crèche - Le Ravi
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crèche - Le Ravi
n° 100 octobre 2012 Cahier spécial Les sans toit donnent de la voix crèche rue dans la Un cahier spécial écrit pour et par les sans-domicile de la boutique Solidarité de la fondation Abbé Pierre à Marseille, pour quoi faire ? Cracher sa hargne, se raviser, raconter quelques « brèves de trottoirs » ou aborder des sujets de fond pour que les sans-toit donnent enfin de la voix… U n autre monde. Passer le tunnel de Saint-Charles. Continuer sur le boulevard National. Au coin d’une rue, un bar. Celui du « nouveau monde ». Rue Loubon, un autre monde. Celui de la boutique Solidarité de la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés. Il est à peine neuf heures qu’ils sont déjà une petite dizaine à attendre devant les grilles. Pas de signe d’impatience, même si la cigarette grillée est rarement la première de la journée. Mais déjà, pour certains, des signes de fatigue. La France qui se lève tôt est aussi celle qui, parfois, couche dehors. Quand on est sans-abri, le temps, même s’il est aussi poisseux que le goudron d’un boulevard en travaux, est compté. La grille s’ouvre sur une cour ombragée. Quelques tables et des chaises qui, pour l’instant, ne trouvent pas preneur. Il est neuf heures, c’est l’heure du café. De la douche aussi. Et déjà, des démarches administratives. Domiciliation. Aide médicale d’Etat. Appeler la CAF. Contacter une assistante sociale. Se trouver un toit. Et, en attendant, se retrouver. A la boutique Solidarité, la Fondation Abbé Pierre accueille chaque jour jusqu’à deux cents personnes que la nov-langue médiatico-politique tente, tant bien que mal, de cacher derrière un sigle. S.D.F. Trois petites lettres qui appellent le traitement statistique et déshumanisé lorsqu’il s’agit de compter, indécrottable marronnier hivernal, les morts de la rue. Ça permet de se donner bonne conscience et d’oublier qu’ils ont un nom, un prénom, une histoire. Loin de vouloir jouer les Réverbères, à l’occasion de son centième numéro et du centenaire de l’abbé Pierre, le Ravi, le mensuel satirique et d’enquête de la région Paca, a décidé de crécher dans la rue. Pour que les sans-toit donnent de la voix. Pas facile, malgré tout, de prendre la parole quand on ne vous la donne jamais. Et encore plus de prendre la plume quand les seuls écrits qu’on vous réclame doivent respecter les canons administratifs de ces justificatifs qui vous font rentrer dans des cases à défaut de vous permettre de ne pas dormir à la rue. Pourtant, lorsque les résidents de la boutique Solidarité ont eu vent du projet porté par la fondation Abbé Pierre et le mensuel qui ne baisse jamais les bras, les idées ont fusé. Les foyers, l’affaire Merah, la propreté toute relative de la ville de Marseille, la corruption… Petit à petit, de rencontres en discussions et de cafés en cigarettes, un journal s’est dessiné, des articles ont pris forme. Mettre des mots sur des maux et un nom sur des silhouettes que l’on feint trop souvent de ne pas voir. Cracher sa hargne et puis, se raviser. Aller un peu plus loin. Aller derrière, au-delà, là où, d’ordinaire, personne ne va. Et, à l’occasion, ciseler, parfois, quelques « brèves de trottoir », l’humour étant, comme chacun le sait, « la politesse du désespoir ». Il faut dire qu’en face, ils en ont à revendre, de l’humour. A commencer par le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, capable de réclamer, sans rire, 38 euros à des types qui ont l’outrecuidance de faire la manche pour se payer une nuit dans un foyer où il faut planquer ses pompes sous l’oreiller si on veut les retrouver le lendemain. Comme il l’avait dit, en 2001 : « Le Marseille populaire, ce n’est pas le Marseille maghrébin, ce n’est pas le Marseille comorien. Le centre a été envahi par la population étrangère, les Marseillais sont partis. Moi je rénove, je lutte contre les marchands de sommeil et je fais revenir des habitants qui payent des impôts. » ‘‘ Petit à petit, de rencontres en discussions et de cafés en cigarettes, un journal s’est dessiné, des articles ont pris forme. ’’ La gauche n’est pas en reste, celle qui veut rétablir l’eau et l’électricité aux Roms en attendant de pouvoir les expulser « dans la dignité ». Ne faut-il d’ailleurs pas avoir un sens aigu de l’ironie pour être mis en examen à cause d’une gestion très particulière d’un office HLM dans une région où le logement social est à la traîne et les familles jetées par dizaines à la rue ? Certes, le « changement, c’est maintenant ». N’est-ce pas une élue marseillaise, Marie-Arlette Carlotti, qui, non contente d’être en charge au gouvernement des personnes handicapées, va devoir s’atteler à « la grande exclusion » ? En attendant, avec ce hors-série écrit par et pour les sans-abris de la boutique Solidarité, la fondation Abbé Pierre va pouvoir mettre le souk à la Fiesta des Suds. Et, pour la journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre, rappeler au locataire de l’hôtel de ville que s’ils avaient 38 euros en poche, les sans-abris ne perdraient pas leur temps à taper la manche en centre-ville. Quant au Ravi, à l’occasion du lancement de sa nouvelle formule, dans un paysage médiatique où tous les journaux sont à la rue, obligeant les patrons de presse à tendre leur sébile, il sait qu’au moins, chez les SDF, ce hors-série va faire un carton. Sébastien Boistel II le Ravi n°100 - cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue L’exclusion, un handicap ? Ce fut une des surprises du gouvernement Hollande : MarieArlette Carlotti nommée ministre en charge des questions de handicap ! Et, pour avoir réussi à faire mordre la poussière à Renaud Muselier lors des dernières législatives, la pasionaria anti-guériniste s’est vu récompenser en ayant, en sus, pour mission de s’occuper de la grande exclusion. Elle planche en ce moment sur un plan quinquennal de lutte contre l’exclusion qu’elle devrait présenter le 17 octobre, lors de la journée mondiale du refus de la misère. A la boutique Solidarité, on oscille entre ironie mordante et colère lasse. Parce que l’exclusion, Régis, Tony et Sébastien, ils connaissent bien. Le handicap aussi. Le premier claudique en béquille : « Mes hanches, c’est comme Robocop, c’est que de la ferraille. » Le second a une jambe en moins et traîne sa carcasse dans la fournaise marseillaise en fauteuil roulant. Quant au troisième, non content d’être manchot, il a vu la porte d’un bus se refermer méchamment sur sa cheville gauche. Résultat : une belle entorse. « A la Conception, ils voulaient me garder en observation trois jours mais je me suis barré avant pour aller voir l’OM. Eh ouais mon pote, c’est la reprise du championnat ! J’allais pas louper ça… » « Mes hanches, c’est comme Robocop » Reste que Sébastien l’a mauvaise. Comme Tony, il vient de se faire virer d’un foyer. « Tout ça parce que j’ai porté plainte pour m’être fait voler mon portable ! Ceux qui n’ont pas de papier peuvent faire tout ce qu’ils veulent et nous, dès qu’on ouvre notre gueule, on se fait refouler », tonne-t-il. Alors Abdel explose : « C’est du racisme, ça ! Attaque-toi au système plutôt qu’à ceux qui n’ont pas de papier ! Tu sais pourquoi ils te virent, toi ou Tony ? Parce que vous êtes handicapés. Et vous savez pourquoi ils ne veulent plus de vous ? Parce que s’il fallait vous accueillir, il faudrait tout remettre aux normes ! Ils veulent vous parquer entre Histoires En tout cas, il n’a pas échappé à Régis, qu’une élue marseillaise soit en charge des questions de handicap et d’exclusion ne manque pas de piquant. « Ça me rappelle qu’un collectif s’était mis en tête de cartographier la ville et d’apprécier, rue par rue, toutes les difficultés rencontrées par un handicapé. La hauteur des trottoirs, les voitures garées, la signalétique… Je ne sais pas où ils en sont. Je ne sais même pas s’ils ont fini.» Fraudeur par nécessité de casquettes Dans la rue, une casquette, ça sert à tout. Celle de Guillaume, un forain venu du nord, quoique griffée, a l’air trop petite. C’est la mode, paraît-il. A moins qu’il ne la prête au fils de sa compagne qui, du haut de ses deux ans, l’appelle déjà « papa ». Quant à celle de Miguel, on peut y lire le prénom de l’actuel président des Etats-Unis. Alors on n’a pas pu faire autrement que de lui demander si c’était un acte politique. « Pourquoi je porte une vous, dans des structures spécialisées. Alors qu’il faudrait qu’on soit tous ensemble, valides et handicapés. Ça ferait du bien à tout le monde. A vous, ça vous permettrait d’oublier, un peu, votre handicap. Et à nous, ça nous remettrait à notre place. » Abdel sait de quoi il parle : il a une fille de trente ans, handicapée, elle aussi. casquette Obama ? Parce que l’association qui me l’a donnée n’en avait plus que deux. Une des Yankees, délavée. Et celle-là, en bon état. Si je porte une casquette, c’est donc avant tout pour me protéger du soleil. Et qu’il y ait marqué dessus « Obama » ne me dérange pas. Bien sûr, si cela avait été une casquette « Sarkozy », je ne l’aurais peut-être pas mise. Et j’aurais plutôt choisi celle des Yankees. » « A Aubagne, l’ensemble des transports publics est gratuit pour tout le monde. C’était aussi une promesse de Michel Vauzelle lors des élections régionales. Mais, en attendant, alors que je suis au RSA et ayant droit, normalement, à un pass pour voyager gratuitement, je vais devoir attendre cette carte pendant, au minimum, trois mois. Tout ça parce que j’ai changé d’arrondissement et qu’il n’y a pas eu de transfert de mon dossier. On est fiché de partout, les autorités, les services sociaux peuvent, instantanément, savoir qui on est, combien on gagne mais dès qu’on veut faire valoir ses droits, il suffit de changer d’arrondissement pour que ça coince ! Quand j’ai demandé comment j’allais faire, on m’a dit que ce n’était ni automatique ni obligatoire. Cette carte, c’est un peu comme si on me faisait une fleur. Alors que c’est un droit ! Et, en attendant, je suis obligé de frauder. Il faut bien que je me déplace, ne serait-ce que pour mes démarches ou pour trouver un emploi. Sinon, qu’est-ce que je vais faire ? Rester cloîtré dans mon appartement, à entendre les scooters tourner toute la nuit, les coups de feu, à voir des voitures brûler ? En tout cas, je n’ai pas de quoi payer un ticket de bus. Pour l’instant, je suis passé entre les gouttes. Mais jusqu’à quand ? » Eric, « anonyme parmi les anonymes » Quand logement rime avec détournement n° 100 octobre 2012 100ème numéro 9ème année 28 pages 3,40 € le Ravi crèche dans la rue ! Un cahier spécial de huit pages écrit pour et par les sans domiciles. Pour que les sans toit donnent de la voix…. Médias Pressés comme des citrons LA GROSSE ENQUÊTE Soumis aux pressions économiques et politiques, les journalistes sont au bord de la crise nerf… Enquête. p.10 CARICATURES p. 6 FAVORITISME AU CG 13 ? Bouches-du-Rhône. Le marché de la maintenance des collèges, tenu par quelques entreprises, fait l’objet de soupçons de favoritisme. p. 9 LA GRANDE TCHATCHE Jean-Claude Chauvin. Le changement c’est maintenant ! Comme les ministres du gouvernement en pèlerinage à l’université d’été du Medef, le Ravi a invité pour débattre Jean-Claude Chauvin, le patron des patrons des Bouches-du-Rhône. p. 15 CONTRÔLE TECHNIQUE Carpentras (84). Notre grand reporter a testé le conseil municipal où la gauche reste divisée sur les terres qu’a conquise Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, la nouvelle députée d’extrême droite du Vaucluse. p. 23 GERMINAL Seyne-sur-Mer (83). C’est le nom des tours du quartier Berthe qui doivent être détruites l’an prochain. Un reportage dessiné d’Eric Ferrier. p. 24 Barcode EAN.UCC-13 Par defaut: Quand on est à la rue, s’il est un sujet sensible, c’est bien la question du logement ! Certes, comme l’explique Steven, « le logement, ce n’est pas tout. Si tu n’as pas de travail, pas de relation sociale, à rester enfermé tout seul, tu finis par exploser ». Reste que, dans une ville comme Marseille où il y a, au moins, 30 000 logements vacants, les sans-abris ont vraiment du mal à avaler qu’au fond, logement rime avec détournement. auprès de 13 Habitat et six fois de suite, mon dossier a été retoqué. Alors que l’on m’avait dit qu’il était prioritaire ! Alors quand je vois l’affaire Guérini, quand je vois Habitat Marseille Provence, ça me dégoûte ! Les logements ne sont pas attribués à ceux qui en ont le plus besoin. Rendez-vous compte, des membres du grand banditisme ont eu droit à des appartements aux Catalans pour une bouchée de pain ! C’est quoi ça, sinon un système mafieux ? » Pascale, par exemple, a une dent contre Guérini mais aussi contre Muselier. Les noms de ces deux élus célèbres ont été récemment cités dans des histoires d’abus de biens sociaux avec, au cœur, la gestion très particulière d’offices HLM, « 13 Habitat » pour le président du conseil général des Bouches-du-Rhône et « Habitat Marseille Provence », l’office de la ville de Marseille, pour l’ex-égérie de la droite phocéenne. Excessive, Pascale ? Peut-être. Il faut dire que, sous antidépresseur, elle ne dort qu’en prenant des somnifères. « Tout simplement parce que je suis SDF. Je vis et je mange dans la rue. Je n’ai aucune activité professionnelle. Et le soir, avec mon compagnon, on dort dans un squat, au milieu des souris, des rats et des cafards. Pour vivre, je n’ai que l’ASS, l’allocation spécifique de solidarité. A peine plus que le RSA… » Alors, quand elle a su que le Ravi traînait ses guêtres de l’autre côté du tunnel Saint-Charles, sur la liste des thématiques que les personnes qui fréquentent la boutique Solidarité souhaitaient aborder, elle en a ajouté une : « Le système Guérini et la mafia. » 3 782887 103407 sans barres de garde: En kiosque tous les 1er vendredis du mois 3 782887 103407 texte en haut: 3 782887 103407 « Ça me dégoûte ! » Or, raconte cette Bretonne au cheveu aussi court que blond, depuis 2008, « je suis passée six fois en commission d’attribution L’hôpital, et ses fantômes le Ravi n°100 cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue « III Je suis allé voir le service d’insertion, d’aide et d’orientation et ils m’ont dit qu’il était possible d’avoir un hébergement d’ici… 4 mois ! Je ne vais pas rester 4 mois en foyer ! On est neuf par dortoir ! Et pourtant, à 58 ans, j’ai tout connu. J’ai vécu à l’hôtel, en foyer. J’ai eu droit à une chambre de stabilisation. Et j’ai même été en CHRS, un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. On peut en théorie y rester six mois, avec un renouvellement possible, mais je n’y suis resté que trois mois : on me demandait de mettre de l’argent de côté pour trouver un appartement. Mais mettre de l’argent de côté, ce n’est pas vraiment dans ma nature... Je viens de revenir sur Marseille. Mais je suis loin d’être… ravi ! Les structures d’hébergement sont toutes saturées. Alors, j’ai eu l’idée d’aller dormir à l’hôpital de la Timone. Comment j’ai fait ? Je me suis mis dans leur peau ! Je savais qu’ils faisaient des rondes et qu’ils allaient vérifier que les portes soient bien fermées. Je me suis donc rendu dans un service de consultations – comme ça, je savais que j’allais être tranquille le week-end - et je me suis enfermé dans les toilettes où j’ai tenté, comme j’ai pu, de dormir. J’ai tenu trois jours. Le troisième, j’ai commis l’imprudence de m’installer sur la banquette d’une salle d’attente. Le vigile m’a trouvé et m’a mis dehors, un dimanche soir à 23 heures. Pour protester, j’ai trouvé une couverture et j’ai dormi devant les grilles de l’hôpital. Peu après, j’ai su qu’ils avaient été squattés et qu’il y avait eu du bazar. « On est neuf par dortoir ! » Je savais que j’aurais pu aller aux urgences de la Conception mais j’ai décidé de faire le 115. Et depuis, je dors à « Forbin », comme on dit, c’est-à-dire au foyer Saint-Jean de Dieu. Tu arrives en milieu d’après-midi, tu t’inscris, on t’attribue un lit, des draps, tu déposes tes affaires à la bagagerie, tu manges à 18 heures et tu dors… comme tu peux. Le matin, le petit déjeuner est à 6 h 30 et tu peux partir vers 8 heures. Et tu peux rester… tant que tu payes. C’est 50 centimes la nuit et les trois premières, c’est gratuit. Mais moi, j’ai pas l’intention de m’éterniser. Tout en restant dans le sud, je vais essayer de trouver un endroit où les structures sont moins saturées. Parce que les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône, c’est mort. C’est politique bien sûr. Non seulement, les structures d’accueil d’urgence sont saturées mais il n’y a plus d’intermédiaire entre l’hébergement d’urgence et l’accès à un logement pérenne. Regardez le logement social. Normalement, les grandes villes sont censées en proposer au moins 20 %. Celles qui le font sont rares. Il suffit de regarder de quelle couleur politique est la mairie pour savoir s’il y aura ou non du logement social. Je ne vais pas vous donner le nom du parti qui ne respecte jamais cette règle. Juste ses initiales : U.M.P… » Michel, « Société en Difficulté Financière » « Si j’avais 38 euros en poche, je ne ferais pas la manche » Yussif Haruna, 26 ans, originaire du Ghana, est arrivé à Marseille il y a peu. Et pour vivre, il fait la manche. Pourquoi avoir quitté le Ghana ? C’est une longue histoire. Une histoire triste. J’ai 26 ans mais j’ai déjà perdu presque toute ma famille. Mon père est mort quand j’avais cinq ans. Après son décès, ma mère, sa quatrième épouse, n’a jamais été vraiment acceptée par le reste de la famille. Malgré tout, elle nous a élevés, moi et ma petit sœur, du mieux qu’elle l’a pu. Mais, il y a quelques années, elle est morte, elle aussi. Je n’avais donc pas d’autre choix que de quitter mon pays. Je n’ai même pas fini l’école. Avant d’arriver à Marseille, par où êtes-vous passé ? J’ai vécu quelques années dans le nord de l’Italie où j’ai travaillé pour une entreprise qui installait l’air conditionné dans les navires. Et puis, avec la « crise, je me suis retrouvé au chômage. Là, j’ai été confronté au racisme. On me disait qu’en Italie, on n’avait pas besoin de noirs. Alors, même si je n’avais qu’un visa de tourisme, j’ai décidé d’aller en France où j’ai atterri à Marseille. De quoi vivez-vous ? Comme tout le monde, j’aimerais travailler. Ou faire du foot, ayant été goal pendant plusieurs années. Mais je n’ai pas d’autre choix que de mendier. Et croyez-moi, c’est tout sauf facile. J’ai toutes les peines du monde à réunir les cinquante centimes qui me permettent de me payer une nuit en foyer. Il m’arrive de traverser la moitié de la ville pour réunir cette somme. Saviez-vous que la ville de Marseille a pris un arrêté anti-mendicité qui punit de 38 euros d’amende toute personne qui fait la manche en centre-ville ? Non, je l’ignorais. Comme je me tiens à carreau et que j’essaye de ne pas me faire remarquer, je n’ai pas attiré l’attention de la police. Mais cet arrêté, c’est totalement absurde. Si j’avais 38 euros en poche, je ne ferais pas la manche. Si j’avais 38 euros, j’arriverais à me loger, à manger. Et peutêtre que j’arriverais à envoyer de l’argent à ma petite sœur qui, elle, est restée au Ghana. Le 17 octobre prochain, la fondation Abbé Pierre et Emmaüs manifesteront devant l’hôtel de ville contre cet arrêté. Participerezvous à cette manifestation ? Si je suis encore sur Marseille, évidemment. A la CAF avec Kafka Vous vous rappelez, le mec qu’on a retrouvé mort, cet hiver, dans une cabine téléphonique ? Ce type-là, je le connaissais. Il était loin d’être con. Simplement, à un moment, il a lâché prise. Et quand vous êtes sur un toboggan, vous ne pouvez pas faire autre chose que glisser. Parce que, lorsqu’on est à la rue, il y a la détresse physique, psychique et morale, bien sûr, mais s’ajoutent les lourdeurs administratives auxquelles vous êtes confronté. Il y a un mois et demi, j’ai signalé à la CAF un changement de domiciliation. Au guichet, la personne m’a dit que c’était bon, que mon changement était enregistré. Mais comme je n’avais pas mes papiers d’identité, elle ne l’a pas fait et a enclenché une enquête sur moi. Ça, je ne l’ai su qu’après. Car, suite à la suspension de mon RSA, j’attendais du courrier et j’étais surpris de ne rien recevoir. C’est en voyant qu’il était envoyé à mon ancienne adresse que j’ai décidé de retourner à la CAF. Et j’ai appris que tant que l’enquête à mon sujet n’était pas terminée, mon changement de domiciliation ne serait pas pris en compte ! Il va donc falloir, pour faire valoir mes droits, que je prouve que le problème vient de la CAF… C’est du délire : par le passé, j’ai vu mon dossier de contrat d’insertion, un dossier de près d’une dizaine de pages, renvoyé tout simplement parce que mon assistante sociale avait oublié de cocher une case. UNE case ! Sans parler du langage administratif ou de l’obligation de raconter encore et toujours son histoire, de présenter des justificatifs… Comme si on avait besoin de ça quand, chaque jour, on ne sait ni ce qu’on va manger ni où on va dormir. Je comprends que certains baissent les bras et n’attendent qu’une chose : l’ouverture du Lidl pour se payer un litron de mauvais vin et se trouver un banc pour picoler et faire la manche. J’en vois tous les jours, des gens qui lâchent prise. En foyer, on trouve même d’anciens chefs d’entreprise ! Moi aussi, avant, avec mon costard, je passais devant les gens qui mendiaient en faisant semblant de ne pas les voir. J’avais envie de les prendre par les épaules et de les secouer. Alors, quand je me suis retrouvé dans leur situation, je n’avais ni gobelet, ni chapeau. Juste une sacoche avec un carton sur lequel j’avais marqué : « ‘‘Ça n’arrive pas qu’aux autres’’… » Arnaud, 48 ans Le regard des autres Arnaud, entre deux batailles avec la Caf, interpelle les journalistes : « On ne vit qu’à travers et en fonction du regard des autres. Or, nous avons tous été témoin un jour de la présence d’un homme ou d’une femme assis dans la rue et demandant d’une manière plus ou moins directe une « petite pièce » pour pouvoir vivre, manger… Quelle est la réaction de chacun face à cette présence ? Et surtout, comment les médias retranscrivent-ils le pourquoi, le comment et l’avenir de cette personne en détresse ? Pour avoir vécu cette expérience, je me suis rendu compte qu’il n’y avait, au final, pas de règles. En revanche, télés, radios et journaux nous montrent souvent le parcours chaotique de cet individu en occultant le fait qu’on ne choisit pas forcément son destin. Alors, mesdames et messieurs les journalistes, faites en sorte que le regard des gens soit différent, que le regard des autres soit plus tolérant à la vue de cette personne que nous pouvons croiser à tout moment et qui pourrait être n’importe quel d’entre nous. » A. IV le Ravi n°100 - cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue le Ravi n°100 cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue V VI le Ravi n°100 - cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue Aux Baumettes La télé en prison, c’est un sujet explosif. Il suffit de voir les batailles menées pour qu’elle y ait droit de cité ou, plus récemment, pour sa gratuité (lire le Ravi 92). Mais, on peut finir derrière les barreaux à cause d’elle ! Comme Hassan qui vient de sortir des Baumettes après y avoir passé quelques mois. « C’est la TNT qui m’a conduit en prison. Un matin, mon récepteur crame. Alors je suis allé m’en acheter un autre. Mais, en arrivant au centre commercial, je me suis pris la tête avec un vigile qui me suivait comme si j’étais un voleur. Pour un coup de tête, j’ai pris huit mois. Plus trois d’une précédente condamnation. Bourré, j’avais foncé en vélo sur des gendarmes… » Ce n’est pas la première fois qu’Hassan passe par la case « prison ». Reste que, pour lui, les Baumettes ça a été un choc. « Vingt ans auparavant, j’avais fait deux séjours à Fleury. Symboliquement, làbas, quand t’arrivais, on te donnait un sac-poubelle pour tes ordures. Aux Baumettes, tes déchets, tu les jettes par la fenêtre. C’est dégueulasse. Y’a des rats de trois kilos. Des cafards partout. Les murs suintent d’humidité. Et on te colle à trois par cellule. Pour que les autres circulent, il faut qu’il y en ait un qui reste sur sa paillasse. » « J’ai côtoyé des tueurs » D’où des tensions. Alors, très rapidement, Hassan demande à travailler. « J’ai eu une place au bout de deux mois. Je faisais des portefeuilles et des ceintures. Payé, bien entendu, une misère, à peine 200 euros par mois. » Puis, il passe « auxi », ces détenus en charge du nettoyage. « Là, t’as du bizness. Je n’ai fait ça qu’un mois. C’est trop tendu comme place. Parce qu’en prison, tout rentre, tout passe. La drogue, les portables. A l’intérieur, ce n’est pas des billets de dix euros que tu vois circuler mais de cinquante ou cent. Moi-même j’échangeais les médocs qu’on me donnait à l’infirmerie pour me payer mes cigarettes. Et, heureusement, ma famille m’envoyait de temps en temps un mandat. Ça me permettait de cantiner et de manger autre chose que ce qui fait office de nourriture derrière les barreaux. » Et la rénovation des Baumettes ? Hassan éclate de rire : « La seule chose qu’ils veulent rénover, c’est le bâtiment qu’ils font visiter aux ministres. Ce qu’il faut faire, c’est raser pour reconstruire. Ou, à la limite, conserver les anciens bâtiments pour en faire un musée. » Au-delà, il a un regard très sombre sur la politique carcérale. « On y envoie tout et n’importe quoi. Huit mois pour un coup de boule ! Le pire, c’est que là-bas, tout le monde est mélangé. J’ai côtoyé des tueurs, des trafiquants qui géraient leurs affaires depuis leur cellule. Résultat, en sortant de prison, tu te retrouves avec un réseau qu’il suffit d’activer. Mais moi, à quarante piges, je n’ai pas l’intention de replonger. » En passant par la case « prison », il a « tout perdu » : « Mon appart’, mon chat, mon RSA. Je galère même pour avoir la sécu ! » Mais pas question pour lui d’aller dans un foyer. « Choper des poux et se faire piquer ses pompes, merci bien ! Je préfère dormir à la belle étoile. Suffit de se trouver un coin tranquille. Bon, y’a les rats bien sûr. Mais, dans la rue, c’est pas les rats qui t’emmerdent. C’est l’homme. » D’ailleurs, la dernière fois que j’ai discuté avec quelqu’un dans un bar, il m’a dit que ça lui avait fait plaisir de croiser un Anglais à Marseille… » En attendant, à la boutique Solidarité, où Gheorghe joue les bénévoles, les pompiers viennent de débarquer. Une jeune Rom, enceinte de quatre mois et après trois fausses couches, se plaignait, ce matin-là, de fortes douleurs au ventre. Sans parler de son hyper-tension pour laquelle elle a un traitement mais qu’elle ne prend pas toujours parce qu’il faut manger pour supporter ces cachets. Elle finira aux urgences gynécologiques. On est au pays des droits de l’homme, quand même… Roms arrangés Au pays des droits de l’homme, les Roms n’ont pas bonne presse. A la boutique Solidarité, même si on en voit passer quelques-uns, le sujet est délicat. Et ça, Gheorghe, 19 ans, l’a bien compris. Cela fait quelques jours qu’il est arrivé à Marseille pour rejoindre son père, présent depuis dix ans en France. « Je viens de Moldavie et j’ai vécu près de dix ans en Roumanie. Mais je ne le clame pas sur tous les toits parce que je sais qu’ici, quand on vient de Roumanie, on est mal vu. » La faute à qui ? « Aux Roms, bien sûr. Ils vivent dans des camps de fortune, ils ne font rien de la journée, à part mendier et voler. Je suis le premier à dire que tout le monde a le droit de tenter sa chance ailleurs – je ne suis pas venu en France pour autre chose - mais là, c’est trop. D’autant que, Les 400 coups « La délinquance, tu tombes dedans parce que tu vois les gens autour de toi gagner beaucoup d’argent facilement et parce que, toi aussi, tu veux ta part du gâteau. Mais moi, c’était aussi pour vivre, tout simplement. A l’âge de huit ans, j’ai vu mes parents se séparer. Alors, pour ramener de l’argent à la maison, j’ai fait les 400 coups. J’ai volé, j’ai vendu du shit, comme ça se fait dans tous les quartiers. Contrairement à certains de mes amis qui, eux, ont continué dans cette voie et ont fini en prison, passant leur vie à y entrer et à en sortir, moi, à 17 ans, j’ai décidé d’en finir avec ça. Je me suis retrouvé dans un foyer d’insertion et j’ai obtenu un diplôme de peintre en bâtiment. J’ai commencé à gagner ma vie honnêtement. Mais ce n’est pas toujours facile. D’ailleurs, j’ai quitté ma région d’origine parce qu’il n’y avait plus de boulot pour venir ici, à Marseille. Dans cette ville, on entend sans cesse parler de délinquance, d’insécurité. Sous Sarkozy, pour n’importe quoi, tu finissais derrière les barreaux. Espérons que les choses vont changer même si je n’y crois pas trop. Marseille vient d’être désignée comme « zone prioritaire » en matière de sécurité et les caméras de vidéo-surveillance se multiplient. Pas n’importe où. Pas dans les quartiers Nord mais, comme par hasard, dans le centre ville… Il y a une exploitation politique de la délinquance. Or, c’est une réponse politique qu’il faut apporter aux gens pour éviter qu’ils ne tombent dedans ou pour qu’ils s’en sortent. Une réponse politique. Et donc sociale. Plutôt que de mettre davantage de policiers sur le terrain, ce qui risque d’envenimer les choses, mieux vaudrait multiplier les structures pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin. » Youssef, 30 ans, bénévole à la boutique solidarité derrière ces camps et cette misère, il y a souvent des réseaux mafieux. » Ce jeune qui a fait du théâtre et qui aimerait faire des études de psychologie n’est donc pas surpris que, dans le sillage de la droite, la gauche, elle aussi, joue du charter et du bulldozer. « Même si je ne parle pas bien français, heureusement, je me débrouille bien en anglais. Sans papiers Il a beau venir de Vierzon, tout le monde l’appelle « Cheyenne ». La coupe y est pour beaucoup. « Et puis, ça fait chienne de vie ou vie de chien », sourit-il. Se nichant dans un coin, il nous montre sa dernière trouvaille : un ordinateur portable qu’il a déniché pour 25 euros à Emmaüs. Et dans sa poche, un autre trésor : un téléphone, lui aussi, portable, qui lui permettra d’appeler Jenny, celle qui lui a offert cette peluche qui ne le quitte jamais, Gizmo, comme la boule de poil dans Gremlins. « On s’est rencontré il y a maintenant dix ans. C’était dans la rue. Je lui ai demandé une cigarette. On a parlé. On a sympathisé. Et j’ai compris que je voulais faire ma vie avec elle. » Et qu’importe si Jenny est, comme il le dit avec pudeur, « une T.R.A.N.S ». Ils auraient voulu se marier, avec la bénédiction, sinon du maire, du moins de leurs amis. Sauf qu’un matin, quelques jours après que Jenny ait offert pour (ni frontière) son anniversaire la peluche qui ne quitte plus Cheyenne depuis sept ans, elle a croisé, au pied de son appartement, une brigade de la PAF. « Son titre de séjour avait expiré il y a deux semaines. C’était un dimanche. Elle allait s’en occuper le lendemain. Les policiers n’ont rien voulu savoir. Ils lui ont dit qu’ils allaient la raccompagner chez elle. J’ai dit que je m’en occupais. Ils m’ont répondu que chez elle, ça voulait dire au Mexique. Mes poings se sont serrés. Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas que je finisse en prison. Ils lui ont passé les menottes, comme si c’était une criminelle. » Il aurait voulu se faire expulser avec elle. « J’ai essayé de faire croire que j’avais des faux papiers. Mais les flics ont vérifié. «Pour un clandestin, t’es bien français», m’ont-ils dit. » Cheyenne aura fait plusieurs tentatives de suicide et plusieurs séjours en psychiatrie. Depuis, ça va mieux. Mais il n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi la France expulse à tour de bras : « Comme si, quand on a trouvé le bonheur, il fallait le trouver ailleurs, avec quelqu’un qui a les bons papiers, la bonne couleur. C’est à croire que la police ou la justice n’aiment pas les gens heureux. » Un de ses amis, lui, a vu trois de ses compagnes se faire expulser. « Lui, contrairement à moi, il ne s’est pas raté. » Alors, aujourd’hui, il veut quitter « ce pays de merde ». « Je ne suis plus sous tutelle. Et, avec l’argent économisé pendant toutes ses années, je vais pouvoir me faire faire un passeport et me payer un aller simple pour le Mexique. » En attendant, un magazine de tatouages entre les mains, il hésite, ne sachant lesquels choisir pour dire que Jenny, il l’a dans la peau. « Je ne parle pas espagnol. Elle m’apprendra. Et là-bas, même à la rue, ça ira. Son corps sera mon toit. » Lesn’aiment sans-abris pas les cartons En 2006, Nicolas Sarkozy avait promis qu’il n’y aurait « plus de SDF dehors d’ici deux ans ». Encore une promesse non tenue ! D’ailleurs, l’an dernier, c’est la France elle-même qui a organisé la coupe du monde de football des sans-abris, ouvrant le Stade de France à ceux qui, d’ordinaire, n’y ont jamais accès (sans parler de ceux qui se sont retrouvés à la rue suite à sa construction…) Cette année, la 9ème édition de la « Homeless Worldcup » se déroulera au Mexique. Et cet été, une demi-dizaine de sans-abris de la boutique Solidarité de la Fondation Abbé Pierre a participé aux sélections. Dans un coin, sur les fauteuils, Steven, 28 ans, soigne son genou sous le regard de Nourdine, 26 ans, ses jambes ayant gardé, elles aussi, quelques traces d’un week-end footballistique, du côté de Montpellier. « On a gagné deux matchs sur les sept que l’on a disputés. Pour des personnes sans préparation et qui ne se connaissaient pas avant, on s’est plutôt pas mal démerdé, sourit Steven. En plus, on n’avait même pas une équipe complète. Pour aligner sept joueurs, il a fallu qu’on en « emprunte » deux aux autres équipes. Et puis, on avait parmi nous une jeune femme qui s’est distinguée en attrapant la balle… avec les mains ! » « On ne demande qu’à être exploité ! » Originaire de l’Île Maurice, Steven, lui, a tâté du ballon rond dès sa plus tendre enfance. Il a même joué en club. Comme Nourdine, originaire, lui, de Tizi Ouzou en Kabylie. « Moi, je suis presque né avec un ballon dans les pieds », plaisante-t-il. C’est au cours d’une petite dizaine de matchs se jouant à sept contre sept sur un quart de terrain avec des mi-temps de dix minutes qu’ils ont fait connaissance. A l’issue du tournoi organisé à Montpellier à la mi-juillet, ils sauront s’ils font ou non partie de la quinzaine de joueurs qui grimpera à Paris pour l’ultime phase de sélection où sept joueurs seront retenus pour constituer cette équipe de France dont les ressources flirtent plus avec les minima sociaux qu’avec l’ISF. Amoureux du ballon rond, ils n’en gardent pas moins un regard critique sur une discipline « où l’argent pourrit tout ». « Les clubs, ce sont des sociétés privées qui peuvent faire ce qu’elles veulent mais des salaires de 300 000 euros par mois, des joueurs achetés plusieurs millions, c’est vrai que c’est hallucinant », reconnaissent-ils. Si Nourdine n’a jamais eu l’occasion de mettre les pieds au stade Vélodrome, Steven, lui, a eu le privilège de voir sur le terrain Manchester United. « En Angleterre, ce n’est plus du sport, c’est du Cuisiner... C’est déjà résister business. Dans certaines villes, tout tourne autour du foot. Il n’y a qu’à voir les boutiques autour des stades mais aussi les sponsors, la médiatisation… » le Ravi n°100 cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue RENDEZ-VOUS EN TERRES COMMUNES Un peu comme Marseille, non ? De fait, les deux ne sont pas particulièrement fans de l’OM : « Ce qu’on aime, avant tout, c’est le foot. On n’est pas attaché à une équipe en particulier », confessent-ils. Ce n’est pas pour l’argent qu’on participe à cette compétition. C’est avant tout par amour du jeu. De toute manière, on n’est pas payés ! » Un comble pour une manifestation qui coûte plus d’un million d’euros, une somme qui, d’après le collectif des morts de la rue, permettrait d’héberger, avec un accompagnement social, une soixantaine de personnes pendant un an ! Semaine thématique autour du Web Documentaire « Terres Communes » d’Emmanuel Vigier « La vie, la rue, la mort... Terres Communes est un web-documentaire d’Emmanuel Vigier consacré à un mouvement de solidarité singulier. A Marseille et à Paris, des citoyens, regroupés en collectifs, accompagnent des gens de la rue jusque dans la mort. » Du 20 au 24 octobre à Marseille, 4 soirées pour échanger autour des questions développées par le web-doc : la solidarité, l’entraide, la mémoire, l’exclusion... SAM. 20 OCT. – 19H — Friche Ia Belle de Mai (salle 2w4) Nourdine et Steven ne font pas de plan sur la comète. « S’il y a des débouchés, on n’est pas contre. Et puis, ce n’est pas parce qu’un club a des gros moyens ou qu’un joueur gagne plusieurs centaines de milliers d’euros par mois qu’ils ne peuvent pas épauler des SDF. Après tout, nous, on a beau être des personnes à la rue, on ne demande qu’une chose : à être exploités ! » C’est peutêtre pour ça qu’après quelques hésitations, ils acceptent de faire apparaître leur nom. « C’est pour la famille », corrige Steven de Chasteigner Tyack. Nourdine Mohammedi opine du chef : « Ça leur fera plaisir, c’est sûr. Et puis, on ne sait jamais… » Terres communes en mots : lecture des textes d’Annie Ernaux LUN. 22 OCT. – 18 H — Friche la Belle de Mai (salle 2w4) Exercice de la solidarité : plateau radio en direct et en public sur Radio Grenouille. Diffusion de deux courts métrages : Ici et Ernest MAR. 23 OCT. – 18 H — Friche la Belle de Mai (salle 2w4) Médecine et exclusion : plateau radio en direct et en public sur Grenouille MER. 24 OCT – 20 H — Cinéma L’Alhambra Terres Communes : projection du Web-doc et échanges sur la réalisation avec Emmanuel Vigier et toute la semaine, des propositions sur radiogrenouille.com et chez-albert.fr Une proposition de Zinc, les Films du Tambour de Soie, Radio Grenouille, Chez Albert, en partenariat avec le Ravi et le cinéma L’Alhambra, avec le soutien de l’IPM et de SFT INFOS : www.zinclafriche.org / www.radiogrenouille.com WEB-doc : www.terrescommunes.fr Lettre de démotivation Kamal est l’un des rares sans-abris à avoir pris la plume directement. En ces temps où, pour trouver du boulot, il faut savoir ciseler un CV, voilà sa lettre de démotivation. Originaire d’Alsace et ayant toujours vécu « entouré » de mes parents (bien que mon père soit décédé depuis plusieurs années), à quarante ans, sans domicile –je suis néanmoins logé dans une « chambrette » sans confort dans un « hôtel meublé »- je n’ai jamais anticipé les différentes difficultés somme toute « normales » auxquelles j’ai été confronté. Jamais, au grand jamais, un projet d’avenir concernant ma future vie professionnelle n’a germé dans mon esprit d’enfant. Ajoutez à cela des contacts humains difficiles : manque d’intérêt pour autrui, expression minimale de mes désirs, envie d’entrer en contact avec mes congénères restreinte voire inexistante… Comprenez donc qu’à notre époque où le moindre « job » nécessite des qualifications (non possédées), je me suis « marginalisé » au lieu de m’ouvrir au monde, ce qui aurait peut-être suscité un intérêt et, qui sait, peut-être une vision positive de l’existence, ce que je n’ai plus actuellement. Alors, à quarante ans passés et plus de la moitié de ma vie derrière moi, sans emploi, sans logement, l’espoir n’est plus trop permis. Depuis cinq ou six ans, littéralement arraché à mon ancienne vie, j’erre dans les rue de Marseille sans but ni raison. Un genre d’«attente morbide», non pas dû à une déprime quelconque mais plus à ce que je qualifierais de lucidité. Fils d’ouvrier et d’une mère au foyer, aîné d’une fratrie de huit enfants, mon destin ne s’annonçait pas forcément tragique. D’après les choix ou pas que j’ai pu faire (refus de scolarité, délinquance, toxicomanie, incarcération…), la vie est ce qu’elle est aujourd’hui. Aurait-elle vraiment pu être meilleure ? Pas sûr. Et pas sûr que cela m’intéresse. Heureusement que l’être humain est doté de la capacité de réflexion. Mais ne nous engageons pas sur le chemin de la philosophie : un luxe dans ma situation. Kamal Une recette corsée : le SDF melba « Pour certains, l’euthanasie, ça devrait être obligatoire », crache Eric, en voyant déambuler un de ses compagnons d’infortune. Il se targue de dire « tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Alors, on propose à ce cuistot corse de régler définitivement le problème des sansabris. Comme le satiriste irlandais Jonathan Swift qui, dans sa « modeste contribution pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents et de leur pays », invitait les classes populaires à bouffer leurs gosses, on lui demande une recette corsée pour faire passer les SDF à la casserole. Prenez un sans-abri. Qu’importe l’origine. Seul compte l’âge et qu’il ait passé une bonne partie de ses journées à marcher et de ses nuits à appeler le 115. Les pattes seront musclées et la viande, un peu sèche, n’en sera que meilleure. Rasez-le, lavez-le. Sachez qu’on peut le faire à la boutique Solidarité (1). Tuez-le. Ou attendez qu’il trépasse de « mort naturelle » - vers 44 ans pour une femme, 56 ans pour un homme (2) - ou qu’il se suicide. Récupérez le corps avant les associations chargées de donner aux sans-abris une sépulture décente (3). Heureusement, elles ne sont pas nombreuses. Fouillez ses poches et ses sacs. S’il y a des boîtes de médicaments, la viande risque d’avoir un goût un peu artificiel. Et même être carrément toxique s’il y a eu consommation trop importante de produits psychotropes. Vérifiez donc les veines des bras à la recherche de traces de piqûre. Débarrassez-le de ses vêtements. Jetez-les à la poubelle (il n’y a pas, à Marseille, de meilleur système de recyclage des vêtements d’occasion) ou portez-les chez Emmaüs. Arrosez la viande d’un peu de lacrymo et attendrissez-là à coups de matraque. Faites-la mariner dans du vin de pays ou de la 8°6 (4). Ajoutez du thym, du romarin, sel, poivre et un peu d’huile, d’olive évidemment… Faites bouillir pendant des heures (5). Servez avec des pâtes (4). Bon appétit ! 1 26 rue Loubon, Marseille 3ème arrondissement. Uniquement le matin (le mercredi pour les femmes). Sans rendez-vous mais sur inscription. Fermé le week-end. 2 D’après une étude sur la mortalité des sans-abris à Marseille réalisée en 2009 par Médecins du Monde et l’AP-HM (www. mortsdelarue.org) 3 « Marseillais solidaires des morts anonymes », 10 rue d’Austerlitz, 13006, Marseille. Tél : 06 72 22 01 85 4 En vente dans toutes les enseignes discount ou de déstockage alimentaire… 5 Variante estivale : un carpaccio. Attention, si votre sans-abri est mort de froid en hiver, ne pas recongeler la viande. VIII le Ravi n°100 - cahier spécial - le Ravi crèche dans la rue