Lettres de CamiLLe deLaviLLe à GeorGes de Peyrebrune
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Lettres de CamiLLe deLaviLLe à GeorGes de Peyrebrune
Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884–1888 Édition préfacée et annotée par Nelly Sanchez Publications du Centre d’étude des correspondances et journaux intimes (Université Européenne de Bretagne, UMR CNRS 6563, Université de Bretagne Occidentale, Brest) Photographies de couverture : Photographie : La Vie Heureuse, 23 septembre 1888, Bibliothèque Marguerite Durand Profil au crayon : Silhouettes parisiennes d’Olympe Audouard, 1883, Paris : Marpon & Flammarion Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884-1888 Édition préfacée et annotée par Nelly Sanchez Publications du Centre d’étude des correspondances et journaux intimes Toutes les lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune sont conservées à la Bibliothèque municipale de Périgueux, dans le fonds Georges de Peyrebrune. Les deux lettres de Rachilde à Georges de Peyrebrune retranscrites en épilogue s’y trouvent aussi. L’acte de décès de Camille Delaville est conservé aux Archives de Paris. À l’exception de deux « petits bleus », les soixantedix-neuf courriers présentés ici (numérotés de 1 à 79) ont été écrits sur des doubles feuillets sans en-tête et, la plupart du temps, sans indication de date. Chaque fois qu’il a été possible de le faire, nous en avons proposé une, qui apparaît alors entre crochets droits. Aucune enveloppe ne figurait dans ce fonds. La transcription des lettres a été faite au plus près des manuscrits autographes. Nous avons respecté les retours à la ligne, les signatures ainsi que la ponctuation, sauf dans le cas où cette dernière rendait la compréhension difficile. Pour faciliter la compréhension, nous avons toutefois complété les mots et les noms abrégés, corrigé quelques fautes d’orthographe ou d’inattention, ajouté quelques signes de ponctuation manquant. Si nous avons repris les mots soulignés, nous avons, en revanche, homogénéisé tous les titres de journaux et d’ouvrages en les mettant en italique. Un index biographique, à la fin, permet de mieux connaître le milieu dans lequel évoluait Camille Delaville. Je tiens à remercier la Bibliothèque municipale de Périgueux, les Archives de Paris, et les ayants droits de Rachilde qui m’ont donné les autorisations indispensables pour mener à bien ce travail. Je remercie également M. Patrice Cambronne, professeur émérite de l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, pour ses lumières en culture et langue latines, et ses encouragements. Je salue ici les patientes relectures et les judicieux conseils de M. Jean-Marc Hovasse, qui accueille cet ouvrage parmi les « Correspondances et Journaux intimes » de l’unité du CNRS de Brest. Nelly Sanchez Introduction Il ne faut pas se fier au genre des patronymes : les lettres de Camille à Georges, écrites par une femme, étaient destinées à une femme. De 1884 à 1888, la chroniqueuse Camille Delaville, Françoise Adèle Couteau née Chartier pour l’état civil, en adressa près d’une centaine à la romancière Mathilde Marie Georgina Élisabeth Judicis de Peyrebrune, plus connue sous le nom de Georges de Peyrebrune. Pareille relation a rarement été donnée à lire : bien peu de correspondances publiées, en effet, témoignent d’échanges intellectuels entre femmes de lettres. Si ces pseudonymes masculins traduisent chez elles la volonté de préserver leur identité ou le désir d’être reconnues pour leur seul talent par le public, l’utilisation du patronyme littéraire dans leur correspondance n’est pas anodine. Ce n’est pas la femme mais l’artiste qui prend la plume pour confier à l’une de ses consœurs ses activités éditoriales et littéraires. Avec le temps, Camille Delaville en vient à relater ses problèmes de santé, ses ennuis financiers, les querelles intestines qui agitent son cercle d’amis. Mais l’histoire du siècle n’apparaît pas, sinon la mort de Victor Hugo et l’incendie de l’Opéra Comique, tous deux brièvement évoqués. Ces lettres sont surtout exceptionnelles parce qu’elles témoignent de la condition d’une femme écrivain à la fin des années 1880. Comment subsister, en effet, sans autre ressource que l’écriture, à une époque où, à travail égal, une femme gagne trois fois moins qu’un homme ? Camille Delaville ne décolérera pas de voir Georges de Peyrebrune toucher 15 000 francs pour la correction d’un feuilleton alors que, 10 pour la même tâche, un homme « gagne 80 000 francs ». Si ces lettres se font l’écho des injustices dont est victime le « sexe faible », elles ne laissent rien paraître, en revanche, des préjugés inhérents à la condition d’auteur ou, comme on dit encore, de bas-bleu. « La locution bas-bleu », rapporte le Larousse, n’est que la traduction littérale du sobriquet bluestocking par lequel les Anglais imaginèrent de ridiculiser les femmes qui, négligeant les soins de leur ménage, s’occupaient de littérature et passaient leur temps à écrire de la prose ou des vers . La société se méfie des femmes de lettres car l’écriture, ainsi que le raisonnement qui en découle, sont des apanages masculins. Or, s’arroger des prérogatives masculines, c’est repousser son rôle naturel et, naïvement ou perversement, [faire] l’homme. […] Ce qui constitue le bas-bleu ou amazone, c’est qu’un léger développement de ce qui semble viril en elle lui fait croire qu’intellectuellement elle est un homme . Jugée pervertie, sinon monstrueuse, puisqu’elle renonce à tenir sa place d’épouse fidèle et de mère dévouée, elle est de toute façon marginalisée. Camille Delaville évolue ainsi dans une sphère composée de femmes de lettres parfois célèbres comme Anaïs Ségalas ou Judith Gautier, mais aussi d’actrices, d’artistes, d’étrangères, de prostituées de luxe, appelées pudiquement demi-mondaines – bref de tous les rebuts de la société. Lettre 58. C’est l’épistolière qui souligne. Article « bas-bleu » du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (Paris, Larousse, 1866-1877, t. II, 1ère partie, p. 296-297). Han Ryner, Le Massacre des Amazones, Paris, Chamuel, s.d, p. 4. 11 Au-delà du témoignage du quotidien d’une femme de lettres, la correspondance de Camille Delaville peut aussi s’appréhender comme le roman d’une amitié. La fréquence de ses lettres permet, en effet, une lecture linéaire de la fin de sa carrière. Si la maladie incurable dont elle souffre (un dysfonctionnement de la vésicule biliaire et non une maladie vénérienne comme elle le suppose) apporte une dimension tragique à ce recueil, la découverte de l’héritier d’une partie de sa fortune survient comme un ultime coup de théâtre. En guise de péripéties : la parution de son dernier roman, La Femme jaune (1886), le lancement de son second journal, La Revue verte (1887), ainsi que les rivalités entre femmes de lettres, comme les cabales de Mme de Rute dont elle est parfois la victime… Les circonstances de la découverte de cette correspondance relèvent aussi du romanesque. Non cotée, non classée, et par conséquent non répertoriée, cette centaine de lettres inédites conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux a refait surface lors d’une enquête sur l’opinion des romancières pendant l’affaire Dreyfus. Au hasard de la découverte, il faut ajouter la chance : cette liasse, en même temps que beaucoup d’autres courriers, a été sauvée de la destruction à laquelle la condamnait le dernier vœu de la romancière. Dans son testament, Georges de Peyrebrune demandait en effet à ses héritiers de détruire « ce qu’ils doivent détruire » et les autorisait à vendre « les autographes sans intimité » . Pourquoi ces lettres ont-elles été épargnées ? Ce n’est certainement pas pour leur valeur commerciale : Camille Delaville avait déjà, à la fin de son Testament de Georges de Peyrebrune conservé dans le dossier de la Société des Gens de Lettres, Archives Nationales. 12 existence, sombré dans l’anonymat. Souhaitait-on alors conserver le souvenir d’une amie chère, qui avait tenu une grande place dans l’existence de Georges de Peyrebrune, laquelle fut d’ailleurs la seule à vouloir réhabiliter sa mémoire salie par d’insistantes rumeurs ? On trouve également, dans ses romans d’inspiration autobiographique, une certaine Alix Deschamps (Le Roman d’un bas bleu, 1892) ou une Mme C. D… (Une sentimentale, 1903), présentée comme la confidente, l’amie charitable, dévouée – un rôle qui semble avoir été le sien au cours de ces cinq années d’amitié sans ombre épistolaire. Outre la maladie de Camille Delaville qui ne pouvait qu’attirer la sympathie de sa correspondante, nombreux sont les éléments qui expliquent leur parfaite entente, à commencer par leur appartenance à la même génération. Bien que Georges de Peyrebrune ait longtemps laissé croire qu’elle était née en 1848, son dossier de la Société des Gens de Lettres porte comme date de naissance le 18 avril 1841, en Dordogne. Camille Delaville a vu le jour à Paris le 21 mars 1838. Georges de Peyrebrune est mariée, sans enfant ; elle vit seule à Paris, son époux demeurant en Dordogne. Même si elle retourne régulièrement en province, cette situation ressemble fort à une séparation ; d’ailleurs aucune lettre ne fera allusion à lui. Quant à Camille Delaville, elle est sous le coup, depuis les années 1860, d’une séparation judiciaire, ce qui signifie qu’elle est séparée de son mari et que sa fortune personnelle, conséquente, est gérée par un conseil judiciaire. Elle divorcera en 1885, quand la loi française le lui permettra. Elle a deux filles, Marguerite et Rose, et trois 13 petits-enfants : Marthe, France et Jacques. En butte aux mêmes préjugés, évoluant dans la même sphère culturelle et sociale, ces femmes indépendantes devaient finir par se rencontrer. Elles se croisèrent une première fois dans la salle de rédaction des Matinées espagnoles, revue internationale dirigée par Mme de Rute. Camille Delaville débutait sa chronique mensuelle, « Le Courrier de Paris », en avril 1883, et Georges de Peyrebrune donnait en septembre de la même année une nouvelle, La Dernière fée. Leurs relations restèrent mondaines jusqu’à ce que la première envoie à la seconde l’invitation au dîner des bas-bleus qui inaugure cette correspondance. Leurs parcours littéraires expliquent également leur entente. Si toutes deux écrivaient pour subsister, elles n’avaient pas la même pratique de l’écriture et n’avaient donc pas à se considérer comme des rivales potentielles. En 1885, Camille Delaville souffrit d’ailleurs de la trahison d’une amie, Mina Round, prête à tout pour obtenir une rubrique à La Presse. Rendant compte des événements mondains, des phénomènes de société et des faits divers pour plusieurs journaux, Camille Delaville est avant tout chroniqueuse. Si elle puise le sujet de ses articles dans l’actualité du moment, elle a une certaine prédilection pour les scandales, les meurtres, les affaires de mœurs. Quant à Georges de Peyrebrune, c’est une romancière dont les œuvres paraissent d’abord en feuilleton dans La Revue bleue. Elle se consacre uniquement à la fiction, bien que la réalité l’ait inspirée pour écrire Les Ensevelis (1886). La complémentarité de leurs champs de compétence a profité à leurs carrières respectives. Sitôt que Camille Delaville a découvert les œuvres de sa consœur, elle a multiplié les 14 articles à leur sujet. Grâce à elle, Georges de Peyrebrune fut un temps omniprésente dans la presse. Il reste cependant à découvrir le véritable impact que les écrits de la chroniqueuse ont eu sur sa notoriété. En tenant ce rôle d’hagiographe informel, Camille Delaville profitait de la renommée grandissante de son amie qui venait de publier plusieurs romans à succès, dont on entendait tirer des pièces de théâtre. Pendant les cinq dernières années de sa vie, Camille Delaville continua ainsi à exister dans le monde de la presse et rencontra de nombreuses célébrités attirées par la renommée de Georges de Peyrebrune. Cette nouvelle amitié la sauvait de l’oubli et de l’isolement dans lesquels elle sombrait lentement : non seulement sa maladie l’empêchait de tenir régulièrement ses différentes chroniques et de fidéliser ses lecteurs, mais aussi son âge, avancé pour l’époque – cinquante ans –, dissuadait les directeurs de rédaction de l’engager. Son nom signifiait désormais si peu de chose que ce fut Georges de Peyrebrune qui lui présenta, en 1885, un éditeur pour sa Femme jaune. Faute de réclame, ce dernier titre passera totalement inaperçu. À cette perte d’influence s’ajoute la disparition d’amies qui jouissaient d’une certaine autorité sur la scène littéraire. En 1886, Camille Delaville perdit ainsi coup sur coup la baronne Julie de Rothschild et Mathilde Stevens – pseudonyme de Jeanne Thilda, chroniqueuse à succès –, qui avaient toutes deux l’oreille des grands journaux parisiens. Et si, en 1887, elle retrouve une certaine visibilité en tenant deux fois par semaine la rubrique « Mes Contemporaines » dans Le Constitutionnel, c’est qu’elle co-finance ce quotidien avec Henri des Houx et le frère de ce dernier. Dès qu’elle mettra un terme à 15 sa participation (financière), sa signature disparaîtra du journal. Mais elle n’avait rien d’une opportuniste : elle a d’abord fait profiter Georges de Peyrebrune de sa longue expérience des milieux parisiens, intellectuels et mondains. Elle paraît également l’avoir aidée financièrement, et l’avoir tirée de son isolement. L’existence de ces deux femmes de lettres est d’ailleurs aussi complémentaire que leur carrière littéraire : Georges de Peyrebrune, malgré sa notoriété, avait choisi l’ombre, et Camille Delaville, malgré son obscurité, la lumière. L’écriture en l’absence d’enfant : Georges de Peyrebrune À l’image de son rôle de destinataire dont aucun courrier n’a été retrouvé, Georges de Peyrebrune est une femme de lettres effacée, discrète. Dans Le Constitutionnel, Camille Delaville souligne que « son talent suprême comme femme du monde, c’est de savoir écouter ». Sa vie durant, la romancière s’est appliquée à donner d’elle une image lisse et sans tache, comme si elle souhaitait ne laisser aucune prise aux attaques antiféministes. Les clichés et les croquis de l’époque montrent une femme digne, voire austère, peu souriante. C’est ainsi que la percevait Léo d’Orfer, un ami de Rachilde : Voici, […] la femme rêvée et introuvable par ces temps de scandale, une belle personne, un peu rêveuse, […] un peu attristée, mais une de ces privilégiées dont on ne peut nommer les amants et encore moins les vices, mais qui se borne à remplacer, pour les lecteurs intelligents, le style grave de George Sand, mêlé des remarques fines de Sévigné . Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 28 février 1887. Léo d’Orfer, « Chronique raisonnable », Le Zig Zag, 4 octobre 1885. 16 Mathilde Marie Georgina Élisabeth Judicis de Peyrebrune porte le nom de sa mère, étant la fille naturelle d’un lord anglais, Sir Émile Johnston, si l’on se réfère à son acte de mariage. Elle grandit entre sa mère et sa grand-mère au sein d’une « famille bourgeoise, absolument provinciale ». À en croire l’Étrenne aux dames de Camille Le Senne, petite fille elle obtint de gros succès de pension ; à douze ans elle remporte un prix de composition religieuse dans un concours entre toutes les pensions, couvents, collèges de filles et de garçons de la bonne ville de Périgueux . Elle se maria très tôt, à dix-neuf ans, ce qui peut surprendre pour une fille naturelle en province. Elle épouse Paul-Adrien Eimery, dont on ignore jusqu’à la profession. Il n’y aura pas de contrat de mariage ; seules les mères des mariés étaient présentes à la cérémonie. Cette union arrangée ne fut pas très heureuse : plus d’une déception l’avait assaillie dans les premières années passées au foyer conjugal, et aucun baby aux mutines tendresses n’était venu ramener aux lèvres avides de la mère, le sourire effacé à celles de la femme . Si cette absence d’enfant fut un de ses plus douloureux regrets, elle décida aussi de sa carrière de romancière. Dans Le Mordu, œuvre de Rachilde où elle apparaît sous les traits d’Émilienne de Valmont, la romancière avoue : « si j’avais eu des enfants, je n’aurais jamais écrit une ligne… je Camille le Senne, Étrennes aux dames, s.l., s. éd., 1885, p. 20. Ibid. Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 28 février 1887. 17 m’ennuyais, et l’ennui est le plus grand fabricant d’artistes que je connaisse 10. » Justifier son métier d’écrivain par l’impossibilité de procréer est un discours original pour une femme de lettres de cette fin du XIXe siècle. En assignant une fonction thérapeutique à ses écrits, Georges de Peyrebrune espère sans doute échapper aux préjugés liés à son état de « bas-bleu ». On serait tenté de croire son explication si elle n’avait commencé à écrire et à publier avant son mariage. Camille Delaville raconte, en effet, que « les journaux de Périgueux insérèrent d’elle des nouvelles où, malgré l’inexpérience de ses dix-huit ans, perçait déjà le talent qu’elle devait avoir bientôt 11 », et Camille Le Senne rapporte qu’elle s’exerça « à faire des chroniques anonymes pour L’Écho de la Dordogne […] et de courtes nouvelles 12 ». Elle donna également des poèmes signés Régina au Magasin des familles. Si ses romans furent un dérivatif à l’absence d’enfant, ils tentèrent également de combler l’absence de figure paternelle et un besoin de reconnaissance. La majorité de ses héroïnes sont des orphelines : Gatienne (1882), Victoire la Rouge (1883), La Margotti (1887), Sylvère du Parclet, protagoniste du Roman d’un bas-bleu (1892), etc. Et comment interpréter Marco (1882), « le premier gros roman de Mme de Peyrebrune 13 », dont le héros, enfant sans père, a un mystérieux protecteur qui se trouve être un anglais, Sir Robert Brunston ? S’agit-il d’une œuvre autobiographique ou d’un destin rêvé ? La dimension Rachilde, Le Mordu, Paris, Brossier, 1889, p. 197. Camille Delaville, Mes Contemporaines, première série, Paris, Sévin, 1887, p. 22. 12 Camille Le Senne, op. cit., p. 23. 13 Ibid., p. 25. 10 11 18 thérapeutique de ces écrits ne doit cependant pas faire oublier qu’ils représentaient aussi une source de revenus non négligeables. L’écriture est le seul moyen, pour une femme sans formation, de gagner sa vie. La situation de Georges de Peyrebrune fut-elle, à moment donné, celle de Sylvère du Parclet, « mariée par devoir, à un homme dont les caresses brutales lui ont laissé une impression d’épouvante, ruinée par lui 14 » ? Si tel était le cas, cela expliquerait qu’une dizaine d’années après son mariage, « elle vint […] à Paris avec plusieurs manuscrits dans son sac de voyage 15 ». Jusqu’à la fin de sa vie, elle exprimera un pressant besoin d’argent ; dès qu’elle sera pensionnaire de la société des Gens de Lettres, en 1881, elle n’aura de cesse de réclamer des avances sur sa pension, sur les chèques de ses éditeurs. À sa mort, elle leur devra encore 156,44 francs. Si, après la Commune, elle entend être publiée par les grands journaux de la capitale, Georges de Peyrebrune ne se lance pas dans l’aventure sans quelques recommandations, dont celle du député de la Dordogne, Alcide Dusolier. Les Archives Départementales de la Dordogne conservent de nombreuses lettres que la romancière lui adressa. Cet homme politique a publié quelques poèmes dans La Vie littéraire, et l’on peut supposer qu’il l’a présentée au comité de rédaction 16. Après de courtes nouvelles qui parurent sous le titre Contes en l’air (1877), Georges de Peyrebrune donna en feuilleton Les Femmes qui tombent dans L’Électeur (1880), journal républicain dont le rédacteur Paul Ginisty, L’Année littéraire, t. I, 1893, p. 80. Camille Delaville, op. cit., p. 22. 16 Voir Alcide Dusolier, « En Dordogne », « Diane », « Phanor », « Ma pouliche », La Vie littéraire, 9 mars 1876. 14 15 19 en chef était Tony Révillon, qui sera l’un de ses parrains lorsqu’elle postulera à la Société des Gens de Lettres. C’est également à lui qu’elle envoya Marco, roman dont le manuscrit passa entre les mains d’Arsène Houssaye, puis de Charles Buloz, qui le publia en feuilleton, en 1881, dans La Revue des Deux Mondes 17. En 1882, Gatienne, « histoire d’amour, mais d’amour honnête, loyal et brave 18 », remporte un tel succès qu’il est porté à la scène. Une indiscrétion de Camille Delaville permet de savoir que l’adaptation a été faite par « l’auteur et Busnach 19 », et que Sarah Bernhardt devait jouer le rôle titre. Cette dernière fit cependant dérouter, détraquer la pièce scène par scène, afin d’y tailler un rôle à sa bizarre fantaisie. Il va sans dire que les autres rôles de femmes furent impitoyablement massacrés, dévorés à petites bouchées par le joli monstre 20. S’ensuivit un long et coûteux procès contre les directeurs du théâtre de la Porte-Saint-Martin où la pièce devait être jouée. Un troisième titre vint asseoir la notoriété de Georges de Peyrebrune et la poser en héritière de George Sand : Victoire la Rouge (1883). Cette œuvre est « une robuste paysannerie sans mièvrerie ni marivaudage, de la grande et forte école de George Sand, avec une modernité fervente qui rappelle à la fois certains vers de Guy de Charles Buloz (1843-1905) était le fils de François Buloz, le fondateur de La Revue des Deux Mondes, auquel il succéda comme directeur de la revue. 18 Camille Delaville, op. cit., p. 27. 19 Ibid. William Busnach (1832-1907) fonda l’Athénée qu’il dirigea pendant deux ans, écrivit des pièces de théâtre, des romans, des livrets d’opérette. Il devint un proche de Zola en 1876, lors de la publication de L’Assomoir. Avec l’aide de l’auteur, il adapta Nana (1881), Pot-Bouille (1883) et Germinal (1888) au théâtre. 20 Camille Le Senne, op. cit., p. 32-33. 17 20 Maupassant et certaines pages de Camille Lemonnier 21 ». Camille Delaville la comparera « à certains romans de Zola, avec moins de parti pris de détails grossiers, du Zola de derrière les buissons et non de derrière le fumier 22 ». Ce portrait un peu cru d’« une servante […] qui ne ressemble guère à la Geneviève de Lamartine », peint de surcroît par une femme, heurta l’opinion, à l’instar de Maxime Gaucher qui consignait dans sa « Causerie littéraire » : C’est précisément cette peinture d’une nature bestiale, n’ayant que des appétits, toute en ventre, qui […] a semblé digne [de son] pinceau. Eh bien, soit ! Et le malheur, c’est qu’ici encore je suis forcé de constater une grande dépense de talent. […] Cela est désolant 23. Georges de Peyrebrune rencontre Camille Delaville à l’apogée de sa carrière littéraire. Si, à partir de 1883, elle donne à La Revue bleue la majorité de sa production romanesque, notamment Les Frères Colombe (1885) et Les Ensevelis (1887), elle multiplie aussi les collaborations. Le succès de ses premières œuvres ne paraît toujours pas satisfaire son incessant besoin d’argent. Elle tient une chronique au Télégraphe, signe Marco la rubrique « Pages Brèves » et Petit Bob « Les Fruits verts » dans Le Journal, Hunedell un article dans le supplément du Figaro. Au Parlement encore, elle tient une chronique sous le pseudonyme de Célimène ; à partir de 1883, elle donnera quelques contes aux Matinées espagnoles, et Ibid., p. 26. Camille Delaville, op. cit., p. 28. 23 Maxime Gaucher, « Causerie littéraire », La Revue politique et littéraire, t. VI, nov. 1883, p. 699. Ce titre inspira Octave Mirbeau pour Le Journal d’une femme de chambre. Voir Nelly Sanchez, « Victoire la Rouge : source méconnue du Journal d’une femme de chambre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, p. 113-126. 21 22 21 collaborera avec M me de Rute, en 1889, au feuilleton intitulé Une grande passion. En 1886, elle assure une « Chronique » dans La République française, journal dirigé par son ami Joseph Reinach. La même année, elle écrit Mater !, nouvelle destinée au Nouveau Decameron que dirige Catulle Mendès. Sans doute sut-elle gré à Camille Delaville de l’avoir associée à sa Revue Verte ; elle apparaîtra sous la signature de Trémor dans la rubrique « Nos Échos », et donnera une nouvelle inédite, JoséeMarie-Lise. Tout au long de la correspondance échangée avec son amie, elle apparaît comme une femme de lettres en perpétuelle activité. Elle quitte rarement Paris, sinon pour se rendre en avril 1886 en Espagne et en juin de cette même année au Pouliguen, station balnéaire du Golfe de Gascogne. En 1887, elle part quelque temps, peut-être en Italie. Elle prolonge également son séjour en Dordogne pour écrire Les Ensevelis, roman inspiré de l’effondrement des carrières de Chancelade. Que faisait-elle de l’argent qu’elle gagnait ? Entretenait-elle son époux ? Ce dernier était-il, comme celui de Sylvère du Parclet, atteint de quelque affection mentale qui nécessitait une surveillance et un soin constants ? Cela expliquerait son attitude réservée en société – au cours des cinq années couverte par cette correspondance, elle ne donne qu’une matinée –, tout comme le refus de faire parler d’elle : le moindre scandale pouvait, en effet, dévoiler la vérité. Cette hypothèse permettrait également de comprendre qu’elle n’a pas divorcé en 1885, comme Camille Delaville 24. 24 Ainsi que le rappelle Laure Adler, « la folie ne peut être invoquée à l’appui d’une instance de séparation de corps ou de divorce, et les excès, sévices, injures graves commis sous l’empire de l’aliénation mentale ne peuvent être 22 Avec la disparition de son amie, Georges de Peyrebrune perdra son meilleur soutien. Les articles la concernant deviendront plus rares avec le temps, et les comptes rendus de ses œuvres plus brefs. Elle fera encore parler d’elle en prenant position contre la peine de mort – notamment au moment de l’exécution de l’anarchiste Vaillant, en 1893 – et en rejoignant le camp des dreyfusards aux côtés de son ami Joseph Reinach. Elle remportera encore un certain succès avec Le Curé d’Anchelles (1891), dont le héros sauve le fils de celle qu’il aime, et dont on retrouve une variante dans la nouvelle Princesse (1894). Deux de ses œuvres seront couronnées par l’Académie française, Vers l’amour (1896) et Au pied du mât (1899). Mais dès 1895, Léon Blum constatait le lent oubli dans lequel elle sombrait : « On ne dit plus rien de Mme de Peyrebrune. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Ses romans sont bien faits, attachants, moraux en somme 25. » Comment expliquer ce déclin ? Sans doute a-t-elle du mal à se renouveler ou à comprendre l’évolution de la société. Elle abandonne un temps les « peintures de la féminité douloureuse 26 » et développe, dans Libres (1897), une réflexion hardie, pour l’époque, sur l’union libre ; avec Une expérience (1901), elle s’essaie au roman naturaliste. Mais au fur et à mesure de ses publications, la condition féminine passe au second plan au profit d’une intrigue amoureuse. Ainsi Les Passionnés (1900) est « l’histoire d’une pauvre et douce institutrice de village que tyrannise retenus » (Laure Adler, Secrets d’alcôve. Histoire du couple de 1830 à 1930, Paris, Hachette, 1983, p. 198). 25 Léon Blum, « Les Livres », La Revue Blanche, septembre 1895, p. 393. 26 Camille Le Senne, op. cit., p. 29. 23 un Monsieur appartenant à la catégorie néfaste des vieux coqs de province 27 », et Les Trois demoiselles (1905) le touchant récit « d’une belle petite infirme que l’amour émeut au point de la guérir 28 ». Passée cette date, elle cesse de publier des œuvres originales : La Margotti (1887) reparaît sous le titre Le Réveil d’Ève en 1909. La presse continue toutefois de lui demander son avis. Le Combat périgourdin du 15 septembre 1895 signale que « Mme Georges de Peyrebrune […] s’est nettement prononcée contre la culotte » de cycliste pour les femmes. En 1905, elle s’oppose à la réforme de l’orthographe : Je la trouve […] antisociale et antidémocratique. Ce n’est pas notre orthographe qu’il faut mettre à la portée du peuple, c’est le peuple qu’il faut hausser à la connaissance de notre langue dans la forme de ses mots consacrés par l’usage, la tradition et les chefs-d’œuvre de notre littérature 29. En 1904, elle entre au premier jury du prix Femina, et apparaît en 1907 parmi « les plus célèbres femmes de lettres contemporaines » que présente la revue Je sais tout. Dix ans plus tard, elle décède dans le plus grand dénuement : la Première Guerre mondiale occupant tous les esprits, sa disparition passa totalement inaperçue. Elle est incinérée au cimetière du Père Lachaise ; sur sa plaque est reproduite la septième stance du 4e livre des Stances de Jean Moréas (1906) : Compagne de l’éther, indolente fumée, Je te ressemble un peu. Ta vie est d’un instant, la mienne est consumée, Rachilde, « Les Romans », Mercure de France, mars 1900, p. 771. Rachilde, « Les Romans », Mercure de France, 15 mai 1905, p. 258. 29 Georges de Peyrebrune, Le Beffroi, 1905, p. 109. 27 28 24 Mais nous sortons du feu. L’homme pour subsister, en recueillant la cendre Qu’il use ses genoux ! Sans plus nous soucier et sans jamais descendre, Évanouissons-nous ! Camille Delaville : la nécessité d’écrire Si Georges de Peyrebrune subsiste encore dans les mémoires grâce à quelques-uns de ses romans, sa correspondante, en revanche, a totalement sombré dans l’oubli. Qui se souvient de Camille Delaville, née Françoise Adèle Chartier le 21 mars 1838 à Paris ? Elle est la fille unique d’Hector Marc Alexandre Chartier, riche changeur « extra sérieux » établi rue Ménars, et d’Augustine Geneviève Defontaine Delaville, « artiste de grand talent élève d’Horace Vernet 30 », peintre français de renom. Ses parents se sont mariés en 1836 ; son père est alors âgé de 34 ans, sa mère a 19 ans. Elle s’éteindra treize ans plus tard, laissant son époux élever seul la petite Françoise : [N’ayant] pas d’autre enfant, [il] lui fit infliger l’éducation qu’il aurait fait donner à son fils si il en avait eu un ; y compris l’escrime, ce qui n’amusait pas du tout la fillette ; toutes ses heures étaient prises par des leçons horriblement sérieuses ou artistiques. Dans tout cela une seule chose lui plaisait ; les devoirs de narration ; non que cela l’amusât à faire, mais cela lui était plus facile ; le papa, après quelques lectures de « composition de style », raya absolument ce numéro du programme 31. 30 31 Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 30 avril 1887. Ibid. 25 C’est à cette période qu’elle aurait rédigé ses premiers articles. Elle confie à Georges de Peyrebrune : « la charmante Mme Rouvier (Claude Vignon) […] m’a mis la plume à la main pour un journal de femmes alors que j’avais environ 13 ou 14 ans 32. » À l’instar de sa mère, la future Camille Delaville se maria jeune. À 18 ans, le 15 janvier 1857, elle épousa Émile Couteau, qui avait seulement un an de plus qu’elle. D’origine hollandaise, descendant du peintre Van Ostade 33, ce futur avocat de renom est né en province, issu d’une famille « jadis riche, [qui] avait été ruinée en 1830. [Le] père avait obtenu une place de percepteur 34 ». De cette union naîtront deux filles : Marguerite et Rose. Bien qu’il s’agisse d’un mariage d’amour, le climat conjugal se détériore rapidement : le mari qu’elle avait choisi, avec des qualités intellectuelles très brillantes, avait des défauts qui lui étaient particulièrement très pénibles. Il était d’un positivisme absolu, d’un entêtement extrême, d’une violence effrayante 35. À en croire La Loi qui tue (1875), roman d’inspiration autobiographique, la jeune femme s’enfuit trois ans plus tard du domicile conjugal, après avoir été frappée par son époux. Elle se réfugia pour un temps à l’hôtel, puis s’installa à Arcachon jusqu’au terme de sa seconde grossesse. C’est là qu’elle dut collaborer aux Muses Lettre 50. Dans sa « Chronique mondaine » de La Presse du 24 décembre 1884, elle présente sa fille, « la jolie Mme Chaperon, [comme] l’arrière-petite fille de Van Ostade ». Le musée de Besançon, entre autres, conserve quelques toiles de ce peintre. 34 Camille Delaville, La Loi qui tue, Paris, Aymot, 1875, p. 188. 35 Ibid., p. 18. 32 33 26 santonnes de Victor Billaud 36. De retour à Paris, elle fut convaincue d’adultère et condamnée à deux ans de prison qu’elle ne fit jamais. Son époux obtint la séparation. Considérée comme mineure aux yeux de la loi, il lui était désormais défendu « de plaider, de transiger, d’emprunter, de recevoir un capital mobilier et d’en donner décharge, d’aliéner ni de grever [ses] biens d’hypothèques sans l’assistance d’un conseil […] nommé par le tribunal 37 ». D’autre part, les biens hérités de son père étaient placés sous le contrôle d’un conseil judiciaire. Elle ne pouvait donc plus disposer d’une fortune qui s’élevait, selon l’indiscrète Mme de Rute, à « quinze millions 38 » de francs : « une partie de la fortune était dotale. C’était des immeubles situés à Paris ; une autre […] était représentée […] par des titres au porteur 39. » Elle divorcera en 1885, dès que la loi sera votée en France. Mais en attendant, elle doit se résoudre à gagner sa vie pour élever seule ses enfants. Durant sa brève existence conjugale, elle avait passé « convenablement ses examens d’institutrice 40 », mais n’avait jamais enseigné : « tout en ayant une grande fortune, des complications d’affaires l’ont privée d’en jouir, et elle a dû écrire, afin de pouvoir bien élever et bien doter ses filles 41. » En présentant l’écriture comme l’unique moyen de gagner sa vie et donc de subvenir aux besoins de ses enfants, Camille Delaville justifie, par la nécessité, Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 30 juin 1884. Camille Delaville, op. cit., p. 224. Code civil, livre 1er, article 513. 38 Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 198. 39 Camille Delaville, op. cit., p. 193. 40 Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 30 avril 1887. 41 Olympe Audouard, Silhouettes parisiennes, Paris, Marpon & Flammarion, 1883, p. 304. 36 37 27 son recours à un métier d’homme. D’autres avant elle, notamment George Sand, avaient avancé un tel argument pour légitimer leur carrière littéraire et se laver, aux yeux du public, de tout soupçon d’ambition et d’émancipation – désirs fort mal acceptés chez les femmes dont on attendait modestie et soumission. Camille Delaville le redira encore en 1885 : « Je n’ai pas écrit par goût, mais pour élever mes enfants et pendant dix ans j’ai exactement caché mon sexe sous mon pseudonyme 42. » Si elle fait allusion ici à « Camille Delaville », son nom de plume le plus usité, elle n’en eut pas moins de trois autres : Pierre de Chatillon, Bisbille, et Adèle de Chambry. Delaville est un des noms de jeune fille de sa mère auquel est associé un prénom mixte, ce qui lui permettait d’échapper dans un premier temps au dédain qu’inspiraient les œuvres féminines. Afin de s’assurer des revenus réguliers, elle se lança dans l’écriture journalistique, débutant avec Villemessant dans Le Grand Journal et Le Soleil « par des articles strictement anonymes qui firent quelque bruit… » : Depuis je ne me souviens distinctement que d’avoir collaboré au Gaulois […], à La Presse 6 ans, à L’Événement […], au Courrier du Soir, à L’École des femmes et à une foule d’autres […] dont le nom m’échappe j’ai énormément écrit et silhouetté. J’ai fait le plus bel ornement du Papillon de la bonne Audouard (le 2e) 43. Dans un « Courrier de Paris », elle révèle également avoir tenu « des chroniques de plage dans le journal de Trouville, dirigé par un imprimeur nommé Trinité 44 ». Camille Delaville, « Une Lettre », Le Zig Zag, 4 octobre 1885. Lettre 50. Olympe Audouard fonda Le Papillon, journal féministe qui fut interdit en 1868 par le gouvernement. Elle le reprit en 1883. 44 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, août 1887, p. 57. 42 43 28 À partir de 1883 et jusqu’à la fin de sa vie, elle participe aux Matinées espagnoles, une revue internationale dirigée par Mme de Rute, petite-nièce de Napoléon Ier. Dans ces périodiques, elle aborde tous les sujets d’actualité, y compris la bourse dans L’École des femmes ; elle signe des articles de science, des critiques littéraires, des chroniques mondaines qui ont paru dans l’ancien Grand Journal de Villemessant, dans Le Gaulois, dans L’Événement et dans La Presse 45. Elle s’est surtout spécialisée dans les portraits, l’évocation en une centaine de lignes de la carrière et de l’actualité d’un personnage à la mode. Dans La Presse, elle publia « des silhouettes d’officiers ministériels qui ont eu un grand succès 46 », pour L’École des femmes, elle tint la rubrique « Mes Contemporains » où elle présenta entre autres Zola, Claude Vignon ; dans Le Passant, elle s’intéressa aux avocats célèbres. En 1887, c’est au Constitutionnel qu’elle donna sa dernière série « Mes Contemporaines ». Elle s’attacha, deux fois par semaine, à évoquer des femmes hors du commun, comme la remuante M me Astié de Valsayre, qui entendait ouvrir des salles d’escrime pour femmes, ou le docteur Madeleine Brès. Par deux fois, elle fonda son propre journal. En 1882, ce fut Le Passant, qu’elle finança et dirigea pendant vingt numéros. Il comptait parmi ses collaborateurs les plus célèbres Arsène Houssaye, Camille Flammarion, Catulle Mendès, Anaïs Ségalas et Rachilde. En 1886, elle lança La Revue verte, qui vécut à peu près la même durée (seize numéros). Elle y associa les frères Bertrand, 45 46 Olympe Audouard, op. cit., p. 300. Ibid. 29 Georges de Peyrebrune, Alexandre Parodi, Léo d’Orfer… Une mauvaise gestion explique à chaque fois la faillite. Indépendamment du sujet traité, c’est son style « clair, concis » qui plaît aux lecteurs ; elle « a le mot à l’emporte-pièce, et un esprit si souple qu’il aborde tous les sujets et les traite également bien 47 ». La virulence de certains de ses propos n’échappe pas à la jeune Rachilde, qui eut l’occasion de travailler avec elle : Comme prosateur, elle est douée d’une facilité surprenante et caméléonienne ; elle paraît à la fois dans une dizaine de journaux, sous plusieurs pseudonymes […]. Parfois cette plume élégante tombe brusquement dans le ruisseau et cela avec une telle verve, une telle diablerie 48. La chroniqueuse fut si mordante dans ses articles qu’elle se retrouva accusée « d’avoir attenté au respect dû à un huissier de Paris nommé Barriqand. […] La silhouette de ce monsieur, […] lui avait paru diffamatoire 49 ». Dans Le Passant du 12 août 1882 paraissait « Cynisme et mensonge », un article relatant ses démêlés avec Le Journal de Clamecy. En juin 1883 encore, dans Les Matinées espagnoles, deux pages de son « Courrier de Paris » sont supprimées par la rédaction. Elle y défendait Mme Edmond Adam et son livre Païenne, qu’un chroniqueur indélicat du Gil Blas avait littéralement « dépecé 50 ». Une note donne les raisons de cette censure : Ibid. Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. 49 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 janvier 1887, p. 37-38. 50 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, juin 1883, p. 41. 47 48 30 Nous faisons toutes nos excuses à notre aimable et spirituelle collaboratrice, Mme Delaville, de la suppression de deux pages que nous faisons à son article. Si nous les avions laissées passer, tous nos collaborateurs nous arracheraient les yeux 51. Ce goût pour la calomnie et l’exagération n’est pas seulement un artifice journalistique, il semble refléter l’un de ses traits de caractère profonds. Dans la préface d’À Mort, où elle évoquera son souvenir, Rachilde la décrira comme « une femme au cœur constant, quoique dure dans ses critiques […], un journaliste très redresseur de tort en parole, mais très généreuse en action, comme toutes les femmes de race 52 ». Georges de Peyrebrune est forcée de reconnaître que son amie s’entendait à faire passer aux gens, et sans qu’ils trouvassent le moyen de s’en fâcher, tout ce qui pouvait être dit de désagréable sur leur compte. Elle s’indignait si fort que l’on ne s’indignait pas ; même elle avait accueilli les propos par des ripostes si plaisantes que l’on finissait par en rire mais la flèche demeurait 53. Lorsqu’elle fera son éloge funèbre dans les pages des Matinées espagnoles, Mme de Rute reviendra également sur cet aspect de sa personnalité : Cette femme spirituelle entre toutes […] passait pour être méchante, et ce n’était pas absolument vrai ; elle avait trop d’esprit réel, de verve constante, pour avoir recours au plus facile de tous les esprits : celui du dénigrement de parti pris. Cependant, il faut bien en convenir, elle Note signée « La Rédaction », ibid. Rachilde, préface d’À Mort, Paris, Monnier, 1886, p. XVIII. 53 Georges de Peyrebrune, Le Roman d’un bas bleu, Paris, Ollendorff, 1903, p. 260. 51 52 31 résistait difficilement au plaisir de faire un bon mot, ce mot dût-il atteindre un de ses meilleurs amis ou amies 54. Outre ses nombreuses chroniques, l’œuvre de Camille Delaville compte quelques recueils de nouvelles et des romans : Les Trois criminelles (1876), Les Amours de Madame de Bois-Joly, La Tombe qui parle, Le Cas du Premier président, Les Bottes du vicaire (1884). Lorsque parut ce dernier titre, Jules Boissière écrivit dans ses « Notices bibliographiques » de La Presse : Les Bottes du vicaire, de Mme Camille Delaville sont une œuvre qui scandalisera vraisemblablement les bonnes familles dévotes, et dont les confesseurs catholiques ne conseilleront pas la méditation à leurs ouailles. […] Les Bottes du vicaire sont écrites avec ce style alerte et élégant que les lecteurs de La Presse ont longtemps goûté dans les charmantes chroniques de Mme Delaville. […] Nous y trouvons un art infini de narration et une étonnante délicatesse de touches dans la description qui est ordinairement très courte et ne s’étend que rarement au-delà de quatre ou cinq lignes 55. Tous ces écrits ont d’abord paru en feuilleton dans les journaux auxquels elle collaborait. Ainsi La Femme jaune, son dernier roman édité en 1886, a commencé par passionner les lecteurs du Gaulois au début des années 1880. Il avait « obtenu un réel succès ; le héros est un serpent boa, qui joue un rôle fantastique. Ce roman est très émouvant, fort mouvementé et bien charpenté 56 ». Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 197. 55 Jules Boissière, « Notices bibliographiques », La Presse, 19 juin 1884. 56 Olympe Audouard, op. cit, p. 302. 54 32 Sa genèse est révélatrice du statut de subalterne assigné à la femme écrivain à cette époque : il fut initialement écrit pour un journaliste, Jules Billault, qui toucha la moitié de la rémunération. Camille Delaville se retrouvera dans une situation voisine, en 1887, quand Le Petit Parisien fera paraître son Passé du docteur : celui-ci sera remanié par un feuilletoniste à la mode, et elle sera payée trois fois moins que son confrère. Le titre majeur de sa carrière demeure cependant La Loi qui tue (1875), récit à peine romancé de sa bataille judiciaire contre son mari, de la perte irrémédiable de sa fortune et de son existence un temps misérable. Au-delà de la dimension autobiographique, c’est un fervent plaidoyer contre l’iniquité des lois du divorce envers les femmes : La Loi qui tue est une œuvre triste comme le journal d’une vie désespérée. À travers ces pages, […] on voit mourir, mourir lentement, écrasée par une justice injuste, une femme adorable […]. C’est l’arrêt de la logique porté en dernier ressort contre l’arrêt des humains. Le roman de Camille Delaville est écrit simplement ; pas de phrases, pas de tirades, un net exposé des faits 57. Outre les poésies qu’elle compose pour ses petitsenfants, ses amis – Georges de Peyrebrune en recevra – et dont certaines paraîtront dans L’École des femmes et Le Constitutionnel 58, Camille Delaville écrit également pour le théâtre. Si elle ne manque pas de tenir sa correspondante au 57 58 Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. Voir Camille Delaville, « Feu d’hiver », L’École des femmes, 24 juillet 1879 ; Pierre de Chatillon, « Ultima Verba », Le Passant, 16 septembre 1882 ; Camille Delaville, « Sonnet à Mimi » et « Amour et Amitié », Le Constitutionnel, 30 avril 1887. 33 courant de toutes ses activités littéraires, elle est en revanche plus discrète à ce sujet. Rachilde se souvient qu’elles ont « failli collaborer au même drame 59 », sans toutefois préciser son titre. Dans une lettre adressée à Georges de Peyrebrune en mars 1887 se trouve cette allusion : Cette pièce ! Mes cheveux se dressent, s’ils me laissaient faire le dialogue au moins ! Je l’ai fait pour 3 pièces jouées avec succès en ce moment que je ne veux pas nommer j’ai juré – et comme c’est par simple sympathie – Enfin on aura peut-être l’idée de me consulter, elle serait bonne je vous assure 60. Quelles étaient ces trois pièces ? En février, la ComédieFrançaise donnait Francillon, « un drame de l’inimitable Alexandre Dumas 61 » fils ; aurait-elle participé à son écriture ? Cette hypothèse est loin d’être absurde car Camille Delaville a fréquenté la famille Dumas. Bien qu’elle ne donne aucune date précise, on peut supposer qu’elle a connu l’écrivain dans les années 1850-1860, c’est-àdire avant son mariage avec Émile Couteau. Dans le portrait qu’elle lui consacrera en 1880, Rachilde fera savoir qu’« Alexandre Dumas a dirigé les études littéraires de Camille Delaville : celle-ci a pris, du reste, sa clarté de style et sa façon simple de charpenter le drame intime 62 ». L’épistolière avoue, dans une lettre à Georges de Peyrebrune, qu’elle avait eu confirmation de son talent littéraire par « le père Alexandre Dumas qui a trouvé [qu’elle était] créée Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. Lettre 61. 61 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, février 1887, p. 74. 62 Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. 59 60 34 et mise au monde pour écrire des histoires 63 ». Était-ce un ami de son père ? Ce dernier devait en tout cas avoir suffisamment confiance en lui pour laisser sa fille, jeune encore, l’accompagner dans le nord de la France. En 1879, dans L’École des femmes, elle raconte comment, suite à une grande calamité dans une ville minière S…, en 186…, Alexandre Dumas est invité à y faire une conférence. Il part accompagné de Mme Marie, sa fille, Édouard Guillemin, un aimable garçon d’une trentaine d’années, qui, riche et libre, faisait par goût l’office d’intendant, d’homme d’affaires et de maître des cérémonies, et moi, remplissant les fonctions de secrétaire, également à titre de respectueuse amitié 64. La rumeur prétend qu’elle fut « un des derniers secrétaires d’Alexandre Dumas 65 » père, mais il n’y a guère que dans un article intitulé « La Bohème des lettres » qu’elle apparaît remplissant cette dangereuse fonction, au moment où deux jeunes auteurs viennent se plaindre que le grand homme leur a retourné leur manuscrit : ils demandèrent son secrétaire, celui qui avait annoté leur œuvre, et bien que ce secrétaire fût une femme, ils l’accablèrent de menaces et d’injures, et les domestiques eurent grand peine à la délivrer de ces furieux 66. Lettre 50. Camille Delaville, « Une conférence d’Alexandre Dumas », L’École des femmes, 30 octobre et 6 novembre 1879. 65 Alfred Vallette, Le Roman d’un homme sérieux, Paris, Mercure de France, 1994, p. 13. 66 Camille Delaville, « La Bohème des lettres », Le Papillon, 14 août 1881. 63 64 35 Bien qu’elle n’éclaire jamais sa correspondante sur le rôle qu’elle a pu jouer auprès d’Alexandre Dumas, il est certain qu’elle a vécu dans son entourage. Ce n’est pas un hasard si elle collabora aux journaux de femmes qui le côtoyèrent : Olympe Audouard, qui dirigea Le Papillon, fut une de ses maîtresses, et Mme de Rute, la rédactrice en chef des Matinées espagnoles, une de ses amies. Camille Delaville rappelle d’ailleurs que cette dernière l’a « accueilli et abrité pendant des mois entiers à Florence » alors que « le cher grand homme avait été délaissé de 1860 environ jusqu’à sa mort » 67. Durant toute sa carrière, elle ne manquera pas une occasion de lui rendre hommage. Dans La Loi qui tue (1875), la narratrice reprend un de ses bons mots pour décrire son futur époux : on était tenté de dire de lui ce qu’Alexandre Dumas dit un jour à un jeune homme qui se présentait pour la première fois chez lui (et qui depuis s’allia à sa famille) : Ah ! Monsieur, que vous êtes joli 68. Camille Delaville l’évoqua, ainsi que son fils, au cours de ses nombreuses conférences : en 1881, elle parla ainsi, « à Argenteuil […] pour une société d’enseignement philotechnique 69 » des deux Dumas ; à la fin de l’année 1882, Camille Flammarion se voyant « empêché de faire une conférence promise à la Société d’enseignement mutuel de Suresnes », c’est elle qui le remplaça, disant « au président de la Société qui attendait Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, décembre 1883, p. 440-441. 68 Camille Delaville, op. cit., p. 9. 69 Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 8 septembre 1884. 67 36 […] le titre de [sa] conférence : « Je parlerai de Dumas 70 ». En février 1885 encore, elle parla des deux Dumas et tint « son auditoire sous le charme en racontant de la façon la plus amusante une foule d’anecdotes typiques et inédites sur les deux grands écrivains 71 ». Ses chroniques apprennent également aux lecteurs qu’Alexandre Dumas père « était plus fier de ses coups de fusils que de ses romans 72 » ; que « pendant plusieurs années, [il] garda l’appartement de sa mère, le faisant entretenir comme lorsqu’elle vivait, et [que] souvent, très souvent, il venait s’y enfermer pour pleurer celle qu’il avait tant aimée 73 » ; qu’il était enfin fort préoccupé par « la grande question de l’immortalité de l’âme » : Je l’ai souvent entendu parler dans l’intimité, entre sa fille et quelques vieux amis, du désir qu’il aurait de voir son âme revenir visiter les vivants aimés par lui ; – et il ajoutait : « Si mon âme ne se manifeste pas après ma mort, c’est qu’à aucune âme cela ne sera possible 74. » Est-ce le prestige de sa fortune, bien que gérée par un conseil judiciaire, son expérience de journaliste, ou sa relation avec les deux Dumas qui attire chez elle la jeune génération ? Malgré sa perte d’influence dans les milieux littéraires, de jeunes écrivains comme Albert Samain, Jules Boissière ou Rachilde, viennent lui demander conseil, lire Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, mai 1883, p. 603. 71 Carmen, « Les Heures parisiennes », La Presse, 1er mars 1885. 72 Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 1er septembre 1884. 73 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, janvier 1888, p. 27. 74 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, décembre 1883, p. 441. 70 37 leurs manuscrits. Ainsi la jeune romancière lui soumettrat-elle son dernier titre, La Marquise de Sade, qui paraîtra en 1887 chez Monnier. Les lettres de Camille Delaville révèlent une certaine affection pour celle qui deviendra « Mademoiselle Baudelaire », certainement rencontrée, en 1879, dans la salle de rédaction de L’École des femmes. Rachilde débutait alors en assurant le feuilleton de la revue avec La Dame des bois, et Camille Delaville s’occupait de la rubrique « L’Été en zig zag ». Malgré le retentissant scandale qui suivit la parution de Monsieur Vénus en 1884 et qui ferma bien des portes à Rachilde, l’épistolière continua de la recevoir et la défendit dans de nombreux articles. La jeune femme était généralement accompagnée d’Alfred Vallette, de Jean Lorrain ou de Jean de Bonnefon. Mais la jeune génération se manifestait surtout lors des bals très souvent costumés et des soirées organisés par la maîtresse de maison. Les bals masqués de Camille Delaville étaient réputés : « un peu du Tout-Paris défilait chez elle. […] On s’y donnait rendez-vous comme à un bal public. On organisait des entrées, des surprises, des intermèdes 75. » Dans Le Roman d’un bas bleu, Georges de Peyrebrune relate une soirée à laquelle participèrent Jehan Darce […] sa longue taille légèrement ployée sous un costume d’escholier, […] Laurence en François Villon, […] Raoul de la Farge, en troubadour, […] Banin (Carloman), […] en marié de village […] et Jacques d’Alsace, en fort de la Halle, […] Derera en large robe bleue 76. 75 76 Georges de Peyrebrune, op. cit., p. 181-182. Ibid., p. 185. Sous ces noms d’emprunt se cachent, entre autres, Jules Laforgue (Raoul de la Farge) et Jean Lorrain (Jacques d’Alsace). 38 En 1884, à la veille de Noël, elle organise une fête villageoise ; le 24 décembre 1886, elle réunit près d’une centaine d’enfants autour d’un arbre de Noël ; le 31 décembre de la même année, elle invite ses amies à une tombola. En mars 1887, alors que sa santé est de plus en plus fragile, elle organise un bal précédé d’une saynète de sa composition. Jusqu’à la fin de sa vie, elle ne manquera ni un bal, ni une soirée. Tant que sa maladie le lui permet, elle mène en effet une intense vie mondaine, demeurant dans la capitale de décembre à Pâques, et se retirant pour l’été à la campagne. En compagnie de ses deux filles et de ses petitsenfants, elle loue une maison avec jardin, au Vésinet, rue du Marché. Elle invitera plusieurs fois Georges de Peyrebrune à se joindre à sa famille. Outre ses conférences, les nombreux déplacements auxquels l’obligent ses fonctions de chroniqueuse, sa participation à des œuvres de charité – en 1883, elle est trésorière de l’Exposition des femmes artistes au Palais de l’Industrie 77, et elle fonde en 1886 la Société des Abeilles –, elle a son jour de réception. Chaque vendredi, ainsi qu’elle le précise à sa correspondante dans l’une de ses premières lettres, elle accueille autour d’une collation tous ceux qui souhaitent lui rendre visite : Camille Delaville est une femme naturelle et une femme splendide. Elle fait les honneurs de son salon avec une grâce charmante, elle tolère l’allure artiste, mais elle la tempère selon son entourage. […] Elle a un mot aimable pour le premier et le dernier ; elle met en relief les humbles et reçoit les célèbres comme de simples mortels 78. 77 78 Voir Mathilde Stevens, « Bavardages parisiens », Le Gil Blas, 19 février 1883. Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. 39 En 1886, Alfred Vallette, le futur directeur du Mercure de France, assista à l’un de ses vendredis dans l’espoir d’obtenir une recommandation de Georges de Peyrebrune pour publier son roman Le Vierge 79. Il décrit à Rachilde, alors absente, « ce monde mi-bourgeois mibohême et cependant très porté sur la vanité littéraire ou les cancans de coulisse » : Il y a des demoiselles à marier qu’il ne faut pas scandaliser […]. Comme j’avais déclaré, un peu haut que je tenais le mariage pour un état social incompatible avec la vocation artistique, Mme Delaville est venue derrière moi pour me souffler, entre deux tasses de chocolat, que la demoiselle, ma voisine, […] avait une dot des plus importantes. […] Peu de monde amusant, en somme : les sempiternels Bertrand, les bruyants Tessonnière, les Lesueur […]. Bertrand junior fait venir oléine de oléa (!) huile et une dame ignore que le nickel est un métal : ceci à propos d’une conférence, en plein salon, par Tessonnière, sur la façon de récurer les casseroles. Mme Delaville écoute tout, ne s’étonne de rien, sourit, lance un mot qui est peut-être d’Alexandre Dumas et tout à coup nous dit la dernière poésie de Buffenoir, le directeur du nouveau Père Duchêne […]. Quant au chocolat il est toujours exquis 80. On croise là des invités plus prestigieux comme Mme de Rute, la baronne Julie de Rothschild ou le Général Boulanger, que la maîtresse de maison avait connu simple capitaine dans une ville de garnison ; et il ne dédaignait pas, maintenant que la politique des mécontents avait fait de lui un leader […], de venir encore parfois chez son 79 80 Publié en novembre 1886 sous le titre de Monsieur Babylas dans Le Scapin. Alfred Vallette, op. cit., p. 69-70. 40 ancienne amie ; mais, plus fréquemment, il y venait dîner, en un très petit comité 81. Les dernières lettres d’un bas-bleu À en croire le ton compassé de la lettre qui inaugure cette correspondance, les relations de Camille Delaville et de Georges de Peyrebrune devaient être, avant 1884, purement mondaines. Cette invitation pourrait dater de juin 1884 : c’est à partir de ce moment, en effet, que la romancière est comptée au nombre des convives du « Dîner des bas-bleus », manifestation inventée par la chroniqueuse Jeanne Thilda (Mathilde Stevens), dont le but était de réunir tous les mois des hommes et des femmes de lettres dans un restaurant parisien. Entendait-elle démystifier le personnage de la femme écrivain alors fort mal accepté par la société ? C’est ainsi que pourrait se comprendre l’invitation lancée à Barbey d’Aurevilly, lequel estimait que « les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes – du moins en prétention –, et manqués 82 ». À l’occasion du dîner, chaque convive recevait pour insigne une chaussette de poupée en soie bleue qui s’accrochait au corsage ou à l’habit. L’ambiance était bon enfant, « le fils eût pu y conduire son père et la fille sa mère, […] c’était Georges de Peyrebrune, op. cit., p. 186. Dans ce roman à clef, le Général Boulanger est « le fameux lieutenant-colonel Baringer ». 82 Jules Barbey d’Aurevilly, Les Œuvres et les Hommes au XIXe siècle, t. V, Les Bas-bleu. Genève, Slatkine Reprints, 1968, p. XI. Il déclina l’invitation de Mathilde Stevens : « Vous, [...] vous ne vous moqueriez pas de moi, si j’allais à votre dîner. Mais les autres Bleues ?... Riraient-elles, derrière leurs éventails et leurs verres, de me voir là ! » (Charles Buet, Jules Barbey d’Aurevilly : Impressions et souvenirs, Paris, Savine, 1891, p. 357.) 81 41 chaste, sévère même, mais drôle au suprême degré, paraîtil, drôle et presque funambulesque 83 ». Le sérieux semblait, en effet, de rigueur : dans sa « Chronique Mondaine », Camille Delaville écrivait qu’au dîner d’octobre, auquel participait entre autres Lydie Paschkoff 84, toutes les femmes sans exception « avaient des robes entièrement noires, plus ou moins ornées de dentelles, sans le plus petit tire l’œil ; la plus jeune et la plus jolie portait une robe noire, montante jusqu’au menton 85 ». L’épistolière a souvent évoqué ces soirées, comme celle de juin 1884 où étaient notamment présents Catulle Mendès, le rédacteur en chef du Gil Blas, M. Cartillier, et le poète Paul Mariéton 86. Paul Chary y chanta des morceaux de Mireille en l’honneur de Frédéric Mistral alors invité, lequel écrivit des vers sur l’éventail d’Olympe Audouard. Cette convivialité a paradoxalement nui à la pérennité d’une telle initiative car, aux dires de Mme de Rute, « ni Mme Daudet, ni Mme Adam, ni M me Michelet, ni M me Ségalas, ni M me Gréville, ni Mme Émile Lévy, ni Mme Bentzon, etc., etc., c’est-à-dire les vraies femmes de lettres 87 », en quête de reconnaissance et de légitimité, n’ont jamais voulu y participer. Les dîners mensuels cessèrent complètement à la mort, en juillet 1888, de l’épistolière. Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 199. 84 Femme de lettres, membre de la Société de Géographie de Paris, elle effectua de nombreux voyages en Asie. On lui doit un Voyage en Asie Mineure dans l’ancienne capitale de Mithridate : Sinope (1889) et Fleur de jade (1890). 85 Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 13 octobre 1884. 86 Fondateur de La Revue Félibréenne en 1885, président de la Société des félibres de Paris. 87 Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 198. 83 42 En invitant Georges de Peyrebrune à un dîner des bas-bleus, Camille Delaville eut certes l’occasion de saluer son talent mais surtout de découvrir sa personnalité. Elle se prit rapidement de sympathie pour cette romancière dont la « froideur normale 88 » était réputée ; en mars, elle évoqua sa carrière dans une de ses conférences, et l’invita au premier bal des arts incohérents. Elle en fit rapidement sa confidente, comme en témoigne le compte rendu de ses démêlés avec celle qui était, jusque-là, « sa meilleure amie 89 » : Mina Round. D’après les quelques éléments recueillis, Mina Round, d’origine anglaise, serait arrivée en France peu après la Commune. Elle s’était liée avec Camille Delaville qui l’avait prise sous sa protection et l’avait aidée à placer sa copie dans les journaux où ellemême avait ses entrées, « notamment à La Paix où on lui a publié une traduction avec une recommandation pressante qui s’adressait à moi – mais le nom n’y était pas 90 ». Dans le premier journal que Camille Delaville fonda en 1882 – Le Passant –, Mina Round tint la « Chronique Mondaine » et, occasionnellement, la rubrique « L’été en zig-zag », sous les pseudonymes de « Carmina » et « Maurice Reynold ». Ce fut sous ce dernier nom de plume qu’elle signa, dans La Presse du 4 août 1884, son premier « Conte du dimanche » avec Mon ami Roberval. Elle donna ainsi, jusqu’à la fin de l’année, de courts récits : Comment on brise une chaîne, Les Ombres chinoises, La Petite Comtesse 91. En décembre 1884, Mina Round était présente au dîner de la comtesse de Mouzay. Rachilde, op. cit., p. 194. Lettre 5. 90 Ibid. 91 La Presse, respectivement du 8 septembre, 27 octobre et 26 décembre 1884. 88 89 43 En février 1885, à la soirée costumée du docteur Bissieu, Mmes M. R… et D… qui sont rédactrices d’un journal du matin (La Presse) portaient le numéro du jour imprimé sur leurs jupes, le bonnet de papier traditionnel des petits imprimeurs ; la plume à l’oreille, des coquilles parsèment le corsage et divers autres emblèmes des plus gais ; leur entrée a été un vrai succès 92. Le changement de direction de La Presse, début 1885, marqua le terme de leur amitié. Fin janvier Gilbert Augustin Thierry, « ayant pour aides de camp MM. Parodi et Anatole France 93 », reprit le journal et remania l’équipe rédactionnelle pour le sauver de la faillite. Camille Delaville fut l’une des premières à pâtir de ces changements. Collaboratrice de longue date (elle était à La Presse depuis 1880), elle céda sa rubrique bibliographique à Jules Boissière pour tenir la « Chronique Mondaine » sous le nom d’Adèle de Chambry. Elle dut rapidement l’abandonner et partager avec Mina Round « Les Heures parisiennes ». À tour de rôle, celles-ci devaient rendre compte d’événements parisiens comme Le Bal des incohérents, Le Café à deux sous ou La Vengeance d’un concierge 94, sous la signature de « Carmen », pseudonyme composé à partir de la première syllabe de leurs prénoms. Selon les confidences de Camille Delaville, Mina Round aurait cherché à l’évincer du journal dans l’unique but d’être mieux rétribuée : « elle a grand besoin de gagner de l’argent ; car elle ne possède qu’un petit capital qu’elle mange et après qu’il sera mangé elle se tuera, ditAdèle de Chambry, « Chronique mondaine », La Presse, 18 février 1885. Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 7 février 1885. 94 Sujets de leurs chroniques du 13 mars, du 8 avril et du 10 mai 1885. 92 93 44 elle 95. » Pour ce faire, elle plaçait ses articles au détriment de ceux de Camille Delaville, avec l’assentiment tacite du directeur « qui aime mieux les beaux yeux – bleus que la bonne prose 96 ». Pareilles manœuvres furent cependant inutiles puisque La Presse cessa de paraître le 26 mai 1885. Cette trahison blesse profondément Camille Delaville : « les désillusions d’amitié sont pires que celles d’amour ; car on les prévoit moins et elles n’ont pas les excuses de la chair 97. » Elle se rapproche davantage de Georges de Peyrebrune et ses lettres se font plus intimes, plus libres, dans une relation qui paraît calquée sur celle entretenue avec Mina Round. Déjà, en 1884, elle avait invité la romancière à toutes les soirées qu’elle organisait, comme cette fête villageoise dont « le clou de la fête a été l’arrivée, vers une heure du matin, d’une gigantesque marmite de soupe aux choux, flanquée de jambons et de tonneaux de cidre ornés de feuillage 98 ». Georges de Peyrebrune s’y était rendue, « charmante en Périgourdine 99 », côtoyant Jean Lorrain, Catulle Mendès et Anaïs Ségalas. En 1885, l’épistolière l’invite à son vendredi, la présente à tous ses amis, tels que le comédien et auteur dramatique Félix Galipaux ou la romancière portugaise Guiomar Torrezão. Elle l’associe, ainsi que Catulle Mendès et la jeune Rachilde, à la création d’un nouveau journal, Le Progrès national, lequel ne connaîtra qu’un seul numéro, daté du 29 avril 1885. Elle lui expose ses projets littéraires : « Avant L’Histoire d’un homme je publierai Mes Contemporaines séries de portraits Lettre 5. Ibid. 97 Ibid. 98 Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 24 décembre 1884. 99 Ibid. 95 96 45 soigneusement faits de femmes connues 100. » Mais c’est la correction de La Femme jaune, un roman-feuilleton paru dans les pages du Gaulois au début des années 1880, qui retient son attention car elle espère le faire éditer. Camille Delaville en vient rapidement à lui confier ses ennuis de santé qui s’aggravent. Sa faiblesse est telle que, entre août et fin octobre 1885, elle doit interrompre sa participation aux Matinées espagnoles : Le courrier de notre spirituelle collaboratrice Mme Camille Delaville nous manque encore aujourd’hui ; sa santé, toujours chancelante ne lui permet pas de reprendre de quelque temps ses intéressants courriers 101. En dépit des nombreuses similitudes, cette nouvelle amitié ne ressemble en rien à celle entretenue avec Mina Round : les rôles se sont, en effet, inversés. Malgré les apparences, Camille Delaville n’est plus une femme de lettres à la mode. Son influence, sur la scène parisienne, est en train de diminuer : outre son éviction tacite de La Presse, Le Gil Blas tarde à publier en feuilleton un de ses romans, Le Passé du docteur, et elle peine à trouver un éditeur pour sa Femme jaune (c’est Georges de Peyrebrune qui lui présentera Jouaust). La chroniqueuse a conscience de ce déclin, elle sait aussi que son amitié pour sa consœur peut le retarder. Ce n’est donc pas un hasard si elle lui demande une préface pour La Femme jaune : « Votre nom le fera lire car on n’épouse pas les jolies filles enfermées dans les cachots noirs 102. » Pour une raison inconnue, Georges de Lettre 12. U.V, « Le Scandale de demain », Les Matinées espagnoles, 15 décembre 1885, p. 483. 102 Lettre 11. 100 101 46 Peyrebrune ne répondit pas à sa requête. Camille Delaville tente de faire encore parler d’elle en multipliant les articles dithyrambiques sur son amie et ses nouvelles publications. Déjà, en novembre 1884, elle vantait le talent de sa correspondante, qui venait de publier Une Séparation, en développant l’idée qu’elle devait être considérée comme l’héritière spirituelle de George Sand : Parmi les écrivains féminins de notre époque, Mme de Peyrebrune est certainement celui qui est destiné à recueillir un jour la succession de l’auteur de Lélia et de François le Champi, éprise qu’elle est, à la fois des plus hautes envolées de l’esprit et du cœur, des études patientes de la vie campagnarde, et du style parfait et pur qui se fait chaque jour plus rare en France 103. Plus tard, dans « Une matinée chez Georges de Peyrebrune », chronique parue dans La Presse de mai, elle loue Mademoiselle de Trémor, « livre bizarre, peignant au naturel le caractère d’une vraie jeune fille » : La façon dont cette histoire est présentée rappelle la manière de Georges [sic] Sand dans Les Mauprat et dans Le Marquis de Villemer, c’est évidemment le meilleur ouvrage de l’auteur de Marco, de Gatienne et de Victoire la Rouge 104. En octobre, c’est au tour des Frères Colombe d’être encensé dans Les Matinées espagnoles : « Sans y penser, peutêtre, Mme de Peyrebrune a créé un Bouvard et un Pécuchet plus intéressants, et presque aussi étudiés que ceux Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 30 novembre 1884, p. 338. 104 Camille Delaville, « Les Heures parisiennes. Une matinée chez Georges de Peyrebrune », La Presse, 16 mai 1885. 103 47 de Flaubert 105. » Sa plume acérée est un autre moyen d’attirer l’attention du public : dans son « Courrier de Paris » des Matinées espagnoles du 23 février 1885, elle apprend à ses lecteurs que Le Droit des Femmes, un journal féministe, l’a violemment attaquée. À l’origine de cette virulente diatribe, un de ses articles parus dans La Presse, dans lequel elle prenait position contre le vote des femmes. Elle y engageait ces dames à se tenir tranquilles, au moins pour ne pas couvrir de ridicule toutes les femmes intelligentes qui se bornent à se servir de leurs talents et de leur esprit pour composer des œuvres agréables ou utiles, sans faire retentir les journaux et les tribunes de leurs clameurs comiques. Loin d’argumenter son propos et de se défendre, la chroniqueuse se contente d’une pirouette rhétorique empruntée à l’arsenal des antiféministes en concluant : « Cet article d’un français spécial m’a remplie d’aise, c’est un brevet de bon sens, qui, je l’espère, me fera pardonner bien des choses par mes confrères électeurs et éligibles 106. » L’un des arguments les plus fréquemment avancés par les détracteurs de la littérature féminine est, en effet, que les femmes qui écrivent maîtrisent mal la langue. En octobre 1885, c’est à son tour de s’en prendre à un journal, Le Zig Zag. Cet hebdomadaire, dont l’existence fut assez brève (1882-1886), se présente comme littéraire, artistique, fantaisiste et humoristique. Il est dirigé par Camille Delaville, « Bibliographie », Les Matinées espagnoles, 15 octobre 1885, p. 303. 106 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 23 février 1885, p. 134. 105 48 la jeune Aymé Delyon, et sa rédaction compte entre autres Rachilde et Jean Lorrain ; tous sont des relations de Camille Delaville. À l’occasion, ce journal se fait d’ailleurs l’écho de ses publications. Le Zig Zag du 28 septembre est consacré aux femmes de lettres, un sujet qui suscite, en cette fin de XIXe siècle, beaucoup de passions. Dans un article écrit par Jean Lorrain, le nom de Camille Delaville est associé à cette appellation, ce qui n’est pas du goût de l’intéressée. Elle envoie donc à la rédactrice en chef une lettre de réclamation qui est publiée dans son intégralité le 4 octobre : Le titre de femme de lettres ne me blesse point. Il est ridicule, voilà tout, […] ceux qui s’en servent sont des extra-jeunes ou des provinciaux […]. Homme de lettres n’est d’ailleurs guère mieux. […] Du reste, […] je vois que vous ne vous doutez pas qu’une femme qui écrit est l’horreur du sexe fort, lequel est notre maître indiscutable et même l’horreur de la société en général ; loin de se parer de ce métier, il faut autant que possible faire oublier qu’on l’exerce […]. L’art de tenir intelligemment une plume, les hommes ne le permettent pas aux femmes, […] écrire c’est parler, raisonner, discuter, nos maîtres détestent cela. De plus, c’est une rivalité ou l’essai d’une rivalité, ce qui leur est odieux sous cette forme. […] Mais, me direz-vous, vous-même ?… Je n’ai pas écrit par goût, mais pour élever mes enfants et pendant dix ans j’ai exactement caché mon sexe sous mon pseudonyme 107. La publication de ce courrier, qu’elle souhaitait confidentiel, la conduira à faire des reproches à Aymé Delyon dans une autre lettre, que Le Zig Zag fera paraître le 11 octobre. Cette fois-ci, l’épistolière s’en prend au 107 Camille Delaville, « Une Lettre », Le Zig Zag, 4 octobre 1885. 49 « personnage qui signe Stick [qui] est plus que mal élevé, […] grossier à froid » car il lui a été odieux d’être citée à côté de son « article ordurier 108 ». Elle blâme également le journal de n’avoir jamais évoqué le « Dîner des bas-bleus », avant de terminer par cette surprenante formule : « Sur ce, ma chère petite, je vous pardonne, cela va sans dire… mais quelle fouettée je vous administrerais si vous étiez ma fille 109 ! » S’agit-il d’une habile publicité destinée à faire parler d’elle et du Zig Zag ? Camille Delaville n’en tint jamais rigueur aux membres de la rédaction et, en 1886, le journal publiait des extraits de Mes Contemporaines. Comment expliquer que celle qui souffrit de ce statut d’éternelle mineure, en voyant sa fortune confisquée, puisse tenir un discours si résolument antiféministe ? En s’opposant au droit de vote des femmes, en rappelant que la société a horreur des femmes de lettres, Camille Delaville cherche-t-elle encore à démontrer que l’écriture n’est pas, chez elle, acte de sédition ? D’après les quelques articles qu’elle consacra à l’éducation féminine, elle paraît convaincue que, quoi que fasse la femme, elle demeurera toujours la subalterne de l’homme. Elle milite cependant, dans Le Passant du 27 juillet 1882, en faveur de l’ouverture de lycées féminins et du nouveau programme d’étude adopté pour les femmes, dans la mesure où la complexité grandissante de la société doit les conduire à évoluer : Le programme des examens en question, […] est à peu près de la force de celui du baccalauréat, est-ce qu’il est jamais venu à l’idée d’un être sensé qu’un bachelier fût un savant ! […] Les Camille Delaville, « Guichet des réclamations », Le Zig Zag, 11 octobre 1885. « Stick » est un des pseudonymes de Jean Lorrain. 109 Ibid. 108 50 bacheliers font très bien des fautes d’orthographe et sont généralement à 30 ans d’une ignorance profonde […]. Ces demoiselles à diplômes ne seront pas plus gênantes que leurs frères ou leurs cousins, et si vous croyiez le contraire, ce serait affirmer qu’elles sont plus intelligentes et plus studieuses que le sexe fort, chose inadmissible par excellence. […] Il faut que l’espèce masculine en prenne son parti, la femme marche depuis vingt ans, sinon vers l’émancipation, au moins vers l’égalité. La pratique des principes de la Révolution française les a amenées là, et un jour viendra où elles seront ce qu’elles auraient toujours dû être : la moitié du genre humain. Elles n’en seront ni moins belles, ni moins bonnes, ni moins douces ; les qualités de l’âme comme celles du corps viennent de la nature, et pour cela elles ne prendront pas le rôle de l’espèce mâle, mais elles rempliront celui qui leur a été donné avec plus de dignité et de discernement, voilà tout ! Le niveau des études masculines monte beaucoup quant aux écoles spéciales, pourquoi le niveau des études féminines ne monterait-il pas aussi ? Il n’y a là de danger pour personne, c’est d’une logique parfaite 110. Elle approuvera encore, dans La Presse de 1884, le brevet des institutrices qu’elle-même avait obtenu, diplôme nécessaire pour former une nouvelle génération d’épouses et de mères instruites : Il est tout aussi raisonnable qu’une femme subisse des examens […], quand ce ne serait que pour pouvoir causer avec son mari si celui-ci est un homme instruit et intelligent, et s’il ne l’est pas, pour répondre aux incessantes questions de ses 110 Camille Delaville, « Bacheliers, crétins et filles savantes », Le Passant, 27 juillet 1882. 51 petits enfants […]. Cela commence le matin et finit le soir, avec les chers babies. Papa n’est pas là, ou lorsqu’il y est, il est fatigué, il est bon que maman puisse répondre […] quand ce ne serait, Messieurs, que pour vous éviter la peine 111. Ce discours, qui lui attire les foudres des féministes, contredit cependant l’existence de femme émancipée qu’elle mène. Mais Camille Delaville ne se considère pas comme une femme « normale » : des circonstances particulières ont contrarié son destin et l’ont conduite à écrire pour subsister. Elle se pose en exception de cet idéal féminin qu’elle prétend défendre, ce qui est une bonne manière de se distinguer des autres femmes de lettres et de faire parler d’elle. L’année 1886 sera essentiellement dominée par des problèmes de santé. Le traitement homéopathique commencé fin 1885 n’a apporté aucune amélioration. Une crise hépatique, plus violente que les précédentes, oblige la chroniqueuse à interrompre sa collaboration aux Matinées espagnoles jusqu’en avril. Pour la première fois, dans les lettres qu’elle adresse à Georges de Peyrebrune, elle évoque sa fin qu’elle pressent toute proche : « je crois que je m’endormirai pour de bon en cette année de grâce. Nous finissons tous un jour 112. » Les prescriptions d’un médecin russe consulté en mai se révèlent inefficaces. Après une nouvelle crise hépatique en août, qui lui fait écrire à Rachilde qu’elle pense mourir à chaque instant 113, elle suit une cure de… champagne, le même traitement que Camille Delaville, « Chronique mondaine », La Presse, 21 juillet 1884. Lettre 27. 113 Lettre à Rachilde du 12 août 1886 sur papier bleu, conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux [Fonds Georges de Peyrebrune]. 111 112 52 sa consœur Olympe Audouard. Si son état se stabilise, elle abandonne pourtant tout espoir de guérison : Cet été l’horizon de mes yeux s’est élargi ; ils voient des fleurs, des fruits, de l’herbe puisque je peux sortir de la maison, mais l’autre horizon celui dont le vert est plus doux que l’émeraude des plus fraîches feuillées de mai, l’Espérance, n’est plus au-delà. Ne pas mourir, ne pas guérir 114 ! Le décès de deux de ses amies n’est pas pour la distraire de ces pensées funestes. Alors qu’en avril elle annonçait, dans son « Courrier de Paris », la convalescence de Mathilde Stevens, celle-ci succombe en mai à la maladie. Elle lui rendra hommage en ces termes : elle « avait un talent tout spécial ; c’était à la fois celui d’un fin lettré du XVIIIe siècle et celui d’une parisienne quintessenciée de notre époque outrancière 115 ». Ce n’est pas seulement une proche que perd Camille Delaville, c’est un témoin de sa gloire passée. Elles avaient dû se rencontrer au Gil Blas et vite sympathiser car elles avaient connu la même existence. Issue de la grande bourgeoisie, Mathilde Stevens s’était également séparée de son mari, le marchand et critique d’art belge Arthur Stevens, et avait gagné sa vie dans le journalisme. Début septembre, c’est au tour de la baronne Julie de Rothschild de s’éteindre, « cette admirable créature » qui « a sur [sa] demande donné à tant de gens – non des pauvres – mais pis des gens bien élevés mourant de faim 116 ». La mort devient alors un thème récurrent de ses chroniques : en juillet, elle ouvre son « Courrier de Lettre 33. Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 30 mai 1886, p. 406. 116 Lettre 36. C’est Camille Delaville qui souligne. Elle lui consacre un paragraphe dans son « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 septembre 1886, p. 145-146. 114 115 53 Paris » par la mort de Mgr Guibert et l’achève par celle de Cora Pearl, célèbre courtisane qui avait débuté comme écuyère ; en août, elle consacre quelques lignes à la santé déclinante de Mme Adam (Juliette Lamber), puis au décès de Mme André, une philanthrope protestante. En septembre, elle évoque la fin tragique du représentant de la France au Tonkin, Paul Bert, emporté par le choléra ; en octobre c’est le suicide d’un jeune aristocrate qui l’inspire ; en décembre, elle rendra encore hommage au général Pittié, un familier des réunions mondaines de Mme de Rute. Malgré sa mélancolie et ses moments d’abattement, Camille Delaville ne renonce pas à la vie mondaine et à sa tournée de conférences. Une longue période de rémission lui permet de se rendre, en avril, au bal masqué donné par Arsène Houssaye ; en mai, elle arpente le jardin des Tuileries transformé en champ de foire pour la fête du Commerce et de l’Industrie. Le même mois, elle « fonde ou refonde l’utile Société : Les Abeilles, destinée à venir en aide aux personnes bien élevées qui n’ont rien et ne veulent pas le dire 117 ». Elle ne manque pas d’associer Georges de Peyrebrune à ce projet, que présente Le Gil Blas du 1er mai : C’est dans un magasin au rez-de-chaussée, en plein quartier de l’Opéra, qu’aura lieu la vente des ouvrages des Abeilles […]. Tous les objets seront vendus 25 % moins cher que dans les autres maisons. […] Toute commande sera reçue au magasin des Abeilles pour la peinture d’éventail, les chiffres, la peinture sur porcelaine, les tapisseries d’art, etc. On y trouvera des correctrices d’épreuves, des copistes de manuscrits, des professeurs de tous genres. 117 Aymé Delyon, « Nouvelles littéraires et mondaines », Le Zig Zag, 23 mai 1886. 54 Plusieurs médecins se sont offerts pour soigner gratuitement les Abeilles, et un avocat pour les défendre en justice, le cas échéant. Enfin là, les femmes du monde privées de fortune trouveront aide et appui en tout 118. Cette initiative peut surprendre de la part d’une femme si pressée de s’amuser. Mais elle semble toujours avoir fait preuve de largesse et avoir eu de nombreux débiteurs ; c’est du moins ce que suggère cette réflexion faite à Georges de Peyrebrune : « Si vous saviez tous ceux qui vivent de mon ombre… aussi lorsqu’il y a le moindre accroc dans mes petites affaires, je suis hors de moi 119. » Elle participe également à des œuvres de charité ; ainsi en décembre est-elle présente au Palais de l’Industrie qui abrite « les fêtes dites du Soleil en faveur des inondés du Midi 120 ». Sa prodigalité ne l’empêche cependant pas d’être critique quant à l’usage des fonds récoltés. Elle termine son « Courrier de Paris » du 15 mai en signalant que les sommes importantes amassées par l’Union des dames françaises pour les soldats du Tonkin ne sont jamais arrivées à destination : Eh bien ! Le hasard m’ayant mise à même de questionner une grande quantité de soldats revenus de ce meurtrier pays […], ils m’ont tous déclaré n’avoir jamais reçu quoi que ce soit, venant de cette œuvre qu’ils ne soupçonnaient même pas… Les sous-officiers n’en avaient jamais rien vu non plus. […] Où sont restées les caisses contenant cigares, flanelles, chocolat, réconfortants, livres, etc. ?… « Fondation des Abeilles », Le Gil Blas, 1er mai 1886. Lettre 36. 120 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 décembre 1886, p. 460. 118 119 55 où s’est arrêté l’argent 121 ?… Jusqu’à la fin de l’année, elle poursuit ses activités mondaines et journalistiques. En juillet, elle assiste avec Georges de Peyrebrune à l’inauguration de la statue de Lamartine à Passy. Novembre la voit participer aux réceptions organisées par Mme de Rute, d’abord en l’honneur d’Emilio Castelar 122 puis pour les quinze ans de sa fille Isabelle. Si en novembre elle se trouve mal à l’Opéra, elle passe décembre en réceptions et en dîners : chez la comtesse de Kessler, chez la cantatrice Elena Sanz, chez l’avocat Isaure Toulouse… En avril, La Femme jaune est publié par Jouaust, l’éditeur des Matinées espagnoles et d’Arsène Houssaye, un ami de Georges de Peyrebrune. À défaut de l’avantpropos escompté, le livre paraît avec la dédicace suivante : Lorsqu’on lance un bateau à la mer, son propriétaire fait écrire à la proue un nom qui doit lui porter bonheur, celui d’un être qu’il aime et qu’il admire. Ainsi, fais-je, ami, en mettant le vôtre en tête de ce roman. Ces lignes s’adressent-elles à Georges de Peyrebrune ? Dans ce cas, l’usage du masculin était inutile, le public la connaissant. Rien, à ce jour, ne permet d’identifier ce dédicataire. La Femme jaune ne rencontre pas le succès escompté, faute de publicité : rares sont en effet les revues et les journaux qui s’en font l’écho. Seul Le Zig Zag de mai évoque « La Femme jaune, l’histoire d’un serpent qui Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 mai 1886, p. 336. 122 Homme de lettres puis ministre et président espagnol, surnommé « Le Ciceron des Cortès » (1832-1899). 121 56 avale les commissaires de police 123 ». Il faut attendre fin août pour le voir signalé dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles. Pérégrine, qui signe la rubrique, ne s’intéresse pas tant à l’intrigue qu’aux qualités de son auteur : « Mme Camille Delaville jouit, ainsi que Méry, du privilège de décrire les pays dans lesquels elle n’est jamais allée », à savoir la Batavia et Java. Mme Delaville, écrit-elle encore, est douée d’un esprit très fin, très incisif, qu’elle sème en prodigue dans ses causeries, dans ses chroniques, dans ses lettres. C’est donc commettre un pléonasme que de dire que ses livres sont spirituels 124. À cette déception s’ajoute l’abandon du projet de traduction aux Pays-Bas. Et si la Belgique, en la personne de Bérardi, rédacteur en chef de L’Indépendance belge, semble intéressée pour publier en feuilleton Le Passé du docteur, roman conservé depuis près de deux ans par Le Gil Blas, une série de malentendus met rapidement un terme à cette collaboration envisagée. Hormis Les Matinées espagnoles, Camille Delaville ne travaille plus pour aucun périodique. Alors qu’elle fustige dans sa chronique d’avril « les décadents, ces crevés de l’esprit qui essaient à force de fausses notes d’attirer l’attention du monde » et qui « fondent tous les jours une feuille nouvelle […] ; c’est La Vogue, Le Décadent, Le Pierrot rouge, Les Lions tondus, L’Impossible, Le Fagot, et autres Aymé Delyon, « Nouvelles littéraires et mondaines », Le Zig Zag, 23 mai 1886. 124 Pérégrine, « Bibliographie », Les Matinées espagnoles, 30 août 1886, p. 126. 123 57 revues aux titres suprêmement bêtes » 125, elle décide de lancer son propre journal. Est-ce pour continuer à exister sur cette scène littéraire dont elle se sent de plus en plus exclue, ou est-ce par nostalgie ? Elle entend ressusciter Le Passant, titre qu’elle avait financé et dirigé en 1882. Paru le 25 juin, il devient dès le deuxième numéro La Revue verte, « Monde, littérature, beaux-arts et finance » ; il sera bimensuel jusqu’en décembre 1886. Là encore, seul Le Zig Zag mentionnera « la réapparition d’un charmant journal autrefois agréablement connu à Paris, Le Passant 126 ». Pour mener à bien cette entreprise, elle s’est associée aux frères Bertrand dont l’aîné, Gabriel, a fondé dans le Lotet-Garonne La Revue de France. Elle les laisse se partager la fonction de directeur qui était la sienne dans Le Passant, et se contente du poste de rédactrice en chef. Plusieurs raisons expliquent cette mise en retrait : la volonté de ménager sa santé fragile et, surtout, de se garantir contre sa trop grande complaisance, à l’origine, selon elle, de sa précédente faillite. Elle refuse désormais de publier des insanités écrivassées d’hommes et de femmes de [sa] connaissance. [Elle veut] une revue où tout soit bon ou parfait et où ne s’ébattent aucun poètes ridicules, aucun article stupide, aucun nom inconnu 127. Les collaborateurs sont uniquement recrutés parmi ses amis. On retrouve ainsi la signature de Jules Boissière, de Gabrielle d’Eze, de Clovis Hugues, du compositeur Alexandre Parodi, de la comtesse de Mouzay, et de Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 30 avril 1886, p. 288. 126 Aymé Delyon, Le Zig Zag, 1er août 1886. 127 Lettre 63. C’est Camille Delaville qui souligne. 125 58 Georges de Peyrebrune qui tient la chronique « Les Échos » sous le pseudonyme Trémor 128. Camille Delaville s’occupe elle-même de la « Revue Littéraire », et signe ses articles de ses habituels pseudonymes : Pierre de Chatillon et Adèle de Chambry pour le « Courrier des Théâtres » en décembre. Si elle a réformé le comité de rédaction, elle n’a pas repensé le contenu de sa revue, et va rapidement pécher par manque d’organisation. Excepté le feuilleton Robert Villemain qu’elle donne, aucune rubrique n’est définitivement attribuée ni même suivie. Aux poèmes de Spada (Étienne Bertrand) succèdent des études sur des sujets aussi variés que « Les Israélites à Paris et dans le monde » par Gabriel Bertrand, « Le monde et la mode » par Gabrielle d’Eze ou « Au Tonkin » par Jules Boissière 129. Pour assurer le succès de La Revue verte, Camille Delaville inaugure le premier numéro avec Marie-JoséLise, une nouvelle inédite de Georges de Peyrebrune qu’elle rétribuera avec une pièce d’étoffe, et qui paraîtra en feuilleton jusqu’au 10 août. Par ce choix éditorial, Camille Delaville entend profiter de l’engouement grandissant pour la romancière et attirer de nouveaux lecteurs. Le succès de son amie franchit désormais les frontières de l’Espagne et de l’Italie, à l’image de cette Tante Berthe, « court et délicat roman qui a été très reproduit et même traduit en italien La Zia Bertha 130 ». Sa participation insuffle à leur relation une tonalité plus intime. Non contente de lui confier ses projets littéraires et Allusion à son roman Mademoiselle de Trémor, paru l’année précédente. Articles parus respectivement dans La Revue verte du 25 juillet, du 10 novembre et du 10 décembre 1886. 130 Camille Le Senne, op. cit., p. 24. 128 129 59 ses ennuis de santé, Camille Delaville l’entretient désormais de ce qui lui tient le plus à cœur : ses préoccupations financières et familiales. Pour la première fois, elle apparaît comme une grand-mère aimante et dévouée – ce qui ne l’empêche pas de continuer à encenser sa correspondante. Non contente de vanter l’excellence de sa prose au nouveau directeur du Gil Blas, elle donne de nombreux articles sur ses œuvres nouvellement parues : « Dans Une séparation, le talent personnel et original de l’écrivain s’affirme d’une façon originale. […] Les Frères Colombe sont un petit chefd’œuvre de grâce et de simplicité 131. » En juin, c’est au tour d’Une Décadente de recevoir ses louanges ; c’est selon elle une « délicate étude sur cette secte littéraire non définie qui nous a donné : Verlaine, Mallarmé 132… » Et lorsque son amie séjourne en Espagne, elle lui consacre encore un article où elle reprend sa comparaison avec George Sand : Ainsi que son illustre homonyme, l’enfance de Georges de Peyrebrune s’est écoulée dans une province […]. Le tête à tête avec la nature, lorsqu’il n’est pas trop prolongé, ne peut qu’avoir une heureuse influence sur certaines organisations. Que l’on se rappelle les préférences de George Sand pour Nohant, et que l’on compare ses romans villageois à ses œuvres uniquement passionnelles. […] Comme George Sand, Mme de Peyrebrune parle peu et s’efface toujours autant que possible 133. Camille Delaville, « Nos collaboratrices », Les Matinées espagnoles, 15 avril 1886, p. 238. 132 Camille Delaville, « Bibliographie », Le Passant, 25 juin 1886, p. 13. 133 Camille Delaville, « Nos Collaboratrices », Les Matinées espagnoles, 15 avril 1886, p. 237. 131 60 Le parallèle établi, l’article poursuit le portrait de la romancière en dépeignant « sa sauvagerie innée », son caractère « bon et crédule » 134. Cette hagiographie confère aussi à son auteur la fonction de biographe autorisée. Elle avoue ainsi qu’elle doit à « Léonce Renault, son voisin, […] une foule de renseignements », notamment sur les habitudes de la romancière qui « passe toujours la plus grande partie de l’été dans la Dordogne […] ; l’hiver seulement elle habite Paris, mais rarement plus de trois mois de suite » ; « c’est à peine si deux ou trois salons, […] ont pu, jusqu’à présent, la décider à franchir leur seuil » 135. Ses confidences frisent parfois l’indiscrétion : « Elle adore les enfants, elle à laquelle Dieu en a refusés », ou encore : « Elle demeure non loin de la belle et terrible Clovis Hugues ; elles ne voisinent pas, […] aucun de leurs atomes crochus ne tendant à s’accrocher 136. » Une nouvelle crise hépatique empêche Camille Delaville de se rendre, à la mi-janvier 1887, au bal costumé de la légation du Mexique, même si le Vicomte d’Albens (un des pseudonymes de Mme de Rute) y signale sa présence, « charmante en blanc constellé d’étoiles 137 ». Rendant compte de cette réception, Mme de Rute dénonce la présence de pique-assiettes au nombre desquels se trouve Mme La Roue, l’amie de l’épistolière. Pareille indiscrétion provoque une brouille entre Camille Delaville et Mme La Roue Ibid., p. 238. Ibid. 136 Ibid. Mme Clovis Hugues est une femme sculpteur, célèbre pour son buste de la comtesse de Die (1893). 137 Vicomte d’Albens, « Le Bal de la légation mexicaine », Les Matinées espagnoles, 17 janvier 1887, p. 40. 134 135 61 puis Miss Round, également visée par M me de Rute à la fin de sa chronique. L’état de santé de Camille Delaville ne lui permet cependant pas de s’indigner contre la rédactrice en chef des Matinées espagnoles ; elle s’affaiblit de plus en plus. Le 20 janvier, elle se rend malgré tout chez l’actrice Léonide Leblanc, mais à peine « arrivée vers 11 heures », elle « s’est aussitôt fait indiquer le petit buen retiro indispensable à sa vie 138 » selon le témoignage du jeune Alfred Vallette. En dépit de ses crises hépatiques toujours plus fréquentes, « tous les 8 ou 15 jours 139 », elle semble cependant avoir retrouvé sa belle humeur et sa verve. La mort n’inspire plus ses chroniques, son « Courrier de Paris » ne parle plus que des distractions qu’offre la capitale : théâtres, vernissages, bals costumés qui sont la joie suprême de la mondaine honnête, sa revanche sur le monde où l’on s’amuse, presque tout composé d’actrices […]. En ces uniques occasions, la plus austère mère de famille a le droit d’arborer la parure la plus fantaisiste, et même de montrer, si elle a la jambe bien faite, un peu plus haut que la cheville 140. Une dernière période de rémission lui permet de courir elle-même les bals masqués, comme celui donné en février par M. Tessonnière. Elle y paraît travestie en vieille, aux côtés de Georges de Peyrebrune déguisée en Carmentica. Le même mois, elle participe à « une des plus amusantes fêtes de la quinzaine […], celle donnée par Mme de Rute, à l’occasion des seize ans de sa fille 141 ». Ce dîner est baptisé Alfred Vallette, op. cit., p. 56. Lettre 78. 140 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, février 1887, p. 74. 141 Ibid. 138 139 62 « le dîner des assiettes cassées, parce qu’un accident ayant brisé toute sa merveilleuse porcelaine et tous ses cristaux, […] ses amis lui ont, par plaisanterie, envoyé chacun une assiette et un verre, afin de les remplacer 142 ». Le 5 mars, elle organise le bal costumé pour lequel elle écrit une saynète : Une soirée très gaie a eu lieu ces jours-ci chez une collaboratrice des Matinées espagnoles. Avant le bal travesti on a joué un petit acte Louis XV, écrit en une heure par la maîtresse de la maison et répété en 3 jours. L’Habit lilas, lequel a été très applaudi, grâce au ravissant talent de Mlle Beppa C, qui a interprété délicieusement un rôle de fillette, écrit exprès pour elle ; les deux autres rôles étaient joués par Jean Varney le fils du compositeur et par… Camille Delaville 143. À la fin de l’année, lorsque recommence la saison des réceptions, Les « Échos Mondains » des Matinées espagnoles annoncent : Mme Camille Delaville, notre spirituelle confrère, donnera le 31 décembre, une brillante soirée de St Sylvestre. Concert, comédie, bal, tirage de tombola, aucune attraction ne fera défaut à cette kermesse artistique qui, après avoir enterré gaiement l’année 1887, inaugurera avec entrain la bissextile 1888 144. Camille Delaville s’étourdit dans cette vie mondaine effrénée, et s’épuise au point de ne pouvoir remettre aux Matinées espagnoles son « Courrier de Paris ». D’avril à mai, de juin à août, d’octobre à décembre, Ibid., p. 74-75. Camille Delaville prétend être à l’origine de cette initiative : « C’est moi qui me suis écriée : “Princesse, nous vous enverrons chacun une assiette, afin que vous nous receviez le jour de la naissance de votre chère fille” » (ibid). 143 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 30 mars 1887, p. 198. 144 « Échos Mondains », Les Matinées espagnoles, 15 et 22 décembre 1887, p. 356. 142 63 sa signature n’apparaît plus dans les pages de la revue. Ces nombreux manques sont-ils imputables à sa seule maladie ? Le nota bene qui suit sa chronique de février laisse supposer quelque malveillance. Camille Delaville explique que, dans son dernier courrier « une page entière sur Le Lion amoureux de Ponsard, a été passée, par suite d’une erreur typographique, sans doute 145 ». L’incertitude qu’elle fait planer sur les véritables raisons de cet oubli amène à chercher qui pourrait lui en vouloir. Seule Mme de Rute, la rédactrice en chef, peut se permettre d’abréger ainsi son article. Voit-elle désormais sa collaboratrice comme une concurrente, parce qu’elle dirige sa propre revue et cofinance Le Constitutionnel ? Ce quotidien a été repris au début de l’année par Henri des Houx, ancien rédacteur en chef de La Défense et fondateur de La Civilisation. Camille Delaville relatera bien plus tard cette association : Un jour Des Houx est venu navré, me demander de sauver Le Constitutionnel en lui prêtant ma signature, le journal ne paraîtrait pas le lendemain si je ne la donnais pas à Paul Dupont 146, l’imprimeur. Connaissant la susceptibilité de Mme de Rute fâchée avec Georges de Peyrebrune parce que cette dernière avait omis de la citer dans son article « Les Espagnols à Paris », Camille Delaville devait s’attendre à quelques représailles comme la suppression d’une partie de sa chronique ou les indiscrétions contenues dans « Le Bal de la légation mexicaine ». Elle avait pourtant fait preuve de beaucoup de tact en inaugurant sa rubrique au Constitutionnel, « Mes Contemporaines », par un portrait Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, février 1887, p. 75. 146 Lettre 70. 145 64 de la princesse. Cette présentation, soigneusement revue et corrigée par l’intéressée, occupera deux numéros du quotidien 147 – format qu’aucun autre portrait n’atteindra jamais. Pour conserver les bonnes grâces de Mme de Rute, Camille Delaville n’avait pas non plus manqué, en février, de louer l’esprit et le talent qu’elle avait dépensés au cours de l’anniversaire de sa fille : Parmi les poésies dites à M lle Rattazzi, une a touché et attendri tout le monde, c’est celle improvisée par Mme de Rute pour sa fille bienaimée. Des vers mélodieux sortis du cœur de l’heureuse mère, en regardant l’enfant chérie, comme les baisers de ses lèvres lorsqu’elle s’en approche 148. Et de terminer son article par : « Oh ! ne partez pas encore, princesse ; vous allez enlever à Paris la meilleure partie de son charme et de sa gaieté 149. » Le financement du Constitutionnel offre à Camille Delaville une nouvelle opportunité d’exister dans la sphère journalistique. Si elle y présente les « Livres Nouveaux », sous la signature de Pierre de Chatillon, c’est sa rubrique « Mes Contemporaines » qui va essentiellement l’occuper. Deux fois par semaine, elle donne ainsi à lire le portrait d’une femme à la mode, comédienne, musicienne comme Charlotte Dreyfus, médecin comme le docteur Madeleine Brès, artiste comme Élisa Bloch ou Louise Abbéma. En une centaine de lignes, elle développe un trait caractéristique de la personnalité, s’attarde sur un épisode de son passé, parle Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 19 et 20 janvier 1887. 148 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, février 1887, p. 75. 149 Ibid. 147 65 de son actualité artistique et littéraire. Par cet exercice journalistique, elle se rapproche de la critique beuvienne. Jusque fin avril, Camille Delaville ne rencontrera pas moins de vingt-deux femmes. Ses lettres rendent notamment compte de sa visite à la peintre Louise Abbéma dont les mœurs l’intriguent, et de son entretien avec Mme Michelet. Nombre de femmes présentées dans cette chronique appartiennent à son cercle d’amies : Rachilde, Anaïs Ségalas, Olympe Audouard mais aussi Claude Vignon et Fanny de Mouzay. Son propre portrait, paru le 30 avril, est le dernier de la série : elle y évoque ses parents, son enfance, son éducation, et passe sous silence son divorce. Elle revient sur un épisode de son passé auquel elle avait brièvement fait allusion dans une lettre : sa fonction d’ambulancière pendant le Siège de Paris. À l’instar de Sarah Bernhardt, elle installa dans son hôtel particulier une ambulance de 40 lits, alla ramasser des blessés sous les balles, nourrit les babies pauvres de son arrondissement, au moyen d’un « fourneau » où chaque matin les mères pouvaient venir prendre les aliments nécessaires à leurs pauvres petits affamés, elle fut blessée assez grièvement, son hôtel en partie démoli 150. Cette blessure lui valut, aux dires de Rachilde, une « médaille d’or 151 ». Elle hébergea parmi les blessés le peintre Jules Bastien-Lepage, qu’elle aida par la suite à plusieurs reprises 152. Camille Delaville, « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 30 avril 1887. Rachilde, « Ombres et Figures », L’Écho de la Dordogne, n° 2, 2-3 janvier 1880. 152 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 décembre 1884. À son décès prématuré, elle lui rendra hommage en relatant leurs rencontres successives. 150 151 66 Son projet de réunir ses portraits en volume se réalise : Le Constitutionnel du 24 mai annonce la parution de Mes Contemporaines. La couverture représente Georges de Peyrebrune et c’est son portrait qui inaugure l’ouvrage ; Camille Delaville ne pouvait rendre meilleur hommage à son amie ni trouver meilleure publicité pour son livre. Henri des Houx retrace en avant-propos l’émancipation progressive des femmes ; il y constate que « ce n’est plus par la grâce et l’amour qu’elles dominent, c’est par leur propre talent », et annonce « la plus énorme des révolutions : aujourd’hui l’égalité des sexes, demain la déchéance du sexe fort » 153. Ce volume devait être le premier d’une collection : « Les séries II et III des Contemporaines et les suivantes paraîtront régulièrement tous les mois 154. » Il ne faut pas s’étonner de voir ce titre mentionné dans Les Matinées espagnoles : contenant le portrait de Mme de Rute, il ne pouvait en être autrement. Aucune suite ne paraîtra cependant, bien que Camille Delaville ait envisagé de « portraiturer » près de trente-deux célébrités du moment. Il semble que le terme brutal de sa participation financière au Constitutionnel, fin mai, soit à l’origine de la disparition de sa rubrique. L’activité littéraire de Camille Delaville est alors marquée par un autre événement : la parution en feuilleton du Passé du docteur dans Le Petit Parisien. Le public peut lire le premier épisode dans le numéro du dimanche 6 novembre 1887 et le dernier, 132 numéros plus tard, dans celui du 16 mars 1888. Le Passé du docteur est ce Henri des Houx, préface de Mes Contemporaines, Sévin, 1887, respectivement p. 16 et p. 18. 154 « La Bibliographie », Les Matinées espagnoles, 15 mai 1887. 153 67 roman que Le Gil Blas avait conservé deux ans et qui avait un temps intéressé L’Indépendance belge. Si M. Piégu, le rédacteur en chef du Petit Parisien, accepte de le publier, c’est à la condition qu’il soit remanié non par Camille Delaville elle-même mais par une tierce personne. L’idée d’associer Georges de Peyrebrune au projet est rapidement écartée. Le nom de Firmin Javel, puis celui de Jules Mary, est proposé par Piégu ; c’est en définitive un collaborateur anonyme qui va se charger des corrections. À la demande de l’épistolière trop souffrante, Georges de Peyrebrune signe à sa place le contrat de cette collaboration. Le Passé du docteur paraît donc en novembre, signé « Jacques Vivien », pseudonyme retenu par les deux écrivains. Même si cette parution ne s’est pas déroulée tout à fait comme son auteur l’espérait, elle atténue l’échec de La Revue verte. En raison du nombre insuffisant de lecteurs, le journal se retrouve en effet rapidement déficitaire. Pour réduire les frais, Camille Delaville avait commencé par le mensualiser dès janvier 1887 puis, le mois suivant, avait installé le siège social à son domicile ; elle changea même d’imprimeur. Elle pensa aussi un temps le céder à Georges de Peyrebrune, dont le nom aurait pu le relancer. La Revue verte connaîtra encore un 16e et dernier numéro, le 22 mars. Les raisons de cet échec sont multiples, à commencer par la concurrence. En cette fin de XIXe siècle, les nouvelles techniques font baisser le prix de l’impression ; de nouveaux journaux apparaissent puis disparaissent, faute d’avoir séduit le public. Si La Revue verte se veut un périodique littéraire et artistique, il demeure trop consensuel pour se démarquer des autres titres qui prétendent promouvoir une esthétique 68 particulière comme le décadentisme. D’autre part, il souffre d’une mauvaise gestion, de l’absence de rubriques régulières, de signatures connues et de toute publicité. Gabriel Bertrand est dépressif, et se dispute avec son frère : « les 2 frères ne se parlent plus, n’habitent plus ensemble lorsque le plus jeune est à Paris enfin les Atrides, ils se trouvent ici… Je voudrais être en Chine 155. » C’est certainement Étienne Bertrand qui porte le coup de grâce à cette collaboration et enterre La Revue verte. Camille Delaville se plaint qu’il « n’a su trouver rien rien rien pour ma pauvre petite revue et, hormis m’offrir son cœur et sa personne il n’a rien fait – rien – et ceci était de trop 156 ». Il la poursuit, en effet, de ses assiduités, au point qu’elle doit se faire défendre par ses bonnes ! Suite à l’échec de cette entreprise et aussi de problèmes de santé, les frères Bertrand regagnent leur Lotet-Garonne natal, laissant Camille Delaville boucler seule le dernier numéro. Les lecteurs ne liront jamais la fin de son feuilleton Robert Villemain. Si 1887 est l’année où Camille Delaville fait montre de la plus grande activité littéraire, elle est également celle qui compte le plus grand nombre de lettres. Il semble que les deux amies aient eu, en effet, peu d’occasion de se rencontrer. Aux multiples articles que doit rendre l’épistolière, à son départ en avril pour le Vésinet, s’ajoute le fait que Georges de Peyrebrune voyage un temps, peutêtre en Italie (elle avait pris des cours de langue l’année précédente), puis passe l’été en Dordogne. Loin de distendre leurs relations, cet éloignement temporaire les rapproche, à en croire les anecdotes sur sa famille et sur ses perpétuels 155 156 Lettre 53. Lettre 69. 69 ennuis financiers que Camille Delaville relate dans ses courriers. Et son admiration se double désormais d’une profonde gratitude pour sa correspondante : c’est grâce à elle que se sont dissipés les malentendus causés par l’article de Mme de Rute et que le contrat avec Le Petit Parisien a été signé. Georges de Peyrebrune s’est, en effet, substituée à Camille Delaville trop malade pour se déplacer. Celleci poursuit donc avec bonheur son rôle d’hagiographe, et ne consacre à nouveau pas moins de cinq articles à la romancière – ou donne plus exactement cinq fois le même article. Ainsi « Georges de Peyrebrune et son œuvre », qui paraît dans La Revue verte du 1er février, sera repris dans le premier volume de Mes Contemporaines. Une version abrégée est publiée dans « Mes contemporaines » du Constitutionnel, le 28 février. L’auteur revient une nouvelle fois sur l’enfance de son amie, ses débuts d’écrivain dans les journaux périgourdins puis parisiens. Elle loue son existence « modeste, simple, et d’une honnêteté si ouverte aux investigations de tous, que l’ombre d’une médisance ne l’effleure même pas, fait presque unique dans l’histoire de celles que nos aînés appelaient des bas-bleus 157 ». Le compliment n’est pas innocent : il distingue implicitement Georges de Peyrebrune des autres femmes de lettres dont l’existence est peu morale. Comme dans tous ses articles, Camille Delaville la compare à George Sand, car « elle possède un style viril qui ne permet pas de deviner que c’est une fine main de femme qui a tenu la plume de l’auteur 158 ». Son portrait s’achève par un commentaire dithyrambique de chacune de ses œuvres et, distinction suprême, certaines 157 158 Camille Delaville, Mes Contemporaines, éd. cit., p. 24-25. Ibid., p. 24. 70 sont même mesurées à l’aune des productions masculines. Ainsi « Victoire la Rouge ressemble beaucoup à certains Zola » et Les Ensevelis est une « œuvre puissante que plus d’un compareront aux Paysans de Balzac » 159. La chroniqueuse reprendra ce procédé de démultiplication quand elle rendra compte des Ensevelis, dernier roman paru de son amie. L’article qu’elle donne pour « Les Livres Nouveaux » du Constitutionnel du 11 mars se retrouve, toujours signé Pierre de Chatillon, dans le dernier numéro de La Revue verte. Si cette pratique dénote un manque de temps ou de force de la part de son auteur, elle n’explique pas pourquoi ce même compte rendu, à quelques variantes près, apparaît aussi dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles du 15 avril sous la signature de Pérégrine, un pseudonyme de Mme de Rute. Celle-ci semble habituée à « démarquer 160 », selon le mot de Camille Delaville. Jusqu’au début du mois de février 1888, Camille Delaville collabore régulièrement aux Matinées espagnoles. C’est désormais la seule revue où elle écrit des chroniques. Une nouvelle crise l’oblige à interrompre son « Courrier de Paris », sa signature apparaît dans le numéro du 15 mars, et celui du 30 mai contient sa dernière contribution. Sa vie mondaine, comme sa production journalistique, est désormais réduite. Ses écrits indiquent qu’elle s’est rendue, en début d’année, au bal donné par l’Association des Femmes de France, puis chez le perruquier pour commander « une perruque de clown pour petit Jacques, un gamin qui 159 160 Ibid., respectivement p. 30 et 31. Voir lettre 46. 71 me tient de très près 161 ». Fin avril, elle trouve encore la force d’aller écouter le discours de réception à l’Académie française de Mgr Perraud. Elle semble désormais résignée à son sort. Ce n’est plus la mort qui est le thème récurrent de ses articles, mais le mépris que lui inspire la société, sentiment qui apparaissait déjà dans ses courriers de 1887. Elle dénonce sa bêtise : Nous ne nous enthousiasmerons jamais que pour deux choses : un général d’armée avec une moustache triomphante et un beau cheval de bataille, allant à la victoire ou en revenant ; que le général soit Condé, Louis XIV, Napoléon… Boulanger 162. La futilité des mœurs parisiennes déchaîne également sa verve : « Tandis qu’au ciel les étoiles scintillent, […] la fraîcheur du soir et de la nuit est une caresse, et […] les fleurs dans l’ombre nous appellent de leur voix parfumée », le Tout-Paris préfère se « réunir pour cuire à grand orchestre dans un appartement clos et chauffé » jusqu’en juillet 163. Et de conclure ironiquement que « rien n’étant plus distingué, depuis longtemps, à Paris, que de faire tout ce qui n’a pas de sens commun », aussi danse-t-on « partout [et] cette mode n’est pas près de cesser » 164. Son dernier « Courrier de Paris », daté du 30 mai, est d’ailleurs une virulente diatribe contre la capitale : Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 7 février 1888, p. 68. Jacques est son petit-fils. 162 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 janvier 1888, p. 26. 163 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 mai 1888, p. 257. 164 Ibid. 161 72 la caractéristique de Paris, cet enfer […], c’est d’être le lieu le plus fleuri du monde. […] Or, rien n’est en réalité plus fatalement triste que cette factice joyeuseté du renouveau. La vie est interrompue de quelques rires, mais on y sourit bien peu, les âmes sereines sont de plus en plus rares, surtout dans les grands centres où tout est lutte, convoitise, orgueil et déception, où presque tout est artificiel, depuis les plus grands sentiments jusqu’aux plus petites manifestations de l’esprit ou du cœur ; et cette splendide gaieté de la nature, sertissant ce faux entrain, le galvanisant, me paraît plus lugubre que le fin linceul de pluie qui enveloppe si souvent les bords de la Seine de ses brumes glacées 165. Une certaine nostalgie transparaît également dans ses chroniques, ses souvenirs servent de repoussoir au présent pour mieux en souligner l’absurdité. La saison des bals de l’Opéra est l’occasion de se rappeler que, du temps de Balzac, il s’y passait, […] des choses ravissantes, on y dépensait un esprit endiablé, les intrigues les plus exquises s’y nouaient, des scènes de jalousie terribles s’y déroulaient ; aujourd’hui il ne s’y passe rien du tout ; […] les jeunes gens à la mode, dits copurchics, sont stupides sans exception, et ne pourraient dépenser ni là, ni ailleurs, aucun esprit, puisqu’ils ne possèdent pas cette monnaie 166. Et ce n’est pas sans un certain cynisme qu’elle évoque les goûts littéraires du moment, bien médiocres à ses yeux : Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 30 mai 1888, p. 354. 166 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 janvier 1888, p. 27. C’est l’auteur qui souligne. 165 73 Dernièrement, les grands critiques, les articliers à sensation, et même les modestes soiristes, ont vidé des bouteilles d’encre pour exalter les mérites et les charmes du Baiser de Théodore de Banville, une fantaisie charmante, […] qui dans un autre moment eût donné lieu tout au plus à quelques comptes-rendus gracieux. […] Étant donné le niveau intellectuel de beaucoup de gentlemen de ma connaissance, je suis toute tentée de croire que la pièce a ravi quantité de spectateurs 167. Elle poursuivra sa chronique en se moquant des poètes à la mode : Edmond Haraucourt, le méridional Jean Rameau, et Rodolphe d’Arzens. Il n’est pas jusqu’aux femmes qui ne lui rappellent un passé plus glorieux. Ainsi, croisant Mmes de Laage et du Bouchage dont les mariages passionnèrent le public, elle ne peut s’empêcher d’écrire : « comme elles sont loin les étonnantes chevauchées de Compiègne, et les promenades en Seine, sur un petit vapeur, qui, de la rive, recevait des paquets de fleurs, lancés le long du parcours par de galants chevaliers 168 ! » Pourquoi tant de dédain pour une société parisienne dont elle courut les fêtes et les bals, dont elle interrogea les personnalités à la mode ? Camille Delaville a-t-elle compris que ce monde, futile et volatil, ne conserverait aucun souvenir d’elle après son décès ? A-t-elle encore été la cible de quelques commérages ? De l’année 1888 ne reste qu’une seule lettre, et pas un article sur Georges de Peyrebrune, laquelle n’a du reste publié que des nouvelles dans La Revue bleue, ultérieurement Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 mai 1888, p. 257. 168 Camille Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 janvier 1888, p. 28. 167 74 réunies sous le titre Colombine. Camille Delaville trouva tout de même la force, début juillet, d’écrire un article sur Anaïs Ségalas, si l’on en croit un courrier de la poétesse à Georges de Peyrebrune 169. Le seul témoignage conservé sur ses derniers moments est dû à Mme de Rute, qui raconte ainsi sa dernière visite : – Au revoir ! – Non ! adieu ! – Et son sourire m’accompagna jusqu’à la porte. C’était celui des bons jours. […] J’avais vu un manteau de fourrure déployé sur le pied du lit, tout prêt à être endossé. […] Je le repoussai doucement, machinalement saisie d’une sorte d’effroi instinctif. Elle s’en aperçut et comprit sans doute, avec l’intuition des mourants, ma pensée intime, car elle hocha la tête et demeura silencieuse un instant ; une légère vapeur voilant ses longs yeux bruns 170. Correspondance Anaïs Ségalas-Georges de Peyrebrune, conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux [Fonds Georges de Peyrebrune]. 170 Marie Lætitia de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 197. 169 Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune 1884 - 1888 Documents reproduits d’après les documents originaux conservés à la Bibliothèque municipale de Périgueux, Fonds Georges de Peyrebrune 1884 1/ [juin 1884 ?] Chère madame, Nous espérons que vous êtes à Paris et que vous nous ferez le grand honneur d’assister au prochain dîner des Bas-bleus . Cette fois il aura lieu chez Notta, au coin du Boulevard et de la rue Poissonnière et nous sommes assurées qu’il sera confortable . Madame Thilda et moi nous vous prions d’agréer une fois de plus l’assurance de notre admirative sympathie. Camille Delaville 6, rue Favart Le Vendredi toute la journée et toute la soirée, sauf soirées de 1ère dans un grand théâtre. Dîner mensuel organisé et présidé par Mathilde Stevens, qui réunissait femmes et hommes de lettres. Restaurant alors à la mode, lieu de rendez-vous des journalistes et de la Société des Gens de Lettres. 1885 2/ [mercredi 4 mars 1885 ?] Chère madame et amie, Le 25 courant, comme on dit en style administratif, je fais une conférence à l’École Turgot sur les femmes qui écrivaient et celles qui écrivent . Vous serez bien gentille de me donner par ordre le titre de tout ce que vous avez fait. J’en fais une aussi mercredi prochain mais c’est sur les écrivains contemporains et dans un quartier lointain, je serai forcée d’être ennuyeuse. Voulez-vous venir incognito ce même mercredi au bal des arts incohérents où l’on dansera de la façon la plus gaie ? Si oui, dites j’ai une invitation pour vous. Mille amitiés, Camille D. Un entrefilet dans La Presse du samedi 14 mars 1885 informe que « la conférence que Madame Delaville donnera à la salle Turgot [...] est fixée au 25 de ce mois ». Ce bal costumé, premier du genre, a eu lieu le mercredi 11 mars 1885. Il était organisé par un groupe d’artistes – Hope, Chéret, Goudeau, Monselet – réunis autour de Jules Lévy, qui entendait bouleverser les conventions en se livrant à des extravagances aussi bien picturales que poétiques. Une invitation est conservée à Amsterdam, au musée Van Gogh. Georges de Peyrebrune apprécia l’esprit de cette manifestation, au grand dam de Camille Delaville qui consignait dans Les Matinées espagnoles du 15 avril 1887 : « Quel dommage que Mme de Peyrebrune [...] trouve un charme quelconque aux élucubrations de l’école incohérente et protège ses essais ! » 80 3/ Samedi [7 mars 1885] Belle... tant que ça ! J’en suis ravie si Georges doit m’en aimer un peu plus, car moi je suis disposée à l’aimer tendrement pour toutes les meilleures raisons du monde. Oui vous pouvez venir en domino aux arts incohérents et avec moi bien entendu, je serai aussi strictement voilée mais en manière de nuit, c’est moins triste et banal que ce malheureux domino et avec quelques voiles intelligents et un croissant de papier d’argent, c’est fait. Seulement, il y a un seulement comme en tout ici bas, je fais ce soir-là une conférence à la barrière du trône , de là je vais d’une façon obligatoire à une grande réception place Malesherbes chez Mme Oger de Bréard, et ensuite je reviens ici m’habiller pour la troisième fois et me rendre aux arts incohérents. Je parle à 8 h ½, je finirai à dix heures, je serai ici à dix h ½ et chez Mme de Bréard à onze h ½ à minuit je partirai de chez elle, à minuit 20 je serai ici où je vous trouverai m’attendant. Estce cela ? C’est du reste un bal qui ne commence qu’à minuit. Du reste j’irai chez vous lundi de bonne heure Celle-ci a pour thème « Les Écrivains contemporains » (« Courrier de Paris »). 81 pour que nous puissions nous entendre et en attendant, je vous embrasse longuement à plein cœur et à pleines lèvres. Camille 4/ Lundi soir [avant le 16 mai] Chère belle et bonne, En vous quittant je monte en fiacre escortant Guiomar de... et je parvins à la quitter à la porte de ma couturière à laquelle j’explique qu’il me faut pour samedi une certaine robe couleur de soleil, que j’ai commandée ces jours-ci ; puis au milieu de ma démonstration, je me souviens que j’ai Dimanche du monde à déjeuner et que ma santé n’est pas assez solide pour être sur pied le lendemain matin, dans un état possible après avoir passé la nuit – hélas ! Donc ne me gardez pas de billet... Cela m’ennuie bien, j’aurais été si contente de vous y retrouver ainsi que les autres amis et amies !... C’est dommage que Dimanche vous campagniez. J’espère avoir encore des gens intéressants. J’ai l’aimable Mary Summer et quelques gens de lettres. Enfin vous savez si au dernier moment vous pouvez, venez. Vous ne partirez pas Samedi Guiomar Torrezão, « la George Sand du Portugal », célèbre romancière portugaise alors en visite à Paris depuis le début du mois. Voir l’article du Vicomte d’Albens daté du mardi 10 mars 1885 dans Les Matinées espagnoles. 82 puisque bal il y a . Voulez-vous le nom et l’adresse du fournisseur qui me prépare toute réception petite ou grande sans que j’aie en rien à m’en occuper. Il apporte tasse, verre etc. et les remporte, lorsque cela agace de sortir des armoires ses petites affaires, il dispose la table, apporte sandwiches, vin, fait le thé, apporte le punch, c’est un vrai bonheur. Chez moi il apporte même les chaises et les candélabres à l’occasion. Et pour tout ce qui touche aux journaux il fait une sensible diminution de prix. Mme Bourdon parle anglais, elle lit les romans nouveaux et connaît ses auteurs, elle va aux conférences et aux pièces de ses clients, c’est un type, mais fort commode et fort agréable. Je vous dis cela pour votre petit lunch, c’est assommant d’aller acheter ou commander cela à divers ! Mille amitiés tendres, je vais faire prendre La Femme jaune à la Nation qui me l’a gardée aussi pour la reproduire – des combles ! Et vous la ferai transmettre. Merci pour tout ! Camille Si vous saviez ce que j’aimerais entrer ailleurs en laissant Mina Round à ma place à La Presse. Allusion au bal donné à l’hôtel Continental par Les Femmes de France pour les blessés militaires. Celui-ci tombe un samedi et chaque année. Jusqu’à la fin de sa vie, Camille Delaville a consacré quelques lignes à cet événement dans Les Matinées espagnoles. 83 Madame Bourdon 167 rue St Honoré Place du théâtre français 167 pas cent soixante trois ou cinq, c’est Chiboust . De la part de Mme Delaville 5/ Mardi 10 h, [5 mai 1885] Ma bonne Georges, Je suis aussi naïve que vous allez... ce matin je pleure comme une sotte... Je vous disais hier « je vais être obligée de quitter La Presse, mais en somme Miss Round n’est coupable que de peu de choses, c’est le directeur qui aime mieux les beaux yeux – bleus que la bonne prose 10... ». Or ce matin en ouvrant le journal, voilà que j’ai la preuve (le récit de l’incident est sans intérêt) que la volonté de ma collaboratrice y est pour Dans sa « Chronique mondaine » (La Presse, 16 juillet 1884), elle précise que « le pâtissier de la rue Saint-Honoré […] a imaginé de préparer […] dans des plats de porcelaine de Bayonne, des entrées pour deux ou trois personnes […] et prêtes à être mangées après avoir été placées dans leur plat sur un feu doux quelques minutes ; c’est exquis […]. C’est nouveau, délicieux et très chic ». Référence ici non pas tant à la crème patissière qu’à son créateur, comme l’indique la majuscule. 10 Gilbert Thierry avait succédé à Jules Billault à la tête de La Presse fin janvier 1885. 84 quelque chose – pour énormément 11. Figurez-vous que lorsqu’elle est arrivée il y a 9 ans ici, elle ne connaissait personne ou à peu près, je l’ai présentée partout, partout où vous la voyez, prônée, invitée. Je lui ai fait des cadeaux, j’ai forcé tous ceux que je connaissais à la recevoir comme moi-même en la proclamant ma meilleure amie. Tous mes secrets je lui ai dit. J’ai eu un journal, je lui ai fait signer tout de suite « Secret de la rédaction 12 », que saisje ? Son couvert est mis chez moi trois fois par semaine, je l’ai imposée à La Presse, je l’ai envoyée dans des journaux, notamment à La Paix où on lui a publié une traduction avec une recommandation pressante qui s’adressait à moi – mais le nom n’y était pas 13. On n’a aucune idée de cela – aucune. Pour moi les désillusions d’amitié sont pires que celles d’amour ; car on les prévoit moins et elles n’ont pas les excuses de la chair. J’ai peur de ravoir une crise de foie, tant je suis secouée ce matin je grince, quoique n’ayant pas de nerfs, parce que j’ai un cœur. Ai-je été bête ? Mes filles elles, n’aimaient pas Miss Round, était-ce prescience ? La rubrique « Heures parisiennes » est consacrée ce jour-là au Bazar de la salle Albert-le-Grand. 12 Il s’agit du Passant. La rubrique exacte tenue par Mina Round est « Chronique mondaine » sous les pseudonymes de Carmina et Maurice Reynold ; elle a également donné des articles pour la rubrique « L’Été en zig-zag ». 13 Il s’agit en fait d’une imitation des Black Sheeps (Brebis galeuses) d’E.Yates publiée en 1873 à Bruxelles. 11 85 Si je me fâche je vais avoir l’air d’une vaniteuse, d’un mauvais caractère, si je ne me fâche pas... pourrai-je encore sourire à la traîtresse ? (vieux style). Je tâcherai – et je suis vexée ! Je sais bien qu’elle a grand besoin de gagner de l’argent ; car elle ne possède qu’un petit capital qu’elle mange et après qu’il sera mangé elle se tuera, dit-elle. C’est peut-être une excuse. J’ai été si bonne, si dévouée pour cette femme. J’avais besoin de crier : Le roi Midas a des oreilles d’âne – ça va mieux et je vous embrasse. Camille 6/ Jeudi soir [7 mai 1885 14] Comment pauvre amie, vous avez été malade comme cela ! Mais c’est navrant ! J’espère que vous êtes remise. Bien bizarres ces courses avec sonnerie de trompes par des piqueux en costumes à l’entrée du Champ de Mars et des cheminées d’usine pour horizon... l’œil éprouvait une gêne extrême. C’était d’ailleurs au aquatic coursing. Jolie soirée chez le Papillon bleu 15 mais trop de monde on cuisait c’était un supplice. « Les Heures parisiennes » du jeudi 7 mai, dans La Presse, sont consacrées à l’Aquatic cursing. C’est la première course de lévriers de l’année organisée sur le Champ de Mars. 15 Mme La Roue, fille de Mme Oger de Bréard. 14 86 Quoique vêtue absolument à l’antique, de minces draperies sur ma chemise, j’ai souffert horriblement de la chaleur et peut-être aussi du poids du diadème de Rodogune très constellé mais lourd... comme sont tous les diadèmes au propre et au figuré et j’en suis malade aujourd’hui. Merci de vos avis, ils sont bons, je les ai suivis et d’ailleurs même avant votre dépêche j’avais compris que c’était cela qu’il fallait faire, mais je n’irai pas jusqu’à lui 16 faire entrevoir que je la transporterai de nouveau dans une autre feuille – elle essaierait de s’y glisser toute seule... j’ai de la méfiance ! Elle est d’ailleurs pleine d’amabilité avec moi ainsi que de coutume. Mendès était hier chez Mme La Roue, toujours gracieux comme d’habitude, il viendra peutêtre déjeuner Dimanche ici bien entendu je ne dirai pas un mot de l’affaire du journal que je dois ignorer et puis on n’en...nuie pas les gens chez soi. Mme Bloch m’a demandé si j’avais vu votre buste, 16 Mina Round. 87 j’ai dit : oui – comment je le trouvais 17 ? – J’ai répondu à côté, je suppose qu’elle a compris. Merci et mille tendresses tendres, Camille M. Guillaumot était là, il a exhalé dans le vaste sein de Mary Summer des soupirs et ses déceptions littéraires. 7/ Dimanche Chère amie, Galipaux viendra, j’ai invité pour arriver à ce résultat sa mère qui est une femme charmante que j’aime beaucoup, je pense du reste que nous viendrons ensemble. Mendès n’est pas venu ce matin, il m’a envoyé une dépêche. 17 La sculpteuse Élisa Bloch réalisa un buste en plâtre de Georges de Peyrebrune présenté au Salon de la Société des Artistes Français en juin 1885. Cet « étrange platras », selon Léo d’Orfer (Le Zig-zag, 14 juin 1885), suscita un différend entre l’artiste et le modèle : il a « été l’objet d’une difficulté pénible entre deux femmes intelligentes [...], et qui vont en venir presque à un procès pour une question d’argent. [...] La romancière qui vit modestement de sa plume ne pouvait songer à commander son buste à Mme Bloch, comme le premier millionnaire ou la première belle-petite venue. Mme Bloch, de son côté, ne devait pas songer à envoyer une facture » à Peyrebrune (Mme de Rute, Les Matinées espagnoles, « Mes promenades au salon de 1885 », 10 juin 1885). 88 J’ai eu une explication avec mon directeur, je vous dirai cela. Mille tendresses à demain, Camille 8/ Mardi soir [12 mai 1885] Chérie, je n’ai reçu aucun renseignement de votre patte blanche, mais ce matin un livre de vous de chez Charpentier 18. Je l’ai lu séance tenante, c’est ce qui m’a encore le plus plu de vous, j’ai tartiné et j’ai glissé dans l’article ce qui m’est permis sur le livre 19. Puis je me suis rendue au journal ainsi que c’était convenu avec mon directeur qui veut me voir à chaque article pour savoir si cela lui ira. Il avait prévenu par dépêche qu’il ignorait l’heure où il rentrerait. J’ai laissé la copie et une lettre plate pour que ça passe. Ce ne sera pas demain évidemment car en son absence nul n’insère rien, le président de la République se sauverait avec une danseuse que cette nouvelle ne serait pas insérée sans qu’il ait lu la chose. J’aurais dû laisser faire cela à Mina mais elle 18 19 Mademoiselle de Trémor. Camille Delaville rédige « Une matinée chez Georges de Peyrebrune », article à paraître dans « Les Heures parisiennes », La Presse, 16 mai 1885. 89 écrit d’une façon tellement cruelle que cela me ferait mal d’avance à cause du sujet. Je n’ai pas dîné naturellement hier. Quel lunch messeigneurs ! Quel jour venez-vous dîner ici en tête-à-tête ? Donnez-moi votre jour sauf demain (mercredi). Sans ça on ne se voit pas. À vous en hâte, Cam 9/ mercredi 9 h [13 mai 1885] matin Ma bonne Georges, Hier au soir j’ai eu votre lettre. – Trop tard, mais à part 2 omissions sans importance l’article est fait, et bon pour ces aimables oiseaux qu’on nomme des artistes. Ce matin j’ouvre la Presse et je trouve un article de Mina à la place du mien sur les arts indépendants 20. L’a-t-elle porté hier ou avant-hier, j’ignore... Chez vous elle avait été miel et sucre et m’avait dit : « Chère, faites l’heure sur cette matinée, vous connaissez bien mieux Mme de Peyrebrune que moi, et... cela lui fera plaisir et elle m’avait 20 Les Artistes indépendants est le titre exact de cet article paru dans « Les Heures parisiennes », La Presse, 13 mai 1885. 90 donné une commission à faire hier au journal sans me prévenir qu’il y avait une heure d’elle à passer ou qu’elle allait en porter une pour aujourd’hui afin d’empêcher l’article qu’elle me priait de faire, de paraître : Je suis lasse. Ne faisant plus la critique littéraire à la Presse 21, j’ai donné votre volume à celui qui m’a remplacé un garçon plein de talent et de bon goût, mais il ne peut faire son article que lorsque notre idéal directeur aura le volume 22. Voulez-vous prendre vous même soin de lui expédier l’objet à M. Gilbert Augustin Thierry à La Presse 9 rue Baillif Personnel _______________ « À M. Gilbert Augustin Thierry, hommage de l’auteur G. de Peyrebrune » Alors mon jeune ami Boissière pourra faire la chose comme moi-même. Vraiment ce livre est une merveille et je suis pressée de voir qu’on en parle bien et beaucoup. Votre Camille 21 22 Jules Boissière l’a remplacée en juin 1884. Mademoiselle de Trémor. 91 10/ Jeudi [14 mai 1885] Ascension Ma chère amie, j’ai reçu votre lettre, c’est vous au contraire qui vous donnez mille peines pour moi. Merci mille fois ! Mais tout cet ordre de chose est prévu lorsqu’il s’agit de votre servante. C’est la guigne ! La Femme jaune n’est pas un roman à thèse, ce n’est pas évidemment ce que j’ai fait de mieux – c’est amusant et intéressant seulement, je crois – mais il faut que je vous dise comment ce feuilleton a paru au Gaulois. Un ami à moi, Jules Billault, bon journaliste pourvu d’un gros ventre et d’un aplomb immense, avait droit de la part de Tarlié directeur de ce journal alors, à je ne sais quelle indemnité (il y était rédacteur). Tarlié qui ne doute de rien lui dit : Eh ! Bien je ne puis vous donner d’argent mais faites un roman il passera dans 15 jours. – C’est entendu dit Billault, qui saute en fiacre et arrive chez moi. – Tarlié m’a demandé un roman – Ah !... – Pouvez-vous faire cela sur l’heure, ou en avezvous un de prêt ? – Je n’en ai pas de prêt mais j’en ferai un sur l’heure... et... vous le signerez ? – C’est-à-dire qu’on le signera Pierre de Chatillon qui est un pseudonyme commun à nous deux 92 pour les articles du Gaulois et je vous donnerai la moitié de l’argent 23. – Soit – à cette époque j’étais très embarrassée pour vivre et je savais que de moi ce serait toute une affaire de faire prendre un roman à Tarlié – J’acceptai. J’allais partir pour Fontainebleau, avec mes enfants, je partis et de là envoyai chaque jour le feuilleton du lendemain. La copie n’étant pas recopiée, à l’Imprimerie on savait que ce n’était pas de Billault, qui d’ailleurs, n’a jamais fait un roman ni une nouvelle de sa vie, Tarlié le savait aussi, et cela lui allait, car il aimait bien ma façon d’écrire. Le roman assez original, à cause du serpent qui en est le héros, eut beaucoup de succès – Billault se carra dans le dit, mais beaucoup pensaient, vu le pseudonyme, que c’était une collaboration. Billault (qui ne l’a jamais lu) me paya la moitié fort honnêtement. Et sur le champ j’aurais pu le faire éditer, mais voyant qu’il était décidé à toucher toujours la moitié et à ne pas me laisser mettre mon nom sur le volume, je le laissai dans un coin. Depuis il s’est passé bien des choses, le dit Billault, après avoir été mon rédacteur en chef pendant 3 ans à La Presse, a quitté le 23 L’Annuaire de la Presse de 1881 mentionne que Jules Billault « publie parfois des articles de critique et de littérature sous le pseudonyme de Pierre de Chatillon » et que Camille Delaville tient dans le même journal « La Chronique parisienne ». 93 journalisme, je l’ai fait rentrer en 24 heures, à l’administration du Panama où 8 mois après il était chef de l’exploitation. Il ne veut jamais lâcher cette situation assez brillante stable et qui convient à son embonpoint et à son désir de paix sans aléas. Tarlié a quitté Le Gaulois après la publication de La Femme jaune et a dit à tout le monde en riant, que c’était de moi. Billault n’a plus la moindre prétention romantique et je suis libre comme l’air. Mais enfin n’est-ce point dur tout de même ? Si je l’avais laissé s’adresser lui-même à un éditeur, il y a longtemps que cela aurait paru. Ce matin j’ai constaté que La Presse n’avait point encore inséré mon article sur votre matinée, aujourd’hui c’est fête, demain je me rendrai au journal et prierai Thierry de me rendre cette copie innocente, je vous la remettrai car je veux vous montrer combien tout cela est drôle. J’ai dîné hier chez Mme de Rute 24. C’est la 1 ère fois de l’hiver qu’elle m’invitait à dîner, tous les gens qu’elle avait rencontrés chez moi s’étaient succédé à sa table mais pas moi. Comme elle reçoit toujours le soir, je mets une robe décolletée assez élégante en moire maïs et dentelle blanche – J’entre... le 1er salon n’était pas allumé, dans le second je trouve Mme La Roue et sa 24 Mme de Rute y Ginez, née princesse Marie Studholmine Lætitia BonaparteWyse, petite-nièce de Napoléon Ier. 94 mère Mme Oger de Bréard, Mme Davyle, Helena Sanz 25, Rousseil, deux hommes plus que nuls et Mendès. Mme de Rute me reproche de m’être habillée et d’être venue trop tard attendu que c’était un petit dîner sans cérémonie. – Elle vous avait conviée et vous n’étiez pas venue – Plusieurs de nous étions décolletées, nous gelions dans cette grande pièce un peu vide, peu éclairée et pas chauffée. Je cherche mon nom sur les cartes du dîner, je ne le trouve pas mais celui d’un monsieur qui n’était pas là, je m’assieds au bout de la table entre Charlotte 26 et Guiomar qui se plaint amèrement que vous ne soyiez pas venue pour la voir, elle est sûre que la Princesse vous a invitée devant elle Lundi – elle a des larmes dans les yeux, elle comptait sur votre amitié, c’est une déception. J’essaie inutilement de la consoler. Le dîner est froid, très froid – 12 dames et Eléna Sanz, cantatrice de l’Opéra et du Français. Elle interpréta avec brio Carmen de Bizet en 1886. 26 Charlotte Mortier est la dame de compagnie, la secrétaire et, selon la rumeur, la maîtresse de la Princesse. 25 95 3 messieurs 27... Ni Rousseil ni Mme Legault 28 ne prononcent une parole. La soirée est encore plus froide, personne ne vient interrompre le silence – alors la Princesse fait dire à Rousseil La Carmélite, d’elle-même Rousseil. Brrr !..... Brrr !... puis Le Musée des souvenirs hou ! Hou ! Hou ! Les dents claquent et les épaules bleuissent. Mendès fait sa cour à M me La Roue et est cordial comme toujours avec moi, il m’exprime ses regrets de n’avoir pas été chez vous Lundi et de n’avoir pas eu le temps de vous écrire pour vous expliquer le pourquoi, je lui ai dit que je l’ai fait, il m’en remercie fort. On convient que demain Vendredi lui et Mme La Roue viendront à midi chez moi manger des œufs brouillés aux truffes que je ferai moi-même... de journal, de votre lettre, point question. Je ne vous convie pas aux œufs brouillés, pour ne pas avoir l’air de jouer la carte forcée, du reste Il semble que la Princesse soit coutumière de ce genre de soirées puisque Paul Alexis écrit à Zola : « Un bizarre dîner s’il en fut : grand luxe de vaisselle plate (avec des N sous une couronne), de service de table, de fleurs : mais dîner très ordinaire et pitoyablement servi : pas même un service de table d’hôte, tout au plus celui d’un buffet de chemin de fer où le train part dans 20 minutes. Les hommes en habit noir ; peu de femmes, et vieilles pour la plupart [...]. Mon voisin de table me fait observer que c’est tout à fait le monde du demi-monde de Dumas [...] » Bakker, B.H, Naturalisme pas mort : Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola, 1871-1900, Toronto, University of Toronto Press, 1971. 28 Marie-Françoise Legault (1858-1905), actrice du Vaudeville, du Gymnase et du Théâtre-Français. 27 96 rien de plus stupide que de regarder un monsieur qui s’épanche dans le sein d’une dame. En partant Charlotte me prend dans un coin et me dit : Si vous parlez dans un journal de ce dîner (jamais !) ne nommez ni Mme La Roue ni Mme de Bréard, parce que vous comprenez... – Alors involontairement je réponds : « – que c’était le dîner du ½ monde, c’est pour cela que l’on m’y a conviée ». Cris et protestations de Charlotte qui appelle la maîtresse, et on me déclare que je suis méchante comme une galle. Il faut vous dire que cet hiver Mme de Rute m’avait déclaré que Mesdames La Roue, Cauvière et de Bréard étaient du ½ monde et non du vrai et qu’elles n’osaient pas les recevoir et hier elle avait aussi convié Camée à ce dîner (laquelle est une fille 29) et Mme Cauvière qui n’ont pu venir. C’était donc complet. Cette maison est bien singulière en vérité, et je marche dans des atmosphères disgracieuses – pas lorsque je vais chez vous par exemple, vous la bonté et le tact mêmes. J’irai Dimanche chez Mme Bissieu uniquement pour vous y rencontrer car les soirs me fatiguent fort. Mille tendresses et excuses pour ce volume mais ne vous voyant pas, je cause avec la plume, c’est 29 S’agit-il de Mme Saling de Kerven, laquelle signe de ce pseudonyme des chroniques au Jockey et publiera un roman Un amour russe en 1895 ? 97 la même chose. Mille bonnes tendresses, Camille Au besoin, il est évident que je pourrais payer l’édition de La Femme jaune, mais alors cela ne se vend pas, puis cela me gênerait fort. 11/ Lundi soir [17 mai 1885 ?] Comment vous êtes si charmée que cela ! Bien violette dans toute l’acception du mot ! Ce n’était que ce que tout le monde sait et dit et je ne suis que le très humble rapsode, hélas si humble ! Puisque vous m’aimez bien vous me ferez n’est-ce pas une petite préface à l’un des livres que je prépare : L’Histoire d’un homme un roman sérieux qui plaira peut-être... à ceux qui le liront. Votre nom le fera lire car on n’épouse pas les jolies filles enfermées dans les cachots noirs. À demain soir sauf accidents, mais je n’en prévois pas et à Lundi certainement j’espère dire adieu chez vous à Guiomar que je ne veux 98 pas aller voir rue Logelbach 30. Mille tendresses, Camille 12/ Mercredi soir, [20 mai 1885] Chère bonne et belle, Vous m’avez témoigné le désir d’avoir une heure de Mina Round qui m’est tant préférée par Thierry. Vous avez eu ma petite chronique sur votre matinée, voici le pendant sur une soirée Adam 31. Jugez ! Et il y a des gens qui croient que je me sers de ce langage !... J’aimerais bien savoir où vous en êtes avec Guiomar... c’est inquiétant. Demain j’irai chez la Princesse entre 5 à 7 selon la consigne, aurai-je la chance de vous y rencontrer ? Quel jour venez-vous bavarder céans ? Vendredi ou Samedi ou Dimanche ? Au 5 de la rue Logelbach se trouvent l’hôtel particulier de Mme de Rute et le siège social des Matinées espagnoles. Camille Delaville consacre quelques lignes dans ce journal à Guiomar Torrezão qui « va retourner en Portugal » (Les Matinées espagnoles, juin 1885, p. 376). 31 « Une matinée chez Georges de Peyrebrune », La Presse, 16 mai 1885, et « La Comédie chez Madame Adam » (« Les Heures parisiennes », La Presse, 4 mai 1885). 30 99 Depuis que vous m’avez promis une préface, j’ai beaucoup de courage, je tâcherai d’être digne de vous, persuadée que vous me porterez bonheur. Avant L’Histoire d’un homme je publierai Mes Contemporaines séries de portraits soigneusement faits de femmes connues que je connais, j’espère qu’Ollendorff me le prendra avec une illustration de Vierge 32 ou de Gernes sinon je ferai les frais de l’édition mais cela m’enrage car alors cela ne se vend pas. Mille tendresses, Camille J’ai bien des choses presque prêtes – mais je suis depuis quelques temps sans courage. Aucune nouvelle de Mendès et du journal 33. 13/ Ma bonne et excellente Georges, je suis encore à La Presse en principe Thierry a même inséré quelque chose de moi Mercredi, seulement il faut que je parte. Recevez-la ordinairement pour ne pas envenimer les choses, vous même m’avez donné le conseil Daniel Vierge (1851-1904) passait en 1869 pour le grand illustrateur de Michelet ; il a également illustré Les Travailleurs de la Mer de Victor Hugo. C’est un ami de Camille Delaville ; on note sa présence lors du bal costumé qu’elle donna le 24 décembre 1884. 33 Peut-être Le Progrès national. 32 100 de dissimuler – ainsi fais-je 34. Il est probable qu’elle ne quêtait nullement une invitation et voulait seulement aller vous voir parce qu’elle vous trouve charmante sans savoir que vous aviez quelques amis de plus Lundi. En venant Dimanche vous serez l’ange de la Charité. Voici le roman en question 35. Il a été publié moi en province envoyant la copie en hâte les épreuves n’ont été corrigées par personne – on s’en aperçoit – mais c’est 2 h de travail. J’ai prévenu Galipaux et moi-même. Une bien bonne de dona Guiomar... elle m’écrit en réponse à la notice sur vous que je lui ai expédiée lundi soir 36 : « Puisque vous êtes aimable voulez-vous je vous prie m’envoyer des notes sur toutes les femmes qui à Paris mettent du noir sur du blanc. » Seulement... cela ô naïve Guiomar – un volume de 310 pages. Avez-vous mon dernier livre 37 ? Amitiés tendres, Camille Il s’agit de Mina Round. La Femme jaune. 36 « Une matinée chez Georges de Peyrebrune », La Presse, 16 mai 1885. 37 Les Bottes du vicaire. 34 35 101 14/ Jeudi 28 mai 85 Ma chère Georges, Je reçois votre lettre contenant celle de M. Jouaust 38. J’accepte avec empressement ses conditions qui me conviennent particulièrement. Il a mille fois raison à propos du succès presque assuré par la controverse, et très aléatoire pour les œuvres d’imagination sans thèse. Je ne sais par quel hasard moi qui ai toujours fait des romans à thèse, comme La Loi qui tue, Les Bottes du vicaire, Le Cas du 1er Président 39 etc., j’ai été amenée à écrire tout bonnement une histoire, c’est probablement parce que je l’avais vue en partie se dérouler sous mes yeux... C’est pourtant bien bon de raconter tout simplement au lieu de plaider... J’ai eu le plaisir de voir M. Jouaust à plusieurs reprises lorsque je faisais la critique littéraire à La Presse, il m’a toujours paru extrêmement aimable et pourvu d’un sens très net à propos des publications littéraires, ce qui n’est pas le Éditeur de luxe, également éditeur et gérant de La Gazette anecdotique à laquelle participe Arsène Houssaye, excellent ami de Georges de Peyrebrune. Il sera racheté par Flammarion en 1891. 39 La Loi qui tue fut édité en 1875 par Amyot ; Les Bottes du vicaire en 1884 par C. Marpon & E. Flammarion. Aucune trace du Cas du 1er Président. 38 102 propre de tous ses confrères : Dentu, Levy (qui a refusé d’éditer Serge Panine 40) etc. Je vais revoir La Femme jaune. Aussitôt publiée je pense qu’elle sera traduite en hollandais, plusieurs littérateurs du pays des tulipes, m’ont déjà demandé la permission de le faire, mais j’attendais la publication ici. Merci ma bonne et belle amie, je vous embrasse de tout cœur. Camille Delaville 15/ Jeudi 28 [mai 1885] J’étais ce matin horriblement pressée c’est pourquoi je ne vous ai écrit que la réponse voulue pour la maison Jouaust. J’ai silhouetté M. Jouaust jadis et il m’a paru simple d’esprit, mais gracieux. Du reste ce qu’il dit est très vrai, les choses ordinaires qui amusent tout bonnement font peu d’effet ; néanmoins je serai bien aise de lancer cette Femme jaune sur Paris et la Hollande et je vous remercie du fond de mon cœur. Protégez-moi ma bonne Georges et je 40 Serge Panine : Les Batailles de la vie (1882), roman de Georges Ohnet publié chez Ollendorff et couronné par l’Académie française. Il a fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques. 103 serai sauvée je sens cela. Vous êtes étonnée peut-être de ne pas voir passer votre article au Gil Blas. Pas moi, voici pourquoi : les petites histoires ont leurs cases : Mercredi, Thilda – Lundi et Vendredi Mendès, Dimanche Ulbach etc. et c’est double il y en a 2 pour chaque jour, ils ont des traités fort onéreux pour le journal. Leur substituer autre chose est presque un tour de force. Le père Dumont m’a pris jadis une petite histoire que je tâcherai de refaire parce qu’elle était réussie 41 – C’est la vue de Janvier qui me l’avait inspirée 42 – Jamais elle n’a passé ! Il y en a de 2 ans pour boucher les trous lorsqu’un des habitués manque. Pourtant votre talent et votre nom devraient aplanir toutes les difficultés, malheureusement Cartillier 43 a cueilli chez ma couturière une jouvencelle qui l’occupe nuit et jour (mot illisible raturé), elle est constamment au journal, ou il est chez elle, et tout s’en ressent. Mendès m’avait même dit, lorsqu’il a déjeuné ici, qu’au point de vue de Auguste Dumont (1816-1885) : administrateur de plusieurs journaux dont Le Figaro quotidien ; fondateur de L’Événement (1872) et du Gil Blas (1879). 42 Louis Janvier, médecin d’origine créole, est alors une personnalité à la mode. Camille Delaville lui consacra quelques lignes dans son « Courrier de Paris » des Matinées espagnoles de juin 1883 : « Venu en France vers l’âge de vingt ans et doué d’une merveilleuse aptitude aux sciences et aux lettres, tout en faisant sa médecine, il a passé, pour son agrément, les examens de droit et de lettres et publié deux volumes remarquables ; actuellement il est très occupé à soutenir des thèses à l’Académie des Sciences politiques. » 43 Nouveau rédacteur en chef du Gil Blas. 41 104 sa position de rédacteur en chef cela pourrait lui jouer un mauvais tour ; il n’y est plus... ne sachant pas comme ces messieurs, concilier l’amour et les affaires. Merci encore, merci ! Je suis fort heureuse que vous fassiez une préface à La Femme jaunemais ce n’est pas digne de vous tandis que je crois que L’Histoire d’un homme en vaudrait la peine. Je vous aime beaucoup, beaucoup – tâchez de vous jeter à l’eau – que je vous repêche, je nage comme un caniche. Je partirai demain vendredi soir ou samedi aux aurores avec toutes mes chéries et un petit stock d’animaux. Demain je ne compte guère sortir – avis aux bonnes âmes. Mille tendresses Camille 16/ Jeudi minuit [Jeudi 28 mai 1885] Ma chérie, J’ai rencontré Mendès moi en voiture, lui sortant du Figaro, il a fait arrêter la voiture et m’a parlé. Il veille Hugo presque chaque nuit, toute 105 autre occupation que le soin de ce cadavre lui semble impossible il m’a dit de vous faire des excuses 44. « Je travaille pour vous, m’a-t-il dit, au progrès social 45... – Merci, merci, merci maître charmant. » – Et voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes 46. Baisers de Cam 17/ [écrite à l’encre turquoise] [juin 1885] Le Vésinet 5, rue du Marché Chère, ne vous en allez pas sans me donner votre adresse dans le Périgord 47. Je suis bien ici, surtout par cette chaleur, mes petites filles sont à moitié nues, elles me paraissent adorables roulant leurs chairs roses sous le soleil tamisé par les feuilles, de temps en temps on voit un œil noir comme du diamant qui étincelle à Victor Hugo est décédé le 22 mai 1885 ; ses funérailles nationales auront lieu le 1er juin. 45 Ne s’agit-il pas plutôt du Progrès national ? L’unique numéro avait paru le 29 avril. Dans une lettre datée du 17 juillet, Rachilde écrivait à Peyrebrune : « Le Progrès national ne paraît qu’au 1er septembre. » 46 Corneille, Cinna, I, 3. 47 Native de la Dordogne, Peyrebrune retourne tous les ans passer l’été aux Meulières, domaine hérité de sa famille. 44 106 travers ces jolis paquets à fossettes, je trouve cela gentil tout plein. La petite petite a une façon de téter à quatre pattes, un pied en l’air – (oh ! Ces pieds microscopiques d’enfants !) – qui fait ma joie, un vrai petit Bacchus pendu à une grappe de raisin 48... Tout cela ennuierait bien Miss Round. Je corrige les fautes de La Femme jaune. Mardi prochain je la porterai chez Jouaust. Merci, merci toujours. Rien de Mendès bien entendu, je lui écrirai un mot ces jours-ci, car enfin oui ou non que cela s’explique. Mon doux directeur Thierry a payé intégralement tout le monde, hormis Miss Round et moi ! Mille tendresses, Camille Et Guiomar 49 ??? Écrivez-moi. 48 49 Sa petite-fille France, sœur cadette de Marthe. Rien ne permet d’éclaircir cette allusion ; on peut supposer qu’avant le départ de la romancière portugaise, Peyrebrune l’a persuadée de traduire en portugais un de ses romans. En 1890 paraît à Lisbonne Uma separação, traduction de Guiomar Torrezão d’Une séparation (1884). 107 18/ [écrite à l’encre turquoise] Le Vésinet 5, rue du Marché Jeudi [juin 1885] Ma bonne amie, Je suis un peu mieux, je peux écrire à peu près, mais je crains bien de ne pouvoir aller demain chez Mme Summer, car j’ai la fièvre très fort, cela me contrarie beaucoup, je désirais absolument y aller, mais cette nuit a été bien mauvaise et je ne me vois pas demain en robe décolletée. Enfin ! Il n’est pas possible que Mendès vous ait subitement prise en grippe. Il y a un malentendu ou une jalousie bête d’une maîtresse, je ne sais quoi d’idiot. Pourquoi vous en voudrait-il ? Lundi j’ai vu Cartillier et je lui ai longuement parlé de votre nouvelle 50. Elle est égarée, mais, Mendès paraît-il, en a la copie. Il m’a dit : « Cela passera, j’espère, mais le conseil d’administration ne veut pas de nouvelles, il ne veut que de grands romans. – Eh ! Bien commandez à Georges un grand 50 Il s’agit d’une nouvelle intitulée Mater !, destinée au Nouveau Décaméron de Catulle Mendès. Celui-ci voulut la publier dans Le Gil Blas, mais le manuscrit s’égara et ne fut jamais retrouvé. Ce n’est qu’en novembre 1885, dans une lettre datée du 24 (conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux), que Mendès explique à Georges de Peyrebrune la situation et lui demande de récrire cette nouvelle. Elle paraîtra dans la sixième journée du Nouveau Décaméron, Paris, Dentu, 1886. 108 roman ? Vous savez quel incontestable talent elle a. – Oui ! Oh un immense talent, mais dans ce moment ces messieurs (le conseil en question) liquident les romans reçus, il y en a beaucoup de payés etc. etc. – Et le mien, Le Passé du docteur, que vous avez depuis un an ? Et que vous avez lu et trouvé excellent ? – Ah ! Voilà ces messieurs ne veulent plus que des noms connus... Ils en ont commandé un à Claretie 51, à Camille Lemonnier 52 (Oh !...) – Eh ! Bien rendez-moi Le Passé du docteur, et prenez-en un à Mme de Peyrebrune, elle est connue elle... – Ces messieurs etc. Ils s’appellent ? Alors il me cite un tas d’X marchands de n’importe quoi, actionnaires mais point littérateurs. – Mais ces braves gens ne peuvent ni lire, ni juger un roman ? – Oh ! Non ! Jules Claretie (1840-1913) collabora à de nombreux journaux, notamment au Figaro et au Temps ; il tint la critique musicale à La Presse et au Soir. Il écrivit L’Histoire de la Révolution de 1870 à 1871, publia quelques romans comme Monsieur le Ministre ou Le Million. Administrateur du ThéâtreFrançais à partir de 1885, il entra à l’Académie française en 1888. 52 Camille Lemonnier (1844-1913), écrivain belge, conteur (Contes flamands et wallons, 1873) et critique d’art, célèbre pour le scandale que son roman naturaliste Un mâle provoqua en 1881. La défaite de 1870 lui inspira Sedan (1871), pamphlet qui devint en 1881 Les Charniers. Trois autres de ses œuvres feront l’objet d’un procès : L’enfant au crapaud (1888), L’Homme qui tue les femmes (1893) et L’Homme en amour (1900). 51 109 – Alors qui est-ce qui les lit ? – Mais il y a plusieurs lecteurs. – Autrefois il n’y en avait qu’un. – Tout cela est très difficile. Bien plus que du temps de Dumont, en tous cas soyez tranquille les manuscrits seront bientôt rendus. – Allons tant mieux ! Et la machine de G. Torryas ? – Elle passera, elle passera mais on ne peut pas savoir quand ? Pourquoi ? – Ah ! Voilà ! – Mais vous êtes directeur, vous pouvez ce que vous voulez pour ces choses là. – Mais non ! Mais non. Quand venez-vous dîner chez moi ? – Vous avez donc un chez vous maintenant ? – Oui mes filles rentrent pour dîner et moi aussi. – Je vous en félicite. – Nous irons dîner au Vésinet avec Mimi 53... etc. _____________________________ Impossible d’en tirer davantage. Si Mendès ou Fouquier lui parlaient ils auraient plus d’influence je crois 54. Quant à Ginisty il faut le connaître luimême sans cela on n’obtient absolument rien. 53 54 Une des petites-filles de Camille Delaville, Marthe Chaperon. Fouquier (1838-1901), publiciste et homme politique. 110 Pourtant l’œuvre s’impose tellement d’ellemême ! Je vais écrire à Cartillier pour lui dire que je ne dînerai pas chez lui demain ce que je devais faire et lui parler de Ginisty pour vous. Tout est camaraderie. Mme Ginisty est charmante paraît-il, il faudrait tâcher de la connaître et de la recevoir, je verrai cela cet hiver. Le pauvre Gayda qui fait la besogne de Blavet et y met de sa poche, ne reste dans ce poste aussi ingrat qu’obscur que pour avoir un article de Gille aux volumes qu’il compte faire paraître 55, il aura acheté cela bien cher je vous assure ! J’ai retrouvé Mimi et sa sœur toujours adorables. J’aime au possible voir la tête bouclée de Mimi pointer à la station derrière le museau pointu de Saïs 56, elle tape ses mains potelées l’une contre l’autre et elle crie : « Mère ! Mère ! Voilà Mère !... Quoi tu m’apportes, dis ?... » Alors j’énumère et quand j’ai fini : « Dis encore mère ! » et Mère dit encore ; pendant que ma bonne Margot marche chargée des paquets. C’est horriblement bourgeois mais c’est si bon tout de même ! J’ai deux filles que j’ai élevées chez moi toutes deux 57, toujours habillées de même, avec les mêmes professeurs, les mêmes soins, elles ont Philippe Gille (1831-1901), critique littéraire au Figaro et critique d’art. Chien de Camille Delaville. 57 Marguerite Chaperon, dite « Margot », et Rosine Noblet. 55 56 111 eu la même dot, l’aînée est un ange de bonté et de dévouement ; à 15 ans elle aurait déjà mérité le prix Montyon 58 pour ce qu’elle avait fait visà-vis d’un grand-père pauvre et infirme, des héroïsmes dont bien des femmes ne seraient pas capables à 30 ans, l’autre est égoïste, avare (elle n’a pas 20 ans !) et désagréable au 1er chef, elle est jolie aussi et la seule chose qu’elle ait de défectueux, c’est son mari, qu’elle a choisi ellemême... étrange ! Elle a ici une grande pièce toute préparée, elle vient, elle ne vient pas, elle m’écrit des choses désobligeantes, traite son petit garçon comme un pauvre petit paria 59... et je l’ai mise au monde pourtant j’en suis sûre, trop sûre, cette petite fête ayant failli me coûter la vie 60. ____________________ Ah ! Je reviens au Gil Blas, Cartillier m’a dit que Rachilde attendait Mendès des 3 heures de suite au dit Gil Blas, donc elle est à Paris, si elle le voit elle pourrait savoir le fin mot de sa tenue vis à vis de vous, Rachilde est très bonne, très reconnaissante et certes ce n’est pas elle qui brouillerait les gens bien au contraire. Je n’ai plus entendu parler d’elle depuis des temps infinis, depuis sa maladie et son départ Prix fondé en 1820 qui vise à récompenser les actes vertueux. Jacques Noblet. 60 Dans La Loi qui tue (1875), la narratrice raconte que, réfugiée à Arcachon, elle accoucha seule de son deuxième enfant... 58 59 112 pour le Périgord 61, je vais lui écrire, je la secoue ferme et la blâme fort, lorsqu’elle fait des machines comme Monsieur Vénus 62 et surtout lorsqu’elle se complaît à en parler avec délice chez moi à tous les hommes, je la blâme aussi lorsqu’elle va au Chat Noir, jadis aux Hirsutes, en lire des chapitres mais je l’aime bien et c’est surtout à sa mère que j’en veux 63. Si on peut en vouloir à un être humain d’être fou 64. Ah ! Si elle avait été bien dirigée, instruite intelligemment, quel talent Rachilde aurait aujourd’hui ! Il s’agit d’une dépression nerveuse compliquéee d’une paralysie momentanée des jambes. Rachilde s’en explique dans sa préface d’À Mort (1886) : « Rachilde s’offrit un transport au cerveau sous le spécieux prétexte que Catulle Mendès était un homme séduisant. [...] Elle vit Catulle Mendès, [...] ne l’aima pas, mais faillit l’aimer. [...] Elle ne fut donc pas la maîtresse de Catulle Mendès, et le docteur Lassègue dut venir étudier l’étonnant problème de l’hystérie arrivée au paroxysme de la chasteté dans un milieu vicieux » (p. XVII). Elle dut séjourner un temps dans la maison de santé du docteur Blanche. Dans La Marquise de Sade (1887), elle décrit une main qui est celle « d’un assassin qu’on a décapité » dont le pouce est d’une « dimension anormale » (p. 184). Ce membre présent sur le bureau du professeur Barbe rappelle étrangement le moulage du pouce de l’assassin Troppmann, guillotiné en 1870, que le Dr Blanche avait sur son bureau (voir Laure Murat, La Maison du docteur Blanche, Paris, Lattès, 2001, p. 279). 62 Ce roman, paru en 1884, relate comment le fleuriste Jacques Silvert abdique de sa virilité pour devenir la maîtresse de la sadique Raoule de Vénérande. 63 Ces allusions à la conception du roman contredisent à la fois les explications données par Alfred Vallette dans Le Roman d’un homme sérieux (voir éd. cit., p. VII) et par Rachilde dans sa préface d’À mort (voir Rachilde-Maurice Barrès, Correspondance inédite 1885-1914, éd. Michael R. Finn, Brest, Centre d’Étude des Correspondances et des Journaux intimes des XIXe et XXe siècles – CNRS (UMR 6563), 2002, p. 171). 64 La mère de Rachilde, Gabrielle Eymery, dépressive chronique, souffre d’une manie de la persécution qui l’amènera à séjourner dans plusieurs hôpitaux psychiatriques. 61 113 Dites moi ma belle et bonne amie, quand vous aurez assez du toit maternel et conjugal, aux jours chauds, venez donc vous abriter ici autant de temps que vous voudrez, personne ne vous agacera les nerfs, vous vous enfermerez à l’aise, mangerez à vos heures, dormirez à votre guise et sauf Mimi familiarisée qui pourra vous dire « Prends-moi » quand vous serez assise dans le jardin, je vous assure un calme parfait par contrat. Nous sommes si pacifiques, si occupés tous ! C’est une paix profonde. En me couchant hier à 2 h je disais à Margot : « Comme il serait agréable d’être malade ici ! » Cela vous donne la note du lieu, où vous seriez reçue à bras ouverts mais où personne ne vous assommerait de petits soins irritants... N’oubliez pas l’adresse : 5, rue du Marché Le Vésinet. Il y a une corbeille pour Cloclo 65 ! Guiomar m’a dit qu’elle vous avait menacée de se jeter dans la Seine si vous partiez avant elle... Si ça avait été dans le Tage encore ! C’est loin. Je vous embrasse tendrement, Camille 65 Clochette, la chatte de Georges de Peyrebrune. 114 19/ 5, rue du Marché Le Vésinet Vendredi [juin 1885] Ma bonne Georges, Je crois que vous faites erreur, on n’a pas pu promettre à Rachilde des Parisis ou des Heures parisiennes, comment ferait-elle puisqu’elle ne peut aller dans le monde depuis Monsieur Vénus ni à une foule d’endroits. Les Chroniques sont promises, les Chroniques parisiennes... une fois par semaine je suppose, mais pas les Parisis travail journalier, monumental et qui demande autre chose que du talent, c’est-àdire la connaissance de tous les vrais mondes, et une habitude extrême de la cuisine du journal que n’a pas Rachilde ce qui lui ôte en rien son réel talent, lequel est tout à fait à côté de la question. [écrit en travers : C’est Mendès qui m’a demandé de faire ce travail ingrat non encore donné] Alors la pauvre petite aurait la protection omnipotente d’un directeur pour qu’on lui prenne tout de suite un roman et qu’on lui 115 offre une collaboration assidue 66 ! Bachelin... je regrette que ce Bachelin-Deflorenne soit dans cette affaire car il a été en prison, tout le monde le sait, (pour escroquerie) et c’est fâcheux pour un journal qui se fonde. Je suis forcée de venir lundi pour dîner à Paris, je repartirai mardi et je ne reviendrai pas chez Mme de Rute... je ne suis pas assez bien portante pour tous ces trajets. Mille tendresses, Cam Oh cette Guiomar ! NB : Je suis éreintée. Vous savez que je ne reçois plus le vendredi. Aujourd’hui à travers les [mot illisible], toute la terre s’est amenée. Jusqu’à Ségalas 67 !... 20/ Mardi soir, [octobre 1885] Je suis arrivée à 4 h ½ aujourd’hui à Paris, j’ai décacheté la lettre de la petite Delyon me disant : C’est Jean Lorrain, je vous ai écrit 68 Il doit s’agir de L’Homme au gant rouge, première version d’À Mort, qui devait paraître en feuilleton dans Le Progrès national. Il sera publié en 1886. 67 La poétesse Anaïs Ségalas. 68 Aymé Delyon, rédactrice en chef de l’hebdomadaire Le Zig-Zag. Allusion aux lettres de Camille Delaville que la rédaction a publiées dans les numéros des 4 et 11 octobre, et dont l’initiative revient à Jean Lorrain qui signe « Jack Stick ». Voir le prologue. 66 116 – puis ma fille Rosine et son mari sont venus, puis des détails d’intérieur m’ont mise dans une incroyable fureur puis j’ai demandé votre livre que malgré une dépêche exprès, on ne m’avait pas envoyé au Vésinet et j’ai lu Les Frères Colombe 69. C’est un chef-d’œuvre, c’est une merveille. J’en avais lu un extrait seulement. Vous n’auriez fait que cela au monde que cela suffirait – comme le sonnet d’Arvers. Oh ! La merveilleuse simple histoire ! Peu d’êtres la pourraient écrire, car pour l’écrire il faut d’abord la penser ; pour l’écrire il faut avoir votre âme, votre cœur, être à la fois une femme avec un cœur de mère et le talent presque génial d’un Balzac. Sand elle-même n’aurait point écrit cela : à côté de la passion charnelle et de la passion sociale elle trouvait peu de choses et n’a même pas su élever ni aimer ses enfants, étant trop peu chaste pour leur jeunesse. J’ai pleuré en lisant Les Frères Colombe puis après... eh ! Bien ! Malgré moi j’ai baisé la dernière page dans une passion extrême. J’ai lu ensuite le reste du volume Une séduction etc. c’est parfait, bon, charmant, c’est du Peyrebrune, mais Les Frères Colombe, c’est merveilleux, merveilleux... J’ai voulu vous le dire tout de suite, j’ai besoin de vous le dire. Ollendorff aurait dû vous faire une robe de billets de banque pour avoir le droit d’éditer 69 Roman de Georges de Peyrebrune paru en 1885 chez Ollendorff. 117 cela. Je vous embrasse presque respectueusement, Camille [écrit en travers : merci de la dédicace] 21/ [écrite à l’encre turquoise] Samedi [octobre 1885] Votre prénom chère, votre prénom c’est la seule chose qu’il me faille pour votre article 70. Ne craignez rien je ne dirai pas votre nom, bien qu’on le connaisse, mais il fallait bien savoir que Sand s’appelait Aurore. Je suis toujours patraque et assez fatiguée parce que ma fille cadette est ici, qu’elle couche audessus de ma tête avec sa petite fille qui a 4 mois et son époux, lequel est forcé de se lever de bonne heure. La nuit le baby se manifeste, le matin c’est Alphonse 71 et je ne puis dormir que dans une paix profonde. Ce chalet est sonore comme un téléphone, c’est navrant. Je n’ai revu personne de nos amis, hormis Mme Bissieu, mais rien d’intéressant. Cet article est un compte rendu des Frères Colombe qui paraîtra dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles, 15 octobre 1885. 71 En argot, « homme entretenu par une femme ». Expression attribuée à Alexandre Dumas fils, qui en a fait le titre d’une de ses pièces, Monsieur Alphonse (1873). 70 118 J’ai rapporté hier au soir de Paris une très haute poupée à Mimi, elle était attendue : aussi ce matin à sept heures j’ai entendu un bruit d’oiseau à ma porte « – Qui est là ? – Mimi – ... ? – Je viens me coucher avec toi ! » Et une fois blottie dans l’ombre dans les bras de mère, noyée dans ses boucles brunes, (tout bas) : « Mère, dis... et ma poupée ? » J’appelle Aline 72 qui ouvre les fenêtres et dans un beau rayon de soleil apporte la poupée auréolée d’une longue perruque blonde. « Oh ! Mère, oh ! Mère ! Tu es gentille... maman avait dit que tu ne l’apporterais pas, mais moi je savais bien que si... c’est parce que tu m’aimes, dis mère ? » Oui mon amour c’est parce que je t’aime plus que tout au monde. Il fait beau, je vous écris dans le jardin toujours sous un sapin en face de la maison comme j’aimerais vous tenir dans ce modeste petit coin ! Je suis très souffrante aujourd’hui... à bientôt une longue lettre de votre amie Cam 72 Domestique de Camille Delaville. 119 22/ [écrite à l’encre turquoise] Mercredi 18 [novembre 1885] Ma chère Georges, Que devenez-vous, quand revenez-vous ? Je vais un peu mieux, un médecin homéopathe a je crois trouvé ce que j’avais et je suis en voie de guérison. Ouff ! Il était temps ! Et ce drame, ce drame horrible 73... où en êtes vous ? Il fait froid à Paris et là-bas... Je voudrais tant vous voir ! Rachilde m’a écrit lundi : « Maman revient à Paris ce soir, crac, comme cela tout à coup, je crois que cette fois ce sera pour longtemps ». Rien de plus. Est-ce que les époux Eymery se sont encore battus positivement ou figurément 74 ? Je finirai par croire que la pauvre Rachilde est la moins folle de la famille. Je ne sais rien de neuf que ce que me dit le journal et je me sens une certaine paresse à reprendre la vie ordinaire et sortante ; du reste je ne pourrais pas encore. Le 25 octobre 1885, des carrières s’effondrèrent à Chancelade, en Dordogne. Native de la région, Peyrebrune s’inspira de ces événements pour écrire Les Ensevelis, roman paru d’abord en feuilleton en 1886 dans La Revue bleue, puis publié en 1887 chez Ollendorff. 74 Les parents de Rachilde. Malgré sa santé mentale déclinante, la mère de Rachilde effectua plusieurs voyages entre Paris, où elle séjournait, et le domicile conjugal en Périgord. Les rapports entre les époux se dégradèrent avec le temps. 73 120 Pourtant hier, comme première sortie j’ai fait une conférence à la mairie du 4e arrondissement – sans encombre –. J’ai été bien contente de mon public, quoique trop nombreux car les portes ont dû rester ouvertes ce qui m’a gelée – mais les braves gens m’ont criée après : Merci Madame ! Merci Madame ! Ça m’a touchée et m’a payée de ma peine car j’étais encore faible. Sujet : Souvenir d’une infirmière pendant le siège de Paris. Je dois, fin décembre en faire une pour les enfants avec distribution de bonbons et de joujoux – ce sera amusant et Mimi brillera là d’un vif éclat. Ce soir, ce n’est pas ma terrible maladie, mais je suis excessivement fatiguée. Je vous embrasse donc tout de suite. Je causerai avec vous lorsque je serai mieux. Votre Cam 23/ [écrite à l’encre turquoise] Mercredi Chère belle et bonne, Je viens d’écrire à votre docteur pour le prier de venir – mais j’ai dû écrire rue Blanche et il habite Lagny. Vous seriez bien gentille de lui écrire en ce pays 121 (qui est celui de mon père 75) pour le prier de venir car peut-être le jeudi fait-il ses visites en débarquant du train du matin. Ne disons rien à cause de cet âne de Bissieu 76. Oui soignez-vous ma chérie, soignez-vous bien surtout. Je vous embrasse tendrement Camille 24/ Samedi soir, Seigneur, ma bonne et belle... nous perdons notre cervelle toutes les deux – moi j’ai compris que vous me parliez de Mme Bissieu demain. Vous ne comprendrez rien à ma lettre. Mme de Mouzay a fait dire qu’elle ne recevait pas ce soir, je crois – autant que ma tête me permet d’assurer quelque chose. Par conséquent tout est bien ; hormis votre fatigue – qui vous causera à vous tant de plaisir... Voici un sonnet gai comme vous les aimez puisque ma pauvre poésie vous plaît je le cueille sur mon portefeuille et vous l’expédie 77. Mille tendresses de Cam C’est dans la région Centre, le Pays de la Loire et le Poitou-Charentes que l’on trouve le plus de Chartier. 76 Docteur et ami intime de Camille Delaville. 77 Non retrouvé. 75 1886 25/ [Début février 1886] Ma chérie – (1° que vous étiez jolie hier au soir !). Je réfléchis qu’abrutie par les multiples potins, j’ai peut-être mal compris l’histoire de la traduction en Espagne avec préface 78. Soyez assez aimable pour attendre avant d’en parler que je me sois mieux et clairement renseignée. Sérieusement je voudrais bien mon Passé du docteur, cela devient un peu charentonnesque. Est-ce que je ne pourrais pas savoir où il est ? J’ai oublié hier de vous le dire... C’est si imprévu ce tour de Paris ! Amitiés tendres et mutisme avant plus ample informé. À vous de cœur, Cam 78 La Bibliothèque municipale de Périgueux conserve dans le Fonds Georges de Peyrebrune deux lettres d’Emilia Pardo Bazàn qui font allusion à cette traduction, peut-être celle de Mademoiselle de Trémor (1885), laquelle paraîtra à Madrid en 1887 sous le titre La Seniorita de Tremor. Dans ces lettres, la romancière espagnole, qui se trouve début février à Paris, proposait également à Georges de Peyrebrune de publier son portrait ainsi que la traduction de l’un de ses écrits dans les pages de L’Ilustración de la Mujer. 124 26/ Jeudi soir, Chère amie, J’ai eu une atroce crise hépatique j’ai été très malade mais je suis mieux depuis aujourd’hui je me lève et bientôt j’essaierai d’aller respirer quelques bouffées de printemps. Quelle horreur ! Je ne connaissais pas cela ! Voilà toute fête à l’eau ! On m’ordonne repos absolu de corps et d’esprit. Mille tendresses, Camille 27/ [avril 1886] [Manque le début de la lettre]... romancier de notre époque, aujourd’hui il y a encore Zola et Daudet, mais ils déclinent et vous montez et c’est doux, suprêmement doux, d’aimer ce qu’on admire. Mon petit soldat 79 ne connaissait pas Les Frères Colombe il les a lus et va vous écrire, je lui ai permis en votre nom, son frère un peu plus âgé et qui est ici et va y diriger une Revue qui me concerne un peu, est aussi dans une 79 Étienne, le cadet des frères Bertrand. 125 admiration absolue. C’est génial, s’écrient-ils à chaque instant, comme si je ne le savais pas. Je vous écris un peu à la hâte. Je suis arrivée à un état de faiblesse très cruel dans la journée je vais me coucher quelques heures et je n’ai le temps de rien. Je suis vaillante et m’endormirai sur le pont dans des draps de satin blanc, mais je crois que je m’endormirai pour de bon en cette année de grâce. Nous finissons tous un jour. Il ne s’agit que d’avoir un peu de courage pour saluer gentiment ses amis en partant pour le grand voyage, et se cacher pour pleurer la séparation d’avec ceux qu’on aime, derrière un très grand éventail. Je tâcherai de garder un peu d’esprit pour ce moment-là. Si vous gelez à Madrid 80, ici nous brûlons le chevalier printemps a l’air d’être en réception chez son voisin, ce ruffian d’Été à la chevelure incandescente, on jette les pardessus au fond des armoires et on rêve d’avalanches de fleurs au bord de rivières argentées. Cela ne durera pas – mais enfin ces jours-ci nous brûlons 81. Que pensez-vous des petites et grandes folies de la semaine sainte Madrilène ? Pour aujourd’hui adieu, belle et bonne, je vais m’occuper un peu de ma conférence peut-être est-il temps ? Dans la rubrique « Nos Collaboratrices », elle annonce « la prochaine arrivée à Madrid de [...] Madame Georges de Peyrebrune » (Les Matinées espagnoles, avril 1886, p. 236). 81 On enregistra le 27 avril de cette année 26,5 °C à Paris. 80 126 J’écrirai à la Princesse ce soir. Votre Cam 28/ Paris jeudi soir 13 Mai [1886], Ma bien chère amie, Vous êtes sans doute enfin au sein des champs français mettant en gerbes vos souvenirs d’Espagne 82... J’ai bien compris votre indignation à Madrid, et je voyais d’ici la blanche Isabelle et son phlegme 83... La maman était cependant pitoyable aux bêtes et aux pauvres – mais on dégénère. Pauvre Georges, vous souffrez sur cette terre... que dire ? Que faire à cela ? Le mal est en vous. Moi, malgré bien des luttes et des chagrins, j’aime la vie et je la quitterais à regret maintenant mais c’est elle qui a assez de moi. Je suis toujours dans le même état, et les changements de climat ne me disent rien, ayant ici trop d’attaches de tous genres. J’essaie le traitement d’un médecin russe demain : « C’est du nord aujourd’hui que nous vient la Lumière 84. » Ces souvenirs donneront, entre autres, deux nouvelles : Le Grillon, parue dans Les Matinées espagnoles du 15 mai 1886, et La Duquesa Rafæla, aventure espagnole, parue dans La Revue bleue du 10 juillet 1886. 83 Isabelle-Roma de Rattazzi, fille de Mme de Rute ? 84 Voltaire, lettre à Catherine II, 1771. 82 127 Espérons. J’ai écrit des sottises à Cartillier vous avez vu que cette ignarde et laide violette 85 fait sur l’heure passer au Gil Blas la copie qu’elle présente alors qu’on n’y prend pas la vôtre. Cela dépasse le bon sens. Je ne parle pas de la mienne qui y traîne sous forme d’un roman 86, qui je vous le jure est intéressant, depuis deux ans – malgré les plus absolues promesses. Moi ce n’est rien mais vous. Je vais faire reparaître ma revue Le Passant le mois prochain 87, si j’existe. Voudrez-vous y donner à un prix relativement modeste ce qui vous plaira absolument en n’importe quel genre toute l’année. Je dissimulerai que le journal m’appartient pour qu’aucun Fabius ne s’y introduise ne fûtce qu’avec un quatrain 88, c’est le frère du petit soldat qui le dirigera sous ma direction 89. Ce Passant sera peut-être mon dernier (et mon premier) caprice. Les Abeilles vont merveilleusement, c’est à qui apportera ses 10 francs de cotisation Mina Round. Le Passé du docteur. 87 Paru en 1882, Le Passant n’avait vécu que vingt numéros. Voir le prologue. 88 Allusion au « loquacem Fabius » dont parle Horace, chevalier romain partisan de Pompée (Satires, I, 1, 14). Sous la plume d’Horace, Fabius désigne un écrivain toujours prêt à écrire, un bavard impénitent. 89 Gabriel Bertrand. Celui-ci avait déjà fondé, en 1880, La Revue de France, journal bimensuel du Lot-et-Garonne, qui vécut jusqu’en 1886. 85 86 128 annuelle 90. Même à Mme de Rothschild, je ne demanderai pas plus. C’est vraiment une bonne œuvre. Voici le nom des fondatrices : Delaville Anaïs Ségalas Marie Summer Georges de Peyrebrune Thilda Bissieu C. Patti de Munck Chaperon/Noblet (mes filles) J. Portait 91 Bué 92 Ctesse de Mouzay de Daillens 93 lle M Round par suite d’un malentendu y figurait 94, lorsqu’elle a vu son nom dans le Gil Blas elle a été indignée et s’est plaint véhémentement de se trouver à côté de créatures telles que les Mouzay. J’ai retiré son nom avec enthousiasme. Association charitative dont les membres fondateurs sont cités dans Le Gil Blas du 1er mai 1886 : « Mme Camille Delaville ; M. Gabriel Bertrand, secrétaire-trésorier de l’œuvre ; M. Bué [...] ; Mmes Anaïs Ségalas, Georges de Peyrebrune, Mary Summer, Maurice Reynold, comtesses de Mouzay et de Daillens, Thilda, Bissieu (née Collet), Galipaux, Patti de Munch, Cauvière, Portait, Madeleine Brès, Chaperon, Noblet, Le Grans, La Roue. Médecins : Les docteurs Bissieu, Madeleine Brès, Decaudin. Avocat : M. Isaure Toulouse. Directrice du travail : Mme Jenny Portait. » 91 Il s’agit de sa couturière. 92 A. Bué, ancien officier supérieur, chevalier de la Légion d’honneur. Il participe un temps à La Revue verte. 93 Mme de Daillens est la fille de la comtesse de Mouzay. 94 Elle y apparaît, en effet, sous le pseudonyme de Maurice Reynold. 90 129 Ce n’est pas flatteur pour l’impeccable Mme Ségalas dont le siècle contemple les [mot illisible] du haut de ses pures poésies lui formant un piédestal pour le ciel. On n’est pas plus bête. Mais, Justice divine – 3 jours après, elle si vaillante tombait malade assez gravement et je la crois très atteinte d’un mal bien cruel. Mina ou les fruits de l’Ingratitude, cela aurait été un titre pour un roman de 1820. Mille tendresses Georges chérie, mon cœur est toujours avec vous, Cam Je vais mieux 29/ Paris mercredi 26 mai [1886] Ma belle et bonne amie, Vous avez vu que la pauvre Thilda était morte – cela m’a fait grand peine 95. C’était l’esprit incarné que cette aimable femme, et avec cela elle avait un cœur exquis. La vie n’avait pas toujours été heureuse, il s’en était fallu, elle l’était devenue après bien des larmes et biens des luttes et voilà qu’elle s’en 95 Décédée le 18 mai. Ses obsèques ont eu lieu le 20. 130 va alors que viennent les fleurs de mai dans un rayon de soleil. Beaucoup de ceux qu’elle a obligés, de ceux aussi qu’elle a aimés dit-on, et qui se sont roulés à ses pieds des mois, pour obtenir un baiser, n’étaient pas là... Cartillier m’a exprimé son indignation en termes d’une simplicité tellement extraordinaire que je vais écrire son petit speech pour le placer quelque part. Depuis qu’elle est morte je suis hantée par le souvenir de ses petits pieds d’enfant, chaussés de blanc, tels que je les voyais le jeudi chez elle alors qu’elle se portait bien, et qui vous recevait en déshabillé de satin blanc, la poitrine demi cachée d’œillets roses qu’elle adorait. Chers petits pieds blancs et roses, pieds de fée, sur lesquels plus d’une lèvre s’est posée, qui passe pour laisser tomber des perles... petits pieds mignons et coquets que j’ai pris cent fois dans ma main par plaisir, hier ils étaient glacés pour toujours... aujourd’hui... demain... ? Oh les horribles mystères du cercueil, les luttes épouvantables de la destruction qui se poursuivent hideuses sous la terre couverte de pierres, de gazons, de fleurs, émaillée de la croix d’espérance ! Quelles visions affreuses ! Oh ! Georges ne vous plaignez jamais de n’avoir pas d’enfant, songez qu’on les perd souvent et qu’alors on les met dans ce coffre hideux où 131 leur petit être chéri si souvent baisé par vous, est dévoré par les vers. Quand je pense à cela, il me semble que mes cheveux se dressent sur ma tête. Mais pardon, vous n’êtes déjà pas très riante et je vous parle des horreurs de la mort, changeons vite de sujet. Ce matin je suis allée au Gil Blas, pour le malheureux roman que j’y ai bientôt depuis 18 mois 96... Cartillier a daigné me présenter à M. d’Hubert le nouveau directeur délégué 97 ; jeune serin de la banque, pas désagréable. Comme parler de soi est chose fastidieuse, j’ai tout de suite abandonné ce sujet désobligeant et j’ai parlé de vous – comme je pense. J’ai appris à Cartillier et à d’Hubert que vous aviez fait Victoire La Rouge, et à d’Hubert Les Frères Colombe... etc. J’ai reparlé de la nouvelle perdue 98. En avez-vous le double ? Si oui, je suis sûre qu’elle passerait illico. J’ai promis d’envoyer à d’Hubert Victoire la Rouge ce que je vais faire tout à l’heure. Enfin j’ai dit sans me fâcher la vérité sur vous, Cartillier a appuyé, d’Hubert a été frappé et je l’ai quitté sur l’escalier aimable et charmant sur ces mots : « N’oubliez pas Monsieur que Mme de Peyrebrune vaut à la fois Le Passé du docteur. Nommé le 23 avril 1886, René d’Hubert fut directeur du Gil Blas de 1886 à 1892. 98 Voir ci-dessus la note 224. 96 97 132 Zola et Daudet. » J’ai senti que ce jeune homme avait été convaincu par mes dires avec preuves, lesquels étaient évidemment aussi désintéressés que possible et je crois que si vous proposiez un roman cet automne il serait pris sans explications. Je tiens à vous narrer cela tout de suite. Le Gil Blas paie bien, sa publicité est immense et je voudrais vous y voir comme vous devriez y être, à côté de Zola et de Maupassant. Je crois que je retirerai mon roman pour le donner ailleurs, mais j’espère arriver à y avoir une chronique par quinzaine. Or ma fille cadette dont le mari ne gagne presque plus rien, me dévore tant d’argent que je dois m’occuper d’en gagner un peu. Écrivez-moi. Je vous embrasse comme je vous aime, C. Delaville 30/ Le Vésinet Dimanche 6 juin [1886] Ma bonne et belle, me revoici au Vésinet où j’ai tant souffert l’an dernier et où j’espère me guérir cette année. L’Espérance est immortelle. J’ai installé mes 133 enfants et leurs chers petits dans un joli pavillon que je leur ai loué, lequel est pourvu d’un assez beau jardin et moi, si souffrante qu’il me faut le repos absolu j’ai pris pension 5 rue du Marché au chalet que nous avions l’année dernière et que cette année la propriétaire Mme de Chabrillan habite avec une bonne. Je suis plus libre et plus calme, mais il y a bien des petites choses qui ne vont pas comme sur des roulettes bien que je paie fort cher. J’ai laissé mes bonnes à Paris où je vais souvent parce qu’elles ne s’accordent avec aucunes autres, il arrive que je dépense un argent fou et que je ne suis pas servie selon mes habitudes, néanmoins le principal me satisfait je vais un peu mieux, je bois l’air avec un véritable délice et j’espère sortir de cette infâme maladie. Vous avez dû recevoir une lettre du directeur du Passant ; le frère du petit soldat, mais vous voyez je suis derrière ce directeur, comme direction, seulement je ne veux que personne ne le sache pour qu’on ne m’apporte pas des insanités écrivassées d’hommes et de femmes de ma connaissance. Je ne cherche pas à gagner 10 sous mais je veux une revue où tout soit bon ou parfait et où ne s’ébattent aucun poètes ridicules, aucun article stupide, aucun nom inconnu et pour cause. Le fond c’est Georges, Parodi et votre servante qui jouera de la petite flûte, enfin ce que je 134 puis faire mais un peu amusant je l’espère. Nous paraîtrons le 20 et le 10 cet été, et chaque semaine à partir de la rentrée. Je ne voulais commencer cela qu’à cette époque, mais M. Gabriel Bertrand que cela tentait et qui y met de l’argent désirait tant quitter le Lotet-Garonne tout de suite que j’ai acquiescé. Je ne sais pas dire non lorsque je pense que oui rendrait quelqu’un heureux. Mon Dieu ! Quelle phrase ! Si un homme malveillant lisait cela ! Mais vous me comprenez. Je crains bien de ne pas aller au Pouliguen 99, je me ruine cet été avec ces trois maisons... Pourtant si je place un peu de copie comme je l’espère, j’irai probablement. Il y a une chambre pour vous au pavillon de mes filles, une chambre bien séparée et tranquille, si vous voulez passer quelques jours parmi nous dans votre fugue vous nous ferez plaisir. Le luxe ne règne pas mais c’est confortable. La petite sœur de Mimi, France, que nous appelons le petit doux, est bonne, bonne, c’est un amour d’enfant, Mimi est toujours triomphante, mais pas très commode, on lui dit trop qu’elle est belle. Ne sachant plus que demander, ayant épuisé toutes les séries de gâteaux, de divertissements mondains et autres, elle a demandé... à aller en 99 Station balnéaire située dans le Golfe de Gascogne (Loire-Atlantique). Georges de Peyrebrune s’y rendait régulièrement. Elle s’en inspira pour La Roche aux filles, nouvelle parue en 1885 dans La Revue bleue. 135 pension. On a trouvé une pension ad hoc et demain Mimi ira en pension quelques heures. Elle est dans le ravissement. Je fais des études sur la vieille comtesse de Chabrillan, être au passé extraordinaire et à la cervelle étonnante 100. Elle me donne des conseils, m’apprend que 2 et 2 font 5 avec un sérieux royal et fait des haltères en chemise de nuit à carreaux avec un peigne en forme de couronne de comte. Sur les panneaux s’étalent les armes et la fière devise des Chabrillan : « Antu quelirar que doblar » – plutôt casser que plier – En Espagnol pourquoi ? Le livre héraldique des Morreton de Chabrillan est muet à cet égard. Dans ma chambre, d’ailleurs adorable – celle que j’occupais l’an dernier mais qu’elle a elle habité cet hiver – il se trouve 24 fois son portrait en divers costumes ; 4 fois celui de son époux Lionel de Chabrillan et quelques autres hommes qui... entre autres le Prince Plonplon avec une petite couronne impériale sur le petit cadre en cuivre qui l’entoure 101. Quelquefois elle raconte des choses fort intéressantes, car elle a connu des hommes intéressants mais souvent elle m’agace car elle s’agite et j’ai horreur des gens qui s’agitent. Mille tendresses, parlez-moi de vous, quand venez-vous ? 100 101 Son paraîtra dans Le Constitutionnel du 24 février 1887. Surnom de Jérôme Bonaparte, neveu de Napoléon Ier. 136 Je vous embrasse de tout cœur, Cam 31/ Le Vésinet [samedi] 31 juillet 1886 Ma belle et bonne Georges, J’ai reçu tout à l’heure votre lettre ; mais ma chérie vous êtes pleine d’illusions sur mon style et le reste. Tout cela est des plus ordinaire, je n’ai qu’une seule et unique façon d’écrire c’est d’écrire comme je parle, une seule façon de parler, c’est de parler comme je pense, une simple photographie dépouillée d’art... cela vous intéresse parce que vous m’aimez c’est tout le secret ; mais les autres... c’est autre chose. On m’a souvent dit d’écrire mes mémoires, parce que j’ai vu beaucoup de choses, de gens, de pays et de quartiers, mais cela n’est pas possible. Ce que j’ai vu est presque toujours lié à l’histoire de ma vie. Une histoire creusée dans mon cœur avec des larmes et que je ne veux pas raconter au public, pas plus que je ne me déshabillerais sur la place de l’Opéra ; mais je puis écrire mes souvenirs par chapitre détaché et pour être sûre de le faire, je vous les 137 enverrai ces souvenirs, en vous écrivant, vous me les rendrez lorsque que vous jugerez qu’il y en a assez. Sous ce titre je vais donner cette quinzaine à La Revue verte le portrait de deux femmes bien singulières : Lydie Paschkoff et Carla Serena, Lydie est vivante et Carla est morte l’année dernière en pleine vie et en pleine agitation 102 ; elle m’avait tant ennuyée que l’annonce de sa mort, je l’avoue, ne m’a pas été désagréable. Ces deux femmes ont, ou ont eu, pour profession de voyager dans les pays extras, de remplir le monde de leurs pas, les journaux de leurs noms et les sociétés de géographie de leurs récits. Ah ! À propos Guiomar sur la demande de M. de Lesseps a été nommée membre de la Société de géographie ??? Je ne comprends pas du tout. Est-ce parce qu’elle a été de Lisbonne à Paris, et de la rue Logelbach au quai d’Orléans que le grand français a tenu à ce qu’elle figurât dans cette société dont le but réel est de voyager moyennant quart de place ? Mystère et Panama ! C’est bien plutôt Mme de Rute qui devrait être membre de cette société, une femme qui a déjà légalement à son avoir, 4 nationalités et un fils 102 Camille Delaville se trompe d’une année, Carla Serena est morte en 1884. Elle lui avait d’ailleurs consacré une « Chronique mondaine » (La Presse, 28 juillet 1884). Aucun portrait de ces femmes n’a paru dans La Revue verte. 138 composé en ballon 103... on devrait créer un grand cordon géographique spécial pour ses pacifiques exploits. Merci pour la chronique de La République – d’avance – car je ne l’ai point encore. Oui l’ange des abeilles 104 pontifie encore un peu, et il est grave, mais je crois savoir qu’il a le cœur gros d’en avoir laissé la moitié bien loin de Paris. Ce qui distingue particulièrement les provinciaux des Parisiens c’est l’importance lourde qu’ils attachent à tout ce qu’ils voient ou entendent. Devant eux vous dites en 1883 : « J’aime la lune, j’ai passé plus d’une nuit dans mon jardin à rêver à sa clarté clémente. » En 1887 ils diront : « Mme de Peyrebrune a un grand amour pour la lune, cela explique peut-être un côté de son talent. » « Mme de Peyrebrune aime la lune ? vais-je m’écrier, où avez-vous pris cela ? » Là-dessus, preuves à l’appui et à vous-même qui ne pensez pas plus à la lune qu’aux langes de votre belle-mère. Et ainsi de suite... M. W. est très violent « parce qu’il s’est disputé un jour avec un employé des chemins de fer ». Le provincial a vu la scène, il ne blâme pas D’origine française, elle a épousé le comte alsacien Frédéric de Solms, puis le comte italien Urbain Rattazzi dont elle a eu un fils, et en dernières noces l’homme politique espagnol don Luis de Rute y Ginez. 104 Gabriel Bertrand. 103 139 M. W, mais 20 ans après, il se souviendra du fait et le narrera et en tirera des déductions si W est nommé député. Il collectionne des articles écrits au jour le jour, par des gens qui les ont totalement oubliés et leur en parle à l’occasion, à l’ahurissement des auteurs. Ils ont présent à la mémoire les duels ou intentions de duels de tous les gens qu’ils connaissent et ont pris note de l’année et du mois, où on a servi des déjeuners au Cercle de la Presse, où l’on dînait seulement. Ils ont coupé cela dans un écho du Figaro... cette attention soutenue et perpétuelle aux faits peu intéressants les rend graves. Si je portais tant de choses que cela dans ma mémoire je sens que j’aurais la tête trop lourde pour badiner. Mais tous ces pavés se fondent sous le gaz parisien comme des morceaux de glace au soleil et l’esprit alors redevient net et léger, apte aux gaietés parisiennes faites de nuances, de riens... des bulles irradiées de mille couleurs, disparaissant sans cesse et sans cesse renouvelées. Et comme les provinciaux ont ce que nous n’avons pas, de la force physique et de la ténacité, ils arrivent au bout de quelques années de Paris à être des Parisiens de première qualité, tandis que nous ne sommes que de seconde parce que nous ne nous prenons jamais 140 au sérieux. Eux arrivent à ne plus prendre rien au sérieux hormis eux-mêmes. C’est une force immense ! Adieu pour aujourd’hui ma chère Georges... Pourquoi n’êtes vous pas ici au lieu d’être à Chancelade 105 ! Mille tendresses de votre Cam Ah ! Oui tâchez de me suggérer la guérison car je suis bien lasse de la maladie qui ne me quitte pas. La suggestion est le seul remède encore non employé par moi. Le roman de Lachaud m’amuse quant à celui de Monteil 106 ! Que dites-vous de ce ministre de la guerre, un maréchal de France qui passe la plume à sa maîtresse en disant : « Tiens, mignonne, signe cela pour moi » et cela à brûle-pourpoint, comme il dirait « Sonne donc l’huissier ! ». C’est d’un vécu ! 32/ [écrite à l’encre turquoise] Hélas ! Je suis toujours presqu’aussi malade. Pourtant j’irai vous voir si je peux. Oh ! Que je suis fatiguée ! Bien heureuse de vous savoir ici bien heureuse. Pas soleil, à peine Lune avec nuages. Votre Cam Résidence familiale et estivale de Georges de Peyrebrune, située en Dordogne. 106 Cabotinage, de G. Lachaud, et La Bande des Copurchics, d’E. Monteil. 105 141 33/ [écrit sur le bord gauche : Je vous écrirai demain] Le Vésinet [lundi] 16 août 1886 Chère belle et bonne, Oh ! Non ! Pas Aix 107 ! J’ai répondu à la lettre annuelle me conviant à de lointaines agapes, ce que vous devinez. Voici un an que j’ai écrit à la folle princesse une lettre toute semblable... Je vous assure que malgré ma gaieté et ma philosophie je me penche avec consternation sur moi-même. Toujours aussi bêtement malade. L’été dernier je me souviens que je contemplais longuement deux prunes chez le voisin ; deux prunes auxquelles tremblaient des gouttes de pluie les jours d’orage ; ces prunes furent longtemps mon horizon. Mais par delà il y avait cet horizon radieux qui se nomme l’Espérance ; mes prunes étaient au seuil voilà tout : mourir dans une crise ou guérir. Cet été l’horizon de mes yeux s’est élargi ; ils voient des fleurs, des fruits, de l’herbe puisque je peux sortir de la maison, mais l’autre horizon celui dont le vert est plus doux que l’émeraude 107 Lieu de villégiature de Mme de Rute. 142 des plus fraîches feuillées de mai, l’Espérance, n’est plus au-delà. Ne pas mourir, ne pas guérir ! C’est la plus écœurante des déceptions que les heures me versent goutte à goutte. Mais laissons le moi haïssable surtout lorsqu’il s’agit d’un malheur aussi peu intéressant que le mien. Ah ! Chère ! J’avais deux chats charmants que j’adorais. La mère et le fils. Un voisin me les a tués tous les deux et le second sous mes yeux parce que des marches de mon entrée on voit chez ces monstres. Mais un coup de feu... comment l’arrêter ? Il n’y a aucun magistrat ici. J’ai dû déposer ma plainte à Saint-Germain chez le juge de paix. Je ne vous décrirai pas l’état dans lequel nous avons été tous ici, mes filles comprises. Je passe ma vie à chercher quelle vengeance personnelle je pourrais tirer de cet homme abominable. Un père de famille qui donne un petit fusil à son fils âgé de 12 ans et lui dit : « Tire, tire, va ce sera un de moins quelle chance ! » Cela fera un joli personnage ce gamin. En fait de bête je n’ai plus que le mince et bruyant Saïs 108 et 3 tortues que m’a apportées M. Étienne Bertrand, deux minuscules et une plus grosse, les chercher parmi les légumes et les herbes est une de mes occupations les plus 108 Chien de Camille Delaville. 143 intelligentes. Le Roman d’une tortue. Elles vont viennent se dépêtrent, elles ont peut-être un cœur qui aime, ces malheureuses condamnées à l’éternelle armure... Les miennes ont pour nom : Lucrèce, Virginie et Zoé. Vous avez vu que mes jeunes amis 109, un d’eux du moins, a immédiatement suivi votre conseil, et il a fait gai. On a mis cette piécette en brochure, ça se vend 110... Je les incite beaucoup au travail et au travail pratique, fût-il d’un genre peu élevé, Spada fait bien et très facilement le vers, je lui ai tant dit qu’il s’est décidé à aborder le genre monologue – c’est bon pour le faire connaître – et se faire connaître est tout hélas ! à notre époque. À toutes (les époques) d’ailleurs, qui célèbrera l’orient d’une perle restée dans un coin de la mer dans une huître ? Qui est-ce qui discutera le livre que nul n’a lu, s’enivrera d’un parfum non respiré ? Et si la beauté d’Hélène avait été enfermée au fond d’un palais derrière des portes de cèdre, la guerre de Troie n’aurait point donné à Homère l’occasion de faire un chef-d’œuvre. Je vous copierai le 1er monologue du petit soldat. 109 110 Les frères Bertrand. La saynète tragi-comique parue dans La Revue verte du 10 août 1886, intitulée Sarah-la-cravache et signée Spada ? 144 Il est arrivé à Paris avec du talent et point d’esprit – une sauce où on aurait oublié le sel. J’ai tant crié contre les belles phrases lamentables... et ennuyeuses que l’esprit lui est poussé, le terrain étant fertile probablement. Cela m’intéresse beaucoup le lancement de ces deux provinciaux très intelligents mais provinciaux à la 99 e puissance, avec des idées faites sur tous les X qu’ils ont jugés du fond du Lot-et-Garonne en dernier ressort. Naturellement quand ils seront arrivés ils seront ingrats c’est écrit... mais c’est si bien nature que je ne leur en voudrai pas. Point vu Rachilde, elle m’a écrit qu’elle travaillait à outrance pour livrer un roman qui doit lui assurer sa très petite pitance à cette pauvrette. Je lui ai envoyé un modeste collier pour sa fête 111. Ah ! À propos. La Revue verte vous doit des grains de mil puisqu’elle ne peut encore vous offrir des grains d’or. Figurez-vous que j’avais envie de (comment dire honnêtement. Je ne dis pas) de... votre adorable nouvelle 112 avec une belle toilette de soirée brochée vieil or ou sur fond noir avec pampilles d’or laquelle vous serait faite par la Rachilde étant le pseudonyme de Marie-Marguerite Eymery, sa fête devait donc tomber le 15 août, jour de la Sainte-Marie. Quant au roman en question, c’est sans doute La Marquise de Sade. 112 Cette nouvelle, Josée-Marie-Lise, paraît en feuilleton dans La Revue verte du 10 juin au 10 août 1886. Pérégrine (Mme de Rute) en rend compte dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles du 15 octobre 1886. 111 145 faiseuse du corsage rouge. ???? Ah ! Voilà ! J’ai fait prendre cette pièce d’étoffe pour faire une robe de cour ad usum rex Portugal 113. Je n’ai point été au pays des oranges et n’irai pas et ne ferai jamais faire la robe dont la coupe gémit chez Mme Portait 114. Si ça vous va – elle vous fera une toilette merveilleuse avec et vous me donnerez quittance de M. J. L 115... puis nous passerons à des règlements plus normaux. Pas le moindre abonnement n’est venu des lieux que vous me citez mais envoyez tout de même des adresses cela viendra, il faut de la patience. Adieu chère adorée. Je vous envoie mes plus chaudes tendresses. Cam 34/ [21 août 1886] samedi soir, Ma bonne et chère amie, J’ai été si malade encore, si absolument malade, « À l’usage du roi du Portugal » en latin de cuisine ? Sa couturière. 115 Son notaire. 113 114 146 que je ne vous ai pas récrit comme j’en avais l’intention. Quelle vie messeigneurs, quelle vie ! Puis aujourd’hui il y a du mieux (du plus mal n’était guère possible). J’en profite bien vite pour bavarder avec ma chère Georges. Je rêve bains de mer depuis quelques jours, malgré les dépenses insensées qu’impose ma sotte maladie, j’en gémis, mais j’ai une âpre envie d’être guérie. Physiquement et moralement je n’en peux plus. Dans ma tête toujours valide tourbillonnent les idées, les conceptions d’œuvres quelconques ; des vers effleurent mon oreille comme des vols d’oiseaux, mais je ne puis rien écrire, une incommensurable fatigue me ligote, je ressemble aux chiens qui, étendus dans une chambre et endormis, rêvent qu’ils courent... on voit passer les frissons de marche dans leurs membres immobiles, mais ils ne bougent pas et continuent à dormir... seulement eux se réveillent et moi je me réveille pas. Je me suis mise au champagne – rien que du champagne (coupé d’eau) comme boisson nuit et jour 116... et les bouchons sautent ! Et c’est lugubre cette boisson joyeuse, cet esprit en bouteille comme dit Mme Ségalas, pétillant auprès de mes misères... Mes forces vont juste, jusqu’à faire des fables 116 Ce traitement rappelle celui que le docteur Augros avait administré à Olympe Audouard souffrant alors de péritonite aiguë (voir le septième chapitre de son Voyage à travers mes souvenirs, 1884). 147 à Mimi qu’elle me récite avec une petite mine importante et des yeux tout flambants. Oh ! Ce serait si dommage de quitter cette chère couvée ! Je vous envoie ce spécimen de mes moyens actuels 117. Madame de Daillens m’écrit qu’elle va aller avec sa mère à Arcachon... Si j’allais à Arcachon ? Les petites Cartillier et la comtesse Pallaniccini sont à Dieppe, si j’allais à Dieppe ? Si je n’allais nulle part ? Les petites plages me sont interdites, le chemin de fer n’allant pas jusqu’à elles, c’est pourtant leur solitude qui me serait bonne. Mme de Daillens date sa lettre de Roches Prémarie par la Ville-Dieu-du-Clain Vienne. Cette adresse est superbe c’est un roman en deux lignes, elle me dit entre autres choses ceci : « Merci du charmant programme d’existence et des choses trop bienveillantes que vous y ajoutez (vœux de fête pour la Sainte-Marie). Je tâche de le réaliser et c’est... et enfin en étant toujours en blanc... » Qu’ai-je pu lui souhaiter qu’elle essaie de réaliser en étant toujours en blanc ?... Je suis effrayée, ma tête aurait-elle eu une lacune ce jour-là ? Ma chérie que faites-vous de beau, vous qui pouvez travailler ? J’ai vu Cartillier, il y a 3 jours, il m’a dit qu’il était décidé qu’on vous demanderait un roman au Gil Blas d’ici peu... 117 Allusion au tissu mentionné dans la lettre précédente en guise de rémunération. Le coupon n’a pu être retrouvé. 148 Enfin ! Il est convenu depuis trois mois que je leur donnerai une nouvelle de 3 feuilletons dont j’ai le scénario en tête et qui a pour titre : Noir. Mais pouvoir l’écrire c’est autre chose ; elle est très originale je crois. Adieu pour ce soir chère Georges, je vous embrasse tendrement, Cam 35/ Vendredi [27 août 1886 ?] Ma bonne chérie, Pressée parce que je vais à Paris par nécessité je ne vous écris qu’un mot – pour M. J. L. Vous aurez les grains de mil vers le 19 septembre. J’ai encore été excessivement mal aujourd’hui c’est moins terrible. Pauvre amie ! Vous aussi malade c’est désolant ! Il faudra que nous arrivions à nous deux à sortir de cet état de chose stupide de demeurer où il ne vous plaît pas d’être. Si vous veniez passer ici au Vésinet avec moi 15 jours ou 3 semaines comme qui dirait du 7 ou 8 au 25 septembre. Vous seriez libre comme l’air. Je vous installerais aussi bien que possible. Je me décide à ne pas aller à la mer. 149 Adieu pour aujourd’hui à vous, Cam Quel plaisir de vous faire moi-même une cuisine anti-méridionale à votre goût ! 36/ Le Vésinet lundi 6 septembre [1886] Pauvre amie bien aimée, c’est navrant de vous savoir dans cet état avec du travail sur la planche... non sur la table. Moi j’ai eu depuis ma dernière lettre une fièvre mêlée de fièvre paludéenne, cela par une grosse chaleur, c’était épouvantable ; me voici un peu mieux mais bien faible toujours. Je regrette beaucoup, beaucoup, de ne pas vous avoir un peu ici, je ne vous aurais pas tourmentée moi ! Le petit soldat est parti aux grandes manœuvres il m’a chargée de ses remerciements et respects pour vous. La Revue verte publiera dans le prochain numéro des vers de lui sur la mort de la baronne Julie de Rothschild qui sont beaux 118. Je l’ai prié de payer ma dette à cette admirable créature, qui a sur ma demande 118 Parus le 10 septembre sous le titre « Vers pour la baronne douairière James de Rothschild » et signés Étienne Bertrand. 150 donné à tant de gens – non des pauvres – mais pis des gens bien élevés mourant de faim. La Princesse au rire de mouette, m’a écrit qu’elle avait enfin lu La Femme jaune que c’était un chef-d’œuvre (tout bonnement) qu’elle était navrée de n’en avoir pas parlé dans la bibliographie, que c’était de la faute de Charlotte (!!!) et qu’il fallait en faire une pièce. Si cet excellent boa n’était pas la bienveillance même je dirais : elle devrait se charger du rôle... mais... Je viens d’envoyer quelques mots à Quatrelles à propos de son article des audaces pour lui dire que si le culte n’est pour lui qu’une affaire de politesse envers Dieu, il peut simplement dire aux pauvres de se faire protestants 119. Dans notre église rien ne se paie ni baptême ni mariage ni enterrement. C’est plus simple que de construire des temples blancs et noirs qui rappelleraient l’exposition de ce nom 120. Cette nécessité d’un culte d’ailleurs me paraît si illusoire ! C’est comme la nécessité des avoués ! Avez-vous lu le récit de toutes ces morts et maladies par insolation, des réservistes et soldats de la ligne ? Est-ce assez bête et assez cruel d’exposer sans nécessité des jeunes Ernest Lépine, collaborateur au Figaro et à La Vie Moderne, signe Quatrelles l’article « L’Égalité devant l’autel » (La Revue bleue, 4 septembre 1886). 120 Exposition organisée du 15 mars au 15 avril 1885 au pavillon de Flore par le journal Le Dessin. Étaient présentés et récompensés des ouvrages en blanc et noir : fusain, plume, (eau-forte, lithographies)... 119 151 gens à périr stupidement lorsque ces exercices peuvent être reculés d’un mois sans le moindre inconvénient. Je pense aux mères dont les fils sont morts au coin d’un champ en pleine paix parce que le ministre de la guerre n’a pas songé à la chaleur. Comme je comprends le meurtre du meurtrier par ces mères 121 ! Je ne peux pour ainsi dire pas travailler aussi je tire de vieilles malles de vieux romans. Je viens d’en extraire un que je donnerai à un journal quelconque. Il s’agit d’une femme qui aime éperdument, pendant 20 ans un homme auquel elle n’appartient pas et est guérie de son amour en une ½ heure... en lui appartenant 122. Ce n’est pas bien remarquable mais enfin ça vaut les autres que vous savez. Il faut que je gagne un peu d’argent ma revue ne rapporte encore rien du tout et je n’ai pas pu toucher les 20 mille francs que je comptais consacrer à sa fondation, de façon que je prends cela au jour le jour sur mes revenus, de plus Rosine a un mari qui de moins en moins retrouve des travaux, il ne faut pas qu’elle soit privée elle et les siens d’une brioche parce que j’ai eu l’idée de refaire une revue, ce serait immoral. Je vais essayer d’équilibrer tout cela. Elle évoquera cet incident dans son « Courrier de Paris » (Les Matinées espagnoles, 16 septembre 1886). 122 S’agit-il des Amours de Madame de Bois-Joly ? 121 152 Si vous saviez tous ceux qui vivent de mon ombre... aussi lorsqu’il y a le moindre accroc dans mes petites affaires, je suis hors de moi. Je vous raconte tout cela comme à ma meilleure amie ; cela fait du bien de confier ses petits tracas. Soignez-vous, soignez-vous, soignez-vous... Je n’irai pas à la mer non par économie pour cela mon conseil judiciaire me donne toujours ce qu’il me faut avec preuve que j’y suis, mais parce que j’espère en ce mois des apaisements estimables, pouvoir, si je vais mieux travailler un peu, remettre des manuscrits en ordre etc., etc. en vue de quelques gains. À la campagne on est plus tranquille et si ce n’étaient mes enfants qui seront à Paris, j’y passerais l’hiver. Mille tendresses pauvre belle et adorable amie, Cam 37/ [jeudi ?] Je vous envoie un volume de moi ou que du moins M. Gabriel Bertrand a repêché par hasard car je n’en avais pas un exemplaire pour le faire rééditer à l’occasion 123. Il a eu plusieurs éditions et beaucoup de succès 123 Sans doute La Loi qui tue, paru en 1875 chez Aymot. Voir le prologue. 153 il y a fort longtemps comme vous voyez. Tout est copié sur du papier timbré, hormis le roman de pure imagination. Soyez assez bonne pour me le rendre avec un soin jaloux. Je n’ai que celui là !... Peut-être vous intéressera-t-il. D’ici 2 jours je vous en enverrai d’autres, ils sont tous chez mes filles ou chez des amies. Pardonnez-moi, hier je devais avoir l’air idiot je m’étais réveillée à votre coup de sonnette et mes idées étaient à la pâte de guimauve. Si je pouvais avoir les épreuves de votre préface je ferais quelque chose pour le prochain numéro de La Revue verte 124, heureuse de parler de ma meilleure amie – elle a raison cette méchante princesse – oh ! Méchante. Votre Cam 38/ Samedi matin, Chère et belle Georges, La vie nous réserve plus d’imprévus que les 124 Georges de Peyrebrune écrit une préface au Livre de Minuit, recueil de pensées d’Arsène Houssaye, qui paraîtra en 1887 chez Ollendorff. Aucune trace de cette préface dans La Revue verte. 154 romans de Ponson du Terrail 125. Mercredi je me suis couchée les yeux et le cœur plein de deux sourires, le vôtre et celui de l’été que vous aviez apporté ici comme la fée Gracieuse dans un pli de votre robe ; le lendemain matin ma pauvre Margot m’arrivait tout en larmes avec sa petite France menacée d’une angine couenneuse 126, au moment où j’inspectais ravie mon jardinet, brillant de soleil et de rosée et encore imprégné des senteurs de l’aurore. Il s’agissait d’isoler la petite mignonne France, des autres babies pour qu’ils fussent à l’abri de la contagion. Le mal semble s’être arrêté, le médecin assure que cette affreuse angine n’est plus à redouter, mais l’enfant a la plus haute fièvre que puisse avoir un baby et mille autres accidents... c’est bien triste. Elle ne quitte pas sa mère d’une seconde, nuit et jour celle-ci est accrochée. Feydeau a une expression qui m’a frappée, il dit : Un sommeil d’esclave et de mère. C’est en effet absolument la même chose. Je suis campée dans le salon, atteinte moimême de la fièvre néanmoins j’irai à Paris 2 h pour affaire tout à l’heure mais n’aurai pas le Faut-il rapprocher cette expression de celle, identique, employée dans le « Courrier de Paris » du 15 septembre 1886 ? Au sujet de faits divers particulièrement sanglants, elle écrit : « En fait de distractions d’été, nous avons à Paris une série de crimes variés à contenter les plus remarquables descendants de Ponson du Terrail et de Gaboriau » (Les Matinées espagnoles, 15 septembre 1886, p. 146). 126 Angine blanche. 125 155 temps ni la force je le crains d’aller vers vous. Mille tendresses mille mercis pour tout. Votre Cam 39/ Ma chère Georges, Voilà ! J’ai été bête sur le moment. C’est la première fois qu’on m’avait proposé une chose aussi étrange, mais je me suis calmée illico, j’ai écrit une petite lettre polie à M. Bérardi où je lui disais que j’irais le voir et m’entendre avec lui sur les changements à faire 127. J’ai collé ma lettre sur La Femme jaune mais je n’ai pu m’absenter hier et je ne sais si je pourrai aujourd’hui ; je crois donc que je vais lui réécrire de faire tout ce qu’il voudra bien que cela me soit désagréable de voir mon nom sous une cuisine aussi extraordinaire. Merci toujours. Vous savez chère, que si je vous ai envoyé des livres c’est que vous aviez demandé sur l’heure... Gardez La Loi qui tue en priant Clochette de ne pas la lire. Merci encore et à vous, Cam Après minuit j’irai rue Logelbach. 127 Gaston Bérardi, directeur du quotidien L’Indépendance belge depuis 1884. 156 40/ Arcachon Grand Hôtel [septembre 1886] Chère, je cherche ici un peu de santé – Je suis plus malade. Je ne vous écris pas mais je pense sans cesse à vous. Je pense que vers le 17 vous recevrez les grains de mil pour votre collaboration. Je n’ai que la force de vous dire : Je vous aime de tout mon cœur, donnez-moi de vos nouvelles. Cam Grand Hôtel [En travers de ce feuillet : Il fait un temps superbe mon balcon donne sur la mer, tout est tiédeur et poésie – Hélas ! Et je souffre et je suis lugubre de cette souffrance sans répit.] 41/ Samedi [fin octobre 1886 ?] Ma chère Georges, je suis contente, Rachilde est venue me voir, elle m’a lu La Marquise de Sade. Le nom n’a rien à voir avec le livre 128. 128 Malgré le titre, il n’y a aucun lien avec le « Divin Marquis ». Ce roman, d’abord paru dans Le Décadent le 2 octobre 1886, est publié chez Monnier & Cie la même année. Camille Delaville en fait la critique dans La Revue verte du 15 octobre 1886 : « c’est une histoire très chaste qui contient des révélations curieuses sur des personnes très connues. » 157 C’est une œuvre enfin ! La première partie est pleine de passages à la Daudet dans le genre de Sappho. Une admirable observation. C’est admirablement écrit aussi ; malheureusement la seconde partie est une sauce d’imagination au goût du public d’aujourd’hui et pour moi ne vaut pas la 1ère partie, mais enfin, voilà cette enfant sortie de l’ornière ; si elle continue comme cela, elle marchera presque dans votre sillage lorsqu’elle aura abandonné le goût du jour. Un goût déplorable. Les étoiles les plus brillantes reflétées par des ruisseaux sales, cessent d’être belles. Si par une chance inespérée cela se rarrange à la R. F. faites-le-moi savoir 129. Je comptais tout à fait sur la petite somme à percevoir, j’avais pris mes dispositions en conséquence et cela me gêne fort. Je crois que vu la chance de ce roman, je vais le mettre au feu avec enthousiasme s’il ne paraît pas là. La Princesse est venue me voir hier en costume d’ombrelle – dentelle noire appliquée sur de la soie gris perle. Devant Constantin 130, Rachilde et divers, elle a parlé du mari de Charlotte 131 dont Georges de Peyrebrune a fait paraître un article, « Les Espagnols à Paris », dans La République française du 26 septembre 1886. Elle y parle de la duchesse Vlada de Medina-Celi y Santestevan, de M. Canovas et de M. Castelar, mais pas de Mme de Rute… qui s’en offensa ! 130 Le comte François-Victor de Constantin. 131 Le baron Edmond de Lesdains, épousé en 1886. 129 158 la présence compromettait l’avenir politique de M. de Rute !!! (et cela spontanément). Et elle nous a débité évidemment des mensonges gros comme des potirons. Elle avait de longues boucles d’oreille et un chapeau de fillette. Cette femme est un monde. (L’ancien). Quelle est celle de vous ou de moi qui mettra cette créature en pied quelque part 132. J’ai envie de le faire sans exagérer, en atténuant même mais pas sous mon nom. Ah ! Ma bonne Georges, que c’est bon d’aimer d’honnêtes gens au cœur droit et au regard clair et franc qui ont l’allure tranquille et dont la croupe, comme le monstre qui déjeuna d’Hippolyte, ne se recourbe pas en replis tortueux. Si je fais ce livre il aura pour titre : Syrène. Mais mes filles elles-mêmes ne sauront pas que je l’ai fait. Je vous embrasse comme je vous aime, Cam 42/ dimanche [novembre 1886] Chère, ceci a été retourné à la revue à cause de l’adresse, M. Bertrand me l’a apporté je n’ai pas 132 Si elle ne mena jamais à bien ce projet, d’autres l’ont réalisé : ainsi Catulle Mendès dans La Maison de la vieille (1894) trace son portrait à l’acide sulfurique sous le nom de Carla-Lola Hess Cadour ; elle fut également la baronne Dinati du Prince Zilah (1884) de Jules Claretie, et la princesse Badajoz de la Madame Meuriot (1890) de Paul Alexis. 159 reconnu votre écriture et je l’ai ouverte, mais j’ai immédiatement reconnu en dedans au 1er coup d’œil. Si vous attendiez des places !... Il n’y a pas de cours Saint-Georges à Paris – Pas question. Il y a rue Saint-Georges et square d’Orléans dans la rue Saint-Georges. Hier j’ai été chez la Princesse où longuement elle et Charlotte m’ont parlé de l’incident. Je crois que Charlotte a écrit spontanément, elle a été froissée pour elle aussi de ce que vous lui aviez dit, la Princesse dit que vous êtes un ange et qu’elle n’avait dit que des riens qui ne signifiaient rien, sur vos grandes qualités et votre immense talent. En somme toute l’affaire c’est de n’avoir pas parlé d’elle dans la R. F. – et malheureusement toute explication à cet égard est bien pire que la chose elle-même 133. Barletta a été charmant, je n’ai pu aller à l’Opéra, il m’a fallu rentrer presto ici – même que mes cavaliers qui par politesse ont voulu me ramener tous deux ont été navrés de s’en aller, surtout le petit 134... puis cette nuit en me levant, peu éveillée sans doute je me suis trompée dans l’ombre... de siège et suis tombée par terre en arrière sur un broc, vous voyez cela d’ici, dans un torrent d’eau, contusionnée par Allusion à l’article de Georges de Peyrebrune « Les Espagnols à Paris » dans La République française. 134 Étienne Bertrand, le « petit soldat ». 133 160 cette chute et dans un moment très... très... enfin. Les flots qui inondaient la chambre étaient rouges... Il y a une veilleuse, enfin je ne sais pas j’aurais pu me casser les reins. À lundi c’est-à-dire demain ma bien bonne et belle Georges. Oh ! Ces Ensevelis quel chef-d’œuvre 135 ! Je pourrai faire une étude dans le numéro du 29 n’est-ce pas ? N’oubliez pas le 31 déc. – tombola – et le vendredi 24 (jour) si vous avez des enfants à m’amener – arbre de Noël. Puis c’est gentil ! On les fait danser des farandoles 136. À vous, Cam 43/ Mercredi soir Combien vous faut-il ? Je pourrais m’occuper de cela, et dans quelles conditions ? Quel ennui que cette revue couleur de chou me dévore la plus grande partie de ce que j’ai ! Sans cela !... Je vais assez mal mais inutile de s’appesantir là-dessus ! 135 136 Feuilleton paru dans La Revue bleue. La Revue verte parle d’une centaine d’enfants réunis autour d’un arbre de Noël chez Camille Delaville le 25 décembre. Parmi eux se trouvaient ses petits-enfants, Marthe Chaperon et Jacques Noblet, la famille de Catulle Mendès et la dernière-née de la Princesse, Lolita de Rute. 161 Écrivez toujours un mot à Mme Parodi n’estce pas 137 ? Elle est si intéressante, si pleine de mérite. 78 bd des Batignolles. Si je n’étais pas malade je me serais bien remise à l’italien avec vous, je l’oublie un peu tous les jours mais... j’ai bien d’autres soins hélas ! C’est bien ennuyeux de travailler comme vous le faites, mais je trouverais cela très doux même malade si j’avais le placement de mes ours 138. J’en ai encore sur la planche et je suis dégoûtée de continuer ce métier bête. À vous de cœur, Cam 44/ Lettre accompagnant une lettre de Mme Parodi datée du dimanche 5 décembre [1886] Chère, nous avions oublié hier l’italien voici une lettre qui d’avance répond à vos désirs 139 ; écrivez à cette pauvre femme pour la rassurer. Il y a quelque exagération dans ses terreurs, elle est fort savante, parfaitement élevée, fille d’un homme célèbre, l’auteur dramatique d’Asté, femme d’un homme de talent, et elle-même une personne Fille de l’auteur dramatique Hippolyte d’Asté et épouse du dramaturge Alexandre Parodi, lequel collabore à La Revue verte. 138 Œuvres, en langage populaire. 139 Georges de Peyrebrune entend prendre des cours d’italien en vue d’un prochain voyage. 137 162 très supérieure nullement déplacée auprès d’une romancière de grand talent... Heureusement que les gens célèbres ne produisent pas cet effet à tout le monde car ils seraient sans cela, obligés de faire leur cuisine eux-mêmes et de vivre dans une quasi solitude ; plus brave que la pauvre Mme Parodi j’avoue que votre présence ne me gêne pas du tout, et qu’elle m’est même infiniment agréable. J’ai passé une nuit terrible. Ce matin je suis bien éreintée mais ça va se remettre et vendredi je serai sur pied. Mme Parodi demeure 78 bd des Batignolles. Mille tendresses de votre Cam 45/ Samedi, Ma belle Georges, J’ai laissé ma dentelle dans la voiture... une belle dentelle presque neuve... avez-vous recueilli l’orpheline ? Avez-vous le numéro de la voiture ? 163 Un petit mot de réponse SVP. En rentrant je suis tombée dans les bras d’Olympe Audouard que je n’avais pas vue depuis un an, faites-moi penser à vous raconter la confection de son nouveau roman (qui du reste roule sur une idée admirable), c’est très drôle 140. Nous avons causé de Mme de Rute un instant. Elle la trouve affreusement méchante. Elle est si bonne elle la pauvre Olympe. À elle aussi elle disait : « Je suis la bonté armée », « Non, lui répondait Olympe, la méchanceté armée vous voulez dire ». À lundi, votre Cam J’ai écrit à Mme Parodi. 46/ Dimanche, Ma bien chère amie, comme je vous ennuie !... J’espère aller chez vous demain mais... sous l’influence de la neige probablement bien que je n’aie pas bougé hier, ça ne va pas du tout, ou plutôt ça... n’insistons pas... Je veux donc vous dire que je ne crois pas possible que ma lettre adressée rue Richer ait pu froisser M. Bérardi, elle était excessivement 140 Singulière nuit de noces, drame de la Vie parisienne, édité fin 1886 chez C. Marpon & E. Flammarion. 164 douce. J’émettais un premier mouvement d’étonnement, immédiatement suivi de mon acquiescement au désir de L’Indépendance représenté par M. Bérardi. Depuis j’ai reçu une lettre de son secrétaire faisant mention et de celle-là et du mot envoyé rue Vernet avec une lettre de Mme Rouvier collaboratrice pendant 20 ans du journal 141, quelques lignes – et me disant que Bérardi en avait pris connaissance et le chargeait de m’annoncer sa visite en courant de novembre pour s’entendre. C’était clair et précis et faisait suite à cela ; je n’ai rien répondu ; mais hier la politesse m’obligeait à répondre à la lettre très courtoise de ce Belge à désinence italienne, je l’ai fait d’une façon gaie, en lui rappelant les faits et en le remerciant de sa courtoisie, sans discuter en rien le fond de la question. Je comprends toute l’humilité que l’on doit mettre en certaine circonstance, mais pourtant il n’est pas possible que je feigne d’avoir inventé cette lettre... cela dépasserait les bornes, surtout vous, me l’ayant transmise. Je crois deviner qu’il n’avait pas chargé du tout Reinach de vous l’expédier pourtant M. Reinach était précis. Quoiqu’il en advienne, je n’en serai pas fâchée, puisqu’une fois de plus, cela m’aura donné une occasion de vous aimer un peu plus pour votre inépuisable bonté et affection. 141 Connue sous le pseudonyme de Claude Vignon, elle est alors la correspondante de L’Indépendance belge à Paris. 165 Que je guérisse, et peut-être je reprendrai ma petite place. Dans ce moment ceux de mes amis qui sont dans les lettres, ont complètement oublié que je tiens une plume – vous êtes en dehors de ces faits bien entendu. Je ne suis pas tellement angélique que je n’en éprouve pas quelque amertume, mais j’espère bêtement que cela changera peut-être un peu pour mon amour-propre, beaucoup pour ma petite Rosine qui, mal mariée a besoin de moi. La Princesse hier est entrée ici en me disant : « Vous avez dit à Mme de Peyre... etc. » Non – Si ! – Elle m’a dit qu’elle ne dansait pas etc. Alors j’ai glissé : « Mais ma chère vous ne l’avez pas dit qu’à moi ! » Je crois qu’elle va faire une scène à cette infortunée Round qui ne saura pas d’où cela lui tombe. Charlotte lui a répété ce que vous lui aviez dit, mais en le mitigeant et en lui donnant comme point de départ la décoration demandée pour M. Emery 142. A-t-elle ou non compris que vous aviez voulu dire que votre mari blâmait vos rapports avec elle parce que je n’ai pas pu définir. Peut-être faudrait-il se méfier de Charlotte ? Comme on est heureux de n’être ni méchantes ni perfides. Je vous embrasse de tout cœur, Cam 142 Époux de Georges de Peyrebrune, qui réside en Dordogne. 166 C’est ma chancelière que j’avais en main ma dentelle était dans une excavation de la voiture devant 143. 47/ Vendredi [27 décembre 1886] matin, Chère, je voulais vous écrire hier mais voilà que j’ai été malade – et cette nuit donc ! Peut-être vous verrai-je ce soir, je serais bien contente. Lorsque vous entrez il me semble que je vois un bouquet qui sent un doux parfum. Le composé de votre visage, de votre sourire, de votre amitié qui est toujours veillante et vaillante, de votre talent que je ne puis oublier, forme pour moi un tout, qui se traduit par cette sensation là. La Princesse aux cabochons n’a pas reçu hier elle m’a envoyé une carte télégraphique de sa main fort gracieuse pour m’en prévenir 144. Je ne sais donc rien de nouveau de cette armée belligérante. Naturellement je n’ai plus eu aucune notice des Bérardi et Cie en rangeant des papiers, j’ai retrouvé la lettre claire et nette de son secrétaire, je l’ai envoyée à M. Bérardi avec quelques mots polis, mais destinés à lui faire comprendre que je n’étais ni une sotte ni une personne habituée à être traitée de cette façon. 143 144 Lourde cravate dont la mode a été lancée au XVIIIe siècle. Il s’agit de Mme de Rute. 167 Maintenant où est mon manuscrit ? Si après l’avoir retiré du Gil Blas, avoir reçu des grossièretés de L’Indépendance belge, il est perdu... comme je n’en ai pas de brouillon ce sera le comble. Si vous pouviez le savoir, cela me plairait assez, d’être fixée sur ce malheureux colis. Oh ! Vous seriez bien gentille d’écrire un petit mot à Ollendorff pour le prier de donner des ordres pour qu’on fasse le service des livres à La Revue verte qu’il reçoit très régulièrement je dois acheter les livres dont je parle, cela ne m’est jamais arrivé, il y a comme un sort contre mes affaires dans ce moment. J’ai vu Ollendorff très peu, mais un peu lorsqu’il m’a refusé d’éditer La Femme jaune en me demandant autre chose – cette autre chose je le fais maintenant : L’Histoire d’un homme. Cette fois je crois que ce sera son genre, l’excellent Sigaux est un âne et un ange, mais comme il n’a pas de magasin de vente, ce qui est publié chez lui est à peu près perdu, les autres éditeurs ne le vendent pas, et même dans les gares on cache ses livres, je l’ai constaté avec douleur, on m’a montré le tiroir !... Pour la tombola du 31 je vous mets à contribution de deux volumes de vous, à votre choix avec votre signature sur le 1er feuillet... Il 168 faut toujours exploiter ses amis. Je parlerai très longuement des Ensevelis et de vous dans le numéro du 10 janvier – un bel article si je peux. La Princesse démarquera si ça l’amuse 145. Cela n’aura pas le style de Lemaître mais j’espère que cela sera plus vécu 146. Je vais relire toute votre œuvre. Le petit Bertrand aimerait bien pondre cela lui-même, mais moi j’aime mieux le faire moi-même, ce sera plus clair. Mille tendresses et à ce soir j’espère. Votre Cam Son article paraîtra dans La Revue verte du 20 mars 1887, puis dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles du 15 avril, sous la signature de Pérégrine, un des pseudonymes de Mme de Rute. 146 Allusion à l’article de Jules Lemaître sur Georges de Peyrebrune, paru dans La Revue bleue du 23 octobre 1886. 145 1887 48/ [samedi] 1er janvier [1887] onze heures. Chère Georges, je vous ai mal remerciée de toutes vos gâteries, étant un peu bousculée par ma tombola, merci donc ! Que vous êtes bonne, affectueuse, adorable ! Je dirais que je suis confuse si je vous aimais moins, mais mon cœur contient assez de réelle tendresse pour ne point s’effaroucher de toute la vôtre. Il y a de la monnaie ! Je finis mon modeste petit ouvrage que je vous porterai lundi avec toutes mes excuses 147. Il n’a pas été fini hier, parce que mes adorables et atroces babies ont fait dans la journée une vie de polichinelle pendant que leurs mères organisaient les lots. Je leur avais laissé une boîte de tortillons de pâtes d’abricots – 5 minutes de silence puis... nous voulons marcher et nous restons collés au parquet, jonché de ces bonbons traîtres. Il a fallu emmener cette petite marmelade et je me suis trouvée seule devant mes bibelots. Tous mes vœux, ma belle, très belle, bonne, très bonne, grande, très grande Georges ! Je vous embrasse du fond du cœur, Cam 147 Portrait de Peyrebrune qu’elle va faire paraître dans La Revue verte du 1er février 1887. 172 L’éventail sera fait ce mois-ci 148. 49/ Lundi matin, [fin janvier 1887] Ma belle et bonne. Je n’irai pas chez vous aujourd’hui hélas ! Je suis trop malade et l’air froid redouble mes maux – Ah ! Je m’amuse ! Cette pauvre princesse ! Elle n’est pas venue cela va sans dire. Je comprendrais très bien son idée à cette excellente amie si j’étais la cause... mais non. 29 personnes ont dit à la petite La Roue qu’on l’accusait de n’être pas invitée 149 et c’est elle, Mme de Rute, qui en écrivant aux Matinées espagnoles cette calomnie a été cause de la révolte de cette famille qui s’est traduite par une lettre maladroite et stupide à Juarez 150 qui en effet avait dit qu’elle n’était pas invitée, la Princesse l’ayant spécialement priée de refuser une invitation... Seulement elle avait oublié le nom du papa et de la maman Le Grand, parce que l’on ne peut penser à tout n’est-ce pas 151 ? Donc si le Mexique a eu le moindre désagrément Lot gagné par Georges de Peyrebrune à la tombola de Camille Delaville. Dans l’article « Le Bal de la légation mexicaine », signé du Vicomte d’Albens, paru dans Les Matinées espagnoles du 15 janvier 1887, Mme de Rute souligne « la présence de quelques personnes qui s’étaient glissées sans invitation », parmi lesquelles Mme La Roue. 150 Benito Juarez, fils du président de la République mexicaine. 151 Mme de Rute explique la présence de « ces malheureuses intruses » par « l’invitation vague qui leur a été faite » par un « malheureux personnage officiel happé au passage », ici M. Le Grand, rédacteur au Siècle, lequel a voulu se justifier auprès de Benito Juarez. 148 149 173 c’est à la Princesse qu’il le doit. Si elle n’avait pas tartiné la chose dans son journal, si chez elle avec Mme Honorat dite de Prescilly 152 etc. etc. Eh ! Bien, M. Le Grand n’aurait pas écrit à Juarez une lettre polie d’ailleurs et exactement cachetée. Et il doit aussi être bien pénible à Juarez de voir mon nom dans Les Matinées espagnoles 153… Du reste elle 154 me savait incapable de sortir donc... Je suis par le fait brouillée avec Miss Round 155 et avec Mme La Roue avec celle-ci cela me dépasse par exemple. Je suppose que Miss Round doit avoir inventé quelque chose d’inouï –quoi je n’en ai pas une idée. Je n’en veux pas à la Princesse oh ! non – elle aurait pu seulement me prévenir cela aurait été plus habile et plus affectueux. Songez donc si je publiais les affaires de Ramon Fernandez avec la ville de Mexico comme ce serait désagréable pour tout le monde qui Allusion à cette anecdote mettant en scène « Mme X… […] retirée du monde », « à la suite de plusieurs deuils » et qui a invité « un petit échantillon des habituées de l’Éden ou des Folies Bergère », autant dire des gens peu recommandables… dont fait partie Mme Honorat dite de Prescilly. 153 Dans ce même article, Mme de Rute mentionne, en effet, la présence de « Mme Delaville, [...] charmante en blanc constellé d’étoiles ». 154 Mme de Rute. 155 L’article se poursuit avec une autre anecdote, l’intrusion d’une « femme plus qu’équivoque, une roulure quelconque » chez « une fort aimable femme, excellente mère de famille » à l’occasion d’un arbre de Noël. Mina Round se sent visée par cet article parce que Mme de Rute fait allusion à l’une des fêtes données par Camille Delaville. 152 174 l’entoure 156 ! En tous cas l’incident n’aura jamais de suite par moi, je lui offrirai ses courriers comme d’habitude, j’y ai même joint une bibliographie sur André Cornélis 157. J’ai d’assez bonnes notes sur moi mais les trouver dans de vieux journaux impossible... Merci. Je vais vous griffonner cela et vous l’envoyer tantôt. Toulouse m’a offert son cœur il y a 10, 9 ; 8 et 7 ans, même 6, puis il a voulu épouser Margot – mais ces différentes velléités sont calmées tout à fait, et je suis sa confidente 158. Je le tarabuste parce qu’il est élevé comme un guichetier de maison Centrale, et que si on ne l’arrêtait pas... Enfin c’est effroyable. D’ailleurs honnête et intelligent. Je serais ravie du brelan de dames, mais vu mon état, ne serait-ce pas bien plus gentil ici 6 rue Favart ? Creusez ça ! Et de ma part faites votre invitation... Mille tendresses de votre Ministre plénipotentiaire du Mexique à Paris et organisateur de ce bal costumé qui a eu lieu le 8 janvier, « Le docteur Ramon Fernandez » a fait l’objet d’un article anonyme dans Les Matinées espagnoles, 15 janvier 1886, p. 15-16. 157 Roman de Paul Bourget publié en ce début d’année. Camille Delaville en rend compte dans la « Bibliographie » des Matinées espagnoles de février 1887, et dans La Revue verte du 25 février 1887. 158 Isaure Toulouse, avocat méridionnal dont Camille Delaville avait fait la silhouette dans Le Passant du 6 juillet 1882. Elle y évoquait déjà ses « habitudes un peu emporte-pièces qui étonnent tout d’abord ». Margot est la fille aînée de Camille Delaville. 156 175 Cam Ah ! Deux jeunes gens, dont un convenable, se battent demain pour un potin de Rachilde – un répétar – c’est gentil tout plein 159. 50/ [mi-janvier 1887] Ma mère était d’une famille d’artistes elle a été élevée à Rome auprès de Mme Delaroche Mlle Horace Vernet 160. Mon père M. Alexandre Chartier était agent de change on l’appelait Chartier l’honnête homme pour le distinguer d’autres moins... J’ai épousé très jeune hélas un gamin de 19 ans qui est devenu avocat et dont j’ai dû me séparer au bout de 3 ans de ménage. Passons. C’est le père Alexandre Dumas qui a trouvé que j’étais créée et mise au monde pour écrire des histoires, mais avant lui c’est la charmante Mme Rouvier (Claude Vignon) qui m’a mis la plume à la main pour un journal de femmes alors que j’avais environ 13 ou 14 ans. J’ai commencé le journalisme avec Villemessant 161 Si les duettistes n’ont pu être identifiés, la cause de ce duel pourrait être le soufflet donné par Rachilde le 15 janvier au conférencier Paul Devaux, alias Docteur Luiz, qui a « attaqué les femmes en général et les femmes de théâtre en particulier » (L’Illustration, « Courrier de Paris », 22 janvier 1887). 160 Fille du peintre Horace Vernet. 161 Fondateur et directeur du Figaro hebdomadaire puis quotidien. 159 176 dans (je crois) Le Grand Journal, Le Soleil etc. par des articles strictement anonymes qui firent quelque bruit... Depuis je ne me souviens distinctement que d’avoir collaboré au Gaulois (Pierre de Chatillon), à La Presse 6 ans, à L’Événement (Bisbille), au Courrier du Soir, à L’École des femmes et à une foule d’autres très républicains dont le nom m’échappe j’ai énormément écrit et silhouetté. J’ai fait le plus bel ornement du Papillon de la bonne Audouard (le 2e) 162. Le nom de mes romans est derrière La Femme jaune 163. J’ai dirigé le Passant, je dirige (hélas !) La Revue verte (que je continue un brin). Je courrière Les Matinées espagnoles depuis 3 ans. J’ai signé Chambry. J’ai suppléé par ma plume à ma fortune restée 15 ans sous séquestre. Mes filles se sont mariées jeunes jeunes jeunes : Rosine avait 15 ans. Pendant le siège, j’ai eu chez moi une ambulance de 40 blessés ou malades – j’ai été ramasser les braves soldats sur les champs de bataille principalement du côté de Saint-Denis. J’ai été blessée deux fois assez grièvement. J’ai installé un fourneau pour les babies pauvres du 6e arrondissement qui sont venus chaque matin y chercher un peu de nourriture possible. N. B. : La plus noire ingratitude m’a récompensé Olympe Audouard fonda un journal féministe, Le Papillon, qui fut interdit en 1868 par le gouvernement. Elle le reprit en 1883. 163 La Loi qui tue, Trois criminelles, Le Cas du premier président, Les Amours de Mme de Bois-Joly et Les Bottes du vicaire. 162 177 de tout cela pour lequel j’ai donné jusqu’à ma dernière bague, ma dernière fourchette d’argent et les derniers arbres de mon jardin – (Oh ! La cognée dans cet arbre centenaire quel souvenir. Je suis restée à genoux la tête dans un édredon pour ne pas entendre). Actuellement je fais des silhouettes au Constitutionnel. Voici celle de Mme de Rute, arrangée par ses soins et soigneusement épluchée ne la perdez pas 164. Naturellement vous savez que je fais des verses, je peins aussi et surtout n’oubliez pas, je fais absolument bien la cuisine et toutes les broderies, toutes, vous entendez hein ! Georges ! Je suis grand-mère et j’ai des jolies petites filles. 51/ Jeudi soir très tard, [fin janvier 1887] Je viens de passer 24 h au lit, chère, avec une fièvre affreuse en outre de ma maladie. J’ai été mal avec la Princesse, ces mêmes 24 h à cause de cette idiote de petite La Roue et Cie. J’ai su que votre pied était guéri. Vous verraije demain soir, je vous raconterais tout cela si vous veniez de bonne heure. Je vous ai silhouettée pour le numéro qui va 164 Publiée dans « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 19 et 20 janvier 1887. 178 paraître de La Revue verte avec toutes vos œuvres les unes après les autres, brièvement par force 165. Si vous ne jugez pas Le Constitutionnel indigne de vous, je vous raconterai là aussi et vous me nommerez votre historiographe. J’ai d’immenses ennuis depuis huit jours de tous les genres et moi... je suis triste comme une urne lacrymatoire. J’ai idée qu’on va se battre chez moi demain. Oh ! Qui emmènera Rachilde au Chat Noir le vendredi ! Je n’ai pas le courage de l’expédier... c’est si dur. À vous avec mille tendresses, Cam 52/ Mercredi soir, [2 février 1887] Ma chère Georges, j’ai votre note (je suis très malade), soyez calme on n’y comprend absolument rien, mais rien – quoique je n’y entende pas un mot j’essaierai de lui donner un air de clarté. Quel est ce procès dont je n’ai jamais ouï parler ? J’ai peur que le lecteur s’intéresse peu à quelque chose de tellement 165 Ce portrait, intitulé « Georges de Peyrebrune et son œuvre », paraît sous la signature de Pierre de Chatillon dans La Revue verte du 1er février. 179 obscur que c’est lettre close pour lui. Ce n’est pas moi qui ai mis un s à George, c’est l’imprimeur, ça l’a choqué cet homme ce manque d’s 166 !... C’est moi par exemple qui ai oublié comme compte rendu Josée-Marie-Lise. Ce petit bijou dont La Revue verte a eu l’honneur d’être l’écrin... Pourquoi ? Ah ! Voilà ! Ma pauvre cervelle de malade... J’écris encore en français comme les peintres peignent étant devenus fous... c’est idiot. Les ennuis créés par Mme La Roue, continuent avec Miss Round. Je deviens chèvre ! J’en ai quelques autres entr’autre 2600 f à verser à Jouaust pour La Femme jaune. Chut !... C’est entre nous, cette maison lance peu ou pas. Il s’en est vendu, assurent-ils avec preuve, (ce sont de parfaits honnêtes gens), pour 86 francs, je crois. En dehors du compte d’Hachette non fait encore. Et vous trouvez ça bon et amusant à quoi bon ? C’est fini, je n’ai plus de chance en rien. J’ai aussi d’autres agréments avec un personnage fort estimable qui s’est imaginé que je devais répondre à ses vœux 167. Toujours ici, malade, c’est atroce... Je suis obligée de me faire défendre par mes bonnes comme si j’avais 20 ans. Triplement grotesque grandmère comme je suis. Allusion à l’orthographe fautive du prénom de George Sand dans le portrait de Peyrebrune paru dans La Revue verte du 1er février. 167 Gabriel Bertrand. 166 180 Vous ai-je dit que dans une maison à moi le rez-de-chaussée a dégringolé dans la cave. ….. Vous ai-je dit que La Revue verte quoique prenant des abonnés me coûte plus que je ne peux et me crée de terribles embarras... Vous ai-je dit ? Que sais-je ? Depuis le 1er janvier tous mes jours sont marqués de noir. Inutile de vous expliquer que Mme de Rute et Sigaux avaient mes vers en lettres d’un pied. J’ai prié un de mes vieux amis, Edmond Théry l’économiste, qui est un peu chez lui dans tous les journaux de passer de ma part à Paris savoir ce qu’il advient du fameux ours qui se promène dans le chemin de fer de ceinture depuis six mois 168... Je crois que je vais regagner le Vésinet et m’y cacher comme un chien malade. Je suis écœurée de la vie et des choses comme jamais je ne l’ai été. Mille tendresses du fond du cœur, Cam Barletta dimanche est venu m’interviewer sur ma maladie il devait m’envoyer une ordonnance mais le misérable l’a oubliée !... Aussi je vais lui faire une de ces scènes... 168 Le Passé du docteur. 181 53/ Vendredi, Voici vos livres ma chérie 169, tâchez de venir ce soir, je n’ai même plus un moment à vous voir à l’aise. Le 6 ou 7 mars je m’installe au Vésinet, loin du monde qui m’écorche si douloureusement cet hiver. Je vais travailler – pas pour Jouaust ou Sigaux par exemple 170. Et je vais arranger gentiment mon nid. Lorsqu’il s’agit de payer des factures raisonnables, mon conseil judiciaire est très gentil. Quant à La Revue verte je vais l’abandonner pour plusieurs raisons : d’abord elle me coûte plus d’argent que je ne puis en verser. J’ai environ 4 mille francs à verser ce mois pour solde d’imprimeur et le prochain, je ne puis les avoir et je suis doublement malade de cela, car c’est Bertrand aîné qui a signé à une époque où il ne m’avait jamais dit un mot qui puisse me faire pressentir le déplorable état de sa cervelle et de son cœur... horrible ! Ensuite les 2 frères ne se parlent plus, n’habitent plus ensemble lorsque le plus jeune est à Paris enfin les Atrides, ils se trouvent ici... Je voudrais être en Chine. Voulez-vous La Revue verte avec son petit nombre d’abonnés, ses 8 mois d’existence (c’est 169 170 Des exemplaires de La Femme jaune. Les éditeurs des Matinées espagnoles. 182 quelque chose), une propagande immense que vient de faire le petit soldat 171 et ma collaboration gratuite bien entendu pour tout ce que vous voudrez, voire même ma surveillance en votre absence. Avec le nouvel imprimeur 172 et pas de frais de collaboration l’impression revient à 230 francs par numéro soit 460 francs par mois, la distribution à 6 francs l’envoi du numéro, en province à 25 francs. 460 +6 25 = 491 enfin 500 francs. Je pourrais y arriver sans ce passif qui m’écrase car je payais moi de gérance direction etc. 520 francs en sus ce qui faisait un mois de mille francs. J’ai eu des numéros de 600 francs ! Horreur ! Ce passif payé, je vous aiderais même volontiers. Vous pourriez laisser mon nom comme n’importe quoi pour les gens qui me connaissent. Nous n’avons ni annonces ni bulletin financier payé, mais quelqu’un de bien portant et de moins toqué que M. G. Bertrand pourrait bien ravoir les deux. Avant de plonger cette pauvre petite feuille dans l’oubli – je veux vous 171 172 Étienne Bertrand. Paul Dupont (jusqu’en janvier 1887, La Revue verte était imprimée par Aureau). 183 l’offrir. Triste cadeau mais avec votre nom la feuille de chou deviendrait probablement une feuille d’émeraude... Votre Cam Mon pauvre roman, SVP 173. 54/ Samedi soir [fin février] Ma chère amie, Une circonstance désagréable (Oh ! Oui !) m’oblige à réunir en hâte mes articles des Contemporaines. Soyez assez bonne pour me retourner La Princesse expurgée par ellemême, il me la faut illico. Mille amitiés, C. Delaville Naturellement votre silhouette commence l’ouvrage pas celle du Constitutionnel non parue encore 174 mais celle de La Revue verte à laquelle je ferai un petit ajouté ! Point ne vais ni chez M me de Mouzay ni ailleurs. – Je tiens 10 francs à votre disposition pour le bal des officiers. 173 174 Le Passé du docteur. Elle paraîtra dans « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 28 février 1887. 184 55/ [lundi 28 février ? 1887] Merci comme toujours, Belle et bonne, de votre intervention intelligente dans l’affaire Delaville-Round. Inutile de vous dire que de ma vie je n’ai jamais prononcé le mot c 175. D’ailleurs à propos de Miss Round il eût été stupide. Je puis savoir qu’elle ne parodie pas Jeanne d’Arc, mais nulle n’a meilleure tenue qu’elle, je ne sais pas un nom ni même un prénom des hommes qu’elle a pu distinguer et j’eusse été idiote dans ce rôle. Et puis... qu’estce que cela pourrait me faire à moi ? Mme Foucaux ??? Oui je lui ai envoyé une invitation et j’ai fait sa silhouette dans Le Constitutionnel fort louangeuse, elle m’en a remercié par une lettre avec rature où elle me disait (il y a 8 jours environ) qu’elle ne pouvait sortir ni à pied ni en voiture 176. Je crois que cette aimable femme n’est mêlée à cela que comme auditrice. Miss Round est de celles qui introduites par vous dans une maison finissent par vous faire mettre à la porte et s’y installent, c’est un type connu à Paris. Veuillez remettre mon ours voyageur au porteur 175 176 Cocotte ? Le portrait de Mme Foucaux a paru dans « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 21 février 1887. 185 – Si vous m’aviez dit tout d’abord Le Petit Parisien je me serais écriée : « Point possible tel quel là ! » Lorsque vous m’avez dit Piégu, j’y ai fait passer un homme, un économiste Théry ami intime à moi et fort lié dans la maison ; il a repêché l’affaire et moyennant coupures, enflures et points d’exclamation pratiqués par Firmin Javel (!!!!!!!!!) mettez 10 lignes de !... Cela passera dans le style du lieu. J’ai besoin d’argent. Sans ça ! J’aurais dû faire chercher samedi matin un billet pour le bal 177, c’eût été poli au moins, pardon, je suis quoique malade, surmenée, j’ai fait cette saynète en une soirée, crac, crac, avec quelqu’un qui me parlait. J’ai dû la recopier entièrement 3 fois en gros pour les 3 rôles – chose que seule je pouvais faire sur l’informe brouillon sans indication, l’apprendre – commander ma soirée 178 – 200 personnes au moins – préparer hâtivement Les Contemporaines pour la librairie – ne dites pas que ça va paraître. C’est Ollendorff qui édite Ange Bénigne sur le même sujet – moi je fais paraître par petites séries à un franc pour arriver plus tôt. Ollendorff croit que je traduis pour l’étranger 177 178 Bal des Officiers. La Revue verte évoque une fête qui s’est déroulée le 5 mars chez Camille Delaville ; le bal costumé était précédé d’une représentation dramatique : « la charmante pièce inédite d’un très spirituel anonyme, jouée par Mme Camille Delaville. [...] À six heures du matin on dansait et on soupait avec le plus louable entrain. » 186 sans cela Ange Bénigne me tomberait illico sur le dos et M. Gueulette 179 lui dirait je fais 2 portraits par semaine au Constitutionnel le lundi et le jeudi, ma revue etc. Puis le temps d’être malade, les affaires – je perdrais la tête si la mienne n’était fort solide. Jeudi j’ai à recevoir quelqu’un pour la silhouette de Mme Michelet mais si je suis en état je pourrai vous attendre à onze heures. Voici votre portrait au Constitutionnel 180. J’ai remis une partie du dernier 181 – je ne puis inventer n’est-ce pas ? – Ne m’en veuillez pas. Je vous embrasse Cam C’est ma plume à copier la pièce qui écrit ainsi. 56/ Pardonnez-moi, chère belle et bonne, j’avais oublié... ça m’est revenu cette nuit ! Il n’y a presque plus de ce numéro propre ici 182. Je vous envoie 4 sous bande et quelques rendus, cela pourra passer sur le compte de la poste. Le numéro va paraître encore le 20. J’essaie 183. Éditeur. Numéro du 28 février. 181 Celui de La Revue verte. 182 Allusion au numéro du Constitutionnel contenant le portrait de Georges de Peyrebrune. 183 Le dernier numéro de La Revue verte paraîtra le 22 mars. 179 180 187 Aucune nouvelle de Marie-Lætitia 184, pas même les matinées. Et mon pauvre roman ! À vous, à demain, votre Cam Venez de très bonne heure que nous puissions causer un brin. 57/ [petit bleu] Ma chérie, non point nerveuse du tout, le hasard – Théry vient me voir il y a une huitaine : adieu, je vous quitte, je vais chez Piégu où j’ai rendez-vous – Vous connaissez Piégu ? – Intimement il n’a guère rien à me refuser – Il a un roman à moi, dites-lui donc que j’ai un talent merveilleux et que c’est une bonne fortune pour son journal – C’est fait, le nom ? – Voici – exit Théry. Dimanche il s’amène radieux : J’ai vu Piégu, il m’a dit j’ai renvoyé le roman à Mme de Peyrebrune, il ne peut passer ainsi, etc. alors je lui ai dit : Mme Delaville est très conciliante, proposez-lui votre arrangement – Et d’abord qui ? – Je ne sais – Séance tenante choisissez ! – Javel ? – Va pour Javel, est-ce entendu ? – Oui – Que Mme Delaville 184 Prénom de Mme de Rute. 188 vienne s’entendre des détails lundi ou mardi et qu’elle fasse prendre le manuscrit chez Mme de Peyrebrune où je l’ai renvoyé en disant que cela ne pouvait convenir. Je vous ai écrit – Venez à 5 h. Nous irons chez Javel ensemble et vous dînerez ici ensuite. Je n’y ai point été hier. À vous, Cam 58/ Prière d’expédier vous-même je suis sur les dents. Vu Piégu – rencontré Mendès, expliqué avec Mendès – il fait reproduire la Terre 185 et vous demande de lui envoyer votre volume de nouvelles dans Une Décadente et dans Les Roses d’Arlette 186 il y en a aussi expédiez... Je n’ai plus de cartes d’invitation. Piégu m’a dit que je manquais de dialogue et d’animation et que Une Séparation était le modèle du genre pour les journaux à 1 sou 187 !!! et finalement c’est Jules Mary qui dérange ma prose – amen. Vous gagnez 15 000 francs par Le Petit Parisien du samedi 26 février annonce : « La Vie Populaire s’est assurée le droit de publier La Terre, le prochain ouvrage d’Émile Zola, ce roman qui, encore inachevé, est l’objet d’une curiosité ardente. » 186 Les Roses d’Arlette a paru en 1886 à la Librairie illustrée, et Une Décadente en 1887 chez Fresquel. 187 Roman de Georges de Peyrebrune paru en 1884 chez Charpentier. 185 189 où il en gagne 80 000 francs Jules Mary !!! Oh ! Mon Dieu ! On s’effondre – on s’effondre ! Envoyez vite des nouvelles à Catulle. Amitiés tendres, Cam Piégu est ravi d’avoir un feuilleton de vous. Faites-vous donner un trésor pour me soulager moralement. Puis il m’a parlé de G. Maldague cette femme célèbre qu’il avait faite 188. [En travers de ce feuillet : J’avais déjà invité Ollendorff avec lequel j’ai un désagrément. C’est lui qui édite Mme de Molène 189 dans un ouvrage analogue au mien. Pas un mot de ma publication à moi. Je lui écris que je traduisais en anglais Les Silhouettes 190 !!!!] 59/ Jeudi soir, [3 mars 1887 ?] Eh ! Bien, non, je n’avalerai jamais que ce Mary soi-disant plein de talent, gagne 3 fois plus que vous, non, non, non ! Alors que cet idiot de Pseudonyme de Joséphine Maldague. Si l’on en croit Le Petit Parisien du 22 février 1888, celle-ci est « depuis plus de sept ans […] exclusivement rattachée » au journal par un traité spécial. 189 Ange de Bénigne. 190 S’agit-il de Mes Contemporaines ou des Silhouettes parisiennes d’Olympe Audouard, paru en 1883 ? 188 190 Piégu est obligé d’avouer que vous faites des chefs-d’œuvre. Alors ?... Et il dit aussi que le public des petites feuilles a trouvé Une Séparation exquise alors ?... pourquoi lui donner du Maldague, Mary et Cie ? Pourquoi ôter de mon pauvre ours ce qui en fait un roman possible, car il est trop chargé d’événements et de dialogues déjà, beaucoup trop ? Vous lui demandez 50 centimes la ligne n’estce pas ? Pas moins. C’est son prix courant ; ne l’oubliez pas surtout ! Plus si vous pouvez, à ce petit bonhomme. Ah ! On t’en donnera des Peyrebrune ! Je crois qu’il n’aurait pas du tout détesté que vous vous chargiez de l’ours. Je n’ai pas osé songer à cette chose extraordinaire. Vous auriez raturé çà et là, transposé quelques chapitres et palpé pour cela 5 sous la ligne ou 6 sous – moi 4 – c’est-à-dire nous aurions partagé – je vous vois d’ici. Et j’ai compris depuis qu’il eût été content. Il disait : « Mais quelqu’un de vous connu, un romancier ami » mais comme il ne m’avait pas encore parlé de vous, vous comprenez que cette idée ne me venait pas oh ! mais pas ! Mais il m’a dit (vous avez un nom, ce bonhomme s’incline enfin) ce que fait Mme de Peyrebrune est juste le genre voulu – alors Richebourg, Jules Mary, Maldague et Cie ne l’ont guère le genre ! 191 Mais en somme pour ce dernier et seul point il a raison, des œuvres comme les vôtres, humaines, vivantes, parfaites sont comprises de tous. Et puis elles sont simples dans leur grandeur naïve, comme la vraie beauté est simple et comprise de tous. Mais non, l’or n’est pas tout ! Ô Georges ! Être ce que vous êtes, la première parmi toutes les femmes de France par le talent, cela vaut mieux que d’avoir une fortune. Je résumais jadis le bonheur humain ainsi : Être aimé et être quelqu’un. Voilà la vraie vérité. Il faut pouvoir vivre sans souci du pain quotidien mais la gloire au vert feuillage est un viatique bien parfait, c’est une sensation que rien n’égale. Je ne le sais pas, mais je le sens ; ainsi qu’on peut avoir l’idée des roses de [mot illisible] en en respirant un seul pétale venu de loin. Oh ! Ma belle et bonne Georges, ne vous plaignez pas, la nature vous a tout donné : la beauté de l’âme et du corps, le talent dans sa plus haute acception et un cœur de sœur pour tous. Votre nom rayonnera. Qui se souviendra des gagneurs d’or du petit journal ? Je fais dans ce moment précis la silhouette de Mme Michelet, c’est une figure bien curieuse et qui pauvre, pauvre, a dû ses seules joies à l’ombre de la célébrité – car elle n’en était que 192 l’ombre, et vous vous en êtes la proie 191 ! Belle et chère proie que j’aime de tout mon cœur. Camille [en travers de la première page : Ne venez pas tard samedi que mon petit rien ne soit pas joué 192. Mme Pardo Bazàn m’a demandé une invitation je lui ai vite envoyée pour un cavalier, lequel aura les plus belles moustaches !) 60/ Voilà ! Les autres partent, j’allais vous écrire pour Mme Pardo Bazàn dont je ferai la silhouette ces jours-ci sur vos indications. La Princesse m’a écrit 2 pages bêtes bêtes bêtes où elle feint de ne pas avoir reçu ma lettre. Amitiés tendres, À ce soir, votre Cam Athénaïs Michelet (1826-1899), née Mialaret, épousa le célèbre historien en 1849, et publia entre autres Les Mémoires d’une enfant (1866), La mort et les funérailles de Michelet (1876), et Mes Chats (1904). Les Mémoires d’une enfant ont été réédités par Pierre Enckel au Mercure de France (coll. « Le Temps retrouvé », 2004). Un portrait et un buste d’elle sont conservés au Musée Ingres de Montauban. Son portrait par Camille Delaville paraîtra dans La Revue verte du 20 mars 1887. 192 La comédie qui ouvrit le bal du 5 mars. 191 193 61/ Dimanche, Merci je suis ravie, Ginisty. M’est parfait !!! Un homme charmant qui a du talent comme Clochette ou Saïs, mais ça ne fait rien 193. Exquis pour les imprimeurs. Cette œuvre doit être effroyable – pas signée je m’en moque. Ginisty mais je l’aurais choisi ! Il est au Constitutionnel aussi naturellement les gens vous volent le plus possible bien entendu, tout cela est entendu. Cette pièce 194 ! Mes cheveux se dressent, s’ils me laissaient faire le dialogue au moins ! Je l’ai fait pour 3 pièces jouées avec succès en ce moment que je ne veux pas nommer j’ai juré – et comme c’est par simple sympathie – Enfin on aura peut-être l’idée de me consulter, elle serait bonne je vous assure. Mais ma chérie, puisqu’il y a encore à toucher ces jours-ci si au lieu de partir vous employiez cela à rester à Paris ? – Vous me remettrez cela petit à petit ce serait aussi bien – je m’arrangerais et je serais si heureuse de vous éviter un ennui Clochette est la chatte de Georges de Peyrebrune et Saïs le chien de Camille Delaville. 194 S’agit-il d’une adaptation théâtrale des Ensevelis ou de Mademoiselle de Trémor (1885) ? Dans ses Étrennes aux dames, Camille Le Senne évoquait la préparation d’une pièce en trois actes à partir de ce dernier titre. 193 194 – Vous savez que mon cœur est à vous mais (à part nécessités contre lesquelles rien à faire) ma bourse aussi. Amitiés de votre reconnaissante Cam Je vais un peu mieux, j’entrevois la guérison de la bronchite. 62/ Lundi soir [7 mars ? 1887] Ma bonne chère, Le potin Mary Summer me paraissait tellement monstrueux, qu’hier matin j’ai écrit à Miss Round : Ma chère Mina, J’ai ouï dire que Mme Foucaux vous avait répété comme venant de moi – etc. Il m’est impossible de laisser ceci sans protestation – (je protestais) et je finissais en disant que Mme Foucaux devait faire une monstrueuse erreur, qu’un jour il y a 2 ans, je lui avais signalé comme une fille (pas le mot P.) Camée qui s’était glissée dans son salon pour son plus grand désagrément avec explications à l’appui. 195 Voilà tout ce dont je me rappelais et j’expliquais combien c’eût été idiot de ma part... Voici la lettre fort digne d’ailleurs que je reçois de Mina Round ????? C’est assez comique. Je n’ai pas besoin de vous dire que votre nom n’avait pas été prononcé et ne le sera jamais « J’ai ouï dire » a été ma formule. Est-ce de vous ou de moi qu’on se moque – Enfin de toutes façons je dois regarder l’incident comme vidé. Je vais un peu mieux, grâce à mes bains indéfinis mais je suis bien fatiguée – cette indisposition me retient ici et aussi quelques violents désagréments d’affaire pour La Revue verte, je n’irai au Vésinet que la semaine prochaine. J’ai un bien bon sujet de roman dans la cervelle, je crois, je vous narrerai cela quand j’aurai la tête moins prise par la fatigue. Vous voilà à Chancelade, travaillez vite afin de revenir plus tôt. Votre azalée me fait les yeux doux, mais ce ne sont pas vos doux yeux... Je vous envoie la silhouette de Mme Pardo Bazàn 195 (elle n’a plus de moustache ?... que 195 Elle paraîtra dans la rubrique « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, jeudi 10 mars 1887. 196 va dire Boulanger 196 ?) elle est venue tard, j’ai dû l’écrire en une ½ h, cela se voit, mais je l’arrangerai pour la librairie. D’ailleurs je lui ai parlé 25 minutes, je ne la connais pas du tout, ce qui est un bien mauvais commencement pour parler des gens il faut l’avouer. Aujourd’hui : Bertrand le poète, puis ensuite son frère, puis de Tannemberg, puis un autre ami à moi sont arrivés presqu’ensemble ici à 1 h ½ pour me parler chacun en particulier. Réunis ils attendaient réciproquement le départ de chacun d’eux, il n’y avait rien de plus comique et de plus agaçant... Exaspérés, ils ont fini par partir tous ensemble !!!!!! Que faites-vous là-bas ? Je pense bien à vous. Je vous enverrai la critique sur Les Ensevelis si elle paraît demain 197. Mes meilleurs baisers, Chère bonne et belle, Cam Le Général Boulanger. Selon Georges de Peyrebrune, Camille Delaville « l’avait connu simple capitaine dans une ville de garnison ; et il ne dédaignait pas, maintenant que la politique des mécontents avait fait de lui un leader et travaillait à en faire un maître, de venir encore parfois chez son ancienne amie ; mais, plus fréquemment, il y venait dîner, en un très petit comité prudemment et galamment choisi et trié sur l’éventail » (Georges de Peyrebrune, Le Roman d’un bas-bleu, éd. cit., p. 186). 197 Signé Pierre de Chatillon, le compte rendu de ce roman paraîtra le 11 mars dans Le Constitutionnel et le 20 mars 1887 dans La Revue verte. 196 197 63/ Mercredi [9 mars 1887 ?], Chère, très à la hâte aujourd’hui j’ai à piocher tout le jour. Entendu pour Delpy 198 après lecture (Pardonnezmoi cette brutalité). Je ne reçois plus le vendredi soir – avec vous partie, mon lustre s’est éteint – si ça vous amuse je vous enverrai Mes Contemporaines 2 fois par semaines. Mme Bazàn ne m’a pas même envoyé sa carte, la chère ! Reçu lettre de la Princesse, je n’avais plus reçu les Matinées, douce et tendre, elle demande... son courrier 199. Je vous ai écrit une lettre intéressante en contenant une de Miss Round, l’avez-vous reçue – le jour de votre départ – ? Mille tendresses de votre toujours malade et pressée Cam 198 199 Non identifié. « Courrier de Paris », chronique de Camille Delaville dans Les Matinées espagnoles. 198 64/ Vendredi soir [18 mars 1887 ?], Ma bonne, chère grande Georges, j’ai encore été très malade... Je commence à être bien lasse... Vous avez lu cet idiot de Triboulet pour lequel vous commencez aux Frères Colombe 200 ! et qui lance des fleurs entourées de lauriers au sieur Buffenoir lequel fait des vers assez beaux sans cœur ni âme. C’est toujours le même volume qu’il refait. D’ailleurs le dernier, le plus misérable des hommes 201... La vue seule de son nom me donne le frisson. C’est aux tourments odieux qu’il m’a fait subir que je dois la maladie dont je souffre. Oh ! L’animal ! Un jour je vous raconterai longuement ce lugubre roman plus prosaïque que du papier timbré – ce roman d’un poète grugeant une femme jusqu’à sa dernière nippe. Il y a là une étude terrible que moi seule naturellement je ne peux pas faire Dans le Triboulet du dimanche 13 mars, on peut lire : « Georges de Peyrebrune, que son dernier roman, Les Frères Colombe, avait déjà mis hors de pair… » (« La Revue littéraire », p. 13.) 201 Hippolyte Buffenoir a été l’amant de Camille Delaville au début des années 1880. Non contente de l’entretenir, elle l’avait pris comme collaborateur au Passant en 1882 ; son nom apparaissait alors dans chaque numéro. C’est à lui qu’Aymé Delyon faisait allusion lorsqu’elle écrivait : « Mme Delaville n’aime pas l’Y ; peut-être en a-t-elle rencontré dans quelque nom dont elle conserve un noir souvenir, je ne sais pas ; mais enfin elle se plaint qu’il y a trop d’Y dans mon nom. » (Aymé Delyon, « Nouvelles littéraires et mondaines », Le Zig Zag, 23 mai 1886.) Hippolyte Buffenoir a publié chez Lemerre un recueil de poésies intitulé Cris d’amour et d’orgueil (poésies nouvelles). Mary Summer en rend compte dans Le Constitutionnel du 14 mars 1887. 200 199 – et avec des détails d’un réalisme ébouriffant. Scène dernière : (c’est l’hiver, il pleut) Le soir – Visite du quidam. « Ma chère amie, pourriez-vous me prêter un parapluie... Je vous le rapporterai aprèsdemain ». Il emporte mon unique parapluie. Le jeudi personne. Le vendredi une lettre d’un département m’annonçant qu’à l’heure où je recevrais ces lignes, il aurait convolé en justes noces et qu’il me rapporterait le parapluie à son retour. Il l’a en effet rapporté après les cérémonies nuptiales mais il avait eu des avaries sur les cailloux des routes et il demandait si en l’état je voulais le reprendre. ... Non, je l’ai laissé à sa femme, c’est je crois avec une masse de lettres de diverses, et des reconnaissances du Mont de Piété tout ce qu’il lui a apporté en dot. Il a épousé ce poète, la fille d’un épicier d’un village du Doubs. Ah ! Ce Buffenoir !... Ce poète ! Échantillon de style en réponse à une lettre répondant à une lettre qui me demandait 60 francs et une acquisition de souliers. « Ma chère amie, Je ne puis admettre votre réponse, je vous adresse une demande précise, vous me répondez à côté ceci, cela etc. qu’est-ce que 200 cela signifie ? Ce ne sont pas des phrases mais 60 francs et des souliers que je vous ai dit de m’envoyer. Le reste est non avenu... ce ne sont que des mots. Or qu’est-ce que des mots ?... Rien etc. » J’avais écrit avec des mots n’ayant rien de mieux à ma disposition. « Je ne peux pas, je ne les ai pas, je n’ai même plus de quoi manger vous ayant envoyé ce qui constituait mon strict nécessaire. » C’étaient les mots... Du reste cette jeune tête fière n’est pas la sienne, il est bien fort bel homme mais il n’a pas cette netteté d’allure – ce brio – et il a 40 ans. J’ai oublié de vous dire que Mme Pardo Bazàn ne m’a pas même déposé sa carte après sa silhouette... c’est peu. J’ai fait dimanche chez Henriette 202 la connaissance de Mme de Bernède 203, elle est fort aimable, vous aime et vous admire comme il convient, elle m’a parlé de sa mère comme d’une femme de lettres (dirait Rachilde). Qui était-elle donc ? Que je ne sois pas idiote si elle a l’amabilité de venir me voir. Je ne sais quand je partirai maintenant pour le Vésinet, j’attends ma première plaquette 204 ; laquelle porte votre image comme attraction sur la couverture ; je veux Mme Bissieu. Épouse d’Arthur (de ?) Bernède, auteur dramatique. 204 Mes Contemporaines. 202 203 201 un peu soigner ma presse. Car j’ai besoin de gagner quelques sous ; ma pauvre petite Rosine a besoin de moi beaucoup avec son imbécile d’époux et cette revue... Oh ! Cette revue !... Des Houx m’a fait une préface bien, en ce sens qu’il ne parle pas du tout du tout de moi 205. Il l’avait faite pour que son ami Ollendorff prît le volume, je n’ai pas osé lui dire de la reprendre pour un autre quand Ollendorff a déclaré qu’il allait publier un volume analogue de Mme Ange Bénigne. Je lui avais envoyé une invitation à la soirée du 5 à ce M. Ollendorff 206, mais il n’a pas daigné m’expédier même sa carte, et je suis obligée d’acheter ses livres pour en parler dans Le Constitutionnel et dans ma feuille de chou ; ce qui est idéal. Dans le jour, vous savez, ici, on sonne beaucoup, le soir enfin j’ai le bonheur d’avoir la paix, c’est ma meilleure heure parmi toutes mes heures mauvaises, je ne peux pas beaucoup travailler, fatiguée de la journée et fiévreuse, mais je me reprends, je philosophe avec moi-même, je me fais mes mémoires pour moi mentalement en tirant un peu l’aiguille ; jusqu’à ce que le sommeil me dompte, alors je me couche triste et anxieuse Faut-il voir là de la mauvaise foi de la part de Camille Delaville ? Henri Des Houx termine sa préface par ce regret : « À toutes ces silhouettes, il en manque une, non la moins curieuse : le portrait du peintre ! J’aurais voulu le tracer ; on me l’a défendu », Mes Contemporaines, p. 18. 206 Allusion au bal du 5 mars. 205 202 de la nuit que je vais passer. Je viens de lire L’Homme tout nu de Catulle Mendès, c’est charmant et Le Paradis des enfants de Theuriet – ce volume très à la mode, a l’air d’être très bon 207. Comme une oléagine a l’air d’une bonne peinture jusqu’à ce qu’on l’ait étudiée de près ; mais ce n’est que l’imitation d’une œuvre. C’est écrit mal – avec des mots cherchés au fond des puits, et mille imperfections, il y a une idée – mais tous les bons s’en sont déjà servis. J’en ai fait la critique tantôt, mais les babies faisaient une ronde autour de moi, j’étais malade au possible ; et je n’ai pas dit sur ce Paradis le quart de ce que je devais dire. Bonsoir belle et bonne. Je vous aime et vous embrasse tendrement, Votre Cam Parlez-moi de vous, ce que vous nous préparez de beau. 207 Son titre exact est Au Paradis des enfants. Paru d’abord en feuilleton dans La Revue des Deux Mondes, entre le 1er février et le 1er mars 1887, il est annoncé en librairie le 15 avril. Camille Delaville en fait la critique, sous le pseudonyme de Pierre de Chatillon, dans « Les Livres nouveaux », Le Constitutionnel, 27 mars. 203 65/ Paris [mardi] 22 [mars 1887] Chère amie, j’avais oublié votre Triboulet, demain on vous expédiera différentes choses intéressantes pour vous distraire un brin. Le beau de l’affaire Round-Foucaux, c’est qu’Aline 208 a rencontré Caleb-Élise, laquelle lui a dit : « Il paraît que Mme Delaville a dit des horreurs à Mme Foucaux sur Mlle. Elle l’a appelée P. C etc. » Stupéfaction d’Aline qui ne me connaît pas depuis 22 ans qu’elle est dans la famille, sous ce jour extraordinaire. ... « Mais oui, – même que Mme Delaville lui a écrit là dessus, mais elle a répondu que ce n’était pas vrai pour ne pas avoir d’explication » puis... « Mme Delaville me doit bien quelque chose pour être allée chez elle, la veille du 1er janvier, faites-lui donc penser à me l’envoyer ! » Bien bon l’ensemble ! Dimanche j’ai essayé d’aller chez Mme Bissieu pour son dernier dimanche avec comédie et Mme Mendès, je n’ai pu sortir que tard et n’ai pas vu la pièce, mais en revanche j’ai été malade à pleurer. En rentrant je me disais que mieux vaudrait se jeter par la fenêtre que de continuer à 208 Domestique de Camille Delaville. 204 vivre ainsi. Je ne peux plus sortir du tout, et l’inclémence du temps m’oblige à demeurer à Paris encore. Heureusement que je peux travailler – Oh ! Parfaitement, sans fatigue – je mourrai une plume à la main ce sera très chic, mais je trouve que c’est prématuré. Chez M me Bissieu, j’ai trouvé l’excellente Ségalas, et Mme de Mouzay absolument envoûtée de spiritisme, le côté charentonnesque s’accuse, elle m’a raconté 3 fois la même histoire dans la même heure... et quelle histoire ! puis ayant compris par ma conversation avec de Constantin 209 que plus d’une fois nous avions joué les médiums pour la plus grande joie de l’assistance, elle a eu des haut-le-cœur !... Enfin, c’est complet ! Le bon Colas était là toujours fort gracieux 210. Ah ! J’ai lu la petite machine de M. Delpy. Pourquoi n’en reste-t-il pas à la musique ? Il a un si réel talent de musicien. Sa prose est extraordinaire. Il y a les tombes des cimetières de campagne qui ressemblent à des paquets de linge lavés par la rosée !!! D’abord cette idée de linge est peu heureuse surtout si la rosée seule le lave, et puis cela ne se ressemble pas du tout, et puis aussi dans les villages il n’y a guère de tombes en pierres – et puis... enfin il a des phrases impossibles et ça ne vaut pas trois 209 210 Le comte de Constantin. Le peintre lillois Alphonse Victor Colas (1818-1887) ? 205 notes de sa main. Vous êtes tellement au-dessus de ces bonnes petites gens, que vous avez vous, Grande Georges, des indulgences de souveraine pour tout ce jeune peuple. La cathédrale et les cailloux. Moi qui suis à mi-chemin entre les dits cailloux et l’édifice, j’ai l’œil plus près d’eux et guère d’indulgence pour les petits essayeurs – à quoi bon ? À encombrer la voie où sont arrêtés par cela même les jeunes de talent – Je ne dis pas de génie – ceux-là arrivent quand même. Je ne sais à qui attribuer le mot suivant : « Un M. Prud’homme quelconque est un parisien de talent. » « M. Prud’ : On a beau dire quand on met la lumière sous le boisseau ! – Ah ! Bah ! Avec du talent on arrive toujours M. Prud’homme. – Non, Mossieu, non ! Si vous étiez une lumière et qu’on vous mît sous le boisseau, eh ! Dites qu’est-ce que vous feriez ? Moi ! Eh bien ! M. Prud’homme c’est bien simple, je brûlerais le boisseau ! » Delpy ne le brûlera pas. Je crains d’ailleurs que ce numéro de La Revue verte soit le dernier 211. Il n’y a plus moyen, plus moyen, plus moyen ! Les abonnements viennent en abondance au prix de 6 francs, mais c’est si bon marché que n’ayant pas 211 Le dernier numéro de La Revue verte date en effet du 22 mars 1887. 206 d’annonces c’est plus qu’insuffisant. Si j’avais trouvé un bon commerçant pour les affaires, cela aurait été et bien, mais je ne l’ai pas trouvé hélas ! – Quid novo 212 ?... Barletta povero, est enrhumé d’une façon navrante chez Mme Bissieu il faisait peine à voir. Tout le monde m’a dit que Mme Mendès avait été merveilleuse de naturel et d’esprit dans sa pièce. Je vais lui faire un rôle pour elle, que j’entrevois (le rôle) avec mon amour de Beppa... Adieu belle et bonne, travaillez pour que nous ayons bien vite un chef-d’œuvre de plus. Je vais faire une nouvelle qui je crois – vous plaira – selon mes petits moyens. Mille tendresses de Cam 66/ Mercredi [23 mars ? 1887] Chère, Je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites de Mme Bloch, ils sont furieux, l’article étant fait de façon à ce qu’ils ne puissent 212 Quid novi ? serait moins fautif pour dire Quoi de neuf ? 207 expédier leurs petites paperasses 213. Tout Paris en a ri ! J’ai dû me livrer à ces fantaisies de haut goût pour arriver au dit papier sans crainte d’un procès fort désagréable voilà ! Elle ne paraîtra d’ailleurs ni comme cela ni autrement en volume. Votre plaquette dans 10 jours environ 214. Je ne ferai pas la silhouette de la grande X. Oh ! Non ! Caleb c’est sa bonne Élise – un type très intéressant. Je suis très malade, très pressée, je vous écris à la hâte. Je viens de cueillir dans un papier timbré cette épouvantable chose ; il s’agit d’un legs fait à des époux : À M. M et à Mme M. demeurant ensemble ou séparément en cas de mort de l’un d’eux !!! Heureusement mon Dieu ! Des Houx connaît 2 autres personnes qu’il m’a nommées, inconnues de vous, également timbrées pour portraits par les époux Bloch 215. Une nouvelle triste : Savez-vous qui on Il doit s’agir du portrait d’Élisa Bloch paru dans « Mes Contemporaines », Le Constitutionnel, 17 mars. 214 Le premier volume de Mes Contemporaines, dont un portrait de Peyrebrune orne la couverture. 215 Allusion aux manies procédurières du couple Bloch évoquées par Camille Delaville dans son portrait d’Élisa Bloch : « lorsqu’un malentendu se produit entre eux et une personne ayant passé dans l’atelier de Mme Bloch, crac, l’huissier est prévenu et les jolis petites feuilles que vous savez (les papiers timbrés) se promènent chez les concierges des amis de la veille. » 213 208 rencontre habillée en cocotte avec un gentleman plus que mûr à Elysée Montmartre et autres lieux idem 216 ? Germaine Cartillier Il n’y a pas à dire non Aline l’a vue en face. Dimanche, ma femme de chambre, 15 jours avant – et 2 messieurs que je connais différentes fois. Elle prend là un nom de guerre. Cartillier ne couche jamais chez ses filles. Beppa sait tout et les bonnes aussi – c’est à pleurer. Est-ce assez lugubre ! Oh ! Ce père ! À la hâte de tout cœur, votre mais pourquoi la mener dans ces lieux ? Cam Épique toujours Marie-Lætitia est comme son nom joyeuse 217. 67/ Samedi, Chère, la Princesse ne m’a pas invitée. Hier au soir chacun m’a parlé de ce thé en s’y donnant rendez-vous, mais, elle a pensé à me demander mon courrier 2 jours plus tôt mais pas à me convier. Depuis le Mexique c’est fini. L’Élysée-Montmartre, où fut inventé le french cancan, lança la mode des revues. Mais la salle était surtout réputée pour les individus louches qui la fréquentaient, les bagarres quotidiennes et... la saleté de son plancher. 217 Mme de Rute. 216 209 Si j’avais pu prendre 20 mille francs dans ma fortune, j’aurais fait ce que vous dites pour la revue, surtout pour la réclame car les noms... avant que cela ne soit bien enlevé ne servent pas à grand-chose. La République des Lettres, une merveille, a sombré avec Eux tous et L’Assommoir 218... Mais j’ai des revenus seulement et un conseil judiciaire. On fait ce qu’on peut en ce bas monde, j’ai fait une bêtise, c’est bien simple. Oui l’ange. Mais je croyais que vous aviez compris car vous m’avez dit ici : Cela se voit comme si c’était écrit sur son front. C’est lui justement qui m’est particulièrement insupportable dans ces conditions soupirantes car il est malade, énervé, un peu fou, on ne peut le mettre à la porte qu’avec des violences, enfin il me devient odieux, avec cela il veut me prendre la main sans cesse, cette main est toujours humide comme s’il la sortait de l’eau de guimauve. J’ai envie de crier. L’ange, c’est l’aîné – Gabriel – bien entendu qui était directeur de la Revue, l’autre se porte bien et est moins encombrant et beaucoup plus possible, depuis qu’il ne se suicide plus il a toute sa tête. Rachilde est venue hier au soir, elle a été sage comme une image, toute à fait gentille ; de Bonnefond l’accompagnait ou à peu près. Mme Bissieu ni Mme de Daillens ne sont venues, 218 L’auteur d’Eux tous n’a pu être identifié. 210 alors tout a été pour le mieux. Je suis toujours excessivement souffrante, hier après le départ des amis vers une heure du matin, il m’a semblé pendant 20 minutes que j’allais mourir. Je suis simplement d’une grande faiblesse que mon énergie ne parvient pas à vaincre. Amitiés du fond du cœur, Cam 68/ Jeudi soir [7 avril 1887] 219 Ma bonne Georges, j’ai été bien malade, mais je suis en vie et je ne suis pas folle. Ça viendra peut-être. J’attends le cataclysme, chose particulièrement atroce et je me tais. Je vais bavarder un brin avec vous pour me remettre la tête et le cœur. L’Ange (Gabriel) vous a sans doute écrit son entrevue avec l’homme du monde 220 ; lequel consentirait à un block-note très amusant. Voyez-vous ce très amusant à propos des Ensevelis ? C’est de la pure démence – mais s’il veut un block-note sur vous, je puis le faire à peu près dans le genre habituel du lieu ; vous savez moi, je fais ce qu’on veut, quant à Gabriel Bertrand pour sauver sa tête, je crois qu’il ne Une lettre de Gabriel Bertrand adressée à Georges de Peyrebrune, datée du mercredi 6 avril 1887 et conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux, fait mention de cette proposition d’article pour Le Gaulois. 220 Meyer, le directeur du Gaulois. 219 211 le pourrait pas. J’ai été aujourd’hui chez Abbéma pour sa silhouette ; elle demeure à ma porte 47, rue Laffitte 221. À ma prière elle était venue une fois, mais illico était apparue la Comtesse de Mouzay et je n’avais pas osé l’interviewer en sa présence. J’étais bien malade aujourd’hui et cette visite physiquement a été un affreux supplice, moralement elle m’a fort intéressée. J’avais vu Abbéma passer quelquefois ; je la trouvais hideuse. Chez moi, je l’ai trouvée pis. Point hideuse, mais la figure d’un pâle voyou de Belleville, cynique et pas drôle. Seulement la voix musicale et des dents vertigineuses, mais ce qui me paraissait surtout déplaisant c’était des joues pleines à la hauteur de la bouche et du rouge sur les lèvres... puis les cheveux coupés, frisés au petit fer et le chapeau d’homme comme Rachilde 222... sans oublier la chemise d’homme et la cravate, cela me donne le frisson ces choses. Louise Abbéma demeure au 5e en haut d’un escalier supplémentaire, drapé à l’entrée et orné de peintures amusantes, avant d’entrer de grosses fleurs peintes avec entrain vous souhaitent la bienvenue. Un domestique correct vient ouvrir. On gagne Le portrait de Louise Abbéma paraîtra dans Le Constitutionnel du 12 avril 1887. 222 Jusqu’en 1889, année de son mariage avec Alfred Vallette, Rachilde s’est habillée en homme et a porté les cheveux courts. 221 212 l’atelier par une salle à manger pleine de peintures diverses et un petit salon du même genre. L’atelier est petit, gentil, intime. La maman est là dans son peignoir austère, ses cheveux blancs, et une réelle distinction. Son tricot traîne sur une table à côté du dernier livre de Jean Lorrain 223... Voici les albums où papa colle les articles et la photographie de tout ce que fait Louise... Des études intéressantes sont là, une chasseresse moderne entre autre très crâne et très gracieuse... Beaucoup d’oiseaux empaillés, une amusante fantaisie sur une porte : un chien qui tire sur sa laisse avec le chiffre d’Abbéma et en légende : Je veux... Tout cela est très bien, très bien ???... Louise est malade – Mme Abbéma me conduit dans sa chambre, elle est couchée. En traversant le salon, elle m’arrête devant : une toile de Sarah Bernhardt – un buste par Sar. B. – une autre machine de Sar. B... hum ! Hum ! La peintresse est dans son lit – une chambre très simple ornée de beaucoup de portraits et esquisses intéressantes avec des dédicaces, le jour est terne. Le lit est très bas, artistique sans rideaux. Je m’assieds au pied. Je vois Abbéma de face ; elle est moins, beaucoup moins laide quoique toujours frisée au petit fer. Ses yeux noirs sont beaux ; ses joues me paraissent moins lourdes... elle a une chemise de nuit 223 Les Griseries, recueil de poésies. 213 d’homme sous laquelle paraissent les formes les plus féminines ; elle parle doucement, raisonnablement de choses et de gens connus – Holmès – Mendès... elle est spirituelle et très simple... Est-ce que c’est vrai ? Est-ce que c’est faux ? Son visage est resté très jeune sans un pli – La renommée est bien méchante ! Pourtant !... je suis perplexe au moment où entre la fille du critique Paul Mantez, qui apporte à l’artiste un gros bouquet de lilas blancs !... La maman a l’air heureux du devoir accompli. Je me souviens de la fille de Pont-Jest la belle Renée et des détails qu’on m’a donnés etc., etc. Je descends l’escalier un peu ahurie, les grosses fleurs me rient au nez 224. J’arrive chez moi à bout de force... mais là n’est pas la question. Mme de Mouzay est venue de nouveau m’étreindre sur sa grosse et aimable personne 225. Elle m’a parlé de Delphine de Girardin et de son fils ? Le bon Dieu disait-on a fait un fils à Mme de..... et Girardin l’a adopté 226. Mme de Girardin voulant sans doute s’attacher Camille Delaville s’interroge visiblement pendant cette visite sur les amours lesbiennes prêtées par l’opinion à Louise Abbéma. L’artiste a eu, en effet, une liaison fort tumultueuse avec Sarah Bernhardt et avec Renée de Pont Jest. Quant aux lilas blancs, ils symbolisent l’amour naissant. 225 Camille Delaville a fait sa silhouette dans Le Constitutionnel du 4 avril 1887. 226 Mme de Girardin adopta, en effet, le fils que son mari avait eu avec sa maîtresse Thérèse de Cabarrus. 224 214 son mari a pris le fils – mais il ne peut pas avoir d’enfant lui disait la comtesse 227 ! – Comment ? mais voyez donc il se lave les mains comme Émile ! Puis une autre ayant voulu avoir Émile a repris l’enfant disant : Pour avoir l’aigle on prend l’aiglon ! Triste aiglon ! Confectionné par un X quelconque. Il paraît que cette pauvre belle Delphine de Girardin, est morte pour avoir refusé de se laisser visiter par un médecin, elle a fait au hasard des remèdes détestables et s’est donnée une maladie affreuse qui l’a emportée 228. Quel joli type que cette femme !... malgré ses vers ! Mme de Mouzay me raconte aussi que dans son enfance, autour de la Madeleine il n’y avait que des chantiers et qu’on n’osait à peine le soir se risquer sans voiture boulevard des Capucines puisque les Champs-Élysées n’étaient que boues et cloaques. Cette bonne comtesse me fait l’effet d’un siècle assis dans mon fauteuil. « Ainsi tout lasse, ainsi tout passe Ainsi nous même nous passons etc. » Lamartine 229 La Comtesse de Mouzay. Delphine de Girardin a été emportée par un cancer en 1855. 229 Début de la dernière strophe du « Golfe de Baya » dans Les Méditations. 227 228 215 Lui a passé au ministère des Affaires Étrangères alors qu’il était à ce boulevard des Capucines fort vivant déjà, mais enfin contenant des jardins... Au temps des chantiers autour de la Madeleine, le Carrousel était plein de baraques immondes, de mds d’oiseaux et de chiens et l’hôtel de Nantes dressait sa silhouette crochue devant le palais... que la Commune a incendié. Et les Français trouvaient que Paris était la plus belle ville du monde ! Les belles dames aujourd’hui vont faire des stations dans les églises et Aline fait tremper de la morue pour demain. Cette morue et des lentilles à l’huile représentent à Paris pour le peuple, le plus clair de leur religion. Au fait, lorsqu’une fois par an, on mange de la morue et des lentilles à l’huile on est catholique c’est évident – puisqu’on est stupide. Les gens de lettres font semblant de l’être c’est différent – c’est autre chose. Donc, bientôt vous allez revenir que me sera-t-il arrivé alors ? Je l’ignore. Peut-être mon mobilier sera-t-il dispersé aux 4 vents de l’Hôtel Drouot. Au Vésinet c’est à mon nom aussi. Ce sera gai ! – alas ! Poor Yorick 230 ! Dieu que je suis bête ! Sur ce mot de la fin bien vécu je vous embrasse grande Georges, Cam 230 Citation de Hamlet (V, 1). 216 [en travers de cette feuille : Mimi m’a apporté une tapisserie. Elle sera peut-être vendue aussi] 69/ Mardi [12 avril ? 1887] Ma chère amie, vous avez reçu ma dépêche et puisque vous n’y répondez pas c’est que vous voulez attendre. Voici à titre confidentiel ce que me répond G[abriel] B[ertrand] à ma demande « est-ce fait ? ». J’avais déchiré je ramasse dans le feu et je vous expédie. Jamais, ma pauvre Georges, vous n’avez eu une plus fâcheuse idée que de demander cela à ce grand garçon paresseux comme 20 couleuvres en été, et que je m’efforce de faire quitter Paris où il n’est en état de rien faire. Il met des jours et des nuits à pondre une colonne, ensuite il se la récite tout haut pendant une quinzaine, c’est un incapable tout à fait comme producteur. Jamais de la vie il n’écrira dans un journal quotidien et lorsqu’il a écrit 2 lignes il les regarde comme les colonnes d’un temple ! C’est en somme pour lui les colonnes d’Hercule ! – nec plus ultra. Sa mère l’a décidé à rejoindre le castel de grandmaman dans le Lot-et-Garonne et j’aspire à ce départ de tous mes vœux, son frère aussi, car il n’a fait que des bêtises pécuniaires et autres qui me cuisent à moi – et à lui. Il n’a su trouver 217 rien rien rien pour ma pauvre petite revue et, hormis m’offrir son cœur et sa personne il n’a rien fait – rien – et ceci était de trop. Son père est mort fou à 32 ou 33 ans – il n’est pas fou lui, mais sa cervelle est molle et il n’a pas un atome d’énergie – qu’il parte, qu’il parte, qu’il parte, au nom du ciel que rien ne le rattache à Paris ! Le jeune frère lui, n’a pas une énergie bien grande, il est assez flemmard aussi, seulement il est poète et il écrit bien de certaine prose. Le roman d’un genre spécial par exemple, ses articles sont très mauvais, alors malgré sa mollesse, il produira, comme les cerisiers produisent des cerises ; quant à son indifférence, cela ne me touche pas du tout ; il n’est nullement indifférent, moins que vous et moi qui ne versifions pas là-dessus, au contraire, un ciron l’occupe comme nous une montagne avec cratère ; et son caractère est assez difficile, seulement comme son frère il est très bien élevé, et dans le monde il est sucre, miel, calme et neige. Du reste, ma chérie, les poètes ne pensent jamais un mot de ce qu’ils disent ; j’entends par poète les littérateurs qui écrivent de beaux vers sur des abstractions : « La joie de la délivrance – le repos fraternel de la tombe – le cœur mort à tout jamais, le suprême mépris, les pans d’azur – l’âme meurtrie – la mort de toutes sortes de 218 choses... » Ce sont pour de bon des mots. Est-ce qu’ils le savent si on est heureux dans la tombe et autres billevesées ? Léon Faucher 231 disait en parlant de Lamartine en 48 alors qu’il faisait de la politique : « Lamartine, un chef de parti, allons donc ! Un chef d’orchestre !... ». Et Dumas que le chantre d’Elvire appelait le roi de la Blague – disait lui : « Le roi de la blague, oui, M. de Lamartine, et vous, vous en êtes l’ange !... » Voilà ce qu’on a dit de plus vrai du plus poète des poètes. Je n’apprécie moi que les vers qui disent quelque chose de précis. Si le langage est autre, je veux que la pensée reste. Il faut à mon avis que le vers ne soit que le soleil qui vient transformer la beauté d’un site ; mais je veux qu’il éclaire quelque chose qui serait même en prose. Que de lignes, que de chapitres de vous, Georges, sont plus poétiques que toutes ces machines lyriques. Je crois qu’en incitant le petit (?) Bertrand à faire des vers raisonnables, on lui rendrait un grand service. J’ai trouvé ici griffonnés de lui des petits vers charmants qui commencent ainsi : Ô mon village, ô ma province, Petit village où j’étais Prince, Et Province où j’étais connu... 231 Homme politique, économiste et journaliste (1804-1854). 219 Vous voyez d’ici, le genre c’est gentil et vrai comme tout... Si je le retrouve (je l’ai égaré ce brouillon) je vous l’enverrai. Demain je vous expédierai quelques Contemporaines. L’heure de la poste sonne, adieu chérie, à vous, Cam Pas la peine de me retourner les morceaux de lettres 232. Rachilde a pondu un petit volume où il y a une nouvelle dégoûtante. Héroïne : la serviette maculée dont nous sommes forcées de nous servir chaque mois – Brrr !... Pouah 233 !... 70/ Confidentielle mercredi [13 avril 1887 ?] Ma grande Georges, Je ne donne pas de soirée, je n’y pense pas et n’en ai pas dit un mot. Ma santé est de moins en moins bonne et de graves ennuis m’assaillent. Camille Delaville a dû joindre à son courrier la copie déchirée de Gabriel Bertrand. 233 Allusion à « La Souris », nouvelle publiée dans Le Tiroir de Mimi Corail (E. Monnier, 1887). Camille Delaville en fait la critique dans « Les Livres Nouveaux », Le Constitutionnel, 20 avril. 232 220 Un jour Des Houx est venu navré, me demander de sauver Le Constitutionnel en lui prêtant ma signature, le journal ne paraîtrait pas le lendemain si je ne la donnais pas à Paul Dupont 234. Je l’ai donnée. Il a payé la 1ère échéance, pas la seconde, il ne paiera pas les suivantes, il sait bien, je lui ai longuement expliqué, que je ne pourrais pas le faire. Je suis désespérée car j’ai un conseil judiciaire et (je n’entre pas dans les détails), mais il peut m’arriver de grands malheurs, et à mes filles après moi, la perte de la moitié de ma fortune. C’est horrible. Des Houx sait tout cela. Il est à peine mon ami. Pourquoi ai-je eu la faiblesse de céder ? Je ne sais – un vent de malheur. Je suis très faible physiquement et je n’ai pas eu moralement par suite, la force de résister. Il m’a si bien juré... du reste lui ou moi ne payant pas, le journal cesse évidemment. Il n’est guère possible de vous imaginer l’état dans lequel je suis – cachant cela absolument à mes enfants, dans mon état de maladie et justement dans un moment fâcheux quand j’ai reçu hier cette nouvelle. M. Gabriel Bertrand a dû s’expédier avec votre article au Gaulois aujourd’hui – à ce que m’a dit le garçon de bureau qui traîne encore entre chez lui et chez moi jusqu’au 15. Cela doit être pour lui un étonnement 234 Imprimeur du Constitutionnel et nouvel imprimeur de La Revue verte. Des Houx avait pris la direction du Constitutionnel au début de l’année 1887. 221 gigantesque... mais il est si maladroit. Son enthousiasme... hum !... Mille tendresses de Cam 71/ Jeudi [mi-avril 1887] Ma grande Georges, la température caniculaire me laisse assez froide, je ne bouge pas, je ne fais rien, je n’ai plus de sang, je ne sens pas grand chose, mais pour un être vivant qui doit travailler, c’est odieux tout simplement et je vous plains comme je vous aime, car la Dordogne est plus chaude encore que nos pâles environs de Paris. J’ai été encore très malade après votre chère visite, redévorée d’une fièvre ardente, sans la moindre musique... à la clé (mon Dieu que je suis donc espirituelle comme dit ma femme de chambre !). Maintenant la fièvre m’a quittée mais la dysenterie a repris avec une intensité extrême et je tousse toujours. Voici mes nouvelles, parlons d’autre chose. Vous trouvez, belle et bonne, que la Liberté est à Paris ?... La Vie parisienne que nous menons dans le petit tourbillon des lettres qui tient au monde, me paraît juste l’envers de cette liberté trop chantée et trop criée... mais vous avez au moins celle du cher home, et elle est douce entre 222 toutes il est vrai. J’ai eu Samedi la visite de Mme Foucaux tout de blanc habillée, chapeau compris, elle dînait chez les La Roue et Cie – cette aimable authoress avait l’air d’une cathédrale pavoisée pour l’entrée de don Carlos – quelle majesté messeigneurs ! mais elle a de l’esprit et de la bonne grâce. Hier j’ai été affreusement fatiguée par de bons amis, que j’aime beaucoup mais qui sont restés ici de dix heures un quart à 3 h ½. Les Patti de Munck. C’était la 4e fois que je leur télégraphiais « Malade, impossible vous recevoir ». Je n’ai pas osé l’écrire une cinquième. Ils sont habitués à un grand luxe, il a fallu les recevoir au moins convenablement et pour que la maison soit sous les armes à 10 h ¼ quand on est malade et qu’habituellement on ne peut se lever qu’à cette heure, c’est dur. Si Georges était venue à ce moment, on n’aurait rien mis du tout sous les armes et cela aurait été délicieux – votre présence m’est si douce que c’est comme une impression de délices physiques, certainement un magnétisme. Les gens de grand talent et de génie sont généralement si insupportables que lorsqu’on en rencontre un ou une, bon ou bonne et simple, on croit voir le ciel s’ouvrir. Pourvu que je puisse assister à la première des Ensevelis ! 223 Comme mon cœur battra ! Georges seule ! Oh seule surtout ! Entendre ce nom, les applaudissements... Quel bonheur ! La rage des hommes, quel délire ! Ils sont si mauvais dans le fond pour nous, lorsqu’il ne s’agit pas de nous traiter en filles ! – Voyez le passage du Journal des Goncourt à propos des maîtresses qui conviennent aux hommes forts... « de jolies filles dont ils s’amusent comme d’un bel animal – Toute femme qui veut suivre leur vie intellectuelle devient un poids, odieux pour lequel on a forcément de la haine 235 ». Le puits de vanité que représentaient les Goncourt est d’ailleurs d’une insondable profondeur, il est fait d’un mépris immense à peine éclairé de quelques exceptions, pour toute l’humanité qu’ils coudoient. Cette façon de s’élever est très usitée chez les impuissants, elle est plus rare chez les forts. Cela me les diminue beaucoup. Goncourt restant, est dit-on un gentilhomme de formes parfaites et d’une extrême galanterie 18e siècle avec les 235 Le premier tome du Journal des Goncourt a paru au début du mois de mars 1887 chez Charpentier. Camille Delaville résume le passage : « Il faut à des hommes comme nous une femme peu élevée, peu éduquée, qui ne soit que gaîté et esprit naturel, parce que celle-là nous réjouira et nous charmera comme un agréable animal, à qui nous pourrons nous attacher. Mais que si la maîtresse a été frottée d’un peu de monde, d’un peu d’art, d’un peu de littérature et qu’elle veuille parler de plain-pied avec notre pensée et notre conscience du beau, que si elle veut être la compagne et l’associée de notre livre ou de nos goûts, elle devient pour nous insupportable comme un piano faux, – et bien vite un objet d’antipathie. » (Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, 21 mai 1857, éd. Robert Ricatte, Fasquelle-Flammarion, 1956, t. I, p. 354.) 224 femmes 236. N’est-ce point plus odieux encore ? Il est respectueux et galant comme il met un habit pour aller dans le monde – sous l’habit il y a le moine avec ses grossièretés, ses appétits brutaux, son égoïsme forcené et son amour propre monumental 237. Comme tous ces gens doivent vous détester ! Avec George 1ère il y avait les compensations, elle avait le génie d’un homme et ses vices les plus chers ; on pouvait dire : « quelle P....! » et en profiter, avec Georges II, rien du tout. Ah ! Oui, ils doivent vous haïr de tout leur cœur. Si au moins vous étiez laide ! Mais non, rien, rien à se mettre sur les lèvres ou sous la dent. L’aimable Ginisty me refuse comme vous voyez, six lignes pour les Contemporaines. Je te repincerai mon ami, je te repincerai si Dieu me prête vie... dans très longtemps peut-être, mais ça viendra sûrement. Adieu pour aujourd’hui, ma mie désolée, travaillez bien et revenez-nous vite « toujours courant ». Mille tendresses de pauvre Cam 236 237 Edmond de Goncourt ; son frère Jules est décédé le 22 juin 1870. Ces réflexions sont reprises dans la rubrique « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 15 avril 1887. 225 72/ [Coin droit en haut déchiré] samedi, [16 avril 1887] Ma chère amie, Enfin, j’ouvre l’œil ! Et je pars tout à l’heure pour le Vésinet d’où je reviendrai pour vous souhaiter votre fête cela va sans dire 238, d’ailleurs le voyage est peu important – une course d’omnibus. Je pars malgré la froidure parce que je suis comme vous il y a quelque temps, dépourvue de monnaie, oh ! Mais tout à fait ! La Revue verte que je liquide !... Oh ! Cette feuille de chou ! Et au Vésinet je règle mes fournisseurs quand [manque] j’y ai un immense [manque] mes filles et mon [manque] alors j’y vais avec mes bonnes, très triste de quitter les chers enfants et eux très tristes de voir Mère partir. J’ai obtenu de Des Houx et de son frère que mon acte fût retiré en cas de faillite mais les signatures de complaisance ils ne les paient pas !... Ce qui manque absolument de charme. 238 La Saint-Georges (et non la Sainte-Mathilde) est fêtée le 23 avril. 226 J’en serai de quinze mille francs que je paierai laborieusement si M. Dupont y consent [manque] qu’il y consentira [manque] et rien de mieux [manque]. Je suis toujours aussi malade. Au Petit Parisien rien et voici pourquoi, le collaborateur choisi par M. Piégu M. Jules Mary se marie aujourd’hui, il ne s’est donc occupé de rien depuis un mois. Piégu n’a même pas pu lui parler. C’est un ami M. Théry qui a été chez lui et m’a écrit cela avant de partir pour l’Algérie avec les officiels. Moi, c’est un sort, à cinq heures je suis toujours trop malade pour me rendre rue d’Enghien 239. Je compte ni [manque] sur vous à votre [manque] Je pense ceci : [manque] style lui va il ne ressemble pourtant guère à celui de J. Mary !... Si vous lui offriez à ce Piégu de retourner mes chapitres – d’une façon anonyme bien entendu – nul n’en saurait rien de 3 coups de plume vous m’indiqueriez des changements propres à le satisfaire. Je retournerais ou ferais recopier et nous partagerions le petit magot sans que vous soyiez compromise en rien. En admettant même que Piégu dise que vous avez arrangé un feuilleton de moi, La Revue bleue ne peut se fâcher d’une complaisance 239 Le siège du Petit Parisien se trouve depuis 1878 au 18, rue d’Enghien. 227 anonyme pour une amie 240... cela ferait mon affaire et mettrait quelques pots de beurre dans nos cuisines respectives. Je suis convaincue que Piégu trouverait cette combinaison idéale et cela aurait l’avantage de ne pas vous donner de peine. Mme Lesueur reçoit ce soir, moi je dormirai tranquillement au Vésinet, cela m’amusera bien plus 241. Je ne connais Meyer que fort peu et fort mal. Mme Foucaux que j’ai vue chez Mme La Roue dimanche dernier est maintenant tout miel avec moi. Elle ne reçoit plus Lorrain ! Elle est venue me voir. Ne la connaissant pas, Eugénie ne l’a pas reçue, vous avez lu la lettre de Maizeroy 242 !!! Hier Rachilde est venue me voir. Elle me paraît décidément folle. Amitiés tendres de votre Cam Georges de Peyrebrune a signé un contrat avec La Revue bleue, où elle a fait paraître en feuilleton ses romans Marco (1881), Jean Bernard (1883), Mademoiselle de Trémor (1884), Les Frères Colombe (1885) et Les Ensevelis, drame rustique (1886). 241 Camille Delaville semble avoir eu un différend avec la poétesse et romancière Daniel Lesueur. 242 Cette lettre, que le romancier fit paraître dans Le Gil Blas du 16 avril 1887, répond à l’article de Jean Lorrain publié dans L’Événement du 14 avril, intitulé « Les Pères Saphistes », accusant Catulle Mendès et René Maizeroy de pervertir les mœurs amoureuses de leurs lectrices. 240 228 73/ Lundi soir [2 mai 1887], Ma belle Georges II, (comme vous nomme Mme de Mouzay d’après mes dires), quand vous verrai-je ? Je suis toujours dans le même état ; seulement fatiguée, fatiguée... Quelle folie ma grande amie de souhaiter la mort ! Ce ne sont pas des fleurs mais des vers affreux qui mangent un squelette hideux. Brrr ! Machinez assez donc mon ours, c’est-à-dire faites 3 changements pour satisfaire ce petit grand financier et touchez la forte somme puisque comme résultat ce sera mieux que par un autre et me donnera ce que je désire. Si plus tard vous êtes riche, vous donnerez un collier à Mimi ou à petite France 243. Est-ce que vous croyez que si je n’étais pas depuis un an serrée à la gorge par mes folies vertes, je vous laisserais vous inquiéter ? Ah non, par exemple ! J’ai espéré un instant contracter un fort emprunt, on devait m’apporter la somme à telle heure, j’avais déjà écrit l’enveloppe sous laquelle je devais vous expédier les petits [mot illisible] nécessaires à votre calme... qu’est-ce 243 Petites-filles de Camille Delaville. 229 que c’est que cela de l’argent ? Rien, moins encore, le marche-pied sur lequel on monte pour atteindre ceci ou cela. Ah ! J’ai fait moi-même ma silhouette dans Le Constitutionnel, cela a paru samedi 244 – une ligne a été intercalée ça se voit. Je vais écrire qu’on vous l’envoie je n’en ai pas ici. Mme de Mouzay m’a écrit ce matin qu’elle se purgeait pour combattre la bête qui l’étouffait depuis la mort de Toto, que j’avais des petits enfants que j’adorais mais pour lesquels je n’étais qu’un but de promenade, de gâteries bien vite oublié, tandis que Toto n’aimait qu’elle. Douce folie ! Oh ! Mes chers petits ! Ils sont venus une fois déjeuner avec « mère », ils ont mis du sable dans les plate-bandes, fait une vie impossible, crié, ri, chanté !... Mimi m’écrit : Mère, je t’aimel – pourquoi cet l final ? On ne sait pas. Tous les jours à l’heure du goûter tout cela pleure pour voir Mère... Oh ! Mes chers petits ! Je festonne des chemises à Mimi, c’est gentil cette batiste mignonne avec ces petites épaulettes boutonnées... Je crois sentir dedans la belle chair brune et rose de la chérie. Sa tante Rosine elle, s’amuse à lui faire des chemises « de mauvais goût » dit-elle avec des entre-deux et de la dentelle... Non vrai, cela vaut Toto. J’adore les chiens 244 30 avril 1887. 230 mais les uns n’empêchent pas les autres. Venez passer un jour que je vous aie à moi, que je vous voie, que je vous entende, que je vous admire ! Vous savez mon terrible amoureux a regagné la Garonne, j’en suis ravie. Il m’assommait absolument. Adieu pour ce soir, je vais me coucher et rêver si je peux que j’ai la moitié de votre talent, ce sera au moins une bonne nuit. Cam Votre chatte (qui est un chat) va bien on l’adore, il fait toutes les sottises qu’il veut, même de griffer Margot pour s’amuser et il couche entre elle et son mari sous la couverture ; on le nomme Zizi. [écrit en travers de cette dernière page : Souvenir bien affectueux à votre ombre opulente M. Mendès.] 74/ Mardi soir 7 mai 87 Me gêner vous, ma chère Georges, le matin, le soir, au soleil à la lune, grand Dieu jamais, et si ce n’était vous laisser une vilaine image, 231 je voudrais mourir en regardant votre visage à côté de celui de Marguerite 245... Venez si vous pouvez quand vous voudrez et toujours vous serez welcome to elsemore. Mais ma chérie, un panier doré, ça n’a aucune valeur, c’est doré avec du papier je crois, ce n’est rien du tout. Il me semblait que ces fruits frais et vivants, ces douces roses vous diraient ce qu’il y avait pour vous dans mon cœur et dans mon esprit, c’était mes hiéroglyphes, car hier encore je pouvais à peine écrire, aujourd’hui je vais un peu mieux. Je tousse, j’ai une petite fièvre qui m’use comme une lime use l’acier, tout doucement, régulièrement, mais il y a du mieux, je viens appuyée sur le bras d’Eugénie de faire quelques pas au jardin et j’ai mangé une aile de pigeon. Mimi devient bonne. Je compare sa mère à un épi de pur froment, ce qu’il y a de meilleur et de plus simplement suprême en ce monde, j’avais peur que cette triomphante brunette ne fût pas d’or aussi pur, j’espère m’être trompée. Voici le dernier mot de la dite Mimi : La famille vient me voir, chacun me dit adieu : à demain disent mes filles, à bientôt ou à après-demain disent les gendres. Au tour de Mimi elle dit : Adieu mère, à toujours ! Pauvre chiffon de soie, toujours ce sera peut-être bien court pour mère que tu vois éternelle. 245 Fille aînée de Camille Delaville. 232 Adieu ma bonne Georges et comme dit Mimi, (tant que je vivrai) à toujours ! Cam 75/ Jeudi [après le 28 mai 1887] [En haut de biais à gauche : Il n’y a pas de papier timbré ici] Chère amie, Ne recevant pas de réponse à ma dépêche, j’en envoie une à mon gendre pour qu’il m’apporte ce soir une feuille de papier timbré sur laquelle j’écrirai le pouvoir et que vous recevrez demain dans la matinée, s’il faut que ce soit notarié vous aurez la bonté de passer 18 rue Lepeletier chez Maître Rey mon notaire qui ajoutera le nécessaire. Je vais lui écrire pour ce cas. Tenez, je vais faire mieux, mon gendre a son bureau en face je lui en donnerai une seconde et si vous en avez besoin samedi vous n’aurez qu’à la cueillir chez Maître Rey – le 18 de la rue Lepeletier est dans le chemin de la rue d’Enghien. Merci mille fois, vous pensez comme tout cela m’est indifférent. Celui-ci ou celui-là ! Je trouve entre nous, néanmoins fort grossier de 233 ne vouloir se nommer qu’après que quelqu’un a signé sans savoir ce que vous avez fait le moins du monde. Ceci est de Turc à More comme on disait en 1830, mais je m’en ff..... Je ne souhaite qu’une chose c’est que ce malheureux ours me rapporte quelque chose et soit dans une ménagerie quelconque et je vous remercie un million de fois avec excuses pour la peine que je vous donne. Je suis toujours bien malade, bien accablée, je ne puis parler. Votre lettre m’a donné un rayon de joie dans mon ombre profonde, que vous êtes bonne et dévouée ! Merci ! Ne serait-ce point la fille Maldague ?... actuellement fort inconnue ailleurs mais connue au Petit Parisien et appréciée de Piégu plus que Zola ou Goncourt. Ça m’est égal (ter) Il faudra bien que je sache son nom, je signe, on ne signe pas un faux nom donc il signera aussi... Mille tendresses et remerciements, Camille Delaville [Post-scriptum écrit en travers : Pour ce qui est de mille francs à peut-être toucher... Le cas échéant touchez et vous aviserez il sera toujours temps d’aller chercher cela chez vous. Vous ne brûlerez pas comme l’Opéra Comique 246 !] 246 Il brûla le 28 mai 1887. 234 76/ Jeudi soir, Voici mon adorable amie. Hélas ! j’ai passé une journée affreuse. Je n’en peux plus. Cette petite pluie Danaësque arriverait bien à propos ! Oh mais d’un à propos, ma maladie complique tout. Merci, merci, merci, ma belle et bonne ! Pauvre Cam 18 rue Lepeletier chez Maître Rey au 1er demander M. Rebiffe 1er Clerc, il aura s’il le faut le pouvoir notarié samedi. Ce même mais avec les Herbes de la Saint-Jean 247. Je suis divorcée comme vous le savez depuis 2 ans ½. 247 Ces herbes avaient la réputation d’écarter les démons et les orages... ici tous les soucis pécuniers qui accablent Camille Delaville. 235 77/ Jeudi 7 [juillet 1887] Ma chère amie, Je ne vais pas mieux et je ne donne aucune fête, je refuse même de recevoir personne à dîner – personne ! Je vous aime de tout mon cœur, Cam Je n’ai d’ailleurs vu personne. 78/ Vendredi 8 juillet 1887 8h du matin Ma belle et bonne Georges, Lorsqu’hier j’ai reçu votre billet, je me tordais dans une crise de ma maladie habituelle, crise qui se produit tous les 8 ou 15 jours, j’étais dans une humeur de fauve, l’idée que sans cesse on raconte que je suis guérie, alors que je suis toujours si malade m’a exaspérée et je vous ai écrit ces 3 lignes. Ce matin, je suis fort souffrante mais la crise 236 est à peu près terminée, je puis donc causer avec vous raisonnablement. Je ne vois que Barletta qui ait pu vous écrire cette bêtise. Il y a 8 jours environ j’ai reçu au 1er courrier (6 ½ du matin) une lettre terrible de mon notaire, il fallait ma présence bien vite chez lui où je perdais ce jour-là 500 f que je m’apprêtais à toucher et dont j’avais un absolu besoin, c’était le 1er. Je restai à jeun, je me fis habiller et accompagnée de ma femme de chambre je pris le train et je pus arriver à Paris où les stations sont faciles et me rendre chez le notaire qui demeure près de la gare, puis je repris le train et voyageai avec Barletta qui allait déjeuner chez Mme La Roue, il était étonné de me voir, je lui dis quelques mots des nécessités de ce voyage à Paris, le 1er depuis deux mois et au cours de la conversation j’énonçai ceci : c’est que lorsque je me portais à peu près bien, je donnais une petite fête le 14 juillet. Une voiture m’attendait au train, j’y fis monter Barletta avec moi et Eugénie, et comme sur le détour nécessité par les ponts, je passais devant la demeure des Le Grand ou à peu près, je l’y déposai – non sans une pointe de méchanceté peut-être, car personne ne peut voyager sans l’y rencontrer sur la ligne, ce qui d’ailleurs prouve qu’il n’est pas encore heureux, car alors il n’irait pas poser entre papa le Grand, 237 Maimaine et la grand-mère dans une maison grande comme une boite, il recevrait à Paris le joli Papillon qu’il convoite 248. L’aimable Barletta n’a pas saisi les finesses de ma conversation française. Du reste hier soir, j’ai reçu une étonnante carte de Mme Keller qui me paraît ne pas se douter que depuis mon arrivée ici je suis sans cesse hors d’état de recevoir. Peut-être donc, quelques Parisiens débarquerontils ici, sur la foi des dîners d’antan, alors ne pouvant les mettre à la porte, je les recevrai ou les ferai recevoir par Marguerite... Ah ! Elle compte bien que vous serez assez aimable à votre prochain voyage ici pour aller jusqu’à son home, pour qu’elle vous présente Zizi votre cadeau qui ne veut pas être porté dans le village. Zizi est un poème de drôlerie il couche maintenant dans un lit de poupée, il s’étend comme une personne et met sa tête sur l’oreiller, aussitôt que ses petites filles ont aussi mis leurs mignonnes têtes sur le leurs. Il boit le lait au 1er déjeuner, au moyen de sa patte fourrée et refourrée dans le pot à lait, cette patte il l’a préalablement nettoyée et lissée... et toute la famille attend émerveillée qu’il ait fini pour se servir... le reste. Il a commis quelques crimes : il avalé un gentil oiseau en ouvrant sa cage la nuit si doucement 248 Mme La Roue. 238 que ma fille n’a rien entendu et c’était à côté de son lit. On n’a trouvé qu’une imperceptible plume par terre... Ce Zizi est brillant comme le plus beau des satins. Parlons de choses plus graves, ma bonne Georges, il m’est impossible de vous trouver malheureuse, étant donné ce qu’est la vie pour chacun. Votre malheur, c’est le mari et pas d’enfant. Mais un mari impossible est le lot de tant de femmes, que ce n’est pas une circonstance à part. Pas d’enfant, c’est plus grave quoique bien d’autres hélas ! subissent ce malheur négatif voyez : Mme Keller, Mme de Daillens, Mme Foucaux, Mme Mendès... Je cite sans chercher tout autour de moi, et celles qui les perdent. Oh ! Georges ! Perdre un enfant ! Se voir arracher et mettre sous terre ce morceau de son cœur ! Mais surtout sont à plaindre celles qui sans enfants n’ont rien dans la vie à faire d’utile, à laisser. Vous êtes plus riche que le conquérant qui disait : « Je laisse en mourant 2 filles immortelles, les victoires de Leuctres et de Mantinée 249. » Vous, vous laisserez une théorie de filles éternelles. Comment, vous êtes la première des femmes de votre pays et de la fin de ce siècle, bien mieux que George Sand, qui faisait faux et par conséquent ne peut être éternelle ; vos œuvres sont destinées à un perpétuel rayonnement comme celles de Molière et de Shakespeare, 249 Épaminondas, général thébain fondateur de Mégapolis. La citation exacte est : « Je laisse deux filles immortelles Leuctres et Mantinée. » 239 parce qu’elles contiennent la vie même avec ses passions, ses espoirs et ses larmes ; vous êtes belle, libre de votre cœur selon les lois de la plus stricte honnêteté, s’il vous plaît de le donner ou de le prêter, vos petits pieds marchent sur des lauriers, ils y dansent même quelquefois, et vous souhaitez la mort, et déclarez la vie un fardeau !... que vous êtes injuste ! Vous savez bien qu’elle ne peut tout donner cependant ! Elle vous a donné le génie et la beauté, une âme droite, un cœur d’une inépuisable bonté... Clochette... et vous vous plaignez ! Oh ! Ma chère Georges, si subitement vous vous trouviez laide ou seulement pas jolie, sans talent, sans avenir, avec un nom inconnu ; peut-être le lendemain en vous retrouvant, seriez-vous, comme le poulain de la fable de Florian, retrouvant la nuit le gras pâturage dont il était mécontent la veille et y paissant délicieusement 250. Très jeune, je me souviens qu’on me demanda : « Qu’est-ce qui à vos yeux vous semble constituer le bonheur possible sur terre ? » et je répondis sans hésiter : « Être aimé et être quelqu’un. » À cette époque : être aimée pour moi représentait l’amour et ses ferveurs, maintenant je donne à mon souhait une forme plus générale, sachant que l’amour qu’on inspire est souvent bien gênant et bien tragique, mais je maintiens la fin de ma phrase : être quelqu’un... 250 Allusion à la fable « Le cheval et le poulain » de Florian (1755-1794). 240 Je ne suis qu’une bien modeste personnalité et la maladie m’a réduite à l’état de nébuleuse éteinte, mais j’ai approché d’assez près cependant ces choses, pour comprendre que c’est le seul bien dont on ne se lasse jamais et qui donne une satisfaction incessante. C’est comme un lumineux fond de tapisserie sur lequel se brodent les scènes quotidiennes de la vie... Rien ne remplace cela, Georges, rien. Donc ma terrible amie, je ne puis vous plaindre que de vous plaindre. Je n’ai pas de nouvelles de la Princesse. Elle ne m’a pas remerciée d’une ligne pour avoir dicté mon article de mon lit de douleur pour ses matinées... Malade ! Toujours malade, je deviens une nonvaleur. Quand revenez-vous Georges ? Avant d’aller en votre Castel Océanien 251 ? Je continue à ne pouvoir rien faire, c’est une vie odieuse tout simplement. Ginisty n’a pas parlé des Contemporaines et le roman n’est pas commencé au Petit Parisien. Songez donc... tripler ma prose, très suffisante pour le sujet. Cela doit être inouï ! À vous de tout cœur, Cam Si je lui confiais des sonnets à tripler ce serait peut-être agréable. 251 Les Meulières, la demeure familiale de Dordogne. 1888 79/ Lundi soir Chère, je suis bien malade – mes forces s’en vont, je ne peux plus prendre que des potages. Et vous ? Un mot à votre pauvre Cam Acte de décès Le 12 juillet à « trois heures du soir » : Acte de décès de Françoise Adèle Chartier, âgée de cinquante ans, rentière, née à Paris, décédée à son domicile, rue Favart, 6, hier à vingt heures du soir, célibataire, fille d’Hector Marc Alexandre et d’Augustine Geneviève Defontaine Delaville ; époux décédé, dressé par nous, Henri Charles Aron, adjoint au maire, officier de l’État Civil du deuxième arrondissement de Paris, officier d’Académie, sur la déclaration de Louis Lefèvre, âgé de soixante-trois ans, employé, demeurant rue Oberkampf, 8 et d’Auguste Marquet, âgé de trente-sept ans, employé demeurant à Paris, avenue Parmentière, 110. Son ex-époux, l’avocat Émile Couteau, n’est pas mort. Il est même présent au moment du décès de Camille Delaville selon Mme de Rute. Par ce mensonge, les proches évitaient de dire que la défunte était divorcée, un statut encore mal considéré par la Société et par l’Église. Conservé aux Archives de la Ville de Paris sous la cote V4E5495. Épilogue Dans Les Matinées espagnoles du 31 juillet 1888 paraît un nouveau « Courrier de Paris ». Il est signé par Mme de Rute, qui reprend le titre de sa collaboratrice défunte. Elle annonce aux lecteurs que « ce ne sont point les morts, ce sont les vivants qui vont vite ; je le constate, non sans un grand serrement de cœur, aujourd’hui que je prends la place de Camille Delaville, disparue alors que chacun la croyait destinée à vivre longtemps encore ». L’hommage qu’elle lui rend, dans la suite de la chronique, est à la hauteur de sa réputation. Surnommée « Princesse Brouhaha » par ses contemporains parce qu’elle révélait dans ses articles leurs secrets et leurs défauts – ce qui lui valut nombre de procès en diffamation –, elle étale avec une certaine complaisance les travers de Camille Delaville : Les Matinées payent ici un lourd tribut de regrets à cette femme spirituelle entre toutes ; elle passait pour être méchante, et ce n’était pas absolument vrai ; elle avait trop d’esprit réel, de verve constante, pour avoir recours au plus facile de tous les esprits : celui du dénigrement de parti pris. Cependant, il faut bien en convenir, elle résistait difficilement au plaisir de faire un bon mot, ce mot dût-il atteindre un de ses meilleurs amis ou amies. [...] Pauvre femme ! – Sa mort a été triste ; elle est due non seulement à la cruelle maladie d’estomac dont elle souffrait, mais encore à des douleurs intimes, exagérées par son imagination surexcitée, enfiévrée, faussée, et sur lesquelles Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 197. 248 nous jetterons un voile pieux et mélancolique. Ses traits accentués, sa taille un peu épaisse, un certain abandon de toilette, faisaient qu’elle paraissait plus âgée qu’elle ne l’était réellement. Hélas ! elle s’était survécue à une époque de la vie où il ne faut plus songer qu’à ses petitsenfants . C’est là un portrait peu flatteur : l’image de la chroniqueuse spirituelle et de bon goût est supplantée par celle d’une vieille femme négligée et affabulatrice. Mme de Rute présente également sa collaboratrice comme une déclassée car, suite à son « divorce survenu », « cette femme qui fut belle, aimée et malheureuse [...] se trouvait depuis si longtemps de par la force des choses, hors de son cadre et du milieu dans lequel elle était née et eût dû vivre toujours » . Et, sous prétexte de critiquer son mode de vie qui aurait dû être, en regard de son âge, celui d’une recluse, Mme de Rute fustige la médiocrité de ceux qui la fréquentaient : Le monde qu’elle réunissait chez elle, à part quelques rares exceptions, ne la valait pas ; elle devait certainement souffrir d’en être entourée, de passer son existence dans cet océan de petitesses, de commérages, d’à peu près sociaux, d’à côtés intelligents, de faux illustres, de premiers inconnus ; elle ne pouvait se résigner à vivre simplement dans la calme et fière solitude, faite de travail consolateur et de devoirs de famille austères . Camille Delaville ne recevra pas d’autre hommage de la presse, mais continuera à faire parler d’elle après Ibid. Ibid., p. 198. Ibid. 249 sa mort. À l’ouverture de son testament, des rumeurs circulent concernant le destinataire d’un certain legs, rente versée à un homme qui n’appartiendrait pas à sa famille. Cette affaire prend une telle proportion que Georges de Peyrebrune entend faire taire ces médisances, ainsi qu’elle le confie à Rachilde. Cette dernière est persuadée, à l’instar de sa correspondante d’ailleurs, que si Mina Round paraît à l’origine de ces commérages, celle-ci n’est, en réalité, qu’un bouc émissaire... C’est sur ce constat que débute la première lettre, datée du jeudi 25 octobre 1888, que Rachilde adresse à Georges de Peyrebrune : Je crois comme vous que Mlle Round est un simple paravent [...]. Dites donc, affirmez même, s’il vous plaît, cette seule chose à peu près exacte, mais, en dehors de la question des rentes conservez un silence prudent. Je connais les personnes (des femmes prétendues du monde) qui font les potins. N’hésitez pas à leur imposer le silence non moins prudent que je vous conseille. Certes, réhabiliter une morte est une action toujours belle. Malheureusement dans le cas qui vous occupe c’est complètement inutile et audessus des forces humaines. Maintenant souvenez-vous bien que ceux qui cherchent le cadavre, pour employer votre expression, en ont un dans leur propre poche (c’est sale qu’il faut traduire). Pour moi j’ai horriblement souffert de l’amitié de Camille, cependant je l’estime encore... elle était un honnête homme et, l’ayant vu mourir, je me sens pleine d’une artistique admiration pour cette amoureuse qui sait se briser la coupe entre 250 les dents dès qu’elle aperçoit de la lie . Le cercle d’amis de la défunte semble donc persuadé qu’elle entretenait une liaison. Ces rumeurs sont fondées sur la réputation « d’amoureuse exaltée, généreuse et naïve » que s’était forgée la défunte. Dans ses lettres à Georges de Peyrebrune, elle avait fait plusieurs allusion à ses flirts (Hippolyte Buffenoir, Isaure Toulouse, Étienne Bertrand). À ces aventures galantes qui offusquèrent nombre de ses contemporains et qui firent le lit de bien des commérages, il faut ajouter le fait que, n’en déplaise à Mme de Rute, Camille Delaville était encore, à cinquante ans, une grandmère séduisante. Olympe Audouard la décrivait ainsi : « […] grande, un peu forte, ses épaules et ses bras semblent taillés dans le marbre par un Phidias. C’est une brune, au teint blanc mat ; ses grands yeux noirs ont, parfois un regard voilé, qui paraît regarder en dedans . » Georges de Peyrebrune la comparait à « une belle Gabrielle un peu grasse, mais très majestueuse, avec des yeux noirs magnifiques ». Alors que celle-ci est persuadée que ce mystérieux amant n’est qu’une pure fable malveillante, Rachilde lui rapporte une confidence de Camille Delaville qui confirme son existence. Dans une seconde lettre, datée du samedi [27 octobre ? 1888], elle lui révèle non seulement le nom des bavardes mais également un certain souhait testamentaire : Conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux [Fonds Georges de Peyrebrune], cette lettre est publiée ici avec l’aimable autorisation de Mme Romana Brunori. Mme de Rute, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, 31 juillet 1888, p. 181. Olympe Audouard, Silhouettes parisiennes, Paris, Marpon & Flammarion, 1883, p. 303. Georges de Peyrebrune, Le Roman d’un bas-bleu, Paris, Ollendorff, 1892, p. 182. 251 1er : Je ne pensais nullement aux dames que vous me dites mais à Mme Pilinska et à Mme Lesueur. 2e : Camille. Un mois avant de mourir m’a déclaré vouloir laisser, sous le couvert de legs quelconque, des sommes à... son dernier amour 10. Aucun élément, à ce jour, n’a permis de découvrir l’identité de ce mystérieux héritier. Il appartenait peut-être à « son cercle intime [qui] se composait principalement de petits jeunes gens, de ceux qui suivent volontiers le sillage d’une femme un peu mûre, comme des papillons altérés accourent autour d’une rose très ouverte, dont le cœur est mal défendu 11 ». Georges de Peyrebrune ajoutait : « Elle en avait aidé plusieurs à vivre, par qui ensuite elle avait horriblement souffert 12. » Sans doute O. Pilinska, avec qui Sully Prudhomme entretint une correspondance. 10 Conservée à la Bibliothèque municipale de Périgueux [Fonds Georges de Peyrebrune], cette lettre est publiée ici avec l’aimable autorisation de Mme Romana Brunori. 11 Georges de Peyrebrune, op. cit., p. 181. 12 Ibid. Notices biographiques concernant les personnalités mentionnées à plusieurs reprises dans la correspondance, qui ont pu être identifiées A Abbéma, Louise (1853-1927) Élève du peintre officiel et mondain Carolus-Durand, graveuse et sculpteuse réputée pour ses portraits d’artistes. En 1874, elle eut une liaison avec Sarah Bernhardt, dont elle devint la portraitiste attitrée. Chevalier de la Légion d’honneur en 1906, elle exposa au Salon des Artistes français jusqu’en 1926. Audouard, Olympe (1830-1890) Maîtresse d’Alexandre Dumas père, féministe, elle dirigea, sous le pseudonyme Feo de Jouval, des périodiques – Le Papillon et La Revue Cosmopolite – qui furent interdits par le gouvernement en 1868. Elle voyagea en Égypte, Turquie, Russie, et séjourna un temps en Amérique. Elle publia des ouvrages de polémique féministe et des romans : Comment aiment les hommes (1862), Les Nuits russes (1876), Les Roses sanglantes (1880), etc. 254 B Bachelin-Deflorenne, Antoine (1835- ?) Également connu comme « le bibliophile Julien ». Libraireéditeur réputé, il vendit, entre autres, la bibliothèque de Sainte-Beuve et rédigea des articles pour Le Bibliophile français, gazette illustrée des amateurs de livres, d’estampes et de haute curiosité. On lui doit notamment État présent de la noblesse française (1866) et la description du Livre d’heures du cardinal Albert de Brandebourg. Il devient, en 1885, rédacteur en chef de l’éphémère Progrès National. Rachilde l’évoque dans son pamphlet Pourquoi je ne suis pas féministe (1928). Barletta Un des médecins traitants de Camille Delaville, d’origine italienne. C’est également un admirable joueur de mandoline « dont le talent [...] fait cet hiver la joie du high-life » (C. Delaville, « Courrier de Paris », Les Matinées espagnoles, février 1887, p. 75). Bénigne, Ange Un des nombreux pseudonymes de la comtesse de Molène, romancière parisianiste, qui publia La Comédie Parisienne. Scènes mondaines (1878), Tu et Toi (1882) et, en 1885, Perdi, le couturier de ces Dames, roman qui connut un certain succès. On lui doit un article sur Baudelaire, « Le moins connu parmi les célèbres », paru dans Le Gaulois du 30 septembre 1866. Elle signa des chroniques dans La Vie parisienne, sous les pseudonymes d’« Ange Bénigne », 255 « Satin » ou « Pascaline », et dans La Liberté sous les pseudonymes « X » ou « Rigoletto ». Bertrand, Gabriel (1861-1917) Originaire du Lot-et-Garonne, il y fonda La Revue de France qui s’interrompit en 1886. Co-directeur, avec son frère Étienne, de La Revue verte. Bissieu, Henriette (Mme) Fille de Louise Colet ; elle tenait salon rue Cambacérès. Blavet, Émile (1838-1910) Journaliste, il fut rédacteur en chef du Gaulois et de La Presse. Ses chroniques du Figaro et de La Vie parisienne, signées « Parisis », parurent en volume entre 1886 et 1890. On lui doit la création de journaux comme Le Rural ou Le Petit Bleu. Il fut également dramaturge avec Le Bravo (1877) et Richard III (1884), opéras en quatre actes, et vaudevilliste avec Mon oncle Barbassou (1896). Il publia également La Princesse rouge (1885) et Au pays malgache. De Paris à Tananarive et retour (1897). Bloch, Élisa (1848-1905) Née Marcus, épouse du rédacteur en chef de L’Écho, élève de Chapu, elle exposa pour la première fois en 1880 et, jusqu’en 1904, participa presque chaque année aux Salons de la Société des Artistes français. Elle réalisa entre autres un buste de Georges de Peyrebrune et un buste en marbre d’Anaïs Ségalas. En 1894, elle obtint une mention honorable avec une statue de Moïse. Elle fut également rédactrice en chef de Paris province. 256 Boissière, Jules (1863-1897 [?]) Rédacteur parlementaire à La Justice de Clémenceau, il publia des essais poétiques en occitan : L’Énigme, Provensa (1885). Membre de la Société des félibriges de Paris, il fut en 1886 rédacteur du Petit Méridional. Il abandonna le journalisme pour la carrière coloniale qui lui inspira Fumeurs d’opium (1896) et Les Propos d’un intoxiqué. Buffenoir, Hyppolite (1847-1928) Après avoir un temps enseigné la philosophie en province, il s’installa à Paris où il se fit remarquer par ses poèmes : Premiers baisers (1876). Suivirent d’autres recueils : en 1881, Allures viriles, et, en 1887, Cris d’amour et d’orgueil. Il dirigea Le Réveil littéraire (1876), Le Père Duchesne de 1878 à 1880 puis Le Cri du Peuple. Il revint à la philosophie et consacra de nombreuses études à Jean-Jacques Rousseau, aux grandes dames du XVIIIe siècle, à Robespierre… C Cartillier, Camille Rédacteur en chef du Gil Blas, qui signait « Lesage ». Il collabora à d’autres journaux sous le pseudonyme de « Taverney ». Chabrillan, Céleste, comtesse de (1820 [?]- ?) Connue au théâtre sous le nom de « Céleste Mogador ». En 1854, elle publia ses Adieux au monde ou Mémoires de Céleste Mogador, puis donna quelques romans dont Un Drame sur le Tage (1885). 257 Charlotte voir Mortier, Charlotte Constantin, François-Victor, comte de (1825-1903) Spécialiste des questions ferroviaires, il est surtout connu pour avoir été un fervent adepte des sciences occultes. Fondateur de la Société magnétique de France en 1887 et président d’honneur en 1892, il fut également président du Congrès international du magnétisme humain qui se tint à Paris en 1889. D Daillens, Marie, comtesse de Auteur, entre autres, de La Pâtée de Toto (1878), La Robe (1878), et Les Exploits de Dragonnette, opéra comique en un acte (1892). Elle fut, avec sa mère Mme de Mouzay, une amie de Marie Bashkirtseff. Delyon, Aymé Rédactrice en chef, avec sa sœur Valère, du Zig Zag. Elle signa en 1884 Mademoiselle Éliane. Elle publia en 1885 « Une soirée chez Victor Hugo » dans les Matinées espagnoles. Des Houx, Henri (1848-1911) Pseudonyme de Henri Durand-Morimbeau. Agrégé des lettres en 1871, il fut professeur de rhétorique avant de se lancer dans le journalisme. Il fut rédacteur en chef de La Défense, puis fonda La Civilisation, journal légitimiste qui fusionna avec Le Clairon. Il dirigea Le Journal de Rome 258 jusqu’en 1885. Il donna également des conférences sur Chopin, Mozart, Richepin. En 1887, il prit la direction, avec son frère, du Constitutionnel. Dumont, Auguste (1816-1885) Administrateur de plusieurs journaux, dont Le Figaro quotidien ; fondateur de L’Événement (1872) et du Gil Blas (1879). Foucaux, Mme de voir Mary Summer. G Galipaux, Félix (1860-1931) Comédien, critique dans L’Art dramatique, il écrivit aussi une trentaine de pièces. Sous le pseudonyme de Félix Mayran, il a donné des scènes comiques de la vie de théâtre dans Le Figaro, L’Écho de Paris, Le Gil Blas... Il publia dans Le Passant du 30 septembre 1882 un article intitulé « Souvenir d’un jeune comédien », et dédicaça une saynète, « Les deux amies », à Camille Delaville dans Galipettes (1887). Mes Souvenirs parurent en 1937. Gautier, Judith (1845-1917) Fille de Théophile Gautier et épouse de Catulle Mendès de 1866 à 1874. Elle est romancière, poétesse spécialisée dans la littérature chinoise et moyen-orientale. Le Dragon impérial (1869) est son roman le plus fameux ; elle écrivit aussi pour le théâtre La Marchande de sourires (1888). Elle fut adulée par Victor Hugo et Richard Wagner. 259 Gayda, Joseph (1857-1897) Critique à L’Événement, il seconda E. Blavet dans sa chronique « La Vie parisienne » au Figaro. Il publia des vers, L’Éternel féminin (1881), et un roman Ce brigand d’Amour (1885). On lui doit également Kallisto, comédie en un acte (1891). Ginisty, Paul Eugène Léon (1855-1932) Il débute au Musée des deux mondes, collabore au Télégraphe, à L’Audience, La Revue hebdomadaire, La Revue bleue, La Revue de France, et devient critique au Gil Blas. Il tient un temps la critique dramatique de La République française, dirige La Vie populaire et lance L’Année littéraire. Il fonde la Société d’histoire du théâtre dont il fut le secrétaire général ; il fut également co-directeur de l’Odéon de 1896 à 1906, et devint inspecteur des monuments historiques en 1907. Il écrivit de nombreux romans, dont L’Amour à trois (1884), préfacé par Maupassant, ainsi qu’une dizaine de pièces de théâtre. Girardin, Delphine de (1804-1855), née Gay Adolescente, elle reçut le surnom de Muse de la patrie en raison de ses poèmes rassemblés dans Essais poétiques (1824) et Nouveaux Essais poétiques (1825). Elle épousa Émile de Girardin en 1831, collabora à La Presse comme chroniqueuse sous le pseudonyme « Vicomte de Launay ». Amie de Victor Hugo, qu’elle initiera au spiritisme, de Lamartine et de Balzac, elle consacre un livre à ce dernier, La Canne de Monsieur Balzac (1836). Elle reçut dans son salon tous les grands noms de son temps. 260 Girardin, Émile de (1806-1882) Journaliste, promoteur du journal à prix modique et du roman-feuilleton, il fonde en 1828 Le Voleur, en 1829 La Mode, et en 1836 La Presse, quotidien qu’il vend en 1855. En 1866, il prend la tête du quotidien La Liberté, rachète La France puis Le Petit Journal. Guillaumot, Auguste Alexandre (1815-1892) Élève de Lemaître et de Viollet-le-Duc, il se spécialise dans les gravures d’architecture en cuivre pour illustrer Promenades artistiques dans Paris et ses environs (1857), les Costumes du Directoire de Sardou (1878). On lui doit une monographie sur le château de Marly-le-Roi (1865) et L’Art appliqué à l’industrie (1866). H Holmès, Augusta (1847-1903) Élève de César Franck, elle étudie la composition et l’orchestration, et présente à vingt ans ses compositions au public. Admiratrice de Wagner, elle séduisit par son talent Lizst et Gounod. Dans les années 1880, elle compose des poèmes symbolistes comme Lutèce, Pologne, Irlande, et obtient une commande officielle en 1889 pour l’Exposition Universelle de Paris afin de célébrer le centenaire de la Révolution Française. Réputée pour sa beauté, elle fut la maîtresse de Catulle Mendès de 1868 à 1885. Houssaye, Arsène (1815-1896) Inspecteur des musées de province, ancien directeur de la Comédie-Française, il a publié les œuvres de Chamfort et 261 de Piron, ainsi qu’une multitude d’œuvres personnelles. Il collabora entre autres à La Gazette anecdotique. C’est un ami proche de Georges de Peyrebrune et de Rachilde. J Javel, Firmin Ferréol Octave (1842- ?) Secrétaire de rédaction et courriériste théâtral à La Liberté, au Télégraphe, à L’Indépendant, au Figaro ou encore au Gil Blas sous la signature « El Correo ». Il fut aussi rédacteur en chef de L’Art français (1887-1901), donna de nombreux articles à L’Événement, et collabora au Petit Parisien. Il fonda avec Eugène Leclerc le groupe littéraire et artistique « La jeunesse ». Il est l’auteur de pièces de théâtre et de romans, dont Treize à table (1867). L Lesueur, Daniel (1860-1920) Pseudonyme de Jeanne Lapanze, née Loiseau. Poètesse (Fleurs d’avril fut couronné par l’Académie française en 1882) et romancière, elle publia Le Mariage de Gabrielle (1882), L’Amant de Geneviève (1883), L’Honneur d’une femme (1901). Elle écrivit un livre sur le statut économique des femmes, L’Évolution de la femme (1905), et traduisit des œuvres de Lord Byron (1891-1893). Chevalier de la Légion d’honneur en 1900. 262 Lorrain, Jean (1855-1906) Pseudonyme de Paul Duval. Monté à Paris pour suivre des études de droit, il les abandonne au profit des cafés et des cénacles de la rive gauche. Il débute au Zig Zag sous le pseudonyme de Jack Stick, au Chat Noir. En 1884, il entre au Courrier Français qu’il quitte en 1887 pour L’Événement. De 1895 à 1905, il est le chroniqueur à la mode du Journal. Il fut également poète et romancier avec Le Sang des Dieux (1882), Monsieur de Phocas (1901), etc. M Maldague, Georges (1857-1938) Pseudonyme de Joséphine Maldague. Cette feuilletonniste prolifique débuta sa carrière au Petit Parisien. Elle publia entre autres La Parigote (1884), La Magnétisée (1885), Yvonne la simple (1892) et Monsieur le professeur (1899). Mary, Jules (1851-1922) Pseudonyme de Victor Anatole Jules Martinie. Après la Commune, il débarqua à Paris pour faire fortune. Il devint secrétaire de commissariat de police en province et rédacteur en chef de L’Indépendant. Il collabora au Petit Parisien. Romancier populaire par excellence, il connut jusque dans les années soixante un immense succès avec notamment Amour d’enfant (1876), Roger-la-honte, La Pocharde, etc. 263 Mendès, Catulle Abraham (1841-1909) Gendre de Théophile Gautier – jusqu’à son divorce d’avec Judith –, il se fait connaître en fondant, en 1860, La Revue fantaisiste. Il rejoint le groupe des parnassiens et s’en fera l’historien avec La Légende du Parnasse contemporain (1884). Il participe à la fondation de La Revue française et de La République des lettres ainsi que de La Vie populaire avec L. Piégu, et collabore au Gil Blas. Ses œuvres poétiques et romanesques sont innombrables : Philoména, poésies (1862), Poésies nouvelles (1893), L’Homme tout nu (1887), La Première maîtresse (1894), etc. Meyer, Arthur (1844-1924) Directeur du Gaulois, il conçoit avec le dessinateur et caricaturiste Alfred Grévin le musée du même nom en 1881. Molène, comtesse de voir Bénigne Ange. Mortier, Charlotte Camille Delaville la décrit ainsi : « C’est une jeune femme blonde, point très jolie, extra-spirituelle, pas trop bien élevée, amusante par destination, même lorsqu’elle pleure. Elle aime celle qu’elle appelle sa maîtresse d’une amitié passionnée. » (Mes Contemporaines, éd. cit., p. 47). Elle est la dame de compagnie, la secrétaire et, selon la rumeur, la maîtresse de Mme de Rute. Elle épousera en 1886 le baron Edmond de Lesdains, dont elle se séparera en 1888. Suite à une altercation entre son mari et son amant, un procès s’ouvre à Angoulême. 264 Mouzay, Fanny, comtesse de Auteur de littérature enfantine et chrétienne. On lui doit La Famille Bellefond, La Leçon de Charité et Lectures pour l’enfance chrétienne parus en 1857, Le Portrait de la Jardinière ou la fin justifie les moyens (1863), Monsieur mon secrétaire (1878). Journaliste, elle a signé dans Le Pays et dans L’International, périodique catholique publié à Londres. Pie IX disait d’elle : « Elle a fait plus de bien à notre cause avec sa plume, qu’un de nos zouaves avec son épée. » Camille Delaville fit son portrait dans Le Constitutionnel du 4 avril 1887. P Pardo Bazàn, Emilia de Quiroga, comtesse de (18511921) Romancière qui fit scandale en publiant La Tribuna (1882), premier roman espagnol consacré à la classe ouvrière. On lui doit également un essai sur le naturalisme, La Cuestion palpitante (La Question palpitante), paru en 1883. Durant ses nombreux séjours en France, elle fréquenta le grenier des Goncourt dont elle traduisit Les Frères Zemganno, et le cercle féministe de La Fronde, dirigé par Marguerite Durand. Parodi, Alexandre (1840-1901) Inspecteur adjoint des bibliothèques municipales de Paris et du département de la Seine, il est également poète (Cris de la chair et de l’âme, 1883). Il s’est fait connaître comme auteur dramatique en 1870 avec Ulm le parricide. Il écrivit 265 Rome vaincue (1877), pièce dans laquelle Sarah Bernhardt triompha, La Jeunesse de François Ier, tragédie historique (1884), Le Triomphe de la paix, ode symphonique (1878). Il publia également Le Théâtre en France (1885). Patti de Munck, Carlotta (1843-1919) Cantarice qui connut un immense succès à l’Opéra de Paris, notamment dans Lucia de Lammermoor en 1846. Camille Delaville fit un portrait d’elle dans Le Constitutionnel du 22 avril 1887. Piégu, Louis Directeur du Petit Parisien. Princesse (la) voir Rute y Ginez (Mme de). R Rachilde (1860-1953) Pseudonyme de Marguerite Eymery. Elle épousa en 1889 Alfred Vallette, futur directeur du Mercure de France. Romancière à la réputation sulfureuse, (Monsieur Vénus, 1884 ; La Marquise de Sade, 1887 ; Les Hors Nature, 1897), elle débuta sa carrière littéraire comme feuilletonniste à L’École des femmes et chroniqueuse au Zig Zag. Elle fréquenta un temps Maurice Barrès, Paul Verlaine. Elle assura la critique littéraire du Mercure de France jusque dans les années 1920. 266 Reinach, Joseph (1856-1921) Après des études de droit, il collabore à La République française de Gambetta. Il devient son chef de cabinet aux Affaires étrangères de 1881 à 1882. Copropriétaire de La République française, il mène dans ce périodique une campagne contre Boulanger. Il est élu député de Digne en 1889 et 1893. En 1897, il obtient la révision du procès d’Alfred Dreyfus, dont il écrira une histoire en sept volumes. Richebourg, Émile (1833-1898) Secrétaire de la Société de l’Union des Poètes, poète et auteur de romans-feuilletons, il publia notamment Les Contes enfantins (1857) et Cœurs de femmes (1864). Il fut également dramaturge avec Les Nuits de la place Royale, drame (1862), et Un ménage à la mode, comédie-vaudeville (1863). Round, Mina Femme de lettres d’origine anglaise arrivée en France peu après la Commune. Elle fait paraître une imitation des Black Sheeps (Brebis galeuses) d’E.Yates en 1873. Elle collabore au Passant, sous les pseudonymes de Carmina et Maurice Reynold, et à La Presse où elle assure un « Conte du dimanche » et partage la « Chronique mondaine » avec Camille Delaville. Elle écrit la nouvelle « La Dompteuse » pour Les Matinées espagnoles (février 1888). Rousseil, Marie-Suzanne Rosélia (1841-1911) Premier prix de tragédie en 1860, elle concurrence un temps Sarah Bernhardt. Actrice au Vaudeville, au Théâtre 267 de la Porte-Saint-Martin, à l’Ambigu et à l’Odéon, elle fut la maîtresse du marquis de Gaïta, rénovateur de l’ordre de la Rose+Croix. Elle fit paraître un roman, La Fille d’un proscrit (1878), et un drame, Elza (1884), ainsi qu’un roman autobiographique et des poèmes exaltés. Elle se retira en 1888 dans un couvent. Rute y Ginez (Mme de) (1831-1902) Née princesse Marie Studholmine Letizia Bonaparte-Wyse, petite-nièce de Napoléon Ier. Exilée un temps en Savoie, elle y fonde sa première revue, Les Matinées d’Aix-les-Bains. De retour en France, elle collabore au Constitutionnel et signe « Baron Stock » quelques feuilletons et des chroniques censurées par la rédaction même du journal, car elle y dévoile les secrets et les travers de ses proches – pratique qui lui vaut bien des procès en diffamation et le surnom de « Princesse Brouhaha ». Elle dirigea de 1883 à 1889 Les Matinées espagnoles, signa « Camille Bernard » dans de nombreux journaux. Elle fit également paraître La Petite Reine. Impressions et souvenirs de Hollande (1899). La plupart de ses romans, d’Énigme sans clef (1894) à La Grand-mère (1896) en passant par Les Lettres d’une voyageuse (1897), sont souvent attribués à Tony Révillon, à Ferracques, Arsène Houssaye ou Alphonse Karr... S Ségalas, Anaïs (1814-1893) Née Anne-Caroline Ménard, épouse de l’avocat Victor Ségalas, elle écrivit très tôt des vers, et fut remarquée en 1829 pour sa Psyché. Elle publia des poèmes (La femme. Poésies en 1848, Les 268 Oiseaux de passage en 1857), des pièces de théâtre (en 1852 Les Absents ont raison, comédie, et en 1864 La Loge de l’Opéra, drame) et des romans (Contes du nouveau palais de cristal en 1855, Le Bois de la Soufrière en 1885)... Elle fut critique littéraire et dramatique au Corsaire de 1848 à 1852, collabora au Journal des jeunes personnes et au Musée des familles. Summer, Mary (1842-1902) Pseudonyme de Marie Fillon et épouse de Philippe Édouard Foucaux, professeur au Collège de France. Historienne, romancière et orientaliste, elle publie entre autres Contes et légendes de l’Inde ancienne dans Les Contes indiens de Mallarmé, Les Religieuses bouddhistes depuis Sahya-Mouni jusqu’à nos jours (1873), Le Roman d’un académicien (1896). Les Aventures de la princesse Souerdarî. Roman bouddhiste (1893) fut couronné par l’Académie française, tout comme Quelques salons de Paris au XVIIIe siècle (1898). T Tannemberg, Boris de (1864- ?) Homme de lettres qui fit paraître La Poésie castillane contemporaine. Espagne et Amérique (1889), et Un dramaturge espagnol, M. Tamayo y Baus (1898). Théry, Edmond (1855- 1925) Membre du Conseil supérieur des statistiques, économiste, rédacteur en chef de L’Économiste européen et de La Nation, il publia La Crise des changes (1894) ou encore Les Valeurs mobilières en France (1897). Il tint la chronique industrielle à La Vérité, journal républicain. 269 Theuriet, André (1833-1907) Sous-chef aux Finances, il fut poète (Le Livre de la Payse, 1882) et romancier (La Fortune d’Angèle, 1876 ; Les Enchantements de la Forêt, 1881). Il donna également une comédie en 1885, La Maison des deux barbeaux. Il collabora au Figaro et à La République française. C’est également lui qui expurgea Le Journal de Marie Bashkirtseff pour le faire paraître en 1885. Thierry, Gilbert Augustin (1843-1915) Ancien auditeur au Conseil d’État, il collabora à La Revue des Deux Mondes, tint la rubrique théâtrale au Moniteur universel, et fit paraître Le Capitaine Sans-Façon (1882), Le Masque. Conte Milésien (1894) et Les Récits de l’occulte (1892). Thilda, Jeanne (1833-1886) Pseudonyme de Mathilde Stevens, épouse d’Arthur Stevens, frère des peintres Stevens, critique et marchand d’art. Son divorce fut d’autant plus retentissant que c’était une femme très en vue. Son salon était l’un des plus courus de Paris. Elle collabora comme chroniqueuse à La France et au Gil Blas. Elle donna Impressions d’une femme au salon de 1859, produisit quelques œuvres romanesques dont Les Froufrous (1879), Pour se damner, contes gaillards et nouvelles parisiennes (1883) ou Péchés capiteux (1884). Elle inspira à Maupassant le personnage de Mme Forestier dans Bel Ami (1885). Torrezão, Guiomar (1844-1898) Romancière portugaise – « La George Sand du Portugal » selon Camille Delaville –, elle écrit en 1886 Idyllio à Ingleza et tient la rubrique « Courrier de Lisbonne » dans Les Matinées 270 espagnoles. Elle traduisit, en 1890, Une séparation (Uma Separaçao) de Georges de Peyrebrune. Elle fut autorisée à traduire Denise, pièce de théâtre d’Alexandre Dumas fils. U Ulbach, Louis (1822-1889) Directeur de La Revue de Paris (1853-1858), rédacteur en chef de La Cloche, qui fut interdit durant la Commune, critique dramatique au Temps, il collabora aussi au Livre, revue mensuelle du monde littéraire. Il signa « L’inconnu » dans de nombreux journaux comme Le Figaro, et fut critique littéraire dans Le Rappel. Romancier, il donna entre autres Suzanne Duchemin (1855) et Cyrille, Mémoires d’un assassin (1876). Il publia La France parlementaire de Lamartine, et L’Almanach de Victor Hugo (1885). V Vignon, Claude (1828-1888) Pseudonyme de Noémie Rouvier, née Cadiot. Elle épouse Alphonse Louis Constant, célèbre auteur du Dogme et rituel de la haute Magie (1860-1865) sous le nom d’Éliphas Levi ; et se remarie avec le ministre Rouvier. Elle est connue dès 1865 sous le pseudonyme de Claude Vignon. Elle est sculpteur (Bacchus au Salon de 1853), critique littéraire au Temps, et romancière. Camille Delaville fit son portrait dans L’École des femmes du 17 juillet 1879, et dans Le Constitutionnel du 14 mars 1887. Bibliographie Adler, Laure, Secrets d’alcôve. Histoire du couple de 1830 à 1930, Paris, Hachette, 1983. Alexis, Paul, Madame Meuriot, mœurs parisiennes, Paris, Charpentier, 1885. Anthonay (d’), Thibaut, Jean Lorrain, Paris, Fayard, 2005. Audouard, Olympe, Voyages à travers mes souvenirs, Paris, Dentu, 1884. Silhouettes parisiennes, Paris, Marpon & Flammarion, 1883. Bakker, B. H., Naturalisme pas mort, Lettres inédites de Paul Alexis à Émile Zola 1871-1900, Toronto, University of Toronto Press, 1971. Barbey d’Aurevilly, Jules, Les Œuvres et les Hommes au XIXe siècle, t. V, Les Bas-bleu, Genève, Slatkine Reprints, 1968. Bellanger, Claude (dir.), Histoire générale de la presse française, t. III, De 1871 à 1914, Paris, PUF, 1972. Buet, Charles, Jules Barbey d’Aurevilly : Impressions et souvenirs, Paris, Savine, 1891. Claretie, Jules, Prince Zilah, Paris, Dentu, 1885. Constans, Ellen, Ouvrières des lettres, Limoges, PULIM, 2007. 274 Dauphiné, Claude, Rachilde, Paris, Mercure de France, 1991. Delaville Camille, La Loi qui tue, Paris, Aymot, 1875. Trois criminelles, Paris, Aymot, 1876. Les Bottes du vicaire, Paris, C. Marpon & E. Flammarion, 1884. La Femme jaune, Paris, Librairie des bibliophiles, 1886. Mes Contemporaines. Première série, Paris, Sévin, 1887. Fraisse, Geneviève (dir), Histoire des femmes en Occident, t. IV, Le XIXe siècle, Paris, Plon, « Tempus », 2002. Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, éd. Robert Ricatte, Fasquelle-Flammarion, 1956. Le Senne, Camille, Étrennes aux dames, s. l, s. éd, 1885. Lorrain, Jean, Une femme par jour, Paris, Christian Pirot, 1983. Martin-Fugier, Anne, Les Salons de la IIIe République, art, littérature, politique, Paris, Perrin, « Pour l’Histoire », 2003. Martini, Magda, Une reine du Second Empire, Marie Lætitia Bonaparte-Wyse, Genève, Droz, 1957. Mendès, Catulle, La Maison de la vieille. Roman contemporain, éd. Michael Pakenham, Champ Vallon, coll. « Dix Neuvième », 2000. Mermet, Émile, Annuaire de la Presse française, Paris, Mermet, 1885, 1886 & 1887. 275 Murat, Laure, La Maison du docteur Blanche, Paris, Lattès, 2001. Planté, Christine, La Petite Sœur de Balzac, Paris, Seuil, 1989. Peyrebrune, Georges de, Mater ! dans Le Nouveau Décaméron, dir. Catulle Mendès, sixième journée, « Les plus tristes », Paris, Dentu, 1886. Le Roman d’un bas bleu, Paris, Ollendorff, 1892. Une Sentimentale, Paris, Ollendorff, 1903. Rachilde, À Mort, Paris, Monnier, 1886. Le Mordu, Paris, Brossier, 1889. Rachilde-Maurice Barrès, Correspondance inédite 1885-1914, éd. Michael R. Finn, Brest, Centre d’Étude des Correspondances et des Journaux intimes des XIXe et XXe siècles – CNRS (UMR 6563), 2002. Ryner, Han, Le Massacre des Amazones, Paris, Chamuel, s. d. Vallette, Alfred, Le Roman d’un homme sérieux, Paris, Mercure de France, 1994. Vignon, Claude, Singulière nuit de noce, drame de La Vie parisienne, Paris, C. Marpon & E. Flammarion, 1886. Zimmermann, Daniel, Alexandre Dumas le Grand, Paris, Phébus, coll. « Biographie », 2002. Table des matières Avant-propos..................................................................... p. 7 Introduction...................................................................... p. 9 Lettres de Camille Delaville à Georges de Peyrebrune... p. 75 Acte de décès................................................................. p. 245 Épilogue........................................................................ p. 247 Notices biographiques................................................... p. 253 Bibliographie................................................................. p. 273 Table des matières.......................................................... p. 277 Cet ouvrage a été composé par Françoise Le Corre au Centre d’étude des correspondances et journaux intimes (Université Européenne de Bretagne, UMR CNRS 6563, Université de Bretagne Occidentale, Brest). Dépôt légal : mars 2010 ISBN : 2-909673-25-1