L`intégration d`étudiantes et étudiants tunisiens et marocains et la
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L`intégration d`étudiantes et étudiants tunisiens et marocains et la
VIRGINIE DUCLOS L’ INTÉGRATION D ’ ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS TUNISIENS ET MAROCAINS ET LA POLITIQUE D ’ ACCUEIL , D ’ ENCADREMENT ET D ’ INTÉGRATION DE L ’U NIVERSITÉ L AVAL Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Administration et évaluation en éducation (concentration Fondements Sociaux) pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.) Département des fondements et pratiques en éducation FACULTÉ DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2006 © Virginie Duclos, 2006 R ÉSUMÉ L’internationalisation de l’enseignement supérieur se traduit à l’Université Laval par une constante hausse des effectifs étudiants issus de l’étranger. L’objectif du mémoire est d’examiner l’intégration d’étudiantes et étudiants de nationalité tunisienne et marocaine inscrits à la maîtrise ou au doctorat à l’Université Laval, en mettant en lien cette intégration avec la politique d’accueil des étudiants étrangers à l’œuvre dans l’institution. À partir des variables que sont la nationalité, le sexe et le cycle d’étude, nous visons à explorer, selon des approches documentaire et qualitative, quelle est la situation d’intégration, entendue comme la somme des intégrations sociale, académique et institutionnelle, de dix étudiantes et étudiants rencontrés en entretien. Il ressort de cette étude que les répondantes et répondants semblent privilégier l’intégration académique et que l’intégration sociale en serait largement tributaire. L’intégration institutionnelle quant à elle semble être largement négligée. Des recommandations sont apportées en conclusion. A VANT - PROPOS Un mémoire est une œuvre collective…Le nom qui figure sur la première page n’aurait pu à lui seul venir à bout d’un tel travail ! Je tiens donc à remercier très sincèrement toutes les personnes qui suivent, grâce auxquelles, pour reprendre le sujet de mon mémoire, mon expérience québécoise n’aura pas été limitée à l’obtention d’un diplôme, mais restera pour moi synonyme de beaucoup de plaisir et d’une aventure humaine incroyable. À mes directrices et professeures, Renée Cloutier et Hélène Cardu, qui ont su m’accompagner tout au long de cette aventure, me pousser, me fouetter (intellectuellement !), m’éveiller aussi à la recherche, et sans qui ce mémoire, fruit de longues heures de labeur, mais aussi de découvertes et de plaisir, n’aurait pu voir le jour. À mes professeurs, et plus particulièrement Marc-André Deniger, Denis Savard, Claude Trottier, grâce à qui le goût des études m’est revenu. Aux étudiantes et étudiants tunisiens et marocains rencontrés (ils se reconnaîtront !), et aux personnes qui m’ont mise en contact avec elles. À Monique Généreux, agente de recherche et de planification au Bureau international, Louis-René Rheault, agent de recherche et de planification au Bureau du Registraire, ainsi qu’au responsable du Bureau d’accueil des étudiants étrangers, qui m’ont aidée dans mes démarches. À tous mes collègues du GAPE… à Katie Bérubé qui a pris au sérieux mon invitation à venir me voir en France, à Doc’ Canisius Kamanzi pour ses conseils de « sage » envers le « bébé » de sa cohorte étudiante et pour son aide dans le déchiffrage de mon tableau Excel géant. Je remercie tout particulièrement Marie-Hélène Hébert, qui s’est chargée des démarches administratives pour le dépôt de ce mémoire depuis mon retour en France. À tous mes collègues de la Tour des Sciences de l’éducation : Monika Fiset, Ivette Valero, et tous les étudiants de l’Association des Chercheuses et Chercheurs Etudiant en Sciences de l’Education (ACCESE) qui ont su me rappeler périodiquement mes obligations de trésorière lorsque la machine à café tombait en panne ! J’ai aussi en cet instant une pensée émue pour tous les colocs qui m’ont accompagnée, qui ont fait de Québec une immense auberge espagnole et grâce à qui mon expérience québécoise restera inoubliable ! Aux « vrais colocs » : Céline la boulette boulangère, Geneviève l’artiste boulangère, Oscar le petit Mexicain amoureux des Françaises, Guy le Québécois, technicien en informatique et « dernier des francophones »… Et à tous mes colocs « par procuration » : Amélie la Belge, ma compagne de voyage, Mélanie la Québécoise et son fameux pâté au poulet, Daniel le Québécois, dieu du swing et de la guitare, Judicael, Katti... À ceux qui sont arrivés en cours de route, Siengim la Française Cambodgienne au Québec, Seb « Bonnie » et Karine « Clyde »… À ceux qui sont partis en cours de route : ma belle-sœur Julie, Rodhomme, Popol le docteur en béton. Et à tous ceux que j’oublie… À mes parents, Colette et Pierre Duclos, pour leur soutien inconditionnel, leur confiance en moi et leurs encouragements. À ma sœur Marie, même si elle est tombée aux mains des « anglos », à mon frère Guillaume qui au moment même où je rédige ces remerciements, s’occupe de décrypter pour moi les derniers mystères de mon tableau Excel… Et à Simon, le dernier mais non le moindre, merci d’être là, tout simplement… iv T ABLE DES MATIERES R E S U M E ……………………………………..……………………..…………….….ii A V A N T - P R O P O S ………………………………………………….…………………iii L A L I S T E D E S T A B L E A U X ………………………………………………………..… X L A L I S T E D E S F I G U R E S …………………………………………………………….xi INTRODUCTION………………………………………………………………….1 CHAPITRE 1 LA MISSION DE L’UNIVERSITE LAVAL ET L’INTERNATIONALISATION : LA POLITIQUE D’ACCUEIL ET D’INTEGRATION DES ETUDIANTS ETRANGERS DANS L’INSTITUTION…………………………………………………………..9 1.1 LE CONTEXTE D’ÉMERGENCE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION DE L’UNIVERSITÉ LAVAL...…..11 1.1.1 L’UNIVERSITÉ LAVAL ET LA COOPÉRATION INTERNATIONALE (1995)..11 1.1.2 LA POLITIQUE SUR L’INTERNATIONALISATION DE LA FORMATION (1996)……………………………………………………………………………………12 1.1.3 POUR UNE PLUS GRANDE OUVERTURE SUR LE MONDE (1998)………..13 1.1.4 LE SENTIMENT D’APPARTENANCE À L’UNIVERSITÉ LAVAL (1999)…….13 1.2 POURQUOI ACCUEILLIR ET INTÉGRER ?........................................................14 1.2.1 LES DÉFINITIONS PAR L’INSTITUTION DES NOTIONS D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION………………………………………..14 1.2.2 LES ENJEUX LIÉS À L’ACCUEIL ET À L’INTÉGRATION DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS…………………………………………………………………………...15 1.2.3 LA POPULATION VISÉE…………………………………………………………….16 CHAPITRE 2 LES APPROCHES THEORIQUES ET CONCEPTUELLES………………………………………………………18 2.1 LA CULTURE..........................................................................................................19 2.1.1 QU’EST-CE QUE LA CULTURE ?…………………………………………………19 2.1.2 LES DIMENSIONS DE HOFSTEDE SUR LA CULTURE NATIONALE………20 2.1.2.1 LA DISTANCE HIÉRARCHIQUE………………………………………..22 2.1.2.2 LE DEGRÉ D’INDIVIDUALISME……………………………………….23 2.1.2.3 LE CONTRÔLE DE L’INCERTITUDE…..………………………………24 2.1.3 L’INTÉRET DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE...25 2.2 LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ CULTURELLE DANS UN CONTEXTE D’INTERCULTURALITÉ .......................................................................................25 2.2.1 LE TRAJET MIGRATOIRE…………………………………………………………..29 2.2.1.1 L’ÉTAPE D’EUPHORIE…………………………………………………...30 2.2.1.2 L’ÉTAPE DE CONFRONTATION………………………………………..31 2.2.1.3 L’ÉTAPE D’AJUSTEMENT……………………………………………....33 2.2.1.4 LES ÉTAPES D’ADAPTATION ET D’INTÉGRATION………………...33 2.2.2 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE...35 2.3 L’INTÉGRATION : POUR QUOI FAIRE ?............................................................36 2.3.1 L’INTÉGRATION, UNE PROBLÉMATIQUE SOCIALE………………………...36 2.3.2 L’IMMIGRATION ET L’INTÉGRATION…………………………………………..37 2.3.3 LA FONCTION D’INTÉGRATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF………………..39 2.3.4 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE...43 2.4 LA SOCIALISATION ET LES RÉSEAUX SOCIAUX…………………………..43 2.4.1 LA SOCIALISATION ET L’IDENTITÉ CULTURELLE………………………….43 2.4.2 LES RÉSEAUX SOCIAUX……………………………………………………………45 2.4.3 LES FONCTIONS DES RÉSEAUX SOCIAUX : PARTAGER DES APPARTENANCES, FAIRE CIRCULER DE L’INFORMATION, APPORTER DE L’AIDE ET MOBILISER LE CAPITAL SOCIAL………………………………….47 2.4.4 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE..47 CHAPITRE 3 LE CADRE METHODOLOGIQUE…………………….49 3.1 L’ÉTUDE DOCUMENTAIRE : L’ANALYSE POLITIQUE .............................…50 3.1.1 UNE DÉFINITION DE L’ÉVALUATION………………………………………..…51 3.1.2 L’ÉTUDE DE CAS………………………………………………………………...…..51 3.1.3 LES DIFFÉRENTES DIMENSIONS D’ÉVALUATION D’UNE POLITIQUE...52 3.1.4 LES SOURCES………………………………………………………………....53 3.2 L’ENQUÊTE SUR LE TERRAIN : L’ENTRETIEN INDIVIDUEL ET L’ANALYSE QUALITATIVE ................................................................................53 3.2.1 LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS AU MAROC ET EN TUNISIE : ÉVOLUTION ET ÉTAT DE LA SCOLARISATION……………………………………………………..53 3.2.1.1 LES POLITIQUES D’ÉDUCATION………………………………………54 3.2.1.2 LES CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉCOLE AU MAROC ET EN TUNISIE : UN SYSTÈME BASÉ SUR LA SÉLECTIVITÉ…………………………………..59 3.2.1.3 CONCLUSION…………………………………………………………..…65 3.2.2 LES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS TUNISIENS ET MAROCAINS À L’UNIVERSITÉ LAVAL…………………………………………………..…………..66 3.2.2.1 L’ÉVOLUTION DES ADMISSIONS…………………………….…….....67 3.2.2.2 LES FACULTÉS FRÉQUENTÉES………………………………….….....68 3.2.3 L’ANALYSE QUALITATIVE ET LES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS……...70 3.2.3.1 L’INTÉRÊT ET LES LIMITES D’UNE DÉMARCHE QUALITATIVE...70 3.2.3.2 LES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS ET L’ANALYSE DE CONTENU71 3.2.3.3 LE CONTACT DE L’ÉCHANTILLON…………………………….….…72 3.2.3.4 LE PRÉTEST…………………………………………………………..…..72 3.2.3.5 L’ÉTUDE…...…………………………………………….………………..73 3.2.3.6 DÉONTOLOGIE…...……………………………………………………...77 vi CHAPITRE 4 LES CAS DE FIGURES DE DIVERSES ETAPES ET LES PROFILS D’INTEGRATION…...……………………………….78 4.1 4.2 4.3 4.4 4.5 4.6 4.7 4.8 4.9 LOUBNA : UNE NÉGOCIATION PERPÉTUELLE ENTRE DEUX CULTURES79 MOURAD : L’EXÉCUTION D’UN CONTRAT ....................................................83 YASMINE : BIEN « DANS [S]A BULLE » ...........................................................87 AHMED : OBTENIR UN DIPLÔME ET RENTRER.............................................90 SAMI : S’INTÉGRER SANS ABANDONNER SES CONVICTIONS..................92 HAYET : LE CHOC DES CULTURES...................................................................96 HICHAM : L’AMBIVALENT ...............................................................................100 MAHA : UNE PRÉDISPOSITION POUR L’INTERNATIONAL .......................104 KHALID : QUAND L’INTÉGRATION SOCIALE EST TRIBUTAIRE DE L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE......................................................................107 4.10 KARIM : À LA RENCONTRE DES AUTRES.....................................................111 CHAPITRE 5 L’ANALYSE TRANSVERSALE DES ENTRETIENS ET L’EVALUATION DE LA POLITIQUE DE L’UNIVERSITE LAVAL……………………………………………………………………116 5.1 LA PRÉSENTATION DES RÉPONDANTS ET LEUR PROFIL FAMILIAL ....117 5.1.1 LE PROFIL DES FAMILLES……………………………………………………….117 5.1.1.1 LA SITUATION DES PARENTS ET LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE D’APPARTENANCE………………………...…117 5.1.1.2 LA FRATRIE……………………………………………………………..119 5.1.1.3 LA FAMILLE À L’ÉTRANGER : MIGRATIONS ÉCONOMIQUES ET MIGRATIONS POUR ÉTUDES…………………………………………………120 5.1.2 LES CONDITIONS DE FORMATION…………………………………………….120 5.1.2.1 LE PASSÉ SCOLAIRE…………………………………………………....120 5.1.2.2 LE CHOIX DU SECTEUR D’ÉTUDE…………………………………...121 5.1.2.3 LE CHOIX DU CANADA, DU QUÉBEC ET DE L’UNIVERSITÉ LAVAL……………………………………………………………………………122 5.1.2.4 LE FINANCEMENT DES ÉTUDES……………………………………..126 5.2 L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE OU L’INTÉGRATION SOCIALE ..................128 5.2.1 LA PERCEPTION DE SOI ET DES AUTRES ET LE REGARD PORTÉ SUR EUX PAR LES QUÉBÉCOIS………………………………………………………………129 5.2.1.1 LA PERCEPTION DE SOI ET DES AUTRES…………………………...130 5.2.1.2 COMMENT LES QUÉBÉCOIS LES PERÇOIVENT……………………136 5.2.1.3 LA CONCLUSION : LES EXPÉRIENCES D’ACCUEIL ET DE REJET 139 5.2.2 LA VIE À QUÉBEC…………………………………………………………………..140 5.2.2.1 LE CLIMAT ET LE CADRE DE VIE…………………………………….140 5.2.2.2 L’INSTALLATION ET LE VÉCU À L’UNIVERSITÉ : L’UTILISATION DES RÉSEAUX SOCIAUX…………………………………………………..…..141 5.2.2.3 LE LIEU DE RÉSIDENCE : SUR LE CAMPUS OU À L’EXTÉRIEUR ?143 5.2.2.4 LA CONCLUSION : UNE INTÉGRATION SOCIALE QUI SE CONSTRUIT………………………………………………………………...……144 5.2.3 L’INTÉGRATION SOCIALE……………………………………………..……….…146 5.2.3.1 LA DÉFINITION DES RÉPONDANTES ET RÉPONDANTS…..….…..146 vii 5.2.3.2 LES DIFFÉRENTS GROUPES D’INTÉGRATION……………….....…147 5.2.3.3 LES STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE POUR FACILITER L’INTÉGRATION SOCIALE………………………………………………...….150 5.2.3.4 LE RÔLE DE LA RELIGION DANS L’INTÉGRATION SOCIALE...…152 5.2.3.5 LA CONCLUSION…………………………………………………….....153 5.3 L’EXPÉRIENCE ACADÉMIQUE ........................................................................155 5.3.1 L’INSCRIPTION ET L’ADMISSION ET LES RAPPORTS AVEC LES PERSONNELS DE L’UNIVERSITÉ LAVAL : ENTRE SIMPLICITÉ, RAPIDITÉ ET RACISME…………………………………………………………………………155 5.3.2 LA MÉCONNAISSANCE DU SYSTÈME D’ÉDUCATION D’ACCUEIL…….156 5.3.3 LE CHOC DE LA PREMIÈRE SESSION…………………………………………159 5.3.4 LA CONCEPTUALISATION DES ÉTUDES……………………………………..161 5.3.4.1 L’ENSEIGNEMENT NORD-AMÉRICAIN ET L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS………………………………………………………………….…...161 5.3.4.2 LA CHARGE DE TRAVAIL PERSONNEL…………………………….162 5.3.4.3 LA NOTATION………………………………………………………….163 5.3.5 LES RAPPORTS AVEC LES PROFESSEURS…………………………………..163 5.3.5.1 DES PROFESSEURS ACCESSIBLES ET DISPONIBLES…………….163 5.3.5.2 UNE RELATION SANS AMBIGUÏTÉ…………………………………164 5.3.5.3 UNE RELATION DISCRIMINANTE ?………………………………...165 5.3.5.4 LE TRAVAIL EN LABORATOIRE : LES PROFESSEURS EMPLOYEURS………………………………………………………………….165 5.3.6 LES RAPPORTS AVEC LES AUTRES ÉTUDIANTS…………………………..166 5.3.6.1 ENTRE DISTANCE ET ENTRAIDE…………………………………...166 5.3.6.2 UN PROBLÈME SPÉCIFIQUE À LA FSA : LA FORMATION DES GROUPES DE TRAVAIL………………………………………………………168 5.3.7 LES STRATÉGIES D’INTÉGRATION ACADÉMIQUE……………………….169 5.3.8 LA CONCLUSION……………………………………………………………….....171 5.3.8.1 QUELLE DÉFINITION POUR L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE ?..171 5.3.8.2 L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE, UNE PRIORITÉ …………….171 5.3.8.3 L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE, UN OBJECTIF ATTEINT………172 5.4 L’ÉVALUATION DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION DE L’UNIVERSITÉ LAVAL : UNE APPLICATION DU CADRE D’ANALYSE…………………………………………………………..172 5.4.1 L’ÉTUDE DE CAS………………………………………………………………….173 5.4.1.1 LES PROBLÈMES………………………………………………………173 5.4.1.2 LES OBJECTIFS………………………………………………………...173 5.4.1.3 LES SERVICES DE L’UNIVERSITÉ DÉDIÉS À L’ACCUEIL, À L’ENCADREMENT ET À L’INTÉGRATION…………………………….…..174 5.4.1.4 LE TYPE ET LA QUANTITÉ DES ACTIVITÉS : LES RÉSULTATS..175 5.4.1.5 L’ÉVALUATION DE L’EFFORT, DE L’EFFICACITÉ, DE L’EFFICIENCE ET DE LA COHÉRENCE……………………………………………………....177 5.4.1.6 LA CONCLUSION SUR LA POLITIQUE……………………………..179 5.4.2 L’IMPLICATION DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS DANS LES ACTIVITÉS DE L’UNIVERSITÉ………………………………………………………………...180 viii 5.4.3 LA PERCEPTION DE LA POLITIQUE PAR LES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS RENCONTRÉS………………………………………………………………….…….182 5.4.3.1 UNE POLITIQUE NÉCESSAIRE ?………………………………….…...182 5.4.3.2 UNE POLITIQUE UTILE ?………………………………………………183 5.5 DES PROJETS ENCORE FLOUS.........................................................................185 5.5.1 LES DEMANDES DE RÉSIDENCE……………………………………………….186 5.5.2 L’ATTRAIT DU CANADA ANGLOPHONE……………………………………...187 5.5.3 TRAVAILLER OU ÉTUDIER ?…………………………………………………….187 5.5.3.1 LES PROJETS DE DOCTORAT………………………………………...187 5.5.3.2 TROUVER UN EMPLOI………………………………………………...188 5.5.4 LES PROJETS DE RETOUR……………………………………………………….188 5.5.4.1 RENTRER « CHEZ SOI »………………………………………………..188 5.5.4.2 … OU RESTER À L’ÉTRANGER………………………………………189 CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS………………………………190 6.1 LA CONCLUSION ................................................................................................191 6.2 LA DISCUSSION DES RÉSULTATS ..................................................................193 6.3 LES RECOMMANDATIONS À L’UNIVERSITÉ LAVAL.................................194 6.3.1 POUR AMÉLIORER L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE………………………194 6.3.2 POUR AMÉLIORER L’INTÉGRATION SOCIALE……………………………...196 6.4 LES AVENUES DE RECHERCHE.......................................................................197 LES REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES………………………………199 ANNEXE A : LE GUIDE D’ENTRETIEN………………………………….206 ANNEXE B : LE FORMULAIRE DE CONSENTEMENT…….…………212 ANNEXE C : LA NOMENCLATURE DES PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (PCS) A HUIT POSTES DE L’INSEE………………………………………………….216 ix LA LISTE DES TABLEAUX Tableau 1. La répartition des étudiants internationaux des universités québécoises selon le domaine et le cycle d’études. Trimestres d’automne 1997, 2000 et 2003………………………..…………….…………………….5 Tableau 2. La répartition des étudiants internationaux des universités québécoises selon les cinq principaux pays de citoyenneté en 2003. Trimestres d’automne 1997, 2000 et 2003……….………………………...6 Tableau 3. Le taux d’analphabétisme de la population au Maroc (1960) et en Tunisie (1956)………………………………….…………………………….54 Tableau 4. La répartition de la population scolarisée marocaine en 1994 par sexe selon le niveau d’étude (%)…………………………………….…….63 Tableau 5. Le profil des répondantes et des répondants (prétest)……..…...…72 Tableau 6. Profil des répondantes et des répondants de l’étude………….…...75 Tableau 7. La catégorie socioprofessionnelle actuelle du père en Tunisie et au Maroc selon la nationalité………………………………………………...118 Tableau 8. La catégorie socioprofessionnelle actuelle de la mère en Tunisie et au Maroc selon la nationalité……………………………………………..118 LA LISTE DES FIGURES Figure 1. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : la distance hiérarchique 22 Figure 2. Les indices de distance hiérarchique dans les pays arabophones, au Canada et en France................................................................................................................... 23 Figure 3. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : le degré d’individualisme ................................................................................................................................... 23 Figure 4. Les indices du degré d’individualisme dans les pays arabophones, au Canada et en France................................................................................................................... 24 Figure 5. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : le contrôle de l’incertitude ................................................................................................................................... 24 Figure 6. Les indices du contrôle de l’incertitude dans les pays arabophones, au Canada et en France................................................................................................................... 25 Figure 7. Une représentation de la culture : l’iceberg de Kohls ....................................... 28 Figure 8. Illustration du trajet migratoire d’Oberg : du choc culturel à l’acculturation ... 30 Figure 9. Les types de stratégie lors de l’étape de confrontation...................................... 32 Figure 10. Les stratégies d’adaptation au sein d’une culture étrangère (Camilleri) ......... 34 Figure 11. Les stratégies d’acculturation (Berry) ............................................................. 35 Figure 12. Un schéma du modèle explicatif de l’intégration aux études collégiales........ 41 Figure 13. Illustration des connexions directes ou indirectes entre les participants des réseaux sociaux ......................................................................................................... 46 Figure 14. Les taux nets de scolarisation en Tunisie en 1994 selon le sexe et l’âge ........ 64 Figure 15. Les taux bruts de scolarisation primaire (1999) et secondaire (1997) en Tunisie et au Maroc selon le sexe .......................................................................................... 65 Figure 16. La population tunisienne et marocaine admise à l’Université Laval de 1984 à 2005, par pays et par sexe ......................................................................................... 67 Figure 17. La répartition des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains selon le cycle d’étude et la faculté fréquentée (2000-2005) ............................................................ 69 I NTRODUCTION Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la réduction des barrières commerciales et la déréglementation des marchés financiers ont initié le processus de globalisation, défini comme « an ongoing process of deeper integration » (Cudmore 2005 : 39). Depuis une quinzaine d’années, le développement des technologies de l’information et de la télécommunication a encore accéléré ce processus. Les échanges concernent les biens matériels mais aussi les personnes et les compétences particulières, à travers le phénomène de la migration internationale. Trois types de migrations, organisées et encadrées par les États, sont à considérer (Blaud 2001 : 11) : le premier est la migration internationale de travail, c’est-à-dire la migration de la force de travail, généralement bon marché, des pays les moins développés vers les pays les plus développés ; le deuxième est l’émigration des professionnels des pays moins développés vers les pays plus développés ou à l’intérieur de ceux-ci ; le troisième type de migration est la migration pour études (essentiellement le mouvement d’étudiants des pays moins développés vers les pays les plus développés). Ce dernier type de migration concerne tout particulièrement l’enseignement postsecondaire et les institutions qui en sont l’emblème : les universités. Le concept d’internationalisation des universités peut être défini, pour reprendre la définition de Jane Knight comme un « processus qui intègre une dimension internationale et interculturelle dans l’enseignement et l’apprentissage, la recherche et les fonctions de service des universités » (Conseil Supérieur de l’Éducation, CSE 2005a : 4). Si l’internationalisation de l’enseignement supérieur n’est pas un phénomène nouveau, elle connaît ces dernières années un fort accroissement au Québec comme à l’étranger car elle constitue un outil stratégique pour le développement autant social, culturel, qu’économique des pays ou régions du globe qui s’engagent dans cette voie. Le ministère de l’Éducation du Québec l’a compris et en 2000, il inscrit l’internationalisation parmi les trois orientations mises en priorité dans la Politique québécoise à l’égard des universités. En 2002, il poursuit sur sa lancée et se dote d’une stratégie d’internationalisation de l’éducation pour tous les ordres d’enseignement : Pour réussir l’internationalisation de l’éducation… Une stratégie mutuellement avantageuse. 2 Sur le terrain, les universités font preuve d’un dynamisme qui se traduit autant dans les politiques institutionnelles, les plans stratégiques à l’internationalisation ou les changements organisationnels réalisés que dans les projets concrets qui mobilisent la communauté universitaire. Ces différents aspects seront d’ailleurs développés tout au long de ce travail puisque j’examinerai la Politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration des étudiants de l’Université Laval (CU-2001-100) et les actions menées concrètement sur le terrain, ainsi que la façon dont est reçue cette politique et les intégrations sociale et académique d’un groupe particulier d’étudiants étrangers : les étudiantes et étudiants tunisiens et marocains inscrits aux cycles supérieurs. L’investissement fait par les universités pour leur internationalisation est motivé par des raisons allant du social à l’économique. La baisse démographique enregistrée chez les jeunes adultes tout d’abord engendre un besoin accru de recourir au recrutement international d’étudiants. De plus, la présence d’étudiants internationaux au Québec favorise l’éducation interculturelle et les échanges entre les diverses populations étudiantes et professorales, à la condition toutefois que la dimension internationale soit prise en compte dans la formation. La présence d’étudiants internationaux aux cycles supérieurs constitue aussi un bénéfice économique pour les universités qui les accueillent, puisqu’ils contribuent à la recherche et à l’innovation dans l’établissement. Enfin, l’immigration de certains de ces étudiants, qui se joindront aux professionnels et aux chercheurs qui forment le personnel hautement qualifié du Québec, constitue un autre bénéfice. L’accueil des étudiants internationaux représente, avec la recherche, l’activité internationale dans laquelle les universités québécoises sont le plus fortement engagées : pour les trois cycles d’étude, le nombre d’étudiants internationaux a triplé en un peu plus de 20 ans, passant de 6 544 en 1982 à 19 922 en 2004 (CSE 2005a : 10). En 2001, les universités québécoises recrutaient 30 % des étudiants internationaux présents dans l’ensemble des universités canadiennes (Julien 2005 : 17), alors que la proportion d’étudiants québécois dans la population totale des étudiants canadiens était d’environ 25 % (Association canadienne des professeures et professeurs d’université 2005 : 23, cité dans CSE 2005a : 10). Parmi la population étudiante des universités québécoises, à 3 l’automne 2004, les étudiants internationaux sont représentés en plus forte proportion aux cycles supérieurs, soit 19,5 % au troisième cycle et 9,9 % au deuxième cycle, alors qu’au premier cycle, la proportion s’établit à 6,5 %. Si toutes les universités québécoises sont engagées dans une activité internationale, l’intensité de cet engagement varie en fonction des établissements, selon la langue d’enseignement, la situation géographique, ainsi que les domaines d’enseignement et de recherche ou les cycles d’études. C’est ainsi par exemple que malgré une politique de rééquilibrage de la distribution des étudiants internationaux entre les universités anglophones et francophones, adoptée en 1979 (CSE 2005b : 29), les étudiants internationaux se trouvent encore aujourd’hui en plus grand nombre dans les universités anglophones (Julien 2005 : 40). Cependant la tendance évolue. En 2003, certaines universités francophones (l’Université de Montréal, l’Université Laval, l’Université du Québec à Montréal et l’École Polytechnique) réunissaient à elles seules 39 % des étudiants internationaux présents au Canada (Julien 2005 : 40). En plus de se concentrer dans certaines universités, les étudiants internationaux se retrouvent dans un certain nombre de domaines d’études. Entre 1997 et 2003, que ce soit au premier ou au deuxième cycle, les étudiants internationaux ont été plus nombreux à étudier les sciences de l’administration, les sciences appliquées et les sciences humaines. Au troisième cycle, ce sont les sciences appliquées, les sciences humaines et les sciences pures qui ont été les plus en demande chez ces étudiants (Julien 2005). 4 Tableau 1. La répartition des étudiants internationaux des universités québécoises selon le domaine et le cycle d’études. Trimestres d’automne 1997, 2000 et 2003 Source : Ministère de l’éducation, fichier GDEU (production en août 2004). Compilation du Conseil supérieur de l’éducation. Source : Julien (2005 : 44). Les origines géographiques des étudiants étrangers présents dans les universités québécoises sont diverses mais quelques-unes sont sur représentées : en 2003, la France est le pays où les établissements québécois recrutent le plus grand nombre de leurs étudiants internationaux, soit environ le quart d’entre eux (5 238 étudiants). L’attrait du Québec pour les étudiants français est lié bien entendu à la proximité linguistique, mais aussi aux nombreux accords et échanges entre universités, ainsi qu’aux facilités matérielles (la bourse d’exemption des frais de scolarité est automatique, de même que l’affiliation au régime d’assurance maladie du Québec). La France est suivie par l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord (4 004), proches eux aussi du Québec entre autres par la langue française, héritée de la colonisation. Viennent ensuite les États-Unis (2 395), puis le Proche-Orient et l’Extrême-Orient (2 272). Lorsqu’on regarde plus précisément les pays d’origine des étudiants étrangers, cinq pays représentent environ la moitié de l’effectif total de la population étudiante internationale. Le tableau 2 présente les pays d’où venaient plus de 100 étudiants internationaux inscrits dans les universités 5 québécoises en 2003. Au trimestre d’automne 2003, les cinq premières places étaient occupées par la France (5 238), les États-Unis (2 395), la Chine (1 255), le Maroc (916) et la Tunisie (769). Plus de la moitié des étudiants internationaux dans les universités québécoises était originaire de ces pays (France : 27,3 %; États-Unis : 12,5 %; Chine : 6,5 %; Maroc : 4,8 %; Tunisie : 4,0 %). Tableau 2. La répartition des étudiants internationaux des universités québécoises selon les cinq principaux pays de citoyenneté en 2003. Trimestres d’automne 1997, 2000 et 2003 Source : Julien (2005 : 30). À l’Université Laval plus spécifiquement, la situation géographique et le statut d’université francophone jouent un grand rôle dans la répartition de l’origine des étudiants étrangers : à l’automne 2003, les étudiants venant de ces cinq pays représentaient 56,8 % des 2 107 étudiants internationaux de l’université. Le groupe des Français restait le plus important (37 %) tandis que les États-Unis et la Chine étaient très peu représentés (respectivement 3,5 % et 2,2 % en 2003). Les places du Maroc et de la Tunisie étaient quant à elles plus prononcées, les deux pays représentant respectivement 6,3 % et 8 % de la population étudiante internationale à cette université. C’est donc dans ce contexte que s’inscrit cette étude. Mais derrière les textes, les dispositions officielles et les chiffres se trouvent des étudiants qui doivent trouver leur 6 place dans un système souvent bien différent de celui qu’ils connaissaient jusqu’à leur arrivée. La population des étudiants en déplacement étant de plus en plus importante, le défi pour les universités, et l’Université Laval en particulier, va donc être de trouver les moyens d’assurer une intégration harmonieuse à une population en situation potentielle de ruptures identitaire et culturelle. Lorsque j’ai choisi de m’intéresser à l’intégration des étudiants étrangers à l’Université Laval, il m’a semblé plus intéressant de me pencher sur une population en particulier, car un de mes postulats de départ était que les modes d’intégration différaient selon la culture d’origine et selon la distance entre la culture de départ et la culture d’accueil. J’ai cherché, en étudiant la répartition des étudiants étrangers de l’Université Laval, à cibler les populations étudiantes les plus importantes sur le plan numérique : les Français venaient largement en tête, suivis par les Tunisiens et les Marocains. Étant moimême Française, j’ai estimé que j’aurai du mal à garder une distance critique suffisante pour mon étude. J’avais de plus déjà travaillé en France sur les populations étudiantes venant de la Tunisie et du Maroc, ce qui me donnait une certaine familiarité avec la culture maghrébine, essentiellement dans le rapport à l’éducation. Après avoir fait porter mon attention sur les parcours scolaires et les stratégies familiales de scolarisation des élites féminines du Maghreb en France, j’ai donc choisi de m’intéresser à ce qui se passe une fois ces étudiants arrivés dans le pays d’accueil. Mon objet sera donc l’intégration des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains aux deuxième et troisième cycles à l’Université Laval, en lien avec la Politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration des étudiants de l’Université Laval (CU-2001-100). Après avoir présenté la Politique d’accueil et d’intégration de l’Université Laval, et tout particulièrement son contexte d’émergence et les enjeux qui y sont rattachés, je présenterai le cadre théorique et conceptuel qui a guidé mon étude. Dans la troisième partie, la méthodologie, je présenterai le cadre d’analyse de la Politique d’accueil et d’intégration des étudiants étrangers de l’Université Laval, ainsi que les systèmes d’éducation en Tunisie et au Maroc, pour voir de quel contexte sont issus les étudiantes et 7 étudiants rencontrés. Toujours dans la partie méthodologique, je ferai une brève présentation de la population tunisienne et marocaine de l’Université Laval, à partir d’une base de données fournie par le Bureau du Registraire. Je finirai ma partie méthodologique en présentant ma démarche de recherche qualitative et mes entretiens. Dans la quatrième partie, je procéderai à l’analyse verticale de chaque entretien, pour dresser le portrait de chaque étudiante et étudiant rencontré et présenter sa situation spécifique d’intégration. La cinquième partie sera composée de la présentation de l’analyse transversale des entretiens, en reprenant les grands thèmes qui les ont guidés : la présentation du répondant et de sa famille, son expérience à Québec, ses intégrations académique et sociale, ses projets, et enfin l’évaluation de la politique d’accueil et d’intégration, à partir des textes officiels de l’université et des entretiens avec les étudiantes et étudiants. Je finirai par les recommandations faites par les répondantes et répondants à l’Université Laval pour favoriser une meilleure intégration, aussi bien académique que sociale. 8 C HAPITRE 1 LA MISSION DE L ’U NIVERSITE L AVAL L ’ INTERNATIONALISATION ET : LA POLITIQUE D ’ ACCUEIL ET D ’ INTEGRATION DES ETUDIANTS ETRANGERS DANS L ’ INSTITUTION Dans un contexte de mondialisation des savoirs et de compétition des institutions d’enseignement supérieur, les universités doivent s’adapter en s’ouvrant sur le monde et en accueillant des étudiants internationaux. Les raisons de cette ouverture, allant du culturel à l’économique, ont déjà été abordées en introduction. C’est ainsi qu’on assiste depuis une dizaine d’années à l’émergence à l’Université Laval de préoccupations internationales : en 1996, la Politique sur l’internationalisation de la formation fait de son objet une mission universitaire qui doit passer par la coopération internationale, par la formation internationale des étudiants de l’université, et enfin par l’accueil au sein de l’institution d’étudiants étrangers. Dans un texte adopté en 2003, La passion de la réussite : les grandes orientations de l’Université Laval pour la période 2003-2007, les plus hautes instances de l’université réaffirment la dimension internationale de l’institution. La dimension internationale, la mondialisation, est devenue un aspect important de la vie sociale, économique et culturelle. Elle interpelle nos activités de formation et de recherche. […]. L’Université Laval jouit aussi d’une réputation fort enviable à l’étranger et accueille par conséquent un fort contingent d’étudiants et étudiantes originaires de tous les continents, principalement dans ses programmes de deuxième et troisième cycles. La participation de l’Université Laval à des réseaux de chercheurs tant nationaux qu’internationaux devrait lui permettre aussi de s’insérer dans des créneaux de recherche porteurs et d’attirer encore davantage des étudiants et étudiantes de nombreux pays. C’est le troisième aspect de la mission universitaire de l’institution, à savoir l’accueil d’étudiants étrangers, qui va être étudié dans ce chapitre. Cette volonté d’accueil est opérationnalisée par la Politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration des étudiants, approuvée par le Conseil Universitaire à sa séance ordinaire du 27 novembre 2001 (CU-2001-100). L’accueil et l’intégration des étudiantes et étudiants étrangers sont en effet capitaux dans le développement de la réputation internationale de l’établissement et dans l’accroissement de ses effectifs étudiants issus de l’étranger : si ceux-ci rentrent dans leur pays d’origine satisfaits de leur expérience à l’Université Laval, ils vont y être des ambassadeurs de l’institution. L’importance des réseaux sera par ailleurs abordée dans la partie théorique. Je ne m’intéresserai dans ce chapitre qu’à la mise en œuvre de la politique et plus spécifiquement aux mesures mises en place dans l’ensemble de l’administration 10 universitaire, pour laisser de côté tout le pan facultaire et professoral de l’accueil et de l’intégration des étudiants étrangers : quels sont les applications du plan d’action de la politique étudiée ? Qui s’occupe d’accueil, d’encadrement et d’intégration dans l’Université Laval ? Quels sont les acteurs concernés ? Est-ce que les actions entreprises rejoignent les objectifs que se donnait la politique ? Après avoir étudié les textes qui ont conduit à l’émergence de la politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration de l’Université Laval, je présenterai les notions d’accueil, d’encadrement et d’intégration telles qu’elles sont définies dans cette politique ainsi que les enjeux qui s’y rattachent. 1.1 LE CONTEXTE D’ÉMERGENCE DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION DE L’UNIVERSITÉ LAVAL Pour bien définir la politique étudiée, le contexte d’émergence doit être examiné. La problématique de l’internationalisation du campus est apparue dès la fin des années 80 avec L’Université Laval et la Coopération internationale (1989, 1991, 1995), mais cette préoccupation n’a commencé à s’opérationnaliser qu’à partir du milieu des années 90, avec l’adoption de la Politique sur l’internationalisation et d’une première politique sur l’accueil des étudiants étrangers (CA-95-46), à laquelle il a été impossible d’accéder. À partir de 1995, l’accueil et l’intégration ont donc été au cœur des préoccupations, ainsi qu’en témoigne la fréquence avec laquelle sont ensuite présentés et adoptés les rapports et politiques portant sur ce sujet, jusqu’à l’adoption de la politique étudiée. 1.1.1 L’UNIVERSITÉ LAVAL ET LA COOPÉRATION INTERNATIONALE (1995) Cette politique a été adoptée la première fois par le Conseil de l’université à sa séance du 14 novembre 1989, et modifiée par le Conseil d’administration à sa séance du 26 août 1991 et à sa séance du 15 mars 1995. Cette politique a pour objectif général d’orienter et d’encadrer les échanges et les partenariats institutionnels, objectif décliné 11 sous trois aspects. Il s’agit tout d’abord de participer au développement des connaissances par des activités de recherche en collaboration avec les collègues du monde industrialisé et du monde en développement ; le deuxième aspect présenté est la contribution au développement des pays qui requièrent la collaboration de l’université dans le cadre de programmes orientés vers leurs besoins spécifiques ; le troisième aspect est de favoriser dans le milieu universitaire une ouverture sur le monde et la réalité internationale. Une mention est faite dans cette politique de la formation des étudiants d’origine étrangère, et notamment de la nécessité de faire venir des étudiants aux deuxième et troisième cycles, mais il faut noter que l’institution ne fait aucune observation sur l’accueil et l’intégration que sous-tend la venue d’étudiants étrangers à l’université. 1.1.2 LA POLITIQUE SUR L’INTERNATIONALISATION DE LA FORMATION (1996) Cette politique, adoptée par le Conseil universitaire à sa séance du 8 octobre 1996, s’inscrit dans le cadre de sa planification globale : « L’Université Laval souhaite en effet accroître le rayonnement de ses activités internationales et mieux les intégrer les unes aux autres, ainsi qu’à l’ensemble de ses activités, tout en maintenant une interaction vigoureuse entre la planification institutionnelle de l’activité internationale et la libre initiative des membres de la communauté ». Cette politique a trois objectifs : la conscientisation et la formation des étudiants de l’université à la dimension internationale ; le renforcement de la recherche et de la création sur le plan international ; et enfin la sensibilisation du personnel de l’université à la réalité internationale. C’est dans le premier point qu’apparaissent les notions d’accueil et d’intégration des étudiants étrangers, même si les actions à mettre en place ne sont pas élaborées : la Direction de l’université « […] déploie des efforts particuliers pour recruter des étudiants étrangers, améliore leurs conditions d’accueil, leur intégration et leur participation active à la vie universitaire dans toutes ses dimensions ». 12 1.1.3 POUR UNE PLUS GRANDE OUVERTURE SUR LE MONDE (1998) C’est le 16 juin 1998 qu’est adopté par le Conseil Universitaire le rapport du Groupe de travail sur l’internationalisation de l’Université Laval : Pour une plus grande ouverture sur le monde. Ce rapport s’articule en cinq points : la formation internationale, la recherche et le transfert de technologie, la coopération et les relations internationales, le recrutement et l’accueil des étudiants étrangers, et enfin la structure organisationnelle. C’est dans ce rapport que sont faites les premières recommandations pour assurer un meilleur recrutement et accueil des étudiants étrangers et les raisons pour lesquelles il est important pour l’institution d’accueillir cette population est ici clairement énoncée : « la présence d’étudiants étrangers dans une université est souvent un indice de sa renommée internationale ». Dans le point qui nous intéresse tout particulièrement, à savoir le quatrième, des recommandations sont faites et elles concernent le développement des ententes institutionnelles ainsi que le resserrement des liens entre les différents services universitaires qui doivent participer à l’accueil et à l’intégration des étudiants étrangers. 1.1.4 LE SENTIMENT D’APPARTENANCE À L’UNIVERSITÉ LAVAL (1999) En novembre 1999, la Commission des affaires étudiantes présente Le sentiment d’appartenance à l’Université Laval, rapport dans lequel est encore mis de l’avant la nécessité d’améliorer l’accueil et l’intégration des étudiants pour développer chez eux le sentiment d’appartenance à l’université. Ce texte rejoint les préoccupations de rayonnement international de l’université dans les objectifs qu’elle se donne pour la période 2003-2007. Dans ce texte, l’accent est mis sur le rôle de la communauté universitaire qui doit toute entière participer : chaque acteur (les associations étudiantes, les facultés et départements, et enfin l’université et les services) voit son rôle défini et la Commission 13 suggère pour chacun d’eux des pistes de travail, allant du renforcement des relations entre les services à l’amélioration de la signalisation dans les bâtiments. Si l’appréciation portée sur l’accueil et l’intégration des étudiants étrangers est positive, des manques sont soulignés en ce qui concerne les étudiants provenant des autres régions du Québec. 1.2 POURQUOI ACCUEILLIR ET INTÉGRER ? 1.2.1 LES DÉFINITIONS PAR L’INSTITUTION DES NOTIONS D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION La notion d’intégration est centrale dans mon étude, et elle sera beaucoup plus approfondie dans la partie portant sur les concepts théoriques. Il me paraît cependant important de commencer par la définition donnée par l’Université Laval aux notions autour desquelles s’articule le texte étudié. Dans cette politique, l’accueil est une « attitude qui se manifeste par un ensemble d’actions que pose la communauté universitaire à l’égard des étudiants dès qu’ils se montrent intéressés à s’inscrire à l’université, lors de leur arrivée et chaque fois que de nouveaux contacts sont établis avec eux ». L’accueil est donc un acte qui reste ponctuel, alors que, pour reprendre les termes du rapport de la Commission des affaires étudiantes, « l’intégration de la personne dans son nouvel environnement est encore plus déterminante pour favoriser le développement et le maintien de son sentiment d’appartenance envers son milieu » (1999). En ce qui concerne l’intégration, la politique reprend cette idée de continuité dans le temps qui sous-tend ce concept : c’est un « processus par lequel les étudiants deviennent membres à part entière de la communauté universitaire. Ce processus s’amorce à l’accueil et se poursuit grâce aux relations entretenues avec eux, à l’encadrement prodigué et à diverses activités favorisant leur engagement dans la 14 communauté universitaire. » La notion de temps est donc très présente dans cette définition : l’intégration n’est pas une action ponctuelle mais quelque chose qui se vit sur le long terme et qui est toujours à réactualiser. Au cours de l’automne 2002, le Service des Affaires étudiantes a procédé à une consultation à l’interne pour définir le concept d’intégration (SAE 2004 : 9). L’intégration, dans le contexte des différents mandats des unités relevant du Service des affaires étudiantes, se définit comme un processus par lequel les étudiants deviennent, progressivement et de façon continue, membres à part entière de la communauté universitaire, et ce, par une attitude d’ouverture, d’échange et de participation. Ce processus prend forme dès l’accueil et se prolonge tout au long des études jusqu’à l’obtention du diplôme, dans une démarche d’accompagnement avec les différents intervenants universitaires et grâce aux relations entretenues avec eux, à l’encadrement prodigué et à diverses activités favorisant leur engagement dans la communauté universitaire, le tout dans le respect des différences, des normes et des valeurs institutionnelles. Cette définition de l’intégration, notion centrale de ce travail, est développée dans la partie théorique et mise en parallèle avec les notions d’adaptation ou encore d’assimilation. Je pensais au départ laisser de côté l’encadrement, avec l’idée qu’il ne concernait que le côté facultaire et professoral. Il s’avère finalement que je prendrai cet aspect en compte, dans la mesure où il constitue aussi une des orientations du Bureau d’accueil des étudiantes et étudiants étrangers (BAEE), qui, comme son nom l’indique, a la responsabilité première de l’accueil et de l’intégration des étudiants dans l’université. Dans la politique étudiée, l’encadrement est d’ailleurs défini comme suit : « soutien pédagogique, administratif et, le cas échéant, personnel offert aux étudiants dans l’élaboration et la réalisation de leur projet de formation de même que dans leur insertion socioprofessionnelle » (2001). 1.2.2 LES ENJEUX LIÉS À L’ACCUEIL ET À L’INTÉGRATION DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS J’ai mentionné en introduction des enjeux liés à l’internationalisation des universités québécoises : culturels (il s’agissait de favoriser l’éducation interculturelle et 15 les échanges au sein de la communauté étudiante et professorale), mais aussi économiques (par la contribution à la recherche et à l’innovation économique, par l’accentuation du rayonnement international de l’université et par la possible immigration à plus long terme de ces étudiants qui viendront rehausser le niveau de formation québécois). Ces divers enjeux sont repris dans les textes officiels de l’Université Laval et ils sont mis en lien avec la capacité d’accueil et d’intégration de l’institution d’accueil : ce sont en effet des « facteurs importants de réussite dans les études, qui contribuent également à la formation personnelle, à l’engagement dans le développement de la vie universitaire et à l’insertion socioprofessionnelle » (Université Laval 2001), d’où la volonté d’améliorer le taux de réussite et de diplômation des étudiants étrangers. L’accueil et l’intégration peuvent aussi être déterminants dans la vision qu’ont les étudiants étrangers de la société québécoise et de l’Université Laval et dans la promotion qu’ils vont en faire, de retour dans leur pays : l’accueil et l’intégration sont en ce sens capitaux car les étudiants peuvent ensuite « agir comme ambassadeurs auprès de leur pays d’origine » (Université Laval 1998). Au-delà de la réputation internationale que cela peut apporter, il est précisé, dans les grandes orientations de l’université pour 2003-2007, que le groupe des 18-25 ans est amené à décroître au Québec (Université Laval 2003a) : l’enjeu pour l’Université Laval va donc être de maintenir des effectifs étudiants pour permettre son développement et assurer la qualité de la formation : ce maintien passe par l’accueil d’étudiants étrangers. Les étudiants étrangers de premier cycle constituent de plus un bassin de recrutement important pour les études supérieures, et lorsqu’ils sont en deuxième ou troisième cycle, ils occupent une place importante dans les divers projets de recherche. 1.2.3 LA POPULATION VISÉE Le statut d’étudiant étranger s’applique selon l’Université Laval à toute personne provenant d’en dehors du Canada et devant détenir un permis d’études émis par le ministère Citoyenneté et Immigration Canada. Un peu plus de 2 000 personnes étaient donc concernées à la session d’automne 2004. Cependant, les activités d’accueil, 16 d’encadrement et d’intégration ne concernent pas que les étudiants étrangers : tous les étudiants non québécois sont concernés par celles-ci. Le site du Registraire permet d’accéder aux statistiques concernant notamment la répartition des étudiants dans l’université. La série I notamment porte sur les effectifs étudiants : pour la session d’automne 2004 par exemple, 4 398 étudiants non québécois se sont inscrits à l’Université Laval : parmi eux, 904 sont Canadiens, 1 350 sont résidents permanents, 5 ont un statut indéterminé et 2 139 ont un permis de séjour d’études (la majorité de ces étudiants, à savoir 1 013, est européenne, dont 815 Français qui représentent la plus grande communauté étrangère présente sur le campus). Dix pour cent environ de la population étudiante (qui représente, tous cycles confondus, environ 40 000 étudiants chaque année), est donc directement concernée par la Politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration des étudiants, même si le texte peut finalement s’appliquer à toute la population estudiantine de l’université, l’intégration étant, comme nous l’avons vu, un processus qui s’inscrit dans le temps. 17 C HAPITRE 2 L ES APPROCHES THEORIQUES ET CONCEPTUELLES Mon sujet, à savoir l’intégration à l’Université Laval des étudiants tunisiens et marocains aux deuxième et troisième cycles, nécessite pour l’appréhender de faire référence à diverses notions, parmi lesquelles la culture et les rapports interculturels qui découlent de la confrontation de cultures différentes. J’aborderai ensuite la notion d’intégration, notamment dans un contexte d’immigration, pour finalement questionner le système éducatif en tant que lieu principal de socialisation et d’intégration pour les étudiants étrangers qui constituent ma population. Ce chapitre fait intervenir un grand nombre d’auteurs et de modèles théoriques, qui abordent aussi bien les aspects sociaux que psychologiques qui peuvent intervenir dans le processus d’intégration des étudiants étrangers qui constituent la population de mon étude. Il me semble important de préciser en commençant que j’ai choisi de faire référence à de nombreux modèles, pour en présenter les principales dimensions et les concepts clés à retenir pour mon analyse transversale, plutôt que de m’attarder sur un modèle que j’aurais pu développer en profondeur mais qui, il me semble, m’aurait limité par la suite dans mon analyse. 2.1 LA CULTURE 2.1.1 QU’EST-CE QUE LA CULTURE ? Selon Guy Rocher (1992 : 109), la culture est « un ensemble lié de manières de pensée, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ». La culture est donc une manière de penser mais aussi d’agir, selon des normes et valeurs culturelles intériorisées par l’ensemble des membres qui composent une communauté. C’est de plus un système dont toutes les composantes sont étroitement liées. Cette définition rejoint celle d’Oberg (1960) : en plus de vivre dans un environnement physique, chaque individu 19 évolue dans un environnement culturel composé non seulement d’objets fabriqués par l’homme, mais aussi d’institutions sociales, d’idées et de croyances. La culture n’est pas quelque chose d’inné mais le produit d’un apprentissage qui commence dès la naissance et qui se poursuit tout au long de la vie. Lorsqu’une culture est apprise, elle devient quelque chose de si intime et familier qu’elle apparaît comme la seule manière de fonctionner en société. Chaque culture est de plus le produit d’une évolution historique spécifique et ne peut être comprise que dans l’interaction de différentes sous formes de cultures (les technologies, les institutions, les idées, etc.) 2.1.2 LES DIMENSIONS DE HOFSTEDE SUR LA CULTURE NATIONALE Hofstede (1995) part du principe que la culture est l’expression de modes de pensée et de comportements qui trouvent leur origine dans les divers environnements sociaux rencontrés au cours de la vie. Il existe, selon lui, différents niveaux de culture : nationale, régionale, ethnique, religieuse, linguistique, origine sociale, degré d’instruction, profession exercée, etc. L’approche de Hofstede est intéressante pour mon étude car elle met en perspective des éléments culturels qui, du fait des attitudes qu’ils engendrent chez les individus, peuvent être problématiques dans le processus d’intégration d’une culture à une autre. Il s’agit de la distance hiérarchique, du degré d’individualisme, du degré de masculinité et du contrôle de l’incertitude, traduits en indices sur une échelle allant de 0 à 100. L’auteur se base sur une étude réalisée auprès d’employés de l’entreprise IBM de 1967 à 1969 (60 000 personnes dans 53 pays) et de 1971 à 1973 (60 000 personnes dans 71 pays, dont 30 000 avaient déjà répondu la première fois). La méthodologie de l’étude consistait à appliquer à des échantillons dans différents pays le même questionnaire, qui pouvait être divisé en quatre parties : les caractéristiques sociodémographiques des répondants, leur degré de satisfaction personnelle au travail, leur perception du travail et leurs objectifs personnels et croyances. Les réponses obtenues ont été groupées selon les pays d’origine, les métiers, les sexes et les âges. Plusieurs cultures nationales sont donc prises en compte mais dans le cadre de ce mémoire, il a été retenu les pays arabophones 20 (un peu simplificateur car les pays du Maghreb peuvent être sous certains aspects très différents d’autres pays arabes plus conservateurs), le Canada (même si les différences peuvent être fortes sur le plan culturel entre le Canada anglophone et le Canada francophone) et la France, premier pôle d’attraction pour les immigrants maghrébins et territoire francophone souvent le plus connu des étudiants. Malgré les réserves émises dans la définition géographique de ces ensembles, ces dimensions pourront être utiles pour servir de balises lors de l’analyse des entretiens : les quatre dimensions abordées sont la distance hiérarchique, le degré d’individualisme, le contrôle de l’incertitude et l’indice de masculinité. Seules les trois premières notions seront détaillées, car la dernière, sur l’indice de masculinité (qui renvoie au stéréotype sexuel véhiculé dans chaque société), ne me semble pas être pertinente pour mon sujet d’étude, d’autant plus que, si je me fie à cette étude, les indices pour le Canada et les pays arabophones sont très proches. L’étude que présente Hofstede est ancienne, puisque les chiffres les plus récents datent de 1973 : il faut donc garder présent à l’esprit que la situation peut avoir considérablement évolué. Cependant, le livre a été publié en 1995, ce qui laisse penser que les tendances présentées par pays peuvent encore être d’actualité. De plus, d’autres auteurs ont repris des catégories qui se rapprochent de celles utilisées par Hofstede : ainsi Trompenaars (1994) aborde les différences culturelles au sein des entreprises en termes de sociétés universaliste ou particulariste, individualiste ou collectiviste, affective ou neutre, spécifique ou diffuse, avec un statut attribué ou acquis, séquentielle ou synchrone, et qui contrôle ou qui suit. Même si les données sont anciennes et que certaines dimensions ont été critiquées, il me semble donc intéressant de les présenter, car elles véhiculent l’idée que les personnes sont façonnées culturellement par ces dimensions. Ces données seront de toutes façons confrontées aux dires des étudiantes et des étudiants rencontrés lors de l’analyse transversale des entretiens. 21 2.1.2.1 LA DISTANCE HIÉRARCHIQUE La première influence de la culture nationale étudiée est celle de la distance hiérarchique, définie comme le « degré d’acceptation de l’autorité par les individus », qui influence fortement le comportement des individus. L’auteur résume comme suit les principales caractéristiques d’une nation à faible ou forte distance hiérarchique : Figure 1. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : la distance hiérarchique Faible distance hiérarchique Les inégalités doivent être réduites. Les enseignants sont des experts qui transmettent des vérités impersonnelles. L’inégalité des rôles dans la hiérarchie des organisations n’est établie que par commodité. La décentralisation est de règle. L’échelle des salaires est resserrée. Les subordonnés s’attendent à être consultés. Le patron idéal est un démocrate capable. Forte distance hiérarchique Les inégalités sont acceptées. Les enseignants sont des gourous qui transmettent une sagesse personnelle. La hiérarchie des organisations reflète une inégalité existentielle entre le haut et le bas de l’échelle sociale. La centralisation est de règle. L’échelle des salaires est étendue. Les subordonnés s’attendent à être commandés. Le patron idéal est un autocrate bienveillant. Source : Hofstede (1995). Cette dimension va être importante dans l’analyse, puisque la différence entre les indices de distance hiérarchique est très forte entre les pays arabophones (et ceux du Maghreb en particulier) et le Canada : sur une échelle de 100, le Canada se situe à 39 et les pays arabophones à 80, ce qui laisse entendre que le vécu de la distance hiérarchique au Québec va être un élément de la culture frappant pour les étudiantes et étudiants tunisiens et marocains rencontrés. 22 Figure 2. Les indices de distance hiérarchique dans les pays arabophones, au Canada et en France Pays arabophones France Canada 80 68 39 Source : Hofstede (1995). 2.1.2.2 LE DEGRÉ D’INDIVIDUALISME La deuxième dimension de la culture nationale abordée par Hofstede est le degré d’individualisme véhiculé. Celui-ci serait selon l’auteur en rapport étroit avec la richesse du pays. Dans les sociétés collectivistes, le groupe serait la source d’identité de l’individu qui lui doit une loyauté indéfectible. L’affrontement direct serait considéré comme une attitude grossière (alors que dans les sociétés individualistes, la capacité à dire ce qu’on pense serait une qualité). Figure 3. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : le degré d’individualisme Sociétés collectivistes L’individu naît dans un groupe qui le protègera en échange de sa loyauté. L’identité est fonction du groupe social d’appartenance. Il faut maintenir l’harmonie formelle et éviter les confrontations. La relation employeur-salarié se noue sur une base morale. Le recrutement et la promotion prennent en compte le groupe d’appartenance. Sociétés individualistes Chacun doit s’occuper de lui-même et de sa proche famille. L’identité repose sur l’individu. Une personne honnête doit dire ce qu’elle pense. La relation employé-salarié est un contrat fondé sur des avantages réciproques. Le recrutement et la promotion sont fonction des compétences et obéissent à des règles. Source : Hofstede (1995). Ici encore, l’indice extrêmement différencié entre les pays arabophones et le Canada laisse penser que cette dimension ressortira dans l’analyse des entretiens. 23 Figure 4. Les indices du degré d’individualisme dans les pays arabophones, au Canada et en France Canada France Pays arabophones 80 71 38 Source : Hofstede (1995). 2.1.2.3 LE CONTRÔLE DE L’INCERTITUDE L’indice de contrôle de l’incertitude (ICI), troisième dimension de l’analyse de Hofstede, renvoie à la réaction face aux situations ambiguës, au comportement général des individus (plutôt remuants, agressifs et actifs dans les cultures à fort ICI, impression de calme, de décontraction, de retenue, d’indolence dans les cultures à faible ICI), etc. Figure 5. Les dimensions de Hofstede sur la culture nationale : le contrôle de l’incertitude Faible contrôle de l’incertitude L’incertitude inhérente à la vie est acceptée, chaque jour est pris comme il vient. Peu de stress, sentiment subjectif de bienêtre. Ce qui est différent est curieux. Il doit y avoir le moins de règles possible. Il est bon parfois de ne rien faire. Bon accueil fait aux idées et attitudes nonconformistes. Motivation par le besoin de réussite. Fort contrôle de l’incertitude L’incertitude inhérente à la vie est une menace qu’il faut combattre. Stress important, sentiment subjectif d’anxiété. Ce qui est différent est dangereux. On a besoin de règles, même inefficaces. Besoin émotionnel d’une activité constante. Répression des idées non-conformistes. Résistance à l’innovation. Motivation par le besoin de sécurité. Source : Hofstede (1995). L’indice lié à cette dimension semble être moins différencié entre le Canada et les pays arabophones, ce qui laisse penser que les problématiques liées au contrôle de l’incertitude seront moins marquées que celles liées aux aspects mentionnés plus haut. 24 Figure 6. Les indices du contrôle de l’incertitude dans les pays arabophones, au Canada et en France France Pays arabophones Canada 86 68 48 Source : Hofstede (1995). 2.1.3 L’INTÉRET DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE Ces notions de culture et des différentes dimensions qui la composent me semblent capitales pour appréhender le vécu des étudiantes et étudiants rencontrés : ils arrivent dans la société d’accueil porteurs d’une culture spécifique et se trouvent confrontés à une culture qui peut être bien souvent étrangère à tout ce qu’ils connaissent. Le système est différent, tant au niveau de la culture qu'au niveau académique, avec un système scolaire encore largement calqué sur le système français (hérité de la colonisation) : nous pouvons penser que les différences vont se faire sentir au niveau relationnel (avec les professeurs, entre étudiants), dans les structures éducatives, dans la pédagogie, etc. : la façon d’étudier, de parler au professeur ou encore de se comporter avec les autres étudiants sont autant d’éléments significatifs de la culture dans laquelle ils s’inscrivent. 2.2 LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ CULTURELLE DANS UN CONTEXTE D’INTERCULTURALITÉ Au-delà de la rencontre de différentes cultures, la notion d’interculturel est portée par la rencontre des personnes qui portent ces cultures. Cette rencontre va se faire sur deux niveaux : un niveau interpersonnel, qui met en jeu l'identité sociale de l'individu, et un niveau interculturel, qui fera intervenir la différence culturelle entre les individus mis en présence et qui entraînera une série d'attitudes et de réactions spécifiques à chacun lors 25 de la rencontre avec la personne étrangère. C’est le niveau interculturel qui fait l’objet de mon attention, car la population étudiée a pour particularité de venir d’une culture éloignée de celle d’accueil, ainsi qu’on a pu le voir avec Hofstede. Face à l’altérité, Lipiansky (1992, 1999) note plusieurs types de mécanismes de défense pour faire face à l’inconnu et au danger potentiel qu’il représente. C’est ainsi que la catégorisation est le processus cognitif qui permet à la personne en contact avec une culture étrangère de schématiser le nouvel environnement social pour mieux l’appréhender et de se définir en se différenciant de cette culture. Plus la culture d’accueil est éloignée de la culture d’origine, plus la personne va être portée à chercher chez l’autre la confirmation de ses préjugés pour la faire entrer dans une catégorie prédéfinie (par exemple « le » Québécois typique). Cette perception de l’étranger implique plusieurs mécanismes : • L’effet de contraste : c’est le fait d’accentuer les différences entre les personnes de culture différente ; • L’effet de stéréotypie : il s’agit de la perception de la personne à travers les stéréotypes qu’on attribue à sa culture, pour la généraliser à tous les ressortissants de cette culture ; • L’effet d’assimilation : c’est l’accentuation des ressemblances entre les personnes d’une même culture. En se plaçant d’un point de vue plus sociologique, le terme de catégorisation peut être associé à ceux de classification et de jugement développés par Bourdieu (1979 ; 1980) et repris par Ball et al. (2001). Ces derniers ont réalisé une étude auprès de deux cohortes de lycéens de six établissements scolaires de Londres ou de ses environs : ils identifient, en étudiant le processus de choix de l’établissement d’enseignement supérieur, ce qu’on pourrait qualifier une « culture de classe » qui fait que les étudiants, porteurs d’un habitus institutionnel, intériorisent la classification des établissements : « Le capital social et culturel, les contraintes matérielles, les représentations sociales, les 26 critères de jugements sociaux et les formes d’auto-exclusion sont tous à l’œuvre dans les processus de choix » (2001 : 68). Même si des caractéristiques individuelles peuvent jouer, ce sont principalement les classifications sociales et culturelles données par l’école et la famille qui vont jouer dans le processus de choix1. La catégorisation peut entraîner l’ethnocentrisme, qui est la tendance que va avoir la personne à juger les autres selon les références liées à sa culture d’origine. Cette attitude peut s’expliquer en faisant appel notamment à l’Iceberg de Kohls (1992), qui représente les différentes facettes de la culture, du plus superficiel au plus profond : les façons d’agir, de penser et de ressentir renvoient aux différents degrés d’intériorisation de la culture. Le niveau morphologique est la partie la plus évidente à observer, puisque c’est l’ensemble de ce qui constitue la forme visible d’une culture (les comportements, la langue, etc.). Elle renvoie aux façons d’agir et de s’organiser dans une communauté donnée. Le niveau structurel est quant à lui l’ensemble des façons de penser et de concevoir son rapport au monde. Le niveau mythique enfin est le plus émotif, le plus profond, et il détermine les façons d’agir dans une culture donnée. Ces deux niveaux, structurel et mythique, font référence aux facteurs psychologiques de la culture, présents de manière implicite et codés dans la culture et souvent inconscients chez les individus. 1 Cette intériorisation du choix avait déjà été montrée dans mon mémoire de maîtrise réalisé en France (Duclos 2004a) : la décision prise par les étudiantes tunisiennes et marocaines de venir en France faire des études supérieures et de choisir la formation la plus élitiste offerte par ce pays était vu comme « naturelle », puisque construite depuis l’enfance par la famille (les parents mais aussi la famille au sens large). 27 Figure 7. Une représentation de la culture : l’iceberg de Kohls Source : Kohls, 1992. Ce schéma permet de définir l’ethnocentrisme comme la manière d’appréhender les phénomènes culturels émergeant de la culture d’accueil (le niveau morphologique) à partir des phénomènes culturels immergés de notre propre culture (niveaux structurel et 28 mythique), c’est-à-dire ceux qui nous semblent les plus évidents. Les actes de l’autre sont alors jugés incompréhensibles et peuvent même être soupçonnés d’être intentionnels. Cette réaction intervient aux moments précis du processus de migration qui correspondent à l’étape de confrontation. Ce n’est en effet pas un phénomène linéaire et les différentes facettes de la culture telles qu’elles sont présentées dans l’iceberg de Kohls peuvent être associées aux étapes de l’acquisition de la culture par l’immigrant lors du trajet migratoire. Cette typologie sera utile dans l’analyse transversale des données de mon étude, étant donné l’introduction, comme critère de mon échantillon, du nombre de sessions passées à l’Université Laval. 2.2.1 LE TRAJET MIGRATOIRE Kaverlo Oberg (1960) détaille les moments du processus d’adaptation. D’autres auteurs tels que Cohen-Emerique (1980) ont utilisé pareille typologie pour détailler les étapes du processus migratoire. Selon Oberg (1960) et Cohen-Emerique (1980), le trajet migratoire comprend quatre étapes, représentées par la figure 8. 29 Figure 8. Illustration du trajet migratoire d’Oberg : du choc culturel à l’acculturation Source : Levine et Adelman (1993 : 41). 2.2.1.1 L’ÉTAPE D’EUPHORIE Cette première étape, la « lune de miel », est celle qui s’apparente à l’état du vacancier. Cette étape se situe dans la période immédiate après l’arrivée dans le pays d’accueil. L’immigrant ne voit que le bon côté de la société d’accueil, il visite le pays, découvre les coutumes locales plus ou moins exotiques. Dans le contexte de cette recherche, à savoir l’immigration temporaire pour études, il sera intéressant de voir si cette première étape est réellement vécue par les répondantes et répondants. Est-il en effet plausible de penser que tous passent par cette phase alors que l’arrivée dans un nouveau pays est synonyme de nombreux problèmes à résoudre (communication, logement etc.) ? 30 2.2.1.2 L’ÉTAPE DE CONFRONTATION Cette étape correspond au moment du « choc culturel », qui sera surmonté par la suite avec l’ajustement, l’adaptation et l’intégration. Selon Weaver (2000), plus la culture d’accueil est différente de la culture d’origine, plus le choc culturel peut-être important, même si les traits psychologiques individuels aggravent ou au contraire atténuent ce choc. Le choc culturel peut être expliqué par trois facteurs : 1) la perte des repères familiers (dans les façons de parler, d’agir, dans les règles tacites de comportement), 2) la rupture de la communication interpersonnelle (un problème de codage ou de décodage de l’information peut mener à une rupture de la chaîne de communication), 3) la crise de l’identité : la perte des repères familiers désoriente et mène l’individu à prendre conscience de la façon dont sa culture détermine son comportement. Cette période peut être assimilée à celle traversée pendant l’adolescence : l’individu doit se redéfinir à travers de nouvelles relations avec son environnement et de nouvelles manières de concevoir le monde. La définition que donne Oberg (1960) du choc culturel est le résultat de l’anxiété consécutive à la perte des signes et symboles familiers qui régissent les interactions sociales. Un stress adaptatif apparaît lors de cette étape, et il peut se manifester à travers différentes stratégies, réactives ou proactives. 31 Figure 9. Les types de stratégie lors de l’étape de confrontation Stratégies réactives La fuite - dans le travail - dans la drogue - dans la maladie - dans la déprime - dans la paranoïa L’attaque envers - le système du développement - le conjoint - la famille - la société d’accueil -le pays tout entier - soi Le désengagement Stratégies proactives Le recul stratégique - reconnaître - identifier son étape d’adaptation - s’exprimer - avoir un projet personnel L’affirmation de soi - préciser ou réactualiser les motifs personnels - réactualiser la compréhension de son mandat - valider la compréhension de son partenaire - identifier les zones d’influence réciproques : les ressources de chacun des partenaires La communication interculturelle - être sensibilisé à différents modes de communication Source : d’après Oberg (1960). Les stratégies réactives seraient selon Oberg dangereuses et fatigantes. Elles se caractériseraient notamment par l’attitude hostile et agressive envers les habitants du pays. Tous les champs d’activité pourraient être touchés, allant de l’école au langage, en passant par les moyens de transport ou les achats. Les natifs étant la plupart du temps indifférents à ces difficultés, la personne deviendrait agressive envers le pays d’accueil et se replierait sur sa communauté. Les différences entre la société d’origine et la société d’accueil seraient perçues comme négatives. À l’inverse, les stratégies proactives ne seraient pas des réactions mais des actions stratégiques faites de façon consciente pour répondre au stress, dans le but de développer les interactions avec les autochtones. Il faut souligner que la confrontation n’est pas le seul fait de l’étape du même nom et qu’elle peut survenir à tout moment, selon le degré de conscience de l’individu, son degré de sensibilité, de fragilité, mais aussi selon les conditions du milieu. 32 2.2.1.3 L’ÉTAPE D’AJUSTEMENT Si le visiteur parvient à acquérir une certaine connaissance de la langue et de la culture du pays d’accueil, il peut s’ajuster. Par exemple au lieu de critiquer les aspects culturels qui le dérangent, la personne va utiliser l’humour pour en parler, allant même jusqu’à se prendre lui-même pour cible de ses plaisanteries. À cette étape, la culture du pays d’accueil n’est pas encore acceptée comme une culture égale à celle d’origine, mais elle n’est plus rejetée ou incomprise. 2.2.1.4 LES ÉTAPES D’ADAPTATION ET D’INTÉGRATION L’individu finit par accepter les coutumes du pays comme une autre façon de vivre. Il est fonctionnel dans le nouveau milieu et il n’éprouve plus d’anxiété bien que le stress puisse réapparaître quelquefois. Il vit dans ce que Cohen-Emerique nomme une « interculturalité satisfaisante ». Les stratégies identitaires sont donc à étudier à travers la relation entretenue entre la personnalité individuelle et son environnement. Les degrés d’intégration sont multiples et continuellement changeants pour une même personne, selon ses expériences et l’ancienneté de sa migration, car l’identité est « un dynamisme apte aux adaptations parfois les plus étonnantes » (Camilleri 1998a : 257). C’est ce que l’auteur résume dans un autre article (1998b) grâce à la figure suivante : 33 Figure 10. Les stratégies d’adaptation au sein d’une culture étrangère (Camilleri) Attitudes égocentrées Attitudes d’ouverture Référence à une culture unique Attitude conservatrice Repli sur la culture d’origine Articulation des cultures Attitude syncrétique Emprunt d’éléments aux deux cultures sans souci de cohérence Ex : l’immigré qui maintient des rites et des mœurs qui n’ont plus cours dans son pays d’origine. Ex : l’immigré maghrébin qui reste musulman mais ne respecte plus le ramadan ou les interdits alimentaires. Attitude opportuniste Attitude synthétique Se moule dans la culture d’adoption Recherche d’une synthèse nouvelle et cohérente Ex : donner à ses enfants des prénoms du pays d’accueil. Ex : le prophétisme africain. Source : Camilleri (1998b : 58). Selon la manière dont l’individu négocie son identité au sein de la culture d’accueil, les stratégies d’adaptation peuvent aller d’un extrême à l’autre : du repli identitaire sur la culture d’origine et le rejet en bloc de tout ce qui constitue la culture d’accueil, jusqu’à un rejet de la culture d’origine pour totalement s’assimiler dans la culture d’accueil. Berry (1997) détaille lui aussi les stratégies d’adaptation à partir d’un modèle bidimensionnel, selon que le migrant veut maintenir ou non son identité et ses spécificités culturelles et qu’il veut ou non entretenir des relations avec la société d’accueil. Les différentes combinaisons possibles de ces deux dimensions aboutissent à quatre stratégies différentes d’acculturation : l’intégration, l’assimilation, la séparation/ségrégation et la marginalisation. L’intégration serait selon Berry la stratégie d’adaptation la plus positive, car elle implique une volonté d’accommodation mutuelle, la présence d’attitudes positives et l’absence de préjudice et de discrimination, l’implication du migrant dans les deux cultures et une personnalité flexible. À l’extrême opposé de l’intégration se trouve la marginalisation, c’est-à-dire le refus d’être en relation avec la culture d’accueil, tout en ayant perdu sa culture d’origine. 34 Figure 11. Les stratégies d’acculturation (Berry) Le migrant considère-t-il comme important de conserver son identité et ses caractéristiques ? Oui Non Le migrant considère-t-il comme important de maintenir des relations avec la société d’accueil ? Oui Intégration Assimilation Non Séparation/Ségrégation Marginalisation Source : Berry (1997 : 10). 2.2.2 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE Après avoir examiné l’interculturel à son niveau le plus global, celui de la société (au travers des différences culturelles), il s’agissait de resserrer l’analyse sur les réactions que la rencontre de deux cultures peut engendrer chez les acteurs. Les notions abordées plus haut vont me permettre de mettre un nom sur des stratégies qui pourraient sembler obscures ou incompréhensibles, ou de comprendre pourquoi certaines d’entre elles semblent se répéter chez les acteurs. Même si les concepts présentés ont été développés pour l’étude des migrations à long terme et non pas pour la migration liée aux études, il me semble que les étudiants peuvent être considérés comme une population en déplacement qui, même si elle a des spécificités, rencontre les mêmes difficultés et les mêmes interrogations que tout groupe immigrant débarquant en terre étrangère. Les étudiants de ma population sont présents sur le sol québécois pour deux ans au minimum, le temps de compléter une maîtrise, un doctorat et quelquefois les deux, mais nombre d’entre eux projette de s’installer au Québec au moins pour quelques années à la fin de leurs études. Le trajet migratoire présenté dans le diagramme d’Oberg permet aussi de voir le processus de migration dans le temps, un de mes critères dans le choix des étudiantes et étudiants étant leur ancienneté à Québec (un an et moins / plus d’un an). Toutes les notions présentées plus haut ont donc pour objectif de me guider dans l’interprétation de ce que me disent les étudiantes et étudiants rencontrés : quelles sont les stratégies identitaires mises en place ? Où en sont-ils dans leur processus de migration ? 35 2.3 L’INTÉGRATION : POUR QUOI FAIRE ? Les éléments de culture sont donc être importants mais la culture se traduit aussi par la mise en place d’idéologies et de structures particulières. Je vais donc me pencher sur la définition donnée par différents auteurs à la notion d’intégration, ce qui pourra être comparé, lors de l’analyse des entretiens, avec la définition que donnent les étudiantes et étudiants à la notion d’intégration, qu’elle soit sociale ou académique. Il s’agira ensuite d’examiner la structure principale d’intégration qui nous intéresse dans cette étude : le système d’éducation. 2.3.1 L’INTÉGRATION, UNE PROBLÉMATIQUE SOCIALE Même si quelques études font référence à la notion dans les années 80, c’est au début des années 90 que s’affirme sur le devant de la scène la notion d’intégration (Obin et Obin-Coulon 1999), qui renvoie étymologiquement à l’action de faire entrer une partie dans un tout. Alors que les termes d’assimilation et d’insertion impliquaient un rapport d’inégalité entre l’objet et l’ensemble, l’intégration introduit selon Obin et Obin-Coulon (1999) l’idée de réflexivité et d’interaction dans l’accueil : l’individu intégré change, mais le groupe qui l’intègre subit son influence et change aussi. L’intégration n’est donc pas une notion abstraite et ne peut se comprendre que dans un contexte social : on ne peut pas parler d’intégration sans préciser à quel niveau de la réalité sociale on se situe (familiale, professionnelle, culturelle, religieuse, nationale). Ceci fait qu’il existe autant de formes de sociabilité et d’appartenance (selon les sphères sociales prises en compte) que de degrés possibles d’intégration. La spécificité du terme d’intégration renvoie ainsi aux multiples champs qu’il recouvre dans la société : aussi bien à des aspects culturels (par exemple avec le rôle de l’école), que sociaux (les politiques d’insertion) ou politiques. L’intégration se développe selon deux dimensions : la première, objective et en partie volontaire, est la participation de l’individu à des structures contraignantes (activités professionnelles, institutions sociales et politiques) et l’adoption de normes 36 communes (modèle familial, langue, comportements sociaux ; la deuxième, d’ordre subjectif et affectif, renvoie au développement d’un sentiment d’appartenance à une même communauté. Selon Durkheim (1897) dans Le Suicide, étude de sociologie, un groupe est intégré « dans la mesure où ses membres possèdent une conscience commune, partagent les mêmes croyances et pratiques, sont en interaction les uns avec les autres et se sentent voués à des buts communs ». Cette définition de l’intégration sera tout particulièrement applicable au cas de l’école, et par extension de l’université, dans la mesure où l’objectif même de cette institution est de fournir un cadre d’apprentissage homogène et intégrateur. Cependant, cette idée de l’intégration vue comme un processus ayant un terme est remise en cause, notamment par Sayad dans son article « Qu’est-ce que l’intégration? »2 : le processus d’intégration n’est pas n’est pas un processus fini ni linéaire mais un « processus continu auquel on ne peut assigner ni commencement ni aboutissement, un processus de tous les instants de la vie, de tous les actes de l’existence » (cité dans Bertaux 1997 : 38) et « un processus lent, douloureux, conflictuel, qui se joue au niveau de chaque individu » (cité dans Obin et Obin-Coulon 1999 : 18). 2.3.2 L’IMMIGRATION ET L’INTÉGRATION La population visée dans cette étude est une population en déplacement, celle des étudiants internationaux. Il s’agit le plus souvent d’une immigration temporaire (même s’il arrive, pour certaines populations en particulier, dont les Tunisiens et les Marocains font a priori partie, que les étudiants fassent en cours d’étude une demande de résidence permanente). 2 Sayad, 1994. « Qu’est-ce que l’intégration ? » Hommes et migrations, 1182, décembre. 37 Même si la notion d’intégration s’est élargie à toutes les formes d’exclusion et de marginalisation (familiale, professionnelle, culturelle, religieuse, nationale), AbdallahPretceille (1992), Obin et Obin-Coulon (1999) remarquent que quand on parle d’intégration, c’est le plus souvent de celle des immigrés, et ils soulèvent l’aspect profondément politique de l’intégration (intégration à la nation, à une institution), qui renvoie à la question de la cohésion sociale. L’intégration, dans la mesure où la reconnaissance de la diversité culturelle apparaît comme un élément de structuration du tissu social, devient alors un projet politique et un processus ou plutôt une série de processus. C’est ainsi que Decouflé (1997) reprend la définition du Haut Conseil à l’intégration en France (1993 : 34-35) : Susciter la participation active à la société nationale d’éléments variés et différents, tout en acceptant la subsistance de spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité. Sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et de donner à chacun, quelle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant. Parce qu’elle est un choix d’appartenance, l’intégration implique une politique attentive et soutenue d’information du candidat sur ses droits et ses obligations (règles du jeu social que le nouveau venu doit avoir à respecter pour s’intégrer dans la société d’accueil.) Parce qu’elle est un processus de longue durée, l’intégration implique une politique d’accompagnement. Enfin, parce qu’elle s’éprouve dans la difficulté d’être immigré, l’intégration implique une politique d’accueil, ainsi que de respect des cultures d’apport et des caractères identitaires des personnes, pour autant qu’ils ne mettent pas en question les fondements de la culture de référence et que leurs manifestations ne portent aucune atteinte à l’ordre public. 38 L’intégration est donc également un processus éminemment politique, qui explique le fait que les institutions se dotent de politiques d’intégration, à l’image de la Politique d’accueil et d’intégration des étudiants étrangers de l’Université Laval. 2.3.3 LA FONCTION D’INTÉGRATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF En tant que lieu principal de socialisation des étudiants qui font l’objet de mon étude, l’université apparaît comme le vecteur de transmission principal des valeurs de la société, en fournissant un cadre et un modèle culturel et national d’intégration. Le système scolaire a un rôle de régularisation et d’homogénéisation par la normalisation qui la conduit à être un lieu privilégié d’intégration pour les populations arrivantes. Les études présentées concernent le niveau universitaire, mais aussi pré-universitaire car les dimensions présentées dans ces analyses peuvent être transposées au niveau universitaire. Dans un rapport du Cégep de Sainte-Foy (1993) portant sur l’intégration aux études collégiales comme facteur explicatif du décrochage scolaire, Larose et Roy reprennent plusieurs théories traitant de l’intégration aux études collégiales et mentionnent notamment les recherches de Vincent Tinto (1987) qui mettent l’accent sur les variables du milieu qui interviennent dans le cheminement de l’élève. Tinto élabore un modèle pour expliquer pourquoi certains élèves réussissent alors que d’autres décrochent, en se penchant sur les processus internes aux institutions. Il se penche sur un ensemble de prédispositions selon leurs caractéristiques sociologiques (âge, sexe, race, etc.), leurs antécédents (statut socioéconomique de la famille, antécédents scolaires), des habilités personnelles (intelligence, valeur accordée à l’éducation) et expériences passées de réussite ou non, qui orientent les élèves dans leurs perceptions et leurs objectifs. Ces prédispositions peuvent être modifiées par l’expérience des élèves dans la nouvelle institution. En ce sens, les expériences sociales et scolaires vont avoir une influence sur la qualité de l’intégration, qui comprend deux niveaux : le niveau subjectif (comment l’élève sent qu’il est intégré et l’importance qu’il se donne comme élément du système éducatif) et objectif (sa place réelle dans le système). Dans un autre article, Tinto (1975) montre comment l’intégration peut être réussie dans une sphère et tout de même aboutir à 39 un échec : par exemple un étudiant très bien intégré sur le plan social peut se trouver incapable de réussir au niveau académique. Dans le rapport du Cégep de Sainte-Foy, les auteurs définissent trois types d’intégration au sein du système éducatif : l’intégration scolaire tout d’abord concerne l’ajustement de l’étudiant aux attentes scolaires des professeurs et des pairs et aux exigences du milieu. L’intégration sociale quant à elle est l’appartenance de l’étudiant à un réseau qui va remplir plusieurs fonctions (aide affective, scolaire) dont la plus importante est selon les auteurs la fonction sociale. Une intégration institutionnelle réussie enfin renvoie à un sentiment d’appartenance institutionnelle et à une connaissance des rouages de l’institution qui permet notamment d’évoluer en son sein en connaissant les services offerts. À partir de cette conception tripartite de l’intégration, le rapport développe une modélisation de l’intégration aux études collégiales, en utilisant quatre ensembles de variables : les acquis précollégiaux, les perceptions de l’élève, ses expériences d’intégration et la qualité des milieux enseignants et non enseignants. Selon l’intensité des différentes variables, l’intégration va être plus ou moins bonne et aboutir à un plus ou moins bon rendement scolaire. 40 Figure 12. Un schéma du modèle explicatif de l’intégration aux études collégiales Acquis précollégiaux Acquis Perception de l’élève Perception de soi - liés à l’apprentissage Acquis scolaires Scolaires Sociales - liés à l’orientation Qualité du milieu - sociaux Enseignant Non enseignant - du secondaire Expériences collégiales Institutionnelles I N T É G R A T I O N R E N D E M E N T Source : Larose et Roy (1993). L’intégration est donc vue comme la somme de plusieurs types d’intégration, scolaire, sociale, psychologique et institutionnelle. Plusieurs études s’intéressent à l’intégration des étudiants inscrits cette fois à l’université. Dans une étude pour le ministère de l’Éducation nationale en France, Valérie Erlich (2000) se penche sur les types d’investissement des étudiants à l’université en France, en faisant des entretiens auprès de 80 étudiants universitaires inscrits à Nice et Paris (France), dans des filières à recrutement massif (Administration, Sciences Économiques et Sociales, Droit, Psychologie et Sciences de la Vie et de la Terre). Si l’investissement scolaire des étudiants dans leurs études supérieures dépend de leur intérêt disciplinaire, quel sens accordent-ils à leur vie universitaire ? Erlich montre que les étudiants français s’investissent peu dans la « vie universitaire », définie comme les activités parallèles aux études qui se mettent en place dans les établissements scolaires, qu’elles soient culturelles, physiques ou sociales, et qu’ils considèrent que l’université se résume à sa fonction utilitaire : les activités périscolaires sont peu ou pas utilisées et connues, et les étudiants niçois et parisiens se désintéressent de ce qui ne touche pas les cours. La 41 situation est différente dans d’autres pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore l’Allemagne ou le Japon, où les étudiants ont tendance à plus s’impliquer dans la vie culturelle, sportive et sociale de leur campus ou de leur université. D’autres variables peuvent par ailleurs être prises en compte lorsqu’on considère les différents facteurs d’intégration dans le système éducatif. C’est ainsi que Grayson (1995), dans une étude menée à la York University (Ontario, Canada) auprès d’étudiants de première année, se concentre sur l’analyse des antécédents des étudiants de diverses races ou ethnies, leur participation à la vie sociale et académique, leur expérience en classe, les résultats scolaires de leur première année universitaire ainsi que sur l’importance de la question raciale dans leur vie étudiante. Il ressort de cette étude que les expériences universitaires varient selon la minorité raciale et ethnique des étudiants. Une autre étude de Grayson (1997), toujours menée à la York University, met l’accent sur la variable qu’est le lieu de résidence : si le fait d’habiter sur le campus facilite l’implication des étudiants dans la vie universitaire, cela n’est pas forcément une bonne prédiction en ce qui concerne la réussite académique. Boyer et Sedlacek (1988) présentent aussi des facteurs qui peuvent influencer l’intégration académique des étudiants étrangers : la méconnaissance du système éducatif dans lequel ils s’insèrent, le nouveau système de diplômation et son vocabulaire (les crédits, les unités, etc.), le type d’examen proposé (les questionnaires à choix multiples par exemple.) La réussite académique est aussi associée à la confiance en eux qu’ont les étudiants, leur sentiment d’efficacité et le fait d’avoir une personne qui puisse les soutenir en cas de difficulté. Un autre facteur essentiel enfin est celui de l’appartenance à une minorité visible, qui rend les étudiantes et étudiants plus exposés que les autres à des préjugés (Moghaddam et Perreault 1992), voire à la dévalorisation (Taboada-Leonetti 1990). 42 2.3.4 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE La notion d’intégration est la notion pivot de cette étude, et le système scolaire, universitaire dans le cas qui me préoccupe, en est le lieu privilégié. Tous les concepts présentés vont servir dans l’analyse des entretiens : les étudiantes et étudiants rencontrés donnent-ils à la notion d’intégration la même définition que les auteurs présentés ? Quelle est pour eux la signification de l’intégration ? De son côté, l’Université Laval a, ainsi que l’ont montré les auteurs, un rôle à jouer dans l’intégration des étudiantes et étudiants qui constituent la population de mon étude. Selon leurs antécédents, leur état de connaissance du nouveau système éducatif, leur implication dans la vie universitaire ou encore leur lieu de résidence par exemple, les étudiants vont plus ou moins bien s’intégrer, que ce soit au niveau académique ou social. Les aspects de leur intégration auxquels vont faire allusion les étudiants et étudiants rencontrés sont multiples. Perçoivent-ils l’université comme un lieu privilégié qui facilite l’intégration ? Quelle est leur participation à la vie sociale et académique de l’établissement ? Le fait d’être en résidence facilite-t-il l’intégration sociale ? L’institution leur fournit-elle les ressources dont ils ont besoin pour faciliter leur intégration ? Quelles seraient selon eux les mesures à mettre en place pour favoriser une intégration plus réussie ? 2.4 LA SOCIALISATION ET LES RÉSEAUX SOCIAUX 2.4.1 LA SOCIALISATION ET L’IDENTITÉ CULTURELLE La socialisation est définie par Guy Rocher comme étant « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là s’adapte à l’environnement social 43 où elle doit vivre » (Rocher 1992 : 131). Trois éléments sont mis en avant dans cette définition : la socialisation est tout d’abord un processus d’acquisition de la culture, d’intégration de la culture à la personnalité et d’adaptation à l’environnement social. Selon Ruano-Borbalan (1998 : 7), la socialisation de l’individu se fait par étapes et son identité est le résultat d’une construction à travers les attitudes et les actes que pose l’individu : « la construction identitaire est une dynamique incessante de confrontation aux valeurs dominantes de la société d’accueil, et d’affirmation de leur propre valeur individuelle ». Cette construction identitaire est aussi le résultat des relations de l’individu avec les réseaux dans lesquels il s’insère, qui peuvent être liés à son ethnie, à sa condition professionnelle, à sa religion, etc. Ces aspects de réajustement et de renégociation perpétuelle de l’identité des individus sont repris par Dubar (2000) : l’identité n’est pas innée mais se construit, par identification avec un groupe social donné, et elle résulte de la socialisation des individus. L’identité n’est pas purement personnelle, elle se négocie aussi par rapport au jugement des autres (on est ce que les autres pensent qu’on est). L’identité culturelle est donc un processus qui se construit, ce qui implique que « l’identité n’est pas une donnée mais une dynamique, une incessante série d’opérations pour maintenir ou corriger un moi où l’on accepte de se situer et qu’on valorise » (Camilleri 1998a : 253). L’individu possède selon Camilleri deux identités : une identité « ontologique » tout d’abord (sur le sens des choses et la valeur personnelle), qui conduit à trois types de réaction : éviter la remise en question (occultation), affronter la dévalorisation, et faire un compromis avec la dévalorisation. C’est cette dernière attitude qui est selon l’auteur la plus favorable à l’intégration (le fait d’adopter les traits de l’étranger tout en conservant un certain nombre de références de la culture d’origine). La deuxième identité de l’individu est son identité « pragmatique » (qui est la réponse à des prescriptions contradictoires entre la culture d’origine et celle du pays d’accueil). Cette identité entraîne deux types de réaction : éviter de mettre en regard les termes de la contradiction, ou joindre les codes (qui serait la voie de l’intégration puisque ceci serait 44 une « stratégie de maximisation des avantages » qui conduit l’individu à se « bricoler » une identité « syncrétique »). 2.4.2 LES RÉSEAUX SOCIAUX La socialisation se réalise à travers la fréquentation de divers réseaux sociaux. Selon Vincent Lemieux (2000), les réseaux sociaux ne sont pas des organisations constituées, il en existe plusieurs types qui ont chacun une fonction spécifique : partager des appartenances, faire circuler de l’information, apporter de l’aide, mobiliser le capital social, relier des agents économiques et contrôler les politiques publiques. Les quatre premiers points seront utiles dans l’analyse des entretiens effectués auprès des étudiants de ma population. • Les rapports d’identification entre les participants. Les réseaux sociaux regroupent des acteurs individuels et des acteurs collectifs (réseau d’une personne, d’une université, réseau politique, etc.). L’identification est définie comme « le sentiment d’appartenance à une entité sociale commune » (Lemieux 2000 : 12) dans laquelle les rapports entre les différents participants vont être marqués par une égalité : il n’y a pas ici de hiérarchie, caractéristique des organisations constituées. • Les connexions directes ou indirectes entre les participants. Dans une connexion directe, la source est en contact avec tous les acteurs (contacts premiers). Dans le cas d’une connexion indirecte, les contacts avec la source se font par l’intermédiaire d’autres acteurs (contacts premier, second, etc.). Cet aspect est illustré par la figure 12. 45 Figure 13. Illustration des connexions directes ou indirectes entre les participants des réseaux sociaux Source : Acteur à l'origine de la connexion Contact premier : Acteur avec qui la source est connectée Contact premier Contact premier Contact second : Acteur avec qui le contact premier est connecté Contact tierce, etc. Source : Adaptation de Lemieux (2000). Contrairement aux réseaux incomplets, les réseaux complets sont ceux dans lesquels chaque acteur est en lien direct avec tous les participants. • L’existence de liens positifs (donc porteurs de connexions) forts ou faibles. Les liens forts (ou liens serrés), par exemple les liens familiaux ou amoureux, sont caractérisés par l’intensité émotionnelle, l’intimité, le temps qui y est consacré et les services réciproques. Les liens faibles (ou liens mi-serrés) vont plutôt être associés aux connaissances qu’aux proches (parents éloignés ou anciens camarades de classe par exemple). • La mise en commun dans le milieu interne de ressources. Cette mise en commun par exemple de l’information, des normes, ou encore des biens et services, a pour but de produire une distribution favorable de ces ressources aux membres du réseau. 46 2.4.3 LES FONCTIONS DES RÉSEAUX SOCIAUX : PARTAGER DES APPARTENANCES, FAIRE CIRCULER DE L’INFORMATION, APPORTER DE L’AIDE ET MOBILISER LE CAPITAL SOCIAL Je ne retiendrai dans les fonctions des réseaux sociaux que celles qui sont reliées de près à mon objet d’étude. La reconnaissance des liens et des appartenances est à la base des fonctions des réseaux sociaux et elle est une condition nécessaire au maintien du réseau. C’est elle qui fait en sorte que les individus restent groupés face à l’extérieur. La circulation de l’information est un phénomène qui se retrouve dans tous les réseaux sociaux. L’apport d’aide peut se faire sous quatre formes : le soutien émotionnel, l’aide matérielle, l’information et la camaraderie. Ces différentes aides peuvent être apportées par différentes personnes, dans différents réseaux auxquels appartient la personne. Cette fonction est soumise à une exigence de réciprocité. Enfin, la mobilisation du capital social est une fonction importante des réseaux sociaux pour ce sujet de recherche : « le capital social peut être mesuré par les contacts premiers et par les contacts seconds, dont les contacts premiers sont les relais » (Lemieux 2000 : 69). Selon Lin (2002), le capital social permet la mise en œuvre de ressources grâce aux relations actualisées ou potentielles entre les membres d’un réseau. La mobilisation du capital social sert à l’intérieur du réseau, mais aussi dans les relations entre réseaux ou encore dans les relations d’un réseau avec un appareil : « ensemble de relations où existent au moins une paire d’acteurs entre lesquels il n’y a pas de connexion dans les deux sens, mais où au moins un acteur a une connexion avec chacun des autres acteurs » (Lemieux 2000 : 57). 2.4.4 L’INTÉRÊT DES NOTIONS PAR RAPPORT À LA DÉMARCHE ADOPTÉE La socialisation, avec les réseaux sociaux à travers lesquels elle va s’actualiser, est une des notions clés de cette étude, puisque nous pouvons formuler l’hypothèse, dans la logique des auteures et auteurs cités, que c’est par elle que va se réaliser l’intégration. C’est dans le choix des réseaux privilégiés, que vont se cristalliser les différents types de socialisation : les étudiantes et étudiants rencontrés vont-ils rester avec leur groupe d’origine ou se risquer à rechercher la compagnie de personnes d’autres nationalités et de 47 cultures potentiellement différentes ? Vont-ils s’appuyer sur le réseau familial ou un réseau de pairs préexistant à leur arrivée ou se construisent-ils leur propre réseau en arrivant à l’Université Laval ? 48 C HAPITRE 3 LE CADRE METHODOLOGIQUE Ma démarche pour cette recherche a été d’allier l’étude documentaire d’une politique avec une enquête sur le terrain : il s’agissait d’appréhender le point de vue des acteurs, à partir de l’étude systématique de la Politique d’accueil d’encadrement et d’intégration des étudiants de l’Université Laval. Il s’agira d’examiner, selon leur projet éducatif, le rapport des étudiants rencontrés avec la société d’accueil et le contexte académique spécifique, pour voir comment ces étudiants, par rapport à l’institution dans laquelle ils évoluent et qui met en œuvre des actions pour les intégrer, vivent l’intégration dans la société d’accueil et dans le milieu scolaire. 3.1 L’ÉTUDE DOCUMENTAIRE : L’ANALYSE POLITIQUE Mon intérêt se porte dans cette étude sur une institution d’enseignement supérieur spécifique, l’Université Laval, située dans la ville de Québec (Québec, Canada) : l’analyse politique m’a paru être un bon outil pour examiner dans quel contexte ont à s’intégrer les étudiants étrangers et quelles sont les ressources (matérielles, financières et psychologiques) mises à leur disposition. La politique étudiée s’adresse à tous les étudiants de l’université, et à tous les acteurs (universitaires, facultaires, etc.). L’objet de mon analyse va être l’évaluation de la mise en œuvre de cette politique. Celle-ci sera donc centrée prioritairement sur : • l’évaluation de l’accueil et de l’intégration des étudiants étrangers (même si certaines actions peuvent toucher tous les étudiants sans distinction de leur origine géographique, la politique s’adressant comme nous l’avons vu à tous les étudiants de l’université) ; • à partir des actions réalisées dans l’université3 : les initiatives des grandes associations étudiantes de l’université (la CADEUL pour le premier cycle et l’AELIES pour les deuxième et troisième cycles) et des résidences universitaires du campus pourront être citées, mais l’analyse sera centrée sur le service de l’université dédié à l’accueil et à l’intégration : le Bureau d’Accueil des Étudiants 3 Comme je l’ai mentionné plus haut, je ne me préoccuperai pas de ce qui se fait au niveau facultaire par exemple. 50 Étrangers (BAEE), qui dépend du Service des Affaires étudiantes (SAE) de l’université. 3.1.1 UNE DÉFINITION DE L’ÉVALUATION Pour cette évaluation de la politique, j’ai choisi d’utiliser le cadre d’analyse de Thoenig (1985) : l’évaluation est l’étude des processus de réalisation des politiques pour les mettre en rapport avec les finalités et juger de leur conformité à ces finalités ; c’est une activité normative, un jugement en fonction d’un cadre de référence (donc elle n’aboutit pas nécessairement à un consensus, le contexte peut être conflictuel). Il ne s’agit pas d’une activité mécanique, technique : le processus n’est pas linéaire, il dépend de chaque contexte, ce qui fait que les résultats obtenus sont souvent différents des résultats attendus. 3.1.2 L’ÉTUDE DE CAS Le cadre de référence choisi pour faire l’évaluation de la Politique d’accueil d’encadrement et d’intégration des étudiants de l’Université Laval, pour reprendre les termes de Thoenig, est celui de l’étude de cas. Dans ce modèle, il s’agit de collecter des informations pour répondre à trois objectifs : spécifier les objectifs, cerner les problèmes et évaluer l’effort sous deux aspects : • Comportement et stratégies des acteurs : après avoir défini de quels acteurs nous allions nous intéresser parmi ceux qui se préoccupent d’accueil et d’intégration (Bureau du Registraire, Service des Affaires Étudiantes, associations étudiantes, directions de départements et de programmes), il faudra se poser quelques questions : qui fait quoi ? Pour qui ? Comment ? Avec quelles ressources ? • Type et quantité des activités : il s’agira de voir quelles sont les activités d’accueil et d’intégration organisées à l’université (Rendez-vous Laval, Université 101, On fête votre arrivée !, Jase moi ça, etc.), et quelle documentation est distribuée aux nouveaux arrivants (Guide de séjour des 51 étudiantes et étudiants étrangers, dépliants des différents services de l’université). 3.1.3 LES DIFFÉRENTES DIMENSIONS D’ÉVALUATION D’UNE POLITIQUE Dans son ouvrage, Lemieux (2002) présente les différentes dimensions que l’on peut étudier pour évaluer une politique. Celles de Suchman (1967, cité dans Lemieux, 2002 : 132) seront plus particulièrement utilisées : l’effort (quels sont les intrants, c’est-àdire les ressources consenties pour alimenter le processus ?), l’efficacité de la politique (quelle est le degré de conformité entre les résultats et les objectifs ?), son impact (quels sont les effets de la politique dans l’environnement, au-delà des objectifs visés ?), son efficience (quel est le rapport entre les efforts et les résultats ?) et enfin le fonctionnement du processus (il s’agit de voir les activités de conversion des intrants en extrants, et l’intérêt se porte sur les relations de pouvoir). Deux autres dimensions, tirées de Plante (1994, cité dans Lemieux, 2002 : 133), seront utiles à l’évaluation de cette politique : la pertinence (quel besoin doit-on combler ?) et la cohérence (dans quelle mesure les objectifs, les moyens et les intervenants s’unissent-ils pour constituer un seul et même outil au service des objectifs visés ?). En ce qui concerne les questions sur la pertinence de cette politique (à quels besoins répond-elle ? quels en sont les enjeux sous-jacents ?), celles-ci ont déjà trouvé réponse dans le premier chapitre, lors de la présentation des enjeux pour l’université d’accueillir et d’intégrer les étudiants étrangers. L’étude de cas permettra d’aborder les objectifs de la politique, ainsi que les efforts. Par rapport aux résultats observés et par croisement des données obtenues, nous pourrons en déduire l’efficacité et l’efficience : Résultats Effort Efficience Objectifs Efficacité Un autre aspect à étudier serait la cohérence de la mise en œuvre. 52 3.1.4 SOURCES En ce qui concerne la collecte de données, trois sources principales ont été utilisées : tout d’abord l’analyse de contenu des documents présents au sein de l’université : les avis et rapports émis par l’université, ainsi que la documentation fournie aux étudiants pour faciliter leur insertion et mieux comprendre les rouages de l’université lorsqu’ils sont accueillis en début d’année au Bureau du Registraire. La documentation recueillie a été en grande partie décrite dans le chapitre un. Un entretien d’une heure a aussi été réalisé avec le responsable de l’accueil des étudiants étrangers au bureau des activités socioculturelles. Enfin, mon statut d’étudiante étrangère mais surtout de bénévole dans plusieurs associations de l’université, dont l’association des bénévoles de l’Université Laval, m’ont permis de participer à différentes activités d’accueil et d’intégration de l’université (Rendez-vous Laval, activité d’accueil des étudiants étrangers, etc.) en étant « de l’autre côté de la barrière », à savoir celui de l’institution. 3.2 L’ENQUÊTE SUR LE TERRAIN : L’ENTRETIEN INDIVIDUEL ET L’ANALYSE QUALITATIVE 3.2.1 LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS AU MAROC ET EN TUNISIE : ÉVOLUTION ET ÉTAT DE LA SCOLARISATION La population étudiée est celle des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains de l’université. Comme je l’indiquais en introduction, j’ai eu l’occasion de dresser dans des travaux et recherches précédents un panorama de la situation du système scolaire dans ces deux pays (Duclos 2003, 2004a)4. Les données présentées datent maintenant d’une dizaine d’années mais il me semble tout de même intéressant de les inclure dans cette étude pour replacer les répondants dans leur contexte. 4 Ces deux études, incluses dans la bibliographie, n’ont pas été publiées. 53 3.2.1.1 LES POLITIQUES D’ÉDUCATION 3.2.1.1.1 LA SCOLARISATION ET L’ANALPHABÉTISME AU MOMENT DES INDÉPENDANCES Les systèmes éducatifs en Tunisie et au Maroc sont le résultat d’une implantation coloniale : les indépendances, acquises par les deux pays en 1956, ont été pour les systèmes d’éducation des forces d’impulsion, puisque dès la rédaction de leurs Constitutions respectives, la Tunisie et le Maroc ont affirmé le droit à la scolarisation. Dans l’article 13 de la Constitution du Maroc, il est écrit que « Tous les citoyens ont également droit à l’enseignement et au travail ». La Constitution tunisienne pose quant à elle le droit à la scolarité obligatoire. Lorsque les indépendances sont proclamées, une large majorité des populations marocaine et tunisienne est analphabète : environ 15 % de la population est alphabétisée, en Tunisie comme au Maroc. En 1953 en Tunisie, 22,5 % des enfants de 7 à 14 ans étaient scolarisés, contre 12 % en 1955 au Maroc. Tableau 3. Le taux d’analphabétisme de la population au Maroc (1960) et en Tunisie (1956) Tunisie, 1956 Hommes 74,5 % Femmes 96,0 % Ensemble 84,7 % Maroc, 1960 78,0 % 96,0 % 87,0 % Sources : pour la Tunisie : République tunisienne (1956) ; pour le Maroc : FELK, Abdellatif (1999). 3.2.1.1.2 L’ESSOR DES ÉTUDES AU MOMENT DES INDÉPENDANCES L’éducation (ou l’instruction formelle) est associée, au moment des indépendances, à un moyen de promotion sociale : elle a joué, surtout en Tunisie, le rôle d’un creuset de l’identité nationale et de la cohésion sociale, puisque le modèle de 54 développement a privilégié « l’alphabétisation d’une population en majorité illettrée et la promotion de larges couches de la population » (Jomni 2002 : 62). Par l’octroi de bourses et la baisse des coûts des différents services universitaires, elle a élargi le recrutement social de l’élite intellectuelle et des cadres du pays. La politique tunisienne a donc visé à favoriser l’essor d’une large classe moyenne, en suscitant et en entretenant l’espoir d’ascension et de progrès. La Tunisie est donc plus associée à une vision se référant à la méritocratie, à « l’ouverture » de son système d’enseignement, au moins au moment de l’indépendance, tandis que la réussite scolaire au Maroc semble plutôt découler de l’héritage familial. Contrairement au Maroc où la politique d’enseignement s’est faite par à-coups et par retours en arrière, la politique d’enseignement en Tunisie s’est caractérisée par sa grande stabilité : l’accent a été mis sur le développement « horizontal » de l’enseignement. Le pays s’est appuyé sur la généralisation de l’enseignement primaire pour fournir les effectifs de l’enseignement secondaire et supérieur par la suite. Un membre du gouvernement fait ainsi en 1964 la déclaration suivante : « Le gouvernement opta résolument, en préférant une éducation de masse à la seule éducation d’une élite ». Le droit à l’éducation est confirmé en 1980 et des sanctions (sous forme d’amendes) sont prises contre les familles récalcitrantes à scolariser leurs enfants. Dès les années 60, on assiste effectivement en Tunisie à une augmentation des effectifs dans le primaire, même si cette hausse est freinée par l’explosion démographique : de 1956 à 1964, le taux de scolarisation augmente de 13% par an, et double entre 1958 et 1976. Il faut de plus souligner qu’outre « […] la scolarisation progressive de tous les membres des générations concernées, l’augmentation progressive de la part des scolarisés au-delà du niveau primaire se traduit par le prolongement de la durée de scolarisation » (Jomni 2002 : 68). Au Maroc, l’augmentation du taux de scolarisation est très forte durant les dix premières années : dès la rentrée 1956, on compte 130 000 nouveaux inscrits et le taux de scolarisation des 7-14 ans atteint 38 % en 1959 (contre 12 % en 1956). Il est même multiplié par quatre entre 1956 et 1966 (48 %), mais la politique de scolarisation se 55 ralentit et l’augmentation est depuis très faible : en 1982, le taux de scolarisation des 7-14 ans atteignait 53,3 % (62,4 % des garçons et 44,3 % des filles), l’accroissement n’ayant été que de quelques points en quinze ans. 3.2.1.1.3 ORIENTATIONS POLITIQUES : LES PRINCIPES FONDATEURS DES RÉFORMES DU SYSTÈME ÉDUCATIF Le discours nationaliste s’est forgé aux indépendances autour de la « nécessité de recouvrer la « personnalité arabo-musulmane » du pays » (Vermeren 2002 : 241). Les grands principes de la réforme, au nombre de quatre, sont similaires en Tunisie et au Maroc : il s’agit de la généralisation de l’enseignement, de son unification, de la nationalisation et de l’arabisation. La généralisation de l’enseignement Nous avons vu plus haut que dans les années 50, un enfant sur dix était scolarisé au Maroc, et un sur cinq en Tunisie. Deux directions sont privilégiées pour généraliser l’enseignement : la première est le principe de l’obligation scolaire. Celui-ci est rapidement adopté, mais il reste un objectif seulement puisque aujourd’hui encore, comme nous le verrons plus loin, l’obligation scolaire n’est pas une réalité, que ce soit en Tunisie ou au Maroc. La deuxième direction est de favoriser la progression du taux de scolarisation : cet objectif nécessite un fort investissement financier de la part des États, puisqu’il faut à la fois construire des écoles et former et rémunérer les maîtres. L’unification du système d’enseignement L’unification résulte d’une volonté de supprimer les différents ordres d’enseignement institués par la colonisation pour instaurer un enseignement national public. Ce deuxième principe a été appliqué avec plus de force en Tunisie qu’au Maroc, où aujourd’hui encore il existe de multiples catégories d’établissements. Nous pouvons par exemple noter au Maroc le poids persistant de l’enseignement privé, avec notamment 56 les établissements issus de la coopération française, avec l’Agence de l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE). La nationalisation du corps enseignant La nationalisation a nécessité plusieurs années de mise en place, le temps de former le corps enseignant. Il s’agissait aussi de changer les programmes hérités de la colonisation et qui ne correspondaient plus aux objectifs assignés à l’école par les deux gouvernements : consolider la « conscience de l’identité nationale tunisienne, afin que se développent le sens civique et le sentiment d’appartenance à la civilisation nationale, maghrébine, arabe et islamique et que s’affermisse l’ouverture à la modernité et à la civilisation humaine » (Loi du 29 juillet 1991 relative au système éducatif) pour la Tunisie, et « cultiver les valeurs de citoyenneté qui permettent à tous de participer pleinement aux affaires publiques et privées en parfaite connaissance des droits et des devoirs de chacun » (Projet de Charte nationale d’éducation et de formation 1999) pour le Maroc. Il est possible que ces buts ne soient que l’expression de la rhétorique officielle et qu’ils ne représentent pas forcément la volonté réelle des gouvernements quant aux objectifs de l’éducation. L’arabisation Encore incomplète aujourd’hui, l’arabisation a été mise en place en réponse aux revendications et à la contestation lycéenne et étudiante du début des années 70 : il s’agissait de « saper les bases idéologiques de la contestation gauchiste tout en s’appropriant une de ses grandes revendications » (Vermeren 2002 : 374). En Tunisie, l’arabisation est lancée en 1971 : l’apprentissage du français comme langue étrangère commence en quatrième année de primaire et toutes les matières littéraires au collège et au lycée sont arabisées. À la suite de la loi du 29 Juillet 1991 relative au système éducatif, l’ensemble des matières au collège a été arabisé, le français n’étant plus employé que pour les matières scientifiques au lycée. 57 Au Maroc, l’arabisation s’est appliquée à toutes les matières du primaire et du secondaire, mais elle s’est arrêtée aux portes de l’enseignement supérieur. Nous verrons plus loin les problèmes engendrés par cette mesure, avec notamment une baisse générale du niveau d’enseignement et une sélectivité accrue. 3.2.1.1.4 LE SURSAUT DES ANNÉES 80-90 : L’ÉDUCATION COMME PRIORITÉ NATIONALE Depuis les années 50, les politiques en faveur de la scolarisation et de l’alphabétisation se sont donc succédées. Mais malgré ces politiques et les efforts financiers consentis (les dépenses d’éducation représentent en 1996 17,4 % des dépenses totales du gouvernement tunisien et 24,9 % au Maroc, contre 11,1 % en France par exemple), les taux de scolarisation restent relativement faibles, et les taux d’analphabétisme relativement élevés. C’est ainsi qu’en 1982, c’est-à-dire avant la grande réforme du système éducatif, le taux de scolarisation des 7-14 ans au Maroc était, comme nous l’avons déjà vu, de 53,3 %. En Tunisie en 1989, avant la réforme de 1991, le taux de scolarisation était de 80,9 %. En 1988, sur cent enfants scolarisables en Tunisie, on avait 6,9 bacheliers5, et 2,8 au Maroc. En 1985, le taux d’analphabétisme atteignait 67 % au Maroc (53 % des hommes et 80 % des femmes), et 47 % en Tunisie (34 % de la population masculine et 61% de la population féminine). Le cas de la Tunisie Le 29 juillet 1991, après deux ans de consultation, est votée en Tunisie la loi relative au système éducatif, qui va refondre l’ensemble du système éducatif, de l’enseignement de base au secondaire, et du public au privé. Le développement de la scolarisation de base et la limitation des abandons sont les orientations majeures de ce texte : l’obligation scolaire (de six à seize ans) et son corrélat, la gratuité, sont à nouveau affirmés. Une amende est prévue pour les tuteurs en cas d’abandon scolaire de l’enfant ou de non scolarisation. Il faut toutefois noter ce paragraphe qui en dit long sur les 5 Les bacheliers sont les étudiants qui obtiennent le Baccalauréat, délivré au terme de la scolarité du secondaire. 58 possibilités éducatives offertes notamment dans les campagnes : « Est exempté de cette amende, le tuteur qui réside loin du plus proche établissement d’enseignement de base, d’une distance fixée par décret ». Le cas du Maroc Au Maroc, la réforme de l’éducation a figuré dans tous les plans de développement : la réforme de 1985 a été la plus importante en terme d’impact sur le système éducatif. Elle a visé à la restructuration de l’enseignement primaire et secondaire (nous verrons son organisation plus loin dans notre étude), la décentralisation, la réorganisation du baccalauréat, l’arabisation du primaire et du secondaire, la réorganisation de l’orientation. La réforme a aussi visé à améliorer le rendement de l’école en réduisant le taux de redoublement et les taux d’exclusion et d’abandon. Quinze ans plus tard, les projets de réformes se sont succédés au rythme de l’alternance politique, et le bilan est très contrasté : les disparités demeurent et les taux de scolarisation restent très bas, comparés, par exemple, à ceux de la Tunisie. En 1998, le Palais lance une consultation dans le domaine de l’éducation : la Commission Spéciale Éducation et Formation (COSEF) est chargée d’élaborer un projet de réforme ; le rapport est remis à l’automne 1999, sous le nom de Projet de Charte nationale d’éducation et de formation. Deux grandes orientations sont proposées, la décentralisation et la gratuité de l’enseignement, mises en œuvre dès la rentrée 2000. 3.2.1.2 LES CARACTERISTIQUES DE L’ECOLE AU MAROC ET EN TUNISIE : UN SYSTEME BASE SUR LA SELECTIVITE 3.2.1.2.1 UN SYSTÈME D’ENSEIGNEMENT DUAL La dualité du système d’enseignement fait partie intégrante du projet politique portant sur le système éducatif ; c’est ainsi que Mohamed V définit pour le Maroc les deux attentes fondamentales le concernant (Royaume du Maroc 1999) : 59 La première consiste à assurer l’égalité des chances et dispenser les savoirs fondamentaux à chacun de Nos fidèles sujets, pour l’arracher à l’ignorance, lui éviter l’analphabétisme et le doter d’une éducation de base qui le prépare à l’exercice de ses devoirs religieux, moraux et nationaux et de le rendre utile à lui-même, à sa famille et à sa patrie. Parallèlement, il ne faut pas omettre de cultiver l’excellence et de préparer l’élite de nos enfants qui possèdent de grandes potentialités à contribuer activement au progrès scientifique et technologique, permettant ainsi au Maroc de tirer un grand bénéfice des talents et du génie de ses enfants. Ces paroles ne représentent toutefois, selon Vermeren (2002 : 400), que l’expression d’une rhétorique officielle et le consensus est général autour de ce que la presse nomme la « déserrance du système public marocain ». L’arabisation incomplète semble être au premier rang des problèmes rencontrés : « […] dans ce système, seule une minorité d’élèves favorisés, parce que leur scolarité a été précédée d’une solide formation linguistique à la maison, ou à la maternelle et au primaire (privés), semblent à même d’affronter et de surmonter les carences d’un système […] » (Vermeren 2002 : 400). Face aux manques du système éducatif, des filières élitistes ont été développées : les lycées pilotes en Tunisie, et l’enseignement privé en Tunisie et au Maroc. Il est à noter que ce système dualiste est à l’origine d’un blocage des possibilités d’ascension sociale par les études. Les « lycées pilotes » (publics), au nombre de quatre pour toute la Tunisie, constituent de véritables classes préparatoires pour lycéens, avec une très forte concurrence qui engendre le surmenage des élèves. Cet élitisme extrême tend à amener les élèves les plus performants dans les classes préparatoires françaises les plus réputées, quitte à sacrifier la plus grande partie des autres. Tous les ans, le système d’enseignement tunisien est ainsi capable de produire quelques centaines de bacheliers qui sont ensuite dirigés, grâce au système de l’orientation, dans les grandes écoles et universités étrangères6. Depuis 1976, le système de l’orientation répartit les nouveaux bacheliers 6 Une des spécificités du système d’enseignement postsecondaire en France est d’être composé de deux grands ensembles, aux fonctions historiquement différentes : les universités, pour la formation en recherche, et les grandes écoles, pour la formation des ingénieurs et des cadres ; c’est ainsi qu’en 20022003, les universités françaises comptaient 1,4 million d’étudiants, contre 72 000 inscrits en classes préparatoires aux grandes écoles (les effectifs en deuxième année étaient sensiblement inférieurs à ceux de première année, les classes de lettres perdant notamment plus du tiers de leurs effectifs lors du passage en 60 dans les établissements d’enseignement supérieur selon les vœux et les moyennes des élèves : seuls les élèves les plus performants peuvent espérer obtenir l’orientation qu’ils souhaitent. La deuxième filière élitiste est celle de la Mission Française, aussi appelée AEFE : l’AEFE s’adresse à tous les âges de la scolarisation, du préscolaire au lycée. L’enseignement français sert de filière de substitution à l’enseignement public arabisé. La Mission Française est implantée surtout au Maroc, puisque nous avons vu que la Tunisie a mis en place une filière publique de qualité supérieure à celle du privé. Malgré tout, les établissements de l’AEFE existent aussi en Tunisie et permettent à certains parents élevés dans le système biculturel des années 60 et 70 de fuir l’élitisme extrême du système public tout en offrant à leurs enfants la possibilité de faire des études en France : lorsqu’ils obtiennent un baccalauréat français, les étudiants sont admis de droit dans les universités françaises. L’élitisme social de la formation offerte par l’AEFE s’est fortement accru puisque 0,22 % des élèves marocains étaient concernés en 1999 (contre 1,18 % en 1959), pendant que le coût de la scolarité augmentait fortement. Bien que ces effectifs puissent paraître négligeables à l’échelle du Maroc, l’importance de cette filière parallèle est essentielle pour les classes dirigeantes puisqu’elle constitue la seule alternative à l’enseignement public. deuxième année) Cette spécificité se retrouve dans les pays du Maghreb, dont le système d’éducation est encore largement calqué sur celui de la France, du fait de la colonisation.La formation dans les grandes écoles est très élitiste, tant au niveau de son recrutement de base puisqu'il s'agit d'un recrutement sur dossier, qu'au niveau du nombre d'étudiants qui atteindront finalement leur objectif en intégrant une grande école. Les grandes écoles auxquelles donnent accès les Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont souvent présentées comme le creuset de la formation des élites dirigeantes de la nation. Le concours d'entrée, seule voie d'accès, exerce une sélection sévère censée reposer sur le seul mérite individuel mais les grandes écoles sont souvent accusées de favoriser la reproduction sociale des élites en accentuant encore davantage les inégalités sociales de réussite scolaire. En effet, dans l'idéal républicain sur lequel repose le système d'enseignement en France, le concours d'entrée est gratuit et ouvert à tous et la sélection ne doit s'opérer que sur le seul mérite individuel, ce qui n’empêche pas que dans les faits, l’accès soit socialement très hiérarchisé (Ferrand 1999). Le prestige social découlant de cette formation, dans une des marges de celles offertes par la France à ses étudiants, est extrêmement important, même si la formation n'est pratiquement pas connue en dehors des frontières. Les grandes écoles auxquelles elle permet d'accéder forment des élites très concurrentielles sur le marché du travail, en France et au Maghreb notamment. 61 3.2.1.2.2 LE POIDS DU FRANÇAIS Le rôle du français dans la stratégie de reproduction ou de distinction sociale L’arabisation incomplète, telle qu’elle a été mise en place depuis les années 70, fait de la connaissance du français un « instrument d’apartheid social » (Vermeren 2002 : 373). La sélection se fait à partir du secondaire en Tunisie, au moment où le français devient obligatoire dans les matières scientifiques, mais aussi au moment de l’entrée à l’université où tous les cours sont dispensés en français, en Tunisie comme au Maroc. Au Maroc, la transition entre le secondaire complètement arabisé et le supérieur en français a contribué à l’accentuation de la « ghettoïsation » (Vermeren 2002 : 376) de nombreuses filières du supérieur. L’accès au marché du travail En Tunisie et au Maroc, le diplôme ne suffit pas : la dualité des systèmes d’enseignement induit en effet une coupure dans les filières de formations supérieures ; il y a d’un côté celles qui débouchent sur des diplômes qualifiants et des carrières rémunératrices, et de l’autre celles qui, en tant que voies de relégation, débouchent sur l’impasse du chômage des diplômés. Il faut de plus ajouter à cela l’importance du réseau familial qui fait que seul « l’avenir professionnel des "héritiers" diplômés » (Vermeren 2002 : 457) est assuré : le rôle du français dans la scolarisation est en ce sens primordial puisque sa connaissance donne accès aux grandes écoles et à l’université, au Maghreb comme en France. 3.2.1.2.3 ABANDONS ET ÉCHECS AUX EXAMENS La très forte sélectivité à tous les niveaux du cursus scolaire se traduit par exemple par l’abandon d’un tiers des enfants au primaire. En 1999, 14 % de la classe d’âge concernée a eu le baccalauréat au Maroc, c’est-à-dire 78 000 personnes pour 4 200 places dans les établissements universitaires cotés (prises par les élèves de l’AEFE). 62 Environ 10 % d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur, en Tunisie comme au Maroc. Tableau 4. La répartition de la population scolarisée marocaine en 1994 par sexe selon le niveau d’étude (%) Kouttab ou préscolaire Enseignement fondamental Enseignement secondaire Enseignement supérieur Total Hommes % 12,0 75,0 8,0 5,0 100,0 Femmes % 10,0 76,0 9,0 5,0 100,0 Ensemble % 11,0 76,0 8,0 5,0 100,0 Source : Royaume du Maroc (1994). La répartition de la population scolarisée au Maroc dans les différents niveaux d’étude est très inégale : en 1994, 76 % de la population scolaire est inscrite dans l’enseignement fondamental. L’accès aux cycles longs secondaire et supérieur ne concerne qu’une frange privilégiée de la population scolarisable : 8 % seulement des effectifs scolaires suivent un enseignement secondaire et 5 % un enseignement supérieur. Malgré la tolérance aux redoublements répétés et le relâchement des normes de passage d’un cycle à l’autre, 15 % des enfants entrés dans l’enseignement fondamental parviennent à la fin du secondaire (12 % des filles). La sélectivité du système scolaire est analogue en Tunisie : seul le taux de scolarisation à l’entrée de l’enseignement de base diffère. Nous pouvons toutefois noter l'augmentation des taux de scolarité : de 14 % en 1994 dans l'enseignement supérieur, le taux était passé à 31 % à la rentrée 2003. 63 Figure 14. Les taux nets7 de scolarisation en Tunisie en 1994 selon le sexe et l’âge 90 80 Ensemble des sexes 70 Masculin 60 Féminin 50 40 30 20 10 0 < 6 ans 6 à 9 ans 10 à 14 ans 15 à 19 ans 20 à 24 ans 25 à 29 ans Source : RGPH Tunisie (1994). Les 6-14 ans représentent la majeure partie des enfants touchés par l’obligation scolaire, or il y a six points de moins entre les 6-9 ans et les 10-14 ans : le taux de scolarisation passe de 81 % pour les 6-9 ans à 75,1 % pour les 10-14 ans. Nous pouvons voir que l’abandon concerne principalement la population féminine (qui perd plus de onze points au bout de trois années de scolarisation). Entre 15 et 19 ans, c’est-à-dire durant l’enseignement secondaire, la scolarisation ne concerne plus qu’un tiers des adolescents : sur cent enfants qui rentrent en première année de l’enseignement de base, une quarantaine abandonnera avant la fin du secondaire. Il existe de plus une forte inégalité dans l’accès aux études selon le sexe : en primaire, la différence est de 8 points en Tunisie et de 23 au Maroc. Le passage dans le secondaire, tout en sélectionnant encore fortement les élèves, permet une relative 7 Le taux net est la proportion d’enfants ayant l’âge légal d’admission dans l’ordre d’enseignement et effectivement inscrits. 64 remontée du taux de scolarisation féminine, en comparaison du taux masculin : la différence n’est plus que de 3 points en Tunisie contre 10 au Maroc. Figure 15. Les taux bruts8 de scolarisation primaire (1999) et secondaire (1997) en Tunisie et au Maroc selon le sexe 140 Hommes Femmes 120 100 80 60 40 20 0 Tunisie, primaire Maroc, primaire Tunisie, secondaire Maroc, secondaire Source : Banque Mondiale (2002). 3.2.1.3 CONCLUSION Depuis 1956, l’éducation a été considérée comme un des atouts majeurs de la promotion sociale et professionnelle, au Maroc comme en Tunisie, mais les résultats des politiques de scolarisation massives mises en place ont donné lieu à une crise structurelle des systèmes d’enseignement à laquelle ont dû faire face les gouvernements à partir des années 80 et à des résultats différenciés : malgré les progrès enregistrés depuis 1956, il reste encore des disparités, par exemple selon le sexe, le milieu (rural ou urbain) ou encore la classe sociale. Même si les réformes des premières années de l’indépendance 8 Le taux brut rapporte l’ensemble des inscrits dans un ordre d’enseignement sans distinction d’âge, exprimé en pourcentage de la population officiellement scolarisable. 65 visaient, dans les deux pays, à former des cadres compétents dans tous les domaines pour les faire accéder aux postes de direction des nouveaux États, la spécificité de la réforme tunisienne a été de porter l’ambition sociale de généraliser à l’ensemble de la population l’accès au système éducatif. Les principes de base ont été les mêmes qu’au Maroc, mais la position du gouvernement a été beaucoup moins crispée autour de la question de l’arabisation (un processus qui n’est toujours pas achevé actuellement), ce qui a permis de mener une action continue et d’avoir une politique d’enseignement stable. Au Maroc, malgré les discours d’ouverture et les textes officiels, l’ambition a beaucoup plus été d’éduquer une élite, et l’éducation de masse n’est qu’une préoccupation assez récente. 3.2.2 LES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS TUNISIENS ET MAROCAINS À L’UNIVERSITÉ LAVAL Le portrait de la population tunisienne et marocaine de l’Université Laval qui suit vient de l’analyse des données fournies par le Bureau du Registraire sur les étudiantes et étudiants tunisiens et marocains présents à l’Université Laval depuis la session d’automne 1984 jusqu’à la session d’automne 2005. Les informations disponibles dans le tableau Excel reçu de ce bureau sont le pays (Tunisie ou Maroc), le sexe, le statut au Canada (citoyen canadien, résident permanent ou permis de séjour) à la première et à la dernière session, l’âge à la première et à la dernière session, le cycle et la faculté d’inscription à la première et à la dernière session, la moyenne scolaire obtenue et le code postal. Les informations sur les étudiantes et étudiants tunisiens et marocains de l’Université Laval ont été réparties selon le pays et le sexe, par périodes de 5 ans depuis 1984 jusqu’à 2005. 66 3.2.2.1 L’ÉVOLUTION DES ADMISSIONS La population marocaine est davantage représentée à l’Université Laval que la population tunisienne, et son poids démographique varie selon les périodes : elle représente tour à tour 65 %, 59 %, 55,2 % puis 68,5 % de la population totale étudiée (respectivement 513, 463, 721 et 1472 étudiants). En 2000-2005, la population marocaine représente les deux tiers de la population étudiée. On remarque entre 1995-99 et 2000-2005 une augmentation exponentielle des admissions pour les étudiantes et étudiants marocains : la proportion des étudiantes et étudiants inscrits pendant la dernière période est égale à celle des étudiants inscrits de 1984 à 1999. Pour les Tunisiens, la croissance des effectifs est constante. Figure 16. La population tunisienne et marocaine admise à l’Université Laval de 1984 à 2005, par pays et par sexe 1600 1400 1200 Tunisie, Hommes 1000 Tunisie, Femmes 800 Maroc, Hommes 600 Maroc, Femmes 400 200 0 1984-1989 1990-1994 1995-1999 2000-2005 Source : données du Bureau du Registraire, Université Laval (2006). 67 La population féminine a connu une augmentation relative par rapport à la population masculine : elle représentait dans la première période 16,6 % de la population totale, contre 30,3 % en 1995-1999. Depuis cette date, la répartition de l’admission selon le sexe est restée la même (30,5 % en 2000-2005). 3.2.2.2 LES FACULTÉS FRÉQUENTÉES En ce qui concerne les étudiantes et étudiants tunisiens, les données de 1984 à 2005 indiquent qu’au baccalauréat, 25,5 % des étudiantes et 49,7 % des étudiants ont intégré la Faculté de sciences et génie, et respectivement 13,3 % et 13,6 % la Faculté des sciences de l’administration, la répartition des étudiantes étant répartie plus équitablement que leurs pairs dans les autres facultés (11,2 % en Sciences sociales, 14,3 % en Lettres). À la maîtrise, ils ne sont plus que 9,4 % pour les filles et 27,2 % pour les garçons à être en Sciences et Génie, et pratiquement la moitié des effectifs (respectivement 46,2 % et 47 %) sont en Sciences de l’administration. La répartition des étudiantes et étudiants marocains est sensiblement la même que pour leurs pairs tunisiens. La Faculté de sciences et génie attire au baccalauréat la majorité des étudiants (39,1 % des filles et 53,2 % des garçons), la deuxième faculté la plus attractive étant la Direction générale du premier cycle (respectivement 21,7 % et 14,1 %). À la maîtrise, 32,2 % des étudiantes et 36,5 % des étudiants se dirigent vers les Sciences de l’administration, contre respectivement 17,4 % et 24 % pour les Sciences et génie. Au doctorat, 55,3 % des étudiants et 34,1 % des étudiantes sont en Sciences et génie (et 12,8 % en Lettres). Une spécificité du Maroc sur la période 1984-2005 est l’attrait relatif exercé par les Sciences de l’éducation au niveau du doctorat : 11,4 % des étudiantes et 11,8 % des étudiants y sont inscrits. La figure 17 montre la désaffection qu’a connu cette faculté puisque pour la période 2000-2005, seuls deux étudiants sont concernés au doctorat. 68 Figure 17. La répartition des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains selon le cycle d’étude et la faculté fréquentée (2000-2005) Source : Université Laval, Bureau du Registraire (2006). Pour la période 2000-2005 (figure 17), la répartition des étudiantes et étudiants suit la tendance observée pour l’ensemble de la période couverte par les données. Au baccalauréat, plus de la moitié va en Sciences et Génie, tandis que celles et ceux de deuxième cycle s’orientent pour la moitié d’entre eux en Sciences de l’administration. Au doctorat, la répartition des étudiantes et étudiants est plus diversifiée chez les Marocaines et les Tunisiens que chez les Tunisiennes et les Marocains : 3 Marocaines sur 13 sont en Sciences et Génie, les autres se répartissant dans toutes les autres facultés. Sur un total de 27 Tunisiens, 7 sont en Sciences et Génie, 7 sont en Sciences sociales et 6 sont en Sciences de l’administration (ainsi que 7 étudiantes sur 18). Pour la période allant de 2000 à 2005, 7 Tunisiennes sur 18 sont en Sciences de l’administration et 15 Marocains au doctorat sur 26 sont en Sciences et Génie. 69 3.2.3 L’ANALYSE QUALITATIVE ET LES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS 3.2.3.1 L’INTÉRÊT ET LES LIMITES D’UNE DÉMARCHE QUALITATIVE En vis-à-vis de l’analyse de contenu de la politique d’accueil et d’intégration de l’Université Laval, il me semblait intéressant d’apporter les « représentations et intentionnalités des acteurs humains » (Van der Maren 1996 : 103), pour voir, à travers des études de cas plus approfondies, comment était perçue et vécue cette politique, et quel était l’état d’intégration d’une population étudiante étrangère en particulier : les Tunisiennes et Tunisiens et Marocaines et Marocains. La méthode utilisée pour l’enquête de terrain procède donc de l'entretien et est associée à des analyses qualitatives, qui vont permettre d’aller plus en profondeur dans l’analyse d’un sujet. L’avantage de ce type d’approche est en effet de prendre en compte la situation dans sa complexité : « La multiplicité des perspectives et des agents composant chacune des catégories oblige à faire éclater l’unité artificielle de la catégorisation statistique et à mettre à jour une diversité de situations, une pluralité d’acteurs qui s’adaptent de manières variées à des situations différentes en mobilisant un répertoire varié de ressources » (Groulx cité dans Poupart et coll. 1997 : 57). Cependant, l’analyse qualitative n’est pas dénuée de dangers et présente certaines limites, à ne pas perdre de vue tout au long de l’étude. Van Der Maren (1996) relève quatre risques, limites et paradoxes dans l’utilisation de l’entretien comme instrument de recherche qualitative. L’auteur note tout d’abord que ce qui est demandé lors des entretiens est une reconstitution du passé par le répondant : celui-ci peut donc, en toute bonne foi, avoir tendance à déformer les faits, valoriser certaines choses (ou mettre l’accent sur les incidents désagréables, selon sa situation au moment de l’entretien) et en oublier d’autres. La reconstitution du passé est alors en réalité une reconstruction : ce que la répondante ou le répondant raconte est dépendant de sa situation au moment de l’entretien, selon son évolution, selon aussi les évènements heureux ou malheureux qui se sont produits dans sa vie depuis le fait raconté. Un autre danger, qui se situe cette fois du 70 côté du chercheur, est ce que Van der Maren nomme « l’hypervalorisation du cas et l’idéalisation » (1996 : 107) : le chercheur va essayer de présenter des cas « typiques », qui vont mieux illustrer son propos mais qui finalement sortent de l’ordinaire. Le risque est de s’attacher à ce qui différencie l’individu des autres plus qu’à ce qui le rend ordinaire. Le troisième risque soulevé par Van der Maren est la tentation, pour faire passer un message et être cohérent, de simplifier le cas, de faire certaines condensations, « de réduire le nombre des dimensions envisagées » (1996 : 108). Enfin, la subjectivité du chercheur est toujours présente et tout ce qu’il écrit est le fruit de son interprétation : « Le chercheur ne peut percevoir que ce qu’il peut reconnaître : la projection de ses attentes, de ses espérances, de ses conceptions » (1997 : 109). 3.2.3.2 LES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS ET L’ANALYSE DE CONTENU Selon Poupart (dans Poupart et coll. 1997), le recours aux entretiens, comme à tout type d’outils de recherche qualitative, présente trois types d’avantages. Le premier, d’ordre épistémologique, est le fait d’explorer en profondeur la perspective des acteurs sociaux pour mieux appréhender et comprendre les conduites sociales. Le deuxième, éthique et politique, est que l’entretien permet « une compréhension et une connaissance de l’intérieur des dilemmes et des enjeux auxquels font face les acteurs sociaux » (1997 : 174). Le troisième argument est méthodologique : l’entretien est l’outil privilégié pour accéder à l’expérience des acteurs. Les entretiens visent donc, en prenant pour point de départ les systèmes de valeurs et les normes propres à la culture maghrébine, à construire un discours structuré et continu sur le thème défini dans le cadre de l’étude, soit l'intégration des étudiantes et étudiants originaires du Maghreb à l’Université Laval et à la communauté québécoise. Les entretiens sont semi-dirigés afin d’éviter un éparpillement du discours et de rester centrée sur la problématique de l’intégration en milieu scolaire et dans la société d’accueil, et des contraintes et problèmes qui y sont liés. 71 3.2.3.3 LE CONTACT DE L’ÉCHANTILLON L’échantillon a été contacté en s’appuyant à la base sur deux sources, pour procéder ensuite selon l’effet « boule de neige » : la première source est le bouche à oreille au sein des résidences, la seconde est l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval. La démarche a consisté à joindre par téléphone les répondants potentiels pour solliciter leur participation et convenir, le cas échéant, d’une date et d’un lieu de rencontre. Beaucoup de contacts se sont faits par l’intermédiaire d’une personne tierce qui me permettait de contacter les personnes une fois seulement qu’elles étaient d’accord pour m’accorder un entretien. 3.2.3.4 LE PRÉTEST Durant la session d’hiver 2004, dans le cadre du cours Dynamiques interculturelles et intervention (CSO-66401), un pré-test a été réalisé afin de mettre au point mon protocole d'entrevue, d’ouvrir des pistes de réflexion, de prendre conscience de certaines dimensions. Ceci a été l’occasion de rencontrer trois répondantes et trois répondants pour affiner la grille d’entretien. Les entretiens ont duré entre 40 minutes et 1 heure 30. Tableau 5. Le profil des répondantes et des répondants (prétest) Sexe Code des entretiens 6 Tunisiens Q1 Q2 Q5 Q6 2 Marocains Q 3 Q4 F M X X X X X X Ancienneté à l’Université Laval 2 Plus de 2 sessions sessions et moins 1 an 1 an ½ 6 ans 3 ans 2 ans ½ 2 ans Filière d’études Maîtrise en lettres Maîtrise en finance Doctorat en lettres Doctorat en génie civil MBA Maîtrise en génie mécanique 72 Deux entretiens du prétest (Q2 et Q5) ont été conservés dans la collecte générale des données, à cause de la richesse de leur contenu. Ils ont été à l’origine de nombreux changements dans la grille d’entretien et de nouvelles dimensions abordées : c’est ainsi par exemple que la grille a été bonifiée du côté des différents aspects de l’intégration académique (conception des études et de la réussite, rapports avec les professeurs, les autres étudiants, etc.), ou encore en ce qui concerne les liens avec la politique d’accueil et d’intégration de l’Université Laval (les étudiants la connaissent-ils ? Participent-ils aux activités d’accueil et d’intégration ? Ces activités leur ont-elles été utiles ? Quelles recommandations peuvent-ils faire ?). 3.2.3.5 L’ÉTUDE L’objectif initial était de rencontrer douze étudiantes et étudiants, mais devant la difficulté à trouver des personnes prêtes à consacrer du temps à cette recherche, le nombre de personnes a été réduit à dix : ces étudiantes et étudiants sont répartis selon la nationalité, le sexe et l’année d’inscription à la maîtrise ou au doctorat. Le critère de la discipline d’étude a été laissé au hasard : c’est ainsi que les disciplines des étudiants rencontrés pour le prétest sont beaucoup plus diversifiées que pour l’étude proprement dite ; neuf étudiantes et étudiants sur dix sont en Administration, mais cela est significatif étant donnée la très forte représentation des étudiantes et étudiants de nationalités tunisienne et marocaine en Sciences de l’administration à l’Université Laval. Les critères de sélection de répondantes et répondants La nationalité. Le choix des nationalités prises en compte dans cette étude a été expliqué en introduction : il s’agissait de traiter d’une population dont je connaissais déjà le système scolaire de provenance et avec laquelle j’étais familière. L’ancienneté de la migration. Comme il a été montré dans la partie théorique, le critère du temps me semblait important à prendre en compte car il était essentiel dans l’appréhension du trajet migratoire et des différentes réactions qu’on pouvait rencontrer dans ce processus. 73 Le sexe. Le critère du sexe a été ajouté car le rapport hommes-femmes est un élément qui peut complexifier l’interprétation de l’intégration quand il est ajouté à la dynamique ethnique : la problématique de l’intégration peut être différenciée selon le sexe (Boyer, Coridian et Erlich 2001 ; Ahmad 2001, Erdreich et Rapoport 2002). Boyer, Coridian et Erlich (2001) notent dans un article portant sur la socialisation étudiante que les filles et les garçons ne répondent pas de la même façon aux exigences du « métier d’étudiant », et que les filles vont être plus studieuses et plus portées à intérioriser l’obligation de travail par exemple. Les études d’Erdreich et Rapoport (2002) sur des jeunes Palestiniennes dans les universités israéliennes et de Ahmad (2001) sur les Musulmanes d’Asie du Sud dans les universités britanniques montrent quant à elles que les études à l’étranger permettent aux femmes de renégocier leur identité culturelle, religieuse et personnelle, et d’acquérir un pouvoir et une émancipation supplémentaires vis-à-vis du groupe dominant dans le cas des Palestiniennes, et du groupe national dans le cas des Musulmanes (par rapport aux hommes, pères et frères). La prise de contact avec les étudiantes et étudiants Les contacts se sont faits en trois fois : hormis les entretiens réalisés pour le prétest, j’ai rencontré deux étudiants en juin 2005, quatre à la session d’automne 2005 et deux à la session d’hiver 2006. Les entretiens ont eu lieu dans différents lieux, selon les disponibilités de chacun : dans des salles d’étude des résidences ou de la Faculté des sciences de l’administration, dans leur chambre en résidence ou à mon local à la Faculté des sciences de l’éducation. Le profil des répondantes et des répondants Chaque répondante et répondant s’est vu attribuer un nom, fictif, qui sera conservé pour l’analyse de ces entretiens. 74 Tableau 6. Profil des répondantes et des répondants de l’étude Code des Sexe entretiens F Tunisiens Loubna Yasmine M Ancienneté à l’Université Laval Un an et moins X X Plus d’un an 6 ans Filière d’enseignement Doctorat en lettres 7 mois MBA 1 an MBA Ahmed X Mourad X 1 an ½ MBA Sami X 2 ans ½ MBA Marocains Hayet X 2 ans MBA Maha X 2 ans ½ MBA 1 an ½ MBA Total Hicham X Khalid X 1 an Karim X 6 mois 6 4 4 Total 5 5 2 MBA en cours MBA 6 10 Présentation des entretiens et de la grille Tous les entretiens ont été enregistrés sur cassettes audio ou clé USB et retranscrites intégralement au fur et à mesure de l’avancement de l’étude. Ils ont duré entre 30 minutes et 2 heures 30, et ils ont été menés à l’aide d’un guide d’entretien9 constitué de cinq grandes étapes : 1- Présentation du répondant et de sa famille : l’objectif de cet ensemble de questions était de dresser un portrait global de la répondante ou du répondant et de son contexte familial (qui est-il ? Quelles études a-t-il complété dans son pays Pourquoi a-t-il choisi ce secteur d’études ? Quelles sont les études réalisées par les membres de sa famille ? A-t-il de la famille à l’étranger ? 9 Le guide d’entretien complet est présenté à l’annexe A. 75 2- Raisons du départ à l’étranger : en faisant le lien avec les questions précédentes (c'est-à-dire selon l'expérience familiale, le parcours scolaire, etc.), l'objectif est de faire ressortir les raisons objectives (bourse, formation qui n'est pas offerte dans leur pays, valeur du diplôme sur le marché du travail, etc.) ou subjectives (attirance, faire comme les parents, connaissance de l'étranger antérieure à cette expérience, etc.) qui les ont fait quitter leur pays pour venir faire des études au Canada, au Québec, à Québec, et enfin à l’Université Laval. 3- Démarches avant et au moment de l’arrivée à l’Université Laval : comment se sont passées les démarches administratives qui entourent l’inscription à l’Université Laval ? Quel a été le vécu de l’arrivée à Québec et à l’université ? 4- Intégrations académique et sociale : en prenant en compte la dimension temporelle, c’est-à-dire l’évolution de leur socialisation dans le temps, il s’agit de déterminer la perception des répondants vis-à-vis de leur intégration. • Au niveau académique, comment cela s’est-il passé dans les cours ? Quelles sont les relations avec les professeurs et avec les autres étudiants ? S’impliquent-ils dans la vie de leur faculté ou de l’université ? Quelles sont les stratégies mises en place pour faciliter l’intégration académique ? Comment définirait-il le concept d’intégration académique et que devrait faire l’université pour la favoriser ? • Au niveau social, à quels groupes s’intègrent-ils, que ce soit à l’université ou dans la société québécoise ? Quelles sont leurs relations avec les autres groupes de l’université ? Comment perçoivent-ils les Québécois et comment pensent-ils être perçus ? Ont-ils des stratégies d’intégration ? Comment définissent-ils le concept d’intégration sociale et que devrait faire l’université pour la favoriser ? 5- Projets : compte tenu de leur expérience actuelle et de leur degré d'intégration, comment ces étudiantes et étudiants voient-ils l'avenir ? Quels sont leurs projets 76 professionnels et privés ? Ont-ils des visées d'autonomie et d'intégration dans la société d'accueil ou veulent-ils rentrer dans leur pays d’origine à la fin de leurs études ? Pour le pré test, une série de questions avait été consacrée à l’aspect religieux de l’intégration : elles portaient entre autres sur le lien entre la pratique actuelle et le vécu dans le pays d’origine, l’évolution dans le vécu depuis l’arrivée de ces étudiants à l’université, leur vision de la religion, etc. Cet aspect avait d’ailleurs fait l’objet d’une communication au colloque de l’ACFAS à Montréal en mai 2004 (Duclos 2004a). Ces questions ont été abandonnées pour l’étude, et le fait d’aborder ou non le thème de la religion a été laissé au choix des étudiantes et étudiants rencontrés. 3.2.3.6 DÉONTOLOGIE Chacune des répondantes et des répondants a été informé, avant sa participation, des objectifs de la recherche et de ses droits (possibilité de se retirer de la recherche à n'importe quel moment sans avoir à en subir aucun préjudice). Les étudiantes et étudiants ont aussi été assurés que leur identification dans cette recherche restera confidentielle et que leur discours ne servira qu’aux fins de ce mémoire et des communications et publications scientifiques qui pourraient en résulter. Enfin, une formule de consentement10 dans laquelle sont récapitulées les informations a été donnée à chacun et a dû être approuvée et signée avant le début de l’entretien. Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique de l’Université Laval en mars 2005 (numéro d’approbation : 2005-041). 10 Le formulaire de consentement est présenté à l’annexe B. 77 C HAPITRE 4 L ES CAS DE FIGURES DE DIVERSES ETAPES ET LES PROFILS D ’ INTEGRATION Dans ce chapitre, chaque entretien réalisé fait l’objet d’une synthèse, qui vise à dresser un portrait de l’étudiante ou de l’étudiant et de sa situation d’intégration, qu’elle soit académique ou sociale, à l’Université Laval ou à l’extérieur de l’institution. Le plan de présentation peut varier d’une synthèse à l’autre, pour garder le mouvement donné par le répondant lors de la rencontre, mais les très grands thèmes (la présentation, l’intégration académique et l’intégration sociale) ont toujours été traités dans cet ordre. Chaque synthèse a un titre spécifique, qui représente un trait primordial que je retiens de la répondante ou du répondant lors de l’entretien. 4.1 LOUBNA : UNE NÉGOCIATION PERPÉTUELLE ENTRE DEUX CULTURES Loubna, Tunisienne, est étudiante à l’Université Laval depuis 6 ans au moment de l’entretien, inscrite au doctorat en lettres après avoir fait une maîtrise dans ce même domaine. Elle est l’aînée de quatre enfants, tous restés en Tunisie. Son frère a commencé à travailler, après avoir obtenu un diplôme technique, et ses deux sœurs font des études postsecondaires (une au niveau collégial et l’autre au baccalauréat). Sa mère, actuellement à la retraite, était fonctionnaire, et son père professeur en enseignement technique. Elle a fait toutes ses études dans le système public tunisien, depuis le primaire jusqu’à sa maîtrise11. Son orientation était à l’origine le journalisme, mais le contexte tunisien de non-liberté de la presse l’a conduite à se tourner vers les lettres. L’absence de troisième cycle en communication en Tunisie l’a poussée à chercher à continuer sa formation à l’étranger. C’est par hasard qu’elle a rempli une demande de bourse tunisienne pour partir au Canada, alors que son projet initial était de partir en France, moins loin de sa famille. Cette bourse lui a assuré pendant ses deux années de maîtrise et ses quatre premières années de doctorat un revenu de 750 dollars par mois, en plus de payer les frais d’inscription et les assurances. Elle a cependant toujours travaillé en tant qu’assistante de recherche pendant ses études à l’Université Laval, pour se responsabiliser et ne pas trop passer pour « un petit bébé gâté ». Sa formation tunisienne 11 La maîtrise tunisienne correspond à la quatrième année d’études universitaires. 79 est selon elle un atout qui lui permet d’accéder à de nombreux contrats. Elle est la première de sa famille à partir à l’étranger, et selon elle la dernière, son départ étant mal vécu par sa mère en particulier. Elle explique qu’elle doit maintenant choisir ses priorités, et que cela peut passer pour un désintérêt vis-à-vis de son pays d’origine : elle rentre une fois par an mais cette année, elle va peut-être ne pas le faire pour finir son travail et elle commence pour cela les négociations avec sa mère. C’est peut-être pour cela que Loubna dit ne pas aimer voyager. Si elle apprécie son expérience à Québec, c’est pour les études qu’elle lui apporte et pour les avantages qu’elles lui apporteront. Loubna est arrivée à l’Université Laval avec une amie à la session d’hiver 1998 avec un mois de retard, et sa première session a été très difficile, tant sur le plan émotionnel que sur le plan académique, même si elle a validé en temps et heures tous ses cours. Son premier voyage chez elle, l’été suivant, lui a fait prendre conscience qu’elle n’était finalement ni totalement en Tunisie, ni totalement au Québec nulle part pendant les cinq derniers mois et qu’elle n’avait tiré aucun avantage de son séjour à l’étranger. En revenant à l’université pour la session d’automne, elle a décidé de chercher à nouer des liens avec des Québécois plutôt que de rester dans le groupe de Tunisiens avec lequel elle était durant la première session. Lorsque je suis revenue, vraiment après les vacances, c'est un changement total, je commence à chercher d'avoir des amis québécois, de faire des sorties avec les Québécois, pas d'éviter les Tunisiens mais lorsqu'il y a deux sorties, une sortie avec des Québécois, une sortie avec des Tunisiens, je préfère la sortie avec les Québécois, parce que j'ai remarqué qu’on a fait comme un petit groupe de six ou sept personnes, on est tout le temps ensemble, on est enfermé. Et aucune de ces personnes n'essaie de vivre une expérience non tunisienne. Une prise de poids excessive l’a conduite au début de son doctorat à s’inscrire dans un programme et à rencontrer des Québécois, non étudiants, qui sont devenus ses amis. Au bout de 6 ans à Québec, elle se considère comme bien intégrée et pense tirer le meilleur parti des deux cultures. Elle est fière d’être Tunisienne mais ne renie pas son expérience québécoise. Plusieurs choses caractérisent selon Loubna les Québécois : tout d’abord leur individualisme, qui fait qu’ils ne vont pas aller vers l’autre dans son intérêt mais dans le leur. Ils sont très accueillants mais il ne faut pas s’attendre à établir une 80 relation chaleureuse et plus poussée tout de suite. Une troisième chose est la simplicité, le besoin que tout soit explicite, alors qu’en Tunisie tout se fait selon elle dans l’implicite. Au niveau académique, son seul problème et sa source de stress ont résidé dans la compréhension du système d’évaluation, puisque l’attribution de sa bourse était conditionnée par ses résultats. Pour simplifier les choses et après avoir compris que B était dans la notation inférieur à A, elle s’est donnée comme objectif d’avoir des A dans toutes ses matières. L'organisation qui m'a donné ma bourse elle a dit : Pour garder ta bourse, et ne pas avoir de problème, tu dois avoir une moyenne cumulative de B chaque session. Et je regarde qu'est-ce que ça veut dire A, B… aucune12 idée. […] J'ai compris que A c'est supérieur à B, donc je me suis mise dans l'obligation que toutes mes notes soient des A ! C'est sérieux ! […] vraiment pour toutes mes notes, j'ai dit : pour résoudre mon problème, je dois avoir tous des A. Avec A je suis sûre que c'est plus que B. Loubna a par contre eu des problèmes avec sa directrice de recherche pendant sa maîtrise, mais cela n’est selon elle pas lié à son statut d’étudiante étrangère, juste à sa façon différente de penser, ainsi qu’au fait que selon elle, sa directrice pensait qu’elle avait été admise ici en bénéficiant d’un passe-droit (à cause de ce qu’une notation tunisienne peut sembler mauvaise en comparaison de l’évaluation nord-américaine) : « ma moyenne de la dernière année, c'était quelque chose comme 13 sur 20, chez moi j'étais la deuxième. Mais pour elle, c'est presque l'échec. » Accuser quelqu’un de racisme est selon Loubna une déresponsabilisation de la part de la personne qui accuse, pour ne pas avouer qu’elle n’est pas capable de répondre aux attentes qu’on a vis-à-vis d’elle. Loubna semble s’être aussi beaucoup impliquée dans son association étudiante pour faire découvrir aux étudiants la culture tunisienne. Je suis membre de l'association des étudiants de troisième cycle […] à un certain moment on a dit : On va faire un repas communautaire, question de faire un menu… pas trop trop de calories, on a décidé de faire vraiment un menu, entrée et plat principal tunisien et le dessert était québécois. On a insisté pour que ça soit… pour sentir vraiment qu'on vient de deux cultures différentes, qu'autour de la table il y a les deux. On a invité beaucoup, au début on avait cette tendance, je ne sais pas pourquoi, on a pensé que pour présenter notre culture il fallait passer par la bouffe mais ce n'est pas juste la bouffe mais c'est une forme d'accueil qui est chez nous, inviter quelqu'un et le faire manger. 12 Les mots en gras soulignent l’insistance portée par Loubna sur le mot. 81 Loubna semble être en perpétuelle négociation entre les deux cultures, ce qu’elle exprime par exemple par la perception de l’ambivalence de son séjour à Québec : Jusqu'à maintenant, même après six ans, lorsque j'arrive à l'aéroport tunisien et que je vois notre drapeau, ça fait vraiment de l'émotion. Lorsque je quitte, je quitte pour revenir ici, lorsque je quitte ça fait vraiment comme le cœur qui déchire, il y a quelque chose à l'intérieur que je ne peux pas t'expliquer, mais vraiment il y a une forme de bouleversement. Et lorsque j'arrive ici je suis souriante, je prends mes valises, je suis contente. […] c'est deux réalités que tu vis, tu dois l'accepter, l'accueillir. Son intérêt pour la relation entre communication et santé (et tout particulièrement le sida) l’a amenée à participer à des réunions dans lesquelles étaient présents des homosexuels, ce qui est un sujet tabou en Tunisie : « Chez nous, l'homosexualité, oublie ça, on n'a pas des homosexuels tunisiens nous. C'est le discours ! ». Elle dit être passée d’un état où elle dit « heurk pour des homosexuels à un monde où ils peuvent […] être des amis ». Cette négociation est aussi visible dans son rapport à la religion : c’est une rencontre et une longue conversation avec le frère d’un de ses amis québécois, apparemment prêtre, qui l’ont convaincue il y a quatre ans de reprendre une pratique régulière qu’elle avait abandonnée en arrivant à Québec (elle faisait en Tunisie ses cinq prières « pour faire plaisir à [sa] mère »). Sa pratique est une affaire privée qu’elle ne veut pas partager avec tout le monde et elle ruse pour ne pas avoir à l’avouer à certains (elle ne boit pas de vin à cause d’un régime et ne mange pas de porc car elle est végétarienne). Elle fait cependant découvrir sa religion à ses amis, en partageant par exemple avec eux le repas de la rupture du jeûne du Ramadan. Elle est en perpétuelle négociation avec sa religion, pour ne pas l’ignorer mais pour ne pas non plus blesser les Québécois qui lui font partager leur vie : elle a par exemple assisté à Noël dernier à la messe de Noël et a été confrontée à une prière familiale avant un repas. Il y a une fois où j'étais invitée à un souper, j'étais invitée par une famille québécoise. On était six personnes autour de la table. Cinq Québécois et juste moi Tunisienne. Ils ont décidé de faire la prière! Ils ont demandé ma main et moi j'étais mal à l'aise, je ne sais pas comment réagir. J'étais prise par surprise et je n'étais pas préparée assez, j'ai dit : Mon Dieu je ne vais pas faire la prière avec eux c'est quoi cette affaire ? Mais quelqu'un qui te tend la main tu ne peux pas lui dire non et on était autour d'une table, l'ambiance était vraiment familiale. J'ai dit : Dieu aide-moi, je vais faire mon maximum ! (Rires) Je ne veux pas les insulter, surtout que c'était des personnes très agréables, c'était un souper de Noël et c'est ça, ils avaient invité leurs amis intimes. D'accord, dire qu'il y ait toujours de la nourriture dans cette maison, de la santé, j'ai dit : d'accord, c'est pas grave ! Et après ils ont fini, ils ont fait leur croix, j'ai dit : C'est ça que moi je ne dois pas faire par exemple. Mais nous, je 82 ne sais pas comment on dit en français mais J'admets que j'ai un seul Dieu et le prophète Mohamed Allah (formule incomprise) donc j'ai dit ça et j'ai trouvé l'équivalent mais c'était vraiment vraiment un effort très personnel, une interprétation très personnelle, et j'ai pas partagé ça aux Tunisiens. Elle dit apprécier beaucoup l’ambiance de la période des fêtes, et elle est invitée tous les ans par des Québécois. Elle fait aussi à cette occasion remarquer l’esprit d’ouverture de sa mère qui, même si elle est contre le voyage et le fait de quitter le foyer familial, lui offrait tous les ans un Père Noël en chocolat, ce qui lui permet d’avoir une anecdote à raconter à ses amis québécois à Noël. En ce qui concerne ses projets, Loubna reste ouverte à toutes les opportunités, même si elle veut à terme rentrer en Tunisie, quitte à accepter des conditions de travail moins intéressantes. Pour elle, la réussite est la satisfaction d’atteindre ses buts et d’être fière de ce qu’elle a accompli. Le fait d’avoir une intégration réussie, aussi bien sur le plan académique que social, est pour elle une réussite. J'étais en train de lire un livre sur l'intégration et tout le processus d'immigration. Ils disent que s'intégrer dans une autre société parfois ça reste un projet de vie. Donc faire juste ça, la mission est accomplie. Donc c'est ça, je dis j'ai commencé mon séjour ici pour les études. Les études avancent, parfois à un rythme qui ne fait pas mon affaire. Mais Mon Dieu tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai réalisé parallèlement à ces études en termes d'expériences. Franchement je suis fière de moi. C'est ça. 4.2 MOURAD : L’EXÉCUTION D’UN CONTRAT Mourad, 25 ans, est arrivé à l’Université Laval il y a un an et demi pour un MBA (Master of Business Administration). Aîné de la famille, il a une sœur qui étudie à l’université en Tunisie, et un frère qui vient de commencer le lycée. Après un parcours en école publique en Tunisie, il a choisi de s’orienter en économie et gestion, comme ses parents : ils ont tous deux fait des études de gestion, mais sa mère n’a pas complété son cursus. Son père est homme d’affaires, et sa mère, qui a un temps travaillé avec lui, a arrêté il y a neuf ans. Une tante de Mourad est installée en France et a eu ses enfants là- 83 bas, mais il est le premier de sa famille à partir étudier à l’étranger. Son séjour, financé par ses parents, prend l’allure d’un contrat : il doit obtenir son diplôme pour revenir travailler dans l’entreprise familiale. Il justifie sa venue au Québec comme une envie de vivre une nouvelle expérience, de voir comment se passent les études et la vie ici, et parce que le Canada semble être très présent dans l’imaginaire tunisien, comme alternative à la France. L’Université Laval lui paraît être un bon compromis entre son exigence de qualité et de réputation de l’enseignement (tout en parlant français) et les facilités d’admission. Un ami déjà présent à l’université lui a donné quelques conseils pour trouver son logement et son inscription semble s’être déroulée sans problème. Mourad est arrivé en janvier, « en plein moins 40 », et sa première session semble avoir été difficile : il lui fallait s’habituer à son nouvel environnement, mais aussi à un nouveau système d’éducation et à une charge de travail plus importante. Sa première session, qu’il définit comme une session d’adaptation, l’a amené à comprendre qu’une attitude différente de celle qu’il est habitué à vivre n’est pas forcément une marque de racisme à son encontre. Le choc culturel, tu commences à le sentir après un mois, un mois et demi. Pour moi le choc culturel on peut le résumer, c’est-à-dire que toi tu vois des choses qui sont anormales et pour les autres, elles ne sont pas anormales. Et vice versa. Donc après deux mois, je me suis adapté disons à ces choses-là, et maintenant ça fait partie de la vie de s’adapter. Même si sa première session s’est finalement assez bien déroulée sur le plan académique, il a décidé pour sa deuxième session de changer de concentration, pour avoir une ambiance de travail moins tendue et compétitive. Il est maintenant dans une section où les étudiants sont majoritairement maghrébins et où les Québécois lui semblent plus ouverts, bien que leur faible représentation numérique limite ses contacts avec eux. Ça ne m’a pas plu la première session. Donc j’ai décidé de changer pour une autre concentration. Donc pour cette concentration c’était plus facile de se faire des amis, l’ambiance de travail était moins tendue, plus agréable. Il n’a pas ressenti jusqu’à maintenant le besoin de s’investir dans des activités de l’université : s’il dit y avoir pensé, il n’a toujours fait aucune démarche dans ce sens. Selon Mourad, la culture maghrébine ne mettrait pas vraiment l’accent sur la vie 84 associative mais il affirme se rendre compte de plus en plus que son intégration doit passer par ces activités, et que ce besoin d’intégration n’était pas présent au début de son séjour : son objectif était d’étudier et d’obtenir un diplôme. Je peux dire que c’est une question de culture aussi parce que pour les Maghrébins, les associations ne sont pas très développées. Donc sincèrement on ne ressent pas beaucoup le besoin de s’intégrer mais avec le temps on ressent le besoin de faire ça. C’est-à-dire que la première fois qu’on vient ici, on se dit qu’on vient pour les études, on ne va pas se consacrer à ça. Mais après on se rend compte que c’est important, qu’il faut s’intégrer et faire des activités associatives. Mais concrètement je ne me suis pas impliqué ici. Il aurait un peu aidé à l’organisation d’une ou deux activités organisées par l’association des musulmans de l’Université Laval au moment du Ramadan. Si l’université met en place de bonnes activités, Mourad affirme aussi ne pas y participer. Il apprécie en revanche beaucoup les infrastructures offertes, que ce soit au niveau informatique ou par le biais du PEPS (Pavillon de l’Éducation Physique et des Sports) : « Ça facilite […] l’épanouissement de l’être humain d’une façon générale, et du Maghrébin aussi! » Si Mourad se considère bien intégré sur le plan académique, il n’en est pas de même au plan social, même s’il refuse de se prononcer de façon définitive sur son intégration sociale. Il n’a pas beaucoup de temps pour faire des activités extra scolaires et il trouve peu de Québécois pour partager ses passe-temps (il fait des sports d’équipe et ses convictions religieuses font qu’il ne veut pas sortir dans les bars), ce qui fait qu’il trouve plus facile de lier des amitiés avec des Maghrébins, des Africains et des Européens, plus ouverts selon lui à la différence. Pour les amis autres que Maghrébins, j’ai des amis sénégalais, j’ai des Mexicains, j’ai des Français, j’ai des Allemands. C’est ça principalement. Mais pour les Québécois sincèrement ce n’est pas facile. Il y avait aussi les problèmes de préjugés. Pour le problème là maintenant du 11 septembre, c’était aussi… c’est-à-dire qu’ici avec les Européens, au moins ils sont plus ouverts je pense sincèrement. Ils connaissent déjà mieux le Maghreb, l’Afrique, pour l’Orient et tout ça. Mais ici […] ils ne connaissent pas vraiment l’autre partie du globe. Même aussi pour l’Europe ils ne connaissent pas très bien je pense. Un stage en immersion à Vancouver lui a toutefois permis de lier quelques amitiés, qu’il essaie maintenant d’entretenir. Au bout de sa première session, il a décidé 85 d’utiliser plusieurs stratégies : toujours travailler avec des Québécois pour les travaux de groupe, en restant toutefois avec un Tunisien pour pouvoir s’affirmer et « protéger ses arrières », à la suite de plusieurs mauvaises expériences. Il a aussi décidé d’être plus direct avec les gens et de dire ce qu’il pense, pour ne pas rester dans le non dit et les malentendus. Si on parle pour le niveau académique, il y a beaucoup de travaux de groupe, donc je me suis dit qu’il fallait toujours travailler […] avec des Québécois ou des étrangers, mais avec réserves. C’est-à-dire que je me suis dit que je vais faire ça avec un ami, un Tunisien. Parce que je me suis rendu compte à la première session que si tu es tout seul, tu ne vas pas t’affirmer dans un groupe. […] au niveau des relations avec les gens, je me suis dit qu’il faudrait la changer. Parce que ce n’est pas la même culture. Ici j’ai constaté que ce sont des gens très directs donc qu’il faut faire la même chose aussi avec eux. Cette dernière résolution est en lien avec sa vision des Québécois : il les perçoit comme des personnes droites, honnêtes, travailleuses, directes, même si une relation poussée n’est pas facile à établir. Il n’a jamais été invité chez des Québécois. Selon lui, la société québécoise est très libérale mais aussi très renfermée sur elle-même et peu curieuse de ce qui se passe dans le monde. Les Québécois feraient des amalgames entre arabes et musulmans, auraient parfois un sentiment de supériorité dû selon lui à leur méconnaissance du contexte tunisien (le Sahara, les chameaux et les tentes sont loin d’être une réalité pour les étudiants tunisiens), véhiculé principalement par les médias. J’ai eu des anecdotes avec des Québécois… On perçoit toujours qu’on vient du Sahara, qu’on vit avec des chameaux, sous des tentes. Ils parlent de ça de manière très spontanée, ils ne savent pas la vérité. J’ai connu des étudiants québécois qui m’ont dit : Pour vous autres c’est pas facile avec le Sahara…. Donc moi je leur ai dit que ça se passe pas comme ça chez nous, qu’il y a des voitures, il y a des… […] Moi je pense qu’il y a aussi un grand problème pour les médias parce que je vois des choses à la télévision… c’est-à-dire que moi je connais la vérité et je connais comment ça se passe. Mais eux ils vont se dire d’autres choses, donc ça m’énerve un peu de voir ça. […] Les médias ici, ils font beaucoup de tort. Ici et en Amérique du Nord aussi. Ils font beaucoup de tort et beaucoup d’amalgames, c’est clair ça. Mourad a fait une demande de résidence permanente, au cas où il trouve un emploi qui lui permettrait d’accumuler un peu d’expérience, mais il veut rentrer en Tunisie pour travailler avec sa famille. Il pense aussi au mariage. Là j’ai commencé la procédure d’immigration. […] Il y a des chances aussi que je vais rentrer définitivement pour la Tunisie. […] En tout cas, même si je reste ici, je ne pense pas que je vais rester ici toute ma vie. Ça c’est clair. […] si je reste ici, ça sera plus pour gagner 86 de l’expérience, c’est-à-dire si je trouve un travail qui va me permettre… en tout cas pas beaucoup pour l’argent, ça sera pas pour ça, ça sera principalement pour l’expérience, trouver quelque chose qui va me donner un plus. Et si je trouve pas quelque chose de bien, je vais rentrer pour la Tunisie, ça c’est clair. Et normalement je vais travailler avec la famille. 4.3 YASMINE : BIEN « DANS [S]A BULLE » Yasmine est arrivée à Québec sept mois avant l’entretien, soit en mai 2005 : elle venait de se marier et a décidé de suivre son mari, présent sur le sol canadien depuis trois ans (un an à Toronto et deux ans en tant qu’étudiant en MBA à l’Université Laval). Sa mère, surveillante dans un lycée, a poursuivi ses études jusqu’au baccalauréat13, tandis que son père, retraité, a un niveau scolaire de quatrième année du secondaire. Son frère est en deuxième année de médecine à Tunis, et sa sœur est en DEA14 de chimie. Elle est la première de sa famille à partir à l’étranger et cette expérience internationale constitue sa première sortie en dehors de la Tunisie. Après des études économiques en Tunisie et une maîtrise (tunisienne) en commerce international, elle est restée deux ans dans son pays à occuper des petits emplois en attendant de se marier et de rejoindre son mari à Québec pour faire son troisième cycle. Elle justifie le choix de son secteur d’études par de meilleures aptitudes en économie, par la complémentarité de cette matière avec ses études antérieures et par le fait que son mari, dans la même filière, aurait facilité sa compréhension de la matière. Sa décision de venir à Québec est selon Yasmine personnelle, car elle aurait aussi pu attendre en Tunisie que son mari revienne après ses études. Elle justifie sa venue par le désir de poursuivre ses études, ce qui était rendu impossible étant donnée la longueur de la coupure de ses études. Son inscription à l’Université Laval a été très difficile car tous ses dossiers de demande d’admission en maîtrise ont été refusés. Elle s’est finalement inscrite au baccalauréat dans une autre matière et c’est sur cette base qu’elle a fait sa demande de visa. Elle a profité de la session d’été, une fois sur place et sur les conseils de son mari, pour présenter un nouveau 13 14 Le baccalauréat en Tunisie correspond à la dernière année de Cégep au Québec. Le Diplôme d’Études Approfondies (DEA) est l’équivalent de la deuxième année de maîtrise québécoise. 87 dossier d’admission en maîtrise, qui cette fois a été accepté. Tout le côté matériel (principalement trouver un logement) avait été pris en charge avant le retour du couple par les amis de son mari. Il y a des amis qui ont trouvé la maison, qui ont cherché. Parce que mon mari était en Tunisie, il a passé quatre mois là-bas le temps qu’on se prépare pour le mariage. Il a contacté quelques-uns de ses amis ici qui ont voulu nous aider à trouver la maison puis la maison est presque meublée donc c’était parfait. En ce qui concerne son intégration académique, Yasmine note de grosses différences dans le rapport aux études. Elle trouve que les étudiants sont pris en charge, que les professeurs sont facilement accessibles, et que les notes sont beaucoup plus encourageantes qu’en Tunisie, même si la charge de travail lui semble plus importante et plus régulière dans la session. Selon elle, les relations avec les autres étudiants de son programme sont très bonnes, sans considération de la nationalité d’origine. J’ai des travaux par exemple avec des collègues en groupe, il y a des Français, un autre Tunisien, des Québécois. Ça se passe très très bien, on a une très très bonne relation. On s’entend très bien. Elle ne s’implique pas du tout dans la vie de sa faculté ou de l’université, ne participe pas non plus à des activités organisées par les étudiants, car tout son temps est pris par ses études et son mari : « Entre mon mari, la maison, préparer les repas et faire mes devoirs, je n’arrive pas à trouver le temps ! » Elle ne sait rien des efforts mis en place par l’université pour faciliter l’intégration des étudiants étrangers, et ne trouve pas le temps de s’y intéresser : sa priorité est de réussir ses cours. Elle aurait toutefois aimé avoir des informations sur la vie au Québec (en particulier être avertie de la rudesse du climat) au moment où elle a eu son visa en Tunisie, pour pouvoir s’y préparer. Son intégration sociale semble être assez limitée. Le groupe avec lequel elle a le plus de contacts est celui des Maghrébins et les relations avec les Québécois restent cantonnés à l’université car elle ne trouve pas de temps pour nouer des relations solides pour le moment. Moi je n’ai pas beaucoup de relations parce que je ne trouve pas de temps. C’est plus des Maghrébins. Quand je dis plus, c’est deux personnes du Maghreb, une amie et un Tunisien. C’est avec eux que je suis le plus en contact. Pour les Québécois c’est au niveau des études. 88 Elle se considère cependant pour le moment bien intégrée, bien « dans [s]a bulle », et elle n’éprouve pas pour le moment le besoin d’en faire plus. Je suis bien où je suis, je suis bien avec ceux que je connais qui sont des Québécois ou même des Maghrébins, je ne connaissais pas de Maghrébins avant de venir. Je suis bien, je fais mes courses, j’adore où je vis […] Au point où je suis, ça me suffit. Je ne sais pas mais c’est ma vision des choses. J’ai ma bulle à moi et je fais entrer ce que moi je veux. Donc pour le moment ça me suffit. Peut-être qu’après je vais plus m’intégrer, entrer dans des associations, mais là je n’en suis pas là. Selon elle, « le Québec est beau », les Québécois (ceux qu’elle voit à la télévision et son couple de voisins) sont « toujours cools, sereins, « no problem » dans leur tête! » et elle les trouve très chaleureux et serviables. Pour elle, Québec est comme « un gros village », comparé à Montréal, ou encore à Toronto et Vancouver, villes qu’elle a vues à la télévision. Si la langue québécoise lui a posé problème au début, d’autant plus qu’elle ne parlait pas beaucoup français en Tunisie, les mois d’été passés à Québec lui ont permis de s’habituer aussi bien à la sonorité qu’aux différentes expressions. Elle ne se considère pas différente des Québécois et ceux-ci ne la considèrent pas comme différente, ou du moins ils ne le lui montrent pas. La vie ici lui semble belle, mais pas pour y élever des enfants : elle compte rentrer dès qu’elle en aura pour bénéficier du soutien de sa famille. Ici la vie est belle. Ici la vie est tellement belle que tu veux y rester et tout. Mais à un certain moment il faut penser à la famille, il faut penser à revenir. Pour nous on reste ici jusqu'à un certain moment mais surtout à l’arrivée des enfants… […] Ce n’est pas très facile d’élever des enfants toute seule et de les avoir toute seule ici avec un mari qui travaille… Yasmine projette de faire son doctorat pour enseigner et faire de la recherche, activités qu’elle considère plus en adéquation avec son futur statut de mère, moins stressantes qu’avec des compagnies privées et plus diversifiées quant aux clientèles avec lesquelles elle aura à travailler. Je veux être dans l’enseignement, dans la recherche, parce que ça facilite plus la vie d’une femme en fait. Je ne veux pas être trop en contact avec les entreprises. Entreprise pour moi ça veut dire stress. Travail, stress. Donc un enseignant, même si c’est un job à temps complet, ce n’est pas du stress, en plus c’est toujours changer de personne, toujours être en contact avec d’autres personnes. 89 Elle veut rester au Québec quelques années puis essayer de rentrer dans son pays. Rester ici quelques années et puis rentrer. […] Mon mari […] pense travailler ici et puis à un certain moment, quand il faut rentrer, il faut rentrer ! Mais on aura notre projet peut-être. C’est lui qui le pense ! 4.4 AHMED : OBTENIR UN DIPLÔME ET RENTRER Ahmed est Tunisien, présent au Québec depuis tout juste un an. Il fait actuellement un MBA. Son père est commerçant et sa mère n’a pas d’activité salariée. Il a deux sœurs, une infirmière et une professeure de physique, et un frère, actuellement au service militaire. Il est le premier de sa famille à partir à l’étranger. En Tunisie, il a fait une maîtrise en finance et un master en prévision des marchés financiers. S’il a choisi de venir au Québec, c’est pour profiter de « l’efficacité du système nord-américain » et de la réputation de l’Université Laval, tout en restant dans un contexte francophone. Il bénéficie d’une bourse d’exemption des frais de scolarité, accordée par le gouvernement tunisien. C’est un de ses amis qui lui a envoyé le guide d’admission de l’université et ses démarches se sont passées sans problème particulier. En arrivant, il s’est toutefois trouvé confronté à l’obligation de suivre des cours en scolarité probatoire, qui n’étaient pas pris en charge par sa bourse. N’ayant pas les moyens, il a attendu la session d’automne pour changer de concentration et avoir tous les pré requis. J’étais au programme en scolarité probatoire […] donc je n’étais pas motivé pour les suivre. De plus le gouvernement tunisien ne donne pas d’exemption pour les cours probatoires donc du côté financier je n’ai pas les fonds nécessaires pour faire 6 ou 7 cours. Donc j’ai patienté depuis l’hiver jusqu’à la session d’automne pour commencer à la session d’automne mon MBA. Ahmed semble pour l’instant satisfait de son intégration académique, même s’il dit souffrir de discrimination en tant qu’étudiant étranger, tant avec les différents personnels de l’université qu’avec les professeurs (« corrects » avec les étrangers mais « flexibles » avec les Québécois). En cours, il a plus de contacts avec les Maghrébins et les Africains qu’avec les Québécois, qu’il trouve quelque peu frileux vis-à-vis des étrangers. 90 J’ai des bonnes relations avec les Maghrébins, avec les Africains, un peu avec les Québécois, je sais pas pourquoi. Je pense que les Québécois sont un peu… ils ne veulent pas communiquer avec les étrangers, ils se gardent une marge de sécurité. Ahmed est satisfait de sa situation d’intégration sociale, qu’il juge à l’aune du nombre et de la qualité de ses relations dans et en dehors de l’université. Celle-ci se fait selon lui sans distinction de nationalité. J’ai beaucoup de bonnes relations avec la communauté universitaire, à l’extérieur de la communauté universitaire. Et c’est une qualité personnelle, je pense que je suis bien intégré, je pense que j’ai de bonnes relations. Je vois des gens qui sont arrivés depuis deux ans ou trois ans et qui n’ont pas beaucoup de relations, qui sont toujours chez eux. Les seules personnes qu’il fréquente en dehors de l’université, pour aller jouer au soccer, sont des Maghrébins. Il est très impliqué dans l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval, tant dans l’organisation que dans la participation aux activités. Il a aussi participé à une des activités organisées par les résidences pour leur cinquantième anniversaire. Selon lui, la politique d’accueil et d’intégration peut aider les nouveaux arrivants, mais il n’en a pas eu besoin car des amis l’ont accueilli et il considère que l’université ne peut pas forcer quelqu’un à s’intégrer et qu’il s’agit d’une affaire personnelle. L’intégration c’est une qualité personnelle et les autres ne peuvent pas aider quelqu’un à s’intégrer. C’est mon point de vue. […] T’intégrer tu peux le faire, mais les autres ne peuvent pas le faire pour toi. Il perçoit les Québécois comme des personnes accueillantes mais difficilement accessibles. Le racisme qu’il ressent vis-à-vis des étrangers ne trouve aucun exemple concret et son appréciation des Québécois est ambivalente : même s’il les définit comme des gens « comme tous les gens du monde » qui pensent que les arabes sont extrémistes et agressifs, il affirme en même temps que son rapport avec les Québécois est bon. L’appréciation qu’il avait d’eux avant de venir au Québec, fondée sur l’appréciation de ses amis, ne semble pas avoir changé avec son expérience sur le terrain. Il y a beaucoup de choses. Normalement tu dois sentir cette discrimination. Il n’y a pas de chose formelle qui mentionne cette discrimination mais informellement, dans le comportement des profs on sent cette discrimination. […] Les Québécois sont accueillants, sont un peu chaleureux, mais pas trop. Il y a des gens qui sont racistes, vraiment ils sont racistes pour les étrangers. C’est tout. […] toujours c’est le sentiment donc tu n’as pas 91 besoin… il faut sentir ce racisme. […] C’est la même idée que j’ai portée depuis que je suis ici. Parce que mes amis m’ont toujours parlé de la société québécoise et canadienne. À la fin de son MBA, il souhaite rentrer en Tunisie pour travailler dans le commerce de son père. Pour moi l’avenir au Québec va s’arrêter à ma diplômation. […] Je pense que la famille a besoin de moi. On a le commerce du père qui m’attend […]. 4.5 SAMI : S’INTÉGRER SANS ABANDONNER SES CONVICTIONS Sami est Tunisien, étudiant à l’Université Laval depuis deux ans et demi pour un MBA. Sa mère n’a pas d’activité salariée et son père, actuellement à la retraite, a fait un MBA de technicien supérieur. Sami, le cadet, a trois sœurs : une anesthésiste, une doctorante en administration à l’Université Laval qui a fait son baccalauréat et sa maîtrise à Ottawa et une doctorante en finance en Tunisie, en cotutelle avec le Canada. Plusieurs de ses cousins ont aussi fait leurs études à l’étranger, et son père a fait des stages de longue durée en France lorsqu’il avait une activité salariée. Après des études primaires dans une école française et des études secondaires dans le système public, Sami a choisi de se spécialiser dans le management, « pour sa connotation anglo-saxonne », jusqu’à l’obtention d’une maîtrise en Tunisie. Il a ensuite choisi de venir à l’Université Laval car une de ses sœurs y était déjà inscrite et a pris en charge toutes les démarches pour l’immigration et pour l’inscription à l’université. Il voulait aussi rester dans un contexte francophone, tout en profitant du style d’étude particulier à l’Amérique du Nord qui lui permet de personnaliser son cursus. En arrivant à Québec, il a décidé de changer de spécialité, pour en choisir une plus prestigieuse et mieux cotée que celles données dans les universités anglophones. Son choix de sujet pour son essai a été guidé par la volonté de rechercher une meilleure formation, et c’est dans cette optique qu’il a refusé de s’insérer dans un projet et d’avoir une bourse. 92 Sami est arrivé au Québec accompagné de ses parents et de sa sœur au début de la session d’hiver, et ceux-ci l’ont aidé à s’installer. Il a pu profiter du réseau de sa sœur pour se construire ensuite le sien, et de faire une transition en douceur entre son pays et le Québec. Il fait un va-et-vient entre les résidences et les appartements en dehors du campus, mais dit toujours revenir aux résidences, à cause du climat et de la possibilité que le fait d’y habiter donne de ne pas souffrir trop du froid. Ça me tente toujours de retourner en résidence. En plus c’est une question de proximité et pour une question de climat parce que le climat ici c’est quelque chose qui n’est pas assez favorable pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude. Mieux vaut emprunter les tunnels parfois. Une fois j’ai emprunté les tunnels pendant 21 jours et je n’ai même pas eu à sortir pendant 21 jours! Sami semble satisfait de son intégration académique, en tout cas en ce qui concerne ses résultats. Les exigences lui paraissent moins importantes qu’en Tunisie et l’accent est mis sur le côté pratique, sans chercher à savoir comment ça fonctionne : il regrette le manque de culture générale que cela induit, car les Québécois lui semblent être à la merci des préjugés. D’un autre côté, il apprécie de recevoir plus d’encouragements ici en tant qu’étudiant chercheur. Avec les professeurs, Sami garde une certaine distance, comme en Tunisie, et il déplore qu’on prenne sa politesse pour un manque de personnalité : il a par exemple remarqué que les étudiants étrangers avaient de moins bonnes notes que les Québécois, car ils n’osaient pas aller s’en plaindre auprès des professeurs. À son avis, c’est aussi pour cela que l’université n’hésite pas à donner aux étudiants étrangers des cours compensatoires : leur méconnaissance du système d’éducation fait qu’ils ne font pas de réclamation et qu’ils paient. Toujours selon Sami, le fait de multiplier les cours en Intranet s’inscrit dans ce même souci de toujours plus maîtriser les coûts, mais cela nuit à l’intégration des étudiants étrangers : alors que dans un cours « conventionnel », on peut voir les gens et peut-être passer outre certains préjugés liés à la nationalité, le choix des personnes pour former les groupes de travail en Intranet se fait selon les consonances des noms, pour plus de sécurité. Pour un cours en mode Intranet tu payes le livre, en plus tu payes le code d’accès et tu payes le CD. Tu te retrouve avec une cours qui te coûte 120 ou 130 pièces rien qu’en matériel didactique. C’est débile. Je trouve que l’étudiant étranger, son statut c’est comme un compte commun. […] C’est un système très hypocrite. Même si tu penses que tu vas bien t’intégrer, tu sens déjà que tu es lésé dès le premier jour. […] Tu ne peux pas te sentir 93 à l’aise avec des gens dont tu sens qu’ils profitent de ta situation. Tu n’es pas traité en être égal. Même si Sami ne travaille pas pour un laboratoire, il a un espace de travail à la Faculté d’administration. Le laboratoire dans lequel il se trouve est composé principalement de Maghrébins, mais les Québécois présents lui semblent hostiles : il n’arrive pas à s’y intégrer, au point d’avoir demandé à changer de laboratoire. Il attribue peut-être cette hostilité au fait que sa sœur, voilée, travaille dans ce même laboratoire. Dans l’ensemble, Sami se considère bien intégré, même s’il dit que ce n’est peutêtre pas l’avis des personnes qui le côtoient dans sa faculté. Pour lui, s’intégrer n’est pas « se dissoudre » dans la culture d’accueil, mais arriver avec ses spécificités et apporter ce qu’on peut à cette société. Son implication associative, liée à la religion, est très importante au sein de l’université et de la ville de Québec. Il est très bien informé de tout ce qui concerne la communauté musulmane dans l’université. Son appréciation de l’institution est assez ambivalente. Il éprouve un sentiment d’appartenance très fort vis-àvis de l’université. Moi je me sens vraiment Rouge et or. Je vous assure, j’ai une appartenance à cette université très très forte. Je me sens très très très impliqué. Personnellement si j’avais à projeter des études de doc’ ici, c’est parce que c’est l’Université Laval. Cependant, l’université présente aussi certains inconvénients : le fait que l’établissement soit éloigné du centre ville de Québec, en plus de ne pas avoir le droit de travailler en dehors du campus, lui donne l’impression d’être « dans une prison à ciel ouvert ». Tout est concentré dans l’université, ce qui est pratique mais qui en même temps restreint beaucoup les rapports avec la population non étudiante : tous ses amis sont à l’université. Selon lui, l’Université Laval ne prend pas assez en compte la communauté musulmane, qui pourtant prend une part importante dans la production scientifique de l’établissement, et veut imposer un style de vie « québécois » : le choix de l’Heure Pédagogique, le vendredi midi, en est selon lui un bon exemple, étant donné que l’activité a lieu au moment de l’acte religieux le plus fort de la semaine, la prière du vendredi. De plus, l’Université Laval devrait selon Sami favoriser une véritable vie 94 étudiante et rompre avec le souci de financement : l’établissement met à la disposition des étudiants certains services qui ne correspondent pas du tout aux besoins des Maghrébins. On n’accepte pas de donner une salle de prière pour les filles au Lacerte, alors qu’on est prêt à tout faire pour assurer un bon cadre d’évolution à tout étudiant. Lorsque tu dis : C’est quoi le Grand Salon ? C’est quoi le Pub ? On met des choses commerciales dans l’université pour que l’étudiant se sente à l’aise. L’aisance d’une fille musulmane, c’est de pratiquer sa religion. Donc pour se sentir à l’aise elle doit avoir une salle où prier. Comme certains peuvent aller boire une bière, on devrait avoir un lieu pour méditer. La religion occupe une place centrale dans la vie de Sami, mais il refuse de la mettre comme un obstacle entre lui et les autres. Qu’on vienne de l’Orient ou de l’Occident n’est pas quelque chose de si signifiant et de si différent, on reste toujours un être humain. Il se déclare en faveur de la tolérance, de la « diversité logique humainement acceptée », dont l’homosexualité par exemple ne fait pas partie. Les contraintes religieuses font qu’il ne participe pas aux activités organisées dans sa faculté, par exemple pour Noël ou Halloween, et il déplore que certains musulmans acceptent de s’intégrer en participant à ces activités. En ce qui concerne sa perception de la société québécoise, Sami dit retrouver au Québec une mentalité anglophone, qu’il définit par le désintérêt pour ce qui se passe dans le monde (lié au manque de véritables médias d’information), et le manque de culture générale. La société lui semble très matérialiste, les jeunes sont confrontés tôt à des problèmes matériels et se trouvent obligés de penser en termes de carte de crédit, à s’intéresser plus à ce que les autres possèdent qu’à ce qu’ils pensent : la société québécoise lui semble prospère sur le plan économique mais individualiste à outrance et en perte de vitesse en ce qui concerne les valeurs humaines. Avec les employeurs, il ressent aussi de la discrimination vis-à-vis des étrangers, tout spécialement à Québec, et il déplore qu’on fasse venir des gens diplômés si c’est pour ne leur donner aucun travail décent. Principalement dans la ville de Québec, je vous assure qu’il y a des compétences qui ne sont pas admises. La communauté maghrébine est composée à 100 % presque de personnes qui ont fait des études de deuxième cycle. Les gens qui débarquent pour l’immigration permanente doivent avoir de l’expérience et des compétences qui manquent au Québec 95 d’ordinaire. Et tu te retrouves avec des gens qui […] tiennent des épiceries, […] qui font des ménages, […] qui tiennent des restaurants Des doctorats en agronomie qui tiennent une épicerie, alors que c’est pour quelqu’un qui n’a même pas des études primaires en Tunisie. Si là c’est comme ça c’est parce qu’on jouit d’un confort illusoire d’une liberté d’expression. Les projets de Sami sont encore flous : il veut faire un doctorat pour acquérir de la notoriété et être utile là où on l’appellera. Il n’a pas pour le moment de projet spécial, ni de lieu précis. Son seul objectif est de servir à quelque chose. Je suis prêt à servir là où le devoir m’appelle, là où je devrai avoir une plu value, c’est ça qui m’attire. Que ce soit pour des individus ou pour un groupe de personnes. C’est juste ça. […]. Je ne sais pas, c’est comme quelqu’un qui veut se marier. Je vais me marier avec quelqu’un de mon pays, je vais me marier avec quelqu’un de ma classe sociale, je vais me marier avec quelqu’un de telle religion ou telle religion, la vision sera limitée. 4.6 HAYET : LE CHOC DES CULTURES Hayet est Marocaine, étudiante en deuxième année de MBA à l’Université Laval. Son père est avocat, sa mère sans activité salariée. Elle est la benjamine de la famille, et ses trois frères ont fait des études à l’étranger (un en médecine, l’autre en droit et le dernier en finances). Après une grande école de commerce au Maroc, elle a travaillé un an, le temps de faire des papiers pour continuer ses études à l’étranger. C’est son père qui l’a beaucoup encouragée à partir, mais elle a pris son temps pour faire les papiers car elle pensait au début que ce n’étaient que des paroles. C’est mon père qui m’a encouragée trop, parce que moi je ne m’imaginais pas que partir toute seule dans un pays étranger pouvait se réaliser, alors que des années avant mon père m’encourageait et me disait : Il faut que tu ailles suivre tes études à l’étranger. Mais entre moi-même je me disais que c’était juste des paroles, je n’arrivais pas à réaliser ça. Donc c’est lui qui m’encourageait trop, en même temps moi je prenais du retard dans l’organisation de mes papiers etc., et je trouvais vraiment très fastidieux les procédures. C’était un rêve parce que je me disais que mes parents n’allaient pas accepter, du fait qu’on est de nature très conservateurs, et puis je suis la seule fille, et puis vu mon éducation et comment c’était… je sortais rarement, j’avais pas de copine, c’était une éducation très renfermée, donc j’imaginais mal qu’on pouvait comme ça me livrer à moi-même. 96 Elle a choisi l’Amérique du Nord pour retrouver une qualité d’enseignement qu’elle pense perdue dans son pays, et le Canada en particulier sur le conseil de ses amies déjà venues ici. Son souhait était de faire des études dans un milieu anglophone mais elle n’a pas eu le temps de préparer les papiers nécessaires, elle a donc décidé de faire son MBA à l’Université Laval pour ensuite continuer au doctorat dans une université anglophone. Ils sont plus flexibles. Le système français, la rigidité, le formel. Pour rien. Et la preuve, pourquoi moi je veux aller du côté anglophone, c’est que les Québécois sont trop influencés par la culture française, donc ils ont toujours cette vision de l’étranger, ces stéréotypes, le fait qu’ici par exemple à Laval ils n’acceptent pas beaucoup de profs étrangers. Ce genre de sensibilités est des sensibilités purement françaises. L’arrivée d’Hayet à Québec semble avoir été très difficile, d’autant plus que ce voyage était son premier en dehors du Maroc. Elle ne connaissait personne et a dû se débrouiller toute seule pour toutes les formalités d’inscription mais aussi d’installation et de repérage dans l’université. Je sortais par exemple […] pour inscrire mes choix de cours, pour aller à ce pavillon-là je passais toute une journée à errer entre les pavillons. J’avais l’impression que ce campus-là, c’était comme une grande ville, je me perdais, je passais des heures et des heures à aller d’un pavillon à l’autre, à lire les trucs, à demander aux gens. Ces difficultés, si elles ont donné lieu à des situations parfois difficiles à gérer, lui semblent maintenant assez cocasses. Le premier jour, […] c’était le soir et j’étais à Lemieux (résidence étudiante sur le campus) et j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu comme un café. Et ce café c’était Le Pub. Moi je savais pas ce que c’est un pub, ni ce nom-là! Pour moi c’était un café ! Je me suis dit : Au lieu que je reste toute seule… (rires). Or moi chez moi dans mon pays, je suis jamais allée dans une boite, je sais même pas ce que c’était une boite ou un pub ! Heureusement c’était le soir, sept heures huit heures… Donc ce n’était pas encore… Je suis rentrée, j’ai vu le truc, je me suis dit : Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? Les gens étaient assis, c’était sombre. Donc j’ai pris une pizza puis… enfin c’est une anecdote ! Puis moi je savais pas… en plus ça a été très mal vu, parce que moi je suis une fille voilée normalement, et puis je me suis retrouvée dans un tel lieu, peut-être que les gens ne comprenaient pas ce que je faisais là-bas, moi je ne savais pas non plus où j’étais ! Donc il y a un gars qui est venu vers moi, il a commencé à me poser plein de questions et il a compris que moi je ne savais pas où j’étais ; donc il m’a expliqué ce que c’était un pub et il a commencé à me parler de ses études, de ce qu’il a fait. Et puis ça y est. On s’est dit Bye et puis je suis partie. Mais ça a été un truc très marquant parce que voir une voilée dans un tel lieu! Ça ne passe pas inaperçu! 97 Le fait d’être sur la liste d’attente des résidences pour avoir une chambre lui a aussi causé beaucoup de stress. Par chance, j’ai attendu quelques jours et puis ils m’ont appelée pour avoir la chambre ici. Mais ça m’a trop stressée parce que lors de l’hébergement d’été j’ai changé, j’ai habité quelques jours à Lemieux, puis à Moraud, puis à Parent (résidences étudiantes sur le campus), et puis après j’ai été dans une salle d’études à la fin, parce qu’ils devaient vider les chambres pour que les étudiants viennent. Et j’étais toute seule, je ne connaissais personne. C’était très frustrant ! Son premier cours a lui aussi été une épreuve, car il a fallu se mettre en groupe et une compatriote l’avait avertie qu’il fallait vite se faire une idée des autres étudiants pour avoir un bon groupe de travail : « en une seconde [le professeur] a dit Faites les groupes, comme ça tous se sont mis en groupe. Tout, tout le monde, en une seconde. » Elle s’est finalement intégrée dans un groupe, un peu au hasard, mais n’a pas su trouver sa place, et ceci s’est reproduit dans tous ses cours à la première session, sauf dans un où le professeur avait fait les groupes aléatoirement. Moi qui avais l’habitude dans mon pays d’être toujours un élément actif des travaux de groupe, je faisais tout mon effort, j’étais l’élément stimulateur, l’élément qui donnait les idées, qui guidait le groupe, dans les travaux de ma première session, à part pour un travail, c’est comme si je faisais rien, c’est comme si je fuyais. Je me sentais mal à l’aise de me retrouver dans un tel rôle, d’être un élément passif qui ne fait rien, mais j’étais dans trois groupes de Québécois et je me sentais pas… comme intruse et je ne faisais pas grand chose et je sentais que ça donnait une mauvaise image de moi et je m’en foutais. Sur le plan académique, sa première session a donc été très difficile. Elle ne savait pas quels cours prendre, ne saisissait pas ce qu’on attendait d’elle, et les différentes personnes qu’elle a pu rencontrer ne l’ont pas aidée à comprendre. Je suis allée voir dès les premiers jours le directeur du département, je lui ai demandé : Quel cours je dois prendre ? Il m’a dit : Tu dois prendre tous les cours obligatoires dès le début. Or ce n’était pas un conseil pertinent, parce qu’après, en comprenant les rouages du système, j’ai remarqué que les Québécois, les cours qui sont obligatoires, qui sont difficiles, ils les prennent pas au début du MBA. C’est à la fin, après avoir acquis une expérience dans les travaux etc. Moi je me suis ramassée avec tous les cours obligatoires pendant les deux premières sessions. Normalement il y a une conseillère pédagogique, […] elle doit nous expliquer que le système repose sur des travaux, sur la dissertation, qu’il faut avoir du temps pour apprendre à avoir les habilités à rédiger, à faire les recherches, etc. Donc commencer par certains cours, expliquer, parce que les étudiants étrangers ne savent pas en fin de compte est-ce qu’ils sont obligés d’être à temps plein ou pas, donc ils se ramassent avec quatre cours et puis on arrive pas à les gérer. Ils peuvent nous expliquer qu’on peut […] prendre trois crédits de recherche pour combler le quatrième, parce que vous serez pas capables de 98 prendre les quatre, ou de faire telle ou telle chose etc., comment il faut faire dans les travaux de groupe, avec les profs comment il faut interagir, des trucs comme ça. Personne ne nous dit ça. À partir de la deuxième session, elle a pris les choses en main, car elle savait comment cela se passait, et ses cours se sont selon elle très bien passés, même si elle a encore des difficultés à aller voir les professeurs pour leur demander conseil. Sur le plan relationnel cependant, elle affirme n’avoir jamais eu de relation d’amitié avec une Québécoise ou un Québécois. En dehors des cours, elle est en contact avec cinq ou six Marocaines et Marocains. Sa seule sortie en dehors de Québec s’est faite grâce à une journée à Valcartier organisée par l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval. Elle a pleinement conscience que sa perception de la société québécoise est le reflet de ce que les autres Marocains ont pu lui rapporter. Même si les femmes québécoises lui semblent ambitieuses, les égales des hommes, elles paraissent être en même temps malheureuses sur le plan affectif. L’éducation de l’homme québécois fait qu’il ne perçoit pas la valeur de la femme québécoise comme étant un être humain, une personne qu’on peut aimer […] Avec qui il peut y avoir de l’admiration, de l’amour, du respect. C’est juste nous, une fille. Une fille (avec laquelle) passer du temps et c’est tout. Ça fait qu’ici il n’y a pas de famille, il n’y a pas de mari, de femme, des enfants, il n’y a pas une famille solide. J’entends dire qu’il n’y a pas trop de fidélité, qu’il n’y a pas d’amour, que la femme est ennuyée facilement de l’homme et qu’elle change facilement, et qu’en fin de compte à la fin de sa vie elle se retrouve seule, vieille, malheureuse. C’est ça. Selon Hayet, le regard porté par les Québécois sur la communauté maghrébine est plein de peur et d’incompréhensions. Ils nous perçoivent comme étant des personnes d’un niveau intellectuel bas, on est venu ici et on ne veut pas revenir, on est venu ici et c’est comme si on était au paradis… et on est bête, on est là et on ne comprend rien à ce qui se passe! […] dans leur tête, tous les étrangers qui sont venus ici, ils ne veulent jamais revenir, et pour eux ici, ils ont trouvé ce qu’ils cherchent. Et nous c’est comme si on leur prenait leurs chances de trouver du travail, on est une charge pour eux, et ils ne savent pas ce qu’on fait ici. 99 Elle-même ne se sent pas bien intégrée et elle a peur de ce qui l’attend une fois ses études finies. Elle a abandonné l’idée de faire un essai accompagné d’un stage car elle est certaine de ne pas trouver de stage en étant Marocaine et voilée. Elle se demande aussi si elle pourra trouver du travail ici. Elle n’a rien trouvé à l’université susceptible de l’aider dans son intégration, car elle ne veut pas aller dans des soirées dont elle entend dire que les gens boivent ou font la fête. À la fin de son MBA, Hayet aimerait trouver un emploi dans un centre de recherche, le temps de faire ses papiers pour faire un doctorat dans une université anglophone. Elle veut plus tard travailler « dans le consulting » et enseigner dans une université anglophone. Elle a fait sa demande de résidence permanente et a pour le moment le projet de s’installer au Canada, dans la partie anglophone où elle pense qu’elle aura plus d’opportunités d’insertion en emploi. Ses projets semblent en contradiction avec sa situation actuelle : alors même qu’elle juge son expérience insatisfaisante, elle ne veut pas rentrer au Maroc et elle a même des visées d’autonomie et d’intégration au Canada. En fait, je suis le genre qui aime voyager trop, qui aime changer de pays. Moi par exemple j’aurais aimé avoir un travail où je change de pays tous les deux ans ou trois ans. C’est mon genre. C’est pour ça que je vais être totalement différente de tous les autres Marocains ici qui vont te dire : Non moi après quatre ou cinq ans ici je rentre, […] Moi dans mon pays il y a la chaleur, il y a ce climat, moi j’en ai marre […], je veux rester avec ma famille, je veux faire ma carrière chez moi, ici j’en ai marre c’est pas mon pays, je suis un étranger, dans mon pays c’est le paradis, c’est maintenant que je connais sa valeur… Moi c’est pas mon style tout ce genre. Ça m’énerve. 4.7 HICHAM : L’AMBIVALENT Hicham est Marocain, il est à l’Université Laval pour sa troisième session en MBA. Son père, à la retraite, a fait ses études en France et était ingénieur électronique. Sa mère est infirmière, tout comme sa grande sœur. Son petit frère étudie lui aussi en finances. Plusieurs de ses cousins font leurs études à l’étranger, en France et en Scandinavie. Son secteur d’étude ne l’intéresse pas vraiment, mais il se sent obligé de 100 continuer ce qu’il a entrepris. Le niveau des études ne le satisfaisant pas au Maroc, il a décidé de faire son troisième cycle à l’étranger, plutôt au Canada qu’en France, « pour découvrir et pour être plus tranquille, plus loin de la famille », et a obtenu une bourse du gouvernement marocain pour ça. Son souhait était de partir dans une université anglophone (à l’Université de Toronto) mais c’est à l’Université Laval que son dossier a été accepté. Un ami présent sur place l’a aidé dans son choix de cours notamment. Hicham voit donc son séjour à Québec comme une étape, pour ensuite rentrer au Maroc ou aller dans une province anglophone. En arrivant, Hicham a été hébergé par un cousin à Québec en attendant d’avoir une chambre aux résidences. Ceci lui a permis de faire une transition et de visiter les lieux avec quelqu’un. Sa première session s’est très bien passée : « le début c’était bien. Tu découvres et tout, c’est bien. Tu commences à étudier et le programme est chargé donc tu ne penses pas à beaucoup de choses ». Il a cependant eu à s’ajuster, tant sur la façon de travailler que sur le contenu : l’approche de sa matière étant plus quantitative qu’au Maroc, il a étudié en même temps ses cours et les mathématiques pour pouvoir suivre. Une autre source de stress a été la nécessité d’avoir 3.22 de moyenne à la première session pour être admis définitivement. C’est par la suite qu’il a commencé à se poser des questions sur les débouchés que lui offrait sa qualification future : « tout le monde est pessimiste ici, il y a pas de travail, il y a rien du tout. Ça n’aide pas, ça déprime! […] ils disent : il y a pas d’espoir ici, c’est seulement les Québécois qui travaillent ». Sur le plan académique, Hicham pense finalement s’être bien intégré. Il dit avoir compris les manières de travailler et les attentes des professeurs, dont il apprécie l’accessibilité et l’honnêteté de la notation. Les (Québécois), à chaque fois qu’ils ont des difficultés ils partent directement au prof pour qu’il leur explique, alors que moi je reste à réfléchir, à réfléchir, à me torturer jusqu’à ce que je trouve la solution. […]. Par rapport à mon pays c’était plus relax. En plus tu peux tutoyer les profs, même si moi je ne le fais pas. Mais bon c’était plus simple parce que les profs au Maroc avaient beaucoup trop de pouvoir, si tu ne leur plaisais pas, ils pouvaient te recaler. Là si tu travailles, ça va. Si tu travailles et que tu mérites la note, ils te la donnent. Ce n’est pas comme au pays. Au pays, tu travailles, mais tu n’es pas sûr à 100 % du résultat. 101 En cours, il a de bonnes relations avec les Maghrébins et les Français principalement, et il essaie de comprendre les réticences des Québécois à son égard : « les Québécois, pas trop, ce n’est pas fort. Ça leur a pris trois sessions pour me dire juste bonjour ». Il note que cette situation est en train de changer, car après avoir passé deux sessions à toujours travailler avec un ami marocain, Hicham s’est retrouvé seul, à devoir trouver de nouvelles personnes pour étudier, car cet ami a fini sa scolarité. Même s’il déplore leur manque d’efficacité et de rendement dans leur façon de travailler, il juge que c’est une bonne occasion pour lui de rencontrer des Québécois et il fait des efforts dans ce sens, notamment en participant à des activités organisées par les étudiants. C’est principalement par le biais des études et du sport qu’il rencontre des personnes d’une autre nationalité que la sienne. À cette session j’ai connu pas mal de gens et je commence à me faire des amis québécois. Mais c’est à la fin de mon programme que j’y arrive! Ah oui ça aussi j’ai oublié, les étudiants de ma promotion organisent chaque lundi un 5 à 7 au Pub où ils jouent au poker. Moi je ne joue pas au poker. Des fois je vais au 5 à 7, bien sûr je ne prends pas de la bière mais c’est ça. […]. J’y suis allé avec mon appareil photo, comme ça je vais mémoriser tout le monde, je vais pas les oublier. […]. Je ne veux pas perdre ces deux années comme ça. Je veux avoir des souvenirs de mes amis… de mes collègues plutôt. Enfin de mes amis et collègues. […] je me suis fait des amis, […] en plus ils m’invitent tout le temps à jouer avec eux au foot […]. Ils font l’effort et moi je vais jouer. J’apprécie cet effort parce qu’ils m’invitent. Concernant son intégration sociale, Hicham est plus réservé, mais il est conscient qu’il n’a rien fait pour véritablement s’intégrer dans la société québécoise. (L’intégration sociale), c’est le fait de s’impliquer dans la société, le fait de donner et de recevoir en même temps. Moi jusqu’à présent je n’ai rien donné. Je n’ai rien donné à la société canadienne. Peut-être mon argent, mais à part ça je ne m’implique pas. Je ne m’implique pas trop. Peut-être que le problème vient de moi, peut-être que je suis le problème et que ce n’est pas les Québécois. Hicham ne s’implique pas dans la vie universitaire, et la seule association qu’il connaît est celle des étudiants musulmans, mais ce n’est pas selon lui quelque chose qui facilite son intégration. L’association des étudiants musulmans, honnêtement, ça ne facilite pas l’intégration. Ça facilite l’intégration entre les Musulmans. Ça ne facilite pas l’intégration entre Musulmans et non Musulmans. 102 Les personnes qu’il fréquente le plus sont les Maghrébins, et il a peu de contacts avec les Québécois. Il explique cet état de fait par plusieurs facteurs : le manque d’ouverture des Québécois vis-à-vis des autres cultures, leur méconnaissance du Maghreb, ou encore le décalage entre leurs intérêts et les siens. Soit ils ont une mauvaise idée sur nous, ils pensent Islam et des choses comme ça et ils ont peur de nous parler, soit c’est nous qui sommes vraiment coincés. Je ne sais pas. J’essaie de parler avec eux mais ça ne va pas loin. […] je ne les juge pas. La plupart de mes amis les jugent mais moi je n’essaie pas de juger, je me dis que c’est leur culture et qu’ils sont comme ça. A chaque fois que je rencontre une nouvelle personne, elle me pose les mêmes questions. […] Est-ce qu’on a des chameaux, et tout ça. Ce que tu expliques à une personne, juste après il y a quelqu’un qui arrive et qui te pose la même question. [Les Québécois sont] un peu froids. […] en plus c’est comme s’ils n’avaient pas d’objectifs à long terme. Ils ne voient que demain. Ils n’ont pas de rêves à long terme. […]. Ils ne pensent qu’à la bière et aux filles! Je ne suis pas contre ça mais il faut voir le long terme aussi ! Hicham ne se trouve pas très bien intégré mais cela ne lui pose pas vraiment problème car il ne compte pas rester au Québec. Je me suis pas trop intégré, ça je l’avoue. […]. Je n’ai pas de complexe mais je me dis… je ne crois pas rester ici. Soit je pars dans un autre pays, soit je retourne au Maroc. Mais sérieusement je ne crois pas finir ma vie ici. Hicham ne sait pas encore s’il va faire un doctorat, mais il est certain de ne pas le faire dans son département car il y ressent un certain racisme vis-à-vis des Maghrébins qui constituent pourtant la majorité des étudiants et il trouve que les Québécois reçoivent plus d’encouragements de la part des différents personnels. Un diplôme seul ne lui permettra pas selon lui de s’insérer sur le marché de l’emploi au Maroc, il lui faut aussi avoir une expérience de travail. C’est pour cela que même si son objectif est de rentrer au Maroc, Hicham a fait sa demande de résidence permanente et espère trouver un travail à Montréal à la fin de ses études : il pense n’avoir aucune chance de trouver quoi que ce soit à Québec. 103 4.8 MAHA : UNE PRÉDISPOSITION POUR L’INTERNATIONAL Maha, étudiante marocaine, est à l’Université Laval pour un MBA depuis deux ans et demi. Sa mère est médecin, son père colonel à la Défense Nationale marocaine. Ses deux petits frères sont encore au lycée15 et sa grande sœur a ouvert une pharmacie au Maroc, après avoir fait ses études en Roumanie. Quatre de ses cousines ont aussi fait leurs études en Roumanie et elle a des cousins à Québec. Maha a fait des études préscolaires et primaires dans une Mission Française, puis ses études secondaires dans le système public, car son père se déplaçait un peu partout au Maroc pour son travail, souvent dans des lieux où il n’y avait pas d’école privée. Après avoir passé son baccalauréat16 au Maroc, Maha a fait des demandes un peu partout pour faire une école de commerce, celle qu’elle ciblait au Maroc étant trop difficile d’accès. C’est finalement son père qui l’a inscrite dans la même école en Tunisie, où elle a été acceptée. J'avais envoyé partout mes dossiers, dans toutes les écoles et tout ça. Elles m'ont acceptée toutes, sauf cette école. Donc je devais chercher ailleurs, j'ai envoyé mes dossiers partout, en France, en Suisse, au Canada, en Tunisie… un peu partout. Aux États-Unis aussi, en Angleterre un peu partout. J'avais eu des inscriptions ici au Canada. Mon inscription en Tunisie c'est pas moi qui l'avais envoyée, c'était mon père moi je savais pas, mais bon j'étais acceptée à […] Tunis, c'est à peu près la même chose (qu’au Maroc). Après son école de commerce, Maha a voulu faire un programme spécifiquement états-unien, également offert au Québec, à l’Université Laval par exemple. Elle a préféré continuer ses études dans un milieu francophone, pour des raisons pratiques. C’est au cours de son cursus qu’elle a appris que le programme dans lequel elle était inscrite, qui devait offrir trois formations différentes, n’en offrait en fait que deux. Elle préparera finalement ce diplôme après son MBA, à l’Université Laval ou peut-être dans un milieu anglophone à Montréal, maintenant qu’elle maîtrise mieux la langue. 15 Le lycée correspond à la dernière année du secondaire et aux deux premières années du Cégep au Québec. 16 Le baccalauréat correspond au diplôme dispensé au terme de la dernière année du lycée. Son obtention garantit une admission automatique à l’université. 104 Maha n’a pas de bourse, elle est financée par ses parents. Pour sa dernière session, elle a trouvé un emploi d’assistante de recherche, pour combler le vide créé en elle par l’absence des cours et la rédaction de son essai. Maha est arrivée au Québec avec une amie acceptée à l’UQAM et elle a habité quelques jours à Montréal chez la mère de cette amie, avant de venir à Québec chez ses cousins le temps de trouver un appartement. Le fait de rester avec son amie lui a permis de partager avec quelqu’un la découverte de la vie au Québec et de ne pas se sentir trop dépaysée, même si elle dit avoir été bien préparée à ce voyage par ses quatre années passées seule en Tunisie. Selon Maha, son inscription s’est bien passée, le directeur du programme était disponible pour expliquer aux étudiantes et étudiants étrangers la façon dont fonctionnait le programme et quels cours prendre en priorité. Maha dit aussi avoir senti un bon encadrement de la part des professeurs. Son seul problème a été de devoir faire des lectures en anglais, mais elle s’y est habituée et trouve finalement normal de faire des lectures dans cette langue pour ce diplôme. Ses rapports avec les autres étudiants étaient selon elle très bons, mais le programme était fréquenté en grande majorité par des étudiants étrangers, ce qui fait qu’elle n’a pas rencontré beaucoup de Québécois. Maha considère que son intégration sociale s’est faite par phases, dont une des plus décisives semble avoir été sa décision de quitter son appartement pour venir en résidence, au bout d’un an et demi de présence à Québec. J'avais un appartement, […] c'était un 4 et demi toute seule. C'est vrai que je commençais à m'ennuyer […] J'avais Internet donc je suis restée tout le temps connectée, j'appelais beaucoup mes parents et ma sœur aussi donc… Il fallait vraiment trouver la solution pour s'en sortir, pour s'intégrer quoi ! Parce que là, rester enfermée chez soi dans son appartement […] c'est pas très intéressant. […] Et après au bout d'une année et demie je crois, je suis sortie, j'ai téléphoné aux résidences. Et c'est un autre monde bien sûr ! Y a beaucoup de monde, c'est multiculturel, tu connais beaucoup de monde. 105 Après avoir fréquenté les Tunisiens et les Marocains, elle s’est peu à peu tournée vers les autres nationalités, et elle essaie de participer aux sorties organisées par l’université lorsqu’elle a un peu de temps. C'est des phases en fait. Quand je suis venue au départ je ne connaissais pas beaucoup de monde donc généralement les gens que je connaissais c'étaient généralement des Marocains, des Tunisiens. Et j'ai sympathisé beaucoup avec les étudiants qui étaient avec moi dans le programme, donc on avait des activités un peu ensemble, on faisait des activités ensemble, on allait prendre un café au centre-ville, on fait du patinage, voilà, des activités entre nous. Il y a eu aussi la phase […] où je suis sortie de chez moi, de mon appartement, et je suis venue aux résidences donc là c'était vraiment toutes les nationalités. Elle trouve cependant difficile de rencontrer des Québécois et de nouer des relations plus poussées avec eux. C'est vrai que ce n'est pas facile, c'est pas facile. […]. Moi je dis que par exemple pour quelqu'un qui travaille, c'est plus facile de s'intégrer que si on est étudiant. J'ai fait un stage à Facto, ici à l'université et c'est vrai qu'il y avait des étrangers mais il y avait beaucoup de Québécois et j'ai trouvé ça très bien. On s'entendait très bien, on faisait des activités aussi ensemble, il y avait le party de Noël qu'on a fait ensemble et on garde contact jusqu'à maintenant. J'aimerais bien voir un peu comment ça se passe, vivre la culture québécoise. Là je viens de recevoir une invitation d'un ami québécois qui m'invite à souper samedi prochain. Ça sera ma première invitation ! Je n'ai jamais été invitée dans un cadre québécois, dans une famille et tout ça. Je trouve ça intéressant. […] j'ai toujours aimé connaître des cultures et tout ça. Quand j'ai vécu en Tunisie, je me suis vraiment très très bien intégrée. […] Je crois qu'il faudrait vraiment vivre avec les Québécois pour s'intégrer. Maha dit n’avoir jamais connu d’expérience de rejet ou de racisme, mais elle pense que son expérience serait peut-être différente si elle portait un signe visible de sa religion : elle est très pratiquante, mais elle garde cela pour elle : « pour moi, l'Islam c'est pour moi. Je pratique ça pour moi, c'est ma religion. Ça reste personnel. » Maha a fait sa demande de résidence permanente, mais elle ne sait pas encore si elle veut définitivement s’établir au Canada. Même si elle pense que son pays lui manquera, elle n’a pas spécialement l’intention d’y rentrer un jour. Je compte rester ici encore un bout de temps. Je ne sais pas encore combien, c'est indéfini pour l'instant. Ça pourrait être pour toute la vie. […]. Un peu partout. Peut-être au Québec, peut-être au Canada, peut-être à Toronto, peut-être à Vancouver, je ne sais pas. Je ne sais pas encore. 106 4.9 KHALID : QUAND L’INTÉGRATION SOCIALE EST TRIBUTAIRE DE L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE Khalid est Marocain, il débute au moment de l’entretien sa troisième session à l’Université Laval pour deux MBA. Son père, titulaire d’une licence17, est banquier, et sa mère, qui a été à l’école jusqu’à la fin du primaire, n’a pas d’emploi salarié. Il a deux sœurs, qui font actuellement des études universitaires en droit, une en cinquième et l’autre en troisième année. Un de ses frères était en licence d’économie mais n’a pas terminé son année, l’autre est encore au collège18. La plupart des personnes de sa famille qui ont émigré l’ont fait pour des raisons économiques. Après avoir fait une école de commerce et de gestion au Maroc, Khalid a fait un Diplôme d’Études Supérieures Approfondies en finance (DESA)19, puis a décidé de poursuivre ses études au Canada, pour avoir une expérience qui valorise son curriculum vitae. Ce n’est pas pour les études que je suis ici, tu vois ? Pour une maîtrise, j’ai déjà une maîtrise au Maroc en finance, donc ici c’est pour faire un MBA et augmenter mes chances de trouver un emploi par la suite. Parce qu’un DESA marocain n’a pas beaucoup de chances d’être reconnu ici. C’est la première fois qu’il quitte son pays, et il donne plusieurs justifications à sa décision. Le choix du Canada est dû à l’attraction exercée par les diplômes nordaméricains et à la neutralité du pays sur la scène internationale, contrairement aux ÉtatsUnis. Il justifie aussi cette destination par le fait que le visa est facile à obtenir, et que ses amis expatriés lui ont dit qu’il y avait moins de racisme en Amérique du Nord qu’en Europe. Il est venu plus spécifiquement au Québec à cause de la langue, car il ne se sent pas suffisamment à l’aise en anglais pour étudier et vivre du côté anglophone. Khalid dit aussi vouloir quitter un temps le Maroc, un pays selon lui corrompu et « sous-développé, où la culture est sous développée, les gens sont sous-développés ». 17 La licence correspond au diplôme délivré à l’issue de la troisième année d’études universitaires. Le collège correspond à l’école secondaire au Québec. 19 Le DESA, Diplôme d’Études Supérieures Approfondies, correspond à la cinquième année d’études universitaires au Québec. 18 107 Pour sa première session, Khalid est arrivé avec deux semaines de retard. Les cours avaient déjà commencé et il a vite pris peur, car l’approche était très mathématique, ce à quoi il n’était pas habitué. Il a décidé d’abandonner sa concentration pour faire des études libres dans une concentration qui lui semblait plus à sa portée. Khalid dit avoir rencontré beaucoup de problèmes et avoir été très mal conseillé lorsqu’il s’est trouvé confronté à la nécessité de changer de programme. Il a finalement trouvé la solution de s’inscrire aux études libres pour ensuite faire créditer ses cours à un autre programme d’administration à la session suivante. Je n’étais au courant de rien du système canadien, je ne savais pas comment ça se passait. Déjà on me parlait d’un cours de trois crédits et ça me stressait, parce que je ne savais pas de quoi il s’agissait. Aucune connaissance. Et c’est un des facteurs pour lesquels j’ai abandonné […]. Parce que tout s’est accumulé en même temps. Stress d’avoir quitté la famille, stress des études. Tu es là, tu payes une fortune donc il faut que tu réussisses, etc. Je n’étais avec personne, je ne savais rien, donc il fallait que je change La première session de Khalid s’est ensuite très bien déroulée et il a repris confiance en lui, au point d’entreprendre parallèlement à son premier diplôme le MBA pour lequel il était venu à l’origine. Selon lui, le fait d’être bien intégré sur le plan académique est très aidant pour se tourner ensuite vers le côté social : « En arrivant, on est là pour étudier. La première chose c’est qu’on soit sur les rails des études, et ensuite on pourra penser à autre chose ». Il affirme qu’il aurait apprécié d’avoir un accompagnement lors de ses premières semaines de cours, que ce soit par le biais d’un parrainage étudiant, ou par le fait que les professeurs réunissent les étudiants étrangers à la fin du premier cours pour répondre à leurs questions spécifiques. Pour intégrer une personne c’est dans la phase du début. Pour un étudiant étranger, lorsqu’il arrive et qu’il fait ses premiers cours, là on doit l’intégrer. Comment ? C’est en lui montrant qu’il peut suivre le programme […]. Une des meilleures façons de le faire, c’est au début, peut-être seulement pendant les deux premières séances, c’est qu’il accompagne un étudiant québécois. Qu’il y ait cette relation entre un local et un étranger. Et que l’étranger ait le droit de poser n’importe quelle question. Que le Québécois ait, je ne veux pas dire l’obligation, mais l’amabilité de répondre, pour un peu faciliter la tâche à l’étudiant étranger. […]. On se pose beaucoup de questions sur les études, qui sont l’objectif premier pour lequel nous sommes venus. Donc une fois que les études vont bien, qu’on est sûr qu’on est sur la bonne voie, la vie devient plus facile. Ici lorsque le prof vient au début du cours, dans la séance introductive, il t’indique énormément de références, il dit que le cours est sur WebCT, mais c’est quoi WebCT ? Il dit qu’il faut consulter le cours sur l’Intranet mais c’est quoi Intranet ? Je ne sais pas ce que c’est, je n’ai jamais entendu parler de ça. 108 Selon Khalid, le rapport entre les étudiants et les professeurs est plus sain au Québec qu’au Maroc. Chacun est à sa place et les professeurs n’ont pas un pouvoir illimité sur les étudiants. Il trouve aussi l’environnement académique plus propice à la réussite, mais aussi plus concurrentiel, car les étudiants lui semblent dans l’ensemble plus travailleurs. En cours, Khalid pense avoir de bonnes relations avec tout le monde, même s’il trouve que chacun garde ses distances : « Distance. C’est-à-dire distance psychologique. […]. Ici, si tu n’as pas des affinités personnelles avec quelqu’un, tu ne peux pas venir lui parler, lui adresser la parole ». Il en a parlé avec des étudiants québécois, qui trouvaient que les Maghrébins étaient eux aussi très distants. Une fois j’ai abordé ce sujet avec des Canadiens, qui m’ont dit qu’il y a beaucoup de Maghrébins qui sont distants. Donc c’est le contraire, tu vois ? C’est qu’eux, ils percevaient les étrangers comme des gens distants qui ne voulaient pas avoir de relation avec eux. Peutêtre que la raison, c’est que les autres se disent la même chose. Lorsqu’il est arrivé à Québec, Khalid avait une chambre réservée en résidence. Il a tout de suite été informé de la présence de la mosquée à l’université et c’est par ce biais qu’il a pu rencontrer des musulmans et s’informer. Il a deux ou trois amis québécois et une amie française, mais il ne peut pas sortir avec eux, pour des questions de conviction religieuse. Je connais plus de gens qui sont Musulmans, Maghrébins, Africains, Africains musulmans, que les autres, ça c’est certain. 95 % de mes connaissances sont de ce genre. Pourquoi, c’est parce que comme je t’ai dit, nous faisons la prière cinq fois par jour au même endroit, et donc on se parle au moins cinq fois par jour. Et par rapport aux autres… je connais des Canadiens, j’ai d’excellents rapports avec des Canadiens, mais en terme de nombre, c’est normal que je connaisse plus de Maghrébins, parce que je les vois plus souvent que les autres. Les Canadiens lorsque je les vois dans les salles de cours, là on est ordinaire, on se parle. Au niveau social, Khalid juge son expérience très satisfaisante. À son avis, les Québécois n’ont pas une mauvaise image des Maghrébins, et des Musulmans en général, et les médias lui semblent impartiaux dans le traitement de ce sujet. Il trouve les Québécois tolérants, respectueux de la différence des autres. Il n’y a pas de discrimination […]. Nous avons tous les droits exactement comme les Canadiens. Et […] du côté de la vie sociale il y a le respect, ça permet une intégration plus facile. Le respect c’est-à-dire pas de racisme par exemple. […] Sinon avec le racisme ça aurait été beaucoup plus difficile, la vie serait dure. […] Nous avons une mosquée qui est au centre d’un couloir de gens qui sont chrétiens et ça ne change rien, on n’a jamais senti 109 même pas un regard accusateur ou un regard méprisant, du tout. Et ça fait plaisir. Ça fait plaisir parce qu’il y a un respect interculturel si tu veux. C’est-à-dire que ce sont des gens respectueux, ce sont des gens qui sont rigoureux aussi dans leur travail. Ceux que j’ai vu, les profs, les étudiants, les personnels de service au niveau des résidences, ce sont des gens qui respectent leur devoir, qui accomplissent leurs obligations comme il faut, qui sont respectueux des autres, de la culture des autres, de la différence des autres, et comme je t’ai dit, pas de racisme. L’intégration sociale n’est pas quelque chose de primordial pour Khalid : son objectif premier étant d’obtenir son diplôme, celui-ci n’a rien fait d’autre qu’étudier au cours de sa première session. Pour moi en venant ici, j’avais un objectif ciblé, c’était d’étudier, donc tout le reste ne m’intéressait pas. Pas ne m’intéressait pas, mais mon objectif premier était d’étudier ; donc je ne m’intéressais pas à autre chose. Je n’ai pas fait de tourisme en venant. C’est presque à la fin de la session que j’ai fait du tourisme, que j’ai visité la ville, que je suis allé à Montréal etc. Même pour les sessions suivantes, Khalid n’a pas trouvé le temps de participer aux activités proposées par l’université. Étant donnée son expérience d’arrivée difficile, Khalid ne fait de toute façon pas confiance aux structures mises en place par l’université pour faciliter l’intégration des étudiants étrangers. Les seules activités auxquelles il participe, quand il a un peu de temps, sont celles organisées par l’association des étudiants musulmans. C’est que je n’ai pas confiance en le résultat que ça peut produire. Je me dis : Que j’y aille ou que je n’y aille pas, ça ne change rien. C’est une journée, qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Ils ne peuvent rien faire pour moi. Ça c’est au début, à mon arrivée, lorsque j’avais besoin d’assistance, qu’on m’assiste, qu’on me soutienne. Il fallait que je trouve une solution et j’allais aux personnes ressources, […] me renseigner et demander de l’aide. Et dans la majorité des cas, ce n’était pas le cas, on ne m’a pas aidé, on m’a stressé encore plus […]. On devait me donner cette réponse, ça aurait été une très bonne façon de m’intégrer. Parce que c’est ça, je suis là pour étudier, pour intégrer des études. Khalid a le projet de rester quelque temps au Québec à la fin de ses études, pour avoir une expérience de travail à faire valoir au Maroc. Son projet de carrière est clairement défini : il veut trouver un bon emploi, bien payé et qui soit à la hauteur de son niveau de qualification, à Montréal car il pense y trouver plus d’opportunités 110 d’embauche. Il souhaite ensuite aller du côté anglophone, pour finalement rentrer au Maroc. À Montréal parce que les opportunités d’embauche sont plus nombreuses. Et au bout d’un certain temps je compte aller vers le Canada anglophone, ça c’est une chose que j’aimerais beaucoup faire. Pour plusieurs raisons. D’abord je veux développer le parler anglais, et aussi parce que le Canada anglophone, à ma connaissance, il y a des firmes plus grandes et plus fortes. […] il y a plus d’opportunités d’embauche. Donc ça je compte vraiment le faire. Mais pas au début. Au début, il faut s’assurer un minimum. […] mais à la fin il faut que je rentre. Parce que ma famille me manque. 4.10 KARIM : À LA RENCONTRE DES AUTRES Karim, étudiant marocain, est à l’Université Laval depuis une session pour un MBA. Sa mère n’a pas d’activité salariée et son père, retraité, travaillait dans une mine d’extraction du charbon. Son grand frère est chef mécanicien dans la marine marchande, l’autre est administrateur, lauréat de l’École Nationale d’Administration. Il a aussi un frère qui travaille en Espagne. Son petit frère, ingénieur mécanicien, est en échange à l’Université de Sherbrooke, après avoir fait des études en France. Karim a aussi deux sœurs : l’une d’elles travaille au Ministère de la justice et l’autre, mariée, n’a pas d’activité salariée. Karim n’a pas vraiment choisi son secteur d’étude, il a pris ce qui offrait le plus d’opportunités d’emploi dans son pays. Au Maroc, si j’ose dire, on fait des formations par accident, on ne choisit pas ce qu’on veut. On choisit le secteur qui donne le plus d’opportunités de trouver un job. C’est-à-dire que l’école que j’ai faite, il y a une sélection rigoureuse et c’est difficile d’y accéder. C’est pas que j’aime ce secteur mais c’est un secteur prometteur parce que tu peux trouver un job, voilà. Après une grande école en sciences de l’information, Karim a gagné le marché de l’emploi pendant six ans, jusqu’à la réception de sa résidence permanente, lancée alors qu’il venait d’avoir son diplôme. Son MBA rentre dans le cadre d’une formation continue et lui permettra d’avoir de l’avancement dans son travail. À l’époque je venais de décrocher mon diplôme, et après une année de travail j’ai cherché à m’ouvrir sur d’autres expériences, j’ai cherché ça et là, et j’ai trouvé cette possibilité d’immigrer donc je l’ai entamée, et la procédure a pris beaucoup de temps. Mais je n’avais pas décidé à 100 % d’y venir, j’avais juste entamé la procédure et après je 111 déciderais. Lorsque j’ai eu ma résidence permanente et le consentement de mon patron, c’était bon. Karim savait juste qu’il voulait étudier au Québec, pour allier la réputation du diplôme nord-américain à des études francophones. Le choix de l’Université Laval s’est fait par hasard car il ne connaissait rien du Québec : il est venu là où son dossier a été accepté. En arrivant, Karim a passé quelques jours chez des amis à Montréal avant de venir à Québec. Un Marocain de l’université s’était occupé de lui réserver sa chambre en résidence. Karim dit que les premiers jours ont été difficiles, le temps d’apprendre à se débrouiller avec le système scolaire, le temps de briser la solitude aussi. Le début c’est toujours difficile, étant donné que tu ne connais personne, tu ne connais pas le système, comment ça marche, et puis il y a les problèmes psychologiques de solitude etc., donc les premiers jours c’était difficile mais après ça va. J’ai réussi à connaître du monde, à me faire des amis, donc ça va. Karim n’a pas eu de réel problème d’intégration dans ses cours, d’autant plus qu’il dit ne pas hésiter à poser des questions lorsqu’il a un problème. Je crois que le système universitaire a une bonne politique en matière d’information. Quand tu as besoin de connaître quelque chose, tu te réfères au site Web, si tu ne le trouves pas, tu appelles les personnels et ils sont là, ils sont coopérants. Sa principale difficulté lors de sa première session semble avoir été l’accent de certains professeurs : « Je me rappelle d’un prof, même à la dernière séance je ne comprenais pas ce qu’il disait. C’est vrai! » Il dit apprécier le rapport avec les professeurs, toujours prêts à répondre aux questions et clairs dans leurs exigences et les objectifs qu’ils donnent aux étudiants par le biais des plans de cours. Selon Karim, les études au Québec demandent un plus gros travail personnel qu’au Maroc, car les étudiants doivent aller chercher l’information eux-mêmes, alors que dans son pays toute la matière était donnée en classe. 112 Karim dit avoir de bonnes relations avec tout le monde dans son programme, sans distinction de nationalité. Seule la formation d’un de ses groupes de travail a posé problème, et il dit avoir ressenti une certaine réticence de la part des Québécois à s’associer avec des étudiants étrangers. J’ai eu deux expériences, la première était très bonne […]. La deuxième, c’est que j’étais avec des Québécois […]. Dans la constitution des groupes, lorsque tu essaies de faire un groupe avec quelques Québécois, lorsque tu veux t’associer à eux, ils montrent une certaine réticence. […] avec le groupe avec qui je travaillais un cours l’autre jour, il y avait un petit problème entre Québécois et gens qui sont arrivés d’autres pays, un Français, un Marocain et un autre. En ce qui concerne son intégration sociale, Karim est arrivé au Québec avec le projet de s’ouvrir sur d’autres cultures. Sa maîtrise du français fait qu’il se sent plus proche des Français et des Maghrébins, mais il n’a pas de problème avec les Québécois chez qui il a d’ailleurs été invité plusieurs fois. S’il trouve que sa première session a été difficile sur le plan de l’intégration sociale, il débute sa deuxième session confiant, car il a déjà un bon groupe d’amis autre que Maghrébins, même s’il dit ne connaître que des étudiants. Lorsque je parle de l’intégration, je parle de l’intégration avec la communauté toute entière, avec les Français, les Indiens, tout et tout. Et c’est difficile de s’intégrer avec les Indiens! Mais si tu parles de l’intégration avec ta propre communauté, c’est évident que tu vas t’intégrer. Karim s’estime surchargé de travail depuis son arrivée et ne trouve pas le temps de faire beaucoup d’activités : il n’a été que deux fois dans le centre-ville de Québec et il ne s’est pas du tout impliqué dans l’organisation ou la participation à une activité dans l’université. « La seule chose, c’est que […] pendant le Noël, ils ont organisé une fête et j’y ai été, mais c’est tout ». Il vit en résidence et il apprécie son cadre de vie. C’est petit mais ça me rappelle le bon vieux temps lorsque j’étais à la cité universitaire au Maroc. Ça me rappelle un peu ce temps et j’aime ça. En plus le fait que tout est proche ici, les services de l’université, tu prends le tunnel, tu ne ressens pas ce froid… Sa seule remarque d’amélioration vis-à-vis de l’accueil des étudiants étrangers à l’Université Laval serait la nécessité de développer une aide plus informelle, qui ne passe 113 pas par les lourdes structures de l’université. Lui-même préfère se débrouiller seul pour rencontrer du monde. La seule chose que je compte faire, et je crois qu’elle est efficace, c’est de multiplier les contacts, de parler aux gens, de chercher des connaissances. Je crois que c’est la chose la plus efficace. C’est-à-dire des contacts informels, loin de l’université, parce que l’université essaie d’organiser des journées, des rencontres, et ça aide, mais je crois que l’initiative personnelle est plus importante. Contrairement à ce que peuvent éprouver plusieurs de ses compatriotes, Karim pense qu’il est plus facile de s’intégrer à Québec qu’à Montréal. Il trouve les gens ouverts, curieux de découvrir et de parler aux étrangers. Il y a une différence entre Montréal et ici. […] comme tu sais, les Maghrébins ont ce penchant collectiviste, on aime parler, bavarder, donc en arrivant [à Montréal] le premier jour j’ai essayé de faire pareil au métro, j’ai essayé de parler aux gens, et j’ai découvert que les gens sont un peu méfiants. Mais ici non, ici les gens parlent, communiquent. […] Lorsque tu parles à quelqu’un, il te répond, tu sens cette chaleur humaine, mais à Montréal, les gens sont méfiants, je ne sais pas pourquoi. Les projets de Karim sont clairs : il veut faire son MBA et rentrer au Maroc pour poursuivre sa carrière. Même s’il a le statut de résident permanent, il n’a pas l’intention de s’installer au Québec : « la société ici est accueillante, paisible, mais […] je reste un étranger, un immigrant. » Ici on discute de l’université. C’est beau, tu étudies, tu te fais des contacts, c’est très beau, mais une fois le diplôme en poche, là dans d’autres milieux, le marché de l’emploi ou autre chose, tu trouves un petit peu des difficultés. D’après ce qu’on m’a raconté. Après l’entretien, Karim m’a envoyé deux courriels. Dans le premier, il définissait notamment l’intégration : « l'intégration pour moi c’est d'aller vers l'autre, chercher des amitiés, nouer des contacts basés sur le respect, le sens de l'écoute et le partage. » Son deuxième courriel, retranscrit ci-dessous, montre son changement de perception vis-à-vis de ce qu’il nomme la possibilité d’une « intégration complète ». Virginie, je viens de voir une émission sur une chaîne arabe qui évoquait un évènement particulier et qui m'a fait très plaisir, ça m'a rappelé ce que je t'ai dit hier : il n'y a pas d'harmonie parfaite. Je crois que j'ai eu tort, et l'intégration complète peut se réaliser... Laisse-moi te raconter l'histoire... 114 Il s'agit d'un homme français d'origine algérienne, qui s'est installé au sud de la France il y a 40 ans, dans un village qui s'appelle « BOZOUL ». Il s'est marié avec une Française et ils ont eu trois gosses. Il y a trois mois, il a appris que son frère mourrait, alors il a pris le premier vol vers l'Algérie pour faire ses adieux à son frère mourrant. À sa surprise, il s'est fait arrêter à l'aéroport par les autorités algériennes, qui l’ont accusé de trafic de drogues. Ce qui m'a frappé, c'est la grande solidarité exprimée par tous les habitants français de ce village : les villageois, la mairie, le maire, ses anciens collègues, il y a même ceux qui pleuraient en parlant de lui. Et ce qui m'a frappé le plus, c'est qu’en posant une question au maire du village : Est-ce que ce Français d'origine algérienne... ?, celui-ci a montré une vive réaction en disant les larmes aux yeux : Il n’y a pas de Français d'origine française et un autre d'origine algérienne, [Jelloul] (le prénom de l'homme) est français. Il est notre frère, ses fils sont des nôtres... tout le village connaît cet homme, connaît ses grandes qualités et on a la preuve de son innocence. Une grande solidarité de la part de toute la population et les institutions du village, allant jusqu'à écrire des lettres d'indignation à Jacques Chirac et à Abdelaziz Bouteflika.... Ce qui est frappant c'est que les gens parlaient de lui en pleurant... Virginie, je change d'avis et je dis qu’une intégration complète peut avoir lieu, et une harmonie plus que parfaite est réalisable. Cette histoire m'a vraiment touché 115 C HAPITRE 5 L’ ANALYSE TRANSVERSALE DES ENTRETIENS ET L ’ EVALUATION DE LA POLITIQUE DE L ’U NIVERSITE L AVAL 5.1 LA PRÉSENTATION DES RÉPONDANTS ET LEUR PROFIL FAMILIAL 5.1.1 LE PROFIL DES FAMILLES 5.1.1.1 LA SITUATION DES PARENTS ET LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE D’APPARTENANCE Les répondants et leur situation actuelle ont été présentés dans la partie méthodologique à l’aide du tableau 6 et de la synthèse de chaque entretien réalisée dans la quatrième partie. Il s’agit maintenant de dresser un portrait de leur famille, grâce aux question correspondant à la première section de la grille d’entretien : que font leurs parents ? Que font leurs frères et sœurs ? Quelles études ont été faites par les membres de leur famille ? Sont-ils les premiers à partir à l’étranger ? La définition de la catégorie socioprofessionnelle (PCS) des parents a été effectuée à partir de la classification de l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) français à huit postes20. Dans un souci de meilleure lisibilité, les catégories socioprofessionnelles « agriculteurs exploitants » et « décédés » ont été enlevés du tableau car ils ne concernaient aucun parent des répondantes et répondants de l’étude. 20 La nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de l’INSEE est présentée dans l’annexe C. 117 Hommes Femmes Marocaines et Marocains Tunisiennes et Tunisiens Total Total Sans activité professionnelle Retraités Ouvriers Employés Professions intermédiaires Cadres et professions intellectuelles supérieures Artisans, commerçants et chefs d’entreprise Tableau 7. La catégorie socioprofessionnelle actuelle du père en Tunisie et au Maroc selon la nationalité H F H F H F H F H F H F H F - - 1 2 - - - - 1 - 1 - - - 3 2 2 - - - - 1 - - - - 1 1 - - 3 2 2 3 1 - 1 3 - 10 Source : données collectées dans les entretiens Hommes Femmes Marocaines et Marocains Tunisiennes et Tunisiens Total Total Sans activité professionnelle Retraités Ouvriers Employés Professions intermédiaires Cadres et professions intellectuelles supérieures Artisans, commerçants et chefs d’entreprise Tableau 8. La catégorie socioprofessionnelle actuelle de la mère en Tunisie et au Maroc selon la nationalité H F H F H F H F H F H F H F - - - 1 1 - - - - - - - 2 1 3 2 - - - - - - - 1 - - - 1 3 - 3 2 - 1 1 1 - 1 6 10 Source : données collectées dans les entretiens Une étude précédente (Duclos 2004a) portant sur la situation des jeunes filles tunisiennes et marocaines présentes en France pour faire des études supérieures m’avait permis de constater que la catégorie socioprofessionnelle de leurs parents était très homogène, ce qui apparaît beaucoup moins ici. En ce qui concerne les mères, la PCS diffère non pas en fonction de la nationalité, mais en fonction du sexe des répondantes et répondants. Parmi les étudiants, seule une mère a une activité salariée, mais trois des 118 étudiantes rencontrées sur quatre ont une mère qui occupent un emploi salarié. En ce qui concerne les pères, les PCS sont variables, même si les commerçants et cadres représentent la moitié des PCS. Parmi les retraités, un père était ouvrier, les deux autres cadres supérieurs. L’importance du rôle de l’emploi salarié des mères dans le fait d’envoyer les filles faire des études à l’étranger est ici frappant : une seule étudiante sur les 4 rencontrées a une mère qui n’a pas d’activité salariée ; Hayet, la benjamine de la famille, a suivi l’exemple de ses trois frères partis faire une partie de leurs études à l’étranger. Pour les garçons, l’investissement familial pour l’envoi à l’étranger semble être le même, que la mère ait ou pas une activité salariée. 5.1.1.2 LA FRATRIE La majorité des frères et sœurs des étudiantes et étudiants rencontrés ont fait ou font actuellement des études supérieures, ce qui est représentatif du mouvement de démocratisation des études supérieures au Maroc comme en Tunisie. Une fois encore, les différences d’orientations scolaires ne se font pas selon la nationalité mais selon le sexe : les trajectoires semblent être beaucoup plus homogènes pour les fratries des étudiantes que pour celles des étudiants. Chez les répondantes, les frères et sœurs, lorsqu’ils sont assez âgés pour ça, font des études supérieures à l’université. Les deux Marocaines, Hayet et Maha, ne sont pas les premières de leur fratrie à immigrer pour les études, contrairement aux deux Tunisiennes, Yasmine et Loubna. Le cas de Yasmine est toutefois à nuancer car sa décision de venir au Canada est motivée par une raison familiale : la présence de son mari à l’Université Laval. Chez les étudiants, le profil des fratries est plus varié, les occupations allant des professions intermédiaires aux études professionnelles ou universitaires. Sur les six étudiants, seuls Sami et Karim ont des frères et sœurs qui font des études supérieures à l’étranger : deux sœurs au Canada pour Sami et un frère pour Karim. Seul Karim a une sœur, mariée, qui n’a pas d’activité salariée : une hypothèse peut être qu’il est celui pour lequel la situation socioprofessionnelle des parents est la plus faible 119 (son père est retraité d’une usine d’extraction du charbon et sa mère n’a pas d’activité salariée). 5.1.1.3 LA FAMILLE À L’ÉTRANGER : MIGRATIONS ÉCONOMIQUES ET MIGRATIONS POUR ÉTUDES Pour la majorité des étudiantes et étudiants rencontrés, le fait de partir à l’étranger n’était pas quelque chose de préparé longtemps à l’avance et intériorisé dès l’enfance par le modèle d’une famille qui s’expatrie pour améliorer son niveau d’étude (sur les dix étudiantes et étudiants rencontrés, seuls les pères d’Hicham et de Sami se sont expatriés pour leur formation, celui d’Hicham pour une partie de ses études et celui de Sami pour des stages de longue durée en France). Seules Loubna et Hayet font part de cette prédisposition construite par leur père depuis leur enfance à partir faire des études à l’étranger. C'est mon père qui a fait ça, moi dès l'enfance, faire un troisième cycle n’était pas comme nécessaire, mais plus que nécessaire. Donc c'est lui qui depuis mon enfance m'a encouragée de faire des études poussées, et au début j'ai visé la France […]. (Loubna) Des années avant, mon père m’encourageait et me disait : Il faut que tu ailles suivre tes études à l’étranger. Mais entre moi-même je me disais que c’était juste des paroles, je n’arrivais pas à réaliser ça. (Hayet) Trois étudiants, Khalid, Karim et Mourad, ont de la famille à l’étranger qui a immigré pour des raisons économiques. C’est ainsi que Khalid présente cette migration. Il y a beaucoup de monde de ma famille qui sont à l’étranger, qui travaillent. […] dans notre région […], les gens rêvent de voyager à l’étranger, d’immigrer, que ce soit légalement ou clandestinement, et ma famille en fait partie. Parce qu’il y a des gens de ma famille qui ont immigré pas clandestinement, mais sans qualification, rien que pour aller à l’étranger tenter leur chance. 5.1.2 LES CONDITIONS DE FORMATION 5.1.2.1 LE PASSÉ SCOLAIRE Dans la partie méthodologique, j’ai montré à quel point le système scolaire en Tunisie et au Maroc connaissait des difficultés. Une stratégie souvent adoptée par les 120 parents qui veulent donner à leurs enfants une bonne connaissance du français est de les envoyer dans une école privée Française au moins au primaire, pour qu’ils acquièrent un niveau de français qui leur permettra d’aborder les études universitaires dans de bonnes conditions. C’est ainsi que Maha (Marocaine) et Sami (Tunisien) ont fait leurs études primaires en français dans une école privée catholique, puis sont allés dans le public à partir du secondaire. 5.1.2.2 LE CHOIX DU SECTEUR D’ÉTUDE 5.1.2.2.1 UN CHOIX ORIENTÉ PAR LA FAMILLE Seul Ahmed dit avoir réellement choisi son secteur d’étude, mais une des possibilités qu’il a en finissant son MBA est de rentrer en Tunisie pour travailler dans l’entreprise de son père. En ce sens, le choix de son secteur d’étude ne semble pas être redevable uniquement à son amour pour la matière, mais aussi au modèle familial. Mourad indique clairement qu’il a suivi les traces familiales et qu’il compte revenir travailler pour son père à la fin de son MBA. Mes parents sont dans ce secteur, pour le privé et pour le commerce spécialement. Donc j’ai continué aussi sur le même chemin. […] mon père qui est propriétaire d’une société […] m’a dit : On va te financer pour les études et après tu vas venir et tu vas travailler pour l’entreprise. (Mourad) Dans le cas de Yasmine, c’est son mari qui a orienté le choix de sa spécialisation pour son MBA : « quand je suis arrivée ici, mon mari est déjà là […] donc il m’a bien présenté les matières et tout, donc c’est pour ça ». 5.1.2.2.2 UN CHOIX ORIENTÉ PAR DES NÉCESSITÉS ÉCONOMIQUES OU CULTURELLES Deux Marocains et un Tunisien, Karim, Hicham et Sami, font état de leur peu d’intérêt pour la matière qu’ils étudient. Leur choix semble clairement répondre à une attente économique, celle de trouver un emploi à la fin de leurs études. 121 Au Maroc, si j’ose dire, on fait des formations par accident, on ne choisit pas ce qu’on veut. On choisit le secteur qui donne le plus d’opportunités de trouver un job. […]. C’est pas que j’aime ce secteur mais c’est un secteur prometteur parce que tu peux trouver un job, voilà. (Karim) En fait ce n’était pas vraiment… Moi j’avais tendance à faire de l’informatique appliquée à la gestion […]. Puis je me suis rendu compte qu’il y avait d’autres opportunités et que c’était plus intéressant de changer de spécialité, pour avoir un profil assez spécial […]. (Sami) Moi je n’aime pas trop […]. J’ai commencé après mon bac et je me suis lancé [dans ce secteur] et je dois continuer. Normalement ce n’est pas trop ce qui m’intéresse mais bon… (Hicham) Loubna quant à elle a changé d’avis pour son orientation à cause du contexte politique et social dans son pays, la Tunisie. Au début c'était plus le choix du journalisme parce que j'aime écrire et j'aime tout ce qui a trait à l'information, et après j'ai changé d'avis parce que j'étais pas à l'aise avec l'environnement de journalisme en Tunisie, j'ai remarqué des choses qui ne font pas mon affaire, et j'ai dit : Non, j'aime le combat, mais pas ce genre de combat. 5.1.2.3 LE CHOIX DU CANADA, DU QUÉBEC ET DE L’UNIVERSITÉ LAVAL Lors des entretiens, il était demandé aux étudiantes et étudiants la raison de leur venue au Canada, au Québec et à l’Université Laval. Plusieurs d’entre eux ont d’abord répondu à ces questions en donnant les raisons qui les ont poussés à quitter leurs pays respectifs. Loubna et Hicham soulignent l’absence ou le manque de qualité de la formation dispensée dans leurs pays au troisième cycle. Chez nous il n'y a pas de troisième cycle (dans mon domaine). (Loubna) J’ai voulu partir à l’étranger parce que les troisièmes cycles au Maroc c’est pas vraiment intéressant. C’est nul. Normalement. Sérieusement c’est nul. Et j’avais le choix entre partir en France et au Canada. J’étais admis en France et au Canada mais je préférais le Canada, je ne sais pas pourquoi. C’est plus loin! (Hicham) Une autre raison de quitter son pays, avancée notamment par Khalid, est le peu de valeur de son diplôme marocain sur le marché du travail, ainsi que le climat de corruption qui y règne. C’est pas pour les études que je suis ici, tu vois ? Pour une maîtrise, j’ai déjà une maîtrise au Maroc en finance, donc ici c’est pour faire un MBA et augmenter mes chances de trouver un emploi par la suite. Parce qu’un DESA marocain n’a pas beaucoup de chance d’être reconnu ici. […] ce qui m’a fait fuir du Maroc. […] il y a beaucoup de problèmes, tant au niveau des études qu’au niveau du travail. Le Maroc c’est un pays qui est classé comme un des plus 122 grands pays en termes de pays où la corruption est forte. Ça c’est un indice, c’est pour te montrer que l’environnement n’est pas très sain. Plusieurs raisons émergent lorsque les répondantes et répondants sont interrogés sur les raisons de leur venue au Québec. Il s’agit par exemple pour Mourad de découvrir une autre culture et un autre système d’enseignement : « Pour vivre une nouvelle expérience. Pour avoir aussi une nouvelle idée sur les études, sur comment ça se passe ici […] ». Dans le cas de Karim, c’est la décision de lancer six ans plus tôt ses démarches de résidence permanente qui a abouti à sa venue à Québec. À l’époque je venais de décrocher mon diplôme, et après une année de travail j’ai cherché à m’ouvrir sur d’autres expériences, j’ai cherché ça et là, et j’ai trouvé cette possibilité d’immigrer donc je l’ai entamée, et la procédure a pris beaucoup de temps. Mais je n’avais pas décidé à 100 % d’y venir, j’avais juste entamé la procédure et après je déciderais. Lorsque j’ai eu ma résidence permanente et le consentement de mon patron, c’était bon. Les étudiantes et étudiants rencontrés évoquent aussi la possibilité de profiter d’un climat vis-à-vis des étrangers meilleur qu’en Europe, ou encore de profiter de la valeur des diplômes nord-américains sur le marché du travail. Les raisons évoquées varient selon le niveau dans lequel les étudiantes et étudiants se situent (le choix du Canada, le choix du Québec ou encore le choix de l’Université Laval). 5.1.2.3.1 LE CHOIX DU CANADA Lorsqu’ils sont interrogés sur les raisons de leur venue au Canada, trois raisons principales sont avancées : la qualité et la réputation des diplômes nord-américains, le refus d’aller aux États-Unis pour des raisons politiques et sociales, et son corollaire, à savoir la réputation de neutralité et d’ouverture aux étrangers du Canada. La réputation des diplômes et la qualité de l’enseignement dispensé dans les universités nord-américaines sont à l’origine de nombreuses venues au Canada, en même temps qu’il est souvent fait référence aux failles des systèmes éducatifs tunisiens et marocains. 123 Pourquoi j’ai décidé de venir à l’étranger, c’est parce que je n’étais pas satisfaite de la qualité du système éducatif et j’aspirais à une qualité que j’imaginais [pouvoir] retrouver dans un pays anglophone. (Hayet) Quand j'ai pris ma dernière orientation […], je me rappelle très bien que mon père m'a posé la question : Pour une demande […], c'est quel pays qui est le plus avancé pour les études, recherche ? J'ai dit : Pour moi c'est le Canada. (Loubna) J’ai toujours apprécié le Canada, la qualité de l’enseignement aussi. […] Je pense que le système nord-américain est le plus efficace aujourd’hui au niveau de l’enseignement. (Ahmed) Aux yeux des étudiantes et étudiants rencontrés, le Canada a de plus la réputation d’être un pays dans lequel l’intégration est plus facile qu’en Europe et en France notamment, en permettant en même temps de pouvoir profiter d’un environnement anglophone. (Le Canada) a même ouvert un petit truc de l’immigration en Tunisie. C’est plus attractif que la France ! […] l’intégration ici c’est plus facile que la France. […] d’après ce que je vois, d’après ceux qui y sont déjà allés, il y en a même qui ont eu de très très mauvaises expériences. Ça dépend. J’ai des amis qui ont très très bien réussi là-bas. (Yasmine) Le Canada pour plusieurs raisons. La plus importante c’est que déjà pour obtenir le visa pour le Canada c’est facile […] Ce qu’on m’a dit c’est qu’il y avait pas de racisme, que les Canadiens étaient beaucoup moins racistes que ne le sont les autres pays, par exemple en France, en Belgique ou en Hollande, là où j’ai beaucoup de connaissances qui sont déjà parties là-bas et qui souffrent un peu de racisme, tant au niveau social, c’est-à-dire la vie de tous les jours, que pour l’emploi. (Khalid) Les États-Unis sont eux aussi écartés, pour leur engagement politique mais aussi pour des raisons sociales. Je ne voulais pas aller en France donc j’ai choisi le Canada. Pas les États-Unis, j’ai choisi le Canada parce que j’ai beaucoup d’amies, de copines qui sont venues ici et qui étaient satisfaites, surtout sur le plan social, de démocratie etc., et en même temps il y avait l’aspect anglophone. (Hayet) Les États-Unis c’est hors de question. Pour moi c’est hors de question parce que c’est un pays que je n’aime pas. Ok. Pour plusieurs raisons que tu peux deviner. Palestine, Irak, Afghanistan, etc. […] Le Canada ce n’est pas le cas […]. Rare où le Canada exprime son avis sur une question internationale, et dans tous les cas il est en retrait. (Khalid) 5.1.2.3.2 LE CHOIX DU QUÉBEC Étant donnée la grande proximité linguistique qu’ont ces étudiants avec la langue française, la francophonie du Québec est la raison majeure qui a poussé ces étudiantes et étudiants à postuler dans un établissement d’enseignement supérieur de cette province. 124 Seuls Hayet et Hicham sont venus au Québec par dépit : Hicham n’a pas été accepté à l’Université de Toronto et Hayet n’a pas eu le temps de préparer son Test of English as a Foreign Language (TOEFL)21 pour postuler dans les universités anglophones. Elle va finalement faire son MBA au Québec, pour ensuite faire son doctorat dans une université anglophone. Principalement moi ce qui m’intéressait ce n’était pas le Québec, c’était le Canada normalement. Moi je voulais partir dans une province anglophone mais je n’ai pas été retenu à l’Université de Toronto. (Hicham) En fait au début mon intention c’était de faire une université anglophone donc comme j’avais juste le temps de préparer mon TOEFL je suis venue ici. […] je me suis dit que j’allais faire mon MBA ici et qu’après je ferai mon doctorat dans une université anglophone. (Hayet) 5.1.2.3.3 LE CHOIX DE L’UNIVERSITÉ LAVAL Mourad et Ahmed, deux étudiants tunisiens, ont choisi l’Université Laval pour la bonne réputation dont elle jouit dans leur pays, tout en restant assez accessible à leurs yeux dans sa politique d’admission. Il faut dire la vérité, pour l’Université Laval, elle présente un bon niveau […] avec des conditions, des chances d’accès assez faciles, par rapport aux autres. […]. J’ai envoyé aussi à d’autres facs mais sur trois facultés j’ai été accepté dans deux. […]. Donc je préférais ici parce que c’était mieux, c’était mieux réputé aussi. (Mourad) L’Université Laval a une bonne réputation en Tunisie. J’ai des amis qui sont venus ici avant moi pour faire des études et ils me parlent toujours de la qualité de l’enseignement. (Ahmed) Au contraire, pour deux des trois étudiants marocains rencontrés, la fréquentation de l’Université Laval n’est pas un choix mais s’est imposée à eux lorsque leur premier choix d’établissement a été refusé. J’ai fait en même temps ma demande d’admission à l’Université Laval. C’était mon deuxième choix et j’ai été accepté, alors je suis venu ici. En attendant d’éventuellement partir dans une province anglophone. (Hicham) Au départ j’avais choisi les HEC de Montréal et j’étais admis là-bas […]. Le problème avec les HEC de Montréal, c’est qu’ils m’ont donné une maîtrise pour l’automne, et moi j’étais prêt pour venir ici en hiver. […]. Ici j’avais deux propositions, une pour l’hiver et l’autre pour l’automne, donc je suis venu ici pour suivre le diplôme. (Khalid) 21 Le but du TOEFL est d'évaluer les compétences en langue anglaise de ceux dont la langue maternelle n'est pas l'anglais. La plupart des collèges et des universités aux États-Unis et au Canada anglophone utilisent les résultats du TOEFL dans la procédure d'admission des étudiants étrangers. 125 Pour Maha, l’Université Laval est la seule qui proposait la formation qu’elle recherchait en français. J'ai toujours fait mes études en français, et je ne me voyais pas faire mes études directement en anglais sans me préparer pour ça […]. Donc j'ai cherché, c'était l'Université Laval qui le donnait, c'était la seule université qui donnait ce programme donc voilà. J'ai envoyé aussi des inscriptions un peu partout aux États-Unis et c'était clair que j'allais venir ici. À partir du moment où c'est en français. Seul Karim, un étudiant marocain, dit avoir choisi l’Université Laval au hasard, car il ne connaissait rien du Québec. Lorsque j’ai entamé les contacts avec les universités à partir du Maroc, je ne connaissais pas la société québécoise, je ne connaissais pas les villes donc j’ai choisi ça au pif, par hasard. J’ai envoyé ma demande à Sherbrooke et je n’étais pas accepté, j’ai envoyé aussi à Laval et j’ai été accepté, donc je suis venu. Donc il n’y a pas de critère, c’est juste par pur hasard. 5.1.2.4 LE FINANCEMENT DES ÉTUDES Trois étudiants, Loubna, Hicham et Ahmed, ont obtenu une bourse de leurs gouvernements respectifs pour venir au Canada. Ahmed a eu une bourse d’exemption des frais de scolarité que doivent payer les étudiants étrangers : « J’ai les droits d’exemption, donc je paye les frais comme les Québécois. […] c’est donné par la Mission Universitaire, c’est le gouvernement tunisien qui m’a accordé cette bourse ». Loubna et Hicham ont quant à eux obtenu une bourse attribuée par le ministère de l’Éducation pour Hicham au Maroc et par le ministère de l’Enseignement Supérieur pour Loubna en Tunisie, en fonction de leurs résultats scolaires antérieurs. Cette bourse leur a permis de subvenir à leurs besoins aussi longtemps qu’ils l’ont perçue. Il y a une offre par discipline chaque année du ministère de l'Enseignement Supérieur. […] c'était 750 dollars par mois pour dix mois par année plus un billet, ou bien 750 dollars fois douze si on rentre pas. Si tu as un billet, tu n'as pas une bourse pour deux mois, si tu restes, tu n'as pas de billet. Donc […] ils payent les frais de scolarité, l'assurance. (Loubna) Hicham ne perçoit plus sa bourse pour sa dernière session mais il ne paie que les frais majorés. Loubna n’a pas, elle non plus, fini ses études dans les temps impartis : depuis l’arrêt de sa bourse, elle a augmenté le nombre de ses contrats de travail à l’université pour subvenir à ses besoins. 126 Deux étudiantes, Loubna et Maha, avaient, à l’époque des entretiens, des contrats comme assistantes de recherche au sein de l’université. Hicham disait avoir cherché mais n’avoir rien trouvé. Loubna semble être la seule qui avait réellement besoin de travailler, sa famille n’ayant pas les moyens de financer ses études au Canada : « tout ce qui est frais d'inscription et niveau de vie, c'est beaucoup supérieur à ce que je peux me permettre, et à ce que ma famille peut se permettre ». Même lorsqu’elle avait sa bourse, Loubna a enchaîné les contrats de travail, et elle dit apprécier cette forme de responsabilisation. J'ai toujours travaillé, j'avais toujours des contrats mais vus mes besoins matériels cette session j'ai plus de contrats. C'est une belle expérience. (Tu passes d’un statut de) boursière, tu as une forme de sécurité financière, tu es un petit peu un petit bébé gâté : Concentre-toi sur tes études, on va couvrir tout. (Maintenant qu’il n’y a plus la bourse) je me dis : Je dois continuer parce que l'objectif fixé ce n'est pas de passer un séjour ici et de revenir, c'est pour passer un séjour ici, faire un doctorat et revenir avec ma thèse. Donc je me dis que si je veux atteindre mon objectif, je dois continuer. Et c'est une forme de responsabilité assez agréable, ça donne beaucoup d'énergie et beaucoup de force. Dans le cas de Maha, l’emploi occupé ne répond pas à un réel besoin financier, mais plus à un désir de s’occuper maintenant qu’elle a fini ses cours et qu’elle est en rédaction de son essai. Je viens de signer un contrat, je suis assistante de recherche mais ça date de même pas un mois. Mais avant je ne travaillais pas. Parce que là je suis en rédaction de mon essai, je finis mon essai donc je trouve un peu que j'ai un petit vide quelque part, donc j'ai préféré aller chercher à travailler. Tous les autres répondants sont financés par leur famille, ou par leur employeur dans le cas de Karim, qui de toute façon paie les frais de scolarité comme les Québécois étant donné qu’il est résident permanent. Seul Mourad fait état d’un contrat passé avec son père. C’est comme un contrat avec mon père qui est propriétaire d’une société. Il m’a dit : On va te financer pour les études et après tu vas venir et tu vas travailler pour l’entreprise. En fait c’est ça principalement. On peut dire que c’est un emprunt familial principalement. 127 5.2 L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE OU L’INTÉGRATION SOCIALE Dans le rapport du Cégep de Sainte-Foy présenté dans la partie théorique, les auteurs définissaient l’intégration comme la somme de trois intégrations : scolaire, sociale et institutionnelle. L’intégration scolaire était vue comme l’ajustement des étudiantes et étudiants aux attentes scolaires des professeurs et des pairs et aux exigences du milieu. L’intégration sociale quant à elle était l’appartenance de l’étudiant à un réseau remplissant plusieurs fonctions telles que l’aide affective ou scolaire, et dont la plus importante était selon les auteurs la fonction sociale. Enfin, une intégration institutionnelle réussie renvoyait à un sentiment d’appartenance institutionnelle et à une connaissance des rouages de l’institution permettant notamment d’évoluer en son sein en connaissant les services offerts. Cette répartition tripartite est reprise dans cette analyse, en commençant par l’étude de l’intégration sociale des étudiantes et étudiants rencontrés, pour ensuite faire l’examen de leur expérience académique. Je finirai par l’étude de leur intégration institutionnelle, en prenant en compte l’analyse de la Politique d’accueil et d’intégration de l’Université Laval, pour voir quelle est leur réponse aux efforts de l’institution pour développer leur sentiment d’appartenance. Cette partie a pour objectif de dresser un portrait de l’arrivée des répondantes et des répondants à l’Université Laval, pour voir comment ils ont vécu cette étape et comment s’est déroulé leur premier contact avec l’université. Elle a aussi pour but de voir comment les étudiantes et étudiants se sont intégrés, comment ils se perçoivent par rapport à la société québécoise, comment ils perçoivent les Québécois et comment ils pensent que les Québécois les perçoivent. Avant de venir ici je n’avais pas une grande idée sur le Québec. Déjà on ne savait pas beaucoup pour la distinction qui est faite entre le Québec et le Canada. (Mourad) C’est mon premier voyage aussi en dehors de la Tunisie. Donc l’avion et tout ! (Yasmine) 128 5.2.1 LA PERCEPTION DE SOI ET DES AUTRES ET LE REGARD PORTÉ SUR EUX PAR LES QUÉBÉCOIS En leur demandant de se définir par rapport à la société d’accueil et à développer leur vision de cette société et la manière dont ils pensaient en être perçus, les répondantes et répondants ont eu à faire un exercice de description de la réalité telle qu’ils la perçoivent. Dans la partie présentant les concepts théoriques, la notion de culture et ses différentes composantes ainsi que les mécanismes de défense à l’œuvre lors de la confrontation à une nouvelle culture ont occupé une grande place : j’ai notamment développé la notion de catégorisation (Lipiansky 1992), c’est-à-dire la tendance à se définir en se différenciant de la culture d’accueil et à juger selon les références de la culture d’origine. Plus la culture d’accueil est éloignée, plus la personne recherche chez l’autre la confirmation de ses préjugés (par le contraste, le stéréotype et l’assimilation), et ceci peut conduire à l’ethnocentrisme (le fait de juger les phénomènes visibles de la culture d’accueil à partir des références culturelles de la culture d’origine). Sami est peut-être le meilleur exemple de ces mécanismes de défense, puisqu’il se fait très critique par rapport à la culture d’accueil, en réaction aux agressions qu’il vit ou pense vivre : plusieurs actes sont jugés incompréhensibles, et sont même soupçonnés d’intentionnalité. Est-ce que tu peux me dire s’il y a un Québécois de souche ici, à part les Amérindiens ? Estce qu’il y a des autochtones ? Je ne crois pas. Ils ont les cheveux jaunes et les yeux bleus, j’ai un doute. Ils sont peut-être des immigrés plus que moi, parce que déjà ils n’ont pas gardé leur citoyenneté d’origine, même si c’était il y a 400 ans. Ce mécanisme est perceptible chez beaucoup d’étudiantes et étudiants rencontrés, même si la plupart essaient de s’en défaire, affirmant que les façons de faire ne sont pas liées à une culture mais à des types de personnalité qui se retrouvent partout. Il y a des Québécois qui veulent connaître cette communauté, comment elle pense, comment… je sens cette curiosité. Il y en a d’autres qui mélangent les choses : Marocains Musulmans, terroristes, etc., donc là tu sens que quelque chose ne va pas. Ça dépend des situations. (Karim) 129 5.2.1.1 LA PERCEPTION DE SOI ET DES AUTRES Les étudiantes et étudiants rencontrés ont eu beaucoup de mal à répondre à la question de savoir comment ils se percevaient vis-à-vis de la société d’accueil. Yasmine ne trouve aucune différence entre elle et les Québécois : « Pour moi il n’y a pas de différence sauf que moi je ne suis pas d’ici, je ne suis pas du Canada ». Hicham ne pense pas quant à lui avoir beaucoup avancé sur le plan personnel depuis son arrivée au Québec : « Je suis comme je suis. Je n’ai pas vraiment changé depuis mon arrivée ici. Je n’ai pas changé, c’est ça le problème. Je n’ai pas vraiment avancé depuis que je suis ici. Oui sur le plan professionnel mais même sur le plan personnel je n’ai pas fait de grands progrès ». Le discours de Sami est celui qui révèle le plus de contradictions : par la description de son engagement communautaire, il tient un discours d’ouverture, d’humilité et d’acceptation de l’autre et de sa culture ou de sa manière de vivre. Il dit travailler à faire connaître à Québec sa religion et à développer les liens entre les musulmans. Moi j’ai un statut assez spécial étant donné que je suis en contact avec différentes personnes, je ne mets pas mes croyances religieuses comme un obstacle pour aller vers l’autre, c’est déjà le message que devrait avoir chaque musulman […]. Essayer de communiquer, c’est ce que nous dicte le Bon Dieu. […] je suis simplement quelqu’un qui essaie de faciliter les choses au niveau de l’université, d’assurer des activités et tout ça. J’ai de bonnes relations avec les Maghrébins, les Orientaux, Syriens, Libanais, Marocains, Tunisiens, Algériens, je me considère comme un citoyen du monde. […]. Même le Bon Dieu n’a pas l’unanimité sur Terre, que dire de ma personne. C’est lui qui a créé l’univers donc qui peut apporter l’unanimité mais ce n’est pas le cas pour l’être humain que je suis. En même temps, tout le discours de Sami semble se figer autour de ses croyances religieuses et son acceptation de la différence de l’autre reste soumise à certaines conditions, celle notamment de se soumettre à un ordre des choses établi. Je sais que je dois être confronté à des problèmes, je suis prêt à y faire face […]. Malheureusement il y a des obstacles que je n’accepte pas, tout simplement parce qu’ils n’ont pas de sens. Parce qu’ils ne valent rien. Tout ce qui est discrimination, tout ce qui est comportement racial, tout ce qui est refus de la diversité, de la diversité logique humainement acceptée. Franchement je ne suis pas un homophobe mais je me demande comment on peut accepter une chose qui naturellement n’est pas logique. Moi je me pose des questions, je ne dis pas que je suis homophobe, je me pose des questions. […]. Tant que je n’ai pas de réponse, je ne suis pas susceptible d’accepter la chose. Peut-être que je dois la tolérer. Je dois la tolérer parce qu’ils ont le droit de vivre à leur manière, mais l’accepter pour que je l’applique moi-même, non. 130 En définitive, c’est plus par la définition des Québécoises et Québécois, de la société québécoise et de ses aspects marquants que les répondantes et répondants se dévoilent. C’est ici qu’apparaissent certaines des dimensions de Hofstede sur la culture nationale présentées dans la partie théorique. 5.2.1.1.1 LA VISION DE LA SOCIÉTÉ D’ACCUEIL La vision de la société québécoise est très différenciée selon les répondantes et répondants, et selon leur situation d’intégration. Pour Yasmine, qui jusqu’à maintenant n’a éprouvé aucun problème et semble en continuelle « lune de miel », la société québécoise est très valorisée : « Ici la vie est belle. Ici la vie est tellement belle que tu veux y rester et tout ». Cette perception est aussi sensible lorsque Khalid parle du climat de corruption dans son pays ou quand Hayet fait référence à ce que ses amies lui ont dit du Canada sur le plan social et démocratique. Sami, très critique vis-à-vis de la culture d’accueil, en présente au contraire une vision assez dévalorisante, en soulignant la conscience qu’il a d’être issu d’une civilisation ancienne. Moi je viens d’une civilisation de 3000 ans. C’est Carthage, c’est la civilisation musulmane, les Phéniciens. Lorsque je regarde en arrière, l’histoire du Québec, une bande de bagnards qui a débarqué sur les côtes, tu veux les comparer à ma civilisation ? Hannibal, c’est celui qui a fait les stratégies de guerre, il fait partie de mes ancêtres. (Début de phrase incomprise), lorsqu’il avait fait des études sur les grandes personnalités de l’humanité, il avait classé le Prophète Mahomet comme la première personnalité qui avait influencé le monde. C’est pas Cartier ou Charest ou Jean Talon ou je ne sais quoi. 5.2.1.1.2 LE QUÉBEC, UNE SOCIÉTÉ FRANCOPHONE Ainsi qu’il a été montré plus haut, la francophonie explique pour la majorité des répondantes et répondants la destination du Québec dans la continuation des études. Toutefois, la francophonie n’est pas qu’une histoire de langue : le Québec est aussi porteur d’une culture et d’une manière d’appréhender les choses qui se démarquent du reste de 131 l’Amérique du Nord, tout en étant différentes de l’Europe, ainsi que l’a expérimenté Mourad. C’est sûr que c’est une société très particulière. Même aussi par rapport à la société canadienne, elle est très particulière par rapport à la société anglophone. Je dis ça parce que j’ai vécu une semaine dans une famille anglophone à Vancouver. Donc je pense que même les anglophones trouvent qu’ils sont très différents les uns des autres. J’ai vu ça aussi… même les Européens, ils trouvent que c’est pas la même chose. Donc c’est sûr qu’il y a des différences entre nous et les Québécois, c’est clair. Sami, fervent défenseur de la francophonie, regrette de son côté que le Québec perde peu à peu selon lui sa spécificité linguistique. Ils se disent francophones. […]. On me dit que c’est la deuxième langue, à titre égal avec l’anglais, et lorsque je débarque à Toronto et que je parle avec quelqu’un et qu’il ne me répond pas, je garde le français. Je suis un francophone et c’est mon droit qu’on me parle en français. Moi je me suis rendu compte lorsque je suis parti à Réno Dépôt à Montréal que le mec parlait anglais. Il ne savait pas un seul mot de français. Et c’était à Montréal. Pas à Vancouver. Il faut rompre avec l’idée que c’est une langue vraiment littéraire et pour les Jeux Olympiques. Ça devrait vraiment être une langue universelle. Vraiment elle est en perte de vitesse. 5.2.1.1.3 UNE SOCIÉTÉ INDIVIDUALISTE Le degré d’individualisme, une des dimensions de Hofstede sur la culture nationale, est un aspect qui ressort très clairement du discours des étudiantes et étudiants rencontrés. Je dis que toujours tout ce qui est relationnel est vraiment culturel. Donc tout ce qui est relation au début, c'était bizarre. Par exemple c'est une société individualiste. Donc une journée une personne peut te sourire et faire une bonne conversation avec toi parce qu'elle est bien, elle sent qu'elle veut être en contact avec l'autre, donc on passe un bon moment, et le lendemain tu la croises dans le corridor et aucun signe de vie, elle te fait rien. […]. C'est une forme d'authenticité, j'ai appris à respecter mais au début je me disais : Qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Donc ça c'est quelque chose qui m'a frappé. (Loubna) Entre nous les Maghrébins, tu peux trouver un ami huit fois par jour et lui passer à chaque fois le bonjour. Ici ce n’est pas la même chose. Si tu vois quelqu’un, tu vas lui passer le bonjour une seule fois par jour. Après s’il te voit, il ne va pas te parler. Donc ce n’est pas la même chose. La première fois on se dit qu’il ne nous aime pas, qu’il est raciste ou quoi, mais après on se rend compte que ce n’est pas vrai, que c’est un problème de culture principalement.(Mourad) L’individualisme de la culture québécoise est aussi ressenti dans les relations interpersonnelles : les Québécoises et Québécois sont décrits comme accueillants, mais pas chaleureux. 132 Les Québécois… il y a quelqu'un qui m'a dit une fois quelque chose et j'ai trouvé ça pertinent. Les Québécois t'ouvrent leurs bras, mais ils ne les referment jamais. Donc ils sont accueillants mais n'attendent pas une relation très très chaleureuse, et c'est pas parce qu'ils te manquent de respect, d'amour, ou qu’ils ne veulent pas être en contact avec toi, c'est comme ça que ça se passe chez eux. Ça, c'est quelque chose qui m'a frappé. (Loubna) Les Québécois sont accueillants, sont un peu chaleureux, mais pas trop. (Ahmed) Ils sont gentils, ça c’est vrai. Je ne sais pas, je les trouve… pas bizarres mais un peu froids. Ce n’est pas comme les relations entre Maghrébins et tout ça, je les trouve assez froids. (Hicham) C’est dans la conception de la famille et jusque dans la perception des rapports sociaux de sexe que cet individualisme de la société québécoise vient le plus heurter les représentations des répondantes et répondants : dans la culture d’accueil, chacun s’occupe en priorité de lui-même et de sa famille proche sans éprouver spécialement de sentiment d’appartenance vis-à-vis d’un groupe plus large. C’est une société individualiste. Je ne pense pas que les liens familiaux sont très très forts ici. Même aussi pour la question du mariage ce n’est pas très à la mode ici, la vie se fait plus par le concubinage ou des choses comme ça. (Mourad) Ici il y a pas de famille, il y a pas de mari, de femme, des enfants, il y a pas une famille solide. J’entends dire qu’il y a pas trop de fidélité, qu’il y a pas d’amour, que la femme est ennuyée facilement de l’homme et qu’elle change facilement, et qu’en fin de compte à la fin de sa vie elle se retrouve seule, vieille, malheureuse. (Hayet) Hayet est celle qui développe le plus sa perception des relations entre hommes et femmes. Lorsque j’ai demandé à Hayet comment elle se percevait face aux Québécois, c’est en donnant sa vision de la femme québécoise et des rapports entre hommes et femmes au Québec qu’elle a répondu. Hayet précise toutefois que cette perception qu’elle a des rapports interpersonnels est uniquement basée sur ce qu’ont pu lui rapporter des personnes qui fréquentent des Québécoises et Québécois, elle-même n’ayant aucune amie québécoise. Donc d’après ces impressions-là, je la perçois comme étant une société où les femmes sont indépendantes, où les femmes sont très fortes, elles ne sont pas dépendantes des hommes du tout, où elles sont ambitieuses. Les hommes québécois ont l’air d’être pas autoritaires, ils n’ont pas l’air d’avoir d’emprise sur les femmes, ils sont plutôt timides par rapport à ce que devait être un homme. Donc devant les femmes québécoises ils sont dans leur place, ils cherchent pas à accaparer, ils ont l’air d’être gentils, d’être… comment dire ? Être respectueux. Par contre les femmes québécoises au fond d’elles j’ai l’impression qu’elles sont très malheureuses, parce que malgré le fait qu’elles sont indépendantes, qu’elles ont des objectifs, sur le côté affectif elles sont perdues. 133 5.2.1.1.4 UNE SOCIÉTÉ À FAIBLE CONTRÔLE DE L’INCERTITUDE L’indice de contrôle de l’incertitude, autre dimension de l’analyse de Hofstede, renvoie à la réaction face aux situations ambiguës, au comportement général des individus face à une situation donnée. Je pensais que cet aspect ressortirait moins lors de l’analyse des entretiens, à cause de la faible différence entre les pays concernés dans l’échelle donnée par Hofstede (48 pour le Canada et 68 pour les pays arabophones). Il se trouve que les répondantes et répondants font au contraire très souvent référence à cet aspect lorsqu’on leur demande de décrire la culture québécoise, mais que les indices donnés laissent penser que pour la majeure partie des aspects touchant au contrôle de l’incertitude, les étudiantes et étudiants rencontrés renversent l’échelle de Hofstede et considèrent que le contrôle de l’incertitude est plus fort au Québec que dans leur pays d’origine : même si les Québécois sont décrits comme cools, tranquilles, calmes, ce qui est caractéristique d’une culture marquée par un faible contrôle de l’incertitude. « Ils sont toujours cools, sereins, "no problem" dans leur tête ! C’est ce qui me plaît chez eux ! […] je ne sais pas comment ils vivent mais ils sourient toujours » nous dit Yasmine) ; les éléments les plus récurrents dans le discours sont la place qu’occupe le travail et le respect des règles notamment. C’est aussi une société très organisée, ce sont des gens très organisés, pour la plupart travailleurs. Des gens qui respectent les lois, qui sont réglos dans leurs comportements avec les autres. (Mourad) Ce sont des gens qui respectent leur devoir, qui accomplissent leurs obligations comme il faut, qui sont respectueux des autres, de la culture des autres, de la différence des autres. (Khalid) Selon Sami, ce respect des lois serait tel qu’il en serait même abusif et conduirait les gens à adopter des conduites absurdes, sous prétexte qu’ils sont dans leur bon droit. Par exemple tu peux traverser la rue à la lumière sans attendre le feu rouge, en faisant attention, tu enfreins les lois, c’est normal. S’il y a un bus qui passe ou une voiture qui passe à une vitesse de 60 à l’heure, ils ne diminuent pas la vitesse, ils foncent, même s’ils t’écrasent, tant que la loi est de leur côté ils s’en fichent. Ils s’en fichent. 134 5.2.1.1.5 UNE SOCIÉTÉ MATÉRIALISTE Selon au moins trois répondants, le Québec est porteur d’une culture matérialiste, ce qui se concrétise pour eux de différentes manières selon leurs sensibilités. Selon Mourad, le Québec serait la société « la plus libérale dans toute l’Amérique du Nord ». Selon Sami, les Québécois doivent depuis leur plus jeune âge gérer leur vie en fonction de leur compte en banque. […] lorsque tu te trouves dans un système où tu as à planifier l’aide financière, comment tu vas la rembourser et tout ça. Son mental il est fermé depuis l’âge de 17 ou 18 ans en termes d’argent et de carte de crédit. Nous on n’a pas ça. Même si je le compare à un Européen, je ne vois pas un Européen qui gère sa vie en termes de carte de crédit à partir de l’âge de 18 ans. Ça m’étonnerait. C’est peut-être cela qui fait dire à Hicham que les Québécois de son âge n’ont pas de projets de vie et se contentent de vivre au présent. C’est comme s’ils n’avaient pas d’objectifs à long terme. Ils ne voient que demain. Ils n’ont pas de rêves à long terme. Je leur demande : Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? Et ils me disent : Oh je vais aller au Pub demain mais je leur dis : Mais qu’est-ce que tu veux faire avec ta vie ? C’est quoi ton rêve dans la vie ? Ils n’ont pas de réponse à ça. Ils ne pensent qu’à la bière et aux filles ! Je ne suis pas contre ça mais il faut voir le long terme aussi ! 5.2.1.1.6 UNE SOCIÉTÉ CENTRÉE SUR ELLE-MÊME Enfin, les étudiantes et étudiants rencontrés sont assez critiques vis-à-vis de la société québécoise concernant son ouverture sur le monde et son manque d’intérêt pour l’actualité internationale. Selon eux, les Québécoises et Québécois n’éprouvent que peu de curiosité envers ce qui se passe à l’extérieur de la province et n’ont pas la volonté de s’informer, d’autant plus que cela est rendu difficile selon eux par l’absence d’un média de communication « sérieux ». Je pense aussi que le principal problème de la société québécoise c’est qu’elle a comme une fermeture sur elle-même. Moi sincèrement j’ai vu rarement des Québécois qui sont un peu ouverts sur les autres. (Mourad) Sur le plan de la culture générale, il y a un vrai manque. […]. Il manque la volonté de s’informer. […] C’est certain que les médias ici sont nuls. Ils sont nuls. Moi je vous assure, le premier mois j’écoutais la radio et j’étais stressé. Qu’est-ce qu’on annonce ? Un chat qui est tombé dans un lac. Un mec qui fait partie d’un réseau de prostitution. C’est quoi ces informations ? […] Là il y a un problème en Amérique du Nord, au Canada. […] les pays du G8 décident de l’avenir du monde. Dire que ceux qui vivent avec la nationalité d’un des pays 135 du G8 ne connaissent rien de l’autre, alors qu’ils décident de son destin, c’est inimaginable. (Sami) 5.2.1.1.7 QUÉBEC, MONTRÉAL ET LES PROVINCES ANGLOPHONES La plupart des étudiantes et étudiants rencontrés disent être conscients que l’intégration est plus difficile à Québec qu’à Montréal ou dans des grandes villes des provinces anglophones telles que Toronto ou Vancouver, que ce soit sur le plan social ou sur le plan économique et de l’emploi. Cet aspect sera d’ailleurs largement repris lorsque seront abordés leurs projets et l’endroit où ils souhaitent poursuivre leurs études ou vivre plus tard. Mais quand je pars à Montréal, je trouve que les gens sont plus ouverts. Sérieux. Les gens sont… Et même j’ai vu une étude comme quoi 30 % des Québécois pensent qu’il y a trop d’étrangers à Québec. Qu’il ne faudrait plus en avoir. (Hicham) Seule la position de Karim est contradictoire avec celle de ses pairs : selon lui, la ville de Québec serait plus ouverte aux étrangers et les gens y seraient moins méfiants. Il y a une différence entre Montréal et ici. À Montréal, parce que comme tu sais, les Maghrébins ont ce penchant collectiviste, on aime parler, bavarder, donc en arrivant le premier jour j’ai essayé de faire pareil au métro, j’ai essayé de parler aux gens, et j’ai découvert que les gens sont un peu méfiants. Mais ici non, ici les gens parlent, communiquent. […]. Lorsque tu parles à quelqu’un, il te répond, tu sens cette chaleur humaine, mais à Montréal, les gens sont méfiants, je ne sais pas pourquoi. 5.2.1.2 COMMENT LES QUÉBÉCOIS LES PERÇOIVENT En plus de poser la question de la perception de soi et de la société d’accueil, le guide d’entretien conduisaient aussi les étudiantes et étudiants rencontrés à présenter la façon dont ils pensaient être perçus par les Québécois. Plusieurs réserves sont émises, concernant les points les plus « sensibles » liés à leur culture d’origine : la religion, le terrorisme, les préjugés sur les modes de vie, les amalgames faits par les médias. La religion est le premier aspect auquel ces étudiantes et étudiants pensent lorsque leur est posée la question du regard qui est porté sur eux par les Québécois. Selon eux, le problème principal est l’amalgame qui est fait autour de certains mots. Loubna raconte par 136 exemple comment au cours d’une conférence à l’Université Laval, un auteur très connu a dit des choses inexactes sur l’Islam et les Arabes à une foule d’étudiants pendus à ses lèvres. Mourad et Ahmed reprennent eux aussi ce problème. Je pense que les Québécois font comme des amalgames. Pour eux, tout ce qui est arabe est musulman, je vais faire ça sur le caractère de la religion qui est très important ici je pense. (Mourad) Comme tous les gens du monde donc ils pensent que les Arabes surtout, les Arabomusulmans sont un peu agressifs, extrémistes, tous ces termes-là. (Ahmed) Ces difficultés liées à la religion ont de plus été exacerbées par les attentats du 11 septembre 2001. Il y a comme une partie d’ignorance, on se connaît pas très bien les uns les autres. Surtout avec les évènements du 11 septembre, c’est sûr qu’il y a eu des préjugés, des choses comme ça. (Mourad) Avec l'université, c'est passé toujours d'une manière très agréable, j'ai eu des bonnes conversations. Tout ce qui est à l'extérieur de l'université, pour les gens qui ne connaissent pas où est la Tunisie, où est l’Afghanistan, la Palestine, c'est devenu affreux les contacts avec eux, j'ai senti une différence. Moi ça m'arrive au téléphone pour le premier contact, lorsque je dis : Bonjour, c'est X BenX, je sens une différence, je sens que la personne s'est raccrochée sur le Ben, s'est concentrée sur le Ben. Et moi je les comprends, parce que c'est une attitude qui est prise par manque d'information. (Loubna) Plusieurs répondantes et répondants reprennent pour le pointer du doigt comme une des causes principales des préjugés des Québécois vis-à-vis de la communauté maghrébine ce manque d’information soulevé par Loubna et la propagande à laquelle se livrent les médias. Les préjugés touchent le terrorisme, les relations hommes-femmes, les problèmes d’intégration de la communauté musulmane, etc. C’est sûr qu’il y a toujours un amalgame aussi avec Ben Laden et arabes. Je me rappelle aussi que je suis allé une fois avec un ami québécois, il m’a dit à la fin… les hommes se sont des poseurs de bombes et les femmes ce sont des femmes soumises, des femmes battues et tout ça. Je lui ai expliqué que c’était pas vrai, que c’était pas comme ça, et qu’il y avait des choses aussi que nous on croyait pour Jésus et tout ça. […] les médias ici ils font beaucoup de tort. Ici et en Amérique du Nord aussi. (Mourad) À part des émissions politiques qui portent sur des pays, comme ça, sur les immigrants en France, en Belgique, ils donnent toujours cette image, cette propagande d’immigrants qui se retrouvent en réseaux terroristes et des trucs… comment dire, des stéréotypes, mais il n’y a pas un truc spécifiquement sur les étudiants ou les gens qui ont réussi, ou un truc palpable, c’est juste la propagande, les stéréotypes. (Hayet) En général ce qu’ils pensent des musulmans, dès que j’allume la télé ils parlent de ça. : Les musulmans, il faut que les musulmans s’intègrent, etc. À force de dire ça ils ne vont jamais s’intégrer, ça c’est sûr. Parce qu’ils les mettent à l’écart. Il ne faut plus dire : Les musulmans, les musulmans… (Hicham) 137 Enfin, sans viser spécialement les médias, beaucoup d’étudiantes et étudiants mentionnent des préjugés dont eux et leur culture sont victimes : « On perçoit toujours qu’on vient du Sahara, qu’on vit avec des chameaux, sous des tentes. Ils parlent de ça de manière très spontanée, ils ne savent pas la vérité » (Mourad). Hayet et Khalid se posent quant à eux la question de savoir s’ils sont considérés ou non comme des personnes qui fuient leur pays pour venir voler l’emploi des Québécois. Peut-être qu’ils nous perçoivent comme étant des étrangers qui viennent des pays qui sont sous-développés et où le système d’enseignement est médiocre, et qui sont venus pour avoir la belle vie […]. Et ils nous perçoivent comme étant des personnes d’un niveau intellectuel bas, on est venu ici et on veut pas revenir, on est venu ici et c’est comme si on était au paradis… […] pour eux c’est des gens qui n’ont pas trouvé de travail chez eux, des gens qui sont pas très bien qualifiés, qui sont venus d’un pays sous-développé pour retrouver le paradis, qui leur piquent leurs postes ici. (Hayet) Il y a des questions qui se posent dans la tête de n’importe quel étranger dans un pays étranger. On se dit : Est-ce qu’ils se disent qu’on est en train de leur voler des opportunités, au niveau de l’emploi par exemple. (Khalid) Malgré toutes les réserves émises plus haut, plusieurs des étudiantes et étudiants semblent finalement penser qu’ils ne sont pas mal considérés par la communauté québécoise. La discrimination ressentie par Ahmed ne connaît aucun exemple concret et au moins la moitié d’entre eux n’a ressenti aucun problème lié à sa nationalité durant son expérience étudiante au Québec. Peut-être qu’ils voient que je suis étrangère. C’est sûr mais… mais ils ne le montrent pas en tout cas. (Yasmine) Ce que je pense, c’est qu’ils n’ont pas de préjugé négatif sur la communauté maghrébine. Ça c’est une chose que je pense vraiment. […]. L’avis qu’ils ont sur nous, je pense qu’il est bien. Puisqu’ils se comportent bien avec nous, leur perception devrait être bonne. (Khalid) Je crois que grosso modo les gens ici ont cette curiosité de découvrir, de parler aux étrangers, grosso modo. (Karim) Je pense que la société québécoise n’a pas ce point de vue envers les arabes et les musulmans. Je pense que c’est une bonne relation entre moi et les Québécois, mais je sens de temps en temps un peu de discrimination. (Ahmed) Ca serait plutôt intéressant de voir ça par rapport à une personne qui porte le voile. […]. Mais moi personnellement j'ai jamais eu de problème. À chaque fois que je parle avec quelqu'un et que je dis que je suis musulmane, les gens respectent. (Maha) 138 5.2.1.3 LA CONCLUSION : LES EXPÉRIENCES D’ACCUEIL ET DE REJET Au final, plusieurs étudiants relatent des épisodes durant lesquels ils se sont sentis attaqués à cause de leur nationalité. À chaque fois, ces expériences se sont déroulées avec des Québécoises et Québécois et dans un contexte académique. Hayet ou encore Mourad racontent ainsi comment ils se sont sentis rejetés dans leurs groupes de travail : « Je travaillais avec trois Québécois et ce n’était pas facile sincèrement avec eux. On ne prenait pas facilement mon avis » (Mourad). Loubna relate aussi comment, alors qu’elle était dans la période du Ramadan, elle a ressenti de l’incompréhension de la part d’une étudiante avec laquelle elle travaillait. Et chaque fois que je l'appelle, je lui dis bonjour, elle me dit : Ah tu as une petite voix c'est le Ramadan ! Je lui dis : Je ne suis pas d'accord avec telle idée. Elle répond : Ah, tu es fatiguée c'est le Ramadan. Je lui dis : Je vais travailler. Elle répond : Ah tu vas travailler c'est le Ramadan ! Donc moi je dis : Mais pourquoi elle me dit ça ? Elle m'énerve, elle me tape sur les nerfs et j'ai pas réagi. […]. Et elle s'est excusée. Mais je pense que si j'ai pas fait la crise, elle va garder les sous-entendus toujours présents dans son discours. […]. Ça, c'est presque la seule situation vraiment… Si les expériences de rejet sont assez fréquentes pendant les cours, elles sont beaucoup plus rares dès que les répondantes et répondants parlent de leur vie d’étudiant, sur le campus ou hors campus. Seul Sami mentionne un tel problème, mais il ne l’a pas vécu lui-même : l’obstacle selon lui à Québec est l’environnement hostile aux étrangers qui fait que les étudiants, une fois leur diplôme obtenu, quittent la ville puisqu’ils savent pertinemment qu’ils n’y trouveront pas de travail. J’ai parlé avec des gens et chaque fois j’ai toujours le devoir de faire des preuves de mes compétences. Tu as ton doctorat et eux ils pensent que t’es pas vraiment au niveau. Il faut toujours faire ses preuves. Ce n’est pas le cas pour un Québécois. En dehors des cours, les souvenirs qui reviennent aux répondantes et répondants sont plutôt des expériences d’accueil. Pour les accueils, je suis allé une fois dans une immersion à Vancouver pour l’anglais et j’étais dans un collège avec 50 Québécois et ça s’est bien passé avec eux. (Mourad) C’est plus des expériences d’accueil. C’est plus là les collègues, les profs avec nous, nos voisins. C’est ça. Mais je n’ai pas eu de rejet. J’essaie d’être gentille en tout cas, c’est ça. Avec n’importe quelle personne. Si on est correct, l’autre personne sera correcte. Même entre nous ! (Yasmine) 139 D’accueil, c’est lorsque j’avais rencontré cette copine-là qui faisait MBA management, celle qui était brillante et qui m’a beaucoup encouragée dans mes études, elle m’expliquait ce qu’il faut faire, elle me montrait ses travaux. Comme elle est mariée et qu’elle a un enfant elle m’accueillait tout le temps chez elle, dans les fêtes religieuses elle m’invitait. Moi et son mari on était des amis. Enfin on est devenu des amis. Ça m’a réconfortée. (Hayet) Pour tous les autres, aucun exemple concret d’accueil ou de rejet ne leur revient en mémoire : l’indifférence des Québécois est prise par certains, comme Ahmed, comme une marque de racisme. Ce racisme dont dit être victime Ahmed est à mettre en lien avec la façon dont parlaient Loubna et Mourad lorsqu’ils faisaient référence à l’individualisme caractéristique de la culture québécoise : eux aussi avaient été confrontés à cela au début de leur séjour et s’étaient sentis attaqués par l’indifférence de certaines personnes. Pour d’autres étudiantes et étudiants rencontrés, cette indifférence est tout simplement la marque d’une acceptation de leur personne. De rejet non. D’accueil… non plus ! C’est-à-dire que c’était normal, c’était normal, simple, ça n’a pas fait de différence que je sois étranger. (Khalid) Je n'ai pas eu de problème. Non je me suis jamais posé de question mais je n'ai pas eu de problème du tout. C'est vrai que je peux dire qu'au Maroc on a vraiment un truc particulier, c'est qu'on a vraiment presque toutes les religions chez nous, il y a les juifs, on vit avec les juifs, j'ai connu des juifs qui étaient en classe avec moi, il y avait des chrétiens aussi à la Mission donc on vivait ensemble donc il n’y avait pas… Ah oui, t'es un juif, t'es un chrétien… il n’y a pas de différence je trouve, tu vois. Donc c'est peut-être pour ça moi quand je suis venue ici, j'avais pas beaucoup pensé à ça, quelle serait la réaction des gens si je viens et que je dis que je suis musulmane. (Maha) 5.2.2 LA VIE À QUÉBEC 5.2.2.1 LE CLIMAT ET LE CADRE DE VIE Un des éléments marquants les plus souvent cités par les étudiantes et les étudiants rencontrés sont la neige et le froid : « Vraiment ce qui choque c’est le froid » (Yasmine). Plusieurs d’entre eux sont en effet arrivés au Québec au début de la session d’hiver et le climat semble avoir été pour la plupart un élément qui n’a pas facilité leur acclimatation à leur nouvel environnement. Maha, Ahmed ou encore Khalid par exemple soulignent ce facteur comme étant le premier problème auquel ils ont été confrontés. L’arrivée était un peu difficile parce que je suis arrivé l’hiver en pleine neige […]. Au Maroc on n’a pas la neige. (Ahmed) 140 Et autre chose, la neige. Au départ, j’ai détesté. J’ai détesté, je n’aimais pas. Tu sais le Maroc c’est un pays qui est tout le temps ensoleillé. Il y a du soleil tous les jours, toutes les saisons, c’est rare qu’il pleuve, enfin c’est pas rare mais le beau temps c’est la règle, le mauvais temps c’est l’exception. Ici c’est le contraire. (Khalid) Quand je suis arrivée, ma première remarque c’était le froid, il faisait vraiment très froid le jour où je suis venue. […]. Je ne m’imaginais pas qu’il faisait aussi froid quelque part! (Maha) Tous trois affirment cependant qu’une fois la première impression passée, ils ont appris à aimer la neige ou ils s’en sont accommodés. Sami éprouve quant à lui des difficultés à s’adapter à un cadre de vie qu’il trouve terne et froid par rapport à celui auquel il a été habitué en Tunisie. Moi je viens d’une région de la Méditerranée où tu as un temps ensoleillé pendant pratiquement 330 jours par an. Et en plus de ça il y a de la verdure et des murs blancs et des fenêtres bleues. C’est un environnement typiquement méditerranéen. J’ai débarqué dans un lieu où le temps est toujours grisâtre et maussade et ils utilisent toujours des couleurs genre bordeaux, genre gris foncé, genre gris. […]. Je n’arrive pas à comprendre. Peut-être qu’ils en ont marre du blanc de la neige. 5.2.2.2 L’INSTALLATION ET LE VÉCU À L’UNIVERSITÉ : L’UTILISATION DES RÉSEAUX SOCIAUX La plupart des étudiantes et étudiants rencontrés ont bénéficié du soutien d’une ou plusieurs personnes à leur arrivée au Québec. Lorsqu’il ne s’agissait pas de personnes proches, elles sont entrées en contact avec elles par le bouche à oreille, par l’utilisation des réseaux d’amitié. Karim a par exemple bénéficié de l’appui d’un Marocain qu’il ne connaissait pas personnellement pour la réservation de sa chambre en résidence. Hayet, qui ne connaissait personne à Québec, a rencontré une Marocaine grâce à une connaissance de Montréal qui avait elle-même une amie qui connaissait cette fille. Ce n’est toutefois que quelques jours après son arrivée à Québec qu’elle l’a rencontrée. La fille qui était à Montréal qui connaissait la fille, a parlé à une autre fille, pas celle qui m’a choquée, lui a demandé de m’aider et c’était une fille très gentille, très sympa. Elle est allée avec moi aux places, on a fait les courses etc. Par coïncidence les premiers jours j’étais malade, j’avais la fièvre et c’est elle qui cuisinait! 141 Cette transition à Montréal entre le pays d’origine et la ville de Québec se retrouve chez plusieurs répondantes et répondants, qui y connaissent plus de personnes. C’est par exemple le cas pour Karim ou encore pour Maha. Je suis venue avec une amie à moi qui était avec moi en Tunisie et elle, elle fait l’UQAM à Montréal. Donc on était venues ensemble, on a pris le même vol, on a habité chez sa maman qui était à Montréal, le temps de s'installer un peu et de comprendre comment ça se passe. Et après je l'ai laissée à Montréal et je suis venue ici chez mes amis, chez mes cousins. J'ai habité chez eux, c'est eux qui m'ont montré un peu comment faire. Plusieurs connaissaient aussi du monde à Québec qui les ont aidés pour leur installation : Sami est arrivé avec ses parents et sa sœur, Maha et Hicham ont été aidés dans leur découverte de la ville et de la vie à Québec par des cousins. L’utilisation des réseaux sociaux est donc une constante chez les étudiantes et étudiants rencontrés et leurs fonctions de soutien émotionnel, d’aide matérielle, d’information et de camaraderie (Lemieux 2000) sont pleinement exploitées. Deux types de réseaux sont à l’œuvre : ceux pour venir à l’Université Laval et dont je viens de parler (la famille, les amis), et ceux qui vont aider les nouveaux arrivants à s’installer, et que ceux-ci ne connaissent pas forcément avant de poser le pied à Québec (la communauté maghrébine ou étudiante). La communauté maghrébine occupe une grande place, si ce n’est une place exclusive, dans les réseaux des répondantes et répondants. Ce sentiment de solidarité nationale et de devoir de chaque maghrébin vis-à-vis de sa communauté est souligné par Hayet, qui ne peut pas accepter que des maghrébins aient été pour elle à l’origine de certaines difficultés : « Avec le temps on a des mauvais coups de la part des personnes qui ne devaient pas faire ça. Des personnes qui ne sont pas étrangères à toi mais qui viennent du même pays ». La communauté maghrébine va donc s’entraider, par exemple sur le plan de l’information. Il y avait un Marocain et je suis tombée sur lui quand je voulais ma chambre, et il voulait m’aider, […] et on a commencé à discuter. (Hayet) C’était une question de temps pour s’installer, et vite fait j’ai su qu’il y avait une mosquée […], et là, la mosquée, c’est là où viennent tous les musulmans, Marocains, Tunisiens, Africains. On prie tous là-bas, donc c’était facile de voir du monde, de se renseigner, de poser des questions etc. (Khalid) 142 5.2.2.3 LE LIEU DE RÉSIDENCE : SUR LE CAMPUS OU À L’EXTÉRIEUR ? Le lieu de résidence n’a pas été un souci pour la plupart des étudiantes et étudiants. Lorsqu’ils étaient en recherche d’appartement ou sur liste d’attente pour les résidences, ils ont pu, comme Maha ou encore Hicham, profiter de l’hospitalité de leurs cousins le temps de régler leur situation : « À mon arrivée, j’ai un cousin qui habite à Québec qui m’a hébergé pendant quinze jours […] Donc je suis resté avec lui, il m’a montré la ville, comment ça fonctionne ici » (Hicham). D’autres, tels que Yasmine ou Mourad, sont arrivés en sachant déjà qu’ils avaient un appartement, trouvé par des amis déjà présents sur les lieux. Il y a des amis qui ont trouvé la maison, qui ont cherché. (Mon mari) a contacté quelques-uns de ses amis ici qui ont voulu nous aider à trouver la maison. (Yasmine) Pour le logement, je l’ai trouvé à partir de la Tunisie. C’était par chance parce qu’il y avait un voisin à mon ami qui travaillait ici, donc il m’a donné le numéro et j’ai fait la réservation d’une chambre à partir de la Tunisie. (Mourad) Seule Hayet semble avoir eu de gros problèmes à son arrivée pour se loger, étant donné qu’elle était sur liste d’attente pour avoir une chambre aux résidences. J’ai eu beaucoup de problèmes parce que du fait que lorsque j’étais au Maroc j’avais envoyé la demande d’hébergement en retard, […] et quand je suis venue ici j’étais dans la liste d’attente. […]. Et puis par chance, j’ai attendu quelques jours et puis ils m’ont appelée pour avoir la chambre ici. Mais ça m’a trop stressée parce que lors de l’hébergement d’été j’ai changé, j’ai habité quelques jours à Lemieux, puis à Moraud, puis à Parent, et puis après j’ai été dans une salle d’études à la fin, parce qu’ils devaient vider les chambres pour que les étudiants viennent. Et j’étais toute seule, je ne connaissais personne. C’était très frustrant! L’étude de Grayson (1997) mentionnée dans la partie théorique mettait l’accent sur la variable du lieu de résidence : la conclusion de l’auteur était que le fait d’habiter sur le campus facilitait l’implication des étudiants dans la vie universitaire, même si cela n’était pas forcément une bonne prédiction en ce qui concerne la réussite académique. Seule Maha souligne le rôle qu’ont eu les résidences dans son intégration sociale, elle qui a vécu un an et demi à l’extérieur du campus avant de faire les démarches pour louer une chambre sur le campus universitaire : « c'est intéressant pour des gens qui viennent pour la première fois, ça permet d'avoir des connaissances, de ne pas rester enfermé chez soi et tout ». 143 Sami ou encore Karim soulignent qu’il est normal pour un étudiant d’habiter en résidence, qu’ils l’ont déjà vécu dans leur pays d’origine et que cela leur permet d’avoir tous les services à proximité. Ils insistent aussi sur l’avantage que leur procurent les tunnels de l’université, puisqu’ils leur permettent d’oublier le climat. Là je suis en colocation mais je fais toujours le va-et-vient. Ça me tente toujours de retourner en résidence. En plus c’est une question de proximité et pour une question de climat parce que le climat ici, c’est quelque chose qui n’est pas assez favorable pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude. Mieux vaut emprunter les tunnels parfois. (Sami) Ici c’est petit mais ça me rappelle le bon vieux temps lorsque j’étais à la cité universitaire au Maroc. Ça me rappelle un peu ce temps et j’aime ça. En plus le fait que tout est proche ici, les services de l’université, tu prends le tunnel, tu ne ressens pas ce froid… (Karim) Seuls deux étudiants affirment clairement leur préférence pour un logement hors du campus. Mourad a toujours vécu à l’extérieur de l’Université Laval, et sa décision d’y venir pour sa dernière session n’est due qu’à des considérations pratiques, pour pouvoir quitter le Québec à la fin de la session d’automne. Hicham, en résidence au moment de l’entretien, a le projet de louer un appartement en colocation à l’extérieur du campus, avec un ami maghrébin, « pour voir le monde ». Là je compte sortir. Je préfère sortir. Je cherchais quelqu’un avec qui sortir pour avoir un appart’ mais je ne trouvais personne. Je ne voulais pas cohabiter avec des personnes que je ne connaissais pas parce que ça pose des problèmes, c’est ce qui m’est arrivé au Maroc. Parce que j’ai passé 4 ans dans une autre ville. Donc je cherchais quelqu’un et j’ai trouvé un ami, donc la session prochaine normalement je sors. 5.2.2.4 LA CONCLUSION : UNE INTÉGRATION SOCIALE QUI SE CONSTRUIT L’expérience vécue lors des premiers moments à Québec par les étudiantes et étudiants rencontrés varie donc beaucoup selon le soutien qu’ils ont reçu pendant leur installation et la façon dont ils y étaient préparés. Yasmine et Ahmed disent ne pas avoir ressenti de problème au départ. Arrivés depuis moins d’un an, ils découvrent le Québec et se déclarent satisfaits de leur expérience. Celle-ci semble correspondre à la première étape du trajet migratoire dont parlent Oberg (1960) et Cohen-Émerique (1980) : l’étape d’euphorie. 144 J’ai visité le Québec, c’est vraiment très beau. Les gens qui habitent ici sont vraiment très très très gentils. Très serviables. On a un voisin qui est le propriétaire aussi, et vraiment je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi gentil, avec sa femme et tout, il nous a vraiment facilité la vie. A chaque fois qu’on a besoin de quelque chose, il est là. Moi je dis qu’on est dans un petit village ici. Par rapport à Montréal, je suis allé voir, ou j’ai vu aussi Vancouver mais c’était à la télé, ou Toronto, et c’est des grandes villes par rapport à où on est. C’est un petit village ici, vraiment… (Yasmine) Hicham fait lui aussi référence à cette étape d’euphorie, durant laquelle tout était sujet à découverte, mais c’est plutôt à l’étape de confrontation qu’il se situe lors de l’entretien. Le début c’était bien. Tu découvres et tout, c’est bien. Tu commences à étudier et le programme est chargé, donc tu ne penses pas à beaucoup de choses. Mais dès que tu finis la première session, tu penses à ce que tu vas faire après ton diplôme. Et tout le monde est pessimiste ici : Il y n’a pas de travail, il n’y a rien du tout]. Ça n’aide pas, ça déprime ! [Il n’y a pas d’espoir. Ils disent : Il n’y a pas d’espoir ici, c’est seulement les Québécois qui travaillent. Le trajet migratoire selon Oberg (1960) et Cohen-Émerique (1980) se retrouve aussi dans le discours de Mourad, qui décrit à sa manière le choc culturel. Disons que le choc culturel, tu commences à le sentir après un mois, un mois et demi. Pour moi le choc culturel on peut le résumer, c’est-à-dire que toi tu vois des choses qui sont anormales et pour les autres, elles ne sont pas anormales. Et vice versa. Donc après deux mois, je me suis adapté disons à ces choses-là et maintenant ça fait partie de la vie de s’adapter. Cependant, ce modèle du trajet migratoire tel qu’il avait été présenté dans la partie théorique ne semble pas s’appliquer à toutes les personnes rencontrées : c’est en effet directement à l’étape de la confrontation qu’il est fait référence quand Hayet, Loubna ou encore Karim parlent de leur arrivée à l’Université Laval. Les premiers jours c’était terrible. Parce que vraiment je ne savais rien. […] je suis venue toute seule, je ne savais pas quoi faire ni où aller, […] ce campus-là c’était comme une grande ville, je me perdais, je passais des heures et des heures à aller d’un pavillon à l’autre, à lire les trucs, à demander aux gens. Je passais des heures et des heures. (Hayet) Je ne sais pas ce qui ne marchait pas, mais je n'étais pas bien. Et maintenant je peux dire le manque de soleil, l'hiver qui est totalement différent, les nouvelles responsabilités, ça fait beaucoup, ça demande beaucoup. […] Aux mois de mai et juin, avec l'arrivée du printemps, je ne dis pas que j'ai eu une dépression mais c'était semblable à une dépression. […]. Je pense qu'à part les cinq mois le reste a été correct. (Loubna) Le début c’est toujours difficile, étant donné que tu ne connais personne, tu ne connais pas le système, comment ça marche, et puis il y a les problèmes psychologiques de solitude etc., 145 donc les premiers jours c’était difficile mais après ça va. Je suis arrivé à connaître du monde, à me faire des amis, donc ça va. (Karim) 5.2.3 L’INTÉGRATION SOCIALE 5.2.3.1 LA DÉFINITION DES RÉPONDANTES ET RÉPONDANTS La définition de l’intégration sociale telle que la présente Ruano-Borbalan (1998) en fait un processus de construction de l’identité, différemment réalisée selon les réseaux au sein desquels l’individu s’intègre (selon son ethnie, sa condition professionnelle, sa religion, etc.). Camilleri (1998) ajoute à cela le fait que chaque individu possède deux identités : l’identité « ontologique » conduisait à trois types de réactions, qu’on peut retrouver en étudiant les profils des répondantes et répondants. La première était l’occultation, c’est-à-dire le fait d’éviter la mise en question, ce qui peut rappeler le cas d’Ahmed, ou encore de Yasmine. La deuxième réaction était le fait d’affronter la dévalorisation, ainsi que le fait constamment Sami. Enfin, le compromis avec la dévalorisation, réaction la plus favorable selon l’auteur à l’intégration, semble être caractéristique de la personnalité de Loubna. La deuxième identité de l’individu selon Camilleri est son identité « pragmatique » qui entraîne deux types de réaction : éviter de mettre en regard les termes de la contradiction, comme Yasmine par exemple, ou joindre les codes ainsi que l’exprime Loubna. Je le dis et je le répète depuis trois ans au moins, je ne suis plus Tunisienne, parce que j'ai quitté la Tunisie, je me suis éloignée et quand je reviens en Tunisie je vois des choses qui sont bizarres, qui ne font pas mon affaire comme si je ne suis pas Tunisienne. Mais en même temps, je ne serai jamais Québécoise. Jamais. Parce que dans ce corps moi je dis, il y a du couscous, il y a des choses purement tunisiennes, il y a du sang tunisien, il y a beaucoup de choses, il y a l'origine tunisienne, tout ce qui me fait, tout ce qui m'a préparée pour être ici est tunisien donc je ne serai jamais Québécoise. Mais je suis Tuniso-québécoise, j'ai des deux, je ne veux pas ignorer mes origines parce que ce serait de la folie, j'ai vécu dans ce pays vingtquatre, vingt-cinq ans et je veux y vivre encore, et lorsque je me présente, je dis : Je suis Tunisienne et je suis fière de l'être mais aussi je ne veux pas ignorer les années que j'ai vécues ici et tout ce que j'ai fait ici. Surtout ça me tient à cœur, j'ai rencontré ici des personnes que j'apprécie énormément, donc je ne veux pas ignorer non plus ce que j'ai vécu ici, ce que je vis ici. (Loubna) Plusieurs étudiants vont cependant au-delà de cette définition : Hicham par exemple souligne ce qu’implique une bonne intégration sociale : « C’est le fait de s’impliquer dans 146 la société, le fait de donner et de recevoir en même temps ». Il se reproche d’ailleurs de n’avoir pour l’instant fait que recevoir, sans jamais rien donner à son avis à la société d’accueil. Khalid quant à lui présente ce qui selon lui est un terrain propice à une intégration sociale réussie. Être bien intégré, c’est d’abord avoir tous ses droits. Tous ses droits en terme de vie humaine, avoir accès à tous les endroits au même titre que les autres étudiants québécois, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de discrimination, et c’est le cas. […]. Et aussi, peut-être du côté de la vie sociale, il y a le respect, ça permet une intégration plus facile. Le respect c’est-à-dire pas de racisme par exemple. […]. Nous on respecte les autres cultures, les autres cultures nous respectent, ça rend la vie plus facile. Enfin, la place de la communauté maghrébine dans le processus d’intégration sociale est pointée du doigt par deux étudiants, dans la mesure où celle-ci conduirait plutôt ses membres à se renfermer sur eux-mêmes plutôt qu’à s’ouvrir aux autres communautés. Lorsque je parle de l’intégration, je parle de l’intégration avec la communauté toute entière, avec les Français, les Indiens, tout et tout. Et c’est difficile de s’intégrer avec les Indiens ! Mais si tu parles de l’intégration avec ta propre communauté, c’est évident que tu vas t’intégrer. (Karim) Même l’association des étudiants musulmans, honnêtement, ça ne facilite pas l’intégration. Ça facilite l’intégration entre les Musulmans. Ça ne facilite pas l’intégration entre Musulmans et non Musulmans. (Hicham) 5.2.3.2 LES DIFFÉRENTS GROUPES D’INTÉGRATION C’est selon les réseaux choisis que se dessinent les différents types de socialisation : pour beaucoup des étudiantes et étudiants rencontrés, le groupe privilégié va être le groupe national, voire religieux. D’autres vont préférer se tourner vers le groupe des étudiants, sans vouloir faire de distinction de nationalité. Quelques-uns enfin fréquentent ou se sont créé des réseaux d’amitié en dehors de l’Université Laval. 5.2.3.2.1 LES MAGHRÉBINS La majorité des étudiantes et étudiants rencontrés fréquentent essentiellement des Maghrébins, cantonnant le contact avec les autres nationalités à leurs heures de cours : avec les Québécois « c’est une relation modeste. Ce ne sont pas des amis » dit Ahmed. 147 Comme je te l’ai dit, je parle avec les Québécois et les Français, on joue au foot mais on n’a pas une relation particulière, ce n’est pas comme avec les Maghrébins. On parle la même langue, on a la même culture, la même religion. Les autres, la plupart du temps, ils te posent des questions sur ta religion et sur ta culture et tu en as marre à la fin parce que c’est toujours les mêmes questions ! (Hicham) C’est sûr qu’avec les Arabes, les Musulmans… je connais plus de gens qui sont Musulmans, Maghrébins, Africains, Africains musulmans, que les autres, ça c’est certain. 95 % de mes connaissances sont de ce genre. (Khalid) Deux étudiantes, Yasmine arrivée depuis quelques mois et Hayet pourtant présente à l’Université Laval depuis plus de deux ans, ne connaissent pas beaucoup de monde à Québec, et ont un groupe d’amis très restreint. Bon moi je n’ai pas beaucoup de relations parce que je ne trouve pas de temps. C’est plus des Maghrébins. Quand je dis plus, c’est deux personnes du Maghreb, une amie et un Tunisien. C’est avec eux que je suis le plus en contact. Pour les Québécois c’est au niveau des études. (Yasmine) Dans ma vie personnelle, j’avais juste ma copine marocaine qui faisait MBA management, et puis ma copine qui était la copine de la copine qui était à Montréal. C’est tout. C’est tout. Ça pendant mes deux premières sessions. À la fin de la deuxième session, j’ai fait connaissance avec un étudiant marocain, et puis une étudiante marocaine, et à travers cet étudiant marocain qui connaissait un groupe de marocains, j’ai fait connaissance et on est devenu un groupe. Jusqu’à maintenant. Donc on est un groupe de marocains, de quatre ou cinq marocains, c’est tout. (Hayet) Loubna se démarque du groupe, puisqu’elle a délibérément décidé de privilégier ses contacts avec les Québécois et d’éviter le groupe de Tunisiens avec lequel elle avait jusque-là l’habitude d’évoluer lorsqu’elle s’est rendu compte que son expérience au Québec ne lui apportait rien de plus qu’un diplôme. 5.2.3.2.2 LES ÉTUDIANTS Même si Ahmed, Mourad et Khalid trouvent plus facile de s’intégrer avec les Maghrébins, ils ne veulent pas rester cantonnés à des relations au sein de leur communauté et ils font l’effort d’aller vers les étudiants d’autres nationalités que la leur. Je m’intègre à tout le monde. Les Français, les Maghrébins, les Africains, les LatinoAméricains. (incompris). Pour moi le problème n’existe pas. (Ahmed) Je crois qu’après une année et demie, il faut prendre on va dire les avantages des uns et des autres. Je vais pas être catégorique pour te dire qu’il faut faire avec un tel groupe et laisser les autres. Il faut travailler avec les autres donc avec les deux principalement. C’est sûr que j’ai 148 plus de facilités à m’intégrer avec les Maghrébins, ça c’est sûr. En tout cas là je cherche aussi pour connaître des Québécois ou des Français ou des Allemands. (Mourad) J’ai une personne par exemple qui habite à côté de moi, je le vois pas mal de fois par semaine. J’ai une autre personne qui était mon voisin la session dernière. Il y avait trois personnes avec qui j’avais des relations très très chaleureuses, et à chaque fois que je les rencontre c’est un plaisir de se voir, on discute un peu. Les filles aussi, je connais une Française qui est une fille formidable. C’est tout par rapport aux étrangers. Oui, je pense que ça fait le tour. (Khalid) Pour Maha et Karim, la nationalité ne semble pas entrer en ligne de compte dans le choix de leurs relations, même s’ils se sentent plus proches de ceux qui partagent leur culture : Maha raconte ainsi comment elle a construit son réseau d’amis par phases, allant de son groupe national au groupe étudiant. Karim a quant à lui dès le départ décidé de ne pas s’en tenir à des relations avec les Maghrébins. Je suis venu ici espérant avoir une autre expérience pour m’ouvrir sur d’autres cultures. Donc je suis prêt à faire connaissance avec chacun ici. Mais je suis plus proche des Français et des Maghrébins vue la langue. Je sais pas la langue, ça fait plus de rapprochement. Mais même avec les Québécois ça se passe bien. (Karim) Le cas de Loubna est encore ici particulier : si elle semble être la seule à avoir délibérément choisi de privilégier ses contacts avec les non Maghrébins, et elle va même au-delà : ses véritables relations d’amitié trouvent leur place dans d’autres lieux que l’université. Avec les Québécois de l'université, j'ai des contacts, mais ce ne sont pas des relations qui m'ont marquée. J'ai deux trois amis, on se voit quotidiennement, je les vois pour mon quotidien, c'est vrai que ça nous arrive de sortir ensemble mais… peut-être parce qu'on est trop proche que je ne vois pas qu'on fait des efforts pour se rencontrer comme amis. 5.2.3.2.3 LES CONNAISSANCES HORS DU CAMPUS UNIVERSITAIRE Etant donné ce qui a été dit plus haut, il était attendu que le réseau social de Loubna se situe principalement hors du campus et elle dit apprécier de se retrouver avec des personnes qui vivent d’autres réalités qu’elle et qui lui semblent plus représentatifs de la société québécoise dans son ensemble. J'ai des amis québécois… Par exemple les amis québécois que j'ai actuellement, je les ai pas connus à l'université. Parce qu'il y a une autre réalité que l'Université Laval ne présente que des étudiants. Si on reste à l'Université Laval, surtout dans les résidences universitaires, tu as l'impression que les Québécois sont juste des étudiants. Mais j'ai eu une autre chance de contacter des Québécois dans un autre contexte, et là tu commences à voir que les Québécois 149 sont des travailleurs, sont des chômeurs, ont des problèmes d'argent, sont riches… Tu vois les autres catégories… Et ça se passe bien. À part Loubna, peu d’étudiantes et étudiants ont des contacts avec Québécoises et Québécois qui n’ont pas un statut d’étudiant. Mourad dit avoir un ami québécois à Montréal et Yasmine a des contacts avec le couple de l’appartement voisin : « C’était une invitation par eux et par nous. C’était par nos voisins. J’ai fait du couscous et on l’a fait dans leur jardin à l’arrière et tout ». Un dernier étudiant, Khalid, connaît des personnes en dehors du cadre universitaire, et ce sont des Maghrébins. J’ai des connaissances à Montréal. J’ai un ami à Montréal. J’ai un autre ami au Manitoba si je me rappelle bien, il est prof universitaire et je ne suis jamais allé le voir encore. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire. Celui de Montréal, je communique tout le temps avec lui par Internet, et c’est ça. 5.2.3.3 LES STRATÉGIES MISES EN ŒUVRE POUR FACILITER L’INTÉGRATION SOCIALE Même si certains, comme Ahmed, disent ne rien planifier pour s’intégrer et laisser cela au hasard, d’autres répondantes et répondants mettent consciemment en œuvre certaines stratégies pour favoriser leur intégration sociale. Yasmine par exemple fait attention lorsqu’elle parle avec des Québécoises et Québécois à ne pas utiliser d’expressions qui peuvent prêter à confusion, pour ne pas les choquer. Non je n’ai pas de stratégie… Peut-être que je fais plus attention. Parce qu’au début… avec ce couple-là avec qui je suis plus en contact, au début ils ne comprenaient pas… Moi je ne parlais pas couramment le français lorsque je suis venue ici parce qu’on ne parle pas toujours français en Tunisie, mais même si c’était du français de chez les Français, des expressions françaises et tout, ils ne comprenaient pas. […] (Pour) essayer de ne pas choquer. Karim de son côté cherche à « multiplier les contacts » pour connaître du monde sans passer par les canaux formels de l’université : « Je crois que c’est la chose la plus efficace. C’est-à-dire des contacts informels, loin de l’université, parce que l’université 150 essaie d’organiser des journées, des rencontres, et ça aide, mais je crois que l’initiative personnelle est plus importante ». 5.2.3.3.1 LE SPORT La pratique d’un sport collectif, en général le soccer, est le moyen privilégié d’intégration des étudiants et le PEPS est leur lieu principal de socialisation, après la mosquée. Il est important de noter que ce lieu de socialisation est extrêmement sexué : aucune étudiante n’y fait allusion alors que pratiquement tous les étudiants le mentionnent. Comme stratégie, peut-être le sport, parce que j’aime le sport. La plupart des amis que j’ai rencontrés, c’est par le sport ou par les études. […] par exemple je me suis fait des amis, X et Y, qui sont de bons amis, en plus ils m’invitent tout le temps à jouer avec eux au foot. S’ils veulent avoir une bonne équipe ils sont obligés ! Mais non ! Ils font l’effort et moi je vais jouer. J’apprécie cet effort parce qu’ils m’invitent. (Hicham) Je pense que principalement c’est par le sport, c’est le moyen que j’ai trouvé pour me faire des amis. Pour les parties de volley, les parties de basket ou de soccer. (Mourad) Je sors, je joue au foot…[…] à l’extérieur de l’université. On a un stade. […]. Avec des Tunisiens. De temps en temps on invite des Québécois, des Français, des Africains. (Ahmed) 5.2.3.3.2 LES ACTIVITÉS HORS DU CONTEXTE ACADÉMIQUE Les seuls étudiants à avoir, selon leurs représentations, de « réelles relations d’amitié » avec des Québécois sont ceux qui sont sortis du cadre strict des cours. Hicham a décidé de participer aux 5 à 7 organisés toutes les semaines par les étudiants de sa promotion pour mieux les connaître. De leur côté, Maha et Mourad ont tissé des liens d’amitié avec des Québécois en faisant un stage. J'ai eu l'occasion de connaître des Québécois parce que là j'ai fait un stage à Facto. Moi je me dis que ce n'est pas facile, ce n'est pas facile de s'intégrer, si on ne vit pas… si on ne partage pas une activité … Moi je dis que par exemple pour quelqu'un qui travaille, c'est plus facile de s'intégrer que si on est étudiant. J'ai fait un stage à Facto, ici à l'université et c'est vrai qu'il y avait des étrangers mais il y avait beaucoup de Québécois et j'ai trouvé ça très bien. On s'entendait très bien, on faisait des activités aussi ensemble, il y avait le party de Noël qu'on a fait ensemble et on garde contact jusqu'à maintenant. (Maha) Je suis allé une fois dans une immersion à Vancouver pour l’anglais et j’étais dans un collège avec 50 Québécois et ça s’est bien passé avec eux. […] c’était une bonne expérience et j’ai gardé de bonnes relations avec eux. J’étais bien intégré avec eux. J’étais je pense le seul étranger dans un groupe de 50 Québécois et ça s’est bien passé avec eux, sincèrement. (Mourad) 151 Loubna, quant à elle, a radicalement changé de fréquentations lorsqu’elle a commencé à faire des sorties en dehors de l’université. Alors qu’elle avait passé sa maîtrise sans la quitter, le simple fait d’avoir répondu à une annonce pour perdre du poids lui a ouvert un nouvel horizon. Lors de ma maîtrise, c'était l’université. Je suis une personne qui ne sort pas énormément et mon monde c'était vraiment l’université. Le département et ma chambre. Parfois je passais des semaines à faire un parcours très simple : ma chambre bibliothèque, bibliothèque le département, département ma chambre, ma chambre Métro, Métro ma chambre. […] je réponds à une annonce de perte de poids. […] à part les produits il y a des rencontres, il y a des formations. Et dans ces rencontres, moi au début j'étais en contact avec la personne qui m'a présenté les produits qui est devenu mon bon ami, et lui il m'a présenté ses amis. […]. Donc c'est venu de manière spontanée, il y avait comme des rencontres. Tu n'as pas de voiture et tu as besoin d'aller à Montréal, quelqu'un te présente ses services et c'est venu comme ça. Sami souligne cependant qu’il est difficile pour un étudiant étranger de sortir de l’université, du fait que le campus est coupé de la ville et que tous les services y sont disponibles. Vraiment il y a un avantage et un inconvénient à avoir un parc universitaire. Avoir un parc universitaire, c’est avoir tout sur place. Plus de moyens, moins de dépenses et tout ça. Mais à comparer avec des universités comme McGill, comme Toronto, qui ont un parc universitaire vraiment dispersé dans la nature, ça te donne plus de contacts avec les gens, tu utilises plus les moyens de transport, tu fais appel à d’autres choses à l’extérieur et tout ça. 5.2.3.4 LE RÔLE DE LA RELIGION DANS L’INTÉGRATION SOCIALE Comme il a été précisé dans la partie méthodologique, le fait d’aborder ou non la thématique de la religion a été laissé aux choix de répondantes et répondants. Tous sans exception y font référence à un moment ou à un autre, mais elle n’occupe pas pour tous la même place dans leur intégration. Pour Maha ou Loubna, la religion est quelque chose de personnel qui ne doit jamais interférer dans les relations avec les autres. Les huit autres étudiantes et étudiants y font au contraire allusion dès qu’il s’agit de décrire leur situation d’intégration. Le rôle de la religion est alors ambivalent : elle leur permet, par le biais de la mosquée, de rencontrer du monde, de faire circuler les informations, d’avoir un soutien en cas de problème ; d’un autre côté, elle est aussi souvent un frein à l’intégration lorsqu’il s’agit de rencontrer des personnes non musulmanes, puisque les activités et soirées québécoises ne se passent jamais sans alcool. 152 Oui on m’avait invité à faire des sorties avec eux, mais j’ai refusé parce que je n’ai pas le droit de boire de bière, donc je ne peux pas. Même rester en groupe avec des gens qui boivent, j’ai pas le droit, religieusement parlant. (Khalid) […] il y a le facteur religieux. Je peux te dire que je suis assez pratiquant. Donc principalement pour les sorties, en boite, dans les bars, je suis pas très attiré pour faire des sorties. (Mourad) 5.2.3.5 LA CONCLUSION 5.2.3.5.1 DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS INTÉGRÉS ? Lorsqu’on leur pose la question, les réponses à la façon dont ils perçoivent leur degré d’intégration sociale sont mitigées. Une première moitié se considère bien intégrée. C’est le cas par exemple d’Ahmed, de Karim ou encore de Sami. J’ai beaucoup de bonnes relations avec la communauté universitaire, à l’extérieur de la communauté universitaire. Et c’est une qualité personnelle, je pense que je suis bien intégré, je pense que j’ai de bonnes relations. Je vois des gens qui sont arrivés depuis deux ans ou trois ans et qui n’ont pas beaucoup de relations, qui sont toujours chez eux. (Ahmed) Moi je n’ai pas de problème, avec tout le monde. Je discute avec des Nord-américains, des Européens. […] je suis ouvert à tout genre d’activité qui pourrait me mettre ne contact avec des Québécois ou des non Québécois, des être humains. Je veux rencontrer des êtres humains. (Sami) D’autres répondantes et répondants, au contraire, avouent ne pas être intégrés, et Hicham va même jusqu’à généraliser son cas à l’ensemble de sa communauté. Je ne me suis pas trop intégré, ça je l’avoue. La plupart des Maghrébins ne se sont pas intégrés. Enfin pas les Maghrébins, les Marocains. Les Tunisiens sont plus intégrés que les Marocains, ça on se le dit même entre nous. Les Tunisiens restent plus longtemps que la plupart des Marocains. On dit que dès que tu as tes papiers, ton diplôme, tu retournes, il n’y a plus aucun intérêt à rester ici. Mourad reprend d’ailleurs son discours : les Maghrébins sont selon lui très bons sur le plan académique, mais éprouvent à l’Université Laval de grosses difficultés dans leur intégration sociale. Ici pour Québec, c’est une ville très petite, donc ce n’est pas une métropole comme Montréal ou Paris. Les gens viennent soit pour travailler parce qu’il ont déjà trouvé un travail avant de venir ici, soit pour continuer les études. Il faut savoir aussi qu’à l’Université Laval, il y a la plus grande communauté des étudiants tunisiens en Amérique du Nord. […]. Au niveau académique je pense qu’ils sont très bien éduqués et instruits, mais aussi on peut dire qu’une partie des Maghrébins ne sont pas très bien intégrés avec la société. 153 L’analyse de Mourad semble trouver écho dans la situation d’intégration sociale de Hayet et Maha, qui regrettent de ne pas être plus en contact avec la culture d’accueil. C’est une perception qui est pleine de peurs […]. Donc au début je me disais : Je vais faire un essai stage. Quand je suis arrivée ici et que j’ai vu comment ça se passait, je me suis dit : Impossible que je trouve un stage, donc je me suis dit que j’allais faire un essai. Après je me dis que si je veux chercher du travail, ça va être impossible vu que je suis voilée, que je suis Marocaine, etc. Donc c’est plus une perception pleine de peur. (Hayet) Je crois que je veux m'intégrer, sauf que… […] je ne sais pas comment expliquer ça. Je n'ai pas eu l'occasion d'étudier avec beaucoup de Québécois, de connaître beaucoup de Québécois pour m'intégrer plus, mais ça me dérangerait pas. Au contraire j'aimerais bien voir un peu comment ça se passe, vivre la culture québécoise. Là je viens de recevoir une invitation d'un ami québécois qui m'invite à souper samedi prochain. Ça serait ma première invitation ! […]. Je crois qu'il faudrait vraiment vivre avec les Québécois pour s'intégrer… (Maha) 5.2.3.5.2 L’INTÉGRATION SOCIALE : PAS UNE PRIORITÉ Pour beaucoup de répondantes et de répondants, et en particulier pour les répondants, l’intégration sociale n’est pas une priorité, et elle reste soumise à l’intégration académique. Khalid, même en parlant de l’intégration sociale, fait intervenir l’intégration académique : selon lui, s’il se considère actuellement bien intégré, c’est parce qu’il a en premier lieu réussi son intégration académique : « Une fois que les études vont bien, qu’on est sûr qu’on est sur la bonne voie, la vie devient plus facile ». Pour moi en venant ici, j’avais un objectif ciblé, c’était étudier, donc tout le reste ne m’intéressait pas. Pas ne m’intéressait pas, mais mon objectif premier était d’étudier, donc je ne m’intéressais pas à autre chose. Je n’ai pas fait de tourisme en venant. C’est presque à la fin de la session que j’ai fait du tourisme, que j’ai visité la ville, que je suis allé à Montréal etc. Pendant la semaine de relâche je n’ai rien fait de tout ça parce que comme je t’ai dit, je n’avais qu’un objectif, c’était étudier et réussir mes études, et ça me faisait beaucoup de stress. Je ne connaissais rien, je ne savais pas comment ça allait se passer et il était hors de question pour moi d’échouer. Et donc je me suis efforcé de faire tout ce qui était nécessaire pour ne pas échouer. 154 5.3 L’EXPÉRIENCE ACADÉMIQUE La deuxième dimension de l’intégration abordée est le côté académique : comment s’intègrent les étudiantes et étudiants rencontrés en cours ? Quels sont leurs rapports avec les professeurs et les autres étudiants ? Quelles ont été leurs difficultés ? Comment se considèrent-ils intégrés sur le plan académique ? 5.3.1 L’INSCRIPTION ET L’ADMISSION ET LES RAPPORTS AVEC LES PERSONNELS DE L’UNIVERSITÉ LAVAL : ENTRE SIMPLICITÉ, RAPIDITÉ ET RACISME Dans l’ensemble, toutes les répondantes et tous les répondants soulignent la facilité des démarches d’inscription. Plusieurs d’entre eux, Ahmed, Mourad ou encore Sami, ont été aidés par des amis ou de la famille déjà présents sur les lieux. Seule Yasmine a eu des difficultés pour s’inscrire au MBA qu’elle convoitait : admise pour un baccalauréat, c’est avec l’aide de son mari, étudiant à l’Université Laval et déjà familier du fonctionnement de l’institution, qu’elle a fait une nouvelle demande d’admission en MBA une fois arrivée à Québec. Concernant leurs rapports avec les différents personnels de l’Université Laval, la plupart des étudiantes et étudiants rencontrés se déclarent satisfaits. « J’apprécie bien le service des résidences, ils sont très accueillants, très compréhensifs » affirme Ahmed. Karim partage cet avis : « La chose qui me plait ici c’est la simplicité des procédures, tout est bien affiché, tout est bien… c’est beau ». Sami se fait cependant beaucoup plus critique vis-à-vis de la politique d’admission de l’université. Ici la majorité des gens qui débarquent, c’est avec des études probatoires. Pour un étudiant étranger, […] s’il n’obtient pas la moyenne à ses études probatoires, il est expulsé directement […]. C’est très rare que quelqu’un obtienne une dérogation. Après ça, après avoir payé les 4000 ou 5000 dollars, on te dit : On s’excuse, tu n’as pas pu. […]. Pour quelle raison ? Parce qu’ils savent qu’il ne va pas se plaindre. Il ne veut pas créer de tension avec son directeur et 155 tout ça. Parce qu’un Québécois […] fait valoir son droit à tout moment, à tout instant, alors qu’un étudiant étranger, étant donné qu’il ne connaît pas assez bien le système, on peut abuser de lui. Hicham fait d’ailleurs référence à cette politique lorsqu’il indique que la suite de son MBA était soumise à l’obtention d’une certaine note lors de sa première session à l’Université Laval. Moi au début j’avais une moyenne cumulative de 3.22 pour la première session. Je devais avoir au moins 3.22, c’était un autre élément stressant ! […] juste pour être admis définitivement, il fallait avoir 3.22. En plus moi j’avais choisi les 4 cours obligatoires et c’était vraiment l’enfer […]. La critique est d’ailleurs partagée sur un aspect : la conduite des personnels de certains programmes de MBA, taxés de racisme vis-à-vis des maghrébins qui représentent pourtant la quasi-totalité des effectifs dans certains programmes d’étude. En général, je ne suis pas le seul mais la plupart des Arabes, que ça soit des Marocains ou des Tunisiens, ils ne sont pas contents, ils disent qu’ils sont racistes. […] Dans les autres départements, par exemple (nom d’un département) et tout ça, il y a beaucoup d’Arabes qui sont chargés de cours mais dans notre département non, alors que ce sont de bons étudiants. Ils partent dans les universités anglophones et ils travaillent là-bas. Alors qu’ici ils ne leur donnent pas une chance. (Hicham) Je pense à la direction du programme, ils ne sont pas compréhensifs, surtout avec les étrangers ils sont… corrects, corrects avec les étrangers, mais ils sont flexibles avec les Québécois. C’est une sorte de discrimination que je vois moi. (Ahmed) 5.3.2 LA MÉCONNAISSANCE DU SYSTÈME D’ÉDUCATION D’ACCUEIL Dans la partie théorique, j’ai évoqué l’étude de Boyer et Sedlacek (1988) sur les facteurs qui pouvaient influencer l’intégration académique des étudiants étrangers : la méconnaissance du système éducatif dans lequel ils s’insèrent, le nouveau système de diplômation et de vocabulaire (les crédits, les unités, etc.), le type d’examen proposé (les questionnaires à choix multiples par exemple). C’est ce que Karim exprime : s’il a une expérience de travail qui lui permet d’être familier des rouages des autres systèmes éducatifs, il n’en est pas de même pour la plupart des étudiants qui arrivent au Québec et qui se trouvent confrontés à un système éducatif tellement différent de celui dont ils proviennent qu’ils ont des difficultés d’adaptation et que cela peut conduire à un échec dans leurs études. 156 Heureusement que je travaille dans un domaine qui m’a permis de savoir comment ça se passe ailleurs à l’étranger, dans n’importe quel pays, parce que j’étais responsable d’un centre d’information et d’orientation sur les études, c’est comme l’ONISEP22 en France, donc ça m’a permis de mieux comprendre comment le système marche. Donc voilà, j’étais un petit peu avantagé. Mais c’est pas comme tout le monde, parce qu’il y a des Marocains qui connaissent pas comment ça se passe ici, donc ils trouvent un peu de difficultés. Pour tous les autres, au stress du changement d’environnement s’est ajouté celui d’être confronté à un système dont ils ne connaissaient rien. La première session est alors une session d’adaptation qui va leur permettre de reprendre confiance en eux. Je n’étais pas au courant de rien du système canadien, je ne savais pas comment ça se passait. Déjà on me parlait d’un cours de trois crédits et ça me stressait, parce que je ne savais pas de quoi il s’agissait. Aucune connaissance. Et c’est un des facteurs pour lesquels j’ai abandonné (nom de la matière) Parce que tout s’est accumulé en même temps. Stress d’avoir quitté la famille, stress des études. Tu es là, tu payes une fortune, donc il faut que tu réussisses, etc. Je n’étais avec personne, je ne savais rien, donc il fallait que je change. (Khalid) On peut dire que, pour les études, la première session ce n’était pas très facile pour plusieurs raisons. La première c’est que c’était un nouveau système d’éducation. […]. Il y avait aussi la charge de travail qui était assez importante. Il y avait aussi le changement d’environnement qui était aussi important aussi. Je pense qu’après une session on arrive quand même à s’adapter un peu. En tout cas, la première session je me rappelle que c’était pas facile. (Mourad) Le système est complètement différent du mien, donc dans les travaux je me perdais parce que j’étais perturbée sur le plan personnel, je n’étais pas à l’aise. […]. C’était comme un dilemme. En même temps j’étais trop perturbée sur le plan personnel et ça influençait mes études, je faisais les trucs à la dernière minute, en même temps au fond de moi je suis […] le genre qui est très ambitieuse, qui ne veut pas avoir le minimum de note, qui veut toujours avoir la meilleure note. Et je me retrouvais dans la situation de faire le minimum d’effort, donc j’avais pas forcément les résultats que moi je voulais au fond de moi. (Hayet) Cette méconnaissance se reflète d’ailleurs par le fait que plusieurs des répondantes et répondants ont changé de programme en arrivant, à la suite de plusieurs types de contraintes. Pour Ahmed, c’est l’obligation posée par l’Université Laval de suivre des cours compensatoires avant de commencer son MBA qui l’a conduit à changer de concentration. J’étais au programme en scolarité probatoire […] parce qu’ils m’ont donné beaucoup de cours probatoires donc je n’étais pas motivé pour les suivre. De plus le gouvernement tunisien ne donne pas d’exemption pour les cours probatoires, donc du côté financier je n’ai pas les fonds nécessaires pour faire 6 ou 7 cours. Donc j’ai patienté depuis l’hiver jusqu’à la session d’automne pour commencer à la session d’automne mon MBA finance. 22 L’ONISEP, Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions en France, est un organisme qui fournit des informations sur l’orientation, les études et les métiers, du niveau secondaire jusqu’au supérieur. 157 Pour Mourad et Khalid, c’est la méconnaissance du contenu de l’enseignement qui a été à l’origine de leur changement de concentration. Moi j’ai changé principalement parce que dans la section de (nom de la section) il y avait beaucoup de cours que j’avais faits avant en Tunisie et je n’ai pas trouvé ce que je voulais. Donc j’ai changé pour acquérir de nouvelles compétences et faire de nouvelles choses. (Mourad) En venant ici je me suis rendu compte que […] c’était trop mathématique. […] je ne voulais pas prendre le risque […] donc j’ai décidé de changer et j’ai fait des études libres en management. Management c’est la même chose partout dans le monde. […] ça s’est bien passé, donc j’ai repris confiance. Maintenant je connais le système. Après j’ai repris (la concentration visée au départ). Parce que c’est mon profil. (L’autre concentration) c’était une solution pour le fait que je ne pouvais pas suivre les ingénieurs. (Khalid) Hicham a connu le même problème que Khalid, et il a dû étudier les mathématiques parallèlement à ses cours pour pouvoir suivre. Mais quand je suis venu ici, (nom de la matière) c’était plus mathématique parce que je fais des cours avec des docteurs en maths et tout ça, c’est plus quantitatif. Ce n’est pas comme au pays. J’ai eu des problèmes au début. J’ai eu des problèmes, j’ai dû me rattraper. En même temps j’étudiais (nom de la matière) et des cours de maths. Les deux en même temps pour me rattraper. Maha a elle aussi été confrontée à un problème d’orientation en arrivant, car elle s’est aperçue que le programme qu’elle voulait suivre et qui devait ouvrir l’année de son arrivée ne serait finalement pas dispensé, étant donné qu’elle était la seule à vouloir le suivre. Elle va finalement finir le MBA commencé pour ensuite suivre la formation pour laquelle elle était venue, ce qui, elle l’espère, lui permettra de plutôt poursuivre ses études dans le Canada anglophone. Donc j'ai senti que ce que je voulais faire n’était pas là au milieu de mon cursus mais voilà, c'était juste un problème…il y avait pas un manque de personnes, on n’allait pas quand même ouvrir un programme pour une personne, parce que j'étais la seule qui demandait ça. Finalement, un étudiant, Sami, a changé de programme après une session lorsqu’il a vu qu’il en avait la possibilité et que cela allait bonifier son curriculum vitae, d’autant plus que le MBA dans cette nouvelle matière était mieux coté que ceux dispensés par les universités anglophones de Montréal. 158 Théoriquement on pense qu’on devrait s’orienter vers la spécialité qu’on a déjà faite, et pas une autre spécialité. Moi en venant ici j’avais remarqué qu’il y avait des gens qui avait carrément changé, c’est une autre spécialité qu’ils font en maîtrise. C’est pour ça que… en plus en ayant de l’intérêt pour tout ce qui est haute technologie, j’ai décidé de changer de domaine. C’est plus intéressant, et en plus ici la formation dans le domaine de (matière) n’est pas aussi poussée que celle de McGill ou Concordia. Il y a une certaine différence de niveau c’est-à-dire qu’on n’a pas intérêt de choisir une formation ici à l’Université Laval qui ne va pas donner un plus au niveau du cursus universitaire d’étude. 5.3.3 LE CHOC DE LA PREMIÈRE SESSION Hayet est la seule à exprimer une désillusion ressentie à l'arrivée : le système d’enseignement dont elle avait rêvé n’avait rien à voir avec celui auquel elle se trouvait confrontée. Je ne voyais pas ce dont je rêvais, une classe où il y a les premiers de la classe qui sont connus pas le prof, une certaine concurrence en classe, une certaine dynamique. J’imaginais que les étudiants vont tous participer, qu’il y a une dynamique, il y a une concurrence, il y a un certain niveau, et je voyais le même panorama. Les étudiants qui sont là et qui regardent le prof, le prof qui parlait. C’était ennuyeux, les gens ne participaient pas trop. Le principal problème mentionné par Hayet est le fait d’avoir été mal conseillée par les personnes de son programme dans son choix de cours. Ce n’est toutefois qu’avec du recul qu’elle s’en rend compte, maintenant qu’elle connaît mieux comment fonctionne le système et qu’elle a pu voir comment faisaient les autres étudiantes et étudiants, les Québécois surtout. Après, en comprenant les rouages du système, j’ai remarqué que les Québécois, les cours qui sont obligatoires, qui sont difficiles, ils les prennent pas au début du MBA. C’est à la fin, après avoir acquis une expérience dans les travaux etc. Moi je me suis ramassée avec tous les cours obligatoires pendant les deux premières sessions. Une autre source de difficultés, à laquelle les répondantes et répondants rencontrés ne s’attendaient pas à être confrontés, étant donné que la plupart avaient choisi de venir au Québec pour la proximité langagière, est la langue québécoise. « On me disait de voir sur le babillard, je savais même pas ce que c'était un babillard » dit Maha. Karim avoue, lui qui finit au moment de l’entretien sa première session, qu’il ne comprend toujours pas ce que lui dit un de ses professeurs en cours, et Yasmine soulève elle aussi de ce problème. 159 Au début j’ai eu un peu de mal avec la langue, c’est-à-dire que ce n’est pas le français, parce qu’on parle français en Tunisie, c’est le québécois ! J’ai deux cours en classe et deux cours par Internet. Et les deux profs sont des Québécois, donc ils parlent vraiment en Québécois et c’était un peu difficile. Même si j’ai passé l’été ici à essayer de comprendre, à droite à gauche, ils ont leur propre langage ! Hicham a lui aussi connu ce problème dans un cours notamment, dans lequel il n’avait pas les préalables pour pouvoir suivre dans de bonnes conditions. Surtout un cours […], c’était comme du russe ou quelque chose comme ça. Parce que le prof parlait trop vite et les autres, les Canadiens avaient déjà fait ce cours au bac. C’était un approfondissement de ce cours là et moi je ne comprenais rien parce que je n’avais jamais vu […] ces choses là et c’était trop difficile pour moi. Mais au-delà de ce problème de langue, il y a aussi celui de la confrontation à un nouveau langage académique, avec un nouveau vocabulaire à assimiler. Khalid est le plus explicite concernant cette difficulté rencontrée. Ici lorsque le prof vient au début du cours, dans la séance introductive, il t’indique énormément de références, il dit que le cours est sur WebCT, […] et je ne sais pas ce que c’est que WebCT, on me dit qu’il faut avoir un NIP et une adresse, mais c’est quoi ça ? Ça veut dire que si je ne les connais pas, je ne vais jamais avoir mon cours. Enfin, plusieurs étudiantes et étudiants rencontrés mentionnent que les professeurs font souvent comme si tout le monde connaissait le fonctionnement d’un cours et beaucoup de choses sont implicites. C’est ainsi que plusieurs répondants soulèvent le problème des bibliographies immenses données dans chaque cours, et que chacun pensait avoir à lire dans son intégralité avant la fin de la session. […] le prof, surtout dans la séance d’introduction parce que c’est le plus important, lorsqu’il indique par exemple les pages de références, il doit savoir qu’il y a des étudiants qui lorsqu’ils regardent ces pages et ces titres se disent : Waow, je dois lire tous ces ouvrages ! […]. Et finalement lorsque je me suis renseigné, j’ai posé des questions etc., je me suis rendu compte qu’effectivement en se concentrant sur les acétates et en les travaillant bien, et que lorsque tu as des difficultés, tu te réfères à l’ouvrage pour comprendre l’élément en question, c’était largement suffisant. (Khalid) 160 5.3.4 LA CONCEPTUALISATION DES ÉTUDES 5.3.4.1 L’ENSEIGNEMENT NORD-AMÉRICAIN ET L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS Lorsqu’il leur est demandé s’ils voient beaucoup de différences dans la façon de conceptualiser les études par rapport à ce qu’ils avaient connu jusque là, les étudiantes et étudiants rencontrés ne manquent pas de comparer le système nord-américain et le système français ; il a en effet été montré dans la partie méthodologique que les systèmes d’enseignement tunisien et marocain étaient directement hérités de la colonisation française. Le système nord-américain c’est pas le système français. […]. C’est pas le truc des travaux, le truc des crédits, le truc de semestres, le truc de sessions, des différentes sessions ou la session d’après il y a pas de lien, ni sur le plan des résultats ni sur rien rien rien. Sur le plan continuité des études, c’est rarement que tu trouves un cours avec une première partie et une deuxième partie. (Sami) Le Maroc, le système qui règne, c’est le système francophone, dans l’éducation, dans tout. […]. Ça suppose que toutes les lacunes qu’on a dans notre système d’éducation, la rigidité, ce que moi je déteste dans le système francophone et qu’on a nous dans notre système d’éducation, la rigidité dans la notation, la rigidité dans la façon de voir les cours, c’est différent du système anglophone et du système américain […]. Ils sont plus flexibles. Le système français, la rigidité, le formel. Pour rien. Et la preuve, pourquoi moi je veux aller du côté anglophone, c’est que les Québécois sont trop influencés par la culture française, donc ils ont toujours cette vision de l’étranger, ces stéréotypes, le fait qu’ici par exemple à Laval ils n’acceptent pas beaucoup de profs étrangers. Ce genre de sensibilités sont des sensibilités purement françaises. (Hayet) Cette flexibilité dont parle Hayet et le fait que l’enseignement nord-américain soit beaucoup plus ancré dans le concret que l’enseignement français est une thématique reprise par Sami. Selon lui, il s’agit pendant son MBA d’acquérir non pas un savoir général mais des compétences directement transférables sur le marché de l’emploi. Tu ne sens vraiment plus la distance entre le professionnel et l’académique. Tu sens que tu es en train de produire un livrable qui pourrait servir à quelque chose. […]. Même le style de cours, c’est-à-dire que ce sont des cas réels, tu lis des articles et tout ça et tu vois plein de monde dans le secteur d’activité. Ce n’est pas vraiment la formation que j’avais eue en Tunisie parce que tu ne parles pas de telle ou telle entreprise mais tu parles du système en général, tu parles de telle chose qui peut se dérouler, telle chose, telle chose, tu as plusieurs scénarios. Mais voir ça en grandeur nature, ce n’est pas le cas. (Sami) 161 En même temps, Sami se fait très critique de cette façon de faire, disant que l’objectif de l’enseignement en Amérique du Nord n’est pas selon lui de comprendre ce qu’on fait, mais juste d’apprendre à faire les choses. Moi je n’ai pas confiance dans leurs ingénieurs par exemple dans leur système. Je n’ai pas confiance dans leur système. Je vous assure, je n’ai pas confiance dans leurs médecins. Parce qu’ils font du pratique, ils pensent que la pratique prime avant tout. Certes, mais il y a aussi la formation académique et ce n’est pas en testant les choses qu’on peut les réussir du premier coup. Il faut avoir un minimum de théorique. Eux, le théorique, ils ne le reconnaissent pas. Pour eux, c’est la logique du pilote d’avion. Tu voles 200 heures et tu es capable d’être un pilote d’élite. 5.3.4.2 LA CHARGE DE TRAVAIL PERSONNEL La différence de charge de travail personnel est un élément récurrent dans les entretiens. Deux éléments interviennent alors : le fait que la vérification des acquis se fasse sous la forme d’un contrôle continu, et que la charge de travail soit répartie de manière différente entre le professeur et les étudiants par rapport à ce à quoi ils étaient habitués. Les étudiantes et étudiants rencontrés se déclarent plutôt satisfaits du contrôle continu comme mode de validation des acquis, car ceci les oblige à rester à jour dans leurs travaux et à ne pas prendre de retard. […] au pays on avait un seul examen final. […]. Ils te donnent une semaine de révision et c’est cumulatif depuis le début de l’année. Il faut avoir une bonne mémoire ! Ici d’un côté c’est plus facile parce qu’il y a les intras et puis le final c’est juste une session, 3 ou 4 mois. (Hicham) Il y a tout le temps des rapports à faire chaque semaine, on est toujours à jour, on nous met toujours à jour. On ne peut pas accumuler du retard […]. (Yasmine) L’autre constante dans les entretiens est la répartition différente de la charge de travail entre le professeur et l’étudiant par rapport à ce qu’ils ont connu dans leur système d’enseignement. C’est à l’étudiant de fournir tout l’effort car il n’est pas pris en charge en classe par le professeur : « On travaille beaucoup ici, beaucoup plus » (Yasmine). La quasi-totalité des étudiantes et étudiants rencontrés font cette constatation : seule Loubna, qui ne suit pas le même cursus, ne le mentionne pas. Il s’agit peut-être d’une spécificité de l’enseignement dispensé dans la Faculté des sciences de l’administration (FSA). 162 Ici les profs ne fournissent pas d’efforts pour faire comprendre aux étudiants, à part quelques profs. Ils viennent dans la classe, ils bavardent, ils font n’importe quoi et ensuite ils sortent. C’est à l’étudiant d’essayer de comprendre et de faire lui-même le cours. (Ahmed) La première des choses que j’ai remarquée, c’est que si j’ose dire, au Maroc ou d’ailleurs en France, il y a une prise en charge en classe. Tu fais des cours en classe et ailleurs tu fais un petit effort, alors qu’ici tu peux même ne pas assister au cours mais ailleurs tu dois bosser énormément. (Karim) Mais ce qui est plus difficile c’est que le prof ne te donne rien. Il vient, il met ses acétates et c’est à toi de te débrouiller, de lire les articles, de lire le livre, tout ça. Tu dois faire la recherche. Ça c’est un bon point parce que quand tu fais de la recherche tu apprends beaucoup mieux, tu assimiles beaucoup mieux. (Hicham) 5.3.4.3 LA NOTATION La différence de notation est enfin un élément souvent avancé dans ce qui distingue l’enseignement nord-américain de l’enseignement tunisien ou marocain : « Les notes sont plus positives disons ! » dit Yasmine. Hayet souligne elle aussi cet élément qu’elle dit beaucoup apprécier ici. Le prof, si tu remarques par rapport à la France, ne suppose pas dès le début que le maximum c’est 17 sur 20. Non, pour lui, ce qui est normal, c’est que dès le début tu as 20 sur 20, et il te retranche des points en fonction de ce que tu n’as pas fait. Donc par rapport au système français où quand tu as 16 sur 20 c’est que tu es très fort, ici si tu as 16 sur 20 c’est que tu as perdu 4 points et qu’il y a quelque chose qui va mal. 5.3.5 LES RAPPORTS AVEC LES PROFESSEURS 5.3.5.1 DES PROFESSEURS ACCESSIBLES ET DISPONIBLES L’accessibilité et la disponibilité des professeurs est un élément sur lequel s’entendent toutes les étudiantes et tous les étudiants rencontrés. Toutes leurs remarques sont teintées de cette différence culturelle dont parlait Hofstede dans ses différentes dimensions de la culture nationale : la distance hiérarchique. (Le rapport avec les professeurs) est super bon, si tu as besoin de quoi que ce soit, leur porte est ouverte, donc pas de problème là-dessus jusqu’à présent. (Karim) Moi j'ai senti un bon encadrement de la part des profs au départ, ce qui était vraiment très important pour nous, on avait rien compris du système, on savait pas comment ça se passait. Le MBA déjà, quand tu dis MBA c'est difficile et si tu comprends rien en plus à comment ça se passe ! (Maha) 163 Si tous savent que les professeurs sont accessibles, ce n’est pas pour autant que les répondantes et répondants font appel à leurs services en dehors des heures de cours. La gêne et l’habitude de se débrouiller par soi-même font qu’ils avouent ne pas savoir profiter de cette disponibilité. Même si je sais ce qu’il faut faire, ce n’est pas toujours évident pour moi de faire ce que je sais qu’il faut faire. C’est-à-dire que je sais que comme font les autres étudiants, par exemple avant de faire un travail il faut aller voir le prof, lui dire : Est-ce qu’il faut faire ça ou ça ?, J’ai fait ça, valider avec lui parce que ça aide après à ce que tu fasses un truc auquel lui il s’attend. Et je ne fais pas ça. Je ne fais pas ça. Je lui livre son travail comme tout le monde, mais je n’ai pas toute cette interaction-là. À peine cette session où dans un seul cours, moi et mon groupe on a validé un truc avec le prof. Mais sinon, non. Même si je sais que je dois faire ça, je ne le fais pas. (Hayet) Avec les profs il y a un autre point, c’est qu’on n’a pas l’habitude d’aller voir les profs à chaque fois qu’on ne comprend pas quelque chose. Les autres, à chaque fois qu’ils ont des difficultés ils partent directement au prof pour qu’il leur explique, alors que moi je reste à réfléchir, à réfléchir, à me torturer jusqu’à ce que je trouve la solution. Alors que normalement je devrais aller voir le prof. Mais au Maroc c’est comme ça, le prof il te donne le cours et il part. Il n’y a pas d’heures de bureau, il n’y a rien du tout. (Maintenant) je prends de temps en temps des rendez-vous mais ça ne dure pas longtemps, peut-être 5 minutes. Avant par exemple j’attends devant la porte, il y a un Québécois et ça dure 45 minutes. C’est trop ! Moi j’entre et je lui montre cinq minutes, tac tac et je sors. Je ne sais pas ce qu’ils font pendant 45 minutes ! (Hicham) 5.3.5.2 UNE RELATION SANS AMBIGUITÉ Marque selon Hofstede d’une société individualiste dans laquelle le professeur est un expert qui transmet des vérités impersonnelles et où la récompense (c’est-à-dire la note) est automatique si elle est méritée, la relation des étudiants avec les professeurs est sans ambiguïté. Le professeur n’est pas une source de stress, il fait son métier et son appréciation de la personnalité de l’étudiant n’entre pas en compte dans sa notation. Cette relation plus franche avec les professeurs est quelque chose que disent beaucoup apprécier les étudiantes et étudiants rencontrés, habitués qu’ils étaient à craindre leurs professeurs. Par rapport à mon pays c’était plus relax. En plus tu peux tutoyer les profs, même si moi je ne le fais pas. Mais bon c’était plus simple parce que les profs au Maroc avaient beaucoup trop de pouvoir, si tu ne leur plaisais pas ils pouvaient te recaler. Là si tu travailles, ça va. Si tu travailles et que tu mérites la note, ils te la donnent. Ce n’est pas comme au pays. Au pays, tu travailles, mais tu n’es pas sûr à 100 % du résultat. (Hicham) Le rapport avec le professeur c’est à l’opposé du rapport avec le professeur au Maroc. Au niveau du Maroc, le professeur a un pouvoir absolu, et tout le monde a peur de lui. Si jamais il est mécontent, si jamais il est furieux contre toi, ça veut dire que tu vas échouer ton année. Ça veut dire que même si tu es un génie mais que ton prof n’est pas à l’aise avec toi, tu te fais des soucis pendant toute l’année. […]. Ce n’est pas qu’on se fout des profs ici mais c’est une 164 relation très claire, très nette. Le prof est là pour donner un cours. Un étudiant est là pour recevoir un cours. Ça s’arrête là. […]. C’est une source de stress dans les études au Maroc, le prof. Ici non. Au contraire, si tu poses des questions, le prof essaie de t’éclaircir les choses, même si tu poses des questions bêtes parfois, il est serviable, il fait son travail. (Khalid) Au niveau des rapports avec les profs, je n’ai pas une bonne relation avec les profs, c’est une relation étudiant-prof, c’est tout. La seule chose qui nous unit, c’est les travaux et les devoirs, c’est tout. (Ahmed) La relation liée à la supervision pédagogique ne pose pas non plus de problème particulier pour ceux qui ont déjà un directeur de recherche. Seule Loubna évoque un problème avec sa directrice, lié selon elle à leur différence de sensibilité. 5.3.5.3 UNE RELATION DISCRIMINANTE ? Ainsi qu’il en a déjà été fait mention, certains programmes de MBA semblent être plus discriminants vis-à-vis des étudiants étrangers. Cette discrimination est aussi ressentie dans le rapport avec les professeurs, notamment en ce qui concerne la notation : ceci serait dû au fait selon Sami que la déférence marquée par les étudiants maghrébins envers les professeurs, et qui est habituelle dans leur pays étant donnée la forte distance hiérarchique présente, serait prise pour une marque de faiblesse. Il faut l’avouer, surtout avec l’hypocrisie qu’il y a installée ici à l’Université Laval, parce qu’il y a une différence entre l’attitude d’un étudiant étranger et d’un étudiant québécois. L’étudiant québécois, lorsqu’il va trouver qu’il a obtenu une note en deçà de ses attentes, il va toujours frapper à la porte du professeur, il va le gêner, il va l’ennuyer. Ça m’a même été dit par un professeur qui est étranger mais qui est de nationalité canadienne. Pour qu’il cesse de l’embêter, il doit lui donner la note qu’il attend dès le premier rendu. Mais pour un étudiant étranger il y a toujours cette distance entre un étudiant et un professeur et une sorte de respect, il va respecter la note et garder le silence. (Sami) La différence c’est que les profs ici sont un peu discriminants par rapport aux étudiants étrangers, surtout à la FSA. […]. Il n’y a pas de chose formelle qui mentionne cette discrimination mais informellement, dans le comportement des profs on sent cette discrimination. (Ahmed) 5.3.5.4 LE TRAVAIL EN LABORATOIRE : LES PROFESSEURS EMPLOYEURS En ce qui concerne le travail en laboratoire, peu de répondantes et répondants sont concernés puisque seuls Maha, Loubna et Sami fréquentent un centre de recherche. Maha commence tout juste son travail au moment de l’entretien, et n’a donc aucun élément à 165 fournir. Loubna quant à elle est très contente de son expérience, et elle se sent valorisée en tant qu’étudiante avec un passé académique différent. Pour tout ce qui est contrat, moi je suis jusqu'à cette session fascinée par le respect qu'on a des étudiants étrangers pour ça. Quelque part ils ont compris qu'on a une formation différente de la formation québécoise, je ne dis pas supérieure ou inférieure mais elle est différente. En tout cas au département ce qui se passe avec moi, j'ai vu que plusieurs profs m'ont accordé des contrats juste pour profiter de cette différence. […]. Et en plus, ils respectent énormément notre sérieux. Et ça, c'est comme une forme de différence qu'ils ont remarquée, et ça ce n'est pas pour nous sanctionner, au contraire c'est pour nous aider à nous intégrer. Au contraire, Sami ressent beaucoup d’hostilité de la part des Québécois, étudiants et professeurs, présents dans son laboratoire, même si la majorité des étudiants y sont Maghrébins. Il assimile ceci à un refus d’accepter sa religion, d’autant plus que sa sœur, qui porte le voile, y travaille aussi. Je n’ai pas de problème avec les gens qui s’y trouvent, parce que principalement, c’est plus qu’à 80 % des Maghrébins. Et personnellement je n’ai pas de problème avec les Québécois. J’ai des amis, je les considère vraiment comme des amis. Mais encore j’ai des problèmes avec les Québécois, parce qu’eux ils ont des préjugés. Ils ont des préjugés et ils ont de l’hostilité. Je vois vraiment de l’hostilité, même s’ils essaient de la cacher. Le problème, c’est que cette hostilité là, ce n’est pas parce que je n’arrive pas à m’intégrer. Malheureusement, ce sont des islamophobes. Parce que vous avez telle pratique religieuse, même si tu ne l’obliges pas à faire quoi que ce soit […]. 5.3.6 LES RAPPORTS AVEC LES AUTRES ÉTUDIANTS 5.3.6.1 ENTRE DISTANCE ET ENTRAIDE La perception de la relation en cours avec les étudiantes et étudiants québécois est clairement partagée. Pour six des répondantes et répondants, à savoir Yasmine, Maha, Loubna, Sami, Karim et Mourad, il n’existe aucune différence marquée selon la nationalité dans les relations en cours. Avec les Québécois, les non Québécois, les étrangers, les Maghrébins, il n’y a pratiquement pas de problème avec les gens qui t’acceptent comme tu es. (Sami) Tu ne peux pas faire un jugement parce que ça dépend de la personnalité de chacun, abstraction faite de son origine, qu’il soit Québécois ou Français ou Marocain. Je peux ne pas m’entendre avec un Marocain et m’entendre avec un Québécois, je peux m’entendre avec un Québécois et pas avec un Français, ça dépend. (Karim) C’est super bien. Ça dépend du niveau… j’ai de bonnes relations avec les Marocains, des Tunisiens, même des Québécois, des Français. Tout se passe bien. Il y a pas de problème. (Mourad) 166 Hayet, Ahmed, Khalid et Hicham estiment quant à eux que les étudiants ayant une autre nationalité que la leur, et en particulier les Québécoises et Québécois, gardent envers eux une certaine distance : « Ils ne veulent pas communiquer avec les étrangers, ils gardent une marge de sécurité » dit Ahmed. Khalid explique cette réaction par l’individualisme caractéristique de la culture québécoise. Distance. C’est-à-dire distance psychologique. […] Ici, si tu n’as pas des affinités personnelles avec quelqu’un, tu ne peux pas venir lui parler, lui adresser la parole. Il y a une distance plus grande. Parce que les gens sont plus individualistes. C’est une règle du monde occidental en général. Les gens sont plus individualistes que dans les pays sous développés, et encore plus dans les pays musulmans. […] Je dis qu’il y a plus de socialisme si tu veux au Maroc qu’ici. (Khalid) En cours le premier jour lorsque je suis rentrée j’ai remarqué que toute la classe me regardait du fait que je suis voilée. Je sentais que j’étais très mal à l’aise. (Hayet) C’est Khalid aussi qui nuance le plus son appréciation. Malgré cette « distance psychologique » que les étudiants québécois mettent entre eux et lui, il a quand même des contacts assez réguliers avec eux et il en a profité pour aborder le sujet. Ce qu’il dit est intéressant dans la mesure où cela vient remettre en question le fait communément admis que les personnes issues de sociétés collectivistes, tels les Maghrébins, ont en eux cette qualité qu’est la facilité d’entrer en contact. Peut-être que ça pourrait t’aider, une fois j’ai abordé ce sujet avec des Canadiens, qui m’ont dit qu’il y a beaucoup de Maghrébins qui sont distants. Donc c’est le contraire, tu vois ? C’est qu’eux, ils percevaient les étrangers comme des gens distants qui ne voulaient pas avoir de relation avec eux. Peut-être que la raison, c’est que les autres se disent la même chose. Tu vois ? (Khalid) Enfin, Khalid mentionne que l’environnement scolaire qu’il a trouvé en arrivant à l’Université Laval est plus concurrentiel que celui qu’il connaissait au Maroc. Les étudiants québécois sont selon lui plus sérieux et plus studieux. Par rapport aux étudiants, il y a une chose qui est claire, le pourcentage des étudiants dans une classe qui est studieux, qui travaille avec acharnement est nettement plus que le pourcentage des étudiants qui le font au Maroc. Dans une classe de 100 étudiants, au Maroc tu vas trouver 15, 20 à 30 étudiants qui sont bosseurs. Ici tu vas en trouver 90. […]. Donc le fait d’exceller dans les études en termes de majeur ou des choses comme ça au Maroc est plus facile qu’ici. Parce qu’ici, l’environnement est plus concurrentiel. 167 5.3.6.2 UN PROBLÈME SPÉCIFIQUE À LA FSA : LA FORMATION DES GROUPES DE TRAVAIL Plusieurs répondantes et répondants soulèvent le problème de la formation des groupes de travail, aléatoire ou choisie. Lorsqu’ils arrivent, ils ne connaissent ni le système ni les autres étudiants, et ils souffrent parfois d’une mauvaise réputation quant à leurs capacités de travail auprès des étudiantes et étudiants québécois. Ils se retrouvent entre étrangers, ou comme pièces rapportées au sein d’un groupe composé de personnes qui ne vont pas leur laisser leur chance. À la fin du cours le prof nous a dit : Il faut que vous vous mettiez en équipe. Moi je trouve très bête de la part de certains profs… ils ne tiennent pas en considération qu’il y a des étrangers, qu’il y a plusieurs facteurs qui rentrent en jeu. Et donc la solution optimale serait de faire des groupes de façon aléatoire. Parce que les profs savent pertinemment que dans une classe, il y a des clans. […] en une seconde il a dit : Faites les groupes, comme ça tout s’est mis en groupe. Tout, tout le monde, en une seconde. (Hayet) Hayet raconte alors qu’elle s’est imposée dans un groupe dans lequel elle a senti qu’elle n’était pas la bienvenue, ce qui fait qu’elle a été un élément passif pendant toute la session : « ils ont pris l’image que j’étais une étrangère stupide, en même temps elle met quelque chose sur sa tête, elle est bizarre et puis elle ne fout rien, on ne sait pas qu’est-ce qu’elle fait ici ». C’est dans un groupe de travail, le seul d’ailleurs formé de façon aléatoire, que le climat a été propice au travail. Par contre dans un autre groupe, dans un cours de la première session, il y avait moi… Et par coïncidence c’était un groupe fait pas le prof aléatoirement. Et moi j’aime trop les trucs qui sont faits par le hasard. […] Et ça s’est très très très bien passé. […] Par contre dans tous les autres groupes j’ai rien foutu. Dans tous les autres groupes. Il ne s’agit cependant pour Hayet que d’un problème caractéristique de la première session : « la deuxième session, la session d’été et puis cette session, les travaux de groupe ça ne s’est pas passé de la même façon. Ça a changé. Je n’avais plus d’embarras ». D’autres étudiantes et étudiants n’ont d’ailleurs pas connu ce problème et ont connu dès leur première session de bonnes relations au sein de leurs groupes de travail. Ça se passe très bien. J’ai des travaux par exemple avec des collègues en groupe, il y a des Français, un autre Tunisien, des Québécois. Ça se passe très très bien, on a une très très bonne relation. On s’entend très bien. C’est vraiment… Il y a d’autres groupes qui ont montré qu’il y 168 a des lacunes entre eux mais nous c’est vraiment… on s’entraide entre nous dans la matière… (Yasmine) Le problème se pose aussi pour la formation des groupes de travail dans les cours en Intranet : ce mode d’enseignement ne permet pas aux étudiants étrangers de rencontrer d’autres personnes, et les cantonne à des groupes dans lesquels les consonances des noms vont être celles de leur pays d’origine. Sami note que cette réaction n’est pas caractéristique des Québécois : toute personne va selon lui aller plus naturellement vers ceux avec lesquels elle sait qu’elle a plus d’affinités. Lorsque tu as à choisir, tu vas voir la liste des noms qui sont présents dans ce cours en mode Intranet et là tu dois choisir des gens. Et si tu trouves quelqu’un qui est un ressortissant maghrébin, tu vas choisir des noms maghrébins, ceux qui sont Africains, des noms africains, ceux qui sont Français, des noms français. Sauf si tu es tenté par l’idée d’aller chercher l’autre. C’est seulement ça. Mais si tu as peur, que tu veux réussir, que tu as des contraintes, tu veux choisir quelqu’un avec qui tu peux t’intégrer dès la première rencontre. (Sami) 5.3.7 LES STRATÉGIES D’INTÉGRATION ACADÉMIQUE Tous les étudiants ne font pas cas de stratégies mises en œuvre pour faciliter leur intégration académique. C’est par exemple le cas d’Ahmed, ou encore de Khalid. Je laisse toujours les choses au hasard. Il n’existe pas chez moi de stratégie bien définie pour s’intégrer. (Ahmed) J’ai suivi la même façon d’étudier qu’au Maroc. Et ça marche, ça marche magnifiquement bien. Franchement je travaille de la même façon, être à jour, pour préparer l’examen, apprendre ce qu’il faut, faire beaucoup d’exercices, surtout en finance parce que c’est une matière quantitative. C’est tout, c’est ce que je faisais au Maroc. (Khalid) Sami semble être dans le même cas : « Personnellement, j’essaie de me comporter d’une manière assez ordinaire, assez normale et d’instaurer des liens de respect entre moi et les professeurs et les autres étudiants ». Il souligne cependant qu’il ne veut faire aucune concession sur sa personnalité ou ses croyances pour s’intégrer dans son milieu académique : le fait par exemple de participer aux activités de Noël ou d’Halloween organisées par son programme, sachant qu’il va y avoir de l’alcool, ne lui semble pas acceptable : « Il y a malheureusement plus de la moitié qui acceptent de s’intégrer de cette manière ». 169 Karim, en sa qualité « d’aîné », a de par son expérience professionnelle une connaissance déjà éprouvée des autres systèmes d’enseignement, et il a suffisamment de recul pour savoir demander de l’aide et ne pas être pris au dépourvu. À vrai dire le côté scolaire je crois pas avoir eu de problème parce qu’à chaque fois que j’ai besoin de quelque chose je prends le téléphone, j’appelle et on me répond, ou je me déplace sur place. Donc je ne crois pas avoir eu de problème là-dessus. […]. Je crois que c’est la flexibilité du système, je crois que le système universitaire a une bonne politique en matière d’information. Si la seule stratégie de Sami est selon lui de s’être adapté au niveau du français demandé dans les travaux à rendre (« Le Français a des manières de rédaction à la française. […] pour le deuxième rendu je me suis ajusté. C’est-à-dire que j’ai utilisé un français vraiment très très très facile »), Mourad a quant à lui réfléchi, en se basant sur l’expérience de sa première session, sur la meilleure manière de s’intégrer. Sa première stratégie est de diversifier au maximum les nationalités dans les groupes de travail auquel il participe, en gardant cependant une petite marge de sécurité par la présence à ses côtés d’un ami tunisien. La première session m’a aidé beaucoup à réfléchir et surtout à la fin de la première session, j’ai fait le recul avec moi-même et je me suis demandé ce que j’allais faire pour la prochaine session. Si on parle pour le niveau académique, il y a beaucoup de travaux de groupe, donc je me suis dit qu’il fallait toujours travailler avec des Québécois, je pense que ce n’est pas très intéressant de ne travailler qu’avec des Tunisiens ou des Maghrébins, sinon on va parler toujours de la même chose, on va parler arabe, on ne va pas bouger. Mais quand même, je me suis dit… travailler dorénavant avec des Québécois ou des étrangers, mais avec réserves. C’est-à-dire que je me suis dit que je vais faire ça avec un ami, un Tunisien. Parce que je me suis rendu compte à la première session que si tu es tout seul, tu ne vas pas t’affirmer dans un groupe. La deuxième stratégie de Mourad est de se forcer à réagir comme les Québécois, faisant par là référence à la dimension de Hofstede sur les sociétés individualistes dans lesquelles les personnes doivent dire ce qu’elles pensent. Et aussi au niveau des relations avec les gens, je me suis dit qu’il faudrait la changer. Parce que c’est pas la même culture. Ici j’ai constaté que ce sont des gens très directs donc qu’il faut faire la même chose aussi avec eux. C’est-à-dire que si quelque chose te plaît, tu le dis, et si ça ne te plaît pas, tu ne vas pas le dire. 170 5.3.8 LA CONCLUSION 5.3.8.1 QUELLE DÉFINITION POUR L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE ? Contrairement aux définitions de l’intégration présentées dans la partie théorique et selon lesquelles il s’agissait d’un processus qui s’inscrivait dans le temps, Khalid en parle comme étant quelque chose de ponctuel, qui doit être fait à l’arrivée de l’étudiant dans son nouveau milieu d’étude. Pour moi l’intégration c’est le début. Parce qu’on va pas être intégré tout le temps. Pour intégrer une personne c’est dans la phase du début. Pour un étudiant étranger, lorsqu’il arrive et qu’il fait ses premiers cours, là on doit l’intégrer. Le sens donné à l’intégration académique par la plupart des répondantes et répondants est le fait d’être capable de bien comprendre ce qu’on attend d’eux en cours, d’avoir de bonnes notes, et de « ne pas avoir de problème. Si tu n’as pas de problème, je pense que tu es bien intégré » (Ahmed). C’est le fait que je comprenne bien et que j’ai de bonnes notes. C’est ça ? […]. Parce que des fois c’est moi qui explique aux gens, alors que moi je n’ai pas fait de cours avant, je n’ai pas fait de préalable et je n’ai pas fait de cours au bac. (Hicham) C’est de bien comprendre les cours peut-être. C’est être bien avec les autres collègues… (Yasmine) 5.3.8.2 L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE, UNE PRIORITÉ Très clairement, l’intégration académique est ce qui est le plus important pour les étudiantes et étudiants rencontrés, puisqu’elle est le préalable de leur objectif premier : obtenir un diplôme. Tout doit donc être fait pour réussir sur ce plan-là. Et la peur d'être incapable, tout ça et les quatre ou cinq premiers mois c'était difficile dans le sens que j'avais pas par exemple de temps pour me reposer, […] j'étais dans la course, il fallait faire quelque chose pour que je prouve à moi-même au moins que je suis capable. Donc entre dimanche et vendredi il y avait pas de différence, c'était toute une semaine de travail et il y avait beaucoup de stress. J'ai fini la session au mois d'avril. Malgré le mois de retard, je suis arrivée à rendre mes travaux avant les Québécois, avant les dates d'échéance, ça, ça m'a fait du bien. (Loubna) On a vraiment vraiment beaucoup de travail en MBA donc je ne sentais pas vraiment la nécessité de… on n'avait pas assez de temps libre pour faire autre chose à part les études surtout que le système n'est pas la même chose, donc il fallait vraiment suivre le système, s'intégrer dans le système déjà parce que c'est pas facile. (Maha) 171 5.3.8.3 L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE, UN OBJECTIF ATTEINT Finalement, aucun des répondantes et répondants n’évoque une quelconque difficulté actuelle dans leurs cours, même si quelques-uns parmi les plus anciens avouent que les premières sessions ont été difficiles sur le plan du travail à fournir et de l’adaptation au nouveau système d’enseignement. L’intégration académique est donc un objectif atteint pour toutes et tous au moment de la réalisation des entretiens. Sur le plan académique oui. Je pense que oui parce que je commence à comprendre comment ça se passe ici, comment aussi ça fonctionne au niveau de la faculté principalement. Je peux dire aussi que pour les jeux de pouvoir entre professeurs et entre tout ça je comprends aussi. (Mourad) Là oui. Moi je n’ai pas eu de difficulté. […]. Donc non, ça s’est très bien passé et ça se passe très bien jusqu’à maintenant. (Yasmine) Mes cours se sont passés très bien. En tout cas je me rappelle pas que j'ai eu des problèmes avec mes cours. (Loubna) 5.4 L’ÉVALUATION DE LA POLITIQUE D’ACCUEIL, D’ENCADREMENT ET D’INTÉGRATION DE L’UNIVERSITÉ LAVAL : UNE APPLICATION DU CADRE D’ANALYSE Après l’intégration académique et sociale, le troisième volet de l’intégration est l’intégration institutionnelle, c’est-à-dire le développement d’un sentiment d’appartenance à l’institution et la participation aux activités. C’est Sami qui montre le plus fort sentiment d’appartenance à l’Université Laval. Je vous assure moi je me sens vraiment Rouge et Or. Je vous assure, j’ai une appartenance à cette Université très très forte. Je me sens très très très impliqué. Personnellement si j’avais à projeter des études de doc’ ici, c’est parce que c’est l’Université Laval. […]. Malgré qu’il y a toute cette hostilité. Pour cette partie évaluative, je change en partie de registre pour inclure l’analyse documentaire. J’utiliserai un rapport déposé en juin 2004 par le Service des affaires étudiantes, Étudier à l’Université Laval : pour une arrivée et une intégration réussies, réalisé à partir d’une tournée de consultation à la session d’hiver 2003 auprès de la communauté. Je présenterai ensuite l’implication des étudiantes et étudiants rencontrés 172 dans l’Université Laval, puis leur perception de la politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration, pour voir dans quelle mesure elle rejoint la population étudiante ciblée par cette étude. 5.4.1 L’ÉTUDE DE CAS 5.4.1.1 LES PROBLÈMES Les étudiants étrangers arrivent d’un autre système éducatif, ont d’autres caractéristiques sociales, économiques et culturelles. Pour favoriser leur réussite éducative, qui va contribuer à leur formation personnelle, à leur engagement dans le développement de la vie universitaire, ainsi qu’à leur insertion socioprofessionnelle, l’Université Laval doit favoriser les relations entre les étudiants et les différents personnels de l’institution, ainsi que l’accessibilité de ses services : un étudiant qui ne s’intègre pas va plus être enclin à abandonner en cours d’étude et à avoir une vision négative de l’université d’accueil. Les problèmes auxquels vient répondre la politique sont aussi à mettre en lien avec les enjeux de l’internationalisation et de la venue d’étudiants étrangers présentés dans la première partie (pour le rayonnement international et pour combler la baisse des effectifs nationaux notamment). 5.4.1.2 LES OBJECTIFS Issue d’une synthèse des rapports de la Commission des affaires étudiantes et de la Commission des études sur le sujet, cette Politique est un texte très court, qui après avoir défini les notions « d’accueil, d’encadrement et d’intégration », se donne des objectifs ainsi qu’un plan d’action. Les objectifs de la politique sont au nombre de trois : 1) il s’agit tout d’abord de favoriser la réussite du projet de formations intellectuelle et professionnelle, ainsi que les développements personnel et social des étudiants, en offrant les conditions qui y sont propices ; 2) le deuxième objectif est de rappeler les responsabilités de chacun dans 173 l’accueil, l’encadrement et l’intégration des étudiants ; 3) il s’agit enfin d’encourager et entretenir la concertation entre tous les membres de la communauté universitaire et susciter une réflexion sur les exigences propres à l’accueil, à l’encadrement et à l’intégration des étudiants. La réalisation de ces trois objectifs doit se faire par le biais de quatre dispositions : une information adéquate et accessible ; un soutien pédagogique attentif (cette disposition concerne avant tout les facultés, les départements et le corps professoral) ; l’accès aux ressources de l’université ; un milieu de vie dynamique. 5.4.1.3 LES SERVICES DE L’UNIVERSITÉ DÉDIÉS À L’ACCUEIL, À L’ENCADREMENT ET À L’INTÉGRATION C’est le Service des affaires étudiantes (SAE) qui supervise l’application de la politique d’accueil et d’intégration. Le SAE regroupe plusieurs services : le bureau d’animation religieuse, le bureau des bourses et de l’aide financière, le bureau des activités socioculturelles, le Centre d’orientation et de consultation psychologique, et enfin le bureau d’accueil des étudiantes et étudiants étrangers (BAEE), dont je vais plus spécifiquement examiner les activités. Le BAEE ne compte qu’une seule personne à temps plein pour remplir sa mission, mais celle-ci est appuyée dans son travail par deux autres personnes du bureau d’animation religieuse, montrant peut-être là que la religion peut être une des voies possibles de l’accueil. L’équivalent de deux personnes à temps plein est donc dédié à la politique de l’université sur l’accueil, l’encadrement et l’intégration des étudiants. Le BAEE propose des activités, mais appuie aussi des initiatives étudiantes, par un soutien matériel, moral ou financier. La mission du BAEE s’articule autour de trois axes principaux : faciliter l’arrivée des étudiants ; susciter et appuyer les initiatives issues du milieu universitaire qui visent la 174 promotion des relations interculturelles ; collaborer avec les divers organismes qui désirent faire appel aux compétences des étudiants étrangers. Ces trois axes correspondent à diverses initiatives regroupées sous trois grandes orientations : on retrouve ici les notions centrales de la politique étudiée, à savoir l’accueil, l’accompagnement et l’intégration. 5.4.1.4 LE TYPE ET LA QUANTITÉ DES ACTIVITÉS : LES RÉSULTATS L’accueil En ce qui concerne l’accueil, les activités du BAEE sont de plusieurs ordres : la publication d’un Guide de séjour des étudiantes et étudiants étrangers, dans lequel on retrouve les informations relatives à la vie sur le campus et à Québec, ainsi que des conseils et des références ; des rencontres personnalisées à l’arrivée, en partenariat avec le Bureau du Registraire ; Rendez-vous Laval, les journées d’accueil en début de chaque session, organisées en collaboration avec les grandes associations étudiantes ; le traitement des demandes provenant de l’extérieur du Canada ; l’aide aux différents services universitaires pour les aider à faire face aux difficultés des étudiants étrangers. Les activités d’accueil sont les plus visibles car elles touchent une grande partie de la population étudiante : Rendez-vous Laval, l’événement phare de la rentrée universitaire, permet aux quelques 8 000 nouveaux étudiants, étrangers ou québécois, de trouver l’information relative aux différents services et aux ressources disponibles sur le campus. Une autre activité, spécifique à l’accueil des nouveaux étudiants, est On fête votre arrivée, qui a eu lieu à l’automne 2004 pour la neuvième année consécutive. Cette activité est l’occasion de partager un repas et de découvrir notamment le folklore traditionnel québécois. Ces deux activités ont lieu aux sessions d’automne et d’hiver. La troisième activité phare, Université 101, est présentée par la CADEUL, l’association étudiante du premier cycle, pour la deuxième année consécutive. Il s’agit d’une série d’ateliers visant à faciliter l’intégration des nouveaux étudiants tout en leur fournissant les renseignements de 175 base nécessaires à un cheminement scolaire réussi : les ateliers sont extrêmement variés, allant de la prise de note aux coutumes québécoises et au multiculturalisme. Cette activité propose également une visite du campus et de la ville. L’accompagnement L’accompagnement prend diverses formes : le BAEE donne des informations et du soutien tout au long du séjour, dirige vers les personnes adéquates. L’accompagnement est individuel et personnalisé, selon les besoins et demandes de chacun. L’intégration La troisième orientation, l’intégration, se fait par le soutien aux projets étudiants (le BAEE a des fonds spéciaux dédiés à cette aide, environ 80 000 $ par an), la tenue d’évènements interculturels, la promotion des compétences particulières auprès des instances et organismes soucieux de s’ouvrir à d’autres réalités, et l’incitation à s’engager activement au sein de la communauté universitaire par des activités multiculturelles ou pluriethniques. Comme nous l’avons noté, les activités d’accueil constituent un premier pas pour l’intégration : les activités présentées plus haut pour l’accueil, et même pour l’accompagnement, sont donc aussi des activités d’intégration. Toutefois, il nous semble que les activités d’intégration ne se limitent pas à cela, et on peut par exemple penser à toutes les activités qui se font en dehors des débuts de sessions. La soirée de la mi-temps, juste après la semaine de lecture, ou encore Jase moi ça ! en sont de bons exemples. Ils sont pour les étudiants l’occasion de sortir du contexte scolaire pour rencontrer de nouvelles personnes et parler plus librement de leur vécu à l’université et de leurs problèmes. 176 5.4.1.5 L’ÉVALUATION DE L’EFFORT, DE L’EFFICACITÉ, DE L’EFFICIENCE ET DE LA COHÉRENCE L’effort Le SAE a semble-t-il pris l’application de cette politique avec beaucoup de sérieux, et toutes les activités proposées sont en lien avec les objectifs secondaires que le bureau s’est fixé par rapport aux objectifs de la politique : accueillir les nouveaux étudiants à l’université Laval ; favoriser leur intégration dans leur nouveau milieu de vie et d’études ; favoriser l’émergence d’un réseautage et d’un système de parrainage entre les étudiants ; susciter et bonifier le sentiment d’appartenance à l’égard de l’Université Laval (nous retrouvons ici la préoccupation qui avait émergé à la suite du rapport de la Commission des affaires étudiantes en 1999) : dynamiser le milieu universitaire. Pour chacun de ces points, des activités sont proposées et face aux objectifs donnés par la politique étudiée, il nous semble que les activités mises en place et le partenariat instauré entre les différents services et avec les étudiants sont propres à favoriser une bonne intégration, ce qui est le but ultime recherché. L’efficacité L’efficacité est, comme nous l’avons vu dans la description de notre cadre d’analyse, le croisement entre les objectifs de la politique et les résultats. Pour ce qui est des résultats, nous avons pu constater la grande diversité des offres d’activités. Il est par ailleurs à noter que ces activités touchent un bon nombre des étudiants qu’elles ciblent, puisque le circuit de l’information, critiqué par le responsable du BAEE il y a encore quelques mois, semble être adéquat et atteindre l’ensemble de la population étudiante, par le biais de l’adresse courriel de l’université. En ce sens, il nous semble que la mise en œuvre de la Politique est assez efficace. 177 Toutefois, même si l’application de la Politique nous semble conforme à l’énoncé de ses objectifs, certains éléments restent susceptibles d’être améliorés. Les principales activités étant organisées au début de la session d’automne, il y aurait par exemple à mettre en place davantage d’activités à la session d’été et renforcer celles de la session d’hiver (il a été démontré qu’il y avait plus d’abandons lorsque les étudiants commençaient leur cursus à l’université à cette session). De plus, les efforts se tournent actuellement plus vers le premier cycle : il y aurait donc lieu d’accentuer les efforts en direction des étudiants des cycles supérieurs, car eux aussi sont soumis aux risques de décrochage scolaire et d’autant plus au risque d’isolement que la majeure partie de leur travail se fait seul. Enfin, il faudrait, selon les étudiants rencontrés lors du prétest, étaler davantage dans le temps les activités d’accueil qui, semblerait-il, sont trop concentrées durant la première semaine de cours, ce qui ferait trop de choses à assimiler et ce qui poserait des problèmes aux étudiants arrivant à l’université après la première semaine. L’efficience L’efficience est le rapport entre les efforts et les résultats. Compte tenu du nombre restreint de personnes en charge du dossier de l’accueil, de l’accompagnement et de l’intégration, il nous semble que l’efficience est plutôt bonne, mais ce point reste difficile à évaluer et mériterait une analyse plus approfondie. La cohérence La Politique présente les tâches qui incombent à chaque acteur et donne un rôle à chacun. Le texte en lui-même est donc clair sur les obligations de chacun, et rappelle la nécessité de travailler en collaboration. L’Université, en confiant ce mandat à un bureau bien spécifique, a fait en sorte que les initiatives ne se chevauchent pas et que les différents services s’organisent pour que leurs offres se complètent. Il semble donc que les objectifs, les moyens et les intervenants sont bien au service d’un seul et même but, celui de développer les activités d’accueil, d’encadrement et d’intégration des étudiants. Cette appréciation doit cependant être atténuée par les propres écrits du SAE. Le Bureau d’accueil ne dispose d’aucune ressource efficace et durable pour venir en aide aux étudiantes et aux étudiants étrangers, hormis un faible fond de dépannage de 3 000 $. Le 178 Bureau d’accueil est limité dans ses interventions à recevoir les gens, à les écouter, à les informer et à les référer à d’autres intervenants. Son principal rôle consiste donc à réconforter, à redonner espoir et à alimenter la motivation chez les étudiantes ou les étudiants. Le personnel du Bureau d’accueil se rend souvent compte qu’il risque d’être perçu comme inutile et inefficace. De ce constat ressort la nécessité de resituer le Bureau d’accueil et de redéfinir son rôle parmi toutes les instances qui peuvent intervenir auprès et en faveur des étudiantes et des étudiants étrangers (SAE 2003 :11). 5.4.1.6 LA CONCLUSION SUR LA POLITIQUE Il semblerait donc que les activités du SAE, et plus particulièrement du BAEE, en partenariat avec le Bureau du Registraire et les grandes associations étudiantes, s’efforcent de combler dans la mesure de leurs moyens les attentes des étudiants en ce qui concerne l’accueil, l’accompagnement et l’intégration. C’est en tout cas la conclusion du rapport 2004 du BAEE, et il semble donc que l’université en tant qu’institution prend au sérieux cette nouvelle réalité qu’apportent avec eux les étudiants étrangers. Même si les « activités phare » d’accueil et d’intégration se font en début de session, de plus en plus d’activités sont proposées tout au long de la session, et tout le monde peut être touché par celles-ci à un moment ou à un autre s’il fait l’effort de venir voir de quoi il s’agit. C’est ce que souligne le rapport annuel 2002-2003 du SAE. Il semble qu’une fausse perception du Bureau d’accueil voulant qu’il limite sa présence et son intervention aux seules premières semaines de l’année universitaire soit en train de disparaître. En effet, de plus en plus de membres de la communauté universitaire consultent le Bureau d’accueil, tout au long de l’année, sur diverses réalités auxquelles sont confrontés les étudiantes et les étudiants étrangers (SAE 2003 : 10). Il est de plus à noter que les activités d’accueil et d’intégration, qui ont lieu depuis sept ans pour les étudiants étrangers, ont été élargies depuis la session d’automne 2004 à tous les nouveaux étudiants, montrant par là qu’un étudiant venant d’une autre région ou d’une autre province peut lui aussi avoir des difficultés d’adaptation. Cette action souligne aussi le souci de développer une certaine mixité culturelle entre étudiants canadiens, québécois et d’autres nationalités. L’accueil et l’intégration font intervenir en premier lieu l’université et tous les acteurs qui la composent, mais cela ne peut pas se faire sans la participation active des étudiants auxquels s’adressent toutes les activités proposées. 179 Si des efforts semblent être fournis de la part de l’institution, cela ne nous apprend rien sur la manière dont les activités sont reçues par les populations ciblées. L’objet de cette étude étant l’intégration des étudiants tunisiens et marocains, c’est sur cette population que je m’attarderai pour voir si les efforts faits par l’université ont un impact sur l’intégration de cette population en particulier. 5.4.2 L’IMPLICATION DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS DANS LES ACTIVITÉS DE L’UNIVERSITÉ Dans l’article de Grayson (1995) était étudiée notamment l’importance de la question raciale dans la vie étudiante : dans ses résultats, l’auteur montrait que les expériences universitaires variaient selon la minorité ethnique et raciale des étudiants. C’est ce que semble confirmer Mourad lorsqu’il affirme que les Maghrébins ont tendance à ne pas vraiment s’impliquer dans les activités associatives. Je peux dire que c’est une question de culture aussi parce que pour les Maghrébins, les associations ne sont pas très développées. Donc sincèrement on ne ressent pas beaucoup le besoin de s’intégrer mais avec le temps on ressent le besoin de faire ça. C’est-à-dire que la première fois qu’on vient ici, on se dit qu’on vient pour les études, on ne va pas se consacrer à ça. Mais après on se rend compte que c’est important, qu’il faut s’intégrer et faire des activités associatives. Mais concrètement je ne me suis pas impliqué ici. Peut-être que je me suis un peu impliqué avec l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval. C’était pour le mois de Ramadan, c’était plus du bénévolat pour la préparation des salles, c’était pas vraiment très actif. Seuls Loubna et Sami ont une réelle implication dans les activités sociales organisées au sein et même hors de l’université, mais dans des secteurs différents. Loubna est la seule à participer activement à des activités dans un contexte non religieux : elle est membre de l’association étudiante de son programme, elle a rédigé des articles pour une revue de son département, etc. ; elle a aussi beaucoup d’activités en dehors de l’université. Sami de son côté est très impliqué dans les activités liées à la religion, et celles-ci dépassent le cadre de l’université : « Je commence à devenir vieux ici. Je suis un des plus anciens de la communauté et même au niveau de la visibilité je commence à être de plus en plus visible ». 180 Je fais partie de l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval, je suis de ceux qui dirigent, j’ai des activités avec le centre culturel et le centre islamique de Québec, lorsqu’il y a des activités hors campus, pour représenter la communauté musulmane ou pour s’exprimer au nom de la communauté musulmane, aux médias ou tout ça, je suis très présent. J’ai des contacts avec des gens qui oeuvrent pour la paix dans le monde, c’est-à-dire Québec Palestine, Québec Irak. Je travaille avec des organismes qui collectent des fonds pour aider les gens, les sans abris, les gens dans le besoin par exemple comme c’était le cas pour le tsunami, pour les gens qui vivent dans des ghettos et tout ça dans les zones de guerres et tout ça. S’il est admis à faire son doctorat à l’Université Laval, Sami compte même développer ses activités associatives et il a de grands projets pour l’association étudiante de son programme. Si j’intègre le doctorat, je pourrai vraiment donner un élan à l’association des étudiants (nom du programme). […]. Moi tout ce que je vise, ce sont des conférences, ce sont vraiment des choses académiques de haut niveau. Parce qu’on invite des gens, des académiciens, […] on n’invite pas des imams. Des académiciens qui ont une certaine vision pour la vie des musulmans ici. […]. Sur le plan académique, ça peut être vraiment tel que je devrai m’ajuster pour trouver mes temps morts, ça ne sera pas super pour moi, ça sera super pour eux. Pour tous les autres répondants, les activités « extra scolaires » ne sont pas une priorité et ne sont entreprises que dans la mesure où elles n’empiètent pas sur le temps de travail. Hayet n’a fait depuis son arrivée à l’Université Laval qu’une sortie, à Valcartier. Maha mentionne elle aussi cette activité : « Quand ça m'intéresse et quand j'ai le temps. […] des sorties Valcartier, des sorties un peu partout ». La seule activité de Karim en dehors de ses études est la pratique du sport. Il avoue toutefois avoir participé à une activité organisée par l’université : « La seule chose, c’est qu’ils ont organisé ici une fête pendant le Noël, ils ont organisé une fête et j’y ai été, mais c’est tout ». Ahmed et Khalid sont quant à eux uniquement impliqués dans l’association des étudiants musulmans. Je suis impliqué dans l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval. Je m’implique beaucoup. Je ne suis pas membre dans l’association mais je m’implique beaucoup. (Ahmed) Je suis impliqué dans l’association des étudiants musulmans de l’Université Laval. Je suis membre. Et les principaux travaux que je fais, je les fais sous la forme de bénévolat. Je participe aux activités qu’ils organisent. Par exemple des fois ils préparent des soupers communautaires. Pendant le mois de Ramadan qui s’est écoulé, ils préparaient des ruptures de jeun communs, donc je participais à l’organisation de ces activités. À chaque fois que j’ai du temps et qu’il y a des activités qui demandent des participants, je participe, mais la seule chose qu’il y a, c’est que je ne m’engage pas. (Khalid) 181 Hicham, lui aussi, participe quelquefois à des activités organisées par l’association des étudiants musulmans, même s’il ne s’implique pas activement. Il a cependant le projet d’intégrer pour sa dernière session une association en rapport avec son secteur d’étude. Même dans l’association des étudiants musulmans et tout ça, je reçois et je ne donne rien. Ce n’est pas bien. […] il y a une association qui s’occupe de l’évaluation des entreprises et tout ça, mais je pensais m’inscrire peut-être la session prochaine parce que cette session c’est pour les cours. Il me restera juste un seul cours la session prochaine, donc je serai plus calme. Yasmine enfin n’a jamais participé à un seul événement organisé par l’université, même si elle a entendu parler par exemple des activités d’accueil des nouveaux étudiants en début de session : « Je n’arrive pas à avoir de temps. Entre mon mari, la maison, préparer les repas et faire mes devoirs, je n’arrive pas à trouver le temps ! » 5.4.3 LA PERCEPTION DE LA POLITIQUE PAR LES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS RENCONTRÉS 5.4.3.1 UNE POLITIQUE NÉCESSAIRE ? Malgré les dispositions mises en œuvre par l’université pour favoriser l’intégration des étudiants étrangers, il semble que ce soit la position présentée par le Service des affaires étudiantes dans son rapport 2002-2003 qui soit la vision représentative de ce que pensent les étudiantes et étudiants rencontrés. Moi j'ai vu beaucoup beaucoup beaucoup de lacunes par rapport au séjour de l'étudiant étranger à l'Université Laval. L'accueil de l'étudiant, ce n'est pas un bureau. Ce n'est pas un accueil au début de chaque session, c'est beaucoup beaucoup plus que ça, et moi j'ai l'impression que l'Université Laval néglige énormément ça […]. Parfois les étudiants étrangers sont laissés dans la nature. C'est-à-dire que si tu veux découvrir l'université, Québec, et tout ce qui entoure, tu dois trouver par hasard des amis qui vont te donner un coup de main. […]. Moi j'ai l'impression, ça c'est une interprétation personnelle, qu’un étudiant étranger pour la maîtrise ça peut aller, mais au bac mon Dieu qu'ils ont des problèmes. Je contacte des gens et c'est un paquet de problèmes. Selon Sami, cette politique serait même un frein à l’intégration car elle ne ferait que pointer du doigt l’étudiant étranger, alors qu’il devrait être avant tout considéré comme un étudiant comme les autres. 182 Le fait d’être un étudiant étranger, et c’est déjà une discrimination en tant que telle. Tu te comportes avec lui certes comme avec un étudiant qui a un statut un peu spécial, mais pas en le défavorisant. Au contraire, en essayant de compenser le fait qu’il est un étranger à la société, et pas un étranger au système éducatif, parce que lui aussi c’est un étudiant. Tu ne peux pas dire autre chose, c’est un étudiant comme un autre. Cette vision mène à une impasse : si l’Université Laval n’identifiait pas des services ou aides spécifiques pour les étudiants étrangers, l’accuserait-on de vouloir des étudiants internationaux sans s’en occuper ? 5.4.3.2 UNE POLITIQUE UTILE ? Peu d’étudiantes et étudiants savent vraiment de quoi il s’agit lorsqu’on leur parle de la politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration de l’Université Laval. À l’exception de Yasmine qui ne connaît absolument rien des ressources disponibles à l’université pour faciliter l’intégration des étudiantes et étudiants étrangers, tous ont au moins entendu parler des journées d’accueil de début de session. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs favorables à la tenue de ces événements, même s’ils ne se sentent pas concernés : pour Ahmed et Karim par exemple, l’intégration ne peut être effective que s’ils se donnent eux-même les moyens de la réaliser. Je pense que ça aide un peu les nouveaux arrivants ici à l’université. Surtout quand on est nouveau au Québec, on a besoin de quelqu’un qui nous aide, qui nous oriente. Je pense que cette tâche, l’université l’a compris. […] pour moi non. J’ai été accueilli par des amis. […] cette politique ne m’intéresse pas. Si je veux m’intégrer, je le fais seul. Ce n’est pas aux autres de le faire. (Ahmed) C’est un facteur d’intégration pour quelques-uns, mais pour moi j’aime les relations informelles, j’aime prendre l’initiative moi-même, faire le contact avec les gens, découvrir, prendre le bus, aller chercher… C’est ça. (Karim) Pour la majorité d’entre eux, les activités organisées par l’Université Laval et les services dédiés aux étudiants étrangers ne sont finalement que des références vagues, pour lesquelles ils ne savent pas vraiment en quoi cela pourrait leur être utile. Oui j’ai entendu parler de ça. Bureau d’accueil, journée d’accueil. Mais je n’y suis jamais allé. (Khalid) Je sais qu’ils font des choses comme ça au Desjardins mais… […] il y a aussi l’association des étudiants étrangers. Mais je ne sais même pas ce qu’ils font. (Hicham) 183 La seule chose que je connais c’est que de temps en temps ils organisent des journées d’information pour faciliter les contacts entre les différentes nationalités et c’est la seule chose que je connais, mais moi ça ne m’intéresse pas trop. (Karim) Je n’y crois pas, j’entends parler des trucs comme ça mais c’est flou, je n’ai jamais vu quelque chose de près. […]. J’entends comme ça : Intégration, il y a une soirée d’intégration organisée pour les étudiants étrangers, j’entends parler de ça, et puis je passe le lendemain et on me dit : Hier il y avait une soirée, et il y a des Québécois qui ont fait ceci, cela, ils ont beaucoup bu, ils ont fait des trucs bizarres… C’est ce que j’entends dire. (Hayet) Seuls deux étudiants, Khalid et Mourad, ont fait appel à des services de l’université, à chaque fois concernant leur intégration académique. Dans les deux cas, ils ont été déçus, et cela ne les encourage pas à faire appel à une quelconque aide universitaire en cas de nouvelle difficulté : Khalid a eu besoin d’assistance en arrivant et il a dû se débrouiller seul pour trouver une solution à son problème d’orientation. C’est que je n’ai pas confiance en le résultat que ça peut produire. Je me dis : Que j’y aille ou que je n’y aille pas, ça ne change rien. C’est une journée, qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Ils ne peuvent rien faire pour moi. Ça c’est au début, à mon arrivée, lorsque j’avais besoin d’assistance, qu’on m’assiste, qu’on me soutienne. Et le bureau d’accueil etc., moi je ne sais pas mais ça ne me dit rien. Mourad a lui aussi essayé une fois un des services de l’université et cela ne lui a pas rien appris d’utile selon lui. Quand j’ai entrepris mes recherches avant de venir ici, j’ai vu qu’il y avait comme un centre d’accueil, il y a aussi comme un centre d’aide psychologique. Moi j’y suis allé une fois mais je pense que ça ne répondait pas à mes besoins. Je trouvais que c’étaient des choses très élémentaires qui n’apportaient pas de plus. Tous sont passés par le Bureau du Registraire en arrivant, et ceci constitue finalement la seule activité obligatoire en début d’année, et le seul moyen pour prendre contact avec tous les étudiants étrangers. Or les réactions à cette première rencontre d’intégration sont unanimes : au mieux cela ne leur a servi à rien (« Au début ils ont fait avec une personne qui m’a donné le plan du bus… » me dit Yasmine), au pire ils se sont sentis pointés du doigt comme étrangers et les informations données ne leur ont été d’aucune aide. Il ne faut pas avoir un service étudiant pour accueillir les étudiants étrangers. Et il faut vraiment rompre avec cette terminologie d’étudiant étranger. Il faut un bon accueil pour tout le monde. Il faut de l’aide pour tout le monde. Sans distinction, sinon c’est de la 184 discrimination. Si on dit « étudiant étranger », ça veut dire qu’on est en train de lui coller une étiquette qui le différencie d’un autre étudiant. (Sami) Au Bureau d’accueil, j’y ai été le premier jour pour déposer mes papiers et il y avait un étudiant là-bas qui travaillait pour je ne sais quoi et qui parlait comme ça en général. Depuis ce jour-là j’ai jamais mis les pieds. […] des brochures, des trucs comme ça. N’importe quoi. Des brochures, plein plein plein de brochures. En 5 ou 10 minutes tu te retrouves avec plein de brochures et tu dis : Bye ! (Hayet) Enfin, peu d’activités sont organisées par les facultés ou les directions de programme23. Hicham parle d’un cocktail de bienvenue en début de session dans lequel il n’a rien appris et qui ne lui a fait rencontrer personne. Seuls Ahmed et Mourad disent avoir participé à des activités organisées par leurs programmes qui les ont aidés à rencontrer du monde et à mieux s’intégrer. Il y a des choses mais elles ne sont pas très formelles. […] je me rappelle qu’ils font une fois par session une journée carrière, ils invitaient des entreprises et il y avait comme des rencontres entre les deux. C’est ça le principal. Et je me rappelle aussi que lorsqu’on a commencé le MBA à la session d’automne, il y a eu comme un 5 à 7 et j’ai fait la rencontre avec tous les professeurs et tous les étudiants aussi. C’était très intéressant. Principalement c’était ça. […]. Je me suis fait des amis là-bas. (Mourad) De temps en temps il y a des rencontres entre les nouveaux arrivants et les anciens étudiants, entre les profs et les étudiants, entre les gens de l’extérieur comme les recruteurs et les hommes d’affaire (incompris). (J’y participe) de temps en temps, selon mes disponibilités. (Ahmed) 5.5 DES PROJETS ENCORE FLOUS À la fin de l’entretien, il a été demandé à chaque étudiante et étudiant rencontré quels étaient, compte tenu de leur situation d’intégration, tant sociale qu’académique, leurs projets pour les années à venir. Pour la majorité des répondantes et répondants, les projets ne sont encore justement que des projets, et sont sujets à changement. Seuls Karim et Ahmed savent exactement ce qu’ils veulent faire : obtenir leur diplôme et rentrer, car un emploi les attend dans leur pays. 23 Cette dernière remarque ne concerne que la FSA, puisque la quasi totalité des répondantes et répondants en sont issus. Loubna de son côté mentionne les diverses activités de son programme (association étudiante, revue, etc.). 185 Une fois le diplôme en poche, je retourne dans mon pays. […] ici on discute de l’université. C’est beau, tu étudies, tu te fais des contacts, c’est très beau, mais une fois le diplôme en poche, là dans d’autres milieux, le marché de l’emploi ou autre chose, tu trouves un petit peu des difficultés. D’après ce qu’on m’a raconté. […]. Je me sens à l’aise là-bas. Tu es entre tes proches. Parce que la société ici elle est accueillante, paisible, mais ça reste que je fais pas partie… je reste un étranger, un immigrant. (Karim) Pour moi l’avenir au Québec va s’arrêter à ma diplômation. (Ahmed) Pour tous les autres étudiantes et étudiants, il se dégage cependant certaines constantes : la majorité a fait une demande de résidence permanente au Canada, beaucoup veulent rester quelques années dans le pays, au Québec ou dans les provinces anglophones, et quelques-uns finalement n’ont pas de projet de retour. 5.5.1 LES DEMANDES DE RÉSIDENCE Karim était le seul à avoir sa résidence permanente en poche lorsqu’il a décidé de poursuivre ses études au Canada. La plupart des étudiantes et étudiants rencontrés ont lancé leurs démarches d’immigration pour acquérir le statut de résident permanent à leur arrivée à l’Université Laval ou comptent le faire prochainement, même s’ils ne sont pas sûrs que cela va leur être utile, compte tenu de l’incertitude dans laquelle la plupart d’entre eux se trouvent concernant leurs projets. Seul Ahmed, certain de rentrer à la fin de ses études, n’a pas fait cette démarche. Je fais une demande d'immigration. Je compte rester ici encore un bout de temps. Je ne sais pas encore combien, c'est indéfini pour l'instant. Ça pourrait être pour toute la vie. […]. Je suis à la dernière étape, j'attends la réponse finale. (Maha) J’ai envoyé mon CSQ (Certificat de sélection du Québec), mais ça prend beaucoup de temps. Je crois que je vais revenir au pays avant d’avoir mes papiers, donc après si je fais une demande du pays ça va prendre 5 ans ou 3 ans, ça va prendre beaucoup de temps. C’est trop. Dès que tu commences à travailler, après même si tu es accepté, tu ne peux pas tout laisser tomber pour venir ici. Mais bon, j’ai fait ma demande en attendant. (Hicham) Là, j’ai commencé la procédure d’immigration. Je pense que normalement, s’il n’y a pas de problème, je pense que c’est rendu à une année pour finir la procédure. Il y a des chances aussi pour que je rentre définitivement en Tunisie. (Mourad) 186 5.5.2 L’ATTRAIT DU CANADA ANGLOPHONE Hayet veut échapper au système français, trop rigide selon elle. Pour Khalid et Hicham, le Canada anglophone est avant tout synonyme de meilleures opportunités d’emploi Au bout d'un certain temps, je compte aller vers le Canada anglophone, ça c’est une chose que j’aimerais beaucoup faire. Pour plusieurs raisons. D'abord, je veux développer le parler anglais, et aussi parce que le Canada anglophone, à ma connaissance, il y a des firmes plus grandes et plus fortes. […] dans le Canada anglophone, il y a plus d’opportunités d’embauche. (Khalid) Dans la ville de Québec, je ne crois pas vraiment (trouver du travail). Je connais un ami vraiment très fort, et c’était un bon ami d’un prof, un Chinois. Le prof a vu une entreprise qui a engagé un étudiant, il lui a dit : Si tu avais été un Canadien, tu aurais eu tes chances. Il lui a dit qu’en tant qu’étranger, surtout un Arabe, il n’obtiendrait pas le travail, donc il a préféré envoyer les dossiers d’autres étudiants. (Hicham) 5.5.3 TRAVAILLER OU ÉTUDIER ? 5.5.3.1 LES PROJETS DE DOCTORAT Quelques étudiantes et étudiants envisagent de poursuivre leurs études au doctorat une fois leur diplôme de MBA obtenu. Yasmine et Sami semblent prêts à le faire à l’Université Laval : Sami pour continuer ses activités tout en acquérant plus de notoriété, et Yasmine pour rester avec son mari. Cette dernière, peut-être du fait qu’elle est mariée, élabore ses projets en tenant compte du rôle spécifique de femme qu’elle pense devoir assumer dans son couple, chose que ne font pas les autres jeunes filles rencontrées. Un doctorat et l’enseignement. Je veux être dans l’enseignement, dans la recherche, parce que ça facilite plus la vie d’une femme en fait. Je ne veux pas être trop en contact avec les entreprises. Entreprise pour moi ça veut dire stress. Travail, stress. Donc un enseignant, même si c’est un job à temps complet, ce n’est pas du stress, en plus c’est de toujours changer de personne, toujours être en contact avec d’autres personnes. Ce n’est pas un bureau, ce n’est pas quelque chose que tu fais du matin au soir où c’est la même chose. Hayet, de son côté, rejette totalement l’idée de poursuivre ses études à l’Université Laval. Ses projets semblent bien arrêtés et son objectif est clairement de chercher à s’intégrer dans le Canada anglophone. 187 Non, surtout ne pas continuer ici ! Surtout pas ! À la fin, ce que j’aurais aimé c’est le fait de travailler une année dans un centre de recherche comme assistante de recherche, le temps d’avoir mes papiers et de choisir une université anglophone pour faire mon doctorat. Donc c’est ça, j’aurais aimé travailler une année, maximum deux, et puis faire mon doctorat dans une université anglophone. Et puis travailler dans le consulting. Et enseigner dans une université anglophone. 5.5.3.2 TROUVER UN EMPLOI Plusieurs répondantes et répondants ont l’ambition de trouver un emploi au Canada, si ce n’est au Québec. L’objectif est d’acquérir une bonne expérience qui leur permettra d’être plus facilement embauchés lorsqu’ils rentreront dans leur pays, ainsi que de gagner de l’argent. Ce que je veux, c’est travailler ici. Travailler dans un poste qui rencontre mes qualifications, c'est-à-dire que je ne veux pas travailler dans n’importe quoi juste pour dire que je travaille. Travailler dans un poste qui est valorisant. Donc une expérience valorisante. Et puis le salaire. Je suis jeune donc ma principale préoccupation c’est l’argent, combien je vais gagner. Je vais le comparer avec le salaire que j’aurais touché au Maroc. Je voudrais bien que ça vaille le coup d’être venu ici, d’avoir fait deux années d’études supplémentaires. De postuler pour un emploi qui vaille le coup d’avoir fait tout ça, c'est-à-dire un salaire acceptable, des conditions sociales acceptables. (Khalid) Je t’avais dit que je ne pensais pas passer ma vie ici, mais si je trouve un travail, un stage ou quelque chose je vais rester un peu ici pour avoir un peu d’expériences parce que si je rentre au pays sans expérience, tout ce que j’ai fait n’aura servi à rien. Donc il faut un peu d’expérience. Même un stage ce n’est pas vraiment de l’expérience au Maroc. Mais au moins, ça fait sérieux. Parce que si je ramène seulement mon diplôme, j’aurai de la misère à trouver. Pas de la misère, j’aurai beaucoup de problèmes pour trouver un travail. Donc je vais essayer de trouver un travail ici ou un stage. […]. Sinon je rentre. (Hicham) 5.5.4 LES PROJETS DE RETOUR 5.5.4.1 RENTRER « CHEZ SOI »… Pour plusieurs répondantes et répondants, le projet est, à terme, de retourner vivre dans leur pays d’origine, l’expérience québécoise ou canadienne étant vue principalement comme utilitaire, dans la mesure où elle leur permet d’acquérir une expérience de travail pour « valoriser mon CV » dit Khalid, « mais à la fin il faut que je rentre. Parce que ma 188 famille me manque ». Mourad veut lui aussi rentrer : « En tout cas, même si je reste ici, je ne pense pas que je vais rester ici toute ma vie. Ça c’est clair ». Dans le cas de Yasmine, le désir de rentrer dans son pays est lié au besoin de profiter du soutien familial dans l’éducation de ses futurs enfants « Ce n’est pas très facile d’élever des enfants toute seule et de les avoir toute seule ici avec un mari qui travaille ». 5.5.4.2 … OU RESTER À L’ÉTRANGER Plusieurs étudiantes et étudiants rencontrés n’ont pas de projet de retour au moins à court et moyen termes. La vision de Loubna et Sami sur leur avenir est plutôt de l’ordre de la croyance : ils sont ouverts à toutes les possibilités pour être présents là où ils pourront faire avancer les choses dans le cas de Sami, et s’épanouir dans le cas de Loubna. Personnellement, il n’y a rien qui m’oblige à quitter et rien qui m’oblige à rester. Pour moi, toutes les alternatives sont là. Ça ne me pose pas de problème de rester, ça ne me pose pas de problème de quitter. Là où le devoir va m’appeler, j’y serai. (Sami) Moi je suis très bien ici. Très bien. Et actuellement, c'est presque la fin de mon doctorat et je dois faire des choix, est-ce que je reste ici pour travailler, est-ce que je rentre chez moi. Et c'est sûr dans n'importe quel choix il y a le pour et le contre. Moi j'ai décidé de rester ouverte. […] s’il y a une expérience professionnelle ici, ça me tente vraiment de la prendre, s’il n’y a rien, je ne veux pas forcer les choses, je vais rentrer chez moi. Je suis ouverte à tout. Et c'est plutôt… ce n'est pas très scientifique, c'est plutôt de l'ordre de la croyance, que moi dans des situations pareilles je fais une demande à Dieu. Je dis : Si tu penses que le fait que je reste ici est bon pour moi, que tu m'aides à faire avancer les choses. Donc c'est ça, je suis ouverte à tout. (Loubna) Il est intéressant de noter que le projet de s’installer dans le pays d’accueil n’est pas forcément lié à une bonne expérience d’intégration au Québec : Hayet ou encore Maha veulent rester à l’international, même si elles ne pensent pas être socialement bien intégrées dans la société québécoise, ainsi que cela a été montré dans une partie précédente. C'est sûr que mon pays toujours va me manquer, c'est sûr. J'aime beaucoup mon pays, donc je ne sais pas encore ce que l'avenir me réserve. […] ça ne me dérange pas. Un peu partout. Peut-être au Québec, peut-être au Canada, peut-être à Toronto, peut-être à Vancouver, je ne sais pas. Je ne sais pas encore. (Maha) À long terme je sais pas ce qui va se passer. Mais moi ma personnalité en fait je suis le genre qui aime voyager trop, qui aime changer de pays. Moi par exemple j’aurais aimé avoir un travail où je change de pays tous les deux ans ou trois ans. C’est mon genre. (Hayet) 189 C ONCLUSION ET RECOMMANDATIONS 190 6.1 LA CONCLUSION Cette étude était basée sur trois variables principales : le sexe, l’ancienneté à l’Université Laval et le pays d’origine. Au terme de la recherche, il me semble que d’autres dimensions peuvent avoir un impact plus important que ces variables dans l’intégration des étudiantes et étudiants rencontrés. Davantage que le sexe, l’ancienneté de la migration et le pays d’origine, l’âge semble en effet jouer un rôle dans la volonté de s’ouvrir à la culture d’accueil : Loubna, en fin de doctorat et Karim, qui reprend ses études, semblent être les plus ouverts et prêts à faire des concessions pour s’intégrer. Le fait pour Maha d’avoir évolué dans une famille plus ouverte à l’occident serait aussi un élément conduisant à l’ouverture à la société d’accueil occidentale. Même si les situations d’intégration des étudiantes et étudiants rencontrés sont très variables, une tendance se dégage : pour beaucoup de répondantes et répondants, surtout les hommes, l’intégration sociale, contrairement à l’intégration académique, est loin d’être une priorité ; une bonne intégration académique va leur permettre de pouvoir ensuite s’intéresser au côté social de la vie universitaire, ce qui est une des caractéristiques du système d’enseignement nord-américain par rapport au système français (et par extension aux systèmes tunisien et marocain) : la vie étudiante sur le campus et les diverses activités organisées sont en effet une nouveauté pour ces étudiants. L’intégration sociale semble en outre très sexuée (les femmes dans les résidences étudiantes et les hommes au PEPS) et par ailleurs très souvent très liée à l’Association des étudiants musulmans de l’Université Laval qui, comme le fait remarquer le répondant Hicham, ne faciliterait pas vraiment l’intégration entre Musulmans et non Musulmans. Quoi qu’il en soit, l’intégration sociale suppose des conditions favorables dans la société d’accueil, mais aussi une volonté de l’étudiant de s’intégrer. Or leur migration à Québec est très ponctuelle puisqu’elle est limitée à la durée des études : l’intégration sociale n’est donc pas perçue comme une obligation mais comme quelque chose que l’on fait en plus, si l’on a un peu de temps, ce qui n’arrive, pour beaucoup d’étudiantes et étudiants, qu’à la toute fin des études, au moment de rentrer dans le pays d’origine ou de 191 quitter Québec pour chercher du travail. Les étudiants ont donc pour la majorité d’entre eux une connaissance très limitée de la société d’accueil. Ils ne sont de plus souvent pas prêts à faire des concessions vis-à-vis de leurs pratiques religieuses et de leur culture d’origine, et demandent à la société d’accueil de s’adapter à eux. Il faut ajouter que la Politique d’accueil, d’encadrement et d’intégration de l’Université Laval ne semble pas atteindre une partie de sa population cible, à savoir les étudiantes et étudiants tunisiens et marocains. Leur perception de la rencontre au début de la première session avec une personne du Bureau du Registraire le montre : le vague parfum d’inutilité et de perte de temps qu’elle a laissé aux répondantes et répondants va complètement à l’encontre du but recherché. Cette réunion est en effet très importante, puisqu’il s’agit de la seule activité par laquelle les étudiants étrangers passent impérativement : dans l’ensemble, les répondantes et répondants ne participent pas aux activités d’intégration sociale de l’Université Laval et préfèrent consacrer leur temps hors cours à leurs études et aux exigences de la vie académique. Un étudiant seulement, Sami, se montre intéressé par la vie et les structures de l’université et affirme son sentiment d’appartenance à l’institution. En ce qui concerne les projets des étudiantes et étudiants rencontrés, il semble que le degré d’intégration n’ait pas vraiment d’influence sur la volonté de rentrer ou non dans le pays d’origine. Même lorsque leur situation d’intégration sociale ne leur semble pas satisfaisante, les répondantes et répondants ne changent pas leurs plans : les expériences de travail pouvant mener à une intégration en emploi précéderont une intégration sociale dont ils ne semblent pas douter par ailleurs. Québec, perçue comme une ville fermée à l’immigration, n’est de toute façon qu’une étape et aucune étudiante et étudiant rencontré ne veut s’y établir : tous ceux qui mentionnent vouloir s’intégrer en emploi disent souhaiter d’aller à Montréal, et le plus souvent veulent apprendre ou perfectionner leur maîtrise de la langue anglaise afin de travailler dans les provinces anglophones. 192 6.2 LA DISCUSSION DES RÉSULTATS J’ai indiqué tout au long de mon analyse les liens entre mes résultats et les approches théoriques développées pour introduire le sujet. Dans l’ensemble, les résultats confirment les recherches antérieures. La culture et les dimensions sur la culture nationale de Hofstede retenues ont été largement reprises par les répondantes et répondants, porteurs d’une culture spécifique. Seule une dimension pose problème : les indices donnés laissent penser que pour la majeure partie des aspects touchant au contrôle de l’incertitude, les étudiantes et étudiants rencontrés renversent l’échelle de Hofstede et considèrent que le contrôle est plus fort au Québec que dans leur pays d’origine. En ce qui concerne les stratégies des étudiantes et étudiants rencontrés face à la diversité et aux difficultés, mon hypothèse selon laquelle la migration pour études engendrait sûrement les mêmes réactions que la migration à long terme s’est vérifiée. L’ensemble des étapes du trajet migratoire (Oberg 1960, Cohen-Émerique 1980) ne sont cependant pas vécues par la totalité des répondants : la phase d’euphorie initiale est loin d’être un passage obligé et la confrontation n’intervient pas au cours d’une étape unique, mais tout au long du processus de migration. Les résultats des études portant sur l’intégration en milieu éducatif (Erlich 2000 ; Grayson 1997, 1995 ; Larose et Roy 1993 ; Boyer et Sedlacek 1988 ; Tinto 1987) se retrouvent largement dans cette enquête. Une différence peut toutefois être relevée avec la recherche de Grayson (1997) qui mettait l’accent sur la variable « lieu de résidence ». La conclusion de l’auteur était à l’effet que le fait d’habiter sur le campus facilitait l’implication des étudiants dans la vie universitaire, même si cela n’était pas forcément une bonne prédiction en ce qui concerne la réussite académique. Seule la répondante Maha souligne le rôle qu’ont eu les résidences universitaires dans son intégration sociale et la présence des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains en résidence ne favoriserait pas forcément leur implication dans la vie universitaire (la seule implication réelle se fait par le biais de l’Association des étudiants musulmans). Dans mon étude enfin, l’aspect religieux est très manifeste, particulièrement pour les étudiants rencontrés : la mosquée serait, pour la 193 majorité d’entre eux, l’instrument principal d’intégration et de socialisation (plus que la résidence sur le campus universitaire), puisque les prières communes quotidiennes sont l’occasion de faire de nouvelles connaissances et d’échanger des informations. 6.3 LES RECOMMANDATIONS À L’UNIVERSITÉ LAVAL Interrogés sur les recommandations qu’ils pourraient faire à l’Université Laval pour faciliter l’intégration des étudiants étrangers ou au moins de leur communauté, les étudiantes et étudiants rencontrés font plusieurs suggestions. Les points qui suivent résument les recommandations des répondants qui m’ont semblé les plus pertinentes et les plus fréquentes. 6.3.1 POUR AMÉLIORER L’INTÉGRATION ACADÉMIQUE Comme je l’ai montré, l’intégration académique est l’objectif principal des répondantes et répondants. Leurs principales recommandations vont donc dans le sens de l’amélioration de l’accueil pouvant favoriser leur meilleure intégration dans les études. 1) Élaborer un document explicatif, fourni lors de l’offre d’admission, donnant des informations sur : l’organisation des études au Québec, à l’Université Laval : contrôle continu, études libres, organisation des sessions, système de notation (à quoi correspondent les notes ? Quel est leur ordre ? Comment sont-elles calculées ?), doit-on prendre les cours obligatoires la première session ? la signification du vocabulaire académique utilisé (WebCT, NIP, crédit, etc.) : à combien d’heures de travail correspond un crédit de cours par exemple ? comment se comporter avec les professeurs : aller les rencontrer à leur local, ne pas hésiter à leur poser des questions, etc. 194 2) Que les professeurs accordent, pendant ou à la fin du premier cours, un moment exclusivement réservé aux étudiants étrangers pour leur expliquer par exemple : comment se servir de la bibliographie (que faut-il lire exactement ?) ; quelle est la méthode de travail exigée (travail avec les transparents, etc.) ; comment doit être rédigé un devoir, quelles sont les exigences d’organisation, de niveau de langue à utiliser, etc. 3) Pour le programme d’étude choisi, savoir exactement quels sont les préalables de chaque cours, pour que les étudiants puissent s’organiser et commencer certaines révisions avant d’arriver s’ils sentent qu’ils ne maîtrisent pas totalement des notions qui peuvent leur être utiles. 4) Prendre en compte le fait que les cours probatoires ne sont pas inclus dans le financement réservé aux boursiers du gouvernement tunisien. 5) Mettre en place un système automatique de marrainage ou de parrainage dans les facultés, pour que chaque étudiante et étudiant étranger soit pris en charge, au moins les deux premières semaines, par une ou un étudiant québécois. Cette assistance peut se poursuivre en dehors des heures de cours pour faciliter l’intégration sociale. Le sexe du parrain ou du parrainé peut être laissé au choix des deux partis (peut-être par exemple qu’une étudiante voilée sera plus à l’aise avec une étudiante). 6) Un point spécifique à la Faculté des sciences de l’administration : faire des groupes de travail aléatoires, de même pour les groupes dans les cours sur WebCT, pour encourager la mixité des groupes et les échanges interculturels. 195 6.3.2 POUR AMÉLIORER L’INTÉGRATION SOCIALE En ce qui concerne l’intégration sociale, les suggestions des répondantes et répondants se font moins nombreuses. 1) Lors de la rencontre au Bureau du Registraire : les étudiantes et étudiants étrangers ne devraient pas être accueillis par un étranger mais par une Québécoise ou un Québécois (formé aux problématiques interculturelles), pour ne pas créer de barrière dès le premier contact avec l’administration (le problème est le même aux résidences), de sorte que les Québécoises et Québécois ne soient pas juste celles et ceux qui gèrent, mais aussi les personnes qui accueillent ; éviter de donner un trop grand nombre de documents en même temps ; essayer de développer une assistance plus personnalisée : par exemple faire une réunion pour tous les étudiantes et étudiants d’une même nationalité. 2) Développer le dialogue entre les différentes nationalités et communautés (au niveau facultaire et à l’intérieur des programmes), et sensibiliser les étudiantes et étudiants québécois à la présence sur le campus des étudiants d’autres nationalités. 3) Favoriser les initiatives plus informelles, notamment au niveau facultaire et dans chacun des programmes d’étude, plutôt que les « grosses » journées d’information et les « grandes » soirées organisées. 4) S’assurer de la présence d’autres types de boissons que l’alcool pour célébrer l’accueil et que les sorties étudiantes ne s’articulent pas exclusivement à fêter ensemble autour d’une bière ou autre boisson alcoolisée. 196 5) Le fait de ne pas avoir le droit de travailler en dehors du campus est souvent cité par les étudiantes et étudiants étrangers comme un frein à l’intégration sociale. Depuis la fin avril 2006, cet obstacle n’existe toutefois plus pour les étudiants étrangers de l’Université Laval. 6.4 LES AVENUES DE RECHERCHE Un certain nombre de suites pourraient être données à cette recherche : 1) Mener une étude sur le même sujet (intégrations académique et sociale des étudiants à l’Université Laval à la maîtrise et au doctorat) en comparant des étudiantes et étudiants de ces deux pays avec des étudiants québécois dans les facultés où les étudiantes et étudiants étrangers de ces deux pays sont les plus nombreux (Administration, Science et Génie) ; 2) Comparer les intégrations sociales et académiques des étudiantes et étudiants tunisiens et marocains avec celles des étudiantes et étudiants d’autres nationalités ; 3) Approfondir la question des rapports sociaux de sexe, de classe et d’ethnie ; 4) Comparer des approches facultaires différentes par rapport à l’intégration des étudiantes et étudiants étrangers ; 5) Tester d’autres modèles théoriques que celui de la socialisation et de l’intégration comme mécanismes menant aux réussites scolaire et sociale. Il pourrait par exemple s’agir d’une approche davantage conflictuelle et radicale postulant que les contradictions du système, ses divers curricula et les interactions de différents types peuvent aussi permettre aux étudiantes et étudiants de s’émanciper et de prendre du pouvoir (empowerment) sur leur vie ; 197 6) Selon leur intégration et leurs projets, voir comment les étudiantes et étudiants rencontrés évoluent, dans leurs études et leur vie professionnelle. 198 L ES R EFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ABDALLAH-PRETCEILLE, Martine 1992 Quelle école pour quelle intégration ? Paris, Hachette, Centre national de documentation pédagogique, 124 p. AHMAD, Fauzia 2001 « Modern Traditions? British Muslim Women and Academic Achievement », Gender and Education, 13, 2 : 137-152. ASSOCIATION CANADIENNE DES PROFESSEURES ET PROFESSEURS D’UNIVERSITÉ (ACPPU) 2005 Almanach de l’enseignement postsecondaire au Canada de l’ACPPU. Ottawa, ACPPU, 50 p. 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Quel a été ton parcours scolaire au Maroc/en Tunisie ? (études, types d'établissements scolaires, parcours international etc.) Quelles sont tes études actuelles ? (secteur, cycle), Pourquoi as-tu choisi ce secteur ? (faire un lien avec la situation économique et les politiques d'éducation en Tunisie et au Maroc, ou dû à une bourse ?) 2- Pourquoi partir étudier à l'étranger ? En faisant le lien avec les questions 1a et 1b (c'est-à-dire selon l'expérience familiale, le parcours scolaire, etc.), l'objectif est de faire ressortir les raisons objectives (bourse, formation qui n'est pas offerte dans leur pays, valeur du diplôme sur le marché du travail, etc.) ou subjectives (attirance, faire comme les parents, connaissance de l'étranger antérieure à cette expérience, etc.) qui les ont fait quitter leur pays pour venir faire des études à Québec. S'agit-il de ta première migration ? a- Raisons « objectives » Bourses et autres formes d’aide financières (par exemple la promesse d’un emploi dans un laboratoire en arrivant à l’université). *Si l'étudiant a une bourse Est-ce une bourse offerte par l’Université Laval ? Peux-tu me décrire ce programme de bourse ? (type de bourse (entre États, entre universités, entre professeurs ; par ministère, association, organisme international…), critères de sélection, à quelles conditions continuent-ils à recevoir cette bourse ? Y a-t-il une obligation de résultats ?) À quelles conditions matérielles est associée cette bourse ? (Est-ce que la somme permet de subvenir à ses besoins ou est-elle limitée ? Donnait-elle le choix dans la destination ? Donnait-elle le choix du programme d’étude ?) *Si l'étudiant n'a pas de bourse Pourquoi es-tu venu ? Pourquoi le Québec ? Pourquoi Québec ? (Par exemple sontils venus en s'appuyant sur le réseau de socialisation de la famille ?) Est-ce que tes parents payent tout ou as-tus un travail sur le campus ? Ou as-tu un conjoint qui travaille ou qui perçoit une bourse ? b- Raisons « subjectives » (importance du réseau, « habitus international » dans la famille, etc.) Pourquoi l’Amérique du Nord ? Le Canada ? Le Québec ? La ville de Québec ? 3- L’Université Laval a- Avant l’arrivée à Québec Comment se sont passées les démarches administratives qui entourent ton inscription à l’Université Laval ? 207 Ont-ils identifié et choisi leur programme avant de venir ? Avaient-ils déjà formulé leur projet de mémoire ou de thèse avant de partir ? S’étaient-ils renseigné sur les champs de recherche des professeurs avant de venir ? b- À l’arrivée Comment s'est passée l'arrivée à l'université ? (Niveau formel : démarches d'inscription, rapports avec les différents services : facilité ? Compréhension de ce qui était demandé ? Recherche du logement etc.). As-tu fait appel à un réseau de contacts pour t’aider dans ces démarches ? Comment s'est passée ton arrivée à Québec ? Quel a été le vécu ? Qu'est-ce qui était prévu avant l'arrivée ? Qu'est-ce qui s'est réellement passé ? (choc de l'arrivée ou pas ?) 4- Intégration (la dimension du temps doit être prise en considération pour toutes les questions qui suivent : différencier pour chaque dimension le premier trimestre et les trimestres suivants) a- Intégration académique As-tu ressenti des différences dans la façon de conceptualiser les études ? Dans la définition de la réussite ? Dans la projection de soi dans l'avenir ? Dans la façon de concevoir la recherche et ton « rôle » d'étudiants chercheurs ? *dans les cours Comment se passent les cours ? As-tu réussi à t'y intégrer ? (compréhension des attentes, des exigences pédagogiques, etc.) As-tu ressenti des différences dans la façon d'étudier ? 208 *dans les laboratoires Te sens-tu intégré dans le laboratoire où tu travailles ? Quelles sont tes relations avec les autres étudiants ? Avec les professeurs et professionnels de recherche ? *pour la supervision pédagogique Comment perçois-tu les rapports avec les professeurs (problèmes de la distance hiérarchique, de la communication, etc.) ? *dans la relation avec les étudiants de leur programme Quelles sont tes relations avec les autres étudiants de leur programme, les Québécois notamment ? Les étudiants d’autres nationalités ? Les étudiants de ta communauté ? *dans les rapports avec les différents personnels Quels sont tes rapports avec la direction de programme, les personnels professionnels et de soutien ? *au niveau du comité de programme ou des autres instances de leur faculté Prends-tu part aux instances de direction de leur faculté ? T’implique-tu ailleurs que dans tes cours ? Quelles ont été tes stratégies mises en place pour faciliter ton intégration académique ? Ont-elles été efficaces ? Te sens-tu intégré sur le plan académique ? Comment définirais-tu le concept d’intégration académique ? Qu’est-ce qui pourrait être fait à l’Université Laval pour faciliter l’intégration académique des étudiants tunisiens et marocains ? Des étudiants internationaux en général ? 209 b- Intégration sociale * à l’Université Laval T’intègre-tu aux Maghrébins ou aux autres groupes dans l’université ? Vis-tu en résidence universitaire ou hors du campus ? Pourquoi as-tu fait ce choix ? Participe-tu à des activités organisées par l'université ? T'implique-tu dans la vie universitaire ? (associations étudiantes, bénévolat, sorties…) *dans la société québécoise et/ou dans la communauté maghrébine à Québec Quelles sont tes relations avec les autres groupes de l'université (étudiants étrangers d'autres nationalités, étudiants québécois ) ? As-tu des amis québécois ? Comment perçois-tu la société québécoise ? As-tu déjà été invité chez des québécois ? Comment est-ce que cela s'est-il passé ? Comment te perçois-tu par rapport aux Québécois ? Comment perçois-tu les Québécois ? Quel regard pense-tu que le reste de la communauté étudiante porte sur toi ? La société québécoise ? Les médias ? As-tu déjà vécu des expériences de rejet ? As-tu au contraire vécu des expériences d’accueil ? Peux-tu expliquer cela avec du recul ? Sens-tu une évolution de tes perceptions ? (Manques, difficultés, résistances, hésitations, question de leur perception de leur identité) Est-ce que les relations que tu entretiens avec les autres groupes sont des stratégies d’intégrations académique et sociale ? Quelles ont été les stratégies mises en place pour faciliter l’intégration sociale (associations étudiantes, programmes et facultés, résidences étudiantes, etc.) ? Ont-elles été efficaces ? Te sens-tu intégré sur le plan social ? Comment définirais-tu le concept d’intégration sociale ? 210 Qu’est-ce qui pourrait être fait à l’Université Laval pour faciliter l’intégration sociale des étudiants tunisiens et marocains ? Des étudiants internationaux en général ? Connais-tu la politique d’accueil et d’intégration des étudiants de l’Université Laval ? Connais-tu les ressources qui sont mises à la disposition des étudiantes et étudiants étrangers par l’Université ? Si oui, comment les perçois-tu ? Les utilise-tu ? Est-ce pour toi un facteur d’intégration facilitant ? Y a-t-il des mesures mises en place pour faciliter l’intégration des étudiants étrangers dans ton programme ? 5- Projets Compte tenu de ton expérience actuelle et de ton degré d'intégration, comment voistu l'avenir ? (Projets professionnels, privés : lieu d'installation future… Quel est leur ancrage à Québec ? Ont-ils fait une demande de résidence permanente ? Y a-t-il pour eux des possibilités d'intégration en emploi ?) Es-tu un émissaire qui retournera dans son pays ? Où ? Quand ? Comment ? Avec qui ? Pourquoi ? Selon leur sexe : comment pense-tu pouvoir t’intégrer sur le marché du travail dans ton pays ? As-tu des visées d'autonomie et d'intégration dans la société d'accueil ? Question complémentaire selon l’entretien Considère-tu que la religion joue ou a joué un rôle dans ton intégration ? Si oui : Quel est le lien entre ta pratique actuelle et le vécu dans ton pays d'origine ? Y a-t-il une évolution dans le vécu depuis ton arrivée à l'université ? Quelle est ta vision de la religion ? Quelle place occupe-t-elle dans ton quotidien ? Comment parviens-tu à concilier ta pratique avec ta vie étudiante ? Cette pratique est-elle réellement l'expression d'un sentiment religieux ou plutôt un attachement à ta culture ? 211 A NNEXE B : L E FORMULAIRE DE CONSENTEMENT FACULTÉ DES SCIENCES DE L'ÉDUCATION Dép. d'administration et évaluation en éducation Cité Universitaire Québec, Canada G1K 7P4 FORMULAIRE DE CONSENTEMENT L’intégration des étudiants tunisiens et marocains à l’Université Laval Cette recherche s'effectue dans le cadre du projet de maîtrise de Mme Virginie Duclos sous la direction de Mesdames Hélène Cardu et Renée Cloutier. La nature et les procédés de la recherche se lisent comme suit : 1. La recherche a pour but de comprendre les mécanismes et stratégies d'intégration des étudiants tunisiens et marocains à l'Université Laval. Un de mes postulats de départ étant que l’intégration diffère selon la culture d’origine et selon la distance entre la culture de départ et la culture d’accueil, j’ai voulu me pencher sur une population en particulier parmi celles qui étaient les plus représentées à l’Université Laval (à savoir les Français, puis les Tunisiens et les Marocains). Étant moi-même Française, j’ai estimé que j’aurais du mal à garder une distance critique suffisante pour mon étude. Ceci m’a conduite à m’intéresser plus particulièrement aux étudiant tunisiens et marocains. 2. L'étude demande à chaque participante et participant de passer un entretien d'une durée d'environ 45 minutes à une heure. 3. L’acceptation ou non de l’enregistrement de l’entretien sur cassette audio est laissée au choix de chaque participante et participant. 4. L'entretien comprend les éléments suivants : - éléments d'information générale sur le profil familial et personnel ; - éléments d'information sur les motivations du départ pour l'étranger ; - éléments d’information sur les processus de choix de l’Université Laval et les démarches entreprises depuis le pays d’origine pour venir au Québec. - éléments d'information sur le vécu en arrivant à Québec ; - éléments d'information sur les intégrations académique et sociale à l’Université Laval ; 5. éléments d'information sur les projets scolaires et professionnels. Chaque participante et participant pourra se retirer de cette recherche en tout temps, sans avoir à fournir de raison ni à subir un préjudice quelconque. 6. Cette recherche offrira à chaque participante et participant l’opportunité de partager son expérience et de faire le point sur sa situation d’intégration à l’Université Laval. Elle pourra aussi permettre à l’université d’ajuster les mesures mises en œuvre pour permettre une meilleure intégration des étudiants internationaux. 7. Si certains éléments de l’entretien éveillaient une prise de conscience de certains aspects difficiles de sa situation d’intégration et suscitait des réactions et remises en question, chaque participante et participant pourrait trouver une aide psychologique au Centre d’orientation et de consultation psychologique de l’Université Laval : Centre d’orientation et de consultation psychologique Pavillon Maurice Pollack Bureau 2121 Renseignements- Secrétariat : (418) 656-7987 accueil@cocp.ulaval.ca [en ligne] [www.cocp.ulaval.ca] 8. Chaque participante et participant est assuré que son identification dans cette recherche restera confidentielle et que son discours ne servira qu’aux fins de ce mémoire et des communications et publications scientifiques qui pourraient en résulter. 9. En ce qui concerne l'anonymat des participants et participantes et le caractère confidentiel des renseignements fournis tant pour la collecte et le traitement des données que pour la publication des résultats, les mesures suivantes sont prévues : 213 - les noms des participantes et participants n'apparaîtront sur aucun rapport ; - des codes en chiffres et en lettres seront utilisés pour remplacer les noms des participantes et participants. Seule la chercheuse aura accès à la liste des noms et des codes ; - si les renseignements obtenus dans cette recherche sont soumis à des analyses ultérieures (comprenant des études doctorales), seul le code apparaîtra sur les divers documents ; - les données seront conservées 10 ans avant d’être détruites ; - les résultats publiés ne contiendront aucune information susceptible de permettre l'identification d'une personne ; - en aucun cas, les résultats individuels et les informations fournies par les participantes et les participants ne seront communiqués à qui que ce soit. Cette recherche est faite par Virginie Duclos (virginie.duclos.1@ulaval.ca) sous la direction de Mesdames Renée Cloutier et Hélène Cardu de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval (Renée Cloutier : 656-2131 poste 7784 ; renee.cloutier@fse.ulaval.ca), à qui toute demande de renseignements supplémentaires concernant cette étude pourra être adressée. Je soussigné(e) ______________________________ consens librement à participer à la recherche intitulée : L’intégration des étudiants tunisiens et marocains à l’Université Laval. _________________________________________ _ Signature du (de la) participant(e) ____________________ _ Date _________________________________________ _ Nom du (de la) participant(e) en lettres capitales _________________________________________ _ Signature du (de la) chercheur(e) ____________________ _ Date 214 No d'approbation du CERUL et date d'approbation : 2005-041, mars 2005. Toute plainte ou critique pourra être adressée au Bureau de l'ombudsman de l'Université Laval : Pavillon Alphonse-Desjardins, Bureau 3320 Renseignements - Secrétariat : 656-3081 Télécopieur : 656-3846 Courriel : ombuds@ombuds.ulaval.ca 215 A NNEXE C : L A NOMENCLATURE DES PROFESSIONS ET CATEGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES (PCS) A HUIT POSTES DE L ’INSEE 1. Agriculteurs exploitants Agriculteurs exploitants 2. Artisans, Artisans commerçants et Commerçants et assimilés chefs d’entreprise Chefs d’entreprise (10 ou +) 3. Cadres et professions intellectuelles supérieures 4. Professions intermédiaires 5. Employés 6. Ouvriers 7. Retraités Agriculteurs sur petite exploitation Agriculteurs sur moyenne exploitation Agriculteurs sur grande exploitation Artisans Commerçants et assimilés Chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus Professions libérales Cadres de la fonction publique professeurs, professions scientifiques professions de l’information, des arts et spectacles Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise Instituteurs et assimilés Professions intermédiaires de l’enseignement, de la santé, de la Professions intermédiaires de la santé et du travail social fonction publique et assimilés Clergé, religieux Professions intermédiaires administratives de la Professions intermédiaires administratives et commerciales fonction publique Professions intermédiaires administratives et des entreprises commerciales des entreprises Techniciens Techniciens Contremaîtres, agents de maîtrise Contremaîtres, agents de maîtrise Employés de la fonction publique Employés civils et agents de service de la fonction publique Policiers et militaires Employés administratifs Employés administratifs d’entreprise d’entreprise Employés de commerce Employés de commerce Personnels de services directs Personnels des services directs aux particuliers aux particuliers Ouvriers qualifiés de type industriel Ouvriers qualifiés Ouvriers qualifiés de type artisanal Chauffeurs Ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport Ouvriers non qualifiés de type industriel Ouvriers non qualifiés Ouvriers non qualifiés de type artisanal Ouvriers agricoles Ouvriers agricoles Retraités Retraités Professions libérales Cadres de la fonction publique, professions intellectuelles et artistiques Cadres d’entreprise 8. Sans activité professionnelle Source : INSEE, [en ligne] [http://www.insee.fr] (date de consultation : 28 août 2006).