Tourisme littéraire et l`espace urbain français Le rapport des

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Tourisme littéraire et l`espace urbain français Le rapport des
Tourisme littéraire et l'espace urbain français
Le rapport des écrivains à l'architecture
conférence
Charlie Mansfield
Festival de l’histoire de l’art
INHA Château de Fontainebleau
Date/year: 1st – 3rd June 2012
Contact: charlie.mansfield@plymouth.ac.uk
The Service and Enterprise Research Centre (SERC) carries out world leading
research in the fields of services and enterprise, and their applications across
a range of public, private, voluntary and community sectors. The aim of SERC
is to provide research, consultancy and advice regarding a wide range of
service operations, marketing, enterprise, innovation, and impact issues
affecting small, medium and large businesses, organisations and agencies.
Tourisme littéraire et l'espace
urbain français
Le rapport des écrivains à l'architecture
conférence
M. Charlie MANSFIELD
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Université de Plymouth
C. Mansfield
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le 3 juin 2012
Festival de l’histoire de l’art
1er-3 juin 2012
INHA Château de Fontainebleau
conférence : École des Mines, bâtiment I, salle 108, dimanche 3 juin 2012 10h-11h
Titre : Tourisme littéraire et l'espace urbain français - Le rapport des écrivains à l'architecture
Auteur : M. Charlie Mansfield, maître de conférences, l'École de tourisme, patrimoine,
hôtellerie et des langues vivantes, l'Université de Plymouth au Devon, Royaume Uni,
courriel c.mansfield@plymouth.ac.uk
invité de : Florence Buttay [florence.buttay [à] inha.fr]
Coordinatrice scientifique
Festival de l'Histoire de l'Art
Institut national d'histoire de l'art (INHA)
2, rue Vivienne
75002 Paris
De l'auteur en première personne
Je m'appelle Charles MANSFIELD. Je suis maître de conférences à l'université de Plymouth
au Devon, Royaume Uni. Mes recherches doctorales abordent l'espace urbain. J'ai publié un
livre sur Paris et ses écrivains-voyageurs ainsi qu'un recueil des communications sur le récit
et le patrimoine architectural. Mon travail doctoral conçoit le tourisme littéraire comme un
sujet scientifique.
Mes collègues et moi, dans notre département à la faculté, enseignent à 150 (cent cinquante)
étudiants qui préparent leur licence (BAC + 3 ou 4) en gestion de tourisme international.
Aussi, nous recevons 25 (vingt-cinq) étudiants post-licence chaque année, principalement de
Chine, pour un Master de science en gestion du tourisme. Comme langues vivantes, nous
enseignons le français et l'espagnol.
Au Devon nous sommes bien placés pour étudier les villes balnéaires de la Bretagne et du
Finistère. Chaque octobre j'emmène un groupe de 50 (cinquante) étudiants par ferry pour
examiner le développement urbain à Roscoff, Morlaix et Saint-Pol-de-Léon. Pour ma part,
c'est la destination de Concarneau qui m'intéresse le plus, même si c'est un long trajet à
travers le Finistère. Dix heures en train et en autobus de Roscoff la dernière fois ! Je
comprends un peu les sentiments de Gustave Flaubert quand il a traversé la Bretagne pour
son travail pour Par les champs et les grèves (Voyage en Bretagne), 1886, et je suis aussi
resté à l'Hôtel de Grands Voyageurs à Concarneau, comme lui.
Mais pour moi, c'est le roman policier de Georges SIMENON qui m'attire vers cette petite
ville inconnue. Voici le roman … ce n'est pas Le Guide Vert !
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Introduction
Cette citation de Marcel Proust parle d'un auteur favori du narrateur, qui s'appelle Bergotte,
dans À la recherche du temps perdu. Ces recherches utilisent l'idée, que les lecteurs d'un
roman ont un accès spécial à l'architecture de sites touristiques; un accès qui est bien
différente de celle fournie par les guides et la commercialisation. De plus, cette
communication propose qu'un type de création artistique ait lieu comme si le lecteurvoyageur voulait retrouver le « double » dans son imagination.
Aller aux Champs-Élysées me fut insupportable. Si seulement Bergotte les eût décrits dans un
de ses livres, sans doute j’aurais désiré de les connaître, comme toutes les choses dont on avait
commencé par mettre le «double» dans mon imagination. Elle les réchauffait, les faisait vivre,
leur donnait une personnalité, et je voulais les retrouver dans la réalité
Marcel Proust À la Recherche p.386
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Figure 1 Concarneau en 2010 pendant de mes recherches sur le terrain, photographie: C. MANSFIELD
Ces recherches examinent la ville de Concarneau, qui se dévoile au commissaire Maigret, au
fur et à mesure de son enquête dans le roman Le Chien jaune de Georges Simenon. Par le
prisme du roman policier et à travers les théories post-constructivistes d’Edgar Morin, nous
tenterons de démontrer le rôle de l’enquête sur le terrain dans l’appréhension de l’espace
urbain et notamment de sa dimension patrimoniale. Quels sont les mécanismes littéraires qui
engagent le lecteur à devenir touriste et à voyager sur les traces de son héros ? Comment une
œuvre de fiction du domaine de la littérature parvient-elle à créer l'engouement pour tel ou tel
monument au point de voir sa fréquentation augmenter et ce parfois de manière considérable ?
Cet exposé cherche également à démontrer que cette quête de Maigret autour des rues et des
bâtiments donne des allures pittoresques à l'architecture de la ville, que s’empressent de
rechercher les touristes littéraires. On retrouve également le même phénomène à Londres
avec les lecteurs de Charles Dickens, qui tentent de remonter la piste et d'inscrire leurs pas
dans ceux d'Oliver Twist. Par ce jeu de piste entre auteur et lecteur, Simenon donne ainsi un
sens à l'architecture de l'Hôtel de l’Amiral.
L'Architecture et Concarneau
À Concarneau, la principale architecture patrimoniale, de cette petite ville en bord de mer,
située dans le département du Finistère, est l’îlot fortifié au cœur de la cité, qui s'appelle La
Ville close Le système de défense, à l'origine du treizième siècle a été amélioré au dixseptième siècle par Vauban (1633-1707). C'est à Vauban qui a également fait la conception
de la citadelle de Lille et la modernisation du système bastionné. Mais voici la description de
la Ville Close de Concarneau que donne Le Guide Vert, célèbre guide touristique :
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Ses ruelles occupent un îlot de forme irrégulière, long de trois cent cinquante mètres et large de
cent mètres, relié à la terre par deux petits ponts que sépare un ouvrage fortifié. D'épais
remparts, élevés au quatorzième siècle et complétés au dix-septième siècle, en font le tour. Des
meurtrières s'offrent de nombreuses vues de la ville.
Michelin 2011
Par le biais de cet exposé nous essaierons de montrer que ce n’est pas seulement la fonction
initiale et la simple esthétique d'un bâtiment qui enjoint le visiteur à l'apprécier mais
également le travail de l'écrivain; parce que ce travail fait appel à l’imaginaire et attise la
curiosité de son lecteur.
Figure 2 Guide touristique et la réalité – L'horloge et le beffroi sont ajoutés en 1906.
Photographie : C. Mansfield juin 2010
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L'Histoire du tourisme littéraire urbain
Cette attrait touristique provoqué par l'engouement pour le travail d'un écrivain est de longue
date ; dès le Moyen Âge, le genre théâtral des mystères, mettant en scène des légendes dont
l'imagination et la croyance populaire s'étaient nourries, ont attiré des visiteurs et des
participants en grand nombre. Graeme Small dans Late Medieval France (2009, p.181)
indique que la ville de Lille mettait en scène deux ou trois mystères par an dans le
quatorzième siècle. L'écrivain de mystères, Simon Gréban a attiré 500 participants et encore
plus de visiteurs pour sa représentation du Mystère des Actes des Apôtres à l'hôtel des
Flandres à Paris en 1541 (mille cinq cent quarante et un). Enfin, c'est Gabriella Parussa qui
donne un contexte pour le théâtre urbain :
[…] la grande époque du théâtre urbain […] se situe à la fin du Moyen Âge et au tout début de
la Renaissance.
[…] l'on joue le plus souvent sur la place publique, voire à l'intérieure, dans les grandes salles
des palais ou dans les couvents et monastères.
Cette représentation était donc destinée à un public large ; aussi bien aux nobles qu'aux
bourgeois de la ville, à tous ceux qui avaient les moyens de payer une entrée ; […] c'étaient les
notables de la ville […] qui jouaient les personnages du mystère. […] [Les] mystères [sont] vite
devenus un moyen de communication privilégié pour les autorités, un médium, dirait-on
aujourd'hui, apte à assurer la cohésion d'une collectivité et à lui faire partager les mêmes idéaux,
les mêmes croyances.
(Gabriella Parussa, La Farce de Maître Pathelin 2008, pp.89-92)
Mais la grande révolution a lieu à partir de la Renaissance avec l'invention de l'imprimerie, la
diffusion du livre et l'augmentation du taux d'alphabétisation qui mettent à portée de tous le
genre romanesque.
Une Méthodologie qui abord les discours du tourisme
On peut dire que l'intrigue de la pièce rend l'espace, et le lieu fictif (l'enfer par exemple)
compréhensibles et sans danger. Les rues et l'architecture d'une ville inconnue dans le roman
Le Chien jaune de Simenon gagnent le même effet. Cependant, quand nous comparons le
texte du roman avec le Guide vert nous voyons une différence saisissante. Lequel de ces
deux textes possède le plus grand pouvoir de prescription (ici, dans le sens de 'donner envie
de visiter') ? Quel est celui qui aura le plus d’impact sur le lecteur au point de le transformer
en touriste admirateur d’art ? Essayons d’analyser plus finement ces deux textes, d'après la
méthodologie de Gustave Lanson (1857-1934) en faisant des lectures détaillées et
minutieuses d'extraits.
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Figure 3 L'architecture patrimonial dans La Ville Close de Concarneau, Finistère. Photographies : C.
Mansfield, juin 2010.
Georges Simenon, l'écrivain populaire, regarde les bâtiments fortifiés dans son roman policier
mais ne les décrit pas de manière dithyrambique afin de susciter l'attrait, de manière exagérée
comme Le Guide Vert. Pour lui, au moins au cœur de l'histoire, les ruelles évoquent la peur :
Maigret traversa le pont-levis, franchit la ligne des remparts, s'engagea dans une rue
irrégulière et mal éclairée. Ce que les Concarnois appellent la ville close, c'est-à-dire le vieux
quartier encore entouré de ses murailles, est une des parties les plus populeuses de la cité.
Et pourtant, alors que le commissaire avançait, il pénétrait dans une zone de silence de plus en
plus équivoque, Le silence d'une foule qu'hypnotise un spectacle et qui frémit, qui a peur ou
qui s'impatiente.
Simenon, Le Chien jaune, p.57
La description est loin d’être alléchante à des fins de campagne publicitaire que promouvrait
l’Office de tourisme. Cependant, si on y regarde de plus près, on constate que Simenon
travaille à la manière de Simon Gréban afin de susciter mystère et crainte que le lecteur
devenu visiteur cherchera à dissiper en se rendant sur place. Le héros, Maigret, se déplace
furtivement dans les venelles mal éclairées de l’îlot fortifié de Vauban. Il est en quête de la
résolution de l'intrigue. Furtivement ? Mais est-ce que le Commissaire Maigret est un
personnage 'furtif' ? Pas vraiment, après tout, 'il franchit la ligne des remparts' (p.57). Et ils
sont ces mêmes remparts adaptés comme fortifications. Voici un homme qui agit comme un
vrai héros autour de cette architecture militaire du dix-septième siècle, mais ses actes sont
cachés subtilement dans le récit. Par exemple, comme il rassemble ses faits dans l'affaire
criminelle, il ne contourne pas les bassins du vieux port, qui entravent son progrès 'mais [il
traverse] une parties du port dans le bac qui fait la navette entre le passage et la vieille ville'
(p.89). C'est un acte en même temps militaire, et touristique. Touristique, parce que le petit
bac est toujours en service aujourd'hui. Il fournit un chemin d'évasion de l'île minuscule à
son point le plus à l'est.
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Figure 4 Le petit bac de la Ville close de Concarneau part pour le Quai des Seychelles, Kerancalvez. juin
2010, photographie C Mansfield
Plus tard, pendant que Concarneau dort, Maigret longe la côte pour trouver l'angle précis où
un homme avait été blessé plus tôt dans le récit (p.140). Il faut comprendre le plan aérien de
la ville et de la petite péninsule (en utilisant Google Maps à http://g.co/maps/br7g2) pour voir
pourquoi 'Il ne prit pas à travers la ville' (p.140).
Pendant que les autres, les citadins, mêmes les journalistes de Paris, restent sédentaires, le
Commissaire est toujours en déplacement. C'est un homme qui a un objectif. Dans ce point,
il faut introduire un champ de théorie de l'étude du tourisme, développé par Richard Ladwein
(Ladwein 2003b), après Merleau-Ponty, parce que le tourisme, comme le roman policier, est
une fantaisie aussi. Pour Ladwein, la ville touristique est une fantaisie qu'on consomme,
quand il propose :
[L]a ville est un champ de contraintes qui structure un réseau et qui s'oppose à la gourmandise
du touriste qui souhaite l'absorber. Si la déambulation bénéfice d'un certain nombre de degrés
de liberté, les rues sont avant tout des parois opaques, pas toujours linéaires, qui ne permettent
de prévoir que de manière très limitée l'expérience déambulatoire.
(Ladwein 2002, 86)
Chaque objectif de notre héros, Maigret, l'amène en contact avec les lieux dans l'espace
urbain et ces bâtiments. Son contact avec ces lieux troublés peut les rendre calmes, voir, par
exemple, son chapitre 'Tout était calme'. Cependant, les baies du café de l'Amiral qui sont
encore éclairées troublent 'la paix de la nuit de leur halo vénéneux' (p.140). Ici le discours
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des journalistes contraste fortement avec l'air de Maigret dans leur description de l'espace
urbain:
'[…] On ne sait plus qui soupçonner. Les gens, dans les rues, se regardent avec angoisse.'
(p.140)
Par sa marche à pied, son mobilité, le héros franchit les parois opaques de la ville médiévale ;
comment vainc-il le serpent vénéneux de rumeur dans le bâtiment, la forteresse principale où
il se loge ? C'est ici que l'intérieur et le toit de l'Hôtel de l'Amiral devient le vrai monument
de l'engouement pour le lecteur-visiteur. Plusieurs péripéties se déroulent aux abords de ce
bâtiment qui aujourd'hui encore révèle son style des années vingt. Juste au-dessus de la
grande porte on peut discerner l’inscription GD HOTEL, un témoin de pierre de son passé,
(voir Figure au-dessous).
Figure 5 Façade de l'Amiral en juin 2010, Concarneau, photographie C. Mansfield.
Dans le roman ces trois châssis de fenêtre en arc deviennent partie de l'action :
Quai de l’Aiguillon, il n’y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les
trois fenêtres de l’Hôtel de l’Amiral, à l’angle de la place et du quai, sont encore éclairées.
Elles n’ont pas de volets mais, à travers les vitraux verdâtres, c’est à peine si on devine des
silhouettes. Et ces gens attardés au café, le douanier de garde les envie, blotti dans la guérite, à
moins de cent mètres.
Simenon, Le Chien jaune p.7
Pourtant, sur la Base Mérimée, l'Hôtel de l’Amiral n'est pas un des sept immeubles protégés
au titre des Monuments Historiques à Concarneau. Comment Simenon s’en sert-il pour
déployer l’atmosphère sombre de son roman ? Et pourquoi cette atmosphère intéresse-t-elle
les touristes littéraires ? Michel Sirvent explique : 'Le roman noir a bien pour fonction de
révéler l'envers du décor, la corruption et les abus qu'abrite le théâtre des institutions.'
(Sirvent 2000, 83). C'est à l'Amiral que le Commissaire Maigret rencontre toute cette
corruption dans les personnages qui représentent les hommes les plus aisés de la ville
provinciale. Sa position de pouvoir comme commissaire lui donne accès à tout le monde,
n'importe quel niveau de la société. Lentement, ses enquêtes révèlent cet envers du décor. Le
bâtiment de l'hôtel lui-même représente cette société avec une façade et un envers, une
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intérieure. Dans la scène de l'ouverture le douanier de garde ne peut pas pénétrer à l'intérieur
de l'hôtel, c'est un lieu réservé pour les gens à l'aise ou en vacances. Cependant, Maigret peut
passer entre l'extérieur et l'intérieur. Plus tard, bien sûr, les journalistes de Paris peuvent
accéder à ce lieu. Cependant, Maigret peut aller plus haut.
Une topographie verticale contre les labyrinthes urbains
En fait, pour Maigret, l'Hôtel de l'Amiral donne deux opportunités à dépasser la foule de
journalistes. Premièrement, il loue une chambre dans l'hôtel, et ce bâtiment devient une
demeure, sa propre demeure. Sa chambre devient son vrai espace quotidien où il se sent si
sûr qu'il peut se raser le matin. Et dans une scène cruciale il s'élève encore plus haut mais je
ne gâcherai pas l'histoire pour vous.
Retournons plutôt, au lieu de cela, à la scène du rasage. Simenon présente son personnage
comme homme en vacances dans sa chambre « avec vue ». Parce qu'il reste au premier étage
du bâtiment, Maigret peut surveiller les citadins pendant les jours de marché. Sa position
d'en haut aussi lui donne un vue incomparable sur la structure du labyrinthe urbain.
Richard Ladwein écrit sur le sujet du labyrinthe et du tourisme urbain pour les DMO :
Une autre application concerne la programmation de labyrinthes urbains, dans le cadre de la
gestion des flux touristiques. En tenant compte de la structure du labyrinthe urbain et des
contraintes qu’il impose, mais aussi des événements esthétiques qui le jalonnent, il est possible
d’optimiser l’organisation de circuits touristiques de manière à minimiser les efforts à produire.
Indirectement, de telles investigations conduisent à réorganiser la configuration des contraintes
imposées par le labyrinthe urbain en identifiant par exemple les espaces de la ville les plus
propices à être transformés en zones piétonnes ou en zones touristiques ou commerciales.
(Ladwein 2003a, 280)
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Figure 6 Elle existe encore ; mais la ruelle est maintenant une zone touristique. Photographie : C.
Mansfield 2010.
Pour Ladwein, la ville inconnue peut être rendu plus attractive pour les consommateurs grâce
à une structuration qui favorise un accès spécifique au visiteur. Ses propres recherches
(Ladwein 2003b) s'intéressent aux pratiques d'exploration de villes inconnues, à partir d'une
approche phénoménologique, qui cerne les 'caractéristiques significatives de la manière dont
les consommateurs mettent en œuvre l'expérience touristique' (Ladwein 2003b, 85). Sa
phrase, 'une ville inconnue', se répercute dans le travail du théoricien littéraire, Antoine
Compagnon, qui écrit sur Proust et À La Recherche du temps perdu :
Comment s'oriente-t-on dans la littérature ? Comment s'y reconnaît-on ? Telles sont quelquesunes des questions qu'on s'est posées à propos de la Recherche, et elles nous ont conduit à la
notion de reconnaissance, si importante pour la mémoire, pour la littérature, pour la poétique en
général, et en particulier pour le roman de Proust. Cette métaphore ou ce modèle du roman
comme paysage, comme territoire dont nous prenons possession par la marche, renvoie à toute
une phénoménologie de la lecture. Durant les trente ou cinquante premières pages d'un roman,
le lecteur est égaré et il éprouve habituellement un trouble. Il manque de repères, ignore où il va,
se demande quoi attendre. Puis le monde du roman lui devient plus familier : le lecteur
construit un modèle d'attente que la progression dans l'intrigue confirme ou corrige ; il se sent
de plus en plus chez soi. Mais l'expérience initiale et vaguement inquiétante — un sentiment de
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désorientation, de perte de repères, peut-être d'anxiété, comme on avance avec précaution dans
une maison plongée dans l'obscurité, ou dans une ville inconnue
— est précieuse. Et c'est cette expérience même que le début de la Recherche thématise à
travers le défilé des chambres.
(Compagnon 2006: 798)
Simenon, même s'il partage avec ses lecteurs la vue de Maigret qui commence à clarifier la
scène, les plonge encore dans un sentiment de désorientation et de perte de repères. Après
tout, l'intrigue grandit toujours, nous ne sommes pas à la fin du conte. Simenon envoie
Maigret à pied en dehors de la sécurité de l'hôtel pour déambule dans la ville, sur les traces du
chien jaune du titre du roman. Est-ce que le chien file la même proie que le commissaire ?
Compagnon retourne à ce thème dans son suivant, son cinquième cours :
5. Roman et paysage (19 décembre 2006, 2e heure)
Un roman est comme une ville inconnue dans laquelle je déambule. Nous prenons connaissance
de la littérature, d'un roman en particulier, en marchant, comme dans une ville où on est arrivé
de nuit. Le bon lecteur est celui qui a du nez, tel un chien de chasse reniflant les indices et filant
sa proie. Ce rapprochement conduit à préciser, d'une part, la perception de l'espace qui est celle
de Proust, et, d'autre part le rôle qu'il attribue à la mémoire dans l'expérience de la lecture, ou
dans la phénoménologie de la réception, comme on dit aujourd'hui.
(Compagnon 2006: 798)
Figure 7 Quai d'Aiguillon, 29900 Concarneau. Photographie : C.Mansfield 2010.
Le vocabulaire qu'on emploie pour comprendre les lieux d'une ville
Martinez (2011) examine le vocabulaire qu'on emploie pour décrire une ville dans les guides
de tourisme du 19ème et 20ème siècles. Il détermine, en utilisant la statistique textuelle, les
formes lexicales élémentaires qui constituent le vocabulaire pour la représentation de l’espace
urbain dans deux guides touristiques : le Guide Diamant de 1873 et le Guide Bleu de 1956,
tous les deux chez Hachette.
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Martinez explique (2011, 20) 'Cette inflation montre que l’exploration piétonne est de plus
en plus encouragée dans le texte des guides' :
En 1873 :
En 1956 :
traverse, franchit, prend, sort, passe, laisse, arrive, reprend,
franchit, passe, traverse,
bifurque, atteint, continue, monte, franchissant, croise,
croise, suit, descend, remonte,
arrivant, continuant, traversant, quitte, sortant, regagne et
entrer, atteint, quitte et sort
remonter
Martinez (2011, 20)
Rentrons maintenant à la description que donne Le Guide Vert de Concarneau, d'aujourd'hui,
et en particulier regardons la grammaire de ces deux phrases :
Ses ruelles occupent un îlot de forme irrégulière, […]
Des meurtrières s'offrent de nombreuses vues de la ville.
Michelin 2011
Ici, les ruelles sont le sujet du verbe, et dans la deuxième phrase, les meurtrières sont le sujet.
Donc, pour Le Guide Vert toute l'agence humaine est enlevée de la ville. Le Guide ne conte
pas une histoire avec des personnages. Dans un contraste fort, le pronom « on » est utilisé
par l'auteur littéraire, Simenon, comme son narrateur, décrit la première scène du port de
pêche de Concarneau :
Concarneau est désert. L’horloge lumineuse de la vieille ville, qu'on aperçoit au-dessus des
remparts, marque onze heures moins cinq.
Le vent s’engouffre dans les rues, où l'on voit parfois des bouts de papier filer à toute allure au
ras du sol.
[…] Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules, les trois fenêtres de l’Hôtel de l’Amiral, à
l'angle de la place et du quai, sont encore éclairées.
Elles n’ont pas de volets mais, à travers les vitraux verdâtres, c’est à peine si on devine des
silhouettes.
[...]
Même de loin, on sent qu’il est tout guilleret, mal assuré sur ses jambes et qu’il fredonne.
(Simenon 1932, 7)
Aux lecteurs français ceci indique une présence personnelle qui présente la scène, comme 'on'.
Cette scène du Chien jaune montre les caractéristiques filmiques de l'écriture de Simenon.
Cette analyse montre que le narrateur littéraire, à la différence 'du narrateur' du guide
touristique, ne se concentre pas sur une seule structure monumentale. Tout à fait à l'opposé, le
narrateur de Simenon se sert d'un point de vue mobile, plutôt comme la caméra après les
coupes du processus d'édition. Le narrateur peut se déplacer aisément du détail de gros plan
extrême, de l'expression sur le visage du douanier de garde aux vues éloignées, par exemple,
le pont vide du caboteur. De nouveau, d'une façon filmique, les sons peuvent être distingués
comme si en gros plan, bien que 'il y ait le vacarme continu' de la tempête, qui noie tous les
autres sons. Une autre différence entre le guide et le roman policier est que le narrateur
littéraire permet la description de mouvement. Bien que cette scène, à la première lecture,
semble comme un tableau statique, le mouvement exigé pour voir le clocher illuminé audessus des remparts et le dépistage de l'homme qui quitte l'hôtel signifie qu'il ne peut pas être
reproduit dans la photographie fixe comme dans l'image prise du travail de terrain, ni sur les
couvertures des éditions du roman au cours des années.
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En effet, dans ma recherche de terrain, un des buts était de définir exactement la position du
narrateur dans les scènes clés, particulièrement la scène où le premier crime déconcertant a
lieu. C'est quelque-chose qui fait le touriste littéraire depuis l'âge romantique – trouver le
point précis – les anglais Lord Byron, Mary Shelley, John Keats and Percy Bysshe Shelley
ont voyagé à Lac Léman pour voir les lieux où Julie passe son temps avec son amant, SaintPreux, dans le roman Julie, ou la nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau. Mary Shelley
écrit dans ses Journaux, 'We went again to the bosquet de Julie, and found that the precise
spot was now utterly obliterated' (cited in Watson 2006, 142). En effet, Watson théorise la
psychologie du lecteur devenu touriste :
[In his letters] St Preux vividly delineates a mentality common to the reader-tourist, who
typically suffers from a desire to be included within or to experience first-hand the fiction, but,
invisible, unnecessary, and secondary to the fiction, he or she is forever doomed to frustration.
(Watson 2006, 137)
[Dans ses lettres] St. Preux trace d'une façon éclatante une mentalité commune au touristelecteur, qui souffre typiquement d'un désir à être inclus dans ou éprouver de première main la
fiction, mais, invisible, inutile et secondaire à la fiction, il ou elle est pour toujours condamnée
à la frustration.
Comme on se rapproche de l'endroit exacte de la scène dans le Chien jaune le tangible et
l'intangible se séparent. Il est impossible de réparer un point où tous les aspects de la scène
pourraient être témoignés. Sûrement, l'embrasure où le premier crime est commis doit être 'un
endroit exact'. Maigret y réfléchit lui-même dans le roman Félicie est là (1943), en effet c'est
la pierre parée du patrimoine architecturale qui prête le poids à la mémoire de Maigret au
seuil d'un magasin pendant une reconstruction. À Concarneau, en 2010 en conversation avec
la propriétaire d'un fleuriste près du Bar d'Amiral, elle suggère qu'elle peut être à côté du
seuil exact où le crime a lieu. Oui, il y a vraiment le nombre exact d'étapes de perron comme
dans le roman. Cependant, la femme de la maison, interrogée, n'avait aucune connaissance du
crime. Bien sûr, c'est fictif, pourquoi devrait-elle ?
Les couches de culture
Shelagh Squire (1994, 106-7) utilise ' les Circuits de la Culture ' de R Johnson (1986, 284)
pour analyser le tourisme littéraire. Elle explique comment l'auteur littéraire rend public les
pensées intérieures en publiant les romans. La consommation du roman par ses lecteurs les
rend privé de nouveau. Ce processus de décoder, retourner l'objet culturel dans la vie
quotidienne du lecteur. Le circuit est achevé si les lecteurs produisent alors un objet culturel
eux-mêmes, par exemple, un nouveau texte pour la consommation par le public ; et en
tourisme cela inclut les brochures. Maintenant, si on ajoute le temps aux Circuits de Johnson,
comme une dimension supplémentaire, la métaphore qui apparaît est une série de circuits aux
couches les unes liées aux autres.
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Œuvres
culturelles.
Textes.
Architectures.
LE LECTEUR
Expérience
vécue.
L'ECRIVAIN
Figure 8 Simplifié après Johnson 1986
Figure 9 Les barils au Quai Russe à Concarneau de 1904. Photographie : C. Mansfield 2010.
Dans la même manière que les bâtiments changent leur usage pendant des années ces autres
artefacts culturels, les textes, sont déposés dans des couches. La prochaine génération de
lecteurs les consomme et, à son propre tour écrit les nouveaux textes pour décrire la ville.
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Concarneau a une histoire, des histoires.
l'imaginaire des touristes :
Voici une liste des discours qui alimente
2010 Laissez-vous conter Concarneau : Ville d'Art et d'Histoire
2008 Schéma Finistère.
1990 à aujourd'hui Festival du Polar
1932 Simenon, Georges (1932) Le Chien jaune Paris, Fayard.
1900 Marcel Proust Jean Santeuil partie Beg-Meil p.375 1895-1900
1886 Gustave Flaubert (1821-1880) Par les champs et par les grèves (voyage en Bretagne).
Charpentier, Paris. Date d'édition : 1886 page 122
Ces recherches prennent en considération tous ces documents parce que c'est dans le langage
depuis les siècles que nous créons la ville et décidons quels bâtiments ont de la beauté. C'est
un des rôles des chercheurs scientifiques de décrypter les histoires de chaque couche pour
révéler si quelque-chose s'est perdu pendant les siècles.
Figure 10 Concarneau comme espace touristique. Photographies : C. Mansfield 2010.
Ces discours autorisent les pratiques sociales d'un espace urbain. Ils déterminent comment les
bâtiments peuvent être utilisés. D'après mes analyses on voit que même un seul auteur
change la manière dont les visiteurs regardent et jouissent de l'architecture de Concarneau.
Michel Monereau, directeur de la licence professionnelle tourisme, dit que la source du
pouvoir est la maîtrise (Monereau 2008, 14), de plus il continue :
[…] l'individu ne subit pas passivement son environnement mais essaye d'en tirer le meilleur
parti. Ainsi, […] le pouvoir d'un individu dépend plus de sa faculté à réduire l'incertitude de
son environnement […]
(Monereau 2008,14)
Comme on développe des espaces touristiques en ville par de nouvelles constructions ou
même en écrivant des histoires, le chercheur y cherche l'anxiété et la réduction de l'incertitude.
Si on a l'habileté, comme Simenon, on crée le mystère initial et le résout ensuite, enlevant
l'incertitude.
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