Grèce : Merkel et Hollande font pression pour arracher un accord
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Grèce : Merkel et Hollande font pression pour arracher un accord
SCIENCE & MÉDECINE LA VACCINATION DANS LA LIGNE DE MIRE SUPPLÉMENT Mercredi 1er juillet 2015 71e année No 21913 2,20 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Grèce : Tsipras et les Européens dans la bataille du référendum TERRORISME ▶ Le premier ministre grec ▶ Les dirigeants européens ▶ L’échéance du 30 juin DROITE a de nouveau appelé ses concitoyens à voter non, dimanche, lors du référen dum sur un accord entre le pays et ses créanciers attendent désormais l’is sue du vote des Grecs. Ils appellent à voter oui pour éviter le « Grexit » et ses ré percussions sur l’Eurozone du remboursement du FMI divise face à Alexis Tsipras. n’a plus qu’une impor Reportage à Athènes, où tance relative. Européens les Grecs restent stoïques et Grecs se renvoient la CAHIER ÉCO → LIR E PAGE S 2 À 5 responsabilité de la crise ANALYSE ET DÉBATS → LIR E PAGE S 1 3 - 1 4 FAILLE SÉCURITAIRE ENTRE LA TUNISIE ET L’EUROPE → ▶ La gauche française se LIR E PAGE 2 PRIMAIRE PRÉSIDENTIELLE : L’ENJEU DU FINANCEMENT → Charles Pasqua, le « parrain » du gaullisme LIR E PAGE 6 PEINE DE MORT AUX ÉTATS-UNIS : LE MAUVAIS CHOIX DES JUGES → LI R E P A G E 24 ▶ L’ancien ministre de l’intérieur, figure du RPR, est mort lundi 29 juin, à 88 ans DISPARITIONS → FN MARINE LE PEN, CANDIDATE DANS LA RÉGION NORD-PASDE-CALAIS-PICARDIE LIR E P. 1 6 - 1 7 → LIR E PAGE 7 RELIGION A Courbevoie (Hauts-de-Seine), le 17 juillet 2008. BRUNO LEVY POUR « LE MONDE » ÉCONOMIE UBERPOP CONTRE TAXIS, LA GUERRE FRATRICIDE par jean-baptiste jacquin U berPop contre chauffeurs de taxis tradi tionnels, ils habitent souvent les mêmes HLM en banlieue, sont issus de l’immigra tion récente et se disputent le même marché. L’éruption de la concurrence d’Uber a provoqué la colère des taxis, souvent « plombés » par le coût de la licence, et qui peinent à gagner plus de 1 200 euros par mois une fois payés l’ensemble de leurs frais, pour des horaires de travail considérables. Beau coup de chauffeurs UberPop se lancent dans les rues de la capitale pour une poignée d’heures par jour qui leur donnent un complément de revenu ou de re traite. Deux dirigeants d’Uber France ont été placés en garde à vue, lundi 30 juin, dans le cadre de l’en quête préliminaire sur les services mis en place par la compagnie américaine, notamment l’application UberPop, déclarée illégale par le gouvernement. Ils ont été déférés au parquet mardi matin et devaient se voir notifier une convocation pour être jugés ul térieurement. → LIR E L’ E NQU Ê T E PAGE 1 2 E T LE C A HIE R É CO PAGE 6 Les rockeurs et les stars de la pop inspirent Hollywood → LIR E PAGE 8 Unecomédiejubilatoire! télérama Splendide. Coupdecœur. studio ciné live Drôlefrance et touchant. info Une actrice en or. le figaro LE REGARD DE PLANTU À LYON, DES MOSQUÉES SOUS PRESSION SALAFISTE madame figaro Euphorisant. Passionnant. marie claire Unecomédielamboyante . l’express la croix Un feel-good movie lumineux. Les Inrocks Unepépitebrésilienne. Humouretémotion. lecanardenchaîné le jDD CINÉMA La vie des rockeurs et stars de la pop inspire le cinéma, surtout s’ils connurent des destins tragi ques, comme Brian Wilson, âme tourmentée des Beach Boys, au cœur du biopic Love & Mercy, qui sort en salles ce mercredi. Le scénariste Oren Moverman, qui avait déjà retracé les parcours chahutés de Bob Dylan (en 2007) et Kurt Cobain (en 2010), a travaillé avec le réalisateur Bill Pohlad sur ce film qui réussit à traduire le chaos intérieur de ce génie de la musique. → LIR E PAGE S 1 8 À 2 1 un film de AnnA muylAert actuellement Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 2 | international 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Faille sécuritaire entre la Tunisie et l’Europe La France tente, en vain jusqu’ici, de mettre en place avec Tunis un plan global de lutte contre les terroristes tunis - correspondant B ien avant les tragédies de la plage de Sousse, le 26 juin, et du Musée du Bardo, le 18 mars, en Tu nisie, la coopération en matière de sécurité entre ce pays et ses partenaires étrangers devait être une clé essentielle pour protéger cette jeune démocratie. Si Tunis a annoncé, lundi 29 juin, avoir procédé à des arrestations en lien avec le pire attentat de son histoire (38 morts), la question du défaut d’organisation et de moyens face à cette violence planait dans tous les esprits lors du déplacement, le même jour, sur les lieux, du ministre de l’intérieur français, Bernard Cazeneuve, avec ses homologues allemand et britannique. Pour couper court à la polémique, le gouvernement tunisien a annoncé qu’à partir de mercredi, un millier d’agents de sécurité supplémentaires seraient déployés autour des hôtels, des sites touristiques et sur les plages. Par ailleurs, selon un proche de M. Cazeneuve, ce dernier, après avoir témoigné de sa solidarité, a assuré les autorités tunisiennes que « courant juillet, des sessions de travail seraient organisées avec Tunis sur la sécurisation des frontières et la protection des sites sensibles ». En dépit de ces assurances ministérielles, le bilan humain très lourd de l’attaque sanglante de Sousse lève le voile sur un échec tunisien et international, celui de la coopération. Tout au long de l’année 2014, l’Union européenne – en réalité surtout la France –, les Emirats arabes unis et la Tunisie promettaient de parvenir à un accord triangulaire permettant d’arrimer solidement le jeune régime tunisien né de la révolution de 2011. La France fournissait des moyens et de la formation permettant, notamment, avec l’entreprise Thales, de « créer une frontière électronique » avec la Libye, les Emiriens finançaient et Tunis protégeait son territoire. Défiance Fin 2014, les Emirats arabes unis ont claqué la porte des discussions. « Ils ont considéré, rapporte un témoin des négociations, que les Tunisiens n’étaient pas fiables et manquaient de crédibilité. » Une défiance que les attentats du Bardo et de Sousse n’ont pas estompée. Un haut diplomate tunisien a confirmé, lundi, au Monde, que cette coopération trilatérale « n’a pas encore décollé ». Elle portait, dans un premier temps, sur la sécurisation des frontières du Patrouille de police, sur la plage de Sousse, le 28 juin. ABDELJALIL BOUNHAR/AP côté libyen et du côté algérien, dans les montagnes. Il existe, en effet, deux voies d’entrée pour les djihadistes sur le sol tunisien. Les monts Chaambi et Semmama dans le gouvernorat de Kasserine, proche de la frontière avec l’Algérie, abritent la base du groupe Okba Ibn-Nafaa, lié à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Cette frontière est plutôt « bien tenue » du côté algérien, selon les officiels tunisiens, notamment depuis l’attaque du Bardo qui a conduit au déploiement de forces de sécurité tunisiennes. En revanche, la grande inquiétude pour la stabilité de la Tunisie touche à l’autre frontière, à l’est, celle partagée avec la Libye. Et là, c’est le trou noir, car tout dépend des équilibres politico-militaires en Libye. L’Etat islamique s’est implanté dans certaines localités Faute de coopération suffisante avec l’Europe, Tunis a fini par se tourner vers les Etats-Unis libyennes à la faveur du chaos général. Les auteurs de l’attentat du Bardo ont été formés dans un camp en Libye. Et il existe de fortes présomptions pour que Seifeddine Rezgui, le tueur de Sousse, soit lui aussi lié à une connexion libyenne. Le même haut diplomate tunisien estime que « les besoins de la Tunisie dépassent largement le ca- dre d’une coopération bilatérale France-Tunisie, c’est pourquoi nous sollicitons tous nos amis au-delà de la France : Etats-Unis, Allemagne, Italie. Il faut juste coordonner, harmoniser, car il y a parfois des redondances ». Interrogé sur l’existence d’éventuelles lenteurs liées à « une susceptibilité tunisienne quant au respect de sa souveraineté », un diplomate français assure que « la Tunisie est un Etat souverain : ses attentes touchent à des sujets régaliens, il est donc logique qu’il y ait parfois des discussions ». Faute d’accord global, la coopération se réduit, à ce jour, à des liens bilatéraux, secteur par secteur. Le ministère de la défense français traite ainsi directement avec son homologue tunisien sur la cession de quatre hélicoptères Gazelle qui s’ajouteraient aux sept appareils déjà cédés par la Le dilemme d’une jeune démocratie F igureront-ils parmi les victimes collatérales du terrorisme djihadiste qui frappe depuis plusieurs mois la Tunisie ? Les acquis de la révolution de 2011 en matière de libertés publiques sont-ils menacés par le durcissement du climat sécuritaire ? Dans une Tunisie traumatisée par les attaques contre le Musée du Bardo le 18 mars (22 morts) puis contre la station balnéaire d’El-Kantaoui près de Sousse (38 morts) le 26 juin, la crispation autoritaire qui saisit autant la classe politique que l’opinion publique commence à susciter l’inquiétude des milieux de défense des droits de l’homme. Illustration de ce nouvel air du temps, la ministre du tourisme, Selma Elloumi Rekik, déclarait à l’hôtel Riu Imperial Marhaba d’ElKantaoui, quelques heures après le carnage revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) : « Des mesures dures vont être prises. Tout va changer maintenant. Il faut prendre très au sérieux les attaques contre l’Etat, les abus de langage, les excès. » Face au péril djihadiste, le gouvernement tunisien cherche laborieusement à affiner une réponse sécuritaire à la hauteur des enjeux. Outre les attaques de l’EI au Bardo ou à Sousse visant expressément les touristes étrangers, il doit faire face à des maquis djihadistes issus de la mouvance AlQaida au Maghreb islamique (AQMI) dans les monts Chaambi et Semmama, à proximité de la frontière algérienne, où une soixantaine de soldats ou policiers sont morts depuis 2011. Deux projets de loi Dans ce contexte, les partisans d’un durcissement de l’arsenal législatif afin d’élargir la marge de manœuvre des forces de sécurité ont le vent en poupe. Ils ont inspiré deux projets de loi dont l’Assemblée tunisienne doit prochai- nement se saisir. Le premier, connu sous l’appellation générale de « projet de loi antiterroriste », vise à remplacer un précédent texte adopté en 2003, sous le régime du dictateur déchu Zine El-Abidine Ben Ali. Les organisations des droits de l’homme contestent trois de ses dispositions : l’allongement de six à quinze jours de la durée de garde à vue de suspects sans comparution devant un juge ; mesures de surveillance, d’écoutes et d’infiltration de groupes suspects échappant à un contrôle effectif du juge ; et enfin, stipulation que les crimes de terrorisme sont passibles de la peine de mort. « Ce projet affaiblit les garanties judiciaires auxquels a droit tout suspect », déplore Mokhtar Trifi, président du bureau de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) en Tunisie. Un second projet de loi alarme également les milieux tunisiens attachés aux acquis de la révolution de 2011. Visant à « réprimer les attaques contre les forces armées », ce texte prévoit de lourdes sanctions contre tout « dénigrement » des forces de sécurité et la divulgation d’informations considérées comme des « secrets liés à la sûreté nationale ». « Ce texte accorde une protection exorbitante aux forces de l’ordre, dénonce M. Trifi. Il marque une dérive sécuritaire potentiellement liberticide. » M. Trifi s’inquiète notamment de « l’impunité » qu’il risque de conférer aux auteurs d’actes de torture. Une douzaine d’organisations des droits de l’homme présentes en Tunisie ont lancé une campagne commune contre ce projet de loi dont les dispositions sont, à leurs yeux, « incompatibles avec les standards internationaux des droits humains ». Après l’attaque de Sousse, la controverse promet de s’aigrir. p f. b. France. Mais cette nouvelle cession nécessite une remise en état des Gazelle et donc un financement qui n’est pas encore acquis. La France a donné des jumelles à vision nocturne, des gilets pareballes et des véhicules, mais ses moyens sont limités. Retards L’attentat du Bardo avait conduit la France à envoyer à Tunis une mission composée d’agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de la police antiterroriste et de magistrats œuvrant dans le même domaine. « On venait avec une vraie intention de travailler et d’apporter notre savoir-faire avec des moyens humains et techniques, raconte un membre de cette délégation. Malheureusement, cela a fait long feu, nos gars n’ont même pas pu accéder à la scène de crime. » Officiellement, Paris se félicite « d’une relation qualitative avec la Tunisie, notamment sur la formation ». La France a encadré la brigade d’élite de la garde nationale ainsi que la « modernisation des fichiers d’état civil » qui permettra à la Tunisie de mieux coopérer sur les retours de djihadistes de Syrie et d’Irak. Le ministère français de l’intérieur constate, enfin, que depuis l’attaque du Bardo, les échanges de renseignements avec Tunis se sont améliorés. « Les Tunisiens préfèrent travailler avec Interpol plutôt que directement avec des homologues policiers étrangers : ils se sentent davantage respectés en tant qu’Etat », dit-on, néanmoins, à Paris. Les Français ne sont pas les seuls à regretter les retards pris en matière de coopération. Les Allemands ont mené depuis un an une cinquantaine d’actions ponctuelles mais ne sont pas parvenus à globaliser cette aide. En revanche, l’Italie paraît entretenir des relations confiantes, même si elles sont limitées en termes logistiques. Face à l’incapacité européenne et tunisienne à structurer cette coopération et à la traduire LE CONTEXTE DÉMOCRATIE La révolution tunisienne débutée en décembre 2010 aboutit le 14 janvier 2011 au départ du président Zine El-Abidine Ben Ali, après vingt-trois ans au pouvoir. Les élections en octobre 2011 ont vu la victoire du parti islamiste Ennahda. Trois ans plus tard, c’est son rival Nidaa Tounès, anti-islamiste, qui s’impose dans les urnes. TERRORISME A partir de 2012, la mouvance salafiste organisée autour d’Ansar Al-Charia s’affirme dans la rue et les mosquées avant d’être réprimée. Certains de ces groupes rejoignent les maquis du mont Chaambi près de la frontière algérienne, liés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). A partir de 2015, l’Etat islamique menace la Tunisie à partir de la frontière libyenne. en termes de sécurité, Tunis a fini par se tourner vers les Etats-Unis. Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, s’est rendu, le 21 mai, à Washington. Au cours de son séjour, les Etats-Unis se sont engagés à nommer la Tunisie « un allié majeur non-membre de l’OTAN », un privilège. En février, avant le Bardo, le département d’Etat avait « doublé » l’assistance économique et « triplé » l’assistance en matière de sécurité d’ici à l’année budgétaire 2016. Par ailleurs, des rumeurs – jamais confirmées – font rituellement état d’une présence de forces spéciales américaines dans le Sud tunisien à la frontière avec la Libye, ou d’installations d’écoute. A Kasserine, les habitants parlent de drones américains, une affirmation toujours démentie. p frédéric bobin et jacques follorou (à paris) international | 3 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Erdogan songe à envoyer l’armée en Syrie La Turquie entend lutter contre l’EI pour mieux contrer les Kurdes istanbul - correspondante R éuni à Ankara, lundi 29 juin, le Conseil national de sécurité (MGK) a examiné « en détail » les menaces potentielles et « les mesures de sécurité qui s’imposent le long de la frontière » turco-syrienne, selon un communiqué de la présidence. Cette annonce n’a fait que renforcer les spéculations de la presse locale sur une intervention militaire turque dans le nord de la Syrie. La réunion intervient quelques jours après le cri d’alarme lancé par le président Recep Tayyip Erdogan à propos de la formation éventuelle d’un Etat kurde en Syrie. Alarmé par les gains territoriaux des forces kurdes sur le terrain, le chef de l’Etat a rappelé vendredi 26 juin que son pays « ne permettrait jamais la formation d’un Etat » sur sa frontière sud, une allusion à la création redoutée d’une région autonome kurde au nord de la Syrie. « Nous sommes prêts à toutes les options en cas de menace à notre sécurité », a renchéri le premier ministre, Ahmet Davutoglu, dimanche 28 juin. Détaillées par la presse turque, les mesures envisagées par Ankara consisteraient à déployer 18 000 soldats sur une bande de terre de 100 kilomètres de long sur 30 kilomètres de large, actuellement tenue par les djiha- distes de l’Etat islamique (EI), l’Armée syrienne libre ou d’autres groupes rebelles entre les villes de Kobané et de Marea. La « ligne Marea », comme écrit la presse, devrait permettre à l’armée turque de réaliser la « zone de sécurité » réclamée, en vain, par Recep Tayyip Erdogan depuis le début de la guerre en Syrie en 2011. Selon la presse turque, le président Erdogan et son premier ministre chercheraient à « faire d’une pierre deux coups », débarrassant la zone de la présence de l’EI dans ses derniers bastions le long de la frontière tout en empêchant les forces kurdes syriennes de faire la jonction entre les cantons de Kobané (reprise aux djihadistes en janvier 2015) et d’Afrin (au nordouest d’Alep). Lundi, l’agence de presse Dogan a diffusé une vidéo montrant des djihadistes en train de poser des mines et de creuser des tranchées aux abords de la ville de Djarabulus, au nez et à la barbe des soldats turcs postés de l’autre côté de la frontière. Impératif de prudence De cette façon, les Turcs éclaircissent leur position dans le conflit syrien. En octobre 2014, le président avait soulevé une vague d’indignation chez les Kurdes en déclarant que la ville de Kobané, encerclée par l’EI, « était sur le point de tomber » entre les mains des hommes en noir, un dénouement A la frontière avec la Syrie, un soldat turc regarde la fumée des combats s’élever de Kobané, le 27 juin. BULENT KILIC/AFP présenté comme inéluctable sans qu’il soit envisagé de le contrer. Cette déclaration avait sonné le début d’une vague de protestations sans précédent chez les Kurdes de Turquie, causant la mort d’une cinquantaine de manifestants à l’automne 2014. Aujourd’hui, M. Erdogan veut à tout prix empêcher l’EI de gagner du terrain, une façon de redorer son blason auprès des forces de la coalition. Membre de l’OTAN, la Turquie avait jusqu’ici rechigné à prendre une part active dans la lutte contre le « califat » autoproclamé par l’imam Abou Bakr AlBagdadi, voici un an, laissant passer armes et combattants étrangers à travers les 800 kilomètres de frontière qu’elle partage avec la Syrie. Soupçonnés par les Kurdes de complicité active avec l’EI, les officiels turcs mettaient en avant TURQUIE Afrin Tal Abyad Alep Mer Méd. Kobané Marea SYRIE LIBAN Damas IRAK 100 km l’impératif de prudence, arguant du risque de représailles encourues par le pays, où les djihadistes disposeraient de plus de 3 000 « agents » dormants, selon une estimation récente des services secrets turcs (MIT). Avant tout, Ankara voit d’un très mauvais œil les récents gains territoriaux engrangés par les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG, le bras armé du Parti de l’union démocratique [PYD], affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, interdit en Turquie). En prenant Tal Abyad, un fief de l’EI à l’est de Kobané, les Kurdes syriens semblent en passe de concrétiser leur rêve d’une continuité territoriale entre les trois cantons kurdes de Syrie (Afrin, Kobané, Djézireh). Une fois l’armée turque installée à Marea, la jonction entre Kobané et Afrin sera impossible. Les Turcs n’ont qu’une crainte : voir se répéter le scénario irakien de formation d’une région autonome kurde, administrée de surcroît dans ce cas précis par un parti inféodé au PKK. D’autant que les combattants kurdes syriens, aidés dans leurs conquêtes territoriales par les frappes de l’aviation américaine, ont acquis une certaine légitimité auprès de la coalition anti-EI. Le chef du parti kurde syrien PYD, Saleh Muslim, a eu beau chercher à rassurer Ankara sur ses intentions, rien n’y a fait, tant l’imaginaire turc vit dans la hantise de la création d’un Kurdistan susceptible d’englober les régions kurdophones de Turquie. A l’évidence, l’armée turque n’est pas très chaude pour entrer en Syrie. Le chef d’état-major, Necdet Özel, a dit qu’il souhaitait attendre la formation du gouvernement de coalition issu des élections du 7 juin. « Entrer, c’est facile, mais comment en sortir ? Tout d’abord, il faut préparer le terrain diplomatique, sans cela, le pays sera en difficulté », soulignait l’ancien chef d’état-major Ilker Basbug dans une interview au journal nationaliste Sozcu. p marie jégo Le procureur général égyptien tué dans un attentat au Caire Le magistrat, artisan de la répression contre les Frères musulmans, était une cible prioritaire des mouvements islamistes L e deuxième anniversaire de la révolution du 30 juin 2013, qui a précipité la destitution du président islamiste Mohamed Morsi par l’armée, devait être un jour de célébrations en Egypte. Cette journée sera marquée par le deuil, après l’assassinat du procureur général Hicham Barakat, 65 ans, mort des suites de ses blessures après l’attentat qui a visé son convoi devant l’Académie militaire du quartier d’Héliopolis, dans l’est du Caire, lundi 29 juin. Huit personnes ont été blessées dans l’explosion d’une charge actionnée à distance. La sophistication du mode opératoire oriente les soupçons en direction d’Ansar Bait Al-Maqdis (« les Partisans de Jérusalem »), un groupe djihadiste basé dans le Sinaï qui s’est rebaptisé « Province du Sinaï » après son allégeance à l’Etat islamique (EI), en novembre 2014. Depuis l’été 2013, l’organisation a revendiqué les attaques qui ont coûté la vie à des centaines de policiers et de soldats, essentiellement dans la péninsule désertique. Elle est aussi à l’origine d’une tentative d’assassinat contre l’ancien ministre de l’intérieur, Mohamed Ibrahim, en septembre 2013 au Caire, selon un mode opératoire similaire à l’attentat de lundi. Paris et Washington ont condamné cet acte terroriste, qui constitue un nouveau revers pour Abdel Fattah Al-Sissi. Elu président en 2014 sur la promesse de lutter contre le terrorisme, M. Sissi n’a pas réussi à juguler la menace posée par l’EI et par une myriade de nouveaux groupuscules armés qui ont multiplié, au nom de la « résistance populaire », des attaques de plus faible ampleur contre des cibles étatiques, jusque dans le delta du Nil et au Caire. Pour les détracteurs du nouveau pouvoir égyptien, cette escalade dans la violence traduit l’échec de la politique du tout-répressif menée, depuis l’été 2013, contre les islamistes, mais aussi contre l’opposition de gauche et laïque. Ils alertent sur la radicalisation d’une frange islamiste en réaction à la répression féroce engagée contre la confrérie des Frères musulmans, classée organisation terroriste en décembre 2013. La tentation éradicatrice des autorités égyptiennes a conduit, en deux ans, à « plus de 41 000 personnes arrêtées, inculpées de crimes ou condamnées après des procès injustes », selon Amnesty International. « Liquidation de juges » En s’attaquant au procureur général, les auteurs de cet attentat ont visé un personnage-clé du dispositif répressif. Opposant acharné des islamistes, nommé procureur général en juillet 2013 après la destitution du président Morsi, Hicham Barakat a déféré en justice les responsables de la confrérie des Frères musulmans ainsi que des milliers de ses sympathisants, dont des centaines ont été condamnés à mort lors de procès de masse expéditifs. Les juges égyptiens ayant présidé à ces procès ont été désignés comme une cible prioritaire de la « Province du Sinaï » après la pendaison, le 21 mai, de six hommes reconnus coupables d’avoir mené des attaques en son nom. L’orga- nisation a déjà revendiqué l’assassinat de deux juges et d’un procureur à Al-Arich, dans la péninsule du Sinaï, le 16 mai, jour de la condamnation à mort de M. Morsi et d’une centaine de responsables des Frères musulmans pour des évasions de prison et des violences durant la révolte popu- laire de 2011 ayant renversé Hosni Moubarak. Dans une vidéo diffusée dimanche 28 juin, sous le titre « Liquidation de juges », elle a réitéré ses menaces contre « la junte d’oppresseurs (…) qui ont acquitté les criminels et les corrompus et jugé d’innocents musulmans ». Les forces de sécurité égyptien- nes ont été placées en niveau d’alerte maximale. L’assassinat du procureur général, remplacé par son adjoint, Zakaria Abd El-Aziz Osman, alimente les craintes d’une extension de la menace terroriste à l’ensemble du territoire. Le 10 juin, la tentative déjouée d’attentat contre le site touristique de Louxor, dans le sud du pays, a réveillé le spectre des années noires du terrorisme islamiste en Egypte qui avait vu, dès les années 1980, une vague d’attentats aveugles contre l’appareil politique et sécuritaire, la minorité chrétienne et l’industrie touristique du pays. p hélène sallon 4 | international 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 L’espionnage économique, priorité de la NSA L’agence américaine a étroitement surveillé plusieurs ministres français de l’économie L a lutte contre le terrorisme, priorité de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) et de ses alliés ? Pas vraiment, à en croire la nouvelle série de documents publiés lundi 29 juin par WikiLeaks, en collaboration avec Mediapart et Libération. Après avoir mis en ligne, la semaine dernière, des comptes-rendus de surveillance visant les communications des présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, les nouveaux documents publiés par WikiLeaks montrent que les communications d’au moins deux ministres de l’économie – Pierre Moscovici et François Baroin – ont été surveillées par l’agence de renseignement américaine. Dans ces notes internes, classées pour la plupart no foreign (« à ne pas partager à l’étranger »), la NSA montre une connaissance très précise du contenu d’une conversation de Pierre Moscovici avec le sénateur PS Martial Bourquin. Ce dernier met en garde M. Moscovici contre une montée du Front national en cas de suppression de l’allocation équivalent-retraite, un dispositif en faveur des chômeurs proches de l’âge légal de la retraite. Le degré de détail laisse peu de doute sur le fait que la conversation a été écoutée par la NSA. Un autre document résume les positions que s’apprête à prendre François Baroin juste avant un sommet du G7 et un sommet du G20, en 2012. L’origine des in- formations semble moins claire, et pourrait provenir aussi bien d’écoutes que de l’interception d’un document interne de Bercy. D’autres documents font un point sur la position française en matière de libre-échange, et notent que les critiques formulées par Nicolas Sarkozy contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2008 « ne sont pas partagées par son gouvernement ». Nouvelles révélations Un seul document publié le 29 juin qui avait été partagé par la NSA avec ses partenaires de l’alliance dite Five Eyes (Etats-Unis, Canada, Australie, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande) concerne une information sur Jean-David Levitte, l’ex-ambassadeur de France à Washington. En 2008, un rapport pointant le rôle d’entreprises françaises dans le scandale « Pétrole contre nourriture », une vaste affaire de détournement d’argent dans le cadre d’un plan d’aide à l’Irak assorti de contreparties, avait été publié. Une note de la NSA informe que le rapport a été qualifié de « scandaleux » par l’ambassadeur, « parce qu’il ne cite aucune entreprise américaine ». « L’ambassadeur affirme que la plupart des entreprises françaises impliquées étaient des filiales d’entreprises américaines (…) ; il prévoit de publier, avec l’accord du ministère des affaires étrangères, la liste de ces entreprises. » Ces nouvelles révélations battent un peu plus en brèche la ligne TC HAD Onze morts dans une opération de police contre Boko Haram Onze personnes, dont cinq policiers, ont été tuées, lundi 29 juin, au cours d’une opération de la police contre des islamistes de Boko Haram à N’Djamena, deux semaines après un double attentat sans précédent dans la capitale. Selon des sources officielles, l’opération a commencé dimanche soir avec l’arrestation du « cerveau » de Boko Haram au Tchad et au nord du Cameroun – un Nigérian, qui « se nomme Bana Fanaye, alias Mahamat Mustapha », a précisé le parquet. – (AFP.) Y ÉMEN Un attentat antichiite fait au moins 28 morts Au moins 28 personnes ont été tuées lors d’un attentat, dans la nuit du lundi 29 au mardi 30 juin, contre la résidence à Sanaa des frères Fayçal et Hamid Jayache, des dirigeants de la rébellion chiite houthiste, a annoncé une source médicale. – (AFP.) Mercredi 1er juillet à 20h30 Christian ECKERT Invité de Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA Avec : Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Olivier BOST Et sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay. www.lcpan.fr Pierre Moscovici et François Baroin, ici, le 17 mai 2012, à Bercy. CYRIL BITTON/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE » Les Etats-Unis obtiennent ainsi des informations susceptibles de leur conférer un avantage économique de défense de la NSA depuis le début des révélations, en juin 2013. Beaucoup de responsables américains se sont défendus de pratiquer l’espionnage économique, citant la sécurité nationale comme critère principal de la surveillance menée par les EtatsUnis. « Ce n’est pas un secret que les services collectent des informations sur des questions économiques et financières. Ce que nous ne faisons pas, comme nous l’avons dit à de multiples reprises, est d’utiliser nos capacités de surveillance de l’étranger pour voler des secrets commerciaux de compagnies étrangères au nom – ou pour leur donner des informations que nous collectons – d’entreprises américaines afin d’accroître leur compétitivité », expliquait James Clapper, le directeur du renseignement américain, après que des documents d’Edward Snowden ont révélé que la NSA avait espionné l’entreprise brésilienne Petrobras. Les documents publiés par WikiLeaks montrent qu’au contraire, les Etats-Unis n’hésitent pas à mobiliser leurs agences de renseignement, et leurs énormes moyens, pour collecter des informations stratégiques susceptibles de leur conférer un avantage économique – et parfois à partager ces informations avec leurs alliés. L’un de ces documents liste des cibles stratégiques pour l’agence de renseignement : y figurent des secteurs économiques aussi variés que les télécommunications, la santé et l’énergie. Par ailleurs, la posture morale adoptée par les Etats-Unis face à la Chine en matière d’espionnage économique est de plus en plus difficile à tenir. La presse américaine lève fréquemment le voile sur des cyberattaques téléguidées de Pékin contre des intérêts américains, notamment économiques. Des attaques que la Chine dément systématiquement et que Washington condamne en s’appliquant à présenter la Chine comme ne respectant pas les règles du commerce international. Des règles que les Etats-Unis semblent tout aussi disposés à ignorer. p martin untersinger et damien leloup LE CONTEXTE SNOWDEN, WIKILEAKS Les premières révélations sur les activités de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) ont été publiées en juin 2013 par le quotidien britannique The Guardian. Elles ont été rendues possibles grâce à un ex-consultant de la NSA, Edward Snowden, qui a extrait des milliers de documents confidentiels du cœur même d’un système mondial de surveillance. Grâce à une partie de ces pièces, Le Monde a pu révéler, à partir d’octobre 2013, les agissements de la NSA à l’encontre de la France. WikiLeaks, pour sa part, ne fait aucun lien entre ses documents de la NSA et les archives Snowden. La Cour suprême américaine maintient le principe des injections létales La question divise profondément les juges, qui se sont prononcés pour par 5 voix contre 4 san francisco - correspondante P ar cinq voix contre quatre, la Cour suprême des EtatsUnis a confirmé, lundi 29 juin, la constitutionnalité de la méthode d’exécution par injection létale. Les opposants à la peine de mort ont été déçus mais pas surpris : la Cour avait déjà approuvé l’injection létale en 2008. Ils espéraient néanmoins que les exécutions ratées et les méthodes opaques auxquelles les Etats ont recours pour préparer leur cocktail de drogues mortelles auraient fait évoluer les neuf « sages ». Au contraire. Les divisions de la Cour sont apparues plus vives que jamais sur un sujet auquel elle est régulièrement appelée à statuer, mais qu’elle avait essayé d’éviter depuis sept ans. Quatre juges ont lu leur opinion de leur fauteuil, procédure rare, plutôt que de se borner à la publier. L’ensemble de la décision compte 127 pages, soit nettement plus que celle qui a été rendue par les juges le 26 juin légalisant le mariage homosexuel. Saisis par quatre condamnés à mort de l’Etat de l’Oklahoma, l’Etat où l’exécution-calvaire du détenu Clayton Lockett avait duré quarante-cinq minutes en 2014, les juges ont estimé que les plaignants n’avaient pas apporté de manière convaincante la preuve que le midazolam, le sédatif employé, n’était pas suffisamment efficace pour empêcher la douleur. Celle-ci contrevient au 8e amendement de la Constitution, qui prohibe les traitements « cruels et inhabituels ». C’est en invoquant cet amendement que les détenus peuvent parvenir à faire remonter leur cause jusqu’à la juridiction suprême du pays. Le juge Samuel Alito, qui a rédigé l’opinion majoritaire, a rappelé que la Cour a déjà considéré à plusieurs reprises que « la peine de mort n’est pas en soi anticonstitutionnelle ». A propos de l’inefficacité du midazolam, il a expliqué qu’il revenait aux détenus et à leurs avocats « d’identifier une méthode d’exécution différente et disponible qui procure un risque moindre de souffrance ». La Cour, autrement dit, a reporté sur les détenus la responsabilité de trouver des produits qui font moins souffrir… « Mon corps est en feu » Les juges conservateurs ont estimé que les opposants à la peine de mort, en empêchant l’accès des détenus à des produits plus fiables, portaient en fait la responsabilité de la cruauté infligée aux détenus. Le juge Alito s’est plaint des « efforts pour rendre impossible aux Etats de se procurer Quatre juges ont lu leur opinion de leur fauteuil, procédure rare, plutôt que de se borner à la publier des médicaments qui pourraient être utilisés pour mener à bien la peine capitale avec peu, voire aucune souffrance ». Le juge Antonin Scalia a tonné, lui aussi, contre le mouvement abolitionniste dont l’unique souci est d’empêcher les Etats de se procurer les substances adéquates. Depuis 2010, les laboratoires européens refusent d’exporter du thiopental aux fins d’exécution. Le fabriquant Hospira a arrêté la production aux Etats-Unis en janvier 2011. Certains Etats ont maintenant recours à de petits laboratoires pharmaceutiques qu’ils refusent d’identifier. L’un des quatre détenus à l’origine de la plainte, Charles Warner, a été exécuté en janvier, lorsque la Cour a refusé d’examiner son recours. Ses derniers mots ont été « mon corps est en feu ». Malgré l’avis des experts qui ont témoi- gné de l’impossibilité d’assurer que le midazolam est suffisamment puissant pour garantir que le condamné ne souffre pas, la Cour a jugé que rien n’était prouvé. Dans son opinion minoritaire, la juge Sonia Sotomayor a exprimé l’horreur d’envisager l’injection des deux substances censées paralyser le cœur et les poumons du condamné si la première n’a pas agi. Ce serait « l’équivalent chimique d’être brûlé sur le bûcher », s’est-elle indignée. Comme Mme Sotomayor, le juge Stephen Breyer a estimé qu’un nouveau débat à la Cour suprême était nécessaire, qui verrait cette fois la constitutionnalité de la peine elle-même réexaminée. Le temps est venu de réexaminer le 8e amendement, a-t-il estimé, et de l’interpréter « au regard de l’évolution des standards de décence qui marque le progrès d’une société qui mûrit ». La même question a été posée par la juge Ruth Ginsburg : « Est-ce que la peine de mort elle-même est constitutionnelle ? » Ce à quoi le conservateur Antonin Scalia n’a pas manqué de rétorquer d’une pique à l’adresse de ceux qui ont voté pour le mariage homosexuel : « A la différence du mariage gay, la peine de mort est approuvée par la Constitution. » p corine lesnes planète | 5 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Une seconde de plus pour accorder les temps Le 30 juin sera prolongé d’une seconde pour compenser le ralentissement de la rotation de la Terre A Reste à savoir quand introduire une seconde intercalaire. L’opération ne peut pas se faire sur une base régulière, comme on ajoute tous les quatre ans une année bissextile au calendrier. Le ralentissement de la Terre variant de manière irrégulière et aléatoire, la solution consiste à le prévoir le plus fidèlement possible, à partir d’une multitude de paramètres géophysiques. C’est à l’IERS qu’il revient d’effectuer ces prédictions et d’en déduire l’écart présumé entre temps astronomique et temps atomique. Si l’écart attendu dépasse 0,9 seconde, l’IERS annonce alors l’ajout, sous un délai de six mois, d’une seconde intercalaire, insérée le 30 juin ou le 31 décembre. « Notre tâche consiste à remettre les pendules à l’heure », sourit Daniel Gambis. C’est ce qui va se passer mardi 30 juin à 23 h 59 min 59 s UTC (soit le 1er juillet à 1 h 59 min 59 s heure de Paris). Officiellement, cette dernière seconde avant minuit durera deux secondes, durant lesquelles l’UTC « attendra » un peu la Terre. u prochain top, il sera 23 heures 59 minutes et 60 secondes. » Voilà ce que pourrait annoncer l’horloge parlante, dans la nuit du 30 juin. C’est la date qui a été retenue par le Service international de la rotation terrestre et des systèmes de référence (IERS) pour glisser une « seconde intercalaire » dans les rouages huilés du temps. Pas de quoi rattraper du sommeil perdu, certes, mais cette seconde a son utilité : faire coïncider deux échelles de temps, celle basée sur la cadence immuable des horloges atomiques, et celle basée sur la rotation de la Terre, qui connaît quelques fluctuations. Utilisée 25 fois depuis 1972, cette petite astuce est cependant régulièrement remise en question par certains métrologues. Son sort doit d’ailleurs être décidé en novembre prochain à Genève, lors de l’assemblée de l’Union internationale des télécommunications. Pourquoi cette petite seconde suscite-t-elle pareil débat ? Il faut remonter à la seconde moitié du XXe siècle, lorsque fut redéfinie la seconde. Avant cette date, les métrologues mesuraient le temps grâce à des paramètres astronomiques. Un jour correspondait ainsi à la durée qui sépare deux passages du Soleil au-dessus du méridien de Greenwich à midi. Ainsi défini par le GMT (Greenwich Mean Time), chaque jour pouvait être divisé en 24 heures égales, puis en 1 440 minutes, et enfin en 86 400 secondes. 2 millisecondes par siècle Mais la donne change en 1955 avec l’arrivée sur le marché des horloges atomiques au césium, popularisées par les Britanniques Louis Essen et Jack Parry. Grossièrement résumé, le principe de ces instruments consiste à exciter des atomes de césium-133. Ce faisant, ces derniers émettent une radiation pérenne et mesurable, qui se répète très exactement 9 192 631 830 fois en une seconde astronomique. Avec un décalage d’une seconde tous les trois millions d’années, cette mesure du temps dit atomique (ou TAI) est infiniment plus précise que le temps astronomique. Le Bureau international de l’heure, alors chargé de l’établissement de l’heure universelle, l’adopta en 1967, faisant de la seconde atomique la référence du temps au sein du système international d’unités (SI). Près de 500 horloges atomiques réparties dans divers laboratoires contribuent depuis à sa détermination. Problème, ces instruments ont beau être de parfaits métronomes, la Terre, elle, ne tourne pas sur ellemême avec une précision aussi diabolique. « La rotation de la Terre a tendance à ralentir », explique Daniel Gambis, de l’IERS à ParisMeudon. En cause, divers phénomènes tels que les marées, les vents, les tremblements de terre, ou encore la répartition de l’eau. « Le réchauffement des océans entraîne une redistribution de l’eau des pôles vers l’équateur, ce qui modifie l’énergie cinétique de la Terre et contribue à son ralentissement », mentionne Michel Grenon, de l’Observatoire de Genève. En levant le pied, la Terre nous offre donc des jours plus longs. Pas de beaucoup : à peine 2 millisecondes par siècle. Cela suffit néanmoins à désynchroniser les deux échelles de temps. C’est pour y remédier qu’est née l’idée d’une seconde intercalaire en 1972. En suspendant un peu le temps atomique, on comble le retard pris par la Terre, et le tour est joué. C’est ce qu’on appelle le temps UTC (pour Temps universel coordonné, la base du temps civil international), correspondant au TAI ajusté en fonction de ce décalage. Ordinateurs perturbés Certains voudraient en finir avec ce système. Et tant pis si d’ici mille ans le Soleil pourrait être au zénith non plus à midi, mais à treize heures. Mais pourquoi vouloir découpler nos horloges des cycles naturels ? Les partisans de l’abolition invoquent des difficultés grandissantes vis-à-vis des systèmes informatiques. « Synchroniser les milliers de serveurs qui indiquent le temps au monde entier est une manipulation humaine qui comporte des risques », estime Felicitas Arias, directrice du département du temps au Bureau international des poids et mesures (Paris). C’est surtout le caractère irrégulier de la manipulation qui perturbe les ordinateurs. « Les systèmes informatiques ne sont pas conçus pour les secondes intercalaires. Pour éviter les plantages, nombre d’entre eux doivent être arrêtés », explique Mme Arias. Le monde de la Bourse, avec ses transactions à haute fréquence effectuées par des machines (des milliers d’ordres sont passés chaque Certains voudraient en finir avec ce système. Tant pis si, d’ici mille ans, le Soleil pourrait être au zénith à treize heures seconde), ou celui des télécommunications redoutent d’être affectés par une panne des serveurs de temps. De quoi rappeler de mauvais souvenirs à la compagnie aérienne australienne Qantas. Le 30 juin 2012, lors de la précédente seconde intercalaire, celle-ci a vu s’effondrer son système de réservation en ligne Amadeus, retardant quelque 400 vols durant plusieurs heures. Mais de tels exemples demeurent rares. Les astronomes, eux, sont d’un tout autre avis. « Ce serait faire fi de notre lien avec le milieu naturel. Nos vies sont calquées sur le temps solaire, il n’y a aucune raison d’abandonner la seconde intercalaire », s’agace Michel Grenon. « La seconde intercalaire est le meilleur compromis. C’est la technologie qui doit être au service de l’être humain, et pas l’inverse », lance Daniel Gambis, qui voit dans cette offensive l’œuvre des milieux militaires et financiers. Il n’empêche : « Le système actuel n’est pas adapté », assène Felicitas Arias, qui ira plaider sa cause à Genève en novembre. Un rassemblement auquel Daniel Gambis n’a pas été invité. « Le débat a de toute façon quitté le versant scientifique pour un aspect politique », regrette le cadre de l’IERS. « Chacun veut désormais lancer sa propre échelle de temps, reconnaît Felicitas Arias, malgré les conséquences catastrophiques que cela pourrait avoir. Les unités doivent être discutées lors d’un débat scientifique et technique, et pas politique ou culturel. » D’ici là, la seconde intercalaire est en sursis. p fabien goubet (« le temps ») Une canicule « précoce » s’installe en France Pour éviter l’hécatombe de 2003, le gouvernement appelle à la mobilisation générale S i vous souhaitez connaître les principales recommandations à suivre en cas de fortes chaleurs : pour les personnes âgées, tapez 1 ; pour les enfants et les adultes, tapez 2… » Tel est le message, accessible du lundi au samedi, de 8 heures à 20 heures, sur la plate-forme téléphonique d’information « canicule » (au 0800 06 66 66) activée par la ministre de la santé, Marisol Touraine, mardi 30 juin. La France, mais aussi une bonne partie de l’Europe de l’Ouest, va affronter sous l’effet d’une remontée d’air chaud du Sahara un épisode de canicule « précoce et durable ». Vingt-six départements du Sud-Ouest, du Centre, de l’Ilede-France et du Centre-Est ont été placés en vigilance orange. Des températures maximales qui devraient dépasser les 35 0C : 40 0C sont attendus dans le Sud-Ouest, Paris connaîtra des températures atteignant les 38 0C et Lyon, les 37 0C. Les températures minimales se situeront entre 19 0C et 23 0C, ne permettant pas à l’organisme de se reposer. « Ces températures persisteront au moins jusqu’à la fin de la semaine », précise Météo France. Il s’agit bien d’une période de canicule, définie par des tem- pératures très élevées observées pendant au moins trois jours consécutifs de jour comme de nuit. Ces fortes chaleurs ne sont pas exceptionnelles, mais elles surviennent généralement plutôt entre la mi-juillet et la mi-août, une période où les masses d’air sont plus chaudes sur l’Afrique du Nord et où les dépressions sont faibles. En été, c’est la position de l’anticyclone dit des Açores qui détermine le type de temps qu’il fait sur la France. Quand il est positionné sur les Açores, expliquent les météorologues, les dépressions circulent plus librement sur l’Europe. Mais s’il remonte et s’installe sur le nord et En 2003, la sécheresse liée à la canicule avait entraîné de nombreux incendies en France, en Espagne et au Portugal l’est de l’Europe, les hautes pressions bloquent le passage des perturbations atlantiques, entraînant de fortes températures, favorisées par les vents d’est et du sud. Ce scénario s’était produit au mois d’août 2003, entraînant une canicule meurtrière : 70 000 morts en Europe dont près de 15 000 en France, 8 000 en Italie, 7 000 en Allemagne… Il avait fait alors plus de 44 0C à Conqueyrac (Gard), 40 0C à Bordeaux et 39 0C à Paris. Cesser toute activité L’exposition à de fortes chaleurs, sur une longue période, ne permet plus à l’organisme de réguler sa température grâce à la transpiration. Les personnes les plus vulnérables, personnes âgées, nourrissons, personnes atteintes de maladies chroniques, etc., peuvent alors être victimes d’un coup de chaleur fatal, dues notamment à la déshydratation. Les personnes en bonne santé, en particulier celles qui travaillent à l’extérieur et sont exposées à la chaleur ou les sportifs ne sont pas non plus à l’abri. Il faut surveiller les symptômes tels que les crampes musculaires au niveau des bras ou des jambes, les étourdissements si- gnes d’épuisement et les insomnies inhabituelles. Ces signes impliquent de cesser toute activité, de se rafraîchir, boire de l’eau ou des jus de fruit. Pour éviter de revivre l’hécatombe de 2013 et l’état d’impréparation du système sanitaire, la mobilisation est générale. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a déclenché les « mesures d’accompagnement » prévues en cas de canicule : contact téléphonique avec les personnes vulnérables, salles rafraîchies dans les établissements publics… Dans l’Aveyron, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a lancé la mobilisation avec le préfet : pompiers, SAMU, services de santé, maisons de retraite, services sociaux, associations sont sollicités. Au-delà de cet épisode, un autre danger guette. En 2003, la sécheresse liée à la canicule avait entraîné de nombreux incendies en France, en Espagne et au Portugal. Dans ce dernier pays, 40 % des forêts avaient alors brûlé. Au niveau de la planète, l’année 2015 pourrait être la plus chaude depuis le début des relevés de température en 1880, selon l’Agence américaine océanique et atmosphérique. p rémi barroux Du 24 juin au 4 août PRIX SACRIFIÉS MATELAS - SOMMIERS ixes ou relevables - toutes dimensions TRECA - TEMPUR - DUNLOPILLO - EPEDA - SIMMONS - STEINER - BULTEX... 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Avec un objectif : se constituer un trésor de guerre pour financer cette épreuve dont l’issue est prévue en novembre 2016. « On ne gagne pas une élection grâce à l’argent mais il faut au moins avoir 500 000 euros pour jouer dans la cour des grands », observe un habitué des campagnes électorales. Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire l’ont bien compris. Tous ont intégré qu’ils ne devaient compter que sur euxmêmes. Le parti présidé par Nicolas Sarkozy, endetté à hauteur de 70 millions, n’a pas prévu de leur allouer le moindre euro. « Il n’y a pas d’argent, donc le parti ne donnera rien », a annoncé l’ex-chef de l’Etat, le 7 avril. Chaque postulant à l’Elysée a donc créé son microparti pour disposer de sa propre association de financement. Cadres expatriés Alain Juppé, qui a lancé « AJ pour la France », s’active depuis plusieurs semaines. Le 4 juillet, il convie ses petits donateurs à un barbecue à Suresnes (Hauts-de-Seine). Auparavant, il a investi un des terrains de chasse favori des candidats à la primaire : les hommes d’affaires et les cadres expatriés à l’étranger. Le 30 avril, il était à New York, où il a participé à un déjeuner privé avec une dizaine de soutiens, au restaurant Rainbow Room du Rockefeller Center à Manhattan. La veille, il était à Montréal. Le 20 mai, il se trouvait à Londres pour une mystérieuse intervention devant des entrepreneurs français. Lors de ces rencontres discrètes, des récoltes de fonds ont été organisées. Le maire de Bordeaux assume : « Je n’ai pas une fortune personnelle qui me permette de réunir quelques centaines de milliers d’euros pour mes déplacements ». M. Juppé tente ainsi de rattraper le retard pris sur ses concurrents. Quand il s’est lancé dans la course en août 2014, sa structure de financement n’était alors pas en place et il lui restait seulement 14 700 euros sur le compte de son ancien microparti, « France moderne ». « Nous avons fait un peu les choses à l’envers. Il faut rattraper le temps », observe Marie Guévenoux, première présidente des jeunes UMP et aujourd’hui chargée de la collecte des dons pour M. Juppé. Depuis, l’équipe chargée de lever les fonds s’est structurée. Mme Guévenoux est accompagnée par sept autres sympathisants, tous bénévoles comme elle. En six mois, ils ont amassé 600 000 euros auprès de 4 000 personnes. « Cela permet de faire fonctionner ma petite équipe », explique M. Juppé. A la fin de l’année, ils espèrent avoir atteint le million et visent le double en 2016. Bruno Le Maire et François Fillon ont les mêmes objectifs comptables. Ils ont beau avoir démarré leur collecte dès 2012, ils se situent à peu près au même niveau que M. Juppé : le premier a 500 000 euros dans les caisses « Avec BLM », le second avait 680 000 euros fin 2014 sur les comptes de son association Tous misent sur l’envoi massif de courriers, qui allient message politique et invitation à contribuer « Un donateur demande la même discrétion qu’un électeur » ALAIN MISSOFFE soutien de Bruno Le Maire « Force républicaine ». Eux aussi multiplient les déplacements à la rencontre des expatriés pour les encourager à sortir le carnet de chèques : après être allé à Bruxelles et à Genève, M. Le Maire se trouvait à Londres le 17 juin. M. Fillon y était le lendemain. La course aux financements fait rage entre les prétendants à l’Elysée car ils visent les mêmes personnes, capables de verser le maximum légal (7 500 euros par an). Cette compétition intense se joue aussi en grande partie en France, surtout auprès des milieux patronaux et des professions libérales. Pour convaincre les Français les plus fortunés de mettre la main à la poche, chaque candidat a son rabatteur, qui dispose d’un carnet d’adresses bien fourni. Bruno Le Maire s’appuie sur l’entrepreneur dans l’informatique médicale Alain Missoffe, descendant de la dynastie industrielle Wendel, qui organise régulièrement des rencontres entre le candidat et des petits groupes de patrons. Que ce soit au restaurant ou chez des particuliers. Toujours de manière confidentielle. « Un donateur demande la même discrétion qu’un électeur glissant son bulletin dans l’isoloir », résume M. Missoffe. Aux côtés de M. Fillon, Pierre Danon, ex-patron du groupe Numericable-Completel, joue l’intermédiaire avec les chefs d’entreprises. M. Juppé, lui, peut notamment compter sur le réseau de Virginie Calmels, ancienne patronne d’Endemol, devenue son adjointe à la mairie de Bordeaux. Lors des réunions secrètes avec les grands donateurs, chaque candidat parle avant tout de son projet et de l’actualité, sans forcément demander un subside. Question de pudeur. L’équipe de récolte des dons passe ensuite. « Avant qu’ils ne versent de l’argent, il faut les convaincre sur le fond », explique M. Danon. Chez M. Juppé, un mot de remerciement est d’abord envoyé après la réunion puis un mois plus tard, une enveloppe est adressée avec une proposition de financement de la campagne. « On se greffe par-dessus l’agenda politique mais nous n’organisons pas de dîner seulement pour récolter des fonds », affirme Mme Guévenoux. Tous misent aussi sur une bonne vieille méthode : l’envoi massif de courriers, qui allient message politique et invitation à contribuer. M. Le Maire a envoyé deux lettres à près de 10 000 personnes ces deux derniers mois. La première sur le thème du renouveau, la deuxième sur la réforme du collège. « Les appels aux dons par mails rapportent très peu. Une lettre, c’est plus concernant », explique son conseiller, Jérôme Grand d’Esnon. Fin juin, l’équipe de François Fillon a également expédié plus de 8 000 missives. « Cette fois, on explique en toute transparence avoir besoin de financement pour la campagne », confie Nathalie Etzenbach, ex-banquière et adjointe au maire de Neuillysur-Seine (Hauts-de-Seine), qui centralise la collecte de fonds pour le député de Paris. Dans les prochains mois, les équipes des candidats cherchent à diversifier les sources de revenus. L’initiative la plus surprenante vient de l’austère Alain Juppé : une boutique d’accessoires siglés à son nom sera ouverte en ligne à l’automne. p matthieu goar et alexandre lemarié Alain Juppé, au siège des Nations unies, à New York, le 29 avril. ANTHONY BEHAR/ SIPANY/SIPA En attendant, les amis de Sarkozy thésaurisent… A lors que ses rivaux travaillent déjà au financement de leur future campagne, Nicolas Sarkozy, lui, se retrouve dans une situation particulière. Le président du parti Les Républicains n’est pas officiellement engagé dans une course à l’argent car il n’a pas encore déclaré sa candidature. Pour l’instant, il assure être surtout mobilisé à réduire la dette du parti. « On ne sollicite pas encore ouvertement des dons pour son éventuelle future campagne. On est plus sur la logique de continuer à entretenir le réseau de donateurs qu’il a fidélisés lors de ses précédentes campagnes et avec lesquels il a des relations régulières », explique son entourage. Cela n’empêche pas l’ancien chef de l’Etat d’amasser tout de même de l’argent dans l’optique de sa future campagne. Depuis son retour, il a réactivé son microparti, l’Association de soutien à l’action de Nicolas Sarkozy (Asans), pour mettre de côté les dons récoltés et financer sa campagne pour la présidence de l’UMP, à l’automne 2014. Créée en 2000, cette association a pour président Brice Hortefeux et pour trésorier Michel Gaudin, le directeur de cabinet de M. Sarkozy, rue de Miromesnil. Elle disposait de 244 000 euros fin 2013, affirme au Monde la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP). Aujourd’hui, ses réserves s’élèveraient à un peu plus de 200 000 euros. « Les dons reçus depuis un an ont à peu près équilibré les frais de la campagne pour la présidence de l’UMP », explique M. Gaudin. Lequel juge que la double casquette de M. Sarkozy, à la fois président du parti et probable futur candidat, le dessert dans sa quête d’argent pour faire campagne. « On est moins bien placés que les autres car les gens donnent plutôt pour le parti que pour l’Asans », assure-t-il. Réactiver la « machine à cash » Les rivaux de l’ex-chef de l’Etat jugent au contraire que sa position lui apporte un avantage considérable, en lui permettant de faire campagne avec les moyens du parti, avant de se déclarer candidat à la dernière minute, en septembre 2016. Soit deux mois avant le vote pour la primaire. L’entourage de M. Sarkozy récuse les accusations de conflits d’intérêts : « Comme nous recevons à la fois des dons pour le parti et d’autres pour l’Asans, nous sommes très soucieux de faire la distinction entre les deux. » Pas question de donner l’impression que des transferts pourraient avoir lieu entre ces deux comptes, après la révélation d’un système présumé de fausses factures et de double comptabilité dans l’affaire Bygmalion. Outre des « petites » sommes de particuliers, M. Sarkozy reçoit également des contributions plus importantes venues du « premier cercle », le club des donateurs les plus généreux du parti. Depuis son retour, il s’affaire à réactiver cette « machine à cash » créée en 2004, qui rassemble les personnes prêtes à verser 7 500 euros, la somme maximale autorisée. Le 4 mai, il a par exemple reçu une cinquantaine d’entre eux au siège du parti pour les encourager à mettre la main à la poche. Une manière de préparer l’avenir. p m. gr et al. le france | 7 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Marine Le Pen sur tous les tableaux La présidente du Front national conduira la liste de son parti aux régionales en Nord - Pas-de-Calais - Picardie arras - envoyé spécial U n déplacement de Marine Le Pen sur un marché suscite bien souvent un engouement peu commun, surtout en cette période de défiance envers la classe politique : « selfies », compliments, bousculades pour venir toucher la présidente du Front national comme si elle était une star de la chanson… Dans le Nord - Pas-de-Calais, ce phénomène est amplifié. Quand elle se rend à Hénin-Beaumont (Pas-deCalais), le fief où elle est implantée depuis huit ans, Mme Le Pen n’en finit plus de serrer les mains et d’embrasser les joues qu’on lui tend. C’est dire si la candidature qu’elle a annoncée, mardi 30 juin à Arras, comme tête de liste du FN pour les élections régionales de décembre en Nord - Pas-de-Calais – Picardie, la grande région issue de la nouvelle carte des territoires promulguée en janvier, était attendue. Pour la présidente du Front national, l’enjeu est de taille. La députée européenne sait qu’une défaite dans cette bataille risque de l’affaiblir à la veille de partir à la conquête de l’Elysée en 2017, son véritable objectif. Elle sait aussi qu’une éventuelle victoire serait difficile à gérer, compte tenu de la fusion des deux régions, qui s’annonce comme un véritable calvaire administratif, et de la proximité dans le temps avec la présidentielle, une fois encore. Mais cette région est aussi la plus à La présidente du FN va affronter les critiques sur le télescopage de ses deux ambitions, présidentielle et régionale même de tomber dans l’escarcelle du Front national. Aux élections européennes de 2014, puis aux élections départementales de 2015, le parti d’extrême droite a largement surclassé ses adversaires en Nord Pas-de-Calais et en Picardie. Avec 34,2 % des voix, puis 36,2 %, il a devancé Les Républicains de plus de dix points (24 % aux européennes et 25,8 % aux départementales) et le Parti socialiste de plus de quinze points (18,03 % et 23,5 %). Enfin, un sondage OpinionWay pour LCI et Le Figaro, publié mardi 30 juin, donne Mme Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour, avec 33 % des suffrages, contre 26 % pour Xavier Bertrand, candidat Les Républicains, et 23 % pour Pierre de Saintignon, candidat PS. Dès lors, pourquoi se priver de sa meilleure locomotive ? La présidente du FN va devoir affronter les critiques de ses adversaires sur le télescopage de ses différentes ambitions, régionale et présidentielle. Selon son entourage, la riposte est déjà prête. « Si elle est élue, elle pourrait se mettre en retrait de sa fonction pour pouvoir mener les derniers mois de la campagne présidentielle, sans doute à partir de janvier 2017 », explique un de ses proches. Marine Le Pen pourrait désigner au cours de la campagne régionale le nom de la personne qui lui succéderait à la tête de l’exécutif le temps de sa course à l’Elysée. Et son entourage de reprendre un des arguments les plus classiques des cumulards en campagne pour l’échelon supérieur : « Si elle gagne la présidentielle, elle en fera profiter les habitants de la région. Tout le monde comprend qu’elle a un destin présidentiel. Ses adversaires vont utiliser cet angle d’attaque, mais pendant ce temps-là, elle parlera de concret. » Cette candidature représente en tout cas un nouvel épisode de l’ancrage de Mme Le Pen dans la région, qui date de près de vingt ans. Avant de prendre pied à HéninBeaumont, la fille de Jean-Marie Lors du lancement de la campagne du FN aux régionales en Normandie, à Vieux-Fumé (Calvados), le 21 juin. OLIVIER CORET Le Pen s’était déjà présentée une première fois aux élections régionales dans le Nord - Pas-de-Calais, en 1998. A l’époque, elle émargeait sur les listes du Nord, et avait été élue. En 2002, aux législatives, elle traverse la frontière départementale et se présente à Lens. Mais c’est surtout à compter de 2007 que la cadette des filles Le Pen s’impose dans la région. Parler « social » Cette année-là, à la suite du revers cuisant essuyé par son père lors de l’élection présidentielle, Marine Le Pen est la seule candidate du FN à se qualifier pour le second tour des élections législatives. Le binôme qu’elle forme avec son sup- pléant Steeve Briois ne l’emporte pas, mais la défaite est alors considérée comme un événement fondateur. Pour elle, c’est même « un signal de la direction que le FN doit prendre à l’avenir. (…) Loin de vouloir se positionner sur l’échiquier politique, le Front doit rester un parti ni droite-ni gauche capable de rassembler ». Pour la future présidente du Front, une partie de sa ligne politique, en gestation depuis quelques années, se forge définitivement. « Le FN est un parti national, populaire et social. Il a vocation à attirer les électeurs déçus par le PS et le PC, qui s’occupent davantage des sans-papiers que de la défense des travailleurs », théorise à l’époque Mme Le Pen. Après la mort de Charles Pasqua, François Hollande salue « la mémoire d’un gaulliste » L’ancien ministre, décédé lundi, « incarnait une certaine idée de la France », selon M. Valls U n politique ne reçoit jamais, fût-ce de ses « camarades », d’hommages aussi nombreux et vibrants que lorsqu’il disparaît. Décédé lundi 29 juin, à l’âge de 88 ans, même Charles Pasqua n’a pas échappé à cette loi du genre. Lui qui n’avait pas lésiné sur les moyens – ni les mots – pour défendre son camp, ses convictions et ses intérêts, se trouve aujourd’hui affublé d’une étrange auréole. Reflet de la nostalgie d’une époque révolue, dont il fut l’un des personnages marquants, mais aussi, dans une moindre mesure, d’un climat et d’une actualité qui font écho au souvenir de la voix rocailleuse de l’ancien ministre de l’intérieur. Le Parti socialiste, qui avait tant combattu les « lois Pasqua » lors de ses passages place Beauvau (1986-1988 et 1993-1995), s’est montré pour le moins discret à ce sujet. Le président de la République, François Hollande, a salué « la mémoire d’un gaulliste » qui, « dans des conditions difficiles et éprouvantes », « a animé de toute sa personnalité la vie politique française ». « Jeune résistant, gaulliste, ministre, voix originale et parfois controversée, Charles Pasqua incarnait une certaine idée de la France », a réagi le premier ministre, Manuel Valls, sur son compte Twitter. « Gaulliste et bon vivant, admirateur de François Mitterrand et souverainiste, [il] était l’image d’une droite historique inséparable de l’histoire politique de notre pays », a souligné le président PS de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Hommage unanime à droite Au PS, l’un des rares qui ait explicitement évoqué les batailles des années 1980 et 1990 est l’ancien député PS frondeur Jérôme Guedj, dans un tweet ainsi rédigé : « En forme d’hommage, se souvenir que nous l’avons politiquement combattu, ce qui a suscité bien des engagements dans ma génération. #Pasqua ». « On évoque le résistant, la lutte contre le terrorisme, la Françafrique, l’anti Maastricht. Et moi je pense à Malik Oussekine… », a commenté pour sa part la secrétaire nationale de EELV, Emmanuelle Cosse, faisant référence à la mort de ce jeune étudiant lors des manifestations à Paris en décembre 1986. À droite, où l’hommage est naturellement unanime, le combat souverainiste de Charles Pasqua est fortement souligné par ceux « En forme d’hommage, se souvenir que nous l’avons combattu, ce qui a suscité bien des engagements » JÉRÔME GUEDJ ancien député PS, sur Twitter qui portent ce flambeau, tandis qu’il est enfoui dans les éloges de ceux qui ne l’ont pas partagé. « Meneur du non en 1992 et en 2005 contre la dissolution de la France au sein d’une Union européenne chimérique et délétère, Charles Pasqua a inlassablement terrorisé la pensée unique », a souligné Nicolas Dupont-Aignan, député et président de Debout la France. « Nous avons aux côtés de Jacques Chirac, mené bien des combats ensemble. Puis nos routes ont divergé. Mais sa personnalité m’impressionnait », a commenté sur Twitter l’ancien premier ministre Alain Juppé (Les Républicains), qui fut un fervent partisan du « oui » lors des référendums précités. Dans un long communiqué publié lundi soir, l’ancien président Nicolas Sarkozy a estimé que « la France perd l’un de ses plus grands serviteurs ». « Il était l’incarnation d’une certaine idée de la politique et de la France, fait d’engagement, de courage et de convictions », a ajouté M. Sarkozy. « Charles, c’était une voix rocailleuse, un regard malicieux, une colère tendre pour la nation qu’il aimait. Aujourd’hui, sa mort me fend vraiment le cœur », a affirmé, paraphrasant Raimu, l’ancien premier ministre François Fillon (Les Républicains). Autre signe des temps, c’est le Front national qui s’est fait entendre le premier à l’annonce de la disparition de celui qui, lors de la campagne présidentielle de 1988, avait affirmé avoir des « valeurs communes » avec ce parti. Sur son compte Twitter, le numéro deux du parti, Florian Philippot, a salué « un grand patriote ». Pour une fois en accord avec lui, l’ancien président du FN Jean-Marie Le Pen a également affirmé que M. Pasqua était « un patriote ». « Nous avions des rapprochements et des points de divergence », a-t-il ajouté. p jean-baptiste de montvalon Cette candidature est le nouvel épisode d’un ancrage de près de vingt ans dans le Nord-Pasde-Calais Bien avant la dominante souverainiste impulsée par Florian Philippot, Marine Le Pen s’est laissé convaincre, aux côtés des Héninois Steeve Briois et Bruno Bilde, que la fermeté sur l’immigration et la sécurité ne suffisait pas à con- vaincre les électeurs, et qu’il fallait parler « social ». Pour l’avocate, élevée dans le confort du manoir de Montretout dans les Hauts-deSeine, le Nord - Pas-de-Calais fait office d’apprentissage accéléré de la réalité du terrain. « Parler avec ceux qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois, ni à boucler le début d’ailleurs, je ne l’avais pas vu avant, reconnaissait Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle de 2012. J’ai vécu à Saint-Cloud, la pauvreté comme ça, la souffrance comme ça, la précarité comme ça, non, je ne l’avais jamais vue. » Aujourd’hui, c’est un terreau sur lequel elle prospère. p olivier faye I MMI GRAT I ON AF FAI R ES Les contrôles à la frontière francoitalienne validés Jean-David Ciot rejugé en appel dans le « procès Guérini » Le Conseil d’Etat, saisi en référé, a validé, lundi 29 juin, les contrôles d’identité à la frontière franco-italienne. « La suppression du contrôle systématique aux frontières intérieures de l’espace Schengen n’empêche pas les autorités françaises d’effectuer des contrôles d’identité ou de titres », a estimé la haute juridiction. Jean-David Ciot, tête de liste PS dans les Bouches-duRhône aux régionales, comparaîtra aux côtés de JeanNoël Guérini, ancien président (ex-PS) du département, le 25 novembre, devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. En décembre 2014, les deux élus avaient été relaxés dans un dossier de détournement de fonds publics. 0123 Chronique d’une audience singulière par Pascale Robert-Diard sur des dessins de François Boucq Disponible en kiosques, en librairies et sur Lemonde.fr/boutique 8 | france 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Les mosquées de Lyon sous la pression du salafisme Les responsables musulmans et les autorités de l’Etat cherchent la parade face aux groupuscules radicaux mane, pacifique dans son énorme majorité, souffre des amalgames », dit Abdelkader Bendidi. Le président du CRCM Rhône-Alpes avance une autre solution, inédite : la mise sous tutelle des mosquées salafistes. « Je suis prêt à prendre cette responsabilité s’il le faut, le CRCM prendrait la gestion d’un lieu confronté à ce problème, pour éviter une fermeture préjudiciable aux fidèles qui n’ont rien à voir avec une minorité néfaste », avance M. Bendidi. lyon - correspondant L’ attentat de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), perpétré aux portes de Lyon vendredi 26 juin, a ravivé un sujet brûlant : comment endiguer l’inquiétante progression du courant salafiste dans les mosquées de la région lyonnaise ? La question a été abordée lors d’une réunion restreinte, qui s’est tenue lundi 29 juin à midi, dans le bureau de Michel Delpuech, préfet de région, qui a convié quatre responsables de la communauté musulmane régionale. « Nous devons affronter une entreprise souterraine de subversion qui cherche à atteindre notre modèle démocratique », justifie Michel Delpuech, pour qui « les responsables religieux sont des remparts et les promoteurs de la République ». La concertation entre représentants de l’Etat et responsables musulmans s’intensifie sous le feu de l’actualité. « Si on ne fait rien, on sera à la merci de ces groupuscules, il faut nous aider à les éradiquer », dit Abdelkader Bendidi, président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes. Selon lui, une dizaine de salles de prière sont désormais directement menacées, dans une métropole qui compte une soixantaine de lieux de culte. Le scénario est toujours le même. Un petit groupe de fidèles, souvent des jeunes gens, perturbe le culte, met en cause l’imam, exerce une pression et diffuse ses conceptions rétrogrades, propices aux dérives violentes. Radicalisation L’environnement salafiste a vraisemblablement joué un rôle déterminant dans la radicalisation de Yassin Salhi, 35 ans, auteur de l’attaque de l’usine de gaz industriel, qui a signé son crime en décapitant son patron, en référence explicite aux exécutions de l’Etat islamique. Ces influences semblent s’être jouées dans le Doubs, sa région natale. Les enquêteurs n’ont pas complètement élucidé ses re- Le préfet de la région, Michel Delpuech, envisage un renforcement du contrôle des salles de prière Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, condamne l’attentat en Isère, le 28 juin, à Villefontaine. ROMAIN LAFABREGUE/AFP lations dans la région lyonnaise, où il s’était établi avec femme et enfants à la fin de l’année 2014. Mais son profil suscite les plus vives inquiétudes au sein de la communauté musulmane lyonnaise. « L’horreur, la cruauté de ce qui s’est passé montre la montée en puissance d’une violence qui se sert de la religion comme prétexte, une mouvance radicale gagne du terrain, les mosquées de la région traversent des moments difficiles, il ne faut pas qu’elles tombent entre les mains de ces gens-là », estime Azzedine Gaci, recteur de la mosquée Othmane à Villeurbanne. « Ces gens profitent du vide, surveillent l’imam, provoquent le désordre, si une mosquée manque d’activité ou de présence, ils s’installent », dit Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon, pour qui les petites structures sont les plus fragiles. Depuis les attentats de janvier, les responsables musulmans ont conscience qu’il faut trouver la parade. A Lyon, ils avaient déjà innové, en portant plainte contre un fidèle radical qui perturbait selon eux la mosquée à Oullins, en invoquant un article de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui prévoit une contravention pour « violation de la liberté de culte par menaces, voies de fait ou violences ». Le fidèle avait été condamné à une amende par le tribunal de police. Faudra-t-il passer un cran supérieur et en en arriver à la fermeture de certaines mosquées ? Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a laissé ouverte la possibilité de « dissoudre » certaines mosquées, lundi 29 juin sur Europe 1, si « la totalité » de leurs membres s’inscrivaient dans une logique d’incitation au terrorisme. La question n’est plus taboue au sein des autorités de l’Etat. Michel Delpuech, préfet de la région Rhône-Alpes, fait savoir qu’au-delà de l’intensification du travail de renseignement policier, pour détecter des discours et des profils dangereux, il envisage un renforcement des contrôles des salles de prière, en tant qu’établis- sements recevant du public. Il s’agit officiellement de vérifier les normes de sécurité et les règles sanitaires des lieux publics.Sans le dire ouvertement, le préfet prépare le terrain juridique pour d’éventuelles fermetures liées à des problèmes de radicalisme religieux. Dans son précédent poste à Bordeaux, la préfet Delpuech a déjà expérimenté cette méthode. « Il faut tout faire pour ne pas en arriver là, la communauté musul- Nouveaux fidèles Symboliquement, les participants à la réunion du préfet ont émis l’idée d’afficher la déclaration universelle des droits de l’homme dans l’entrée des mosquées de la région. « Je sais que le recteur Kabtane l’a accrochée dans son bureau, la seule vraie réponse, c’est un acte de foi républicain », dit M. Delpuech. La communauté est confrontée à un autre problème sensible, moins souvent évoqué : le développement exponentiel du nombre de convertis. Ce phénomène s’illustre aussi dans l’affaire de Saint-Quentin-Fallavier, puisque Yassin Salhi a envoyé la photo du crime à un Français converti parti combattre en Syrie, SébastienYunès V. Les convertis seraient près de trois mille dans la région Rhône-Alpes, selon un responsable du CRCM. Des nouveaux fidèles qui sont « nombreux à tenir des attitudes radicales, comme s’il leur fallait démontrer leur appartenance dans la surenchère », observe Kamel Kabtane. Les responsables musulmans ont prévu l’ouverture d’un institut de formation à Lyon d’ici à la fin de l’année, qui sera seul habilité à prononcer les conversions. p richard schittly « Dissoudre des mosquées », une menace difficile à exécuter « s’il y a des associations qui gèrent ces mosquées et dont la totalité des membres poursuivent un objectif d’appel à la haine et d’incitation au terrorisme, ces mosquées seront dissoutes », a affirmé Bernard Cazeneuve, lundi 29 juin, sur Europe 1. Cela n’est encore jamais arrivé. Pour agir contre des comportements ou des discours délictueux dans des mosquées, le gouvernement estime avoir les armes juridiques suffisantes. L’Etat dispose de deux moyens. Le premier consiste à expulser de France les imams étrangers qui auraient tenu des discours de haine contre telle ou telle communauté ou qui auraient appelé au djihad armé. Le ministère de l’in- térieur indique avoir procédé à 40 expulsions de ce type depuis 2012, dont 10 en 2014 et 4 depuis le début de 2015. Par comparaison, de 2008 à 2011, 15 imams auraient été expulsés. Il s’agit dans ce cas d’expulsions administratives. Lorsqu’ils ont connaissance d’agissements de cette nature, les services de renseignement ou de police saisissent la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, qui expertise la demande. Une vingtaine d’arrêtés ministériels d’expulsion seraient en cours d’examen. Le deuxième moyen, agir contre une mosquée en tant que telle, est autrement plus compliqué. La dissolution administrative d’une association cultuelle qui gère une mosquée est très difficile à obtenir, car la loi protège efficacement tout type d’associations. L’article 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit cependant qu’un décret en conseil des ministres peut dissoudre une association « qui provoque à la discrimination, à la haine ou à la violence » ou qui se livre « à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ». Encore faut-il prouver que c’est bien toute l’association qui agit de la sorte, ce qui est très difficilement envisageable pour une association cultuelle. p cécile chambraud Grouper les islamistes en prison est « potentiellement dangereux » La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a émis le 30 juin un avis défavorable à l’expérimentation menée à Fresnes A deline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), est allée voir comment se passait le regroupement des islamistes en prison, à Fresnes surtout, dans le Val-de-Marne, où les radicaux sont enfermés dans une unité particulière depuis octobre 2014, une mesure que le premier ministre veut étendre à quatre autres quartiers de région parisienne et un dans le Nord. La contrôleure générale, dans un avis rendu le 30 juin, n’y est pas favorable. Le regroupement est « potentiellement dangereux », ne correspond à aucun régime légal et peut glisser vers un régime d’isolement, à la discrétion de l’administration, sans les voies de recours habituelles. La garde des sceaux a répondu qu’elle partageait ces inquiétudes, qu’il n’était pas ques- tion de créer un régime de détention spécifique et qu’on travaillait à améliorer la prise en charge. Adeline Hazan relève d’abord que la prison « est loin d’être le lieu premier de la radicalisation », puisque 16 % seulement des détenus soupçonnés d’islamisme avaient déjà été incarcérés auparavant – mais « il n’est pas contestable que le phénomène de radicalisation s’amplifie en milieu carcéral ». A Fresnes, le directeur a commencé à changer de cellule les détenus qui posaient problème, c’est-à-dire 22 des 29 personnes poursuivies pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (ils sont 190 en France) qui se signalaient par un comportement prosélyte – interdiction d’évoquer des sujets « profanes », d’être nu dans les douches communes… Cette initiative « n’ayant pas suffi à 16 % seulement des détenus soupçonnés d’islamisme ont déjà été incarcérés auparavant Faire revenir le calme », le directeur les a regroupés dans une « unité de prévention du prosélytisme » (U2P), sans autre prise en charge – et sans prévenir la chancellerie. Les surveillants ne trouvent pas que le dispositif « ait eu un effet apaisant sur le reste de la détention ». Quant aux détenus regroupés, que les contrôleurs ont tous rencontrés, ils craignent « d’être étiquetés durablement comme islamistes radicaux » et de ne pouvoir eux-mêmes « se défaire de l’emprise de leurs codétenus ». Adeline Hazan juge d’ailleurs le critère de sélection « discutable » : il ne prend pas en compte les prosélytes qui ne sont pas poursuivis pour terrorisme, et le risque de stigmatisation est réel. « Sans cadre juridique » Seuls cinq détenus radicaux de Fresnes ont une cellule individuelle, mais tous vont en promenade ensemble et peuvent participer aux activités habituelles, mais pas à plus de trois à la fois. La généralisation du système à cinq autres quartiers inquiète la contrôleure. Regrouper tous ces détenus en région parisienne, d’où qu’ils viennent, peut être contre-productif : le maintien des liens familiaux est un droit, et la famille joue un rôle pour ramener les jeunes à la raison. « Toutes les conséquences ne paraissent pas avoir été envisagées à long terme », indique le CGLPL. Le programme de déradicalisation est testé, pour les volontaires, dans les maisons d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne), par l’Association française des victimes de terrorisme et l’Association dialogue citoyen. Vingt personnes, en cellule individuelle, y seront incarcérées et devraient avoir accès aux services communs de la détention – mais feront promenade à part : « Le risque existe qu’une nouvelle catégorie de personnes détenues soit créée, sans cadre juridique », s’inquiètent les contrôleurs. Il est un peu tôt pour juger de l’effet de ces programmes, qui n’ont démarré qu’en mai. Il s’agit « d’investir la période de dé- tention par des stages de citoyenneté, des groupes de parole et toute activité qui paraît utile pour briser le repli identitaire ». Et stopper la violence, sans remettre en cause l’attachement à l’islam : « Le libre exercice du culte est garanti par le principe de laïcité, à valeur constitutionnelle », bien que le nombre d’aumôniers musulmans soit très faible – à Fresnes, un imam pour 1 300 musulmans. Reste l’éternel problème de la surpopulation carcérale, qui entraîne « une promiscuité propre à favoriser des comportements radicaux ». A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 4 200 détenus s’entassent dans 2 600 places ; à Osny, 928 personnes dans 580 places : la règle de l'encellulement individuel, prévu par la loi du 15 juin 2000, n’a cessé d’être reportée. p franck johannès france | 9 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Procès Cottrez : le « non » anéantit la thèse de l’inceste L’ex-aide soignante accusée d’un octuple infanticide a avoué, lundi 29 juin, que son père ne l’avait jamais violée douai - envoyée spéciale O n savait, en venant à Douai suivre le procès d’une femme accusée d’un octuple infanticide, que l’on allait entrer dans l’obscurité. On n’imaginait pas qu’au soir de la troisième journée de débats, celle-ci serait plus dense encore. Lundi 29 juin, la vérité que l’on avait cru apercevoir s’est dérobée. Dominique Cottrez a repris la clé qu’elle avait ellemême donnée : elle n’a pas été victime d’inceste, a-t-elle affirmé après avoir déclaré l’inverse à la juge d’instruction, aux experts psychiatres qui l’ont examinée, puis aux jurés et à la cour du Nord devant laquelle elle comparaît. Cette question de l’inceste hante les débats comme elle a hanté l’instruction. Ce n’est qu’à la suite de l’interception d’une conversation téléphonique entre plusieurs membres de sa famille, évoquant l’hypothèse d’une relation incestueuse, que Dominique Cottrez a déclaré avoir été violée, enfant, par son père. Mais elle avait surtout insisté sur la suite, une relation « consentie », poursuivie à l’âge adulte pendant plusieurs années, avec Oscar Lempereur. « C’était comme un amant », disait-elle. Elle avait laissé aux autres, plus qu’elle ne l’avait elle-même suggéré, le soin de voir dans cette relation l’une des raisons qui auraient pu la conduire à tuer huit bébés entre 1989 et 2000, en raison du doute sur leur paternité. L’expertise génétique a écarté Cette question de l’inceste hante les débats comme elle a hanté l’instruction cette hypothèse. Les nouveau-nés découverts dans des sacs en plastique se sont tous révélés être les enfants de son mari, Pierre-Marie Cottrez. Quand la présidente Anne Segond lui a demandé de venir à la barre pour parler de ses relations avec son père, Dominique Cottrez a offert à la cour l’attitude docile, bouleversante de soumission qui est la sienne depuis le début de ce procès. Dominique Cottrez ne raconte pas. Elle dit des phrases, les plus courtes possibles, s’interrompt, attend d’être relancée. Il y a, dans son regard perdu, quelque chose d’une quête, d’une volonté de bien faire, comme si elle cherchait moins à donner une explication qu’à apporter la réponse que les autres attendent d’elle. La cour et les jurés retiennent leur souffle tandis que le micro renvoie l’écho du sien, de plus en plus court, de plus en plus douloureux, quand elle évoque les premières « caresses » de son père. Elle avait 8 ans, dit-elle. Elle allait « souvent chercher les œufs » avec lui, lorsqu’un jour, il l’a faite asseoir dans la paille et lui a retiré sa « petite culotte ». « Il m’a dit que c’était notre petit secret. Et il m’a of- L’HISTOIRE DU JOUR Les étranges chèques de Julien Masanet, le fils de « Jo » A près le père, le fils. Jusqu’ici, l’affaire de l’ANAS, du nom de l’Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l’intérieur, se concentrait sur son président. Joaquin Masanet dit « Jo » – depuis démis de ses fonctions – avait été mis en examen en février pour « trafic d’influence », « faux et usage de faux » et « abus de confiance aggravé ». L’enquête conduite par l’Inspection générale de la police nationale pourrait désormais s’intéresser à son fils, Julien Masanet. Tracfin, la cellule de renseignement de Bercy chargée de lutter contre le blanchiment d’argent, a transmis le 7 mai une note d’information à la justice recommandant de procéder à une enquête judiciaire pour vérifier s’il y a eu des infractions pénales de la part de celui-ci. Tracfin raconte dans cette note que les « opérations financières atypiques » réalisées depuis 2010 par le fils de Jo Masanet ont retenu toute son attention. Julien Masanet, LA CELLULE TRACFIN brigadier-chef de 37 ans, exerce la fonction de directeur du centre de RELÈVE LES OPÉRAvacances de Gujan-Mestras (GiTIONS FINANCIÈRES ronde) dépendant des œuvres sode la police présidées par son « ATYPIQUES » DU FILS ciales père. Or, les enquêteurs de Bercy relèvent que depuis 2010, 133 chèques DE L’EX-DIRECTEUR ont été tirés sur les comptes de DES ŒUVRES SOCIALES l’ANAS, pour un montant de plus de 95 000 euros, au profit de l’intéDE LA POLICE ressé, « sans justification économique apparente dans la majorité des cas ». Troublant, et ce d’autant plus que tous les chèques émis par I’ANAS et encaissés par Julien Masanet sont signés de sa main. « Personne physique non identifiée » Ainsi, Tracfin s’étonne de constater que les chèques de 1 182 euros et 546 euros en provenance de I’ANAS – respectivement en novembre 2012 et novembre 2013 – correspondent au montant de la taxe d’habitation et de la contribution à l’audiovisuel public ces années-là, et prélevées par le Trésor public sur les comptes personnels de M. Masanet… Il est aussi soupçonné d’avoir encaissé sur ses comptes bancaires des locations du centre de vacances qu’il dirige. En conclusion, Tracfin considère que les agissements de Julien Masanet sont « susceptibles de caractériser la commission d’un abus de confiance et de blanchiment ». Et encore, les enquêteurs de Bercy n’ont pas tous les éléments. Tracfin s’étonne d’un prêt de 29 000 euros, en vue de l’achat d’un véhicule, de la part d’un certain François P., « personne physique non identifiée par le service ». Cet homme figure dans le dossier d’instruction visant l’ANAS. C’est le patron du Marco Polo, un restaurant situé avenue du Trône à Paris, qui établissait de fausses notes de frais au détriment de l’ANAS et au profit de « Jo ». p matthieu suc fert un petit mouton. – Et après ? – Après, c’était beaucoup plus tard, à l’âge de 12 ans. – Comment vous souvenez-vous que vous aviez 12 ans ? – C’était après ma communion. » Des caresses encore, dit-elle, « une fois, c’était dans les champs ». Pendant l’instruction, elle avait daté de cet âge son premier viol par son père. Elle affirme aujourd’hui qu’il a eu lieu lorsqu’elle avait 15 ans. « Et après ? – Après j’ai rencontré Pierre-Marie [son mari]. » Les relations avec son père s’interrompent et reprennent après la naissance de sa première fille, poursuit-elle. Elle a 23 ans. « Je me sentais seule. Et puis j’ai ressenti des sentiments amoureux. J’étais, j’étais… amoureuse de lui. – Que se passe-t-il entre vous ? – Comme… » Elle hausse les épaules. « Comme une relation. – Vous êtes consentante ? – Oui. – Vous participez ? – Oui. Aux gestes. » Elle dit encore que ça se passe dans la chambre de son père, l’après-midi quand elle rentre du travail, « deux à trois fois par mois ». Elle affirme qu’à chacune de ses grossesses, son père était « au courant », qu’il savait aussi ce qu’elle faisait des nouveau-nés. « Il réagit comment ? – Il ne pose pas de questions. » La présidente a des doutes. Elle le lui dit avec autant de fermeté que de délicatesse. Les deux représentants de l’accusation prennent à leur tour la parole. Annelise Cau, d’abord, qui lui rappelle les versions successives et contradictoires qu’elle a livrées pendant l’instruction. « Vous comprenez bien que si vous changez de version, on a l’impression que vous mentez. Elle est où la vérité, Mme Cottrez ? » Des yeux baissés, un filet de voix : « Dans ce que je dis aujourd’hui. » Le procureur Eric Vaillant descend de son estrade, vient se placer tout près de l’accusée, qui semble s’écraser davantage sur ellemême. Il repose les mêmes questions. Quand ? Où ? Comment ? A quel âge ? « C’est lui qui a pris votre virginité ? – Oui. – Vous lui dites quelque chose ? – Non, jamais. » Eric Vaillant s’approche encore : « Madame, quand vous avez évoqué cet inceste pendant l’instruction, je me souviens que j’ai poussé un “ouf !” de soulagement. Mais peut-être que je me suis trompé. Avez-vous inventé cette histoire d’inceste ? – Non ! – S’il a fait ce que vous dites qu’il vous a fait, c’est un immense salopard. Mais si c’est un mensonge, il faut le dire. » Il ajoute : « S’il n’y a « Si vous changez de version, on a l’impression que vous mentez » ANNELISE CAU avocate générale pas d’inceste, ce n’est pas grave, on va trouver la solution » et répète sa question : « Il vous a bien fait tout cela ? » Un long sanglot : « Oui. Mais ça reste mon père. » Me Franck Berton voit les regards tendus, interrogateurs, que les jurés posent sur sa cliente. « Ils ne vont pas vous croire, réveillezvous un peu ! », lance -t-il. Dominique Cottrez n’est plus qu’une montagne de larmes. L’avocat joue son va-tout : « Vous le jurez sur la tête de vos filles que votre père vous a violée ? – Non ! – Votre père ne vous a pas violée ? – Non. » Dominique Cottrez chancelle, son avocat est sonné, l’audience est suspendue. La présidente reprend l’interrogatoire quelques minutes plus tard. « Qu’avez-vous voulu dire ? – J’ai pas été violée par mon père. – Ça veut dire quoi ? – Il m’a pas touchée. – Jamais ? Ni enfant ni adulte ? – Non. – Pourquoi avez-vous dit cela ? » Dominique Cottrez secoue la tête, se tait. La présidente insiste : « C’est important, madame. – J’y arrive pas. – Vous saviez que ces huit enfants étaient de votre mari ? – Oui. » De la femme qui, à cet instant, apparaît comme une menteuse, ou de ceux – nous tous – auxquels cet aveu d’inceste apportait une explication aussi terrifiante que rassurante, on ne sait qui est le plus perdu. p LE CONTEXTE ALTÉRATION DU DISCERNEMENT Dans leur rapport d’expertise, les psychiatres Daniel Zagury et Michel Dubec se sont appuyés sur le « passé incestueux » de Dominique Cottrez. Ils avaient conclu qu’au moment des faits qui lui sont reprochés, elle avait agi « dans les tourments d’un débat intérieur » susceptible d’avoir « altéré son discernement et le contrôle de ses actes » au sens de l’article 122-1 du code pénal. Celui-ci prévoit dans ce cas une diminution de la peine encourue. Cette altération du discernement n’a pas été retenue par l’autre collège d’experts formé des docteurs Roland Coutanceau et Serge Bornstein, qui devaient être entendus mardi 30 juin par la cour d’assises. pascale robert-diard Et soudain, François Pérol perdit son calme L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, nommé en février 2009 à la tête du groupe Banque populaire-Caisse d’épargne, est jugé pour « prise illégale d’intérêt » L a colère des grands calmes – ou de ceux qui en donnent l’apparence – est souvent vive lorsqu’elle s’exprime. La journée s’étire en longueur, lundi 29 juin. Mille fois depuis le matin, le président Peimane GhalehMarzban a demandé à l’ex-conseiller économique de Nicolas Sarkozy si l’Elysée n’avait « quand même » pas été un lieu de décision pour organiser ce mariage des Caisses d’épargne et des Banques populaires. M. Pérol est jugé pour prise illégale d’intérêt pour avoir pris, en février 2009, la tête du groupe BPCE alors qu’il avait suivi cette fusion comme secrétaire général adjoint de l’Elysée. Mille fois, François Pérol a répondu comme il le fait depuis le début de son procès, lundi 22 juin : « Non, je ne crois pas », « non, M. le président, je ne pense pas », ou par cette autre variante : « Tout avait été décidé à Bercy. » N’en déplaise à son ancien supérieur Claude Guéant, le patron de la BPCE maintient même que l’Elysée ne fut rien d’autre qu’un « relais d’information » dans ce dossier avant que le président Sarkozy ne propose son nom pour diriger la nouvelle banque. L’horloge affiche un peu plus de 18 heures quand vient le moment D’après M. Pérol, il était urgent en 2009 d’annoncer le nom du dirigeant de BPCE, même sans le feu vert des déontologues d’aborder la question de la saisine de la commission de déontologie des fonctionnaires. C’est précisément ce sujet qui lance l’affaire six ans plus tôt. Et c’est cette même question qui va faire perdre son calme à François Pérol. En février 2009, à peine le nom du conseiller de M. Sarkozy fuitet-il comme étant l’élu pour diriger la BPCE, que l’opposition dénonce le fait du prince. La polémique est à son comble quand, depuis l’Italie, le chef de l’Etat évoque le feu vert de la commission alors que celle-ci n’a en réalité jamais été saisie. « Il faut être un peu honnête » Non qu’ils n’aient pas souhaité le faire, explique M. Pérol, qui continue malgré tout de penser que cette saisine était facultative puisqu’il n’avait pas outrepassé son rôle de conseiller. Mais les délais exigés par les « sages » étaient trop longs. Or, il y avait urgence. Les banques s’apprêtaient à annoncer des pertes considérables. La fusion devait avoir lieu, et le nom du dirigeant être annoncé dans la foulée. « Si vous n’aviez pas de doute, pourquoi alors avoir sollicité l’avis du secrétaire général du gouvernement, pris les conseils d’un avocat, et demandé une lettre au président de la commission de déontologie ? », demande la procureur Ulrika Weiss. François Pérol s’agace à mesure que la représentante du parquet pose ses questions. « Il faut être un peu honnête. Vous dites : “S’il y avait eu un problème, il fallait que le secrétaire général du gouvernement le dise”. Mais vous lui avez soumis vos notes, vos mails ? Comment pouvait-il rendre un avis éclairé ? », enchaîne-t-elle. « Comment expliquez-vous, alors que la polémique est déjà brûlante, que le président de la République dise que la commission de déontologie a rendu un avis favorable ? » « Parce qu’il s’est trompé, il a fait une erreur ! Vous pensez que le président de la République fait une erreur sciemment ? Mais non, il s’est trompé ! Vous n’avez pas la moindre idée à quelle pression est soumis un président de la République », fulmine François Pérol, qui s’évertue à décrire le « contexte exceptionnel » de la crise de 2009. « Il se trompe, c’est tout ! Puisque la commission n’avait pas été saisie, pourquoi aurait-il menti ? (...) M. Guéant est trop aimable quand il dit que Nicolas Sarkozy a fait un raccourci. (…) Le président n’a juste pas compris ce que lui disait M. Guéant, il s’est trompé ! » M. Pérol se tourne alors vers le président et ses assesseurs. Il n’en revient pas qu’on puisse « imaginer que le président de la République ait pu sciemment dire quelque chose de faux » alors que cela le dessert, explique-t-il. « Mme la procureur semble penser que le président de la République ne peut pas se tromper. J’ai comme l’impression que les Français ont pensé le contraire en 2012. » p emeline cazi Une réflexion inédite pour en finir avec les conflits d’intérêts à l’hôpital public Nouvelle collection « Controverses » En librairie 204 pages • 24 € www.presses.ehesp.fr 10 | france 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 A Calais, une opération humanitaire inédite Clinique mobile, colis de nourriture… Pour aider les 3 000 migrants, les ONG agissent comme à l’international REPORTAGE calais - envoyée spéciale Q uand Géraldine Martin prend la main d’Ibrahim, elle repère tout de suite les petits sillons entre les doigts du jeune Soudanais. Un œil sur le reste du corps, deux ou trois questions, et son diagnostic sonne comme une évidence. « Vous avez la gale. Il faut traiter… Êtes-vous d’accord pour rompre le ramadan et avaler tout de suite un traitement ? », enchaîne-t-elle, sans lâcher ni la main ni les yeux du jeune homme, visiblement rassuré par cette humanité. Anne Dassonville, l’infirmière, s’affaire à côté de la médecin, préparant le sachet de médicaments à emporter et les quatre comprimés à avaler immédiatement. En périphérie de Calais, l’immense bidonville où survivent quelque 3 000 migrants dispose désormais de sa clinique mobile. Et l’ouverture de la petite cabane de bois clair, qui tranche au milieu du bidonville de bric et de broc, a donné le coup d’envoi d’une opération inédite en France. Mardi 30 juin, cinq camions chargés chacun de 20 mètres cubes de colis alimentaires ont débarqué au milieu de l’ancienne décharge devenue campement. Suivaient un semi-remorque de fruits et légumes puis quelques camions chargés à bloc de kits d’hygiène et de 600 jerricans vides pour que les résidents de la ville fantôme puissent disposer d’eau dans leur cahute. « A Calais, il est difficile de se nourrir, de se soigner, de se laver et d’avoir accès à l’eau potable », résume Jean-Francois Corty, le responsable des opérations France de Médecins du monde. « Il ne s’agit pas de se substituer aux autorités mais de les rappeler à leurs devoirs » ANTOINE OSBERT responsable de missions pour le Secours islamique Fort de ces constats partagés, Médecins du monde a ouvert une clinique mobile. Le Secours catholique a lancé un programme d’« amélioration de l’habitat » et de construction de lieux collectifs. Le Secours islamique de France a distribué des colis alimentaires. Quant à Solidarités international, il a mobilisé ses spécialistes pour la construction de sanitaires, la répartition de kits et le ramassage des déchets. De retour du Kurdistan irakien, Céline Morin a à peine adapté sa méthode pour gérer la distribution des colis alimentaires du Secours islamique, des kits d’hygiène de Médecins du monde, et des kits de conservation d’eau de Solidarités, son ONG. « Lorsqu’on arrive en zone de catastrophe, on a en général des relais sur place qui nous aident. Dans un camp de réfugiés, les gens sont enregistrés. A Calais, on fait sans les autorités, et la population fluctue d’un jour sur l’autre », observe cette humanitaire habituée à s’adapter aux contraintes locales. L’urgence pour toutes ces ONG est de « répondre aux besoins vitaux qui ne sont pas satisfaits ici », rappelle Antoine Osbert, responsable des missions sociales en 49 537 En 2014, 49 537 personnes sont passées dans les 25 centres de rétention administrative. Soit une augmentation de 9 % par rapport à 2013, selon le bilan annuel présenté mardi 30 juin par cinq associations, dont la Cimade et l’Ordre de Malte. Celles-ci estiment que le gouvernement « fait du chiffre ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ne devrait pourtant pas changer de ligne. Le 17 juin, lors de la présentation d’un plan pour répondre à la crise des migrants, il a déclaré vouloir « renforcer très significativement l’utilisation de la capacité de 1 400 places actuellement ouvertes en métropole pour permettre une augmentation du nombre de retours contraints ». Dans un bidonville à Calais, le 29 juin. OLIVIER PAPEGNIES/COLLECTIF HUMA POUR « LE MONDE » France pour le Secours islamique. « Il ne s’agit pas de se substituer aux autorités sur le long terme, mais de les rappeler à leurs devoirs. » Une première pour eux. Comme pour Solidarités international qui signe là sa première mission en France. « La situation que j’ai vue à Calais est pire que certains terrains où nous intervenons, estime Thierry Belhassen, le responsable des opérations d’urgence. En zone de crise, les instances internationales imposent un point d’eau pour 250 personnes, tient-il à préciser. À Calais, les migrants disposent de trois points d’eau pour 3 000 personnes. Et je ne parle même pas des toilettes. » En avril, les autorités préfectorales avaient contraint les migrants à quitter les squats du centre-ville pour s’entasser autour d’un centre d’accueil de jour. Le Centre Jules-Ferry a été pensé a minima avec son unique repas quotidien, ses douches sous-calibrées, ses WC accessibles entre 11 heures et 20 heures, la présence quelques heures d’une infirmière. Depuis avril, la situation s’est dégradée en dépit des aménagements en cours de réalisation par les pouvoirs publics. Course folle « Lorsque les migrants étaient dans des petites structures, les associations locales pouvaient intervenir. Des individuels pouvaient apporter une aide. Ce n’est plus possible dans un espace qui regroupe 3 000 personnes », regrette le spécialiste des camps, Michel Agier, anthropologue et ethnologue. Et c’est bien ce que ressent Christian Salomé qui gère L’Auberge des migrants depuis des années et a arrêté les distributions de nourritures, son organisation n’étant pas à la dimension du lieu. « La création de ce camp est perverse car elle a mué l’humanisme de cette ville frontière en une nécessité d’aide humanitaire », regrette le chercheur, mettant des mots sur un fort ressenti local. Peu à peu la souffrance s’est installée dans la lande. Le nombre de migrants a crû depuis l’éviction du camp de La Chapelle à Paris et les soubresauts qui ont suivi. En quelques heures de consultation, ce mal-être s’est imposé à Géraldine Martin. « Une majorité de patients souffrent de douleurs gastriques liées au stress des conditions de vie, à l’inquiétude des lendemains, mais aussi à la faim que ressentent ces jeunes hommes qui n’ont qu’un repas par jour. S’y ajoutent les problèmes dermatologiques liés au manque d’hygiène et puis bien sûr, les infections qui dégénèrent parce qu’elles ne sont pas soignées », observe la bénévole de Médecins du monde, en cherchant dans ses tiroirs le pansement gastrique qui soulagera Ahmed, un Soudanais psychologiquement épuisé par son voyage. Des années en Libye, une course folle pour éviter de donner ses empreintes en Italie. Puis la France… « Après je ne sais pas. J’ai un rendezvous en octobre pour demander l’asile. Je serai peut-être passé en Angleterre d’ici là. C’est tellement loin », ajoute le jeune homme, relativisant en quelques mots les autocongratulations d’un gouvernement qui estime avoir créé « une culture de l’asile » à Calais. D’ailleurs, depuis le 28 juin, 70 à 80 Syriens investissent tous les jours la place d’Armes en centreville pour demander à pouvoir déposer légalement leur demande d’asile en Grande-Bretagne. Lundi, ils ont été gazés pour être délogés, alors qu’ils veulent rappeler aux autorités françaises leur souhait de quitter la France qui « propose l’asile mais nous laisse dehors encore quelques mois, alors qu’en Angleterre nous sommes hébergés sur le champ et dignement ». p maryline baumard La vente en France du premier médicament au cannabis en suspens L’autorisation du Sativex avait été annoncée par Marisol Touraine, mais les autorités de santé et le fabricant ne s’entendent pas sur le prix L e Sativex, premier médicament à base de cannabis autorisé en France, pourrait bien in fine ne jamais arriver dans les officines. L’explication ? Après des mois de négociation, Almirall, le laboratoire qui commercialise le Sativex en Europe, et le Comité économique des produits de santé (CEPS), l’instance qui fixe le prix des médicaments, ne sont pas parvenus à s’entendre. Le premier propose de vendre le Sativex 350 euros la boîte, soit 20 % de moins que le prix moyen pratiqué en Europe. Le second ne lui en offre pas plus de 60 euros. « C’est inacceptable : cela reviendrait à vendre à perte ! », s’indigne Christophe Vandeputte, le directeur d’Almirall en France, qui souhaite maintenant « un arbitrage politique ». De quoi embarrasser la ministre de la santé, très impliquée dans ce dossier. En juin 2013, Marisol Touraine avait modifié le code de santé publique afin que les médicaments dérivés du cannabis puissent solliciter une autorisa- tion de mise sur le marché (AMM) auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Elle mettait ainsi fin à une interdiction vieille de soixante ans, cette plante ayant été bannie de la pharmacopée française en 1953. En janvier 2014, la ministre avait tenu à annoncer elle-même l’AMM obtenue par le Sativex pour traiter les contractures musculaires affectant les personnes atteintes de sclérose en plaques. « Une option supplémentaire » Est-elle prête maintenant à jouer les arbitres entre le fabricant et le CEPS ? Contacté par Le Monde, le ministère indique que les « discussions ne sont pas closes ». Il rappelle que le Sativex a été évalué par la Haute Autorité de santé (HAS) « comme c’est la règle », et que « le niveau de remboursement et le prix qui [lui] seront attribués tiendront compte, comme pour chaque médicament, de cet avis ». Publié en octobre 2014, celui-ci juge que l’efficacité du Sativex est « faible » et qu’il ne représente pas un progrès thérapeutique par rapport aux traitements existants. Ce résultat signifie que le prix fixé par le CEPS ne peut être supérieur à celui des molécules déjà commercialisées avec la même indication, anciennes et « bon marché ». Un raisonnement absurde selon le docteur Patrick Vermersch, neurologue au CHRU de Lille, qui a suivi une vingtaine de patients dans le cadre des essais sur le Sativex. « De nombreux patients ne répondent pas ou plus à ces molécules, insiste-t-il. Le Sativex n’est certes pas un remède miracle, mais il représente une option supplémentaire pour ces malades. » Sur les 100 000 personnes atteintes de sclérose en plaques, environ 5 000 pourraient en bénéficier. « A raison d’une boîte par mois, ce n’est tout de même pas la mer à boire ! », s’agace-t-il. Le prix ne serait-t-il qu’un prétexte pour permettre à la ministre de la santé de faire marche arrière, par crainte que le Sativex soit trop prescrit ? C’est peu probable. « Nous avons évalué ce risque et Sur les 100 000 Français atteints de sclérose en plaques, environ 5 000 pourraient bénéficier du Sativex pris des mesures pour encadrer très précisément la prescription et la délivrance du médicament », insiste Nathalie Richard, chef du département des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM. La prescription initiale est ainsi réservée aux neurologues et médecins rééducateurs qui exercent à l’hôpital, pour limiter toute pression des patients sur les médecins de ville et notamment les généralistes. « Nous recevons régulièrement des appels de patients qui souhaitent s’en procurer pour soulager leur douleur mais le Sativex n’est pas indiqué pour cela et les dernières études ne démontrent pas d’efficacité dans ce domaine », précise Nathalie Richard. Le risque de détournement à usage récréatif paraît également limité : le Sativex, qui se présente sous la forme d’un spray, a été conçu pour minimiser le pic de THC (tétrahydrocannabinol), la molécule à l’origine de l’effet euphorisant du cannabis. S’il bénéficie d’une attention exceptionnelle, le Sativex n’est en fait pas le seul à être recalé dans la dernière ligne droite. « Personne ne le sait, mais chaque année plusieurs molécules ne sont pas lancées sur le marché français en raison d’un différend sur le prix », révèle Dominique Giorgi, le président du CEPS. « Il s’agit de médicaments dont l’intérêt thérapeutique est faible et pour lesquels il existe des alternatives », indique-t-il. Dernier exemple en date : l’Invokana, un antidiabétique produit par le laboratoire Janssen. Selon la HAS, il n’a pas démontré d’avantages cliniques et, plutôt que devoir le brader, le laboratoire a renoncé à le commercialiser en France. La Sativex ne quittera sans doute pas l’Hexagone avec autant de discrétion. « Pour les patients qui ont épuisé toutes les options thérapeutiques, cette situation est incompréhensible, explique Catherine Mouzawak, infirmière au sein du Réseau SEP Ile-de-France Ouest, une association qui se consacre aux personnes atteintes de sclérose en plaques. Ils s’attendaient à une commercialisation rapide après l’élan donné par la ministre. » Alors que la France est un des seuls pays européens où le Sativex n’est pas disponible, certains n’hésitent pas à franchir la frontière pour en acheter. « Des patients consultent déjà en Allemagne, en Espagne ou en Italie pour obtenir une ordonnance, quitte à payer le Sativex de leur poche », constate-t-elle. D’autres se sont mis… à fumer du cannabis. La ministre de la santé n’anticipait sans doute pas un tel dénouement. p chloé hecketsweiler 0123 et présentent + MINI GUIDE SUR UNE VILLE N°2. Pavillon rouge à la Baule d’ Emmanuel Grand illustré par Pierre Place N°1. Là-bas, c’est Marseille de Jérémie Guez illustré par Jacques Ferrandez N°3. I ♥ Lyon de Chantal Pelletier illustré par Loustal Dans cette quatrième série, les Petits Polars Le Monde-SNCF vont de ville en ville, en suivant lescheminsdetraversedepersonnagessouvent peu recommandables. Pendant tout l’été, de Marseille à Lille ou de Biarritz à Colmar, nos auteurs et illustrateurs vous feront redécouvrir la vie dans nos régions, sous des cieux parfois très noirs. À la suite de chaque nouvelle, une échappée curieuse et gourmande sur les lieux du crime. Jouez avec Les Petits Polars tout l’été sur www.sncf.com et gagnez des kilomètres en train. N°4. Les filles du Touquet de Karim Miské illustré par Florence Dupré La Tour 9 nouvelles inédites tout l’été 1. 23/06 JÉRÉMIE GUEZ JACQUES FERRANDEZ 4. 27/06 KARIM MISKÉ FLORENCE DUPRÉ LA TOUR Là-bas, c’est Marseille 2. 23/06 EMMANUEL GRAND PIERRE PLACE Les Filles du Touquet 5. 8/07 Pavillon rouge à La Baule 3. 25/06 CHANTAL PELLETIER LOUSTAL I ♥ Lyon TITO TOPIN VINCENT GRAVÉ Bloody Paris 6. 8/07 ANTOINE CHAINAS ANTHONY PASTOR Le soleil se couche parfois à Montpellier 7. 11/07 MICHEL QUINT POZLA Si près du malheur à Lille 8. 11/07 IAN MANOOK HERVÉ BOURHIS Retour à Biarritz 9. 11/07 NICOLAS MATHIEU FLORENT CHAVOUET Paris Colmar EN PARTENARIAT AVEC Les volumes de la collection sont vendus au prix de 3,90 € en plus du Monde. Chaque ouvrage peut être acheté sur www.lemonde.fr/boutique. Offre réservée à la France métropolitaine, sans obligation d’achat du Monde et dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels. Société éditrice du Monde, RCS Paris 433 891 850. 12 | enquête 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Taxis : une guerre fratricide UberPop contre chauffeurs traditionnels : ils habitent souvent les mêmes HLM de banlieue, sont issus de la même immigration récente, et parfois de la même famille montant de ses courses après avoir prélevé une commission de 25 %. « C’est de l’argent que je ne déclare pas », reconnaît-il sans gêne. Et pour cause, « Uber nous explique que ce n’est pas imposable en dessous de 7 500 euros par an ». Comme beaucoup, il veut croire ce qui l’arrange et les ambiguïtés bien dosées des informations mises en ligne par Uber lui facilitent la tâche. En réalité, il est censé ajouter les montants ainsi gagnés à sa déclaration de revenus. COMPTE À REBOURS jean-baptiste jacquin A près s’être glissé sans bruit hors de son appartement, une sensation agréable envahit Stanley. A 5 heures, ce lundi 29 juin, la nuit a enfin apporté un peu de fraîcheur. Il en profite de tout son corps avant de monter dans sa voiture. Il ne la quittera pas pendant quatorze heures… De sa cité HLM de Noisy-leGrand (Seine-Saint-Denis), où il a laissé sa femme et ses trois enfants endormis, il rejoint l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle en espérant qu’une bonne course lui permettra de bien démarrer sa journée. « Avant, j’étais jardinier ou soudeur, ça dépendait », raconte ce Haïtien, qui a souhaité garder l’anonymat, chauffeur de taxi depuis cinq ans. Arrivé en France en 1999, il n’a pas une seule fois travaillé de façon stable à l’abri d’un contrat à durée indéterminée. « C’était surtout de l’intérim, avec des trous », explique-t-il avec un accent si prononcé qu’il faut parfois lui demander de répéter. Taxi, ça lui plaît. Mais les nuits ne sont pas toujours bonnes. « Des fois, je me couche et je ne peux pas dormir à cause de soucis d’argent. » Stanley, qui devait partir deux semaines cet été en vacances avec sa fille aînée, 12 ans, s’apprête à y renoncer. « J’ai déjà acheté les billets pour Haïti, mais je vais devoir les oublier. Ma voiture m’a fait quatre pannes en deux mois, et je n’ai pas de réserve. » Jeudi 25 juin, jour de la grève des taxis et théâtre d’incidents violents, il est resté chez lui. Cela ne l’empêche pas d’avoir son argumentaire tout prêt pour dénoncer ces chauffeurs qui lui rendent la vie plus difficile. « Nous les taxis, on est en France, on investit en France. Avec Uber, tout l’argent part en Amérique ! » Alors oui, Stanley est colère contre la concurrence d’Uber. Une colère contre des frères d’infortune. Les chauffeurs UberPop habitent les mêmes cités de banlieue et sont issus pour beaucoup de la même immigration récente. C’est une sorte de guerre fratricide entre deux nouveaux sousprolétariats. La cité HLM où habite depuis peu Brahima Diallo se situe à l’opposé de celle de Stanley par rapport à Paris, à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). A 26 ans, il y vit avec sa mère et ses trois petits frères et sœurs, tous encore scolarisés. Chauffeur UberPop depuis trois mois, il gagne 1 300 à 1 400 euros par mois. « Je comprends que ça énerve les taxis, mais on est des jeunes, on veut bosser, c’est tout ! » s’emporte-t-il. Depuis septembre, il était « dans le chaos. » « Je ne touchais plus les Assedic, j’avais même pas le RSA. On avait un arrêté d’expulsion à Goussainville, j’ai été obligé de faire des conneries, j’avais pas le choix, c’était pour ma famille… » Sa mère a bien un travail, « mais elle est amortie maintenant, et souvent malade ». Titulaire d’un BEP vente, ce Français d’origine comorienne a commencé à travailler à 17 ans. Dans la litanie des petits boulots, sa plus longue expérience fut celle de livreur à domicile chez Planet Sushi, pendant cinq ans. Et puis, plus rien… QUELQUES MINUTES EN LIGNE « J’ai déposé des CV partout, dans tous les domaines, je suis même allé au marché de Rungis où j’ai balancé au moins 200 CV. Aucune réponse. » Et puis un copain au chômage lui parle d’UberPop qui permet à un particulier, sans formation ni contrainte réglementaire, de s’improviser chauffeur, contrairement à UberX qui doit faire appel à des professionnels. L’inscription sur UberPop prend quelques minutes en ligne. Mais il faut être propriétaire de sa voiture. « Un ami m’a prêté sa Renault Clio. On a refait la carte grise à mon JESSY DESHAIS nom », explique ce gringalet pétillant. Désormais inscrit comme autoentrepreneur, il est fier et surtout soulagé de subvenir aux besoins de sa famille. « Je vole pas M’sieur, je travaille. C’est Uber qui m’a permis de me relever ! » Brahima Diallo n’imagine pas une seconde qu’il gagne davantage que Stanley en travaillant beaucoup moins que lui. L’Haïtien de 39 ans est l’un de ces forçats du bitume parisien qui travaillent nuit et jour, pour un maigre résultat en fin de mois et une situation financière acrobatique. Stanley a acheté sa licence de taxi en décembre 2013. Les prix de ce fameux sésame étaient alors au plus haut. Il a dû débourser 240 000 euros, auxquels s’ajoutent 7 900 euros de droits de mutation. Grâce à un « apport personnel » (en réalité une somme empruntée sans intérêt à des amis taxis) de 25 000 euros, BNP Paribas lui a accordé un prêt sur onze ans, avec des échéances mensuelles de 2 500 euros. Sa voiture, une Volkswagen Touran également achetée à crédit, sur cinq ans, lui coûte 500 euros de plus à rembourser tous les mois. Les insomnies du moment, c’est l’angoisse de voir sa voiture le lâcher. Elle n’a 193 000 km. Comment faire s’il devait en acquérir une autre alors qu’il doit encore en rembourser la moitié ? Après versement des cotisations maladie et retraite au régime social des indépendants (RSI) et de l’assurance professionnelle de la voiture, il lui reste 1 200 euros nets par mois. Si cet artisan accepte cette vie de chien, roule six jours sur sept, au-delà des onze heures quotidiennes réglementaires (« il suffit de couper « JE VOLE PAS, M’SIEUR, JE TRAVAILLE. C’EST UBER QUI M’A PERMIS DE ME RELEVER ! » BRAHIMA DIALLO chauffeur UberPop l’horodateur… »), c’est qu’il entrevoit au bout de ces courses folles le Graal : le pactole pour la retraite que devrait lui rapporter la revente de sa licence. En théorie. Car, en deux ans et demi, il a déjà vu sa valeur fondre de 50 000 euros. D’autres additionnent les heures au volant, mais en cumulant deux jobs. Beaucoup de chauffeurs UberPop se lancent dans les rues de la capitale pour une poignée d’heures par jour qui leur donnent un complément de revenu, ou de retraite. Jean-François, né en Espagne (il préfère taire son nom), est chauffeur de car en intérim à Orly, où il conduit des personnels navigants. Aux trente heures hebdomadaires pour ce sous-traitant d’ADP, il en rajoute une grosse vingtaine dans sa petite Mercedes Class A à transporter les clients que lui envoie l’application mobile d’Uber. « On ne fait rien d’illégal », proteste-t-il après avoir insisté pour que l’on monte à l’avant. « C’est Uber qui nous le recommande pour ne pas se faire repérer par la police. » Les « Boers », la brigade de la préfecture spécialisée dans la police des taxis, ont lancé la chasse aux UberPop. Le ministre de l’intérieur a annoncé le 25 juin que leur véhicule serait saisi en cas de flagrant délit. La filiale du groupe américain a beau écrire sur le site réservé à ses chauffeurs : « Nous soutiendrons toujours chaque conducteur UberPop dans quelque situation que ce soit », la fébrilité a gagné certains d’entre eux. « L’idéal serait qu’en rythme de croisière je couvre mon loyer en HLM à Puteaux (Hautsde-Seine) avec UberPop », espère Jean-François. Uber lui verse une fois par semaine le Ne pas payer d’impôt ne gêne pas Sidiki (qui n’a pas souhaité donné son nom) non plus. Ne pas cotiser à la retraite ni à l’assurancemaladie chiffonne un peu plus ce Guinéen arrivé en France en 2001. Mais, ce qui le préoccupe vraiment, ce vendredi 26 juin, ce sont ses mauvaises notes. A 35 ans, tout timide du haut de son 1,95 m, le visage émacié, il vient au siège d’Uber France, dans le 19e arrondissement de Paris, pour comprendre pourquoi il a été « saqué » par des clients. Est-ce lui ou sa Fiat Ulysse vieille de neuf ans qui a déplu ? Chaque client peut noter de 1 à 5 le chauffeur à l’issue de la course. Il est inquiet. La rumeur dit que certains chauffeurs sont exclus de la plate-forme Uber en cas de trop mauvaises appréciations, sans indemnités, sans explication et du jour au lendemain puisqu’ils ne sont pas salariés. Mais Sidiki veut s’accrocher. Mal fagoté dans un t-shirt informe et un pantalon de jogging élimé bleu électrique, il rêve, « si ça marche », de s’acheter une nouvelle voiture. Il ne veut pas redevenir livreur de matériel sur les chantiers, ce qu’il a fait pendant dix ans au fil d’un chapelet de CDD. La précarité, Nabil Lahoussin assure en être sorti. Pourtant, chaque matin quand il allume le compteur de son taxi, c’est le compte à rebours qu’il déclenche. Il n’a pas de licence et loue à une petite société de Clichy son taxi, une grosse Skoda grise. Chaque soir, en rentrant dans son HLM de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise), il passe chez son loueur pour lui payer 120 euros. Chez G7, la location est de 150 euros par jour. « Je ne paye que six jours sur sept, donc si je veux travailler le septième, c’est gratuit », se réjouit ce Tunisien de 48 ans, arrivé en France en 1995. Les bonnes journées, il lui reste, après avoir payé l’essence, 50 ou 60 euros. Les mauvaises journées, c’est un panier percé. Taxi depuis qu’il a laissé tomber les déménagements en 2007, il affirme qu’il gagnait mieux sa vie avant. Nabil Lahoussin s’est arrêté deux semaines en février car « il n’y avait pas assez de travail ». Pour ne pas risquer de perdre de l’argent, il a préféré ne pas chercher à en gagner… « Le locataire, il est tellement dépouillé de tout, qu’on ne peut pas l’aider », affirme Robert (qui a préféré garder l’anonymat), un comptable qui fait la paperasse d’une petite centaine de taxis. Stanley avait lui aussi commencé comme locataire avant d’investir dans sa plaque. Il ne gagne pas plus, mais quand il aura remboursé, « ça sera autre chose ». Pour Pierre-Cyrille Hautcœur, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, « les taxis sont désormais soit des capitalistes, dont la rémunération provient en grande partie des licences, soit des prolétaires déqualifiés qui doivent travailler pour payer la rente du capital ». Uber, de sa lointaine Californie, serait la réincarnation mondialisée et numérisée du français G7. Autour du traditionnel tiep bou dien, plat de poisson et de riz, Joao Gomes a passé son repas dominical à deviser sur la bataille du moment. Arrivé en France en 2003 de Guinée Bissau, il est aujourd’hui chez Uber, tandis que le père de sa femme, son oncle et son cousin, tous guinéens, sont taxis, locataires. « Tous les dimanches en famille, on ne parle que de ça. Mais cette fois, ils m’ont vanné parce que je n’ai pas travaillé pendant trois jours, je n’osais plus sortir ma voiture. Seulement, à force, ils font leurs calculs et se demandent s’ils ne vont pas changer pour devenir VTC », conducteurs de voiture de transport avec chauffeur. Taxis ou Uber, tous vivent dans les mêmes HLM au bout des pistes d’Orly, à Vigneux-sur-Seine (Essonne). Jean-Claude, lui, n’est pas immigré. « Je suis Français de souche, moi ! », proclame ce retraité de 63 ans qui n’a pas souhaité donner son nom. Ancien commerçant, il touche le minimum vieillesse. « Avec cinq ou six heures d’UberPop par jour, je me fais 120 euros par semaine. » Des revenus qu’il ne déclare pas. Il se sent protégé par Uber « qui connaît les failles du système ». « Et puis, au gouvernement, ils n’ont pas de couilles… Parce que là, on va dans le mur. » Disparus, les chauffeurs de taxi à l’ancienne ? p éclairages | 13 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Grèce, migrants : le naufrage de l’Europe ANALYSE Deux jours plus tard, le 27 juin, le président de la Commission a été, à nouveau, « profondément affligé, attristé par le spectacle qu’a donné l’Europe ». Il en a rejetté la responsabilité sur le premier ministre grec, Alexis Tsipras, responsable d’avoir, en une nuit, porté « un sacré coup » à « la conscience européenne » en appelant à un référendum, le 5 juillet, pour se prononcer sur les mesures d’économies proposées à Athènes par ses créanciers. Au risque de précipiter la Grèce vers le défaut de paiement, voire la sortie de l’euro. Il y avait quelque chose de glaçant, à écouter, le 27 juin, Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, expliquer que la réunion allait se poursuivre sans leur homologue grec, Yanis Varoufakis. Le communiqué des ministres des finances de la zone euro était accompagné d’une note de bas de page précisant qu’il était « approuvé par tous les membres de l’Eurogroupe, à l’exception du membre grec ». Cette amputation après cinq ans de crises fait froid dans le dos. Bien sûr, la responsabilité des Grecs est lourdement engagée. Des années de laisser-aller économique et de clientélisme. De croissance artificielle dopée par un endettement fou. Des successions de gouvernements irresponsables qui promettent les réformes en faisant semblant de les mettre en place. Enfin, un gouvernement Tsipras, qui, dans la dernière ligne droite des négociations, préfère privilégier l’unité de son parti à un compromis, douloureux, mais sans doute pas inatteignable. alain salles E SI ATHÈNES SORT DE L’EURO, ON POURRA BLÂMER LE GOUVERNEMENT TSIPRAS, MAIS CE SERA D’ABORD UN ÉCHEC EUROPÉEN n juillet 2014, devant le Parlement de Strasbourg, Jean-Claude Juncker avait présenté la Commission européenne dont il briguait la présidence comme celle « de la dernière chance ». Il est vrai que les élections européennes du printemps précédent avaient été marquées par la poussée des populismes qui, tous, contestent la logique même de la construction communautaire. « Nous devons répondre aux angoisses, aux peurs et aux espoirs des citoyens européens par le rêve », promettait, alors, M. Juncker. Un an plus tard, c’est peu dire que ce rêve est en train de virer au cauchemar. Jeudi 25 juin, les 28 pays de l’UE, représentant 500 millions d’habitants, n’ont pas réussi à s’entendre pour répartir 60 000 réfugiés, chassés de leurs pays par la guerre. « Si vous ne pouvez pas trouver d’accord sur des réfugiés, vous ne méritez pas de vous appeler Européens », a tonné le président du conseil italien, Matteo Renzi, laissé bien seul face à l’afflux de réfugiés, qui trouvent portes closes à la frontière française après Vin timille. L’Europe forteresse sent désormais le besoin de se protéger à l’intérieur même de ses frontières ; les pays se barricadent, pensant en diguer ainsi la montée de leurs propres popu lismes. Et JeanClaude Juncker ne décolérait pas devant l’absence de solidarité et l’égoïsme des chefs d’Etat et de gouvernement. La stratégie de négociations, mélange d’arrogance et d’amateurisme, du premier ministre grec et de son ministre des finances, Yanis Varoufakis, est pour beaucoup dans l’incompréhension qui a viré au tragique entre Athènes et Bruxelles. Mais le jeu des responsabilités ne peut pas se limiter à la Grèce, épuisée par cinq ans d’une crise qui lui a fait perdre 25 % de son PIB et fait exploser chômage et pauvreté. FAUTES COLLECTIVES De quoi parle-t-on dans le psychodrame des négociations engagées depuis janvier ? De la possibilité pour les créanciers de débloquer la dernière tranche de 7,2 milliards d’euros qui reste à verser par les Européens sur un total de 145 milliards. Cette somme aurait déjà dû être versée, à l’automne 2014. Mais les créanciers ont essayé d’imposer des conditions difficiles au premier ministre conservateur Antonis Samaras, en qui ils avaient perdu confiance. Ils ont été plus conciliants, paradoxalement, avec Alexis Tsipras. Mais l’hostilité à son égard du FMI et d’une partie de la droite européenne, doublée de l’intransigeance de Syriza, incapable de faire le distinguo entre les positions du ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, et celles de Jean-Claude Juncker, ont rendu impossible tout accord. Il y avait quelque chose de dérisoire, ces derniers jours, dans ces négociations au bord du gouffre, quand le FMI et le gouvernement grec bataillaient pour savoir si une mesure devait entrer en application le 1er juillet ou le 1er octo- bre. Dérisoire, car pendant cinq ans tous ces documents, signés et votés à l’arraché, ont rarement été appliqués. Parce que les différents gouvernements ont traîné des pieds, mais aussi parce que les calculs de la « troïka » se sont avérés approximatifs. Le FMI a déjà reconnu qu’il avait sous-estimé les effets récessifs de ces mesures. Son ancien directeur, Dominique Strauss-Kahn, le confirme dans une note publiée le 27 juin : « Le FMI a fait des erreurs. » Il estime surtout qu’« insister sur un ajustement budgétaire préalable dans l’environnement économique actuel est irresponsable économiquement et politiquement ». Cinq ans plus tard, on attend toujours le mea culpa des Européens. Jean-Claude Juncker a tout juste indiqué qu’il fallait ajouter « une dose de démocratie à la “troïka” ». Mais, après plusieurs plans de redressement et la mise en place d’une task force pour restructurer l’Etat, le bilan est des plus maigres et ce n’est pas que la faute des Grecs. Le déficit budgétaire a été considérablement réduit mais au prix d’un ar rêt de l’économie. Les aides accordées aux banques ne leur ont pas permis d’aider les entreprises, exsangues. Si d’aventure la Grèce sort de l’euro, on pourra blâmer, à juste titre, le gouvernement Tsipras. Mais ce sera d’abord et avant tout un échec européen. Et la Commission aura épuisé sa « dernière chance ». Sur les migrants, comme sur la Grèce, elle risque le naufrage. p salles@lemonde.fr LETTRE DE JÉRUSALEM | p iot r smol ar Dans sa guerre culturelle, la droite israélienne a un héraut S hamai Glick semble inoffensif. Il est maigre, il a de petits yeux vifs bat tant derrière des lunettes et peine à s’arrêter de parler. Il a 27 ans et sa vie est solidement sanglée par des certitudes. Sa foi n’admet pas le doute. Shamai Glick porte une pochette. Elle contient des articles sur ses exploits, ainsi que des documents sur ses cibles. C’est pour mieux illustrer, au cours de notre entretien, la gravité de leur supposée dérive. Le militant penche à droite. Très à droite. Il est croyant, et nationaliste. Très nationaliste. Il s’est fixé une mission : la chasse aux orga nisations et aux spectacles culturels dits « anti-israéliens ». En quelques mois, par la grâce de ses 3 000 amis sur Facebook, il est devenu une redoutable vigie. Il harcèle élus locaux et na tionaux pour dénoncer des artistes qu’il ac cuse d’apologie du terrorisme ou de diffama tion contre l’armée, la colonne vertébrale d’Israël. « Je représente une nouvelle génération, croyante, qui dit : ceci est mon pays, mon armée. On accepte les critiques, mais elles doivent être correctes. Or, il y a un petit groupe d’artistes de gauche qui ont pris le contrôle de la culture et pensent être les meilleurs. Nous LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE sommes en guerre idéologique. Nous les haïssons, mais nous ne les tuons pas. Nous les affrontons. » Informaticien de métier, habitant dans la ville nouvelle de Bet Shemesh, près de Jéru salem, il a un téléphone portable précieux. On y trouve les numéros de la moitié du gou vernement, surtout ses membres conserva teurs. Parmi eux, la ministre de la justice, Ayelet Shaked, une alliée. Elle travaille sur un projet de loi qui ravit Shamai Glick. Il coupe rait tout financement public aux organisa tions non gouvernementales critiques des autorités, comme Breaking the Silence, qui regroupe des anciens combattants, ou B’Tse lem, qui recense les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. « B’Tselem est une organisation anti-israélienne, assuretil. Elle qualifie les terroristes du Hamas de combattants de la liberté. Vous connaissez la différence entre Tsahal et le Hamas ? Quand on tue un enfant, on est désolés. Eux font la fête. » Le militant reproche à B’Tselem d’avoir fourni à un chorégraphe israélien, Arkadi Zaides, des vidéos montrant des violences commises par des soldats contre des Palestiniens. Le spectacle de ce dernier, Archives, mélange d’installation vidéo et de danse, a provoqué la fureur parmi les colons et les milieux ultranationalistes. Le ministère de la culture a déjà demandé à l’artiste de retirer son logo de l’affiche. La ministre, Miri Regev, est devenue l’incarnation de la revanche des nationalistes contre une élite artistique de gauche basée à Tel-Aviv. Elle vient de couper les fonds du Théâtre Al Midan, à Haïfa, qui mettait en scène la vie d’un terroriste. Elle a menacé le Festival du film de Jérusalem d’une sanction similaire s’il diffusait un documentaire sur l’assassin de l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin. CINQUIÈME COLONNE Culture, ONG : depuis trois mois, la guerre idéologique est déclarée. On demande à Shamai Glick qui est légitime pour exercer une censure. Il sourit. « On ne veut fermer la bouche de personne, mais on vérifie ce qui est dit. Ça fait trente ans qu’Israël est à droite. Les gens votent pour que quelqu’un décide. » Il milite notamment pour que l’Etat ne détache pas de jeunes faisant leur service civil auprès de ces ONG qu’il considère comme une cinquième colonne. « Chaque jour, ce pays peut disparaître. Je suis le seul à com- prendre qu’une vidéo est une arme bien plus destructrice que le fusil d’un soldat. » Shamai Glick est le neveu de Yehuda Glick, célébrité de la droite ultranationaliste, dont l’obsession est le droit des juifs à prier sur le mont du Temple (ou esplanade des Mosquées), en attendant l’édification du troisième temple de Jérusalem. Yehuda Glick a été la victime d’une tentative d’assassinat par un Palestinien, en octobre 2014. « Certains ont pour héros Obama ou Justin Bieber. Moi, c’est mon oncle », résume le neveu. Le jeune homme est né à Jérusalem. Son grand-père, médecin de renom, est arrivé des EtatsUnis en 1976. Le sionisme messianique est la pierre angulaire de la famille. Un Etat palestinien ? « Impossible aujourd’hui, ditil. On ne peut pas leur faire confiance. Parmi eux, il y a 10 % de gens mauvais et dangereux, qui prendront le contrôle des autres. Ma solution, c’est la paix. Il faut leur donner l’autonomie, des emplois, de l’argent. Il faut leur construire un centre commercial à Bethléem, des hôpitaux pour qu’ils ne soient pas obligés d’aller à Jérusalem. Il faut la carotte, mais il faut le bâton. » p SHAMAI GLICK S’EST FIXÉ UNE MISSION : LA CHASSE AUX ORGANISATIONS ET AUX SPECTACLES CULTURELS DITS « ANTIISRAÉLIENS » smolar@lemonde.fr Créer pour résister LIVRE DU JOUR isabelle rey-lefebvre S ouvenirs est un livre de Marie Ra meau, photographe et écrivaine, qui a l’âge des petitsenfants de ses héroïnes. Elle dresse, en photos et en textes, le portrait de vingt femmes, toutes résistantes et déportées. Elle aborde la vie dans les camps sous l’angle inédit des objets qu’envers et contre tout les déportées fabriquaient clandestinement. « Créer, même et surtout ici, c’est résister, c’est espérer, c’est vouloir vivre », affirme la sœur de Simone Veil, Denise Vernay, « Miarka » de son nom de résistante, dans le texte intitulé « Créer », écrit en 1946, au retour des camps de la mort, et qui ouvre le livre. Marie Rameau a patiemment rassemblé ces objets enfouis au fond des tiroirs et révélés à l’occasion de ces rencontres. La photographe a encore découvert d’autres trésors au Musée de la résistance et de la déportation de Besançon. L’étonnement nous gagne en contemplant ces dessins réalisés avec des crayons vo- lés sur carton d’emballage détourné de l’usine d’armement, de Jeannette L’Herminier, ces jeux de société dessinés par Lou Blazer, ce mouchoir brodé par Elizaveta Pilenko (Marie Rameau rappelle d’ailleurs à son sujet que, s’étant faufilée dans le Vél’ d’Hiv après la rafle du 17 juillet 1942, elle en exfiltra, avec la complicité des éboueurs de Paris, plusieurs enfants, cachés dans des poubelles), ce sou tiengorge en toile d’habit de prisonnier, une frivolité strictement interdite dans les camps, cousu par Annette Chalut. FAIRE HURLER « L’ALLEMAND RAGEUR » Ou encore des bijoux, poèmes, ceintures, car nets, faits avec rien – « (…) aiguilles, fil, toile de paillasse, chemises, fil électrique, papier, manche de brosse à dents, outils pour tailler, couper, écrire, dessiner. Jouissance de l’esprit et des mains qui nous sort du cauchemar… », écrit Denise Vernay. Michelle Simon, décédée au début des années 1990, raconte quant à elle le rire qui fuse d’une colonne de femmes rasées et fait hurler « l’Allemand rageur ». Beaucoup de ces objets sont le fruit de l’amitié, de l’amour, seules armes à portée des captives qui les rendent capables de créer sans cesse, comme le fit par exemple une mère pour son enfant, en bricolant un dé et des pions. D’autres imaginèrent une chanson, Les Culottes, écrite pour rire ensemble. Enfin, citons ce sublime portrait au crayon dessiné par une autre de ces femmes pour ne pas oublier le beau visage d’une amie, si jeune, qui vient de mourir sur sa paillasse… En 2015, sept décennies après la libération des camps, il n’y a pas que les musées qui ravi vent la mémoire. Souvenirs est d’abord le ré cit, à la première personne, d’une jeune femme d’aujourd’hui, bouleversée par ces rescapées dont l’histoire est si révoltante qu’elle est parfois indicible. Marie Rameau sait très bien dire ce qui, en 2015, la passionne, l’émeut et l’instruit. Li vre après livre, cette auteure prolonge dans le présent l’indispensable témoignage de ces femmes d’exception. p Souvenirs Marie Rameau La Ville Brûle, 222 p., 30 € 14 | débats 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 La contestation écologiste crée de nouveaux Robespierre Tragédie grecque | par serguei A Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs, la création de zones à défendre par des militants proenvironnement ravive la tradition révolutionnaire française. Le droit se trouve contesté par une minorité qui dit incarner un principe de justice supérieur par pierre auriel L La Grèce, un pays aux avant-postes du déclin occidental Les Grecs, tels des parias, sont traités avec mépris, alors qu’ils subissent une profonde crise humanitaire. L’Europe se montre, encore une fois, incapable de trouver une réponse adaptée aux maux causés par un système qui nous échappe par ersi sotiropoulos J’ ai l’impression d’écrire sous l’épée de Damoclès. Chacune des pensées que j’exprime, le moindre souhait ou espoir peut demain être réfuté, démenti, dépassé. Le 30 juin approche. Je crois que la confusion surpasse la panique. Que voulons-nous ? Qui sommes-nous ? Nous, les Grecs. Les parias de l’Europe, les paresseux et irresponsables qui tourmentons depuis des mois l’Eurogroupe, accaparons tous les sommets européens, alors qu’il y a d’autres sujets cruciaux à discuter, l’Ukraine ou les produits transgéniques, par exemple. La crise des dernières années a soulevé un problème d’identité. Un petit pays, une longue histoire. Un lointain passé glorieux qui souvent devient un fardeau et provoque l’embarras, particulièrement quand, aux yeux des étrangers, nous sommes depuis des décennies le pays des vacances, de la moussaka et du retsina. Voilà que nous qui étions les vieux amis de la pensée, nous restons en suspens, paralysés, nous n’arrivons plus à penser ce qui arrive. Devant le Parlement, à Athènes, les affrontements sont de plus en plus violents. Là où il y a trois ans manifestaient les « indignés », se dressent à présent les banderoles des proeuropéens. Le conflit exacerbé par le désespoir et l’incertitude entraîne une polarisation. De manière sournoise, l’ombre de la discorde nationale plane à nouveau, soixante-cinq ans après une sanglante guerre civile. Au début, la victoire électorale de Syriza a créé un sentiment d’euphorie, même chez certains de ceux qui n’avaient pas voté pour eux. Pour la première fois, l’establishment politique grec, associé aux malheurs des dernières années, ne participait pas au gouvernement. A ce souffle d’espoir des SANS EMPLOI ET SANS CROISSANCE, UNE GRANDE PARTIE DE LA POPULATION VIVRA SOUS LE SEUIL DE PAUVRETÉ premiers mois, quand les négociations semblaient approcher un point de convergence, a succédé un climat toxique qui a sapé toute tentative de dialogue. La tâche principale que s’était fixée Syriza était d’essayer d’enrayer la crise humanitaire du pays, qui, ces dernières années, a pris des proportions catastrophiques. Mais il s’agit du seul gouvernement européen qui s’oppose à l’austérité, et, qui plus est, c’est un gouvernement de gauche ayant une vision politique contraire à celle qui est prônée par les élites économiques et politiques – ses positions dérangent les créanciers, et, peu à peu, il devient clair que ceux-ci veulent le réduire à néant. UN PEUPLE DOUBLEMENT TRAHI Dans le bras de fer de ce dernier mois, il y a deux vérités reconnues par les deux parties, créanciers et débiteurs. La Grèce n’est pas en mesure de rembourser sa dette, et l’argent du prêt va vers les banques sans renforcer la relance de la croissance. A côté de ces vérités, il y a une réalité quotidienne que les créanciers préfèrent ignorer. Un pays délabré, des prestations sociales dramatiquement réduites, des mamies qui fouillent les ordures, des drogués qui sont déplacés comme des troupeaux par la police d’un quartier à l’autre d’Athènes, des hôpitaux qui fonctionnent au ralenti sans personnel suffisant, des médicaments qui disparaissent. Il ne fait pas de doute que les mesures adoptées pour lutter contre la récession vont créer une récession plus grande encore. Sans emploi et sans croissance, une grande partie de la population vivra sous le seuil de pauvreté. C’est un peuple laissé dans la confusion, qui a perdu sa dignité, qui se considère doublement trahi : par les gouvernements successifs, dont la mauvaise gestion, le gaspillage et la corruption l’ont mené à cette situation, et par l’Europe, qui s’est montrée incapable de garantir un esprit réel de solidarité. Au lieu que ce sentiment de trahison génère l’union et la combativité, il a entraîné la scission et la discorde. La crise est banalisée. L’apathie gagne. Le défaitisme. Le fatalisme. Les institutions sont en lambeaux, la démocratie en péril. S’il y a quelque chose que j’espère, ou plutôt que j’espérais – car si la situation actuelle aboutit à des élections ou à un référendum, la nouvelle impasse sera imprévisible, et peut-être catastrophique –, c’est que le gouvernement Syriza mette fin au clientélisme, une plaie qui accompagne la Grèce depuis sa création en tant qu’Etat. Sa conséquence est une méfiance presque atavique envers les institutions. Le Grec est d’abord individu avant d’être citoyen. Il a encore des réflexes de bête traquée, tant il est difficile de survivre dans un Etat très souvent inféodé à des puissances étrangères, déstabilisé par les inégalités sociales et l’émigration, et toujours marqué par la seconde guerre mondiale et la guerre civile qui l’a suivie. Chaque génération connaît la Grèce et les Grecs de manière différente. La plus haute considération alterne avec le pire dédain. Un jour, nous sommes des héros, un autre des salauds. La Grèce n’a jamais existé, écrivait André Breton. Voilà une phrase à méditer. Nous sommes comme une faute sur la carte. Une petite tache au bout de l’Europe, un peu de Balkans, un peu de MoyenOrient, qui continue, qui persiste à exister en parlant la même langue depuis plus de 3 500 ans. L’excès des derniers développements est l’occasion pour l’Europe de se repencher sur elle-même. Avec la récession économique, une profonde crise existentielle semble la traverser. Quels étaient les principes à la base de cette aventure européenne ? Quelle était l’inspiration qui a fait naître l’initiative d’Altiero Spinelli et de Jean Monnet ? Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ? Le déclin de l’Occident, de ce que l’on considère comme le berceau de la civilisation, est un fait. De nouveaux marchés apparaissent et imposent leurs conditions. Un grave bouleversement humain accompagne ce déclin. Nous nous retrouvons prisonniers d’un système qui nous échappe, où nous nous sentons de plus en plus impuissants, trop souvent contraints à une passivité insoutenable car les décisions les plus importantes semblent prises à notre insu, et où les très riches ne sont aucunement affectés par les changements politiques dans leurs pays et les pauvres n’ont aucun espoir que la politique puisse changer quoi que ce soit en leur faveur. L’homme a cessé depuis longtemps d’être la mesure de la vérité et du savoir. Des foules de déracinés se bousculent aux frontières, réfugiés cherchant à arriver jusqu’aux ports européens par tous les moyens possibles. La mer Méditerranée vient de nouveau d’être couverte de cadavres. Peut-être la crise grecque est-elle un ultimatum pour que l’Europe se décide enfin à redéfinir ses objectifs, à devenir plus audacieuse : faire deux pas en arrière pour pouvoir avancer. p ¶ Ersi Sotiropoulos est une romancière grecque, elle est notamment l’auteure d’« Eva », (Stock, 200 p., 19 euros) es zones à défendre (ZAD) : défendre l’environnement contre les pouvoirs publics, contre les projets de développement économique. Regroupés et barricadés dans ces zones, les zadistes organisent une défense radicale et parfois violente d’un environnement sanctuarisé. Contre des décisions prises selon des procédures légales, ils prétendent incarner un nouvel idéal de justice pour lequel il est possible de renverser le droit. Ce phénomène n’est pas nouveau. Néologisme inventé à Notre-Dame-des-Landes, appliqué à Sivens ou dans la forêt de Chambaran, les zadistes sont les héritiers conscients du plateau du Larzac. Idéologiquement à la croisée des mouvements anticapitalistes et écologistes, ils s’inscrivent plus profondément dans deux mouvements de contestation de l’ordre et des pouvoirs publics. Le premier est spécifiquement français : c’est le peuple révolutionnaire, ce tropisme de l’imaginaire politique français, du peuple descendant dans la rue, en dehors de tout cadre, pour renverser le pouvoir. Cet appel au peuple est structurellement différent de la désobéissance civile qui s’incarne aujourd’hui dans la figure des « indignés » ou d’« Occupy Wall Street » : là où la désobéissance civile s’ancre dans le pacifisme, le peuple révolutionnaire doit pouvoir agir violemment pour l’emporter. Ce peuple révolutionnaire, ce sont les journées de la Révolution française, de juin 1848 ou de la Commune de Paris. Derrière cet imaginaire réside la croyance en la possibilité pour le peuple en fusion de résister au pouvoir, d’éclater les cadres de la légalité pour garantir le juste par-delà le droit. Les barricades, l’opposition violente aux forces de l’ordre montrent l’inscription des zadistes dans ce projet révolutionnaire, loin de la désobéissance civile. UN IDÉAL DE JUSTICE A ce mouvement se superpose un second, largement issu du premier : le volontariat armé international. A partir du XVIIIe siècle, la figure de l’étranger allant défendre des valeurs universelles auprès d’un autre peuple s’est développée. La guerre d’indépendance grecque, le Risorgimento italien au XIXe ou la guerre d’Espagne au XXe voient de nombreux volontaires étrangers – souvent jeunes et portés par l’héroïsme romantique des combats pour la liberté – se battre pour défendre des idéaux universels : le libéralisme chez les philhellènes ou la République pendant la guerre d’Espagne. De la même manière, les ZAD drainent une population jeune et européenne, celle des réseaux altermondialistes qui voient là une manière d’enfin réaliser une contestation héroïque et violente du pouvoir. Si l’inscription des zadistes dans cette double filiation est admise, alors une question se pose nécessairement : sur quels idéaux se fonde la revendication des zadistes pour instruire le procès de la légitimité des décisions publiques ? Ces différents mouvements reposaient sur l’invoca- tion d’un idéal de justice pour contester le pouvoir. Le droit était contesté et les forces de l’ordre repoussées, car ils étaient injustes et illégitimes. Poursuivant ces combats, les zadistes se fondent eux aussi sur un tel idéal. L’histoire politique moderne a vu échouer de multiples avatars de cet idéal de justice. La fin du communisme a pu laisser croire que la démocratie libérale l’avait définitivement emporté en tant que principe de justice : les pouvoirs respectant ce principe étaient supposés être légitimés et leurs décisions ne pouvaient plus être contestées. Cette fin de l’histoire ne fut pourtant que temporaire. De nouveaux idéaux émergèrent à partir desquels des populations remirent les décisions démocratiques en cause : au premier rang, l’écologie. Reprenant et modifiant le fil de la contestation altermondialiste du marché et de l’exploitation, la défense de l’environnement apparaît, dans la perspective des zadistes, comme un nouvel idéal de justice pour lequel il est possible de contester le pouvoir, même démocratiquement élu. TYRANNIE DE LA VÉRITÉ Le mouvement des ZAD n’a donc rien de nouveau et s’inscrit dans un passé ancien, maintes fois répété : les idéaux se modifient, les combats évoluent mais, in fine, la logique demeure la même. Et parce que cette logique ne change pas, ses risques demeurent les mêmes. L’affirmation d’un idéal de justice contient le risque d’une tyrannie de la vérité : au nom de la défense de l’environnement, il devient possible d’affirmer que les citoyens qui ont voté pour les pouvoirs publics, locaux ou nationaux, se sont trompés et donc, de remettre en cause des décisions démocratiquement prises. Grâce à ces idéaux, une minorité revendique une légitimité pour renverser le droit adopté par la majorité. Cet antagonisme entre la démocratie libérale et les idéaux révolutionnaires d’une justice fondée sur la vérité est une tension importante de l’univers politique français : depuis la Révolution existe une opposition entre, d’une part, la liberté du peuple de se gouverner lui-même, liberté comportant le risque de l’erreur, et, d’autre part, la croyance en une justice qu’il s’agirait d’imposer. Les ZAD ne sont au fond qu’une nouvelle tentative pour résoudre cette contradiction. p Professeur de droit public et constitutionnaliste reconnu, Guy Carcassonne est mort en 2013. En sa mémoire, la revue Pouvoirs, le Club des juristes et Le Monde ont créé un prix destiné à récompenser, chaque année, l’auteur de moins de 40 ans d’un article portant sur une question constitutionnelle liée à l’actualité française ou étrangère. La deuxième édition a été décernée, mardi 30 juin, au Conseil constitutionnel. ¶ Pierre Auriel est lauréat du prix Guy-Carcassonne, doctorant en droit à l’université Paris-II-Assas. carnet | 15 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Paris. Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg. cppkxgtucktgu fg octkcig Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. rtqlgevkqpu/ffidcvu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Décès Bernadette Bonicel, son épouse, Jérôme et Marianne, ses enfants, Ses six petits-enfants, Sa famille Et ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Michel BONICEL. Les obsèques civiles ont eu lieu le mardi 16 juin 2015. 61 bis, boulevard Daniel-Dupuis, 41000 Blois. M. Jean-François Cardinet, son époux, Sandrine et Carl-Johan Garnier, Arnaud et Amandine Cardinet, Jessica Cardinet, ses enfants, Tobias, Solène, Adrien et Camille, ses petits-enfants chéris, La famille Cardinet, La famille Fougères, ont la tristesse de faire part du décès de Nicole CARDINET, née FOUGÈRES, survenu à Paris, le 28 juin 2015, dans sa soixante-dixième année. La cérémonie religieuse sera célébrée le 3 juillet, à 10 h 30, en l’église de SaintAndré de l’Europe, Paris 8 e , suivie de l’inhumation dans l’intimité familiale. 39, rue de Moscou, 75008 Paris. M. John Danilovich, secrétaire général Et l’ensemble du personnel de la Chambre de commerce internationale (ICC), ont la profonde tristesse de faire part du décès soudain de leur collègue et ami, M. François-Gabriel CEYRAC, survenu le 17 juin 2015. La cérémonie religieuse aura lieu le mercredi 1er juillet, à 10 h 30, en l’église Saint-Médard, 141, rue Mouffetard, Paris 5e. Aix-en-Provence. Mende. Isabelle et Catherine, ses illes, Delphine, Clémence, Alexis, Marc-Antoine, Thomas, ses petits-enfants, Pénelope, Agathe, Roméo, Héloïse, Virgile et Manon, ses arrière-petits-enfants, Jean-François, Corinne, Bruno et Sabine, ses neveux, Maria, qui a veillé sur lui les derniers mois, ont la douleur de faire part du décès à son domicile, le 26 juin 2015, dans sa quatre-vingt-seizième année, de Patrice LEROY-JAY, oficier de la Légion d’honneur, maire de Belleville-en-Caux, de 1964 à 1987. Les familles Donaint, Cappe, Gauze et Girard Les obsèques seront célébrées le jeudi 2 juillet, à 15 h 30, en l’église de Bellevilleen-Caux (Seine-Maritime). ont la tristesse d’annoncer le décès de Les familles Eyheraguibel, Fredet, Lemaistre, Leroy-Jay, Rey et Ruchaud, Le Traversain, 76890 Belleville-en-Caux, 3, rue Chaptal, 75009 Paris, 4, rue Mallet-Stevens, 75016 Paris. Pierre DONAINT, survenu le 27 juin 2015, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Ses obsèques auront lieu ce mercredi 1er juillet, à Aix-en-Provence. Jérôme, Brice, Cédric Desrez, ses ils Et la famille, font part du décès de Marie-Luce DUCLOS, survenu le jeudi 25 juin 2015. Ses obsèques auront lieu le mercredi 1er juillet, à 11 heures, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, à Paris 20e. Paris. Dakar (Sénégal). Grenoble. Eric Kelkel, Béatrice Rivail, ses enfants, Jacqueline Hantz, Leurs conjoints, Ses petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer la disparition le 22 juin 2015, de M. Arion Lothar KELKEL, professeur émérite de philosophie, à l’université de Paris 8 Saint-Denis, élève de Jean Wahl, proche de René Scherer et de Paul Ricoeur, son directeur de thèse, spécialiste de phénoménologie. La cérémonie d’adieu a eu lieu le samedi 27 juin, à 14 heures, au Centre funéraire de Chambéry (Savoie). Paris. Saint-Amand-Montrond (Cher). ont la tristesse de faire part du décès de Monsieur le professeur Henry HAMARD, survenu le 20 juin 2015. Professeur émérite d’ophtalmologie à l’université ParisDescartes, membre de l’Académie nationale de médecine et commandeur de la Légion d’Honneur, le professeur Henry HAMARD a été chef de service au Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts pendant de nombreuses années, président de la Commission médicale d’établissement et médiateur médical. Tous expriment leurs condoléances à sa famille et leurs regrets face à la disparition de cette grande figure de l’ophtalmologie française. née LE COZ, égyptologue, survenu le 28 juin 2015, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. L’inhumation aura lieu le jeudi 2 juillet, au cimetière de Saint-SauveurLendelin, dans la sépulture de famille. Remerciements David Fontaine, son petit-ils, Isabelle Monod-Fontaine, sa belle-ille et François Rouan Ainsi que toute sa famille, nous a quittés à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Jacques FONTAINE, Ses obsèques ont été célébrées au cimetière de Colombiers (Cher). Qu’il repose en paix. PF. Saint-Amand funéraire, Tél. : 02 48 60 60 60. Sa famille, Ses proches, Ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Guy MAYER, physicien, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie - Paris 6, survenu le 27 juin 2015, dans sa quatre-vingt-huitième année. Un dernier hommage lui sera rendu le mercredi 1 er juillet, à 10 heures, au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20 e, où l’on se réunira. On se retrouvera à la porte principale, entrée par le boulevard de Ménilmontant. Pédagogue, il disait : « Le plus souvent c’est une expérience qui oblige les choses à nous montrer la voie. » Cet avis tient lieu de faire-part. 5, rue des Beaux-Arts, 75006 Paris. ont la tristesse de faire part du décès de La présidente du Conseil de surveillance, Le directeur, Le président de la Commission médicale d’établissement, Les membres de la Commission des relations avec les usagers, Ses confrères et l’ensemble du personnel du Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, Mme Michelle THIRION, M. Claude MAULAZ, ont la tristesse d’annoncer le décès de La célébration religieuse de ses funérailles a eu lieu le 30 juin, à 10 heures, en l’église Saint-Louis-en-l’île, Paris 4e. ont le regret de faire part du décès de employé au journal Le Monde durant vingt-cinq ans, Michèle, son épouse, Frédéric, Marie-Agnès et Bénédicte, ses enfants, Natacha, sa belle-ille Et Patrick, son gendre Et ses cinq petits-enfants, survenu le 22 juin 2015. Eric et Françoise Thirion, Sylvie et Alain Gadrat, Christine et Alain Leteinturier-Laprise, ses enfants, Cyril et Chrystelle, Delphine, Julien et Stéphanie, Lucile, Florent, Sylvain et Ana, Remi et Céline, Camille, ses petits-enfants, Alexandre, Alice, Coline, Juliette, Lucas, Hugo, Anaïs, Fanny, Albane, ses arrière-petits-enfants, Jean-Marc Postic, son neveu, souhaitent remercier ses amis, collègues et anciens étudiants pour leur présence idèle et leurs marques de sympathie envoyées du monde entier, témoignant de son rayonnement, à l’occasion de la mort de Le 17 juin 2015, Pierre de Kernaflen de Kergos (†), son père, Valérie de Kernaflen de Kergos, sa mère, Arnaud, Agathe et Tristan, ses frères et sœur, Mlle Julie DE KERNAFFLEN DE KERGOS, Pantin. M. Jean OBERTI, oficier de l’ordre national du Mérite, docteur ès médecine, docteur ès sciences, chargé de recherche à l’INSERM, ancien adjoint au maire de Montpellier, survenu à Maurin (Hérault), le 22 juin 2015. Une cérémonie civile a eu lieu le samedi 27 juin, à 10 h 30, au Complexe funéraire de Grammont, avenue Albert-Einstein, à Montpellier. Cet avis tient lieu de faire-part. Aline Pinel, son épouse, Valérie et Delphine, ses illes et leurs conjoints, Bernard et Leslie, Elsa, Victor, Jeanne, Margot, Félix, Louise, ses petits-enfants, Gaspard, son arrière-petit-ils, Antoinette, Marie-Noëlle, Michèle et Claude, ses sœurs, ont la tristesse de faire part du décès du docteur Jean-Pierre PINEL, survenu le 24 juin 2015, à l’âge de quatre-vingt-six ans. La cérémonie religieuse sera célébrée ce mardi 30 juin, à 14 h 30, en l’église Saint-Paul Saint-Louis, 99, rue SaintAntoine, à Paris 4e. L’inhumation aura lieu dans l’intimité familiale au cimetière de Bonneville-surTouques (Calvados). professeur émérite de langue et littérature latines à l’université de Paris-Sorbonne, qui s’est éteint le 31 mai 2015, à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Hommage Antony. Sa famille Et ses proches, ont la tristesse de faire part du décès de Jean-Claude BIZOT, professeur émérite de physique à l’université Paris 11 Orsay. La cérémonie religieuse sera célébrée le mercredi 1er juillet, à 14 h 30, en l’église Saint-Saturnin, à Antony. Conférence Conférence d’été en Sorbonne le 2 juillet 2015, « La Fontaine l’enchanteur : le plus national et le plus universel des écrivains français », par Patrick Dandrey, professeur de l’université Paris-Sorbonne Il y a un mystère La Fontaine comment un poète aussi célèbre peut-il être aussi méconnu dans la nature même de son œuvre ? Analyse et pistes de rélexions parcourant rapidement les années qui mènent La Fontaine au fait de la poésie la plus délicate. Inscription sur : http://colloque.paris-sorbonne.fr ou paiement sur place (selon les places disponibles), 10 € plein tarif / 5 € tarif étudiant. Renseignements au 01 53 42 30 39. formation-continue@paris-sorbonne.fr Porte-ouverte Anniversaires de décès Dominique DALLI. Bailando. Il y a un an, Hélène MONTIES, née FAUGERE, nous quittait. Vous qui l’avez connue de Pau à Paris, d’El Oued à Touggourt, de Niamey à Hochiminhville, de Delhi à Londres, de Bruxelles à Ouagadougou, de Nozay à Feneyrols et Voray. Ayez, en ce jour, une pensée pour elle. Jean-Noël Monties et ses enfants, 70190 Voray-sur-l’Ognon. Le 30 juin 1999, Jean Jacques POULIQUEN nous quittait. Sa famille, Ses amis, Concerts Groupe EAC, Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai. Claude Vivier Le Got, présidente du Groupe EAC, félicite ses diplômés du MBA manager de projet culturel, en particulier Marine A., embauchée par Bandits-Mages. Si comme eux vous souhaitez travailler dans l’art, la culture et le luxe, venez nous rencontrer lors de notre journée portes ouvertes, mercredi 8 juillet 2015, de 9 h 30 à 17 h 30, à Paris et Lyon. 33, rue La Boétie, 75008 Paris. Tél. : 01 47 70 23 83. paris@groupeeac.com 11, place Croix-Paquet, 69001 Lyon. Tél. : 04 78 29 09 89. lyon@groupeeac.com www.groupeeac.com www.ingemmologie.com 15e édition du Festival Européen Jeunes Talents, l’excellence au cœur du Marais ! Du 5 au 25 juillet 2015 aux Archives nationales, Paris 3e, plus de 70 jeunes musiciens sont présents : Adrien La Marca, Ismaël Margain, Jérôme Pernoo, Alain Meunier, Bruno Philippe, Jean Rondeau, Raphaël Sévère, Benjamin Alard, Anne le Bozec, et tant d’autres. Concerts de musique de chambre du mardi au samedi à 20 heures et le dimanche à 18 heures. Tarifs de 8 € à 15 €. Informations et réservations sur www.jeunes-talents.org / 01 40 20 09 32. Distinction L’ambassadeur Jean-Paul Carteron honoré par la Belgique. Le 11 juin 2015, dans les salons du Concert Noble, à Bruxelles, M. Jean-Paul CARTERON, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire des îles Salomon et fondateur du Forum de Crans-Montana, s’est vu élever à la dignité de Commandeur dans l’Ordre de Leopold II, suivant décret royal de SM le Roi Philippe, en date du 30 avril. M. Didier Reynders, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangeres de la Belgique présidait la cérémonie et lui présenta les insignes de son grade, au nom de Sa Majesté le Roi. Un dîner oficiel offert par les autorités marocaines a suivi sous la présidence conjointe de M. Reynders et de M me Marie-Louise Colero-Preca, présidente de la République de Malte, réunissant quatre cents invités de marque parmi lesquels de nombreux chefs d’état et de gouvernement, premières dames, présidents et membres de Parlements nationaux, hauts représentants des Institutions éuropéennes, ministres et ambassadeurs accrédités à Bruxelles, Paris, Rome et Genève. M. Philippe Douste Blazy, secrétaire général adjoint, représentait les Nations Unies et M. Jean Daniel Clivaz, les autorités du Haut Plateau de CransMontana. ne l’oublient pas. « Reste l’absence, obstinément ». Le 1er juillet 1993, Audrey RICARD nous quittait ; elle n’avait pas dix-sept ans. Souvenons-nous. « Le Temps nous sépare Le Temps nous unit Le Temps nous est parcimonieux ou fastueusement conté. » Jacques Prévert. " " # " # " "# #" %. + *0.+ "# # # " ""+ /$ %- "# " *&# $%" % " # " " *$% + %/% "# " " . *%$$* * ** $$"%$. *$. '*#$- * " * .* "# "#% ** %.*-% + " $ *%$ 0"/ .#$$ "# " ## $$- %"# " $ * +-%' 0 ($-*$- %$") %#+ * (*$) * $ " $* (%$%# ) .*" $% %$- (."-.*) "# $" " ." $ *%%.*- (*%!-+) $$- *- ( /*+ - %$+ /$#$-+ *-$* -+) " * +- $ ++%" "# " "# * + '-%%*%. " %"+ #$1 * 1 "# +" " $ * " # # -* $ %"0 " " * +- $ #$ ** * '*+ $- +- $ *$ % / '*+ $- Il y a vingt ans, le 1er juillet 1995, le docteur Pierre STAGNARA, est entré dans l’éternité, à l’âge de soixante-dix-huit ans. Il y a retrouvé ses enfants, Jacques, Françoise et Madeleine, et sa petite-ille, Margaux. Denise Stagnara, née Locard, sa femme, Chantal et Christian, Jean et Françoise, Marie-Paule et Alain, Michel et Isabelle, Marie et François-Régis, Pierre et MarieAnnick, André et Christine, ses enfants, Ses cinquante-cinq petits-enfants Et ses cinquante-huit arrière-petitsenfants, Marie-Paule, sa sœur Et Henri Buttin, Avec quelques Grands Témoins, d’une part, ses anciens collaborateurs et ses anciens malades, d’autre part, célébreront sa mémoire, en cette période. Ceux qui l’ont connu et aimé peuvent écrire à son épouse ou à ses enfants au Domaine des Garanches, 69460 Odenas, pour évoquer son souvenir. Merci ! , 8 *;; , ;; 9 % ,4 . / 1)2#&372()7 ' '27&+) -2'' :-23 ' &2& 2&3 ,!%,,*; 2(3 ''&2 % % -&7' "0*450;;; :2+3 &# +&' 9" 2: : :+:2# &)7%+)+2 4!;; 2&3 % 5*5 !9; ",; 2&3 16 | disparitions 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 A « L’Heure de vérité », sur Antenne 2, le 3 juillet 1986. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ FRENCH-POLITICS Charles Pasqua Figure du gaullisme I l est très rare de rencontrer, dans les milieux du pouvoir, un homme qui fait peur et rire tout à la fois. Un homme dont on a longtemps craint les réseaux, les dossiers secrets, les coups tordus, mais dont les bons mots, l’accent provençal et une certaine façon d’être, à mille lieues des technocrates de la politique, ont aussi bâti une forme de popularité. Charles Pasqua, qui vient de mourir, lundi 29 juin à l’âge de 88 ans, des suites d’un problème cardiaque, selon un communiqué de sa famille publié dans Le Point, présentait ces deux visages. Celui d’un « parrain », conversant en corse avec certains de ses collaborateurs et traînant dans son sillage un bout de la Françafrique, quelques légendes noires du mouvement gaulliste et bon nombre d’affaires qui défrayèrent la chronique judiciaire. Celui aussi d’un personnage à la Fernandel, terriblement sympathique, fin connaisseur des hommes et invitant chacun à de mémorables saucissonades. Selon les époques, on jura qu’il avait été « un grand résistant », « un grognard du gaullisme », « le premier flic de France », « le patron du plus riche conseil général de l’Hexagone, les Hauts-de-Seine ». Mais c’est encore François Mitterrand qui résuma le mieux ce personnage haut en couleur de la Ve République, en évoquant, dans un mélange d’admiration et de méfiance, « ce diable de M. Pasqua ». Tout au long de sa vie, l’ancien ministre laissa presque tout dire. Lui-même parlait beaucoup, jamais avare d’un bon mot ou d’une anecdote. C’était cependant sa ma- nière, très efficace, de cacher toujours l’essentiel. C’est-à-dire sa parfaite connaissance de bon nombre de secrets d’Etat et de certains comportements sombres au cœur de la République. Au sein de la droite, ceux qui avaient suivi son parcours, ses choix politiques, ses procès avaient fini par dire pudiquement de lui « c’est un personnage », comme on évoquerait un caractère de théâtre. Et il faut parier qu’il y avait là une manière d’hommage, d’admiration et peutêtre de nostalgie pour une époque révolue de la politique. Charles Pasqua résuma un jour sa vie en une phrase, qui fit rire les snobs : « Sans de Gaulle et Paul Ricard, je ne serais pas ce que je suis. » Pour comprendre ce qu’il voulut alors dire, il faut d’abord revenir aux 15 ans de ce petit-fils de berger corse, de ce fils de policier, et sentir le soleil et les parfums de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Le jeune Charles y est né le 18 avril 1927, dans une famille de patriotes farouches, comme le sont parfois les Corses. Après l’invasion de la zone libre par les armées nazies en novembre 1942, il s’engage dans la Résistance, sous le pseudonyme de Prairie. En fait, son père, André, est déjà membre d’un réseau et établit de fausses cartes d’identité de son commissariat. De son côté, Charles fait partie d’un groupe de jeunes gens qui rejoindront bientôt la France libre du général de Gaulle. De là datera son attachement à l’homme du 18Juin, dont il rejoindra après la guerre, dès sa fondation en 1947, le RPF. Il a repris ses études, passé son bac et une licence de droit, et a épousé la femme qui restera tou- jours à ses côtés, Jeanne Joly, une Québécoise rencontrée à Grasse, avec laquelle il aura aussitôt un fils unique, Pierre. Il lui faut désormais un métier. Il va trouver son premier lieu d’épanouissement dans l’entreprise Ricard, qui mène alors bataille sur le marché des alcools et spiritueux contre Pernod, et règne en maîtresse à Marseille, où la fa mille Pasqua s’est installée. « J’ai eu un coup de chance, j’ai été reçu par Paul Ricard lui-même, racontait parfois Charles Pasqua. Dans son bureau, il m’a demandé de mimer une scène de vente. Ma prestation a dû lui plaire. Quinze jours plus tard, j’étais pris à l’essai. » Il va vite se faire remarquer par son bagout, son intelligence et son sens de la vente. Paul Ricard a un mode de gestion quasi clanique de son entreprise. Il organise des week-ends et des corridas chez lui, invite ses directeurs avec leurs épouses et s’arrange, au fond, pour que ses cadres vivent entièrement dans l’orbite Ricard, vacances comprises. Très vite, Charles Pasqua va être bombardé inspecteur des ventes en Corse, puis grimper tous les échelons jusqu’à la direction générale des ventes en France et à l’ex- « De Gaulle, c’était un mythe ! S’il avait été communiste, j’aurais été coco sans hésitation » CHARLES PASQUA portation, en 1962, naviguant de la Corse à Marseille pour atterrir à Paris. En 1967, il est devenu le numéro deux du groupe. De ces moments, il gardera surtout le souvenir d’une méthode qu’il définira ainsi : « Avec Paul Ricard, on avait en commun un comportement atypique. En dehors des clous… C’était une sorte de jeu. Plus qu’un jeu, une nécessité de l’action. » Cette « nécessité de l’action » trouve aussi un exutoire parallèle. En 1959, il est devenu l’un des cofondateurs, avec Jacques Foccart et Achille Peretti, du Service d’action civique (SAC), sorte de police privée du gaullisme, en pleine guerre d’Algérie. Pasqua en est le vice-président et le dirige avec son ami Daniel Léandri. C’est un curieux mélange de militants, de policiers, de gendarmes et d’hommes du « milieu » qui, de l’engagement gaulliste des débuts, vont peu à peu dériver vers les coups de main, les règlements de comptes et l’illégalité. Les amis de « Charles » concèdent alors qu’il est « facilement séduit par les truands », tellement plus hauts en couleur que ces fils de la bourgeoisie qui tiennent le haut du pavé politique. Il ne voit d’ailleurs pas de contradiction à les fréquenter pour mieux servir la figure de légende qui reste sa référence : de Gaulle. « De Gaulle, c’était un mythe ! explique-t-il un jour au Monde. S’il avait été communiste, j’aurais été coco sans hésitation. Et s’il m’avait demandé de mourir pour lui, je l’aurais fait sans hésiter. » En 1968, c’est donc avec ses troupes du SAC que Charles Pasqua organise le raz-de-marée gaulliste du 30 mai sur les Champs-Elysées. Il est élu, dans la foulée, député UDR 18 AVRIL 1927 Naissance à Grasse (Alpes-Maritimes) 1947 Rejoint le Rassemblement du peuple français 1959 Cofonde le Service d’action civique 1968 Elu député UDR de la circonscription Clichy-Levallois (Hauts-de-Seine) 1976 Participe à la fondation du RPR 1986-1988 Ministre de l’intérieur 1988 Elu président du conseil général des Hauts-de-Seine 1993-1995 Ministre de l’intérieur 1999 Fondation du RPF 29 JUIN 2015 Mort à Suresnes (Hauts-de-Seine) dans la circonscription de ClichyLevallois. L’année précédente, il a quitté Ricard pour monter sa propre société, Euralim, sise à Levallois-Perret, spécialisée dans l’importation de l’Americano, un cocktail italien à base de Campari et de vermouth. Mais c’est vraiment la politique qui lui offre le terrain de jeu auquel il aspire. Drôlerie pagnolesque « On ne comprend rien de moi si l’on ne comprend pas que je suis un militant », avait coutume de lancer Pasqua. Il aurait aussi pu ajouter « si l’on ne comprend pas que je suis un homme de la guerre ». Ces années-là transcendent tout. Le compagnonnage de ceux qui ont vécu le conflit est bien plus fort que les clivages politiques : il y a les résistants et les planqués. Et cent fois Pasqua affichera sa sympathie pour des communistes ou des socialistes qui peuvent bien être de « l’autre bord » politique mais ont fréquenté les mêmes rivages de la lutte contre l’occupant nazi. A l’inverse, il pourra bien déclarer avoir des « valeurs communes » avec le Front national et même s’entourer de transfuges de l’extrême droite et d’anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), il éprouvera toujours une aversion profonde pour Jean-Marie Le Pen et les diatribes lancées par l’ancien député poujadiste, dans les années 1960, contre la politique d’autodétermination décidée par le Général en Algérie. Dans ces conditions, que peut valoir son alliance avec un homme trop jeune pour avoir connu la guerre : Jacques Chirac. Orphelin du général de Gaulle, Charles Pasqua a pourtant un vrai coup de cœur pour ce filleul politique de Georges Pompidou. Chirac a le charme et l’appétit des jeunes ambitieux et s’il a pris soin de céder en apparence aux conventions bourgeoises, il sait apprécier à sa juste valeur l’efficacité sous la drôlerie pagnolesque de Charles. Dès 1974, Pasqua se met à son service. « Si vous maintenez pour la France le cap du gaullisme, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous aider à devenir ce nouveau chef », lui dit-il. Désormais, disparitions | 17 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Avec Jacques Chirac au congrès du RPR, à Paris, le 27 octobre 1991, et avec Edouard Balladur, à l’université d’été du RPR, à La Baule, en septembre 1988. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ FRENCH-POLITICS Le 5 mai 1988, Jacques Chirac et Charles Pasqua accueillent les otages du Liban (sur la photo, Marcel Carton et Jean-Paul Kauffmann). GEORGES MERILLON/GAMMA l’amitié paraît indéfectible. Les deux hommes se tutoient, partagent leurs secrets, et les filles de Chirac prennent l’habitude de voir « Oncle Charles » venir prendre un whisky, le soir, avec celui qui est devenu le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing après avoir trahi l’homme qui incarnait pourtant la résistance gaulliste : Jacques Chaban-Delmas. C’est ensemble, avec le tandem Pierre Juillet et Marie-France Garaud, qu’ils vont créer le RPR, en 1976, après la rupture entre Chirac et Giscard. Pasqua a aidé le jeune loup à mettre la main sur l’UDR et à faire taire les barons du gaullisme. Chirac fait de lui le secrétaire général adjoint du mouvement. Désormais, la deuxième phase de sa vie politique sera liée à l’ascension vers la présidence de la République de ce poulain aux dents longues. Aucune élection interne du mouvement néogaulliste ne lui échappe. Ses réseaux sont mobilisables à tout moment, même pour les actions les moins avouables. En 1981, Chirac fait de lui son directeur de campagne pour l’élection présidentielle. Pasqua se consacre largement à déstabiliser Valéry Giscard d’Estaing, qui se représente. Alors que le président sortant doit faire face à la polémique sur des diamants offerts par l’« empereur » centrafricain JeanBedel Bokassa, les « Pasqua boys » apposent nuitamment sur les affiches du candidat Giscard, juste à la place des yeux, des diamants autocollants… Au RPR, les cadres ont reçu la consigne explicite de voter pour Mitterrand. Giscard ne s’en relèvera pas. Dans l’équipe qui prépare déjà Chirac à l’élection suivante, Pasqua incarne désormais les « coups tordus » du RPR et le versant autoritaire d’un leader flanqué, de l’autre côté, d’un Edouard Balladur et d’un Alain Juppé. Il est devenu la bête noire de la gauche. Il l’est si bien que, en mars 1986, lorsque la droite gagne les législatives et que Chirac devient le premier premier ministre de cohabitation de la Ve République, François Mitterrand s’oppose à quatre nominations dans le gouvernement, dont la sienne au ministère de l’intérieur. Chirac cède sur les trois autres, pas sur lui : Pasqua devient le « premier flic de France ». Il entend le rôle à sa façon. Quelques jours après son arrivée Place Beauvau, il reçoit ainsi le patron du journal d’extrême droite Minute, Patrick Buisson. De son coffre-fort, le ministre a sorti à l’intention de celui deviendra vingt ans plus tard le conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée un épais dossier rose sur lequel est inscrit en grosses lettres « Turpitudes socialistes »… Le ministre de l’intérieur prépare déjà le combat contre la gauche, et celle-ci ne s’y trompe pas. Elle conteste le nouveau découpage électoral largement défavorable au PS, et bientôt la délivrance d’un vrai faux passeport par la Direction de la surveillance du territoire (DST) à Yves Chalier, l’ancien chef de cabinet du ministre socialiste Christian Nucci impliqué dans l’affaire du Carrefour du développement. « Terroriser les terroristes » Le 6 décembre 1986, après une manifestation étudiante contre les lois Devaquet sur l’université, un jeune homme de 22 ans, Malik Oussekine, meurt après une violente charge de la police. Le ministre et son ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud, avaient remis en service ces équipes de « flics voltigeurs », à moto et équipés de matraques, les chargeant de « nettoyer » les rues en pourchassant les « casseurs ». Désormais, la mort de Malik Oussekine lui sera constamment reprochée, achevant d’assombrir la réputation de Charles Pasqua. La droite, en revanche, adhère à sa politique musclée rendant plus difficile le séjour des étrangers en France et loue l’arrestation des terroristes d’Action directe. Le « Il faut terroriser les terroristes » lancé par le ministre devient quasiment une phrase culte au RPR. C’est aussi grâce à l’action de l’un de ses proches, Jean-Charles Marchiani, un ancien du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) qui parle en corse avec le ministre, que seront notamment libérés le 5 mai 1988 Ses réseaux sont mobilisables à tout moment, même pour les actions les moins avouables les otages du Liban, Jean-Paul Kauffmann, Marcel Carton et Marcel Fontaine. Sous la caricature de Fernandel pointe pour la première fois la puissance de l’homme de réseaux et de secrets qui, jusqu’à sa mort, ne livrera jamais les conditions de cette libération dont on ne connaît toujours pas avec certitude les contreparties. Le second tour de l’élection présidentielle doit avoir lieu trois jours plus tard. La joie de voir le journaliste et les deux diplomates enfin libres, partagée pourtant dans toute la France, ne sauvera pas la droite. François Mitterrand est réélu. « Décidément, les Français n’aiment pas mon mari », constate tout de go Bernadette Chirac. En fait, Charles Pasqua a compris bien avant sa défaite que Chirac ne l’emporterait pas. Il s’exaspère depuis l’automne 1986 de ses hésitations politiques, de ses faiblesses face aux « enfantillages » de « la bande à François Léotard », de sa fascination pour son ministre de l’économie libéral Edouard Balladur. « Si tu veux te contenter d’être le président du conseil général de la Corrèze, disait-il alors à Chirac, c’est à ta portée. Mais ce sera sans nous ! » Il le juge indécis, nerveux et, pour tout dire, sans colonne vertébrale. Dès le lendemain de la présidentielle, il décide de se mettre à son compte, avec l’aide d’un autre rebelle, Philippe Séguin. Leur offensive contre la direction du parti néogaulliste va faire long feu, en février 1990, mais, deux ans plus tard, le président du groupe RPR du Sénat Pasqua se retrouve une nouvelle fois aux côtés de Séguin contre Chirac et le traité de Maastricht. Le traité européen, qui donnera naissance à la monnaie unique, est adopté par référendum le 20 octobre 1992, mais leur campagne a été d’une remarquable efficacité. Surtout, elle a permis à Pasqua de s’ancrer dans un électorat populaire souvent abandonné au Front national, dont il disait – entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988, alors que JeanMarie Le Pen avait obtenu 14,4 % de voix au premier tour – partager « les mêmes valeurs ». Il tente de le cultiver en déposant au Sénat, en octobre 1988, une proposition de loi pour le rétablissement de la peine de mort. Dans l’opinion, ses formules font désormais florès : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », « La politique, ça se fait à coups de pied dans les couilles », « On est plus fidèle à sa nature qu’à ses intérêts ». Mais Charles Pasqua aspire à exercer le pouvoir. Au Sénat, dont il convoitait la présidence, une partie de la droite s’est coalisée contre lui. En 1983, le jeune Nicolas Sarkozy lui a soufflé la mairie de Neuilly, mais il préside depuis 1988 le conseil général le plus riche de France, celui des Hauts-de-Seine. Le voilà politiquement et financièrement puissant. Cela n’a pas échappé à Edouard Balladur, qui, en 1993, à la faveur de la victoire de la droite aux élections législatives, est devenu premier ministre pour la deuxième cohabitation qu’affronte un François Mitterrand cette fois très affaibli par la maladie. Le gouvernement qu’il compose est un petit chef-d’œuvre d’équilibre politique : tous les chefs de la droite y figurent, de Charles Pasqua, de retour au ministère de l’intérieur, à Simone Veil, de François Léotard à Nicolas Sarkozy, de François Bayrou à Gérard Longuet. Pasqua a déjà compris les ambitions présidentielles de l’ancien conseiller de Chirac. Agacé par ce qu’il tient pour de la faiblesse psychologique, il a déclaré froidement à ce dernier quelques mois auparavant : « Jacques, si tu laisses Edouard aller à Matignon, ce sera comme si tu jouais à la roulette belge : celle où il y a une balle dans chaque trou du barillet. » Mais puisque Edouard est là… Au ministère de l’intérieur, c’est comme une redite des années 1986-1988. Le nouveau ministre fait voter la réforme du code de la nationalité française. Il doit aussi faire face en 1994 aux manifestations étudiantes contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP), qui sont marquées par des affrontements violents entre la police et des groupes de jeunes. Le 4 octobre 1994, il est confronté à une sanglante fusillade en plein Paris qui fait trois morts parmi les forces de l’ordre. Elle est perpétrée par deux étudiants, Florence Rey et Audry Maupin. A nouveau, Charles Pasqua se déclare « personnellement en faveur » du retour de la peine de mort pour « les assassins les plus sordides, ceux qui attaquent les personnes âgées sans défense, ceux qui violent ou qui tuent des enfants, ceux qui assassinent des responsables des forces de l’ordre ». Sous sa direction, le général Rondot organise l’arrestation du terroriste Carlos, et c’est aussi sous sa férule que le GIGN intervient, en décembre 1994, à l’aéroport de Marseille, pour « neutraliser » un commando du GIA ayant détourné un Airbus parti d’Alger. Pour autant, les militants du RPR sont soufflés de voir Charles Pasqua décider de soutenir, quelques mois avant l’élection présidentielle, un Edouard Balladur qu’il avait pourtant toujours traité au mieux de « casse-couilles », au pire de « bourgeois libéral bradeur de gaullisme ». L’un est souverainiste et tient l’intervention de l’Etat pour la marque de la puissance française. L’autre est européen et libéral. Que peuvent-ils avoir en commun, sinon un intérêt trivial et cynique pour le pouvoir ? Le Fouché du continent africain Pasqua a-t-il mesuré le désarroi et l’incompréhension qu’il suscite chez ses fidèles ? Au lendemain de sa prise de position, il est sifflé dans les rangs du RPR. L’imbroglio de l’affaire Schuller-Maréchal, en pleine campagne présidentielle, et les scandales judiciaires de Patrick Balkany qui ébranlent son fief des Hauts-de-Seine achèvent de ternir son image. La défaite d’Edouard Balladur le laisse sans allié. En 1999, son alliance avec Philippe de Villiers aux élections européennes lui permet de devancer la liste menée par Nicolas Sarkozy, obligeant ce dernier à démissionner de la tête du RPR. Pasqua et Villiers fondent un nouveau parti, le RPF. Mais les deux hommes ne sont pas faits pour s’entendre. Parmi les douze députés RPF élus au Parlement européen, dix le quittent. A la tête du conseil général des Hauts-deSeine, il crée le pôle universitaire Léonard-de-Vinci, appelé « fac Pasqua ». Il commence à se sentir pousser des ailes. Elles vont être coupées net par la justice. « Mes ennuis ont commencé en 2000, quand j’ai dit que j’étais candidat à la présidentielle de 2002 », expliquait en 2009 Charles Pasqua, qui détailla : « Il est évident, si l’on regarde les choses a posteriori, que si j’avais été candidat, Jacques Chirac n’aurait jamais été élu. Il aurait été battu par Lio- nel Jospin. Tout a été fait pour m’éliminer. Un juge s’en est chargé… » Il n’empêche. Les investigations de la justice éclairent d’une nouvelle lumière une autre facette de l’animal politique. Les connaisseurs de l’Afrique savent depuis longtemps comment les réseaux Pasqua ont peu à peu pris la place des anciens réseaux Foccart. L’ancien patron du SAC veut être le Fouché du continent africain et peut compter sur ses fidèles, dont Daniel Léandri, JeanCharles Marchiani et son propre fils, Pierre Pasqua, pour l’aider dans cette ambition. Au ministère de l’intérieur, Pasqua savait rendre service, donner des conseils de sécurité, surveiller discrètement les opposants installés dans l’Hexagone, délivrer des visas. A sa manière, Charles Pasqua mène en Afrique, notamment dans les pays pétroliers, sa propre diplomatie. Il essaie d’installer un homme à lui – souvent un Corse – chez la plupart des présidents africains, en débordant largement le pré carré francophone. Un pour cent du budget du conseil général des Hauts-de-Seine est consacré à la coopération en Afrique. Lorsque, en janvier 1997, Philippe Jaffré, le nouveau présidentdirecteur général d’Elf Aquitaine, décide de se rendre en Angola, l’eldorado pétrolier de loin le plus prometteur d’Afrique, il doit décaler sa visite d’une semaine. L’ancien ministre de l’intérieur a programmé au même moment un déplacement à Luanda et risque de monopoliser les meilleurs interlocuteurs à la présidence angolaise, mais aussi de nombreux cadres de la compagnie pétrolière française. François Mitterrand l’avait lui-même bien compris : au sein d’Elf, surnommée « la pompe Afrique » de la classe politique française, on peut s’entendre pour partager et travailler ensemble entre Loïk Le Floch-Prigent, nommé par le président socialiste, Alfred Sirven, proche de Charles Pasqua, et le chiraquien André Tarallo. Pasqua entretient aussi des liens étroits avec le marchand d’armes Pierre Falcone et l’associé de ce dernier, Arcadi Gaydamak, décoré de l’ordre national du Mérite pour avoir joué un rôle essentiel dans la libération, en décembre 1995, de pilotes français détenus en Bosnie. On retrouvera tous ces noms dans la plupart des affaires financières qui vont plomber les années 2000 de Charles Pasqua. Relaxé dans six d’entre elles, il est condamné à de la prison avec sursis deux fois, même si le tribunal souligne n’avoir trouvé chez lui « aucune âpreté au gain ni aucune volonté d’enrichissement crapuleux ». Son fils, Pierre, en revanche, doit séjourner en prison. Ces dernières années, Charles Pasqua, qui avait renoncé à se représenter aux élections sénatoriales en 2011, continuait à retrouver ses amis autour de charcuteries corses. En février cependant, il avait enterré son fils Pierre, et malgré son apparition il y a quelques semaines au congrès fondateur des Républicains, il n’avait plus pour la politique que le goût de ses secrets. p raphaëlle bacqué 18 | culture 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER Paul Dano (Brian Wilson jeune), assis de face sur le toit de la voiture. ARPSELECTION Le garçon de plage coupé en deux Dans « Love & Mercy » de Bill Pohlad, le scénariste Oren Moverman entremêle, en deux tableaux distincts, l’extase et les épreuves de Brian Wilson, génial leader des Beach Boys RENCONTRE B ob Dylan en 2007, Kurt Cobain en 2010, et maintenant Brian Wilson – l’âme tourmentée des Beach Boys. Par trois fois, Oren Moverman a écrit pour le cinéma un portrait de star du rock. Todd Haynes a réalisé (et cosigné le scénario de) I’m Not There, le portrait fragmenté de Bob Dylan ; This Is Gonna Suck, le récit des dernières années du leader de Nirvana, attend toujours un réalisateur, malgré l’imprimatur de Courtney Love, la veuve de Cobain ; et voici que sort Love & Mercy, qui met en scène l’extase et les épreuves qui furent celles du fils aîné de Murry et Audree Wilson, frère de Carl et Dennis, cousin de Mike Love, auteur de California Girls, Good Vibrations et I Just Wasn’t Made for These Times. « Je n’étais pas un expert des Beach Boys, raconte Oren Moverman au téléphone, depuis New York. Mon ami Lawrence Inglee [producteur de The Messenger, Rampart et Time Out of Mind, que Moverman a réalisés] était obsédé par l’histoire de Brian Wilson. Je me souviens qu’il me conduisait à travers Los Angeles en me montrant les lieux où les Beach Boys avaient vécu et travaillé, en m’expliquant leur histoire. » Malgré les efforts de Lawrence Inglee, les droits de la biographie de Brian Wilson ont échu à Bill Pohlad, producteur, entre autres, de Twelve Years a Slave, qui a décidé de réaliser le film et fait appel à Moverman. Pendant son enfance en Israël, où il est né en 1966, le scénariste n’était « guère exposé au rock’n’roll, un peu par la radio ». A la fin du siècle dernier, Oren Moverman s’est installé aux EtatsUnis et s’est immergé dans la culture du pays, dont le rock est devenu un élément fondamental. C’est peut-être son statut d’étranger qui l’a porté à refuser les recettes classiques du film biographique (biographical picture, d’où le vénérable néologisme hollywoodien « biopic ») et à tenter, dès l’écriture d’I’m Not There, présenté à Venise et Toronto en 2007, une expérience inédite, fractionnant le portrait de Dylan en six segments interprétés chacun par un acteur différent (Cate Blanchett, Richard Gere, Ben Whishaw…). « Dylan est un transformiste, explique Oren Moverman. La question centrale est celle de la perception qu’il offre. Le concept du film tourne autour des idées que Dylan propose. » Le parcours de Brian Wilson lui a inspiré un récit beau- coup plus dramatique : « Un sommet créatif suivi d’une période stérile qui se termine par un séjour de deux ans au lit, sans quitter sa chambre dans les années 1970, puis par l’intervention d’un médecin, le docteur Eugene Landy, qui affirme son emprise sur Brian Wilson jusqu’à ce que celui-ci rencontre une femme. Ces périodes présentent un contraste très fort, jusque dans le physique du personnage. » Marqueterie de moments La première version du scénario « beaucoup trop longue », de l’aveu même de son auteur, était divisée en trois époques : l’enregistrement des albums Pet Sounds et Smile, la dépression et la solitude, Il fallait surmonter le statut très particulier de l’auteur de « God Only Knows », sa détestation de la scène et des voyages et la rencontre avec Melinda Ledbetter, qui devait devenir Mrs Wilson et qu’interprète Elizabeth Banks. « Au fil de l’écriture, la période des années 1970, celle pendant laquelle il est devenu obèse à force de rester au lit, est devenue de plus en plus courte, se souvient Oren Moverman, jusqu’à ce qu’on en arrive au casting. Nous avons débattu de ces différents moments et avons conclu qu’à chaque fois ce n’était pas le même Brian. Nous avons fini par diviser le film en deux, pour qu’à chaque période un acteur différent puisse s’immerger dans le personnage », tâches qui échurent à Paul Dano pour les années 1960 et à John Cusack pour les années 1980. La structure de Love & Mercy, marqueterie de moments qui s’entrecroisent à travers les années, n’est pas sans évoquer le travail minutieux que Brian Wilson accomplissait dans les studios d’enregistrement, pendant que ses frères et cousins parcouraient le monde. « Une bonne part du film est consacrée à la fabrication de la musique. Il suffit d’écouter les séances d’enregistrement de Pet Sounds ou de Smile pour savoir ce qui se passait en studio. Il y avait beaucoup d’expérimentation, de montage et j’ai essayé de travailler comme Brian le faisait. » Il fallait aussi surmonter le statut très particulier de l’auteur de God Only Knows dans la mythologie rock. Sa détestation de la scène et des voyages a empêché le musicien de devenir un performeur. « Il ne se souciait que de construire un autre langage par la musique, il était incapable de construire un concept de lui-même, de sa vie », fait remarquer Oren Moverman. Cette singularité l’a privé de certains éléments obligés d’autres films rock, comme les rapports avec les fans ou la pression médiatique. Le scénariste est d’avis que « tous les films sont des biopics, chaque personnage a une vie. Et si vous racontez la vie d’un personnage qui a travaillé une forme, vous essayez de la raconter à travers cette forme ». This Is Gonna Suck, si le film voit le jour (et il n’est pas impossible qu’Oren Moverman le réalise luimême), sera ainsi « un film beaucoup plus linéaire, qui devrait se préoccuper de savoir qui était Kurt Cobain quand les caméras et les projecteurs s’éteignaient. L’étude d’une solitude, d’un désir d’être aimé et de la peur d’être rejeté ». p thomas sotinel A l’écoute du brouhaha intérieur de Brian Wilson LOVE & MERCY pppv D ieu seul sait ce qui se passe dans la tête de Brian Wilson. Incarné par Paul Dano dans Love & Mercy, le film que Bill Pohlad lui consacre, il dit « ne pas comprendre d’où ça vient » : ça, c’est la musique, sa musique. Le son unique des Beach Boys, dont il a composé et interprété la plupart des chansons et qui semble se fredonner si facilement, pour le garder encore plus facilement en tête. Mais ses textes ne sont souvent légers qu’en surface et, à mesure que la carrière des Beach Boys progresse, l’orchestration se hasarde vers des sonorités plus étonnantes, les rythmes se font changeants, la mélodie se mélancolise. Comme ses chansons, Brian Wilson cache bien des choses sous ses airs bon enfant : il est diagnostiqué – abusivement estimeront plus tard des médecins – schizophrène, et lorsqu’il dit « ne pas comprendre d’où ça vient », peut-être s’étonne-t-il surtout que quelque chose de cohérent, a fortiori de beau, puisse sortir du brouhaha de musique et de voix qui lui emplit la tête. Au point culminant de ce brouhaha, dans les années 1970, se trouve une longue dépression. Là où d’autres y auraient vu une acmé dramatique, Bill Pohlad et son scénariste Oren Moverman ont eu la pudeur et l’intelligence d’en faire le point aveugle de leur histoire, comme elle a pu être celui de l’histoire de Brian. A cause d’elle, le musicien se dédouble. Paul Dano joue le Brian d’avant, surmontant son vertige pour emmener les Beach Boys vers leur apogée artistique, avec l’album Pet Sounds. John Cusack joue le Brian d’après la chute, tentant de se relever sous le regard apaisant d’une femme. Le dédoublement est risqué : il réussissait mal à Todd Haynes, qui s’était mis en tête, avec I’m Not There (2007), de faire revivre Bob Dylan en kaléidoscope, avec six acteurs différents. Une triangulation curieuse Construit autour de deux acteurs, le concept de Love & Mercy n’est plus simple qu’en apparence : il construit non pas un face-à-face mais une triangulation curieuse autour de Dano, Cusack et le Brian dépressif qu’un troisième acteur pourrait incarner, hors champ. L’effet produit est vigoureux, et l’attention sans cesse maintenue en éveil tandis que l’on cherche, aux trois points du triangle, des correspondances entre les deux visages filmés de Brian Wilson et cette face obscure qu’on est contraint de lui imaginer. De ce va-et-vient émerge bel et bien un seul personnage, étonnamment net. Comme la musi- que, la forme naît d’un désordre apparent. Aussi, plus qu’à l’euphorie des concerts, bien plus qu’au produit sans tache qui sort du studio, Love & Mercy s’intéresse-t-il aux états intermédiaires du son des Beach Boys. D’abord, ce brouhaha primitif dans la tête de Brian, qu’une mise en scène inspirée s’efforce de faire ressentir plus qu’elle ne l’imite : un mélange de voix, de cris, de notes, qui dans la cacophonie trouve comme par accident des moments d’harmonie, tel un orchestre qui s’accorde. Puis le travail en studio de Brian, où la part expérimentale (aboiements et autres « instruments » improbables) reste plus modeste qu’on ne le pense : son vrai défi est de faire comprendre à ses musiciens la forme qu’il entend donner à ce chaos. Enfin, l’enregistrement des voix et ce qu’il dit de l’harmonie du groupe : l’osmose, les récriminations, les couacs. Sur tout cela plane la musique minimaliste d’At- ticus Ross, brouillant les lignes mélodiques comme pour les ramener au chaos à mesure que Wilson les en tire. Peut-être est-elle, à elle seule, ce troisième acteur qui joue le Brian dépressif. Cette cacophonie étudiée n’est pas toujours agréable à l’oreille, mais son effet est doublement beau. Parce qu’il donne à la perfection le sentiment du chaos intérieur du compositeur, il fait voir comme un miracle sa capacité à tirer de tout cela une forme, et plus encore un chant. Et parce qu’il détruit pour mieux reconstruire, il permet aux oreilles, trop confortablement installées dans le souvenir d’une musique que l’on croit connaître par cœur, de réentendre God Only Knows comme si on la découvrait pour la première fois. p noémie luciani Film américain de Bill Pohlad. Avec Paul Dano, John Cusack, Elizabeth Banks (2 h 01). culture | 19 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Le « Prince » somnambule de Marco Bellocchio Réalisé en 1997, le film splendide du cinéaste italien, adapté de la pièce d’Heinrich von Kleist, sort enfin en France LE PRINCE DE HOMBOURG Ce « Prince de Hombourg » baigne dans une atmosphère magique qui traduit le trouble de son héros tragique, perdu entre le rêve et la réalité pppv S urgi du cœur de la tourmente, au beau milieu d’un champ de bataille, dans une scène furtive glissée entre deux cartons de générique, le prince de Hombourg entre en scène à cheval, sabre à la main, galbé dans son bel uniforme, le port altier, le regard fier. ll est jeune, a les traits sensuels d’Andrea Di Stefano, acteur italien qui n’avait pas encore 25 ans en 1997, quand le film a été tourné. Après ce moment quasi subliminal, on retrouve le personnage hagard, perdu dans le calme bleu d’une nuit américaine, arpentant les allées boisées d’un jardin en terrasses. Le beau guerrier est aussi un rêveur, un somnambule qui erre au clair de lune, le teint pâle comme celui d’un vampire, prêt à défaillir au moindre éclat de voix qui viendrait l’arracher à ses songes. Un jeune homme en proie à un violent tourment. Idéalisme dément Adaptation par Marco Bellocchio de la dernière pièce d’Heinrich von Kleist, écrite peu de temps avant que l’écrivain romantique ne se donne la mort, en 1811, à l’âge de 34 ans, Le Prince de Hombourg représentait l’Italie dans la compétition cannoise de 1997. Atypique dans la filmographie du cinéaste italien – qui ne compte qu’une autre adaptation littéraire, Henri IV, le roi fou (1984), d’après Pirandello –, elle n’en reflète pas moins le penchant pour la psychanalyse qui a façonné, après une première période politique, toute la deuxième partie de son œuvre. Qu’il ait fallu dix-huit ans à ce film pour sortir dans les salles françaises est difficile à comprendre tant il est splendide. L’initiative en revient à la société Carlotta Films, qui accompagne ainsi le regain de ferveur qui entoure aujourd’hui l’œuvre du poète et dramaturge allemand. Alors qu’au théâtre, un Prince de Hombourg mis en scène par Giorgio Barberio Corsetti ouvrait en 2014 le Festival d’Avignon, Arnaud des Pallières s’est inspiré d’un de ses romans pour son Michael Koohlhaas, et Autour de ce prince profondément moderne qui ne sait pas où il est, qui endosse successivement les oripeaux du lâche et du héros, autour de son procureur dont les motivations sont moins pures qu’il veut bien le dire (la condamnation du prince vise à sacraliser la discipline de l’armée, mais elle l’empêche aussi d’épouser Natalia, que l’Electeur souhaite marier à un autre), l’auteur des Poings dans les poches et de Vincere interroge le rapport de l’individu au collectif, du libre arbitre à la loi. Les acteurs Barbora Bobulova et Andrea Di Stefano. PROD DB/FILMALBATROS Jessica Hausner de la dernière période de sa vie pour Amour fou. A des degrés divers, ces entreprises de réappropriation semblent traduire une volonté de conjurer, par l’idéalisme dément qu’il a incarné dans son art comme dans sa vie, une forme de vide moral propre à notre époque. Comme Jacques Rivette qui disait vouloir, pour son Jeanne la Pucelle, mettre en scène une « idée de bataille » plutôt qu’une bataille, Marco Bellocchio a reconstitué l’univers de la cour et de l’armée prussienne selon un principe d’économie radicale qui fait écho à la simplicité de l’intrigue. Condensant l’artifice, il fait exploser l’émotion dans chaque plan avec une intensité violente, permettant au film d’échapper aux Ping-pong verbal sous le voile Deux sœurs musulmanes d’une cité française face à leurs désirs et aux interdits. Un moyen-métrage désopilant d’Antoine Desrosières HARAMISTE ppvv Q ue pouvait-on imaginer en 2015 d’un film français dont les héroïnes seraient deux musulmanes d’une cité française qui portent le voile, sinon un drame social précautionneux, pétri de gravité et de mauvaise conscience ? Le moyenmétrage Haramiste du réalisateurscénariste Antoine Desrosières, qui alterne courts et longs depuis le mitan des années 1980 (A la belle étoile, 1993 ; Banqueroute, 2000), est heureusement à mille lieues de ce mauvais pari : un ping-pong verbal virevoltant, profus et irrévérencieux, montrant que, sous le voile, il peut ne pas y avoir qu’une soumission silencieuse, comme le veulent les représentations toutes faites, mais un ahurissant génie comique qui remodèle l’espace social à sa convenance et vibrionne follement autour des interdits. Oui, Messieurs, prenez garde, ces demoiselles parlent, et leur parole est un feu grégeois. D’ailleurs, la question du voile est vite évacuée, laissant place au vrai sujet, éternel marronnier de la fiction française : deux sœurs, nommées Rim et Yasmina, devant négocier avec, d’un côté, un désir qui les tarabuste et, de l’autre, le rôle social qu’on leur assigne. Improvisations épiques On les découvre de face, assises sur la place d’une cité-dortoir, au milieu des tours, alors qu’un garçon les aborde. L’une le reçoit gentiment, parce qu’elle aimerait bien « faire du tam-tam avec ses fesses », son aînée, la plus pudibonde, l’envoyant paître, pas dupe sur ses intentions (« On sait ce que c’est : frère mus’, frère j’m’amuse ! »). Mais le soir, dans leur chambre, la situation s’inverse : la prude s’inscrit sur un site de rencontres, y ferre un bel avocat et fait le mur pour le rejoindre, tandis que l’autre tente de la dissuader, la traitant de « sale haramiste » (le « haram » désignant l’illicite en arabe). Il y a, dans Haramiste, deux mises en scène qui s’affrontent et, parfois, se rencontrent. La première, c’est celle de Desrosières, qui a le mérite de laisser du champ à la parole, en lui ouvrant des espa- ces d’une frontalité théâtrale où elle peut s’ébattre pleinement, mais qu’il contient cependant dans un scénario d’émancipation cadenassé par des stéréotypes dormants (la libération sexuelle ne pouvant venir que de la migration sociale). En face, ses deux actrices, les désopilantes Inas Chanti et Souad Arsane, d’une réactivité et d’une inventivité incroyables, qui se mettent en scène au gré d’improvisations épiques, et donnent du désir virginal une image complexe, paradoxale, débordant le cadre que le réalisateur leur tend. De ce conflit naissent parfois des frictions, mais surtout une drôlerie phénoménale, vissée aux trébuchements de la langue adolescente sur ces objets qu’elle ne sait pas encore manipuler, prenant, sur fond de tubes yé-yé, les chibres pour « Chypre » et les godes pour des « côtes ». p mathieu macheret Film français d’Antoine Desrosières. Avec Inas Chanti, Souad Arsane, Jean-Marie Villeneuve, Samira Kahlaoui (40 min). écueils de la reconstitution historique sans rien céder sur le plan de la beauté. Ponctué de scènes nocturnes éclairées à la bougie, traversé par de splendides échappées filées de chevaux noirs dans la campagne, accompagné par la partition romantique de Marco Streccioni, ce Prince de Hombourg baigne dans une atmosphère magique qui tra- duit le trouble de son héros tragique, perdu entre le rêve et la réalité, trop captif de son monde intérieur pour saisir, parfois, ce qui se passe autour de lui. C’est ainsi qu’après avoir conduit son armée à la victoire il se retrouve mis à pied par le Grand Electeur, puis condamné à mort, pour n’avoir pas respecté, parce que pas entendu, les ordres de sa hiérarchie. Véritable vertige métaphysique En posant la question de la réalité des rêves, en les considérant comme des expériences constitutives de l’être, il provoque, plus encore, un véritable vertige métaphysique. Au début du film, lorsqu’il se réveille de sa crise de somnambulisme, le prince découvre dans ses mains un gant serti de perles qu’il se souvient avoir arraché en rêve à Natalia, dans un rêve amer où l’Electeur, qui s’apprêtait à le couronner de laurier, s’est ravisé, a tourné les talons et l’a abandonné sur place. Fil d’Ariane du film, qui conduira à un dénouement théâtral sous la forme d’un « deus ex machina » dont il est difficile de déterminer, au cinéma, s’il s’agit d’un rêve ou d’une blague de l’auteur, cet objet de passage entre le rêve et la réalité l’entraînera vers sa perte. A moins qu’il ne soit le signe de son salut. p isabelle regnier Film italien de Marco Bellocchio. Avec Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova, Toni Bertorelli (1 h 29). shellac présente partie. 2, de 1983 à 1989 En haut des marches - Rosa la rose, ille publique Once more - Le Café des Jules au cinéma le 8 juillet rétrospective le franc-tireur du cinéma français à suivre... les coffrets DVD des ilms de Paul Vecchiali Nuits blanches sur la jetée Rétrospective Partie 1 & Partie 2 www.shellac-altern.org 20 | culture 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 « Le cinéma doit être fou, maniaque, merveilleux…» Le réalisateur Sebastian Schipper explique que tourner « Victoria » en un seul plan-séquence fut « comme un voyage vers l’inconnu » ENTRETIEN Ce film, son tournage ont dû représenter pour vous quelque chose de tout à fait particulier… Ce fut pour moi une véritable expérience, comme un voyage vers l’inconnu. Aujourd’hui, après avoir frôlé la catastrophe, j’ai l’impression de rentrer d’un long voyage. père était pasteur, comme d’ailleurs une bonne partie de ma famille, mon grand-père, mon arrière-grand-père, un de mes oncles… Je viens de Hanovre, où je suis né en 1968. J’ai étudié le métier d’acteur à Munich, puis j’ai joué dans quelques films. Mon premier film en tant que réalisateur s’appelait Les Bouffons [1999]. Puis j’ai fait A friend of mine, en 2006, et Vers la fin de l’été, en 2009, d’après Les Affinités électives de Goethe. Si j’étais un musicien, je dirais qu’avec Victoria c’est la première fois que je trouve mon propre son. Ma propre musique. Mes films précédents étaient des imitations, alors que là il s’agit d’une véritable invention. On ne vous connaît pas en France. Qui êtes-vous ? Personne ne me connaît, pas même en Allemagne [rires]. Mon Votre film aurait-il pu se passer ailleurs qu’à Berlin ? A Londres ou à Paris, par exemple ? Victoria n’est pas un film sur un Q uatrième long-métrage du réalisateur allemand Sebastian Schipper, Victoria est constitué d’un seul plan-séquence de deux heures et quatorze minutes tourné dans vingt-deux lieux différents. La caméra de Schipper suit la jeune Victoria dans le tumulte alcoolisé des boîtes de nuit berlinoises. MONKEYBOY lieu, c’est un film sur des sensations, des sentiments que l’on retrouve en particulier à Berlin. Ailleurs, le film aurait été sans doute différent. J’aime cette solidarité du « qui es-tu ? D’où viens-tu ? », que l’on retrouve à Berlin, une ville où vivent énormément de jeunes. Une ville bon marché, où, justement, ce qui ne vaut pas cher est cool ; une ville où l’on pense que ce qui est cher est réservé aux gens qui ne sont pas cool ! Victoria, elle, est espagnole… Oui, elle vient d’Espagne. Pour le reste, on ne sait pas grand-chose L’Age d’Or à Naples 20 JUIN / 11 OCTOBRE 2015 Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. Pourquoi n’avoir voulu faire qu’un seul plan-séquence ? Je vous l’ai dit : pour échapper à la tradition. Parce que je ne me demande pas si un film est bon ou pas. Ni bon ni mauvais, le cinéma doit être fou, maniaque, merveilleux, horrible… Je n’aime pas les bons élèves. Le professionnalisme à outrance est en train de tuer l’idée même du cinéma. Au début, je trouvais stupide cette idée de réaliser en un seul plan-séquence un braquage de banque. Mais elle revenait sans cesse, un peu comme ces chiens, dans la rue, qui inlassablement reviennent vers vous pour réclamer de la nourriture. A la fin, l’idée s’est imposée et j’ai décidé de tenter le coup. De monter à bord du bateau… Mon idée était paradoxalement de perdre le contrôle du film, d’arriver à quelque chose qui ne soit pas parfait. C’est un peu la même chose lorsque l’on part en vacances. Rien de plus terrible que de savoir, à chaque instant, ce qui va se passer dans les minutes qui suivent. Les meilleurs moments, c’est lorsque le restaurant est fermé et que tu dois improviser, quand tu viens de rater le ferry et que tu dois improviser, quand tu « Victoria fonctionne à l’instinct. Pour moi, elle est la liberté, la bonté, le danger et le péché réunis » perds toutes tes affaires et que tu dois demander de l’aide. Parfois, il t’arrivera de haïr cette situation, d’avoir envie de rentrer à la maison. Mais, finalement, quand tu raconteras ton histoire, tout le monde l’adorera. C’est pareil avec un film, d’autant plus qu’avec les moyens techniques actuels on arrive à éliminer tout risque d’erreur. C’est horrible ! C’est important, au contraire, de faire des erreurs. On croit qu’elles rendent fou alors qu’en réalité c’est l’absence d’erreur qui nous rend dingue. En voyant votre film, on éprouve une sensation de mouvement tout à fait particulière… Quand on demandait à Francis Bacon ce qu’il cherchait à toucher par ses œuvres chez les individus, leur cœur ou leur cerveau, il répondait : le système nerveux. Je crois que c’est pareil avec le ci- néma : on regarde les films avec le système nerveux. Quels qu’en soient les défauts ? Prenez n’importe quel film, même Apocalypse Now ou A bout de souffle, il y aura toujours quelqu’un pour critiquer quelque chose, la fin, le début, le milieu… J’aime ce qu’a répondu la grande violoniste Anne-Sophie Mutter lorsqu’on lui a demandé la définition d’un concert parfait : « Ça n’existe pas. Et c’est bien que ça n’existe pas. » Vous n’avez tourné que trois prises ? Heureusement ! Il ne nous restait plus d’argent [rires]. Lors de ce tournage, pour la première fois, j’ai éprouvé un sentiment de perte de contrôle totale. Alors même que mon métier de réalisateur implique au contraire de tout contrôler, jusqu’au moindre détail ; de refaire les scènes autant que nécessaire. Réaliser Victoria en un seul plan et en temps réel ne le permettait pas. Du coup, je me comportais comme un entraîneur de foot. Tout s’est mis en place au moment du tournage, les dialogues, improvisés, mais aussi l’intrigue et les motivations des personnages. On a commencé à tourner à 4 h 20 du matin. Deux heures quatorze plus tard, c’était terminé. p propos recueillis par franck nouchi Enchaînement fatal, sans raccords de la Peinture VICTORIA ppvv Francesco Guarino, Sainte Agathe (détail), vers 1637, huile sur toile, 87 x 72 cm, Naples, Museo e Gallerie Nazionali di Capodimonte, Photo © Pedicini/Archivio dell’Arte - DE RIBERA À GIORDANO d’elle. Juste des intuitions. Elle fonctionne à l’instinct. Pour moi, elle est la liberté, la bonté, le danger et le péché réunis. Ç a commence dans un night-club, dans la fureur d’une piste de danse. La caméra suit frénétiquement une jeune femme qui se déhanche, puis se fraie un chemin vers le bar puis vers la rue, dans le tumulte alcoolisé des sorties de boîte de nuit. C’est le début de ce qui se révélera à la fois un récit se déroulant durant l’exact temps de la projection et d’une expérience singulière pour le spectateur. Victoria n’est en effet constitué que d’une seule prise de vue de 2 h 14, se rapprochant ainsi d’autres expériences ayant traversé l’histoire du cinéma, expériences témoignant d’une recherche qui unifierait la durée de la projection avec celle du récit en train d’être conté. La Corde, d’Hitchcock (même si le film contenait des raccords cachés et même visibles), en serait un des modèles canoniques. Plus récemment, L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov, avait proposé, cette fois sans tricher sur le montage, un tel projet. Le spectateur du film de Sebastian Schipper n’a ainsi d’autre choix que de suivre l’héroïne, une jeune Espagnole lâchée dans les rues de Berlin au petit matin. Au sortir de la boîte de nuit, elle tombe sur de jeunes types un peu éméchés. Après ce qui peut s’apparenter à un jeu ou à un simulacre de drague, ceux-ci la convainquent de la suivre dans leurs pérégrinations. A partir de là, les événements vont se succéder selon un enchaînement fatal. Aux moments de dérives et de suspension informelle du temps vont progressivement succéder des péripéties qui feront basculer le film dans un registre proche du cinéma de genre, avec hold-up maladroit, poursuites et coups de feu à la clé. Tension et suspense L’intérêt du parti pris du cinéaste consiste à donner la sensation d’une ambiguïté essentielle de la réalité, visible et perceptible dans son irréversibilité. Que veulent les compagnons de Victoria ? Quel est le sens de leurs actions, s’il y en a un autre que la simple improvisation éthylique ? Aucune direction ne paraît imposée au spectateur qui peut, dès lors, projeter ses émotions, essentiellement la peur qu’il arrive quelque chose à Victoria. L’unité du temps, l’absence de raccords entretiennent une tension et un suspense particuliers, l’impression que tout peut arriver, et surtout le pire, que le film s’ouvre à la possibilité d’un hasard qui est celui de la vie ellemême. Tout se passe comme si la jeune Victoria était plongée au cœur d’un monde rempli de prédateurs masculins. Elle semble la proie virtuelle d’une violence qui ne demanderait qu’à exploser. Inutile de dire que l’essentiel repose sur la performance des acteurs, principalement celle de l’étonnante Laia Costa, qui interprète le rôle central. A l’énergie masculine suicidaire et improductive, elle oppose une forme d’inconscience salutaire et résistante, une énergie encore plus puissante. Victoria est ainsi, avant tout, un formidable portrait de jeune fille qui se caractérise par une forme de fausse fragilité et de véritable invincibilité. Si le film de Sebastian Schipper, Ours d’argent de la meilleure contribution artistique au dernier Festival du film de Berlin et Grand Prix du Festival du film policier de Beaune, s’impose au-delà du tour de force technique, c’est dans la façon dont il parvient à brouiller les clichés qui étiquettent le masculin et le féminin. p jean-françois rauger Film allemand de Sebastian Schipper. Avec Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski. (2 h 20). culture | 21 0123 S E M A I N E MERCREDI 1ER JUILLET 2015 K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr (édition abonnés) pppv À NE PAS MANQUER Love & Mercy Film américain de Bill Pohlad (2 h 01). ppvv À VOIR Haramiste Film français d’Antoine Desrosières (40 min). L A Victoria Le retour inlassable mais lassant de « Terminator ». Film allemand de Sebastian Schipper (2 h 20). pvvv POURQUOI PAS PARAMOUNT PICTURES Documentaire français de Thomas Bartel (1 h 08). « Mes chansons qui tiennent sur la longueur sont vraiment liées à des images, à une succession de lieux, où j’ai vécu, où je suis passé, que j’imagine… », affirme Dominique A au début du film. Sur cette idée, le documentariste et critique rock Thomas Bartel a composé ce beau portrait, accompagnant son personnage sur les lieux qui l’ont façonné comme homme et comme artiste. Les captations de ses chansons ancrent le film dans un présent pur. p i. r. Un Terminator fané et fourbu Arnold Schwarzenegger se glisse une nouvelle fois dans la peau du personnage créé il y a trente ans, auquel un scénario paresseux ne laisse aucune chance de convaincre Fantasia Film chinois de Wang Chao (1 h 26). Avec Fantasia, Wang Chao trempe le mélodrame dans un réalisme sec, scrutant, à travers le destin déliquescent d’une famille recomposée, les effets des mutations socio-économiques en Chine. Une approche éprouvée, qui connut son apogée dans les années 2000 avec Jia Zhang-ke, mais désormais vidée de sa substance. Le film systématise à tel point l’irrésolution qu’il semble ne savoir que faire de ses personnages. p m. ma. vvvv ON PEUT ÉVITER Terminator : Genisys Film américain d’Alan Taylor (2 h 06). Lost for Words Film hongkongais de Stanley J. Orzel (1 h 48). Dans une Hongkong de carte postale, deux clichés vivants (un ex-marine américain venu chercher une nouvelle vie et une danseuse chinoise prude et délicate) tombent amoureux. Un réalisateur malintentionné se met en tête de nous les faire suivre pendant une heure trois quarts de fiction aux airs de mauvaise pub pour l’office du tourisme. p n. lu. Tales of Tales, Le conte des contes Film franco-italien de Matteo Garrone (2 heures). Adapter au cinéma Le Conte des contes, de Giambattista Basile, l’un des plus anciens livres de contes populaires : le pari était audacieux. Matteo Garrone fut plus inspiré en 2008 lorsqu’il tourna Gomorra. Dotée d’un casting ébouriffant (Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly, Stacy Martin…), cette adaptation ne parvient pas à retrouver la magie de l’univers merveilleux du Pentamerone. p f. n. NOUS N’AVONS PAS PU VOIR Les Profs 2 Film français de Pierre-François Martin-Laval (1 h 32). PAT R I MOI N E Sites détruits par l’EI : des « crimes de guerre », estime l’Unesco L’agence culturelle de l’ONU a dénoncé, lundi 29 juin, dans une résolution adoptée à Bonn, les « attaques barbares » perpétrées par les djihadistes de l’organisation Etat islamique contre des sites archéologiques en Syrie et en Irak. Le texte a été adopté à la 39e session du comité du Patrimoine mondial de l’Unesco (en cours), et condamne « les attaques intentionnelles contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative et contre des monuments historiques ». – (AFP.) LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE Nombre de semaines d’exploitation Nombre d’entrées (1) Nombre d’écrans Vice-versa 2 512 674 746 Un moment d’égarement 1 199 483 430 Spy 2 150 918 351 Poltergeist 1 118 951 258 ↓ – 23 % Total depuis la sortie 1 300 111 199 483 ↓ – 23 % 400 392 118 951 Unfriended 1 91 631 131 91 631 Gunman 1 70 790 370 70 790 San Andreas 5 57 250 510 Comme un avion 3 46 008 372 Mustang 2 44 801 173 Mad Max : Fury Road 7 42 335 388 AP: Avant-première Source : Ecran Total Evolution par rapport à la semaine précédente ↓ ↓ ↓ ↓ – 25 % 1 055 160 – 23 % 275 009 – 24 % 125 860 – 28 % 2 254 474 * Estimation Période du 24 juin au 1er juillet inclus Les critiques ne font décidément plus la pluie et le beau temps : littéralement encensé par une bonne partie des médias, Les Mille et Une Nuits, de Miguel Gomes, peine visiblement à attirer les foules dans les salles : 9 969 personnes l’ont vu après cinq jours d’exploitation. Il sera intéressant d’observer les effets du bouche-à-oreille dans les semaines qui viennent. Pour le reste, rien de bien extraordinaire, si ce n’est que Mustang, le film de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven, pourrait bien être l’un des succès de l’été (44 800 spectateurs en deuxième semaine, soit déjà plus de 125 000 entrées). Au rayon film phénomène, La Loi du marché pointe à la 12e place, cumulant pour l’heure plus de 872 000 entrées. L’objectif du million de spectateurs est en vue. Parmi les nouveaux films, Un moment d’égarement, de JeanFrançois Richet, ne s’en tire pas trop mal avec près de 200 000 entrées. Nettement mieux que Gunman, qui n’a attiré que 70 000 personnes. TERMINATOR GENISYS vvvv C inquième épisode d’une franchise née il y a trente ans, Terminator Genisys, au-delà de ses qualités artistiques (disons-le tout de suite, elles sont inexistantes), témoigne de la difficulté d’injecter quelque chose de nouveau dans ce qui apparaît désormais comme un système étouffant et contraignant. Il y a en effet, dans l’exploitation d’une série aussi codifiée que celle des Terminator, la nécessité industrielle d’un retour inlassable mais lassant. Dans un futur où règne une guerre sans merci entre les machines et une poignée d’humains faisant de la résistance, John Connor, le chef des rebelles, envoie dans le passé un de ses lieutenants pour y faire bifurquer le D V D L E S F I L M S D E Dominique A. La mémoire vive cours du temps et assurer la victoire programmée de l’humanité. Partant de ce postulat, Terminator Genisys, signé d’un réalisateur venu des séries télévisées, aligne une série de trouvailles, séquences et situations déjà largement testées dans les précédents épisodes (les paradoxes spatio-temporels, les robots polymorphes et invincibles déguisés en policiers, etc.), paresseusement filmées et parfois teintées (horreur supplémentaire) d’humour. Sans doute conscients des dangers que comporte le principe d’une réitération sans fin, les scénaristes ont multiplié jusqu’à l’absurde les sauts temporels et les retournements de situation (tel personnage passe du côté des méchants et vice versa), au point qu’il est aisé de se perdre dans les méandres d’un récit tarabiscoté, jusqu’à finalement ne plus éprou- ver qu’une indifférence générale. Pour éviter, de toute évidence, d’égarer trop souvent le spectateur, sont alignées d’innombrables séquences verbeuses et maladroitement interprétées. Vieillissement des cellules Le film marque le retour d’Arnold Schwarzenegger dans une série dont la naissance contribua à lui fabriquer une persona particulière. L’acteur a pris de l’âge, son visage est davantage marqué et le scénario explique cela par le vieillissement des cellules humaines qui constitue l’épiderme des robots. Soit. L’androïde qu’il incarne (si l’on peut dire) est parfois confronté à des doubles de lui-même, plus lisses, d’apparence plus jeune. C’est sans doute pour cela que Terminator Genisys peut être vu comme un objet de son temps, témoignant de la mutation des images de cinéma. Schwarzenegger, qui, longtemps, n’a été qu’un corps à la fois trop parfait pour être humain et trop réel pour n’être qu’inhumain, est ici alternativement un corps authentique et un peu fourbu et une parfaite image de synthèse. Où finit le monde réel ? Où commence le monde virtuel ? Si Terminator Genisys avait été plus fin et plus conscient de ses enjeux, il eût pu constituer une expérience fascinante sur les vertigineuses possibilités d’une confusion poétique entre le corps matériel et son simulacre numérique. p jean-françois rauger Film américain d’Alan Taylor. Avec Arnold Schwarzenegger, Jason Clarke et Emilia Clarke (2 h 06). Magick Lantern Cycle Double coffret de neuf courts-métrages de Kenneth Anger. Potemkine. « Magick Lantern Cycle », c’est le nom donné par Kenneth Anger aux neuf films où sa créativité, son imagination visionnaire sont portées à leur point d’incandescence. Neuf courts-métrages muets réalisés entre 1947 et 1980, cela semble peu. C’est immense, tant ils ont initié de transformations esthétiques, posant les bases de l’iconographie homo-érotique, inventant un rapport citationnel à la musique et au cinéma, qui allait devenir le propre de la postmodernité. Fasciné par les stars du muet, admirateur de Cocteau et de Genet, le cinéaste californien a ainsi révélé le potentiel iconique des marins (Fireworks) et des bikers cuir et chrome tendance SM (Scorpio Rising). Inventant de film en film son propre langage, un archaïsme remontant au cinéma muet conjugué à une intuition des transformations de son époque et un goût pour l’expérimentation propre à la contre-culture, il se prend de passion pour le mage anglais Aleister Crowley, invoquant au gré de ses inspirations Lucifer et la beauté morbide de Marianne Faithfull, la guerre du Vietnam et la mythologie égyptienne, Anaïs Nin et la secte de Charles Manson… Ses visions ont marqué Fassbinder, Lynch (la chanson qui donne son titre à Blue Velvet résonnait dans Scorpio Rising), et jusqu’à Scorsese, qui s’est inspiré de son art du contrepoint. Auteur d’Eloge de Kenneth Anger (Cahiers du cinéma, 1999), Olivier Assayas parle bien, dans les bonus, de cette œuvre qui est, selon lui, « le meilleur outil dont on dispose pour repenser l’histoire du cinéma ». p isabelle regnier AU CINÉMA LE 8 JUILLET 22 | télévisions 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Mort d’un des pionniers de Canal+ VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Alain De Greef a été directeur des programmes de la chaîne de 1986 à 2000 TF1 20.55 Arrow Série créée par Andrew Kreisberg, Greg Berlanti et Marc Guggenheim. Avec Stephen Amell, Katie Cassidy, (EU, saison 2, ép. 1 à 3/23). 23.30 Flash Série créée par Greg Berlanti, Andrew Kreisberg et Geoff Johns. Avec Grant Gustin, Candice Patton, Danielle Panabaker (EU, S1, ép. 1 et 2/23). D eug » est mort. Alain De Greef, ancien directeur des programmes emblématique de Canal+ de 1986 à 2000, s’est éteint lundi 29 juin en fin d’après-midi dans sa maison de Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). Il avait 68 ans. Depuis deux ans, il luttait contre un cancer des poumons et contre un cancer de la mâchoire qui l’avaient obligé à suspendre ses activités professionnelles, mais ne l’empêchaient pas de s’indigner. Malgré la maladie, Alain De Greef était très actif sur Facebook où il postait régulièrement ses colères et ses commentaires contre la télévision dont il avait été un des plus grands dynamiteurs. « Il avait conservé une capacité d’indignation très rare pour une personnalité audiovisuelle de ce niveau », souligne Bernard Zékri, ancien du magazine Actuel qu’Alain De Greef fit venir à Canal+ pour s’occuper du Vrai Journal de Karl Zéro, puis de la rédaction de I-Télé lancée par De Greef en 1999. France 2 20.56 Nina Série créée par Alain Robillard et Thalia Rebinsky. Avec Annelise Hesme, Nina Melo (S1, ép. 5 et 6/8). 22.35 Kanaks, l’histoire oubliée Téléfilm de Stéphane Kappes. Avec Yael Mayat (Fr., 2012, 95 min). France 3 20.50 Des racines et des ailes Présenté par Carole Gaessler. Des Vosges au lac Léman. 23.15 Le Juge Renaud, un homme à abattre Documentaire de Francis Renaud (Fr, 2015, 55 min). Canal+ 20.55 Albert à l’Ouest Comédie de Seth MacFarlane. Avec Seth MacFarlane (EU, 2014, 115 min). 22.50 Les Flingueuses Comédie de Paul Feig. Avec Sandra Bullock, (EU, 2013, 110 min). En juin 2011. GÉRARD ROUSSEL/PANORAMIC Fan des fifties Dans un entretien au Monde publié en novembre 2014, à l’occasion des trente ans de Canal+, Alain De Greef avait eu des commentaires très durs contre les dirigeants de son ancienne chaîne. Avec ses mots bien pesés, il y dénonçait « les experts en marketing » et pointait férocement « les dérives » de Canal en s’indignant, par exemple, de voir Nadine Mo rano ou Eric Zemmour sur le pla teau du « Grand Journal », l’ancêtre de « Nulle Part Ailleurs », un de ses bébés favoris. « C’est comme voir un odieux graffiti sur une toile de Vermeer ! », s’était-il énervé. Ancien élève de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) aujourd’hui devenu la Fémis, Alain De Greef a commencé sa carrière dans l’audiovisuel comme chef-monteur à l’ORTF en 1971 avant d’émigrer sur Antenne 2, tout juste créée en 1974. C’est là qu’il rencontre Pierre Lescure avec qui, en avril 1982, il concocte le magazine de pop culture « Les Enfants du rock », devenue une émission de référence. Lescure et De Greef, tous deux biberonnés à la culture américaine des années 1950, y font travailler de jeunes journalistes experts en musique rock et underground. Parmi eux, Bernard Lenoir, Philippe Manœuvre, Jean-Pierre Dionnet ou Antoine de Caunes qui font découvrir Madonna, The Cure ou Indochine aux jeunes téléspectateurs coincés, à l’époque, entre seulement trois chaînes de télévision. Tout un petit monde que le tandem Lescure-De Greef embarque dans l’aventure Canal+ qui démarre le 4 novembre 1984 sous la présidence d’André Rousselet, l’ex-directeur de cabinet de François Mitterrand. De Greef y travaille d’abord comme directeur de production. Après avoir manqué de couler faute d’abonnés, la chaîne cryptée prend véritablement son essor en 1986, année où Alain De Greef est nommé par Lescure à la direction des programmes. En toute liberté, il peut enfin donner libre cours à sa conception de la télévi- 4 JUIN 1947 Naissance à Boulogne-Billancourt 1971 Chef-monteur à l’ORTF AVRIL 1982 Crée avec Pierre Lescure le magazine de pop culture « Les Enfants du rock » 4 NOVEMBRE 1984 Lancement de la chaîne Canal+ DE 1986 À 2000 Directeur des programmes de Canal+ 2001 Licencié de la chaîne cryptée 29 JUIN 2015 Mort à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse) HORIZONTALEMENT GRILLE N° 15 - 153 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 Mercredi 1er juillet 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII I. Saura vous faire parler. II. Ami d’enfance diicile à quitter. Lieu de rencontres à risques. III. Vue en profondeur. Facilite le franchissement des obstacles. IV. Club phocéen. Sur la portée. Cap entre Alicante et Valence. En réalité. V. Belle in pour le homard. Sacrilège quand elle est noire. VI. «/» sur votre clavier. Très bonne opinion. VII. A mis ses pinceaux au service de papes, de rois et d’un empereur. Victime des gaz allemands. VIII. Se promène autour du Soleil. Article. IX. Arrivé parmi nous. Petit archipel des Philippines. Possessif. X. Souvent nécessaire avant de poser la première pierre. sion où les émissions ne sont pas formatées et soumises à la sanction de l’audience. Il est ainsi à l’origine des programmes qui ont fait la notoriété de la chaîne : « Nulle part ailleurs », « Les Guignols de l’info », « Groland », « Les Deschiens », et c’est lui qui, en lorgnant de près dans le laboratoire de Radio Nova, repère Jamel Debbouze et lance, entre autres, JulesEdouard Moustic, Benoît Delépine ou Benoît Poelvoorde. « Il vomissait les tièdes » Car, par-dessous tout, Alain de Greef aimait déranger. « Il vomissait les tièdes » rappelle le journaliste Paul Moreira qui, avec l’appui de De Greef, lança le maga zine « Spécial Investigation ». Adepte de l’écrivain Guy Debord dont il diffusa un documentaire sur Canal en première partie de soirée (!), Alain de Greef avait compris depuis longtemps que la société avait besoin de sa part de chaos et qu’il était nécessaire de bousculer ses règles à travers la télévision. Une posture qui lui valut plusieurs rappels à l’ordre de la part du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) que « Les Guignols de l’Info » ont immortalisé dans un sketch devenu célèbre où la marionnette d’Alain De Greef tente d’expliquer aux Sages sa démarche éditoriale, dans son phrasé tout personnel composé de « Çaaa vaaa ! », « Çaaa vaaa paas ! ». Viré en 2001 de Canal+ après les changements d’actionnaires, Alain De Greef n’avait pas abandonné son envie de télévision. Il étudiait toujours de près des projets de chaînes sur le Net notamment avec Jamel et Alain Chabat, l’un des Nuls qui contribua fortement au succès de Canal. Il consacrait également beaucoup de son temps à écouter du jazz et, en fin connaisseur d’art, il fréquentait beaucoup les musées. « Je suis un paisible retraité provincial », avait-il expliqué au Monde, l’œil vif et toujours rieur. p daniel psenny SUDOKU N°15-153 SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 152 HORIZONTALEMENT I. Surpassement. II. Aréole. Météo. III. Rating. Têtu. IV. Der. Xérès. Tr. V. Item. Set. Zen. VI. Nénés. Cane. VII. Enée. La. Eq. VIII. Ebranle. Indu. IX. Réac. Uniiée. X. Essartassent. VERTICALEMENT 1. Sardinière. 2. Uraète. Bès. 3. Refréneras. 4. Pot. Me- naça. 5. Alix. Sen. 6. Sénés. Elut. 7. Grec. ENA. 8. Em. Etal. Is. 9. Mets. Naïfs. 10. Eté. Ze. Nie. 11. Nette. Eden. 12. Tourniquet. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. WASHINGTON CORRESPONDANTE D Education UK price £ 1,40 X M6 20.55 Qui est la taupe ? Jeu présenté par Stéphane Rotenberg. 23.00 Murder Série créée par Shonda Rhimes. Avec Viola Davis (EU, S1, ép. 5 et 6/15). du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 32-89 (0,34 ¤ TTC/min) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : abojournalpapier@lemonde.fr. 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Redonnèrent belle allure aux fonds des casseroles. Arte 20.50 Jan Hus, rebelle jusqu’au bûcher Téléfilm de Jiri Svoboda. Avec Matej Hadek, Jan Dolansky, (République tchèque, 2015, 125 min). 0.50 L’Europe des écrivains L’Italie d’Erri De Luca et Claudio Magris. Documentaire de Nicolas Autheman et Raphaëlle Rérolle (Fr., 2013, 50 min). 0123 est édité par la Société éditrice VIII IX France 5 20.40 La Maison France 5 Présenté par Stéphane Thebaut. 21.40 Silence, ça pousse ! Magazine présenté par Noëlle Bréham et Stéphane Marie. L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air D Automobile Fiat : objectif Chrysler et qu’ils tentent difficilement d’éteindre avec pieds. « C’est du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. Surles mursde » cetterue,des cesnoirâtres tra- boutique. sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants petite Bonus Les banquiers ont cédé 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Page 14 Edition Au bord de des nations occidentales papier. « C’est la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 2,00 ¤, Belgique et Débats page 5 François Wahl. 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 F CFA, 17 Page Norvège 25 KRN, Pays-Bas Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une aide de l’Etat de 10,5 d’euros. Montantmilliards équivalent à celle accordée fin 2008. Barthes, la polémique 20 L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. Canada 2,00 ¤, Portugal3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 Imprimerie du « Monde » 12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») styles | 23 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Le palais baroque du marquis de Dos Aguas, Musée de la céramique (à droite). HUGHES HERVÉ/HEMIS.FR La Cité des arts et des sciences (au centre). PISTOLESI ANDREA/HEMIS.FR La Lonja de la Seda, ancienne halle de la soie (ci-dessous). GUNNAR KNECHTEL/LAIF-REA Ludique, balnéaire, à taille humaine… Moins connue que Barcelone, la ville espagnole est idéale pour une escapade familiale J O U R 1 ESPAGNE Valence en Av d ue e ilés l Av nera l Ge Le s ue Pr M im at Re Jardin ig 9 Méditerranée del Real M ria Tu II sX 8 Mer de l du Vieille ville Piu 10 H 30 : DÉFIER LA GRAVITÉ Tout au bout du Turia se dresse un complexe à l’architecture futuriste bluffante : la Cité des arts et des sciences, dont fait partie le Musée des sciences (1), signé Santiago Calatrava. Pendant que les plus jeunes coiffés d’un casque de chantier empilent de (fausses) briques et regardent les poussins éclore dans un espace qui leur est dédié (L’Espai dels Xiquets), les adolescents appréhendent la gravité, les tornades ou encore les chromosomes. Avant de comprendre la rotation de la Terre grâce à l’imposant pendule de Foucault. jar di C A R N E T D E R O U T E ns de 7 A ve nu e Valence M en Av 9 H 30 : SE PROMENER SUR UN FLEUVE Les jardins du Turia sont le rendez-vous des joggeurs, cyclistes et familles qui viennent y pique-niquer. L’ancien lit du fleuve Turia – détourné après une inondation en 1957 –, transformé en parc public de 110 hectares, est un bon point de départ. De repère également, car il dessert toute la ville, comme si la Seine à Paris était vidée et végétalisée. On peut attaquer la journée avec un cafe con leche (« café au lait ») près du Palau de la Música, et épuiser les enfants au terrain de jeux Gulliver, avec toboggans sur le corps du géant. Possibilité de louer des vélos familiaux (15 € les 30 minutes). 48 heures à valence M Av. de M Avenue del Ci d 3 M Bla sco Iba ñez 5 M M RUZAFA s eri eP 4 ro ale iV Le Port 1 2 Vers El Saler 13 H 30 : DANSER AVEC LES BÉLUGAS A dix minutes à pied du Museo de las Ciencias, l’Oceanogràphic (2) de l’architecte Felix Candela est le plus grand aquarium d’Europe : 45 000 poissons et plus de 500 espèces. Le billet est cher, mais la visite en vaut la peine. On peut déjeuner au milieu des poissons au chic restaurant Submarino avant d’assister au fascinant spectacle des imposants bélugas, des lions de mer bagarreurs et des dauphins à la chorégraphie maîtrisée. A ne pas manquer : le tunnel qui traverse l’aquarium des requins et dans lequel il est possible de passer la nuit (sur réservation). J O U R 2 10 HEURES : PROFITER DE LA PLAGE Le week-end, les Valenciens se retrouvent sur les larges plages près du port, surtout à Las Arenas (5), facilement accessible en métro et tram. L’étendue de sable est immense, mais les quelques parasols et transats à louer bon marché sont vite pris d’assaut. Ceux qui craignent les bains de foule préféreront la plage d’El Saler, située à quelques kilomètres plus au sud, que l’on rejoint en voiture ou en empruntant le bus 25. Y aller Air Europa propose trois vols quotidiens Paris-Valence. Aller-retour à partir de 171 € en classe économique. aireuropa.com Visites Musée des sciences : avenida del Professor Lopez Piñero, 7, 46013. Oceanogràphic : carrer Eduardo Primo Yufera, 1b, 46013. Bioparc : avenida Pio Baroja, 3, 46015. Visite de la vieille ville : 18 € adulte, 15 € enfant. turiart.com 17 H 30 : BOIRE UN LAIT DE SOUCHET Pour la gourmandise, il faut quitter le Turia pour rejoindre à pied ou en bus la lisière de la vieille ville. Conçu par l’urbaniste Francisco Mora Berenguer en 1914, le Mercado de Colón (3), grande halle décorée de fer forgé et céramiques, n’est pas réputé pour sa fine gastronomie, mais se révèle parfait pour un quatre-heures (plus tardif, rythme espagnol oblige). Au choix, une dizaine de restaurants et salons de thé installés autour d’une esplanade couverte. Goûter bio au Suc de Lluna, valencien chez Daniel avec horchata (boisson locale à base de lait de souchet) ou d’inspiration asiatique au Ma Khin Café. 20 H 30 : DÎNER BOHÈME Pour profiter en famille de l’atmosphère du quartier cosmopolite de Russafa (4) où se côtoient boutiques de créateurs, galeries indépendantes et bars à la mode, deux options : l’Ubik Café, avec sa librairie d’occasion, et le Café Berlin au joli décor de bric et de broc. Le site de l’office de tourisme est assez complet. Une boutique en ligne permet de réserver des vélos et d’acheter à prix réduit la Valencia Family Tourist Card, un pass qui comprend les entrées de certains sites, des réductions pour les autres et l’accès illimité aux transports en commun. visitvalencia.com/fr 6 .d Av 500 m Office du tourisme Restaurants Ubik Cafe : calle del Literato Azorin, 13, 46003. Le restaurant La Pepica. POMPE INGOLF/HEMIS.FR La Pepica : paseo Neptuno, 6, 46011. La plage d’El Saler , au sud de la ville. Orio : carrer de Sant Vicent Martir, 23, 46002. MIQUEL GONZALEZ/LAIF-REA LE WEEK-END, LES VALENCIENS SE RETROUVENT SUR LES PLAGES PRÈS DU PORT, SURTOUT À LAS ARENAS Cafe Berlin : calle de Cadiz, 22, 46004. 13 H 30 : DÉJEUNER AVEC HEMINGWAY Les amateurs de paella lui préfèrent d’autres restaurants, mais, pour l’atmosphère, c’est à La Pepica (6) qu’il faut s’arrêter. Ce lieu historique autrefois fréquenté par Ernest Hemingway est resté dans son jus. Le dimanche midi, on y croise les chics familles valenciennes installées sur la terrasse, qui devisent devant le va-et-vient de la promenade longeant la plage. Attention, réservation impérative. 17 H 30 : CHASSER LE DRAGON Pour continuer à exploiter le thème animalier, fédérateur tous âges confondus, l’agence Turiart propose des visites thématisées de la vieille ville, dont une a pour but de débusquer les dragons cachés. Cet animal, emblème de Jacques Ier d’Aragon, qui conquit Valence aux musulmans en 1238, décore la façade du baroque Musée National de la Céramique (8). Mais aussi celle du bâtiment gothique de la Lonja de la Seda, l’ancienne halle de la soie. Ludique. 15 HEURES : PARTIR EN SAFARI Un gorille plongé dans ses pensées, une meute de suricates à l’affût du danger, des léopards en quête de déjeuner… Autant d’espèces importées d’Afrique qui vivent au Bioparc (7), domaine de 10 hectares, que l’on rejoint en métro ou en bus. Ici, pas de cage mais un parcours semé de baobabs et de grottes qui donne le sentiment de découvrir les animaux dans leur environnement naturel. 20 H 30 : PIQUER DE LA TXISTORRA Version basque des tapas, les pintxos (du verbe pinchar, « piquer ») sont de petites bouchées généralement composées d’une tranche de pain surmontée de jambon, thon, anchois… C’est l’une des spécialités d’Orio (9), une adresse du centre-ville. Ici, le pintxo à la txistorra (charcuterie) et le verre de txakoli, un vin blanc local, sont servis sur la terrasse ou au frais au premier étage. p vicky chahine Hébergements Tryp Oceanic Hotel : A deux pas de la Cité des arts et des sciences, cet hôtel quatre étoiles propose des chambres très confortables. Les plus : le restaurant où l’on mange de très bonnes paellas et la petite piscine. Chambre familiale à partir de 150 €. Carrer Pintor Maella, 35, 46023. tryphotels.com Hotel Jardin Botanico : Un petit hôtel éco-conscient installé dans un bâtiment historique du centre-ville. Les chambres sobres sont égayées de peintures modernes. Chambre familiale à partir de 100 €. Carrer del Dr. Peset Cervera, 6, 46008. hoteljardinbotanico.com 24 | 0123 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 par gé r ar d co urtois Scénario rose ou scénario noir? A ussi blindé soit-il contre l’adversité, François Hollande doit quand même pester de voir ses plans sans cesse chamboulés par les drames du temps présent. En janvier, il avait su réagir avec autorité aux attentats terroristes de Paris et en avait, sur le moment, tiré grand profit. Rien ne garantit qu’il saura renouveler cette performance face aux turbulences qui menacent aujourd’hui. A l’évidence, le président de la République caressait l’espoir de voir son horizon s’éclaircir. Il voulait croire – et faire croire – au scénario rose esquissé au fil de ses multiples interventions récentes. L’été serait mis à profit pour boucler quelques réformes marquantes (loi Macron, nouvelle organisation territoriale ou transition énergétique), capables, bientôt, de figurer en bonne place dans son bilan. L’automne viendrait ensuite confirmer l’amélioration de la situation économique, si l’on en croit les prévisions de l’Insee. Le dernier trimestre, enfin, serait marqué par la stabilisation du chômage, voire l’amorce de sa décrue. Le chef de l’Etat n’a d’ailleurs pas attendu ces lendemains qui chantent pour commencer à distribuer les promesses de « redistribution ». Outre les allégements d’impôt pour quelque 9 millions de ménages modestes, qui seront effectifs à la rentrée, il a multiplié les bonnes manières : coup de pouce général et progressif sur les indices et salaires des fonctionnaires, complémentaire santé pour tous les retraités dès 2017, généralisation du tiers payant pour les assurés sociaux, toujours en 2017. Le tout devait être ponctué, le 14 juillet, par un discours présidentiel invitant les Français à retrouver le chemin de la confiance. Un engrenage périlleux Mais ce bel échafaudage se trouve brutalement ébranlé par trois crises aussi déstabilisantes qu’imprévisibles. La première est, de nouveau, celle du terrorisme. Comme en écho aux tueries de Sousse, en Tunisie, et de Koweït commises le même jour, le sinistre assassinat, le 26 juin, en Isère, d’un chef d’entreprise par un musulman radicalisé a rallumé toutes les craintes qui s’étaient exprimées en janvier après les attentats djihadistes contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Or, contrairement à ce qui s’était passé il y a six mois, en dépit de l’appel présidentiel au « sangfroid », de son invitation à « ne pas créer de divisions inutiles, de suspicions qui seraient intolérables », l’invocation de « l’esprit » du 11 janvier n’a pas suffi pour éviter les « vaines querelles ». Soucieux, précisément, de ne pas se laisser enfermer ou piéger par un tel climat d’union nationale, Nicolas Sarkozy, le président des Républicains, a ainsi critiqué, sans tarder, le manque de fermeté du gouvernement face à la menace djihadiste, tandis que Marine Le Pen, la présidente du Front national, réclamait « des mesures fermes et fortes » pour « terrasser l’islamisme ». LES POLÉMIQUES N’AURONT PAS RENFORCÉ L’IMAGE DE PRÉSIDENT PROTECTEUR ET RASSEMBLEUR TERRORISME, CRISE GRECQUE ET CRISE DES MIGRANTS VIENNENT NOIRCIR L’HORIZON DE HOLLANDE Et, pour ne rien arranger, le premier ministre s’est laissé entraîner à des propos aussi alarmistes que contestables sur la « guerre de civilisation » qui serait engagée entre les défenseurs des valeurs humanistes et « l’islamisme obscurantiste » qui veut les détruire. Manuel Valls a eu beau, ensuite, marteler qu’il ne s’agit pas d’une « guerre entre l’Occident et l’islam » et dénoncer les « amalgames », il n’en a pas moins repris à son compte une formule qui avait valu à Nicolas Sarkozy les critiques cinglantes de la gauche il y a six mois. Gageons que ces polémiques n’auront pas renforcé l’image de président protecteur et rassembleur que cherche à installer François Hollande. La crise grecque est le deuxième foyer d’incertitude majeure. Après des mois de négociations tortueuses et de poker menteur entre Athènes, ses créanciers et les responsables européens, voilà pourtant la Grèce à quelques heures du défaut de paiement et de la faillite. Le président de la République a, certes, constamment tenté de proposer la médiation française pour favoriser un accord « global et durable ». Contrairement à d’autres, il a toujours pris soin de ménager les susceptibilités d’Athènes. Lundi 29 juin encore, tout en regrettant la décision du premier ministre grec « d’interrompre les négociations », il a redit que « la France est disponible pour que le dialogue puisse reprendre aujourd’hui [ou] demain ». Mais, pour l’heure, ces bons offices n’ont pu arrêter un engrenage qui peut être périlleux : pour la Grèce évidemment, mais aussi pour l’Europe et la France. M. Hollande a eu beau, ce lundi, vanter la consolidation de la zone euro et de son système bancaire pour « faire face à toute spéculation », il a eu beau assurer que « l’économie française est robuste et n’a rien à craindre de ce qui pourrait se produire », rien ne garantit que la crise grecque ne déclenche des mouvements incontrôlables sur les marchés financiers, un choc économique redoutable dans une Europe tout juste convalescente, voire une crise de confiance dans la monnaie unique. Autant de scénarios noirs qui mettraient à bas tout espoir d’une solide reprise en France. La troisième crise, qui ne faiblira pas dans les prochaines semaines estivales, est morale autant que politique. C’est celle des réfugiés et migrants qui affluent par milliers aux portes de l’Europe, quand ils n’ont pas sombré en Méditerranée. Voilà étalées au grand jour, de Lesbos à Lampedusa, de Vintimille à Calais, les divisions européennes, les égoïsmes nationaux, les calculs sordides, les contorsions peu glorieuses. Voilà attisées, comme jamais, les peurs, les ostracismes et les réflexes d’autodéfense qui minent les sociétés européennes en général, et la France en particulier. Et voilà qui menace, un peu plus, de pourrir le bel été auquel rêvait François Hollande. Ce dernier pourra toujours reprendre son adage favori : rien ne se passe jamais comme prévu ! p courtois@lemonde.fr Tirage du Monde daté mardi 30 juin : 258 950 exemplaires PEINE DE MORT AUX ÉTATS-UNIS : LE MAUVAIS CHOIX DES JUGES P our avoir fait basculer la Cour suprême des Etats-Unis dans le camp du mariage gay vendredi 26 juin, le juge Anthony Kennedy a été fêté comme un héros par la gauche américaine et tous ceux dans le monde qui sont favorables à l’égalité des droits des homosexuels. Ce lundi 29 juin, le « sage » a adopté une posture moins progressiste. Contre l’opinion des quatre démocrates, il s’est aligné sur les quatre juges conservateurs de la Cour pour maintenir le fonctionnement de la peine de mort aux Etats-Unis, pays qui en est l’un des champions avec la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran. La haute instance a jugé « constitutionnelles » les exécutions par injection létale, malgré le calvaire qu’ont eu à subir récem- ment plusieurs condamnés à mort, victimes d’un « cocktail » létal inadapté, administré par des bourreaux n’ayant qu’une formation médicale rudimentaire. Grandeur – certains diront misère – des institutions américaines : en dernier recours, il revient parfois à un seul individu, certes juge, de trancher sur des questions qui touchent des millions de ses concitoyens. En l’espace de trois jours, Anthony Kennedy, 78 ans, le centriste de la Cour, aura « fait » le mariage gay et refusé de « défaire » la peine capitale. On ne saurait fêter la première décision sans accepter la seconde. Mais rien n’empêche de faire remarquer que, sur cette question, la Cour est en retard sur l’évolution de la société. Le soutien à la peine de mort a diminué dans l’opinion américaine sous l’effet du nombre d’erreurs judiciaires (154 condamnés à mort ont été libérés depuis 1974, le dernier le 8 juin) et de l’impossibilité de trouver une méthode « infaillible ». En 1996, 78 % des Américains étaient favorables à la peine capitale. Ils sont maintenant 56 %. La Cour avait été saisie par quatre détenus de l’Oklahoma, qui mettaient en doute l’efficacité du midazolam, l’anxiolytique censé endormir le condamné avant l’administration des deux drogues mortelles. Ils avaient pris pour preuve l’exécution de Clayton Lockett, le détenu de l’Oklahoma qui a agonisé pendant 45 minutes en 2014. La Cour leur a donné tort. Elle a ignoré l’avis des experts, bien que ceux-ci aient dit que le midazolam ne garantit pas l’endormissement total sans lequel le condamné encourt de terribles douleurs lorsqu’on lui injecte le second produit, qui paralyse le cœur. Les plaignants, selon les juges, n’ont pas fait la preuve d’« un quelconque risque substantiel de souffrances ». En tout état de cause, ils n’ont pas « présenté d’alternative ». Il revient aux condamnés, en somme, de proposer la meilleure méthode pour être exécutés… La juge Sonia Sotomayor a exprimé le sentiment d’horreur des juges démocrates en comparant l’injection létale à « l’équivalent chimique d’être brûlé sur le bûcher ». L’administration Obama est restée largement silencieuse dans le débat sur l’injection létale, laissant les Etats délibérer sur les modalités. Discrètement, elle a encouragé la « stratégie de la pénurie » appliquée par les Européens. Ceux-ci, en refusant de vendre des barbituriques comme le thiopental aux fins d’exécution, ont réussi à paralyser la machine à exécution pendant plusieurs années. La décision de la Cour va relancer la course au midazolam et autres éléments du « cocktail » utilisé pour l’injection létale. Pour les Européens, elle ne peut que renforcer la détermination à refuser d’alimenter pareil « bûcher ». p / Crédit Photo : La Griffe / Juin 2015 FRANCE | CHRONIQUE CNR, le 1er producteur français d’électricité 100 % renouvelable Depuis 80 ans, nous produisons de l’énergie renouvelable issue de l’eau, du vent et du soleil. Nous sommes naturellement engagés dans la transition énergétique et la croissance verte. Nous fournissons déjà le quart de l’hydroélectricité française et œuvrons à l’émergence des énergies de demain. Découvrez nos 9 engagements en faveur de la transition énergétique et du climat sur cnr.tm.fr CNR, PARTENAIRE DE Grèce : l’Europe appelle à voter oui L’offensive des pouvoirs publics contre Uber ▶ M. Tsipras mène campagne pour le non au référendum du 5 juillet et a dit qu’il ne rembourserait pas le FMI le 30 juin L Manifestation, à Athènes, le 29 juin, en faveur du non au référendum du dimanche 5 juillet. DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE » plus évident, mardi 30 juin au matin, qu’une bonne partie des partenaires (et créanciers) européens d’Athènes s’étaient fait une religion sur la conduite à tenir dans les jours qui viennent. Tant pis pour la fameuse « deadline » du 30 juin, date du remboursement de la Grèce au Fonds monétaire international (FMI) et de la fin du plan d’aide internationale au pays. Les dirigeants européens attendent maintenant le vote des Grecs ENCHÈRES PERTES & PROFITS | EUROSPORT VENTES ET NOMBRE DE VISITEURS EN RECUL CHEZ DROUOT → LIR E PAGE 6 IDÉES APPEL À PLUS DE CRÉATIVITÉ POUR LUTTER CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE → LIR E PAGE 7 J CAC 40 | 4 850 PTS – 0,40 % J DOW JONES | 17 596 PTS – 1,95 % j EURO-DOLLAR | 1,1170 J PÉTROLE | 61,93 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 1,21 % VALEURS AU 30/06 - 9 H 30 aux conservateurs grecs », décryptait, mardi matin, une source proche des créanciers. M. Juncker en a pris en tout cas son parti. Lui n’hésite pas, au risque d’être critiqué dans sa propre famille politique (les conservateurs européens), à faire campagne pour le « oui ». cécile ducourtieux, avec marie charrel et jean-baptiste chastang → LIR E L A S U IT E PAGE 3 → LIR E PAGE 6 1 MILLION NOMBRE D’UTILISATEURS RÉGULIERS D’UBER EN FRANCE, SELON LA SOCIÉTÉ NAUX RCHAND DE JOUR CHEZ VOTRE MA Participer mais, surtout, gagner L’ idéal olympique formulé par le baron Pierre de Coubertin en 1908 ne s’applique pas au marché des droits sportifs. Dans cette discipline, l’important, c’est de gagner, plus que de participer. David Zaslav, PDG de Discovery Communications, l’a bien compris. La maison mère d’Eurosport a mis 1,3 milliard d’euros sur la table pour acquérir les droits de diffusion européens des quatre prochains Jeux olympiques (JO) – sur la période 2018-2024 –, et sur tous les supports. L’irruption d’Eurosport sur ce marché rompt de vieux équilibres. Jusqu’ici, le Comité international olympique (CIO), détenteur des droits, s’accordait avec l’UER – un consortium de diffuseurs européens parmi lesquels la BBC, France Télévisions ou l’allemand ARD – ou directement avec ces chaînes. Cette fois, ces dernières ont été doublées par un concurrent américain, un géant de la télévision payante, qui réalise près de 6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros) de chiffre d’affaires par an et consacre 2 milliards d’euros annuels aux achats de droits et de programmes. Ces chiffres permettent de mesurer la puissance nouvelle d’Eurosport, une ancienne possession de TF1 dont Discovery est devenu l’actionnaire majoritaire en 2014. Outre la force de frappe financière, la chaîne a joué de deux autres atouts : sa présence dans plus de cinquante pays européens, et son développement numérique – avec Eurosport.com et son service Eurosport Player. Exceptions à cet accord : la Russie, et les droits de diffusion en France et au Cahier du « Monde » No 21913 daté Mercredi 1er juillet 2015 - Ne peut être vendu séparément Royaume-Uni (pour 2018 et 2020), déjà attribués à France Télévisions et à la BBC. « Nous sous-traiterons une partie des droits », a rassuré M. Zaslav lors d’une conférence de presse, lundi 29 juin. Le CIO impose que 200 heures de programmes, pour les Jeux d’été, et 100 heures, pour ceux d’hiver, soient remis sur le marché pour les chaînes gratuites. « Encore faut-il s’accorder sur le prix », pointe Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions. Mutation à grande vitesse Première leçon de cet accord : Discovery n’est pas venu sur le marché européen pour faire de la figuration. Si Eurosport touche déjà 220 millions d’Européens, le potentiel estimé pour les JO est de 700 millions. Le Vieux Continent est le « marché émergent » que veut occuper le groupe américain, comme l’a répété M. Zaslav en mai, lors d’un passage à Paris. Seconde leçon : le marché des droits sportifs mute à grande vitesse. Pour la première fois de son histoire, le CIO a cédé les droits d’un continent en bloc, et non pays par pays. Comme pour certains films ou séries, la mondialisation est en marche et écarte de la compétition les acteurs de taille nationale, au bénéfice de réseaux internationaux comme Eurosport ou BeIN Sports. En février, la chaîne qatari avait acquis les droits de la Coupe Davis de tennis pour le monde entier. C’est cette compétition que TF1 n’a pas voulu jouer, en sortant d’Eurosport. Participer ne sert à rien, il faut gagner. p alexis delcambre & CIV ILIS ATIO NS A dimanche 5 juillet. En croisant les doigts, pour ceux qui restent convaincus que le pays doit rester dans la zone euro, afin qu’ils disent « oui ». « Certains plaident encore pour laisser la porte ouverte et poursuivre le dialogue avec Athènes. Ils sont à gauche. D’autres – de droite – ne veulent plus rien faire jusqu’au dimanche 5, certains, parmi eux, espérant qu’un “oui” fera perdre Tsipras et l’obligera à céder sa place et à la remettre près la prestation télévisée, lundi 29 juin, du premier ministre grec Alexis Tsipras, appelant à voter « non » plutôt deux fois qu’une au référendum grec sur l’accord « réformes contre argent frais ». Après le discours « de vérité » de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, quelques heures plus tôt, appelant, lui, à voter « oui » pour sauver la Grèce du « Grexit », il semblait de plus en es pouvoirs publics accroissent la pression contre Uber, la société américaine qui concurrence les taxis. Cinq jours après la grève spectaculaire de ces derniers, Pierre-Dimitri Gore-Coty, le directeur général d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et Thibaud Simphal, le patron d’Uber France, ont été déférés, mardi 30 juin, devant un juge d’instruction après une nuit en garde à vue. Ils étaient entendus, depuis lundi après-midi, par la brigade d’enquêtes sur les fraudes aux technologies de l’information après l’ouverture d’une enquête pour des faits présumés « d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport routier à titre onéreux et de conservation illégale de données à caractère personnel ». Début janvier, une enquête pour travail dissimulé a par ailleurs été lancée à l’encontre de l’entreprise au sujet de son service UberPop, qui permet à des particuliers d’offrir des services de chauffeurs. Le gouvernement considère que cette offre, déjà utilisée par 400 000 personnes, est illégale, car les chauffeurs ne sont agréés par aucune autorité, ni inscrits à aucun registre professionnel officiel. Il donne ainsi des gages aux chauffeurs de taxi, très remontés face à cette concurrence. p N° 8 JUILLET AOÛT 2015 NS & CIVILISATIO L’EMPIRE ABBASSIDE QUAND BAGDAD NDE DOMINAIT LE MO POMPÉI E UNE DEMEUR VRE DE LUXE NOUS OU SES PORTES RSAIRES LES COMA LO, DE SAINTVENTURE ILS PARTAIENT À L’A LA GRÈCE LIBÉRÉE S DES TURC DE L’EUROPE… AVEC L’AIDE AUX ORIGINES IE DE LA MONPIÈNA CES ON COMPTE LES 0 ANS DEPUIS PRÈS DE 300 Chaque mois, un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde 2 | plein cadre 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 LA CRISE GRECQUE Alexis Tsipras, à Athènes, et Jean-Claude Juncker, à Bruxelles, le 29 juin. THANASSIS STAVRAKIS/AP ET JOHN THYS/AFP « Grexit » : personne ne veut porter le chapeau A Athènes, Bruxelles, Paris ou Berlin, chacun assure avoir tout fait pour éviter de sortir la Grèce de la zone euro bruxelles, berlin, athènes correspondants V ous allez voir. Chacun va répéter que si on en est là, ce n’est pas de sa faute », avait prévenu une source proche des créanciers, au soir de ce pathétique Eurogroupe, samedi 27 juin, au cours duquel les négociations entre Athènes et ses créanciers ont été rompues, à la suite de l’annonce surprise à Athènes, la veille, d’un référendum sur l’accord « réformes contre argent frais » dont la Grèce a besoin pour ne pas s’asphyxier financièrement. Depuis trois jours, tous les propos publics, à Athènes, Bruxelles, Paris ou Berlin peuvent être lus à cette aune : personne ne veut porter le chapeau d’un possible « Grexit », une sortie de la Grèce de la zone euro, aux conséquences économiques, politiques et géopolitiques incalculables. En assurant avoir tout fait pour éviter ce scénario. En répétant à l’envi que « la place de la Grèce est dans la zone euro ». Et en accusant les autres. Le discours vindicatif de JeanClaude Juncker, le président de la Commission européenne, lundi 29 juin à midi, et la réponse, sans concessions, depuis Athènes, du premier ministre grec Alexis Tsipras, en soirée, illustrent à merveille ce jeu d’autojustification. « Nous ne méritons pas toutes les critiques qui nous tombent dessus », a assuré M. Juncker, soulignant toute l’énergie qu’il a consacrée ces derniers mois à trouver un accord, et rejetant toute la responsabilité du blocage actuel sur M. Tsipras. Il s’est dit « trahi » et « déçu en tant que personne » lorsqu’il a appris, dans la nuit de vendredi 26 juin, l’intention du premier ministre grec d’organiser un référendum alors que devait se négocier quelques heures plus tard la dernière version du plan d’aide à la Grèce. Juncker a même accusé le gouvernement grec de mentir à ses citoyens en leur faisant croire que les propositions des créanciers d’Athènes (Banque centrale européenne, BCE, Commission européenne et FMI) n’étaient plus négociables. « Il n’y a pas de baisses de salaires, il n’y a pas de baisses de retraites dans nos propositions », a-t-il juré, alors que, depuis plusieurs semaines, Athènes affirmait le contraire. L’ex-premier ministre luxembourgeois, qui donnait encore du « mon ami » à Tsipras début juin, a accusé le gouvernement grec d’avoir quitté la table « au pire moment » en « brisant l’élan de façon unilatérale », de ne « pas dire toute la vérité » et de « jouer une démocratie contre dix-huit autres ». « Blame game » M. Tsipras aussi a tiré à vue, lundi soir, lors d’un entretien à la télévision publique ERT, imputant l’échec des négociations aux créanciers et avant tout au FMI. Il l’a accusé « d’être intervenu à la fin des négociations [le 23 juin] pour tout changer » alors « que l’on venait de (…) dire, lundi 22 juin, que la proposition que [le gouvernement grec venait] de soumettre était une bonne base ». De conclure : « Tous les Grecs ont aujourd’hui compris que nous avons fait tout ce qui était humainement possible pour arriver à un accord, mais, en face, ils ne voulaient que nous imposer leurs conditions. » Si le leader de la gauche radicale ne « croit pas » à une volonté concertée de sortir la Grèce de la zone euro – « cela aurait un coût trop élevé » –, il estime que « le plan [des créanciers] est d’en finir avec l’espoir de changement que [son] gouvernement représente » et les accuse d’insister sur des mesures « à caractère idéologique, comme la suppression des conventions collectives ». M. Juncker est un homme de convictions, un chrétien-démocrate et fervent européen, qui, depuis plus de vingt ans, gravite dans les sphères communautaires. Lors de sa nomination comme président de la Commission, mi-2015, il avait mis en garde contre la « Commission de la dernière chance », expliqué que les institutions devaient changer, tenter de mieux répondre aux aspirations de citoyens qui croient de moins en moins au rêve européen. Comment justifier, dès lors, un « Grexit » ? Comment éviter d’être accusé d’avoir été le fossoyeur de la zone euro, alors qu’il avait promis de la réenchanter ? Il y a aussi un gros enjeu politique pour la BCE, qui tient le destin grec entre ses mains, étant la seule à continuer à financer l’économie du pays au travers des liquidités d’urgence aux banques hellènes. L’institution de Francfort, jalouse de son indépendance, refuse d’assumer un quelconque rôle politique et historique, en « fermant le robinet » des liquidités, ce qui précipiterait la Grèce hors de la zone euro. Elle sait à quel point cet acte lui porterait préjudice. D’où les propos pesés au trébuchet de Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, dans Les Echos, mardi 30 juin : « La sortie de la Grèce de « Nous ne méritons pas toutes les critiques qui nous tombent dessus » JEAN-CLAUDE JUNCKER président de la Commission européenne la zone euro, qui était un objet théorique, ne peut malheureusement plus être exclue. C’est le résultat du choix du gouvernement grec de mettre fin à la discussion avec ses créanciers et de recourir à un référendum. » Et d’ajouter : « L’Europe n’a jamais lâché la Grèce. » Celle qui a le plus à perdre à ce « blame game » est Angela Merkel en raison de la place de l’Allemagne, locomotive de la zone euro, vite accusée de vouloir dominer. La chancelière sait qu’un échec de la monnaie unique lui serait imputé, alors qu’elle rêve de mettre ses pas dans ceux de Konrad Adenauer (à l’origine de la réconciliation avec la France) et de Helmut Kohl (à l’origine de l’euro). Elle apparaîtrait, au contraire, comme celle qui a dilapidé l’héritage de ces glorieux prédécesseurs. En juin 2012, déjà en pleine crise grecque, Joschka Fischer, l’ancien ministre (écologiste) des affaires étrangères, avait, dans une tribune retentissante, mis les conservateurs allemands en garde. « Par deux fois au XXe siècle, pour asservir le continent, l’Allemagne s’est détruite elle-même et a détruit l’ordre européen en provoquant guerres et génocide (…). Il serait tragique et en même temps ironique qu’en ce début de XXIe siècle, l’Allemagne réunifiée, cette fois pacifiquement et avec les meilleures intentions du monde, détruise une troisième fois l’ordre européen. » Lundi, lors des festivités organisées pour les 70 ans de son parti, la CDU, Mme Merkel a rappelé que « l’Europe, c’est encore et toujours des compromis ». La chancelière allemande n’a d’ailleurs jamais refusé, durant ces cinq longs mois de négociations, de rencon- trer le leader grec, en tête à tête, lors de mini-sommets, de « bilatérales » en marge des Conseils européens. « Merkel veut montrer qu’elle aura tout fait pour éviter le “Grexit” », confirme en off une source diplomatique haut placée. Pas question de passer, dans les manuels d’histoire, pour celui qui a sorti « Platon » de la zone euro, pour le fossoyeur des valeurs de solidarité européennes. Cet enjeu est présent, même chez ceux qui, au sein de la droite européenne, rêvent tout haut d’un « Grexit », ou au moins d’un changement de majorité à Athènes. « Impossible de passer pour ceux qui ont poussé la Grèce hors de l’Eurozone, c’est à elle de partir d’elle-même », suggéraient des sources haut placées au Parti populaire européen cet hiver. A cet égard, le scénario du référendum n’est pas pour leur déplaire : s’ils disent non, ce sont les Grecs qui devront assumer le « Grexit »… p cécile ducourtieux, jean-pierre stroobants, frédéric lemaître et adéa guillot L’idée d’une sortie de la Grèce de la zone euro fait son chemin etant passés du stade où le « Grexit » (l’hypothèse de la sortie de la Grèce de la zone euro) était impensable à celui où il est devenu plausible, certains responsables européens sont déjà dans le coup d’après : tirer le meilleur parti d’une situation qu’ils n’avaient pas souhaitée. Ou faire contre mauvaise fortune bon cœur. Une vision est même en train d’émerger : une sortie de la Grèce bien organisée pourrait aboutir à un renforcement de la zone euro. C’est le scénario positif, évoqué en secret. On le prête à Wolfgang Schäuble (le ministre allemand des finances), à Mario Draghi – le patron de la Banque centrale européenne (BCE) –, mais il a d’autres partisans, notamment l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, qui prône la sortie de la Grèce de l’euro. Cette hypothèse part d’abord du principe que le risque de « Grexit » pour la zone euro est très limité, contrairement aux prédictions catastrophistes. Selon l’analyse de Benoît Coeuré – membre du directoire de la BCE –, dans un entretien publié mardi par Les Echos, la réaction modérée des marchés aux soubresauts de ces derniers jours, « montre la résilience de la zone euro à des chocs extérieurs. Les filets de sécurité mis en place ces dernières années jouent leur rôle ». Coût politique Vient ensuite l’argument en faveur de la Grèce : au bout du compte, la seule solution pour ce pays serait la dévaluation monétaire, car son modèle économique n’est pas compatible avec une zone monétaire commune. « On a essayé une dévaluation intérieure, mais ça n’a pas marché ; les salaires ont baissé, pas les prix », note un responsable proche des négociations. Mieux vaudrait donc organiser la sortie de la Grèce de l’euro, avec un « accompagnement financier solide » européen, afin de limiter les conséquences de ce processus inédit pour la population grecque. Cet accompagnement pourrait se faire, par exemple, à l’aide de fonds structurels, puisque la Grèce resterait membre de l’Union européenne (UE). Dans l’hypothèse où l’on arriverait à limiter ainsi la casse pour le peuple grec, reste le coût politique pour l’UE, celui du précédent créé par la sortie, pour la première fois, de l’un des dix-neuf membres de la zone euro, et de la fin de l’irréversibilité de l’union monétaire. Pour les optimistes, ce serait alors aux Etats de gérer ce risque politique en le retournant : une fois débarrassés de la crise grecque qui les empoisonne depuis cinq ans, ils pourraient alors se saisir de l’occasion pour renforcer l’intégration de la zone euro en approfondissant, notamment, l’union bancaire et budgétaire. p sylvie kauffmann économie & entreprise | 3 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 La bataille du référendum est lancée Alors que M. Tsipras appelle à voter « non » dimanche 5 juillet, les dirigeants européens prônent le « oui » suite de la première page C’est le seul choix selon le président de la Commission, à même de sauver la Grèce d’un Grexit et d’épargner à la zone euro des dégâts collatéraux incalculables. Le président de la Commission qui a longtemps pensé qu’un accord serait possible avec Athènes, qui y a consacré une grande partie de son énergie, ces cinq derniers mois, mais qui n’a pas digéré la rupture surprise des négociations, vendredi 26 juin, avec l’annonce surprise du référendum, s’est donc employé, lundi 29 juin, à « vendre » aux Grecs l’accord proposé à Athènes pas ses créanciers. « Il n’a jamais été à prendre ou à laisser » a-t-il affirmé et s’il est « exigeant », avec sa réforme des retraites préconisant notamment la fin progressive des régimes de pré-retraite, il est aussi « honnête ». Non, a-t-il juré, il n’a jamais été question de diminuer les retraites les plus faibles, non, « il n’est pas inspiré par une austérité stupide ». Et oui , il faut voter « oui » au référendum, parce qu’un « non », « serait interprété comme un non à la zone euro, un non à l’Europe » a-t-il martelé. A Berlin, le message était sensiblement le même, lundi. Angela Merkel a elle aussi lié le référendum en Grèce au maintien du pays dans l’euro, proposant d’en attendre l’issue avant une éventuelle poursuite des négociations. « Si après le référendum le gouvernement grec demandait à reprendre les négociations, naturellement nous ne nous y opposerions pas », a déclaré la chancelière. Le référendum « est évidemment lié au maintien dans l’euro », a-t-elle dit, tout en prenant soin de ne pas donner de consigne de vote « aux citoyens grecs responsables ». Donald Tusk, le président du Conseil européen est également monté au front, lundi, précisant que « si quelqu’un dit que le gouvernement grec aura une position de négociation plus forte avec un “non” au référendum, ce n’est tout simplement pas vrai ». Le décalage est frappant avec Athènes, où Alexis Tsipras, quelques heures plus tard, a précisément affirmé le contraire, disant que si le « non » l’emportait, cela signifierait que le gouvernement serait « mieux armé pour renégocier avec les créanciers ». Il a dé- C’est la date du 20 juillet qui, en l’absence d’accord, signifiera le vrai défaut de la Grèce noncé ces appels bruxellois à voter « oui », parlant de « tentative d’intimidation ». Il a aussi assuré que son téléphone « restait allumé 24 heures sur 24 », qu’il était toujours prêt à reprendre les négociations. « Notre choix est de rester dans l’euro (…) le message [aux créanciers] est que le gouvernement grec allait continuer de se trouver à la table des négociations au lendemain du référendum », a indiqué Alexis Tsipras. Mais il a aussi clarifié les choses : en cas de « oui », il démissionnerait, « Je ne suis pas un premier ministre qui reste en place qu’il pleuve ou qu’il vente ». Importance relative Dans cette guerre du « oui » contre le « non » à l’échelle de l’Europe, la « deadline » du 30 juin ne semble plus avoir qu’une importance relative. Lundi soir, Tsipras l’a dit implicitement : son pays ne paiera probablement pas le Fonds monétaire international (FMI) d’ici mardi soir minuit, heure de Washington. « Est-ce possible que les créanciers attendent le paiement du FMI alors qu’ils ont imposé l’asphyxie aux banques ? », s’est interrogé le premier ministre. Il a toutefois ajouté : « dès qu’ils décident de lever l’asphyxie, ils seront payés ». De fait, ne pas payer le FMI n’a rien d’irréversible, même si c’est un signal de plus – s’il en était besoin, après l’instauration d’un contrôle des capitaux en Grèce, lundi –, que le pays est au bord de l’asphyxie financière. Cela n’a pas de conséquences aussi dramatiques qu’un défaut de paiement auprès d’un créancier privé. En théorie, la directrice générale du Fonds, Christine Lagarde, peut attendre un mois avant de notifier officiellement le défaut de paiement. Mais elle a prévenu : cette fois-ci, la Grèce ne devrait pas bé- Manifestant en faveur du non au référendum, à Athènes, le 29 juin. DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE » néficier de ce délai de grâce. Et tant qu’Athènes n’aura pas remboursé cet « arriéré », il n’aura pas accès aux 3,5 milliards d’euros de prêts restant à verser par le FMI à Athènes. Tirant déjà les conséquences du futur référendum et des risques qu’il fait courir sur l’économie grecque, l’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé, lundi, la note de dette de la Grèce à CCC, alertant sur le risque de défaut et de « Grexit ». C’est la date du 20 juillet prochain qui, en l’absence d’accord, signifiera le vrai défaut, au sens comptable du terme, de la Grèce. A cette date, le pays doit rembourser 3,5 milliards d’euros, en rachats d’obligations grecques à la Banque centrale européenne (BCE), ce qui sera probablement impossible. La BCE pourrait être alors contrainte de fermer le robinet des « ELA », ces financements d’urgence des banques grecques. Le 30 juin à minuit, c’est aussi la fin théorique du deuxième plan d’aide à la Grèce. Ce qui veut dire que tout l’argent « fléché » pour le pays par les Européens, conditionné à la mise en œuvre du « programme » de réformes grec (qui n’a pas été agréé), disparaît. « Quand on veut, on peut » Ainsi des 1,8 milliard d’euros de prêts restant à verser à Athènes dans le cadre de ce deuxième plan d’aide proprement dit (130 milliards, décidés en 2012). Et aussi des profits réalisés par la BCE sur les obligations souveraines grecques en 2014 et en 2015 (en tout 3,3 milliards d’euros). Pour « réaffecter » ces fonds, il faudrait, formellement, qu’un nouveau plan d’aide, le troisième, avec les montants financiers ac- compagnés des réformes exigées par les créanciers, soit décidé. Cela peut aller vite, en quelques jours, au prix d’un ou deux Eurogroupes (réunions des ministres des finances de la zone euro) et doit passer par la validation de quelques parlements nationaux, dont le Bundestag allemand. Mais comme disait la chancelière Merkel il y a quelques semaines – elle est maintenant citée à tout bout de champ à Bruxelles – « If there is a will, there is a way » (« quand on veut, on peut »). Autrement dit, si Athènes revient à la table des négociations, même après le 30 juin, ou si les Grecs votent un « oui » franc et massif, di- La question posée aux Grecs dimanche Le gouvernement grec a publié le texte de la question qu’il prévoit de soumettre aux électeurs lors du référendum qui aura lieu dimanche 5 juillet. La case « non » apparaît au-dessus de la case « oui ». « Est-ce que la proposition soumise par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015, qui consiste en deux parties qui forment ensemble leur proposition globale, devrait être acceptée ? » manche 5 juillet, l’Europe pourrait surmonter toutes les difficultés techniques, voire politiques, pour trouver une solution et s’épargner un « Grexit ». Lundi, peu avant son discours vindicatif contre Athènes, M. Juncker a eu M. Tsipras au téléphone. Selon nos informations, le président de la Commission a dit au premier ministre grec, que s’il s’engageait par écrit, dans une lettre qu’il adresserait à lui, au président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem, à la chancelière Angela Merkel et au président français François Hollande, dans laquelle il appelerait à voter pour le « oui », alors il serait prêt, lui, à considérer, en urgence, la tenue d’un sommet européen, ou d’un Eurogroupe, pour aider Athènes à surmonter la « deadline » du 30 juin. C’était juste avant que M. Tspiras n’appelle une nouvelle fois ses concitoyens à voter « non » le 5 juillet. p cécile ducourtieux (bureau européen) avec marie charrel et jean-baptiste chastand Pourquoi la dette grecque n’est pas soutenable Malgré les aménagements consentis par ses créanciers, Athènes ne peut honorer ses échéances sans compromettre la future croissance C’ est le nœud gordien de la crise grecque. La dette publique hellène, qui dépasse aujourd’hui les 177 % du produit intérieur brut (PIB), cristallise depuis des mois les tensions entre Athènes et ses créanciers. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Alexis Tspiras, jugeant son pays étranglé par les remboursements, souhaite mettre le sujet au cœur des négociations. Mais ses partenaires européens, notamment l’Allemagne et l’Espagne, ne veulent pour l’instant pas en entendre parler. A Berlin, certains assurent même que la dette publique grecque, déjà restructurée en 2012 (elle a été ramenée de 175,1 % à 157,2 % du PIB), serait soutenable pour peu qu’Athènes fasse des efforts… Qui croire ? « Parmi les économistes, il y a consensus pour dire que la Grèce ne s’en sortira pas sans un nouvel allégement de sa dette, qui représente un trop lourd fardeau pour la reprise », décrypte Cécile Antonin, de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). A y regarder de près, le sujet est moins simple qu’il n’y paraît. Pour juger de la soutenabilité d’une dette publique, les analystes passent en effet un ensemble de critères en revue : le ratio de la dette dans le PIB, les taux d’intérêt payés, les perspectives de croissance ou encore l’évolution de la productivité et le montant des excédents budgétaires primaires (hors paiements des intérêts de la dette) dégagés… Jusqu’à l’arrivée de la gauche radicale Syriza au pouvoir, en février, la partie était serrée mais semblait presque jouable – du moins, avec des hypothèses de croissance très optimistes. Depuis sa restructuration de 2012, la dette publique hellène, qui appartient pour 75 % à des créanciers publics – Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Fonds européen de stabilité financière (FESF) et autres pays membres de la zone euro –, a en effet bénéficié de plusieurs « Le retour en récession a dégradé la soutenabilité de la dette, d’autant que le pays est toujours en déflation » DIEGO ISCARO IHS Economics aménagements. Les taux d’intérêt ont ainsi été réduits, si bien qu’en moyenne le taux que paie la Grèce est 2,36 % – à peu près comme l’Allemagne. « Aménagements conséquents » Par ailleurs, la « maturité » de certains prêts a été allongée, ce qui signifie qu’ils seront remboursés sur une période plus longue. Résultat : la dette grecque affiche dé- sormais une « maturité » moyenne de 16 ans, contre 7 ans pour la dette française. Enfin, les Etats de la zone euro et le FESF ont accepté un « moratoire » jusqu’en 2023 : d’ici là, Athènes ne leur versera aucun intérêt et ne remboursera aucune des sommes empruntées… « Ces aménagements sont conséquents : le gouvernement grec est injuste lorsqu’il se prétend écrasé par les remboursements », analyse Bruno Cavalier, économiste chez Oddo Securities. De fait, selon les hypothèses du précédent plan d’aide européen, Athènes serait en mesure de ramener sa dette à 135 % du PIB en 2019, à condition de dégager un excédent budgétaire primaire de 3 % en 2015, 4,5 % en 2016-2017, 4,2 % en 2018-2019, et dans l’hypothèse où la croissance serait supérieure à 2,8 % en 2015, 3,7 % en 2016 et 3,5 % au-delà. « Un scénario rose qui a été balayé par la dégradation de la conjoncture observée ces derniers mois », constate Philippe Waechter, chez Natixis AM. C’est peu dire. Alors qu’après six ans d’une douloureuse récession l’économie hellène renouait enfin avec la croissance au début de l’année dernière, le PIB a replongé de 0,4 % au dernier trimestre 2014, puis de 0,2 % début 2015. « Les incertitudes autour des négociations et les rumeurs d’une sortie grecque de la zone euro ont eu des effets ravageurs sur notre économie », dit Georges Pagoulatos, économiste à l’université d’Athènes. « Ce retour en récession a automatiquement dégradé la soutenabilité de la dette, d’autant que le pays est toujours en déflation », ajoute Diego Iscaro, chez IHS Economics. Ce n’est pas tout. Le plan d’assistance européen prenant fin mardi 30 juin, Athènes ne recevra pas la dernière tranche d’aide de 7,2 milliards d’euros prévue. Elle ne pourra donc pas faire face à ses échéances (1,6 milliard d’euros au FMI le 30 juin, 3,5 milliards d’euros à la BCE le 20 juillet) – sauf nouvel accord d’ici là. Nombre des remboursements qu’Athènes doit ho- norer cette année ne sont en effet pas concernés par le moratoire accordé jusqu’en 2023 par certains créanciers. « C’est regrettable, car une fois le “mur de la dette” de 2015 passé, les paiements à honorer seront beaucoup moins élevés », souligne M. Cavalier. Peut-être. Mais même en cas d’accord rapide avec les créanciers et de déblocage d’un nouveau prêt, la dette grecque restera un handicap. « Pour la ramener vers la cible de 60 % du PIB exigée par les règles européennes, le pays devra dégager d’importants excédents primaires et ce, pendant des années : ce n’est pas crédible ni tenable », souligne Mme Antonin. Autant dire que la question de l’allégement reviendra tôt ou tard sur la table de négociations. Et ce ne sont pas les pistes qui manquent pour y parvenir : allonger de nouveau les maturités, indexer les remboursements sur la croissance ou, plus radical, effacer une partie du montant… p marie charrel 4 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 LA CRISE GRECQUE Les Grecs restent stoïques face aux restrictions Métros, bus, trains sont gratuits. Les retards de paiement sont tolérés. La carte bancaire est acceptée partout REPORTAGE parta, athènes - envoyées spéciales I l n’a pas fallu longtemps aux Grecs pour surmonter le choc provoqué par l’annonce soudaine, dimanche 28 juin dans la soirée, de la fermeture des banques jusqu’au lendemain du référendum, dimanche 5 juillet. Quelques ruées anxieuses vers les distributeurs de billets bientôt vides. Le réflexe aussi, pour les plus prévoyants, d’aller faire le plein d’essence. Non pas par crainte d’une pénurie mais parce que certaines pompes n’acceptent qu’un paiement en cash. Et le jour d’après… Athènes, stoïque et solidaire, s’organisait. Sans panique. En prenant son mal en patience. La ville paraissait, lundi 29 juin, étrangement calme. « Il s’agit de tenir tranquillement jusqu’au 5 juillet, disait un serveur d’hôtel. Après le vote, ce sera une autre histoire. » Une situation similaire à celle d’un mois d’août, quand les habitants sont partis en vacances, dit une septuagénaire, surprise de constater, de bon matin, si peu d’affluence aux halles où elle fait régulièrement son marché. « Peut-être la limite des retraits d’argent à 60 euros par jour incitet-elle à différer les courses. » Et c’est vrai que certaines rues commerçantes, comme Euripidou, paraissaient assoupies. Les touristes étaient là, bien sûr, que la ministre grecque du tourisme, Elena Kountoura, a tenu à rassurer bien vite : la limitation des retraits de billets ne les con- Pour inciter les itinérants à aller voter chez eux, les péages d’autoroute seront supprimés en fin de semaine cerne pas. Il n’y a aucun plafond pour retirer de l’argent des banques étrangères. Et la carte bancaire est acceptée partout… y compris pour l’accès à l’Acropole. Le ministre de l’intérieur, Nikos Voutsis, a, de son côté, multiplié les annonces pour montrer que la situation était bien contrôlée et que tout était mis en œuvre pour simplifier la vie des Athéniens privés de cash. Métro, bus et train urbain sont gratuits toute la semaine. Les retards d’une semaine pour s’acquitter des factures d’eau, de téléphone et d’électricité ne donneront lieu ni à coupure ni à pénalité. Initiatives syndicales Et pour inciter les itinérants à aller voter chez eux, les péages d’autoroute seront supprimés en fin de semaine, alors que les bus reliant les villes proposeront de grosses réductions. Des associations de médecins ont également demandé à leurs membres d’offrir toute la semaine des services gratuits à leur clientèle. Des syndicats prennent aussi des initiatives. Et la police sera mobilisée pour protéger les quel- Les marchés gardent la tête froide Au deuxième jour d’une semaine cruciale pour la Grèce, les Bourses reprenaient leurs esprits, mardi 30 juin au matin. A Paris, le CAC 40 ouvrait en recul de 0,42 %, après avoir chuté de 3,74 % lundi, son plus fort repli depuis trois ans et demi. Sur le marché obligataire, rien qui ressemblât au sauve-qui-peut de 2011-2012, lors de la crise des dettes souveraines. Le rendement des emprunts d’Etat espagnols évoluaient sous 2,4 %, niveau inférieur à celui de la mi-juin. L’euro reculait légèrement, à 1,11 dollar. Ce flegme doit beaucoup aux outils mis en place par la Banque centrale européenne : le programme « OMT » (opérations monétaires sur titres) et le quantitative easing, qui permet des rachats d’actifs. Rassemblement à Athènes, lundi 29 juin, en faveur du « non » au référendum du 5 juillet. DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE » ques agences bancaires qui ouvriront jeudi uniquement à destination des « anciens » voulant retirer l’argent de leur retraite et ne disposant pas de carte. Bref, tout le monde se voulait rassurant. Et, si elles avaient l’objectif de paniquer la population, les déclarations de quelques politiques européens sur la nécessité d’un vote « oui » semblaient avoir l’effet inverse. « C’est une interférence insupportable ! Inadmissible !, protestait Vassiliki, une jeune pharmacienne rencontrée lundi soir au rassemblement pour le vote “non”, organisé sur la place Syntagma, face au Parlement. Cela ne fait que renforcer ma résolution à envoyer bouler leur proposition ! » A Patra, dans le nord du Péloponnèse, si l’angoisse de l’in- connu tourmentait les esprits, impossible de la déceler dans la routine des habitants. Le doux soleil qui berçait la localité y était-il pour quelque chose ? Même Kostadino, pourtant directement affecté par le contrôle des capitaux annoncé la veille par le gouvernement, reconnaît que sa « première journée sans argent liquide » a été plutôt bonne, du moins en termes de ventes. Car le trentenaire a dû batailler pour s’assurer que les deux boulangeries qu’il tient depuis trois ans à Aigio puissent être approvisionnées cette semaine. Panique vite estompée « Mon fournisseur de farine m’a téléphoné en me disant qu’il pouvait me livrer ce matin et jusqu’au mardi 7 juillet à la condition que je lui verse une somme 50 % supérieure à celle prévue sur ma facture hebdomadaire habituelle. » Ses fours, ajoute-t-il, fonctionnent avec du pétrole qu’il trouve à la station-service la plus proche. « J’ai eu de la chance, le propriétaire m’a prévenu que de nombreuses voitures faisaient la queue pour prendre de l’essence et qu’il voulait bien me mettre le nécessaire de côté, en échange de quelques billets. » Au total, il a dépensé près de 3 000 euros. Quelques inquiets se sont bien rués çà et là dans les stations-service et les supermarchés alentour. Mais ce début de mouvement de panique s’est vite estompé. Dans les dernières heures d’une douce soirée d’été, Nikos, Aris, Dimitria, Aristos, Panos et Grigori partagent une bouteille d’ouzo à la ter- rasse bondée d’un bistrot. « C’est un des plus beaux jours de ma vie, plaisante le dernier, seul employé de son entreprise de confection de chaussures. Le paiement de mes factures a été suspendu. Pendant une semaine, je n’ai plus à me soucier de rien. » Célibataires ou sans enfants, ces électeurs de Syriza reconnaissent que les récentes actions de l’exécutif peuvent, en revanche, être assez lourdes pour d’autres, les familles nombreuses notamment. Mais, résume ironiquement Aris, post-doctorant à l’université : « Avec un salaire de 300 euros par mois, la seule chose qui change, c’est qu’il me faudra au moins attendre cinq jours pour le dépenser entièrement. » p aude lasjaunias et annick cojean Les économistes jugent les exigences des créanciers déraisonnables La Grèce apparaît en trop mauvais état pour supporter plus d’austérité, et une restructuration de la dette est jugée inéluctable C’ est peu dire que les dernières propositions des créanciers de la Grèce, mises en ligne dimanche 28 juin sur le site Internet de la Commission européenne, suscitent les critiques. Patrick Artus, le chef économiste de Natixis, qu’on ne peut soupçonner d’être proche de Syriza – le parti grec de la la gauche radicale, au pouvoir à Athènes – résume assez bien la pensée dominante : « Aucun économiste sérieux ne peut avaliser ce plan mal fichu et très déraisonnable », a-t-il déclaré, lundi 29 juin, au Monde. « Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a des raisons d’appeler à voter “non” au référendum du 5 juillet. Le programme des créanciers n’est pas acceptable. Demander à une économie en récession de 3 % à 4 % d’afficher un excédent primaire [le solde budgétaire avant paiement des intérêts de la dette] de 1 %, c’est la condamner à ne pas se redresser », ajoute M. Artus, un partisan en France d’une politique de l’offre. Les néokeynésiens ne sont donc pas les seuls à dénoncer les exigences intenables des créanciers d’Athènes. Les économistes, quelle que soit leur famille de pensée, s’accordent pour déplorer Pour Joseph Stiglitz, le Prix Nobel d’économie, l’exTroïka a « une responsabilité criminelle, celle d’avoir causé une récession majeure » que les bailleurs de fonds d’Athènes minimisent la gravité de la récession grecque, plus longue et plus profonde que la Grande Dépression aux Etats-Unis dans les années 1930. L’économie hellène, ajoutentils, est aujourd’hui en bien trop mauvais état pour supporter le surcroît d’austérité – hausses d’impôt, TVA en tête, et de cotisations, réforme de la grille salariale et baisse de l’emploi de la fonction publique, réforme des retraites etc. – imaginé par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) en échange d’« argent frais ». L’ex-« Troïka » a « une responsabilité criminelle, celle d’avoir causé une récession majeure », a asséné, lundi, dans le Time le prix Nobel d’économieJoseph Stiglitz. « Les créanciers d’Athènes devraient admettre que la politique qu’ils ont mise en place depuis cinq ans, l’austérité, n’a pas fonctionné », analyse -t-il. Sur son blog du New York Times, son collègue Paul Krugman écrit qu’il voterait « non » au référendum du 5 juillet « bien que la perspective d’une sortie de l’euro inquiète tout un chacun, moi compris ». « Ce que demande la “Troïka” c’est une poursuite indéfinie de la politique d’austérité menée depuis cinq ans. Mais où est l’espoir dans tout cela ? », s’interroge-t-il en faisant observer qu’« une dévaluation [consécutive à un « Grexit »] ne créerait pas beaucoup plus de chaos que celui qui existe aujourd’hui ». Perplexité Moins polémique mais tout aussi affirmatif, le chef économiste de Coface, Julien Marcilly, rappelle que « les politiques macroéconomiques doivent être contracycliques ». « Demander à un pays en récession d’afficher un excédent budgétaire primaire, même réduit de 3,5 % à 1 %, n’a pas de sens. Les dépenses publiques ont diminué de 20 % en Grèce en termes réels depuis 2007. En Espagne, pendant ce temps, elles sont restées stables. Comment voulez-vous que l’économie puisse se redresser ? » « A quoi sert de proposer une TVA à 23 % sur la restauration quand le tourisme est l’un des rares secteurs porteurs de l’économie de la Grèce ? La croissance potentielle du pays est négative. Ce dernier a surtout besoin de zones franches qui rendraient attractive son économie. Ce n’est pas le moment de décourager les investisseurs et les entreprises », insiste de son côté M. Artus. L’absence totale de toute référence à la question de la dette, jugée pourtant cruciale, est un autre sujet de perplexité et de critiques pour les économistes Sur son site Web, la Commission européenne assure avoir mis en ligne les dernières propositions des créanciers tenant compte de celles avancées par M. Tsipras entre le 8 et le 25 juin « par souci de transparence, et pour l’information du peuple grec ». En présentant ces propositions, Bruxelles fait référence à la dette grecque. Celle-ci toutefois ne figure pas dans les neuf points qui ont été abordés par le FMI et les Européens. Or de l’avis général, sa restructuration est « inéluctable ». « Il faudrait quatre points de produit intérieur brut [PIB] d’excédent budgétaire primaire pour stabiliser la dette. Les Grecs sont complètement insolvables. Il ne faut pas leur faire des prêts mais restructurer la dette. C’est d’ailleurs ce que pense le FMI. La Commission n’en veut pas, non pas pour éviter des pertes aux banques mais pour des raisons politiques : par égard pour l’Espagne, le Portugal, l’Irlande etc. qui ont fait des efforts et par peur de fâcher les contribuables européens », analyse Patrick Artus. « Démagogie et mensonge » « Les positions du gouvernement Tsipras et des créanciers s’étaient beaucoup rapprochées. Mais ce qui a manqué, c’est la discussion et l’engagement d’une renégociation de la dette grecque qui est insoutenable et qu’il faudra restructurer, surenchérit le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Xavier Ragot. « L’histoire nous a pourtant appris, avec le Traité de Versailles et l’Allemagne, ce qu’il en coûte de poser à un pays des exigences intenables... » « Les autorités grecques ont demandé que le Mécanisme européen de stabilité [MES] prenne la dette hellène à son compte, ce qui ouvrait la possibilité d’un reprofilage partiel de celle-ci. C’était l’idée du troisième plan d’aide. Elle n’a pas été acceptée probablement parce que les créanciers veulent pouvoir conserver un certain degré d’ingérence dans la vie de la Grèce », relève aussi Paola Monperrus, économiste au Crédit agricole. « Il y a eu beaucoup de démagogie et de mensonge et des deux côtés. Les propositions de créanciers sont technocratiques et elles sont peu accessibles à l’opinion publique. Les positions du FMI et des Européens n’étaient pas alignées. Le premier s’est focalisé sur la nonsoutenabilité de la dette, les seconds voulaient des réformes pour pouvoir rendre acceptables de futurs sacrifices à leurs contribuables », estime le chef économiste d’Euler Hermès, Ludovic Subran. En l’état, les propositions sont généralement jugées « trop technos » pour pouvoir faire l’objet d’un référendum. Un référendum qui peut piéger non seulement M. Tsipras mais aussi les Européens. p claire guélaud économie & entreprise | 5 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 Alexis Tsipras divise la gauche française Les écologistes demandent un débat parlementaire E ntre soutien à la poursuite des négociations et franc parti pris pour Alexis Tsipras, la crise grecque met au jour les lignes de fracture qui traversent la gauche française. La possibilité d’un « Grexit » était à l’ordre du jour, lundi 29 juin, du premier bureau national du Parti socialiste depuis le congrès de Poitiers, qui s’est tenu début juin. Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a défendu la ligne de François Hollande : « La France doit garder sa position d’intercesseur et réaffirmer sa disponibilité pour négocier jusqu’au bout. Nous devons être mezza voce : nous ne sommes pas l’expression française de Syriza, mais dire que la discussion est encore ouverte, c’est aussi prendre position contre Wolfgang Schäuble (le ministre allemand des finances), qui considère qu’elle est close. » Pour le patron du PS, appuyé lors de la réunion par Martine Aubry, la sortie de la crise passe également par l’ouverture du débat sur la question de la renégociation de la dette. Pas question par ailleurs de remettre en cause le recours au référendum annoncé par Alexis Tsipras. Pour Christian Paul, l’un des cadres de la gauche du parti, à charge pour les Européens d’envoyer d’ici là un « message d’espoir » aux Grecs : « Il faudra de nouvelles initiatives dans la semaine, on ne peut pas attendre l’arme au pied. S’il y a un “Grexit”, le signal politique est désastreux, cela signifie que la solidarité européenne ne fonctionne pas. » Emmanuel Maurel, député européen et dirigeant de l’aile gauche du PS, estime que le parti doit sortir de sa réserve : « On n’a pas le droit d’être neutre. On doit marquer très clairement notre solidarité avec le peuple grec et le gouvernement en place : laissons Alexis Tsipras mener ses réformes structurelles à lui plutôt que les vieilles recettes de la Commission [européenne], qui ne marchent pas. » Les « frondeurs » du PS reprochent globalement à François Hollande son attitude, qu’ils jugent trop passive. « Comme d’habitude, il a fait une intervention mi-chèvre, mi-chou, regrettait M. Maurel à l’issue de la prise de parole du chef de l’Etat lundi matin. A chaque fois, je rêve que François Hollande va prendre une initiative qui lui permettra d’être le héraut d’une autre Europe, mais il ne saisit jamais cette opportunité. » « Sans-faute » Le président de la République, qui devait rencontrer mardi 30 juin les présidents des deux Assemblées, des groupes parlementaires et des commissions sur la question du terrorisme, a ajouté à l’ordre du jour le dossier grec. Les écologistes comptaient bien en profiter pour demander l’organisation d’un débat parlementaire sur le sujet, comme cela a pu exister sur le Mali ou la Syrie. « Ça nous paraît légitime que le Parlement ait à en débattre, explique François de L’HISTOIRE DU JOUR Quand parier sur la Grèce n’a plus d’intérêt François Hollande et Alexis Tsipras, à Bruxelles, le 22 juin. GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas inutile qu’il y ait une formalisation des positions de chacun vis-à-vis des Français qui peuvent ressentir une inquiétude. » Si M. de Rugy trouve « un peu étrange » d’organiser un référendum en huit jours, nombreux sont ceux, à la gauche du PS, qui saluent l’initiative du premier ministre grec. « Ça prouve que Tsipras veut aller au bout du respect de son mandat, estime Anne Sabourin, qui représente le PCF au Parti de la gauche européenne. Mais il a trouvé un bloc de responsables politiques qui ne souhaitent pas qu’une expérience alternative de gauche réussisse : ça voudrait dire que ce qu’ils nous racontent depuis trente ans – qu’il n’y a pas d’alternative – est un mensonge. » Pour Eric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche, il s’agit même d’un « sans-faute ». « C’est exactement la politique que A la gauche du Parti socialiste, nombreux sont ceux qui saluent l’organisation d’un référendum par Alexis Tsipras nous mènerions si nous étions au pouvoir, ajoute-t-il. C’est encore plus méritoire, car il a un rapport de force qui lui est défavorable. » Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV, est plus nuancée et renvoie chacun à ses responsabilités. « La Grèce ne peut pas continuer comme aujourd’hui, et le Fonds monétaire international doit prendre en compte ce qui s’est passé en janvier avec l’arrivée de Syriza au pou- voir », analyse-t-elle en recensant les sujets sur lequels Athènes doit, selon elle, avancer, de l’évasion fiscale aux dépenses militaires, en passant par la mise en place d’un véritable cadastre qui permette de lever l’impôt foncier. Pour elle, un accord ne peut passer que par la dette grecque, que ce soit grâce à un rééchelonnement ou à une restructuration. « La question que je me pose est de savoir si l’Europe et les Grecs ont vraiment envie de parvenir un accord, interroge-t-elle. Ça me rend triste pour l’Europe. » Sans surprise, M. Coquerel est encore plus direct et dénonce le « chantage » de l’Eurogroupe. « C’est le nouveau temps des colonels », assène-t-il, en référence à la dictature militaire mise en place en Grèce de 1967 à 1974. « Ça confirme le caractère non démocratique de l’Europe », renchérit Mme Sabourin. Cette dernière n’en revient toujours pas que les ministres des finances européens aient décidé, samedi, de sortir leur collègue grec des discussions après l’annonce de l’organisation du référendum. « C’est un putsch, critique-t-elle. Il faut arrêter le dix-huit contre un. » Pour beaucoup, François Hollande aurait pu mieux faire. « Sa faute originelle, c’est d’avoir refusé de renégocier le TSCG [pacte budgétaire européen] comme il l’avait promis, juge David Cormand, secrétaire national adjoint d’EELV. Il est censé être le seul président de gauche d’un des plus grands pays de l’Union européenne. Il avait un rôle historique à jouer, mais il a complètement renoncé. Il n’aurait pas dû être un médiateur dans cette histoire, mais bien un acteur. » Un sujet qui s’ajoute à la liste déjà longue des différends qui opposent désormais le président socialiste au reste de la gauche. p nicolas chapuis et raphaëlle besse desmoulières La Slovaquie ne veut plus payer pour les Grecs Comme ses prédécesseurs, le gouvernement de Robert Fico souhaite que la Grèce sorte de la zone euro et appelle à ne pas céder au « chantage » d’Athènes londres - correspondance prague - correspondant M êmes les bookmakers finissent par avoir peur de ce qui se passe dans la zone euro. William Hill, l’un des plus gros bookmakers britanniques, a décidé lundi 29 juin d’arrêter de prendre les paris sur une sortie de la Grèce de la monnaie unique. En cause : tous les paris allaient dans le même sens. « La seule option sur laquelle les gens étaient prêts à parier ces deux derniers jours était qu’un “Grexit” se produirait cette année », explique Graham Sharpe, son porte-parole. Craignant d’essuyer de trop grosses pertes, William Hill a préféré jeter l’éponge. Ce retrait ne doit cependant pas cacher que les bookmakers britanniques sont plutôt optimistes sur la situation grecque. Quand il a fermé ses guichets lundi, William Hill offrait enCRAIGNANT core 2 pour 9 sur le fait que le pays reste dans la zone euro, soit 82 % de D’ESSUYER DE TROP chances. Inversement, un « Grexit » n’était coté qu’à 3 pour 1 (25 % de proGROSSES PERTES, babilités). Les parieurs britanniques, qui avaient beaucoup cru à l’exploLE BOOKMAKER sion de la monnaie unique il y a cinq WILLIAM HILL A PRÉ- ans, semblent désormais presque optimistes que les technocrates FÉRÉ JETER L’ÉPONGE plus européens. D’autres bookmakers, plus courageux – ou kamikazes – ont gardé les paris ouverts. Paddy Power offre par exemple 13 pour 8 sur le « Grexit », soit 38 % de probabilités. Ladbrokes propose un pari un peu différent, se concentrant sur le résultat du référendum du 5 juillet en Grèce : il offre 4 pour 7 pour que le « oui » l’emporte, soit 63 % de chances. Les Britanniques semblent donc penser que les Grecs reculeront au dernier moment, et accepteront le plan d’austérité des créanciers. Comme tous les jeux sont bons, les bookmakers ont ouvert les paris sur d’autres sujets. William Hill propose ainsi de miser sur le premier pays qui sortira de l’Union européenne : la Grèce est maintenant la favorite (75 % de chances d’être le premier), suivie, loin derrière, par le Royaume-Uni (20 %). p éric albert Q u’ils soient de gauche ou de droite, les gouvernements slovaques ont été constants dans leur attitude face à Athènes, depuis le début de la crise grecque en 2010. Ils ont toujours été défavorables à une aide financière qu’ils jugeaient à fonds perdus et ont prôné très tôt une sortie de la Grèce de la zone euro ou une adaptation de son statut. S’ils ont fini par se rallier à plusieurs reprises à l’avis généreux de l’Eurogroupe, toujours à contrecœur et mettant en garde leurs partenaires que la seule solution était dans la faillite de la Grèce, c’était par « solidarité européenne ». « Aujourd’hui est déjà trop tard mais c’est toujours mieux que jamais », explique en substance Ivan Miklos, ex-ministre de l’économie et des finances slovaque entre 1998 et 2006 puis de 20102012, dans un entretien, lundi 29 juin, au quotidien Dennik N. « Seul l’abandon de l’euro par la Grèce est une solution viable à moyen terme et indispensable à long terme si l’on ne veut pas désorganiser la zone euro », estime l’auteur des réformes ultralibérales du tournant du siècle qui ont propulsé le pays dans l’Union européenne et la zone euro. Aussi recommande-t-il à son successeur, l’actuel ministre social-démocrate Peter Kazimir, de « ne pas céder au chantage des autorités d’Athènes » et de « cesser de tout faire pour maintenir la Grèce dans la zone euro ». Ne plus remettre au pot M. Kazimir semble ne pas avoir besoin de ces conseils car c’est la ligne qu’il trace, réunion de l’Eurogroupe après réunion. De plus, il ne souhaite pas connaître le sort de son prédécesseur qui avait été emporté, en 2012, par la chute de son gouvernement de coalition de centre-droit, justement à cause de la Grèce. Un des partis libéraux du cabinet avait refusé d’approuver la ratification du Mécanisme européen de stabilisation (MES). C’est le chef de M. Kazimir et actuel premier ministre, Robert Fico, qui l’avait ratifié après sa large victoire aux élections et contribué à hauteur de 660 millions d’euros. Mais M. Fico comme son argentier ne veulent plus remettre au pot. La faible exposition de la Slovaquie et des banques locales, même si elles sont la propriété de grands groupes européens plus exposés, incite le cabinet à l’intransigeance, car tout défaut de la Grèce n’aura qu’un coût direct limité pour les finances slovaques « Les Grecs ne veulent pas réduire leurs retraites, qui sont deux fois supérieures à celles des Slovaques » PETER KAZIMIR ministre de l’économie et des finances slovaque et son commerce dérisoire avec la péninsule. De plus, comme ils le répètent à qui mieux mieux, les « Slovaques sont plus pauvres que les Grecs ». « Les Grecs ne veulent pas réduire leurs retraites mais elles sont deux fois supérieures à celles des Slovaques », s’offusquait Peter Kazimir lors d’une des dernières réunions de l’Eurogroupe. Moins de 500 euros mensuels En effet, la quasi-totalité des retraités slovaques perçoit moins de 500 euros par mois alors que le coût de la vie est le plus élevé d’Europe centrale. Les salaires sont également bas, le minimum débute à 380 euros et le salaire moyen s’établit à 931 euros. Mais plus de la moitié des salariés slovaques gagnent moins de 700 euros par mois… Aussi M. Fico refuse de demander à ses concitoyens de contribuer aux retraites grecques. « Les Slovaques ont consenti d’importants efforts et sacrifices pour parvenir là où le pays se trouve maintenant, je ne [leur] demanderai pas de payer pour les erreurs des autres », déclarait-il dernièrement à la télévision slovaque. Depuis le début de la crise, le PIB par habitant slovaque a dépassé celui des Grecs (21 000 euros par habitant contre 16 000 euros). Il y a moins de dix ans, ce ratio était inversé. La modération salariale, un report de l’âge de la retraite, un code du travail profondément assoupli et une formation professionnelle de qualité ont permis d’attirer nombre d’investisseurs d’étrangers et à la Slovaquie d’atteindre des taux de croissance de 6 % avant 2009 et de quelque 3 % ces dernières années. Un défaut grec inquiète donc peu les dirigeants slovaques qui n’ont pas de compréhension pour les manœuvres politiques des responsables grecques. A Bratislava, on est convaincu que, quels que soient le résultat du référendum et l’issue de la crise, les Grecs devront se mettre au régime. p martin plichta 6 | économie & entreprise 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 L’Etat part en guerre contre UberPop Deux dirigeants français de l’entreprise de VTC ont été placés en garde à vue lundi 29 juin LES DATES F ace à l’impuissance manifeste de la justice à bloquer le service UberPop, déclaré illégal, les pouvoirs publics misent sur la pression psychologique pour faire céder l’entreprise américaine Uber. Son application mobile, qui permet à tout un chacun de devenir chauffeur sans contrainte réglementaire, est l’une des causes de la colère des taxis qui a atteint son paroxysme avec les violences lors de la grève du 25 juin. Lundi 29 juin, Pierre-Dimitri Gore-Coty, le directeur général d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et Thibaud Simphal, le patron d’Uber France, ont été placés en garde à vue par la brigade d’enquêtes sur les fraudes aux technologies de l’information. « Le rendez-vous était prévu de longue date sur des affaires remontant à 2014, explique-t-on chez Uber. Le rendez-vous avait même été reporté du matin à l’après-midi pour cause d’agenda. » La garde à vue était, elle, inattendue. Les deux dirigeants devaient initialement être entendus pour évoquer la conservation de données individuelles et la non-déclaration d’un fichier à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Une enquête préliminaire avait été ouverte par le parquet de Paris, en octobre 2014, pour des faits présumés « d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport routier à titre onéreux et de conservation illégale de données à caractère personnel ». Début janvier, une enquête pour travail dissimulé était lancée à l’encontre d’Uber. Le 30 juin au matin, après une nuit dans les locaux de la police, les deux jeunes dirigeants devaient être déférés devant un juge d’instruction. Les charges retenues contre eux n’étaient pas publiques. Le gouvernement considère que l’offre UberPop, qui a déjà été utilisée par 400 000 personnes, est il- FÉVRIER 2014 Lancement de l’application UberPop en France. OCTOBRE 2014 « Loi Thévenoud » sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (VTC). 30 JUIN Les dirigeants d’Uber France et Europe sont déférés devant un juge d’instruction, après une nuit de garde à vue. A Lyon, le 25 juin. LAURENT CERINO/REA légale, car les chauffeurs ne sont agréés par aucune autorité ni inscrits sur aucun registre professionnel officiel. Pour l’Etat, ils exercent illégalement la profession de taxi, alors que le marché s’ouvre dans le même temps à une nouvelle catégorie, les voitures de transport avec chauffeurs (VTC), qui font appel à des professionnels. Guérilla juridique Et encore, depuis le début de l’année, l’Etat délivre au compte-gouttes ces cartes de VTC, alors que des milliers de demandes ont été envoyées au ministère des transports. Certains y voient une autre façon pour le gouvernement de calmer la colère des taxis contre l’émergence de cette concurrence, pourtant légale dans ce cas. Cependant, Uber, la start-up californienne qui compte Goldman Sachs ou Google parmi ses actionnaires, n’a pas voulu se soumettre à la loi. Au contraire, elle s’est lancée dans une véritable guérilla juridique au niveau français et européen. Début juin, Uber a étendu son offre UberPop à Strasbourg, Marseille et Nantes. Les préfectures de ces secteurs ont rapidement pris des arrêtés interdisant cette offre, mais M. Simphal estimait que ces interdictions ne « changeaient rien »… Cette attitude au-dessus de la loi a mis le feu aux poudres tout comme l’extension de son service. Des taxis ont organisé de véritables guets-apens de chauffeurs Uber dans certaines villes, avant de lancer une grève nationale, afin de bloquer notamment les gares et les aéroports. La tension est montée durant tout le mois de juin, forçant le gouvernement à réagir. En attendant l’issue de la longue procédure juridique lancée par Uber, l’Etat cherche à rassurer les chauffeurs de taxi et multiplie les mesures pour Ventes et visiteurs en baisse chez Drouot L’activité se chiffre à 186,5 millions d’euros sur six mois, contre 221 millions un an plus tôt L e décor et les acteurs ont beau changer, les chiffres sont têtus. Depuis cinq ans, Drouot a engagé sa mue. Mais le produit des ventes ne s’élève qu’à 186,5 millions d’euros au premier semestre, contre 221 millions d’euros pour la même période en 2014. Et, malgré ses 5 000 visiteurs journaliers, le vieux pétrolier accuse une baisse de 14 %. Pourtant, l’hôtel des ventes parisien, qui regroupe 74 sociétés de vente et 110 commissairespriseurs, a modernisé son bâtiment. Prenant le virage numérique dès 2009, avec Drouot Live, système permettant d’enchérir en ligne, il a créé en 2011 la plateforme Drouot Online pour des ventes exclusivement sur Internet. La vénérable maison a enfin rajeuni et féminisé ses cadres. En février, le commissairepriseur Alexandre Giquello, 44 ans, a été nommé à la présidence du conseil de surveillance de Drouot Enchère. Un mois et demi plus tard, il était rejoint par une transfuge de Christie’s, Cécile Bernard, 46 ans, nouvelle directrice du développement. « C’est l’année zéro d’une nouvelle ère », martèle M. Giquello. Après le scandale, en 2009, des malversations de quelques « cols rouges » – corporation de commissionnaires qui détenaient le monopole de la manutention dans l’hôtel des ventes –l’entreprise a assaini ses troupes et attiré du sang neuf. Récemment, cinq sociétés de ventes ont choisi d’opérer à Drouot, notamment le commissaire-priseur lyonnais Etienne de Baecque et son confrère marseillais Damien Leclère. Nouveaux opérateurs « C’est peut-être une stratégie à contre-courant, mais, vu de la province, la marque Drouot reste magique », affirme M. Leclère qui a organisé sa toute première vente à Drouot le 12 juin. « Il y a un côté psychologique qui compte pour les acheteurs et les vendeurs », entérine le commissaire-priseur Alexandre Millon, 4e dans le classement des sociétés de ventes parisiennes. Patron de la société Ader, David Nordmann a beau disposer de sa propre salle de ventes rue Favart (2e arrondissement de Paris), il continue à organiser 75 % de ses vacations à Drouot. « On vend mieux là-bas que partout ailleurs pour des domaines qui nécessitent une clientèle de passage, assuret-il. Le taux d’objets vendus est de 75 %-80 %, alors qu’ailleurs il ne serait que de 40 %-50 %. Drouot reste irremplaçable. » L’arrivée de nouveaux opérateurs ne compense toutefois pas l’hémorragie des cadors qui refusent de se plier à la stratégie « club » de Drouot. Toute société de ventes qui souhaite y officier doit acheter 7 000 actions au prix unitaire de 80 euros. Deux étendards de la profession, Piasa et Tajan, qui occupent ex æquo le 6e rang dans le palmarès des maisons de ventes parisiennes, n’y ont plus droit de cité faute de posséder le nombre d’actions requis. « On a été exclu alors qu’on a fait 10 % du chiffre d’affaires de Drouot en 2010 », ironise Alain Cadiou, PDG de Piasa. Cet opérateur, ainsi que Cornette de Saint-Cyr, ont ouvert en 2014 leurs propres hôtels des ventes dans le Triangle d’or de Paris (dans le 8e arrondissement), emboîtant le pas à Tajan. Coût de leur retrait ? Près de 10 millions d’euros de manque à gagner dans le bilan de Drouot. « Ce qu’on constate, c’est que sur les dix principales maisons de ventes parisiennes, six ont un lieu spécifique. C’est un mouvement inéluctable, estime Arnaud Cornette de Saint-Cyr, directeur de la maison de ventes du même nom. (...) Pour notre activité autour du XXe siècle, il faut du temps, de l’espace, un calendrier que l’on maîtrise. » Les horaires étriqués de l’hôtel des ventes, le faible nombre de jours d’exposition, le tarif de loca- tion prohibitif (entre 2,5 % et 3,5 % du produit de la vente) font tiquer les opérateurs. La stratégie sélecte de Drouot se perçoit jusque dans les objets proposés. Les ventes dites « courantes » ont été canalisées vers le site de Drouot-Montmartre, rue Doudeauville (18e), où l’ambiance est fébrile. En revanche, à Drouot-Richelieu, mi-juin, à un moment où le marché bat traditionnellement son plein, plusieurs salles étaient fermées. En février, c’est presque le sous-sol tout entier qui était clos. La raréfaction explique aussi ces portes closes. Les spécialités qui, jusqu’à présent, formaient le fonds de commerce de Drouot, comme le mobilier-objet d’art classique, sont en berne. Aussi l’hôtel des ventes cherchet-il de nouveaux créneaux, en se lançant notamment dans le Street art. Mais surtout, c’est son modèle qui a tout d’une bizarrerie : ses actionnaires, autrement dit les commissaires-priseurs, sont aussi ses clients, locataires des salles. Du coup, les décisions qu’ils approuvent en tant que propriétaires, sont critiquées dès qu’ils endossent la casaque de l’usager. Compliqué de créer une marque lisible avec 110 individualités dont certains rechignent toujours à faire front commun… p roxana azimi limiter l’expansion d’Uber. Il a, par exemple, renforcé les contrôles afin d’intercepter les particuliers-chauffeurs d’UberPop. La brigade des « Boers », 80 policiers en charge du secteur des taxis, a été ponctuellement renforcée par 200 policiers. De même, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, a annoncé le 25 juin que les véhicules de ces chauffeurs surpris en flagrant délit seraient saisis à titre conservatoire pour cause de trouble à l’ordre public. Ces mesures, ainsi que les gardes à vue des dirigeants d’Uber, doivent démontrer que le gouver- nement agit. Ça tombe bien, cela arrive avant la nouvelle réunion prévue le 3 juillet place Beauvau avec les représentants des taxis. Sur le fond, l’Etat reste très démuni. Il n’a aujourd’hui pas vraiment de réponse à l’expansion d’Uber et à son service. La dissolution de l’entreprise n’est pas aujourd’hui juridiquement possible, même si beaucoup la demande, à l’image du président de la République ou de nombreux chauffeurs de taxi. Sur l’AppStore d’Apple, UberPop était la vingtième application gratuite la plus téléchargée le 30 juin en France. Et sur les réseaux sociaux, les soutiens à Uber surpassent de très loin les soutiens aux taxis. La grève, et les violences qui s’en sont suivies, n’ont pas franchement réchauffé les relations avec la clientèle. Uber, mais aussi l’ensemble de ses concurrents VTC, sont aujourd’hui en train de gagner dans l’opinion un conflit avec les taxis en jouant notamment sur le service et la facilité d’utilisation et de réservation, des points de faiblesse historiques des taxis. p T ÉLÉCOMMU N I C AT I ON S Orange et Partner vont mettre fin à leur partenariat en Israël Les opérateurs français Orange et israélien Partner sont parvenus à un accord permettant au premier de reprendre le contrôle de sa marque (utilisée par le second en Israël) dans les vingtquatre mois, mettant ainsi un terme à la récente polémique. Cet accord prévoit le versement d’un montant maximum de 90 millions d’euros à Partner en cas de résiliation au cours des vingt-quatre prochains mois, alors que jusqu’ici il était prévu une utilisation de la marque par l’opérateur israélien jusqu’en 2025. S ÉCU R I T É Wendel acquiert l’américain AlliedBarton La société d’investissement Wendel a annoncé mardi 30 juin la signature d’un accord en vue d’acquérir AlliedBarton Security Services, auprès du fonds Blackstone, pour 1,7 milliard de dollars, soit 1,5 milliard d’euros. Wendel investira 670 millions de dollars en fonds propres au côté du management de ce fournisseur de services de sécurité, et détiendra ainsi 96 % du capital. F I N AN C ES PU BLI QU ES La dette publique de la France monte à 97,5 % du PIB La dette publique de la France au sens des accords de Maas- philippe jacqué et jean-baptiste jacquin tricht a progressé de 51,6 milliards d’euros en six mois, pour atteindre 2 089 milliards d’euros à la fin du premier trimestre 2015, a indiqué l’Insee mardi 30 juin. Elle représente ainsi 97,5 % du PIB, contre 94 % un an auparavant et 65 % en 2007. F I N AN C E Porto Rico en défaut de paiement Porto Rico, petite île des Caraïbes de 3,6 millions d’habitants, dotée du statut territoire des Etats-Unis, a fait savoir, lundi 29 juin, qu’il était « asphyxié » par une dette de plus de 70 milliards de dollars et « ne pouvait plus la rembourser ». « Il n’y a pas d’autre option (…). Ce n’est pas une question politique, c’est mathématique », déclare le gouverneur de l’île, Alejandro Garcia Padilla, dans un entretien publié par le New York Times. C HI MI E Arkema investit à Honfleur Le groupe chimique français Arkema a annoncé lundi 29 juin un investissement de 60 millions d’euros sur son site de Honfleur, dans le Calvados, afin de doubler sa capacité de production de tamis moléculaires, des billes utilisées par les industriels de la pétrochimie, notamment pour fabriquer des plastiques. Arkema en est le numéro deux mondial. idées | 7 0123 MERCREDI 1ER JUILLET 2015 LETTRE DE LA CITY | par ér ic al b ert La très chère réputation des entreprises E n avril, une grande chaîne britannique de supermarchés s’est fait prendre la main dans le sac en Corée du Sud, pour avoir vendu illégalement des données sur ses 24 millions de clients à une société d’assurances. Immédiatement, l’équipe de Diane Oh Hart s’est mise au travail. Son correspondant à Séoul, qui parle le coréen, lui a remis un bref rapport détaillant le problème, qui a immédiatement été ajouté à la fiche de renseignements qu’elle réalise sur cette enseigne britannique. La vingtaine de personnes qui travaillent pour Diane Oh Hart est surnommée « l’équipe controverses ». Son objectif : consigner systématiquement toutes les polémiques à travers le monde qui peuvent concerner les entreprises. Qu’il s’agisse de questions sociales, environnementales ou de gouvernance, elle catalogue toutes les informations un tant soit peu sensibles. Elle en tire alors des fiches pour chaque entreprise, avec un système de feux tricolores pour chaque sous-catégorie. Cette enseigne britannique affiche ainsi une série de « feux orange » sur les questions de corruption, de relations avec les fournisseurs et de traitement de ses employés. Les pires sociétés reçoivent un « drapeau rouge » : il y en a trente-six actuellement sur 8 500 entreprises suivies. Cette équipe fait partie de MSCI, un groupe mondial qui réalise des indices boursiers. Ses clients sont essentiellement des grands fonds d’investissement. Mais de plus en plus, en complément des informations financières, ils demandent d’en savoir plus sur la réputation des entreprises. Ce qu’ils veulent éviter à tout prix : voir une controverse inattendue éclater soudainement, qui aurait un fort impact sur le cours boursier de l’entreprise dans laquelle ils ont investi. INVESTISSEURS ÉTHIQUES Face à cette demande venant des gérants de la City ou de Wall Street, MSCI a mis en place cette petite équipe répartie à travers le monde. Avec des bureaux à Pékin, à Manille et à Boston, et des correspondants en Amérique latine ou en Corée, tous les journaux locaux, les communiqués des régulateurs, les rapports des ONG en langue locale sont épluchés pour suivre les 8 500 entreprises cotées de l’indice mondial MSCI. « Nous passons en revue un millier de sources », explique Diane Oh Hart, elle-même basée à Pékin. « En Chine, nous préférons éviter la presse locale, souvent peu fiable, et nous concentrer sur les annonces des régulateurs », explique Emily Chew, chargée de l’investissement éthique à MSCI. Le tout est ensuite sélectionné et traduit en L’ÉCLAIRAGE Y aura-t-il une bulle boursière mondiale ? par jean-pierre petit Q u’est-ce qu’une bulle ? Un état du marché dans lequel la déviation durable et forte du prix d’un actif par rapport à ses fondamentaux ne peut s’expliquer et se prolonger que parce que les investisseurs pensent que le prix sera plus élevé dans le futur. Cette définition de l’économiste américain Joseph Stiglitz nous a toujours paru pertinente. Les bulles d’actifs, loin d’être des anomalies, constituent un élément régulateur essentiel du capitalisme dans lequel nous vivons depuis une trentaine d’années. Se poser la question de l’existence ou de la perspective d’une bulle boursière est donc tout à fait naturel après un marché d’actions haussier qui a désormais soixantequinze mois, si l’on part du marché directeur mondial que constitue le marché américain (avec une hausse cumulée de l’indice S & P 500 de plus de 215 %). Regardons d’abord les valorisations absolues actuelles du marché des actions. Le PER (price/earning ratio, soit le rapport cours sur bénéfices, à un an) se situe aujourd’hui légèrement audessus de sa moyenne historique, à 17 (contre une moyenne historique de 15 depuis trente ans). Mais c’est le CAPE (cyclically adjusted price earnings/ratio, c’est-à-dire le PER calculé sur les bénéfices des dix dernières années) qui apparaît comme le plus préoccupant. Il se situe très nettement au-dessus de la moyenne historique (27,3 contre une moyenne très longue de 16,6, depuis 1870 !). Il se situe même au-dessus des niveaux qui ont correspondu à quasiment tous les démarrages de marchés baissiers depuis un siècle (1946, 1948, 1951, 1956, 1962, 1966, 1968, 1973, 1987, 2007). Seules les fins de bulle boursière se situaient à un niveau supérieur (1929, 2000), à un niveau de l’ordre de 45. Il y a cependant au moins trois ¶ Jean-Pierre Petit est économiste et président de la société de conseil Les Cahiers verts de l’économie nuances à apporter à ce ratio. D’abord, selon Jeremy Siegel, professeur de finances à Wharton (Etats-Unis), les normes comptables américaines (US GAAP), introduites dans les années 1990, poussent plus fortement aux dépréciations d’actifs des entreprises en cas de baisse des portefeuilles : la forte chute des résultats de 20072009 est donc, selon lui, biaisée à la baisse. En s’appuyant sur les données économiques des entreprises, le CAPE ratio ne montre alors pas de forte surévaluation. UN DEGRÉ DE SURVALORISATION Ensuite, le niveau des taux d’intérêt de long terme, même s’il a vocation à remonter graduellement, se situe sous sa moyenne historique. Il réduit à l’évidence la signification de ce ratio. Enfin, le niveau aujourd’hui très élevé des marges tient aussi à des considérations structurelles puissantes (internationalisation des profits américains, baisse de la fiscalité sur les entreprises, oligopolisation de certaines industries, poids du secteur high-tech dans les indices), ce qui biaise la comparaison historique. Au total, il n’y a vraisemblablement pas de bulle actions, tout au plus un certain degré de survalorisation qui peut perdurer, notamment grâce au bas niveau de taux d’intérêt, c’est-àdire par une bulle obligataire en large partie contrôlée par la Réserve fédérale. Une bulle boursière suppose, historiquement, la réunion de quatre éléments : un long cycle de croissance forte ; des innovations majeures comme les chemins de fer, l’électricité, l’automobile, la radio, Internet… de nature à ancrer des convictions optimistes ; un climat d’optimisme ; le maintien de conditions financières favorables, à l’origine d’une dynamique en faveur des actions. Rien de tel aujourd’hui. La croissance est modeste (2,2 % aux Etats-Unis depuis la reprise de l’été 2009 et environ 3 % à l’échelle mondiale), les innovations numériques ne se retrouvent pas – loin s’en faut – dans les gains de productivité (0,6 % par an depuis 2011). Et on est loin de l’optimisme des années 1920 et 1990. Enfin, la Réserve fédérale va resserrer progressivement les conditions monétaires au second semestre. Cela n’empêche pas qu’à des échelons locaux des bulles émergent, notamment sur le marché domestique chinois. Mais on ne peut pas parler de bulle boursière mondiale. p anglais, la langue des investisseurs, qui sont ainsi prévenus très rapidement des risques potentiels à l’autre bout du monde. Ces « fiches de réputation » viennent nourrir la demande des « investisseurs éthiques ». Ces derniers pèsent aujourd’hui près de 20 000 milliards d’euros à travers le monde. Une statistique à prendre avec des pincettes : « éthique » n’a pas la même définition d’un fonds à un autre, et certains en ont une approche pour le moins large… Néanmoins, la tendance est à la hausse. Les encours de cette catégorie ont augmenté de 61 % en deux ans, selon l’association Global Sustainable Investment Alliance. Les gérants cherchent de plus en plus à mesurer la « réputation ». Une petite société britannique de consultants, Reputation Dividend, estime ainsi très précisément que 28 % de la valeur boursière dépend de la réputation des entreprises. En clair, en cas d’énorme controverse, le quart de la valorisation peut s’envoler en fumée. En numéraire, cela représente 875 milliards d’euros en jeu pour l’ensemble de la Bourse de Londres. Bien sûr, ce montant est légèrement absurde : le calcul d’une réputation est nécessairement subjectif. Là encore, l’idée de base reste claire : la réputation vaut cher, très cher. La campagne actuelle pour retirer les investissements dans les hydrocarbures le prouve. De plus en plus de fonds choisissent d’éviter les technologies les plus polluantes. Le 5 juin, le fonds souverain norvégien, qui gère 900 milliards de dollars (issus du pétrole de la mer du Nord !), a décidé de retirer son argent du charbon. Ce qui avait commencé quelques années auparavant comme un petit mouvement issu de certaines universités américaines a maintenant un impact mondial réel. Désormais, le charbon a « mauvaise réputation » et les investisseurs commencent à s’en détourner. L’approche éthique ne marche pas à tous les coups, loin de là. L’industrie du tabac est le secteur le plus rentable de tous si on pousse la comparaison jusqu’au début du XXe siècle, selon une étude de la London Business School. L’explication est logique : en se retirant des industries les plus controversées, les investisseurs les plus consciencieux laissent la place à d’autres beaucoup moins regardants, qui achètent à bas prix et engrangent les gains. En revanche, l’investissement « positif », qui consiste non pas à désinvestir des « mauvais secteurs », mais à mettre son argent dans les « vertueux », semble prometteur. De nombreuses études indiquent que le rendement y est généralement meilleur que le reste du marché. La bonne réputation, ça rapporte. p EN CAS D’ÉNORME CONTROVERSE, LE QUART DE LA VALORISATION D’UNE SOCIÉTÉ PEUT PARTIR EN FUMÉE Twitter : @IciLondres La réponse au réchauffement est aussi culturelle Vingt-cinq dirigeants de grandes entreprises, chercheurs et artistes appellent à plus de créativité pour lutter contre les défis climatiques collectif Tous les regards se tournent vers la Conférence de Paris sur les changements climatiques, en décembre. Ce moment décisif doit nous permettre de limiter l’impact du réchauffement et d’accompagner la transition de nos sociétés vers une économie verte, sobre en carbone. Pour réussir, il est impératif que le politique et le technologique soient mobilisés intensément. Un certain nombre de solutions techniques doivent être trouvées ou généralisées au plus vite pour relever ce défi planétaire. Cependant, force est de constater qu’une dimension est trop fréquemment occultée ; elle est pourtant soulignée depuis longtemps par l’Unesco comme incontournable dans les débats autour du développement durable. Cette dimension, c’est la culture. Si nous réduisons les solutions proposées à l’occasion de la COP21 à une approche technocentrée et que nous n’introduisons pas la dimension culturelle, nous risquons de nous heurter encore aux obstacles que nous rencontrons depuis des décennies. FORMIDABLE LEVIER Bien sûr, les réponses apportées par la science et les techniques sont premières dans cette affaire. Cela étant, on peut faire mieux. Il faut seconder le pôle technoscientifique pour qu’il soit davantage au béné- LES ENTREPRISES À GRANDE PERFORMANCE ÉCONOMIQUE SONT CELLES QUI MARIENT LE TECHNOLOGIQUE ET LE CULTUREL, LE VIRTUEL ET L’EXPÉRIENTIEL, LA PERFECTION TECHNICIENNE ET L’ESTHÉTIQUE fice de l’homme et de la planète. La culture doit aider à élever le niveau de conscience et à faire évoluer les modes de consommation. S’il est indispensable par exemple d’investir dans les transports en commun, il est tout aussi indispensable qu’ils soient attrayants pour leurs usagers, et que des solutions alternatives existent, économes en énergies et propres, pour les situations où ils ne conviennent pas. L’élément culturel peut faciliter ce changement. Cela suppose de développer systématiquement les contenus immatériels, la diversité des styles, le travail artistique, le sensible. La culture est capable de contribuer à réorienter les économies de demain, à redonner un sens à l’activité productive, à freiner un consumérisme aveugle. S’il faut promouvoir le paradigme culturel, ce n’est pas exclusivement pour des raisons écologiques, c’est aussi parce qu’il constitue un formidable levier pour la croissance et le développement. L’ÉCONOMIE MAUVE Les exemples sont légion, du numérique au tourisme, en passant par les produits de luxe ou l’habitat, qui révèlent la richesse économique associée aux facteurs culturels (éducation, information et communication et tous les biens à forte composante imaginaire et sensible). Nous voulons une ville avec des architectures qui bien sûr économisent ou produisent de l’énergie, permettent le recyclage des déchets et de l’eau de pluie, mais qui tout à la fois créent un environnement non standardisé et respectueux du paysage, un cadre de vie à échelle humaine et riche de sensorialité. Les entreprises à grande performance économique sont désormais celles qui marient le technologique et le culturel, le virtuel et l’expérientiel, la perfection technicienne et l’esthétique. Cette alliance technoculturelle est porteuse d’avenir dans la mesure où elle répond aux attentes des consommateurs dans leurs aspirations croissantes à la qualité et au mieux vivre. Cette opportunité appelle à se saisir non seulement de l’économie verte (en intégrant l’empreinte écologique) mais aussi de l’économie mauve – celle qui mise sur le potentiel culturel des biens et des services, autrement dit les marchés d’expériences et l’économie culturalisée. Le grand objectif que nous devons viser est une économie du qualitatif dans laquelle le pôle culturel a toute sa place. Les gouvernements peuvent être des facilitateurs efficaces de cette transition, en stimulant des outils d’observation, de pilotage et d’incitation. Il est en effet primordial que l’innovation ne soit plus perçue uniquement sous l’angle technologique. Nous attendons de la Conférence de Paris qu’elle favorise un cercle vertueux, rendu possible par l’alliance du technologique, de l’écologique et du culturel. p ¶ Pierre Bellon, président-fondateur de Sodexo ; Véronique Cayla, présidente d’Arte ; Bertrand Collomb, président d’honneur de Lafarge ; Pascal Colombani, président de Valeo ; Mercedes Erra, présidente exécutive d’Havas Worldwide ; Emmanuel Faber, directeur général de Danone ; Pierre Fonlupt, vice-président de Medef international ; Jean-Baptiste de Foucauld, porte-parole du pacte civique ; PierreAntoine Gailly, président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France ; Jérôme Gouadain, secrétaire général fondateur de Diversum ; Philippe d’Iribarne, sociologue ; Pascal Lamy, président du Conseil mondial d’éthique du tourisme ; Gilles Lipovetsky, philosophe ; JeanPierre Masseret, président de la région Lorraine ; Gérard Mestrallet, président-directeur général d’Engie ; Radu Mihaileanu, cinéaste ; Jean Musitelli, ancien ambassadeur de France auprès de l’Unesco ; Grégoire Postel-Vinay, économiste ; JeanJack Queyranne, président de la région Rhône-Alpes ; Odile Quintin, ancienne directrice générale à la Commission européenne ; Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC Paris ; Jean-François Rial, présidentdirecteur général de Voyageurs du monde ; Franck Riboud, président de Danone ; Michel de Rosen, présidentdirecteur général d’Eutelsat ; Pierre Simon, président de Paris Ile-de-France capitale économique. PO U P R L AP U PO S Q RT UE ER 3 VO JO S UR AC S TI O N S ACTIONNAIRES DE LAFARGE, AUBERTSTORCH - Crédit Photos - Getty / Thinkstock participez à l’Offre Publique d’Échange pour créer LafargeHolcim, un champion mondial à fort potentiel de rentabilité et à l’avant-garde de l’industrie des matériaux de construction. Axé sur l’innovation et le développement durable, LafargeHolcim a pour ambition de répondre aux déis de l’urbanisation croissante à travers le monde. Conjuguant fortes synergies et faible intensité capitalistique, LafargeHolcim offrira un modèle de croissance unique qui se traduira notamment par une politique de dividende attractive. PÉRIODE D’APPORT DE VOS ACTIONS À L’OFFRE : du 1er juin au 3 juillet. Pour 10 actions Lafarge apportées, recevez 9 actions LafargeHolcim. La note d’information de Holcim et la note en réponse de Lafarge relatives à l’Offre ayant reçu respectivement les visas de l’AMF n°15-226 et n°15-227 en date du 28 mai 2015, ainsi que les documents reprenant les autres informations de chacune des sociétés, sont disponibles sur leurs sites internet respectifs www.holcim.com ou www.lafarge.com. Il en est de même du prospectus visé par l’AMF, qui comprend le document de base enregistré auprès de l’AMF. L’attention des investisseurs est attirée sur la section « Facteurs de risques » du prospectus. Ces documents peuvent être également obtenus sans frais pour les documents de Holcim : Holcim, Zürcherstrasse 156, 8645 Jona, Suisse, pour ceux de Lafarge : Lafarge, 61, rue des Belles Feuilles, 75116 Paris. Ils sont également disponibles sur le site de l’AMF : www.amf-france.org www.lafarge.com - 0 800 235 235 (appel gratuit depuis un poste ixe) Déjouer la résistance des bactéries Une étude suggère que la stratégie consistant à garder en réserve les antibiotiques les plus puissants n’est pas toujours la meilleure. PA G E 2 Neurologie : la carte et le territoire Les descriptions classiques des aires cérébrales et des fonctions associées mériteraient d’être révisées, concluent deux équipes de chercheurs. PA G E 3 Explorateur de l’au-delà neptunien Grand spécialiste des astres voguant plus loin que Neptune, Bruno Sicardy parcourt le monde pour les observer et les identifier. Portrait. PA G E 7 La vaccination dans la ligne de mire Face à une vaste pétition exprimant la défiance, la ministre de la santé, Marisol Touraine, affirme qu’«il ne faut pas avoir de doute par rapport aux vaccins». Pourtant, même des experts éloignés des ligues antivaccinales appellent à un débat sur certains aspects de cet instrument majeur de la politique sanitaire. PAGES 4-5 VOISIN/PHANIE Bill Gates, ce héros du XXIe siècle E carte blanche Laurent Alexandre Chirurgien urologue, président de DNAVision l.alexandre@dnavision.be (PHOTO: MARC CHAUMEIL) n 2000, Bill Gates a décidé de consacrer la quasi-totalité de sa fortune – près de 80 milliards de dollars (72,2 milliards d’euros) – à révolutionner la santé dans les pays pauvres. Bill Gates a été rapidement suivi par Warren Buffett, qui pèse 60 milliards de dollars. Le duo Gates-Buffett mène alors une campagne de promotion de la philanthropie auprès des autres milliardaires. C’est la naissance en 2010 de The Giving Pledge (« la promesse de don »). Cette initiative a déjà recueilli l’accord de 209 milliardaires, qui ont publiquement accepté de donner l’essentiel de leur fortune. Parmi les plus connus, Mark Zuckerberg (Facebook), Larry Ellison (Oracle), George Lucas (producteur et réalisateur de films), Paul Allen (cofondateur de Microsoft) ou Ted Turner (CNN). Ce « philanthro-capitalisme » est d’une efficacité remarquable : il associe le professionnalisme de ces grands capitaines d’industrie et une vision messianique cherchant à faire progresser la médecine et la science. Bill Gates, qui ne veut pas payer davantage d’impôt, a même ébranlé l’inflexible Thomas Piketty, pour qui « son point de vue est compréhensible. [Il] Cahier du « Monde » No 21913 daté Mercredi 1er juillet 2015 - Ne peut être vendu séparément pense qu’il s’estime sincèrement mieux placé que le gouvernement pour allouer ses fonds… et par moments cela se vérifie sans doute ». Certains milliardaires se passionnent, de façon égoïste, pour des pathologies qui les concernent. Ainsi, Larry Ellison finance la recherche contre le vieillissement qui l’obsède, tandis que Sergey Brin (cofondateur de Google) a donné des sommes considérables pour la lutte contre la maladie de Parkinson à laquelle il est génétiquement prédisposé. A l’inverse, Bill Gates consacre sa fortune à l’amélioration de la santé des plus pauvres, et non pour promouvoir la recherche sur des maladies le concernant. La devise de sa fondation, « Toutes les vies ont la même valeur », témoigne de sa vision universaliste. Lui, le passionné de high-tech, s’est concentré sur des sujets très « low-tech », comme l’amélioration des latrines, l’accès à de l’eau non contaminée ou la distribution des vaccins et médicaments dans la brousse. Bill Gates a compris très tôt que ce sont encore les technologies de base qui permettent de sauver le maximum de vies. Son action est particulièrement impressionnante en Afrique, où 300 millions de personnes sont vaccinées contre les principales maladies graves. Ces campagnes de vaccination éviteront le cancer à des millions de pauvres puisque, en Afrique, les microbes sont responsables de 20 % à 50 % des cancers. Bill Gates est plus utile que des centaines de milliers de cancérologues ! Lorsqu’il n’existe pas de vaccin disponible, la Fondation Gates lance des programmes de recherche pour en mettre au point. Chacune de ses actions est contrôlée et évaluée. Des économistes participent à l’optimisation des ressources investies, qui est considérée comme un devoir pour cette organisation à but non lucratif. Cette énorme influence de Bill Gates sur la santé publique effraie parfois : son intervention est deux fois plus importante que celle de l’Organisation mondiale de la santé. Que deviendrait la santé publique si Bill Gates se mettait à collectionner les tableaux au lieu de combattre la misère ? Depuis l’année 2000, on estime que sa fondation a déjà sauvé plus de 10 millions de vies : Bill Gates est le plus grand héros du XXIe siècle. p 2| 0123 Mercredi 1er juillet 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Le casse-tête de l’antibiothérapie | Trop restreindre l’usage de certains antibiotiques à l’hôpital pourrait faciliter l’émergence de bactéries multirésistantes, suggère un modèle mathématique médecine florence rosier U ne nouvelle étude jette un pavé dans la mare du traitement des infections bactériennes par antibiothérapie, qui reste un défi de santé publique. Depuis 2001, trois plans nationaux se sont succédé pour lutter contre l’émergence et la diffusion des bactéries résistantes, qui échappent au traitement par les antibiotiques. L’utilisation massive de ces médicaments provoque en effet une « pression de sélection » sur les bactéries, qui développent des systèmes de défense. A ce jeu évolutif du chat (l’antibiotique) et de la souris (la bactérie) s’ajoute un obstacle majeur : la raréfaction de nouveaux antibiotiques. Selon une estimation récente, les bactéries multirésistantes provoqueraient plus de 150 000 infections et plus de 12 000 décès chaque année en France. « C’est un drame qui dépasse largement le cadre des maladies infectieuses : il met en péril les progrès accomplis depuis vingt ans en chirurgie, en cancérologie et en transplantation d’organes, où de nombreux patients sont immunodéprimés », déplore le professeur Patrice Courvalin, de l’Institut Pasteur. Les recommandations en vigueur préconisent de commencer par traiter la plupart des infections par des antibiotiques courants. Et de réserver aux infections sévères ou résistantes les antibiotiques les plus récents, de « dernier recours », qui ciblent un large spectre de bactéries et restent le plus souvent actifs contre les bactéries multirésistantes. Mais une étude israélienne éclabousse ce dogme. Publiée le 25 juin dans PLoS Computational Biology, elle fait appel à un modèle mathématique qui simule la dynamique des résistances bactériennes en milieu hospita- Les bactéries multirésistantes provoqueraient, en France, plus de 150 000 infections et plus de 12 000 décès par an lier. Lilach Hadany (université de Tel-Aviv) et ses collègues ont comparé les effets de différentes stratégies d’utilisation de trois antibiotiques : soit les médecins (virtuels) prescrivaient d’abord deux des trois molécules, réservant la troisième à un usage de dernier recours ; soit ils traitaient d’emblée l’infection par l’un des trois antibiotiques, avec une égale fréquence. Pour alimenter leur modèle, les chercheurs ont estimé les fréquences de résistance bactérienne à partir de données hospitalières. Résultats : comme attendu, une utilisation élargie de l’antibiotique de réserve limite le nombre de patients mal traités. Plus surprenant : elle diminue parfois la diffusion de bactéries multirésistantes. Quand faudrait-il utiliser d’emblée l’antibiotique de réserve ? « Lorsque les bactéries présentent déjà une résistance multiple aux antibiotiques cou- Tests de sensibilité des germes aux antibiotiques dans un laboratoire. CHASSENET/BSIP rants », répondent les auteurs. « Cela semble de bon sens », note Patrice Courvalin. « La principale leçon est qu’il ne faut pas courir le risque de l’échec thérapeutique, car c’est alors que la résistance se crée », résume le docteur Jean Carlet. En janvier, cet ancien réanimateur a été chargé par la ministre de la santé, Marisol Touraine, de présider une « task force » sur l’antibiorésistance – qui devait remettre ses recommandations le 30 juin. Ce travail met aussi en lumière le concept de désescalade thérapeutique. « En cas d’infection sévère, quand le germe en cause n’est pas encore connu, il faut administrer d’emblée l’antibiotique jugé le plus efficace, même s’il est récent, explique Jean Carlet. Mais dès que le germe est caractérisé, il faut revenir à des antibiotiques plus anciens quand la bactérie y est sensible. » Pour le professeur Laurent Gutmann, de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), cette étude a le mérite d’apporter une démonstration mathématique aux pratiques hospitalières actuelles. « C’est de la haute couture. Pour un malade grave, on peut effectivement donner d’emblée un antibiotique de réserve si l’on craint une infection par des bactéries multirésistantes : par exemple, quand ce malade revient de certaines zones intertropicales. » C’est là un risque majeur : la moitié des personnes voyageant dans ces régions reviennent porteuses de bactéries multirésistantes, acquises par voie alimentaire, selon une étude publiée en avril par l’hôpital Bichat (Paris). Selon le professeur Jean-Christophe Lucet, un des auteurs, le modèle mathématique de l’étude israélienne ne tient pas compte d’un paramètre majeur : la persistance des bactéries résistantes dans le tube digestif des patients. Or la flore digestive constitue « l’épicentre de la résistance », selon Jean Carlet. L’hôpital tente pourtant de diminuer le risque d’émergence de la résistance en répartissant les antibiotiques entre les patients (« mixing ») ou selon les périodes (« rotation »). Mais aucune de ces stratégies n’a définitivement prouvé son effi- cacité. « Si des progrès ont été observés dans la diffusion de certaines bactéries résistantes, comme les staphylocoques résistants à la méticilline (…), la situation s’aggrave pour les entérobactéries [multirésistantes] », résumait François Bourdillon, directeur de l’Institut de veille sanitaire, fin 2014. En France, où près de 85 % des antibiotiques sont prescrits en ville, la consommation d’antibiotiques est très supérieure à la moyenne européenne. C’est là un problème culturel : « L’intérêt du patient prime face à l’intérêt de la communauté », regrette Jean-Christophe Lucet. p Virus et cancers résistent aussi Les bactéries ne sont pas seules à faire de la résistance. « Entre deux semaines et deux mois, le VIH développe des mutations de résistance aux traitements », indique le professeur Vincent Calvez, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). La parade consiste à utiliser d’emblée des molécules puissantes et bien tolérées et à suivre le patient en le voyant tous les trois à six mois. En cancérologie, « les chimiothérapies favorisent les cellules tumorales qui portent déjà des mutations de résistance, relève le docteur Marie Dutreix, de l’Institut Curie (Paris). Cette sélection des cellules résistantes est probablement la principale cause d’échec des traite- ments ». Ceux qui ciblent une enzyme donnée sont particulièrement faciles à contourner : la cellule tumorale modifie cette enzyme ou active une voie parallèle. Dans d’autres cas, elle peut augmenter sa capacité à dégrader le médicament ou activer son efflux. Comment lutter contre cette fuite thérapeutique ? « La première chose, comme avec les antibiotiques, est d’utiliser des doses suffisamment élevées pour tuer les cellules avant qu’elles ne trouvent une stratégie d’échappement. Une autre méthode est de combiner des traitements dont les voies de résistance diffèrent, une stratégie limitée par la toxicité des combinaisons. » Le verre dans tous ses éclats Un nouveau modèle éclaircit l’un des plus anciens mystères de la physique : la solidification de cette matière non cristalline C’ est en pensant au difficile déplacement des passagers dans les rames bondées de métro qu’une équipe internationale de chercheurs vient de résoudre, en partie, l’un des plus vieux et importants mystères de la physique : la formation du verre. Le passage du verre fondu au verre dur et cassant que nous connaissons est en effet fort différent de la transformation de l’eau liquide en glaçon, ou de bien d’autres « changements de phase ». Alors que la fonte de la glace se fait toujours à 0 °C, celle du verre – à base de silice, d’aluminium ou de polymères – est assez variable, d’où le savoir-faire des souffleurs de verre et des industriels. Au niveau moléculaire, la situation est tout aussi troublante. Alors que dans la glace les molécules forment un joli cristal, dans le verre, l’organisation est la même pour la phase solide ou liquide – très désordonnée. Singularité supplémentaire : cette matière apparemment figée s’écoule, mais si lentement que même les vitraux des cathédrales n’en gardent pas la trace et qu’il faudrait des milliards d’années pour le voir. Autre mystère, la température à partir de laquelle le verre dur se met à fondre dépend de l’épaisseur (pour des verres extrêmement fins). Là encore, ce n’est pas le cas d’un glaçon, qui se liquéfie à température constante quelle que soit sa dimension. En outre, depuis une vingtaine d’années, les chercheurs ont observé qu’il existe une mince couche liquide en surface : une particule d’or s’y enfonce de quelques nanomètres… Même si, depuis des millénaires, les artisans, les industriels ou les artistes fabriquent du verre, la thermodynamique, qui décrit par- faitement les passages du liquide au solide ou du liquide au gaz, bute sur la question de la transition vitreuse. D’où l’intérêt du modèle proposé dans les PNAS le 22 juin par une équipe internationale de l’ESPCI ParisTech et de l’université Paris-Diderot, en France, et de l’Institut Perimeter et de l’université McMaster (Hamilton), au Canada. Une fine couche liquide « Nous avons fait d’une pierre deux coups », résume Thomas Salez, chercheur CNRS à l’ESPCI. Trois coups, même. Leur théorie décrit l’évolution de la viscosité avec la température. Elle explique pourquoi les verres très fins fondent à plus basse température que les plus épais, ainsi que la présence de la fine couche liquide en surface. La clé est donc de considérer que les molécules du matériau sont des passagers du métro aux heu- res de pointe. Dans cette rame imaginaire, plus la température baisse, plus le volume diminue et la densité augmente : la voiture est bondée, les passagers ne peuvent plus bouger. Le matériau est solide tout en étant désordonné. Cependant, il est quand même possible de remuer. Soit en jouant des coudes, peu efficace, soit en jouant collectif, en suggérant de bouger aussi à son voisin, qui lui-même demandera à sa voisine de faire un effort, et ainsi de suite… Bien entendu, les molécules ne se parlent pas entre elles, et ce mouvement coopératif à la queue leu leu, qui peut concerner plusieurs dizaines de « passagers », n’apparaît que rarement. Néanmoins, ce jeu de taquin mis en équation permet aux chercheurs de reproduire l’évolution de la dynamique du verre lorsque le liquide se refroidit. En outre, si les portes du métro s’ouvrent, un espace se libère sou- dain et, constat universel, la coopération n’est plus nécessaire : chacun pour soi ! Le voisinage de l’ouverture devient donc plus mobile que l’intérieur. Voici l’équivalent de la couche liquide observée dans les expériences de vitrification. Tout cela assemblé dans des formules par le mathématicien de l’équipe, Justin Salez, explique aussi l’effet de l’épaisseur sur la transition vitreuse. « Nous pensons avoir capturé l’essentiel de la physique du phénomène », estime Elie Raphaël, du CNRS, à l’ESPCI. « Le domaine est très vaste et plusieurs modèles ont déjà été proposés, avec des modes et des controverses entre différentes écoles. Certaines idées fonctionnent, mais sont peu explicatives. Le modèle présenté dans les PNAS a l’avantage de la simplicité et de réunir des idées raisonnables », explique Ludovic Berthier, chercheur CNRS à l’université de Montpellier. Pour l’instant, il manque à ce nouveau modèle plus de confrontation avec des résultats expérimentaux. Il ne sera pas facile non plus d’observer la queue leu leu moléculaire pour valider cette hypothèse. « Ce n’est pas la fin du problème, mais le début ! », s’enthousiasme Kari Dalnoki-Veress, de l’université McMaster. L’analogie du métro ouvre en effet des perspectives pour modifier les propriétés des verres en jouant sur la nature des supports ou du confinement, qui peuvent « ouvrir » ou « fermer » les portes aux molécules. « Depuis quelques années, on fabrique des verres plus stables et denses par déposition couche par couche plutôt que par refroidissement. Ces propriétés pourraient s’expliquer par un mécanisme analogue à celui décrit dans les PNAS », suppose Ludovic Berthier. p david larousserie AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | De trompeuses cartes du cerveau ? | Deux études récentes suggèrent que les fonctions remplies par certaines zones cérébrales ne correspondent pas toujours à ce qui figure dans les manuels de neurologie neurosciences hervé morin C’ est un monstre étrange, à la grosse tête dotée de lèvres charnues, pourvu d’une langue pendante, de mains immenses, d’un tronc rabougri et de jambes grêles. Cet être improbable est l’homoncule de Wilder Penfield (18911976), une représentation déformée du corps humain que le neurologue américain a mise au point dans les années 1930-1950, en mesurant chez des patients opérés du cerveau, mais conscients, quels mouvements étaient induits par la stimulation électrique de points précis de leur cortex. L’homonculus est difforme car il correspond à une projection proportionnelle à la surface prise par chaque partie du corps dans la portion du cerveau dévolue au contrôle de ses mouvements : bouger finement la langue pour parler exige plus de ressources cérébrales que plier le genou. Cet homoncule a aussi un quasi-jumeau représentant les perceptions sensitives – doté, lui, de pieds de hobbit. Va-t-il falloir corriger ces figures célèbres de la neuro-anatomie pour tenir compte de nouvelles données d’imagerie cérébrale ? C’est ce que suggère une étude parue le 16 juin dans le Journal of Neuroscience, dans laquelle l’équipe de Buzz Jinnah (université Emory, Atlanta) a demandé à des sujets de contracter les muscles du cou alors que leur activité cérébrale était En 2005 et 2011, les projections cérébrales des organes génitaux masculins et féminins avaient déjà été corrigées enregistrée par IRM fonctionnelle. La zone activée dans leur cortex moteur n’était pas celle mentionnée en 1950 dans la « bible » de Penfield qui présentait l’homonculus : la commande du cou s’y trouvait placée entre le pouce et les paupières. Elle se situe plus logiquement entre le tronc et les épaules. Ces résultats s’ajoutent à d’autres études qui avaient revisité les régions cérébrales responsables des mouvements de la tête. Les notations de Penfield pour cette partie du corps s’appuyaient sur neuf patients, à qui il L’homonculus de Penfield (1950) est une représentation de l’importance relative des différentes parties du corps dans le cortex moteur. La flèche rouge désigne la nouvelle localisation de la commande des muscles du cou. PRUDENTE ET AL., ADAPTÉ DE PENFIELD ET RASMUSSEN était délicat de demander de bouger la tête tout en appliquant une électrode sur leur cerveau mis à nu. Cecilia Prudente, première auteure de l’article, ne jette donc pas la pierre aux pionniers : « Ce à quoi ils sont parvenus est époustouflant, mais il n’est pas surprenant que des méthodes modernes conduisent à de légers ajustements de leur carte originelle. » En 2005 et 2011, les projections cérébrales des organes génitaux masculins et féminins avaient déjà été corrigées. Des travaux publiés le 25 juin dans la revue Brain s’attaquent, eux, à un autre classique de la cartographie du cerveau, l’aire de Wernicke, située dans le lobe temporal de l’hémisphère gauche. Elle ne serait pas seule responsable de la compréhension du langage, indique l’équipe de Marek-Marsel Mesulam (Northwestern University, Chicago). Celle-ci a étudié non pas le cerveau de patients ayant souffert d’AVC − des travaux ont permis, depuis 140 ans, d’identifier l’essentiel des zones fonctionnelles du cerveau −, mais elle s’est appuyée sur des patients atteints d’aphasie primaire progressive, une forme rare de démence. Ces 72 patients ont été soumis à une batterie de tests de compréhension du langage, allant du mot à la phrase, tandis que l’IRM quantitative mesurait l’épaisseur de leur cortex dans et autour de l’aire définie par l’Allemand Carl Wernicke (1848-1905). La perte d’épaisseur du cortex offre une mesure indirecte de la destruction des neurones par la maladie. Les patients dont l’aire de Wernicke était amincie pouvaient toujours comprendre des mots isolés, même si leur compréhension des phrases était diversement affectée – alors qu’en cas d’AVC la perte langagière est plus globale. A l’inverse, une perte sévère de la compréhension des mots isolés n’était observée que chez des patients dont le cortex était affecté dans une région tout autre, à l’avant du lobe temporal. La différence tiendrait au fait que, lors d’AVC, les lésions affectent aussi les fibres nerveuses sous-jacentes – la matière blanche – qui relient ces zones du cortex entre elles. Tandis que l’aphasie primaire progressive s’attaque d’abord aux neurones du cortex. Faut-il conclure de ces deux exemples que les cartographies classiques méritent un sérieux toilettage ? « Les cartes du cerveau existantes sont assez bonnes pour les fonctions très basiques – comme les champs visuels –, mais de moins en moins pour les fonctions complexes, répond Marek-Marsel Mesulam. Il est improbable qu’une seule méthode aboutisse à la carte définitive du langage, de la mémoire, des émotions ou de l’attention, etc. Le neuroscientifique doit être capable de tolérer une pluralité de cartes. Notre tâche est d’éliminer les incohérences fondamentales et d’identifier les convergences. » « Il faut clairement distinguer la vision populaire du langage dans le cerveau, qui est “localisationniste” et étroite, et celles que les neuroscientifiques de la cognition ont proposées depuis une quinzaine d’années, précise Antonio Damasio (université de Californie du Sud). Avec son épouse Hanna, il avait déjà suggéré que les processus de compréhension du langage impliquent les aires classiques (celle de Wernicke et celle de Broca), mais aussi bien d’autres régions. Hughes Duffau (CHU de Montpellier), spécialiste des opérations du cerveau sur des patients conscients atteints de tumeurs cérébrales, est plus radical encore : « Le localisationnisme doit être définitivement abandonné parce qu’il n’a jamais reflété le fonctionnement réel du cerveau, qui s’appuie sur des réseaux parallèles distribués et dynamiques, et qu’il existe une variabilité majeure anatomofonctionnelle entre individus. » Cette variabilité illustre la plasticité du cerveau, qui lui permet de s’adapter, dans certaines limites. Pour lui, l’heure est donc à la « révolution », pour passer du localisationnisme à une « vision hodotopique » (du grec hodos : voies ; topos : localisation) qui prenne en compte les aires cérébrales et les multiples réseaux qui les relient. p 0123 Mercredi 1er juillet 2015 |3 télescope Aviation Solar Impulse 2 est reparti L’avion solaire Solar Impulse 2 s’est envolé de Nagoya, lundi 29 juin, direction Hawaï. L’appareil, qui effectue un tour du monde par étapes, avait dû interrompre son vol entre Nankin (Chine) et Hawaï à cause du mauvais temps début juin. La décision de repartir a été reportée à plusieurs reprises, dans l’attente de bonnes conditions météorologiques : l’avion est fragile et ne peut supporter des vents violents, la pluie ou une trop grande chaleur. Son plan de vol prévoit ainsi le contournement d’un front nuageux pour rallier l’archipel américain en cinq jours. Le Suisse André Borschberg, 62 ans, est aux commandes. Il alternera courtes siestes, yoga et navigation. En cas de problème, il dispose d’un parachute. L’avion est parti le 9 mars d’Abou Dhabi pour un tour du monde de 35 000 kilomètres destiné à promouvoir l’usage des énergies renouvelables. 86 401 secondes C’est la durée de ce 30 juin, qui bénéficie d’une seconde intercalaire, destinée à mettre en phase deux échelles de temps dérivant l’une par rapport à l’autre : celle du temps atomique international, officiel depuis 1971, établie par le Bureau international des poids et mesures à partir d’un parc d’horloges atomiques réparties dans le monde, et celle fondée sur la rotation de la Terre, qui connaît quelques fluctuations. C’est la 26e fois que cette seconde intercalaire est utilisée depuis 1972. Médecine Benzodiazépines : ne pas abuser Environ 7 millions de personnes auraient consommé des benzodiazépines contre l’anxiété et les troubles du sommeil, en 2014. La Haute Autorité de santé a indiqué, lundi 29 juin, qu’elle avait réévalué ces molécules : alprazolam (Xanax), bromazépam (Lexomil), clorazépate (Tranxène), lorazépam (Témesta)… Jugeant toujours leur intérêt thérapeutique comme « important », notamment sur huit à douze semaines, la HAS recommande le maintien du taux de remboursement de 65 %. Elle met toutefois en garde sur « les effets indésirables importants » (troubles de la mémoire, de la vigilance, chutes…) et une utilisation prolongée qui expose au risque de dépendance – 16 % des individus qui consommaient ces médicaments en 2014 les prenaient depuis plusieurs années. Espace Une fusée de SpaceX explose peu après le décollage La chimiothérapie par vaporisation Un procédé peu onéreux permettrait de traiter des cancers gynécologiques ou de l’appareil digestif I l aura fallu plus de dix ans de travail acharné pour concrétiser une idée un peu folle : vaporiser sous pression une chimiothérapie directement dans la cavité abdominale de patients atteints de carcinose péritonéale. Cette forme avancée de cancers gynécologiques ou de l’appareil digestif se caractérise par l’apparition de métastases dans le péritoine, la membrane qui recouvre l’abdomen et les viscères. Ce nouveau mode d’administration local est d’autant plus prometteur que la carcinose péritonéale représente un défi pour le corps médical. Ce type de cancer est très difficilement détectable à un stade précoce – jusqu’à 40 % des nodules tumoraux passent inaperçus lors d’examens par imagerie – et, jusque-là, il n’existait que peu d’options thérapeutiques capa- bles de pénétrer efficacement dans les tumeurs. Avec pour corollaire une espérance de vie particulièrement réduite pour les patients touchés. Inspirée par la technologie automobile et ses injecteurs à haute pression (le prototype était d’ailleurs un injecteur de Golf IV Volkswagen !), la chimiothérapie intrapéritonéale pressurisée (Cippa) a été développée par un chirurgien suisse, Marc-André Reymond, professeur à l’université de la Ruhr, à Bochum, en Allemagne. Centre au sein duquel l’application clinique de la Cippa a été mise en place début 2012 et où 850 patients ont déjà été traités par ce moyen. « L’idée est très simple, explique le médecin. Lorsque l’on travaille par laparoscopie, on évolue en milieu fermé puisque seules deux incisions minimes sont effectuées dans le ventre du patient pour passer une caméra et une canule d’insufflation. Il est donc possible d’induire des modifications thérapeutiques de ce milieu, contrairement à une chirurgie conventionnelle ouverte. » Réduire dix fois la dose Par l’action combinée de la vaporisation et de la pression supplémentaire injectée dans l’abdomen du patient, la Cippa permet une distribution homogène de la chimiothérapie dans l’ensemble de la cavité abdominale, ainsi qu’une meilleure pénétration des tissus par les médicaments. L’efficacité est telle qu’il devient possible de réduire de dix fois la dose de produit injecté, et donc de diminuer considérablement les effets secondaires chez les patients. Les premières études cliniques réalisées pour la chimio- thérapie intrapéritonéale pressurisée dans le cas de cancers ovariens sont très encourageantes, puisque plus de 60 % des femmes présentant des résistances aux traitements conventionnels ont montré une réponse thérapeutique à l’issue de trois séances réalisées à six semaines d’intervalle. L’industrie pharmaceutique ne semble pas spécialement pressée de soutenir le développement de la Cippa. Le coût d’une dose de chimiothérapie avec ce procédé se monte à une vingtaine d’euros, alors que le traitement médicamenteux palliatif d’un patient coûte généralement entre 3 000 et 5 000 euros par mois. En France, six centres se sont formés à cette méthode, à Paris, Lyon, Nantes et ClermontFerrand et Poissy. Un article rédigé par l’équipe du professeur Arnaud Fauconnier, du Centre hospitalier intercommunal de Poissy - Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), publié fin 2014 dans la revue Gynécologie, obstétrique et fertilité, la décrit comme « une technique prometteuse chez les patientes en récidive de cancer de l’ovaire chimiorésistant », bien que « ces résultats nécessitent d’être confirmés par des études composées de plus grands effectifs, afin de déterminer un éventuel bénéfice en survie globale ». Autre avantage : le concept est généralisable à l’ensemble des cavités du corps et à d’autres substances médicamenteuses, ce qui signifie qu’il serait possible de traiter de multiples pathologies, telles que la péritonite, l’endométriose, les adhérences ou encore le cancer non invasif de la vessie. p sylvie logean « le temps » (lausanne) Une fusée Falcon 9 de la société californienne SpaceX a explosé peu après son lancement depuis Cape Canaveral en Floride, le 28 juin. Elle devait mettre en orbite une capsule inhabitée Dragon destinée à approvisionner la Station spatiale internationale (ISS). C’est le troisième échec en huit mois des livraisons de provisions et de matériel scientifique à l’ISS. A l’explosion de la fusée Antares de la firme américaine Orbital Science en octobre 2014 avait succédé la perte d’un Progress russe fin avril. L’équipage dispose de réserves pour plusieurs mois, précise la NASA. Pour SpaceX, c’est le premier accident de sa fusée Falcon 9 après 18 vols réussis, dont six sur douze prévus pour livrer du fret à l’ISS. Les causes de cet échec ne sont pas encore connues. Il intervient alors que SpaceX a gagné la certification de l’US Air Force pour les satellites militaires, marché détenu par United Launch Alliance (Boeing-Lockheed Martin). Et au moment où la start-up s’attaque à Arianespace sur celui satellites commerciaux. SpaceX prépare aussi une capsule habitée pour mettre fin à la dépendance des Etats-Unis vis-àvis du Soyouz russe pour convoyer leurs astronautes vers l’ISS. (PHOTO : AFP) 4| 0123 Mercredi 1er juillet 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Santé Les vaccins, ça se discute médecine Effets secondaires graves, pénuries, mauvaise communication... Suscitant une défiance croissante, la politique vaccinale, par-delà ses bénéfices avérés en santé publique, mérite un débat sandrine cabut, moïna fauchier-delavigne et pascale santi L a vaccination, cela ne se discute pas. » Cette déclaration de la ministre de la santé, vendredi 29 mai, Marisol Touraine, en réponse à la pétition mise en ligne en mai par le professeur Henri Joyeux a le mérite de la clarté. Elle ajoutait : « Il ne faut pas avoir de doute par rapport aux vaccins, ce qui n’exclut pas la transparence et la recherche pour toujours améliorer la qualité de nos vaccins. » Mais pourquoi les propos de la ministre restent-ils inaudibles, comme semble l’indiquer le succès (plus de 680 000 signatures) de ce texte ? Le chirurgien cancérologue de 70 ans y dénonce la pénurie actuelle de certains vaccins assurant la protection obligatoire contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), au profit de formulations hexavalentes qui contiennent, selon lui, « deux substances dangereuses, voire très dangereuses », et qui sont bien plus chères pour la collectivité. Malgré les critiques de fond sur les amalgames et les contre-vérités scientifiques de la pétition, ainsi que la réputation de son initiateur, son message semble trouver plus d’échos dans la population que ceux des institutionnels et des spécialistes des vaccins. Peut-être parce que la crédibilité de ces acteurs est de plus en plus écornée : les autorités sanitaires continuent de payer les maladresses de la gestion de la vaccination contre l’hépatite B, longtemps suspectée de déclencher des scléroses en plaques. Mais aussi de la pandémie de grippe H1N1, en 2009 – l’un des vaccins utilisés à cette occasion ayant en outre engendré des narcolepsies. Leur communication sur le sujet reste insuffisante, souvent trop péremptoire. Et contradictoire : elles font campagne pour l’obligation vaccinale sans, semble-t-il, se donner vraiment les moyens d’anticiper les pénuries. La parole des experts est, elle, rendue suspecte par leurs liens d’intérêts plus ou moins dissimulés avec l’industrie pharmaceutique. L’actualité favorise généralement le discours anti-vaccins. En avril, les effets secondaires liés à un vaccin protégeant contre les antirotavirus étaient pointés du doigt à cause de décès de nourrissons. Aujourd’hui, c’est le cas d’une petite fille de 7 mois entre la vie et la mort après une fièvre aiguë et des convulsions dans les heures suivant l’injection concomitante d’un vaccin hexavalent (Infanrix Hexa) et contre le pneumocoque (Prevenar). Même si la responsabilité du SAMU, qui a refusé de prendre en charge l’enfant, est aussi mise en cause, l’image de la vaccination risque une nouvelle fois d’en pâtir. En Espagne, à l’inverse, un enfant vient de mourir d’une diphtérie, contre laquelle ses parents ne l’avaient pas vacciné. Le 25 juin, le Conseil national de l’ordre des médecins a annoncé qu’il portait plainte devant la chambre disciplinaire de première instance du LanguedocRoussillon contre Henri Joyeux pour « l’ensemble de ses propos » sur les vaccins. Contacté, ce dernier n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Mais la défiance du public ne pourra être balayée par une procédure disciplinaire et une injonction à se faire vacciner. Des incertitudes demeurent, qui méritent débat public : qu’y a-t-il derrière les pénuries de vaccins obligatoires et quelles sont les solutions alternatives ? Que sait-on vraiment des adjuvants ? La vaccination obligatoire a-t-elle encore un sens ? Eléments de réponse à trois questions cruciales. Pourquoi la pénurie actuelle? Depuis le début de l’année, les vaccins combinés tétravalents (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche) et pentavalents (protégeant en plus contre l’aemophilus B) sont devenus introuvables dans les pharmacies en France. Seule la formule hexavalente (pentavalent plus hépatite B, commercialisée uniquement par GSK), recommandée dans le calendrier vaccinal, ne souffre pas de ruptures d’approvisionnement. La situation commencerait à s’améliorer, en tout cas pour les vaccins combinés pentavalents. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les laboratoires Sanofi Pasteur et GSK ont prévu des approvisionnements, « ce qui permettrait de stabiliser le marché et de réduire la période de tension sur la deuxième partie de l’année 2015 ». Des vaccins sont déjà disponibles en centres de protection maternelle et infantile (PMI). Même si les producteurs tiennent à rester flous quant à ces livraisons, des doses arrivent aussi en pharmacie. « Je viens de recevoir des pentavalents cette semaine, j’en ai cinquante dans mon réfrigérateur », affirme Isabelle Adenot, présidente de l’ordre des pharmaciens. Le retour à la normale n’est cependant prévu que pour début 2016. Ces derniers mois, un certain nombre de vaccins alternatifs sont restés disponibles. Certes, le vaccin simple trivalent DTP – correspondant aux obligations vaccinales – n’est plus commercialisé en France depuis 2008, en raison de « complications allergiques ». Sanofi Pasteur propose cependant un kit des trois vaccins obligatoires (DT Vax et Imovax polio). Initialement destiné aux enfants avec une contre-indication au vaccin anticoquelucheux, il a été accessible gratuitement, sur demande du médecin au laboratoire, pour les familles souhaitant se limiter aux vaccins obligatoires. En rupture depuis janvier, le DT Vax a été remplacé à partir de mai par un vaccin diphtérie tétanos initialement destiné au marché américain. A noter que le DT Vax avait aussi ses détracteurs, car il contient un conservateur dérivé du mercure, le thiomersal. Pour les rappels, il existe aussi l’option Repevax® de Sanofi (DTPcaP) ou son équivalent chez GSK : Boostrix® (respectivement pour les plus de 3 et 4 ans), plus « Nous payons la note du paternalisme » A nthropologue de formation, Heidi Larson est maître de conférences à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, où elle dirige des travaux sur les questions de confiance envers les vaccins et les implications de ces attitudes dans les programmes vaccinaux. Elle a rédigé le rapport « The State of Vaccine Confidence 2015 » (« L’état de la confiance dans les vaccins »), qui analyse le sujet à l’échelle mondiale. Les hésitations ou la défiance à l’égard des vaccins semblent s’accroître. Qu’en est-il réellement ? Il existe un problème croissant de confiance envers les vaccins dans les couches les plus aisées de la population. On le constate aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, en Australie, au Japon. Mais ces doutes ou réticences se rencontrent aussi parmi les couches les plus défavorisées. Ainsi, le phénomène prend l’allure d’une courbe en U, où les populations des tranches les plus extrêmes de revenu montrent une défiance plus importante que celles aux revenus moyens. Les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion de messages de la part de groupes hostiles en tout ou partie aux vaccins. Néanmoins, là où un travail important a été accom- pli par les autorités sanitaires pour convaincre de l’utilité de certains vaccins, comme au Royaume-Uni avec celui contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, l’acceptation de la vaccination a progressé. Les oppositions aux vaccins ont des motivations diverses. Lesquelles avez-vous identifiées ? Il existe deux motifs principaux : l’option idéologique privilégiant la nature, et la défiance à l’égard des autorités. L’option « nature » prédomine dans des zones moins ou peu affectées par les maladies contre lesquelles les vaccins protègent. Elle s’oppose globalement aux nouvelles technologies, aux OGM, aux vaccins et à leurs adjuvants… Cette attitude se rencontre plutôt dans les pays développés. La même démarche apparaît également dans les couches les plus fortunées des pays émergents. L’autre motif se rencontre davantage parmi les populations pauvres et marginalisées, qui éprouvent une forte méfiance à l’égard des gouvernements et des autorités. Les vaccins sont la seule intervention en santé qui aille du sommet vers la base, qui soit régulée par le gouvernement – il en fixe le calendrier – et concerne toute la population. Quiconque a un problème avec le gouver- nement peut être réticent aux vaccins, surtout lors de campagnes de masse. Avez-vous identifié d’autres mécanismes alimentant la défiance, par exemple les conflits d’intérêts ? Cela rejoint le second motif : des personnes ayant des reproches à faire aux industriels seront évidemment plus enclines à douter de leurs vaccins ou à penser qu’ils cherchent avant tout à en vendre le plus possible. Cela s’accompagne de soupçons de collusion entre les autorités sanitaires et les industriels. Pourquoi la défiance a-t-elle augmenté ces dernières années ? Il y a d’abord le fait que le nombre de vaccins et d’injections s’est énormément accru ces dernières décennies. Il conviendrait donc d’essayer de rationaliser les vaccinations plutôt que de les empiler. Mais nous payons aussi la note du paternalisme qui a prévalu du côté des autorités et de la communauté médicale, qui tenaient pour acquis que la population acceptait docilement de faire ce qu’on lui disait de faire en matière de vaccination. Le public a fini par dire : c’en est trop. Ne pas assumer qu’il peut exister chez des individus des effets indésirables provoqués par un vaccin, bien que l’intérêt collectif de la po- pulation soit d’être protégée contre des maladies graves, est contre-productif. De plus, la proportion de professionnels de santé ayant des réserves à l’égard des vaccins a augmenté. Comment renforcer la confiance envers la vaccination ? L’exemple récent de l’Espagne, où un enfant non vacciné se trouve dans un état critique après avoir contracté la diphtérie, montre l’importance de la vaccination contre cette maladie. Il faut prendre le temps d’expliquer l’utilité des vaccins et ne pas considérer que c’est un fait acquis. Lorsqu’un nouveau vaccin est introduit, il est indispensable de prendre en compte les facteurs et le contexte historiques, sociétaux et politiques pouvant influencer le public. Donc, il faut investir dans la recherche en sciences sociales sur ces aspects. Sans un dialogue des autorités avec les professionnels de santé et le public, il n’y aura pas de progrès dans la confiance envers les vaccins. Or, nous en aurons besoin. Nous le voyons avec les épidémies en cours (Ebola, MERS coronavirus), sans oublier, tôt ou tard, une nouvelle pandémie grippale peut-être plus sévère que celle de 2009. p propos recueillis par paul benkimoun ou moins faciles à trouver en pharmacie. Seule différence par rapport aux vaccins tétravalents classiques, une dose plus faible d’antigène contre la diphtérie et la coqueluche. Face à la suspicion de pénurie organisée, pour une vente forcée des vaccins les plus onéreux, GSK et Sanofi Pasteur invoquent une production insuffisante due à une série de facteurs, dont la hausse de la demande mondiale en vaccins protégeant contre la coqueluche, plusieurs pays ayant élargi leur recommandation pour ce vaccin. En outre, des lots auraient été écartés après une série de contrôles, engendrant ainsi un déséquilibre. GSK explique notamment un rendement plus faible que prévu des souches de coqueluche. En fonction des interlocuteurs et des semaines, les versions varient, sans possibilité de vérification externe. « L’ANSM inspecte régulièrement les laboratoires producteurs de vaccins sur la base des bonnes pratiques de fabrication, mais au quotidien, ce sont les firmes qui gèrent elles-mêmes les contrôles de leurs vaccins sur la chaîne de production, explique Dominique Debourges, chargé du pôle ruptures de stock à l’ANSM. En cas de rupture de stock ou de risque de rupture de stock ayant pour origine une anomalie de production, l’ANSM est avertie mais cette déclaration n’entraîne pas une inspection sur place. » Les adjuvants sont-ils suffisamment étudiés ? La question de l’innocuité des vaccins se cristallise en particulier sur les adjuvants suspectés par les « anti-vaccins » mais aussi, par certains chercheurs, d’induire une série d’effets secondaires. Utilisés pour certains, comme l’aluminium, depuis presque un siècle, les adjuvants ont pour fonction de renforcer la réponse immunitaire, donc de réduire la quantité d’antigène par dose, et le nombre de doses nécessaires pour assurer une bonne réponse immunitaire. Le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale (GACVS), émanation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a conclu à l’innocuité de ces produits, notamment le squalène, qui entre dans la composition de certains vaccins antigrippaux et de ceux contre les papillomavirus humains (HPV). Mais lors de la campagne de vaccination contre la grippe pandémique A (H1N1), en 2009-2010, le fait de proposer deux formes vaccinales, dont une sans adjuvant réservée aux femmes enceintes, avait semé le trouble. Suspectés de causer des maladies autoimmunes, les adjuvants font l’objet de polémiques récurrentes. Ceux à base d’aluminium ont comme principal inconvénient les réactions inflammatoires qu’ils provoquent au site d’injection. Surtout, l’hydroxyde d’aluminium favoriserait la survenue de la myofasciite à macrophages (douleurs musculaires, fatigue, invalidité…), décrite pour la première fois en 1998 par Romain Gherardi (hôpital Henri-Mondor, Inserm) et Michelle Coquet (hôpital Pellegrin, à Bordeaux) dans The Lancet. Loin d’être « anti-vaccin », le professeur Gherardi fait le lien entre cette maladie et l’hydroxyde d’aluminium utilisé dans la plupart des vaccins. L’association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M) se bat pour que cette corrélation soit reconnue. Des demandes d’indemnisation sont en cours. Didier Lambert, président de E3M, qui ne s’associe pas à la pétition d’Henri Joyeux, réclame le retour sur le marché d’un vaccin DT-polio (diphtérie-tétanos- ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 1er juillet 2015 |5 LES ACTEURS DE LA VACCINATION : DE L’INDUSTRIE À L’ASSURÉ Pour élaborer ses avis et propositions, le CTV s’appuie sur une expertise pluridisciplinaire, ainsi que sur celle des agences qui en sont membres (ANSM, InVS ,HAS, INPES). Acteurs publics Acteurs privés Les objecteurs Les modalités de vaccination en France sont critiquées par des acteurs d’horizons divers. Les industriels procèdent au développement de nouveaux vaccins et constituent le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM), à partir notamment des études qu’ils ont réalisées. PROFESSEUR JOYEUX • Instigateur d’une pétition mettant en cause le vaccin contre l’hépatite B, longtemps accusé, sans que cela soit démontré, de déclencher des scléroses en plaques. • Dénonce la présence d’aluminium et d’autres adjuvants dans certains vaccins et l’absence de choix lié à l’actuelle pénurie. Face à la pénurie des vaccins tétravalents et pentavalents, les deux multinationales avancent les mêmes explications : elles ne sont plus en mesure de répondre à l’ensemble des demandes mondiales concernant la coqueluche.Le seul vaccin hors pénurie est hexavalent. Outre la dyphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), il immunise contre trois autres maladies. LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES 14,06 26,33 Infanrix Hexa 39,04 LES VACCINS OBLIGATOIRES POUR L’ENFANT • Diphtérie • Tétanos • Poliomyélite Médecin Patient LES VACCINS RECOMMANDÉS Beaucoup de vaccins sont recommandés, en fonction de l’âge, du sexe et du contexte (profession, voyages, lieu de résidence...). AGENCE NATIONALE DE SÉCURITÉ DU MÉDICAMENT ET DES PRODUITS DE SANTÉ (ANSM) EMA • Autorisation de mise sur le marché (AMM) Dans le développement d’un vaccin, l’ANSM intervient dès la phase des essais cliniques qu’elle autorise. Elle délivre ensuite, au niveau national, l’AMM en fonction de l’évaluation du bénéfice et des risques. • Pharmacovigilance L’ANSM assure également la surveillance de la sécurité d'emploi du vaccin et contrôle la publicité auprès du public et des professionnels de santé. Elle est chargée de l’inspection des sites de production et centralise les alertes sur les effets indésirables. Infanrix Tetra Infanrix Quinta La politique vaccinale se fonde principalement sur les avis et propositions du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), élaborés via le comité technique des vaccinations (CTV). MINISTÈRE DE LA SANTÉ LA VACCINATION ASSOCIATION E3M • Ne relaie pas la pétition du professeur Joyeux qu’elle estime « contestable et insuffisament élaborée sur le plan PRIX DES VACCINS DTP, scientifique ». EN EUROS • Œuvre pour le retour de vaccins sans DT-Polio (au moment du retrait en 2008) aluminium. 6,70 ASSOCIATION REVAHB • Regroupe des patients qui s’estiment victimes du vaccin contre l’hépatite B. • Aucune visée antivaccinale. • Contre la vaccination « cachée » de l’hépatite B par l’Infanrix Hexa. La politique vaccinale s’intègre dans la politique de lutte contre les maladies infectieuses. Elle est élaborée et mise en œuvre par le ministre chargé de la santé, pour tenir compte de l’épidémiologie des maladies à prévention vaccinale, des avancées techniques dans ce domaine, des recommandations de l’OMS et de l’organisation du système de santé français. HAUT CONSEIL DE LA SANTÉ PUBLIQUE (HCSP) VIA LE COMITÉ TECHNIQUE DES VACCINATIONS (CTV) Deux fabricants se partagent le marché français des vaccins obligatoires • Sanofi Pasteur MSD • GlaxoSmithKline (GSK) LIGUE NATIONALE POUR LA LIBERTÉ DES VACCINATIONS • Réclame l’abrogration des obligations vaccinales. • Indemnisation par l’Etat des accidents consécutifs aux vaccinations obligatoires. Le CTV est un groupe de travail permanent d'une des commissions spécialisées du HCSP. L’autorisation de mise sur le marché peut être délivrée par la Commission européenne pour l’ensemble du territoire de l’UE après avis de l’Agence européenne des médicaments (EMA). LES GRANDES DATES VACCINS MIS AU POINT 1796 1885 VARIOLE par Jenner RAGE par Louis Pasteur POLITIQUE VACCINALE 1921 1923 TUBERCULOSE DIPHTÉRIE (BCG) 1952 POLIOMYÉLITE 1902 1926 1938 VACCIN OBLIGATOIRE CONTRE LA VARIOLE Introduction des sels d’aluminium comme adjuvant VACCIN OBLIGATOIRE CONTRE LA DIPHTÉRIE poliomyélite) sans adjuvant aluminique. E3M demande notamment l’utilisation du phosphate de calcium, utilisé comme adjuvant dès les années 1960 à l’Institut Pasteur dans les vaccins antidiphtérique et antitétanique mais abandonné dans les années 1980. Des travaux soulignent de nouveau son intérêt. Dans tous les cas, « nous souhaitons plus de transparence et plus de recherches sur cette question des adjuvants », insiste Didier Lambert. Sur ces points, les avis sont partagés. « L’analyse détaillée des conditions nécessaires à la provocation d’une maladie auto-immune n’apporte aucune preuve à ce jour permettant d’incriminer les vaccins ou les adjuvants, concluait un groupe de travail de l’Académie de médecine en 2012. Tout moratoire portant sur la non-utilisation des adjuvants aluminiques rendrait impossible la majorité des vaccinations. La résurgence des maladies prévenues par ces vaccins entraînerait, en revanche, et de façon certaine, une morbidité très supérieure à celle, hypothétique, des maladies auto-immunes ou neurologiques imputées à la vaccination. » Même conclusion pour la société de pathologie infectieuse (Spilf), et un rapport du Haut Comité de santé publique (HCSP) en 2013. « L’innocuité des adjuvants est un domaine important et négligé », soulignait pourtant en 2004 l’OMS, qui jugeait leur évaluation « indispensable ». En 2010, après l’épisode de la grippe H1N1 et la campagne de vaccination, un rapport du Sénat notait lui aussi que l’utilisation des adjuvants en général est un choix qui peut être discuté techniquement. « Les études réalisées jusqu’à présent sur leurs effets sont peu nombreuses », notait-il, recommandant donc de nouveaux travaux pour « avoir des idées plus précises sur le niveau dangereux pour l’homme de la concentration de mercure, d’aluminium ou de squalène dans son organisme ». Les obligations vaccinales sont-elles encore justifiées ? En France, les trois vaccins obligatoires pour l’ensemble de la population (D, T, P) conditionnent l’entrée en collectivité (crèche, école…). Notre pays est l’un des 1963 1967 1926 TÉTANOS ET COQUELUCHE seuls en Europe à maintenir ce principe d’obligation vaccinale, avec l’Italie et la Belgique. Il existe par ailleurs quelques obligations selon la zone géographique (fièvre jaune en Guyane) ou la profession (hépatite B pour les médecins et paramédicaux, typhoïde pour certains personnels de laboratoire…). Mais cette stratégie est remise en question de façon croissante, pas seulement par les « anti-vaccins ». En septembre 2014, le HCSP, chargé de proposer la politique vaccinale, a estimé dans un avis que le maintien ou non de l’obligation vaccinale relève d’« un choix sociétal » et que cela mériterait un débat organisé par les autorités de santé. Ce comité estime que, si l’obligation demeure, « la liste des vaccins obligatoires doit être révisée ». Récemment, la question est remontée jusqu’au Conseil constitutionnel, après l’assignation d’un couple devant un tribunal correctionnel pour un refus de vacciner ses enfants. Le Conseil s’est prononcé le 20 mars, en jugeant que le caractère obligatoire de la vaccination, inscrit dans le code de la santé publique, n’est pas anticonstitutionnel. Autre critique, ce modèle peut induire dans le public une notion de hiérarchie entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés, comme ceux contre l’hépatite B, la coqueluche, les méningites, les papillomavirus – responsables du cancer du col de l’utérus – ou la grippe. Or, « les vaccins recommandés et les vaccins obligatoires sont aussi utiles et importants les uns que les autres », estime l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Un avis partagé par l’ANSM et, bien sûr, les industriels. L’ancien directeur général de la santé William Dab est aussi favorable à une discussion de fond. « Une stratégie d’intervention fondée sur l’obligation doit se discuter non dans ses principes, mais dans ses résultats, et ceux-ci ne sont pas si favorables que l’on puisse se dispenser d’un débat dont la Conférence nationale de santé aurait pu être saisie », écrit-il sur son blog « Des risques et des hommes » (hébergé par Le Monde), en réponse à la déclaration « La vaccination, ça ne se discute pas », de Marisol Touraine. p 1952 ROUGEOLE OREILLONS 1965 1967 1981 2006 HÉPATITE B PAPILLOMAVIRUS 1977 1979 VACCIN DERNIER CAS VACCIN VACCIN CONTRE LA DE VARIOLE OBLIGATOIRE OBLIGATOIRE CONTRE LA FIÈVRE JAUNE CONNU CONTRE DANS LE TÉTANOS POLIOMYÉLITE OBLIGATOIRE EN GUYANE LE MONDE 2007 LEVÉE DE L’OBLIGATION LEVÉE DE L’OBLIGATION DE VACCINATION DE VACCINATION PAR ANTIVARIOLIQUE LE BCG CHEZ L’ENFANT ET L’ADOLESCENT V Bonne réponse immunitaire En 2008, cette chercheuse a été parmi les premières dans le monde à conduire un essai clinique avec un vaccin transcutané. Son principe est de cibler les cellules de Langerhans, présentatrices d’antigènes et situées dans l’épiderme (la couche superficielle de la peau), qui ont un rôle fondamental dans l’initiation d’une bonne réponse immunitaire. Ces cellules étant concentrées autour des follicules pileux, les chercheurs appliquent une colle dermatologique qui retire les poils, sur une surface de 4 cm sur 4 cm. Après cette « épilation », le vaccin est déposé à très petite dose sur la peau. « En utilisant un vaccin antigrippal, nous avons montré que cette voie d’administration est bien tolérée et qu’elle induit une réponse immunitaire cellulaire meilleure que la voie intramusculaire. En revanche, elle 2015 SOURCES : ANSM ; INSERM ; SCIENCE ET SANTÉ Les nouvelles voies acciner « sans aiguille » par voie nasale, orale, cutanée… ? Depuis des décennies, les chercheurs explorent de nouvelles voies pour remplacer les classiques injections intramusculaires (utilisées pour la majorité des vaccins) ou sous-cutanées. Un vaccin antigrippal, en spray nasal (laboratoire AstraZeneca), et un autre par voie intradermique (Sanofi Pasteur) sont déjà commercialisés. La voie cutanée est particulièrement étudiée. « L’avantage principal est d’induire une bonne réponse immunitaire avec une dose faible et sans aiguille, d’où un gain économique. C’est un vrai besoin dans les pays en voie de développement. Ce qui explique les sommes importantes investies par l’Organisation mondiale de la santé et la Fondation Gates…, souligne Behazine Combadière (directrice de recherche Inserm, Centre d’immunologie et des maladies infectieuses, Paris). En revanche, les vaccins cutanés ou transcutanés ne supprimeront pas totalement les douleurs associées aux vaccins. » 2008 RETRAIT DU DTP n’entraîne pas de production d’anticorps protecteurs », explique Behazine Combadière. Un résultat qui a amené l’équipe à tester son procédé dans des infections où la réponse immunitaire cellulaire est prépondérante (par rapport à la production d’anticorps). Des essais cliniques sont ainsi en cours avec plusieurs vaccins anti-VIH. Résultats attendus en 2016. D’autres dispositifs sont en développement, tel celui de l’Australien Mark Kendall : un nanopatch constitué de 20 000 nano-aiguilles enrobées de l’antigène vaccinal. Le système serait stable à température ambiante, ce qui permettrait de s’affranchir de la chaîne du froid. Les premières études cliniques sont prévues en 2016, pour tester ce patch avec trois vaccins du laboratoire Merck (Le Monde du 24 janvier 2015). L’équipe de Mark Prausnitz (Georgia Institute of Technology) a, de son côté, conçu un patch avec une centaine de micro-aiguilles, qui se résorbent en quelques minutes après application. Les tests cliniques sont attendus en 2017 pour une immunisation contre la rougeole. L’un des autres défis de la vaccinologie serait de pouvoir proposer des vaccinations sur mesure, en fonction des profils individuels (facteurs génétiques, environnementaux et statut immunitaire). Une équipe internationale vient ainsi de présenter dans la revue Science du 5 juin le système Virscan, capable de déterminer les virus auxquels un individu a été exposé au cours de sa vie, en détectant les anticorps produits par son système immunitaire pour s’en protéger. Ce test nécessite moins d’une goutte de sang et coûte 25 dollars (22,30 euros). De tels procédés pourraient permettre de dépister précocement certaines infections, mais aussi de déterminer si une vaccination ou un rappel sont nécessaires. p sandrine cabut 6| 0123 Mercredi 1er juillet 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | Quand l’avenir des forêts se dessine De l’intérêt de glisser des cadavres dans le béton le livre L’enjeu complexe des forêts et de leur gestion durable décrypté et vulgarisé par l’image laurent brasier L’ équivalent de quatorze terrains de football de surface forestière disparaît chaque minute dans le monde. Ces chiffres coups de poing contribuent à sensibiliser le grand public au fait que la forêt, et notamment la forêt tropicale, est un conservatoire de biodiversité de plus en plus menacé. Toutefois, le phénomène vu d’Europe reste abstrait. Et, surtout, la question est plus complexe qu’elle n’en a l’air. Pour ne prendre qu’un exemple, l’exploitation du bois entraîne un appauvrissement, mais ce sont les impacts indirects qui posent problème : les routes fractionnent les massifs, facilitent l’accès au gibier pour les chasseurs et encouragent l’installation des agriculteurs migrants, conduisant au véritable processus de déforestation. Ce territoire que tout le monde croit connaître, mais que personne ne sait définir (la superficie de la forêt africaine varie du simple au double selon les définitions), est faussement familier. Partir à la rencontre de ce « continent » méconnu est la première étape du petit livre conçu par la journaliste Isabelle Biagiotti et le chercheur spécialiste des forêts tropicales Stéphane Guéneau (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement), et publié dans la très pédagogique collection « Infographie » de Belin. Le pari : proposer des doubles pages où chiffres, graphiques et textes concis multipliant les exemples, complétés par des points de vue d’experts, se répondent. Sur un sujet aux ramifications aussi étendues, la gageure est élégamment tenue. Données et cartes parlent d’ellesmêmes. L’huile de palme, ennemie des forêts ? Il n’est qu’à confronter la diminution spectaculaire des sols forestiers en une poignée d’années et le quasi-triplement de la surface cultivée en palmiers à huile dans la partie indonésienne de Bornéo pour avoir un début de réponse. La richesse de l’ouvrage est de rendre le lecteur acteur de sa propre découverte. Celle-ci concerne aussi les hommes qui vivent dans ou de la forêt : un humain sur six. Le gros du contingent est constitué de petits agriculteurs et non des peuples autochtones auxquels on pense spontanément. Suivent des thématiques plus touffues avec un parti pris graphique. La gestion durable – une des infographies récapitule huit siècles (!) de gestion des forêts en France depuis l’ordonnance de Philippe Auguste en 1219 –, qui est loin de se résumer à la création d’espaces protégés. Puis les réponses apportées au plan international pour la gestion et la protection des forêts face au réchauffement climatique. C’est l’occasion d’y voir un peu plus clair dans les certifications (FSC, PEFC), de prendre conscience de l’ampleur de l’exploitation illégale, ou de se faire un avis sur le principe du paiement pour services environnementaux (PSE), qui tient compte des services écosystémiques rendus par les forêts. Osera-t-on dire, au final, que ce petit livre aura parfaitement su défricher son sujet ? p L’Avenir des forêts ?, de Stéphane Guéneau et Isabelle Biagiotti (collection «Infographie», Belin, 80 p., 19 €). Livraison Hors-série « A nous l’espace ! » Ce hors-série de Courrier international (publication du groupe Le Monde), constitué comme il se doit d’articles de la presse étrangère, renoue avec l’esprit de la conquête spatiale. Il y est question de l’après-Station spatiale internationale, de projets d’exploration lunaire ou martienne, des ambitions du tycoon Elon Musk et de la Chine surpuissante. Mais aussi de sujets plus décalés, comme « L’instauration de la loi martienne », l’essorage des candidats au tourisme spatial ou un documentaire géocentriste. > « Courrier international », “A nous l’espace !” (juin-juillet-août, 76 p., 8,50 €). RENDEZ-VOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr (PHOTO : MARC CHAUMEIL) O n n’a jamais retrouvé le corps de Jimmy Hoffa. Disparu en 1975, l’ancien président du Syndicat américain des camionneurs n’a probablement pas survécu à une rencontre amicale avec des membres de la Mafia. La légende raconte que, en 1985, Anthony Giacalone, un des chefs du crime organisé à Detroit (Michigan), passant en voiture près du Renaissance Center, siège de la société General Motors, désigna le groupe de gratte-ciel en lançant aux sbires qui l’accompagnaient : « Dites bonjour à Jimmy Hoffa, les gars. » Précisons qu’au moment de la disparition du syndicaliste, on coulait le béton des fondations du Renaissance Center… Des chercheurs italiens Même si cette histoire relève sans doute plus du fantasme que de la réalité, force est de constater que la Mafia n’est jamais en manque d’imagination quand il s’agit de se débarrasser d’un colis encombrant doté d’une tête, de deux bras, de deux jambes et d’un torse pour relier le tout, du moins au départ. Et qu’elle pose, ce faisant, d’intéressantes questions à la science. On a déjà évoqué dans cette chronique la recette du cadavre dissous dans de l’acide sulfurique, des chercheurs italiens ayant montré que le procédé n’était pas aussi rapide que ce que certains repentis prétendaient. Il faut désormais, pour faire juste mesure, parler d’une autre étude, italienne elle aussi – on se demande bien pourquoi… –, sur les effets posthumes du coulage de macchabée dans le béton, à moins que ce ne soit l’inverse. Paru en 2013 dans The American Journal of Forensic Medicine and Pathology, cet article déplore que la seule littérature scientifique disponible sur le sujet se résume à quelques études de cas tout droit issus de la rubrique des faits divers. Personne n’ayant fait l’effort de s’intéresser de manière rigoureuse au devenir des corps lorsqu’ils ont été malicieusement transformés en matériau de construction, cette équipe de médecins légistes et vétérinaires a donc décidé de combler cette lacune. Selon elle, ce type d’étude est nécessaire pour s’assurer que la médecine légale rendra de bonnes conclusions, notamment lorsque les causes du décès ne seront pas évidentes. N’ayant pas de mafieux récemment décédé sous la main, les chercheurs se sont donc procuré non pas trois mais quatre petits cochons, morts, précise le texte, de causes naturelles – et non pas garrottés à l’aide d’une corde de piano par un homme en cos- tume rayé assis derrière eux dans une voiture. Ces animaux étant, au moins sur le plan anatomique et sur celui du régime alimentaire, de bons homologues de l’être humain, les cadavres des porcelets ont été placés dans du béton frais, les chercheurs ayant pour mission de casser les gangues un, deux, trois et six mois après le début de l’expérience, et d’autopsier ce qu’ils trouveraient à l’intérieur. Le principal résultat a été de constater que, en l’absence d’oxygène mais aussi d’insectes, la décomposition ne suivait pas ses étapes habituelles. Certes, les viscères étaient mal préservés mais, au niveau de l’aspect extérieur, la putréfaction avait dû s’arrêter assez vite. Un autre processus chimique avait pris la relève : la saponification, c’est-à-dire la transformation des graisses du corps en une substance savonneuse, cireuse, dont les auteurs de l’étude disent qu’elle avait la texture de certains fromages. Ils ajoutent qu’il est donc difficile d’estimer, pour un médecin légiste, le temps qu’un cadavre pris dans du béton a bien pu y passer. Comme c’est souvent le cas en science, ces chercheurs réclament donc des études complémentaires. p JIE YANG (À GAUCHE) ET JAVIER ORTEGA-HERNANDEZ Un ver préhistorique en armure affaire de logique L’explosion du cambrien, il y a un demi-milliard d’années, a fait naître des êtres aux formes improbables, comme Collinsium ciliosum, un animal au corps mou protégé par des épines. Des fossiles découverts dans le sud de la Chine sont décrits dans PNAS du 29 mai. Ce ver marin de 5 cm de long devait se nourrir de matière organique filtrée par ses six paires de pattes antérieures velues, tandis que 72 épines le protégeaient des prédateurs. Il serait un lointain ancêtre des péripates ou onycophores, qu’on trouve dans les forêts humides de l’hémisphère Sud. p RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 1er juillet 2015 |7 Un « crabe-yéti » découvert dans l’Antarctique zoologie nathaniel herzberg C Bruno Sicardy à l’Observatoire de Meudon, le 29 mai. STÉPHANE REMAEL POUR « LE MONDE » vahé ter minassian I l aime rester dans l’ombre. Non parce qu’il fuirait la publicité, mais par passion pour le phénomène astronomique. A 57 ans, Bruno Sicardy, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, attaché au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lesia), est un membre éminent de la confrérie des chasseurs d’« occultations stellaires ». Un « fédérateur », « persuasif sans être agressif » et qui « sait jouer collectif », assurent ses pairs. Contemplée par une belle nuit d’été, avec le regard du poète las de l’agitation de la vie citadine, la voûte céleste semble immuable. Figée pour l’éternité. Mais que le rêveur s’arrache à sa méditation philosophique pour pointer un télescope vers le ciel et observer avec attention. Et, ô miracle ! Il le constatera lui-même : de temps à autre, dissimulée durant quelques secondes par la silhouette sombre d’un objet mystérieux et inconnu se déplaçant au premier plan, une étoile du firmament disparaît ! La tâche confiée à Bruno Sicardy est de tirer parti de ce clin d’œil des astres pour dévoiler les caractéristiques des corps – planètes, lunes, astéroïdes, anneaux… – peuplant cette banlieue de la Terre qu’est le Système solaire. C’est que, explique le chercheur en proposant au visiteur d’aller admirer le télescope de 1 mètre de l’Observatoire de Meudon qu’il utilise pour former ses étudiants : « La lumière des étoiles est un outil sans égal pour sonder ces objets et dévoiler leurs particularités. » Beaucoup plus puissant, dans certains cas, que les plus grands instruments inventés par l’homme, Hubble compris ! Certes, l’idée n’est pas nouvelle. « Déjà, dans les années 1960, les astronomes déduisaient le diamètre des grosses étoiles de la façon dont leur rayonnement était diffracté sur le bord du disque lunaire », rappelle Bruno Sicardy. A l’époque, certains ont pensé inverser le processus pour s’intéresser non plus à l’occulté mais à l’occultant. En mesurant la baisse de luminosité apparente de l’étoile, produite par le passage d’un objet dans la ligne de visée, il serait possible, imaginent-ils, de connaître avec précision la durée du phénomène. « Une donnée qui, combinée avec des informations sur l’orbite du corps “dissimulateur”, permettrait de calculer sa taille avec une marge d’erreur moindre par rapport aux autres techniques. » La méthode conduirait aussi à établir sa « forme générale ». Et, en raison des empreintes caractéristiques laissées sur le signal, donnerait la « preuve » de la présence d’un anneau ou d’une atmosphère dont le profil de densité, de pression ou de température en fonction de l’altitude deviendrait, lui aussi, accessible ! Une dizaine d’années seront nécessaires avant de voir aboutir ces projets. Entre-temps, Bruno Sicardy se sera embarqué dans l’aventure. Lorsque, à la fin des années 1970, ce normalien né à Monaco rejoint, dans le cadre d’un DEA de physique, le groupe de Michel Combes et de Jean Lecacheux, de l’Observatoire de Paris, une équipe américaine vient juste de démontrer, par la méthode des occultations stellaires, l’existence des anneaux d’Uranus. Dès lors, on impose à l’étudiant des travaux sur la dynamique de ces structures qui se prolongeront par une thèse. Avec André Brahic et Fran- Bruno Sicardy, chasseur transneptunien | Cet astronome parcourt la planète pour être pile dans l’alignement d’étoiles et de petits astres dont les caractéristiques se révèlent lors de ces rendez-vous portrait çoise Roques, Bruno Sicardy a alors l’idée de proposer un programme d’observation de Neptune qui aboutit, en 1984, à la révélation de ses fameux « arcs » ou « anneaux incomplets ». Une formidable découverte confirmée, cinq ans plus tard, par la sonde Voyager 2, dont le scientifique avoue aujourd’hui être particulièrement fier. Titularisé, le jeune chercheur se consacre à des travaux théoriques tout en gardant un œil rivé au télescope : mesure de la finesse des anneaux de Saturne, estimation précise du diamètre de la lune Titania et première mise en évidence des « ondes de gravité » circulant dans l’atmosphère de Titan. Pourtant, déjà, son regard est ailleurs. En 1992, une équipe américaine découvre le premier des « transneptuniens », des corps voguant au-delà de l’orbite de Neptune et dont près de 2 000 – parmi lesquels Pluton et sa lune Charon – sont connus à ce jour. Trop éloignés, trop froids, trop petits, ils sont difficilement appréhendables par les Avec son équipe, il s’est propulsé au tout premier rang mondial, enrichissant son tableau de chasse de données inédites sur une douzaine d’objets méthodes classiques. C’est pain bénit pour le groupe de Bruno Sicardy, qui parcourt la planète pour réussir à placer à temps ses instruments dans l’étroite bande – sa largeur est égale à celle du diamètre du corps visé –, d’où les occultations stellaires pourront être observées… durant quelques dizaines de secondes ! Une course perpétuelle contre la montre car, déplore l’astronome, « en attendant les résultats de la mission d’astrométrie spatiale Gaia (de l’Agence spatiale européenne), partie en 2013, l’imprécision des éphémérides limite la capacité à prévoir très en avance le phénomène ». Equateur, Nouvelle-Zélande, Italie, Brésil… les expéditions se succèdent. Et les souvenirs de voyages, occasions de tisser des amitiés durables ou d’admirer des paysages grandioses, s’accumulent. Il s’agit, à chaque fois, « de se mettre en rapport avec les astronomes locaux, de les convaincre de prêter leur matériel et, souvent en leur compagnie, de prendre la route pour identifier les sites d’où il sera possible, en y répartissant des équipes, de mesurer le phénomène ». Et, lorsque l’on ne se déplace pas soi-même, d’organiser le départ des volontaires européens de la IOTA/ES (European International Occultation Timing Association) ou de contacter des clubs dont il faut s’occuper sur tous les continents ! « L’un des grands mérites de Bruno Sicardy est d’avoir réussi à fédérer autour de son projet, tant par son enthousiasme que par son sens du contact, une communauté de volontaires, amateurs comme professionnels, sans qui rien ne serait possible », observe l’un de ses confrères, François Colas, de l’IMCCE. De fait, ce n’est qu’à partir de 2009 que ces recherches ont obtenu un soutien financier de l’Agence nationale pour la recherche. Incontestablement, ces efforts ont été payants. En quelques années, l’équipe de Bruno Sicardy, qui bénéficie depuis cette année d’une bourse ERC du Conseil européen de la recherche, s’est propulsée au premier rang mondial du domaine. Enrichissant, au rythme de cinq à dix observations par an, son tableau de chasse de données inédites sur une douzaine d’objets « transneptuniens ». Charon, Eris, Makemake, Quaoar, Varuna, Ixion… n’ont livré que leurs tailles et leurs formes. Mais Chariklo a dévoilé des anneaux, faisant en 2014, du minuscule « centaure » le premier corps non planétaire doté d’un tel système. Pluton, qui sera visitée en juillet par la sonde New Horizons de la NASA, a elle aussi été surveillée. En 2003, les chercheurs ont établi que son atmosphère ténue, découverte quinze ans plus tôt, subissait actuellement une phase d’expansion. « Une conséquence probable des cycles saisonniers particuliers à cet astre », estime Bruno Sicardy. Mais les interrogations concernant son étrange climat, réglé par la sublimation des glaces qui la recouvrent, demeurent. « Pourquoi en est-elle dotée et non sa lune Charon ? Certes, cette dernière est trop petite pour retenir une atmosphère. Mais Makemake, qui a une taille intermédiaire, n’en a pas non plus. De même qu’Eris, qui est pourtant à peine moins gros que Pluton. Il est vrai que ce corps est très éloigné. En se réchauffant à l’approche du Soleil, ses glaces formeront-elles une atmosphère ? Où se trouve la limite ? », demande l’astronome, pensif, en regardant le ciel. p ette fois, c’est officiel : un yéti a été découvert. Ou plutôt des yétis, des milliers de yétis, entassés non pas dans la neige, comme le mythique et abominable animal du même nom, mais à 2 400 mètres de profondeur, dans les eaux hostiles de l’océan Antarctique. L’annonce a été faite par une équipe de biologistes britanniques dans la revue PLoS One, le 24 juin. Pour être tout à fait honnête, il convient d’ajouter deux choses. D’abord que cette créature, petite par sa taille – 5 cm en moyenne, pattes comprises –, est un crustacé. Ensuite, que deux espèces de « crabes-yétis » avaient déjà été découvertes : l’une, en 2005, dans le sud du Pacifique, par une équipe française de l’Ifremer ; l’autre, en 2010, dans l’Atlantique, au large du Costa Rica. Officiellement nommée Kiwa, la famille avait reçu son surnom en raison de l’apparence poilue de sa carapace. La découverte de l’équipe des universités de Southampton et de Cambridge reste pourtant spectaculaire. Car Kiwa tyleri ne vit pas n’importe où. Il a colonisé les grands fonds de l’océan Antarctique, l’une des mers les plus hostiles et froides de la planète. Là-bas, à la limite de la mer de la Scotia, au sud-est de la Terre de feu, à 2 400 m de fond, la lumière est presque inexistante. La pression, à l’inverse, est considérable : 240 atmosphères, soit 240 fois la nôtre. Quant à la température, elle flirte avec 0 °C, parfois même un peu moins. Pour survivre dans ce milieu, Kiwa a trouvé plusieurs parades. D’abord, il s’installe au pied des cheminées hydrothermales. A leur sommet, quelques mètres ou dizaines de mètres plus haut, ces fameux « fumeurs » crachent un fluide sulfuré à 350 °C. « La pression est telle que 20 cm plus loin l’eau est déjà redescendue à 40 °C, insiste Sven Thatje, de l’université de Southampton, premier signataire de l’étude. A la base de la cheminée, l’eau avoisine 25 °C. Sauf que, là encore, elle redescend très vite. Kiwa ne dispose donc que de quelques mètres cubes de territoire pour vivre. » « Kiwa tyleri » vit à 2 400 m de profondeur. SVEN THATJE Pour profiter de cette denrée rare, Kiwa a choisi la concentration : plus de 700 spécimens au mètre carré. « L’espèce a même trouvé la ressource collective de présenter différentes tailles d’individus, de façon à mieux occuper l’espace, précise, admiratif, Sven Thatje. Un peu comme si vous vouliez maximiser le nombre de petits pois dans une boîte… » Dans ces conditions, difficile de beaucoup bouger. Certes, les griffes dont sont pourvues ses pattes permettent au crustacé de progresser sur des surfaces verticales. Mais de là à chercher de la nourriture… Qu’à cela ne tienne : c’est la nourriture qui vient à Kiwa. Comme ses deux cousins, le crabe-yéti de l’Antarctique se nourrit de filaments de bactéries qu’il recueille sur sa carapace. Or ces organismes ne survivent pas aux eaux glaciales. Tout semble donc établi pour faire de Kiwa tyleri un animal installé à demeure dans une oasis d’eau tiède, au milieu d’un désert de froid intense. « C’est ce que nous pensions, raconte Sven Thatje. Sauf que, au cours d’une de ses plongées, notre submersible a filmé des mères légèrement éloignées, puis des larves, plus à distance encore, et isolées, dans une eau à zéro degré. » Les scientifiques ont pu établir que la mère cessait de s’alimenter pour aller pondre dans l’eau froide. « Une fois nées, les larves n’ont pas besoin de s’alimenter pendant plusieurs semaines, peut-être plusieurs mois, jusqu’à leur retour dans la colonie… » Reste encore une question. Kiwa tyleri a été retrouvé sur deux sites, distants de 600 kilomètres. Sachant que les adultes ne sont pas adaptés à l’eau froide et que les larves ne nagent pratiquement pas, comment l’animal est-il passé de l’un à l’autre ? Un dernier mystère du yéti. p 8| 0123 Mercredi 1er juillet 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | Un laser tord la lumière des éclairs La trajectoire d’un éclair a tout d’erratique, et la décharge qui l’accompagne tombe un peu n’importe où. Le rêve de contrôler ce phénomène, pour protéger les personnes ou les bâtiments, a pour l’instant échoué, mais une équipe internationale réunissant notamment l’Institut national de la recherche scientifique (Québec), l’université de Floride centrale et l’Ecole polytechnique vient de faire des démonstrations spectaculaires à petite échelle montrant qu’il n’est peut-être pas inaccessible. La technique, décrite le 19 juin dans Science Advances, pourrait avoir des applications en microsoudure, en micro-usinage (découpe de pièces à l’aide de fortes décharges), ou encore pour brouiller des systèmes électroniques. La nouveauté est d’avoir trouvé le moyen de courber les éclairs, et pas seulement pour les canaliser en ligne droite – cela a été réalisé dans les années 2000 sur quelques mètres avec un laser transportable, le Teramobile. « Mais personne n’a encore réussi à le faire sur les centaines de mètres nécessaires pour les éclairs extérieurs », rappelle Arnaud Couairon, du Centre de physique théorique (CNRS-Polytechnique), coauteur de l’étude. Le principe est le suivant : l’énergie apportée par un laser crée une sorte de canal virtuel que les électrons suivront. L’astuce pour courber le canal est le recours à un faisceau laser dit « d’Airy », dont l’« œil » intense bouge le long de la trajectoire. p david larousserie Trois configurations pour contrôler les éclairs Le principe Le laser intense ionise et chauffe l’air. Le long de ce « canal », l’air se détend, abaissant ainsi la densité locale. Les charges suivront ce chemin, car il offre moins de résistance électrique. Profil d’intensité du laser Laser Molécules dans l’air 5 cm 1 Arrivée du laser Lentille Un faisceau normal, intense entre les deux électrodes, crée des arcs peu rectilignes et aléatoires. Sortie du laser Laser Zone moins dense 2 Lentille conique Un faisceau focalisé par un cône permet d’avoir une intensité quasi identique sur le chemin entre les électrodes : l’éclair résultant est droit. Eviter les obstacles En choisissant les bons masques, il est même possible que l’arc électrique contourne un obstacle. Cela permettrait des micro-usinages lorsque le point d’impact est obstrué par une autre pièce. Laser Obstacle 3 Masque et lentille Des « masques » déforment le laser de sorte que le pic d’intensité se propage sur un arc de cercle (la lumière, elle, file tout droit). L’éclair se courbe. INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER SOURCES : CLERICI ET AL., SCIENCE ADVANCES, 19 JUIN Pour Yves Lévy, directeur de l’Inserm, les avancées de la médecine bouleversent l’administration du soin et l’organisation du système de santé. Ces mutations représentent de nouveaux enjeux pour la France Six défis collectifs pour la biomédecine du XXIe siècle | I l aurait été impossible de prédire, voilà cinquante ans, les défis relevés et les progrès réalisés aujourd’hui en sciences de la vie et de la santé. Chercheurs, médecins, acteurs de santé et patients, nous avons vécu une transformation radicale des méthodes et des concepts en biomédecine. Cette révolution scientifique et technologique a peu de précédents. Alors que le séquençage d’un génome humain aura nécessité dix ans et coûté plus de 2,4 milliards de dollars (2,15 milliards d’euros), il est désormais possible de séquencer en routine, en quelques heures, la partie codante du génome pour moins de 1 000 euros. En parallèle, les données accumulées massivement sur les systèmes biologiques permettent de modéliser le vivant. Les méthodes d’intégration de ces données, ainsi que notre capacité à les analyser et modéliser, modifient aujourd’hui la conception des principes actifs des médicaments, la prédiction grâce à l’informatique des réponses aux drogues, le « screening » de molécules, et, au-delà, le vaste champ de la biologie de synthèse. La reprogrammation des cellules différenciées en cellules-souches pouvant donner tous types de cellules représente aussi une avancée majeure. Plus récemment, la technologie Crispr/ Cas9 ouvre la porte à l’« editing » du génome – c’est-à-dire sa modification. Si ces transformations touchent aux gènes codant pour les cellules sexuelles, il devient alors possible de transmettre des caractères modifiés à la descendance. D’où le cri d’alarme pour un moratoire lancé par plusieurs scientifiques, dont le Prix Nobel David Baltimore. Cet exemple illustre bien que la technologie a été plus rapide que notre capacité à réfléchir et à encadrer les limites éthiques de ces nouvelles approches. Ces avancées dessinent une médecine d’un genre très différent de celle qui nous était familière : une médecine alimentée par la recherche fondamentale, multidisciplinaire et translationnelle ; une médecine prédictive et régénérative ; une médecine de précision, mini-invasive et à haut ciblage ; une médecine dépendante de la gestion intelligente des données massives (big data) ; une médecine embarquée et téléportée, « e-médecine » qui intègre les avancées du numérique et de la robotique ; une médecine mondialisée enfin, qui doit sans cesse s’adapter. Pour le patient, ces évolutions engendrent la mise en place d’une médecine individualisée, tribune | dite aussi personnalisée ou de précision. On le voit avec les progrès considérables réalisés en oncologie : chaque tumeur a sa propre signature. Cela modifie d’ores et déjà notre définition du risque, du diagnostic et du traitement de la maladie. Ces mutations en cours bouleversent l’administration du soin et l’organisation du système de santé. Elles posent un certain nombre de défis transversaux pour la France. Renforcer le lien entre recherches fondamentale et translationnelle La division entre recherches fondamentale et appliquée est définitivement artificielle. La médecine translationnelle n’est pas un continuum linéaire allant de la bonne idée abstraite en laboratoire à l’application concrète au lit du patient, mais plutôt dépendante d’allers et retours, empruntant parfois des chemins de traverse, ou pouvant conduire à des impasses. Cette nouvelle donne pose la question de la prise de risque nécessaire dans le financement de cette recherche. Développer les infrastructures d’analyse des données (big data) En santé publique, l’analyse des données personnelles est au cœur du parcours de soins et de prévention. C’est un enjeu fort de la loi de santé, avec la mise en place du système national des données de santé (SNDS). A cela s’ajoutent la gestion des informations numériques de natures diverses (échantillons de tissus biologiques, imagerie, cohortes) et des données privées issues de multiples capteurs de bien-être utilisés par une population de plus en plus connectée et attentive à sa santé. Permettre l’accélération de la chaîne d’innovation Dans cette nouvelle biomédecine, une stratégie de santé passe par la reconnaissance de la complexité et de l’autonomie de l’innovation. La confusion entre politique de recherche et développement (R&D) et innovation peut être problématique : il n’existe pas de lien mécanique entre l’investissement dans la R&D et une efficacité en termes de retombées innovantes. Plutôt que de tirer au maximum la recherche vers son volet finalisé, il faut surtout financer une bonne recherche en créant les conditions opportunes d’innovation et de valorisation. A mélanger les deux, nous risquons de sacrifier des recherches de rupture à plus long terme, sans pour autant créer les vrais leviers pour innover à court terme. Inventer un nouveau modèle économique et partenarial aux interfaces public-privé La médecine est partagée entre recherche académique et partenaires industriels, sachant qu’un tissu industriel solide est indispensable à la maturation de l’invention puis à sa mise sur le marché. L’innovation provient de plus en plus de petites biotechs ou start-up, créées à partir de la recherche académique, reprises par l’industrie. S’y ajoutent les industriels des données, car le domaine de la santé ne sera plus la seule affaire des acteurs du médicament, du diagnostic, du dispositif ou de l’instrumentation. Repenser les mécanismes d’évaluation et d’estimation du prix de l’innovation en santé Il est nécessaire de garantir un équilibre entre les économies à court terme pour l’assurancemaladie d’une part, et la reconnaissance du progrès lié à un nouveau médicament d’autre part. L’émergence de la médecine de précision pose avec acuité le problème de l’évaluation de l’innovation. On va traiter des sous-types de pathologies et des sous-familles de malades, avec des bénéfices restreints sur des populations restreintes : comment assume-t-on les coûts de l’innovation jusqu’au terme de son parcours ? Et qui décide du bénéfice ? Garantir le passage de la recherche vers la clinique puis l’égalité d’accès à l’innovation Les approches thérapeutiques les plus prometteuses devront être testées dans des essais pilotes avant d’être étendues à une population plus large. Il devient illusoire d’organiser des essais cliniques de phase III (sur des milliers de patients) pour des cibles à faible démographie. La capacité d’innovation implique le développement d’essais adaptatifs pour juger du bénéfice potentiel d’un nouveau traitement. Dès lors, il convient de repenser la manière d’approuver la mise sur le marché de médicaments innovants, peut-être en conditionnant leur mise à disposition et leur remboursement à l’accumulation des données, de sorte que le soin puisse rester alimenté par la recherche. Les immenses espoirs soulevés par la biomédecine émergente créent des attentes que nous ne pouvons décevoir. Une réflexion collective, large, intégrant tous les acteurs, est plus que jamais nécessaire pour transformer nos progrès en une réalité partagée par tous, et pour garantir les avancées de nos connaissances. p ¶ Yves Lévy, PDG de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr