La feuille de route libérale d’Emmanuel Macron

Transcription

La feuille de route libérale d’Emmanuel Macron
Jeudi 16 octobre 2014 ­ 70e année ­ No 21693 ­ 2 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry
La feuille de route libérale
d’Emmanuel Macron
LE MONDE DES LIVRES
LONDON, GRACQ
CAPOTE… LE SUCCÈS
DES INÉDITS
▶ Curiosité pour
l’intimité des grands
auteurs et culte
de la découverte :
enquête sur un
phénomène éditorial
→ SUPPLÉMENT
« LE MONDE »,
L’INVESTIGATION
ET LE SECRET
DES SOURCES
P A R G I LLES V A N KOT E
ÉCONOMIE
EDF : JEAN-BERNARD
LÉVY SUCCÉDERA
À HENRI PROGLIO
François Hollande
et Emmanuel Macron,
au Mondial de l’automobile,
à Paris, le 3 octobre. HAMILTON/REA
→ LIR E
LE C A HIE R É CO PAGE 3
INTERNATIONAL
▶ Le ministre de l’écono­
▶ Emmanuel Macron
▶ Les délais des prud’hom­
▶ Le gouvernement Valls
mie a présenté les grandes
lignes de son projet pour
guérir les « maladies » de la
France : la défiance, la com­
plexité, les corporatismes
compte faciliter le travail
dominical et en soirée :
les magasins pourront
ouvrir au minimum
cinq dimanches par an
mes seront raccourcis. Une
réforme de l’inspection du
travail sera détaillée plus
tard. Les transports par
autocar seront libéralisés
veut montrer à Bruxelles
qu’il réforme, mais il doit
le faire discrètement pour
ne pas braquer sa gauche
EUROPE
CHRONIQUE
par arnaud leparmentier
La fin de
« la fin de l’Histoire »
T
out ne s’est pas passé comme prévu. C’était
il y a un quart de siècle. Le mur de Berlin
tombait, l’URSS implosait. Marx et le com­
munisme étaient morts, enfin ! L’universitaire
américain Francis Fukuyama pouvait prédire, dès
juin 1989, « la fin de l’Histoire ». La planète était in­
vitée à tendre vers un modèle unique, celui des dé­
mocraties libérales et de l’économie de marché.
Nous étions tous invités à devenir des Danois. Sor­
tis de l’Histoire depuis Hamlet. Prêts à nous perdre
dans les haines de familles dignes du film Festen.
→ LIR E
PAGE 8
ÉTUDIANTS DISPARUS
AU MEXIQUE :
APRÈS LE CHOC,
L’INDIGNATION
→ LIR E
PAGE 5
Las, cette mondialisation faussement heureuse
n’a pas eu lieu : Poutine mène une nouvelle
guerre froide ; les islamo­fascistes prennent en
otage l’Afrique et le Proche­Orient ; le président
chinois, Xi Jinping, se prend pour Mao et redécou­
vre les charmes de la dictature. La bonne vieille
géopolitique est de retour. Et Francis Fukuyama
reprend la plume pour revenir sur sa prophétie,
dans un article du Wall Street Journal publié en
juin et dans un nouveau pavé de 658 pages.
LE REGARD DE PLANTU
→ LIR E
L A S U IT E PAGE 2 6
Un automne
marocain
à Paris
CULTURE
De l’héritage médiéval aux créa­
tions contemporaines, trois expo­
sitions sont consacrées, cet
automne, à l’art marocain au Lou­
vre, à l’Institut du monde arabe
(IMA) et au Musée Delacroix. Pour
la première fois, l’IMA a réuni 400
œuvres de plus de 80 plasticiens,
vidéastes, designers et architectes
marocains sur 2 500 mètres carrés
d’exposition.
Du Ring de la soumission à la
coupole monumentale en am­
poules LED, cette sélection té­
moigne de la liberté et de la mul­
tiplicité des courants artistiques
du pays.
→ LIR E
PAGE 2 0 - 2 1
Algérie 180 DA, Allemagne 2,40 €, Andorre 2,20 €, Autriche 2,50 €, Belgique 2 €, Cameroun 1 800 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 800 F CFA, Croatie 19,50 Kn, Danemark 30 KRD, Espagne 2,30 €, Finlande 3,80 €, Gabon 1 800 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,40 €, Guadeloupe-Martinique 2,20 €, Guyane 2,50 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,40 €,
Italie 2,40 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2 €, Malte 2,50 €, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,40 €, Portugal cont. 2,30 €, La Réunion 2,20 €, Sénégal 1 800 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,50 €, Suède 35 KRS, Suisse 3,40 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,40 DT, Turquie 9 TL, USA 4,50 $, Afrique CFA autres 1 800 F CFA
2 | international
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
L’agonie de Kobané déchire la Turquie
Ankara bombarde les Kurdes turcs du PKK, qui veulent aider leurs alliés assiégés par l’Etat islamique en Syrie
istanbul - correspondante
L
a cité kurde de Kobané, en
Syrie, n’est pas encore
tombée. Mais sans atten­
dre la chute de la ville, l’of­
fensive de l’Etat islamique (EI)
met à l’épreuve, de l’autre côté de
la frontière, le processus de paix
engagé depuis deux ans entre le
gouvernement de Recep Tayyip
Erdogan et les Kurdes turcs.
L’aviation turque a bombardé,
mardi 14 octobre, des positions
kurdes à Daglica (région de Hakkari), non loin de la frontière avec
l’Irak. Les forces armées avaient
été harcelées un peu plus tôt par
des combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, indépendantiste kurde, interdit). Des
escarmouches se sont également
produites dans la région de
Tunceli après qu’un commando a
été pris pour cible par le PKK. Sans
confirmer l’information, l’étatmajor turc a reconnu avoir réduit
les rebelles « au silence ». Interrogé
au sujet des frappes aériennes
mardi, le premier ministre, Ahmet Davutoglu, s’est, lui, contenté
de dire que l’armée avait pris « les
mesures qui s’imposaient ».
Le retour des combats dans les
régions kurdes de Turquie met un
terme au cessez-le-feu conclu en
2013 entre le PKK et le gouvernement. Le pays risque de se retrouver plongé vingt ans en arrière, à
l’époque où la guerre faisait rage
entre l’armée et les militants du
PKK, causant la mort de plus de
30 000 personnes ainsi que la
destruction de 3 000 villages,
avant que le processus de paix
amorcé par les islamo-conservateurs de l’AKP ne change la donne.
En recourant à l’aviation, la Turquie prouve, au grand dam de sa
minorité kurde, que son souci numéro un n’est pas tant l’avancée
des djihadistes de l’EI sur sa frontière avec la Syrie que la rébellion
armée du PKK.
Au fil des jours, le martyre de
Mer Noire
Ankara
TURQUIE
Malatya
Diyarbakir
Daglica
Kobané
SYRIE
Mer Méd.
IRAK
200 km
Manifestation à Diyarbakir, le 14 octobre, après des bombardements de l’armée turque sur le PKK . ANTONIN SABOT POUR LE MONDE.FR
Kobané n’a fait qu’augmenter les
tensions. Mardi, les forces kurdes
qui la défendent ont repris une
colline stratégiques aux alentours
de la ville, mais l’Etat islamique
progresse dans le centre-ville. En
cas de massacre à Kobané, M. Öcalan a menacé de suspendre les négociations. Les Kurdes de Turquie
sont ulcérés par le fait que les
autorités turques empêchent les
volontaires du PKK de se porter
au secours de la troisième ville
kurde de Syrie. Défendue avec
l’energie du désespoir par les
combattants des Unités de protection du peuple (YPG), affilés au
PKK, la ville ne tient plus qu’à un
fil, après trois longues semaines
de siège. Les combattants de l’EI
reçoivent des approvisionnements en armes et en hommes
depuis leur place forte de Rakka, à
l’est de la Syrie. En face, les unités
kurdes voient leurs réserves en
hommes, fuel, eau et munitions
fondre à vue d’œil, leur seule voie
de communication avec l’extérieur, soit le point de passage turc
de Mursitpinar, à quelques kilomètres au nord, ne laissant passer
que les morts et les blessés.
« Nous ne demandons pas aux
militaires turcs d’entrer dans Kobané, nous disons simplement que
des milliers de personnes sont prêtes à combattre l’EI. Il faut leur
ouvrir la porte... », a expliqué,
mardi, Salahattin Demirtas, député et chef du Parti démocratique du peuple (HDP, prokurde),
mardi à Ankara.
Quelle que soit son issue, la bataille de Kobané prélude mal de la
« nouvelle Turquie » promise par
le président Erdogan. L’homme
apparaît de plus en plus tenté de
rivaliser avec Mustafa Kemal Ata-
Le pays risque
de se retrouver
plongé vingt ans
en arrière,
à l’époque où
la guerre
faisait rage
türk en laissant sa marque dans
l’Histoire, comme en témoigne
l’inauguration promise, le 29 octobre, de son nouveau palais présidentiel, une ancienne « ferme
modèle » fondée jadis par le « père
des Turcs » et transformée récemment en complexe administratif
de luxe.
Elu président haut la main en
août, venu à bout de ses oppo-
sants, ayant parfait sa reprise en
main de la presse, de la police et
de la justice, M. Erdogan est au
faîte de sa gloire. Or la lente agonie de Kobané vient contrarier ses
deux grands projets : la paix avec
les Kurdes et la réforme constitutionnelle. Pour y parvenir, il aura
besoin des voix kurdes. Grâce à la
normalisation avec le PKK, dont
l’influence reste prépondérante
dans le Sud-Est, ces voix lui
étaient acquises. Si Kobané tombe
aux mains de l’EI, l’espoir des
Kurdes sera brisé. La guerre avec le
PKK risque de reprendre.
Enfin, sur le plan extérieur, l’indifférence d’Ankara pour le drame
qui se joue à sa porte envenime
les relations avec ses alliés traditionnels, tout en semant le doute
sur les intentions des islamoconservateurs. « Notre plus gros
problème, c’est nos alliés dans la
région, les Turcs sont de grands
amis [des islamistes radicaux],
tout comme les Saoudiens et les
Emirats arabes unis », a confié le
vice-président américain, Joe Biden, à des étudiants de Harvard le
3 octobre. Sa déclaration a suscité
la colère des dirigeants turcs.
M Biden a dû ensuite s’excuser
platement par téléphone auprès
de M. Erdogan. Pour faire barrage
aux critiques, les dirigeants turcs
se refugient derrière la théorie du
complot. « Il y a aujourd'hui de
nouveaux Lawrence déguisés en
journalistes, en religieux, en écrivains et en terroristes (...) qui se cachent derrière la liberté de la
presse, la guerre d'indépendance
ou le djihad », a dénoncé M. Erdogan lors d’une intervention,
lundi, face aux étudiants de l’Université de Marmara, à Istanbul. p
marie jégo
« Ce sont nos frères, et là-bas c’est déjà la guerre »
Diyarbakir, la « capitale » kurde de la Turquie, vit dans l’angoisse de la prise de contrôle de Kobané par les djihadistes de l’EI
REPORTAGE
diyarbakir (kurdistan turc) envoyé spécial
O
n a entendu rugir des
chasseurs dans le ciel de
Diyarbakir, la « capitale »
kurde de Turquie, mardi 14 octobre au matin, puis de nouveau
dans l’après-midi. La veille, des
F-16 et des F-4 avaient décollé d’un
important aérodrome militaire
proche de la ville, et de la base de
Malatya, pour bombarder une position du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK) dans la province
d’Hakkari, frontalière de l’Irak,
selon le quotidien turc Hurriyet. Il
s’agit des premières frappes aériennes depuis le début des pourparlers de paix ouverts, voici
deux ans, entre le PKK et le gouvernement turc, après trente ans
d’une guerre insurrectionnelle
qui a fait 40 000 morts. Difficile
de faire entorse plus bruyam-
ment à un cessez-le-feu. Et difficile de choisir pire moment,
quand partout, dans Diyarbakir,
on accuse l’armée turque d’aider
l’Etat islamique (EI) à assiéger la
ville syrienne de Kobané, en fermant la frontière aux combattants kurdes qui la défendent.
A l’annonce des frappes, le bras
politique du PKK (le DBP, Parti
démocratique des régions) n’a pas
eu d’autre choix que de convoquer une manifestation, l’aprèsmidi même. Non autorisée, elle
paraissait organisée à regret, alors
que le gouvernement d’Ankara
annonce de sévères mesures antiémeute pour l’est du pays et
Diyarbakir. Le matin, on avait vu
des policiers en civil tourner dans
les bureaux du HDP. Ils prévenaient que ceux qui marcheraient
en cortège vers le centre-ville feraient bien de ne pas être trop
nombreux. Au final, ils occupaient à peine un trottoir. Ras-
semblés devant le siège du
Congrès pour une société démocratique (DTK), un conseil politique consultatif, plusieurs centaines de manifestants se sont dispersés dès que le dernier orateur a
posé son micro. « Ici, vous voyez,
c’est encore la paix, dit Saleh Coskun, architecte employé par la
mairie. Mais Kobané, c’est aussi
chez nous, ce sont nos frères, et là-
« Si la Turquie
ne nous laisse
pas d’autre choix
que la guerre,
ce sera
la guerre »
HATIP DICLE
président du Congrès pour
une société démocratique
bas, c’est déjà la guerre. Comment
pourrions-nous encore négocier ? »
« On sentait l’air de la liberté »
Ces jours-ci, il semble que toute la
ville regarde le fantôme de la
guerre civile prendre corps, heure
après heure. On le voit roder sur
les écrans de télévision, qui transmettent l’offensive de l’Etat islamique contre les frères kurdes de
Syrie, de l’autre côté de la frontière. On le devine en apprenant
qu’un vendeur de journaux
kurde, Kadri Bagdu, 46 ans, a été
tué par deux hommes à moto, de
cinq balles, lundi à Seyhan, dans la
région. On le craint en voyant s’activer plus que de coutume, dans
les rues du centre, les véhicules
antiémeute Scorpion et TOMA de
la police. La semaine dernière, des
émeutes provoquées par le drame
de Kobané ont fait au moins dix
morts à Diyarbakir et plus de
trente victimes en pays kurde.
Ibrahim, 30 ans, professeur des
écoles, était parti, le 6 octobre,
voir la bataille, à la frontière, craignant la chute définitive de la cité.
Il est rentré le lendemain pour
trouver le centre de Diyarbakir
déserté. « Les rues étaient vides. La
police avait peur de nous. On sentait l’air de la liberté. Ça ne s’oublie
pas… Aujourd’hui, nous suivons les
appels au calme du HDP. Mais, un
jour, ceux de ma génération et les
plus jeunes, nous n’écouterons plus
rien. » Dans son bureau, fenêtres
closes, le président du DTK, Hatip
Dicle, temporise. Les chasseurs
qui ont bombardé la guérilla
kurde à l’est du pays ? Reste à comprendre, dit-il, le sens de ces bombardements. Le PKK a annoncé
qu’il rapatriait déjà des combattants d’Irak en Turquie. Pour justifier les frappes, le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a fait
valoir que les combattants kurdes
« harcelaient » de leur feu un
poste militaire turc. Hatip Dicle
dit n’en rien savoir. M. Dicle vient
de passer cinq ans en prison pour
avoir fait l’apologie d’une organisation terroriste (le PKK), après
dix autres années entre 1994 et
2004. Il a été libéré au mois de
juin. Il sourit en évoquant les
nombreux commerces qui ont
ouvert entre-temps dans sa ville,
les cafés, les rues qui vivent grâce
à la paix. Même si Diyarbakir a des
allures de caserne et reste pauvre
au regard de la moyenne du pays.
Alors, lorsqu’il évoque les négociations moribondes, Hatip Dicle
pèse ses mots. « Nous ne voulons
pas raviver la guerre. Je ne veux pas
croire que nous puissions revenir
aux années 1990 », période terrible du conflit. Et pourtant. « J’ai
consacré trente ans de ma vie à ce
combat. Si la Turquie ne nous
laisse pas d’autre choix que la
guerre, ce sera la guerre. » p
louis imbert
international | 3
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JEUDI 16 OCTOBRE 2014
JOURNAL DE DAMAS
LA GÉOGRAPHIE
DES CHECKPOINTS
photo olga kravets
salt images pour « le monde »
Nul ne les a comptés, mais ils sont proba­
blement des centaines, peut­être plus
qu’un millier. Certains apparaissent,
d’autres disparaissent. Il y aussi les inamovibles, qui servent de points de repère,
comme des phares dans l’océan.
Ce sont les checkpoints, de plus en plus
nombreux au fur et à mesure que la rébellion s’est rapprochée du centre de Damas et
que les attentats s’y sont multipliés. Ils forment désormais, dans la capitale syrienne,
une géographie particulière, qui se superpose à la topographie des rues. « Combien
de checkpoints en une journée ? », a demandé un jour la photographe Olga Kravets à un chauffeur de taxi. « Une centaine
en moyenne », lui a répondu l’homme, excédé par ces points de contrôle qui ralentissent la circulation au point de provoquer, à
certaines heures, une congestion générale.
Pour les éviter, certains chauffeurs n’hésitent pas à traverser des zones de combat,
comme le quartier de Jobar, où l’on
échange des obus de mortier, passé le dernier barrage de l’armée. Parfois, les taxis
forcent les checkpoints au grand dam des
soldats, terrifiés par les attentats-suicides.
Pour franchir ces barrières, tout un trafic de
faux papiers s’est mis en place, du côté des
rebelles, afin d’aider les civils recherchés
par le régime de Bachar Al-Assad. p
christophe ayad
La coalition contre l’Etat islamique se cherche une feuille de route
L’attitude de la Turquie, qui refuse toute intervention militaire contre les djihadistes, limite l’efficacité des frappes aériennes
correspondants
L
a réunion à huis clos n’était
pas propice aux déclarations et le président des
Etats-Unis, qui y a fait une apparition dans la journée, s’est limité
de son côté au minimum. Le chef
d’état-major interarmées américain, Martin Dempsey, avait convié mardi 14 octobre sur la base
militaire d’Andrews, dans le Ma-
LE CONTEXTE
ACTION MILITAIRE
(frappes, livraisons d’armes,
formation)
Etats-Unis, Canada, France,
Royaume-Uni, Belgique,
Pays-Bas, Danemark, Arabie
saoudite, Emirats arabes unis,
Jordanie, Australie, Allemagne,
Turquie, Barheïn.
SOUTIEN MILITAIRE
(logistique)
Italie, Albanie, Hongrie, République tchèque, Estonie, Pologne,
Koweït, Barheïn, Egypte, Liban,
Qatar.
AIDE HUMANITAIRE
(A l’exclusion de tout soutien
militaire) Espagne, Irlande,
Suisse, Norvège, Autriche,
Nouvelle-Zélande, Japon.
SOUTIEN EXPRIMÉ
Oman, Grèce, Bulgarie,
Roumanie, Finlande.
LA RÉUNION
DU 14 OCTOBRE
La rencontre de mardi a réuni
les plus hauts gradés, dont des
chefs d’état-major de 22 pays :
Australie, Bahreïn, Belgique,
Royaume-Uni, Canada, Danemark, Egypte, France, Allemagne, Irak, Italie, Jordanie,
Koweït, Liban, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Qatar, Arabie saoudite, Espagne, Turquie, Emirats(arabes unis et Etats-Unis.
ryland, une vingtaine de ses homologues dont les pays sont engagés dans la coalition internationale forgée pour lutter contre l’organisation Etat islamique (EI) en
Syrie et en Irak. Il s’agissait de la
première rencontre de ce type, un
peu plus de deux mois après le début des frappes américaines.
Barack Obama a fait part de l’inquiétude que suscite le sort incertain de la ville de Kobané, cible
d’une offensive djihadiste dans le
nord de la Syrie. Il a insisté sur
l’engagement de longue durée requis pour parvenir à éliminer
l’Etat islamique, tandis que les
frappes menées depuis trois semaines ne sont pas parvenues à
enrayer son avancée.
Atermoiements
« Nous n’en sommes qu’aux premières phases, a-t-il prévenu, et
comme dans tout effort militaire, il
y aura des jours de progrès et des
périodes de recul. » Cette prudence
était de mise face aux avancées djihadistes, en Syrie comme en Irak.
La liste des premiers succès enregistrés sur le terrain égrenée par
M. Obama s’est d’ailleurs limitée à
des opérations effectuées dans les
premières semaines de la campagne de bombardements.
A la veille de la réunion américaine, un responsable militaire
français, tout en partageant l’analyse « d’une guerre à conduire qui
s’installe dans la durée face à un
ennemi qui s’est installé et qu’il va
falloir déloger », attendait « des
précisions sur le plan américain :
comment va-t-on durer six mois
ou plus ? Comment gérer l’articulation Irak-Syrie puisque nous savons tous que l’approche gagnante contre le terrorisme est
transfrontalière, pour taper les arrières, les centres de commandements et la logistique de l’EI » ?
Pour l’instant, la coalition bute
surtout sur un problème interne :
la position turque. Située aux premières loges du conflit syrien, accueillant sur son sol un nombre
élevé de réfugiés, la Turquie a toutes les raisons d’être partie prenante de l’effort de guerre contre
les djihadistes. Mais la porosité de
sa frontière qui permet l’infiltration de combattants étrangers et
sa frilosité lui ont valu les critiques de ses partenaires.
Ankara, qui s’est fixé comme
priorité numéro un le renversement de Bachar Al-Assad, craint
en effet que les frappes aériennes
contre les positions des djihadistes ne fassent le jeu du régime de
Damas. La Turquie rechigne
d’autant plus à intervenir dans le
nord de la Syrie que les forces kurdes qui y combattent les djihadistes sont liées à la guérilla du Parti
des travailleurs du Kurdistan
(PKK) turc que l’armée d’Ankara
s’est d’ailleurs remise à bombarder mardi, après deux ans de
pourparlers de paix.
L’accroc survenu en début de semaine entre Washington et Ankara a donné la mesure du chemin
qui reste à parcourir pour que la
coalition soit véritablement en ordre de bataille sur le terrain d’opération syrien. L’administration
américaine avait indiqué, dimanche, que les Turcs avaient consenti
à ce que les bombardiers américains puissent utiliser la base aérienne d’Incirlik, qui ne sert jusqu’à présent que pour des vols de
reconnaissance. Jusqu’à présent,
l’armée américaine utilise les bases dont elle dispose dans le Golfe
ainsi que ses porte-avions, mais
celles-ci sont plus adaptées aux
opérations en Irak qu’en Syrie.
Quelques heures plus tard, le
gouvernement turc démentait
cette annonce, réitérant sa demande de création d’une « zone
d’exclusion aérienne » contre
l’aviation du régime syrien. Une
demande repoussée pour l’instant par Washington, qui veut éviter un casus belli avec Damas.
Ces atermoiements – la Turquie
n’avait pas dépêché son chef
d’état-major à Andrews mardi,
mais l’un de ses adjoints – contrarient la mise en place d’une chaîne
de commandement entre le cen-
Selon
un responsable
militaire français,
l’effet final
recherché est de
mettre l’EI « à la
portée des forces
armées locales »
Pour l’instant,
l’engagement
des forces
combattantes
américaines
au sol reste exclu.
Il en va de même
pour la France
tre de commandement général
(Centcom) à Tampa en Floride, le
commandement des opérations
aériennes à Al-Oudeid au Qatar,
celui du volet terrestre à l’Army
Central Command de Koweït,
mais aussi la chaîne des forces
spéciales, sachant que chacun de
ces QG va accueillir des officiers de
liaison des pays contributeurs. La
France en a prévu une centaine
« dans la totalité des états-majors », une importante contribution du point de vue national.
Lentement émerge une coalition
d’une trentaine de pays d’importance comparable « au schéma de
l’Afghanistan », selon les sources
militaires françaises. Le responsable français déjà cité a dressé un
premier bilan des efforts de la coalition. Les bombardements « ne résoudront pas le problème, mais
empêchent [l’Etat islamique] de se
mouvoir. L’effet final recherché du
point de vue militaire est de mettre
Daech [acronyme arabe de l’EI] à la
portée des forces armées locales,
qui doivent donc être entraînées,
équipées, appuyées ».
Comme l’a souligné Barack
Obama mardi, la phase actuelle
n’est donc que la première du
plan. Elle vise toujours, comme au
premier jour des frappes, le
8 août, à protéger deux points
stratégiques majeurs en Irak, Erbil
et Bagdad, indépendamment de
l’émotion que soulève le siège de
Kobané. Selon les militaires français, cet objectif tient, mais l’Etat
islamique a changé de tactique et
est passé au « désilhouettage »,
c’est-à-dire abandonner les treillis
et les convois militaires devenus
des cibles pour se fondre dans la
population et s’y fixer. Le secrétaire d’Etat américain à la défense,
Chuck Hagel, et son homologue
français Jean-Yves Le Drian,
avaient fait la même analyse lors
d’une visite de ce dernier au Pentagone, début octobre.
La phase suivante n’interviendra pas avant le printemps 2015 :
février ou mars, selon certains experts. Ce sera une phase offensive,
dans les airs – et au sol, avec les
troupes locales, les rebelles modérés de l’Armée syrienne libre, les
peshmergas kurdes irakiens et l’armée irakienne, si elles en sont capables. La capacité des premières à
être opérationnelles dans un laps
de temps aussi court suscite les
plus grands doutes, en dépit des
promesses de formation et d’en-
traînement qui font l’objet d’un
large consensus au sein de la coalition, y compris pour la Turquie.
Pour l’instant, conformément
aux engagements pris par le président des Etats-Unis, l’engagement de forces combattantes
américaines au sol reste officiellement exclu. Il en va de même
pour la France. Même si de nombreuses voix se font entendre à
Washington, dont celle du chef
d’état-major américain, Martin
Dempsey, pour juger cette posture intenable à terme. p
gilles paris, marie jégo
et nathalie guibert (à paris)
ALE
T
O
T
N
O
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T
A
D
LIQUI
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t tra /12/14
avan
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4 | international
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Retrouvailles
tendues
entre Poutine
et les Européens
A Milan, le président russe doit
évoquer la situation en Ukraine
avec les dirigeants de l’UE
U
n signe de dégel ? Le
président russe, Vladimir Poutine, va côtoyer l’ensemble des
dirigeants européens à l’occasion
d’un sommet entre l’Europe et
l’Asie, jeudi 16 et vendredi 17 octobre à Milan. Il s’agira de la première rencontre de ce type depuis
l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie, en
mars, qui avait conduit l’Union
européenne (UE) et les pays du G7
à imposer des sanctions contre
Moscou et à suspendre les rencontres de haut niveau avec le
chef d’Etat russe.
Même si la réunion de Milan, à
laquelle va participer une cinquantaine de pays, n’est pas à proprement parler un rendez-vous
officiel entre la Russie et l’UE, il
n’en demeure pas moins qu’elle
sera largement dominée, en coulisses, par la situation en Ukraine.
Et le temps fort sera la rencontre
attendue entre M. Poutine et son
homologue ukrainien, Petro Porochenko. Selon un communiqué
du Kremlin, les deux présidents
se sont parlés mardi soir et ont
convenu de se voir à Milan.
A Paris, comme à Bruxelles, on
assure qu’il n’est nullement question d’amorcer une réconciliation
avec M. Poutine. « Les conditions
d’un règlement de la crise en
Ukraine ne sont pas encore réunies », insiste-t-on à l’Elysée. Il
s’agit seulement, dit-on dans l’entourage du président Hollande, de
« saisir cette opportunité pour essayer de faire quelque chose
d’utile », en soulignant qu’aucune
rencontre n’a encore été calée en-
tre M. Poutine et des dirigeants
européens.
Toutefois, il ne fait pas de doute
que M. Poutine va s’efforcer d’utiliser cette tribune à son avantage.
Or, « il y a un net décalage entre la
situation sur le terrain en Ukraine,
où la crise est loin d’être réglée, et ce
premier signe qui s’apparente à une
normalisation des relations avec la
Russie », relève Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Le sommet de Milan a été précédé par d’intenses consultations
diplomatiques, mardi à Paris, entre les chefs de la diplomatie américaine, française et russe. Toutefois, John Kerry, le secrétaire d’Etat
américain, a clairement indiqué,
mardi soir, qu’il était encore beaucoup trop tôt pour envisager une
levée des sanctions contre la Russie, tant qu’il n’y aura pas de progrès sur trois points-clés :
l’échange des prisonniers, le retrait des troupes et du matériel
militaire russe d’Ukraine et le contrôle de la frontière entre les deux
pays par les autorités de Kiev.
Statu quo dans les sanctions
Même prudence à Bruxelles. « Il
ne faut pas analyser ce qui pourrait se passer à Milan comme une
reprise de contacts officielle avec
Poutine », souligne fermement
une source diplomatique. « Au
contraire : certains dirigeants
européens n’avaient pas très envie
qu’il soit présent », insiste-t-elle. Le
président russe ne sera à Milan
que pour une partie de la réunion
(le dîner du 16, et la demi-journée
du 17), son ministre des affaires
L’aéroport de Donetsk (ici le 12 octobre) est toujours soumis aux tirs de l’artillerie. DMITRY LOVETSKY/AP
Selon l’ONU,
331 personnes
ont été tuées
dans le Donbass
depuis le
cessez-le-feu
du 5 septembre
étrangères, Sergueï Lavrov, étant
en première ligne pour le reste.
Des discussions, voire une réunion plus formelle consacrée à
l’Ukraine devraient toutefois
avoir lieu et le premier ministre
italien Matteo Renzi, qui est sur
ses terres, compte bien y participer. Même s’ils ont baissé le ton et
constatent une relative désescalade sur le terrain, les Vingt-Huit
restent très sceptiques et considèrent que le cessez-le-feu conclu
entre les présidents Porochenko
et Poutine, le 5 septembre, demeure extrêmement fragile.
Les Européens prônent cependant un statu quo dans les sanctions à l’égard de Moscou. Par réa-
lisme, et aussi parce que cela permet de ne pas accroître les tensions entre les capitales qui en
demandent de nouvelles et celles
qui en réclament moins. Toutefois, note une source européenne
influente, « la situation est plus
fluide qu’on ne le pense. Poutine et
Porochenko se sont trouvés,
quand quelque chose se règle, c’est
directement au sommet entre les
deux. Porochenko est pragmatique et habile, Poutine a trouvé
quelqu’un à qui parler ».
Minsk. Les combats pour le contrôle des ruines de l’aéroport de
Donetsk ont été particulièrement
violents. Et les séparatistes, tout
en assurant ne pas être responsables des violations, affirment
avoir repris le contrôle de trentehuit localités dans la région.
Pour la partie ukrainienne, le signal le plus important de la bonne
volonté russe serait que Moscou
obtienne l’annulation des scrutins « présidentiel et législatifs »
que les séparatistes entendent organiser, début novembre, dans les
territoires qu’ils contrôlent.
La tenue de cette élection marquerait un point de non-retour : le
projet de règlement politique
adopté par le Parlement ukrainien
le 16 septembre, conçu en étroite
collaboration avec le Kremlin, prévoyait, outre une large autonomie,
la tenue d’élections locales dans le
Donbass en décembre. L’organisation de ce scrutin concurrent achèverait de faire basculer la région
dans une zone grise échappant à
tout contrôle de Kiev. p
Combats violents
Du côté de la présidence ukrainienne, on affirme que M. Porochenko ira à Milan avec un objectif simple, quoique ambitieux au
vu des derniers développements :
« Obliger Poutine à assumer la responsabilité de ce à quoi il s’est déjà
engagé », à savoir la mise en application du cessez-le-feu conclu à
Minsk le 5 septembre.
Si le niveau des violences a diminué dans le Donbass depuis cette
date, les armes ont continué de
parler. Selon un décompte de
yves-michel riols,
l’ONU du 8 octobre, 331 personnes
jean-pierre stroobants
y ont été tuées depuis l’accord de (à bruxelles) et benoît vitkine
LES DATES
22 FÉVRIER 2014
Fuite et destitution du président
Viktor Ianoukovitch à l’issue
de la révolution de « Maïdan ».
18 MARS
La Russie annexe la Crimée.
11 MAI
Les séparatistes organisent un
référendum d’autodétermination
dans les régions de Donetsk
et Louhansk.
17 JUILLET
Un avion de la Malaysia Airlines
est abattu dans la zone
de combats.
5 SEPTEMBRE
Un cessez-le-feu est signé à
Minsk entre représentants de
Moscou, Kiev et des séparatistes.
Manifestations inédites de policiers en Algérie
A Ghardaïa puis à Alger, des forces antiémeute ont surmonté l’interdiction de défiler dans la rue
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J
amais des policiers n’avaient
manifesté dans la rue en Algérie. Ce mouvement inédit
a débuté lundi 13 octobre à
Ghardaïa, dans le sud du pays,
théâtre depuis près d’un an d’affrontements intercommunautaires, avant de s’étendre mardi à
Alger.
Tout a débuté lundi, à Ghardaïa,
à la suite d’une reprise des heurts
entre des Mozabites (des Berbères
de rite ibadite) et des Chaambis
(Arabes malékites) qui ont entraîné la mort de deux jeunes et
fait une dizaine de blessés dans
les rangs de la police. A la suite de
ces affrontements, plus d’un millier de policiers des « Unités républicaines de sécurité » (URS) ont
marché dans la ville. Ils ont organisé un sit-in devant le siège de la
wilaya (préfecture) pour dénoncer leurs conditions de travail, et
réclamer le départ du directeur
général de la Sûreté nationale
(DGSN), le général-major Abdelghani Hamel. La visite sur place
du ministre de l’intérieur, Tayeb
Belaïz, accompagné du général
Hamel, n’a pas suffi à les calmer.
Le lendemain, les Algérois ont
assisté, médusés et un peu inquiets, au spectacle inédit de cen-
taines de policiers marchant en
procession silencieuse sur une
quinzaine de kilomètres, du
quartier du Hamiz, dans la banlieue d’Alger, vers le palais du
gouvernement, au centre-ville.
Les manifestants ont refusé de
parler au wali (préfet) d’Alger et
exigé d’être reçus par le ministre
de l’intérieur, parti à Ghardaïa où
la « grève » des policiers, dans
une région en ébullition depuis
un an, fait craindre de graves dérapages. Des affrontements intercommunautaires ont été signalés dans plusieurs zones de la vallée du Mzab faisant, selon les médias locaux, une cinquantaine de
blessés.
Le ministre de l’intérieur, Tayeb
Belaïz, a tenu à Ghardaïa, en présence du chef de la police, le géné-
Les policiers
dénoncent leurs
conditions
de travail
et réclament
le départ du
directeur de la
Sûreté nationale
ral Hamel, une réunion de quatre
heures avec les policiers en colère.
Hormis le départ du chef de la police, il s’est engagé à satisfaire toutes leurs revendications sociales
(logement, protection, conditions
de travail et salaires). Le ministre a
également promis de ne punir
aucun des contestataires qui sont,
au regard des règlements, passibles de lourdes sanctions disciplinaires. « Nous avons satisfait pratiquement toutes les revendications », a-t-il déclaré, ajoutant que
les « policiers se sont engagés à reprendre le travail ».
« Vacance du pouvoir »
Très embarrassées, et dans un
contexte de rumeurs récurrentes
sur l’état de santé du président
Abdelaziz Bouteflika, les autorités
algériennes tentent de minimiser
la portée politique de cette contestation au sein des forces antiémeute. A Alger, la plupart des observateurs relèvent « l’incroyable » pied de nez des policiers antiémeute aux autorités. Par leur
action, ils ont bravé l’interdiction
de manifester dans la capitale en
vigueur depuis 2001, qu’ils ont
eux-mêmes mise en application,
le plus souvent sans ménagement. Ils ont aussi bravé la réglementation interne des corps de
sécurité. « Le droit de manifester
est consacré », ironise un journaliste d’El Watan, Adlène Meddi,
sur Facebook.
C’est loin d’être certain mais la
dimension politique de cette
« émeute au sein de la police antiémeute » est relevée par les opposants. Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la
culture et la démocratie (RCD,
laïc), a souligné que les policiers
ont repris avec le slogan « Irhal »
(« dégage »), principal slogan du
printemps arabe, en visant le ministre de l’intérieur Hamel. Ali
Benflis, candidat malheureux à la
présidentielle d’avril 2014, met en
cause l’état de « vacance du pouvoir » lié à l’état de santé du président Bouteflika qui le rend incapable, selon lui, d’exercer ses fonctions tout en paralysant l’Etat et le
pays.
Pour le chef du Mouvement de
la société pour la paix (MSP, Frères
musulmans), Abderrezak Makri,
il s’agit d’une situation sans précédent qui renseigne sur la « déliquescence du pouvoir ». « Est-il
concevable que des choses pareilles arrivent sans que le chef de
l’Etat n’intervienne pour parler à la
nation ! C’est une situation
grave. » p
amir akef
international | 5
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Indignation nationale au Mexique 5 000 À 10 000
Les Mexicains sont sous le choc après la disparition de 43 étudiants
mexico - correspondance
L
a mort, au Mexique, d’un
des chefs du cartel Guerreros Unidos (« Guerriers
unis »), impliqué dans la
disparition de quarante-trois étudiants, fin septembre, suffira-telle à calmer l’indignation des
Mexicains ? Cette affaire de disparition massive est devenue une
crise sécuritaire majeure, qui met
en cause la crédibilité de l’Etat
mexicain et du président Enrique
Peña Nieto, jugé non seulement
sur les réformes mises en œuvre,
mais aussi sur sa capacité à rétablir l’ordre public.
Mardi 14 octobre, le narcotrafiquant Benjamin Mondragon est
décédé lors d’un affrontement
avec la police dans la ville de Juitepec, à 90 km au sud de Mexico.
« C’est la preuve que le gouvernement agit pour rétablir la sécurité », a déclaré Matias Quiroz, ministre de l’intérieur de l’Etat de
Morelos (centre), où Mondragon
aurait « préféré se suicider plutôt
que de se rendre ». Son cartel,
Guerreros Unidos, est accusé
d’avoir participé, le 26 septembre
à Iguala, dans l’Etat voisin de
Guerrero, à l’attaque d’élèves-enseignants d’une école normale
par des policiers municipaux véreux, faisant six morts et quarante-trois disparus.
Mardi, le ministre de la justice,
Jesus Murillo Karam, a annoncé
que les vingt-huit corps découverts dans cinq fosses près
d’Iguala, le 4 octobre, n’étaient pas
ceux des disparus, renforçant
l’énigme sur cette affaire. Les
analyses ADN pour identifier des
corps trouvés dans quatre autres
charniers se poursuivent.
Palais du gouverneur incendié
Toutefois, les confessions de quatorze policiers de la ville voisine
de Cocula sur la remise des quarante-trois étudiants aux Guerreros Unidos ont fait monter d’un
cran la colère de la population,
déjà attisée par de précédentes
révélations sur les liens entre le
maire d’Iguala, en fuite, et ce
cartel régional.
Mardi à Chilpancingo, chef-lieu
du Guerrero, une nouvelle manifestation pour exiger que les autorités retrouvent les disparus s’est
déroulée sans heurts. Mais la
veille, des centaines d’étudiants et
d’enseignants avaient incendié le
palais du gouverneur et saccagé la
mairie. Cinq jours plus tôt, des
milliers de Mexicains défilaient
dans une trentaine de villes, dont
ÉTATS-UNIS
MEXIQUE
Mexico
Iguala
MORELOS
GUERRERO
500 km
Golfe
du Mexique
Chilpancingo
OCÉAN
PACIFIQUE
« Les abus
de la police,
infiltrée par
le crime organisé,
sont légion
au Mexique »
JORGE CHABAT
politologue au Centre de
recherche et d’enseignement
économiques
Mexico, pour réclamer la vérité
sur cette affaire.
« L’indignation est nationale,
mais aussi internationale, car les
abus de la police, infiltrée par le
crime organisé, sont légion au
Mexique », commente Jorge Chabat, politologue au Centre de
recherche et d’enseignement économiques. L’Organisation des
Nations unies, la Commission
interaméricaine des droits de
l’homme et Amnesty International ont dénoncé des actes « inacceptables », dans un pays où
22 000 Mexicains sont portés disparus. Lundi, une vingtaine de
députés européens leur ont emboîté le pas en réclamant l’arrêt
des négociations commerciales
en cours entre le Mexique et
l’Union européenne, en regard
des violations des droits de
l’homme dans ce pays.
De son côté, le président Peña
Nieto a promis que « l’Etat prendra les mesures nécessaires pour
que les événements d’Iguala ne se
reproduisent plus ». Son gouvernement multiplie les opérations
contre le crime organisé. En deux
semaines, Benjamin Mondragon
est le troisième grand narcotrafiquant neutralisé, après les arrestations des barons de la drogue Vicente Carrillo Fuentes, chef du
cartel de Juarez, et Hector Beltran
Leyva, chef de l’organisation mafieuse Beltran Leyva.
Difficile pour autant de calmer
les esprits alors qu’un étudiant
allemand a été blessé, dimanche,
dans le Guerrero, par la police. La
victime était à bord d’une camionnette, avec dix autres étudiants, dont deux Français, partis
de la station balnéaire d’Acapulco.
Les policiers ont ouvert le feu sur
le véhicule qui aurait refusé de
s’arrêter à un barrage. Depuis,
vingt policiers ont été interpellés.
L’état du blessé, hospitalisé à
Mexico, est stable, selon l’ambassade d’Allemagne, qui suit l’enquête avec le consulat français.
« Sans résultat rapide dans l’affaire d’Iguala, la pression nationale et internationale va s’intensifier sur le gouvernement », avertit
M. Chabat. Mardi, des manifestants d’autres écoles normales du
pays ont rejoint Chilpancingo
alors que les étudiants de l’Université nationale autonome du Mexique, située dans la capitale, ont
fait grève. Une manifestation était
prévue, mercredi à Mexico, pour
réclamer, une nouvelle fois, justice pour les étudiants disparus. p
frédéric saliba
nouveaux cas hebdomadaires d’Ebola
C’est le nombre de nouveaux malades qui seraient touchés en Afrique
de l’Ouest à partir de début décembre, a déclaré, mardi 14 octobre,
l’Organisation mondiale de la santé. La fièvre hémorragique, qui a fait
plus de 4 400 morts, entraîne aujourd’hui 1 000 nouveaux cas par semaine. Le taux de mortalité des malades peut atteindre 70 % dans les
pays les plus touchés (Guinée, Liberia et Sierra Leone). « Ebola est en
train de gagner la course », a averti Anthony Banbury, chef de la mission
des Nations unies chargée de coordonner la réponse d’urgence à Ebola,
lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à l’épidémie.
C HI N E
Violents affrontements
à Hongkong
Les heurts parmi les plus violents depuis le début des manifestations prodémocratie à
Hongkong, il y a deux semaines, ont opposé, mardi 14 octobre, dans la soirée, et mercredi 15, dans la matinée, les
manifestants aux forces de
police, qui ont procédé à des
dizaines d’arrestations. Après
une heure de confrontation,
les forces de l’ordre avaient
regagné le contrôle d’une
route proche du siège de
l’exécutif hongkongais. Les
manifestants exigent de pouvoir librement élire le prochain chef de l’exécutif
en 2017, alors que le Parti
communiste chinois entend
garder la haute main sur le
processus électoral. – (AFP.)
COR ÉES
Contact militaire de haut
niveau entre Nord et Sud
De hauts responsables militaires sud et nord-coréens se
sont rencontrés, mercredi
15 octobre, pour la première
fois en sept ans, après plusieurs accrochages fronta-
liers, a annoncé l’agence de
presse sud-coréenne Yonhap.
Les discussions entre généraux se sont tenues dans le
village frontalier de Panmunjom, en Corée du Nord, où fut
signé l’armistice de 1953.
Sollicité par l’AFP, le ministère
sud-coréen de la défense a
refusé de confirmer
l’information. – (AFP.)
S ER BI E- ALBAN I E
Incidents lors
d’un match de football
Des incidents ont interrompu le match Serbie-Albanie pour la qualification de
l’Euro 2016, après des altercations, à Belgrade, entre
joueurs albanais et supporteurs serbes. Tout a commencer quand un drone, auquel
était accroché un drapeau
albanais, a survolé le stade. La
scène a provoqué des incidents entre les joueurs des
deux équipes, tandis que des
supporteurs serbes envahissaient le terrain pour agresser
des joueurs albanais. Le
premier ministre albanais,
Edi Rama, doit se rendre en
visite officielle à Belgrade le
22 octobre. – (AFP, AP.)
6 | géopolitique
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
RUSSIE
TURQUIE
T U R QUIE
Sanliurfa
Gaziantep
Adana
Jarablus
Sahela
Ras Al-Aïn
Rabia’a
Tell Abiad
Bab
Al-Salam
Atmeh
Monts
Sinjar
Darkosh
Bab Al-Kasab
Alep
Harem
IRAK
Hassaké
Bab
Al-Hawa
Mossoul
CÔTÉ TURQUIE
Lac
Assad
Idlib
IRAN
Simalka
Kamechliyé
Aïn Al-Arab
(Kobané)
Killis
Hatay
SYRIE IRAK
Ein-Diwar
Camps et zones de réfugiés
Rakka
Aéroport d’arrivée des djihadistes
Base militaire de l’OTAN
Déploiement de forces turques
SY RI E
CÔTÉ SYRIE ET IRAK
Lattaquié
Villes, villages, frontière et zones tenus par
Deir-ez-Zor
Le régime de Damas
Mer
Méditerranée
L’Armée syrienne libre (ASL)
Hama
Les populations kurdes
Tartous
L’Etat islamique (EI)
Point de passage de la frontière
Homs
30 km
Zone de friction
Feu à la frontière turco-syrienne
L’Etat islamique a lancé un assaut brutal contre Kobané, troisième ville kurde de Syrie.
Les raids aériens de la coalition internationale n’ont pu que le ralentir. Pourquoi cette zone, entre Syrie
et Turquie, est-elle un enjeu – et l’occasion d’un jeu trouble – pour les forces en présence ?
Vu par les Turcs
Vu par l’Etat islamique
T U R QU IE
TURQUI E
PKK
PKK
Vu par les Kurdes
T U RQ U IE
Kamechliyé
Kobané
PKK
Hassaké
Alep
Mossoul
Kobané
PYD
Monts
Sinjar
IRA K
PYD
Deir ez-Zor
Alep
Rakka
I RAK
Kurdistan
autonome
Ras
Al-Aïn
RAKKA
IRA K
SY RI E
SYRIE
SY R IE
50 km
Crainte de voir
la création
d’un grand
Kurdistan
Crainte de voir
les Kurdes du PKK
(Turquie) rejoindre
ceux du PYD (Syrie)
Accueil de réfugiés
syriens et kurdes syriens
vers les camps turcs
Laxisme de la Turquie
face à l’arrivée
de djihadistes dans
ses aéroports, dans
le but inavoué
de renforcer l’EI
pour mieux
affaiblir les Kurdes
Position attentiste
de l’armée turque
la stratégie ambiguë de la turquie
Depuis le début de l’assaut contre Kobané, l’armée
turque a pris position le long de la frontière, face à la
ville kurde syrienne. Mais il n’est pas question pour Ankara d’entrer en guerre contre l’Etat islamique (EI).
La Turquie considère les djihadistes comme un moindre mal, voire comme des alliés utiles dans sa lutte contre les deux ennemis du président turc Erdogan : le régime syrien de Bachar Al-Assad, mais aussi et surtout le
Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK et son jumeau syrien du PYD. L’installation d’un Kurdistan quasi-indépendant en Syrie offrirait au PKK une base arrière incomparable, ce qu’Ankara, qui cherche à mettre
fin au conflit kurde, ne peut accepter. Les Kurdes accusent ouvertement l’armée turque de bloquer tout renfort à destination de Kobané et, au contraire, de laisser
passer les djihadistes venus d’Asie centrale et d’Occident. Mardi 14 octobre, l’aviation turque a d’ailleurs
bombardé des bases du PKK. p
50 km
Transfert de pétrole
de contrebande
permettant
de financer
l’Etat islamique
Prise de l’antenne
locale de la Banque
centrale à Mossoul avec
plusieurs centaines
de millions de dollars
Recherche d’une
unité territoriale
permettant de relier
Mossoul à Alep
Rakka : capitale
de l’Etat islamique
daech à la conquête de la frontière
S’il s’empare de Kobané, l’Etat islamique prend le contrôle d’une centaine de kilomètres de frontière avec la
Turquie, ce qui lui permet de vendre plus facilement
son pétrole en contrebande et de faire entrer des djihadistes arrivés via les aéroports turcs.
L’élimination de la poche de résistance de Kobané
lui permet aussi de relier Rakka, sa capitale, à Alep en
toute sécurité. Enfin, la chute de Kobané ouvrirait la
voie à une offensive contre Hassaké, riche en pétrole
et verrou stratégique entre les territoires contrôlés
par l’EI en Syrie et en Irak.
Depuis le mois d’août, les forces kurdes de Syrie (PYD)
et de Turquie (PKK) ont en effet pris pied dans les
monts Sinjar en venant secourir les populations yézidies menacées de carnage. Cette intrusion dans le « califat » d’une force non-arabe et professant la laïcité est
insupportable pour les djihadistes. p
SOURCES HUMANITARIAN INFORMATION UNIT, US DEPARTMENT OF STATE,
DOSSIER GUERRE CIVILE IRAKIENNE ET SYRIENNE/WIKIPEDIA, RELIEF WEB, UNHCR, OCHA, LE MONDE - INFOGRAPHIE LE MONDE
DAMAS
Soutien des Kurdes
de Turquie à ceux
de Syrie et d’Irak
Perte de territoire
des Kurdes de Syrie
après les avancées
de l’Etat islamique
Recul des Kurdes
d’Irak après les
attaques de l’EI
dans le Kurdistan
autonome
50 km
Autonomie de fait
des Kurdes accordée
par le régime de Damas
pour s’éviter un ennemi
supplémentaire
Percée du PKK et du PYD
vers les monts Sinjar
pour sauver les yézidis
du massacre de l’EI
Poussée de l’EI
pour éliminer
les non-sunnites
et non-Arabes
le recul de la résistance kurde
La guérilla kurde syrienne du PYD et celle, turque, du
PKK ne font pratiquement qu’une. Les affinités culturelles, linguistiques et politiques sont nettement plus
fortes entre Kurdes turcs et syriens qu’avec ceux d’Irak,
qui se sont rapprochés ces dernières années du gouvernement turc. Le PYD et le PKK sont en conflit ouvert en
Syrie avec l’Etat islamique depuis juin 2013 partout où
zones de peuplement kurde et arabe se touchent.
En Irak, le PKK et le PYD ont bloqué l’avancée des forces djihadistes au pied des monts Sinjar, alors qu’elles
s’apprêtaient à massacrer les populations yézidies
(Kurdes d’Irak adeptes d’un monothéisme hérité du
zoroastrisme perse). L’EI n’a jamais pardonné cet affront. Dans toutes les zones qu’ils contrôlent, le PYD et
le PKK installent un modèle de pouvoir autoritaire,
laïque, mixte et socialiste, un anti-Etat islamique en
quelque sorte. p
textes : christophe ayad
cartographie : jules grandin et delphine papin
Jean Tirole
Prix Nobel d’Économie 2014
Président de Toulouse School of Economics
Jean-Luc Moudenc
Maire de Toulouse
Président de Toulouse Métropole
“
“
Toulouse et son Université rayonnent sur la carte mondiale
de l’économie grâce à Jean Tirole et son équipe.
Au nom des Toulousains, je lui témoigne notre grande admiration.
8 | france
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Macron s’attaque aux « maladies » de la France
Le ministre de l’économie a présenté, mercredi 15 octobre, les grandes lignes de sa future loi « pour l’activité »
F
aire mouvement coûte
que coûte, même si la direction n’est pas encore
tracée point par point.
Emmanuel Macron a présenté,
mercredi 15 octobre en conseil des
ministres, une communication
concernant son projet de loi « pour
l’activité et l’égalité des chances
économiques ». Le texte, dont
Le Monde a pu prendre connaissance, vise à « lever tous les blocages » et à « briser les plafonds de
verre » de l’économie française, car
« le problème ne vient pas des Français, mais des rigidités du système ».
Le ministre de l’économie entend « changer les mentalités » et
donner un « choc de confiance »,
en s’attaquant aux « trois maladies » françaises (« la défiance, la
complexité et le corporatisme ») qui
empêchent selon lui de « libérer, investir et travailler ». Citant opportunément Jean Tirole, le nouveau
Prix Nobel d’économie, M. Macron
estime qu’« à force de trop protéger, on ne protège rien ». Professions réglementées de justice et de
santé « débloquées », travail le dimanche et en soirée, rénovation
des prud’hommes et développement de l’actionnariat salarié, la
future « loi Macron » veut libérer
les énergies dans plusieurs terrains économiques, y compris l’exploitation des sociétés d’autoroutes ou le transport par autocars.
Signal réformiste
Mais le patron de Bercy veut le
faire en douceur, là où Arnaud
Montebourg, son prédécesseur et
initiateur de la loi, s’était engagé à
la hussarde, en juillet, au cours
d’une conférence de presse retentissante. « Pour réussir la réforme,
on ouvre ces débats, qui sont des sujets sensibles pour les professions et
secteurs concernés, de façon sereine », indique un proche du ministre de l’économie. La concomitance de cette présentation avec le
début de l’examen, à l’Assemblée
nationale, du projet de loi de finances 2015, et de la transmission par
le gouvernement de sa copie budgétaire à Bruxelles, confère pourtant à l’exercice un tour particulier.
Des ministres concèdent en
privé qu’à ce stade, cette future loi
Le ministre de l’économie Emmanuel Macron, à Bercy, le 12 septembre. CHRISTOPHE MORIN/IP3
est avant tout un signal réformiste
adressé aux partenaires européens, Allemagne en tête. « C’est
d’abord un message pour afficher
une volonté, on entrera dans les détails plus tard », glisse un ministre.
A l’Elysée, on confirme : « Ce gouvernement veut démontrer que la
France est capable de se réformer.
Ce texte montre aussi que nous affrontons les problèmes, que nous
sommes en mouvement. C’est un signal perçu comme tel tant par notre opinion publique que par nos
partenaires européens. »
Hollande sur TF1, le 6 novembre
François Hollande sera le 6 novembre, l’invité d’une « émission
spéciale » sur TF1. Cette date marquera les 2 ans et demi de son
élection et la moitié de son mandat. L’émission d’une heure
trente se déroulera en prime time et en association avec RTL. Elle
sera conduite par le présentateur Gilles Bouleau et pourrait intégrer une « interaction » avec des Français. Il s’agira pour le président, selon l’Elysée, de « remettre en perspective ce qui a été fait
pendant la première moitié du mandat, les réformes, ce qui a
réussi, ce qui n’a pas encore réussi, et d’expliquer aux Français le
sens et le contenu de la deuxième partie du quinquennat ».
La loi Macron a d’ailleurs été
« vendue » par Manuel Valls à chacun de ses derniers déplacements,
à Berlin en septembre et à Londres
un mois plus tard, comme une démonstration que la France
« avance » et « bouge ». En Allemagne, accompagné du ministre de
l’économie, le premier ministre
avait même présenté ce dernier au
vice-chancelier Sigmar Gabriel
comme « la star de son gouvernement ». Ancien secrétaire général
adjoint de l’Elysée, où il était notamment chargé des négociations
européennes, M. Macron, s’il
prend soin de ne pas trop empiéter
sur les prérogatives budgétaires de
son collègue des finances Michel
Sapin, œuvre certes pour « libérer
la croissance », mais surtout pour
apaiser l’ire de la Commission
quant aux défaillances françaises.
Une mission qu’il partage avec le
président en personne et son secrétaire général, Jean Pierre Jouyet,
ancien secrétaire d’Etat aux affaires européennes de Nicolas
Sarkozy.
« Hollande, Jouyet et Macron sont
là pour rassurer Bruxelles. Du matin au soir », constate un secrétaire
d’Etat. Un conseiller du président
dément cependant tout opportunisme : « Cette loi avait initialement été annoncée par Montebourg et devait être portée par lui.
Macron s’en est saisi, a apporté sa
patte, mais le principe reste la libération de la croissance. Elle se situe
dans le temps long, le président et le
premier ministre étant persuadés
qu’après le pacte une étape supplémentaire était nécessaire pour lever
des freins à l’activité. »
Il est vrai que la « loi Macron » devait à l’origine être la « loi Montebourg », qui fut le ministre le plus
ardent en faveur d’une confrontation avec Bruxelles et Berlin, à laquelle le président a toujours rechigné. Un proche du premier ministre souligne cette ironie : « C’est
assez drôle : au départ, le colbertiste
Montebourg avait lancé une réforme d’un libéralisme absolu notamment sur les professions réglementées, et c’est le libéral Macron
Selon le texte
du ministre
de l’économie,
« le problème
ne vient pas
des Français,
mais des rigidités
du système »
qui est chargé de mettre un peu
d’Etat dans tout ça… »
Au-delà de ce texte, il n’est pas
question pour le duo Valls-Macron
de donner le sentiment que le gouvernement recule sur les réformes. Malgré les polémiques, le premier ministre a récidivé mardi à
l’Assemblée, expliquant qu’il ne
fallait « pas s’interdire de parler
d’assurance-chômage » d’ici à la
prochaine renégociation de la convention Unedic au printemps
2016, promettant toutefois « un
respect absolu des partenaires so-
ciaux ». Après les premières offensives de M. Valls sur le sujet, la mise
au point du président depuis Milan le 8 octobre et l’entretien de M.
Macron au Journal du dimanche le
12 octobre, la méthode choisie
laisse prise aux doutes.
« On ne veut pas dire qu’on va le
faire, tout en espérant qu’on le
fasse, puis on dit qu’on va peut-être
le faire… J’essaie de comprendre et je
n’y comprends rien », résume un
ministre. Pour lui, l’opération
« clarification », lancée avec le départ de M. Montebourg, n’a pas été
aussi fructueuse sur le plan de la
communication que sur le plan
idéologique : « Une polyphonie
avec des voix de gauche et une polyphonie avec des voix de droite, c’est
le même résultat : le bazar. » Et celui-ci de s’interroger : « C’est pour
faire plaisir à la Commission européenne ? Mais celle-ci demande des
actes, et non des promesses sur lequel un tel revient avant que l’autre
ne les relance… » p
bastien bonnefous
et david revault d’allonnes
Un catalogue de mesures pour « libérer » l’économie
La loi Macron sera présentée dans son intégralité au conseil des ministres à la mi-décembre
E
mmanuel Macron a dévoilé, mercredi 15 octobre,
les grandes lignes de son
projet de loi « pour l’activité et
l’égalité des chances économiques ». Ce texte n’est pas encore finalisé, de nombreuses dispositions faisant encore l’objet de discussions – en particulier avec les
professions réglementées (notaires, huissiers, etc.). Il devait être
présenté en conseil des ministres
à la mi-décembre pour un examen au Parlement début 2015. De
multiples sujets sont abordés de
manière à « lever tous les blocages » qui entravent la croissance.
La portée de ces mesures ne
pourra être jugée que lorsque la
version finale du projet de loi sera
connue.
Travail dominical et en soirée
L’exécutif veut élargir les dérogations à la règle du repos dominical
pour permettre à un plus grand
nombre de commerces d’ouvrir
ce jour, en particulier lorsqu’ils
sont situés dans les gares et les
« zones touristiques à fort potentiel économique ». Les salariés employés dans ces périmètres doivent être volontaires et recevoir
une « compensation importante »
(le salaire devrait être doublé dans
les établissements de plus de onze
personnes). Les maires auront la
possibilité de délivrer des autorisations d’ouverture sur douze dimanches dans l’année, dont cinq
seront obligatoirement accordés
si les entreprises le demandent (à
l’heure actuelle, les « dimanches
du maire » s’élèvent à cinq maximum par an). Le « travail en soirée » pourra également être autorisé, « sur décision de l’Etat », dans
les « zones à haut potentiel économique » et moyennant des majorations de salaires.
Transports par autocars Le projet de loi vise à « libérer » ce secteur soumis à un régime d’autorisation qualifié de « drastique »
par Bercy. En raison des contraintes réglementaires qui lui sont
imposées, ce mode de déplacement est très peu développé en
France et se borne, pour l’essentiel, aux liaisons internationales.
Le gouvernement souhaite donc
donner la possibilité d’ouvrir partout des lignes d’autocar sans
autorisation préalable.
Santé Deux professions sont évoquées dans la communication de
M. Macron : les pharmaciens et
les dentistes. Le texte cherche à
promouvoir la « transparence des
coûts » sur les prothèses dentaires, jugés opaques. Les règles
d’installation des officines sont
simplifiées et passeraient de
douze à deux ; serait notamment
instaurée une « distance minimale » entre pharmacies.
Enfin, l’exécutif entend ouvrir le
capital des pharmacies « entre
professionnels » dans le but de favoriser leur regroupement et, in
fine, de « faire baisser les prix
grâce à des économies d’échelle ».
Autre objectif : faciliter le développement de la vente sur Internet de médicaments.
Professions juridiques Plusieurs d’entre elles sont concernées par le texte (notaires, avocats, huissiers, mandataires de
justice, greffiers de tribunaux de
commerce). Le but du gouvernement est de « simplifier » leurs
conditions d’installation pour
permettre aux personnes titulaires des diplômes requis de lancer
leur propre activité. Grâce à cette
concurrence accrue, M. Macron
espère faire baisser les tarifs des
actes juridiques « de la vie courante et de la plupart des transactions immobilières ». Le capital
des sociétés détenues par ces professions sera ouvert aux « professionnels du chiffre » (expertscomptables, etc.). p
bertrand bissuel
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10 | france
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Querelle sur
l’exil des Français
à l’étranger
Gauche et droite n’ont pas trouvé
d’accord à l’issue de la commission
d’enquête parlementaire
L
orsque l’UMP demandait,
le 9 avril, la création d’une
commission d’enquête
parlementaire sur l’« exil
des forces vives », il s’agissait alors,
à ses yeux, de dresser le tableau
d’une France désertée par ses
« entrepreneurs, jeunes diplômés,
créateurs d’entreprise, artistes ».
« Un phénomène extrêmement
grave et potentiellement irréversible », estimait Luc Chatel, député
(UMP) de la Haute-Marne, à l’initiative de la demande, jugeant indispensable de « l’examiner dans
toute son ampleur » pour « permettre de l’enrayer afin que la
France redevienne ce pays économiquement attractif que nous
avons pu connaître à une certaine
époque ».
Six mois plus tard, le rapport
rendu public, mercredi 15 octobre,
par Yann Galut, député (PS) du
Cher, s’élève en faux contre cette
analyse alarmiste. « Il n’y a pas
d’exode massif, conteste le rapporteur de la commission. Je ne nie
pas qu’il y a un rang à conserver,
mais sans vision passéiste et arcboutée. »
Selon le ministère des affaires
étrangères, 1,643 million de Français étaient enregistrés à l’étranger, dont 628 000 au sein de
l’Union européenne, contre
1,427 million en 2008, soit une
augmentation de 15 % en cinq ans.
En dix ans, ce nombre a progressé
de 30 %, il a presque doublé en
vingt ans. Cependant, relève le rapport, cette augmentation « n’a rien
d’exceptionnel » : « En dépit de leur
augmentation, les chiffres de l’émigration française restent modestes,
aussi bien en comparaison internationale que sur le plan démographique. » La France ne se classe
qu’au dixième rang des pays d’expatriation au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
loin derrière l’Allemagne ou le
Royaume-Uni.
Pour M. Galut, cette accélération
de l’expatriation est le reflet de
l’« insertion dans la mondialisation » et, pour la France, elle constitue une forme de « rattrapage » par
rapport aux autres pays, notamment en ce qui concerne le nombre d’étudiants souhaitant pour-
suivre leurs études à l’étranger.
Comparativement aux autres pays
de l’OCDE, la France compte peu de
diplômés qui s’installent à l’étranger, même si cette proportion augmente régulièrement, témoignant
d’« une ouverture croissante des
étudiants français sur le monde ».
« Il n’y a pas de fuite des cerveaux », dément fermement le
rapporteur, qui rappelle que la
France reste fortement attractive
pour les étudiants étrangers. Selon Jean-Christophe Dumont,
chef de la division des migrations
internationales de l’OCDE, bien
que leur nombre ait augmenté de
60 % en dix ans, le taux d’expa-
Les frondeurs
du PS
fondent le PS2.
Si c’était vrai, France Info vous le dirait en premier.
Le réflexe info.
triation des diplômés du supérieur « reste relativement modeste, autour de 5 % ».
Quant au nombre de redevables
de l’impôt sur le revenu partis à
l’étranger, après une baisse de
2008 à 2010, il est reparti à la
hausse depuis 2011 pour atteindre
34 524 en 2012, soit 0,1 % des
foyers de contribuables, selon les
dernières données de la Direction
générale des finances publiques
(DGFIP). Parmi ceux-ci, 587 redevables de l’impôt de solidarité sur
la fortune (ISF) se sont expatriés.
Leur actif moyen s’élevait à
6,6 millions d’euros, contre
2,7 millions d’euros pour l’ensemble des redevables de l’ISF. Le
montant cumulé de leur revenu
fiscal de référence est estimé à
446 millions d’euros. Ils représentent un montant d’ISF de 39 millions d’euros.
« A l’évidence, seule une part minime des départs de redevables de
l’impôt sur le revenu dans leur ensemble est motivée pour des rai-
« Il n’y a pas
de fuite
des cerveaux »
YANN GALUT
rapporteur de la mission
d’enquête parlementaire sur
« l’exil des forces vives »
sons fiscales », souligne le rapport.
M. Galut tient en outre à mettre
en regard le nombre d’assujettis à
l’ISF quittant la France et l’augmentation du nombre de millionnaires que compte le pays, qui en
abrite aujourd’hui 2,444 millions,
dont 4 151 « ultrariches », c’est-àdire possédant un patrimoine supérieur à 50 millions de dollars
(près de 40 millions d’euros).
« Ce que démontre le rapport,
c’est qu’il n’y a pas d’exode massif », insiste M. Galut, jugeant que
les données rassemblées dans cet
épais rapport, de plus de 600 pages, constituent « un sacré pied de
nez à l’opération de “french
bashing” lancée par l’UMP ».
Pour le président de la commission, M. Chatel, ce rapport est, au
contraire, « un déni de réalité ».
« Puisque la majorité parlementaire refuse de dire ce que tout le
monde voit, puisqu’elle refuse de
voir ce que tout le monde voit », les
membres de l’UMP et de l’UDI ont
décidé de présenter leurs propres
conclusions. « Alors que le gouvernement et la majorité parlementaire chantent avec insouciance
“Tout va très bien Madame la marquise”, nous entendons ceux de
nos concitoyens qui se sentent
obligés de quitter la France pour de
mauvaises raisons, à commencer
par l’impression que la réussite y
est devenue impossible », dénoncent-ils.
Les six mois de travaux communs de la commission d’enquête n’auront pas permis de rapprocher les points de vue, et encore moins les présupposés. p
patrick roger
Le Drian détaille les 7 500 suppressions
de postes dans l’armée en 2015
La fermeture du Val-de-Grâce est confirmée. Le 1er régiment
d’artillerie de marine de Châlons-en-Champagne est dissous
D
epuis que l’annonce de la
fermeture de l’hôpital
militaire du Val-de-Grâce
à Paris avait fuité le 8 octobre dans
Le Monde, le gouvernement
comme l’armée s’étaient refusés à
tout commentaire. Le sort que
l’Etat réservait à l’hôpital qui a accueilli les présidents comme les
plus hautes personnalités de la
République restait un mystère.
C’est désormais officiel.
Dans un communiqué de trois
pages adressé mercredi 15 octobre
aux cadres des grands services
militaires, le ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, confirme la fermeture de l’hôpital et
détaille sa restructuration. Le Valde-Grâce abritera à l’avenir un
centre de recherche, de formation
ainsi que le musée du service de
santé des armées dont il dépend.
Les activités médicales du site seront transférées vers les deux
autres hôpitaux d’instruction des
armées de la région parisienne –
Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine),
et l’hôpital Bégin à Saint-Mandé
(Val-de-Marne) – plus récents et
plus performants.
Cette fermeture va s’ajouter à
celle d’autres sites militaires et
s’inscrit dans un vaste plan d’économies des armées. La Défense
« prend part aux efforts de la Nation pour redresser sa situation
budgétaire », explique le ministre
à ses services. « La souveraineté »
de la France « dépend autant de sa
défense que de la maîtrise de ses
comptes publics ».
D’ici à 2019, 34 000 nouvelles
suppressions de postes sont prévues dans le cadre de la loi de programmation militaire 2014-2019.
7 500 postes sont concernés
en 2015. Au total, entre 2009 et
2019, la Défense aura supprimé
près de 80 000 emplois.
Certaines communes vont
payer le prix fort de ces coupes
budgétaires. Ainsi, le 1er régiment
d’artillerie de marine basé à Châlons-en-Champagne (Marne) – le
plus ancien de France –, mais
aussi l’état-major de la 1ère brigade
mécanisée, installé dans la même
ville, doivent être dissous avant
l’été 2015. Benoist Apparu, maire
et député (UMP) de Châlons-enChampagne a fait le calcul : cette
ville de 45 000 habitants est amputée de 960 emplois. Il appelle
les habitants à manifester pour
exiger « des compensations à la
D’ici à 2019,
34 000 nouvelles
suppressions de
postes sont
prévues dans le
cadre de la loi de
programmation
militaire
perte de ces emplois militaires ».
Les activités de la marine seront
désormais concentrées autour
des deux grands ports que sont
Brest et Toulon. Les bases navales
d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques) et
le commandement maritime de
Strasbourg
fermeront
eux
en 2015.
Concentrer, rationaliser
Dans l’armée de l’air, même logique, même procédé : on concentre et on rationalise. La dissolution de la base aérienne 102 de Dijon-Longvic débutera cette année.
Le commandement des forces aériennes sera quant à lui transféré
vers la base aérienne 106 de Bordeaux-Mérignac.
M. Le Drian a veillé, expliquet-il, à ce que « les deux tiers des
23 500 suppressions de postes »
(auxquels viennent s’ajouter
10 000 suppressions de postes
non encore exécutées de la précédente loi de programmation) portent « sur le soutien, les structures
organiques, l’environnement et
l’administration du ministère » de
manière à préserver « les forces
opérationnelles » engagées sur
plusieurs théâtres d’opérations.
Un budget est réservé pour accompagner
ces
mesures :
205 millions d’euros seront consacrés en 2015 aux personnels et
150 millions d’euros aux territoires. p
emeline cazi
france | 11
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JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Les ratés du retour de Sarkozy profitent à Juppé
Trois semaines après sa rentrée, l’ex-chef de l’Etat est à la peine dans les sondages
N
icolas Sarkozy devait
tout emporter sur son
passage avec son retour en homme providentiel. Son opération reconquête
s’avère finalement plus délicate
que prévu. En cause : l’accélération
de l’enquête judiciaire sur l’affaire
Bygmalion, les revers électoraux
de ses fidèles au Sénat ou la pugnacité de ses rivaux. Surtout, l’ancien
chef de l’Etat ne donne pas l’impression d’avoir changé et d’avoir
renouvelé son discours.
« On n’observe pas de dynamique
autour du retour de Nicolas Sarkozy,
car c’est le même qu’en 2004, en 2007
et en 2012. Même film, même scénario, même mise en scène », tranche
le député UMP Franck Riester, qui
soutient Bruno Le Maire. « En s’engageant, on s’expose », relativise le
LES ACTEURS
Gilles Boyer
C’est l’homme à tout faire de
l’équipe d’Alain Juppé. Depuis
2002, il a été directeur de cabinet,
conseiller politique, directeur de
campagne, communicant… A
43 ans, il continue d’œuvrer pour
celui qu’il a suivi de la mairie de
Bordeaux aux ministères.
sarkozyste Brice Hortefeux, en référence à la candidature de son
champion à la présidence de l’UMP.
Depuis son retour sur le devant
de la scène, l’ex-président chute
dans les enquêtes d’opinion. Sa
cote de popularité dégringole de
neuf points en un mois, selon le
sondage Ipsos-Le Point publié le
13 octobre. M. Sarkozy passe de
40 % à 31 % d’opinions favorables,
atteignant son plus bas niveau depuis son départ de l’Élysée. Plus
dangereux : il est aussi en nette
baisse chez les sympathisants
UMP, qui lui préfèrent désormais
Alain Juppé. L’ex-chef de l’Etat perd
11 points de popularité dans cette
catégorie (71 %) et se fait devancer
par son principal rival, M. Juppé,
dont l’action est jugée favorablement par 76 % d’entre eux.
L’ex-président garde seulement
l’avantage dans le noyau dur des
adhérents du parti, qui représente près de 250 000 personnes.
Ce soutien indéfectible de la base
lui assure la victoire lors de l’élection à la présidence de l’UMP mais
pas forcément dans une primaire
pour la présidentielle, ouverte à
tous les électeurs de la droite et du
centre, où M. Juppé pourrait profiter des voix de la droite modérée.
Car au moment où M. Sarkozy
perd du terrain, le maire de Bordeaux poursuit, lui, son envolée
dans les sondages.
Benoist Apparu
A 44 ans, l’ex-ministre du logement fait office de porte-parole
de M. Juppé. Le député de la
Marne et maire de Châlons-enChampagne est issu du RPR.
Edouard Philippe
Le maire du Havre et député de
Seine-Maritime, 44 ans, joue
aussi le rôle de porte-parole.
En 2002, il a participé à la fondation de l’UMP, dont il a été directeur général jusqu’en 2004.
Hervé Gaymard
L’ex-ministre de l’agriculture puis
de l’économie (2002-2005) est
chargé de piloter le projet et les
réseaux. Après avoir soutenu
François Fillon, il est revenu
auprès de M.Juppé avec qui il
est ami depuis plus de vingt ans.
Personnalité préférée
S’il a encore consolidé sa place de
personnalité politique préférée
des Français (54 % de bonnes opinions, onze points devant Laurent
Fabius dans le sondage Ipsos-Le
Point), Alain Juppé a surtout progressé de manière continue dans
l’électorat de droite, ces derniers
mois. Au point de détrôner Nicolas Sarkozy dans le cœur des sympathisants de l’UMP. Ceux-là mêmes qui forment un électorat stratégique dans l’optique de la primaire, prévue en 2016.
Une dynamique s’est installée
du côté du maire de Bordeaux depuis sa prestation jugée réussie le
2 octobre, sur France 2, dans
l’émission « Des paroles et des actes ». Ce jour-là, l’ancien premier
ministre de Jacques Chirac « droit
Nicolas Sarkozy en meeting à Toulouse, le 8 octobre. ERIC CABANIS/AFP
dans ses bottes » est parvenu à
renvoyer une image d’humanité
et de modestie. Depuis, il a le vent
en poupe. C’est le paradoxe de
cette rentrée à droite : alors que
Nicolas Sarkozy devait écraser ses
concurrents grâce à l’effet de souffle provoqué par son retour, c’est
finalement son principal rival qui
tire son épingle du jeu.
Les sondeurs y voient un lien de
cause à effet. « La dynamique
d’opinion en faveur d’Alain Juppé
s’explique en partie par l’érosion de
la popularité de Nicolas Sarkozy,
relève Yves-Marie Cann, directeur
de l’opinion à l’Institut CSA. Le
doute qui s’est installé autour de
l’ancien président, depuis janvier à
cause des affaires, a ménagé un espace à son principal concurrent. »
C’est la première fois que
M. Sarkozy doit faire face à un candidat aussi sérieux dans une com-
C’est la première
fois que Nicolas
Sarkozy fait face
à un candidat
aussi sérieux dans
une compétition
interne
pétition interne. « Avant de se lancer dans la conquête de l’Elysée en
2007, il avait éliminé la concurrence en torpillant Villepin, en obtenant le ralliement de Fillon et en
profitant de l’empêchement de
Juppé à cause de ses ennuis judiciaires », rappelle le politologue
Thomas Guénolé, auteur de Nicolas Sarkozy, chronique d’un retour
impossible ? (First, 2013). Cette fois,
Une assurance-chômage trop généreuse ?
Le niveau d’indemnisation des chômeurs, critiqué par Manuel Valls et le Medef,
n’est pas forcément un problème, estiment les économistes
D
epuis les premières déclarations de Manuel
Valls, en marge de son
déplacement à Londres, lundi
6 octobre, le débat autour de l’efficacité et la générosité des indemnités chômage ne cesse de prendre de l’ampleur. Le président du
Medef, Pierre Gattaz, s’est à son
tour engouffré dans la brèche
ouverte par le gouvernement,
mardi 14 octobre, en demandant
aux syndicats d’ouvrir de nouveau le dossier dès janvier.
Qu’en est-il réellement ? Le système français est en effet relativement plus protecteur que celui de
ses voisins.
Une comparaison, menée par
les économistes Pierre Cahuc et
Stéphane Carcillo dans l’ouvrage
Améliorer l’assurance-chômage,
classe la France au troisième rang
des pays les plus protecteurs de
l’OCDE, juste derrière l’Islande et
la Norvège.
Règles complexes de l’Unedic
Les chômeurs français bénéficient en moyenne d’une durée
d’indemnisation maximale (24
mois, voire 36 mois pour les plus
de 50 ans), de conditions d’ouverture des droits (4 mois d’activité)
La France
se classerait
au troisième rang
des pays les plus
protecteurs
de l’OCDE, juste
derrière l’Islande
et la Norvège
ou d’un plafond d’indemnisation (jusqu’à plus de 6 200 euros
par mois) parmi les plus favorables. En revanche, le niveau
moyen d’indemnisation – autour
de 70 % du salaire net – se situe
dans la moyenne européenne.
Cette protection a un coût : les
salariés du privé consacrent environ un mois de salaire net par an
à leurs cotisations chômage.
Mais la plupart des chercheurs
estiment que la question de la générosité du système est un faux
problème.
« Il ne faut pas regarder si le système est généreux, mais s’il est optimal. Quand il y a un niveau de
chômage élevé pendant longtemps, comme actuellement, il est
logique d’indemniser longtemps
les gens », estime Bruno Coquet,
spécialiste de la question pour
l’Institut de l’entreprise. « Le problème est que notre système est
généreux mais que notre suivi des
chômeurs est défaillant », abonde
Pierre Cahuc. « Les pays avec une
générosité comparable à la nôtre
prévoient notamment des entretiens fréquents, et les chômeurs
ont l’obligation d’accepter des emplois ou des formations. Il faudrait d’abord travailler sur ce
point. »
Réduire drastiquement les indemnités des chômeurs aurait
donc seulement un impact sur le
déficit de l’Unedic, qui devrait
s’établir à près de 4 milliards
en 2014. Mais en l’absence d’une
amélioration de la conjoncture
économique, il n’est absolument
pas certain que cela pousse davantage les chômeurs à retrouver
un emploi. Cela ne veut toutefois
pas dire qu’il n’y a rien d’améliorable dans notre système. « Il y a
des cas où le taux de remplacement [le niveau d’indemnité par
rapport au salaire de référence]
est en effet trop élevé et n’incite pas
assez à reprendre un emploi », assure M. Coquet.
Les complexes règles de calcul
de l’Unedic peuvent en effet permettre à certains chômeurs (licenciés économiques ou précaires à très bas niveau de salaire) de
toucher presque la même chose
au chômage ou en emploi. « On
peut même être au-dessus de
100 % si on prend en compte certaines aides locales, réservées aux
chômeurs », estime M. Cahuc. Les
économistes estiment en général
que les indemnités ne doivent pas
dépasser 75 % du dernier salaire.
Mais ces cas restent limités.
Pour être plus optimale, l’assurance-chômage française devrait
par ailleurs mettre davantage à
contribution les employeurs qui
abusent de la précarité, juge
M. Cahuc. « Actuellement, l’assurance-chômage finance certains
secteurs qui abusent des contrats
courts et de l’intérim en ne leur faisant pas payer le prix correspondant à leurs pratiques », estimet-il. Il réclame à ce titre que le niveau de cotisations des employeurs soit adapté en fonction
de leur usage des contrats précaires. Une idée qui pourrait cette
fois-ci déplaire fortement à
M. Gattaz. p
jean-baptiste chastand
l’ex-président doit affronter Alain
Juppé, François Fillon, Bruno Le
Maire et Xavier Bertrand, qui sont
tous déterminés à lui barrer la
route de l’Elysée.
Même s’il se détache du lot
aujourd’hui, le maire de Bordeaux
reste prudent. « Les sondages
m’inspirent beaucoup de modestie, car la route est longue jusqu’en 2017 », a-t-il déclaré sur
France Inter, mardi. Et d’ajouter :
« Mais cela me donne de la confiance et m’incite aussi à avancer. »
En attendant la probable élection
de Nicolas Sarkozy à la tête de
l’UMP, le 29 novembre, Alain
Juppé s’organise pour être prêt à
tenir la distance. « La campagne
interne nous laisse quelques semaines pour bien nous structurer », explique Gilles Boyer, son
conseiller politique.
Ce dernier cherche des bureaux
à Paris pour installer une équipe
de campagne resserrée, dont feront partie trois élus de confiance
de M. Juppé : Benoist Apparu,
Edouard Philippe et Hervé Gaymard. Le microparti « France moderne », qui va permettre de financer la campagne via des dons, va
être réactivé en étant renommé
« Le cap ». Un nouveau site Internet participatif sera également
lancé prochainement.
« A partir de janvier, on va monter en puissance », affirme M. Apparu, qui tente toutefois de ne pas
tomber dans l’euphorie : « L’annonce de candidature d’Alain
Juppé à la primaire a été bien accueillie mais la vraie campagne n’a
pas encore démarré. Il va falloir
durer. » Il est vrai qu’à droite, la
course à l’Elysée ressemble à un
vrai marathon. p
alexandre lemarié
CORRESPONDANCE
Après la publication de notre article « Bygmalion : M. Sarkozy directement visé » (Le Monde du 7 octobre), Franck Attal nous a fait parvenir
le courrier suivant.
« De jour en jour, se répète une erreur qui figure dans votre article du
mardi 7 octobre consacré à l’affaire Bygmalion. Je ne suis pas le “patron d’Event & Cie”. Pour être précis, j’en étais l’associé à hauteur de
25 % et par ailleurs le cadre supérieur salarié sans mandat social. En
ma qualité de directeur général adjoint, j’étais le numéro trois d’Event
& Cie. J’avais au-dessus de moi un président et un directeur général. »
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Louis Vuitton et Cindy Sherman célèbrent le Monogram
2014, six iconoclastes, une icône : CHRISTIAN LOUBOUTIN, CINDY SHERMAN, FRANK GEHRY,
KARL LAGERFELD, MARC NEWSON et REI KAWAKUBO s’inspirent du légendaire Monogram LOUIS VUITTON.
#CelebratingMonogram
14 | france
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Tiers payant généralisé : les raisons du blocage
La dispense d’avance de frais, contestée par les médecins, constitue la mesure phare du projet de loi santé
G
énéraliser le tiers
payant chez le médecin, c’était une promesse de campagne
de François Hollande. C’est désormais la mesure phare de la future loi de santé, présentée mercredi 15 octobre en conseil des ministres, et son principal point de
crispation. Le texte prévoit que
tous les patients soient dispensés d’avancer les frais en consultation d’ici à 2017. Ils n’auront alors
plus à attendre le remboursement de l’Assurance-maladie et
de leur complémentaire.
Déjà, pharmaciens, infirmières,
laboratoires de biologie appliquent le tiers payant. Mais les médecins n’en veulent pas. Selon un
sondage Opinion Way publié le
19 septembre, ils y sont opposés à
95 % − les Français, eux, y sont favorables à 66 %. Même le président de l’ordre des médecins, Patrick Bouet, est sorti de sa réserve,
estimant qu’il s’agissait d’une
« vraie fausse bonne idée ».
Est-ce le signe que l’heure est
grave ? Jeudi 16 octobre, François
Hollande aura l’occasion de faire
de la pédagogie devant 1 000 représentants de l’ordre réunis en
congrès. C’est la première fois, depuis Charles de Gaulle en 1966,
qu’un président de la République
s’exprime à un tel congrès.
Un outil d’amélioration
de l’accès aux soins ?
C’est au nom de l’amélioration de
l’accès aux soins que le gouvernement veut généraliser le tiers
payant. Pure « démagogie », répond Jean-Paul Hamon, président
de la Fédération des médecins de
France. Pour la plupart des médecins, les soins sont suffisamment
accessibles, avec des consulta-
tions fixées à 23 euros et un tiers
payant qui existe déjà pour
les plus défavorisés, bénéficiaires
de la couverture maladie universelle (CMU), de la CMU-complémentaire et de l’aide médicale
d’Etat (et en 2015 pour les détenteurs de l’aide à la complémentaire santé).
Le ministère de la santé justifie
son choix par ce chiffre : en 2012,
26 % de la population déclare avoir renoncé à au moins un
soin pour raisons financières.
Du paquet neutre aux parcours de soins
Le projet de loi santé, présenté par Marisol Touraine en conseil des
ministres, mercredi 15 octobre, met l’accent sur la prévention et la
réduction des inégalités d’accès aux soins. Elle devrait être examinée début 2015 par l’Assemblée. Le texte prévoit l’instauration
d’une infraction spécifique pour le binge drinking (« alcoolisation
express »), une nouvelle information nutritionnelle sur les produits
alimentaires, le paquet neutre de cigarettes, l’interdiction de vapoter dans certains lieux publics ou encore l’instauration d’un médecin traitant pour les moins de 16 ans. Des parcours de soins pour
mieux orienter les patients dans le système seront mis en place et
une lettre de liaison sera remise à chaque patient après une sortie
de l’hôpital, pour faciliter le suivi.
Outre la généralisation du tiers payant, les médecins critiquent la
volonté du gouvernement de transférer des compétences à
d’autres professionnels de santé comme les infirmières et de
l’obligation faite aux cliniques, pour bénéficier du label « service
public hospitalier », de proscrire les dépassements d’honoraires.
Un risque de surconsommation
de soins ?
« La généralisation du tiers payant
mène à une déresponsabilisation
du patient, puis vers le consumérisme de l’acte médical devenu banal », assure Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, le premier syndicat de médecins. La ministre de
la santé, Marisol Touraine, elle,
avance qu’il « n’incite pas à la consommation de soins ». Aucune
étude ne vient confirmer ou infirmer ces arguments.
Une comparaison est parfois
faite avec les débuts de la mise en
place de la CMU. Un rapport de
2003 de la Drees, le service statistique du ministère des affaires sociales et de la santé, avait noté une
hausse de la consommation des
soins, avant une stabilisation à un
niveau légèrement supérieur à
avant son instauration. Pour les
défenseurs du tiers payant, il y a eu
au départ un effet de rattrapage
chez ceux qui renonçaient jusque-là aux soins. Ils voient là la
preuve de l’efficacité du dispositif
de dispense d’avance de frais.
Tiers payant général ou… social ?
Les médecins ne jurent que par le
« tiers payant social », qui consiste à dire « oui » à la mesure
Collectif interassociatif sur la
santé. « Faire du cas par cas et bidouiller donne beaucoup de complications administratives… Les
médecins ont tout à gagner en laissant faire l’Assurance-maladie
sans avoir à évaluer l’état des finances de leur patient, et en étant
payés tout de suite », ajoute le Dr
Alain Beaupin, directeur du centre de santé municipal de Vitrysur-Seine (Val-de-Marne) où le
tiers payant est systématiquement appliqué.
« Cela ne doit pas
être au médecin
de courir auprès
des financeurs
pour récupérer la
totalité de l’acte
qui lui est dû »
DR PATRICK BOUET
président de l’ordre
des médecins
pour ceux qui en ont besoin…
pour mieux refuser sa généralisation. « Nous pratiquons tous déjà
un tiers payant social “artisanal” », explique ainsi Claude Leicher, président du syndicat MG
France. Si besoin, les médecins retardent en effet l’encaissement
des chèques de patients le temps
qu’ils soient remboursés.
Cette pratique, difficile à chiffrer car elle se fait « dans l’intimité
de chaque cabinet », selon les
mots du Dr Bouet, ne fait pas
l’unanimité côté patients : « Ce
n’est pas systématique, ça se fait
un peu à la tête du client, et ça
place le patient dans une situation
délicate de demande », estime le
Des députés s’élèvent contre la « légalisation des salles de shoot »
L’
expérimentation des « salles de shoot » n’en est
qu’au stade de la présentation en conseil des ministres, mercredi 15 octobre, mais, déjà, les députés se sont emparés du sujet.
Yannick Moreau (UMP, Vendée) devait déposer le jour même à l’Assemblée une résolution contre
leur « légalisation », signée par 101
parlementaires. Une réponse au
gouvernement, mais aussi au
groupe PS, qui, mi-septembre,
avait déposé une proposition de
loi en vue d’autoriser l’expérience.
« Cette résolution est un cri
d’alarme pour interpeller le président de la République et le rappeler
à ses devoirs de respect des conventions internationales pour lutter
contre le fléau de la drogue », indique M. Moreau. Son texte − un positionnement de principe dont il
espère que le vote sera programmé dans le cadre d’une niche UMP avant l’arrivée de la loi à
l’Assemblée − estime que le projet
du gouvernement encourage
« l’entretien dans la dépendance
des plus nécessiteux, aux frais des
contribuables, et en priant à la police de fermer les yeux », et « regrette que le gouvernement envoie
un message complètement incohérent à l’adresse des familles, des
éducateurs, des jeunes, des policiers…) ». Le député, ancien du
MPF de Philippe de Villiers qui a
rejoint en 2013 l’UMP (Droite
forte), s’appuie sur l’opposition de
l’Académie de médecine, dont les
arguments sont contestés par les
partisans de l’expérimentation.
Annoncée en février 2013 par
Jean-Marc Ayrault, celle-ci devait
commencer à Paris, près de la gare
Bataille d’amendements en vue
C’est chose faite, avec l’article 8 de
la future loi, qui prévoit une expérimentation de six ans au sein d’espaces spécifiques dans les centres
d’accueil et d’accompagnement à
la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud). Ces salles
de consommation supervisée par
des professionnels ont pour objectif d’atteindre les toxicomanes les
plus précaires. Elles doivent permettre de réduire les risques d’in-
HERVÉ GATTEGNO
fection, de contamination (VIH,
hépatite C) et d’overdose.
Parmi les signataires de la résolution qui s’y oppose, des députés
UMP comme Bernard Accoyer,
Eric Ciotti, Nathalie KosciuskoMorizet ou Laurent Wauquiez,
l’UDI Jean-Christophe Fromantin,
mais pas un seul élu de la majorité. Ce que regrette M. Moreau.
« L’UMP ne connaît pas le sujet,
et encore une fois on va dire que la
gauche favorise les toxicomanes
pour retarder la mise en place de
telles structures, alors que c’est une
urgence de santé publique », affirme de son côté Catherine Lemorton (PS, Haute-Garonne). Et le
non-respect des conventions internationales ? « Cela ne peut leur
être contraire puisque cela existe
ailleurs en Europe », rétorque-telle. C’est elle, présidente de la
JEAN-JACQUES BOURDIN
commission des affaires sociales
et pharmacienne de formation
qui, avec l’aide de magistrats, a
préparé la proposition de loi (PPL)
des socialistes, après l’avis du
Conseil d’Etat. Il fallait s’assurer
que ceux qui travailleront dans
ces centres ne pourront être poursuivis.
Depuis, l’expérimentation a été
inscrite dans les mêmes termes
dans le projet de loi de santé. Elle a
quand même déposé la PPL.
Cela fait bientôt cinq ans que politiques, médecins et associations
s’écharpent sur la question. Son
retour sur le devant de la scène n’a
pas de quoi rassurer les acteurs de
terrain, qui réclament de nouveaux outils de réduction des risques. Ils redoutent déjà la bataille
d’amendements. p
l. cl.
ÉRIC BRUNET
LAURENT NEUMANN
C’EST LÀ QUE ÇA SE PASSE
BOURDIN DIRECT
6 H - 10 H
DeBonneville-Orlandini
©Photo : Pascal Potier - Visual Press Agency
ANTHONY MOREL
du Nord. Le gouvernement pensait procéder par décret pour
l’autoriser. Mais le Conseil d’Etat
lui a recommandé d’inscrire le
projet dans la loi pour plus de garantie juridique, le dispositif n’entrant pas dans le cadre de la loi de
1970 prohibant l’usage des stupéfiants.
Un simple problème technique ?
Tous les médecins s’inquiètent de
la mise en œuvre et des délais de
paiement, vu la multiplicité du
nombre de payeurs − plusieurs
centaines, entre les régimes obligatoires et toutes les complémentaires. Le risque est, selon les praticiens, de perdre du temps en paperasseries administratives au détriment de l’acte médical. « Ce
mécanisme doit être simple et ne
pas complexifier la gestion administrative d’un cabinet : la rémunération doit être prise en charge par
un seul acteur. Cela ne doit pas être
au médecin de courir auprès des financeurs pour récupérer la totalité
de l’acte qui lui est dû », prévient le
Dr Bouet.
La Mutualité française, très favorable au tiers payant, évacue de
son côté le problème, évoquant la
construction d’un annuaire « inter-assurances complémentaires »
qui formerait une base de données pour les médecins.
Mais si l’argument est moins
ouvertement mis en avant, le blocage est aussi lié à une problématique plus culturelle : certains médecins s’inquiètent d’une possible
étatisation qui sied mal à leur statut de libéraux, s’ils ne sont plus
réglés directement par les patients. Les pharmaciens et les laborantins, bien que payés par l’Assurance-maladie, n’en sont pas salariés, rétorque le ministère. Etienne
Caniard, le président de la Mutualité, ajoute une autre raison : « Ce
système est aussi un redoutable révélateur de dépassements d’honoraires. Les patients pourront voir
immédiatement le montant de leur
reste à charge et donc la pratique
ou non de dépassements. » p
emmanuelle bour
et laetitia clavreul
france | 15
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
La prison «inhumaine » de Ducos, en Martinique
Surpopulation massive, traitements dégradants... L’observatoire international des prisons a saisi la justice
D
ifficile de se sentir un
peu seul, à Ducos. A
quatre dans 9 m²,
vingt et une heures
sur vingt-quatre, on a effectivement de quoi se tenir chaud, surtout à la Martinique, dans l’unique prison de l’île. Ceux qui ont le
cafard ont aussi des rats, des grenouilles, des fourmis et des scolopendres − de sales bêtes venimeuses − dont un détenu a pieusement recueilli un spécimen de
14 cm. On mange sur ses genoux,
chacun sur son matelas, et quand
quelqu’un a la mauvaise idée d’aller au coin toilettes, on monte un
peu le son de la télé pour le bruit
et on allume un petit serpentin
anti-moustiques pour l’odeur.
Le centre pénitentiaire de Ducos
se dispute le titre de la pire prison
de France. Elle n’est pas bien
vieille −1996 − mais prévue pour
490 places, portées à 570 en 2007,
elle accueille un petit millier de
détenus − 998 au printemps 2013,
dont 150 sur un matelas par terre.
La chancellerie est au courant : le
contrôleur général des lieux de
privation de liberté avait rendu
un rapport effaré en 2009, l’inspection des services judiciaires, le
procureur, le chef d’établissement, un député, ont multiplié les
mises en garde et la garde des
sceaux, Christiane Taubira, a reçu
en juin 2013 le rapport consterné
de la mission conduite par Isabelle Gorce, devenue deux mois
plus tard, en juillet 2013, directrice
de l’administration pénitentiaire.
De guerre lasse, l’Observatoire
international des prisons (OIP) a
déposé cette semaine un référé-liberté devant le tribunal administratif de Fort-de-France pour mettre fin à ces « traitements inhumains ou dégradants », comme il
l’avait fait avec succès en décem-
bre 2012 pour la prison des Baumettes de Marseille.
Le rapport Gorce évoquait il y a
un an « un surencombrement
massif » : cela ne va pas tellement
mieux. Le taux d’occupation en
maison d’arrêt était au 1er juillet
de 201,7 %, celui du centre de détention − pour les longues peines
− de 123,7 %. Au quartier arrivant,
sorte de sas avant le placement en
cellule, les contrôleurs avaient
en 2009 découvert un détenu qui
végétait là depuis un an, avec un
taux de suroccupation de 340 %.
Les murs « noirs de crasse »
Chaque nouvel arrivant recevait
un short, un tee-shirt et une paire
de sandales. Lors du contrôle de
2009, à cause d’une rupture de
stock, ils n’avaient que les sandales. On distribue un rouleau de papier toilette, un morceau de savon
et 10 cl d’eau de Javel par mois,
avec un torchon et une serviette
pour toute la durée de la détention, quelle qu’elle soit. « L’entretien du linge n’est pas assuré, indiquaient sobrement les rapporteurs, et les vêtements peuvent être
portés jusqu’à l’usure complète. »
Le Secours catholique distribue
des brosses à dents pour les indigents, près de 40 % des détenus.
Dans les cellules, le bruit est infernal, les murs « noirs de crasse »
et l’odeur forte, surtout quand la
chaleur est étouffante : « Des
odeurs remontent des égouts. »
Toutes les cellules n’ont pas de
poubelle et beaucoup jettent par
la fenêtre leurs déchets qui se décomposent sous l’implacable soleil martiniquais. Il n’y a pas d’eau
chaude dans les douches. « Elles
sentent mauvais, a raconté un détenu à l’OIP, certains détenus handicapés font leurs besoins à l’intérieur. » Les prisonniers qui dor-
Dix ans de prison en comparution immédiate
Les magistrats ont la main lourde en Martinique. « Le nombre des entrants en prison est supérieur au nombre des sortants », relevait un rapport en juin 2013. La Martinique, avec un nombre d’habitants et un
type de criminalité comparables à la Guadeloupe, « se caractérise par
un taux de détention élevé et un milieu ouvert indigent ». Surtout, « la juridiction pénale de Fort-de-France est très répressive, il n’est pas rare que
des peines supérieures à dix ans d’emprisonnement soient prononcées en
comparution immédiate », ce qui semble « excessif » d’après le rapport.
Dans la prison de Ducos, en Martinique. DR
ment par terre, les premiers intéressés, bourrent de la mousse
sous la porte pour freiner l’arrivée
des rats.
Face au délabrement du système électrique, la sous-commission de sécurité a donné à deux
reprises, en 2011 et 2013, un avis
négatif sur l’utilisation des locaux, parce que « les risques d’éclosion d’incendie, d’électrisation
sont importants ». Et comme il n’y
avait pas en cellule de détecteur
de fumée et que les Interphone ne
fonctionnaient pas, l’administration a finalement fait des travaux
en 2013.
La promiscuité engendre aussi
« une violence importante », reconnaissait la mission Gorce. « Je vais
pas dire à un type de ne pas aller
aux toilettes pendant que je
mange, a raconté un prisonnier, sinon c’est une bagarre qui éclate. »
« Sentiment d’abandon »
Une centaine de détenus travaillent à l’entretien de la prison,
vingt-cinq seulement en atelier,
« plus de 60 % de détenus sont
oisifs », notait le rapport Gorce. Il y
a bien un terrain de sport, mais
lors de la visite des contrôleurs,
« l’endroit était détrempé et impraticable ». Des détenus ont attendu trois mois avant de pouvoir
faire de la musculation. Ils peuvent se rendre deux par deux à la
bibliothèque, une fois tous les
quinze jours, et pour quinze minutes. Les codes judiciaires ne se
consultent que sur place − il s’agit
de lire vite. Il n’y avait, enfin,
en 2009, qu’un seul téléphone
pour toute la prison, la communication ne pouvait pas dépasser
quinze minutes par mois − on
avait, en revanche, saisi l’année
précédente 74 téléphones portables en détention.
L’inspection sanitaire avait relevé en 2009 « le sentiment
d’abandon des équipes soignantes ». En 2012, l’agence régionale
de santé s’inquiétait des « moyens
humains insuffisants », des « locaux inadaptés » et d’une « organisation de la pharmacie non conforme ». A Ducos, il vaut mieux ne
pas avoir mal aux dents, le délai
d’attente « dépasse quatre mois
pour les soins programmés », relevaient les contrôleurs − 35 % des
détenus attendaient le dentiste.
« L’inertie des pouvoirs publics ne
manque pas de surprendre », dé-
nonce l’OIP, qui entend bien aller
jusqu’au Conseil d’Etat. Le ministère de la justice est « conscient
des difficultés », son porte-parole
rappelle que la garde des sceaux
avait signé en janvier une circulaire pour « relancer les aménagements de peines » en Martinique
et demandé au parquet « un traitement ferme et rapide des violences en prison ». Il indique
qu’en 2015, 160 nouvelles places,
quatre parloirs familiaux et quatre unités de vie familiale seront
livrés et des études seront lancées
pour la construction d’un centre
de semi-liberté de 25 places et,
en 2016, d’un nouveau centre pénitentiaire de 520 places, conformément aux préconisations de la
mission Gorce. p
Après un tir mortel, le Flash-Ball aux assises ?
T RAN S PORTS
Un policier marseillais poursuivi en correctionnelle pour « homicide involontaire » après une
intervention musclée en 2010 pourrait finalement être renvoyé devant une cour d’assises
La ministre de l’écologie Ségolène Royal a justifié une nouvelle fois mercredi 15 octobre
sa proposition d’instaurer la
gratuité des autoroutes le
week-end. « Il faut rendre aux
automobilistes l’argent qu’ils
ont trop payé », a-t-elle indiqué sur Radio Classique et LCI,
citant la Cour des comptes et
l’Autorité de la concurrence
qui avaient dénoncé la
« rente » des sociétés autoroutières.
Manuel Valls avait indiqué,
mardi 14 octobre, que la gratuité des autoroutes le weekend « est une question qui n’est
pas à l’ordre du jour ».
marseille - correspondant
X
avier Crubezy, gardien de
la paix, pourrait être jugé
par une cour d’assises. Ce
policier marseillais est l’auteur du
seul tir mortel de Flash-Ball recensé à ce jour en France. Mardi
14 octobre, lors de son procès devant le tribunal correctionnel de
Marseille, le procureur, Benoît
Vandermaesen, a estimé que le
policier s’était rendu coupable
non d’un pas d’homicide involontaire, infraction pour laquelle il
est poursuivi depuis sa mise en
examen il y a trois ans, mais d’un
tir volontaire ayant entraîné la
mort sans intention de la donner.
« C’est la définition des coups
mortels qui relève de la cour d’assises », a estimé M. Vandermaesen.
« Il n’est pas question de faire le
procès de l’institution policière, at-il ajouté, mais il n’est pas possible
pour l’accusation de soutenir qu’il
s’agit d’un homicide involontaire
par manquement à une obligation
de sécurité. » Le tribunal se prononcera le 25 novembre. L’avocate du policier, Me Sandrine Pauzano, a déclaré : « Cette demande
de requalification est d’une bruta-
lité absolue. Cela fait quatre ans
que nous attendons ce procès. »
Le 12 décembre 2010, l’équipage
de police secours commandé par
Xavier Crubezy, alors âgé de 33 ans,
est appelé pour une agression au
couteau entre deux résidents d’un
foyer Adoma (ex-Sonacotra). A
leur arrivée, l’agresseur, Mustapha
Ziani, se trouve seul dans sa chambre, très excité, visiblement en
proie à des troubles psychiques.
Situé dans l’embrasure de la
porte, Xavier Crubezy avait reçu
une tasse sur le front. Il avait alors
fait usage de son Flash-Ball en visant le thorax de M. Ziani. C’est
lors de son menottage, dans le
couloir, que ce dernier a fait un arrêt cardiaque qui a conduit à son
décès le lendemain. Un supplément d’information avait été ordonné à l’issue d’un premier procès en octobre 2013. Les experts
concluent que le décès est « la conséquence directe et exclusive » de ce
tir.
Problème : moins de 5 mètres
séparaient l’arme de la victime.
Xavier Cruzeby n’a donc pas respecté la distance minimale de tir
de 7 mètres indispensable « pour
conserver le caractère non létal de
« Cette arme ( ...)
est bien létale
quand elle n’est
pas utilisée
à bon escient »
ME CHEHID SELMI
avocat de la victime
cette arme », selon une note de la
gendarmerie nationale, et pour
« éviter tout risque de lésion corporelle grave pouvant être irréversible ». Le policier avait pourtant été
formé en 2007 à l’usage de cette
arme et avait suivi, en
juillet 2009, un stage de « recyclage », six mois après que la distance minimale de tir avait été
portée de 5 à 7 mètres.
« C’était la chose à faire »
Le policier et son avocate considèrent qu’il n’avait « pas d’autre alternative » et a tiré en état de légitime défense. Selon lui, « c’était la
chose à faire. Ce qu’on a fait, on l’a
bien fait ». M. Ziani « était dans sa
chambre, donc il n’était pas dangereux pour autrui », lui a opposé le
président du tribunal, Fabrice
Castoldi, selon lequel « gérer une
situation de crise, ce n’est pas automatiquement interpeller ».
Le procès d’assises, s’il a lieu,
pourrait être l’occasion d’une
nouvelle remise en cause du
Flash-Ball, après plusieurs affaires
de blessures graves liées à des usages contestés de l’arme. En
mai 2013, le Défenseur des droits
avait dénoncé les « recours irréguliers ou disproportionnés » aux
lanceurs de balles de défense,
dont l’usage augmente.
Me Sandrine Pauzano, qui a demandé au tribunal de conserver
la qualification d’homicide involontaire et de relaxer ce policier
désormais îlotier, a rappelé
qu’« en 2010, on répète aux fonctionnaires que c’est une arme non
létale avec un pouvoir lésionnel réduit et que les balles permettent
d’optimiser le pouvoir de neutralisation ».
Mais pour Me Chehid Selmi, avocat de la famille Ziani, « ce procès
démontre que le Flash-Ball, une
arme qui a déjà fait d’énormes ravages, est bien létale quand elle
n’est pas utilisée à bon escient ». p
luc leroux
Gratuité des autoroutes
le week-end : Valls
et Royal divergent
franck johannès
pour la présidence du parti.
Les résultats du premier tour
seront proclamés jeudi soir.
HOMI C I D ES
Disparues de la gare de
Perpignan : un homme
interpellé
Un homme de 54 ans a été
placé en garde à vue, mardi
14 octobre, dans le cadre de
l’enquête sur le meurtre de
deux femmes et la disparition d’une troisième dans la
ville entre 1995 et 1998.
Des rapprochements entre
les ADN recueillis sur l’une
des scènes de crime et celui
de l’homme interpellé et fiché pour des agressions
sexuelles ont débouché sur
son interpellation.
S ÉCU R I T É R OU T I ÈR E
C EN T R E
L’UDI repousse la clôture
du premier tour
de son congrès
Jean-Léonce Dupont, président de la Commission nationale d’arbitrage et de transparence de l’UDI a annoncé,
mardi 14 octobre, que la clôture du premier tour, prévue
ce jour, était repoussée à
jeudi 16 octobre. Le motif de
ce report est le mauvais délais d’acheminement du matériel électoral envoyé aux
adhérents qui doivent départager Hervé Morin, Yves Jégo,
Jean-Christophe Lagarde et
Jean-Christophe Fromantin
La mortalité sur
les routes en légère
hausse en septembre
En septembre, 316 personnes
ont été tuées sur les routes, a
annoncé la Sécurité routière,
le 14 octobre. C’est plus qu’en
septembre 2013 (1,3 %), où 312
personnes étaient décédées.
Rectificatif : Contrairement à
ce que nous indiquions dans
notre édition datée mardi
14 octobre, le ministre du travail, François Rebsamen n’a
pas commenté les déclarations d’Emmanuel Macron,
ministre de l’économie sur
l’assurance chômage.
16 | campus
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Le blues de l’élève de prépa à l’école de commerce
Après deux années de « nourriture intellectuelle », le passage au management ou à la comptabilité est un choc
P
asser de la prépa à une
grande école ne va pas
de soi. Certains élèves
ont l’impression de tomber de haut, surpris et dépités de
devoir passer de Montaigne aux
montages financiers et du philosophe Auguste Comte à d’austères comptes…
« Une partie des étudiants ont un
choc en arrivant, c’est vrai, reconnaît Isabelle Assassi, directrice du
« programme grande école » de
Toulouse Business School. Ils découvrent les fondamentaux du management et la comptabilité. Rien à
voir avec les nourritures intellectuelles de prépa, et c’est le cœur du
problème. Je leur en parle dès le départ. Mais je leur dis que ce blues est
normal. Et que ça se soigne… » A
Toulouse Business School, cela
concerne « de 20 % à 30 % des élèves », estime Mme Assassi.
Florent Joly, qui vient d’être diplômé d’HEC, connaît bien le phénomène. « On éprouve tous plus
ou moins cela au début, reconnaît
le jeune homme, en poste à Londres. On a fait beaucoup de philo
en prépa et, en arrivant en école de
management, on aborde des matières très terre à terre dans un contexte ultra-pragmatique et professionnalisant. Pendant six mois, un
an, on se demande si c’était vraiment ce que l’on souhaitait… »
Il y a souvent un « avant » et un
« après ». « C’est un vrai défi pédagogique », reconnaît Bernard Ramanantsoa, directeur général
d’HEC. A l’Edhec, pour pallier
cette transition difficile, l’équipe
pédagogique a décidé de repous-
« Pendant six
mois, un an,
on se demande
si c’était vraiment
ce que l’on
souhaitait »
FLORENT JOLY
diplômé d’HEC
ser les matières les plus rébarbatives au second semestre. Une initiative que n’approuve pas M. Ramanantsoa : « Des écoles retardent certains enseignements, mais
je ne crois pas que la réponse soit
de changer les cours. L’enjeu, c’est
que les élèves se mobilisent sur
d’autres choses. » Cela peut être
d’aller étudier à l’étranger ou de
s’investir dans les associations.
« Ça marche bien », assure-t-il.
Un peu de douceur
A Toulouse Business School, le
problème est abordé de toutes les
façons possibles. Des activités extrapédagogiques sont proposées.
Les élèves ont par ailleurs un gros
projet à mener dans l’année. Cela
permet d’« entrer dans l’action, ce
qui est très différent de ce qu’ils ont
vécu en prépa », relève Mme Assassi.
Les enseignements évoluent,
eux aussi. Les élèves découvrent le
droit, et des conférences leur permettent de s’ouvrir à d’autres horizons. Le 14 octobre, Toulouse Business School reçoit Philippe Pozzo
di Borgo, l’homme d’affaires tétra-
Egarés, héritiers, reconvertis et dévots
Dans une étude intitulée « Du souci scolaire au sérieux managérial,
ou comment devenir un HEC », le sociologue Yves-Marie Abraham a
décrit la manière dont les élèves encaissaient le choc de la grande
école. Il a défini quatre profils. Les « égarés » : déçus par la grande
école, souvent venus de province, ils ne parviennent pas à s’intégrer et s’accrochent à leurs réflexes scolaires. Les « héritiers » : souvent issus de la bourgeoisie d’affaires parisienne, ils dédaignent
les cours. Les « reconvertis » : moins à l’aise que les « héritiers », ils
sont moins perdus que les « égarés ». Bons élèves, bons camarades, ils s’investissent dans la vie du campus. Les « dévots » : bourgeois de province, ils admirent tant les « héritiers » qu’ils font tout
pour leur ressembler.
Sur le campus d’HEC, en 2011. CORENTIN FOHLEN/DIVERGENCE
plégique dont l’histoire a inspiré le
film Intouchables. Enfin, l’école a
signé des partenariats avec les universités toulousaines pour permettre à ses étudiants de faire, au
choix, des statistiques, de l’histoire
de l’art ou, bientôt, des langues.
A l’Ecole de management de
Strasbourg, des conférences de
philosophie ont été mises en place
par la directrice générale. Isabelle
Barth évoque sans ambages sa
« frustration personnelle » lorsqu’elle-même a intégré l’école
qu’elle dirige aujourd’hui. « Cette
frustration existe toujours pour de
nombreux étudiants de prépa,
poursuit-elle, car il existe un
monde entre les sujets traités et les
modalités d’apprentissage de la
classe prépa et de l’école de mana-
gement. » Pour faire passer les étudiants d’un univers à l’autre,
EM Strasbourg a donc choisi la
douceur : ils retrouvent des enseignements familiers en première
année, avant de passer à autre
chose.
De l’étudiant au cadre
« Le fait d’être capable de s’adapter
à un autre environnement est
aussi un élément de la formation,
rappelle Frank Bostyn, directeur
général de Neoma Business
School. Ils connaîtront ce genre de
chose au cours de leur vie professionnelle. La construction du parcours est importante : il faut donner du sens, expliquer pourquoi on
introduit des matières techniques
à tel ou tel moment. »
Car l’enjeu est bien là pour les
écoles de management : transformer de bons étudiants en futurs
cadres d’entreprise opérationnels.
« Il ne suffit pas d’être le “premier de
la classe” pour réussir professionnellement », rappelle Isabelle
Barth. Le sociologue Yves-Marie
Abraham a très bien décrit le processus à l’œuvre en s’intéressant
au cas de HEC. Dans une étude publiée en 2007, il rappelle que les
élèves « ne deviendront de bons
managers que dans la mesure où ils
auront cessé d’être de bons étudiants ». Cette « conversion » est
« au cœur de l’action pédagogique
d’HEC », explique M. Abraham.
« La très grande majorité des étudiants que nous avons rencontrés
vivent mal, et même parfois très
mal, cette rupture », écrit M. Abraham. Mais elle s’opère, parfois à
l’insu des élèves.
Reste le cas de ceux que M. Abraham appelle les « égarés », ceux
qui n’arrivent pas à changer de logiciel, qui restent agrippés à leurs
réflexes scolaires. « Mon souci, ce
sont les irréductibles, reconnaît
Bernard Ramanantsoa, ceux qui
répondent au choc par le sommeil,
voire la vraie déprime. Heureusement pour nous, ils sont peu nombreux. » « Les égarés, nous tâchons
de les raccrocher par d’autres disciplines, ajoute Isabelle Assassi. Certains abandonnent vraiment : ils
s’inscrivent à Sciences Po ou à la
fac. Mais il n’y en a que deux ou
trois par an. » p
benoît floc’h
La « finance islamique » reste peu enseignée Sciences Po-Berlin,
trente ans d’échanges
Malgré la création de masters à Strasbourg et à Paris, la matière a du mal à s’imposer
C
e vendredi 10 octobre, à
l’université
Paris-Dauphine, 35 étudiants en
« executive master » planchent, à
la nuit tombée, sur le marché des
banques. Comme l’exige le milieu
financier, l’élégance est de mise :
costume et cravate pour les garçons, tenue raffinée et talons
hauts pour les filles. Le sujet de ce
master est particulier : « la finance islamique », c’est-à-dire les
dispositifs juridiques permettant
de faire des affaires en respectant
les règles de l’islam qui, par exemple, bannissent toute idée d’intérêts et de spéculation.
L’intervenant, Farid Abderrezak,
est un spécialiste des crédits sophistiqués chez BNP Najmah, à
Bahreïn, passé maître dans l’art
d’exercer son métier malgré ces
contraintes : « Attention, prévient-il. La rentabilité reste le premier critère pour les investisseurs,
assez peu sensibles à l’argument
religieux, sauf en Arabie saoudite.
Il faut utiliser la finance islamique
à bon escient. » Pour contourner
la règle des intérêts telle que pratiquée dans la finance conventionnelle, il existe, par exemple, la
technique dite du « mourabaha » :
la banque achète le bien puis le revend à son client, par tranches, en
intégrant au prix de revente le
coût du financement, la notion
d’intérêts n’apparaissant pas de
façon ostensible.
En cette rentrée, la formation
passe à la pratique, puisque les
étudiants pourront élaborer des
formules d’investissement pour
des tours du quartier d’affaires de
la Défense et les proposer à des
acheteurs du Moyen-Orient, au
Qatar, à Dubaï et à Abou Dhabi, où
ils se rendront au printemps 2015.
Ce cursus attire des étudiants
pour la plupart français mais
aussi étrangers, venus du Maghreb, de Mauritanie, du Sénégal,
de Côte-d’Ivoire, du Liban… qui
déboursent 8 400 euros pour la
formation continue, parfois pris
en charge par leur entreprise, et
4 200 euros pour la formation
initiale.
« Partage équitable »
La finance islamique est une niche dont quelques étudiants,
pragmatiques, attendent un emploi. « Finance conventionnelle ou
islamique, les marchés sont cycliques, il faut s’adapter », résume
Paul Evin, étudiant à Paris-Dauphine. « C’est une ouverture culturelle », pour Elliot Tison qui, après
un bachelor à l’Essec, a multiplié
les stages dans la finance – sans
toutefois avoir poussé la curiosité
jusqu’à lire le Coran. Asmaa Lady,
27 ans, Française d’origine maro-
Les cours
présentent
des dispositifs
juridiques
qui permettent
de faire des
affaires tout en
respectant l’islam
caine, qui est déjà consultante
dans la finance, avoue franchement qu’étant « de confession musulmane, cela [lui] permet de concilier [son] métier avec les valeurs
de la charia ».
« Les montages peuvent parfois
paraître un simple contournement
des règles, mais il y a de vrais principes, explique Nadia Molinier, juriste venue suivre cette formation,
comme investir dans des actifs tangibles, avec un partage équitable
des profits et des risques entre
acheteur et vendeur, ne pas financer des activités pornographiques,
de vente d’armes, d’alcool, de jeux
de hasard… »
Augustin Olivier, étudiant en alternance de 24 ans travaillant
dans l’immobilier, argumente :
« Il y a une demande en Europe et il
n’y a pas de raison que seuls les
Luxembourgeois et les Britanniques s’arrogent ce marché. »
C’est à la suite du rapport d’Elyès
Jouini, vice-président de l’université Paris-Dauphine, rédigé
en 2007 à la demande de Christine
Lagarde, alors ministre des finances − qui escomptait attirer quelque 100 milliards d’euros d’investissements en France grâce au développement de la finance islamique − que l’idée de ces masters
est née. Elle n’a pas fait florès,
puisque seuls trois cursus ont été
ouverts, l’un en 2009 à Paris-Dauphine, deux autres à la faculté de
droit de Strasbourg − un MBA
en 2008 et, en 2013, un master
pour une vingtaine d’étudiants
triés sur le volet.
« La finance islamique n’a, certes,
pas eu en France le développement
espéré, mais elle progresse peu à
peu avec de nouveaux produits
“charia-compatibles”, reconnaît
Michel Storck, professeur de droit
financier et coresponsable du
master à Strasbourg. Nos étudiants trouvent facilement des emplois, notamment au Luxembourg
voisin. Nous souhaitons encourager la recherche dans ce domaine
et avons déjà trois thésards dont
les travaux sont financés par leur
pays d’origine. » p
i. r.-l.
L’IEP va désormais proposer un programme
au niveau doctoral avec la Freie Universität
T
rois ans avant la naissance
d’Erasmus, l’Institut d’études politiques de Paris et
l’Université libre de Berlin, la Freie
Universität (FU), ont échangé
leurs étudiants, créé des cursus
communs. Vendredi 17 octobre,
les deux institutions fêtent à Berlin leurs trente ans de coopération, un modèle du genre. « Si, au
sommet, rien ne va entre les deux
Etats, à la base, les liens entre Français et Allemands sont de plus en
plus solides », se félicite Alfred
Grosser, professeur émérite à
Sciences Po, à qui ce rapprochement doit beaucoup.
En trente ans, 500 étudiants ont
suivi ces cursus, à l’époque très
novateurs. En 1991, une formation intégrée franco-allemande a
vu le jour et, depuis 2008, les
deux établissements proposent
un double master et un double
bachelor en sciences politiques et
en affaires internationales. Les
Français et les Allemands restent
majoritaires parmi les vingt étudiants retenus chaque année,
mais ils côtoient désormais des
étudiants venus du reste du
monde. « Les Allemands continuent d’être très attirés par la
France. Ces dernières années, nous
recevons plus de demandes de leur
part que de celle des Français »,
constate Sabine von Oppeln, responsable du programme à Berlin.
Florian Spatz, étudiant allemand, a déjà passé un an à Sciences Po Paris et s’apprête, après un
stage à Londres, à rejoindre Berlin
pour la deuxième année du cursus : « On profite des avantages
des deux systèmes ; une approche
plus scientifique et théorique en
Allemagne, mais plus professionnalisante à Sciences Po. » Ce fils de
diplomate a pu le constater : « En
Europe, rien ne se passe si les Français et les Allemands ne sont pas
d’accord. » Pas étonnant que le réseau très influent des anciens soit
présent dans les ministères des
affaires étrangères des deux pays,
les organismes européens et les
grandes entreprises.
Le trentième anniversaire devrait être, pour Sciences Po et la
FU, l’occasion de pousser encore
plus loin leur coopération en lançant un programme au niveau
doctoral. p
frédéric lemaître
(berlin, correspondant)
et isabelle rey-lefebvre
débats | 17
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Stoppons la menace du choléra
qui se profile derrière Ebola !
Sovaldi : le prix des médicaments
n’est pas le seul critère
Alors que le virus Ebola
se concentre pour l’instant en
Afrique de l’Ouest, une épidémie
de choléra est en train de
prendre une ampleur
inquiétante, en particulier
au Ghana. Comment anticiper
la catastrophe à venir ?
Le nouveau traitement contre l’hépatite C
est vendu 1 000 dollars le comprimé.
A ce prix, il bouleverse notre politique de santé.
Le gouvernement ne s’est pas emparé de la question
par renaud piarroux
L
a Guinée, la Sierra Leone et le Liberia sont
considérés comme une zone endémique
pour le choléra, qui y sévit à la saison des
pluies. La dernière grande épidémie, datant de
2012, semble avoir été propagée par les déplacements de pêcheurs le long des côtes de ces pays.
Elle toucha plus de 30 000 personnes et fit
400 morts en Guinée et en Sierra Leone. En fait,
le choléra n’est pas en permanence présent dans
ces pays. Ainsi, depuis 2012, la situation s’est normalisée, et aucune épidémie de choléra n’a été
notifiée cette année.
Que se passerait-il si le choléra faisait son retour dans une zone déjà en proie à l’épidémie
d’Ebola ? Le choléra peut se transmettre par les
fluides corporels. Il peut aussi contaminer l’environnement immédiat du patient et, plus à distance, souiller des sources d’eau, permettant la
contamination simultanée d’un très grand nombre de patients. Ainsi, en 2010, la contamination
d’un fleuve en Haïti avait été à l’origine d’une épidémie gigantesque, où plus de 700 000 personnes ont été infectées et 8 500 sont mortes.
En cas d’épidémie, il faut d’abord gérer un afflux de patients. Les diarrhées et les vomissements entraînent une déshydratation qui, dans
les formes les plus sévères, peut aboutir au décès
du patient. Chaque centre de traitement du cho-
léra (CTC) de quelques dizaines de lits nécessite
plusieurs centaines de soignants et de personnels divers travaillant en contact direct avec les
patients. Où trouverait-on ces soignants dans ces
pays où, par peur d’Ebola, les circuits de soins ont
été désertés par leur personnel ? Comment protégerait-on le personnel des CTC d’une éventuelle contamination par un patient diarrhéique
porteur d’Ebola ? Devraient-ils, eux aussi, travailler habillés comme des scaphandriers ?
2 000 CAS PAR SEMAINE
La lutte contre la transmission du choléra nécessite la tenue de réunions dans les quartiers et les
villages pour expliquer aux populations comment se protéger. Mais comment organiser ces
campagnes dans un contexte de suspicion générale, de rumeurs dévastatrices, où des équipes
chargées de la sensibilisation ont été lynchées
par des villageois persuadés qu’ils étaient responsables de l’épidémie d’Ebola ? Incontestablement, la superposition de ces deux maladies serait une catastrophe dans la catastrophe, et chacun pourrait penser que tout est fait pour l’éviter.
Curieusement, ce n’est pas le cas. Pire, à quelques centaines de kilomètres à l’ouest de la zone
touchée par Ebola, une épidémie de choléra est
en train de prendre une ampleur plus qu’inquiétante. L’épicentre se situe au Ghana, où le seuil de
2 000 cas par semaine a été franchi. Du Ghana au
Liberia, il n’y a que la Côte d’Ivoire à traverser.
C’est bien peu si on réfléchit à la porosité des
frontières et à l’importance des mouvements
humains dans cette partie de l’Afrique. On ignore
déjà comment venir à bout de l’épidémie
d’Ebola, et quel en sera le prix en vies humaines.
Au moins pourrions-nous anticiper une sur-catastrophe en intervenant d’urgence pour maîtriser au plus vite l’expansion du choléra dans les
pays voisins. p
¶
Renaud Piarroux est professeur,
spécialiste de médecine tropicale, à Marseille
par claude le pen
S
ovaldi, « le premier médicament à 1 000 dollars
[790 euros] le comprimé », censé éradiquer le virus de l’hépatite C, soulève inquiétude et indignation. Par le
biais des régulations publiques
et des remises commerciales, le
prix réel sera inférieur au prix
officiel, mais son modèle économique repose sur une formule diabolique associant de
manière inédite un prix élevé,
une très grande efficacité thérapeutique et une large population cible : entre 100 000 et
200 000 patients en France
pour l’hépatite C.
C’est nouveau. Le modèle actuel repose plutôt sur une sorte
de division du travail entre des
médicaments génériques à bas
prix pour les pathologies les
plus fréquentes et des médicaments chers mais destinés à
des populations restreintes.
Le cas Sovaldi est tout autre.
Les médicaments génériques,
qui permettent à la Sécurité sociale d’économiser près de
2 milliards d’euros par an, ne
suffiront plus. Peu de molécules à gros chiffres d’affaires sont
encore « généricables ». Le cas
Sovaldi bouleverse les systèmes
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Dans la première, le prix dépend surtout du service médical rendu, tel qu’il est évalué par
une agence indépendante. Le
produit qui bénéficie d’une évaluation favorable se voit accorder une « prime » par rapport
au prix des thérapeutiques de
référence. Dans la seconde, le
prix n’est acceptable que s’il est
compensé par la valeur économique de l’apport du produit à
la santé publique. Il doit sauver
des vies à un prix jugé acceptable par l’administration. Cela
suppose un exercice, délicat sur
le plan technique et discutable
sur le plan moral, de monétarisation de la santé et de la vie
humaines.
Or, au prix demandé par la
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et efficient : il évite de longues
années de traitement ainsi que
des complications graves et
coûteuses. D’où l’embarras des
autorités de tutelle, qui n’ont
trouvé de parade que dans l’encadrement les dépenses : Londres a débloqué un petit budget
pour traiter 500 patients. Paris
ACHAT LIVRES
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Sauf fichés B.d.F
L’INNOVATION ENFERMÉE
A partir de 30.000€
Prêts hypothécaires
de gestion administrée des
prix. Il existe en Europe deux
approches, l’une par l’efficacité
(France, Allemagne) et l’autre
par l’efficience (Royaume-Uni).
CAPITAUX
s’apprête à fixer une enveloppe
budgétaire de 450 millions
d’euros en 2014 et 700 millions
d’euros en 2015. Au-delà, les patients seront traités, mais le
chiffre d’affaires fera l’objet
d’une taxation progressive.
Cette forme de « rationnement » budgétaire n’est pas
une solution optimale. Elle
oriente les traitements vers les
patients les plus gravement atteints, avec le risque de traiter à
grands frais des malades dont
l’état est dégradé au détriment
d’autres moins atteints mais à
plus grand potentiel de survie.
Elle est peu reproductible : vat-on aller vers une série de budgets rigides pour chaque innovation médicamenteuse ? Elle
enferme l’innovation dans une
enveloppe close, alors que le bénéfice des traitements profite à
l’ensemble du système de santé.
Face à la multiplication de
« cas Sovaldi », on ne pourra
s’en sortir par des expédients. Il
faudra donc penser autrement
le financement de l’innovation
médicale : intégrer dans des
budgets individualisés tous les
coûts ; inventer des dispositifs
de paiement à la performance ;
raisonner de façon intertemporelle afin d’étaler le financement dans le temps par le crédit ; afficher une solidarité
mondiale. p
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18 | enquête
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
L’ivresse des cimes
3|6 La politique à bout de souffle
L’affaire Thévenoud n’est que le symptôme
d’une maladie qui semble avoir gagné
les bancs de l’Assemblée et des ministères :
la perte de tout sens des réalités
hélène bekmezian
S
ur le coup, cela a fait comme une
petite déflagration. L’information
se murmurait depuis la mi-journée avant d’être rendue publique
en début de soirée, ce jeudi 4 septembre, à la stupéfaction générale. Le socialiste Thomas Thévenoud venait
d’être débarqué de son poste de secrétaire
d’Etat au commerce, neuf jours à peine après
avoir été nommé par Manuel Valls. Lui, le si
brillant et prometteur député de tout juste
40 ans, avait fait une spectaculaire sortie de
route en pleine ascension : voilà que l’on apprenait qu’il n’avait pas correctement payé
ses impôts depuis trois ans. Ainsi que son
loyer, son kiné, des factures EDF… L’effet de sidération s’est étiré sur plusieurs jours, avec
une question lancinante : « Comment cela
est-il possible ? »
C’est précisément pour y répondre que Michèle Delaunay, ancienne ministre déléguée
aux personnes âgées dans le gouvernement
de Jean­Marc Ayrault redevenue simple dépu­
tée de la Gironde début mai, a pris la plume.
Publié sur son blog sous le titre « Le tunnel,
ou comment faire carrière sans mettre un
pied dans la vraie vie », le texte, critique et lu­
cide sur le personnel politique d’aujourd’hui,
a rencontré un succès inattendu. Des milliers
de visites, des reprises sur tous les sites d’in­
formation, des « partages » à la chaîne sur les
réseaux sociaux…
Ce jour­là, les mots de Mme Delaunay ont
visé juste, preuve qu’ils faisaient écho aux
nombreuses enquêtes d’opinion qui révèlent
une défiance sans précédent des citoyens envers les élites qui les gouvernent. Dans les
quelque 150 commentaires du post de blog,
beaucoup de « bravos », de « merci madame
pour avoir le courage de dire cela ». « Cela », le
récit de ces jeunes piqués du « virus » de la politique qui n’ont jamais, ou presque, connu
autre chose que l’excitation de la vie publique, jusqu’à perdre totalement pied avec la
vie concrète. Et parfois se heurter brutalement au mur de la réalité.
Elu député de Saône-et-Loire en 2012, Thomas Thévenoud, qui vit de la politique depuis
ses 23 ans, n’avait pourtant rien de l’élu imperméable ou indifférent. Accessible, multipliant les rendez-vous dans sa permanence et
les visites dans les entreprises, ce proche d’Arnaud Montebourg semblait à l’écoute,
prompt à faire remonter tout nouveau problème apparaissant sur le terrain. Mais il observait de l’extérieur. « Toutes ces heures et ces
jours où le réel est dur comme ciment et où il
faut le coltiner sans échappatoire possible, ils
n’en savent rien », écrit Michèle Delaunay.
UN AUTRE MONDE
Cancérologue, cette fille de préfet a exercé
plus de trente ans dans le milieu hospitalier
avant de s’engager en politique en 2001, à
54 ans. « Je sais ce que veut dire faire un lit d’hôpital avec une personne dedans qui ne peut pas
se lever. Ce n’est pas la même chose d’avoir l’expérience de la vie pratique, des emmerdes de
tous les jours, des obligations. Il faut être au bureau – ou à l’usine – à heures fixes, il y a des contraintes très prégnantes dont tout le personnel
politique n’a pas la mesure. Les politiques bossent, parfois beaucoup, mais pas avec les mêmes obligations, il reste une grande part de libre arbitre, de choix qui n’existent pas dans
beaucoup de métiers », assure-t-elle.
Alors quand Henri Guaino, ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, devenu député des Yvelines en 2012, explique à un journaliste de VSD, un jour de juillet 2013, qu’il est
« très mal payé » avec ses 5 200 euros net mensuels, et « travaille dans des conditions déplorables », la remarque passe mal. Toujours
cette impression de ne pas vivre dans le
même monde, voire de ne pas être soumis au
même régime. Thomas Thévenoud a certes
été rapidement rattrapé après ses irrégularités fiscales, mais qui peut rester trois ans dans
un appartement du 5e arrondissement de Paris sans payer de loyer ni être inquiété par le
propriétaire ou les huissiers de justice ? Il y
eut également le cas éloquent de Jean-Vincent
Placé, épinglé par le Canard enchaîné, qui
avait révélé, en décembre 2013, que le sénateur écologiste avait cumulé 18 000 euros
d’amendes après une centaine d’infractions
routières datant d’avant 2010.
A l’heure de la transparence de la vie publique, la plupart font amende honorable quand
ils se font attraper, mais cela n’empêche pas
ces profils d’élus hors sol de proliférer dans la
sphère publique. Chercheur au CNRS et
auteur de plusieurs études sur le personnel
politique dans les gouvernements français et
au Parlement européen, Sébastien Michon
note un phénomène récent : « L’arrivée d’une
proportion importante de gens quasi exclusivement professionnels de la politique, qui n’ont
jamais exercé d’autres métiers. »
« Une majorité des membres de gouvernement sont passés avant par des fonctions de
collaborateurs, d’assistants parlementaires, de
chargés de mission, de membre de cabinet »,
explique le chercheur, qui a analysé les profils
de tous les ministres en exercice de 1986 à
2012. Résultat, « sous le mandat de Nicolas
Sarkozy, tous gouvernements confondus, 14 %
des ministres en moyenne étaient des professionnels de la politique, une proportion qui
monte à 27 % dans le gouvernement de JeanMarc Ayrault ». Ils comptaient, avant l’ère
Sarkozy, pour zéro à 5 % (sauf exception sous
le gouvernement Juppé).
PROFILS À L’ANCIENNE
Thomas Thévenoud en est l’exemple type : assistant parlementaire à 23 ans, conseiller de
Laurent Fabius, alors ministre de l’économie,
à 26 ans, puis adjoint au maire, conseiller général, député et enfin, brièvement, secrétaire
d’Etat. Les profils « à l’ancienne » se font de
plus en plus rares, ceux qui peuvent se targuer d’avoir été « berger, chauffeur poids
lourd, puis vétérinaire pendant dix ans »,
comme le socialiste François Patriat (Côte-d’Or). Réélu sénateur à 71 ans après avoir
exercé à peu près tous les mandats, il déplore
la part grandissante d’apparatchiks dans la
majorité, notamment chez les primo-élus apportés par la vague rose de 2012.
La politique est devenue un métier à part
entière, avec ses voies de formation et ses filières de recrutement. « Sur les vingt-cinq dernières années, un tiers des ministres sont passés par l’Ecole des sciences politiques de Paris et
18 % ont fait l’ENA », rappelle ainsi Sébastien
Michon. « La politique est un métier de plus en
plus codifié, avec des attentes sur la manière de
faire, sur les prises de parole. Les fonctions ministérielles sont maintenant surtout des fonctions de communication, où il faut savoir faire
parler de soi, pour exister dans les médias mais
aussi pour sortir du lot dans le gouvernement. » A défaut de grandes écoles, de
nombreux députés PS sont issus d’organisations étudiantes comme
l’UNEF, qui forme tout aussi
bien à cela.
A la différence d’il y a
quelques années, l’argent
ne semble plus être un moteur
d’engagement en politique. Emmanuel
Macron, par exemple, aurait bien mieux gagné sa vie en restant banquier d’affaires chez
Rothschild plutôt que ministre de l’économie.
A l’Assemblée, la socialiste Valérie Rabault
(Tarn-et-Garonne) a choisi en 2012 de quitter
son emploi chez BNP Paribas, rémunéré entre
108 000 et 490 000 euros annuels de 2009 à
2011, pour devenir députée à 50 000 euros par
an, selon sa déclaration d’intérêts. Juliette
Méadel, énarque, ex-avocate d’affaires et porte-parole du PS, affirme gagner, à 39 ans, en
tant que rapporteure à la Cour des comptes,
« à peu près autant que ce qu’[elle] gagnai[t] il
y a quinze ans en démarrant en cabinet d’avocats ».
Si beaucoup d’énarques se désintéressent de
la vie publique pour aller dans le privé, la politique continue d’attirer parce que « ça
bouge », estime le chercheur, parce qu’on est
pris dans le tourbillon du microcosme, parce
qu’on se sent important. « Certains peuvent
vite se laisser griser par cela, c’est excitant, ça
KILLOFFER
HENRI GUAINO,
DÉPUTÉ
DES YVELINES,
EXPLIQUAIT EN
JUILLET 2013 À
« VSD » QU’IL EST
« TRÈS MAL PAYÉ »
AVEC 5 200 EUROS
MENSUELS
va vite, le téléphone sonne tout
le temps, on a une
vie à cent à l’heure. Il
y a des enjeux, une possibilité de faire carrière. »
A l’Assemblée, le phénomène est plus diffus qu’au
gouvernement, car moins concentré sur une quinzaine de postes. Sur les 577 députés, beaucoup
ne cherchent ni la lumière ni l’excitation. Mais pour une poignée d’élus, potentiellement ministrables, le PalaisBourbon tient le rôle de vivier : il faut voir
l’agitation qui saisit les lieux à chaque remaniement, les conjectures de toutes sortes qui
se font sur les élus les plus prometteurs. Qui
va partir, qui va revenir ? Thierry Mandon,
Matthias Fekl, Thomas Thévenoud : tous ces
noms circulaient depuis des semaines dans
les couloirs avant qu’ils ne soient nommés.
DIVERSIFICATION EN TROMPE-L’ŒIL
Le personnel politique se diversifie certes
grâce à la part grandissante des femmes,
même si leur nombre plafonne autour de 25 %
chez les parlementaires comme chez les ministres (hors gouvernements paritaires de
François Hollande). Surtout, la féminisation
reste une diversification en trompe-l’œil.
Dans une étude sur « les facteurs sociaux des
carrières politiques des femmes ministres »,
Sébastien Michon assure ainsi que « la fémini-
sation du recrutement politique ne s’accompagne pas
d’une transformation radicale
ou même d’une “ouverture” de la
composition sociale de l’exécutif » et
que ses effets « ne perturbent ni ne remettent en question les modes de production et de reproduction des élites politiques ». Quelques exceptions demeurent toutefois car, selon Michèle Delaunay, « le gros
avantage de la parité est d’avoir fait venir des
femmes qui venaient d’ailleurs ». « On est venu
me chercher dans mon hôpital à cause de la parité, je ne sais pas si je me serais engagée en politique sinon », témoigne-t-elle.
Mais la « diversité professionnelle » qu’elle
appelle de ses vœux se fait toujours attendre.
Au Palais-Bourbon, seuls 2,6 % des élus
en 2012 étaient ouvriers et employés, quand
ces catégories représentent 50,2 % de la population active. A l’inverse, les cadres et professions supérieures sont surreprésentés : 80 %
des élus en sont issus, contre 16,7 % de la population. Sans parler des ingénieurs et des
scientifiques, presque totalement absents du
débat public. Des cas comme celui de Michel
Pouzol, élu PS de l’Essonne et passé « du RMI à
l’Assemblée » – comme il l’a raconté dans un livre (Député, pour que ça change, Cherche
Midi, 2013) –, sont exceptionnels. En outre,
pour les salariés du privé, il est pratiquement
impossible de retrouver son emploi au même
niveau après un mandat. La question du statut de l’élu devra être reposée, d’autant plus
avec l’entrée en application du non-cumul
en 2017.
En attendant, de cabinets en chargés de mission, des professionnels de la politique continuent de considérer l’Etat comme une entreprise et les mandats électifs comme des emplois. C’est en partie ce qui explique le refus de
Thomas Thévenoud d’abandonner son poste
de député. Après que son épouse, Sandra, considérée comme coresponsable des manquements fiscaux, a été licenciée de son poste de
chef de cabinet de l’ancien président du Sénat
Jean-Pierre Bel, la famille Thévenoud ne dispose plus que des revenus du député de Saône-et-Loire. Alors, quand la pression monte de
toutes parts autour de lui pour qu’il démissionne, lui répond à ses interlocuteurs que la
politique, c’est toute sa vie. p
éclairages | 19
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
La Ligue du Nord italienne fait le tri dans ses combats
ANALYSE
philippe ridet
rome, correspondant
L’
« SI NOUS NE
NOUS BATTONS
PAS POUR SORTIR
DE LA PRISON DE
L’EURO, BIENTÔT
IL N’Y AURA PLUS
RIEN À SAUVER »
MATTEO SALVINI
président
de la Ligue du Nord
indépendance de la Padanie, cette
mythique région italienne au nord
du Pô où se concentre l’essentiel de
la richesse du pays ? N’en parlons
plus ! La macrorégion regroupant la Lombardie, la Vénétie et le Piémont et censée être
l’exemple de la bonne administration ? Trop
compliqué. En quelques mois, la Ligue du
Nord, le plus vieux des partis italiens, issue,
en 1989, de la fusion des ligues lombarde et vénète, a tourné le dos à deux des thématiques
qu’elle avait portées avec succès jusqu’au début des années 2010. Elle s’est en effet trouvée
contrainte de recentrer son discours. Car sous
le coup de scandales politico-financiers ayant
poussé à l’éloignement de son fondateur, Umberto Bossi, en 2012, et à la démission des conseillers régionaux du Piémont en 2014, elle a
enregistré, aux élections législatives de 2013, le
pire résultat de son histoire : 4 % des suffrages.
Après l’intérim de l’ancien ministre de l’intérieur, le pâle Roberto Maroni, elle s’est offert
un nouveau président en la personne de Matteo Salvini, 41 ans, député européen peu assidu. Sous sa houlette, le parti des chemises
vertes a retrouvé des couleurs : 6 % aux élections européennes et 8 % voire 9 % d’intentions de vote dans les plus récents sondages.
Au prix d’une simplification de ses idéaux.
Dans le fatras de l’idéologie « léguiste », faite
de folklore moyenâgeux, de rituels païens, de
préservation des identités et des coutumes locales, de xénophobie et de méfiance vis-à-vis
de l’Etat central, M. Salvini n’a retenu que deux
thématiques : la lutte contre l’immigration
clandestine et contre l’euro. Au nom de ces
combats, il espère rassembler 100 000 personnes, samedi 18 octobre à Milan.
Le choix de ces deux axes de contestation
n’est pas anodin. Selon un sondage de l’institut
Demos, en septembre, 80 % de ceux qui ressentent l’immigration comme une menace
n’ont « aucune confiance dans l’Europe ». « Si
nous ne nous battons pas pour sortir de la prison de l’euro, bientôt il n’y aura plus rien à sauver, explique M. Salvini dans un entretien au
magazine Panorama, ni l’Italie ni la Padanie. »
ALLIANCE AVEC LE FRONT NATIONAL
Désormais concentrée sur des objectifs susceptibles de séduire des électeurs du nord au
sud de la Botte, la Ligue du Nord envisage de
se constituer en « Ligue des peuples », laissant ainsi tomber sa référence à l’Italie septentrionale qui a fait son succès et limité son
expansion géographique. Alors qu’elle avait
également pris soin de ne pas apparaître trop
liée – officiellement du moins – à la droite extrême européenne, elle a franchi le pas en
nouant, au Parlement de Strasbourg, une alliance avec le Front national de Marine Le Pen.
Dans le même temps, la formation, qui passait auparavant pour une référence aux yeux
d’une partie de la droite hexagonale, s’est éloignée de la droite modérée italienne, avec qui il
a gouverné neuf ans pendant les vingt dernières années.
L’accord entre Matteo Renzi et Silvio Berlusconi pour mener les réformes jugées indispensables par Bruxelles – institutions, marchés du
travail, fiscalité, justice – a libéré un espace de
contestation que la Ligue dispute au Mouvement 5 étoiles, les deux seuls véritables partis
d’opposition. M. Salvini veut profiter de cette
situation pour faire croître sa position. « Si des
élections devaient avoir lieu demain en Italie,
nous irions seuls au combat, explique M. Salvini. Notre accord avec le FN nous permet de retrouver un espace d’autonomie. »
Tournant le dos à ses batailles fondatrices,
M. Salvini a choisi de se rendre à… Pyongyang,
en Corée du Nord, plutôt qu’à Edimbourg pour
soutenir les partisans de l’indépendance de
l’Ecosse. Dans le même temps, le site Internet
du parti restait muet sur les manifestations à
Barcelone en faveur de l’indépendance de la
Catalogne. Soutenues par la gauche, ces aspirations séparatistes n’entrent plus dans le cadre
de son alliance avec un parti qui se veut nationaliste. Elles sont un obstacle à son projet de
constituer la Ligue du Nord en « ligue nationale », comme l’explique – en français dans le
texte – le politologue Ilvo Diamanti dans le
quotidien La Repubblica du 29 septembre.
M. Salvini s’est même rendu à Moscou pour
dénoncer l’embargo qui frappe la Russie et
contrarie les intérêts économiques italiens et
vanter, en revanche, le référendum sur l’indépendance de la Crimée, qui préfigurait son rattachement à Moscou…
De ces voyages, le leader de la Ligue, qui, par
le passé, avait proposé la mise en place, dans le
métro milanais, d’une ségrégation entre Lombards de souche et immigrés, est revenu à chaque fois enchanté. A Pyongyang, il a découvert
« un sens de la communauté incroyable, des enfants qui jouent dans la rue et non pas à la
PlayStation et qui ont beaucoup de respect pour
les plus âgés ». A Moscou, il s’est félicité « de
l’absence d’immigrés clandestins et de laveurs
de pare-brise » et du fait que « les jeunes filles
puissent prendre le métro à 2 heures du matin
sans avoir peur ».
Cherchant à faire confluer autour de lui les
petits partis post-fascistes italiens tel que Fratelli d’Italia, avec qui il partage sa détestation
de Bruxelles et de l’immigration, il a également rencontré, début octobre les responsables de l’officine mussolinienne CasaPound,
un groupuscule nostalgique qui a pignon sur
rue à Rome. « Une rencontre intéressante, a-t-il
dit, en vue de notre manifestation de Milan. »
« Pyongyang, Moscou, CasaPound, lui fait-on
observer, et la démocratie dans tout ça ? » « Je
vais là où je peux donner un coup de main pour
mon pays, a-t-il répondu, de passage à Rome,
devant l’association de la presse étrangère, le
7 octobre. S’il faut discuter demain avec les syndicats, j’irai également. » p
ridet@lemonde.fr
LETTRE DE MADRID | par sandr ine mor el
Menace sur le clasico
Q
ue serait l’Espagne avec 7,5 millions d’habitants en moins et 20 %
de sa richesse envolés ? Sans la
Costa Brava et Cadaquès ? L’industrie pharmaceutique et le trafic du
port de Barcelone ? Miro et Gaudi ? Le parc
Guell et la Casa Batllo ? Le pan tumaca et la fideua ? Que serait l’Espagne sans la Catalogne ?
Mais il y a plus important encore. Car toutes
ces questions semblent parfois dérisoires face
à la seule qui compte vraiment pour tous les
Espagnols, Catalans y compris : que serait l’Espagne sans « clasico », ces matchs de football
tendus, promesses de sensations fortes, qui
opposent chaque saison le Real Madrid et le FC
Barcelone et sont le nectar des aficionados ?
Quand la raison est à court d’arguments,
reste l’appel aux sentiments. Et quel sentiment
est plus fort en Espagne que l’amour… du football ? Dans un pays où les distances se mesurent en terrains de foot, où les métaphores se
déclinent autour du ballon rond, où les ministres commentent les rencontres après les interviews et où la vie s’arrête les soirs de grand
match, le football ne pouvait pas échapper au
débat sur l’indépendance de la Catalogne.
Cela fait deux ans que la question du maintien du Barça dans la Liga, en cas de sécession,
s’est faite récurrente, suscitant fantasmes et
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
théories en tout genre. Mais à mesure qu’approche la date du référendum d’autodétermination, que le gouvernement catalan entend
convoquer le 9 novembre – dans le cas peu
probable où le tribunal constitutionnel lèverait l’actuelle suspension –, le débat se fait plus
concret.
Il y a une semaine, des tirs croisés ont ainsi
été échangés entre Madrid et Barcelone. Le
7 octobre, le président de la Ligue espagnole
de football (LFP), Javier Tébas, a été clair. En
l’état actuel des lois, en cas d’indépendance de
la Catalogne, le FC Barcelone et l’Espanyol, les
deux clubs catalans qui évoluent en première
division, « ne joueraient pas la Liga ». Pour
qu’ils y participent, il faudrait « une modification de la loi, votée au Parlement ». Et d’ironiser : « Comment appellerait-on la Liga ? La ligue espagnole ? Ibérique ? Des peuples d’Espagne ? »
Il n’est pas le seul à manier l’ironie. Sur les réseaux sociaux et les sites d’information, les
commentaires vont bon train. « Ce serait joli
et spectaculaire de pouvoir jouer contre Cornella, Mollerussa et les autres équipes catalanes… Profitez-en bien », commente par exemple un internaute sur le site du quotidien sportif Mundo Deportivo.
La réponse ne s’est pas fait attendre de la
part du club blaugrana. Trois jours plus tard, le
Barça adhérait au pacte national pour le droit
à décider, une plate-forme en faveur du droit à
l’autodétermination des Catalans. Le président du Barça, Josep Maria Bartomeu, joignait
un courrier expliquant que « le droit à décider
fait partie des droits fondamentaux que devraient avoir les personnes et les peuples ».
« INDEPENDANCIA ! »
Il s’inscrit ainsi dans une longue tradition de
présidents nationalistes au Barça, un club dont
le slogan, « Mes que un club » (« plus qu’un
club »), témoigne de son engagement politique et culturel. « Avec la Caixa [la principale
banque catalane] et la Généralité [le gouvernement catalan], c’est l’un des trois piliers de la Catalogne », soutient Ramon Miravitllas, auteur
de La Fonction politique du Barça (non traduit),
dans lequel il commente l’instrumentalisation
politique du club, sorte d’outil d’endoctrinement des masses, d’autant plus efficace qu’il
multiplie les succès sportifs.
Pour en avoir le cœur net, il suffit d’aller au
Camp Nou assister à un match. Celui qui s’y
est disputé face à l’Athletic Bilbao le 13 septembre, deux jours après la Diada, la fête de la
Catalogne et sa nouvelle manifestation massive en faveur du référendum d’indépen-
dance, est symptomatique du lien qui existe
entre le club et le nationalisme. Les joueurs du
Barça ont porté leur troisième tenue, celle aux
couleurs du drapeau catalan, et dans les gradins, une banderole a été déployée en commémoration des 300 ans du siège de Barcelone de 1714, lors de la guerre de succession
d’Espagne, considéré comme symbolique de
la « perte des libertés catalanes ». Comme à
chaque match, depuis 2012, à la 17e minute et
14e seconde, une partie du stade a crié le mot :
« independancia ! »
Lors des grands matchs, à forte visibilité internationale, il est fréquent de voir dans les
gradins une immense banderole en anglais affirmant « Catalonia is not Spain » ou réclamant l’indépendance. Les supporteurs les plus
radicaux, d’ailleurs, préféreraient abandonner
la Liga espagnole pour s’associer avec… la Ligue 1 française.
Selon le journaliste Francesc Aguilar, du
Mundo Deportivo, le Barça a d’ailleurs fait « en
son temps une consultation très discrète » pour
pouvoir jouer en Ligue 1 en cas d’indépendance, « mais il n’y a pas eu de réponse concrète
face à une situation que les Français considèrent embarrassante ». p
LA QUESTION
DU MAINTIEN
DU BARÇA
DANS LA LIGA
EN CAS DE
SÉCESSION DE
LA CATALOGNE
EST RÉCURRENTE
sandrine.mo@gmail.com
Tout avoir et tout oser
LIVRE DU JOUR
nathalie brafman
L
orsqu’elle était bébé, Nathalie Loiseau
était habillée en bleu. Enfant, elle avait
la coupe de cheveux de son frère et récupérait ses pantalons et ses cabans.
Elle fut une « écolière idéale », puis une lycéenne brillante : bac à 16 ans mention très
bien, Sciences Po, Institut national des langues
et civilisations orientales, où elle apprit le chinois, concours des affaires étrangères qui l’a
conduite au Quai d’Orsay. Un monde peuplé
d’hommes. Où, dans les années 1980, on disait
aux jeunes femmes qui avaient réussi le concours : « Mais c’est une invasion ! »
A lire le titre, on pourrait penser au énième livre d’un coach en vogue. En réalité, c’est un manifeste à destination des femmes. Nathalie Loiseau les exhorte à prendre « TOUT » sans attendre qu’on leur donne quelque chose. Celle qui a
exercé les fonctions de porte-parole de l’ambassadeur de France aux Etats-Unis en pleine
guerre d’Irak est aujourd’hui à la tête de l’Ecole
nationale d’administration. Elle n’en est pas is-
sue, mais ne s’est pas posé la question de sa légitimité. Car elle pratique ce qui pourrait être sa
devise : « Have it all », comme disent les Américaines.
A la fin des années 1970, elle se souvient
qu’on ne savait que faire de cette adolescente
précoce. D’ailleurs, personne ne s’offusquait
qu’elle réponde à chaque rentrée scolaire : « secrétaire » à la question « que souhaitez-vous
faire plus tard ? », posée par le professeur principal. Elle manquait d’ambition. Elle a longtemps pensé que c’était « un gros mot ».
POUR LA DÉCULPABILISATION
Un manifeste pour les femmes, mais pas contre
les hommes. On aurait tort de croire qu’elle
veut régler ses comptes. « Faire la guerre aux
hommes, c’est croire que rien ne nous rassemble.
Qu’il doit y avoir un vainqueur et un vaincu. Qu’il
faut prendre, de force, quelque chose au “camp
adverse” pour avoir “sa part du gâteau”. » Bref,
que les femmes sont meilleures que les hommes. D’ailleurs, ce sont des hommes qui ont
changé le cours de sa vie : le premier est son
frère, qui l’inscrivit au concours de Sciences Po.
Un manifeste pour la déculpabilisation. Ne
pas choisir entre la maternité et sa carrière. Ne
pas culpabiliser parce qu’on refuse d’allaiter,
qu’on ne va pas chercher ses enfants à l’école,
qu’on rentre tard et qu’on n’aide pas à faire les
devoirs. Mère de quatre garçons, cette féministe convaincue est très dure avec ses
« sœurs ». Celles qui veulent « la légalité » au
travail, accéder à une belle carrière, mais qui attendent qu’on la leur octroie. « Parce que cela
ne se fait pas pour une femme de demander. »
Des souvenirs drôles et ahurissants : du
« mais qu’est-ce qu’on va faire d’elle » lorsqu’elle
débarqua au Quai d’Orsay, à 21 ans, à « vous avez
un physique de speakerine » de son premier directeur, ce qui lui valut un poste au service de
presse. Nathalie Loiseau raconte le sexisme et
le machisme ordinaires, mais aussi les petites
jalousies des femmes lorsqu’elle fut promue
six mois après son arrivée au Quai. « Une
femme qui réussit est d’abord suspecte. Si elle est
promue, c’est qu’elle couche. » p
Choisissez TOUT
de Nathalie Loiseau
JC Lattès, 208 p., 18 euros
20 | culture
ARTS
A
Paris, presque en face
de Notre-Dame, sur le
parvis de l’Institut du
monde arabe (IMA), la
tente noire sahraouie en poil de
chèvre et de chameau, œuvre de
l’architecte Tarik Oualalou, intrigue. Ce vaste campement typique
du désert, dressé pour la fête du
« moussem », donne le ton. Cet
automne s’ouvre à Paris une saison marocaine qui fera date. Par
sa richesse et sa diversité artistique, elle éblouit autant qu’elle interroge en posant les questions
brûlantes de la société : tolérance,
égalité des genres, extrémisme,
corruption, écologie, etc.
Au Louvre, c’est l’émotion qui
domine devant le mobilier religieux médiéval et les manuscrits,
exceptionnellement sortis des
plus anciennes mosquées et madrasas du pays pour témoigner : le
Maroc était l’épicentre d’un empire qui s’étirait de l’Espagne à
l’Afrique, de Cordoue à Gao,
nourri du métissage des cultures,
techniques, styles et matériaux.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
La réponse est à l’IMA, où la
force esthétique de l’art contemporain bouscule. La puissance des
quatre cents œuvres réunies et
celle des messages délivrés par les
quatre-vingts artistes marocains,
pour la première fois réunis à
l’étranger dans cette ampleur, exprime la liberté d’expression dont
ils jouissent. Seul tabou, comme
une autocensure, le roi, auquel on
ne touche pas. Tout le bâtiment
est investi, jusqu’au deuxième
sous-sol où le Ring de la soumission, d’Amine El Gotaibi, réduit
l’individu à une flaque d’eau. Les
corps congelés sont produits à la
chaîne et ils fondent sous la chaleur diffuse des visiteurs.
La diversité des modes d’expression – peinture, sculpture, installations vidéos, photos, architecture,
design, danse, théâtre, musique,
performances –, qui animent l’Institut sur sept niveaux, impressionne. Loin de trancher le nœud
gordien, les artistes s’emparent de
la tradition pour la réinventer,
pour pointer les écueils et dangers
qui menacent la société, et pour
dessiner des lueurs d’espoir.
Ainsi Zahra Zoujaj, la coupole
monumentale en ampoules LED,
de Younès Rahmoun, qui vit et travaille à Tétouan, près de Tanger,
porte, elle, la lumière soufie dans
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
De l’héritage
médiéval
au Louvre
à l’impertinence
contemporaine
à l’Institut
du monde arabe,
plusieurs
expositions
mettent
en lumière
la diversité
de la création
marocaine
L’art marocain se découvre à Paris
« Super Oum », de Fatima
Mazmouz. GALERIE FATMA JELLAL
une région où l’extrémisme lié
aux mafias du cannabis est présent. Composée de soixante-dixsept lustres de verre doré symbolisant les soixante-dix-sept branches de la foi musulmane, cette
coupole lumineuse est l’écho contemporain du grand lustre de la
mosquée Qaraouiyine, à Fès, première capitale du royaume fondée vers 801, qui est exposé, lui, au
Musée du Louvre. Comme si le
dialogue au travers les millénaires
se poursuivait ici en France.
Ce lustre monumental en cuivre
ciselé, qui date du début du
XIIIe siècle, a été décroché, à Fès,
de la grande salle de prière, avec
ses 520 godets lumineux étagés
sur neuf couronnes. Il a été démonté, nettoyé et restauré par les
artisans locaux avec Olivier Tavoso, dépêché par le musée parisien. Pièce maîtresse de la plus ancienne mosquée du Maroc, dont
la fondation date de 850, c’est l’un
des chefs-d’œuvre de l’exposition
du Louvre. Allumé, comme lors
de la prière du vendredi dans la
médina de Fès, il accueille le visiteur qui pourra y lire les sourates
gravées à l’intérieur de la coupole.
Raconter la saga rocambolesque
du transport de cette pièce de plus
d’une tonne qu’il a fallu exfiltrer
de la médina, de nuit, au travers
des venelles larges comme des
boyaux, et le soin qui fut pris, dit
l’importance symbolique de ce
prêt. « J’avais mesuré toutes les
ruelles, il ne sortait pas, explique
Bahija Simou, directrice des archives royales, co-commissaire de
l’exposition, chargée de veiller à
l’opération. Un hélicoptère avait
été envisagé pour treuiller le lustre
au-dessus des toits, au risque de
voir les tuiles vernissées de la médina s’envoler dans le souffle de
l’engin. L’idée fut abandonnée. Je
me suis dit, on va le transporter
avec notre art comme on porte la
mariée dans la médina » : sur un
échafaudage roulant, à l’aube, à
6 heures, juste après la prière.
Rien de tout cela n’aurait eu lieu
sans la volonté expresse de Mohammed VI. « Le roi est convaincu
Quand la diplomatie s’active
« cette exposition n’a qu’un seul parti
pris, celui de révéler l’audace qui a toujours
accompagné les créateurs marocains… Sa
Majesté le roi Mohammed VI a apporté un
soutien sans faille à cette manifestation »,
écrit Mehdi Qotbi, président de la Fondation
nationale des musées du Maroc (FNMM), en
préambule du catalogue du « Maroc contemporain », exposition présentée à l’Institut du monde arabe. Deux objectifs pour le
roi : s’appuyer sur le savoir-faire muséal
français pour développer sa politique culturelle et affirmer l’ouverture et la tolérance
comme rempart à l’islamisme radical.
L’offensive diplomatique date du 4 mai
2012, quand un partenariat entre le Louvre
et la FNMM fut signé par Henri Loyrette.
Alors président de l’établissement public, il
s’engageait à organiser dans le musée parisien une exposition sur le Maroc médiéval,
avec, à l’appui, la restauration des œuvres
prêtées et la formation de spécialistes ma-
rocains. A la même époque, Mohammed VI
était le principal mécène, sur ses deniers
personnels, des quatre contributions d’Etat
– avec Oman, le Koweït et l’Azerbaïdjan –
d’un montant de 26 millions d’euros, du
nouveau département des arts de l’islam du
Louvre, qui allait ouvrir en septembre 2012.
« Une liberté totale »
Le 13 décembre 2012, la convention de coopération dans le domaine des musées fut
ratifiée par le ministère de la culture français et la Fondation des musées marocains.
En mai 2013, lors de la visite de François Hollande au roi du Maroc, un partenariat fut
décidé pour la venue au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à
Marseille, des bronzes antiques de Volubilis, exposés en 2014.
La saison marocaine de l’IMA, elle, est née
d’une rencontre entre Henri Loyrette et Jack
Lang, président de l’IMA depuis jan-
vier 2013. L’idée d’une « aventure en duo »
soufflée par M. Loyrette a abouti : le médiéval au Louvre, le contemporain à l’IMA. « J’ai
demandé à rencontrer le roi à Fès pour lui exposer le projet et il a donné son feu vert. Il m’a
renouvelé son appui, ferme, clair, chaleureux,
et une liberté totale : il n’a pas eu de regard
sur le choix des œuvres », précise Jack Lang.
Les grandes entreprises marocaines et les
banques, qui ont elles-mêmes leurs collections, comme l’Office chérifien des phosphates, la Société générale ou la Fondation
Alliances, ont accompagné ce soutien, notamment avec le prêt d’œuvres. Pour être
complet, signalons que, sous la houlette de
la Ville de Paris, la Gaîté-Lyrique a accueilli,
en septembre, le festival Tanger Tanger,
consacré au cinéma et à la musique. Et que
l’Institut des cultures de l’islam, à la Goutte-d’Or, expose jusqu’au 21 décembre quatre
artistes marocains. p
fl. e.
Le Maroc était
l’épicentre
d’un empire
qui s’étirait
de l’Espagne
à l’Afrique,
de Cordoue
à Gao
que le Maroc est un des rares pays
musulmans à pouvoir montrer un
islam des Lumières et le porter
haut à travers un événement culturel, précise Yannick Lintz-Lampel, directrice du département
des arts de l’islam au Louvre, commissaire de l’exposition. Porte
d’entrée de l’Europe vers l’Afrique,
le Maroc veut jouer un rôle fédérateur, moderne, laïque, sur une Afrique de plus en plus islamisée. Cette
opération a déclenché une prise de
conscience des Marocains pour
leur patrimoine médiéval oublié. A
Fès, le tombeau des Mérinides est
celui de l’une des dynasties berbères qui a dirigé l’Occident musulman », de 1269 à 1465.
Trop haut pour le Louvre
Il était prévu aussi de prêter le
« minbar » almohade de la Qaraouiyine, la chaire d’où est déclamé le prêche du vendredi.
« Une vraie attente du roi », confie
Yannick Lintz. En bois de cèdre, incrusté d’os, cet escalier, consolidé
au fil des siècles, très fragile,
s’avéra impossible à démonter. Il
fut alors envisagé de construire
une passerelle de 500 mètres
pour le faire passer au-dessus des
toits ! Une réunion de crise à la
mosquée avec l’imam, les forces
de l’armée royale, les ministres de
l’intérieur et de la culture, le conservateur de la médina, le colonel
de la sécurité civile, mit fin à l’opération sur une décision de Yannick Lintz. « La médina est un
gruyère, j’ai renoncé ! » Bahija Si-
mou, qui a l’oreille du roi, proposa
de prêter le minbar de la Koutoubia, la grande mosquée de Marrakech. Cette fois, le verdict est venu
de Paris : trop haut pour entrer au
Louvre !
L’affaire n’en fut pas moins
complexe pour le Maroc contemporain à l’IMA, dont le paysage
culturel est l’un des plus riches et
des plus complexes dans sa diversité géographique et ethnique. Le
choix de ne retenir que des artistes vivants était l’objectif des deux
commissaires qui avaient carte
blanche. Jean-Hubert Martin et
Moulim El-Aroussi ont pris leurs
bâtons de pèlerin pour écumer le
Maroc, en quête de talents, du
nord au sud, d’est en ouest, de
Tanger à Agadir, s’écartant des
routes nationales pour rencontrer les artistes dans leurs fiefs.
Jean-Hubert Martin, auteur de
la légendaire exposition des Magiciens de la terre au Centre Pompidou, dont la rétrospective vient
de fêter les 25 ans, renouait avec ce
qu’il aime par-dessus tout : son
rôle de « passeur, à l’écoute de ceux
qui travaillent pour leurs communautés et qui échappent au marché de l’art ».
Quant à Moulim El-Aroussi, fin
connaisseur de la scène marocaine, pour avoir été directeur de
la commission pédagogique de
l’Ecole des beaux-arts de Casablanca, il repartait sur les routes,
comme en 1998, quand il pilotait
un programme de recherche de
jeunes talents. « Avec Jean-Hubert,
on est sur la même ligne, laisser
tomber les biennales et aller sur le
terrain », confie-t-il. Sur trois
cents dossiers d’artistes, ils en ont
retenu quatre-vingts. « On a étudié ce qui préoccupe la scène marocaine pour dégager les pôles
d’intérêt et les problèmes de la société. Il y a 25 % d’artistes femmes,
certaines très jeunes. Une première. »
Et c’est sans doute ces femmes
qui revendiquent avec le plus de
force le droit d’exister en toute li-
culture | 21
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
A gauche : le dossier du minbar de la mosquée
El Andalous. FONDATION NATIONALE DES MUSÉES MAROCAINS
Ci-contre : « Anes situ », d’Hicham Benohoud,
photo numérique. BENOHOUD/CULTURESINTERFACE
En haut, à gauche :
« 9oua-lab »,
installation du
collectif Pixylone.
PIXYLONE
berté. A l’IMA, la souffrance à vif
de Safaa Mazirh, photographe
autodidacte, qui expose la photo
de son corps nu recroquevillé
sous une table métallique, dialogue avec les oreillers piqués
d’aiguilles de Safaa Erruas. En bottes et cagoule noire, simplement
vêtue d’un bikini, Fatima Mazmouz, prête à enfanter, s’affiche
au combat dans sa série Super
Oum, pour parler grossesse, religion, immigration, avortement.
Tandis que Nadia Bensallam, qui
vit à Tikrit, dans la région d’Agadir, au sud, choisit l’humour grinçant. Elle se fait filmer, dans une
rue de Marrakech, en talons
aiguilles et burqa noire ne laissant voir que ses yeux, mais qui
s’arrête aux genoux, et elle enregistre les commentaires de la rue :
« Honte sur toi, tu insultes l’islam !
J’espère que tu vas mourir dans un
accident ! »
« La revendication du corps que
l’on voit monter contre les forces
régressives de la société exprime
une forte demande de liberté, souligne Moulim El-Aroussi. Le mouvement féministe marocain est le
plus fort du monde arabe. » Ce ton
débridé est plus offensif dans le
sud du pays. Les artistes y sont
plus isolés. Pas de galeries où exposer. Jean-Hubert Martin le dit
-SÉRIE
HORS
Ci-dessus :
« Fécondité », de
Farid Belkahia.
BELKAHIA
Ci-contre :
« Sans titre »,
de Lahcen Achik.
LAHCEN ACHIK
sans détour : « On est allés voir car
on ne savait rien. » Et ils ont été
conquis par la puissance de ce
qu’ils ont vu et sélectionné.
Hommage à la femme
Le « cri intérieur » de Lahcen
Achik, taches rouges sur ses visages éclatés qui expriment les angoisses : « Dans le monde arabe,
l’individu était très opprimé, et
tout a explosé. Il reste encore des
zones de silence sous la chape de
plomb », dit-il. Le compas dont la
pointe est un minaret à l’envers
de M’Barek Bouhchichi exprime
la révolte de ce grand gaillard
dont le rire joyeux masque l’engagement à dire le plus grave. Sa vidéo montrant deux mains nettoyant une moule, pour évoquer
l’excision, est insoutenable.
Comme les mains blanches et
RE
ŒUV
UNE
VIE,
UNE
puissantes du djihadiste face à
son destin, tête enfouie au creux
des genoux, kalachnikov au sol,
de Mustapha Belkadi.
Est partout présente l’influence
pionnière de Farid Belkahia, qui a
su, dans les années 1950, rompre
avec la manière orientaliste et
folklorique pour porter l’art moderne au Maroc, sans couper le
cordon de la tradition. Il travaille
sur la peau de chèvre, au henné,
des compositions érotiques, aussi
charnelles que pudiques, tout en
rondeurs, en hommage à la
femme. Un mur entier est couvert
des tableaux de celui qui est considéré comme un des plus grands
artistes marocains. En dialogue,
les courbes en tension d’une calligraphie aux couleurs crues résolument moderne de Mohamed
Melehi, l’autre pionnier, son con-
temporain, occupent le mur d’en
face. Celui-ci est venu seul à Paris :
Belkahia a été terrassé par un cancer, début octobre.
Ce souffle fondateur s’exprime
dans cette pyramide de pains de
sucre, l’offrande rituelle aux mariés, dont le nom, « qaoub », signifie aussi « arnaque » ; une installation signée Pixylone, collectif de
trois jeunes Casablancais dénonçant la corruption. Influence aussi
sur le design contemporain qui
meuble tout l’espace, servi par la
scénographie conviviale voulue
par Jean-Hubert Martin, et qui,
avec ses salons au ras du sol,
comme au Maroc, ponctue le parcours. Les guéridons aux motifs
géométriques sculptés dans des
pneus et les sièges assortis illustrent la virtuosité des artisans.
Comme l’incroyable moteur, ré-
plique exacte d’un V12 Mercedes,
réalisé à partir de 465 pièces façonnées par une dizaine d’artisans dans quatorze matériaux : os
de chameau, bois de cèdre et
noyer, corne de bélier, cuir, pierre,
coton, cuivre, etc. Sorte de métaphore poétique d’une société solidaire voulue par Eric van Hove,
qui vit à Marrakech.
Dans ce brouhaha douloureux
surgissent des notes d’espoir,
comme le mobile coloré du Printemps arabe d’Abdelkrim Ouazzani, de Tétouan, ou les diagrammes d’Abdelkébir Rabi dessinant
la pensée soufie.
Sur le parvis de l’IMA, en arabe,
berbère, hébreu et français, le
préambule de la Constitution marocaine, signée le 29 juillet 2011,
revendique la diversité culturelle
de son héritage « nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».
Il affirme « l’attachement aux valeurs d’ouverture, de modération,
de tolérance et de dialogue ».
Jack Lang, président de l’IMA,
souligne : « Ce syncrétisme, cette
pluralité qui marque l’exposition.
C’est un message exemplaire du
Maroc pour les Marocains d’une
valeur universelle dans cette période de noirceur fanatique. On
avait, dès l’origine, prévu que cet
événement puisse tourner dans les
villes marocaines. Pourquoi pas à
Rabat ? », dans le tout nouveau
Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain ? Pour
l’heure, il n’en serait pas question. p
AGENDA
Après les bronzes antiques de
Volubilis, exposés au MuCEM, à
Marseille, au printemps, et le festival de cinéma et de musique
Tanger Tanger, à la Gaîté-Lyrique, à Paris, en septembre, trois
expositions consacrées au Maroc
sont programmées dans la capitale.
Le Maroc contemporain
à l’Institut du monde arabe,
1, rue des Fossés-Saint-Bernard,
Paris 5e, jusqu’au 25 janvier 2015. De 12,30 € à 14,89 €.
Un programme festif accompagne l’exposition : 30 concerts,
4 spectacles de danse, des films,
des conférences et des débats
sur le soufisme, la religion, la société civile, le féminisme, les médias, la littérature. Imarabe.org
Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne
au Louvre, rue de Rivoli, Paris 1er,
du 17 octobre au 19 janvier 2015. Entrée 13 €. Louvre.fr.
Avec un programme de conférences et de spectacles, dont
l’intense chorégraphie de Bouchra Ouizgen, en décembre, au
Louvre et à l’IMA. louvre.fr
Eugène Delacroix, objets
dans la peinture, souvenir
du Maroc au Musée Delacroix, 6,
rue de Furstenberg, Paris 6e. Entrée : 7,50 €. musee-delacroix.fr
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22 | culture
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Irina Brook prend
possession de Nice
Nommée en janvier au Théâtre
national de Nice, la directrice lance
sa première saison avec sa mise
en scène de « Peer Gynt », d’Ibsen
THÉÂTRE
nice – envoyée spéciale
A
ssise en tailleur à la
terrasse d’un café face
à la mer, Irina Brook
n’en revient pas de la
« chance » qu’elle a : « Etre ici
pour diriger un centre dramatique
national relève presque du miracle. » Ici, c’est au Théâtre national
de Nice (TNN). En cette matinée
ensoleillée de la fin septembre, la
directrice, qui a pris ses fonctions
en janvier, décompresse. La
veille, elle a lancé sa première saison avec sa mise en scène de Peer
Gynt, d’Henrik Ibsen, adaptée
en opéra rock (avec des poèmes
de Sam Shepard et des chansons
d’Iggy Pop), portée par le comédien islandais Ingvar Eggert Sigurosson et emmenée par une
troupe cosmopolite de quatorze
acteurs, danseurs, musiciens,
chanteurs. « C’est un message assez explosif, reconnaît-elle. Ce
spectacle, le plus gros, le plus difficile, le plus proche de moi, annonce la couleur et montre ce que
l’on souhaite partager : la dimension internationale, la multidisciplinarité, le classique dépoussiéré,
le grand texte accessible. »
Cette enfant de la balle, fille du
metteur en scène britannique Peter Brook, qui s’est fait connaître
en 2001 grâce au succès de sa première mise en scène d’Une bête
sur la Lune, de Richard Kalinoski,
rêvait d’avoir un jour un théâtre
champêtre avec guinguette et
guirlandes, « un peu un mélange
de Cartoucherie et de Bouffes du
Nord [à Paris] ». Elle se retrouve à
51 ans à la tête d’un imposant
bloc de marbre entouré de voitures. « Je n’ai jamais cherché à diri-
ger un centre dramatique national, cela m’avait toujours semblé
être un carcan terrifiant. Alors,
quand le ministère m’a incitée
à candidater pour Nice, j’ai failli
tomber de ma chaise ! Puis l’idée
m’a passionnée. J’achève un
voyage de nomade en arrivant à
Nice, c’est un peu monumental
dans ma vie. »
Accueillie « avec bienveillance »
Tout le monde, dit-elle, l’a accueillie « avec bienveillance, et
[elle en a] besoin, de cette bienveillance ». La controverse sur le
non-renouvellement de son prédécesseur, Daniel Benoin (après
douze années de règne), qui a opposé, à l’été 2013, l’ex-ministre de
la culture, Aurélie Filippetti, au
maire de Nice et député (UMP)
Christian Estrosi, appartient officiellement au passé. « Je ne souhaite qu’une seule chose : qu’Irina
réussisse », jure Daniel Benoin,
avant de se féliciter du succès du
nouveau théâtre qu’il dirige. Car
l’ancien directeur du TNN a conservé les rênes du flambant neuf
Anthéa d’Antibes, à quelques kilomètres de Nice. En cette rentrée, il
a vanté dans la presse les
8 500 abonnés – soit 2 000 de
plus qu’au TNN – de cet établissement financé par les collectivités
locales. Et a lancé dans les colonnes de Nice-Matin : « En deux saisons, Anthéa est devenu le premier
théâtre des Alpes-Maritimes »,
sous-entendant que le public
l’avait suivi. « Je n’ai pas voulu gêner, nous dit-il. On m’a interrogé,
je n’allais pas cacher cette belle
réussite. »
Irina Brook refuse d’entrer dans
cette querelle. Elle assume avoir
peu de têtes d’affiche, l’envie fa-
En janvier, à Nice. FRANCK FERNANDES/NICE MATIN/MAXPPP
rouche d’une douce révolution et
préfère défendre son projet d’un
théâtre pour tous, ouvert sur la
ville. A Nice, elle n’a que de bons
souvenirs. Dans ce TNN, elle a
présenté quasiment tous ses
spectacles, dont Tempête !
en 2010. Une semaine à guichets
fermés. « Cela a été un moment
mémorable. » Etonnée par le
nombre de Niçois qui ignorent
où se trouve le théâtre, elle s’est
donné pour mission d’« attirer
un public qui n’est jamais venu ».
La formule d’abonnement a été
simplifiée, un kiosque a été installé sur la promenade qui
mène au TNN et, pour la générale
de Peer Gynt, elle a invité « les voisins », commerçants, vendeurs.
La nouvelle
directrice du TNN
a l’envie farouche
d’une douce
révolution
des ateliers dans des établissements scolaires.
Dans les murs, la directrice a axé
sa programmation autour de
trois temps forts : un festival Shakespeare (« Shakespeare, c’était
comme une évidence », dit-elle) ;
puis un printemps des femmes
(avec notamment Elle brûle, mis
en scène par Caroline Guiela
Nguyen, et L’Odeur des planches,
de Samira Sedira), en remerciement à sa nomination, qui doit
beaucoup au souhait du ministère de féminiser les directions
des centres dramatiques nationaux ; enfin, les Seuls en scène
(dont L’Art du rire, de Jos Houben,
Conteur ? Conteur, de Yannick Jaulin, Encore, d’Eugénie Rebetez).
Jeudi 25 septembre, à l’issue de
la représentation de Peer Gynt,
Irina Brook a convié une partie
du public à boire un verre sur le
parvis du théâtre, qu’elle avait
fait recouvrir de tapis. Occuper
l’extérieur et non s’enfermer
dans le bar du TNN, elle y tenait.
C’est, dit-elle, « une manière d’exprimer [s]a nature révolutionnaire ». p
sandrine blanchard
Peer Gynt. d’Henrik Ibsen. Mise
en scène d’Irina Brook. Jusqu’au
18 octobre, au Théâtre national
de Nice. De 6,50 euros à 40 euros.
Sur Lemonde.fr : le visuel
interactif sur la douzaine de
nouveaux directeurs de théâtres
nationaux, qui présentent leurs
premières saisons, de Stanislas
Nordey, à Strasbourg, à Rodrigo
Garcia à Montpellier.
Un « trio de fous illuminés »
Aux côtés de Renato Giuliani et
Hovnatan Avedikian, les deux artistes avec qui elle travaille depuis
plusieurs années, elle dit former
un « trio de fous illuminés » qui se
sont mis en tête de répandre
« leur foi dans le théâtre » au-delà
des murs du TNN. Depuis janvier,
ils sillonnent les quartiers dits
« sensibles » de Nice et montent
Wagner en pleine tempête
Alex Ollé présente à Lyon « Le Vaisseau fantôme »,
dans une mise en scène métaphorique d’un capitalisme agonisant
lyon - envoyée spéciale
L
e dernier Vaisseau fantôme
à l’Opéra de Lyon avait accosté en 1988. Le rôle du
Hollandais volant était tenu par
José Van Dam, celui de Senta par la
Danoise Lisbeth Balslev. La nouvelle production du premier
grand opéra de Wagner (Der
Fliegende Holländer), présentée le
11 octobre, n’est pas du même tonneau vocal.
Le Daland du baryton- basse allemand Falk Struckmann confirme
un art déclinant, tandis que le Hollandais de Simon Neal, à la ligne
de chant parfois houleuse malgré
la clarté de beaux aigus, présente
des problèmes de tessiture dans le
grave. Senta hallucinatoire, Magdalena Anna Hofmann déçoit par
la stridence de son timbre et un vibrato déjà large. Mais les seconds
rôles sont de bonne tenue – le passionnel Erik de Tomislav Muzek, le
Pilote soigné de Luc Robert, la
nourrice Mary à qui Eve-Maud
Hubeaux prête les voluptés de son
beau mezzo. La baguette de Kazushi Ono a paru bien raide, se
contentant de donner des claques
à la musique, sans lui imprimer
d’influx nerveux.
Composée à Meudon durant
son séjour en France de 1839 à
1842, cette transcription mari-
D’une passerelle
vertigineuse
dégringole
le capitaine
norvégien
time de l’histoire du Juif errant
(d’après une nouvelle d’Heinrich
Heine), porte le sceau wagnérien –
faute et malédiction, salvation, rédemption. Condamné à errer
pour avoir défié Dieu lors d’une
tempête, le Hollandais aborde
tous les sept ans pour tenter de
trouver celle qui saura mourir
pour lui – et le repos.
Ancre immense
Le rideau s’ouvre sur la gigantesque proue rouillée d’un cargo
dans les tourments vidéastes de
flots tempétueux. D’une passerelle vertigineuse dégringole le
capitaine norvégien, échoué avec
son équipage. Les décors sont
bruyants, la sécurité obligeant les
chanteurs à s’attacher à des lignes
de vie. Soudain, une ancre immense tombe des cintres : le Vaisseau vient d’accoster, et de son
ventre sort le Hollandais en tenue
de spectre. La quatrième mise en
scène d’Alex Ollé (la Fura dels
Baus) à l’Opéra de Lyon, mise sur
le spectaculaire et la prospective.
Métaphorique d’un capitalisme
agonisant dans le surréalisme industriel, le « vaisseau fantôme »
se verra désossé dans un de ces
chantiers sauvages, quelque part
au Bangladesh. La pauvreté des
hommes aux pieds nus travaillant sous la menace de pirates
en armes, les dunes de sable se dérobant sous les pieds, la projection vidéo de spectres noyés, témoignent de la malédiction contemporaine d’une terre devenue
« un endroit où la vie a si peu de valeur que la mort, en comparaison,
n’est pas nécessairement un mauvais choix ». Beauté saisissante
des images, direction d’acteurs au
cordeau : ce Vaisseau fantôme
« no future » laisse le cœur et
l’âme en cale sèche. p
marie-aude roux
Le Vaisseau fantôme, de Wagner.
Alex Ollé (mise en scène), Alfons
Flores (décors), Josep Abril
(costumes), Urs Schönebaum
(lumières), Franc Aleu (vidéo),
Orchestre et Chœurs de l’Opéra
de Lyon, Kazushi Ono (direction).
Opéra de Lyon, Lyon 1er.
Jusqu’au 26 octobre.
Tél. : 04-69-85-54-54.
Opera-lyon.com
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Sonia Delaunay, quelle énergie! Trente-cinq ans après sa mort, une grande
rétrospective au musée d’Art moderne de la Ville de Paris révèle enin la joie de vivre
de cette artiste toujours d’avant-garde, mais encore méconnue. Explorer sa vie, c’est
côtoyer une authentique Européenne, qui a parcouru le continent de la Russie à
l’Allemagne, de l’Espagne à Paris. Voyager avec Blaise Cendrars dans le Transsibérien,
aller au bal en gilet bigarré, monter sur scène dans un costume géométrique, rouler
dans une automobile carrossée d’un manteau d’arlequin. Nourrie de culture populaire
russe, cette pionnière de l’abstraction a saturé le XXe siècle de rouges, de bleus, de
verts. Elle en a recouvert toiles, manteaux, robes, rideaux, tapisseries, assiettes...
On s’arrachait ses œuvres et ses créations. En les découvrant dans le hors-série Télérama,
riche de nombreuses images rares, on est frappé par leur force et leur modernité.
télévisions | 23
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Retourner parmi les vivants
Daniel Holden (Aden Young) se prépare
à sortir après dix-neuf ans passés dans
le couloir de la mort. BLAKE TYERS
« Rectify », une série lente et lumineuse, terrible aussi, à ne pas manquer
ARTE
JEUDI 16 – 22 H 40
SÉRIE
L
ongtemps après avoir
découvert « Rectify »,
reste en mémoire le plaisir simple et inouï que
l’on peut prendre à jouer de sa
peau avec la lumière : à l’aube,
dans un champ, pieds nus dans
la rosée ; étendu sur l’herbe, à regarder se jalouser ombre et lumière entre des feuilles de pacaniers ; nu dans sa chambre, caressé par un rai de soleil où volettent des flocons de duvet… Ou
simplement au lit, en dépliant
ses doigts pour qu’ils fassent
l’amour avec le petit jour.
Spectateur pressé en quête de
pétarades, tu passeras donc ton
chemin. « Rectify », magnifique
nouvelle série de la chaîne Sundance, vise plus l’introspection
que l’action en rendant sa liberté
(provisoire !) à Daniel Holden
(formidable Aden Young), entré
à 18 ans dans le couloir de la
mort pour avoir (peut-être) tué
et violé sa petite amie Hanna.
Lorsque, dix-neuf ans plus tard
et au début de la série, Daniel redécouvre lumière du jour et couleurs de la nature, il n’est question ni d’explosion de joie ni
même de party avec famille et
potes. Aux médias qui s’arrachent son premier souffle dehors, Daniel, lunaire, répond
placidement : « Je serai probable-
ment plus heureux plus tard. (…)
Je ne serai peut-être plus en colère, plus tard, quand je serai heureux. »
Nul besoin d’avoir connu l’ado
d’antan pour comprendre, en
quelques séquences, l’homme
qu’il est devenu au pénitencier,
de gré et de force : un revenant
sans attente ni espoir, un presque-moine, silencieux, méditatif, une sorte d’extraterrestre
frappé d’hébétude. « Même pas
certain d’être vivant », commente-t-il lui-même.
Ranci et rancœurs
Logique : lectures et pratique zen
lui ont appris à ne plus même attendre la mort, puisqu’elle est certaine, et à ne pas attendre la liberté, qui supposerait savoir ce
que vivre libre veut dire. D’où un
rapport à la routine, à la banalité
et à l’ordinaire inconnu pour lui :
« C’est difficile de ne pas être surpris après avoir vécu dans un
monde où il n’y avait pas d’inattendu, explique-t-il. Rien que voir
une porte s’ouvrir, c’est de l’inattendu… »
Par l’intermédiaire du regard de
Daniel, indifférent ou médusé selon les circonstances, nous allons
donc (re)découvrir ce qu’est devenue l’Amérique profonde en vingt
ans, et comment le retour d’un
seul être « différent », stigmatisé
et non désiré, peut bouleverser
toute une communauté. « C’est
malheureux à dire, mais on pen-
LA SÉLECTION
DU JEUDI
D OCUM E N TAIR ES
sait tous qu’il serait mort à l’heure
qu’il est. » Ces propos de son demi-frère résument assez bien la
pensée de la police, de la justice et
des politiques de la ville ; sans
parler de tous ceux qui, citoyens,
estiment qu’il est « forcément
coupable puisqu’il a été condamné ».
Voir réapparaître Daniel dans sa
petite ville de Paule (en Géorgie,
dans le sud des Etats-Unis) interroge en fait tout le monde et
renvoie chacun à ce qu’il était et a
fait, il y a dix-neuf ans et depuis,
que ce soit à l’égard de Daniel ou
de sa famille, tombée en faillite
après le déshonneur de la condamnation de Daniel.
Rapports au sein de la famille,
adaptation de Daniel après sa sortie de l’ombre (les six épisodes de
cette saison 1 représentent les six
premiers jours de sa liberté retrouvée), ranci et rancœurs d’une
partie de cette société qui pense
et agit à la Procuste : le talent du
créateur de « Rectify », Ray McKinnon (« Deadwood », « Anarchy ») et de ses deux scénaristes,
Melissa Bernstein et Mark Johnson (« Breaking Bad »), a d’ores et
déjà été salué puisque « Rectify »
comptera au moins trois saisons. p
« Fusillés pour l’exemple »
de Patrick Cabouat
France – 2003 – 52 min
Cinq cent cinquante soldats français
furent fusillés par l’armée française
pendant la première guerre
mondiale. Ces exécutions
« pour l’exemple », décidées
par la justice militaire, devaient
imposer une discipline de fer
dans les tranchées. Ce film écrit
par Alain Moreau est le fruit de
la première enquête exhaustive
sur cette zone d’ombre de
l’histoire officielle.
LCP – 20 H 30
« Madagascar, une vanille chinoise
»
de Chris Huby.
France – 2014 – 28 min.
Depuis vingt ans s’est installée à
Madagascar une nouvelle génération
chinoise aux méthodes radicales.
De jeunes négociants qui
s’intéressent à toutes les matières
premières de la Grande Ile, dont la
vanille malgache que la Chine exige
en quantités de plus en plus
importantes.
Public Sénat – 22 H 30.
martine delahaye
« Rectify », créée par Ray
McKinnon (EU, 2013, 6 × 42 min).
Avec Aden Young (Daniel
Holden). Saison 1, épisodes 1 et 2.
Série
« Profilage » (saison 5)
Un mafieux qui n’a pas froid aux yeux
Giovanni Henriksen, le héros de « Lilyhammer », est de retour… plus givré que jamais
CANAL+ SÉRIES
JEUDI 16 - 22 H 35
SÉRIE
L
e revoilà ! Avec sa gueule cassée, ses méthodes douteuses importées des bas-fonds
new-yorkais et son flingue en
guise de meilleur compagnon,
Giovanni Henriksen (Steven Van
Zandt) est de retour pour la
deuxième saison de « Lilyhammer », la série norvégienne qui a
battu des records d’audience dans
ce pays comptant seulement 5 mil-
MOTS CROISÉS
N°14-245
SOLUTION°14-244
lions d’âmes ! Dans cette nouvelle
saison, filmée en grande partie à
New York, Henriksen continue
d’imposer son autorité sur la petite
ville de Lillehammer en poursuivant le « rapprochement culturel »
entre la vie policée des Norvégiens
respectueux des règles communes
et celle, sans foi ni loi, des parrains
de Big Apple.
Rappelons
que
Giovanni
Henriksen est le nouveau nom de
Silvio Dante, petit parrain repenti
de la Mafia new-yorkaise qui exerçait ses talents dans la série « So-
prano », et que le FBI a exfiltré
dans la bourgade norvégienne
dans le cadre du programme de
protection des témoins.
Reprendre à zéro ses affaires
Sur place, il a vite abandonné la
discrétion qui lui était imposée
pour reprendre à zéro ses affaires… Il a mis Lillehammer a sa pogne. Et, désormais, entre sa vie de
famille compliquée et la gestion
de sa boîte de nuit, il n’a guère le
temps de s’intéresser à son ancienne vie. Sauf lorsque son ex-as-
socié new-yorkais découvre qu’il
est toujours vivant…
La série écrite par un couple de
Norvégiens tient beaucoup sur le
jeu de Steven Van Zandt. Acteur et
guitariste du E Street Band de
Bruce Springsteen, Van Zandt est
aussi coproducteur de la série
qu’il a réussi à vendre à Netflix, la
plate-forme de films en SVOD sur
Internet disponible aux EtatsUnis, dans les pays nordiques et
en France depuis septembre.
Lors de cette deuxième saison,
de nombreuses guest stars font
leur apparition au cours des huit
épisodes. Parmi elles, on notera
celle de Paul Kaye (« Game of
Thrones ») et d’Alan Ford (Snatch :
tu braques ou tu raques). Devant le
succès remporté dans les pays où
la série est diffusée, les producteurs ont déjà signé pour une troisième saison. p
daniel psenny
« Lilyhammer », créée par Anne
Bjornstad et Eilif Skodvin (EU Nor., 2014, 8 × 46 min). Avec
Steven Van Zandt.
0123 est édité par la Société éditrice
SUDOKU
N°14-245
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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Courrier des lecteurs
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
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La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
Langue
française
Le retour
aux sources
Apprendre en s'amusant avec
Créée par Fanny Robert et Sophie Lebarbier. Avec Odile Vuillemin, Philippe
Bas.
France – 2014 – 2 × 50 min/12.
Chloé Saint-Laurent (délicieuse Odile
Vuillemin), la consultante de la police
criminelle, revient d’entre les morts
pour de nouvelles enquêtes aux
côtés du commandant Rocher
(Philippe Bas). Une des meilleures
séries policières françaises de
ces dernières années.
TF1 – 20 H 55.
Présidente :
Corinne Mrejen
5,95€
SEULEMENT
96 PAGES
0123
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
Imprimerie du « Monde »
12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
24 | carnet
0123
JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Carcassonne. Narbonne.
en vente
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23 79 4: 43 58
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AU CARNET DU «MONDE»
Collections
---------------------------------------------------------
0123
Décès
Paris.
Huguette Bergeron,
son épouse,
Jean-Denis, Sylvie et Bastien,
ses enfants et petit-ils,
Les familles Bergeron et Lonchamp,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
M. Louis BERGERON,
L’inhumation aura lieu le jeudi
16 octobre, dans la plus stricte intimité
familiale.
La présidente,
Le bureau,
Le conseil d’administration
Et tous les adhérents du CILAC,
Comité d’Information et de Liaison pour
l’Archéologie, l’étude et la mise en valeur
du patrimoine industriel,
Louis BERGERON,
membre fondateur
et président d’honneur du CILAC,
et s’associent à la douleur de sa famille.
Son rôle dans la reconnaissance du
patrimoine de l’industrie par notre nation
fut immense et essentiel, comme son
action au sein de The International
Committee for the Conservation of the
Industrial Heritage (TICCIH), dont il était
président d’honneur.
L’inhumation aura lieu dans la stricte
intimité familiale.
CILAC, BP 20115,
75261 Paris Cedex 06.
Paris.
Régine exceptionnelle,
Régine unique,
Régine LAPRONONCIÈRE
est partie le 9 octobre 2014.
Nous l’aimons.
Yveline
et ses illes, Gwanaëlle et Bilitis.
Mme Janine Mohseni,
son épouse,
Mme Atessa Mohseni-Leroy,
sa ille,
Roxane, Jean et Soraya,
ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès de
Antoine Degregori,
son ils,
Jérôme Degregori, Agathe Robache,
son ils, sa belle-ille
et leurs enfants, Laé et Elisa,
Philippe et Geneviève Azaïs,
leurs illes, Caroline, Marie-Ange
et Cécile,
leurs gendres et petites-illes,
Béatrice Azaïs Noblinski
et ses enfants, Joanna et Benjamin,
Pierre Degregori,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Laurence DEGREGORI,
née AZAïS,
survenu le vendredi 10 octobre 2014.
Un hommage aura lieu le vendredi
17 octobre, à 11 h 30, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Une cérémonie se tiendra ensuite
le samedi 25 octobre, à 11 heures,
à Archiane (Drôme).
Fleurs et couronnes à Archiane.
Le docteur Louis Descos,
son époux,
Valérie et Bruno, Catherine,
Stéphane et Isabelle,
Laurence et Mathieu,
ses enfants,
Hugo, Clara, Marion, Helena,
Carla, Orion, Alice, Lily-Rose,
ses petits-enfants
Et toute leur famille,
Parents et amis,
née BAYLE.
ont l’immense regret de faire part du décès
de
Dès mercredi 15 octobre,
le DVD n° 18
LE MUR INVISIBLE
Information et condoléances sur
www.enaos.net (code 2346).
Mme Françoise DESCOS,
survenu le vendredi 9 octobre 2014,
à Paris.
ET LA RADIOACTIVITÉ
comédien,
font part du rappel à Dieu de
historien,
directeur d’études émérite
à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales,
Dès mercredi 15 octobre,
le volume n° 4
MARIE CURIE
Roger CHRISTOFOL,
L’inhumation a eu lieu dans l’intimité
familiale, le mercredi 15 octobre,
au cimetière de Cité à Narbonne (Aude).
Uqwvgpcpegu fg ofioqktg.
vjflugu. JFT.
fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu
Hors-série
ont la douleur d’annoncer le décès de
survenu le dimanche 12 octobre 2014,
à l’âge de quatre-vingts ans.
Eqnnqswgu. eqphfitgpegu.
ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu.
Hors-série
Roland Mabille,
son conjoint,
Lucette et André Bales,
sa sœur et son beau-frère,
leurs enfants, petits-enfants
et arrière-petits-enfants,
La famille
Et tous les amis,
Elle donnait une force immense à tous
ceux qu’elle aimait.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 16 octobre 2014, à 10 heures,
en l’église Saint-Pothin, à Lyon 6e, suivie
de l’inhumation au cimetière d’Annecy,
dans la plus stricte intimité.
Henri GATHELIER,
ingénieur INPG 1944,
CPA 1958,
s’en est allé le mercredi 8 octobre 2014,
dans sa quatre-vingt-quinzième année,
rejoindre son épouse bien-aimée,
Micheline,
dont les cendres reposent auprès de lui.
Les obsèques religieuses seront
célébrées en l’église Saint-Pierre-SaintPaul de Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne),
côté Sainte-Gemme, le vendredi
17 octobre, à 10 h 30.
Les fleurs peuvent être remplacées
par des messes ou des dons à des œuvres
caritatives.
François-Michel et Renate Gathelier,
ses enfants,
Muriel et Youssef Lebbar,
Julien Gathelier,
ses petits-enfants,
Sophia et Yannis Lebbar,
ses arrière-petits-enfants.
Mortéza MOHSENI,
docteur en droit,
directeur général
au ministère iranien de la justice,
professeur à l’université de Téhéran,
avocat au barreau de Téhéran,
survenu le 11 octobre 2014,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Une cérémonie du souvenir sera
célébrée le vendredi 17 octobre, à 10 h 30,
en l’église Notre-Dame-de-Lorette, 18 bis,
rue de Chateaudun, Paris 9e.
L’inhumation aura lieu dans l’intimité
familiale, au cimetière de Deauville.
Prions pour le repos de son âme,
si compatissante.
48, rue des Martyrs,
75009 Paris.
35, avenue de l’Opéra,
75002 Paris.
Tous ses proches
ont la tristesse de faire part du décès de
Claudine NORMAND,
survenu le 10 octobre 2014,
à l’âge de soixante-quatre ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le jeudi 16 octobre, à 10 h 30, en l’église
Saint-Martin, à Misy-sur-Yonne (Seineet-Marne).
Cet avis tient lieu de faire-part.
Ses anciens collègues présentent à
sa famille toutes leurs condoléances et
se souviendront de son professionnalisme,
de sa bonne humeur, durant les 37 années
de sa carrière au journal Le Monde.
Alain-Gérard Slama,
son ils,
Mathieu et Paul Slama,
ses petits-ils,
Florence Gabay-Slama,
Gérard, Evelyne et Monique Mayeur,
Danièle Vergnon et Claudine Le Clec’h,
ses cousins,
ont la tristesse de faire part du décès de
Suzanne Van RAEPENBUSCH,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
Les obsèques auront lieu en l’église
de Port-Mort (Eure), le vendredi
17 octobre 2014, à 11 heures.
2, rue des Beaux-Arts,
75006 Paris.
Mme Gabriel Richet, née Claude Puaux,
son épouse,
Marie-Claude et Jean-Noël Richet,
Isabelle et Patrick Baudelaire,
ses illes et gendres,
Laure Vermeersch,
Virginie et François Rosset-Baudelaire,
Pascal et Virginie Vermeersch,
Eric Baudelaire,
Martin Richet,
Julia et Jean-Baptiste Pagniez,
Camille Baudelaire,
ses petits-enfants et leurs conjoints,
Basile, Elsa, Manon, Alice et Jules,
Anaïs,
ses arrière-petits-enfants,
François et Claude Le Chatelier,
Laurent (†) et Marie-Antoinette
Le Chatelier,
Alain Le Chatelier et Roland Pichon,
Luc Le Chatelier et Pascale Boyen,
ses beaux-enfants et leurs conjoints,
Aude et Fabrice Fournier,
Olivia Le Chatelier,
Raphaëlle Le Chatelier,
Olga Le Chatelier,
Inès Le Chatelier,
ses belles-petites-illes et conjoint,
Emma, Arthur,
ses beaux-arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès,
le vendredi 10 octobre 2014,
dans sa quatre-vingt-dix-huitième année,
du
professeur Gabriel RICHET,
de l’Académie de médecine,
grand oficier de la Légion d’honneur,
croix de guerre 1939-1945,
membre des commandos de France
1944-1945.
La bénédiction sera donnée le jeudi
16 octobre, à 14 h 15, en l’église SaintSulpice, Paris 6e, suivie de l’inhumation
au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
à 17 heures.
Le Passage d’Agen.
Françoise Sirven,
son épouse,
Véronique et Michel Sirven,
ses enfants,
Matthieu, Marie et Lucie,
ses petis-enfants
Parents
Et amis,
ont la douleur de faire part du rappel
à Dieu de
Pierre SIRVEN,
professeur de géographie tropicale
à l’université de Bordeaux,
oficier
dans l’ordre des Palmes académiques,
oficier
dans l’ordre national du Mérite,
dans sa soixante-dix-huitième année.
Ses obsèques religieuses seront
célébrées le vendredi 17 octobre 2014,
à 15 heures, en l’église Sainte-Jehannede-France, au Passage d’Agen (Lot-etGaronne).
La famille remercie par avance toutes
les personnes qui s’associeront à sa peine.
Michelle Varatges,
son épouse,
Florence et Arnaud,
ses enfants,
Jules et Rose,
ses petits-enfants,
Marie-José Cook-Varatges,
sa sœur,
Sa belle-ille
Et ses nièces,
ont la grande tristesse d’annoncer le décès
de
Jean-Marc VARATGES,
médaillé militaire,
croix de guerre TOE,
croix du combattant volontaire,
médaille coloniale,
survenu le 7 octobre 2014.
Les obsèques ont eu lieu le 13 octobre,
en l’église Notre-Dame de Corroy.
4, rue du Dimot,
51230 Corroy.
Anniversaire de décès
Cet avis tient lieu de faire-part.
Quand fond la neige, où va le blanc ?
76, rue d’Assas,
75006 Paris.
4 janvier 1973 - 15 octobre 2006.
Pierre GEISMAR,
Marie-Claude et Jacques
Hérault-Delanoë,
Jean-Philippe Simonel,
Laurent-Xavier et Kartiayini
Simonel,
ses enfants,
Thomas, Matthieu, Clémence et Marie,
Dhivya et Vikrem,
ses petits-enfants,
Antoine, Arthur et Camille,
ses arrière-petits-enfants,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Gisèle SIMONEL,
née GNANADICOM,
chevalier dans l’ordre national du Mérite,
chevalier de l’ordre national
de la République de Côte-d’Ivoire,
survenu le samedi 11 octobre 2014,
à Paris.
Un ofice précédant l’incinération aura
lieu dans l’intimité.
Selon son vœu, ses cendres rejoindront
la terre de l’Inde, à Pondichéry.
Cet avis tient lieu de faire-part.
A notre Pierre tant aimé.
Souvenir
Le 14 octobre 2004, nous quittait
Claude MARTI,
publicitaire,
conseiller en communication.
Ses amis se souviennent et partagent
une pensée idèle avec tous ceux pour qui
il est encore très présent.
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JEUDI 16 OCTOBRE 2014
Monter à Solutré,
descendre un pouilly-fuissé…
Le Château
de Besseuil,
un 4-étoiles,
situé
à Clessé,
en Saôneet-Loire.
L’œnotourisme attire toujours plus
d’adeptes. Visite dans le Mâconnais,
au cœur des vignobles de Bourgogne
AMY LEANG
POUR « LE MONDE »
TOURISME
mâconnais
C
e sont des touristes d’un
nouveau genre, passionnés par l’histoire, le terroir et le vin. Jamais
l’œnotourisme n’a connu pareil
succès. Plus de 8 millions de ses
adeptes séjournent dans le vignoble français chaque année, profitant des quelque 10 000 caves
ouvertes au public. Rien ne semble pouvoir freiner le développement de ce type de loisirs qui séduit aussi bien les Français (un sur
cinq choisit sa destination de vacances parce qu’elle est vinicole)
que les étrangers (un sur trois
vient dans l’Hexagone pour le vin
et la gastronomie).
Et c’est maintenant qu’il faut
partir, quand les vignobles virent
au jaune avec quelques touches
de rouge. Les vendanges sont terminées, les blancs et les rouges
sont rentrés, les sécateurs raccrochés et le millésime 2014 s’annonce bien. Plongée, le temps
d’un week-end, dans le Mâconnais,en Bourgogne.
Samedi
10 h 30 : balade dans
le Pouilly-Fuissé
Départ de Chaintré, à quelques kilomètres de Mâcon, pour une virée dans les vignes, jusqu’à Solutré et Vergisson, qui culminent à
près de 500 mètres d’altitude.
« C’est ça le Mâconnais, on monte
et on descend en permanence »,
dit Hervé Josserand, guide de
pays, en arrivant au-dessus de
Fuissé. En contrebas, une église
romane,
transformée
aujourd’hui en cuvage privé, témoigne de la richesse du patrimoine. Un parfum de Méditerranée traîne dans l’air avec ces maisons à pierre dorée. On peut flâner dans les villages, pousser les
portes des vignerons, discuter…
Mais le plus beau point de vue sur
les roches de Solutré et de Vergisson se mérite et il est temps de repartir vers Pouilly.
Sur la roche
de Solutré,
à seulement
492 mètres,
la vue
à 360 degrés
sur le Mâconnais
est spectaculaire
scénographie a été entièrement
repensée en 2014 et une large
ouverture vitrée dans la paroi permet désormais d’avoir une vue
sur la roche de Solutré de l’intérieur du musée. On prend ensuite
le chemin qui mène au sommet.
Premier coup d’œil à 360 degrés
sur le Mâconnais. A seulement
492 mètres, la vue est spectaculaire. A l’est, s’étend la plaine de la
Saône. Au nord, Vergisson et le Val
Lamartinien. Au sud, le mont de
Pouilly, où nous étions il y a tout
juste une heure. Vignes et clochers à perte de vue.
17 heures : retour
à Solutré-Pouilly
Arrêt à l’Atrium, le caveau de l’appellation pouilly-fuissé, pour déguster la Collection 2012 : cinq
vins issus des communes de
Pouilly-Fuissé (Chaintré, Fuissé,
Pouilly, Solutré, Vergisson) et la
cuvée prestige « Eclat des roches »,
coup de cœur de l’année. Arrêt incontournable pour qui veut saisir
Le chef Arnaud
Lannuel aux
fourneaux
dans les cuisines
du Château
de Besseuil.
AMY LEANG
15 heures : vers la roche
de Solutré
Presque personne. Seuls quelques
touristes impressionnés par la roche, les parcelles de vignes à perte
de vue et le Musée de la préhistoire creusé dans la montagne… La
POUR « LE MONDE »
toute la finesse de ces beaux vins
blancs, produits par 80 vignerons
locaux. Un millésime destiné à
une belle garde (de cinq à six ans)
qui est commercialisé à la cave entre 14 euros et 19 euros la bouteille.
Pour ceux qui seraient tentés de
rapporter quelques pouilly-fuissé
2010, il faut se dépêcher et compter de 20 euros à 28 euros la bouteille.
Dimanche
10 h 30 : la voie verte
Changement de décor. On enfourche les vélos, classiques ou à
assistance électrique, pour une
escapade sur la voie verte qui louvoie entre Charnay-lès-Mâcon et
Cluny. Une balade de 18 km à travers prés et collines, bois et vignobles, rythmée par les lavoirs
et les châteaux. Direction Prissé,
la cave des Vignerons des Terres
secrètes, qui viennent d’être labellisés Vignerons en développement durable. Ici, pas de bio ni
d’agriculture raisonnée, mais
une volonté de préserver l’environnement, le territoire et le travail des hommes.
Deux semaines après la fin des
vendanges, la fermentation alcoolique est faite. « On est en
cours d’élevage, de fermentation
malolactique, explique Xavier Migeot, directeur de la première
cave coopérative du Mâconnais.
C’est cela qui permet au vin d’être
moins acide. » Dans les allées,
l’humeur est joyeuse. « On est bénis des dieux, lance M. Migeot.
Après un été plutôt maussade, le
vent et le soleil sont arrivés fin
août. 2014 va être un très beau millésime. » Rendez-vous le 20 novembre pour goûter le mâcon villages primeur.
BOURG O G N E
13 heures : halte à L’Auberge
de Jack, à Milly-Lamartine
Chez Jacques et Sylvie Bouchet,
dégustation des spécialités locales dans une ambiance de bouchon lyonnais. La carte est riche,
avec poêlée d’escargots, tablier de
sapeur, rognons à la crème et andouillette sauce moutarde. Sur
les murs, des anciennes affiches
de cinéma, des vieilles publicités
et une dédicace de Jean Ducloux,
patron du restaurant Greuze à
Tournus, contribuent à donner
cette ambiance bistrot que les habitués de la région sont nombreux à venir chercher. Attention ! La table est courue. Mieux
vaut réserver.
16 heures : dernière montée
vers Berzé-le-Châtel
Berzé-le-Châtel sera la l’ultime
étape cycliste de la journée. Il faut
grimper jusqu’à cet ancien donjon, construit pour défendre l’abbaye de Cluny, qui surplombe
toute la région. Aujourd’hui, il ne
reste pas grand-chose du donjon,
mais le château de Berzé-le-Châtel, construit entre le XIIe et le
XVe siècle, offre une vue imprenable sur le Mâconnais.
18 heures : dormir
dans des tonneaux
Quand Anthony Lafarge, descendant de vignerons de Lugny, décide de planter ses propres vignes,
en 2012, il se lance un défi : « Je
veux faire le vin le plus naturel possible en utilisant des engrais 100 %
organiques. » Aucun produit chimique n’est utilisé. Un travail qui
exige de longues journées dans
les vignes. C’est là que vous aurez
le plus de chance de le rencontrer.
Ou dans la cave où, en octobre, il
surveille la fermentation. « Plus la
fermentation est longue et plus on
arrive à avoir une richesse aromatique importante », dit-il.
Ce soir, les hôtes qui le souhaitent pourront dormir dans des
chambre-tonneaux finlandais
placées à l’entrée du domaine, la
tête dans les vignes. p
martine picouët
Dijon
Chalon-sur-Saône
Mâconnais Tournus
Mâcon
50 km
D E
C A R N E T
R O U T E
Avant de partir
« En route vers les bourgognes »,
guide pour tout savoir sur les terroirs,
les domaines, les caves, les
itinéraires. www.vins-bourgogne.fr
Application pour smartphones :
www.vins-tourisme-bourgogne.com
La route des vins mâconnaisbeaujolais : www.route-vins.com
Y aller
En TGV : 1 h 35 à partir de Paris,
25 minutes de Lyon et 2 h 15 de
Marseille (gare de Mâcon-Loché).
Où séjourner
Le Clos du Grand Bois, à Lugny.
Nuit en chambres d’hôte ou en
tonneaux finlandais,
www.closdugrandbois.fr
Château de Besseuil, à Clessé,
www.chateaudebesseuil.com
Manoir des Grandes Vignes (gîte),
www.manoir-des-grandesvignes.com
Où se restaurer
La Courtille de Solutré, à SolutréPouilly, www.lacourtilledesolutre.fr
L’Auberge de Jack, à Milly-Lamartine.
Tel. : 03-85-36-63-72.
Château de Besseuil, à Clessé,
www.chateaudebesseuil.com
Où faire une dégustation
L’Atrium, à Solutré-Pouilly,
www.pouilly-fuisse.net/atrium.html
Cave des Vignerons des Terres
secrètes, à Prissé,
www.terres-secretes.com
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JEUDI 16 OCTOBRE 2014
EUROPE | CHRONIQUE
par ar naud l e par m e nt ie r
La fin de « la fin de l’Histoire »
suite de la première page
Le nouveau livre de Fukuyama s’appelle
Political Order and Political Decay : from
the Industrial Revolution to the Globalization of Democracy (« Ordre et décadence
politiques : de la révolution industrielle à
la globalisation démocratique », Farrar,
Straus and Giroux, non traduit).
Certes, tout ne va pas si mal, explique
l’universitaire américain. Entre les années 1970 et la grande crise financière de
2008, la richesse mondiale a quadruplé.
En 1974, 30 Etats étaient démocratiques,
soit moins d’un sur quatre. Ils sont
aujourd’hui 120, soit près de deux sur
trois. L’année 1989 marqua une accélération de la démocratisation avec la chute
du communisme, après l’Amérique latine
débarrassée de ses généraux et avant les
progrès sensibles enregistrés en Afrique.
Il n’empêche, pour reprendre l’expression de l’universitaire de Stanford, l’expert en démocratie Larry Diamond, nous
vivons depuis une dizaine d’années une
« récession démocratique ».
Que s’est-il passé ? Il peut sembler aisé
d’évacuer le cas des pays autoritaires,
qu’il s’agisse de la Russie de Poutine, du
FUKUYAMA
COMPARE
LE MONDE
À UN ESCALATOR
VERS LE GRAAL,
LE GLORIEUX
MODÈLE DANOIS
Venezuela de feu Chavez ou des pétrodictatures du golfe Arabo-Persique : ces régimes prospèrent sur la rente des matières
premières et peuvent se maintenir sans
s’appuyer sur une classe bourgeoise et
éduquée. Passons sur le « printemps
arabe », qui s’est vite traduit par des votes
bien peu libéraux, comme en Egypte :
Fukuyama s’en sort en expliquant qu’il a
fallu un siècle après le « printemps des
peuples » de 1848 pour que l’Europe devienne durablement démocratique.
Troisième cas, la Chine. Elle a abjuré le
marxisme, mais rejette le modèle démocratique et l’Etat de droit occidental. Elle
croit pouvoir se développer, comme elle
le fit pendant des siècles, grâce à un appareil d’Etat autoritaire. Pourtant, le système est dans l’impasse : se libéraliser,
c’est prendre le risque de laisser filer le Tibet et le Xinjiang musulman et de diviser
le pays entre les riches régions côtières et
les campagnes pauvres du centre. L’alternative, c’est la tension autoritaire et nationaliste de Xi Jinping, au risque de provoquer des révolutions. Fukuyama contourne la question : d’ici cinquante ans,
qui des Chinois ou des Occidentaux pourront offrir un modèle d’avenir ? Certainement pas la Chine, tranche Fukuyama. Et
encore moins les islamistes.
« Décadence politique »
Pourtant, le modèle démocratique n’attire guère. C’est un pis-aller. Et devenir
danois n’est pas si facile. Les élections ne
suffisent pas. Les régimes politiques doivent satisfaire les aspirations des citoyens. Et, pour cela, il faut une classe politique responsable, un Etat de droit et un
Etat tout court.
L’Inde, communément désignée
comme « la plus grande démocratie du
monde », ne répond pas à ces critères : le
tiers de ses élus font l’objet de procédures
judiciaires ; les tribunaux sont si lents
qu’on ne peut pas parler d’Etat de droit ;
dans certaines régions, la moitié des enseignants sèchent leurs cours. Même le
Brésil, qui a réussi à sortir de la grande
pauvreté, peine à adapter son Etat et son
système politique à l’émergence majeure
d’une classe moyenne, comme l’ont
montré les émeutes de 2012 et l’essoufflement du parti de Lula.
En résumé, constate Fukuyama, « le
problème d’aujourd’hui n’est pas seulement que les pouvoirs autoritaires soient
à la manœuvre, mais que beaucoup de démocraties ne se portent pas bien ». Et de
citer le problème qu’il « n’avai[t] pas
traité il y a vingt-cinq ans, la décadence
politique ».
L’universitaire s’attaque au modèle
américain : toujours attractif sur le plan
économique, il ne l’est plus sur le plan politique. Fait de contre-pouvoirs pour se
préserver de la tyrannie, le système s’est
transformé en « vétocratie », modèle politique où le blocage devient un mode de
non-gouvernement. Cette « vétocratie »
est inégalitaire – Fukuyama cite notre héros national, l’économiste Thomas Piketty, qui a ouvert les yeux des Américains sur le sujet – et confisquée par une
ploutocratie. L’ennui, c’est que cette décadence n’est pas l’apanage des seuls Américains, selon Fukuyama : « La croissance
de l’Union européenne et le déplacement
de la décision politique du niveau national
vers Bruxelles » font que « le système
européen dans son ensemble ressemble de
plus en plus à celui des Etats-Unis ».
Fukuyama compare le monde à un Escalator pour atteindre le Graal, le glorieux
modèle danois. Les pays du Nord, eux, en
sont réduits à éviter de redescendre. Visiblement, l’Histoire n’est pas finie. p
« LE MONDE »,
L’INVESTIGATION
ET LE SECRET
DES SOURCES
PA R G I L L E S VA N KOT E , D I R ECT E U R
I
l n’existe pas de démocratie sans
liberté de la presse. Il ne se conçoit point de presse libre et indépendante sans sources d’information,
qu’elles soient officielles ou secrètes.
La Cour européenne des droits de
l’homme a sanctuarisé cette évidence.
Et pourtant, l’hebdomadaire Valeurs
actuelles a choisi, dans sa livraison du
16 octobre, de consacrer un article à
nos collaborateurs Gérard Davet et Fabrice Lhomme, chargés de l’investigation au Monde et auteurs de nombreuses révélations sur des affaires
sensibles, notamment celles dans lesquelles le nom de Nicolas Sarkozy est
cité.
Au mépris de toutes les règles déontologiques, une partie de leurs rendez-vous professionnels y sont détaillés, relatés par le menu. Valeurs actuelles ne conteste pas le fond de nos
dernières révélations : la mise en
cause de Nicolas Sarkozy dans l’affaire
Bygmalion, sur le financement illégal
de la campagne présidentielle de
2012 ; l’ouverture d’une information
judiciaire sur un soupçon de corruption, visant l’entourage de l’ancien
président, en marge de contrats avec
le Kazakhstan. Valeurs actuelles ne
conteste pas non plus nos révélations
précédentes sur l’affaire dite « des
écoutes, », dans laquelle M. Sarkozy a
été mis en examen. Faute de pouvoir
réfuter nos informations sur le fond,
l’hebdomadaire préfère s’en prendre à
nos sources et tenter de discréditer
notre travail.
Ce n’est malheureusement pas la
première fois que Le Monde subit ce
type d’attaque. Doit-on rappeler que
Gérard Davet a été l’objet de surveillances téléphoniques, en 2010,
dans l’affaire Bettencourt ? Doit-on redire que Gérard Davet et Fabrice
Lhomme, ainsi que plusieurs confrères enquêtant comme eux sur l’affaire
Bettencourt, ont été visés par des
cambriolages suspects, jamais élucidés ? Doit-on souligner qu’ils ont été
tous deux, très récemment, de même
que leur famille, l’objet de menaces
circonstanciées, ce qui leur a imposé
d’être placés sous protection policière
permanente depuis septembre ?
Au vu de l’article de Valeurs actuelles, il apparaît maintenant que les faits
et gestes de nos collaborateurs étaient
surveillés et qu’ils ont été probablement suivis. Ces méthodes visent clairement à empêcher nos journalistes
d’effectuer leur travail d’investigation.
Elles constituent une atteinte au secret de nos sources totalement inacceptable. Comme nous l’avions fait
dans l’affaire des « fadettes »,
Le Monde va saisir la justice. Nous allons demander au parquet de Paris
d’ouvrir une enquête pour espionnage et déposer une plainte pour diffamation et injure.
L’enjeu dépasse notre journal et
nos journalistes : la protection des
sources ne constitue pas un privilège, mais « une des pierres angulaires
de la liberté de la presse », a jugé la
Cour européenne des droits de
l’homme. Sans sources d’information indépendantes, sans moyens
d’investigation, le journalisme ne
peut plus s’exercer. Le Monde ne se
laissera pas intimider et poursuivra
sans relâche son travail d’enquête
dans tous les domaines. p
Tirage du Monde daté mercredi 15 octobre : 284 233 exemplaires