LE RETOUR DISCRET DU REDOUTABLE

Transcription

LE RETOUR DISCRET DU REDOUTABLE
NUMÉRO
59
ÉCONOMIE
Pourquoi des managers
MÉDECINE
Demain, on essaie
HISTOIRE
Quand les Suisses
prennent des
décisions immorales
16
de recréer des
organes humains
28
effrayaient les princes et les petits enfants
40
!
ALLEZ
SAVOIR Le magazine de l’UNIL | Janvier 2015 | Gratuit
NATURE
LE RETOUR DISCRET DU REDOUTABLE
GRAND-DUC
Avec IRL plus SA,
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Les IRL plus SA n’ont pas fini de faire bonne impression! D’autant plus avec leur
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ÉDITO
LA PLUS AMÈRE
DE TOUTES LES BATAILLES
JOCELYN ROCHAT
Rédaction en chef
IMPRESSUM
Magazine de l’Université
de Lausanne
No 59, janvier 2015
www.unil.ch/allezsavoir
Editeur responsable
Université de Lausanne
Une publication d’UNICOM,
service de communication
et d’audiovisuel
Quartier UNIL-Sorge
Bâtiment Amphimax
1015 Lausanne
Tél. 021 692 22 80
allezsavoir@unil.ch
Rédaction en chef
Jocelyn Rochat,
David Spring (UNICOM)
Création de la maquette
Edy Ceppi (UNICOM)
Rédacteurs
Mélanie Affentranger
Sonia Arnal
Elisabeth Gordon
Cynthia Khattar
Virginie Jobé
Nadine Richon
Anne-Sylvie Sprenger
Muriel Sudano-Ramoni
Francine Zambano
Correcteurs
Albert Grun
Fabienne Trivier
Direction artistique
Secteur B Sàrl
www.secteurb.ch
Photographie
Nicole Chuard
Illustration
Eric Pitteloud (pp. 3, 39)
Couverture
Illustration originale
de Denisse Urrutia Delgado
Impression
IRL plus SA
ISSN 1422-5220
Tirage
17 000 exemplaires
Parution
Trois fois par an, en janvier,
mai et septembre
Abonnements
allezsavoir@unil.ch (p. 4)
021 692 22 80
C
ette année, la Suisse a rendez-vous
avec son passé. Et pas seulement
parce que nous avons pris l’habitude de commémorer les grands
conflits du passé l’an dernier, avec
les innombrables cérémonies liées au centenaire de la Première Guerre mondiale.
Hasard du calendrier, cette année 2015
nous invite à revisiter les affrontements
légendaires de Morgarten (1315) et de
Marignan (1515), deux des batailles les
plus célèbres de notre histoire.
Morgarten, c’est la victoire la plus inattendue, à l’issue d’un guet-apens où les
gueux des montagnes ont désarçonné la
fine fleur de la chevalerie de l’empire. Et
Marignan, c’est la plus amère défaite des
Confédérés, au terme d’une boucherie, où
un tiers des guerriers suisses sont morts
en terres italiennes, face aux troupes rassemblées par François Ier.
Ces deux batailles, séparées très
exactement par deux siècles, marquent
l’apogée – c’est très bizarre de l’écrire
aujourd’hui – de la «puissance militaire»
des Confédérés. Une époque paradoxalement peu développée dans les manuels
d’histoire, où les terribles piquiers et hallebardiers suisses sont allés de victoire en
victoire, jusqu’au succès total de Novare,
en 1513. Ce jour-là, les Confédérés ont
bouté les armées du roi de France hors
d’Italie, et ont pris le contrôle de la riche
et prestigieuse cité de Milan.
Coup de chance au moment où le calendrier nous rappelle cette époque héroïque
et brutale, on retrouve des historiens qui
ont repris goût à l’étude des batailles,
après des décennies d’analyses plus éco-
HASARD DU
CALENDRIER,
CETTE ANNÉE 2015
NOUS INVITE À
REVISITER LES
AFFRONTEMENTS
LÉGENDAIRES
DE MORGARTEN
(1315) ET DE
MARIGNAN (1515).
Allez savoir !
N° 59
nomiques de notre passé. Vous découvrirez notamment dans ce numéro Roberto
Biolzi, un assistant diplômé à l’UNIL qui
écrit une thèse sur la guerre dans les
Etats savoyards à la fin du Moyen Age.
Pas «parce qu’il se prend pour un colonel à
la retraite qui rejoue les grandes batailles
de passé dans sa chambre», mais «parce
que la guerre a aussi joué un rôle essentiel dans la construction progressive des
Etats-Nations».
Avec ce spécialiste de l’époque, vous
découvrirez (c’est en page 40) une période
mal connue. Et donc très surprenante
quand on a en tête l’image du soldat suisse
qui, tous les dimanches soir, prend son
train pour la caserne dans son uniforme
bien repassé et distribue des biscuits. Rien
de tout cela entre 1315 et 1515, quand les
guerriers Confédérés effrayaient les petits
enfants, se livraient au pillage, ne faisaient
pas de prisonniers et frappaient les esprits
en «domptant les princes».
Impossible, de (re)découvrir cette
époque brutale sans songer à ce que les
Suisses sont devenus, cinq siècles plus
tard. Le pays qui a inventé la Croix-Rouge,
une nation qui n’a plus attaqué ses voisins
depuis un demi-millénaire, et une population qui s’est enorgueillie, l’an dernier, de
voir son président jouer les pacificateurs
entre l’Ukraine, la Russie, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Bref,
une Suisse du XXIe siècle qui vient rappeler à tous les pessimistes qui suivent
les conflits planétaires en désespérant
de la condition humaine, qu’un peuple
parmi les plus guerriers de son époque
peut changer du tout au tout. 
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
3
JE M'ABONNE À « ALLEZ SAVOIR ! »
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NOM / PRÉNOM
TÉLÉPHONE
ADRESSE
E-MAIL
CODE POSTAL / LOCALITÉ
DATE ET SIGNATURE
SOMMAIRE
PORTFOLIO
Volleyball,
campus, musique
de chambre.
BRÈVES
L’actualité du campus:
distinctions, formation,
international, publications.
ENTREPRISES
Pourquoi des managers
même pas méchants prennent-ils
des décisions immorales?
MOT COMPTE TRIPLE
Microbiote.
Avec Benjamin
Marsland.
NATURE
Le retour discret
du redoutable
Grand-duc.
MÉDECINE
Demain, on essaie de recréer des organes
humains. Les cellules progénitrices
au secours des grands brûlés.
RELIGION
Foot, télé ou église ?
Quatre types
d'(in) croyances.
RÉFLEXION
Le monde tel qu'il est
et qu’il voudrait être.
Par Mark Goodale.
HISTOIRE
Quand les Suisses effrayaient les princes
et les enfants. Au soir de Marignan,
la Suisse n’est pas devenue neutre.
MATHÉMATIQUES
Le calcul a aussi son histoire.
Compter sur les doigts
jusqu’à... 9999.
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!
ALLEZ
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SAVOIR Le magazine de l’UNIL | Janvier 2015 | Gratuit
51
IL Y A UNE VIE
APRÈS L’UNIL
52
DROIT
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C’ÉTAIT DANS
«ALLEZ SAVOIR !»
59
LIVRE
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LIVRES
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FORMATION CONTINUE
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MÉMENTO
66
CAFÉ GOURMAND
Nathalie Rochat,
de la nature aux animaux.
Sommes-nous sous
le joug des juges
de Strasbourg?
Veille-toi ! Y en a point comme nous.
Article paru en 2010.
Pour en finir
avec la mort.
Photographie, histoire,
société, écologie, Expo 64,
sciences criminelles.
Mieux comprendre et traiter
le jeu excessif. Face à la diversité
religieuse en institution.
Evènements,
conférences, sorties
et expositions.
Le bonheur
de découvrir.
Avec Daniel Maggetti.
Allez savoir !
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Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
5
LE LUC VOLE HAUT
Dorigny, le 25 octobre 2014.
Jirayu Raksakaew, dit «James»,
joue avec le LUC Volleyball, en
Ligue nationale A. Ce soir-là, le
club universitaire a battu Amriswil
3 :1. La formation lausannoise
fait une excellente saison, ce qui
enthousiasme son entraîneur
général Georges-André Carrel.
«Plusieurs de nos joueurs, qui
étudient à l’UNIL ou à l’EPFL,
étaient des juniors du club. C’est
une parfaite illustration du succès
du LUC!» Dénicher les talents de
demain, préparer et former une
relève qui doit jongler entre le
sport et les études: cela coûte du
temps et de l’argent, sans pour
autant garantir des victoires sur le
terrain. Pourtant, ce pari paie.
Le LUC Volleyball, qui compte
en tout huit équipes masculines,
fêtera ses 40 ans en septembre
prochain. DS
Reportage photo et entretien avec GeorgesAndré Carrel sur www.unil.ch/allezsavoir
PHOTO OLIVIER ZELLER / PHOTOGRAPHICGLANCE.COM
LA VIE (PAS
SI SECRÈTE)
DU CAMPUS
En septembre dernier, les étudiants
ont été invités à partager leurs
impressions de la rentrée sur
les réseaux sociaux. En deux
semaines, près de 100 images ont
été mises en ligne, principalement
sur instagram, puis sur le compte
Facebook officiel de l’UNIL. Prise
par Yulia Bubnova, la photographie
oblique de l’entrée de l’Internef
s’est avérée être la préférée de la
communauté au terme d’un petit
concours (ci-contre).
Les enquêtes menées chaque
année par l’université montrent que
les étudiants utilisent énormément
les nouveaux médias, notamment
pour parler de leur vie académique.
Ainsi, au-delà du monde tangible,
des commentaires, des discussions
et des clichés de l’UNIL circulent
à toute vitesse dans l’univers
électronique. Par exemple, la
communauté a déjà publié plus
de 6000 photos du campus et de
ses habitants sur instagram. Un
foisonnement de petits instants
parfois drôles ou poétiques, mais
souvent inattendus. DS
PHOTOS YULIABU, VALUELIFEMORE,
MATHILDECLERC, LEOPS95, UNILCH,
NOBLE_DONNA, ELODIE RODRIGUEZ ALIAS
JUSTHELLOELO, SUPERCALIFRAGILLISTIQUE,
SLAAVY, ADRIEN_VNCRT, FRANCIELLEFRANCO,
YULIABU, DANELIE13, POPSYCHEDELYS,
FANNYALLEGRE29, MATHILDECLERC
DEUX JOURS EN
MODE MAJEUR
Gabriel, Carlo et Andrea jouent
le Trio en do mineur de Bruch,
alors que le soir tombe sur la
villa La Chance, à Blonay. Les 28
et 29 novembre derniers, près
de 30 membres de l’Association
universitaire de musique de
chambre se sont retrouvés au
Centre de musique Hindemith.
En trios, quatuors ou quintettes,
ils ont travaillé en compagnie de
musiciens professionnels dans une
ambiance informelle, qui contraste
avec le niveau artistique élevé. Il
arrive souvent que les participants,
qui reçoivent les partitions
quelques semaines avant le
séjour, jouent avec des personnes
avec lesquelles ils n’ont jamais
répété. Une capacité d’adaptation
également sollicitée par le fait que
l’on passe par exemple de Mozart,
à Bruch puis à Schumann en deux
jours, au fil des sessions de travail.
Ce week-end «hors du temps»,
qui se déroule deux fois par an, se
conclut par un concert. DS
Reportage photo et article complet sur
www.unil.ch/allezsavoir
PHOTO © MICHAËL OTTENWAELTER 2014 - STRATES
BRÈVES
LE CHIFFRE
EUROPE
© Laurent de Senarclens
3627
Le nombre de gymnasiens, collégiens
et lycéens qui se
sont inscrits aux Journées découverte de l’UNIL, organisées les 3
et 4 décembre 2014. Venus de
Suisse romande et de France, ces
jeunes ont reçu un maximum d’informations sur les filières de formation. Ils ont pu assister à des
cours, visiter des laboratoires
et rencontrer les associations
d’étudiants. Des psychologuesconseillers en orientation étaient
également à disposition pour discuter des choix d’études. (RÉD.)
PUBLICATION
PASSÉ SURPRENANT
Docteur en histoire de l’UNIL,
Justin Favrod a lancé le magazine
Passé simple. Il s’agit d’un
mensuel grand public consacré
à l’archéologie et à l’histoire en
Suisse romande. Un dossier sur
Adélaïde, impératrice et sainte,
fondatrice du monastère de
Payerne, figure au sommaire de ce
premier numéro. Le décorticage
du mythe qui entoure la mère de
cette dernière, la reine Berthe,
fait l’objet d’un article savoureux.
Dans le registre exotique, la
tentative d’annexion du nord de
la Haute-Savoie par le député
genevois John Perrier, en 1860,
mérite le détour. DS
www.passesimple.ch
TROIS PERSONNALITÉS EUROPÉENNES
DISTINGUÉES À DORIGNY
Le 17 octobre dernier, la Fondation Jean Monnet pour l’Europe
a remis sa Médaille d’or à Herman Van Rompuy, président du
Conseil européen, Martin Schulz,
président du Parlement européen, et José Manuel Barroso,
alors président de la Commission
européenne (sur la photo, ils sont
accompagnés de José Maria GilRobles, alors président de la Fondation Jean Monnet). Ces trois
personnalités, à la tête de leurs
institutions respectives et dans
l’esprit de la méthode communautaire imaginée par Jean Monnet,
ont su, de manière solidaire, affronter les défis majeurs auxquels
l’Europe est confrontée, en préservant le cadre communautaire
original qui préside à la construction européenne. (RÉD.)
La cérémonie en vidéo:
http://jean-monnet.ch
FORMATION
UNE SPÉCIALISATION EN HUMANITÉS DIGITALES
Programmation, développement de sites internet, traitement de bases de données ou analyse
de corpus textuels: l’informatique possède de
nombreuses applications en Sciences humaines
et sociales. En parallèle, l’impact des nouvelles
technologies et la culture numérique constituent
des champs d’études passionnants, par exemple
pour des historiens ou des sociologues. Les «Humanités digitales» se trouvent justement à l’interface de ces deux approches.
Pour permettre aux étudiants d’aborder ce domaine, un nouveau master avec spécialisation
12
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
sera lancé à la rentrée de février par la Faculté
des lettres. Ce cursus offre à la fois des outils
techniques, analytiques et critiques. «Les participants vont acquérir des compétences très utiles
dans une perspective doctorale, mais également
valorisées par le monde professionnel», explique
Aris Xanthos, responsable du programme et
maître d'enseignement et de recherche en Section
des sciences du langage et de l'information. DS
www.unil.ch/lettres/fr/home/menuinst/master-et-specialisation/ma-avec-specialisation/humanites-digitales.html
Félix Imhof © UNIL
LE DÉSIR DE SE DÉPASSER ET LES PRESSIONS ÉCONOMIQUES POURRAIENT BIEN
SE CONJUGUER POUR DONNER ENVIE À CERTAINS [SPORTIFS] DE TROQUER DES
MEMBRES DE CHAIR ET D’OS CONTRE DES JAMBES DE CARBONE.
Daniela Cerqui, anthropologue à l’UNIL, dans un entretien sur le transhumanisme. Publié dans le magazine
français Au fait, numéro 8 et sur L’Obs/Rue89.
BOUILLON DE CULTURE
fiques ont permis d’approfondir certaines
thématiques comme la mobilité, le marché
de l’emploi et la diversité. Chaque groupe
avait pour objectif d'élaborer un plan d'actions concret et réalisable à l'issue de la conférence. Les projets les plus prometteurs ont
été présentés par deux étudiants lausannois
lors l'assemblée générale du réseau UNICA
à Stockholm. MA
LE SPORT SE JOUE EN
HAUT LIEU
Le Prix de Quervain 2014 a été remis à Raphaël Faiss
par la Commission suisse de recherche polaire et de
haute altitude des Académies suisses des sciences.
Dans le cadre de sa thèse à l’Institut des sciences du
sport de l’Université de Lausanne (ISSUL), ce chercheur
et son équipe ont développé une nouvelle méthode d’entraînement à l’altitude. Il est en effet courant que des
athlètes séjournent en montagne afin d’accroître leur
taux de globules rouges et d’intensifier ainsi le transport d’oxygène dans leur organisme. La technique mise
au point se base sur de longues séries de sprints effectués sans récupération intermédiaire complète. A la suite
d’une telle procédure, des cyclistes et des coureurs de
fond se fatiguent moins vite et maintiennent un haut
niveau de performances sur une plus longue durée. (Réd.)
Félix Imhof © UNIL
Deux cents universitaires venus des quatre
coins de l'Europe se sont réunis à l’UNIL du
8 au 11 octobre 2014 à l'occasion de la huitième conférence des étudiants UNICA. Pendant quatre jours, les participants ont discuté,
échangé et débattu autour de trois grands
thèmes basés sur le parcours des étudiants
«avant», «pendant» et «après» les études universitaires. Des sessions de travail spéci-
DISTINCTION
© Willy Duss
FORMATION
DURABILITÉ
UN MASTER EXIGEANT ET AMBITIEUX
Dominique Bourg coordonne le nouveau Master
en Fondements et pratiques de la durabilité proposé dès la rentrée 2015 par la FGSE. Des professeurs en Lettres, Droit et SSP participent également à cette formation qui se décline sous trois
angles. Avec un premier bloc très réflexif et critique porté par les humanités environnementales.
«Nous sommes obligés de comprendre les liens
très complexes que la société entretient avec la
biosphère qui la fait vivre. On ne peut plus voir
«NOUS SOMMES
OBLIGÉS DE COMPRENDRE
LES LIENS TRÈS
COMPLEXES QUE
LA SOCIÉTÉ ENTRETIENT
AVEC LA BIOSPHÈRE
QUI LA FAIT VIVRE.»
Allez savoir !
que des sciences purement sociales, explique Dominique Bourg. Ce nouvel éclairage intellectuel,
c’est l’aspect inédit de ce master.» Dans une deuxième partie, les étudiants vont apprendre à accéder à l’information fiable entre autres dans le domaine des changements climatiques. Un troisième
bloc leur fournira des enseignements pratiques,
qu’ils soient par exemple capables de monter leur
propre structure durable. Délai d’inscription: 30
avril 2015. FZo
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
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BRÈVES
L’UNIL DANS LES MÉDIAS
HISTOIRE
PASSAGE EN REVUE
POLITIQUE, DÉLOCALISATIONS
ET VIRTUEL
À LA BELLE
EPOQUE
LE PRÊT À INTÉRÊT,
UN ANTIQUE FLÉAU
6392
Le nombre de références faites à l’UNIL
et au CHUV dans les médias suisses en
2014, selon la revue de presse Argus, au
22 décembre 2014. Dans le cadre d’une série d’interviews
menées en octobre dernier avec des personnalités politiques, Le Temps a régulièrement sollicité le regard de Georg
Lutz, chercheur à la Fondation suisse pour la recherche en
Sciences sociales (FORS). Ce centre de compétences est installé à l’UNIL. Il s’agissait de poser les enjeux des élections
fédérales de cet automne. L’élection de Laetitia Guarino au
titre de Miss Suisse, en octobre, a été très largement traitée par les médias. La jeune femme est étudiante en médecine à l’UNIL. En économie, un outil développé à la Faculté
des Hautes Etudes Commerciales est utilisé par le Département américain du commerce. Il mesure les coûts cachés
des délocalisations, et permet ainsi de plaider pour des…
relocalisations aux Etats-Unis. La professeure Suzanne de
Treville a été interrogée à ce sujet. La campagne qui a précédé la triple votation fédérale du 30 novembre a été l’occasion pour les chercheurs de l’UNIL d’être présents dans les
médias. L’automne dernier, les spécialistes de l’UNIL et du
CHUV sont souvent intervenus au sujet du virus Ebola et
des tests de vaccin menés à l’hôpital universitaire. Toujours
à l’international, Laurent Keller, directeur du Département
d’écologie et évolution, spécialiste des fourmis, a donné un
entretien dans El País le 4 décembre. Le lendemain, sur le
thème de la contestation écologique, le professeur Dominique Bourg a participé à une longue émission matinale
sur France Culture (lire également en p. 61).
A la même période, la création d’un laboratoire de réalité
virtuelle, au croisement des sciences économiques et de la
psychologie, a été l’objet de plusieurs reportages. C’est Marianne Schmid Mast, nouvelle professeure à la Faculté des
HEC, qui menait les visites. DS
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Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
Le cinquième numéro
de Monuments vaudois:
La revue du patrimoine
artistique vaudois,
consacre un dossier à
la «Belle Epoque de l’architecture», autour de
1900. Ainsi, deux articles traitent de Montreux : le premier se
concentre sur la promotion de ses hôtels,
et l’autre traite de l'architecte Louis Villard,
le bâtisseur de l’avenue des Alpes. Pour les
personnes qui pensent
déjà bien connaître
Lausanne, le texte
consacré à l’ensemble
bâti à l’angle des Terreaux et de la rue Mauborget s’avère être
une lecture pleine de
surprises.
Annuelle et richement
illustrée, cette revue
de recherche publie
des articles fouillés,
mais très accessibles
aux personnes intéressées par le patrimoine.
Grâce à ces textes,
des bâtiments et des
lieux qui peuvent sembler connus reçoivent
un éclairage nouveau.
Parmi les auteurs figurent aussi bien des
étudiants de l’UNIL et
des chercheurs que
des historiens indépendants. DS
www.unil.ch/
monumentsvaudois
UNIL | Université de Lausanne
1562
C’est le nombre d’articles que les chercheurs
de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans
des revues scientifiques en 2014 (d’après
Serval), au 22 décembre 2014.
Si la diffusion de la connaissance passe par les périodiques
spécialisés, les nombreuses thèses publiées l’an passé recèlent leur comptant de pépites. Comme par exemple le
travail de Denis Ramelet, stagiaire-notaire à Lausanne.
Parue chez Schulthess, son étude porte sur le prêt à intérêt dans l’Antiquité préchrétienne. Chacun sait que cette
pratique est prohibée par l’Eglise catholique, dans le judaïsme et dans l’Islam. Mais d’où tombe cette prohibition ?
Car, comme nous l’apprend l’auteur, ce type de prêt existait en Mésopotamie et en Egypte, à des taux qui font passer le petit crédit contemporain pour de la philanthropie.
Une exception ressort dans le monde antique: le peuple
d’Israël. La Torah mentionne le prêt à intérêt «avec désapprobation», tout comme l’Ancien Testament. Cela constitue même une violation du commandement qui proscrit
le vol. Toutefois, cette interdiction ne s’applique pas aux
étrangers de passage.
Denis Ramelet emmène ensuite
son lecteur vers la Grèce, où Platon puis Plutarque critiquent
cette pratique. Signalons que
ce dernier s’en prenait aussi à
«la tendance à s’endetter plutôt
que de – et pour ne pas – renoncer à certaines choses», une remarque intemporelle. Aristote
a également écrit sa détestation des gains produits par la
monnaie engendrée par la monnaie.
Au Ier siècle après J.-C., Tacite indique que «le fléau du prêt
à intérêt est vraiment ancien à Rome ainsi que la cause
la plus fréquente de séditions et de discordes». Pourquoi ?
A cause de la servitude pour dettes. Au début de la République, un créancier pouvait même enfermer, vendre ou
mettre à mort son débiteur ! Plus loin, Denis Ramelet s’attaque avec une gourmandise de juriste à un problème très
ancien: le fenus unciarium, soit le taux d’intérêt maximal légalement autorisé. Or, ce chiffre (1% ? 8,33% ? 12% ? 100% ?)
ne nous est jamais parvenu, ce qui a alimenté des querelles d’experts sur plusieurs siècles. Dans sa conclusion,
l’auteur ne cache pas son opposition au prêt à intérêt en
soulignant son injustice fondamentale: la disjonction des
profits et des risques entre le créancier et son débiteur. DS
POLITIQUE
RECHERCHE
Docteure en philosophie de
l’UNIL, spécialisée en logique,
Marion Haemmerli a obtenu
l’une des deux bourses remises
chaque année par la Fondation
Bourses politique et science.
Depuis janvier, elle travaille
au secrétariat des Commissions de l'environnement, de
l'aménagement du territoire
et de l'énergie, à Berne. Avec
ses collègues, elle sera «chargée de fournir la documentation scientifique nécessaire aux parlementaires sur les
dossiers en cours», explique cette chercheuse, également
diplômée en mathématiques. Elle va assister aux séances
des commissions, là où s’élaborent les lois. Le secrétariat
est en effet responsable de s’assurer que la procédure est
suivie correctement. Les instruments de réflexion, ainsi
que la capacité à rassembler, s’approprier et synthétiser
des informations complexes, acquises au cours de son doctorat, lui seront très utiles. (RÉD.)
DR
© ARC – Jean-Bernard Sieber
UN AN AU PALAIS FÉDÉRAL
DES ARCHIVES EUROPÉENNES À DORIGNY
L'Etat de Vaud accueille deux fonds d'archives de référence sur l'histoire du développement de l'idée européenne: Richard Niklaus de Coudenhove-Kalergi (18941972), et Vittorio Pons (1910-1995), secrétaire général de l'Union paneuropéenne
internationale entre 1965 et 1995. Ces archives, qui représentent 60 mètres
linéaires, sont ouvertes au public et les inventaires sont consultables en ligne
(www.davel.vd.ch). (RÉD.)
Photo: Signature de la double convention de dépôt le 17 novembre 2014. Vincent Grandjean, chancelier d’Etat, Pascal Broulis, conseiller d’Etat, Alain Terrenoire, président de l'Union paneuropéenne,
Marco Pons (assis), secrétaire général de l'Union paneuropéenne, Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales vaudoises.
À L'HONNEUR
Le «Prix Nobel d’économie» 2014
a été attribué à Jean Tirole, docteur honoris causa de l’Université
de Lausanne dans le domaine des
Hautes Etudes Commerciales. Ce
titre lui avait été décerné le 31 mai
2013 afin de le récompenser pour
l’ensemble de ses travaux concernant l’organisation industrielle.
Jean Tirole a enseigné en tant que
professeur invité à la Faculté des
HEC dans le cadre du programme
en Economie politique, dans les
années 80. Depuis, il est revenu
à Lausanne à plusieurs occasions pour des cours et des conférences. Jean Tirole est notamment président de la Fondation
Jean-Jacques Laffont - Toulouse
School of Economics (TSE). (RÉD.)
Nadia Chabane a été nommée au
titre de professeure ordinaire, responsable de la Chaire d'excellence
Hoffmann dans le domaine des
troubles du spectre de l'autisme
et directrice du Centre cantonal de l'autisme. Fruit du partenariat entre l'UNIL et le CHUV avec le
soutien de la Fondation Hoffmann
et de l'EPFL, ce centre est le premier du genre en Suisse. L’un des
objectifs consiste à développer
des méthodes de diagnostic encore plus efficaces, afin de détecter plus précocement les troubles
autistiques et mettre en place un
suivi médical répondant aux standards internationaux, en coordination avec l'ensemble des autres
institutions spécialisées. (RÉD.)
La Fondation Professeur Dr Max
Cloëtta a distingué deux scientifiques avec le Prix Cloëtta
2014, doté de 50 000 francs.
Henrik Kaessmann, professeur au Centre intégratif de génomique de l'UNIL et directeur
de groupe au SIB Institut suisse
de bioinformatique, est l’un
d’eux. Ce chercheur est récompensé pour ses nouvelles découvertes dans le domaine de la génétique moléculaire. La manière
dont les mammifères supérieurs
se sont diversifiés fait l'objet de
débats chez les paléontologues
et les généticiens moléculaires.
Les travaux d’Henrik Kaessmann ont acquis une grande renommée internationale. (RÉD.)
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
DR
Félix Imhof © UNIL
Eric Deroze © Cemcav - CHUV
Félix Imhof © UNIL
ÉCONOMIE, MÉDECINE ET BIOLOGIE
Le Prix Isabelle Musy a été attribué à Verónica Ponce de León,
chercheuse en génie génétique,
dans le groupe d'Yvan Arsenijevic, professeur associé à la Faculté
de biologie et de médecine, à l'Hôpital ophtalmique Jules-Gonin
de Lausanne. Dotée de 50 000
francs, cette distinction a pour
objectif de soutenir la création
d'une start-up romande et latine,
«Innovation Therapeutics». Créée
par la lauréate, l’entreprise sera
consacrée notamment à la thérapie cellulaire des yeux. La technologie utilisée s'inscrit dans
une véritable révolution dans le
domaine du génie génétique. Le
prix porte le nom de son instigatrice, mécène passionnée. (RÉD.)
UNIL | Université de Lausanne
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ENTREPRISES
La Faculté des hautes études commerciales
www.hec.unil.ch
FAUTE
Dans la grande majorité
des cas, c’est le contexte
de l’entreprise, et non
l’individu, qui mène
aux prises de décisions
non éthiques.
© Thinkstock
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Allez savoir !
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POURQUOI DES MANAGERS MÊME PAS
PRENNENT-ILS DES DÉCISIONS
IMMORALES?
On pense que les dirigeants d’entreprises qui jouent avec la vie des consommateurs, par exemple, sont des
pervers dépourvus de toute éthique. C’est faux, répondent les professeurs à la Faculté des HEC de l’UNIL Guido
Palazzo et Ulrich Hoffrage. En réalité, c’est le contexte qui conditionnerait ce passage à l’acte des leaders qui
ont par ailleurs des valeurs morales normales. TEXTE SONIA ARNAL
Allez savoir !
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ENTREPRISES
pour chacune des 12 500 000 Pinto produites, soit 137
millions de dollars.
Mais les ingénieurs et les dirigeants ont décidé que cela
n’en valait pas la peine. Leurs raisons? Un simple calcul:
Ford a estimé qu’il y aurait sans doute quelque 180 morts
à cause de ce réservoir mal placé, et qu’il faudrait indemniser les familles à hauteur de 200 000 dollars par décès,
auxquels il faudrait ajouter le même nombre de brûlés
graves à 67 000 dollars par victime. Le constructeur a
encore ajouté quelques piécettes pour les véhicules incendiés. Bref, laisser les Pinto rouler avec leurs défauts coûterait, à la louche, 50 millions de dollars, soit bien moins cher
que de rappeler les véhicules pour les réparer.
De sang-froid, en toute connaissance de cause, les ingénieurs et les dirigeants ont donc choisi de vendre leur
Pinto telle quelle, se disant qu’au fond, économiser une
centaine de millions de dollars valait bien 180 morts et
180 blessés graves.
Une décision immorale? Oui. Pourtant, sur le moment,
tout le monde chez Ford a trouvé cela parfaitement normal et raisonnable.
A
vec la crise du pétrole qui fait exploser les coûts des
pleins en 1970, la demande pour les petits véhicules
a pris l’ascenseur. Ne voulant pas laisser le marché aux Japonais ou aux Européens, par exemple
à Volkswagen, Ford a demandé à ses ingénieurs
de sortir une voiture dans ce segment en deux fois moins
de temps qu’il n’en faut d’ordinaire pour produire un nouveau modèle.
Préparée dans l’urgence, la Pinto souffre de ce contexte.
Un défaut de conception apparaît avant même la commercialisation, révélé par des crashs tests en usine: le réservoir, placé tout à l’arrière de la voiture, a de forts risques
d’exploser et d’embraser les passagers si le véhicule est
embouti lors d’un accident.
GUIDO PALAZZO
Directeur du
Département de
stratégie de la Faculté
des HEC.
Nicole Chuard © UNIL
Une erreur à 137 millions de dollars
Cette Ford finira même par être surnommée «le grill à 4
places». Minimiser ce défaut et rendre la voiture moins
dangereuse – les failles de conception étaient telles que
la rendre sûre était impossible – aurait coûté 11 dollars
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Allez savoir !
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«Le côté obscur de la force»
C’est ce genre de cas concrets, tirés du monde des entreprises, que Guido Palazzo et son collègue Ulrich Hoffrage
utilisent pour expliquer comment des employés ou dirigeants aux valeurs morales tout à fait normales en arrivent
à prendre des décisions dont les conséquences violent
l’éthique et leurs propres codes de conduite.
Les professeurs enseignent tous deux à la Faculté des
Hautes Etudes Commerciales (HEC) de l’UNIL, le premier
l’éthique dans le monde des affaires, le second la théorie
de la décision. A leurs élèves de Master, mais aussi pour
la première fois cette année dans un MOOC (voir encadré
p. 19), ils proposent un cours intitulé «Les prises de décisions immorales dans les organisations – un séminaire sur
le côté obscur de la force».
Comme l’a observé Guido Palazzo, «l’explication généralement admise, quand on parle de décisions immorales
prises dans le monde du travail, c’est qu’il y a une pomme
pourrie dans le panier, qu’elle a pu parfois un peu contaminer les autres, mais que pour l’essentiel les fruits sont
sains». En clair: la «mauvaise» décision, au sens moral du
terme, a été prise par un cadre ou un employé dépravé ou
méchant, qui portait le mal en lui, mais le reste de l’entreprise fonctionne normalement.
On décide rarement seul
«De tels cas peuvent bien sûr arriver, mais dans l’immense
majorité des situations que nous avons étudiées, ce n’est
pas du tout ce qui se passe, explique Guido Palazzo. Les
employés et les managers étaient des gens parfaitement normaux, pas des “méchants”. C’est le contexte, et non pas un
individu, qui mène aux décisions non éthiques. D’ailleurs,
dans les grandes organisations, une décision est rarement
prise par une personne isolée. Si elle aboutit, c’est que tous
y souscrivent ou y consentent.»
Est-ce à dire qu’ici aussi, c’est la faute à la société? «Non,
je ne dis pas qu’il faut absoudre l’individu qui agit mal: il a
une responsabilité individuelle indéniable, rétorque Guido
Palazzo. Mais on sous-estime le pouvoir du contexte. Si
on en reste au niveau psychologique, de la personne, sans
s’intéresser à l’organisation, on passe à côté de la raison
majeure pour expliquer les prises de décisions immorales
– et on n’y mettra pas fin.»
Bien, mais dans une entreprise privée ou une administration publique, le contexte, c’est quoi, au fond? Les chercheurs distinguent trois éléments: la situation dans laquelle
le manager prend sa décision (le temps qu’il a à disposition,
la pression du groupe), le mode de fonctionnement de l’organisation (quels types d’incitations elle met en place, d’évaluations, sur quels critères sont basées les rémunérations),
et enfin l’idéologie, la culture d’entreprise à laquelle se rattache l’organisation.
Ce n’est pas un seul élément, par exemple un temps insuffisant pour évaluer les conséquences de ses actes, qui pousserait automatiquement un décideur à faire des choix peu ou
pas éthiques, mais cette constellation de paramètres, qui,
selon leur agencement, peut créer une ambiance favorable.
Ça ne tourne pas, Enron
Le cas d’Enron montre bien comment les deux derniers éléments, soit le mode de fonctionnement et l’idéologie, se sont
conjugués pour arriver au final à un désastre. Enron, active
à l’origine dans l’énergie, a été l’une des plus grosses entreprises américaines en termes de capitalisation boursière.
Mais cet empire s’est écroulé en 2001 par le biais d’une faillite retentissante. Il est alors apparu que des pertes massives avaient été sorties du bilan comptable par un tour de
passe-passe, qui permettait d’enjoliver considérablement
les résultats finaux.
Certes, le CEO d’Enron était mû par l’appât du gain, et il
a clairement fraudé. Mais il n’a évidemment pas pu monter
un tel système seul et à l’insu de ses employés. Beaucoup y
ont participé et savaient qu’ils travaillaient à un projet illégal et moralement répréhensible.
Comment expliquer que des diplômés de Harvard ou
d’autres universités prestigieuses, a priori partis pour faire
une grande carrière dans des activités parfaitement morales,
se soient retrouvés dans cette galère? D’abord, les années
90, c’est l’essor de la nouvelle économie, celle où on lance
des start-up et où l’on fait fortune en quelques mois quand,
dans l’économie de papa, il fallait une vie.
L’idéologie dominante est au rejet des valeurs traditionnelles: les règles ne sont plus les mêmes, on en réinvente
tous les jours. Dans cet environnement aux repères changeants, finir par se croire au-dessus des lois est un glissement qui se produit tout seul. La hausse phénoménale du
«DANS LES
GRANDES
ORGANISATIONS,
UNE DÉCISION
EST RAREMENT
PRISE PAR UNE
PERSONNE ISOLÉE.
SI ELLE ABOUTIT,
C’EST QUE TOUS
Y SOUSCRIVENT OU
Y CONSENTENT.»
GUIDO PALAZZO
Allez savoir !
UN COURS, 43 000 ÉTUDIANTS
Un MOOC est un Massive Open Online Course, soit une
«formation en ligne ouverte à tous». Ce genre de cours
peut être suivi par n’importe qui dans le monde à n’importe quel moment. Il suffit de s’inscrire pour y avoir accès. On le suit par intérêt pour un sujet, pour améliorer sa
culture, mais aussi pour obtenir une certification – dans
ce cas, il faut suivre les leçons et les devoirs selon un timing défini par l’enseignant.
Le MOOC qu’ont donné Guido Palazzo et Ulrich Hoffrage, «Unethical Decision making in Organizations: a Seminar on the dark Side of the Force» («Prise de décisions
immorales dans les organisations: un séminaire sur le côté
obscur de la force») a compté 43 000 inscrits, des étudiants qui vivent en Suisse, ailleurs en Europe, en Asie,
aux Etats-Unis, bref partout. Parmi eux, 3500 environ ont
suivi chaque semaine la matière nouvelle mise en ligne.
Il s’agissait surtout d’un ou plusieurs films qui expliquent et développent au travers d’exemples les
concepts essentiels. «J’ai repris le cours que je donne
depuis plusieurs années aux élèves de Master en HEC,
mais il a fallu découper la matière autrement, et surtout,
condenser au maximum», explique Guido Palazzo.
Les étudiants qui souhaitaient obtenir une certification à l’issue du cours ont par ailleurs dû répondre aux
quiz qui parsèment les films, participer au forum de discussion et écrire deux dissertations sur ce thème. «C’est
vraiment un gros travail pour nous, mais nous nous inscrivons dans la ligne souhaitée par la direction: ne pas produire des MOOCs à tout-va, mais viser la qualité.» C’est
ainsi que dans un domaine où bien souvent les profs se
contentent de filmer tout simplement leur cours avant de
le mettre en ligne, on a ici fait appel à un professionnel
pour filmer et monter, à un illustrateur, etc... Bref un résultat très plaisant et limpide, même pour un néophyte.  SA
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Les MOOCS proposés par l’UNIL
www.coursera.org/unil
ENTREPRISES
prix de l’action a contribué à créer ce sentiment, auprès
des managers et des employés, d’être les rois du monde,
une race à part, supérieure.
La peur du licenciement
En outre, le système d’évaluation a instauré un climat
qu’on peut qualifier sans exagérer de darwinien: le 15%
des employés les moins performants étaient systématiquement licenciés. Résultat: pour survivre, il faut faire du
chiffre, peu importe comment, et surtout ne pas contredire ses supérieurs.
Cet exemple illustre comment un contexte, créé à la fois
par l’idéologie d’une époque et la culture d’une entreprise,
peut amener toute une organisation à adopter des comportements immoraux et illégaux. Sans que personne ne tire
le frein à main.
Pourquoi d’ailleurs cette suspension de jugement, cette
mise au placard des valeurs auxquelles un individu adhère
normalement? Guido Palazzo parle «d’aveuglement moral»
pour définir cet état. «Quand vous êtes dans un contexte
comme celui d’Enron, dans l’absolu, vous êtes bien sûr
libre de désapprouver ce qui se passe et de démissionner.
Si très peu de gens le font, c’est parce qu’ils n’arrivent pas
à prendre suffisamment de distance par rapport à ce qu’ils
vivent. Vous avez travaillé dur au collège pour entrer à Harvard, vous en ressortez avec un diplôme, vous êtes engagé
par une des entreprises les plus prestigieuses des EtatsUnis. Si vous démissionnez après deux mois, vous savez
que c’est très pénalisant pour la suite de votre carrière.
Vous avez aussi des collègues, et la pression du groupe: tout
le monde fait front, et, quand vous êtes le dernier arrivé,
c’est très difficile de se désolidariser et de critiquer ce qui
se passe en disant: “Non, ça n’est pas éthique, il faut arrêter ça tout de suite.”»
dit la vérité. Résultat: seul un enfant, qui échappe à la pression du groupe et à l’aveuglement collectif, ose parler vrai.
«LA ROUTINE
EST UN FACTEUR
QUI FAVORISE
L’AVEUGLEMENT
MORAL.»
GUIDO PALAZZO
Les habits neufs de l’empereur fashion victim
Pour illustrer cet aveuglement moral, Guido Palazzo utilise un conte d’Andersen, Les habits neufs de l’empereur.
L’histoire d’un souverain qui aime par-dessus tout être
bien habillé. Cette fashion victim change de tenue toutes
les heures. Arrivent dans son royaume deux arnaqueurs
qui prétendent lui coudre un vêtement dans une étoffe
extraordinaire, qui est invisible aux yeux des imbéciles.
Ils se «mettent au travail», et quand il vient vérifier l’avancée des travaux quelques jours plus tard, l’empereur ne
voit rien (forcément, il n’y a rien), mais n’ose pas le signaler de peur de passer pour un idiot. La même chose se produit avec tous ses conseillers. Au final, le roi décide d’enfiler ses nouveaux atours pour parader devant son peuple,
qui, abasourdi, n’ose pas réagir non plus. Seul un petit
enfant crie «Le roi est nu!».
On voit bien ici que la peur de déplaire à un roi tyrannique se conjugue avec l’élaboration d’un mensonge collectif, renforcé par cette menace de passer pour un idiot si on
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La morale en crise
«Le style de leadership influence aussi l’ambiance dans une
organisation, précise Guido Palazzo. Un manager tyrannique, ou qui n’a pas l’intelligence de s’entourer de proches
collaborateurs qui le challengent et le contredisent, créera
aussi un contexte favorable à l’aveuglement moral, donc aux
décisions immorales.» Tout comme les périodes de crise où
le profit devient la seule finalité et où les discours des dirigeants empruntent leur vocabulaire à l’armée. Dès qu’il
s’agit de «se battre à tout prix pour sa survie», ne «pas faire
de quartier», «dégommer l’ennemi» et «faire front commun
contre lui», c’est mauvais pour l’éthique.
L’administration n’échappe pas aux dérapages
Notons enfin que les administrations publiques, si elles sont
moins soumises à la pression de la rentabilité, sont également des organisations à risque. «La routine est un facteur
qui favorise l’aveuglement moral. On se pose peu de questions sur la finalité de ce que l’on fait, on ne remet pas en
question les processus, les règles, donc c’est aussi une forme
de “culture d’entreprise” qui peut favoriser des pratiques
collectives peu éthiques.» Enfin, chez les employeurs des
marques pour lesquelles tous les jeunes diplômés veulent
travailler, Google, Apple ou d’autres, c’est surtout la pression du groupe qui est à craindre: «Il s’agit d’être cool, et
d’avoir la même vision du monde que les autres – d’ailleurs ces entreprises favorisent les activités communes
en dehors du travail, pour les loisirs. C’est difficile dans
cette ambiance d’endosser le rôle du vilain petit canard
qui pense autrement – on est vite exclu.»
N’y a-t-il alors point de salut? «Tout le monde court le
risque de se retrouver à prendre des décisions immorales
qui, au fond, ne correspondent pas à son éthique, à ses
valeurs personnelles. Personne n’est à l’abri, pas même
les personnes très engagées dans une église – nous avons
constaté que parce qu’elles ont l’habitude de croire à un
dogme sans le questionner, en laissant leur esprit critique
de côté, elles ont plus de chances d’être embarquées dans
des décisions peu éthiques, et ce malgré leurs valeurs
morales fortes.»
Est-ce à dire qu’au fond Guido Palazzo et son collègue
Ulrich Hoffrage ne peuvent éclairer leurs étudiants que
sur le passé, sans espoir de prévention? «La meilleure
prévention est justement d’expliquer les mécanismes qui
conduisent à l’aveuglement moral, décrire et analyser les
contextes qui favorisent le passage à l’acte. Cela permettra à l’étudiant de reconnaître les situations à risque. Mais
le plus important est de lui apprendre à ne jamais travailler comme un automate: il faut toujours garder son esprit
critique, prendre le temps de rester en contact avec sa
conscience, faire des choix en toute conscience.» 
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Trois études récentes dirigées à l’UNIL par le professeur Benjamin Marsland
mettent en évidence le rôle essentiel du microbiote, ces bactéries qui colonisent nos organes. Notre système immunitaire, notre peau et notre sensibilité
aux allergies sont concernés.
J’
aimerais bien continuer à
avaler du thé noir et à grignoter du chocolat tranquillement. Ce n’est pas
forcément mauvais, d’ailleurs. Mais ça change probablement
mon «microbiote». Quelle est cette
bestiole? En réalité, une foultitude de
nouvelles techniques de séquençage
de l’ADN, il a été possible d’identifier
cette flore microbienne – ce microbiote – dans nos poumons.
Précisons qu’une souris élevée
en conditions stériles – son petit organisme ne comporte aucun germe
– se montre plus vulnérable aux al-
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3
bestioles puisque notre organisme
se compose à 99% d’aliens minuscules que sont les bactéries, champignons, germes et virus divers. Une
horde de microbes qui ne laissent
à nos cellules humaines que 1% du
territoire!
A l’UNIL-CHUV, le professeur
Benjamin Marsland dirige plusieurs
recherches sur ce thème. Deux articles issus d’études menées sur
des souris ont récemment été publiés dans la revue Nature Medicine
et un troisième est en préparation.
Nos intestins sont colonisés par un
très grand nombre de bactéries, on
le savait déjà. Certaines sont bénéfiques et donnent à nos cellules immunitaires un signal correct, participant ainsi à leur éducation, et
d’autres provoquent la panique
dans notre système immunitaire qui
s’emballe et peut alors déclencher
une réponse inflammatoire inadéquate. Depuis quatre ans, grâce aux
1
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lergies. Le premier article, issu
d’une étude réalisée sur des souris
et soutenu par des recherches menées au CHUV avec des bébés et de
très jeunes enfants, a permis à Benjamin Marsland de montrer que les
bactéries colonisent les poumons
dès les premiers instants de la vie,
transmises par la mère et acquises
au gré des interactions avec nos environnements successifs. Une infection virale peut aussi changer le microbiote de l’enfant, perturbant ainsi
le bon équilibre de celui-ci. On l’a dit:
certaines bactéries affectent de manière négative notre système immunitaire, ce qui peut induire des maladies allergiques telles que l’asthme,
ou d’autres affections qui se déclencheront plus tard dans la vie.
Le deuxième article est issu
d’une recherche menée par Aurélien Trompette, sous la direction du professeur Marsland. Cette
étude montre que la dégradation
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N
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des fibres alimentaires par certains types de bactéries produit des
molécules qui vont non seulement
changer le microbiote local, mais encore pénétrer dans le sang et avoir
un effet au niveau de la moelle osseuse, là où mûrissent les précurseurs d’une partie de nos cellules
immunitaires. Une fois matures, ces
cellules se dispersent dans l’organisme, entre autres dans les poumons. Pour résumer: si nous dégradons des fibres issues notamment de
fruits et de légumes, nous rendons
nos cellules immunitaires moins
susceptibles de s’emballer face aux
éléments allergènes et donc réellement protectrices.
En cours, une troisième étude
porte sur la fumée de cigarette et
autres polluants qui induisent une
modification de l’environnement et
du microbiote pulmonaires et engendrent une inflammation locale
chronique, entraînant un déclin progressif de la fonction pulmonaire. A
un certain moment, on peut basculer
dans la maladie (bronchite pulmonaire chronique obstructive).
Ces études montrent l’importance du microbiote, dont l’apparition et les transformations depuis la
naissance, en fonction de nos modes
de vie et sous l’effet du temps qui
passe, peuvent entraîner différentes
maladies. Tous les organes semblent
concernés. Les bactéries qui colonisent la peau, par exemple, jouent
un rôle clé dans l’apparition ou non
de dermatites et autres affections.
 NADINE RICHON
Janvier 2015
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MOT COMPTE TRIPLE
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Le Musée cantonal de zoologie de Lausanne
www.musees.vd.ch/musee-de-zoologie
NATURE
LE RETOUR DISCRET
DU REDOUTABLE
GRAND-DUC
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Chassé, houspillé, torturé, le maître de la forêt avait fini par disparaître du canton de Vaud. Il revient majestueusement, accueilli comme un pape par les amateurs et les scientifiques. En Suisse, toutefois, ses effectifs ne sont de
loin pas assez nombreux pour le placer à l’abri de la disparition. TEXTE VIRGINIE JOBÉ
U
ne envergure frôlant le mètre 90, des serres effilées gigantesques, un vol parfaitement silencieux,
de grands yeux orange qui scannent la nuit en
même temps que ses hululements répétitifs: le
Hibou grand-duc, renommé Grand-duc d’Europe,
fascine. Au moins autant qu’il effraie. Comme le loup et
l’ours, il est devenu mythique tout en s’effaçant peu à peu
de nos paysages.
C’est qu’à force d’être maltraité, le plus grand rapace
nocturne du monde a fini par s’éclipser. «Le Grand-duc
n’a probablement jamais complètement disparu de Suisse,
mais on ne le voyait pas, on ne savait pas où le trouver»,
explique Pierre-Alain Ravussin, spécialiste des chouettes
et des hiboux et biologiste, qui a obtenu une licence en
Sciences naturelles à l’UNIL.
Aujourd’hui, le Bubo bubo se montre à nouveau, timidement. Trois couples ont été observés ces dernières années
dans le canton de Vaud. Dont un à Saint-Triphon. Et cette
fois-ci, plutôt que de le chasser ou de le crucifier sur une
porte, on lui a déroulé le tapis rouge. Ou presque. En effet,
les membres du spectacle Fabrikk de Karl’sKühne Gas-
RARE
Les 80 à 100 couples
dénombrés en Suisse ne
suffisent pas à assurer la
sauvegarde de l’espèce.
© Kletr / Shutterstock
senschau (KKG), prévu le 19 mai 2015 à la carrière des
Andonces, se sont dépêchés de monter leur décor à l’automne dernier afin de permettre au couple de roucouler
durant l’hiver. De fin novembre à avril, interdiction de
travailler à proximité des amoureux pour préserver les
chances de reproduction.
«C’est la somme des mesures prises pour leur protection qui, petit à petit, portent leurs fruits, se réjouit Daniel
Cherix, biologiste et professeur honoraire à l’UNIL. Mais
aussi et surtout, le fait qu’on ait pris conscience de la raréfaction de l’espèce. Les personnes sensibilisées n’hésitent
pas à transmettre leurs observations. Les chiffres que l’on
peut avancer sur les rapaces nocturnes, qui sont rares,
existent en grande partie grâce aux amateurs qui passent
du temps à les recenser. Il faut leur rendre hommage.»
Cependant, le professeur note que 80 à 100 couples
dénombrés en Suisse ne suffisent pas à la sauvegarde du
Grand-duc. Il en faudrait beaucoup plus pour l’estimer à
l’abri d’une disparition. «Tant qu’on parle d’une centaine de
couples, son avenir reste incertain. Idem pour le loup. S’il
y a bien recolonisation, il n’y a pas encore de sécurité
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NATURE
DANIEL AUBORT
ET DANIEL CHERIX
Photographe. Biologiste
et professeur honoraire.
Nicole Chuard © UNIL
PIERRE-ALAIN
RAVUSSIN ET
ALBERTINE ROULET
Spécialiste des chouettes
et des hiboux, biologiste.
Biologiste, assistante
de recherche à hepia.
Nicole Chuard © UNIL
pour que l’espèce survive à moyen terme. Toutefois,
le Grand-duc a plus de chance de survivre en Suisse que
le loup, très clairement.» Car cet oiseau impressionnant a
plus d’un tour sous son aile.
En Suisse, il est apparu dans la première loi sur la protection des animaux, en 1925. En même temps que l’Aigle
royal et le loup. Au début du XXe siècle, son principal problème, c’était la chasse. Tuer l’oiseau était «considéré comme
un acte de salubrité», explique Pierre-Alain Ravussin. De
plus, l’énorme rapace était un trophée de choix. «Quand
j’étais conservateur au Musée de zoologie de Lausanne,
j’ai visité toutes les collections scientifiques que possédaient les collèges et gymnases du canton de Vaud, se
souvient Daniel Cherix. Et j’ai découvert entre 150 et 200
Grands-ducs empaillés, un chiffre énorme. Les chasseurs
les tiraient et les offraient à l’enseignant comme matériel
de démonstration.»
Symbole de la sagesse chez les Grecs, du malheur chez
les Romains, le rapace nocturne aux allures aristocratiques
intriguait déjà l’Homme il y a 30 000 ans. «Dans la grotte
de Chauvet en Ardèche (France), on a retrouvé une représentation de Grand-duc, aux côtés de bisons, mammouths
et autres mammifères. Comme il n’est pas mangeable, il
devait figurer autre chose...»
Une force de la nature
Le premier catalogue des oiseaux de Suisse listait huit
sites vaudois occupés par l’animal en 1860. «Dès lors, il
n’y a pas eu une donnée de Grand-duc qui n’ait été mentionnée, répertoriée, précisée. On a un suivi exceptionnel
pour cet oiseau», s’anime Pierre-Alain Ravussin. Un suivi
qui montre que les effectifs du rapace n’ont fait que de
diminuer. Parce qu’après l’avoir chassé, l’humain a compliqué son existence en fragmentant son territoire, en l’empoisonnant à cause de ses pesticides dans les cultures ou
encore en élevant des câbles de téléphérique où il s’électrocute. Néanmoins, ce qui a peut-être sauvé Maître hibou
(oui, dans Bambi, il s’agit d’un Grand-duc), c’est sa formidable capacité d’adaptation... à l’Homme.
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Allez savoir !
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«Cette espèce supporte bien la captivité et se reproduit très
vite, affirme Pierre-Alain Ravussin. Cela a permis de relâcher des individus dans des quantités d’endroits, en Suisse,
en France et en Allemagne. Parfois de manière aberrante.
En Allemagne du Sud par exemple, on a lâché des Grandsducs dans tous les coins. Ils ont d’emblée montré des comportements assez particuliers.»
Alors qu’on l’avait toujours vu se reproduire vers les
grandes falaises, dans des milieux sauvages, il s’est installé dans des petites gravières, au pied de murs. Opportuniste, le carnivore habitué aux lièvres et aux rapaces
diurnes allait même attraper des rats dans les décharges.
«Il est capable de nicher en ville, précise le biologiste. Quatre
couples se reproduisent dans l’agglomération d’Helsinki,
où ils mangent des pigeons. Un terrain ouvert permettant
des déplacements faciles et des repérages de proies, avec
des arbres pour se cacher, c’est l’idéal.»
Ainsi l’an passé, dans la cité d’Yverdon, un Grand-duc
solitaire a fait son marché tous les soirs dans un dortoir
communautaire de milliers de corneilles, freux et autres
choucas. «Je pense qu’il s’agissait d’un jeune. Il attrapait un
oiseau par nuit. Après deux mois, la communauté est partie ailleurs», relate Pierre-Alain Ravussin.
Gros pondeur
Le retour d’un tel glouton, qui pèse environ trois kilos à
l’âge adulte et peut avaler des hérissons voire des renardeaux, va-t-il donc provoquer des ravages au sein de la
faune? Au contraire, selon Daniel Cherix, cela restructure
toute la chaîne alimentaire. «Les superprédateurs – c’està-dire les animaux qui, une fois adultes n’ont pas de prédateurs, comme le loup, l’ours, le grand requin blanc et le
Grand-duc – sont des régulateurs d’autres prédateurs, ce
EN FAMILLE
Femelle Grand-duc
et ses deux petits,
installés dans une
falaise du côté d’Orbe,
en 2013. La preuve
que l’oiseau est de
retour dans le canton
de Vaud.
© Pierre-Alain Ravussin
qui favorise la biodiversité. C’est lorsqu’ils disparaissent
que cela devient dangereux, car les mésoprédateurs (les
prédateurs secondaires comme le renard et l’hermine) augmentent et poussent au déséquilibre aux étages inférieurs.»
Par ailleurs, puisqu’il ne s’attaque ni aux animaux domestiques, ni aux animaux de rente, sa réapparition n’inquiète
pas les paysans.
Plus fort encore, le réchauffement climatique ne fait ni
chaud ni froid au Grand-duc, qui supporte la chaleur estivale aussi bien que la neige hivernale. En Finlande ou sous
un climat méditerranéen, il s’adapte. «Il n’est pas limité par
la latitude ou la longitude, observe Pierre-Alain Ravussin.
On le trouve au-delà du cercle polaire arctique et jusqu’en
Afrique du Nord. C’est une espèce à répartition très large.»
Autre détail d’importance qui participe à sa survie: sa
reproduction efficace. La femelle Grand-duc pond chaque
année deux à quatre œufs, «contrairement au gypaète et
à l’aigle qui n’ont qu’un petit à la fois», souligne PierreAlain Ravussin. En général, Monsieur et Madame restent
fidèles. Et très territoriaux. Si le milieu est adéquat et qu’ils
se reproduisent sans être dérangés, ils se montreront casaniers et sédentaires.
«Les plus vieux couples sont ceux qui réussissent le
mieux à se reproduire, indique le biologiste. Ce sont deux
terreurs pour leurs voisins. Ils forment une association très
efficace contre les prédateurs. Le mâle, toujours plus petit
que la femelle, attaque sans aucune difficulté un Grand corbeau qui tenterait de voler sa progéniture, et assure son ravitaillement. La femelle s’occupe aussi de défendre le nid, mais
également de l’incubation et de la surveillance des jeunes.»
Madame Grand-duc choisit son mâle dès le mois de janvier,
quand les prétendants se mettent à hululer pour l’attirer.
Des sortes de «Uhu» (comme son nom en allemand) pro-
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
25
La Station ornithologique de Sempach
www.vogelwarte.ch/home-fr.html
NATURE
fonds et pénétrants. «Lorsque le couple s’est formé, s’il
échoue à sa tâche de reproducteur, puis de ravitailleur et
défenseur, la femelle risque de le quitter.» Pendant l’accouplement, qui a lieu entre les mois de février et mars, Monsieur hulule des «uhu» et Madame crie des «ooooo». Un comportement que l’on retrouve chez les Chouettes hulottes,
ajoute le spécialiste, mais pas chez les autres espèces de
rapaces nocturnes.
Si puissant et si fragile
Ce colosse intelligent, au plumage mimétique qui le fait se
fondre dans presque tous les paysages, a pourtant ses faiblesses. Entre autres, il doit consommer de nombreux animaux pour garder de l’énergie. «Il faut qu’il puisse trouver
assez de proies disponibles, relève Daniel Cherix. Mais
aussi qu’il ne soit pas dérangé. Une fois qu’une espèce
colonise un milieu, ce sont ces deux facteurs qui vont être
décisifs à sa survie.»
Si la nourriture semble aujourd’hui abondante, elle peut
encore contenir des pesticides néfastes. Les dégâts des PCB
(polychlorobiphényles), des métaux lourds anciennement
utilisés dans les cultures, se font encore ressentir. «L’année
prochaine, la Confédération abordera la question de la réduction des pesticides fortement utilisés en agriculture. On va
rentrer dans une nouvelle période, qui pourrait donner des
chances supplémentaires aux espèces sensibles, comme le
Grand-duc.» Les amateurs d’ornithologie curieux peuvent
26
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
RÉPARTITION
La Suisse est divisée
en un peu plus de 450
carrés de 10 km sur
10 km dans lesquels
on tente de prouver la
présence de l’espèce en
période de reproduction,
soit février à juin pour le
Grand-duc. En rouge, les
zones où il n’a pas été
retrouvé lors de l’enquête
2013-2016 pour l’Atlas
des oiseaux nicheurs de
Suisse (en cours), alors
qu’il était présent lors
de l’enquête 1993-1996.
En orange, les nouvelles
présences trouvées.
En vert, les régions où
l’oiseau a été observé
lors des deux enquêtes.
Un carré peut signifier
la présence de plusieurs
couples.
© Station ornithologique suisse
de Sempach. Relief © Institut pour
la cartographie, ETH Zurich
UNIL | Université de Lausanne
aussi devenir de véritables plaies pour le rapace nocturne.
Un afflux de photographes durant la couvaison dérange la
mère qui reste sur le qui-vive en permanence et s’épuise.
Elle est même capable d’abandonner ses œufs si elle considère que le lieu trop fréquenté inclut un trop grand danger.
«Il faut proscrire deux éléments lorsque l’on observe un
rapace nocturne: les phares, qui effraient, et la repasse,
à savoir diffuser un enregistrement de son chant pour le
faire venir», insiste Pierre-Alain Ravussin. En effet, le mâle
va croire qu’un concurrent le nargue sur son territoire et
s’énerver dans les airs à sa recherche pour rien, plutôt que
d’aller défendre la femelle en phase d’incubation, qui peut
être attaquée par un véritable intrus.
Mais c’est surtout un sport de plus en plus tendance qui
affole les Grands-ducs: la grimpe, qui se pratique dès avril,
moment où les jeunes vivent encore dans le nid. «Ils occupent
les falaises des rochers qui sont maintenant assaillies par
les grimpeurs, critique Pierre-Alain Ravussin. On équipe
de nombreuses voies, on les répertorie, on incite les gens à
y aller. Si le grimpeur passe à côté d’un nid, la femelle s’en
va. Et là, les Grands corbeaux viennent manger les œufs.»
Il a fallu des années pour que l’OFEV publie des recommandations pour ne pas gêner le Grand tétras, malmené
par les skieurs hors piste et les randonneurs. Daniel Cherix remarque que pour l’instant, bien que l’on s’intéresse
plus à lui, «ce n’est pas encore ancré totalement dans les
mœurs de ne pas déranger le Grand-duc ». 
TOUT SUR LA VIE DES RAPACES
NOCTURNES EN SUISSE
Un livre qui vient de paraître raconte la vie des cinq espèces de chouettes et des trois espèces de hiboux qui
vivent en Suisse. Certains d’entre eux sont en danger, d’autres menacés.
D
ans Chouette... Un hibou !, les biologistes Albertine Roulet, Daniel
Cherix et Pierre-Alain Ravussin,
accompagnés du photographe Daniel
Aubort, racontent l’existence mouvementée des huit espèces de rapaces
nocturnes, sur treize en Europe, qui
investissent les nuits helvétiques.
D’un côté les hiboux: Moyen-duc,
Grand-duc d’Europe et Petit-duc
scops. De l’autre les chouettes: hulotte, de Tengmalm, Effraie des clochers, Chevêche d’Athéna, Chevêchette
d’Europe. Une distinction faite uniquement par les francophones, explique
Albertine Roulet, qui possède une maîtrise du Département écologie et évolution (DEE) de l’UNIL et travaille en
tant qu’assistante de recherche à l’hepia à Genève. «En français, on parle
de hiboux pour les rapaces qui possèdent des aigrettes et de chouettes
pour les autres. En anglais, on utilise
un seul mot pour les deux, owl. Et si,
en allemand, deux termes existent,
Eule et Kauz, ils ne distinguent pas
les mêmes groupes qu’en français.»
L’ADN du Grand-duc par exemple, le
rapproche plus d’Edwige, la Chouette
harfang d’Harry Potter, que tous les
autres hiboux.
Comme le signale la scientifique,
qui a passé de nombreuses heures
sur le terrain, de jour et de nuit, à observer ces mystérieux oiseaux, la présence des aigrettes, deux petits amas
de plumes juchés sur les côtés de la tête
des hiboux, continue à alimenter les
discussions des scientifiques. A quoi
HIBOU DES MARAIS
Cette espèce survole nos
contrées mais n'y niche plus
depuis 1939. Photographie
prise en Vendée.
© Clément Caiveau
n’y niche plus depuis 1939. Ce mangeur
de campagnols a, semble-t-il, perdu
ses marques. «A cause de la disparition de son milieu, commente la biologiste. Cette espèce est l’une des rares
à construire un nid assez primitif, une
sorte de petite cuvette, à même le sol.
On l’appelle ainsi, car il vit dans des
milieux humides. Des zones qui ont
tendance à disparaître partout parce
qu’elles ont été drainées.»
CHOUETTE... UN HIBOU !
Par Daniel Cherix, Albertine
Roulet, Pierre-Alain Ravussin,
Daniel Aubort.
Ed. du Belvédère (2014), 127 p.
servent-elles? Les hypothèses se multiplient. «Certains estiment qu’il s’agit
d’un moyen de communication au sein
de l’espèce, une reconnaissance dans le
couple par exemple. Les aigrettes, bien
qu’elles ne soient pas des oreilles, pourraient avoir un rôle d’aide au niveau du
son. Une théorie les voit comme une
structure qui permettrait de conduire
le son plus facilement à l’oreille interne.
Mais cela reste des caractéristiques difficiles à vérifier. On pense aussi que
certaines chouettes, comme celle de
Tengmalm, ont perdu leurs aigrettes
avec le temps.»
Un neuvième rapace nocturne, le
Hibou des marais, également cité dans
l’ouvrage, survole nos contrées mais
Allez savoir !
N° 59
Des oiseaux rares à protéger
Trois espèces sont en danger, deux
autres potentiellement menacées, une
autre voit ses effectifs diminuer à vue
d’œil. «On essaie de trouver des mesures de conservation spécifiques, souligne Albertine Roulet. Par exemple,
sur les terrains agricoles, on laisse des
bandes herbeuses autour des champs,
on maintient les vieux vergers. Des endroits où ils peuvent chasser. Surtout,
on tente d’éviter au maximum toute collision possible avec le trafic routier, ferroviaire, les câbles des téléskis, etc.»
La première cause de mortalité du
Grand-duc d’Europe reste l’électrocution. Suivie de près par les accidents
de télescopage, contre un pylône ou
une voiture. Peut-être un jour verra-ton fleurir sur les routes des panneaux,
«Attention vol de Grand-duc»...  VJ
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UNIL | Université de Lausanne
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MÉDECINE
DEMAIN, ON ESSAIE DE
DES ORGANES HUMAINS
Certains animaux, comme la salamandre ou le poisson zèbre, possèdent d’étonnantes capacités pour réparer un
membre sectionné ou un organe endommagé. La recherche médicale tente de reproduire ces mécanismes pour régénérer le corps humain. Explications de Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de biologie et médecine
de l’UNIL. TEXTE MURIEL SUDANO-RAMONI
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Allez savoir !
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UNIL | Université de Lausanne
CELLULES
SOUCHES
Elles ont la capacité de
proliférer rapidement et
de générer n’importe
quel type de cellules.
Ici, des cellules souches
de souris. Microscope
électronique à balayage.
© Science Photo Library
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
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La Faculté de biologie et de médecine
www.unil.ch/fbm
MÉDECINE
THIERRY PEDRAZZINI
Professeur associé
à la Faculté de biologie
et de médecine de l’UNIL.
Nicole Chuard © UNIL
Quand on parle de cellules souches, on pense d’abord aux
cellules embryonnaires et aux problèmes éthiques suscités
par l’utilisation d’embryons humains. Si elles intéressent
tant les chercheurs, c’est parce qu’elles présentent deux
grands avantages: une prolifération rapide et une capacité
de générer n’importe quel type de cellules.
L
es capacités de régénération de certains animaux fascinent depuis l’Antiquité. Pour preuve, les mythes, en
particulier celui de l’Hydre de Lerne, ce monstre aquatique qu’affronte Héraclès et dont les têtes repoussent
à double chaque fois qu’on en tranche une. Et ce n’est
pas qu’une légende: l’hydre, ce petit animal que l’on trouve
dans des lacs comme le Léman, possède en effet la faculté
de recréer en quelques jours un tentacule coupé. Les salamandres et certains lézards autosectionnent leur queue pour
échapper à un prédateur sans que cela ne leur pose aucun
problème puisqu’elle repoussera également. Plus fort, l’axolotl, cet amphibien originaire du Mexique, peut non seulement régénérer un membre sectionné, mais également les
parties endommagées de son cœur ou de son cerveau. Ce
champion de la régénération est actuellement visible au Musée de la main UNIL-CHUV dans le cadre de l’exposition
temporaire «Cellules souches: l'origine de la vie» (jusqu’au
22 février). Cette exposition, conçue dans le cadre du Programme national de recherche PNR 63, montre les capacités
de régénération présentes dans le règne animal et explique
comment la médecine essaie de reproduire ces mécanismes
cellulaires complexes pour réparer le corps humain et soigner des maladies.
Les cellules souches, qui permettent le renouvellement
de la queue de la salamandre mais aussi de plusieurs de nos
tissus – le sang ou la peau –, intéressent particulièrement les
chercheurs. Pourra-t-on, un jour, régénérer des organes déficients, et même un bras ou une jambe? Probablement oui.
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Allez savoir !
N° 59
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DIFFÉRENCIATION
Les cellules souches
isolées à partir de
patients cardiaques
peuvent produire des
cellules musculaires
lisses - pour former des
vaisseaux sanguins - ou
des cardiomyocytes.
Source: Isabelle Plaisance
Le pouvoir régénérateur des cellules souches
Mais les cellules souches sont aussi présentes dans des tissus adultes: la moelle osseuse, où sont produits les globules
rouges et blancs ainsi que les plaquettes sanguines, en est
un parfait exemple. On connaît également bien celles de
la peau qui cicatrise en peu de temps et de l’intestin dont
l’épithélium se renouvelle naturellement tous les trois ou
quatre jours. On sait aujourd’hui qu’il y a aussi des cellules
souches dans notre cerveau et dans notre cœur, et peutêtre même dans tous nos organes: «Nous commençons à
comprendre que les éléments permettant la régénération
sont présents dans le cœur et dans le cerveau, explique
Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL et directeur de l’Unité de cardiologie expérimentale du CHUV. On peut mesurer la capacité de renouvellement de ces organes, mais elle est faible
et insuffisante pour réparer les dommages causés par un
événement aigu comme un infarctus du myocarde ou un
AVC. Ce qu’on aimerait, c’est pouvoir doper le système
quand on en a besoin.»
Pour le faire, les chercheurs explorent plusieurs pistes.
La première consiste à utiliser des cellules souches de type
embryonnaires. Pour contourner le problème éthique, le Ja-
CELLULES SOUCHES
CARDIAQUES
CELLULES MUSCULAIRES LISSES
(VAISSEAUX SANGUINS)
UNIL | Université de Lausanne
CARDIOMYOCYTES
(CELLULES MUSCULAIRES DU CŒUR)
ponais Shinya Yamanaka a réussi à reprogrammer le génome de cellules somatiques adultes pour en faire des cellules pluripotentes induites (CSPi) qui présentent les mêmes
caractéristiques que les cellules souches d’embryon. Ces
CSPi auraient également l’avantage de supprimer le problème du rejet puisqu’elles proviendraient du patient luimême. Mais injecter des cellules souches pluripotentes dans
un organe pour le réparer ne suffit pas: il faut encore s’assurer qu’elles fabriquent les bonnes cellules et donc maîtriser leur différenciation. «Si on veut utiliser des cellules
souches en thérapie, on ne peut pas se permettre qu’elles
créent un autre type cellulaire que celui que vous visez,
relève Thierry Pedrazzini: c’est difficile d’imaginer du
muscle dans le cerveau! Et si certaines cellules ne se différencient pas, des tératomes et des cancers pourraient se
développer. Il faut donc instruire ces cellules pluripotentes
pour qu’elles produisent ce qu’on veut. C’est extrêmement
difficile: si vous voulez obtenir 100% de cardiomyocytes, la
cellule musculaire du cœur, vous devez maîtriser chaque
étape de la différenciation et orienter continuellement les
cellules dans la bonne direction. Pour l’instant, nous n’y
arrivons pas complètement.»
L’autre option est d’utiliser des cellules souches adultes
déjà instruites à produire les cellules de l’organe dont elles
sont issues – c’est typiquement ce que l’on fait chez les patients leucémiques avec la greffe de moelle osseuse. Le problème: elles sont rares dans le cœur ou le cerveau et ont très
peu de capacité de prolifération, si bien qu’on ne peut pas fa-
HYDRE
Cet animal microscopique proche de la
méduse, que l’on trouve
dans les lacs comme
le Léman, a la capacité
de régénérer des
parties de son corps.
© iStock
«NOUS
COMMENÇONS
À COMPRENDRE
QUE LES
ÉLÉMENTS
PERMETTANT LA
RÉGÉNÉRATION
SONT PRÉSENTS
DANS LE CŒUR
ET DANS LE
CERVEAU»
THIERRY PEDRAZZINI
cilement en produire des masses suffisantes pour les amener en thérapie. Par ailleurs, même dans un seul organe, on
trouve plusieurs types cellulaires. Il faut donc également
contrôler leur différenciation. Les cellules souches adultes
isolées chez des patients cardiaques ont par exemple une
capacité à produire des cellules musculaires lisses pour former des vaisseaux sanguins ou des cardiomyocytes (voir
l’illustration ci-contre). Les chercheurs tentent donc de trouver des moyens pour activer les cellules souches directement dans l’organe: «Nous essayons d’identifier les voies
d’activation régénératrice, c’est-à-dire les signaux qui vont
dire à la cellule souche de s’activer, de proliférer et de se
différencier dans le bon type cellulaire, explique l’expert
du CHUV. Si nous pouvons le faire directement dans l’organe, nous aurons gagné car nous n’aurons plus besoin
d’isoler des cellules, de les faire proliférer in vitro et de
les réimplanter chez le malade. Plusieurs études prometteuses sont menées dans ce sens, et c’est aussi l’une des
approches de notre laboratoire: chez l’animal, nous avons
obtenu des résultats concrets que nous espérons pouvoir
transférer en clinique.»
Régénérer un organe sans cellules souches
Les cellules souches ne sont pas la seule voie explorée par
la médecine régénérative. Le foie n’en contient pas et il dispose pourtant d’une bonne capacité de se régénérer grâce
à la division de ses hépatocytes. Les chercheurs entendent
donc instruire des cellules qui n’ont pas l’habitude de
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
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MÉDECINE
se diviser – comme un neurone ou un cardiomyocyte –
pour qu’elles reprennent une capacité prolifératrice. «Dans
le cœur, des essais assez concluants prouvent que l’on peut
trouver des voies pour induire cette division, relève Thierry
Pedrazzini, même si cela n’est pas assez puissant pour réparer complètement l’organe. On a donc encore pas mal de
travail pour réussir à récupérer d’un infarctus: c’est des
milliards de cellules à remplacer!»
A Lausanne, dans le cadre du Programme national de recherche PNR 63, Thierry Pedrazzini et son équipe étudient
le poisson zèbre dont le cœur se régénère naturellement.
«Si vous enlevez chirurgicalement 20% du cœur de ce petit
poisson, il retrouvera un organe normal en un mois, relève
le spécialiste. C’est très spectaculaire! Beaucoup d’études
ont été faites pour comprendre ce qui se passe dans ce
cœur. Dans notre laboratoire, nous nous intéressons à ce
qu’on appelle les micro-ARN, c’est-à-dire des modulateurs
de l’expression des gènes. Nous en avons trouvé une quarantaine qui, après une blessure au niveau du cœur, sont
modulés différemment chez le poisson zèbre que chez la
souris. Nous avons réussi à reproduire une réponse régénératrice de type poisson dans le cœur de la souris et à y faire
proliférer des cardiomyocytes, ce qui a amélioré la fonction
cardiaque. C’est modeste, mais ça marche!»
Une dernière approche est d’instruire des cellules différenciées à produire un autre type cellulaire: «C’est très intéressant dans le cœur, car après un infarctus une grosse cicatrice fibreuse se crée, explique le spécialiste lausannois.
32
Allez savoir !
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RECHERCHE
Evaluation du potentiel
des cellules souches
pour réparer le cœur
après un infarctus du
myocarde, à l’Unité
de Cardiologie Expérimentale. L’animal a été
anesthésié pendant 15
minutes.
Nicole Chuard © UNIL
UNIL | Université de Lausanne
L’idée est de pousser les fibroblastes présents dans le cœur
à perdre leur identité pour produire du muscle. Le concept
est prouvé et ça marche chez l’animal: on injecte dans la cicatrice une instruction sous forme d’acide nucléique pour
que les fibroblastes deviennent des cardiomyocytes. On est
loin de redonner un cœur de bébé à une personne qui a eu
un infarctus, mais si nous arrivons à améliorer la fonction
et à ralentir le processus qui conduit à l’insuffisance cardiaque, nous aurons déjà fait beaucoup de choses!»
Jusqu’où irons-nous?
Thierry Pedrazzini est plutôt optimiste sur l’avenir de ces
techniques. Il s’attend, dans les cinq prochaines années, à
des études spectaculaires qui pourront déboucher sur des
essais cliniques. C’est un grand espoir pour les victimes
d’infarctus et de maladies neurodégénératives. Par contre,
pour faire repousser un bras ou une jambe, il faudra encore attendre et certainement compter sur des interfaces
entre biologie, bioengineering et sciences des matériaux.
Savoir réparer indéfiniment des organes déficients nous ouvrira-t-il les portes d’une vie quasi éternelle? «Prolonger la
vie n’est pas un but en soi pour la médecine régénérative,
conclut Thierry Pedrazzini. Ce que nous voulons, c’est offrir aux gens la capacité de mourir en bonne santé, c’està-dire de récupérer une qualité de vie après un accident.
Tout le monde peut admettre de mourir après une vie heureuse, mais si on doit être grabataire, vivre jusqu’à un âge
avancé ne veut plus dire grand-chose.» 
LES CELLULES PROGÉNITRICES
AU SECOURS DES GRANDS BRÛLÉS
Responsable de l’Unité de thérapie régénérative du CHUV, la professeure Lee Ann Laurent-Applegate et son
équipe ont développé un pansement biologique qui stimule la régénération de la peau des grands brûlés.
L
orsqu’un blessé arrive dans un
centre pour grands brûlés, l’urgence
est d’éviter les infections en recouvrant le plus rapidement son corps. Si
la peau saine ne suffit pas, une biopsie de peau non brûlée permet de prélever des cellules de l’épiderme que
l’on met en culture pour constituer des
greffes de culture. Au CHUV, le Centre
de production cellulaire est capable de
produire ces greffes de culture en dix
à douze jours. A Lausanne, l’Unité de
thérapie régénérative tente sans cesse
de développer de nouveaux processus.
Biologiste et spécialiste de l’ingénierie tissulaire pour la régénération
de la peau et des tissus musculo-squelettiques, Lee Ann Laurent-Applegate
travaille sur la peau depuis les années
80. Elle et son équipe ont développé des
banques de cellules progénitrices selon
les bonnes pratiques de fabrication (en
anglais: Good Manufacturing Practice,
GMP), utilisables en clinique, et déposé un brevet pour un pansement biologique composé de cellules progénitrices de peau ensemencées sur une
matrice de collagène. Ces cellules sont
obtenues à partir d’une biopsie de peau
fœtale de 2 cm2 et le don d’organe a été
approuvé par le comité d’éthique du
canton de Vaud. L’avantage des cellules
progénitrices par rapport aux cellules
souches est qu’elles sont déjà différenciées en un type cellulaire spécifique,
ce qui les rend stables et faciles à cultiver, alors que dans le cas de cellules
souches, on court toujours le risque
d’une dédifférenciation (elles changent
LEE ANN LAURENTAPPLEGATE
Professeure et
responsable de l’Unité
de thérapie régénérative
du CHUV.
Nicole Chuard © UNIL
de type cellulaire). Les cellules issues
de cette seule biopsie de peau permettront de préparer au minimum 1000
milliards de pansements biologiques.
Des essais cliniques prometteurs
En 2005, deux essais cliniques – le
premier en gériatrie sur des personnes
souffrant d’ulcères des jambes récalcitrants, le second sur des enfants brûlés au deuxième degré sur environ 20%
du corps – ont montré l’efficacité de
ce pansement et ses vertus inattendues. «Le pansement biologique devait
servir à préparer le patient pour une
autogreffe, explique Lee Ann LaurentApplegate, mais l’étude a montré qu’en
dix ou douze jours de traitement, la
peau blessée était réparée. Les panseAllez savoir !
N° 59
ments biologiques ont stimulé la régénération de la peau, de ce fait aucun
des patients traités n’a eu recours à une
autogreffe.» Ces pansements offrent
d’autres avantages: ils peuvent être
préparés rapidement, livrés en 48
heures et appliqués en une dizaine de
minutes sur tout le corps; biodégradables, ils se nettoient facilement avec
de l’eau (on change les pansements et
on lave les grands brûlés deux fois par
semaine environ).
Les essais cliniques de l’unité de
thérapie régénérative sont en «stand
by» depuis le changement de la Loi
suisse sur les transplantations, qui
depuis 2007 impose aux transplantations de tissus et de cellules la réglementation établie pour les dons d’organes. Ils reprendront prochainement.
Son équipe, avec la collaboration des
juristes du CHUV, a réglé la jurisprudence pour ce programme et achevé la
standardisation et la mise aux normes
GMP des phases de création et d’utilisation de son pansement biologique.
Un travail long et ingrat pour obtenir
le sésame qui lui permettra de poursuivre la recherche clinique. «Nous
suivons les premiers patients traités avec les pansements biologiques
depuis plus de dix ans et nous n’avons
jamais constaté de problème. Mais je
comprends qu’il faille mettre les processus de culture cellulaire et de fabrication de pansements biologiques aux
normes imposées par la loi, c’est important pour la sécurité du patient», conclut
Lee Ann Laurent-Applegate.  MSR
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
33
La Faculté de théologie et de sciences des religions
www.unil.ch/ftsr
RELIGION
FOOT, TÉLÉ OU
EGLISE?
En devenant une affaire de conviction personnelle, la religion se révèle une option (presque) comme une autre
dans le champ des loisirs. Une concurrence rude et multiple, comme nous le révèle la foisonnante enquête sur la
religiosité en Suisse: «La religion à l’ère de l’ego». TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER
I
l n’y a pas si longtemps, en terres helvétiques, le planning du dimanche matin était réglé comme du papier
à musique. Pour beaucoup de personnes, c’était toujours l’église; le culte ou la messe selon sa confession. La question ne se posait même pas, c’était la
norme. Aujourd’hui, les temps ont changé, comme nous
l’explique la passionnante enquête de chercheurs lausannois et saint-gallois sur la religiosité en Suisse intitulée Religion et spiritualité à l’ère de l’ego. Quatre profils
d’(in-)croyance (à paraître en 2015 chez Labor et Fides).
L’individu est devenu roi, le seul maître de sa destinée.
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Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
DIMANCHE
Même les parents très
pratiquants doivent
choisir entre aller à
l'église ou emmener leurs
enfantsà la patinoire.
© Thinkstock
UNIL | Université de Lausanne
En termes de mode de vie, de carrière, de loisirs, d’orientation politique ou sexuelle, tout n’est plus qu’une question de choix personnel.
«Dans le champ religieux ou spirituel, personne ne
peut plus nous dire ce que nous devons croire ou ce que
nous devons faire», explique Jörg Stolz, doyen de la Faculté
de théologie et de sciences des religions de l’UNIL et coauteur de l’étude. «L’individu devient donc un consommateur, et le religieux une option parmi d’autres.» Ainsi,
le dimanche matin, le service religieux se retrouve en
concurrence avec le jogging, le match de foot, la sortie
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
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RELIGION
on discute, on regarde les intérêts de chacun, on négocie.
Et les enfants ont très fortement le sentiment qu’ils ont leur
mot à dire. En matière de religion, les parents disent souvent
qu’ils ne veulent rien imposer, que leur enfant choisira plus
tard.» Ainsi dans l’étude, nombre d’adultes répondent qu’ils
n’ont pas inscrit leur enfant au catéchisme du vendredi, car
ce dernier a préféré le cours de danse ou de hockey...
Pour Mallory Schneuwly Purdie, cette liberté laissée à
l’enfant n’en est pas vraiment une. «Beaucoup de parents de
confessions mixtes font d’ailleurs ce choix. Mais, en n’inscrivant pas leur enfant dans une religion, ils lui signifient
déjà quelque chose: que le religieux n’est pas important, que
ça ne sert à rien.» De fait, la non-appartenance se transmet
beaucoup plus facilement que l’appartenance.
«Il est important de ne pas faire du religieux un Sonderfall, un cas à part», tient à préciser la chargée de cours à
l’UNIL. «On voit également de moins en moins de transmissions professionnelles, comme les petites PME qui se transmettaient de père en fils. De même pour les appartenances
politiques. C’est extrêmement rare aujourd’hui de voir une
famille entière soutenir un même parti.»
à ski ou le farniente devant la télé. «A l’ère de l’ego, parallèlement, précise Jörg Stolz, les personnes qui se décident
pour la pratique religieuse le font de leur plein gré, parce
qu’elles ont l’impression que cela leur fait du bien.»
Un loisir comme un autre?
La religion serait-elle alors désormais considérée tel un loisir comme un autre? «Je dirais plutôt une activité comme
une autre», souligne la sociologue des religions Mallory
Schneuwly Purdie, coauteure de l’étude. «Au moment de
leur temps libre, les gens se retrouvent à devoir faire des
choix.» Et de relever, sur ce point, la façon dont s’organisent
aujourd’hui les vies de famille: «On place le bien-être personnel au-dessus du bien-être familial ou communautaire,
on prend en compte les envies de chacun, ce qui complique
d’autant plus l’insertion dans le religieux.» Ainsi, souvent,
le dimanche matin, les parents même très pratiquants se
retrouvent à devoir choisir entre aller à l’église ou accompagner leur enfant à la patinoire ou au manège...
Il existe d’ailleurs aujourd’hui une vraie problématique
autour de la transmission, ou plutôt de son absence. En effet,
de moins en moins d’adultes, même chez les très croyants,
prennent en charge l’éducation religieuse de leurs enfants.
Par manque d’outil ou, le plus souvent, par choix personnel.
«A partir des années 60, les parents sont de l’avis qu’ils ne
peuvent plus juste donner des ordres et imposer des pratiques à leurs enfants», explique Jörg Stolz. «Aujourd’hui,
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Allez savoir !
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Janvier 2015
JÖRG STOLZ
Doyen de la Faculté de
théologie et de sciences
des religions.
Nicole Chuard © UNIL
«EN MATIÈRE
DE RELIGION,
LES PARENTS
DISENT SOUVENT
QU’ILS NE
VEULENT RIEN
IMPOSER,
QUE LEUR ENFANT
CHOISIRA
PLUS TARD»
JÖRG STOLZ
UNIL | Université de Lausanne
Les Etats-Unis et l’Australie sont confrontés
au même phénomène
Le phénomène de la concurrence entre les loisirs et le religieux ne se retrouve pas seulement en Suisse. Jörg Stolz
cite deux études très intéressantes à ce sujet. La première
aux Etats-Unis, lors de l’abolition dans certaines villes des
Blue Laws, ces lois qui interdisaient aux magasins d’ouvrir
le dimanche. «A ce moment-là, le taux de fréquentation des
églises a fortement chuté», relève le doyen.
Et de commenter une seconde étude, en Australie cette
fois, qui avait pour but d’interroger des personnes qui avaient
l’habitude de fréquenter régulièrement une église et avaient
ensuite arrêté ou réduit leur participation: «Deux raisons
principales étaient invoquées par ces personnes: le fait
que ce n’était plus obligé, et qu’ils avaient trop d’autres
choses à faire.» Attestant par là même cette théorie de la
concurrence…
Perte d’influence
Comment, dès lors, expliquer que la religion, si importante jusque-là dans notre civilisation, rythmant nos vies
de la naissance à la mort, ait perdu autant de poids et d’influence? «On parle de sécularisation principalement depuis
les années 60, mais c’est vraiment un processus qui s’est
fait sur des siècles», précise la sociologue. Et de remonter à ses prémices, au siècle des Lumières et l’affirmation
de la raison de l’individu ainsi qu’aux révoltes populaires
contre les gouvernements qui utilisaient le religieux pour
asseoir leur pouvoir. «Peu à peu, les différentes institutions
qui étaient contrôlées par le religieux ont pris leur autonomie, le religieux n’étant aujourd’hui plus qu’une institution parmi d’autres.»
La modernisation des sociétés, l’acquisition de nouveaux
savoirs, notamment scientifiques, ont également fortement
affaibli la religion: «Avant, la religion répondait à beaucoup
de questions qui nous paraissent aujourd’hui scientifiques
ou médicales», ajoute Jörg Stolz, qui poursuit: «Mais si la
religion avait perdu déjà beaucoup de son pouvoir dans les
années 50, la société continuait cependant à se voir chrétienne. Tout le monde se considérait comme catholique ou
réformé. La religion n’était pas vue comme quelque chose
que l’on choisissait ou délaissait librement.»
La sécurité joue contre la religion
Ce sont les années 60 qui connurent une véritable révolution. Tout d’abord, d’autres valeurs furent mises en avant,
telles que la liberté et l’individualisme. Ensuite, le boom
économique changea également radicalement la structure
de la société. Les nouvelles ressources permettaient alors
toute une série de loisirs, que ce soit la voiture, la musique,
le cinéma. Est-ce à dire que ce nouveau confort a joué un
rôle dans la désertion du religieux? «Je parlerais moins de
confort que de sécurité, corrige Mallory Schneuwly Purdie.
On vit vraiment à présent dans un cadre sécuritaire. On n’a
plus de guerre, on ne connaît pas de pénurie alimentaire ni
de problèmes d’électricité: on sait que ça fonctionne. Cette
sécurité fait qu’on a moins besoin de rechercher des justifications à nos malheurs ni à prier pour que ça change. L’Etat
social a finalement remplacé dans certains domaines l’apport du religieux.» Et de relever que «dans les passages de
crise existentielle, dans les cas de divorce, de deuil ou de
licenciement, les gens ont tendance à revenir au religieux,
à demander de l’aide en regardant le ciel».
La religion en pièces détachées
Les loisirs ne sont, en effet, pas les seuls à être entrés en
concurrence avec le religieux. «Les religions sont multifonctionnelles, les concurrences viennent donc de toutes parts»,
pose Jörg Stolz. Et de faire la liste: du lien social, qui peut être
remplacé par le club de sport ou toute association, du sentiment de sécurité, qui peut être atténué par les assurances
privées, du réconfort, qui peut être pris en charge par les
psychologues, des conseils, qui peuvent être aujourd’hui
prodigués par toutes sortes de coaches.
Sans parler de la question du spirituel qui peut être
relayée par moult pratiques alternatives (lire en page 38).
«Voilà une des raisons pour lesquelles on voit les groupes
religieux commencer à utiliser eux-mêmes le marketing religieux», avance Jörg Stolz. «Ils comprennent qu’ils doivent
rester concurrentiels.»
«La spiritualité alternative va très bien avec cette société
de consommation, relève encore Jörg Stolz. Dans ce milieu,
c’est un des principes: tout est possible. C’est véritablement
l’ère de l’ego à son apogée: si ça te fait du bien, fais-le.»
Mallory Schneuwly Purdie évoque, quant à elle, la notion de
Do-it-yourself, de plus en plus présente en matière spirituelle:
MALLORY
SCHNEUWLY
PURDIE
Sociologue des religions.
Nicole Chuard © UNIL
«Les gens n’adoptent souvent plus le programme total d’une
religion. On va préférer au produit fini, celui en pièces détachées pour pouvoir construire son truc perso.» Encore une
fois, une attitude qui n’est pas exclusive au domaine religieux: «En politique, les gens votent également de moins en
moins pour un parti, mais pour une cause, au cas par cas...»
«On va vers moins de religion en Suisse»
Jörg Stolz met cependant des limites à cette notion de marché du spirituel: «On ne peut pas non plus dire que tout le
monde est un consommateur du religieux et que toutes les
religions sont en concurrence les unes avec les autres comme
Apple et Samsung. L’église réformée n’est par exemple pas
en concurrence avec les centres islamiques. Et tout le monde
n’est pas sans cesse en train de se chercher une religion. On
voit plus de gens qui sortent de l’Eglise que de gens qui en
cherchent une autre.»
Dans l’analyse des différents types de croyants et d’incroyants catalogués dans l’étude (lire en page 38), on perçoit d’ailleurs très fortement que les glissements d’un type
à l’autre vont le plus souvent dans le sens d’une désertion du
religieux. La question s’impose: faut-il dès lors s’attendre à
une extinction du christianisme? «Il est vrai que si les mécanismes restent les mêmes, on va vers moins de religion en
Suisse, répond Jörg Stolz. Mais il est tout à fait possible que le
christianisme trouvera des moyens d’adaptation qui assureront sa survie – comme cela a été le cas depuis 2000 ans.» 
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
37
RELIGION
QUATRE TYPES D’(IN)CROYANCES
Membres actifs d’une Eglise ou totalement imperméables à la foi, amateurs d’ésotérisme ou un peu croyants en
quelque chose, mais de loin: les chercheurs lausannois et saint-gallois ont élaboré quatre profils, suite à leur
enquête sur la religiosité en Suisse.
L
es relations que les humains entretiennent avec la spiritualité sont toujours personnelles, donc extraordinairement diverses. Pour mettre de
l’ordre au sein de cette complexité,
ce livre propose une nouvelle typologie, distinguant quatre types pouvant englober la totalité des individus.
Présentation.
17,5%
LES INSTITUTIONNELS
Les institutionnels accordent une
grande valeur à la foi et à la pratique
chrétienne. Il s’agit de membres actifs
des Eglises catholiques, réformées ou
encore de la plupart des églises évangéliques. Ils croient en Dieu et sont
convaincus que la vie n’a de sens qu’en
Dieu et Jésus-Christ. Une large majorité se rend à l’église au moins une
fois par mois et prie tous les jours. Au
sein des institutionnels, l’étude isole
encore deux sous-groupes: les établis
(Eglise catholique ou protestante) et
les évangéliques.
13,4%
LES ALTERNATIFS
Le groupe des alternatifs rassemble les
personnes qui font état de croyances
et de pratiques holistiques ou ésotériques. La spiritualité des alternatifs
est très diversifiée (croyance en les
pierres, les énergies cosmiques, les
chakras, les techniques de respiration,
etc.) Trois sous-groupes peuvent être
38
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
distingués: les pratiques de guérison
et soin, celles de voyance et divination
et enfin celles liées au développement
personnel. A noter encore que les gens
naviguent souvent énormément entre
ces différents univers.
57,4%
LES DISTANCIÉS
Il s’agit du groupe le plus important.
Il ne s’agit pas de personnes qui ne
croient à rien. Elles pensent et agissent
selon des conceptions religieuses et
spirituelles, mais celles-ci ne sont pas
particulièrement importantes dans
leur vie. Ils peuvent aller parfois à
l’église à l’occasion des grandes fêtes,
mais pas plus. De même, ils peuvent
recourir à l’une ou l’autre des techniques alternatives, sans toutefois y
UNIL | Université de Lausanne
ENQUÊTE
Moins d'une personne sur
cinq prie tous les jours.
© Antonov Roman / Shutterstock
voir une dimension spirituelle particulière. On distinguera encore les distanciés-institutionnels, les distanciésalternatifs ou les distanciés-séculiers.
11,7%
LES SÉCULIERS
Il s’agit ici de personnes sans aucune
pratique ni conviction religieuse. Ce
groupe rassemble deux orientations
très différentes: les indifférents et les
adversaires de la religion. Les premiers
ont une attitude totalement indifférente face à la religion, l’Eglise, la foi
mais aussi face à l’ésotérisme ou à la
guérison spirituelle. Les seconds critiquent souvent aussi vertement la religion institutionnelle que la spiritualité alternative, mais aussi les religions
non chrétiennes.  ASS
RÉFLEXION
LE MONDE TEL QU’IL EST
ET TEL QU’IL VOUDRAIT ÊTRE
J
e n’oublierai jamais le moment
où la mystérieuse discipline
de l’anthropologie s’est emparée de moi. J’étais un jeune
diplômé en théorie politique
et je faisais un postgrade en Anthropologie sociale à la London School of
Economics. Nous étions en 1990 et
le monde de la guerre froide venait
d’imploser.
Dans ma petite chambre, dans un
appartement londonien non chauffé,
je lisais mon premier livre d’anthropologie, Les Argonautes du Pacifique
occidental (1922), fameuse étude de
Bronislaw Malinowski sur les habitants des îles Trobriand en Mélanésie.
Soudain, à la lecture d’un passage sur
la magie insufflée depuis les canoës
alignés sur l'eau devant la plage lors
de la «Kula» (rituel annuel d’échanges
de coquillages à forte valeur symbolique), je ressentis profondément ce
que cela signifie de croire en l’efficacité de la magie, bien que je fusse
moi-même strictement agnostique,
avec peu d’inclinaisons personnelles
pour la religion et la spiritualité.
Malinowski allait décrire plus
tard la méthodologie de son fameux
livre comme étant celle de «l’ethnographie», un ensemble de techniques
permettant d’étudier les cultures de
l’intérieur, en tentant d’appréhender
ce qui fait pour les gens «la force de la
vie». Cette empathie méthodologique
sera finalement critiquée sur différentes bases épistémologiques, politiques et historiques, mais un aspect
L’ANTHROPO­
LOGIE SE TIENT
PRÊTE À ÉCOUTER,
QUESTIONNER,
DÉVOILER LES
PROBLÈMES
ET, ESPÉRONS-LE,
RÉVÉLER DES
PERSPECTIVES
ET DES SIGNIFICATIONS QUI
DÉPASSENT
LES CONFLITS
PARTICULIERS.
essentiel du propos de Malinowski
résistera à toutes ces critiques: le fait
que l’anthropologie doive affronter,
sans jugements ni présupposés théoriques, l’étourdissant, le frustrant,
parfois violent, quelquefois sublime
et toujours complexe panorama de
l’existence humaine.
En ce sens, l’anthropologie joue
dans le cadre académique le même
rôle que celui de l’université dans
la société. Si la fonction première de
l’université est d’incarner un bastion
à la fois ouvert et volontairement isolé,
de la pensée critique, de l’enseignement, de la recherche et du service
public dans un monde dominé par
les intérêts particuliers – politiques,
religieux, économiques, culturels –
alors, j’aime à penser que l’anthropologie est un bastion d’ouverture épistémologique, prêt à accepter le monde
tel qu’il est, dans un milieu scientifique plus large où ce que Thomas
Kuhn appelle «paradigme» décide de
la légitimité des questions, domine
les débats et structure les compréhensions particulières du monde social.
En effet, l’anthropologie culturelle
et sociale pourrait bien être la seule
discipline libérée des paradigmes au
sens de Kuhn.
Il y a le monde tel qu’il est, mais
aussi le monde tel qu’il voudrait être –
les pratiques et idées qui se déploient
dans les domaines didactiques, idéologiques, politiques, éthiques et, de
plus en plus, cosmopolitiques. C’est
ici, à mon sens, que la boucle est bou-
Allez savoir !
N° 59
MARK GOODALE
Professeur à la Faculté des sciences
sociales et politiques
clée, que le potentiel pleinement réalisé et même l’absolue nécessité de
l’anthropologie se révèlent. Car c’est
lorsque nous, êtres humains, imaginons des mondes alternatifs – plus
justes, équitables et tolérants que le
nôtre – que nous libérons notre passion et notre énergie créatrice les
plus fortes.
Or, cette dynamique de changement génère un puissant risque de
conflits. Dans ces moments-là, la précieuse discipline de l’anthropologie
se tient prête à écouter, questionner,
documenter, dévoiler les problèmes
couche après couche et, espérons-le,
révéler des perspectives inattendues
et des significations qui dépassent les
conflits particuliers. 
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
39
La section d’histoire de la Faculté des lettres
www.unil.ch/hist
HISTOIRE
QUAND LES SUISSES
EFFRAYAIENT
LES PRINCES ET LES ENFANTS
Entre Morgarten (1315) et Marignan (1515), les guerriers confédérés ont accompli tellement d’exploits militaires
qu’ils passaient pour invincibles. Histoire d’une époque bien révolue durant laquelle les Suisses attaquaient leurs
voisins... TEXTE JOCELYN ROCHAT
O
ubliez l’image paisible du soldat suisse dans son
uniforme impeccable qui aide les vieilles dames à
monter dans le train. Les guerriers confédérés qui
arrivent dans la plaine de Marignan, à la mi-septembre 1515, font peur aux enfants. Parce qu’on les
voit comme «un peuple sauvage, des montagnards féroces
comme des bêtes», nous dit une chronique allemande du
début du XVe siècle.
Ces guerriers inquiètent encore leurs contemporains
parce qu’ils ont trouvé le moyen de vaincre les chevaliers.
«Les Suisses ne combattaient pas dans un état d’esprit chevaleresque. Ils n’avaient pas pitié des nobles, n’hésitaient
pas à les tuer et ne faisaient pas de prisonniers, ce qui a
40
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
LANSQUENET
EN ROUGE
Tableau de Fernand
Hodler (1895).
Winterthur, Stiftung
Oskar Reinhart.
Le peintre a consacré
différents tableaux à
Marignan. Ils ont fait
scandale en 1897:
l’ensemble avait été
jugé «trop brutal»
(lire Allez savoir ! No 39,
septembre 2007).
© akg-images / André Held
UNIL | Université de Lausanne
contribué à leur réputation», explique Roberto Biolzi, un assistant diplômé à l’UNIL, qui écrit actuellement une thèse
sur la guerre dans les Etats savoyards à la fin du Moyen
Age. Les terribles «sylvestres» (sauvages des forêts), ou encore «alpines inclementes» (habitants des Alpes dépourvus de clémence) sont également craints pour leur pratique du pillage, et brillent surtout par leur efficacité sur
les champs de bataille.
Les premiers succès
Tout a commencé à Morgarten, en 1315, il y a 700 ans
cette année, quand les Schwytzois ont attaqué l’armée du
duc Léopold, un Habsbourg. «Là, on est dans le mythe.
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
41
HISTOIRE
continué à massacrer des nobles sur les champs de bataille pour devenir «les dompteurs des princes». La seule
promesse de leur présence dans un conflit fait désormais
réfléchir les belligérants. «J’ai étudié une bataille entre le
duc de Savoie Amédée VIII et Francesco Sforza de Milan,
où le simple fait d’annoncer dans sa correspondance de
guerre qu’on a recruté des Suisses inquiète l’ennemi», raconte Roberto Biolzi.
On connaît cette bataille par tradition orale, et la seule
source contemporaine, Jean de Winterthour, n’est pas fiable
dans son récit des événements. Ça a dû être de la guérilla,
voire une embuscade: les Schwytzois ont surpris une troupe
en marche, en exploitant le terrain. Ce guet-apens aurait
fait très peu de pertes côté suisse, alors que bon nombre
de chevaliers des Habsbourg ont été tués ou se sont noyés
dans le lac.»
Le deuxième épisode de cette geste helvète se déroule
à Sempach, en 1386. Cette fois, les Confédérés tuent le duc
Léopold III et anéantissent son armée, essentiellement composée de nobles. Ces deux morceaux de la légende militaire
suisse ont eu des conséquences importantes. «Morgarten
a eu un écho régional. Cet épisode a rallié de nombreuses
villes aux Waldstätten. Alors que Sempach a eu un rayonnement au niveau international, en montrant que les Suisses
disposaient d’une infanterie capable de gagner contre des
chevaliers», explique Roberto Biolzi.
Les Confédérés vont encore sortir renforcés des Guerres
de Bourgogne (1474-1477), où les habitants des forêts,
épaulés par de nombreux bourgeois depuis Sempach, ont
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Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
ROBERTO BIOLZI
Cet assistant diplômé
écrit actuellement une
thèse sur la guerre
dans les Etats savoyards
à la fin du Moyen Age.
Nicole Chuard © UNIL
UNIL | Université de Lausanne
Comment battre les chevaliers
Si les Confédérés sont à ce point effrayants, c’est parce qu’ils
ont mis au point une nouvelle tactique militaire. «Au Moyen
Age, la cavalerie dominait les champs de bataille, avec le
chevalier comme principal protagoniste», explique l’historien de l’UNIL. Pourtant, au début du XIVe siècle, cette
arme montre ses limites. Dans les Flandres, des piquiers
flamands ont battu une armée de chevaliers. Un exploit
que les Confédérés vont rééditer à de multiples reprises,
grâce à leur infanterie considérée comme «la meilleure du
monde». «Aujourd’hui, les Suisses imitent entièrement la
phalange des Grecs. Ils forment comme eux des épais et
solides bataillons et se maintiennent de la même manière
dans le combat», écrit Machiavel dans son Art de la guerre.
Face aux chevaliers, lourdement équipés, les Confédérés opposent une armée de fantassins, les fameux «carrés
suisses». Ils se rassemblent dans un hérisson compact, protégé par de longues piques, avec, au cœur de ce dispositif,
des porteurs de hallebardes, très légèrement équipés. «Dès
que le combat était engagé avec la cavalerie, les Suisses
ouvraient les rangs et les hallebardiers se faufilaient pour
faire un massacre», raconte Roberto Biolzi.
Au risque de surprendre les fans de football du XXIe
siècle, il faut rappeler que les Confédérés n’étaient pas confinés en défense. Leur tactique était opportuniste. «Les carrés
suisses attaquaient, rappelle Roberto Biolzi. A Marignan,
les Suisses sont arrivés et ils se sont avancés dans le but
de s’emparer de l’artillerie française, comme ils l’avaient
fait contre l’armée du duc de Bourgogne. C’étaient des spécialistes de la victoire éclair: Morgarten, par exemple, n’a
apparemment duré que deux heures.»
Que faisaient les Suisses en Italie?
Offensifs sur le champ de bataille, les Confédérés du XVIe
siècle s’avançaient encore très loin, au-delà de leurs frontières, puisqu’ils ont connu leur plus terrible défaite non
loin de Milan. Une situation qui surprend forcément un
paisible Helvète de 2015, habitué à laisser ses voisins se
battre sans intervenir. Que venaient donc faire ces soldats
confédérés aussi loin de leurs bases?
Ils s’étaient engagés dans les Guerres d’Italie (14941559), un conflit dont la complexité défie tout résumé succin. Mettons simplement que les Confédérés sont entrés
dans la Péninsule aux côtés du roi de France Charles VIII
en 1494. Ce dernier prétendait au trône de Naples, et il
avait décidé de faire campagne en Italie, avec, notamment,
l’aide de mercenaires suisses. Mais, «pour différentes raisons – on parle notamment de salaires impayés – les rapports se détériorent, et les Confédérés comprennent qu’ils
pourraient gagner des territoires en Italie tout seuls», raconte l’historien de l’UNIL.
Car, chose inimaginable à notre époque, «les Suisses de
1515 étaient une puissance militaire. Ils ont accompli des
exploits considérables, qui leur ont donné des visées expansionnistes pendant un siècle, entre le XVe et le début
du XVIe ». Entre 1513 et la défaite de Marignan en 1515, les
Confédérés sont au sommet de leur puissance et de leur
réputation. «La ville de Milan est même devenue un protectorat suisse», ajoute Roberto Biolzi.
La victoire oubliée de Novare, en 1513
En 1513, à Novare, en Lombardie, les Confédérés ont remporté leur dernière grande victoire sur un champ de bataille majeur contre une puissance militaire étrangère. Ce
jour-là, les carrés suisses ont taillé en pièces l’armée du
roi Louis XII (le successeur de Charles VIII), et ont forcé
MARIGNAN
La célèbre bataille de
1515, peinte par un
artiste contemporain.
Miniature sur parchemin
attribuée au Maître à
la Ratière (vers 1515).
Musée Condé, Chantilly.
© Photo Josse / Leemage
le roi de France à quitter la Péninsule. Cette victoire impressionnante (paradoxalement oubliée dans les manuels
d’histoire) explique que les Confédérés se retrouvent face
à une armée française deux ans plus tard, pour la «revanche» de Marignan.
Entre-temps, François Ier est monté sur le trône, et il revient en Italie avec le légendaire chevalier Bayard («sans
peur et sans reproches») pour affronter à nouveau les Confédérés, dans ce que les chroniqueurs de l’époque ont appelé «La bataille des géants».
D’un côté, il y avait la France, le colosse démographique
de l’Europe. Pourtant, ses 18 millions d’habitants n’étaient
que peu représentés sur le champ de bataille, puisque l’ossature de l’armée était constituée de nobles, épaulés par
des mercenaires. Côté suisse, la Confédération comptait
1 petit million d’habitants installés dans 13 cantons souverains mais liés entre eux par des traités (Uri, Schwytz,
Unterwald, Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug, Berne, Fribourg,
Soleure, Schaffhouse, Bâle et Appenzell, sans oublier des
accords signés avec des ligues grisonnes et des dizains
valaisans).
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
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HISTOIRE
Battus par l’or et la politique
Exaltés par le cardinal valaisan Mathieu Schiner, les
Confédérés s’avancent vers leur objectif initial à Marignan: l’artillerie de François Ier qui pouvait représenter
un formidable butin. Les 200 canons tonnent et font des
dégâts terribles dans les carrés suisses, qui n’ont pris que
douze pièces à la fin de la journée. La bataille reprend le
lendemain, toujours aussi furieuse, toujours aussi indécise. «Les Suisses étaient même en train d’encercler l’ennemi, et probablement de gagner quand sont arrivés les
12 000 Vénitiens qui avaient été envoyés au secours de
François Ier. De tels renforts, le deuxième jour de la bataille, ont forcément fait la différence. Mais, sans cela,
qui peut bien dire ce qui se serait passé», observe Roberto Biolzi.
Contrairement à la légende qui s’écrit en France depuis 1515, François Ier a surtout gagné la bataille grâce
à ses choix politiques (son alliance avec les Vénitiens) et
à son or (qui a dissuadé une partie des Suisses, notamment les Bernois et les Fribourgeois, de se battre). Cela
dit, la défaite est suffisamment cuisante pour laisser des
traces durables dans les esprits suisses. D’abord parce
que les pertes sont effroyables. «Avec 5 à 8000 morts
chez les Français, et 9-10 000 chez les Suisses, c’est devenu l’une des batailles les plus meurtrières. 30% des effectifs suisses y ont trouvé la mort, et 15% des Français»,
raconte l’historien de l’UNIL.
La défaite de Marignan sera encore longuement évoquée dans le contexte de la Réforme, qui va bientôt diviser
les paroisses suisses. Notamment par Zwingli, qui a assisté aux deux batailles de 1513 et de 1515 comme aumônier, et qui va présenter Marignan comme «une punition
divine contre ces mercenaires suisses engagés par des
princes étrangers et menant la guerre par appât du gain».
Une défaite, mais tant de gains
Désastre humain et politique, Marignan n’a surtout pas
été une catastrophe économique. «Au contraire! Même
battus, les Confédérés ont signé un traité très favorable
avec la France. Les Suisses obtiennent 400 000 écus d’or,
et des accords permettant à François Ier d’engager des soldats confédérés», rappelle Roberto Biolzi, qui voit encore
dans cette convention un changement majeur et durable
dans le destin du futur pays, car «les Suisses basculent
dans l’orbite française, où ils vont rester jusqu’à la Révolution française, ce qui aura des incidences très importantes sur leur développement».
Enfin, cette participation – apparemment désastreuse
– aux guerres d’Italie a quand même permis aux Confédérés de gagner des territoires. «On l’oublie souvent, mais
cette campagne marque l’entrée du sud du Tessin actuel
dans la Suisse», rappelle Roberto Biolzi. La Levantine était
déjà sous protectorat d’Uri, et Bellinzone comme le comté
de Mendrisio (conquis en 1521) sont désormais acquis.
44
Allez savoir !
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Janvier 2015
SUISSES
Les carrés suisses de
Marignan, tels qu’on
les imagine en 1909.
Image trompeuse,
puisque les hommes
qui en sortaient étaient
armés d’une hallebarde,
plus efficace contre
les chevaliers que cette
grande épée. «Charge
des Suisses à Marignan».
D’après Robida.
© akg-images
UNIL | Université de Lausanne
Les «géants» sont chassés d’Italie
Et la neutralité, souvent considérée comme la «leçon de
Marignan»? Au soir de la bataille, personne n’y pense. Ce
n’est qu’avec les années que, petit à petit, la défaite sanglante deviendra le point de départ de la célèbre tradition
qui consiste à ne pas attaquer ses voisins (lire en p. 50).
Mais, en 1515, ces terribles «alpestres» restent des soldats
belliqueux, puisque d’innombrables mercenaires helvètes
vont désormais louer leurs bras noueux au roi de France
ou au pape, autre grand admirateur des soldats suisses.
Du coup, quand il faut trouver une morale à cette histoire vieille de 500 ans, Roberto Biolzi observe que 1515
est surtout le début d’une série de défaites pour les Confédérés, désormais enrôlés dans l’armée française. Ils seront encore battus à La Bicoque (en 1522), et surtout à Pavie (1525), par des armées impériales, qui bénéficient des
armes à feu portatives espagnoles, une nouvelle arme appelée à régner sur les champs de bataille.
Après ces deux désastres, François Ier, le vainqueur de
«la bataille des géants», se voit forcé de rentrer chez lui
avec ses mercenaires suisses, et d’abandonner toute prétention sur les terres italiennes. Ainsi, note l’historien de
l’UNIL, «Marignan me fait surtout penser que personne
ne gagne jamais une guerre». 
AU SOIR DE MARIGNAN,
LA SUISSE N’EST PAS DEVENUE NEUTRE
Selon la légende, les Confédérés auraient compris avec la terrible défaite de 1515 qu’ils ne devaient plus attaquer leurs voisins. En réalité, la Suisse a découvert ce concept de neutralité longtemps plus tard, explique Béla
Kapossy, historien des idées et professeur associé à l’UNIL. PROPOS RECUEILLIS PAR JR
En 1515, au soir de Ma­rignan, qui
pense à devenir neutre ?
Certains, mais pas dans un sens moderne du terme. A la fin du Moyen
Age, la neutralité n’avait pas du tout la
connotation positive qu’elle peut avoir
aujourd’hui. Les Confédérés vivaient
alors dans un monde où l’on faisait une
claire distinction entre la guerre juste
et injuste. Dans un ordre féodal représenté par l’empereur, lui-même tenant
son pouvoir directement de Dieu, ne pas
prendre position en faveur de la cause
juste était peu apprécié.
Pourtant, cette défaite a eu une influence sur les Suisses ?
Une influence très importante. Les
Confédérés ont signé des traités de paix
avec le roi de France qui ont débouché
sur le versement de sommes considérables, et des offres d’engagement pour
des mercenaires. Le service à l’étranger
est devenu une industrie, qui a aussi offert aux Suisses l’accès à des marchés
étrangers à des conditions privilégiées.
Avec ces accords, il devenait plus intéressant de se battre sous contrat
pour la France que d’aller attaquer
un territoire voisin. La neutralité
n’est donc pas une simple décision
politique, mais aussi un processus
économique...
Oui. Il n’y a pas eu une prise de
conscience disant que, à partir de tel
ou tel moment, la Suisse allait rester
neutre. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe
siècle que l’on a commencé à parler de
Marignan comme du début de la neutralité suisse, et ce sont des juristes,
et non des politiciens, qui ont, les pre-
gique prime. Neutraliser cette zone qui
séparait l’Autriche et la France, l’Italie
et les principautés de l’Allemagne, était,
selon le traité, dans l’intérêt général
de l’Europe. A cause, notamment, des
traversées des Alpes, qui avaient une
grande importance stratégique.
Et ce Congrès provoque de grands
débats en Suisse ?
Non, pas tellement. Peter Lehmann,
doctorant en histoire à l’UNIL, qui travaille sur Pictet de Rochemond, le délégué suisse au Congrès de Vienne, a
constaté que dans les revues, les journaux ou la littérature politique, il n’y a
pas un grand débat autour de l’origine
de la neutralité en 1815.
BÉLA KAPOSSY
Historien des idées
et professeur associé
à l'UNIL.
Nicole Chuard © UNIL
miers, réfléchi à trouver une définition.
Dans les livres destinés à l’enseignement du droit international, on a commencé à faire une distinction entre le
droit de guerre, le droit de paix et le
droit de neutralité. Le premier qui a
développé cette idée, en 1758, c’est un
Neuchâtelois, Emer de Vattel, dans son
«Droit des gens». Ensuite, cette vision
est devenue un standard dans les livres
du XIXe siècle, et son importance s’est
accrue sous l’influence des Etats-Unis,
qui voulaient aussi être neutres.
Et puis, il y a 1815...
Oui, au Congrès de Vienne, à la fin des
guerres napoléoniennes, la neutralité
perpétuelle de la Suisse est décrétée
par les différents pays et elle devient
un acte de droit public européen. En
1815, c’est surtout le territoire suisse
qui est neutralisé, pour des raisons stratégiques. Dans les documents d’époque,
le langage géographique ou géostratéAllez savoir !
N° 59
Il faut donc attendre 1895...
Oui, c’est cette année que paraît la première «Histoire de la neutralité», que
l’on doit à l’archiviste zurichois Paul
Schweizer. C’est un livre important, qui
va défendre cette vision, finalement très
tardive, d’une Suisse qui aurait suivi depuis Marignan une tradition très claire
et originale de neutralité.
Si ça n’a pas été un choix politique,
comment s’est donc développée
cette neutralité ?
Avec beaucoup de pragmatisme. C’est
une construction tranquille: avec le
temps, les Suisses ont découvert les
avantages de cette neutralité. Avec
beaucoup de chance, aussi, et d’intelligence politique, la Confédération a toujours essayé d’équilibrer ses faveurs et
les intérêts de ses élites et ne pas trop
s’exposer aux risques des aventures militaires de ses grands voisins. 
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
45
MATHÉMATIQUES
LEAUSSICALCUL
A SON HISTOIRE
46
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
Depuis l’Antiquité, les êtres humains ont fait preuve d’incroyables astuces pour pouvoir calculer. Ils ont utilisé
des cailloux, des jetons, des boules et même leurs doigts avec lesquels ils pouvaient compter jusqu’à 9999 !
Puis sont apparus les chiffres arabes, d’origine indienne en fait, qui ont enfin permis les calculs écrits. C’est
cette histoire méconnue et passionnante qu’Alain Schärlig, professeur honoraire à l’UNIL, conte au fil de ses
livres. TEXTE ÉLISABETH GORDON
N
ous les utilisons quotidiennement, sans leur
prêter la moindre attention. Rien, en effet, n’est
plus banal pour nous que d’écrire les nombres à
l’aide de chiffres arabes et de les disposer en colonnes pour faire les quatre opérations élémentaires. 1, 2, 3... et même le fameux O: ces symboles qui
nous sont aujourd’hui familiers ne sont arrivés en Europe qu’au XIIe siècle.
Alors, comment faisait-on auparavant? Cette question,
Alain Schärlig a été l’un des premiers à la poser. «J’ai toujours été intéressé par le concret», dit ce professeur ho-
BOULIER
Cet outil de calcul
est encore utilisé de
nos jours.
noraire de l’UNIL, qui enseignait à HEC les «méthodes
quantitatives d’aide à la décision, c’est-à-dire l’art d’utiliser les maths pour améliorer les choix dans la gestion
des entreprises».
© Thinkstock
Allez savoir !
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MATHÉMATIQUES
Une fois à la retraite, ce mathématicien, qui est aussi
titulaire d’un doctorat en Economie politique, s’est passionné pour l’histoire du calcul. Il a déjà écrit à ce sujet
huit livres (tous publiés aux Presses polytechniques et universitaires romandes), dont deux avec Jérôme Gavin, professeur de mathématiques au Collège Voltaire à Genève.
Difficile de compter avec des lettres ?
«Comment les anciens Grecs se débrouillaient-ils pour faire
une addition, alors qu’ils avaient une numération qui, pour
nous, est aberrante?» En déchiffrant une stèle funéraire
que lui avait confiée le Musée d’art et d’histoire de Genève,
Alain Schärlig y a découvert une table de Pythagore sur
laquelle figuraient des chiffres. Mais ceux-ci étaient représentés sous forme de lettres qui étaient les initiales de leur
nom: par exemple la lettre Δ (delta) est l’initiale de «déka»
qui signifie dix, et Π celle de «penté», c’est-à-dire cinq.
Cette numération permettait certes d’écrire des nombres.
Mais une fois ceux-ci placés les uns en dessous des autres,
il était impossible de les additionner. Imaginez un écolier à
qui l’on demanderait combien font ΡΚΓ+ ΥΜΔ ?
Additionner avec des cailloux...
Les Grecs ont trouvé la parade. Comme l’a découvert le
mathématicien, «ils s’en tiraient en mettant des cailloux
sur une plaque de marbre sur laquelle étaient gravées des
colonnes». L’une d’elles correspondait aux unités, une deuxième aux centaines, une troisième aux milliers, etc. et
d’autres encore aux fractions. On plaçait alors des cailloux
dans ces colonnes pour former des nombres, «puis en faisant glisser les cailloux les uns contre les autres, on obtenait le résultat de l’addition». C’est ainsi qu’est né l’abaque
(du nom de la plaque de pierre utilisée), une machine qui
est en fait le lointain ancêtre de nos calculettes.
ALAIN SCHÄRLIG
Professeur honoraire.
Nicole Chuard © UNIL
... ou des jetons
«En poursuivant mes recherches, je me suis rendu compte
que les Romains, puis les gens du Moyen Age, avaient le
même problème que les anciens Grecs, car ils utilisaient
des chiffres romains», dit Alain Schärlig. Des lettres encore
– C (cent), L (cinquante), X (dix), I (un)... – qu’il était tout
aussi impossible d’additionner que des Δ et des Π.
Eux aussi se sont tirés de ce mauvais pas en ayant
recours à des tables de calcul, conçues sur le même principe que celui des abaques, «à cette différence près qu’ils
employaient des jetons et qu’ils avaient remplacé les
colonnes par des lignes».
Le boulier russe est toujours utilisé
Des cailloux et des jetons aux boules, il n’y a qu’un pas
que le professeur honoraire de l’UNIL s’est empressé de
franchir pour s’intéresser aux bouliers. Ceux-ci sont faits
de cadres en bois renfermant des tiges sur lesquelles on
déplace les perles de bois.
48
Allez savoir !
N° 59
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DU ZÉRO À LA VIRGULE.
LES CHIFFRES ARABES
À LA CONQUÊTE DE
L’EUROPE 1143-1585.
Par Alain Schärlig.
PPUR (2010), 296 p.
UNIL | Université de Lausanne
Le boulier russe comporte quatre tiges horizontales, chacune d’elles comprenant quatre perles claires, suivies de
deux noires, puis de quatre autres claires. «Cela répond au
“phénomène pas plus de quatre” qui tient compte du fait
que l’œil humain ne peut pas dénombrer plus de quatre
objets d’un coup», explique Alain Schärlig. Ce boulier est
toujours utilisé en Russie, «parfois même pour vérifier les
calculs faits avec des calculettes ou des caisses enregistreuses». Il suffit d’ailleurs d’entendre les cliquetis dans
certains magasins pour s’apercevoir de la dextérité de
celles et ceux qui les emploient.
Chinois et Japonais calculent aussi avec des boules
Apparu vers le XIIe ou le XIVe siècle, le boulier chinois est
lui aussi fondé sur le «phénomène pas plus de quatre».
Chaque tige, verticale cette fois, «contient, dans un cadre
intérieur, cinq perles noires ou foncées qui valent 1 et,
dans un cadre supérieur, deux autres qui valent 5». Le
principe est le même que celui que l’on utilise au jeu de
jass pour compter les points, lorsqu’on trace quatre coches
parallèles barrées par une oblique, pour indiquer qu’une
équipe a cinq points.
Les Japonais ont ensuite simplifié le système et leur boulier ne renferme que quatre boules inférieures valant 1 et
une seule supérieure valant 5. Dans les trois modèles de
boulier, on retrouve toutefois la méthode de calcul inventée par les Grecs: une colonne représente les unités, une
autre les dizaines, etc. et il suffit de faire glisser les perles
pour faire des additions – «ou les soustractions, qui sont
les opérations inverses».
La fausse position: poser le faux pour calculer le vrai
Parmi les astuces qu’avaient inventées les mathématiciens de l’Antiquité pour compter, il y avait aussi une étonnante méthode nommée «la fausse position». Elle consiste,
lorsqu’on doit résoudre un problème (que nous appelons
du premier degré), à poser un résultat dont on sait qu’il
est faux. Lorsqu’on fait la preuve, on sait que le nombre
que l’on trouve n’est pas le bon, mais il suffit alors de faire
«une règle de trois pour avoir la solution, explique Alain
Schärlig. On raisonne ainsi: si le nombre que j’ai choisi me
donne tel résultat, quel est celui qui conduit à la réponse
que je cherche?».
Cette technique était déjà utilisée par les Egyptiens
2000 ans avant notre ère, puis elle a traversé les siècles en
passant par la Chine et le monde arabe jusqu’à la Renaissance. «Elle a permis, pendant des millénaires, de se passer de l’algèbre.» On peut toujours s’amuser à l’utiliser
et ainsi «résoudre de tête les problèmes de robinets qui
rebutent tant les écoliers».
Vieux livre d’arithmétique
Le hasard fait parfois bien les choses. En parcourant
un marché aux puces, Alain Schärlig est tombé sur un
ouvrage écrit en 1619 par un Bernois, Johann Rudolf von
Graffenried. «C’est l’un des premiers livres d’arithmétique
en allemand et il contient toutes les opérations nécessaires
aux commerçants de cette époque.» C’était une découverte, car même en Allemagne, pays pourtant réputé dans
l’histoire du calcul, «mes collègues ne connaissaient pas
cet ouvrage».
Mais une autre surprise attendait le mathématicien
genevois. «Ce bouquin de 700 pages commence en définissant les chiffres que nous appelons arabes.» Signe qu’à
l’époque, ceux-ci étaient encore mal connus. Cette observation a conduit le professeur honoraire à s’intéresser à
l’arrivée des chiffres arabes en Europe.
De l’Inde à l’Europe, en passant par Bagdad
Ces chiffres que l’on appelle arabes sont en fait nés en
Inde, avant le Ve siècle de notre ère. Mais ce n’est que bien
plus tard que nos ancêtres ont commencé à les utiliser.
«Ils sont arrivés à Bagdad au IXe siècle et ils ont fait l’objet
d’un ouvrage publié par le mathématicien perse Al-Khwarizmi, aux alentours de 825. Ce livre est parvenu chez les
moines de Tolède, en 1143, puis il a été popularisé par
ABAQUE
Table de compte datant
d’avant 1536, conservée
au Musée du Château
de Thoune. Pour faire
des additions, on déplaçait des jetons dans les
bandes représentant les
unités, les dizaines, les
centaines (ici, de livres)
etc., ainsi, en bas, que les
subdivisons de l’unité monétaire (sous et deniers).
© DR
SUR LES DOIGTS,
JUSQU’À 9999. LA NUMÉRATION DIGITALE DES ANCIENS À LA RENAISSANCE.
Par Jérôme Gavin et Alain
Schärlig. Editions Presses Polytechniques et Universitaires
Romandes (2014), 164 p.
Léonard de Pise, dont le manuscrit date de 1202.» Ce n’est
donc qu’au XIIIe siècle que les chiffres arabes, «dont la graphie s’était entre-temps un peu transformée», ont pu être
utilisés par les Européens.
Les premiers calculs écrits
«Les nombres écrits par ce moyen sont plus concis, mais
leur principal avantage est d’avoir permis le calcul écrit»,
souligne Alain Schärlig. Leur invention a en effet changé
la face du calcul et des mathématiques.
«En chiffres romains, trois cents s’écrivait CCC (trois
fois cent), trente, XXX (trois fois dix) et trois, III (trois fois
un). Personne n’avait pensé que dans chaque cas, il y a le
mot “trois”. Les Indiens ont donc trouvé un signe indiquant
combien il y avait d’unités, de dizaines, de centaines, etc.»
En l’occurrence, le symbole 3.
La naissance du zéro
Pour faire des additions, il suffisait alors de tracer des
colonnes (représentant de gauche à droite les milliers, les
centaines, les dizaines et les unités) à l’intérieur desquelles
on plaçait les nombres les uns au-dessous des autres. Mais
au Ve siècle de notre ère, «il s’est trouvé quelqu’un pour
constater que ces colonnes n’étaient pas très pratiques
et qu’on pouvait les abandonner», constate Alain Schärlig. Cependant, si l’on écrit deux mille vingt-trois, en l’absence de colonnes, «cela ne fonctionne plus. Il fallait donc
créer un chiffre qui signifie “rien”». De là est né le 0, qui
nous est, lui aussi, venu par Bagdad au IXe siècle. «Ce “rien”
était toutefois considéré comme diabolique par l’Eglise, et
c’est sans doute pour cette raison que les chiffres arabes
ont mis tant de temps à s’imposer en Europe.» Où ils ont
permis le développement des mathématiques. Mais c’est
une autre histoire. 
Allez savoir !
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UNIL | Université de Lausanne
49
Liste complète des livres écrits par Alain Schärlig,
dont certains avec Jérôme Gavin
www.ppur.org
MATHÉMATIQUES
COMPTER SUR
LES DOIGTS JUSQU’À... 9999
En utilisant nos deux mains, nous ne pouvons montrer que des nombres allant de un à dix. Les Anciens, eux,
faisaient beaucoup mieux: poussant très loin l’art d’utiliser les phalanges, ils étaient capables de compter
jusqu’à 9999. Cette «numération digitale» fait l’objet du dernier livre en date écrit par Alain Schärlig, professeur
honoraire à l’UNIL, et Jérôme Gavin.
L
es habitants de la Grèce antique faisaient usage de leurs doigts pour
compter et cette méthode a perduré jusqu’à la Renaissance. Elle était
«enseignée aux enfants et, à l’époque,
tout le monde savait de quoi il s’agissait. On en trouve donc très peu de descriptions dans la littérature», constate
Alain Schärlig.
La première présentation détaillée de la numération digitale est donc
tardive. On la doit à Bède le Vénérable
(vers 672-735), un moine anglo-saxon
extrêmement instruit qui, le premier,
a expliqué très précisément la position des doigts dans un ouvrage écrit
en 725. «A la main gauche, précise
le professeur honoraire de l’UNIL, on
montrait les unités avec trois doigts (le
medium, l’annulaire et l’auriculaire)
et les dizaines avec le pouce et l’index. La main droite était réservée aux
centaines et aux milliers.» Mais pour
lire les nombres indiqués, il fallait être
attentif et observer non seulement les
doigts, mais aussi la position des phalanges (voir dessin).
Au tout début du XIIIe siècle, le mathématicien italien Léonard de Pise a
exploité cette méthode pour multiplier entre eux des nombres pouvant
contenir jusqu’à neuf chiffres. «Il avait
élaboré un système de petites croix,
la “crocetta”, pour multiplier d’abord
les unités, puis les dizaines et les unités, et ainsi de suite. Il se servait de sa
main gauche pour faire des retenues
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
Voici comment les
Anciens comptaient sur
leurs doigts, selon la
description précise qu’a
faite Bède le Vénérable
en 725. Le «3» ressemble
au «9», la différence
s’exprimant dans la
position des phalanges.
Dessins de Deyrmon
et de la droite pour écrire les chiffres
trouvés, les uns après les autres, sans
gaspiller du papier.» C’est ce qui fait
dire aux auteurs que la numération
digitale était «un entre-deux. Elle peut
être considérée soit comme une amélioration du calcul mental, parce qu’elle
permet de retenir les résultats intermédiaires sur les doigts, soit comme
une facilitation du calcul écrit, parce
qu’elle permet d’éviter l’écriture des
retenues».
Les chiffres ont valeur de symboles
Si ce procédé de calcul est aujourd’hui
tombé complètement dans l’oubli, «on
en trouve de nombreuses traces dans
les sculptures, les peintures et les
icônes byzantines», souligne le mathématicien genevois. Voilà qui éclaire
d’un jour nouveau les étranges positions des doigts des sujets représentés. Pour les Anciens, les chiffres
avaient en effet une signification: «Le
deux, premier nombre pair, était féminin et le trois, le premier des impairs,
masculin. Quant au six, il était considéré comme le symbole de la perfection». C’est pour cette raison, explique
Alain Schärlig, que «Saint-Augustin a
écrit que Dieu a créé le monde en six
jours, pour montrer que ce monde est
parfait». Proposition qui ensuite a été
retournée par l’Eglise, les chrétiens
affirmant que c’est parce que Dieu a
créé le monde en six jours que le chiffre
six exprime la perfection.  EG
Montrer, mais aussi calculer
Cette numération digitale permettait
non seulement «de montrer les chiffres,
mais aussi de calculer», souligne Alain
Schärlig. Grâce à elle, il devenait possible de faire la somme «de nombres
tellement grands qu’ils dépassent la
possibilité d’une addition au moyen
de cailloux».
50
NUMÉRATION
UNIL | Université de Lausanne
IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL
DE LA RADIO
AUX ANIMAUX
T
out a l’air plutôt calme dans
les locaux de l’Office fédéral
de la sécurité alimentaire
et des affaires vétérinaires
(OSAV) à Berne. Et pourtant:
«La grippe aviaire a commencé ce
matin en Allemagne». Nathalie Rochat, porte-parole de l’OSAV, est parée pour les appels téléphoniques
et les mails qui ne vont pas tarder
à déferler. Depuis que les offices vétérinaires et de la sécurité alimentaire ont fusionné début 2014 pour
devenir l’OSAV, c’est désormais toute
la chaîne alimentaire qui est représentée par un même organe: des
textiles à la nourriture, en passant
par les tatouages. «Aujourd’hui, au
programme, il y a aussi les antibiotiques et la viande de cheval. La routine n’existe pas chez nous !» La communicatrice ponctue ses phrases de
clins d’œil bienveillants, qu’adoucissent encore davantage des dessins de poissons et de tortues sur le
mur en arrière-plan dans son bureau.
«J’ai grandi au zoo de Servion!» s’amuse celle qui a
passé son enfance entourée d’animaux et se rêvait à
l’origine vétérinaire. «Mais, un jour, j’ai eu le déclic: je
ne verrais que des animaux malades.» La jeune femme
s’oriente donc plutôt vers la biologie, qu’elle étudie à
Lausanne et termine son cursus, en éthologie, à Zurich
à la pointe du domaine. «J’étais la seule à bouger, c’était
l’époque où Erasmus débutait et ils manquaient d’étudiants.» Elle bénéficie du coup d’une bourse pour traverser le Röstigraben. Ce qu’elle recommande vivement à
tous les étudiants. «J’ai pédalé en allemand les six premiers mois, mais après c’était bon!» Un effort dont elle
dit ressentir les effets positifs jusqu’à aujourd’hui dans
sa carrière professionnelle.
NATHALIE ROCHAT
Diplôme de biologie
en 1995.
© Luca Da Campo / Strates
La communauté des alumni
de l’UNIL en ligne :
www.unil.ch/alumnil
Sa formation achevée, Nathalie Rochat se voit proposer un poste chez
Pro Natura, où elle travaillait déjà en
tant que monitrice durant ses études.
«J’étais passionnée de faune sauvage
mais dans mes expériences sur le
terrain, il manquait la communication. Je voulais m’engager pour la
protection des espèces, ce qui reste
mon fil rouge jusqu’à aujourd’hui.»
Elle officiera durant dix ans en
tant que responsable jeunesse, puis
coordinatrice des campagnes chez
Pro Natura. Elle y rencontre son exmari, donne naissance à trois enfants qu’elle veut «faire grandir de
manière bilingue». Après huit ans à
Bâle, la famille s’installe donc dans
la région des Trois-Lacs et Nathalie
Rochat cherche un autre poste. Elle
tombe alors sur une annonce: responsable des relations publiques des
radios de l’Arc jurassien, et se dit:
«Qui ne tente rien n’a rien». Et obtient
le poste. «Face à une journaliste de la
maison. C’est l’allemand qui a fait le
poids.» Trop modeste? Pourtant, cinq ans plus tard, alors
qu’elle n’a pas postulé – «Ils m’ont bien eu!» – Nathalie
Rochat est élue présidente des radios romandes. «C’était
encore une fois grâce à l’allemand!» Vraiment? «Disons,
à 80 %, mais il était évident que j’avais envie de m’engager et que j’avais l’esprit réseau.»
Et puis après quelques années, les animaux ont commencé à lui manquer... Elle tombe alors, par hasard, sur
une annonce de l’OSAV. «Il restait deux jours pour postuler, je l’ai fait sur un coup de tête.» Nathalie Rochat dit
croire à sa bonne étoile. Si elle n’aura finalement jamais effectué la thèse dont elle rêvait sur les ours, elle se retrouve
dans un poste où elle concilie sa passion première et ses
compétences de communicatrice.  CYNTHIA KHATTAR
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
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DROIT
SOMMES-NOUS SOUS LE JOUG
DES
JUGES
DE STRASBOURG?
Depuis 1974, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plus de 90 arrêts contre la Suisse. Contrariée, l’UDC
a lancé une initiative qui vise à faire primer le droit interne sur le droit international. Notre pays vit-il vraiment
sous la coupe de juristes installés hors de nos frontières ? Que faire quand notre démocratie directe heurte les
conventions internationales ratifiées par la Suisse ? TEXTE DAVID SPRING
52
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
L
e 19 novembre dernier, Ueli Maurer aurait proposé à ses collègues du Conseil fédéral de dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH), ratifiée par la Suisse en 1974. Rapportée
par la NZZ, cette attaque s’inscrit dans une offensive menée par l’UDC contre la Cour européenne des
droits de l’homme de Strasbourg, gardienne de la Convention. Quelques semaines plus tôt, le 25 octobre, ce parti
a lancé son «Initiative populaire pour faire appliquer les
décisions du peuple – le droit suisse prime le droit étranger». Si le texte cible les traités internationaux au sens
large, la CEDH est citée de nombreuses fois dans les documents d’accompagnement fournis. Autre motif d’agacement pour l’UDC: des initiatives acceptées par le peuple
suisse, comme l’interdiction de construire des minarets
en 2009 ou le renvoi automatique des étrangers criminels en 2010, ne sont pas en tant que telles compatibles
avec la Convention. Que deviennent les droits populaires
dans ce contexte ?
Outre-Manche, certains partis politiques critiquent
encore bien plus fortement la Cour et menacent de dénoncer la Convention si le Parlement ne peut s’assurer
un veto face aux arrêts rendus. L’un des points de friction
réside dans le fait que les personnes privées de liberté
perdent l’exercice de leurs droits politiques au RoyaumeUni, quelles que soient la durée de la peine et la gravité des faits reprochés. Une législation que la Cour
AUDIENCE
Juges de la Cour européenne des droits de
l’homme, le 3 décembre
2013 à Strasbourg.
© Reuters / Vincent Kessler
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
53
Centre de droit comparé, européen et international
www.unil.ch/cdcei
DROIT
minence du droit et le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales. Il compte 47 Etats membres, dont
la Suisse depuis 1963.
II
QU’EST-CE QUE LA COUR EUROPÉENNE
DES DROITS DE L’HOMME ?
Instituée en 1959, la Cour est la gardienne de l’interprétation
de la CEDH. Installée à Strasbourg, cette juridiction internationale statue sur des requêtes individuelles ou étatiques
alléguant des violations de la CEDH. A ce jour, elle a rendu
17 000 arrêts et reçu plus de 640 000 requêtes, dont la vaste
majorité a été déclarée irrecevable. Il faut en effet épuiser
toutes les voies de recours internes de l’Etat partie, et subir
un «préjudice important», avant de pouvoir recourir à Strasbourg. Sur le plan juridique, «la Cour fait une interprétation
dynamique de la Convention, qui évolue conformément aux
changements de société, ainsi qu’aux développements de la
technologie et de la médecine», ajoute Barbara Wilson. La
Cour définit la Convention comme un «instrument vivant
qui doit s’interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles». Les arrêts qu’elle rend «sont contraignants pour les
Etats concernés», précise la professeure. «Mais ceux-ci ont
en principe le choix des mesures à prendre pour leur application. Ensuite, le Comité des Ministres, un organe politique
intergouvernemental, en surveille l’exécution.» De plus, la
Cour ne peut pas abroger ou modifier une loi nationale: c’est
aux Etats parties de le faire, le cas échéant.
a indiqué comme étant contraire à la CEDH en 2005,
dans l’arrêt Hirst1). Ce dernier n’a jamais été pris en compte
par les autorités britanniques.
En dix points, Allez savoir! livre les clés d’un débat qui va
animer la Suisse. Avec Barbara Wilson, professeure associée de droit international public et de droit constitutionnel
suisse à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d'administration publique, experte des droits de l’homme. Ainsi
qu’avec Guillaume Lammers, avocat-stagiaire chez Kasser
Schlosser avocats, dont la thèse toute récente porte sur les
liens entre la démocratie directe et le droit international.
I
GUILLAUME
LAMMERS
Avocat-stagiaire chez
Kasser Schlosser
avocats. Futur docteur
en droit de l'UNIL.
Nicole Chuard © UNIL
QU’EST-CE QUE LA CEDH ?
Adoptée le 4 novembre 1950, la Convention est entrée en
vigueur le 3 septembre 1953. «Il s’agit de l’instrument international relatif aux droits de l’homme le plus ancien au
niveau régional, et peut-être le plus important», note Barbara Wilson. Il garantit des droits fondamentaux, comme
par exemple le droit à la vie, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale ou à la liberté d’expression.
Au fil des années, des protocoles additionnels ont enrichi le
texte. Par exemple, le 6 et le 13 interdisent la peine de mort,
respectivement en temps de paix et en toutes circonstances.
La CEDH est une création du Conseil de l’Europe, qui a
été fondé, au sortir de la guerre, sur la démocratie, la préé54
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
III
COMMENT LA COUR A-T-ELLE FAIT
ÉVOLUER LE DROIT ?
En 1981, les actes homosexuels entre hommes constituaient
des infractions en Irlande du Nord. Habitant de Belfast, Jeffrey Dudgeon a recouru à la Cour en tant que victime potentielle, un cas rarement admis à Strasbourg 1). Le requérant a obtenu gain de cause, et la Cour a déclaré que toute
loi qui réprimait l’homosexualité était contraire à la CEDH.
Pour appuyer sa décision, «la Cour a analysé la législation
des autres Etats du Conseil de l’Europe et constaté qu’il
existait un large consensus vers la dépénalisation», note
Barbara Wilson.
Autre exemple avec l’affaire Christine Goodwin contre le
Royaume-Uni 1), qui impliquait une transsexuelle devenue
femme après une opération. Sa nouvelle identité sexuelle
n’étant pas reconnue officiellement, la requérante ne pouvait pas épouser un homme. La Cour a indiqué qu’elle pouvait se plaindre «d’une atteinte à la substance même du droit
au mariage – art. 12 CEDH –, car Christine Goodwin n’avait
aucune possibilité de se marier», précise Barbara Wilson.
Depuis cette affaire, les Etats doivent prévoir la reconnaissance juridique d’une nouvelle identité sexuelle. Dans un
tout autre domaine, la Cour a affirmé plusieurs fois l’importance de la protection et de la confidentialité des sources
pour les journalistes 3), lorsque des Etats font pression pour
obtenir leur divulgation.
Si la Cour s’est penchée sur l’euthanasie – affaire Gross
contre la Suisse de 2013 1) –, «elle est très réticente à intervenir sur la question du début de la vie. Dans l’affaire Vo
contre la France 1) (2004), elle a indiqué que si le droit de
l’enfant à naître existe, il est implicitement limité par les
intérêts et les droits de la future mère», se souvient Barbara Wilson. Le champ d’application de la Convention est,
on le constate, extrêmement large. Aussi, «dans les pays du
Conseil de l’Europe, des milliers de juges nationaux sont
obligés de se renseigner sur les arrêts rendus et d’en tenir
compte dans leurs décisions s’ils veulent éviter le risque
d’une condamnation de leur Etat à Strasbourg», ajoute la
professeure.
IV
LA CONVENTION, LA COUR
ET LA SUISSE
«En 1974, la ratification de la Convention a été l’objet d’un
débat au Parlement : doit-on la soumettre au référendum,
ou pas ? Il n’y était pas tenu à l’époque», rappelle Guillaume
Lammers. Finalement, cela n’a pas été fait. Jusqu’à fin 2013,
5940 requêtes ont été enregistrées contre la Suisse 2). L’essentiel d’entre elles ont été déclarées irrecevables. Au final,
une ou plusieurs violations de la Convention ont été constatées par la Cour dans 93 affaires, soit moins de 1,6 % des cas.
«Certains arrêts de la Cour ont mené à une amélioration
de la procédure et de la garantie des droits fondamentaux
en Suisse», estime Barbara Wilson. Par exemple, dans l’affaire «F. contre la Suisse» 1), en 1987. A l’époque, une disposition du Code civil prévoyait que la partie «coupable» dans
un divorce pouvait se voir interdire de se remarier pendant
une période allant jusqu’à trois ans. «Un certain M. F., qui
s’est vu appliquer cette “sanction”, a recouru à Strasbourg
et a eu gain de cause: la Cour a en effet jugé que cette législation était contraire à l’art. 12 de la CEDH», détaille la professeure. Notons enfin que plusieurs articles de la Constitution suisse de 1999 sont inspirés de la Convention. Par
exemple, l’art. 25 alinéa 3, qui assure une protection contre
l'expulsion, l'extradition et le refoulement dans certaines
circonstances, reflète les garanties de l’art. 3 de la CEDH.
V
EST-ON SOUS LE JOUG DE JUGES
ÉTRANGERS ?
Le principe de la subsidiarité de la compétence de la Cour,
ainsi que de la marge d’appréciation des pays, existe depuis
longtemps dans sa jurisprudence. Le Protocole additionnel
n° 15, en cours de ratification, va l’ancrer dans le préambule
de la Convention. De plus, «les Etats ont accepté la compétence de la Cour en connaissance de cause», explique Barbara Wilson. De son côté, Guillaume Lammers estime que
l’on ne doit pas parler de juges «étrangers, mais internationaux. La Cour n’est pas un autre pays qui nous impose ses
décisions.» Les juges, parmi lesquels figure la Suissesse
Helen Keller, sont élus par l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe, en vertu de l’article 22 de la Convention.
BARBARA WILSON
Professeure associée
de droit international
public et de droit
constitutionnel suisse.
Nicole Chuard © UNIL
VI
QUI PRIME ? LE DROIT SUISSE
OU LE DROIT INTERNATIONAL ?
Le droit international impératif, qui interdit par exemple la
torture, le génocide ou l’esclavage, prime dans tous les cas.
Ensuite, «le droit interne doit être interprété conformément
au droit international, ce qui est possible dans la grande majorité des cas», note Barbara Wilson. De son côté, le Tribunal fédéral est tenu par la Constitution suisse (art. 190) d’appliquer le droit international. Dans l’arrêt 139 I 16 de 2012,
ce dernier a traité du cas d’un Macédonien condamné pour
trafic de drogue, et qui devait être expulsé par le canton de
Thurgovie. Or, le TF a indiqué que «les alinéas 3-6 de l'art.
121 introduits dans la Constitution fédérale par l'initiative
pour le renvoi [des criminels étrangers] le 28 novembre 2010
ne sont pas directement applicables et nécessitent une transposition par le législateur; ils ne priment pas sur les droits
fondamentaux ou les garanties de la CEDH». Clairement,
certaines normes internationales ont le dessus.
VII
DUBLIN CONTRE STRASBOURG ?
Le 4 novembre dernier, l’arrêt Golajan Tarakhel contre
la Suisse 1) a suscité une certaine agitation. Cette famille
afghane, qui comprend cinq enfants, devait être renvoyée
vers l’Italie, soit le pays dans lequel la première demande
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
55
DROIT
d’asile de ces migrants a été enregistrée. Ceci en conformité avec le règlement Dublin II. Les requérants ont alors
plaidé que leurs conditions d’hébergement et de vie dans
la Péninsule étaient mauvaises, en particulier pour des mineurs, et contrevenaient notamment à l’art. 3 de la Convention (qui interdit la torture et les traitements inhumains ou
dégradants). Le Tribunal administratif fédéral les a déboutés en 2012. Saisie à son tour, la Cour de Strasbourg a rendu
un arrêt qui oblige la Suisse à obtenir des garanties au sujet
de l’accueil réservé à ces demandeurs d’asile, notamment
en ce qui concerne la conservation de l’unité familiale et la
protection contre un traitement contraire à l’art. 3. Quelques
semaines plus tard, notre pays les a obtenues de la part
des autorités italiennes. Barbara Wilson approuve l’arrêt
de la Cour : «Pour la Cour, malgré les obligations des Etats
en vertu du règlement Dublin II, il est impossible de renvoyer des personnes vers un pays où elles risquent sérieusement de subir une violation de l’art. 3 de la Convention.»
VIII
QUE FAIRE AVEC LES INITIATIVES
QUI NE RESPECTENT PAS LA CEDH ?
«EN 2015, IL
EST INIMAGINABLE POUR
UN ETAT DÉMOCRATIQUE
ET DÉVELOPPÉ
DE DÉNONCER
UNE CONVENTION RELATIVE
AUX DROITS DE
L’HOMME »
BARBARA WILSON
Dans la même ligne, la professeure estime que l’initiative
sur le renvoi automatique des étrangers est inapplicable. «En
l’état, elle ne permet aucune pesée des intérêts. Or, il faut
analyser les intérêts de chaque personne à rester en Suisse
et notamment ses circonstances personnelles. A-t-elle une
famille, des enfants, etc. ? De toute manière, on ne peut pas
renvoyer une personne vers un pays où elle risque de mauvais traitements, voire la torture ou la peine de mort.» De
son côté, Guillaume Lammers estime que l’initiative en tant
que telle est en partie applicable, si le renvoi n’est pas automatique. «Mais cette manière de faire s’écarte en partie de
la volonté des initiants.» La mise en œuvre du texte, avec
plus ou moins de souplesse, fait toujours l’objet de négociations âpres aux Chambres. De manière générale, le futur
docteur en droit estime que «faire voter le peuple sur une
initiative inapplicable revient à poser une mauvaise question, et à agir contre les droits populaires». Pour lui, il est
ainsi certain que l’interdiction de la construction de minarets est contraire à la Convention et que la Suisse sera
condamnée en cas d’application de l’article constitutionnel.
Comment sortir de l’ornière ? «En invalidant les textes qui
sont clairement impossibles à appliquer, comme une éventuelle réintroduction de la peine de mort. Pour les autres,
nous devons vivre avec l’idée que certaines modifications
constitutionnelles introduites par voie d’initiative ne pourront pas entièrement déployer leurs effets.» Guillaume Lammers déplore au passage que plusieurs initiatives aient été
rédigées de manière tellement précise qu’elles ne laissent aucune marge de manœuvre au moment de leur mise en œuvre.
Dans sa thèse, qui devrait être publiée au printemps, il
propose la création au niveau fédéral d’un «droit d’initiative populaire en matière internationale». Cela existe déjà
dans cinq cantons (VD, BE, ZH, SH et SZ). Concrètement,
56
Allez savoir !
N° 59
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UNIL | Université de Lausanne
il permettrait de demander au Conseil fédéral de conclure,
renégocier ou dénoncer un traité. Par exemple, «au lieu de
devoir se prononcer sur une initiative qui attaque de biais
la Convention, le peuple devrait répondre à la vraie question : voulez-vous la dénoncer, oui ou non ?». Par ailleurs,
la possibilité de présenter une initiative populaire tendant
à dénoncer la CEDH existe déjà aujourd’hui, par le biais de
l’initiative constitutionnelle. Enfin, l’avocat-stagiaire fait remarquer au passage que, même si l’UDC triomphe avec sa
nouvelle initiative, «ce n’est pas parce que la primauté du
droit interne sur le droit international est introduite dans la
Constitution que la Cour ne va plus condamner la Suisse».
IX
QUE SE PASSE-T-IL SI ON NE RESPECTE
PAS UN ARRÊT ?
Les chars ne vont pas débarquer de Strasbourg. Le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe fera pression sur l’Etat
concerné. Les reproches peuvent aussi être exprimés dans
d’autres tribunes, comme les différents comités des Nations
Unies. «La mauvaise publicité peut suffire : presqu’aucun
pays n’aime être vu comme ne respectant pas les droits de
l’homme», note Barbara Wilson. Les sanctions pourraient
aller jusqu’à l’exclusion du Conseil. Cette procédure a été
mise en marche en 1969, contre la Grèce des «colonels». Mais
le régime a coupé les ponts avec l’institution européenne et
la Convention juste avant cette exclusion. Le Royaume-Uni
ne respecte pas l’arrêt Hirst1) sur le droit de vote des détenus cité plus haut, pourtant rendu en 2005, ni d’ailleurs les
arrêts subséquents rendus en la matière qui vont dans le
même sens que l’arrêt Hirst.
X
PEUT-ON DÉNONCER LA CONVENTION ?
L’article 58 prévoit cette possibilité pour les Etats Parties.
Barbara Wilson et Guillaume Lammers ne peuvent toutefois
envisager cette option. «En 2015, il est inimaginable pour
un Etat démocratique et développé de dénoncer une convention relative aux droits de l’homme», appuie la professeure.
«Ce serait une négation de nos valeurs traditionnelles, audelà des questions juridiques.» Pour elle, dans un tel cas, la
Suisse serait aussi obligée de reconsidérer son adhésion au
Pacte II de l’ONU, qui garantit presque les mêmes droits civils et politiques que la CEDH. De plus, bien des articles de
cette dernière ont été traduits dans la Constitution fédérale
et dans de nombreuses constitutions cantonales.
«Va-t-on vraiment vouloir quitter le Conseil de l’Europe
et être mis au ban des nations pour quelques arrêts de la
Cour portant sur des cas particuliers ?», s’interroge l’avocat-stagiaire. Une telle réaction semble disproportionnée.
Mais ce sera peut-être un jour au peuple d’en décider. 
Références des arrêts sur www.unil.ch/allezsavoir
«40 ans d’adhésion de la Suisse à la CEDH : Bilan et perspectives».
Rapport du Conseil fédéral du 19 novembre 2014.
3)
www.echr.coe.int/Documents/FS_Journalistic_sources_FRA.pdf
1)
2)
2010
C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !
VEILLE-TOI!
Y EN A POINT COMME NOUS
Il y a quelques années, Allez savoir! avait posé la question de l’identité vaudoise. Existe-t-elle ? A quoi ressemble-t-elle ? Comment l’histoire l’a-t-elle façonnée ? Plusieurs historiens de l’UNIL apportaient avec humour
des réponses aussi nuancées que ce sujet.
J
ustin Favrod, Dr ès Lettres
de l’UNIL, historien et journaliste, se souvient de l’avertissement de Chessex: les
«vrais Vaudois» sont en train
de disparaître. «C’était dans les années 60, mais récemment encore, un
confrère journaliste suggérait qu’il
fallait se dépêcher de faire le portrait d’un “vrai Vaudois” pour les
mêmes raisons. Le Vaudois est une
sorte d’espèce en voie de disparition
mais qui réapparaît tout le temps.»
Ce pays est fier de son patrimoine, et, aujourd’hui encore, ne
manque jamais de le rappeler, écrivait Michel Beuret dans Allez savoir!
en 2010. A l’instar de feu le conseiller
fédéral, le Vaudois Jean-Pascal Delamuraz, qui affirmait que son canton
est bien un pays complet dans la mesure où il produit tout (le sel, le pain,
le vin) et offre tous les paysages de
Suisse (Alpes, Préalpes, Jura, Plateau et bien sûr son lac). Cette suffisance expliquerait en apparence
l’expression bien vaudoise “Y en a
point comme nous”.»
C’est pourtant tout le contraire.
«La première occurrence de cette
formule remonte au début du XIXe
siècle, assure Justin Favrod, et j’ai
découvert que son usage est avant
tout celui de l’autodérision, d’une ironie envers soi-même.» Si le Vaudois
a conscience que son pays est beau
et riche, il a toujours un peu honte
Texte paru dans Allez
savoir ! No 48, novembre
2010. Archives du magazine : http ://scriptorium.
bcu-lausanne.ch
L’ESSENTIEL DE
«L’IDENTITÉ»
MODERNE DES
VAUDOIS REPOSE
SUR DES APPORTS
ÉTRANGERS:
LA LANGUE
GERMANIQUE, PUIS
LATINE, ET ENFIN
LE FRANÇAIS,
UN APPORT DES
SAVOIE.
d’être fier autant qu’il est fier d’être
modeste. «Les Vaudois ont un humour et une faconde que je n’ai jamais retrouvés ailleurs», ajoute le
Dr ès Lettres de l’UNIL, qui vient de
lancer un magazine romand d’histoire et d’archéologie baptisé Passé
simple. «Cet humour joue sur le nondit et la litote. On ne dit pas “J’aimerais boire un verre”, mais “Je ne suis
pas contre”. On ne dit pas “J’aime le
blanc” mais “Je ne déteste pas ça”.
Le répertoire humoristique vaudois
compte aussi une variété infinie de
qualificatifs pour désigner l’idiot:
topio, niolu, taborniau, toyet, niobet,
nianiou, bofiot, alapiat, agnoti, etc...»
Justin Favrod y voit un signe. On
s’en sert volontiers pour rabaisser
tout ce qui dépasse, se distingue et
apparaît vite ici comme arrogant.
«Dans ce canton, la grandeur est un
sujet de préoccupation permanente.
La raison en est selon moi – mais ce
n’est qu’une explication personnelle
– que les Vaudois ont longtemps été
les sujets des Bernois.»
A lire l’histoire officielle, l’occupation bernoise a été terrible. Pourtant, c’est tout le contraire, affirme
l’historienne et professeure associée
de l’UNIL Danièle Tosato-Rigo qui
s’est intéressée, plutôt qu’à l’identité vaudoise, forcément «plurielle et
insaisissable», à «la construction du
discours identitaire vaudois». C’est
ainsi qu’elle a pu démonter un mythe
Allez savoir !
N° 59
tenace et montrer comment la libération du Pays de Vaud en 1798 a
été fabriquée... un siècle plus tard,
à l’occasion du premier Centenaire
de l’indépendance.
Dans l’article paru en 2010, Laurent Flutsch, directeur du Musée romain de Lausanne-Vidy, remontait
plus loin dans le passé pour signaler que le premier banquier suisse
connu n’est autre que le père de Vespasien, un Italien qui fit carrière en
Asie avant de s’installer à Avenches.
A la même époque, les Romains introduisent la viticulture et développent la technique du verre soufflé.
C’est depuis lors, écrit l’archéologue
humoriste, que «l’on peut littéralement boire un verre».
Avec le recul, l’essentiel de «l’identité» moderne des Vaudois repose sur
des apports étrangers: la langue germanique, puis latine, et enfin le français, un apport des Savoie. Le protestantisme est un héritage des Bernois,
et le nom de «Vaudois» dérive du
germain, «Wald». Quant à celui de
«Romand», il découle naturellement
de «Rome».
C’est peut-être cela, l’identité vaudoise. Un brassage extraordinairement riche d’origines et de métamorphoses qui font que le Vaudois,
loin d’être immuable, ne ressemble
à nul autre. Alors pourquoi ne
pas le lui concéder: y en a point
comme lui.  DS
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
57
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4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne
58 Allez savoir ! N° 58 Septembre 2014 UNIL | Université de Lausanne
LIVRES
POUR EN FINIR
AVEC LA MORT
« Un ouvrage collectif, qui rassemble des textes de nombreux chercheurs et personnalités, traite du besoin
de l’être humain d’atteindre l’immortalité, que ce soit grâce à la technologie, à l’art ou à la religion.
ORPHÉE
ET EURYDICE
Œuvre de Jacopo Vignali
(1592–1664), conservée
au Musée de Tessé
(Le Mans).
© AKG-images
L’IMMORTALITÉ, UN SUJET
D’AVENIR.
Dirigé par Jean-Daniel Tissot,
Olivier Garraud, Jean-Jacques
Lefrère et Philippe Schneider.
Favre (2014), 436 p.
dois-je m’inscrire pour devenir immortel ?». Par contre, l’ouvrage permet de dégager une vue d’ensemble
sur un sujet qui tourmente les humains depuis l’époque des cavernes.
Par exemple, certains animaux
sont capables de réparer leur propre
corps (lire en p. 28). D’autres vivent
des siècles. Mais une forme d’immortalité peut être atteinte par des
espèces entières. Elisabeth Gordon,
journaliste et collaboratrice d’Allez
savoir!, ainsi que Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et
évolution de l’UNIL, consacrent un
chapitre aux fourmis. Elles doivent
leur succès à la qualité de leur organisation sociale. Les «invasives»
ont même réussi à former des «supercolonies», sortes d’archipels de
fourmilières qui vivent en bonne entente. Un phénomène sans équivalent dans le règne animal, comme
Allez savoir !
N° 59
l’écrivent les auteurs, pour qui il est
inutile de «chercher à éradiquer ces
insectes. Toutes les tentatives faites
en ce sens, notamment pour barrer la route aux espèces nuisibles,
se sont soldées par des échecs. Présentes sur terre depuis plus de 100
millions d’années, les fourmis prolifèrent et poursuivent inexorablement
leur expansion. Ce qui confère aux
formicidés une pérennité proche de
l’immortalité.»
Il est possible de plonger encore plus loin dans l’infiniment petit, grâce à un autre chapitre. Médecins et chercheurs UNIL-CHUV,
Sabine Waeber et Gérard Waeber se
demandent si l’immortalité ne serait
pas nichée dans nos gènes. Se cacherait-elle dans la transmission d’informations, d’une génération à la suivante, grâce à l’ADN contenu dans le
noyau de nos cellules ? Le problème,
c’est que ce dernier mute et se réarrange rapidement. Il ne peut donc
pas servir de support stable. Seules
les cellules tumorales se multiplient
à l’infini tant qu’on les maintient in
vitro, c’est-à-dire tant qu’on les maintient dans une forme de pérennité
artificielle «pathologique». Il ne faut
donc pas espérer, dans la biologie,
davantage que la transmission partielle d’un héritage. Les deux auteurs
renvoient à des champs
plus vastes, «comme celui
de l’esprit ou de l’âme ou
vers d’autres cieux... à la recherche de l’éternité plutôt
que de l’immortalité».  DS
Janvier 2015
« Pou rq uoi devons -nous
vaincre le vieillissement ?
Parce qu’il tue des gens!»
C’est ainsi qu’Aubrey de
Grey, chercheur à l’Université de Cambridge, entamait
sa conférence lors de l’évènement
TEDGlobal à Oxford, en juillet 2005.
Il a répété régulièrement dans les
médias que la personne qui vivrait
1000 ans était peut-être déjà née.
Même si cette idée prête à sourire, elle est prise au sérieux dans
certains milieux fortunés, généralement anglo-saxons et libertariens,
qui ne demandent qu’à prolonger
leur existence à coups de thérapies
expérimentales et de dollars. Comme
l’immortalité n’est pas que l’affaire
des transhumanistes, mais touche
tout le monde d’une manière ou d’une
autre, la lecture d’un récent ouvrage
collectif paru récemment chez Favre
paraît utile.
Dirigé notamment par Jean-Daniel Tissot, médecin-chef du Service
régional vaudois de transfusion sanguine et professeur à l’UNIL, L’immortalité, un sujet d’avenir se compose d’une succession d’articles
rédigés par des chercheurs et des
personnalités de tous horizons. Tour
à tour scientifiques, littéraires ou
très personnels, les textes emmènent
le lecteur du côté de la génétique, du
droit, des fourmis, de l’Antiquité, de
la religion, de l’histoire de l’art, des
mathématiques ou encore de la psychiatrie. Dès lors, il est inutile d’en attendre une réponse à la question: «Où
UNIL | Université de Lausanne
59
FILMS & LIVRES
LA VIE CUBAINE
DU PHOTOGRAPHE
LUC CHESSEX
Chargé de cours à l’UNIL, Francis Mobio a réalisé un portrait du photographe Luc Chessex. Son film nous replonge
dans le Cuba des années 60.
© Francis Mobio
POR LOS CAMINOS
DEL MUNDO
Association des Amis
de Luc Chessex,
Claude Champion,
Francis Mobio.
DVD. VPS prod. (2014)
L
a révolution cubaine est en
marche, 1961, le photographe
vaudois Luc Chessex quitte Lausanne pour La Havane. Pendant
près de quinze ans, il sera le
témoin privilégié de l’évolution politique et sociale de l’île. En janvier
2013, il retourne à Cuba pour le vernissage d'une exposition de ses photos de l’époque, qu'il a offertes à un
centre culturel de la capitale. Francis
Mobio, chargé de cours en Anthropologie visuelle à l’UNIL, l'accompagne
et réalise, caméra au point, un portrait
du photographe: Mille trois cent vingtcinq fois trente-six.
Luc Chessex devant
l’affiche de son exposition
à Cuba, en janvier 2013.
«CE FILM EST
LE PRODUIT DE
LA RENCONTRE
ENTRE DEUX
HOMMES»
Mise en scène minimaliste
Les deux hommes font connaissance à
l’Université de Lausanne, à l’occasion
de la projection d’un autre documentaire de Francis Mobio. La suite, ils
60
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
la construisent ensemble. Mille trois
cent vingt-cinq fois trente-six ne correspond pas seulement au calcul qu’il
faut effectuer pour obtenir le nombre
de photos que Luc Chessex a réalisées
à Cuba, «c’est également une véritable
rencontre» entre deux hommes.
Fruit d’une démarche mi-ethnographique, mi-documentaire chère
au réalisateur, le film n’a pas pour
vocation de briller par son aspect technique. La mise en scène est minimaliste, ce qui ne fait que renforcer la
relation qui unit Luc Chessex à ses
interlocuteurs. Francis Mobio utilise
sa caméra comme un outil permettant d’aller à la rencontre du photographe, «ne cherchant pas à faire un
film sur lui, mais plutôt avec lui, en
respectant sa relation à Cuba». Luc
Chessex nous replonge dans sa vie
des années 60. On y croise certains
de ses amis, comme le photographe
Enrique de la Uz qui, presque miraculeusement, a retrouvé sur les étals
d’un marché l’appareil photo utilisé
par Luc Chessex dans les années 60.
Un modèle Alpa qu’il redécouvre non
sans émotion, près de quarante ans
après son départ de l’île. Des anecdotes avec Castro et des photos, oubliées dans un tiroir pendant des décennies, refont surface.
Le film regorge de conjonctions
étonnantes puisque le Vaudois y retrouve, par hasard, ses compères de
l’époque: Claude Champion et Jacques
Pilet. Les trois acolytes évoquent un
documentaire réalisé ensemble en
1980. Les deux films, Mille trois cent
vingt-cinq fois trente-six et Quand il n'y
a plus d'Eldorado, sont aujourd’hui réunis dans un coffret DVD: Por los caminos del mundo.  MA
Issu d’un mémoire de master, le livre d’Alexandre Dafflon nous
plonge dans un monde peu étudié, celui des jeunesses campagnardes. Cet assistant diplômé à la Faculté des sciences sociales
et politiques s’est immergé depuis plusieurs années dans un milieu dont les fonctionnements échappent aux citadins. L’ouvrage
est traversé par les parcours de vie de quatre membres de ces
sociétés, aux profils très différents. Sans jugement de valeur,
ni rien cacher de la question de l’alcool, le texte balaie un grand
nombre d’idées reçues.  DS
SAINT-MAURICE
CÉLÉBRÉE
C’
L’Expo 64 fait l’objet d’un ouvrage collectif, auxquels participent
de nombreux chercheurs de l’UNIL. Né d’un colloque, mais très
accessible, le texte couvre l’ensemble d’un «champ de tensions»
qui n’a de loin pas été exempt de controverses: du pavillon hérissé de pointes installé par l’armée aux dispositifs cinématographiques, sans oublier un délicieux article sur les liens entre les
Radicaux et l’Expo ou les aspects architecturaux et artistiques.
Une iconographie souvent étonnante complète ce livre.  DS
estl’établissement religieux le plus ancien d’Europe
à être toujours en activité et il fête cette année ses
1500 ans. L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune a été
fondée en 515 et n’a, depuis, jamais fermé ses portes. Parmi
les manifestations organisées pour célébrer son anniversaire, un livre à paraître ce printemps retrace la riche histoire du lieu. Dirigé par les chercheurs Bernard Andenmatten
(UNIL), Laurent Ripart (Université
de Savoie) et Pierre-Alain Mariaux
(Université de Neuchâtel), l’ouvrage
se compose de deux tomes, le premier consacré à l’histoire, l’archéologie et l’architecture de l’abbaye, le
second à son trésor sacré.
«Ces dernières années, d’importantes recherches menées sur place
ont permis de reconsidérer le passé
de l’abbaye», explique Bernard Andenmatten, professeur à
la section d’Histoire. Les archives ont ainsi fait l’objet d’un
reclassement et d’une numérisation durant quinze ans, de
nouvelles fouilles ont été organisées sur le site archéologique
et le trésor lui-même est particulièrement étudié.
Constitué de reliques conservées dans d’admirables
pièces d’orfèvrerie, c’est en effet «ce trésor qui fait principalement la renommée de l’abbaye de Saint-Maurice, ajoute le
professeur Andenmatten. De nombreux visiteurs y faisaient
halte sur la route de l’Italie, en passant par le Grand SaintBernard ou le Simplon.»
L’abbaye a néanmoins failli disparaître vers 1800. Mais
la fondation du collège de Saint-Maurice l’a sauvée. «Une
institution catholique au niveau intellectuellement élevé
qui avait pour objectif de former l’élite valaisanne.» Le collège est encore aujourd’hui dirigé par des chanoines. L’ouvrage qui lui est consacré vise d’ailleurs «à ne pas mettre
en évidence uniquement l’époque médiévale, mais toutes les
périodes», précise Bernard Andenmatten. Avec notamment
des contributions de l’historien de l’art Dave Lüthi, qui évoque
les transformations architecturales aux XIXe et XXe siècles, et
de Mgr Roduit lui-même, abbé de Saint-Maurice, auteur d’une
postface faisant le point sur l’histoire récente de l’abbaye.
Le 18 avril prochain, un colloque autour de la laïcité sera
organisé. Historiens et philosophes seront réunis pour dresser un état des lieux des relations entre l’Eglise et l’Etat en
Suisse romande et évoquer le retour de la religion dans la
société laïque.  CK
REVISITER L’EXPO 64.
Par Olivier Lugon et François Vallotton (dir.).
Presses polytechniques et universitaires romandes (2014), 438 p.
L’ABBAYE DE SAINT-MAURICE D’AGAUNE 515-2015.
Deux volumes. Sous la direction de Bernard Andenmatten, Laurent Ripart
et Pierre-Alain Mariaux. Editions Infolio (parution Pâques 2015).
IL FAUT BIEN QUE JEUNESSE SE FASSE !
ETHNOGRAPHIE D'UNE SOCIÉTÉ DE JEUNESSE CAMPAGNARDE.
Par Alexandre Dafflon. L’Harmattan (2014), 258 p.
L’ouvrage de Dominique Bourg, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement, s’inscrit dans l’actualité des
luttes, souvent violentes, qui se jouent en France autour du militantisme écologique. D’où vient-il ? Quels courants de pensées
le sous-tendent ? Qu’est-ce que l’écologie politique ? Du combat contre la pollution ou le nucléaire à l’opposition aux gaz et
huiles de schiste ou aux OGM, l’ouvrage couvre une longue histoire. Il est enrichi d’incroyables documents, affiches, tracts et
dessins, dont certains datent du XIXe siècle.  DS
QUAND L’ÉCOLOGIE POLITIQUE S’AFFICHE.
40 ANS DE MILITANTISME GRAPHIQUE.
Par Dominique Bourg. Plume de carotte (2014), 137 p.
Très bien illustré, cet ouvrage collectif narre de manière détaillée l’histoire de l’église de Romainmôtier. Il traite aussi bien de la
sculpture monumentale que des décors peints. Outre la présentation des résultats des recherches archéologiques, ce livre retrace en particulier les restaurations qui ont eu lieu tout au long
du XXe siècle, et des nombreuses questions que ces interventions successives posent aux spécialistes, surtout lorsque l’on
parle d’un bâtiment aussi admiré et aimé.  DS
ROMAINMÔTIER RESTAURÉE – 1991-2001.
Par Brigitte Pradervand, Nicolas Schätti (dir.).
Cahiers d’archéologie romande 145 (2014), 221 p.
Le pionnier Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de l’Institut de
police scientifique de l’Université de Lausanne en 1909, constitue
le fil rouge de cet ouvrage au graphisme soigné. Son travail sur
plusieurs crimes et attentats commis dans le canton de Vaud au
début du XXe siècle est détaillé, documents, expertises et photographies à l’appui. Spécialiste du domaine, l’historien Nicolas
Quinche retrace ainsi la naissance de la police scientifique, et
plus largement celle de l’identification par les traces.Une lecture
passionnante.  DS
EXPERTS DU CRIME SUR LES BORDS DU LÉMAN.
Par Nicolas Quinche.
Nouvelles Editions (2014), 349 p.
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
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L’intérêt pour le poker, les loteries électroniques ou le casino par exemple, peut tourner à l’addiction chez certaines personnes. Une formation continue permet de mieux dépister, orienter et prendre en charge ces dernières.
L
es jeux accompagnent l’Humanité depuis l’Antiquité.
La créativité dans ce domaine ne faiblit pas de nos
jours, bien au contraire. Aux dés, aux cartes et à l’assortiment proposé par les casinos se sont ajoutées
des loteries électroniques de plus en plus sophistiquées, tandis que l’offre de jeux sur Internet s’est élargie
et se diversifie par l’intermédiaire des smartphones et des
réseaux sociaux. «On estime qu’environ 2% de la population a un problème de jeu excessif dans les pays industrialisés», note Mélina Andronicos, psychologue responsable
de recherche au Centre du jeu excessif (CHUV), installé en
plein cœur de Lausanne.
La recherche, notamment en neurosciences, a démontré
que l’activité de jeu démesurée doit être considérée comme
une addiction sans substance, qui peut occuper une place
considérable dans la vie des personnes concernées. «Malheureusement, très peu d’entre elles consultent et de manière trop tardive. En effet, elles mettent en moyenne cinq
à sept ans pour le faire, tant il est difficile d’admettre que
l’on a un souci», ajoute la chercheuse. Les conséquences sont
lourdes: perte de l’emploi, conflits familiaux, isolement, endettement. Elles peuvent se cumuler avec des problématiques parfois préexistantes, comme par exemple l’alcoolisme ou la dépression.
62
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
MÉLINA
ANDRONICOS
Coordinatrice de la
formation et psychologue
responsable de
recherche au Centre du
jeu excessif (CHUV).
A gauche, travail en sousgroupe supervisé par le
Dr Charly Cungi.
Toutefois, le jeu excessif se dépiste et se traite. «Notre but
consiste à former des personnes relais et à informer le public, afin que cette addiction ne soit plus un tabou et que
les patients consultent plus tôt», souligne Mélina Andronicos, également coordinatrice du Certificate of Advanced Studies (CAS) «Jeu excessif», une formation continue proposée
par l'UNIL et le CHUV, qui connaîtra sa troisième édition
dès novembre 2015.
© DR / Nicole Chuard © UNIL
UNIL | Université de Lausanne
Mélange des mondes
Cette dernière intéressera de nombreux professionnels,
comme les assistants sociaux, les éducateurs, les infirmiers,
les médecins et les psychologues, mais également les professionnels de l’industrie du jeu impliqués dans les programmes
de prévention. Un mélange des mondes qui, dans les deux
volées précédentes, a très bien fonctionné. Comme le CAS
proposé à Lausanne constitue le seul dans son genre, il attire également des Français et des Belges, ce qui enrichit
l’échange des approches et permet aux participants de se
constituer un réseau. Accessible sur dossier, la formation se
compose de six modules qui peuvent être suivis séparément.
Ils couvrent tout le domaine: introduction au jeu excessif et
aux addictions comportementales, prévention, comorbidités, mobilisation des proches, entretiens et plans d’accom-
pagnement des patients, gestion des situations de crise et
conclusion de la thérapie. Chaque module comprend trois
jours de cours en «présentiel», du jeudi au samedi. A côté des
volets théoriques indispensables, les intervenants utilisent
les exercices ou les jeux de rôle pour fournir un certain savoir-être aux «étudiants», qui sont une dizaine par édition.
Plateforme en ligne et patient virtuel
L’un des aspects originaux du cursus réside dans une plateforme en ligne astucieuse qui donne du grain à moudre
aux participants. Chez eux, entre les jours de cours à Lausanne, ils se plongent dans un matériel supplémentaire très
structuré. Des lectures et des capsules vidéo avec des documentaires, des publicités, des extraits de films, des spots de
prévention ou encore des conférences données par des chercheurs du domaine de l’addiction alimentent la réflexion. Ces
éléments sont suivis d’exercices sous forme de «quiz» destinés à ancrer les notions abordées.
Plus fort encore: les organisateurs proposent de suivre
un patient virtuel en ligne, incarné par un comédien. Les
étudiants sont amenés à suivre ce dernier comme dans une
vraie prise en charge clinique à travers plusieurs entretiens.
Concrètement, pour chaque entretien qui dure une trentaine
de minutes, le patient explique sa situation au travers d’une
série de séquences et après chacune d’entre elles, les participants doivent décider ce qu’ils disent au patient en sélectionnant l’interaction la plus adéquate dans une liste de
réponses possibles, ce qui les mène à des réponses vidéo
du patient, et ainsi de suite. Dans ce même suivi, l’étudiant
devra gérer les proches qui interagissent également dans
l’exercice. Un parcours formateur, nourri à la fois par des cas
réels et par la recherche. La réussite d’un examen en ligne
permet ensuite de valider l’apprentissage. «Les personnes
qui n’ont jamais pratiqué la formation à distance et qui sont
peu habituées à être sur Internet s’y retrouvent très vite»,
rassure Mélina Andronicos. Un système de tutorat s’ajoute
encore à la richesse de l’enseignement.
Le CAS se conclut par un travail de diplôme à réaliser
dans le cadre professionnel, suivi d'un passage devant un
jury. «J’attends des participants qu’ils soient dynamiques,
volontaires, innovants et curieux», indique la psychologue.
Le domaine du jeu excessif évolue au gré de progrès technologiques. Il ouvre des champs de recherche nouveaux.
S’ils le suivent dans son entier de novembre 2015 à mai
2017, les «étudiants» décrochent 18 crédits ECTS. Ces derniers peuvent être valorisés dans d’autres cursus, comme
par exemple le Master of Advanced Studies en Sciences et
Organisation de la Santé proposé par l’Ecole Romande de
Santé Publique, ainsi que dans le cadre du Diploma of Advanced Studies en addictions mis sur pied par la Fédération
romande des organismes de formation dans le domaine des
dépendances.  DS
NOUVELLE FORMATION
FACE À LA DIVERSITÉ
RELIGIEUSE
EN INSTITUTION
2%
C'EST ENVIRON
LA PROPORTION
DE LA POPULATION
QUI SOUFFRE
D’UN PROBLÈME
DE JEU EXCESSIF,
EN SUISSE.
Dans les hôpitaux, les écoles, les homes, les prisons ou
encore aux guichets des services sociaux, «la question
de la diversité religieuse se pose aujourd’hui de manière
forte», note Irene Becci, professeure assistante à l’Institut
de sciences sociales des religions contemporaines et responsable académique d’une nouvelle formation qui porte
sur ce sujet.
Le personnel des institutions étatiques gère en effet au
quotidien des situations où la liberté de croyance, régulièrement jugée comme étant une affaire privée, et le cadre
du service public, laïc et neutre, divergent parfois. Comment réagir lorsqu’on est employé et bien souvent dénué
de formation dans ce domaine? Des cantines scolaires
aux derniers instants de la vie en milieu médical, de nombreuses occasions de malentendus, d’incompréhensions,
voire même de frictions peuvent surgir.
Le cursus proposé, d’une durée de trois jours et demi,
vise justement à donner les informations et les outils nécessaires pour appréhender la diversité religieuse dans la pratique professionnelle. Mais Irene Becci insiste: «Il s’agit
aussi de poser des limites: la sécularité doit conserver sa
place dans les services de l’Etat, car c’est elle qui permet
les échanges.»
D’emblée, un bagage théorique est fourni. L’établissement d’un portrait des différentes religions qui se côtoient
en Suisse et en Europe, enrichi de données chiffrées, constitue le point de départ de la formation. Les aspects légaux
sont ensuite traités. Des études de cas, des moments de
mise en commun des expériences des participants, ainsi
qu’une table ronde sur la médiation sont prévus. Pour coller aux demandes particulières, des ateliers spécifiques,
par exemple sur la prison ou l’école, sont proposés. Les
discussions entre les participants et les nombreux intervenants, issus en majorité du monde de la recherche (Faculté
de théologie et de sciences des religions de l’UNIL, HESSO et HEP), s’annoncent riches.
«Nous aimerions que les personnes interrogent leurs préconceptions et leurs pratiques, par exemple face aux tenants
de religions dites controversées, ou très peu répandues»,
ajoute Irene Becci. La manière dont les médias influencent
les perceptions de certaines croyances fait également partie du programme. Une journée supplémentaire optionnelle,
centrée sur l’accompagnement et la médiation spirituelle,
est proposée à destination des professionnels religieux,
comme les aumôniers  DS
www.formation-continue-unil-epfl.ch / face-diversite-religieuse
www.formation-continue-unil-epfl.ch/jeu-excessif-cas
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
63
RENDEZ-VOUS
Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances
de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve
sur www.unil.ch, rubrique mémento.
LES NIGHTS DU MUSÉE
CONFÉRENCES
CONNAISSANCE 3
Félix Imhof © UNIL
Une sélection de rencontres avec
les enseignants et les chercheurs
de l’UNIL et du CHUV, dans le
canton de Vaud. Toutes les conférences ont lieu à 14h30.
www.connaissance3.ch
021 311 46 87.
Entrée libre pour la communauté
universitaire (prix public 15.-; prix
adhérent 10.-).
Tous les premiers jeudis du mois,
un cocktail de culture avec DJ,
performances et expériences dans
une ambiance à haut risque de
rencontres ! Lausanne. Musée de
la main UNIL-CHUV.
De 19h à minuit. Dès 16 ans.
Entrée : 5.-.
www.museedelamain.ch.
021 314 49 55
Me 11 février
VERTIGES DE L’INDE
Je 5 février
Sa 7 février
FUNKY BOY+FOURT
Yves Tenret compose sa trilogie
« FFF » (Funky Boy, Fourt et Faire
Dépression) aux éditions Médiapop
entre 2012 et 2014. Qu’il y explore
la forme du fragment, du roman biographique ou de l’essai fictif, il y
développe un ton drôle et hargneux !
UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de
Dorigny. 19h. www.grangededorigny.ch. 021 692 21 24
© Fotolia
Je 5 février
Janvier à mai
Frédéric Tinguely donne un éclairage historique et contextuel de la
vision qu’ont les voyageurs français
de l’Inde au XVIIe siècle. Leur expérience reflète souvent une vision
ethnocentrique de l’altérité indienne,
mais aussi un ébranlement de leurs
certitudes culturelles. Lausanne.
Palais de Rumine, Aula. 19h. www.
bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63
ALPHABRICK
Les textes de Lovecraft et Tolkien, ainsi que la saga Star Wars, ont généré
des univers qui s’étendent bien au-delà des œuvres. Des illustrations de
John Howe et Benjamin Carré, des dioramas en Lego, ainsi que des livres et
objets rares permettent de s’en rendre compte. Yverdon-les-Bains. Maison
d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h. www.ailleurs.ch. 024 425 64 38
Ve 20 février, Aigle
Adam, Eve et le mal dans la Bible
et les écrits apocryphes juifs et
chrétiens. Par Frédéric Amsler
Hôtel de Ville, salle F. Rouge,
Pl. du Marché 1.
Du je 26 février au sa 7 mars
VERNISSAGE
Un texte de Václav Havel, mis en
scène par Matthias Urban. Véra et
Michael invitent Ferdinand Vanek
à célébrer leur nouvelle décoration d’intérieur. Le couple juge et
conseille son hôte, jusqu’à en devenir blessant. UNIL-Mouline. Théâtre
La Grange de Dorigny. Ma-je-sa 19h.
Me-ve 20h30. Di 17h. www.grangededorigny.ch. 021 692 21 24
Lu 16 mars, Lausanne
Le marché suisse de l'art au XXe
siècle : les raisons d'un succès.
Par Sébastien Guex. Casino de
Montbenon, salle Paderewski,
Allée E.-Ansermet 3.
Janvier 2015
La Symphonie no 6 de Gustav Mahler, par l’Orchestre Symphonique et
Universitaire de Lausanne. Direction : Hervé Klopfenstein. Concert
suivant : Requiem de Antonin
Dvorak, les 7 et 8 mai (lire ci-contre).
Lausanne. Palais de Beaulieu. 18h.
www.osul.ch
Deux expositions sur la vie de laboratoire, la recherche en biologie et
médecine, ainsi que sur les cellules
souches (lire également en p. 28).
Des rencontres avec des chercheurs
et des soirées sont organisées (voir
le 5 février). Lausanne. Musée de la
main UNIL-CHUV. Ma-ve 12h-18h,
sa-di 11h-18h. 021 314 49 55.
www.museedelamain.ch
Lu 16 mars, La Tour-de-Peilz
La famille dans tous ses états?
Par Suzette Sandoz. Salle des Remparts, Pl. des Anciens-Fossés 7.
N° 59
GUSTAV MAHLER
PAR L'OSUL
LAB/LIFE
Lu 2 mars, La Tour-de-Peilz
Sommes-nous tous des criminels ?
Par André Kuhn. Salle des Remparts, Pl. des Anciens-Fossés 7.
Allez savoir !
LE LABOUREUR DE BOHÊME
Jusqu’au di 22 février
Lu 23 février, Lausanne
Permis de toucher. Par Francesco
Panese. Casino de Montbenon,
salle Paderewski,
Allée E.-Ansermet 3.
64
Je 12 au sa 14 février
Di 15 février
© John Howe
Lu 16 février, Lausanne
Perception sensorielle et genèse du
plaisir. Par Pavel Kucera
Casino de Montbenon, salle
Paderewski, Allée E.-Ansermet 3.
Dans le cadre du festival de films
Ciné au Palais, proposé par les musées cantonaux, la BCU Lausanne
invite le réalisateur Gaël Métroz pour
parler de sa rencontre exceptionnelle avec un homme saint de l’Inde,
qui vit depuis huit ans dans une
grotte de l’Himalaya. Lausanne. Palais de Rumine, Aula. 18h30. www.
bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63
Un homme perd sa bien-aimée
dans des circonstances tragiques.
Révolté, inconsolable, incapable de
supporter ce qu’il considère comme
une injustice, il s’engage dans un
duel verbal contre la Mort. Par
l’Organon. UNIL-Mouline. Théâtre La
Grange de Dorigny. Je 19h, ve 20h30,
sa 19h. www.grangededorigny.ch.
021 692 21 24
Jusqu’au 31 mai
Lu 2 février, Lausanne
La série télévisée Les experts
Par Pierre Margot - Casino
de Montbenon, salle Paderewski,
Allée E.-Ansermet 3.
SÂDHU
UNIL | Université de Lausanne
LES CLOWNS
LES DÉCOMBRES DE LA
FINITUDE
Le Cabanon accueille Tarik Hayward,
lauréat de la Triennale de sculpture
de l’UNIL. Il interrogera la relation du
travail de l'artiste avec l'environnement fermé de la galerie. UNIL-Dorigny. Anthropole. Le Cabanon. Du lu
au ve de 8h à 19h et sa de 10h à 17h.
www.lecabanon-unil.ch
©RdL
Le Boudu vit dans une grotte.
Zig et Arletti lui rendent visite. Ils
échangent quelques caresses et
ouvrent une bouteille. Ils déambulent jusqu’à un théâtre et essaient
de jouer le « Roi Lear » ! Par la Cie
L’entreprise. UNIL-Mouline. Théâtre
La Grange de Dorigny. Ve 19h, sa
20h30, di 19h. www.grangededorigny.ch. 021 692 21 24
Dès février
© Tarik Hayward
Du ve 13 au di 15 mars
Me 25 mars
LE CHAT DU RABBIN
© Valles
La bande dessinée de Joann Sfar introduit son lecteur à la culture juive
séfarade qui rayonnait à Alger dans
les années 30. Ce récit célèbre en
musique les dialogues entre un chat
très futé et son maître. Par la Cie La
Fourmilière. UNIL-Mouline. Théâtre La
Grange de Dorigny. Je 19h, ve 20h30,
sa 19h, di 17h. www.grangededorigny.ch. 021 692 21 24
MONTER LE FILM,
MONTRER L’AUTRE
Comment le montage d’un film
construit la figure de l’Autre ? Karine
Sudan vient parler de son travail, à
travers des extraits de deux films :
L’Expérience Blocher et L’Abri.
Modération Alain Boillat. Lausanne.
Palais de Rumine, Aula.19h. www.
bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63
Je 7 et ve 8 mai
REQUIEM D'ANTONIN
DVORAK
Le Chœur universitaire de Lausanne
et l’Orchestre Symphonique et
Universitaire de Lausanne interprètent le Requiem d’Antonin
Dvorak. Direction: Fruzsina Szuromi
et Hervé Klopfenstein.
Lausanne. Cathédrale, 20h30.
www.asso-unil.ch/choeur
Je 28 au di 31 mai
MYSTÈRES DE L’UNIL
Pendant quatre jours, les chercheurs accueillent les curieux,
petits et grands, dans leurs labo­
ratoires. De nombreux ateliers sont
organisés. La « durabilité » sera au
cœur de cette dixième édition
des portes ouvertes de l’UNIL, qui
explorera également la forêt de
Dorigny. UNIL-Sorge.
www.unil.ch/mysteres
Je 26 au sa 28 mars
Du lu 20 avril au di 3 mai
BERTHOLLET
Berthollet, boucher de son village,
décide d’aller retrouver sa femme
décédée. Sauvé in extremis par ses
voisins, c’est la visite du pasteur
du village et une promesse faite à
celui-ci qui lui redonnent le goût de
vivre. Texte de Ramuz. UNIL-Mouline. Théâtre La Grange de Dorigny.
Je 19h,ve 20h30, sa 19h. www.grangededorigny.ch 021 692 21 24
Sa 9 et di 10 mai
FESTIVAL FÉCULE
Des centaines d’étudiants imaginent
des projets artistiques dans le cadre
de leurs études. Ils se confrontent
au jeu théâtral, à la mise en scène,
à la caméra et au montage, à la
danse ou encore au chant et à l’improvisation. UNIL-Mouline. Théâtre
La Grange de Dorigny. www.grangededorigny.ch (programme dès
mars). 021 692 21 24
Me 20 mai
INAUGURATION DE
CES VOISINS INCONNUS
Mann mit den zwei Augen de
LA MAISON DE LA RIVIÈRE Der
Matthias Zschokke. Un roman
Week-end d’ouverture plein de surprises. Les infrastructures s’insèrent
dans une région dont les occupants
ont contribué et contribuent à en
construire le charme et à en perpétuer l’histoire. Tolochenaz. Maison
de la Rivière. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75
acerbe et brillant qui met en scène
un héros moderne dans un monde
vide de sens. Lecture bilingue (all/
fr) par l’auteur et sa traductrice,
Patricia Zurcher. Modération Marie
Fleury Wullschleger. Lausanne.
Palais de Rumine, Aula. 19h. www.
bcu-lausanne.ch. 021 316 78 63
Ve 29 mai
DR
Du je 19 au di 22 mars
DIES ACADEMICUS
Cette cérémonie annuelle est
ouverte au public. Elle mêle allocutions, remises de prix et de doctorats honoris causa, ainsi que des
intermèdes musicaux. L’occasion de
partager un moment important de la
vie de l’institution.
UNIL-Amphimax.
Auditoire Erna Hamburger, 10 h.
www.unil.ch
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
UNIL | Université de Lausanne
65
CAFÉ GOURMAND
LE BONHEUR DE DÉCOUVRIR
Venu du Tessin, il est tombé dans la littérature romande lors de ses études à l’UNIL. Aujourd’hui, le professeur
Daniel Maggetti dirige le Centre de recherches sur les Lettres romandes.
E
tudiant à la Faculté des lettres,
Daniel Maggetti ne connaissait
rien à la littérature romande.
Il fera pourtant son mémoire
sur Nicolas Bouvier, en 1985,
à un moment où la critique littéraire
ignorait encore largement l’écrivainvoyageur, et sa thèse portera sur
L’Invention de la littérature romande
(Payot, 1995). La découverte d’un univers littéraire implique pour lui l’analyse critique, l’étude des manuscrits,
mais aussi l’écriture personnelle et
l’édition de textes. Il codirige ainsi,
jusqu’à sa disparition en 2005, la
revue Ecriture. Il a reçu en 1997 le
Prix Michel-Dentan pour Chambre
112 et en 2008 le Prix Lipp Suisse
pour Les Créatures du Bon Dieu (deux
livres parus à L’Aire).
Intéressé par le XIXe siècle, il
est venu à Lausanne pour étudier
la littérature française. «La littérature romande au XIXe siècle est laborieuse, à quelques exceptions près.
En revanche, les auteurs romands
du XXe siècle peuvent rivaliser avec
leurs homologues français. Catherine Colomb n’est pas moins bien
que Nathalie Sarraute», estime-til. Il se souvient avec émotion d’un
«moment extraordinaire» avec Alice
Rivaz, vaillante octogénaire qu’il
put rencontrer grâce à un mandat
de recherche donné par la professeure Doris Jakubec. Daniel Maggetti poursuit son exploration de la
littérature romande à l’Université
de Zurich comme assistant de Roger
Francillon. Ce dernier lui confiera le
secrétariat d’édition d’une Histoire
de la littérature en Suisse romande,
quatre volumes qui connaîtront en
2015 une réédition actualisée.
66
Allez savoir !
N° 59
Janvier 2015
DANIEL MAGGETTI
sur la terrasse du Café
des Artisans à Lausanne.
© Nicole Chuard
Dès 1999, Daniel Maggetti rejoint le
«chantier Ramuz» lancé par Doris
Jakubec, qui aboutira à la publication
des romans dans la Bibliothèque de
La Pléiade et à celle des Œuvres complètes chez Slatkine, travail achevé
en 2013. Nommé professeur de littérature romande et francophone,
il a pris dès 2003 la succession de
Doris Jakubec à la tête du Centre de
recherches sur les Lettres romandes
de l’UNIL. Fondé en 1965, le CRLR
aura 50 ans en 2015, un anniversaire
placé sous le signe de Gustave Roud.
Le poète vaudois (1897-1976), également photographe, traducteur, critique d’art et éditeur, représente
selon Daniel Maggetti «un objet idéal
pour retracer l’histoire culturelle de
la Suisse romande au XXe siècle». Le
programme est riche: plusieurs expositions – dont une au Musée de Pully,
UNIL | Université de Lausanne
UN GOÛT DE
L’ENFANCE
Celui des boulettes de
viande de ma mère.
UNE VILLE DE GOÛT ?
Utrecht, pour un petitdéjeuner complet à la
hollandaise.
AVEC QUI PARTAGER
UN REPAS ?
Avec le patricien romain
Apicius.
réalisée avec Philippe Kaenel, sur le
thème «Gustave Roud et les images»,
et une autre à la Maison de l’écriture et de la littérature de Montricher exploitant le fonds Gustave Roud
du CRLR –; une installation de Stéphane Goël et Grégoire Mayor sur le
souvenir du poète dans la région du
Jorat; l’ouverture d’un site donnant
accès au fonds photographique Gustave Roud de la BCU; un ouvrage collectif sur les différentes facettes de
l’auteur; une édition de la correspondance réalisée par une étudiante du
Master de spécialisation...
Daniel Maggetti travaille aussi
avec des étudiants de l’ECAL qui réalisent des courts métrages sur des
auteurs vivants. Chez lui, il étend la
lessive qui déborde avec trois adolescents, fait des gâteaux... et s’occupe
de ses abeilles.  NADINE RICHON
LA BOUTIQUE
WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE
R É C E P T I O N A M P H I M A X , 2e É T A G E
DE L’UNIL
WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE
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www.grangededorigny.ch