande erreur de Mai 68. «Pour grandir, pour avancer, il faut des interdictions, des limites, ça me paraît le B.A.BA», re p rend-il. « Et la liberté, c’est de se respecter soi et de respecter les autres, pas de faire n’importe quoi. Moi, j’ai 29 ans et je suis vierge, je n’ai pas honte de le d i re, je suis hyperfier. Je ne me sens pas prisonnier. La libération sexuelle, c’est de la rhétorique, c’est une connerie complète. Ma liberté, c’est d’attendre la bonne personne pour avoir des re l a- tions sexuelles et, à mon sens, c’est ça la vraie liberté, pas de coucher tous les soirs avec quelqu’un de différent.» A m b roise est anti-soixante-huitard et fier de l’être. Pour lui, il est bien plus difficile de choisir la voie du respect que celle de Mai 68, du laisser-aller. Il va même encore plus loin en s’énerv a n t c o n t re la « d i c t a t u re de la bonne pensée » : « A ff i rmer que les valeurs dites conservatrices sont emprisonnantes, c’est une connerie (une autre, NDLR), c’est justement l’inverse, mais ça demande un e ff o rt, et Mai 68 a balayé la culture de l’effort.» Sarkozy, après Boutin, a remis ce thème sur le devant de la scène, et « ça a fonctionné, puisqu’il a gagné ». De quoi conclure, selon Ambroise, que les Français sont «bien moins soixantehuitards que ce qu’on imagine». Pas de doute chez les boutinistes en tout cas: Mai 68, «c’est vraiment une saleté». 23 La désillusion en marche “Mai 68 et le CPE sont deux images renve WHO’S WHO ? Antoine. 19 ans, élève en hypokhâgne à Lakanal. Il a participé au mouvement anti-CPE quand il était au lycée. Depuis, il ne trouve plus le temps de manifester. Elsa. 22 ans, étudiante en Master 1 d’histoire à Paris-I. Elle se considère comme non politisée, mais participe aux « grosses manifs » : Le Pen, Irak, CPE… Jean-Daniel. 20 ans, étudiant en Licence 3 de lettres modernes à Paris-III. Il s’intéresse beaucoup à la politique, mais n’adhère à aucun parti. Noémie. 25 ans, étudiante en Master 2 d’anthropologie à l’EHESS. Issue d’une famille fortement politisée, elle se revendique seulement « de gauche ». 24 Les jeunes défilaient contre le CPE en 2006. Un “mini-68” pour certains. Quatre étudiants ont rencontré le sociologue François Dubet. Leur histoire: celle d’une génération désenchantée. Par Alicia Gaydier et Morgane Tual Q uarante ans après, quel re g a rdles étudiants portent-ils sur la révolution de Mai 68 et leur engagement politique d’aujourd’hui? Pour nous, Antoine, Elsa, Jean-Daniel et Noémie ont accepté d’en débattre avec François Dubet, sociologue des jeunes et du travail à l’université de Bordeaux-II. – F. Dubet. J’ai l’impression que Mai 68 et le mouvement anti-CPE sont deux images renversées. Il y a quarante ans, les jeunes avaient confiance en l’avenir. À l’inverse, les jeunes anti-CPE ont bac +4 et découvrent qu’ils sont promis à la précarité. Ce qui caractérise les étudiants d’aujourd’hui, c’est qu’ils ont peur. – Noémie. Oui, on ne voyait pas d’avenir. Il y avait cette fatigue, cette lassitude. Ce qu’il y avait de désespéré dans le CPE, c’est qu’on a manifesté sans vraiment espére r grand-chose… – Jean-Daniel. C’était un mouvement défensif par rapport à des acquis, dont ceux de 1968. On ne proposait pas. On était uniquement dans le « non ». – F. Dubet. Oui, c’est une réaction de crainte. Les étudiants se disent : « J’ai CONVERSATION n’a pas contribué à le créer. A u j o u rd’hui, la société me semble menacée par un mouvement conservateur. Au niveau de l’art, notamment, j’ai l’impression d’un retour en arr i è re . – Noémie. Dans la justice aussi. – Elsa. Et dans l’éducation. – F. Dubet. Cette image que tout va de mal en pis est typiquement nationale. Les jeunes Français d’aujourd’hui sont dans un état de démoralisation extrême. En 1968 aussi, la fac était sinistre. Dans les deux cas, ce qui redonne le moral aux étudiants, c’est d’occuper la fac, de former une communauté ! – Antoine. Mai 68, c’est l’unité du monde étudiant. Sauf que le monde étudiant, ça reste l’université. Moi qui viens d’un grand lycée parisien, quand j’allais dans les manifs, les étudiants me disaient : « Qu’est-ce que tu fous là ? » Pour eux, j’allais intégrer une grande école. – F. Dubet. C’est la lutte des classes ! Vous êtes les futurs patrons ! images renversées” une licence d’Histoire. Qu’est-ce que ça vaut ? Rien. » Ça peut paraître démagogique, mais c’était mieux d’avoir 20 ans en 1968. – Elsa. C’est pour ça qu’on cherchait à se comparer à Mai 68 pendant le CPE. P a rce que c’est le rêve de toute génération de re v i v re ça. – F. Dubet. Il y a une constante dans les mouvements étudiants : l’idée que les années soixante ont offert une fête à une génération. Les générations suivantes ont cette nostalgie. Il y avait une euphorie de la conquête de la liberté. Aujourd’hui, ces droits semblent acquis. Vous n’êtes plus une génération qui va chercher des libertés. Vous êtes une génération angoissée de ne pas savoir qu’en faire. – Noémie. C’est pour ça que je me suis distanciée du mouvement. À cause de cette énergie du désespoir qui n’était pas destinée, comme en 1968, à pre n d re des libert é s . – J.D. N o t re génération se bat contre la destruction possible d’un système qu’on a peut-être idéalisé, parce qu’on Les divisions sont passées dans le monde étudiant. En 1968, il y avait 500 000 étudiants. C’était un monde de relative unité. Aujourd’hui, vous êtes 2 millions. Les grandes prépas forment les futurs dirigeants et ça se stratifie jusqu’à la licence de psycho. Les anti-CPE, c’est cette partie basse de l’université. – Noémie. Mais on peut être à l’École normale supérieure ou à Sciences-Po et être solidaire ! On a le droit de vouloir une société meilleure ! En 1968, par exemple, il y avait une solidarité entre étudiants et ouvriers. – F. Dubet. Aujourd’hui, l’image de la misère du monde, ce n’est plus la classe ouvrière. Ce sont les banlieues. En France, vous avez deux jeunesses : une dedans, une dehors. Celle qui est dehors a fait les émeutes en 2005, celle qui est dedans a lutté contre le CPE. Et quand elles se sont rencontrées, l’une a tabassé l’autre. – J.D. C’est exactement ça. Pendant une manif, je me suis fait tabasser en règle. Je me suis dit: « Je viens de vivre la lutte des classes. Je suis un nanti! » C’est vrai, personnellement je pense que j’aurai une vie heureuse. Mais ce qui me rend triste, c’est qu’on détru i t les acquis de 1968. – F. Dubet. Ce qui est extraordinaire, c’est que 80 % des Français disent que ça va mal. Mais individuellement, ils affirment tous : « Moi, ça va. » C’est ça votre problème ! – Noémie. Vous pensez qu’on est tro p pessimistes ? – F. Dubet. Oui. Et je pense que la situation ne vous y autorise pas. – Elsa. Mais c’est un discours ambiant qu’on trouve dans la presse, chez les politiques, où on nous dit que tout est incertain… – F. Dubet. Mais vous êtes les seuls au monde, dans des pays comparables, à dire ça ! Les Allemands, eux, pensent que la société sera meilleure demain. – J.D. On est peut-être défaitistes, mais quand on voit d’anciens soixanteh u i t a rds devenus conservateurs, ça casse le mythe ! – Antoine. C’est ça le problème. Mai 68, ça devait être sympa. Mais ça n’a pas changé grand-chose: les révoltés d’alors sont devenus les réacs qu’ils combattaient. – J.D. Moi aussi, je suis remonté c o n t re les soixante-huitards qui se sont embourgeoisés… Au fond, la mouvance anti-68 est plus une question de personnes que d’idéologie. – Noémie. Il faut aussi arrêter de revenir systématiquement à Mai 68, c’est comme ça qu’on pourra créer un nouveau militantisme. Même si, bien sûr, cet élan de liberté, c’est quelque chose qu’on aimerait revivre… Enfin, vivre. – Elsa. Moi aussi. Forcément, c’est un t ruc que j’aurais aimé vivre, mais ce n’est pas possible car 1968 a déjà fait beaucoup. – J.D. Il faut trouver notre combat, au lieu de penser à ce qui a déjà été gagné. – Antoine. En Mai 68, on a obtenu des acquis fondamentaux que personne n’essaie de nous repre n d re. C’est pour ça que pendant le CPE, c’était idiot d’utiliser les slogans de 1968. Ce n’était pas le même contexte. – J.D. Et pourtant, ces slogans reviendront aux prochaines manifs… – Noémie. Eh bien il faut en créer de nouveaux. 25 DOSSIER où sont passées les féministes? Néomachistes contre militantes féministes, femmes au FOYER ou femmes ACTIVES, sexologues ou membres du planning familial: Macadame Figaro ouvre ses pages à de nombreux acteurs ou TÉMOINS des CHANGEMENTS de la société. Bilan de quarante années de LUTTES féministes. 26 Miss.Tic est une artiste, plasticienne et poète parisienne. Elle est notamment connue pour ses pochoirs sur les murs de Paris, d’abord sauvages, maintenant exposés dans de grandes galeries de la ville. I « l y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme. » C’est avec ce slogan et le dépôt d’une gerbe sous l’Arc de Tr i o m p h e que le féminisme militant s’impose dans les années 1970. Car s’il n’est pas né avec Mai 68, le mouvement bénéficie de l’onde déclenchée par les mouvements étudiant et ouvrier. Dans leurs foulées, en dignes h é r i t i è res de Simone de Beauvoir, les femmes s’organisent, la parole se l i b è re . Malgré les décennies de combat, les progrès paraissent dérisoires. En matière de sexisme, par exemple. De la publicité pour yaourt aux clips de rap, en passant par les jouets ou les livres pour enfants, les cibles ne manquent pas. F e rmons l’œil un instant et imaginons. « Il était une fois, dans une petite maison coquette, une paisible famille d’ours. Papa Ours était le plus gentil des papas : toute la journée, il faisait le ménage et cuisinait de bons petits plats pour ses oursons pendant que Maman Ours allait travailler au ministère des Finances. » Ce conte, nous ne le lirons pas. Pas assez conventionnel, trop dérangeant. Les clichés ont la vie dure, jusque dans les rateurs miniatures… comme maman. Aux petits garçons les ateliers de bricolage, les gros muscles et les jeux de conquête… comme papa. Rose pour les filles, bleu pour les garçons. On a froid dans le dos quand on sait que les l i v res et les jeux sont parmi les supports les plus importants pour l’appre ntissage des rôles sociaux. Qu’on ne s’étonne pas, ensuite, si 80 % des tâches m é n a g è res sont faites par les femmes et que les hommes soient plus violents. «L’égalité est loin d’être acquise», explique Jules Falquet. Pour cette sociologue et maîtresse de conférences à l’université Paris VII, « en dix ans, la part de parti- « Papa Ours aux fourneaux Maman Ours au boulot » albums illustrés pour enfants. Selon l’association Du Côté des filles, qui a étudié une centaine d’ouvrages européens, il y aurait encore du chemin à faire pour que les mamans perdent leurs tabliers et les papas leurs chare n t a i s e s . Idem pour les jouets : aux petites filles les dînettes, les poussettes, les aspi- cipation des hommes a augmenté de dix minutes par jour. La priorité, à mes yeux, c’est la lutte contre le racisme et la précarité économique, qui touche en particulier les femmes et encore davantage les femmes d’origine étrangère. Le temps partiel ou la flexibilité les concernent plus que les hommes ». À l’occasion du quarantième annivers a i re de Mai 68, Macadame Figaro tente de dresser un état des lieux du féminisme. Est-il ringard, bourgeois et dépassé comme on le dit souvent? Représentet-il encore un combat de référence pour les femmes du début du XXIe siècle ? Peut-on parler d’un recul des valeurs de Mai 68 en matière de comportements amoureux et sexuels ? Avec, notamment, Violaine Lucas, de l’association Choisir la cause des femmes, Danièle Sallenave, auteur d’un ouvrage sur Simone de Beauvoir, et Mimouna Hadjam, militante à La Courneuve, retour sur un combat vieux de plusieurs siècles. ALINE BRACHET QU’EST-CE QUE LE FÉMINISME ? Le féminisme est une réflexion et un mouvement qui préconise l’extension des droits et du rôle de la femme dans la société, dont on peut dater la naissance autour du XVIIIE SIÈCLE, avec Olympe de Gouges. Les définitions et les pratiques sont multiples, mais pour Jules Falquet, être féministe repose surtout sur quelques valeurs fondamentales : « Souhaiter, au minimum une égalité entre les hommes et les femmes, lutter contre toute forme d’oppression, sexuelle, raciale et capitaliste ; remettre en cause le principe de l’hétérosexualité comme système. Et bien sûr, selon les pays et les circonstances, il existe d’autres combats prioritaires. » 27 CONVERSATIONSOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? En 2006, Éric Zemmour déclenche la polémique avec son livre “Le Premier sexe”, biblede la virilité du XXIe siècle. Le court pamphlet dénonce la “féminisation de la société”. Deux ans plus tard, les valeurs de Mai 68 sont contestées et le débat plus vif que jamais. Par Agnès Millet avec Marine Miller Éric Zemmour “Les hommes veulent devenir des femmes” « Macadame Figaro ». – En 2008, certaines féministes se battent encore contre ce qu’elles considèrent comme l’oppression masculine. Pourtant, selon vous, les femmes auraient déjà gagné la guerre contre les hommes… Éric Zemmour. – Depuis des années, le discours dominant est celui de la féminisation. Dans les années 1960, les féministes existentialistes voulaient que les femmes se comportent comme des hommes, mais elles y ont, pour la p l u p a rt, renoncé. Trop douloure u x . Aujourd’hui, les féministes essentialistes, qui défendent l’idée que les valeurs féminines prévalent sur les valeurs masculines, ont gagné. Les hommes veulent devenir des femmes. Ségolène Royal est l’incarnation de ce féminisme essentialiste. C’est le discours dominant, même si, dans la réalité, on croit voir encore les hommes dominer la société. En fait, ce sont les valeurs féminines qui régissent la culture actuelle. Les films de Pedro Almodovar l’illustrent bien. – Deux ans après la publication de votre livre et avec des phénomènes tels que la Chabalmania et un certain retour à l’idéal 28 du mâle viril, pensez-vous que votre analyse soit toujours d’actualité ? – Plus que jamais, je suis sidéré de voir le nombre de jeunes – beaucoup de jeunes filles – qui viennent me voir, deux ans après, pour me dire à quel point ils sont d’accord avec mon livre . Ils vont même encore plus loin que ce que j’ai écrit. Il faut arrêter de dire que je suis un pro v o c a t e u r. Je ne fais que constater. – Concrètement, comment se traduit cette féminisation ? – La société est traversée par deux mouvements contradictoires, la féminisation dominante et le retour fantasmé à la virilité. Aujourd’hui, les jeunes femmes trompent leurs petits amis avec des types beaucoup plus vieux qu’elles, qui ont l’argent, la réussite sociale, et osent des comportements machos. – Quelles limites imposer à la parité ? – Le christianisme est la pre m i è re religion qui ait imposé la monogamie et l’amour dans les relations sexuelles. Mais le christianisme a échoué à imposer cette « a p p roche féminine de la sexualité » en Europe, quand la bourgeoisie, au XIXe siècle, réussit – en sur- f a c e – à imposer la monogamie aux hommes. Mais il ne faut pas oublier les bordels, les maîtresses… Mai 68, c’était la fin du puritanisme du XIXe siècle. Tout a commencé quand les étudiants de Nanterre ont voulu aller dans le dortoir des filles. – Pour vous, Mai 68, c’est quoi ? – Au final, c’est la victoire du marc h é . Il a besoin « d’armée de réserv e » pour briser les revendications des ouvriers blancs mâles. La parité, comme les délocalisations, comme l’immigration permanente, c’est le moyen génial qu’a t rouvé le capitalisme pour abaisser les salaires et retrouver le chemin des inégalités énormes. Féministes, gauchistes, libert a i res, tous ont été les «idiots utiles du capitalisme ». Certains des chefs soixante-huitards ont été récompensés par une belle réussite sociale. Le prix à payer fut la dislocation du pays, l ’ é m e rgence des communautés antagonistes, la féminisation des garçons, menacés par la virilité agressive des jeunes machos des banlieues. C’est cela que comprend mon narrateur dans mon nouveau roman, Petit frère. Mais ceci est une autre histoire. Violaine Lucas “Le formatage des femmes continue” FÉMINISTE ET BÉNÉVOLE DE L’ASSOCIATION CHOISIR LA CAUSE DES FEMMES, VIOLAINE LUCAS, PROFESSEUR DE LETTRES ET PROCHE DE GISÈLE HALIMI, LUTTE Par Marine Miller CONTRE LES CLICHÉS MACHISTES PERSISTANTS. « Macadame Figaro ». – Mai 68, une révolution pour les femmes ? Violaine Lucas. – Les comport e m e n t s n’ont pas changé en un mois. D’ailleurs, Daniel Cohn-Bendit et Alain Krivine ont récemment avoué qu’ils étaient très machos à l’époque. Ce sont d’abord les hommes qui ont profité de cette révolution sexuelle ; les femmes étaient encore préoccupées par leur contraception et par le droit à l’avortement. La revendication de droits pour les femmes et le début d’une liberté sont devenus réalité avec, en 1971, le Manifeste des 343 salopes (pétition parue dans Le Nouvel O b s e rvateur et signée par 343 femmes a ff i rmant avoir avorté et s'exposant ainsi à des poursuites pénales, N D L R) et, en 1972, le p rocès de Bobigny (une mineure de 16 ans poursuivie pour avoir avorté à la suite d’un viol. Défendue par Gisèle Halimi, elle avait été acquittée, NDLR). Le militantisme féministe des années 1970 est une des conséquences de Mai 68. – Selon vous, les progrès réalisés depuis sont-ils suffisants ? – Non. Aujourd’hui, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. D’un point de vue pragmatique, la violence ordinaire contre les femmes n’a pas diminué. – Quel jugement portez-vous sur le livre d’Éric Zemmour “Le premier sexe” ? – Il y a une tendance globale d’inversion des rôles : la femme est un bourre a u , l’homme sa victime. Ces idées me parais- sent très loin de la réalité que je connais en tant que féministe et aussi en tant que professeur de lettres. Éric Zemmour a tenté de pro d u i reune réflexion, mais l’essentiel de son livre est basé sur des c a r i c a t u resgro s s i è res me donnant l’imp ression d’être au café du commerce. – Les féministes ont-elles encore un rôle aujourd’hui ? – Plus que jamais. Elles doivent être lucides sur le fonctionnement de la société. L’arrêt de la Cour de cassation sur le statut du fœtus est symptômatique, nous savons que c’est un premier pas vers quelque chose de grave. Il y a un rôle de veille et de vigilance à avoir. D ’ a u t repart, je constate qu’il n’y pas de transmission aux jeunes générations du combat qu’ont mené certaines, comme Gisèle Halimi. Le formatage des femmes La féministe qui déteste les hommes, c’est un cliché continue sous des formes insidieuses. Exemple : la presse pour adolescentes avec tous ces tests psychologiques : « Savez-vous séduire ? Êtes-vous une salope au lit ? » De manière générale, l’ensemble de la presse féminine est en phase avec une forme de doublemind: la femme doit être sexy mais fidèle, désirable mais fréquentable… S’il y a un combat à mener, c’est celui de la transmission des valeurs féministes. – Les féministes peuvent-elles dépasser l’affrontement entre les hommes et les femmes ? – Bien sûr. Nous ne sommes pas du tout dans cette logique d’opposition des sexes. Au contraire! J’apprécie la compagnie des hommes. La féministe qui déteste les hommes, c’est devenu un cliché. Je ne suis pas une féministe essentialiste. Pour moi, la nature de la femme n’est pas m e i l l e u reque celle de l’homme. 29 PORTRAITSOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Féministe, mais pourquoi ? ELLES NE SE SENTENT PAS CONCERNÉES PAR LES MOUVEMENTS MILITANTS DE 1968. INCONSCIENCE OU FÉMINISME MODERNE ? À UNE LUTTE QU’ELLES JUGENT CARICATURALE, ELLES OPPOSENT LEUR RÉUSSITE PROFESSIONNELLE. Par Justine Gourichon. De gauche à droite : Julie, Blanche et Nathalie 30 « CE N’EST PLUS UNE QUESTION D’ACTUALITÉ » « JE NE SUIS PAS MILITANTE » « JE SUIS FÉMINISTE PAR DÉCORATION » Julie, 29 ans, cinéaste « On peut porter des minijupes et ne pas avoir de poils sous les bras sans que ce soit au détriment de l’image de la femme.» Selon Julie, le féminisme version 1968 est une lutte contre les hommes, agre ssive et caricaturale. Elle a fait des études de lettres et commence aujourd’hui sa carrière de cinéaste. Son premier court métrage a été sélectionné au festival Paris Tout Court. « Lubrique est un teenage-moovie où les filles ont une place centrale. Le personnage apprend à ses dépens que le garçon n’est pas toujours l’ennemi. Ce qui ressort, ce sont les difficultés communes aux garçons et aux filles de trouver leur propre voie et pas celle d’un groupe, d’écouter leurs désirs sans les brimer. » Pour Julie, le conflit entre hommes et femmes est aujourd’hui une manière obsolète d’aborder la question de la femme en France. Selon elle : « Chacune d’entre nous peut faire progresser cette cause à l’échelle individuelle, en menant une vie libre et indépendante, la vie qu’on entend.» Blanche, 25 ans, naturopathe « J’ai autant d’ambition qu’un homme.» Blanche est naturopathe ( m é d e c i n e douce basée sur des moyens nature l s ). Dans un milieu majoritairement masculin, elle c o n s i d è re que se mesurer dans son métier à des hommes réputés souvent machos, c’est revendiquer sa féminité. Pour elle, pas besoin de refuser qu’un homme lui porte sa valise. « Je ne cherche pas à être leur égale. Être féministe, c’est être une femme indépendante, qui s’assume dans la société en tant qu’individu, autant dans sa famille que dans son projet professionnel ». Si dans son milieu, la question du féminisme ne se pose pas, la plupart du temps, c’est dans le monde du travail qu’il y a encore, selon elle, des inégalités. « Tous les jours, dans ma pratique de la naturopathie, je donne des conseils à des hommes pour leurs problèmes d’érection et à des femmes qui ont été violées, dont les droits ont été bafoués. » Au lieu de revendiquer l’égalité avec les hommes, cette jeune femme plaide pour l’égalité des hommes. Nathalie, 31 ans, graphiste À ses yeux, le plus souvent, il s’agit d’un jeu. « Il m’est arrivé de dire à des garçons: “Fais gaffe, ne me parle pas comme ça, je suis féministe.” Mais surtout parce que je trouvais ça rigolo.» Nathalie n’est pas féministe parce que, dans son quotidien, elle n’en voit pas l’utilité. «Dans le milieu de la mode, les codes sexuels, de représentation, sont complètement brouillés, mais c’est parce qu’on est égaux que l’on peut se permettre d’en jouer.» Des filles qui s’habillent comme des garçons, des mecs qui sont des filles, ou qui ne savent pas très bien où ils en sont : dans les ateliers du couturier Jean-Charles de Castelbajac, on est jugé sur ses qualités artistiques et son excentricité. « Je suis graphiste, j’ai 31 ans, je ne suis pas mariée, je fais ce dont j’ai envie et je ne me sens pas du tout marginale. » Pour Nathalie, être féministe, ce serait un peu comme revendiquer des droits déjà acquis. « Tout ça me paraît tellement évident. Il est possible que je ne sois pas féministe consciemment. » ENTRETIENOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Danièle Sallenave : “Vivre dans la paix des sexes” PLUS QUE L’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES, DANIÈLE SALLENAVE PRÔNE L’ÉGALITÉ DES INDIVIDUS. PRESQUE SOIXANTE ANS APRÈS “LE DEUXIÈME SEXE” (1949) ET QUARANTE ANS APRÈS 1968, L’AUTEUR DU PORTRAIT DE SIMONE DE BEAUVOIR, “CASTOR DE GUERRE”, Par Justine Gourichon RÉAGIT À CE QUE CERTAINES JEUNES FEMMES PENSENT DU FÉMINISME. « Macadame Figaro». – Pour certaines jeunes filles, le féminisme est obsolète. Ça vous surprend ? Danièle Sallenave. – Pas du tout. C’est un peu normal qu’une jeune fille puisse dire ça, parce qu’elle a l’impression d’avoir acquis l’essentiel : elle est émancipée, elle peut se marier ou pas, avoir des enfants ou pas. Concernant les comportements sexuels, elle prend aussi plus d’initiatives. Tout ça est vrai et, heureusement il y a eu quelques acquis. – Y a-t-il des inégalités pour lesquelles elles devraient toujours se battre ? – Il y a au moins deux points pour lesquels l’égalité n’est pas encore réalisée: l’économie et la maternité. Ce sont les femmes qui acceptent des conditions de travail précaires, des horaires flexibles ou partiels. L’ a u t rejour, je lisais un article sur un couple et la femme disait: «Je ne gagne pas beaucoup, mais comme deuxième salaire, ça va.» Comme si l’essentiel était le salaire de l’homme. Et d’une manière générale, ce sont les femmes qui s’occupent des personnes dépendantes, petits-enfants, malades et personnes âgées. Deuxièmement, il y a bien sûr eu des évolutions depuis Simone de Beauvoir (l’avortement, la contraception), mais la maternité reste le piège des femmes. Comme si c’était ce qui leur donnait un destin exceptionnel. Je suis frappée quand je lis dans les magazines féminins: le plus grand moment de ma vie, c’est la maternité. Je me demande si elles ne se sentent pas un peu obligées de dire ça et si ce n’est pas une position confortable qui va dans le sens éternel des choses. Et les nouvelles formes de maternités, comme la procréation médicalement assistée, sont aussi une nouvelle contrainte. Parce qu’elles ont la possibilité d’utiliser des moyens médicalisés, les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants se sentent coupables si elles ne les utilisent pas. Tout ça, c’est dans la tête, pas forcément dans les droits. J’ai envie de dire aux femmes de réfléchir encore à ces questions-là. – Peu de jeunes filles lisent Simone de Beauvoir aujourd’hui… – C’est dommage. Les livres de Simone de Beauvoir sont quand même la marque que les femmes sont éditées, qu’elles ont le droit en tant que femme, aussi bien qu’un homme, d’écrire un livre. C’est un instrument très important. La preuve en est que dans les pays où les femmes ne sont pas libres, on lit et on traduit beaucoup Le Deuxième S e x e, parce qu’on est conscient que c’est un moyen pour elles de re v e n d iquer le droit d’être libres et égales. Moi je suis très frappée quand je vois qu’une femme, que ce soit en matière de sport ou dans sa profession en général, réalise des choses qu’on ne croyait pas possibles. Une navigatrice en solitaire n’a pas peur d’être seule sur les océans. Ça, pour moi, c’est le féminisme d’aujourd’hui. – La modernité aujourd’hui, c’est parler de l’égalité des individus? – La vraie modernité serait de dire que tous les choix de l’individu se valent du moment qu’ils sont libres. Si un garçon ne s’exprime pas dans la violence, ça ne l’empêche pas d’être un homme, si une fille veut être député, qu’elle puisse l’être. On reproche aux femmes de vouloir imiter les hommes, mais il y a des hommes qui ne veulent pas du pouvoir, le droit d’aimer le pouvoir n’est pas une question d’hormones. Il y a eu une période dans les années soixante-dix où le féminisme était a g ressif parce qu’il fallait en finir avec certaines inégalités, a u j o u rd’hui il faut dépasser ça, il faut vivre dans la paix des sexes. Ce que je ne supporte pas, c’est le féminisme différe ntialiste. Des femmes qui se disent supérieures, parce que la nature de la femme serait d’être plus gentille, plus conviviale, plus douce. Je pense qu’il y a des hommes gentils et des femmes méchantes. Le pouvoir n’est pas une question d’hormones Danièle Sallenave, femme de lettres, est auteure d’une biographie portrait de Simone de Beauvoir. REPORTAGEOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Machisme ordinaire : “Sois vierge L’explosion médiatique de Ni putes ni soumises a LIBÉRÉ la parole, mais les petits machos font toujours la loi dans les cités. Leur FILLE IDÉALE ? Fidèle, vierge, pas trop fêtarde et non-fumeuse. Reportage. et qui tournent dans les caves », commente Viviane, vivace. Toutes trois ont un petit copain. Amel et Anissa depuis quelques mois, Viviane depuis un an et demi, bague de fiançailles à l’appui. Des amours chastes, jurent-elles. « Si on le fait, personne doit être au courant », réagissent-elles en chœur. “LES FILLES DOIVENT SE RESPECTER” 8 mars 2008, passerelle Simone-de-Beauvoir, à Paris. Matériel de manifestation de Ni putes ni soumises pour la journée internationale de la femme. 32 E lles sont trois, assises devant le centre culturel de la Courneuve (Seine-Saint-Denis). Épaules contre épaules, Viviane, Amel et Anissa, 15 ans, vident des paquets de bonbons et de chocolats. Quelques h e u res à tuer pour ces collégiennes qui habitent la cité Francs-Moisins-Bel-Air (Saint-Denis, 93), à cinq minutes du Stade de France : un petit espace bien délimité, où tout se sait et où les filles n’ont qu’à bien se tenir. « Les gars veulent qu’on soient droites, pas des putes qui couchent à droite à gauche Amel se lève pour aller taxer une c i g a rette. « Ça non plus, il faut que personne ne le sache. Si mon mec sait que je fume, il me tape !» s’exclame Viviane, yeux écarquillés. Blasée, Anissa re nchérit : « Une fois j’étais toute seule à minuit dans la cité, un pote à ma sœur m’a vue et il m’a mis une claque.» Toutes ces petites violences font partie de leur quotidien. Et le féminisme, l’égalité entre les sexes, Mai 68 ? Les collégiennes froncent les sourc i l s . « Les mecs font ça pour notre bien », relativise Viviane. À la Maison des jeunes (MJ), les garçons se justifient : «Les filles doivent se respecter, respecter leurs corps, ne pas sortir avec n’importe qui. M e t t re une jupe, OK, mais se bomb a rder de fond de teint et traîner avec un gars diff é rent tous les jours, n o n ! » s’indigne Reda, 25 ans, re sponsable de la MJ. Ly e r, 17 ans, re c o nnaît un peu penaud: «On a tous un petit côté macho, on ne veut pas que les filles de nos cités fassent des cochonneries à 15 ans. » Son copain Abder, 17 ans, rêve d’une future épouse « pro p re » – c o m p re n d revierge. Lui sous-entend qu’il ne l’est plus. «Un bonhomme reste un bonhomme», tranche-t-il, à court de justifications. Loline, 17 a n s, le défie gentiment. « Une fille qui trompe son gars, c’est une pute, un mec qui trompe sa nana, c’est un héros. Moi, je m’en “Sois vierge et tais-toi!” fiche, je suis libre de faire ce que je veux», lance-t-elle en tirant une langue piercée. Ne pas fumer, ne pas avoir de re l ations sexuelles à droite à gauche, ne pas s’habiller sexy. Voilà, en résumé, les lois implicites auxquelles se plient toujours la plupart des jeunes filles habitant des cités sensibles. Et gare aux affranchies : elles sont exclues, harcelées, tabassées. Violées collectivement ou tuées, dans les cas les plus dramatiques et les plus médiatisés. “UN PROBLÈME D’ÉDUCATION” « La petite fille de 8 ans, on lui parle d’égalité à l’école et, quand elle rentre chez elle, on lui dit: Mets la table, passe l’aspirateur, occupe-toi de tes petits frères!» s’emporte Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire de la violence envers les femmes de Seine-Saint-Denis. Une étude, menée à la demande du conseil général par cet observatoire unique en son genre, prouve que 23 % des filles du « 9-3 » ont été victimes de violences physiques, presque toujours par des proches ( l i re encadré cid e s s o u s ). Soit une fille sur six. Seul signe encourageant, la parole s’est libérée. En 2000, 68 % des femmes interrogées n’avaient jamais évoqué auparavant les agressions subies. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les deux tiers des filles victimes de violences en ont déjà parlé autour d’elles. CAMILLE SAYART LA VIOLENCE EN CHIFFRES Une enquête rendue publique en novembre 2007* révèle l’ampleur des violences subies par les jeunes filles vivant, travaillant ou étudiant en Seine-Saint-Denis. 23% disent avoir été victimes de violences physiques (coups, tabassage, menace armée, tentative de meurtre). Presque toujours par des membres de la famille ou des proches, même si les mères et les belles-mères sont à l’origine des coups dans 37% des cas. 13% des filles ont été l’objet d’agressions sexuelles (attouchements, tentative de viol, viol). 18% affirment avoir subi des violences verbales, 13 % des atteintes sexuelles et 8% des violences physiques dans le cadre de leur activité professionnelle. * Réalisée auprès de 1 600 filles de 18 à 21 ans. TROIS QUESTIONS À Mimouna Hadjam, militante féministe à La Courneuve Fin février, son association a fêté ses 20 ans autour d’un couscous géant (photo). Implantée dans la cité des 4000, Africa 93 milite pour améliorer la condition des femmes issues de l’immigration. Mimouna Hadjam s’inquiète d’un retour à l’ordre moral et religieux dans les quartiers. EST-CE PLUS DIFFICILE D’ÊTRE UNE FILLE QUAND ON HABITE UNE CITÉ DIFFICILE, COMME LES 4 000 OU LES FRANCS-MOISINS ? Oui, il y a des choses à ne pas faire, pour ne pas se taper l’affiche. La rumeur est rapide. Cela se traduit au quotidien par des agressions verbales, des intimidations. Dans plein de cas, les garçons sont nommés par la famille pour surveiller leurs sœurs. Protéger les femmes malgré elles, c’est la définition même du machisme. COMMENT ÉVOLUE LA CONDITION DES FILLES DES QUARTIERS ? C’est de pire en pire. Les plus jeunes portent la régression sociale. De plus en plus de jeunes filles se laissent marier. La polygamie revient. De plus en plus d’hommes partent au pays prendre une deuxième femme. Quand on parle un peu avec eux, on s’aperçoit souvent qu’ils ont perdu leur travail. COMMENT EXPLIQUER CE MACHISME PERSISTANT ? Il y a une résurgence de l’ordre moral et un inquiétant retour du religieux. Mais cela concerne l’ensemble de la société française : nos quartiers sont juste un miroir grossissant. Les partis politiques ont déserté nos quartiers et la situation économique s’aggrave. C’est un terreau idéal pour les islamistes, avec des répercussions immédiates sur la vie des femmes. La situation des femmes dans la culture arabo-musulmane est catastrophique et je ne vais pas me taire par peur du dérapage raciste ! PROPOS RECUEILLIS PAR C. S ET R. O 33 TÉMOIGNAGESOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Femmes au foyer pas désespérées JEUNES, SOUVENT DIPLÔMÉES, ELLES ONT CHOISI DE RESTER À LA MAISON. LOIN DES CLICHÉS ACTUELS, CES MÈRES AU FOYER, SATISFAITES DE LEUR SITUATION, S’ÉPANOUISSENT AUPRÈS DE LEURS ENFANTS. Par Aline Brachet CLARA 23 ans, Bussy-Saint-Georges (77) maman de Mathilde, 1 an « Beaucoup de gens disent que les femmes au foyer sont soumises à leur mari. C’est le cliché de la femme qui apporte la bière. Chez nous, les tâches ménagères, c’est 50/50 ; David, le papa de Mathilde, cuisine mieux que moi. Et si je décide de travailler un jour, il sera d’accord. Nous sommes très croyants et attachés à la famille comme noyau de la communauté. Nous voulons cinq ou six enfants, c’est pour ça que j’ai commencé tôt ! Je me suis mariée jeune, à 21 ans. Cela ne va pas m’empêcher de finir mon master d’anglais. J’ai droit à des réflexions du style : “Une fille intelligente comme toi, tu ne vas pas rester à la maison.” Je ne vais pas me forcer à travailler pour avoir l’air normal. L’intérêt du féminisme, c’est justement de faire ce qu’on veut. On ferait mieux de se concentrer sur des choses plus importantes, comme la différence de salaires. » Me forcer à travailler pour avoir l’air normal ? STÉPHANIE 34 ans, Paris (75), maman d’Éva, 6 ans et demi, et d’Anna, 6 mois « J’ai été carriériste. J’avais un poste de management dans un magasin de luxe. Après ma séparation avec le papa d’Éva, j’ai été mère célibataire pendant cinq ans. J’avais des semaines de 50 heures. Impossible de voir ma fille plus de quelques heures. Puis mon licenciement a entraîné une grosse remise en question. Peu après ma rencontre avec le futur papa d’Anna, je suis tombée enceinte. Je commence seulement à rechercher du travail, sans grande motivation, car j’adore être chez moi, cuisiner, recevoir. Je travaille depuis l’âge de 14 ans, j’ai trop vécu dans le stress. Beaucoup d’amies célibataires me jugent. Pour elles, je fais un pas en arrière. Mais c’est juste une pause. Je vais repartir avec plus de punch, cette fois-ci sans sacrifier ma vie de famille. Il y a une pression pour que les femmes travaillent, en tout cas à Paris. Mai 68 aurait dû nous apporter la liberté de choix. À chacune de trouver son rôle : mère au foyer ou chef d’entreprise, tout est possible. » Pour mes amies, je fais un pas en arrière ÉMILIE 27 ans, Montfavet (84), maman de Hugo, 1 an, et de Gaël, 4 ans « Je ne suis pas devenue muette en étant femme au foyer, j’assume pleinement ! Dans mon entourage, tout le monde me soutient. Il faut dire que mon père a fait pareil quand mes sœurs et moi étions petites : il a arrêté de travailler pendant six ans. Et à l’époque, il passait pour un extraterrestre ! J’aime les travaux manuels et je publie ça sur mon blog, Miliezebomb. Rester à la maison, c’est un choix, mais c’est surtout une évidence. Quand Gaël est né, j’ai recommencé à travailler comme hôtesse d’accueil au bout de cinq mois : ça a été un véritable déchirement de confier mon bébé à quelqu’un d’autre. Alors, à la naissance d’Hugo, j’ai sauté sur l’occasion : un congé parental de trois ans ! Et je compte bien reprendre le travail après. C’est vrai, c’est un sacrifice financièrement, mais ça vaut le coup de voir grandir ses enfants. Contrairement à Guillaume, mon futur mari, ça ne me dérangeait pas de rester à la maison, ça s’est fait comme ça. On nous rebat les oreilles avec cette Mon père a fait pareil, il a arrêté de travailler pendant six ans idée qu’être mère, c’est un sentiment naturel, qu’être enceinte, c’est fantastique. C’est faux, s’occuper d’un enfant, ça s’apprend. À la maison, on partage les tâches. Guillaume travaille, mais il fait le repassage, parce que moi, ça ne me plaît pas ! » ANNE-LAURE 28 ans, Vignieu (38), maman d’Ambre, 10 mois, enceinte d’un mois « Il y a une chose qui me gêne dans la vie de femme au foyer, c’est le manque d’activité cérébrale et de rencontres. Et à la campagne, ça complique tout : pour aller au cinéma, il faut faire une demi-heure de voiture ! Ceci dit, j’adore être à la maison. Pas de patron, pas de montre… C’est un peu les vacances. À la naissance de ma fille, j’ai compris que c’était elle la priorité. Mon mari occupe un poste depuis beaucoup plus longtemps, il était nettement mieux payé que moi. Si j’avais eu son poste, on aurait inversé. Là, je commence à chercher un emploi. Financièrement, je ne peux pas rester femme au foyer. Je vais changer d’orientation professionnelle, peut-être prendre un temps partiel. Je suis pour la parité, pour partager les tâches ménagères quand les deux conjoints travaillent. Je ne vois pas pourquoi j’en ferais plus que monsieur si on travaille autant à l’extérieur. » J’adore être à la maison… REPÈRES On comptait 2,9 millions de femmes inactives non étudiantes parmi les moins de 55 ans en 2005. (Source : Observatoire des inégalités) REPORTAGEOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? ATTENDRE LA TRENTAINE POUR S’UNIR, NOUVELLE NORME DU MARIAGE ? RENCONTRE AVEC TROIS COUPLES À CONTRECOURANT, QUI, DU HAUT DE LEURS 20 ANS, SE SONT DIT OUI. Par Nicolas Allix « a jeunesse n’empêche pas de construire.» Pour Jean, 25 ans, épouser Tiphaine, 23 ans, avait tout d’une évidence. Après trois années de vie commune, le mariage est arrivé comme une étape naturelle dans leur vie de couple. L’été dern i e r, ils se sont unis en Bretagne. Pourtant, tout n’a pas toujours été simple dans leur relation. «J’ai eu de sérieux problèmes de santé et Jean a toujours été l à», raconte Tiphaine. «De la même manière, L elle m’a aidé car j’entretiens des rapport s difficiles avec mes parents», ajoute Jean. Les épreuves franchies et l’amour aidant, il lui a fait sa demande sur les marc h e s de leur ancien lycée parisien. À cet âge, la simple idée de se passer la bague au doigt surprend. Et pour cause. L’âge au premier mariage a reculé de dix ans par rapport à 1968. Pourtant, les jeunes ne semblent pas tous effrayés à l’idée de passer devant monsieur le maire. La baisse du nombre d’unions chez les 18-25 ans s’inscrit davantage dans un mouvement de diminution global du nombre annuel de mariés depuis quarante ans. “LE MARIAGE, JE PENSAIS QUE C’ÉTAIT BOURGEOIS !” Avec le nouveau millénaire, le visage de la famille traditionnelle s’est modifié. Les naissances hors mariage ou les familles monoparentales sont monnaie courante. Pour autant, se marier n’a rien d’obsolète, bien au contraire. Et pour cause, le nombre d’unions se stabilise à la hausse par rapport à la fin des années 1990. Les jeunes n’hésitent pas à s’inscrire dans le sillage de ce retour progressif au mariage. Si l’amour représente le premier moteur de leur décision, les jeunes époux préfèrent s’entourer de quelques certitudes avant de se dire oui. Jean et Tiphaine se sont mariés en juillet 2007, en Bretagne. Le 1er septembre 2007, Vincent, 27 ans, «Caroline m’a rejoint en Égypte au milieu a épousé Lucile, 22 ans. Après quatre de mon périple. Pendant deux semaines, années passées en couple et l’assurance nous avons vécu de supermoments. J’ai d’un revenu régulier, ces Parisiens n’ont su que c’était la femme de ma vie», confie pas hésité à franchir le pas : « Je gagne Stéphane, étudiant. Pour eux, le mariage, ma vie donc j’apporte une certaine stac’est cet été. Et pourtant, pas grand-chose bilité financière à notre couple. Sans ne les destinait à une union si solennelle. l’assurance d’un revenu, nous ne nous « Quand j’étais plus jeune, je critiquais serions pas mariés tout de suite » , le mariage, je pensais que c’était bourprécise Vincent, intergeois, sourit Stéphane. Je mittent du spectacle. suis assez surpris, mes Jean et Tiphaine possépotes étaient plutôt • Plus de 356 000 mariages. daient également cette • Âge moyen. Femmes : 22 ans, contents pour nous. » garantie financière au hommes : 24 ans. Une bonne étoile que les moment de leurs noces. trois couples espèrent voir Deux mois plus tard, l’enbriller longtemps. «Je sais treprise où travaillait Jean • Plus de 253 000 mariages. qu’à Paris, plus de la moia fait faillite. «On s’est pris • Âge moyen. Femmes : 26 ans, tié des couples mariés une bonne claque après hommes : 28 ans. d i v o rcent, reconnaît Carole mariage. J’ai repris mes line. J’ai envie de cro i re études et je travaille que je ferai partie de l’autre comme vendeur dans • Plus de 270 000 mariages moitié, de ceux qui ne un magasin de vête- • Âge moyen. Femmes : 29 ans, se séparent pas. » ments», explique le jeune hommes : 31 ans. Pour ce qui est des homme. enfants, les trois coupleSources : Insee, France métropolitaine À 25ans, Caroline et Stés attendront encore phane ont, eux aussi, aff ronté leur lot quelques années. Tiphaine s’amuse à d’épreuves. Après un an de vie comcette idée: «On s’est déjà mariés jeunes, mune, lui est parti huit mois faire on ne va pas cumuler les conneries. » le tour du monde. Tandis que sa moitié restait en France. 1968 1994 2006 37 RENCONTREOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Il est interdit de ne pas jouir Que reste-t-il de la libération sexuelle de 1968? Nos parents et la société environnante semblent avoir généré de nouveaux tabous. Isabelle Alet, sexologue et chercheuse à l’Ined*, fait le constat suivant: plus d’inhibition des désirs, mais obligation du plaisir. « C e n’est pas concevable, ce qu’on se fait engueuler, rappeler à l’ordre et contrôler. […] Quoi qu’il arrive on n’y a rien compris, trop porno ou pas assez sensuelles… Décidément, cette révolution sexuelle, c’était vraiment de la confiture aux connes». C’est le bilan de 1968 dressé par la romancière trash Vi rginie Despentes. Bien avant ce qu’on a appelé la libération sexuelle des années 1970, et dans un style beaucoup plus chaste, Simone de Beauvoir parlait de la crainte du péché et du sentiment de culpabilité comme «résistances morales qui empêchent l’apparition du plaisir». C’était en 1949, à la sortie du Deuxième sexe. C’est à se demander ce qu’il s’est passé pendant toutes ces années. Qu’en est-il devenu du slogan: «La révolution commence où commence le plaisir» ? Isabelle Alet est sexologue à Paris et chercheuse à l’Ined (Institut national des études démographiques). Elle est catégorique: «La libération sexuelle, moi, je ne la vois pas, elle n’apparaît pas dans les histoires de mes patients. Les diff é rents types de comportements sexuels ont augmenté, mais ce n’est pas pour ça que l’on jouit.» Coupable de ne pas jouir. «On parle beaucoup de sexualité, mais on en parle mal», constate Isabelle Alet. Selon la sexologue, cette mauvaise information concerne l’obligation de jouir. «Les parents n’ont pas du tout éduqué sur ce terrain-là. Avant 1968, la culpabilité se situait du côté d’envies que l’on n’osait pas avouer. Aujourd’hui, on est coupable de ne pas jouir.» Problèmes d’érection chez les hommes, angoisses chez les femmes, les jeunes consultent médecins et thérapeutes de couple dans la crainte de ne pas être normaux. «Ils pensent que la jouissance et l’orgasme sont faciles, alors que c’est tout un travail d’exploration du corps. Les femmes, en particulier, pensent que si elles n’arrivent pas à jouir, c’est pathologique, alors que c’est tout à fait normal.» Selon Isabelle Alet, la jouissance féminine est un travail d’émancipation qui ne serait pas du tout intégré. Et les tabous autour de la masturbation resteraient importants. Ce manque de connaissances est parfois à l’origine de comportements incoh é rents, tel l’arrêt de la pilule dans le cas où la jeune fille ne prend pas de plaisir, et révélant «une immaturité érotique». «Kit plaisir ». Outre une éducation sexuelle défaillante, la sexologue met en cause la publicité et les magazines féminins. Ces magazines seraient à l’origine de faux messages sur la sexualité. «A u j o u rd’hui, il y a une peur de perd re l’autre ainsi qu’une peur de ne pas répondre à une certaine norme qui apparaît dans les médias, des normes de perf o rmances, de régularité du rapp o rt sexuel», analyse-t-elle. Testez votre appétit sexuel. Êtesvous disposés à avoir un orgasme? Quel moyen de transport vous conduit au 7e ciel? Des thèmes régulièrement à la une de la presse féminine. Pour Femme actuelle, la journée de la femme devient celle de la femme sexy. En cadeau, un canard vibrant. Patchs pour augmenter le désir féminin et conseils pour « booster sa libido». La sexologue pense que «les sujets de ces revues sont terribles pour les femmes. Ils font croire aux couples qu’ils sont obligés d’être dans la prouesse pour être normaux. Ils divulguent de faux messages et provoquent de fausses angoisses. On ne va ni vers la liberté, ni vers la défense des femmes ». Les années 1970 ont libéré les mœurs. Et si 2008 était l’année d’un nouveau combat: être libre de ne pas jouir? JUSTINE GOURICHON Ined : Institut national d'études démographiques. ENQUÊTEOÙ SONT PASSÉES LES FÉMINISTES? Infrastructures en nombre insuffisant, délais d’attente impressionnants : trente-trois ans après l’adoption de la loi Veil qui légalisait l’IVG, avorter en France relève encore du parcours du combattant. l’avortement : un droit souvent oublié L a peur au ventre, Nathalie attend dans les couloirs de la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis). Accompagnée par Michèle, sa maman, cette jeune fille de 16 ans vient d’essuyer le refus d’un hôpital du département. La raison ? Elle est enceinte de onze semaines. Tro p tard pour envisager une intervention selon le premier médecin qui l’a auscultée. Un refus à première vue étonnant. Depuis la loi sur la contraception de 2001, la limite légale pour avorter est passée de dix à douze semaines. Pourtant, dans les faits, beaucoup de médecins refusent de pratiquer une intervention à ce stade de la grossesse et mettent en avant leur clause de conscience. La loi les autorise en effet à ne pas réaliser les actes médicaux qui heurteraient leurs convictions. Congédiées sans plus d’explications, Michèle et Nathalie se disent très marquées par ce rendez-vous. «Ce médecin a été glacial», souligne la mère de famille. À la sortie de ce premier entretien, désemparée, elle appelle son médecin traitant. Ce dernier lui conseille la clinique des Lilas, connue pour sa politique libérale. Un véritable ovni dans le monde médical. Chaque année, 1300 IVG y sont pratiquées. Un quart est réalisé entre dix et douze semaines de grossesse. Une politique parfaitement assumée. Marie-Laure Brival, chef du service d’orthogénie, explique : « Dans mon service, aucun médecin n’a signé de clause de conscience.» 47 % DES FEMMES SE VOIENT REFUSER UNE PRISE EN CHARGE En France, la durée légale pour avorter a donc du mal à s’imposer. Le cas de Nathalie n’est pas isolé, loin s’en faut. L’ i n t e rruption volontaire de grossesse relève souvent du parcours du combattant. Entre janvier et avril 2005, la SIMPLIFIER L’IVG Dans les quarante-neuf jours qui suivent les dernières règles, il est possible d’interrompre une grossesse par la prise d’un médicament. L’IVG (interruption volontaire de grossesse) médicamenteuse est souvent mieux vécue par les femmes que l’intervention chirurgicale. Pourtant, en France, seules 42 % des IVG sont pratiquées de la sorte. Jusqu’en octobre 2007, pour se voir délivrer la pilule abortive, il fallait l’autorisation d’un médecin conventionné. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a souhaité simplifier ces démarches. Depuis janvier 2008, les médecins du Planning familial peuvent aussi la délivrer. Une avancée importante. Très implantés dans les quartiers les plus défavorisés, ces quelque 800 centres sont largement sollicités par les jeunes femmes les plus vulnérables. DHOS (Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins) a réalisé une enquête. Ses conclusions sont accablantes: 47 % des femmes se voient refuser une prise en charge à l’issue d’un appel téléphonique. Clause de conscience, absence de places, refus car la patiente n’habite pas à proximité, les raisons avancées sont multiples. Et lorsqu’une date d’intervention est fixée, dans un quart des cas, la femme doit attendre deux à trois semaines. C’est bien au-delà des cinq jours préconisés par la Haute Autorité de santé. Fait aggravant, selon le planning familial, très souvent, une échographie est demandée lors du premier rendez-vous. «Devoir se rendre chez un échographiste et y côtoyer des femmes enceintes est souvent très mal vécu », souligne Danièle G a u d ry, gynécologue adhérente au Planning. Ce médecin soupçonne d’ailleurs certains de ses confrères de chercher ainsi à décourager leurs patientes d’avort e r. Plus préoccupant encore, si la législation se veut plus libérale, les moyens ne suivent pas. Entre 1999 et 2005, le nombre de stru c t u res réalisant des IVG est passé de 176 à 126. Une baisse de 29 % qui a p a rt i c u l i è rement touché l’Ile-de-France, région où est réalisé un quart des 220000 avortements. In fine, selon le planning familial, chaque année, entre 3000 et 5 000 Françaises iraient avorter à l’étrang e r, le plus souvent en Espagne, en Belgique ou aux Pays-Bas. Une situation que ne tolère plus l’association. Bien décidée à mobiliser l’opinion publique, elle a lancé en janvier 2008 une campagne d ’ i n f o rmation dans toute l’Ile-de-France. CLAIRE FLEURY 39 ENQUÊTE Nicolas Sarkozy soixante-huitard contrarié Critique le plus virulent de Mai 68, le président apparaît pourtant comme l’un de ses héritiers les plus fidèles. Par Gaël Chavance Q u’est-ce qui est à l’origine de tous les maux de la société française ? À entendre Nicolas Sarkozy, en campagne à Paris-Bercy ce 29 avril 2007, la réponse serait Mai 68. Il faut dire que l’événement, vieux de quarante ans, a bon dos. Mieux, il permet de tout expliquer. Et le candidat d’énumérer, en vrac : « la crise du travail », de la « famille », de « l’école », de la « nation ». Sans oublier celle de «l’autorité». Et puis, il y a aussi « l’argent roi », « le cynisme » et « la contestation de tous les repères éthiques » qui, tous, indéniablement, découlent de ce sombre épisode de l’hist o i rede notre pays. Pire encore, le mouvement de Mai a « affaibli la morale du capitalisme » et l’a rendu « sans scrupule et sans éthique». Qu’on se le tienne donc pour dit : il faut «tourner la page ». Soit. Sauf que… Sauf que depuis son accession au sommet de l’État, Nicolas Sarkozy m o n t re tous les jours qu’il est, et reste, un enfant de 1968. « À 100% », confirme le philosophe Luc Ferry1, son collègue au g o u v e rnement entre 2002 et 2004. Dans sa façon de s’exprimer, de vivre, il en i n c a rne presque l’esprit. Et tout d’abord dans sa « m a n i è re décomplexée d’aborder les questions de sa vie privée » , soutient l’ancien ministre de l’Éducation nationale. De sa retraite dorée sur le yacht de son ami milliard a i re Vincent Bolloré à ses luxueuses vacances aux ÉtatsUnis dans une villa qui se loue à plus de 20 000 e u ros la semaine, en passant par son voyage en Égypte à bord du jet privé du même Bolloré, le président s’affiche dans le luxe, décomplexé. Et puis il y a les femmes bien sûr. 40 Le feuilleton Cécilia Sarkozy a longtemps tapissé les couvertures des magazines people, avant d’être remplacé par les photos de son bonheur élyséen avec Carla Bruni. Au point que Nicolas Sarkozy est devenu l’incarnation du slogan «jouissons sans entraves». Adolescent en 1968, le chef de l’État en a conservé la substantifique moelle: la libéralisation des mœurs. Trois mariages, deux divorces. Premier président français à s’être marié en cours de mandat depuis Paul Doumergue en 1931, premier aussi de la Ve République à épouser une star du show-biz, Nicolas Sarkozy restera, enfin, le premier président à se séparer de son épouse en cours de mandat. D’UN GRENELLE À L’AUTRE Malgré ses diatribes contre Mai 68, la politique même du président dénote un puissant attachement moral à cette période. Son vocabulaire, d’abord, le trahit. Lorsqu’il annonce, en octobre 2007, l ’ o rganisation d’une grande confére n c e sur l’environnement, il décide de la nommer «Grenelle de l’environnement». La référence aux accords de Grenelle, négociés les 25 et 26 mai 1968 entre le gouvernement de Pompidou, les syndicats et les organisations patronales pour mettre fin à l’agitation sociale, est explicite. Pour quelqu’un qui veut «l i q u ider l’héritage de Mai 6 8 », la re p r i s e de ce terme est pour le moins tro ublante. D’autant qu’historiquement, ces a c c o rds, bien que signés par les syndicats, ne mirent pas fin aux grèves. Il faudra attendre la proclamation de la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections législatives anti- cipées par le général de Gaulle, trois jours plus tard, pour que le mouvement s’éteigne de façon définitive. Sur la forme, Mai 68 colle à la peau du chef de l’État. Mais aussi sur le fond. Lors de ses premiers vœux de président de la République aux Français, le 31 décembre 2007, Nicolas Sarkozy annonce la mise en œ u v re, sur le plan international, d’une « politique de civilisation ». Or, l’expre ssion reprend le titre d’un essai du sociologue et philosophe Edgar Morin2, un pur produit de l’idéologie soixante-huitarde. Non seulement l’homme a écrit sur les événements3, mais il figure, comme JeanPaul Sartre, Simone de Beauvoir et quelques a u t res, parmi les grands maîtres à penser de la génération 1968. LA FRANCE DÉCOMPLEXÉE C’est là tout le paradoxe Sarkozy. D’un côté, fustiger le mouvement de Mai et ses conséquences dramatiques sur la société française. De l’autre, incarner son esprit. En s’attaquant à cet héritage, Nicolas Sarkozy a lui-même ouvert le bal des commémorations, avec presque un an d’avance. Pour Daniel Cohn-Bendit, la polémique n’a pas lieu d’être. Il faut « se demander pourquoi la droite a besoin de ce retour en arrière. Idéologiquement, elle n’a rien à dire, elle essaie donc de remuer l’histoire pour se trouver du grain à moudre»4. Et, depuis quarante ans, la figure de proue du mouvement n’a de cesse de répéter que cette révolte cristallise avant tout le passage d’une France archaïque à une France décomplexée. Décomplexée ? Voilà un terme qui colle particulièrement bien à la peau de Nicolas Sarkozy. Reste qu’il lui faut encore faire la paix avec sa génération pour être véritablement décomplexé. 1. Entretien entre Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit réalisé le 31 janvier 2008 pour le “Nouvel Observateur” et “France Culture”. 2. “Pour une politique de civilisation”, éditions Arléa, 1997. 3. “Mai 68: La brèche”, éditions Fayard, 1968. 4. Entretien entre Luc Ferry et Daniel Cohn-Bendit réalisé le 31 j a nvier 2008 pour le “Nouvel Observateur” et “France Culture ” . ENQUÊTE Anti-68 pourquoi ça marche? “L’héritage de Mai 68 doit-il être perpétué ou liquidé une bonne fois pour toutes ?” Réponse de nicolas sarkozy: “il faut tourner la page.” Cette profession de foi anti-68 a-t-elle été décisive pour son élection ? Par Samia Malas I ls ont entre 16 et 30 ans. Certains ne votent pas encore , mais sont déjà actifs en politique. Ces nouveaux m e m b res des Jeunes de l’UMP du Jura sont tous pro-Sarkozy. Julien Damelet, étudiant de 20 ans et a d h é rent UMP depuis 2005, décrit Mai 68 comme «un vaste mouvement de contestation mené par des enfants gâtés qui voulaient tout casser mais rien reconstruire.» « Toutes ces idées peace and love étaient de pures utopies », lance, de son côté, Raphaël Chamouton, étudiant de 22 ans et adhérent depuis 2006. «Cette envie d’une liberté à outrance a montré ses limites », ajoute-t-il. Le positionnement antisoixante-huitard de Nicolas Sarkozy a joué un rôle déterminant pour l’élection de l’actuel président. « La droite a été sensible à cette posture. Les électeurs ne pouvaient que bien accueillir cette proposition», estime Julien Damelet. Pour ces jeunes militants, Nicolas Sarkozy incarne l’esprit du temps. Mai 68 ne leur parle plus. Malgré les débats actuels sur l’efficacité du président, ils re stent plutôt optimistes. « Pour l’instant, il ne me déçoit pas. Je ne m’attendais pas à des résultats immédiats. Les réformes qu’il mène auront des conséquences à moyen terme, dans deux ou trois ans. Les Français doivent être patients. Dans cinq ans, on fera un bilan et on verra s’il a vraiment tenu ses engagements», préconise Raphaël Chamouton. Une confiance à peine ébranlée par le tapage médiatique autour de la vie privée de Nicola Sarkozy. “RÉINTRODUIRE DES VALEURS MORALES UN PEU PARTOUT” Pour Xavier Crettiez, politologue et coauteur de l’encyclopédie La France re b e l l e, le rejet de la génération 68 par ces jeunes est « une conséquence de la conduite des gauchistes de l’époque. Arrivés à la tête des institutions, ils n’ont pas su p a rtager le pouvoir», juge-t-il. La jeune génération de droite perçoit cet héritage comme un frein pour leur avenir. Il y a quarante ans, les étudiants de 1968 ont décidé d’arrêter de s’ennuyer. Une fois l’euphorie des Trente Glorieuses retom- 42 bée, certains ont viré de bord, déçus par les conséquences du mouvement de Mai. Quelques-uns de ces désenchantés sont devenus des sarkozistes convaincus. Comme le président, ils veulent tourner la page, à l’image de Mohand Amimeur, 58 ans, ancien soixante-huitard. Il s’est senti laissé pour compte, exclu de ce «mouvement qui a profité à une minorité d’individus et a engendré le laxisme». «Mai 68 n’a pas fait que du bien à la société, comme le prétendent certains socialistes. Les soixante-huitards ont permis à la culture américaine de s’installer en France. Ils ont créé le communautarisme et ont provoqué une hausse du racisme », ajoute-t-il. Khadija, sa femme, s’en prend au « déclin de l’Éducation nationale ». Nostalgique des traditions de l’avant-68, elle fait confiance à Nicolas Sarkozy pour rétablir l’autorité à l’école: «Je pense que son discours est sincère, mais il sera sans doute difficile de l’appliquer. » Et Xavier Crettiez d’ajouter: «Chez les individus de plus de 50 ans, ce sont les idéaux de Mai 68 qui suscitent le plus de débats. Cette génération fait preuve d’une vraie volonté de réintroduire des valeurs morales un peu partout. Des valeurs s u rtout défendues par la droite.» Comme Julien et les autres, ils assument leurs choix et affirment être simplement à la recherche d’un nouvel équilibre. Pour eux, l’homme providentiel, c’est Nicolas Sarkozy, le seul à pouvoir rétablir l’ordre moral dans la société française. Réunion des jeunes de l’UMP du Jura. QUI SONT-ILS ? Les Jeunes populaires, ou Jeunes pop, créés en 2003, font partie du mouvement des jeunes de l’UMP. Âgés de 16 à 30 ans, ils se regroupent dans une structure semi-autonome et sont présents dans tous les départements métropolitains et d’Outre-mer. Fabien de Sans Nicolas, originaire de l’Isère, en est le président depuis septembre 2005. 96. C’est le nombre de fédérations dans lesquelles se répartissent les Jeunes pop en métropole. 45 000. C’est le nombre d’adhérents qu’ils revendiquent. À Paris, ils affichent 6 800 militants officiels tandis que, dans le Jura, ils sont 1 273. Source : www.jeunespopulaires.com HOROSCOPE DE FIN AVRIL À DÉBUT MAI, EN GROS PAR NICOLAS ALLIX ET NASSIM ALLOY aguichantes. Vie publique : « Celui qui n’a jamais été seul (…) peut-il seulement aimer ? » Faites comme Garou, soyez rebelle ! Vie privée : rentrez ce string que je ne saurais voir. Privilégiez sous-pull Damart et velours côtelé ! SAGITTAIRE DU 23 NOVEMBRE AU 21 DÉCEMBRE TAUREAU DU 21 AVRIL AU 21 MAI 2008 sera une année pleine d’interrogations : sous les pavés, y’a quoi ? Brûlez vos numéros des Cahiers du cinéma, et pensez à regarder Arthur plus souvent. En bon taureau, votre entêtement frôle l’autisme. Vous n’irez plus au travail, ne vous laverez plus les dents, et vous prendrez un hystérique malin plaisir à provoquer des disputes avec tout le monde. Du côté de votre vie privée, cette année, ce sera le grand huit ! Venus va tout vous apprendre. Peut-être même beaucoup plus que nécessaire. Ne faites pas ça, c’est superfétatoire. BELIER prendre. Enfin bon, on ne va pas vous faire un dessin. Vie publique : cette semaine, toujours plus de mondanités pour notre ami Cancer, qui adore s’entourer de famille et amis. C’est sympa ! Vie privée : accouplezvous avec un signe de feu ! Vous seule saurez adoucir leurs ardeurs de dégénérés. LION CAPRICORNE DU 23 JUILLET AU 22 AOÛT DU 22 DÉCEMBRE AU 20 JANVIER Vous êtes un félin, mais vous savez aussi faire votre gros chacal. Comme d’habitude, vous obtiendrez tout de tout le monde. Pas de pitié pour les croissants! Vie publique: vous. Et les autres. Vie privée: rrrrrrrrh. Ça va chauffer dans la tanière! Alors révisez vos classiques: le 68 n’existe pas. Oh, ce beau voisin que vous reluquez depuis des mois ! Prenez le taureau par le cornes ? À votre tour, montez sur… la barricade ! Vie publique : sobriquets, quolibets et menaces, vos collègues ne vous ménagent pas. Fin des intempéries prévues pour le 29. Vie privée : Cupidon n’est pas avare de flèches pour le premier décan. DU 21 MARS AU 20 AVRIL VIERGE Singer les femmes oisives de bas étages ne doit pas devenir une habitude. Levez-vous, n’ayez pas peur ! Vie publique : néant. Vie privée : profitez de la fête du travail pour travailler plus et gagner encore plus. DU 23 AOÛT AU 23 SEPTEMBRE Une semaine folle, folle, folle. Les plus belles sont à la fête. Vie publique : strass et cotillons : c’est la révolution des paillettes ! Vie privée : wouhouuu ! GÉMEAUX BALANCE DU 22 MAI AU 21 JUIN DU 24 SEPTEMBRE AU 23 OCTOBRE Qui êtes vous dame Gémeaux ? Ségolène ou Rachida ? Faites le bon choix ! Pour que tout devienne possible. Vie publique : Cannes, Roland-Garros, défilés syndicaux… Trop busy ! Vie privée : oh là là ! Comme une Américaine, vous vous attiferez d’un micro short de pouffe toute la semaine. Et comme une américaine, vous feindrez le quiproquo au moment de rencontrer le loup… Le printemps porte avec lui ses douces senteurs. Mais gare ! L’allergie guette. Vie publique : votre excès de zèle pourrait agacer. Avec les beaux jours, il est préférable de lécher des glaces plutôt que de cirer des pompes. Vie privée : Saturne aime vous jouer des tours. Peu importe, allez-vous laisser une planète dicter votre libido ? CANCER DU 24 OCTOBRE AU 22 NOVEMBRE DU 22 JUIN AU 22 JUILLET « Qui s’y frotte s’y pique. » On vous sent mutine et coquine. Oubliez vos principes et devenez la femme-objet aux formes Pourquoi tant de nostalgie ? Le présent, c’est bien aussi ! Il suffit juste de bien s’y Prenez-vous en main. Vos petites rondeurs n’ont plus rien de charmant. Pensez à éliminer les couscous-boulettes dont vous raffolez tant. Vie publique : affrontez le regard des autres. Vie privée : si vous êtes du deuxième décan et que patates sautées et persil sonnent pour vous comme une évidence, foncez ! SCORPION VERSEAU DU 21 JANVIER AU 18 FÉVRIER Quel beau mois d’avril. Au programme : de beaux moments les 28, 30, le 2 mai et le 3 (au matin, seulement sur rendez-vous). Vie publique : gros salaire et belle berline : c’est le moment, trompez sans compter ! Vie privée : votre imagination agace votre partenaire. Créativité et Uranus n’ont jamais fait bon ménage. POISSONS DU 19 FÉVRIER AU 20 MARS Les ultraviolets courent sur votre peau avec l’aisance d’une joueuse de badminton naturiste. Quel beau teint hâlé. Un petit sweater col en V sans manche vous irait à merveille. Faites vite, l’orage gronde. Vie publique : prenez la main tendue. Il est temps de mettre du beurre dans les épinards. Vie privée : vous, de toute façon, dès qu’il s’agit de beurre… 43 RENDEZ-VOUSVOYAGE la mémoire courte Paris est-il amnésique ? Les lieux emblématiques de Mai 68 ne sont plus frondeurs. Petit tour dans le Paris anti-68. PAR NASSIM ALLOY. PHOTOS NASSIM ALLOY ET SAMUEL FOREY PIMPANT 5E UNIVERSITÉ DE PARIS X, NANTERRE, 92 La fac de Daniel Cohn-Bendit n’a de rouge que la ligne de RER qui la dessert. Aujourd’hui, des milliers d’étudiants rejoignent le gigantesque campus de béton, pour y suivre des cours de droit, de gestion ou d’économie. Et pendant les grèves, la mythique fac ne donne plus vraiment le « la ». Qui peut croire que le Quartier latin fût le centre névralgique de la révolte étudiante ? Y aller, c’est pénétrer un monde magique où tout va très bien. La rue Vavin, par exemple, mignonne petite artère reliant Montparnasse au Luxembourg. Les beaux jours, on y croise Alain Finkielkraut, beaucoup de Smart et des lycéennes qui ressemblent aux héroïnes de Rohmer. Les touristes adorent le « Latin Quarter » pour son côté authentique : monumental et minéral rue Soufflot, médiéval et titi rue Mouffetard. Quant aux riverains, ils ne jurent que par les adresses confidentielles : qu’il est bon de remonter la pente de la rue Gay-Lussac avec ses petits restos, sa boutique de lodens… Le vrai chic parisien, la frime du 16e en moins. L’ÎLE SEGUIN, BOULOGNEBILLANCOURT, 92 D’un projet à l’autre. L’art contemporain selon François Pinault ne verra pas le jour en lieu et place de l’usine Renault. L’un des sites clé de Mai 68 sera un lieu d’élite urbaine: le nouveau campus de l’université américaine à Paris, un hôtel quatre étoiles et une résidence internationale de chercheurs feront table rase du passé. QUAI ANDRÉ CITROËN, 15 PLACE DE LA SORBONNE, 5E « Vivre en bonne société, collégialement, moralement et studieusement.» La devise de Robert de Sorbon, fondateur de l’une des plus anciennes universités d’Europe, s’applique aujourd’hui parfaitement au Quartier latin, dont la place de la Sorbonne est le cœur. Un endroit sage, propret et UMP. Les touristes y croisent les étudiants en droit des affaires. Et les points chauds de Mai 68 – le boulevard Saint-Germain ou la rue Gay-Lussac – sont maintenant ultra-résidentiels. 44 E Symboles du Paris ouvrier, ces quais se sont peu à peu transformés en Manhattan-sur-Seine. Plus au sud, c’est Television City, le nouveau lieu de la sous-culture tant décriée par les soixante-huitards. Canal +, France Télévisions et TF1 s’y sont installés ces dix dernières années dans leurs vaisseaux amiraux de verre. THÉÂTRE DE L’EUROPE, PLACE DE L’ODÉON, 6E Son directeur, Olivier Py, est partisan d’un théâtre « festif et populaire ». Mais allez y faire un tour le soir d’une représentation et vous verrez combien la culture à Paris est une affaire de classe. On est loin des débats qui s’y tenaient en Mai 68, quand tout le pays semblait s’être donné rendez-vous. RENDEZ-VOUSFORME FICHE PRATIQUE Cocaïne les rails du conformisme Si les hallucinogènes sont associés, dans l’imaginaire collectif, à Mai 68, la cocaïne est désormais la drogue à la mode. Le trip psychédélique a fait place à la recherche d’intensité et de performance de notre société de consommation. PAR ANTOINE GUINARD, MARINE MILLER L ’alcool tue. Prenez du LSD»: c’est un des slogans les plus méconnus de 1968. À l’époque, en France, la consommation de cette drogue est marginale. Les chantres du LSD s’inspirent largement de la Beat Generation. Ses membres, les poètes et écrivains Jack Kerouac, Allen Ginsberg ou William Burroughs sont les pionniers de la culture hippie, qui établit sa mecque dans le quartier de HaightAshbury, à San Francisco, au milieu des années 1960. Aujourd’hui, la consommation de drogue s’est largement banalisée. Les hallucinogènes n’ont plus le vent en poupe. Après l’extase des années 1990, la cocaïne, drogue de la jet-set dans les années 1980, fait son come-back, transcendant cette fois les frontières sociales. « On est passé d’une population polytoxicomane et désocialisée à des consommateurs plutôt insérés, qui ont une famille, un travail », explique le docteur Céline Berdah, psychiatre au service toxicomanie de l’hôpital Bichat à Paris. En 2008, la cocaïne s’est démocratisée. Plus d’un million de Français en ont déjà sniffé au moins une fois. Principale raison: la chute des prix. En cinq ans, le gramme de coke a baissé de moitié. Il coûte aujourd’hui 60 euros en moyenne. Pourtant, l’aspect financier n’est pas suffisant pour expliquer cette tendance. La consommation de cocaïne correspond à notre « société individualiste tournée vers la fête et la performance. «Tenir le coup, se maîtriser, se conformer aux différents impératifs sociaux. » Voilà, peut-être, l’autre raison du succès de cette drogue, comme l’explique l’historienne Emmanuelle Retaillaud-Bajac. Si la cocaïne est consommée majoritairement dans un cadre festif, son usage est parfois lié à une recherche de productivité. « Il arrive que les gens en prennent sur leur lieu de travail, pour bosser mieux, plus vite, faire des tâches qui ne sont pas très agréables», constate le docteur Berdah. DROGUE ESTHÉTIQUE Prendre de la cocaïne relève moins d’un acte collectif qu’individuel. « Il n’y a plus ce sentiment d’appartenance à une communauté », confie Julien*, étudiant de 21 ans et consommateur régulier. Facile d’accès, la cocaïne n’a jamais été aussi populaire. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. « Dans les années 1930, elle était associée aux bas-fonds et à la prostitution. Elle était considérée comme la drogue la plus trash, bien plus que l’opium et la morphine », rappelle Pierre de Taillac, auteur d’un livre sur la représentation des drogues en France. Contrairement aux autres drogues, elle jouit d’un capital de sympathie. L’héroïne est tou- Noms : cocaïne, coke, CC, coco, blanche, charlie, chnouffe, yayo, dragon bleu Date de naissance : 1859 Description : alcaloïde, extrait de plante de coca + solution hydrosoluble chauffée déshydratée, poudre blanche brillante, puissant stimulant Consommation : inhalation, injection, prise (sniff), ingestion Effets : libération de dopamine et de sérotonine dans le cerveau provoquant l’euphorie, sentiment de puissance, stimulation du désir sexuel Dangers : irrégularité du rythme cardiaque, hypertension artérielle, transmission d’hépatite A, B et C, tremblements, attaques de panique, ralentissement psychomoteur, perte de mémoire Statistiques : 1 million de consommateurs parmi les 12-75 ans, 2 % des 18-26, 4 % des 26-44 ans, 0,4 % des 45-75 ans, 3,9 % des hommes, 1,6 % des femmes jours associée au sida et à l’overdose, le crack aux milieux défavorisés, et le cannabis est tellement banalisé qu’il en a perdu son attrait subversif. « La coke va avec toute cette esthétique de la pureté du design. Les années 1960, c’était la pop et la couleur. La coke, c’est plus froid et plus urbain », analyse Julien. « C’est la drogue des gens socialement intégrés », ajoute Pierre de Taillac. Inodore, elle peut être consommée de manière furtive, et ses effets, d’une durée de trente minutes environ, permettent aux consommateurs d’avoir le sentiment de conserver une certaine lucidité. « Cela fait une semaine que j’en prends tous les soirs, j’ai l’impression d’augmenter mes facultés intellectuelles, tout en restant en contact avec la réalité », avoue Julien. Avec tous les risques de dépendance, bien réels, qu’il encourt. Même en matière de drogue, l’époque n’est donc plus à la transgression. Les enfants de 1968, ces créatures disciplinées, ont remplacé la contestation par le pragmatisme, et la récréation par la performance. * Le prénom a été modifié. 45 46 CUISINE Il est un enfant des années soixante. Quarante ans après, Philippe Chevrier est un des plus grands chefs du monde. Et il a réuni son talent et ses innovations dans un livre*. Mise en bouche. un chef se livre DR BAR DE LIGNE PARFUMÉ À LA CITRONNELLE Pour 4 personnes ASSEZ DIFFICILE 1 bar de ligne de 900 g 3 kg de gros sel 100 g de citronnelle en feuilles 4 cuillères à soupe de poivre blanc 4 cuillères à soupe de poivre noir 1 sachet de fenouil séché 100 g de persil 1/4 litre de blancs d’œufs MISE EN PLACE : vider le bar, enlever les ouïes, couper les nageoires. Ciseler finement 50 g de citronnelle. Farcir le bar avec le fenouil, les queues de persil et les 50 g de citronnelle re s t a n t . Mélanger le sel avec les poivres, la c o r i a n d re, la citronnelle ciselée et les blancs d’œufs jusqu’à obtention d’une masse malléable. P r é c h a u ffer le four à 220 °C (th. 7). Se munir d’une plaque de cuisson et d’un papier sulfurisé. Former un socle avec le sel pour y poser le bar. Attention : le poisson doit être posé droit et non pas couché sur le sel. Former ensuite autour du bar une forme identique à ce dernier avec le mélange de sel. Découper le papier à l’aide d’un couteau en contournant le bar. Le glisser doucement au four. Au bout de treize minutes, le retirer du four et le laisser dans le sel cinq minutes supplémentaires. D R E S S A G E : présenter le bar aux invités dans un plat, puis découper le sel à l’aide d’un couteauscie. Enfin, découper le bar et serv i r. NOIX DE SAINT-JACQUES AUX ASPERGES, ÉMULSION AUX MORILLES FRAÎCHES Pour 4 personnes ASSEZ DIFFICILE 2 0 coquilles 5 0 0 g de morilles fraîches 20 asperges vertes 9 dl de fond de blanc de volaille 50 g de beurre 2 dl de crème montée 1 cuillère à café d’armagnac 1 cuillère à café de cognac 1 échalote ciselée finement 1/2 dl d’huile d’arachide 50 g de beurre noisette Sel MISE EN PLACE: ouvrir les saint-jacques à l’aide d’un couteau plat pour garder les coquilles entières pour la décoration. Enlever délicatement le corail. Laver soigneusement les noix à l’eau. Peler les queues d’asperges. Les cuire en botte dans l’eau bouillante salée. Les refroidir dans l’eau glacée. Tailler les pointes de la longueur d’un pouce, le restant en fines rondelles. Rincer les morilles fraîches à l’eau courante pour enlever tout le sable. SAUCE AUX MORILLES : couper 100 g de morilles en morceaux. Les faire re v enir avec de l’huile d’arachide. Couvrir. Laisser pincer les champignons, ajouter l’équivalent d’une demi-échalote, flamber avec le cognac. Mouiller avec le fond de volaille et le fond brun, porter à ébullition, laisser mijoter une heure. Mixer au rotor et passer au chinois. DRESSAGE: faire revenir 400 g de morilles fraîches dans une poêle avec de l’écha- lote ciselée finement. Garder les plus belles pour les redresser dans les coquilles. Embeurrer (10 g) les autres morilles avec les queues d’asperges taillées en ro ndelles. Dresser un petit tas au milieu des noix. Griller ces dern i è res d’un côté et les rôtir de l’autre au beurre noisette dans une poêle. Les dresser sur le socle de champignons. Chauffer et embeurrer (10 g) les pointes d’asperges. Les dre sser en volume sur les coquilles. Term iner la sauce en la montant au beurre (30 g), en y ajoutant la crème montée et la cuillère d’armagnac. Assaisonner, émulsionner et saucer les saint-jacques. * “ H i s t o i res gourmandes”, éditions Jouvence, 221 pages, 55 euros. BEAUTÉ DU CAVIAR DANS LA PEAU Le caviar véhicule l’image du luxe et de l’inaccessibilité. Dans les plats, il aurait des vertus aphrodisiaques. Peu le savent, mais il est également bon pour la peau. Les laboratoires l’ont vite compris. Laissez-vous convaincre. LA PRAIRIE CAVIAR Les laboratoires La Prairie le disent eux-mêmes : « [nous avons] compris que le cœur des femmes aspirait au luxe aussi profondément que leur peau à la plénitude ». L’équation est toute trouvée : luxe + beauté = caviar. Depuis les années 1980, ces laboratoires suisses se sont spécialisés dans les soins à base de caviar. Leur recette est simple : allier protéines marines et extraits de caviar. Crèmes antirides, sérums cellulaires, soins contours des yeux… Cette gamme se décline en de nombreux produits. Garder sa beauté, sa vitalité et sa jeunesse ne passe plus seulement par la consommation de caviar dans vos plats, mais aussi dans votre crème ! COUP DE JEUNE AU CAVIAR LES CHEVEUX AUSSI EN VEULENT Le caviar contient beaucoup de substances naturelles : des acides aminés essentiels, des protéines, des acides gras essentiels, des oligoéléments… Les cheveux en raffolent. Le caviar les protège contre la pollution et le desséchement du soleil. Effet réparateur garanti : vos cheveux sont plus souples, plus brillants et plus volumineux. Le shampoing aux extraits de caviar est devenu le best-seller des pharmacies. Duo Caviar Expert’Hair : 65 euros environ. 48 Diadermine Les effets bénéfiques du caviar sur la peau n’ont pas échappé aux grandes marques de cosmétique. Les laboratoires Diadermine, par exemple, ont créé la crème anti-âge « Age Excellium » à base de caviar. Grâce à son complexe caviarprotéine, ce soin offre une triple action : antirides, fermeté et éclat. Une véritable brise fraîche pour les cellules de la peau ! Comment ? Dès 40 ans, votre activité cellulaire est réduite de 30 %. Bilan : vos cellules se régénèrent plus difficilement. La solution ? Cette crème à base de caviar. Elle stimulera vos cellules. Rides estompées, peau plus lisse et hydratée. Vous voilà rajeunie. Prix indicatif : 16 euros Utilisation : crème de jour et de nuit. Appliquer sur le visage et le cou parfaitement nettoyés. Masser du menton vers le front. DÉCO Dominique Imbert artiste au foyer Un parcours atypique. Dominique Imbert, propriétaire de la marque Focus, se joue des conventions. L’ancien professeur de lettres est devenu créateur de cheminées. Gyrofocus, première cheminée suspendue pouvant pivoter à 360 °. Ce modèle prestigieux, devenu un classique international, a notamment été exposé au musée Guggenheim à New York. D ominique Imbert suit ses intuitions. Après des études littéraires, il se retrouve ethnologue en Alaska, puis aide-cuisinier à Manhattan, docteur en sociologie à la Sorbonne et professeur de lettres dans un lycée parisien. En 1967, il abandonne le tableau noir pour l’enclume. Il crée un atelier de sculpture en métal, à Viol-le-Fort, au pied des Cévennes. Parmi les objets qu’il façonne: une cheminée pour son usage personnel. Son entourage est immédiatement séduit: naissance de l’idée du modèle Focus (en latin: foyer), on est en 1968. Depuis, il a fait du chemin. Ses cheminées s’exportent jusqu’au Japon. Dominique Imbert, en concurrence avec de grandes e n t reprises, conclut des marchés de près de 760 000 euros. Il se refuse pourtant à délocaliser. Alors que l’usine qui fabrique ses modèles doit ferm e r, il la re p rend. Quatre vingts emplois directs et indirects ont ainsi été créés. Designer autodidacte ? Soixante-huitard re c o n v e rti ? F o rg e ron sociologue ? Chef d’entreprise mutant ? Artiste humaniste ? C’est par une citation de Le Corbusier qu’il répond : «La tradition consiste à créer son époque…» RABYA OUSSIBRAHIM CHEMINÉE EN COULEUR Chromifocus a un foyer intégré muni de portes coulissantes. Les deux portes en acier de la façade s’ouvrent latéralement par une simple poussée manuelle. Prix de vente : 9 600 euros BRONZE SCULPTÉ Dans le même esprit, la Métafocus a des portes coulissantes dont la façade en bronze est sculptée. Signée Dominique Imbert. Prix de vente : 11 500 euros. Tirage limité. 49 SANTÉ VOUS AIMEZ VOUS TARTINER D’ARGILE OU DE CONCOMBRE ? LA COSMÉTIQUE NATURELLE VOUS PARLE ? NORMAL, VOUS PORTEZ EN VOUS L’HÉRITAGE DU MOUVEMENT HIPPIE. MAIS GARE, LES INDUSTRIELS EXPLOITENT LE FILON : LA NATURE EST DEVENUE UN ARGUMENT MARKETING. Par Marie Piquemal cément bon pour la santé. Mais c’est totalement faux ! Quand on vous vend une crème 100 % nature l l e, là aussi c’est une arnaque. À l’exception des huiles essentielles pures, aucun produit cosmétique n’est complètement naturel », explique Laurence Coiffard, experte à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Pour elle, le problème est clair. L’utilisation marketing des t e rmes « naturel » ou « végétal » n’est pas encadrée juridiquement. Résultat: ces appellations sont employées pour tout et n’importe quoi, entretenant l’amalgame entre le naturel et le bio. Un défi pour les associations p ro f e s s i o n n e l l e s du secteur en quête de légitimité « n dessine une petite feuille verte sur le pot de et de visibilité. En France, deux organismes principaux, Nature crème et on vous fait cro i re que c’est naturel !» s’agace & progrès et Écocert, proposent de labelliser les produits Isabelle Frapart, professeur de cosmétologie à conformes à des cahiers des charges très précis. Toulouse. Elle vient d’entrepre n d reune étude sur la comEn pratique, il s’agit d’utiliser un maximum de produits position des produits vendus comme naturels : «Prenez issus de l’agriculture biologique et d’écarter les ingréune marque comme Yves Rocher. Sur cinquante ingrédients obtenus par des procédés chimiques lourd s . dients répertoriés, je peux vous en citer une trentaine A u t rement dit, si vous achetez une crème estamqui sont des produits de synthèse! » Seulement voilà. pillée Écocert, vous avez la certitude de ne pas tro uLe mot « naturel » fait vendre. Considéré comme une ver de composants dérivés de la pétro c h i m i e , valeur refuge, il bénéficie d’un excellent capital confiance. comme les parabens, ces conservateurs utilisés Mais aussi d’un petit parfum de nostalgie car il rapdans 80% des produits de beauté. Une garanpelle le retour à la terre que prônaient nos ancêtres tie pour les consommateurs, un casse-tête les hippies. Un filon marketing donc. pour les producteurs. Michel Feuillet, re sÀ voir les rayons des grandes surfaces, les industriels s’en ponsable de JLM Laboratoire, en fait chaque jour donnent à cœur joie, semant le trouble chez les consoml’expérience depuis qu’il a choisi de faire cert i f i e r mateurs. « On vous persuade qu’un produit naturel est forses produits par Écocert en 2002. «Il y a plein de produits que l’on n’a pas le droit d’exploiter. L’huile de cassis, par exemple. LABELS À LA LOUPE Voilà un ingrédient 100% naturel et ÉCOCERT est une entreprise privée fondée en 1991, dans la lignée du mouvement pourtant on n’a pas le droit de l’utiassociatif agrobiologique des années 1970. Elle garantit les qualités biologiques et liser. Cette huile est extraite à l’hexane, écologiques des cosmétiques avec un niveau d’exigence supérieur à la réglementation un dérivé du pétrole, et ça, c’est conventionnelle. Agréé par les ministères de l’Agriculture et de l’Économie, cet organisme interdit ! » À moins d’avoir des connaissances en de certification a su s’imposer dans ce secteur. www.ecocert.fr chimie pour décrypter la composition des pro NATURE & PROGRÈS est une fédération qui rassemble des agriculteurs, des duits, les labels restent les seuls indicateurs perdistributeurs et des consommateurs de produits issus de l’agriculture biologique. Le label mettant aux clients de s’y retrouver. Et de faire Nature & Progrès garantit le respect de l’environnement. Mais pas seulement. Il propose la part des choses entre effet marketing et ingréaussi un projet global de société et s’alarme « des dérapages possibles d’une production bio dients nature l s . industrielle motivée par le seul intérêt économique ». www.natureetprogres.org Cosmétiques bio la poudre aux yeux O 50 DR Promo Des pavés dans la mare À Anne-Lorraine 51 École de journalisme promotion 2008 École des hautes études en sciences de l’information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77 rue de villiers 92200 Neuilly-sur-Seine www.celsa.fr