(afp), photographies des camps de concentration

Transcription

(afp), photographies des camps de concentration


()

 
 
A F-P
A N
M   R 
  () — 2
S
P 1
Éric Schwab (AFP), photographies des camps de concentration,
Allemagne avril-mai 1945 (Buchenwald, Leipzig, Dachau , Itter)
Buchenwald :
…………………………………………
………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
pages 3 à 31
4 à 11
Thekla : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 12 à 14
Leipzig : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 15 à 16
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
17 à 24
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………
25 à 29
Dachau :
Itter :
Biographie d’Éric Schwab : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 30
Repères chronologiques : ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 31
P 2
Éric Schwab (AFP), photographies des camps de concentration,
sept photos analysées : …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… pages 32 à 39
P 3
Éric Schwab (AFP), photographies des camps de concentration,
un témoignage immédiatement reconnu et popularisé : ………………………………………………………………… pages 40 à 86
Dont texte « vous ne verrez pas » d’André Ulman :…………………………………………………………………………………………… 84 à 86
GÉNÉRIQUE
Coordination du dossier
Agence France-Presse : Pierre Fernandez,
Élizabeth Friederich
CLEMI : Patrick Berthelot
Musée de la Résistance nationale : Julie Baffet,
Éric Brossard, Guy Krivopissko,
Graphisme : Olivier Umecker
Avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale,
de la DRAC Ile-de-France, des conseils généraux
du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis,
des villes de Paris et de Champigny-sur-Marne
Partie 1
Éric Schwab (AFP), photographies des camps
de concentration, Allemagne avril-mai 1945
(Buchenwald, Leipzig, Dachau , Itter)
Exposition réalisée par le Centre historique
des Archives nationales et présentée jusqu’au
15 mai 2005 au Musée de la Résistance nationale
à Champigny-sur-Marne
Section du XXe siècle : Isabelle Neuschwander,
conservateur général du patrimoine, responsable
de la section ; Cécile Simon, chargée d’études
documentaires. Département de l’action culturelle
et éducative : Ariane James-Sarazin, conservateur
du patrimoine, responsable du département.
en partenariat avec l’AFP (Agence France-Presse)
Pierre Fernandez, Colette Almy, Élizabeth Friedrich
avec l’aide et le concours de
Annette Wieviorka, historienne, directrice
de recherches au CNRS ; Jacqueline Schwab ;
Jeannina Lesieur ; Jean Daladier ; Corinne Schwab
et de Fondation pour la Mémoire de la Shoah ;
ministère de la Défense-DMPA ; Amicale de
Buchenwald et de Dora ; Amicale de Dachau.
Partie 2
Éric Schwab (AFP), photographies des camps
de concentration, sept photos analysées
Analyses réalisées dans le cadre du concours national
de la Résistance et de la Déportation
par Éric Brossard, professeur-relais au Musée de
la Résistance nationale, professeur d’histoire au
collège Jean Wiener à Champs-sur-Marne ;
Loïc Damiani, professeur d’histoire au collège
Elsa Triolet à Champigny-sur-Marne ; Guy Krivopissko,
professeur d’histoire, conservateur du Musée de
la Résistance nationale ; Axel Porin, professeur
d’histoire au collège Jean Jorissen à Drancy
Avec le concours de la Commission histoire
du Musée de la Résistance nationale.
Partie 3
Éric Schwab (AFP), photographies des camps de
concentration, un témoignage immédiatement
reconnu et popularisé
Documents extraits de la collection du Musée
de la Résistance nationale et présentées dans
l’exposition temporaire « Les médias et la libération
des camps de concentration » au Musée de
la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne
du 16 novembre au 15 mai 2005.
Archivistes du Musée de la Résistance nationale :
Xavier Aumage et Céline Heytens
  () — 3
 S (AFP),

   
A
 1
- 1945
(B,
L, ,
I)
  () — 4

L camp de concentration de Buchenwald est ouvert
en Allemagne à proximité de Weimar le 15 juillet
1937. Entre 1937 et 1945, 239 000 à 250 000 détenus
passent par ce camp, dont 25 000 déportés français. Le
nombre des victimes est estimé à 56 000, dont 11 000
juifs.
A camp de Buchenwald, dès 1943, une organisation
clandestine se structure autour d’un comité international. Il comprend un comité clandestin des intérêts
français (CIF) animé par le colonel Frédéric-Henri Manhès, adjoint de Jean
Moulin et du syndicaliste Marcel Paul, arrivés en 1944.
L 11 avril 1945, alors que les autorités nazies procèdent depuis le 6 avril
au transfert des déportés vers d’autres camps de concentration (plus
de 20 000 déportés, en majorité juifs et tziganes, évacués vers Dachau,
Flössenburg, etc.), le comité international donne l’ordre de l’insurrection. Les
bombardements alliés importants qui touchent le camp depuis l’été 1944 ont
permis aux détenus de cacher des armes. Le camp est aux mains des détenus
depuis une heure lorsqu’une compagnie de l’armée américaine, détournée
d’une mission vers Weimar, fait son entrée.
L les soldats alliés entrent dans le camp, ils découvrent un spectacle
auquel ils ne sont pas préparés, même si certains ont assisté le 6 avril 1945
à la libération du camp d’Ohrdruf et à la découverte du premier charnier sur
le front ouest. Un bureau international pour la presse est créé dès le 13 avril,
tandis que se met en place une « pédagogie de l’horreur » une délégation officielle américaine visite le camp le 24 avril et les civils allemands, en priorité
les habitants de Weimar, sont contraints à se rendre sur place et à participer
aux soins des blessés.
P les Français internés à Buchenwald figurent plusieurs personnalités :
des officiers (les généraux Challe et Audibert, le colonel Manhès), des intellectuels (Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale), des journalistes (Maurice Nègre, René Simonin, Rémy Roure, Jean Gandrey-Rety), des
hommes politiques (Christian Pineau, Eugène Thomas, André Forcinal), etc.
É Schwab, lors de son reportage photo sur la libération du camp de Buchenwald, s’est particulièrement attaché à réaliser une série de portraits de
ces hommes, qui contribuèrent, dès leur retour en France, à faire connaître
aux Français l’horreur des camps.
  () — 5

La grille du camp de Buchenwald,
portant l’inscription
« Jedem das seine »
(« À chacun son dû ») ;
à l’arrière plan des déportés
et des soldats américains.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  11842.
Un groupe de déportés,
se dirigeant vers l’infirmerie,
en tête
le général Audibert (?).
P ’É S, [  12  19451. AFP,  118431.
  () — 6

Un déporté mourant,
allongé sur sa paillasse.
La dysenterie et le typhus sévissaient de façon
dramatique au sein des camps.
Rares étaient ceux qui y survivaient. Ces
deux maladies continuent à faire des victimes après la libération. La publication de
cette photographie dans la revue Objectif
est accompagnée de l’information littérale
« … Ce typhique est mort dix minutes après que
notre reporter eut pris ce cliché ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118433.
Déportés photographiés
à l’intérieur du block 61.
Ce Block, vraisemblablement situé dans le petit camp, avait été transformé en « infirmerie »,
annexe afin d’isoler les malades du typhus.
Des châlits superposés sur trois niveaux sont
disposés de part et d’autre de la baraque.
Plusieurs détenus sont entassés par châlit,
couchés à même le bois nu, sans paillasse. Les
déportés sont ici vêtus d’une simple chemise,
tout autre vêtement étant jugé inutile dans
cette « infirmerie ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118428.
  () — 7

Les représentants de la presse
clandestine française : de gauche
à droite Rémy Roure, [M. Smoulard]
Maurice Nègre, Christian Pineau,
Christian Ozanne, Jean Gandrey-Rety.
Par le titre qu’il donne à cette photographie,
Éric Schwab fait certainement allusion aux
fonctions occupées au sein de la Résistance
par les intéressés dans la collecte d’informations et la publication de journaux clandestins. La rencontre entre Éric Schwab,
photographe pour l’AFP, Maurice Nègre et
Christian Ozanne est tout à fait extraordinaire :
Maurice Nègre devient directeur général de
l’Agence France Presse dès le 27 décembre
1945 ; Christian Ozanne y occupera les fonctions de rédacteur.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118440.
Christian Ozanne.
Christian Ozanne pose habillé du costume
rayé en toile, portant sur la tête le calot et aux
pieds les sabots. Ce vêtement était attribué
lors de l’arrivée dans le camp, après l’épreuve
de la désinfection.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118253.
  () — 8

Le commandant Bellon,
en discussion avec des soldats
américains, devant le stock d’armes
appartenant aux SS.
La région de Weimar et de Leipzig abritait de
nombreuses entreprises d’armement. Les SS
avaient spécialisé le camp de Buchenwald
dans la fabrication de fusils.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118275.
JuIien Cain, un déporté français
et un enfant jouant avec
une des armes saisies aux SS.
Éric Schwab a pris plusieurs photographies
de déportés français en compagnie de
cet enfant. Il y avait à la libération du
camp environ un millier d’enfants en
provenance principalement des camps
des pays de l’Est, pour la plupart juifs.
Le plus petit aurait eu trois ans. Ces enfants
étaient regroupés dans des baraquements
spécifiques. 400 de ces enfants, dont Elie
Wiesel, furent accueillis en France.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  11 8254.
  () — 9

Julien Cain.
Né en 1887, agrégé d’histoire, administrateur
de la bibliothèque nationale (1930-1940 ;
1945-1964), conseiller culturel de Léon Blum,
acteur d’une audacieuse politique en faveur
de la lecture publique, Julien Cain est relevé
de ses fonctions par Vichy dès 1940.
Il rentre alors en contact avec le réseau de Résistance du Musée de l’homme et est arrêté
en possession de tracts le 12 février 1941. Il
est déporté depuis Compiègne le 22 janvier
1944 et arriva à Buchenwald le 24 janvier.
Après son retour, en octobre 1945, il reprend
ses fonctions d’administrateur général de la
Bibliothèque nationale.
P  É S, [  12  1945]. AFP,  118243.
Jean Gandrey-Rety et Henri Teitgen.
Jean Gandrey-Rety, né en 1901, journaliste,
rentre dans la Résistance en 1942 (mouvements Combat et Francs-Tireur). Il rejoint
Londres d’où il contribue à mettre en place
le poste « Radio-Patrie ». Revenu en France,
il est arrêté le 23 janvier 1943. Détenu à
Fresnes puis à Compiègne, il est ensuite
déporté à Buchenwald par le même convoi
qu’Henri Teitgen.
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118250.
  () — 10

Rémy Roure.
Le triangle rouge des déportés politiques est
parfaitement visible sur la veste de Rémy
Roure. Au centre, figure la lettre F indiquant
la nationalité. Dessous apparaît le numéro
matricule.
Attribué à l’entrée du camp, celui-ci devient la
véritable identité de la personne, ainsi dépossédée de son nom.
Rémy Roure, né en 1885, rédacteur au Temps
en 1940, rejoint la Résistance dès 1941 au
sein du mouvement Combat.
Il est notamment rédacteur du Bulletin de la
France combattante.
Il est arrêté en octobre 1943. Déporté par le
convoi du 27 avril 1944, il arrive à Auschwitz
le 30 avril. Il est transféré le 12 mai à Buchenwald où il arrive le 14 mai. À son retour,
il ne retrouvera ni son fils ni sa femme morts
en déportation.
P  É S, [  12  1945]. AFP,  118245.
Henri Teitgen.
Henri Teitgen, né en 1882, était bâtonnier de l’ordre des avocats de Nancy. Il a
été arrêté le 12 novembre 1942. Déporté
depuis Compiègne le 17 janvier 1944, il
arrive à Buchenwald le 19 janvier 1944.
Il est le père de Paul-Henri Teitgen.
P  É S, [  12  1945]. AFP,  118249.
  () — 11

Camille Sautereau
et le commandant Bellon.
Camille Sautereau, né en 1901, figure marquante de l’aviation française avant-guerre,
et Roger Bellon, né en 1905, appartenaient
au réseau Andromède lié à la France libre. Ils
sont arrêtés en juillet 1944 et déportés par
le convoi parti de Pantin le 15 août 1944. Ils
arrivent à Buchenwald le 20 août.
P ’É S, [  12  19451. AFP,  118257.
  () — 12
L 18 avril dans les environs de Leipzig, à l’usine de Thekla construisant des

ailes d’avion, 300 déportés sont massacrés.
C jour-là, les détenus de ce Kommando du camp de Buchenwald, affecté
à cette usine sont enfermés dans un bâtiment isolé de l’entreprise auquel
il est mis feu volontairement. Ceux qui parviennent à s’échapper buttent
sur les clôtures de barbelés et sont mitraillés ou brûlés au lance-flamme par
des membres des Jeunesses hitlériennes.
I faut noter que le massacre de Thekla est tout à fait similaire à celui commis
à Gardelegen cinq jours auparavant.
  () — 13

Cadavres calcinés après l’incendie
de l’usine de Thekla par les SS,
le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18  24  1945].
AFP,  118447, 118448.
  () — 14

Cadavres calcinés après l’incendie
de l’usine de Thekla
par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18  24  1945]. AFP,  118449.
  () — 15

L 18 avril, l’armée américaine attaque la ville de Leipzig, important
centre d’armement. La ville est prise très rapidement à l’exception du monument de la Bataille des nations, imposant édifice à la gloire du militarisme
germanique, construit en 1913 afin de célébrer la défaite de Napoléon
à Leipzig en octobre 1813. Après des assauts violents et un pilonnage
intensif de l’artillerie américaine, la garnison allemande, réfugiée à l’intérieur
du monument, capitule le 20 avril au matin.
  () — 16

Un soldat américain dans
les ruines du monument de
la Bataille des nations à Leipzig.
P [É S], [  20  1945]. AFP,  10165.
Des soldats américains examinant
les collections de livres
entreposées dans les sous-sols du
monument de la Bataille des nations.
Les piles de livres entreposées dans les
sous-sols proviennent vraisemblablement
des bibliothèques de la ville de Leipzig, important centre culturel et universitaire et
notamment de la bibliothèque de la Cour
suprême du Reich. Le bibliothécaire aurait
en effet décidé de déménager les collections
dans ce lieu afin de les protéger des bombardements.
P ’É S, [  20 .1945]. AFP,  118453.
  () — 17

L camp de concentration de Dachau est ouvert en Allemagne, à proximité
de Munich, le 20 mars 1933. Entre 1933 et 1945, plus de 200 000 détenus
passent par ce camp, dont 12 500 déportés français (sans compter les 2 900
Français arrivés en avril 1945 par les convois d’évacuation des autres camps).
Le nombre des victimes est estimé à 76 000 (décès déclarés), dont le général
français Charles Delestraint, chef de l’armée secrète, exécuté par les SS dix
jours avant la libération du camp.
U comité international se constitue afin d’organiser la résistance à l’intérieur
du camp et gérer l’après libération. Il comprend un comité français présidé
d’abord par le général Delestraint, (arrêté en juin 1943, déporté au camp de
Natzweiler-Struthof en mars 1944, transféré à Dachau en septembre), puis par
Edmond Michelet (arrivé à Dachau en septembre 1943).
L moments précédant la libération du camp sont effroyables. Depuis décem-
bre 1944, une épidémie de typhus fait rage. En raison de cette épidémie, les
américains mettent le camp en quarantaine. Cependant, plus de 2 500 déportés succombent de l’absence des soins appropriés dans les jours qui suivent la
libération du camp.
L Polonais constituent à la libération du camp la population la
plus importante (15 000). Viennent ensuite les Soviétiques (13 500), les Hongrois, presque tous juifs (12 000), les Allemands (6 000), enfin les Français
(5 700), arrivés principalement à partir de l’été 1944 par convois massifs. Parmi
les personnalités françaises détenues à Dachau, outre le général Delestraint
et Edmond Michelet, figurent notamment Paul Teitgen (frère de Paul-Henri),
le député Vincent Badie, Louis Terrenoire.
  () — 18

Les cadavres des déportés,
morts dans le train qui les évacuait
de Buchenwald, abandonné
aux portes du camp.
Éric Schwab a pris une dizaine de clichés de
ce train qui a horrifié tous ceux qui ont été
confrontés à sa vue (cf. témoignages ci-dessus).
Ce train, composé d’une quarantaine de
wagons, serait parti de Buchenwald le 7 avril
et arrivé à Dachau dans l’après-midi du 28
avril.
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118510.
Deux déportés transportent
les cadavres de leurs camarades.
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118543.
  () — 19

Cadavres de deux déportés
transportés dans une charrette
à bras.
Ces deux déportés décédés sont transportés
dans une des charrettes à bras si fréquemment décrites dans les témoignages des survivants.
Le transport des cadavres, jusqu’aux fours
crématoires le plus souvent, était effectué
par des détenus affectés à cette tâche (Leichen
Kommando).
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118529.
Le corps d’un SS abattu lors
de la libération du camp.
« Lorsque les alliés arrivent à proximité du
camp de Dachau, ils découvrent horrifiés ce
train rempli de cadavres. Trois jeeps entrent
ensuite dans le camp, par l’entrée principale.
Les quelques SS qui se trouvent alors dans la
tour centrale descendent main en l’air. Les
soldats alliés les abattent immédiatement.
Leurs corps sont laissés sur place ou jetés dans
les fossés entourant le camp. » Témoignage de
Jacques Damiani, interné notamment à la prison centrale d’Eysses, puis déporté à Dachau.
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118520.
  () — 20

Groupe de déportés polonais,
peut-être devant le Revier
(«l’infirmerie» du camp).
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118521.
Examen du matricule tatoué
sur le bras d’un déporté juif,
survivant d’Auschwitz.
Le tatouage sur le corps, l’avant-bras gauche généralement, du numéro d’immatriculation ne concerne que les déportés des
camps du complexe d’Auschwitz. Dès la fin
1944, devant l’avance de l’Armée rouge, les
nazis commencent à évacuer les détenus
d’Auschwitz vers les camps de l’Ouest, Bergen-Belsen notamment. Le 18 janvier 1945,
quelque 60 000 hommes et femmes, pratiquement tous juifs, doivent prendre la route
ou monter dans des wagons à découvert, par
un froid glacial. Ne restent dans les camps
d’Auschwitz que 6 000 détenus, incapables
de marcher. Ceux qui survivent à ce terrible
périple, désigné sous le nom général de « marche de la mort », sont internés dans divers
camps de concentration, notamment Buchenwald et Dachau.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118522.
  () — 21

Un jeune déporté d’origine russe.
Éric Schwab a également réalisé un autre portrait de ce jeune homme de 18 ans, atteint
de dysenterie, dont le visage marqué par
la fatigue, la faim et la maladie est devenu
l’un des symboles des victimes du système
concentrationnaire nazi.
P  É S, [ -  1945]. AFP,  118532.
Un déporté juif hongrois,
identifié comme un chirurgien
célèbre de Budapest.
Environ 400 000 Juifs hongrois sont déportés à Auschwitz du 15 mai au 14 juillet
1944. 10% environ furent déclarés « aptes au
travail », et immatriculés dans un des camps
du complexe d’Auschwitz, les 90% restants
étant immédiatement gazés. Les rescapés
des sélections pour le travail sont par la suite
dispersés dans les divers camps et kommandos de l’univers concentrationnaire.
P  É S, [ -  1945]. AFP,  118547.
  () — 22

Un jeune déporté, juif hongrois,
nommé André Gardos.
Le travail d’Éric Schwab se distingue de celui
des autres photographes qui ont couvert
l’ouverture des camps par le recours fréquent aux gros plans. Les déportés sont
cadrés de telle sorte que l’arrière plan est
pratiquement invisible, ce qu’accentue la
prise en contre plongée qui fait apparaître le visage sur fond de ciel ou de plafond.
C’est bien le cliché d’un individu à part entière, intéressant autant pour ce qu’il est et
que pour ce qu’il vit sur le moment, que veut
saisir le reporter.
Les portraits en gros plans de Schwab sont
peut-être les photographies qui expriment le
mieux ce qu’est la libération pour les détenus.
Le cadrage de biais des visages, le contraste
entre un premier plan net et un arrière plan
flou restituent de ces instants où se mêlent
espoir, joie et angoisse.
P  É S, [ -  1945]. AFP,  118546.
  () — 23

Groupe de déportés français
hissant le drapeau français
à croix de Lorraine et chantant
La Marseillaise.
P ’É S, [ -  1945].
AFP,  118551, 118554.
  () — 24

Célébration dans la chapelle
du camp d’une messe pour
les déportés français.
Ainsi qu’il l’a toujours fait au cours de ses
reportages, Éric Schwab a consacré de nombreuses photographies à ses compatriotes.
Cette photographie a vraisemblablement
été prise dans la chapelle aménagée par
les prêtres déportés dans le block 26.
L’importance de la population d’origine ecclésiastique constitue une des particularités
du camp de Dachau. Le Vatican avait obtenu
le regroupement de tous les prêtres détenus
dans les camps, au premier rang desquels
des prêtres allemands et polonais. Les prêtres français les rejoignent à partir de la fin
de 1944, en provenance de Buchenwald ou
de Mauthausen.
Parmi eux figure Mgr Piguet, évêque de
Clermont-Ferrand. Tout d’abord très fermé,
l’accès à la chapelle fut progressivement élargi
aux déportés désireux de se recueillir.
P ’É S, [    1945]. AFP,  118540.
  () — 25

E avril 1943, les Allemands obtiennent des autorités de Vichy l’internement en Allemagne de plusieurs personnalités françaises, dont les principaux accusés du procès de Riom : Léon Blum et Édouard Daladier, plusieurs
fois président du conseil et surtout signataire des accords de Munich. Le
prétexte invoqué est la crainte d’un enlèvement par les services secrets alliés. Il s’agit en fait de rassembler des personnalités qui pourraient servir d’otages. Le départ de France d’Édouard Daladier et de Léon Blum a lieu
le 2 avril 1943, en compagnie du général Gamelin, chef d’état-major de la
défense nationale jusqu’en mai 1940, également jugé à Riom, et
de Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT. Acheminés dans la
région de Weimar puis séparés de Léon Blum (interné ainsi que Georges
Mandel dans une maison à Buchenwald), les prisonniers sont conduits le 2 mai au château d’Itter (Tyrol autrichien). Le 12 mai, Paul Reynaud, président du conseil de mars à juin 1940, Jean Borotra, ancien
champion de tennis et ministre de la jeunesse et des sports dans le gouvernement de Vichy, le général Weygand et sa femme les rejoignent.
Le 9 janvier 1944, arrivent le colonel de la Rocque, ancien responsable des Croix
de feu, et Michel Clemenceau, le fils du « Tigre ». Le 14 avril 1945, M. Cailliau et
son épouse, sœur du général de Gaulle, sont également transférés à Itter.
D son journal de captivité, Edouard Daladier relate la vie quotidienne au
château, dont il ne cherche pas à nier le confort, les tensions et discussions
entre prisonniers d’appartenances politiques hétérogènes, leurs commentaires d’une actualité dont ils sont informés au fur et à mesure des événements. Les prisonniers suivent l’avancée des troupes alliées et l’ouverture des
camps.
La libération du château est décrite au jour le jour. Le 30 avril, le commandant
du camp de Dachau se réfugie à Itter et s’y suicide. Le 4 mai, les SS quittent le
château tandis qu’une avant-garde américaine fait son entrée. Cependant, le
5 mai, le château est pris pour cible par quelques éléments armés allemands ;
un obus traverse la chambre du général Gamelin. Finalement les chars américains, guidés par Jean Borotra, parti à leur recherche, et revêtu de l’uniforme de
l’armée américaine, font leur entrée. Les prisonniers quittent immédiatement
le château pour Innsbruck puis Augsbourg. Ils sont rapatriés en France dès le
9 mai.
É Schwab réalise de cette journée du 5 mai un très volumineux
reportage (une trentaine de clichés), photographiant une à une ou en compagnie de leurs libérateurs ces personnalités françaises, dont le retour en France
sera très largement commenté par la presse.
  () — 26

Meyer Levin en compagnie
de Léon Jouhaux.
Dans son journal, Edouard Daladier parle de
ces « correspondants de guerre de journaux
américains qui prennent des photos ».
P ’É S, 5  1945. AFP,  118287.
Des personnalités françaises libérées
posent devant le château
d’Itter en compagnie d’un soldat
américain : de gauche à droite,
le général Gamelin,
Michel Clémenceau, Paul Reynaud.
P ’É S, 5  1945. AFP,  118270.
  () — 27

Jean Borotra en uniforme
de l’armée américaine.
P  É S, 5  1945. AFP,  118248.
Edouard Daladier, en compagnie
de Français armés, peut-être
des prisonniers « libérés en cours
de route par les Américains ».
P ’É S, 5  1945. AFP,  118261.
  () — 28

Paul Reynaud et le général Gamelin
dans la chambre de ce dernier
dévastée par un obus.
P ’É S, 5  1945. AFP,  118266.
Mme Cailliau et son mari.
Marie-Agnès de Gaulle est la sœur aînée du
Général. Elle entre dans la Résistance dès
1940 et est arrêtée en 1943 avec son mari
Alfred Cailliau, ingénieur belge.
Elle est emprisonnée à Fresnes puis déportée
à Godesberg tandis que son mari est envoyé
à Buchenwald. Ils arrivent au château d’Itter
le 14 avril 1945, soit trois semaines avant sa
libération…
P  É S, 5  1945. AFP,  118277.
  () — 29

Le général Weygand et sa femme
quittent le château d’Itter.
P ’É S, 5  1945. AFP.
Le général Weygand et sa femme
quittent le château d’Itter.
P ’É S, 5  1945. AFP.
  () — 30
É S
(1910 — 1977)
Éric Schwab est reporter et photographe à Paris avant-guerre. Mobilisé en
1939, il est fait prisonnier dans la poche de Dunkerque en 1940, mais parvient
à s’évader après quelques semaines d’internement. De retour à Paris, il reprend
son travail de photographe, mais les lois anti-juives l’obligent à cesser ses
activités. Éric Schwab parvient à échapper aux arrestations, mais sa mère,
allemande, est déportée au camp de concentration de Theresienstadt.
En septembre 1944, après la libération de Paris, il devient correspondant
de presse pour l’Agence française de Presse nouvellement créée. Accrédité
auprès de l’Armée américaine, il couvre les événements du front pour la presse,
notamment l’ouverture des camps de concentration de Buchenwald et de
Dachau.
  () — 31
(Les lieux et événements photographiés
ou cités par Éric Schwab figurent en italique)
1944
1945
4 juin : arrivée des Alliés à Rome
6 juin : débarquement allié en Normandie
15 août : débarquement allié en Provence
24 août : libération de Paris
2 septembre : les armées alliées franchissent
la frontière belge
3 septembre : libération de Bruxelles
Octobre 1944-février 1945 : Éric Schwab couvre
des raids aériens sur l’Allemagne
17 novembre : arrivée des américains à Natzweiler,
libération de Strasbourg
18 décembre : contre-offensive allemande
dans les Ardennes
14 janvier : entrée de troupes soviétiques à Varsovie
27 janvier : entrée de troupes soviétiques
dans les camps d’Auschwitz
11 février : fin de la conférence de Yalta
3 février : entrée de troupes soviétiques à Budapest
et Gross-Rosen
Fin février, début mars : rencontre probable de Meyer
Levin et d’Éric Schwab
3 mars : création de l’administration militaire
française en Allemagne
7 mars : l’armée américaine franchit le Rhin
5 avril : arrivée de troupes américaines à Ohrdruf
11 avril : entrée de troupes américaines à Buchenwald
et Dora
13 avril : massacre de Gardelegen
15 avril : entrée de troupes britanniques à
Bergen-Belsen
16 avril : Vienne aux mains des troupes soviétiques
18 avril : massacre de Leipzig-Thekla
18 avril : prise de Leipzig par les troupes américaines
20 avril : chute du Monument de la Bataille des nations
à Leipzig
22 avril : entrée de troupes soviétiques
à Sachsenhausen
23 avril : entrée de troupes américaines à Flossenbürg
25 avril : jonction des armées américaines
et soviétiques à Torgau
29 avril : entrée de troupes américaines à Dachau
30 avril : suicide d’Hitler
30 avril : entrée de troupes soviétiques à Ravensbrück
2 mai : Berlin occupée en totalité par les troupes
soviétiques
4 mai : entrée de troupes britanniques à Neuengamme
5 mai : entrée de troupes américaines au château d’Itter
5 mai : entrée de troupes américaines à Mauthausen
8 mai : capitulation de l’Allemagne nazie
9 mai : les troupes soviétiques à Prague
10 mai : l’Armée rouge prend la responsabilité
de Theresienstadt, administré par le CICR depuis
le 2 mai
11 juin : exposition au Grand Palais sur les crimes
hitlériens (présentant notamment des photographies
d’Éric Schwab)
Juillet : Éric Schwab réalise un reportage en Norvège
  () — 32
 S (AFP),

   
S 
 2

  () — 33
La grille du camp de Buchenwald,
portant l’inscription
« Jedem das seine »
(« À chacun son dû ») ;
à l’arrière plan des déportés
et des soldats américains.
PASSER
LA PORTE
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  11842.
L 11 avril 1945, lorsque les soldats
alliés et Éric Schwab entrent dans le
camp de Buchenwald, ils découvrent
un spectacle auquel ils ne sont pas
préparés, même si certains d’entre
eux ont assisté le 6 avril 1945 à la libération du camp d’Ohrdruf (un kommando extérieur de Buchenwald) et à
la découverte du premier charnier sur
le front ouest. Ils sont impressionnés
et choqués par la vision des milliers
de cadavres. Les corps sans vie sont
squelettiques et les vivants sont dans
un état comparable. Éric Schwab et
d’autres journalistes réalisent de
nombreuses images de Buchenwald,
à la fois pour conserver la preuve des
crimes commis en vue des procès à
venir et pour informer l’opinion de ce
qui se passe dans le camp libéré.
À la recherche de l’Homme, Éric
Schwab ne pose pas son regard sur le
« paysage » du camp : dans ses photos,
pas de vues générales sur les alignements de baraquements, pas de clichés des remparts, des clôtures, des
miradors, etc.
C cliché du portail de Buchenwald
réalisé dans les jours qui suivent la
libération du camp constitue en sorte
une exception dans ce reportage.
Dans cette image, Éric Schwab ne
cherche pas ici à donner un aperçu
général de l’entrée de Buchenwald.
Il néglige la tour-mirador et les bâtiments qui encadrent cette grille pour
fixer son attention sur la partie centrale du portail et sa maxime « Jedem
das seine » (« À chacun son dû »). De
prime abord, c’est la notion d’enfermement qui s’impose. Rien ne suggère que le camp vient d’être libéré. Les
barreaux noirs de la grille occupent
entièrement l’espace de la photographie et constituent une frontière
entre l’œil du spectateur et l’univers
concentrationnaire. Derrière ce portail, des silhouettes sombres et fantomatiques se dessinent sur un épais
fond grisâtre. Deux hommes agrippant les barreaux semblent surveillés
par trois sentinelles alignées que rejoignent des véhicules militaires. Le
porche, auquel Éric Schwab a donné
une dimension disproportionnée par
une prise de vue en contre-plongée,
surplombe l’ensemble et accentue le
sentiment d’oppression. Cette scène,
résolument sinistre, contraste avec
la maxime apparemment anodine
qui fend le centre du portail et de la
photographie. Pour le néophyte, sa
signification est énigmatique, mais
pour celui qui, comme Éric Schwab, a
pénétré à l’intérieur du camp, découvert des cadavres innombrables et des
survivants aux visages et aux corps
marqués par la souffrance, « Jedem
das seine » est la marque du cynisme
et de la perversité des nazis.
Au-dessus du portail, figure l’inscription « Recht oder unhrecht, mein
Vaterland » (« Juste ou injuste, c’est
ma patrie ») qui rappelle l’époque où
Buchenwald était un camp peuplé
seulement d’Allemands antinazis ou
considérés comme tels. Cette autre
maxime montre que, dès les premières
années du système concentrationnaire,
le camp est pensé par les nazis comme
un lieu de non-droit où l’individu n’a
aucune valeur.
Ces maximes ne sont pas le fruit spécifique de l’imagination perverse de la
direction SS de Buchenwald : en janvier,
en avril ou en mai 1945, Soviétiques
et Américains découvrent sur les portails d’Auschwitz, de Dachau ou de
Theresienstadt d’autres exemples de
l’ignominie nazie, tel : « Arbeit macht
frei » (« Le travail rend libre »).
  () — 34
Déportés photographiés
à l’intérieur du block 61.
RENCONTRE AVEC
LES VIVANTS
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118428.
C photographie d’Éric Schwab a
été prise au lendemain de la libération du camp de Buchenwald.
La scène se déroule à l’intérieur d’une
baraque en bois typique des constructions du petit camp où étaient entassés les nouveaux déportés puis, à partir de décembre 1944, des déportés,
en majorité juifs et tziganes, évacués
des camps de l’Est au fur et à mesure
de l’avancée de l’Armée rouge.
La configuration interne d’une baraque ou block est ici particulièrement
visible : espace en longueur avec des
châlits superposés sur trois niveaux
occupé chacun par plusieurs personnes, couchées à même le bois, sans
paillasse. Cet entassement qui impose la promiscuité et qui supprime
tout espace individuel procède de la
volonté des nazis de déshumaniser les
détenus, de les diviser et de détruire
chez eux toute forme de résistance.
I , les déportés, vêtus d’une simple chemise et, pour certains, de sabots de bois sont des malades isolés
dans ce block transformé en « infirmerie » annexe. Ces êtres humains
d’une maigreur extrême, épuisés
par le manque de nourriture, l’absence d’hygiène élémentaire sont
atteints par le typhus ou la dysenterie.
Leur apparence physique révèle leur
condition de « musulmans », c’est-àdire de malades parvenus aux limites
de la survie dans le langage concentrationnaire.
M dans cet univers, la photogra-
phie d’Éric Schwab fait sortir de la
masse anonyme un déporté. Réalisée
en contre-plongée, l’image le grandit.
Il est debout, accueillant, le regard
doux, un léger sourire aux lèvres.
S cette photographie a la force d’un
témoignage pris sur le vif (l’arrièreplan est flou animé par les mouvements de têtes et de corps dirigés
vers le photographe), elle témoigne
aussi des qualités d’artiste d’Éric
Schwab et de sa grande culture, notamment picturale. Cet instantané
restitue, dans sa composition, les résurrections peintes par les grands
maîtres classiques. Schwab dispose
au centre de sa photographie un
Christ vivant, en tunique, entouré
par les deux larrons, descendu d’une
croix dessinée par le croisement
des lignes du tuyau d’un poêle de
fortune et des paillasses.
U autre image est réalisée par un
autre photographe dans un autre
block du petit camp, presque similaire
dans sa composition, mais plus dure
car plus crue. Trop empreint d’humanité et de douceur, trop respectueux
de la dignité des déportés, le cliché
de Schwab est peu reproduit. À la
libération des camps, les médias préfèrent mettre en avant la violence et
la déchéance subies par les déportés,
au risque de les maintenir, consciemment ou inconsciemment, dans la
situation d’objets de spectacle après
avoir été des objets de sévices.
  () — 35
JuIien Cain, un déporté français
et un enfant jouant avec
une des armes saisies aux SS.
DÉPORTÉS
ET RÉSISTANTS
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118254.
R vers le 12 avril 1945, ce cliché montre deux déportés français,
Julien Cain (à gauche) et un de ses
camarades en compagnie d’un petit
garçon réunis devant les blocks en
briques à un étage caractéristiques du
« grand camp » de Buchenwald. Celuici a été construit de 1937 à 1941 par
les déportés allemands eux-mêmes :
opposants politiques, témoins de
Jehova, homosexuels, criminels de
droit commun, et à partir de 1938,
Juifs et Tziganes. Pendant la guerre,
ces premiers déportés sont rejoints
par des résistants de toute l’Europe.
P les déportés français, Julien
Cain. Conseiller culturel de Léon
Blum, puis administrateur de la
Bibliothèque nationale, il est révoqué
de ses fonctions par Vichy dès 1940.
Entré en résistance dans le réseau
du Musée de l’Homme, il est arrêté
en possession de tracts le 12 février
1941. Il est déporté en juillet 1944.
Son compagnon est lui aussi un déporté résistant comme le montre le
triangle « rouge » apposé sur sa veste.
La lettre F (Français) rappelle sa nationalité.
E janvier 1945, la population du
camp augmente brusquement avec
l’arrivée de dizaines de milliers de
déportés, « évacués » des camps de
l’Est par les SS. Avec 110 000 détenus,
Buchenwald devient alors le camp
le plus peuplé des camps nazis. Les
nouveaux, parmi lesquels des milliers
d’enfants, sont parqués dans le camp
de quarantaine dit « petit camp ».
Entassés dans des baraquements en
bois, voire des tentes, leurs conditions
de vie sont extrêmement pénibles et
la mortalité y est particulièrement
élevée.
  () — 36
Les cadavres des déportés,
morts dans le train qui les évacuait
de Buchenwald, abandonné
aux portes du camp.
RENCONTRE
AVEC LES MORTS
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118510.
C photographie est l’une des photos d’Éric Schwab qui donnent à voir et
à comprendre le mieux l’horreur des
crimes de masse commis par les nazis.
E est prise fin avril ou début mai
1945 à proximité immédiate du camp
de Dachau, devant son entrée. C’est la
première vision que les soldats américains eurent avant d’ouvrir les portes du camp. Il s’agit d’un train de
déportés évacués sans doute de
Buchenwald. Le convoi est composé
de wagons fermés et ouverts dans
lequel restent, après la libération de
Dachau, des centaines de cadavres de
déportés, identifiables par leurs tenues rayées.
L composition de l’image est travaillée comme si la découverte de
l’horreur devait être progressive. La
photographie est prise en plongée
de l’un des angles du wagon. Elle
englobe la totalité de cette scène
dantesque, mais son objectif est
tourné vers la porte ouverte du wagon à l’autre extrémité. Le regard
du spectateur est immédiatement
attiré par les silhouettes de deux
jeunes soldats américains dont le
cliché suggère qu’ils découvrent la
scène. En arrière-plan, on distingue deux jeeps garées desquelles ils
semblent être descendus Le premier
soldat américain regarde l’intérieur
du wagon, incrédule et horrifié de sa
découverte. C’est son regard qui invite
le spectateur à reporter son attention
sur les cadavres gisant sur la paille
au fond du wagon. Le contraste est
fort entre ces jeunes soldats debout
et vivants et l’enchevêtrement des
cadavres allongés.
S les couvertures sombres et
froissées, on remarque des corps, disposés dans le plus grand désordre,
dans un total abandon. Les visages
des morts n’apparaissent pas, mais on
voit des jambes, des torses, des dos,
des morceaux d’hommes dénudés.
Cette masse chaotique ressemble à
celle d’un charnier. Seuls les visages
et les regards des soldats américains,
qui font face à l’objectif du photographe et au spectateur, semblent pouvoir redonner leur humanité à ces
formes inanimées, comme par un
effet de miroir.
  () — 37
Cadavres de deux déportés
transportés dans une charrette
à bras.
DERNIER
HOMMAGE
D tous les camps, chaque matin,
le ramassage des morts de la nuit était
organisé. Des détenus affectés à cette
tâche étaient chargés de récupérer les
cadavres sortis des baraques et de les
amener jusqu’aux fours crématoires
où ils étaient brûlés. Le transport se
faisait le plus souvent dans une charrette à bras. Les déportés qui ont pu
disposer du matériel nécessaire pour
dessiner durant le temps de leur détention ont fréquemment représenté
la charrette des morts. Boris Taslitzky
en a fait l’élément central de son triptyque sur le camp de Buchenwald.
Auguste Favier l’a dessinée également
dans le même camp.
M après la libération de Dachau,
la mortalité des détenus reste très
élevée. Par nécessité, la charrette des
morts est encore utilisée. Éric Schwab,
comme d’autres reporters, photographie la scène. Il n’est pas question ici
de mort de masse : rien à voir avec
les images de corps éparpillés sur de
vastes espaces ou empilés dans des
fosses communes ; rien à voir non plus
avec les tas de cadavres découverts à
l’ouverture des camps ou constitués
dans l’attente de leur inhumation
après la libération. Éric Schwab cadre
deux déportés décédés, en plan serré.
La position des corps et l’expression
des visages peuvent laisser supposer un instant que les deux hommes
sont encore vivants, qu’ils se sont
endormis, terrassés par une fatigue
extrême. Celui dont la tête repose sur
le battant de la charrette a l’air apaisé,
P ’É S, AFP ° 118529.
son compagnon semble avoir sombré
dans un sommeil plus douloureux, ce
que soulignent les marques de violence sur sa face tuméfiée.
L photographie d’Éric Schwab lève
cependant toute illusion. La charrette
que l’on devine à peine est bien ici
un corbillard et les jambes que l’on
distingue à l’arrière-plan sont bien
celles d’autres détenus, vivants ceuxlà, qui assistent au cheminement de
leurs deux camarades décédés vers
leur lieu de sépulture. Éric Schwab
saisit l’instant où, après la longue déchéance physique qui les a conduit à
la mort, ces déportés retrouvent leur
dignité. Ils redeviennent des hommes
parce que d’autres hommes peuvent
les regarder en tant que tel, parce
que la libération permet à nouveau
de procéder aux rites funéraires,
même simplifiés, même réduits au
simple passage devant des témoins
recueillis.
D les camps contrôlés par les na-
zis, les corps sans vie restaient des
matricules, reportés dans les registres
de décès, qui étaient réduits en cendres sans cérémonie aucune. Dans les
camps libérés encore, pour faire face
à la menace sanitaire que fait peser
la multitude des cadavres abandonnés, on procède à des inhumations
rapides et massives. L’image la plus
marquante de cette prise en charge
technique et anonyme des cadavres
à la libération est celle des bulldozers
britanniques poussant les corps désarticulés des morts de Bergen-Belsen
vers d’immenses fosses communes.
C’ pourquoi l’une des premières
requêtes des déportés libérés est de
pouvoir ensevelir leurs morts dignement, ce qu’on leur accorde finalement, souvent en employant les anciens gardiens comme fossoyeurs.
L’une des priorités des associations
de déportés constituées au retour
des camps est de rechercher où sont
les corps des disparus, de veiller à
l’entretien de leur tombe quand elle
existe, d’inscrire leur nom sur un monument ou sur une stèle quand la
localisation d’un lieu d’inhumation
est impossible.
E composant une photographie qui
restitue aux morts la part d’humanité
qu’on leur a jusqu’à présent refusée,
Éric Schwab participe à l’hommage
qui leur est rendu post-mortem. Son
cliché n’est pas une preuve des crimes commis mais la démonstration
que la tentative de déshumanisation
mise en œuvre dans les camps nazis
a échoué. Ces morts appartiennent
définitivement à l’espèce humaine.
  () — 38
Examen du matricule tatoué
sur le bras d’un déporté juif,
survivant d’Auschwitz.
S’INTERROGER
P ’É S, [ -  1945]. AFP,  118522.
C photographie d’Éric Schwab a
L tatouage du numéro sur le corps,
été prise au camp de Dachau après sa
libération fin avril ou début mai 1945.
Lorsque les soldats alliés entrent dans
ce camp, ils découvrent une autre
réalité de l’univers et du système concentrationnaire : le marquage des
hommes.
Pour les nazis, un déporté n’est pas
considéré comme un être humain
mais comme un « stück », c’est-à-dire
une « chose » standardisée, marquée,
immatriculée. Cette qualité d’homme
déniée, toutes considérations de vie
et de mort disparaissent. Le déporté
n’est plus qu’un outil polyvalent et
interchangeable qu’usera le travail.
l’avant-bras gauche généralement,
ne concerne que les déportés, juifs
et non juifs, des camps du complexe
d’Auschwitz ; les déportés voués à l’extermination dès leur arrivée n’étaient
pas enregistrés sur une liste matriculaire.
L’immatriculation correspond à l’entrée définitive du déporté dans l’univers concentrationnaire. Un numéro
est inscrit sur deux bandes de tissu
blanc cousues sur les vêtements : l’une
au niveau du cœur, l’autre au niveau
de la cuisse. Le numéro s’accompagne d’un triangle de couleur ou d’une
étoile de David indiquant la catégorie
des détenus suivant la classification
déterminée par les SS.
L photographie d’Éric Schwab sai-
sit cet instant de découverte du tatouage des déportés juifs transférés
d’Auschwitz à Dachau. La ligne formée
par les bras des deux déportés conduit au visage d’un jeune homme qui
examine avec attention les chiffres
inscrits dans la chair. Son expression
marque l’étonnement et l’incompréhension. Son regard nous ramène au
doigt pointé sur un des avant-bras
gauches tatoués, puis sur l’autre bras
tatoué.
L poutre centrale sur laquelle sont
posés les bras délimite deux mondes
distincts mais réunis fraternellement
par des mains enserrant des poignets.
Ceux qui ont connu le camp d’extermination d’Auschwitz se montrent
et racontent. La photographie donne
à comprendre cette rencontre, mais
il faudra plus qu’une photographie,
plus qu’un témoignage pour que la
spécificité du génocide des juifs soit
mise en évidence dans l’ensemble des
crimes nazis.
L composition de cette photographie
permet de saisir l’éthique du journaliste Éric Schwab. Dans les limites de
son travail de reporter-photographe,
sa place est du côté des victimes, son
regard est tourné vers la découverte
de la vérité.
  () — 39
Un déporté juif hongrois identifié
comme un chirurgien célèbre
de Budapest.
SE RAPPROCHER
P ’É S, D,  -  1945. AFP  118547.
L travail d’Éric Schwab se distingue
de celui des autres photographes par
le recours à plusieurs reprises aux
gros plans. Les déportés sont cadrés
de telle sorte que l’arrière plan est
pratiquement invisible, ce qu’accentue la prise en contre-plongée
qui fait apparaître le visage sur fond
de ciel ou de plafond. C’est bien le
cliché d’un individu à part entière,
intéressant autant pour ce qu’il est
et que pour ce qu’il vit sur le moment, que veut saisir Éric Schwab.
Cette préoccupation se retrouve
dans les portraits réalisés au crayon
par Boris Taslitzky ou Auguste
Favier à Buchenwald.
L’ homme photographié ici par Éric
Schwab peut être identifié comme un
déporté. Sa tenue rayée est apparente
au niveau du col, sa maigreur ne laisse
aucun doute sur son appartenance
à la population concentrationnaire.
Pourtant Éric Schwab s’intéresse
d’abord à l’homme, à l’homme marqué par les camps. La photographie
est intitulée « Célèbre chirurgien de
Budapest », en opposition avec ce que
montre l’image : un individu aux traits
tirés, à la barbe hirsute, habillé de vêtements grossiers, coiffé d’un bonnet
informe, soit l’inverse du notable aisé
et bien portant que suggère le titre.
Éric Schwab ne se préoccupe pas seulement du présent, mais il le confronte
au passé. Les déportés vivants qu’il a
face à lui ont vécu avant l’expérience
concentrationnaire et vivront après,
car il s’agit de prendre une revanche
sur la mort qui a tant sévi. En resserrant le cadre autour du visage, Éric
Schwab estompe l’omniprésence du
camp, sans l’effacer totalement, rendant possible le rappel d’un passé et
l’éventualité d’un futur qui échappent
à l’univers concentrationnaire.
C portraits en gros plans de Schwab
sont peut-être les photographies qui
expriment le mieux ce qu’est la libération pour les détenus. Ils mettent
en évidence la transition entre le moment où chaque déporté comprend
qu’il est libre tout en étant encore
dans le camp et le moment où il peut
envisager un avenir tout en s’interrogeant sur ce qui peut rester de sa
vie d’avant. Le cadrage de biais des
visages, le contraste entre un premier
plan net et un arrière plan flou restituent l’incertitude de ces instants où
se mêlent espoir, joie et angoisse.
  () — 40
 S (AFP),

   
U 
 3


 .
  () — 41
Franc-Tireur, une du vendredi 27 avril 1945. (coll.MRN)
Buchenwald. Un déporté « dysentrique mourant », allongé sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118433.
* orthographe portée sur la planche contact : lire dysenterique
  () — 42
Camps de concentration, couverture de la brochure
du service d’information des crimes de guerre, vol. IV,
Office français d’édition, 13 novembre 1945. (coll.MRN)
Premier rapport officiel des services du Gouvernement
provisoire de la République française (GPRF).
Page intérieure de la brochure Camps de concentration.
Un déporté «dysentrique* mourant», allongé sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945].
AFP, ° 118433.
  () — 43
Page intérieure de la brochure Camps de concentration.
Photo haut de page :
Buchenwald. La « grille du camp » portant l’inscription
« Jedem das seine » (« À chacun son dû ») ; à l’arrière plan
des déportés et des soldats américains.
P ’É S, [  12  1945].
AFP, ° 118427.
Page intérieure de la brochure Camps de concentration.
Buchenwald. Fours crématoires.
P ’É S, [  12  1945]. AFP.
  () — 44
Page intérieure de la brochure Camps de concentration.
Photo bas de page : Dachau. Deux déportés transportent
les cadavres de leurs camarades.
Page intérieure de la brochure Camps de concentration.
Photo bas de page : Thekla. Cadavres calcinés après
l’incendie de l’usine de Thekla par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [ -  1945].
P ’É S, [  18   24  1945]. AFP.
AFP, ° 118543.
  () — 45
Catalogue de l’exposition « Crimes hitlériens »
réalisée par le GPRF (gouvernement provisoire de
la République française) du 10 juin au 31 juillet
1945, au Grand Palais à Paris. Affiche reproduite
dans le catalogue. (coll.MRN)
Page intérieure du catalogue « Crimes hitlériens ». L’exposition accorde
une grande place aux photographies provenant de nombreuses agences françaises
et étrangères. Parmi celles visibles sur ce panneaux deux sont d’Éric Schwab.
À partir de la gauche :
2e photo haut du panneau. Buchenwald. Un groupe de déportés, se dirigeant
« vers l’infirmerie », en tête le général Audibert (?).
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118431.
3e photo bas du panneau. Buchenwald . Un déporté au visage tuméfié
« après un passage à tabac ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118430.
  () — 46
Le magazine de France, n° spécial,
«Crimes nazis», 2e trimestre 1945.
(coll. MRN)
En couverture. Buchenwald.
Un déporté « dysentrique mourant »,
allongé sur sa paillasse.
P ’É S,
[  12  1945]. AFP, ° 118433.
Page intérieure du magazine Le magazine de France. Buchenwald.
« Déportés de la baraque 61 ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118428.
  () — 47
Objectif, «Buchenwald, Landsberg, Nordhausen, Dachau, Belsen, Ordruf,
Leipzig, Sandbodtel», magazine édité par le Comité de libération
des reporters photos de presse, Sd. (coll.MRN)
  () — 48
Page intérieure du magazine Objectif.
Photo en haut à droite. Buchenwald. Jean Gandrey-Rety et Henri Teitgen.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118250.
Photo centrale. Dachau. Groupe de déportés français hissant le drapeau français
à croix de Lorraine et chantant La Marseillaise.
P ’É S, [ -  1945]. AFP.
  () — 49
Page intérieure du magazine Objectif. Photo centrale. Buchenwald.
Les représentants de la presse clandestine française : de gauche à droite Rémy
Roure, [M. Smoulard] Maurice Nègre, Christian Pineau, Christian Ozanne,
Jean Gandrey-Rety.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118440.
  () — 50
Page intérieure du magazine Objectif. Buchenwald. La « grille du camp »
portant l’inscription « Jedem das seine » (« À chacun son dû ») ; à l’arrière
plan des déportés et des soldats américains.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118427.
  () — 51
Page intérieure du magazine Objectif.
Photo en haut. Buchenwald. Les latrines.
P ’É S, [  12  1945]. AFP.
Photo centrale. Buchenwald. Un déporté « dysentrique mourant »,
allongé sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118433.
Photo en bas. Buchenwald. Un déporté au visage tuméfié
« après un passage à tabac ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118430.
  () — 52
Page intérieure du magazine Objectif.
Photo en haut à droite. Buchenwald. Un groupe de déportés, se dirigeant
« vers l’infirmerie », en tête le général Audibert (?).
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118431.
  () — 53
Page intérieure du magazine Objectif. Thekla. Cadavres calcinés après l’incendie
de l’usine de Thekla par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18   24  1945]. AFP, ° 118447.
  () — 54
Page intérieure du magazine Objectif. Thekla. Cadavres calcinés après l’incendie
de l’usine de Thekla par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18   24  1945]. AFP, ° 118448  118449.
  () — 55
Page intérieure du magazine Objectif. Dachau. Un jeune déporté d’origine russe.
P  É S, [ -  1945]. AFP.
  () — 56
Page intérieure du magazine Objectif. Dachau. Cadavres de deux déportés
transportés dans une charrette à bras.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118 529.
  () — 57
Page intérieure du magazine Objectif. Dachau. Photo en bas à gauche.
Examen du matricule tatoué sur le bras d’un déporté juif, survivant d’Auschwitz.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118522.
  () — 58
Page intérieure du magazine Objectif.
Photo en haut. Dachau. Deux déportés transportent les cadavres
de leurs camarades.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118543.
Photo en bas à gauche. Dachau. Les cadavres des déportés, morts dans le train
qui les évacuait de Buchenwald, abandonné aux portes du camp.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118510.
  () — 59
Atrocités nazies, brochure éditée par le mouvement de la Résistance
française «Front National*», 1945. (coll. MRN)
En couverture.Dachau. Un jeune déporté d’origine russe.
P  É S, [ -  1945]. AFP, ° 118532.
* À l’opposé du parti actuel usurpateur du nom.
  () — 60
Page intérieure de la brochure Atrocités nazies. Buchenwald.
« Déportés de la baraque 61 ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118428.
  () — 61
Page intérieure de la brochure Atrocités nazies. Buchenwald.
Un déporté « dysentrique mourant », allongé sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118433.
  () — 62
« La vérité sur Buchenwald. Les survivants témoignent », couverture du magazine
édité par le quotidien Ce Soir, printemps 1946. (coll.MRN).
  () — 63
Page intérieure du magazine « La vérité sur Buchenwald. Les survivants
témoignent ». Buchenwald. JuIien Cain.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 11 8254.
  () — 64
Page intérieure du magazine « La vérité sur Buchenwald.
Les survivants témoignent ». Buchenwald. Un déporté au visage tuméfié
« après un passage à tabac ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118430.
  () — 65
Page intérieure du magazine « La vérité sur Buchenwald. Les survivants
témoignent ». Buchenwald. Un déporté « dysentrique mourant », allongé
sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118433.
  () — 66
Dos de couverture du magazine « La vérité sur Buchenwald. Les survivants
témoignent ». Buchenwald. La « grille du camp » portant l’inscription
« Jedem das seine » (« À chacun son dû ») ; à l’arrière plan des déportés et
des soldats américains.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118427.
  () — 67
Camps de mort, couverture de l’ouvrage d’Irène Gaucher,
édition Julien Wolff, 1946. (coll.MRN).
Page intérieure de l’ouvrage Camps de mort. Buchenwald.
Un groupe de déportés, se dirigeant « vers l’infirmerie », en
tête le général Audibert (?).
P ’É S, [  12  1945]. AFP,  118431.
  () — 68
«Les témoins qui se firent égorger», couverture de l’ouvrage édité par
les éditions Défense de la France, collection Défense de l’Homme, 1946.
(coll.MRN).
  () — 69
Page intérieure de l’ouvrage «Les témoins qui se firent égorger».
Buchenwald. La « grille du camp » portant l’inscription
« Jedem das seine » (« À chacun son dû ») ; à l’arrière plan des déportés
et des soldats américains.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, °118427.
  () — 70
Page intérieure de l’ouvrage «Les témoins qui se firent égorger».
Dachau. Cadavres de deux déportés transportés dans une charrette
à bras.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118529.
  () — 71
Page intérieure de l’ouvrage «Les témoins qui se firent égorger». Dachau.
Examen du matricule tatoué sur le bras d’un déporté juif, survivant d’Auschwitz.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118522.
  () — 72
Page intérieure de l’ouvrage «Les témoins qui se firent égorger». Thekla. Cadavres
calcinés après l’incendie de l’usine de Thekla par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18   24  1945]. AFP, ° 111849.
  () — 73
Page intérieure de l’ouvrage «Les témoins qui se firent égorger». Photo en haut.
Dachau. Groupe de déportés français hissant le drapeau français à croix
de Lorraine et chantant La Marseillaise.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118551.
  () — 74
Après l’exposition « Crimes hitlériens » réalisée par
le GPRF (gouvernement provisoire de la République française) en juin
1945, au Grand Palais à Paris, des documents sont reproduits en série
afin d’aider les associations de résistants et de déportés à réaliser dans
tout le pays des expositions pour faire connaître les crimes nazis.
C’est ainsi qu’un grand nombre de ces tirages se trouve présent dans
les collections du musée de la Résistance nationale.
Concernant les photographies, certaines ne sont pas légendées
correctement, et aucune ne mentionne l’auteur. Parmi ces documents,
de très nombreuses photographies d’Éric Schwab prises à l’ouverture
des camps.
  () — 75
Buchenwald. Un groupe de déportés, se dirigeant « vers l’infirmerie »,
en tête le général Audibert (?).
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118431.
  () — 76
Buchenwald. Un déporté « dysentrique mourant », allongé sur sa paillasse.
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118433.
  () — 77
Buchenwald. « Déportés de la baraque 61 ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118428.
  () — 78
Buchenwald. Fours crématoires.
P ’É S, [  12  1945]. AFP.
(       S).
  () — 79
Buchenwald. Un déporté au visage tuméfié « après un passage à tabac ».
P ’É S, [  12  1945]. AFP, ° 118430.
  () — 80
Buchenwald. Groupe de déportés français et un enfant.
P ’É S, [  12  1945]. AFP.
Éric Schwab a pris plusieurs photographies de déportés français en compagnie
de cet enfant. Il y avait à la libération du camp environ un millier d’enfants
en provenance principalement des camps des pays de l’Est, pour la plupart
juifs. Le plus petit aurait eu trois ans. Ces enfants étaient regroupés dans des
baraquements spécifiques. 400 de ces enfants, dont Elie Wiesel, furent accueillis
en France.
  () — 81
Thekla. Cadavres calcinés après l’incendie de l’usine de Thekla
par les SS, le 18 avril 1945.
P ’É S, [  18   24  1945]. AFP, ° 118448.
  () — 82
Dachau. Les cadavres des déportés, morts dans le train qui les évacuait
de Buchenwald, abandonné aux portes du camp.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118510.
  () — 83
Dachau. Deux déportés transportent les cadavres de leurs camarades.
P ’É S, [ -  1945]. AFP, ° 118543.
  () — 84

 

Regardez ces photographies : ces morceaux de vérité arrachés, surpris quand
un monde de terreur enfin s’anéantit dans la liberté et le soleil des portes
ouvertes, après des années, sur la vie.
L’Allemagne, depuis 1934, était un camp de concentration, une usine à produire de la mort. Depuis la guerre et depuis Pétain, nous avons participé,
comme matière première, à l’effroyable activité de cette mortelle industrie.
Peut-être resterons-nous longtemps encore éblouis d’avoir traversé la mort,
d’avoir buté à tous nos réveils sur des cadavres. Regardez seulement : les nazis avaient inventé de nouvelles façons de faire souffrir et de faire mourir, de
conduire par les coups, la faim, la volonté d’humilier aux frontières de la mort,
quand i1s ne versaient pas d’un coup des centaines et des milliers de corps
d’hommes et de femmes - dans le feu ou dans les douches innocentes où le gaz
de la mort remplaçait l’eau.
Pourtant, nous autres qui sommes encore vivants, nous avons autre chose à
vous dire. Il y a tout ce que ces documents ne vous laisseront pas deviner, ou si
furtivement qu’il faudrait beaucoup s’appliquer, et savoir d’avance ce que l’on
va découvrir. Partout où vous verrez autre chose que des cadavres, partout où
restait si peu que ce soit de vie, il y a une terrible et farouche volonté de vivre,
c’est-à-dire d’esprit de résistance.
À présent, nous n’aurons plus à dire que des mots de lutte et d’espoir : comme
d’un négatif au positif, le noir vire au blanc, l’ombre de la mort a la trace de la
vie.
Nous autres qui sommes encore vivants, le hasard y est pour peu de chose.
Nous autres qui sommes encore vivants, c’est pour nous être retrouvés comme
des frères, a tâtons dans notre nuit.
Nous avons renoué les secrets de nos combats, poursuivi la lutte que nous avions menée dans la Résistance en France ; il n’y avait pour nous point d’Allemagne dans ce camp de concentration ; il n’y avait que nos gardiens d’Allemands.
Mais nous étions encore la France, ou bien la Russie, la Grèce ou bien la Yougoslavie — la France qui voulait vivre, combattre, vaincre.
C’est ainsi que beaucoup ont triomphé de la mort qui leur était réservée. I1s
ont retrouvé la France, quand i1s étaient déjà rayés du nombre des vivants, ces
hommes qui n’avaient même plus le droit de donner « signe de vie », selon Le
terrible terme allemand, les « NACHT UND NCBEL » (NUIT ET NUAGE), marques
du double N.
Naturellement, i1 a fallu inventer de nouvelles formes de la résistance. La
clandestinité, l’illégalité sous la plus pressante des contraintes ont dû se forger de nouvelles armes. Je crois même qu’il aura fallu inventer de nouveaux
visages au courage.
Je connais un camp où plus de la moitié des prisonniers étaient groupés dans
l’organisation illégale qui conduisait la résistance, le sabotage, la lutte pour
les revendications incessantes.
.
Je connais des camps où cette lutte prenait les formes les plus subtiles, et
d’abord la conquête de tous les postes occupés habituellement par des DROITS
COMMUNS allemands, d’où l’on pourrait le mieux aider ses camarades,
Je ne connais guère de camps où les nouvelles ne parvenaient pas, où les journaux n’etaient pas lus et commentés malgré l’interdiction, parfois sous la menace de mort, cette mort qui comptait si peu pour nos gardiens, mais aussi
pour nous.
  () — 85
 
 
Je ne connais guère de camps qui n’eussent leur appareil de radio, caché chaque soir dans un autre pan de mur, sous une autre table ; et lorsque celui qui
l’écoutait, un jour, était surpris et fusillé, une semaine après un autre poste
était monté.
Je connais des camps où les mouchards placés par les S.S ne vivaient pas la nuit
ni même l’heure qui devait leur suffire pour trahir.
Je connais des usines souterraines où travaillaient nos camarades détenus,
qui devaient être terminées en septembre 1944 et qui ne le furent (à peu près)
qu’en mars 1945, ou, chaque semaine, quelque chose brûlait, sautait ou s’effondrait.
Je dois encore vous décrire une scène, un moment que vous ne pouvez pas voir
sur ces photographies. Cette scène, j’en fus deux fois le témoin, à part quelques
variantes qui ne comptent guère.
C’etait quelques jours avant l’évacuation ou la libération d’un camp de concentration. Les S.S allaient partir, laissant le camp aux mains de la WEHRMACHT
(l’Armée). Mais 1’ordre secret était de détruire tous les détenus, les quelques
milliers de détenus qui restaient dans ce camp. Le camp avait construit une
usine souterraine. L’explosif était prêt à l’entrée des galeries. II ne s’agissait
plus que de faire entrer les 15.000 hommes du camp dans ces galeries et de
tout faire sauter. Tel était le plan, mais les hommes destinés à périr ainsi connaissaient ce dessein. Ils 1’avaiant appris grâce à des gardiens qu’ils avaient
entraîné, par leur exemple, dans la résistance et l’action illégale.
Brusquement, on nous donne 1’ordre de nous rassembler sur l’immense place
d’appel. La consigne est, à tous, de s’y rendre lentement, tandis qu’un petit
groupe occupe le barbelé, au fond du camp, d’accord avec deux sentinelles,
qui lui remettent déjà leurs armes. Sept d’entre nous, Français et Espagnols,
ont un revolver dans leur poche, la main sur la crosse, et nous les avons placés
à l’avant sur la place, a quelques pas du LAGER FUHRER (Chef de camp S.S)
qui veut nous parler : s’il donne 1’ordre d’ouvrir les portes, de nous conduire a
l’usine, il sera aussitôt abattu.
Mais il parle, faisant traduire tous les trois mots ce qu’il dit, pour reprendre
souffle ; il joue une partie de vie ou de mort, il se trouble déjà et s’affole comme
s’il le devinait. Il regarde nos visages fermes, les regards durs sur lesquels on ne
peut pas plus songer à s’appuyer que sur des baïonnettes.
  () — 86
 
 
Il nous propose seulement L’ABRI de l’usine souterraine, si nous voulons...
Alors, les bouches muettes depuis des mois s’ouvrent, alors, les hommes impuissants reconnaissent leur puissance et l’homme vert s’en va sous une huée,
vaincu.
Entraînés par notre exemple, quelques heures plus tard, ses propres soldats,
ses propres S.S devaient le tuer dans sa fuite.
Alors ainsi, nous eûmes conscience de notre force, non seulement telle qu’elle
était ce jour-la, si proche de la fin, mais telle qu’elle avait été des mois durant.
Nous eûmes conscience d’être restes des hommes libres dans la captivité !
Nous l’avions payé cher, terriblement. Moins peut-être dans nos corps et dans
nos souffrances que dans nos camarades morts dans ce combat, par ceux qui
manquent pour toujours, ceux qui font qu’il y aura toujours, à notre gauche et
à notre droite, la place d’un absent, comme une plaie toujours ouverte à nos
côtés.
Car vous voyez des morts entassés sur oes photographies, et nous leur donnons leurs noms, leurs noms fraternels, leurs noms innombrables de camarades tombés en combattant.
Mais quand on a ouvert les grandes fosses pleines de leurs corps, leurs espoirs
vivaient encore dans ces charniers. Et quand on brûlait leurs corps, nous retenions leur volonté de vaincre, elle est restée en nous.
André Ulman, Objectif, «Buchenwald, Landsberg, Nordhausen, Dachau,
Belsen, Ordruf, Leipzig, Sandbodtel», magazine édité par le Comité de libération
des reporters photos de presse, Sd. (coll.MRN)
  () — 87