n° 959 - 19 mars 2009 - Afghanistan-Pakistan
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n° 959 - 19 mars 2009 - Afghanistan-Pakistan
959 une OKPhilippe:Mise en page 1 17/03/09 16:15 Page 1 Internet Twitter plus fort que Google ? ÉTATS-UNIS Les réacs se réveillent FRANCE Pourquoi rejoindre l’OTAN SPÉCULATION Ruée sur les lingots www.courrierinternational.com N° 959 du 19 au 25 mars 2009 - 3 € Afghanistan-Pakistan LA LOI DES TALIBANS AFRIQUE CFA : 2 500 FCFA - ALGÉRIE : 420 DA - ALLEMAGNE : 3,50 € AUTRICHE : 3,80 € - BELGIQUE : 3,50 € - CANADA : 5,50 $CAN - DOM : 3,80 € ESPAGNE : 3,50 € - E-U : 5,50 $US - G-B : 3,00 £ - GRÈCE : 3,50 € IRLANDE : 3,80 € - ITALIE : 3,50 € - JAPON : 700 ¥ - LUXEMBOURG : 3,50 € MAROC : 25 DH - NORVÈGE : 46 NOK - PORTUGAL CONT. : 3,50 € SUISSE : 5,80 FS - TOM : 700 CFP - TUNISIE : 4,10 DTU M 03183 - 959 - F: 3,00 E 3:HIKNLI=XUXUU[:?a@t@f@t@a; Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 959 p3:Mise en page 1 17/03/09 17:36 Page 3 s o m m a i re ● d ’ u n c o n t i n e n t à l ’ a u t re 29 Palestine 10 france VU D ’ ITALIE Avec l’OTAN va, tout s’en va... VU D ’ ESPAGNE Encore et toujours de Gaulle VU D ’ ALLEMAGNE Un marché de dupes VU DU ROYAUME - UNI L’Europe fait pschitt Les Israéliens creusent un peu trop loin 12 europe IRLANDE DU NORD La réconciliation passe par l’école Qui a dit que les armes étaient dangereuses ? SUÈDE Millénium écorne une société trop sûre d’elle SUÈDE Rencontres à la “bibliothèque vivante” BELGIQUE Coup de blues pour le port d’Anvers RUSSIE Les souvenirs afghans du soldat Olenine ALLEMAGNE 18 amériques 32 En couverture 30 Madagascar La loi des talibans L’armée fait main basse sur le régime AMÉRIQUE LATINE Pour combattre les drogues, la dépénalisation ? Les consommateurs devant le juge ÉTATS - UNIS Les républicains veulent donner de la voix ARGENTINE Mystérieux naufrage dans le détroit de Magellan SALVADOR Victoire historique pour la gauche ÉTATS - UNIS Eviter que le rêve devienne un cauchemar COLOMBIE 23 asie SRI LANKA Désespérés, les Tigres sont encore dangereux Quand les anciens guérilleros pouponnent INDONÉSIE Pagaille électorale garantie CHINE Contre la corruption, faites comme Singapour CAMBODGE A quoi joue donc le pouvoir ? 42 Portfolio La Turquie de George Georgiou NÉPAL 28 moyen-orient PA L E S T I N E Jérusalem, capitale arabe de la culture Petits arrangements avec la morale PA L E S T I N E Les Israéliens creusent un peu trop loin KOWEÏT Je veux un méchoui, pas un grill 16 Amérique ÉGYPTE latine 30 afrique MADAGASCAR Signatures L’armée fait main basse sur le régime La rue impose sa loi à Antananarivo SOMALIE Le calvaire des Somaliennes MADAGASCAR Pour combattre les drogues, la dépénalisation ? e n q u ê t e s e t re p o r t a ge s ▶ En couverture : Un groupe de femmes à une trentaine de kilomètres de Peshawar, la capitale de la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest, 32 en couverture La loi des talibans 40 portrait Michel Ignatieff, un intello en politique 42 portfolio La Turquie de George Georgiou ▶ Les plus de courrierinternational.com ◀ i n t e l l i ge n c e s 46 économie au Pakistan. Photo Akhtar Soomro/The New York Times. r Comment le monde réagit et s’adapte FINANCES Le dilemme : réglementer ou dépenser ? INVESTISSEMENTS Nouvelle ruée vers l’or 48 sciences ÉNERGIE Mettez un hoazin dans votre moteur ! 49 technologie CAMOUFLAGE Cachez ce char que je ne saurais voir 50 multimédia USAGE Twitter, le petit site qui monte, qui monte rubriques 53 insolites Un chimpanzé doué d’anticipation 54 le livre Corpus Delicti, de Juli Zeh 54 saveurs Iran : agneau de Norouz mis au vert Dossier spécial Face à la crise A SPORT Basket Comment les joueurs changent le look de la NBA BLOG DES BLOGS JEU CONCOURS ; Un tour du monde de la blogosphère *g INSOLITES Découvrez nos inédits COURRIER INTERNATIONAL N° 959 3 ; Gagnez des DVD du film Le Sel de la mer de Annemarie Jacir DU 19 AU 25 MARS 2009 L CARTOONS Les galeries de dessins du monde entier k ARCHIVES Espace abonnés Retrouvez tous les dossiers John Moore/Getty Images 4 les sources de cette semaine 6 l’éditorial par Philippe Thureau-Dangin 6 l’invitée Alice Schwarzer, Die Welt, Berlin 9 à l’affiche Denis Mukwege 959p04 sources:Mise en page 1 17/03/09 18:59 Page 4 l e s s o u rc e s ● PARMI LES SOURCES CETTE SEMAINE CAMBODGE SOIR HEBDO 3 000 ex., Cambodge, hebdomadaire. Le titre, qui a vu le jour en octobre 2007, est la nouvelle formule hebdomadaire du quotidien Cambodge Soir, créé en 1995. Il est lu par les expatriés, les fonctionnaires et les étudiants francophones. Il propose des enquêtes et des reportages, ainsi qu’une analyse régionale signée de l’ancien correspondant du Monde, Jean-Claude Pomonti. DAILY MIRROR 43 000 ex., Sri Lanka, quotidien. Fondé en 1961, le journal fut d’abord propriété du groupe de presse The Times jusqu’à sa fermeture, en 1979. En 1999, l’homme d’affaires Ranjit Wijewardene a racheté le titre qui s’est rapidement imposé par le sérieux de ses analyses, devenant une référence, avec l’hebdomadaire Sunday Times, qui appartient au même groupe, Wijeya. THE DAILY TELEGRAPH 410 000 ex., Australie, quotidien. Fondé en 1879 à Sydney, “Le Télégraphe quotidien” n’a aucun lien avec son aîné londonien. Ce journal populaire, plutôt classé à droite, consacre beaucoup de place au sport et au people, ce qui ne l’empêche pas de traiter aussi sérieusement de l’actualité nationale et internationale. DAWN 138 000 ex., Pakistan, quotidien. Dawn a été créé en 1947 lors de l’indépendance du Pakistan par Muhammad Ali Jinnah, père de la nation et premier président. Un des premiers journaux pakistanais de langue anglaise, il jouit d’un lectorat d’environ 800 000 personnes. Il appartient au groupe Pakistan Herald Publications, fondé également par M. A. Jinnah. THE ECONOMIST 1 337 180 ex., Royaume-Uni, hebdomadaire. Grande institution de la presse britannique, le titre, fondé en 1843 par un chapelier écossais, est la bible de tous ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale. Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrême centre”. Imprimé dans six pays, il réalise environ 85 % de ses ventes à l’extérieur du Royaume-Uni. EL ESPECTADOR 80 000 ex., Colombie, quotidien. Créé en 1887, le titre est l’un des plus dynamiques du pays jusqu’en 2000. Ses prises de position, notamment contre les cartels de la drogue, lui valent une renommée internationale. Des difficultés financières l’obligent à passer hebdomadaire, mais, en 2008, il redevient quotidien, salué par la presse internationale. L’ESPRESSO 430 000 ex., Italie, hebdomadaire. Fondé en 1955 par Eugenio Scalfari, qui créera ensuite La Repubblica, le titre s’est vite imposé comme le grand hebdomadaire de centre gauche. Il appartient à l’industriel piémontais Carlo De Benedetti, qui possède également La Repubblica. Il mène une lutte acharnée contre la politique de Silvio Berlusconi. chaque semaine 3,1 millions d’exemplaires aux Etats-Unis et plus de 900 000 dans le reste du monde. FOKUS 22 000 ex., Suède, hebdomadaire. Créé en décembre 2005, le titre est le premier hebdomadaire d’informations générales de Suède. Créé sur le modèle de Newsweek, il mêle actualité de la semaine, analyses et reportages ambitieux sur la politique nationale et internationale, les questions de société, l’économie et la culture. 377 000 ex., Allemagne, quotidien. Fondée en 1949 et menée par une équipe de cinq directeurs, la FAZ, grand quotidien conservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires et intellectuels allemands. THE FRIDAY TIMES 60 000 ex., Pakistan, hebdomadaire. Se définissant comme “audacieux, indépendant et sérieux”, le magazine dirigé par Najam Sethi, journaliste de renom, a souvent subi des pressions de la part des autorités pakistanaises. Malgré ces difficultés, il continue à mener son combat pour la liberté d’expression. THE GUARDIAN 364 600 ex., Royaume-Uni, quotidien. Depuis 1821, l’indépendance, la qualité et l’engagement à gauche caractérisent ce titre qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. THE INDEPENDENT 240 500 ex., Royaume-Uni, quotidien. Créé en 1986, c’est l’un des grands titres de la presse britannique de qualité. Il se distingue de ses concurrents par son indépendance d’esprit, son engagement proeuropéen et ses positions libérales sur les questions de société. KOMMERSANT-VLAST 53 900 ex., Russie, hebdomadaire. Vlast, “Le Pouvoir”, lancé en 1997, est l’hebdomadaire phare du groupe Kommersant. Ce magazine vise un public de “décideurs” – chefs d’entreprise, “nouveaux Russes”… – avec des informations et des analyses spécifiques, mais publie aussi de bons reportages et montre des photos de grande qualité. DER SPIEGEL 1 076 000 ex., Allemagne, hebdomadaire. Un grand, très grand magazine d’enquêtes, lancé en 1947, agressivement indépendant et à l’origine de plusieurs scandales politiques. THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex. LA STAMPA 400 000 ex., OUTLOOK 250 000 ex., AL-HAYAT 110 000 ex., Arabie Saoudite (siège à Londres), quotidien. “La Vie” est sans doute le journal de référence de la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gauche ou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public. LIANHE ZAOBAO 200 000 ex., Singapour, quotidien. Lancé en 1983, c’est l’un des quotidiens de référence de la région et le premier en langue chinoise de la cité-Etat. Appartenant au Singapore Press Holdings, il s’est fixé pour ligne éditoriale la protection des intérêts nationaux, mais reste une source précieuse d’informations sur la région. LOS ANGELES TIMES 851 500 ex., Etats-Unis, quotidien. Cinq cents grammes de papier par numéro, 2 kilos le dimanche, une vingtaine de prix Pulitzer : c’est le géant de la côte Ouest. Créé en 1881, il est le plus à gauche des quotidiens à fort tirage du pays. MADAGASCAR-TRIBUNE.COM <www.madagascar-tribune.com>, Madagascar. Quotidien en ligne, propriété de l’homme de presse Rahaga Ramaholimihaso. Ce dernier, fondateur du titre Madagascar Tribune, a revendu en décembre 2008 la version papier pour ne conserver que le site Internet. MO* 15 000 ex., Belgique, mensuel. Edité par une ONG flamande, MO* (Mondiaal magazine) fait partie de la mouvance altermondialiste. Apportant un regard critique positif sur la politique belge et le déséquilibre planétaire Nord-Sud, il tente d’aborder différemment les sujets de société liés au modèle multiculturel belge. Inde, hebdomadaire. Créé en octobre 1995, le titre est très vite devenu l’un des hebdos de langue anglaise les plus lus en Inde. Sa diffusion suit de près celle d’India Today, l’autre grand hebdo indien, dont il se démarque par ses positions nettement plus critiques. EL PAÍS 444 000 ex. (777 000 ex. le dimanche), Espagne, quotidien. Né en mai 1976, six mois après la mort de Franco, “Le Pays” est une institution. Il est le plus vendu des quotidiens d’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleurs journaux du monde. Plutôt proche des socialistes, il appartient au groupe de communication PRISA. THE NATION 117 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Fondé par des abolitionnistes en 1865, résolument à gauche, The Nation est l’un des premiers magazines d’opinion américains. Des collaborateurs tels que Henry James, Jean-Paul Sartre ou Martin Luther King ont contribué à sa renommée. PÚBLICO 60 000 ex., Portugal, quotidien. Lancé en 1990, “Public” s’est très vite imposé, dans la grisaille de la presse portugaise, par son originalité et sa modernité. S’inspirant des grands quotidiens européens, il propose une information de qualité sur le monde. NEPALI TIMES Népal, Fondé en 1971, le titre est le premier news magazine du Chili. D’abord à droite, il s’est positionné ces dernières années au centre gauche, une orientation conforme à l’évolution d’une partie de la société chilienne. hebdomadaire. Cette publication généraliste en langue anglaise éditée à Katmandou offre un regard critique sur la politique gouvernementale. Elle défend bec et ongles son indépendance et se distingue par sa qualité d’écriture. NEWSWEEK 4 000 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Créé en 1933 sur le modèle de Time, le titre est le deuxième magazine le plus lu par les Américains. Il est, en revanche, le tout premier sur le plan international. Il compte quatre éditions en anglais et huit en langues locales. Sa diffusion atteint des francophones de Belgique. Riche en suppléments et pionnier sur le web, le premier journal de Bruxelles et de la Wallonie voit néanmoins ses ventes s’éroder d’année en année. NEW YORK MAGAZINE 437 000 ex., Etats-Unis, hebdomadaire. Consacré pour une bonne part à la ville de New York, cet hebdomadaire, qui se concentre sur ses vedettes, ses modes, sa vie nocturne et ses programmes culturels, est souvent à l’affût de scandales et de crises politiques. (1 700 000 le dimanche), Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, c’est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée). FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG Courrier international n° 959 QUÉ PASA Chili, hebdomadaire. SAN JOSE MERCURY NEWS Etats-Unis, quotidien. Ce journal de la baie de San Francisco, en Californie, fut le premier en Amérique à lancer une édition électronique. Ces “Nouvelles de Mercure”, qui penchent plutôt à gauche, publient volontiers de grandes enquêtes. LE SOIR 125 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1887, le titre s’adresse à l’ensemble Italie, quotidien. Le titre est à la fois le principal journal de Turin et le principal quotidien du groupe Fiat, qui contrôle 100 % du capital à travers sa filiale Italiana Edizioni Spa. Depuis quelque temps, La Stampa fait place à une grande photo à la une, ce qui lui a valu plusieurs prix de la meilleure une en 2000. DE STANDAARD 95 000 ex., Belgique, quotidien. Lancé en 1918, le journal de référence de l’establishment flamand a pris ses distances, ces dernières années, avec le monde catholique tout en conservant sa foi dans le combat linguistique. Grâce à la qualité de ses analyses et de ses suppléments, le quotidien affiche son ambition : devenir un “journal de qualité de niveau européen” TEMPO 160 000 ex., Indonésie, hebdomadaire. Le titre fut publié pour la première fois en avril 1971 par P.T. Grafitti Pers, dans l’intention d’offrir au public indonésien de nouvelles façons de lire l’information : une liberté d’analyse et le respect des divergences d’opinion. VENTIQUATTRO 430 000 ex., Italie, mensuel. Lancé en 2000, le titre est le supplément mensuel du prestigieux quotidien économique Il Sole-24 Ore. Ce magazine grand format sur papier glacé sort chaque premier samedi du mois. Il se veut “lent, curieux et élégant, avec l’ambition de rendre au lecteur l’envie de lire de belles histoires”. THE WALL STREET JOURNAL 2 000 000 ex., Etats-Unis, quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution : d’un côté, des enquêtes et reportages de grande qualité ; de l’autre, des pages éditoriales tellement partisanes qu’elles tombent trop souvent dans la mauvaise foi la plus flagrante. DIE WELT 202 000 ex., Allemagne, quotidien. “Le Monde”, porte-drapeau des éditions Springer, est une sorte de Figaro à l’allemande. Très complet dans le domaine économique, il est aussi lu pour ses pages concernant le tourisme et l’immobilier. Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 € Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA. Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication ; Régis Confavreux Conseil de surveillance : David Guiraud, président ; Eric Fottorino, vice-président Dépôt légal : mars 2009 - Commission paritaire n° 0712C82101 ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France RÉDACTION 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel lecteurs@courrierinternational.com Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16) Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98) Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43) Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54), Chef des informations Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Directrice artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Europe de l’Ouest Eric Maurice (chef de service, Royaume-Uni, 16 03), Gian-Paolo Accardo (Italie, 16 08), Anthony Bellanger (France, 16 59), Danièle Renon (chef de rubrique Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Marc Fernandez (Espagne, 16 86), Daniel Matias (Portugal), Wineke de Boer (Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Rasmus Egelund (Danemark), Philippe Jacqué (Irlande), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Laurent Sierro (Suisse) Europe de l’Est Alexandre Lévy (chef de service, 16 57), Laurence Habay (chef de rubrique, Russie, Caucase, 16 36), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Agnès Jarfas (Hongrie), Kamélia Konaktchiéva (Bulgarie), Larissa Kotelevets (Ukraine), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Gabriela Kukurugyova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie) Amériques Jacques Froment (chef de service, Amérique du Nord, 16 32), Bérangère Cagnat (Etats-Unis, 16 14), Marc-Olivier Bherer (Canada), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Hidenobu Suzuki (chef de service, Japon, 16 38), Agnès Gaudu (chef de rubrique, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Christine Chaumeau, François Gerles (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (Egypte, 16 35), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Moyen-Orient) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Anne Collet (Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), Hoda Saliby (Maroc, Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Gina Milonga Valot (Angola, Mozambique), Liesl Louw (Afrique du Sud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Multilatéral Catherine André (chef de service, 16 78) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Sciences Eric Glover (chef de service, 16 40) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices & saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74) Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Bélœil (rédactrice, 17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari (webmestre, 17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot (marketing, 16 87) Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97), Caroline Marcelin (16 62) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, anglais, allemand, roumain, 16 77), Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol) Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet (16 83), Lidwine Kervella (16 10) Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia , Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Fabrication Patrice Rochas (directeur) et Nathalie Communeau (directrice adjointe, 01 48 88 65 35). Impression, brochage : Maury, 45191 Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Hanno Baumfelder, Gilles Berton, Aurélie Boissière, Marianne Bonneau, Jean-Baptiste Bor, Emilie Chaudet, Geneviève Deschamps, Alexandre Errichiello, Lucie Geffroy, Marion Gronier, Françoise Liffran, Jean Perrenoud, Josiane Pétricca, Pauline Planchais, Margaux Revol, Stéphanie Saindon, Isabelle Taudière, Anne Thiaville, Emmanuel Tronquart, Zaplangues, Zhang Zhulin ADMINISTRATION - COMMERCIAL Directeur délégué Régis Confavreux (17 46). Assistantes : Sophie Jan et Natacha Scheubel (16 99). Responsable contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05), Laura Barbier. Responsable des droits : Dalila Bounekta (16 16). Comptabilité : 01 48 88 45 02 Relations extérieures Victor Dekyvere (16 44) Partenariats Sophie Jan (16 99) Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick de Baecque. Responsable publications : Brigitte Billiard. 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Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour les kiosques Canada et Etats-Unis, et un encart Abonnement broché pour les kiosques France métropolitaine ; un encart Plan international broché pour les abonnés France métropolitaine et un encart Cercle de la presse jeté pour une partie des abonnés France métropolitaine. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 4 DU 19 AU 25 MARS 2009 Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 17/03/09 18:06 Page 6 É D I TO R I A L Benjamin Kanarek Un Pakistan étonnamment plastique Un coup à droite, un coup à gauche. D’abord une entente tactique avec les talibans, ensuite un geste vers la société civile. Autant dire que le gouvernement pakistanais navigue à vue. Le 15 février, le président Asif Zardari accepte un cessez-le-feu dans la vallée de Swat, dans le nord-ouest du pays, qui donnait de facto le pouvoir aux forces islamistes. Un mois plus tard, le 16 mars, il décide de libérer Iftikhar Chaudhry, le chef de la Cour suprême, et de le réintégrer dans ses fonctions. Dans les deux cas, l’ancien mari de Benazir Bhutto n’a fait qu’obéir à l’armée. Car les généraux ne parviennent toujours pas à dompter le soulèvement des talibans dans cette partie du Pakistan que l’on peut appeler le Pachtounistan. Et ils ont craint que la marche organisée par l’opposition en vue d’obtenir la libération de Chaudhry ne dégénère en révolte violente. On pourra voir là une victoire de l’opposant Nawaz Sharif (ancien Premier ministre) et un affaiblissement du président Asif Zardari. On pourra aussi y voir le résultat de la situation chaotique dans laquelle se trouve le Pakistan. Mais c’est peut-être une erreur d’optique. Ces événements montrent aussi la capacité du Pakistan à survivre. Sous la férule du général Kayani, l’armée joue désormais les arbitres, mais n’entend plus comme avant être un acteur politique. La libération de Chaudhry est évidemment une bonne nouvelle pour la démocratie, et l’on peut dire qu’il en est de même de la promesse du président de revoir la question de l’inéligibilité de Nawaz Sharif. D’ailleurs, si l’opposition conservatrice a réussi à s’unir (outre la Ligue musulmane de Sharif, très forte au Pendjab, elle comprend le très islamiste Jamaat-i Islami ainsi que la formation de l’ancien champion de cricket Imran Khan), c’est autour d’un mot d’ordre : la souveraineté du pays. Un souci que peuvent aussi partager les élites occidentalisées de Karachi proches du pouvoir. Cette souveraineté devra sans doute, comme le propose le quotidien Dawn, être étayée par une refonte des institutions. Le Pakistan deviendra une sorte de confédération où chacun régnera chez soi. Et, quoi qu’en pense la communauté internationale, le pouvoir taliban régnera sur un tiers du pays, dans les Zones tribales, à l’ouest et au nord. Philippe Thureau-Dangin L E D E S S I N D E L A l’invitée L Alice Schwarzer ● Die Welt, Berlin a police allemande l’a expliqué sans ambiguïté a trouvé chez lui pas moins de 4 600 cartouches. Ce qui dès sa première conférence de presse, le 11 mars : n’est pas une surprise, c’est que le discret Tim consom“Les victimes sont essentiellement des filles.” Tim mait des vidéos pornographiques et violentes, et passait Kretschmer, le forcené de Winnenden, a tiré sur chaque jour, paraît-il, des heures sur Internet. Au lieu 19 personnes dans son ancien lycée. Sur ces de s’intéresser à ses anciennes enseignantes, peut-être vau19 victimes (12 morts et 7 blessés), 18 sont de drait-il mieux s’interroger sur la vie parallèle qu’il menait, sexe féminin. Il n’y a eu dans l’établissement dans un monde virtuel plein de héros violents. qu’un mort de sexe masculin : un garçon d’oriLe neuropsychologue munichois Henner Ertel a tiré la gine albanaise. Ce n’est qu’une fois dehors que le forcené, sonnette d’alarme dès 2007. L’Institut de psychologie en fuite, a tiré au hasard et tué trois hommes qui se trourationnelle, qu’il dirige, étudie depuis trente ans les effets vaient sur son chemin. Le drame qui s’est déroulé dans la de la pornographie. Les chercheurs ont constaté “une évopetite ville souabe de Winnenden est donc le premier maslution spectaculaire au cours des cinq dernières années”. “La sacre en Allemagne à avoir la misogynie pour mobile. violence est aujourd’hui un moyen légitime pour obtenir ce que Le coupable, un garçon de l’on souhaite.” Ce qui provoque 17 ans, avait la réputation des modifications dans le cerd’être coincé. Il s’était jadis veau, lequel “adapte ses stratésenti “harcelé” par une enseigies de traitement des informagnante. “Il la haïssait faroutions et se protège contre le flot de chement, comme toutes les violence et de pornographie en femmes en général”, a confié un s’insensibilisant”. Et d’ajouter : voisin de la famille au quoti“L’intelligence émotionnelle et la dien Bild. Dieter Lenzen, spécapacité d’empathie ont considécialiste de l’éducation et prérablement diminué chez les jeunes. ■ Née en 1942, l’Allemande Alice Schwarsident de l’Université libre La sexualité est aujourd’hui pour zer est depuis les années 1970 une figure de Berlin, est aussitôt interla majorité des jeunes hommes, de proue du mouvement des femmes. Edivenu pour déclarer : “Les garmais aussi pour de nombreuses torialiste et directrice du magazine féministe Emma, elle est l’auteur de nombreux çons sont les perdants du systèjeunes femmes, indissociablement ouvrages. L’interdiction de la pornographie me d’enseignement allemand.” liée à la violence.” Le machisme compte parmi ses chevaux de bataille. Pour une raison simple : ils exacerbé – c’est-à-dire le mansont “en général pris en charge que d’assurance associé à la par des enseignantes dès l’école primaire, ce qui les empêche de mégalomanie – joue un rôle central dans pratiquement tous développer une identité masculine”. les cas de violences commises par des hommes en temps de Une “identité masculine” – qu’est-ce donc ? Marc paix. Le rêve de toute-puissance masculine et le désir de Lépine, 25 ans, a montré en 1989 au Canada jusqu’où mort sont de la dynamite. Il suffit que l’intéressé subisse peut aller un homme qui n’est pas sûr de lui : il a fait irrup– ou ait l’impression de subir – une offense de la part d’une tion dans une salle de classe de l’Ecole polytechnique femme (un rejet, par exemple) pour que l’étincelle fatale se de Montréal en criant : “Je veux les femmes !” Puis il a produise. Comment peut-on éviter que ces “perdants” ne abattu 14 filles élèves ingénieurs en hurlant : “Vous n’êtes deviennent des criminels ? Certainement pas par plus qu’une bande de féministes ! Je hais les féministes !”, avant de de virilité, comme le demande le Pr Lenzen, mais par plus se donner la mort. Fils d’une Canadienne et d’un Algéd’humanité ! Il faut pour cela des parents et des profesrien, il était électricien, au chômage, et n’avait pas été pris seurs attentifs, vigilants, davantage de psychologues et de dans cette école d’ingénieurs. travailleurs sociaux dans les écoles, et une éducation qui Le jeune Tim semble lui aussi avoir manqué de privilégie non pas l’apitoiement sur soi-même et la “viriconfiance en lui. Rien n’indique cependant qu’il ait manlité”, mais l’empathie et l’humanité. Encore faut-il, avant qué de modèles masculins, bien au contraire : son père, qui de soigner le mal, commencer par en identifier les racines se présente manifestement comme un homme fort et viril, et les nommer clairement ! passe à Winnenden pour un “fou des armes”. Membre du (Voir aussi page 12.) club de tir local, il possède en tout 15 armes. Et la police L’assassin était misogyne DR 959p06:Mise en page 1 S E M A I N E LA FRANCE VUE DE L’ÉTRANGER ■ ▶ En Israël, le Likoud (droite dure) et Israël Beiteinou (extrême droite) devraient former ensemble le nouveau gouvernement. Avigdor Lieberman deviendrait alors ministre des Affaires étrangères. Son parti aurait aussi les portefeuilles de la Sécurité intérieure, des Infrastructures, du Tourisme et de l’Intégration. Rencontre Avec Anthony Bellanger de Courrier international et Anastasie Tsangary-Payen de l’Opéra, animée par les étudiants de Sciences-Po Lyon à l’Opéra de Lyon. LE MERCREDI 25 MARS À 18H30 A L’AMPHI DE L’OPÉRA (NIVEAU -2) ENTRÉE LIBRE Dessin de Joep Bertrams paru dans Het Parool, Amsterdam OPÉRA DE LYON 1, Place Comédie 69001 Lyon, France Sur www.courrierinternational.com, retrouvez chaque jour un nouveau dessin d’actualité, et plus de 3 000 dessins en consultation libre COURRIER INTERNATIONAL N° 959 6 DU 19 AU 25 MARS 2009 Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 17/03/09 18:23 Page 9 à l ’ a ff i c h e I La vie à petits points DENIS MUKWEGE, 53 ans, gynécologue répa- rateur. Ce médecin congolais vient de recevoir le prix Olof Palme “pour son action humanitaire en république démocratique du Congo”. Il travaille auprès des femmes victimes de violences sexuelles, effectuant des reconstructions vaginales. bandes armées de prendre le contrôle de vastes portions de territoire, qu’elles exploitent à leur profit, où elles prélèvent des taxes, où elles sèment des enfants nés du viol. Fils d’un pasteur ministre d’une église pentecôtiste de Bukavu, troisième d’une famille de neuf enfants, Denis Mukwege, dans sa jeunesse, accompagne souvent son père dans ses visites pastorales. Au-delà de la prière, il veut aider les patients sur le plan médical et, après des études de médecine au Burundi, il se retrouve à Lemera, un hôpital protestant installé au Sud-Kivu [dans l’extrême est de la RDC]. Là, déjà, bien avant la guerre, le jeune médecin est surpris par les souffrances que rencontrent les femmes durant l’accouchement : atteintes de malnutrition, PERSONNALITÉS DE DEMAIN PABLO PINEDA mariées trop jeunes, elles ont le bassin trop étroit et les naissances doivent souvent se faire par césarienne. Il arrive aussi que, venant de campagnes reculées, les femmes qui ont attendu trop longtemps pour chercher de l’aide soient saignées à blanc à leur arrivée à l’hôpital et meurent en couches. Denis Mukwege se détourne alors de son premier choix, la pédiatrie, et choisit de mener une spécialisation en gynécoobstétrique au CHU d’Angers. Revenu à Lemera, il forme des équipes de soutien aux femmes, mais l’hôpital sera détruit en 1996 durant la première guerre du Congo. Mukwege s’installe alors à Panzi, le grand hôpital public de Bukavu [capitale du Sud-Kivu], où il veut créer une section spéciale pour les parturientes. Mais les bandes armées terrorisent les campagnes, et une autre urgence s’impose : par centaines, des femmes victimes de violences sexuelles se traînent jusqu’à l’hôpital. Dans la ville, elles errent comme des parias ; à l’hôpital, les autres malades les rejettent. Mukwege se forme alors à une technique très particulière, la reconstruction vaginale, qui n’était jusque-là pratiquée qu’au Fistula Hospital d’Addis-Abeba. Des infirmiers, des accoucheuses et d’autres médecins de Panzi seront également initiés à ces interventions très délicates. Aujourd’hui, le service spécialisé de Panzi reçoit en moyenne 10 femmes par jour et en accueille 500 autres, en attente d’intervention. La plus grande joie du Dr Mukwege : réparer une femme et lui permettre de reprendre une vie aussi normale que possible. Son plus grand désespoir : voir ses patientes revenir quelques mois plus tard, après être rentrées au village et avoir subi de nouvelles violences sexuelles. Colette Braeckman, Le Soir, Bruxelles ILS ET ELLES ONT DIT ■ Binaire “Soit on a du gaz, soit on n’en a pas. En Russie, on en a.” A propos de la signature, le 10 mars dernier, de l’accord russo-hongrois ▲ Dessin sur la construction de Mayk, du tronçon honMalmö. grois du gazoduc SouthStream, promu par la Russie pour contourner l’Ukraine. (Izvestia, Moscou) HASSAN QASHQAVI, porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien ■ Cinéphile “Hollywood a en préparation trente films anti-iraniens, visant à nuire à l’identité historique et religieuse de l’Iran, mais aussi à ses valeurs, dont l’hospitalité”, at-il déclaré, citant les films 300 et The Wrestler. (Tehran Times, Téhéran) VAN MORRISON, chanteur irlandais ■ Exclusif “La seule chose que j’aime, c’est la musique. Le reste, c’est de la merde absolue”, confiet-il, à la veille d’une tournée au Royaume-Uni, dans une interview où il critique durement l’industrie musicale. (The Daily Telegraph, Londres) GEORGE CLOONEY, acteur américain ■ Animal “En tant que mammifère, je suis choqué.” L’association de protection des animaux PETA lui a pro- VIKTOR BOUT, trafiquant d’armes russe posé de fabriquer du tofu parfumé à sa sueur. (The New York Times, New York) ■ Alambiqué “C’est des mensonges et des conneries.” Interviewé par la chaîne britannique Channel 4 dans la prison de Bangkok où il croupit depuis son arrestation, en mars 2008, il nie avoir fourni des armes aux talibans et à Al-Qaida, comme les Etats-Unis l’en accusent. Mais il n’exclut pas que ses avions aient pu en transporter à son insu. (The Observer, Londres) THAKSIN SHINAWATRA, ancien Premier ministre thaïlandais ■ Reconnaissant “Je ne sais pas si je dois condamner la junte militaire [qui l’a renversé en 2006] ou la remercier pour avoir gelé mes avoirs – sinon, je les aurais probablement in vestis en Bourse et j’aurais tout ▶ Dessin de Bateup, perdu.” Avant de Australie. se lancer en politique, il avait fait fortune dans les télécoms. “J’espère pouvoir la récupérer, c’est l’argent de la famille”, considère-t-il. (The Nation, Bangkok) COURRIER INTERNATIONAL N° 959 9 CWS VLADIMIR POUTINE, Premier ministre russe MOSES MATSIKO, ressortissant ougandais ■ Rescapé “Je suis très content d’avoir travaillé en Irak, même si on m’a tiré dessus sept fois.” Comme 10 000 de ses compatriotes, il est employé dans une société de sécurité privée en Irak. (The Christian Science Monitor, Boston) DU 19 AU 25 MARS 2009 Lui aussi e jeune homme de 34 ans, originaire de Málaga, s’apprête à enseigner dans les classes du collège Miguel de Cervantes de Cordoue. Jusqu’ici, rien que de très ordinaire. Pourtant, Pablo Pineda est un cas unique au sein de l’Union européenne, puisque ce jeune diplômé est atteint du syndrome de Down – autrement dit de trisomie 21. “Les familles sont toujours effrayées par les personnes atteintes du syndrome de Down, que nous soyons les professeurs ou les petits amis de leurs enfants. Moi, j’en ai assez d’être considéré comme un éternel enfant. Je veux enseigner”, affirme l’intéressé. Il l’a clamé haut et fort en réalisant un long-métrage, Moi aussi. “C’est une manière de réaffirmer les droits des trisomiques. Moi aussi je peux le faire, moi aussi je peux étudier, moi aussi je peux tomber amoureux.” Dans sa classe, où il donne des cours de cinéma, les enfants l’ont tout de suite accepté. Il sait que sa nomination comme professeur peut donner lieu à plusieurs types de réactions. Mais, aujourd’hui, il veut surtout donner de l’espoir aux enfants qui se trouvent dans sa situation et leur montrer qu’un avenir est possible. Porte-parole de cette cause, il voudrait surtout en finir avec les préjugés. C (D’après El País, Madrid) AGUSTINA VIVERO Drôle d’idole ’ improbable succès de cette jeune Argentine de 17 ans est tel que The New York Times vient de lui consacrer un grand article, racontant comment cette adolescente ni très belle ni très mince, ouvertement homosexuelle, piercée, est devenue une star dans son pays. Plus connue sous le pseudonyme de Cumbio (dérivé de cumbia, nom d’une danse populaire en vogue en Amérique du Sud), Agustina Vivero est une “flogueuse” : comme la plupart des ados branchés d’Argentine, elle affiche les photos de sa vie quotidienne sur son blog. C’est grâce à l’initiative originale qu’a eue Cumbio de réunir les “flogueurs” devant le centre commercial d’Abasto, à Buenos Aires, et de mettre en ligne les photos de leurs rassemblements colorés, que l’adolescente a fait parler d’elle dans les médias. Et qu’elle a ainsi été repérée par Nike, qui cherchait des “vraies gens” pour une campagne de pub. Depuis, elle n’arrête pas, faisant la promotion d’une ribambelle de marques ou de l’usage des préservatifs ; elle vient de publier son autobiographie (Moi, Cumbio), et un documentaire sur elle est en cours de tournage. Et pourtant, “elle n’a aucun talent particulier”, souligne le quotidien argentin Página 12. Mais elle a des parents très aimants, qui la soutiennent – une mère femme au foyer, un père plombier, qui gagne moins d’argent qu’elle. La seule chose qu’ils lui demandent, c’est de payer elle-même ses factures de téléphone et d’Internet. L DR l y a un an, le Dr Denis Mukwege a cessé de poser des questions à ses patientes. Il s’est contenté, avec des gestes doux, de les examiner et, suivant ses propres termes, de les “réparer”. De reconstituer ou de recoudre un appareil génital détruit, d’essayer de rendre ces femmes à la vie. Il n’en pouvait plus d’écouter ces récits pathétiques par lesquels, avec des mots simples, les femmes du SudKivu racontaient comment elles avaient eu le ventre labouré par leurs violeurs opérant en série. Les entrailles ouvertes avec des tessons de bouteille, des matraques, la gueule des fusils. Le Dr Mukwege connaît leur histoire, toujours la même : ces femmes ont réussi à échapper à leurs geôliers, se sont traînées à travers la forêt, ont été rejetées par leur famille et leur communauté, marquées à jamais par le sang et la honte. Constatant que depuis des années rien ne changeait, que les femmes du Kivu étaient abandonnées aux bandes armées hantant les forêts de la région sans que rien soit fait pour traquer et arrêter les violeurs, le médecin s’est résolu à porter la question sur le plan international. Le prix des Nations unies, qu’il a reçu fin 2008, et le prix Olof Palme, qui lui a été remis il y a quelques semaines, ne sont pas seulement la récompense de son travail et de son engagement ; ils indiquent que le monde, enfin, prend conscience de l’horreur absolue qui règne dans ces campagnes du Kivu, où le ventre des femmes est devenu un nouveau champ de bataille. Là-bas, en effet, en s’attaquant aux femmes, qui sont le pilier des communautés villageoises, les bandes armées provoquent le départ des paysans. La terre se libère alors, et avec elle les périmètres miniers d’où sont extraits la cassitérite et le coltan… Le martyre des populations permet à des Fredrik Sandberg/AFP RDC ● DR 959p09:Mise en page 1 959p10-11SA france:Mise en page 1 17/03/09 18:31 Page 10 f ra n c e ● L’OTAN, UN DÉBAT POUR RIEN V U D ’ I TA L I E Avec l’OTAN va, tout s’en va… En Italie, le débat français sur l’OTAN paraît bien abscons. La Stampa estime que ce “retour” dans la structure de commandement ne va rien changer. Alors, pourquoi revenir ? Peut-être pour des raisons strictement psychologiques. LA STAMPA Turin epuis quelques semaines, l’opinion publique française – hommes politiques, journalistes et intellectuels en tête – se passionne pour un débat qui, vu d’Italie, paraît un peu dépassé : la France doit-elle annuler la décision prise en 1966 par le général de Gaulle et rejoindre le commandement militaire intégré de l’OTAN ? Une décision qui fit grand bruit à l’époque, en ce qu’elle consacra, au moment même de la création d’une force de dissuasion nucléaire ou force de frappe*, l’autonomie de la France à l’égard de la suprématie militaire américaine. Certains – surtout à gauche, paradoxalement – considèrent comme inutile, voire inopportun, l’abandon de cet héritage gaulliste. Mais des sondages ont montré que la position défendue par Sarkozy faisait l’objet, principalement parmi les jeunes, d’un large consensus. Les tendances d’un dernier sondage révèlent qu’une majorité plus grande encore de Français est favorable à l’abandon de la glorieuse solitude gaullienne. En Italie, où, plus que de gloire passée, on aime parler de fautes actuelles, un tel débat semble à peine compréhensible et donc particulière- D ▶ Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Genève. ■ Et la Turquie ? Qu’a obtenu Ankara en échange du retour de Paris dans l’OTAN ? s’interroge le quotidien hongrois Népszabadság. “Peut-être que Paris fasse preuve de plus de bienveillance à l’égard de la Turquie dans son processus d’adhésion à l’Union européenne.” Après tout, la Turquie est membre de plein exercice de l’OTAN et dispose donc d’un droit de veto. ment abstrait. Probablement à juste titre. Mais, en réalité, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN et le fait que le Sarkozy d’aujourd’hui relègue aux oubliettes le de Gaulle d’hier ne changent strictement rien. Cela ne change rien sur le plan du principe de la souveraineté nationale, puisque les décisions de l’OTAN sont prises à l’unanimité et parce que l’envoi de soldats ne se fait que sur la base du volontariat. Cela ne change rien sur le plan de l’efficacité militaire puisque, indépendamment de sa place dans le com- mandement intégré, la France a participé à toutes les initiatives de l’Alliance atlantique ces dernières années, de la Bosnie-Herzégovine au Kosovo, en passant par l’Afghanistan. En réalité, cela ne change rien non plus sur le plan politique. En son temps, le geste de De Gaulle a très clairement marqué une prise de distance à l’égard de la suprématie politico-militaire des Etats-Unis. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et l’état des relations franco-américaines se mesure sur des terrains qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’OTAN, comme celui de la guerre en Irak, les questions moyenorientales, les relations avec la Russie ou la crise géorgienne. Il reste évidemment une valeur symbolique à être membre ou non d’une structure militaire intégrée et à accepter ou non, le cas échéant, les ordres d’un général américain ou d’un quelconque autre pays de l’Alliance. Mais, comme nous l’avons souligné, les jeunes générations accordent peu d’importance à tout cela, peutêtre aussi parce qu’elles ont moins conscience de ce qu’est exactement l’OTAN et de ce à quoi elle sert depuis que l’Union soviétique n’existe plus. Mais, si finalement la décision historique de réintégrer pleinement l’OTAN ne change rien, pourquoi tout ce vacarme en France ? Et pourquoi Sarkozy y accorde-t-il autant d’importance ? Une des réponses possible est psychologique : à la différence de De Gaulle, qui envahissait tout le champ médiatique de son immense présence immobile, Sarkozy, lui, occupe le terrain selon le principe du mouvement perpétuel. L’OTAN, comme de nombreuses autres de ses initiatives médiatiques en France et à l’étranger, lui donne une occasion de marquer l’histoire de son empreinte volontaire. Boris Biancheri** * En français dans le texte. ** Ancien ambassadeur. V U D ’ E S PA G N E Encore et toujours de Gaulle En réintégrant l’OTAN, Nicolas Sarkozy rend paradoxalement hommage à l’homme du 18 juin. EL PAÍS Madrid ’ombre du Général est longue, très longue. Il a fondé la Ve République et il a laissé une voie si bien tracée que même ceux qui semblent s’en détourner finissent par la rejoindre et l’adapter aux temps nouveaux. Ce grand militaire dégingandé qui avait hissé la France au rang des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale s’est réincarné dans tous les présidents qui lui ont succédé, y compris dans ce petit homme hyperactif et séducteur, ouvertement proaméricain, qu’est Nicolas Sarkozy. Dans le geste de 1966 [la France se retirant du commandement intégré de l’OTAN], le plus spectaculaire fut le démantèlement des bases américaines et le transfert du siège de L l’Alliance atlantique de Paris [dans ce qui est aujourd’hui l’université de Paris-Dauphine] à Bruxelles. La France retrouvait une plus grande marge de manœuvre et gagnait en souveraineté, sans abandonner le camp occidental en pleine guerre froide. Pour le vieux général, le départ de la France du commandement intégré de l’OTAN, assorti du retrait des troupes et des bases américaines installées dans l’Hexagone, s’inscrivait dans le prolongement de la tâche qu’il avait entreprise à Londres, quand il s’était posé en chef de la France libre. Une démarche qui découlait de sa volonté de garder une place parmi les grands dans le poste de commandement du monde occidental, avec pour corollaires politiques le droit de veto de la France en tant que membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et sa force de frappe*. Beaucoup reprocheront aujourd’hui à l’arrière-petitfils de De Gaulle, Sarkozy, de dilapider l’héritage et d’abandonner un peu de souveraineté à la superpuissance tutélaire. Mais la réalité montre qu’il n’y a pas de quoi en faire un tel plat. Par cette initiative, Sarkozy veut obtenir un rôle prééminent dans la construction de la défense européenne, et du même coup renforcer la capacité de négociation de la France sur la scène internationale, notamment en vue du renouvellement du Traité de non-prolifération nucléaire, en 2010. La France apparaîtra alors comme une puissance nucléaire alignée sur Washington, mais bien décidée à jouer son rôle dans la négociation multilatérale. Comme de Gaulle l’a fait en maintes occasions, l’objectif de Nicolas Sarkozy est de transformer COURRIER INTERNATIONAL N° 959 10 DU 19 AU 25 MARS 2009 une faiblesse en force. Pour toutes ces raisons, l’indépendance de l’arme nucléaire française ne sera pas affectée par le retour dans le commandement intégré de l’OTAN : la bombe (la “bombinette”, comme disent les Français avec humour) restera exclusivement entre les mains du président. L’un des principaux attraits de cette décision, surtout pour les militaires français, tient au fait que de nouveaux postes vont revenir à la France dans le nouveau dispositif : ils passeront d’environ 150 à près de 800 et devront être cédés par les autres alliés, en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni. Autrement dit, c’est moins la France qui réintègre l’OTAN que le général de Gaulle lui-même. Lluís Bassets * En français dans le texte. 959p10-11SA france:Mise en page 1 17/03/09 18:31 Page 11 f ra n c e VU D’ALLEMAGNE Un marché de dupes Pour revenir dans l’Alliance, Paris voulait un “gros” commandement. La France a finalement obtenu un poste certes prestigieux mais dépourvu d’intérêt stratégique. FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG Francfort première vue, Nicolas Sarkozy semble avoir décroché le gros lot : en contrepartie de son retour au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN, Paris a obtenu de Washington le Commandement suprême allié transformation (SACT). Ce poste, toujours occupé par un général quatre étoiles, est l’une des deux plus hautes fonctions de la hiérarchie militaire de l’Alliance. Il n’existe que deux commandements stratégiques au sein de l’OTAN : d’une part, le Commandement suprême pour les opérations, situé à Mons, en Belgique, et appelé SACEUR depuis l’époque de la guerre froide ; d’autre part, le SACT, basé à Norfolk, aux Etats-Unis, essentiellement chargé “d’encourager et de superviser la modernisation” de l’Alliance. Jusqu’à aujourd’hui, ces deux fonctions ont toujours été occupées par des Américains. N’importe quel Français un brin patriote serait donc en droit de penser que son pays revient dans l’OTAN sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis, chose que même les Britanniques n’ont jamais réussi à obtenir. En réalité, Sarkozy a certes obtenu un poste prestigieux, mais sans réelle influence opérationnelle. Son éventuelle suppression fait régulièrement l’objet de discussions inter nes. A l’inverse, le commandement du SACEUR de Mons, actuellement A détenu par le général américain John Craddock, est un véritable poste stratégique. C’est dans son quartier général que sont réunies les plus hautes instances militaires de l’Alliance, responsables de plusieurs grandes opérations. Le SACEUR supervise tous les déploiements en cours ou à venir, aussi bien en Afghanistan qu’en cas d’agression russe. Le SACT, lui, n’est responsable d’aucune opération. Son autorité se borne à superviser quelques centaines d’officiers d’état-major et divers programmes informatiques chargés de mettre au point les futurs concepts d’intervention de l’Alliance. Les projets développés par les spécialistes de Norfolk sont généralement considérés comme peu réalistes, et leurs présentations PowerPoint abstraites ont été prises en sainte horreur par le personnel de l’Alliance. Le centre a toujours eu la réputation d’être un placard doré pour officiers en préretraite, plus soucieux de parties de golf que d’opérations sur le terrain. En interne, cela fait des années que les projets de réforme structurelle de l’Organisation annoncent la disparition de ce commandement. Selon les diplomates, seule la nécessité de maintenir symboliquement un commandement stratégique en territoire américain expliquerait la survivance du SACT. Ce n’est toutefois pas seulement par amour du prestige que les Français ont accepté de se contenter d’un haut poste symbolique. A en croire les diplomates d’autres pays membres, il n’y avait guère d’autre VU DU ROYAUME-UNI L’Europe orsque Charles de Gaulle a décidé de quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN, il y a plus de quarante ans, la France considérait sa force de dissuasion nucléaire, sa force de frappe*, comme l’emblème de son indépendance et de sa souveraineté. C’était là la preuve du refus obstiné de la France d’accepter, contrairement aux Britanniques, un monde sous domination américaine. On ne peut donc que se féliciter de la décision de Nicolas Sarkozy de réintégrer pleinement l’Alliance atlantique. Cette décision est porteuse de responsabilités, notamment celle de jouer un rôle plus important dans les opérations de l’OTAN, en particulier en Afghanistan. Reste un fait qui donne à penser que Nicolas Sarkozy entend avoir le beurre et l’argent du beurre. Entre autres conditions, le chef de l’Etat français a répété que les Etats-Unis devaient se défaire de leur méfiance à l’égard L ■ Optimiste Pour l’hebdomadaire hambourgeois Die Zeit, “l’Allemagne a désormais à ses côtés un membre de l’OTAN avec qui elle partage largement une vision ouest-européenne et qui est de surcroît son partenaire politique le plus important. Cette association des deux voisins continentaux va influer sur le débat concernant l’avenir de l’Alliance et aussi sur la question de savoir avec qui et où intervenir dans le monde.” solution acceptable. Cette situation arrange notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, deux autres grandes puissances de l’Alliance. En effet, les Britanniques peuvent ainsi garder la suppléance du SACEUR, tandis que les Allemands conservent l’état-major de Mons, ainsi que le commandement de Brunssum, notamment responsable des opérations en Afghanistan. Ces postes réservés à des généraux quatre étoiles revêtent un aspect politique non négligeable. Berlin jouit ainsi d’une influence directe à deux postes clés, chargés d’opérations délicates. Le retour de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN lui impose également quelques sacrifices, même si Paris a d’ores et déjà exclu de mettre à disposition sa puissance de feu nucléaire. De seulement 40 à 50 personnes aujourd’hui, les effectifs français au sein de l’Alliance pourraient bientôt passer à 800 ou 900. Au vu du nombre d’officiers anglophones disposant d’une expérience internationale, l’armée française ne serait toutefois pas en mesure de four- fait pschitt d’une structure européenne de défense. Washington accueille manifestement bien l’idée d’un nouveau renforcement de la dimension militaire de l’Union, quelles qu’en soient les modalités. Mais Nicolas Sarkozy doit comprendre qu’il n’y a pas de compromis possible qui permettrait à la France à la fois de jouer un rôle de premier plan dans la défense européenne et d’être membre à part entière de l’OTAN. Le souhait de l’UE de créer sa propre armée a toujours été une ambition malvenue et vouée à l’échec : le pays qui sera toujours le premier pourvoyeur d’hommes, à savoir la GrandeBretagne, ne souhaite pas en faire partie. En réintégrant le commandement militaire de l’Alliance, la France doit accepter que, dans un avenir prévisible, l’OTAN soit la seule structure de sécurité supranationale digne de ce nom. The Daily Telegraph, Londres * En français dans le texte. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 11 DU 19 AU 25 MARS 2009 nir du personnel au-delà des trois premières années. La France devra également laisser évaluer ses capacités militaires par les services de l’OTAN. “Un exercice qui pourrait se révéler douloureux”, préviennent certains diplomates. Le gouvernement français se targue par exemple de compter près de 13 000 hommes déployés dans le monde. Ces calculs incluent toutefois les bases situées dans les départements d’outre-mer ou en Afrique, alors que, pour l’OTAN, seul compte le nombre de soldats participant effectivement à des opérations militaires. Le nombre de soldats français déployés à l’étranger pourrait donc en réalité se limiter à 4 000 ou 5 000 hommes. Même chose pour les dépenses militaires, que Paris estime à près de 3 % de son PIB. Si l’on retire les frais liés au secteur nucléaire et à la gendarmerie, ces dépenses sont nettement moins importantes. La France pourrait bientôt devoir consentir à certains efforts pour se montrer à la hauteur du rang qu’elle occupe désormais au sein de l’OTAN. Nikolas Busse 959p12-13 europe:Mise en page 1 17/03/09 18:09 Page 12 e u ro p e ● IRLANDE DU NORD La réconciliation passe par l’école Plus de dix ans après les accords de paix, un mur d’incompréhension sépare toujours les catholiques et les protestants. La mise en place d’un système scolaire mixte permettrait de le faire voler en éclats. THE INDEPENDENT (extraits) Londres e Dr Peter Shirlow, de l’université d’Ulster, qui a mené une enquête approfondie sur les relations intercommunautaires en Irlande du Nord, a découvert une société où la ségrégation reste extrêmement forte. Seuls 5 % de la population active vivant dans les secteurs catholiques sont des protestants et vice versa. Quelque 68 % des jeunes de 18 à 25 ans n’ont jamais eu de véritable conversation avec quelqu’un “de l’autre camp”. Les jeunes sont plus enclins que toute autre classe d’âge à redouter et à détester les “Prods” [protestants] ou les “Taigs” [catholiques]. En réalité, nous nous sommes préoccupés de repeindre le plafond pendant que les fondations se fissuraient. C’est quelque chose qui saute aux yeux lorsque vous vous rendez à Belfast ou à Derry. Un taxi vous emmènera soit dans une zone “verte” [catholique], soit dans une zone “orange” [protestante], mais jamais dans les deux. Les villes sont compartimentées par de solides cloisons métalliques de 12 mètres de haut séparant les catholiques des protestants. Même le Kentucky Fried Chicken est recouvert d’une fresque commémorant une bataille qui s’est déroulée il y a un siècle. Parlez aux gamins, et ils vous diront que ceux d’en face puent, qu’ils sont stupides ou fainéants. Les Britanniques dépensent 1,5 milliard de livres [1,6 milliard d’euros] chaque année pour assurer la séparation physique des deux communautés. Il y a pourtant un motif d’espoir. On connaît le moyen de sortir de cette L ▲ Dessin de Chris Coady paru dans The Independent, Londres. ■ Menace Selon le chef de la police, Hugh Orde, quelque “300 terroristes” seraient toujours prêts à s’opposer par la force au processus de paix en Irlande du Nord. Le dos au mur, ils sont d’autant plus dangereux, a-t-il mis en garde dans une lettre ouverte publiée par la presse de Londres. situation. Il existe une politique qui a montré qu’elle pouvait émousser cette haine réciproque. Cette politique, ce sont les écoles intégrées, que les parents des deux confessions réclament avec insistance. Aujourd’hui, seulement 5 % des enfants fréquentent une école où les deux communautés sont mêlées. Ce qui veut dire que 95 % des écoliers sont inscrits dans des établissements où ils ne rencontrent que des élèves de leur propre religion, ce qui les encourage à projeter des fantasmes déraisonnables sur l’autre communauté. La violence est une conséquence inévitable de cet état de fait, dans lequel deux tribus hostiles se côtoient dans un espace restreint. Mais les 5 % qui échappent à cette fatalité détiennent la clé de l’avenir. Une étude menée durant six ans par la Queen’s University de Belfast a examiné les conséquences à long terme d’une éducation dans laquelle les élèves sont scolarisés aux côtés de “l’ennemi”. En interrogeant les adultes ayant fréquenté une école mixte, on a constaté que, quelle qu’ait été l’attitude de leurs parents, ils sont “significativement plus enclins” à s’opposer au sectarisme. Ils ont “beaucoup” plus d’amis “de l’autre côté” et s’identifient comme Irlandais du Nord plutôt que comme Britanniques ou Irlandais. Leurs idées politiques sont beaucoup plus pacifiques. Dans l’ensemble de la population, quelque 80 % des protestants sont favorables à l’union avec la Grande-Bretagne, alors qu’on n’en compte plus que 65 % parmi ceux ayant fréquenté des écoles mixtes. Environ 51 % des catholiques ayant été éduqués dans des écoles séparées veulent la réunification avec l’Irlande, mais ce chiffre tombe à 35 % parmi les catholiques ayant été scolarisés dans des établissements mixtes. Il est difficile de caricaturer les gens que vous connaissez depuis votre petite enfance. Pensez à ces gamins que les militants de l’IRA-Continuité ou de l’Ulster Defence Force [groupe paramilitaire protestant] sont en train de persuader de combattre “les autres”. S’ils avaient grandi en ayant le béguin pour leur jeune voisine catholique en classe de géographie ou s’ils avaient joué au foot avec des copains protestants à la récréation, ne seraient-ils pas plus enclins à mettre en doute la diabolisation qu’on veut leur faire entrer dans le crâne ? Mais il y a un aspect encore plus prometteur. Une étude extrêmement détaillée de l’opinion publique nord-irlandaise vient de montrer que 82 % des personnes interrogées se déclarent favorables aux écoles intégrées et que 55 % des parents disent que la seule raison pour laquelle leur enfant ne fréquente pas un tel établissement est qu’il n’y en a pas dans leur quartier ou que les écoles mixtes existantes sont tellement demandées qu’ils n’arrivent pas à y inscrire leurs enfants. Pourquoi ce genre d’école ne se généralise-t-il pas ? Parce qu’on a laissé de petites minorités religieuses sectaires, tant catholiques que protestantes, dominer le système éducatif. Les Eglises respectives s’opposent aux écoles intégrées, refusent de nommer des représentants à leurs conseils d’administration et veillent jalousement à la préservation de leurs juteux privilèges. L’Irlande du Nord a désespérément besoin d’un décret semblable à celui formulé par la Cour suprême des Etats-Unis en 1954 pour mettre fin à la ségrégation dans les Etats du Sud profond. Johann Hari ALLEMAGNE Qui a dit que les armes étaient dangereuses ? eux jour s après la tuer ie de Winnenden s’est ouvert à Nuremberg le plus important salon consacré aux armes à feu. Reportage dans les allées et sur les stands de cette grande foire commerciale. Dans sa poche, une poignée de balles rutilantes. Elles lui ont été offertes dans le pavillon 3, celui des fabricants de munitions. Matthias, un adolescent de Thuringe, est venu à Nuremberg visiter le Salon de l’équipement pour la chasse, les armes, les accessoires et les activités d’extérieur. L’Internationale Waffen Ausstellung (IWA), comme on continue de l’appeler, est le plus grand salon mondial réservé aux professionnels des armes à feu. Matthias déambule dans les allées comme un enfant dans un magasin de jouets. “Les armes le D fascinent”, constate le reporter de la Frankfurter Rundschau qui l’a interrogé. En particulier le Colt M4 qu’il manipule virtuellement lorsqu’il joue au jeu vidéo Counter Strike, et qu’il voit pour la première fois dans la réalité. L’IWA a ouvert ses portes le 13 mars, deux jours après la tuerie survenue dans une école de Winnenden, près de Stuttgart, qui a fait seize morts dont le tireur. “Une minute de silence a été observée en l’honneur des quinze victimes abattues par Tim Kretschmer, un adolescent perturbé. A tous les stands des centaines de fabricants d’armes représentés, on ne parlait que de ce bain de sang”, rapporte la Frankfurter Rundschau. Mais exposants et visiteurs ont fait ce qu’ils étaient venus faire : trouver de nouveaux clients pour les uns, passer commande pour les autres. “C’est terrible”, commentait-on sur le stand de Beretta, le fabricant italien du 9 mm utilisé par Tim Kretschmer pour commettre le massacre. “Mais il en va ainsi avec les armes à feu : nous fabriquons des armes qui peuvent être utilisées à bon ou mauvais escient. Exactement comme les voitures.” L’année 2008 a été bonne pour les armuriers allemands. Ils ont enregistré un chiffre d’affaires de 275 millions d’euros, “stable par rapport à 2007”. Mais tous s’attendent à une année 2009 difficile, conséquence de la crise. Et la fusillade de Winnenden ne fait que renforcer les craintes. Les professionnels redoutent un tour de vis législatif, comme après le massacre d’Erfurt, en 2002. A l’époque, l’âge minimum légal pour acheter une arme sportive de gros calibre avait été relevé de 18 à 21 ans. Dès le len- COURRIER INTERNATIONAL N° 959 12 DU 19 AU 25 MARS 2009 demain de la tuerie, le quotidien Die Tageszeitung a enfourché un vieux cheval de bataille, appelant à interdire la vente d’armes aux particuliers. Le 15 mars, la chancelière Angela Merkel (CDU) est intervenue sur la radio publique pour réclamer un contrôle plus strict des propriétaires d’armes et le renforcement de la prévention : “Nous devons tout faire pour que les enfants n’aient pas accès à des armes”, a-t-elle déclaré. Dans les allées de l’IWA, ils sont bien peu à croire que la tragédie de Winnenden puisse rester sans conséquence. Mais, plutôt qu’un durcissement de la loi, ils préfèrent discuter crans de sécurité et dispositifs de verrouillage des armes. ◼ Voir aussi “L’Invitée”, page 6. 959p12-13 europe:Mise en page 1 17/03/09 18:09 Page 13 e u ro p e SUÈDE Rencontres à la bibliothèque vivante La bibliothèque municipale de Malmö organise des entretiens avec des personnes appartenant à des minorités visibles. Des “livres vivants” qui contribuent à combattre les préjugés et à tisser du lien social. VENTIQUATTRO Milan otre best-seller ? C’est sans aucun doute l’imam, mais les travestis et les couples homosexuels sont aussi beaucoup appréciés”, dit Linda Willander, la bibliothécaire. Elle travaille à la Stadsbibliotek de Malmö (www.malmo.stadsbibliotek.org), la troisième ville de Suède. Depuis quelques années, le centre offre la possibilité de consulter non seulement des ouvrages imprimés et des CD-Rom, mais aussi des personnes en chair et en os. Elles sont là pour rencontrer le public en tant que représentants de catégories sociales particulières envers lesquelles on nourrit souvent des préjugés : parents homosexuels, femmes musulmanes voilées, punks, militants de défense des animaux, skinheads, transsexuels, auxiliaires de la circulation routière, et beaucoup d’autres. “Malmö est une ville cosmopolite, habitée par plus de 140 nationalités différentes. Un carrefour d’immigration qui illustre bien les difficultés d’intégration des étrangers en Europe, explique Linda. Nous proposons en général des thèmes liés à l’actualité. La journée consacrée au mariage entre homosexuels, par exemple, a été organisée en tenant compte du fait qu’en Suède ces mariages pourront prochainement être célébrés à l’église.” Les rencontres avec les “livres vivants” ont lieu en moyenne quatre fois par semestre, à la cafétéria de la bibliothèque. Les gens prennent rendez-vous et peuvent leur parler pendant trois quarts d’heure. Chaque “livre” est prêté trois ou quatre fois au N ◀ “Il était une fois...” Dessin de Pep Montserrat paru dans La Vanguardia, Barcelone. cours de l’après-midi. A la fin de la journée, des fiches d’évaluation sont distribuées et de nouvelles demandes pour des rencontres avec d’autres catégories de personnes peuvent être déposées. A la session à laquelle nous avons assisté participaient le très populaire imam Ali Ibrahim, un amateur de jeux de hasard, le travesti Tina Hakanjonsson, deux musiciens et une personne souffrant de troubles mentaux. Les rencontres ne peuvent être ni filmées ni enregistrées, car l’expérience BEST-SELLER “Millénium” écorne Le regard sans concession que Stieg Larsson porte sur son pays explique en grande partie les 3 millions d’exemplaires vendus de sa trilogie. ’atout principal de la trilogie Millénium [éd. Actes Sud] est le titre du premier tome : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Ce titre est un roman en soi. Difficile de tomber dessus dans une librairie ou sur une affiche de film sans être interloqué. Peut-être parce qu’il sous-entend que “les hommes n’aiment pas les femmes”. En effet, sans ce “qui” et l’imparfait, ce pourrait être une affirmation, une attaque. Mais en choisissant de dire que certains hommes n’aiment pas les femmes, on insinue qu’il en existe également qui les aiment. Stieg Larsson appartenait à cette deuxième catégorie. Il a consacré une grande partie de sa carrière de journaliste, et tout son travail d’écrivain, à essayer de démontrer que cela n’allait pas de soi. Que l’égalité entre les sexes et entre les classes était encore un projet L ne doit continuer à exister que dans la mémoire des participants. “Les thèmes qui peuvent être traités sont illimités, mais chaque ‘livre’ peut refuser de répondre à des questions qu’il estimerait inappropriées, une éventualité qui s’est rarement présentée”, explique Catharina Noren. C’est elle qui a lancé ce projet en 2002, tirant profit d’une expérimentation qui s’était déroulée au Danemark. L’expérience a depuis été reprise dans plusieurs autres villes suédoises, ainsi que dans une trentaine de pays étrangers. Les entretiens avec des “livres vivants”, des occasions de rencontre dans un cadre spécifique avec des inconnus, évoquent ce que l’on organisait à l’époque victorienne pour les jeunes gens et jeunes filles pour qu’ils apprennent à se connaître à des fins matrimoniales, estime Donald Sassoon, auteur de The Culture of the Europeans (“La culture des Européens”, HarperCollins, 2006) : “La bibliothèque sélectionne les livres vivants, en excluant par exemple les belliqueux ; pour le reste, les sessions qu’elle organise ont cette caractéristique très motivante de supprimer le filtre du médiateur, qu’il soit journaliste, écrivain ou essayiste.” Pour le narrateur aussi la rencontre a une valeur particulière et, dans un certain sens, thérapeutique. “Cette expérience m’a appris à accorder davantage de respect au sexe en tant que construction sociale. J’ai compris qu’entre ce que pensent les femmes et ce que pensent les hommes il n’y a pas de différence”, remarque le transsexuel Tina Hakanjonsson, marié depuis vingt-neuf ans et qui a quatre enfants. “Grâce au projet de la living library, se sont joints ces dernières années aux usagers traditionnels de la bibliothèque – majoritairement des femmes de 45 à 65 ans – des gens de toutes sortes, en particulier des jeunes et des hommes”, ajoute Catharina Noren. L’intérêt des médias pour cette initiative s’est spectaculairement accru lorsqu’un membre éminent de la famille royale de Suède, la princesse Victoria, s’est déclaré disponible pour être consultée comme un livre. Mais pour le moment elle n’a pas pu être “prêtée” par la bibliothèque de Malmö pour des raisons de sécurité. Tomaso Palazzi une société trop sûre d’elle relativement récent, et à ce jour inachevé. Il doit être extrêmement frustrant de passer sa vie à parler de racisme, des vestiges structurels de la société de classes, et surtout des violences faites aux femmes alors que ces problèmes cadrent mal avec l’image amplement véhiculée d’une Suède fière de ce qu’elle est. Dans les médias, ces affaires de violence sont le plus souvent considérées comme des tragédies individuelles, des souillures incompréhensibles dans la saga par ailleurs sans taches du modèle suédois. Il est quasiment tabou de suggérer que ces cas ne seraient peut-être ni distincts les uns des autres, ni inexplicables, qu’il est possible que la société comporte une faille à la base, et par exemple qu’il existe bel et bien des hommes – des citoyens par ailleurs ordinaires – qui n’aiment pas les femmes. Pourtant, nous soupçonnons que c’est le cas : ce type d’individus existe forcément. Les livres de Stieg Larsson se sont écoulés à 3 millions d’exemplaires en Suède [8 millions dans le monde], exemplaires qui ont en outre été prêtés et ont changé de mains de nombreuses fois – tout au moins, c’est le cas dans mon cercle de connaissances. Concernant Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, la moitié du pays connaît sans doute l’identité du meurtrier à l’heure qu’il est. Pourtant, on observe une affluence record dans les salles obscures pour l’adaptation cinématographique du livre [sortie en France prévue le 13 mai]. Certes, ceux qui n’ont pas lu le livre sont probablement curieux du phénomène Millénium, mais je crois surtout que les lecteurs n’en ont pas fini avec cette histoire, car il y avait pour eux dans ces tomes plus qu’une enquête criminelle. Depuis sa sortie, en 2005, ce livre m’a été recommandé par des étudiants, des retraités, des hommes, des femmes, des assistantes de crèche, des chercheurs et des banquiers d’affaires. Des gens issus de milieux très différents et aux habitudes de lecture qui le sont tout autant, tous unanimes dans leur jugement : “Il faut que tu lises ce bou- COURRIER INTERNATIONAL N° 959 13 DU 19 AU 25 MARS 2009 quin.” Une recommandation pressante qui ne voulait pas simplement dire : “Il est captivant, tu ne pourras pas le lâcher”, mais qui impliquait également que cet ouvrage contenait quelque information capitale, quelque chose d’important qui concernait aussi le monde extérieur. En 600 pages, Stieg Larsson dépeint une société fondée sur des schémas et des codes relationnels où même les tueurs en série psychopathes ont une place dans un système que l’on peut se représenter, avec ses petits et ses grands crimes (sociaux, sexuels, raciaux). Le roman vous prend et vous ronge, même si sa forme, empruntée aux romans policiers à énigmes et aux bandes dessinées de superhéros, est parfaitement générique. Nombre de lecteurs racontent que ces romans les ont tenus éveillés des nuits durant même après les avoir terminés. Probablement parce qu’ils reconnaissaient leur Suède dans celle de Stieg Larsson. Johanna Koljonen, Fokus (extraits), Stockholm 959p14-16:Mise en page 1 17/03/09 17:36 Page 14 e u ro p e B E L G I QU E Coup de blues pour le port d’Anvers En 2008, 16 000 navires et 380 000 matelots y ont fait escale. Mais la cité portuaire a perdu de son lustre. Entre les saisies et les équipages en grève, les services sociaux ont du travail. l’instant elles restent lettre morte. Les bas salaires, les contrats temporaires, les journées de travail qui s’étirent, les heures de repos limitées, les normes de sécurité souvent bancales et l’isolement en mer rendent le métier difficile. “Nos visites sont souvent courtes, mais une oreille attentive peut suffire à l’équipage pour reprendre un peu son souffle”, rappelle Jörg Pfautsch. Malheureusement, les années fastes du secteur maritime à Anvers sont révolues, selon les missions de marins. On constate dans ce secteur les premiers signes des conséquences liées aux difficultés du secteur automobile. “Depuis un mois et demi, il y a beaucoup moins de navires qui arrivent dans le port. Ceux qui viennent font escale plus longtemps qu’avant, parce qu’il faut qu’ils attendent plus longtemps leur cargaison”, note Jörg Pfautsch. Tandis que l’entreprise portuaire d’Anvers a pu encore faire état de beaux chiffres pour 2008 – 3,5 % de croissance –, elle s’attend en 2009 à une baisse de 15 % du tonnage. Tout le secteur du transport est à présent touché par la récession économique, donc le port également, selon le syndicat ACVTranscom. Dans le port d’Anvers, le chômage chez les dockers est de 30 à 35 %, confiait la centrale syndicale à la presse en février. Et les juges des saisies d’Anvers rappellent que le nombre de navires mis sous séquestre a déjà augmenté sensiblement par rapport à 2008. Tine Danckaers MO* (extraits) Bruxelles undi matin. Après sa tournée quotidienne, qui consiste à se rendre avec les autres aumôniers dans les différents bateaux inscrits sur leurs listes, Jörg Pfautsch m’emmène au cinquième dock du vieux port. Il est aumônier du port pour la mission des marins allemands d’Anvers depuis vingt-deux ans. Avec ses collègues de l’institution catholique Stella Maris et des missions de marins anglicanes et presbytériennes, il s’occupe du bien-être spirituel et social des loups de mer qui font relâche dans le port d’Anvers. Tous les jours, cinq aumôniers se rendent sur les bateaux qui arrivent avec un équipage international. Ils ne risquent pas de manquer de travail. On compte 1,2 million de marins dans le monde répartis sur quelque 50 000 bâtiments. Un quart d’entre eux viennent des Philippines. L’Inde et l’ancien bloc de l’Est sont aussi fortement représentés dans les équipages internationaux. D’après une estimation très approximative, 380 000 marins passent à Anvers, le deuxième port d’Europe [derrière Rotterdam] et le cinquième du monde. L ▶ Dessin de Cost, Belgique. vers, un organisme séculier, les aumôniers du port se partagent la zone portuaire de la ville. Gigantesque, elle représente plus de 14 000 hectares et 125 kilomètres de quai. Tous les jours, ils mettent en contact avec la terre ferme les bateaux qui viennent s’amarrer dans leur section du port. Ils ne se contentent pas de bavarder, ils apportent aussi de la lecture, des clés USB qui contiennent des journaux dans toutes les langues, des cartes téléphoniques et une courte présentation de la ville et de son port. A chaque visite d’un bateau, les aumôniers précisent aussi comment se APPORTER UN PEU D’HUMANITÉ DANS LA VIE DU MARIN À QUAI Entre l’étendue blanche des quais vides, les entrepôts couverts de neige et les eaux de l’Escaut à moitié gelées, le cargo Hannes C est à quai depuis déjà plusieurs semaines. Au bastingage, deux banderoles défient le vent d’est : “We are on strike” [Nous sommes en grève] et “Our families are hungry, we need our wages” [Nos familles ont faim, nous avons besoin de nos salaires]. L’équipage – un capitaine russe et une vingtaine de Roumains, d’Ukrainiens et de Philippins – est immobilisé depuis novembre 2008 sur le bateau. Cela fait trois mois qu’ils attendent leurs salaires impayés. Le propriétaire, un armateur allemand, a fait faillite et le navire – qui fait l’objet de plusieurs saisies – est en vente. Sur le Hannes C, l’équipage s’est réuni dans la cantine enfumée. Les hommes s’inquiètent surtout pour leurs familles, qui doivent maintenant se débrouiller sans argent. Certains marins sont depuis plus d’un an sur ce navire. “Les missions nous donnent des manteaux supplémentaires, des couvertures, de la nourriture et de l’eau. Bientôt nous allons aussi recevoir du diesel. Mais nous voulons de l’argent et une petite lueur d’espoir”, déclare Valeri V. Sokolov, le capitaine. En tant qu’intermédiaire entre l’équipage et le propriétaire, il n’est pas non plus dans une situation facile. Mais, “si les hommes veulent se mettre en grève, c’est leur choix”, et il respecte leur action. Avec l’assistant social de la Maison internationale des marins d’An- POINT DE VUE Ne rejetons pas l’intégration européenne Jadis enthousiastes, les Flamands ont perdu le goût de l’Europe. Ils ont tort, estime le politologue Hendrik Vos. l fut un temps où les Flamands étaient des Européens accomplis. Nous voulions avant tout beaucoup d’Europe et tout ce que faisait l’Europe était bien. Puis a suivi une période de consensus mou : la politique européenne ne nous intéressait pas vraiment mais nous pensions qu’elle ne pouvait pas faire de mal non plus. A présent, nous sommes plus critiques. De nombreux Flamands trouvent que l’Europe est devenue trop grande et qu’elle se mêle trop de notre vie. Il existe encore des partisans inconditionnels de l’Union européenne, des fervents amateurs au caractère plus romantique dont le cœur se met à battre plus vite quand retentit la Neuvième Symphonie de Beethoven. Mais la plupart des Flamands observent tout cela avec plus de pragmatisme. Autrefois, quand on discutait de l’Europe, la question qui se posait le plus souvent était de savoir s’il fallait plus ou moins d’Europe. Comme la plupart des partis estimaient qu’il valait mieux qu’il y en ait plus, le débat était en règle générale vite clos. On se demandait moins quel type d’Europe devait exister. Pourtant, les discussions sur l’intérêt de plus ou moins d’Europe sont moins pertinentes que I rendre au Seafarers’ Centre d’Anvers, un lieu de rencontre pour les travailleurs de la mer, où l’on peut discuter et boire un verre. Ceux qui en ont le temps et en ressentent le besoin peuvent obtenir les horaires des messes à la chapelle du centre, mais le premier souci des aumôniers n’est pas de remplir cette chapelle de fidèles. “Notre mission est simple. Il s’agit d’apporter une touche d’humanité dans la vie rude de l’équipage”, explique Jörg Pfautsch. Et la vie d’un marin est dure. Des conventions internationales sont certes en chantier pour améliorer le droit du travail en mer, mais pour le débat sur une Europe de gauche ou de droite, verte ou bleue, rouge ou noire. Or, pour plus de facilité, nous ne nous en sommes jamais occupés, les réformes internes de notre administration publique nous posant suffisamment de problèmes. Ce que manigançaient les autres pays nous convenait parfaitement. La situation a changé. Nous trouvons par exemple que l’Europe n’est pas assez sociale. Il y a de bonnes raisons de s’interroger sur cette dimension de l’intégration européenne, mais le cliché selon lequel l’Europe n’élaborerait aucune loi sociale est faux. Ces dernières années, certaines initiatives ont pris corps, mais nous l’ignorons. Quand l’Europe prend des décisions plaisantes, et qu’elles doivent être transposées dans la législation nationale, nos politiciens nationaux font comme s’ils en étaient eux-mêmes à l’origine. Le congé parental, par exemple, n’est pas une invention belge, il est le résultat d’une convention européenne. A vrai dire, c’est préoccupant : l’Europe règle désormais non seulement des questions banales, mais aussi des aspects fondamentaux, alors que nous savons peu de chose sur le fonctionnement de l’Union. La place Schuman se trouve certes à Bruxelles, mais elle est cachée par le brouillard. Bon nombre de fables, de mensonges ou de demi-vérités circulent : on dit que l’euro a rendu la vie chère, COURRIER INTERNATIONAL N° 959 14 DU 19 AU 25 MARS 2009 que la Commission est un monstre bureaucratique ou que l’Europe gère des fonds colossaux. C’est faux, mais les clichés sont tenaces, dans les médias comme chez les politiciens et les faiseurs d’opinion. A l’approche des élections européennes, on va de nouveau reprocher au Parlement européen d’être une institution où l’on ne fait que bavarder et qui, tout au plus, donne des avis. A peine 19 % des Flamands ont confiance dans ce Parlement, que nous élisons pourtant nousmêmes. Ce chiffre représente certes le double du pourcentage des personnes qui ont confiance dans le Parlement fédéral, mais il en dit long sur la politique belge. On observe en tout cas un phénomène curieux concernant le Parlement européen. Ces dernières années, il a acquis très clairement de plus en plus de pouvoir et il tranche le nœud gordien dans les dossiers les plus controversés, mais manifestement la population n’en croit rien et témoigne à son égard de moins en moins d’intérêt. Il est bon que nous soyons critiques visà-vis de l’Europe. Une confiance aveugle et une soumission servile n’ont jamais rendu service à la démocratie. Mais une méfiance fondamentale et, surtout, une profonde ignorance entravent la capacité à formuler des critiques sérieuses. Hendrik Vos, De Standaard (extraits), Bruxelles Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 959p14-16:Mise en page 1 17/03/09 17:36 Page 16 e u ro p e RUSSIE Les souvenirs afghans du soldat Olenine Il y a vingt ans, les troupes soviétiques quittaient l’Afghanistan, laissant derrière elles des prisonniers. Certains d’entre eux y ont fait leur vie avant d’être rapatriés – à l’instar d’Alexeï, dit “l’Afghan”. KOMMERSANT-VLAST (extraits) Moscou ous arrivons à Otradny en fin de journée. Subitement, des deux côtés de la route, les steppes de la région de Samara [au sud-est de Moscou] et leurs torchères de gaz cèdent la place à des maisonnettes. En approchant du centre-ville, les immeubles de quatre étages aux façades lézardées se multiplient. C’est dans l’un d’eux que vit Alexeï “l’Afghan”. Nous tombons sur sa voisine, Vera, qui nous indique la bonne porte, non sans nous préciser que “c’est un brave gars, pas comme nos hommes. Lui, il trime du matin au soir, il fait son maximum pour sa famille et son foyer.” Alexeï a commencé par vendre des chaussures sur le marché ; à présent, il conduit un taxi. A son retour, ses proches ont rassemblé 150 000 roubles à son intention, ce qui lui a permis d’acheter une Lada. “Pendant qu’il était prisonnier des talibans, ses parents sont morts. A l’époque, tout le monde croyait qu’il avait été tué. Son appartement a été attribué à son neveu. Et voilà qu’un beau jour il a réapparu. Il a obtenu un autre logement, mais tout petit, et en location”, explique sa voisine. DANS LES MONTAGNES, IL SE CONVERTIT À L’ISLAM Alexeï Olenine vient nous ouvrir. Il ne ressemble pas à un homme qui a passé vingt ans en Afghanistan. Châtain clair, yeux bleus, en pull et jean, il a l’air d’un habitant ordinaire d’Otradny. Il fait du thé dans sa petite cuisine et raconte son histoire. Le 31 mars 1981, il quitta Otradny et ses parents pour rejoindre le centre de regroupement militaire. Le 16 juin, il était en Afghanistan, dans un bataillon motorisé. “Nous avions notre base de ravitaillement dans la province de Baghlan. Le fret arrivait d’URSS, et nous devions le distribuer. Pendant longtemps, je n’ai pas quitté la base. Il y avait des soldats tadjiks et ouzbeks avec moi, ils faisaient exprès de mettre les véhicules en panne pour ne pas partir en expédition. Les Russes, eux, ne rêvaient que de ça, et moi comme les autres”, se souvient-il. Sa première sortie se passa sans encombre : le convoi avait bien livré le ravitaillement à Kaboul avant de rentrer à la base. Mais sa seconde expédition fut aussi la dernière. “C’était le jour de la mort de Brejnev [10 novembre 1982]. Nous étions à Kaboul, en train de décharger les véhicules. On nous avait tous fait mettre en rang pour une minute de silence. Puis on nous a ordonné de regagner la base au plus vite.” Dans la nuit, la colonne se retrouva dans le col de Salang. Le camion d’Olenine fermait la marche. “J’avais besoin d’aller aux toilettes. Tant que nous passions le col, je me suis retenu, mais en bas, près d’un café, j’ai pensé qu’il n’y avait plus de danger, et j’ai quitté mon véhicule.” Huit hommes portant des armes Valery Melnikov/Kommersant N automatiques l’entourèrent aussitôt. Il visa l’un d’entre eux, mais le coup ne partit pas. “Si j’en avais abattu un, j’aurais été tué. Mais Dieu en avait décidé autrement.” Ils lui arrachérent son arme et l’assommèrent. Puis ils l’emmenèrent dans les montagnes. Au bout de quelques jours, un autre prisonnier arriva, un communiste afghan cette fois. Il fut aussitôt exécuté. Durant les deux semaines qui suivirent, Olenine tenta de se pendre, mais on l’en empêcha et il fut passé à tabac. Ensuite, le “grand commandant” arriva. C’était un vieil homme aux cheveux blancs nommé Sufi Puaïnda Mohammad. Il ordonna de garder le prisonnier en vie. Celui-ci comprit par la suite pourquoi : un détachement de moudjahidin qui détenait un prisonnier gagnait en considération. C’est ainsi qu’Alexeï commença à vivre avec ce détachement. “Sufi Puaïnda contrôlait toute la région. Il avait un fils, Mohammad Asharaf, qui avait fréquenté l’université de Kaboul et parlait un peu anglais. Au début, il était mon seul interlocuteur. Ensuite, avec le temps, j’ai réussi à comprendre leur langue.” Après deux mois dans les montagnes, Alexeï se convertit à l’islam. “Personne ne m’a obligé. J’ai simplement eu le sentiment que si je n’étais pas six pieds sous terre, c’était que j’avais été sauvé par une force supérieure. J’avais été pionnier puis jeune communiste, et je m’apprêtais à entrer au Parti.” Il reçut le nom de baptême de Rahmatullah. Six années s’écoulèrent. Pour son détachement, Alexeï creusait des abris contre les bombes dans les rochers, charriait des obus, ramassait du bois de chauffage. Quatre autres prisonniers étaient venus grossir les rangs, dont le soldat Iouri Stepanov, qui devint son ami. Tous rêvaient de s’évader, mais ils ▲ Le soldat Alexeï Olenine est resté vingt ans en Afghanistan. Il se trouve ici aux côtés de Sufi Puaïnda Mohammad, commandant des moudjahidin. étaient gardés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un jour, Sufi Puaïnda leur annonça que les troupes russes quittaient le pays. “A ce moment-là, j’ai compris que je n’avais plus nulle part où fuir”, ajoute Olenine. Bientôt un émissaire arriva de Kaboul, racontant que les communistes russes offraient des armes et de l’argent pour chaque tête de prisonnier. Surpris, Mohammad lui demanda : “Comment peuvent-ils demander ta tête, alors que tu es vivant ?” “J’ai compris que notre gouvernement aurait préféré me savoir mort.Tous les prisonniers étaient considérés comme traîtres à la patrie. Ce jour-là, j’ai réalisé que je ne rentrerais jamais à la maison”, explique Olenine. Le retrait des troupes soviétiques changea radicalement la situation. Les moudjahidin descendirent des montagnes pour retourner dans leurs villages, et les prisonniers allèrent vivre chez les commandants. On les mit au travail dans les champs, à cultiver le blé. “A l’époque, les paysans ne faisaient pousser que du blé et des légumes. C’est avec les talibans que la culture [massive] du pavot est apparue”, assure l’ancien prisonnier. COMME LES AFGHANS, IL MANGE PEU ET NE BOIT PAS D’ALCOOL Sufi Puaïnda ne tarda pas à emmener son détachement dans sa ville natale de Puli Khumri, où il décida de marier ses prisonniers pour ne plus avoir à les surveiller. Un père accepta de donner sa fille à Alexeï. “Elle avait 15 ans. Nous nous sommes fiancés. Je doutais de pouvoir rentrer un jour en Russie.” Mais Alexeï se trompait. Juste à ce moment-là, la Russie exigea le retour de ses prisonniers. Un mois plus tard, le général Dostom, avec l’entremise des autorités pakistanaises, organisa dans son palais de Mazar-e Charif une rencontre entre Olenine, Stepanov et leurs proches. “En me voyant, ma mère s’est évanouie, se rappelle Alexeï. On nous a ensuite envoyés à Peshawar, où nous avons été reçus par un général des services secrets pakistanais. De là, nous avons été transférés au palais de Benazir Bhutto, qui travaillait à rapprocher son pays de la Russie. Elle nous a remis REPÈRES Dix ans de guerre 12 DÉCEMBRE 1979 Pour soutenir le régime communiste de Kaboul, l’URSS envoie un contingent de soldats de l’Armée rouge contre les moudjahidin. 15 FÉVRIER 1989 Le retrait des troupes soviétiques, exigé un an plus tôt par le secrétaire général de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev, est achevé. L’Afghanistan est ravagé et livré à la guerre civile. Bilan pour les forces soviétiques : 15 000 morts. 1994 Création du Comité des soldats-internationalistes sous l’égide de la CEI. Cet organisme est chargé de rechercher les dépouilles des soldats soviétiques disparus en Afghanistan. Au cours de ses recherches, il a retrouvé 22 de ces soldats encore vivants. Sept d’entre eux n’ont pas souhaité rentrer en Russie. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 16 DU 19 AU 25 MARS 2009 3 000 dollars à chacun et nous a confiés à des diplomates russes.” C’est ainsi qu’en mai 1994 Olenine rentra au pays. Mais le choc fut brutal. Perdu au milieu des nouvelles réalités [entre son départ et son retour, l’URSS avait disparu], il a eu l’impression que la vie de prisonnier était plus simple et valait mieux que la vie normale. Pendant six mois, il ne cessa de penser à la famille de Narguez, sa fiancée, qu’il avait en quelque sorte trahie en partant. Sa mère lui présenta des jeunes filles, mais il décida finalement de partir chercher sa promise afghane. En disant au revoir à sa mère, il ne savait pas qu’il ne la reverrait plus. En arrivant à Peshawar, il ne risquait pas d’être fait prisonnier. “J’arrivais en homme libre, je connaissais les coutumes locales, et je savais qu’on ne me ferait aucun mal en Afghanistan.” On le conduisit chez le général Dostom qui, apprenant le but de son voyage, l’accueillit comme un ami et lui offrit même de l’argent pour ses noces. Une fois marié, il informa la famille de sa femme qu’il allait la ramener en Russie. Mais, le temps qu’ils rassemblent leurs affaires et fassent leurs adieux à tout le monde, les talibans avaient pris le pouvoir. Consulats fermés, frontières bloquées. Plus moyen de repartir. Olenine fut alors contraint de commencer une nouvelle vie. Il emprunta de l’argent et ouvrit un petit commerce au bord de la route qui traversait Puli Khumri. Avec 300 dollars par mois, il faisait vivre son couple et la famille de sa femme. Ils eurent une fille, Jasmine. Sur place, tout le monde avait oublié que Rahmatullah était russe. Il parlait dari sans accent et gagnait sa vie comme la plupart des Afghans. Ce ne fut qu’en 2004, trois ans après la fin du régime taliban, que le Comité russe des soldats-internationalistes [voir cicontre] retrouva sa trace. Il fut alors rapatrié une nouvelle fois. Mais il repartit pour une année en Afghanistan, afin d’aider le Comité à localiser les tombes de soldats soviétiques. Alexeï a désormais 46 ans. Il a rasé sa barbe afghane, troqué ses habits musulmans contre des vêtements européens, mais reste l’ancien Rahmatullah par de nombreux aspects. Comme beaucoup d’Afghans, il se montre frugal. Il mange peu et boit rarement de l’alcool. Il n’aime pas non plus les Américains, estimant que leurs troupes ne sont pas entrées en Afghanistan pour combattre la production de drogue, mais pour servir leurs propres intérêts. “Leurs hélicoptères incendient les petits champs de pavots des simples paysans, et laissent intactes les immenses surfaces appartenant aux chefs de guerre ? Les Américains croient pouvoir conquérir ce pays. Nous, nous étions 150 000, et ça n’a rien donné. Les Afghans sont les maîtres des montagnes, personne ne pourra les vaincre. Il faut avoir passé vingt ans avec eux pour le savoir.” Olga Allenova Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ 959p18bis:Mise en page 1 17/03/09 16:00 Page 18 amériques ● A M É R I QU E L AT I N E Pour combattre les drogues, mieux vaut les dépénaliser L’approche prohibitionniste est un échec, jugent trois anciens présidents latino-américains. A l’occasion de la réunion de la Commission des stupéfiants de l’ONU, ils appellent à un changement radical. THE WALL STREET JOURNAL New York a guerre contre les drogues a échoué. Il est grand temps de remplacer une stratégie inefficace par une politique plus humaine et plus efficace. Tel est le message central du rapport de la Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie [voir ci-contre]. Les politiques prohibitionnistes fondées sur l’interdiction et la criminalisation de la consommation n’ont tout simplement pas marché. La violence et la criminalité organisée associées au trafic de stupéfiants demeurent des problèmes cruciaux dans nos pays. L’Amérique latine demeure le premier exportateur mondial de cocaïne et de cannabis, et est en train de devenir un gros fournisseur d’opium et d’héroïne. Nous sommes plus loin que jamais de l’objectif d’éradication des drogues. Ces trente dernières années, la Colombie a pris toutes les mesures imaginables pour lutter contre le trafic de drogue, mais les résultats de ces efforts gigantesques n’ont pas été proportionnels aux moyens investis. Même si le pays est parvenu à faire baisser le niveau de violence, la superficie des cultures illicites est de nouveau en augmentation. Au Mexique, autre épicentre du trafic de drogue, la violence liée aux stupéfiants a f ait plus de 5 000 victimes rien qu’en 2008. L IL FAUT BRISER LES TABOUS SUR LES DROGUES Devant l’augmentation de la violence et de la corruption liées aux stupéfiants, il est urgent de réviser des politiques qui ont été inspirées par les Etats-Unis. La puissance alarmante des cartels de la drogue mène à la criminalisation de la vie politique et à la politisation de la criminalité. Et la corruption du système judiciaire et politique sape les fondements de la démocratie dans plusieurs pays d’Amérique latine. Pour se mettre en quête de solutions de rechange, il faut d’abord reconnaître les conséquences désastreuses des politiques actuelles. Il faut ensuite briser les tabous qui inhibent le débat public sur les drogues dans nos sociétés. Les mesures antidrogue reposent sur des préjugés et des craintes qui n’ont parfois que peu de rapport avec la réalité. En associant drogues et criminalité, on isole les toxicomanes dans des cercles fermés où ils sont encore plus à la merci du crime organisé. Pour réduire drastiquement les dégâts causés par les stupéfiants, la solution à long terme consiste à faire baisser la demande dans les principaux pays consommateurs. Pour aller dans ◀ Dessin de Boligán cette direction, il est essentiel de classer les substances illicites en fonction de leur nocivité pour la santé et pour le tissu social. Dans cet esprit, nous proposons un changement de paradigme reposant sur trois principes directeurs : réduire les dégâts causés par les drogues, faire baisser la consommation par des actions de prévention et combattre énergiquement le crime organisé. Pour traduire ce nouveau paradigme en actes, nous devons commencer par faire passer les toxicomanes du statut d’acheteurs de substances illicites à celui de patients pris en charge par le système de santé public. Nous proposons d’évaluer minutieusement, d’un point de vue de santé publique, la possibilité de dépénaliser la possession de cannabis pour usage personnel. Le cannabis est de loin la drogue la plus consommée en Amérique latine et nous sommes conscients de ses effets nocifs pour la santé. Les preuves empiriques disponibles montrent cependant que les risques qu’il comporte sont semblables à ceux de l’alcool ou du tabac. Si nous voulons enrayer avec succès la consommation de drogues, nous devons prendre exemple sur les campagnes antitabac. La réussite de celles-ci illustre l’efficacité d’actions de prévention reposant sur un langage clair et des arguments en phase avec l’expérience de chacun. De même, les déclarations d’anciens toxicomanes sur les dangers des drogues auront bien plus de poids sur les consommateurs que des menaces de répression ou de ver- COLOMBIE tueuses exhortations à ne pas en consommer. Ces campagnes de prévention doivent viser les jeunes, qui représentent de loin le plus gros contingent d’usagers et de victimes des guerres contre les drogues. Ces campagnes doivent en outre souligner la responsabilité de chacun dans l’augmentation de la violence et de la corruption liées au trafic de stupéfiants. En traitant la consommation comme une question de santé publique, nous permettrons à la police de faire porter ses efforts sur le problème essentiel : la lutte contre le crime organisé. METTRE L’ACCENT SUR LA SANTÉ ET LA PRÉVENTION ■ Juger les consommateurs e gouvernement devait présenter pour la énième fois [le 16 mars] un projet de loi visant à interdire la possession d’une dose minimale [de stupéfiants, pour usage personnel], autorisée par la Cour constitutionnelle depuis 1994, et à créer de très controversés tribunaux de traitement de la toxicomanie (TTT) devant lesquels comparaîtraient les consommateurs. Ces tribunaux seront placés sous l’autorité d’un juge de la République, et devant eux comparaîtront aussi bien ceux qui auront commis un délit sous l’emprise de drogues – mais pas de l’alcool – que ceux qui en auront vendu à des mineurs, de même que ceux qui seront passés devant un poste de police en fumant un joint. Dans tous les cas, le médecin, le psy- L paru dans El Universal, Mexico. chologue et le travailleur social interviendront après le juge. Comme le font remarquer certains avec humour, il ne manque plus que la présence obligatoire d’un prêtre. Ce qui est proposé est donc un suivi obligatoire des toxicomanes, mais aussi des consommateurs occasionnels. Autant dire un fichage, dans le plus pur style des Etats totalitaires, qui ne manquera pas de dégénérer en discriminations de toutes sortes. Qui plus est, ces tribunaux pourront limiter le droit à la liberté, quoique “à titre provisoire” uniquement. L’Etat, on ne le répétera jamais assez, est le garant des droits fondamentaux, et non le censeur et le décideur de la vie privée des individus. El Espectador (extraits), Bogotá COURRIER INTERNATIONAL N° 959 18 Débat La Commission latino-américaine sur les drogues et la démocratie a été créée en 2008 par Fernando Henrique Cardoso, président du Brésil de 1995 à 2002, César Gaviria, président de la Colombie de 1990 à 1994 et Ernesto Zedillo président du Mexique de 1994 à 2000. Composée de dix-sept personnalités indépendantes, dont les écrivains Paulo Coelho et Mario Vargas Llosa, elle entend réfléchir sans tabou sur “ce qui constitue un des problèmes les plus graves de l’Amérique latine” et alimenter le débat sur la stratégie mondiale à mener contre les drogues. Elle a rendu un rapport le 12 février dernier, disponible sur drogasydemocracia. org. DU 19 AU 25 MARS 2009 Un nombre croissant de personnalités du monde politique, de la société civile et de la sphère culturelle, conscients de l’échec de nos politiques actuelles en matière de drogues, ont plaidé publiquement en faveur d’un changement de cap. L’élaboration de mesures alternatives est du ressort de tous : enseignants, professionnels de la santé, chefs spirituels et décideurs politiques. Chaque pays doit trouver des solutions qui correspondent à son histoire et à sa culture. Mais, pour donner des résultats, le nouveau paradigme doit mettre l’accent sur la santé et la prévention – pas sur la répression. Les drogues ne connaissent pas de frontières, c’est pourquoi l’Amérique latine doit établir un dialogue avec les Etats-Unis et l’Union européenne afin de mettre en œuvre des alternatives viables à la guerre contre les drogues. Les Etats-Unis et l’UE ont une part de responsabilité dans les problèmes que rencontrent nos pays puisque leurs ressortissants sont les principaux consommateurs des drogues produites en Amérique latine. L’élection de Barack Obama représente pour l’Amérique latine et les Etats-Unis une occasion unique d’engager un dialogue de fond sur des questions concernant les deux parties, comme la baisse de la consommation intérieure de drogues et la limitation des ventes d’armes, en particulier à la frontière mexicano-américaine. L’Amérique latine doit également rechercher le dialogue avec l’UE, en demandant aux pays européens de réaffirmer leur ferme volonté de réduire la consommation intérieure et en tirant les leçons de leur expérience en matière de réduction des risques sanitaires. C’est maintenant qu’il faut agir, et le meilleur moyen est de renforcer les partenariats pour traiter ce problème mondial qui nous concerne tous. Fernando Henrique Cardoso, César Gaviria et Ernesto Zedillo* * Respectivement anciens présidents du Brésil, de la Colombie et du Mexique. 959p19 ame?riques:Mise en page 1 17/03/09 10:24 Page 19 amériques É TAT S - U N I S Les républicains veulent donner de la voix L’animateur de radio Rush Limbaugh s’affirme aujourd’hui comme l’un des poids lourds du camp républicain. Les conservateurs voient en lui une personnalité capable de redorer le blason d’un parti en pleine déroute. THE INDEPENDENT (extraits) Londres l s’est passé beaucoup de choses étranges depuis le début de l’ère Obama, mais la plus étrange d’entre elles, c’est que la direction de fait du Parti républicain est passée dans les mains de l’animateur radio ultraconservateur Rush Limbaugh. Le passage de témoin a eu lieu le samedi 28 février. Rush Limbaugh a été le dernier orateur à s’exprimer lors de la Conférence sur l’action politique conservatrice [CPAC, congrès annuel du mouvement conservateur] qui se tenait à Washington. A leur arrivée, les participants étaient encore sous le choc de leur retentissante défaite à l’élection du mois de novembre 2008. En partant, ils avaient l’air de marcher sur un nuage – ou plutôt d’être portés par les échos du discours de Limbaugh, qui a réaffirmé les valeurs conservatrices et déclaré qu’il souhaitait l’échec du nouveau président. Le triomphe de Rush Limbaugh n’est d’une certaine manière pas une surprise. Depuis que, en 1987, les autorités fédérales ont renoncé à la “doctrine d’impartialité” qui exigeait I WEB + Dans nos archives courrierinternational.com ▶ “Rush Limbaugh, caricature du parfait salaud.” Par le dessinateur et chroniqueur américain Jeff Danziger (10/2/2009) que les stations de radio équilibrent les points de vue à l’antenne, les émissions de radio conservatrices constituent le pupitre des trompettes de l’orchestre républicain. Et cela fait presque aussi longtemps que Rush Limbaugh, que l’on peut entendre aujourd’hui sur 600 stations et qui peut se prévaloir d’une audience quotidienne d’au moins 20 millions de personnes, en est le chef. Quand les démocrates ont reconquis la Maison-Blanche, en 1992, avec l’élection de Bill Clinton, Ronald Reagan avait salué en Limbaugh “la voix numéro un du conservatisme”. Et ce dernier n’a pas déçu. Il a si bien alimenté la colère des électeurs que les républicains ont regagné la majorité au Congrès en 1994. Maintenant que les démocrates sont de retour au pouvoir, l’animateur a vu le nombre de ses auditeurs grimper en flèche et sa stature lui a permis de remplir le vide à la tête du Parti conservateur. Les républicains les plus importants à Washington sont aujourd’hui Mitch McConnell et John Boener, chefs de l’opposition respectivement au Sénat et à la Chambre des représentants. Mais aucun des deux ne galvanise les foules. Bobby Jindal, COURRIER INTERNATIONAL N° 959 19 36 ans, le gouverneur républicain de la Louisiane, considéré comme un futur candidat à la Maison-Blanche, a eu sa chance quand il a été choisi pour répondre au nom des républicains au grand discours prononcé par Obama devant le Congrès le 24 février dernier. Mais il a raté son coup. Enfin, il y a Michael Steele, le nouveau président du Comité national républicain (RNC), qui pourrait prétendre diriger le parti du fait de ses fonctions à la tête de ce comité exécutif national. Or, loin de prendre les choses en main, il s’est contenté de ramper devant Limbaugh. L’un des trucs classiques de la vie politique américaine, c’est de diaboliser une personnalité en vue du parti adverse. Les républicains l’avaient fait avec le réalisateur de documentaires Michael Moore, qu’ils ont dépeint comme un gauchiste forcené tirant les ficelles du Parti démocrate. De même, les démocrates prennent aujourd’hui Limbaugh pour cible. Le lendemain de la CPAC, Rahm Emanuel, le chef de cabinet d’Obama, a proclamé que l’animateur était “la force intellectuelle et l’énergie du Parti républicain”. Le pauvre Steele a mordu à l’appât. N’importe quoi, a-t-il rétorqué, précisant DU 19 AU 25 MARS 2009 que Limbaugh n’était qu’un “amuseur”. Mais, quand l’amuseur a contreattaqué en déclarant que le président du RNC était “décidément parti du mauvais pied”, Steele s’est incliné et a expliqué qu’il s’était “mal exprimé”. Il est cependant peut-être déjà trop tard. Les partisans de Limbaugh sont scandalisés. Un membre du RNC au moins exige la démission de Steele. Voilà ce que l’on risque quand on contrarie Rush Limbaugh. Celui-ci n’est peutêtre pas le chef officiel du Parti conservateur, mais il en est actuellement la personnalité la plus puissante. Mais si la base conservatrice adore Limbaugh, ce n’est pas le cas de tout le monde, et surtout pas des électeurs indépendants qui décident du résultat des élections et dont trois sur quatre affirment ne pas l’aimer. Cependant, en s’en prenant frontalement à Rush Limbaugh, la MaisonBlanche prend également un risque. Un jour, le lustre d’Obama se ternira lui aussi. La récession Bush deviendra la récession (voire la dépression) d’Obama, et les électeurs indépendants risquent alors de penser que Rush Limbaugh a raison. Rupert Cornwell 959p20:Mise en page 1 17/03/09 14:01 Page 20 amériques ARGENTINE Mystérieux naufrage dans le détroit de Magellan Le naufrage d’un bateau de pêche transportant plusieurs tonnes d’or donne lieu à de nombreuses rumeurs. Il faut dire que toute l’histoire est digne d’un roman d’aventures. réputation sulfureuse. Les habitants de la région de San Julián, où elle est implantée, ont dénoncé l’usage d’arsenic dans ses opérations d’extraction minière et les avantages fiscaux excessifs dont elle bénéficie et qui lui ont été accordés par la province de Santa Cruz (bastion traditionnel des Kirchner, le couple présidentiel argentin). QUÉ PASA Buenos Aires e SOS a été entendu dans tout l’Atlantique Sud. Le 16 janvier, le capitaine du bateau de pêche Polar Mist (“brouillard polaire” en anglais), Patricio Olivares Huerta, lançait un appel à l’aide d’urgence, la situation étant devenue intenable. Par radio, le commandant de cette embarcation de 23 mètres a communiqué sa position : à environ 20 milles marins de la pointe Dungeness, dans la partie est du détroit de Magellan, à 35 kilomètres au nord-est de Punta Arenas. Une terrible tempête avait mis en difficulté les sept membres d’équipage et le passager du Polar Mist, tous des Chiliens. Une fois informée, la préfecture de Río Gallegos, en Argentine, est entrée en contact avec la marine nationale. Celle-ci a dépêché sur le site un hélicoptère Sea King. L’appareil ne parvenant pas à se poser sur le pont du Polar Mist, les militaires argentins ont ordonné à ses occupants de se jeter à l’eau deux par deux. Par la suite, plusieurs événements étranges se sont succédé, donnant naissance à une affaire dont les autorités argentines et chiliennes parlent actuellement avec la plus grande prudence. L TOUTES LES ÉCOUTILLES ÉTAIENT OUVERTES Tout d’abord, en arrivant sur les lieux, les sauveteurs ont constaté que les passagers du Polar Mist avaient décidé d’abandonner le navire. Tous avaient revêtu une combinaison de plongée et se jetèrent à l’eau en laissant le moteur tourner, un comportement en totale contradiction avec le code de la navigation. Quelques heures après l’hélitreuillage des passagers par les militaires argentins, le Beagle, un navire appartenant à une filiale de la compagnie de navigation Ultramar, est arrivé sur place. Ce bateau, qui se trouvait à près de 400 kilomètres de la zone, est arrivé grâce aux informations envoyées de Punta Arenas. Son équipage ne trouva sur place que désolation. Le moteur du Polar Mist était toujours allumé. Un fait étonnant de la part des membres d’équipage du Beagle. Dans ce genre de situation, on a coutume de couper les moteurs et d’ancrer si possible le bateau pour éviter qu’il ne dérive. Mais le plus énigmatique était à venir. En s’approchant du Polar Mist, les occupants du Beagle ont constaté que toutes ses écoutilles étaient ouvertes ; certaines avaient même été arrachées. Tandis que le Beagle entreprenait de remorquer le bateau de pêche vers Punta Arenas, un appel en provenance des “autorités argentines” lui donna ordre de le conduire à Río Gallegos pour effectuer un constat des dommages sur le navire, l’obligeant à suivre la route opposée. ▶ Dessin de Fernando Vicente paru dans El País, Madrid. ■ Récupération “Le chargement est bien au fond de la mer”, a affirmé un représentant anonyme du groupe minier Cerro Vanguardia, propriétaire de la presque totalité des 9,5 tonnes d’or et d’argent. Selon lui, la compagnie d’assurances britannique Lloyd’s a l’intention de récupérer le chargement. Chez l’assureur, on ne confirme pas l’information. L’opération de récupération se ferait à l’aide d’un navire ultramoderne, le Skandi Patagonia, actuellement en service pour Total. Le coût de la manœuvre s’élèverait à 2 millions de dollars. Pour avoir une chance de réussir, l’opération devra être effectuée avant le début de l’automne austral, le 21 mars. LA CARGAISON EST ESTIMÉE À 20 MILLIONS DE DOLLARS Au bout de quelques kilomètres seulement, près de la sortie du détroit sur l’Atlantique, le Polar Mist s’est mis à gîter. L’eau ayant pénétré par les écoutilles, le bateau a commencé à couler lentement. En quelques minutes à peine, il a sombré dans les eaux glacées du détroit de Magellan. Il reposerait aujourd’hui à quelque 70 mètres de profondeur, ce qui compromet sérieusement son éventuel renflouage. Pendant ce temps, les passagers du Polar Mist, recueillis par l’hélicoptère argentin, ont rejoint Río Gallegos, où, après avoir subi un examen à l’hôpital, ils ont été hébergés dans un hôtel avant COURRIER INTERNATIONAL N° 959 20 d’être interrogés par les autorités locales. Chacun des passagers a donné sa version des faits, mais tous ont reconnu être au courant de la présence à bord d’un chargement de grande valeur. Sans entrer toutefois dans les détails, le capitaine, comme le “passager” Rolando Norambuena Pavez, a assuré qu’ils n’en étaient pas à leur premier périple de ce genre. Le Polar Mist, propriété d’une société de pêche de l’Isla del Rey, au large de la région chilienne de Los Ríos, avait appareillé du port de La Quilla, dans la province de Santa Cruz, en Argentine. Le manifeste de cargaison fait état de la présence de sacs de “bullion doré”, expression technique qui désigne des lingots d’un alliage d’or et d’argent. Le document remis aux douanes argentines donne pour cette cargaison un poids de 2,9 tonnes et une valeur de 1,6 million de dollars [1,2 million d’euros]. Deux chiffres qui seront corrigés après le naufrage, lorsqu’on découvrira le volume et la valeur réels du chargement. L’enquête en cours en Argentine a établi que la précieuse cargaison était propriété de la société minière Cerro Vanguardia (détenue par un consortium britannique, mais dans laquelle l’Etat argentin, et plus précisément la province de Santa Cruz, a une petite participation) et de l’entreprise Manantial Espejo. Cette dernière est détenue par une société canadienne nommée Minera Tritón. Manantial Espejo traîne une DU 19 AU 25 MARS 2009 L’essentiel de la cargaison proviendrait de Cerro Vanguardia, et une petite partie seulement serait le produit des activités de Minera Tritón, qui, selon une source proche de l’équipage du Polar Mist, “a eu recours à ce procédé pour la première fois”. Par “procédé”, il faut entendre ici le choix d’un bateau de pêche pour transporter une cargaison aussi précieuse, la décision de lui faire emprunter un itinéraire aussi dangereux que le détroit de Magellan et de préférer comme port de déchargement Punta Arenas (au lieu, par exemple, de Río Gallegos, pourtant bien plus proche des deux mines de provenance), d’où la marchandise devait être envoyée en Europe, sans doute par avion. Le manifeste donnait pour destinations finales les deux villes suisses de Marin et Mendrisio. Cette dernière, située dans le canton du Tessin, dans le sud du pays, est réputée pour son élégante architecture et ses hôtels prestigieux. Le chargement était destiné à l’entreprise suisse Metalor Technologies, spécialisée dans l’évaluation et le raffinage des métaux précieux, et à Argor Heraeus, une autre société suisse exerçant les mêmes activités. Pour se faire une meilleure idée de la manne que transportait le Polar Mist, rappelons que l’once d’or se négocie actuellement sur les marchés internationaux à environ 900 dollars et qu’un kilo fait 32 onces. Les 474 lingots embarqués étaient composés d’or et d’argent. On estime la valeur totale de la cargaison entre 10 millions et 20 millions de dollars, soit beaucoup plus que la valeur de 1,6 million déclarée au départ du port argentin. Un autre aspect épineux de l’histoire est le lieu du naufrage du Polar Mist. Même si le bateau chilien a sombré dans les eaux internationales, le lieu est sous juridiction argentine. De ce fait, on ignore si le renflouage aura lieu depuis Punta Arenas [au Chili] ou depuis les côtes argentines. Il se murmure à Punta Arenas que les cales du Polar Mist pourraient déjà être vides de leurs lingots. Les tenants de cette thèse montrent du doigt les écoutilles ouvertes et les déclarations d’un des membres d’équipage. Celuici révèle que le navire devait “rencontrer” un remorqueur dans un lieu déterminé à l’avance. Il affirme toutefois que, finalement, celui-ci ne s’est pas présenté. Le mystère autour du naufrage reste entier. Le “brouillard polaire” s’épaissit. Lorena Rubio 959p21:Mise en page 1 17/03/09 13:44 Page 21 amériques S A LVA D O R Victoire historique pour la gauche Le Front Farabundo Martí, qui assume l’héritage de la guérilla des années 1980, a remporté l’élection présidentielle du 15 mars dernier. L’heure est désormais à la réconciliation. EL PAÍS (extraits) Madrid DE SAN SALVADOR ’ancienne guérilla salvadorienne a obtenu le 15 mars une victoire historique. Pour la première fois depuis qu’il a déposé les armes, il y a vingt ans, signant des accords de paix qui ont mis fin à la guerre civile, le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN) a conquis la présidence de la république du Salvador. [La guerre civile qui a opposé de 1980 à 1992 l’extrême droite de l’ARENA et la guérilla marxiste du FMLN a fait 100 000 morts. Les Etats-Unis s’étaient engagés au côté de la junte militaire en place.] Dès la confirmation du résultat serré (51,27 % des voix, contre 48,73 % pour la droite), le candidat de gauche, le journaliste Mauricio Funes, est apparu en public, escorté par les vieux commandants de la guérilla. “Ce soir, nous devons éprouver un sentiment d’espoir et de réconciliation, celui-là même qui a rendu possibles les accords de paix. Nous avons signé un nouvel accord de paix du pays avec lui-même. Pour cette raison, j’invite L ■A la une “Le choix du changement”, titrait le 11 mars le supplément du quotidien de gauche salvadorien Diario Co Latino. Le 16 mars, il annonçait “Funes président” pour célébrer la victoire du candidat de gauche. les différentes forces sociales et politiques à construire ensemble l’avenir. Ce jour restera comme celui du triomphe des citoyens qui ont cru en l’espoir et vaincu la peur”, a-t-il déclaré, la voix cassée par la fatigue et l’émotion. Funes portait un veston sombre et une chemise blanche sans cravate. Quant aux vieux commandants de la guérilla, ils avaient revêtu leurs vieilles guayaberas* rouges. En plus d’avoir réussi à vaincre l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA, conservateur), le FMLN a surmonté son propre immobilisme. Malgré un parcours politique irrégulier, la vieille garde de la guérilla a accepté de présenter comme candidat un homme jeune, modéré, dont le discours est émaillé d’appels au dialogue et à la réconciliation nationale. Et c’est cet homme qui les a conduits à la victoire. Pendant toute la campagne, la droite dure, qui a gouverné ce pays depuis que les armes se sont tues, n’a cessé d’accuser le FMLN de vouloir vendre le Salvador à Hugo Chávez [le président du Venezuela] et au communisme international. Mais, dans le discours qu’il a prononcé alors qu’il se savait déjà président, Funes n’a pas fait le moindre clin d’œil au COURRIER INTERNATIONAL N° 959 21 chef d’Etat vénézuélien. Bien au con traire. Le regard complice a été adressé aux Etats-Unis, un pays où vivent et travaillent plus de 2,5 millions de Salvadoriens. ÉCOUTER LE JEUNE DIRIGEANT PARLER DE L’ARMÉE ET DE DIEU Conscient de vivre un moment historique, il a ajouté : “C’est la soirée la plus heureuse de ma vie. Et je veux que ce soit aussi la soirée d’un grand espoir pour le Salvador.” Il s’est appuyé sur son expérience d’ancien correspondant de CNN pour faire un discours équilibré, avec juste ce qu’il faut d’émotion et en se coulant dès le premier instant dans ses nouveaux habits de chef d’Etat. Il a rendu hommage aux Forces armées du Salvador pour leur comportement pendant la journée électorale. Il était amusant d’observer les vieux commandants guérilleros, l’air sérieux, écoutant leur jeune et médiatique dirigeant parler de l’armée – leurs anciens ennemis – et de Dieu. Funes a aussi trouvé une petite place dans son discours pour citer quelques mots de l’archevêque de San Salvador, Mgr Oscar Romero, assassiné par balles en 1980 devant l’autel DU 19 AU 25 MARS 2009 de la cathédrale [par les escadrons de la mort, les groupes paramilitaires d’extrême droite]. “Mgr Romero a dit que l’Eglise avait une préférence pour les pauvres. C’est ce que je vais faire : favoriser les pauvres et les exclus”, a affirmé le nouveau président. La sensation de changement était palpable. Toutefois, la dureté de la campagne électorale avait engendré une certaine tension après la fermeture des bureaux de vote. A 17 h 53, les chaînes de télévision retransmettaient déjà en direct le décompte de certains bureaux, à San Salvador, à San Miguel… Ce n’étaient que quelques bureaux, mais la joie qui s’en dégageait, la manière dont le président du bureau levait chaque bulletin sous l’ovation des gens rassemblés autour de l’urne en carton, tout concourait à donner le sentiment que le pays vivait un moment historique. Pendant un mois, les politiques ont mené une campagne sordide et violente. Et pourtant, le dimanche 15 mars, les Salvadoriens ont donné une leçon de civisme et de pacifisme. Ils ont su faire de cette date une journée historique. Les échanges de tirs font désormais partie de l’Histoire. Pablo Ordaz * Chemises d’homme plissées et à poches. 959p22:Mise en page 1 17/03/09 13:42 Page 22 amériques É TAT S - U N I S Eviter que le rêve américain devienne un cauchemar L’obsession des Américains pour la réussite les a menés tout droit à la crise économique actuelle. Ils devraient revenir à des aspirations plus simples, estime l’écrivain Frederic Morton. LOS ANGELES TIMES Los Angeles omment faire revivre le rêve américain ? C’est la question qui obsède toute l’Amérique, de la MaisonBlanche au Congrès, en passant par les médias. Personne, pourtant, ne semble voir le problème sous-jacent à ce casse-tête, à savoir la nécessité de réformer le rêve américain lui-même. Véritable Constitution non écrite du pays, le rêve américain nous gouverne au quotidien. Notre texte constitutionnel comporte des garde-fous et évolue au fil des amendements et des décisions juridiques argumentées. Le rêve, lui, échappe à tout contrôle et s’adapte en permanence aux nouvelles visions qui illuminent notre horizon. Aujourd’hui, il suffit de lire les titres des journaux pour prendre la mesure de l’irrésistible ascendant qu’il exerce sur nos existences : le rêve américain exige des ambitions démesurées et un appétit tellement héroïque qu’il nous pousse à braver tous les dangers. Résultat de ces conduites ? L’actuelle débâcle économique. Trop de responsables ont pris de mauvaises décisions non par incompétence, mais parce qu’il leur était impossible de résister à la pression qui les a menés droit à leur perte : toujours plus haut, toujours plus grand, toujours plus. Bon nombre d’entre eux étaient conscients des risques, mais aucun n’a su résister à l’appel du rêve américain. Certains diront que c’est notre passion pour l’impossible et l’inaccessible qui a fait de ce pays une “grande nation”. Mais cela fait-il de nous une nation heureuse ? Et une part de notre bonheur n’est-elle pas la face riante du stress que nous subissons au quotidien ? L’image d’un yacht avec piste d’hélicoptère suffit à nous insuffler “l’audace d’espérer”. Le livre de Barack Obama n’a évidemment rien à voir avec les navires de luxe, mais son Cagle Cartoons C ▲ Sur la banderole : 4 juillet (jour de l’indépendance). “Et maintenant, je vais tirer ce bon vieil optimisme américain de mon… euh… hum…” Dessin de Bob Englehart paru dans The Hartford Courant, Etats-Unis. un seul Barack Obama capable d’un tel parcours ! Avec vous et moi, l’audace a tendance à tourner au vinaigre, à l’échec personnel, au malaise social, et, tôt ou tard, à la catastrophe économique généralisée. Et ce “tôt ou tard” est arrivé. A présent, nous opérons un retour vers le passé, vers les années 1930, la dernière fois où nous nous étions infligé de pareilles souffrances. A l’époque, nous avions réussi à atténuer la douleur en acceptant de modérer notre rêve. Avec le New Deal, nous avons refréné nos exigences de réussite individuelle absolue. Nous avons réveillé nos aptitudes enfouies dans le confort et la chaleur du collectif. Nous avons découvert que nous étions capables de savourer des plaisirs simples ; et que nous n’avions pas besoin de courir après le succès. Nombre d’entre nous ont appris à profiter pleinement du match, même titre touche une corde sensible de l’âme yankee. L’audace transcende l’espoir. Cet état d’esprit se fonde sur le pari le plus fou : “L’impossible, c’est l’Amérique”, tel est notre mot d’ordre. En d’autres termes, l’individu lambda qui ne demande pas l’impossible se rend coupable d’infraction à l’esprit américain. Il faillit à son devoir patriotique, révolutionnaire et avant-gardiste. L’itinéraire du véritable citoyen américain est une autoroute partant d’un cabanon pour arriver directement aux salons de la Maison-Blanche (ou à une villa de star ou un jardin d’agrément de millionnaire). Il n’y a pas d’étape prévue sur cette route, pas de limitation de vitesse, pas d’aire de repos, pas de chemin de traverse, pas même de possibilité de s’arrêter pour admirer le paysage. Si seulement il n’y avait pas qu’un seul Bill Gates, un seul Elvis Presley, (suite et fin) Direction Olivier Py 12 – 25 mars «Son écriture tient du chaos étincelant, d'où émergent des pépites de poésie. Ses mots sont brûlants, parfois enrobés de sang, voilés de mort. Le lyrisme baroque mène sans embûche à la trivialité la plus audacieuse.» Jean-Louis Pinte, La Tribune si nous étions dans les gradins, et non sur le terrain. En réordonnant nos attitudes intérieures, nous avons produit cette volonté politique d’aller de l’avant qui a permis de reconstruire notre pays. Sommes-nous capables de réitérer cet exploit ? Le contraste entre les présidents d’alors et d’aujourd’hui pourrait compliquer ce processus. Franklin Roosevelt était l’héritier de privilèges qui avaient été chèrement acquis grâce à une ambition démesurée. Et le fait qu’il fût prêt à modérer cette ambition le rendait plus convaincant. Le projet d’Obama n’est pas sans rappeler le New Deal ; pourtant, sa biographie n’a pas grand-chose à voir avec celle de l’architecte de celui-ci. Elle suggère un destin d’exception voué à faire voler en éclats toutes les barrières. La légende voudrait qu’il soit passé du fond du bus au Bureau ovale. Sans le vouloir, il a rendu encore plus normative la trajectoire de la superstar. Par son parcours, Obama ne peut s’empêcher d’alimenter l’indécrottable optimisme des Américains, dont les excès mêmes sont séduisants et provoquent une dépendance. Et nous avons le plus grand mal à nous sevrer de cette dépendance. Un grand nombre d’entre nous ont voté pour Obama non pas pour se prouver qu’ils vivaient dans une société postraciste, mais pour nier la débâcle du rêve américain. Nous avons voté Obama afin de réaffirmer que l’impossible était américain, que c’était une obsession légitime, un must pour vous et moi. Par conséquent, je me pose la question : avons-nous le courage de nous libérer de notre fixation sur l’exceptionnel ? Devrions-nous rêver en moins grand ? Sommes-nous capables d’abandonner cette obsession qui fatalement tourne à la dépression ? Frederic Morton* * Ecrivain d’origine autrichienne. Il est l’auteur de plus de vingt ouvrages, dont The Rothschilds: A Family Portrait (Les Rothschild : portrait de famille). 8 janvier – 11 avril 2009 Odéon–Théâtre de l’Europe 26 mars –11 avril Les Européens Tableau d’une exécution Barker aime rêver l’Histoire. Certaines de ses œuvres les plus ambitieuses s’inscrivent dans un Moyen-Âge ou une Renaissance que son imagination recrée à sa guise. Tel est le cas des Européens. La pièce a pour toile de fond les désordres qui succèdent au siège de Vienne par les Ottomans en 1683. Elle est l’un des premiers exemples, et des plus nets, de ce que Barker a baptisé depuis «le théâtre de la Catastrophe» : sur fond de ruines, de renversement de l’ordre social et de suspension de toutes les valeurs, quelques individus tentent de conduire jusqu’au bout l’expérience de l’existence. Anna Galactia, femme peintre, conduit ses affaires (dans l’art comme dans la vie) de manière si fougueuse, refusant toute concession, qu’elle finit par croupir dans une geôle de la république de Venise… Pourtant, tout commence bien pour elle : le Doge Urgentino lui a passé commande d’un tableau gigantesque pour célébrer la victoire navale de Lépante... Quel amateur d’art, quel spectateur averti, n’a pas rêvé de se cacher dans l’atelier d’un maître pour y surprendre à découvert les rouages de la création ? La pièce de Barker nous propose d’assister au processus secret et sacré qui sous-tend l’acte artistique. Odéon–Théâtre de l’Europe • Location : 01 44 85 40 40 • theatre-odeon.eu • places de 5€ à 26€ COURRIER INTERNATIONAL N° 959 22 DU 19 AU 25 MARS 2009 959p23:Mise en page 1 17/03/09 10:19 Page 23 asie ● SRI LANKA Désespérés, les Tigres sont encore dangereux Les musulmans sont tamouls, mais les Tigres les considèrent comme des ennemis. Voilà qui expliquerait l’attentat perpétré contre une mosquée le 3 mars dans le sud de l’île. DAILY MIRROR vêtements et les maigres biens qu’ils pouvaient emporter avec eux pour cet exil forcé. Leur situation ne s’est guère améliorée depuis, et leur avenir reste très incertain. Jusqu’à présent, aucun gouvernement ne s’est engagé à leur rendre un jour leurs terres. Colombo ’attentat suicide perpétré le 3 mars au matin, lors d’une fête musulmane, devant la mosquée d’Akuressa, dans le sud du Sri Lanka, est un rappel douloureux de la vulnérabilité des habitants de cette partie de l’île malgré les impressionnantes victoires militaires obtenues au nord, dans la région du Vanni, contre les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [LTTE]. L’attentat, qui a coûté la vie à un ministre ainsi qu’à quatorze autres personnes venues célébrer la naissance du prophète Mahomet, suscite naturellement des craintes en matière de sécurité. Il pose également la question de l’infiltration des rebelles dans les provinces du Sud. En fait, cette attaque ressemble fort à une tentative désespérée des Tigres de créer une diversion après leurs défaites récentes au Nord [voir CI n° 956, du 26 février 2009]. De toute évidence, l’objectif était d’impressionner la communauté internationale et la diaspora tamoule. La démoralisation des troupes et des Tamouls de l’étranger constitue l’un des problèmes majeurs des insurgés depuis quelques mois. La perte de leurs soutiens internationaux, notamment en Europe, n’est pas étrangère à leur déclin. De plus, ceux qui connaissent et comprennent la mentalité des Tigres ne sont pas vraiment surpris de les voir s’attaquer à des lieux de culte ou à des fêtes religieuses, car ils ont toujours considéré les musulmans [pourtant principalement issus de la minorité tamoule et représentant 7,6 % de la population] comme des ennemis. Ce n’est pas un hasard s’ils ont toujours refusé la présence d’un représentant musulman lors des négociations de paix qui ont eu lieu dans le L Sources : <http://www.lib.utexas.edu/maps/index.html>, “Mainichi Shimbun”, gouvernement du Sri Lanka INDE UNE COMMUNAUTÉ DÉLAISSÉE DEPUIS PRESQUE VINGT ANS ▶ Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö. N É PA L Quand les anciens guérilleros pouponnent Pour avoir fait et la guerre et l’amour, de nombreux combattants maoïstes ont aujourd’hui de jeunes enfants. Leur avenir dépend de leur intégration dans l’armée. NEPALI TIMES Katmandou 0 Jaffna on Rég i nni a W de 100 km PROVINCE DU NORD Trincomalee P R O V I N C E D E L’ E S T Puttalam 8° Nord SRI LANKA Kandy Colombo Attentat du 3 mars 2009 Akuressa Zone contrôlée par les Tigres en novembre 2005 puis reprise par le gouvernement Dernier bastion des Tigres (partiellement sous leur contrôle au début 2009) passé. Mais les membres de cette minorité sont surtout victimes de la négligence des gouvernements successifs, dont aucun n’a daigné leur accorder l’attention qu’ils méritaient. Il suffit de voir le sort des centaines de musulmans qui vivotent depuis dixhuit ans dans les camps de réfugiés de Puttalam. Ils n’avaient eu que quarante-huit heures pour évacuer leurs villages du Nord et de l’Est et ne pas risquer de périr aux mains des LTTE. Ils ne sont partis qu’avec quelques Ce n’est donc pas la première fois que la communauté musulmane est la cible des Tigres. En 1990, les rebelles ont expulsé près de 46 000 habitants musulmans du nord du pays, c’està-dire, selon certaines données, pratiquement la totalité de la population musulmane dans ces régions. Le 3 août 1990, des terroristes tamouls armés sont entrés dans la mosquée de Kattankudy à l’heure de la prière et ont massacré 103 fidèles, dont 25 enfants. Selon les données du Secrétariat musulman pour la paix, le Nord comptait 50 831 musulmans en 1981. Selon les statistiques, ils n’étaient plus que 20 583 fin 2007. Aucun homme politique musulman n’a pour l’instant réussi à reprendre ces terres, même s’il s’agit d’une promesse électorale récurrente depuis 1990. Ils n’ont pas non plus réussi à faire entendre leurs doléances lors des derniers pourpar- lers de paix. Malheureusement, leur inquiétude ne risque pas non plus d’être prise en compte lors du processus politique à venir [après la probable victoire de l’armée régulière]. Par conséquent, la gravité de l’attentat du 3 mars dernier ne doit pas être minimisée. Les Tigres tamouls n’ont jamais essayé de cacher le fait que les musulmans n’avaient pas leur place dans leur projet d’un Etat séparé pour le peuple tamoul. L’attentat d’Akuressa prouve seulement qu’il y a peu de changement dans leurs plans. Les grandes puissances doivent prendre conscience du caractère impitoyable des LTTE, même s’ils essaient encore d’obtenir des cessezle-feu. La réalité de ces appels au cessez-le-feu et la crédulité de la communauté internationale, apparemment encore prête à les accepter, ont besoin d’être sérieusement mises en doute. Il est encore plus important que le gouvernement prenne conscience de la vulnérabilité de la plupart des villes du Sud à ce genre d’attentats. Le manque de sécurité, qui a entraîné la mort de 14 personnes, exige une enquête en haut lieu. Espérons aussi que les attentats ne deviendront pas plus meurtriers au moment où les LTTE rendront enfin leur dernier souffle. ■ Kattankudi O CÉAN I NDIEN l y a quatre ans, pendant que la guerre se poursuivait dans la jungle de la région de Nawalparasi, Sabitri Shah menait son propre combat. Cette femme soldat de 24 ans était enceinte. Malgré l’absence d’équipements médicaux, elle mettait au monde une petite fille. La guerre [1996-2006] devait se terminer peu après. L’année dernière, Shah a accouché de son deuxième enfant, un garçon. Elle l’a appelé Jang [la guerre]. “Je lui ai donné ce nom avec l’espoir qu’un jour il devienne un guerrier courageux”, explique-t-elle. Elle a eu du mal à élever son premier bébé sur le champ de bataille – il a été sous-alimenté –, mais la situation s’est nettement améliorée dans le cantonnement. [L’accord de paix signé en novembre 2006 entre la guérilla maoïste et le gouvernement, qui a notamment permis aux maoïstes d’entrer au gouvernement, prévoyait I COURRIER INTERNATIONAL N° 959 23 l’intégration progressive de la guérilla dans les rangs de l’armée régulière ; dans un premier temps, les guérilleros ont été rassemblés dans plusieur s cantonnements.] Les mariages entre combattants de l’Armée populaire de libération (APL), célébrés avec l’autorisation du parti maoïste, deviennent de plus en plus courants. De nombreux anciens guérilleros ont eux-mêmes grandi au sein de l’armée maoïste. Ram Kumar Moktan n’avait que 15 ans lorsqu’il a quitté l’école pour embrasser la cause révolutionnaire. Il en a maintenant 22 et fait partie de l’équipe de relations publiques de la troisième division de l’APL. Moktan s’exprime dans un jargon marxiste, il égrène les slogans contre les injustices du capitalisme, évoquant les victoires communistes en Chine et au Vietnam. Il n’a pas l’air de savoir que ces deux pays ont évolué vers l’économie de marché et ont connu une forte croissance économique. Nirmala Nepal a rejoint les DU 19 AU 25 MARS 2009 maoïstes à 17 ans. Elle est maintenant vice-commandant de compagnie et mère d’un petit Ishan de 1 an. Nirmala a épousé un autre soldat, Arjun Karki, après une bataille acharnée d’une semaine au cours de laquelle trois de leurs camarades ont été tués. Le couple souhaite maintenant s’engager dans l’armée nationale. “Nous avons combattu pour le parti, et maintenant nous allons combattre pour le pays, commente Nirmala. Nos compétences sont démontrées et il ne serait pas logique de nous faire faire un autre métier.” Elle explique que l’avenir de son fils dépendra du processus d’intégration des rebelles dans l’armée nationale. Il est clair que les enfants de la révolution maoïste ont un avenir incertain. Quand on lui demande quels sont ses espoirs pour son fils James, Phulmaya Syangtan répond : “Je ne sais même pas ce que l’avenir réserve à mon pays. Comment pourraisje me prononcer à propos de mon fils ?” Chong Zi Liang, avec Ekal Silwal et Kiran Panday pub UL CI:Mise en page 1 17/02/09 15:27 Page 31 N° 130 – mars-avril 2009 - 4,90 € Portrait Jean-Jacques Annaud, cinéaste du monde JAPON Enquête Usines, les nouveaux musées Sicile Castelbuono, modèle d’écologie ULYSSE Le Japon vu du train - mars-avril 2009 N° 130 www.ulyssemag.com L A C U L T U R E D U V O Y A G E LE JAPON VU DU TRAIN 3000 km de merveilles Belgique 5,50 €, Canada 8,95 $CAN, Guadeloupe 5,90 €, Guyane 5,90 €, Luxembourg 5,50 €, Maroc 45,00 MAD, Martinique 5,90 €, Portugal cont. 5,90 €, Réunion 5,90 €, Suisse 9,80 CHF. La Sicile écolo + l’Archipel autrement PROCHAINEMENT CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX 959p25 indone?sie:Mise en page 1 17/03/09 10:20 Page 25 asie INDONÉSIE Pagaille électorale garantie Le nouveau système de vote et la décentralisation des opérations logistiques risquent de compliquer l’organisation des scrutins du 9 avril tout comme la validation des bulletins des 169 millions d’électeurs. TEMPO Jakarta epuis le premier scrutin général, en 1955, élection rimait avec perforation [l’électeur devant perforer avec un clou la case correspondant au candidat de son choix]. Cette tradition est désormais révolue, car, lors des prochaines élections, le 9 avril, les bulletins devront être cochés. Ce changement de méthode n’est pas une mince affaire. A l’issue d’une simulation organisée par la commission électorale de Tangerang (Java-Ouest), un taux très élevé de bulletins nuls a en effet été constaté. Sur les 295 bulletins dépouillés, 78, soit 26 %, ont été déclarés nuls. Selon le directeur exécutif du Centre pour les réformes électorales (CETRO), Hadar Navis Gumay, cette proportion a largement dépassé le standard international, qui se situe entre 2,5 % et 3 %. En l’état, ce serait même le taux le plus élevé du monde. “C’est une honte !” affirme-t-il. Nombre d’électeurs soumis à cet exercice se sont donc révélés bien désemparés face à ces carrés vides. Certains ont tracé un cercle ou une croix. Parfois, c’est leur stylo qui a légèrement dérapé au-dessous de la case de leur favori. D’autres ont coché à la fois le nom du candidat et celui du parti. Autant de bulletins que le groupe chargé du dépouillement a considérés comme nuls. Ces maladroits exprimaient pourtant une intention claire de vote, explique Hadar Navis Gumay. Selon lui, la commission électorale devrait faire preuve de davantage de flexibilité, sans quoi près de 31,4 millions de bulletins nuls risquent de se retrouver au fond des urnes. Une estimation calculée sur la base d’un taux de participation de 70 % parmi les 169,5 millions d’inscrits. “Si on atteint un tel chiffre, la légitimité du scrutin sera très limitée”, assure le directeur du CETRO. Côté logistique, même si D CAMPAGNE on n’a pas encore actionné le signal d’alarme, les préparatifs ne sont pas empreints d’une sérénité parfaite. Ayant tiré les enseignements des élections de 2004, dont les dysfonctionnements avaient conduit le président de la commission électorale en prison, cet organisme a décidé, cette année, de déléguer aux régions une grande partie des tâches logistiques. Seules l’impression des bulletins pour la Chambre des représentants du peuple [l’Assemblée nationale] et la proclamation des résultats continuent de lui incomber. Il revient donc désormais aux commissions régionales d’imprimer les bulletins pour l’élection des représentants des Chambres provinciales, régionales et locales [le 9 avril, quatre bulletins de vote, un pour chacune des Chambres, seront mis à la disposition des électeurs]. En fait de bulletin, il s’agit d’une grande feuille de papier dont de Matt Kenyon, Grande-Bretagne. Prêts à tout, même au ridicule ffiches, pancartes, banderoles, drapeaux, autocollants, tracts… Tous les moyens sont bons pour tenter de capter le regard des électeurs. Depuis quelques mois, ces supports tapissent chaque mètre carré de mur, recouvrent les arbres et les poteaux. La faute en revient au changement de mode de scrutin, explique The Jakarta Globe. Tandis qu’en 1999 et en 2004 les électeurs étaient appelés à se prononcer pour un parti, ils trancheront, cette année, entre plusieurs candidats. C’est pourquoi les postulants ont redoublé d’imagination pour attirer l’attention des passants – au point parfois de friser le ridicule, à l’instar de ces candidats qui, tels des boxeurs, prennent la pose torse nu ou de tel autre qui s’est affu- A ▲ Dessin blé d’un corps de Superman. Il y a aussi celui qui trône sur le mur d’une gare ferroviaire de Jakarta et interpelle les voyageurs : “Attention aux trains !” ou ceux qui s’affichent aux côtés de David Beckam ou de Barack Obama. Le ras-le-bol croissant face à l’ineptie de la campagne a donné naissance à un site Internet : <Janganbikinmalu2009.com>, qu’on peut traduire par “Cessez de vous humilier”, qui aspire à devenir le moteur d’une prise de conscience citoyenne. Il a ainsi proposé un forum de discussion sur les chantiers prioritaires auxquels les élus devraient s’atteler. Mirwan Suwarso, cinéaste et fondateur du site, espère poursuivre l’expérience au-delà des scrutins du 9 avril, au moins jusqu’au 8 juillet, date de l’élection présidentielle. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 25 la taille doit permettre de lister le nom des candidats de chacun des 38 partis en lice [jusqu’à 44 dans la province d’Atjeh]. Ce “partage des risques” ne va pas sans poser de nouveaux problèmes. Certaines provinces, par exemple, ne tiennent pas les délais. Muhaimin Sutawijaya, membre de la commission de Banyuwangi (JavaEst), est au bord de la crise de nerfs. “Nous ne serons jamais prêts à temps !” lance-t-il, affolé, alors qu’il vient tout juste de recevoir l’encre et le papier nécessaires à l’impression des bulletins. Pas moins de 39 accessoires indispensables à la tenue du scrutin, tels que les panneaux des isoloirs, les stylos ou les clés des urnes ne lui sont toujours pas parvenus. “Les urnes elles-mêmes posent problème !” se désespère-t-il. Les boîtes métalliques utilisées lors des élections de 2004 pourraient en effet se révéler trop petites pour contenir l’ensemble des nouveaux bulletins, passablement plus grands qu’il y a cinq ans. Sans parler du nombre d’inscrits, qui a explosé. Cette année, chaque bureau de vote accueillera 500 électeurs, contre 300 lors des précédents scrutins. Ce n’est pas tout. Sur l’île de Madura [au large de la côte nord-est de Java], la liste électorale est erronée, reconnaît le président de la commission électorale de Sampang, Abu Ahmad Dhoveir. Des erreurs dues, selon lui, au programme informatique de la commission électorale, différent de celui de l’imprimeur. En Papouasie, 127 000 noms fictifs ont été découverts. La Fondation internationale des systèmes électoraux (IFES) a observé plusieurs aberrations, dont des électeurs plus jeunes que la majorité électorale, fixée à 17 ans, des per- sonnes inscrites en double, des milliers de villages où le nombre d’électeurs dépasse l’entendement, des électeurs sans carte d’identité ou nés après 2008, des familles qui comptent plus de 100 pères et mères… Ces listes électorales ont été dressées sur la base des informations fournies par le ministère de l’Intérieur. En avril 2008, la commission électorale s’est ainsi vu remettre des disques contenant les données relatives à 174 millions d’électeurs. Après vérification, la liste a été allégée, pour ne plus contenir que 169 millions de noms. La liste électorale provisoire a été affichée dans chaque village. Après de nouvelles corrections, la commission électorale l’a avalisée et l’a distribuée dans les 500 000 bureaux de vote du pays. Mais le document a encore été désavoué. A Java-Est, par exemple, le directeur de l’administration du recensement, Rosyid Saleh, s’est aperçu que 230 000 électeurs n’y figuraient pas. Les responsables électoraux provinciaux ont demandé que les modifications nécessaires soient effectuées. Mais elles ne seront pas effectives tant que le gouvernement n’aura pas promulgué de décret ad hoc. Selon Kevin Evans, auteur de The History of Political Parties and General Elections in Indonesia [Histoire des élections et des partis politiques en Indonésie, éd. Arise Consultancies, non traduit en français], cette confusion entraînera à coup sûr des contestations postélectorales. “Surtout si l’écart des voix entre les candidats est très faible”, explique-t-il. Budi Setyarso, Sumudyantoro et Agung Sedayu à Jakarta, Ika Ningtyas à Banyuwangi, Dini Mawuntyas à Surabaya et Anang Zakaria à Sampang Retrouvez la chronique d’Anthony Bellanger SUR L’ACTUALITÉ INTERNATIONALE à 22 h 50, du lundi au vendredi, dans “Le 22 h - Minuit” présenté par Thierry Dugeon et Claire-Elisabeth Beaufort DU 19 AU 25 MARS 2009 959p26:Mise en page 1 17/03/09 15:32 Page 26 asie LE MOT DE LA SEMAINE “FUBAI” CORRUPTION MONDE CHINOIS Contre la corruption, faites comme Singapour En Chine, le pouvoir cherche à moraliser la fonction publique ; à Taïwan, l’ancien président est poursuivi pour détournement de fonds. Un point de vue singapourien. LIANHE ZAOBAO tout citoyen, qu’il soit ou non agent de l’Etat, peut être accusé de corruption s’il possède des biens qui ne sont pas en rapport avec ses revenus et s’il n’est pas capable de fournir des explications plausibles sur leur origine. Quiconque fournit des avantages à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions peut être considéré comme cherchant à le corrompre, et les deux parties peuvent être jugées coupables. Pour garantir le respect scrupuleux des lois, les agents de l’Etat doivent faire une déclaration de patrimoine chaque année, en y incluant également les biens immobiliers de leur épouse. Rien que sur ce point, nous sommes en avance de plusieurs dizaines d’années sur la Chine. Singapour our la plupart des Asiatiques, un gouvernement intègre reste encore du domaine du rêve. On s’aperçoit en effet que la corruption est l’ennemi numéro un dans bien des pays asiatiques, à l’exception de Singapour et de Hong Kong. On tond la laine sur le dos de la population, qui ne peut que ravaler sa colère et endurer tout cela en silence. La Chine, qui vient de fêter ses trente ans de réformes et d’ouverture, se creuse la tête pour trouver les moyens d’éradiquer ce fléau. Le Premier ministre Wen Jiabao, qui a pour la première fois discuté en ligne avec des internautes chinois et étrangers le 1er mars dernier, a fait à cette occasion une déclaration importante : il a annoncé que la Chine rendrait obligatoire la déclaration de patrimoine pour tout agent de l’Etat [Wen Jiabao n’a en fait qu’apporté son soutien à cette mesure encore “à l’étude”]. “J’ai profondément réfléchi aux raisons pour lesquelles la population accordait tant d’importance à la lutte contre la corruption, en cette période cruciale où nous devons faire face à la crise financière, at-il dit. Je pense que le développement économique, l’équité et l’intégrité de l’Etat sont les trois poutres maîtresses de la stabilité sociale, et parmi ces trois éléments l’intégrité de l’Etat est primordiale.” Reste que, selon une enquête effectuée par le parlementaire Wang Jie, 97 % des fonctionnaires sont opposés à la publication de leur patrimoine. Cette réaction, qui n’a rien d’étonnant, est révélatrice de l’attitude des agents de l’Etat. Elle met également en évidence toute la gravité du phénomène et l’urgence qu’il y a à légiférer sur cette obligation de déclaration. Des enquêtes réalisées par les sites officiels Renminwang (people.com.cn) et Xinhuawang (xinhuanet.com) attestent que la lutte contre la corruption et pour l’intégrité reste le sujet qui tient le plus à cœur à la population chinoise. Il s’agit là d’un défi difficile à relever pour les détenteurs du pouvoir. P es deux idéogrammes qui constituent le mot fubai signifient à la fois “corruption” et “pourriture”, au sens littéral. En effet, pour la Chine comme pour le reste du monde, la corruption est un fléau qui mine de l’intérieur tout système politique. Ce qui distingue un régime d’un autre, ce sont les moyens utilisés contre ce fléau. Dans un système démocratique, la séparation des pouvoirs constitue la garantie essentielle contre la corruption et l’abus de pouvoir. Dans certains pays asiatiques dotés d’un système politique hybride, le moyen de lutte est une sévère répression légale, ce que le texte ci-contre tente de nous démontrer dans le cas de Singapour. Mais, malgré la détermination de certains dirigeants chinois comme Wen Jiabao et la multitude des mesures prises contre ce fléau en Chine, la corruption a toujours le vent en poupe. Les sondages confirment régulièrement que la corruption figure parmi les premiers soucis de la population. D’après les chiffres officiels, plus de 5 millions de cadres ont été condamnés pour corruption entre 1978 et 2007. Malgré des campagnes périodiques, la corruption s’aggrave et s’étend chaque année. Parallèlement, corruption et anticorruption sont un sujet permanent et omniprésent dans la propagande relayée par la presse officielle. On peut considérer légitimement que la cause de ce phénomène paradoxal est l’absence de tout contre-pouvoir en Chine. On peut aussi s’interroger sur la véritable fonction de la propagande et des déclarations d’intention médiatisées. Elles ne sont pas efficaces pour réduire la corruption, mais servent en revanche à montrer avec éloquence la volonté sans faille des dirigeants du Parti de lutter contre celle-ci. L Chen Yan Calligraphie de Hélène Ho LA LÉGISLATION TAÏWANAISE EST TRÈS INCOMPLÈTE Quand on parle de corruption, on pense naturellement à l’affaire dans laquelle sont impliqués l’ancien président de la République taïwanaise Chen Shui-bian [en détention provisoire depuis novembre 2008] et son entourage. Selon les éléments de l’enquête, une centaine de proches de l’ancien chef de l’Etat auraient tiré parti de leurs relations avec lui, et plusieurs milliards de nouveaux dollars taïwanais (NDT) auraient été transférés à l’étranger. La famille Chen aurait ouvert des comptes bancaires dans une dizaine de pays et ses activités de blanchiment d’argent se seraient déployées sur les cinq continents. Avec ses seuls émoluments de LE DISPOSITIF ANTICORRUPTION DOIT ÊTRE TRÈS ÉLABORÉ ▲ Sur la boîte : “Boîte à dénonciation”. Dessin de Xu Li paru dans Fengce yu Youmo, Pékin. Bonnes intentions ■ Lors de la session parlementaire qui vient de se terminer à Pékin, on a beaucoup parlé d’un projet visant à imposer aux fonctionnaires des déclarations de fortune régulières, souligne le quotidien hongkongais Taiyang Bao. Mais aucune date n’a été précisée. Car ce projet fait froncer les sourcils. Le Premier ministre s’est borné à affirmer qu’il faudrait “s’appliquer à préparer ce projet” et le vice-président de la commission de discipline du Parti a déclaré que la question était “en discussion”. “Faudra-t-il attendre, demande le journal, qu’ils aient tous transféré leurs biens aux Etats-Unis ou au Canada avant qu’on s’y attaque ?” COURRIER INTERNATIONAL N° 959 26 président, comment Chen Shui-bian aurait-il pu accumuler de telles sommes au cours de ses huit années au pouvoir ? De toute évidence, la plupart des fonds transférés à l’étranger étaient de l’argent sale. Chen Shui-bian a récemment reconnu devant la cour que, lors de la deuxième réforme financière, une banque qui voulait racheter un autre établissement avait offert 200 millions de NDT à l’ancienne première dame, Wu Shu-jen, pour “s’acheter une conscience”. Ces grands scandales de notre siècle que sont les abus de pouvoir à des fins de prévarication font que les Taïwanais respectueux des lois perdent confiance en leur régime. Ceux qui s’intéressent à l’affaire Chen Shui-bian trouveront à coup sûr curieux que les enquêteurs n’aient toujours pas réussi à établir la culpabilité de l’ancien président neuf mois après son départ du pouvoir et estimeront que les institutions judiciaires taïwanaises ne sont pas très efficaces. En fait, l’une des principales raisons pour lesquelles les choses traînent en longueur est la clémence excessive de la législation anticorruption à Taïwan. La loi taïwanaise stipule qu’il faut que les biens aient été acquis illégalement pour que le délit de corruption soit avéré. L’accusation doit pouvoir le prouver, sans quoi il est impossible de prononcer l’inculpation. La législation taïwanaise présente une autre lacune grave : seul un fonctionnaire peut être accusé de malversations. Aussi l’épouse de Chen Shui-bian a-t-elle de grandes chances d’échapper à la justice bien qu’elle ait touché des pots-de-vin. Comparées aux lois anticorruption de Singapour, celles de Taïwan présentent des insuffisances criantes. En vertu de la législation singapourienne, DU 19 AU 25 MARS 2009 Depuis sa création, en 1952, le Bureau d’enquête sur les pratiques de corruption (CPIB) a élucidé plusieurs affaires de malversations, incriminant jusqu’à des ministres. J’estime que la principale réussite de cette unité spéciale est d’avoir instauré dans la société une culture anticorruption qui garantit un gouvernement intègre. Cette culture fait que les citoyens sont conscients que la corruption est une pratique honteuse, qui ne peut être admise ni dans la fonction publique ni dans la société dans son ensemble. De ce fait, elle empêche efficacement les malversations. Les agents de l’Etat sont conscients que, si jamais ils sont reconnus coupables de corruption, ils perdront leur emploi et seront passibles de lourdes sanctions pénales, dont l’emprisonnement. De plus, ils seront radiés à vie de la fonction publique. Selon moi, l’élaboration d’une culture anticorruption nécessite deux conditions : tout d’abord que les dirigeants aient des convictions solides dans ce domaine et ensuite que la corruption soit considérée comme un crime grave et soit sévèrement réprimée. En d’autres termes, le dispositif anticorruption doit être très élaboré et les unités chargées de faire appliquer les lois doivent être dotées de pouvoirs forts. La capacité de nos dirigeants à bien anticiper les évolutions futures a permis à notre société de se doter d’une culture anticorruption d’une importance capitale, ce dont les habitants de Singapour doivent se réjouir. De tout temps, la corruption des classes dirigeantes a été à l’origine de désordres parmi la population. Les maux qui en découlent, comme la collusion entre le monde des affaires et la fonction publique ou le recours des pouvoirs publics à des fonds occultes, sont susceptibles de provoquer le mécontentement de l’opinion publique et donc des troubles sociaux pouvant conduire à la chute des dirigeants. Il s’agit là du principe selon lequel l’eau permet de faire flotter un bateau, mais peut aussi le faire chavirer… Li Shunfu 959 p27:Mise en page 1 17/03/09 15:49 Page 27 asie CAMBODGE A quoi joue donc le pouvoir ? En faisant fermer les petits établissements de paris sportifs, le gouvernement souhaite moraliser la société. Mais il a oublié de s’occuper des casinos, dont les propriétaires sont proches du pouvoir. CAMBODGE SOIR HEBDO Phnom Penh e Premier ministre Hun Sen a surpris tout le monde. Les jeux d’argent, au premier rang desquels les paris sportifs, n’ont plus le droit de cité, a-t-il décrété le 24 février. Dès le lendemain, Cambo Six, la société qui domine depuis 2002 le monde des paris sur les matchs de football, a fermé toutes ses agences. Promotion de la morale sociale, renforcement de l’ordre public ou encore “réforme de la société” sont les arguments avancés par le gouvernement afin de justifier cette décision en forme de couperet pour cette industrie qui emploie – employait, doit-on dire désormais – quelque 9 000 personnes, dont 1 500 dans le seul réseau de Cambo Six. Les jeux d’argent sont, en principe, interdits aux Cambodgiens pour éviter le surendettement. L’accès aux casinos leur était ainsi refusé. En revanche, une dérogation avait été accordée à Cambo Six et à Sporting Live Group, l’autre enseigne des bookmakers. Leur licence se limitait aux paris sur les matchs de football disputés à l’étranger. Selon son site Internet [désormais hors service], Cambo Six gérait une vingtaine d’agences. Le montant des sommes engagées n’a pas été rendu public. Le ministère de l’Economie indique simplement que Cambo Six reversait chaque année 1 million de dollars [789 000 euros] de taxes. Dans son ensemble, l’industrie des jeux a rapporté, en 2008, 20 millions de dollars à l’Etat. Il est vrai que ces dernières années l’interdiction frappant cette activité était allégrement transgressée. De fait, de nombreux établissements de toute taille, avec ou sans licence, ont commencé à se développer au cours des dernières L années, proposant une large palette de jeux : loteries, machines à sous, roulettes, black jack, paris sportifs… L’engouement au sein de la population et son cortège de conséquences désastreuses ont été dénoncés à maintes reprises au sein de la société civile et par les partis d’opposition, dont les appels à réguler la filière étaient restés vains jusqu’à la décision du 24 février. Rong Chhun, président de l’Association des enseignants indépendants du Cambodge et habituellement farouche critique du chef du gouvernement, a aussitôt applaudi. “Soixante pour cent des jeunes de Phnom Penh parient sur le foot… Cambo Six pousse les élèves à faire l’école buissonnière ! C’est l’une des raisons qui expliquent le faible niveau d’éducation au Cambodge”, affirme-t-il. Il estime que seul un foyer sur cinq de la capitale n’abrite aucun parieur. Son Chhay, ténor de l’opposition, partage l’avis du syndicaliste sur le fond ; mais il cite des chiffres différents. “Entre 5 % et 7 % des Cambodgiens ▲ Dessin de Horsch paru dans Handelsblatt, Düsseldorf. jouent chez Cambo Six. Les paris sportifs troublent l’ordre social et rendent les gens improductifs. Les motos-taxis refusent des clients parce qu’ils attendent les résultats du foot. Les étudiants dépensent dans les jeux l’argent censé payer leurs frais de sco- Les journaux sportifs durement touchés PRESSE u Cambodge, avant l’interdiction des paris sportifs décrétée par le Premier ministre, l’offre paraissait sans fin. Les amateurs du ballon rond pouvaient miser sur les affiches des différents championnats européens. Ils pouvaient aussi s’essayer à un pronostic sur une rencontre improbable d’une division oubliée quelque part dans le monde. Mais rares étaient les accros à s’engager à l’aveuglette. Beaucoup avaient pris l’habitude d’éplucher méthodiquement les statistiques et les commentaires publiés dans la presse pour deviner la future prestation de telle ou telle équipe. Des titres spécialisés étaient même nés pour répondre à cette demande. A L’annonce faite par Hun Sen a sonné le glas pour eux aussi. Dès le lendemain, les kiosques ont enregistré une chute de leurs ventes. “La fin des paris, c’est bien pour la société, mais mes affaires en souffrent. J’avais l’habitude de vendre chaque jour une vingtaine d’exemplaires et désormais je n’en vends plus un seul. Même si je les offrais, personne n’en voudrait !” explique You Leakhana, gérante d’un point de vente du centre de la capitale, dans les colonnes du Phnom Penh Post. “Ça ne sert plus à rien !” tranche quant à lui Ly Sopheak, un joueur habitué à débourser 2 000 riels [0,40 euro] chaque semaine pour acquérir un journal sportif. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 27 DU 19 AU 25 MARS 2009 larité !” affirme-t-il. Le vice serait même à l’origine de nombreux divorces, renchérit Chea Vannath, une des figures de la société civile. Reste que la volonté des autorités de débarrasser en profondeur et définitivement la société de ce fléau incite à la prudence. La circulaire du ministère de l’Economie reste en effet muette sur les casinos dûment enregistrés et installés sur le sol cambodgien. La plupart d’entre eux sont implantés dans les zones frontalières entre la Thaïlande et le Vietnam [et appartiennent pour beaucoup à des proches du pouvoir]. “Les décisions du gouvernement semblent avant tout avoir été dictées par des considérations politiques, et non par une réelle volonté de réformer le pays”, analyse ainsi l’obser vateur politique Koul Panha. La décision laisse également perplexe Thun Saray, président de l’organisation de défense des droits de l’homme ADHOC. “Est-ce que cette interdiction continuera d’être appliquée sur la durée ? Ou bien les jeux reprendrontils bientôt sous une autre forme ?” se demande-t-il. Ky Soklim 959p28-29:Mise en page 1 17/03/09 15:50 Page 28 m oye n - o r i e n t ● PA L E S T I N E Jérusalem, une capitale arabe de la culture ? Mauvaise organisation, démissions en cascade, népotisme et corruption : les festivités qui doivent avoir lieu dans le secteur arabe de la ville sont mal engagées. AL-HAYAT Londres as besoin d’être un observateur par ticulièrement perspicace pour se rendre compte des difficultés du programme “Jérusalem, capitale culturelle du monde arabe 2009”. Oublions le flou qui entoure les questions de logistique et de financement pour nous arrêter sur un autre point de confusion. Car il y a trois programmes à Jérusalem, celui du Hamas, lancé le 7 mars, celui du Fatah, qui démarrera le 21 mars, et celui bâti à l’initiative de la diaspora palestinienne, qui est prévu pour le 30 mars. Toutes les cérémonies d’ouverture ont été repoussées de trois mois en raison du sang qui coulait à Gaza. “Je comprends ce retard. Il s’explique par la guerre israélienne contre notre peuple à Gaza”, explique l’écrivain Mahmoud Choucair. “Mais j’ai des réserves sur la composition du haut comité qui en a la charge.” Choucair fait partie des nombreux intellectuels hiérosolymitains qui dénoncent la façon dont on s’y est pris. Et le poète Najwan Darwish va plus loin dans ses critiques. “Les questions à propos des programmes révèlent les contradictions structurelles de la vie politique palestinienne et arabe, notamment en ce qui concerne Jérusalem. Il faut malheureusement reconnaître aujourd’hui, trois mois après le début de l’année, que le projet a échoué”, explique-t-il. Selon lui, les choses étaient mal engagées au départ, “parce que le choix de Jérusalem relevait de l’improvisation et n’avait été ni étudié ni préparé. Après l’annonce de ce choix, deux années se sont écoulées sans qu’on avance. On a assisté à un déploiement d’impuissance collective – démissions, valses-hésitations et déclarations médiatiques sans rapport avec la réalité.” Il impute cet échec aux “instances palestiniennes chargées du projet, qui n’avaient pas les compétences nécessaires. Elles ont accaparé l’idée et ont contribué ainsi, de pair avec l’occupant israélien, à gâcher une chance historique de faire quelque chose pour la ville.” Compte tenu de l’état de décomposition de la société palestinienne, il était prévisible que tous ceux qui travaillaient sur ce programme allaient connaître des démissions, défections et dissensions en rafale. La communication était défaillante au point que les citoyens ordinaires n’étaient même pas au courant de la date de lancement. Cette vision négative n’est pas partagée par Ismael Tilawi, secrétaire général du Comité national pour l’éducation, la culture et les sciences, et président du Comité de coordination avec les pays arabes pour la préparation du programme. “Le haut comité a réalisé beaucoup de choses, malgré deux obstacles. Le premier est que les autorités P ▲ Dessin d’Anthony Russo paru dans l’International Herald Tribune, Paris. ■ Mur En plus des dissensions entre Palestiniens, “les festivités culturelles prévues à Jérusalem sont pénalisées par les difficultés d’accès à la ville tant pour les délégations arabes invitées que pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, notamment à cause du mur de séparation qui entrave la libre circulation à l’intérieur des Territoires palestiniens occupés”, note le site d’information Elaph. occupantes [israéliennes] font tout pour empêcher les activités culturelles que nous voulons organiser dans ce cadre. Elles l’ont montré en arrêtant plusieurs participants à la cérémonie de lancement de notre programme. Le second obstacle est d’ordre matériel, nous n’avons malheureusement rien reçu des sommes que les ministres arabes de la Culture promettent à chacune de leurs réunions.” DES PERSONNALITÉS QUI N’ONT RIEN À VOIR AVEC LA CULTURE Ces difficultés, les intellectuels palestiniens les comprennent. Or qu’est-ce qui a empêché de communiquer les vraies raisons du retrait de feu Mahmoud Darwish [grand poète palestinien] de la présidence du Comité, suivi par la démission de Hanane Achraoui [grande figure de la société civile] et la nomination surprise du président de l’Autorité palestinienne à la tête de ce Comité ? La vague des démissions a également touché le bureau exécutif, où trois présidents se sont succédé en moins de dix-huit mois. “C’est injuste de présenter les choses ainsi, rétorque Ismael Tilawi. Il y a de la confusion et de l’exagération quand on parle de démissions. Mahmoud Darwish n’a pas du tout claqué la porte. Il ne pouvait pas continuer parce qu’il était malade. Hanane Achraoui a été nommée temporairement. Elle a été absente pendant plus de deux COURRIER INTERNATIONAL N° 959 28 mois parce qu’elle était aux Etats-Unis.” Quant au bureau exécutif, il souligne que “Bassem Al-Masri l’a présidé jusqu’à son arrestation par les Israéliens, lors de la cérémonie de lancement. Ensuite, il est parti en Jordanie et, pendant plus de trois mois, on l’a empêché de revenir en Palestine.” Toutefois, d’après les rumeurs, il aurait démissionné pour d’autres raisons, proches de celles qui expliquent la récente démission d’Ahmed Dari [son successeur] et d’autres membres du bureau. Au sujet de la composition des équipes, on a dit que certaines personnalités importantes avaient été écartées au profit d’autres qui n’avaient rien à voir avec la culture. “Je ne veux pas parler des personnes et je ne veux en dénigrer aucune”, explique l’écrivain Mahmoud Choucair. “Mais je parle de leurs compétences professionnelles et du rapport qu’elles ont avec la culture. Beaucoup d’intellectuels bien connus de Jérusalem, de Cisjordanie, de Gaza, à l’intérieur de la Ligne verte [en Israël] et dans la diaspora ont été ignorés sans qu’on sache pourquoi. Certes, le Comité ne peut pas représenter tous les intellectuels, mais il y a un problème évident.” De son côté, Najwan Darwish ne regrette pas seulement l’absence d’intellectuels de la diaspora et de Palestiniens de 1948 [Arabes israéliens], ainsi que la limitation à une seule couleur politique. Il dénonce également la présence de représentants du courant pro-israélien [favorable à un compromis avec Israël] et de certaines personnes qui traînent un lourd passé de mauvaise gestion. Le comité de coordination avec les autres pays arabes indique avoir signé des accords avec de nombreuses institutions culturelles à Gaza, à Jérusalem et en Israël, et annonce que les festivités démarreront le 21 mars simultanément dans cinq villes : Jérusalem, Bethléem, Nazareth, Gaza et le camp de réfugiés de Bourj El-Barajneh, au Liban. Reste qu’il y a trois programmes, alors que le programme officiel décidé par l’Autorité palestinienne est censé représenter tout le monde. “Il n’est pas admissible que notre ministère contacte un ministre démissionnaire. Ce serait consacrer la scission.” C’est ainsi que la ministre de la Culture à Ramallah justifie son refus de communiquer avec son homologue à Gaza, le ministre du Hamas. Par ailleurs, certains Palestiniens saisissent l’occasion pour émettre des fatwas interdisant à Gaza toute activité culturelle financée par l’Autorité palestinienne de Ramallah. Dans ce contexte de séparation géographique et de blocus israélien, Gaza peut difficilement se joindre à la programmation. De même, les “Arabes israéliens” n’ont pas été impliqués, en dehors de quelques exceptions servant de feuille de vigne. Asma Azaïzé DU 19 AU 25 MARS 2009 ÉGYPTE Petits arrangements avec la morale Quel mal y a-t-il à tricher pendant les examens ? demandent les étudiants égyptiens aux docteurs de la loi. AL-HAYAT (extraits) Londres n ne pouvait pas ne pas être interpellé par cette information sur les examens de la fin du premier semestre universitaire : on a constaté de la triche chez des étudiants inscrits dans des filières où cela paraît particulièrement peu convenable, à savoir les études de droit et de la charia à l’université Al-Azhar. Certes, il y a également des tricheurs parmi les étudiants en histoire, en médecine, en commerce, etc., mais les plus enclins à cette pratique semblent être ceux qui seront habilités à diriger la prière et à émettre des fatwas – qui seront des fatwas de tricheurs. On est également étonné quand on lit le contenu de certains sites Internet islamiques à ce propos, comme cette question posée par un étudiant : “Est-ce qu’il est illicite de tricher aux examens ? Quelle est la valeur d’un diplôme obtenu par ce moyen ?” Et il ajoute : “Si je suis certain qu’une personne enseignant telle ou telle matière persécute un étudiant et fait exprès d’embrouiller les questions, est-ce qu’il est permis, pour réussir l’examen, de recourir à des moyens qui peuvent paraître contraires à la morale ?” La réponse donnée par le docteur de la loi va de soi. Ce qui est plus surprenant, ce sont les commentaires et les messages de sympathie que d’autres internautes ont laissés. L’un d’eux écrit : “Ça veut donc dire qu’on n’a pas le droit de se défendre et qu’on doit se soumettre aux névroses du professeur ?” Un autre : “Est-ce que c’est la même chose d’avoir besoin d’aide extérieure lors des examens quand on a fait ce qu’il faut pour réviser ou de tricher sans avoir ouvert un livre ?” Plus généralement, les interrogations de toutes sortes liées à ce que la religion permet ou non sont quelque chose qui occupe beaucoup de place dans la vie des jeunes. Midhat, un étudiant de 28 ans, était connu parmi ses amis pour son conservatisme excessif. Il considérait qu’il était illicite d’entretenir des amitiés avec des filles, de fréquenter les cafés, de regarder la télévision en dehors des émissions sérieuses, etc. Cela ne l’empêche pas aujourd’hui de se languir d’une “green card”, [la carte verte de résident ] qui lui permettrait de s’installer aux EtatsUnis, alors qu’il sait bien qu’il ne pourra pas se conformer à ses principes là-bas. Amina Kheiry O 959p28-29:Mise en page 1 17/03/09 15:50 Page 29 m oye n - o r i e n t PA L E S T I N E Les Israéliens creusent un peu trop loin En exploitant pour leur propre bénéfice les ressources minérales de la Cisjordanie, les entrepreneurs israéliens violent le droit international au profit de l’Etat hébreu. ce qui bénéficie également à la population.” Mais l’étude officielle de 2008 sur les matériaux de construction est parvenue au résultat opposé, à savoir que les trois quarts de ce qui est extrait en Cisjordanie partent pour Israël. Le reste est acheté par des Palestiniens. S’il existait un Etat palestinien, ce serait peut-être également le cas, mais les propriétaires des carrières seraient palestiniens et l’urbanisation serait confiée à des Palestiniens. La création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza est de moins en moins évoquée depuis le clivage survenu au sein de la classe dirigeante palestinienne lorsque le Hamas a été porté au pouvoir à Gaza – et aussi depuis la victoire de la droite aux dernières législatives [10 février] en Israël. THE NEW YORK TIMES New York DE BEITAR ILIT (CISJORDANIE) es blocs de roche aussi gros que des petites berlines sont extraits de cette immense carrière située près de Bethléem, puis concassées avec fracas dans des broyeurs. On produit ainsi du gravier et du sable qui vont servir à construire des immeubles non seulement dans cette colonie israélienne en pleine expansion, mais aussi partout en Israël. Bien entendu, le sol cisjordanien est disputé. Israël l’occupe, et les Palestiniens veulent y installer un futur Etat. Mais ce sol lui-même disparaît à vue d’œil – des sociétés israéliennes en tirent des matériaux de construction, une pratique qui fait l’objet de nouvelles actions en justice. “Israël transfère des ressources naturelles de Cisjordanie dans son propre intérêt, ce qui est totalement interdit non seulement par le droit international, mais aussi par les décisions de la Cour suprême israélienne”, souligne Michael Sfard, avocat de Yesh Din, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme qui doit porter l’affaire devant le tribunal suprême dans le courant du mois. “C’est un transfert illégal de terres, au sens le plus littéral du terme.” Dans un pays à moitié désert, le sable et les rochers peuvent sembler des ressources de peu de valeur. Mais, les carrières étant désormais soumises à une réglementation stricte du fait des nuisances sonores et de la poussière qu’elles produisent, il devient de plus en plus intéressant de s’attaquer au désert. Il arrive souvent qu’on surprenne dans le désert du Néguev des entrepreneurs volant du sable ou des rochers par camions entiers, à la faveur de la nuit. Une étude officielle de 2008 prévoit une grave pénurie de matériaux de construction d’ici dix ans. D “À CE COMPTE-LÀ, L’OCCUPATION N’EST PAS PRÈS DE SE TERMINER” Ainsi, la dizaine de carrières exploitées en Cisjordanie qui sont dans le collimateur de la justice représentent près du quart du sable et du gravier qu’utilise Israël annuellement, soit 10 millions de tonnes sur un total de 44 millions. Les Palestiniens sont excédés et soulignent que, si une économie palestinienne prospère est destinée à voir le jour, ils ne doivent pas laisser piller leurs ressources naturelles. “Cela nous cause un tort évident”, assure Sam Bahour, un homme d’affaires palestinien de Ramallah. “Les intérêts économiques d’Israël perpétuent l’occupation, et ce n’est là qu’un nouvel exemple. A ce compte-là, cette occupation n’est pas près de se terminer.” La IVe Convention de La Haye de 1907 prévoit que les puissances occupantes ne doivent pas exporter les ressources naturelles d’un territoire EN ISRAËL, PERSONNE NE VEUT D’UNE CARRIÈRE POLLUANTE ▲ Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis. ■ Pétition “Le groupe Yesh Din a transmis le 9 mars une pétition à la Cour suprême, accusant Israël de violer le droit international en exploitant les ressources des Territoires palestiniens occupés pour son propre profit”, rapporte Yediot Aharonot. Dix entreprises israéliennes gérant des carrières cisjordaniennes sont citées dans la pétition, selon laquelle, “en droit international, ce genre d’activité viole les lois d’occupation aussi bien que les droits de l’homme et peut être assimilé à du pillage”. occupé. Les revenus tirés de leur éventuelle exploitation doivent aller à un fonds destiné à la population locale. C’est ainsi que l’armée américaine gère le pétrole en Irak. Dans la mesure où le statut de la Cisjordanie, avant sa conquête par Israël lors de la guerre de 1967, n’était pas clair – elle était occupée par la Jordanie depuis 1948 –, de nombreux juristes israéliens considèrent qu’il est faux de considérer la Cisjordanie comme un territoire occupé au sens classique du terme. La Cour suprême israélienne a refusé de statuer sur la légalité des colonies israéliennes, estimant qu’il s’agissait d’une question politique, même si des juristes étrangers les jugent illégales. Pourtant, en ce qui concerne l’occupation de la Cisjordanie, les juges israéliens ont généralement émis des décisions allant dans le sens du droit international. Au début des années 1980, ils ont affirmé qu’une route ne pourrait pas y être construite si elle ne bénéficiait pas aux Palestiniens. “Une région annexée militairement ne doit pas être soumise à une exploitation sans frein”, a affirmé le tribunal. L’association professionnelle qui représente les carrières israéliennes estime pour sa part que toutes les activités des entreprises présentes en Cisjordanie sont conformes aussi bien au droit international qu’aux règlements établis par l’armée israélienne, qui contrôle ce territoire. “Nous versons des redevances qui sont réinvesties dans les Territoires et profitent aux Palestiniens”, note Dan Catarivas, directeur du commerce extérieur au sein de l’Association des industriels d’Israël. “La plus grande partie des matériaux extraits de ces carrières est utilisée dans les Territoires eux-mêmes, COURRIER INTERNATIONAL N° 959 29 Mais Benyamin Nétanyahou, pressenti pour diriger le prochain gouvernement, a affirmé qu’il voulait construire l’économie et les institutions palestiniennes en Cisjordanie afin d’accroître les chances de succès d’un Etat palestinien. Interrogé sur la question des carrières, Ron Dermer, un proche collaborateur de M. Nétanyahou, s’est dit favorable au changement. “Le nouveau gouvernement va aborder ces questions de façon très pragmatique, en vue de décider de ce qui est dans l’intérêt de l’économie palestinienne”, a-t-il expliqué. Répondant à des questions deYesh Din, l’armée israélienne a défendu le principe des concessions qu’elle octroie aux carrières, mais a fait valoir que la politique menée jusqu’à présent était désormais réexaminée. Certaines voix s’élèvent pour dénoncer les effets néfastes des carrières sur l’environnement. Itamar Ben David, responsable de la planification environnementale au sein de la Société israélienne de protection de la nature, a siégé dans le comité qui a réalisé l’étude sur les matériaux de construction l’an dernier. “J’ai été étonné de voir la part énorme de ces matériaux extraits en Cisjordanie qui partait en Israël, commente-t-il. L’une des raisons en est que la réglementation en matière d’urbanisme et de défense de l’environnement est moins stricte en Cisjordanie qu’en Israël. En Israël, personne ne veut d’une carrière à côté de sa résidence.” Des responsables palestiniens se disent préoccupés par la présence de ces carrières, car comme les Israéliens ils n’apprécient pas d’en avoir à proximité. “Cette industrie pollue les Territoires palestiniens”, déplore Hassan AbuLibdeh, conseiller spécial auprès du Premier ministre palestinien [démissionnaire], Salam Fayyad. “Et elle est en concurrence avec notre propre industrie. Nous la considérons donc comme une agression. Dans ce secteur comme dans d’autres, des entreprises israéliennes prospèrent au détriment de l’économie palestinienne.” Ethan Bronner DU 19 AU 25 MARS 2009 IRAN Khatami trahi par les siens e camp réformateur a-t-il encore une chance de battre le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, le 15 juin prochain ? Depuis que Mohammad Khatami a annoncé le retrait de sa candidature, mardi 17 mars, la presse progressiste de Téhéran n’y croit plus. L’ancien chef de l’Etat, qui a dirigé le pays de 1997 à 2005, s’était lancé dans la course à la présidentielle le 9 février dernier. Il apparaissait comme le candidat le mieux placé pour empêcher l’ultraconservateur Ahmadinejad d’être réélu pour un deuxième mandat de quatre ans. Mais une attaque venue de son propre camp a mis fin à ses ambitions. Un autre réformateur, Mir Hossein Moussavi, a en effet présenté sa candidature le 9 mars dernier. Mohammad Khatami a donc choisi de lui apporter son soutien, pour préserver l’unité de son camp. “Lorsque, en janvier dernier, Khatami avait affirmé que lui ‘ou’ Moussavi se présenterait à la présidentielle, personne ne pensait que ce serait lui ET Moussavi”, ironise le quotidien Sedaye-e Edalat. Le journal rappelle que Khatami avait courtoisement demandé à Mir Hossein Moussavi s’il souhaitait être le candidat du camp réformateur. Devant le refus de ce dernier, Khatami avait donc confirmé sa candidature “à contrecœur”.“Quelle surprise alors de voir Moussavi déclarer cinq semaines plus tard qu’il se lançait dans la bataille !” commente le quotidien. Premier ministre de 1981 à 1989, Moussavi bénéficie d’une image positive pour avoir su gérer le pays au plus fort de la guerre contre l’Irak, mais il n’a pas occupé de fonction politique majeure depuis. “Moussavi part avec un handicap, car sa démarche a totalement manqué de moralité”, note le quotidien Hammihan. “Après s’être comporté de la sorte vis-àvis de Khatami, il n’est pas certain que Mir Hossein Moussavi réussisse à mobiliser toutes les voix du camp réformateur.” Beaucoup de partisans des réformateurs pourraient choisir de voter pour l’ancien président du Parlement Mehdi Karoubi, un autre candidat modéré. “La décision de Khatami est lourde de conséquences pour l’avenir du peuple iranien”, commente Mohammad Ali Abtahi, proche conseiller de l’ancien président, dans le webzine Tagheer. “Comme l’ont montré ses premiers meetings de campagne, à Chiraz par exemple, où il a été accueilli triomphalement, Khatami reste le plus rassembleur dans le camp réformateur. Son retrait est une véritable déception”, écrit-il, jugeant toutefois que Khatami a pris la meilleure décision possible d’un point de vue moral. Dans sa situation, il n’avait pas d’autre choix, les deux autres réformateurs ayant refusé de se retirer en sa faveur. Khatami a cherché à éviter que ne se répète le scénario de 2005, où aucun candidat modéré n’avait été capable de rassembler son camp. “Voilà encore une occasion historique manquée. C’est maintenant une tâche bien difficile qui attend Karoubi et Moussavi.” ■ L 959p30:Mise en page 1 17/03/09 16:14 Page 30 afrique ● MADAGASCAR L’armée fait main basse sur le régime Le chef de l’Etat malgache Marc Ravalomanana a démissionné le 17 mars et abandonné tous ses pouvoirs. Mais qui sera le nouvel homme fort du régime ? e chef de l’opposition malgache Andry Rajoelina est entré le mardi 17 mars au matin dans les bureaux de la présidence, situés au centre d’Antananar ivo, la capitale malgache. Quelques minutes plus tard, le président malgache a démissionné et transféré ses pouvoirs à un “directoire militaire”. Déjà, la veille, les jours au pouvoir du président Marc Ravalomanana semblaient comptés : avec la prise du palais présidentiel par l’armée malgache, le 16 mars, au cœur de la capitale, la crise s’apparentait déjà à un coup d’Etat. Face à l’impasse politique, les militaires avaient lancé début mars un premier avertissement aux deux protagonistes : faute de règlement politique, l’armée malgache prendrait ses responsabilités. Un avertissement d’autant plus lourd de sens qu’il avait été donné par les plus anciens des haut gradés. Cette perspective pouvait susciter une certaine bienveillance de la part de la population, lasse et inquiète de la surenchère politique. L’armée se parait de son aura de dernier rempart de l’unité nationale et s’affichait comme étant au service du peuple. Mais ce scénario militaire s’est joué aux dépens de ceux qui l’avaient écrit. La mutinerie du Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (CAPSAT), le 8 mars, a débordé non seulement le pouvoir civil légal honni, mais aussi L ANALYSE ▶ Dessin de Vlahovic paru dans NIN, Belgrade. ▲ ■ A la une “Le palais présidentiel d’Ambohitsorohitra tombe aux mains de l’armée.” La couverture du quotidien Midi Madagasikara, le 17 mars. armée, a sans doute été trop longtemps masqué par le goulet d’étranglement des innombrables capitaines qui attendaient de passer automatiquement au grade supérieur, ou des commandants qui espéraient leur cinquième bouton tout aussi automatiquement.” “Paradoxalement, c’est un grand chef militaire, brillant, cultivé et racé qui a enclenché la descente aux enfers de l’armée malgache”, juge l’éditorialiste de Madagascar-Tribune.com. “L’amiral Ratsiraka a créé une hiérarchie de pacotille, sans respect des principes, pour anesthésier les ambitions des officiers. A la fin de la IIde République [1992], pour un effectif évalué à 25 000 soldats, on compte 125 généraux, dont environ 80 en acti- La rue impose sa loi à Antananarivo S’il veut exercer le pouvoir suprême, le maire d’Antananarivo doit prouver sa maturité politique en renonçant au populisme. rustrée, appauvrie, lésée, blessée, et même sans doute, pour quelques-uns, financièrement motivée, la foule de la place du 13-Mai [située au cœur de la capitale malgache, lieu historique de contestation du pouvoir] se voit promue au rang de peuple malgache. En près de trois mois, les quelques milliers de personnes à Antananarivo et dans les régions sont devenues une véritable force qui s’est imposée aux 18 millions de Malgaches, en cumulant plusieurs atouts : un courage indéniable, des haut-parleurs de sonorisation mobile, et maintenant la protection bienveillante des fusils du Corps d’armée des personnels et des services administratif et technique (CAPSAT). Le pouvoir vient donc du peuple, qui le donne et le reprend. Il est indiscutable que, dans une démocratie réelle, le pouvoir est placé pour un temps par le peuple entre les mains des dirigeants. Mais cela donne-t-il autorité au peuple pour le F la hiérarchie militaire. Deux colonels malgaches, Noël Rakotonandrasana, conseiller et coordonnateur de l’étatmajor général, et André Andriarijaona, nouveau chef d’état-major, ont pris les devants. “Finalement, en prenant leurs responsabilités, les militaires dits du CAPSAT auront révélé plus de problèmes qu’ils ne sont capables d’en résoudre”, observe un chroniqueur de L’Express de Madagascar, pour qui “cette crise laissera de graves séquelles” dans l’armée. Il souligne les déséquilibres internes des forces armées. “Le statut dévalorisé des sous-officiers, articulation essentielle dans le fonctionnement d’une vité . Dans les pays occidentaux, 125 généraux correspondent à un effectif de 350 000 hommes. En voulant assainir la situation par un ralentissement des passages au statut d’officier général, Marc Ravalomanana avait pris une décision qui s’imposait mais qui n’a pas plu” aux officiers. L’Express reste en quête d’une personnalité à l’autorité indiscutable. “Aujourd’hui, ce collectif de colonels at-il la légitimité morale pour porter un projet capable de combler le vide sidéral des discours [de la place] du 13-Mai [lieu de rassemblement quotidien de l’opposition] ? Pour que l’opinion publique garde sa confiance dans les forces armées, il faudra une autre figure tutélaire, qui rassure par sa capacité à fédérer toutes les sensibilités. La paix civile ne sera durablement possible que par l’intermédiaire d’un apaisement militaire.” Pour Madagascar-Tribune.com, l’attitude du régime n’a fait que précipiter sa chute. “Il est certain que la frustration des officiers est réelle. Marc Ravalomanana ayant pensé qu’on pouvait les traiter comme des pots de yaourt [secteur dans lequel le président a fait fortune], il s’est amusé à casser les barrières imposées par les normes en ce qui concerne les commandements. Il a gelé les promotions au grade de général, ce qui a transformé de nombreux colonels en mutins potentiels. Il a fait procéder à des emprisonnements d’officiers populaires au sein de l’armée. Et, tout dernièrement, il a associé des civils et des mercenaires aux opérations de l’EMMO-Nat [état-major mixte opérationnel national].” ■ reprendre n’importe quand, par n’importe quel moyen et, surtout, en plébiscitant n’importe qui ? Dans ce cas, quelle est la valeur du droit ? A partir de quel chiffre une foule peut-elle se targuer d’être le peuple ? Quand on veut s’approprier le pouvoir, a fortiori en dehors des règles constitutionnelles, il faut se constituer un solide arsenal d’arguments pour provoquer l’enthousiasme de la foule. Le chapelet d’erreurs de Ravalomanana a constitué un terreau favorable. Atteinte à la liberté d’expression en empêchant les opposants d’accéder aux chaînes de l’audiovisuel public, mais aussi en interdisant des émissions ou en fermant des stations audiovisuelles. Atteinte aux valeurs nationalistes, en favorisant l’immixtion d’étrangers dans les sphères de décision économiques et politiques à Madagascar, allant même jusqu’à tenter de vendre 1,3 million d’hectares aux Sud-Coréens. Gabegie en effectuant des dépenses faramineuses qui ne profitent pas au peuple, telles que l’Air Force One Number Two [le nouvel avion présidentiel]. Aveuglement en se concentrant sur des sujets considérés comme inutiles. Et enfin, trahison en faisant venir des mer- cenaires pour encadrer l’EMMO-Nat [les forces de l’ordre, composées de membres de l’armée, de la gendarmerie et de la police]. Ce point aura été sa plus grosse erreur, car il s’est mis à dos à la fois une partie de l’opinion publique et les officiers et sous-officiers malgaches. Tous ces thèmes ont servi de ferment à la grogne, et il a suffi que Rajoelina les introduise peu à peu dans les discours. De plus, en temps de crise politique, l’objectif n’est pas de s’adresser à l’intellect des gens par des démonstrations savantes, mais de s’adresser à leurs émotions en leur racontant ce qu’ils veulent entendre, quitte à flirter avec le mensonge. Le coup de génie de l’ancien maire d’Antananarivo quand il a mûri son plan est d’avoir mis en place un quatuor d’éditorialistes bourrés de divers talents – dont tous ne sont cependant pas louables. Ces éditorialistes ont réussi à galvaniser les foules, à maintenir la pression, à prêcher la bonne parole, à proférer des menaces et des imprécations pour orienter la vindicte populaire. Populisme et flatterie envers la plèbe ne pouvaient donner qu’un seul résultat : une ambiance de kolkhoze (coopérative COURRIER INTERNATIONAL N° 959 30 DU 19 AU 25 MARS 2009 de l’époque soviétique) où la hiérarchie n’existe plus et dans laquelle tous se sentent dirigeants, responsables, sans considération de compétences ou de discipline. Est-il donc étonnant d’assister à des scènes qui ne devraient exister que dans les films de voyous ? Un adjudant qui se permet de braquer son arme sur un vice-amiral. Des syndicats qui votent la destitution de leur directeur général. Un colonel qui s’autoproclame chef d’état-major des forces armées. Des gibiers de potence à l’haleine avinée qui s’improvisent comité de vigilance pour racketter les automobilistes aux barrages. Il semblerait que toute la société malgache soit en crise d’adolescence, à l’image d’Andry Rajoelina. Le problème est que les Malgaches ont, semble-t-il, perdu leur capacité de vision à long terme, d’où cet aspect cyclique des crises politiques. A force de caresser la plèbe pour favoriser son érection chaque fois qu’un politicien ambitieux mais impatient se sent pousser des ailes, on efface de plus en plus les limites entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le vrai et le faux, le légal et l’illégal. Ndimby A., Madagascar-Tribune.com, Antananarivo 959p31 afrique:Mise en page 1 17/03/09 13:42 Page 31 afrique SOMALIE Le calvaire des Somaliennes A Mogadiscio, ville désertée par les hommes, les femmes sont désarmées face à la violence et à la misère. Mais elles tiennent bon et luttent pour protéger leur famille. cuées au fil de dix-sept années de guerre civile. La femme marche entre les colonnes décrépites. Elle tient serré contre elle un léger cabas où elle a mis de quoi acheter un peu de riz et un morceau de poisson. Giulia, 45 ans, a appris à défendre le peu d’argent mis de côté pour la nourriture. “Depuis le début de la guerre, en 1991, tout s’est précipité”, se lamente-t-elle, dans un italien simple et lent, appris auprès d’un mari qui est retourné en Italie il y a quelques années. “Maintenant, c’est le désastre.” L’ESPRESSO Rome adumo Mohammed se lève un peu avant l’aube, comme tous les jours. Elle fait ses ablutions rituelles, en utilisant l’eau avec parcimonie. Elle s’agenouille sur la natte usée et psalmodie une litanie. Elle trouve refuge dans les versets contre les rafales de mitraillette et le tonnerre des obus qui constituent les bruits de fond à Mogadiscio à la fin de la nuit. Puis Fadumo réveille ses trois enfants de leur sommeil qu’ont troublé les piqûres de moustique. Elle leur tend des tasses d’eau en guise de petit déjeuner. La veille, ceux qui combattent dans son quartier de Mogadiscio l’ont empêchée de s’aventurer au-dehors pour chercher de la nourriture. Les miliciens islamiques radicaux d’Al-Shabab contrôlent la quasi-totalité de la Somalie centrale et méridionale. Dans la capitale, ils s’efforcent de s’emparer des dernières positions gouvernementales. Aussi, une fois terminée la dernière ration de maïs sec distribuée par les ONG, la jeune femme et ses enfants sont contraints de jeûner. “Garde tes sœurs. Ne les laisse pas sortir”, ordonne-t-elle à l’aîné, un garçonnet âgé de 5 ans, avant de se mettre en chemin, longeant les murs de bâtiments rasés jusqu’au sol. Le hidjab lui recouvre la tête et lui marque les joues. Ses yeux bougent rapidement et regardent les intersections et les toits. Ils scrutent les trous dans la chaussée, parfaites cachettes pour les bombes télécommandées par les insurgés islamiques, qui chaque jour intensifient les attaques contre les soldats du gouvernement de transition. Fadumo passe devant quelques casernes. C’est là qu’étaient postées les troupes éthiopiennes. Après deux années de soutien aux autorités provisoires, les soldats d’Addis-Abeba ont quitté le pays, ne laissant derrière eux que vide et destruction, haine et rancœur. Fadumo Mohammed n’a pas réussi à fuir Mogadiscio. La ville est désormais vidée de ses habitants. Il n’y reste qu’une colonie de rescapés, composée en grande partie de femmes demeurées seules, qui n’ont pas trouvé le moyen de s’enfuir ou l’argent qui le F LES ISLAMISTES SONT PARTOUT DANS LA VILLE ▲ Dessin de Carlos Killian paru dans ABC, Madrid. ARABIE SAOUDITE YÉMEN SOMALIE ÉTHIOPIE Mogadiscio KENYA 0 OCÉAN INDIEN 800 km leur aurait permis. “Mon mari a sauté il y a un an sur une bombe enfouie sous le sable, alors qu’il se rendait au travail”, raconte Fadumo. Elle se dirige vers un petit marché en plein air. Elle a dû abandonner sa maison. “Nous étions exposés aux tirs croisés des milices.” Puis les Ethiopiens ont commencé les bombardements. Ils voulaient frapper les avant-gardes d’Al-Shabab. “Il était temps de partir.” Elle a pris ses enfants et ils se sont mis en marche. Ils ont traversé la ville à pied, n’ayant pas 10 centimes de dollar pour grimper dans les bus qui assuraient encore le service. “Fuir Mogadiscio ? sourit Fadumo. Sans argent, tu es mort bien avant d’arriver sain et sauf.” Alors, mieux vaut se déplacer seulement un peu. Attendre et voir ce qui se passera demain. Giulia Aden marche avec circonspection. Elle se meut à l’ombre du portique de l’hôtel Uruba, se protégeant du soleil. Ce qui était jadis le meilleur hôtel de la ville, face à l’océan Indien, est un amas de ruines blanches dans lesquelles survivent des personnes éva- Il n’y a pas de travail, et celui qui en trouve est souvent contraint d’y renoncer. “Je suis cuisinière. On m’avait proposé un poste auprès du président de la République, à 200 dollars par mois.” Mais le gouvernement a été renversé. Il n’y a plus de chef de l’Etat non plus : il a été démis de ses fonctions. Des factions se partagent ce qui reste de l’exécutif. Assiégé par la résistance islamique, ce dernier ne contrôle désormais plus que quelques pâtés de maisons de la capitale, lesquels peuvent tomber à n’importe quel moment. Giulia baisse la voix, sous l’emprise de la peur. Les islamistes sont partout. “Ils sont venus chez moi. Ils m’ont dit que, si je ne quittais pas mon travail, ils nous tueraient, mon fils et moi. Les longues barbes sont de retour. Ils ne veulent pas de collaborateurs.” Pour Giulia, la vie continue malgré tout. “Je suis malade. Ils ont promis de m’envoyer à Rome pour me faire soigner.” Sans quoi elle restera ici, à attendre la mort. A chaque nouveau jour de guerre, Mariam Abdulleh tend l’oreille dans la pièce dépouillée où elle vit avec ses quatre enfants, dans le quartier de Karan. Depuis qu’elle a été violée, elle ne veut plus sortir. Le souvenir resurgit avec insistance, depuis cet aprèsmidi où elle a décidé de défier les combattants pour se rendre à l’hôpital SOS. Sa cousine avait été blessée par une balle perdue. Sur le chemin du retour, elle s’est retrouvée au milieu d’une opération de ratissage menée par des soldats éthiopiens. “Ils m’ont emmenée dans une maison abandonnée. Ils ont arraché mes vêtements. Je me souviens du premier, il me tenait par le cou. Il me faisait mal, il a grimpé sur mon dos.” Mariam reprend haleine, le voile noir cachant son visage et la honte. Elle se rappelle également le deuxième, son plaisir. “Et puis, plus rien. J’attendais seulement qu’ils en finissent.” Ils l’ont retenue deux jours, puis l’ont relâchée. Mariam est rentrée à la maison. Sans aller à l’hôpital, sans dénoncer quiconque par crainte de l’opprobre. Et les jours passent. “Il suffit d’avoir une arme pour faire ce que tu veux.” Nefisso Siad avait trouvé un emploi l’année dernière, même s’il ne lui rapportait pas plus de 1 dollar par jour. Elle nettoyait les rues, dans le cadre d’un programme d’assainissement urbain parrainé par la communauté internationale. Un dimanche d’août, dans la partie sud de la ville, près de l’aéroport, sous une montagne d’immondices, une bombe a explosé. Quinze collègues de Nefisso ont trouvé la mort. Elle en est sortie indemne, mais tellement terrorisée qu’elle n’est pas retournée au travail. Elle est allée aider son frère Ibrahim sur le petit banc où il vend du poisson dans la rue, jusqu’à ce matin-là où un milicien gouvernemental lui a tiré dans la jambe. Sans motif. Nefisso est à l’hôpital Medina avec Ibrahim à ses côtés, qui promet de la venger. Tout ce qu’elle demande, c’est le silence. “Sans armes, nous sommes sans défense. Ça ne finira jamais.” Et elle prie Dieu, lui demandant de la laisser mourir rapidement. Fadumo Mohammed a atteint son but. Après une journée de corvées au marché de Hamrweyne, elle a gagné de quoi acheter des bananes et des pâtes. Les produits les moins chers. Le repas pour ses enfants. Elle rentre à la maison. Elle tourne au coin de la rue et s’engage dans ce qui a été la promenade de bord de mer. Des enfants sortent des carcasses de maisons pour courir après un ballon dans les moments d’accalmie. “Nous élevons nos enfants sans leur donner d’espoir”, murmure Fadumo, avant qu’un grondement ne déchire le silence. C’est l’artillerie antiaérienne. “Ils sont encore loin.” Al-Shabab avance, les jours du gouvernement de transition sont comptés. Fadumo sait que même Mogadiscio finira par tomber, comme a capitulé Baidoa, la ville où siège le Parlement. Emilio Manfredi Photo : C. Abramowitz EUROPE José-Manuel Lamarque et Emmanuel Moreau, les samedis à 19h30 avec Gian Paolo Accardo de Courrier International. FRANCE INTER : LA DIFFÉRENCE. 21/03/09 : L’île de Chypre l’imbroglio diplomatique 28/03/09 : Chypre, le retour des disparus COURRIER INTERNATIONAL N° 959 31 DU 19 AU 25 MARS 2009 franceinter.com 17/03/09 Akhtar Soomro for The New York Times 959p32-39 en couv:Mise en page 1 15:56 Page 32 e n c o u ve r t u r e ● ◀ Un groupe de femmes à une trentaine de kilomètres de Peshawar, la capitale de la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest, au Pakistan. LA LOI DES TALIBANS ◼ Sept ans après avoir été chassés de Kaboul, les talibans sont plus puissants que jamais. ◼ Dans les régions tribales du Pakistan – dont ils ont fait leur sanctuaire –, ils ont réussi à s’imposer devant les troupes pakistanaises et à faire appliquer la charia. ◼ En Afghanistan, ils défient les forces de la coalition et les soldats américains, obligeant le président Barack Obama à revoir sa stratégie. Et à envisager de négocier avec eux. Cet extrémisme qui gangrène l En l’espace de quelques mois, l’Etat s’est laissé déborder par les extrémistes de tous bords. Une situation qui compromet toutes les tentatives pour stabiliser la région. THE GUARDIAN I Londres l y a un peu plus d’un an, j’ai sillonné en tous sens le Pakistan pour couvrir les premières élections dignes de ce nom qui y étaient organisées depuis la prise du pouvoir par le général Pervez Musharraf, en 1999. Alors que la presse de droite prédisait violences et effusions de sang, j’avais pu me déplacer en toute sécurité dans le pays. J’avais également été frappé par le courage de ses habitants face à l’adversité. L’article que j’avais alors écrit était empreint d’optimisme. Pourtant, un an après, tout a changé. En un peu plus de sept mois, le gouvernement incompétent d’Asif Ali Zardari [devenu président le 6 septembre 2008] a en effet cédé le contrôle de la plus grande partie de la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest [North-West Frontier Province, NWFP] aux homologues pakistanais des talibans, un rassemblement hétéroclite de nationalistes, d’islamistes et de membres de tribus pachtounes en colère rassemblés sous le commandement de Baitullah Mehsud. L’embuscade tendue, le 3 mars, à l’équipe sri-lankaise de cricket à Lahore, qui a coûté la vie à six policiers et blessé sept joueurs et officiels, souligne la gravité de la situa- VOCABULAIRE “AfPak” et epuis plusieurs semaines, le motvalise “AfPak”, forgé à partir d’Afghanistan et de Pakistan, circule dans les couloirs de Washington. C’est en effet sous cette appellation que l’administration Obama désigne l’épicentre de la guerre contre la terreur. Il s’agit plus précisément des Zones tribales, de part et d’autre de la ligne Durand. Cette ligne, longue de 2 640 kilomètres, a été tracée par les Britanniques en 1893 et D COURRIER INTERNATIONAL N° 959 tion puisqu’elle vient s’ajouter à la défaite de l’armée pakistanaise dans la vallée de Swat et à sa capitulation devant les talibans, ainsi qu’au récent enlèvement de John Solecki, chef du bureau du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés à Quetta, au cours d’une attaque qui a causé la mort de son chauffeur. Rares étaient ceux qui avaient placé de grands espoirs en Zardari, veuf de Benazir Bhutto et Pachtounistan tient lieu de frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Elle est contestée par Kaboul et par l’ensemble des 42 millions de Pachtounes (qui sont l’ethnie dominante en Afghanistan), car elle divise le Pachtounistan en deux. L’islam sunnite, la langue et la littérature pachtounes, ainsi que le code de conduite pakhtunwali unissent les Pachtounes de part et d’autre de la ligne Durand. Le code pakhtunwali repose principalement 32 DU 19 AU 25 MARS 2009 sur l’honneur, la solidarité, le respect, la foi, l’autonomie, l’hospitalité et la vengeance. Il insiste sur le droit à défendre sa terre et est appliqué par des jirga (conseils d’anciens), qui peuvent appeler à la création de milices. Aujourd’hui, c’est dans cette zone que les extrémistes et les talibans semblent le plus puissants, tandis que s’élèvent des revendications pour un Pachtounistan indépendant. 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 33 John Moore/Getty Images Alessandro Bianchi/Reuters AFGHANISTAN e le Pakistan play-boy invétéré. La rapidité avec laquelle la situation s’est dégradée depuis sa prise de fonctions a toutefois stupéfié la plupart des observateurs. Dans la plus grande partie de la NWFP, qui représente environ un cinquième du territoire pakistanais, les femmes sont désormais contraintes de porter la burqa, la musique a été réduite au silence, les coiffeurs ont interdiction de raser les barbes et plus de 180 écoles de filles ont été détruites à l’explosif ou incendiées. Une bonne partie de l’élite urbaine de la capitale provinciale, Peshawar, s’est enfuie vers Lahore et Karachi, des villes qui, jusqu’à l’attaque de l’équipe de cricket, passaient pour sûres et relativement tolérantes. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de gens ordinaires habitant les collines environnantes des régions semi-autonomes de la “ceinture tribale” (Zones tribales sous administration fédérale, Federally Administered Tribal Areas, FATA, longeant la frontière afghane) ont fui les zones de conflit. Chez eux, ils étaient pris entre les tirs de missiles des drones américains Predator et les mitraillages des hélicoptères de l’armée pakistanaise. Ils se sont donc réfugiés dans les campements de tentes qui s’entassent ▲ Dans la vallée de Swat, en octobre 2007, les dons de la population pour le djihad sont étalés en plein village. Billets de banque, bijoux et couvertures iront renflouer les talibans. Il faut rattraper le temps perdu Pour Lakhdar Brahimi, représentant de l’ONU pour l’Afghanistan et l’Irak jusqu’en 2005, les Etats-Unis ont leur part de responsabilité dans la situation actuelle. Qu’est-ce qui a cloché depuis la conférence de Bonn, en 2001, au cours de laquelle fut mis en place l’actuel gouvernement afghan ? LAKHDAR BRAHIMI Presque tout, j’en ai bien peur. Nous payons aujourd’hui le prix des erreurs accumulées depuis le premier jour. Certes, tout le monde en Afghanistan n’apprécie pas les talibans, mais, lorsqu’ils sont apparus pour la première fois sur la scène afghane, en 1994, ils ont enregistré des succès uniquement parce que ceux qui contrôlaient alors le pays [les moudjahidin] étaient bien pires qu’eux. Or je crains que le gouvernement actuel ne soit guère mieux que celui de 1989. Les talibans ont été chassés par la campagne de bombardements américaine. La grande majorité d’entre eux a quitté les villes, pour s’installer au Pakistan ou rester dans les campagnes parmi le reste de la population. Après le 11 septembre 2001 l’administration américaine s’est beaucoup plus préoccupée de l’Irak que de l’Afghanistan. La conférence que veut organiser prochainement la secrétaire d’Etat Hillary Clinton arrive hélas après six longues, très longues années perdues. Le gouvernement afghan a-t-il répondu à vos attentes ? Le gouvernement d’Hamid Karzai n’a pas fait tout ce qu’il aurait dû faire. Il lui a été extrêmement difficile d’agir. Et la communauté internationale ne l’a pas beaucoup aidé. Un autre point désormais autour de Peshawar. Même si elles n’ont jamais été contrôlées entièrement par aucun gouvernement pakistanais et se sont toujours montrées rétives, les Zones tribales sont maintenant radicalisées à un point que l’on n’avait jamais connu. La pluie de projectiles lancés par les drones américains ou par les forces terrestres pakistanaises, qui ont causé de nombreuses pertes civiles, incite chaque jour des jeunes gens en colère à rejoindre les rangs des rebelles. Ailleurs au Pakistan, l’extrémisme politique et religieux antioccidental continue à gagner du terrain, et des signes de plus en plus nombreux montrent que l’instabilité ne se limite plus à la NWFP, mais gagne désormais les régions jusqu’ici relativement calmes de Lahore et du Pendjab. DES ATTENTATS DE PLUS EN PLUS SPECTACULAIRES ET FRÉQUENTS ▶ ◼ Lire aussi l’article “Les souvenirs afghans du soldat Olenine”, page 16 La manifestation sans doute la plus inquiétante de cette dégradation est la facilité avec laquelle un groupe djihadiste parfaitement entraîné, presque certainement armé et approvisionné à partir du Pakistan – probablement par le Lashkare-Taiba, une organisation officiellement interdite qui lutte pour rétablir la domination musul- COURRIER INTERNATIONAL N° 959 33 DU 19 AU 25 MARS 2009 essentiel est que les Afghans savent très bien faire la distinction entre une force militaire amie et une force d’occupation. Au début la Force internationale de sécurité et d’assistance (ISAF) était perçue comme une force amie ; la population la soutenait et elle n’était l’objet d’aucune attaque. Mais je crois que l’OTAN, depuis 2003, ne s’est pas très bien comportée, et un nombre croissant d’Afghans la considèrent aujourd’hui comme une force d’occupation. Le Pakistan joue-t-il un rôle important dans cette situation ? Le Pakistan est un élément clé dans tout processus de paix sérieux en Afghanistan. Que cela plaise ou non, si ce pays estime qu’il ne doit pas y avoir de paix en Afghanistan, il n’y aura pas de paix. Malgré sa faiblesse actuelle, malgré la complexité des problèmes qu’il affronte, le Pakistan pèse d’un grand poids. Aujourd’hui, la gangrène qui ronge l’Afghanistan a gagné le Pakistan. Il est impossible de croire qu’on va pouvoir contenir le conflit afghan sur le territoire afghan. Il finira fatalement par déborder, et ses conséquences pourraient se faire sentir extrêmement loin de ses frontières. Les Etats-Unis ont été impliqués dans le conflit afghan en 2001. L’Inde pourrait bien être en train d’y être aspirée à son tour. Quel rôle joue l’Iran ? L’Iran exerce une forte influence. Il s’est attaché à nouer de nombreuses relations avec des gens de toutes les régions de l’Afghanistan. Téhéran a collaboré étroitement avec nous lors de la conférence de Bonn et au cours des deux années qui ont suivi. Et c’est une très bonne chose que la secrétaire d’Etat américaine ait déclaré que l’Iran devait participer à la prochaine conférence. Propos recueillis par Barbara Crossette The Nation (extraits), New York mane au Cachemire –, a attaqué l’Inde voisine le 26 novembre 2008. En tuant à Bombay 173 personnes innocentes et en en blessant plus de 600, le commando a poussé une fois de plus les deux rivaux nucléaires au bord de la guerre. Aujourd’hui, le Lashkar est désigné comme le principal suspect dans l’attaque contre l’équipe sri-lankaise à Lahore. Il y a cinq mois, en novembre, lors d’un voyage au Pakistan, j’ai voulu me rendre à Peshawar, qui est à la fois la capitale de la NWFP et le centre administratif des Zones tribales le long de la frontière afghane. Mais, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, des amis journalistes pakistanais m’ont fermement conseillé de ne même pas essayer. Le président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale pakistanaise, Asfandyar Wali Khan, qui est aussi le président du Parti national Awami, majoritaire dans la NWFP, avait été visé lors d’un attentat le 2 octobre dernier. L’attaque tua trois de ses hôtes et un membre de son entourage alors qu’il était en train d’accueillir ses invités lors des célébrations de l’aïd marquant la fin du ramadan. Aussitôt après l’attentat, Khan a quitté la province dans un hélicoptère dépêché par Zardari ▶ 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 34 e n c o u ve r t u r e OUZB. 18 août : dix soldats français tués dans une embuscade Charif IRAN C H I N E Gilgit C a c TERRITOIRES h e m DU NORD Vallée de Swat wat at 14 mars : un soldat français tué au combat 20 septembre : attentat à l’hôtel Marriott e PFNO** CL* r Herat Islam amaabad Islamabad A F G H A N I S T A N 16 mars : quatorze personnes trouvent la mort lors d’un attentat suicide Rawalpindi Zaranj Courrier international d’après “The New York Times”, 300 km TADJIKISTAN TURKMÉNISTAN Vers Téhéran LES INTELLECTUELS SONT COMPLÈTEMENT DÉSEMPARÉS ZONEESS TTRIBALES ZONES R BALEESS PENDJAB Quetta Lahore 3 mars : attentat contre l’équipe de cricket sri-lankaise I N D E P A K I S T A N New Delhi s BALOUTCHISTAN du Dès mon arrivée à Lahore, je suis allé voir Najam Sethi et sa femme, Jugnu, qui publient deux journaux anglophones, le quotidien Daily Times et l’hebdomadaire The Friday Times. Ils sont aujourd’hui dans le collimateur des talibans. Le couple, qui a survécu à des années de harcèlement de la part de plusieurs gouvernements et de divers services de police, se sent désemparé devant ces menaces. Une autre vieille amie à moi habitant Lahore, la militante des droits de l’homme Asma Jahangir, a également reçu des fax d’avertissement – exigeant cette fois qu’elle cesse de défendre les victimes de “crimes d’honneur”. Jahangir, qui s’est jusqu’alors courageusement dressée contre plusieurs gouvernements successifs, ne sait plus que faire. “Plus personne n’est en sécurité. Quand vous êtes menacé par les autorités, vous pouvez toujours riposter sur le plan juridique. Mais, avec des acteurs non étatiques, quand les membres du gouvernement eux-mêmes ne sont plus à l’abri, vers qui vous tourner ? A qui peut-on demander protection ?” s’interroge-t-elle. Ces événements illustrent de façon dramatique le thème central de Descent into Chaos: How the War against Islamic Extremism Is Being Lost in Pakistan, Afghanistan and Central Asia [Descente en plein chaos : comment la guerre contre l’extrémisme islamique est en train d’être perdue au Pakistan, en Afghanistan et en Asie centrale, 2008 ; non traduit en français]. Il s’agit du dernier livre d’Ahmed Rashid, considéré comme l’auteur le mieux informé sur les talibans afghans et leurs homologues pakistanais. Dans cet ouvrage, il souligne à quel point, sept ans après le 11 septembre, “la guerre contre le terrorisme menée par les Etats-Unis a donné naissance à un monde bien plus instable que celui que nous connaissions au moment de ce jour fatidique de 2001”. Huit années de politique étrangère néoconservatrice se sont traduites par un désastre spectaculaire : avancées du Hamas et du Hezbollah, naufrage de l’Irak, qui a entraîné l’exil de 2 millions de ses habitants et le nettoyage ethnique de sa population chrétienne, émergence de l’Iran comme puissance régionale majeure et, à présent, implosion de l’Afghanistan et du Pakistan – probablement le processus le plus dangereux de tous. Tout en reconnaissant qu’une part de ce désastre est due “à l’arrogance et à l’ignorance” de l’administration américaine, Rashid est cependant parfaitement conscient de la lourde responsabilité qui revient à l’armée pakistanaise et à ses services de renseignements, l’Inter-Services Intelligence (ISI). Depuis plus de vingt ans, soucieux de défendre ses intérêts, l’ISI a chapeauté et financé tout une série de groupes islamistes, dont le Jaish-e-Mohammad [Armée de Mahomet, un groupe très actif au Cachemire] et le Lashkar-e-Taiba [LeT, Armée des purs, 0 i ▶ avant de sauter dans un avion pour l’Angleterre. On a eu le plus grand mal à le convaincre de rentrer au Pakistan. Loin de la frontière, dans la capitale artistique du Pakistan, Lahore, théâtre de l’attaque contre l’équipe sri-lankaise, les membres de l’élite libérale, habituellement d’un optimisme à toute épreuve, paraissent plus déprimés que jamais. Ils s’inquiètent à la fois de l’avancée des talibans et des difficultés économiques qui ont incité récemment le Pakistan à demander au FMI un prêt de 7,6 milliards de dollars [5,8 milliards d’euros]. In Frontière internationale Ligne Durand : frontière AfghanistanPakistan (définie en 1893) Limite des Zones tribales “Pachtounistan” : surreprésentation de l’ethnie pachtoune Karachi M E R D ’ O SIND Principales attaques depuis août 2008 M A N Principales zones d’intervention de l’armée pakistanaise contre les talibans * CL “Cachemire libre” (pakistanais) ** PFNO Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest ■▲ “Herald” Ce mensuel de Karachi consacre sa une au sort des ONG dans les Zones tribales et la Province-de-laFrontière-du-NordOuest, où les islamistes et les talibans gagnent de plus en plus de terrain. Dans ces régions, “l’insurrection est en train de tuer les efforts pour le développement et les droits de l’homme”, écrit le magazine. Route d’approvisionnement de l’OTAN groupe terroriste interdit depuis 2002]. Pourtant, même si certains au sein de l’ISI restent convaincus qu’ils peuvent utiliser les djihadistes à leurs propres fins, les islamistes défendent leurs revendications et n’hésitent plus à lancer des attaques suicides non seulement contre des membres des minorités religieuses et des responsables politiques pakistanais, mais aussi contre Camp Hamza, le quartier général de l’ISI. Rashid souligne combien il est ironique que ce soient précisément des groupes comme le Lashkar-eTaiba, mis sur pied par l’ISI, qui se retournent désormais contre leurs mentors. La célérité avec laquelle les Etats-Unis se sont désintéressés de l’Afghanistan après leur invasion victorieuse et attelés aux préparatifs de l’attaque contre l’Irak – qui n’avait de toute évidence aucun lien avec Al-Qaida – a convaincu les responsables militaires pakistanais que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de soutenir longtemps le régime de Hamid Karzai. Cette conviction les a incités à garder les talibans en réserve afin de les utiliser pour réinstaller un régime propakistanais en Afghanistan une fois que l’attention des Américains serait occupée ailleurs et que le régime de Karzai se serait effondré. En 2004, les Etats-Unis ont d’ailleurs filmé des camions de l’armée pakistanaise déposant des combattants talibans à la frontière afghane et les récupérant quelques jours plus tard, tandis que des surveillances radio effectuées depuis la base américaine de Bagram COURRIER INTERNATIONAL N° 959 Zone de présence des talibans 34 DU 19 AU 25 MARS 2009 [dans le sud de l’Afghanistan] ont révélé des conversations entre commandants talibans et officiers pakistanais qui convenaient d’arrangements pour permettre aux premiers de franchir la frontière sans encombres. En 2005, les talibans, avec le soutien discret du Pakistan, ont déclenché une attaque d’envergure contre les troupes de l’OTAN en Afghanistan. “Aujourd’hui”, note Rashid dans sa conclusion, “le mollah Omar et l’ancienne Choura [Assemblée consultative] talibane afghane sont toujours établis dans la province pakistanaise du Baloutchistan. Les chefs talibans afghans et pakistanais vivent plus au nord, dans les Zones tribales, tout comme les milices de Jalaluddin Haqqani et de Gulbuddin Hekmatyar. Ainsi, Al-Qaida dispose dans les Zones tribales d’un refuge sûr, et l’organisation terroriste a été rejointe par une pléiade de groupes terroristes asiatiques et arabes qui étendent désormais leurs visées vers l’Europe et les Etats-Unis.” LES PRINCIPAUX ACTEURS VONT ABSOLUMENT DEVOIR S’ENTENDRE Plusieurs facteurs seront déterminants pour l’avenir. Rashid insiste sur le fait que seule une réorientation radicale de la politique américaine sous l’impulsion de Barack Obama peut permettre d’infléchir le cours des choses. “L’Asie méridionale et centrale, écrit-il, ne connaîtra la stabilité qu’à la seule condition de voir émerger entre les principaux acteurs une entente globale […] qui puisse aider la région à résoudre ses problèmes, lesquels vont 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 35 LA LOI DES TALIBANS ● LA DANGEREUSE INFLUENCE DE L’ARABIE SAOUDITE ET DU WAHHABISME Un troisième facteur pourrait peut-être contribuer à enrayer l’avancée, inspirée par les madrasas et financée par l’Arabie Saoudite, de l’islamisme wahhabite, lequel est directement responsable de la propagation de la radicalisation anti-occidentale. Lors de ma dernière visite au Pakistan, il m’est en effet apparu tout à fait évident que, si le Nord-Ouest dominé par le wahhabisme était sur le point de tomber sous la coupe des talibans, il n’en allait pas de même de la province du Sindh, à majorité soufie, qui est actuellement plus calme et plus sûre qu’elle ne l’a été depuis de nombreuses années. Dans cette partie du pays, à la frontière indienne, l’islam soufi constitue un puissant rempart contre l’islam fondamentaliste puritain des mollahs wahhabites, qui professe l’intolérance à l’égard de toutes les autres confessions. Le soufisme, profondément enraciné dans la culture de l’Asie méridionale, pourrait constituer un mouvement de résistance authentiquement autochtone au fondamentalisme. Son importance ne doit toutefois pas être surestimée. Quel impact politique pourrait-il avoir dans un pays encore dominé par des forces militaires qui continuent à financer et à entraîner des groupes djihadistes ? C’est un des rares motifs d’espoir qui subsistent dans le paysage politique de plus en plus sinistre d’un pays dont l’importance stratégique est véritablement vitale. William Dalrymple* * Ecrivain britannique et spécialiste de l’islam dans le sous-continent. Il vit en Inde. POLITIQUE Une Selon l’analyste Ahmed Rashid, tous les efforts de l’administration Obama resteront vains si Islamabad ne se ressaisit pas. OUTLOOK A New Delhi lors même que l’administration Obama s’efforce de reprendre la main au Pakistan – un élément crucial de son approche régionale en vue de stabiliser l’Afghanistan et de vaincre les talibans –, voilà que ce pays s’enfonce à nouveau dans une spirale infernale qui rend pratiquement caduques les options qu’avait envisagées Washington jusquelà. De la même façon que la crise financière va plus vite que les solutions imaginées par les différents gouvernements, la situation pakistanaise se dégrade à un rythme si rapide que les décideurs politiques n’ont pas le temps d’en saisir tous les développements. L’élément le plus inquiétant dans la crise en cours est l’absence de leadership dont souffre le Pakistan : à défaut d’un responsable d’envergure nationale, toute recherche de solution reste un vain exercice. L’accord de paix conclu le 16 février entre les autorités et les talibans dans le secteur de la vallée de Swat – un accord qui revient en réalité à céder aux talibans le contrôle de cette vallée, située à 150 kilomètres seulement de la capitale, Islamabad, et à les autoriser à y appliquer la charia – est devenu au Pakistan un sujet explosif. Citoyens et hommes politiques religieux et de droite l’applaudissent parce qu’il instaure la paix dans la vallée, tandis que les Pakistanais de gauche le considèrent comme un recul majeur dans la bataille que mène le pays contre l’extrémisme islamiste, car il fournit un nouveau sanctuaire à Al-Qaida et aux talibans. La vallée de Swat est précieuse pour ces djihadistes, car elle est située hors de portée des drones américains, qui ont éliminé plusieurs de leurs chefs dans les Zones tribales. Mais il est probable que les talibans ne s’en tiendront pas à la vallée de Swat. A partir des Zones tribales, ils ont progressivement étendu ■ L’auteur Ce spécialiste pakistanais de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Asie centrale vient d’être nommé consultant dans l’équipe du général Petraeus, qui est à la tête du Commandement Centre en Afghanistan, chargé de conseiller Obama. Il est l’auteur de Descent into Chaos: How the War against Islamic Extremism ` Is Being Lost in Pakistan, Afghanistan and Central Asia (Descente en plein chaos : comment la guerre contre l’extrémisme islamique est en train d’être perdue au Pakistan, en Afghanistan et en Asie centrale, 2008 – non traduit en français). instabilité chronique es élections du 18 février 2008 avaient suscité beaucoup d’espoir, car les Pakistanais y voyaient la fin du régime de Pervez Musharraf, qui avait pris le pouvoir lors d’un coup d’Etat le 12 octobre 1999. Ils pensaient aussi que le gouvernement élu – issu de l’alliance entre deux formations traditionnellement opposées, le Parti du peuple pakistanais (PPP) d’Asif Ali Zardari et de la Ligue musulmane du Pakistan de Nawaz Sharif – rétablirait dans ses fonctions Iftikhar Chaudhury, le chef de la Cour suprême, limogé par L Les Etats-Unis ont besoin d’un allié pakistanais fort Evert Jan Daniels/HH-REA de la résolution de la querelle indo-pakistanaise à propos du Cachemire au financement d’un programme massif d’éducation et de formation professionnelle dans les régions situées à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan et dans celles qui longent leurs frontières avec l’Asie centrale.” Comme l’a laissé entendre Barack Obama, une telle approche pourrait être associée à des négociations avec certains éléments des talibans afghans. Le deuxième facteur serait, bien entendu, une réforme de l’ISI et de l’armée pakistanaise. Les hauts responsables militaires doivent renoncer à leur obsession de saigner l’Inde et se rendre compte enfin que le soutien aux djihadistes va à l’encontre des intérêts vitaux du Pakistan. Elle menace en effet de le transformer en un clone de l’Afghanistan sous domination talibane au lieu d’un partenaire potentiel de la future superpuissance indienne. Musharraf. Il s’agissait là d’une des promesses de campagne de Zardari. Cette coalition improbable a cependant rapidement éclaté et Zardari, devenu président le 6 septembre 2008, n’a pas tenu ses engagements ni répondu aux demandes des magistrats et de la société civile. Les tensions se sont accrues avec Nawaz Sharif, passé dans l’opposition. Mi-mars, Sharif a été placé en résidence surveillée tandis que les partisans d’Iftikhar Chaudhury entamaient une “longue marche” vers la capitale. Le 16 mars, Zardari a fina- lement cédé, libéré Sharif (qui n’avait pas vraiment respecté les termes de sa mise en résidence surveillée) et rétabli Chaudhury. A cette instabilité politique chronique s’ajoute un regain d’actions terroristes depuis l’assaut donné par l’armée contre la Mosquée rouge, bastion islamiste, en plein Islamabad en juillet 2007. En moins de deux ans, plus de 1 600 personnes sont mortes dans des attentats, dont le dernier en date a frappé la ville-garnison de Rawalpindi, le 16 mars. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 35 DU 19 AU 25 MARS 2009 leur influence sur une bonne partie de la Province-de-la-Frontière-du Nord-Ouest et assiègent pratiquement sa capitale, Peshawar. Autre mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis et l’OTAN : trois chefs talibans pakistanais jusqu’ici rivaux, qui combattent l’armée pakistanaise depuis que celle-ci s’est déployée dans les Zones tribales, en 2004, ont formé une nouvelle alliance baptisée Shura-e-Ittehad ul-Mujaheddin, ou Conseil des combattants unis de la guerre sainte. Sous l’influence du mollah Omar, le fameux responsable taliban afghan, qui dispose également d’un sanctuaire au Pakistan, cette nouvelle organisation aurait l’intention de négocier un cessez-le-feu avec l’armée pakistanaise afin de permettre aux talibans afghans, et pakistanais de concentrer leur puissance de feu sur les 17 000 soldats américains que l’administration Obama a décidé d’envoyer en renfort dès ce printemps en Afghanistan. Les militaires américains tentent actuellement de convaincre l’armée pakistanaise de former une partie de ses forces régulières aux tactiques modernes de la lutte contreinsurrectionnelle. L’année dernière, au bout de plusieurs mois de palabres, l’armée pakistanaise avait autorisé les Etats-Unis à renouveler l’entraînement et l’équipement des unités paramilitaires de son Frontier Corps [présent dans la Province-de-la-Frontière-du-Nord-Ouest et au Baloutchistan], mais refusé qu’ils en fassent autant avec des forces pakistanaises régulières, au motif que l’Inde constituait une menace plus importante et contre laquelle il faudrait mener une guerre conventionnelle. Pendant ce temps, les attaques des extrémistes islamistes telles que celle perpétrée à Lahore contre l’équipe de cricket du Sri Lanka, le 3 mars, ne font que causer un peu plus de tort à l’économie, qui est déjà confrontée à la montée du chômage, à l’inflation et à la fuite des capitaux. L’an dernier, le Pakistan a certes reçu un prêt du FMI d’un montant de 7,6 milliards de dollars [5,8 milliards d’euros] sur deux ans, mais les espoirs d’une aide bilatérale en provenance d’Europe ou d’autres contributeurs ne se sont pas concrétisés pour l’instant. L’administration Obama a promis au Pakistan une enveloppe de 1,5 milliard de dollars par an sur les cinq prochaines années, mais il faudra plusieurs mois avant que le Congrès américain ne débloque cet argent, et le Pakistan pourrait refuser ou être incapable de répondre aux conditions que les parlementaires américains voudront probablement imposer en contrepartie – par exemple, l’engagement à combattre énergiquement l’extrémisme. La crise pakistanaise limite considérablement les options des Etats-Unis dans la région. Des injections massives de liquidités seraient certes essentielles pour donner au gouvernement le temps de rétablir l’autorité de l’Etat et de relancer une économie moribonde, mais le véritable problème, auquel Obama lui-même serait bien en peine d’apporter une réponse, est le manque de leadership dans un pays qui est en train de vaciller au bord du gouffre. Ahmed Rashid 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 36 e n c o u ve r t u r e Un vieux scénario qui se répète Les invasions, les pillages et l’extrémisme sont monnaie courante depuis huit cents ans. L THE FRIDAY TIMES (extraits) Lahore ’histoire de l’Asie du Sud est une succession de capitulations des élites devant l’en vahisseur étranger. Que ce soit face aux Aryens, aux Mongols ou à la Compagnie des Indes orientales, nous avons toujours cédé, parfois sans grande difficulté d’ailleurs. Cet aspect de notre histoire est néanmoins souvent occulté, car il contredit les récits épiques de la “résistance”, ainsi que les mythes nationalistes que nous nous plaisons à imaginer. L’éloignement de Delhi, capitale de l’empire à l’abri des hordes d’envahisseurs, suffisait à rassurer les rois indignes, les rajahs et leurs acolytes qui n’étaient généralement que des hommes de paille ou collaboraient activement avec l’occupant. Chaque fois que le centre névralgique de l’empire s’est effondré, celui-ci a éclaté en petits royaumes indépendants. L’histoire indienne s’est ainsi répétée pendant des siècles. Aux XIIIe et XIVe siècles, les armées mongoles et indiennes s’affrontaient sur les rives de l’Indus, de la Jhelum et de la Chenab. C’est sur les doabs du Pendjab que les Mongols ont maintes fois pratiqué leur terrible tactique de la terre brûlée. La ville de Lahore est a été prise et mise à sac à de nombreuses reprises. A cause de ces invasions, le Pendjab et certaines provinces du nord de l’Inde sont devenus des terres désertes dont les populations s’entassaient dans les villes fortifiées, qui servaient également de relais d’étape aux armées étrangères. Timur [1336-1405] a envahi le pays en brandissant l’étendard de l’islam et a su imposer la loi du Coran face aux traditions chamaniques de Gengis Khan. C’est en partie pour abattre ses chefs infidèles et piller ses richesses qu’il a envahi l’Inde. Après la chute de l’Empire moghol, au XVIIIe siècle, les nobles et les courtisans rivali- CHRONOLOGIE ■ Optimisme Alors que les Occidentaux considèrent désormais le Pakistan comme un Etat en déliquescence, le diplomate et ministre indien Mani Shankar Aiyar est, lui, beaucoup moins pessimiste. “Il est vrai que le Pakistan traverse une période très difficile de son histoire […]. Cela étant, je ne pense pas qu’il y ait un risque de balkanisation […]. Soixante-deux ans après sa création, je suis persuadé que le Pakistan reste tout de même très uni. L’identité pakistanaise est tout aussi forte que les identités régionales baloutche ou sindhie”, a-t-il confié au magazine Tehelka. sèrent pour la conquête du pouvoir. Les révoltes populaires, l’impunité générale et les conflits territoriaux – autant d’éléments que l’on retrouve aujourd’hui dans les provinces pakistanaises frontalières de l’Afghanistan – finirent d’affaiblir les restes de l’empire et les bandits au grand cœur prirent la place de l’Etat dans les mentalités. L’empereur, représentant l’Etat central, était devenu un personnage accessoire du pouvoir. Désargenté, il ne pouvait même pas payer ses troupes, et les révoltes de soldats étaient fréquentes. Les décapitations publiques, les destructions d’écoles, d’hôpitaux, de ponts, de commissariats ou de bâtiments administratifs perpétrées aujourd’hui dans la vallée de Swat ont donc un certain air de déjà-vu. Les élites décadentes du sultanat de Delhi [1206-1526] étaient aussi déconnectées de la réalité que celles d’Islamabad ou de Lahore aujourd’hui. Nous avons maintenant dans la vallée de Swat et dans le district de Malakand un nouvel émirat, d’où ont disparu tous les vestiges de l’ancien Etat et qui aura ainsi les mains libres pour faire appliquer la charia. Le gouvernement parle de victoire et les médias conservateurs de manœuvre habile, tandis que la puissante armée pakistanaise se contente d’observer en silence. L’imposition d’un courant de pensée islamique radical ne suscite aucune contestation idéologique, militaire ou politique. Au milieu des violences de la vallée de Swat, le chef historique du Parti national Awami [un parti pachtoune implanté dans la Province-dela-Frontière-du-Nord-Ouest], l’octogénaire Afzal Khan Lala, tient bon. Il fait partie de ceux qui ont eu le courage de dire à l’armée pakistanaise, successeur naturel des sultanats et de l’empire colonial, qu’elle avait tort de céder aux groupes fanatiques et terroristes. Le président Zardari est tellement discrédité que personne ne l’a pris au sérieux quand il a déclaré que “les talibans [avaient] pris le contrôle de plusieurs régions du Pakistan et [étaient] en passe de conquérir le reste du pays”. Il est accusé de n’être qu’un pantin au service des Etats-Unis. On nous a trompés en nous disant que, en dehors des Zones tribales, jamais l’influence des talibans ne pourrait donner naissance à un nouvel Etat théocratique. Cette erreur de jugement est aujourd’hui révélée par l’incapacité du gouvernement à mettre un frein à l’avancée des talibans dans les zones habitées des provinces frontalières. Le Pakistan, puissance nucléaire, est aujourd’hui en butte à quelques milliers de talibans armés. Ces derniers comptent bon nombre de sympathisants dans la province du Pendjab, ainsi que dans d’autres régions, mais surtout dans les médias, qui ont commencé à diffuser des émissions religieuses. Il semble que les rajahs du XXIe siècle ne soient pas plus capables que leurs prédécesseurs de résister aux invasions. Les descendants des nobles du Moyen Age, la bourgeoisie rentière, l’establishment mercantile civil et militaire et les populations démunies et exaspérées pourraient bien de nouveau céder aujourd’hui. Les commerçants et la petite bourgeoisie ont déjà commencé en brûlant les magasins de disques et en faisant fermer les salons des barbiers, pendant que l’intelligentsia libérale se barricadait chez elle. Le plus inquiétant reste la rhétorique antiaméricaine des extrémistes, qui leur permet de manipuler des populations exploitées. D’influents personnages et penseurs pakistanais restent silencieux, préférant éluder la question et nier la gravité de la situation. Un grand nombre d’agences gouvernementales partagent, en outre, ce sentiment antiaméricain et les nouveaux envahisseurs pourraient être accueillis à bras ouverts dans bien des maisons. Au Moyen Age, ce jeu s’appelait capitulation. Les mystérieuses ruines de Harappa ou de Mohenjo-Daro, dans la vallée de l’Indus, nous rappellent que ces cités n’ont pas su résister à l’envahisseur. L’Histoire n’est toutefois pas écrite à l’avance, et toute résistance n’est pas impossible. Il suffirait de tirer les leçons de notre passé. Raza Rumi* * Ecrivain. Il édite le cybermagazine Pak Tea House et anime le blog Lahore Nama. Trente ans d’insurrection islamiste 1979 L’entrée de l’armée soviétique en Afghanistan conduit Washington à considérer le Pakistan comme un “rempart” contre Moscou. Islamabad apporte un soutien actif aux islamistes anticommunistes. 1994 Apparition des talibans, souvent éduqués dans les madrasas du Pakistan. L’armée et les services secrets pakistanais leur apportent un soutien matériel et financier, tandis que des volontaires venus des madrasas partent les rejoindre et combattre. 1996 A Islamabad, le gouvernement de Benazir Bhutto tombe. En Afghanistan, les talibans prennent le contrôle de Kaboul et offrent l’asile à Oussama Ben Laden. 1997 Le gouvernement pakistanais, dirigé par la Ligue musulmane de Nawaz Sharif (PML-N), reconnaît le régime des talibans en Afghanistan. 11 septembre 2001 Le gouvernement américain accuse Oussama Ben Laden et Al-Qaida, son mouvement implanté en Afghanistan, d’être à l’origine des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone. Le Pakistan devient un allié clé des Etats-Unis dans la guerre contre le terrorisme. Cette attitude lui vaut de s’attirer les foudres des islamistes, qui l’accusent d’être à la botte de Washington. 7 octobre 2001 Début des bombardements américains sur Kaboul, Kandahar et Jalalabad. 13 novembre 2001 Les troupes de l’Al- liance du Nord, opposées aux talibans, entrent dans Kaboul, abandonnée par les islamistes. Janvier 2002 Capitulation des talibans en Afghanistan. Les islamistes proches des talibans diffusent leurs messages dans la vallée de Swat, au Pakistan. Le Tehrik-iTaliban Pakistan (Mouvement des talibans pakistanais, TTP) rassemble tous les mouvements islamistes insurgés de la Provincede-la-Frontière-du-Nord-Ouest et des Zones tribales. 2006 Les attentats suicides se multiplient au printemps dans tout le sud de l’Afghanistan. Début novembre, on dénombre plus 700 civils afghans tués par les talibans dans des attentats à la bombe ou des attaques suicides. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 36 DU 19 AU 25 MARS 2009 Mars 2007 L’OTAN, avec les forces afghanes, lance sa plus grande offensive contre l’insurrection dans le sud du pays. Hausse vertigineuse de la production d’opium. 11 juillet 2007 L’assaut militaire contre la Mosquée rouge à Islamabad, où se sont retranchés plusieurs centaines d’extrémistes, provoque l’appel à la vengeance des talibans et d’Al-Qaida. Plusieurs attentats font plus de 450 morts dans les trois mois qui suivent, notamment dans la vallée de Swat. L’armée pakistanaise est déployée dans la vallée. 25 août 2008 Le Pakistan interdit le TTP. 16 février 2009 Le gouvernement pakistanais signe un accord de paix avec les talibans de la vallée de Swat. La charia est imposée dans la région. 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 16:24 Page 37 LA LOI DES TALIBANS ● John Moore/Getty Images reste du pays ? Les femmes de Swat ont déjà vécu suffisamment d’atrocités ; si l’on ne parvient pas à stopper la tendance qui s’est emparée de la vallée, celle-ci gagnera du terrain et constituera une menace pour la survie d’au moins 50 % de la population du pays, c’est-à-dire toutes les Pakistanaises, aussi bien portantes et respectables soient-elles. Les récents meurtres de femmes à Kohat [en février dernier], la déclaration ordonnant aux femmes de Quetta de porter le voile [en décembre 2008], sans oublier, bien sûr, le retranchement dans la Mosquée rouge d’Islamabad des prétendus exécuteurs de la loi de Dieu [en juillet 2007] n’étaient pas des actes isolés. Swat apparaît aujourd’hui comme l’aboutissement de toute cette folie qui, si rien n’est fait, est vouée à redoubler. Nous, les femmes modernes et actives des grandes villes, ne pouvons plus nier ce qui risque de nous arriver. Au lieu de soutenir et de défendre les initiatives prises par des élues locales comme Bakht Zeba, le gouvernement n’a fait qu’accroître la vulnérabilité de la population. Sous quelle forme la loi islamique va-t-elle être appliquée dans le district ? M. Hoti, le maire de Peshawar, a écarté – et encore, du bout des lèvres – l’idée que la vallée de Swat puisse devenir un nouvel Afghanistan des talibans, mais son optimisme ne parvient plus à nous rassurer. Le 14 février dernier, alors même que la politique du gouvernement contribuait à renforcer le pouvoir des militants, Karachi a été le théâtre d’une démonstration de force des “justes” qui a entraîné l’ajournement d’une soirée musicale tout à fait anodine. Les attaques à l’acide, viols et autres violences ne sont pas des actes isolés, comme certains le prétendent. La croisade des talibans de Swat contre les femmes n’est pas un mouvement issu de nulle part. Elle est liée à une certaine vision du monde, en vertu de laquelle le pouvoir doit être exercé sous une forme la plus extrême possible. Aujourd’hui, non seulement le gouvernement a quasi officiellement abandonné la vallée de Swat, mais il a contribué à isoler encore plus ses femmes. Il ne doit pas oublier que, maintenant que les talibans sont solidement – et plus que jamais – établis dans la région, Islamabad n’est plus loin d’eux. Qurat ul ain Siddiqui Swat, la vallée de l’horreur 0 Vers le Kazakhstan 200 km OUZB. Vers la mer Caspienne et la mer Noire TADJIKISTAN Termez TURKMÉNISTAN 5 080 Mazar-e Charif E Peshawar Islamabad E INDE AFGHANISTAN R I Herat PAKISTAN 5 740 M Kaboul 2 940 ES Capitulation En signant un accord qui permet aux talibans d’imposer la charia et les contraint à ne plus attaquer les représentants de l’Etat, Islamabad aurait, selon de nombreux journalistes pakistanais, fait un pacte avec le diable. Pis encore, The News, le grand quotidien de Lahore, rapporte que les autorités auraient versé aux talibans une somme allant de 6 à 10 millions de dollars (de 4,6 à 7,7 millions d’euros) pour qu’ils acceptent de signer. Officiellement, cet argent constituerait une compensation pour les frais engagés et les pertes infligées par l’armée. AL ■ IB Swat, une mendiante essaie de voir à travers sa burqa combien de pièces elle a recueilli dans sa sébile. TR ▲ Dans la vallée de H CAC e qui est arrivé à Maria Shah, une jeune femme de Shikarpur morte récemment des suites d’une agression à l’acide, peut être perçu comme un acte de violence gratuit ; mais le degré de détermination et de perfection avec lequel la misogynie est en train de se systématiser dans la vallée de Swat, dans le nord-ouest du Pakistan, est tout simplement sans précédent. Au vu de la situation sur le terrain, l’interdiction de l’éducation féminine et les attaques lancées contre les écoles de filles n’étaient qu’un prélude à l’instauration consciente d’un système violent et sadique. La destruction de plus de 180 écoles dans la vallée laisse des milliers d’enseignantes sans revenus et 80 000 filles sans accès à l’éducation. Mais ce qui est en jeu ici, ce ne sont pas seulement l’instruction et les moyens d’existence des femmes ; aujourd’hui, les jeunes filles ne peuvent plus sortir de chez elles sans être accompagnées d’un homme de leur famille, et, s’ils ne veulent pas s’attirer d’ennuis, les couples doivent être munis de leur certificat de mariage. Les talibans de la vallée de Swat ont également annoncé que les familles ayant des filles en âge de se marier devaient les déclarer dans les mosquées pour qu’elles épousent un des leurs, faute de quoi elles seraient mariées de force, autrement dit violées. Le gouvernement n’a pas fait grand-chose (pour ne pas dire rien) pour lutter contre cette institutionnalisation de la violence contre les femmes dans une vallée hier encore idyllique. Et, même s’il est question que des membres du gouvernement se rendent dans la région, la récente décision des autorités d’y rétablir la charia n’est pas faite pour protéger la population contre ce système despotique. Le triste sort de Bakht Zeba, ancienne conseillère régionale du district de Swat, aurait pourtant dû alerter ceux qui sont censés S C Karachi 25 870 Kandahar NE DAWN veiller sur la sécurité de nos vies et de nos biens. Les critiques de cette femme de 45 ans à l’encontre des talibans ont déchaîné le courroux de ces derniers : le 26 novembre dernier, ils l’ont traînée hors de chez elle et abattue d’une balle dans la tête après l’avoir sauvagement fouettée. Située à trois heures de voiture (un peu plus de 300 kilomètres) d’Islamabad, la vallée de Swat est devenue un symbole d’horreur, et il suffit qu’on se dise que la situation ne peut pas être pire pour qu’une nouvelle série d’actes insensés vienne ternir notre optimisme. Le récent décret sur l’obligation de déclarer les filles en âge de se marier est vraiment inacceptable. Allant encore plus loin que leurs homologues afghans, les talibans de la région y expriment clairement leur mépris à l’égard de tout ce qui relève d’un comportement civilisé. C’est à se demander si la charia pourra suffire à assouvir leur soif de violence. Jusqu’où faudra-t-il aller dans l’horreur pour que les gens comprennent que ce qui a commencé dans la vallée de Swat – une région très stable, notez bien – pourrait se propager dans le ZO Le 16 février, les autorités pakistanaises ont signé un accord avec les talibans. Depuis, ils font appliquer la charia, et les femmes sont leurs premières cibles. Situation au 13 mars 2009 Déploiement de l’OTAN en Afghanistan Zones sous commandement : américain italien IRAN 22 330 Quetta allemand français canadien/néerlandais/britannique Nombre approximatif de soldats Vers Karachi et la mer d’Oman Source : ISAF <www.nato.int/isaf/index.html>. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 37 DU 19 AU 25 MARS 2009 Routes d’approvisionnement de l’OTAN 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 38 e n c o u ve r t u r e Une stratégie militaire inadaptée Contrairement à l’Irak, où elle a porté ses fruits, la constitution de postes avancés n’a pas réussi aux soldats américains, souvent isolés et exposés aux tirs des talibans. THE WALL STREET JOURNAL (extraits) Zalmai/Redux-REA DE SERAY (AFGHANISTAN) es attaques débutent le plus souvent l’aprèsmidi, juste après le retour des patrouilles du poste avancé de Seray. Récemment, des talibans ont mitraillé la base depuis les montagnes voisines. Des hélicoptères d’attaque Apache ont répliqué avec des roquettes, laissant derrière eux des traînées de fumée colorée. “Les jours se suivent et se ressemblent”, commente le soldat Trey Dart en se réfugiant sous un abri de fortune formé de sacs de sable verts. “Les échanges de tirs font partie de la routine.” Le président Barack Obama espère donner un coup de fouet à l’effort de guerre en Afghanistan en envoyant 17 000 hommes en renfort. La plupart seront affectés à de petites bases isolées comme celle de Seray, un complexe clos tout en tranchées et bâtiments fortifiés non loin de la frontière pakistanaise. Nombre de ces nouveaux postes seront installés dans l’est et le sud de l’Afghanistan, les régions les plus touchées par les violences. Mais les hommes de ces postes minuscules pourront-ils mener de front les missions souvent contradictoires qui consistent à la fois à combattre les insurgés et à créer des liens avec les villageois du coin ? Ou ne seront-ils simplement que de nouvelles cibles faciles ? L’année 2008 a été la plus meurtrière en Afghanistan pour les Etats-Unis, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les forces afghanes (ainsi que les civils) depuis le début de la guerre lancée par la coalition américaine, en 2001. Et les autorités américaines et afghanes s’attendent à ce que 2009 soit pire encore. Trente soldats américains sont déjà morts depuis le début de l’année, contre un total de 155 sur l’ensemble de 2008. Les violences ont été déclenchées par les talibans, qui intensifient leurs opérations grâce aux revenus du juteux trafic d’opium. L’Afghanistan compte actuellement 52 000 soldats étrangers, dont environ 35 000 Américains. Pour accueillir les renforts, l’armée américaine sur place s’affaire déjà à creuser des tranchées, à remplir des sacs de sable et à construire les infrastructures de base à proximité d’une dizaine de nouveaux postes de combat. Le haut commandement américain estime qu’au moins une dizaine de bases supplémentaires verront le jour dans les deux régions concernées d’ici à l’été. Le général David Petraeus, chargé depuis peu de la guerre en Afghanistan en tant que responsable du Commandement Centre, avait supervisé la construction de plusieurs dizaines de petites bases de ce type en Irak, en 2007 et en 2008, dans le cadre du “surge” [envoi mas- ▶ Dans le sud de l’Afghanistan, des soldats britanniques attendent les talibans la nuit en embuscade. ■ Souvenirs Selon Arthur Keller, un ancien agent de la CIA au Pakistan, les Américains seraient bien inspirés de ne pas refaire en Afghanistan les erreurs qu’ils ont commises dans le passé, au Laos notamment. Dans les années 1960, ils avaient envoyé de nombreux soldats yankees ne connaissant ni le terrain ni la langue. Ils avaient finalement bombardé intensivement les zones qui leur échappaient. Moralité, la force seule ne sert à rien. Obama, plutôt que d’envoyer de nouvelles recrues en Afghanistan, ferait donc mieux de renforcer les moyens et la formation de la jeune armée afghane. sif de renforts] voulu par le gouvernement Bush. Celles-ci ont contribué au recul des violences dans le pays en permettant aux soldats américains de vivre parmi les Irakiens ordinaires et de débarrasser des territoires de leurs extrémistes. Le général Petraeus et ses partisans au sein de l’armée estiment que les petits postes de combat peuvent avoir les mêmes effets en Afghanistan. La doctrine de lutte contre l’insurrection qu’ils prônent met l’accent sur la protection de la population contre les attaques des insurgés et sur l’établissement de relations étroites avec les habitants des environs. Les postes comme Seray offrent un moyen d’accomplir les deux à la fois. “Dans la lutte contre l’insurrection, nous devons être sur place”, affirme David Petraeus. LES SOLDATS NE SAVENT PAS OÙ DONNER DE LA TÊTE Reste que l’Afghanistan n’est pas l’Irak. Le pays est extrêmement pauvre, avec peu de routes et quasiment aucune infrastructure moderne. Les postes militaires sont donc ainsi particulièrement isolés. En Irak, ces bases se trouvaient dans les grandes villes et pouvaient protéger une vaste majorité de la population irakienne. En Afghanistan, ils se situent pour la plupart dans des zones rurales, comme à Seray, et ne sont souvent accessibles que par les airs. Ces bases pourraient donc être prises par des insurgés sans que les renforts aient le temps d’arriver, craignent certains. Durant l’été 2008, des combattants ont justement lancé une attaque coordonnée contre un poste militaire américain de la vallée voisine de Wanat, faisant neuf morts chez les soldats et près de trente blessés. De nombreux Afghans des zones rurales apportent leur soutien tacite aux CACHEMIRE H I N D U K U C H A F G H A N I S TA N Vers Kaboul Passe de Khyber Jalalabad District de Swat PROVINCEDE-LADistrict de FRONTIÈREMalakand DU-NORDOUEST Malakand Vallée de Swat Mingora Peshawar P A K I S T A N ZONES TRIBALES Islamabad PENDJAB 0 COURRIER INTERNATIONAL N° 959 38 100 km DU 19 AU 25 MARS 2009 Courreir international L New York talibans, quand ils ne participent pas activement aux combats, estiment les responsables américains et afghans. David Kilcullen, un spécialiste de la contreinsurrection qui conseille depuis longtemps le général Petraeus sur l’Irak et l’Afghanistan, a soutenu la stratégie des petites bases en Irak. Mais il estime que les Etats-Unis se trompent en décidant de déployer autant d’hommes sur des postes isolés en Afghanistan. Cet officier australien à la retraite fait remarquer que, dans le sud du pays, 80 % de la population est concentrée dans deux villes, Kandahar et Lashkar Gah. L’armée américaine n’a pas beaucoup de soldats ni dans l’une ni dans l’autre. “La population des villes et des villages les plus importants est vulnérable, puisque nous sommes ailleurs à courir après l’ennemi”, souligne David Kilcullen. “Nous devons protéger la population, mais nous devons aussi avoir les capacités d’empêcher le mouvement insurrectionnel de passer la frontière [avec le Pakistan]”, déclarait dernièrement à des journalistes le général David McKiernan, commandant en chef des forces américaines en Afghanistan. Pour les partisans de cette stratégie, ces bases constituent aussi un moyen d’empêcher les extrémistes venus des Zones tribales pakistanaises, livrées à l’anarchie, de pénétrer en Afghanistan. Seray surplombe ainsi une vallée verdoyante de la province de Kunar qui constitue une importante route de transit pour les insurgés basés au Pakistan entrant en Afghanistan pour mener des attaques contre des cibles américaines, afghanes et de l’OTAN, estiment des responsables américains et afghans en charge de la sécurité [voir CI n° 948, du 1er janvier 2009]. Le sergent-chef Christopher Lenington, sousofficier sur la base de Seray, raconte que les soldats sur place sont des cibles faciles pour les talibans, qui montent souvent dans les montagnes alentour pour tirer sur le petit complexe poussiéreux. Près du petit héliport de Seray, une pancarte met en garde :“C’est ici qu’arrivent les balles”. “Ils peuvent utiliser à peu près n’importe quelle arme depuis les collines alentour et nous tirer comme des pigeons”, confirme le sergent Lenington, qui considère ses hommes comme ses enfants. “C’est vraiment un emplacement cauchemardesque pour une base.” Le colonel Cavoli, dont les hommes ont construit la base de Seray, confirme que le danger est une composante incontournable. Yochi J. Dreazen 959p32-39 en couv:Mise en page 1 17/03/09 15:56 Page 39 LA LOI DES TALIBANS ● Obama ouvre la porte aux talibans Dans la perspective de trouver une solution au conflit afghan, la nouvelle administration américaine envisage de négocier avec les insurgés les moins radicaux. V THE NEW YORK TIMES New York oici une proposition appelée à diviser la société américaine : les Etats-Unis devraient-ils s’efforcer de négocier avec ceux qui ont donné refuge à Oussama Ben Laden avant les attentats du 11 septembre 2001 ? Barack Obama a décidé d’envoyer 17 000 hommes en renfort en Afghanistan, mais il a aussi ordonné un réexamen stratégique de la politique américaine dans ce pays, chargeant un géant de la diplomatie, Richard Holbrooke, l’artisan de l’accord de Dayton [qui mit fin à la guerre en ex-Yougoslavie en 1995], d’accomplir en Afghanistan ce qu’il a fait en Bosnie. Mais, que ce soit à Washington, à Islamabad, à Kaboul, à Londres, à Paris ou à Bruxelles, une question essentielle plane sur le réexamen de la stratégie en AfPak [Afghanistan et Pakistan, voir p. 32] : par le passé, aucun conflit ne s’est jamais résolu sans l’accord de toutes les parties prenantes, et l’Afghanistan a peu de chances de faire exception. “Je crois qu’il est évident que ce pays a besoin d’une solution politique, et je n’écarterai aucune possibilité, y compris des échanges avec certaines factions des talibans”, insiste Reuben Brigety, expert de l’Afghanistan au Center for American Progress, un centre de réflexion proche des démocrates. C’est un point sur lequel les Européens, en particulier les Britanniques, insistent depuis quelque temps déjà auprès de Washington. Avec le gouvernement Bush, “l’éventualité d’un accord avec un interlocuteur portant le nom de taliban se heurtait à un blocage idéologique total. Mais le contexte est aujourd’hui radicalement différent”, note un diplomate européen sous le couvert de l’anonymat. Le vendredi 6 mars, dans un entretien au NewYork Times, Barack Obama a en effet ouvert la porte à un éventuel dialogue avec les talibans qui y seraient disposés. Le président a invoqué un argument du général David Petraeus, qui pense que “la réussite en Irak s’explique notamment par la volonté d’établir le contact avec ceux que nous pouvions considérer comme des musulmans fondamentalistes mais qui se sont révélés prêts à collaborer avec nous”.“Des occasions semblables pourraient se présenter en Afghanistan et au Pakistan”, a ajouté le nouveau locataire de la MaisonBlanche, “mais la situation afghane est de loin beaucoup plus complexe.” Néanmoins, des annéeslumière séparent encore le gouvernement Obama de pourparlers avec le mollah Omar, qui était le chef des talibans lorsque ceux-ci étaient au pouvoir en Afghanistan, jusqu’à fin 2001. Depuis peu, il est soupçonné de diriger des commandants dans le sud de l’Afghanistan depuis sa base de Quetta, au Pakistan, de lever des fonds auprès de riches donateurs des pays du Golfe et d’alimenter le champ de bataille en armes et en combattants frais et dispos. Et, même si les Etats-Unis décidaient au bout du compte d’ouvrir le dialogue avec des talibans, ■ Négociations Depuis que l’administration Obama s’est dite prête à négocier avec des “talibans modérés”, de nombreux journalistes s’interrogent sur l’identité de ces possibles interlocuteurs. Quoi qu’il en soit, cette démarche n’est pas nouvelle. En septembre 2008, l’hebdomadaire britannique The Observer avait révélé que des pourparlers étaient en cours avec les talibans, à Londres, sous l’égide de l’Arabie Saoudite. Quelques semaines plus tard, le président afghan Hamid Karzai avait également tendu la main au mollah Omar, en l’invitant à “rentrer au pays” et à “contribuer à ramener la paix en Afghanistan”. A LA UNE les pourparlers se feraient plus probablement via les autorités afghanes, et non directement avec les Américains. Mais on estime de plus en plus, en particulier du côté des experts qui conseillent le gouvernement Obama sur l’AfPak, qu’il est vital de débaucher des talibans sans envergure. Diviser pour mieux régner, la stratégie est éprouvée. Le général Petraeus, à la tête du Commandement Centre américain, affirmait en 2008 que la volonté d’entrer en contact avec les extrémistes “conciliables” faisait partie des aspects de la lutte contre l’insurrection irakienne transposables en Afghanistan. Le mollah Omar ne fait pas partie de ceux que les Occidentaux considèrent, du moins pour l’heure, comme des éléments “conciliables”, contrairement, peut-être, à certains petits chefs de district talibans. Prenons l’exemple du mollah Salam, ancien commandant taliban que les Britanniques, avec l’aide du président afghan Hamid Karzai, ont convaincu en 2007 de changer de camp. Il reste apparemment fidèle aux forces de l’OTAN, certains responsables britanniques citant même son cas comme un exemple de stratégie efficace pour gagner les faveurs des chefs talibans locaux. Reste à savoir si le ralliement du mollah Salam a servi ou desservi les objectifs de la guerre en Afghanistan. Les Britanniques l’ont placé au poste de gouverneur du district de Musa Qala, dans la province de Helmand [dans le sud-ouest de l’Afghanistan]. Mais il fait depuis l’objet de plaintes de la part de la population locale. Il est impopulaire et corrompu, dit-on, et exigerait pots-de-vin et cadeaux de quiconque a besoin de quelque chose. Il faut donc sans doute habituer l’opinion publique américaine à l’idée que les talibans n’appartiennent pas tous au réseau d’Al-Qaida. “Les motivations de ces insurgés sont très variées”, assure Reuben Brigety, indiquant que, pour certains talibans sans envergure, le combat contre les forces de l’OTAN peut se justifier par tout autre chose que le désir de renverser le gouvernement afghan ou de vaincre les Etats-Unis. Ce que confirme un responsable de l’Organisation atlantique. Selon lui, certains talibans de rang inférieur s’en prennent aux forces de la coalition au seul motif, par exemple, que des étrangers sont entrés dans leur vallée sans demander d’autorisation ou encore plus simplement parce qu’un chef taliban les paie 20 dol- lars par jour pour combattre. “Mais il y a surtout des dissensions à exploiter”, poursuit Reuben Brigety, revenant sur l’idée de diviser pour mieux régner. “Tant que nous campons sur nos positions et les considérons tous comme nos ennemis, nous risquons de manquer des occasions d’exploiter ces divisions.” C’est d’ailleurs la logique invoquée par le gouvernement pakistanais pour justifier sa réconciliation récente et très critiquée avec les chefs talibans de la vallée de Swat. Les autorités d’Islamabad s’emploient à assurer le gouvernement Obama que leur accord, qui permet à la loi coranique et aux talibans de dominer dans cette vallée, n’a rien d’une capitulation devant les fondamentalistes, mais vise à enfoncer un coin entre les chefs talibans et des islamistes locaux protalibans qu’il serait possible de rallier au gouvernement. Pourtant, selon des informations provenant de cette région jadis touristique, plusieurs zones ont été désertées par leurs habitants terrifiés. Des rumeurs font état de tortures, de l’assassinat d’une personnalité antitalibane revenue après la trêve et du meurtre de soldats n’ayant pas prévenu les talibans de leurs mouvements. “Si l’Etat se résout à négocier avec des fondamentalistes alors qu’il est en position de faiblesse, nous allons tout droit au désastre”, estimait récemment le quotidien modéré Dawn. “Le monde politique doit sortir de sa léthargie, enterrer la hache de guerre au nom de l’intérêt national et mettre en déroute le véritable ennemi.” Pour Daniel Markey, qui était expert pour l’Asie du Sud au département d’Etat sous le gouvernement Bush, les leçons apprises en Irak (où les Américains, sous leur ancien président, avaient gagné les faveurs des milices sunnites en négociant avec des chefs tribaux) ne s’appliquent pas nécessairement à l’Afghanistan. “Là-bas, les structures tribales ne sont pas celles de l’Irak, précise-t-il. Il n’y a pas de hiérarchie claire. Quand vous concluez un accord avec un homme, vous avez un accord avec lui, pas avec tout le clan.” La méthode doit être calibrée au millimètre, insiste-t-il. “Il faut alterner les combats et les pourparlers, explique-t-il. Si les pourparlers peuvent vous permettre de diviser l’ennemi, alors il faut discuter. Mais, lorsqu’ils n’ont d’autre effet que de lui permettre de reprendre son souffle, il ne faut pas discuter.” Helen Cooper Prise de conscience médiatique ◼ Fareed Zakaria, le rédacteur en chef du magazine américain Newsweek, fait le parallèle entre deux engagements militaires américains : la guerre du Vietnam et celle qui sévit en Afghanistan. Son article, dont le titre figure en couverture, s’intitule “Le Vietnam d’Obama : comment sauver la mise en Afghanistan”. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 39 DU 19 AU 25 MARS 2009 ◼ Pour Outlook, l’un des grands hebdomadaires de New Delhi, les islamistes de l’Asie du Sud se livrent à un “Grand Jeu” dont le but est de déstabiliser toute la région. Pour le magazine, les zones frontalières entre l’Afghanistan et le Pakistan représentent le nœud du problème, car elles se sont transformées en “Anarchistan”. 959p40-41:Mise en page 1 17/03/09 14:02 Page 40 p o r t ra i t Michael Ignatieff Un intello en politique THE NEW YORK TIMES New York Après avoir passé la plus grande partie des quarante dernières années à se faire un nom aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, Michael Ignatieff a surpris ses amis et collègues, il y a trois ans, en décidant de renoncer à sa vie bien réglée d’intellectuel pour revenir dans son pays natal, le Canada, et briguer un siège au Parlement d’Ottawa. Il avait connu le succès littéraire avec ses romans, ses scénarios et ses articles publiés dans The New Yorker, The New Republic et The New York Review of Books. Il avait animé une émission de télévision populaire en Angleterre. Il avait enseigné dans les prestigieuses universités de Cambridge et de Harvard. Et voilà qu’il se retrouvait coincé dans l’existence terne d’un député débutant – et au Canada, de surcroît. Mais il ne s’est pas ennuyé trop longtemps. En décembre dernier, après deux tumultueuses semaines de manœuvres politiques, il est devenu le chef du puissant Parti libéral, qui est actuellement dans l’opposition mais a été au pouvoir pendant la plus grande partie du XXe siècle. [Les libéraux sont la seule force politique susceptible de prendre la place des conservateurs à la tête du gouvernement. Ils sont les champions de l’interventionnisme canadien. Selon une formule bien connue au Canada, ils défendent des programmes de gauche, mais gouvernent à droite.] Si cette formation devait prendre le contrôle du gouvernement, ce qu’elle a failli réussir fin janvier et espère encore faire dans les mois à venir, Michael Ignatieff serait immédiatement appelé à devenir Premier ministre. Ce serait d’une certaine manière un retour à l’époque de Pierre Elliott Trudeau, un autre intellectuel issu du beau monde qui a dirigé le pays de 1968 à 1979, puis de 1980 à 1984. “On l’a fait venir pour redonner vie à la marque libérale”, confie Nelson Wiseman, qui enseigne les sciences politiques à l’université de Toronto. “Je crois que beaucoup au parti pensaient : ‘Il nous faut quelqu’un qui ait l’envergure intellectuelle de Trudeau.’” Michael Ignatieff s’est effectivement révélé très adroit depuis son entrée en politique. S’il a renoncé pour le moment à renverser le gouvernement conservateur dirigé par Stephen Harper, les observateurs considèrent qu’il attend tout simplement son heure. “Il veut que la couronne lui revienne de son propre fait – non par le biais d’une coalition, mais par une élection, dont la plupart des experts prédisent la tenue avant la fin de l’année”, assure M. Wiseman. Dans une interview accordée fin janvier, Michel Ignatieff disait avoir renoncé à beaucoup de choses en laissant de côté les satisfactions personnelles que lui procurait sa vie d’auteur. “Mais je prends tout ça très au sérieux, ajoutait-il. C’est le seul endroit où je peux être acteur, et non spectateur. J’ai toujours été spectateur et, aujourd’hui, je vais au charbon. C’est une chose très satisfaisante d’un point de vue spirituel.” Ignatieff a presque toujours été considéré comme une personnalité glamour, bien qu’on y ajoute souvent la nuance “pour un Canadien” ou, aujourd’hui, “pour un homme politique”. Il y a quelques années, une étude réalisée par les mensuels Foreign Policy et Prospect le plaçait à la trente-septième place sur la liste des intellectuels les plus influents et les plus médiatisés du monde. Cet homme, qui a connu la célébrité à Londres pendant les années 1980 et 1990 en animant une émission ■ Biographie de télévision consacrée aux livres Michael Ignatieff et aux idées, était considéré comme est né en 1947 une sorte de version anglophone à Toronto. Il est issu de Bernard-Henri Lévy, avec un d’un mariage mixte pedigree en plus, mais sans l’argent entre un père ni l’aversion pour les chemises bou- diplomate d’origine russe et une mère tonnées de l’intellectuel français. venue des milieux Sa vie présente assurément un intellectuels caractère romanesque. Son père, canadiens. Il George Ignatieff, était un diplo- obtient un doctorat mate canadien ; son grand-père et en histoire à son arrière-grand-père, des comtes Harvard en 1976. russes, avaient été ministres du gou- Il entreprend vernement du tsar. Quant au frère ensuite une carrière de sa mère, George Grant, il a eu académique une certaine célébrité comme spé- à Cambridge, puis médiatique. cialiste de la philosophie politique. Au cours Michael Ignatieff a pour sa part été des années 1980 capitaine de l’équipe de football de et 1990, Ignatieff son école, avant de préparer une anime diverses thèse de doctorat à l’université émissions littéraires Harvard en passant ses nuits à sur- sur la BBC et publie veiller des détenus de la prison de une chronique l’Etat du Massachusetts. Sa biblio- chaque dimanche graphie contient une dizaine de dans The Observer. volumes : des pamphlets politiques, Egalement écrivain, il a signé trois trois romans, une histoire de sa romans et divers famille, une biographie d’Isaiah essais. En 2000, Berlin (son ancien mentor) et plu- il quitte le sieurs ouvrages sur les droits de Royaume-Uni pour l’homme et le droit d’ingérence les Etats-Unis, où il (directement motivés par ce qu’il a va diriger un centre vu dans les Balkans). C’est en 2004, de recherche alors qu’il était directeur du Carr à Harvard. Il rentre Center for Human Rights Policy de ensuite au Canada pour y participer Harvard [un centre de recherche aux élections sur les droits de l’homme], qu’il a législatives reçu la visite de trois stratèges du de janvier 2006. Parti libéral. Ils lui expliquent qu’ils Elu député d’une cherchent à injecter du sang neuf circonscription de dans un parti affaibli par plusieurs Toronto, il devient scandales successifs. Et ils lui de- chef du Parti libéral mandent, au cours du dîner, de en décembre 2008. songer à revenir s’installer au Canada pour se présenter aux élections. “Ç’a été un coup de tonnerre dans un ciel clair, se souvient-il. Cette perspective de se retrouver dans l’arène a été irrésistible.” C’était à la fois cohérent avec son histoire familiale et quelque peu incongru. “Mon père a travaillé pour quatre Premiers ministres. J’ai grandi dans une maison où le service public était un devoir. Mais mon père considérait avec COURRIER INTERNATIONAL N° 959 40 horreur les fonctions électives, parce qu’il savait à quel point cela pouvait être brutal.” Pour son ami Leon Wieseltier, directeur de la rubrique littéraire de l’hebdomadaire américain The New Republic, Michael Ignatieff est un “individu véritablement introspectif” et, depuis plus de vingt ans qu’il publie ses articles, il ne l’a jamais entendu évoquer la moindre envie d’entrer en politique. “C’est un humaniste, pas un homme politique. Il y a en lui une soif d’autorité intellectuelle et d’une certaine reconnaissance sociale, mais il n’a jamais recherché le pouvoir.” S’il possède nombre des attributs qu’un élu est censé posséder – de l’assurance, une grande capacité de concentration et un fort instinct de conservation –, il présente certains traits qui l’empêcheraient de réussir sur la scène politique américaine. Il a ouvertement reconnu qu’il regrettait d’avoir soutenu la guerre en Irak et il s’est étendu de façon émouvante et douloureuse – notamment dans les colonnes de l’hebdomadaire The New York Times Magazine – sur sa première décision et sur la volte-face qui a suivi. Sa position vis-à-vis de la guerre lui a valu des critiques au Canada, pas seulement à cause de cet étalage de sentiments, mais parce que, comme l’a écrit Andrew Potter en 2006 dans l’hebdomadaire canadien Maclean’s, “ses arguments puent les compromis nécessaires qu’on doit faire lorsqu’on est progressiste aux Etats-Unis”. Michael Ignatieff a toujours été très clair sur ses affinités avec ce pays qui n’est pas le sien. En 2002, il évoquait dans la revue littéraire Granta sa jeunesse et son opposition à la guerre du Vietnam. “J’aimais mon pays, mais je croyais aux Etats-Unis comme je n’avais jamais cru au Canada. J’étais contre la guerre parce que je pensais qu’elle trahissait quelque chose d’essentiel de ce pays. J’ai manifesté parce que je croyais en Lincoln et en Jefferson.” Une statuette de ce dernier est d’ailleurs sur son bureau. Revenant sur ces propos, Michel Ignatieff nous a confié : “Il y a des moments où je me suis identifié passionnément aux Etats-Unis et il y a eu des moments de recul complet.” L’invasion de l’Irak a eu successivement les deux effets. “Je crois que je me suis toujours senti passionnément et fièrement canadien.” “La meilleure preuve, ajoute-t-il en souriant, c’est que je n’ai jamais cherché à avoir un autre passeport.” Pour David Rieff, un essayiste américain qui est par ailleurs l’un de ses amis, “le Canada, comme beaucoup de petits pays sur le plan culturel, a des relations ambivalentes avec ses ressortissants qui partent et réussissent aux Etats-Unis ou en Europe. Ceux-ci sont des célébrités dont tout le monde est fier, mais il y a aussi beaucoup de critiques malveillantes. C’est le syndrome de la tête qui dépasse.” Le prochain ouvrage d’Ignatieff, intitulé True Patriot Love: Four Generation in Search of Canada, sortira fin avril, peutêtre à la veille d’élections nationales. C’est selon lui une exploration de l’identité canadienne. [La version française de ce livre paraîtra simultanément à Montréal aux éditions du Boréal sous le titre Terre de nos aïeux : Quatre générations à la recherche du Canada.] “Chaque génération est obsédée par la façon de conserver un empire canadien face aux Etats-Unis, ce mastodonte qui vit Eric Konigsberg juste à côté.” DU 19 AU 25 MARS 2009 959p40-41:Mise en page 1 17/03/09 14:02 Page 41 Blair Gable ● ◀ ■ Manifestants dénonçant les positions proaméricaines d’Ignatieff lors d’une conférence à l’université d’Ottawa en 2006. ▶ ■ Avec le président Obama en février lors de sa visite à Ottawa. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 Jim Waston/AFP Fred Chartrand/The Canadian Press ◀ ■ A la une de l’hebdomadaire canadien Maclean’s : “Les Canadiens décevront-ils Ignatieff ?” 41 DU 19 AU 25 MARS 2009 ▲ ■ Couverture de son livre de campagne, à paraître au Canada en avril. 42-45 port folio:Mise en page 1 17/03/09 10:22 portfolio Page 42 ● Transit est-ouest La Turquie de George Georgiou ▲ Un nouveau quartier dans la banlieue de Konya, dans le centre de l’Anatolie. ▶ A la périphérie d’Elazig. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 42 DU 19 AU 25 MARS 2009 42-45 port folio:Mise en page 1 17/03/09 10:22 Page 43 ◀ Nouvelle extension des faubourgs d’Ankara, la capitale. ■ Le photographe Signatures George Georgiou, qui est issu d’une famille chypriote, vit et travaille à Londres. Au cours des dix dernières années, il a successivement résidé et travaillé dans les Balkans, en Europe orientale et en Turquie. Ses reportages lui ont valu de nombreuses distinctions internationales, notamment deux prix World Press Photo. Il doit prochainement publier un livre aux éditions Mets & Schilts d’Amsterdam sous le titre Fault Lines: Turkey East to West. ◀ Quartier en construction à Trabzon, sur les bords de la mer Noire. ◀◀ Lotissement construit pour reloger des villageois kurdes victimes d’inondations. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 43 DU 19 AU 25 MARS 2009 42-45 port folio:Mise en page 1 17/03/09 10:22 Page 44 ▶ Un vestige du passé : le palais d’Ishak Pacha à Dogubeyazit. ▶ Les unités d’habitat social les plus anciennes manquent d’équipements collectifs. ▲▲ Un restaurant et une boutique de tissus en centre ville. ▼ Une cité déjà ancienne, à Sanliurfa, qui abrite des travailleurs kurdes. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 44 DU 19 AU 25 MARS 2009 42-45 port folio:Mise en page 1 17/03/09 10:36 Page 45 ◀ La nouvelle zone industrielle de Konya. ◀ Répétition pour les cérémonies du Jour de la jeunesse, à Mardin. C ondamnée par la géographie à occu- 0 truit partout à un rythme phénoménal : des Mer Noire 400 km per une position intermédiaire entre infrastructures routières qui bouleversent Trabzon l’Asie et l’Europe, la Turquie est depuis l’apparence des campagnes, mais surtout Dogubeyazit Ankara plus d’un siècle un lieu de tensions d’énormes quantités de blocs de logements Elazig TURQUIE Mardin permanentes entre la modernité et la trapour permettre aux villes d’absorber l’exode Sanliurfa Konya dition, l’Etat laïc et les forces islamiques, rural, ainsi que l’accroissement rapide de IRAK SYRIE le centralisme étatique et les revendications la population. Et, comme ces immeubles Courrier international autonomistes, les libertés démocratiques Mer Méditerranée de logements à faible coût sont tous conset l’ordre répressif. Des tendances contradictoires qui nour- truits selon des modèles similaires, les villes turques se resrissent des affrontements souvent violents, surtout à Istanbul semblent de plus en plus. Les photos de George Georgiou, et dans la partie orientale de l’Anatolie. Mais cela n’em- prises aux quatre coins du pays, le montrent avec éloquence. pêche pas le pays de poursuivre son processus de trans- “J’ai aussi voulu faire comprendre, ajoute-t-il, que cette formation. “J’ai été très surpris par la vitesse du changement”, évolution uniforme du cadre de vie jouait un rôle évident dans raconte George Georgiou, qui vient de passer quatre ans et l’évolution des mentalités. La disparition des repères de la vie demi en Turquie. “On est frappé, au fil des mois et des années, villageoise et l’uniformisation imposée par la vie urbaine ne par l’évolution extrêmement rapide des paysages.” Car on cons- peuvent qu’exacerber les tensions de cette société en transition.” COURRIER INTERNATIONAL N° 959 45 DU 19 AU 25 MARS 2009 959 p46-47:Mise en page 1 17/03/09 17:05 économie ■ sciences Mettez un hoazin dans votre moteur ! p. 48 ■ technologie Cachez ce char que je ne saurais voir p. 49 Page 46 i n t e l l i g e n c e s Le dilemme : réglementer ou dépenser ? FINANCES A quelques semaines du sommet du G20, les gouvernements participants sont loin d’être d’accord sur la stratégie à mettre en œuvre pour juguler la crise. ■ THE NEW YORK TIMES L ■ multimédia Twitter, le petit site qui monte, qui monte i n t e l l i ge n c e s p. 50 ● New York orsque, en novembre dernier, les dirigeants de vingt pays se sont réunis à Washington pour discuter de la crise économique qui menaçait de les balayer tous, ils ont promis d’instaurer une nouvelle ère de réglementation mondiale afin de juguler les nouveaux risques mondiaux. Cinq mois plus tard, ces risques semblent plus grands que jamais. Pour autant, aucun consensus ne se dégage sur la manière dont il faut gérer cette crise, les grandes puissances économiques et les pays émergents n’étant pas tous d’accord pour placer en tête des priorités la refonte du système créé en 1944 [par les accords de Bretton Woods, qui ont dessiné les grandes lignes du système financier international de l’après-guerre]. La Maison-Blanche laisse désormais entendre que les participants au prochain sommet du G20, qui doit se tenir à Londres début avril, devront avant tout décider d’amplifier leurs efforts de relance par la fiscalité et par les dépenses – ce que le président Obama peut se targuer d’avoir déjà fait. Mais les grands pays européens, dont certains estiment qu’il ne serait pas sage de s’endetter davantage, privilégient toujours un réexamen de la réglementation financière, laquelle, à les en croire, est au cœur de la crise actuelle. UN TEST DE POLITIQUE INTÉRIEURE POUR OBAMA Pour simplifier, c’est un clivage d’ordre quasi philosophique, entre des Européens qui préfèrent contrôler davantage les marchés et vont même jusqu’à réclamer la création d’autorités de tutelle internationales dont le champ de compétences ne serait pas limité par les frontières, et des Américains qui redoutent de voir progressivement rognée leur souveraineté sur leurs propres institutions. Mais c’est également un test pour Barack Obama. Sur le plan intérieur, il doit se battre à la fois contre les conservateurs – qui l’accusent d’avoir donné un brutal coup de barre à gauche – et contre ses propres partisans – qui le soupçonnent, malgré son discours en faveur de solutions pratiques, de vouloir les pousser à dépenser plus pour sauver les fragiles pays d’Europe de l’Est. Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera possible d’aplanir ces différends. En attendant, les Européens se préparent à accueillir Obama pour la première fois depuis que, en tant que candidat à la présidence, il a été acclamé par des centaines de milliers de personnes dans les rues de Berlin. En Allemagne, justement, l’humeur est ▶ Sur les panneaux : Crise financière ; Plan d’action. Dessin de Stavro, paru dans The Daily Star, Beyrouth. ■ particulièrement morose. La chancelière Angela Merkel parle de saisir l’occasion pour engager des réformes “cruciales”. Par ailleurs, les Allemands estiment pour l’instant suffisant leur modeste plan de relance de 50 milliards d’euros, soit moins du dixième du programme adopté en février par le Congrès pour soutenir l’économie américaine. [Selon le FMI, ces plans représentent respectivement 1,5 % et 1,9 % du PIB de ces ceux pays.] Les Français se rangent apparemment au côté des Allemands, tout comme les Japonais, si lourdement endettés qu’ils ne veulent surtout pas creuser encore leurs déficits. Le Premier ministre britannique Gordon Brown semble quant à lui plutôt penser, comme Obama, qu’il faudrait dépenser d’abord et réglementer plus tard. autres, de l’Europe de l’Est, et combattu avec succès les mesures d’inspiration protectionniste qui ont fleuri un peu partout en Europe, il faudra alors s’atteler à la réforme du système réglementaire mondial. Lors de la réunion du G20, “les groupes de travail présenteront des recommandations et des principes détaillés”, affirme un haut responsable impliqué dans la préparation du sommet. Les participants devraient ainsi plancher sur la restriction des opérations bancaires dans les paradis fiscaux et discuter du degré de transparence qu’il faut imposer aux fonds spéculatifs et aux sociétés de capital-investissement. Les investisseurs ont déjà entendu ce genre de promesses. A la fin des années 1990, dans la foulée de la crise économique en Asie, le gouvernement “Il doit bien y avoir quelques points sur lesquels nous pourrons parvenir à un consensus”, a récemment affirmé le sénateur John Kerry, président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères, après avoir passé une semaine à consulter des dirigeants étrangers – et à écouter les doléances des Européens. Ceux-ci reprochent aux Etats-Unis d’être à l’origine des problèmes actuels et, surtout, de ne plus vouloir instaurer les règles qui empêcheraient qu’une crise de même nature ne se reproduise. “Les faiblesses de l’Europe sont aujourd’hui réellement plus grandes que certaines de nos propres faiblesses, et elles ont à leur tour des répercussions sur nos marchés”, a pour sa part déclaré M. Obama au NewYork Times. A la Maison-Blanche, on assure qu’il existe des divergences sur les priorités, mais par sur la stratégie fondamentale. Et que rien ne menace l’idylle nouée entre Obama et les Européens. Les responsables américains reconnaissent avoir été dépassés par la succession ininterrompue des crises : la désintégration brutale des banques, qui a nécessité des injections répétées de capitaux ; l’effondrement accéléré de l’économie réelle ; puis le désastre de l’industrie automobile. Ils affirment cependant qu’une fois que l’on aura coordonné les mesures de relance, mis au point un plan en faveur, entre Clinton avait poussé les sept principaux pays industrialisés (G7) à adopter tout un train de mesures. L’effondrement des marchés asiatiques aurait pu être évité, avait alors argumenté Washington, si les autorités de tutelle avaient été plus expérimentées, la corruption moins généralisée et les risques moins dissimulés. Mais cet enthousiasme était vite retombé. Après l’entrée en fonction de George W. Bush, les réunions du G7 ont bien plus porté sur le terrorisme que sur la définition de nouvelles règles pour l’économie mondiale. Cette fois, il pourrait en être autrement : la crise est bien plus grave et ses effets sont bien plus largement ressentis. Les divergences de vues sur la manière de réglementer les marchés sont toutefois profondes. Les EtatsUnis et le Royaume-Uni, qui sont les deux principales plates-formes financières de la planète, résisteront de manière quasi instinctive à toute tentative de les soumettre à des autorités de contrôle internationales. “Dans quelques semaines”, commente un ambassadeur européen, “nous verrons si notre histoire d’amour avec M. Obama pourra résister à notre demande d’un assainissement rapide du système financier américain et au souhait des EtatsUnis de voir l’Europe s’impliquer davantage en Afghanistan.” David E. Sanger Et le FMI ? “Le Fonds monétaire international pourrait servir de laboratoire à un rééquilibrage plus favorable aux pays émergents” du système financier mondial mis en place en 1944, commente Le Temps. Mais, selon le quotidien de Genève, ce sujet ne sera pas à l’ordre du jour du sommet du G20 d’avril. “Le FMI a un problème plus urgent à résoudre : regonfler ses réserves pour faire face aux demandes d’aide des Etats en difficulté.” Pour cela, il a besoin des pays riches. En avril, ces derniers pourraient s’engager à augmenter leurs contributions financières. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 46 DU 19 AU 25 MARS 2009 959 p46-47:Mise en page 1 17/03/09 10:25 Page 47 économie Nouvelle ruée vers l’or INVESTISSEMENTS Les Américains ■ achètent massivement des lingots et des pièces. Ils veulent ainsi se prémunir contre l’inflation que pourrait engendrer le plan de relance d’Obama. NEWSWEEK (extraits) ▶ Dessin de Kazanevsky, Ukraine. ■ Mines La production mondiale d’or a baissé de 4 % en 2008, soit de 88 tonnes, selon un rapport du cabinet de consultants GFMS, cité par The Economist. Les chutes les plus fortes (– 14 %) ont été enregistrées par l’Australie et l’Afrique du Sud. Avec près de 300 millions de tonnes extraites en 2008, la Chine est le premier producteur d’or au monde, suivie par les Etats-Unis et l’Afrique du Sud (moins de 250 millions de tonnes). achats ne sont que des bips sur un écran d’ordinateur. Les thésauriseurs sont différents. Ils achètent de l’or, du vrai, et le gardent pour les temps de vaches maigres. Les marchands de métaux précieux facturent une commission sur le prix au comptant et vous livrent la commande – en général par la poste. Celle-ci propose en effet des primes d’assurance peu élevées sur les métaux précieux, explique Michael Maroney, vice-président de Monex, un négociant de Californie. “On ne peut pas vous dire quand vous le recevrez, mais il ne disparaît jamais.” métal. Que l’économie américaine se redresse un peu et ces acheteurs s’apercevront probablement qu’ils étaient dans une grande bulle dorée. Et, si les marchés financiers continuent à déraper et la valeur des biens immobiliers à plonger, les gens se réfugieront de plus en plus dans cet investissement réputé sûr, fiable, et dont la valeur ne dépend pas des gouvernements. “Les gens ont commencé à se ruer sur l’or en novembre dernier, quand la crise du crédit a vraiment échappé à tout contrôle”, explique Scott Thomas, le président de l’American Precious Metal Exchange. “La plupart d’entre eux sont des Américains moyens, dont le plan d’épargne retraite [investi en actions et obligations] s’est dévalorisé au fil du temps.” Certains conseillers en investissement ont amplifié le mouvement en prédisant que l’or atteindrait jusqu’à 2 300 dollars l’once. “Notre conseil : ‘Paniquez maintenant, vous éviterez la ruée’[et la flambée des prix]”, confie avec humour Addison Wiggin, l’éditeur de la newsletter financière The Daily Reckoning. Il y a toujours eu deux types d’investisseurs dans l’or : les spéculateurs et les thésauriseurs. Les premiers négocient sur les marchés. L’argent qu’ils gagnent – ou qu’ils perdent – n’a rien à voir avec la possession effective du métal : comme la plupart des investissements modernes, leurs LES VENTES DE COFFRES-FORTS SONT EN HAUSSE La dernière fois que les ventes ont connu une telle envolée, c’était avant le passage à l’an 2000 : certains Américains qui craignaient l’Apocalypse ont accumulé dans leur cave de l’or – ainsi que des armes et des boîtes de haricots. Mais, quand on a de l’or chez soi, on devient une cible ; il coûte cher à assurer ; une fois volé, il est facilement refondu et devient pratiquement impossible à retrouver. C’est pourquoi Nick Bruyer, le président de First Federal Coin, recommande toujours à ses clients de prendre “un coffre dans une bonne banque”. Mais le thésauriseur veut avoir son or sous la main ; il ne fait pas confiance aux banques en cas VALEUR REFUGE + 10 0 Prix de l’or 20 février 2009 1 002 dollars (en dolla dollars par once) 1 000 – 10 900 – 20 800 – 30 700 – 40 Evolution du cours de l’or et de l’indice Dow Jones de la Bourse de New York (en %) 2008 2009 COURRIER INTERNATIONAL N° 959 EN BREF n lingot d’or de 100 onces, quand on le tient dans la main, c’est étonnamment petit et encore plus étonnamment lourd [3,10 kg]. C’est d’une couleur inoubliable, bien différente de celle d’une alliance ou du bracelet de la grand-mère. C’est d’un jaune profond, dense, comme l’océan est d’un bleu profond, et ça brille. On comprend enfin pourquoi la Bible dit que les rues du paradis en sont pavées. Le jour où j’ai tenu ce lingot dans ma main, il valait près de 100 000 dollars [77 500 euros]. C’est un homme d’affaires établi, aisé et en âge de prendre sa retraite qui l’avait acheté ; c’était son rempart contre la baisse de l’indice Dow Jones et l’inflation galopante que le plan de relance d’Obama allait, selon lui, inévitablement provoquer. Nous étions allés le récupérer au sous-sol d’une succursale de la HSBC, à Manhattan. Je l’ai rendu à mon compagnon et il l’a mis dans son porte-documents. Nous sommes remontés, nous sommes passés devant les gardes, avons franchi les portes métalliques. Une fois dans la rue, nous nous sommes dit au revoir et je l’ai regardé partir, un homme grand et mince portant une serviette de 100 000 dollars. Il ne veut pas que je vous dise quoi que ce soit de lui parce qu’il garde cet or dans un coffre dans sa cave. Ses amis, dit-il, font la même chose. John Wynocker, un inspecteur de systèmes hydrauliques qui vit à Cincinnati, achète de l’or en lingots et en pièces depuis quinze ans, mais il est passé à la vitesse supérieure depuis l’adoption du plan de relance. Il cache son magot dans des endroits où il ne peut même plus le retrouver, plaisante-t-il. “Notre pays est tellement endetté, c’est affolant. J’aimerais prendre ma retraite un jour. Que puis-je faire d’autre pour me protéger ?” Est-ce de la folie ? Voilà un homme respectable, habitant un quartier convenable, qui se comporte comme un paranoïaque redoutant la fin du monde. Wynocker est un salarié qui essaie de garantir son avenir financier en planquant son trésor. Le prix de l’or a beau atteindre des sommets – plus de 1 000 dollars l’once [775 euros] le 20 février –, un nombre croissant d’Américains en achètent. En 2008, ils ont fait l’acquisition de 600 tonnes d’or en pièces et en lingots, soit 42 % de plus qu’en 2007, selon le Conseil mondial de l’or. C’est moins qu’en Europe, où la folie de l’or est une véritable épidémie, mais c’est quand même beaucoup compte tenu du prix élevé du Source : “Financial Times” U New York 47 ■ Secret bancaire L’un après l’autre, la Belgique, Andorre, le Liechtenstein, l’Autriche, le Luxembourg et la Suisse ont annoncé l’assouplissement de leur secret bancaire. Ces pays fourniront dorénavant des informations aux administrations fiscales en cas de soupçons justifiés de fraude, explique Le Temps. “Du point de vue suisse, le geste est considérable”, commente le quotidien de Genève. Mais “il n’est pas du tout certain qu’il sera jugé suffisant par ceux qui ont les banques suisses dans le collimateur”. Le pays devra donc batailler DU 19 AU 25 MARS 2009 d’urgence. Les ventes de coffres-forts ont augmenté de 43 % chez Cannon Safe en 2008, et Aaron Baker, le président de la société, estime que 30 % de ces nouveaux acheteurs détiennent des métaux précieux. En période de grandes tensions, ses propriétés uniques font de l’or un produit particulièrement attractif. Sa valeur monétaire peut grimper et chuter, mais sa valeur intrinsèque demeure constante. Les professionnels du secteur aiment à donner cet exemple : au Moyen Age, une pièce d’or d’une once permettait d’habiller un homme de pied en cap ; et aujourd’hui c’est toujours le cas. De plus, le cours de l’or a toujours fluctué à l’inverse de celui du dollar ; voilà pourquoi il est considéré comme le dernier rempart contre l’inflation. “L’or”, affirme Jon Nadler, un analyste de Kitco, “c’est une assurancevie pour le reste de votre portefeuille.” Lingots et pièces ne vous sauveront cependant pas la vie en cas d’Apocalypse. La meilleure chose à faire, d’après Nadler, c’est d’en acheter un peu – “de quoi payer votre billet d’avion pour les Fidji si vous devez vraiment fuir” – et d’espérer que les cours reflueront. Si l’or baisse, la valeur de votre plan de retraite remontera probablement. Et vous n’aurez pas besoin de retourner votre jardin pour récupérer votre trésor. Lisa Miller et Jessica Ramirez “pour faire comprendre au monde qu’il s’agit d’un sacrifice important et substantiel”. La compagnie d’électricité portugaise EDP (l’équivalent d’EDF, détenue à environ 75 % par des capitaux privés) a réalisé en 2008 plus de 1 milliard d’euros de bénéfices. Ce qui ne l’empêche pas, constate le quotidien Correio da Manhã, d’appliquer aux particuliers des tarifs 25 % plus élevés que ceux pratiqués en Espagne. Ni de couper le courant aux milliers de familles confrontées à des difficultés de paiement, comme le dénonce le Mouvement des usagers des services publics. 959 p48:Mise en page 1 17/03/09 10:26 Page 48 sciences i n t e l l i g e n c e s ● Mettez un hoazin dans votre moteur ! ÉNERGIE Un oiseau ■ tropical puant sera peut-être à l’origine d’une génération d’agrocarburants propres. PÚBLICO Lisbonne Sylvain Cordier/Jacana/Eyedea H oazin : si vous n’avez jamais entendu ce nom, vous allez le sentir passer. Parce que l’hoazin sent plutôt mauvais. Cet oiseau tropical qui vit dans les marais du bassin du fleuve Orénoque, au Venezuela, est l’un des rares volatiles au monde à être exclusivement herbivore. Et il est le seul à posséder un système de fermentation intégré pour digérer ses aliments. A l’image de ce qui se passe dans l’estomac des vaches, celui de l’hoazin abrite des colonies microbiennes qui provoquent la fermentation des feuilles que mange l’oiseau. Or qui dit fermentation dit gaz et mauvaises odeurs. De fait, l’hoazin sent le fumier, d’après ceux qui l’ont approché. Par son aspect, la “vache volante” (surnom qui lui est parfois donné) évoque le croisement d’une dinde avec un animal préhistorique. Il est très coloré : huppe orangée, à la mohican ; tête bleue ; yeux rouges et plumes marron, noires et blanches. Son cri, disent ceux qui l’ont entendu, ressemble à la respiration forcée d’un grand fumeur asthmatique. Ses petits naissent dotés de griffes sur le bord des ailes (qui disparaissent à l’âge adulte), ce qui leur permet de grimper aux arbres (à un âge où ils ne savent pas voler) et de rentrer rapi- dement et efficacement au nid en cas de chute imprévue ! “L’hoazin (chenchena, pour les Amérindiens du Venezuela) est un oiseau très particulier”, souligne Filipa Vitorino, jeune scientifique portugaise qui achève sa thèse à l’université de Porto Rico. Sa recherche porte sur les bactéries qui vivent dans l’estomac de l’oiseau. “Le processus digestif de la fermentation produit des acides gras volatils qui sont responsables de l’odeur désagréable de l’animal.” Mais elle ajoute aussitôt : “Malgré tout, c’est un oiseau très sympathique. Par son aspect physique et principalement du fait des griffes des oisillons, il a été comparé à l’archéoptéryx, le fossile de transition entre les reptiles et les oiseaux.” L’ESTOMAC DU VOLATILE ? UNE VÉRITABLE USINE À GAZ La découverte de la remarquable stratégie digestive de l’hoazin est relativement récente, puisqu’elle date de 1984. Jusqu’alors, on pensait qu’une telle “fermentation prégastrique” ne pouvait se produire que chez des mammifères d’au moins 3 kilos, parce que ce processus digestif exige en principe un énorme volume pour fonctionner. L’hoazin a un poids de 700 grammes et, comme pour tous les oiseaux volants, sa température interne est plus élevée que celle des mammifères. Chez lui, les bactéries doivent donc produire beaucoup plus d’énergie que chez un mammifère, et ce de manière très efficace dans un volume aussi réduit. Filipa Vitorino, en compagnie de collègues de son laboratoire et des universités de Washington et de New York, a publié fin 2008, dans la revue Applied and Environmental Microbiology, les résultats d’une première exploration génétique de l’écosystème bactérien qui pullule dans l’estomac de la “vache volante”. “Un fermenteur prégastrique de petite taille constitue un paradoxe”, écrivaient les scientifiques au début de leur article. Une telle efficacité ne les laisse pas indifférents. “Un oiseau aussi extraordinaire et avec une stratégie digestive de ce type hébergeait forcément une flore bactérienne différente des autres oiseaux COURRIER INTERNATIONAL N° 959 48 ▲ L’hoazin, un oiseau du delta de l’Orénoque, au Venezuela. ■ Correction Produire des agrocarburants en dégradant mieux la biomasse végétale non alimentaire ou des déchets d’origine végétale semble une voie prometteuse pour la filière des carburants trop tôt proclamés “verts”, auxquels on reproche de détourner des cultures vivrières et donc de participer à la forte hausse des prix des denrées alimentaires. Fin 2008, le quotidien britannique The Guardian rendait d’ailleurs public un rapport de la Banque mondiale qui reconnaissait que le développement des carburants d’origine végétale avait provoqué une hausse des prix alimentaires de 75 % entre 2002 et 2008. DU 19 AU 25 MARS 2009 et des mammifères, explique Filipa Vitorino. De fait, nous avons découvert que la structure de cette communauté bactérienne est totalement différente de celles déjà décrites chez des oiseaux et des ruminants, même si elle est plus proche de ces derniers.” En outre, l’hoazin mange une grande variété de feuilles, dont certaines contiennent des alcaloïdes, substances parfois toxiques pour certains animaux ; aussi les bactéries de son estomac se chargentelles de neutraliser ces composés afin qu’il puisse digérer en toute sécurité. Les chercheurs ont analysé génétiquement la population bactérienne présente dans l’estomac de six hoazins adultes capturés dans leur habitat naturel. “On a abattu les oiseaux à l’arme à feu et on les a analysés localement afin d’obtenir des données significatives de température et de poids, et aussi afin de pouvoir disséquer leur système digestif, précise la chercheuse. Les estomacs ont été immédiatement congelés dans de l’azote liquide et envoyés à notre laboratoire, à Porto Rico. Du contenu de l’estomac, nous avons extrait de l’ADN, que nous avons séquencé, en particulier un gène spécifique dénommé 16S.” Ce gène est présent dans toutes les bactéries, mais il présente des zones suffisamment variables pour servir de marqueur des groupes de bactéries, ce qui permet de les différencier. Les résultats se sont révélés encore plus surprenants que ce à quoi s’attendaient les chercheurs. “Nous pensions qu’il y aurait une forte proportion de bactéries inconnues, poursuit Filipa Vitorino. Mais ce qui est incroyable, c’est que, sur les 1 500 espèces de bactéries trouvées, près de 94 % n’avaient jamais été décrites. Nous avons surtout découvert ce qui ressemble à de nouvelles lignées de bactéries dégradant la cellulose (et donc capables de briser la solide membrane des cellules végétales), qui très probablement participent à la digestion par fermentation des feuilles que mangent ces oiseaux.” Au-delà de l’intérêt purement scientifique de cet organe inédit, l’estomac de l’hoazin pourrait être la clé de la production d’agrocarburants. Ce sera la prochaine étape du travail de Filipa Vitorino : étudier les protéines que fabriquent les bactéries de l’estomac de l’hoazin dans le but de dégrader la cellulose des végétaux. “Je vais participer à un projet de séquençage du génome des bactéries stomacales de l’hoazin afin de déterminer quelles sont les enzymes responsables de ce processus. L’objectif est de trouver d’autres formes de transformation de la biomasse végétale en sucre, en vue de la production d’agrocarburants.” Il s’agit d’une collaboration entre le laboratoire de Porto Rico et le ministère de l’Energie américain liée à l’une des missions de ce dernier : trouver des énergies renouvelables. “L’estomac de l’hoazin est sans nul doute un écosystème extraordinaire et il est susceptible d’être la source de microorganismes et d’enzymes très utiles. Ses bactéries permettront peut-être de produire du bioéthanol à partir de papier usagé, par exemple.” Ana Gerschenfeld 959p49 techno:Mise en page 1 17/03/09 10:26 Page 49 technologie i n t e l l i g e n c e s ● Cachez ce char que je ne saurais voir CAMOUFLAGE Les techniques ◼ de dissimulation, de détection ou de mystification, qui ne cessent d’évoluer, transforment progressivement l’art de la guerre. THE ECONOMIST (extraits) L Londres e high-tech s’est emparé de l’art du camouflage. Même les motifs colorés des treillis de combat sont concernés ! Les concepteurs de camouflage travaillent désormais avec des logiciels qui intègrent les composantes neurophysiologiques de la vision humaine. Ces logiciels analysent une masse de photographies d’un théâtre d’opérations donné, traitent les données météorologiques et leur influence sur la luminosité et les conditions de visibilité habituelles, combinent tout cela avec des informations sur les couleurs et les formes prédominantes dans les villes, les champs et les espaces naturels, et proposent au final de meilleurs motifs de camouf l a g e . C e r t a i n s concepteurs, comme ceux de l’America’s Army Research Laboratory, ajoutent à tout cela des informations sur les propriétés de réflexion et d’absorption lumineuse de matériaux courants, par exemple le sable, le ciment et le feuillage. Outre les motifs de camouflage, ces informations servent à fabriquer des teintures possédant les propriétés optiques souhaitées. Il existe des logiciels similaires qui optimisent les couleurs et les motifs pour les véhicules et les avions. Ces possibilités d’adapter le camouflage à un théâtre d’opérations particulier augmentent le recours au camouflage temporaire, que l’on peint sur le matériel avant la mission pour le laver au retour. Pendant des décennies, le motif du treillis de base a été composé de bandes tortueuses de couleurs unies alternées, offrant un effet semblable aux rayures d’un tigre. Des études récentes ont remis en question ce procédé. Grâce à des appareils qui suivent les mouvements de l’iris pour déterminer la direction du regard, des chercheurs ont constaté que les tissus imprimés de petits carrés colorés, ce qu’on appelle des pixels, étaient plus difficiles à voir. On retrouve aujourd’hui ces tenues à carrés dans plusieurs armées occidentales, entre autres celles des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Canada, de la France et de l’Allemagne. Le Canada a tellement amélioré son camouflage depuis quelques années que la distance de repérage de ses soldats est aujourd’hui supérieure de 40 % à celle de l’an 2000. Les chercheurs planchent également sur le camouflage “actif”, qui se modifie rapidement en fonction de son environnement. TNO, une entreprise néerlandaise de Soesterberg qui travaille pour l’armée, a mis au point une mince feuille de plastique semblable à du tissu et contenant des diodes électroluminescentes (LED). Une petite ▶ Dessin d’Ares paru dans Juventud Rebelde, La Havane. ■ Astuce serbe Au printemps 1999, les avions de l’OTAN ont effectué plus de 38 000 sorties au-dessus de la Serbie, sans pour autant parvenir à détruire beaucoup de matériel militaire. Ils s’en sont surtout pris à des chars et à de l’artillerie factices, faits de bois et de toile une grande partie des engins militaires serbes avaient été mis à l’abri sous du feuillage, ce qui perturbe les radars standards. Depuis, les ingénieurs de Lockheed Martin ont conçu un radar appelé FOPEN, Foliage penetration (pénétration du couvert végétal). Ce système est, en théorie, opérationnel depuis 2005, mais nécessite encore une mise au point et n’est pour le moment installé que sur un avion américain en service actif. caméra balaie les environs, et les couleurs et motifs affichés sur la feuille changent en fonction de ces images. Ce matériau n’est pas encore suffisamment flexible pour que les soldats s’y sentent à l’aise mais il est déjà testé en Afghanistan par Saab Barracuda, un fabricant suédois de matériel de camouflage. Un char à l’arrêt devant une pente herbeuse montre par exemple l’image de l’herbe sur son côté exposé. MASQUER LA CHALEUR ÉMISE PAR LE CORPS D’UN SOLDAT Autre forme de camouflage actif, des plaques de plastique autocollantes flexibles qui sont en fait des sortes d’écrans d’ordinateur grossiers. Les couleurs et les formes de l’environnement sont captées par une petite caméra alimentée à l’énergie solaire et reproduites sur l’écran. L’armée de terre américaine compte utiliser cette méthode pour son artillerie et ses conteneurs de munitions. Selon Daniel Watts, qui dirige le projet au New Jersey Institute of Technology (NJIT), le système fonctionne bien mais est encore trop cher pour être utilisé sur le champ de bataille. Dissimuler les choses sur le terrain, ce n’est pas seulement les cacher à la vue. Les chercheurs étudient également le moyen de réduire les signatures thermiques. Les systèmes de vision infrarouge/thermique peuvent en effet détecter à grande distance la chaleur émise par le corps d’un soldat, par exemple. Et ces systèmes sont devenus si bon marché que les talibans en sont largement équipés – ce qui n’était pas le cas il y a quelques années, relève Hans Kariis, de l’Agence suédoise de recherche en matière de défense, un organisme gouvernemental de Stockholm. Les tissus destinés à masquer la signature thermique d’un être humain se sont cependant rapidement améliorés. L’un des moyens est de recouvrir le matériau utilisé de cénosphères – de minuscules sphères creuses d’aluminium et de silice. En ce qui concerne la peau, Ceno Technologies, une entreprise de Buffalo, dans l’Etat de New York, a mis au point une peinture aux cénosphères qui ne bloque pas la transpiration et serait applicable sur le visage et les mains. Le ministère de la Défense britannique est en train de la tester. Les chercheurs du NJIT ont pour leur part conçu des autocollants isolants qu’on applique sur des objets brûlants – canons d’artillerie inclus – pour en masquer la signature thermique. Car s’il est impossible de dissimuler entièrement une signature thermique, on peut l’altérer. Il est ainsi possible d’isoler partiellement des chars, de façon à ce qu’un observateur doté d’un appareil de vision nocturne croie percevoir la signature d’une voiture. Puisque les hommes, les armes et les véhicules deviennent plus difficiles à repérer, il faut aussi travailler à de nouvelles méthodes de détection. Exemple type : les avions furtifs, qui sont conçus pour échapper aux radars et existent depuis les années 1970. Les radars fonctionnent en envoyant des ondes électromagnétiques sur la cible et en captant les ondes réfléchies par cette même cible ; en absorbant les ondes ou en les renvoyant dans une direction différente, on peut donc réduire considérablement l’écho radar d’un avion. LES TÉLÉPHONES PORTABLES SUPPLÉENT LES RADARS Une demi-douzaine de pays construisent aujourd’hui des avions furtifs – à grands frais. Il existe pourtant un nouveau type de radar capable de détecter ces appareils. Il repose sur la prolifération des signaux des téléphones mobiles. Quand un appareil survole un environnement rempli de ces signaux, on distingue son “ombre au milieu de ce tintamarre”, explique John Pendry, un spécialiste des radars de l’Imperial College de Londres. Mike Burns, le président de MSE, une petite entreprise de Billerica, dans le Massachusetts, qui travaille pour l’armée, confie qu’on a pu effectivement détecter des bombardiers furtifs sur un fond de rayonnement de téléphones mobiles grâce aux “trous” qui apparaissent au milieu du tapis de signaux. Cette technique ne peut être utilisée que dans les zones peuplées, où il y a beaucoup de téléphones mobiles, mais elle possède un avantage par rapport au radar standard : outre qu’elle permet de repérer des appareils qui étaient auparavant invisibles, elle est “passive”, car elle fait appel au rayonnement ambiant pour repérer la cible, si bien que celle-ci ne peut savoir qu’elle est observée (alors que c’est possible avec le radar traditionnel). En bref, c’est le système de détection qui est devenu invisible plutôt que l’appareil. C’est là le dernier exemple de la course aux armements entre dissimulation et détection. ◼ 959p50-51:Mise en page 1 17/03/09 10:27 Page 50 multimédia i n t e l l i g e n c e s ● Twitter, le petit site qui monte, qui monte USAGE Mariant le principe du blog personnes qui ont voté pour lui dans l’Idaho.) A côté des quelque 150 millions d’utilisateurs de Facebook, ce n’est rien. Mais le concept est différent. Comme l’indique Evan Williams, Twitter “place la barre moins haut”. Il s’inscrit dans la suite logique du blog. Créer et alimenter un blog ordinaire prend du temps, mais il est beaucoup plus facile de taper 140 caractères et d’envoyer le tout dans l’espace infini d’Internet. C’est l’information dans sa plus simple expression. “C’est un nouveau pas vers la démocratisation de l’information, estime Evan Williams. J’en suis réellement venu à penser qu’en facilitant les échanges d’informations on provoquait des expériences positives.” Il en sait quelque chose. Il en est à sa deuxième existence passée à réinventer l’univers de l’édition. Dans une vie antérieure, il a créé la plate-forme Blogger – qui a donné le terme blogueur. Il est un peu déconcerté par la fixation des médias, persuadés que Twitter sera la prochaine grande invention. S’il s’est embarqué dans cette aventure, c’est pour le plaisir. ■ avec celui de Facebook, le site de microblogging a le vent en poupe. Son avenir s’annonce radieux. NEW YORK MAGAZINE (extraits) B New York iz Stone parle de Twitter comme d’une nouvelle forme potentielle de communication humaine, comme “la chorégraphie d’une volée d’oiseaux dans le ciel”. Il s’agit là d’une déclaration extrêmement ambitieuse, surtout parce qu’elle ne semble pas du tout décrire ce que fait Twitter. Si vous êtes la dernière personne sur terre à ne pas connaître le site de microblogging, voici en bref comment il fonctionne. Twitter permet de poster des billets de moins de 140 caractères sur Internet. Vous pouvez “suivre” d’autres utilisateurs (de manière groupée ou individuelle) et ils peuvent eux aussi vous “suivre”. Le fonctionnement rappelle le principe des statuts sur Facebook, à la différence près que ceux sur Twitter sont accessibles à tous. L’ordre n’a pas vraiment d’importance sur les pages individuelles de Twitter. La plupart ressemblent en réalité à de mauvais blogs. Fo n d é p a r B i z S t o n e , E va n Williams et Jack Dorsey, Twitter compte environ 6 millions d’utilisateurs, ce qui, à bien y penser, n’est pas énorme. (Barack Obama est l’utilisateur qui a le plus de “suiveurs” – 273 500, soit environ le nombre de CONCURRENCE ▶ Dessin de Thomas Schats paru dans NRC Handelsblatt, Rotterdam. Pour un service qui compte relativement peu d’utilisateurs, Twitter a été le théâtre de nombreux événements, et ce en très peu de temps. Depuis ses débuts auprès du public, en 2007, comme le meilleur moyen de chercher les fêtes intéressantes de South by Southwest, le site de microblogging a expérimenté le piratage des comptes de Barack Obama et de Britney Spears, le malaise postélectoral de certains républicains qui se Google n’a qu’à bien se tenir e moteur de recherche Google jouit d’une telle suprématie qu’il est difficile d’imaginer que l’entreprise californienne tombe de son piédestal. Et pourtant, à en croire les précédents historiques, ces suprématies ne durent pas. Ainsi, IBM a cédé la place à Microsoft, qui a fini par être détrôné par Google. Que ce soit une mutation technologique ou un rival plus inventif et plus réactif, il y a toujours un élément pour venir inverser le cours des choses et, bien souvent, c’est au moment où l’on s’y attend le moins. Dans ce cas, si improbable que cela puisse paraître, la surprise pourrait venir de Twitter. Et ce scénario fait d’ailleurs actuellement l’objet de discussions animées sur la Toile. Je vous l’accorde, il paraît absurde d’imaginer que ce service de microblogging qui, tout le monde le sait, ne fait pas de chiffre d’affaires pourrait empêcher de dormir même une minute le plus petit des ingénieurs chez Google. Et les gros titres tels que “Twitter va-t-il tuer Google ?” sont typiques des outrances de la blogosphère. Même après une levé de 35 millions de dollars en capital-risque en début de mois, on ignore toujours quel sera le modèle économique de Twitter. Cependant, le fait même qu’il soit sérieusement envisagé L UN BON MOYEN POUR ÊTRE AU CŒUR DE L’ACTUALITÉ que ce site puisse perturber le marché des moteurs de recherche montre bien avec quelle rapidité le sol peut se dérober sous les pieds d’un géant comme Google. Sans faire de bruit, la faculté de Twitter à autoriser les requêtes en temps réel est devenue l’une de ses plus puissantes applications. D’ailleurs, le slogan posté sur la page de recherche de Twitter se trouve être “Découvrez tout de suite ce qui se passe”. Et c’est exactement ce que font un grand nombre de personnes. Lorsqu’un événement a lieu et en cas d’actualité brûlante, de plus en plus de gens se tournent vers le moteur de recherche Twitter pour suivre les conversations de ses utilisateurs. Cette tendance va-t-elle se confirmer ? On l’ignore, car Twitter est une entreprise privée et ne publie pas ce genre de données. Mais ce n’est pas un hasard si l’entreprise a fait l’acquisition d’une petite start-up new-yorkaise appelée Summize, composée de cinq ingénieurs et qui avait mis en place la technologie de recherche de Twitter. Le site de Summize a été intégré à Twitter en 2008. J’ai utilisé Summize et j’utilise à présent le moteur de recherche Twitter pratiquement tous les jours depuis un an. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’étais devenu dépendant et il n’y a que récemment, au hasard de conversations, que j’ai réalisé à quel point l’utilisation de Twitter Search avait pris de l’importance pour moi – et aussi pour Twitter. Par exemple, le moteur de recherche pourrait être une solution à l’absence de modèle économique de Twitter. En public, son fondateur, Evan Williams, a laissé entendre que l’entreprise cherchait à exploiter le filon que constituent les requêtes afin de pouvoir monnayer ses services auprès d’autres entreprises. Il est vrai que Google a montré l’exemple avec la publicité. Le moteur de recherche de Twitter va donc peut-être lui permettre de produire un nouveau type de publicité, plus immédiat et plus réactif, en rapport avec les produits dont les gens pourraient avoir besoin tout de suite. Nous verrons bien. L’émergence d’une requête en temps réel en dit long sur notre société, de plus en plus connectée et chaque jour plus hyperactive. Dans cette perspective, Google apparaît soudainement vieux et laborieux. Ses résultats de requête peuvent remonter à plusieurs minutes, plusieurs heures ou même plusieurs jours. Quel ennui ! Quand de tels colosses s’effondrent, c’est généralement COURRIER INTERNATIONAL N° 959 50 DU 19 AU 25 MARS 2009 parce qu’ils n’ont pas su anticiper la menace et effectuer les ajustements nécessaires avant qu’il ne soit trop tard. Il sera donc intéressant de voir comment Google va réagir – s’il réagit. Théoriquement, le moteur de recherche a créé une culture qui lui permet de rester flexible et créatif. Mais ses derniers produits manquaient de panache. Bien entendu, il reste toujours l’éventualité que Google finisse par prendre Twitter de vitesse. Mais c’est plus difficile à faire qu’à dire. Twitter compte environ 6 millions d’utilisateurs et il est en pleine expansion. Il risque de s’avérer compliqué de persuader quelqu’un de changer de service de microblogging et tout aussi compliqué de persuader les internautes de faire leurs requêtes sur Twitter via Google quand ils peuvent le faire sur Twitter directement. Google pourrait être tenté de casser sa tirelire et de s’offrir Twitter avec un projet de rachat capable de ridiculiser les 500 millions de dollars offerts par Facebook. Quoi qu’il en soit, le succès de Twitter nous rappelle que personne dans la Silicon Valley n’est immortel. Et c’est d’ailleurs ce qui fait tout son charme. Chris O’Brien, San Jose Mercury News, Etats-Unis 959p50-51:Mise en page 1 17/03/09 vantaient d’avoir le plus de “suiveurs” et les attentats de Bombay de novembre 2008, au cours desquels des utilisateurs enfermés dans l’hôtel Oberoi ont transmis des témoignages sur le chaos qui régnait. “Twitter ne représente pas le triomphe de la technologie, affirme Biz Stone, mais plutôt celui de l’esprit humain.” Ni Williams ni Stone ne souhaitent aborder en détail la question du financement de Twitter. Ils rappellent d’abord – l’air songeur, sur la défensive – que l’entreprise est encore jeune. Ils font remarquer que leur priorité pour le moment est de s’assurer que leur produit est exempt de défauts. Ils rappellent également qu’en 1998 personne n’a demandé aux dirigeants de Google comment ils comptaient faire des profits. Ils finissent enfin par maugréer que ce n’est pas parce que tout le monde est affolé par l’argent ces temps-ci qu’ils doivent l’être eux aussi. Bien entendu, rien ne garantit que Twitter deviendra à la communication instantanée ce que Google est au moteur de recherche. Rien n’indique que ce type de communication instantanée sera à l’avenir partie intégrante de nos vies comme l’est devenue la recherche sur Internet. Pour ses fidèles utilisateurs, Twitter est déjà un outil inestimable qu’ils utilisent quotidiennement, et ils ne veulent pas qu’on vienne y semer la pagaille. Mais ils ne sont pas assez nombreux pour l’instant. Twitter perdra-t-il de son attrait en devenant un élément à part entière de la vie des masses ? N’importe quel politicien sait qu’il ne faut pas s’aliéner sa base électorale. Combien de personnes forment celle de Twitter ? Assez pour soutenir les espoirs d’une entreprise et de toute une industrie ? Serait-on réellement en voie de devenir une nation d’individus qui partagent l’information qu’ils détiennent à la minute où ils l’obtiennent ? Possible. Les dirigeants de Twitter n’ont pas d’autre choix que d’y croire. Et ils pourraient bien avoir raison. J’ai passé ma première journée dans les bureaux de Twitter à jouer sur ma page personnelle en prenant des notes, assis dans un coin. A l’heure du déjeuner, les dirigeants recevaient des programmeurs dans la salle de réunion pour discuter d’une histoire de code source ouvert – un charabia auquel je n’ai rien compris. Ils étaient complètement absorbés par leur réunion tandis que je travaillais sur mon ordinateur. C’est alors que j’ai remarqué quelque chose sur Twitter Search [le moteur de recherche de Twitter]. Le premier utilisateur à intervenir fut “manolantern”, qui, à 12 h 33 (heure locale), a écrit : “Je viens tout juste de voir un avion s’abîmer dans la rivière Hudson, à Manhattan.” Les billets se sont ensuite multipliés. Environ quinze minutes avant que The NewYork Times ne publie l’histoire sur son site Internet (et près de quinze heures avant qu’elle ne soit publiée sur papier), des utilisateurs de Twitter témoins du crash du vol n° 1549 de US Airways fournissaient des informations en temps réel. L’un d’eux, un homme du nom de Janis Krums, originaire de Sarasota, en Floride, se trouvait par hasard sur un ferry naviguant sur 10:27 Page 51 l’Hudson au moment du crash. Il a immédiatement pris une photo de l’accident, l’a mise en ligne sur TwitPic [le service photo de Twitter] et a envoyé un lien vers la photo dans un “billet” expliquant : “Un avion s’est abîmé dans l’Hudson. Je suis sur un ferry qui va secourir les passagers. C’est fou.” Pensez-y un instant. Au milieu du chaos – un avion vient tout juste de faire un atterrissage d’urgence devant lui –, la première réaction de Krums est de prendre une photo et de la mettre en ligne. Son geste n’était pas motivé par l’attrait du gain. Un événement extraordinaire s’était produit et, sans y réfléchir, il en a averti le monde entier. Imaginons qu’il ne l’ait pas fait. Imaginons qu’il ait pris cette incroyable photo – une photo que n’importe quel journaliste aurait envoyée au comité Pulitzer – et décidé de la vendre au plus offrant. Il aurait été vilipendé par les blogueurs et les utilisateurs de Twitter. Mais il ne l’a pas fait parce qu’il vit dans une culture de partage de l’information – celle sur laquelle compte Twitter. UNE TECHNOLOGIE VRAIMENT EN PHASE AVEC SON TEMPS Bien entendu, personne dans les bureaux de Twitter ne s’est rendu compte de ce qui se passait. C’est là un autre aspect de la “nouvelle communication”. Il n’y a pas eu de cris, personne ne s’est précipité en courant à travers une salle de presse ou n’a envoyé de reporter sur les lieux pour couvrir l’événement. Pendant une heure, les responsables et les programmateurs ont continué de discuter de cette histoire de code source ouvert. Personne dans la salle ne savait qu’un avion venait de s’écraser. Le lendemain, Biz Stone m’a confié que le site Internet n’avait même pas connu de pic de fréquentation. “Cela n’arrive qu’en certaines occasions, quand les gens sont très nombreux à partager une expérience, comme lors de l’investiture d’Obama ou au moment des attentats de Bombay.” Twitter venait de déclencher quelque chose et, comme le système fonctionne par lui-même, même ses dirigeants n’en savaient rien… C’est peut-être ce que l’avenir réserve au site de microblogging. Ou peut-être pas. Cela dépend si vous êtes prêts à attendre quelque chose qui ne viendra peut-être jamais. Cela dépend si vous voulez y croire ou non. Sur son blog personnel, Janis Krums avait, cinq jours avant le crash, écrit que l’un de ses objectifs pour 2009 était de “dépasser les 1 000 ‘suiveurs’ sur Twitter”, ajoutant : “Cet objectif a uniquement pour but de me prouver que j’en suis capable.Y parvenir m’aiderait à avoir plus confiance en moi.” Inutile de préciser qu’après ces événements il a atteint son objectif. Il a dépassé le seuil des 4 000 lecteurs. Il a toutefois perdu l’un d’entre eux une semaine après le crash : moimême. Je ne connais pas Janis Krums et je n’ai pas besoin de savoir qu’il veut perdre du poids ou ce qu’il a pensé du dernier épisode de The Office. Sa page devenait plutôt ennuyeuse. Je le remercie quand même pour la photo – et de n’avoir pas demandé d’argent en échange. Will Leitch COURRIER INTERNATIONAL N° 959 51 DU 19 AU 25 MARS 2009 pub HS J&A CI:Mise en page 1 3/02/09 11:17 Page 31 Enquête sur 80 ans de tragédie www.courrierinternational.com Février-mars-avril 2009 - 7,50 € HORS SÉRIE JUIFS & ARABES Les haines, les conflits, les espoirs CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX 959 p53:Mise en page 1 17/03/09 18:50 Page 53 insolites ● Le voleur de bicyclette Voler des vélos ? Une saine occupation pour meubler sa retraite. Un ancien assureur suisse a dérobé 873 bicyclettes dans la région de Bâle. Il revendait les cycles à des particuliers, écrit l’agence ATS. Condamné à deux ans de prison avec sursis, le septuagénaire doit payer PCL/Alamy 66 000 francs suisses d’impôts sur ses revenus illégaux. Un chimpanzé doué d’anticipation L DR e comportement fort peu civil d’un chimpanzé qui jetait des pierres sur les visiteurs met à mal les théories scientifiques sur la spécificité de l’être humain. Ce mâle dominant de 31 ans, pensionnaire du zoo de Furuvik, en Suède, pourrait être le premier animal à faire preuve d’une capacité évidente à anticiper – un trait qui, pour beaucoup de scientifiques, n’est propre qu’à l’homme. Anticiper requiert en effet des compétences cognitives considérables, puisque cela signifie que l’animal doit être capable de se représenter les événements auxquels il sera confronté. Le matin, quand les premiers visiteurs arrivaient devant son enclos, Santino commençait à s’agiter et à leur jeter des pierres. Les gardiens se sont aperçus que le primate stockait des munitions quand le zoo était fermé pour les utiliser plus tard. Cachée dans une pièce surplombant l’enclos, une gardienne a observé, chaque matin avant l’ouverture du zoo, Santino ramassant des pierres dans le fossé entourant son îlot, puis les empilant méthodiquement. Après une surveillance plus approfondie, les gardiens du zoo se sont rendu compte que l’animal passait beaucoup de temps à marteler le sol de son poing. De temps à autre, il frappait plus fort, obtenant ainsi des morceaux de béton qu’il cassait pour obtenir des disques grossiers. Ces piles de munitions, Santino ne les entassait que sur la partie de l’îlot en face de laquelle se tenaient les visiteurs. Selon une étude publiée par Current Biology, les gardiens du zoo ont découvert des centaines de caches de projectiles sur l’île. Ils ont vu l’animal ramasser et empiler des pierres une bonne cinquantaine de fois, et l’ont observé à dix-huit reprises en train de façonner des disques de ciment. Quand le primate devenait trop agité, le personnel prévenait les visiteurs et érigeait une barrière pour contenir les tirs de projectiles. D’après Mathias Osvath, auteur de cette étude, cette capacité complexe de planification suggère que Santino est capable non seulement d’anticiper les événements à venir, mais aussi d’agir en conséquence. Dans ce cas précis, il est clair qu’il essaie de se débarrasser des visiteurs. L’anticipation est censée être une qualité spécifiquement humaine. Elle implique en effet un degré de conscience particulier permettant de visualiser un monde intérieur. “De nombreux singes lancent des objets mais ce qui est nouveau avec Santino, c’est qu’il stocke ses projectiles alors qu’il est parfaitement calme et qu’il ne les lance que plus tard. Nous ne sommes pas seuls à posséder ce monde intérieur. Il existe d’autres créatures dotées de cette conscience spéciale censée être uniquement humaine.” Mathias Osvath a interrogé les gardiens du zoo de Furuvik et a analysé leurs comptes rendus sur le comportement du chimpanzé. Il s’est aperçu que Santino stockait des pierres et fabriquait des munitions en béton uniquement le soir et la nuit, quand le zoo était fermé. Et qu’il cessait de se comporter de la sorte lors de la fermeture hivernale de l’établissement. Dernièrement, les gardiens ont décidé que le meilleur moyen de calmer le chimpanzé était de l’opérer. “Ils l’ont castré, le pauvre. Ils espèrent que son taux d’hormones va baisser et qu’il sera moins tenté de lancer des pierres. Il a déjà pris du poids et il est beaucoup plus joueur qu’auparavant. Etre agité ne lui réussissait pas”, conclut Mathias Osvath. Ian Sample, The Guardian, Londres Miss Atome, une vraie bombe Du rififi chez les gladiateurs D ’ordinaire, les vrais-faux gladiateurs romains se contentent de poser avec leur casque et leur armure de pacotille pour des photos souvenir grassement payées. Cette fois, les touristes ont eu droit à un combat en bonne et due forme. Un figurant a été retrouvé à terre au Colisée, le visage couvert de sang. Il s’était battu avec un collègue pour une question de clients, rapporte La Repubblica. En finir ? Des clous ! Il a enjambé le parapet et s’est jeté dans les chutes du Niagara – pour être secouru par un hélicoptère canadien volant à fleur d’eau. Le pilote a réussi à le ramener vers la rive en créant un courant grâce au souffle des pales de l’appareil. Le désespéré était nu au sortir de l’eau glaciale : il n’est pas rare que les vêtements soient déchirés par la force des courants, indique le New York Daily News. Des passeports biométriques qui sentent le soufre L e diable sème la pagaille en Roumanie. Le Malin s’est invité dans les nouveaux passeports biométriques, qui portent – horreur ! – le nombre 666. Ce triple 6, symbole de la bête dans l’Apocalypse de saint Jean, a semé la panique chez les ultraorthodoxes. Ils accusent l’Etat d’obliger les Roumains à porter en tous lieux la marque de Satan, qu’ils aillent skier en Autriche, travailler en Italie ou étudier aux Etats-Unis. L’émotion est à son comble : les manifestations anti666 se multiplient devant le Sénat et le siège de l’Eglise, et le débat a gagné l’arène politique. Les sénateurs n’excluent pas de retirer le nombre fatidique. “Nous ne pouvons pas ne pas croire aux chiffres”, a décrété le ministre des Finances, Varujan Vosganian. L’Eglise a tenté de calmer les esprits, en affirmant que le 666 figurant sur la puce électronique n’avait “aucune signifi- cation théologique” et que ses dignitaires se feraient faire des passeports biométriques, pour l’exemple. Le patriarcat a toutefois souligné que tout un chacun était libre d’accepter ou non ces nouveaux documents. Du pain bénit pour les terroristes, qui n’auront qu’à invoquer leur foi pour passer librement la frontière, estime Revista 22. D’ici à ce qu’on impute aux forces maléfiques la ruine du système de santé et la dilapidation de l’argent pour les autoroutes (toujours en construction au bout de vingt ans), il n’y a qu’un pas, estime l’hebdomadaire. A dire vrai, note le journaliste Razvan Braielanu, cette affaire n’est pas nouvelle. Les ultraorthodoxes ont déjà mené bataille contre les codes-barres porteurs du chiffre honni. En pure perte. Vaincus, les prophètes de l’Apocalypse ont repris le chemin satanique des supermarchés. Lycéens : grasse matinée de rigueur Fini les ados épuisés qui piquent du nez en The Observer. “Si les adolescents se lèvent classe ! Au lycée de Monkseaton, en Angle- tard, ce n’est pas parce qu’ils sont paresseux, terre, les cours commenceront à 11 heures mais parce qu’ils sont biologiquement pro- – si le proviseur obtient le feu vert du conseil grammés pour ça”, assure-t-il. Arracher les Pour la sixième année d’affilée, d’établissement. L’horloge biologique des ado- lycéens aux bras de Morphée, c’est nuire à N uc lescents diffère de celle des adultes, plaide leur apprentissage, estiment le scientifique Paul Kelley, s’appuyant sur le travail d’un cher- et l’iconoclaste proviseur, dont les élèves ont 25 ans, lauréate du concours de cheur d’Oxford, Russell Foster. Ce professeur obtenu, en janvier, des résultats spectacu- beauté ouvert aux employées du de neurosciences a testé la mémoire de laires à une épreuve de science en interca- secteur nucléaire civil et militaire, 200 élèves, à 9 heures et 14 heures, et lant des phases de travail de 20 minutes et a décroché des vacances tous frais montré que les jeunes étaient plus perfor- des plages de repos de 10 minutes consacrées mants l’après-midi que le matin, rapporte à jouer au basket. lea la Russie consacre sa Miss Atome. Ekaterina Boulgakova, r.R u payés à Cuba, rapporte Nuclear.ru. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 53 DU 19 AU 25 MARS 2009 959 p54:Mise en page 1 17/03/09 18:30 Page 54 l e l i v re épices et saveurs ● DANS LA VEINE DE HUXLEY ET D’ORWELL La santé sanctifiée Dans un roman d’anticipation au cordeau, Juli Zeh s’inquiète des dérives d’une société qui soigne les corps à l’excès – au risque de martyriser les âmes. IRAN Agneau de ■ Norouz mis au vert L es fêtes du nouvel an, célébré le 20 mars, sont l’occasion de faire bombance pendant deux semaines. Dans l’attente de Norouz, les Iraniens nettoient leur maison de fond en comble et préparent leurs plus beaux habits. Le jour J, chaque famille se rassemble autour de la table où doivent prendre place les haft sin, les “sept s”. A savoir sept denrées et objets dont le nom commence par la lettre s : des pommes (sib), des germes verts de blé, d’orge ou de lentilles (sabze), du vinaigre (serke) ou une épice (sumac), de la pâte de germes de blé (samanu), des fruits secs (senjed), des pièces de monnaie (sekke) et de l’ail (sir). Des fleurs et des œufs peints, symboles de fertilité, sont également sur la table. Disposés en face de bougies, des miroirs évoquent le feu tandis que des poissons rouges symbolisent la vie et la prospérité. Reste à savourer des plats aux herbes, le ghormeh sabzi étant le plus apprécié. DER SPIEGEL T ant que l’on n’en meurt pas, les maladies donnent “du piment à la vie”, écrivait Robert Musil. C’est sur cette même idée que repose le dernier roman de Juli Zeh, auteure allemande réputée pour son esprit, son sens de l’épure et sa discipline. Etrangement, elle voue un véritable culte à l’homme de lettres Musil, incorrigiblement fasciné par les mouvements de l’âme et connu pour son caractère tortueux et incertain. Intitulé Corpus Delicti*, le dernier livre de Juli Zeh se déroule aux alentours de 2050, sous une dictature hygiéniste d’où ont pratiquement disparu toutes les formes de rhume et de cancer. Un système de surveillance sophistiqué, mis en place par l’Etat, veille à ce que chaque citoyen ait une alimentation saine, pratique une activité physique et évite toute forme de contamination, par exemple en faisant inutilement la bise à ses proches pour les saluer. La reproduction n’est autorisée qu’entre partenaires sélectionnés et assurée par des techniques cliniques limitant tout risque immunologique. Les contrevenants s’exposent à de lourdes peines : une simple cigarette peut vous valoir deux ans de prison avec sursis. “Nous avons mis au point une méthode permettant à chacun de mener l’existence la mieux réglée et la plus longue possible, c’est-à-dire de vivre heureux et en bonne santé, sans peine ni douleur”, explique l’un des personnages principaux. Le roman n’est pas sans rappeler les visions d’Aldous Huxley, de Karin Boye, de Ray Bradbury ou de George Orwell. L’auteure, dont on avait pu admirer le style direct et incisif dans L’Aigle et l’Ange [Belfond, 2004] ou L’Ultime Question [Actes Sud, 2008], a toutefois le bon sens de ne pas trop s’attarder sur la description de ce système de contrôle étatique, esquissant plutôt une sorte d’enquête policière : avec brio, elle parvient à confronter le lecteur à l’ambivalence philosophique de cette société quasi idéale dépourvue de tout sens métaphysique. Toute la vie s’organise autour du bienêtre physique sans manifester le moindre égard pour l’âme. “Le corps est notre église et notre temple, notre idole et notre martyr, telle est la sainte parole qui nous soumet.” Juli Zeh, 34 ans, observe ses personnages depuis des hauteurs olympiennes. Elle les accompagne parfois en s’incluant dans un “nous” omniscient et projette sur le devant de la scène une certaine Mia Holl, biologiste âgée d’une trentaine d’années.“Mia n’a jamais soigné ni aimé son propre corps.” C’est là tout son crime. Après l’emprisonnement de son Maurice Weiss/Ostkreuz Hambourg Jenny Linford, Financial Times (extraits), Londres ■ Biographie Née à Bonn en 1974, Juli Zeh est l’une des figures de proue de la jeune littérature allemande. Diplômée en droit et en littérature, elle a onze livres à son actif. Son premier roman, L’Aigle et l’Ange (Belfond, 2004), a été traduit en 29 langues. Cette fille d’un haut fonctionnaire et d’une traductrice s’est fait connaître en France avec La Fille sans qualités (Actes Sud, 2007), inspiré de la fusillade qui avait fait 16 morts dans un lycée d’Erfurt en 2002. frère, la docile Mia décide d’entrer en résistance contre le système et commence à se révolter “avec un mélange de peur et de joie sauvage”. Soupçonné de meurtre, le frère a été condamné à cause d’une trace d’ADN alors qu’il était innocent. C’est alors dans un huis clos que l’auteure nous propose de résoudre cette énigme. Juriste de formation, Juli Zeh avait d’abord écrit son Corpus Delicti comme une pièce de théâtre. Présentée au festival Ruhr-Triennale en septembre 2007, l’œuvre avait reçu des critiques élogieuses – malgré certains commentaires acerbes qui lui reprochaient un “pathos à la Schiller”. De fait, le texte se prête mieux au roman qu’au théâtre. C’est dans le va-et-vient philosophique que se révèle toute la maîtrise de l’auteure, qui témoigne d’une fureur discursive digne d’un Bernhard Schlink ou d’un Friedrich Dürrenmatt. A l’instar de ces écrivains, Juli Zeh s’élance dans des pirouettes lyriques qui la font parfois déraper. Par exemple lorsqu’elle esquisse un objet d’affection – qu’elle nomme “l’aimée idéale” –, issu à part égale du monde des robots et de l’imagination, avec lequel l’héroïne s’entretient allègrement. Ou lorsqu’elle écrit que Mia se sent “dans sa peau comme dans les mailles d’un filet”. Ce roman est avant tout une brillante critique de l’ordre hygiéniste, où les héros débattent de l’optimisation génétique du corps, de la promesse d’une sécurité mondiale ou du “droit à être malade”. Au terme d’un procès-spectacle au cours duquel elle est fêtée en martyre tout en étant accusée de terrorisme, Mia Holl est condamnée, non pas au bûcher comme les sorcières du Moyen Age, mais à être congelée pour une durée indéterminée. Le Moyen Age n’est pas une période historique mais “le véritable nom de la nature humaine”, déclare la jeune criminelle. Le mot que lui a laissé son frère décédé prend alors tout son sens : “La vie est une offre que l’on peut refuser.” Wolfgang Hobel * Ed. Schöffling & Co., Francfort, 2009. La traduction française paraîtra chez Actes Sud courant 2010. COURRIER INTERNATIONAL N° 959 54 DU 19 AU 25 MARS 2009 Ragoût d’agneau aux herbes Ingrédients (pour 6 personnes) 750 g d’épaule d’agneau, 1 gros oignon émincé, ½ verre d’huile de tournesol ou de colza, 1 cuill. à soupe de curcuma, 1 grand verre d’eau, 5 limou amani (citrons verts séchés, disponibles dans les épiceries iraniennes), 250 g de petits haricots rouges, 1 grand verre de sabzi, mélange d’herbes à base de persil, de verts de poireau, de fenugrec, d’épinards et de coriandre séchés, sinon 250 g de persil, 200 g de fenugrec, 200 g d’épinards et 200 g de coriandre finement hachés. Préparation du ragoût Découper l’épaule d’agneau en petits morceaux. Faire blondir l’oignon à l’huile dans un faitout, ajouter la viande et laisser dorer. Ajouter sel, poivre, curcuma et 3 verres d’eau. Laisser cuire à feu doux pendant 1 h. Faire revenir les herbes dans de l’huile, jusqu’à ce qu’elles prennent une couleur vert foncé, les ajouter à la viande. Laisser cuire à feu doux 30 min de plus. Tailler une petite encoche dans les limou amani. Les ajouter à la préparation et faire cuire 30 min. Ajouter les haricots rouges, laisser cuire entre 5 et 10 min. Le ragoût doit avoir une couleur verte et dégager une forte odeur d’herbes et de citron. Servir avec du riz cuit à l’iranienne. Préparation du riz Laver du riz basmati à trois reprises pour être sûr qu’il ne colle pas. Laisser tremper le riz dans de l’eau froide salée pendant 2 h. Le verser dans une nouvelle eau froide salée et mener la cuisson à feu vif pendant 10 min, sans couvrir. Egoutter. Verser de l’huile au fond d’une casserole, puis remettre le riz à chauffer à feu très doux pendant 20 à 30 min sans couvrir. Ajouter du safran dissous dans une tasse d’eau bouillante. Une cuisson longue permet d’obtenir un tadigh, une couche de riz croustillant au fond de la casserole. (D’après IranMania, Londres) Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ Publicite 20/03/07 16:05 Page 56 PUBLICITÉ
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