methodes pour une gestion integree du risque inondation
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methodes pour une gestion integree du risque inondation
MINISTERE DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE L’ENVIRONNEMENT PROGRAMME RISQUE INONDATION METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION A PARTIR DE L’ANALYSE DU BASSIN VERSANT DE LA CANCHE Sous la direction de Richard LAGANIER Octobre 2001 2 3 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION potamologie à l’hydrologie sociale I. Synthèse des travaux 4 5 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 1. Contexte et objectifs de la recherche 1.1. Un projet d’intégration de l’aléa inondation dans la société… La recherche interdisciplinaire, appliquée au bassin versant de la Canche (Pas-de-Calais), s’inscrit dans une perspective de gestion intégrée visant à mieux articuler les enjeux de développement territorial et l’aléa inondation. Dans cette perspective, le risque inondation ne peut faire l’impasse d’une réflexion sur le développement territorial, les contraintes hydrologiques apparaissant nettement comme un problème de distribution spatiale et temporelle des activités humaines. Les contraintes ne se posent pas en effet avec la même acuité dans les différents territoires, et pour un même espace dans le temps en fonction des évolutions des systèmes socio-économiques et techniques et des projets de société. L'inondation est donc située dans un système dynamique dans lequel nous cherchons à définir, caractériser et évaluer les interactions entre l'aléa "naturel" et la société. Le risque inondation, appréhendé ici comme un concept d’interface entre nature et société, renvoie donc autant à la réalité physique, à la nature de l’aléa qu'à la société par sa vulnérabilité et ses réponses multiples, évolutives dans le temps. Aussi, il ne s’agit pas de définir l'inondation comme objet indépendant de la société mais de l'envisager comme une contrainte qui s’inscrit dans l’Histoire, dans un territoire et le devenir de notre société. L'approche développée dans le cadre de cette recherche est centrée sur 2 questions principales : dans quelle mesure et comment les activités humaines influent-elles sur le risque inondation de la zone d'étude ? dans quelle mesure et comment l'aléa inondation influe-t-il à son tour sur les activités humaines, et notamment sur les possibilités de développement territorial et d'organisation spatiale du développement ? 1.2. …inscrit dans un territoire L'enjeu, en effet, est bien un enjeu de développement, voire même de re-développement d'un territoire dont la mutation est encore largement inachevée (le bassin versant de la Canche a été touché, dès l'aprèsguerre par une profonde restructuration de son activité agricole et aujourd'hui, des tentatives de renouvellement de l'agriculture se dessinent ; l'urbanisation, même réduite dans le secteur d'étude, a connu et connaît encore une dynamique spatiale mal contrôlée que l'on tente désormais de réguler par de nouveaux modes d'actions publiques). Au-delà des particularités locales, force est de constater que des freins à une intégration du risque inondation dans le re-développement des territoires se font jour. Les obstacles sont de divers ordres : économiques, socioculturels, politiques,… Nos travaux tentent de mieux les préciser et d'en apprécier les incidences. Notre démarche prend également appui sur un niveau infraterritorial (régional et local) dans la mesure où ces espaces peuvent être considérés comme le lieu privilégié d’expériences de développement et d'aménagement cherchant à intégrer les contraintes hydrologiques. Ces politiques sont de diverses natures : normative (POS, PPR), organisationnelle (SDAGE, SAGE) et contractuelle (CTE, CRE, MAE). Elles font appel à de nouveaux principes de gestion (concertation, participation, responsabilité, solidarité, citoyenneté, subsidiarité) et de nouveaux acteurs (représentants de la société civile). Si la nature du risque est universelle, la diversité des réponses sociétales à l'aléa inondation et la prescription de politiques préventives sont donc tributaires des perceptions, des processus politiques et des enjeux locaux. En conséquence, l'intégration de l'aléa inondation dans le développement des territoires est complexe en raison de l’emboîtement des échelles spatiales, de l’organisation et de la perception des acteurs de la société dans la définition même de la nature du risque et qui plus est dans la définition des stratégies. 6 L'analyse de cas à l'échelle locale permet donc une lecture précise des dysfonctionnements ou des blocages dans la mise en œuvre de cette intégration. Elle permet aussi de tester, en partenariat avec les acteurs investis dans la gestion du risque, les méthodes développées dans le cadre de cette recherche. 1.3. …nécessitant des méthodes territoire/inondation d'analyse du lien L'ambition du projet est de développer des méthodes permettant d'analyser le lien territoire/inondation. Ces recherches articulent plusieurs contributions portant plus particulièrement sur l'évaluation de 3 aspects de l’intégration pluridimensionnelle du couple territoire/inondation : - l’intégration du couple territoire/inondation dans un processus technique de prise en compte du risque dans les stratégies d’aménagement (Axe 1) - l’intégration du couple territoire/inondation dans un processus d’action publique (Axe 2) - l’intégration du couple territoire/inondation dans un processus économique qui s’appuie sur une évaluation monétaire des dommages effectifs et potentiels des épisodes d’inondation (Axe 3) Figure 1 : Modèle général des relations inondation/territoire 7 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION L'ensemble des contributions s'inscrit par ailleurs dans le cadre d’une logique de régulation ancrée dans le territoire local. Cette logique est basée essentiellement sur une régulation politique construite entre les usagers, les élus et l'Etat (c'est la voie qui est préconisée dans la politique organisationnelle des SAGE ou dans la politique plus normative des PPR) et sur une régulation par contrats passés entre la puissance publique et l'entreprise privée pour un meilleur partage des responsabilités (contrats MAE, contrats territoriaux d'exploitations, contrats ruraux pour l'eau). Un certain nombre de caractéristiques inhérentes au risque inondation et à sa gestion justifie en effet un tel positionnement. En premier lieu, le poids de l'Histoire (Axe 1). J.J. DUBOIS, R. LAGANIER, P. PICOUET, P.G. SALVADOR et A. STEVENOOT montrent en quoi le risque inondation est à rattacher, pour une large part, à l'histoire socio-économique de la zone, et tout particulièrement à l'évolution des modalités d'usage la zone inondable, qui s'est traduite par une augmentation de la vulnérabilité. Si l'autre composante du risque (l'aléa) est déterminée en grande partie par le fonctionnement hydroclimatique de la zone, E. COMONT, C. DELFOSSE, G. JACQUESSON et R. LAGANIER cherchent à préciser aussi en quoi l'évolution des activités humaines peuvent dans une certaine mesure contribuer à modifier l'aléa (l'analyse du secteur agricole rentre dans ce cadre) et comment elle peut éventuellement en réduire les effets. Ces deux lectures nous montrent que le risque inondation n'existe pas hors du temps. Il a au contraire une histoire. Dans un deuxième temps, l'importance de certaines catégories d'acteurs dans la "régulation" politique du risque inondation. La question de la gestion du risque inondation n'est pas simplement une affaire technique. Elle est porteuse d'une dimension institutionnelle (normative, organisationnelle ou contractuelle). L'approche technique et financière de modernisation de la gestion du risque participe dans cette perspective à la réoganisation du pouvoir local. L'axe 2 privilégie cette lecture du lien inondation/territoire, en se penchant sur les mécanismes socio-politiques et les procédures qui cherchent à apporter une réponse définitive ou provisoire au risque inondation. La question de la recomposition des territoires pour une gestion intégrée du risque inondation et des niveaux territoriaux pertinents de la régulation est ainsi abordée par R. LAGANIER et H.J. SCARWELL), alors que B. VILLABA s'interroge sur le rôle et la représentativité des associations dans les nouvelles scènes locales du risque qui se mettent en place aujourd'hui à travers l'amorce de nouvelles politiques publiques (SAGE, PPR notamment). Le dernier temps de cette analyse "régulationniste" des risques est d'apporter des méthodes d'évaluation économique pour mieux asseoir ces politiques de régulation. Les travaux menés par J. LONGUEPEE et B. ZUINDEAU consistent à mesurer l'impact du risque inondation en terme de dommages (Axe 3) afin d’établir des bilans des dommages survenus au cours d'un épisode hydrologique considéré comme une référence historique sur le bassin, d’évaluer l’efficacité des mesures structurelles existantes, d’établir un bilan de dommages potentiels en fonction de différentes périodes de retour des inondations et par-là d’aider au choix de nouvelles politiques de régulation. Cette recherche sur l'évaluation des relations inondation/territoire contribue à l'acquisition de connaissances et de nouvelles méthodologies permettant d'orienter les politiques publiques de prévention du risque inondation et de protection contre les aléas. Elle précise également les faiblesses de ces méthodologies et les difficultés rencontrées dans leur application sur la zone d'étude. 8 2. Le choix de la zone d’étude Le choix du bassin versant de la Canche, comme zone d’expérimentation, a été orienté par l'existence de plusieurs éléments représentatifs des fonctionnements et dysfonctionnements liés au risque inondation, sur une surface limitée (1358 km²) : • des facteurs d’inondation d’importance variable selon les secteurs (coefficients de marée, nappe de la craie et ruissellement) ; • la persistance particulièrement longue des inondations au cours d’événements récents (plus d’un mois en février 1988 et en 1995) impliquant une très forte sensibilité des individus à la question ; • la présence de zones humides qui prévaut à la Canche son statut de zone humide d’importance nationale et internationale (ZNIEFF, ZICO, Réseau NATURA 2000) ; • la mise en place actuellement de politiques publiques concernant, pour partie ou totalement, le risque inondation (PPR, SAGE, MAE, CRE et CTE). Figure 2 : Localisation de la zone d'étude 9 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 3. Les équipes participantes Huit laboratoires de recherches ont participés à ces travaux : URA 1688 CNRS “ Géographie des milieux anthropisés ” : R. LAGANIER (MdC), M. DACHARRY (Pr), J.J. DUBOIS (Pr), C. KERGOMARD (Pr), P. PICOUET (MdC), PG SALVADOR (MdC), H. SCARWELL (MdC), L. TOPIN (Th) - Université Lille 1 Laboratoire de Géographie Humaine : J VAUDOIS (MdC), C. DELFOSSE (MdC) - Univ. Lille 1 Centre de Recherches Administratives Politiques et Sociales (CRAPS) URA 982 CNRS : B. VILLABA (MdC) - Université Lille 2 M.E.D.E.E. - I.F.R.I.S.I. FU3 CNRS : B. ZUINDEAU (MdC) - Université Lille 1 Groupe de Recherche sur l’Economie Locale : J. LONGUEPEE (Th) - Université du littoral Laboratoire d’hydrogéologie : J.P. COLBEAUX (MdC) - Université Lille 1 Laboratoire de Géomorphologie dynamique et aménagements des littoraux : E. ANTHONY (Pr) Université du Littoral Institut Supérieur d’Agriculture : C. SCHVARTZ (Pr), E. COMONT (MdC) L’équipe de recherche a bénéficié, au cours des années universitaires 1999-2000 et 2000-2001, de la collaboration d’étudiants en 3ème cycle des formations professionnelles et de recherches de l'université des Sciences et Technologies de Lille (DEA "Dynamique des milieux naturels et anthropisés passés et actuels" et DESS "Conception de projets en écodéveloppement") : A. STEVENOOT, G. JACQUESSON 10 4. Axe 1 : Intégration du couple développement/inondation dans un processus technique de prise en compte du risque dans les stratégies d’aménagement 4.1. Objectifs, problématiques, enjeux Yves Dauge rappelait en 1999, dans son rapport sur le risque inondation, la nécessité d’entretenir la mémoire du risque. De quelle mémoire parlons nous? La mémoire du risque est plurielle. Elle n’est pas seulement la mémoire enregistrée dans les bases de données hydrologiques et décrivant l’aléa inondation. Elle est présente partout, dans les archives papiers, sur les « échelles commémoratives » à proximité des cours d’eau, dans les formes des vallées fluviales, dans les traces matérielles anciennes de protection contre le risque qui structurent l’espace géographique ou encore dans la permanence ou l’évolution même de certains modes d’occupation du sol qui reflète la vigilance de certains et l’imprudence d’autres dans la localisation des axes de circulation et les modalités d’usage des zones inondables. Mémoire individuelle, mémoire collective, mémoire sociale... tout le monde parle des risques. Elle reste toutefois difficilement saisissable quand il s’agit de l’identifier. Chacun a sa propre vision du risque, chacun a son propre vécu de l’inondation, beaucoup ont le désir d’oublier. La mémoire du risque est donc tiraillée entre le désir d’oubli et la nécessité de transmission. La transmission recouvre dans le domaine des inondations plusieurs formes : la carte, la donnée, l’écrit, l’oralité qui constituent des « documents-mémoire » sur le risque inondation, mais aussi l’objet-lieu de mémoire qui garde la trace matérielle et symbolique des inondations passées et constituent une véritable mise en scène de l’histoire des inondations (échelle de crue indiquant les plus hautes eaux connues). Certes, la mémoire du risque n’a pas disparu, mais un transfert de cette culture s’est opérée vers l’administration, engendrant une certaine forme de déresponsabilisation des individus. La mémoire du risque n’est pas seulement un amoncellement de connaissance sur le risque inondation, c’est d’abord une sélection et une organisation de l’information. Elle a pour objectif de préserver les traces d’événements passés et d’erreurs d’aménagements et de les transmettre afin de garder des repères sur le fonctionnement des hydrosystèmes et les dysfonctionnements dans les relations qu’entretien la société avec l’eau et le risque. L’enjeu de formation et de sensibilisation pour retrouver une culture du risque implique donc la mise en place d’un corpus méthodologique pour mener à bien la reconstruction de cette mémoire. Nous nous proposons, dans le cadre de ce premier volet d’aborder la question de la mémoire du risque sous deux angles d’approches : - l’analyse des évolutions des enjeux et de la vulnérabilité et les raisons de ces changements afin d’inscrire les nouvelles politiques de gestion des risques dans un continuum historique et social ; - l’évaluation des actions passées de territorialisation du risque (l’accent sera mis sur l’intégration du risque dans les stratégies agricoles) Les méthodes développées (approche géohistorique et évaluation des actions passées de territorialisation du risque par entretiens et analyse documentaire) peuvent s’inscrire dans une phase d’information sur l’évolution de la vulnérabilité, préalable à la recherche d’un consensus au cours d’une concertation. Elles permettent également de resituer les stratégies d’aménagement actuelles par rapport au contexte local passé et d’afficher plus clairement les enjeux (et pas seulement l’aspect réglementaire) de la gestion des 11 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION risques et au-delà, par le partage des informations disponibles, afin d’établir une relation de confiance entre les acteurs de l’aménagement et les usagers. Elle permet également de souligner la responsabilité des rapports sociaux dans les formes d'évolution du risque apparemment causées par certains modes techniques d’exploitation des ressources et d’usages du sol. 4.2. Méthodologie La reconstitution de la mémoire du risque est basée dans le cadre de cette recherche sur deux approches méthodologiques complémentaires analysant l’évolution de ces espaces ruraux soumis au risque inondation : - une approche géohistorique (étude diachronique de l’usage du sol à partir de données cadastrales des XVIIIè et XIXè siècle, de photographies aériennes récentes et analyse des facteurs d’explication par le dépouillement d’archives écrites). La méthode, fondée sur l'étude et l'interprétation de documents historiques (cartes et textes), permet de reconstituer l'évolution des modes d’occupation du sol et des enjeux de la basse vallée depuis le XVIIIème et d’analyser les rapports entre la société rurale et le risque dans une perspective historique. - une approche fondée sur des entretiens auprès des élus, de la DDE, de la DDA, des experts de l’agriculture (conseillers agricoles), du Président du Syndicat d’Aménagement de la Basse Vallée de la Canche et enquêtes auprès de 40 agriculteurs dont l’exploitation est située dans la vallée (en zone inondable et hors zone inondable) et/ou sur les versants. Cette approche, orientée sur l’étude de la perception et de la prise en compte du risque à l’échelle de l’exploitation agricole, apporte par ailleurs des éléments d’explication des dynamiques récentes de ce bassin versant rural appréhendées par l’analyse géohistorique. 4.3. Résultats L’apport de la géographie historique dans l’étude des relations aménagements/inondation Elle permet de reconstituer, à travers une approche cartographique diachronique au sein d’un système d’information géographique, l’évolution des enjeux en zone inondable dans le temps et dans l’espace. L’analyse met l’accent à la fois sur l’évolution : - de l’usage du sol : passage progressif d’une complémentarité obligée entre le plateau à vocation de cultures intensives et la vallée herbagère au XVIIIè siècle à une période de conquête agricole et forte pression sur l'eau (mise en place du réseau de canaux) au XIXè siècle puis de volonté à partir du milieu du XXè siècle d'exploiter le milieu dans les anciens marais (peupleraies) au moindre coût alors que l’urbanisation en zone inondable est un phénomène récent (années 70) - de l’usage de l’eau : l'eau reste un facteur déterminant dans les paysages et l'économie de la basse vallée. Certains usages de l'eau ont changé depuis le XVIIIème (développement des cultures et des peupleraies). D'autres se sont pérennisés (chasse et pêche dans les marais). Chercheurs impliqués : J.J. DUBOIS, R. LAGANIER, P. PICOUET, P.G. SALVADOR, A. STEVENOOT (géohistoire) Réceptivité des exploitants agricoles au risque inondation et à la mise en place d’une gestion intégrée Il ressort de l’ensemble de l’analyse de la perception des risques inondation et érosion quatre types de comportements des agriculteurs face aux risques. Les deux premiers types, « évitement du risque » et « sécurité absolue », se caractérisent par un refus du risque alors que les deux autres groupes 12 « responsabilité appropriée » et « mesures compensatoires » s’inscrivent dans une logique d’acceptation du risque. Résultent de ces comportements des stratégies variées en matière d’intégration du risque dans les mutations des exploitations agricoles. Dans les exploitations concernées par l’inondation, le risque est géré différemment selon la perception que les agriculteurs ont du risque et selon l’impact économique des inondations sur l’exploitation : les mesures sont nombreuses et variées à l’aval du bassin dans les secteurs de terres en culture à haute valeur ajoutée alors que se maintiennent des terres en prairies permanentes vers l’amont de la vallée inondable. Les exploitations concernées par l’érosion ont eut recours à des mesures d’accompagnement plus nombreuses et encadrées (MAE, actions Chambre d’Agriculture/SIABVC). Une analyse en a été faite tant en terme technique, qu’en terme d’appropriation par les exploitants agricoles. Un problème d’inéquité territoriale dans la répartition des aides s’est révélé à la lecture des mesures de contractualisation MAE engagées sur le bassin versant. : les espaces à problème n’étaient pas nécessairement les espaces couverts par les mesures de contractualisation. Dans cette perspective une solution d’équité territoriale pourrait-elle être trouvée à travers le SAGE et la CLE ? Non a priori car il apparaît en l’état actuel des choses qu’un ensemble de mesures appliquées aujourd’hui ne sont pas forcément connectées entre elles. D’autre part, ces mesures reflètent souvent un certain individualisme (les MAE restent des démarches individuelles et elles ne couvrent pas toute la zone ; les actions Chambre d’Agriculture (l’érosion) ne touchent pas tous les exploitants ; les concertations entre le monde agricole et non agricole sont faibles, l’information ne “passant” pas forcément). Il existe toutefois des micro-réseaux uniquement agricoles (un groupement d’exploitants pour la gestion des digues sur l’aval (enjeu fort) et des petits groupes animés par la Chambre pour l’érosion) sur lesquels la CLE s’appuie aujourd’hui dans le cadre de ses travaux. Aussi conviendra-t-il d’identifier et d’intégrer des acteurs du monde agricole et animateurs des risques dans les projets globaux (première tentative SAGE) afin d’aller vers une appropriation active du risque par les agriculteurs (le problème de disponibilité des exploitants agricoles déjà engagés demeure cependant). Par ailleurs, il semble nécessaire d’accentuer la démarche d’information vers les agriculteurs à l’échelle communale sous la forme de petites réunions de travail comme l’a déjà engagé la Chambre d’Agriculture de façon très localisée et avec efficacité. Enfin, les CTE constituent une démarche intéressante à condition : - qu’ils établissent bien le lien entre érosion (ruissellement) et inondation - qu’ils couvrent davantage l’ensemble du bassin et si possible les plateaux - que les financements soient à la mesure des problèmes (ce qui n’a pas été le cas pour les mesures agri-environnementales où les demandes des agriculteurs étaient largement supérieures aux subventions disponibles) - qu’ils soient articulés avec d’autres programmes en cours ou à venir (ex : SAGE) Chercheurs impliqués : E. COMONT, C. DELFOSSE, G .JACQUESSON, R. LAGANIER (agriculture/risque) 4.4. Les productions scientifiques P. PICOUET, P.G. SALVADOR, A. STEVENOOT (2000) : Eléments pour une géohistoire des paysages d’une marge humide : la basse vallée de la Canche (Pas-de-Calais, France) Hommes et Terres du Nord, n°2 R. LAGANIER, P. PICOUET, P.G. SALVADOR: (2000) : L’approche géohistorique dans l’analyse et la gestion du risque inondation et des milieux humides. Exemples en région Nord-Pas-de-Calais, 25èmes Journées scientifiques du GFHN, Meudon, 28-29 Novembre 2000 A. STEVENOOT (2001) Contribution méthodologique de la géographie historique à l’étude des paysages 13 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION d’eau : l’exemple de la haute vallée de la Canche. DEA “ analyse géographique du milieu physique, ressources et risque naturels ” (Directeurs de recherche : J.J DUBOIS et R. LAGANIER) G.JACQUESSON (2000) : Quelle participation de l’agriculture à la gestion intégrée du risque inondation? L’exemple du bassin versant de la Canche. DEA Dynamique des milieux naturels et anthropisés passés et actuels ” octobre 2000 (Directeurs de recherche: E. COMONT, C. DELFOSSE, R. LAGANIER) 4.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude L’approche géohistorique, efficace pour mesurer globalement l’évolution de la vulnérabilité, demeure une démarche assez lourde (temps d’acquisition des données relativement long) et parfois imprécise (interprétation des données anciennes parfois difficile en raison des imperfections géométriques des documents). Elle est cependant créatrice d’information, au même titre que l’analyse de la territorialisation du risque par le biais d’enquêtes et d’entretiens (ici auprès des agriculteurs) et peut dans ce sens contribuer à modifier la relation entre les acteurs en recentrant le débat sur les enjeux de la gestion du risque, et pas seulement sur les aspects réglementaires vécus plus comme une contrainte par les usagers. 5. Axe 2 : Intégration du couple développement inondation dans un processus d’action publique 5.1. Objectifs, problématiques, enjeux Il semble désormais acquis que les politiques en matière de gestion du risque s’inscrivent dans une réflexion globale sur les transformations des conditions d’accès et d’action au sein de l’espace public local. L’appréciation du risque et son traitement (prévision, indemnisation, gestion) sont à présent associés à une réflexion sur le mécanisme de la décision publique. Le régime de la gouvernance (le processus de la décision politique) se base désormais sur un principe de discussions descendantes et remontantes (top down and bottom up ; Chevallier J. (dir.), La gouvernabilité, Paris, PUF). A l’échelle locale, ce régime semble, selon la loi sur l’eau de janvier 1992, le plus adapté pour assurer la gestion du risque. La parole des acteurs locaux, périphériques aux cercles traditionnels de la décision publique, est à présent insérée dans le processus de décision. Et, si l’on suit toujours cette vision, le changement n’affecte pas seulement les lieux de la décision, mais aussi les modalités pratiques de l’élaboration de la décision. L’espace concerné par notre analyse se situe en zone rurale. Si la littérature consacrée à la démocratie locale se situe essentiellement sur des espaces urbains, il s’agira d’apprécier si les particularités des modes de sociabilités dans cet espace permettent d’appréhender différemment à la fois les modes de négociation du risque d’inondation, et le mécanisme d’élaboration de cette notion. Au-delà, il s’agit d’analyser comment articuler les anciennes formes de gestion du risque et les nouvelles conceptions de gestion intégrée qui font appel à la notion de gouvernance. A partir de l’exemple Canche, une réflexion est menée à la fois sur l’échelle optimale d’intervention pour la gestion du risque (Atouts et contraintes d’une gestion intercommunale du risque : le point de vue des élus) et sur l’analyse des modes de concertation en cours à travers la mise en place du PPR et du SAGE, des modes de décisions et représentations du risque dans un objectif de caractérisation des pratiques de démocratie locale et de réflexion autour de la notion d’espace public local (le rôle du secteur associatif est plus particulièrement abordé). L’étude plus particulière des associations permet de mieux comprendre la mise en place, le degré d’ouverture et de concertation des politiques mises en place autour de ce risque. Les associations ayant un rôle de relais entre la sphère technique et la demande sociale doivent donc participer activement à l’élaboration de ces plans. Les cadres de concertation mis en place 14 sont examinés mais également l’acteur associatif dans l’évolution de son positionnement, sa stratégie, et ses interactions avec les autres acteurs du système décisionnel. Chercheurs impliqués : H.J. SCARWELL et R. LAGANIER (LGMA); B. VILLALBA (CRAPS). 5.2. Méthodologie - Enquêtes par voie postale des élus complétée par des entretiens auprès des acteurs de la “ scène locale du risque ” (élus, administrations, associations). Les thèmes abordés au cours de l’enquête postale portent sur la sensibilité aux risques (inondation et érosion), l’information et les connaissances des risques, les outils réglementaires de la prévention, les actions des communes en matière de gestion des risques, perception de la gestion des inondations à l’échelle du bassin versant). - Entretiens semi-directifs des associations environnementales, de pêche, mais aussi les associations de riverains et les représentants du monde agricole présents ou absents de la nouvelle Commission Locale de l’Eau. Ces entretiens sont complétés par différentes études documentaires (revue de presse, études d’archives des associations). - Observations (réunions PPR, SAGE, Atlas d’Information sur les zones inondables). 5.3. Résultats acquis Les résultats de l’étude permettent, à travers le cas de la gestion de l’inondation, de décrypter des mécanismes expliquant la participation des acteurs au processus décisionnel et la nature des difficultés rencontrées pour leur réelle prise en considération. En outre, l’étude contribue à une meilleure appréhension de la notion de concertation. Enfin, quelques axes pouvant servir à compléter le dispositif de gouvernance locale en matière de concertation sont proposés. 1 - Facteurs qui accélèrent la mise en place d’un SAGE et d’une gestion intégrée sur le risque inondation la pratique de l’intercommunalité sur une échelle de plus grande taille (contrat de rivière, Syndicat intercommunal de la basse vallée de la Canche ; pour d’autres bassins versants, la présence d’un Parc Naturel Régional joue dans le même sens) ; l’existence d’un porteur de projet ; l’existence d’une identité territoriale liée à un cours d’eau ; l’instauration d’espaces de rencontre thématiques entre les associations ; la mutualisation des savoirs ; la formation des acteurs associatifs sur la technicité de la gestion du risque ; Le développement d’une gouvernance locale ouverte, la participation du public à l’élaboration de la prévention demeurant encore faible. 2 - Facteurs qui freinent la mise en place d’un SAGE et d’une gestion intégrée du risque inondation l’absence de relais sur le terrain et la faible mobilisation des élus des rapports de force entre élus d’amont et élus d’aval sur les enjeux plus ou moins importants que 15 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION représente la gestion des problèmes liés à l’eau sur leurs territoires respectifs / le problème des risques est difficilement partagé à l’échelle du bassin versant un risque électoral pour les élus la présence d’une frontière administrative (ceci est particulièrement vrai pour un bassin versant à cheval sur 2 départements et/ou 2 régions) l’absence d ’une « conscience commune » de l’eau liée notamment à un déficit d’information (méconnaissance des partenaires financeurs de la gestion des risques, difficile évaluation de l’efficacité des mesures prises, interactions physiques amont-aval appréhendées par plus de 50 % des maires mais plus de 80 % des réponses positives correspondent à des communes inondées alors que 60 % des réponses négatives correspondent à des communes non touchées par des risques naturels), une demande d’information de nature variée (types d’aménagements de lutte contre le risque, mesures préventives, évaluation des mesures à prendre, cartographie, retour d’expérience de crises, retour d’expérience de pratique de gestion de risque). 3 - Existe-t-il une solidarité de bassin ? La plupart des élus s’accordent à reconnaître l’intercommunalité comme la meilleure échelle de gestion des risques inondation et érosion. Les principaux arguments des élus en faveur ou à l’encontre d’une gestion intercommunale des risques sont les mêmes : une vision globale dans le cadre du SAGE, la solidarité financière, la coordination entre tous les acteurs. Les conditions d’une culture de la participation restent à créer : il convient de favoriser la communication sous différentes formes : pédagogique pour apporter des connaissances, constructive pour favoriser les échanges entre acteurs, conviviale pour faciliter les contacts individuels. Cela permettra aux élus concernés de construire une rhétorique et un programme d’action Il ressort de cette première analyse un besoin de diffusion d’information pour créer une « conscience commune de l’eau » étape nécessaire à l’émergence d’une gouvernance de bassin. 5.4. Les productions scientifiques LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2001) : Risque inondation, aménagement du territoire et développement durable : l’exemple du bassin versant de la Canche (Pas-de-calais). Revue CLES, L’Harmattan (accepté – à paraître) LAGANIER R., PICOUET P., SALVADOR P.G., SCARWELL H.J. (2001) : Inondation, territoire et aménagement : de la rupture à la réconciliation entre risque et société. L’exemple de la vallée de la Canche (Pas-de-Calais, France). Revue de Géographie de Lyon – Géocarrefour (à paraître) LAGANIER R. SCARWELL H.J. (2001) : Eau et intercommunalité dans la région Nord-Pas-de-Calais : état d’avancement des SAGE à travers l’exemple du SAGE de la Canche. Colloque « Hydrosystèmes, paysages, territoires », Commission « Hydrosystèmes continentaux » du Comité National français de Géographie, Lille, 6-8 septembre 2001 LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2001) : De l’eau ressource à l’eau territoire : articulation et processus de recomposition dans la gestion du risque inondation, Colloque « Risques et Territoires », Vaulx-enVelin, 16-18 mai 2001, ENTPE. LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2000) : Inondation et recomposition territoriale : Quand la nature interroge le fonctionnement des territoires. Hommes et Terres du Nord, n°2, pp. 103-110. LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2000) : Le bassin versant de la Canche, un bassin vécu ? Communication au colloque de l’Association des Ruralistes Français (ARF), Toulouse 25-27 octobre 2000, “ Territoires prescrits, territoires vécus : inter-territorialité au cœur des recompositions des 16 espaces ruraux ”. 5.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude Sur les points évoqués plus haut (échelle d’intervention et concertation), l’objectif est de développer une méthodologie pour identifier les convergences et les divergences de points de vue des différents acteurs = Cerner les points faibles et les conflits potentiels, mais identifier également les points forts à partir desquels pourra être initié le débat collectif afin d’établir une confiance mutuelle parmi tous les partenaires de la concertation. Les méthodes d’analyse des acteurs (en termes de motivation, de sensibilité, d’implication ou de culture du risque) qui associent les techniques d’études qualitatives (entretiens) et quantitatives (enquêtes) permet également une optimisation des actions d’information et de communication dans le cadre notamment de la CLE, du SIABVC ou du nouveau syndicat mixte en charge de la mise en œuvre des préconisations du SAGE. Ces méthodes, reproductibles sur d’autres bassins versants, font l’objet d’une présentation synthétique. Le travail d’enquête auprès du secteur associatif analyse plus particulièrement la place des associations dans la construction des espaces de concertation. Il en ressort une nécessaire instauration d’espaces de rencontre thématiques entre les associations et une mutualisation des savoirs. La formation des acteurs associatifs sur la technicité de la gestion du risque et le développement d’une gouvernance locale ouverte, la participation du public à l’élaboration de la prévention demeurant encore faible apparaissent également indispensables. 6. Axe 3 : Intégration développement/inondation dans économique du un couple processus 6.1. Objectifs, problématiques, enjeux Le travail d’évaluation a porté sur l’estimation des dommages effectifs et de dommages potentiels liés aux inondations par des approches globales à l'échelle du bassin versant.. La question de l’évaluation des dommages liés aux inondations renvoie à deux objectifs distincts et complémentaires. Premièrement, l’identification de la nature des dommages résultant d’un épisode d’inondation (inondation de 1995 considérée comme l'événement hydrologique de référence dans l'Atlas des zones inondables et le PPR) nous a amené à déterminer la nature des différents préjudices affectant le bien-être des individus. Outre les dommages matériels traditionnellement et relativement aisés à évaluer, les victimes d’inondations subissent des dommages plus intangibles, susceptibles de peser lourdement sur le niveau de bien-être. Ignorer cette dimension immatérielle du préjudice entacherait l’évaluation d’une lourde incomplétude. Au-delà de la simple détermination des éléments constitutifs des dommages globaux, l’évaluation a porté sur la quantification de leurs contributions respectives, et ce au regard de paramètres rigoureusement définis. Deuxièmement, le calage de l’évaluation sur des paramètres de référence doit favoriser l’exploitation des résultats selon différentes modalités. Ainsi, la prise en compte d’un aléa de référence représente une étape incontournable du processus d’évaluation économique. Cependant, il s’est avéré crucial de pouvoir favoriser une certaine extrapolation des résultats à des phénomènes d’amplitude différente et à d’autres terrains d’application. 17 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 6.2. Méthodologie Le travail d’évaluation a nécessité dans un premier temps la construction de bases de données. Trois sources complémentaires ont ainsi été exploitées : - les données provenant des compagnies d’assurances, les données récoltées sur le terrain par le biais d’enquêtes auprès des victimes d’inondation, les données concernant les mutations immobilières, issues des services fiscaux. Les données issues des compagnies d’assurance nous ont permis d’établir un traitement statistique recoupant la nature des préjudices matériels (immobilier, mobilier, second œuvre, gros œuvre), les mesures de protection entreprises, les montants d’indemnisation, certaines caractéristiques du bâti et partiellement des paramètres de submersion (hauteur, durée). Le recoupement de ces variables a conduit à une première évaluation des endommagements mobiliers et immobiliers, ces derniers ayant fait l’objet de différenciation selon divers paramètres disponibles (mesures de sauvegarde, configuration du bâti, etc.). Les enquêtes auprès des victimes d’inondation ont porté principalement sur la crue de 1995, bien qu’il soit apparu nécessaire d’évaluer l’impact du risque en général, notamment pour ce qui concerne l’évaluation des dommages intangibles. Elles ont en outre permis l’évaluation par les intéressés, des dommages subis et des montants des indemnités correspondantes (selon la même nomenclature que celle proposée par les assureurs), l’inventaire des mesures de protection, des différents paramètres de submersion et une approche du contenu et de la valeur des dommages intangibles et indirects. Nous avons par ailleurs tenté de mesurer par le biais de la méthode d’évaluation contingente (MEC) le consentement à payer et à recevoir des individus, de manière à pouvoir évaluer l’impact du risque inondation sur la variation de bien-être des populations. Une mesure alternative de cette variation est proposée par le biais d’une évaluation des dommages matériels et intangibles liés à l’événement de référence. Nous démontrons alors que la part des dommages moraux sur le préjudice global est loin d’être négligeable. Un essai de monétarisation du coût des dommages intangibles ou moraux a été entrepris. Les similitudes avec les données des assurances nous ont permis de constituer une base de données commune aux deux sources, permettant un traitement économétrique d’une part des fonctions d’endommagement immobilier et immobilier et d’autre part de la fonction de préjudice moral. Les données issues des services fiscaux nous ont renseignés sur l’intégralité des mutations effectuées entre 1995 et 1999 inclus dans 15 communes limitrophes à l’emprise de la crue centennale de la partie aval de la Canche. En marge des caractéristiques intrinsèques présentes dans la base de données, des relevés sur le terrain nous ont permis de combler certains déficits, notamment en ce qui concerne les caractéristiques extrinsèques (variables de voisinage et d’environnement immédiat) et les variables de positionnement géographique vis-à-vis des emprises de crue de différentes périodes de retour. Une fois la base de données constituée, une seconde méthode d’évaluation économique est mise en œuvre : la méthode des prix hédoniques. Nous avons cherché, à travers cette dernière, à mettre en œuvre une troisième mesure alternative de la variation de bien-être consécutive à l’occurrence de la crue de 1995 (après l’estimation des consentements à payer, des consentements à recevoir et l’évaluation des dommages globaux). 6.3. Résultats La présente étude a permis de dégager des résultats novateurs autant sur le plan théorique qu’empirique. D’abord, sur le plan théorique, le couplage des bases de données issues des assurances et consécutives aux enquêtes de terrain a permis une réflexion autour des enjeux de la monétarisation des préjudices non 18 économiques, et conduit à l’élaboration d’une fonction de préjudice moral, entité éclipsée dans la majorité des études traitant des dommages consécutifs aux inondations, et aux risques naturels en général. L’étude propose par ailleurs une évaluation économique fondée sur la méthode des prix hédoniques, et représente à ce titre une première dans le domaine de l’évaluation des dommages liés aux inondations en France. Sur le plan empirique ensuite, les différentes méthodes mises en œuvre ont permis la quantification des endommagements, dont nous avons par la suite déterminé les principales variables explicatives. Ces dernières proviennent par ailleurs d’une multitude de compétences : économiques, géographiques, sociologiques, comportementales. Outre les dommages matériels, ce travail de recherche a tenté de démontrer l’impact des dommages intangibles sur le bien-être des individus. Il en ressort que les évaluations à partir de données d’experts ne sauraient être considérées comme exhaustives du point de vue de la mesure des dommages liés aux inondations. Enfin, l’analyse à partir de la méthode des prix hédoniques a permis la mise en évidence d’un impact négatif des zones inondables sur les valeurs immobilières, tout en différenciant spatialement le risque (prise en compte d’emprises de plusieurs périodes de retour). 6.4. Les productions scientifiques J. LONGUEPEE, B. ZUINDEAU, 2001, L’évaluation du coût des inondations par la méthode des prix hédoniques : une application à la basse vallée de la Canche, Colloque "Hydrosystèmes, paysages, territoires" de la Commission "Hydrosystèmes continentaux" du Comité national français de géographie, Lille, 6-8 septembre 2001. J. LONGUEPE, B. ZUINDEAU, 2001, L'impact du coût des inondations sur les valeurs immobilières : une application de la méthode des prix hédoniques à la basse vallée de la Canche, Revue du GRATICE (Paris XII), n° spécial sur "Economie immobilière" (Accepté). J. LONGUEPEE : L’impact économique du risque inondation sur le développement local. Université du Littoral Groupe de Recherche sur les Economies Locales. Thèse en cours (soutenance 2002) 6.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude La principale difficulté a résidé dans la conduite de l’enquête, et ce à différents niveaux : - l’estimation par les individus concernés, de la valeur des biens soumis à l’aléa (la vulnérabilité) ainsi que de l’endommagement s’est avérée fort aléatoire, et ce probablement pour des motivations stratégiques. Cette difficulté nous a conduit à adopter pour la valeur mobilière, une technique d’évaluation inspirée des protocoles mis en œuvre par les compagnies d’assurance. - la révélation, dans le cadre de la méthode d’évaluation contingente, des consentements à payer et à recevoir n’a été que très faible, d’une part du fait des tensions liées aux enjeux de la mise en œuvre de mesures de protection structurelles à l’échelle du bassin (endiguements, etc.) ; et d’autre part en raison d’un possible décalage pesant sur l’applicabilité d’une telle méthode tant sur le plan culturel que sur celui de la pertinence eu égard aux enjeux. Concernant les perspectives d’approfondissement, il semble que la construction des fonctions d’endommagement et de dommages moraux puisse encore faire l’objet d’améliorations, notamment en ce qui concerne la mobilisation de variables explicatives. 19 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Du point de vue de la méthode des prix hédoniques, si nous avons pu mettre en évidence une variabilité spatiale et saisonnière du risque, il ne nous a pas été possible de mettre en lumière une variabilité temporelle (érosion de l’acuité du risque). Il est vrai que l'insuffisant recul temporel dont nous disposons et surtout la multiplication des épisodes d'inondation dans et hors de la zone d'étude maintiennent à l’esprit le risque inondation chez les individus. Une piste semble par ailleurs mériter une exploration approfondie : rapprocher la valeur du différentiel calculé pour la (ou les) variables de zones de crues, des primes d'assurances payées sur les habitations des zones concernées. Nous testerions alors un éventuel effet de capitalisation lié au risque. La question de l’impact du risque inondation et de la réglementation de l’occupation des sols sur le développement local mériterait d’être envisagée dans la mesure où cette question reste globalement peu traitée en France. La mise en place des PPRi peut dans une certaine mesure freiner les perspectives de développement de certaines communes, notamment celles ne disposant plus de territoire hors zone inondable. Les nouvelles formes d’organisation spatiale couplées à des instruments économiques pourraient-elle apporter des solutions ? Enfin, dans une perspective de développement local la question du risque inondation devrait tenter d’intégrer la dimension patrimoniale des zones humides, de manière à envisager le risque inondation comme facteur de développement local. Chercheurs impliqués : B .ZUINDEAU, J. LONGUEPEE 7. Quelques éléments de conclusion sur la pratique de l’interdisciplinarité L’ensemble de la recherche a été conçu dans un cadre interdisciplinaire. La pratique de l’interdisciplinarité s’est progressivement construite à partir d’actions communes (co-encadrement d’étudiants ou rédaction d’articles par exemples), d’échanges d’informations entre les différents membres et disciplines de l’équipe et de confrontation des approches méthodologiques et des problématiques au sein de l’équipe. Ces rencontres se sont déroulées sous la forme de réunions de travail, et au sein d’un groupe de réflexion organisé à l’initiative de B. ZUINDEAU autour du thème “ Développement durable et territoires fragiles ”, groupe élargi à d’autres chercheurs des Sciences de l’Homme et de la Société notamment. Ce groupe de réflexion, au sein de l’IFRESI (Institut Fédératif de Recherche sur les Economies et les Sociétés Industrielles - CNRS), a permis de renforcer l’approche interdisciplinaire et l’évaluation du travail au cours de sa réalisation (présentation des résultats par les différents membres de l’équipe). Toutefois, la recherche d’un savoir interdisciplinaire « hybride » implique aussi de dépasser les règles de la méthode disciplinaire qui consiste à isoler les objets et à les détacher du système dans lequel ils évoluent ; Comment se dégager d’un principe d’étude de relations établies dans la perspective de causalités uniques et des mouvements linéaires ? L’enjeu est ici important quand on sait ô combien les disciplines scientifiques se sont constituées sur des exclusions réciproques. Or l’analyse des risques déstabilise ces approches cloisonnées car elle implique un regard croisé des sciences de la société et des sciences de la nature. Les faits sociaux ne pourraient-ils pas s’expliquer par autre chose que des faits sociaux ? et si la nature n’était pas seulement cette toile de fond que les sciences de la nature et de la terre se proposaient d’analyser ? L’hydrologie ne peut plus être seulement une réflexion sur l’eau. Science de l’eau, elle s’intéresse dans une démarche de plus en plus systémique, aux flux, aux extrêmes hydrologiques, aux pollutions et ne peut donc faire aujourd’hui l’économie, pour comprendre les dynamiques hydrologiques et ses phénomènes extrêmes, d’une référence aux sociétés et à leur histoire. Or, adopter la pensée de la complexité implique une lecture des enchevêtrements des niveaux et les interactions des causalités (idées de récursivité, de causalités multiples et circulaires, d’interactions et d’aléas). C’est une étude des interactions que nous avons plus particulièrement essayé de présenter dans le cadre de cette recherche, interactions entre l’inondation et le territoire tant dans ses aspects décisionnels, sociaux, économiques, spatiaux et temporels. 20 II. Rapports de recherche de l'axe 1 2 contributions recouvrent l’Axe 1 : « Contribution méthodologique de la géographie historique à l'étude du risque inondation » par JJ.DUBOIS, R. LAGANIER, P. PICOUET, P.G. SALVADOR et A. STEVENOOT (Laboratoire CNRS « Géographie des milieux anthropisés ») « Réceptivité des exploitants agricoles au risque inondation et à la mise en place d’une gestion intégrée » par C. DELFOSSE (LG.H.), E .COMONT (ISA), G. JACQUESSON (LGMA) et R. LAGANIER (LGMA) Les méthodes développées (approche géohistorique et évaluation des actions passées de territorialisation du risque dans l’agriculture par entretiens et analyse documentaire) ont pour objectifs : de resituer les stratégies d’aménagement actuelles par rapport au contexte local passé, d’afficher plus clairement les enjeux (et pas seulement l’aspect réglementaire) et leur évolution dans une phase d’information préalable à la recherche d’un consensus pour la gestion des risques, d’établir par la diffusion de ces informations une relation de confiance entre les acteurs de l’aménagement et les usagers, de souligner la responsabilité des rapports sociaux dans les formes d'évolution du risque apparemment causées par certains modes techniques d’exploitation des ressources. 21 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 8. Contribution méthodologique de la historique à l'étude du risque inondation géographie La récente introduction des usagers dans les nouvelles procédures de gestion des milieux humides, du risque inondation et de gestion de l’eau de façon plus générale, à travers la Commission Locale de l’Eau et le SAGE notamment, amènent à repenser le type et les actions d’information dans l’objectif d’une appropriation active des stratégies de gestion collective. L’enjeu est d’aller vers une rupture dans la représentation des usages de l’eau et les modalités de gestion de l’eau et de gestion des territoires. Il s’agit en effet : d’appréhender la question de l’eau de façon globale et non plus sectorielle en développant une conscience commune de l’eau pour éviter les conflits entre les différents secteurs usagers de la ressource et restaurer la confiance entre aménageurs, décideurs et usagers ; de glisser d’une gestion purement administrative vers une gestion plus responsable faisant appel à une reconnaissance individuelle de nos responsabilités dans les problèmes environnementaux ; d’inscrire les projets de gestion de l’eau dans un cadre de «responsabilité partagée» et de confiance réciproque. La place de l’information est, dans cette perspective, déterminante. Au-delà de l’information classique disponible, de nouvelles informations restent à créer pour accompagner la concertation entre les différents acteurs de l’eau. L’information dérivée de la géographie historique appartient à ce nouveau référentiel. L ’ALEA : - Critique des données hydrologiques récentes - Chronologie d ’évènements - Meilleure connaissance de l ’aléa MEMOIRE Connaissance des milieux et des inondations LA VULNERABILITE - Histoire des représentations - Histoire de l’aménagement - Histoire des crises Figure 3 : La mémoire du risque inondation (adapté de Coeur et al, 1998) 22 L’apport de la géographie historique La gestion du risque inondation, qui s’oriente davantage aujourd’hui vers une gestion de la vulnérabilité, et la mise en valeur des milieux humides amènent les scientifiques et les gestionnaires du territoire à s’interroger sur le passé de ces milieux, l’identité de ces territoires, voire la mémoire des lieux. Autant d’éléments qui caractérisent dans le temps la construction des milieux humides ou des risques, «objets hybrides» à l’interface du naturel par les règles de fonctionnement de l’hydrosystème et de l’artificiel par le poids de l’anthropisation du milieu et des représentations sociales dans les pratiques d’aménagement. Cette connaissance contribue à définir une « mémoire» présentant un double intérêt pour la valorisation patrimoniale des milieux humides : un intérêt historique à travers le patrimoine architectural et technique liée à l’eau potentiellement valorisable et un intérêt naturaliste à travers l’analyse de la construction de ces milieux humides « hérités », trop souvent considérés comme « naturels ». Par ailleurs, la gestion du risque inondation peut être confortée par la constitution d’une base informative sur l’aléa inondation prenant également en compte des informations qualitatives (dates d’événements historiques majeurs, représentations sociales de l’inondation ou des milieux humides, évolution de la prise en compte du risque dans les stratégies d’aménagement et de la vulnérabilité). Ces informations peuvent servir à engager le débat sur la gestion du risque et à rappeler la permanence du danger en donnant un sens historique aux crises hydrologiques récentes bien souvent surestimées. Plus généralement, la géographie historique permet de « donner de l’espace au temps ». Elle caractérise les différences spatiales des milieux humides et inondables au cours du temps et porte un regard critique sur la mise en place de la réglementation de l’occupation du sol qui cherche à articuler les temps des crises hydrologiques et ceux de l’usage des sols. Par ailleurs, elle « donne du temps aux espaces » en resituant les projets actuels et les crises hydrologiques dans un continuum historique et social. En cela aussi, elle participe aux débats actuels sur la gestion de ces milieux. Qu'est-ce que la géographie historique ? La géographie historique est, selon le géographe Xavier de Planhol, "une application au passé de la méthode de l'analyse géographique"1. Il s'agit, par le biais de documents anciens, témoins de leur époque, de reconstituer des "phénomènes géographiques" passés. Ces "phénomènes" ont vu leur contenu changer depuis le début du 20e siècle en fonction des problématiques plus générales développées par la géographie universitaire. Ainsi, si les géo-historiens se préoccupaient au début du siècle de frontières, en réponse aux préoccupations de leur époque, leur objet d'intérêt se fait maintenant l'écho d'interrogations plus sociales. Compte tenu des transformations radicales qui ont touché les territoires depuis une cinquantaine d'années, les sociétés occidentales manifestent en effet le besoin de redéfinir leurs relations aux lieux. L'investigation historique participe explicitement à cette quête de sens à travers celle des repères spatiaux. Les méthodes que nous mettons en avant ici ont pour objectif de reconstituer la mémoire du risque. Notre approche géo-historique est fondée sur l'étude du paysage, objet éminemment géographique, et défini ici comme "la résultante, dans une certaine portion de l'espace, de l'interaction entre le milieu physique originel, l'exploitation biologique et l'action de l'homme"2. Cette définition nous place d'emblée dans une stratégie d'interface entre les sciences de la nature et les sciences de l'homme. 1 De Planhol, 1988 – Géographie historique de la France. Fayard, 635p. 2 Bertrand, 1984 – Les géographes français et leurs paysages, Annales de Géographie, p. 218-229. 23 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Mais le paysage géographique est aussi "un ensemble de signes matériels"3 susceptible d'être cartographié et donc d'être le support d'analyse objective, d'interprétation. C'est la raison pour laquelle il nous a semblé pertinent de poser cette question : dans quelle mesure les cartes anciennes, qui transcrivent symboliquement sur le papier des objets matériels de l'espace géographique, peuvent-elles être des outils de connaissance des paysages et du risque inondation? L'exemple choisi pour traiter cette problématique est celui des « paysages d'eau ». Ce n'est pas un choix innocent… Les milieux humides et les espaces soumis au risque inondation constituent en effet des environnements naturels à fortes spécificités, qui surdéterminent les sociétés, leurs activités, leur rapport à l'espace et aux ressources. Les paysages d'eau sont ainsi des objets particulièrement représentatifs des relations complexes entretenues par les sociétés avec leur milieu et les risques hydrologiques. On ne se limitera donc pas à la "lecture des seuls objets apparents, mais on tentera d'y donner un sens au regard des usages et de l'évolution des représentations du rapport homme-nature"4, nous référant pour ce faire à l'analyse systémique. Les paysages d'eau de la région Nord-Pas-de-Calais et plus particulièrement ceux de la vallée de la Canche sont à cet égard a priori très intéressants, car modelés par une histoire pluri-millénaire. De ce fait, les relations homme-territoire, plus anciennes que dans d'autres régions, s'y sont inscrites plus ou moins durablement. Bien que le but de notre recherche soit avant tout méthodologique, nous avons choisi, à dessein, de retarder l'entrée dans le "vif" du sujet pour présenter dans un premier temps les concepts à partir desquels s'est construite notre réflexion. Les méthodes d'étude et d'intégration des sources anciennes dans une étude de géographie historique sont présentées dans une deuxième partie. Nous nous sommes concentrés sur les divers problèmes posés par la lecture des cartes anciennes, en particulier ceux concernant la lecture de certains objets paysagers pourtant fondamentaux à la bonne compréhension des paysages d'eau de nos régions : les arbres. Une étude diachronique des paysages d'eau dans la haute vallée de la Canche est finalement proposée en troisième partie. Les trois dates repères sont 1739, 1830 et 1994. Bien que les sources soient très discontinues dans le temps, on tentera de donner quelques pistes concernant les grandes tendances de l'évolution paysagère de la vallée inondable. 8.1. De l'objet à l'objectif ou le risque inondation dans le cadre d'une étude géo-historique 8.1.1. Concepts : paysage et hydrosystème Deux concepts clés vont guider notre travail de recherche : le concept de paysage, objet d'étude central de ce mémoire; le concept d'hydrosystème, qui permet d'optimaliser notre réflexion dans un cadre multiscalaire (dans l'espace et dans le temps) adapté à l'étude des paysages d'eau. 3 Brunet, 1974 – Analyse des paysages et sémiologie. Eléments pour un débat, L'espace géographique, n° 2, p. 120-126. 4 Dubois et al, 2000 – Analyse géohistorique des paysages d'eau de la région de Condé-sur-l'Escaut (Nord) : de l'artificialisation de la nature à la naturalisation de l'artifice, Hommes et Terres du Nord, n° 2, p. 77-85. 24 De quel paysage s'agit-il? Notre but n'est pas de revenir par le menu sur les débats actuels menés par de nombreux géographes autour du concept de paysage5. Il ne s'agit pas non plus d'en rappeler l'histoire, mais plutôt de donner quelques grandes lignes de réflexion qui permettront de définir le cadre conceptuel de ce travail de recherche. A - Le paysage : un terme polysémique Les définitions généralement acceptées du terme de paysage font intervenir deux concepts, l'espace et la perception. JR Pitte6 en donne quelques-unes tirées de dictionnaires : • Littré : "Etendue du pays que l'on voit d'un seul aspect. Un paysage dont on aura vu toutes les parties l'une après l'autre, n'a pourtant pas été vu; il faut qu'il le soit d'un lieu assez élevé, où tous les objets auparavant dispersés se rassemblent sous un seul coup d'œil". • Petit Larousse (1974) : "Etendue de pays qui présente une vue d'ensemble" La notion de paysage dérive du mot "pays" et signifiait au 16e siècle "une étendue de pays". Dès l'origine, le paysage offre donc une vision globale d'un espace. On peut dater son apparition dans la peinture au début du 15e siècle, quand il cesse d'être vu par une fenêtre pour occuper tout l'arrière plan du tableau7. Le paysage devient objet littéraire aux 18e siècle et 19e siècle, puis se diffuse dans le langage courant au 20e siècle : ne parle-t-on pas aujourd'hui de paysage juridique, politique, audiovisuel8…? Au départ, le paysage (jardin, campagne) est une représentation qui se veut réaliste. Mais très vite, la littérature puis les goûts des aristocraties anglaise et française en font une représentation idéalisée de la perfection : c'est l'origine du succès des jardins, dessinés pour échapper à la vision vulgaire de la campagne cultivée, mais aussi du succès des paysages touristiques dont la carte postale ou la photo de voyage sont aujourd'hui la quintessence. Le paysage est donc ce que l'on voit, entre la très grande échelle et la vision panoramique. Mais il vaut aussi pour ce qu'il exprime ou par ce qu'on lui fait exprimer. Le paysage est donc un terme polysémique assez flou. Historiquement, le paysage, en Europe, est une vue d'ensemble dans un cadre naturel. Préoccupation artistique au départ, le paysage est une notion subjective. Mais le paysage est aussi l'objet perçu : les paysages d'eau sont un des grands types de "motifs" paysagers. Quel est le sens que lui donnent les géographes, quel est son intérêt et quelles sont ses limites dans le cadre de leurs problématiques? B - Le paysage : un objet géographique majeur depuis la fin du 19e siècle Le paysage est un des concepts clés de la géographie moderne car c'est un concept intégrateur, global, qui s'harmonise avec les notions de synthèse et de combinaison chères aux géographes. Il répond aussi à l'orientation de la géographie vers le concret, le visible, l'observation de terrain9. 5 Wieber, 1987 – Le paysage, question pour un bilan, BAGF, 2, p.145-155. 6 Pitte, 1983 – Histoire du paysage français, Paris, Tallendier, 2 tomes, 244 p. 7 même si la peinture de paysage ne devient, en France, un genre à part entière qu'au 19e siècle. 8 Brunet et al, 1992 – Les mots de la Géographie, dictionnaire critique, Reclus, La documentation française, 518 p. 9 Pinchemel, 1997 – La face de la Terre, Paris, Colin, 517 p. 25 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 1 - Fin 19e – années 60 : un objet controversé A la fin du 19e siècle, à l'instar de son chef de file Paul Vidal de la Blache, la géographie fixe comme objet principal de ses préoccupations l'étude des relations entre les sociétés et leur environnement. Dans ce contexte, le paysage est un concept phare qui rend possible de longues descriptions littéraires et permet de comprendre la personnalité des régions françaises. C'est avant tout une définition naturaliste des paysages qui est alors donnée10. Après Vidal, le débat concernant la place à accorder au rôle des sociétés humaines dans l'interprétation des paysages des régions de civilisation agraire ancienne s'est étendu sur plusieurs décennies. - des la première moitié du 20e siècle, certains géographes tentent de sortir des explications exclusivement naturalistes des paysages (Pierre George par exemple11). Une attention est ponctuellement portée aux paysages ruraux12. - mais jusque la fin des années 60, l'homme est mis entre parenthèse en géographie physique dans les domaines de la géomorphologie, de la climatologie, mais aussi de la biogéographie, domaine le plus concerné par le paysage. L'approche du paysage est alors déshumanisée et sectorielle, dans un contexte de matérialisme scientifique qui juge les études paysagères par trop subjectives. C'est alors la mode des "sous paysages"13 : paysage végétal, géomorphologique… 2 - Années 70, la réhabilitation des paysages L'émergence des problèmes d'environnement, tout comme le renouveau des sources (photos aériennes et satellites) propulsent à nouveau le paysage comme concept majeur de la géographie. En relation avec l'artificialisation des espaces humains, les milieux naturels sont appréhendés dans leur contexte social. - le biogéographe Georges Bertrand intègre ainsi à la définition trop naturaliste du paysage une dimension sociale. Il le redéfinit comme une combinaison à trois dimensions – physique, biologique, humaine – et comme une entité dynamique dans le temps14. Mais il élargit aussi sa conception à la dimension subjective, culturelle et symbolique15. - c'est à Roger Brunet que l'on doit, pour la première fois, de voir le paysage clairement situé à l'interface de la nature et des sociétés16. Il émet l'hypothèse que le paysage est "un groupement d'objets visibles qui constituent le reflet de structures produites par des systèmes spatiaux". Cette mise en forme systémique du concept de paysage inspire directement le cadre théorique et conceptuel de notre étude. C - Le "système paysage" et la définition théorique de notre objet d'étude : le paysage visible ou paysage objet Roger Brunet conçoit donc le paysage comme un ensemble de signes matériels. Ces signes, de par leur 10 Vidal de la Blache, 1903 - "Tableau de la géographie de la France", Histoire de la France de Lavisse. Tome 1, 1re partie, Paris, Hachette, 1903, 395 p. 11 P. Georges, 1936 – La forêt de Bercé. Etude de géographie physique, thèse complémentaire, Paris. 12 Dion, 1934 – Essai sur la formation du paysage rural français, Flammarion. 13 Rougerie, 1977 – Géographie des paysages, PUF, Paris, 126p. 14 Bertrand, 1968 – Paysage et géographie physique globale. Esquisse méthodologique, RGPSO, 3, p. 249-272. 15 Bertrand, 1978 – Le paysage entre nature et société, RGPSO, 49, p. 239-258. 16 Brunet, 1974 – Analyse des paysages et sémiologie. Eléments pour un débat, L'espace géographique, n°2, p. 120-126. 26 appartenance au monde du réel (dimension de champ, hauteur de haies, densité d'habitations…), peuvent être l'objet d'une analyse objective mais aussi d'une interprétation. Ainsi, le signe "témoigne et offre une possibilité de remonter (…) aux mécanismes qui l'ont produit, c'est-à-dire aux systèmes". Cette approche systémique du paysage est complétée par JC. Wieber et T. Brossard système paysage en trois systèmes interactifs : 17 qui subdivisent le - un système producteur composé d'éléments abiotiques (géologiques, pédologiques, climatiques…), biotiques (végétaux) et construits (anthropiques). - un système paysage visible, mis en place par le système producteur : il est constitué des objets concrets du paysage (champs, routes, habitations…) qui eux-mêmes renvoient des images. - un système utilisateur (consommateur/aménageur) qui découle des deux premiers, mais qui peut avoir des incidences rétroactives sur chacun d'entre eux. Figure 4 : Le système paysage (d'après T. Brossard et JC Wieber,1984) Rappelons néanmoins que cette recherche porte sur le paysage objet, c'est-à-dire sur l'ensemble des éléments paysagers visibles produits par une interaction dynamique entre société et nature. C'est pourquoi nous concentrerons notre attention sur les éléments biotiques, abiotiques et anthropiques du "système producteur" ainsi que sur les actions sur le paysage du "système utilisateur" car ils s'inscrivent concrètement dans l'espace; par contre, nous laisserons de côté le thème des "images" du paysage visible car il entre dans une problématique qui n'est pas la notre (celle des représentations mentales du paysage). Par ailleurs, à la suite de Burel et Baudry18, on retiendra deux catégories principales d'éléments paysagers : les "taches", qui correspondent à des espaces élémentaires présentant une homogénéité paysagère (espaces 17 Brossard, Wieber, 1979 – Essai de formulation systémique d'un mode d'approche du paysage. BAGF, n° 468, p. 103-111. 18 p. Burel F, Baudry J, 1999 – Ecologie du paysage, concepts, méthodes et applications, Editions TEC1DOC, 359 27 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION de labours, d'habitats, prairies, marais …); des "corridors", qui sont eux des éléments linéaires (réseaux des haies, des routes…). Figure 5 : Les catégories d'éléments du paysage (d'après Burel19) On ne se limitera pas cependant à un inventaire du paysage objet : on tentera aussi de préciser les relations de la société au paysage par le biais des politiques, des conceptions d'aménagement mais aussi par l'analyse des représentations dans certaines sources écrites ou picturales. On analysera donc le paysage en tant que produit d'une société qui aménage son espace, en tant qu'héritage fonctionnel constamment retouché, réorganisé par l'évolution de la société, bref, en tant qu'une des composantes des systèmes spatiaux. Un concept opératoire pour l'analyse des paysages d'eau : le système Le recours au concept de "système" s'est largement répandu dans divers domaines des sciences humaines. Roger Brunet le définit comme un "ensemble organisé d'éléments et d'interactions entre les éléments"20. En géographie, ses avantages sont multiples : il permet de penser la complexité et convient bien à la pensée "circulaire" de cette discipline très attachée au thème des causalités multiples. Quel est son intérêt plus particulier pour l'étude des paysages d'eau, comment l'intégrer à notre raisonnement? A - Spécificités des paysages d'eau 1 - Les milieux humides, producteurs de paysages naturels originaux La spécificité des paysages d'eau vient en premier lieu de la nature du milieu qui les produit. En effet, plaines inondables et zones humides sont des milieux originaux où les terrains sont submergés pendant des crues de fréquences variables (annuelles, décennales, centennales ou même des crues plus exceptionnelles). Dans le cas de la vallée de la Canche, on peut considérer que, selon une définition hydrologique, les zones humides correspondent à l'aire d'extension de la crue centennale. Les paysages naturels présentent donc de fortes spécificités, l'eau étant ici un facteur essentiel d'organisation et d'évolution des paysages21. L'abondance de l'eau s'exprime aussi dans les paysages par la présence d'éléments naturels "marqueurs" récurrents, tels que les marais, les prairies humides ou encore les boisements hygrophiles (aulnaies eutrophes ou saussaies dans le cas de la Canche22). 19 Ibid. 20 Brunet et al, 1992, op. cit. 21 Descamps 1989 – L'écologie des fleuves, La Recherche, n°208, p. 310-319. 22Travaux et recherches du Laboratoire de géographie rurale de Lille, 1975 – Spécial pays de Montreuil, Université 28 2 - Des paysages de plus en plus anthropisés Dans le cas des pays d'agriculture ancienne, ces paysages naturels ont été transformés de longue date, car la présence de l'eau constitue une ressource pour les sociétés riveraines. Des fonctions sacrée, stratégique, productrice de ces espaces se sont inscrites et s'inscrivent donc elles aussi dans les paysages sous diverses formes (ouvrages d'art, parcelles à vocation pastorale ou maraîchère23 par exemple). Les tendances globales d'évolution paysagère depuis le Moyen Age sont une simplification du cours d'eau liée à une culture de l'endiguement typiquement française24, une régression de la forêt alluviale et une réduction des espaces inondés et inondables par création de digues et de réseaux de drainage au profit des espaces cultivés, comme c'est le cas pour le Rhône25. L'évolution dans le temps des paysages d'eau est donc un phénomène complexe qui est sous la dépendance de divers processus, agissant à différentes échelles : • l'évolution de ces milieux définis par des critères naturels est bien sur régulée par des processus naturels : les variations climatiques, à l'échelle historique, peuvent être des facteurs de modifications paysagères, tout comme les transformations des processus érosifs au sein des bassins versants. En particulier, le phénomène de remblaiement peut conduire à un assèchement progressif des milieux humides. Mais ce processus est aussi - et surtout - lié à l'action des hommes ; • ainsi à l'échelle locale, des enjeux entre propriétaires de l'espace régulent l'évolution des milieux humides. En particulier, les actions diverses menées contre les crues (digues) contribuent généralement à favoriser les atterrissements ; • mais des enjeux politiques et économiques, à échelle nationale, peuvent aussi contribuer à remodeler milieux humides et paysages ; • les milieux humides, et donc des paysages d'eau qu'ils engendrent, peuvent enfin être soumis à des variations en terme de situation stratégique à l'échelle internationale : correspondent-ils par exemple à des espaces frontaliers? Sont-ils potentiellement des axes majeurs en termes de communication?… Ces situations diverses conduisent logiquement à des types de mises en valeur particulières qui contribuent à structurer les paysages dans leurs grandes lignes. La basse-vallée de la Canche a ainsi été une zone frontalière au début de l'époque Moderne et les marais ont été préservés et intégrés à la fonction défensive de Montreuil par la création d'écluses permettant d'en réguler le niveau. B - Intérêt du concept de système pour l'étude des paysages d'eau : une prise en compte d'échelles d'espace et de temps élargies Compte tenu des éléments qui contribuent à l'évolution dans le temps des paysages d'eau (ils viennent d'être évoqués ci-dessus), on peut subdiviser le système spatial engendrant ces paysages d'eau en deux sous-systèmes : l'hydrosystème d'une part, dont l'entrée est naturaliste, préoccupé par les modalités de la des sciences et technologie de Lille, Institut de géographie, 59650 Villeneuve d'Ascq, cahier n°3, 40p. 23 Sajaloli, 1994 – Histoire d'eau dans le marais de la Souche (Aisne) : le fonctionnement de l'hydrosystème, reflet de l'alternance des cycles d'abandon et d'appropriation? Bulletin de l’Association des Géographes Français, p. 251-266. 24 Guillerme, 1997 – Les temps de l'eau – La cité, l'eau et les techniques (fin XIIIe-début XIXe siècle), Seyssel Champs Vallon, 186p. 25 Bravard, 1987 – Le Rhône. Du Leman à Lyon. La manufacture, Lyon, 452 p. 29 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION présence de l'eau; le sociosystème d'autre part, dans une approche socio-politique, centrée elle sur les sociétés hydrauliques. Ces deux sous-systèmes sont bien sur en étroite relation et ne sont que des outils intellectuels au service de l'analyse d'une et unique réalité, le paysage comme traduction objective de la prise en compte de l'aléa inondation par la société. 1 - L'hydrosystème et le sociosystème : définition "L'hydrosystème correspond à un ensemble d'écosystèmes interactifs qui intègre à la fois des éléments naturels et des éléments issus des interventions humaines. Il s'agit d'avoir une approche globale (…) en effet, l'étude d'un fleuve ne peut se limiter aux seules eaux courantes de son lit mineur, mais doit intégrer l'espace environnant26". Le sociosystème s'intéresse lui de façon primordiale aux acteurs de l'espace, à leurs motivations politiques et à leurs capacités techniques27. 2 - Intérêt de l'approche systémique Jusqu'à récemment, les recherches ayant trait au thème de l'eau ont souvent été le fait d'études hydrologiques très spécialisées. Ces recherches, pointues, se sont peu souciées des modalités globales de la présence de l'eau et n'ont guère insisté sur la diversité des facteurs conduisant à telle ou telle situation naturelle. Ce type de démarche ne peut constituer à lui seul un support à l'étude des paysages d'eau, pour les raisons qu'on a évoquées précédemment. C'est pourquoi notre réflexion s'appuiera sur les concepts d'"hydrosystème" et sociosystème, concepts intégrateurs qui envisagent le fonctionnement des milieux humides dans leur globalité en faisant référence à des échelles géographiques et des facteurs de causalités multiples. Aussi ne limite-t-on pas strictement l'espace étudié aux seules zones inondables ou humides de la plaine alluviale. L'ensemble du bassin versant est considéré comme un ensemble physique homogène au sein duquel les transformations de l'utilisation du sol, dans le fond de vallée mais aussi sur les versants et les interfluves, peuvent contribuer à expliquer la dynamique des paysages d'eau28. Stratégie d'aménagement, territoire, gestion du milieu par les hommes sont aussi des éléments clés pour leur bonne compréhension. A quel site d'étude particulier va-t-on appliquer grille conceptuelle? 8.1.2. Les lieux : la vallée de la Canche La vallée de la Canche, petite vallée fluviale du nord de la France, constitue le cadre de notre étude. Compte tenu des lieux précisément concernés par les cartes anciennes et compte tenu du temps dont nous disposions, nous avons cependant dû limiter nos analyses à quelques secteurs aux alentours de Montreuilsur-Mer (communes de La Calotterie, Beutin, Neuville-sous-Montreuil et de Montreuil) et d'Hesdin (communes de Marconne, de Grigny et de Sainte Austreberthe, d'Huby-Saint-Leu et Marconnelle). Les paysages d'eau stricto sensu se localisent bien sûr dans la plaine inondable de la Canche, mais il nous a fallu considérer plusieurs échelles spatiales et temporelles pour en comprendre la genèse et l'évolution. 26 Amoros et al, 1988 – Les concepts d'hydrosystème et de secteur fonctionnel dans l'analyse des systèmes fluviaux à l'échelle des écocomplexes. Bulletin Ecologique, n°19-4, p. 531-546. 27 28 Leveau, op. cit. Décamps, Izard, 1992 – L'approche multiscalaire des paysages fluviaux. Hiérarchies et échelles en écologie, n°12, p.115-126. 30 C'est pourquoi il convient de présenter les lieux étudiés, dans un contexte géographique et historique "élargi". La vallée de la Canche : une petite vallée fluviale du nord de la France Contexte régional Tout comme la Somme et l'Authie, la Canche fait partie des fleuves côtiers du nord du Bassin Parisien dont l'écoulement vers la Manche se fait du sud-est au nord-ouest, parallèlement aux plissements qui ont affecté la région. L'embouchure de la Canche prend la forme d'un petit estuaire. Son bassin versant, couvrant environ 1 300 km² entre les plateaux agricoles d'Artois au nord et du Ponthieu au sud, est un des plus vastes du Pas-de-Calais. La Canche constitue le cours d'eau principal (60 km de long environ) mais de petits affluents viennent s'y greffer, grossièrement de manière perpendiculaire. Le principal d'entre eux est la Ternoise, qui rejoint la Canche au niveau d'Hesdin. La craie crétacée du Turonien, Sénonien et Campanien est le constituant dominant du bassin versant29. Elle est recouverte par des formations du Tertiaire et du Quaternaire, des limons assez perméables qui permettent la constitution d'une nappe phréatique bien alimentée, elle-même retenue par les marnes imperméables sous-jacentes. Ceci explique la relative régularité des débits de la Canche : 12 m3.s-1 à Brimeux en moyenne, avec une période de hautes eaux de novembre à mai30. Le fond de vallée est recouvert d'alluvions argileuses ou argilo-sableuses et localement de tourbières. L'eau dans la vallée de la Canche Les paysages d'eau sont, on l'a déjà évoqué, des paysages liés avant tout à une situation originale dans des milieux où l'eau est omniprésente sous diverses formes. Il est donc nécessaire de revenir sur les modalités naturelles de la présence de l'eau dans la vallée de la Canche : quelles sont les ressources, mais aussi les contraintes fournies par cet élément aux sociétés humaines? Tenter de donner quelques éléments de réponse à cette question nous éclairera en partie sur les motivations qui ont conduit les hommes à réaliser tel ou tel type d'aménagement, et donc indirectement à produire tel ou tel type de paysage construit. 1 - Les cours d'eau Les cours d'eau principaux du bassin versant étudié sont la Canche et la Ternoise : de par leur taille (quelques dizaines de km de long) et leur débit (Tableau 1), ce sont de petits cours d'eau à l'échelle nationale. Ils sont assez encaissés dans le plateau dont l'altitude décline de l'est vers l'ouest, passant de 120 mètres environ en amont d'Hesdin à une cinquantaine de mètres au niveau de Montreuil. Le fond de vallée s'établit quant à lui entre des altitudes de plus de 30 mètres à Frévent et d'à peine 5 mètres à l'intérieur de l'estuaire. La topographie bien marquée (75 m de dénivelé environ à Hesdin, 50 à Montreuil) individualise assez nettement une plaine alluviale inondable, d'une largeur maximale d'un km et demi à Montreuil. La pente amont/aval du fond de vallée est très faible (0.2% dans le haut du bassin et 0.05% à Beutin), ce qui 29 Carte géologique d'Hesdin et Montreuil au 50 000e 30 Atlas zones inondables, région Nord-Pas de Calais : vallée de la Canche. Préfecture, Région NPC, DIREN NPDC, Agence de l'eau Artois Picardie, Conseil Régional (6 p., 10 cartes). 31 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION conduit la Canche à former de vastes méandres, particulièrement en aval à la hauteur de Montreuil et audelà. Au niveau d'Hesdin, les cours d'eau (Canche et Ternoise) sont plus sinueux, mais le chenal de la Canche a été rectifié entre Marconnelle et Bouin-Plumoison de telle sorte que ce segment apparaît aujourd'hui parfaitement rectiligne. 2 - Les crues de la Canche La Canche, de par sa situation géographique régionale (en terme climatique et topographique) est régulièrement concernée par les phénomènes de crue. Ils peuvent être liés à différents types de mécanismes31 : des mécanismes naturels : des différences amont / aval - pour l'essentiel, les crues de la Canche découlent de l'intensité des précipitations au sein du bassin versant. Dans cette région de climat océanique, les précipitations sont importantes du fait de la proximité de la côte. La bande la plus arrosée s'étend entre 20 et 40 km de la côte dans les collines de l'Artois. Les précipitations dépassent souvent 900 mm, même dans la vallée de la Canche (on a relevé 910 mm de précipitation annuelle à Attin). Plus à l'intérieur, les totaux pluviométriques baissent un peu (autour de 700 mm à Frévent)32. La période froide est la plus humide, et compte tenu de la relative faiblesse de l'évapotranspiration durant cette période, les crues sont directement liées aux pluies. Ces inondations comptent parmi les plus longues du Pas-de-Calais et touchent en premier lieu les secteurs situés en aval de la vallée de la Canche, antre Etaples et Montreuil, plus plats et évasés. Leur durée moyenne est comprise entre 15 et 46 jours sur la période 1973-1995, avec des événements exceptionnels beaucoup plus longs (la crue de janvier 1995 a inondé le fond de la vallée pendant 83 jours)33. - c'est la présence de la nappe phréatique, en situation affleurante, qui donne aux crues ces durées exceptionnelles, en particulier dans la partie aval de la vallée. La Somme, qui connaît le même contexte hydro-géologique, a d'ailleurs connu récemment des événements d'une ampleur et d'une durée tout à fait exceptionnelle en France qui prouve l'importance du rôle joué par les réservoirs d'eau de la craie. - dans la basse-vallée, les périodes de fortes marées (elles remontent jusqu'à Montreuil) contribuent à maintenir des niveaux d'eau élevés en période de crue.- l'été, et beaucoup plus localement, des orages peuvent conduire à des crues qui ne durent que quelques jours ou quelques heures. Le secteur d'Auchyles-Hesdin, sur la Ternoise, est particulièrement touché par ce type de crue. Tableau 1 : Débit de la Canche à Brimeux (1973-1995) Débit (m3.s-1) Module Q2 Q5 Q10 Q50 Q100 11.8 20.4 25 29 35 41 Le module de la Canche est bien celui d'un cours d'eau modeste à l'échelle nationale. De même, ses crues 31 Topin, 2000 – Analyse et cartographie des inondations dans la région Nord-Pas-de-Calais. Thèse de doctorat en géographie, Univ. Lille 1, 365 p. 32 Escourou, 1982 – Le climat de la France. Que-sais-je ? n° 1967, 128 p. 33 Topin, op. cit. 32 sont assez modestes puisque le débit de la crue centennale est à peine 4 fois plus important que le débit moyen. Le problème posé par les crues de la Canche est donc plus lié à leur durée qu'à leur ampleur. Des influences anthropiques La plaine alluviale remplissait naturellement une fonction de réserve hydrologique temporaire pour une part importante du volume de crue du lit majeur. Ce rôle est de plus en plus malmené par la présence de fonctions concurrentes liées à l'urbanisation du fond de la vallée. D'autre part, le développement de nouvelles pratiques agricoles favorise le ruissellement lors des orages par le phénomène de battance. De ce fait, les enjeux sociaux et économiques liés aux crues ont changé au cours du 20e siècle et engendrent de plus en plus de conflits34. Pour conclure, on peut noter que la dynamique fluviale de l'ensemble de la vallée est favorable au phénomène de colmatage, accéléré depuis le milieu du Moyen Age, en partie à causes de phénomènes naturels tels que le relèvement du niveau marin. Ainsi, alors que l'estuaire était au début du Moyen Age d'une largeur de 10 km, il n'en mesure plus maintenant que 4 à Etaples35. Mais les constructions humaines pour lutter contre les crues ou pour conquérir des terres ont joué également un rôle important dans ce processus : endiguements et renclôtures ont réduit les capacités d'évacuation des crues. Quelques jalons historiques pour la mise en perspective des dynamiques spatiales dans la vallée de la Canche Il apparaît de plus en plus évident que le temps est une dimension capitale pour aborder le thème des relations territoire/inondation36. La nécessité de prendre en compte des causalités multiples pour comprendre la genèse et l'aspect des paysages actuels implique ainsi de se situer dans une dimension temporelle assez longue pour pouvoir souligner d'éventuelles ruptures dans ce qu'on appelle de façon schématique l'"anthropisation". Situation et fonctions de la vallée de la Canche avant le 18e siècle Occupée depuis le Néolithique, la vallée de la Canche est précocement un axe de communication : dès le 9e siècle, les Normands installent à l'intérieur de l'estuaire un port à Quentovic, actuellement Etaples. Jusqu'en 1581 les bateaux poussés par le flux des marées remontent à Montreuil, qui possède aussi des appontements. Ceux-ci servent surtout à recevoir des navires de commerce, puisque depuis le 12e siècle Montreuil est le débouché pour l'Artois du commerce avec l'Angleterre pour des produits tels que les céréales37. Le bassin versant de la Canche est effectivement mis en valeur, progressivement, après le 11e siècle, parallèlement à la mise en place du cadre paroissial. Les forêts disparaissent peu à peu en raison des pâquis prépondérants, les surfaces en labours s'étendent38. Au nord d'Hesdin cependant, un vaste espace forestier 34 Laganier R et al, 2000 – Inondation, territoire et aménagement : l'évolution de la prise en compte du risque inondation dans la vallée de la Canche (Pas-de-Calais). Géocarrefour, Revue de géographie de Lyon, vol. 77, n°4, p. 375-382. 35 Briquet, 1930 - Le littoral du nord de la France et son évolution morphologique. A Colin, 484p. 36 Leveau, op. cit. 37 Demangeon, 1905 – La Picardie et les régions voisines, Artois, Cambrésis, Beauvaisis. A.Colin, 496p. 38 Fossier, 1980 – Etapes de l'aménagement du paysage agraire au pays de Montreuil, Revue du Nord, janvier- 33 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION est conservé (actuelle forêt domaniale d'Hesdin) pour l'agrément des comtes de Bourgogne qui avaient élu résidence à proximité (commune du Parcq). Les grandes lignes des paysages ruraux sur les plateaux commencent à se mettre en place. Il convient d'emblée de souligner la probable diversité de l'utilisation du sol et donc des paysages du fond de vallée à cette période, compte tenu d'abord de la mosaïque d'écosystèmes en place. Comme pour d'autres zones humides de la région39, les terres les plus "sèches" ou les plus fertiles sont drainées, défrichées et mises en cultures (renclôtures) dès le Moyen Age, par exemple dans la basse vallée au niveau de la Calotterie40. Les zones plus humides (prairies naturelles, aulnaies marécageuses, marais) servent quant à elles principalement de pâturages pour le bétail, vaches et moutons41. B. Béthouard souligne d'ailleurs l'existence d'une enquête datant de 1236 qui fait état des "marais libres de pâturage, de tourbage et de cueillette42". L'appropriation du sol prend différentes formes. Ainsi, si une grande partie des zones humides et inondables correspond à des territoires communaux43, la haute vallée (en amont de l'actuel Hesdin dans la vallée de la Ternoise) est incluse dans la résidence artésienne des Ducs de Bourgogne au 14e siècle. Des recherches récentes attestent de l'existence d'une mise en valeur et d'éléments paysagers remarquables : jardins, vergers, osières…44 Cette période de paix et de prospérité médiévale se termine à la fin du 15e siècle alors que les Espagnols occupent au nord une partie de l'ancien comté de Flandre45. La vallée de la Canche acquiert à ce moment une situation frontalière qui lui confère dès lors un intérêt stratégique, Montreuil et Hesdin devenant des places fortes. Les zones de marais sont en certains secteurs aménagés dans un but défensif, c'est le cas dans le val de l'Ecureuil (sud-est de Montreuil) où les inondations sont contrôlées grâce à une écluse46. A partir du 18e siècle Quand l'Artois est définitivement rattaché à la France par les traités des Pyrénées en 1659 et de Nimègue en 1678, les fonctions défensives des marais perdent peu à peu de leur intérêt. La Province retrouve alors la prospérité perdue à la fin du Moyen Age. L'élevage est partout présent, mais son importance par rapport aux cultures ne va alors cesser de décroître : ce phénomène se traduit dans les marais, considérablement défrichés et mis en culture. Le processus de mars n°244, p. 97-117. 39 Duceppe-Lamarre, 1998 – L'homme et la nature au moyen-âge : naissance de l'écologie en Europe occidentale (X-XVIème siècles), étude archéologique du paysage des milieux forestiers des comtés médiévaux d'Artois, d'Avesnes, de Flandre et de Brabant, Thèse de 3ème cycle. 40 Briquet, op. cit. 41 Actes du colloque du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Amiens (1994) - Sociétés humaines et milieux humides en Picardie, du littoral picard aux marais laonnois, édition préparée par E.P . Désiré et R. Regrain publiée en 1996. 42 Béthouard et al, 1998 – Histoire de Montreuil-sur-Mer. Le Téméraire : collection Terres septentrionales de France, 344 p. 43 Béthouard, op. cit. 44 Becq et al, 1999 – Les parcs et jardins des résidences des ducs de Bourgogne au 14e siècle. Réalités et représentation. La définition palatiale : données historiques et archéologiques, VIIe Congrès International d'Archéologie Médiévale de la Société d'archéologie médiévale, 9-11 septembre 1999, Le Mans-Mayenne (sous presse). 45 Lestocquoy, 1949 – Histoire de la Flandre et de l'Artois. PUF, Que-sais-je n°375, 128p. 46 Béthouard, op. cit. 34 renclôture prend alors un nouvel essor dans la vallée de la Canche et les endiguements progressent, surtout dans la plaine d'estuaire aux 17e et 18e siècles. Des processus d'appropriation particulière se mettent en place et les marais communaux sont peu à peu grignotés. Au 19e siècle, cette tendance se renforce : alors que les cultures industrielles progressent dans l'ensemble du bassin versant, les jachères régressent au profit des fourrages artificiels47. Les marais perdent peu à peu leur fonction de pâturage au profit du tourbage48, puis de la populiculture49. Actuellement Le 20e siècle est caractérisé par une urbanisation qui pousse les hommes à occuper encore davantage le fond de vallée et ses zones inondables. La densification de l'occupation des zones inondables, et donc leur artificialisation, ne vont pas sans poser divers problèmes. La gestion des crues en particulier est devenue une préoccupation essentielle des collectivités locales, des politiques, des assureurs, car les dommages qu'elles engendrent ne cessent d'augmenter, on y reviendra. L'intérêt des lieux dans le cadre de notre étude sur les paysages d'eau 1 - La vallée de la Canche est un espace mis en valeur par les hommes depuis longtemps : cette profondeur historique permet une analyse comparée et donc relativisée des rapports entretenus par les sociétés avec leur territoire à risque, et ainsi une compréhension plus fine des paysages d'eau. On pourra repérer d'éventuelles discontinuités temporelles dans l'évolution des paysages, correspondant à des ruptures de l'action des riverains sur les zones inondables (capacités techniques des sociétés locales variables dans le temps). 2 - La situation de la vallée dans l'espace national a varié : axe de communication puis zone frontière jusqu'au 17e siècle, elle a quelque peu perdu depuis son intérêt stratégique au profit d'autres fonctions. Il est probable (c'est ce que l'on va essayer de vérifier dans cette recherche) que les paysages d'eau gardent trace de structures paysagères héritées. 3 - La persistance relativement longue des crues donne à la Canche son intérêt. Les paysages étudiés sont produits par un milieu physique original, source de potentialités mais aussi de menaces, support de l'imaginaire et des représentations. Sa pesanteur est donc forte pour les hommes, et, comme dans d'autres types de milieux contraignants (le littoral par exemple), les facteurs naturels ont une telle importance qu'ils conduisent à des interactions société/nature très singulières50. 47 Paques G, 1997 - Villages et mise en valeur des terroirs entre la moyenne vallée de la Canche et la moyenne vallée de l'Authie (1800-1860). Mémoire de maîtrise d'Histoire, Université de Lille 3. 48 Picouet et al – Eléments pour une géohistoire des paysages d'une marge humide : la basse vallée de la Canche (Pas-de-Calais, France). Hommes et Terres du Nord, n°2, p. 69-76. 49 Dubois, 1975 – Note sur les forêts du pays de Montreuil et des Bas-Champs picards, Trav. Et Rech. Du Lab. De Géo. Rurale de Lille, n°3, 40p. 50 Corlay, 1995 – Géographie sociale, géographie du littoral. Norois, Poitiers, t. 42, n°165, p. 247-265. 35 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 8.1.3. Problématique : la contribution de la géohistoire à la reconstitution de la mémoire du risque inondation La problématique retenue est avant tout d'ordre méthodologique. Ce travail de recherche se base sur l'analyse de documents iconographiques (principalement cartes et photographies aériennes) dont les plus anciens datent du milieu du 18e siècle. On tentera de déterminer en quoi la confrontation de ces documents d'époques différentes peut permettre une étude diachronique des paysages d'eau dans la vallée inondable de la Canche. Cette confrontation de documents de nature et d'âges différents nous guidera vers deux types de réflexions : une analyse et une interprétation ponctuelle des observations faites sur les documents. On tentera en effet d'identifier dans les paysages des structures significatives et représentatives de logiques d'utilisation de l'espace particulières (marais, prés, haies ou moulins par exemple). Les signes du paysage étudié seront identifiés, répertoriés, analysés, interprétés. On les replacera dans une réflexion systémique, en cherchant à découvrir ce que ces paysages révèlent des sociétés qui les ont façonnés ou sont en train de les constituer. Le paysage sera lu comme l'expression des sociétés qui l'ont produit, dans leurs aspects techniques, économiques, sociaux, mais aussi idéologiques et culturels dans la mesure du possible. En d'autres termes, on montrera en quoi les paysages d'eau dans la vallée de la Canche sont l'expression des liens qu'ont entretenus et entretiennent les sociétés locales avec leur territoire et, de façon indirecte, le risque inondation. On s'intéressera particulièrement aux liens entretenus par les hommes avec le phénomène de crue par le biais de la relation société / arbres. une synthèse géo-historique plus "large" concernant les paysages d'eau dans la vallée de la Canche. On tentera ainsi de replacer les interprétations ponctuelles dans une réflexion tenant compte de processus agissant à diverses échelles (temporelle et spatiale). Il ne s'agit cependant pas de déterminer une évolution paysagère au sens strict du terme puisque les sources dont nous disposons sont discontinues dans le temps. C'est donc sur le paysage visible qu'on travaillera, à partir de cartes anciennes surtout, pour tenter de remonter aux systèmes de forces naturels et anthropiques qui l'ont produit. Gardons cependant à l'esprit que le paysage n'est qu'un des éléments des structures spatiales et rappelonsen les limites dans le cadre de notre étude : certains problèmes méthodologiques devront être soulevés pour permettre l'étude des paysages à partir de la comparaison de documents de nature et d'origine variée, de plus discontinus dans le temps. Il s'agira entre autre de voir comment on peut analyser des paysages, tridimensionnels par définition, à partir de documents cartographiques qui ne restituent que 2 dimensions. le paysage ne reflète pas tous les éléments qui l'engendrent (économie, politique…). il présente des phénomènes de rémanence : des éléments paysagers liés à d'anciens systèmes producteurs prennent une fonction active dans des systèmes nouveaux. Un signe paysager peut donc ne pas relever que d'un seul système spatial, d'où la difficulté des interprétations qui nécessitent une connaissance fine des lieux et de leur histoire51. il présente également des phénomènes de convergence : l'existence d'un signe paysager est liée à des causalités multiples. 51 Brunet, 1974 – op. cit. 36 mais il existe aussi des phénomènes de divergence qui font qu'une même cause peut se traduire par des paysages différents. C'est donc bien un faisceau imbriqué de causes, à différentes échelles de temps et d'espace, qui conduit à l'existence des paysages actuels qu'on va analyser. C'est pourquoi l'analyse systémique des paysages est difficile : elle oblige à poser la complexité en prétendant garder l'ensemble des relations et des éléments52. Ce type d'approche a déjà été expérimenté pour d'autres paysages d'eau (vallée de l'Escaut53, marais de la Souche54…). Son intérêt est de permettre une compréhension des relations entre les hommes et un milieu dont on a déjà présenté les contraintes à divers égards et de montrer comment les paysages se font écho de ces relations. La démarche entreprise ici est donc une démarche de géographie historique, domaine d'étude que l'on peut concevoir comme "une application au passé de la méthode de l'analyse géographique"55. L'approche géo-historique est multiforme et se situe à l'interface de plusieurs disciplines; elle a pour but une compréhension globale des territoires. Quel est l'intérêt de la géographie historique pour l'étude et la compréhension actuelle des paysages d'eau? Une approche multiforme Le caractère "multiforme" de l'analyse géo-historique se traduit actuellement par la diversité des approches qui peuvent la nourrir, tant archéologiques que palynologiques, biogéographiques ou géomorphologiques… Mais, avant d'arriver à cette situation, les préoccupations de la géographie historique ont considérablement évoluées depuis le début du siècle : elle a longtemps été le domaine réservé de la géographie des territoires. On s'intéressait alors au tracé des frontières et à leur évolution dans l'espace et dans le temps (comme Vidal de la Blache dans son étude sur la France de l'Est). dans la première moitié du 20e siècle, ce domaine de la géographie s'est ensuite concentré sur des problématiques naturalistes, à la suite de géographes comme Flatrès qui a étudié les paysages arborés et leur histoire. Ces recherches étaient fondées sur des approches plutôt techniques et physiques. plus récemment, la géographie historique s'est rapprochée de considérations plus sociétales (par P. Fagot et JP. Bravard à propos de l'évolution de l'Ain depuis le 18e siècle56.ou de B. Sajaloli57 sur les marais de l'Aisne). Approche sociétale des zones humides et inondables et des paysages d'eau : évolution récente et 52 Brunet, 1979 – Systèmes et approche systémique en géographie, BAGF, n°465, p. 406-407. 53 Dubois J.J, Kergomard C, Laganier R., 2000 – Analyse géohistorique des paysages d'eau de la région de Condé-sur-l'Escaut (Nord). De l’artificialisation de la nature à la naturalisation de l’artifice. Hommes et Terres du Nord, n°2, p. 77-85. 54 Sajaloli, op. cit. 55 De Planhol, 1988 – Géographie historique de la France. Fayard, 635p. 56 Fagot et al, 1989 – La forêt alluviale du lit majeur de l'Ain, Revue de géographie de Lyon, 1989, vol. 64/n°4, p. 218-222. 57 Sajaloli, op. cit. 37 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION problèmes actuels Constat : une artificialisation récente accélérée Le constat actuel concernant l'évolution des milieux humides à petite échelle est celui d'une artificialisation (notamment par urbanisation, industrialisation…) de plus en plus poussée. Ce constat se vérifie dans la vallée de la Canche où, pendant le 20e siècle, les infrastructures en tout genre se sont multipliées dans les zones inondables. On pourra citer à titre d'exemple la création du champ de course du Touquet en 1924 par renclôture des secteurs de molières situés dans l'estuaire58, et plus récemment l'implantation de centres commerciaux dans les zones inondables (magasin Leclerc à Neuvillesous-Montreuil par exemple) ou le développement de petites zones industrielles dans les communes voisines d'Hesdin. Le fond humide et inondable de la vallée a été en partie occupé aussi, dans les communes de Marconne et Marconnelle entre autres, par des zones d'habitations, des campings, des infrastructures sportives diverses… Conséquences économiques, écologiques et paysagères Les conséquences économiques et écologiques d'une telle situation sont lourdes : la multiplication et la diversification des activités anthropiques dans les zones humides et inondables remettent en cause des équilibres établis de longue date entre les hommes et leur milieu. Les crues deviennent ainsi de plus en plus coûteuses. Elles sont d'une part plus nombreuses59, et ce à cause de l'artificialisation du fond de vallée qui rend les écoulements de surface plus agressifs. Ainsi, la réduction des surfaces en marais a-t-elle réduit la fonction de "tampon" régulatrice que ces zones pouvaient avoir par le passé. Elles sont par ailleurs plus dévastatrices tout simplement parce que les hommes l'occupent en plus grand nombre. La vulnérabilité du milieu en est ainsi accrue et justifie la multiplication d'organismes ou associations voués, à diverses échelles, à aménager, organiser, protéger le bassin versant et les zones humides de la Canche et à gérer de façon plus cohérentes les crues. Par exemple, le SIABVC (ou Syndicat d'Aménagement de la Basse Vallée de la Canche), maintien et restauration de champs d'expansion des crues; réflexion globale au sujet des digues, mises en place par à-coup ces dernières années pour faire face localement et dans l'urgence aux problèmes liés aux crues… Les conséquences sont bien sur aussi paysagères : les paysages d'eau "traditionnels" se voient concurrencés ou remplacés par d'autres de type plus banal. La rapidité de ces mutations a contribué à une prise de conscience locale de l'intérêt patrimonial et touristique de tels paysages, façonnés au cours des siècles et reflets des adaptations de l'homme au milieu. Le paysage tend ainsi à devenir une puissante référence communautaire, le signe d'une appartenance géographique et sociale60. Conclusion et contexte général : vers une meilleure intégration de l'homme dans la nature? Le contexte social local est donc à une redéfinition – ou tout du moins une tentative de redéfinition – des relations entre les hommes et le milieu dans lequel ils vivent. Ces réflexions, qui concernent tous les acteurs locaux de l'aménagement du territoire (riverains, politiques, assureurs…) se font l'écho de tendances plus générales : après avoir maîtrisé et artificialisé la nature, les hommes tentent maintenant de redéfinir leur insertion et leur rapport avec elle, de façon à ne plus l'endommager61. 58 Picouet, 1998 – La plaine maritime picarde et son littoral. Apport de la télédétection à l'étude des interactions entre la société et la nature. Université de Lille 1, thèse, 371 p. 59 Boullet et al, 1988 – Etude écologique de la vallée de la Canche aux abords de Montreuil-sur-mer. Rapport de la DIREN, DRAE-NOR, Bureau d'étude impact environnement aménagement, 50p. 60 Kleinschmager, 1987 – Paysages d'enfance. Annotations subjectives. Hérodote, n°44, p. 137-140. 61 Larrère, Larrère, 1997 – Du bon usage de la nature, pour une philosophie de l'environnement. Alto-Aubier, 38 Plus précisément, il semble qu'on soit à une charnière dans la conception des aménagements des cours d'eau, et les techniques mises en œuvre sont désormais plurielles. La notion d'aménagement du cours d'eau s'affine et ne s'affranchit plus d'une vision globale, ce après la prise de conscience qu'un aménagement qui maîtrise une crue à l'amont risque d'aggraver les conditions de débordement à l'aval. Ainsi se développent des actions plus respectueuses du fonctionnement de l'entité cours d'eau62. Quelle part, dans ce nouveau contexte social, peut prendre une démarche de géographie historique? Compte tenu du contexte et des attentes sociales qui viennent d'être évoquées, l'intérêt de la géographie historique est de divers ordres : dans un premier temps, elle peut fournir des réponses aux interrogations concernant le passé des territoires et la mémoire des lieux63. La géographie historique des paysages, faite à partir de documents anciens, révèle leur mobilité et permet de relativiser la "légende" de l'immobilisme des paysages ruraux sous l'Ancien Régime : "le paysage français est fixé depuis longtemps (…) et ne subira plus dès le début du 16e siècle de modifications sérieuses (…) avant la grande explosion urbaine et l'énorme remembrement rural des 19e et 20e siècles"64. Ces préoccupations scientifiques rejoignent et servent parfois les besoins du tourisme cherchant à valoriser les zones humides et inondables. Un projet de chemin balisé retraçant l'histoire de la ville et de ses environs à partir des paysages est en cours de réalisation à Montreuil. la géographie historique permet aussi de relativiser les problèmes actuels liés aux crues, et de mesurer l'impression par trop subjective que la situation lors d'une inondation n'a jamais été aussi catastrophique. La connaissance historique de la relation homme/crue devrait alors permettre une meilleure acceptation des risques encourus actuellement par les riverains. Le recul historique autorise ainsi des interprétations plus mesurées et raisonnables des phénomènes actuels. De même, la connaissance des projets passés (en terme d'aménagement des cours d'eau par exemple) conduit à une connaissance plus objective des impacts liés à tout aménagement. La géographie historique participe donc à la gestion raisonnée de l'espace. mais l'atout primordial de la géographie historique est, de façon plus générale, de permettre une analyse systémique et dynamique des paysages. Rappelons que le paysage est un concept global qui correspond à l'objet produit par des systèmes naturels et anthropiques. Cet objet est complexe et son étude ne peut se satisfaire de causalités explicatives linéaires. La géo-histoire, de par la pluralité des approches qu'elle offre (étude historique des modalités de la présence de l'eau, des territoires anciens par le biais des politiques, des conceptions d'aménagement…) permet la mise en lumière des interactions et des causalités multiples responsables dans le temps de la genèse des paysages. C'est donc une approche temporelle et spatiale multiscalaire qui fournit une réflexion globale et qui permet de proposer des modèles d'évolution paysagers65 indispensables à toute intervention rationnelle dans l'organisation des territoires. On suivra ici la méthode de l'analyse régressive, c'est à dire remontant le passé à partir des documents et 355p. 62 Guillerme, 1997 – La lecture des paysages de rivière par l'historien, Ingénierie-EAT, p. 93-96. 63 Grateloup, 1996 – Lieux d'histoire. Essai de géohistoire systématique, Montpellier, GIP Reclus, 200p. 64 Goubert, 1969 – L'Ancien Régime. A. Colin, Collection U. 65 Clément, 1997 – Pays et paysages de Vieille Castille, 11e-20e siècles, étude de biogéographie historique. Thèse, université Lille 1, 720 p. 39 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION des paysages actuels. Ainsi, les observations faites aux différentes étapes historiques seront toujours reportées sur la carte IGN la plus récente, et tout le travail consistera à "mesurer" et interpréter les écarts entre ces situations passées et la situation actuelle. 8.2. Méthodologie d'étude des cartes anciennes pour la mesure historique de la prise en compte du risque dans les stratégies d'aménagement "Quand on considère un objet en lui-même et dans son propre être, sans porter la vue à l'esprit de ce qu'il peut représenter, l'idée qu'on en a est une idée de chose..; mais quand on regarde un certain objet comme représentant un autre, l'idée qu'on en a est une idée de signe.. C'est ainsi qu'on regarde d'ordinaire les cartes et les tableaux". (Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La logique ou l'art de penser, 1962, Première partie, chapitre 4). Notre travail de recherche est basé, en grande partie, sur l'étude de sources cartographiques anciennes, des cartes dont la plus âgée date de 1738. Ces documents constituent le support de nos analyses et fournissent la "base" chronologique de notre étude car il évoque à grands traits les paysages de la vallée de la Canche dans la première moitié du 18e siècle. Mais un essai de reconstitution paysagère à partir de ces cartes anciennes66 ne va pas de soi et une étape primordiale de notre travail consiste à s'attarder sur la qualité intrinsèque de ces sources : quels étaient les moyens techniques de réalisation cartographique, quels étaient les objectifs et préoccupations des cartographes, et par conséquent quelles sont les informations susceptibles de nourrir notre étude des paysages d'eau? D'autres types de documents, tels que le cadastre napoléonien et les photos aériennes, constituent aussi pour nous des sources d'étude. On présentera donc également leurs intérêts et leurs limites dans le cadre de notre recherche. Ces documents présentent tous du paysage une vision incomplète puisque "vu du dessus" : la profondeur paysagère, perçue lorsqu'on regarde le paysage "du dedans" disparaît alors. On ne peut donc, à partir de telles sources, qu'appréhender deux des trois dimensions du paysage, ce qui justifie d'ailleurs qu'on base notre étude sur le paysage objet tel qu'il a été défini en première partie. C'est ce qui explique aussi que nous avons cherché à compléter cette approche partielle des paysages en y intégrant, dans la mesure du possible, d'autres types de documents comme des textes anciens, des données statistiques, ou encore des articles de presse. Présentation des sources Les cartes anciennes 66 Les cartes anciennes sont celles antérieures au cadastre napoléonien (cf. Delsalle, 1993 – La recherche historique en archives, XVIe – XVIIe – XVIIIe siècles. Paris, Ophrys, 241 p.) 40 1 - Les lieux de prospection Faire un inventaire complet de la cartographie de la vallée de la Canche aurait bien sûr dépassé le cadre de cette étude dont le but est, rappelons-le, méthodologique avant tout. Il n'a donc jamais été question de faire une recherche exhaustive des cartes anciennes existant sur le secteur. Mais les documents les plus remarquables qualitativement, telle que la carte d'Hesdin datant de 1738, sont soumis au dépôt légal : les archives communales de cette qualité ont donc été déposées aux archives départementales ou nationales où elles sont assez aisément accessibles. Les cartes les plus intéressantes ont donc été recensées et consultées de façon certaine. La prospection des cartes anciennes a donc été privilégiée. Cependant, au gré de nos recherches, quelques documents manuscrits ont retenu également notre attention. Notons cependant que ceux-ci n'ont pas fait, pour les mêmes raisons que celles évoquées ci-dessus, l'objet de recherches exhaustives. Aux Archives départementales du Pas-de-Calais, plusieurs séries sont susceptibles de fournir des documents du type recherché. Concernant le thème des paysages, il nous a semblé intéressant de consulter les séries ayant trait au parcellaire, secondairement aux forêts, au réseau fluvial et aux étangs, lacs et marais. Une grande dispersion des sources caractérise ces séries67. Pour les documents iconographiques : la série CPL : cartes et plans. Après une recherche systématique dans cette série, il s'avère qu'elle possède une carte intéressante de la Canche au niveau de Montreuil-sur-Mer68 mais aucune de la haute vallée de la Canche. la collection Barbier, riche de plusieurs centaines de gravures du Pas-de-Calais, n'a pas été dépouillée systématiquement du fait d'un classement très dispersé des documents dans plusieurs séries d'archives. Il est évident néanmoins qu'une recherche approfondie en géo-histoire sur la vallée de la Canche ne souffrirait un traitement aussi superficiel car cette collection possède probablement des documents susceptibles d'enrichir notre approche historique des paysages d'eau. Pour les documents manuscrits : la majeure partie des archives communales a été déposée aux archives départementales dans la série EDEP. Ce sont les sous-séries DD, N et II qui sont les plus intéressantes pour nous puisqu'elles regroupent les documents (procès-verbaux, comptes-rendus d'ingénieurs…) concernant les biens communaux et la voirie : ainsi beaucoup de manuscrits au sujet des marais communaux, des cours d'eau, des inondations, des problèmes de pâturage du bétail… mais les communes de la vallée de la Canche conservent cependant probablement quelques archives manuscrites telles que le recueil de procès-verbaux consulté à Montreuil par exemple. Au niveau national, la Bibliothèque Nationale possède la seule carte recensée de la haute vallée de la Canche, celle d'Hesdin et des environs, qu'on a déjà évoquée. Les Archives du Service historique de l'armée de terre (SHAT) possèdent un Atlas du 18e siècle qui fournit des plans des anciennes places fortes de France, Montreuil et Hesdin dans la vallée de la Canche. Les informations concernant le fond de vallée sont parfois extrêmement précises mais ne concernent que des portions réduites du fond de vallée. Ces archives possèdent aussi des documents manuscrits intéressants, au sujet en particulier des inondations et des projets de canalisation de la Canche au 18e siècle. 67 Corvol, 1999 – Les sources de l'histoire de l'environnement; le XIXe siècle. Paris; L'Harmattan, 504 p. 68 Picouet et al, op. cit. 41 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 2 - La carte d'Hesdin et ses environs de 1738 et la carte de Montreuil et ses environs de 1763 Quelques éléments doivent être apportés sur le contexte et les moyens techniques de réalisation cartographique au 18e siècle. L'intérêt de revenir sur ces deux éléments est de permettre un bon jugement quant à la qualité technique du document qu'on va étudier. Cette connaissance est fondamentale pour permettre son analyse objective. Moyens techniques et scientifiques : contexte général Les cartes, "représentations conventionnelles généralement planes, en positions relatives, de phénomènes concrets ou abstraits, localisables dans l'espace"69 existent probablement depuis fort longtemps, depuis que les hommes s'interrogent sur l'aspect de la Terre. L'itinéraire constitua le premier degré de la cartographie. Mais s'il manquait aux premiers voyageurs terrestres les éléments scientifiques indispensables à la réalisation de cartes, les navigateurs allaient combler ces lacunes à la fin du Moyen Age, avec la mise au point des instruments de la navigation marine (boussole par exemple). Les portulans vénitiens marquent ainsi la naissance de la carte à deux dimensions au 15e siècle. Les 17e et 18e siècles correspondent à une période de transformation profonde de l'usage et de la fabrication des cartes, initiée par Louis XIV. La carte devient en effet le reflet le plus détaillé possible du terrain dans sa réalité; elle devient un véritable document de reconnaissance. Le monarque a besoin d'une excellente connaissance du royaume alors que les guerres font rage aux frontières du territoire : les cartes deviennent des instruments militaires, et Vauban veut que le relief y soit bien visible. Par ailleurs, les importants progrès scientifiques qui ont eu lieu au cours du 18e siècle permettent une meilleure approche des mesures de la terre avec de nouveaux instruments, tels que la planchette et l'équerre. Ces instruments assurent à l'arpenteur un travail de terrain, l'arpentage, plus efficace : les superficies sont mesurées avec plus de précision. Comme le souligne d'ailleurs F. De Dainville70, les cartographes utilisent communément des instruments et méthodes qui leur permettent de « représenter au vrai […] non seulement la superficie des terrains, mais à proportion toutes (leurs) dimensions, angles, longueurs et largeurs ». Le travail "au cabinet" permet ensuite d'affiner la qualité graphique des cartes levées sur le terrain. On passe ainsi progressivement de représentations de type vues en perspective (vue cavalière du terrain sans mesures angulaires) à des plans vus du dessus, avec ou sans mesures angulaires (on parlera alors de plan géométral ou non géométral). Le soin porté aux mesures réelles va aussi de pair avec un souci de représenter et imiter le terrain. Le 18e siècle marque le début de la représentation conventionnelle, avec la fixation de règles strictes visant à exprimer les différentes parties du paysage. La carte d'Hesdin datant de 1739 reflète assez bien ces préoccupations dans le choix des couleurs, dans le choix des figurés (fig. 15). Dans ses instructions, Dupain l'Ainé, ingénieur géographe, indique d'ailleurs en 1740 que "ce n'est pas assez … de sçavoir mettre au trait les plans et les cartes (…) il faut encore connoître les couleurs par lesquelles on est convenu de désigner les différentes parties d'une fortification, d'un paysage &c. et la manière de les employer aussi bien qu'il est possible."71 Au terme d'une évolution pluriséculaire, plusieurs types de cartes et plans (cartes d'étendue plus restreinte) coexistent donc au 18e siècle. On peut schématiquement en dénombrer trois72 : 69 Cartes et figures de la Terre, livre tiré de l'exposition du même nom, Centre Georges Pompidou, 1980, 480 p. 70 De Dainville, 1964 – Le langage des géographes, Paris, édition A. et J. Picard1Cie, 384 p. 71 Dupain l'Ainé (Dupain de Montesson), 1740 – La science des ombres, 168p. 72 Collectif, 1987 - Espace français. Vision et aménagement, XVIe-XIXe siècle. Paris, Archives Nationales, 192 42 → les cartes et plans aidant à l'administration de territoires Les premiers d'entre eux sont les plans domaniaux : plans terriers ou communaux (fig. 8), hérités de l'époque médiévale, ils ont pour but de permettre le contrôle de la fiscalité à l'échelle d'une seigneurie ou d'une paroisse. Dans le même ordre d'idée, mais à échelle plus petite, on peut citer ici aussi les cartes provinciales et ecclésiastiques réalisées pour les nécessités de la politique et de l'administration. → les cartes de connaissance du territoire Il s'agit ici d'une cartographie générale de la France, dont l'idée était déjà évoquée au 17e siècle, alors que les rois de France souhaitaient mieux connaître leur royaume. Cette idée se concrétise dans la première moitié du 18e siècle, et en 1746-1747 paraît une carte de la France au 1/88 600, réalisée par CésarFrançois Cassini de Thury. → les cartes militaires L'appropriation de la cartographie par les souverains européens depuis la Renaissance est corrélative au développement et à l'affirmation des Etats. On a déjà évoqué le souci des rois de connaître les frontières de leurs royaumes car celles-ci sont, jusqu'au 18e siècle, très fluides ou mal connues. Mais on s'intéresse aussi aux lieux de passages obligés, aux lieux de possible affrontement… Ainsi, des Atlas des places fortes sont réalisés pour de nombreuses régions (Plans de Montreuil de 1774, fig. 10) tout comme des plans de bataille (Plan du siège de Hesdin de 1639, fig. 7) Quelques hypothèses peuvent être formulée pour éclairer le contexte local de création des cartes dans la vallée de la Canche. Les deux cartes anciennes que nous avons étudiées sont toutes les deux anonymes. Nous ne savons rien sur leurs auteurs, rien donc sur les motivations de ceux-ci, leurs fonctions et leurs objectifs. Quelques éléments du contexte local au 18e siècle éclairent éventuellement les motifs de création de ces cartes. Ainsi pour la Canche, un projet de canalisation, l'"arlésienne" locale73, est évoqué par Vauban à la fin du 17e siècle. Le but était alors de rendre le petit fleuve navigable jusqu'au-delà d'Hesdin. Ce projet prévoyait aussi un canal de la Canche à la Scarpe qui aurait permis d'aménager une ligne de défense ouest-est, parallèle à la frontière dans le cas ou les ennemis perceraient les premières défenses. Mais ce projet de canalisation de la Canche est aussi à rattacher à des considérations économiques traduisant le contexte de l'époque favorable aux bienfaits du commerce en général et des canaux en particulier. Nous pouvons penser que ces projets militaires et économiques ont pu s'accompagner de travaux cartographiques à grande échelle, ou en tout cas insuffler une dynamique en ce sens, ce qui pourrait expliquer l'existence des cartes anciennes de bonne qualité qu'il nous a été possible de consulter. Notons cependant que pour l'Artois, rien n'existe de comparable en termes qualitatif et quantitatif avec les productions cartographiques d'autres régions : citons, entre autres, le vaste programme cartographique réalisé par Claude Masse dans le sud-ouest français74 ou, pour le nord de la France, l'Atlas des routes et p. 73 74 Béthouard et al, op. cit. Bousquet-Bressolier, Bouscau, Pajot, 1990 – Les aménagements du bassin d'Arcachon au XVIIIème siècle. Mémoire du laboratoire de géomorphologie de l'école pratique des hautes études, Dinard, 224 p. 43 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION chemins du Hainaut et du nord-est de la France, dont les très belles planches sont de véritables cartes d'utilisation du sol75. Au total, il existe peu de cartes anciennes de belle facture (antérieures au 19e siècle) pour le territoire qui nous intéresse. La première carte étudiée est celle de "Montreuil et ses environs", carte anonyme datant de 1763. Elle est conservée, sans légende ni document associé, aux Archives Départementales du Pas-de-Calais, série Cartes et Plans (cote CPL 2906C/655 bis). Elle offre une représentation en plan de la basse vallée, des marais de Marles à l'amont de Montreuil jusqu'à Beutin et au-delà à l'aval. Le haut de la carte est orienté au sudouest. Sur la carte, un centimètre correspond à environ 160 m sur le terrain (soit une échelle approximative de 1/16 000). La seconde carte est celle d"Hesdin et ses environs", datant de 1738, elle aussi anonyme et sans document annexe. Elle est conservée à la Bibliothèque Nationale dans la série Cartes et Plans sous la cote GE BB 567 (67). L'espace de la vallée de la Canche couvert par cette carte s'étend du Vieil Hesdin et Grigny à l'est à l'amont de Beaurainville à l'ouest, à l'échelle de 1/14 450 environ. Le nord correspond globalement au haut de la carte. Dans les deux cas, la représentation des terrains n'est pas parfaitement géométrique, et les distances entre deux objets fixes du paysage (la base des deux versants de la vallée pas exemple) sont approximatives, comme l'atteste la confrontation avec la carte IGN actuelle. Les échelles de ces cartes sont assez grandes pour fournir des informations relativement précises sur l'occupation du sol du fond de vallée. La carte de Montreuil n'est pas colorée mais réalisée à l'encre noire sur papier. Cela nous prive sans doute d'informations nuancées concernant par exemple la qualité du drainage dans les marais, exprimés sinon par des lavis verts d'intensité variable. La carte d'Hesdin est quant à elle colorée en lavis sur papier. Ces deux cartes nous sont parvenues dans un bon état général de conservation, même si la carte de Montreuil, conservée pliée, en a gardé quelques stigmates au niveau des pliures (petites taches sombres d'encre (?) ou de moisissure due à l'humidité (?)), mais l'ensemble de ces petits défauts n'empêche pas une lecture très aisée. Ces cartes constituent finalement un corpus de documents particulièrement intéressant pour notre recherche : Les principaux éléments du réseau hydrographique sont représentés tels que les cours d'eau principaux et les canaux de drainage. Elles fournissent des indications relativement précises sur l'utilisation du sol dans le fond de vallée mais également sur les versants et les interfluves : terres labourées, marais, prés, tourbières, haies sont précisés. Elles possèdent également des indications sur les habitats : les villes de Montreuil et Hesdin, mais aussi les bourgs et habitations isolées environnants, figurent sur la carte. Par comparaison, la carte de Cassini, qui date approximativement de la même époque mais est à plus petite échelle, permet certes de représenter la vallée de la Canche dans sa totalité mais ne fournit que des indications grossières relatives à l’utilisation du sol. 75 Dubois, 1978 – Les plans des forêts de la région du Nord aux XVIIe-XVIIIe siècles : quelques remarques sur leur utilisation. Bulletin de la section de géographie, tome LXXXII, Paris, Bibliothèque nationale, p. 101-126. 44 Les sources cartographiques pour le 19E siècle : le cadastre napoléonien 1 – Le cadastre napoléonien, une rupture dans l'histoire de la cartographie Le cadastre "lie la carte et l'impôt"76 : c'est un document public où sont inscrites les propriétés foncières avec leur situation, leur étendue, leur valeur fiscale. En France, le cadastre est établi par commune et comporte trois recueils : la matrice cadastrale qui répertorie les propriétaires de la commune concernée. l'état de section ou tableau indicatif qui est un répertoire des parcelles numérotées de la commune et qui fournit des renseignements sur le type d'utilisation et les revenus tirés de chacune des parcelles. Ces informations sont évidemment très précieuses dans le cadre de notre recherche, même si, on le verra, un certain nombre de problèmes méthodologiques existent. - le plan parcellaire. La commune est généralement divisée en plusieurs sections. Les plans du premier cadastre (c'est-à-dire le cadastre napoléonien, levé entre les années 1808 et 1849) possèdent une certaine déformation géométrique, assez faible cependant pour ne pas représenter un handicap majeur. Probablement d'origine égyptienne, le cadastre conserve jusqu'à la Révolution un caractère essentiellement local et ne concerne que les propriétés seigneuriales (censives médiévales et plans terriers du 18e siècle) et religieuses. La décision, prise en 1790, de dresser un cadastre parcellaire général n'entre en application qu'en 1808. Elle apporte une réponse au peuple français qui, dès les premières doléances de 1789, réclamait l'établissement d'un cadastre général sur tout le royaume pour mieux asseoir les propriétés et assurer une justice fiscale enfin débarrassée des privilèges féodaux. Le débat sur le cadastre est ainsi une préoccupation récurrente des gouvernements de cette époque : garant d'équité, défenseur du droit de propriété, le cadastre devient aussi le support de toute la nouvelle réorganisation territoriale. En 1807, Napoléon décide un cadastre généralisé (c'est le Premier Cadastre), en faisant procéder "au dénombrement des terres dans toutes les communes de l'Empire avec arpentage et évaluation de chaque parcelle de propriété" (Lettre de Napoléon au ministre du Trésor, Mollien). La mise en place de la Commission de 1802 correspond à l'ouverture d'une nouvelle époque dans les règles de la cartographie. Cette commission impose en effet à l'histoire de la cartographie une limite incontestable. En effet jusqu'alors, pas de règles uniformes, des échelles fixées d'après les anciennes mesures, non décimales… La commission de 1802, initialement chargée de simplifier et d'uniformiser les signes conventionnels en usage sur les cartes, étend ses attributions à toute la cartographie. Ainsi, plusieurs éléments de régulation de la production cartographique sont alors édictés : Les échelles métriques décimales sont adoptées pour les cartes et plans. L'unité de projection sur une même carte devient la règle absolue. Tous les signes sont dessinés conformément à des types conventionnels établis : abréviations, écritures, teintes et procédés de représentation sont normalisés. 2 - Les plans cadastraux d'Hesdin et des environs Les plans cadastraux pour les communes du Pas-de-Calais sont regroupés aux archives départementales dans la série 3P. Leur inventaire complet est en cours mais l'ensemble des plans utiles pour notre 76 Catalogue de l'exposition Cartes et figures de la terre, Centre Georges Pompidou, 1980 45 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION recherche ont été consultés. Les communes retenues ont toutes au moins une partie de leur terroir dans la plaine alluviale, ce choix s'inscrivant bien sûr au service de la problématique retenue. Nous nous concentrerons ici sur l'analyse des plans cadastraux des communes des environs d'Hesdin et de Montreuil. Les sources photographiques Les photographies aériennes constituent les dernières pièces de notre corpus de documents. Ce sont elles effectivement qui nous fournissent des aperçus paysagers les plus récents de la vallée de la Canche (fin du 20e siècle). On a utilisé la série de 1994 en couleurs (série 1994 FD 59-62/200). 8.2.1. Méthode de traitement des sources : quelques remarques sur l'utilisation des documents iconographiques Les cartes anciennes, outils de connaissance des paysages? Problèmes préalables de lecture des cartes anciennes Les cartographes du 18e siècle ont rencontré ce problème majeur que pose toute représentation d'un objet réel. Leur souci de faire ressembler les cartes au terrain, qui a déjà été évoqué, explique sans aucun doute que les cartes anciennes sont loin d'être, pour les observateurs contemporains, des sources totalement obscures de prime abord. Cependant, si l'on veut en faire une interprétation aussi objective que possible, il est nécessaire de se soucier de la signification précise de chaque symbole utilisé. C'est pourquoi nous nous référerons fréquemment à l'ouvrage de François de Dainville77 afin de "décrypter" avec le plus de précision possible le langage symbolique de la représentation cartographique au 18e siècle. Un autre problème tient au fait, nous l'avons déjà noté, que nous ne savons rien sur les auteurs de ces cartes ainsi que sur leurs motivations. Or, il est indiscutable que la destination de la carte conditionne le choix des objets représentés. Il faut donc garder à l'esprit que ces cartographes ont pu privilégier certains éléments du paysage au détriment d'autres, sans que cela soit clairement explicité sur ces cartes conservées, rappelons-le, sans légende ni mémoire. Par exemple, il semble que l'auteur de la carte de Montreuil ait été peu intéressé par les marais, laissés en blanc sans aucune autre indication que quelques trous à tourbe. Ces secteurs étaient cependant dans la réalité loin d'être uniformes (écologiquement et fonctionnellement parlant), mais rien ne nous permet donc de différencier dans les marais des zones de prairies humides ou de boisements naturels par exemple. Sur la carte d'Hesdin, des nuances sombres dans les lavis verts permettent seulement de distinguer les secteurs marécageux les moins bien drainés. Comme nous l'avons souligné cependant, les cartes auxquelles nous nous intéressons ici sont des cartes de bonne qualité graphique. Sans être parfaitement exactes du point de vue géométrique, elles nous permettent de reconstituer l'occupation du sol au 18e siècle avec une relative précision. En effet, on peut, pour tenter cette reconstitution, se "caler" sur les indications nombreuses concernant les habitats et les chemins : ces éléments du paysage sont assez stables dans le temps et il est possible de reconnaître les 77 De Dainville, 1964 – Le langage des géographes, Paris Edition A. et J. Picard &Cie, 384 p. 46 tracés sur les cartes anciennes à partir des cartes topographiques récentes. Les cartes étudiées comportent des informations nombreuses au sujet de l'hydrographie, du relief, de la toponymie… Pour faire le tri dans cet ensemble de données, nous avons choisi de procéder à l'analyse des cartes en deux temps : quels sont les éléments du milieu qui sont représentés, et comment le sont-ils? De même, quels sont les éléments concernant l'utilisation du sol, comment sont-ils figurés? Deux grilles d'analyse pour l'analyse des cartes On l'a dit dans la première partie de ce mémoire, les paysages d'eau, entre nature et culture, résultent de l'interaction de deux sous-systèmes : l'hydrosystème et le système social. C'est pourquoi nous avons choisi d'aborder les cartes sous le biais de ces deux thématiques : la représentation de l'hydrosystème sur les cartes anciennes et la représentation du système social par le biais de l'utilisation du sol Par souci de clarté, les résultats des analyses menées sur les cartes sont présentées sous forme de tableau (cf tableau 2 et 3). Aucune légende ne nous a guidé dans notre analyse. Les types d'objets répertoriés ont donc été déterminés par reconnaissance logique et avec l'aide, nous l'avons déjà dit, du livre de "décryptage" des cartes anciennes écrit par F. De Dainville. Pour la définition précise des termes dont il va être question dans les tableaux 2 et 3, on se reportera au tableau 5. 47 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Tableau 2 : L'hydrosystème sur les cartes anciennes étudiées : objets représentés, signes utilisés Eau Carte de Montreuil Carte d'Hesdin Végétation Relief Cours d'eau - versants de la vallée → ourlés par des séries de hachures noires plus ou moins longues et plus ou moins denses en fonction du relief ("les mouvements se modèlent à l'aide de hachures suivant la pente"). - lit mineur de la Canche (tracé - marais → laissés en blanc. globalement similaire au tracé actuel) → 2 traits noirs parallèles plus ou moins espacés en fonction de la largeur de l'écoulement (de l'ordre du mm). Une flèche indique le sens de l'écoulement Marais - canaux de drainage → même système de représentation. - exemple : marais de Neuville, "vastes surfaces basses envahies d'eaux croupissantes (…) les variations de leur surface peuvent être importantes selon les saisons. La géographie - noc : toponyme local pour désigner moderne s'intéresse surtout à l'utilisation les petits écoulements naturels? (exemple possible des marais après drainage et assèchement". : ruisseau du noc). - groupements d'arbres sur les plateaux et sur certains versants → représentation grossière des arbres en élévation. Les lisières sont dans certains cas franches et soulignées par des alignements d'arbres. - bois (exemple : bois de St Josse) : terme assez vague qui correspond à "une étendue de terre couverte d'arbres. Dans ce cas, il englobe les forêts, buissons, taillis etc.". - versants de vallée → versants - lit mineur de la Canche (le tracé est - marais plus ou moins bien drainés → - forêt sur le plateau au nord de la vallée de la assez sinueux, très différent du tracé lavis verts plus ou moins foncé, Canche → périmètre forestier souligné par un lavés de gris. actuel) → liseré de couleur bleu clair. recouvert parfois de traits horizontaux à trait de plume, lavé de vert à l'intérieur du massif. la plume. - canaux de drainage → même figuré. Remarques concernant - la représentation du relief - les principaux éléments du réseau - absence d'information concernant la - pas d'information sur la physiologie des permet de reconnaître les formes hydrographique sont représentés avec nature des marais : s'agit-il de surfaces en peuplements végétaux, pas de distinction possible l'utilisation des cartes mais manque de précision ("la précision. On ne sait pas cependant si eau stricto sensu ou de zones végétalisées, entre les groupements sur les plateaux et sur topographie n'est là que pour rendre la tous les canaux de drainage ont été types prairies ou forêts? certains versants. carte plus agréable") : problèmes de cartographiés. déformations géométriques. - absence dans les deux cas d'informations précises concernant la végétation "naturelle" dans le fond de vallée (de type forêts alluviales). Note : toutes les références en italique sont tirées du livre de F. De Dainville; tous les mots soulignés sont écrits sur les cartes 48 Tableau 3 : L'occupation et la mise en valeur de l'espace dans le fond de la vallée : objets représentés et signes utilisés Utilisation du sol Carte de Montreuil Bâtiments Voies de communication Toponymes formes - route / chemins → deux traits noirs - noms des villages. - labours → pas de figuré particulier, les - maisons / fermes → individualisant d'étroites interfluves qu'on suppose labourés sont laissés en rectangulaires où carrées, grises ou noires. parallèles - noms de certaines fermes importantes (la lanières laissées en blanc. blanc (les labours sont "des ter-res propres à porter Laraiderie en face d'Arsenville; La Folie au des grains". niveau d'Attin)). - prés → ils sont indiqués par le mot prés (les - moulins → indiqués par la toponymie - noms des chemins et des routes prés de la ville), ou par la lettre "p". (leurs fonctions précises ne sont pas spécifiées. D'après G. Baquet, ces - églises. fonctions étaient diverses : moulins à - jardins → notés par la lettre "j". grains, à huile…). - moulins. - haies → les arbres sont dessinés individuellement. Carte d'Hesdin - labours → un souci particulier semble avoir été - maisons / fermes → formes - routes / chemins → même figuré. pris pour les figurer par des traits de couleur rectangulaires ou carrées, de couleur rose. (jaune, orangé, bleu ou violet) parallèles. On distingue des bâtiments seuls ou des ensembles en L ou en U, correspondant - prés/prairies → apparaissent en couleur verte probablement aux fermes. plus sombre que le vert des marais. Ils sont généralement entourés de haies où les arbres sont - moulins → notifiés par la toponymie clairement dessinés. Certaines parcelles sont seulement. couvertes d'arbres, témoignage probable de l'existence de "pépinières" ("plantations de jeunes arbres") ou de vergers ("enclos plantés d'arbres fruitiers"). Aucune indication d'appartenance, contrairement à la carte de Montreuil. - jardins : - haies : remarquablement dessinées avec des arbres figurés en alignement, cintrant probablement des pâtures. - forêt → sur le plateau, au nord de la vallée, la forêt d'Hesdin est bien sûr figurée. Note : même remarque que précédemment - noms des villages et hameaux (exemple : Plumoison, Marconne, Muziville Hameau…). - noms de quelques fermes (La Rederie au niveau de Marconne). - moulins. Remarque : les indications toponymiques sont moins importantes sur cette carte. L'auteur, qui a utilisé ici la couleur, a peutêtre pensé que son utilité était moindre. Les documents complémentaires pour l'information des cartes du 18e siècle Des textes manuscrits de la même période viennent compléter l'étude de ces cartes; ils nous informent en particulier sur la relation entretenue par les sociétés locales avec le phénomène de crue, phénomène fondamental dans la définition des milieux humides et des paysages d'eau. Nous nous sommes volontairement limitées à des rapports d'ingénieurs car ceux-ci produisent les discours les plus abordables et prêtent à une interprétation la moins "risquée". Rappelons encore que les recherches menées pour retrouver ce genre de document n'ont pas été exhaustives : les fonds d'archives communales semblent être très riches de procès-verbaux, dont beaucoup concernant des litiges entre riverains à propos du pâturage des bestiaux dans les marais. Les textes du 18e siècle consultés pour la recherche sur le secteur d'Hesdin sont les suivants : Mémoire des maires et échevins de St Pol au sujet des inondations de 1753 (cote EDEP 447 DD4, aux Archives départementales du Pas-de-Calais)". - Document relatif aux inondations de 1757 à Hesdin et moyens de lutte, (conservé au SHAT sous la cote Article 5, section 3, carton 1). - Documents relatifs aux inondations dans le secteur d'Hesdin, datant de 1775 (Archives du Pas-deCalais, cote EDEP447DD4, dossier "cours d'eau, correspondances et pièces diverses [15101776]"). De même pourrons nous évoquer l'ouvrage de De Dienne, écrit en 1891, concernant l'"Histoire du dessèchement des lacs et des marais du royaume avant 1789" (consultable à la Bibliothèque municipale de Lille sous la cote 60 707). Conclusion Les cartes anciennes qu'il nous a été permis d'étudier fournissent indéniablement des éléments paysagers favorables à une tentative de reconstitution paysagère, dans le domaine du "paysage objet". Des objets paysagers repères tels que les cours d'eau, les chemins, les habitats entre autres y sont représentés de façon suffisamment claire. Mais un certain nombre de problèmes demeure néanmoins, car l'investigation sur les paysages d'eau, menée à partir de ces cartes anciennes, est inévitablement soumise à divers "écrans"78 : Il est d'abord possible que le site cartographié ait été "idéalisé" par l'auteur de la carte. Cela signifie que celui-ci a probablement procédé à des choix subjectifs dans l'ordre hiérarchique des objets représentés (exemple de la représentation des marais qu'on a évoquée au sujet de la carte de Montreuil). N'oublions pas non plus que ces cartes ont vocation à être lues. Comme le cartographe, le lecteur de la carte est guidé dans son rapport avec le document par des choix plus ou moins subjectifs. Ainsi, la perception sensorielle et l'imagination du lecteur jouent un rôle important. La perception sensorielle se forme à partir de la connaissance du langage symbolique cartographique, tandis que l'imagination restitue mentalement ce qui n'est pas réellement exprimé, en s'appuyant sur le support symbolique. L'imagination permet donc la recomposition partielle de la troisième dimension à partir du plan, permet donc en partie la reconstitution des paysages. 78 Bousquet et al, op. cit. 50 Une reconstitution des structures et de l'armature générale du paysage objet est donc possible à partir de l'analyse des cartes anciennes. Ainsi, même si ces cartes présentent quelques défauts géométriques, on peut en tirer une reconstitution de l'occupation du sol dans le fond de la vallée de la Canche assez satisfaisante. Par contre la reconstitution de détail nous apparaît beaucoup plus délicate, en particulier à cause du manque d'information concernant la végétation (ces problèmes ont déjà été évoqués par J.J. Dubois 79). Des eaux croupissantes et marécageuses ne forment pas le même paysage qu'une aulnaie ou que des prairies humides : aucun élément sur les cartes ne nous permet néanmoins de procéder à ce genre de distinction. Remarques sur l'utilisation des plans cadastraux Les difficultés d'étude du Premier Cadastre Les cadastres étudiés ont été levés entre 1810 et 1840. Les communes sont généralement divisées en plusieurs sections qui correspondent à des plans de tailles inégales, dont l'échelle est de 1/2500 (fig. 18). Notons que, pour les communes du Pas-de-Calais, les tableaux d'assemblage de ces sections cadastrales sont de piètre qualité, comparés par exemple à ceux des communes du Nord qui sont colorés et riches d'informations sur la nature de l'utilisation agricole. Il a donc été nécessaire de se reporter systématiquement aux "Etats des Sections" qui décrivent précisément le contenu des parcelles cartographiées sur chacune des sections cadastrales. Le but était d'en tirer les informations concernant la catégorie, c'est-à-dire le type d'utilisation agricole de chaque parcelle. Nous avons retenu également les indications qui touchent la classe et l'imposition de chaque parcelle, pour mesurer la valeur relative des types d'occupation des sols. Les problèmes de nomenclature Le Premier Cadastre possède une certaine déformation géométrique, mais les erreurs étant relativement faibles, elles n'ont pas représenté un handicap majeur. Les auteurs qui ont travaillé sur le cadastre ont souligné les problèmes sérieux posés par la terminologie. Ainsi, E. Gautier, dans son étude du cadastre de la commune de Savournon (Hautes-Alpes) s'est heurtée à l'imprécision de termes tels que "landes", "friches", "terres vaines". La nomenclature utilisée pour qualifier la nature des propriétés n’est pas toujours transparente. Si les termes de « prés », « pâtures », « labours », « vergers » et « jardins » sont explicites, il n’en va pas de même pour les très nombreuses parcelles définies comme « marais » ou « bas-champs ». Dans la vallée de la Canche, ces propriétés contiguës constituent des surfaces ordonnées par un réseau de drainage dense et hiérarchisé qui suggère une mise en valeur des terres. En outre, dans les Etats des Sections de la commune de La Calotterie, le terme de « bas-champs » remplace systématiquement celui raturé de « labours », les deux termes pouvant être parfois synonymes dans la plaine maritime. De la même façon, un certain nombre de parcelles en « marais » avaient d’abord été recensées en « prés », « pâtures » et « labours » sur les communes de Montreuil et de Neuville-sous-Montreuil. Les mentions de « marais » et de « bas-champs » ont ainsi probablement pour fonction de corréler les parcelles à une valeur d’imposition donnée, sans tenir compte d’un mode précis d’utilisation du sol, les deux termes restant simplement évocateurs d’un milieu humide. Nous 79 Dubois, 1978, op. cit. 51 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION soulignons donc la difficulté rencontrée pour distinguer, dans la basse vallée de Canche, les diversités fonctionnelles et paysagères cachées sous les termes flous de "marais" et "bas-champs". Dans la moyenne vallée (secteur d'Hesdin), les parcelles sont classées par catégories généralement bien identifiables. Il semble cependant nécessaire de les redéfinir toutes rapidement (tableau 5). Il va sans dire que ces définitions sont succinctes : il ne s'agit pas par exemple de revenir par le menu sur les processus naturels de formation et de fonctionnement des tourbières. Nous nous limiterons ici aux aspects fonctionnels des espaces en question. La localisation des parcelles dont la nature nous est restituée permet ainsi d'établir une carte assez précise de l'utilisation des sols en fond de vallée. L'utilisation d'un autre indicateur : l'évaluation des revenus annuels des terres Les informations produites par le Cadastre (fascicules "Etats de sections") nous permettent d'utiliser un autre indicateur qui est celui de l'évaluation de l'arpent de terre : il nous informe sur la valeur relative octroyée par les riverains à tel ou tel type d'occupation du sol (tableau 4 et fig 14). Chaque type d'occupation est ainsi subdivisé en plusieurs classes de valeur et donne lieu à un barème, variable d'une commune à l'autre. Les superficies sont rapportées en "A", "P" et "M", signifiant littéralement en arpent, perche et mètre. Rappelons que l'arpent est une ancienne mesure agraire, divisée en 100 perches, et compris entre 35 et 50 ares selon les localités. Cette terminologie était usitée depuis le Moyen Age pour quantifier les surfaces. Elle est donc restée d'utilisation courante au 19e siècle malgré la mise en place du système métrique. Ainsi, les arpents et perches de nos états de sections correspondent-ils en fait à des hectares et à des ares. Tableau 4 : Exemple de présentation (simplifiée) des revenus annuels imposables par type de mise en valeur du sol d'après les états de sections (pour la commune de Marconne) Occupation du sol Superficie (ha) Revenu (Frs) Terres labourables (classe 1) 4.38 24.53 Jardins (classe 1) 4.64 38.98 Vergers (classe 1) 5.040 35.28 Prés (classe 1) 3.78 21.17 NB : les parcelles sont classées par valeur (les classes 1 correspondant, pour un type de mise en valeur, aux parcelles les plus imposées, donc les plus rentables). - 52 Tableau 5 : Définition des types d'utilisation du sol cités sur les plans cadastraux TYPES D'UTILISATION DU SOL CITES SUR LES PLANS CADASTRAUX DEFINITIONS80 Terres labourables Terres propres à la culture, notamment à porter des grains. Paysage ouvert. Jardins Lieux enclos de murs ou de haies à proximité des maisons pour en rendre le séjour plus agréable ou pour fournir aux besoins de la table. Vergers plantés et terrains Enclos plantés d'arbres, fruitiers ou non, rangés en quinconce sur une terre couverte d'herbe ou d'une bonne pâture. Prés Terres humides et non labourées, où l'herbe croît naturellement. On peut distinguer le pré de fauche du terrain herbeux où le bétail peut trouver à paître. Pâture Lieu où les bestiaux vont à l'herbe (celle-ci n'est jamais assez haute pour être fauchée). Pépinière Plantation de jeunes arbres. Etang Petite étendue d'eau faite par les hommes pour fournir le poisson, constituer une retenue d'eau pour actionner un moulin… Fossé Rigole servant à l'évacuation des eaux. Oseraie Lieu planté d'osiers. Documents annexes Certains ouvrages contemporains à la réalisation de ces plans viennent donner un éclairage intéressant à notre analyse. On se réfèrera en particulier à deux écrits : 80 un rapport datant de 1834, proposé par l'avocat Billet, au sujet du "dessèchement projeté de la vallée de la Canche entre Hesdin et Montreuil" (Bibliothèque Municipale de Lille, cote 106 206). deux sources nous on permis de définir rapidement les termes ci-dessus (sauf exception) : - le livre de F. De Dainville dont on a déjà présenté l'intérêt pour l'interprétation des cartes anciennes (c'est-àdire antérieures au Cadastre). Il nous semble possible de l'utiliser aussi dans l'interprétation des plans du début du 19e siècle car, même si de nouvelles règles cartographiques sont mises en place en 1802, "il est clair que ces décisions n'eurent guère d'effet sur le langage des géographes" (De Dainville, 1964). - le dictionnaire de géographie de P. Georges. 53 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION les Annuaires statistiques et administratifs du département de Pas-de-Calais datés de la première moitié du 19e siècle, accompagnant la réalisation des cadastres. Par contre, et pour les mêmes raisons que celles déjà évoquées, nous n'avons pas été en mesure d'utiliser de façon satisfaisante les quelques données statistiques que nous avons collectées lors de nos recherches en archives. Méthode d'étude des photos aériennes La nature technique des photos aériennes en fait des documents plus simples à déchiffrer que les cartes anciennes. En effet, à la différence des cartes anciennes, tous les éléments d'une portion de territoire y figurent. La représentation des objets paysagers existants n'est donc pas passée par le filtre d'une hiérarchisation subjective telle qu'elle peut exister lors de la réalisation par l'homme des cartes anciennes. Toutes les incertitudes évoquées à l'occasion de l'interprétation des cartes anciennes peuvent donc être écartées ici. Figure 6 : Schéma récapitulatif des sources étudiées et des méthodes employées Les photographies offrent à notre regard des représentations réelles de portions de territoire vues du dessus. Le problème de leur interprétation est ici exclusivement lié à une bonne reconnaissance des objets matériels tels que figurés sur la photographie. Nous avons pour ce faire utilisé les techniques classiques de photo-interprétation, sur lesquelles nous reviendrons rapidement maintenant. Dans le cadre de notre travail sur les paysages d'eau, un avantage indéniable des photos aériennes sur les cartes anciennes vient du fait que la végétation y est complètement représentée à l'échelle qui nous intéresse (fond de vallée). Et si l'on ne peut identifier les essences végétales, on peut par contre facilement reconnaître les divers types de formations végétales. les forêts : elles apparaissent globalement en plages vertes (sur les photos couleurs) ou grises (sur les photos N&B) plus ou moins claires. Les arbres, dont on devine les cimes, sont soit disposés de - 54 façon aléatoire (cas des boisements "naturels"), soit alignés dans le cas des boisements de peupliers par exemple. les étendues herbeuses (prés et prairies) : elles apparaissent en plages vertes ou grises généralement assez claires. Les prairies correspondent aux plages de texture uniforme; les plages coïncidant aux prés de fauche présentent des lignes sombres correspondant au passage des machines agricoles. Il est la plupart du temps difficile de distinguer ces deux types d'occupation du sol. les haies : elles correspondent sur les photos à des alignements de points discontinus mais proches. Dans la majorité des cas, il est assez difficile de dire s'il s'agit de haies arborées ou arbustives. D'autres objets géographiques sont présents sur les photos aériennes, tels que les cours d'eau, les bâtiments et les voies de communication. Leur photo-identification ne pose pas de problèmes majeurs. On s'est reporté en complément aux cartes topographiques au 1/25 000 (datant de 1988 pour la carte de Montreuil, 1980 pour la carte de Beaurainville et 1998 pour la carte d'Hesdin). Elles nous ont fourni des indications plus précises concernant les fonctions de certains bâtiments (les usines en particulier). Conclusion Un apport méthodologique : la réalisation de cartes d'occupation du sol… L'analyse successive des documents iconographiques nous a finalement permis de réaliser, à partir de la carte topographique actuelle géo-référencée (SCAN25 IGN), plusieurs cartes de l'utilisation du sol entre le 18e et 20e siècle. C'est cartes seront le support de notre étude paysagère; elles nous permettront de réaliser des comparaisons entre les différentes "ambiances" paysagères des zones humides et inondables de la Canche à trois dates précises. … mais des problèmes subsistent L'utilisation de sources cartographiques discontinues dans le temps ne permet cependant pas toujours de retracer, surtout pour les périodes les plus anciennes, une reconstitution paysagère très précise. De plus, il est parfois difficile de montrer une réelle évolution des paysages, car de longues périodes manquent au fil continu du déroulement du temps. Certaines études ont montré des évolutions paysagères radicales, c'est le cas de la plaine Scarpe-Escaut qui a connu une réelle "inversion des paysages d'eau" entre la fin du 18e et le début du 20e siècle dans un secteur proche de Saint Amand81 où les aulnaies du 18e siècle ont été défrichées, les prairies humides ont été en partie converties en peupleraies. Les paysages d'eau de la vallée de la Canche ont-ils subi le même type de mutations? Par ailleurs, même si les documents cartographiques les plus anciens ne le permettent guère, il convient de s'interroger sur la place des arbres et des arbustes dans le fond de vallée alluvial de la Canche car il s'agit d'un des éléments structurants de ce type de paysage : quelle était l'importance des haies, des bois humides (saulaies, aulnaies)? Quelle était la place des plantations de peupliers, bien présentes de nos jours dans le secteur de Montreuil? 81 Dubois, 1989 – Espaces et milieux forestiers dans le nord de la France, étude de biogéographie historique. Thèse d'Etat, Université de Paris 1, 1023 p. 55 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Figure 7 : Plan du siège d'Hesdin de 1639 (Arch. Départ. Pas-de-Calais, cote 4J 439/103, document non daté) Géographes avant l'instauration de la discipline, les militaires ont cherché à représenter la surface de la terre pour les nécessités de leur activité : s'orienter, se placer dans les sites stratégiques. C'était essentiellement un art de la connaissance du paysage et de sa représentation sur le papier, qui posait le problème de ramener des vues en trois dimensions à une image plane. Aussi une grande partie de la cartographie ne put se départir, à ses débuts, de la dimension verticale qu'elle transposait sous la forme de fausse perspectives. Sur ce plan du siège d'Hesdin, le relief apparaît effectivement comme on le voit du sol, avec des petites "bosses" au sud et à l'est d'Hesdin pour figurer le plateau; de plus les silhouettes des habitations et des arbres figurent telles qu'elles apparaissent dans le paysage, afin d'aider l'utilisateur à se repérer et à mesurer l'espace à parcourir. - 56 Figure 8 : Plan du village de Beaumery et Saint Martin, 1787 (Arch. Départ. Pas-de-Calais, cote EDEP 588 114) Ce plan est d'une remarquable qualité graphique : - les couleurs donnent des indications assez précises, concernant en particulier la nature du drainage. Le vert le plus clair correspond très probablement aux zones les plus humides. Les prairies apparaissent, elles, d'un vert un peu plus soutenu. Elles sont entourées de fossés, eux-mêmes bordés de haies arbustives. - d'autres informations y figurent clairement : tracé du cours d'eau, bâtiments, nom des lieux. Les chiffres correspondent aux numéros des parcelles dont la valeur est reportée dans un répertoire qui accompagne ce plan. Ce type de plan est malheureusement le seul que nous ayons pu "admirer" durant nos recherches. La très faible étendue de terrain représenté le rend de toute façon difficilement utilisable dans le cadre d'une recherche menée à l'échelle du fond de la vallée. Figure 9 : Extrait de la carte d'Hesdin et ses environs de 1739 (Bibliothèque Nationale, Ge BB 567 (67) 57 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Figure 10 : Plans de Montreuil de 1774 (SHAT, Atlas 83, plan n°1 et plan n° 3 bis) Plans réalisés pour les besoins de l'armée. La "Carte du cours de la Haute et Basse Canche depuis le moulin du Bocqui jusque sous la ville" est assez claire sur les différents usages du sol dans ce secteur. Les trous à tourbe y figurent de façon extrêmement précise, de même que les haies arbustives, les fossés, les marais. Telle que représentée, la végétation de ces derniers ne semble pas correspondre à des formations forestières… Il faut cependant être très prudent sur ce genre de déduction, compte-tenu du manque d'intérêt flagrant que les cartographes portaient aux boisements naturels des marais. - 58 Figure 11 : Extrait de la carte de Montreuil et ses environs, 1763 (Arch. Départ. Pas-de-Calais, cote CPL 2906 c / 655 bis) 59 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Figure 12 : Figuration des arbres dur les cartes anciennes (in Le langage des Géographes, De Dainville) Dès le Moyen Age, arbres et forêts sont transcrits sur les cartes. Jusqu'au 18e siècle, leur représentation est peu précise. Mais au cours des années, les figures s'affinent et les arbres sont représentés, de façon symbolique d'abord puis plus précise. Les anciens cartographes signalaient généralement les forêts car, comme les cours d'eau, elles leur servaient de repère. A partir du 18e siècle donc, les progrès de la perspective et l'adoption de techniques de gravage améliorent la représentation : arbres en perspective cavalière, au pied desquels est porté à l'est une petite ombre. La nature des arbres n'est bien souvent pas rapportées sur les cartes anciennes (c'est le cas pour les deux cartes étudiées). Il existe cependant quelques exceptions. Plus qu'à différencier les espèces, cartes et plans terriers se sont préoccupés de distinguer les bois du point de vue de leur culture et de leur exploitation. C'est la raison probable pour laquelle les forêts hygrophiles de nos cartes, de faible valeur économique, ne sont pas figurées. Seule le toponyme "marais" apparaît généralement, rappelant lui le pâturage et le tourbage. - 60 Figure 13 : Extrait du plan de section A du cadastre de la commune de Sainte- Austreberthe (Arch. Départ. Pas-de-Calais, feuille cadastrale de 1829, cote 3P 743 / 9) Un problème assez pénalisant pour nous repose sur le fait que, sur les plans cadastraux, les arbres ne sont jamais figurés de façon explicite. Cela est particulièrement gênant pour la lecture d'un "objet" paysager pris en compte dans notre analyse des paysages d'eau et non référé dans les matrices, les haies. Celles-ci semblent figurer sur les plans sous la forme de traits brisés alignés autour de certaines parcelles (com. orale Disseaux). Les tentatives de régulations imposées au début du 19e siècle dans les pratiques cartographiques n'empêchent pas d'évidence des disparités qualitatives importantes dans la réalisation des plans cadastraux. Contrairement à ce qui a été fait ailleurs82, nous ne serons guère en mesure de fournir ici des indications fines sur l'aspect des boisements. 82 Dubois et al, op. cit. 61 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 8.3. Essai de reconstitution diachronique de la vulnérabilité de la vallée de la Canche depuis le 18è siècle L'étude géo-historique montre-t-elle à travers l'analyse diachronique des structures paysagères une évolution dans la prise en compte du risque dans les stratégies d'occupation du sol de la vallée inondable? Quelles sont les empruntes du passé qui ont été durablement inscrites dans cette portion du territoire, et que les objets paysagers nous donnent encore à voir? Enfin, comment l'approche systémique nous permet-elle de mettre en perspective ces caractéristiques paysagères ? Des analyses approfondies et multiformes auraient été nécessaires pour répondre de façon exhaustive à ces questions complexes. On aurait pu ainsi développer entre autre par le menu l'évolution de chaque type d'occupation du sol depuis le 18e siècle. Tel n'a pas été pas notre objectif : nous nous sommes intéressées plus particulièrement à deux indicateurs, considérés comme étant représentatifs dans le cadre de notre recherche. Les indicateurs spatiaux retenus sont donc les suivants : les réseaux de haies d'arbres, indicateurs linéaires; les espaces en marais, indicateurs de surface. Ces indicateurs mettent au cœur de notre démarche la végétation et plus particulièrement les arbres des éléments structurants majeurs des paysages d'eau de nos régions. Ces indicateurs paysagers traduisent en partie la relation de nos sociétés à l'eau et au risque inondation. L'analyse qui suit va tenter de donner quelques indications sur le caractère des paysages d'eau dans la vallée de la Canche à trois dates données. Mais au-delà des objets paysagers, rappelons que ce sont bien les systèmes sous-jacents qui nous intéressent, et que nous tenterons de présenter dans leurs grandes lignes. Les méthodes et les problèmes de reconnaissance des éléments du paysage ont été explicités dans la deuxième partie de cette recherche, on n'y reviendra donc pas ici. On gardera cependant en mémoire les diverses interrogations posées par l'interprétation précise des cartes anciennes. 8.3.1. L'occupation du sol au milieu du 18è siècle La prédominance des paysages de marais Les marais occupent la majeure partie de l'espace 1 – Les rapports sociétés / eau : les formes traditionnelles d'adaptation La carte d'"Hesdin et ses environs", datée de 1736, montre, dans le fond de vallée assez étroit de la Canche à ce niveau (1 km au plus), un paysage prédominant de marais (fig. 7). En effet, la présence des toponymes "marais" et "fontaine", ainsi que l'utilisation d'une couleur vert d'eau sur la carte ancienne attestent de l'omniprésence de l'eau dans ce fond de vallée. Quelques nuances de vert nous renseignent de façon relativement précise sur les modalités de la présence de l'eau et les qualités locales du drainage. L'extension des marais est maximale en aval d'Hesdin, secteur situé dans les dépressions topographiques (20-25 m d'altitude) et à proximité de la zone inondable. Les crues, liées ici aux précipitations de forte intensité ("il n'est presque point de neige, d'orage ou de - 62 grosse pluie qu'ils ne puissent compter par quelques inondations" ), sont un phénomène connu et redouté dans le secteur d'Hesdin et les témoignages concernant les crues au 18e siècle sont assez nombreux. En 1717 , on évoque les (…) eaux qui croupissent et inondent les marais". Un manuscrit daté de 1753 , concernant le secteur plus en amont de Saint-Pol, prouve à quel point l'événement est redouté en ville, évoquant une "calamité publique", des "ravages du plus terrible des éléments". Une lettre du procureur du roi, en 1777, explique que "dans les temps où les eaux sont en abondance, elles se répandent nécessairement dans la ville et ses environs, où par leur débordement elles causent beaucoup de dommages". Les causes invoquées sont multiples : les divers aménagements sur le cours d'eau, qui empêchent le bon écoulement des eaux, et parmi eux les moulins qui sont principalement accusés ("obstacle à la célérité des eaux surtout dans les grandes avalaisons où elles entraînent quantité de broussailles et même d'arbres entiers, qui ramassés sur les Cliers forment de nouvelles digues et retenues d'eau qui les font refluer "). les aménagements dans le bassin versant qui facilitent les ruissellements. On évoque en particulier, dans le document relatif à Saint-Pol, le rôle des routes nouvellement créées dans la Province : "la nouvelle construction des grands chemins d'Arras à Hesdin [contribue à concentrer] les eaux sauvages que lui communiquent les fossés qui règnent le long du chemin". (…) ces malheurs étaient si rares qu'ils étaient pour ainsi dire inconnus avant la construction des nouveaux chemins". mais le cours d'eau présente lui-même des "bancs de sables qu'il est nécessaire de lever", "un très mauvais état, c'est-à-dire [une allure] très sinueuse "… Les solutions généralement proposées pour remédier à ces calamités concernent des actions plus ou moins directes sur le cours d'eau, et ne sont pas sans contradictions les unes avec les autres : la construction de digues est évoquée pour empêcher (très localement) l'extension des crues; mais on parle aussi de curage et de rectification du lit du cours d'eau qui permettraient une meilleure évacuation des eaux : "l'enlèvement des coudes, arbres, broussailles, digues, et généralement de tout ce qui peut intercepter le libre cours des eaux et causer les inondations dont on se plaint depuis longtemps". notons aussi l'existence d'un réseau de drainage qui sert "tant pour l'égout des terres, que pour éviter le dépôt des eaux ". La réflexion des maires et échevins de Saint-Pol se place quant à elle à une échelle plus petite, puisque, selon eux, "le curage et l'élargissement de la rivière (…) seraient superflus (…), la raison en est toute simple, les ordures et la fange qu'amènent les eaux étrangères combleraient de nouveau (…) le lit de cette rivière". Référence est faite ici implicitement aux problèmes posés par l'extension des labours dans le bassin versant de la Canche et l'accroissement corrélatif des processus érosifs sur les parcelles agricoles. Enfin, l'aménagement de la Canche pour la navigation est évoqué à plusieurs reprises et témoigne d'une vision à l'échelle de l'organisation du territoire. La canalisation aurait eu officiellement deux objectifs : faciliter le commerce vers le cœur de la province d'Artois; constituer un obstacle militaire lors d'éventuelles invasions ("former une barrière à un ennemi victorieux, soit qu'il pénètre par la Haute-Normandie, ou par la Flandre et l'Artois" ). Officieusement, ces aménagements auraient aussi constitué une réponse moins onéreuse que l'entretien direct du cours d'eau ou la création de chaussées. Il va sans dire que ces considérations d'ordre stratégique et/ou économique émanent d'acteurs "extérieurs" à la vallée de la Canche. Les populations locales ne sont pas directement concernées par 63 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION ses projets, qui d'ailleurs ne se traduiront jamais concrètement dans l'espace. 2 - L'utilisation des marais : un usage extensif Les marais, qui portent parfois le nom des communes avoisinantes (par exemple le "marais de Grigny"), sont des espaces communaux, utilisés de façons diverses pour les besoins de la pèche, du pâturage, probablement aussi pour la culture des roseaux . Aucun indice sur la carte ne nous a permis cependant de distinguer ces différents usages, générateurs pourtant d'unités paysagères variées. En particulier, on l'a déjà signalé dans la deuxième partie de ces travaux, il est impossible de mesurer l'importance de la présence des arbres. Dans les marais, des alignements arborés sont parfois représentés le long de la Canche, au sud de Grigny par exemple : il s'agit très probablement de la ripisylve naturelle. On ne peut savoir par contre si les quelques lambeaux représentés sur la carte correspondent à des restes réellement présents en ce milieu de 18e siècle ou si cet "objet" paysager n'intéressait pas assez le cartographe pour qu'il prît la peine de le représenter dans sa totalité. Concernant les aulnaies naturelles, qui constituent, si elles sont présentes, des boisements plutôt bas (des "futaies rabougries" ), aucune information, ni cartographique, ni même manuscrite. C'est certainement leur absence d'intérêt économique direct qui conduit les cartographes à leur porter aussi peu d'attention . Les marais sont également exploités dans la partie aval de la vallée pour la tourbe comme l’indique la présence d’excavations consécutives à son extraction. Bien que déclinante, la fonction militaire dévolue aux marais depuis le début de la période moderne apparaît encore à travers quelques considérations d’ordre stratégique rédigées par l’auteur d’un mémoire daté de 1774 (Archives de l’Armée de Terre, 1774) dans lequel il se félicite que « tout le front de la basse ville est en sûreté par l’inondation des marais ». En complément de ces secteurs identifiés en « marais » et occupant les points bas de la vallée, apparaissent d’autres types d’attribution de l’espace, tels les prés, labours et jardins. Les prés, définis comme des terres humides et non labourées, où l’herbe croit naturellement sont toujours cintrés de haies vives et cernés de fossés ouverts. Ce sont des terres appropriées puisque la carte indique presque systématiquement le nom de leur propriétaire, tel le « pré du gouverneur ». Ils résultent d’un processus d’assèchement et traduisent un désir d’intensifier l’utilisation du fond de vallée, comme le montre un procès-verbal relatif à des plantations dans les prés de la ville de Montreuil, datant de 1753 (ADP, 1753). L’émissaire de l’Intendant de Picardie et Artois, chargé de voir s’il est avantageux d’assécher les marais, nous apprend que les « maires et échevin actuels [de Montreuil] faisoient un nouveau fossé qui comprenoit un terrain plus grand que l’ancien pour former un plus grand revenu […], enjoignant de faire planter dans l’espace de deux ans en bois blanc tant le terrain de l’ancienne que de la nouvelle rencloture, laquelle plantation sera faite avec le produit des foins de la dite rencloture ». Il conclut en incitant à « faire des plantations par la suite dans les autres communs de la ville et banlieue ». Des terres labourées sont également représentées sur la carte, au pied des versants de la vallée naturellement mieux drainés. Ces terres sont le plus souvent limitées par des haies d’arbres, probablement aussi synonymes d’appropriation privée. Des corps de bâtiments isolés, sans doute de petites fermes, sont disposées dans ces terres où on note aussi la présence de jardins, cultivé à proximité des maisons pour en rendre le séjour plus agréable ou pour fournir aux besoins de la table. Contrairement à ce que nous apprend la carte de Montreuil, l'exploitation de la tourbe ne semble pas développée dans les environs marécageux d'Hesdin : en effet, aucune trace d'excavation n'a été reportée sur la carte. Ce phénomène s'explique par la faiblesse de l'épaisseur de la tourbe, voire son absence dans ce secteur de la vallée mieux drainé qu'à l'aval. - 64 3 – Un fond de vallée peu peuplé Le fond de vallée et ses zones marécageuses réputées insalubres sont faiblement occupées, contrairement aux interfluves et surtout aux versants. Les centres villageois de Bouin, Plumoison, Guisy possèdent cette localisation classique que l’on repère également sur la carte des environs de Montreuil. Les communautés rurales avaient ainsi la possibilité d'utiliser au sein des territoires villageois des terroirs distincts mais complémentaires : les plateaux pour la culture des céréales, et la carte montre très clairement ce type de mise en valeur des interfluves; le fond de vallée pour le pâturage, ce qui permettait d'épargner les terres cultivées du plateau. Le secteur d’Hesdin est cependant particulier : le plateau situé au nord de la vallée est recouvert par la forêt d'Hesdin, relique au 18e siècle d'un très ancien domaine de chasse royale . En terme de localisation de l'habitat, il convient de souligner cependant quelques exceptions à la règle énoncée ci-dessus : entre Plumoison et Guisy (carte d’Hesdin), ou plus en aval, au niveau de la Calotterie (carte de Montreuil), on distingue très clairement un ensemble de forme linéaire, des bâtiments et parcelles individualisés par des haies.: les zones humides et inondables sont en voie de colonisation. le village de Grigny (nord-est d'Hesdin, dans la vallée de la Ternoise) se trouve lui aussi dans le fond de la dépression, probablement sur un replat topographique. Dans les deux cas, l'un des atouts primordiaux de cette localisation est la proximité de la présence de l'eau, sous forme marécageuse mais aussi phréatique. Des réseaux de haies déjà bien constitués Les haies vives d'arbres cintrent généralement les prairies, en particulier dans les deux segments de vallée en amont d'Hesdin. Ainsi au niveau de Grigny, et entre Sainte-Austreberthe et Saint-Georges, l'importance de cette combinaison haies/prairies nous autorise à évoquer l'existence d'un paysage de prairies bocagères. Les parcelles, assez grandes et massives, sont entourées d'arbres, peut-être des peupliers ou des saules têtards, implantés au 16e siècle dans la région. L'intérêt écologique et économique de ces arbres est réel : leurs racines maintiennent localement les berges des cours d'eau et aspirent l'eau contenue dans les sols, rejetée ensuite par les feuilles; les saules remplissent ainsi le rôle de régulateur naturel du régime de la rivière. De plus, l'ombre qu'ils dispensent et les vents qu'ils dispersent permettent à l'herbe qui pousse à proximité d'être plus grasse . L'ancienneté de ces îlots de bocages (ils sont représentés à Sainte-Austreberthe sur la carte du siège d'Hesdin de 1639, fig. 12) traduit probablement un milieu mieux drainé naturellement. L'existence de ce paysage de prairie bocagère semble indiquer une volonté de mise en valeur du fond de vallée; impossible toutefois de savoir quelle était la nature de l'occupation du sol antérieurement (marais ou prairies humides naturelles?). Enfin, mais nous ne nous étendrons pas sur cet aspect, sur les limites extérieures du fond de vallée, ainsi que sur certains versants de la vallée plus secs, se trouvent des secteurs labourés. Quelques alignements d'objets mal définissables sont figurés sur la carte en bordure de certaines parcelles. Peutêtre s'agit-il de haies buissonnantes, rien ne nous permet de l'affirmer cependant. Quelques hypothèses concernant l'allure générale du paysage Ces paysages correspondent cependant à une mosaïque de secteurs plus ou moins régulièrement soumis à la présence de l'eau, dont il est impossible de faire la part relative : les marais à proprement parler, paysages ouverts s'il en est, bordés d'une végétation basse 65 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION hydrophyle. des prairies humides, naturelles ou anthropiques, elles aussi caractérisées par une végétation basse, peu propice à la fermeture du paysage; la plupart des prairies sont néanmoins entourées de haies, qui forment des sortes de "rideaux" dans les paysages. des aulnaies formant des forêts plutôt basses et touffues. On peut évoquer aussi le caractère relativement peu "organisé" de ces paysages d'eau. Même si de quelques secteurs étaient sans doute quelque peu transformés par les hommes (les marais stricto sensu), on a pu constater un début de géométrisation des paysages du fond de la vallée par l'apparition d'éléments tels que des parcelles rectangulaires, des haies mais aussi des chemins et des habitations. Marais, prairies humides, aulnaies engendrent de toute façon un univers imprégné d'humidité, aux contours encore relativement imprécis, constitué ni tout à fait d'eau, ni tout à fait de terre. Le fond de la vallée garde, au sein des plateaux agricoles qui l'encadrent, des caractères paysagers très spécifiques liés à la présence de l'eau. Le système paysage au milieu du 18è siècle Quels sont, en ce milieu du 18e siècle, les éléments naturels et sociétaux qui engendrent de tels paysages? Comment ces éléments interagissent-ils et quelles sont alors les relations entre les milieux humides et les hommes? Nous reprendrons ici les grilles d'analyses présentées dans la première partie de ce mémoire et nous formaliserons nos remarques sous l'aspect un tableau synthétique, dont l'organisation et les entrées s'inspirent directement du travail de Wieber. On vient de le souligner, l'ambiance paysagère dans laquelle évoluent les communautés locales est encore largement emprunte d'humidité : les marais sont les éléments du paysage qui prédominent et l'aspect "naturel" du fond de vallée tranche toujours avec les interfluves déjà bien mis en valeur. C'est que les mécanismes de production des paysages d'eau sont, dans ce secteur, encore largement soumis à des processus agissant à l'échelle locale : les habitants des versants ont développé des formes d'adaptation fine avec leur territoire, et les zones humides ont une fonction en elles-mêmes (pâturage, pèche, collecte de l'osier…). Figure 14 : Carte de l'utilisation du sol dans les environs d'Hesdin en 1739 - 66 Figure 15 : Carte de l’utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1763 Figure 16 : Le système paysage dans la vallée de la Canche au milieu du 18e siècle 67 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 8.3.2. L'occupation du sol au début du 19è siècle La "colonisation" agricole du fond de la vallée La régression des espaces en marais 1 - L'eau et sa gestion : un contexte favorable aux assèchements Dans la première moitié du 19e siècle, les espaces marécageux ont considérablement régressé dans la vallée de la Canche. Le recul le plus spectaculaire touche la partie en aval d'Hesdin, presque totalement en eau au milieu du 18e siècle. Dans les années 1830, cette portion de la vallée a été drainée : les labours ont largement pris possession de l'espace, gagnant, des bas de versants, la partie centrale de la vallée (fig. 17). Cette mise en valeur s'exprime aussi par l'intensification du réseau de drainage. Ce réseau n'a cependant rien de comparable avec celui de la partie aval de la Canche puisque la basse vallée connaît naturellement une ambiance beaucoup plus humide. Les écrits de Billet, avocat de sa profession, nous éclairent sur le contexte de cette transformation dans un rapport concernant l'assèchement de la vallée de la Canche dans la première moitié du 19e siècle. Il fait état des avantages tirés du dessèchement des marais en évoquant l'"assainissement des espaces insalubres", la "production de richesses agricoles", la "fertilité des sols "… Cette volonté affichée d'intensifier la mise en valeur agricole des zones humides est à replacer dans une dynamique plus ancienne. De Dienne, dans un ouvrage datant de 1893, confirme que, dès la fin du 16e siècle, les princes sont favorables à l'assèchement des marais. Le but étant faire régresser ces espaces jugés naturellement stériles au profit de l'agriculture (divers édits, entre 1599 et 1764, attribuent des privilèges à ceux qui entreprennent le dessèchement des marais). Par ailleurs, mention est faite d’un arrêt du Conseil d’Etat permettant aux habitants de la commune d’Attin « de faire exécuter quelques travaux de dessèchement dans leur marais commun », à une date non spécifiée mais antérieure à 1790 (ADP, C4). Un arrêt du 23 juillet 1780 précise « les réparations à faire à l’écluse et aux fossés établis pour l’écoulement des eaux du marais de la Madelaine » (ADP, C244). Un arrêté du 24 février 1809 établit une septième section territoriale pour les bas-champs de la Calotterie dans le cadre de la gestion de travaux d’assèchement, et un syndicat des Bas-Champs impliquant entre autres les communes de la Calotterie et de la Madelaine est constitué par un décret du 10 mai 1851. Grâce au rapport de Billet, les enjeux liés au dessèchement des terres entre Hesdin et Montreuil nous sont connus : la loi de 1807 oblige les propriétaires à "sortir d'une funeste insouciance qui a souvent opposé aux meilleurs projets une résistance d'inertie invincible". En d'autres termes, cette loi oblige les propriétaires à mettre en valeur eux-mêmes les terres humides; dans le cas contraire, l'Etat confit d'office cette mission à des administrateurs publics. dans la vallée de la Canche, les propriétaires semblent "avoir parfaitement entendu leurs intérêts et ceux des habitants". A partir de 1816, les travaux de dessèchement se font donc sous la houlette des habitants de la vallée. Ce type d'entente entre les acteurs locaux de l'aménagement de l'espace et l'Etat ne semble pas avoir été systématique, Billet rapportant que, dans la vallée de l'Authie, des "spéculateurs étrangers ont spolié les propriétaires". les travaux engagés à partir de 1816 concernent le lit du cours d'eau ("redresser, élargir et approfondir la rivière, (…) l'amélioration du cours de la rivière est indispensable pour assurer le prompt écoulement des eaux"). Ce choix d'aménagement est contesté pour la partie amont de la vallée en raison de son coût, car "cette vallée n'est pas couverte d'eau dans toutes ses parties comme entre Aubin-St-Vaast et Montreuil". Si les textes font encore défaut, l’ancien cadastre montre de façon indubitable l’existence en 1810 d’un - 68 réseau de drainage très développé qui structure étroitement les anciens marais communaux, en imposant un découpage géométrique de l’espace extrêmement fin. Ce réseau est hiérarchisé en trois classes de fossés bien distinctes. Les trinques constituent les artères principales recevant toutes les eaux des fossés pour les rejeter au moyen d’écluses dans la Canche. On en compte trois qui drainent en 1887 les bas-champs de la commune de la Calotterie (ADP, S1184). Les fossés d’égout sont des fossés secondaires qui récoltent les eaux des fossés ordinaires, les plus nombreux. Le bon écoulement des eaux exige un entretien permanent des fossés, qui consiste essentiellement en des travaux de curage et de faucardage dont les modalités sont fixées avec précision dans le cahier des charges du syndicat de dessèchement. La détérioration fréquente de ces canaux par l’ensemble des activités humaines menées sur le secteur, obstruction provisoire des drains, passage du bétail déstabilisant les berges, absence d’entretien, etc., a pour conséquence régulière de provoquer une hausse généralisée des lignes d’eau aggravant les inondations. La gestion de l'eau en cette première moitié de 19e siècle est donc largement favorable à des processus d'assèchement. Le recours à ces techniques de bonification se place dans un contexte général de transformation agricole, plus précisément d'intensification des productions. En novembre 1834, Billet observe d'ailleurs depuis 1816 des "améliorations remarquables", les terres nouvellement asséchées "produisent le froment, le seigle, l'avoine dont les récoltes sont souvent abondantes, les prairies qu'elles renferment produisent des herbes dont la qualité est plus recherchée que celles des foins qui croissent sur les meilleures terres des coteaux environnants". L'accélération de ce processus est soutenue par l'augmentation de la population dans ce secteur du Pasde-Calais, comme dans le reste de la France. Ce phénomène se traduit d'ailleurs dans l'espace qui nous intéresse par la densification de l'habitat. 2 - L'utilisation des marais : un souci d'intensification agricole En plus des éléments fournis par le rapport de Billet, le recours aux données produites par les Etats de Sections complète l'information : il s'agit des revenus annuels imposables pour chaque parcelle en fonction de sa mise en valeur (tableau 7). Ce dernier indicateur utilisé correspond à l’évaluation de l’arpent de terre. En effet, la détermination du revenu imposable passe au préalable par une évaluation en francs de la valeur des parcelles, selon la nature de leur occupation. Cette évaluation, établie à l’unité de l’arpent, se subdivise pour chaque type d’occupation en plusieurs classes de valeur et donne lieu à un barême variable d’une commune à l’autre. L’exemple de la commune de la Calotterie (tableau 1) montre ainsi la valeur importante attribuée aux prés et aux pâtures, à l’opposé de celle affectée aux terres labourables. Placés au même rang et en position intermédiaire, marais et bas-champs apparaissent comme des espaces de bon rapport. Sur la commune de Neuville-sous-Montreuil, les marais sont même plus imposés que les pâtures (56F/arpent contre 44F/arpent). Le terme de « marais » désigne ainsi de toute évidence un espace dont la mise en valeur diversifiée le distingue d’une zone exclusivement marécageuse, répulsive et insalubre. Il est intéressant de noter que, contrairement à ce qui est observé pour les communes de l'aval de la vallée (La Calotterie), les "marais et tourbières" de l'amont (commune de Marconne par exemple) ne sont pas des espaces de bons rapports. Cette piètre valeur est probablement due au fait que, contrairement à la basse vallée, la moyenne et haute vallée de la Canche ne possède pas de ressources importantes en tourbe ; celle-ci n'a pas pu faire l'objet d'une exploitation comme c'est le cas autour de Montreuil. Du coup, alors que l'élevage recule dans tout le département , les marais perdent leur utilité traditionnelle primordiale, c'est-à-dire le pâturage, sans trouver encore de mise en valeur de substitution. La valeur la plus importante est, dans cette commune comme dans d'autres (La Calotterie par exemple), logiquement attribuée aux jardins et vergers qui fournissent les denrées alimentaires les plus délicates, fruits et légumes. Prés et labours sont en position intermédiaire. 69 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Tableau 6 : Evaluation en francs de la valeur de l’arpent selon la nature de l’occupation du sol sur la commune de La Calotterie en 1810 (Source : ADP, 1810) Jardins Vergers Prés Pâtures Bois Marais Bas-Champs Labours Classe 1 80 72 70 62 55 50 50 35 Classe 2 65 54 50 37 42 33 33 23 Classe 3 50 25 25 18 28 14 5 16 5 Classe 4 Classe 5 5 Tableau 7 : Evaluation (en francs) des revenus imposables annuels pour chaque type d'occupation du sol à l'hectare (commune de Marconne, 1834) Terres labourables Jardins Vergers Prés Pépinières Etangs Marais et et fossés tourbières Classe 1 57 85 70 56 55 Classe 2 42 55 57 43 Classe 3 28 ? 35 Rappel : la classe 1 correspond, pour chaque type d'occupation du sol, à la classe de meilleur rendement. L'utilisation des marais est donc sensiblement différence à l'amont et à l'aval de la vallée de la Canche. Dans la première moitié du XIXe siècle, l’exploitation de la tourbe a produit, dans la partie aval de la vallée, une multitude d’excavations insérées au sein de la trame rigide du réseau de fossés. Ces trous à tourbe, ouverts au gré de l’extraction, et parfois comblés après l’épuisement du gisement, ont défini un paysage mouvant dont les traces héritées font partie intégrante du paysage actuel. La tourbe constitua longtemps une des ressources les plus importantes de la zone aval (DE BONNARD, 1810). Elle fut le principal moyen de chauffage employé par la plupart des communes du secteur d’étude et fut d’autant plus précieuse que le bois y était rare et cher. La cendre de tourbe constituait par ailleurs un engrais recherché, souvent préféré aux cendres de bois. Sur la basse Canche, les marais tourbeux s’inscrivaient dans les limites des terrains communaux et firent ainsi l’objet d’une gestion exercée sous le contrôle de l’Administration depuis un arrêt royal du 12 aôut 1740 appliqué à la Picardie et à l’Artois. Toutes les modalités de l’exploitation, période d’extraction, quantités extraites, réglementation de la vente, y étaient spécifiées dans le détail et supervisées par un représentant de l’Etat. Il semble que dans le secteur de Montreuil-Attin, l’exploitation contrôlée des marais tourbeux communaux ne débuta pas véritablement avant la fin du XVIIIe siècle. La carte de 1763 indique en effet des zones d’extractions très localisées et l’annuaire statistique du Pas-de-Calais de l’an 1808 (LEDUCQ et ALLEXANDRE, 1808) précise par ailleurs « qu’on ne tourbe pas depuis très longtemps dans ces marais ». Par contre, le paysage du fond de vallée s’est dégradé de manière significative durant la période révolutionnaire, en raison du partage des biens communaux organisé par la loi du 10 juin 1793 (DE BONNARD, 1810). Les marais tourbeux furent alors répartis entre les habitants et firent l’objet d’une exploitation anarchique aboutissant à une multiplication des excavations grevant le lit majeur de la Canche. En 1809, la surface exploitée par le tourbage sur les communes de Montreuil, Neuville, La Madelaine et Attin était de l’ordre de 82 ha soit près de 24% de la superficie des terrains communaux. L’extension des excavations à ciel ouvert, empiétant sur les pâturages et nuisant au bétail, posa le problème de la réhabilitation des terrains, dont les modalités étaient déjà fixées par un arrêté du 4 janvier 1808. Une - 70 des solutions préconisées consistait, tout au moins dans les marais restés en commun, à utiliser les eaux limoneuses de la Canche pour combler les fosses en profitant des inondations hivernales. Des résultats probants furent constatés en amont de Brimeux, où les terrains communaux n’avaient pas fait l’objet d’un partage, alors que plus en aval, la prolifération sauvage des excavations limita l’application de cette technique. Les terrains exploités devaient également faire l’objet de travaux d’assèchement des excavations et des plantations d’arbres étaient parfois réalisées. L’abandon progressif de l’exploitation de la tourbe régla de fait le problème de la prolifération des excavations. Si l’on se fie aux informations livrées par l’annuaire statistique de 1864 (PARENTY, 1864), le tourbage a été pratiqué chaque année depuis le début du XIXe siècle, mais dans des proportions toujours décroissantes, et ce principalement depuis les années 1840. C’est le résultat d’une conjonction de facteurs. Si une diminution de la ressource est évoquée, il est certain que l’abandon progressif de son exploitation est à mettre en relation avec l’émergence de l’industrie du charbon alors en pleine expansion. Il faut y ajouter un surcroît d’intérêt porté aux pâturages, les progrès techniques permettant d’installer des prairies de bonne qualité. Il devient donc plus rentable de maintenir les prairies plutôt que d’attendre que les terrains excavés redeviennent productifs. Enfin, cette évolution doit aussi à la politique hygiéniste du XIXe siècle, car il est fait mention des efforts d’assainissement des marais tourbeux réalisés par les syndicats de dessèchements pour améliorer la salubrité publique. Concernant les boisements naturels des zones restées en marais, les états de sections ne fournissent pas plus d'information que les cartes anciennes. Au même effet probablement la même cause : l'absence d'intérêt économique de ces petits boisements en fait les "parents pauvres" des objets paysagers réalisés par les cartographes… Dans les parcelles recensées par contre, il n'est fait mention seulement que de deux parcelles en "bois". Il semble donc que ce type de formation végétale soit des plus rare dans le secteur qui nous intéresse. Stabilité des réseaux de haies Nous avons souligné dans la deuxième partie de ce mémoire le peu de soin pris par les cartographes pour faire figurer les haies de façon très explicite. Nous pouvons cependant faire quelques remarques : les secteurs bocagers délimités sur la carte de l'utilisation du sol de 1739 existent toujours en 1830. Une observation minutieuse permet de reconnaître un grand nombre d'éléments fixés, de telle sorte que la trame des haies reste la même. Au 19e siècle, on observe également sur les cadastres de nouvelles parcelles de prairies, localisées en aval d'Hesdin, et dont l'allure est bien différente de celles qui existaient déjà en amont de la ville. Effectivement, les plus récentes ne sont pas ceinturées de haies et forment de très grandes parcelles, comme au niveau de la commune de Plumoison. Les causes de ces différences nous sont inconnues. Ouverture des paysages, fixation des structures paysagères Les considérations qui viennent d'être développées au sujet des haies montrent le caractère relativement "figé" des paysages d'eau de la haute vallée de la Canche, dès la première moitié du 19e siècle. En effet, les secteurs bocagers antérieurs au 19e siècle y constituent déjà probablement un paysage "relique", guère retouché par des processus nouveaux. Au fur et à mesure de la colonisation agricole du fond de la vallée, les paysages évoluent davantage par "remplissage" des strates paysagères peu anthropisées que par remise en cause des strates qui préexistaient. La pérennité de la trame paysagère est favorisée par la stabilité de la rivière dont le tracé sinueux n’évolue plus depuis au moins le XVIIIe siècle. On s’inscrit en effet dans le contexte d’une rivière à faible dynamique fluviale dont les limons d’inondation comblent progressivement le fond de la basse vallée et l’estuaire. Le maillage des digues dans la partie aval de la vallée conditionnant l’extension des renclôtures près de l’estuaire et l’appropriation définitive des marais au début du XIXe siècle, exprimée par l’achèvement du réseau de drainage, aboutit dès cette époque à une forte structuration de la trame paysagère. Ce canevas de digues et de fossés, définitivement fixé, détermine encore aujourd’hui la même parcellisation de l’espace. La seule évolution notable concerne le développement après 1833 71 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION (Carte d’Etat Major à 1/80000) d’un véritable front pionnier d’habitat dans les anciens marais de la Calotterie, où des maisons individuelles rattachées à des parcelles linéaires sont distribuées de part et d’autre d’un ancien chemin recoupant le marais. Les grandes tendances de l'évolution accentuent l'humanisation et la géométrisation des paysages d'eau, par la poursuite notamment de la une parcellisation agricole. La place plus importante des terres labourées, la régression des marais se traduisent alors sans doute par une ouverture plus grande du paysage dans sa globalité. Le système paysage en 1830 Comme pour l'analyse précédente, nous avons préféré présenter nos remarques sous la forme d'un diagramme synthétique, plus à même de mettre en valeur la complexité des relations, actions, rétroactions au sein du "système paysage" (fig. 19). Alors qu'au milieu du 18e siècle, le paysage visible semble encore largement sous la dépendance des particularités de l'hydrosystème, le paysage qu'on aperçoit vers les années 1830 porte bien davantage la marque de la société. L'anthropisation paysagère qu'on observe entre ses deux moments est liée à une accélération des processus d'assèchement agricole des zones humides, ces processus étant eux-mêmes impulsés par des directives d'Etat. En effet, si les autorités politiques étaient, à l'échelle du pays, consciente depuis longtemps de l'intérêt d'une mise en valeur des zones humides, les acteurs locaux, on l'a déjà dit, considéraient davantage ces espaces comme des lieux de complémentarité avec les terroirs plus productifs des plateaux. Mais le contexte politique change, à l'échelle régionale et locale, après la Révolution. Les mécanismes de bonifications agricoles sont par ailleurs eux-mêmes corrélatifs de transformations techniques, démographiques et sociales touchant l'ensemble des sociétés européennes. Figure 17 : Carte de l'utilisation du sol aux environs d'Hesdin vers 1830 - 72 Figure 18 : Carte de l’utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1810 Figure 19 : Le système paysage dans la vallée de la Canche vers 1830 73 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 8.3.3. L'occupation du sol à la fin du 20è siècle Multiplication des acteurs producteurs du paysage L'eau et sa gestion : le retrait de la collectivité Si le 19e siècle peut être décrit, dans la Canche, comme celui de la bonification agricole par assèchement des zones humides, le siècle suivant ne présente pas, loin s'en faut, les mêmes caractéristiques. Une première remarque concerne les marais stricto sensu, qui ont pratiquement disparu de la plaine alluviale en 1995 (fig. 20). Cela ne signifie cependant pas que l'eau a été totalement éradiquée du fond de la vallée. En effet, la carte de l'utilisation du sol à la fin du 20e siècle, réalisée à partir de photographies aériennes, montre la part importante prise de nos jours par les peupleraies. Il s'agit bien sûr ici de culture "en plein", c'est-à-dire faite sur des parcelles entières. Le peuplier était certes présent dans la vallée de la Canche depuis plus longtemps, mais principalement dans les haies. Les plus grandes forêts de peupliers se situent dans la vallée de la Ternoise, juste en amont d'Hesdin, et au niveau de Guisy en aval. Les limites de ces espaces se décalquent sans surprise sur celles des zones marécageuses existant encore en 1830 (citons par exemple les peupleraies situées au sud-ouest de Grigny, localisées précisément entre la Ternoise et la voie ferrée, au lieu dit "Le grand Marais"). Les photos aériennes montrent schématiquement deux types de parcelles, soit massives et plutôt carrées, soit laniérées, comme c'est le cas à Grigny. Dans ce dernier cas, on peut penser que les parcelles suivent la trame d'anciens fossés. Les causes d'une telle transformation en termes d'utilisation du sol sont diverses mais très explicites quant à la relation entretenue par les sociétés locales avec leur territoire : cette transformation est liée en premier lieu aux évolutions de l'agriculture locale. Le recul de l'élevage a fait perdre aux marais, autrefois intégrés aux systèmes agricoles locaux, ses fonctions traditionnelles de pâturages. Leur "inutilité" économique a donc incité les hommes à les utiliser d'une autre façon. La culture du peuplier, suscitée par les besoins de l'industrie du bois ou par la spéculation foncière, s'est développée ici comme dans d'autres marais de France (dans le bassin parisien par exemple) et même d'Europe. contrairement à des analyses menées sur les marais de la Sensée, les peupleraies de la Canche au niveau d'Hesdin ne sont pas intégrées à une logique touristique d'embellissement et de "mise en spectacle" des paysages de marais. Il s'agit bien ici de boisements à finalité exclusivement économique et non pas esthétique. au-delà, ces mutations traduisent un changement plus profond des mentalités. En effet, à la grande entreprise de bonification du 19e siècle, succède dans la deuxième moitié du 20e siècle une sorte de "désinvestissement" des acteurs de l'espace vis-à-vis d'une mise en valeur assez lourde et relativement contraignante du milieu. Cette part croissante prise par la culture du peuplier depuis 1947 (fig. 22) traduit en effet sans conteste une certaine forme de recul dans l'organisation locale du drainage et un moins grand soin apporté à l'entretien des fossés. En effet, l'eau peut stagner sans dommage pendant de longues périodes dans ces peupleraies, qui semblent d'ailleurs parfois bien mal entretenues. De façon plus générale, ces nouveaux usages et rapports aux territoires traduisent donc un recul de la gestion collective des problèmes posés par l'eau. Ceci est particulièrement surprenant dans le contexte actuel qui est celui d'une urbanisation de plus en plus lourde des milieux humides . Les environs - 74 d'Hesdin ne sont pas épargnés par ce processus de diversification fonctionnelle. Les haies : témoins de l'"immobilité" des structures paysagères dans le temps Le trait remarquable est la grande stabilité des réseaux de haies dans le secteur étudié. En effet, certaines haies qui existaient au milieu du 18e siècle sont toujours présentes à la fin du 20e siècle. Ce phénomène va donc dans le sens d'une remarquable "immobilité" de ces structures paysagères; on l'avait déjà remarqué pour le secteur de Montreuil. La fermeture paysagère On s'intéressera ici plus particulièrement à la présence des peupleraies et à ses conséquences sur le paysage. Ces peupleraies contribuent de façon très nette à fermer les paysages du fond de la vallée, tout en préservant leurs caractères originaux de "paysages d'eau". Ces boisements, d'élévations assez diverses (les plus vieux atteignent généralement 30 m), constituent dans le détail des paysages relativement monotones. Madame de Staël évoquait d'ailleurs à leur sujet "ces arbres réguliers comme l'architecture". La durée de rotation courte, de l'ordre d'une vingtaine d'années, provoque cependant dans le paysage des variations de volumes amples et rapides. La peupleraie se caractérise par son caractère homogène, sa trame interne de plantation rectangulaire, sa parcellisation géométrique simple aux lisières rythmées par les troncs alignés. Dans la Canche, certaines parcelles ne sont pas très bien entretenues, ce qui se traduit par le développement d'un sousbois buissonnant. Compte tenu des multiples transformations constatées dans la mise en valeur du sol et l'organisation de l'espace, la plaine alluviale est donc caractérisée en 1995 par une sorte de mosaïque paysagère. En effet, et même sans rentrer dans des considérations pointues sur le thème de l'organisation spatiale du paysage , il semble indéniable que parcelles forestières, prairies, terres en labours et zones construites s'enchevêtrent assez intimement dans la plaine alluviale peu étendue. Aucune forme de "spécialisation" paysagère ne se détache donc. Le système paysage pour la fin du 20è siècle Les paysages d'eau de la fin du 20e siècle se font l'écho des mutations qui ont touché les relations entre l'homme et les inondations depuis plusieurs décennies. Une réelle rupture dans les processus séculaires de production paysagère s'est produite : alors que l'agriculteur avait jusque récemment l'exclusivité d’usage des sols en zone inondable, le phénomène le plus remarquable est celui d'une diversification des acteurs locaux et des usages de la vallée(citadins, industriels, touristes…). Ce phénomène se traduit par une relation collectivité / territoire de plus en plus complexe. Dans le secteur d'Hesdin cependant, les problèmes liés à l'eau sont bien moins importants que dans la basse vallée, pour les raisons essentiellement naturelles qui ont déjà évoquées. 75 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Figure 20 : Carte de l'utilisation du sol aux environs d'Hesdin en 1995 Figure 21 : Carte de l'utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1995 - 76 Figure 22 : Evolution des enjeux pour une crue Q100 d’après les photographies aériennes de 1947, 1971 et 1995 77 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Figure 23 : Le système paysage de la vallée de la Canche à la fin du 20e siècle 8.3.4. Conclusions générales L'analyse diachronique des paysages d'eau de la vallée de la Canche a été menée grâce à divers types de sources iconographiques (cartes anciennes), systématiquement analysées et interprétées. Ces sources, relativement délicates à étudier du fait de leur inexactitude géométrique, sont cependant des indicateurs précieux et rares fournissant un certain nombre d'éléments sur l'aspect général des paysages passés. Les usages du sol sont généralement bien représentés, tout comme les réseaux de haies, ainsi que les voies de communication et les habitats. La bonne compréhension de ces cartes a été complétée par la lecture de documents écrits contemporains, qui complètent les représentations sous-jacentes des sociétés productrices de ces paysages. Le même type de démarche a été entrepris, avec moins de difficultés techniques cependant, pour les cadastres du 19e siècle et les photos aériennes. L'ensemble de ces travaux nous a permis de restituer des cartes d'utilisation du sol, elles-mêmes nourrissant des essais de reconstitutions diachroniques des paysages, "moments paysagers", reflet de systèmes spatiaux différents. Les paysages de marais du 18e siècle sont le reflet d'une relation encore traditionnelle des collectivités locales avec leur environnement immédiat. Malgré leur caractère répulsif, les zones humides et inondables sont cependant intégrées aux systèmes agricoles. La première moitié du 19e siècle se caractérise par un rétrécissement des zones de marais, traduisant sans conteste un changement de mentalité vis-à-vis des zones humides, qu'on cherche à assécher à tout prix. - 78 A la fin du 20e siècle, la présence considérable des peupleraies est le reflet d'un désinvestissent des collectivités face aux problèmes de la gestion de l'eau. Dans ce cadre, les conséquences spatiales du lien eau-société sont mesurables sur presque trois siècles, ce qui est une durée historique non négligeable compte tenu de la rapidité d'évolution de certains de ces paysages d'eau. Dans le cas de la vallée de la Canche, nous constatons une certaine forme d'inertie des structures paysagères qui, dans l'ensemble, ne sont pas remises en cause de façon fondamentale. les paysages actuels sont structurés par une trame géométrique héritée, fixée dans ses grands traits dès le début du 19e siècle, alors que les réseaux de haies, de fossés et de digues sont en place. Cette permanence historique des paysages s'éclaire en partie grâce à la prise en compte du caractère assez stable de la dynamique fluviale. l'exploitation de la tourbe a contribué dans le détail à forger un paysage mouvant lié à l'existence d'une multitude d'excavations creusées au gré des affleurements tourbeux. Les paysages actuels gardent trace de ces usages passés. à l'intérieur de la trame précocement fixée, les paysages se sont "fermés" au 20e siècle. Aux paysages assez ouverts de l'Ancien Régime, se sont substitués des boisements plus élevés de peupliers, austères et monotones. L'avènement de ceux-ci traduit d'une certaine manière un désinvestissement des acteurs locaux en matière de gestion des eaux, corrélatif à l'abandon progressif de l'entretien des fossés. Il convient cependant de rappeler les limites inhérentes à l'utilisation d'un corpus de sources tel que celui que nous avons utilisé : les incertitudes liées à l'absence d'information concernant l'aspect de la végétation sur les cartes anciennes et sur les plans cadastraux. Seuls les objets d'intérêt agricole ont été représentés. De ce fait, un témoin privilégié de la relation homme – milieu humide (l'arbre) nous échappe. le caractère discontinu des sources, qui empêche une reconstitution plus fine de l'évolution des paysages. Biliographie Amoros C et al, 1988 – Les concepts d'hydrosystème et de secteur fonctionnel dans l'analyse des systèmes fluviaux à l'échelle des écocomplexes. Bulletin Ecologique, tome 19, 4, p. 531-546. Amoros C, Petts GE, 1993 – Hydrosystèmes fluviaux, Paris, Masson, 190 p. 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Carte du cours de la haute et basse Canche depuis le moulin de Bocqui jusque sous la ville (Montreuilsur-mer), 1774, par Balthasar de Relingue, SHAT, cote Atlas 83, échelle? 83 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Plan et répertoire du village et terroir de Beaumery et de Saint Martin Dequincourt, 1787, Archives départementales du Pas-de-Calais, cote EDEP 588 114, échelle? Ancien cadastre : Feuille de Marconne, 1829, 1/2500, sections A et B, cote 3P549 Feuille de Grigny, 1810, 1/2500, cote 3P388 Feuille de Saint Leu, 1829, 1/2500, cote 3P461 Feuille de Sainte Austrberthe, 1829, 1/2500, cote 3P743 Feuille de Saint Georges, 1810-1840, 1/2500, cote 3P749 Marconnelle, 1829, 1/2500, cote 3P550 Guisy, 1829, 1/2500, cote 3P398 Bouin, 1829, 1/2500, cote 3P661 Plumoison, 1829, 1/2500, cote 3P 661 Sources documentaires Service historique de l’armée de terre Documents relatifs aux inondations de 1757 et moyens de lutte, cote Article 5, section 3, carton 1, §7 Mémoire accompagnant l’Atlas des places fortes de France, 1774, cote Atlas 83. Archives départementales du Pas-de-Calais Procès-verbal de la commune de Montreuil concernant l’autorisation de plantation dans les marais, 1215 mai 1753, cote EDEP 588 DD1. Collection Barbier : gravure de Montreuil (4J 439); plan du siège d'Hesdin (4J 486). Archives municipales d'Hesdin (série EDEP 447 DD4) A propos des cours d'eau : compte rendu de visite sur la rivière de Canche, 1775. Pièces diverses concernant l'entretien de la Canche (1717, 1732, 1735, 1777). Mémoire des maires et échevins de Saint Pol au sujet des inondations (1753). Bibliothèque municipale de Lille - 84 Rapport de H. Billet (1834) concernant le dessèchement de la vallée de Canche entre Hesdin et Montreuil, 18p. 85 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 9. Réceptivité des exploitants agricoles au risque inondation et à la mise en place d’une gestion intégrée L’agriculture en utilisant le sol comme support de production est intiment liée au territoire. La remise en cause depuis plusieurs années du productivisme met en évidence ce lien entre agriculture et environnement mais aussi entre agriculture et territoire. Cette nouvelle approche du productivisme aussi bien de la part de la société que de l’agriculture elle-même plonge cette dernière dans une phase de transition sinon de mutation (J. VAUDOIS, 1997). Face aux impacts environnementaux dérivés du modèle productiviste, mais aussi aux problèmes engendrés par la surproduction, le rôle de gestionnaire du territoire mené par l’agriculture est encouragé. C’est ce rôle de gestionnaire qui nous intéresse ici. La puissance publique s’efforce, depuis une quinzaine d’année, de garantir une utilisation durable des ressources par l’agriculture tout en maintenant une agriculture économiquement efficace. Elle cherche à réduire les effets néfastes de l’agriculture sur l’environnement et à renforcer ses effets positifs. Nous allons tenter de comprendre et d'analyser dans quelle mesure les agriculteurs de la vallée de la Canche interviennent dans la gestion des risques. Quelles sont les perspectives d’évolutions de cette participation au regard de l’affirmation du rôle de gestionnaire du territoire de l’agriculture ? Dans le double objectif de comprendre la gestion menée par les agriculteurs et d'autre part de pouvoir apporter des éléments visant à l'améliorer, deux axes de recherche ont été privilégiés : la perception du risque chez les agriculteurs la prise en compte du risque dans les stratégies agricoles. Nous nous pencherons plus particulièrement sur un outil de régulation privilégié dans la filière agricole : le contrat. Différentes formes de contractualisation entre l’agriculture et la puissance publique ont été mise en œuvre sur le bassin de la Canche (Mesures agri-environnementales, contrat territoriaux d’exploitation). Elles sont inscrites à un niveau suffisamment opératoire (d’une réflexion à l’échelle régionale et départementale à une application à l’échelle de l’exploitation agricole) et associent obligatoirement plusieurs partenaires et notamment les collectivités locales et les Chambres d’Agriculture. L’analyse d’un certain nombre de ces opérations permettra d’apporter des éléments de réflexion sur la spécificité de leur application dans une zone dominé par de grandes exploitations agricoles. 9.1. Eléments méthodologiques 9.1.1. L’enquête auprès des agriculteurs. L'enquête et les entretiens menés auprès des agriculteurs se sont appuyés sur un questionnaire défini sur la base d'une pré-enquête à dire d'expert. L’objectif était, en rencontrant des personnes ressources ayant une bonne connaissance de l’agriculture du bassin versant, d’une part d'obtenir des informations plus récentes que celle du dernier RGA, d’autre part, d'avoir une première approche sur l’agriculture et les problèmes liés aux inondations et à l’érosion. Grâce à un questionnaire ouvert (annexe 1) soumis à sept intervenants dont deux conseillers de centre de gestion, deux techniciens de coopérative à Atlin et Beaurainville, un technicien agricole de la Chambre d’Agriculture du Pas de Calais, deux agriculteurs responsables syndicaux, nous avons - 86 collecté des éléments utiles pour la réalisation de notre questionnaire. Plusieurs interrogations devaient être éclairées : Quels sont les impacts pour l’exploitation des inondations et/ou l’érosion ? Quelle est la place de ces aléas dans les stratégies foncières, de production des agriculteurs ? Quelles sont les mesures prises par les agriculteurs pour lutter ou se prévenir contre les inondations ou l’érosion ? Quelles perceptions les agriculteurs ont du risque? Les entretiens ont été conduits de façon semi-directive, le questionnaire (cf annexe) se divise en six parties qui abordent les thèmes suivants : Présentation de l’exploitation : Dans la première partie du questionnaire, les principales caractéristiques de l’exploitation sont examinées (Surface agricole utile SAU, nombre de personnes employées sur l’exploitation.). Ainsi un rapide historique depuis l’installation de l’agriculteur est dressé. Les différentes productions animales et végétales, leur nombre et surface seront détaillés, enfin, le parcellaire repéré et tracé par l’agriculteur sur des agrandissements de cartes IGN au 1/25000ème. Dans la mesure du possible, à chaque parcelle est attribuée les productions habituellement en place. Dans la plupart des cas sont distinguées les parcelles en culture et toujours en herbe. Cette première partie permet de repérer les principales évolutions en matière de surface, de production, de replacer l’exploitation dans un contexte local. Enfin elle permet de gagner la confiance de l’agriculteur. Situation de l’exploitation face à l’érosion et aux inondations. Il s’agit ici d’évaluer l’exposition de l’exploitation aux risques. Le nombre d’hectares touchés, les fréquences de retour des inondations et de l’érosion sont estimées. De plus, les parcelles touchées doivent être localisées sur la carte du parcellaire de l’exploitation. L’information, la prévention et nous. Cette partie renseigne sur le sentiment des agriculteurs par rapport aux efforts des différents acteurs de la gestion des risques, sur la connaissance qu’ils ont des dispositifs réglementaires de prévention et sur leur avis en matière d’information sur les risques naturels. La gestion actuelle des problèmes. Les questions posées visent à savoir quels sont les impacts des inondations et de l’érosion sur l’exploitation, quelles sont les mesures qui sont à leur disposition et celles qu’ils utilisent pour lutter contre l’érosion et les inondations. Cette partie tente aussi de mesurer la réceptivité des agriculteurs par rapport à des actions de lutte contre ces aléas et leur modalité de mise en place. La gestion future ; les solutions potentielles. Cette dernière partie aborde le sentiment des agriculteurs sur l’efficacité des mesures qu’ils prennent ou qui sont proposées, leur rôle dans la gestion des risques naturels et leur avis pour une meilleure gestion. Fiche d'identité A la fin du questionnaire, une fiche renseigne sur le nom, l’âge, la formation et les responsabilités de l’agriculteur interrogé. 87 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION La technique d’enquête par entretien semi-directif permet, en raison du contact direct avec l’agriculteur, de pouvoir réagir, de rebondir sur ses réponses et d'aller plus loin dans les détails et d'avoir ainsi plus de chances de saisir ses sentiments, sa vision sur les risques. De plus, il est possible d’approfondir les points qui nous semblent intéressants et pertinents pour expliquer certains phénomènes ou situations. Ce type d’enquête permet d’aborder le sujet avec plus de précision. L’agriculteur ne connaissant pas les questions à l’avance, les réponses obtenues sont plus spontanées et les biais par réponse sont réduits. Les taux de réponse sont aussi plus élevés qu'avec la technique d'enquête par voie postale. L’échantillon Les personnes enquêtées sont concentrées sur une zone comprise entre Beaurainville et Etaples. Dix sept communes sont concernées par ce périmètre d’étude. Figure 24 : Communes couvertes par l’enquête. Pour pouvoir généraliser les résultats obtenus à l’ensemble de la population cible, l’échantillon doit être suffisamment grand et doit répondre à des critères précis de représentativité. Pour établir d’une manière statistique sa représentativité, un principe fondamental doit être respecté. Le choix des individus de l’échantillon doit être aléatoire, choisi au hasard. Mais pour remplir cette condition, chaque individu qui constitue la population cible doit avoir une chance de se faire tirer au sort. Or nous nous heurtons à deux difficultés de taille. La première tient dans l’impossibilité de connaître le nombre exact d’agriculteurs sur ces dix-sept communes. Le dernier RGA datant de 1988, le nombre d'agriculteur ne peut qu'être estimé. Si on applique le taux de baisse (-44%), observé entre 1988 et 1997 pour les Bas Champs Picards et le Pays de Montreuil, au nombre d’agriculteurs en 1988 pour nos dixsept communes, on obtient 150 agriculteurs. Autre difficulté de taille, l’impossibilité d’obtenir l'adresse des agriculteurs. Par conséquent, d’un point de vue strictement statistique, nous sommes dans l’impossibilité de d'évaluer de façon précise la représentativité de notre échantillon. Le panel de 30 agriculteurs peut paraître faible par rapport à l'estimation du nombre d'exploitation estimé pour les 17 communes du terrain d'enquête. Il représente environ 20 % des exploitations. Nous ne recherchions pas cependant l'exhaustivité. Il s'agit en effet de mettre en évidence les comportements que les agriculteurs développent face aux risques. Ce n'est donc pas le nombre d'entretien qui importe, mais la situation des exploitations face aux aléas. Plusieurs facteurs apparaissent déterminants pour appréhender ces situations et les comportements des agriculteurs : La position géographique de l'exploitation et de son parcellaire (plateau, vallée, versant). Cette dernière détermine l'exposition aux risques. - 88 Le type et le profil de l'exploitation (SAU, production…). Les enjeux pour l'agriculteur ne sont en effet par les mêmes selon le type et la taille de l'exploitation. N'ayant aucune information sur les agriculteurs, il a été impossible de les présélectionner en fonction de ces critères. Le nom des agriculteurs nous a été fourni par plusieurs moyens : par des listes communiquées par le Centre de Gestion et la Chambre d’Agriculture par minitel par repérage sur le terrain La localisation géographique des exploitations a été toutefois affinée au fur et à mesure de l'enquête. Au bout de 30 entretiens, l'échantillon semblait bien résumer l'ensemble des critères définis au préalable (position géographique de l'exploitation par rapport aux aléas, types et tailles diversifiées des exploitations). Reflétant par ailleurs la diversité des exploitations du secteur d'étude, l'échantillon est donc représentatif. Figure 25 : Localisation des exploitations enquêtées Les agriculteurs choisis ont été contactés par téléphone pour prendre rendez-vous. La campagne d’enquête s’est déroulée du 31 mars au 28 avril 2000. Les entretiens ont duré en moyenne 1 heure 20 (de 40 minutes à 2 heures 30). Le traitement des données. Le codage du questionnaire, en variables quantitatives et qualitatives a constitué la première étape du dépouillement des enquêtes. Tris à plat et tris croisés ont ensuite été réalisés sous "Spad version 3.5". Même si les résultats obtenus grâce à ce questionnaire sont riches en enseignement, ces derniers ne suffisent pas pour cerner correctement l'ensemble du sujet. Le recours à l’analyse spatiale est impératif pour plusieurs raisons. Une des principales est l’impossibilité de saisir certaines évolutions à la seule échelle de l’exploitation agricole. Nous avons vu l’importance de l’occupation des sols en matière de risques naturels (cf travaux géohistorique menés par R. Laganier et al). Pour ce faire nous avons fait appel à plusieurs techniques. 89 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION L’analyse diachronique par photo interprétation. L’analyse diachronique consiste « à étudier un ensemble de faits dans le durée » (H. Gumuchian, 2000). Les faits qui nous intéressent ici sont l’évolution et la répartition des parcelles cultivées au regard de celles des prairies dans le bassin versant de la Canche. Grâce à une série de photographies anciennes de l’IGN depuis 1947 à 1995 et après rectification de ces photos, les évolutions qui nous préoccupent, peuvent être repérées. Le principe est de comparer, après corrections géométriques des images, les photographies aériennes de la zone d'étude aux différentes dates retenues. L'interprétation par type d'occupation du sol (parcelles cultivées, prairies, zone humide, urbanisation) permet d'établir des cartes de synthèse retraçant l’évolution dans le temps et l’espace de l'usage des sols. Les statistiques spatiales. Les statistiques spatiales complètent ces observations. Elles peuvent être de plusieurs formes et provenir de plusieurs sources. Les principales données qui existent pour l’agriculture sont celles qui sont collectées grâce au Recensement Général Agricole (RGA). Ce sont les données les plus complètes dont on dispose pour l’agriculture. Malheureusement la dernière campagne de recensement date de 1988. Les données sont cependant trop anciennes pour apprécier les dernières évolutions induites notamment par la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC). Le RGA est donc utile dans le cas d’une comparaison avec des chiffres plus récents ou dans une « perspective historique ». Néanmoins la chambre d’agriculture, en partenariat avec la Mutuelle Sociale Agricole (MSA) a édité pour 1997 une revue dressant un bilan sur l’agriculture. Les « Repères Economiques » renseignent sur le nombre d’agriculteurs, la SAU, et les principales productions pour les petites régions agricoles (PRA). Premier inconvénient l’échelle de la PRA est trop petite pour appréhender les évolutions avec finesse. Vu l’étendue de ces quatre PRA par rapport au bassin versant de la Canche, ces données ne seront utiles que pour dégager des tendances. De plus, des problèmes de définition de SAU interdisent la comparaison entre celles des RGA et celles des revues. L’estimation du nombre d’agriculteurs est obtenue par les fichiers de la MSA mais ils ne sont pas régulièrement réactualisés. Ces informations sont donc à manipuler avec précaution. Afin d'autres informations relatives aux aléas érosion et inondation ont été recueillis auprès de la DIREN (Zone inondable, inventaire des coulées boueuses, inventaires des mesures agri-environnementales) et auprès du SIABVC (inventaires des sites concernés par la lutte anti-érosive). 9.2. La perception du risque inondation par les agriculteurs L’objectif est de déterminer les différents types de comportements des agriculteurs face aux risques inondation et érosion. Cette approche s’inscrit dans une démarche d’appréhension du risque par les acteurs locaux. Elle permet de comprendre le sens et la logique qui sous-tendent les différentes stratégies menées par les agriculteurs face au risque et peut au delà déboucher sur la conception d’un savoir stratégique pour conduire et développer un processus d’appropriation du risque par les agriculteurs et de stratégies d’intégration du risque dans leur exploitation agricole. 9.2.1. Généralités sur les agriculteurs enquêtés et leurs exploitations Les résultats qui vont être présentés ont été obtenus grâce à l’enquête réalisée auprès des trente agriculteurs. A ces trente exploitations sont associées 3360 hectares de SAU, soit une SAU moyenne pour l’échantillon de 110 hectares. Cette dernière est bien au-dessus de la SAU moyenne des PRA du Pays de Montreuil et des Bas Champs Picards (63 hectares). Mais derrière cette moyenne, d’importantes disparités apparaissent, les SAU allant de 40 à 350 hectares (tableau 8). - 90 Tableau 8 : Répartition des exploitations selon leurs SAU SAU 40-70 ha 80-125 ha 130-170 ha + de 180 ha Nombre d’exploitation 8 11 8 3 Le type de structure de cet échantillon se décompose de la manière suivante : Tableau 9 : Répartition des types d’exploitations Type d’exploitation Polyculture Polyculture-élevage Polyculture-polyélevage Nombre d’exploitation 4 24 2 Tableau 10 : Répartition par classe d'âge des agriculteurs Age - de 30 ans 30-40 ans 40-50 ans + de 54 ans Nombre d’agriculteurs 4 7 9 10 L’assolement pour la SAU totale de l’échantillon se décompose de la manière suivante : La culture céréalière prédomine (près de la moitié de la surface rien qu’avec le blé et l’orge ou l’escourgeon). De plus, la Surface Toujours en Herbe (STH) confirme la relative importance de l’élevage dans cette zone du bassin versant de la Canche. La part de maïs ensilage dans cet assolement total indique plus particulièrement l’importance de l’élevage laitier. 91 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Tableau 11 : Production animale de l'échantillon Production Cheptel Nombre d’élevage Vache laitière 555 16 Vache allaitante 380 10 Génisse 430 16 Bœuf / an 184 11 Taurillon / an 265 7 Porc / an 85000 3 Poulet / an 10000 1 Chevaux de loisir 26 2 9.2.2. Les différents types de comportements des agriculteurs face aux risques inondations et érosion • Approches méthodologiques Un certain nombre d’indices et de variables ont été utilisés pour définir les différents types de comportements. - Le taux d’engagement : il exprime le nombre de mesures prises par les agriculteurs sur le nombre total de mesures rencontrées dans la zone d’étude. Cet indicateur est toutefois à manier avec prudence, certaines mesures étant plus contraignantes que d’autres (engrais verts, MAE) en raison du nécessaire respect des clauses du contrat (calendrier, surfaces couvertes…). - Le taux d’exposition aux risques. : il exprime le rapport entre la surface des parcelles concernées par l’érosion ou l’inondation et la surface agricole utile. Ce taux est fondée sur une estimation, par l’agriculteur lui-même, des surfaces de son exploitation concernées par un risque (après vérification, il s’avère que l’estimation donnée par l’agriculteur est très généralement de bonne qualité). - Les variables caractérisant la situation actuelle du risque dans chaque exploitation : Présence/absence selon l’agriculteur d’un risque, appréciation par l’agriculteur de la fréquence et de l’intensité intensité du risque. - Les variables décrivant la position de l’agriculteur face à la gestion du risque : rôle de l’agriculteur sur la gestion actuelle et future du risque, appréciation par l’agriculteur des efforts des collectivités locales et des administrations en faveur de la gestion du risque. Ces variables ont été traitées selon deux méthodes d’analyse des données. Une méthode empirique dîte méthode de « proche en proche » développée par E. LANDAIS (INRA) dans le cadre d’une - 92 appréciation de l’évolution des exploitations agricoles à travers l’analyse des trajectoires de production. (LANDAIS, 1996). Le principe de base de cette méthodologie a été retenue pour élaborer une typologie des exploitations agricoles. Cette typologie est fondée sur une analyse comparative de l’ensemble de l’échantillon. Par tâtonnement et itérations émergent progressivement les fonctions qui discriminent le mieux les systèmes et comportements en présence. Sur la base des variables discriminantes, un regroupement des exploitations est réalisé, engendrant ainsi une grille typologique. Notons que la démarche retenue a été possible en raison de la petite taille de notre échantillon. Afin de conforter notre démarche exploratoire, une analyse factorielle multiple (AFM) a été conduite sur l’ensemble des données, permettant ainsi de déterminer les liaisons entre les différentes variables et regroupant individus et variables en différents pôles. • Les types de comportements Il ressort de l’ensemble de l’analyse quatre types de comportements. Les deux premiers « évitement du risque » et « sécurité absolue » se caractérisent tous deux par un refus du risque alors que les deux autres groupes « responsabilité appropriée » et « mesures compensatoires » s’inscrivent dans une logique d’acceptation du risque. Le groupe « évitement du risque » Ce groupe d’agriculteur, qui refuse le risque, se caractérise par une logique d’évitement par rapport au risque érosion ou inondation. Le nombre de mesure de lutte est globalement faible (entre 0 et 3). Elles concernent essentiellement la vulnérabilité de l’exploitation (évitement du risque par la pratique de l’assolement et de la jachère). Ces exploitations sont toutefois rarement concernées par le risque (taux d’exposition compris entre 0 et 20 %) mais dans certains cas subissent les conséquences du risque en provenance des parcelles voisines. Les processus physiques (aléa) sont bien connus ; ces agriculteurs n’estiment pas nécessaire d’être informé sur le risque. Ces exploitations, de petite taille pour la région (entre 43 et 110 ha), pratiquent traditionnellement la polyculture-élevage (blé, escourgeon, orge, betteraves sucrières et vaches). Le groupe « sécurité absolue » Ce groupe d’agriculteur se caractérise aussi par un refus de risque. Mais celui-ci prend une expression plus radicale de lutte absolue contre l’aléa inondation. La plupart de ces exploitations de grande taille (entre 55 et 350 ha) sont en zones inondables (30 à 100 % de la SAU en zone inondable dans le secteur des Bas-Champs). L’inondation est perçue comme une menace, une contrainte importante face aux enjeux économiques et aux productions à haute valeur ajoutée (type céréales sarclées). Les mesures de lutte contre l’aléa (et non de limitation de la vulnérabilité) se résument à l’endiguement et au drainage. L’entretien de ces aménagements se fait par le biais du syndicat d’assèchement auquel les ¾ de ces agriculteurs appartiennent. Le risque, considéré comme peu fréquent en raison de la croyance absolue à la protection par endiguement entraîne un traumatisme important lorsque les digues cèdent, comme au cours des inondations de 1988. Le groupe « responsabilité appropriée » Ce groupe, à la différence des deux précédents, accepte le risque et l’intègre dans la manière de produire et d’exploiter leurs terres. Le taux d’exposition de ces exploitations (entre 60 et 180 ha) est assez élevé et face aux aléas, de nombreuses mesures de différents types sont utilisées. Ce groupe est attentif aux nouvelles techniques pour lutter contre l’érosion (test de nouveaux matériels et de nouvelles techniques qui, si elles apparaissent convaincantes, sont ensuite généralisées à toute leur exploitation). La plupart de ces meures concerne la diminution de la vulnérabilité à la parcelle, mais ont aussi pour objectif, dans certains cas, de limiter le ruissellement et la concentration des eaux. Ces agriculteurs se sentent impliqués dans une gestion collective du risque et estiment qu’ils ont un rôle important à jouer dans la gestion de l’environnement. 93 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Le groupe « mesures compensatoires » Ce groupe d’agriculteur, malgré l’acceptation du risque, se caractérise par une relative passivité face au risque érosion. Le nombre de mesures pris pour se protéger du risque est faible (3-4) malgré des actions menées avec la Chambre d’Agriculture et le Syndicat d’Aménagement de la Basse Vallée de la Canche. L’érosion n’est pas une préoccupation majeure même s’ils considèrent le risque comme une contrainte (perte d’argent). L’intégration du risque dans les pratiques culturales n’est pas systématique et ce n’est que lorsqu’il y a des mesures compensatoires qu’il y a réceptivité aux actions à mener. Ils bénéficient ainsi d’aménagements pour lesquels ils considèrent qu’ils n’auraient pas eu les moyens ou la volonté de les mettre en place sans le soutien technique et financier de la Chambre d’Agriculture et du SIABVC. Figure 26 : Répartition des différents comportements La vision des risques érosion et inondation par les agriculteurs apparaît donc comme morcelée à l’échelle de la basse vallée de la Canche. La sensibilité aux risques est forte, probablement en raison d’une ampleur croissante et plus récente mais les réponses demeurent diversifiées. Si la nature du risque influence directement les différents types de comportements (grande différence entre les agriculteurs concernées uniquement par l’érosion et ceux concernés par les inondations). Plus les enjeux économiques sont importants, plus le risque est refusé (cela se vérifie pour les agriculteurs des Bas-Champs). Une bonne connaissance des priorités des mesures agri-environnementales de certains exploitants pourrait s’expliquer par l’encadrement du SIABVC et par le rôle de la Chambre d’Agriculture du Pasde-Calais. L’idée que les MAE représentent un « système assisté » vers lequel il faudra aller domine chez les exploitants inscrits dans une logique intensive. L’attrait de l’aide compensatoire est très présent. Ces mesures sont perçues dans beaucoup de cas comme une prime et non comme un système transitoire vers une gestion patrimoniale de l’espace ((« un plus dans le revenu net total ») .Seul, le groupe « responsabilité appropriée » semble prendre conscience de cette transition agricole. Les agriculteurs concernés par les opérations locales et les MAE expliquent ainsi que : • la nouvelle perception de l’agriculture par la société reconnaît à la fois leur caractère patrimonial, - 94 leur image de marque et leur rôle dans la gestion des espaces ; • cette nouvelle façon de gérer leur exploitation doit tenir compte d’une double légitimité en termes de vocation de l’agriculture, une légitimité à produire des denrées alimentaires plus naturelles et liées à des terroirs, et une légitimité de production de biens d’environnement, paysage, prévention des risques, qualité des biotopes et des habitats ; La logique contractuelle, basée sur un principe de service environnemental de l’agriculture et de l’élevage, doit être rémunérée en conséquence, celle étant considérée parfois comme une véritable diversification économique de l’exploitation agricole. Face à la diversité de comportements des agriculteurs eu égard aux risques érosion et inondation, comment se traduit la prise en compte des risques dans les stratégies agricoles ? 9.3. La prise en compte du risque dans les stratégies agricoles : un jeu d'acteurs, un jeu d'échelles De nombreux acteurs interviennent dans la gestion des risques en milieu rural. Avec des compétences et des rôles différents, ils agissent à des échelles diverses. Quels sont les principaux acteurs concernés par une intégration du risque dans les stratégies xagricoles ? De quelle manière interviennent-ils dans la gestion des risques ? Un détour historique sur l’évolution de l’agriculture sur le bassin versant de la Canche appraît ici comme un préalable nécessaire pour une meilleure compréhension des comportements du monde agricole face aux risques. Les nouveaux outils de contractualisation pour la gestion du risque par les agriculteurs seront ensuite analysés (MAE et CTE notamment) avant de présenter les principaux types de mesures préconisées dansla zone d’étude pour une gestion à la parcelle ou à l’échelel de petits bassins versants des risques érosion et inondations. 9.3.1. L'évolution de l'agriculture sur le bassin versant de la Canche Le Bassin Versant de la Canche : entre grandes cultures et élevages Le Bassin Versant de la Canche est à cheval sur plusieurs petites régions agricoles (PRA). Sont concernés par ces chevauchements, le nord des Bas champs Picards, toute la partie nord du Pays de Montreuil, une frange sud du Haut pays d’Artois et l’ouest du Ternois. En 1988, le bassin versant de la Canche comptait 1326 exploitations contre 2124 en 1970. Depuis 1988, le mouvement de baisse s'est poursuivi. Une estimation, réalisée à partir des taux de diminution enregistrés pour le département du Pas-de-Calais, donnerait 740 exploitations pour l'année 2000. La revue "Repère Economique" consacrée aux Pays de Montreuil et aux Bas champs picards met en évidence les différences qui existent entre l’agriculture de cette zone et le reste du département. La SAU moyenne atteignait, pour 1997, 63 ha pour ces deux PRA, alors qu’elle n’est que de 53 ha pour le Pas de Calais. Cette région se distingue par la taille de ces structures. Ainsi plus de 55 % des exploitations sont au-dessus de 53 ha. L’organisation topographique du bassin versant de la Canche conditionne largement l’exploitation du sol par l’agriculture. En général c’est sur le plateau que l’on rencontre les grandes cultures. Les principales sont les céréales avec une prédominance du blé et de l’orge, les plantes sarclées de type betteraves sucrières, la pomme de terre de consommation et les plants pour la multiplication. La couverture de limons constitue une terre de bonne qualité et procure de bons rendements pour ces cultures. Localement, la présence d’industries agro-alimentaires oriente les productions. Ainsi la 95 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION conserverie William Saurin à Campagne les Hesdin induit la production de légumes comme le chou choucroute ou bien encore des haricots. La sucrerie d’Attin, l’usine de distillation ne sont pas étrangères à l’important développement de la betterave sucrière. Les plateaux trop pentus, les versants, le fond de la vallée sont essentiellement occupés par des prairies, à l'exception du fond de la vallée entre la Calotterie et Etaples, zone assainie par l’agriculture où des cultures intensives dominent. L’élevage tient une place importante dans le bassin versant : 17500 ha pour le Pays de Montreuil et les Bas champs picards sont consacrés à l’herbe et autres cultures fourragères. On dénombre pour 1997, 550 éleveurs de bovins, soit un cheptel total de 43800 têtes pour les Bas Champs picards. Pour le Pays de Montreuil, le nombre de bovins depuis 1988 est en légère augmentation alors que le nombre d’éleveur s’est divisé par deux. Le cheptel de vaches laitières a diminué pour cette zone en passant de 12426 têtes en 1988 à 9800 en 1997. Durant ces quinze dernières années, après l’instauration des quotas laitiers en 1984, on assiste à une reconversion de l’élevage laitier en bovin viande avec une progression du nombre de vaches allaitantes. La majeure partie des exploitations est donc de type polyculture-élevage. Depuis quelques années, l’agrotourisme de développe. La vente directe, les gîtes ruraux sont les principales activités que les agriculteurs mettent en place pour profiter de revenus supplémentaires. Mais cette activité reste marginale au regard du potentiel touristique de la région. De nouvelles pratiques, de nouveaux risques Quels sont les signes visibles de l'augmentation de la vulnérabilité des parcelles et du territoire en général ? Le bassin versant de la Canche, largement occupé par une agriculture intensive, enregistre une forte évolution de son agriculture depuis les cinquante dernières années tant au niveau des pratiques culturales (mécanisation), qu'en matière de structuration du parcellaire (remembrement/augmentation de la taille des parcelles). Les freins au ruissellement, que constituent les haies et les talus, sont supprimés. Les fossés de drainage, qui entourent souvent les parcelles humides, sont déplacés dans les meilleurs des cas et comblés la plupart du temps. L'hydrologie de surface en est profondément modifiée. Les nouvelles techniques culturales, fondée sur la mécanisation, favorisent l'érosion et le ruissellement. L'emploi de matériel lourd agit en effet sur la structure du sol (ameublissement et compactage). Le type de culture change également. Les surfaces en labour gagnent sur les prairies, dans les zones de plateaux prédisposées à subir l'érosion des sols (entre 1970 et 1988, les surfaces "toujours en herbe" chutent de 29 % pour l'ensemble du bassin versant). La diminution des prairies et des prés au profit des cultures est également observable en zone inondable, à partir de l'analyse diachronique des photographies aériennes (1947, 1971, 1995). Cette dernière rend de fait les exploitations occupant le fond de la vallée plus sensible aux inondations. La logique de rendement a ainsi conduit certaines exploitations à une exposition croissante aux risques érosion et inondation, impliquant également les agriculteurs dans la genèse même des inondations. Une prise de conscience de cette responsabilité et surtout des impacts directs sur leur exploitation (baisse de rendement) amènent les agriculteurs à s'organiser pour répondre aux nouveaux enjeux qui se dessinent. De nouveaux outils viennent en appui de cette transition agricole. 9.3.2. Les outils de l’agriculture pour la gestion des risques naturels Si l’Europe à travers la PAC mais aussi l’Etat ont guidé depuis quarante ans l’agriculture vers l’intensification, on assiste depuis une quinzaine d’années à un changement de discours. Ces changements de position vont se concrétiser par une série de mesures et de lois en faveur de l’environnement. Qu’est ce qui dans ces nouvelles mesures vont favoriser la gestion des risques naturels par l’agriculteur ? En 1985, dans le livre vert de la Commission européenne, la sauvegarde de - 96 l’environnement est clairement établie comme objectif de l’agriculture. L'article 19 prévoit pour les zones sensibles la mise en place de contrat avec les agriculteurs sur la base du volontariat pour assurer leur protection en terme de gestion des risques et de protection de l’environnement. Les effets de cet article seront limités vu la faible participation des agriculteurs. De plus peu de moyens de la part de l’Etat seront débloqués. Le monde agricole est dans l’ensemble réticent à ces nouvelles mesures. Il faut attendre la réforme de la PAC en1992 pour voir une réelle évolution des outils de gestion du risque au service des agriculteurs. Les MAE au service de la gestion des risques et de l'agriculture ? Avec la réforme de la PAC de 1992, la protection de l’environnement devient un objectif prioritaire de part son caractère obligatoire pour chaque état membre de l’union européenne. Mais ces mesures ne sont pas imposées aux agriculteurs et restent basées sur le volontariat. Les Mesures Agri-Environnementales (MAE) affichent deux objectifs essentiels : « La lutte contre la pollution et les problèmes environnementaux engendrés par la sur intensification de l’agriculture. La préservation des espaces naturels, des milieux rares (faune, flore), des paysages et des espaces en déprise » (Evaluation des MAE de la région Nord Pas de Calais, 1997). L’agriculteur qui accepte de s’engager pour cinq ans minimum, touche une compensation financière pour les mesures qu’il va prendre. Il existe un éventail de mesures qui s’appliquent à des niveaux différents : national, régional et local. Au niveau national deux mesures existent : Le plan de développement durable (PDD) : pour une durée de dix ans, l’agriculteur engage son exploitation dans une agriculture respectueuse de l’environnement et des paysages tout en restant économiquement rentable. Ce programme expérimental n’a connu qu’un succès très limité. La prime à l’herbe : elle vise à favoriser le maintien de l’élevage extensif. Il faut, pour obtenir cette prime, ne pas dépasser une unité gros bétail par hectare. D’un point de vue budgétaire c’est la MAE la plus importante en France avec 1406 millions attribués en 1995 sur un total pour la MAE de 1520 millions de francs. Au niveau régional huit axes sont définis : Conversion à l’agriculture biologique. Diminution de la charge du cheptel ovin et bovin. Protection des races locales menacées. Conversion des terres arables en herbage extensif. Retrait à long terme (20 ans) pour la protection de la faune et de la flore. Retrait à long terme (20 ans) pour la protection de l’eau. Diminution des intrants sur les cultures pour la protection des captages. Autres priorités régionales et opérations locales. Pour ces programmes régionaux, des cahiers des charges « type » sont définis sauf pour le huitième axe qui donne plus d’initiative pour répondre au mieux aux problèmes locaux. Les décisions stratégiques 97 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION relatives à l’application du programme agri-environnemental régional ont été instruites et menées sous l’égide de deux instances d'encadrement du monde agricole : la Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt (réglementairement chargée de l’application de la procédure) et la Chambre Régionale d’Agriculture (organisme désigné par le préfet de région pour animer la procédure et informer les agriculteurs). Leur rôle essentiel a tenu dans la définition des enveloppes budgétaires, la délimitation des périmètres d’éligibilité et la définition du cahier des charges pour les mesures régionales, ainsi que dans la conduite de la politique d’animation et de sensibilisation. C’est dans ce cadre qu’une opération locale pour lutter contre l’érosion a été menée en 1996 sur le bassin versant de la Canche. Le budget attribué ne pouvait financer que 2000 ha alors que la demande totale des agriculteurs atteignait 6000 ha. Trente deux agriculteurs soit 2090 ha ont été retenus (cf carte "opérations en faveur de la gestion des risques"). Figure 27 : Opérations en faveur de la gestion des risques érosion et inondation Les zones éligibles au titre des mesures zonales renvoient à trois situations dans le département du Pasde-Calais : les communes concernées par une zone de captage (zones vulnérables, Projet d’Intérêt Général, champs captants ou captages déclarés d’utilité publique) ; les communes impliquées dans des contrats de rivière ; les zones où des problèmes d’érosion des sols ont été répertoriés comme effectifs ou potentiels, soit pour l’essentiel, dans l’arc central des régions agricoles les plus intensives. Il a donc été préféré une concentration sur les zones les plus sensibles plutôt qu’un éparpillement de mesures sur tout le bassin versant. Cette opération a été menée sur le secteur de Berck pour la protection du captage d'eau souterraine alimentant la ville (900 ha concernés) et sur un secteur touché par des coulées de boues (opération "lutte contre l'érosion du Pays de Montreuil"). Néanmoins, la carte montre une articulation imparfaite entre les secteurs touchés par des problèmes récurrents d'érosion et la ventilation des aides MAE. Nombreuses sont les communes situées en amont du bassin versant de la Canche qui enregistrent depuis 1985 de nombreuses coulées de boues sans pour autant obtenir de primes sur leur territoire. Cette inadéquation s'explique par : - 98 le manque de structure porteuse sur les secteurs sensibles, capable de diffuser l'information auprès des agriculteurs de l'ensemble du bassin versant et d'aider au montage des dossiers de demande d'aide : le désintérêt de certains agriculteurs ; la volonté de concentrer les efforts sur des zones déjà concernés par d'autres opérations et aménagements (site de Tubersent) ; la présence de structures (Syndicat Intercommunal de la Basse Vallée de la Canche, Parc Naturel Régional) mieux organisées pour utiliser les primes. Inspiré de cahiers des charges type, le principe de cette opération locale « lutte contre l’érosion du Pays de Montreuil » est de mettre en place des pratiques, des aménagements qui limitent le ruissellement. Pour ce faire deux mesures principales sont prises. la couverture des parcelles agricoles par des engrais verts, associée à un calendrier précis pour les travaux dans les parcelles. des aménagements comme des bandes enherbées, des diguettes aux points stratégiques des écoulements. Les agriculteurs, qui ont souscrit, à cette opération touchent environ 450 francs par hectare et par an pour la mise en place d’engrais vert et le respect des calendriers pour les travaux ; et 550 francs par an pour une bande enherbée d’une vingtaine d’ares. Ces primes couvrent les semences pour les engrais verts et le travail effectué par l’agriculteur. Bien qu’il n’y ait pas eu de bilan quantitatif de l’impact sur les inondations et l’érosion de cette opération, à l'échelle du bassin de la Canche, les effets semblent bénéfiques pour la prévention des risques. Le site expérimental du petit bassin versant agricole de Tubersent a permis d’éprouver les pratiques et aménagements repris dans le cadre de la MAE. Une comparaison des quantités de sédiments transitant à l’exutoire de ce bassin avant et après les aménagements a toutefois été réalisée. Pendant trois années, l'efficacité des aménagements anti-érosifs a été contrôlée par des mesures réalisées à l'échelle du bassin versant expérimental de Tubersent (pluie, débit et concentration des eaux en matières en suspension). Après aménagement, les volumes ruisselés diminuent en moyenne de 50 % pour des pluies de même intensité. Les eaux de l'amont, après décantation dans les bassins de rétention, parviennent plus tardivement et moins chargées en MES dans le cours d'eau récepteur Les conclusions montrent qu’avec ces aménagements, la perte de sédiments est largement diminuée. Le coût total de cette étude pilote sur trois communes (diagnostic agronomique, aménagements, évaluation de l'impact hydro-sédimentaire et sensibilisation des agriculteurs et des élus) s'est élevé à 1,6 MF. Les MAE, à travers cette opération locale, semblent être un bon outil de la gestion quantitative des risques naturels. Il est regrettable que les moyens disponibles aient été insuffisants pour permettre à d’autres agriculteurs exposés de souscrire ce type de contrat. En effet, toutes les zones vulnérables n’ont pas pu être couvertes. Une autre opération de MAE, qui n'est pas directement destinée à la lutte contre l'érosion et l'inondation, a été mise en place sur le Canton d'Hucquelier. Cette opération "maintien du bocage (cf carte) a concerné 17 communes, membres du Parc Naturel Régional. Les principales mesures visaient à entretenir et protéger les haies et à définir, avec les agriculteurs, une gestion raisonnée des prairies bocagères. Elle a contribuée, par la protection d'obstacles limitant la concentration des écoulements, à la gestion des risques érosion et inondation. Démarrée en 1994, le bilan d'une telle opération est plutôt positif. Grâce à une enquête réalisée auprès des agriculteurs contractants, il a pu être établi que la plupart des agriculteurs ont changé leurs pratiques à la suite de cette opération. Une part importante du bocage a par ailleurs été sauvegardée. Notons qu’il n’existe pas aussi bien dans le dispositif régional que local de réelles mesures agrienvironnementales destinées à la prévention contre les inondations. S’il est indéniable que les Opérations Locales (OL) contre l’érosion jouent en faveur de la gestion des inondations, les 99 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION agriculteurs concernés directement par les inondations n’ont pas la possibilité de mettre en place des mesures qui les inciteraient à changer le type d'usage agricole des parcelles inondées. Seules certaines mesures comme le retrait à long terme (20ans) et la conversion des terres arables en herbages extensifs pour la protection de la Faune et de la Flore, peuvent, d’une manière détournée et grâce à une forte mobilisation locale, permettre aux agriculteurs qui ont des terres inondées de toucher des compensations financières permettant une diminution de la vulnérabilité de leur exploitation à l'aléa inondation. Aucun agriculteur concerné par les inondations sur la basse vallée de la Canche n'a eu recours à ces mesures compensatoires. Les contrats arrivent à terme pour la plupart et il n’est pas évident qu’ils seront encore reconduits pour cinq ans. La pérennité de ces mesures reste posée alors que d’autres formes de contractualisation, notamment les contrats territoriaux d’exploitation (CTE), semblent les remplacer. Les CTE : un pas vers la gestion intégrée ? La volonté de redonner à l’agriculture son rôle de gestion du territoire, déjà avec les contrats MAE, est renforcée par la politique des Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE). Les CTE sont le prolongement des MAE et des PDD. Avec pour finalité première la reconnaissance du caractère multifonctionnel de l’agriculture, la loi d‘orientation agricole de juillet 1999 a pour ambition d’afficher la participation de cette activité au développement durable des territoires, en réponse aux attentes de la société tant en matière de productions de qualité que de protection et de renouvellement des ressources naturelles. Dispositif central de la loi qui offre de nouvelles perspectives aux Mesures AgriEnvironnementales (MAE) liées à la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) de 1992, le contrat territorial d’exploitation ou CTE se veut accessible à tout agriculteur porteur d’un projet individuel, tout en incitant à la concertation entre acteurs des agrofilières et du territoire (article 1er de la loi n°99-574). Cette dimension participative des différents acteurs des territoires semble d’ailleurs un préalable pour parvenir à faire du CTE un réel levier de développement territorial, et ce, à toutes les étapes du processus (définition des enjeux, choix des objectifs et évaluation des pratiques à mettre en œuvre). Une des différences fondamentales avec les MAE tient dans l’engagement de la totalité de l’exploitation dans le contrat. Ce contrat engage en effet la cohérence globale de l’exploitation dans son ensemble et non plus une parcelle ou une portion plus ou moins marginale de l’exploitation comme pour les MAE. De plus, avec sa double entrée économique/emploi et environnementale/territoriale, combinant la création de valeur ajoutée avec la gestion patrimoniale des ressources naturelles, ce dispositif territorialisé cherche à répondre à des enjeux collectifs forts à l’échelle du territoire, dont la résolution passe par l’établissement de partenariats avec des acteurs de l’environnement des agrofilières (collectivités locales, association de protection de l’environnement …) (MARGETIC, 2001) La mise en œuvre du CTE devant s’appuyer sur des dynamiques territoriales et collectives est source de plusieurs interrogations relatives au processus d’appropriation de la démarche par des acteurs diversement mobilisés au préalable par les MAE, aux modalités de construction d’espaces de réflexion collective combinants des échelles territoriales de tailles différentes, et enfin, à l’expression locale de la transition agricole dans les régions « grandes cultures », les CTE pouvant (fortement ? partiellement ?) interférer sur l’organisation et le fonctionnement des bassins de production agricole (par la diffusion de pratiques alternatives aux modèles intensifs). Ce contrat, toujours sur la base du volontariat des agriculteurs, définit deux volets principaux : un volet socio-économique ; un volet environnemental. L’objectif des CTE est multiple : favoriser le rapprochement entre le développement agricole et le développement rural. Les CTE s’inscrivent en effet dans le cadre d’un projet collectif auquel participent agriculteurs, organisations - 100 professionnelles, collectivités territoriales, associations de consommateurs et de défense de l’environnement ; encourager une agriculture respectueuse de l’environnement dans sa manière de produire et de gérer le territoire. Dans la mesure ou toutes ces actions sont pour le bien collectif, les agriculteurs reçoivent, dans le cadre de la contractualisation, une compensation financière ; aider l’agriculture sans soutenir les productions. La mise en œuvre du CTE devant s’appuyer sur des dynamiques territoriales et collectives est source de plusieurs interrogations relatives : au processus d’appropriation de la démarche par des acteurs diversement mobilisés au préalable par les MAE, aux modalités de construction d’espaces de réflexion collective combinants des échelles territoriales de tailles différentes, à l’expression locale de la transition agricole dans les régions « grandes cultures », les CTE pouvant interférer (fortement ? partiellement ?) sur l’organisation et le fonctionnement des bassins de production agricole (par la diffusion de pratiques alternatives aux modèles intensifs). « A chaque département, sa vision du CTE » : ce constat renvoie au rôle joué par la Commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), qui a pour charges l’identification des enjeux, la définition des priorités, l’incitation à «l’émergence et la mise en place de projets collectifs, porteurs d’avenir pour les territoires et les hommes » (Loi d'Orientation Agricole), et enfin, la validation des projets présentés de manière individuelle ou collective. Occupant une place à la fois intermédiaire et centrale dans le processus global, malgré son ouverture à des acteurs extérieurs au monde agricole (collectivités locales, consommateurs, associations de protection de la nature …), cette structure est encore «contrôlée» dans le Pas-de-Calais par une profession agricole globalement circonspecte sur le CTE, au moins dans un premier temps. Après une phase d'expérimentation, les CTE semblent ne pas faire l’unanimité auprès des agriculteurs (les modalités de financement n'étant pas résolues). Les agriculteurs apparaissent ainsi plutôt réservés en régions de grandes cultures. Les cahiers des charges sont considérés comme «beaucoup trop contraignants » pour au moins deux séries de raisons. La première tient au fait que les contraintes imposées sont déclarées inapplicables par la grande majorité des exploitants spécialisés «grandes cultures ». De même, l'objectif de «conversion des terres arables » qui favorise l’enherbement par extensification, apparaît en totale contradiction avec les stratégies d’adaptation conduites localement, qui visent plutôt l’intensification raisonnée (raisonnement au plus juste de la fertilisation et des traitements et baisse des coûts de production). La participation de nouveaux partenaires reste encore timide. Or l’enrichissement des projets CTE et leur validation par la société locale passe par la mise en place de partenariats entre les agriculteurs et d’autres acteurs du territoire, qu’ils relèvent de la sphère agricole ou non. La profession et l’administration agricoles se définissent comme les principaux gestionnaires de l’environnement dans les espaces ruraux, les autres acteurs ayant dans ce cadre beaucoup de mal à se positionner, d’autant qu’ils diffusent déjà leur propre cahier des charges (Agence de l'eau) et leurs propres stratégies en manière environnementale (Associations). Dans le cadre des MAE, leur participation s'était réduite au mieux à des incitations à la contractualisation par le biais de conseils (rôle prépondérant des réseaux économiques, techniques et financiers auxquels appartient l’exploitant). Face au CTE, elles reproduisent le même schéma. Ayant compétence pour l’aménagement de l’espace, les collectivités locales (communauté de communes …) perçoivent mal l’outil CTE (volontariat, contrat individuel) et ses modalités de fonctionnement. Aussi, elles sont restées d’autant plus en retrait qu’elles doutent souvent de pouvoir réellement peser sur les choses (mécanique complexe et lourde dans sa définition nationale, cadrage professionnel très rigide au niveau départemental). Pourtant, le milieu agricole est 101 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION unanime pour leur reconnaître un rôle en termes d’animation dans une zone donnée (diffusion des informations auprès de tous les agriculteurs ; suivi des CTE signés), mais aussi de porteur de projet. La réalité multi-acteurs des espaces de réflexion collective se limite encore aujourd’hui à la prédominance des acteurs de la sphère agricole, malgré de timides avancées. On peut alors s’interroger sur une réelle adaptabilité de l’outil CTE alors que la participation de certains acteurs (Agence de l’eau) dans d’autres expériences ou d’autres politiques (Contrat rural pour l’eau, SAGE) démontre que l’entrée « eau » peut conduire à la mise en place d’espaces de solidarité. 9.3.3. Les mesures prises pour lutter contre les inondations et l'érosion Sur les 30 exploitants agricoles interrogés, tous déclarent leur exploitation exposée aux risques inondation et/ou érosion. Ainsi 14 exploitations ne sont concernées que par l’érosion, 3 uniquement par des inondations et 13 par les deux en même temps. Sur les 30 agriculteurs de l’échantillon 27 déclarent ensuite prendre des mesures pour lutter ou se prémunir contre les inondations et l’érosion. Les mesures mises en place visent pour certaines à limiter l’aléa et pour d'autres à contrôler la vulnérabilité. La parcelle constitue l’unité fonctionnelle de l’exploitation mais la gestion du risque renvoie aussi à celle du bassin versant. Plusieurs échelles d'interventions se combinent donc et ne dépendent pas du seul ressort de l'agriculteur. L‘érosion Les mesures prises à l’échelle de la parcelle 13 mesures pour lutter contre l’érosion et s'appliquant à l’échelle de la parcelle ont été recensées lors de l'enquête. Le principe de ces 13 mesures est de diminuer le ruissellement de surface et la concentration des eaux. Pour ce faire une série de ces mesures vise à améliorer l’infiltration du sol. Ainsi le couvert végétal est une des mesures les plus répandu au sein de notre échantillon (15/27). Appelé aussi engrais vert, il permet grâce à ces racines d’une part le maintien du sol et d’autre part l’infiltration des eaux. De plus les engrais verts piègent les nitrates en surplus. Généralement on plante de la moutarde ou du RayGrass. Semée entre deux cultures cette concentration végétale protège la parcelle durant la période la plus vulnérable. Avant la prochaine culture il est broyé et enfoui dans le sol. Pour 1 ha de moutarde il faut compter environ 400 francs de semences, à cela s’ajoutent les heures de travaux pour les planter et les broyer. Les agriculteurs qui mettent en place des engrais verts estiment que le coût de cette opération est assez élevé mais pensent que son efficacité compense cette dépense supplémentaire. Néanmoins si tous reconnaissent son efficacité, nombreux déplorent les invasions de limace qui lui sont associées. L’opération locale «lutter contre l’érosion Pays de Montreuil » grâce au M.A.E. repose en partie sur la mise en place de l’engrais vert. 5 agriculteurs sur 30 ont souscrit à ces contrats. Ils se sont engagés à couvrir un certain pourcentage de leurs surfaces de culture. Le montant qu’ils perçoivent à l’hectare leur permet de rembourser les semences et les heures de travaux. Les raisons principales qui ont motivé les agriculteurs à participer à cette opération sont l’avantage financier et la possibilité de financer une mesure qu’ils prenaient déjà. Les agriculteurs interviennent aussi sur la perméabilité de leurs parcelles grâce à des pratiques dites culturales. Certaines façons de cultiver ou de préparer la terre favorisent l’infiltration et limitent le ruissellement. Le travail en travers de la pente évite que le ruissellement se canalise dans les raies de semis ou de labour. Cette mesure est largement adoptée par les agriculteurs concernés par l’érosion. 26 agriculteurs sur 27 la pratiquent. D’autres techniques comme le sous-solage, le décompactage préparent la surface du sol pour supporter une pluviométrie importante sans déclencher de ruissellement. - 102 Figure 28 : Exemples de lutte contre l’érosion et de contrôle des écoulements sur les versants De plus la période des travaux est aussi l’objet d’attention particulière. Si le sol est saturé en eau et que les engins tassent la terre, le risque d'érosion est temporairement accru. Ainsi les travaux de récolte par exemple sont effectués assez tôt pour éviter d’avoir à travailler avec de mauvaises conditions météorologiques. Nous avons insisté sur les mesures principales que mettent en place les agriculteurs sur leurs parcelles. Bien sûr d’autres mesures sont prises, elles sont récapitulées dans le tableau suivant. 103 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Tableau 12 : Les principales mesures de lutte contre l'érosion utilisées sur le bassin versant de la Canche à l’échelle de la parcelle Mesures Principes Nombre d’agriculteurs Apport de fumier pour une teneur en matière organique + amendements calciques Faire attention à la structure et à la porosité du sol pour aider à l’infiltration 9/27 Assolement en fonction du risque Limiter la mise à nu des sols dans les zones à risque d’érosion 9/27 Jachère sur les zones à risque Limiter la mise à nu des sols dans les zones à risque d’érosion 7/27 Division des parcelles/haies Limiter la concentration des écoulements 7/27 Déchaumage Protéger la surface du sol contre le ruissellement et l’érosion 3/27 Outils moins agressifs Ne pas désagréger la structure du sol 2/27 Les semences sont directement introduites en terre sans retourner la parcelle Non labour 1/27 Certaines mesures ne concernent que quelques agriculteurs et semblent être marginales mais leur efficacité est prouvée. De nombreux agriculteurs tentent des expériences, ils entendent parler d’une nouvelle technique, de nouvelles façons culturales et l’essayent sur quelques hectares. Si le résultat leur parait satisfaisant ils généralisent la nouvelle mesure sur le reste de l’exploitation. C’est le cas des engrais verts qui ont connu ces 5 dernières années une importante progression. Ce relatif succès est à attribuer également à la Chambre d’Agriculture du Pas-de-Calais. En effet, depuis près de 20 ans, elle mène des opérations en faveur de la lutte contre l’érosion. Elle a joué auprès des agriculteurs un important rôle d’information et de vulgarisation de certaines techniques, notamment dans le cadre de la politique des MAE. Elle est le principal interlocuteur en matière d’érosion pour les agriculteurs. Mais il existe d’autres canaux de diffusion : l ‘entourage plus ou moins proche sert de relais pour toutes nouvelles pratiques. "Il est plus facile de se lancer lorsqu’un ami, un cousin a déjà mis en place une technique". De plus les coopératives sont des canaux de diffusion qu’il ne faut pas négliger. Elles ont aussi contribué à l’essor des engrais verts auprès de certains agriculteurs. Elle conseille l’agriculteur et assure un suivi lorsque l’agriculteur met en place une technique qu’il ne maîtrise pas complètement. Enfin les revues spécialisées que reçoivent de nombreux agriculteurs constituent une importante source d’inspirations pour les agriculteurs qui ont des problèmes sur leurs parcelles. Mais si certaines techniques sont passées par ces canaux de diffusion pour se faire accepter, d’autres comme le travail en travers la pente semble être une mesure «traditionnelle» répandue depuis des décennies. De nombreux agriculteurs relatent que leurs grands-pères, sinon leur pères utilisaient déjà cette technique. L’érosion des sols sur le bassin versant de la Canche est un phénomène ancien et les agriculteurs ont su au fils des années développer des techniques pour lutter contre le ruissellement. Les moyens d’action à l’échelle de la parcelle sont nombreux, en général, ils visent tous à réduire la vulnérabilité de la parcelle à l’érosion ou à limiter l'aléa alors qu’à l’échelle du bassin versant agricole c'est davantage la réduction de l'aléa qui est visée et la mise en cohérence des actions à la parcelle. - 104 A l’échelle du bassin versant agricole. L’unité du bassin versant agricole est de taille variable. Ses dimensions peuvent aller de quelques dizaines d’hectares à plusieurs centaines. Elle réunit en général plusieurs agriculteurs qui exploitent les terres. C’est aussi une unité fonctionnelle mais qui à l’inverse de la parcelle, dépasse souvent le contrôle de l’exploitation. Figure 29 : Petit bassin versant agricole de Bréxent Alors qu’à l’échelle de la parcelle on intervient sur sa genèse et sur les processus hydrologiques élémentaires, à l’échelle du bassin versant agricole c’est sur la concentration des eaux que se focalise les mesures de protection. Le contrôle du ruissellement passe par la mise en place d’aménagements hydrauliques. Lorsque le ruissellement n’a pu être maîtrisé au niveau de la parcelle (contrainte topographique) l’objectif est de réduire les débits, organiser l’écoulement des eaux en évitant les dommages pour le sol et préconiser l'infiltration des eaux et la sédimentation des matières en suspension. Pour réaliser ces objectifs, différentes techniques existent. Les agriculteurs qui réalisent seuls ces aménagements sont peu nombreux. Néanmoins deux types d’aménagements sont mis en place avec des initiatives personnelles. Le plus répandu est la confection de fossé le long d’une parcelle pour canaliser le ruissellement vers un exutoire. Encore faut-il éviter ici de transférer le problème en aval ! Certains agriculteurs creusent des retenues pour stocker une partie du volume d’eau Ces initiatives personnelles sont rares pour plusieurs raisons. La première est d’ordre financier. La réalisation de tels travaux est coûteuse. Faire appel à un entrepreneur lorsqu’on n’est pas équipé nécessite un budget important. Par ailleurs, la réalisation de tels aménagements va à l'encontre de l’individualisme de certains agriculteurs qui empêche tout travail en commun. Pour la réussite et l’efficacité des aménagements, le ruissellement doit être appréhendé dans la totalité du bassin versant agricole. L'exemple du bassin versant agricole de Bréxent l'illustre bien. Trois agriculteurs de notre échantillon possèdent et exploitent des parcelles sur ce bassin d'une superficie d'environ 600 ha. Plusieurs dispositifs ont été mis en place pour limiter le problème de l'érosion : 105 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Une cinquantaine d'hectares de couvert végétal primés par les MAE est disposée sur les zones les plus sensibles. Cette surface est divisée en plusieurs parcelles qui appartiennent à deux agriculteurs. Une bande enherbée de 40 ares située dans le fond d'un thalweg empêche l'érosion et retient les particules en suspension. Cet aménagement a été financé par les MAE et ne concerne qu'une seule parcelle. A la sortie du thalweg, le même agriculteur a transformé une ancienne parcelle cultivée en pâture limitant ainsi de façon significative les coulées de boues et l'érosion. A travers cet exemple, on se rend compte de la nécessité de coordonner les actions conduites à la parcelle en fonction d'une réflexion élargies à l'échelle du bassin versant (même si celui-ci ne fait que quelques km²). Sur trois agriculteurs concernés, 2 ont souscrit à des MAE. Un seul a mis en place une bande enherbée accompagnée d'une diminution de vulnérabilité d'une de ses parcelles transformées en prairies. Ces aménagements vont pourtant profiter à l'ensemble du bassin versant. C’est à cette échelle que sont menées les opérations «Erosions» par la Chambre d’Agriculture, les communes et les structures intercommunales (notamment le Syndicat Intercommunal de la Basse Vallée de la Canche). 11 communes de la Canche sont concernées par la démarche. La Chambre d’Agriculture réalise les études pour aménager un bassin versant agricole. Elle a aussi un rôle d’animation du projet et réunit tous les agriculteurs du bassin versant. Extérieure aux blocages et enjeux locaux, elle facilite le dialogue entre les différents agriculteurs concernés. Ainsi une concertation dans le cadre du projet est possible et les solutions adoptées sont le fruit d’une réflexion commune. 9 agriculteurs sur les 27 enquêtés sont concernés par ces actions. Les aménagements installés sur leurs parcelles sont entièrement financés par les collectivités locales. Même l’entretien de ces aménagements est assuré par le maître d’œuvre de manière à ce qu’il soit réalisé de façon homogène et en même temps. La totalité du bassin versant est donc aménagée. Les mesures préconisées sont les suivantes : les bandes enherbées : situées sur le passage de l’écoulement, l’herbe évite l’arrachage des sols, ralentit le ruissellement et piège aussi les sédiments transportés. les barrages filtrants : pour ralentir le ruissellement et piéger les sédiments dans le fond de talweg. Il s’agit souvent d’enrochement. les bassins de rétention : pour absorber le surplus d’eau les fossés de rétention : pour absorber le surplus d’eau les obstacles ralentisseurs : pour éviter les départs de ruissellement, généralement des fascines en bois. En général les agriculteurs qui exploitent des parcelles sur le bassin versant concerné par l’opération «Erosion» participent et acceptent les aménagements préconisés. Ces derniers concernent généralement une petite partie de leur exploitation. C’est aussi le moyen de réaliser des travaux dont ils n’auraient pas pu supporter les coûts. Il est donc logique que les agriculteurs interrogés s’estiment satisfait de ces aménagements et demeurent convaincu de leur utilité même s’ils ne l’étaient pas au début de l’opération. Sur le même principe, dans le cadre des remembrements, depuis une dizaine d’année seulement l’érosion est intégrée à la réflexion. Ainsi sur les 10 % d’emprise prélevée sur la surface totale remembrée sont réalisés des aménagements pour lutter contre l’érosion. L’entretien revient à l’A.F.R. grâce aux cotisations que les agriculteurs versent à l’hectare remembré. Le bassin versant agricole est donc le siège d’actions essentiellement collectives alors qu’à l’échelle de la parcelle les actions sont individuelles. La complémentarité des deux types d'intervention est nécessaire, les actions au niveau de la parcelle constituant un traitement de l’érosion et atténuant la concentration des écoulements. - 106 La lutte contre les inondations. La surface totale inondable de notre échantillon correspond à 442 ha de la S.A.U. totale de l’échantillon. Mais ces 442 ha inondables ne sont pas tous voués aux même productions (360 ha de cultures, 82 ha de pâtures). Deux types de mesures sont développés par les agriculteurs : le contrôle de la vulnérabilité et le contrôle de l'aléa. Le contrôle de la vulnérabilité Une des premières mesures prises par les agriculteurs pour lutter contre les inondations est la mise en pâture des parcelles inondables. Traditionnellement, les fonds de vallée étaient occupés par des pâtures. Elles étaient souvent encloses par des haies et souvent «équipées» de fossés pour favoriser l’évacuation de l’eau. De nos jours de nombreux agriculteurs les utilisent encore. En général elles sont impraticables en hiver, mais constitue de bonnes prairies l’été. Aucun agriculteur possédant de telles prairies n’envisage de les cultiver. Tous invoquent les nombreuses contraintes des parcelles. En premier lieu les inondations qui empêchent les travaux, mais aussi leurs trop petites tailles. En laissant en prairies, en pâtures pour les bêtes, la vulnérabilité de ces parcelles est réduite au minimum. D’autres agriculteurs agissent aussi sur la vulnérabilité de leurs parcelles inondables en cultivant des productions d’étés. Ainsi comme la majeure partie des inondations dans le bassin versant se produit en hiver, elle n’affecte pas la récolte. La culture du maïs est une céréale qui se sème relativement tard par rapport aux autres céréales, évitant ainsi les inondations et la destruction de la récolte. En fait plutôt que de véritable mesure, il s’agit là d’une adaptation de la part des agriculteurs aux inondations. Tous les agriculteurs ne s'inscrivent pas toutefois dans cette logique. Le contrôle de l’aléa La principale mesure qui vise à contrôler l’aléa est la construction de digue de manière à protéger les cultures des inondations, mais aussi des plus hautes marées. Seule la zone des bas champs est concernée par ce type de mesure. Figure 30 : Parcelles des Bas champs soumises aux inondations (exploitations enquêtées) 107 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Un réseau de digue plus ou moins ancienne empêche les inondations de se répandre sur plus de 1500 hectares. Les terres de ces bas champs procurent aux agriculteurs d’excellents rendements et permettent dans certains cas la culture de blé sur blé d’une année à l’autre. Certaines digues, les fondations tout du moins, sont en place depuis le moyen âge. Il s’agit donc de les entretenir pour éviter les ruptures comme cela s’est produit à plusieurs reprises (1984, 1988…). Cet entretien peut s’effectuer de manière individuelle mais s’organise le plus souvent collectivement. Normalement les digues bordières de la Canche sont la propriété des domaines maritimes et fluviaux et c’est à eux que revient l’entretien L’entretien est ici assuré par les syndicats d’assèchement. 2 syndicats d’assèchement pour les bas champs (Caloterie et Saint Josse) assurent l’entretien des digues grâce aux cotisations des propriétaires membres. La cotisation des membres s’élève à 100 F/ha/an. Le syndicat d’assèchement, outre l’entretien des digues, assure l’entretien du réseau des fossés. Le drainage, qui n’est pas directement en rapport avec les inondations, favorise cependant l’évacuation du surplus d’eau lors des inondations. Le drainage s’effectue essentiellement de deux façons : soit par drains enterrés (cette technique représente 700 à 800 ha pour les bas champs) soit par un dense réseau de fossés : les tringues. Sur le même principe que les syndicats d’assèchement, les associations de drainages contre une cotisation par ha drainés sont les maîtres d’œuvre pour l’entretien des installations. De plus, outre les drains et les fossés, plusieurs écluses et portes à flots empêchent l’eau de la Canche de remonter dans les tringues tout en permettant l’évacuation continue de l’eau des bas champs. Le mauvais entretien de ces fossés, plus particulièrement dans les secteurs délaissés par l'agriculture au profit de l'urbanisation ou du développement des zones de loisirs, se traduit par une rupture de la continuité hydraulique des réseaux de drainage au moment des inondations et explique en partie la durée importante des inondations. Bien entendu ces deux types de mesures ne sont pas envisagés toujours séparément, certains agriculteurs cumulent réduction de la vulnérabilité et entretien des aménagements. Il ressort, d'après cette analyse, que les exploitations agricoles soumises à l'aléa inondation réagissent différemment selon l’impact économique sur l’exploitation. Les mesures demeurent nombreuses à l’aval du bassin occupé par les terres en culture, alors que se dessine un maintien des terres en prairies permanentes dans le fond de la vallée, en amont de Montreuil. Les exploitations concernées par l’érosion se tournent vers des mesures d’accompagnement plus nombreuses et encadrées (MAE, actions Chambre d’Agriculture/SIABVC) mais l'analyse de la répartition des aides montre que les espaces à problème, touchées par de violentes coulées de boues, ne sont pas nécessairement les espaces de solution envisagés. Ce constat traduit un réel problème d'équité territoriale qui pourrait trouver solution à travers le SAGE et la commission locale de l'eau. 9.4. Peut-on parler de gestion intégrée? Si des actions individuelles ou collectives vont dans le sens d’une meilleure intégration du risque dans les stratégies agricoles, il n’en demeure pas moins que la gestion est loin d’être intégrée. - les mesures ne sont pas forcément connectées entre elles - elles reflètent souvent un certain individualisme (les MAE restent des démarches individuelles et elles ne couvrent pas toute la zone ; les actions Chambre d’Agriculture (concernant l’érosion) ne touchent pas tous les exploitants ; les concertations entre le monde agricole et non agricole sont faibles, l’information ne “passant” pas forcément) Il existe cependant des micro-réseaux uniquement agricoles : un groupement d’exploitants pour la gestion des digues sur l’aval (enjeu fort) et des petits groupes animés par la Chambre pour l’érosion sur lesquels il est toujours possible de s’appuyer pour organiser localement la difficile d’informations relatives aux mesures à prendre en matière de gestion « à la parcelle » du risque inondation et érosion. - 108 Dans cette perspective, quelles peuvent être les premières préconisations ? - identifier et intégrer des acteurs du monde agricole et animateurs des risques dans les projets globaux (une première tentative est menée à travers le SAGE) afin d’aller vers une appropriation active du risque par les agriculteurs. Demeure ici le problème de disponibilité des exploitants agricoles déjà engagés. - accentuer la démarche d’information vers les agriculteurs à l’échelle communale sous la forme de petites réunions de travail comme l’a déjà engagé la Chambre d’Agriculture de façon très localisée - les CTE constituent une démarche intéressante à condition : - qu’ils fassent bien ce lien entre érosion (ruissellement) et inondation - qu’ils couvrent davantage l’ensemble du bassin et si possible les plateaux - que les financements soient à la mesure des problèmes (ce qui n’a pas été le cas pour les mesures agri-environnementales où les demandes des agriculteurs étaient largement supérieures aux subventions disponibles) - qu’ils soient articulés avec d’autres programmes en cours ou à venir (ex : SAGE) Bibliographie BAILLY A. (1996), Risques naturels, risques de société, Paris, Economica,.103 p BULLER H. et LENORMAND P. (1999), Mesures agri-environnementales et territoires : l’exemple de l’Entre-Sambre et Meuse (Wallonie) et de l’Avesnois (Nord-Pas-de-Calais), Revue de l’économie méridionale, 47, 185-186. Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais (1999), L’ agriculture du Pas-de-Calais : son amont, son aval, Lille, Repères économiques, 10 p. CROIX N. (1998), Environnement et nature dans les campagnes : nouvelles politiques, nouvelles pratiques, Rennes, PUR, 259 p. DAGORNE A. et DARS R. (1999), Les risques naturels, Paris, PUF, 127p. FREMONT A. (1999), La région espace vécu, Paris, Flammarion, 284 p. GIRARD M.A. et DES LIGNERIS L. (1997), Evaluation des mesures agri-environnementales de la région Nord-Pas-De-Calais, ISA, NP, 174 p. MARGETIC-LE MENE C. et VAUDOIS J. (1997), Mesures agri-environnementales et développement intégré des territoires, Arras, UFR histoire-géographie, N.P., 40 p. MARGETIC C. (2001) : Eau et stratégies des acteurs des agrofilières : des mesures agrienvironnementales au contrat territorial d'exploitation, Colloque “hydrosystèmes, paysages, territoires”, Lille, Commission Hydrosystèmes contientaux du CNFG, 6-8 septembre 2001. MORARDET S. (1994), Pratiques et stratégies foncières des agriculteurs, Paris, Cemagref, 292 p. NEBOIT-GUILHOT R. et DAVY L., (1996), Les français dans leur environnement, Paris, Nathan, 382 p. NEDELEC Y. (1999), Activités rurales et inondations : connaissances et bonnes pratiques, Paris, Cemagref, 135p. SAVY H. et al (1999), Produire, entretenir et accueillir, Pour, GREP, 164, 227p. Syndicat intercommunal d’aménagement de la basse vallée de la Canche (1996), Site expérimental de Tubersent mise en place d’aménagements anti-érosifs à l’échelle d’un bassin-versant, Chambre d’agriculture du Pas-de-Calais, 50 p. 109 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION III. Rapports de recherche de l'Axe 2 2 contributions recouvrent l’Axe 2 : « Risque inondation et recomposition du territoire : exemple du bassin versant de la Canche» par R. LAGANIER et H.J. SCARWELL (Laboratoire CNRS « Géographie des milieux anthropisés ») « La Canche : la parole et la gestion. Les acteurs associatifs et le risque d’inondation» par B. VILLABA (CRAPS) Les méthodes développées ont pour objectifs : d’analyser l’articulation des anciennes formes de gestion du risque et des nouvelles conceptions de gestion intégrée qui font appel à la notion de gouvernance. d’analyser l’échelle optimale d’intervention pour la gestion du risque (atouts et contraintes d’une gestion intercommunale du risque) d’analyser les modes de concertation (étude du secteur associatif). - 110 10. Risque inondation et recomposition du territoire : exemple du bassin versant de la Canche 10.1. Problématique Les analyses présentées ci-dessous sont le résultat d’une démarche collective et interdisciplinaire. Au point de départ, il y a l’ambition de développer une réflexion sur les processus et les procédures de gestion du risque inondation sur la vallée de la Canche en se situant au croisement de plusieurs lignes de travail. Nous aurions pu engager une comparaison directe, encore rarement pratiquée jusqu’à présent, entre différentes études relatives aux inondations, soit au niveau régional, soit au niveau national. Autrement dit, il aurait fallu opérer un rapprochement entre les formes de gestion des inondations récentes, tout en prenant soin de les replacer dans le processus global de construction des politiques publiques concernées et par rapport à leurs différentes échelles spécifiques de structuration. Nous avons renoncé à cette étude comparative en privilégiant l’étude particulière du bassin versant de la Canche, représentatif d’un type de recomposition territoriale liée à la gestion du risque inondation et à la gestion de l’eau de façon plus générale. L’étude n’est pas une approche exhaustive des modes de recomposition actuelle des territoires. Elle va permettre toutefois de définir quelques grands principes inhérents au processus de recomposition. Cette contribution a pour objet de montrer que la gestion du risque inondation, et plus globalement de l’eau sur la Canche, a désormais un caractère multiforme qui a pour conséquence de repenser la scène locale du risque au niveau du bassin versant. Dans cette perspective, on conçoit que de nouvelles structures territoriales puissent servir de référence pour envisager une organisation administrative de l’espace qui permettrait de dépasser le cadre communal considéré comme trop restreint pour gérer une politique de prévention des inondations et de protection de la ressource en eau. Les processus de recomposition territoriale issus des nouvelles lois d’aménagements du territoire83 et la loi sur l’eau84 incitent à se détacher des échelons traditionnels et à construire une intercommunalité de taille pertinente85 (E. MARCELPOIL et J. PERRET, 1999), qui combinerait des espaces hydrologiques fonctionnels et les territoires politiques et administratifs. L’articulation entre les cadres territoriaux d’action et l’échelle hydrologiquement la plus pertinente (VANIER M., 1999), le bassin versant, semble a priori nécessaire pour garantir une quantité et une qualité suffisantes de l’eau pour les demandes humaines et les besoins des milieux naturels. En effet, 83 Les formes de coopération intercommunales consacrées par les lois du 5 février 1992 et du 6 février 1995, et confirmées par la loi du 12 juillet 1999 apportent des réponses à ces interrogations, en mettant l’accent à partir d’un projet commun de développement local. 84 Loi n°92-3 du 3 janvier 1992, modifiée par la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 et par la loi n°95-101 du 21 février 1995 –JO des 4 janvier 1992 –23 décembre 1992- 3 février 1995 85 Marcelpoil E., Perret J., Le poids conceptuel des districts industriels dans la construction de territoires, in Gerbaux F. (dir), « Utopie pour le territoire : cohérence ou complexité », édit. l’Aube, Infrastructures et formes, p.15 à 33 Vanier M., 1999, La recomposition territoriale: un grand débat idéal, Espaces et Sociétés, L’Harmattan, n°96 111 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION même si le cycle de l’eau a tendance à imposer le bassin versant comme le territoire pertinent de la gestion globale de l’eau, il ne faudrait pas non plus transformer ce dernier en acteur de l’action publique, ce qui privilégierait ainsi la représentation de la nature sur celle des populations. Il ne s’agit pas non plus de « fabriquer des territoires virtuels » par le biais de politiques publiques locales, « c’est-àdire des territoires qui n’existent pas en tant qu’espaces identitaires mais comme des objets de politiques publiques »86. Quand bien même la gestion de l’eau dans un cadre supra-communal se justifierait-elle au regard des priorités qui l’animent (préservation de la ressource en eau, prévention du risque inondation…), elle n’est pas sans conséquence sur la géographie des intercommunalités basée souvent sur des associations affinitaires de proximité dénuées de la perspective de constituer des espaces pertinents de développement et de solidarité. Ce décalage entre les espaces hydrologiques fonctionnels et les territoires institutionnels n’est pas le seul problème que pose toute définition intercommunale d’une politique de gestion globale de l’eau au niveau du bassin versant. Son caractère transversal et intersectoriel peut changer aussi les équilibres traditionnels au sein des organes nouvellement créés et modifier ainsi la nature des politiques contractuelles menées par l’association de nouveaux acteurs jusqu’alors ignorés. Cette conception globale de la gestion, à l’échelle d’un bassin versant, renouvelle non seulement la question de la gouvernance de bassin87, mais aussi celle de l’aménagement du territoire. En effet, cette approche transversale à laquelle les élus locaux ne sont pas habitués, implique un travail de concertation sur des échelles plus grandes, ce qui est susceptible d’entraîner des blocages. L’interface entre le SAGE, outil de planification dans le domaine de l’eau, et l’aménagement du territoire, ne doit pas être négligé. En effet, le SAGE, outil de gestion intégrée, dépasse le cadre strictosensu de la gestion de l’eau pour créer des passerelles entre différentes politiques jusqu’alors sectorielles : agricoles, économiques ou touristiques. Ceci suppose la mise en place de politiques plus territorialisées qui dépasserait la simple mise en place d’une réglementation relative à l’eau. Une telle gestion de l’eau cherche à décloisonner l’approche strictement sectorielle par filière au profit d’une gestion globale sur un périmètre de gestion s’appuyant sur une cohérence tant physique que socio-économique mais aussi, et surtout, sur la relation identitaire entre l’eau et le territoire concerné. Qu’en a-t-il été sur le bassin de la Canche ? Nous nous sommes demandés de quelle façon s’opère le processus d’appropriation d’une démarche de gestion globale par les acteurs concernés et comment ils se sont organisés autour de cette recomposition basée sur des échelles territoriales de tailles différentes ; de quel territoire parle-t-on ; quels en sont les acteurs ? de quelles informations a–t-on eu besoin pour dynamiser le territoire circonscrit ? quels instruments ont été mis en œuvre pour mettre en cohérence les décisions ? puis nous avons prolongé la réflexion à partir de ces faits, afin de mettre en évidence les articulations entre des logiques divergentes ou convergentes des acteurs et porteurs de projet qui agissent sur les territoires ou s’y réfèrent. 86 CF. Muller P., «Gouvernance européenne et globalisation », in « Crise de la gouvernance et globalisation » Revue internationale de politique comparée, pp.707 à 718, n°3, volume 6, 1999 87 C’est-à-dire comme la définit P. Le Galès comme « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains », « Régulation, gouvernance et territoire, in « COMMAILLE J., Jobert B. (dir), La régulation politique, 1998 - 112 10.2. Méthodes et outils envisagés Pour réaliser cette étude nous avons fait le choix de réaliser une enquête auprès des élus, complétée par des entretiens exploratoires et semi-directifs auprès d’élus et de techniciens de l’Etat, de responsables d’associations, tout en nous nous appuyant sur la littérature scientifique, notamment pour les notions de territoire et de gouvernance. En effet, il nous est apparu qu’une méthodologie empirique était la seule façon d’apporter des réponses à nos questions. Si les études relatives aux modes de régulation et de gouvernance nous ont apporté des cadres de compréhension, ceux-ci sont parfois réducteurs et peuvent limiter, voire simplifier, des rapports complexes, à tel point que certaines interactions entre différents secteurs pourraient être passées sous silence. Certes, les nouvelles réflexions concernant ce qu’il est convenu d’appeler « les phénomènes de contractualisation » sous-tendus par la notion de « gouvernance » permettent de comprendre les processus diversifiés des systèmes locaux (Gaudin 1995). Il n’en demeure pas moins que nous ne pouvons nous référer à des règles pré-définies, à une méthode d’action uniforme pour tous les territoires. La gouvernance est l’expression d’un « apprentissage de la décentralisation »(Biarez 2000), une délégation fonctionnelle au profit d’un ensemble complexe d’institutions et d’acteurs qui se situent audelà de l’idée unitaire de gouvernement local (Stocker 1996). L’intérêt de cette notion est de dépasser les limites d’un gouvernement local, défini par P. Le Galès88 comme des formes organisées rationnelles où l’institution est le lieu légitime du pouvoir local. Par ailleurs, nous avons constaté comme d’autres89, qu’un certain optimisme véhiculé par la notion de gouvernance mettait en avant l’aspect démocratique de cette nouvelle forme d’action publique associant des acteurs publics et privés au sein d’un espace public90, d’un espace d’échange. Mais ne doit-on pas s’interroger sur la réalité de ce que revêtent ces interactions entre acteurs ? En explorant les dynamiques de territorialisation et de fragmentation de l’action publique locale, on ne peut occulter certaines pratiques dans le jeu des acteurs, notamment dans le cadre de la redistribution du pouvoir. Une nouvelle carte des décideurs s’élabore, de nouveaux réseaux se constituent, qui relativisent ces mutations de l’action publique locale, parfois sacralisée à tort. De ce fait, nous verrons qu’il est encore trop tôt pour parler de gouvernance de bassin. Un questionnaire a donc été envoyé aux 203 communes concernées. C’est un questionnaire relativement long, réalisé à partir de questions ouvertes ou fermées, dont l’objectif consiste à saisir les représentations du risque par les élus, mais aussi de mesurer leur niveau d’information. Nous avons élaboré le questionnaire en tenant compte également du problème joué par le risque d’érosion, en raison du grand nombre de communes concernées situées en amont. Une lettre d’accompagnement expliquait l’objectif et en garantissait le caractère anonyme. Une enveloppe timbrée pour le retour du questionnaire était jointe. Les communes d’amont, peu 88 Le Galès P., « Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine », Revue française de science politique 45 (1), 1995, p.57-95 89 Biarez S., Incertitudes et caractères composite des gouvernements locaux en Europe », in « Les nouvelles politiques locales, dynamiques de l’action publique », Balme R., Faure A., Mabileau A., (dir), pp.39 à 56, Presses Science Politique, 1999 90 Habernas J. « La technique et la science comme idéologie », Paris, Gallimard, 1972, et Ferry J.M., "Jûrgen Habermas, l’éthique de la communication ", Paris, P.U.F., 1987 113 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION concernées par ce risque, avaient la possibilité de ne pas répondre à toutes les questions par un système de renvoi à des questions plus générales. Un recueil d’informations complémentaires a été obtenu par l’intermédiaire d’une littérature technique, des visites et des observations de terrain. D’autres sources d’information ont été également précieuses. Ce sont les chroniques des inondations relatées par les enquêtés (soit par écrit, soit sur le questionnaire, soit de vive voix à l’occasion de la remise ou de la reprise du questionnaire) et les articles de presse. Les observations de terrain ont été indispensables pour avoir une représentation spatiale de l’environnement qui constitue notre étude. 10.3. De quel territoire parle-t-on ? 10.3.1. Le choix d’un territoire de référence Il convient ici de s’interroger sur le choix d’un territoire de référence. En effet, la mutation des modalités de gestion de l’eau implique-t-elle celle de l’organisation territoriale sur le territoire ? Pour évidente qu’elle paraît, l’idée de l’unicité de la ressource en eau est une innovation récente qui envisage le problème de l'eau et de son traitement, de façon non plus ponctuelle ni par filière, mais dans une perspective globale. Pour autant, il ne s’agit pas ouvertement et immédiatement de faire émerger de nouveaux territoires, de nouveaux espaces d’actions locales, pour permettre une gestion du risque inondation à une échelle recomposée. Certes, avant de fabriquer des territoires, il convient d’en faire reconnaître les espaces, les milieux et leurs fonctionnements, d’en faire admettre une représentation partagée par les élus locaux, mais aussi la population. Alors que la Canche entre régulièrement en crue, aucune gestion d’amont vers l’aval n’a permis une gestion intégrée des inondations. Divers travaux ont bien été effectués tels que la mise en place de digues de petites tailles, des travaux d’endiguements de plus grande ampleur. Un SIVU91 regroupant les communes de l’aval s’est constitué en 1987 pour l’aménagement et la gestion du risque inondation dans la basse vallée de la Canche. Par ailleurs, d’autres formes d’intercommunalité cohabitent avec le SIABVC92 sur le bassin versant tels des districts (Montreuil, Hesdin) et des communautés de communes (fig. 31). Il n’existe cependant ni schéma directeur de la vallée de la Canche, ni POS intercommunal. De ce fait, il n’y a pas de coopération entre les communes de l’amont et de l’aval. Le SIABVC n’a par ailleurs compétence que sur la partie aval de la rivière, d’où le caractère partiel des solutions envisagées dans le cadre de la prévention des inondations. Cependant, lors des bilans de chaque nouvelle crise hydrologique (crues de février 1988, de janvier 1994 et 1995 et de décembre 1999), la prévention est l’objet de polémiques. L’ampleur des dégâts est fréquemment imputée aux pratiques culturales ; d’autres évoquent aussi l’excès d’urbanisation en zone inondable. Il est alors reproché d’une part à l’Etat de ne pas avoir contrôlé l’aménagement, au mépris parfois des dangers les plus évidents, et d’autre part aux communes d’avoir laissé construire en zone inondable. Mais à quelle autorité imputer ces excès ? A l’Etat en tant que gardien de l’intérêt général ou aux communes au titre de leurs compétences en matière d’urbanisme ? 91 SIVU : Syndicat Intercommunal à Vocation Unique. En l’occurrence il s’agit ici SYNDICAT Intercommunal d’aménagement de la basse vallée de la Canche 92 SIABVC : Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la Basse Vallée de la Canche du SIABVC : - 114 Figure 31 : Les structures intercommunales du bassin de la Canche La gestion du risque inondation sur la Canche a été depuis longtemps (les premiers endiguements dâtent du XIIè siècle) largement fondée sur le concept de transit maximal vers l'aval, et orientée vers l'emploi de mesures structurelles (endiguements, rectification du lit de la rivière, mise au gabarit de leur section en travers) donnant aux lits mineurs des cours d'eau une capacité croissante d'évacuation de l'eau de l'amont vers l'aval, en limitant les débordements. Les pratiques structurelles dans la lutte contre les inondations ont depuis montré leurs limites à plusieurs reprises, tant en matière de développement des territoires et d'aménagement de l'espace (urbanisation en zone inondable en arrière des digues faussement protectrices comme à Neuville-sous-Montreuil ou à la Caloterie sur le bassin de la Canche, accentuation des inondations en aval des zones endiguées) qu'en matière de fonctionnement des hydrosystèmes (la limitation des zones inondables implique une diminution de la recharge des nappes et globalement une baisse de la diversité biologique des milieux par la réduction, voire la disparition des zones humides et la modification des dynamiques fluviales et bio-géochimiques). Cette gestion, essentiellement orientée vers la lutte contre l'inondation et la maîtrise de l'aléa, s'oriente de plus en plus vers une volonté de maîtrise de la vulnérabilité, par la mise en place de mesures plus respectueuses de l'hydrosystème, plus adaptées aux conditions locales (prévision et alertes, réglementation de l'occupation des sols par les Plans de Prévention des Risques). Elles s'inscrivent dans une vision plus transversale (environnement, économie, social) et plus territorialisée décrite dans la loi sur l'eau du 3 janvier 199293. En effet, celle-ci reconnaît une nouvelle circonscription de gestion : le bassin hydrographique qui se substitue, en la matière, aux découpages administratifs traditionnels. Désormais, à l'intérieur de cette entité, une planification et une gestion concertée et intégrée de l'eau remplacera le 93 Loi n°92-3 du 3 janvier 1992, modifiée par la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 et par la loi n°95-101 du 21 février 1995 –JO des 4 janvier 1992 –23 décembre 1992- 3 février 1995. 115 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION cadre traditionnel de la gestion sectorielle. Dans cette perspective, comme le soulignent de nombreux auteurs94, on conçoit que l’espace soit fractionné, ce qui peut donner lieu à l’émergence de nouvelles structures territoriales. Celles-ci pourraient servir de référence pour envisager une organisation administrative de l'espace qui permettrait de dépasser le cadre communal considéré comme trop restreint pour gérer une politique de prévention des inondations au profit du bassin versant. Dans cette perspective, le discours sur la nécessité de considérer le bassin versant comme le meilleur niveau de gestion des inondations ne constitue pas simplement une stratégie de communication de la part de l'Etat ou des collectivités locales, mais davantage une modalité essentielle de ce processus dans la mesure où il ambitionnerait de résoudre de façon technique et financière certaines difficultés inhérentes à la gestion ancienne du phénomène. 10.3.2. Le Bassin versant, un niveau de gestion pertinent ? La mise en œuvre de techniques de prévention des risques naturels par le biais des Plans de Prévention des Risques (PPR) et des Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE), reflète un processus qui invite à agir dans un contexte nouveau, un nouvel espace à promouvoir, et à passer outre les réticences communales. Ces nouvelles modalités de gestion du risque préconisent une démarche territorialisée et participative afin d’associer les principaux intéressés à une gestion plus intégrée du risque à l’échelle intercommunale. Dans cette perspective de territorialisation du risque, en quoi la gestion du risque inondation et la réconciliation entre risque et aménagement pourraient appeler à une recomposition du territoire ? Quand bien même le recours à la notion de bassin versant en serait-il hydrologiquement justifié, il convient de se demander si le bassin versant ne constitue pas un cadre de gestion trop vaste. En effet, il s’agit dans le cas de la Canche de faire travailler ensemble 203 communes d’un même département, et un grand nombre de structures intercommunales. Au-delà du nombre important de communes, c’est la mise en cohérence de l’action entre collectivités locales, dont les rapports jusqu’alors étaient marqués par des tensions, des conflits et des fragmentations, qui s’avère le plus difficile. Ce faisant, les acteurs entretenaient déjà des rapports les uns avec les autres par le biais de certaines politiques locales. Toutefois, l’articulation entre la gestion des inondations et le bassin versant implique l’existence « d’une conscience collective ou un sentiment subjectif d’appartenance, producteur d’une identité spécifique »95, afin que les acteurs concernés puissent inscrire dans la durée leur action. De ce fait, si cette fragmentation croissante des territoires pose la question du bassin versant comme espace pertinent de gestion des inondations et plus globalement de l’eau, la question de l’adéquation entre espaces d’actions publiques et territoires de représentation politique demeure. Pour reprendre l’interrogation de P. Duran : « si les problèmes qui se posent à la collectivité sont à géométrie variable, faut-il que les institutions chargées de leur traitement le soient aussi »96 ? Mais qui peut raisonnablement défendre la nécessité de fondre en une seul maille la circonscription du cadastre, celle du député, et le périmètre du syndicat intercommunal ? Seule une logique d’optimum dimensionnel peut justifier une telle équation ou une meilleure lisibilité du territoire. A partir du moment où l’on définit le territoire comme un territoire de projet, ainsi que l’a souligné L. Ortiz97, l’enjeu n’est-il pas de découvrir ou de construire un espace 94 On peut citer Biarez S., « Territoire et espaces politiques », PUG, 2000 ou encore Gaudin J.P., «Gouverner par contrat, l’action publique en question », Presses de Sciences Politiques, 1999, et encore, Mabileau A., « Les perspectives d’action publiques autour d’un local reconsidéré » in « Les nouvelles politiques locales, Dynamiques de l’action publique » Presses de Sciences Politiques, 1999 95 Muller P., Surelt Y., « L’analyse des politiques publiques »Montchrestien, 1998, p.50 96 P. Duran, « Penser l’action publique », Paris, L.G.D.J, 1999, p.80, 97 L.Ortiz, « Espaces et efficacité de l’action, le mythe de l’optimum dimensionnel », in Le renouveau de - 116 pertinent pour l’action, car au fond, importe-t-il vraiment qu’il y ait un décalage entre ces recompositions territoriales et les constructions politiques? L’enjeu ne consiste-t-il pas à privilégier la dynamique des territoires qui résulte d’une restructuration permanente des espaces locaux, en raison de l’apparition de nouveaux problèmes qui inscrivent l’action publique territoriale dans une flexibilité, ellemême suscitant la recomposition de l’espace local brouillée par la confusion des territoires ? Il s’agit alors de construire des territoires cohérents, des territoires de gestion et de conjuguer ces territoires fonctionnels avec les territoires politiques et administratifs. Le problème des échelles demeure essentiel. Pour conclure sur ce point, il s’avère que les structures instituées pour la mise en œuvre du SAGE dans le cadre du bassin versant apparaissent dès lors les plus adaptées au regard de la finalité recherchée. Par leur pertinence géographique, elles représentent de manière fidèle le bassin hydrographique tant par leur périmètre que par leurs représentants. En outre, la gestion de l’eau dans le cadre du bassin versant trouve ici sa pleine justification puisque la plupart des élus le reconnaissent. Ce qui ne signifie pas que les élus aient une perception homogène du risque inondation et/ou érosion à l’échelle du bassin versant. 10.3.3. Comment ce nouveau maillage s’articule-t-il avec les autres cadres territoriaux ? Bien que la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 traduise une volonté de dresser un cadre général pour une politique de l’eau qui prenne en compte aussi bien ses usages que ses effets perturbateurs ou destructeurs, il n’en demeure pas moins que “l’espace risque” concerne avant tout non pas un mais plusieurs territoires. Ce caractère pluriel implique des zones de chevauchement : communes, structures intercommunales, départements, régions. Les acteurs potentiels s’en trouvent ainsi multipliés, mais surtout, cette situation entraîne des chevauchements de compétences ou à l’inverse, des carences dans les interventions. Or l’importance des enjeux impose une répartition claire des rôles. Le droit est souvent complexe en la matière. Comme rien n’est simple en matière d’inondation, la “scène de la prévention du risque” présente un ensemble contrasté d’implications, de mobilisations différentes, voire contraires, et de non-implications (DECROP G., 1995). La coexistence d’une compétence étatique et d’une compétence communale pour maîtriser l’urbanisation dans les secteurs exposés à des risques naturels ne se fait pas de manière équilibrée. Deux textes principaux permettent aux autorités étatiques de fixer des restrictions au droit de construire en fonction de la prévisibilité d’un risque naturel : l’article R.111-3 du code de l’urbanisme créant des périmètres de risque et l’article 5 de la loi du 13 juillet 1982 qui prévoit l’établissement de plans d’exposition aux risques naturels. On peut souligner à cet égard que l’article 5 de cette loi s’attache plus longuement à décrire les conséquences du non-respect de ses prescriptions en termes d’assurance que le régime des plans eux-mêmes. Dans tous les cas, ces deux dispositions présentent incontestablement des analogies, d’abord en donnant l’initiative au préfet, mais aussi par leur objet, qui est de viser l’ensemble des risques naturels et pas seulement une partie d’entre eux. Enfin, dernier trait commun, les deux documents n’ont pas à se préoccuper des frontières communales. Ils ont vocation, suivant les besoins, à régir des espaces plus étroits ou plus vastes que le territoire d’une seule commune. En prévoyant une double compétence de l’Etat et des communes, les textes prennent le risque de voir se développer des pratiques contraires à leurs intentions. Par exemple, ils peuvent inciter chacune des l’aménagement du territoire, Paris, Economica, 1994 117 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION autorités à se renvoyer la responsabilité des mesures à prendre. L’expérience du droit pénal de l’urbanisme démontre bien que la multiplication des titulaires d’un pouvoir n’est pas forcément la garantie d’un bon usage de celui-ci, bien au contraire (D.Moreno, 1991). Mais la prise de conscience des responsabilités qui sont imputées tant à l’Etat qu’aux communes en cas de catastrophe doit aussi les conduire à moins douter de leur obligation d’agir (DOMENACH J. et MARC E ; 1998). Par ailleurs, qu’il s’agisse de prévention ou de réparation, une commune ne peut supporter seule le montant des dépenses pécuniaires. Même si la commune pouvait s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que la réalisation des ouvrages utiles à la prévention des risques dépassait ses capacités financières (arrêt Carot 1979, CE, 27 juillet 1979), il n’en demeure pas moins que cette attitude serait incompatible avec une politique de prévention. La faillite des PER98 est moins due à la complexité de la procédure qu’à l’attitude de l’Etat, qui par manque de volonté ou de moyens, n’a pas su, par le biais du préfet, vaincre les résistances que les élus locaux ont opposés à ce qu’ils voyaient avant tout comme des tentatives de blocages de leur urbanisation La règle de droit ne pouvant faire l’objet de négociation et de compromis, il s’agit donc de repenser les scènes du risque sans bouleverser la répartition des compétences. Le principal problème demeure celui de l’échelon territorial sur lequel établir une telle scène du risque, à supposer qu’elle puisse exister. Plusieurs solutions sont envisageables : depuis la simple intercommunalité jusqu’à la prise en main par l’Etat, en passant par l’interdépartementalité ou par la notion de bassin versant. En définitive, la mise en cause des échelles classiques d’organisation de l’action publique (commune, département, région), régulièrement dénoncées comme obsolètes au profit de nouveaux territoires, constitue une nouvelle donne de l’action publique fondée sur l’abandon des thèses relatives aux territoires pertinents en faveur d’une logique de projet. On peut alors se demander si ces nouvelles mailles territoriales doivent constituer des alternatives à la recomposition du territoire ou si les débats doivent davantage être axés sur l’articulation systématisée entre les différentes institutions, ce qui aboutirait à des territorialités multiscalaires. Désormais, il s’agit de travailler sur l’articulation entre ces différents niveaux d’action et finalement, il importera de mettre en évidence les stratégies de territorialisation au service desquelles ces regroupements sont requis. En effet, ces nouveaux territoires ne viennent pas se substituer aux précédents et seront rejoints eux-mêmes par d’autres mailles. En ce sens, les processus actuels de territorialisation ne résolvent pas définitivement la question de la pertinence territoriale mais la renouvellent. En l’occurrence, contrairement à des bassins voisins, le bassin versant de la Canche n’est situé que sur un seul département, ce qui facilite le regroupement de toutes les communes concernées. Certes, il n’est pas besoin de reconnaître une entité hydrologique pour la dégrader. Par contre, gérer le risque inondation dans le cadre du bassin versant conduit immanquablement à reconnaître dans la pluralité de ses dimensions, l’existence d’un projet qui, pour être actif, met en avant l’entité où il se joue et finalement tous les acteurs. Ce projet ne peut devenir réalité que s’il est partagé par des acteurs qui s’estiment concernés, en interaction les uns avec les autres dans la même entité hydrologique. Chacun doit repositionner sa situation sociale en fonction d’un contexte global sur lequel il influe. Chaque acteur local doit se concevoir comme acteur global dans la prévention du risque inondation. Dans ce cadre, la nécessité d’ajuster les désirs, les intérêts et les responsabilités va s’avérer nécessaire. L’entité naturelle que constitue le bassin versant devient peu à peu une entité d’organisation. 98 PER : Plans d’Exposition aux Risques - 118 Il ne s'agit pas de produire à tout prix une image objective des dynamiques du bassin, ainsi qu’une identité territoriale du bassin versant, parce que le découpage administratif reste avant tout politique et doit prendre en compte le fonctionnement des institutions, l'attribution des compétences et les cadres de la représentation démocratique. Certes, l'adhésion collective favoriserait cette recomposition territoriale en lui donnant une logique démonstrative. Néanmoins, toute maille émergente doit avant tout convaincre de sa pertinence. Sa légitimité résiderait alors dans sa constitution propre et dans le jeu des acteurs qui l'ont fait naître plutôt que dans les décisions politiques. Cette lente prise de conscience peut-être à l'origine d'un renouveau identitaire des territoires, lesquels appuient leur légitimité sur le fonctionnement hydrologique. Celle-ci tentera alors de fédérer des réseaux d'acteurs qui supplanteront les tracés administratifs classiques. La vigueur avec laquelle la notion de pays refait surface, alors qu’elle n’est en rien récente, nous amène à penser comme L. Quere99 à propos du cas breton : “Peu importe, au fond, de savoir s'il a un support matériel et culturel ou si on peut lui trouver des critères non ambigus de découpage, lorsqu'il s'agit de comprendre la logique dont il est investi dans le cadre d'une dynamique sociale ”. Qu’il s’agisse de bassin ou de pays ou d'intercommunalité au sens général, la géographie ne serait-elle pas pour les élus locaux le témoin principal de ces nouveaux découpages territoriaux ? Dans cette perspective, l'image du bassin versant est forte et consensuelle. Elle a “un centre gravitaire” et comme le souligne M. Vannier100 “on lui appartient même sans le savoir, puisque c'est naturellement, comme l'eau va à la mer, que la population a recours aux même lieux”. Pour autant, si cette recomposition autour de nouveaux territoires tels que le bassin versant comporte d'incontestables possibilités de solidarité entre les espaces, il n'en demeure pas moins que la notion de bassin sans être une pure figure de rhétorique, semble cultiver l'image d'un rapport spatial idéal qui n'a jamais vraiment existé. On remarquera que toutes les structures intercommunales se sont constituées perpendiculairement au cours de la Canche alors que le PPR ou le périmètre du SIVU ou même le syndicat mixte crée une solidarité longitudinale. Ceci démontre bien que le SIVU de la basse vallée de la Canche a été un précurseur en instituant un périmètre qui tienne compte de la cohérence du bassin, mais que cette réalisation à l’échelle de 29 communes nécessite de la concertation et de la patience pour être généralisée à 203 communes. En définitive, la gestion des inondations sur la vallée de la Canche a été d’abord l’occasion d’une recomposition du territoire, de même qu’elle a contribué à maintenir une certaine stabilité des structures intercommunales existantes sur lesquelles elle a pris appui. 10.4. Comment les acteurs se sont-ils appropriés la démarche de gestion globale de l’eau sur le bassin de la Canche ? Cette étude s’est déroulée en temps réel, ce qui nous a permis d’assister à la mise en place de l’ensemble des outils de gestion du risque inondation sur le bassin de la Canche, qu’il s’agisse de la définition du périmètre du PPR, de l’installation de la CLE, et du syndicat mixte, porteur du projet. De surcroît, un atlas des zones inondables venait d’être achevé et envoyé aux élus locaux. Nous nous sommes appuyés sur une enquête que nous avons effectuée pendant l’installation de ces structures 99 L. Quere, Région et “ pays ” en Bretagne 1960-1970, Hérodote, n°23, p.70-98, 1981 100 M. M. Vannier, “Du contrat au pays, en passant par l’intercommunalité : réflexions sur la politique rhônealpine des pays”, cahiers du CERMOSEM, Grenoble, Institut de Géographie Alpine, Montagnes méditerranéennes, n°3, p.103 à 106, 1996 119 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION pour répondre aux interrogations suivantes : quels étaient les leviers stratégiques, les pôles fédérateurs, les points de blocage, les opérateurs immédiatement mobilisables, les zones d’ombre, les acteurs qui pouvaient initier le projet sur les points sensibles, les politiques complémentaires qui permettraient d’optimiser les effets du projet déjà en cours, enfin, d’en tirer quelques enseignements pour permettre la mise en œuvre du SAGE-Canche dans des conditions favorables. Nous nous proposons de relater les faits tels qu’ils se sont présentés chronologiquement. Le bassin versant de la Canche comporte 203 communes d’un même département, regroupées en diverses structures intercommunales : communautés de communes, districts ou SIVU. L’articulation entre les cadres territoriaux d’action et l’échelle hydrologiquement la plus pertinente, le bassin versant, semble a priori nécessaire pour concilier de façon durable le développement des territoires et la gestion de l’eau. Le recours à cette entité naturelle, le bassin versant, ne s’est pourtant pas imposé naturellement même si de nombreux élus s’accordaient à la reconnaître comme la meilleure échelle de gestion des risques101. Confrontés à ce décalage de mentalités, à de nécessaires mutations de l’espace et au fait que chaque acteur se réfère à des échelles de temps différentes, l’Etat a décidé de structurer et d’articuler les modes d’échanges. Sous couvert d’initiative dans la mise en œuvre du PPR d’une part et d’autre part de la mise en place du syndicat mixte et de la CLE, les sous-préfets ont imposé les nouveaux cadres de gestion de l’action collective. On constatera ici qu’en dépit de cette nouvelle flexibilité de l’action publique locale dont on parle souvent, l’Etat a assuré son rôle de médiation, voire de coordination, tant pour la création du PPR, ce qui est conforme à la loi dans ce cas-ci, mais aussi et surtout pour la création du syndicat mixte et de la CLE qui témoignent d’une évolution relative d’une régulation nationale et étatique vers une régulation locale et partenariale. En 1987, alors que la Canche entre régulièrement en crue depuis quelques années, s’est constitué un SIVU de 29 communes, doté de la compétence d’aménagement et de gestion de la basse vallée de la Canche, le SIABVC. Sa mission d’entretien n’est pas totalement définie, mais vise essentiellement à nettoyer les berges du cours d’eau de tous les objets déposés sauvagement, l’entretien le long des rives de la Canche, ainsi que le réajustement des travaux effectués par la commune d’Hesdin (action sur les bassins versants pour lutter contre l’érosion des sols sans accord contractuel avec le SIVU). Son président102 souhaitait établir une programmation des travaux de protection des zones sensibles par le biais notamment d’un schéma d’aménagement intégré103, mais s’est heurté à quelques réticences de la part de communes adhérentes qui ont cherché à en limiter l’impact104. Un programme de démantèlement de certaines digues le long de la Canche a été mené en vue de réhabiliter des champs naturels d’inondation. Cependant, ce programme a eu une ampleur limitée, en raison de l’insuffisance des ressources du SIVU prévues pour l’achat des terrains destinés aux champs d’expansion des crues. Le SIVU a ainsi réalisé divers travaux, mais étant donné la faiblesse de ses moyens financiers, et en dépit de l’aide de l’Agence de l’Eau qui le subventionnait à 70% de ses investissements, une réflexion collective sur la notion de risque acceptable s'est engagée. Le SIVU a rapidement montré les limites de son action et il est apparu qu’il ne pouvait plus se 101 Cette étude a fait l’objet d’une enquête auprès des élus de l’ensemble du bassin de la Canche ainsi que d’entretiens auprès de l’ensemble des présidents de structures intercommunales du bassin courant 2000. 102 Il s’agit du maire de la commune d’Attin 103 Les communes concernées par ce schéma sont : Attin, Beaumeries-saint-Martin, Beutin, La Calotterie, La Madeleine-sous-Montreuil, Montreuil et Neuville-sous-Montreuil 104 Dans le cadre du schéma d’aménagement intégré (financé dans le cadre du FEDER, du 1% paysage et de la région) des études pour la végétalisation des ouvrages ont été réalisées. Source : Canche info n°4, novembre 1999 - 120 contenter d'un traitement ponctuel des inondations. Des campagnes d’information105 ont été menées auprès des communes adhérentes pour les encourager a acquérir une vision à long terme. Il est évident que les dépenses effectuées en aval n’ont de sens à long terme que si la partie amont de la Canche modifie ses comportements et incite à de nouvelles pratiques urbanistiques106et culturales107. Le SIVU a été considéré par les sous-préfets et l’administration déconcentrée comme un levier stratégique qu’il convenait d’encourager. Ainsi a-t-il trouvé les relais nécessaires dans sa lutte contre les inondations tant au niveau local que national et notamment avec les syndicats d’assèchement du marais, la Chambre d’Agriculture pour la lutte contre l’érosion des sols, le Conseil Général pour le programme d’aménagement intégré, le Conseil Régional pour le financement de certains emplois du SIVU, l’Agence de l’Eau Artois-Picardie pour les subventions à l’investissement et les sous-préfets concernés. Cela a permis de déterminer les pôles fédérateurs et à l’inverse les zones de blocages. Les acteurs immédiatement mobilisables ont ainsi été mis à contribution par des actions d’information auprès des populations et notamment les agriculteurs. Les politiques complémentaires qui permettaient d’optimiser l’impact du travail du SIVU ont été mises en œuvres. Parallèlement, un atlas des zones inondables a été publié et les élus ont été chargés108 de le faire diffuser auprès des habitants. Ils se sont acquittés de cette tâche avec une efficacité variable. La création du S.I.A.B.V.C., qui n’a compétence que sur la partie aval de la Canche, ne pouvait constituer qu’une solution partielle. Sa mise en place n’a pourtant pas été facile, d’autant que la méfiance de certains maires a été un obstacle à la bonne gestion. Il ne suffit pas que des problèmes d’équipement se posent à l’échelle du bassin, il faut aussi qu’ils revêtent la valeur d’un enjeu politique aux yeux des différents acteurs concernés, de sorte que l’espace devienne un territoire de référence de l’action collective. Le jeu des acteurs tend alors à devenir un élément essentiel et les tensions liées à des considérations d’ordre politique ne sont pas à négliger. Dans le bassin de la Canche, la recomposition, doit se traduire par une solidarité amont-aval des espaces. Mais la solidarité n’est pas systématiquement une relation sociale spontanée, elle s’inscrit dans la construction globale d’un système d’échanges et de conflits. En effet, si chaque territoire est porteur d’une histoire, il n’en demeure pas moins que les groupes sociaux qui véhiculent ses représentations entretiennent des échanges ponctuels qui s’insèrent dans une dimension plus large de relations itératives, elles-mêmes autant faites de “ coopérations que de conflits, de clivages institutionnels que d’interprétations ” (Borratz O., 1998). Dans la vallée de la Canche, le territoire constitué par le bassin versant semble avoir imposé au politique ses rythmes, mais aussi ses rites. En reconstituant la dynamique de l’action locale, on s’aperçoit en réalité, qu’elle est avant tout politique, bien qu’elle ne se résume pas à cela. Tout cela démontre que le S.I.V.U. a été confronté à ses propres limites tant techniques que financières, voire géographiques, mais aussi à des conflits de nature politique entre les acteurs concernés. Cependant, la pratique du consensus et du compromis qui a amené les élus à adhérer à une vision de l'espace différente a permis de sceller de nouvelles alliances et en a déplacé d’autres. Cette méthode 105 Ces campagnes d’informations se sont caractérisées par la diffusion de plaquettes sur les projets du SIVU ainsi que la réalisation d’une exposition sur le risque d’inondation. 106 Comme le refus de laisser construire en zone inondable ! 107 LA D.D.A. a tenté de sensibiliser les agriculteurs à revenir à des pratiques plus anciennes qui respecteraient davantage les sols. 108 Notons que ce point reste à éclaircir 121 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION d’action a permis aux acteurs concernés de reconnaître un ensemble d’informations de manière suffisamment significative pour mobiliser leur énergie dans une direction commune, même s’il a fallu passer outre certaines réticences. Dans cette perspective, le bilan est positif puisque le S.I.V.U. a sensibilisé les élus aux risques d’inondation et d’érosion, tout en les informant des modalités de gestion de ce même risque. Le S.I.V.U. a été un précurseur en matière de gestion du risque d’inondation, par une politique volontariste qui a consisté à faire d’un espace l’atout de valorisations. S’il appartient aux acteurs d’un territoire de déterminer dans quelle dynamique globale ils veulent se placer, la pertinence des orientations dépendra en grande partie des stratégies déployées et des opportunités. Celles-ci sont venues de la mise en place du S.A.G.E. dont le périmètre a été arrêté le 26 février 1999. Le SIVU, en la personne de son Président, a donc mené une action déterminante entre la définition du périmètre du SAGE et la mise en place des autres outils pour rendre la gouvernance opératoire. Le préfet a convoqué les élus pour la mise en place du périmètre du P.P.R le 17 mai 2000., pour l’installation du syndicat mixte dont le siège est à Hesdin le 19 mai et pour la mise en place de la Commission Locale de l’Eau le 22 juin. Tous les outils d’une gestion du risque à l’échelle du bassin se sont ainsi trouvés opérationnels. En l’espace de deux mois, les principaux organismes étaient institués et leurs représentants désignés. Un espace de solidarité, essentiellement né de la volonté de l’administration, a ainsi été créé avec les territoires de l’amont. Certes, ceux-ci n’ont pas été des relais stratégiques dans cette entreprise. D’abord, parce qu’ils sont moins concernés par les problèmes d’inondation, mais aussi en raison d’un déficit d’information sur la finalité des actions entreprises qui persistera jusqu’à la mise en place de la CLE. Par ailleurs, la rapidité de la mise en œuvre de la CLE n’a pas constitué non plus un facteur d’adhésion. En effet, pour éviter tout blocage lié au nombre important de communes concernées, les sous-préfets ont convoqué sans motifs les présidents des structures intercommunales, pour le Bureau du syndicat mixte et pour celui de la CLE ensuite. Nous avons effectué nos entretiens quelques semaines après la mise en place du syndicat et avant celle de la C.L.E. La plupart des élus rencontrés, présidents de structures intercommunales siégeant à ce titre au syndicat mixte, ne percevaient pas la mission du syndicat, ou étaient même incapables de le situer par rapport au S.A.G.E. Est-ce à dire que les démarches contractuelles n’ont pas eu lieu ? Ou que volontairement elles ont été réduites ? Quant à la C.L.E., les élus rencontrés n’ont pas bien perçu son rôle ou ne savent pas qu’elle existe. En réalité, en ayant pris la décision de ne pas consulter les communes, mais les seuls responsables de structures intercommunales, les sous-préfets ont limité la sphère de la concertation. En représailles, certaines communes situées très en amont ont retardé la désignation de leurs représentants au syndicat mixte109. Face à cette attitude, les sous-préfets ont clôturé la période de concertation et ont convoqué officiellement les responsables concernés par la mise en place du syndicat. Dans cette perspective, on peut mettre en évidence l’accord entre les souspréfets et certains élus, cequi souligne fortement les effets de filtrage des interlocuteurs valables et les contours hermétiques du cercle des débats. Pour l’élection du président du syndicat et de la CLE, en l’occurrence il s’agit de la même personne110- , les particularismes locaux ont été déterminants. Il s’agissait de contourner certaines personnalités locales trop marquées. C’est pourquoi un accord préalable entre les sous-préfets concernés et certains élus a proposé la candidature d’un maire dont la commune se situe en position médiane dans le bassin et reflète par ailleurs les équilibres politiques du territoire concerné. On pourrait s’interroger sur le fait que le Président du SIABVC, initiateur du projet, ne soit président ni du syndicat mixte ni de la CLE, alors qu’il a mené des actions, souvent seul, (que l’on peut qualifier de « combat » en raison des freins multiples qu’il a pu rencontrer), quitte à 109 Ils ont adopté ce même comportement après les élections municipales de mars 2001, retardant une fois de plus la procédure. 110 Il s’agit du maire de la commune de Frévent. - 122 s’aliéner les autres élus. Le paradoxe en est d’autant plus surprenant qu’un grand nombre d’élus situés en amont connaissait au moins son nom alors qu’ils ignoraient celui du Président actuel. Mais la configuration politique particulière du bassin versant impliquait que l’on respectât cette donnée, du moins pour emporter l’adhésion du plus grand nombre. Le choix s’est donc porté sur une personnalité politique plus consensuelle. Cependant, les sous-préfets et le Président actuel ont décidé de lui attribuer, sous couvert d’un vote démocratique au sein de la CLE, un siège au bureau et une viceprésidence à la CLE, afin qu’il conserve un rôle moteur sans être leader. Toujours lors de la mise en place de la CLE, certains usagers représentés se sont étonnés de ne pas pouvoir voter pour la constitution des commissions et ne pas pouvoir être candidats à une viceprésidence, ce qui dénote d’un manque d’information préalable entre les acteurs concernés. On ajoutera aussi que certaines associations locales ne sont pas représentées au collège des usagers de la CLE au profit d’associations régionales plus importante (cf infra les travaux de B. VILLABA). Là encore, un manque de transparence dans la procédure et la volonté d’aller trop vite aurait pu nuire au bon déroulement du processus de mise en œuvre. Par ailleurs, on peut souligner la similitude des candidatures au syndicat et à la CLE. On fera le constat qu’en limitant la scène des interlocuteurs, on ne s’est pas inspiré explicitement des procédures contractuelles. Le contraste est frappant entre les intentions affichées et la réalité. Certes, la proximité des élections municipales nous paraît être l’explication de cette recherche d’efficacité accrue et l’accélération du processus de constitution des structures que sont le syndicat mixte, la CLE mais aussi la définition du périmètre du PPR qui sera opposable, alors même qu’il n’a pas encore été défini. La CLE ne s’étant pas réunie avant les élections municipales de mars 2001, les choses sont restées en l’état. Figure 32 : Les principales étapes de mise en place du SAGE de la Canche Un premier bilan d’une année d’existence tendait à démontrer que les conditions de mise en œuvre du syndicat et de la CLE manquaient de lisibilité pour les populations. Le territoire de gestion ainsi créé 123 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION était mal perçu, essentiellement parce que le syndicat mixte n’avait pas de siège, de salarié permanent et parce que la communication auprès des élus était inexistante. Mais aussi, la répartition des compétences n’étant pas toujours comprise entre les communes et les communautés de communes, ceci rendait difficile l’appropriation par l’ensemble des acteurs d’une démarche de gestion globale de l’eau et posait le problème de l’articulation entre cette structure de gestion et les EPCI existants. 111 En outre, certains services de l’Etat et l’Agence de l’Eau menaient des programmes112 sans consultation de la CLE et du syndicat mixte, ce qui tendait à remettre en cause leur légitimité ou tout au moins ajoutait à la confusion. On a ainsi constaté plusieurs dysfonctionnements après la création du syndicat mixte. A titre d’exemple, quelques élus situés en amont ont pris des contacts avec le syndicat mixte pour être informé de la cohérence entre les contrats ruraux pour l’eau mis en oeuvre sur leur commune et les projets éventuels du syndicat. Ce dernier n’en avait pas été informé. Là encore, on a constaté que c’étaient les élus qui interrogeaient l’Agence de l’Eau ou les services de l’Etat sur la position du syndicat sur ces dossiers. Parfois, lors de réunions organisées par ces mêmes acteurs, la permanente du syndicat mixte était invitée au titre du SIABVC ! Le syndicat mixte se retrouvait ainsi en quête de légitimité, tandis que régnait la confusion, du fait du maintien du SIABVC. Celui-ci devrait d’ailleurs disparaître à moyen terme du fait de la création du syndicat mixte. Par ailleurs, les élections municipales ont entraîné d’importantes modifications. D’abord au sein du syndicat mixte, par l’éviction d’un des porteurs essentiels du projet et, parallèlement, par l’arrivée de personnalités parfois éloignées de la logique SAGE. Ensuite, au sein du SIABVC, par l’éviction de son président. Il a alors été décidé de prolonger dans un premier temps son existence à trois mois, puis récemment à six mois. Une période de flottement a été constatée entre les élections et la constitution de la nouvelle CLE. L’arrivée à la présidence du SIABVC d’anciens opposants à la logique SAGE et la menace d’un retour à des méthodes décriées a ravivé les querelles locales. Le SIABVC devant apurer ses emprunts pour les travaux engagés antérieurement, la décision a été prise de le maintenir. A charge pour le syndicat mixte de s’affirmer davantage en exigeant plus de cohérence dans l’organisation des actions futures. Le syndicat mixte ayant précisé ses compétences à ce jour, il n’y a plus aucun risque de chevauchement des compétences des uns et des autres. Il vient d’être procédé à de nouvelles désignations au sein du syndicat mixte et de la CLE. A ce propos, si l’on peut faire le constat du bon avancement dans la mise en place des outils d’une gestion globale de l’eau, on ne peut s’empêcher de penser que la transaction tend à provoquer l’adhésion aux choix retenus et qu’elle demeure une alternative à l’unilatéralité. En raison de l’éviction du porteur originaire du projet, les sous-préfets ont tenu à maintenir un acteur relais et moteur en désignant au sein du collège des usagers, le porteur initial évincé, devenu entre temps président d’une association locale créée en avril 2001. Le collège des usagers est ainsi gonflé artificiellement pour maintenir sa présence aux dépens d’associations plus anciennes. Dans le bassin de la Canche, les acteurs sont encore éloignés d’une culture de la participation. Néanmoins, l’essentiel n’est-il pas au final de faire admettre à l’ensemble des acteurs concernés que le projet est juste, ou davantage de mettre en place un espace de coopération et de concertation, aussi large que possible, obligeant les acteurs à concevoir désormais des réflexions globales et à entretenir des réseaux cognitifs nécessaires au bon fonctionnement d’une politique transversale ? La mise en place du SAGE souligne les limites d’une politique de gestion territoriale qui ne prendrait pas suffisamment en compte les identités territoriales constitutives de l’échelle d’intervention qu’elle essaie 111 En l’occurrence, dans un premier temps, la chargée de mission du SIAVBC a été transférée comme permanente du syndicat mixte, le reste du personnel devant suivre. En réalité, il n’y a pas eu d’autre transfert. Le SIABVC existant toujours, son personnel lui est resté attaché. 112 CTE, MAE , Contrats ruraux pour l’eau - 124 d’imposer, et qui ne pourrait être liée à la seule existence d’une rivière pour induire une action de patrimonialisation de l’eau. La gestion de l’eau dans le cadre du bassin versant est une réalité à la fois locale et globale. La définition d’un projet global de gestion de l’eau sur la Canche implique que les acteurs dépassent l’addition, souvent contradictoire, des intérêts communaux et nécessite une forte intégration qui pourrait être obtenue si l’exécutif des structures nouvelles exerçait une autorité politique incontestée et une implication forte de son président pour convaincre et emporter l’adhésion de l’ensemble des acteurs. Enfin, une meilleure intégration des actions menées par les acteurs tant étatiques que locaux doit s’organiser pour une prise en charge commune afin que l’espace prescrit devienne un espace vécu. Au travers des tableaux ci-dessous, nous avons mis en évidence les éléments qui nous semblaient importants pour la mise en place des structures de gestion du risque inondation sur le bassin versant de la Canche en distinguant avant et après les élections municipales. Syndicat M ixte SIABVC Structures intercommunales : Communautés de communes Les atouts Mise en place effective Délimitation du territoire d'identité Rôle pionnier Elargissement de son périmètre d'action Création d'un "attelage " rôle des sous-prefets : bonne dynamique institutionelle personnalité de son président et son implication Rôle de leader Bonne pratique de l'intercommunalité Les moteurs Les faiblesses Absence de communication Existe toujours Peu de personnel N'a pas toujours eu une action Local récent cohérente en matière d'inondation Absence d'axes stratégiques reconnus Centralisation forte de sa mise en place Degré de politisation fort du système d'acteurs entre amont et aval Absence d'homogénéité entre les grandes villes et les autres communes manque d'identité manque de lisibilité Etat d'esprit de certains élus Les freins Progressivement conflits internes depuis l'apparition régulière des inondations Tableau 13 : Tableau récapitulatif : avant les élections de mars 2001 Syndica t Mixte SIABVC Structures intercommunale s Les atouts Mise en place effective Délimitation du territoire d'identité Mise en place équipe technique locale Bonne pratique de l'intercommunalité Les moteurs rôle des sous-préfets Les faiblesses Quête de marge de manœuvre Existe toujours Abscence de leader pour emporter l'adhésion Eviction de son Président "leader" des autres interlocuteurs Mauvaise affichage des objectifs La problématique Bassin versant n'est abordée que du point de vue des inondations L'espace de débat est mal défini Degré de politisation accru du système d'acteurs entre amont et aval Création d'alliances entre certains élus Résistance accrue Perception du risque Les freins manque d'identité manque de lisibilité Retour à des pratiques de gestion Etat d'esprit de certains élus sectorielles contraires à la logique SAGE Tableau 14 : Tableau récapitulatif : après les élections de mars 2001 125 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Certes, il n’y a pas de facteurs-clé de succès universels valables en toutes circonstances. Mais à vouloir aller trop vite, on condamne prématurément les structures ainsi créées. Les porteurs du projet doivent s’assurer que les élus perçoivent et reconnaissent un ensemble d’informations de manière suffisamment significative pour mobiliser leur énergie dans une direction commune. Qu’il faille passer outre certains blocages est une évidence ! Toutefois, le débat et l’échange d’arguments contribuent par un mélange subtil de démonstrations et de persuasions à sceller de nouvelles alliances ou à en déplacer d’anciennes. La décision contractuelle sera alors marquée par un véritable consensus. 10.5. Quels enseignements ? A partir de l’enquête postale réalisée au début de l’année 2000 et des entretiens exploratoires effectués tout au long de l’année 2000-2001, nous sommes parvenus à certains résultats. Nous rappellerons d’abord brièvement l’approche méthodologique suivie pour obtenir les premières conclusions. L’enquête a été envoyée uniquement aux maires du bassin de la Canche, alors que le syndicat mixte et la CLE n’étaient pas encore installés. Les premiers retours par courriers nous sont parvenus dès le mois de février, les derniers courant mars 2000. Nous avons aussi récupéré des questionnaires lors de nos entretiens avec des élus entre juin et juillet 2000. Les entretiens exploratoires ont été effectués dans un premier temps auprès des présidents de structures intercommunales, et auprès de certains techniciens de l’Etat, notamment des agents de la DDA, de la DDE et de la DIREN, entre mars 2000 et juillet 2001. Nous avons rencontré ces personnes soit avant la création du syndicat mixte soit après l’installation de la CLE. Nous avons dépouillé et traité l’enquête avant d’entamer nos entretiens, ce qui nous à permis de compléter certaines réponses. En raison des modifications apportées dans la vie politique locale suite aux élections municipales de mars 2001, nous avons décidé de rencontrer certains des nouveaux maires et des présidents de structures intercommunales, ainsi que des maires battus, notamment dans la basse vallée de la Canche, eu égard à l’enjeu stratégique qu’avait revêtu le thème des inondations pendant la campagne électorale. Nous avons souhaité entretenir des liens soutenus avec les permanents du syndicat mixte et son président, et plus particulièrement avec le « moteur » du projet, et ancien président du SIVU de la Canche, ancien vice-président de la CLE, battu aux municipales pour tenter de comprendre les enjeux supposés de l’eau sur la partie aval de la Canche. Enfin, de nombreux contacts téléphoniques avec les services de la préfecture ont favorisé le suivi de la constitution des structures de gestion du SAGE notamment entre la fin des élections municipales et l’installation de la nouvelle CLE. Après un très bref rappel des objectifs de l’enquête et des thèmes abordés dans nos entretiens, nous nous proposons d’exposer nos premiers constats, sachant que cette étude s’est déroulée en temps réel et que les résultats peuvent toujours évoluer. L’approche méthodologique 1. Objectifs de l’enquête : articulation et processus de recomposition dans la gestion du risque inondation 2. Population concernée : les élus, les associations, les institutionnels 3. Méthode retenue pour l’enquête : - enquêtes par questionnaire, - entretiens exploratoires. 4. Les thèmes abordés : - Perception de la gestion des inondations à l’échelle du bassin versant, information et connaissance des risques, - Bassin versant, bassin vécu, sensibilisation aux risques (inondation et érosion), solidarité amont-aval, Outils réglementaires de la prévention, actions des communes en matière de gestion des risques, Echelle pertinente de gestion du risque 5. Méthode du traitement de l’enquête : - pour les questions fermées : tris à plat et tris croisés - pour les questions ouvertes : traitement par thème - pour les entretiens semi-directifs : traitement par thème 6. Taux de réponse de l’enquête : + de 65 % - 126 10.5.1. Attitudes des élus de la Canche vis-à-vis du risque et de la politique de prévention du risque d’inondation Un premier bilan des outils juridiques suite à nos entretiens et enquêtes, nous amène à constater, comme d’autres l’ont fait,113, que si le volet indemnisation a bien fonctionné en matière de risque inondation, celui de la prévention est plutôt mitigé. Comme nous l’avons déjà souligné, le mécanisme d’indemnisation pourrait inciter à la négligence, voire à la déresponsabilisation. Il n’existe aucune modulation des primes. La solidarité nationale ne coïncide pas avec la responsabilisation accrue des acteurs concernés. L’indemnisation sans contrepartie d’adoption de mesures de prévention n’a pas contribué au développement d’un contentieux, qui aurait pu permettre une définition plus précise par la jurisprudence des notions fondamentales : catastrophes114 et mesures de prévention suffisantes. Les assureurs n’ont pas développé ces contentieux devant les juridictions administratives. L’absence d’action récursoire des assureurs n’a pas permis de créer une pression pour accélérer l’élaboration des P.P.R.. La notion de risque indemnisable sans contrepartie aurait permis de caractériser tous les effets d’une responsabilité par négligence. Les outils réglementaires ne sont pas toujours acceptés ou compris par les élus, en raison de leur complexité, de leur diversité ou encore de leur manque de lisibilité. En effet, le droit est devenu un système complexe, si l’on parle d’urbanisation opérationnelle. A cet égard, on rencontre deux types de blocages juridiques, l’un d’ordre externe et l’autre d’ordre interne. Face à des situations de crise ou de difficulté, les différents acteurs vont se déterminer chacun à partir d’une gestion étroite de leurs intérêts. Ces différents partenaires sont en général liés par un dispositif contractuel complexe mis en place dans une période où la convergence des intérêts est la seule donnée vraiment structurante. Les outils juridiques vont alors servir avant tout à la gestion de l’échec alors que personne ne le pensait à l’origine. Mais également, il faut tenir compte de blocages externes liés à l’intervention de nouveaux acteurs dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme. La montée en puissance des mouvements associatifs et environnementalistes, et la nouvelle expression des intérêts particuliers, ont utilisé le champ du droit comme terrain privilégié. Dans cette perspective, les uns et les autres renoncent parfois à mettre en œuvre des outils qui peuvent être à l’origine de situations conflictuelles, voire contentieuses, comme l’ont souligné nos interlocuteurs. Le fait que certains maires renoncent à établir des P.O.S. ou même des M.A.R.N.U en raison des risques éventuels de contentieux est révélateur de la complexité des dits documents. On peut donc se demander si le faible nombre de zonages réglementaires achevés est imputable à un manque de volonté des élus ou à 113 Plusieurs rapports s’en font l’écho et notamment le rapport du député C. Kent, “Les techniques de prévision et de prévention des risques naturels en France”, Office parlementaire d’évaluation scientifique et technologique, Assemblée Nationale, n°1540, 1998-1999, mais on peut citer aussi le rapport de Monsieur Dauge remis au Premier ministre en décembre 1999. 114 La notion n’est toujours pas définie car on est avant tout dans une problématique de solidarité et, non de fatalité. Certains affirment que ce n’est qu’en apparence que le parlement débattait en termes de sécurité. On était en réalité sans le dire explicitement dans une problématique d’environnement. L’eau des rivières et même l’eau de pluie étant des biens d’environnement, c’est-à-dire des biens qui ne peuvent être laissés aux mains de la propriété privée sans contrainte, mais qui ne sont pas nécessairement nationalisés. Ces biens entre res nullius et res communis, doivent être gérés selon la perspective de l’usage non-appropriatif, et en tenant compte des servitudes que chaque usager fait peser sur les autres. 127 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION la complexité des procédures. Dans cette dernière hypothèse, il faudrait faire le constat que, si les outils existent, leur mise en application pose souvent problème. L’enquête par questionnaire ne permet pas toujours de dégager de grandes tendances ou des conclusions définitives115. Dans notre cas, nous nous sommes efforcés de compléter les réponses recueillies dans les questionnaires par le biais des entretiens auprès des élus. Il est clair que les réponses recueillies varient en fonctions de quatre critères. Il s’agit d’abord l’exposition des communes au risque inondation, du nombre de mandats cumulés, de l’existence d’un P.O.S. ou d’une M.A.R.N.U, enfin, de l’appartenance ou non de la commune au S.I.V.U. de la Basse Vallée de la Canche. Enfin, l’information occupe une place importante dans les thèmes abordés. Il s’agit pour les élus à la fois d’informer leur population que d’être informés, par les services de l’Etat. 10.5.2. L’exposition des communes au risque inondation Le premier constat porte sur la position des élus dans le bassin versant et l’exposition des communes au risque inondation. En effet, plus leur commune est située en aval et plus la sensibilisation à la prévention des risques est forte. De même, les élus ont une meilleure connaissance des outils juridiques. La raison en est simple, les élus sont confrontés directement aux inondations, quelles que soient leurs origines. C’est par le biais de quatre catégories de questions qui concernent la perception du risque (sentiment d’être concerné par le risque), l’exposition au risque (nombre d’inondations subies), la connaissance des lois ou de mesures réglementaires et plus particulièrement la connaissance du P.P.R. ou du P.P.R. I. et du S.A.G.E., voire du syndicat mixte et de la CLE, que nous avons perçu ces grandes tendances116. Mais la position dans le bassin ne préjuge pas de la bonne application des outils par les élus. Certains affirment savoir tout en regrettant de n’avoir pas les moyens financiers d’agir, alors que d’autres sont conscients des problèmes mais ne veulent pas prendre de mesures qui pourraient limiter leur champ d’action ou les mettre en position de conflit par rapport à leurs administrés. Mais on constate aussi que certaines communes d’aval se contredisent à propos des moyens à mettre en œuvre, en raison de la confrontation entre une logique de prévention et celle du développement urbanistique ou rural avec d’autres enjeux de nature économique ou la valorisation foncière, enfin, la satisfaction de certaines demandes des populations. La proximité du littoral est un élément important pour la valorisation foncière des terrains qui encourage les élus à préférer la réalisation de travaux à l’élaboration de planifications réglementaires qui n’ont d’effet que sur l’existant. A l’inverse, plus la commune est située en amont, plus les élus ignorent ces outils ou en ont une connaissance très approximative. Il apparaît que ces communes ont une préférence pour les mesures dites structurelles et le risque se résume pour elles à un problème strictement financier que l’on pourrait résumer par cette question : comment financer la construction de digues ou de travaux hydrauliques ? En définitive, les élus ne contestent pas tant l’existence d’un risque mais en discutent plutôt l’intensité et l’ampleur, et donc les limites géographiques. 115 Cf. Javeau C., “L’enquête par questionnaire. Manuel à l’usage du praticien”. Editions de l’Université de Bruxelles, 4ème ed., 158p., 1992 116 Il s’agissait des questions 1 à 7, et 20 à 25. - 128 10.5.3. Le nombre de mandats Deuxièmement, le cumul des mandats favorise les élus dans leur connaissance et leur appréhension du risque. Ils connaissent les partenaires potentiels pour l’obtention de financements et proposent même des solutions pour maîtriser certains risques d’inondation ou d’érosion. Nous ne portons pas de jugement de valeur sur la pertinence des mesures proposées, mais le constat est celui d’une adéquation entre la réponse et le mandat concerné. Par exemple, un maire/conseiller général proposera une solution au niveau départemental. S’il est conscient des incidences potentielles d’un remembrement, il proposera de traiter ce problème au niveau départemental en créant une commission de contrôle ou de suivi des impacts d’une telle opération. De même, nous avons constaté que les conseillers généraux ont une meilleure connaissance du SAGE que les autres élus parce que l’eau est gérée aussi au niveau du département. Ce qui ne signifie pourtant pas qu’ils envisagent une gestion du risque inondation au niveau de l’ensemble du bassin versant. 10.5.4. L’existence de documents d’urbanisme Troisièmement, le fait de se référer à un document d’urbanisme, qu’il s’agisse d’un P.O.S. ou de M.A.R.N.U. constitue un élément décisif dans la connaissance des outils juridiques. Mais peu de communes en sont dotées, ce qui place le maire en situation de retrait partiel face à des problèmes d’inondations. La D.D.E. gérant l’urbanisme des communes soumises au R.N.U, les maires ont le sentiment de ne rien pouvoir faire face aux constructions en zone inondable. Ceci semble paradoxal, car le maire n’a pas conscience que son avis requis dans la demande de certificat d’urbanisme pourrait être une modalité de prévention du risque. Cependant, l’incohérence de certaines décisions prises par la D.D.E. dans le passé (ce que de nombreux maires ont souligné, ainsi que certains fonctionnaires de la D.D.E. en poste aujourd’hui) n’a pas favorisé une prise de conscience aiguë du risque par les élus locaux. Qu’il s’agisse de bâtiments publics ou privés construits en zone inondable, les élus ne perçoivent pas la cohérence des décisions prises et dénoncent ces pratiques. Par ailleurs, l’insuffisance des effectifs de la D.D.E. contribue à l’opacité de l’instruction des dossiers. Les procédures d’instruction sont trop longues et aboutissent trop tardivement, à un moment où le maire n’est plus concerné par les demandes qui lui sont faites. Un grand nombre d’élus ne souhaitent pas se doter de documents d’urbanisme pour éviter le contentieux engendré par la gestion des sols et dégagent leur responsabilité sur les services de l’Etat. En revanche, certains élus nous ont fait part de leur souhait d’opter pour des M.A.R.N.U., mais se heurtant à l’insuffisance de personnels de ces services (réponse qui leur est faite par l’ingénieur subdivisionnaire), ils voient leur projet refusé ou retardé de plusieurs années. Ils dénoncent la volonté de l’Etat de maintenir un statut quo au niveau des sols pour ne pas remettre en question des décisions prises les années précédentes. 10.5.5. L’appartenance au SIABVC Enfin, la donnée la plus marquante demeure l’appartenance au S.IV.U de la Basse Vallée de la Canche. La plupart des 29 communes ont une culture du risque plus développée que les autres communes du bassin versant. Elles ont bénéficié d’informations durant des années, d’un atlas de cartographie des risques, de mesures financières pour réaliser les nécessaires travaux hydrauliques. Ces communes se détachent plus encore des autres, si elles sont dotées de surcroît de documents d’urbanisme et si leur maire cumule plusieurs mandats. Ces communes ont par ailleurs facilité l’accès à l’information aux populations et notamment aux agriculteurs, par le biais de rencontres avec les services du ministère de l’agriculture et la Chambre d’Agriculture (cf travaux de l’axe 1). Le SIVU édite en outre un bulletin d’information disponible en mairie. Ces élus savent globalement ce que signifient les sigles “ PPR ” et “SAGE ”. Ils ont une idée de leur contenu. On peut souligner que ces communes se distinguent aussi par leur façon de concevoir la gestion du risque à l’échelle du bassin versant tout entier sans proposer pour autant nommément un organisme de gestion. 129 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 10.5.6. L’information : informer et être informé Les élus s’accordent à reconnaître que le développement d’une culture de la prévention passe tout d’abord par la connaissance des événements et de la vulnérabilité des territoires concernés. Les administrations nationales et locales ont, selon eux, un rôle fondamental à jouer dans l’acquisition de cette connaissance, dans son organisation, son actualisation, et dans son amélioration permanente. Il ressort des réponses à notre questionnaire que les élus ne sont pas satisfaits de la qualité de l’information des risques117. Un certain nombre d’entre eux pense même que cette information n’existe pas. Certains maires émettent un doute sur les efforts accomplis, en même temps qu’ils reprochent à la D.D.E. ses incohérences du passé, aux incidences présentes. Ce manque d’information de la part des pouvoirs publics est constaté tant par les communes situées en aval qu’en amont. Les élus se distinguent par leur appartenance ou non au SIABVC. En effet, les communes membres de ce syndicat reconnaissent que la majeure partie de l’information émane de ce dernier. En revanche, les communes situées en amont sont informées par leurs propres constatations sur le terrain. N’ayant pas bénéficié des services du SIABVC et n’ayant d’ailleurs pas cherché à le rencontrer davantage, elles déplorent cet état des choses. Leur méconnaissance des outils juridiques renforce ce sentiment d’impuissance face aux risques. Néanmoins, il convient de relativiser ces constats car certains élus des communes d’amont refusaient toute gestion à l’échelle du bassin qui aurait entraîné des dépenses supplémentaires pour leur collectivité et la plupart du temps ils ne se sentent pas concernés par ces risques. Ils avouent que le seul problème réside dans leur faible capacité financière pour lutter contre le risque d’érosion. Ce qui signifie que l’information ne changera rien pour eux. Mais il est plus agréable d’avoir “des ressources sans ennuis plutôt que des ennuis sans ressources ”118. Les collectivités, même motivées, rencontrent des difficultés de trésorerie pour réaliser les travaux nécessaires à la prévention des risques. Les questionnaires et entretiens réalisés témoignent de l’impuissance des communes à investir dans la réalisation d’ouvrages de protection. En ce qui concerne la nature des informations souhaitées, les élus manifestent une préférence pour les données cartographiques. Ensuite, ils souhaitent que la prévention soit relancée après les accidents ou les catastrophes en organisant des retours d’expériences, de manière à favoriser la sensibilisation aux risques naturels. Le lien entre la catastrophe et la cartographie serait ainsi optimisé. Les élus ont besoin de comprendre les raisons fondamentales de la catastrophe et les facteurs qui ont pu l’aggraver. Comme l’ont souligné de nombreuses personnes119, utiliser le retour d’expérience, c’est exploiter les aspects positifs d’une situation accidentelle. Si les élus reconnaissent que la procédure de déclaration de l’état de catastrophe naturelle leur a permis de mieux s’informer, elle ne permet pas le retour d’expérience. Enfin les élus veulent savoir de quelle manière il est possible d’intervenir sur les propriétés privées pour contraindre les propriétaires à mettre en place soit de nouvelles pratiques culturales s’il s’agit d’agriculteurs, soit pour les encourager à effectuer des travaux de protection. 117 La question posée était : “ Avez-vous le sentiment qu’en matière d’information et de prévention des risques, les administrations ont fait des efforts au cours des dix dernières années ? ” (question 7 ) 118 119 René Rossi in “ Aménagement foncier : les risques ”, p.131, edt adef 1987 Cf. P.H. Bourrelier déjà cité, il a par ailleurs dirigé pour le compte du gouvernement l ‘évaluation de la politique publique de prévention des risques naturels et a organisé la conférence sur la gestion des territoires et la prévention des catastrophes naturelles qui s’est tenue à Paris en juin 1999 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies. - 130 Il nous semble important de souligner à propos de la cartographie qui a fait l’objet d’un atlas quelques mois avant nos enquêtes que deux catégories de communes se distinguent. Les communes situées en aval sont censées l’avoir toutes reçu, alors que les communes situées en amont n’en sont pas pourvues et ignorent même parfois son existence. En effet, certains maires destinataires du document ne savent pas comment le lire ou se demandent s’il doit être mis à la disposition des habitants. D’autres enfin n’en ont fait aucun usage. Pendant nos entretiens, nous avons demandé dans quelles conditions les élus avaient réceptionné l’atlas. Il s’avère que peu d’indications accompagnaient cet envoi, ce qui ne permettait pas aux maires de le distinguer du courrier reçu chaque jour. Peut-être que l’arrivée récente de l’atlas dans certaines communes n’a pas permis aux destinataires de le consulter plus en profondeur et de s’informer davantage des risques encourus sur l’environnement. Cependant, nous avons constaté que peu l’ont consulté ou le consultent régulièrement. Aux vues du travail réalisé, de sa valeur scientifique et de son coût, il est dommage de n’avoir pas pris plus de précaution pour le présenter mais il est toujours possible de remédier à cela. Sur les modalités de l’information, les élus de la Canche ne sont pas paradoxalement favorables à l’organisation de débats publics, mais ont une préférence marquée pour des rencontres entre communes et administrations compétentes. On peut s’étonner de cette préférence, mais si l’on croise cette réponse avec d’autres, on constatera qu’elle s’inscrit dans une logique de type “ institutionnel ”. Par exemple, quand on demande aux maires qui a la charge d’informer, ils répondent massivement : celui qui délivre le permis de construire. Or quand on sait que la plupart des communes sont soumises au R.N.U., cette charge incombe à la D.D.E. Selon nous, il ne s’agit pas d’un refus de la part les élus en tant que tels, mais d’une lacune. Beaucoup avouent qu’ils n'en savent pas plus que les administrés et que l’information est détenue par les techniciens de l’Etat. De même, les élus admettent qu’ils diffusent l’information auprès de leurs administrés quand ils en ont connaissance, ce qui relativise cette donnée. Par ailleurs, rappelons que depuis la loi de 1987, l’information de la population riveraine sur les risques encourus et sur les mesures de protection prises par les pouvoirs publics est une obligation légale120. Mais dans la pratique et aux vues des réponses issues des enquêtes, il ressort que l’information sur le risque se trouve en prise à une série de contradictions : • entre le souci d’informer et celui de ne pas attiser les peurs121 • entre le souci d’informer et de porter à la connaissance du public des éléments qui pourraient avoir une incidence sur la valeur vénale des propriétés concernées. Ainsi, les maires considèrent qu’il leur appartient certes d’informer mais désignent d’autres autorités ou personnes qui devraient partager cette responsabilité. Il s’agit de la D.D.E. et du vendeur de parcelles. Sur les vecteurs d’information, les élus accomplissent leur tâche conformément à la loi par affichage public ou par le bulletin municipal, mais considèrent aussi qu’il appartient d’abord à la personne concernée de s’informer. Nos observations ne nous ont pas permis d’affirmer que les élus considèrent cette obligation d’information comme un outil de gestion du risque, d’abord parce qu’ils se sentent eux-mêmes mal 120 La première législation est la loi du 22 juillet 1987 relative à la prévention des risques majeurs et instaurant un droit à l’information qui a fait l’objet d’un décret du 11 octobre 1990 et d’une circulaire du 10 mai 1991 121 A cette question, les élus répondent parfois : à quoi bon affoler les populations si nous n’avons pas les moyens d’éviter ces risques ? . 131 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION informés, ensuite parce qu’ils ont une nette préférence pour des mesures structurelles qui selon eux sont capables de résoudre un grand nombre de leurs problèmes. Après les élections municipales de mars 2001, un nouveau maire nous faisait même part de son agacement pour la réalisation d’études supplémentaires sur la Canche qui selon lui ne menaient à rien, coûtaient de l’argent, voire favoriseraient la venue du paludisme si l’on ne recourrait pas de façon urgente à de nouveaux curages ! Enfin, le fait d’avoir vécu ou non une inondation ne modifie pas la perception qu’ont les élus de l’information. En ce qui concerne la connaissance des outils réglementaires, les tris croisés révèlent qu’il y a à peu près autant d’élus informés qui jugent les efforts limités que de personnes non informées qui les jugent importants. Là encore la position géographique dans le bassin est un facteur explicatif. Les élus ont une connaissance insuffisante des outils réglementaires spécifiques pour lutter contre les inondations. Par exemple, sur l’existence et la mise en place du P.P.R., les élus souhaitent davantage de concertation avec les services de l’Etat mais au cours de nos entretiens, nous nous sommes aperçus qu’ils en avaient entendu parler sans savoir quel en était le contenu. Or le périmètre du PPR venait d’être arrêté par le préfet. C’est aussi et surtout un problème d’information et de concertation. On remarquera aussi que les élus connaissent des points spécifiques de la réglementation mais ne savent pas généralement à quel type de mesure elle se rattache ou dans quel cadre le règlement a été mis en place. L’arrêté du périmètre d’étude du P.P.R. n’a peut-être pas été précédé d’une concertation suffisante, certes non obligatoire, mais nécessaire avec les élus concernés. Il ressort enfin que le terme “ réglementaire ” n’est pas totalement compris par les élus. A la question : “ quelle suggestion feriez-vous pour améliorer l’efficacité des outils réglementaires de prévention ? ”122, les élus répondent en suggérant ce qu’il faut faire et ne pas faire, comme détruire la digue ou construire un mur de soutènement. D’autres suggèrent de faire appliquer tout simplement la loi et de sanctionner en cas de non-respect. En revanche, certains se demandent comment il peut y avoir encore des constructions en zone inondable alors qu’existent de tels outils. C’est l’occasion pour les interviewés d’évoquer paradoxalement leur croyance en la toute puissance technologique pour se protéger contre des phénomènes naturels, mais aussi de l’impatience voire de l’incompréhension des populations. La mémoire du risque s’étant peu à peu dissipée, les élus considèrent que les administrés sont excessifs. Comme nous l’a expliqué de vive voix un élu : « Que peut-on faire contre la pluie ? » La mémoire est certes sélective, les élus pensent que la population surestime la gravité de la dernière inondation. Dans cette perspective, l’efficacité d’une réglementation de prévention au niveau local dépend certes des comportements tant collectifs qu’individuels face au risque, mais aussi de la scène de gestion du risque qui apparaît souvent trop complexe et favorise le chevauchement des compétences. Le cloisonnement des actions qui ignorent trop souvent les autres instruments de la prévention doit cesser, ainsi que leur caractère parfois équivoque. Ceux-ci doivent être clairement définis, établis et arrêtés, tant dans leurs principes que dans leurs responsabilités. Cette clarification doit s’appuyer sur les pratiques existantes, mais aussi sur une gestion globale des risques (équilibre et harmonisation des secours, indemnisation, réparation et prévention) et dans l’ensemble du bassin. 10.6. Le bassin versant, un territoire de concertation ? Nos observations mettent l’accent sur le fait que la population et les élus ont des exigences de plus en plus fortes en matière de sécurité, que les conditions exonératoires, en matière de responsabilité, et particulièrement d’imprévisibilité, sont de moins en moins acceptées, enfin que des intervenants de haut rang sont de plus en plus souvent mis en cause. Il convenait donc d’ajuster les missions et les 122 Il s’agit de la question 15 - 132 moyens et de clarifier la répartition des compétences des différents représentants des pouvoirs publics. C’est pourquoi si le S.A.G.E., qui instaure le bassin versant comme cadre de gestion des inondations, constitue l’échelle adéquate d’action, il importe que les communes trouvent par le biais des différentes structures créées, les moyens financiers d’effectuer les travaux nécessaires dans un esprit de cohérence et de solidarité. Mais il faut souligner que le corollaire des exigences des populations inondées, c’est la transformation des problèmes liés à l’eau en enjeux électoraux. Le porteur initial du projet a déclaré dans un entretien à la presse suite aux élections municipales qui l’ont évincé de ses mandats, « la Canche m’a tué ». Audelà de cette formulation peut-être excessive, et en replaçant le débat dans son contexte strictement local, nous avons noté dans les entretiens menés après les élections auprès de maire d’amont et d’aval, que l’eau avait été un des thèmes abordés lors des campagnes municipales et cantonales en raison des nombreuses inondations cette année. Il en ressort que de nombreux maires nous ont déclaré ne pas vouloir s’occuper de ces problèmes pour laisser à d’autres cette charge qui ne rapportait électoralement que des soucis. Certains maires ont même déclaré que les problèmes de l’eau demandaient une trop grande disponibilité, et comportaient surtout un risque d’affrontement avec certains de leurs administrés. Ainsi, ils ne seraient pas même membres de la CLE, à quelque titre que ce soit. Alors que la CLE a été renouvelée en juillet 2001, certains maires, présidents de structures intercommunales, n’ont pas souhaité renouveler leur candidature pourtant encouragée par la nouvelle équipe du syndicat mixte qui pensait trouver en eux des relais locaux. Ces élus citaient le cas de plusieurs maires battus aux élections municipales en raison de leur prise de position sur ces problèmes et le durcissement des positions des populations inondées. D’ailleurs, dès le lendemain des élections municipales, on a vu des habitants renouer avec des pratiques de curage ou de constitution de digue sur la Canche et notamment dans la commune d’Attin, commune du porteur initial du projet, qui a été battu. On trouve des cas similaires dans les communes alentours, au motif que trop d’études avaient été faites sans empêcher les habitants de souffrir toujours autant des inondations trop nombreuses cette année. En outre, si le syndicat mixte et la C.L.E. ont été mis en place, les méthodes requises pour leur création ne sont pas des facteurs fédérateurs d’un espace à construire. On mettra l’accent sur l’absence de souplesse dans le choix des interlocuteurs et l’imprécision des procédures. Par ailleurs, il résulte de cela un déficit d’information. Or toute construction d’un espace doit pouvoir se baser sur une irrigation forte de l’information utile au développement de la structure et à son efficacité pour l’action. La distance entre les intentions et la réalité se révèle en fait comme la volonté de ne pas ouvrir le débat à tous les acteurs sociaux potentiellement concernés. Les effets de filtrage et de construction réciproque des interlocuteurs confirment des réseaux d’échange et de reconnaissance croisée, des interlocuteurs associatifs patentés qui installent des interlocuteurs valables, en tant que relais de divers échantillons de populations ou comme personnalités représentatives de segments d’opinion. Les conditions d’une culture de participation restent à créer. 10.6.1. La solidarité des espaces et/ou par l’espace : mythes ou réalités sur le bassin versant de la Canche La tendance actuelle est à la reconnaissance de la gouvernance123 de bassin versant, notamment, en ce 123 Le concept de gouvernance permet de prendre en compte la perte de centralité de l’Etat, de mettre en avant le caractère pluriel des intervenants (autorités locales, groupes privés, agences publiques ou semi publiques, représentants de l’Etat, organismes d’études, associations, etc…) et de passer d’une lecture institutionnelle à une lecture plus économique des relations stratégiques nouées entre ces différents acteurs. Son application aux nouvelles mailles territoriales souligne combien ces échelons sont devenus des niveaux intermédiaires de régulation possible des intérêts (P. Le Galès « Régulation, gouvernance et territoire » in J.Commaille, Br.Jobert (dir), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris, L.G.D.J., 1998, pp.203- 133 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION qui concerne la protection et la gestion de la ressource en eau conformément à la déclaration de la Conférence des Nations-Unies sur l'Environnement et le Développement Durable de janvier 1992 qui énonçait le principe d'une gestion au niveau le plus proche de la population. Ce qui suppose qu'au-delà des frontières administratives des communes ou des Etats, la population s'organise au niveau du bassin pour parvenir aux décisions sur les ressources naturelles les plus satisfaisantes et durables. Face à cette mutation de l’action publique, on constate l'émergence de niveaux territoriaux dont les tracés s'inscrivent dans une logique amont-aval, une logique hydrologique qui tente de contourner les réticences locales. Dans cet esprit, la gestion de l'eau constitue un puissant levier à la recomposition des territoires. Elle cherche à s’inscrire dans une approche à la fois partenariale, associant les différents acteurs de la scène du risque, et territorialisée par le lien établi entre les multiples actions des acteurs sur une territoire donné. Jusqu’à ce jour, la gouvernance de l'eau s'exerce à différentes échelles territoriales, de la gestion la plus locale (la commune) à la gestion nationale voire même internationale, en passant par des niveaux intermédiaires (Agence de bassin). Le partage des compétences entre ces différents niveaux de gouvernance est une des interrogations classiques de l'administration publique qui cherche à éviter la superposition, la concurrence et la neutralisation des pouvoirs. La construction d'une nouvelle échelle d'intervention (la gouvernance de bassin) pose la question de sa place dans le champ actuel des découpages de gestion de l'eau en terme de compétence, d'interdépendances et de solidarités. Mais plutôt que de réfléchir à un quelconque partage des responsabilités, ne faudrait-il pas mieux envisager une articulation des différents niveaux de gouvernance en définissant ensemble une responsabilité partagée construite autour du principe de subsidiarité active (CALAME P., 1999). Il s'agirait alors de mettre l'accent sur un partenariat local qui prendrait en compte la diversité des situations (subsidiarité) et sur des relations entre niveaux de gouvernance, non pas fondée sur une délégation d'autorité comme c'est le cas de façon classique, mais sur la base d’interrogations communes concernant le risque hydrologique et la gestion de l’eau (active). Concrètement, le rôle attribué à une structure intercommunale de bassin (comme le syndicat mixte du bassin de la Canche) serait d'organiser le dialogue entre les différents acteurs de l'eau afin de définir, dans une confiance mutuelle garante d'une durabilité de développement, des objectifs et des actions communes allant dans le sens défini par les autorités publiques à travers les différentes réglementations prescriptives spécifiques à l'eau. La gouvernance de bassin se situerait ainsi à la charnière de deux paradigmes : le paradigme d'autorité qui met les autorités publiques au centre du processus d'évaluation et de définition des règles procédurales d'une part et le paradigme de confiance mutuelle qui met les acteurs locaux au centre de processus de décision décentralisés définis dans l'esprit des procédures d'autre part. Dans cette perspective, la prévention des risques naturels ne peut pas se développer sans une prise de conscience et une mobilisation de tous les acteurs, des citoyens, des associations, des élus, des collectivités locales, des représentants de l’Etat. La population toute entière du bassin versant doit acquérir une culture du risque. La construction d'une “conscience commune” de l'eau pourrait être une des modalités à l'émergence de la gouvernance de bassin. Comme nous l’avons souligné plus haut, la logique de "bassin versant" n'a rien de naturel. Or, une véritable gestion intégrée de l'eau à l'échelle intercommunale articulée autour du bassin versant ne peut se construire qu'avec l'émergence d'une “ conscience commune ” de l'eau définissant une certaine forme d'identité partagée. Nombreux sont les moyens politiques, techniques et institutionnels actuellement développés sur la Canche pour médiatiser et ancrer cette nouvelle forme de représentation de la rivière et de l'eau dans la conscience collective : les discours publics et les slogans relayés par les médias écrits et audiovisuels, les “ journées sur l'eau ” organisées par des associations à sensibilité écologique, les formes de diffusion d'informations cartographiques sur l'eau dans la presse ou auprès des élus (atlas des zones inondables, projets d'aménagements intercommunaux présentés à l'échelle de la vallée ou du bassin versant), les excursions à travers le bassin versant organisées au cours de journées d'information du public, des élus 239. - 134 (dans le cadre de la CLE) ou encore des agriculteurs (pour la mise en place de mesures agrienvironnementales), les " classes bleues "... Autant d'initiatives qui, par leur récurrence, définissent le bassin versant comme l’espace incontournable de la gestion de l'eau. La gouvernance de l’eau pose également la question clef de l’implication des populations locales dans les prises de décision et définit pour principe le développement d’une stratégie participative avec tous les acteurs qui interviennent ou sont concernés par le risque. Une amorce est engagée dans le cadre de la commission locale de l’eau. Une telle démarche mieux adaptée aux conditions locales, pourrait ainsi garantir une plus grande efficacité des mesures engagées et une survie politique des lois. Tout en contribuant à établir une forme de responsabilité civile au regard du risque, la participation des acteurs locaux, à la lecture d’expériences passées (D. GETCHES, 1999), semble une réussite lorsque les cinq conditions suivantes façonnent l’organisation même de la structure de décision : la plus large représentativité possible des acteurs locaux, l’acceptation au préalable des règles de procédures afin d’établir la confiance entre les différents partenaires, la présence d’un médiateur extérieur aux conflits locaux qui crée un espace de neutralité nécessaire au dialogue, la mise en place de sous-commissions afin de collecter fonds et informations et de responsabiliser au sein de la structure l’ensemble des partenaires, la prise de décision par consensus. Donner un nom au territoire, en définir les limites, en représenter le fonctionnement et les dysfonctionnements, constituent les premiers jalons d'un processus d'appropriation d'un nouvel espace de gestion. 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Le régime de la gouvernance (le processus de la décision politique) valorise désormais un principe de discussions descendantes et remontantes (top down and bottom up, CHEVALLIER, 1996). L’expert, le technicien ou l’homme politique ne disposent pas, seuls, de l’autorité suffisante pour délimiter les frontières de ce risque d’inondation. C’est du moins ce que nous présente comme modèle pratique et théorique une importante partie de la littérature consacrée à la notion de risque (PERETTI-WATEL, 2000). De même, la littérature consacrée à la gestion de l’environnement valorise l’intégration de tous les acteurs concernés dans l’élaboration des projets (JEUDY, 1997 ; STENGERS, 1997). La parole des acteurs locaux, périphériques aux cercles traditionnels de la décision publique, est à présent valorisée. Elle doit être insérée dans le processus de décision. Et, si l’on suit toujours cette vision, le changement n’affecte pas seulement les lieux de la décision, mais aussi les modalités pratiques de l’élaboration de la décision. Non seulement il s’agirait d’une remise en cause du modèle hiérarchique, linéaire, technocratique et rationnel de la décision, mais de plus, on assisterait à une évolution des références théoriques et idéologiques qui fondent la source légitime de la décision. Les valeurs qui conditionnent la décision ne résulteraient plus exclusivement du savoir et du pouvoir émanant des élites traditionnelles (expert et décideur politique, auxquels on peut généralement associer les milieux économiques, LACASSE, 1995). Maintenant, le modèle démocratique renouvelé devrait s’accompagner d’une renégociation “ à la base ”, sur la forme (modes de la négociation) et sur le fonds (redéfinition des valeurs). Ce schéma s’insère certes dans une vision qui accorde toute sa place à la volonté octroyée au citoyen actuel d’étendre le champ de la pratique démocratique. On pense par exemple à de nombreuses analyses développant l’idée d’un renouveau des pratiques de démocraties locales, dans lesquelles l’écoute du citoyen devient l’élément pivot (BLONDIAUX et alii., 1999). On peut cependant regretter que ces analyses accordent encore peu de place à l’évaluation de l'influence de la parole des citoyens. Comment pèse-t-elle sur la décision finale ? On peut ensuite constater que le territoire concerné par ces études reste essentiellement ciblé autour de l'espace urbain (NEVEU, 1999). Si la littérature consacrée à la démocratie locale se situe essentiellement sur des espaces urbains, il s’agira, dans l'étude présente, d’apprécier si les particularités des modes de sociabilités dans l'espace rural permettent d’appréhender différemment à la fois les modes de négociation du risque d’inondation, et le mécanisme d’élaboration de cette notion. On peut émettre l'hypothèse centrale que l'espace rural constitue une zone particulière dans l'élaboration des politiques de concertation (MATHIEU, JOLLIVET, 1989 ; Problèmes politiques et sociaux, 2000). Les particularités des modes de sociabilités dans cet espace permettent-elles d’appréhender différemment à la fois les modes de négociation du risque d’inondation, et le mécanisme d’élaboration de cette notion ? La perception de l'environnement dans les zones rurales a connu récemment de profondes modifications (CROIX, 1998) ; cela n'est pas sans conséquence sur la manière dont on conçoit la gestion des questions environnementales sur ces espaces ruraux (ALPHANDERY, DEVERRE, REMY, 1996, p. 9-22). Dans l’étude de la perception et la prise en charge du risque d’inondation, il nous a semblé important de compléter les approches entreprises par les autres membres de l’équipe en concentrant notre analyse sur les usagers de l'eau (les propriétaires, riverains, les chambres d'agriculture, les structures sportives et ludiques, le conservatoire du littoral…), et plus particulièrement le mouvement associatif. L'analyse plus particulière de cet acteur permet de mieux comprendre la mise en place, le degrés d’ouverture et de concertation des politiques mises en place autour de la gestion de ce risque d'inondation. Les critères d’évaluation de la procédure de concertation doivent permettre d'interroger les processus - 138 décisionnels par une analyse sociologique du pouvoir et du positionnement des acteurs et de leurs interactions. Les associations ayant un rôle de relais entre la sphère technique et la demande sociale se doivent d'être associées et de participer activement à l’élaboration de ces dispositifs. Les cadres de concertation mis en place seront examinés mais également l’acteur associatif dans l’évolution de son positionnement, sa stratégie, et ses interactions avec les autres acteurs du système décisionnel. La présente recherche fait appel à différents outils (entretiens, analyses de réseaux…) qui prennent appuis sur une logique d’approche microsociologique des interactions. Suivant cette méthode, l’accent est porté sur des processus de conflit, d’intégration qui rendent compte des agencements sociaux et culturels producteurs d’ordres locaux (De CARLO, 1997). Dans un premier temps, nous présenterons le cadre spatial de cette enquête. Cela nous conduira à nous interroger sur la place d’un groupe particulier d’acteurs, les associations, au sein du processus de la décision. Nous nous interrogerons ensuite sur les principales caractéristiques de ces associations, en fonction de leurs objectifs respectifs et des liens qu'elles établissent entre elles. Sur la base de ce constat, il sera alors possible de saisir les perceptions du risque qu'elles véhiculent. Nous verrons que l'inondation fait l'objet d'une relative reconstruction historique, et qu'elle aboutie à des représentations différenciées du risque présent. La politique de concertation doit, en théorie, permettre de dépasser les divergences et les insuffisances propres à chaque acteur. En développant différents processus (information, contentieux ou participation), l'objectif est de construire un espace commun de dialogue, propice à l'élaboration d'une vision du risque, partagée par le monde local. L'étude des dispositifs formels et informels de cette concertation nous permettra d'examiner les critiques qu'ils soulèvent. Au-delà des processus existants, c'est bien la question même d'une possible élaboration collective de la notion de risque qui se trouve posée. Dès lors, on peut s'interroger sur la manière de développer à l'échelle du bassin versant de la Canche une "culture du risque". 11.1. Présentation du cadre de l’enquête 11.1.1. Délimitation spatiale L’étude s'est appuyée sur le matériau empirique constitué à partir d’une approche territoriale fondée sur les communes situées dans la zone définie en priorité comme zone inondable. L'enquête présente vise essentiellement à saisir les représentations de certains acteurs qui se caractérisent par un intérêt direct autour de la gestion du risque d'inondation. Nous avons privilégié la possibilité d'appréhender les représentations autour d'un territoire délimité, l'aval du bassin versant, à partir de la commune de Montreuil-sur-Mer 124. L'objectif était de saisir les confrontations croisées de quelques associations, de manière à saisir les espaces symboliques communs à ces associations. Il devenait alors possible d'examiner les interactions en place entre différents acteurs concernés à un titre ou à un autre, par le risque inondation. Mais cette délimitation devait être associée à la question de la concertation. L'espace concerné devait permettre d'examiner la manière dont les acteurs associatifs sont intégrés, ou pas, sur une base territoriale, à un dispositif “ spatio-administrative ” (sur le modèle de Sébastien CAQUARD, 2000, p. 229). En s’intéressant principalement au milieu associatif, on tente de comprendre la mise en place des 124 Il semble nécessaire de préciser que l'auteur est originaire de cette réunion et a effectué son service civile dans le cadre d'une association locale de protection de l'environnement. 139 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION politiques locales de concertation et la manière dont les représentations des associations en matière de risque sont pris en charge au sein de ces instances de débat. Bon nombre d’attitudes, de positions, de politiques telles qu’elles ont été analysées soulignent la grande fluidité des jeux des acteurs les uns sur les autres, leur dépendance réciproque, fortuite ou recherchée. Nous souhaitons repérer certaines situations rencontrées sur le terrain, afin d’en étudier l’influence sur le mécanisme de la gestion collective du risque d’inondation. 11.1.2. Délimitation des acteurs associatifs Sélection des associations Le nombre d'associations concernées par la Canche peut se révéler important. En tenant compte des associations de locataires, de propriétaires, des associations de protection de l'environnement stricto sensu, mais aussi des associations professionnelles (commerçants, agriculteurs…)… le nombre de structures intéressées à un titre ou à un autre par le risque d'inondation est notable. Trois axes nous ont permis de concentrer notre analyse sur quelques associations : 1/ quel est leur espace d'intervention : il devait concerner la zone du bassin de la Canche où une partie de celle-ci ; 2/ quel est l'objet de leur mobilisation : la question de la gestion de la Canche devait être un objet de préoccupation ; 3/ enfin, quelles sont leurs priorités thématiques ? En ce sens, la question de la gestion du risque devait faire partie d'un ensemble plus vaste, afin de comprendre les représentations en cours sur la Canche en elle-même, et ainsi de comprendre la place éventuelle de la thématique de la gestion du risque. Nous n'avons par conséquent pas souhaité nous limiter aux seules associations intégrées dans les lieux officiels de la concertation (comme le SAGE, cf. infra). Sur cette zone, nous avons pu identifier quelques comités de défense de riverains (Neuville-sous-Montreuil, La Caloterie) ou associations ayant une vocation plus générale autour des questions environnementales, avec une préoccupation toute particulière pour la Canche (comme le GDEAM). Soit en tout, une dizaine d'associations. Il est important de rappeler que le mouvement associatif qui a vocation à traiter prioritairement des questions environnementales reste, nationalement comme régionalement, un secteur faible. L’étude récente du CREDOC sur le mouvement associatif environnemental le confirme (AGOSTINI, CHIBRET, MARESCA, FABIANI, 1995). Elle fait apparaître qu’un département comme le Pas-deCalais comptait en 1991 moins de 10 associations environnementales agrées pour 1,2 millions d’habitants et le Nord une trentaine pour 2,5 millions d’habitants, soit autant que les Alpes de Haute Provence, six fois moins peuplées. De plus, les associations restent souvent cantonnée à un objet strictement délimité et ont une durée de vie relativement brève (JOLY-SIBUET et LASCOUMES, 1988). Présentation des structures étudiées 1/ Association des inondés du haut estuaire de la Canche (AIHEC) Nous avons rencontré M. Jean-Michel Graillot, Secrétaire de l'Association des inondés du haut estuaire de la Canche. Cette association a pour but "la défense des intérêts des habitants sur tous les sujets liés aux problèmes des inondations périodiques du marais de Neuville et de ses environs." (article 2 des statuts). Son siège social est situé à Neuville-sous-Montreuil. L'association est née après les inondations de 1988, qui avaient paralysé certains axes routiers et endommagé des dizaines d'habitations. "l'association se crée dans le malheur. Les gens sont dans le malheur. On est vraiment dans la misère. On a acheté 210 parpaings en 1994 [pour faire un chemin, avec des planches]. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 - 140 novembre 2000). Elle a été créée, parce que "qu'on s'aperçoit que du côté des politiques, y'avait visiblement pas une volonté de régler un problème. En fait, y'a que les gens qui ont les pieds dans l'eau qui se prennent par la main pour essayer de trouver des solutions." (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). La démarche résulte donc d'une mobilisation des acteurs directement concernés ("les victimes") par l'aléa. "1988, ça a été une catastrophe, c'est sûr. Y'a eu une prise de conscience à ce moment là, on s'est dit, puisque ça se répète et que ça bouge pas, les échos qu'on entendait à ce moment-là, c'était, oui fallait pas bâtir là, euh, en fait les gens qui n'ont pas les pieds dans l'eau ne sont pas concernés, et comme vous êtes minoritaires, en fait on vous laisse un peu tomber. On s'est dit à plusieurs, on était à une dizaine et on crée une association, parce qu'en France quand on est en association, le sous-préfet commence à lire les lettres. C'est tout, c'est comme ça. Dès qu'on est pas un groupe, on est pas pris en compte." (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). À son origine, elle comptait environ une centaine de personnes, et selon M. Graillot, presque exclusivement des riverains de la Canche. M. Graillot reconnaît cependant que son association a une activité très faible à la période de l'enquête. Dans l’ensemble, les associations d'inondés paraissent relativement immobiles. 2/ Groupement de défense de l'Arrondissement de Montreuil (GDEAM) Créé en 1972, le GDEAM veille “ à ce que la préservation de l’environnement soit prise en considération dans les décisions d’aménagement ” (www.asso.nordnet.fr/mnelille/GDEAM.htm). Le GDEAM fait partie de la fédération Nord-Nature qui regroupe une cinquantaine d’associations de protection de l’environnement. Le GDEAM dispose, depuis 1996 de salariés (deux permanents, et quelques personnes au contrat plus limité dans le temps) et d'un local (depuis 2000, situé sur la commune d'Attin). Nous avons rencontré Marc Everard, le directeur du GDEAM. Il s'agit donc d'une structure importante par son dispositif technique mais aussi par les activités réalisées (elle a par exemple mobilisé plus de 6 500 participants lors des de 316 interventions — sorties natures, animation scolaire, accueil de groupe… Il faut aussi préciser que l'association participe à l'élaboration des travaux d'études et d'expertise sur la faune et la flore locale). L’association joue avant tout un rôle d’information et de sensibilisation aux problèmes environnementaux vis-à-vis du public et, parfois même, des dirigeants. Elle a réalisé, avec le soutien des pouvoirs publics (DIREN et Conseil Régional), des plaquettes et des posters d’information sur des sujets, comme l’érosion ou les inondations et sécheresses. Autour de la Canche, les activités de l'association se concentrent sur trois axes : la gestion des milieux naturels (en partenariat avec d’autres organismes) ; la promotion et défense de la réserve de la Canche (l’association a contribué à sa création et fait partie de son comité de gestion) et un rôle d'information/sensibilisation sur la Canche. Ainsi, des réunions d’information ont eu lieu, des expositions ont été réalisées (la dernière date de janvier 2000) et des sorties pédagogiques pour les élèves de la région ont été organisées (avec un encadrement du GDEAM). Un colloque sur le risque d’inondation a aussi été organisé. 3/ Syndicat intercommunal d'aménagement de la basse vallée de la Canche (SIABVC) Nous avons rencontré M. René Bakowski, président du SIABVC (il est aussi le maire de la commune d’Attin, jusqu'en 2001). Bien sûr, il ne s'agit pas d'une structure associative. Mais cette organisation détient un rôle pivot dans les débats locaux sur la question de l'aménagement de la Canche. R. Bakowski a été au début des années 70 président d'un syndicat mixte analogue au SIABVC. À la création de celui-ci, il en devient le président. Il explique son élection à la tête du syndicat par une action des élus des petites communes qui ne souhaitaient pas voir le poids des élus importants (Touquet, Montreuil…) se renforcer par l'utilisation de cet outil. Crée le 16 décembre 1987, le syndicat est un syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU). Il “ a pour vocation l’aménagement de la rivière. Il entreprendra tous travaux et études nécessaires à cet 141 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION objectif, il sera également compétent pour les travaux d’entretien de la rivière et des berges ” (Statut du Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la Basse Vallée de la Canche, article 3). Le siège social est situé sur la commune d’Etaples-sur-Mer. Il est administré par un comité de 37 membres. Ces membres sont désignés en fonction de la taille des communes (2 membres pour les plus peuplées, 1 seul pour les autres). Ses besoins financiers sont constitués des participations des différentes communes (au prorata de la longueur de rive et des fonds disponibles, avec un minimum de 1 % du budget communal) et des subventions. Ces dernières représentent 80 % du budget du syndicat. Elles proviennent des ministères de l’Agriculture et l’Environnement (ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement), de l’Agence de l’eau Artois – Picardie et du Conseil régional du Pas-de-Calais (subventions pour les emplois). Il gère un budget de 8 millions de Francs. Pour réaliser ces missions, le SIABVC emploie une équipe de 6 personnes (entretien du fleuve et sa gestion), un secrétaire général (pour la gestion financière) et une chargée de mission (pour l’élaboration et l’animation de projets). La première de ces missions passe par un entretien régulier de la rivière (nettoyage, entretien de la végétation le long des berges pour empêcher l’érosion...) puis, par la réalisation de programmes de travaux de protection contre les inondations et de restauration des zones d’expansion des crues. Suite aux graves inondations de 1994 et 1995, qui avaient montré la limite des simulations mathématiques (effectuées à l’époque par un cabinet spécialisé dans l'étude fluviale et maritime : la SOGREAH), un programme d’action de lutte contre les inondations, étalé sur cinq ans, est proposé. Les premiers travaux ont lieu en 1998, avec comme maître d’œuvre, la DDE. Les travaux ont porté sur les endiguements (améliorations des digues existantes ou création de nouvelles), la création de station de pompage et le rétablissement des champs d’expansion des crues. La seconde tranche des travaux devrait commencer au cours de l’année 2000. Ces aménagements ont coûté près de 2,85 millions de Francs et ont été financés en partie par la DIREN (30 %), la DDAF (20 %) et la dotation de développement rural (20 %). Le coût total des travaux est estimé à environ 13,5 millions de Francs. Mais le problème n’est pas pour autant résolu car les travaux ne portent que sur sept communes appartenant au SIABVC . Cette première phase a souffert de conflits, avec les populations locales et notamment les propriétaires terriens qui s’opposaient au rachat des terres, pour le rétablissement des champs d’expansion des crues. Le SIABVC a vocation à "favoriser l'écoulement en nettoyant le lit de la Canche" afin de lutter contre les inondations. Il vise à "engager une réflexion cohérente et globale visant d'une part à comprendre les mécanismes des inondations et d'autre part à dresser un inventaire des solutions proposées". Dans cette optique, il souhaite mettre en place des opérations sur certains sites (curage, déboisement, nettoyage externe et interne, endigage, dératisation…). Deux autres objectifs sont signalés: la mobilisation des communes et une action d'information vis-à-vis des riverains (usagers et pollueurs). Mais, précisons-le, le secteur associatif n'est pas spécifiquement concerné en terme de mobilisation ou de partenariat. Le syndicat a en charge deux missions principales : la protection contre les inondations liées aux crues du fleuve et aux phénomènes de ruissellement et d’érosion depuis les bassins versants (voir "une mobilisation exemplaire contre l'érosion des sols", in Le Syndicat Agricole, 12 décembre 1997, p. 17) d'une part, et la surveillance, l’entretien et la gestion du fleuve et de ses berges d'autre part. Il souhaite notamment, pour cette dernière mission, procéder à une action de concertation importante. Ainsi, il organise en décembre 1999 une réunion pour analyser "les différentes possibilités de la région, les techniques agricoles, dans l'agriculture et avec les quelques maires des communes riveraines." (Journal de Montreuil, 6 décembre 1999). Progressivement, le syndicat va étendre ses domaines d'intervention et élargir sa zone géographique (voir le compte rendu important que lui consacre le Journal de Montreuil, 10/02/92, "La Canche au fil de ses méandres, ou l'action du Syndicat d'Aménagement du Touquet à Maresquel"). Le syndicat compte aujourd’hui 30 communes riveraines de la Canche ou de l’un de ses affluents (la Course ou la Ternoise)125. Il s’étend depuis Hesdin jusqu’à l’embouchure à Etaples sur Mer. Le syndicat 125 Communes : Attin, Beaumerie Saint Martin, Beutin, Brexent Enocq, Brimeux, Etaples sur Mer, La - 142 Le syndicat intercommunal réfléchit actuellement, à un projet de gestion globale de l’inondation, à l’échelle du bassin versant. Ce projet rentrerait dans le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) de la Canche. À terme, le syndicat devrait même disparaître, au profit d’un syndicat regroupant l’ensemble des communes du bassin versant, pour arriver à une gestion globale du problème. 4/ Contacts informels Signalons une rencontre informelle (mars 2001) avec des responsables d'une association de loisir (canoë), mais qui n'a pas fait l'objet d'un approfondissement (les personnes nous ont souligné que cette rencontre se suffisait). Le Groupement des associations de pêche et de piscicultures de la Canche est créé en 1994 (il prend la suite du Groupement des Associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique de la Vallée de la Canche). Dans un entretien au Journal de Montreuil (avril 1999), Jean-Marie Lassimonne, l'actuel président, présente les objectifs du groupement. Il a vocation à défendre les intérêts des pêcheurs, et de promouvoir une "pêche populaire et démocratique", et d'assurer la protection du milieu aquatique. Il a aussi comme fonction de participer aux opérations de prévention de la pollution et de mise en valeur de la Canche et de ses affluents. D'une manière générale, le groupement a vocation de collaborer aux réflexions et décisions des organismes où la pêche est partie prenante. À ce titre, le groupement a aussi pour ambition d'être un partenaire actif des collectivités locales, syndicat intercommunal, conseil général et régional, et des divers organismes ayant trait à la gestion de l'eau. J.M. Lassimonne nous a précisé, lors d'une rencontre informelle en janvier 2001, que la question du risque faisait "bien" partie de leurs préoccupations. Enfin, l'ASAD Canche Authie n'a pas estimé nécessaire de nous rencontrer, au motif que la question du risque n'entrait pas dans le champ de leur compétence. Nous devons préciser que les représentants du monde agricole n'ont pas souhaité répondre à nos questions. Ces entretiens sont complétés par différentes études documentaires (revue de presse, études d’archives des associations…). Enfin, une série d’observation sur le terrain permettent de renforcer le dispositif de cette recherche. 11.2. Un tissu associatif atomisé L'atomisation du secteur associatif local se caractérise par deux aspects. Le premier concerne la différence des objectifs, et le second met en relief l'absence d'échanges entre les associations locales. 11.2.1. Différence des objectifs La littérature consacrée à la question de la représentation de l’environnement estime que “ la notion d’environnement est spontanément, c’est-à-dire culturellement, anthropocentrée et l’imprégnation résidentielle en est le principal moteur ” (MARESCA, HEBEL, 1999, p. 21). Rares sont les personnes qui perçoivent l’environnement “ comme un objet concret que l’homme peut gérer, et que ses pratiques peuvent affecter ou modifier ”, autrement dit comme un enjeu politique (COLLOMB, Caloterie, La Madeleine sous Montreuil, Neuville sous Montreuil, Saint Josse sur Mer, Le Touquet ParisPlage, Beaurainville, Maresquel, Marenla, Lepinoy, Contes, Aubin Saint Vaast, Bouin Plumoison, Marconne, Marconnelle, Hesdin, Huby Saint Leu, Guisy, Grigny, Le Parcq, Auchy les Hesdin, Sainte Austreberthe et Tubersent. 143 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION GUERIN-PACE, 1998, p. 160). Ainsi, il est du ressort de chaque agent de construire et légitimer sa propre perception de l’environnement. C’est un mécanisme classique, même si les typologies peuvent varier en fonction de la proximité ou de l’intérêt que l’on manifeste vis-à-vis de cet objet. Pour autant, comme nous l'avons rappelé dans une étude sur les mobilisations associatives dans le Bassin Minier (VILLALBA, EPÉE, 2001), les relations existantes avec l’environnement ne pouvaient se réduire autour de la question de la “ défense ” ou de la “ préservation ”. L’importance des associations de jardins ouvriers, de colombophilie, des sociétés de pêche et de chasse, par exemple, atteste d’un rapport à la nature dont on ne peut pas a priori exclure qu’il véhicule un souci pour la préservation du cadre de vie, activable en certaines circonstances. C’est, par exemple, très souvent après avoir mesuré les conséquences de la pollution sur les cultures potagères, sur la qualité de l’eau des étangs de pêche ou encore sur les performances reproductives de leurs pigeons que certains riverains ont été conduits à dénoncer certaines entreprises polluantes. Les associations de la Canche étudiées ne dérogent pas à ces principes généraux. Ainsi, la question "résidentielle" est particulière pertinente pour caractériser les objectifs de AIHEC. C'est à travers ce prisme que se conçoit et se structure la perception de l'environnement et donc la conception de l'aménagement de la Canche. D'autres insistent sur des objectifs plus ludiques (pratique d'un sport ou d'une activité de loisir, comme le canoës-kayaks, ou la plongée…). Chaque acteur a alors tendance à cantonner les objectifs des autres dans des limites étroites. Concernant l'action des comités de défense, le SIABVC considère qu' "ils ont une action qui concernent leur petit secteur, par exemple, Neuville-sous-Montreuil, y'a quinze ou vingt maisons inondées, ça concerne que ces maisons, ça s'arrête là, y'a pas une prise de conscience complète d'un village, d'une région… (…) Les riverains aident dans leur secteur, ils n'ont pas une vue d'ensemble. (…) Chacun a son intérêt. (…) Ils défendent leur petit ou leur grand problème. Ils reçoivent une information, ils vous disent si c'est bien, mais ce qu'on veut nous c'est être libéré des inondations. " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). Il mobilise ainsi un registre classique de la disqualification d'un acteur au motif qu'il se limiterait à une vision réduite de l'intérêt collectif (JOBERT, 1998, p. 67-92). Il convient alors d’analyser plus précisément cette notion omniprésente du “ nimbyisme ”, selon laquelle non seulement les habitants ne pourraient être motivés que par une sorte ou une autre “ d’intérêt particulier ” (notion qui doit ellemême être soumise à une analyse critique), mais selon laquelle également ils ne seraient pas compétents pour exprimer un point de vue sur les enjeux globaux portés par un projet localisé (figure de l’intérêt général). Un certain nombre d’auteurs émettent des réserves sur la pertinence même de la catégorie de Nimby, à l’instar de Muriel Tapie-Grime pour qui c’est “ une catégorisation péjorative qui consiste au bout du compte à produire un jugement d’incompétence à participer à une décision publique ” (TAPIE-GRIME, 1997). Quant au GDEAM, une association qui ne cesse d'afficher une vocation généraliste, le président du SIABVC estime que" [il] donne son avis. Mais les écologistes sont encore marginalisés, c'est encore des rêveurs." (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). Il ne s'agit pas de critiquer le manque de sérieux de cette association, dont il fait par ailleurs l'éloge, mais simplement de mettre en avant une disqualification implicite véhiculée contre les écologistes (ils ne seraient pas assez en phase avec les contraintes de la réalité). 11.2.2. Une carence des relations entre les associations Les contacts avec les autres associations restent faibles, et lorsqu'ils existent, ils se limitent à des coopérations ponctuelles, essentiellement sur la base de rapports interpersonnels. Lorsqu'on l'invite à nommer des associations avec qui il collabore, M Graillot évoque deux autres associations, mais avec difficulté. Il désigne l'association des riverains de Jacky Menuge à la Caloterie et une autre : "je crois qu'il y a quelqu'un qui s'est occupé des inondations à Ecuire." Lorsque nous lui citons les noms de Nord-Nature et du GDEAM, il précise : - 144 "on a pas de liens, au niveau de la gestion, ces gens-là, à la limite, diraient, il faut racheter les maisons, on va tout raser, et laisser faire les choses, ils sont un peu trop idéalistes. (…) le GDEAM c'est un contre-pouvoir. Une association, ça dérange une administration. Mais moi, qu'est-ce que je fais avec le GDEAM, j'vais aux champignons, aux ballades (…) " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). De son côté, le GDEAM estime avoir une position plus généraliste, ce qui conduit parfois à une certaine incompatibilité avec une vision plus délimitée de l'action associative. "on se démarque des associations de riverains. Le GDEAM se situe sur une échelle différente. On intervient sur des problèmes à l'échelle de l'arrondissement. On a pas de positions de principes (on est pas toujours contre), mais on amorce une réflexion plus globale" (M. Everard, entretien du 3 novembre 2000). Pour l'AIHEC, la répartition des compétences est plus précise, et tant à délégitimer par avance toute avancée d'autres associations dans le domaine de l'inondation. "mais sur le plan hydraulique, c'est pas des gens, c'est pas leur boulot, maintenant qu'ils aient leur mot à dire sur la manière pour que ça respecte la nature, pourquoi pas, c'est normal qu'il soit concerné, mais maintenant le GDEAM met pas son nez dans ces affaires-là, j'sais pas. Y'a eu une grosse réaction du GDEAM à partir du projet de barrage. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Par contre, on trouve une vision relativement commune vis-à-vis des associations de pêcheurs ou de loisirs. L'AIHEC et le GDEAM ont des relations interpersonnelles avec ces structures. Ils n'ont pas fait état de relations officielles, de structures à structures. Par ailleurs, il semble que les objectifs soient assez éloignés : "les pêcheurs et les chasseurs ne se sentent pas concernés, ils vont venir, pour défendre leur chemin de rive, mais l'inondation par elle, ça lui crée pas de misère particulière. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Le SIABVC ne partage pas le même point de vue, tout en nuançant le degrés d'implication de ces structures sur les projets généraux d'aménagement. "Les pêcheurs, c'est 10 sur 10. Ils nous aident beaucoup, je dirais très bien, pas de problèmes de ce côté-là. Si on leur demande ils participent. Les pêcheurs se sentent concernés par l'eau, c'est sûr. C'est une qualité. " (R. Bakowski , entretien du 3 novembre 2000). Le milieu local ne déroge pas aux règles traditionnellement mises en avant pour détailler le fonctionnement des associations entre elle (AGOSTINI, CHIBRET, MARESCA, FABIANI, 1995). Chacun des acteurs interrogés cantonnent l'autre dans un secteur d'activité particulier. "y'a pas de débat commun sur la Canche. Chacun a un intérêt particulier. Mais, les pêcheurs, y nous aident. Les agriculteurs, eux, c'est l'eau pour irriguer. "(R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). Où bien, on souligne combien les objectifs généraux des autres associations seraient, par certains aspects, incompatibles avec ses propres orientations. "On se démarque des associations de riverains. Le GDEAM se situe sur une échelle différente. On intervient sur des problèmes à l'échelle de l'arrondissement. On a pas de positions de principes (on est pas toujours contre), mais on amorce une réflexion plus globale" (M. Everard, entretien du 3 novembre 2000). Par contre, l'association ne développe pas non plus de partenariats locaux avec les associations d'inondés, en vue, par exemple, de construire une vision plus large de la gestion des inondations. De là naissent certaines difficultés à instaurer des relations plus profondes. Il est par conséquent difficile d'établir des coopérations plus étroites entre les associations concernées par l'espace de la Canche. Les intérêts sont perçus, par essence, comme divergents, ou bien alors, il est difficile de construire des espaces de rencontre et de mutualisation des savoirs. Cela ne fait que souligner le manque d'information sur les structures existantes, leurs rôles, leurs orientations et leurs stratégies. Cette situation traduit d’une part l’existence d’un cloisonnement des activités associatives, d’autre part 145 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION la volonté d’indépendance qui caractérise les petites organisations locales : “ Une seconde propriété du réseau réside dans la faiblesse des liens organiques. Ce trait structurel est une des conséquences de l’emprise du local et de la remise en question du modèle fédératif. (…) L’appartenance à un groupement ou une union départementale ne se conçoit que dans la mesure où elle n’hypothèque pas sa latitude dans la gestion des affaires locales ” (AGOSTINI, CHIBRET, MARESCA, FABIANI, 1995). Mais les personnes rencontrées ne mentionnent pas non plus de conflits importants, ni de différents exprimés. Il n'est donc pas exclu que sur un projet précis, il puisse s'établir une collaboration. Par exemple, M. Bakowski, qui est aussi animateur au sein du Club subaquatique de Montreuil-sur-Mer, a associé cette structure à certaines opérations du SIABVC, autour d'opérations communes (nettoyage du fond de la Canche… Journal de Montreuil, 26/03/92). Il n'a donc pas d'opposition de principe à collaborer avec ces structures, mais on peut considérer qu'il s'agit plus d'une difficulté à construire un espace commun de rencontre et de dialogue. 11.3. Une perception diffuse de la notion de risque Si l’on suit les analyses de Beck, nous serions rentrées dans une “ société du risque ” (BECK, 1994a et 1994b). Dès lors, la question essentielle dans la prise en compte du risque n’est plus simplement ce qui est “ assurable ”, mais de comprendre son “ acceptabilité ” (LASCOUMES, 1992, p. 138-142). Le risque devient une notion marquée par sa dimension interrelationnelle. La manière dont les associations vont se saisir de cette question et en faire un objet de négociation, voire de mobilisation, nous informe sur ce qu'elles entendent par "risque". Au cours des entretiens, nous avons testé l'hypothèse que les représentations actuelles pouvaient s'appuyer sur une approche historique commune des inondations. Mais cette hypothèse a été invalidée par les commentaires. L'absence de mémoire collective s'ajoute à la diversité des objectifs de ces associations. Par conséquent, il n'est guère étonnant d'aboutir à une vision très hétérogène de la notion de risque. 11.3.1. Les inondations, une histoire oubliée ? Lorsque l'on interroge ces responsables sur la mémoire du risque, on constate que cette idée n'a pas fait l'objet d'une réflexion importante. Les remarques peuvent avoir un caractère historique, sans toutefois s'interroger sur la mise en place d'un mécanisme plus structurel (en terme d'occupation des sols, de la diversification de leurs usages…). "des inondations, c'est vrai qu'il y'en a eu tout le temps, parce qu'ici, historiquement vous êtes dans une baie, qui était en fait un port, puisque Montreuil était sur mer et c'était le premier port des Capétiens, on est là dans les années mille et quelques, c'est sûr que l'eau a baissé depuis, donc on se trouve dans un marais qui a été plus ou moins squatté par les habitations et surtout par l'agriculture. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). L'idée d'une fatalité de l'inondation est cependant une constante, amplifiée par la répétition même de l'événement. L'inondation fait partie de la vie à côté de la rivière. L’inondation est donc perçue comme un facteur “ naturel ” de la vie collective, sur lequel il est difficile de construire un discours social. Pour M. Everard, "le risque d'inondation n'existe que sous l'angle humain. On a donc une prise de conscience ponctuelle. Dès que la crise est passée… la mémoire est très courte " (entretien 3 novembre 2000). Il précise que le rythme politique — avec les changements des élites locales — ne facilite pas non plus l'élaboration d'une mémoire collective. En fait, il soulève la responsabilité de la prise en charge de cette mémoire. M. Graillot reconnaît aussi que la mobilisation est liée aux rythmes des saisons et des inondations… Une mobilisation se met en place lors de courtes périodes. L’aléa inondation pèse alors, pendant une courte période, de tout son poids sur les individus (présence d’autant plus difficile à admettre que dans - 146 cette région, les inondations sont longues et durent parfois plus d'un mois). On retrouve le constat établi en d'autres endroits, selon lequel “ la population ne se mobilise qu’épisodiquement, sur le mode réactif et défensif, à la suite d’un événement catastrophique ou pour s’opposer à la dévalorisation des biens fonciers et immobiliers ” (DECROP, 1995, p. 75). La population locale ne semble pas faire de la question des inondations une priorité dans les débats. L'inondation ne soulève pas réellement de conflits importants (les nuisances restent localisés et concernent peu de riverains). Comme l'explique R. Bakowski : "la population est indifférente, sauf quant ils ont les pieds dans l'eau, alors là, ils gueulent (…) et encore juste les riverains, sinon les autres, ça passe… " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). Q. : vous n'avez jamais fait de réunions publiques sur le thème de l'aménagement et des inondations? R. B. : Ah si, si, si… Q. : Et alors, qu'est-ce que cela donne ? R.B. : Rien (rires)… les gens viennent, mais ça ne donne rien du tout, après-demain, on recommence… On peut évidemment constater la distorsion entre les nuisances vécues et perçues et les réactions collectives. Faut-il expliquer cette relative faiblesse par l'efficacité de la politique de politique de prise en charge de l'indemnisation (CHIAPPORI, 1997), qui aurait contribué à désarmer les conflits autour des conséquences des inondations ? "on a tout fait reporter sur l'assurance. Mais en tant qu'assureur, je trouve que l'Etat s'est débarrassé sur le dos des… la solidarité nationale n'existe plus. On est dans un système pourri. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Ainsi, on peut estimer que l’on est passé d’une phase du droit à l’indemnisation126 à une phase du droit à l’information. On peut aussi supposer, mais l'enquête présente ne peut le démontrer, que l'absence de mobilisation est aussi liée à un défaut d’identification des questions économiques liées à ce problème. Pour autant, il ne convient pas non plus d'objectiver à outrance l'histoire des inondations. Cette perception n’est pas immuable. Si l’espace concerné par les inondations reste globalement stable dans le temps, les acteurs concernés par ces crues se transforment. On assiste à une évolution démographique, ou bien encore à une requalification des espaces concernés (développement des zones de tourisme par exemple…). Nous n'avons donc pas rencontré une communauté de vue autour de l'inondation ; soit elle n'apparaît pas dans les discours des acteurs, soit elle est intégrée dans une thématique plus restrictive. Nous sommes davantage en présence d'une perception esthétique et utilitaire de l'espace humain concerné. Par conséquent, il ne semble pas y avoir de références historiques partagées de la Canche, en général, et de ses inondations en particulier. 126 Cela se focalise sur la question des assurances et des indemnisations, en tenant compte de la logique spéculative pour concilier les intérêts des acteurs concernés. 147 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 11.3.2. Des perceptions différenciées du risque L'absence d'une telle mémoire collective explique, en partie, cette difficulté à structurer quelques éléments de références partagés par les associations. Les causes et les conséquences des inondations restent soumises à l'interprétation de chaque acteur. Un risque évalué et accepté ? Évaluer le risque d’inondation suppose de pouvoir délimiter la zone géographique concernée, les acteurs participant à la définition de ce secteur et surtout, le contenu de la notion de risque. Cette approche associe une logique territoriale et temporelle. L'évolution des interactions de l'homme et de son milieu permet de comprendre la complexité des situations actuelles. C'est en ce sens qu'une mémoire partagée de ces interactions permettrait sans doute pour les acteurs associatifs de se situer dans ce rapport territorial. La continuité historique permettrait d'informer tout autant sur le danger possible, que sur les conditions économiques, technique et politique concernés par ce danger. Accepter le risque se déduit d’une appréciation historique (permanence et gestion de l’inondation), économique (évaluation et indemnisation), autant que culturelle (donnée “ naturelle ” de la vie locale ; réflexion sur la mémoire…). Cela permet aux individus mais aussi aux représentants associatifs, d’élaborer une “ appréciation raisonnable ” du risque. Elle se construit sur une délibération entre des sujets responsables, conscient et acceptant la potentialité du risque. Par conséquent, “ la dimension de responsabilité individuelle s’efface au bénéfice d’une prise en charge collective à laquelle est déléguée la construction de choix raisonnables dans les différents contextes d’actions ” (HERIARD DUBREUIL, 1997, p. 74.). En ce domaine comme dans toutes questions touchant l'environnement, il est important de saisir les représentations en présence (RUDOLF, 1998). On peut constater que la définition de la notion de risque et de ses frontières résulte d’une confrontation de représentations de différents acteurs. Or, l’appréciation du risque demeure avant tout un “ choix individuel ” (HERIARD DUBREUIL, 1997, p. 67-75). Il n’entre pas dans le cadre de ce rapport d’apprécier le niveau d’acceptabilité du risque par les habitants. Il s’agit de comprendre comment les associations prennent en charge cette représentation du risque pour lui donner une dimension plus collective. La gestion sociale du risque construit une norme d’acceptabilité ; les associations peuvent, en collaboration avec les services administratifs et les autorités politiques locales, participer à l’élaboration des conditions d’acceptation du risque. D’autant plus que nous sommes ici dans un cas de figure où le risque n’est pas lié à un événement singulier (catastrophe — GILBERT, 1990 —, erreur technique, facteur humain…), mais résulte d’une probabilité largement démontrée par le passé. Pour le bassin de la Canche, nous ne sommes plus en face d’un contexte d’exposition aléatoire par le sujet du risque, mais dans un espace où le risque est, globalement, mesuré et évalué. Pour M. Everard, le rôle des associations en matière d'inondation se situe "au bout de la ligne droite" (entretien M. Everard, le 9 novembre 2000). Il nous a expliqué que pour le GDEAM la gestion du risque était un enjeu de sécurité publique, et qu'il échappait donc des priorités d'action des associations environnementalistes. Ces dernières ayant davantage vocation à être vigilante sur la gestion de l'espace dans le souci du respect des équilibres écologiques. Lorsqu'on lui demande quelle définition il pourrait donner du risque, il explique qu'"on y a pas pensé avant (…) est-ce qu'on a du temps à perdre avec cela ?". M. Graillot quant à lui a considéré que la gestion du risque devait se concevoir comme « une politique d'aménagement de la Canche en vue d'éviter toute inondation ». L'AIHEC est assez exemplaire du mécanisme d'évaluation de la menace. La perception de la gravité résulte d'une proximité avec l'eau. Celle-ci construit une forte impression de vulnérabilité individuelle (probabilité de l'inondation par exemple). Le discours est alors fortement personnalisé. Un sentiment qui se trouve renforcé par le sentiment d'isolement vécu par les victimes des débordements de la rivière. Par conséquent, il est difficile à ces riverains d'objectiver leur rapport avec le risque d'inondation ; ce dernier n'est pas estimé comme un simple "risque" (dans une appréciation sommaire), mais comme une "réalité" néfaste. - 148 J.-M. Lassimonne nous a présenté une vision très généraliste de cette notion du risque, invoquant davantage l'idée d'un défaut d'aménagement qu'une réelle gestion globale au niveau du bassin. Dans la gestion du risque d’inondation, les sociétés agréées de pêche (Montreuil, Brimeux, Beaurainville et Hesdin) jouent un rôle plus que minime. Cela consiste essentiellement à l’entretien des berges et des digues pour protéger étangs de pêche et zones de chasse. Les modalités de traitement ou de prises en charge du risque restent essentiellement cantonnée dans une logique de l'aménagement : réalisation d’ouvrages, installations lourdes destinées à réguler le débit… Mais, une fois encore, cette vision n'est pas partagée par tous les acteurs. Soit ils ne sont pas d'accord sur les endroits qu'il faut aménager, et suivant quelles priorités (AIHEC) ; soit ils sont très sceptiques sur l'utilité même de ces aménagements (GDEAM, SIABVC). Ainsi, R. Bakowski est plus nuancé sur l'utilité des digues. Au cours de réunions publiques, il tente de convaincre l'auditoire de l'insuffisance de ces aménagements : "R. Bakowski a joué les pédagogues pour expliquer comment fonctionne la rivière, pourquoi elle déborde aussi rapidement et l'inutilité des digues, que l'on élève depuis vingt ans et qu'il faut sans cesse renforcer. Le président du syndicat a une autre ambition : celle de rendre à la rivière les terres inondables, ces centaines d'hectares de marais qui servaient d'exutoire aux crues de la Canche et que l'on a peu à peu supprimés. C'est à cette seule condition que les habitations ne seront plus inondées, car quels que soient les travaux et leur coût, il semble déraisonnable de vouloir contrarier le passage de la rivière en crue." (Journal de Montreuil, 06/04/99) Enfin, il faut tenir compte du pouvoir d'intervention des autorités municipales dans la définition et la prise en compte de cette notion de risque. Le maire et ses adjoints sont les seuls gestionnaires de la gestion du risque dans la commune. Au niveau de la Canche, gérer le risque, c’est prendre en compte, en grande partie, l’aléa inondation dans les documents d’urbanisme (c'est-à-dire, faire en sorte que les inondations ne touchent pas les habitations en réglementant les constructions). Cette gestion se fait par l’intermédiaire d’un Plan d’Occupation des Sols (POS). Or, seule la commune d’Attin, dispose à ce jour, d’un POS. La réticence à se doter d’un tel outil, peut se comprendre par le fait, qu’il fait chuter les prix des terrains qui se retrouvent en zone inondable. Les communes qui ne disposent pas d’un POS, sont dites en MARNU et ont leur urbanisme géré par la DDE. Ce dernier cas représente 60% des communes françaises (BECHU, FILIGANI et ROCHARD, 2000, p. 33.). Comment expliquer que dans la Canche, les POS soient si minoritaires ? Une première explication tient peut-être à une culture juridique peu développée. Les communes, pour beaucoup rurales, et plus particulièrement les maires de ces petites localités, ne veulent pas prendre la responsabilité de la gestion de l’urbanisme et, préfèrent déléguer à la DDE qui, il faut le mentionner, ne refusait pas beaucoup de permis de construire. Une seconde explication tient à la nature touristique des lieux. Montreuil et surtout le Touquet attirent de nombreux touristes et il n’est pas question de faire baisser le prix des terrains et encore moins “ d’afficher le risque ”. Enfin, le Plan de Prévention des Risques (PPR) actuellement en discussion n’incite pas les élus à adopter un POS. Le PPR doit servir à délimiter les zones directement exposées à des risques. À l’issu des négociations (nous y reviendrons par la suite), un plan de zonage réglementaire doit émerger : “ Le plan délimite les zones dans lesquelles sont applicables des interdictions, des prescriptions réglementaires homogènes, et/ou des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde. Conventionnement, ces zones sont définies sur des critères de constructibilité ou d’usage des sols, mais, dans un second temps, elles peuvent l’être également sur des critères de danger. Ceci produit à considérer deux types de zones, les unes inconstructibles, dites “ rouges ”, les autres constructibles sous conditions, dites “ bleues ”... ” (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, PPR : Guide méthodologique, "Elaboration du dossier du PPR inondations", p. 67-84.). Au final, les usages différenciés et segmentés de la Canche, que l'on retrouve dans les objets des associations, ne permettent pas de construire une communauté de vue partagée entre les représentants associatifs. Un faible facteur de mobilisation ? La faible mobilisation des associations autour de la définition du risque d’inondation résulte de plusieurs facteurs. On considère généralement que la participation des acteurs sociaux à la finalité des prescriptions environnementales est l’une des conditions de leur réussite (notamment dans la littérature consacrée à la gestion de la qualité de l’eau, ou de la préservation de l’environnement, LASCOUMES, 149 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 1994). Derrière cette hypothèse, il est sous-entendu que l’on considère qu’il existe une “ situation de crise ”, ou tout au moins de risque, qui nécessite la coopération des acteurs qui y sont soumis. La participation de tous est alors souhaitée, en vue d’élaboration une solution collectivement acceptable. Ainsi, l’on peut confronter et concilier les points de vue éventuellement antagonistes ou tout au moins divergent. Mais que faire lorsque la situation locale n’est pas perçue par les agents locaux comme une situation de crise ou de risque ? Dans le cas présent, nous avons pu constater que l'inondation ne constituait pas une "crise". La notion de risque négocié, comme l’explique Geneviève Decrop, participe d’un travail important et régulier “ d’appropriation/réappropriation du danger par un collectif humain [avec l’avantage] de laisser à la collectivité concernée la responsabilité de déplacer le curseur de la prévention sur le continuum qui va du risque éradiqué au risque accepté ” (DECROP, 1998, p. 12). Par ailleurs, comme nous l'avons déjà évoqué, la prise en charge collective des conséquences de l’inondation désamorce les conflits (TRICOT et LOLIVE, 1999, p. 185-194). L’insertion de la notion de risque au sein d’une vision plus globale en terme de développement économique de la zone géographique concernée permet aussi de comprendre les raisons de la faiblesse des mobilisations autour du risque d'inondation (BASSAND et JOYE, 1999, p. 55-60). La gestion intégrée du risque d’inondation se trouve assujettie au développement économique territorial. Le risque environnemental est par conséquent inséré dans une vision plus large, d’essence économique, qui relativise ce risque. Les autorités politiques et techniques valorisent leur capacité à maîtriser le risque, tout en privilégiant l’insertion de ce risque dans une logique d’aménagement et de développement économique de la zone (sur la place croissante prise par les logiques économiques dans l’élaboration des interventions publiques devant répondre aux problèmes environnementaux, voir RUMPALA, 1999). Cette vision est largement partagée par le secteur associatif rencontré. Tout cela peut contribuer à diluer les enjeux environnementaux devant les intérêts économiques… Nous n'avons pas rencontré de perception globale du risque, notamment à l'échelle territoriale du bassin versant. Cela peut constituer un puissant motif de disqualification du discours produit par certains acteurs associatifs, car la réflexion et l'élaboration des politiques se construisent à cette échelle. Sur la base de ce constat, faut-il en déduire que l’espace local fonctionne correctement autour de l’élaboration d’une norme collective du risque acceptable ? Faute d’avoir pu étudier l’ensemble des mécanismes du système politico-administratif et ses liens avec les acteurs de la société civile, il serait sans doute présomptueux de répondre par l’affirmative. Cependant, il faut insister ici sur l’absence de conflit autour de la négociation sur la question du risque lié à la Canche. Si des conflits existent, ils portent sur l’aménagement général du développement urbain ou agricole autour de la Canche, ou bien encore sur certains aspects du débat public autour de la Canche (comme sur la composition des lieux de débat, cf. infra), et non pas sur le risque supporté par les populations. Construire une vision commune du risque ? S'il n'existe pas de conflits importants, pourquoi se soucier d'élaborer une réflexion autour du risque ? On peut d'abord rappeler que les inondations constituent incontestablement des nuisances importantes pour les populations locales concernées. Mais surtout, qu'elles obligent à une réflexion sur les relations que les hommes entretiennent avec la rivière. C'est autour de cette question que se justifie l'importance d'une réflexion globale sur la gestion de l'aléa, et pas simplement sous l'angle réducteur d'un aménagement technique du lit de la Canche. Elle oblige à réexaminer les relations économiques (agricoles notamment, avec la question de l'utilisation de certaines terres dans la basse canche), ou bien en terme d'habitat (le GDEAM insiste par exemple sur la pression démographique de certaines zones de la Canche, qui entraîne une perception différente de l'espace habitable). L’élaboration d’une vision commune de ce risque d’inondation peut résulter de différents processus. Il y a, tout d'abord, la prééminence de l’expertise technique : le savoir scientifique définit les frontières géographiques du risque et en délimite les conséquences sociales prévisibles et acceptables. Mais ce modèle n’occupe plus à lui seul l’espace de la rationalité en matière de décision (ROQUEPLO, 1983, p. 152-159). Pourtant, les acteurs rencontrés insistent tous sur l'importance à accorder au savoir - 150 spécialisé. Ce savoir est considéré non seulement comme support de la décision, mais aussi comme un élément décisif dans l'élaboration d'une solution consensuelle. Ensuite, on doit faciliter l’accès à une information qui fasse sens pour tous les acteurs concernés. Cela suppose que tous peuvent non seulement avoir accès matériellement à l’information, mais aussi de pouvoir assimiler ces savoirs, et d’influer sur la portée de ces savoirs dans les décisions finales. Comme le résume Sébastien Caquard, “ cet accès doit être envisageable sous deux formes : (1) une mise à disposition des données brutes pour permettre à tous les groupes d’acteurs de produire leur propre expertise pouvant servir de contre-expertise au moment de la négociation ; (2) une meilleure communication de l’information existante de manière à ce qu’elle soit adaptée et compréhensible par l’ensemble des acteurs ” (CAQUARD, 2000, p. 228). Cependant, cette vision renforce l’idée que la décision résulte d’un processus rationnel auquel l’ensemble des acteurs participent avec une vision semblable des objectifs terminaux. Elle suppose aussi que le cadre de la négociation se réalise sur la base d’une prise en compte équivalente de la parole émise par les différents acteurs. Or, les études anthropologiques sur ce sujet montre à quel point l’accès à l’information et son assimilation ne suffise pas à légitimer la parole de tous les acteurs participant à un système délibératif (NEVEU, 2001). Enfin, cette vision semble renforcer l’impression que le savoir des experts reste la norme de référence pour l’élaboration des décisions (DECROP et VIDAL-NAQUET, 1998). Or, là aussi, certaines études montrent que ce savoir doit à présent compter avec d’autres formes de savoirs, sans pour cela considérer qu’ils sont sur un pied d’égalité. Quoi qu'il en soit, il convient à présent de combiner les connaissances scientifiques avec les connaissances indigènes, c’est-à-dire, ce que l’on peut qualifier comme les “ systèmes explicatifs, qui correspondent à l’état des connaissances scientifiques et leur vulgarisation médiatique, mais aussi à [la] propre culture [des individus], histoire, expérience, etc. ” (ASPE, 1999, p. 9). La situation présente n'échappe pas à ces critiques. Elles rappellent le défaut d'information vers les citoyens, mais aussi dénonce l'absence d'intérêt que rencontre leur parole dans les lieux décisionnels. "Les gens de terrain doivent être associés, peut-être pour les écouter un peu, mais surtout pour ne pas mourir idiot. Vous savez, les gens ne sont pas si cons qu'on veut le dire, et on doit pas comme un enfant, décider pour lui, ça c'est mon idée de la démocratie. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Enfin, il reste à préciser les modalités d’accès à l’information, préalable indispensable en vue de construire une participation éclairée du citoyen. La question, classique en ce qui concerne les modalités de participation, est de savoir si “ l’information proposée [est] adaptée aux besoins des différents acteurs et sous quelles formes peut-elle le mieux favoriser l’intégration de ces acteurs dans une démarche de gestion participative ” (CAQUARD, 2000, p. 228.). 11.4. La lente marche vers la concertation S’interroger sur la place des acteurs dans le processus d’élaboration d’une norme commune acceptable de la notion de “ risque d’inondation ”, c’est accepter de s’interroger sur les mécanismes qui déterminent la prise de décision (comment se fixe la frontière géographique, comment s’opère les négociations, où s'effectuent-elles… ?). Trois axes structurent la relation entre l’eau et sa gestion par la communauté : l’accès au contentieux , le droit à l’information et le développement des politiques de concertation. Droit à l'information et contentieux Le droit à l'information ne cesse de se développer. La loi sur l’administration territoriale de février 1992 reconnaît toute l'importance de l'information dans l'instauration d'une réelle démocratie locale : “le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de celle-ci et à être consultés sur les décisions qui les concernent, indissociable de la libre administration des collectivités territoriales, est un principe essentiel de la démocratie locale” (article 10 de la loi relative à l’administration territoriale de la 151 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION République, J.O. du 8 février 1992, p. 2064.). D'une manière générale, la littérature a mis en avant le développement de ces pratiques d'information (Jacques Moreau, “Le droit à l’information des élus locaux et des citoyens”, in BLONDIAUX et alii, 2000). Ainsi, Raphaël Romi montre l'émergence d’une reconnaissance juridique d’un droit à l’information et à la consultation, ce qui aurait contribué à amplifier l'importance du droit de l'environnement (ROMI, 2000). L’effort d’information réglementaire est patent ces dernières années (voir chapitre V, Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques, 1997, La prévention de risques naturels, Paris, La Documentation Française) ; elle provient des structures concernées (administrations et collectivités), mais aussi des documents fonciers (schémas d’aménagement, PPR, POS, permis de construire, documents joints aux actes de ventes…). Les procédures d’information ont été développées. Les politiques de planification, les conditions de gestions des ressources comme pour la qualité des eaux, sans oublier le cadre des enquêtes publiques ou des études d’impact en sont les principales illustrations (TURLIN et LILIN C., 1991, p. 4-7). Les associations du bassin de la Canche n'ont pas évoqué le développement de ces procédures. A les entendre, le besoin d'une information reste toujours d'actualité (cf. infra sur la perception du SAGE et de la CLE). L’important réside dans le fait que cette information soit, effectivement, appropriée par la population, les entreprises, les riverains… De plus, ces procédures restent essentiellement restreintes dans une vision informative et non délibérative du savoir. Par exemple, les SAGE ne sont pas soumis à enquête publique mais uniquement à une mise à disposition du public (art.3 et 5 de la loi sur l’eau). Les associations de l’environnement entretiennent un rapport particulier avec la justice, que ce soit la justice administrative (pour le contrôle de légalité par exemple), la justice civile (demandes de dommages et intérêts) ou pénal (voies de fait, pollution, corruption, illégalités…). Elles participent, le plus souvent grâce à des militants amateurs et le soutien de certains professionnels du droit, à l’application du droit mais aussi à sa prise en considération, notamment en participant aux processus décisionnels (PRIEUR, 1984). Certains considèrent même que l’action associative constitue un complément à l'action réglementaire (REHBINDER, 1997, p. 16-42). M. Everard souligne l'importance que le GDEAM accorde aux procédures juridiques pour faire avancer un dossier. Les actions juridiques sont de plus en plus utilisées: "vu qu'on est pas capable de soulever les foules, on va pas se priver sur le droit" (entretien du 3 novembre 2000). Jusqu'en 1995, le GDEAM faisait plus appel à la fédération Nord-Nature pour mener ces actions. Mais depuis, l'association a développé sa propre compétence en ce domaine. Il a noter qu'aucune action juridique n'a été entreprise autour de la question du risque (les dernières actions sont liées à l'établissement des POS dans certaines communes de la zone littorale, cf. La lettre du GDEAM, n°11, juin 2000). Il est à noter que des actions juridiques sont menées à l'initiative de particuliers. "j'ai déjà eu des affaires devant les tribunaux. [les riverains] m'attaquent parce qu'ils sont inondés, ou parce qu'on a pas fait certains travaux. Ces gens pensent qu'avec la technique on peut tout régler. " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000) Mais localement, l’action juridique ne semble pas, à l’heure actuelle, un mode d’action particulièrement pratiqué par le secteur associatif étudié. L'affirmation d'un principe de concertation Le Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques (1997, La prévention de risques naturels, Paris, La Documentation Française, p. 310) fixe les deux conditions du débat public : une information de qualité et des possibilités d’expression, et la transparence (visant à améliorer la compréhension). Pour cela, il préconise une méthodologie visant à développer la diffusion de l’information, en créant des structures intermédiaires. Il s’agirait notamment de développer des dispositifs de débats contradictoires, afin d’assurer la promotion d’un “ scénario participatif, qui repose sur un partage net des compétences et l’implication dans une politique qui repose sur trois partenaires : l’Etat, les collectivités territoriales et la société civile. ” (p. 319) L’ambition est de mettre en place une politique de - 152 compétences réparties et de partenariat. Ces recommandations s'inscrivent dans un projet plus vaste souhaitant favoriser la participation des citoyens. La participation publique a été en partie encouragée par des mesures législatives et réglementaires. On peut citer rapidement la loi d’orientation relative à l’administration territoriale de la République (loi n°92-125 du 6 février 1992), ou bien encore la loi dite “ Barnier ” (n°95-101 du 2 février 1995), qui crée une instance indépendante de l’administration, la Commission nationale du débat public, qui se voit confier l’organisation de débats amont ; mais cela concerne essentiellement des grands projets. Au plan international, on retrouve de telles perspectives dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le développement, Rio, juin 1992), notamment son article 10, qui considère que “ la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qu’il convient. ”. L’agenda 21 (chapitre 17 et 18) traite spécifiquement de cette question de la participation. En ce qui concerne la gestion de l'eau, la loi sur l’eau de 1992 (n°92-3 du 3 janvier 1992) permet la création des Commissions locales de l’eau (CLE) destinées à participer à l’élaboration des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Les CLE ont été conçues pour permettre la participation des citoyens dans l’élaboration des règles de gestion, mais par l’intermédiaire de leurs représentants et de l’Etat. Les lieux officiels de la concertation : SAGE et CLE Pour Jean-Pierre Le Bourhis, la mise en œuvre des dispositifs de gestion de l’eau au niveau local apparaît “ comme une véritable création politique, construisant un dispositif particulier qu’il s’agit de connaître dans sa spécificité ” (Le BOURHIS, p. 67). Même si le SAGE est facultatif, sa mise en application est l’expression d’une volonté locale et une traduction d’objectifs d’action négociés. Il s’applique en outre en fonction des spécificités locales par nature variables, et notamment en fonction des acteurs impliqués (Sur l’évaluation du SAGE, voir HUBERT et DEROUBAIX, 1999, p. 55-62). L’élaboration du SAGE est conduite selon six séquences successives : un état des lieux (recueil de données existantes décrivant l’état des milieux, le contexte juridique, les usages de l’eau et des milieux aquatiques, les acteurs concernés et les structures en place), un diagnostic global (synthèse des données collectées pour mettre en évidence les caractéristiques et les enjeux propres au périmètre), la définition de tendances et de scénarios (mise en évidence des objectifs de gestion possibles et des moyens à mobiliser pour les atteindre, sous la forme de scénarios contrastés), le choix de la stratégie (choix consensuel d’un des scénarios proposés en tenant compte de ses implications techniques, économiques, écologiques et juridiques), la définition des produits du SAGE (formalisation des décisions sous la forme de programmes de travaux, de règles de gestion, de recommandations techniques, de tableaux de bords et d’actions de communication) et enfin la validation finale (contrôle de cohérence entre les choix opérés et les prescriptions du SGAGE). Il s’agit là d’une alternance de phases de prise de connaissance et d’expertise et des phases de concertation et de publication des accords intermédiaires. Finalement, après différentes procédures, le SAGE et l’ensemble des avis exprimés sont ensuite mis à disposition du public dans les mairies. Le public, informé, par voie de presse et affichage en mairie, a deux mois pour faire ses remarques. Le SAGE répond à une méthodologie précise, sequenciée, et nécessitant une collaboration élargie des acteurs locaux concernés, au sein de la Commission locale de l’eau (CLE). La composition de la CLE est définie par un arrêté préfectoral, à partir des propositions formulées par les administrations et les collectivités concernées. 153 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Composition de la CLE : 28 à 60 membres (selon la taille du périmètre et les enjeux de gestion), nommés pour une durée de six ans et répartis en trois collèges : - le collège des représentants des collectivité territoriales et des établissements publics locaux (syndicats intercommunaux, syndicats mixtes,... ) qui totalise 50 % des sièges. Au moins la moitié de représentants de ce collège est nommée sur proposition de l’Association départementale des maires. Il comprend au moins un représentant de chaque région et de chaque département concernés ; - le collège des représentants des usagers, des propriétaires riverains, des organisations professionnelles et des associations concernées, qui totalise 25 % des sièges. Il comprend au moins un représentant des chambres d’agriculture et des chambres de commerce et d’industrie. Il compte également au moins un représentant des associations de propriétaires riverains, des associations de pêche et des associations de protection de la nature ; - le collège des représentants des administrations et de ses établissements publics, qui totalise 25 % des sièges. Il comprend obligatoirement un représentant du Préfet de bassin et un représentant de l’Agence de l’eau. L'arrêté préfectoral du 13 juillet 1999 désigne les membres de la CLE du Bassin de la Canche. Le collège des usagers se composent des structures suivantes : Collège des usagers, CLE, 1999 Titulaire Suppléant Propriétaires riverains Jean Bardet Pierre Tavernier Nord Nature Jean-Charles Bruyelle Raoul Cadart Chambre d'agriculture Bruno Roussel Michel Delattre Pierre-Marie Dusannier Jean-François Decherf Jean-Pierre Sergent Michel Saint Maxent Jacques Gourlet Francis Labbe Fédération de Pêche Henri Gavory Alain Delattre Sport et Loisir Michel Huart Paul Duvet Distributeur d'eau Thierry Fauquet Arnaud Didierlaurent Conservatoire du Littoral Christophe Lefebvre Etienne Dubaille ASA Vallée d'Airon Versant Nord François Dussanier Hubert Danne ASAD Canche Authie Octave Flahaut Bernard Macquinghem Ass. Truite Ombre Saumon Pascal Saillot Jean Druel Chambre de commerce et d'industrie Le 22 juin 2000 s'est tenu, en mairie d'Hesdin, la réunion d'installation de la CLE du Bassin de la Canche. La CLE qui impulse les orientations du SAGE, est au centre d'un dispositif d'aménagement général du bassin versant du cours d'eau. LA CLE reste cependant une instance consultative, qui ne - 154 dispose pas de moyens lui permettant de réaliser ses propositions et décisions, mais doit s'appuyer sur une structure ayant la capacité d'assurer une maîtrise d'ouvrage. Pour le Bassin de la Canche, cette structure, le Syndicat Mixte de la Vallée de la Canche a été créé (Roger Pruvost, maire de Frévent et conseiller général, en est l'actuel président, R. Bakowski étant désigné vice-président). Le Syndicat mixte a intégré le SIABVC. R. Pruvost a été élu président de la CLE. 4 groupes de travail ont été mis en place : Patrimoine naturel (rivières, berges, barrages, zones humides, patrimoine piscicole… sous la direction de R. Bakowski) ; Hydraulique et gestion des espaces (crues, érosion… sous la direction de Bernard Pion, maire de Montreuil) ; Amélioration de la qualité de la ressource (pollution, eaux souterraines… sous la direction de M. Carlu, élu de la Communauté de Communes de Saint-Polois) et Valorisation et sensibilisation (tourisme, sport, communication… sous la direction de Mme Marguerite, Maire de Lefaux). Il est à noter que la thématique du "risque" n'apparaît directement sous aucune des rubriques signalées lors de cette réunion. Au vu des résultats des élections municipales de mars 2001, et considérant que les membres d'une CLE cessent d'en être membres dès qu'ils perdent les fonctions en considération desquelles ils ont été désignés, le préfet procède à une modification de la désignation des membres de la commission locale de l'eau. Collège des usagers, CLE, 2001 Chambre d'Agriculture Chambre de commerce et d'industrie Association Elan Titulaire Suppléant Hervé Martel Michel Delattre Bruno Roussel Jean-Marie Carlu Jean-Pierre Sergent Michel Saint Maxent Jacques Gourlet Jean Langlet René Bakowski Pascal Andrieux Ainsi, R. Bakowski perd son mandat de maire; mais il est désigné dans le collège des usagers, en tant que représentant de l'association ELAN. Les lieux implicites de la concertation SIABVC: instaurer une concertation informelle ? Le SIABVC a, selon R. Bakowski, vocation à être un lieu d'échanges : "pour que toutes les associations sont au courant de ce qui se passe sur la Canche. (…) Ce que je ne souhaitais pas, ce que je ne veux pas, c'est qu'on s'imagine dans le grand public et surtout au niveau des associations que les élus prennent des décisions derrière leur dos, sans, sans concertation avec la base. La concertation c'est de faire rentrer un maximum d'acteurs, responsables d'association en tout genre qui ont de loin ou de près une… un intérêt avec l'eau." (R. Bakowski , entretien du 3 novembre 2000). La déclaration est générale et généreuse. Dès son origine, le SIABVC souhaite élargir son espace de concertation, tant géographiquement qu'au niveau des acteurs concernés. La participation est cependant le résultat d'une procédure formelle. La composition, le fonctionnement interne, le rythme des rencontres… répondent à des contraintes réglementaires. Ainsi, la composition doit tenir compte des communes représentées, ainsi que des services de l'Etat. Cependant, les associations ne sont pas directement et officiellement concernées par ce syndicat. Les discussions préalables à la création du SIABVC n'ont pas évoqué l'intégration des associations. Au fil du temps, elles ont pu être adjointes à certaines réunions d'information ou de réflexions, mais elles ne disposent d'aucun droit de vote. 155 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Q.: Etes-vous associé aux procédures de négociation ? "quelles procédures de concertations ? (ironique) le Syndicat intercommunal nous invitait par gentillesse ! Légalement il est pas tenu, c'était très sympa de la part du président d'inviter les associations concernées par les inondations aux décisions qu'on allait prendre pour eux. Bon, on avait pas la parole, mais je crois que c'était nécessaire que les maires de village qui n'sont pas trop concernés par les inondations, puisque l'eau passe chez eux, soit, pas surveillés, mais qu'y ait quelqu'un de touché par les inondations et qu'y's'disent je peux pas dire de conneries." (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Le GDEAM reconnaît qu'il s'est rapproché du syndicat, depuis environ cinq ans. Il existait des relations ponctuelles jusqu'au début des années 90. Suite à la création de postes salariés, le GDEAM a développé ses activités, ce qui a entraîné une coopération plus importante entre les deux structures (comme "La semaine de l'eau", organisée du 31 mai au 6 juin 1999). Cependant, les actions se concentrent essentiellement autour des questions de sensibilisation de la population à l'écosystème de la Canche. La gestion du risque n'apparaît pas comme une question ayant fait l'objet d'un traitement spécifique. Mais on retrouve aussi le principe selon lequel les invitations résultent d'une sélection préalable, par les seules autorités dirigeantes du syndicat. M. Graillot s'est fait l'écho de cette situation: "la semaine dernière y'avait une réunion à Brimeux, et on s'est invité à la réunion [du SIAVB], mais on sentait bien qu'on était pas trop bienvenu. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Par ailleurs, le SIABVC a parfois noué des relations directes avec les riverains. Par exemple, en mai 1989, il adresse un courrier aux riverains en faisant appel à leur civisme (ne plus jeter de déchets dans l'eau), mais aussi en rappelant les sanctions éventuelles de la loi (amende, remise en état du lieu). Il renouvellera cette opération, mais sans toutefois y associer les associations de riverains que nous avons contacté. En outre, nous n'avons pas constaté d'interpellation directe du SIABVC par les riverains. L'initiative d'instaurer un dialogue direct avec les populations locales reste soumise à la seule volonté du syndicat. Pour autant, le discours du président du SIABVC reste quelque peu sceptique sur les résultats d'une telle volonté d'ouverture. "moi je voulais fédérer tout le monde pour avoir un même discours, c'est pour ça que je voulais ouvrir. Ça bouge un peu, mais au niveau de l'agriculteur, c'est un échec. (…) les riverains commencent à se rendre compte, M. Graillot nous a beaucoup aidé, M. Menuge aussi [de la Caloterie]. Les Canoë-kayak, on les invite aussi, mais ils viennent pas tellement. Eux, ils sont très contents qu'on enlève les obstacles, comme ça ils peuvent passer avec leur bateau… (…) chacun adapte à son intérêt " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000, c'est nous qui soulignons). L'expérience de concertation la plus achevée avec le monde sportif a eu lieu en 1991, à propos d'un réaménagement du Moulin de Bacon, à Montreuil, en vue de constituer un franchissement optimisé pour la pratique du canoë. Des contacts ponctuels ont aussi eu lieu avec l'Association départementale de Randonnée, autour de l'implantation de circuits de randonnées pédestres, équestres et vététistes le long de la Canche, d'Etaples à Hesdin. Lorsque la collaboration est suggérée par les textes (législatifs ou réglementaires), elle définit un rôle particulier et assez précis à un acteur donné, et dans lequel l’acteur assume pleinement le rôle qui lui est dévolu. C’est ce qui s’est produit avec la création du Syndicat. On assiste à une acceptation pleine et entière de la possibilité de constituer un organisme chargé d’assurer l’interface entre les acteurs concernés (locaux et régionaux essentiellement) sur un espace géographique jugé plus approprié (le bassin versant) afin d’intervenir de manière significatif dans l’élaboration des politiques locales en matière d’inondation. Le syndicat va s’approprier les objectifs définis par les textes de base, jusqu’à en faire les motifs de sa propre politique. Non seulement ce syndicat a répondu favorablement à la sollicitation originelle des autorités compétentes, mais il n’a cessé d’étendre le champ de ses - 156 prérogatives, dans les actes ou les discours. De plus, la constitution de cet organisme favorise les relations de collaboration entre l’ensemble des acteurs, au-delà même des incitations législatives et réglementaires. Le Syndicat se constitue progressivement en structure de concertation informelle, soucieux d’élargir son assise territoriale, tout autant que son champ de compétence. Par conséquent, cette structure devient le partenaire obligé de nombreuses, sinon de toutes les politiques concernant le domaine du Bassin Versant. Le syndicat réponds à la volonté des élus locaux de se structurer et de se rassembler afin de faire face aux défis de l’information et du risque d’inondation. L'importance des interconnaissances personnelles Les discours des acteurs offrent l'image d’un espace de négociation interpersonnel important. Il permet l’établissement d’un dialogue informel entre les acteurs locaux. Il se compose de réseaux de sociabilité, de cercles de socialisation… issus d'une vie locale partagée. La composition sociologique de ces communes n’est pas non plus étrangères à ces relations (dominante agricole ou population rurbaine…). L’acteur local est avant tout caractérisé par sa “ complexité ” que révèle la diversité de ses rôles sociaux : habitant, usager, citoyen, délégué (politique, associatif…). Chaque individu joue de ses différentes facettes, en fonction du contexte local, mais aussi des objectifs personnels ou collectifs, variables dans son histoire singulière (FAURE, 1991). Par ailleurs, la principale caractéristique du site de la vallée de la Canche est le nombre important de petites communes rurales (bien souvent des micro-communes de moins de 200 habitants). Devant la faiblesse des moyens particuliers et le nombre de communes impliquées, il était devenu nécessaire d’appréhender la gestion du risque d’inondation collectivement. Mais cette gestion doit se faire sur l’ensemble du bassin versant, en concertation avec les communes de l’amont et les communes situées en aval. Le nombre important de commune ne facilite pas l'élaboration d'une politique de concertation : comment dégager un intérêt commun entre toutes ces communes ? Comment assurer un équilibrage entre elles ? Cette préférence pour les échanges informels et conventionnels confirme l'importance accordée par ces organisations fortement localisées aux relations de proximité avec la figure tutélaire du maire (AGHULON et BODIGUEL, 1981). L'élu est donc au cœur de ce dispositif. Il reste encore perçu comme la personnalité centrale pour conduire à bien un projet local (FAURE, 1992), ou faire face aux situations de crises liées aux inondations. "un maire pour moi ca doit être un chef d'équipe. Le maire qui ne voit que le fric, c'est vraiment dommage car il perd tout le côté humain, et c'est pas son rôle. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Mais, au-delà, on retrouve l'idée d'une difficulté à établir des relations régulières avec le personnel politique local (FAURE, 1992). M. Everard reconnaît l'importance de ces relations interpersonnelles dans l'élaboration et le suivi de dossiers. Il en souligne aussi les limites (caractère fragile d'une relation personnalisée…). Mais, dans le jeu complexe des interactions locales, les oppositions politiques peuvent aussi perturber les pratiques de la concertation. En effet, le territoire est fortement cloisonné politiquement, ce qui entraîne certains blocages dans les processus de concertation. Pour la négociation du Plan de Prévention des Risques (PPR), initiée par le représentant de l’Etat qu’est le préfet du Pas-de-Calais, on doit, en théorie, “développer une démarche de concertation et d’appropriation du risque ” (Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, PPR : Guide méthodologique, "Elaboration du dossier du PPR inondations", pp. 67-84) entre l’Etat (et ses services) et les élus. La discussion doit se faire dans un climat de “ confiance mutuelle ” et de “ compréhension ”. Le même document cité cidessus insiste sur “ l’importance du dialogue local ”. La réalité du terrain semble, au niveau de la Canche, bien différente ! Le préfet du Pas-de-Calais, et ses services, ont organisé plusieurs réunions pour pouvoir mettre en discussion le PPR mais, ses réunions n’ont pas eu l’écho souhaité. Il y a 157 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION actuellement des difficultés à se mettre d’accord sur l’emplacement des “ zones rouges ” qui, rappelons-le, sont des zones non constructibles. Un blocage est intervenu sur ces procédures PPR. Les associations se font aussi l'écho de ces tensions, la plupart du temps pour les dénoncer. L'image du personnel politique peut être très négative : " (…) on vous écoute plus. A partir du moment, dans une commune, dans une commune, si le dialogue ne s'établit pas naturellement avec déjà les élus, les conseillers, qui eux, c'est vrai ils n'ont pas tellement tendance à écouter, puisqu'ils sont élus. Le système dans leur tête de la démocratie c'est "vous avez voté pour moi, et maintenant vous n'avez plus qu'à fermer votre gueule, j'ai pas à vous écouté, vous m'avez donné le pouvoir maintenant je fais ce que je veux". Mais un maire doit être un chef d'équipe, mais ca peut pas être la même chose qu'une entreprise, et c'est pas parce qu'on a été élu qu'on a tous les pouvoirs. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Les critiques sont celles communément mobilisées contre le personnel politique: on dénonce pêlemêle, le cumul dans le temps, l'archaïsme du système politico-administratif… ou bien encore la confusion des genres (MULLER, GERBAUX et FAURE, 1989). "le maire finit par se blinder contre les réclamations, parce qu'il en reçoit de trop, c'est vrai qu'il a une position qui lui plait parce qu'il serre la main de tas de gens, ca féodalise un peu le système, et c'est nul de revenir mille ans en arrière, le système français est pourri par ça. Un maire devrait savoir qu'il est là pour donner de lui, il faut le payer mieux, et qu'il ait un buttoir, qu'il sache qu'à partir de telle époque, il doit passer la main à une autre équipe. Mais d'ici, vous voyez des maires qui ont trente, trente-cinq ans de métier de maire… " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). "les maires, s'ils n'ont pas des structures pour obtenir des subventions, pour faire des travaux, ils ne peuvent pas, ils n'ont pas l'argent non plus, donc y'a tout un système. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). L'importance des relations interpersonnelle peut donc constituer un facteur favorable à l'établissement de relations positives en vue de favoriser des échanges constructifs entre les acteurs locaux. Mais dans le même temps, elles renforcent les mécanismes de mises à l'écart de certains acteurs, qui ne s'insèrent pas, pour des raisons diverses, dans ces réseaux locaux. 11.5. Une concertation limitée ? La concertation mise en place autour de la gestion de la Canche soulève une série de critiques. En prenant l'exemple de la CLE, il est possible de présenter les principales remarques formulées sur les dispositifs présents. Au-delà, il est nécessaire de s'interroger si de tels mécanismes permettent d'apporter une contribution utile à l'élaboration collective d'une gestion du risque. 11.5.1. Le dispositif de concertation de la CLE en débat À la suite d’une évaluation des différents SAGE en cours, Gilles Hubert et José-Frédéric Deroubaix estiment que “ la CLE constitue avant tout un lieu de débat et d’arbitrage. Elle n’a aucune fonction de maîtrise d’ouvrage et ne peut donc prendre part directement au financement du projet ” (HUBERT, DEROUBAIX, 1999, p. 59.), ce qui semble limiter son pouvoir effectif dans l’élaboration d’une politique de concertation effective… Localement, nous retrouvons une vision relativement similaire. Trois critiques sont adressées à la CLE, mais elles sont au-delà révélatrices de jugements plus larges portés sur les procédures de concertation mises en place autour de la gestion de l'eau. Il ne s'agit pas ici d'évaluer la pertinence ou la réalité de ces critiques, mais d'examiner en quoi leur formulation permet d'expliquer la difficulté d'élaborer des procédures de concertation acceptée par le monde associatif local. - 158 Une sélection discutée… Sur le cas de la CLE, nous avons rencontré quelques réticences exprimées quant à la composition du collège des usagers. "La CLE, là je le dis dans le micro (se penchant vers le micro), le préfet, le sous-préfet, et tout ces gens-là, je vais rester poli, n'ont pas pensé associer dans la CLE les inondés. On a favorisé l'agriculteur, les maires, les associations de pêcheurs, les maires sont souvent des agriculteurs eux-mêmes, ils détiennent 85 % des pouvoirs. À savoir si la CLE a des pouvoirs, je ne sais pas. Le sous-préfet, il m'a répondu, parce que je lui ai dit si vous faites la CLE, il faudra bien penser à nous, et il m'a dit, c'est déjà fait, il m'a envoyé carrément la décision de composition de la CLE et nous on y pas, alors qu'on est vraiment concerné par la compréhension par le phénomène. (…)Personnellement j'ai dit à M. Bakowski, on s'connaît bien, je lui ai dit si jamais y'a besoin de quelqu'un qui représente les inondés je suis d'accord pour en faire partie, je lui ai dit y'a six mois. J'ai dit la même chose à M. Pion [maire de Montreuil] qui est le responsable du problème des inondations, j'ai cru comprendre ça, mais on a pas d'écrit, c'est un petit truc fermé, mais c'est tout… " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). On pourrait facilement rétorquer qu'il s'agit d'un cas particulier (mais toute association n'a-t-elle pas vocation à affirmer sa singularité et affirmer sa propre importance ?). Or, le GDEAM souligne qu'il n'a pas été associé à ce CLE, "malgré une demande officielle" (M. Everard, entretien du 3 novembre 2000). Le directeur précise que le GDEAM n'a pas été sollicité "directement" ni informé "directement". La fédération Nord-Nature y est représentée, mais elle n'aurait apparemment pas contacté le GDEAM pour négocier le nom des représentants, ni même tenté d'insister pour que le GDEAM y soit directement représenté. Même s'il faut préciser que le représentant titulaire de Nord-Nature est par ailleurs membre du Conseil d'administration du GDEAM. Ces critiques peuvent aisément être transférées, comme on l'a vu, à l'échelle du SIABVC. On peut soulever l’hypothèse que cette concertation permet aux associations d’asseoir leur propre légitimité, voir de se placer parmi les autres acteurs en position privilégié, pour devenir un acteur incontournable de toute décision locale. C'est pourquoi il est si important d'être sélectionné. Une communauté de vue préalable nécessaire Il semble bien qu'il faille avoir une culture commune préalable afin de pouvoir intégrer ces dispositifs de concertation. Il serait nécessaire d'avoir certains pré-requis pour entrer dans ces instances. L'identification et la sélection des associations (dans le collège des usagers) par les autorités compétentes se feraient sur la base d'une conformité attendue aux discours dominants (ION, 1997). Ainsi, les associations développant certaines tendances à la professionnalisation, sous l'action de l'administration seraient préférées (cas de Nord-Nature). De même, les associations ayant plus de possibilité de mobiliser une compétence territoriale élargie ou un espace d'intervention à l'échelle du Bassin et non d'une micro-zone (une parcelle de la commune…), ou bien alors privilégiant un discours conforme aux objectifs prédéfinis du SAGE et de la CLE (en matière d'aménagement économique par exemple), auront plus de chance d'être retenues. Par conséquent, il serait plus difficile d'intégrer au sein de ces instances pour des associations pratiquant un discours trop contestataire (voir la virulence du communiqué de AIHEC suite aux inondations de 1995, publié dans Le Journal de Montreuil, 21/09/95). Commentant leur absence au sein de la CLE, M. Everard estime que cette situation "n'est pas normale et frustrante, d'autant que le GDEAM est agréé. (…) si on nous laisse en dehors, on nous ancre dans un rôle contestataire, on est pas un partenaire potentiel, mais un contestataire." À défaut de bénéficier d'une telle culture préalable, les associations peuvent s'éloigner des pratiques de concertation. L’opposition vis-à-vis de cette politique de gestion du risque d’inondation s’accompagne de l’émergence de relations d’opposition. Certains acteurs entendent maintenir une politique autonomes, ce qui peut être perçu comme de nature à s’opposer à la politique d’un autre acteur. L’opposition la plus classique peut prendre la forme d’une contestation ouverte à telle ou telle politique 159 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION d’aménagement qui porterait atteinte à des zones naturelles. De ce fait, chaque acteur poursuit ses propres projets, sans plus s’intéresser aux politiques des autres acteurs. Ainsi, l’opposition entre chasseurs et associations de protection de l’environnement permet cette juxtaposition d’actions sans souci de mettre en place une synergie de leurs objectifs. Il en est de même de la politique de coopération intercommunale qui peut se trouver ralentie par l’absence de volontés locales, liées à des antagonismes politiques ou de personnes, mais aussi la crainte de perdre la maîtrise de sa propre politique. Une absence d'identification On peut relever le manque d'identification sur le rôle et les fonctions de ces structures. "Et alors vous parlez aussi d'la… de l'eau… , c'qui est au-dessus de la CLE, là, du… [intervention BV: le SAGE] du SAGE, alors ça, on sait pas du tout ce que c'est, je sais pas. " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Cette appréciation n'est pas à mettre sur le compte d'une particulière ignorance de ce responsable associatif. N'oublions pas que cette association se bat depuis 1988 contre les inondations, et qu'elle a accumulé une importante documentation technique sur les questions d'inondations. Mais il semble qu'elle n'a pas été directement informée des dispositifs mis en place. Le discours est plus nuancé pour le GDEAM. J.-M. Everard évoque les travaux réalisés par l'association (travaux d'études, actions spécifiques…) qui se concentrent sur les problématiques locales, et qui coïncideraient avec les préoccupations du SAGE et de la CLE. Il estime que le SAGE a pourtant un rôle important à jouer : "nous, on attend beaucoup du SAGE, il a un rôle dynamisant, on est une zone rurale où on arrive pas à jouer un rôle, notamment sur l'érosion. La situation va se dégrader, on a peu de capacité d'action sur un tel problème, face aux acteurs hostiles (comme les paysans)… donc le SAGE, c'est un bon acteur." (entretien du 3 novembre 2000). Ces carences ne sont pas propres au milieu associatif. R. Bakowski précise : "Les gens comprennent rien du tout, ni au SAGE, ni au syndicat mixte, ni au SDAGE, que dalle! J'ai encore expliqué la semaine dernière aux collègues de Brimeux qui étaient élus, ce qu'était les SAGE… j'ai dit que c'était comme un POS, mais comme ils ne savent pas ce que c'est vu qu'ils n'en ont pas fait, j'ai dû donc expliqué ce qu'était un POS (…). Et j'ai dit que le SAGE c'était comme un POS, à l'échelon du Bassin. Et la fois suivante, on recommence… " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). Le public auquel s'adresse le président du SIABVC est composé d'élus ruraux… Les associations d'élus n'ont fait aucune formation sur les questions du SAGE. Le déficit d'information est là-aussi patent. Cela soulève le problème de la multiplicité des lieux de concertation et leur difficile indentification. En effet, l'abondance des lieux de dialogues ou d’échanges ne favorise pas la concentration en un seul point, des principaux protagonistes. On rappellera que la gestion de l’eau relève de structures politiques et administratives différentes (de compétences nationales ou locales), ce qui complique la coordination des politiques et des réglementations, mais aussi l’élaboration des processus de concertation (BRENAC, 1988, p.129 et s.). La multitude de lieux décisionnels handicape les processus de concertation. Cet inconvénient est d’autant plus grand si ces lieux sont éloignés géographiquement mais, aujourd’hui, cette variable est moins déterminante. Ces lieux se retrouvent dans chaque domaine de la gestion du risque d’inondation : la préfecture pour l’établissement des Plans de Prévention des Risques, l’agence de l’eau pour la création des Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux, les différents services déconcentrés de l’Etat pour le maître d’œuvre ou l’expertise... De plus, on rajoute des variables si des structures intercommunales coexistent. Le constat est fréquent, comme le résume Bernard Drobenko : “ la gestion de la ressource de l’eau se heurte aux découpages administratifs et aux logiques de pouvoir développées par les autorités ayant en charge les décisions tant au niveau central que local ” (DROBENKO, 2000, p. 259). Ce à quoi il faut - 160 ajouter l’intervention des acteurs privés (compagnies, entreprises…) soucieux de défendre leurs intérêts marchands. Par ailleurs, on assiste aussi à une prolifération des dispositifs publics de gestion de l’eau (au niveau national mais aussi international - KACZMAREK, 1997) qui rend plus complexe la perception de leur cohérence et de leur articulation. Sur la Canche, la décision semble encore se prendre principalement au niveau des communes et ce, malgré l’existence du syndicat intercommunal. Le syndicat dispose des pouvoirs d’aménagement et de gestion mais, ce n'est pas pour autant qu'il se dégage une vision "commune" des politiques d'aménagement. Certaines communes ne jouent pas le jeu. Par exemple, le Touquet participe normalement à la gestion du syndicat. La commune paie sa contribution au syndicat mais, ne participe pas activement aux différentes discussions et entend gérer (sans mesures concrètes !) le risque inondation seule. 11.5.2. Quelle contribution pour la notion de risque ? Au-delà du dispositif, que peut-on attendre de cette politique de concertation ? Autrement dit, en quoi le contenu de cette concertation pourrait permettre de mieux appréhender le contenu d'un discours commun autour de la notion de risque ? Tout d'abord, il n'existe pas d'unanimité sur ce que l'on entend par concertation, ni même sur ses finalités. "c'est quoi la concertation ? Faut qu'on me le dise. La concertation, c'est la recherche d'un compromis. Mais certains domaines ne se négocient pas, on applique la loi. Et nous on rentre pas dans ce jeu-là. La concertation pour détourner la loi, non… Si la concertation, c'est participer à la mise en œuvre de politique, alors d'accord." (M. Everard, entretien du 3 novembre 2000). Le terme concertation regroupe ici toutes les situations dans lesquelles un acteur par son attitude plus ou moins volontariste rencontre la volonté d’un ou plusieurs autres acteurs, soit pour mener une tâche en commun, soit pour assurer à chacun la plénitude de ses attributions. Ensuite, la phase de concertation ne doit pas faire illusion sur sa propre capacité à légitimer une décision prise ; au contraire, elle doit prendre la mesure des questionnements qu’elle va entraîner, des différences d’appropriation par les acteurs concernés, sur les oppositions qu’elle va renforcer… Par conséquent, il va falloir tenir compte d'une nécessaire période destinée à construire une finalité commune. En ce qui concerne les associations, on peut estimer que la collaboration demeure cantonnée dans l’espace de la concertation. La participation des associations à la vie administratives locales se résume souvent à une association lointaine aux décisions, sous la forme d’une consultation ou d’une représentation dans certaines instances, mais sans que cela débouche sur une intervention majeure dans le processus décisionnel. Les associations demeurent des partenaires distanciés. Il ne faut pas non plus attendre d'effets mécaniques de la concertation. Par exemple, les élus sont plutôt incités à participer au SIABVC et ce pour plusieurs raisons, qui sont parfois éloignées de la volonté de dégager une vision commune autour de la gestion de la Canche. La première, c’est la cotisation qu’ils paient au syndicat. La seconde, ce sont les rétributions particulières qu’ils peuvent gagner en se trouvant inséré dans ce dispositif (c'est-à-dire les travaux d’aménagement sur leur commune, la mise en place de pompes...). De même, cela ne suffit pas à lever toutes les oppositions. Certaines personnes interrogées ont insisté sur quelques stratégies de détournement des dispositifs existant. Ou bien encore, ils se font l'écho de l'impossibilité de dépasser certains clivages. Le monde agricole est particulièrement visé par ces critiques. "Avec les agriculteurs, si jamais j'aborde à une réunion la question de l'agriculteur, ça y'est, [un des représentants du monde agricole] crie, et tout le monde s'écrase. Y'a pas une bonne évolution, c'est de plus en plus grave. (…) moi je suis découragé… (…) ce n'est pas une volonté de bloquer, mais ils ne peuvent pas faire autrement, ils sont pris dans un système." (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). 161 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION "en France, les agriculteurs sont les rois, ils ont des syndicats, des avocats… Ils cultivent les zones d'expansion de la basse Canche. (…) c'est une honte. Ils sont intouchables, c'est un point de vue, comme ça, un point de vue personnel." (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Pour M. Bakowski, il n'y a aucune évolution dans la prise de conscience du monde agricole, notamment en ce qui concerne la question de l'érosion des sols ("tous les jours j'envoie les employés communaux ramassés la terre et les cailloux") et les conséquences que cela entraîne comme pollution dans la Canche. Il signale que cela résulte d'un effet de génération (évoque les jeunes agriculteurs qui pourraient grâce à leur formation y être plus sensibles), mais il insiste sur la notion de "profit" qui dicte leurs lois. La FNSEA regroupe tous les agriculteurs, ayant une situation de monopole. Il n'y a aucune structure concurrente (absence de la confédération paysanne par exemple). Finalement, au regard du fonctionnement du SIABVC et de la courte histoire de la CLE, la concertation n'aboutit guère à une modification importante dans la manière d'appréhender la gestion du risque inondation. Le dialogue est cependant perçu positivement. "Depuis ces inondations affreuses, les choses ont évolué, on arrive au but. (…) Au niveau du SIABVC, c'est le problème de l'intercommunalité, avec se donner les moyens de faire, et là, faut persuader les autres maires, et leur montrer… c'est vrai, ils ont fait des expériences de bandes enherbées (…). " (J.-M. Graillot, entretien du 3 novembre 2000). Mais, l'aménagement se construit autour d'une vision "technique", en terme d'infrastructures lourdes (digues, mais aussi requalification du cours d'eau, réaménagement des méandres…), qui offrent l'image d'une efficacité immédiate. Les personnes rencontrées insistent sur l'importance de politiques de réaménagement de fonds, mais toutes n'en donnent pas les mêmes significations. "on croit que la technique, le bulldozer, la grue, va pouvoir régler… on est inondé, on a qu'à faire des digues. On a qu'à, on a qu'à… (…) je rencontre des gens qui me disent, ca fait dix ans que vous êtes président et je suis toujours inondé. (…) on fait des digues, donc on sera pas inondé… Moi j'ai participé à ce travail [création de digue]. Les communes ont commencé à diguer de l'aval vers l'amont. Donc, sous la pression des habitants, j'ai été obligé de diguer, et les communes de l'amont par rapport à mon village ont digué, puis on s'est aperçu qu'on était encore inondé, d'où mon combat pour savoir pourquoi. Mais, euh, actuellement quand on dit à une personne on va inonder vos terres pendant deux ou trois mois pour soulager d'autres secteurs, c'est pour ça qu'on doit toujours se battre. Moi je l'ai fait dans ma commune, j'ai créé des zones inondables, mais les autres communes ne le font pas… et ça j'ai pas négocié, je l'ai fait en force, d'ailleurs au conseil municipal c'est passé à une voix, j'ai eu une voix de majorité. Y'a toujours des petits intérêts particuliers. On a eu des débats très durs, au conseil municipal et dans la commune, et ça m'a pas empêché d'être élu en 95." (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). 11.6. Vers une culture du risque ? Analysant les nouveaux outils de la politique de l'eau, Jean-Pierre Le Bourhis pense que “ Rabattre les divisions politiques et administratives sur le cadre hydro-géographique suppose en effet de trouver des intermédiaires et de relais qui permettent de porter cette conscience commune de l’unité de la ressource et de faire coïncider la géographie et la politique. Hormis les institutions qui sont par nature portées à privilégier cette approche comme les agences de l’eau, les principaux vecteurs du territoire hydrologique restent les élus locaux, qui montrent là leur rôle fondamental dans la recomposition des communautés et des groupes sociaux ” (Le BOURHIS, p. 64). On “ entend par culture du risque un ensemble d’éléments normatifs et évaluatifs (réglementations, lois, échelle de valeur permettant de définir les actions prioritaires dans les situations de désastre), des savoirs et des éléments techniques (méthodes de détection, de prévision, d’information), des croyances, des valeurs et des pratiques qui à un niveau ou à un autre doivent permettre de répondre à la menace - 162 perçue ”, Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques, 1997, La prévention de risques naturels, Paris, La Documentation Française, p. 303). Si l’on suit les recommandations du rapport sur l’évaluation des risques naturels, il semble que l’on puisse développer une culture de risque au sein du bassin de la Canche. Nous sommes effectivement en présence d’une zone qui a connu des catastrophes répétées et la menace peut être considérée comme permanente. Ensuite, la nature de l’aléa permet une certaine prévision de la crise. Enfin, les dommages potentiels sont perçus comme évidents et conséquents et frappant indifféremment les différentes classes sociales de la communauté. Pour cela, il conviendrait de : - Instaurer des espaces de rencontre thématiques entre les associations. L'objectif est de renforcer l’appropriation active du risque d’inondation par les associations. Pour cela, la qualification de problèmes dans le registre du risque suppose que ceux-ci passent par un certain nombre d’opérations socio-cognitives. C’est notamment un travail d’association, de liaison, qui permet de relier certains thèmes à des problématiques en termes de risques. Ce sont en effet les associations établies qui favorisent la structuration de champs d’intervention sous cette appellation. Selon qu’elles sont plus ou moins fortes, la catégorie du risque prend une position plus ou moins structurante dans l’espace de discussion. L’étiquette "risques majeurs", en qualifiant et regroupant communément des risques dits "naturels" et "technologiques", révèle ainsi les liens qui ont pu se constituer et se solidifier. Ces risques repérés sont constitutifs de territoires administratifs ; ils sont construits sur des associations plus fortes qui témoignent du travail de formalisation déjà effectué. Par conséquent, dans la sphère politicoadministrative, "risques naturels" et "risques technologiques" renvoient à des espaces de discussion dotés d’une structure plus marquée. - Procéder à des mutualisations des savoirs. Le sens du risque, des rapports au risque, ainsi que le terme même de risque, se traduisent par des attitudes, des discours, des calculs, des dispositions très différentes. Dans l'optique d'élaborer une culture commune à ce secteur, il convient ainsi de valoriser et faciliter le “ retour d’expérience ”. L'objectif est alors de capitaliser et rendre accessibles les connaissances acquises sur la vulnérabilité de la zone. M. R. Bakowski insiste sur le fait que les responsables associatifs n'effectuent pas un véritable travail de relais de l'information qu'ils peuvent acquérir lors des réunions auxquelles ils participent. Nous retrouvons à travers ce point de vue l'une des difficultés classiques de la traduction des informations dans un dispositif théorique préexistant. Les associations insèrent cette information dans des schémas pré-établis, qui doivent assurer la cohérence des revendications mobilisatrices au sein des adhérents. - Amplifier la formation des acteurs associatifs sur la technicité de la gestion du risque. "Je raisonne comme ça depuis peu [une vue d'ensemble], y'a 20 ans je raisonnais pas comme ça, mais j'ai rencontré des tas de personnes qui m'ont expliqué que… j'ai suivi des stages… j'ai été à des tas de réunions, j'ai rencontré d'autres personnes, des géographes, des techniciens de tout poil, et maintenant j'ai une vue d'ensemble, un cours d'eau c'est comme un être vivant, on peut dissocier la tête du foie, et maintenant j'en suis persuadé. Il faudrait que toutes les personnes qui vivent près d'un cours d'eau suivent l'itinéraire que j'ai suivi. (…) il faudrait qu'à chaque fois qu'une personne vit près d'un cours d'eau, on lui explique ce que c'est qu'un cours d'eau. Il faut reprendre ça au niveau des écoles. Il faut être formé jeune. " (R. Bakowski, entretien du 3 novembre 2000). - Développer une gouvernance locale ouverte. La participation du public à l’élaboration de la prévention demeure faible, et “ il ne peut y avoir de transmission de savoirs et de pratiques adaptées à la menace ” (op. cit., La prévention de risques naturels, p. 304). L'exemple du SIABVC permet d'apercevoir ce que pourrait être une politique volontariste d'extension des lieux de débats et de réflexions, permettant d'associer le maximum d'intervenants (même s'il conviendrait de rendre plus formel les conditions de l'accès des associations à ces structures). Cette gouvernance locale aura une double vocation : articuler les différents niveaux de la décision et développer un projet territorial à l'échelle du Bassin Versant, qui associeraient l'ensemble des composantes du secteur associatif local. 163 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Bibliographie AGHULON (Maurice), BODIGUEL (Maryvonne), dir., 1981, Les associations au village, Le Paradou, Actes Sud. 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ZUINDEAU (MEDEE-IFRESI) L’objectif de cet axe est d’établir des méthodes d’évaluation des dommages effectifs (épisode d’inondation en 1995) et de dommages potentiels appréhendés notamment par : l’analyse des variations spatiales des valeurs immobilières de proximité. (méthode des prix hédoniques) l’évaluation contingente. 167 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 12. Présentation générale 12.1. Objectifs de l'évaluation économique des dommages liés aux inondations L’objectif de l’évaluation économique est de fournir au décideur, dans le cadre d’un bilan coûtsavantages, une évaluation du coût total des dommages imputables à un événement de référence, à savoir la crue historique de l’hiver 1994-1995. Il s’agira, par la suite, de comparer l’évaluation des dommages aux coûts des aménagements prévus en matière de lutte contre les inondations dans la Basse Vallée de la Canche, à savoir : Le coût d’une réhabilitation des zones d’extension des crues, qui concerne principalement à l’heure actuelle des espaces agricoles et des milieux humides, Le coût d’endiguement des zones urbanisées, notamment pour les communes d’Attin, La Calotterie, Montreuil et Neuville-sous-Montreuil. L’évaluation économique s’effectue à partir de la crue survenue durant l’hiver 1994-1995, qui constitue l’événement de référence, considérée comme crue historique dans l’Atlas des zones inondables (débit de 34 m3/s). En marge de cet aléa de référence, d’autres crues, de moindre importance, mais de période de retour plus réduite sont proposées de manière à affiner l’impact du risque inondation. L’évaluation a pour but de pouvoir dégager un coût matériel global de l’inondation survenue durant l’hiver 1994-1995. Outre ce coût matériel global, il nous est apparu opportun d’évaluer un coût moral non monétaire ou plus exactement une approche orientée vers les dommages intangibles, de manière à appréhender au mieux la perte de bien-être subie par les populations. Cette démarche d’évaluation s’effectue par ailleurs, au regard de deux objectifs que sont : La quantification des dommages liés à l’inondation : évaluation du coût total des dommages, La possibilité d’extrapoler la méthodologie à des phénomènes similaires sur d’autres terrains d’étude, ce qui implique un raisonnement en termes de vulnérabilité : évaluation de la vulnérabilité. 12.2. Méthodologie mise en oeuvre L’évaluation économique des dommages liés aux inondations de la Canche s’appuie sur deux méthodes principales, à savoir la méthode d’évaluation contingente (MEC) et la méthode des prix hédoniques (MPH). Toutes deux reposent sur les postulats micro-économiques fondamentaux que sont : Les individus sont les plus aptes à classer leurs préférences, ces dernières étant réputées bien définies, Les préférences des individus fondent l’évaluation des biens et services dans un cadre de transaction marchande. - 168 Les biens et services sortant de ce cadre (en l’occurrence les biens et services environnementaux) peuvent néanmoins faire l’objet d’une évaluation via la mesure de la variation de bien-être consécutive à la variation de la quantité consommée par l’individu. Sans entrer dans les détails, les variations de bien-être peuvent être quantifiées monétairement par le biais de la mesure des variations de surplus consécutives à un changement qualitatif ou quantitatif des biens ou services consommés, qu’ils soient traditionnels (c’est-à-dire marchands) ou publics, comme c’est le cas de nombreuses aménités environnementales. Pour les biens et services environnementaux ayant un statut public, la traduction monétaire de la contribution à un niveau d’utilité donné est nécessaire puisque par définition, ces actifs sont dénués de prix. La monétarisation de la valeur de ces aménités est rendue possible par la mesure du consentement à recevoir, CAR (à payer, CAP) des individus pour abandonner (conserver) la possibilité de consommer tout ou partie du bien en question, eu égard à l’utilité que ce dernier procure à l’individu. Les CAP et CAR permettent bien entendu ici aux individus intéressés de garder un niveau d’utilité identique avant et après les variations de consommation par le jeu de compensations financières synallagmatiques. Ils mesurent de ce fait la contribution des éléments du patrimoine naturel à l’obtention d’un niveau d’utilité donné pour l’individu. Plus concrètement, un individu formulera un CAP pour pérenniser une situation dans laquelle il jouit de la consommation d’un actif naturel, sans pour autant en être le propriétaire ou en payer un prix. Son CAP équivaudra, par conséquent, à la contribution au bien-être dont il prétend bénéficier du fait de la consommation de l’actif naturel et que l’on cherche à déterminer monétairement. Le même raisonnement peut être conduit dans l’hypothèse d’une création d’aménité environnementale pour laquelle aucun individu n’a encore bénéficié127 : l’introduction d’une telle aménité doit conduire à une élévation du niveau de bien-être des individus susceptibles d’en bénéficier. La valeur de cette aménité peut donc être mesurée par le biais des CAP consentis pour bénéficier de ladite aménité. Les individus consentiront à payer, en effet, jusqu’à une valeur équivalente à l’amélioration de leur niveau de bienêtre consécutive à la l’apparition de l’aménité environnementale. Tel est le cas, en l’occurrence, de la mise en œuvre de protections structurelles contre les inondations. 12.3. Instrumentalisation et objectifs des méthodes utilisées La méthode utilisée est donc la mesure des variations de surplus consécutives à l’occurrence d’événements d’inondation. Plus précisément, nous pouvons dénombrer plusieurs mesures : La mesure du consentement à payer qu’un individu est disposé pour quitter la zone. Cette mesure concerne les personnes habitant sur la zone inondée ayant vendu leur habitation. Elle est calculée à partir des différentiels de valeurs immobilières obtenus par régression économétrique, effectués selon diverses expositions au risque inondation. Parallèlement, dans l’hypothèse où l’information est parfaite symétriquement, ce même différentiel de valeur équivaut au consentement à recevoir de la personne acquéreur pour subir les préjudices potentiels liés aux événements d’inondation futurs, c'est-à-dire pour supporter le risque. La mesure des dommages occasionnés par l’événement d’inondation survenu durant l’hiver 1994-1995 concerne des préjudices de nature différente. Ces dommages concernent de prime abord les biens exposés : biens mobiliers et immobiliers, dont la dégradation est susceptible de faire l’objet d’une 127 Par exemple la protection contre les inondations du fait de la construction de digues. Cependant, la liste d’exemples d’aménité est extensive : amélioration du cadre de vie, aménagement d’un parc, protection de l’environnement, etc. 169 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION indemnisation par les assurances. Sont par ailleurs appréhendés dans une certaine mesure les dommages intangibles et indirects, du fait de la prise en compte des dommages moraux. Il convient de souligner ici le fait que cette mesure doit théoriquement déboucher sur une valeur inférieure au CAP précédemment explicité : la mesure des dommages est en effet évaluée à partir de populations ayant subi l’événement d’inondation de 1995 qui pourtant n’ont pas décidé de quitter la zone. Autrement dit, les dommages ainsi évalués n’atteignent pas un montant tel que les habitants préfèrent quitter la zone plutôt que de continuer à subir des dommages. Les deux méthodes utilisées : la MEC et la MPH cherchent à exprimer théoriquement la même valeur : le coût du dommage. Cependant, encore faut-il s’entendre sur cette notion de coût et préciser les objectifs propres à chaque méthode. La MEC consiste à mettre en œuvre un marché fictif, sur lequel l’individu soumis à un entretien doit exprimer un consentement à recevoir (à payer) pour abandonner (pérenniser) une situation de jouissance d’un bien dénué de prix. En l’occurrence, nous avons ici cherché à évaluer le consentement à payer des individus pour ne plus subir d’événements d’inondation tels qu’ils l’ont connu en 1995, une telle hypothèse impliquant la mise en œuvre de mesures de protection. Cette valeur pouvant en toute logique s’exprimer par ailleurs comme la somme que les individus consentent à recevoir dans l’hypothèse d’un statu quo en matière de mesures de protection contre les inondations, cette alternative a également été soumise au jugement des individus. Théoriquement, les valeurs ainsi obtenues, CAP et CAR devraient être du même ordre de grandeur, exception faite du signe, naturellement (en pratique, cependant,nous savons que les valeurs de CAR excèdent celles de CAP). La mise en œuvre de la MEC a permis simultanément la collecte de données concernant les caractéristiques des ménages et de leur habitation, ainsi qu’un descriptif des dommages occasionnés par la crue de 1995. La MPH s’appuie, pour sa part, sur un marché de substitution dans lequel on cherche la valeur implicite d’un bien dénué de prix. L’idée sous-jacente réside dans le fait que certains biens échangés sur le marché ne sont pas des entités homogènes, mais au contraire des biens composites. Tel est le cas, entre autres, du marché immobilier. Les biens échangés sur ce marché peuvent en effet être considérés comme différenciés selon diverses caractéristiques. La MPH consiste à évaluer le prix implicite de chaque attribut présent dans ces biens. Le prix implicite de chaque caractéristique est alors obtenu par régression économétrique : en l’occurrence, le prix du risque inondation est obtenu selon différents positionnements géographiques, toutes choses étant égales par ailleurs. 12.4. Données mobilisées Les données récoltées proviennent de trois sources distinctes et complémentaires, à savoir : Les données des assurances ayant indemnisé les victimes de l’inondation de 1995, Les enquêtes auprès des personnes victimes de l’inondation de 1995, Les données des services fiscaux concernant les mutations immobilières. Les données récoltées auprès des assurances constituent un inventaire des dommages consécutifs à la crue de 1995, effectué dans la plupart des cas par un expert. Les informations recueillies, extraites de dossiers individuels, concernent principalement les dommages mobiliers et immobiliers, ces derniers étant différenciés entre le gros œuvre et les embellissements. Certaines informations marginales peuvent cependant être exploitées, comme la hauteur d’eau dans les bâtiments touchés par - 170 l’inondation, la mise en œuvre de mesures de sauvegarde visant à réduire la vulnérabilité des biens exposés et donc le montant des dommages, ou certaines caractéristiques des habitations (présence d’un sous-sol, etc.). Entrent également en ligne de compte les coûts liés au nettoyage et l’assainissement. Les enquêtes auprès des personnes victimes de l’inondation de 1995 ont été effectuées en 2000 sur deux communes particulièrement touchées : Attin et Neuville sous Montreuil. Les informations recueillies concernent : Des données concernant l’habitation inondée, les caractéristiques socio-économiques des occupants, Des données sur l’inondation de 1995 et le risque inondation, Des données portant sur les dommages tangibles et intangibles, Des données concernant les indemnisations provenant des assurances. Le contenu des enquêtes s’est sciemment porté sur celui des dossiers individuels d’indemnisation des assurances de manière à harmoniser les deux sources de données et pouvoir ainsi exploiter une base de données plus conséquente tout en permettant le recoupement des observations, notamment en ce qui concerne les déclarations d’indemnisation et le montant des dommages subis. Les données concernant les mutations immobilières concernent la totalité des transactions effectuées de 1995 à 1999 dans 15 communes limitrophes à la basse vallée de la Canche128. La base de données initiale renseigne sur les caractéristiques intrinsèques des habitations : surface utile, surface du terrain, qualité, nombre de pièces principales, etc. Chaque habitation est en outre parfaitement identifiable, ce qui nous a permis d’augmenter significativement le nombre de variables rattachées aux habitations : variables de localisation, variables relatives à la période de transaction, et variables relatives au positionnement au regard du risque inondation introduites après relevés sur le terrain. 12.5. Protocoles de mise en œuvre et mesure des dommages 12.5.1. Typologie des dommages Relier la survenance d’événements d’inondation à l’inventaire de dommages nécessite un préalable : celui de la définition des effets. Les effets peuvent être définis comme "tout changement objectif, provoqué par l’inondation, dans les systèmes naturels, humains, économiques" (Torterotot, 1993). L’évaluation économique n’a pas pour objet l’évaluation exhaustive des effets, mais plutôt celle des impacts, qui peuvent être définis comme les effets entraînant une modification du bien-être des 128 Ces communes sont : Attin, Beaumerie-Saint-Martin, Beutin, Brexent-Énocq, Brimeux, La Calotterie, Écuires, La Madeleine sous Montreuil, Marenla, Marles sur Canche, Montreuil sur Mer, Neuville sous Montreuil, Saint-Josse, Sorrus et Tubersent. 171 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION populations, exposées ou non. On comprend aisément que les phénomènes d’inondation, peuvent engendrer, à la fois des effets positifs et négatifs pour la collectivité. Les dommages que nous étudions, peuvent dès lors être considérés comme les modifications négatives de bien-être liées aux effets des événements d’inondation. Reste que l’ensemble des dommages n’a pas nécessairement de traduction monétaire, ce qui constitue une première difficulté à laquelle est confrontée l’évaluateur. Tel est le cas, par exemple, du stress subi lors de l’occurrence d’une crue ou la perte d’objets chers. On peut donc opposer les dommages monétaires aux dommages non monétaires. Un second obstacle provient de la relation indirecte pouvant exister entre l’événement d’inondation et l’apparition de dommages. L’exemple le plus courant demeure celui des coupures des voies de communication ou des arrêts temporaires d’activité économique. On distingue alors les dommages directs des dommages indirects. Le caractère tangible ou intangible de tel ou tel impact est souvent avancé pour matérialiser une troisième dichotomie des dommages. Cette distinction s’appuie sur l’impossibilité d’extraire de l’inventaire de ces dommages une valeur monétaire directe. Dans ce sens, on peut partiellement l’apparenter à la dichotomie monétaire / non monétaire puisque l’intangibilité caractérise également l’exemple des dommages liés au stress. Monétaires, non monétaires, indirects, directs, intangibles, tangibles, les dommages liés aux événements d’inondation peuvent faire l’objet de multiples typologies tant leurs impacts reflètent la complexité régissant les rapports entre les sphères sociales, environnementales et économiques. Aucune dichotomie ne semble, de ce fait, pouvoir se prévaloir d’une supériorité par rapport à une autre. 12.5.2. Articulation des différents types de dommages pris en compte dans l’étude Les différentes sources de données mettent en lumière différentes valeurs de dommages, sans pour autant éviter des recoupements susceptibles de nuire à l’évaluation. Il convient dès lors d’expliciter les dommages appréhendés lors de cette étude. Chaque base de données permet individuellement la révélation de différents types de dommages : Dans le cadre de l’enquête : Evaluation des dommages matériels et moraux consécutifs à l’inondation de 1994-1995, Evaluation des dommages matériels non avérés après l’inondation, dont l’occurrence est plus longue, notamment liée à l’instabilité du sol, l’humidification répétée des biens immobiliers (gros œuvre et second œuvre), ces dommages ne sont pas pris en compte par les assureurs, Evaluation des coûts moraux liés à la fréquence et la répétition des phénomènes de crue et d’inondation, Evaluation de la vulnérabilité (valeurs immobilières et mobilières, matériaux mis en œuvre, etc.), Evaluation des mesures de protection et de sauvegarde, Evaluation contingente de manière à déterminer les CAP et les CAR. - 172 Dans le cadre des données issues des assureurs : Evaluation des dommages matériels consécutifs à l’inondation de 1994-1995, Evaluation du coût des mesures de protection et de sauvegarde entrepris par les particuliers, Evaluation de la vulnérabilité mobilière (nombre de pièces principales). Dans le cadre des données issues des services des impôts d’Arras : Evaluation d’une dépréciation éventuelle des valeurs immobilières liée à la proximité ou la localisation au sein de la zone inondable et/ou liée à l’occurrence passée d’un événement d’inondation (méthode des prix hédoniques), Evaluation de la qualité des habitations selon les critères des services fiscaux, Typologie des habitats de la zone (plain-pied, étage, sous-sol) de façon à obtenir une première approche en termes de vulnérabilité, Evaluation de la vulnérabilité (valeurs immobilières et mobilières). Ces différentes évaluations sont enfin à rapprocher des méthodes mises en œuvre, puisque ces dernières ont une finalité commune : l’évaluation monétaire des dommages liés aux inondations. Les CAP doivent révéler une somme que l’individu consent en échange d’une disparition du risque inondation. Les CAP ainsi obtenus doivent donc en toute logique représenter un montant tel qu’il égalise l’espérance de perte liée aux événements d’inondation futurs, étant entendu que ces pertes peuvent être à la fois monétaires et non monétaires, directes et indirectes. A ce titre, les CAP constituent la mesure la plus exhaustive de la variation de bien-être consécutive aux événements d’inondation. 13. Résultats obtenus d'assurance auprès des compagnies 13.1. Introduction Les données issues des dossiers individuels d’indemnisation concernent principalement des habitations situées dans la basse vallée de la Canche, à l’exception de quelques-unes situées en aval et proches de l’embouchure du fleuve. Trente-trois dossiers ont pu ainsi être examinés et concernent exclusivement les indemnités liées à la crue survenue durant l’hiver 1994-1995. Ces dossiers sont susceptibles de nous renseigner principalement sur la nature des dommages (mobiliers, immobiliers), sur les coûts liés à la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde, sur les dépenses de remise en état ainsi que sur les montants indemnisés. Les informations marginales contenues dans les dossiers nous permettront en outre de différencier les 173 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION dommages selon différents comportements individuels : absence de protection, mise en œuvre de protection au mobilier, réalisation de mesures de protection des biens immobiliers, et selon les différentes parties de l'habitation touchées par l'inondation : rez-de-chaussée, sous-sol, bâtiments annexes et garages. Enfin, nous envisagerons une caractérisation des taux moyens d'endommagement mobilier et immobilier également différenciés selon les comportements individuels et les types de pièces inondées. 13.2. Typologie des dommages Les dossiers émanant des compagnies d’assurance déclinent deux grands types de dommages aux habitations : les dommages immobiliers, dans lesquels on différencie les dommages au gros œuvre et les dommages aux embellissements, c’est-à-dire le second œuvre, et les dommages au contenu, c’est-àdire les dommages mobiliers. Les indemnisations portent en conséquence principalement sur ces trois types de dommages, même si d’autres paramètres entrent en ligne de compte. D’une manière générale, on peut caractériser l’indemnisation provenant des compagnies d’assurance comme fonction de plusieurs éléments, définis comme suit : I = Dimm + αDmob + P + N − F où Dimm représente la somme des dommages immobiliers, Dmob la somme des dommages mobiliers, α le coefficient de vétusté, P les dépenses engagées pour les mesures ponctuelles de protection et de sauvegarde, N les dépenses liées au nettoyage et F la franchise CATNAT prélevée sur le montant des dommages, prévue par le législateur129 . Les dommages sont en outre évalués par des experts. Ainsi, les indemnisations concernent avant toute chose des dommages matériels tangibles, auxquels viennent s’adjoindre les dépenses destinées à réduire la vulnérabilité et donc les dommages occasionnés par l’inondation. Tel est le cas, en l’occurrence, de l’achat de matériaux destinés à la surélévation temporaire du mobilier (parpaing, tréteaux, planches, etc.), la main-d’œuvre nécessaire à leur édification, et enfin les matériels d’évacuation des eaux (pompes). Ces frais sont donc représentés par la variable P. Pour ce qui est des mesures de protection structurelle, elles ne sont naturellement pas prises en compte lors de l’indemnisation. Cependant, les individus peuvent s’en faire prévaloir auprès des compagnies d’assurance dans le but de réduire le montant de leur prime annuelle puisque si ces mesures n’influent en rien sur le risque stricto sensu, elles n’en demeurent pas moins des mesures visant à la réduction de la vulnérabilité. L’indemnisation tient compte de la remise en état sanitaire de l’habitation, via le calcul du coût de la main-d’œuvre et de matériel nécessaire au nettoyage et la désinfection de l’habitation, représenté par la variable N. Notons enfin que l’évaluation des coûts implique une évaluation de la remise en l’état initial, c’est-àdire antérieur à l’événement d’inondation. Cette évaluation, difficilement quantifiable lorsqu’il s’agit de 129 Cette dernière était de 1.500 francs pour un particulier et 4.500 francs pour les professionnels. Depuis la publication des décrets d'application de la loi Barnier (J. O. du 12 septembre 2000), le montant de la franchise CATNAT est passé à 2.500 francs pour un particulier et 4.500 pour les professionnels. - 174 dommages au second œuvre qui impliquent une réfection pure et simple, est principalement mise en œuvre dans le cadre des dommages liés au mobilier, auxquels est adjoint un coefficient de vétusté, en l’occurrence α, comme c’est le cas pour d’autres préjudices, comme le vol par exemple. 13.3. Evaluation des dommages Nous déclinons ici l’inventaire et l’évaluation des dommages tels que définis dans la nomenclature issue des assurances. 13.3.1. Dommages immobiliers Les dommages immobiliers peuvent être déclinés selon leur vulnérabilité face aux paramètres de submersion, et notamment la durée. Ainsi considère-t-on successivement les dommages au gros œuvre, ce dernier mettant en œuvre des matériaux difficilement altérables lors d’une crue, tels que le béton, la brique, la pierre naturelle, etc., qui constituent la structure de l’habitation. A contrario, les dommages au second œuvre (dénommés également embellissements) concernent des matériaux beaucoup plus vulnérables comme le plâtre, les textiles, le bois, le papier peint, etc., destinés principalement à la décoration. Les dommages immobiliers concentrent une large majorité des coûts subis par les populations : plus de 75 % des dommages expertisés consécutifs à l’événement d’inondation. Cette proportion est à mettre en relation avec les caractéristiques des crues de la Canche : réputées lentes, elles impliquent une durée d’occurrence qui permet aux individus de protéger leurs biens mobiliers, alors que leur caractère durable (près de 3 mois dans certains secteurs) cause davantage de dommages au bâti submergé130. En moyenne, sur les 33 dossiers d’indemnisation retenus, le coût des dommages immobiliers s’élève à 17.320 francs. La nature des matériaux exposés conditionne pour une large part la vulnérabilité des habitations : le gros œuvre est de ce fait moins vulnérable que les matériaux mis en œuvre pour les embellissements. Cette distinction se reflète parfaitement dans les données issues de l’échantillon puisque les dommages au gros œuvre ne représentent que 23,2 % des dommages immobiliers, et ne concernent que 28 % de l’échantillon131 pour une moyenne de 4.020 francs. En revanche, les dommages au second œuvre constituent une part importante des coûts subis par les individus : 13.300 francs en moyenne. Par ailleurs, près de 80 % de l’échantillon est concerné par ce type de dommage. 13.3.2. Dommages mobiliers Comme nous l’avons précisé supra, l’évaluation des dommages liés aux biens mobiliers (ou contenu), s’effectue vétusté déduite. Comme pour le cas des dommages immobiliers, le montant des pertes doit être mis en relation avec les caractéristiques des crues de la Canche. En l’occurrence, on peut estimer qu’en ce qui concerne les 130 Des dommages immobiliers peuvent en outre survenir bien après l’occurrence de la crue, notamment du fait de l’existence d’un délai entre l’événement et l’apparition des dommages. Tel est le cas, par exemple, des fissures, y compris pour certaines habitations n’ayant pas été ou peu submergées. 131 Les individus affectés par ce type de dommage supportent un préjudice évalué en moyenne à plus de 14.000 francs. 175 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION biens mobiliers, et contrairement au bâti, le paramètre de submersion principal est la vitesse de montée des eaux : la montée très lente des eaux permet aux populations de mettre en œuvre des mesures de sauvegarde (surélévation ou déménagement dans des pièces refuge à l’étage). Reste que certains paramètres peuvent influencer lourdement le montant des dommages liés au mobilier. Tel est le cas, en l’occurrence : Des ruptures de digue et débordements, qui entraînent une montée des eaux soudaine interdisant toute mise en œuvre de mesures de sauvegarde, De la saturation des nappes phréatiques à fleur de sol provoquant des remontées par capillarité via le sol ou les réseaux d’assainissement, affectant principalement le premier niveau des habitations : sous-sol ou rez-de-chaussée selon la configuration du bâti, Des coulées de boue affectant irréversiblement les biens mobiliers exposés. L’on peut aisément, alors, se figurer l’impact ambivalent que peuvent créer certaines mesures de protection structurelle sur l’évaluation du risque ressenti par les individus. En effet, dans le cas de ruptures de digues ou de débordements, les populations concernées peuvent s'abstenir de mettre en œuvre des mesures de protection ponctuelle, s’estimant à l’abri de toute submersion. Ici donc, les mesures de protection structurelle sont susceptibles d’exercer un effet contraire à celui escompté : une aggravation de la vulnérabilité. Les dommages mobiliers concentrent près de 25 % du préjudice faisant l’objet d’une indemnisation via les compagnies d’assurance. En moyenne, le coût lié à la perte ou la dégradation de mobilier s’élève à 5.580 francs sur les 33 dossiers d’indemnisation retenus. D’autre part, près de 80 % de l’échantillon est concerné par ce type de dommage, en dépit de paramètres de submersion favorables à la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde (délais de montée des eaux). 13.3.3. Mesures de protection et de sauvegarde Les mesures de protection et de sauvegarde visent à réduire la vulnérabilité des biens exposés à l’aléa, et donc le montant des dommages susceptible d’être supporté par l’individu et/ou l’assurance. Ces mesures concernent aussi bien le bâti que le contenu. Concernant le bâti, elles se matérialisent principalement par : L’installation de pompes à eau visant à l’écopage en dehors de l’habitation, La confection de batardeaux visant à l’obturation des portes et fenêtres susceptible d’éviter l’intrusion de l’eau dans l’habitation. L’indemnisation de ces mesures concerne à la fois la fourniture et la main-d’œuvre. Concernant le contenu, les mesures de protection et de sauvegarde consistent en : La surélévation des meubles sur des parpaings et planches, l’éloignement des véhicules, etc., Le déménagement du mobilier dans une pièce à l’étage le cas échéant. Ici encore, l’indemnisation porte sur la fourniture du matériel et la main-d’œuvre (déplacement et replacement). D’une manière générale, les mesures de protection ponctuelle sont largement entreprises par les individus : 75 % de l’échantillon procède à ce type de mesures de baisse de la vulnérabilité, relativement aisées à mettre en œuvre. - 176 Deux raisons principales peuvent cependant expliquer l’abstention ou la faiblesse de mise en œuvre de mesures de sauvegarde à l'échelle individuelle : Une sous-évaluation du risque, du fait de la présence de digues sécurisant les populations, couplée à une rupture de digue, inondant brutalement les habitations (plus de 10 % de l’échantillon a été surpris par une rupture de digue), Une incapacité physique des occupants (vieillesse, isolement) ou une absence durant les premiers jours de l’événement d’inondation. Le tableau 15 ci-dessous différencie la moyenne des catégories de dommages par la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde : Tableau 15 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon la mise en œuvre ou l’absence de mesures de protection à l’échelle individuelle Dommages immobiliers Dommages au gros œuvre Dommages au second œuvre Dommages mobiliers Moyenne des dommages Mise en œuvre de protection 23.204 (83.2 %) 5.506 17.698 4.695 (16.8 %) 27.899 Absence de protection 8.742 (38.4 %) 0 8.742 14.017 (61.6 %) 22.759 Moyenne échantillon 17.320 (75.6 %) 4.020 13.300 5.580 (24.4 %) 22.900 Paradoxalement, les individus s’étant abstenus d’entreprendre des mesures de protection subissent en moyenne un préjudice inférieur à ceux ayant mis en œuvre de telles mesures (variation de - 18,4 %). Cependant, il convient de préciser que les mesures n’ont pas pour l’instant fait l’objet d’une différenciation selon qu’elles s’appliquaient à la sauvegarde du mobilier ou de l’immobilier, ni selon qu’elles constituent des mesures de protection structurelle ou ponctuelle. Les mesures de protection prises généralement semblent particulièrement efficaces en ce qui concerne la sauvegarde des biens mobiliers : facilement mises en œuvre (surélévation à l’aide de parpaings ou déplacement à l’étage), elles impliquent une réduction spectaculaire de la vulnérabilité et donc du coût lié aux dommages mobiliers (variation de – 66,5 % par rapport à une situation d’absence de mise en œuvre). La valeur nulle liée aux dommages au gros œuvre pour les individus n’ayant pas entrepris de mesure de protection, ainsi que le faible coût relatif afférent aux dommages au second œuvre restent aisément explicables : la relation pouvant exister entre la mise en œuvre de protections et le coût des dommages doit être complétée par l’intensité de l’exposition des biens à l’aléa, c’est-à-dire une caractérisation de la vulnérabilité. Ainsi, l’on peut considérer que les mesures de protection ne sont pas systématiquement mises en œuvre mais bien entreprises après réflexion concernant : L’évaluation du risque, L’évaluation du dommage potentiellement évité, L’évaluation éventuelle du coût de mise en œuvre. Il n’y a donc pas forcément de relation de cause à effet entre la mise en œuvre de mesures de protection et la valeur des dommages immobiliers, aussi bien pour le gros œuvre que pour le second 177 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION œuvre : les mesures de protection et de sauvegarde sont avant tout des mesures individuelles de réduction de la vulnérabilité, et non pas des mesures de protection telles qu’on pourrait les considérer à l’échelle du bassin qui impliqueraient, au moins théoriquement, une protection durable et absolue contre les inondations et donc les dommages. A contrario, les mesures de sauvegarde ont un effet notable sur le coût lié aux dommages mobiliers ou du moins sur les biens pouvant faire l’objet de déplacement132, et l’on peut raisonnablement estimer que ces mesures sont globalement efficaces lorsqu’elles sont entreprises : le déménagement du mobilier dans une pièce refuge, par exemple, implique une protection définitive contre la submersion. Les données issues des assurances nous fournissent par ailleurs des renseignements sur le type de mesures de sauvegarde assurées par les individus. Comme nous l’avons explicité supra, ces mesures sont différenciées selon qu’elles visent à limiter l’endommagement au mobilier ou à l’immobilier. Sur les 75 % de l’échantillon pour lesquels nous avons la trace de mise en œuvre de mesures de protection, 53 % concernent des mesures de protection du mobilier et 60 % des mesures de protection du bâti (13,3 % ont mis en œuvre simultanément les deux types de mesures). Le tableau 16 ci-dessous reprend la valeur des dommages selon le type de protection entrepris par les individus. Tableau 16 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon le type de mesure de protection mis en œuvre à l’échelle individuelle Protection mobilière Dommages immobiliers Dommages au gros œuvre Dommages au second œuvre Dommages mobiliers Moyenne des dommages 29.123 (85.1 %) 8.624 20.499 5.085 (14.9 %) 34.207 Protection Absence de immobilière protection 17.866 (82 %) 1.511 16.356 3.928 (18 %) 21.794 8.742 (38.4 %) 0 8.742 14.017 (61.6 %) 22.759 A l’instar du tableau 15, le tableau 16 illustre clairement l’impact de la mise en œuvre des mesures de protection sur la valeur des dommages mobiliers. Toutefois, on peut remarquer que les dommages mobiliers sont encore plus faibles lors de l’adoption de mesures de protection immobilière. Ce fait ne signifie cependant pas que ces dernières soient plus efficaces que les mesures de sauvegarde immobilière : elles traduisent simplement le fait que les deux types de mesure peuvent avoir une incidence positive sur la vulnérabilité des biens mobiliers, et que les individus ayant exclusivement entrepris des mesures de protection du bâti n'étaient pas concernés par un risque de dommage mobilier. Ce postulat vaut également pour les dommages immobiliers : les personnes n'ayant pas entrepris de mesures de protection subissent un dommage manifestement moindre (près de 50 %) que celles s'étant protégées : on peut considérer qu'elles s'estiment moins exposées à l'aléa que les personnes ayant réalisé ce type de mesure. Enfin, les mesures de protection mobilière ne semblent pas influer sur la vulnérabilité du bâti : les individus ayant engagé exclusivement ce type de mesure subissent un dommage immobilier de 63 % supérieur à celles ayant mis sur pied des mesures de protection immobilière. 132 Tel n’est pas le cas, en l’occurrence, des mobiliers fixés à l’immeuble, comme les meubles de cuisine et de salle de bain. - 178 13.3.4. Configuration du bâti et vulnérabilité intrinsèque A l'instar des mesures de protection structurelle mises en œuvre par les individus, certaines caractéristiques immobilières peuvent influer pour une large part les dommages. Nous avons, à ce propos, déjà évoqué la vulnérabilité moindre des matériaux de gros œuvre. La configuration du bâti concerne, au-delà des mesures de protection structurelle, l'agencement général de l'habitation. La vulnérabilité afférente à l'habitation est envisagée ici selon deux caractéristiques principales qui sont pourtant fortement dépendantes l'une de l'autre : La configuration de l'habitation stricto sensu (nombre de pièces principales, présence d'un sous-sol, etc.), L'usage de chaque pièce ou niveau, en lien avec l'aléa. La configuration d'une habitation conditionne pour une large part la vulnérabilité. C'est le cas, principalement, de la présence d'un sous-sol, d'un étage, d'un vide sanitaire et du nombre de pièces principales. Néanmoins, ces éléments de configuration n'influencent pas dans le même sens la vulnérabilité face à l'aléa. La présence d'un étage peut contribuer à une baisse de la vulnérabilité à la fois mobilière et immobilière. On peut estimer en effet que la valeur de l'habitation est répartie sur plusieurs niveaux dont l'un peut être soumis à l'aléa, tandis que l'autre, en l’occurrence l'étage, bénéficie d'une vulnérabilité nulle ou quasi-nulle. La vulnérabilité mobilière s'en trouve alors amoindrie, d'autant plus que la présence d'un étage permet aux individus de stocker provisoirement le mobilier soumis à l’aléa à l'abri de l'immersion. La vulnérabilité du bâti, toutes choses étant égales par ailleurs, est également moindre que celle d'une habitation de plain-pied puisque la valeur de l'habitation est répartie sur deux niveaux : ici encore, le nombre de pièces potentiellement soumis à l’aléa est nécessairement moindre. La présence d'un sous-sol influe également, pour une large part, sur le montant des dommages. Du point de vue des dommages mobiliers, on estime qu'une grande partie du contenu entreposé dans le sous-sol n'a que peu de valeur tant du point de vue vénal que de celui de l'usage, et ce, relativement au contenu entreposé dans l'habitation. De plus, dans l'hypothèse où certains éléments de valeur sont présents en sous-sol, l’adoption de mesures de sauvegarde aisément et largement entreprises par les individus permet de réduire considérablement la valeur des dommages (tableau 16). Du point de vue des dommages immobiliers, le même constat peut être fait puisque le second œuvre (embellissements) n'est que rarement présent au sous-sol. En cela, nous pouvons considérer que ce niveau n'est que peu vulnérable. Le tableau 17 reprend le montant des dommages en différenciant les habitations avec ou sans sous-sol. Tableau 17 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon la présence ou l'absence de sous-sol dans l'habitation Dommages immobiliers Dommages au gros œuvre Dommages au second œuvre Dommages mobiliers Moyenne des dommages Présence de sous-sol 7.216 (55.9 %) 1.216 6.000 5.690 (44.1 %) 12.906 Absence de sous-sol 24.898 (81.9 %) 6.126 18.774 5.498 (18.1 %) 30.398 Moyenne échantillon 17.320 (75.6 %) 4.020 13.300 5.580 (24.4 %) 22.900 Les habitations avec sous-sol subissent ainsi des dommages bien inférieurs à la moyenne de l'échantillon, et a fortiori aux habitations dénuées de cave. En matière de dommages au gros œuvre, la présence d'un sous-sol semble impliquer une faible 179 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION vulnérabilité et donc un faible montant des dommages, ce qui reste à expliquer. Pour ce qui concerne les dommages au second œuvre, on assiste à un effet identique à celui constaté précédemment : la présence d'un sous-sol diminue considérablement le coût lié à ce type de dommage. Paradoxalement, les dommages mobiliers semblent s'équivaloir dans les deux configurations, constat pour le moins surprenant puisque nous avions émis l'hypothèse selon laquelle le contenu entreposé au sous-sol ne représente que peu de valeur. Cependant, ce fait peut être contrebalancé par l'abondance des objets stockés à la cave. D'une manière générale, les habitations avec sous-sol semblent significativement moins vulnérables que celles qui en sont dénuées. Pourtant, nous pouvons raisonnablement estimer que le sous-sol constitue une pièce de l'habitation excessivement vulnérable aux inondations, a fortiori si nous nous référons de nouveau aux caractéristiques des crues de la Canche, qui rappelons-le, surviennent en partie du fait de la saturation des nappes phréatiques affleurant le sol. En l'occurrence, plus de 90 % des individus occupant une habitation avec sous-sol ont vu ce dernier inondé. En revanche, aucune des habitations avec sous-sol n'a été inondée au rez-de-chaussée. En conclusion, la présence d'un sous-sol semble prévenir de l'immersion des autres niveaux, ces derniers étant réputés beaucoup plus vulnérables aux inondations, tant du point de vue du contenu que de celui des dommages immobiliers, et particulièrement du second œuvre. D'autre part, on peut estimer que le sous-sol joue ici, le rôle de vide sanitaire, permettant l'évacuation des eaux et impliquant une surélévation du premier plancher de l'habitation. Si la présence de la cave semble être corrélée avec un montant de dommages moindre, il peut exister d'autres caractéristiques du bâti impliquant une moindre vulnérabilité aux inondations, du moins si l'on s'en réfère aux coûts induits. Tel est le cas, notamment, des bâtiments connexes : garages et dépendances, qui peuvent avoir une destination commune avec celle d'un sous-sol. La présence de bâtiments ou pièces connexes n'écarte cependant pas le risque de submersion de l'habitation. Reste que la vulnérabilité immobilière et mobilière de telles constructions peut s'apparenter à celle d'un sous-sol, dans la mesure où les travaux d'embellissement y sont moindres que dans l'habitation stricto sensu. Le tableau 18 examine le coût des dommages en différenciant différentes parties du bâtiment inondé. Tableau 18 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon le type de pièce inondée Sous-sol Garage, Habitation dépendance Dommages immobiliers Dommages au gros œuvre Dommages au second œuvre Dommages mobiliers Moyenne des dommages 7.216 (55.9 %) 1.216 6.000 5.690 (44.1 %) 12.906 2.829 (37.3 %) 0 2.829 4.760 (62.7 %) 7.589 Moyenne échantillon 29.991 (84.1 %) 7.537 22.454 5.669 (15.9 %) 35.660 17.320 (75.6 %) 4.020 13.300 5.580 (24.4 %) 22.900 Si la présence d'un sous-sol semble impliquer une vulnérabilité moindre du bâti, le tableau 18 met en évidence une hiérarchisation des dommages selon l'usage qui est fait des différentes parties d'une propriété sujette à l'inondation. - 180 Dans le cas des dommages se rapportant aux pièces connexes telles que les garages et dépendances, la majorité du préjudice est matérialisée par le coût lié à la détérioration du mobilier, cependant moindre que dans le cas d'un sous-sol. Ainsi, les individus subissant des dommages exclusivement liés à ce type de bâti supportent un coût trois fois moins important que l'ensemble de l'échantillon, et près de cinq fois moindre que les victimes concernées par une inondation du rez-de-chaussée de leur habitation. Le coût des dommages immobiliers induit par l'inondation de l'habitation s'élève ainsi à près de 30.000 francs en moyenne. Comme nous l'avions présupposé, la vulnérabilité de cette dernière est largement supérieure aux pièces connexes, eu égard d'une part aux matériaux présents, notamment de second œuvre, beaucoup plus onéreux et sensibles à l'immersion, et d'autre part au contenu qui y est entreposé. 13.3.5. Dépenses de nettoyage et d'assainissement Bien que représentant une dépense marginale eu égard au coût des dommages globaux subis par les sinistrés, les dépenses de nettoyage et de remise en état représentent une charge systématique non négligeable, du fait de la généralisation de ce type de mesure. Ainsi, près de 90 % de l'échantillon a entrepris ce type de mesure, pour un montant moyen de 1.458 francs. Du fait de la durée de submersion excessivement longue, les mesures de nettoyage sont souvent nécessaires conjointement à des dépenses d'assainissement. D'une manière générale, ces dépenses ont mobilisé en moyenne près de 30 heures de main-d'œuvre assurées par les victimes elles-mêmes. 13.4. Evaluation des taux d'endommagement : première approche Les données issues des compagnies d'assurance fournissent avant toute chose une première quantification des dommages subis par les populations pour la crue de référence, à savoir celle survenue durant l'hiver 1994-1995. Si plusieurs résultats intéressants peuvent en être extraits (valeur des dommages immobiliers, mobiliers, coût des mesures de protection et de sauvegarde, impact de ces dernières sur la valeur des dommages, etc.), la possibilité de relier l'occurrence de l'aléa, voire les paramètres physiques de ce dernier, à la valeur des dommages qui en ont résulté semble représenter un enjeu autrement plus délicat à atteindre, notamment eu égard aux informations disponibles auprès des compagnies d'assurance. Cependant, en reprenant certaines règles de calcul issues de la profession, qui concernent l'élaboration de la prime, il reste possible d'appréhender tant soit peu une première approche en termes d'endommagement. Le calcul du taux d'endommagement nécessite en l'occurrence la connaissance exhaustive de la valeur des biens menacés, c'est-à-dire faisant l'objet d'une couverture de la part des compagnies d'assurance. Bien entendu, un inventaire exhaustif de la valeur du patrimoine immobilier, mais surtout mobilier, s'avère impossible pour ces dernières. C'est la raison pour laquelle la profession comptabilise, traditionnellement, la valeur des biens mobiliers contenus dans l'habitation par le biais du nombre de pièces principales. Concernant la valeur du patrimoine immobilier, la tâche se révèle beaucoup plus ardue du fait de l'absence d'informations détenues par les assurances. Cependant, nous envisagerons une première caractérisation de la valeur immobilière au travers le nombre de pièces principales, étant entendu que cette tâche représente une approche préalable qui fera l'objet d'une consolidation lors de l'évaluation effectuée à partir de la méthode des prix hédoniques (cf. infra). 181 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 13.4.1. Evaluation du taux moyen d'endommagement mobilier La formalisation du taux d'endommagement mobilier mobilise deux variables principales : La valeur des dommages mobiliers, issue des données provenant des dossiers d'indemnisation des assurances, La valeur du patrimoine mobilier, c'est-à-dire la valeur totale des biens non immobiliers menacés, calculée en fonction du nombre de pièces principales que contient l'habitation. Notons d'emblée que cette dernière information n'est pas systématiquement inventoriée dans les dossiers d'indemnisation des compagnies d'assurance. Les pièces réputées principales au sens des compagnies d'assurances représentent communément les chambres, séjours, salles à manger. Sont exclues de ce fait les cuisines, salles de bains, dépendances, garages, vestibules, celliers et autres caves. Au contenu de chaque pièce principale est attribué une valeur moyenne de 40.000 francs, valeur qui par ailleurs tient compte de l'omission des autres pièces de l'habitation. Cette valeur s'appliquant à un contenu ordinaire, l’assuré peut renégocier la valeur forfaitaire des pièces principales, et par-là même la couverture de l'assurance, dans l'hypothèse où la valeur mobilière contenue dans l'habitation excède significativement le montant forfaitaire. Le taux d'endommagement peut être spécifié comme suit : TDmob = Dmob = f (h, t , v, Pmob ,...) Vmob où Dmob représente de montant des dommages mobiliers, Vmob la valeur des biens mobiliers menacés, h, t et v les paramètres de submersion : successivement la hauteur d'eau, la durée d'immersion et la vitesse d'écoulement, et Pmob la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde du mobilier. D'autres variables peuvent également entrer en ligne de compte tant les variables influant potentiellement sur la vulnérabilité sont nombreuses (cf. infra). Il en est ainsi, par exemple, de la présence durant les premiers jours de l'événement d'inondation, des ruptures de digues, mais également des caractéristiques socioéconomiques des individus (âge, isolement, etc.). Le taux d'endommagement mobilier moyen de l'échantillon s'élève à 3,21 %. Reste que cette moyenne ne reflète que très imparfaitement la vulnérabilité eu égard aux nombreux paramètres entrant en ligne de compte (écart type de 3,94). Comme pour le cas de l'évaluation des dommages mobiliers, il s'agit donc de pouvoir différencier la valeur du taux d'endommagement mobilier selon différentes configurations du bâti. C'est précisément l'objet du tableau 19. Tableau 19 : Taux moyens d'endommagement différenciés selon le type de pièce inondée Habitation (rez-de-chaussée) 4,07 % Sous-sol 3,51 % mobilier Garage, dépendance 2,72 % (en pourcentage) Moyenne échantillon 3,21 % Les taux moyens d'endommagement mobiliers ne varient que très marginalement selon le type de pièce inondée, si ce n'est qu'en ce qui concerne les annexes (garage, dépendance), pour lesquels nous pouvons observer une vulnérabilité moindre, comme nous l'avions mis en évidence dans le tableau 4. A contrario, lorsque le rez-de-chaussée de l'habitation principale est inondé, le taux d'endommagement augmente sensiblement (4,07 %). - 182 Outre la différenciation selon le type de pièce inondée, les comportements individuels vis-à-vis du risque inondation ont susceptibles d'influer sur l'endommagement puisque la mise en œuvre de ce type de mesure influence notablement le coût des dommages comme nous l'avons explicité dans le tableau 16. Tableau 20 : Taux moyens d'endommagement mobilier différenciés selon le type de comportement individuel Absence de protection 10,55 % Protection 2,59 % Protection mobilière 2,75 % Protection immobilière 2,26 % (en pourcentage) Moyenne échantillon 3,56 % Si l'impact des mesures de protection mobilière et immobilière sur l'endommagement mobilier moyen semble relativement homogène (valeur de l’endommagement pour protection, protection mobilière et protection immobilière), le tableau 20 met par ailleurs en évidence l'influence significative des comportements individuels de protection sur l'endommagement mobilier. Ainsi, les occupants s'étant abstenus de mettre en œuvre des mesures de protection et de sauvegarde, qu'elles soient mobilière ou immobilière, subissent un endommagement mobilier plus de 4 fois supérieur à ceux ayant entrepris ce type de mesure. Cet écart est lui-même sensiblement supérieur à celui du montant des dommages mobiliers différencié selon la mise en œuvre ou l'absence de protection (tableau 15). 13.4.2. Evaluation immobilier du taux moyen d'endommagement Les compagnies d'assurance ne détenant pas d'informations concernant la valeur des biens immobiliers assurés, il s'avère a priori difficile d'évaluer un taux d'endommagement immobilier. Cependant, les données disponibles dans les dossiers d'indemnisation permettent la mise au point d'indicateurs d'endommagement, même si ces derniers ne sont pas fondés sur la valeur immobilière. Comme pour l'endommagement mobilier, l'endommagement immobilier peut être défini tel que : TD mob = Dimmo = f (h, t , v, Pimmo ,...) . Vimmo où Dimmo représente de montant des dommages immobiliers, Vimmo la valeur des biens immobiliers menacés, h, t et v, les paramètres de submersion, et Pimmo la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde des biens immobiliers. A l'instar de l'endommagement mobilier, d'autres variables peuvent influer le taux d'endommagement immobilier, en l'occurrence les matériaux utilisés, la présence d'un vide sanitaire, etc. Reste que nous ne disposons systématiquement pas d'évaluation directe de la valeur immobilière. Les seules informations disponibles auprès des compagnies, concernent à ce sujet le nombre de pièces principales et les configurations du bâti (sous-sol, dépendances, garage). Nous avons fait l'hypothèse par la suite que l'ensemble des habitations de l'échantillon contenaient une salle de bains et une cuisine. En ce qui concerne la quantification du prix implicite de chaque élément de l'habitation, nous avons fondé l'évaluation sur la méthode des prix hédoniques, en observant les transactions effectuées de 1995 à 1999 inclus dans les communes de la basse vallée de la Canche. Les régressions pratiquées sur cet échantillon nous ont permis d'extraire une première fonction de prix hédoniques, de spécification linéaire, de manière à pouvoir approcher une évaluation monétaire, si imparfaite soit-elle, des habitations détenues par les personnes indemnisées. La fonction de prix hédoniques mobilise, à ce titre, six variables, que sont : le nombre de pièces 183 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION principales, la présence d'une salle de bains, d'une cuisine, d'un garage, d'une cave ainsi que le nombre de dépendances. L'incomplétude du modèle reste le principal handicap dans la mesure où le r² n'est que de 0,42 % : bon nombre de variables déterminantes ne sont effectivement pas prises en compte, notamment la surface sur terrain, et l'ensemble des variables de voisinage ainsi que celles ayant trait à la localisation des habitations vis-à-vis du risque inondation. Cependant, les estimations peuvent être considérées comme suffisantes car, rappelons qu’il s’agit d’approximer la valeur des habitations, cette information n’étant pas détenue par les compagnies d’assurance. La spécification de la fonction linéaire peut être décrite comme suit : Vimm = a − αpp + βsdb + χcui + δgar + εdiv + φcav avec pp, sdb, cui, gar, div, cav le nombre de types de pièces qui constituent l'habitation. Les résultats obtenus par régressions fournissent ainsi le prix implicite de chaque caractéristique. Les valeurs obtenues pour chacune d’elles sont a = 129.508, α = 76.055, β = 138.035, χ =112.195, δ =12.188, ε = 16.188 et φ = - 46.230. Les valeurs immobilières ainsi obtenues ne sont constituées, comme nous l'avons spécifié supra, que des prix implicites des attributs immobiliers, nonobstant la prise en compte des valeurs foncières. Il reste cependant important de préciser que la connaissance du terrain nous a permis de modifier quelques-unes des valeurs des caractéristiques pour certaines habitations, étant donné l'écart existant entre la valeur immobilière "fictive" calculée et la qualité générale de l'habitation en question. De manière plus générale, la moyenne des valeurs immobilières ainsi obtenue est de l'ordre de 434.159 francs, alors que la valeur moyenne des transactions immobilières effectuées dans la basse vallée de la Canche entre 1995 et 1999 est de 410.935 francs, soit un différentiel de 5,65 %. A ce titre, nous pouvons considérer que l'estimation de la valeur immobilière fictive est une approximation acceptable. En ayant à notre disposition une valeur immobilière fictive, il nous est maintenant possible de calculer le taux d'endommagement immobilier en différenciant les divers comportements individuels et le type de pièce inondée : Tableau 21 : Taux moyens d'endommagement immobilier (en pourcentage) différenciés selon le type de comportement individuel et le type de pièce inondée Protection mobilière Protection immobilière Absence de protection Habitat inondé Sous-sol inondé Garage, dépendance inondés Moyenne échantillon Endommagement Endommagement Endommagement immobilier au gros œuvre au second œuvre 5,5 % 4,22 % 3% 6,43 % 1,66 % 0,62 % 1,5 % 0,33 % 0% 1,3 % 0,27 % 0% 4% 3,89 % 3% 5,13 % 1,39 % 0,62 % 3,77 % 0,72 % 3,04 % Le taux d'endommagement immobilier reste conditionné par le type de pièce concernée par l'inondation : les annexes (garage, dépendances) n'impliquent qu'un endommagement faible à l'instar des sous-sols, tandis que les personnes touchées à l'intérieur de leur habitation (principalement au rezde-chaussée) subissent un endommagement beaucoup plus important (dix fois plus qu'en cas d'inondation des pièces annexes, et plus de 3,5 fois que pour un sous-sol). Comme pour le montant des dommages immobiliers, il n'y a pas lieu d'opérer un lien entre l'endommagement immobilier et la réalisation de mesures de protection : l'absence de protection peut partiellement signifier que l'estimation faite par les occupants, des dommages potentiellement évités ne - 184 justifiait pas à leurs yeux l’effort d’entreprendre des mesures de protection immobilière. 13.5. Conclusion Les dossiers d'indemnisation issus des compagnies d'assurance représentent une première approche en terme d'évaluation des dommages liés aux inondations. Ils permettent en l'occurrence la quantification des dommages mobiliers et immobiliers, des coûts liés à la mise en œuvre de mesures de protection et de sauvegarde, des dépenses de nettoyage et d'assainissement, et enfin des taux d'endommagement moyens. L'ensemble de ces dommages est différencié selon plusieurs alternatives rendant compte des comportements individuels face au risque inondation ainsi que selon le type de pièce concerné par l'aléa. Concernant les dommages immobiliers, nous pouvons principalement déceler les points suivants : Les individus ayant entrepris des mesures de sauvegarde subissent en grande majorité des dommages immobiliers (plus de 80 %). Ces dommages concernent avant tout le second œuvre, plus vulnérable et plus onéreux. L'absence de protection s'apparente ici à une vulnérabilité moindre, par exemple une submersion en dehors de l'habitation principale. Le type de pièce inondée conditionne dans une large mesure le coût des dommages immobiliers : de moins de 3.000 francs en moyenne pour les pièces annexes (garage, dépendances) à près de 30.000 francs en moyenne pour les occupants dont l'habitation a été inondée. Concernant les dommages au mobilier : Les mesures de protection semblent avoir une efficacité accrue : dans le cas de l’adoption de telles mesures, les dommages mobiliers ne représentent que moins de 20 % du préjudice, tandis que l'absence de protection implique une part beaucoup plus importante (61,6 %) et un montant de dommage nettement supérieur. Contrairement aux dommages immobiliers, le type de pièce inondée ne semble pas conditionner de manière significative le montant des dommages mobiliers. Si l'on peut raisonnablement estimer que la valeur du contenu dans l'habitation est supérieure à celui entreposé dans les pièces annexes ou au soussol, le volume semble ici contrecarrer un probable écart de valeur. Tableau 22 : Récapitulatif des montants des dommages Immobilier Protection mobilière Protection immobilière Absence de protection Absence de sous-sol Sous-sol inondé Garage et/ou dépendance inondés Habitation inondée Moyenne échantillon Gros œuvre 8.624 1.511 Second œuvre Mobilier Moyenne 20.499 16.356 5.085 (14.9 %) 3.928 (18 %) 34.207 21.794 0 8.742 14.017 (61.6 %) 22.759 24.898 (81.9 %) 7.216 (55.9 %) 2.829 (37.3 %) 6.126 1.216 0 18.774 6.000 2.829 5.498 (18.1 %) 5.690 (44.1 %) 4.760 (62.7 %) 30.398 12.906 7.589 29.991 (84.1 %) 17.320 (75.6 %) 7.537 4.020 22.454 13.300 5.669 (15.9 %) 5.580 (24.4 %) 35.660 22.900 29.123 (85.1 %) 17.866 (82 %) 8.742 (38.4 %) L'élaboration des taux d'endommagement a nécessité des estimations, puisque les dossiers 185 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION d'indemnisation disponibles auprès des assureurs ne contenaient pas ces données. La valeur immobilière a donc été calculée à partir du nombre de pièces principales contenues dans l'habitation, auxquelles ont attribue une valeur forfaitaire de 40.000 francs. La valeur immobilière a été estimée à l'aide de variables explicatives dont la valeur a été estimée à partir d'un échantillon de 185 mutations effectuées dans la basse vallée de la Canche entre 1995 et 1999. Certaines variables explicatives ont été sciemment ignorées, du fait de l'absence totale de renseignements concernant leur présence et leur quantification dans les dossiers d'assurances. Il s’agit notamment des variables renseignant le foncier et la qualité, ainsi que d’autres paramètres que nous ne saurions appréhender implicitement. Quoi qu'il en soit, les écarts observés entre les différents taux d'endommagement mettent correctement en valeur l'influence des comportements individuels et des pièces sujettes à l'inondation. A l'instar de l'évaluation des dommages, le taux d'endommagement immobilier est principalement conditionné par la configuration du bâti : le taux d'endommagement suit bien entendu les tendances du montant des dommages. Dans le cas d'une submersion de l'habitation, le taux d'endommagement s'avère en moyenne plus de 3,5 fois plus important que dans le cas d'une inondation au sous-sol, et c'est le second œuvre qui représente l'endommagement le plus sévère, et ce dans n'importe quelle configuration. Le taux d'endommagement mobilier est au contraire davantage conditionné par la réalisation ou l'absence de protection. Dans ce dernier cas, les individus subissent en moyenne un endommagement avoisinant les 10 %, alors que les personnes ayant entrepris des mesures de sauvetage supportent un endommagement quatre fois moindre. Tableau 23 : Récapitulatif des taux moyens d'endommagement Protection mobilière Protection immobilière Absence de protection Présence d'un sous-sol Absence de sous-sol Sous-sol inondé Garage, dépen. inondés Habitation inondée Moyenne échantillon Immobilier 5,5 % 4,22 % 3% 1,66 % 5,34 % 1,77 % 0,62 % 6,43 % 3,77 % Gros œuvre 1,5 % 0,33 % 0% 0,27 % 1,06 % 0,25 % 0% 1,3 % 0,72 % Second œuvre 4% 3,89 % 3% 1,39 % 4,28 % 1,52 % 0,62 % 5,13 % 3,04 % Mobilier 2,75 % 2,26 % 10,55 % 3,57 % 3,56 % 3,51 % 2,72 % 4,07 % 3,21 % 14. Résultats obtenus auprès des personnes sinistrés Les enquêtes réalisées auprès des victimes d'inondation concernent les communes de Montreuil, Neuville-sous-Montreuil, La Calotterie et Attin. Elles ont porté principalement sur la crue survenue durant l'hiver 1994-1995 de manière à pouvoir y croiser les données issues des dossiers d'indemnisation des assurances. Les entretiens se sont déroulés durant entre 1999 et 2000 et ont porté sur 5 thèmes : Les caractéristiques de l'habitat, Le risque inondation et plus particulièrement la crue survenue durant l'hiver 1994-1995, Les dommages tangibles, notamment mobiliers et immobiliers, - 186 Les dommages intangibles et indirects, non pris en compte lors des indemnisations, Les indemnisations et la formulation de CAP et CAR dans l'hypothèse d'une réduction du risque inondation. A ces données ont été couplées celles issues des compagnies d'assurance de manière à révéler d'éventuels biais, notamment en ce qui concerne les montants des dommages et les indemnités perçues au titre de catastrophe naturelle133. Cette complémentarité s'est avérée cruciale par la suite dans la mesure où plusieurs facteurs semblent faire obstacle à l'utilisation exclusive des données d'enquêtes : D'abord, bien que l'événement d'inondation de référence ne soit ni trop ancien, ni trop récent (conformément aux modalités émises par Torterotot, 1993), la récurrence des phénomènes d'inondation majeurs (1988, 1995) et de période de retour moindre (1993, 1998) rend plus délicate l'évaluation des dommages matériels spécifiques à la crue de 1995 et a fortiori les dommages immobiliers. Ensuite, si l'énumération matérielle des dommages reste possible et leur conversion monétaire correcte, les personnes enquêtées s'avèrent souvent incapables d'évaluer les biens soumis à l'aléa (évaluation du mobilier, de l'immobilier), eu égard à la valeur des biens mobiliers assurés et à la moyenne des transactions immobilières relevées dans les communes intéressées. Enfin, les enjeux liés à la mise en œuvre de protection structurelle à l'échelle du bassin (endiguement du cours d'eau dans les zones urbanisées) peuvent conduire les individus enquêtés à surévaluer à la fois la valeur des biens exposés à l'aléa et le coût des dommages, de manière à accentuer la nécessité d'entreprendre ces mesures de protection et ce, rapidement134. De manière à atténuer cette difficulté apparente qu'ont les individus à émettre des mesures monétaires correctes des dommages et des biens exposés, les enquêtes ont porté également sur des mesures qualitatives de bien-être (échelles de bien-être) leur permettant une révélation facilitée des dommages subis. 14.1. Caractérisation de l'habitat Les données recueillies ont permis une caractérisation de l'habitat, de manière à appréhender l'évaluation du risque en terme de vulnérabilité. Outre les caractéristiques physiques, il est apparu opportun d'y joindre les caractéristiques socioprofessionnelles des occupants, toujours dans une optique d'évaluation de la vulnérabilité et des comportements individuels face au risque inondation. Aucune contrainte n'ayant été imposée aux personnes enquêtées, le pourcentage de réponse varie selon l'intérêt porté par les individus ainsi que selon le degré de précision de la réponse attendue. Afin de pallier les manques de données systématiques, la base de données à été modifiée de telle sorte qu'il a été substitué aux valeurs manquantes la moyenne de l'échantillon pour les variables continues (nombre de pièces principales, valeur mobilière, etc.). 133 Nous rappelons en effet que les dossiers d'indemnisation des compagnies d'assurance ne concernent que des habitations situées dans les communes faisant l'objet d'un arrêté catastrophe naturelle. 134 En dépit d'une information précise sur la nature de l'enquête précisant son caractère exclusivement universitaire. 187 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 14.1.1. Caractéristiques physiques Les renseignements concernant les habitations permettent une caractérisation des principales caractéristiques de l'habitat, à la fois en terme de confort et de vulnérabilité face à l'aléa. Sont ainsi répertoriés, pour chaque habitation le nombre de niveaux aménagés, l'existence d'un sous-sol, le nombre de pièces principales et secondaires, etc. La valeur immobilière est estimée par les individus enquêtés, après avoir énuméré les principales caractéristiques intrinsèques de l'habitation. Sont par la suite renseignées les caractéristiques extrinsèques, notamment celles liées aux risque inondation (existence d'une pièce refuge en cas d'inondation, aménagements défensifs contre les inondations, caractéristiques positives et négatives liées la situation de l'habitation, etc.). La valeur immobilière a été estimée, à l'instar des résultats obtenus auprès des compagnies d'assurance (cf. supra), à partir de l'échantillon répertoriant l'intégralité des transactions immobilières durant la période 1995-1999 inclus. N'ont cependant été retenues que les mutations ayant trait aux communes enquêtées, de telle sorte que l'estimation ainsi obtenue puisse rendre compte d'un effet spatial, eu égard au risque inondation mais également à la possible différenciation de la qualité de voisinage et de l'environnement en général. Ce postulat est par ailleurs requis si l’on s’en réfère à la nécessité d’homogénéité du marché immobilier dans la perspective d’évaluation par la méthode des prix hédoniques. De cette estimation de spécification linéaire, il est ressorti que le prix d'une habitation peut être décrit de la façon suivante : Vimm = a − αpp + βsdb + χcui + δgar + εdiv + φcav avec α, β, χ, δ, ε, φ le nombre de types de pièces qui constituent l'habitation. Les prix implicites obtenus sont a = 51.427, pp = 17.243, sdb = 115.453, cui = 90.000, gar =97.456, div = 42.643 et cav = 1.048 Ainsi, les coefficients diffèrent sensiblement de la première estimation immobilière effectuée lors du traitement statistique des données des assureurs. De cette manière, les prix moyens ne diffèrent que peu de la valeur moyenne des transactions effectuées entre 1995 et 1995 dans ces communes : 374.886 francs pour notre estimation contre 360.955 francs en moyenne pour les transactions observées, soit un écart de + 3,85 %. A l'opposé, la valeur immobilière moyenne estimée à partir des données d'enquête (c’est-à-dire à partir de la formulation des propriétaires) se révèle être disproportionnée par rapport aux valeurs observées : 632.941 francs contre 360.995 francs, soit un écart de plus de 75 %. Ainsi, seules les données concernant les caractéristiques intrinsèques ont été retenues, l'estimation de la valeur immobilière ayant été menée à partir de ces dernières, mais indépendamment de la valeur estimée par les individus. - 188 Le tableau suivant répertorie les principales caractéristiques liées aux habitations. Tableau 24 : Caractéristiques moyennes des habitations Caractéristiques de l'habitation Existence d'un sous-sol Existence d'un garage Existence d'une dépendance Nombre de pièces principales Existence d'une pièce refuge Valeur immobilière moyenne Habitations à deux niveaux Echantillon initial 43,9 % 40 % 65,5 % 4,79 75,76 % 632.941 66,6 % Echantillon final 35,29 % 19,61 % 37,25% 4,79 49,02 % 374.886 47,06 % Il est en outre possible d’intégrer une multitude de facteurs endogènes ou exogènes de l’habitation pouvant influencer la valeur de cette dernière, à l’instar des mesures de protection structurelle pouvant être entreprises par les occupants actuels ou précédents. Il en est par ailleurs de même des caractéristiques de l’environnement immédiat, tant du point de vue de l’accès aux services publics, que de celui des aménités liées à la proximité à des éléments du patrimoine naturel135. 14.1.2. Caractéristiques des individus occupants Certains facteurs humains conditionnent, à l'instar des facteurs physiques de l'habitat, la vulnérabilité des biens face à l'inondation. Entrent en ligne de compte le revenu, l'âge des individus, le nombre de personnes occupant l'habitation et le régime d'occupation. Nous pouvons considérer que le revenu est en partie constitutif de la valeur de l'habitation : les revenus les plus faibles sont en effet susceptibles d'occuper ou d'acquérir des habitations plus modestes que les revenus les plus élevés. La valeur exposée devrait donc croître avec le revenu. A contrario, les revenus les plus importants sont mieux à même de permettre la réalisation de mesures de protection susceptibles de réduire la vulnérabilité. L’impact de la variable de revenu est donc équivoque. Il en va de même pour le nombre d'individus occupant l'immeuble : les familles nombreuses sont susceptibles d'occuper des habitations contenant davantage de pièces principales, et donc davantage de biens exposés, tout en permettant une facilitation des mesures de sauvegarde, notamment ponctuelle, étant donné la présence de nombreux individus. A l'inverse, les personnes isolées sont moins capables d’entreprendre des mesures de protection et de sauvegarde, notamment les déplacements de mobilier. L'âge des occupants peut influencer de la même manière la vulnérabilité quant à la capacité à procéder à des mesures de protection ponctuelle. Cependant, la valeur des biens exposés, mobiliers et immobiliers, est susceptible de croître avec l'âge, du fait d’une période d'accumulation plus longue. Enfin, le régime d'occupation détermine pour une large part la nature des dommages, dans la mesure où les personnes enquêtées ne disposent que d'informations concernant la valeur des dommages qu'ils ont subis : dans le cas d'une location, la personne occupante est donc dans l'incapacité d'évaluer le coût des dommages immobiliers, ces derniers n'étant pas à sa charge. 135 Cependant, l’objet de cette partie tient davantage à l’explication des variables pouvant décrire la vulnérabilité et les dommages à partir des données d’enquêtes. L’étude précise des caractéristiques des biens immobiliers exposés à l’aléa fera l’objet d’une partie spécifique (cf. infra cinquième partie). 189 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Le tableau suivant relate les principales caractéristiques socio-économiques des individus enquêtés : Tableau 25 : Caractéristiques moyennes des occupants Caractéristiques des occupants Tranche de revenu moyen Age moyen Nombre moyen d'occupants Propriétaires Echantillon initial 5-10.000 francs 50 3,44 98,8 % Echantillon final 5-10.000 francs 50,6 3,44 93,88 % Les individus enquêtés disposent en moyenne d'un revenu compris entre 5 et 10.000 francs. L'âge moyen représente la moyenne des chefs de famille et de leur conjoint. Par ailleurs, les individus sont très majoritairement propriétaires de l’habitation occupée. Cette situation peut en outre influencer deux phénomènes : Les personnes propriétaires sont mieux à même d'entreprendre des mesures de protection structurelle à l'échelle individuelle, susceptibles de réduire la vulnérabilité mobilière et immobilière, et donc protéger la valeur de leur patrimoine. En revanche, les individus propriétaires éprouvent davantage de difficulté à quitter la zone inondable, du fait de la nécessité de vendre leur patrimoine, avec le risque de réaliser une moinsvalue substantielle (cf. supra). 14.2. Le risque inondation Si la crue de 1995 nous sert de référence en matière d'évaluation des dommages, notamment tangibles, il reste cependant évident que bon nombre d'éléments affectant le niveau de bien-être des individus sont conditionnés par la récurrence des phénomènes dans la zone d'étude, et de l'incertitude pesant sur eux quant à l'occurrence d'un tel phénomène. Ceci nous a donc conduit à envisager la question du risque inondation sur deux points principaux : L'évaluation, par les individus, du risque inondation en général tel qu'ils le perçoivent, Certaines caractéristiques de la crue de l'hiver 1994-1995 et les mesures de protection individuelle. 14.2.1. Le risque inondation La perception du risque, y compris le risque inondation, est fonction de nombreux facteurs (Torterotot, 1993), dont les principaux sont : Les caractéristiques physiques du risque, Ses manifestations et conséquences sur l'homme, Les expériences vécues relatives à ce risque, L'information produite le concernant, La possibilité de contrôle du risque ou de ses conséquences. Il est clair que la perception du risque inondation conditionne pour une large part les mesures individuelles de protection, et donc potentiellement le montant des dommages. Mais elle affecte par ailleurs le bien-être des individus au-delà même du contexte d'événements ponctuels d'inondation. - 190 L'acceptation du risque inondation est d'autant plus probable que les individus s'y sont exposés volontairement. En l'occurrence, les individus sont supposés accepter ce risque s'ils acquièrent une habitation située sur une zone qu'ils savent inondable. Bien entendu, les acquéreurs monnayent la prise de risque. Ils parient dans ce cas sur un différentiel de dommage probable qui serait en leur faveur : le différentiel de prix lié à la situation de l'habitation est estimé dans ce cas supérieur à la probabilité d'un montant de dommage égal au même différentiel sur un intervalle de temps donné. Dans l’hypothèse où l'acquéreur ne serait pas informé du caractère inondable, il est évident qu'il supporte, à lui seul, le coût des dommages à venir sans avoir, en contrepartie, bénéficié d'un différentiel de valeur immobilière lors de l'acquisition. Dans le cas d'une exposition répétée à l'aléa, nous pouvons supposer que l'individu cherchera à éviter les coûts à venir, liés aux inondations futures, et donc tendra à muter pour une autre zone. Au-delà d'un certain seuil, les coûts liés aux inondations sont donc tels qu'ils dépassent le différentiel de valeur d'achat dont les individus ont pu bénéficier à l'acquisition, ce qui les conduit à envisager une mutation. Pour limiter, voire éviter la probabilité de supporter les coûts liés aux inondations, il existe cependant une alternative à la mutation : la mise en œuvre de mesures de protection à l'échelle supra-individuelle. En dépit de documents législatifs clairs (la loi de 1807, toujours en vigueur, attribue aux riverains des cours d’eau la prise en charge des travaux de protection contre les crues), les individus estiment que la protection contre les crues reste du ressort de la collectivité. Les données concernant le risque inondation sont regroupées dans le tableau suivant : Tableau 26 : Perception du risque inondation Connaissance du risque avant emménagement Déménagement envisagé du fait du risque Occupant déjà inondé Intensité du risque dans la zone (0 à 10) Prévention des pouvoirs publics (0 à 10) Echantillon initial 20 % Echantillon final 11,76 % 46,4 % 70,59 % 6,42 2,56 25,49 % 70,59 % 6,42 2,57 Si l'on s'en tient aux réponses formulées, seulement 20 % des personnes enquêtées déclarent avoir été informées du risque inondation avant leur installation. En effet, aucun document officiel ne semble contraindre, ni le vendeur, ni l'intermédiaire éventuel, ni même le notaire, les derniers pourtant réputés professionnels, à informer l'acheteur potentiel du risque d'inondation encouru. Le risque inondation semble par ailleurs assez mal supporté pour une partie notable des individus inondés : près de la moitié déclarent avoir déjà pensé à déménager du fait de l'occurrence répétitive d'événements d'inondation, notamment depuis 1988. Soulignons au passage que certains individus ayant émis le vœu de se maintenir sur la zone inondable sont prêts à supporter l'occurrence d'inondations à venir, soit du fait de leur attachement à leur habitations (cas de certaines personnes âgées), soit du fait de la probable moins-value qu'ils supporteraient, moins-value qui impliquerait une limitation sérieuse des perspectives d'acquisition immobilière dans des conditions identiques (nonobstant les considérations de risque inondation). La part des individus ayant déjà subi des événements d'inondation révèle d'ailleurs partiellement ce constat : plus de 70 % des individus installés sur la zone sont concernés (et plus de 72,5 % des habitations, du fait d'implantations relativement récentes), et près de 84 % des individus ayant formulé avoir déjà eu l'intention de déménager ont déjà subi des inondations. La perception du risque inondation est sans équivoque : en moyenne, les individus enquêtés estiment la 191 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION gravité du risque de l'ordre de 6,42 sur une échelle allant de 0 à 10 (écart type de 2,45). Il ne semble d'ailleurs pas y avoir de divergence de perception entre les individus ayant déjà subi des événements d'inondation et le reste de l'échantillon. Notons par ailleurs que les personnes ne s'estiment inondées qu'en cas de sinistre apparu dans l'habitation ou les bâtiments annexes telles les dépendances. La submersion du jardin ne conduit pas les individus à s'estimer inondés. Dans certains cas, la récurrence des phénomènes de submersion de la cave, notamment en période pluvieuse (hiver et printemps) n'est même plus ressentie comme une inondation en tant que telle. Dans ce dernier cas de figure, l'usage du sous-sol est tout simplement réduit à un rôle de vide sanitaire, prévenant des inondations au rez-de-chaussée. Enfin, lorsque les individus sont interrogés sur les efforts consentis par les pouvoirs publics en termes de défense contre les inondations, ils expriment souvent un mécontentement dû à la lenteur de la mise en œuvre de mesures de protection structurelle (endiguement des zones urbanisées) et à l'incertitude quant à la date de réalisation (les travaux sont prévus depuis plusieurs années). En fin de compte, les individus inondés jugent plutôt sévèrement l'effort de prévention contre les inondations : 2,56 sur une échelle allant de 1 à 10. Par ailleurs, les individus semblent assez bien informés sur l'identification des pouvoirs publics concernés par ces mesures : DDE, communes et structure intercommunale. 14.2.2. L'événement survenu durant l'hiver 1994-1995 La crue de 1995 est particulièrement étudiée dans l'étude pour deux principales raisons : La nécessité de caler l'estimation des dommages sur une crue de référence, Elle constitue à la fois la crue majeure la plus récente et la plus forte crue connue du vingtième siècle, susceptible de se maintenir dans les mémoires. Les questions ont principalement porté sur les caractéristiques physiques de l'aléa (hauteur, durée) et les réponses ponctuelles apportées par les individus. Le tableau suivant décrit les principaux résultats : Tableau 27 : Caractéristiques de la crue de 1995 et réponses individuelles Hauteur de submersion au sol (en cm) Hauteur de submersion au sous-sol (en cm) Durée de submersion (en mois) Mesures de protection ponctuelle (en %) Mesures de protection structurelle (en %) Coût des mesures de protection ponctuelle Echantillon initial 34,3 84,2 2,6 84,3 35,3 1.778,5 Echantillon final 31,7 77,9 2,4 84,3 35,3 Deux hauteurs de submersion ont été considérées : au sol, c'est-à-dire au niveau du rez-de-chaussée pour les habitations, ainsi qu’ au niveau du plancher pour les garages et dépendances ; et au sous-sol, qui se caractérise par une hauteur de submersion beaucoup plus importante. Caractéristiques des crues de plaine, les durées de submersion sont très longues (jusqu'à 4 mois dans certains secteurs) et parfois intermittentes. Dans ce dernier cas, nous avons considéré la période de façon continue, étant donné que l'endommagement demeure identique dans les deux cas de figure. Les mesures de protection ponctuelle sont largement entreprises par les individus (près de 85 %), à l'instar de ce que nous avions mis en évidence lors du traitement des données d'enquête (75 % des dossiers d'indemnisation). Les individus s'étant abstenus de les mettre en œuvre évoquent principalement 3 raisons : - 192 L'incapacité physique d'y procéder (âge, isolement), bien que certains foyers aient bénéficié de l'aide des pompiers ou d'une coopération du voisinage, Le sentiment d'inutilité de ce type de mesure face à l'aléa, qui implique un comportement passif vis-à-vis des mesures de réduction des dommages136, L'absence physique lors des premiers jours de l'inondation. Les mesures de protection ponctuelle sont largement entreprises du fait de leur faible coût relatif (1.779 francs en moyenne). Par ailleurs, les frais occasionnés par leur mise en œuvre sont pris en compte lors des procédures d'indemnisation des victimes. Ils comprennent, entre autres, la maind'œuvre et les dépenses de matériel (pompes, batardeau, planches, etc.). Plus difficiles et plus coûteuses à mettre en œuvre, les mesures de protection structurelle sont moins entreprises, même si plus du tiers des individus interrogés déclarent l’avoir effectué. Deux raisons peuvent expliquer ce constat : Le coût de réalisation de ce type de mesure, souvent prohibitif du fait des aménagements importants au gros œuvre qu'il implique : surélévation, travaux d'étanchéité, rehaussement des installations (électricité, eau, gaz, etc.). Les individus ayant entrepris ce type de mesures déclarent avoir mobilisé en moyenne 165.500 francs. Par ailleurs, en considérant la moins-value potentielle dans l'hypothèse d'une vente, l'actuel propriétaire n'est pas assuré de la rentabilité de son investissement, L'incertitude quant à l'efficacité de ces mesures, les individus misant davantage sur des mesures de protection structurelle à l'échelle du bassin (endiguement, zones d'expansion des crues, etc.). L'efficacité de ces mesures est par ailleurs fonction de l'amplitude de l'aléa. A ce titre, certaines mesures s'avérant efficaces il y a deux décennies peuvent ne plus l'être actuellement du fait des modifications du risque inondation (récurrence, amplitude croissante des caractéristiques physiques, etc.). 14.3. Les dommages tangibles Les dommages tangibles représentent la catégorie de coût la plus étudiée, dans la mesure où nombre d'entre eux restent facilement évaluables. L'acception du terme tangible comprend ici tout dommage pouvant être évalué monétairement et directement. Ces dommages représentent donc principalement les dommages immobiliers et immobiliers. L'intérêt de cette évaluation réside dans la possibilité de déceler des différences de grandeur notables entre dommages expertisés et dommages évalués par les individus. Si l'on considère souvent la valeur des dommages déclarés par les individus comme abusive, certains éléments paraissent pouvoir atténuer ce constat : 136 L'évaluation effectuée par les experts, nommés par les assurances, est symétriquement considérée comme inférieure aux dommages subis. L'évaluation des sinistrés apparaît dès lors stratégique : elle s assureurs interprètent par ailleurs ce type de comportement comme stratégique dans la mesure où certains contrats garantissent le remplacement valeur à neuf. Selon cette interprétation, l'inondation est alors l'occasion de restaurer ou remplacer certains embellissements ou biens mobiliers devenus vétustes ou désuets. 193 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION a pour objectif de contrebalancer ce biais, La valeur du sinistre évaluée par les assurances est généralement estimée ex post. Cependant, l'occurrence des dommages peut survenir bien après l'événement d'inondation. Tel est le cas de certains dommages immobiliers dont le délai d'apparition peut être supérieur à plusieurs mois. Enfin, il a été demandé aux personnes interrogées d'évaluer leur patrimoine mobilier et immobilier, afin de pouvoir dégager un taux d'endommagement. La valeur des biens entreposés (bâti et non bâti) conditionne par ailleurs la vulnérabilité, et en fin de compte de montant des dommages. Les principaux résultats concernant les dommages tangibles sont reproduits dans le tableau ci-dessous : Tableau 28 : Evaluation des dommages tangibles moyens et de la vulnérabilité Dommage tangible estimé Dommage immobilier Dommage mobilier Valeur mobilière estimée Valeur immobilière estimée Taux d'endommagement mobilier Taux d'endommagement immobilier Temps consacré au nettoyage (en heures) Coût de la main-d'œuvre liée au nettoyage Echantillon initial 20.553 14.107 6.426 126.111 632.941 5,1 % 2,23 % 40,7 1.628 Echantillon final 22.271 15.120 7.151 175.686 374.886 4,07 % 4,03 % 37,5 1.500 La valeur moyenne des dommages tangibles issue de l'enquête s'apparente à celle issue des données d'assurance : 22.271 francs et 22.900 francs, soit un écart de – 2,75 %. La structure des dommages diffère néanmoins plus sensiblement : les dommages immobiliers représentent ici 67,89 % des dommages tangibles alors que les données d'assurance révélaient un pourcentage de 75,6 %. Les dommages mobiliers représentent donc ici un coût plus important : près du tiers des dommages tangibles. La valeur mobilière a, dans un premier temps, été estimée à partir des montant révélés par les individus. Le manque de données exhaustives nous a néanmoins conduit à estimer cette valeur par le biais de la méthode utilisée par les assureurs, à savoir attribuer forfaitairement la valeur de 40.000 francs par pièce principale. Il en ressort un différentiel de près de + 40 % par rapport aux valeurs exprimées par les individus enquêtés. En disposant à la fois de la valeur des dommages et du patrimoine mobilier et immobilier exposé, il nous est dorénavant possible d'évaluer le taux d'endommagement moyen. Si l'endommagement mobilier moyen ne diffère que de peu entre les deux formes d'estimation (1 point), il s'avère pourtant supérieur à celui mis en lumière par le biais des données issues des assurances (3,21 %). Il n'en est pas de même pour le taux d'endommagement immobilier. L'estimation à partir de l'échantillon final (4,03 %) s'assimile cependant davantage au taux d'endommagement immobilier obtenu à partir des données d'assurances (3,77 %). Enfin, les dépenses liées au nettoyage et l'assainissement ont mobilisé en moyenne 1.500 francs pour un volume horaire de 37,5 heures. Ce coût représente donc un élément non négligeable des dépenses engendrées par l'événement d'inondation, représentant 6,74 % des dommages tangibles. D'une manière plus générale, l'évaluation des dommages par le biais des enquêtes effectuées auprès des individus sinistrés tend à entériner les résultats obtenus à partir des données des assurances. Outre un taux d'endommagement mobilier quelque peu supérieur, résultant d'une légère variation à la hausse du poids des dommages immobilier, nous pouvons estimer que les deux sources de données mettent en lumière des résultats comparables. - 194 14.4. Les dommages intangibles ou indirects 14.4.1. Représentation des dommages intangibles ou indirects La nature multidimensionnelle du risque inondation nous conduit à privilégier une approche élargie de la problématique d’évaluation du risque inondation, en d'autres termes, une prise en compte des préjudices à la fois monétaires et non monétaires. Il est en effet apparu au cours des premiers contacts avec la population, une grande sensibilité des individus face au risque inondation. Cette sensibilité est accentuée par : La récurrence du phénomène (aléas importants en 1988 et 1995) ; attente et inquiétude à l'occasion de l'approche de la saison hivernale, La durée des inondations (de 1 à 4 mois), qui implique en outre des contraintes quotidiennes et des désagréments systématiques non pris en compte dans l’évaluation des dommages matériels, Un sentiment d'absence de prise en considération de l’inquiétude des habitants par les collectivités et administrations locales. Paradoxalement, nous observons un attachement profond de certains individus concernés directement par le risque pour leur lieu de vie (cf. infra). L'ensemble de ces constats nous a amenés à orienter l’évaluation économique vers une prise en compte des dommages intangibles liés aux inondations. Cette dimension s’exprime ainsi par la prise en compte de coûts moraux dans l'évaluation des pertes de bien-être subies par les victimes. Les coûts indirects représentent les nuisances occasionnées par l'occurrence de l'inondation, sans pour autant se matérialiser par les dommages matériels. Ils n'en demeurent pas moins évaluables monétairement, notamment en termes de coût d'opportunité, comme c'est le cas de la main-d'œuvre liée aux mesures de protection et de sauvegarde ou de celle mobilisée pour le nettoyage et l'assainissement. Néanmoins, les individus concernés éprouvent quelques difficultés à évaluer le montant des désagréments causés indirectement par l'inondation, et ce dès que le préjudice subi sort du contexte de l'habitation. D'une manière plus générale, les individus ont davantage de facilité à énumérer les dommages, et ce quel que soit leur nature, qu'à les évaluer monétairement. Les coûts indirects concernent principalement l'allongement de trajets du fait de la coupure de routes, la perte d'heures de travail, les coûts éventuels d'évacuation et de secours ainsi que ceux relatifs à l'hébergement temporaire consécutivement à l'inhabitabilité temporaire de l'immeuble. Enfin, une question à réponse ouverte a été proposée afin de favoriser la libre expression des personnes interrogées. Les nuisances liées aux approvisionnements et rallongements de trajet consécutifs à l'inondation concernent 48,3 % des personnes interrogées. Ces préjudices se matérialisent avant tout par la perte de temps occasionnée par les difficultés d'accès aux habitations (emploi de barques par exemple). Les pertes de temps de travail concernent près de 38 % de l'échantillon. Elles se traduisent par la prise de congés exceptionnels pour le sauvetage ou le nettoyage des biens. Les nuisances occasionnées par l'interruption de fourniture d'électricité et de coupure de chauffage intéressent plus du tiers des individus inondés (34,48 %), fait d'autant plus préjudiciable que l'occurrence de l'inondation a eu lieu en hiver. De la même manière, 27,6 % des individus ont subi des désagréments occasionnés par la mise hors service du système d'évacuation des eaux usées, ce qui a pu 195 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION susciter quelque inquiétude en ce qui concerne la salubrité des habitations inondées. A contrario, quelques sinistrés ont pu bénéficier de l'aide de la famille pour être hébergés temporairement, et de celle des pompiers pour sauvegarder leurs biens mobiliers. Si l'évaluation, par les individus interrogés, des dommages indirects semble plus difficile que leur énumération, il n'en va pas de même pour les préjudices moraux pour lesquels l'évaluation a consisté à mettre en œuvre des échelles de bien-être destinées à déterminer précisément leur intensité. Il a dès lors été possible de mesurer le préjudice moral avec l'aide de trois indicateurs : La perte d'objets personnels, pour estimer le préjudice affectif, L'apparition d'un certain stress lié à l'événement d'inondation de 1995, L'impact éventuel de l'événement sur la santé des individus. L'apparente similitude des deux derniers indicateurs se justifie par le fait que le stress éprouvé par les victimes d'inondation peut relever du risque inondation en général, autant que de l'aléa de référence spécifiquement étudié lors de l'enquête. Il a été demandé aux individus en dernier lieu d'évaluer, s'il y a lieu, l'impact du risque inondation sur la valeur de leur habitation. Le tableau suivant résume les principaux résultats obtenus : Tableau 29 : Evaluation des dommages intangibles moyens Perte d'objets personnels (de 0 à 10) Intensité du stress subi (de 0 à 10) Problèmes de santé dus à l'inondation (en %) Impact estimé sur l'immobilier (de 0 à 10) Echantillon initial 2,31 6,78 50 % 3,8 Echantillon final 2,33 6,79 50 % 3,8 Au regard des résultats obtenus, les individus semblent parfaitement différencier les divers préjudices non monétaires dont ils font l'objet. Ainsi, la perte d'objets personnels n'affecte que faiblement les populations sinistrées. Au contraire, le stress subi par ces dernières semble très important : près de 7 sur une échelle allant de 1 à 10. Cette importance du stress se reporte en partie d'ailleurs sur la santé des individus : 50 % des personnes interrogées déclarent être concernées par ce type de difficulté. Ces problèmes de santé se matérialisent principalement par l'apparition de troubles nerveux : insomnies, angoisse, dépression, mal de ventre, diarrhées, allant jusqu'à la prise d'antidépresseurs. Le thème des dommages intangibles reste, d'une manière générale, cher aux personnes interrogées, dans la mesure où l'enquête représente l'unique tribune à laquelle elles ont pu librement s'exprimer sur ce sujet. Si l'impact matériel revêt souvent une forme beaucoup plus exceptionnelle et médiatisée, les préjudices moraux n'en demeurent pas moins une partie importante, peu étudiée il est vrai, des frustrations subies par les populations, d'autant que les victimes restent dans la plupart des cas sans interlocuteur. L'impact du risque inondation sur la valeur des habitations semble être évalué de manière assez forte par les individus concernés : 3,8 sur une échelle allant de 0 à 10. Cette grandeur exprime naturellement les dommages matériels subis par les occupants, mais est également susceptible d'intégrer partiellement les préjudices moraux. Elle peut laisser supposer, en outre, que les individus sont prêts à céder leur habitation à un prix inférieur de 38 % à ce dont ils auraient pu prétendre en l'absence de risque inondation. Nous pouvons cependant raisonnablement estimer que cette propension représente une - 196 valeur plancher en-deça de laquelle les individus renoncent à céder leur bien, et non pas la moins-value liée au risque inondation constatée lors des transactions (cf. infra). D'ailleurs, une multitude de comportements stratégiques peuvent émerger en réponse à la moins-value potentielle que sont susceptibles de supporter les vendeurs : dissimulation de l'information aux acheteurs concernant l'inondabilité de l'habitation (hasard moral), suspension de la mise en vente durant les événements d'inondation. 14.4.2. Estimation des dommages intangibles et indirects : formulation des CAP et CAR Les individus sinistrés semblent en conséquence subir un préjudice notable en termes de dommage moral (par opposition aux dommages matériels auparavant évalués). Il s'agit maintenant de pouvoir évaluer ce type de dommage, de manière à pouvoir dégager un terme de comparaison entre dommages matériels, traditionnellement pris en compte lors des évaluations, et dommages moraux beaucoup moins étudiés et a fortiori quantifiés et intégrés dans les bilans concernant les inondations et plus généralement les catastrophes naturelles. La possibilité donnée aux individus de pouvoir comparer dommages moraux et dommages matériels a nécessité une série de questions préalables. D'abord, les individus ont été invités à déclarer le montant des préjudices remboursés par les assureurs, puis a en estimer le taux de couverture eu égard aux montant des dommages qu'ils estiment avoir subi. Cependant, ce taux de couverture se fonde trop souvent sur un dommage matériel, notamment du fait de l'occurrence différée de dommages immobiliers. Le délai écoulé entre l'inondation de 1995 et la mise en œuvre de l'enquête a contribué à minimiser ce biais. L'allusion aux dommages moraux, précédant cette évaluation, est par ailleurs censée favoriser la comparaison des dommages expertisés par les assureurs aux dommages estimés par les individus à partir des préjudices matériels et moraux. Dans un souci de comparaison, les individus ont ensuite été encouragés à formuler un éventuel consentement à payer dans l'hypothèse où des mesures de protection durable contre les inondations étaient mises en œuvre à l'échelle du bassin versant. Parallèlement, il leur a été demandé de formuler un consentement à recevoir au titre de réparation des préjudices matériels et moraux, dans l'hypothèse d'une nouvelle occurrence d'un phénomène d'inondation comparable à celui survenu durant l'hiver 1994-1995. Finalement, les personnes interrogées ont formulé, à partir du dommage global, la part respective des préjudices matériels et moraux. En disposant de la valeur des dommages matériels et de leur part dans l'ensemble des dommages subis par les populations, il est alors possible d'envisager une évaluation du coût monétaire des dommages moraux consécutifs au risque inondation. Le tableau suivant illustre les principaux résultats concernant l'évaluation des dommages et des CAP et CAR correspondants : Tableau 30 : Révélation des dommages, CAP et CAR Taux de couverture des indemnisations (en %) Révélation d'un consentement à payer direct (en %) Révélation d'un consentement à payer indirect (en %) Révélation d'un consentement à recevoir (en %) Poids moyen des dommages moraux (en %) Echantillon final 72,5 25 60,9 35 51,2 197 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Les victimes indemnisées considèrent en moyenne que les assurances couvrent 72,5 % des dommages subis lors de la crue de 1995. L'écart, nous l'avons auparavant souligné, ne provient pas du fait de l'absence d'indemnisation des dommages moraux, mais plutôt de l'apparition tardive et post événementielle de dommages liés à l'exposition prolongée des habitations à l'humidité. Le recours à une réponse libre peut également favoriser un certain biais, notamment lié à des motivations stratégiques137. Pour ce qui concerne la révélation d'un consentement à payer, les individus ont été soumis à un scénario dont ils savent parfaitement identifier les enjeux : l’adoption de mesures de protection structurelle à l'échelle du bassin, c'est-à-dire l'endiguement des zones urbanisées, leur garantissant une protection durable et générale contre le risque inondation. Le vecteur de paiement choisi concerne l'impôt local, dans la mesure où ce dernier se rapproche davantage de l'aire géographique délimitée par le bassin versant. L'idée d'un financement de la lutte contre les inondations, via les impôts locaux et donc par les contribuables, y compris les victimes d'inondations, apparaît comme peu concevable aux yeux des personnes interrogées. Seul un quart de l'échantillon accepte en effet ce type de scénario, le restant avançant principalement 3 motivations : Le niveau déjà élevé des impôts locaux, Le fait de considérer la protection des biens et des personnes contre le risque inondation au même titre que n'importe quelle autre responsabilité de la collectivité 138, L'inégalité de traitement favorisée par ce type de mesure : les personnes inondées seraient alors doublement lésées : par les sinistres engendrés par les crues139, et par l'augmentation d'impôts qui en résulteraient. Certains formulent à ce titre un CAP négatif, estimant qu'il est du ressort de la commune de prélever davantage les contribuables non concernés par le risque inondation au titre d'un impôt solidaire. Les résultats décevants en matière de souscription à l'idée d'un CAP libre et direct nous ont amenés dans un second temps à envisager la révélation d'un "CAP indirect", même si l'emploi de cette terminologie peut paraître abusif. Si l'idée d'un CAP direct semble ne pas accueillir les faveurs des populations sinistrées, d'autres formes de révélation peuvent être envisagées, notamment en termes d'affectation, c'est précisément le parti pris de cette seconde tentative d'évaluation. L'idée sous-jacente est de pouvoir estimer le poids financier que les individus acceptent d'affecter au risque inondation. Bien entendu, ce dernier reste fonction du degré d'implication des personnes interrogées. Ainsi, à la question de savoir quelle part des revenus issus des impôts locaux, la collectivité devrait consacrer à la lutte contre les inondations, plus de 60 % de l'échantillon émet un CAP indirect et près de 86 % de ces personnes l'envisagent de manière positive, la part moyenne des impôts locaux à consacrer à la lutte contre les inondations étant de 43,9 %. Bien entendu, ces valeurs ne sont déclarées que par des personnes concernées par ce risque, et nous pouvons raisonnablement estimer que les CAP des personnes n'y faisant pas face seraient significativement moindres. La souscription à un CAR, à l'instar des CAP, est plutôt faible : un peu plus du tiers de l'échantillon entrevoit cette possibilité pour un montant moyen de l'ordre de 51.667 francs. D'autres formes 137 En effet, certains individus peuvent considérer, malgré les précautions prises, que le questionnaire peut intéresser, au moins partiellement, les compagnies d'assurances, des services de l'Etat chargés de l'indemnisation des victimes ou de la mise en œuvre des mesures de protection structurelle. 138 139 En dépit du fait qu'il faille financer les attributs de la collectivité. Alors que la plupart d'entre eux déclarent ne pas avoir été avertis du risque inondation lors de leur installation dans la zone. - 198 d'indemnisation sont par ailleurs envisagées, telles que le rachat des bâtiments soumis au risque inondation. La faiblesse du taux d’adhésion au CAR reflète ici encore la résolution des individus : pour la majorité d'entre eux, il ne semble y avoir guère d'autre alternative à la mise en place de mesures de protection, exception faite de la possibilité d'expropriation, possibilité qui reste au demeurant anecdotique, cette réponse n'ayant pas été envisagée dans le questionnaire. En dernier lieu, considérant que l'ensemble du préjudice subi peut être différencié par deux types de dommages : matériels et moraux, les individus ont formulé la part respective des différents dommages constitutifs du préjudice global. En moyenne, les personnes sinistrées estiment que la part des dommages moraux équivaut à celle des préjudices matériels (51,2 % pour les premiers contre 48,8 % pour les seconds). L'importance du préjudice moral estimé par l'échantillon, semble ainsi confirmer l'intensité des dommages intangibles ou indirects qui, au même titre que les dommages matériels, affectent significativement le niveau de bien-être des individus (cf. supra). L'évaluation monétaire du dommage global est, dès lors possible, la fonction de dommage moyen global pouvant être spécifiée de la manière suivante : Dtot = D mat + D mor et D mat = αDtot D mor = (1 − α ) Dtot sachant que Dmat = 22.271, α = 0,488 et (1-α) = 0,512, nous obtenons donc : D mor = (1 − α ) α D mat c’est-à-dire : 0,512 22.271 = 23.366 0,488 et donc Dtot = 22.271 + 23.266 = 45.637 En disposant du montant moyen des dommages matériels et moraux, nous obtenons ainsi un dommage global moyen de 45.637 francs à la charge des individus inondés lors de la crue de 1995. En comparant ce résultat à l'estimation du CAR moyen, l'écart existant entre les deux valeurs n'est pas significativement important. En effet, le CAR s'élevait à 51.667 francs, impliquant un écart de 13,2 % par rapport au dommage total moyen. Une fois le montant des dommages mobiliers et immobiliers obtenus, et avec le recours aux valeurs exposés à l'aléa, il nous est possible d'évaluer des ratio dommages/valeur, c'est-à-dire pouvoir dégager des fonctions explicatives des taux d'endommagements mobiliers et mobiliers, ce qui fait l'objet du prochain point. En disposant par ailleurs de la valeur monétaire estimée des préjudices moraux, nous sommes à même de pouvoir construire des fonctions de préjudices moraux, susceptibles de nous renseigner sur l'influence de différentes variables sur la construction de ces dommages, encore mal connus. 199 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 15. Estimation des fonctions d'endommagement matériel et de la fonction de préjudice moral A partir de l'échantillon constitutif des individus inondés, couplé à celui issu des assurances, il nous est possible d'étudier les fonctions d'endommagement, par régression, de manière à déterminer les variables influant positivement ou négativement sur ces indicateurs, ainsi que de quantifier leurs effets. Nous aurions pu, matériellement, fonder les travaux suivants sur la mesure des dommages matériels plutôt que sur les fonctions d'endommagement. Néanmoins, deux principaux arguments militent en faveur du choix des taux d'endommagement. D'abord, d'un point de vue pratique, le recours aux fonctions de dommages tendrait à limiter la portée des résultats : les fonctions d'endommagement ouvrent en effet des perspectives d'extrapolation de la méthodologie mais également des résultats à d'autres sites, ce que ne permettent pas les fonctions de dommages, beaucoup plus dépendantes des caractéristiques spécifiques de la zone d'étude. Avec l'obtention des taux d'endommagement, il est alors aisé d'appliquer les valeurs immobilières et mobilières d'autres sites afin de pouvoir recourir à une première estimation des dommages. Ensuite, d'un point de vue méthodologique, le recours à des valeurs de dommages porteuses d’un effet de taille, implique un risque d'hétéroscédasticité, à savoir l’absence de constance de la variance de l’erreur. 15.1. Les variables explicatives potentielles L'échantillon à partir duquel les estimations sont effectuées comporte différentes catégories de variables permettant d'estimer les fonctions décrivant les dommages et l'endommagement. Le tableau suivant détaille l’ensemble des variables envisageables à partir de la base de données constituées du couplage des données d’enquêtes et de celles issues des assureurs. Tableau 31 : Variables potentiellement mises en œuvre pour expliquer les taux d’endommagement mobilier et immobilier, ainsi que le préjudice moral TEM : taux d'endommagement des biens mobiliers TEI : taux d'endommagement des biens immobiliers PM : préjudice moral Légende : + signifie une liaison attendue positive - signifie une liaison attendue négative Ind. signifie une liaison attendue indéterminée ? signifie que des précisions sont nécessaires… - 200 Nom de la variable Catégorie de revenu Revenu supérieur à 10.000 francs (1/0) Revenu supérieur à 15.000 francs (1/0) Revenu inférieur ou égal à 5.000 francs (1/0) Caractéristiques des occupants Personnes de 70 ans et plus (1/0) Personnes de 70 ans et plus et seules (1/0) Ln de l'âge Nombre d'occupants Présence d'enfants (1/0) Ln du nombre d'occupants Propriétaires (1/0) Valeur exposée à l'aléa Valeur immobilière Ln valeur immobilière Valeur mobilière Ln valeur mobilière Paramètres de submersion Hauteur140 Hauteur supérieure à 10 cm (1/0) Hauteur supérieure à 20 cm (1/0) Hauteur supérieure à 39 cm (1/0) Hauteur supérieure à 49 cm (1/0) Hauteur supérieure à 100 cm (1/0) Ln hauteur Hauteur inondée rez-de-chaussée Ln Hauteur inondée rez-de-chaussée Hauteur inondée rez-de-chaussée et dépendance Ln Hauteur inondée rez-de-chaussée et dépendance Durée d'inondation Ln durée d'inondation Rupture de digue (1/0) Niveau inondé Habitation inondée (1/0) Rez-de-chaussée inondé (1/0) Nombre de pièces inondées Ln nombre de pièces inondées Indemnisation et expertise Dommage expertisé Ln dommage expertisé Indemnité141 Montant dommage immobilier expertisé Ln Montant dommage immobilier expertisé Montant dommage mobilier expertisé Ln Montant dommage mobilier expertisé Taux de couverture estimé des indemnités des assurances/ préjudice subi Ln taux de couverture estimé des indemnités des assurances/ préjudice subi Dommages TEM TEI PM + + - + + - Ind. Ind. Ind. ? + + + ? ? Ind. ? + + ? + ? + + + ? + ? + Ind. Ind Ind. + - + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + ? ? + ? ? + + - ? ? + + + ? ? - + + + + + + - 140 Evidemment pour les valeurs de hauteurs qui suivent, le signe dépendra de l'incorporation ou non de plusieurs variables de hauteurs. 141 Ce qui serait plus pertinent, c'est la part du coût non indemnisé qui devrait jouer positivement sur le coût moral. 201 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Nom de la variable Pourcentage de dommage immobilier Pourcentage de dommage mobilier Majorité de dommage immobilier (1/0) Majorité dommage mobilier (1/0) Dommage immobilier évalué par les individus Ln dommage immobilier évalué par les individus Dommage mobilier évalué par les individus Ln dommage mobilier évalué par les individus Valeur des dommages au gros œuvre Valeur des dommages au second œuvre Coût des mesures de nettoyage Ln du coût des mesures de nettoyage Temps de nettoyage Endommagement mobilier Ln endommagement mobilier Préjudice total Ln préjudice total Préjudice moral Ln préjudice moral Dommage matériel Ln dommage matériel Caractéristiques de l'habitation Grosse habitation (1/0) Petite habitation (1/0) Habitation à deux étages (1/0) Existence cave (1/0) Existence garage (1/0) Existence dépendance (1/0) Pièce refuge (1/0) Nombre de pièces principales Comportements individuels face au risque Protection ponctuelle (1/0) Protection structurelle (1/0) Protection immobilière (1/0) Protection mobilière (1/0) Mesures de sauvegarde (1/0) Estimation du risque Ln estimation du risque Inondation précédente (1/0) Préjudices indirects, intangibles et moraux Rallongement du trajet et problèmes d'approvisionnement (1/0) Nuisances liées aux difficultés d'adduction et d'évacuation des eaux (1/0) Nuisances liées à l'interruption de fourniture d'électricité et de chauffage (1/0) Perte de travail (prise de congés pour sauvegarde et nettoyage) (1/0) Hébergement temporaire (1/0) Perte souvenirs Ln perte souvenirs Stress Ln stress Impact sur la santé (1/0) Impact estimé sur l'immobilier Estimation action des pouvoirs publics Ln estimation action des pouvoirs publics Individu ayant envisagé un déménagement du fait du risque (1/0) TEM ? + + ? ? + + ? ? + + + Ind. Ind. + + ? ? + + TEI + ? + + + ? ? + + + + + Ind. Ind. + + ? ? + + ? ? ? ? ? ? ? + ? ? + + + + + + + + + ? ? PM + ? + ? ? + + - + Ind. + Ind. ? Ind. + - + - + + + Ind. Ind. Ind. Ind. Ind. + + ? ? ? ? ? ? + Ind. + + Ind. + ? ? ? ? ? + ? ? + + + + + + + + + + + + + - 202 Après avoir identifié les variables potentiellement à l’œuvre pour chaque type d'endommagement, immobilier et mobilier, nous présenterons les estimations ayant conduit à des résultats les plus probants. 15.2. Les paramètres immobilier affectant l’endommagement Le taux d'endommagement immobilier, nous l'avons vu, exprime le rapport entre les dommages immobiliers et la valeur immobilière : DOM immo VALimmo L'estimation du taux d'endommagement immobilier, à l'aide de régressions doit nous permettre d'identifier les variables influençant, positivement et négativement ce taux. Cette analyse permet d'appréhender, outre le signe de la variable, l'intensité de l'influence de cette dernière sur le taux d'endommagement. Ainsi, l'objectif est bien d'identifier et surtout de quantifier l'impact des différentes variables prises en compte dans les modèles sur le taux d'endommagement immobilier. Plusieurs types de variables peuvent en fin de compte agir sur l'importance de l'endommagement, à la fois à la hausse et à la baisse. Nous examinons ici ces variables par type : variables physiques de submersion, variables concernant le bâti, variables liées aux comportements, etc. et envisageons ex ante le signe de leur influence sur le taux d'endommagement. 15.2.1. Les paramètres physiques de submersion influant sur l'endommagement immobilier La première catégorie de variables concerne les paramètres physiques de submersion. Il s'agit premièrement de la hauteur de submersion, étant entendu que des hauteurs supérieures seraient susceptibles d'induire des dommages plus importants. Reste que l'existence de seuils est probablement envisageable, dans la mesure où il semblerait excessif de considérer une relation exclusivement linéaire, reliant les dommages immobiliers et la hauteur d'eau. Il reste par ailleurs possible de différencier différentes hauteurs de submersion selon qu'elles intéressent l'habitation principale, le sous-sol, ou toute autre partie connexe de l'habitation : les dommages résultant de la hauteur d'eau peuvent varier selon le type de pièce pris en compte (cf. infra). L'endommagement immobilier doit vraisemblablement évoluer positivement avec la hauteur d'eau. La durée de submersion peut influer de manière plus significative sur le taux d'endommagement. Ici encore, les durées d'inondation du bâti sont susceptibles de générer les dommages les plus importants. Rappelons par ailleurs que la valeur des dommages immobiliers prise en compte pour le calcul du taux d'endommagement est estimée par les individus enquêtés142, de manière à pouvoir prendre en compte les dommages non avérés quelques semaines après l'événement d'inondation (cf. infra). La rupture de digue peut quant à elle, figurer au titre de plusieurs catégories de variables : comportements individuels face à l'aléa, configuration du bâti, etc., mais il semble qu'il faille l'insérer 142 La valeur estimée par les assurances ne représentant qu'une valeur par défaut en cas d'absence de valeur exprimée par l'individu enquêté. 203 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION dans les paramètres physiques de l'aléa. De nature accidentelle, tout comme l'occurrence d'inondation d'ailleurs, elle se différencie des autres variables dans la mesure où sa nature imprévisible la caractérise avant toute chose. La rupture de digue semble, à nos yeux, en effet différente de plusieurs points de vue : Elle surprend d'abord les individus concernés dans la mesure où ces derniers sont susceptibles d'évaluer le risque beaucoup moins intensément que les personnes ne disposant pas de mesures de protection structurelle collective. A ce titre, les individus protégés peuvent s'abstenir de mettre en œuvre des mesures de protection, considérant qu'ils ne sont pas concernés par le risque de submersion. La rupture de digue peut dans ce dernier cas induire une vulnérabilité sans pareil. Elle déroute également les personnes concernées du fait de la brutalité du phénomène qui en découle : la rupture de digue s'accompagne d'une immersion soudaine et massive, par vagues pouvant atteindre plusieurs dizaines de centimètres en quelques minutes, ce qui la différencie fondamentalement du caractère progressif des montées d'eaux de la Canche, lentes, qui laissent aux individus un temps de réaction important. Les dommages résultant d'une rupture de digue peuvent ainsi se différencier des dommages résultant d'une immersion lente, notamment par leur amplitude. La rupture de digue doit donc en toute logique influencer positivement l'endommagement immobilier. 15.2.2. Les variables concernant l'endommagement immobilier le bâti influant sur Les variables concernant le bâti représentent, à l'instar des premières, des paramètres cruciaux d'évaluation du taux d'endommagement. Selon la disposition de l'habitation, sa valeur, les matériaux employés, le taux d'endommagement peut ainsi fortement osciller. Concernant la vulnérabilité du bâti, une multitude de variables peuvent être mises en œuvre : La valeur immobilière, dans le cas d'un modèle linéaire (ou le logarithme népérien de cette valeur lorsqu'il s'agit d'un modèle log-linéaire) représente un premier indicateur de vulnérabilité : on peut s'attendre à ce que la valeur de l'habitation croît avec sa surface et les matériaux qui y sont employés. Cependant, l'emploi de matériaux plus robustes et destinés à protéger l'habitation contre les agressions (extérieures, du temps, etc.) implique une valeur accrue également. Dans ce cas, l'impact de la valeur immobilière sur le taux d'endommagement peut être équivoque : un accroissement de la valeur immobilière peut impliquer à la fois une vulnérabilité accrue (augmentation de la valeur exposée à l'aléa) et une vulnérabilité moindre (mise en œuvre de protections structurelles accroissant certes la valeur de l'habitation, mais destinées à réduire la vulnérabilité). D'autres formes d'indicateurs peuvent être envisagées, notamment à l'aide de variables dichotomiques, différenciant les habitations les plus modestes de l'ensemble de l'échantillon, la délimitation de seuils restant à définir. Le nombre de pièces principales représente également un bon indicateur de la valeur de l'habitation : plus le bâtiment comporte de pièces principales, plus il est censé avoir de la valeur, d'autant que les pièces principales comportent davantage d'embellissements. Cependant, ici encore l'influence sur le taux d'endommagement reste équivoque : plus cette variable est élevée, plus le taux d'endommagement doit être faible. Cependant, le nombre de pièces principales reflète également la vulnérabilité de l'habitation, c'est-à-dire la valeur des dommages exposés à l'aléa. Une alternative s’offre cependant à nous par le biais du comptage du nombre de pièces inondées, qui permet dans une certaine mesure d’appréhender, tant soit peu, une évaluation de l’endommagement de l’habitation. La configuration du patrimoine immobilier joue quant à elle un rôle crucial. L'on sait à ce propos que certaines pièces de l'habitation sont plus vulnérables que d'autres. L'existence d'une cave, par exemple, implique un risque d'inondation plus important, puisque les crues - 204 de la Canche résultent partiellement de remontées de nappes. En conséquence, les pièces situées au plus bas sont donc submergées les premières. C'est ce qui explique, lors des entretiens, le fait que les individus possédant une cave aient systématiquement vu cette dernière inondée. En revanche, la vulnérabilité intrinsèque d'une telle pièce est moindre que celle de l'habitation : elle ne contient guère d'embellissements, et rarement de matériaux de second œuvre. La présence de dépendances et de garages obéit au même postulat, mis à part le fait que nous ne puissions considérer un risque d'inondation accru pour ce type d'annexe. Ces éléments joueraient ainsi en faveur d'un endommagement immobilier moindre. L'existence d'un étage influe de manière univoque sur l'endommagement potentiel de l'habitation : toute chose étant égale par ailleurs, une habitation possédant deux étages sera réputée deux fois moins vulnérable à l'inondation puisque la valeur exposée à l'aléa se voit réduite de moitié (dans l'hypothèse où la submersion ne peut atteindre une hauteur équivalente à celle d'un second étage). Cette variable joue donc vraisemblablement négativement sur le taux d'endommagement immobilier. Par ailleurs, comme il a été formulé supra, il est possible de croiser deux variables, l'une considérant un type de pièce particulier envisagé, et l'autre tenant compte d'une hauteur d'eau donnée (variable dichotomique) ou de manière continue. 15.2.3. Les variables de comportement individuel influant sur l'endommagement immobilier La troisième catégorie de variables a trait aux comportements individuels face au risque inondation. On sait qu'il existe un large éventail de mesures destinées à réduire la vulnérabilité face au risque, qui sont plus ou moins entreprises par les individus concernés. Bien entendu, ces variables sont également fonction d'autres paramètres, notamment sociologiques (âge, perception de l'intensité du risque, etc.). Les mesures de sauvegarde représentent en définitive les variables de comportement individuel les plus susceptibles de réduire la vulnérabilité et donc l'endommagement immobilier. Parmi celles-ci nous pouvons distinguer les mesures de protection structurelle, liées à la configuration du bâti (surélévation du plancher, des installations électriques, etc.) souvent onéreuses et dont l'efficacité et la rentabilité restent variables. Néanmoins, elles doivent pouvoir influer négativement sur le taux d'endommagement immobilier. Les mesures de protection ponctuelle agissent de la même manière, et sont largement entreprises par les individus. Il s'agit principalement de l'obturation des portes et fenêtres, ainsi que le pompage et l'écopage de l'eau pouvant pénétrer à l'intérieur de l'habitation. Ces mesures visent avant tout à réduire les dommages, en limitant la hauteur d'eau à l'intérieur du bâtiment. Elles sont par ailleurs entreprises conjointement à des mesures de protection visant à sauvegarder les biens mobiliers. Il existe, en amont de la réalisation de mesures de protection, des mécanismes de représentation et d'évaluation du risque inondation, propres à chaque individu. Nous intégrons ceux-ci dans la catégorie des comportements individuels puisqu'ils façonnent considérablement ces derniers. Il en est ainsi de l'évaluation du risque inondation, elle-même conditionnée par l'occurrence d'événements d'inondation passés. L'évaluation du risque, ou en d'autres termes la représentation de l'acuité du risque peut permettre ainsi une baisse de la vulnérabilité immobilière par le biais de l’intégration plus systématique de mesures de protection. 15.2.4. Les caractéristiques socio-économiques influant sur 205 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION l'endommagement immobilier La quatrième catégorie de variables pouvant influer le taux d'endommagement immobilier concerne les caractéristiques socio-économiques des individus. Bien entendu, ces caractéristiques agissent directement sur les comportements individuels, mais également sur la valeur des biens exposés. L'âge des individus va conditionner tout d'abord leur capacité à entreprendre des mesures de protection. Au-delà de 70 ans, les personnes sont en effet susceptibles d'être moins capables d’opérer ce type de défense. L'âge conditionne également la période d'accumulation de richesse de l'individu, étant entendu que cette dernière croît à mesure que l'individu vieillit. Cette variable tendrait ainsi à peser sur le taux d'endommagement, et ce, doublement : par la difficulté à entreprendre des mesures de sauvegarde, et par le biais d'une valeur immobilière exposée à l'aléa supérieure. Cependant, l'âge peut favoriser en outre l'expérience, c'est-à-dire une meilleure acuité du risque inondation du fait des événements antérieurs vécus. La période d’accumulation plus importante peut conduire par ailleurs les individus à investir dans des mesures de réduction de la vulnérabilité autant qu’à accumuler. La variable d’âge constitue à ce titre une variable dont l’effet sur l’endommagement reste incertain. Afin de différencier ces deux effets, il est possible de distinguer une variable continue (susceptible de rendre compte d'un effet d'accumulation) d'une variable dichotomique illustrant l'ambivalence d'un effet d'expérience et d'une capacité physique amoindrie. Le nombre d'occupants peut agir indirectement sur le taux d'endommagement par la capacité de chaque foyer à mettre en œuvre des mesures de protection. Si l'on s'en tient à l'exemple donné supra, une personne âgée, a fortiori seule, éprouvera des difficultés à se prémunir partiellement contre le risque d'inondation par le biais de mesures de sauvegarde. Bien entendu, dans le cas d'un nombre d'occupants élevé, dont certains sont en bas âge, il convient de ne considérer que les personnes capables d'agir physiquement. Le niveau de revenu fait partie intégrante des variables socio-économiques et peut, au même titre que la valeur immobilière, faire figure de variable exprimant la valeur exposée à l'aléa, ou autrement dit, la vulnérabilité : le niveau de revenu conditionne dans ce cas précis, à l'instar de l'âge, le niveau d'accumulation potentiel du foyer. Ici encore, l'influence peut être équivoque : un faible revenu peut exprimer une valeur immobilière moindre, et ainsi freiner l'évolution du taux d'endommagement. Symétriquement, cette même variable peut traduire une incapacité monétaire à entreprendre des mesures de protection efficaces ou mettre en œuvre des matériaux plus résistants à la submersion, et ainsi favoriser un endommagement plus important. Le statut de propriétaire peut conditionner l’adoption de mesures de protection spécifiques : dans le cas d'un individu locataire, nous pouvons raisonnablement estimer qu'il s'appliquera davantage à sauvegarder ses biens au détriment du patrimoine immobilier qu'il occupe. A fortiori, il est peu probable que cette personne se décide à des mesures de protection structurelle, si celles si restent à sa charge. Néanmoins, les mesures de protection immobilière et ponctuelle, peuvent par ailleurs favoriser une réduction de la vulnérabilité, y compris mobilière, ce qui peut amener le locataire à entreprendre ce type de mesure. Le propriétaire occupant, pour sa part, mettra tout en œuvre pour assurer l'intégrité de son patrimoine immobilier, et ce dans la limite de ses moyens. La qualité de locataire implique, en dernier lieu, la non prise en charge de la plupart des dommages liés au bâti. L'occurrence d'inondations précédentes fait partie intégrante des variables sociologiques ou ayant trait aux individus. Si, de prime abord, cette variable semble devoir figurer au titre de celles concernant les paramètres liés au risque inondation et bien qu'elle conditionne les comportements individuels, il faut - 206 bien se rendre à l'évidence qu'elle intéresse avant toute chose les individus et la conscience que ces derniers ont du risque inondation. En effet, l'occurrence d'inondations précédentes est conditionnée par l'ancienneté de l'emménagement des individus dans leur habitation : il s'agit moins de prendre en compte l'occurrence passée d'événements d'inondation que l'expérience antérieure d'événements d'inondation dans la même zone. Ainsi, les personnes ayant subi des inondations précédentes sont mieux à même d'évaluer le risque d'endommagement pouvant en résulter, et ainsi prendre des mesures de protection adéquates. L'occurrence d'inondation précédente paraît ainsi pouvoir influencer à la baisse le taux d'endommagement. En dernier lieu, la connaissance antérieure du risque inondation représente une dernière variable socioéconomique pouvant peser sur le taux d'endommagement immobilier. A l'instar de la précédente, elle conditionne les comportements individuels de défense contre les inondations et donc l'endommagement potentiel. Les individus n'ayant pas eu connaissance du risque inondation avant leur emménagement sont en outre susceptibles d'être surpris, ou mal préparés (matériellement ou psychologiquement) pour faire face à l'aléa. Cette variable doit donc jouer, selon toute vraisemblance, en faveur d'une réduction du taux d'endommagement immobilier. 15.3. Estimation de l’endommagement immobilier Après avoir défini les différents paramètres pouvant affecter, positivement et négativement, l'endommagement immobilier, nous nous proposons ici d'apprécier la contribution de ces différentes variables sur la construction de cet indicateur d'endommagement. Tableau 32 : Fonctions de taux d'endommagement immobilier estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives (linéaire) (Variable expliquée : taux d'endommagement immobilier estimé à partir des valeurs formulées par les sinistrés) Variable Constante Occupants de plus de 70 ans et seuls (1/0) Nombre d’occupants Hauteur d’eau supérieure à 1 mètre (1/0) Nombre de pièces inondées Petite habitation de moins de 4 pièces principales (1/0) Rupture de digue (1/0) Propriétaire (1/0) Pas d’occupant ou un seul occupant Présence d’enfants (1/0) Estimation du risque par les individus inondés Equation 1 -5.09485 (-2.51)* 3.59491 (1.68)10 1.29441 (2.31)* 3.07297 (2.11)* 2.10581 (5.79)** -3.10464 (-2.99)** Equation 2 -5.54300 (-2.81)** 5.03756 (2.56)* 1.50782 (2.78)** Equation 3 -8.70140 (-3.28)** 5.77993 (2.93)** 1.70123 (3.14)** Equation 4 -7.31402 (-3.01)** Equation 5 -8.34500 (-2.18)* Equation 6 -8.25529 (-2.22)* 2.55979 (4.71)** 1.95131 (3.048)** 1.97062 (3.16)** 1.72246 (5.18)** -2.77909 (-2.80)** 3.03453 (2.84)** 1.67656 (5.14)** -2.40013 (-2.42)* 2.69584 (2.53)* 2.72783 (1.73)9 1.68522 (5.84)** 1.67821 (6.55)** 2.72757 (2.73)** 3.45489 (2.30)* -8.69773 (-4.15)** -2.39028 (-2.32)* .600207 (2.36)* 2.60216 (2.95)** 4.23892 (3.10)** -6.32806 (-3.03)** -1.59842 (-1.75)8,8 1.76907 (6.94)** -1.47263 (-1.79)8,1 2.69843 (3.14)** 3.79919 (2.81)** -6.37870 (-3.13)** -1.52242 (-1.71)9,6 207 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Variable Mise en œuvre de mesures de sauvegarde (1/0) Hauteur de submersion sup. à 50 cm au rez-de-chaussée (1/0) Age moyen des occupants adultes Nombre d'observations R2 R2 ajusté F Equation 1 51 .573198 .525775 12.0871 Equation 2 .602151 .557946 13.6217 Equation 3 51 .627581 .576796 12.3577 Equation 4 51 .683329 .631778 13.2554 Equation 5 -1.77414 (-2.09)* 7.93190 (3.36)** Equation 6 -1.43282 (-1.69)10 7.11387 (3.04)** .093464 (1.97)5,6 51 .774187 .724618 15.6184 .099355 (2.14)* 51 .790981 .738726 15.1370 *indique si le paramètre est significatif à 5 % et ** à 1 %. Les probabilités d’erreur supérieures figurent en exposant. Entre parenthèses figurent les t de Student. L’ensemble des fonctions d’endommagement immobilier reproduites prennent la forme linéaire, cette dernière ayant donné les résultats les plus probants sur le plan de la significativité des paramètres explicatifs143. En l’occurrence, dans la première équation, nous constatons que les personnes âgées d’au moins 70 ans et isolées subissent un endommagement, toute chose étant égale par ailleurs, de près de 3,6 points supérieur à la moyenne, autrement dit, si l’on retient la moyenne de l’échantillon (cf. tableau 9) 3,77+ 3,6 = 7,37 % d’endommagement. Sachant que la valeur immobilière moyenne est de 360.955 francs (cf. 3.1.1.) dans les communes où les enquêtes se sont déroulées, la valeur des dommages immobiliers pour ces personnes s’élève donc à 26.605 francs. De la même manière, la première fonction met en lumière l’impact positif du nombre d’occupants, du nombre de pièces inondées et d’une hauteur submersion de plus d’un mètre sur le taux d’endommagement. Cette fonction montre enfin que les habitations les plus modestes subissent un taux d’endommagement immobilier moindre, probablement du fait de plus grandes facilités de protection. La deuxième fonction substitue à la hauteur d’eau un second paramètre de submersion : la rupture de digue. Ainsi, les habitations étant confrontées à ce type de phénomène subissent, ceteris paribus un endommagement de plus de 3 % supérieur. Les troisième et quatrième équations intègrent plusieurs variables ayant trait aux caractéristiques socioéconomiques des individus. Le fait d’être propriétaire, d’abord, implique en toute logique un endommagement immobilier supérieur, dans la mesure où les locataires ne supportent qu’une partie des charges liées à la remise en état de l’immeuble. Les habitations pour lesquelles il n’y a qu’au plus un occupant subissent un endommagement immobilier significativement moindre (coefficient de -8,70). Il se peut que la valeur de ces habitations soit moindre (une valeur d’embellissements et de second œuvre moins importante), alors que l’on peut raisonnablement estimer qu’elles font néanmoins l’objet de mesures de protection. La présence d’enfants induit pour sa part un endommagement moindre, alors que simultanément, l’endommagement augmente avec le nombre d’occupants. Il doit cependant exister une relation entre la présence d’enfants et la configuration du bâti (présence d’un étage par exemple) que nous n’avons pour l’instant pas pu mettre en évidence. Une autre variable alternative à la hauteur d’eau a été testée 143 Les trois formes de spécification linéaire, semi-log et log-linéaire ont systématiquement été testées, aussi bien pour les fonctions de taux d’endommagements immobiliers, mobiliers que pour les fonctions de préjudice moral. - 208 dans l’équation 4 : l’estimation de l’importance du risque par les individus inondés (échelle de 0 à 10). Bien entendu, cette estimation est effectuée au regard des paramètres de submersion (hauteur, durée, débit, etc.) et peut constituer, au moins partiellement, un indicateur composite de la dangerosité de l’aléa. A l’aide des équations 5 et 6, nous avons testé l’impact de différents paramètres : de submersion, de comportement individuel et de caractéristique socio-économique. Ces dernières fonctions mettent en lumière l’impact favorable de la mise en œuvre de mesures de sauvegarde sur la limitation de l’endommagement immobilier (coefficient de -1,5 en moyenne sur les deux équations). La hauteur d’eau intégrée dans le modèle est croisée avec une caractéristique du bâti : le rez-de-chaussée de l’habitation. Alors que la première équation révélait le poids de la hauteur de submersion en général, ces deux dernières équations montrent l’utilité d’envisager les hauteurs d’eau selon le type de pièce inondée. Etant donnée la valeur exposée supérieure à l’intérieur de l’habitation, le poids de cette variable est considérable (7,5 % sur les deux dernières équations). En dernier lieu, l’âge moyen des occupants adultes implique également un endommagement supérieur, du fait d’une période d’accumulation de richesses plus longue. 15.4. Les paramètres affectant l’endommagement mobilier Le taux d'endommagement mobilier exprime le rapport entre les dommages mobiliers et la valeur mobilière : DOM immo VALimmo A l'instar du taux d'endommagement immobilier, nous pouvons décliner plusieurs types de variables pouvant influer sur l'endommagement mobilier, aussi bien à la hausse qu'à la baisse. Nous reproduisons la même typologie que celle présentée précédemment. Il semble cependant inutile d’y reproduire les développements aussi précisément. 15.4.1. Les paramètres physiques de submersion influant sur l'endommagement mobilier Comme pour l'endommagement immobilier, les paramètres de submersion conditionnent dans une large mesure l'endommagement mobilier. La hauteur de submersion de la même manière que pour l'endommagement immobilier, conditionne l'endommagement mobilier : les hauteurs les plus importantes doivent selon toute vraisemblance entraîner les endommagements les plus importants. Ici encore, il reste possible de différencier les hauteurs d'eau selon le type de pièce inondée du fait de l'hétérogénéité du contenu qui est susceptible d’y être entreposé. La durée de submersion peut également influer sur le taux d'endommagement mobilier, mais dans une moindre mesure que pour l'immobilier. La rupture de digue représente probablement le paramètre de submersion affectant le plus lourdement l'endommagement mobilier, du fait de la rapidité d'immersion qu'elle entraîne. 15.4.2. Les variables concernant le bâti influant sur 209 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION l'endommagement mobilier Les variables décrivant le bâti conditionnent également dans une large mesure l'endommagement mobilier, notamment au regard de l'usage des pièces de l'habitation. La configuration du bâti entre en ligne de compte lorsque l'on s'intéresse à l'endommagement mobilier. Cependant, l'influence peut y être inversée par rapport à l’impact sur l’endommagement immobilier. La présence d'un sous-sol, premièrement, implique un risque d'inondation plus important que les pièces situées au rez-de-chaussée (cf. supra). Cependant, l'impact de la présence d'un sous-sol reste délicat à déterminer : si l'on peut considérer la valeur du contenu entreposé dans ce type de pièce comme inférieure à celui présent au rez-de-chaussée de l'habitation, il se peut que le volume entreposé puisse contrebalancer ce différentiel de valeur. Le même raisonnement peut être appliqué à la question de la présence de dépendances ou de garages. L'existence d'un étage au contraire garantit un endommagement mobilier moindre puisqu'une partie de la valeur mobilière est hors d'atteinte des eaux, et que la partie potentiellement soumise à l'aléa peut être transférée à l'étage. La présence d'un étage joue donc en faveur d'un endommagement immobilier moindre. 15.4.3. Les variables de comportement individuel influant sur l'endommagement mobilier Nous pouvons raisonnablement estimer que les mesures de sauvegarde conditionnent de manière cruciale l'endommagement mobilier. Parmi les mesures susceptibles d'impliquer un endommagement mobilier faible, deux types de comportements semblent se dégager : les mesures de protection ponctuelle, et les mesures de protection mobilière. Les premières sont réputées entreprises par une grande majorité de la population, et ce à moindre coût, tout en conditionnant à la baisse la vulnérabilité à la fois mobilière et immobilière. Les secondes visent spécifiquement à protéger le mobilier, mais représentent le moyen le plus fiable pour protéger les biens mobiliers : déplacement et replacement d'objets, mise sur batardeaux. Comme nous l'avons rappelé supra, les différents types de mesures peuvent être combinés, quelle que soit leur destination (mobilière ou immobilière), de manière à renforcer leur efficacité. Les mécanismes individuels de représentation et d'évaluation conditionnent également les comportements individuels face au risque inondation. L'intensité du risque perçu peut ainsi favoriser des mesures préventives de protection ou de mise à l'étage des biens mobiliers. 15.4.4. Les caractéristiques socio-économiques influant sur l'endommagement mobilier A l'image de ce qui a été exposé en ce qui concerne l'endommagement immobilier, l'âge conditionne grandement l'endommagement mobilier, et nous retrouvons ici l'ambivalence de l'effet de cette variable sur l'endommagement qui nous intéresse. L'âge conditionne en premier lieu la capacité des individus à mettre en œuvre des mesures de protection : il peut exister une valeur pivot au-delà de laquelle les individus éprouvent certaines difficultés à entreprendre ce type de mesures. A contrario, l'âge représente un indicateur d'accumulation de richesse des individus : les individus plus âgés sont ainsi susceptibles de posséder des biens mobiliers de valeur supérieure à des individus plus jeunes. Cependant, l'âge peut favoriser en outre l'expérience, c'est-à-dire une meilleure acuité du risque - 210 inondation du fait des événements vécus antérieurement. Cette variable exerce donc un effet sur le taux d’endommagement mobilier pour le moins incertain, comme c’était le cas pour le taux d’endommagement immobilier. L'impact du nombre d'occupants, l’occurrence d'inondations précédentes et la connaissance du risque inondation doivent exercer, pour leur part, les mêmes influences sur l'endommagement mobilier que ce que nous avons explicité pour l'endommagement immobilier. 15.5. Estimation de l’endommagement mobilier Si la spécification linéaire s’est avérée la meilleure en ce qui concerne l’estimation des fonctions d’endommagement immobilier, il n’en est pas de même pour l’étude des fonctions d’endommagement mobilier dont la spécification est ici log-linéaire. Les coefficients ainsi obtenus correspondent ainsi à des élasticités : ils nous renseignent donc sur l’impact d’une variation de 1 % de la variable explicative (dans le cas où cette dernière serait de spécification log-linéaire) sur la variable expliquée, à savoir l’endommagement mobilier. Dans le cas d’une variable explicative dichotomique (variable dummy), le coefficient obtenu détermine l’impact de la présence de cette variable sur l’endommagement mobilier, et se calcule comme suit : influence de la variable sur le taux d’endommagement = ecoefficient. Par ailleurs, d’autres catégories de variables ont été mobilisées, illustrant la nécessaire différenciation des mécanismes d’endommagement mobilier et immobilier. A l’instar du tableau précédent, le tableau 33 reprend les principales fonctions d’endommagement s’étant avérées les plus pertinentes pour expliquer l’endommagement mobilier. Tableau 33 : Fonctions de taux d'endommagement mobilier estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives Variable expliquée : log népérien du taux d'endommagement mobilier estimé à partir des valeurs formulées par les sinistrés (log-linéaire). Variable Constante Hauteur de submersion supérieure à 20 cm (1/0) Présence d'enfants (1/0) Mise en œuvre de mesures de protection ponctuelle (1/0) Mise en œuvre de mesures de sauvegarde (1/0) Existence d'une pièce refuge Ln de la durée de submersion Occupants de plus de 70 ans (1/0) Occupants de plus de 70 ans et seuls (1/0) Sous-sol inondé(1/0) Rez-de-chaussée inondé (1/0) Equation 1 -.680602 (-.81) -1.23418 (-2.54)* .998913 (2.16)* -2.14332 (-2.77)** 1.5622 (2.97)** -1.24291 (-2.39)* 2.1642 (3.36)** -3.18731 (-2.37)* 3.81207 (3.96)** 1.41098 (2.81)** 1.4810 Equation 2 -2.06099 (-3.01)** Equation 3 -1.49568 (-3.54)** .959888 (2.03)* -1.86554 (-2.43)* 1.76073 (3.31)** -1.12425 (-2.14)* 1.71651 (2.65)* -2.66026 (-1.93) 3.31147 (3.39)** 1.65028 (3.29)** 1.84638 -3.70201 (-2.30)* 5.13824 (2.77)** 1.59841 (3.27)** 1.04129 211 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Mise en œuvre de protection immobilière (1/0) (2.94)** -1.31548 (-2.91)** (3.55)** -.937421 (-2.04)* 51 .615608 .507189 5.67808 51 .583701 .479627 5.60849 Ln du nombre de pièces inondées Habitation vacante ou occupée par un seul individu (1/0) Revenu supérieur à 10.000 francs par mois Nombre d'observations R2 R2 ajusté F 8,5 (1.77) -.710217 (-1.77)8,3 1.14275 (3.58)** -3.03523 (-1.85)7,2 .801365 (1.76)8,6 51 .585291 .506298 7.40946 * indique si le paramètre est significatif à 5 % et ** à 1 %. Les probabilités d’erreur supérieures figurent en exposant. Entre parenthèses figurent les t de Student. La première fonction d’endommagement mobilier intègre différentes catégories de variables. Pour ce qui concerne les variables relatives à la configuration du bâti, l’existence d’une pièce refuge réduit significativement l’endommagement : les occupants jouissant d’une telle pièce pour la sauvegarde de leurs biens mobiliers supportent un endommagement moindre à hauteur de e-1,24291, soit un coefficient réducteur de 0,71 toute chose étant égale par ailleurs. De manière surprenante, les individus ayant leur rez-de-chaussée inondé subissent globalement le même taux d’endommagement que les personnes subissant une submersion du sous-sol, même s’il existe un léger écart : coefficient multiplicateur de 4,1 pour les sous-sols inondés et 4,4 pour les rez-de-chaussée inondés. Ceci s’explique partiellement par le fait que l’effet de volume du contenu entreposé au sous-sol puisse contrebalancer sa faible valeur, relativement au contenu présent au rez-de-chaussée. La première fonction d’endommagement mobilier intègre par ailleurs deux paramètres de submersion : la durée de submersion, au moyen d’une variable continue et la hauteur d’eau, par le biais d’une variable dummy. De manière tout à fait attendue, l’endommagement augmente avec la durée de submersion à l’intérieur de l’habitation. En revanche, en ce qui concerne le second paramètre physique de submersion, les hauteurs d'eau supérieures à 20 centimètres impliquent un endommagement mobilier moindre, ce qui semble à première vue paradoxal. Cependant, les hauteurs d'eau les plus importantes ne concernent que rarement les rez-de-chaussée des habitations, où la valeur mobilière est la plus importante. Les hauteurs d’eau les plus importantes se retrouvent principalement au sous-sol (jusqu’à 200 centimètres) et dans les bâtiments connexes à l’habitation (garages et dépendances) où la valeur mobilière entreposée est significativement moindre que dans le corps d’habitation principal. Les variables intégrant les caractéristiques socio-économiques des individus sont la présence d’enfants, qui tend, contrairement à l’endommagement immobilier, à accroître l’endommagement mobilier. Il est vrai que la présence d’enfants implique, toute chose étant égale par ailleurs davantage de contenu dans l’habitation sans pour autant représenter une capacité supérieure à la réalisation de sauvegarde, ce qui se traduit dans notre première fonction par une variation positive de l’endommagement de 272 %. L’âge, comme nous le prévoyions lors de la présentation des variables explicatives potentielles, influence de manière quelque peu ambivalente l’endommagement : les personnes âgées et isolées subissent un endommagement sans commune mesure, alors que les personnes âgées mais non isolées bénéficient d’un endommagement excessivement moindre. Enfin, en ce qui concerne les variables de comportement individuel, si les mesures de sauvegarde ponctuelle et même celles relatives à la protection immobilière réduisent considérablement l’endommagement mobilier (respectivement - 88 % et - 73 %), tel n’est pas le cas des mesures de sauvegarde prises dans leur globalité, qui impliquent un endommagement supérieur, toute chose étant égale par ailleurs. - 212 La deuxième fonction d’endommagement mobilier ne tient plus compte de la hauteur d’eau, étant donné le signe ambigu de la variable. Cependant, reste le problème lié à la variable de mesure de sauvegarde. Afin de remédier à ce paradoxe, nous proposons une troisième fonction intégrant des paramètres explicatifs alternatifs. La troisième fonction d'endommagement mobilier intègre en premier lieu une variable croisant l’aléa (l’inondation) et le bien exposé (par le biais du nombre de pièces). Ainsi, conformément à nos hypothèses, l’endommagement mobilier double par pièce inondée (+ 114 %). Cette même fonction intègre en dernier lieu deux variables socio-économiques : d’abord le niveau de revenu des individus en discriminant ceux disposant d'un revenu supérieur à 10.000 francs. Ces derniers supportent ainsi une sévère augmentation de l’endommagement (coefficient de 2,23). Enfin, les habitations vacantes ou occupées par un seul individu subissent un endommagement mobilier significativement moindre, alors que les individus seuls ou âgés subissent un préjudice plus important. Ce fait peu partiellement être expliqué par la faible valeur entreposée dans ces habitations, ce qui ne signifie pas, contrairement à la variable précédente, que les mesures de protection n’y soient pas systématiquement entreprises. Une fois les fonctions d’endommagement matériel estimées, il convient maintenant de se pencher sur les préjudices moraux, supportés par les individus, en marge des dommages matériels les plus souvent pris en compte. Rappelons que les dommages moraux ont été estimés à partir d’une évaluation du préjudice global de la part des individus, pour laquelle nous connaissons la valeur du préjudice matériel. En tenant à notre disposition les parts respectives de ces deux entités distinctes, il nous est dès lors possible d’évaluer monétairement le préjudice moral, qui avec le préjudice matériel, forment le dommage global supporté par les individus sinistrés. 15.6. Les paramètres affectant les dommages moraux Difficilement quantifiables a priori, les dommages intangibles et moraux n’en restent pas moins une entité déterminante du niveau de variation de bien-être des populations sinistrées. Nous avons évoqué, dans le point consacré à l’estimation des dommages intangibles et moraux, que les individus estiment subir globalement la même perte de bien-être au regard des préjudices matériels que du point de vue des dommages moraux (cf. tableau 31). Plusieurs paramètres peuvent encore peser sur l’intensité du dommage moral. Nous tentons en conséquence d’en déterminer les principaux au moyen d’une catégorisation. 15.6.1. L’influence des paramètres physiques d’inondation sur les dommages moraux. Si les paramètres physiques conditionnent dans une large mesure la vulnérabilité et donc l’endommagement matériel, nous pouvons par ailleurs supposer qu’ils exercent potentiellement la même influence sur les dommages moraux. En effet, c’est d’abord par le biais des caractéristiques de la crue que les individus peuvent évaluer l’importance de l’aléa et l’impact potentiel de ce dernier sur le préjudice matériel. Ainsi, les individus sont susceptibles de subir des préjudices d’autant plus importants que la hauteur d’eau et la durée sont considérables. Les dommages moraux devraient donc croître avec l’importance des niveaux de paramètres de submersion. Le même raisonnement est par ailleurs applicable lorsqu’il s’agit de déterminer l’influence d’une rupture de digue. Les paramètres de submersion peuvent en outre être croisés avec d’autres catégories de variables. En l’occurrence, nous pouvons envisager qu’a priori, la configuration du bâti n’entre pas en ligne de compte lorsque l’on s’intéresse au préjudice moral : l’existence d’une cave ou d’un garage n’influence pas directement le dommage moral. Cependant, si l’on considère des variables spécifiques croisées à la 213 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION hauteur de submersion, l’effet peut être davantage explicite : une hauteur d’eau de 20 centimètres dans la cave est susceptible d’engendrer moins de dommages et donc moins de stress que la même hauteur à l’intérieur de l’habitation. 15.6.2. Les impacts indirects influant sur le niveau de préjudice moral Le préjudice moral, par définition, se définit comme l’ensemble des dommages non matériels, qui cependant affectent le niveau de bien-être de l’individu concerné. Pourtant, il serait excessif de considérer que l’ensemble des pertes matérielles est pris en charge par les assureurs. De ce point de vue, les individus peuvent transférer ces pertes sèches au moyen de leur intégration au sein des préjudices moraux. Tel est le cas, par exemple, de toute une catégorie de pertes indirectes constituée notamment par les coupures d’approvisionnement en biens comme le bois de chauffage, en services d’électricité, d’eau et d’assainissement ou de chauffage, sachant que l’occurrence de l’inondation de 1995 s’est produite en hiver de décembre à avril. D’autres préjudices sont au contraire beaucoup mieux évaluables, comme c’est le cas des pertes d’heures de travail consacrées à la sauvegarde ou au nettoyage des biens ou liées à des coupures de réseaux routiers, évaluables en termes de coûts d’opportunité. L’hébergement temporaire, qui implique l’évacuation de l’habitation, peut également impliquer des frais évaluables en termes de coût d’opportunité, même si dans le cas de la Canche, les personnes ayant évacué leur habitation ont été hébergées majoritairement chez des proches. Il n’en demeure pas moins que l’hébergement temporaire traduit une certaine gravité de l’immersion de l’habitation ou un danger pour les occupants, du fait de leur état de santé par exemple, ce qui peut contribuer significativement à l’accroissement du préjudice moral. L’événement d’inondation et les dommages qu’il occasionne engendre auprès des sinistrés un stress. Le préjudice augmente bien entendu avec le niveau de stress de l’individu et ce dernier peut provenir de nombreux facteurs décrits ici : paramètres de submersion, valeur des dommages ou de l’endommagement, présence d’enfants, coupures de réseaux, etc. Le risque inondation peut enfin avoir des répercussions sur la santé des habitants. 50 % des personnes interrogées par le biais des enquêtes ont déclaré avoir subi des problèmes de santé suite à l’événement d’inondation de 1995. Bien qu’évaluables, les répercussions sur la santé n’ont pas fait l’objet d’évaluation monétaire. Cependant, il reste tout à fait envisageable de les intégrer dans l’estimation des fonctions de dommage moral par le biais d’une variable dummy. 15.6.3. Les préjudices matériels rattachés au dommage moral Ainsi il existe certains dommages matériels non pris en charge par les assureurs susceptibles d’entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’évaluer les préjudices moraux. Cependant, il serait excessif de considérer ces dommages moraux indépendamment des pertes matérielles y compris celles faisant l’objet d’une prise en charge par les compagnies d’assurance, car il existe bel et bien un lien entre ces deux éléments. Les dommages matériels sont en effet réputés couverts par les assureurs. Cela implique en outre le remboursement de la valeur pécuniaire de l’objet dégradé. Cependant, nous pouvons raisonnablement estimer que la valeur vénale de l’objet en question n’équivaut pas systématiquement à perte de bien-être de l’individu propriétaire. Tel est le cas notamment des objets personnels et des souvenirs, qui peuvent contenir une valeur non vénale importante parallèlement à une valeur pécuniaire faible (objets personnels, etc.) ou au contraire élevée (collections, cave à vins, etc.). L’importance du montant des dommages mobiliers et immobiliers et a fortiori des endommagements peut également se répercuter sur le niveau de préjudice moral, du fait du sentiment de dénuement et - 214 d’impuissance que peuvent ressentir les individus gravement sinistrés, à l’instar des personnes victimes de vol par exemple. En dernier lieu, l’évaluation des préjudices matériels globaux des victimes peut se distinguer notablement de celle réalisée par les experts travaillant pour le compte des assureurs. Le différentiel ainsi obtenu constitue une perte sèche supportée par la personne sinistrée. Nous pouvons dès lors supposer que le préjudice moral est d’autant plus important que le différentiel de coût matériel non indemnisé est élevé. 15.6.4. Les caractéristiques socio-économiques affectant le préjudice moral A l’instar des préjudices et des taux d’endommagement matériels, certaines caractéristiques socioéconomiques peuvent favoriser ou au contraire limiter les dommages moraux. Les individus plus âgés, en considérant qu’ils sont présents sur la zone depuis un certain nombre de décennies, sont susceptibles d’être moins affectés par les événements d’inondation, du fait de leur connaissance empirique du phénomène. Cette expérience peut en outre leur permettre une réponse mieux adaptée à l’aléa, et donc prévenir de certains dommages subis antérieurement. Cependant, l’âge peut également illustrer, toujours dans l’hypothèse où les individus sont présents sur la zone depuis une période donnée, l’accumulation des événements d’inondation. A ce titre, aucun élément ne nous permet de considérer un éventuel effet de lassitude, d’accommodation au risque inondation, si ce n’est le cas des caves inondées (cf. supra). En ce sens, les individus de plus en plus âgés sont susceptibles de subir une accumulation d’événements d’inondation grandissante, et donc un préjudice moral plus important. Nous retrouvons ainsi toute l’ambivalence du lien pouvant exister entre l’âge et le niveau de préjudice escompté, qu’il soit matériel ou moral. Nous retrouvons d’ailleurs cette ambiguïté pour d’autres variables. Le niveau de revenu quant à lui peut favoriser une capacité de réponse à l’aléa facilitée, dans la mesure où les mesures de protection plus onéreuses peuvent être entreprises de manière à réduire la vulnérabilité. Parallèlement, un faible niveau de revenu peu équivaloir à une valeur des biens exposés moindre. Le statut de propriétaire peut également intervenir dans la construction de la fonction de dommage moral, puisque ce dernier supporte par définition davantage de préjudices matériels. De plus, l’individu locataire possède la liberté de pouvoir quitter la zone à tout moment, sans que ce transfert n’implique de coûts de transaction rédhibitoires. Le propriétaire désirant quitter la zone, au contraire, supportera une moins-value liée au transfert de risque144. La présence d’enfants pèse pour sa part sans nul doute sur l’intensité du préjudice moral. Nombreuses sont les études qui s’intéressent aux impacts des inondations sur le comportement infantile, notamment lors de crues importantes comme celle de Red River Valley dans le Dakota du Nord en 1997 (Berglof, Zevenbergen, 1998). Elles mettent en valeur les traumatismes post événementiels dont souffrent les enfants (comportements agressifs, pleurs, problèmes de concentration et baisse de l’activité). Nos propres données d’enquête ont révélé pour leur part que le stress était partagé par 144 Dans l’hypothèse de symétrie d’information. 215 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION l’ensemble des individus composant le foyer, et non pas uniquement les enfants. Dans 50 % des cas, cette tension s’est traduite par des problèmes de santé (cf. supra). L'occurrence d'inondations précédentes reflète, comme l’âge, l’expérience d’événements d’inondation antérieurs. Cette variable joue vraisemblablement en faveur d’une augmentation du préjudice moral, du fait de l’accumulation de crues dommageables. La connaissance antérieure du risque inondation est susceptible d’exercer le même effet d’inflation du dommage moral. 15.6.5. Les comportements individuels influant sur le préjudice moral La confrontation à des événements d’inondation implique une inquiétude considérable pour les individus concernés, même en ne considérant que le risque et non pas l’occurrence stricto sensu. Toutefois, la capacité à agir face à l’aléa peut représenter, nous l’avons évoqué, une mesure efficace de baisse de la vulnérabilité, mais également une mesure visant à atténuer le sentiment d’impuissance et ainsi limiter le préjudice moral. Les comportements individuels face à l’aléa se matérialisent majoritairement par la mise en œuvre de mesures de sauvegarde. Cependant, toutes n’agissent pas de la même manière sur l’intensité du stress. En effet, si un individu a entrepris des mesures de protection structurelle, il peut en espérer une certaine efficacité, c’est-à-dire au moins des dommages moindres qu’avant leur mise en œuvre. Dans le cas contraire, nous pouvons légitimement considérer que la défaillance de ces mesures entraînerait un dommage moral plus important. Or, les personnes ayant adopté des mesures de protection structurelle subissent des dommages tout comme les individus s’étant abstenus de les entreprendre et même davantage. A l’opposé, les mesures de protection ponctuelle, aisées à mettre en œuvre et peu onéreuses, bénéficient d’une efficacité pragmatique. De plus, la mise en œuvre de ces mesures tend à mettre à contribution les individus pour réduire la vulnérabilité : ce type de mesure favorise l’implication de la personne inondée en tant qu’acteur et limite ainsi le sentiment d’impuissance et de fatalité. La mise en œuvre de mesures ponctuelle doit en conséquence limiter les préjudices moraux. En dernier lieu, l’estimation du risque inondation par les individus conditionne le dommage moral puisqu’elle nous renseigne sur le niveau de gravité perçue de l’événement d’inondation. Naturellement ici encore, le montant des préjudices moraux est censé croître avec le niveau de risque perçu par les individus. - 216 15.7. Estimation de la fonction de préjudice moral Tableau 34 : Fonctions de préjudices moraux estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives (Variable expliquée : log népérien de valeur monétaire des dommages moraux estimée à partir des valeurs matérielles et des parts respectives de dommages, formulés par les sinistrés) Variable Equation 1 Constante -1.75051 (-.53)60,2 Ln des hauteurs d’eau sup. à 20 cm au .192043 rez-de-chaussée (2.14)* Ln de l’intensité du risque estimée par .793065 les individus inondés (2.31)* Mise en œuvre des mesures de protection structurelle (1/0) Occupants de 70 ans et plus (1/0) -1.50926 (-2.27)* Ln de l’âge moyen des occupants 2.24934 adultes (2.58)* Hauteur d’eau supérieure à 1 mètre 1.94252 (1/0) (5.07)** Ln du nombre de pièces inondées 1.51066 (8.17)** Individus connaissant le risque 1.29482 inondation avant l’emménagement (3.21)** (1/0) Ln de l’importance de la perte de .190120 souvenirs estimée par les inondés (2.25)* Mise en œuvre de mesures de -.624093 sauvegarde (1/0) (-2.15)* Durée de submersion d’un mois au plus (durées minimales) (1/0) Hébergement temporaire hors de l’habitation (1/0) Nombre d'observations 51 R2 .773040 R2 ajusté .723219 F 15.5165 Equation 2 -2.04115 (-.64)52,6 .169865 (1.97)5,6 .732955 (2.22)* .623636 (2.15)* -1.48286 (-2.33)* 2.36065 (2.82)** 1.63842 (4.16)** 1.47714 (8.30)** 1.09432 (2.75)** Equation 3 -2.15753 (-.69)49,4 .173194 (2.04)* .743468 (2.30)* .606818 (2.14)* -1.58492 (-2.53)* 2.43603 (2.96)** 1.66824 (4.32)** 1.40465 (7.81)** .994841 (2.52)* Equation 4 -5.07974 (-1.52)13,8 Equation 5 -5.98684 (-1.70)9,6 .624119 (1.91)6,4 .591592 (2.08)* -1.99484 (-3.07)** 3.22934 (3.64)** 1.56262 (4.11)** 1.42195 (7.91)** 1.06511 (2.75)** -2.24961 (-3.28)** 3.80496 (4.20)** 1.99024 (5.39)** 1.35124 (6.93)** 1.26281 (3.18)** .175972 (2.16)* -.831043 (-2.82)** .153568 (1.90)6,5 -.927420 (-3.15)** -.670338 (-1.63)11,2 .229522 (2.68)* -.903635 (-3.11)** 51 .796609 .745761 15.6665 51 .809528 .755805 15.0686 1.07972 (2.38)* 51 .804540 .755675 16.4646 .248668 (2.76)** -.925203 (-3.14)** -.717223 (-1.65)11,6 1.40863 (3.02)** 51 .777954 .729212 15.9607 * indique si le paramètre est significatif à 5 % et ** à 1 %. Les probabilités d’erreur supérieures figurent en exposant. Entre parenthèses figurent les t de Student. Les fonctions de dommage moral mobilisent à la fois des variables explicatives communes aux fonctions d’endommagement mobilier et immobilier, et intègrent par ailleurs des variables spécifiques, qui ont servi dans un premier temps d’indicateurs d’intensité du préjudice intangible. L’intégralité des variables a été testée, nous ne reproduisons ici que les résultats s’étant avérés les plus significatifs. Evidemment, les fonctions de préjudice moral considèrent ici la valeur monétaire du dommage moral, 217 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION étant donné qu’il n’est pas envisageable de construire un taux d’endommagement moral. La première fonction de dommage moral intègre des variables communes à l’ensemble des fonctions étudiées jusqu’à présent. Tel est le cas des variables décrivant les paramètres physiques de l’aléa : les hauteurs d’eau supérieures à 20 cm au rez-de-chaussée, qui impliquent toute chose étant égale par ailleurs un accroissement du préjudice moral de 1,9 % lorsque la hauteur évolue de 10 %. Les hauteurs d’eau supérieures à un mètre, beaucoup plus impressionnantes, impliquent pour leur part le même effet, mais considérablement plus important : le coefficient multiplicateur y est de 6,98, ceteris paribus. Par ailleurs, l’intensité du risque, estimée par les individus sur une échelle de 0 à 10, implique, à chaque palier, une augmentation du préjudice moral de l’ordre de 7,9 %. Nous retrouvons l’impact équivoque de l’âge, puisque les personnes âgées subissent un préjudice moral moindre de 75 % environ, alors que le montant du préjudice augmente avec l’âge. L’effet de pivot n’a, à l’instar du cas de l’endommagement immobilier, pas pu être mis en évidence. Les individus connaissant auparavant le risque inondation subissent pour leur part un dommage moral supérieur (coefficient multiplicateur de e1,29482 = 3,63), du fait notamment de la possible expérience antérieure d’événements d’inondation. Dans ce dernier cas, l’importance du coefficient peut refléter partiellement un phénomène d’accumulation. A l’instar des endommagements matériels, le dommage moral augmente avec le nombre de pièces inondées (15 % pour une augmentation de 10 % du nombre de pièces inondées), mais la mise en œuvre de mesures de sauvegarde permet aux individus de réagir face à l’aléa, ce qui contribue ici à amoindrir le préjudice moral de près de 50 %. La première fonction intègre enfin une variable décrivant l’intensité de la variation d’utilité liée à la perte d’objets personnels ou de souvenirs sur une échelle allant de 0 à 10. Le préjudice moral augmente ainsi de près de 20 % lorsque le l’intensité de la perte augmente d’une unité, c’est-à-dire 10 %. La deuxième fonction intègre une variable décrivant la mise en œuvre de mesures de protection structurelle. Rappelons que cette entreprise nécessite des investissements souvent considérables impliquant des changements structurels notables de la configuration de l’habitat. Leur mise en œuvre implique dans le cas des dommages moraux, un coefficient multiplicateur de 1,86. Nous devons cependant préciser que l’ensemble des individus constituant l’échantillon sont des occupants inondés, ce qui implique, pour la catégorie d’individus qui nous intéresse ici, un échec, au moins relatif, des mesures de protection entreprises, ce qui peut expliquer le fait que ces mesures impliquent une aggravation du préjudice moral. La troisième fonction intègre la durée de l’inondation par le biais d’une variable dichotomique discriminant les habitations ayant connu les durées d’inondation minimales dans la région, à savoir un mois maximum, sachant que certains bourgs ont connu jusqu’à quatre mois de submersion. Les durées minimales de submersion impliquent ainsi un coefficient de réduction du préjudice égal à e-0,670338, soit 48 % moindre, toutes choses étant égales par ailleurs. La quatrième équation substitue un paramètre physique de submersion, en faveur d’un impact indirect de l’inondation : l’hébergement temporaire, autrement dit l’évacuation. Cette dépossession temporaire alourdit considérablement le préjudice moral d’un coefficient multiplicateur égal à 2,94. Enfin, la cinquième fonction de préjudice moral abandonne la variable de mise en œuvre de mesures de protection structurelle et la variable d’intensité du risque perçu au profit de la variable de durée déjà testée. Bien que globalement stable, ce modèle présente un alourdissement de plusieurs coefficients, notamment celui lié aux impacts indirects de l’événement d’inondation. - 218 15.8. Conclusion L’étude à partir de régressions nous a permis de définir différentes variables explicatives des taux d’endommagement mobilier, immobilier et des préjudices moraux. Si chaque phénomène d’endommagement présente des particularités reflétées par les variables explicatives, il n’en demeure pas moins des variables influant à la fois sur les endommagements et le préjudice moral. Une quantité importante de variables ont été testées, sans pour autant avoir donné entière satisfaction jusqu’à présent. Par ailleurs, des tests ont été effectués dans le but d’intégrer des considérations de dommages ou d’endommagement matériels au sein des fonctions de préjudice moral. Cependant, il semble que si certaines formes d’indicateurs d’endommagement ou de préjudice matériel peuvent entrer en ligne de compte dans la formation des dommages moraux (nombre de pièces inondées, perte d’objets personnels, etc.), il semble que les individus distinguent parfaitement les dommages moraux des dommages matériels, même si certains éléments matériels participent aux premiers. Les personnes semblent ainsi différencier parfaitement la valeur pécuniaire de la valeur morale (sentimentale ou nonéconomique). Au contraire, les préjudices moraux semblent davantage liés aux paramètres de l'inondation, qui peuvent conditionner l'inquiétude et l'angoisse (hauteurs d'eau, durée de submersion). Ces préjudices sont également influencés par le fait de pouvoir réagir face à l'aléa de manière à éviter le sentiment d'impuissance et de fatalité (sauvegarde). Enfin, il semble que le sentiment de dépossession puisse également entrer en ligne de compte, comme l'atteste la prise en compte des variables d'hébergement temporaire, c'est-à-dire d'évacuation, et du nombre de pièces inondées, c'est-à-dire inutilisables. Après avoir présenté les fonctions d’endommagement matériel et les fonctions de préjudices moraux, il convient de procéder à la seconde méthode d’évaluation proposée, à savoir la méthode des prix hédoniques (MPH). Rappelons que dans le cadre de l’exploitation des données d’enquêtes, il nous est avéré impossible de mettre en lumière la révélation d’un CAP ou CAR direct de la part des individus sinistrés. La réflexion à partir de l’idée d’un dommage global constitué de deux entités différentiables, matérielle d’une part et intangible d’autre part, nous a permit de pallier partiellement ce handicap. La MPH doit pour sa part nous permettre d’opérer une différenciation spatiale du risque, étant entendu que l’ensemble des individus sinistrés ne se situent pas sur une zone pour laquelle le risque inondation est homogène. Cette méthode permettra en outre de pouvoir déceler une éventuelle moins value liée à une exposition au risque, se rapprochant d’un éventuel CAP des partants pour ne plus supporter le risque. 219 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 16. L'évaluation économique des incidences des inondations : une application de la méthode des prix hédoniques aux valeurs immobilières 145 Jusqu'à présent, l'évaluation économique s'est intéressée aux dommages effectifs (mobiliers, immobiliers et moraux) subis par les individus, suite à des épisodes effectifs de crues. Une autre approche possible, complémentaire des applications précédentes, consiste à appréhender l'impact des inondations sur les valeurs immobilières des habitations exposées, et se traduisant par une moins-value plus ou moins significative observable à l'occasion de mutations. En effet, on peut aisément avancer l'hypothèse que la récurrence et la gravité d'épisodes d'inondations sont de nature à réduire l'attractivité des territoires exposés : des individus, las de ces séquences répétées, souhaitent partir, tandis que les candidats potentiels à une reprise ont tendance à être moins nombreux. Avec une offre grandissante et une demande affaiblie, on peut s'attendre à ce que le marché immobilier soit caractérisé par une diminution des prix. Cette hypothèse est à valider ; surtout, ses conséquences sont à quantifier. L'évaluation monétaire est ici délicate, bien plus que dans les exemples précédents. L'appréciation des moins-values éventuelles est rendue difficile dans la mesure où les biens immobiliers sont hétérogènes. Une faible valeur peut, certes, provenir d'une exposition marquée au risque d'inondation, mais peut tout autant être liée à des caractéristiques de taille et de confort défavorables. L'exercice d'évaluation n'en est pas moins souhaitable, surtout si le bilan financier se veut exhaustif. Une méthode existe qui a justement pour objet de mesurer l'incidence de variables déterminées, caractéristiques d'un bien hétérogène, sur la valeur du bien en question. Il s'agit de la méthode des prix hédoniques qui, si elle dispose d'un champ d'application bien plus large que le seul enjeu des dommages liés aux inondations, a cependant conduit à un certain nombre d'applications prometteuses dans ce secteur particulier. La suite de cette partie du rapport va préciser les caractéristiques de cette méthode d'analyse économique et proposera brièvement quelques développements quant à l'application au domaine du coût des inondations. Puis, nous présenterons notre propre modèle élaboré pour le secteur de la basse vallée de la Canche et commenterons les résultats auxquels il conduit. La conclusion de la partie fera le point sur un certain nombre d'insuffisances actuelles du modèle et esquissera quelques pistes d'amélioration. 16.1. La méthode des prix hédoniques : caractéristiques générales La méthode des prix hédoniques146 (désormais MPH) est relativement ancienne. Les premiers travaux dont elle est porteuse datent de la fin des années 30 (Court, 1939). Toutefois, l'établissement de ses fondements théoriques est bien plus récent (Rosen, 1974 ; Freeman, 1974). L'objet de cette méthode 145 Cette partie du rapport a donné lieu, sous une forme quelque peu différente, à une communication présentée dans le cadre du colloque "Hydrosystèmes, paysages, territoires" de la Commission "Hydrosystèmes continentaux" du Comité national français de géographie, Lille, 6-8 septembre 2001. 146 L'expression "prix hédonistes" existe aussi en français. La faveur va cependant à "prix hédoniques", entre autres parce que plus proche de l'anglais "hedonic price" qui constitue l'expression originelle. - 220 est d'expliciter, par des moyens statistiques adaptés, la formation des prix de biens caractérisés par une hétérogénéité plus ou moins forte : de fait, le plus souvent traités, les biens immobiliers147. Cette hétérogénéité résulte de caractéristiques différenciées composant le bien en question. Par exemple, on sait que la valeur d'une maison est fonction de sa taille, de son niveau de confort, de la présence ou non d'un garage, du type de matériaux employés... Mais elle dépend aussi de la localisation de l'habitation : sont ainsi susceptibles d'exercer une influence, la proximité au centre-ville, la qualité environnementale du secteur proche, le niveau d'équipement public... La MPH va permettre d'isoler et de quantifier les contributions des différentes variables jouant sur le prix du bien concerné. Expliquer les différences de valeurs d'un bien hétérogène est donc le premier intérêt de la méthode, mais on peut en pointer un deuxième, peut-être plus important encore : l'évaluation de la valeur de biens non marchands, autrement dit des biens pourtant dépourvus de prix directement observables sur un marché. Et l'on peut reprendre certains des exemples cités à l'instant : la présence d'équipements publics, la qualité environnementale, etc. On comprend, dès lors, qu'un champ d'application important de la MPH est le domaine de l'évaluation de la valeur de l'environnement et du coût des dommages environnementaux. Pour rendre plus précise la présentation de la méthode, donnons quelques éléments formalisés. Soit : V = f ( A1, A2 , ... Ai , ... Ak ) avec V, la valeur du bien et Ai une caractéristique du (1) bien (qui en comporte k) influant sur cette valeur. Le prix hédonique est la contribution, exprimée monétairement, d'une unité de caractéristique à la valeur considérée. Mathématiquement, il correspond à la dérivée partielle de V par rapport à Ai, soit : (2) phi = ∂V ∂Ai Dans le cas d'une fonction linéaire, phi sera, tout simplement, le paramètre attenant à la variable Ai ; notons le ai . La formulation se complique bien sûr avec des fonctions non linéaires. Par exemple, avec une fonction puissance148, on obtient : (3) phi = V ai Ai On peut aussi calculer la valeur d'élasticité entre la valeur monétaire globale et la caractéristique Ai (autrement dit le rapport entre les taux de variation de V et de Ai), soit également dans le cas d'une fonction linéaire : 147 Mais sans exclusive : quantité de biens ont ainsi fait l'objet d'analyses hédoniques, par exemple l'automobile dans les travaux précurseurs de Court, mais aussi les biens agricoles, ou encore les salaires des ménages... 148 Privilégiée ici parce que c'est ce type de fonction que l'on retrouvera dans notre application empirique ciaprès. 221 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION (4) ei = phi Ai Ai = ai V V tandis que dans le cas d'une fonction puissance, nous avons : : ei = ai Cette présentation de la MPH se veut brève. Elle ne va pas chercher à mettre en avant les fondements théoriques de la méthode149, ni les critiques formulées dans la littérature économique à son encontre (OCDE, 1989). Nous préférons mettre l'accent sur l'utilisation dans le domaine qui nous intéresse : les coûts liés aux inondations. 16.2. L’application de la méthode des prix hédoniques au domaine des inondations La MPH s'est avérée utile dans les problématiques d'évaluation monétaire de l'environnement (estimation de la valeur de l'environnement et du coût des dommages environnementaux)150. Compte tenu de son caractère, le plus souvent, non marchand, l'environnement ne laisse guère de prise à une évaluation d'ordre monétaire. Il en résulte le recours à des méthodes ad hoc, dont fait partie la MPH. Les principales applications de cette dernière méthode au domaine de l'environnement concernent plus particulièrement la pollution atmosphérique (Ridker, Henning, 1967 ; Anderson, Crocker, 1971 ; Freeman, 1974 ; Harrison, Rubinfeld 1978 ; Brookshire et al., 1982), le bruit (Nelson, 1978), mais aussi la proximité de lieux porteurs d'externalités négatives comme les sites pollués (Michaels, Smith, 1990 ; Kohlhase, 1991 ; Ketkar, 1992), les établissements à risques (Gamble, Downing, 1982 ; Sauvage, 1997), les friches industrielles (Letombe, Zuindeau, 2001), ou porteurs d'externalités positives telles que cours d'eau ou plans d'eau (Mc Leod, 1984 ; Brown, Pollakowski, 1977 ; Lansford, Jones, 1995), paysages agréables (Geoghegan et al., 1997), cette liste demeurant nécessairement incomplète tant sont nombreux, depuis les années 60, les exemples d'utilisation de la MPH. Le domaine des inondations a, lui aussi, fait l'objet d'investigations à l'aide de la MPH, avec toutefois un nombre relativement limité de tentatives. Les premiers essais datent du milieu des années 70 (Damianos, Shabman, 1976), tandis que la majeure partie des études ont lieu dans les années 80 (Park, Miller, 1982 ; Thompson, Stoevener, 1983 ; Donnelly, 1989), sachant que le mouvement ne s'est pas démenti jusqu'à ces dernières années (Shabman, Stephenson, 1996 ; Fridgen, Shultz, 1999 ; Bartošová et al., 1999)151. Notons que la totalité des travaux dont nous disposons émanent des États-Unis. En France, à notre connaissance, cette approche n'a jamais été utilisée. À l'instar des travaux qui ont trait à l'évaluation des dommages environnementaux, l'application particulière de la MPH au domaine des inondations vise à quantifier l'incidence d'une localisation en zone inondable sur les valeurs immobilières. A priori, l'on s'attend à ce que cet impact soit négatif, les inondations étant porteuses de dommages, mais l'on verra ci-après que la question n'est pas aussi simple, dans la mesure où la localisation en zone inondable est très souvent corrélée avec la proximité d'aménités environnementales positives (esthétiques, récréatives). 149 Sur ce point, on se reportera à l'article fondateur de Sherwin Rosen (1974) ainsi qu'à plusieurs surveys établis au fil du temps, notamment celui de Follain et Jimenez (1985) et celui de Bartik et Smith (1987). 150 Pour des surveys sur l'utilisation de la MPH dans le domaine de l'environnement, en plus des références précédentes, cf. Bateman (1983), Palmquist (1991), Freeman (1995). 151 Pour un survey des études disponibles on se reportera à Chao et alii (1998). - 222 On pourrait appréhender l'impact des inondations sur les valeurs sous l'angle des comportements de mobilité des ménages (incitation au départ des résidents et à l'arrivée de ménages extérieurs à la zone) suivant la lecture que font Graves et Linneman (1979) de la MPH, mais en général l'analyse s'effectue plutôt en termes de "capitalisation". Ainsi Tobin et Newton (1986), appliquant au domaine des inondations une idée développée dans la littérature d'économie urbaine (Grether, Mieszkowski, 1974), considèrent que les effets négatifs des épisodes d'inondation sont capitalisés dans les valeurs immobilières et se traduisent par un différentiel de prix vis-à-vis des biens immobiliers non exposés au risque. Plus précisément, il semblerait que le différentiel de valeurs corresponde à une somme actualisée de coûts de dommages sur un horizon temporel donné, ou, ainsi que testé dans un certain nombre de travaux (Donnelly, 1989 ; Fridgen, Shultz, 1999), à un montant de primes d'assurances. Cette interprétation est importante car, dans la perspective d'une évaluation globale des dommages induits par une inondation, on comprend maintenant que les déficits de valeurs mis en évidence par la MPH ne sauraient être additionnés aux coûts directs calculés par ailleurs, sous peine de doubles comptes regrettables (WRC, 1983). Pour autant, on ne saurait affirmer, même d'un point de vue théorique – et donc indépendamment des inévitables décalages d'ordre empirique –, que le différentiel de valeurs déterminé par la MPH se confond parfaitement avec le montant capitalisé des dommages, et ce pour deux raisons. D'une part, les dommages impliquant les indemnisations par les compagnies d'assurance n'incluent pas les coûts psychologiques liés à la survenance d'une inondation ou à son risque de manifestation. En revanche, l'impact sur les valeurs immobilières est susceptible, quant à lui, d'intégrer cette prime de risque152. En cela, d'ailleurs, la MPH constitue l'un des rares outils153 à tenter une évaluation monétaire de ce coût moral. D'autre part, le différentiel de valeurs, isolé par la MPH, peut représenter, outre le montant actualisé des dommages, l'ensemble des autres influences circonscrites dans les zones étudiées, en particulier celles qui résultent des externalités environnementales favorables et qui, dans une certaine mesure, compensent l'impact négatif des crues. Une fois caractérisée la signification même de ce qui est mis en évidence par la MPH, il convient de mettre l'accent sur deux questions majeures qui se doivent d'être traitées convenablement dans l'analyse (Tobin, Newton, 1986). Primo, il y a lieu de tirer les conséquences de ce que, sur une zone inondable déterminée, le risque est spatialement variable ; par exemple, entre la périphérie de la zone et la proximité au cours d'eau, la vulnérabilité à l'inondation va varier sensiblement. Pourtant, bon nombre d'études empiriques recourant à la MPH se contentent d'une variable binaire (0/1) pour représenter le secteur inondable154. À ce type de traitement, on devra préférer un mode de présentation qui puisse rendre compte justement de cette sensibilité. Dans la tentative récente de Bartošová et al. (1999), une mesure continue du risque est élaborée, variable selon la localisation de la maison dans la zone inondable. Pour ce faire, les auteurs recourent à un SIG. Il est possible aussi, suivant la recommandation de Chao et al. (1998), de considérer différentes zones successives, incluses les unes dans les autres (par exemple des secteurs caractéristiques d'inondations de périodes de retour plus ou moins longues) et de représenter chaque zone en question par une variable muette. Dans l'application empirique qui va suivre, c'est l'option que nous avons choisie155. 152 Donnelly (1989, p. 585), sur la base de son cas d'étude (La Crosse, Wisconsin, entre janvier 1984 et décembre 1985), estime ainsi que "les prix sont en fait réduits d'un montant à peu près double de la valeur des charges d'assurances", tandis que Fridgen et Shultz (1999, p. 15) calculent, quant à eux, une "valeur de l'anxiété" égale à 19 % du total du différentiel. 153 Avec la méthode d'évaluation contingente. 154 Ce que regrettent à la fois Tobin et Newton (1986) et Chao et al. (1998), estimant alors que le caractère non probant des conclusions proviendrait de ce traitement insuffisant. 155 Il n'est pas du tout certain qu'un calcul plus précis de distance ou de variation du risque soit, en définitive, plus adéquat que cette combinaison de variables muettes. Il faut en effet garder à l'esprit que la MPH vise à rendre compte du comportement de localisation des ménages et, dans cette perspective, on peut faire 223 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Secundo, la dimension temporelle doit aussi être prise en considération. En effet, on peut raisonnablement penser que l'impact d'une inondation sur les valeurs immobilières va évoluer au fil du temps. Selon la fréquence des crues, leur ampleur, les tensions éventuelles sur le marché immobilier du territoire, différents profils d'impact surviendront, avec baisse des valeurs suivie d'une récupération plus ou moins rapide et plus ou moins complète (Tobin, Newton, 1986). Le modèle de Bartošová et al. (1999) cherche à intégrer ce type de considérations et couple, en conséquence, une variable de zone inondable avec le nombre de jours séparant la date d'inondation de la date de vente de la maison. En retenant simplement le nombre de mois, nous avons, nous aussi, tenté de mesurer une éventuelle variation, dans le temps, de la perception du risque par les ménages. En résumé, il nous semble que l'application de la MPH au domaine des inondations est potentiellement confrontée à trois types de difficultés qu'il convient de traiter le plus soigneusement possible : l'ambivalence de la proximité à l'eau, tout à la fois source de risque (inondation) et d'aménités positives (esthétiques, récréatives), la variabilité spatiale du risque, et enfin la variabilité temporelle. Notre modèle a tenté de répondre au mieux à ces trois questions. Après avoir précisé la zone d'étude, nous expliciterons le modèle envisagé puis nous en commenterons les résultats. 16.3. Présentation de la zone d’étude Dans le cadre de notre recherche générale qui a trait à la basse vallée de la Canche, nous nous sommes intéressés pour cette partie de l'évaluation économique au secteur situé entre Marenla et Saint Josse, soit un linéaire d'environ 15 kilomètres. De manière plus précise, à partir de la cartographie répertoriant les zones inondables pour des crues de différentes périodes de retour (DIREN et al., 1997), ont été retenues 15 communes situées dans l'emprise de la crue d'une période de retour centennale. Ces communes sont : Attin, Beaumerie-Saint-Martin, Beutin, Brexent-Énocq, Brimeux, La Calotterie, Écuires, La Madeleine sous Montreuil, Marenla, Marles sur Canche, Montreuil sur Mer, Neuville sous Montreuil, Saint-Josse, Sorrus et Tubersent. De vocation principalement agricole, la zone d'étude contient une population de 9.900 habitants environ (chiffre de 1998) pour une superficie de 11.987 hectares. Les activités industrielles y sont peu nombreuses : l'unique site recensé sur la zone d'étude est une sucrerie-distillerie à Attin. Depuis le XVIIIe siècle, la zone a connu une croissance urbaine relativement constante. Celle-ci, cependant, s'est accélérée après la seconde guerre mondiale et, plus encore, depuis le milieu de la décennie 70. En dépit ce cette évolution des dernières décennies, l'habitat demeure globalement dispersé, à l'exception de la commune de Montreuil sur Mer. La population de ce secteur géographique se concentre davantage sur les communes littorales (Le Touquet, Étaples, Berck, Merlimont...) qui jouissent d'un attrait esthétique indéniable ainsi qu'un niveau d'équipement bien supérieur aux communes de la zone d'étude. À noter enfin, que sur les 15 communes de la zone d'étude, une seule (Attin) dispose d'un POS (depuis 1990). Deux autres sont en phase de relance de prescription de POS et huit sont en instance de mise en application du règlement national d'urbanisme (MARNU). Autrement dit, en dépit d'avancées législatives et réglementaires en matière de risque inondation (Loi sur l'eau, élaboration prochaine du SAGE156, mise en œuvre prochaine des PPRI157 consécutifs à la loi Barnier de 1995), les documents d'urbanisme font largement défaut sur le territoire d'étude qui permettraient de proscrire l'installation d'habitations en zone inondable. l'hypothèse que l'information des individus en matière de risque demeure relativement sommaire. 156 Schéma d'aménagement et de gestion des eaux. 157 Plan de prévention des risques d'inondation - 224 16.4. Le modèle utilisé L'analyse a pour objet de vérifier l'hypothèse que le risque inondation a un impact négatif sur les valeurs de maisons confrontées à un tel risque. Pour ce faire, la MPH est utilisée. Notre territoire d'étude ayant récemment été touché par une crue importante (hiver 1994-1995), celle-ci sera plus particulièrement envisagée par prise en compte de son emprise territoriale. Par ailleurs, souhaitant intégrer la notion de variabilité spatiale du risque, nous considérerons un certain nombre de variables représentatives de plusieurs territoires compris les uns dans les autres, et correspondant le plus souvent aux emprises de crues de différentes périodes de retour. Somme toute, nous avons : 1) le "fond de vallée", à savoir l'aire du lit majeur de la Canche et en l'occurrence avec des habitations situées à une altitude inférieure à 10 m par rapport au niveau du cours d'eau, 2) l'emprise de la crue centennale (ZI 100), 3) l'emprise de la crue de 1995 (ZI 1995), 4) l'emprise de la crue décennale (ZI 10), 5) la proximité à la Canche et à ses affluents (moins de 150 m), 6) la proximité aux milieux humides (également moins de 150 m). En l'occurrence, cette dernière variable est disjointe de la précédente : autrement dit la proximité aux milieux humides n'inclut pas la proximité à la Canche et à ses affluents et se limite aux seuls marais et étangs. Finalement, l'hypothèse d'une éventuelle érosion, dans le temps, de la perception du risque sera également examinée. Plusieurs équations économétriques, quatre en l'occurrence, seront, en définitive, exposées. 16.4.1. Les données utilisées Les données de l'échantillon ont trait aux mutations immobilières effectuées dans la zone d'étude entre 1995 et 1999, soit 401 habitations158. N'ont cependant été retenues que 382 mutations (95 %), les 19 restantes ou ne présentant pas la totalité de l'information souhaitée ou étant dénuées de destination à caractère d'habitation (chalets ou pavillons de chasse). Le tableau suivant indique la répartition des mutations par commune avec la valeur moyenne en francs. Tableau 35 : Répartition des mutations par commune Commune Attin Montreuil sur Mer Neuville sous Montreuil La Madeleine sous Montreuil La Calotterie Beutin Bréxent-Enocq Sorrus Ecuires Marles sur Canche Beaumerie Saint Martin Brimeux Marenla Saint Josse Tubersent Ensemble de l’échantillon 158 Nombre de mutations Valeur moyenne (F) 24 363 167 121 355 723 33 294 461 13 465 385 18 479 911 9 490 111 25 446 800 18 559 634 23 368 435 7 298 500 9 245 000 25 315 920 7 483 286 31 730 721 19 466 745 382 410 935 La base de données a été mise en place à partir des extraits d’actes de mutations, détenus par l’Inspection domaniale (Hôtel des impôts d’Arras). Une clause de confidentialité respectant l’anonymat des personnes concernées par les transactions a été parfaitement garantie. Nous profitons de cette remarque pour remercier les services de l’inspection domaniale pour leur précieuse collaboration. 225 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Les données obtenues, par l'intermédiaire des services fiscaux, concernent les valeurs de vente ainsi que les valeurs de caractéristiques afférentes aux maisons. À ces données ont été ajoutées un certain nombre d'informations relatives à la localisation des habitations, certaines d'entre elles ayant été collectées par des relevés sur le terrain. Il est intéressant de voir comment se répartissent les différentes observations suivant les zones vulnérables aux crues. C'est ce qu'indique le tableau suivant. Tableau 36 : Nombre d’habitations concernées par les différentes formes de localisation Forme de localisation Fond de vallée ZI 100 ZI 1995 ZI 10 Proximité à un cours d’eau Proximité à un milieu humide Nombre d’habitations concernées en % 16,6 % 12,2 % 10,7 % 7,8 % 27,5 % 7,0 % Le point très important qui ressort de ce tableau est le poids des habitations à proximité de la Canche et de ses affluents, poids bien supérieur en l'occurrence à la zone de crue la plus large (fond de vallée). Autrement dit, pour un certain nombre de raisons d'ordre géographique (position en altitude, situation protégée, localisation en amont du sens d'expansion de la crue…), une part significative des habitations proches du cours d'eau ne sont pas en zone inondable. Autrement dit encore, il est probable que la variable "proximité au cours d'eau" reflète, plus encore que nous le pensions initialement, un effet d'aménité environnementale et non un effet de risque d'inondation. Pour cette raison d'ailleurs, cette variable sera incluse, dans la suite du texte, dans les variables de localisation et non parmi les variables représentatives des zones de crues. Notons enfin que le trait ici souligné ne s'observe pas pour ce qui concerne la proximité à un milieu humide. Dans ce dernier cas, l'interprétation est alors inverse de la précédente : la dimension "risque inondation" joue ici à plein. 16.4.2. Les variables sélectionnées Les études mobilisant la MPH retiennent généralement deux grandes catégories de variables : les variables intrinsèques aux habitations (surface, niveau de confort, existence de tel ou tel attribut...) et les variables extrinsèques aux habitations, autrement dit les variables de localisation (proximité à tel équipement public, type de commune d'accueil...), celles-ci incorporant également les variables de qualité environnementale. Grosso modo, nous reprenons ici cette décomposition. La liste initiale de variables testées étant particulièrement importante, nous nous contentons de mentionner celles qui figurent dans l'une ou l'autre des équations présentées plus loin. Variables intrinsèques : Ont été retenues des variables représentatives de la taille de l'habitation (surface utile de la maison, surface totale du terrain) et de son confort (présence d'un garage, nombre de salles de bain, indicateur de qualité établi à partir d'un barème qualitatif construit par les services fiscaux). Les habitations caractérisées par un niveau de standing exceptionnel (type manoir ou château) ont été repérées à l'aide d'une variable muette (1/0). Enfin, l'année de construction a également été considérée. Variables de localisation : Indépendamment des variables relatives aux territoires de crues, les variables de localisation qui se sont avérées pertinentes sont : la distance à la mer, la proximité à la route nationale (perçue ici comme externalité négative en raison des nuisances occasionnées, notamment le bruit), une implantation dans le centre historique de Montreuil qui constitue, en effet, une particularité remarquable. Enfin, ainsi que nous l'avons précisé précédemment, nous ajoutons dans cette catégorie, la proximité à la Canche et à ses affluents. - 226 Variables relatives à la période de transaction : Outre l'année de transaction, il est apparu que le moment dans l'année où s'est opérée la vente influait ceteris paribus sur le prix de l'habitation. En l'occurrence, du fait probable de conditions météorologiques défavorables, une transaction durant l'hiver (très précisément du 21 décembre au 21 mars) jouait négativement sur la valeur de transaction. Dans la suite de l'investigation, une autre variable a été testée pour juger de l'évolution éventuelle de la prise en compte du risque : le nombre de mois entre la crue de 1995 et la date de transaction pour les seules mutations situées sur l'emprise de la crue de 1995. Variables relatives aux territoires de crues : Plusieurs emprises de crues ont été considérées. Elles ont été décrites précédemment. Nous nous contentons de les mentionner à nouveau, partant de la plus vaste à la plus restreinte : "Fond de vallée", "ZI 100", "ZI 1995", "ZI 10", "Proximité à un milieu humide", sachant que ces différentes variables représentatives de l'exposition au risque inondation sont exprimées sous la forme d'une variable muette (1/0). 16.4.3. La question de la spécification des fonctions A priori, plusieurs fonctions peuvent être envisagées : linéaire, semi-log, log-linéaire, etc. Toutefois, parmi les utilisateurs de la MPH un débat existe quant à savoir si toutes ces formes peuvent également être employées. Ainsi, certains auteurs dénient la validité même de la forme linéaire, arguant de la possibilité de ré-assembler diverses caractéristiques à moindre coût total (Maleyre, 1997, p. 24). D’autres contestent ce point de vue estimant que cette éventualité n’est envisageable, s’agissant du logement, qu’à très long terme et en concluent que la détermination de la fonction ne peut s’effectuer que de manière empirique (Palmquist, 1991, p. 87). Par ailleurs, d’autres travaux retiennent des formes fonctionnelles plus complexes, de type Box-Cox (Halvorsen, Pollakowski, 1981). Privilégiant la recherche d’une certaine facilité d’interprétation des résultats, nous n’avons pas, quant à nous, retenu cette dernière possibilité, lors même que les résultats économétriques avec de tels traitements seraient quelque peu supérieurs. Suivant la recommandation de Palmquist, nous en sommes restés à une optique empirique, comparant les principales fonctions indiquées à l'instant. En l'occurrence, c'est la fonction log-linéaire qui s'est avérée la plus satisfaisante sur le plan de la significativité statistique. 16.5. Résultats et éléments d’analyse Le tableau de la page suivante indique les résultats des différentes équations calculées . Le modèle comprend en fait une base constante de 13 variables explicatives auxquelles s'ajoutent, suivant des formes différenciées en nombre et en indicateurs, les variables représentatives des zones inondables (en italiques). Pour l'ensemble des équations, ce que nous appelons les variables de base sont significatives (à 5 % ou à 1 %). Telle était d'ailleurs la condition pour les faire figurer dans le tableau. Notons d'ailleurs que la base du modèle est tout à fait stable : l'ajout des variables d'inondations ne vient pas modifier sensiblement les valeurs de paramètres. Globalement les modèles font apparaître des coefficients de détermination légèrement supérieurs à 70 %. Nous rappelons que la spécification log-linéaire, ici choisie, conduit à ce que les valeurs de paramètres correspondent à des élasticités. Ainsi, si l'on prend comme exemple l'équation 1, on estimera que la valeur globale de la maison augmente de 3,4 % environ quand la surface utile croît de 10 %. L'interprétation des variables muettes est, quant à elle, particulière, puisque par définition ces variables ne sont pas continues mais binaires. Toujours avec l'équation 1, nous pouvons calculer que la présence d'un garage implique, ceteris paribus, un effet multiplicateur de e0,256 (soit 1,29) par rapport à une valeur de maison donnée. On voit aussi, par exemple, qu'une transaction survenant en hiver induit un effet de baisse de prix de – 12,2 %. S'agissant de la proximité à la rivière, on observe bien l'effet favorable attendu. Une habitation 227 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION présentant une telle caractéristique de localisation bénéficie d'une plus-value de 13,7 % . Enfin, s'agissant de la variable "année de transaction", on peut dire que la valeur de la maison augmente de 8,0 % en moyenne chaque année. 159 La première équation testée met en avant la variable représentative de la crue de 1995, épisode d'inondation le plus marquant de ces dernières années. Bien que statistiquement non significatif suivant les seuils habituellement retenus (1 et 5 %), ce premier résultat est cependant encourageant. Le risque d'erreur est en fait limité à 11 % et on observe bien le signe négatif attendu. D'après la valeur calculée, toutes choses égales par ailleurs, une habitation située dans cette zone de crue, sera affectée d'une dépréciation de 11,2 %, soit si l'on se réfère à la valeur moyenne de transaction sur cette zone particulière (351.351 F), une moins-value de 39.000 francs environ. L'inconvénient majeur de ce premier modèle est de ne pas considérer la variabilité spatiale du risque. À l'opposé de l'équation 1, l'équation 2 peut justement être considérée comme le "modèle global" incorporant l'ensemble des variables d'inondation a priori pertinentes. Chacune des variables retenues représente une spécificité spatiale des zones propices à l'inondation. Cependant, les fortes corrélations qui les unissent altèrent la significativité des coefficients calculés : l'on pouvait s'y attendre. En fait, l'intérêt de ce deuxième modèle est de nous aider à repérer les combinaisons de variables les plus prometteuses pour la suite du traitement. Tableau 37 : Principales régressions obtenues avec différentes variables de surfaces inondables160 ; Variable expliquée : log népérien du prix Variable Constante Équation 1 -.563 (-.13) Ln de la surface utile (en m2) .344 (7.67)** .185 Ln de la surface du terrain (en m2) (8.72)** Ln du nombre de salles de bain .501 (7.74)** Qualité (1/0) .214 (4.62)** Garage (1/0) .256 (5.76)** Habitat de très haut standing (1/0) .797 (5.30)** Ln de l'année de construction 1.507 (2.76)** Ln de la distance à la mer (en m) -.165 (-2.05)* Centre historique de Montreuil (1/0) .456 (6.53)** Bordure route nationale (1/0) -.169 (-2.51)* 159 160 Équation 2 Équation 3 Équation 4 .208-02 (.48-03) .352 (7.79)** .180 (8.36)** .512 (7.80)** .214 (4.59)** .250 (5.60)** .806 (5.34)** 1.433 (2.60)** -.165 (-2.02)* .438 (6.19)** -.150 (-2.15)* .148 (.03) .350 (7.77)** .181 (8.48)** .512 (7.85)** .213 (4.59)** .252 (5.69)** .804 (5.35)** 1.427 (2.60)* -.175 (-2.17)* .443 (6.28)** -.172 (-2.56)* .092 (.98) .350 (7.78)** .180 (8.46)** .512 (7.85)** .210 (4.52)** .257 (5.76)** .805 (5.35)** 1.435 (2.62)** -.177 (-2.19)* .444 (6.3)** -.171 (-2.54)* Cet effet est du même ordre dans l'ensemble des équations : il varie de 11,8 à 13,7 % selon les cas. Pour éviter d'alourdir la lecture du tableau les coefficients ont été donnés avec trois décimales et les t de Student avec deux décimales. Toutefois, les calculs qui suivent dans le texte ont été effectués à partir des valeurs initiales. - 228 Variable Équation 1 Proximité à cours d'eau (1/0) .129 (2.73)** Année de transaction (95 = 0,..., 99 = .0768 4) (4.83)** Transaction durant l'hiver (1/0) -.130 (-2.75)** Proximité à zone humide (1/0) Localisation en ZI 10 (1/0) Localisation en ZI 1995 (1/0) -.118 (-1.60) Localisation en ZI 100 (1/0) Localisation en fond de vallée (1/0) Nombre de mois entre crue de 1995 et date transaction Nombre d'observations 382 .71 R2 R2 ajusté .70 F 63.9 Équation 2 Équation 3 Équation 4 .125 (2.33)* .0772 (4.82)** -.132 (-2.77)** -.043 (-.50) .155 (1.06) -.255 (-1.24) .125 (.79) -.092 (-1.01) .111 (2.28)* .076 (4.79)** -.133 (-2.81)** .110 (2.25)* .081 (4.91)** -.137 (-2.88)** .189 (1.34) -.242 (-2.04)* .219 (1.53) -.133 (-.87) 382 .71 .70 59.9 -.507-02 (-1.13) 382 .71 .70 56.3 382 .71 .70 49.8 * indique si le paramètre est significatif à 5 % et ** à 1 %. Entre parenthèses figurent les t de Student. Ainsi l'équation 3 met en présence deux variables de zones inondables : on retrouve "ZI 1995" à laquelle a été adjointe "ZI 10", variable représentative d'une zone de crue plus étroite. "ZI 1995" devient significative à 5 %, mais "ZI 10" est confrontée à un risque d'erreur de 18 %… De surcroît, le signe observé (-) pourra surprendre. En réalité, cette variable est principalement porteuse d'effets d'aménités positifs, liés notamment à la proximité de la Canche161, et peut-être dans une certaine mesure, aux zones humides. En dépit de la valeur insuffisante du t-Student de "ZI 10", essayons d'interpréter plus globalement les résultats à partir de cette équation 3. Supposons une habitation située dans la zone de crue de 1995, mais également dans la zone plus restreinte de retour de crue décennale. Si, par ailleurs, cette habitation n'a pas vue sur la Canche, le déficit de valeur sera de -5,2 %. Si elle est à proximité de la Canche, sa valeur dépassera la valeur moyenne de 6 %. Envisageons maintenant une habitation incluse dans la zone de crue de 1995, mais à l'extérieur de "ZI 10". La dépréciation s'accentue : elle passe à -21,5 %. Dernier cas de figure : la maison est à proximité de la Canche, mais hors zone inondable. Sa valeur augmente de 11,8 %. En dernier lieu, nous avons souhaité tester un éventuel effet du temps sur la perception du risque. Pour permettre de mieux comprendre l'équation présentée, il est utile de spécifier notre modèle de départ. On considère que la valeur de l'habitation est égale à une valeur de base avec un coefficient réducteur si la maison est en zone inondable. L'effet du risque est censé s'estomper au fil du temps : partant, la valeur du coefficient aura tendance à augmenter. En formalisant, nous avons : : V = Vb.Ij.(1 + i)t.j.ε, avec V : valeur moyenne observée ; Vb : valeur de base de l'habitation ; Ij : coefficient lié à la localisation en zone inondable (j = 0,1) ; i : 161 On observe en effet que le coefficient relatif à "Proximité à cours d'eau" a baissé par rapport à l'équation 1 : de 0,129 à 0,111. Autrement dit, "ZI 10" restitue une partie de l'effet auparavant rendu intégralement par "Proximité à cours d'eau". 229 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION coefficient d'érosion de la perception du risque (i > 0 par hypothèse) ; t : nombre de mois entre inondation et transaction ; ε : terme aléatoire. On vérifie que pour une habitation située hors de la zone de crue, V se réduit bien à Vb.ε, les autres termes multiplicatifs étant égaux à 1. L'équation 4 reprend les variables de l'équation 3, mais adjoint la variable "nombre de mois entre crue et transaction pour les habitations situées sur l'emprise de l'inondation de 1995". Les résultats sont décevants. La variable "ZI 1995" perd sensiblement en significativité – le risque d'erreur passe de 4 % à 38 % –, tandis que la nouvelle variable est, elle-même, non significative (risque d'erreur de 26 %). En outre, le signe de cette variable est, à l'inverse de notre conjecture, négatif. Sans doute la mauvaise qualité des deux dernières variables est-elle à expliquer par un taux de corrélation élevé (0,86), mais pour le moins, peut-on difficilement soutenir que l'oubli du risque commence à se manifester. Il est vrai, la période de transaction envisagée (1995-1999) demeure relativement restreinte, tandis que, par ailleurs, un contexte récent propice aux épisodes d'inondations, hors du terrain d'étude, est susceptible d'en attiser la perception à l'intérieur même de la zone. Cette application de la MPH pour notre domaine d'étude nous semble prometteuse. Nous pensons avoir mis en évidence un impact négatif des zones inondables sur les valeurs immobilières (cf. "ZI 1995" dans l'équation 3). Certes, passant de l'équation 1 à l'équation 3, on observe que le coefficient de réduction de la valeur passe de 0,89 à 0,79, mais ce résultat est logique dans la mesure où l'équation 3 intègre une autre variable "ZI 10", posée au départ comme variable de zone d'inondation, et en réalité rendant compte, conjointement avec la proximité au cours d'eau, d'externalités environnementales positives. C'est d'ailleurs un autre mérite du modèle élaboré que d'avoir cherché à dissocier cet impact environnemental favorable des effets liés au risque inondation. Ceci étant, nous avons également constaté que tout autant la différenciation spatiale du risque que sa variabilité temporelle ne semblaient pas influer sur les valeurs de transaction. Pour le deuxième aspect, l'insuffisant recul temporel dont nous disposons et surtout la multiplication des épisodes d'inondation dans et hors de la zone d'étude constituaient des facteurs explicatifs d'une sensibilité pérenne au risque. Le modèle est à affiner. Techniquement, un examen attentif des résidus des régressions pourrait s'avérer utile. Il est possible que des observations "aberrantes" seraient ainsi à éliminer. Peut-être aussi, serions-nous à même de mettre en évidence de nouvelles caractéristiques explicatives actuellement passées sous silence. Ces variables qui aideraient à mieux prendre en compte l'impact du risque pourraient tout autant renvoyer à des caractéristiques inhérentes aux habitations (existence d'un soussol, protections particulières…), que se rapporter à des particularités géographiques très spécifiques (protection naturelle). Finalement, subsiste une piste qui mériterait d'être explorée plus à fond : rapprocher la valeur du différentiel calculé pour la (ou les) variables de zones de crues, des primes d'assurances payées sur les habitations des zones concernées. On testerait alors un éventuel effet de capitalisation lié au risque. 17. Conclusion générale L’évaluation économique a eu pour objectif d’évaluer l’impact du risque inondation sur le bien-être des individus. A ce titre, une crue de référence a été privilégiée : celle survenue durant l’hiver 1994-1995. Deux méthodes ont été mises en œuvre afin d’aboutir à une évaluation monétaire de la variation de bien-être consécutive au risque inondation. D’abord, par le biais d’enquêtes et de récolte de données des assureurs, nous avons pu catégoriser les différents préjudices et estimer la valeur moyenne d’endommagement mobilier, immobilier, ainsi que la valeur monétaire du préjudice matériel global, d’où découle la valeur monétaire des préjudices matériels - 230 et moraux. Les résultats décevants en matière de révélation des consentements à payer et recevoir ont ainsi pu être contrebalancés par une mesure alternative des dommages. Dans un souci d’exhaustivité, nous y avons intégré la mesure des dommages intangibles, qui reste somme toute assez peu développée en France. La seconde méthode utilisée a eu pour entreprise l’appréhension de l'impact des inondations sur les valeurs immobilières des habitations exposées. L’hypothèse sous-jacente a consisté à considérer que l’exposition au risque inondation devrait se traduire par une moins-value plus ou moins importante observable sur la valeur des mutations immobilières. Cette méthode a en outre permis la révélation de plusieurs types de différenciation : la variabilité spatiale du risque (encore que de façon limitée), dans la mesure où le risque n’est pas homogène sur l’ensemble des territoires en crue, la variabilité saisonnière du risque, puisque l’on peut estimer que certaines saisons favorisent l’acuité du risque inondation. En ce qui concerne la variabilité temporelle du risque, les estimations n’ont jusqu’à présent pas pu mettre en lumière une érosion de l’acuité du risque inondation au fil des années. De nombreuses extensions des résultats sont par ailleurs envisageables, tant sur le plan de la construction des fonctions d’endommagement matériel et de dommages moral que sur celui des perspectives d’approfondissement des résultats de la MPH (cf. supra). Enfin, il y a lieu de s’interroger dans un dernier temps sur l’impact du risque inondation et de la réglementation de l’occupation des sols sur le développement local. En effet, la mise en place des PPRi peut dans une certaine mesure freiner les perspectives de développement de certaines communes, notamment celles ne disposant plus de territoire hors zone inondable. Les nouvelles formes d’organisation spatiale (intercommunalité, etc.) peuvent en ce sens apporter des solutions en créant une certaine dynamique non plus individuelle mais locale qui devrait cependant être accompagnée de réformes sur le plan de la fiscalité locale. Reste qu’une multitude de découpages administratifs peuvent se juxtaposer, ne reflétant pas forcément les enjeux d’une gestion durable et transversale des territoires. La question du risque inondation doit, dans une perspective de développement local, en définitive intégrer la dimension patrimoniale des zones humides, à l’instar des travaux effectués aux Etats-Unis, de manière à envisager le risque inondation comme facteur de développement local. Bibliographie Anderson R. J., Crocker T. 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Communication au colloque de l’Association des Ruralistes Français (ARF), Toulouse 25-27 octobre 2000, “ Territoires prescrits, territoires vécus : inter-territorialité au cœur des recompositions des espaces ruraux ”. LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2001) : De l’eau ressource à l’eau territoire : articulation et processus de recomposition dans la gestion du risque inondation, Colloque « Risques et Territoires », Vaulx-en-Velin, 16-18 mai 2001, ENTPE. LAGANIER R., SCARWELL H.J. (2001) : Risque inondation, aménagement du territoire et développement durable : l’exemple du bassin versant de la Canche (Pas-de-calais). Revue CLES, L’Harmattan (accepté – à paraître) LONGUEPEE J. : Evaluation économique des aménités environnementales liées à la présence de zones humides. Université du Littoral - Groupe de Recherche sur les Economies Locales. Thèse en cours (soutenance 2002) LONGUEPEE J., ZUINDEAU B., 2001, L’évaluation du coût des inondations par la méthode des prix hédoniques : une application à la basse vallée de la Canche, Colloque "Hydrosystèmes, paysages, territoires" de la Commission "Hydrosystèmes continentaux" du Comité national français de géographie, Lille, 6-8 septembre 2001. LONGUEPEE J., ZUINDEAU B., 2001, L'impact du coût des inondations sur les valeurs immobilières : une application de la méthode des prix hédoniques à la basse vallée de la Canche, Revue du GRATICE (Paris XII), n° spécial sur "Economie immobilière" (Accepté). PICOUET P., SALVADOR P.G., STEVENOOT A. (2000) : Eléments pour une géohistoire des paysages d’une marge humide : la basse vallée de la Canche (Pas-de-Calais, France) Hommes et Terres du Nord, n°2 STEVENOOT A. (2001) Contribution méthodologique de la géographie historique à l’étude des paysages d’eau : l’exemple de la haute vallée de la Canche. DEA “ analyse géographique du milieu physique, ressources et risque naturels ” (Directeurs de recherche : J.J DUBOIS et R. LAGANIER) 235 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION VI. Liste des figures Figure 1 : Modèle général des relations inondation/territoire.....................................................................6 Figure 2 : Localisation de la zone d'étude.......................................................................................................8 Figure 3 : La mémoire du risque inondation (adapté de Coeur et al, 1998)............................................21 Figure 4 : Le système paysage (d'après T. Brossard et JC Wieber,1984) .................................................26 Figure 5 : Les catégories d'éléments du paysage (d'après Burel)...............................................................27 Figure 6 : Schéma récapitulatif des sources étudiées et des méthodes employées................................53 Figure 7 : Plan du siège d'Hesdin de 1639....................................................................................................55 Figure 8 : Plan du village de Beaumery et Saint Martin, 1787 (Arch. Départ. Pas-de-Calais, cote EDEP 588 114) ...........................................................................................................................................56 Figure 9 : (67) Extrait de la carte d'Hesdin et ses environs de 1739 (Bibliothèque Nationale, Ge BB 567 …………………………………………………………………………………………56 Figure 10 : Plans de Montreuil de 1774 (SHAT, Atlas 83, plan n°1 et plan n° 3 bis) .............................57 Figure 11 : Extrait de la carte de Montreuil et ses environs, 1763 (Arch. Départ. Pas-de-Calais, cote CPL 2906 c / 655 bis).................................................................................................................................58 Figure 12 : Figuration des arbres dur les cartes anciennes...........................................................................59 Figure 13 : Extrait du plan de section A du cadastre de la commune de Sainte-Austreberthe..............60 Figure 14 : Carte de l'utilisation du sol dans les environs d'Hesdin en 1739 ............................................65 Figure 15 : Carte de l’utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1763.............................................66 Figure 16 : Le système paysage dans la vallée de la Canche au milieu du 18e siècle................................66 Figure 17 : Carte de l'utilisation du sol aux environs d'Hesdin vers 1830 .................................................71 Figure 18 : Carte de l’utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1810.............................................72 Figure 19 : Le système paysage dans la vallée de la Canche vers 1830 ......................................................72 Figure 20 : Carte de l'utilisation du sol aux environs d'Hesdin en 1995 ....................................................75 Figure 21 : Carte de l'utilisation du sol aux environs de Montreuil en 1995.............................................75 Figure 22 : Evolution des enjeux pour une crue Q100 d’après les photographies aériennes de 1947, 1971 et 1995 .................................................................................................................................................76 - 236 Figure 23 : Le système paysage de la vallée de la Canche à la fin du 20e siècle........................................77 Figure 24 : Communes couvertes par l’enquête. ...........................................................................................87 Figure 25 : Localisation des exploitations enquêtées ....................................................................................88 Figure 26 : Répartition des différents comportements.................................................................................93 Figure 27 : Opérations en faveur de la gestion des risques érosion et inondation...................................97 Figure 28 : Exemples de lutte contre l’érosion et de contrôle des écoulements sur les versants ....... 102 Figure 29 : Petit bassin versant agricole de Bréxent................................................................................... 104 Figure 30 : Parcelles des Bas champs soumises aux inondations (exploitations enquêtées) ............... 106 Figure 31 : Les structures intercommunales du bassin de la Canche ...................................................... 114 Figure 32 : Les principales étapes de mise en place du SAGE de la Canche......................................... 122 237 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION VII. Liste des tableaux Tableau 1 : Débit de la Canche à Brimeux (1973-1995)...........................................................................31 Tableau 2 : L'hydrosystème sur les cartes anciennes étudiées : objets représentés, signes utilisés....47 Tableau 3 : L'occupation et la mise en valeur de l'espace dans le fond de la vallée : objets représentés et signes utilisés.......................................................................................................................48 Tableau 4 : Exemple de présentation (simplifiée) des revenus annuels imposables par type de mise en valeur du sol d'après les états de sections (pour la commune de Marconne)...............................51 Tableau 5 : Définition des types d'utilisation du sol cités sur les plans cadastraux..............................52 Tableau 6 : Evaluation en francs de la valeur de l’arpent selon la nature de l’occupation du sol sur la commune de La Calotterie en 1810 (Source : ADP, 1810)...................................................................69 Tableau 7 : Evaluation (en francs) des revenus imposables annuels pour chaque type d'occupation du sol à l'hectare (commune de Marconne, 1834)..................................................................................69 Tableau 8 : Répartition des exploitations selon leurs SAU......................................................................90 Tableau 9 : Répartition des types d’exploitations ......................................................................................90 Tableau 10 : Répartition par classe d'âge des agriculteurs..........................................................................90 Tableau 11 : Production animale de l'échantillon........................................................................................91 Tableau 12 : Les principales mesures de lutte contre l'érosion utilisées sur le bassin versant de la Canche à l’échelle de la parcelle ............................................................................................................. 103 Tableau 13 : Tableau récapitulatif : avant les élections de mars 2001 ................................................... 124 Tableau 14 : Tableau récapitulatif : après les élections de mars 2001 ................................................... 124 Tableau 15 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon la mise en œuvre ou l’absence de mesures de protection à l’échelle individuelle...................................................................................... 176 Tableau 16 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon le type de mesure de protection mis en œuvre à l’échelle individuelle ..................................................................................................... 177 Tableau 17 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon la présence ou l'absence de soussol dans l'habitation.................................................................................................................................. 178 Tableau 18 : Moyenne des dommages (en francs) différenciée selon le type de pièce inondée........ 179 Tableau 19 : Taux moyens d'endommagement mobilier (en pourcentage) différenciés selon le type de pièce inondée ....................................................................................................................................... 181 Tableau 20 : Taux moyens d'endommagement mobilier (en pourcentage) différenciés selon le type - 238 de comportement individuel................................................................................................................... 182 Tableau 21 : Taux moyens d'endommagement immobilier (en pourcentage) différenciés selon le type de comportement individuel et le type de pièce inondée................................................................... 183 Tableau 22 : Récapitulatif des montants des dommages......................................................................... 184 Tableau 23 : Récapitulatif des taux moyens d'endommagement ........................................................... 185 Tableau 24 : Caractéristiques moyennes des habitations......................................................................... 188 Tableau 25 : Caractéristiques moyennes des occupants .......................................................................... 189 Tableau 26 : Perception du risque inondation .......................................................................................... 190 Tableau 27 : Caractéristiques de la crue de 1995 et réponses individuelles.......................................... 191 Tableau 28 : Evaluation des dommages tangibles moyens et de la vulnérabilité ................................ 193 Tableau 29 : Evaluation des dommages intangibles moyens.................................................................. 195 Tableau 30 : Révélation des dommages, CAP et CAR ............................................................................ 196 Tableau 31 : Variables potentiellement mises en œuvre pour expliquer les taux d’endommagement mobilier et immobilier, ainsi que le préjudice moral........................................................................... 199 Tableau 32 : Fonctions de taux d'endommagement immobilier estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives (linéaire)...................................................................................... 206 Tableau 33 : Fonctions de taux d'endommagement mobilier estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives............................................................................................................ 210 Tableau 34 : Fonctions de préjudices moraux estimées à partir de régressions sur les principales variables explicatives ................................................................................................................................ 216 Tableau 35 : Répartition des mutations par commune............................................................................ 224 Tableau 36 : Nombre d’habitations concernées par les différentes formes de localisation............... 225 Tableau 37 : Principales régressions obtenues avec différentes variables de surfaces inondables ; Variable expliquée : log népérien du prix ............................................................................................. 227 239 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION VIII. ANNEXES - 240 18. QUESTIONNAIRE EXPERTS AGRICULTURE Nom : Fonction : Employeur : date : Les grandes évolutions depuis le dernier RGA Depuis le dernier RGA, quelle est l’évolution du nombre d’agriculteurs ? Y-a-t-il des installations de jeunes agriculteurs ? En ce qui concerne la SAU, quelles sont les évolutions présentes ? y-a-t-il eu des remembrements dans ce secteur ? (communes concernées) Relation et intégration du « monde » agricole / non agricole ? (poids politique des agriculteurs, place dans les conseils municipaux) Trajectoires des exploitations Organisation spatiale des productions agricoles dans ce secteur Quels sont les principaux changements, depuis le dernier RGA ? Quels en sont les causes ? Quels sont les principaux impacts sur l’espace ? (Type de culture, gestion du parcellaire, localisation et importance) Les problèmes d’environnement dans le secteur Quels sont les principaux phénomènes qui affectent les terres agricoles ? Quelles sont les communes les plus touchées ? Quelle est la sensibilité des agriculteurs et quelles sont les réactions ? (Prennent-ils des mesures particulières ? y-a-t-il des changements de comportements depuis ces 20 dernières années ?) Dans les secteurs les plus critiques ont-ils changé de pratiques culturales ? Les agriculteurs ont ils été associé à des réflexions ? Les actions menées Quelles sont les actions menées pour lutter contre ces phénomènes et depuis quand ? Suscitent-elles des intérêts de la part des concernés ? Depuis qu’elles sont proposées, ces mesures ont-elles connu un engouement croissant ? Sont-elles accueillies de la même manière chez tous les agriculteurs ? Quel est le bilan, en terme de réussite, de ces mesures ? Quelles sont les modalités de financement ? Quelles sont les possibilités de généralisation, et la place de la contractualisation dans ces mesures ? Quel est le rôle des collectivités locales dans ces actions, sont-elles impliquées dans ces mesures ? (MAE, haies…) 241 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 19. QUESTIONNAIRES AGRICULTEURS Historique de l’exploitation : L’exploitation : Statut juridique de l’exploitation : Nombre de salariés ou personnes travaillant sur la ferme: Y a-t-il un repreneur ? Oui Non Ne sait pas Production de l’exploitation Productions végétales : Nature et date de mise en place Surface Rendement Part de la production dans le C.A Productions animales : Catégorie Effectif Production Diversification : Avez vous d’autres activités sur l’exploitation ? gîtes ruraux 1 date :…….. vente directe 3 date :…….. accueil 2 date :………… autres 4 date :…….. Avez vous des projets pour d’autres activités sur la ferme ? oui non Si oui, lesquels ? Avez des projets en matière de productions ? ( animales, végétales) oui non Si oui, lesquels ? Maîtrise du foncier Aujourd'hui SAU :…………ha Mode de faire valoir : STH : ………….ha SCOP : ………...ha Surface drainée : ………..ha Surface irriguée : ………..ha Commercialisation - 242 Maîtrise du foncier à la date d’installation Date :…………… Reprise exploitation familiale SAU :…………ha Mode de faire valoir : STH : ………….ha SCOP : ………...ha Surface drainée : ………..ha Surface irriguée : ………..ha Description du parcellaire : Plateau -Versant -Vallée (entourez la ou les lieux de localisation) (Nombre d’îlots, groupé, ..) Remembrement : Oui Non Echange à l’amiable : Oui Non Quand ?……………. Superficie concernée ?……….ha Quand ?……………. Superficie concernée ?………..ha Comment s’est déroulé l’agrandissement de votre exploitation ? (dates clés, modalités…) Où se situent les parcelles acquises et pour quelles productions ? (cartes) Date N° Parcelles Superficie Production Situation de l’exploitation face à l’érosion et aux inondations Avez vous des terres concernées par : l’érosion 1 les inondations 2 les deux 3 Superficie touchée par ces problèmes ? Erosion :..........ha inondations :………..ha Quelles sont les productions concernées par ces problèmes ? Combien de fois et en quelle année ? Pensez-vous que le risque d’être inondé est : très fréquent Assez fréquent Peu fréquent Pas du tout fréquent Sans opinion Erosion : Inondation : 1 2 3 4 5 Localisation des parcelles les plus touchées et productions associées. (Carte) Connaissant le risque inondation, accepteriez vous d’acheter, (de louer) de travailler de nouvelles terres en zone inondable : oui 1 pourquoi ? (risque acceptable, contraintes ou avantages particuliers) non 2 pourquoi ? Ne sait pas 3 Qu’est ce qui a motivé l’achat ou le bail de nouvelles terres en zone inondable ? 243 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Qualité des terres Proximité de dépendances acquises Héritages Prix du terrain Loisirs Investissement Autres : Très important 1 1 1 1 1 1 1 2 2 2 2 2 2 2 Moyen 3 3 3 3 3 3 3 4 4 4 4 4 4 4 Pas important 5 5 5 5 5 5 5 L’information, la prévention et vous Avez vous le sentiment qu’en matière d’information et de prévention des risques, les administrations ont fait des efforts au cours des dix dernières années ? Très important 1 Assez important 2 Peu important 3 Pas du tout important 4 Sans opinion 5 Avez vous le sentiment qu’en matière d’information et de prévention des risques les collectivités locales ont fait des efforts au cours des dix dernières années ? Très important 1 Assez important 2 Peu important 3 Pas du tout important 4 Sans opinion 5 Savez-vous s’il existe des lois ou des règlements conçus spécialement pour la prévention des risques naturels ? oui non Si oui, citez celles que vous connaissez :………………………….. Avez vous déjà entendu parler des Plans de Prévention des Risques ou PPR ? oui non Si oui, comment en avez vous eu connaissance ? Mairie Agrandissement de la ferme Compagnie d’assurances Media (TV, journaux) Votre entourage Autrement :………………………………. Avez vous déjà entendu parler de l’Atlas des Zones Inondables ? oui non Si oui, comment en avez vous eu connaissance ? Mairie Agrandissement de la ferme Compagnie d’assurances Media (TV, journaux) Votre entourage Autrement :………………………………. 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 Souhaiteriez vous être davantage informé ? Sur quoi ? Et de quelle manière ? oui non La gestion actuelle des problèmes Quelles sont les conséquences de ces problèmes pour l’exploitation ? Conséquences économiques : - Conséquences techniques Les cultures pratiquées sont-elles liés aux risques inondation et/ou érosion ? oui non Avez vous pris des mesures particulières ? oui non Si oui lesquelles ? - 244 (MAE, actions chambre, détails et superficie concernée….) Pour quelles raisons ? (Avantages financiers, pour limiter les dégâts, pour être remboursé par votre assurance en cas d’inondations….) Comment avez vous eu connaissances de ces mesures ? Sur le plan financier et technique, est ce une initiative personnelle, ou un partenariat avec appui extérieur ? Dans le cas d’un partenariat, quels sont les organismes qui interviennent dans le financement de ces mesures ? A combien s’élèvent les dépenses pour de tels aménagements ? (Prix à l’hectare) Estimez-vous que ces dépenses sont : - Très élevées Assez élevées Peu élevées Ne sait pas 1 2 3 4 Quels sont les partenaires qui vous ont aidé à mettre en place ces mesures ? Chambre agri 1 coopérative 2 communes 3 SANEF 4 autres :…………………..5 Si non pourquoi ? trop contraignantes 1 coût 3 Ne se sent pas concerné 2 autres :……………… 4 Appartenez-vous à un groupe de réflexion, de travail, commission pour ces problèmes ? Si oui : - le ou lesquels ? - est-ce une démarche personnelle ou une sollicitation extérieure ? dans le second cas laquelle ? - à quel titre : agriculteur élu dans une municipalité ou association:……………….. Si association, laquelle ? Bilan : Etes vous satisfait de ces mesures et de la manière dont elles sont mises en œuvre? Estimez-vous que ces mesures sont : Très efficaces Assez efficaces Peu efficaces Pas du tout efficaces Ne sait pas 1 2 3 4 5 Avez vous été indemnisé par votre assurance pour les dommages subis ? Oui 1 : En totalité 1 En partie 2 Non 1: car dommages peu importants 1 car pas indemnisables 2 car pour autres raisons :…………………………3 La gestion future : solutions potentielles Pensez-vous que les mesures proposées sont bien adaptées pour combattre ces problèmes ? Pour gérer correctement le risque inondation en cherchant à la fois à lutter contre l’inondation et préserver l’environnement contre l’érosion des sols par exemple, quel type de solution pensez-vous qu’il faudrait adopter et développer ? 1 Plutôt des travaux de contrôle de la rivière (barrages, digues, modifications des berges) 2 Plutôt des travaux pour limiter le ruissellement. 3 Plutôt des règles pour contrôler l’usage du sol en zone inondable. ( maîtrise de l’urbanisation ou de productions sensibles au risque) 4 Une combinaison des trois, dans quel ordre ? :………………….. 5 Autres propositions : Pensez-vous que l’agriculteur ait un rôle important à jouer en matière de gestion des risques naturels ? oui 1 non 2 Si oui, comment pouvez-vous être un véritable acteur de la gestion du risque ? 245 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION Quel rôle devra jouer les collectivités ? Avez vous des projets en ce qui concerne l’érosion et les inondations ? Pensez-vous que les Contrats Territoriaux d’Exploitations (CTE) peuvent apporter de bonnes solutions pour résoudre ces problèmes ? (érosions, inondations) Quelle est votre opinion au sujet des affirmations suivantes : (Entourez le chiffre qui correspond le mieux à votre opinion en tant que chef d’exploitation agricole. Entourez un seul chiffre par ligne) Un exploitant agricole a le droit de pratiquer n’importe quelle production sur ses terres quel que soit le risque (inondation, qualité des eaux, érosion des sols) Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 Des individus qui construisent en zone inondable devraient payer une taxe, ce qui inciterait à diminuer la population exposée ; Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 S’ils étaient bien informés sur le risque auquel les exploitations sont exposées, les agriculteurs réaliseraient plus facilement des travaux de protection contre l’inondation, le ruissellement et l’érosion des sols. Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 S’ils avaient une aide technique et financière, les exploitants agricoles réaliseraient plus facilement des travaux de protection contre l’inondation, le ruissellement et l’érosion des sols. Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 Les exploitants agricoles qui pratiquent des cultures à fort risque en zone inondable (ou érosion) devraient payer une taxe ce qui inciterait à modifier l’usage des sols . Tout à fait d’accord Neutre Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 Nom : Adresse : Responsabilité : Formation : Critères de choix de l’enquêté : aléatoire Association, organisme : Conditions de l’enquête : date : Age : - 246 SOMMAIRE I. SYNTHESE DES TRAVAUX...........................................................................................................3 1. 2. 3. 4. CONTEXTE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE........................................................................................................ 5 LE CHOIX DE LA ZONE D’ETUDE .............................................................................................................................. 8 LES EQUIPES PARTICIPANTES .................................................................................................................................... 9 AXE 1 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT/INONDATION DANS UN PROCESSUS TECHNIQUE DE PRISE EN COMPTE DU RISQUE DANS LES STRATEGIES D’AMENAGEMENT .......................................................... 10 5. AXE 2 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT - INONDATION DANS UN PROCESSUS D’ACTION PUBLIQUE .............................................................................................................................................................................. 13 6. AXE 3 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT/INONDATION DANS UN PROCESSUS ECONOMIQUE 16 7. QUELQUES ELEMENTS DE CONCLUSION SUR LA PRATIQUE DE L’INTERDISCIPLINARITE............................ 19 II. RAPPORTS DE RECHERCHE DE L'AXE 1................................................................................ 20 8. CONTRIBUTION METHODOLOGIQUE DE LA GEOGRAPHIE HISTORIQUE A L'ETUDE DU RISQUE INONDATION ........................................................................................................................................................................ 21 9. RECEPTIVITE DES EXPLOITANTS AGRICOLES AU RISQUE INONDATION ET A LA MISE EN PLACE D’UNE GESTION INTEGREE ............................................................................................................................................................ 85 III. RAPPORTS DE RECHERCHE DE L'AXE 2 ..........................................................................109 10. RISQUE INONDATION ET RECOMPOSITION DU TERRITOIRE : EXEMPLE DU BASSIN VERSANT DE LA CANCHE............................................................................................................................................................................... 110 11. LA CANCHE : LA PAROLE ET LA GESTION. LES ACTEURS ASSOCIATIFS ET LE RISQUE D’INONDATION .. 137 IV. RAPPORT DE RECHERCHE DE L'AXE 3 ............................................................................166 12. 13. 14. 15. PRESENTATION GENERALE ................................................................................................................................... 167 RESULTATS OBTENUS AUPRES DES COMPAGNIES D'ASSURANCE .................................................................... 172 RESULTATS OBTENUS AUPRES DES PERSONNES SINISTRES .............................................................................. 185 ESTIMATION DES FONCTIONS D'ENDOMMAGEMENT MATERIEL ET DE LA FONCTION DE PREJUDICE MORAL.................................................................................................................................................................................. 199 16. L'EVALUATION ECONOMIQUE DES INCIDENCES DES INONDATIONS : UNE APPLICATION DE LA METHODE DES PRIX HEDONIQUES AUX VALEURS IMMOBILIERES ............................................................................ 219 17. CONCLUSION GENERALE ....................................................................................................................................... 229 V. LISTE DES PUBLICATIONS...................................................................................................... 234 VI. LISTE DES FIGURES.............................................................................................................. 235 VII. LISTE DES TABLEAUX.......................................................................................................... 237 VIII. ANNEXES ................................................................................................................................ 239 18. 19. QUESTIONNAIRE EXPERTS AGRICULTURE ........................................................................................ 240 QUESTIONNAIRES AGRICULTEURS......................................................................................................... 241 IX. X. LEXIQUE DES ABREVIATIONS........................................................................................... 247 TABLE DES MATIERES ............................................................................................................. 248 247 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION IX. LEXIQUE DES ABREVIATIONS CDOA Commission Départementale d’Orientation de l’Agriculture CLE Commission Locale de l'Eau CRE Contrat Rural pour l’Eau CTE Contrat Territorial d’Exploitation DDA Direction Départementale de l'Agriculture DDE Direction Départementale de l'Equipement FEDER Fonds européen de Développement Rural MAE Mesure Agri-Environnementale MARNU Modalité d'Application du Règlement National d'Urbanisme PER Plan d'Exposition aux Risques PIG Projet d'Intérêt Général POS Plan d'Occupation des Sols PPR Plan de Prévention des Risques PSS Plan de Surfaces Submersibles PZIF Plan de Zone Sensible aux Incendies de Forêt RNU Règlement National d'Urbanisme SAGE Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux SD Schéma Directeur SDAGE Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux SIABVC Syndicat Intercommunal de la Basse Vallée de la Canche SIVU Syndicat Intercommunal à Vocation Unique ZAD Zone d'Aménagement Différé - 248 X. Table des matières I. SYNTHESE DES TRAVAUX 3 1. CONTEXTE ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE..........................................................................................5 1.1. Un projet d’intégration de l’aléa inondation dans la société… ...................................................5 1.2. …inscrit dans un territoire ...........................................................................................................5 1.3. …nécessitant des méthodes d'analyse du lien territoire/inondation ............................................6 2. LE CHOIX DE LA ZONE D’ETUDE .............................................................................................................8 3. LES EQUIPES PARTICIPANTES .................................................................................................................9 4. AXE 1 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT/INONDATION DANS UN PROCESSUS TECHNIQUE DE PRISE EN COMPTE DU RISQUE DANS LES STRATEGIES D’AMENAGEMENT .......................................................10 4.1. Objectifs, problématiques, enjeux ..............................................................................................10 4.2. Méthodologie..............................................................................................................................11 4.3. Résultats .....................................................................................................................................11 4.4. Les productions scientifiques .....................................................................................................12 4.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude .........................................13 5. AXE 2 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT - INONDATION DANS UN PROCESSUS D’ACTION PUBLIQUE .....................................................................................................................................................13 5.1. Objectifs, problématiques, enjeux ..............................................................................................13 5.2. Méthodologie..............................................................................................................................14 5.3. Résultats acquis..........................................................................................................................14 5.4. Les productions scientifiques .....................................................................................................15 5.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude .........................................16 6. AXE 3 : INTEGRATION DU COUPLE DEVELOPPEMENT/INONDATION DANS UN PROCESSUS ECONOMIQUE ……………………………………………………………………………………………………………………..16 6.1. Objectifs, problématiques, enjeux ..............................................................................................16 6.2. Méthodologie..............................................................................................................................17 6.3. Résultats .....................................................................................................................................17 6.4. Les productions scientifiques .....................................................................................................18 6.5. Difficultés à franchir, perspectives, valorisation possible de l'étude .........................................18 7. QUELQUES ELEMENTS DE CONCLUSION SUR LA PRATIQUE DE L’INTERDISCIPLINARITE ........................19 II. RAPPORTS DE RECHERCHE DE L'AXE 1 20 8. CONTRIBUTION METHODOLOGIQUE DE LA GEOGRAPHIE HISTORIQUE A L'ETUDE DU RISQUE INONDATION .................................................................................................................................................21 8.1. De l'objet à l'objectif ou le risque inondation dans le cadre d'une étude géo-historique...........23 8.2. Méthodologie d'étude des cartes anciennes pour la mesure historique de la prise en compte du risque dans les stratégies d'aménagement...............................................................................................39 8.3. Essai de reconstitution diachronique de la vulnérabilité de la vallée de la Canche depuis le 18è siècle ………………………………………………………………………………………………………………61 9. RECEPTIVITE DES EXPLOITANTS AGRICOLES AU RISQUE INONDATION ET A LA MISE EN PLACE D’UNE GESTION INTEGREE .......................................................................................................................................85 9.1. Eléments méthodologiques.........................................................................................................85 9.2. La perception du risque inondation par les agriculteurs ...........................................................89 9.3. La prise en compte du risque dans les stratégies agricoles : un jeu d'acteurs, un jeu d'échelles ………………………………………………………………………………………………………………94 9.4. Peut-on parler de gestion intégrée? .........................................................................................107 III. RAPPORTS DE RECHERCHE DE L'AXE 2 109 10. RISQUE INONDATION ET RECOMPOSITION DU TERRITOIRE : EXEMPLE DU BASSIN VERSANT DE LA CANCHE .....................................................................................................................................................110 10.1. Problématique ..........................................................................................................................110 10.2. Méthodes et outils envisagés ....................................................................................................112 10.3. De quel territoire parle-t-on ?..................................................................................................113 249 METHODES POUR UNE GESTION INTEGREE DU RISQUE INONDATION 10.4. Comment les acteurs se sont-ils appropriés la démarche de gestion globale de l’eau sur le bassin de la Canche ? ........................................................................................................................... 118 10.5. Quels enseignements ?............................................................................................................. 125 10.6. Le bassin versant, un territoire de concertation ?................................................................... 131 11. LA CANCHE : LA PAROLE ET LA GESTION. LES ACTEURS ASSOCIATIFS ET LE RISQUE D’INONDATION 137 11.1. Présentation du cadre de l’enquête ......................................................................................... 138 11.2. Un tissu associatif atomisé ...................................................................................................... 142 11.3. Une perception diffuse de la notion de risque ......................................................................... 145 11.4. La lente marche vers la concertation ...................................................................................... 150 11.5. Une concertation limitée ?....................................................................................................... 157 11.6. Vers une culture du risque ?.................................................................................................... 161 IV. RAPPORT DE RECHERCHE DE L'AXE 3 166 12. PRESENTATION GENERALE ................................................................................................................ 167 12.1. Objectifs de l'évaluation économique des dommages liés aux inondations............................. 167 12.2. Méthodologie mise en oeuvre .................................................................................................. 167 12.3. Instrumentalisation et objectifs des méthodes utilisées ........................................................... 168 12.4. Données mobilisées ................................................................................................................. 169 12.5. Protocoles de mise en œuvre et mesure des dommages........................................................... 170 13. RESULTATS OBTENUS AUPRES DES COMPAGNIES D'ASSURANCE ........................................................ 172 13.1. Introduction ............................................................................................................................. 172 13.2. Typologie des dommages......................................................................................................... 173 13.3. Evaluation des dommages ....................................................................................................... 174 13.4. Evaluation des taux d'endommagement : première approche ................................................. 180 13.5. Conclusion............................................................................................................................... 184 14. RESULTATS OBTENUS AUPRES DES PERSONNES SINISTRES ................................................................ 185 14.1. Caractérisation de l'habitat..................................................................................................... 186 14.2. Le risque inondation................................................................................................................ 189 14.3. Les dommages tangibles.......................................................................................................... 192 14.4. Les dommages intangibles ou indirects ................................................................................... 194 15. ESTIMATION DES FONCTIONS D'ENDOMMAGEMENT MATERIEL ET DE LA FONCTION DE PREJUDICE MORAL ....................................................................................................................................................... 199 15.1. Les variables explicatives potentielles..................................................................................... 199 15.2. Les paramètres affectant l’endommagement immobilier......................................................... 202 15.3. Estimation de l’endommagement immobilier .......................................................................... 206 15.4. Les paramètres affectant l’endommagement mobilier............................................................. 208 15.5. Estimation de l’endommagement mobilier .............................................................................. 210 15.6. Les paramètres affectant les dommages moraux ..................................................................... 212 15.7. Estimation de la fonction de préjudice moral.......................................................................... 216 15.8. Conclusion............................................................................................................................... 218 16. L'EVALUATION ECONOMIQUE DES INCIDENCES DES INONDATIONS : UNE APPLICATION DE LA METHODE DES PRIX HEDONIQUES AUX VALEURS IMMOBILIERES ................................................................................ 219 16.1. La méthode des prix hédoniques : caractéristiques générales ................................................ 219 16.2. L’application de la méthode des prix hédoniques au domaine des inondations...................... 221 16.3. Présentation de la zone d’étude............................................................................................... 223 16.4. Le modèle utilisé...................................................................................................................... 224 16.5. Résultats et éléments d’analyse ............................................................................................... 226 17. CONCLUSION GENERALE ................................................................................................................... 229 V. LISTE DES PUBLICATIONS VI. LISTE DES FIGURES 235 VII. LISTE DES TABLEAUX VIII. ANNEXES 234 237 …………………………………………………………………………………239 18. QUESTIONNAIRE EXPERTS AGRICULTURE........................................................................... 240 19. QUESTIONNAIRES AGRICULTEURS ........................................................................................ 241 IX. LEXIQUE DES ABREVIATIONS 247 - 250 X. TABLE DES MATIERES 248