Surfaces, tribologie et formage des matériaux

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Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Mélanges offerts à François Delamare
pour son 60 e anniversaire
Textes coordonnés par Éric Felder,
enseignant-chercheur à l’École des Mines de Paris
Les Presses de l’École des Mines
Paris, 2001
© École des Mines de Paris,
60, boulevard Saint-Michel, 75272 Paris CEDEX 06 FRANCE
e-mail : delamare@dg.ensmp.fr
http://www.ensmp.fr/Presses
ISBN : 2-911762-25-8
Dépôt légal : février 2001
Achevé d’imprimer en février 2001 (Reprotechnique, Paris)
Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour
tous les pays
SURFACES, TRIBOLOGIE ET FORMAGE DES MATÉRIAUX
Mélanges offerts à François Delamare
pour son 60e anniversaire
Les soixante ans de François Delamare, J. Lévy
1
I - QUI EST DONC FRANÇOIS DELAMARE ?
Melting at surfaces, G. E. Rhead
Histoire d'un recrutement, P. Baqué
François Delamare dans l'histoire du CEMEF, J.-F. Agassant
Tribologie et simulation numérique, un dialogue fructueux, J.-L. Chenot
La Tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité, E. Felder
Un sociétaire, M. Armbruster
A François Delamare numismate, C. Morrisson
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare,
J. de Bandt
Bibliographie de François Delamare
5
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17
21
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59
65
77
II - CARACTÉRISATION ET RÉACTIVITÉ CHIMIQUE DES SURFACES
La surface des verres : bases scientifiques pour la recherche industrielle,
P. Chartier
87
La micro-analyse nucléaire : application à la science des surfaces et interfaces
G. Béranger et D. David
107
Analyse non destructive de pigments et de colorants par des techniques
microspectrométriques, B. Guineau
129
Apport de la spectrométrie de masse des ions secondaires à temps de vol
(ToF-SIMS) à l'analyse des surfaces, M. Repoux, Y. de Puydt et R. Combarieu 143
Étude par ToF-SIMS des réactions thermiques et tribochimiques des additifs
d’onctuosité de lubrifiant de laminage à froid avec des surfaces d’acier
G. Dauchot, R. Combarieu et Y. de Puydt
171
III – DÉFORMATION ET RUPTURE DES INTERFACES
Déformation de gouttelettes approchées d’un polymère polarisé
E. Darque-Ceretti, S. Scotto-Sheriff et P. Cheyssac
Le rôle de l'interface dans la mise en forme des mélanges de polymères
immiscibles, D. Rusu, V. T. Tsakalos, P. Navard et E. Peuvrel-Disdier
Couplage entre les propriétés superficielles et volumiques des
matériaux caoutchoutiques. L'état de l'art, M. Barquins
195
207
233
Analyse mécanique de l’essai de clivage par le modèle de fondation
D. Maugis
Étude analytique et numérique de l'essai DCB de joints collés. Application
au joint époxyde / PVD
F. Bay, P.-O. Bouchard, E. Darque-Ceretti, E. Felder et S. Scotto-Sheriff
251
271
IV - TRIBOLOGIE
Tribologue, J.-M. Georges
291
• CONTACTS BASSE PRESSION
Évaluation des températures interfaciales dans un contact acier-céramique en
frottement sec, J. Denape et O. Dalverny
Le frottement des films polymères. Application à un moteur piézo-électrique
E. Felder et L. Vanel
Applications biomédicales des traitements de surface : nature des surfaces et
propriétés mécaniques, P. Guiraldenq, J. Rieu, B. Forest et J.-L. Aurelle
Paliers hydrodynamiques : aspects historiques et développements actuels
J. Frêne, M. Fillon et D. Nicolas
299
317
331
351
• CONTACTS HAUTE PRESSION, MISE EN FORME DES MÉTAUX
Couches de transfert et tribologie du laminage
P. Montmitonnet, F. Delamare et B. Rizoulières
Le bipoinçonnement : un essai rhéologique, tribologique et métallurgique
Y. Chastel et P. Noat
Modélisation de l'usure par abrasion des matrices de forgeage à chaud
K. Mahjoub et E. Felder
377
395
413
V - LA MODÉLISATION NUMÉRIQUE DES SURFACES EN MISE EN FORME
Modélisation numérique du contact et du frottement en mise en forme des métaux
M. Bellet, L. Fourment, E. Massoni et J.-L. Chenot
435
Étude de la stabilité du procédé de co-extrusion
R. Valette, L. Gavrus, P. Laure, B. Vergnes, Y. Demay et J.-F. Agassant
461
Une méthode simplifiée pour la simulation du profilage des tôles
G. Néfussi et P. Gilormini
477
VI – ARCHÉOMATÉRIAUX ET MISE EN FORME
Archéométallurgie et science des matériaux : une approche transdisciplinaire
F. Montheillet et M. Pernot
497
Pourquoi et comment le sou d'or de Byzance est devenu concave
P. Montmitonnet, F. Delamare et C. Morrisson
515
LES 60 ANS DE FRANÇOIS DELAMARE
JACQUES LÉVY
Directeur de l’École des Mines de Paris
1976, les «pionniers» essuient les plâtres à Sophia. Prenant mes fonctions à l’École des
Mines de Paris, je rends visite à l’équipe en place pour voir comment aider à ce que
l’installation se passe le mieux possible : tous les débuts sont difficiles !
Dire que, dans ce groupe, François Delamare passe inaperçu serait contraire à la vérité :
sa compétence, son enthousiasme, et sa facilité d’expression en font un des éléments
moteurs. Il serait excessif de dire que sa position de «lubrificateur» le place entre le
marteau et l’enclume : il faut toutefois souligner que, grâce à sa vigilance, le difficile
équilibre des activités du Centre de Mise en Forme des Matériaux fera toujours une
place de choix à la Physique, en particulier à cette physique des surfaces aux techniques
si coûteuses, dont les apports à la mécanique sont irremplaçables.
Il sera aussi un des promoteurs d’un des grands projets du CEMEF, le laminoir à grande
vitesse : expérience enrichissante à de multiples égards. Tout d’abord l’échelle des
sommes à mobiliser change, et il faut convaincre des industriels de se joindre
activement au projet. Ensuite il faut concevoir et construire (faire construire) une grosse
machine qui, naturellement tombe en panne, comme tout prototype qui se respecte, dès
que l’on veut faire une démonstration. Cela étant, c’est encore une machine très
originale, comme doivent en concevoir les laboratoires de recherche, qui a donné des
résultats nouveaux et intéressants.
Mais ce ne sont là que quelques exemples des multiples contributions de l’équipe qu’il
anime. Il serait dommage de ne pas insister sur la contribution de François Delamare
aux activités de formation : le voici Grand Ordonnateur du DEA de Physique et Génie
des Matériaux commun à l’UNSA et à l’EMP (tant que ceux-ci existent encore…) et de
ses fastes, qu’il anime de main de maître.
Mais François Delamare a bien d’autres cordes à son arc : grand collectionneur,
historien de la métallurgie, numismate, que sais-je encore…
Ses amis ont souhaité souligner avec quelque emphase son entrée dans le club des
sexagénaires : ils ont eu raison et je les en félicite. C’est une occasion de démontrer, s’il
en était besoin que, dans l’ordre de l’enthousiasme, le temps n’a pas de prise sur ceux
qui font vivre l’École des Mines.
Partie I
QUI
EST DONC
FRANÇOIS DELAMARE ?
Mélanges offerts à
François Delamare
pour son 60e anniversaire
MELTING AT SURFACES
GORDON E. RHEAD
Directeur de recherches au CNRS
To be in the right place at the right time. The answer to so many of the vicissitudes of
life, it is, of course, only known with hindsight. To be a young man in Paris, in the Latin
Quarter, in the 1960s, certainly looked like a good proposition. But when François
Delamare (hereafter, FD) walked into the 'Laboratoire de Chimie Appliquée', as it was
then called, in the École Nationale Supérieure de Chimie de Paris, and met the young
Englishman who was to be his thesis supervisor, he probably had well justified doubts.
As usual, things have to be seen in context, of which there are several layers. My own
journey to Paris had started in Manchester where I had, much earlier, gone to be an
undergraduate in physics. A high point of those impressionable student days had been a
period of several months working at a bench where Rutherford had done the famous
scattering experiments that demonstrated the existence of the atomic nucleus. A certain
Dr Braddick, who had had an important role in the development of radar, was in charge
of teaching 'The physics of the experimental method'. One of his practices was to make
sure that every piece of equipment for our 3rd year experiments was broken before any
student reached it. This so-called 'heuristic method' was claimed to be "good for research
training". We were also made familiar with the 'string-and-sealing wax' approach to
experimental innovation. Only later did I learn the French word 'bricoler'. This 'heuristic'
ethos of the time did indeed go all the way up to research level, as I discovered later in
Glasgow. There I met my first research tool in surface science, a razor blade ! This was
used to make fine scratches on metal surfaces. The scratches were healed by annealing at
high temperatures and in this way some of the first measurements were made of surface
self-diffusion. Anyway, FD was certainly to suffer from my dubious background.
The next contextual layer belongs to a broader history. The early 1960s were a turning
point for surface science studies. It had long been understood that very high vacua are
required for fundamental investigations of clean surfaces and adsorption phenomena.
Methods for producing such vacua had existed since the 1930s, although the actual
pressures were hard to measure and experiments generally involved cumbersome
techniques with all-glass systems. The spin-off from efforts to reach the moon changed
all that. In the early 60s, all-metal demountable (space-simulating) ultrahigh vacuum
equipment was being manufactured, notably by the Varian company in California. Also,
a collaboration between Lester Germer (co-discoverer of electron diffraction in the
1920s) and Bell Laboratories led to the manufacture of equipment for low-energy
electron diffraction (LEED), which was soon to become a basic tool in the new surface
science.
Towards the end of the decade it was shown that LEED equipment could be modified to
do Auger electron spectroscopy (AES). This consequently opened the way for
quantitative analysis of surface composition. Soon a whole panoply of analytical
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Surfaces, tribologie et formage des matériaux
techniques and instrumentation (and a bewildering list of acronyms) would be released
from the Pandora's box to the delight of both experimenters and funding agencies.
Two other factors are pertinent to the story. Firstly, in order to understand surfaces one
had to understand adsorption, structurally, atomistically, as well as thermodynamically.
Secondly, it had become clear that the best information came from studying singlecrystal metal surfaces. In both these aspects Jacques Bénard's laboratory in Paris had
already given an important lead. In fact when I went there in 1963 it was the foremost
(virtually, the only) European laboratory in the field. So far, so good, for FD !
In the management terms of today, the major real problems encountered in the laboratory
at that time would probably be called logistic. Things were in an exciting state of flux.
Should we pursue old topics or new ? Atomistic or macroscopic or both ? Use the homemade equipment or wait for the new shiny stuff ? (Shiny, it literally was!). One huge
piece of Varian equipment fell onto the tarmac at Orly and had to be sent back.
Meanwhile, the glass ultrahigh vacuum system it was meant to replace consumed liquid
nitrogen faster than the liquefying machine could produce the requirements of the whole
École! Trials, tribulations and vicissitudes were the order of the day. This was definitely
research as Dr Braddick had meant it to be. FD soldiered on through thick and thin. I
have great pleasure in awarding him, here and now, the medal for heuristic bravery.
Travelling across Paris daily on his Solex, lunching often on 'pain et chocolat' as he
explored the galleries, museums, and literary world of the Quartier Latin, searching for
coins or new discs to add to a fabulous music collection, writing a whole string of articles
for a technical encyclopedia... FD was saved from the daily drama of broken
thermocouples by his somewhat larger view of the universe... I think it all stood him in
good stead. Never pronounce the word 'dilettante' in his earshot... this is not a dabbler but
a true polymath (as time has shown!) - someone who is interested in so many things that
one lifetime will not suffice...
FD's thesis was in two distinct parts. The unifying theme was phase transitions at
surfaces and, in particular, the experimental evidence for surface melting. It represented
a bridge between the old and new surface science. Details will be found in Surface
Science 28 (1971) 267-284 ; 35 (1973) 172-184 ; 35 (1973) 185-193.
Work on surface self-diffusion of metal surfaces with various adsorbates showed sharp
increases in mobility at temperatures that could be associated with a melting transition.
The specific temperatures could be linked to a melting of a single atomic layer having the
characteristics of a two-dimensional compound of the substrate and the adsorbate. This
work led to the discovery of surface self-diffusion coefficients as high as 1 cm2 s-1 (I
have thought about writing to the Guiness Book of Records, for which, incidentally, I
was once, very briefly, their correspondent-in-France, but that's a different story). The
results had implications for many topics in metallurgy (e.g. sintering), crystal growth,
and corrosion science.
At that time, surface phase transitions were just beginning to be studied by modern
techniques. We had already, in the laboratory, made the first observations of the melting
of 'two-dimensional' lead on copper substrates. FD extended this work to the more
complex system, bismuth on copper. Here he not only found evidence for 2D melting but
Melting at surfaces
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was able to sketch out what appears to have been one of the first (perhaps, the first)
phase diagram for a 2D metal monolayer.
One image of FD stands out. I have the photograph ! It was taken during a tour of China
where we were both lucky to be part of a small delegation of 'scientific missionaries'. We
had been taken by our Chinese hosts to a kind of gala acrobatic performance the night
before. The photograph shows FD entertaining our group the following lunchtime with
an act of balancing on a tower of chairs while juggling (or pretending to juggle) with a
whole collection of things. A telling picture that just about sums it up.
François was not only a stimulating colleague but also a superb friend and both he and
Marie-France helped make that time in the Quartier Latin, a very meaningful and
memorable one. In many different ways it was the right place to be and it was the right
time - and FD was the right man!
HISTOIRE D'UN RECRUTEMENT
PIERRE BAQUÉ
Fondateur du CEMEF
PB & A 37, avenue de Lowendal - 75015 Paris
Les raisons pour lesquelles j'ai embauché François Delamare en mai 1973 n'ont jamais
été démenties. Le fait mérite d'être cité, car, parmi les dizaines d'embauches que j'ai été
conduit à conclure, cette caractéristique est rare. Je veux dire que je me suis souvent
trompé. Non que la nature humaine soit décevante ou trompeuse, mais elle est souvent si
complexe que les premiers entretiens, quelques soigneux qu'ils soient menés, et quelles
que soient les précautions dont ils s'entourent, donnent du candidat une représentation
qui tient davantage des a priori catégoriels du décideur, de ses projections, de ses
souhaits implicites, ou de ses appréhensions, que d'une perception sereine et pondérée. Je
disais donc que j'avais embauché François sur un faisceau de raisons, qui ont servi
d'habit à une impulsion, impulsion qui, pour une fois, et grâce à lui, se révéla excellente.
En outre, et là n'est pas le moindre attrait de cette relation, la perspective qui m'est
donnée parfois, trop rarement, de passer un week-end avec lui, et son épouse MarieFrance, m'apporte, ainsi qu'à mon épouse Catherine, une grande joie. Je compte en ce
récit aborder les circonstances amusantes de notre rencontre, l'impression qu'il me fit
alors, et les raisons que je pus construire pour justifier mon désir de l'introduire au
CEMEF. Ces raisons posent à leur tour la question du recrutement des chercheurs, que
j'aborderai pour finir.
LA RENCONTRE AVEC FRANÇOIS DELAMARE
Nous sommes en 1973. Le regard que nous portons alors sur les opérations de mise en
forme nous conduit, Eric Felder et moi, à considérer comme phénomènes souvent
déterminants de l'interaction avec l'outil, les réactions physico-chimiques des surfaces,
phénomènes auxquels les approches classiques du frottement, macroscopiques, voire
plasto-hydrodynamiques, ne peuvent donner traduction correcte, explicative ou
prédictive. La complexité et l'importance pratique des phénomènes de transfert,
d'adhésion, d'usure, de mouillage, ou encore le rôle des additifs dans les lubrifiants, la
nature des atmosphères qui entourent le lieu des interactions fortes outil / matière en
cours de mise en forme... rendent selon nous indispensable la présence dans l'équipe d'un
physicien des surfaces. Je m'en ouvre au Directeur Scientifique de l'École des Mines, le
très brillant Michel Turpin, qui en convient immédiatement et m'encourage en ce sens,
soulignant que ces outils conceptuels de décryptage nous manquent. Il pense aussi, c'est
mon interprétation rétrospective, que la présence d'un tel homme parmi cette troupe de
mécaniciens et thermiciens qu'est le CEMEF en gestation, à peine dégrossis à la physique
des solides ou à la thermodynamique, apporterait un zeste opportun de cet esprit des
sciences naturelles, qui est pétri d'observation, et rompu à la collecte soigneuse des faits
expérimentaux, respectés en tant que tels, avant toute intervention des modèles
interprétatifs.
Le réseau de l'élite scientifique française joue. En faisant ses courses un dimanche matin
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Surfaces, tribologie et formage des matériaux
au marché d'Antony, ou quelque chose comme cela, Michel Turpin en touche deux mots
à Jacques Bénard, Directeur de l'École de Chimie de Paris. Celui-ci dispose précisément
dans ses équipes d'un thésard en fin de parcours, un certain François Delamare, en quête
de débouché. A l'occasion d'une rencontre dans les lavabos de l'École de Chimie, Jacques
Bénard en fait part à l'intéressé. La connexion est faite.
Ainsi, je reçois François Delamare dans mon bureau étroit du boulevard Victor, au sol de
béton peint, (en gris, quel raffinement !). Je signale que le bureau de Pierre Avenas était
alors encore plus étroit, et sans fenêtres sur la rue, alors même que s'y déroulaient, sous
nos yeux émerveillés, des pelotes polymériques au sein de tenseurs visco-élastiques plus
complexes que les nôtres - tout plastifiés et sans mémoire - et que les bifurcations les
plus fascinantes émergeaient des longues pages de calcul de Pierre, couvertes de son
ruban graphique, si semblable aux écheveaux des polymères. (Vous remarquez que je
m'acquitte ici du devoir d'édification donné aux plus anciens à destination des plus
jeunes, en soulignant la précarité matérielle romantique et fondatrice de notre équipe de
pionniers).
François pousse la porte. Sans être le docteur Bern qui, dès l'entrée d'un client dans son
bureau, percevait le scénario intérieur du quidam, ses origines, ses relations avec ses
parents, les mécanismes de son être au monde, la façon dont il se comportait, et comment
il mourrait, sans être Bern donc, je suis instantanément intéressé par François Delamare.
Je ne doute pas que son expérience de l’adsorption d'atomes isolés sur la face (111) du
cuivre ultra-pur nous sera rapidement d'une grande utilité pour résoudre les questions
d'usure des filières à l'usine de filage de Givet, sous les agressions des alliages de cupronickels à 850 °C, et que sa mobilité intellectuelle, aisément perceptible, lui permettra de
s'infiltrer dans nos équipes, dans nos raisonnements, et chez nos clients. Avant donc
d'analyser les composantes de sa personnalité, ce dont je m'acquitterai ci-dessous, je suis
enclin à l'intégrer dans notre équipe. Reste à le séduire.
A l'époque, ma technique de séduction était la suivante. Elle se déroulait en trois temps :
D'abord l'écoute attentive, et toujours fructueuse du candidat. Lui demander d'expliquer
la teneur de ses travaux. Poser des questions nombreuses sur ses centres d'intérêt, sur les
moments les plus excitants de sa vie de chercheur, les circonstances où il s'épanouit et
celles où il se sent mal à l'aise, ses activités extra professionnelles, les liens, les
cohérences qu'il peut y avoir entre tout cela... Rechercher des fragments de connivence
intellectuelle, des analogies entre ses travaux et les miens, ou celles de chercheurs du
centre. Bien entendu le mettre sur le terrain du projet personnel, sur sa vision du futur,
ses aspirations, ses goûts, ses dégoûts... Bref, l'attitude technique et empathique du
sélectionneur de candidatures. D'autres choisissent des techniques plus agressives, plus
brutales, des techniques de déstabilisation pour découvrir les aptitudes réactionnelles de
la personne, ou briser les attitudes convenues, arracher les masques, atteindre à cœur. Ce
sont des approches que je ne maîtrise pas, que je n'aime pas, que je ne pratique jamais.
De toute manière, on ne peut séduire dans cette approche que des tendances
masochistes... Il y en a. Elles ne m'attirent pas. Je lui préfère cette méthode empathique,
qui permet de faire au cours de l'entretien un petit voyage avec la personne et donc de
sentir si, au-delà des expertises techniques du candidat, l'alchimie du travail en équipe
conduira à un heureux développement de ce travail. A l'issue de ce parcours, les deux
partenaires d'entretien perçoivent si un réglage relationnel ultérieur est possible.
Histoire d’un recrutement
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L'interviewer en sait déjà pas mal. L'interviewé, par la nature des questions qui lui ont été
posées, de l'écoute qui lui a été accordée, des fragments de connivence qui ont été glanés,
a noté le climat intellectuel et affectif dans lequel il serait inséré s'il venait à travailler en
ce lieu.
En second temps, il faut parler. Il faut décrire le projet d'ensemble qui se bâtit ici. La
nature du discours n'est pas toujours la même. Certes, il ne s'agit pas de modifier la
nature du projet de l'équipe, et d'en adapter la teneur aux aspirations du candidat. Ce
serait bête, malhonnête et in fine déceptif. Mais, comme disait Pierre Lavenas (ne pas
confondre avec Pierre Avenas), pourquoi mentir quand il y a tant de façons de dire la
vérité ? C'est vrai pour l'exposé des projets collectifs. La longueur du discours, le style de
son accent, plus ou moins appuyé sur certains aspects, les horizons dessinés, sont
déterminants. Et là, le développement approfondi du premier temps ci-dessus est
essentiel. Le réglage de communication interpersonnelle qui a pu se construire au cours
du voyage co-explorateur précédent va jouer. Pour François, il est clair que la pulsion
cognitive est importante, et il n'est pas opportun de présenter le CEMEF comme
débouchant presque sûrement sur une embauche dans une société métallurgique de
renom pour y effectuer une trajectoire de production brillante, la compléter par un cycle
de gestion, et accéder par l'effort, la volonté et la technique aux responsabilités
éminentes d'un Directeur Général. Il faut au contraire souligner l'intérêt de la
pluridisciplinarité ambiante, l'ouverture à des regards multiples, à des approches
différentes (lui parlai-je déjà de nos séances de poésie et d'expression orale avec Mytho
Bourgoin, qu'il appréciera tant après ?). Donner à notre démarche un sens, une
épistémologie propre. J'avais appris cela de Pierre Marie Fourt, qui précédemment
m'avait attiré dans cette voie. Et elle correspondait bien à François. Il y a d'une part
chaque étude isolée, spécifique, ponctuelle. Mais il y a aussi, comme une enveloppe à
toutes ces études, une démarche, un sens, une attitude dans le monde, quelque attribut qui
soutient l'action sur le long terme.
En troisième lieu, arrive la légitimation de tout ce discours par la pratique et le vécu de
ceux qui sont déjà dans notre aventure. Non pas moi, ni Pierre Avenas, mais Pierre
Fernier, Bertrand Lapostolle, Eric Felder, Michel de Vathaire, Jérôme Hyafil... Et je
l'invite à discuter de la vie du CEMEF avec les chercheurs, sans ma présence bien sûr,
les incitant à parler de tout, de ce qui leur plaît, de ce qui ne va pas. L'authenticité de
cette démarche sans filet, la volonté commune d'enrichir notre action, et l'attrait des
personnalités de chacun, font le reste.
Malgré certaines craintes de ne pas franchir la distance entre les surfaces pures des
expérimentateurs fondamentaux et les surfaces industrielles des ateliers, malgré
l'appréhension d'entrer dans un centre qui ne brillait pas à l'époque par le nombre des
docteurs reconnus par l'Université (il était le premier), il accepta.
UNE FIGURE
Quelles étaient, rétrospectivement, ces raisons nombreuses qui m'avaient conduit à
souhaiter la présence de François dans l'équipe du CEMEF ? C'est à un portrait que
m'incite la question.
François est un ressort. Un ressort fait homme, insaisissable, comme un diable qui sort
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Surfaces, tribologie et formage des matériaux
d'une boite. Je reviendrai sur le diable ci-dessous. Parlons d'abord du ressort. Cet homme
dispose sans doute d'un temps de chronaxie plus faible que la moyenne de ses
congénères, ou d'un rythme cérébral plus rapide. Sa pensée va, vient, rebondit. Plus
rapide, il tomberait dans l'épilepsie. Il n'y tombe pas. Il avance sur la crête de ses
explorations, poursuivant son idée, malgré des détours apparents, des discursions, des
apartés, des clins d'œil (pas toujours saisis par ses partenaires). S'il était un Dieu grec, il
serait Hermès. S'il était un métal, ce serait le vif argent.
Derrière cette vivacité, il y a comme une angoisse existentielle, que dénonce aux autres
ce profond accent aigu au milieu de son front, entre les sourcils, et qu'il avait en commun
à l'époque avec Mytho. Cette angoisse est le moteur de son avidité cognitive, de son
insatiable appétit de connaissances. Aller chez les Delamare, c'est entrer dans une grotte
tapissée de bibliothèques, c'est, pour écouter Schubert, devoir hésiter entre les cinq
interprétations majeures de chacune de ses œuvres, car il y a bien 5000 disques... ou
encore l'interprétation qu'en donne le maître des lieux, pianiste depuis le plus jeune âge,
c'est se confronter à des cartons à dessins pleins de lithographies, des collections de
pièces de monnaies anciennes, et une immense culture historique qui confine à
l'encyclopédisme, servie de surcroît par une fort grande mémoire.
Ce flux intense s'épuiserait vite si une grande vitalité n'était au rendez-vous. François est
de bonne souche semble-t-il. Un arbre bien venu. Un dolichocéphale qu'on remarque
dans la meute. Il a l'œil malin, la narine franche, la mâchoire ferme, avec ce sourire entre
guillemets qui lui donne aussi un air de Méphisto. Et Méphisto il est. Vous ne saurez
jamais en quel lieu. Moi non plus. Lui, si. Un Méphisto qui ne se trahit que dans son
humour permanent, non dénué de causticité, dans sa chaleur relationnelle un peu froide,
distance, délicatesse peut-être, manière d'être-avec sans être-avec tout à fait. C'est
François cela aussi, et seule peut-être Marie-France son épouse pourrait nous informer à
ce sujet. Vous avez vu qu'on ne l'apprécie pas moins pour autant, malgré ce mystère, cet
espace de lui qui nous échappe, et dont son avidité nous fait conclure qu'il ne peut être
vide.
Au-delà du caractère, les talents. Celui d'abord d'avoir reconnu son épouse Marie-France,
exceptionnelle de solidité dans la turbulence, de vertus donatrices pour le foyer, de
rigueur tutélaire pour les enfants, de qualités organisatrices pour le ménage, de dons
culinaires, et de simplicité. Talents ensuite de séduction, ce qui est bien nécessaire pour
obtenir des financements auprès des instances européennes. Talents de chercheur aussi je
pense, mais seuls mes successeurs Pierre Avenas et Jean-Loup Chenot pourront le dire
avec pertinence.
Il y avait donc l'expertise de base. Il y avait la mobilité intellectuelle qui décoiffe. Il y
avait l'humour pour supporter les jours de banalité et d'effort. Il y avait le désir d'ajouter
au réseau neuronique du Centre, l'agitation et les connexions propres de François. Restait
à savoir si les synapses résisteraient au temps. Je ne peux le dire. Les faits semblent le
prouver, puisque le départ pour Antibes eut lieu, que de puissants et impressionnants
appareils furent installés, auxquels je ne comprends plus rien, et qu'on fête aujourd'hui un
anniversaire respectable et, à mon avis, invraisemblable (ne se trompe-t-on pas d'une
décennie ?)
Histoire d’un recrutement
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EST-CE CELA RECRUTER UN CHERCHEUR ?
François assurément est un chercheur. Mais qu'est-ce qu'un chercheur ? Et comment
déceler en une personne, les caractères qui font de lui un bon chercheur ? Nous sommes
ici confrontés à une question de ressource humaine spécifique. Dans un domaine
différent, que j'ai eu l'occasion de fréquenter, le protocole expérimental permet
d'apprécier de façon scientifique l'extrême dispersion des aptitudes humaines pour une
fonction définie. Je vous en livre l'expérience.
Il s'agit de la vente à domicile en porte à porte. Quand vous embrassez dans votre
observation quelques dizaines voire quelques centaines de vendeurs, sur un même
produit (assurances, matériels de cuisine, chaussures, produits amaigrissants, savons, ou
vérandas...), avec les mêmes tarifs, et des répartitions géographiques équivalentes, dans
un processus de vente dans le dur, vous observez, répétitivement, mois après mois, que
certains vendent 10 fois plus que d'autres. Cette expérience quasi clinique à laquelle j'ai
pu me livrer, donne une idée de l'échelle des performances humaines dans une prestation
donnée. Dans la recherche, c'est évidemment la même chose, sauf qu'il est difficile de
mesurer quantitativement l'échelle des performances. Le test est difficile. Il est donc
nécessaire de trouver quelques critères, quelques dimensions, prédictives des qualités de
chercheur. Sur quoi un Directeur de Centre de Recherche ou un DRH de laboratoire
peut-il s'appuyer ?
Il lui faut d'abord apprendre qu'il existe trois formes de recherche. On parle souvent des
qualités d'observation et de rigueur liées aux aptitudes expérimentales, ou des aptitudes
conceptuelles à théoriser, élaborer des modèles destinés à simuler le réel. Mais il y a
aussi une autre modalité, la modalité visionnaire. Il est troublant de lire des textes de
Pythagore vers -550 avant J-C centrant le monde autour du soleil, alors que Ptolémée au
2e siècle recentrait l'univers sur la Terre, puis que Copernic en 1600, retournait sur le
soleil, avant que Kant ne situe le centre ailleurs encore... Le processus de recherche se
situe entre ces trois pôles de l'expérience, du concept et de la vision. En cosmologie,
Copernic s'est situé dans le mode vision. Après sa mort, Tycho Brahé s'est situé dans un
mode résolument expérimental, puis Kepler dans un mode conceptuel, prédisant par le
calcul des événements, comme le passage de Mercure entre Soleil et Terre, que
Gassendi, son élève, observa dans l'émotion la plus grande dans la nuit du 7 novembre
1531, un an après la mort de son maître ! Einstein, souvent placé dans le mode
conceptuel, et il l'est évidemment, a d'abord adopté, c'est selon moi son vrai génie, un
mode de vision pure. Ce regard d'Einstein sur le monde donne un sens nouveau à des
équations (Lorentz) qui ont été élaborées avant lui, et ne portent pas son nom, et qui
pourtant n'ont pris sens et développement qu'après avoir été regardées par Einstein d'une
façon totalement révolutionnaire. C'est de l'oscillation permanente entre les trois modes
que le progrès scientifique se fait. Et chaque chercheur se situe plus spécifiquement dans
un mode, qu'il importe de détecter. La possibilité de jouer alternativement sur chacun des
modes peut représenter un atout. François est à mon sens dans le mode expérience et
dans le mode vision.
La seconde réflexion du recruteur pourrait porter sur la détermination à chercher. Une
hypothèse est posée sur le virus de la recherche : il tiendrait à ce que l'individu cherche
avant tout à extirper de lui quelque chose. Hawking, travaille sur les trous noirs tandis
14
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
que sa maladie l'éloigne des hommes. Pasteur craignait la rage folie. Champollion voulait
décoder, Freud vaincre les tabous sexuels. François dans sa passion pour les surfaces et
les pièces de monnaie poursuit-il une quête particulière et unique ? Quête des piles, faces
et interfaces. Quête indéfinie du toucher, de la caresse. Car la pièce, à la différence du
timbre ou du billet, qui se regardent, la pièce se touche, s'apprécie dans la subtilité de ses
infimes reliefs. La pièce est aussi interface de l'échange entre les hommes. En second
lieu, la pièce objet de collection, objet d'art, est aussi un objet à dater. Angoisse première
existentielle qui cherche à se situer dans le temps. Histoire qu'on apprend, pour se situer
soi-même dans le temps. Pièces qu'on cherche à dater, par tous les moyens de la
technique, l'usure donnant un couplage élégant entre travail professionnel et travail
personnel privé. Echappées dans l'imaginaire, pour se représenter ces hommes qui sortent
la pièce de leur bourse, la déposent sur un comptoir, comme ces histoires qu'on imagine
des molécules qui s'adsorbent sur les comptoirs des surfaces qu'on leur offre...
La troisième réflexion du recruteur concerne la qualité de communication, d'échange, du
chercheur potentiel. La découverte n'est jamais isolée. Le chaînage est toujours présent
dans la grande communauté de la pensée. François à ce titre est bien pourvu, lui chez qui
l'on trouve toujours un peintre américain de passage ou un colombien au long cours.
Il y a encore quelque chose à apprécier dans les relations du chercheur avec le temps et
avec l'argent. Pour ce qui est du temps, le chercheur se sait dans un processus qui met
parfois 350 ans à percoler (théorème de Fermat par exemple), ce qui le légitime à ne
guère planifier ses résultats et à se perdre parfois en arrière dans les profondeurs de
l'histoire. Pour ce qui est de l'argent, le chercheur généralement répugne à planifier ses
dépenses, mais s'il est jaloux de la propriété de ses idées, il n'est pas homme d'argent.
Soros fait des milliards. François caresse de vieilles pièces qui n'ont plus cours depuis
des millénaires. Deux approches du monde...
L'observation, le sens spéculatif, la curiosité avide, l'intuition, le dynamisme intellectuel,
la mobilité physique, intellectuelle, visuelle et auditive, la vigilance, l'ouverture,
l'attention, sont des qualités qu'on trouve chez François, et qui contribuent à des aptitudes
de recherche. Aura-t-il le prix Nobel ? Sinon pourquoi ? Sont-ce les chemins qui ne se
sont pas présentés à lui au bon moment ? Est-ce sa persévérance qui est en cause, lui qui
pourtant suit longtemps ses idées personnelles ? Est-ce la vision qui est encore trop
timide ? Je ne sais, et le devant de la scène est souvent affaire de hasard. De toute
manière, ce fut pour moi un plaisir de le rencontrer. Sa contribution au développement et
au rayonnement du CEMEF ne fait pas de doute. Je crois avoir fait en 1973 ce qu'on
appelle un bon recrutement.
FRANÇOIS DELAMARE DANS L'HISTOIRE DU CEMEF
JEAN-FRANÇOIS AGASSANT
Professeur, Directeur Adjoint du CEMEF
Directeur de l'Unité Mixte École des Mines de Paris / CNRS 7635
Le Centre de Mise en Forme des Matériaux a été officiellement créé en octobre 1974. Au
cours des années précédentes, un petit groupe de chercheurs autour de Pierre Baqué et de
Pierre Avenas s'est constitué pour répondre à la question suivante : comment, avec
quelques bribes de mécanique, donner une lisibilité aux procédés de mise en forme des
matériaux ? Cette approche que l'on qualifierait Outre-Atlantique de Mechanical
Engineering a été d'une productivité incroyable pour analyser les grands procédés, le
laminage, le filage, le calandrage, le gainage de câbles… C'est la grande époque des
méthodes de tranches, bornes supérieures et autres lignes de glissement, c'est aussi
l'époque de la simulation expérimentale par de la pâte à modeler. Les limites de cette
approche sont pourtant apparues rapidement : (i) la matière ne reste pas neutre par
rapport aux contraintes, aux déformations, à l'histoire thermique qu'on lui fait subir au
cours de l'opération de formage et c'est de l'évolution ou du développement de la
structure au cours de la mise en forme que vont dépendre les propriétés finales du
matériau ; (ii) qui dit formage dit interaction entre un outil et le matériau que l'on
déforme et cette interaction n'est qu'imparfaitement rendue par un coefficient de
frottement déduit de la mécanique de l'écoulement d'un fluide lubrifiant. Les phénomènes
chimiques et physiques qui se développent à cette interface sont dans bien des cas
déterminants quant à l'état de surface du produit fabriqué et à la durée de vie de l'outil de
formage. C'est pour répondre à ces nouveaux défis que Pierre Baqué et Pierre Avenas ont
recherché les compétences de métallurgistes, de physiciens des polymères et des
interfaces, respectivement Franck Montheillet, Jean-Marc Haudin et François Delamare.
Pierre Baqué a raconté par le menu sa rencontre avec François Delamare et la fascination
réciproque qui a abouti à son arrivée au CEMEF le 1er octobre 1974.
Pour le jeune chercheur que j'étais à l'époque, encore incertain sur la nécessité d'une
thèse et sur ma vocation de chercheur, François Delamare était impressionnant : le titre,
Maître de Recherche ; l'âge, c'était déjà et c'est donc toujours notre aîné ; la maturité ; la
reconnaissance académique (une Thèse d'État et déjà de nombreuses publications) dans
un milieu (l'École des Mines de Paris) qui, à l'époque, défiait l'académisme ; une culture
omniprésente et qu'il sait rendre vivante et accessible bien au-delà des domaines
scientifiques qui nous rassemblaient. Autant dire que nos rapports étaient plutôt de type
élève / maître dans une ambiance fort détendue autour du café institutionnel du CEMEF
au dernier étage de l'ENSTA.
En 1976 le CEMEF déménage à Sophia sous l'impulsion conjointe de Pierre Avenas et
de Pierre Laffitte. Pourquoi nous ? Sans doute parce que nous étions tous jeunes,
dynamiques, des pionniers donc … Déménager loin et ensemble, cela crée des liens
d'autant plus que notre insertion sur une Côte d'Azur alors dédiée au tourisme et au
16
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
troisième âge, n'allait pas de soi. Il a fallu aménager ensemble un laboratoire, résoudre
des problèmes ubuesques de sous-traitance, d'entretien, développer des filières de
recrutement des thésards, un DEA … Devenu responsable d'un groupe de recherche sur
les écoulements visco-élastiques, je suis donc maintenant le collègue de François et je
trouve d'emblée chez lui un regard attentif à mes activités de recherche encore
balbutiantes ainsi qu'une incitation ferme à achever et à soutenir ma thèse. Il était présent
à l'ENSET de Cachan en juin 1980 lors de ma soutenance.
La décennie 80 a été celle du développement du CEMEF. Jean-Loup Chenot, devenu
directeur du laboratoire le 1er janvier 1979 après le départ de Pierre Avenas au Ministère
de l'Industrie, lance le CEMEF dans l'aventure de la modélisation numérique par la
méthode des éléments finis. François Delamare, devenu Directeur de Recherche
restructure l'analyse des problèmes de surface et développe des techniques AUGER et
ESCA, de la rugosimétrie. En dix ans le CEMEF double son effectif et étend largement
ses relations scientifiques et industrielles. Il devient un laboratoire important, en France
(et au-delà), dans le domaine de la mise en forme des matériaux.
Le début des années 1990 est synonyme de turbulences : le laboratoire est
successivement désassocié puis ré-associé au CNRS. Nos finances sont mises à mal par
la crise économique. Le savant édifice de formation que nous avions conçu (une option
du DEA Métallurgie Spéciale et Matériaux commune à l'Université d'Orsay et au Centre
des Matériaux) est remis en cause. Un Mastère Matériaux et Mise en Forme est créé.
Une formation d'ingénieurs dits "Decomps" est lancée … François Delamare est un
facteur de stabilité dans la tempête. Sans fébrilité il reconstruit un DEA Physique et
Génie des Matériaux avec l'Université de Nice et en prend la responsabilité quelques
années plus tard ; il anime également la formation doctorale de l'École des Mines de
Paris en Sciences et Génie des Matériaux sur Sophia et contribue à structurer le suivi de
nos étudiants, préfigurant à lui tout seul cette "charte du doctorant" que l'École fait suivre
aujourd'hui à toutes ses formations de 3ème cycle. C'est l'époque également où il réussit à
fédérer au sein du CRAM 06 (Centre Régional d'Analyse des Matériaux des Alpes
Maritimes) trois institutions impliquées dans les analyses de surface : le CNRS, l'École
des Mines et l'Université de Nice. Par ce biais il contribue à abonder nos financements
d'investissement en appareils de physique (spectrométrie TOF-SIMS) tout en rendant des
services d'analyse éminents aux entreprises de la région et d'ailleurs.
En 1999, le CEMEF a 25 ans. C'est devenu un laboratoire de référence au niveau
international dans le domaine de la mise en forme. Les centaines de thésards et d'élèves
Mastère qu'il a formés irriguent largement l'industrie française et au-delà ainsi que le
milieu universitaire et de la recherche. François Delamare est, avec d'autres, au cœur de
cette aventure. Que serait le CEMEF sans sa touche personnelle, à la fois scientifique et
humaine : son attention de l'autre ; son humour dynamisant, son sens aigu de
l'observation, son grand respect pour les techniques mécaniques et numériques
complémentaires aux siennes.
Merci François.
TRIBOLOGIE ET SIMULATION NUMÉRIQUE,
UN DIALOGUE FRUCTUEUX
JEAN-LOUP CHENOT
directeur du CEMEF
École des Mines de Paris
BP 207 – 06904 Sophia Antipolis Cedex
A l’époque de sa gestation par mes deux brillants prédécesseurs Pierre Baqué et Pierre
Avenas, la structure du CEMEF a été conçue avec une remarquable clairvoyance. Je les
soupçonne d’avoir utilisé une boule de cristal pour décider, au début des années 70, que
les équipes de mécanique et thermique, de physique des matériaux et de physico-chimie
des surfaces pourraient coexister, dialoguer et même s’associer pour traiter les problèmes
industriels de la mise en forme, et dispenser une formation pluridisciplinaire aux jeunes
chercheurs. Le point de départ était donné, il suffisait alors de préciser la philosophie du
laboratoire : observer les phénomènes, les modéliser et les simuler, acquérir les données
caractérisant le comportement physique des matériaux mis en forme.
Dans la pratique la convergence de ces différentes composantes n’a pas été immédiate.
D’un côté les spécialistes de la Mécanique du contact et de la Physico-Chimie des
surfaces, sous la houlette de François Delamare, avec la complicité d’Éric Felder,
Evelyne Ceretti et Pierre Montmitonnet, s’ingéniaient à démontrer que leur domaine est
l’un des plus complexes :
les lois de frottement dépendent de paramètres nombreux et variés : rugosité,
composition chimique superficielle, conditions mécaniques du contact, l'ensemble
étant couplé par la température ;
les moyens d’analyse physique sont délicats à mettre en œuvre, car ils cherchent à
caractériser des matériaux présents en surface en quantité très faible, en général
amorphes, et de composition extrêmement complexes, mélanges de produits
organiques et minéraux1 ;
les essais de frottement sont difficilement reproductibles et ne donnent accès qu’à
des valeurs moyennes. Quant aux essais d'usure, il est difficile de s'y frotter, car une
faible variation d'un seul paramètre opératoire peut engendrer une variation de
plusieurs ordres de grandeur de la vitesse d'usure.
De l'autre, la modélisation numérique se heurtait très rapidement au problème du contact
unilatéral, délicat à formuler théoriquement et encore plus à résoudre après
1 Serais-je taxé de malice si j'avançais que, curieusement, le coût de ces appareils est inversement
proportionnel à la quantité de matière analysée ?
18
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
discrétisation. L’introduction des lois de frottement les plus simples a posé
immédiatement des difficultés de convergence des algorithmes. Historiquement, c'est
dans Forge2, dédié à la simulation numérique du forgeage à chaud des métaux, que fut
introduite la première formulation du frottement. Il s'agissait d'une formulation en
vitesse, dite de Norton Hoff, dérivée directement de celle du comportement en volume
(viscoplasticité de type loi puissance), et dont la loi de Tresca est un cas limite. Cette
formulation était particulièrement utilisable pour le numéricien puisque le champ de
vitesse solution pouvait s'obtenir par minimisation d'une fonctionnelle. On était loin de la
loi de Coulomb qui nécessite des approches numériques beaucoup plus complexes.
En dépit de ces difficultés, les années 1980 virent les tribologues utiliser de plus en plus
la simulation numérique (étude de la dureté et de l'usure des matrices en forgeage à
chaud). Une décision stratégique fut prise en 1986 pour accélérer le mouvement, celle de
demander à P. Montmitonnet (jusqu'alors purement tribologue) de partager désormais ses
activités avec la modélisation numérique. Grâce à ce rapprochement des disciplines, de
nombreuses avancées ont ainsi pu voir le jour, parmi lesquelles on peut citer :
la modélisation du couplage thermo-mécanique pièce-outil, en particulier pour
prévoir le transfert thermique ;
la modélisation du couplage entre l’écoulement d’un fluide sous très faible épaisseur
(lubrifiant) et la déformation plastique de la pièce ;
la caractérisation expérimentale et la modélisation théorique d’un frottement
anisotrope ;
l’introduction du concept de TAO (Tribologie Assistée par Ordinateur) dont
l’objectif est d’analyser plus finement un essai de frottement grâce à une approche
inverse par éléments finis ;
la prévision de l’usure des outils grâce à un modèle local ;
l’utilisation de modèles numériques pour la déformation plastique à l'échelle du
micromètre (indentation, rayure) ;
l'optimisation de l’adhérence des joints collés, associant l'analyse chimique des
surfaces antagonistes et la modélisation mécanique des essais d'adhérence.
Depuis quelques années on assiste à une floraison particulièrement dense de résultats,
due à la pleine maturité des disciplines sollicitées. D'un coté, le couplage de deux
techniques d'analyse de surface (XPS et ToF-SIMS) permet de caractériser efficacement
sur les surfaces les composés organiques responsables du niveau de frottement2. De
l'autre, les équipes numériciennes ont amélioré la gestion du contact, introduit la
description de la géométrie des surfaces libres et pris en compte la loi de frottement de
Coulomb3. Ajoutons à cela que les tribomètres et les machines pilotes instrumentées se
sont multipliés, de même que des machines de simulation de l'usure. Ainsi est rendue
encore plus efficace la synergie entre les analyses physiques, les résultats numériques, les
données acquises lors des essais et les mesures sur machine pilote.
2 Cf. ci-après l'article de G. Dauchot et al.
3 Cf. ci-après l'article de M. Bellet et al.
Tribologie et simulation numérique : un dialogue fructueux
19
Pour autant, il n’est pas temps d’annoncer la « fin de l’histoire de la tribologie en mise en
forme », et les résultats des études coordonnées par François Delamare et son équipe
permettent, sans boule de cristal cette fois, de prévoir les thèmes de recherche des années
futures :
description de la surface à l’aide de modèle de type micro, à l’échelle des rugosités
et des grains ;
amélioration des lois de frottement pour tenir compte explicitement des paramètres
locaux : rugosité, température, composition chimique…
intégration dans les modèles numériques de loi d’évolution des paramètres décrivant
finement les caractéristiques physiques des couches superficielles afin de prévoir la
micro géométrie, la dureté, la composition chimique, la structure des grains…
enfin, l'utilisation de la dynamique moléculaire pour étudier la chimisorption des
molécules d'additifs de lubrifiants sur les surfaces, et mieux interpréter les données
obtenues à l'aide des différentes techniques d'analyse des surfaces.
Bon vent…
LA TRIBOLOGIE AU CEMEF
LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ
ÉRIC FELDER
Surfaces et Tribologie, CEMEF,
École des Mines de Paris, BP 207, 06904 Sophia-Antipolis
Pierre Baqué a raconté comment, dès le début de son stage à Hayange sur le laminage à
chaud de l’acier, le frottement s’était trouvé associé à ses interrogations sur la mise en
forme du métal1. On lui avait parlé, à l’atelier de laminage, de l’influence importante du
frottement sur l’élargissement du métal. Rétrécissement pour l’un, élargissement pour
l’autre, les réponses contradictoires du contremaître de l’atelier et du directeur de l’usine
l’avaient plongé dans une perplexité dont ses lectures savantes n’avaient pas réussi à le
sortir.
Il avait aussi découvert au cours d’un autre stage le filage à chaud des laitons. Ce
procédé l’avait fasciné par l’influence importante qu’y prenaient non seulement le
frottement laiton / filière mais aussi les transferts thermiques se faisant du métal vers les
outillages sur l’écoulement plastique du métal. C’était une époque où les esprits les plus
curieux, comme B. Jaoul, aux Mines de Paris, se lançaient à fond dans la visio-plasticité
pour mieux comprendre l’écoulement du métal. Mais ils ne réalisaient pas que la
lubrification était l’un des moyens de contrôle possible de l’écoulement, et que son
étude serait utile. Dans ce domaine, Pierre Baqué innovait.
Ainsi avait germé en son esprit l’idée de recherche sur le thème de la Mise en Forme des
métaux avec ses trois grands axes, ainsi que la nécessité d’attaquer le problème du
frottement à la fois par la mécanique et la thermique du contact, ainsi que par la physicochimie des surfaces.
MES PREMIERS PAS EN TRIBOLOGIE
Ces réflexions de P. Baqué ont eu une influence déterminante sur mon itinéraire
personnel car il avait, cette année-là (1970), proposé comme sujet de stage d’optionnaire
Métallurgie de l’École des Mines de Paris l’étude par visio-plasticité du filage à chaud
des aciers lubrifié par les verres2 à l’usine Céfilac de Persan-Beaumont. Je ne sais plus
trop pourquoi, mais le fait est que je sautais sur ce stage. J’y appris l’histoire fort
instructive de l’invention du procédé. Après avoir racheté l’usine, J. Séjournet
s’efforçait de filer à chaud des tubes en acier. Las ! Le lubrifiant utilisé (sans doute une
graisse graphitée, le seul lubrifiant haute température connu à l’époque) ne protégeait
pas suffisamment la filière des flux thermiques intenses provenant de l’acier filé à
1200°C. La filière se dégradant, il en sortait non pas des tubes, mais des produits longs
aux formes étranges. On essayait donc d’améliorer le matériau de la filière en
augmentant sa dureté à chaud. Mais aucun des candidats retenus n'améliorait
1
P. Baqué, Les débuts du CEMEF, in La mise en forme des matériaux : vingt ans de recherche
au CEMEF, Presses de l’EMP, Paris, 1996.
2
Ce travail est décrit dans mon premier article : J. de Charsonville, E. Felder et P. Baqué, Filage
à chaud des aciers lubrifié au verre. Étude de l’écoulement par une méthode de visualisation,
Rev. Mét. (juin 1973) 497-505.
22
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
sensiblement les résultats. Jusqu’au jour où la lubrification se rappela au bon souvenir
des ingénieurs. La Providence voulut qu’un ouvrier oublie dans le conteneur une canette
de bière, laquelle à cette époque bienheureuse, était en verre. Elle fondit, enroba l’acier
et joua grâce à sa viscosité le rôle de lubrifiant. Pour la première fois, le produit filé fut
un tube ! C’est ainsi que les ingénieurs prirent conscience du rôle éminent que jouait le
film lubrifiant dans le procédé. Il ne restait plus qu’à l’étudier. Les essais de diverses
formulations de verres permirent de conclure que c’était la composition du verre à vitre
qui donnait les meilleurs résultats. Sa mise en œuvre fut réalisée sous forme de
gargousses de verre pilé.
Curieusement, c’est à la même époque que la vocation tribologique de François
Delamare (FD) trouve ses racines. A l’ENSCP, où il préparait sa thèse, le hasard fit qu’il
repéra l’annonce d’une conférence de M. Caubet, fondateur d’Hydromécanique et
Frottement (HEF), petite entreprise fort inventive. Il y assista. S’adressant aux élèves de
troisième année, Caubet, «un ancien des chars» dynamique et incisif, expliqua
l’importance du domaine et combien il était préjudiciable à l’industrie mécanique
française qu’il soit aussi négligé par les scientifiques de bon niveau. Puis il se mit à
brosser à grands traits le tableau des recherches à effectuer en tribologie, passant du
monocristal (adsorption et contact) au comportement d’un revêtement mince en EHD. Je
ne sais si l’orateur suscita beaucoup de vocations dans cette promotion, mais du coté de
François, sans que personne ne le sache encore, il avait fait tilt3.
Pour ma part, approché et bientôt séduit par P. Baqué pour venir travailler dans l’équipe
de recherche qu’il était en train de fonder, je fus – c’était sa méthode - mis dans le bain
dès la rentrée de septembre avec un stage dans l’usine de filage à chaud d’aluminium de
Péchiney, à Crailsheim. J’y pus contempler pour la première fois les exploits des
ouvriers régleurs de filières, véritables magiciens de la mise en forme, capables avec
leurs limes de corriger les défauts de filage des profilés, ondulations, vrillages et
différences de longueur. Problèmes que j’allais retrouver treize ans plus tard dans le
cadre du projet Φ lancé par P. Baqué, alors chez Péchiney.
FROTTEMENT, LUBRIFICATION : LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE
Ce souci du frottement (le tout jeune mot Tribologie n’était pas encore employé en
France) était prémonitoire et heureux, car il allait constituer d’emblée la majeure partie
des sujets de préoccupation des chercheurs du groupe Mise en Forme, noyau précurseur
du CEMEF4. Qu’on en juge : je travaillais sur la lubrification hydrodynamique (HD) en
tréfilage des aciers inoxydables, en relation avec l’usine d’Imphy de Creusot-Loire.
3
Lors de la conférence A discussion on friction (Cambridge, 1951), F. P. Bowden, l’initiateur
moderne de la Tribologie, rappelle qu’à côté de la physique nucléaire, discipline fort à la mode à
l’époque, il existe d’autres problèmes passionnants pour ceux qui s’intéressent aux propriétés de
la matière et qu’il espère que les travaux présentés lors de cette conférence sur le frottement vont
le démontrer amplement. Nous ne pouvons que refaire le même constat : le frottement entre corps
solides conserve beaucoup de ses mystères et a encore besoin de scientifiques issus des
disciplines les plus variées. On peut en outre constater, en le déplorant, que la tribologie a du mal
à attirer les jeunes scientifiques français, en partie à cause du manque d'enseignements
tribologiques dans le secondaire et le supérieur.
4
Installé (après un bref séjour boulevard Saint-Michel) dans le laboratoire de Métallurgie de
l’ENSTA, porte de Versailles, à Paris, entité quasi virtuelle à laquelle nous donnions une vie bien
réelle.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
23
Pierre Fernier était aux prises avec le frottement et les transferts thermiques métal-outil
en forge à chaud, et se demandait lequel de ces effets pouvait bien expliquer la
dissymétrie d’écoulement entre le haut et le bas, la surface supérieure d’un lopin
cylindrique forgé sur pilon s’étendant plus que la surface inférieure5. Par ailleurs, mon
sujet de stage trouvait une suite avec les travaux de Jacques Pantin qui développait
l’étude des écoulements en filage par visio-plasticité et la modélisation de la
lubrification HD par un verre du filage à chaud des aciers. Quant à Bertrand Lapostolle,
il démarrait une étude de la lubrification (par film épais, mais pas forcément HD) du
tréfilage par les savons, et à son incidence sur l’usure des filière. Avec bon sens, Pierre
Baqué n’avait donc initié que des études relatives au seul régime de lubrification
justiciable de calculs de thermomécanique des fluides. Mais bientôt Michel de Vathaire
allait se pencher sur le frottement en laminage à froid des aciers inoxydables, nous
faisant toucher du doigt les limites de nos méthodes d’approche, lorsque la lubrification
limite (qui est liée à la présence d’additifs dans le lubrifiant) prenait de l'importance.
Ce furent des années passionnantes : à marches forcées, nous nous efforcions de combler
nos lacunes scientifiques par des lectures, des discussions, des exposés et des visites.
Ainsi, nous suivîmes, Pierre Baqué, Bertrand Lapostolle et moi-même un séminaire sur
la lubrification, à l'INSA de Lyon. Nous fîmes ainsi connaissance de Maurice Godet qui
y développait son laboratoire de Mécanique des Contacts. Le jour, nous suivions les
cours ; le soir, nous visitions le vieux Lyon et ses traboules6. Pierre Baqué m'avait
ensuite lancé dans la lecture de Elasto-hydrodynamic lubrication, the fundamental of
rollers and gear lubrication de Dowson et Higginson, livre que j'avais décortiqué dans
ses moindres détails, fasciné par la saga des premières études de la lubrification élastohydrodynamique des contacts non conformes. Puis il décida en 1972 d’élargir notre
quête, et d'aller, en ma compagnie, visiter les principales équipes anglaises travaillant
sur le frottement et la lubrification. Nous partîmes ainsi sur les routes, rencontrer les
pères fondateurs de la discipline : W. Hirst et G. M. Hamilton à Reading, A. Cameron à
l'Imperial College de Londres, J. F. Archard à Lancaster, G. W. Rowe à Birmingham,
récupérant ainsi maints tirés à part qui allaient accélérer notre formation et alimenter nos
écrits. Ironie du sort, notre parcours automobile se termina par une avarie tribologique !
Pierre ayant oublié de remettre le bouchon du réservoir d'huile après avoir refait le plein,
nous tombâmes en panne sur l'autoroute lors du retour à Londres. Nous nous séparâmes :
Pierre s'occupant du rapatriement du véhicule, moi-même prenant le train pour
rencontrer K. L. Johnson à Cambridge. Je sortis de l'entrevue très impressionné par mon
interlocuteur qui m'avait expliqué simplement, entre autres choses comment, sur une
machine à disque spéciale, il avait réalisé une expérience de roulement avec ou sans spin
permettant de montrer sans le moindre doute que les huiles se comportent sous haute
5
Cette dissymétrie d’écoulement haut-bas était couramment attribuée par les forgerons aux effets
d’inertie. P. Fernier et P. Baqué démontrèrent que ces effets étaient en fait insignifiants, même
pour un forgeage sous pilon, et purent ainsi attribuer la dissymétrie d’écoulement à une
dissymétrie de frottement due à la différence de temps de contact du lopin avec les matrices
supérieures et inférieure, résultat justifiant les études intensives des transferts thermiques que
réalisèrent mes thésards, successeurs de P. Fernier.
6
Ces déambulation m'ont laissé des souvenirs douloureux, car j'avais commis l'erreur de partir à
Lyon avec des chaussures neuves qui m'avaient donné des ampoules, m'initiant ainsi aux
conséquences du frottement sec peau-cuir. Le troisième corps (la chaussette) - un concept qui
allait naître dans le laboratoire dont nous étions les hôtes – ne semblait pas avoir joué son rôle de
médiateur : je traînais la patte derrière Pierre et Bertrand.
24
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
pression et faible déformation comme des solides élastiques. Un résultat étonnant !
Depuis, mes diverses rencontres avec Johnson n'ont fait que confirmer mon admiration
pour cet éminent mécanicien du contact 7.
Comme pour P. Baqué, l’esprit d’équipe n’était pas un vain mot, à coté des thèmes
Plasticité et Thermique, il fit réfléchir l’ensemble de son équipe sur le thème du
Frottement. Il en résulta en 1972 Phénomènes de contact, un texte de séminaire de 231
pages. Puis, en 1974, un texte beaucoup plus élaboré, Phénomènes de contact II (538
pages), tous deux édités par l’ENSTA.
L’ARRIVÉE DE FRANÇOIS DELAMARE
P. Baqué essayait de trouver un candidat à sa convenance pour combler nos lacunes en
physico-chimie des surfaces. Après un essai jugé malheureux avec un spécialiste de la
mécanique quantique, la Providence intervint de nouveau. Pierre avait bien sûr l’aval de
sa hiérarchie. Or le directeur des recherches de l’EMP, M. Turpin voisinait à Sceaux
avec J. Bénard, directeur de l’ENSCP et du laboratoire de Métallurgie et PhysicoChimie des Surfaces dans lequel FD avait effectué sa thèse. Il lui demanda un soir s’il
n’aurait pas quelqu’un à lui proposer. J. Bénard avait le souci d’assurer l’avenir de ses
docteurs ; il proposa à FD de contacter P. Baqué. C’est ainsi que nous nous
rencontrâmes pour la première fois. François m’a souvent raconté à quel point il avait
été impressionné par la qualité des exposés que nous lui avions fait sur nos sujets de
recherche. A la fin du premier entretien, il partit convaincu de l’intérêt de la proposition.
Mais à la réflexion, ce passage des surfaces idéales aux surfaces réelles en train d’être
déformées dans un laminoir Sendzimir lui parut extrêmement hasardeux. Chaque jour le
vit douter un peu plus de ses compétences. Quand il vint nous voir pour le second
rendez-vous, sa décision était prise : il refusait l’offre. Mais le charme joua de nouveau,
et il accepta. Les dés étaient jetés.
Son intégration à l’équipe (février 19748) se fit suivant le scénario que j’avais connu,
mais perfectionné de façon à mieux l’apparenter à une course d’obstacles. Il fut
immédiatement impliqué dans un séminaire dénommé Mise En Forme Tous Azimuts.
L’une des conclusions fut qu’il rédigerait avec Alain Le Floc’h un rapport sur l’histoire
et l’archéologie des procédés de Mise en Forme. Ce séminaire avait en effet révélé leur
goût commun pour l’Histoire des Techniques, goût qui ne semble pas avoir pris une
ride. FD suivit avec quelque méfiance au début, puis avec grand plaisir les séminaires
d’expression orale de Mytho Bourgoin, une élève de Charles Dullin qui n’était pas pour
rien dans le succès que remportaient nos séminaires. Je me souviens que le premier
exposé qu’il nous fit portait sur la numismatique. Dans ce domaine aussi, il devait rester
fidèle à ses passions.
En juin, il fut envoyé en stage chez Creusot-Loire, la grande usine de l’Ondaine ayant
besoin d’un œil expert pour déceler les causes malignes du vrillage des tubes rouléssoudés en acier inoxydable. Le problème s’étant (comme souvent) résolu de lui-même,
François visita à fond ce vaste conglomérat d’ateliers, les uns modernes, et les autres
n’ayant guère changé depuis le temps où Zola les avait décrits. Il s’étonna de la
complexité du trajet qu’un lingot d’acier inoxydable en «Orion» pouvait effectuer à
travers toute la France avant d’être transformé en un objet propre à la vente. Il y
7
Auteur, entre autres écrits, du très remarquable traité, Mechanics of Contact (1985).
8
Dans les circonstances narrées ici par Pierre Baqué dans l’article Histoire d’un recrutement.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
25
découvrit aussi le dialogue de sourds qui peut s’établir entre un atelier de laminage (ce
matin, je sors de la tôle avec des taches bleues. Quels réglages dois-je modifier sur le
laminoir ?) et le Centre de Recherches (ces taches sont dues à des anomalies locales de
concentration en chrome…) et se promit d’en tirer parti. Il était logé dans la villa
Holzer, demeure de grands bourgeois déchue de sa fonction d’habitation des Maître de
Forges (ayant fourni le fer de la tour Eiffel) et assurant désormais celle de maison
d’hôtes de marque. L'atmosphère y était un peu mélancolique et désuète. Il essayait
d’aller aussi rarement que possible au Cercle des Ingénieurs, car il y était invariablement
pris à témoin des qualités respectives des équipes de football de St Étienne et de Bastia,
domaine où sa culture était plus que médiocre.
Son retour à Paris lui permit d’apprendre qu’en plus des encadrements de travaux de
recherche auxquels il avait souscrit, il était co-organisateur avec moi d’un séminaire sur
la Mise en Forme destiné aux ingénieurs de l’Industrie qui aurait lieu l’année suivante à
Fontainebleau. Il ne lui restait plus qu’à digérer nos textes de séminaires et à participer à
l’élaboration d’une troisième mouture. En 1975 paraissait Mise en Forme des métaux.
Frottement, lubrification, usure, texte de séminaire de 673 pages9. Ces 135 pages
supplémentaires, à peu de choses près la contribution de FD, faisaient entrer dans le
vocabulaire de l’équipe les mots de chimisorption et d’analyse de surface, mots qui
n’ont pas fini de résonner au CEMEF, que ce soit dans les amphi et les labos, ou bien
lors des discussions de budgets d’investissement…
L’INVENTION DU FROTTEMENT DE TRESCA
Nous en savions maintenant assez pour affirmer notre originalité dans le petit monde des
spécialistes français du frottement. En particulier, en mise en forme des métaux, nous
n’employions pas le même cœfficient de frottement que les autres !
Le frottement dépend de multiples facteurs, sensibles pour la plupart à la température.
Ce que l’on appelle pompeusement loi de frottement n’est en fait qu’une schématisation
(on n’ose parler de caricature) de loi qui n’explicite qu’un seul de ces facteurs, comme
la contrainte normale (loi de Coulomb). En mise en forme à chaud, on utilisait
couramment une loi de frottement explicitant plutôt la cission maximale du matériau le
plus mou. Appelée par les anglo-saxons friction factor model, elle traduisait que la
cission de frottement à l'interface métal-outil τ est une fraction m de la cission
maximale du métal le plus mou impliqué dans le contact :
τ =m
σ0
3
avec
0 ≤ m ≤1
(1)
Faute de mieux, nous avions baptisé cette loi de frottement modèle de couche limite, la
cission τ pouvant s'interpréter comme la cission maximale d'un corps mince séparant le
métal de l'outil. Cette schématisation du frottement présentait l’intérêt d'être caractérisé
par un nombre au plus égal à l'unité et de ne pas introduire la contrainte normale, qui
n’est pas toujours calculée, en particulier lorsque l’on ne s’intéresse qu’aux champs de
vitesse.
9
Nous avons récidivé il y a dix ans en rédigeant à l'occasion d'un séminaire de formation
permanente un ensemble de textes réactualisant la somme de nos connaissances en Le contact
métal / outil en mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, état de surfaces, usure
(1989).
26
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Jean Mandel, alors conseiller scientifique du CEMEF, nous fit remarquer qu'une telle
schématisation avait été proposée par le mécanicien français Henri Tresca au siècle
dernier. Nous nous mîmes donc à utiliser le terme de loi et de cœfficient de frottement de
Tresca. Cette appellation finit par faire école. Elle est actuellement adoptée en France
non seulement par les équipes travaillant sur la mise en forme, mais aussi par diverses
équipes de mécaniciens, et tend à se généraliser en Europe.
Curieux de lire les textes originaux, François s'employa à commander à notre
documentaliste tous les articles de Tresca dont nous avions les références. Nous y
trouvâmes bien des choses intéressantes, en particulier, que Tresca était l'un des deux
inventeurs de la simulation par pâte à modeler10 et qu’il s’était intéressé au filage11.
Nulle part, nous ne découvrîmes trace de sa loi de frottement.
DES JUMEAUX SANS PAREIL
Ayant pris la décision de rester dans le Centre de Mise en Forme pour y prendre en
charge la mécanique du contact, nous nous trouvâmes bientôt à travailler de concert, FD
à la Physico-Chimie des Surfaces (PCS) et moi-même à la Thermo-Mécanique des
Surfaces (TMS). C’était à l’époque une structure très novatrice. En effet, les laboratoires
s’occupant de frottement et lubrification étaient peuplés soit de «mécaniciens», comme
celui de M. Godet à l’INSA de Lyon, calculant des épaisseurs de films HD dans des
situations de plus en plus complexes, soit de «physiciens» comme celui de J-M. Georges
à l’École Centrale Lyonnaise, étudiant l’influence de monocouches chimisorbées sur le
frottement. Ici, deux groupes de Recherche associaient les deux types de compétences.
10
Cf. La simulation physique de l’écoulement des solides. Application à la mise en forme, par A
Le Floc’h et F. Delamare, dans La mise en forme des matériaux. Vingt ans de recherche au
CEMEF, Presses de l’EMP, 1996, p. 18-29.
11
Tresca a publié dans les Mémoires Savants de l'Académie des Sciences une étude sur
L'écoulement des corps solides (1868, 733-799 et 1872, 75-135) qui traite de l'effet des portées
sur l'écoulement de filage. Filant deux barres de plomb à travers une filière percée de deux
orifices cylindriques nominalement identiques, il s'aperçut que les deux barres avaient deux
longueurs différentes ; un examen minutieux des orifices révéla que le conduit produisant la barre
la plus courte présentait une légère conicité, le diamètre de sortie étant légèrement plus petit que
le diamètre côté billette. Un ré-alésage de cet orifice permit de supprimer cette différence de
longueur. Tresca venait de découvrir l'effet marqué de la conicité des portées sur le frottement et
l'extrême sensibilité des écoulements multiples aux différences de frottement, problèmes toujours
actuels dans les usines de filage de profilés !
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
27
La communication entre nous ne posait guère de problème : nous étions dans le même
bureau12. Et dès le début, nous avions essayé d’uniformiser nos savoirs, FD potassant la
mécanique des milieux continus (imagine-t-on qu’il avait accepté de faire, au tableau
bien sûr, les cours X1 de lubrification hydrodynamique aux Mines de Nancy ?) et moimême disséquant les différents types d’isothermes d’adsorption ? Nous allâmes jusqu’à
reprendre les cours du Séminaire de 1975, et à les refaire en interne en inversant nos
spécialités. Je me souviens encore de la surprise de François le jour où il arriva au bout
du calcul de la colline de frottement en bipoinçonnement, par la méthode des tranches,
sans se tromper une seule fois de signe pour les diverses contraintes.
Des rapports très particuliers existaient entre FD et ses deux premiers chercheurs (B.
Lapostolle et M. de Vathaire), puisque si le premier apportait ses compétences en
physico-chimie, c’étaient eux qui lui apprenaient son métier en thermo-mécanique de la
mise en forme appliquée à la lubrification par les films épais de savons (tréfilage de
l’acier) ou à la modélisation du laminage au Sendzimir.
Au dehors, FD commençait à tisser le réseau des relations sans lesquelles une vie
professionnelle complète ne peut se dérouler. P. Baqué l’avait introduit à la DGRST
(Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique), organisme dispensateur
de crédits pour la recherche appliquée, et il faisait partie de deux commissions d’experts
(Traitements de Surfaces et Action de Contact). Il y retrouva ou y découvrit de
nombreux collègues. Un certain nombre d’entre eux, comme Michel Cantarel (ETCA),
n’engendraient pas la mélancolie, ce qui égayait ces très longues journées peuplées
d’auditions se succédant sans désemparer. En fait, ces séances se révélaient
extrêmement instructives, et élargissaient ses horizons.
Sa culture mécanicienne se renforça encore lors du voyage que nous fîmes de concert
aux États-Unis pour visiter les équipes de recherche travaillant sur la Mise en Forme, à
12
Cette cohabitation dura quelques vingt années, agrémentées de maintes discussions et de
quelques expériences de mécanique appliquée mises en pratique par François. Elles consistaient à
réaliser, par poussée de ma table, un poinçonnement de mon dos par le radiateur à ailettes, voire
un bipoinçonnement, histoire de se détendre un peu. Prémonitoires étaient aussi ses expériences
d’adhésion dans lesquelles il collait (à mon insu) le combiné de mon téléphone sur son support,
voire celui-ci aussi sur mon bureau, puis m’appelait sournoisement au téléphone. Une autre
distraction de FD consistait à noter les lapsus linguae dont je le régalais involontairement, lors de
mes entrevues avec mes thésards. Le manque de place (nous avons accumulé tous les deux au fil
des années une foule d'articles, cours, notes, rapports...) nous a contraints, il y 5 ans environ, à
rompre cette cohabitation. Cette séparation, à notre grand regret, a inévitablement diminué la
fréquence de nos discussions et de nos échanges, si utiles à l'accouchement et à la mise au point
de nos idées sur les sujets les plus variés, de l’usure des coins monétaires aux relations délicates à
formuler existant entre tension superficielle et énergie de surface.
28
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
l’automne 197513. Je n’avais jamais voyagé avec François, mais je compris vite qu’il ne
se contenterait pas des visites de laboratoires. Il dénichait toujours sur le chemin un parc
où les teintes rouges de l’été indien étaient encore un peu plus somptueuses que celles
admirées dans les forêts bordant la route. Quand aux musées, bien que les villes que
nous visitions en parussent dépourvues, il en dénichait toujours quelques-uns, parfois
des plus bizarres. A Bethleem, il alla même jusqu’à nous faire ouvrir spécialement une
fondation privée tenue par des dames bon chic bon genre. Il réussit à les émouvoir en
leur faisant croire avec un toupet infernal que nous arrivions de Paris (France) tout
spécialement pour visiter leur musée, une gentille maison bourgeoise momifiée au début
du siècle.
C’est au cours de ce voyage que nous remarquâmes au Battelle Institute à Colombus un
petit laminoir à froid de table, capable de laminer une bande étroite d'acier à la vitesse
de 1 m/s. Il nous fit immédiatement rêver à un frère plus grand, qui atteindrait des
vitesses proches de celles pratiquées par l’industrie.
Mais la roue tournait. Pierre Baqué nous quittait, léguant son siège directorial à son
complice polymériste Pierre Avenas. Un an après, nous quittions notre cocon de
l’ENSTA, sa cantine calamiteuse et ses ordinateurs sensibles aux chocs de nos essais.
Avec notre départ, un nouvel âge d’or s’annonçait pour les informaticiens de l’ENSTA.
Quant à nous, nous allions peupler les solitudes de Sophia Antipolis.
En compensation, ce déménagement s'accompagnait d'une dotation financière permettant
non seulement notre installation dans les nouveaux locaux, mais aussi l'achat
d'équipements semi-lourds. Nous nous équipions d'une spectrométrie Auger (AES) ainsi
que d’un microscope à balayage doté d'un canon à émission de champ, merveille du
genre, un Coates et Welter. Les faire fonctionner serait la première des tâches d’E.
Darque-Ceretti que l’on recruterait sur place à cet effet. Elle ne soupçonnait pas que le
système de micro-analyse élémentaire EDXS associé au MEB refuserait obstinément de
vivre en symbiose avec cet engin avant-gardiste, et lui causerait une gamme d’ennuis
singulièrement variés.
C’était l’époque où, en dépit de la floraison des mini calculateurs, l’on avait ordre de
notre ministère de tutelle de ne calculer que sur gros systèmes. En dépit des attraits des
minis, il n’était donc pas question de passer commande de ces machines de rêve.
L’arrivée de l’un d’entre eux (un Nova2), dissimulé à l’Administration dans la
commande globale du système EDXS excitait les convoitises de l'un de nos voisins de
bureau. C’était un jeune spécialiste du calcul des orbitales moléculaires récemment
arrivé de l'IFP, qui ne rêvait que d’appliquer son savoir à la simulation numérique des
écoulements. Il s'appelait J.-L. Chenot. Pour lui complaire, il fut décidé de gonfler ce
13
A Amherst, nous rencontrâmes B. Avitzur, champion de la méthode de la borne supérieure et
de l’écoulement convergent en filage et tréfilage puis, au Battelle Institute T. Altan, éminent
spécialiste turc de la simulation du forgeage fort heureusement polyglotte. Nous fîmes également
connaissance de W. R. D. Wilson, sympathique barbu, alors spécialiste de la modélisation de la
lubrification hydrodynamique en mise en forme, qui allait bientôt s'attaquer au régime mixte. Du
fait d'une grande communauté de domaines d'intérêts, il est le scientifique avec lequel j'ai eu le
plus d'atomes crochus. Car il ne faut pas se leurrer : s'intéresser à la lubrification en mise en forme
des métaux vous classe en marge des spécialistes de la lubrification hydrodynamique, eux-mêmes
tenus à l'écart par les mécaniciens des fluides, mécaniciens, et donc peu dans le vent de notre
société plutôt physicienne…
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
29
mini et de prendre plutôt un Nova3 afin qu’il puisse y effectuer ses premiers calculs.
Ainsi commença la saga des éléments finis au CEMEF.
SOPHIA ANTIPOLIS : À LA RENCONTRE DE NOUVEAUX VOISINS
Nous prenions possession de locaux bien à nous. La chose la plus frappante fut sans
doute le contraste entre la minutie qui présida à l’attribution des pièces, à leur
spécialisation en bureaux, salles d'expériences ou pour ordinateurs (pièces pour
lesquelles on nous demanda de prévoir jusqu’à l’emplacement des prises électriques), et
la désinvolture avec laquelle on nous bailla d’autres salles, soigneusement équipées pour
un autre destin. Seuls des visiteurs impolis se seraient permis de demander à l’hôtesse
d’accueil à quoi pouvait bien servir la tresse de cuivre à l’impressionnant diamètre qui
sourdait du sol entre ses pieds. Là avait été prévue la salle de calcul ; elle en piétinait la
prise de terre.
Sophia – Pierre Laffitte oblige – se voulait aussi un lieu de communication entre
équipes, laboratoires et organismes. Notre bureau était voisin de celui de Brigitte
Anjubault ce qui, en dehors d’un charmant voisinage, simplifiait beaucoup les
recherches bibliographiques. Au delà s’étendait le Centre de Mathématiques
Appliquées, dirigé par Yves Rouchaleau. Le qualificatif d’appliqué ne devait pas faire
illusion. Ce Centre était peuplé de dangereux hurluberlus ne fréquentant guère les
industriels, utilisant des calculateurs sous Unix et faisant leur traitement de texte sous
Troff. Mais à leur contact, nous apprenions les principes de base de l’automatique. Il en
résultera plus tard une thèse dirigée par J-P. Marmorat ayant pour objet l’automatisation
multivariable de notre laminoir pilote. Une des particularités d’Y. Rouchaleau était
d’être grand connaisseur en machines parlantes mécaniques anciennes. Quel que pût être
le sujet de nos recherches, il était toujours capable d’exhiber une étrange application du
frottement à l’une de ses machines à parler ou à musiquer, tel l’amplificateur à
frottement14. FD découvrit ainsi avec étonnement que les savons chargés qu’il étudiait
en tant que lubrifiants de tréfilage avaient servi à réaliser en 1900 des cylindres de
phonographe. S’il voulait se donner la peine de les analyser, ce ne seraient pas les
échantillons qui lui manqueraient…
Quel meilleur lieu de rencontre que le lieu du déjeuner ? Le premier restaurant
d’entreprise, un baraquement rose fort bruyant, fut bientôt remplacé par celui du
CERAM, fort proche de nos nouveaux voisins du CNRS. Sortant de nos préoccupations
tribologiques, nous pouvions y discuter de la constitution d’un dictionnaire amarikfrançais avec M-J. et J. Tubiana, qui avaient fondé le laboratoire Peiresc, voué à l’étude
des langues et des mœurs du Tchad et de l'Éthiopie, ou bien de la nature de l’objet
archéologique et de la variété de ses substituts avec B. Helly, qui dirigeait le Centre de
Recherche Archéologique.
Nous entendîmes un jour discuter à la table voisine de la possibilité d’évaluer la
température de surface d’un silex frotté avec une peau de chamois, le tout serré entre les
genoux. FD par l’aventure évidemment alléché se permit d’intervenir en faisant
14
Brevet Higham, 1904 utilisé sur le 20th century Graphophone BC. Le saphir frottant sur le
cylindre est relié à la membrane qui produit le son par un élément en caoutchouc durci (vulcanite)
de forme semi-circulaire. A l’intérieur, coaxiale et passant très près, se trouve une roue d’ambre
en rotation. Chaque mouvement vertical du saphir provoque un contact entre la vulcanite et la
roue tantôt par le haut, tantôt par le bas. Le frottement induit entraîne la vulcanite dans un sens ou
dans l’autre, ce qui déplace la membrane et augmente sa déflection.
30
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
remarquer qu’en dépit de la difficulté du problème, des méthodes de calcul existaient, et
que des mesures étaient possibles. Puis, il demanda à ses interlocuteurs quelles étaient
leur formation… Tous étaient littéraires ou historiens. C’est ainsi que nous fîmes la
connaissance de l’équipe des tailleurs de silex et d’obsidienne de J. Tixier, avec laquelle
nous mîmes bientôt sur pied un séminaire commun. Ils apportaient leur étonnante
virtuosité pratique ainsi que des films tournés au grand ralenti. Nous apportions nos
certitudes et notre connaissance de la mécanique du contact. D. Maugis15, que nous
avions mis dans le coup, y ajoutait celle de la mécanique de la rupture. Nous nous
rendîmes vite compte que nous avions lourdement sous-estimé la difficulté du problème.
Nos contacts à nous étaient toujours supposés se faire sur des massifs infinis, de façon à
éviter tout effet de bord. On nous démontra vite que l’art de la taille par percussion
consistait justement à utiliser astucieusement ces effets de bord.
JULIETTE
Dieu sait si nous discutions ensemble François et moi. Mais il lui apparut vite qu’il nous
manquait un forum plus étendu où l’on prendrait le temps de poser à d’autres les
questions qui vous turlupinaient, et d’écouter les réponses. Il organisa à cet effet un
séminaire informel périodique regroupant quelques amis, les lyonnais M. Godet, J-M.
Georges et D. Berthe ; le parisien D. Maugis ; le mulhousien M. Brendlé et nous deux.
Plagiant l’Histoire de France racontée à Juliette de Jean Duché, il le nomma la
Tribologie racontée à Juliette ou, plus brièvement, les réunions Juliette. Ces rencontres
mensuelles, placées sous le signe de l’amitié et du tonus, duraient 36 heures. Tour à tour
dans chacune de ces villes, nous étions d’abord reçus à dîner par notre hôte à la table
familiale. Ces agapes terriblement bavardes (et qui mettait notre hôtesse à dure épreuve)
permettaient de réserver strictement la journée du lendemain aux exposés scientifiques
qui étaient faits par l’un de nous, dans sa spécialité (lubrification limite pour JMG,
lubrification élasto-hydrodynamique pour MG, chimisorption pour FD, adhésion pour
DM et plasticité pour moi-même), ou bien à la discussion d'un projet de publication. Le
conférencier ne partait pas tant que l’un d’entre nous n’avait pas tout compris. L’heure
du déjeuner était consacrée à la visite d’un Musée16. Cette heureuse époque, où nous
pouvions consacrer tant de temps à apprendre, dura trois années. C’est dans ce groupe
15
Nous avons, François et moi, fait la connaissance de Daniel Maugis à des moments différents.
Mais notre première impression fut un peu la même… Encore thésard, François le découvrit au
laboratoire de J. Bénard, à l’ENSCP vers 1971, lorsqu'il fut invité à donner un vendredi aprèsmidi un séminaire sur l’adhésion métal / métal. L'exposé fut brillant. Il faisait état de l'ensemble
des disciplines physico-chimiques et mécaniques qu’il est devenu aujourd’hui si banal de
considérer en ce domaine, mais qui ne l’était guère à l’époque. Il en laissa plus d’un rêveur. Pour
ma part, je le rencontrai en 1975, lors de notre premier séminaire à Fontainebleau. Faisant
référence au fameux modèle JKR (Johnson, Kendall, Roberts) généralisant le modèle de Hertz du
contact élastique sans adhésion, il nous parla d'adhésion élastique, concept dont nous n’avions
jamais entendu parler et qui ne fut pas sans nous inspirer de la méfiance. Ces contacts avec cet
éveilleur fut le point de départ de nombreux échanges, ainsi qu’avec son complice Michel
Barquins, échanges qui se sont poursuivis sans interruption jusqu'à maintenant.
16
On pouvait même en tirer des enseignements tribologiques. Ainsi de la visite des ateliers de la
manufacture de Sèvres, où nous constatâmes que curieusement, mais conformément à la théorie, il
fallait appuyer comme un sourd sur l’agate pour polir les films ultra-minces d’or fraîchement
déposé et donc très mou.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
31
Juliette que prit naissance l’idée d’un GRECO du CNRS consacré à la Mécanique du
Contact. D. Maugis accepta sa responsabilité. Cette action coordonnée nous permit
d'élargir nos échanges à d'autres collègues, notamment avec Jean Frêne de l'université de
Poitiers. C’est au cours d’une de ces réunions que le directeur du département des
Sciences pour l’Ingénieur de l’époque proposa à FD d’associer nos deux groupes au
CNRS, ainsi que l’étaient déjà les équipes lyonnaises. Cette proposition ne reçut pas
l’aval de P. Avenas : l’École ne voyait pas ce qu’elle avait à gagner avec cette
association. Elle changerait bientôt d’avis.
Les années passant, chacun voyant croître inexorablement sa charge de travail, nos
contacts avec les autres représentants de la communauté des tribologues français
s'espacèrent, se restreignant aux soutenances de thèses, aux congrès (Leeds – Lyon,
Eurotrib) et aux Journées de la Société Française de Tribologie.
ÉTABLIR NOTRE MÉTHODE
Une des particularités de la Tribologie est d’être un domaine extrêmement lié aux
préoccupations de l’Industrie. Pour notre part, nous procédions de la manière suivante.
Le problème soumis par l’industriel était analysé avec l’œil de l’ingénieur. Puis, se
focalisant sur le contact produit / outils et utilisant la mesure de paramètres globaux
(effort de laminage, couple…) sur une machine de production, le mécanicien du contact
calculait les conditions thermomécaniques du contact. Une modélisation (méthode des
tranches, borne supérieure, bientôt éléments finis) permettait d’approcher les répartitions
de pressions, de contraintes et de température dans le contact. A partir de là, le
mécanicien des fluides ou le physico-chimiste essayait de comprendre comment
s'effectuait la lubrification. Et pour vérifier ses hypothèses, un essai tribologique était
choisi ou imaginé pour son degré de similitude avec le procédé.
N’allez pas voir là une démarche banale ! Loin de là. Car les laboratoires académiques
s’occupant de frottement étaient de nouveaux venus dans le monde de la tribologie. Les
laboratoires industriels, en particulier ceux des pétroliers, utilisaient des essais (quatre
billes, Fallex et autres) qui avaient derrière eux un long passé. Ils avaient donc
l’immense avantage de permettre des comparaisons. Nous retînmes le bipoinçonnement
pour simuler le contact cylindre / tôle en laminage, et l’écrasement d’anneau pour le
contact en forge. Pour le tréfilage, nous nous adressâmes au procédé lui-même, mais
simplifié à l’extrême. La similitude portait aussi, bien sûr, sur les matériaux (outils,
produit et lubrifiant). Pour pertinents qu’ils étaient censés être, les cœfficients ou
cissions de frottement que nous en déduisions étaient ensuite comparés à ceux mesurés
sur une machine pilote instrumentée, système présentant le plus grand degré de
similitude possible avec le procédé. Le résultat de nos travaux était alors délivré à notre
commanditaire industriel. Leur heureuse mise en œuvre en ses ateliers nous soulageait
d’un grand poids. Bien sûr, nous étions convaincus des avantages d’une approche
rationnelle des problèmes17. Mais, en tribologie, un paramètre important est si vite mal
évalué… D’ailleurs, combien de fois François ne m’avait-il pas raillé pour ma capacité à
17
Ne pas l’employer pouvait amener à des déboires certains. Une PME spécialisée en tribologie
des mécanismes proposa à un lamineur d’aciers inoxydables d’étudier les problèmes de frottement
et d’état de surface en laminage à froid. Sans analyser les conditions de contact, ses chercheurs
utilisèrent un «simulateur» à faible pression de contact qui donna des résultats opposés à la
pratique industrielle. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ils en conclurent que les observations faites
sur le site industriel étaient erronées.
32
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
imaginer de «petits modèles» incapables de prédire, mais justifiant les résultats
expérimentaux les plus contradictoires…
TRÉFILAGE : LA LUBRIFICATION PAR FILM ÉPAIS
Initiées grâce à des tréfileurs d'acier qui se plaignaient de devoir remplacer des filières
trop vite usées, nos études avaient dès le début pris en compte le double aspect du
problème : lubrification et usure du matériau de la filière. J'avais démarré l’étude de la
lubrification en tréfilage à l'aide d'un montage expérimental particulièrement simple et
efficace imaginé par P. Baqué. L’opération était assurée par la chute d'une hauteur de 2
m d'un poids de 50 kg dans un bac de sable. Chaque expérience faisait sauter les disques
durs des ordinateurs du service de calcul de l'ENSTA situé dans la pièce au-dessous,
mais ce montage permettait d'atteindre en un temps très court, et de manière très
économique, des vitesses de tréfilage de quelques mètres par secondes. A chaque
portion du fil pouvaient être associés la vitesse et l'effort de tréfilage, ainsi que la
résistance électrique entre fil et filière (infinie en cas de film HD). En chaque point l'on
pouvait aussi y mesurer l'épaisseur de film lubrifiant résiduel par pesées. J'accumulais
suffisamment de données expérimentales pour pouvoir proposer une modélisation des
effets thermiques responsables de l’évolution avec la vitesse de tréfilage de l’épaisseur
des films lubrifiants formés par les paraffines chlorées. Je fis de même avec les savons
chargés, étude qui proposait pour la première fois une interprétation des mesures
effectuées par Tattersall en 1961 sur la lubrification par les savons grâce à un montage
expérimental sophistiqué18.
Côté matériau de filières, pour déterminer le mode de dégradation des carbures de
tungstène liés au cobalt, B. Lapostolle imagina de tréfiler avec une filière activée. Une
seconde tréfileuse fut réalisée. La mesure de la radioactivité locale du fil permettait de
repérer les débris d'usure, et de suivre la dégradation de la filière par déchaussement des
grains de carbure. Mais les précautions nécessaires s'avérèrent lourdes et la technique fut
abandonnée. C'est pourquoi, vers 1974, avec Alain Le Floc'h, nous développâmes une
machine pilote monopasse pouvant tréfiler des kilomètres de fil à des vitesses comprises
entre 1 et 20 m/s. Dotée ensuite d'un système de trancanage, elle nous permit d'étudier
de manière plus réaliste les conditions de travail des filières et de tester de nouveaux
matériaux, carbures et nitrures diversement liés19. L'ennui avec les études d'usure est que
l'on ne peut se permettre de reproduire les conditions industrielles. Il faut accélérer les
phénomènes, mais sans en changer la nature. Nous essayâmes bien de remplacer le
lubrifiant par des poudres abrasives. Rien n'y faisait, nos filières semblaient inusables et
nous nous trouvions dans l'incapacité de les classer par ordre de mérite. Jusqu'au jour où
nous nous aperçûmes qu'il suffisait de tréfiler un fil ayant subi un début de corrosion.
J’avais abandonné l’étude de la lubrification du tréfilage par film épais pour passer à
d’autres sujets, et François avait repris le flambeau. Mais dans le cas de la lubrification
par les poudres de savons, comme l’avait montré B. Lapostolle, les choses se
compliquaient. L’alimentation de la filière ne se faisait plus avec un lubrifiant liquide,
mais avec un solide pulvérulent. En outre, des travaux russes suggéraient que les savons
avaient un comportement non newtonien. Aux problèmes de l’alimentation de la filière,
rarement optimale, s’ajoutaient donc ceux liés à la détermination des rhéologies.
th
18
E. Felder & G. Breinlinger, Thermoviscous behaviour of wire drawing soaps, Proc. 4 North
American Metalworking Research Conference, Columbus (1976) 158-164.
19
Ces travaux ont fait l'objet du mémoire CNAM d'A. Le Floc'h.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
33
Il fallait bien qu'un jour ou l'autre FD, sortant de sa culture CNRS, commençât à
rencontrer des industriels et s'efforce de les séduire pour se faire financer les recherches
qu'il comptait entreprendre. C'est dans cet esprit d'évangélisation qu'il persuada les
responsables ad hoc de la CFPI (Cie Française de Phosphatation Industrielle) de
l’intérêt qu'il y aurait à optimiser les phosphatations réalisées sur les fils d'acier avant
leur tréfilage, et dont on pensait que le rôle était d'entraîner la poudre de savon
lubrifiante. Un stage avait été décidé pour prouver notre savoir faire. Un stagiaire avait
donc passé trois mois à l’ENSTA à tréfiler dans des conditions normées des gerbes de
fils d’acier dont les phosphatations avaient été réalisées spécialement en faisant varier
un par un les différents paramètres de l’opération. Le tréfilage devait être suivi
d’examen au MEB des fils, et de détermination de l’épaisseur des diverses couches par
pesées entrecoupées de dissolutions chimiques. Quelle ne fut pas la stupeur de FD en
s’apercevant que le dernier jour, une fois les tréfilages terminés, le stagiaire avait fait
place nette, et jeté les précieux fils à la poubelle, empêchant toute exploitation
ultérieure. Les contacts avec la CFPI s'arrêtèrent là.
D'autres furent beaucoup plus fructueux, et permirent une certaine continuité dans cet
axe de recherche, qui devait se développer durant dix années. Ce furent d'abord les
travaux de J-L. Wybo qui étudia l'alimentation de la filière en relation avec l'écoulement
des poudres et leur granulométrie. Fort inventif, il mit au point le mire-trou, appareil
qui, grâce à l'exploration laser du cône de travail de la filière permettait en une seule
mesure de chiffrer son demi angle et l'état de surface du cône de travail, région
particulièrement rebelle à l'observation. Nous eûmes tort de ne pas développer plus
avant cet appareil. Son successeur M. Brison eut pour rôle de caractériser la qualité de la
lubrification par un paramètre plus sensible que la valeur moyenne de l'effort de
tréfilage, qui ne permettait pas de retrouver sur notre machine le jugement porté par la
pratique industrielle sur les différents types de savons qui nous étaient soumis. Il enserra
la filière instrumentée dans un calorimètre et mesura l'accroissement de température. En
définitive, il adopta la mesure du bruit entachant l’effort de tréfilage, moins intégrateur
et instantanément sensible aux aléas de l'opération.
Bientôt ces recherches prirent une connotation plus chimique avec l’étude des propriétés
lubrifiantes des savons purs (stéarates de sodium, de calcium, de lithium), phase par
phase. Il fallait donc identifier les différentes phases, et déterminer leurs bizarres
rhéologies. La tâche fut confiée à un jeune centralien, Pierre Montmitonnet, qui y
consacra deux brillantes thèses et mit au point – sous l’œil réprobateur de l’ingénieur de
la Société commanditaire qui estimait que nous perdions notre temps et l’argent de sa
Société - l’interprétation rhéologique d’un essai dérivé du pénétromètre. Par un effet de
la Justice immanente, ce travail rendit peu après les plus grands services à leur principal
concurrent, plus confiant qu'eux en nos capacités. Hélas, le temps n’était plus où les
découvreurs pouvaient attacher leur nom à la découverte de nouvelles phases. Celles
décrites dans ce travail ne porteraient les noms ni de FD ni de P. Montmitonnet !
FORGEAGE
Il était convenu entre nous que je me chargeais plus particulièrement des contacts dans
les procédés à chaud. Comme l'avait déjà constaté P. Fernier, le thème présentait des
difficultés spécifiques comme l'évaluation des températures de surface ou la réalisation
des simulations expérimentales en laboratoire. D’où la nécessité de trouver un partenaire
apportant de réelles capacités d'expérimentation. Je le trouvai avec la cellule Forge de
l’établissement stéphanois du CETIM. Nous lançâmes alors les deux thèmes de
recherche : lubrification-frottement et usure des matrices. Une de nos premières
découvertes fut que l'amélioration de la lubrification des matrices pouvait augmenter
34
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
leur usure abrasive, ce qui s'explique par l'accroissement de la vitesse de glissement du
métal contre les matrices. Cette situation paradoxale constitue - à ma connaissance - un
cas unique en tribologie de la mise en forme des métaux.
Notre approche des phénomènes de contact en forgeage à chaud des aciers se fit en trois
étapes :
-
modélisation par L. Coutu des transferts thermiques et premières estimations de
températures maximales de la peau de matrices. Nous pûmes nous convaincre que
les fameuses couches blanches de haute dureté observées en surface des matrices
résultaient d'une austénitisation suivie d'une transformation martensitique ;
-
modélisation par P. Bauduin de l'évolution de dureté de la peau des matrices, avec
deux scénarios possibles : un revenu, décrit à l'aide du diagramme de revenu de
l'acier, ou un durcissement, estimé par calcul de la diffusion du carbone dans une
cellule élémentaire constituée d'austénite et de cémentite Fe3C20;
-
synthèse de ces divers aspects par Y. Thoré sous forme du calcul de la perte de cote
∆h en un point M de la surface d'une matrice, dérivé du modèle d'abrasion
d'Archard sous la forme :
∆h( M ) = ò
histoire en M
K F0 KW
p ∆u
dt
H vm
(2)
avec p, pression de contact et ∆u, vitesse de glissement. Ces grandeurs, ainsi que
l’histoire thermique superficielle du point M, qui permettait d'estimer la dureté d'outil
Hv, résultat d'un revenu ou d'une trempe martensitique, étaient estimées analytiquement.
La comparaison avec des essais avaient permis de fixer à 2,1 environ la valeur de
l'exposant m fixant l'influence de Hv21, de proposer une formule décrivant l'effet de la
concentration en divers éléments d'alliage de l'acier à outil (facteur KW), qui est en
relation avec le type de carbures présents dans l'acier, et d'estimer la vitesse d'usure KF,
décrivant globalement l'effet des films superficiels (calamine du métal forgé plus ou
moins refroidie par le contact, lubrifiant, films de transfert). Ce modèle fut très vite
inclus par notre ami (et concurrent) Altan dans son code de simulation du forgeage
Alpid.
20
Mes discussions avec Robert Lévêque, spécialiste des aciers à outils chez Creusot-Loire, m'ont
fortement aidé dans la conception du modèle d'évolution structurale de la peau des matrices. Il fut
en effet le seul des métallurgistes que je connaissais à l'époque capable d'expliquer
rationnellement et simplement l'effet de l'histoire thermique sur l'évolution des structures des
aciers à outils. Pour la plupart de ses collègues français, la métallurgie restait une sorte de science
naturelle purement descriptive (et terriblement ennuyeuse !). Quant à calculer une structure, il
n'en était pas du tout question en France à l'époque : un métallurgiste français bien connu m'avait
même prédit l'échec !
21
Avec A. Le Floc'h, nous avions déjà trouvé un exposant comparable pour décrire l'évolution de
l'usure des filières de tréfilage avec la dureté du matériau de filière. Par ailleurs, pour rédiger mon
cours sur l'usure, j'ai lu ou relu, il y a quelques années, avec grand intérêt les articles décrivant les
travaux de l'équipe de tribologie d'Aldermaston, de l'Associated Electrical Industries, dirigée par
Hirst avant 1965 ; j'y ai découvert que l'usure sévère (avec formation de débris métalliques) des
alliages métalliques frottant à sec contre un antagoniste de dureté plus élevée évolue avec leur
dureté de manière comparable. Il semble y avoir là une loi assez générale, chose rare en
tribologie, mais son origine physique reste inconnue.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
35
Puis s'ouvrit alors une période de veille d'une dizaine d'années, pendant laquelle nos
collègues numériciens du CEMEF travaillèrent de manière intensive à la mise au point
des codes de simulation numérique par éléments finis du forgeage à chaud, Forge2, puis
Forge3. Le calcul de l'index d'usure, version très simplifiée de notre modèle, fut inséré
dans une version de Forge2 par Y. Tronel :
I (M ) = ò
histoire en M
p ∆u dt
(3)
K. Mahjoub reprit le flambeau dans le cadre de l'ACR II22. L'objectif était de doter
Forge2 d'un calcul automatique de l'usure aussi performant que possible. Bénéficiant du
travail de M. Miles qui avait développé une version de Forge2 simulant l'écoulement
plastique du métal forgé et de la chaleur dans la pièce ainsi que dans les matrices, il put
développer une méthode de calcul rapide du régime thermique établi, puis de leur usure.
Le modèle d'usure intègre maintenant l'effet des variations instantanées de dureté Hv de
la peau de matrices en acier, brut ou nitruré, et de celles de la dureté de la calamine de
l'acier forgé, Hvc, mélange des trois oxydes de fer23. En outre, K. Mahjoub mit au point
avec le bureau d'études deux machines de laboratoire, l'une destinée à simuler la fatigue
de contact d'indenteurs en aciers à outil, l'autre, à étudier leur résistance à l'abrasion. Ces
machines sont destinées à terme à constituer une banque de données sur les
performances de divers matériaux à outils et permettre la prévision de leur usure.
Dernier maillon de la chaîne, F. Frascati renoue avec une étude plus axée sur la
lubrification, ici par les verres.
FILAGE À CHAUD
Dans ce domaine, mon activité a surtout eu pour objet le filage à chaud des alliages
légers24. J’ai déjà dit que P. Baqué s’était très tôt intéressé à ce procédé. Tout en
encadrant les travaux de J. Pantin, il étudia l’effet du frottement et des transferts
thermiques sur la morphologie des écoulements de filage des alliages cuivreux25. Il
22
Action Concertée de Recherches, stade II, rassemblant la plupart des forges françaises et
soutenue financièrement par le Ministère de l'Industrie.
23
Cf. ci-après l’article Modélisation de l’usure par abrasion des matrices de forgeage à chaud
des aciers.
24
Je n'ai guère abordé le filage à froid (en fait une variante du forgeage) qu'à propos des aciers.
Ce fut la thèse de R. Blancon. A l'aide des concepts mis au point dans l'étude de la lubrification
du tréfilage, il modélisa la lubrification. A l'aide d'essais de bipoinçonnement, méthode d'essai
mise au point pour le laminage, nous avons commencé à préciser l'effet sur le frottement de
l'épaisseur de lubrifiant et de la rugosité du métal et de l'outil, thème qui fut repris et développé
par P. Montmitonnet et ses thésards. Des essais de filage sur notre presse hydraulique de 350
tonnes nous permirent de vérifier la principale conclusion de notre modèle de lubrification : les
films formés dans une opération de filage mixte avant-arrière, le long des divers outils :
conteneur, poinçon et filière, n'ont pas la même épaisseur. Cet effet est mis en évidence par la
géométrie finale des pièces, qui est déterminée par les différences de frottement associées. Nous
avons de la même manière testé avec succès le modèle de Wilson de lubrification du filage avant.
Il avait en effet montré que le lubrifiant ne s’infiltre que progressivement le long de l’interface
métal-filière et que ce défaut initial de lubrification est responsable du pic de pression de filage.
25
J. de Lépineau et P. Baqué, Filage à chaud non lubrifié : étude des écoulements plastiques par
la méthode énergétique, Rev. Mét. (juin, 1973) 475-496.
36
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
chercha aussi à déterminer les conditions de filage isotherme propres à minimiser la
durée de filage des alliages durs type duralumins, sujets au défaut de tronc de palmier26.
Ces travaux furent à l’origine de ceux de D. Fenot qui, sous la direction de P. Avenas,
développa une simulation thermomécanique par différences finies du filage à chaud. À
partir de là, il essaya avec F. Montheillet, de comprendre les évolutions structurales des
laitons et autres duralumins en filage.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver vers 1982 P. Baqué à la tête des usines de filage
de Cégédur, filiale transformation de Péchiney, et de le voir lancer un projet de
conception rationnelle de filières pour profilés, dit projet Φ. P. Baqué pensait en effet
que la clé de la rentabilité des filages dans lequel les surfaces jouent un rôle très
important était la filière. C'est dans sa conception que l'on gagne ou que l'on perd de
l'argent. Il créa à l'usine de Ham un atelier de fabrication de filières et mit sur pied un
programme d'études visant à élaborer rationnellement les règles de conception des
filières. Fidèle à sa méthode rodée avec le groupe Mise en Forme, P. Baqué multiplia
aussitôt les séminaires de formation pour les ingénieurs des usines de filage. Il confia à
G. Leroy, du Centre de Recherches de Voreppe (CRV), le soin de mener une série de
démonstrations sur une presse de filage et me contacta pour effectuer les commentaires
scientifiques. Ce fut une semaine sans pareille : après une journée d'essais, je travaillais
le soir à exploiter les mesures de pression de filage, de température de sortie des profilés
et pour les filières multi-écoulements, des différences de longueur observées, de façon à
commenter ces essais le lendemain matin. Le résultat fut extraordinaire. Il en sortit, entre
autres, une loi de conception des filières de profilés ouverts (c-à-d. sans parties
tubulaires). Pour chaque segment27 de profilé, de périmètre P et section S, la hauteur h
de la portée28 doit vérifier :
h . P / S = constante
(4)
En effet, ce terme, appelé frein portée, multiplié par la cission de frottement le long de
la portée, est la contribution de la portée à la pression de filage du segment : tout écart
entre segments doit être compensé par un écart opposé dans le travail d’allongement du
métal, c’est-à-dire une différence de vitesse de sortie. Pour équilibrer les vitesses de
sortie et supprimer les défauts, le fileur dispose, outre les portées, des préchambres,
26
P. Baqué, Filage à chaud non lubrifié des métaux : étude théorique et expérimentale ;
application aux métaux légers, Rapport interne ENSTA n° 28 (septembre 1974).
27
Un segment est une partie de profilé réagissant « en bloc » à la portée et dont la vitesse de sortie
peut être considérée comme uniforme pour tout choix «non pathologique» de jeu de portée. Si le
concept est simple, il n'est pas facile de définir une règle de segmentation. Par ailleurs, la
poursuite des études a montré qu'au second ordre, la viscoplasticité du métal filé, qui tend à
assurer une adhésion parfaite du métal sur les outils, impose une modulation de la valeur du hP/S
des segments ; cette modulation dépend de la géométrie du segment et de la proximité au
conteneur de la partie de la billette assurant son alimentation, effet bien connu des fileurs et
corrigé empiriquement.
28
La portée d’une filière est le conduit nominalement cylindrique par lequel chemine le métal
avant de sortir de la filière. Les conditions de frottement le long de la portée sont mal connues.
Comme l’a montré Tresca (cf. note 11), une légère conicité convergente tend à assurer un contact
collant entre l’aluminium chaud et la portée. Mais la déformation de l’empilage des outils filière, contre-filière, cale d’appui, cale de fond - peut donner à la portée une conicité négative, la
rendant divergente, ce qui réduit l’intensité du frottement, comme l’a démontré
expérimentalement Akeret, vers 1985.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
37
cavités creusées dans la filière côté billette et de contour intermédiaire entre celui de la
billette et celui des profilés. Chaque préchambre réalise une sorte de coalescence des
parties du profilé avec suppression de ses détails. Ce degré de liberté supplémentaire est
précieux, car une différence de hauteur de portée trop importante sur deux segments
voisins peut entraîner des défauts de surface sur le profilé. Ce fait limite donc les
possibilités de réglage des filières par la seule action sur la portée.
Je poursuivis ce travail de conseil sur les règles de conception des filières tubulaires, en
séjournant l'année 1985 au CRV. D. Fenot y travaillait à la CAO des filières et animait
le Φ-Club qui réunissait les ingénieurs et les chefs-régleurs de filière des usines de filage
de Cégédur. À l’aide d’essais effectués sur les presses industrielles, nous nous efforcions
d’élucider les mystères des écoulements de profilés ; d’où des discussions interminables,
sur tel ou tel effet de correction d’outillage. J’y eus le plaisir de retrouver un de nos
anciens, L. Felgères, qui avait en charge l’atelier de filage de Ham.
En parallèle, j'encadrais au CEMEF le travail de P. Ozanne, qui étudiait le frottement
sur les portées : il pratiquait avec nos moyens des expertises de filières aux divers stades
de leur utilisation pour élucider leur mode d'endommagement et le relier à l’intensité du
frottement du métal filé sur les portées. Puis, l'atelier de Ham s'équipant d'une simulation
plasticine pour tester la conception des filières, J.- F. Dupuis s'attacha à développer une
simulation plasticine fiable. À l'aide d'essais sur le rhéoplast du CEMEF et d'essais de
filage d'aluminium effectués au CRV sur le profil clé29, nous montrâmes la supériorité de
la pâte Filia, d'origine danoise, sur la pâte utilisée jusque là. Des filières tests,
comportant diverses géométries de portées et de préchambres, nous permirent en outre
de vérifier la règle d'équivalence entre le frein portée et le frein préchambre.
LE LAMINAGE Á FROID
C'était l'un des domaines de FD. Côté laminage à froid des inox, prenant la suite de M.
de Vathaire, J. Kubié étudia les différents facteurs influant sur le transfert de matière
entre tôle et cylindre, dont les plus inattendus furent bien ceux liés à la métallurgie des
cylindres (nature, dureté et dimensions des carbures superficiels). Avec l’aide d’A. Le
Floc’h, il avait pour ce faire monté au CEMEF l’essai de bipoinçonnement, essai dont il
tira merveilleusement parti. Passant en revue les différentes modélisations de cet essai
disponibles, il imagina avec FD d'en tirer non seulement la détermination du cœfficient
de frottement tôle-poinçon, mais aussi celle de la contrainte d'écoulement de la tôle. On
se posait en effet le problème de savoir si elle ne variait pas suivant le mode de
sollicitation. Était-ce vraiment la contrainte d'écoulement mesurée en traction qu'il fallait
introduire dans la modélisation du laminage ? FD ayant décidé de publier ce travail
assez rapidement, sous la forme d'une note aux Comptes-Rendus de l'Académie des
Sciences, il demanda sur mes conseils l'avis de Jean Mandel. Celui-ci vint un beau
matin, en chemise et en short kaki. Il refit posément au tableau, devant un FD
mortellement inquiet, tous les calculs. Il les trouva exacts et donna son feu vert. En
revanche, il déconseilla formellement d'y ajouter les mesures expérimentales que nous
avions faites, comparées et critiquées. Pour lui, elles étaient de nul intérêt. La note
parut30.
29
Profil constitué de deux segments de P/S très différents, un méplat fin et une barre ronde.
30
FD n'a pas abusé des notes aux Comptes-Rendus. Mais il les a toutes publiées dans des sections
différentes. On trouve, dans l'ordre chronologique : Chimie Physique (1970), Électrochimie
appliquée (1974), Mécanique des solides inélastiques (1980) et Géologie (1986).
38
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Par ailleurs se concrétisait progressivement ce projet fou, imaginé à Colombus, de
réaliser un laminoir à froid à bande étroite pouvant laminer dix kilomètres de bande à 20
m/s. Fou, peut-être pas tout à fait. Mais son coût évalué à 1 MF avait été dénoncé
comme tout à fait irréaliste par M. Maurice, le président de la commission Action de
Contact de la DGRST à qui nous demandions une participation au financement. La
commission n’accorda (1976) 150 kF pour financer son étude, qu’assortis de ce
commentaire : "N’y revenez pas, ni pour sa construction, ni pour son fonctionnement".
Un montage financier fut donc réalisé avec l’IRSID, la CFR et ARMINES. Avec l’aide
d’un bureau d’études extérieur, le projet, mené par J. Duriau puis A. Le Floc’h, se
concrétisa. J. Genna assura le câblage du laminoir, qui fut inauguré en grande pompe en
présence de J. Lévy, directeur de l’EMP. Dans un bruit de réacteur, les grandes bobines
se mirent à tourner lentement, puis de plus en plus vite. On laminait ! Et à une vitesse
déjà respectable ! Quand tout à coup, la bande cassa et se mit à fouetter l’air, au grand
dam des responsables fort marris. Il restait tout simplement à apprendre le métier de
lamineur. Ce que J. Genna aurait amplement l’occasion de faire…
G. Ayache eut ensuite pour tâche de démontrer la similitude existant entre notre tranche
de laminoir et un laminoir industriel bien réel. Il y réussit pleinement, en particulier en
reproduisant divers défauts liés au laminage de l'acier au carbone dans des conditions
contrôlées. Puis la chimiste M-N. Gay se vit confier la tâche de formuler rationnellement
une émulsion de laminage à froid des aciers. Axant son travail sur la nécessité de
réaliser une émulsion qui soit stable dans le bac de stockage, mais instable dans
l'emprise du laminoir, elle y réussit parfaitement : les performances de ce lubrifiant sur
le laminoir-pilote furent tout à fait comparables à celles du produit le plus utilisé
commercialement.
Mesure du frottement dans des conditions de similitude contrôlée avec le procédé,
caractérisation de la composition superficielle et de la microtopographie des surfaces
avant et après le laminage, vingt ans après, la démarche reste toujours valable. Coté
essais mécaniques, nous en sommes à la troisième génération de machine de
bipoinçonnement, qui peut désormais fonctionner jusqu'à 200° C. Le laminoir-pilote
fonctionne maintenant sous l’efficace autorité de P. Montmitonnet assisté de J. Genna
(mais est-ce vraiment tout à fait le même, ayant été si constamment perfectionné ? Des
inserts peuvent désormais être placés dans les cylindres et, après laminage, être soumis à
l'analyse ; la bobine débitrice peut être chauffée afin de simuler du point de vue
thermique une passe antérieure…). Il fait face à une demande continue à la fois pour des
essais à façon et pour des travaux de recherche. Pour les services, on vient jusque de
Corée et des Indes supplier le Grand Manitou du laminage à froid, PM, de bien vouloir
prêter la main à des essais d’additifs, des optimisation de bases lubrifiantes ou bien
d’émulsions. Coté recherches, PM a monté diverses thèses axées sur l'étude du régime
de lubrification mixte en laminage à froid. Dans le domaine du laminage des inox,
poursuivant le travail de M. de Vathaire et de Kubié, G. Hauret a étudié les conditions
d'obtention d'un produit brillant, et B. Rizoulières, les transferts de matières entre tôle et
cylindres. Quant à N. Marsault, après un séjour d'un an chez W. R. D. Wilson pendant
lequel il s'est initié à la modélisation du régime de lubrification mixte, il s'est
directement attaqué à celle du régime mixte en laminage à froid (hydrodynamique dans
les vallées, limite sur les plateaux) en prenant en compte la rugosité des surfaces et
l'existence d'un seuil de percolation au delà duquel la lubrification HD qui règne dans
les vallées se mue en lubrification hydrostatique. Ces travaux ont été rattachés à un
programme de travaux inter-laboratoires placé sous l’égide du CNRS et soigneusement
encadré par des industriels de la partie. PM avait accepté la responsabilité générale de
ce Contrat de Programme de Recherches sur la lubrification en laminage à froid, dans le
cadre duquel entrait aussi la thèse de G. Dauchot dont je reparlerai. Année record,
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
39
l’année 1999 a donc vu se terminer trois thèses relatives à la lubrification en laminage à
froid.
DES LAMINAGES EXOTIQUES
On n'en croit pas ses yeux de constater tout ce que l'imagination débridée des ingénieurs
est arrivée à tirer du bon vieux laminoir à froid de Léonard de Vinci. Doté d'une témérité
de conquistador, PM voulut bien prendre en main les études relatives à ces moutons à
cinq pattes que l'on nous proposait.
Ce fut d'abord le colaminage, en l'occurrence, celui de deux alliages peu courants, un
ferronickel (invar) et un mangano-cupronickel, utilisé pour réaliser par adhésion métalmétal une tôle composite d'où sortiraient des bilames thermiques. F. Niang modélisa
l'écoulement des deux alliages lors de ce laminage dissymétrique. En parallèle, F.
Carpentier étudia les phénomènes métallurgiques se produisant à l'interface. Ils mirent
clairement en évidence le rôle de la ductilité de la couche d'oxydes se trouvant à
l'interface séparant les deux alliages et la nécessité de dépasser un seuil de déformation
pour obtenir l'adhésion31.
Ceci n'était rien à coté du laminage à pas de pèlerin, procédé bizarre qui consiste à
laminer lentement, progressivement, des tubes sur mandrin. Le produit non seulement
tourne autour de son axe, mais tantôt avance, tantôt recule par rapport aux outils, tels
certains pèlerins de l'ancien temps qui s'imposaient d'avancer de trois pas et de reculer
de deux. Il ne s'agissait pas moins que d'améliorer l'état de surface interne des tubes, et
donc de reconstituer l'histoire mécanique d'un élément de surface interne durant la
déformation, lequel passait successivement par tous les régimes de lubrification. Sous
film épais, la rugosité augmentait. Sous film mince, l'outil imposait son état de surface
très lisse. Nous manquions tellement de connaissances sur le procédé que
l'instrumentation d'une machine de production s'imposait. Ce fut le travail de D. Farrugia
et d'A. Le Floc'h, qui fournit une série de résultats déjà intéressants. FD, qui suivait cette
phase du travail à Paimbœuf, commentait avec émotion les repas de fruits de mer de
midi et les beurres blancs qui accompagnaient les poissons. S. Mulot poursuivant
l'effort, la cinématique de ce diabolique procédé finit par être le secret de Polichinelle, et
les états de surfaces internes des tubes, mieux maîtrisés.
EMBOUTISSAGE
La démarche mise en place par FD pour le laminage fut développée dans ce domaine par
nos efforts conjoints.
L’emboutissage des tôles pose des problèmes assez différents de ceux observés en
laminage, et les situations y sont plus diverses. Les caractéristiques des contacts sont
exactement contraires à celles que l’on rencontre en laminage à froid : faibles pressions
et grandes longueurs de glissement. Il fallait donc se doter d’une nouvelle gamme
d’essais. Vers 1980 l’atelier réalisa pour J-C. Quantin un banc d'essai Inland (contact
cylindre / plan), transformé vers 1989 par V. Sampers en un tribomètre plan / plan
simulant le contact serre-flan / flan / matrice, sur lequel on pouvait monter des joncs de
retenue. Puis fut fabriquée par notre bureau d’études une presse à emboutir pilote,
31
Ils retrouvaient ainsi un phénomène déjà observé par J. Mstowski lors de l'étude du filage
arrière d'un lopin bimétallique, étude effectuée sous la direction de PM. La modélisation en avait
été publiée par Bay.
40
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
remarquable par la possibilité de faire varier la vitesse du poinçon entre 0,01 et 1 m/s.
Elle a été abondamment utilisée durant leur thèse par I. Devine, puis de D. Delarbre32.
En 1996, était réalisé un tribomètre plan / plan de deuxième génération permettant une
meilleure maîtrise des conditions d'application de la force normale. En parallèle, les
études s'enrichissaient et se diversifiaient : influence de la microtopographie des tôles
sur leur grippage, étude expérimentale du frottement, formulation de la loi de frottement
permettant une bonne simulation numérique de l'emboutissage des tôles nues et revêtues
et rôle des additifs du lubrifiant face à divers matériaux de surface de tôles33. Dernier
venu de cette lignée de chercheurs, G. Steinmetz dispose donc de moyens conséquents
pour poursuivre, à la suite d’I. Devine, la formulation de la loi de frottement des tôles
basée sur des modèles microplastiques d’interaction entre outil et tôle.
De son coté, P. Monmitonnet, toujours risque-tout, conduisait une étude réalisée par D.
Delarbre sur l'emboutissage profond des inox, leur étirage et leur repoussage, procédé
presque vierge d'études. Fidèle à sa méthode, il instrumentait d'abord une machine de
production, puis interprétait les résultats à l'aide de la simulation numérique.
PLASTICITÉ ET DURETÉ
Côtoyant quotidiennement la théorie de la plasticité dans le cadre de la mise en forme
des métaux, il était normal que nous essayons d'en tirer le maximum dans celui de la
tribologie. C'est pourquoi nous fûmes nombreux à nous intéresser à l'essai de dureté.
Est-il vraiment étonnant de voir des tribologues s'intéresser à l'essai de dureté, banal
essai mécanique à vocation technologique qui consiste à utiliser un indenteur de forme
géométrique simple pour déformer plastiquement un matériau ? N'est-ce pas l'un des
fondateurs de la Tribologie, D. Tabor qui a songé à en proposer une interprétation
mécanique ? Dans un beau livre34, il a montré que la force d'indentation était liée à la
contrainte d'écoulement du matériau indenté. Ne clamez pas que c'est une évidence ! Il y
a tant de gens qui n'en sont pas encore persuadés ! Observant qu'à l'échelle
microscopique, un contact entre solides était le plus souvent constitué de microindentations, Tabor put ainsi proposer la première interprétation satisfaisante de la loi de
frottement de Coulomb.
C’est B. Lapostolle qui, sous la direction de P. Baqué, avait le premier exploré le thème
de l’indentation comme essai rhéologique : il l’appliquait aux poudres de savons
compactées. Puis l’essai fut repris et largement perfectionné par P. Montmitonnet dans
le cadre de l’étude de la rhéologie des différentes phases des savons. Il fit d’ailleurs
l’objet d’un contrat avec l'ANVAR qui permit à A. Le Floc’h de construire une superbe
machine, toute de plexiglas fumé vêtue. L’essai fut adapté par PM et B. Monasse aux
polymères solides. Je fis plus tard moi-même construire une machine d’indentation à
32
Ne dit-on pas que l'Histoire bégaye parfois ? Lors de la visite officielle du CEMEF par le
ministre de la Recherche, H. Curien, A. Le Floc’h et J. Genna effectuèrent une démonstration de
cette presse. Impressionnés par la présence du ministre, ils commandèrent la remontée du serreflan alors que les pinces de serrage, que personne n’avait pensé à enlever, l'interdisaient. Que
pensez-vous qu'il arriva ? Ce fut le serre-flan qui cassa.
33
Le Frottement des films polymères : Application à un moteur piézo-électrique (thèse de L.
Vanel) implique d’autres développements des moyens expérimentaux du CEMEF dans le
domaine des frottements statique et dynamique.
34
D. Tabor, The hardness of metals, Oxford, Clarendon Press, 1951.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
41
chaud pour déterminer des rhéologies dans les conditions de la forge à chaud. Elle eut
une certaine célébrité au CEMEF car elle réunissait tant de conditions d’insécurité
diverses, que la charmante optionnaire Matériaux qui l’utilisait (avec une abnégation
digne d’une martyre des premiers temps de la Foi) ne savait jamais si elle allait se
brûler, s’électrocuter, ou bien les deux à la fois. Une autre machine, conforme aux
dernières normes de sécurité en vigueur, est aujourd’hui en service.
En ce qui me concerne, ce sont les travaux de M. de Vathaire qui initièrent cette voie de
recherche encore aujourd’hui si féconde. FD se souvint un jour que Michel avait
modélisé avec P. Baqué le labourage plastique d’une tôle par une aspérité du cylindre de
laminoir. Il décida de publier ce calcul original qui dormait dans un rapport, et sollicita
mon concours. Ce modèle cinématique par blocs rigides de formation d'une rayure fut le
départ d’une longue aventure. Publié dans Wear35, il a connu une certaine notoriété et a
inspiré divers travaux dans des laboratoires étrangers. Le problème m'apparaissant
intéressant, je repris le flambeau. Dans le cadre du GRECO Mécanique du Contact, P.
Gilormini généralisa ce modèle cinématique pour décrire la transition labourageusinage, et effectua des simulations plasticine pour tester le modèle, travail que nous
publiâmes36. Puis nous essayâmes de nous attaquer au labourage des produits revêtus.
Mais le problème était trop ardu.
Nous dûmes nous rabattre sur un thème voisin plus simple, celui de l'analyse mécanique
de l'indentation normale de matériaux revêtus (bicouches). La méthode devait permettre
de déterminer la rhéologie (module d’Young E, cœfficient de Poisson ν et contrainte
d’écoulement σ0) réelle du matériau de revêtement. Elle couvrait aussi bien l'échelle
macroscopique que les échelles micro (microdureté) et surtout nano (nanodureté),
domaine en pleine expansion, dans lequel l'exploitation des résultats expérimentaux ne
peut se faire qu'au travers d'un modèle. Encore fallait-il disposer d'une modélisation de
l'indentation d'un matériau homogène suffisamment performante, ce qui, en dépit des
travaux de Hill et de quelques autres, était loin d'être le cas. La thèse de doctorat d'État
de PM l'avait bien montré.
Nous nous attaquâmes au problème avec la méthode cinématique incrémentale (thèse de
D. Lebouvier), puis dès que cela fut possible, avec celle des éléments finis grâce au code
Forge2 mis au point par nos collègues numériciens (thèses de M.-L. Edlinger et P.
Laval). Ce travail a trouvé son aboutissement avec la thèse de C. Ramond-Angélélis37.
Elle permit d’étudier systématiquement l’effet de l’index d’indentation X sur
l’indentation des corps élastiques parfaitement plastiques par un cône de demi-angle θ,
soit :
X =
E
(1 −ν )σ
2
cotgθ
(5)
0
35
M. de Vathaire, F. Delamare and E. Felder, An upper bound model of ploughing by a
pyramidal indenter, Wear, 55 (1981) 55-64.
36
P. Gilormini and E. Felder, Theoretical and experimental study of the ploughing of a rigidplastic demi-infinite body by a rigid pyramidal indenter, Wear, 88 (1983) 195-206.
37
Ce travail a permis d'interpréter les mesures effectuées sur nano indenteurs par les différentes
équipes participant au CPR du CNRS Optimisation de revêtements durs et adhérents par voie
chimique, dirigé par M. Ducarroir.
42
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Pour θ fixé à la valeur38 de 70,3°, une augmentation de X de 1 à 103 traduit une
augmentation de la composante plastique de la déformation du matériau, avec passage
progressif d’un contact élastique en dépression à un contact plastique produisant la
formation d’un bourrelet. L'utilisation de Forge3 a permis de simuler directement des
indentations tridimensionnelles comme celles obtenues avec des indenteurs pyramidaux
Berkovich et Vickers, justifiant ainsi les schématisations bidimensionnelles des
pyramides.
La montée en puissance de Forge3 a permis un retour récent à la modélisation de la
rayure, phénomène non seulement tridimensionnel, mais affligé d’une très importante
surface libre. C’est l’objet du travail de J.-L. Bucaille, actuellement en cours, qui
analyse avec succès la formation de rayures sur divers types de polymères homogènes,
revenant ainsi à notre thème de départ. Enfin le travail débutant de P. de Coligny sur la
découpe par des abrasifs de plaques de silicium va sans doute être l’occasion d’une
synthèse entre ce thème et celui de l’abrasion.
FORMULATION THERMODYNAMIQUE DU FROTTEMENT SOLIDE
Occupé à temps plein par la direction des travaux de mes doctorants, j'avais négligé de
passer moi-même une thèse. FD s'en préoccupait et m'adjurait de prendre le temps de
penser à moi. Mais en supposant que j'arrive à dégager le temps nécessaire (ce qui fut
fait grâce à l'aide de J.-L. Chenot), quel thème de recherche choisir ?
J’avais engagé une réflexion personnelle sur le thème de la rayure, fasciné par les
modèles de labourage plastique de Tabor et de Goddart et Wilmann, modèles qui
proposent une interprétation purement géométrique du frottement entre deux corps
solides. Le corps le plus dur comportant des aspérités de forme géométrique simple,
sphère ou cône de révolution, l’hypothèse d’une pression réelle de contact uniforme
permettait d’exprimer le cœfficient de frottement de Coulomb comme le rapport de deux
aires, celle de la surface de contact projetée sur le plan normal à la direction de
glissement et celle de sa projection sur le plan normal.
Je généralisai facilement ces modèles en considérant des aspérités coniques de section
quelconque, proposant ainsi un modèle simple de frottement solide anisotrope. P.
Avenas me conseilla d'en discuter avec Jean Mandel, alors Conseiller scientifique du
CEMEF. Celui-ci vit aussitôt une généralisation possible grâce au formalisme de la
dissipation normale introduit initialement par Lord Rayleigh et devenu depuis une
vingtaine d’années l’outil permettant de formuler les lois de comportement des solides.
Il m’aida à rédiger une note pour les Comptes Rendus39. Après sa disparition en 1985,
ce travail s'infléchit suite à une discussion avec G. Duvaut, notre nouveau Conseiller
scientifique. Il s’agissait de reprendre sur une base plus générale et plus abstraite la
formulation du frottement entre deux corps solides. En outre, compte tenu de mes
nombreux échanges avec D. Maugis et M. Barquins, j’entrepris de formuler sur une base
38
Valeur assurant l’équivalence, au sens du volume de matière nominalement déplacé, avec les
deux pyramides classiques : la pyramide Vickers à base carrée utilisée en micro et macro dureté,
et la pyramide Berkovich, ayant pour base un triangle équilatéral, utilisée pour la nano
indentation.
39
E. Felder, Un modèle de frottement solide anisotrope, C. R. Acad. Sc. Paris, t. 303, 8 (1986)
643-646.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
43
thermodynamique les interactions superficielles entre deux corps. Ce travail devait faire
l'objet de ma thèse d’État soutenue à Lyon en 1988.
L’objectif était de fournir, avec les outils de la mécanique des milieux continus, une
description générale de l’interface intégrant énergie de surface, tension superficielle,
échange de matière entre volume et surface, et frottement. Ce travail assez théorique fut
assez difficile à assimiler par le pur physicien qu’était resté François. En effet, la
thermodynamique classique est le domaine des physiciens, peu familiers des solides
déformables et de la notion de tenseur des contraintes : leurs solides ne sont, le plus
souvent, que le siège d’une simple pression hydrostatique ! François avait du mal à
retrouver dans ce formalisme les paramètres physiques des divers phénomènes auxquels
il était habitué. Mais j'avais moi-même bien du mal à faire le trajet inverse ! Il
m'encouragea à mettre en évidence les bases communes de diverses lois physiques
classiques en ce domaine. Elles n'avaient été démontrées qu'indépendamment les unes
des autres, et les bases des démonstrations n'étaient pas toujours très claires. Ainsi en
allait-il de la relation de Shuttleworth qui lie tension et énergie superficielles, de la loi de
Gibbs qui permet de calculer les compositions superficielles, ou bien de celle de
Herring, qui relie le potentiel chimique d'une surface à sa courbure. Mes efforts furent
couronnés de succès. Ainsi naquit peu à peu un cours assez original.
Je voulus vérifier si, à la suite d'une forte déformation (en l'occurrence, une bi-expansion
isotrope), l'énergie superficielle d'un élastomère variait de façon mesurable. Alain Le
Floc'h, sollicité, réalisa une machine dans laquelle une série de pinces disposées à la
périphérie de la feuille de caoutchouc réalisait la déformation souhaitée. Au centre de la
feuille était réalisé un contact bille plan. De l'observation de l'aire de contact devait être
déduite l'énergie superficielle. En fait, les choses étaient plus complexes, car on
modifiait aussi le module d'Young. Les résultats obtenus suggéraient quand même une
décroissance de l'énergie de surface lorsque la déformation croissait, résultat qui fut
confirmé plus tard par M. Barquins.
Mais mon travail était très riche d'applications potentielles. En particulier, en ce qui
concerne la modélisation de l'adhérence. Je réussis ainsi à résoudre le problème du
roulement avec adhésion d’un cylindre sur un corps élastique, bien abordé
expérimentalement par Kendall, mais mal interprété sur le plan thermodynamique. M.
Barquins a vérifié expérimentalement avec brio mon calcul reliant aire de contact et
force de roulement40. Dans le cadre des colloques Mechanics of Contact41 de 1992 et de
JADH 9542, j’ai poursuivi partiellement mes réflexions sur ces deux thèmes, intégrant
l’effet de l’orientation sur l’énergie de surface, et précisant l’effet de la viscoélasticité en
volume sur les essais de pelage et de décollement hertzien (dit expérience JKR).
40
E. Felder & M. Barquins, Adhérence, frottement et géométrie de contact d’un cylindre rigide
roulant sur la surface plane et lisse d’un massif élastique, C. R. Acad. Sci. Paris, t.309, série II
(1989) 1101-1104.
41
E. Felder Thermodynamics of surface interactions with special emphasis on anisotropic effects,
Proc. Contact Mechanics Int. Symp. , A. Curnier (Ed.), Presses Polytechniques et Universitaires
Romandes (1992) 91-110.
42
E. Felder, Pelage de films minces et indentation : analyse mécanique des effets viscoélastiques,
Suppl. Revue « Le Vide, Science, Technique et Applications », 277 (1995) 66-74.
44
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
L'ÉTUDE DE L'ABRASION SERAIT-ELLE CONTAGIEUSE ?
Depuis le temps que nous étions dans le même bureau, les préoccupations qui étaient
miennes touchant l’usure abrasive des matériaux ne pouvaient pas ne pas contaminer
FD. J’aurais dû m'en apercevoir lorsque je le surpris étudiant au MEB et par
rugosimétrie tridimensionnelle des surfaces usées d’outils lithiques préhistoriques. Il
s’agissait de mettre en évidence des faciès d’usure spécifiques du type de matériau avec
lequel l’outil avait été en contact (cuirs et peaux, tiges de céréales, etc.) en se fondant
sur la comparaison avec des tranchants d’outils lithiques expérimentaux. J’appris qu’il
s’agissait de Tracéologie43. La nouveauté était de tenter de mieux cerner, de chiffrer les
microtopographies par rugosimétrie tridimensionnelle. Ce ne fut qu’un feu de paille.
Une atteinte beaucoup plus grave survint lorsque le thème «usure» rejoignit le thème
«numismatique». De rares articles traitant de l’usure des monnaies paraissaient de temps
en temps dans la revue Wear. Leur contenu scientifique assez pauvre n'aurait jamais
retenu l'attention de FD s'il ne se fût agi de pièces de monnaies. Là, il fulminait contre la
manière dont les données expérimentales étaient interprétées. La publication d’un article
de D. Dowson44 analysant l'extraordinaire travail effectué à la fin du XVIIIe siècle en
Angleterre par deux membres de la Royal Society, Cavendish et Hatchett, mit le feu aux
poudres. FD creusa la question et discuta ferme avec moi. C’était maintenant le sujet de
nos entretiens du matin autour du traditionnel café. Il mit au point une modélisation de
la perte de poids par usure, et testa le résultat de ses idées au cours d’un séminaire de
numismatique à Louvain-la-Neuve. Lors de l’école européenne Vie, circulation et survie
des monnaies organisée à Ravello par son ami T. Hackens, FD fut frappé par
l’extraordinaire intérêt montré par son auditoire pour ce sujet, qui passionnait nettement
plus que les études techniques sur la frappe. Au Congrès International de Numismatique
de Bruxelles de 1991, FD allait se trouver en face des spécialistes mondiaux de la
question (dont certains statisticiens peu commodes) qui traitaient du sujet depuis des
décennies. Il n’était pas sans inquiétudes pour savoir comment serait accueillie sa
méthode permettant de caractériser quantitativement une circulation monétaire
métallique par la puissance dissipée par le frottement entre les pièces. Tout alla comme
sur des roulettes, et sa communication fut élue par la suite la plus novatrice des cinq
dernières années sur ce thème. Désormais, les numismates en quête de collaboration ne
manquèrent pas. FD publia un livre aux éditions du CNRS qui semble faire autorité sur
la question. Il en résulta un prix de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et des
conférences invitées à l'École Pratique des Hautes Études et au Collège de France. Juste
retour des choses, je ne me suis pas privé de puiser dans ce livre pour illustrer mes
cours.
TRÉFILAGE : LA LUBRIFICATION PAR FILM MINCE
FD se devait de s’attaquer à la lubrification limite. Ses lectures lui avaient appris que les
conditions de tréfilage du steelcord45 (en particulier la vitesse de tréfilage) influaient sur
son adhésion à la matrice caoutchoutique. Il avait sa petite idée sur le problème, et
43
S. Beyries, F. Delamare et J-C. Quantin, Tracéologie et rugosimétrie tridimensionnelle, in
Industries lithiques : Tracéologie et Technologie, BAR, S 411, 1988, 115-131.
44
45
D. Dowson, Wear oh where ?, Wear, 103, 1983, 189-203.
Fil d’acier à très haute résistance, laitonné en surface, qui constitue l'armature des pneus à
carcasse radiale.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
45
proposa début 1976 une étude à Rhône Poulenc. Le hasard voulut qu'il tombât à pic. Il
s’agissait d'observer si le passage dans une série de filières modifiait vraiment la
composition chimique des premiers nanomètres à la surface du fil, et d'en comprendre
les causes thermomécaniques. Qui dit nanomètre dit analyse de surface. FD retournait à
ses anciennes amours. Cette fois, impossible de profiter du spectromètre d'électrons
Auger (AES) de Michel Guttmann46, au Centre des Matériaux de l’EMP à Corbeil,
l'éloignement et le volume de travail impliquaient d'avoir au CEMEF des moyens
d’analyse en propre. Désormais, à Sophia Antipolis, nous les avions. Ou presque. En
tous cas, pas vraiment en état de marche. Car les camionneurs qui avaient livré l'enceinte
à ultra-vide de l'AES avaient trouvé plus simple de la faire tomber du camion. Non
seulement l'ensemble des filaments de tungstène des divers canons à électrons et à ions
avaient été cassés, mais certains piquages (sur lesquels étaient fixés les divers canons)
avaient été faussés. Les divers flux de particules ne convergeaient plus sur le point de
l'échantillon qu'examinait le spectromètre, ce qui causa des ennuis innombrables. Nous
fûmes étonnés de constater que les spécialistes appelés à la rescousse corrigeaient
délicatement ces divergences en tordant ces piquages avec une barre d'acier, prenant
robustement appui d'une jambe contre l'enceinte.
Le travail de recherche fit l'objet de la thèse d'E. Darque-Ceretti. Après avoir
soigneusement mis au point la détermination quantitative de la composition élémentaire
de la surface des laitons α et étudié l'effet de la pulvérisation ionique, en associant AES
(à Sophia) et spectrométrie dynamique d'ions secondaires (à Orsay), elle s'attaqua au
problème du tréfilage. Le résultat fut d'une simplicité évangélique. Oui, le passage dans
une filière modifiait la composition superficielle du steelcord, ce qui expliquait les
différences constatées en adhérence fil-caoutchouc. Le phénomène était d'autant plus
prononcé que la vitesse de tréfilage (donc la composante HD de la lubrification) était
faible. Les contacts avec la filière, pour polie qu'elle soit, ne se faisaient pas sans
quelques micro usinages (abrasion). La composition superficielle du fil prenait donc
successivement toutes les valeurs du gradient initial de composition dû au mode de
dépôt du laiton47.
Ce travail fut repris en 1988 sous une autre forme, et sous notre direction conjointe, par
C. Desliens. Il s'agissait cette fois d'approcher le mode de fonctionnement des additifs
du lubrifiant, ces molécules organiques qui, nonobstant leur faible quantité, assurent une
lubrification chimique. On comparerait des formulations contenant soit des molécules
différentes, soit des concentrations variées d'une même molécule. Le problème d'analyse
des surfaces était donc beaucoup plus difficile à résoudre, puisqu'il s'agissait cette fois
de détecter non le cuivre ou le zinc à la surface du laiton, mais des quantités infimes de
molécules organiques chimisorbées. Touchée par la limite d'âge, l'AES avait laissé place
à une spectroscopie de photoélectrons ESCA-XPS (méthode quantitative !) sur laquelle
veillait Robert Combarieu. Nous comptions l'utiliser à cet effet. Une autre difficulté que
nous eûmes bien du mal à surmonter consistait à débarrasser le fil du lubrifiant industriel
qui s'y trouvait avant que nous ne tréfilions nous-mêmes. Un bijou de petite tréfileuse de
46
M. Guttmann avait amicalement assuré l’analyse des premières couches de transfert observées
en laminage à froid des inox par FD et M. de Vathaire. Il partageait – et partage toujours - avec
FD un goût immodéré pour l’opéra et les visites d'expositions de peintures.
47
Au passage, était aussi étudiée l'instabilité plastique de l'interface acier-laiton. Une autre étude
eut pour but de diminuer, toutes choses égales par ailleurs, la quantité de laiton déposée sur le fil.
Dans ce tréfilage de matériau bicouche acier-laiton, PM modélisa la compétition existant entre ces
deux écoulements, et calcula l'épaisseur passante de laiton en fonction du demi-angle de la filière.
46
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
table monopasse, instrumentée, fut réalisée à l'atelier, avec dévidage et trancanage. Les
vitesses utilisées étaient très lentes de façon à minimiser les calories créées dans le
volume du fil par déformation plastique. Un four enserrait la filière et permettait
d'imposer la température à l'interface fil-filière. Nous avions l'espoir de détecter des
variations d'effort de tréfilage pour des températures critiques. Ce travail ne fut qu'un
demi succès, mais il nous fit toucher du doigt deux évidences. L'XPS n'était pas assez
sensible pour ce genre d'étude, il nous faudrait avoir recours à une autre méthode.
D'autre part, l'étape de nettoyage précédent l'application du lubrifiant étudié était
essentielle. Il faudrait l'étudier de près. Mais par quelle technique ?
CHIMISORPTION ET LUBRIFICATION
FD gardait toujours dans un coin de sa mémoire l’ambition de mettre en évidence
expérimentalement le rôle des couches chimisorbées organiques en lubrification limite.
En fait, il avait été embauché pour cela et n'avait d'ailleurs pas autre chose en tête
lorsqu'il avait écrit les soixante-dix pages de The influence of chemisorption on
adhesion and friction, sa contribution au livre rédigé sous la direction de son maître
Jacques Bénard48. De même qu’il fallut patienter des années pour que les moyens de
calcul numérique mis au point par nos collègues pussent nous aider à résoudre nos
problèmes spécifiques, de même FD attendait (sans grand espoir) la technique d’analyse
de surface miracle. La spectrométrie des électrons Auger n’était capable de détecter que
des éléments (fer, oxygène...) présents sur une surface. Encore fallait-il qu’elle fut
conductrice. De plus, il était difficile d’obtenir des résultats quantitatifs. C’est pourquoi
il s'était démené comme un beau diable pour obtenir les crédits nécessaires à l'achat d'un
ESCA-XPS. Non seulement cette spectroscopie de photoélectrons ne renâclait pas à
analyser les surfaces isolantes (et l’on voyait bien que les problèmes s'étaient déplacés
de la surface des métaux propres vers celles des oxydes, puis des polymères), elle était
raisonnablement quantitative et, cerise sur le gâteau, elle identifiait le type de liaisons
dans lesquels les éléments détectés étaient engagés. Elle fut bientôt de toutes les études.
En 1985, à la suite d’une réorganisation d’un laboratoire du CNRS voisin, étaient venus
se joindre à nous deux spécialistes de la spectroscopie de masse, Robert Combarieu et
Monique Repoux. Ils nous apportaient une bonne volonté à toute épreuve, un solide sens
critique et une large panoplie de compétences expérimentales qui étaient les bienvenues
dans notre équipe. MR prit en main le nouveau microscope électronique à balayage
JEOL muni de son nouveau système EDXS Tracor49. RC se chargea de l’XPS.
On n’imagine pas l’incessant travail qu’il faut faire pour maintenir un équipement milourd, forcément complexe, en état de fonctionnement. Passé la période de garantie (et
quelque fois, avant), l’état stable du système est celui d’avarie(s). Tel un pilote
automatique maintenant à chaque instant un avion de chasse sur sa trajectoire nominale,
l’Ingénieur Responsable intervient sans cesse pour maintenir le système en état de
marche. Que ces interventions cessent, et la panne suit presque immédiatement. De cet
effort permanent, l’observateur ne perçoit que la fuite d’eau qui se produit le week-end
et oblige les collègues travaillant à l’étage à patauger dans l’eau le lundi matin. Ou bien
un goût étrange pour la reptation au milieu d’une forêt de fils et de branchements
48
Adsorption on metal surfaces. An integrated approach, Studies in Surface Science and
Catalysis, 13, Elsevier, 1983.
49
On en était à la seconde génération, notre Coates et Welter étant, comme par sympathie, tombé
en léthargie à la disparition de la Société qui l’avait construit.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
47
électriques, ce qui peut d’ailleurs amener le passant de rang hiérarchique suffisamment
élevé pour avoir le sens des responsabilités, à demander s’il est bien conforme aux
normes de laisser ainsi traîner des fils véhiculant de la haute tension sur un sol
susceptible d’inondations. La Physico-Chimie des Surfaces avait bien de la chance car –
hors laminage - nous manquions cruellement de permanents capables d’en faire autant
pour nos divers essais mécaniques.
Pendant que MR effectuait des recherches sur les aspects quantitatifs de l'XPS et y
consacrait une thèse dans laquelle elle comparait les différentes méthodes de
soustraction du bruit de fond des spectres, RC et FD testaient la technique. Il s'agissait
d'en finir avec un vieux problème50, l’adhésion du caoutchouc au laiton. Ils en étudièrent
les premières étapes, gouvernées par la croissance d'interphases minérales (sulfures de
cuivre et de zinc, oxyde de zinc), en relation avec la force de pelage et la détermination
du milieu dans lequel se propageait la fissure. Les résultats obtenus recoupaient bien
ceux de la littérature. C’est en allant les présenter à Louvain-la-Neuve, université où il
faisait des séminaires chaque année, que FD rencontra Yves de Puydt et qu’il entendit
parler de la technique ToF-SIMS. Yves avait fait sa thèse sur l’adhésion aluminium /
PET, et avait scruté ces interfaces par toute une série de techniques. Il cherchait un point
de chute et s'intégra dans l’équipe où il devait rester quatre ans. De plus, il connaissait le
ToF-SIMS, dont son laboratoire avait été l’un des premiers dotés en Europe. Les
avantages de cette technique d'analyse sur l’XPS étaient écrasants51. C’était bien celle
dont nous avions besoin, mais son prix (qui, en MF, ne pouvait se compter sur les doigts
d’une seule main) la mettait bien au delà de ce que le plus talentueux des chefs de
groupe, persuasif et rompu aux rouages de la mécanique du pouvoir pouvait (même
exceptionnellement) obtenir d’un budget d’investissement au CEMEF. Il fallait un
miracle.
DEUS EX MACHINA : LE CRAM 06
Une fois de plus, la Providence se manifesta. Yves arrivait à un moment très particulier.
FD avait été sollicité pour prendre la direction d'un Centre Régional d’Analyse des
Alpes-Maritimes (CRAM 06), un ancien projet ajourné, que le CNRS (en la personne de
Jacques de Bandt) essayait de remettre sur pieds, car des crédits importants lui avaient
été alloués et se trouvaient encore disponibles. Si FD acceptait, il pourrait acheter la
merveille des merveilles, ce ToF-SIMS si convoité, et le placer au CEMEF. Revers de la
médaille, les spécialistes de l’analyse devraient désormais consacrer une partie de leur
temps à faire du service pour les entreprises du voisinage (ce qu’ils faisaient déjà,
d’ailleurs). Cette servitude fut acceptée par tous. Après de longs essais, un agréable
voyage à San Francisco et un autre plus strictement confiné dans les champs de maïs du
Minnesota, le système TRIFT de Charles Evans fut choisi. François subit stoïquement
les injures téléphoniques du concurrent européen évincé.
Même si presque tous étaient de vieux routiers de la détection de molécules non légères
par spectroscopie de masse, c’était la première fois que cette possibilité s’ouvrait devant
FD. Le rêve commençait à prendre corps. On commença par évaluer les possibilités de
50
Peu de temps après son arrivée dans l'équipe de P. Baqué, FD avait été contacté par un de ses
oncles, J. Baratte, industriel du caoutchouc à Puteaux, qui lui avait fait visiter de fond en comble
son entreprise et avait insisté sur l'importance qu'il y aurait à améliorer l'adhésion du caoutchouc
au laiton, intermédiaire obligé de l'adhésion à l'acier.
51
Cf. plus loin l’article de M. Repoux, Y. de Puydt et R. Combarieu.
48
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
la technique en l’appliquant aux problèmes les plus divers. L’essai de détection de la
diffusion des liposomes dispensés par les crèmes de beauté ad hoc dans l’épaisseur de la
peau humaine fut un échec pour cause de manque de sensibilité. En revanche, la
détection de la cocaïne dans la moelle de cheveux fut un franc succès. On put même,
grâce au laboratoire de la Police pour lequel s'effectuait le travail, étalonner la méthode
avec des séries de cheveux ayant mariné au contact de doses diverses mais connues de
cocaïne. Il s'en suivit une pollution de l’enceinte par cette molécule, ce qui ne manqua
pas de chagriner les propriétaires des échantillons qui y furent analysés les jours
suivants. M. Repoux décida donc de ne plus identifier clairement le pic si souvent
présent, ces jours là, à la masse 304.
LE MODE D'ACTION DES ADDITIFS DE LUBRIFIANTS
La maîtrise de cette technique, peu à peu acquise, permit de s'attaquer de nouveau au
problème du mode de fonctionnement des additifs de lubrification. Cette fois, pour les
raisons déjà exposées, il s'agissait de laminage à froid (thèse de G. Dauchot). Le ToFSIMS fut d'abord utilisé pour mettre au point la technique de nettoyage des surfaces de
tôles, ce qui permit d'obtenir un état initial oxydé reproductible presque exempt de
molécules organiques. La sensibilité de la méthode était telle qu'il n'y avait aucun
problème de détection des additifs sur les surfaces. Les deux problèmes majeurs
soulevés par l'étude préliminaire effectuée par C. Desliens étaient donc résolus.
Une fois sélectionnées les quatre molécules type représentant les diverses familles
d'additifs utilisés, il restait à étudier leur chimisorption sur les oxydes sélectionnés, ou
sur les métaux atomiquement propres, et à mettre en évidence leurs conséquences
tribologiques par bipoinçonnement et laminage sur le laminoir-pilote. Pour chacune, on
détermina la température au-delà de laquelle la molécule cessait d'être présente sur la
surface. Un intérêt spécial fut porté aux cinétiques de chimisorption de chaque type de
molécules, puis aux compétitions de chimisorption lors des mélanges. Les résultats
furent sans ambiguïté : chaque type d'additif jouait son rôle dans une plage de
température déterminée, complémentaire de celle des autres52. Une autre conclusion
s'imposait aussi : en dépit des différences qui existent entre un contact produit - outil en
mise en forme et les contacts existant dans les moteurs d'automobile, les mêmes
concepts (chimisorption, désorption, décomposition thermique) déjà utilisés pour
l'optimisation des huiles moteurs se révélaient pertinents. C'est pourquoi E. De Castro
continue ce travail dans le cadre de l’emboutissage.
ADHÉSION, ADHÉRENCE
L’adhésion et son corollaire, l’adhérence, avaient été, depuis le début, dans les
préoccupations de réactivité des surfaces métalliques de François. Ayant observé la
forme d'équilibre de joints de grains après attaque thermique pendant des années, il
n'avait pas été long à reconnaître que le joint de grain constituait le système modèle
idéal pour étudier l'adhésion. Et puis, comme je l'ai dit, l’infatigable apôtre de ces
disciplines naissantes en France, D. Maugis, nous y avait sensibilisé de bonne heure.
L'axe de recherche adhésion métal-métal avait été officialisé par un cours (mai 1975) et,
en 1976, le stage d'un mineur de Nancy. Centré sur l’adhésion du cuivre au carbure de
52
Voir ci-après G. Dauchot, R. Combarieu et Yves de Puydt, Étude par ToF-SIMS des réactions
thermiques et tribochimiques des additifs d’onctuosité de lubrifiant de laminage à froid avec des
surfaces d’acier.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
49
tungstène lié au cobalt, il se déroula au laboratoire Courtel (CNRS), sous l'égide de D.
Maugis. Il avait pour but de nous éclairer sur un des modes possibles de dégradation des
filières de tréfilage. Il s'agissait de réaliser un contact bille-plan sous ultra-vide à haute
température, et mit en jeu un des montages expérimentaux les plus délicats que j’aie
jamais vu, à qui il arrivait parfois d'être opérationnel.
Lorsque E. Darque-Ceretti eut passé sa thèse (1986), FD lui proposa d'étudier l'adhésion
métal-polymère. Elle se chargerait de la partie adhésion, c’est à dire de l'établissement
de liaisons chimiques entre surfaces antagonistes ; nous collaborerions pour
l’adhérence, domaine un peu particulier de la mécanique de la rupture.
C'est presque une gageure que de vouloir mettre en rapport la caractérisation physicochimique d'une interface (par nature enfouie et donc, inaccessible à la plupart des
techniques d'analyse) et l'énergie nécessaire à sa rupture. EDC s’attaqua à la fois aux
problèmes posés par la caractérisation des surfaces d’oxydes et de polymères, et à la
mise au point au CEMEF d'essais d'adhérence. C'était là que j'intervenais. Convaincue
de l'importance du caractère acido-basique des surfaces d'oxydes pour la création de
liaisons de surfaces, elle se mit aux techniques classiques de mouillage de surfaces53
(gouttes à pH constant), puis usa de gouttes à pH variable. Elle les coupla à l'XPS et aux
mesures de potentiels de repos obtenus en électrochimie, domaine qui était loin d'être
classique dans l'équipe. Le post-doc russe Kurbatov étudia les surfaces d'oxydes de fer.
Simultanément, M. Casamassima montra que l'XPS pouvait mesurer globalement le
caractère acido-basique sur des surfaces d'alumines et de silices. Partant de là, J. Pascal
explora la chimie des primaires d'adhésion à base de silanes sur le verre. V. Zwilling
étudia l'influence des paramètres de croissance des oxydes poreux de titane sur le
collage. Ainsi fut d'abord pratiqué, puis modélisé au mieux par nous l'essai de
cisaillement.
Côté surfaces de polymères, une série de thèses étudia l'effet des traitements de surfaces
sur la composition superficielle et sur le taux de restitution de l'énergie mesurable à la
rupture du joint collé. Ce furent les thèses de F. Georgi (effet du flammage et de la mise
en forme sur l’adhésion des peintures sur les polymères), V. Legois (adhésion d'un dépôt
de cuivre sur un polyimide), S. Scotto (au cours de laquelle fut mis au point l'essai de
clivage et sa modélisation numérique par P.-O. Bouchard54), et actuellement A. Schmitt
et F. Chopinez.
Cette série de travaux me donna l'occasion de «revisiter» les modélisations de deux
essais d’adhérence, le pelage et le clivage, et de les améliorer55. In fine, je pus décrire
avec le même formalisme ces deux essais, montrant que le pelage n’est que la forme
ultime d’un essai de clivage. On peut ainsi délimiter le domaine de validité des
expressions classiques du taux de restitution de l’énergie G responsable de la
propagation de la rupture interfaciale. Ainsi, avons-nous pu comprendre avec M.
53
Voir ci-après E. Darque-Ceretti, S. Scotto-Shériff et P. Cheyssac, Déformation de gouttelettes
approchées d’un polymère polarisé.
54
Sous la direction de F. Bay. Cf. plus loin l’article Etude analytique et numérique de l’essai
DCB de joints collés. Application au joint époxyde/PVDF par F. Bay, P.-O. Bouchard, E.
Darque-Ceretti, E. Felder, S. Scotto-Shériff.
55
Ces études trouvent leur source dans le travail effectué pour ma thèse d’État dont j’ai déjà
exposé la genèse à l’aide des discussions avec J. Mandel, puis G. Duvaut. Á la demande de FD,
une partie de ce travail devint l’objet du cours de DEA Énergie et tension superficielles.
50
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Barquins pourquoi le pelage à 90° de bandes trop courtes tend à surestimer G : la force
de pelage F servant à plier élastiquement la bande tout en assurant son décollement, G <
F/b où b est la largeur de la bande. Ce formalisme permit de corriger avec succès cet
artefact expérimental. Une de mes dernières tâches dans ce domaine fut de tirer parti de
l’excellente revue critique effectuée par D. Maugis56 des modèles mécaniques de
clivage. Ceci me permit de bien dégager l’intérêt des essais avec mesure simultanée de
la force et du déplacement de son point d’application mis en œuvre par S. Scotto pour
caractériser l’adhérence PVDF-colle époxy.
E. Darque-Ceretti me décida à m'associer à elle pour répondre à la demande d'un
éditeur, et mettre par écrit nos réflexions dans ce domaine. C'est presque chose faite57.
L’ENSEIGNEMENT
Nous l’avons dit, la tribologie ne fait l’objet de cours ni dans l'enseignement secondaire,
ni dans le supérieur. La situation n’est pas très différente en ce qui concerne la physicochimie des surfaces. Annoncez à quelqu’un que les propriétés chimiques d’un solide
sont en fait celles de sa surface surprend un peu. Mais si vous ajoutez que la tension de
vapeur et la réactivité chimique d'un corps varient avec le rayon de courbure, alors vous
passerez pour un vrai farceur. Dans ces deux domaines, il y avait donc de sérieuses
lacunes à combler dans le savoir de nos étudiants.
Ce fut l'objet des cours que nous dispensâmes dans le cadre de l'option Mise en Forme
du DEA Métallurgie Spéciale et Matériaux de l’Université de Paris Sud - Orsay,
organisée à Sophia par J.-L. Chenot. Nous organisâmes deux cours, l’un sur les Surfaces
cristallines et leur réactivité, l’autre sur la Tribologie de la Mise en Forme. FD devint
assez vite officieusement responsable de cette option. Ces cours furent enrichis lorsque
fut fondé le mastère Matériaux et Mise en Forme par J-M. Haudin et continuèrent à
évoluer lorsque FD organisa (1993) en partenariat avec l’UNSA l’actuel DEA de
Physique et Génie des Matériaux dont il est le responsable. C'est ainsi qu'à son
instigation, et parce qu'il était plus d’une fois revenu sur l’idée qu’il fallait établir
proprement la dualité énergie de surface – tension superficielle, doublet si maltraité par
la littérature internationale, je rédigeais un gros chapitre sur cette question58. En guise de
bilan, on peut dire que cet enseignement a actuellement été dispensé à environ 260
étudiants de DEA et 140 étudiants en Mastère.
On peut y rajouter la centaine d'ingénieurs de l'industrie qui a assisté aux séminaires
Adhésion et adhérence organisés chaque année par E. Darque-Ceretti dans le cadre de la
formation continue.
56
Cf. ci-après Analyse mécanique des essais de clivage (DCB) par un modèle de fondation de D.
Maugis.
57
58
E. Darque-Ceretti et E. Felder, Adhésion, adhérence (à paraître).
Ce sujet semble une préoccupation héréditaire chez les Delamare. Le docteur Jean Delamare,
père de FD, a soutenu une thèse intitulée Sécrétion rénale et tension superficielle. Une bonne
partie de la thèse de FD, Structure, mobilité et fusion de couches d'halogènes ou de bismuth
chimisorbées sur le cuivre, effectuée sous la direction de G. E. Rhead traite des liens existant
entre énergie de surface et diffusion superficielle.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
51
TEXTES DE SÉMINAIRES
• Phénomènes de contact, P. Baqué, G. Verchery, E. Felder et B. Lapostolle, 1 vol., 231
p., 1972, éd. de l'ENSTA, Paris.
• Mise en forme des métaux. Applications de la plasticité, P. Baqué, Y. d'Escatha, E.
Felder et J. Hyafil, 2 vol., 717 p., 1973, éd. de l'ENSTA, Paris.
• Phénomènes de contact II, P. Avenas, P. Baqué, A. Corvaisier, E. Felder, B.
Lapostolle et J. du Parquet, 2 vol., 538 p., 1974, éd. de l'ENSTA, Paris.
• Mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, usure, P. Baqué, E. Felder, F.
Delamare, P. Fernier, F. Keck, B. Lapostolle, M. de Vathaire et J-L. Wybo, 3 vol., 673
p., 1975, éd. de l'ENSTA, Paris.
• Interactions cylindres / métal en laminage, E. Felder, 1 vol., 166 p., 1985, éd. du
CESSID.
• Le contact métal / outil en mise en forme des métaux. Frottement, lubrification, état de
surface, usure, E. Felder, F. Delamare, P. Montmitonnet, J.-P. Cescutti et E. DarqueCeretti, 3 vol., 761 p., 1989, CEMEF.
• Approches scientifiques des procédés de mise en forme des métaux, E. Felder, A. Le
Floc'h, P. Montmitonnet, L. Fourment et E. Massoni, 3 vol., 790 p., 1994, CEMEF.
• Adhésion - Adhérence, E. Darque-Ceretti, F. Delamare, E. Felder, E. Peuvrel-Disdier,
Y. de Puydt, M. Aucouturier et M. Repoux, 2 vol., 428 p., 1994, CEMEF.
DES PRIX
1981
F. Delamare, médaille de vermeil de la Société d'Encouragement à l'Industrie
Nationale.
1992
E. Felder, premier Prix Coulomb décerné par la Société Tribologique de France
(STF).
1992
P. Montmitonnet, Prix Rist de la Société Française de Métallurgie et Matériaux
(SF2M).
1993
V. Samper, Prix Hirn de thèse de la STF.
1995
F. Delamare, Prix Allier de Hauteroche de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres pour le livre Le frai.
1996
P. Montmitonnet, Prix Ugine - René Castro de la SF2M.
1998
F. Delamare, Prix Coulomb de la Société Tribologique de France.
52
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
THÈSES PRÉPARÉES EN TRIBOLOGIE AU CEMEF
Les directeurs de thèses sont indiqués entre parenthèses.
E
1 – LES PRÉCURSEURS (TRAVAUX EFFECTUÉS AVANT L’ORGANISATION DE 3
CYCLES À L’EMP)
1-LAPOSTOLLE Bertrand, La lubrification par les savons de tréfilage chargés (P. Baqué puis F.
Delamare).
2-VATHAIRE Michel de, La lubrification en laminage à froid des aciers inoxydables (P. Baqué
puis F. Delamare).
3-FERNIER Pierre, Le frottement et l’analyse thermique du forgeage à chaud de l’acier (P.
Baqué).
4-PANTIN Jacques, Modélisation de la lubrification au verre du filage à chaud des aciers (P.
Baqué).
5-FELDER Éric, La lubrification hydrodynamique en tréfilage des aciers inoxydables (P.
Baqué).
6-QUOIX Philippe, Usure des filières de tréfilage (F. Delamare).
7-KECK François, Conditions thermomécaniques de fonctionnement des filières de tréfilage (E.
Felder).
8-WYBO Jean-Luc, La lubrification par les savons chargés en tréfilage (F. Delamare).
9-LE FLOC’H Alain, Conditions de travail des filières de tréfilage. Application au choix du
matériau de filière pour le tréfilage de l’acier (É. Felder), Mémoire CNAM,
1978.
2 – THÈSES (LES DOCTORATS ÈS SCIENCES SONT EN CARACTÈRES GRAS)
1-COUTU Lucien, Échauffement et usure des matrices en forgeage à chaud de l'acier (E.
Felder), Université de Paris VI, mai 1979.
2-BRISON Michel, La lubrification par les savons de tréfilage chargés (F. Delamare), thèse non
soutenue, 1980.
3-KUBIÉ Jan, Le test de bipoinçonnement : étude théorique. Application à l'étude du transfert de
matière dans un contact frottant (F. Delamare), EMP, juin 1980.
4-BLANCON Rémi, Contribution à l'étude du frottement et des mécanismes de lubrification en
forgeage à froid d'acier (E. Felder), EMP, sept. 1981.
5-GILORMINI Pierre, Contribution à la modélisation de la formation du copeau en usinage des
métaux (E. Felder), janv. 1982.
6-BAUDUIN Pascal, Analyse thermique et endommagement des matrices de forgeage à chaud
des aciers (E. Felder), thèse non soutenue 1982.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
53
7-MONTMITONNET Pierre, Contribution à l'étude de la lubrification par les savons
métalliques en tréfilage (F. Delamare), EMP, janv. 1983.
8-THORÉ Yves, Étude théorique et expérimentale du frottement et de l'usure par abrasion des
matrices en forgeage à chaud des aciers. Influence d'une nitruration (E. Felder),
EMP, juin 1984.
9-AYACHE Gil, Contribution à l'étude de la lubrification en laminage à froid des produits plats
(F. Delamare), EMP, nov. 1984.
10-MSTOWSKI Janusz, Étude théorique et expérimentale de la déformation plastique d'un
solide bimétallique. Application à la réalisation par filage arrière d'un palier
revêtu (P. Montmitonnet), EMP, oct. 1985.
11-MONTMITONNET Pierre, Étude théorique et expérimentale de l'indentation de
matériaux visco-élasto-plastiques. Application aux polymères et aux savons
métalliques (F. Delamare), Université de Franche Comté - Besançon, nov. 1985.
12-QUANTIN Jean-Christophe, Application de la rugosimétrie tridimensionnelle à l'étude des
surfaces (F. Delamare), EMP, janv. 1986.
13-DARQUE-CERETTI Évelyne, De la composition superficielle des laitons α et de son
évolution sous bombardement ionique. Application à l'étude des surfaces de fils
d'acier laitonné (F. Delamare), Université de Franche Comté – Besançon, oct.
1986.
14-LEBOUVIER Daniel, L'essai de dureté sur les matériaux revêtus. Approche théorique en
plasticité et étude expérimentale (E. Felder), EMP, oct. 1987.
15-FELDER Éric, Approche thermodynamique de l'adhésion et du frottement entre corps
solides : étude des films minces interfaciaux et de l'anisotropie de frottement,
Université de Lyon I, mars 1988.
16-OZANNE Pierre, Étude des interactions métal / outil dans le filage à chaud des alliages doux
d'aluminium (E. Felder), EMP, nov. 1988.
17-FARRUGIA Didier, Étude mécanique et tribologique du laminage à pas de pèlerin. Vers la
maîtrise de l'état des surface interne des tubes de zircaloy (P. Montmitonnet),
EMP, mars 1990.
18-GAY Marie-Noëlle, Contribution à l'étude de la tribologie du laminage (VI). Formulation
rationnelle d'une émulsion et maîtrise du frottement en laminage à froid des
aciers au carbone (F. Delamare), EMP, mai 1990.
19-EDLINGER Marie-Louise, Indentation élasto-plastique de matériaux homogènes et revêtus.
Étude théorique et confrontation à l'expérience (E. Felder), EMP, juil. 1991.
20-NOILLE-REPOUX Monique, Spectrométrie d'électrons et analyse quantitative. Application à
l'XPS. Cas des alliages nickel-chrome (F. Delamare), EMP, nov. 1991.
21-CASAMASSIMA Marc, Caractérisation des propriétés acide / base des surfaces d'oxydes
d'aluminium et de silicium en vue de la compréhension des mécanismes
d'adhésion avec un mastic silicone (E. Darque-Ceretti), EMP, déc. 1991.
22-DUPUIS Jean-François, Approche théorique et expérimentale de la conception et du réglage
des filières par la portée et la préchambre. Application au filage des profilés
complexes en alliages doux d'aluminium de type AGS (E. Felder), EMP, nov.
1992.
54
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
23-SAMPER Valérie, Étude théorique et expérimentale du frottement et des forces de retenue en
emboutissage des tôles d'acier nues et galvanisées (E. Felder), EMP, juin 1993.
24-CARPENTIER Frédéric, Étude des mécanismes d'adhésion de bimatériaux métalliques
obtenus par colaminage à froid (P. Montmitonnet), EMP, juil. 1993.
25-DESLIENS Catherine, Rôle des additifs dans la lubrification par émulsion en tréfilage du
steel-cord (E. Felder, F. Delamare) (thèse non soutenue, 1993).
26-HAURET Guy, Lubrification et état de surface en laminage à froid des aciers inoxydables (P.
Montmitonnet), EMP, déc. 1993.
27-NIANG Fadel, Contribution à l'étude du placage de matériaux métalliques par colaminage
(P. Montmitonnet), EMP, déc. 1994.
28-LAVAL Philippe, Étude théorique et expérimentale de l'indentation des matériaux élastoplastiques homogènes ou revêtus. Application à la mesure de la rhéologie et à
l'adhérence des films minces (E. Felder), EMP, mai 1995.
29-PASCAL Jérôme, Vers la conception d'interphases modèles en adhésion : élaboration de
films de primaires et caractérisation de l'adhérence pour le système "aluminium /
organosilane / élastomère silicone" (E. Darque-Ceretti), EMP, juin 1995.
30-DEVINE Isabelle, Apports de la tribométrie et des essais sur presse pilote pour la simulation
numérique de l'emboutissage des tôles d'acier nues et revêtues de zinc pur (E.
Felder), EMP, juin 1996.
31-VANEL Luc, Le contact stator-rotor dans un moteur piézoélectrique. Modélisation
mécanique et étude du frottement métal-polymère en vue de l'optimisation du
choix de la couche de frottement (E. Felder), EMP, oct. 1996.
32-MULOT Sandrine, Étude théorique et expérimentale du laminage à pas de pèlerin de tubes en
zircaloy 4 (P. Montmitonnet), EMP, févr. 1997.
33-GEORGI Frédéric, De la mise en forme à l'adhésion. Application à la mise en peinture de
pièces injectées en polypropylène-EPR (E. Darque-Ceretti, B. Monasse),
Université de Haute Alsace, mars 1997.
34-DELARBRE Daniel, Conception de la gamme de fabrication d'un bidon monobloc en acier
inoxydable (P. Montmitonnet), EMP, sept. 1997.
35-LEGOIS Vincent, Élaboration de couches minces et mécanismes d'adhésion sur substrats
organique (E. Darque-Ceretti), Université de Paris XI - Orsay, juil. 1997
36-ZWILLING-GRAND CLÉMENT Valérie, Mécanismes de croissance de films anodiques
compacts et poreux sur titane et alliages en milieu chromique (E. DarqueCeretti), EMP, mars 1998.
37-MARSAULT Nicolas, Modélisation du régime de lubrification mixte en laminage à froid (P.
Montmitonnet), EMP, mai 1998.
38-RAMOND-ANGÉLÉLIS Céline, Analyse mécanique des essais d'indentation sur matériaux
élasto-plastiques homogènes ou multicouches. Application à la caractérisation de
la rhéologie et de la tenue mécanique des films minces (E. Felder), EMP, juin
1998.
La tribologie au CEMEF, le changement dans la continuité
55
39-SCOTTO-SHÉRIFF Sandra, Influence des traitements de surfaces de métal et de polymère sur
l'adhérence de joints collés. Cas de l'assemblage du polyfluorure de vinylidène
(PVF2) collé par un adhésif époxyde sur un alliage d'aluminium (E. DarqueCeretti), EMP, nov. 1998.
40-MAHJOUB Karim, Usure des matrices de forgeage à chaud des aciers. Phénomènes
physiques et modélisation (E. Felder), EMP, janv. 1999.
41-DOUALE Philippe, Fatigue thermique des revêtements à base de chrome et de tungstène (E.
Felder), EMP, sept. 1999.
42-DAUCHOT Gilles, Tribochimie du laminage à froid des aciers bas carbone et des alliages
d’aluminium. Étude par ToF-SIMS de la chimisorption des additifs de
lubrification (R. Combarieu), EMP, nov. 1999.
3 – en cours :
SCHMITT Agnès, Collage de polymères (E. Darque-Ceretti), EMP, prévue en 2000.
RIZOULIÈRES Bruno, Tribologie du laminage à froid des aciers inoxydables. Le transfert tôle –
cylindres (P. Montmitonnet), EMP, prévue en 2000.
CHOPINEZ Fabrice, Adhérence de peintures au polypropylène (B. Monasse, E. Darque-Ceretti),
EMP.
BUCAILLE Jean-Luc, Modélisation de l’essai de rayure sur polymères (E. Felder), EMP.
DE CASTRO Emmanuelle, Étude par ToF-SIMS du mode d’action des additifs de lubrification
en emboutissage (M. Repoux), EMP.
COLIGNY Pierre de, Découpe de lames ultra fines de silicium (E. Felder), EMP.
FRASCATI François, Lubrification par les verres en matriçage à chaud d’alliages de titane (E.
Felder), EMP.
STEINMETZ Gérard, Modélisation du frottement en emboutissage (E. Felder), EMP.
HÉLARY Doriane, Adhésion or / verre (E. Darque-Ceretti), EMP.
UN SOCIÉTAIRE…
MICHEL ARMBRUSTER
Président de la Société Tribologique de France
C’est en 1975 que François Delamare est entré au Club Français de Tribologie fondé
deux ans avant, précurseur de l’actuelle Société Tribologique de France. Assez restreint
en nombre, ce club était riche en fortes personnalités, aussi bien du coté des
«industriels» (Jean-Jacques Caubet, fondateur d’Hydromécanique et Frottement, M.
Blanc, d’Alcatel ou Michel Cantarel, de l’ETCA), que du coté des «universitaires»
(Maurice Godet de l’INSA de Lyon, Jean-Marie Georges de l’ECL et Daniel Maugis du
CNRS). Il s’y inséra tout de suite et y noua de solides amitiés. C’est donc tout
naturellement que, lorsqu’en 1977 ce club s’est transformé en Société Française de
Tribologie, il en fut un des premiers membres. Il l’était toujours lorsque, pour se
distinguer d’une autre SFT, notre société devint Société Tribologique de France.
Changement de nom, mais pérennité des hommes.
Car non content de participer aux activités de sa Société comme membre, en 1983
François Delamare postule à un poste d’administrateur et il est élu. Il sera réélu cinq fois
consécutives, la dernière réélection ayant eu lieu en 1998, ce qui montre la confiance
que lui portent la grande majorité des tribologues francophones. Je pense qu’il
continuera à œuvrer encore quelques temps pour le bon fonctionnement du groupe
Scientifique et Technique «Tribologie» de l’Association Française de Mécanique qui, le
1er janvier 1999, a pris la succession de la Société Tribologique de France, sans en
changer fondamentalement les objectifs.
S’il est un trait à faire ressortir de cette vie associative, faisons remarquer qu’à la
création du Prix Hirn réservé à un jeune chercheur en Tribologie, François Delamare fut
le premier à considérer l’importance de cette reconnaissance d’un bon travail de
recherche d’un jeune par ses pairs ; en effet, cette année là, son laboratoire fut le seul à
présenter une candidate pour le Prix, rendant la tâche du Jury plus facile, d’autant plus
que le travail présenté par Valérie Samper était excellent. François Delamare avait –
vous le reconnaîtrez bien là – demandé à choisir lui-même la médaille d’argent qui serait
remise, médaille qui fit l’objet d’une méticuleuse sélection parmi le vaste choix offert
par la Monnaie de Paris.
François Delamare a participé ou fait participer ses collaborateurs aux manifestations
organisées par la Société Tribologique de France, chaque fois que le sujet était en
rapport avec les activités de son équipe. Ainsi a-t-il organisé en juin 1992 à Sophia
Antipolis les Journées Scientifiques annuelles de la Société sur le thème : La tribologie
de la mise en forme et en a publié les Actes. Il a fait en sorte que ces Journées se
pérennisent par leur qualité, conduisant depuis 1995 à la publication des Actes sous
forme d’ouvrages reliés qui sont achetés par les bibliothèques de nombreux laboratoires
universitaires et industriels.
Pour conclure, je pense que François Delamare a bien mérité la reconnaissance des
tribologues. C’est la raison pour laquelle la Société Tribologique de France lui a
attribué en 1998 le Prix Coulomb qui récompense l’ensemble d’une carrière vouée à la
Tribologie. A l’occasion de cet ouvrage élaboré pour ses 60 ans, je l’en félicite de
nouveau et l’en remercie sincèrement.
À FRANÇOIS DELAMARE NUMISMATE
CÉCILE MORRISSON
Ancien Président de la Commission Internationale de Numismatique
Directeur du Centre d'Histoire et Civilisation de Byzance
CNRS - Collège de France
Si la modernité de son approche scientifique n'était pas là pour nous prouver le contraire,
on pourrait croire que François Delamare s'est trompé de siècle tant sa culture, la
diversité de ses talents, de ses lectures et de ses centres d'intérêt est plus caractéristique
d'un savant ou d'un «honnête homme» du Siècle des Lumières que du chercheur trop
spécialisé de notre vingtième siècle finissant. De ses multiples et brillantes facettes, aussi
séduisantes les unes que les autres, le tribologue, l'enseignant, le «semeur et producteur
d'idées1», il me revient, en raison d'une collaboration féconde de longue date, devenue
amitié, d'évoquer le numismate et les résultats auxquels il est parvenu.
Comment devient-on numismate et attrape-t-on le virus de la passion des monnaies ? À
cette question, posée lors d'un forum du dernier Congrès international de numismatique à
Berlin en septembre 1997, plusieurs intervenants, aussi bien conservateurs des plus
grands Cabinets du monde que modestes collectionneurs ont répondu : souvent dès le
plus jeune âge. François Delamare n'est pas tout à fait conforme à la règle, bien que le
terme convienne encore en partie au lycéen de math élem, converti à cette marotte par
son camarade de Janson. Alain Weil, c'est son nom, entrera comme lui dans une ENS de
Chimie, mais passera tout entier du côté de sa passion en devenant un numismateprofessionnel, expert réputé de la place de Paris, et dont la formation scientifique n'est
pas l'un des moindres atouts.
François Delamare «arrivant, comme tant d'autres, trop tard pour acheter à des prix
raisonnables les chefs d'œuvre de la frappe grecque» s'efforce alors de «matérialiser» les
«diverses dénominations», s'émouvant à juste titre de «voir un liard, manipuler un thaler
ou un gros de Saint Louis». Il s'oriente ensuite vers le domaine du billet, moins fréquenté
que celui de la monnaie métallique, «où l'on trouvait encore [dans les années soixantedix] à des prix raisonnables des objets d'une insigne rareté». On admirera ici le billet de
1000 F bleu aux têtes accolées de Minerve et d'Hercule mis en circulation en juillet
1945, ou bien celui de 300 F «Cérès» également dû à Clément Serveau (1938), beau
témoignage de la qualité graphique et de la survivance près de nous des allégories
antiques. À son propos, je ne résiste pas au plaisir de rapporter comment il avait fallu à
notre ami montrer ce dernier achat à sa famille pour parvenir à convaincre de l'existence
de cette dénomination, il est vrai inusitée, et qui fut sans doute pour cette raison peu
populaire2.
Deux facteurs vont ramener François Delamare à la monnaie métallique dans une
perspective différente : son arrivée au Centre de recherche de l'École des Mines de Paris
1 - C'est ainsi que je crois comprendre la "fertilisation croisée" chère à Pierre Laffitte.
2 - Cette coupure avait été mise en circulation en 1945, avec celles de 5000 et 1000 francs, lors de
l'échange des billets qui suivit la fin de la guerre. L'Académie des Sciences avait alors élevé une
protestation contre «le nouveau billet de 300 F qui s'écarte des règles du système métrique
décimal, puisque le chiffre 3 n'est pas un sous-multiple de 10.» (Le Monde du 11 juin 1945). Cf.
S. Peyret, Les billets de la Banque de France. Deux siècles de confiance, Paris, 1994, p. 140-141.
60
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 1 : Banque de France. Recto du billet de 1000 F (Minerve et Hercule) type 1945,
peinture de Clément Serveau, gravure de Marliat
Figure 2 : Banque de France, billet de 300 F Cérès, type 1938. Peinture de Clément
Serveau ; gravure par Émile Deloche. Recto d'un specimen. Coll. FD
Septembre 1938, la France mobilise. Les retraits de fonds dans les banques sont si
importants que la Banque de France commence à manquer de billets. Pour la première
fois en pareilles circonstances, ce n'est pas d'or que l'on manque, mais de papiermonnaie ! Dans un climat d'urgence, la Banque décide d'émettre de nouveaux billets.
Personne ne sait plus pourquoi fut choisie la valeur faciale de 300 F, qui n'a pour
précédent qu'un assignat de 300 livres émis en 1790, mais trouve son pendant dans un
projet de billet de 3000 F réalisé à la même époque. Créé le 6 octobre 1938, le nouveau
billet est imprimé à 7 500 000 exemplaires que la défaite empêche la Banque d'émettre.
A François Delamare numismate
61
qui deviendra le CEMEF et l'insistance de son ami Alain Weil à lui poser des questions
techniques sur les problèmes de frappe monétaire (existe-t-il un critère objectif
permettant de distinguer une frappe moderne d'une frappe ancienne par examen non
destructif du métal ?). L'étude des problèmes de contact outil-produit en formage des
métaux qu'il y pratique, bref la tribologie de la forge ou de la frappe à froid n'offrait-elle
pas en effet des méthodes parfaitement applicables à la numismatique ?
C'est ainsi que fut élaboré dès 1980 un «projet de recherche sur la frappe des monnaies
anciennes» à mener en collaboration avec Jean-Noël Barrandon et le Centre ErnestBabelon (CNRS, Orléans) qui développait alors les méthodes d'analyse par activation et
leur application à la caractérisation des alliages monétaires. Les travaux réalisés dans le
cadre de ce projet, en collaboration avec Pierre Montmitonnet, constituent la première
approche approfondie et véritablement «mécanique» des conditions de la frappe
monétaire. L'étude technique, associant mécanique des solides et théorie de la plasticité,
analyse et modélise les données (déformation, contraintes d'écoulement et énergie
consommée)3. La monnaie y est traitée comme un objet axisymétrique comportant des
reliefs. On choisit d'appliquer cette méthode à la monnaie d'or byzantine des Ve-XIe
siècles, matériel abondant et relativement homogène dans le temps et dans l'espace. Le
monnayage byzantin présentait en outre l'avantage d'être le plus souvent d'un alliage
presque pur et en tout cas bien connu puisqu'il faisait l'objet au même moment d'une
recherche du Centre Babelon fondée sur plus de deux cents analyses par activation
protonique4.
La modélisation mécanique permit à François Delamare d'interpréter l’évolution de la
géométrie du solidus / nomisma comme une série de solutions techniques destinées,
souvent en fonction des changements de composition de l'alliage, à économiser l'énergie
nécessaire à la frappe et à réduire l'usure des coins. Il montre notamment que le diamètre
de plus en plus petit et la forme finalement «globulaire» des solidi de Carthage au VIIe
siècle vise à diminuer le nombre de coups de marteau donnés par les monnayeurs, pour
des raisons encore inexpliquées (peut-être la nécessité d'un renouvellement accéléré de
ces émissions qui présentent la particularité d'être datées annuellement). Surtout il
parvient à expliquer le mystère de l'origine de la concavité des monnaies d'or du XIe
siècle, une forme très rare en numismatique et jusque là attribuée, en ce qui concerne
Byzance, soit à la volonté de signaler ainsi qu'il s'agissait de monnaies altérées
(Grierson), soit au désir de rendre les flans amincis de cette époque plus résistants
3 - F. Delamare et P. Monmitonnet, Introduction à une étude mécanique de la frappe des
monnaies, Actes des Journées de Paléométallurgie de Compiègne, 1983, 239-258. F. Delamare
and P. Monmitonnet, A mechanical analysis of coin striking: application to the study of byzantine
gold solidi minted in Constantinople and Carthage, J. of Mechanical Working Tech., 10 (1984)
253-271. F. Delamare and P. Monmitonnet, Evolution of coin striking processes: a mechanical
survey. I - Hammer striking, J. of Mechanical Working Tech., 11 (1985) 37-52.
4 - C. Morrisson, J.-N. Barrandon, C. Brenot, J.-P. Callu, R. Halleux et J. Poirier, L'or monnayé I.
De Rome à Byzance. Purification et altérations, Cahiers Ernest-Babelon 2, Paris, CNRS, 1985.
62
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
(Bertelè)5. Pour schématiser, disons qu'il est démontré dans cet article que la concavité
est due au fait que la surface des coins est nettement inférieure à celle des flans. Lorsque
le rapport des deux surfaces (ou diamètres respectifs) dépasse un certain seuil,
l’écoulement plastique de la partie centrale, fretté par un anneau extérieur qui ne se
déforme qu’élastiquement provoque le gauchissement de la pièce6.
Mais une pièce de monnaie ancienne est un objet fortement tridimensionnel. De plus, la
majeure partie de l'information portant sur l'énergie dépensée au cours de la frappe
réside dans la façon dont se forment les gravures constituant le type du monnayage,
infime fraction du métal, mais qui est de première importance pour la lisibilité de la
pièce. La simulation numérique des écoulements en 3D ne se faisant pas encore,
François Delamare poursuit encore la recherche sur la modélisation de la frappe en
simulant l'alliage monétaire par une pâte à modeler. La frappe a lieu entre coins de
chêne, sur une machine de compression instrumentée, à l'échelle 4:1 et au ralenti ; on
peut ainsi observer l'écoulement du matériau du flan et relier l'évolution de sa géométrie
à l'énergie dépensée. On peut, de plus, réaliser un maillage coloré dont les coupes
autorisent l'observation des écoulements internes et le calcul des déformations locales.
T. Hackens voyait dans les changements de forme inexpliqués des monnayages grecs
archaïques d'Égine les tâtonnements de la technique naissante de la frappe au marteau. A
son instigation et avec l'aide de S. Jacomet et de F. van der Mersch-Michaux, François
Delamare applique la simulation sur pâte à modeler aux statères archaïques d'argent
d'Égine, monnaies d'argent portant au droit une tortue de mer et au revers l'empreinte
d'un poinçon dit «carré creux» de diverses formes (lignes entrecroisées irrégulières,
drapeau britannique - Union Jack - ou ailes de moulin à vent). Parmi les résultats de
cette étude exemplaire7, on trouve la mise en évidence de deux innovations
remarquables. La première, vers 500-470 av. J.-C., concerne l’outillage. Il s’agit de
l’adoption d’un coin (qui recouvre l’ensemble du flan) à la place d’un poinçon pour la
frappe du revers. Non seulement on réalise ainsi une économie de 20 % de l'énergie de
frappe (si chichement disponible dans ce procédé de formage), mais on pourra obtenir
l'impression d'une inscription et d'un grènetis au droit, impossible avec la technique
antérieure. La deuxième innovation, plus tardive, porte sur la géométrie du flan. Après
une période de tâtonnements où sont utilisées des formes ovoïdes ou lenticulaires, on
adopte la forme cylindrique, qui économise encore 25 % d'énergie. Ainsi le numismate
voit-il se dessiner les raisons techniques sous-jacentes à l'évolution du monnayage
5 - F. Delamare, P. Monmitonnet et C. Morrisson, Une approche mécanique de la frappe des
monnaies. Application à l'étude de l'évolution de la forme du solidus byzantin, Revue
Numismatique, 6e série, 26 (1984) 7-39. Bien que rédigé postérieurement et sous une forme
complétée par l'étude des monnaies d'or de Sicile, cet article parut bien avant la version anglaise
présentée au colloque de Londres (F. Delamare, P. Monmitonnet and C. Morrisson, A mechanical
approach to coin striking: application to the study of byzantine gold solidi, in Metallurgy in
Numismatics 2, ed. by Oddy, R.N.S., Londres, 1988, 41-53).
6 Cf. ci-après l'article de P. Montmitonnet, F. Delamare et C. Morrisson.
7 - F. Michaux-van der Mersch et F. Delamare, Evolution de la technique de frappe des statères
éginétiques, Revue belge de Numismatique, 133 (1987) 5-38 ter. F. Delamare et F. Michaux-van
der Mersch, Etude mécanique de la frappe des monnaies. Une méthode: la simulation sur pâte à
modeler et son application à la frappe du statère éginétique, Revue d'Archéométrie, 12 (1988)
81-91. F. Delamare et P. Montmitonnet, Mécanique et frappe des monnaies: mesure et calcul de
la déformation, Revue d'Archéométrie, 12 (1988) 93-99.
A François Delamare numismate
63
antique vers les formes encore actuelles de nos pièces de monnaie (deux coins frappant
des flans cylindriques d'une empreinte comprenant un type, une légende et un cercle de
points, dit grènetis).
François Delamare répond aussi, tout au moins pour cette série, à la question, longtemps
débattue de la température de la frappe. Bien que de nombreux auteurs aient affirmé que
la frappe des monnaies grecques anciennes s’effectuait à chaud, l’étude montre que les
statères éginétiques se frappent à froid en un nombre réduit de coups de marteau.
L'avantage de la frappe à chaud n'apparaît donc pas clairement ; celle-ci est donc peu
probable. Il en va de même de la lubrification, qui n'apparaît qu’à l'époque de la frappe
au balancier (XVIIe siècle). La puissance disponible permet alors d'augmenter les
cadences de production ainsi que la durée de vie des coins.
Figure 3 : Statère d'Égine frappé sur flan lenticulaire (Ve s. av. J.-C.). Contrairement
aux monnayages perses en or, les monnaies grecques sont frappées en argent. Le
statère d'Égine fut la première monnaie grecque. La stabilité de son titre et de son poids
(12,2 g) en fit une monnaie internationale, précédant en cette fonction la drachme
athénienne. Véritable dollar de l'Antiquité, elle fut utilisée plusieurs siècles après la fin
de l'hégémonie d'Égine, vaincue par Athènes vers 457 avant J-C
Si François Delamare n'a pas encore réalisé l'étude de l'usure des coins qu'il avait mise à
son programme, il a en revanche offert aux numismates une monographie remarquable et
originale sur celle des monnaies : Le frai et ses lois, sujet aux implications historiques
d'ailleurs plus vastes. En 224 pages et 151 figures - fruit des «loisirs» (soirées et fins de
semaine) de trois années tolérés par une famille indulgente - se trouvent exposées les lois
physiques du frai et résumées les données bibliographiques du XVIIIe siècle à nos jours,
tandis que les résultats des enquêtes statistiques ou des expériences des banques
centrales sur l'usure des monnaies de tous métaux au XIXe et au XXe siècle sont illustrés
de diagrammes nouveaux plus parlants que bien des tableaux des publications originales,
d'accès en outre souvent difficile. Sont ainsi clairement distingués les rôles respectifs des
différentes usures, abrasive (le processus prépondérant) ou corrosive, de la composition
de l'alliage monétaire et de l'intensité de la circulation. Bien des idées reçues y sont
mises à mal, comme la prétendue proportionnalité du frai au poids, à la surface ou au
64
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
relief de la pièce. On notera que François Delamare confirme ici les travaux menés à la
Monnaie de Paris sous la direction de son arrière grand-père Alfred Riche, directeur des
Essais et membre de l'Institut.
La dernière partie du livre propose des applications de la méthode aux monnayages
anciens et tente de tirer quelques enseignements sur la circulation monétaire à partir des
données pondérales fournies par certains trésors8. L'écart d'usure (dans le rapport de 3:1)
des tétradrachmes ptolémaïques et des tétradrachmes séleucides au type d'Alexandre
dans le grand trésor turc de Meydancikkale est ainsi corrélé avec la circulation plus
active et plus intense en Égypte qu'en Syrie au IIIe siècle avant J.-C. De même l'usure de
l'aureus romain du IIe siècle de notre ère se révèle - une fois corrigée des différences
d'alliage - inférieure environ de moitié à celle du napoléon, signe évident d'une intensité
d'autant plus grande de la circulation à la fin du XIXe siècle. La tribologie est ainsi
susceptible d'apporter une indication quantitative sur V, la vitesse de circulation de la
monnaie, un agrégat de l'équation comptable9 définissant les conditions de l'équilibre
général et dont la mesure statistique reste encore aujourd'hui très difficile. Compte tenu
des contraintes et des limites de la documentation, la réflexion n'est ici qu'amorcée avec
la prudence qui s'impose.
'François Delamare numismate' a gardé, comme dans ses précédents travaux, toute la
rigueur du scientifique et une grande mesure dans ses conclusions. Néanmoins, ou
précisément pour cette raison, il est certain que son application des "Arts mécaniques" à
la science des monnaies fera date.
8 - Sous réserve que ceux-ci constituent un échantillon statistiquement représentatif, qu'ils
comprennent des pièces ayant conservé le même alliage et le même poids droit (poids théorique
d'émission). On conçoit que de tels échantillons ne soient pas nombreux.
9 Dite aussi «équation d'Irving Fisher» du nom de l'économiste américain qui vérifia
statistiquement la relation (M V = P T) entre la variable endogène P (niveaux des prix) et M, la
quantité de monnaie, V la vitesse de circulation (M/Y soit M/PNB), et T le volume des
transactions (I. Fisher, The Purchasing Power of Money, New York, 1911). Sur la mesure de la
vitesse de circulation, voir J. Schumpeter, A History of Economic Analysis, New York, 1954, p.
1098 et suivantes.
MES AMITIÉS DE SCIENCE ET TECHNOLOGIE
À MON AMI FRANÇOIS DELAMARE
JACQUES DE BANDT
CNRS - IDEFI - Sophia Antipolis
Je voudrais ici dire mon amitié et, plus particulièrement, comme le dit le titre, mon
«amitié de science et technologie» 1. Mais qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Et une
amitié cela se dit comment ? Je me souviens de quelques belles définitions de l’amitié :
par exemple, regarder ensemble dans la même direction. Ce n’est pas si mal : le CRAM2
n’était-il pas essentiellement une manière de regarder ensemble, dans la même
direction ? Il est vrai que j’étais plutôt instrumental dans cette opération, aidant plutôt les
autres à regarder ensemble dans cette même direction. Mais l’amitié n’est-elle pas faite
d’abord d’un sentiment de proximité ? Je voudrais ici essayer de décrire cette proximité,
qui fonde l’amitié. Je voudrais en fait essayer d’expliquer à François Delamare pourquoi,
en ce qui me concerne, je me sens proche de lui, et cela grâce à la «caractérisation des
matériaux». Car c’est, il faut insister, autour des matériaux que nous nous sommes
rencontrés.
En apparence tout nous sépare, voire nous éloigne. Le monde auquel j’appartiens est
étranger au sien, pour ne pas dire étrange. Celui de la recherche technologique, de la
production et des ingénieurs me fascine, mais je me sens en opposition constante avec sa
rationalité. C’est pourtant celle-ci qui est à la base de tous ces artefacts, autour de nous,
qui sont prodigieux (du mot «prodige»). Mais là où ils voient des techniques, je vois
principalement des acteurs. Et je pourrais ainsi continuer à aligner toutes nos différences.
Mais, s’il en est ainsi, comment rendre compte du fait que, alors que tant de choses nous
séparent, nous nous rejoignons sur tant de points ? Voilà, n’est-il pas vrai, un cas
intéressant d’«atomes crochus» entre le monde de la physique et des matériaux et celui
des sciences sociales ?
On pourrait évidemment dire que François appartient en réalité (l’École des Mines s’en
doutait un peu, mais pas trop) au monde des sciences de l’Homme et de la Société, où je
pourrais avouer mon penchant pour les matériaux que l’on forme et transforme et ma
fascination pour toutes les machines ou installations qui transforment le fruit en alcool,
l’arbre en meuble, la pâte en papier, ou encore la vache en corned beef. Tout cela est
vrai, mais ne peut suffire et n’explique pas grand chose, sinon peut-être en apparence.
C’est en fait terriblement compliqué à expliquer, à supposer que l’on puisse expliquer ce
genre de choses. C’est pourtant ce que je voudrais essayer de faire. D’abord expliquer
d’où je pars, en fait de très loin (par rapport à la caractérisation des matériaux). Ensuite,
mes parcours dans les sphères de la production et mes relations d’«amour-haine» avec le
monde des techniques. Enfin, nos rencontres dans l’«espace cognitif».
(1) Selon le Littré, on dit ami de table, de jeu... , d’où ami de science et de technologie.
2 Le Centre Régional d’Analyse des Matériaux des Alpes Maritimes.
66
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
DE LÀ-BAS, TRÈS LOIN.
Je n’appartiens pas au monde de la tribologie ou des multicouches. J’appartiens au
monde des sciences sociales, et donc à un monde qui est bien éloigné de celui des
sciences de la nature. J’ai toujours été de l’«autre côté». Et, de par les fonctions que j’ai
exercées, j’ai souvent été en première ligne pour défendre les sciences sociales contre les
vilaines attaques des scientifiques contre ces sciences dites molles, inexactes, littéraires...
voire des non-sciences.
Un petit souvenir : je me souviens d’une réunion - tout ce qu’il y a de sérieux - de la
Direction du CNRS au château de Gif sur Yvette, au cours de laquelle Maurice Godelier
(alors directeur scientifique en SHS) et moi-même sommes sortis, très dignement, parce
qu’un Directeur Scientifique avait refusé de retirer le terme de science molle qu’il nous
avait un peu méchamment lancé à la tête. Je me souviens aussi d’une réunion de la
Direction de l’INRA au cours de laquelle les Directeurs Scientifiques me sont tombés
dessus à bras raccourcis parce que je représentais ces sciences molles dont les critères de
scientificité leur paraissaient aussi douteux.
Plus insidieusement, j’ai souvent fait l’expérience que l’image que des scientifiques
«exacts» avaient de moi était celle d’un beau parleur ou d’un écrivailleur. Cela ne me
gêne pas outre mesure. Cela me chagrine un peu pour eux. J’ai toujours répondu que
j’aurais pu aussi bien choisir la chimie ou la biologie (j’y ai pensé, étant jeune), ou
devenir ingénieur (je l’ai envisagé). J’aurais évidemment aussi bien pu être jésuite ou
compagnon ébéniste ! Et si j’avais opté pour les sciences sociales, c’est que j’avais de
bonnes raisons pour le faire. J’ai toujours considéré en effet, qu’elles étaient d’un ordre
de valeur supérieur, par rapport aux sciences dites exactes (rien que cela !). D’une part
parce plus nécessaires et d’une certaine manière, potentiellement en tout cas, beaucoup
plus utiles3. D’autre part, parce que, traitant de réalités plus complexes, elles sont aussi
plus exigeantes et demandent plus d’efforts, mais aussi (au moins en principe) plus de
modestie. N’est-il pas effarant de voir à quel point le «racisme scientifique» est étendu,
pire de voir à quel point des scientifiques, qui en tout cas se prétendent tels, peuvent
avoir du mal, sinon être totalement incapables, d’imaginer des réalités et des modes de
pensée différents des leurs.
Voilà pour la réponse du berger à la bergère.
Il n’empêche, je suis de l’autre côté !
(3) Parlant d’utilité, tout dépend évidemment de ce que l’on entend par là : utile pour quoi, utile
pour qui ? Tant que l’on en reste à la connaissance en tant que telle ou à la science pour la science,
toutes les disciplines se valent. Les différences apparaissent à partir du moment où nous voulons
utiliser les connaissances pour faire des choses. Tout dépend dès lors de la représentation que l’on
a d’une part de la contribution que ces connaissances apportent pour faire ces choses et d’autre
part et surtout de l’importance de ces choses. Dans ma représentation du monde, les êtres humains
et la vie des hommes en société priment.
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare
67
A l’intérieur de ces sciences sociales, j’ai l’avantage ou l’inconvénient supplémentaire
d’être économiste (4). L’avantage : car la science économique est, de toute les sciences
sociales, la plus exacte. C’est en tout cas, ce que nous disons. Et une partie de la
discipline, celle précisément qui se dit être «la» science économique, non seulement
utilise les mathématiques, ou emprunte à la physique ou la biologie, mais se prétend être
ou en tout cas a l’ambition d’être en quelque sorte l’équivalent de la physique. Ces
grandes ambitions ont commencé avec les «physiocrates» (le bon docteur Quesnay
étaient lui un vrai scientifique). Pour cette raison, je crois, on nous disait autrefois, nous
économistes, «distingués» ? L’inconvénient : car le prix que paie cette science
économique axiomatique pour être rigoureuse est d’être très éloignée, pour ne pas dire
plus, des réalités économiques ; car, pour cette raison, et sauf à suivre quelque peu
l’actualité et la pression des évènements, cette science économique décide, de manière
arbitraire, quel est son objet ; car il n’y a pas une mais des sciences économiques. Pour
reprendre une boutade souvent attribuée à Churchill, on dit parfois que si vous interrogez
trois économistes sur une question, vous obtenez quatre avis différents. Force est de
constater que la science économique contribue peu à la prévision comme à la solution
des grands problèmes économiques de nos société ou du monde (5).
Je ne prends pas trop ces avantages comme ces inconvénients à mon compte. Où suis-je
en effet par rapport à cela ? Je serais plutôt du côté de l’hétérodoxie, mais de celle qui
s’éloignant de l’axiomatique qui est éloignée des réalités tendraient à me rapprocher de
celles-ci. Je ne sais si vous suivez mon raisonnement : étant loin de ce qui est loin de la
réalité, je suis proche de celle-ci. Tout ceci me conduit plutôt du côté de l’induction, de
l’économie politique, de l’incontournable pluridisciplinarité (6), de la prospective, de
l’application. Et dois-je l’avouer, je ne dédaigne guère un peu de littérature (7).
Pour brouiller encore un peu plus les pistes, j’ajouterais qu’il faut d’ailleurs être
hétérodoxe aujourd’hui, en économie, pour s’intéresser aux problèmes économiques les
plus fondamentaux, qui concernent les processus par lesquels d’une part on produit des
produits et des valeurs et d’autre part on les répartit entre les hommes.
(4) Economiste, mais de formation «hybride» : un diplôme en philosophie, un certificat en
mathématique, un doctorat en droit, un doctorat en sciences économiques.
(5) L’actualité a donné récemment une illustration poussée jusqu’à l’absurde de cette incapacité :
alors que le FMI est dit (en particulier par Monsieur Camdessus, son Président) avoir les meilleurs
économistes du monde, les économistes avertis considèrent que le FMI n’a pas prévu, a mal géré,
voire provoqué la crise des pays du Sud-Est asiatique.
(6) Par exemple, Jacques De Bandt, Christophe Dejours et Claude Dubar, La France malade du
travail, Bayard Editions, 1995. Le premier des co-auteurs est psychiatre, le second sociologue.
7 Dans un ouvrage récent (Jacques et Françoise De Bandt, La descente aux enfers du travail : ou
l’économie sens dessus-dessous, ADST, 1996), de très larges emprunts à la Divine Comédie de
Dante n’entament en rien, au contraire, le sérieux de l’analyse et du raisonnement, si l’on en juge
d’après les commentaires reçus.
68
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
LES SPHÈRES DE LA PRODUCTION ET DE LA TECHNOLOGIE.
A partir de là, il me devient possible de décrire ceux de mes intérêts qui me rapprochent
de François Delamare. Certes le chemin qui m’y conduit n’est pas linéaire, mais il m’y
conduit. A l’intérieur du domaine de l’économie, je m’intéresse en particulier, en tant
qu’économiste industriel, à tout ce qui concerne la production : aux travailleurs et aux
compétences, aux entreprises, à la recherche et à l’innovation, à la technologie, à
l’ingénierie, à l’organisation,....etc.
Parmi les industries, je me suis toujours intéressés plus particulièrement aux industries
dites de biens intermédiaires : d’abord celles produisant et traitant les matières
naturelles : les textiles (laine, lin, coton, chanvre, jute...), le papier, le fer et l’acier, ...
ensuite celles produisant et traitant les matières organiques : fibres textiles, résines,
caoutchouc synthétique et j’ai toujours voulu voir et essayer de comprendre à la fois les
qualités des matières et les technologies pour les travailler et leurs évolutions ... J’ai
voulu voir les champs de coton ou d’agaves, les mines de fer, j’ai voulu comprendre
l’action des catalyseurs…J’ai fait des travaux sur la coulée continue, comme sur le
métier sans navette ou l’urée.
Et j’ai besoin de voir - et je devrais même dire : toucher - ce dont je parle. J’ai visité des
usines textiles dans plus de trente pays et comparé les équipements, l’organisation du
travail, les matières utilisées, les produits, les déchets... et participé, sur le terrain à tant
de discussions sur des problèmes très techniques.
Quelques souvenirs «matériaux» : la participation aux premières réflexions sur la
«Woolmark» ; une intervention réussissant à démontrer que les analyses de la qualité du
coton Malgache faites par un bureau d’étude européen étaient faussées, les défauts
observés étant dus non à la qualité intrinsèque du coton, mais à des défauts
d’organisation de la filière ; une intervention dans une usine de jute au Vietnam
débouchant, par le nettoyage et graissage d’un engrenage, sur la remise en route d’une
chaîne de fabrication ; l’invitation par le Ministre de l’Industrie Malgache à participer à
la remise des médailles du travail aux ouvriers de l’industrie cotonnière à Antsirabé.
Premier élément de rapprochement : toutes ces industries travaillant la matière.
Et puis les entreprises, les petites comme les grandes, les dynamiques comme les
inefficaces – les «chasseurs de primes» comme les «canards boiteux». J’ai visité des
entreprises dans une cinquantaine de pays, et dans certaines régions ou pays (par
exemple en Yougoslavie ou au Vietnam), pratiquement toutes les entreprises existantes.
L’entreprise est un être curieux, passionnant à étudier : les comportements du patron,
l’organisation du travail, les décisions, les clans, le système d’information, les conflits....
Une petite parenthèse : certains économistes développent de grandes théories de la firme
et certains technocrates traitent des questions relatives aux entreprises, sans avoir jamais
vu ces réalités ni de près ni de loin. Est-ce bien raisonnable ?
Un souvenir : un haut fonctionnaire, chargé de négocier avec de grandes entreprises,
réalisant qu’il ne savait pas ce qu’était une entreprises, n’en ayant jamais vu, demandait à
quoi cela se reconnaissait : est-ce grand, lisse ou couvert d’écailles, rouge vif, profond,
avec des pieds fourchus.... ? Certains n’ont-ils pas dit que l’entreprise était une
contradiction ?
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare
69
Deuxième élément de rapprochement : tous ces lieux concrets de la transformation des
matériaux.
Mais l’entreprise est aussi le lieu par excellence où la technologie – toutes les
technologies - est mise en œuvre. Et la technologie est un objet de recherche passionnant.
Je suis fasciné et béat d’admiration devant la technologie : devant toutes les technologies
déployant leurs possibilités, devant les technologies qui transforment, forment et donnent
leur forme à la matière. Je suis comme un enfant devant une vitrine de confiseur, lorsque
je vois le rythme de la navette qui construit son tissu, ou une coulée d’acier, ou un
automate de peinture. Cela relève presque de la prestidigitation. Parfois, il est vrai, tout
en admirant la pâte qui, à un rythme impressionnant, s’enroule sous forme de papier, je
ne puis m’empêcher de trouver la continue un peu monstrueuse. Je me met à rêver de nos
anciens moulins à papier, mais je m’interroge aussi : est-ce bien la même technologie ?
Et puis, que dire de toutes ces nouvelles technologies qui se démultiplient dans toutes les
directions : les matériaux composites, les puces, le laser, les micro-controlleurs, les
hybrides, les résines....
Troisième élément de rapprochement : la technologie,
C’est peut-être cette fascination qui m’a conduit à considérer que la technologie était un
objet d’analyse important pour les sciences sociales.
Une petite parenthèse : est-ce qu’un chercheur peut étudier un objet – j’entends : bien
étudier, de manière efficace – s’il ne l’aime pas ? Je pense que non. Mon expérience me
convainc que l’amour de l’objet de ses analyses est une condition nécessaire, si pas
suffisante, de l’existence d’un vrai et bon chercheur (8). La seule différence, je dirais est
entre ceux qui aiment avant, et ceux qui aiment chemin faisant, progressivement. On peut
en juger d’après la manière dont ils en parlent. N’est-il pas merveilleux d’entendre des
(vrais) chercheurs parler de leur objet, avec passion, même lorsque cet objet n’est pas
particulièrement sympathique ou ragoûtant (des cloportes, des rats, des ulcères…) ?
D’accord, il y a des exceptions, mais elles sont, selon moi, rarissimes. Par ailleurs, c’est
évidemment plus difficile à percevoir lorsque l’objet est abstrait ou invisible (encore que
l’on puisse être amoureux d’un concept ou d’un algorithme, ou d’une molécule).
Comment pourrait-on par contre aimer ce qui ne serait que l’image que l’on a construite
d’un objet que l’on n’a jamais vu ou appréhendé : on ne peut dans ce cas aimer que le
moi qui a fabriqué cette image.
Les recherches sur la technologie - la technologie en général ou des technologies
particulières – visent d’abord à essayer de décrypter et décrire les technologies :
comment définit-on ou caractérise-t-on une technologie ? comment différencie-t-on deux
(8) Certains diront évidemment que cela n’a rien à voir. Et pourtant ! C’est du même ordre que ce
que me disait un de mes professeurs en mathématiques, qui m’a beaucoup marqué (étudiant en
science économique, j’avais décidé de m’inscrire aussi en mathématique). Il disait, pour illustrer
ce qu’il considérait être des cohérences d’un ordre supérieur, qu’un pont ne pouvait être bon que
s’il était beau. Il avait été jusqu’à collectionner des photos de ponts qui avaient cédé ou s’étaient
effondrés, pour en souligner le manque d’esthétique.
70
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
technologies, dans le temps et dans l’espace ? (9) Elles visent en ensuite à analyser la
technologie, ses origines, sa diffusion, ses applications, ses transformations, son
obsolescence… Elles s’intéressent aussi, cela va de soi, à l’ensemble des acteurs,
institutions et organismes qui sont concernés par la technologie ou l’innovation et aux
relations entre eux. Tout cela fait partie d’un système assez complexe. On l’appelait
autrefois le Système Scientifique et Technique ou, en jargon, le SST (c’était une
invention française, non brevetée), on l’appelle aujourd’hui le Système National
d’Innovation. Elles s’intéressent donc également aux politiques dites scientifiques et
techniques (ou technologiques).
Curieusement, (au delà des grands programmes du général De Gaulle, qui ont fortement
marqué notre histoire dans l’ordre de la technologie), la France n’est jamais parvenue,
jusqu’ici, à concevoir une véritable politique ou stratégie technologique à la hauteur des
enjeux. Sans doute , parce que faisait défaut une représentation cohérente de la
technologie. Mais pourquoi donc ?(10)
Il faut ouvrir ici une autre parenthèse.
Il est beaucoup question de technologie, disons depuis 30 ou 35 ans : depuis le «défi
technologique» de J.J. Servan Schreiber dans les années 1960, en passant par les
discours sur la «course-poursuite technologique» dans les années 1970, puis par les
«retards technologiques» des années 1980, jusqu’au «paradoxe (technologique)
européen» dans les années 1990. Alors donc que tout le monde parle de la technologie –
constamment, dans toutes les sphères, y compris dans la vie quotidienne – comment se
peut-il que si peu de gens - non seulement Monsieur ou Madame tout le monde, mais
même des personnes à des niveaux de compétence et de responsabilité élevés - savent ce
qu’est cette technologie. Même la plupart des gens qui sont directement engagés dans des
activités technologiques (recherche, développement, création, transfert, diffusions…)
n’en perçoivent le plus souvent que des aspects très partiels et n’ont guère de vision
d’ensemble de ce qu’est la technologie.
Après de nombreuses tentatives infructueuses, depuis la fin des années 1960, le
Commissariat du Plan (voir le rapport FARGE) s’est efforcé, en 1989, de donner une
définition de la technologie, considérée (enfin !) comme un enjeu important. En réalité,
faute d’arriver à en donner une définition directe, il s’est contenté d’en donner une
définition indirecte, par la définition de la recherche technologique. Mais celle-ci n’est
définie que comme une petite zone de recouvrement de trois sous-ensembles : la
(9)Une encyclopédie, dite systémique, de la technologie est ainsi en construction, en vue
d’organiser les connaissances sur les artefacts et les technologies, dans le cadre de «systèmes
techniques» faits d’ensembles complémentaires d’éléments technologiques permettant de remplir
un certain nombre de fonctions.
(10) On pourrait poser des questions analogues, encore plus concrètes : pourquoi la France n’a –telle jamais réussi à développer des industries mécaniques à la hauteur de ses ambitions
industrielles (disons tant soit peu comparables à celles de l’Allemagne ou la Suisse ?). Ou encore :
pourquoi la France n’a-t-elle jamais réussi à concevoir et mettre en œuvre des politiques
industrielles d’une certaine envergure et efficaces dans les domaines de la mécanique ?
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare
71
recherche scientifique de base, la recherche et développement industriels, la recherche et
développement à des fins collectives et sociales. S’il était évidemment intéressant de
souligner les besoins collectifs et sociaux, cette présentation, assez maladroite, souligne
fortement l’absence de représentation claire de ce qu’est la technologie.
Mais que font donc nos sciences de l’ingénieur ?
A ce stade de mon périple, je dois à la vérité de dire que si tout ceci me rapproche
extraordinairement du monde de la production, des matériaux, de la technologie, des
ingénieurs... ceci constitue aussi, par contrecoup, un facteur de distanciation important
par rapport à ce monde. Etre amené à discuter des réalités de la production avec des
ingénieurs, cela conduit aussi à faire ressortir tout ce qui nous sépare. C’est le côté nonlinéaire du périple.
Une boutade : ayant eu l’occasion, dans ma carrière, d’enseigner aux publics les plus
différents, je dis souvent que les publics les plus difficiles (j’entends pour un
enseignement d’économie politique) sont les curés et les ingénieurs, les uns et les autres
ayant les systèmes ou schémas de pensée les plus construits et cohérents, mais totalement
étrangers à ceux de l’économiste. Bien entendu, certains d’entre eux ont eu des
formations complémentaires, par exemple en économie ou en gestion : la tendance
générale est quand même de n’en prendre que la partie la plus assimilable dans leur
propre système de pensée.
Mon Dieu, que de dialogues de sourds avec des ingénieurs, dont si je n’oserais dire
qu’ils étaient bornés, je crois pouvoir affirmer qu’ils étaient enfermés dans leur logique
purement technique ou technicienne ! Que de difficultés à faire comprendre que la
technologie n’est pas seulement technique, que la technologie à des dimensions
multiples, qu’elle est aussi processus et produit social. Elle est produit de la société par
ses origines, dans son émergence et sa diffusion, par les besoins, les usages et les règles
qui la conditionnent, par les processus de sélection, dans ses transformations... A vouloir
ignorer cela, on s’interdit de comprendre la technologie et de pouvoir prendre des
décisions ou agir à bon escient en ces domaines.
Puisqu’il faut tout dire, je dois faire des aveux. Dieu me pardonne ! Il m’est arrivé, dans
des circonstances particulières, de traiter des ingénieurs, les uns de bornés, les autres
d’incompétents, d’autres encore d’être dépassés ou obsolètes ou d’essayer de le leur
démontrer.
La pire injure est évidemment celle d’incompétence. Si les bornés sont faciles à
identifier, les incompétents constituent une catégorie beaucoup plus difficile à
démasquer. Ce n’est pas ou pas principalement le niveau absolu de qualification ou de
compétence qui est en jeu, mais le type de compétence et son adaptation au type de
problème à traiter ou à résoudre. De ce point de vue, il n’y a pas incompatibilité entre
d’une part le constat du niveau élevé de compétence d’un individu (par définition dans
son «domaine de compétence») et d’autre part le constat de son incompétence pour
résoudre tel ou tel type de problème (ou de son incompétence à réunir et faire travailler
ensemble les diverses compétences complémentaires qui sont nécessaires). Les défauts
technocratiques les plus fréquents sont de ce type. Les cas les plus flagrants de ce que les
économistes appellent des «échecs de gouvernement» (government failures) sont dus à
ce type d’«incompétence».
72
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Tout ceci pour dire, par différence, tout le respect et, il faut le dire, l’admiration que j’ai
pour les ingénieurs. Ils représentent ce que j’aime le plus en matières professionnelles, à
savoir précisément le professionalisme. Leur rationalité technicienne a quelque chose de
rassurant, mais ce sont leurs performances qui m’impressionnent.
AU PAYS DE LA COGNITION
Mais il me faut poursuivre mon périple et décrire les dernières étapes de mon
rapprochement.
L’avant-dernière étape, en liaison directe avec la précédente, concerne le nouveau
système technique en voie d’émergence, comportant le passage d’activités à forts
contenus en ressources naturelles et énergétiques à des activités à forts contenus
informationnels. On sait, depuis les travaux de B. Gille que, à travers toute l’histoire
(depuis la plus haute Antiquité), les périodes de grande prospérité ont été dépendantes de
la mise en place d’un système technique cohérent, déployant sur la base de la
complémentarité de ses éléments des potentialités insoupçonnées. L’un des enjeux
économiques centraux de l’époque en cours est celui de l’émergence d’un nouveau
système technique (11), susceptible de permettre de nouveaux processus de croissance et
d’accumulation (12). Mais rien n’est plus difficile que de comprendre ce système
technique en voie d’émergence. Ou bien, on se situe en un endroit particulier du système
et, le nez dessus, il est difficile d’avoir une vision d’ensemble. Ou bien, on est en dehors
et on ne comprend pas grand chose de ce qui se passe. Comment en particulier
comprendre l’importance des matériaux (13), au sein de ce système technique, c’est-àdire la nature des liens et interactions des matériaux avec les autres éléments de base qui
constituent le nouveau système technique ? Ce sont les discussions autour et alentour du
CRAM - autour de l’arséniure de gallium, des biomatériaux, de la caractérisation des
matériaux, des informations et de la mémoire dans les matériaux… qui, me permettant
d’être à la fois dehors et dedans (avec un guide), m’ont fait comprendre certaines
dimensions essentielles du système technique en voie d’émergence. On retrouve toujours
cette nécessaire alliance des sciences exactes et des sciences sociales pour comprendre la
technologie : en l’occurrence la compréhension du système technique au travers du rôle
qu’y jouent les matériaux.
Et que vive le CRAM !
(11) Nous avons tendance, sur le plan économique, à parler de l’économie de l’information ou de
la connaissance (learning economy)
(12) Aujourd’hui, aux Etats-Unis, ce nouveau système semble en effet alimenter de tels processus
de croissance et d’accumulation : en 1998, les nouveaux secteurs, liés à l’information, ont assuré
38% de la croissance.
(13) Qu’il s’agisse des matériaux de structure ou des matériaux dits de fonction (P.
Cohendet, et al., Les matériaux nouveaux : dynamique économique et stratégie
européenne, Economica 1987)
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare
73
Quatrième élément de rapprochement : les matériaux dans le nouveau système technique.
Mais on ne peut s’arrêter là. La recherche aussi est un objet de recherche fascinant (14).
La «recherche sur la recherche» (généralement intitulée «Science, Technologie et
Société»), de type très pluridisciplinaire, s’est beaucoup développée (15). Elle a, il est
vrai, eu beaucoup de mal à se développer en France, sinon assez récemment. Je me dois
quand même de signaler au moins une exception notoire : celle de l’Ecole des Mines, qui
démontre que la Recherche, en tant qu’objet de recherche, est un lieu privilégié de
rencontre entre les ingénieurs et les sciences sociales. J’en profite ici - c’est l’occasion
toute trouvée – pour rendre hommage au Centre de Sociologie de l’Innovation.
Une petite parenthèse : comment fait-on pour dire tout le bien (+++) et le petit peu de
mal (-) que l’on pense du CSI ?
Beaucoup de bien : ils ont en effet développé la recherche sur la recherche : il est vrai
qu’ils bénéficiaient d’une base privilégiée pour le faire ; ils l’ont bien fait : ce qu’ils font
est intéressant et imaginatif. Leurs travaux sont très cités et reconnus internationalement ;
ils n’ont pas hésité à intervenir sur le terrain, démontrant ainsi, d’une certaine manière, la
validité et l’utilité de ces travaux.
On pourrait aussi dire un peu de mal (personne n’est heureusement parfait !), mais si
peu : le principal reproche étant qu’ils ont largement monopolisé le marché !
Mais revenons à la «recherche sur la recherche».
Au départ , j’avais été profondément choqué par la phrase, souvent citée, du général De
Gaulle disant à peu près que si l’on trouve des chercheurs, on cherche des trouveurs.
Cette phrase, inutilement méprisante (mais le mépris peut-il être utile ?), me paraissait
révéler surtout une très grande ignorance. C’est choquant, non ? Je n’ai entendu pire que
dans la bouche de Madame Thatcher.
Aussi choquantes, sinon plus, sont deux types d’attitudes, contrastées, que l’on observe
fréquemment, dans le contexte français.
Assez choquantes sont les certitudes fortes et définitives qu’on en général les «personnes
compétentes» ayant des responsabilités en matière d’administration de la recherche. Ils
ont tendance à considérer, presque unanimement, que la recherche n’est pas un objet de
recherche et que, de toute manière, eux ils savent. En fait, en règle générale, ces
responsables ne font en réalité que généraliser et extrapoler une expérience localisée et
datée, qu’elle soit d’ailleurs bonne ou mauvaise. Et, ce qui est le plus grave évidemment,
les certitudes justifient ou résultent de l’absence de curiosité.
Un souvenir ? Un scientifique chinois de très haut rang, de passage à Paris, il y a
quelques années de cela, ayant rencontré nombre de responsables français en matières
scientifiques demandait, avec un sourire narquois, d’où les directeurs scientifiques (les
(14) J’ai consacré une partie importante de mes activités à étudier la recherche : par curiosité
d’abord, par intérêt professionnel ensuite, par intérêt scientifique enfin.
(15) Voir l’Euroguide sur l’innovation : the European Guide of Science, Technology and
Innovation Studies, 1998).
74
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
D.S., qu’il prononçait subtilement «déesses») des grands organismes tenaient leur «vérité
infuse».
A croire que la première qualité d’un vrai scientifique n’est pas «de savoir qu’il ne sait
pas». C’est vrai que cet aphorisme est devenu bien ringard. Les exigences de la vie (du
marché ?) ne veulent-elles pas que l’on paraisse très sûr, y compris de ce que l’on
ignore ?
Aussi choquante est d’autre part, l’ignorance et, j’ose le dire, l’ignorance «crasse»
qu’ont, des réalités de la recherche, de nombreux administrateurs (non scientifiques) de
la recherche. Je pense en particulier aux hauts fonctionnaires qui, chez nous comme
ailleurs, décident et gèrent les budgets. Ils ignorent superbement ce qu’est la recherche,
qu’il gère par conséquent par référence à la représentation qu’ils se sont donnée
arbitrairement, le plus souvent pour se simplifier la tâche. Et, de manière symétrique, on
pourrait dire que l’ignorance fonde ou résulte de l’absence de curiosité.
J’ai donc voulu comprendre ce qu’est et fait un chercheur, une formation de recherche ou
un processus de recherche, comment cela s’organise et travaille. Et là aussi, j’ai voulu
voir et, si je puis dire, toucher. J’ai vu et observé la recherche sous toutes ses facettes. On
dit aussi : sous toutes ses coutures, ou sous toutes ses couleurs (16).
A une certaine époque de ma carrière, j’ai surtout servi à gérer des conflits, et si possible
à les résoudre (parfois, il est vrai par le vide). C’est fou ce qu’on peut apprendre de
choses dans des conflits dans ou entre des formations de recherche (comme par ailleurs
dans ou entre des entreprises). Le conflit est particulièrement révélateur des contraintes
et exigences des activités concernées, comme des processus en cours ou difficultés
rencontrées. C’est bien connu. Certains mauvais esprits recommandent d’ailleurs
ouvertement – on trouve cela dans de bons ( !) manuels – de déclencher des conflits en
vue à la fois d’obtenir des informations et d’augmenter le pouvoir de la direction.
En ai-je vu des choses ?
J’ai mon petit musée des curiosités et perles que j’ai pu ramasser en chemin. Il en est de
différentes sortes. Il y a toutes les apparentes anomalies du système, c’est-à-dire des
situations en contradiction avec sa rationalité ou logique, mais qui a l’examen révèle
certaines particularités de fonctionnement. Il y aussi tous les cas dans lesquels les
chercheurs (individus, groupes ou communautés) ont des stratégies opportunistes visant à
exploiter voir à dévoyer le système en leur faveur. Il y a enfin – mais ceci relève
davantage du «bêtisier» - toutes les situations un peu loufoques ou extrêmes que la
complexité du système concerné laisse exister ou subsister.
(16)J’ai visité des quantités importantes d’unités de recherche, dans toutes les disciplines, en
France et à l’étranger. J’ai fait partie de tant de conseils scientifique ou structures analogues. J’ai
évalué (avant) ou audité (après) des candidatures, des projets, des programmes, scientifiques et
appliqués, des transferts, des grands équipements scientifiques. J’ai participé à la négociation
d’accords internationaux, et étudié des cas de coopération internationale.
Mes amitiés de science et technologie : à mon ami François Delamare
75
Exemple de la 1ère catégorie : des travaux réalisés au Royaume Uni. (commandés par
Mme Thatcher) avaient fait découvrir l’existence dans le plus grand nombre de
laboratoires d’un chercheur «inutile», ne respectant aucune des normes habituelles de
fonctionnement de la recherche. Mais une recherche ultérieure en faisait le «chercheur de
dernier recours». Ayant tout vu et observé et conservant la mémoire, il était le
personnage auprès duquel, en désespoir de cause, on pouvait trouver des éléments de
solution.
Exemple de la 2° catégorie (de nombreux exemples existent en sociologie de la
science.) : la constitution d’une association de chercheurs dont le seul objectif et la seule
activité consistaient à se citer systématiquement les uns les autres, pour faire grimper leur
citation index.
Arsène, écrit la Bruyère, «loué, exalté, et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui
se sont promis de s’admirer réciproquement».
Exemple de la 3°catégorie : la coopération internationale dont s’enorgueillissait un
chercheur consistait à échanger son appartement pour quelques semaines avec celui d’un
londonien, qu’il ne rencontrait guère, mais dont l’épouse tenait beaucoup à faire les
soldes du blanc à Paris.
Dans un ouvrage que j’envisage toujours d’écrire sur le sujet (n’était l’ampleur du travail
et le risque de mettre des personnes en cause), ces perles feraient l’objet du troisième
volume. Le premier volume (17) serait consacré aux «success stories» : à tout ce que j’ai
pu voir en matières de dynamiques de recherche réelles. Ces dynamiques sont, selon les
cas, le fait principalement d’un individu, d’une équipe, d’une forte impulsion ou
incitation, d’un réseau, de l’organisation, de l’environnement… Il s’agirait dans, dans
chaque cas, de déterminer d’une part quelles sont les raisons principales de la réussite et
d’autre part dans quelle mesure on peut transposer ou généraliser.
Qu’est-ce qui fait ces dynamiques et ces succès ? Il est toujours extrêmement difficile de
le dire, même lorsque, directement engagé dans le processus, on possède toute
l’information que l’on peu souhaiter. Les vrais raisons des dynamiques observées sont
impalpables. Par exemple, on sait que, un peu partout, dans le monde, des dynamiques
locales d’innovations se développent (dans des technopoles, des districts industriels, des
routes 128 et autres Silicon Valley, des milieux innovants, des systèmes locaux
d’innovation…). Mais on ne sait pas comment ces dynamiques ou ces sous-systèmes
locaux ont réellement émergé (18). Et on ne sait pas par conséquent comment on pourrait
en faire émerger d’autres.
(17)Le deuxième volume présenterait au contraire toutes les difficultés : les contraintes, blocages,
manques de ressource, dysfonctionnements, défauts d’organisation, règles et statuts… qui font que
la recherche est une activité difficile, très aléatoire. On pourrait presque dire : un jeu impossible,
sauf dans des circonstances privilégiées.
(18) Ayant joué un rôle actif dans l’émergence d’un sous-système «jouet», devenu particulièrement
innovant et dynamique, en Thaïlande, je serais bien en peine (sauf bien entendu à dire que c’est
grâce à nous) de dire «comment la mayonnaise à pu prendre»
76
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Il y a évidemment toujours des conditions nécessaires : il faut des compétences,
généralement un ensemble de compétences complémentaires, il faut des ressources ou
des moyens, il faut des objectifs suffisamment précis, il faut une organisation… Ces
conditions nécessaires permettent de concevoir rationnellement des processus - par
exemple des processus et cheminements conduisant à des résultats : des processus de
production de connaissances, d’apprentissage organisationnel, de «fertilisation
croisée» »… Mais ce n’est pas suffisant. Il y a en effet tout le reste, et ce reste est
essentiel : il faut de la vision, de l’ouverture et de la compréhension des systèmes de
connaissances, il faut des motivations et/ou des incitations, il y faut du leadership, il faut
de la coopération, réelle… Et puis il y a le reste du reste, qui est encore plus essentiel :
c’est de la communication, ce sont des interactions cognitives. On dit vulgairement qu’il
faut que les esprits se rencontrent.
t c’est ainsi que je raconterais la belle histoire du CRAM06 : quelque part, dans les allées
de l’École des Mines ou dans la Pinède, nos esprits se sont rencontrés. Et le CRAM a été
conçu et enfanté dans un espace lamellé (19) et interactif à n dimensions. François
Delamare faisait le lien – on devrait dire l’interface - entre les n dimensions : entre le
passé, le présent et le futur, entre les matériaux et leurs usages, entre la technologie et
l’économie, entre la production et la mise en forme, entre les surfaces et les architectures
internes, entre la recherche et l’enseignement, entre l’ENSMP, le CNRS et l’Université,
entre la physique, la chimie et la biologie, entre les chercheurs et les entreprises, entre le
plastic et sa bouteille, entre le métal et ses monnaies…
Je pourrais peut-être ajouter : entre le ciel et la terre, entre le physique et le
métaphysique…
Je me contentais de parler, et François mettait en forme.
Voilà comment se termine l’histoire de l’idylle de la physique des surfaces et de
l’économie politique.
Dis, tu me racontes encore une belle histoire ?
(19) J’ignore absolument ce que peut être un espace lamellé. Un de mes amis mathématiciens,
décédé, travaillait dans cet espace et j’ai gardé cette belle image en souvenir.
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Mise en forme, gravure et dorure, Cahiers de la Rotonde, 16 (1995) 31-73.
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trésor d'argenterie gallo-romaine de Béziers, Bull. de la Sté Nle des Antiquaires
de France (1996) 73-90.
7 - VARIA
F. DELAMARE, rédacteur de la discipline Chimie du Dictionnaire Encyclopédique Quillet, 8
volumes, Paris, 1968.
F. DELAMARE, rédacteur de la Physique et la Chimie du Dictionnaire des Termes de Médecine,
Garnier-Delamare, Maloine, Paris.
F. DELAMARE, Petite histoire des billets payables au porteur en France, 350 pages, 1997.
Inédit.
Partie II
CARACTÉRISATION
ET RÉACTIVITÉ CHIMIQUE
DES SURFACES
LA SURFACE DU VERRE
BASES SCIENTIFIQUES POUR
LA RECHERCHE INDUSTRIELLE
PASCAL CHARTIER
Saint Gobain Vitrages
Les Miroirs- Cedex 27 92096 Paris La Défense
RÉSUMÉ
Sans négliger l'importance du volume, la surface influe sur certaines propriétés de base
du verre, en particulier sa résistance mécanique, ses propriétés optiques et son interaction
physico-chimique avec l'environnement. Ces trois classes de propriétés sont évidemment
au cœur de la plupart des cahiers des charges des applications du verre, ce qui explique
que la maîtrise de la surface du verre soit devenue en quelques années un enjeu de grande
importance pour les industriels du secteur. En particulier, utiliser au mieux la surface du
verre constitue un moyen de maintenir la compétitivité du verre vis-à-vis des autres
matériaux. En réalité, le verre, et donc sa surface, présente des caractéristiques
différentes selon qu'il s'agit d'un rouleau de laine de verre, d'un pot alimentaire, d'une
fibre optique ou d'un écran de télévision. Il faut en outre garder à l'esprit que de petites
variations de composition du verre peuvent engendrer de grandes modifications de sa
surface. Dans cet article, l'accent est mis sur les propriétés physico-chimiques de la
surface des verres de silicates, en décrivant les sites de surface et leur réactivité, l'énergie
de surface du verre et sa mouillabilité, les caractéristiques d'une surface "réelle" de verre,
ainsi que le rôle de l'eau sur les propriétés mécaniques du verre.
INTRODUCTION
Les fabricants de matériaux technologiques s'interrogent de plus en plus sur la surface des
matériaux qui sortent de leurs usines et sur les moyens de mieux la maîtriser. Ainsi, le
monde verrier n'a pas échappé à cette évolution, l'amélioration des propriétés des
produits verriers existants et l'apport de nouvelles fonctions au verre s'effectuant pour une
large part aujourd'hui en agissant sur la surface du verre.
En effet, sans négliger l'importance du volume, la surface influe sur certaines propriétés
de base du verre, en particulier sa résistance mécanique, ses propriétés optiques et son
interaction physico-chimique avec son environnement. Ces trois classes de propriétés
Cet article est le texte de la conférence présentée par l'auteur aux 3e Rencontres
Technologiques USCV: "La maîtrise de la surface du verre" . Il a été publié dans la
revue "Verre" (vol. 3, n°3, juin 1997, p. 5-13). L'auteur remercie la revue "Verre" pour
leur aimable autorisation de reproduire ce texte.
88
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
sont bien évidemment au cœur de la plupart des cahiers des charges des produits verriers
dans leurs multiples applications, ce qui explique que la maîtrise de la surface du verre
est devenue en quelques années un enjeu de grande importance pour les industriels du
secteur. En particulier, utiliser au mieux la surface du verre constitue un moyen de
maintenir la compétitivité du verre vis-à-vis des autres matériaux.
En réalité, il faut parler du verre au pluriel, tellement est large la palette de ses
applications, et donc de ses compositions et de ses procédés d'élaboration et de formage.
Ainsi, le verre, et donc sa surface, présente des caractéristiques sensiblement différentes
selon qu'il s'agit d'un rouleau de laine de verre, d'un pot alimentaire, d'une fibre optique
ou d'un écran de télévision. Néanmoins, les constituants de base des principaux verres
industriels sont assez limités en nombre, si bien qu'il est envisageable de décrire certaines
données de base de leurs propriétés de surface, tout en gardant à l'esprit que de petites
variations de composition du verre peuvent néanmoins engendrer de grandes
modifications à sa surface.
Dans cet article, je mettrai l'accent sur les propriétés physico-chimiques de la surface des
verres de silicates, en décrivant les sites de surface et leur réactivité, l'énergie de surface
du verre et sa mouillabilité, les caractéristiques d'une surface "réelle" de verre, ainsi que
le rôle de l'eau sur les propriétés mécaniques du verre.
LES SITES DE SURFACE ET LEUR RÉACTIVITÉ
LA SURFACE DE LA SILICE
Les principaux verres industriels sont composés d'un mélange d'oxydes dont le
composant majoritaire est la silice SiO2, qui constitue le squelette du réseau vitreux. Il
est donc assez naturel de considérer en première approximation que la surface d'un verre
de silicates peut être assimilée à la surface de la silice amorphe, qui commence à être
maintenant bien connue grâce aux nombreuses études scientifiques menées sur des silices
divisées.
Ainsi, on sait aujourd'hui que, au cours du refroidissement de la silice fondue, les liaisons
siloxanes Si-O-Si présentes à l'extrême surface de ce matériau peuvent réagir avec les
molécules d'eau présentes dans l'atmosphère ambiante, pour conduire à la création de
groupements silanols Si-O-H. En réagissant avec la surface, les molécules d'eau subissent
une adsorption dissociative selon le mécanisme suivant :
≡ Si-O-Si ≡ + H2O
→
≡ Si-O-H + H-O-Si ≡
L'énergie d'adsorption de l'eau sur la liaison siloxane étant très élevée, de l'ordre de 80
kJ/mol, la surface de la silice native est très vite recouverte d'un grand nombre de sites
silanols, dont la densité peut atteindre 4,6 sites par nanomètre carré [1]. Selon la distance
qui sépare deux sites silanols voisins, ceux-ci pourront rester "isolés", sans interaction
avec leurs proches voisins, ou au contraire liés entre eux par une liaison hydrogène, pour
former des sites silanols vicinaux [2].
Par ailleurs, ces sites silanols pourront également subir une nouvelle adsorption de
molécules d'eau, sans dissociation (physisorption), par liaison hydrogène. Ainsi la surface
peut-elle se recouvrir de une à quelques monocouches d'eau adsorbée, en fonction de la
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
89
pression partielle d'eau dans l'atmosphère environnant la surface. La figure 1 montre une
représentation schématique de la surface de la silice ainsi formée.
Figure 1 : Représentation d'une surface de silice hydratée
Un simple traitement thermique autour de 100°C suffit à désorber la couche d'eau
physisorbée, tandis qu'un traitement poussé à très haute température est nécessaire pour
éliminer les groupements silanols et reformer les liaisons siloxanes.
NATURE DES SITES DE LA SURFACE DU VERRE
Les verres industriels incluent dans leur composition d'autres oxydes, afin de faciliter leur
élaboration, diminuer leur coût et satisfaire aux exigences des applications. Les plus
importants sont les oxydes alcalins R2O (Na2O, K2O), alcalino-terreux RO (CaO, MgO,
BaO), ainsi que B2O3, Al2O3, ZnO, ZrO2 et TiO2. Les cations de ces oxydes sont donc
présents à la surface du verre, sous la forme de sites Si-O-R+ qui, comme nous le
verrons, vont modifier la réactivité de la surface du verre par rapport à la silice pure.
Les échantillons de verres présentant généralement des surfaces spécifiques faibles,
même sous forme broyée, la caractérisation des sites de surface se heurte encore
aujourd'hui à un problème de sensibilité des techniques d'analyse. Parmi celles-ci, la
spectroscopie de photoélectrons (XPS : X Photoelectron Spectroscopy), même si elle
n'informe pas sur la nature exacte des sites d'extrême surface, conduit à la connaissance
de la composition élémentaire des premiers nanomètres du verre, et suggère ainsi la
nature de certains sites, en particulier les sites Si-OR. Ainsi, la figure 2 montre le pic
d'énergie des photoélectrons émis par l'oxygène O1s d'une surface de silice vitreuse pure
(2a) et d'une face atmosphère d'un échantillon de verre flotté, constitué principalement de
silice et d'oxydes de sodium, calcium et magnésium (2b). L'allure gaussienne du pic O1s
de la silice indique l'existence d'une famille unique de liaisons, à savoir O-Si, mais ne
permet pas de distinguer les sites siloxanes et silanols. En revanche, le pic O1s du verre
flotté présente plusieurs autres composantes, en plus de la liaison O-Si, qu'il est possible
par déconvolution d'attribuer aux liaisons O-Na, O-Ca et O-Mg, et de quantifier.
90
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 2 : Pic O1s de la silice vitreuse (2a) et du verre flotté face atmosphère (2b) [3]
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
91
PRINCIPALES INTERACTIONS DE LA SURFACE DU VERRE AVEC SON
ENVIRONNEMENT
Le caractère polaire et la variété des sites de surface du verre rendent possibles des
interactions multiples du verre avec son environnement. La surface du verre n'est donc
absolument pas une surface inerte. On peut classer ces interactions en fonction de la
nature des forces mises en jeu :
- Interaction physique ou de Van der Waals (effets de Keesom, Debye et
London)
Les dipôles permanents de volume et de surface etc… sont susceptibles d’attirer des
dipôles permanents de molécules polaires qui se trouvent proches de la surface
(interaction de Keesom), mais également de créer des dipôles induits chez des molécules
polarisables (interactions de Debye), qui vont en conséquence subir une attraction
électrostatique vers la surface du verre. L’effet de dispersion de London (interactions
entre dipôles instantanés) explique le phénomène de contamination du verre par
physisorption de molécules gazeuses d'hydrocarbures atmosphériques.
- Liaison hydrogène
Les sites silanols et siloxanes de la surface du verre peuvent établir très aisément des
liaisons hydrogène avec une grande variété de composés susceptibles d'engager ce type
de liaison. C'est bien sûr le cas avec l'eau, mais aussi avec les alcools, les amines, les
acides carboxyliques, les acides aminés, les mercaptans, etc. Avec l'eau et l'éthanol, on a
donc :
Comme nous l'avons déjà mentionné dans le cas de la silice, l'établissement de ces
liaisons hydrogène avec les molécules d'eau environnantes conduit à la formation de la
couche d'eau adsorbée toujours présente à la surface du verre si celui-ci se trouve dans
l'atmosphère ambiante. Par ailleurs, le caractère polarisable des cations alcalins et
alcalino-terreux a tendance à augmenter l'interaction du verre avec l'eau.
Ces liaisons hydrogène sont également à l'origine de la difficulté à éliminer les dernières
traces de solvant adsorbé lorsque le verre est nettoyé avec un alcool comme l'éthanol.
- Attaque électrophile
L'atome d'oxygène du site Si-O-R+ étant de charge nettement négative, une attaque
électrophile par un cation R'+ peut se produire, conduisant à un échange ionique:
≡ Si-O- R+ + R'+ → ≡ Si-O- R'+ + R+
R'+ peut être un cation métallique ou un proton H+. En particulier, les cations de valence
multiple sont connus pour s'adsorber fortement sur les sites de surface, en prenant la
place par exemple des ions sodium, plus labiles.
92
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
- Attaque nucléophile
L'atome de silicium étant de charge positive peut subir une attaque nucléophile par une
espèce X- riche en doublet :
≡ Si-O-Si ≡ + X- → Si-X + -O-Si ≡
L'ion hydroxyle OH- peut notamment attaquer l'atome de silicium et ouvrir ainsi le réseau
de silice.
Une attaque nucléophile est également possible sur un cation R+ :
≡ Si-O-R+ + X- →
≡ Si-O- + RX
Un exemple de ce type de réaction est donné par l'action de SnCl4 sur le verre chaud,
pour revêtir les emballages en verre d'une fine couche d'oxyde d'étain qui assure une
fonction de protection mécanique. Lors de ce traitement de surface, il se forme en effet
des microcristaux de chlorure de sodium par réaction entre SnCl4 et les sites SiO-Na+ de
la surface du verre. La figure 3 montre un cliché de microscopie électronique à balayage
de la surface du verre recouvert de sa fine couche d'oxyde d'étain, et on peut facilement
observer la présence de nombreuses empreintes de forme majoritairement cubique, que
l'on attribue sans ambiguïté à des cristaux de NaCl ultérieurement dissous par l'humidité
atmosphérique. Ces trous dans la couche peuvent constituer des défauts préjudiciables à
la qualité du revêtement.
Figure 3 : Cliché de microscopie électronique à balayage d'une couche d'oxyde d'étain
déposée sur verre, comportant des empreintes de cristaux de chlorure de sodium (SaintGobain Recherche)
Les groupements silanols sont également le siège d'attaque nucléophile conduisant à une
substitution du groupement hydroxyle -OH par un nouveau groupement chimique. C'est
notamment le cas lorsqu'un organosilane alcoxydé rencontre la surface du verre. On parle
alors de greffage de la molécule d'organosilane [4]:
≡ Si-O-H + R'O-Si-R3 → ≡ Si-O-Si-R3 + R'OH
R et OR' sont ici respectivement des groupements organique et alcoxyde.
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
93
Remarque sur l'acido-basicité de la surface du verre :
En solution aqueuse, les sites silanols Si-OH présentent une acidité de Brönsted
relativement marquée. Le point de charge nulle de la silice se situe vers pH 2 [5, 6], si
bien que, au-delà de simples liaisons hydrogène, de véritables réactions acide-base avec
départ du proton des sites silanols peuvent se produire au contact de composés basiques,
tels que les amines. La figure 4 représente la nature des groupements silanols en milieu
aqueux, en fonction du pH du milieu, et les interactions possibles d'une fonction amine
avec ces groupements.
silanol
≡ Si-OH2+
≡ Si-O-
≡ Si-O-H
----------------------------------------I-------------------------------I------------------------------->
2
amine
interaction
10
-NH3+
répulsive
-NH3+
PH
-NH2
attractive
répulsive
(réaction acide-base)
Figure 4 : Interaction acido-basique des sites silanols et d'une fonction amine en
fonction du pH du milieu
Les sites Si-O-R+, plutôt basiques, ne contribuent pas beaucoup à augmenter le point de
charge nulle du verre, car les cations R+ s'échangent rapidement avec les protons de l'eau
(cf. plus loin). En revanche, dans l'air, ces sites peuvent être le siège de réactions acidebase, en particulier avec le dioxyde de carbone atmosphérique. Il s'ensuit la formation de
carbonates, qui peuvent cristalliser à la surface du verre :
≡ Si-O
Ca2+
+
CO2 + H2O
→
2 ≡ Si-O-H + CaCO3
≡ Si-Overre
atmosphère
verre
cristallisations
La figure 5 montre un cliché de microscopie électronique à balayage de cristallisations de
carbonate de calcium (de taille quelques microns) formées in situ à la surface d'une
bouteille de verre. On constate que la surface peut être recouverte par un nombre très
élevé de ces cristallisations.
94
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 5 : Cristallisations de carbonate de calcium à la surface d'une bouteille de verre
(cliché Saint-Gobain Recherche)
L'ATTAQUABILITÉ DU VERRE PAR L'EAU
Nous avons vu précédemment que la surface du verre peut établir différents types
d'interaction avec les molécules d'eau.
Interdiffusion Na+/H3O+
Dans un verre contenant une teneur importante en cation alcalin, comme le sodium, cette
interaction ne se limite pas à l'extrême surface du verre, mais concerne également le
volume du verre sous la surface. En effet, un mécanisme de diffusion supplémentaire
permet aux molécules d'eau de pénétrer dans le réseau du verre, par un processus rapide
d'interdiffusion entre les ions sodium Na+ du verre et les protons hydratés H3O+ de l'eau
[7]. La réaction est la suivante :
≡ Si-O-Na+
+
H3 O+ →
≡ Si-O-H + H2O
+ Na+ (1)
verre
solution
verre solution
Le verre superficiel s'appauvrit donc en élément sodium sur une certaine profondeur,
fonction de la racine carrée du temps, ce mécanisme étant régi par une loi de diffusion de
Fick, et s'enrichit en eau et en groupement silanol. Ce mécanisme est également valable
avec les autres cations alcalins, si bien que la surface du verre se transforme peu à peu en
une surface de silice fortement hydratée et poreuse, que l'on qualifie souvent de gel
microporeux de silice.
La figure 6 montre le profil en profondeur à partir de la surface, déterminé par SIMS, des
espèces représentatives de cette couche hydratée, SiOH, OH et H, pour un échantillon de
verre flotté ayant été mis en contact avec de l'eau. Dans cet exemple, on constate que
l'eau a pénétré jusqu'à environ 0,1 micron dans le verre.
L'adsorption de l'eau à la surface du verre et l'échange sodium / proton se produit très
rapidement dans l'air ambiant. En effet, il est possible de suivre par réflectivité des rayons
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
95
X l'évolution de la surface d'un échantillon de verre plat qui vient d'être fraîchement
nettoyé [8].
Figure 6: Profil SIMS des espèces protonées d'un verre flotté après contact avec l'eau
(Saint-Gobain Recherche)
La figure 7 montre les courbes de réflectivité X enregistrées juste après nettoyage, et 48
heures après, pour cet échantillon de verre (7a) et pour un échantillon de silice vitreuse
(7b) ayant subi le même nettoyage. On observe que la surface de la silice n'évolue
quasiment pas en 48h, tandis que la surface du verre subit une évolution mesurable par
cette technique, et qui conduit à détecter la présence d'une couche superficielle de densité
2,28 g.cm-3 et d'épaisseur 2,8 nm (la densité du verre sain est de 2,45 g.cm-3 mesuré par
cette même technique). La réaction de l'eau sur la surface du verre induit donc un
abaissement de la densité à la surface du verre, et peut être suivie cinétiquement, même
sur des durées courtes. La technique de réflectivité des rayons X permet, dans le cas d'un
matériau très plan et lisse comme le verre plat, de mesurer très précisément l'évolution de
la densité et l'épaisseur du verre affectée par ce mécanisme.
96
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 7 : Courbes de réflectivité des rayons X de la silice vitreuse (7a) et du verre flotté
(7b), juste après nettoyage et après stockage 48h à l'air ambiant [8]
Ce processus d'interdiffusion Na+ / H3O+ peut être suivi d'une seconde étape, bien plus
nocive pour l'intégrité du matériau. En effet, l'avancement de la réaction (1), qui
consomme des ions hydronium H3O+ de la solution, a pour conséquence l'augmentation
du pH de cette solution, par formation concomitante d'ions hydroxyles OH-. Dans
certains cas, assez fréquents dans la pratique, le pH augmente suffisamment pour
déclencher l'attaque nucléophile des sites siloxanes Si-O-Si par les ions OH- [7]:
≡ Si-O-Si ≡ + OH- → ≡ Si-OH + -O-Si ≡
Cette attaque démarre vers pH 9, et conduit à la solubilisation de la surface, ce qui peut
avoir des conséquences très importantes sur la pérennité du produit. C'est ce que les
verriers appellent la corrosion des verres. Les paramètres du premier ordre gouvernant la
corrosion des verres par l'eau sont le pH, la température, le temps, la composition du
verre, la composition de la solution et le rapport surface / volume.
Les verriers connaissent le phénomène de corrosion des verres depuis longtemps, et
savent maintenant assez bien le contrôler. Le premier moyen de maîtriser ces réactions
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
97
consiste à optimiser la formulation, en jouant avec les oxydes qui amplifient ces réactions
(Na20, K2O, CaO...) ou avec ceux qui les limitent (Al2O3, ZrO2, TiO2...) ; le second
moyen consiste à réaliser des traitements de surface protecteurs acides de façon à
neutraliser la soude relâchée, ou bien des revêtements à effet barrière vis-à-vis de l'eau.
Néanmoins, il arrive encore que des produits verriers soient endommagés par la
corrosion, notamment dans des situations de condensation d'eau sur des produits
présentant un rapport surface / volume élevé (laine de verre, verres plats empilés).
Corrosion des verres
Figure 8 : Fibre de verre biodégradable corrodée (Saint-Gobain Recherche)
Les verriers se servent également de ces phénomènes pour exalter volontairement la
solubilité de certains verres. C'est le cas par exemple des fibres de verre biodégradables
qui subissent une attaque rapide en présence de solution aqueuse. La figure 8 montre un
cliché de microscopie électronique à balayage d'une telle fibre, après un test de corrosion.
On observe que la majeure partie de la fibre a été attaquée, la périphérie n'étant plus
constituée que d'un gel très poreux à base de silice, tandis que le cœur est encore
composé du verre sain. C'est en ajustant la formulation du verre de cette fibre qu'il est
possible de concilier une vitesse d'attaque élevée par l'eau, et les propriétés de durabilité
demandées par l'application.
ENERGIE DE SURFACE ET MOUILLABILITÉ
Le verre fait partie de la famille des matériaux de haute énergie de surface, comme
beaucoup de minéraux, à l'inverse des composés organiques comme les polymères.
Comme tous les solides de haute énergie de surface, le verre subit un phénomène
d'adsorption à sa surface de molécules présentes dans le gaz environnant. Dans l'air
ambiant, la vapeur d'eau et les espèces organiques présentes vont donc rapidement
s'adsorber à la surface du verre, conduisant à une réduction significative de l'énergie de
surface du verre natif. De ce fait, il est quasiment impossible de connaître l'énergie de
surface d'un solide comme le verre, et les techniques disponibles ne permettent que de
mesurer l'énergie de surface du solide en présence de la phase vapeur (ou liquide) qui
l'entoure.
98
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
La mesure de l'énergie de surface par la méthode de mouillage par un liquide est la plus
classique, et présente l'avantage de représenter certaines situations rencontrées dans la
pratique. Quand une goutte de liquide est déposée sur une surface solide, deux situations
peuvent se présenter : soit la goutte s'étale, c'est le cas du mouillage total (figure 9a), soit
la goutte reste posée sans s'étaler, et forme une calotte sphérique (figure 9b), c'est le cas
du mouillage partiel. Le bilan énergétique fixe la situation de mouillage total ou partiel.
Ce bilan est défini par le paramètre d'étalement S :
S
avec :
= γsv - (γsl + γlv)
γsv : énergie de surface du solide s en présence de la vapeur v
γsl : énergie de surface du solide s en présence du liquide l
γlv : énergie de surface du liquide l en présence de la vapeur v
Quand S est positif, la situation de mouillage total est favorisée. Quand S est négatif, le
liquide refuse de mouiller totalement le solide, le bilan d'énergie s'écrivant alors par la
relation de Young :
γsv = γsl + γlv . cos θ
θ désignant l'angle de contact à l'équilibre.
Figure 9 : Mouillage total (9a) et partiel (9b) d'un solide par un liquide
Dans le cas du verre, le tableau 1 donne des valeurs moyennes d'énergie de surface
apparente (en présence de la vapeur environnante). Alors que l'énergie de la surface
native du verre peut être assimilée en première approximation à la tension superficielle
du verre liquide, soit plusieurs centaines de millijoules par mètre carré, la situation est
très différente dans l'atmosphère ambiante, où l'on constate que l'énergie de surface γsv
d'un verre fraîchement élaboré ou nettoyé, à température ambiante, est très proche de
l'énergie de surface de la couche d'eau adsorbée (toujours présente) soit environ 70
mJ/m2. Au fur et à mesure de l'adsorption d'autres molécules, telles que les polluants
atmosphériques, cette énergie de surface s'abaisse, pour atteindre celle du verre pollué,
typique d'une surface de basse énergie.
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
99
Le mouillage partiel de l'eau sur une surface de verre contaminée est notamment
responsable de la formation de la buée, constituée de très fines gouttelettes d'eau faisant
un angle de contact non nul avec la surface, et provoquant du fait de leur taille la
diffusion de la lumière visible. Un verre très propre, hydrophile, sera donc anti-buée,
mais ne le restera malheureusement que brièvement à cause de la contamination
progressive de sa surface.
TABLEAU 1 : ÉNERGIE DE SURFACE ET ANGLE DE CONTACT DE L'EAU SUR DIFFÉRENTES
SURFACES DE VERRE (SAINT-GOBAIN RECHERCHE)
Surface de verre native
Surface de verre propre
Surface de verre polluée
énergie de surface
γsv (mJ/m2)
400-1000
70
20 - 40
angle de contact de l'eau
θ (°)
≈0
20 – 60
Dans la plupart des applications où l'on souhaite revêtir la surface du verre (dépôt de
couches sous vide, argenture, collage...), il s'avère nécessaire de rendre mouillable la
surface. Il faut donc agir sur le paramètre d'étalement S afin de le rendre à nouveau
positif. Comme S = γsv - (γsl + γlv), deux voies sont possibles : soit augmenter γsv, ce
qui peut être obtenu en régénérant la surface et en éliminant les contaminations présentes,
par exemple par polissage ou bombardement ionique (effluve), soit diminuer γsl, en
ayant recours à un agent tensioactif dont le rôle est précisément d'abaisser la tension
interfaciale solide / liquide. Noter que le tensio-actif abaisse non seulement la tension
interfaciale solide-liquide, mais aussi la tension interfaciale liquide-vapeur ;
l’abaissement de la tension interfaciale liquide-vapeur contribue à rendre positif le
coefficient d’étalement. Cependant, des molécules de tensioactif peuvent rester adsorbées
à la surface du verre et poser ultérieurement des problèmes d'adhésion. Le tensioactif doit
donc être judicieusement choisi afin d'éviter sa trop grande adsorption et permettre son
élimination ultérieure, par exemple par rinçage de la surface.
LA SURFACE RÉELLE
COMPOSITION
Compte tenu des possibilités d'évolution de la surface du verre expliquées dans les
chapitres précédents, la surface réelle d'un échantillon de verre va présenter des
caractéristiques diverses selon son histoire. Qualitativement, on peut cependant
considérer que sa surface sera différente de son volume, et peut se décrire de la manière
suivante :
verre sain / verre hydraté et modifié / couche d'eau, cristallisations / couche de
contamination
Une représentation schématique de la surface réelle d'un verre silico-sodo-calcique est
proposée sur la figure 10.
100
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 10 : Représentation schématique d'une surface de verre silico-sodo-calcique
réelle
Sur le plan quantitatif, une composition typique de surface de verre représentative de la
réalité est détaillée dans le tableau 2, qui présente les résultats d'une analyse XPS de la
surface d'un échantillon de verre flotté, représentatif de la production d'une usine de verre
plat. On a porté sur le même tableau la composition de volume du verre, pour
comparaison. On peut faire les deux constatations suivantes sur l'échantillon brut :
- la teneur en carbone est très élevée, signe de la présence d'une forte contamination
hydrocarbonée, et probablement d'espèces carbonatées ;
- des éléments minéraux étrangers à la composition du verre (Zn, Cl, S) sont présents en
surface; ceux-ci proviennent de l'atmosphère ou des traitements de surface appliqués sur
le verre en usine.
TABLEAU 2 : ANALYSE XPS D'UN ÉCHANTILLON DE VERRE FLOTTÉ BRUT D'USINE ;
COMPARAISON AVEC LA COMPOSITION THÉORIQUE
Échantillon
C
0
Si
Na
Ca
Mg
Al
Sn
Zn
S
Cl
Brut
37
40
11,8
5,2
1,6
0,7
0
0,2
1,2
1,1
0,4
Théorique
0
60
25
9,1
3,5
2,1
0,3
0
0
0
0
Sur le tableau 3, où sont reportées les teneurs des différents éléments analysés, rapportées
au silicium, on constate à propos de l'élément sodium, d'une part une teneur supérieure en
cet élément à la surface de l'échantillon brut par rapport à la composition théorique, ce
qui semble indiquer que le sodium s'est accumulé à la surface, d'autre part une chute très
forte de la teneur en cet élément après un simple lavage à l'eau désionisée, preuve que le
sodium accumulé en surface n'était plus lié au réseau vitreux, mais probablement se
trouvait plutôt sous forme de sel (carbonate, sulfate...). On constate également que
l'efficacité du lavage varie selon l'élément considéré : le lavage fait fortement baisser le
carbone superficiel, mais pas le zinc, qui est connu pour sa forte affinité pour les sites SiO-, ni le chlore.
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
101
TABLEAU 3 : ANALYSE XPS D'UN ÉCHANTILLON DE VERRE FLOTTÉ BRUT D'USINE ;
RAPPORT ENTRE LES ÉLÉMENTS ; INFLUENCES DU LAVAGE A L'EAU
Échantillon
C/Si
0/Si
Na/Si
CaSi
Mg/Si
Zn/Si
S/Si
Cl/Si
Brut
3,14
3,39
0,44
0,14
0,06
0,10
0,09
0,03
Brut lavé
0,31
2,55
0,09
0,14
0,03
0,08
0,00
0,03
Théorique
0,00
2,40
0,36
0,14
0,09
0,00
0,00
0,00
Figure 11 : Profils en profondeur de la surface des verres flottés récent (11a) et âgé de
20 années (11b) (Saint-Gobain Recherche)
La spectrométrie SIMS est une technique précieuse pour étudier l'ampleur des
modifications de composition du verre dans la couche superficielle. La figure 11 montre
102
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
les profils de concentration des différents cations du verre dans le cas d'un verre flotté
"jeune", sorti récemment de production (11a), et d'un verre flotté vieux de 20 années
(11b), prélevé sur un vitrage installé à l'intérieur d'un bâtiment (donc à l'abri des
intempéries). On observe une nette désalcalinisation de la surface du verre ancien, sur une
profondeur de l'ordre de 50 nm, preuve de l'échange entre le sodium et l'eau (sous forme
de vapeur d'eau atmosphérique ou d'eau liquide lors des nettoyages).
Appliquée aux échantillons de verre plat jeune et vieux, la réflectivité des rayons X a
permis de mesurer une densité de la couche superficielle hydratée du verre vieux de
l'ordre de 1,8 g.cm-3, ce qui est nettement plus faible que la densité du verre sain, égale à
2,45 g.cm-3. Ainsi, grâce aux résultats de ces deux techniques de caractérisation, il
apparaît raisonnable d'assimiler la couche superficielle d'un verre ancien ou attaqué à un
gel micro poreux de silice.
INFLUENCE DU VIEILLISSEMENT DU VERRE SUR SA TOPOGRAPHIE DE SURFACE
Figure 12 : Images de microscopie à force atomique de la surface de verres flottés,
récent (12a) et âgé de 20 années (12b) (Saint-Gobain Recherche)
La topographie de la surface du verre dépend en premier lieu de son procédé
d'élaboration et de formage. Le procédé de flottation actuel pour la fabrication du verre
plat, ou le procédé d'étirage des fibres de verre, conduit à une surface extrêmement lisse,
dont la rugosité à petite échelle est de l'ordre du dixième de nanomètre, soit l'équivalent
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
103
d'une distance interatomique. La figure 12a montre l'image par microscopie à force
atomique de l'échantillon précédent de verre flotté "jeune" : la rugosité moyenne est ici de
0,3 nm. En revanche, le contact avec un matériau de formage (moule...) est susceptible de
conduire à une surface moins lisse.
Le second facteur influençant la topographie de la surface du verre est son vieillissement,
qui va entraîner une augmentation de sa rugosité moyenne, comme le montre la figure
12b, dans le cas du verre âgé de 20 années. Sa rugosité moyenne atteint 0,7 nm, celle-ci
pouvant augmenter beaucoup plus si le verre est soumis à de plus fortes agressions. Dans
la pratique, il est cependant très rare d'atteindre une rugosité telle qu'elle engendre une
altération des propriétés optiques, par exemple de vitrages.
RÔLE DE L'EAU SUR LES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES
L'eau joue un rôle également très important sur les propriétés mécaniques du verre à
partir de son interaction avec la surface. En effet, la rupture du verre est souvent initiée à
partir de défauts présents à sa surface, sous forme de fissures dont la propagation
soudaine engendre la fracture du matériau. T. Michalske et B. Bunker ont montré [9,10]
le rôle de l'eau à l'échelle moléculaire sur la propagation de ces fissures superficielles. La
figure 13 résume les principales étapes de ce processus. Tout d'abord, une molécule d'eau
pénètre dans une fissure (13a), puis va s'adsorber en fond de fissure (13b), où les liaisons
Si-O sont plus réactives que leurs voisines du fait de l'intensité élevée de la contrainte
mécanique à cet endroit. De ce fait, cette molécule d'eau déclenche aisément une réaction
d'ouverture de la liaison siloxane du fond de fissure, faisant ainsi apparaître deux
groupements silanols. La conséquence de ce mécanisme est donc l'allongement de la
fissure initiale d'une longueur de liaison chimique. Les auteurs soulignent que la réaction
avec l'eau abaisse d'un facteur 20 l'énergie nécessaire à la rupture d'une liaison oxygène
silicium en absence d'eau, l'eau jouant donc le rôle de catalyseur de la propagation de
fissure.
Figure 13 : Réactions de l'eau avec le réseau du verre en fond de fissure [10]
Par ailleurs, T. Michalske et B. Bunker [10] montrent l'influence de l'encombrement de la
molécule pénétrant dans la fissure sur la vitesse de propagation de celle-ci, dans le cas de
molécules susceptibles de casser une liaison siloxane. Ainsi, la figure 14 montre que la
fissure se propage d'autant plus rapidement que la molécule est plus petite : la molécule
d'eau accède rapidement au fond de la fissure, la molécule de méthanol, plus grosse,
104
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
diffuse plus lentement, tandis que la molécule d'aniline, de trop grande taille, ne peut pas
y accéder. Cet exemple illustre très bien la relation qui existe entre la chimie de la surface
du verre à l'échelle atomique ou moléculaire, et les propriétés macroscopiques du verre,
comme ses propriétés mécaniques.
Figure 14 : Influence de l'encombrement de la molécule sur la vitesse de propagation
des fissures superficielles [10]
CONCLUSIONS
La surface du verre, qui est restée longtemps une énigme, est maintenant mieux connue,
grâce notamment aux progrès réalisés par les techniques de caractérisation des surfaces et
par les importants travaux réalisés sur la silice. L'existence des sites silanols et leur
réactivité, la présence d'une couche d'eau adsorbée, le rôle des cations alcalins ainsi que
le mécanisme général de corrosion des verres sont maintenant des données établies
solidement, que les industriels verriers ont intégrées dans leur activité, et qui constituent
des données de base dans leurs actions d'amélioration de la qualité et de développement
de nouveaux produits.
Des questions sans réponses subsistent cependant sur le plan scientifique, parmi
lesquelles l'énergie des sites de surface, la structure précise de la couche d'eau adsorbée,
le rôle des cations sur la propagation des fissures etc., qui nécessitent sans aucun doute la
poursuite de travaux de compréhension sur la surface des verres industriels.
L'amélioration des techniques expérimentales d'investigation des surfaces, ainsi que la
modélisation par dynamique moléculaire de la surface de la silice et des verres simples,
sont certainement des voies à tracer pour l'avenir.
La surface du verre : bases scientifiques pour la recherche industrielle
105
REMERCIEMENTS
Je remercie J. Appriou-Marciano et P. Lehuédé de Saint-Gobain Recherche pour les
clichés de microscopie électronique, les images de microscopie à force atomique et les
profils SIMS.
RÉFÉRENCES
[1 ]
J.-M. Bather, R. A. C. Gray, J. Chromatogr., 122 (1976), 159.
[2 ]
M. L. Hair, J. Non-crystalline Solids, 19 (1975), 299.
[3 ]
I. Berthelot, Mémoire CNAM, (1993).
[4 ]
E.D. Plueddemann, in : Silane Coupling Agents, E.D. Plueddemann (ed.), Plenum
Press, New York (1982).
[5 ]
G. A. Parks, Chem. Rev., 65 (1965), 177.
[6 ]
X. Y. Lin, F. Creuzet, H. Arribart, J. Phys. Chem., 97 (28) (1993).
[7 ]
L. L. Hench, J. Non-crystalline Solids, 19 (1975), 27.
[8 ]
J.-M. Grimal, P. Chartier, P. Lehuédé, J. Non-crystalline Solids, 196 (1996), 128.
[9 ]
T. A. Michalske, B. C. Bunker, J. Am. Ceram. Soc., 76 (10) (1993), 2613.
[10]
T. A. Michalske, B. C. Bunker, Pour la Science, février 1988, 52.
LA MICRO-ANALYSE NUCLÉAIRE. APPLICATION À LA
SCIENCE DES SURFACES ET INTERFACES
GÉRARD BÉRANGER & DANIEL DAVID
LG2MS - UPRES A 6066 du CNRS
Université de Technologie de Compiégne
B.P. 20529 – 60206 Compiégne Cédex
1. INTRODUCTION
Les propriétés des surfaces et interfaces dépendent en partie de leur composition. Il
suffit, pour s'en convaincre, de citer quelques exemples : la résistance à la corrosion,
l'aspect, l'aptitude au collage, l'adhérence, la diffusion superficielle et interfaciale, la
résistance à l'usure, le frottement… En dehors des caractéristiques analytiques, d'autres
paramètres sont à prendre en compte tels que : la rugosité, la structure et la texture, les
contraintes résiduelles. Pour toutes ces raisons, la caractérisation des surfaces et
interfaces a connu un grand essor en ingénierie des matériaux, au cours des dernières
décennies. De nouvelles méthodes, analytiques notamment, ont été conçues, mises au
point, développées et appliquées. En plus des déterminations qualitatives et quantitatives,
la résolution latérale et en profondeur, la sensibilité et la nature chimique et électronique
sont aussi à prendre en compte. Certaines de ces méthodes sont sensibles à la masse de
l'élément analysé, ou à la structure de son noyau atomique, et permettent le traçage
isotopique. On voit quelles sont la souplesse et la richesse des méthodes de
caractérisation. Leur complémentarité permet d’accéder à l’ensemble des paramètres qui
définissent un échantillon.
Dans leur principe, toutes les méthodes physiques d'analyse sont identiques. Un faisceau
primaire rencontre une surface, et interagit avec la matière. Il y a émission d'un faisceau
ou d'un rayonnement secondaire, porteur de l’information analytique (figure 1). Ces
méthodes diffèrent par la nature des faisceaux primaire et secondaire, donc par celle de
l'interaction. Selon la surface et le volume analysés, ainsi que la résolution, il est parfois
possible d’établir la cartographie d’un élément, ou son profil de concentration en
fonction de la profondeur.
2. PRINCIPES ET MÉTHODOLOGIE
2.1 MICROANALYSE NUCLÉAIRE
Parmi les méthodes physiques de caractérisation, la microanalyse nucléaire (Nuclear
Reaction Analysis : NRA) tient son originalité de la nature du faisceau primaire, d’où
résulte celle du faisceau secondaire. En effet, on utilise un faisceau de particules
chargées, le plus souvent des deuterons ou deutons (noyaux de deutérium), des protons
108
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
(noyaux d'hydrogène), des hélions 3. Ils sont accélérés sous des tensions de l’ordre du
mégavolt. Généralement, on utilise un accélérateur électrostatique de type Van de Graaff,
parfois monté en tandem pour augmenter la tension (figure 2).
Figure 1 : Diverses configurations de l’analyse par faisceaux d’ions (documentation
Laboratoire Pierre Süe, CNRS-CEA, Saclay, France)
Figure 2 : Schéma de principe de l’accélérateur et de la chaîne de traitement du signal
(d’après T.G. Finstad et Wei-Kan Chu, dans Analytical Techniques for Thin Films, K.N.
Tu et R. Rosenberg Eds., Academic Press, New-York, 1988
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
109
La nature du faisceau incident et l'énergie mise en jeu conditionnent les caractéristiques
de l'émission. En utilisant des particules chargées incidentes d’une énergie de l'ordre du
MeV, il est possible d'induire des réactions avec les noyaux des éléments légers (tableau
1). L'énergie des particules détectées est spécifique du noyau bombardé, ce qui permet de
déterminer la nature des éléments présents à la surface du matériau ou à son voisinage.
TABLEAU 1 : NATURE DES PARTICULES INCIDENTES UTILISÉES EN MICROANALYSE
NUCLÉAIRE (D’APRÈS B. AGIUS ET AL. IN « SURFACES, INTERFACES ET FILMS MINCES »,
OP. CITÉ)
Elément
Protons
Particules incidentes
deutérons
1
H(11B,a)αα
H(15N,αγ)12C
1
H(19N,αγ)16O
Hydrogène
1
3
He(d,p)4He
Hélium
Lithium
7
Li(p,α)4He
Li(d,α)4He
Be(d,α)7Li
11
B(p,α)αα
12
C(d,p)13C
C(d,p)14C
Carbone
13
Azote
15
Oxygène
18
Fluor
19
Sodium
23
Aluminium
27
Silicium
30
Phosphore
31
Soufre
6
9
Bérillium
Bore
ions lourds
N(p,αγ)12C
O(p,α)15N
14
N(d,α)12C
N(d,p)15N
14
16
O(d,p)17O
F(p,αγ)16O
Na(p,α)20Ne
Al(p,γ)28Si
Si(p,γ)31Si
P(p,α)28Si
32
S(d,p)33S
110
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
La profondeur accessible est de quelques micromètres. Les mesures sont quantitatives
par comparaison à des étalons, avec une bonne précision et une haute sensibilité. Ainsi,
dans le cas de l'oxygène, l’incertitude sur la mesure des concentrations est inférieure à
1 %, avec des durées d'analyse de quelques minutes. La sensibilité est de l’ordre de
10-12 mg/cm2 , soit 2.1014 atomes/cm2, ce qui, en théorie, correspond à une fraction de
monocouche.
La profilométrie de concentration est possible. En effet, dans de nombreux cas
(traitements de surface, réactivité, diffusion...), il est nécessaire de déterminer la
répartition des éléments en fonction de la profondeur. Les méthodes indirectes sont à cet
égard peu satisfaisantes (microdureté, paramètres cristallins...).
2.1.1 Principe
Une réaction nucléaire peut être décrite schématiquement de la façon suivante. Une
particule incidente a interagit avec un noyau N1; il en résulte un noyau composé, qui est
dans un état transitoire instable. En un temps très court, de l'ordre de 10-17 à 10-20
seconde, il émet une nouvelle particule b (ou un rayonnement γ) et devient un noyau
résiduel N2. La particule b est porteuse des informations, le noyau résiduel N2 étant sans
intérêt sur le plan analytique. Toutefois, celui-ci peut être dans un état excité, et revenir à
un état stable en émettant de nouveau un rayonnement γ ou une particule β, également
utilisables.
Une telle réaction nucléaire peut donc s'écrire en termes de bilan :
a + N1 ➔ N2 + b
que l'on note N1 (a, b) N2, ou éventuellement N1 (a, b γ) N2.
En terme de cinématique, le principe de conservation de l'énergie conduit à appeler
énergie de réaction Q la différence entre l'énergie cinétique des produits de la réaction
(particule émise et noyau résiduel) et l'énergie cinétique de la particule incidente. Cette
énergie Q (en anglais "reaction Q-value") est négative pour les réactions
endoénergétiques, positive pour les réactions exoénergétiques. Si Q = 0, il y a diffusion
élastique des particules incidentes. Les valeurs de Q pour différentes réactions
nucléaires, parmi les plus utilisées, sont rassemblées dans le tableau 2.
A titre d’exemple, considérons le cas du dosage de l'oxygène à l'aide de la réaction
p)17O*. Cette réaction, où le noyau résiduel 17O est dans le premier état excité
(noté conventionnellement *), est préférable à celle où ce noyau est dans l'état
fondamental, car son rendement est plus élevé. Ce rendement est exprimé par la section
efficace différentielle σ de la réaction. Des considérations expérimentales interviennent
également, comme l’absence de réactions parasites, voisines dans l’échelle des énergies.
16O(d,
Considérons un deuton incident qui vient frapper la surface de l'échantillon. Au cours de
sa pénétration dans le matériau, il subit une perte d'énergie jusqu'à la profondeur x où la
réaction nucléaire 16O(d,p)17O* se produit; un proton est émis, que l'on va détecter et
dont on va mesurer l'énergie à la sortie du matériau.
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
111
TABLEAU 2 : VALEURS DES ENERGIES Q (MeV) DE RÉACTIONS NUCLÉAIRES INDUITES
PAR DES PROTONS, DES DEUTONS ET DES 3HE+ SUR CERTAINS ISOTOPES (D’APRÈS B.
AGIUS ET AL. IN « SURFACES, INTERFACES ET FILMS MINCES », OP. CITÉ)
Réactions (p,α)
7
Li
17,347
11
B
8,582
19
F
8,119
15
N
4,964
6
Li
4,020
18
O
3,970
37
Cl
3,030
23
Na
2,379
9
Be
2,125
31
P
1,917
27
Al
1,594
17
O
1,197
10
B
1,147
16
O
- 5,2
Réactions (d,α)
,10
B
17,819
6
Li
22,36
7
Li
14,163
14
N(α0) 13,579
19
F
10,038
17
O
9,812
14
N(α1) 9,146
31
P
8,170
11
B
8,022
15
N
7,683
9
Be
7,152
25
Mg
7,047
23
Na
6,909
27
Al
6,701
29
S
6,012
13
C
5,167
32
S
4,890
18
O
4,237
30
Si
3,121
16
O
3,116
26
Mg
2,909
24
Mg
1,964
28
Si
1,421
12
C
<0
Réactions (d,p)
B
9,237
25
Mg
8,873
14
N(p0) 8,615
29
Si
8,390
32
S
6,418
28
Si
6,253
13
C
5,947
31
P
5,712
17
O
5,842
27
Al
5,499
24
Mg
5,106
6
Li
5,027
23
Na
4,734
9
Be
4,585
19
F
4,379
30
Si
4,367
26
Mg
4,212
12
C
2,719
16
O
1,919
18
O
1,731
14
N(p5) 1,305
11
B
1,138
15
N
0,267
7
Li
<0
10
Réactions (3He+, p)
9
Be
10,33
16
O
2,045
11
B
13,184
14
N
15,235
Réactions (3He+,α)
9
Be
O
11
B
14
N
16
18,911
4,923
9,114
10,027
112
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Cette énergie Ep dépend (en supposant le milieu homogène) de différents paramètres :
l'énergie du deuton incident ;
la perte d'énergie du deuton pour atteindre la profondeur x ;
la perte d'énergie subie par le proton depuis son lieu d'émission jusqu'à la surface,
dans la direction de détection définie par l’angle θ ; son parcours est :
x
cosθ
la perte d'énergie subie par le proton lors de la traversée du film mince (mylar),
placé devant le détecteur, pour arrêter les deutons rétrodiffusés.
Pour des deutons incidents d'énergie donnée, l'énergie d'un proton détecté est d'autant
plus faible que la profondeur où il est émis est grande.
Quant au nombre de protons ayant l'énergie Ep(x), il dépend de plusieurs facteurs :
la concentration C(x) en oxygène à la profondeur x ;
la section efficace différentielle de la réaction nucléaire, en fonction de l'énergie des
particules incidentes ;
les caractéristiques du système de détection (angle de détection par rapport au
faisceau incident, angle solide et résolution du détecteur, fluctuation statistique de la
perte d'énergie lors de la traversée du mylar) ;
la fluctuation statistique de la perte d'énergie des particules lors de la traversée du
matériau.
Dans le cas d'un système de détection à résolution parfaite, et si on négligeait les
phénomènes de fluctuations statistiques (« straggling »), il y aurait une relation
biunivoque entre l'énergie du proton détecté et sa profondeur d'émission. La distribution
en énergie des protons émis serait alors la transposition exacte de la distribution en
profondeur des noyaux d’oxygène. Celle-ci pourrait être déterminée, connaissant la
cinématique de la réaction, sa section efficace et les relations parcours-énergie des
particules mises en jeu. En pratique, le spectre expérimental résulte de la convolution de
ce spectre théorique par la fonction d'instrument. L'opération mathématique
d'exploitation du spectre expérimental est cependant possible, si on connaît :
les relations parcours-énergie ; très souvent, il suffit de se référer à des tables ; sinon
on procède par interpolation logarithmique en fonction du numéro atomique ;
la section efficace de la réaction, qui peut être déterminée à l'aide d'une cible mince
bien définie, contenant l'élément à analyser. C’est le cas, par exemple, d’un film
mince d'oxyde de tantale Ta2O5 (figure 3).
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
113
Figure 3 : Section efficace différentielle de la réaction nucléaire 16O(d,p)17O* (d’après
G. Amsel, G. Béranger, B. de Gélas et P. Lacombe, J. Appl. Phys., 39, 5 (1968))
2.1.2 Analyse des résultats
Dans ces conditions, on peut distinguer trois cas différents pour l’interprétation des
résultats expérimentaux :
- phénomènes de surface : films minces, contamination, adsorption. Dans ce cas, on
suppose qu'il n'y a pas de perte d'énergie. Le spectre d'énergie est voisin de celui
définissant la fonction d'instrument, et l'exploitation est simple en partant de son
intégrale, c'est-à-dire du nombre des particules émises. Cette intégrale est comparée à
celle fournie par un échantillon de référence, dans les mêmes conditions (figure 4-a).
Figure 4 : Évolution de la forme d’un pic en fonction de la profondeur analysée
(d’après D. David, R. Caplain et G. Demortier, dans Méthodes usuelles de
caractérisation des surfaces, op. cit.)
114
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
- diffusion peu profonde : elle s'étend sur une profondeur inférieure à 2 ou 3
micromètres. Un seul spectre suffit pour déterminer les caractéristiques de diffusion, en
se référant à un réseau de spectres théoriques calculés, moyennant certaines hypothèses
sur le phénomène de diffusion (figure 4-b).
- diffusion profonde : dans ce cas, on effectue des dosages à différentes profondeurs,
atteintes par abrasion ou attaques chimiques successives. On admet que le gradient est
suffisamment faible, sur la profondeur analysée, pour que la concentration puisse y être
considérée comme constante pour chacune de ces analyses partielles (figure 4-c).
2.1.3 Les réactions (p,γ)
Ces réactions relèvent, comme les précédentes, de la physique nucléaire de faible
énergie. Leur dénomination englobe des variantes, telles que (p,p’γ) et (p,αγ); elle est
parfois désignée par les sigles PIGE ou PIGME.
L’utilisation de ces réactions à des fins d’analyse est fortement tributaire de l’épaisseur
des échantillons. Pour des couches minces, tous les noyaux atomiques susceptibles de
réagir contribuent à la formation du spectre, et celui-ci est comparable à un spectre NRA.
En revanche, pour des échantillons épais, les formes diffèrent sensiblement. En effet, les
pics γ ne s’élargissent pas quand la profondeur de réaction augmente. Pour cette raison,
la profilométrie de concentration n’est pas réalisable au moyen d’un seul spectre. Il est
nécessaire d’en obtenir une série, pour différentes énergies de bombardement.
Cette technique, dite du balayage en énergie, consiste à utiliser les résonances fines des
réactions, quand elles existent. En fixant l’énergie des particules incidentes à une valeur
variable, mais supérieure à celle de la résonance, il est possible de déplacer en
profondeur la tranche de matériau concernée par celle-ci. Le signal correspondant se
trouve exalté par la forte augmentation locale du rendement de la réaction, d’où un effet
de loupe sélective. La résolution en profondeur des profils ainsi déterminés est
classiquement améliorée d’un facteur 10.
L’interprétation quantitative des spectres (p,γ) peut être délicate. En revanche, la faible
absorption du rayonnement gamma par la matière confère à cette technique une
possibilité d’excursion en énergie plus élevée qu’en NRA. Il est possible d’utiliser des
protons d’une énergie de 4 à 5 MeV. Dans ces conditions, des profondeurs de l’ordre de
10 µm sont accessibles.
2.2 LA RÉTRODIFFUSION ÉLASTIQUE (RBS)
2.2.1 Principe
Cette configuration particulière de la microanalyse nucléaire, qui était relativement
secondaire à l’origine, a pris maintenant une grande extension. Elle s’applique
essentiellement à la caractérisation des atomes lourds, et tout particulièrement à celle des
métaux. Ses avantages spécifiques sont un rendement d’émission plus élevé que celui des
réactions nucléaires, et une calibration plus aisée pour les mesures en absolu.
Le principe, ainsi que le nom l’indique (Rutherford Back Scattering :RBS) est celui
d’une collision élastique entre une particule incidente, porteuse d’une charge électrique,
et un atome de l’échantillon. Dans ces conditions, le transfert d’énergie peut être calculé
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
115
au moyen des lois de cinématique traduisant le processus physique mis en jeu. Le spectre
énergétique des particules émises est fonction, entre autres paramètres, de la masse des
atomes de la cible. Leur probabilité de collision avec les particules incidentes est une
section efficace, qui peut être calculée dans la plupart des cas au moyen de la loi de
Rutherford. La perte d’énergie des particules lors de la traversée du matériau permet,
comme en NRA, d’accéder à la concentration des atomes-cibles en fonction de la
profondeur. Les configurations NRA et RBS peuvent donc être considérées comme deux
aspects d’un même processus expérimental, et les résultats qu’elles permettent d’obtenir
sont complémentaires.
2.2.2 Relations fondamentales
Considérons une particule incidente dont la masse, le numéro atomique et l’énergie
soient respectivement M1, Z1 et E0. L’atome avec lequel elle est susceptible d’entrer en
collision est défini par les paramètres M2 et Z2. L’angle de rétrodiffusion est θ, mesuré
dans le repère du laboratoire (par opposition au repère du centre de masse). L’énergie de
la particule rétrodiffusée étant E1, on peut définir un coefficient cinématique K par le
rapport : K(M1,M2,θ) = E1/E0
L’expression détaillée de ce coefficient est la suivante :
1
1
é 2
ù2
2
2
2 + M cosθ
M
−
M
sin
θ
1
1
ú
K =ê 2
ê
ú
M1 + M 2
ë
û
(
)
Pour des valeurs déterminées de θ, M1 et E0, l’énergie de la particule rétrodiffusée ne
dépend que de la masse de l’atome cible. Dans ces conditions, quand des atomes de
masses (M2)i sont présents simultanément dans l’échantillon-cible, il est possible de les
discerner en fonction de l’énergie des particules rétrodiffusées. Il existe donc une
possibilité d’analyse qualitative. Si cet échantillon est une couche mince, le spectre en
énergie des particules rétrodiffusées est un ensemble de raies, dont les énergies
respectives sont Ei = KiE0.
L’analyse quantitative est également possible, car la section efficace de rétrodiffusion
peut être calculée sans difficulté. En pratique, elle est tabulée, et peut s’écrire sous la
forme approchée :
é
ù
dσ ê Z1Z 2e 2 ú
=ê
ú
dΩ ê 4 E sin 2 θ ú
0
ë
2û
2
Le taux de comptage des particules rétrodiffusées est alors :
A=
dσ
ΩQN ∆x
dΩ
116
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
où Ω est l’angle solide de détection, Q la charge électrique de l’ensemble des particules
incidentes, N la concentration des atomes dans la cible, et ∆x l’épaisseur de celle-ci.
Une conséquence de ces expressions est la possibilité d’effectuer des mesures absolues
sans utiliser d’étalons, alors que ceux-ci permettent d’améliorer sensiblement la précision
dans le cas des analyses nucléaires.
2.2.3 Champ d’application
La configuration RBS permet, dans d’excellentes conditions, de caractériser des films
minces métalliques d’une épaisseur inférieure à une centaine de nanomètres. Si ces films
sont déposés sur un support léger, tel que le silicium, la précision s’en trouve accrue, du
fait de l’absence de bruit de fond.
Les spectres comptage/énergie des particules émises présentent alors des pics bien
définis, dont la position sur l’échelle des énergies est fonction de la masse atomique des
atomes de l’échantillon. L’intégrale des pics est proportionnelle à la concentration des
atomes, en application des relations ci-dessus (figure 5).
Figure 5 : Spectre RBS obtenu sur un échantillon de GaAs, avec un faisceau incident
d’ions 4He de 8 MeV. Les lignes verticales, dans l’ordre des énergies décroissantes (de
la droite vers la gauche) correspondent aux isotopes 75As, 71Ga et 69Ga (d’après T.G.
Finstad, dans Analytical Techniques for Thin Films, K.N. Tu et R. Rosenberg Eds.,
Academic Press, New-York, 1988, citant Thomas et al., 1983)
Des logiciels de simulation du processus physique permettent de déterminer des profils
de concentration en profondeur, sur quelques micromètres, à partir des spectres
comptage/énergie des particules rétrodiffusées.
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
117
2.3 TECHNIQUE DES NOYAUX DE RECUL (ERDA)
Cette configuration peut être considérée comme un cas particulier de la rétrodiffusion
élastique. Le sigle ERDA signifie Elastic Recoil Detection Analysis. Le faisceau des
particules incidentes rencontre la cible sous une incidence rasante, de l’ordre de 75° par
rapport à la normale. Les atomes légers sont alors susceptibles d’être éjectés, et sont
détectés en avant de l’échantillon. On peut ainsi accéder à la détection d’éléments de
faible masse atomique, les plus classiques étant les isotopes de l’hydrogène. De ce point
de vue, la configuration ERDA peut également être considérée comme une solution
alternative à la NRA (figure 6).
Figure 6 : Configuration géométrique ERDA pour l’analyse d’un échantillon
comportant un film superficiel. Le dessin met en évidence les pertes d’énergie
successives des particules (d’après B.L. Doyle et D.K. Brice, Nucl. Instr. Meth., B35
(1988) 301)
La détection d’éléments de masse atomique supérieure à l’unité est facilitée si les
particules incidentes sont des ions lourds d’une énergie E0 élevée, par exemple des Ar4+
de 16 MeV ou des Si6+ de 28 MeV. Les atomes du matériau reçoivent alors une énergie
E2 :
E2 = E0[4M1M2 / (M1 + M2)2] cos2ϕ
118
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
où ϕ est l’angle de recul, compris entre -90° et +90°.
Cette configuration a été améliorée par l’adjonction de divers perfectionnements, tels que
la mise en œuvre simultanée de la RBS en utilisant des faisceaux d’hélium, ou encore des
mesures de temps de vol (TOF) dans le but d’accroître la résolution en profondeur. Elle
reste cependant d’un usage relativement limité.
2.4 LE RAYONNEMENT X INDUIT PAR LES PROTONS (PIXE)
Cette technique, plus récente que les configurations NRA et RBS, a de nombreux
champs d’application. Elle a été développée, notamment, dans le domaine des sciences
de la vie, ainsi que pour l’étude des objets archéologiques et des œuvres d’art. Le plus
souvent, des faisceaux de protons d’une énergie inférieure à 4 MeV conviennent, et le
sigle PIXE est bien justifié : Proton Induced X-ray Emission. Des faisceaux d’ions plus
lourds sont parfois utilisés, et le signe devient alors HIXE (Heavy Ion induced X-ray
Emission). La technique PIXE procure une bonne sensibilité, avec un seuil de détection
de l’ordre de 10-8 en masse. Le bruit de fond des protons rétrodiffusés est pratiquement
négligeable. C’est l’un des avantages de cette technique, comparée à la microsonde
électronique. En outre, il est possible de laisser les échantillons hors de l’enceinte sous
vide, le faisceau de protons passant à l’atmosphère à travers une fenêtre mince (figure 7).
Figure 7 : Configuration schématique de l’analyse PIXE (d’après PIXE - A Novel
Technique for Elemental Analysis, op. cit.)
2.4.1 Principe
Le processus réactionnel intervient au niveau atomique. Les atomes de la cible sont
ionisés jusqu’au niveau K par les ions incidents, et leur relaxation engendre une émission
X dont le spectre énergétique dépend de la nature de ces atomes. La section efficace σx
d’émission X est proportionnelle à la section efficace d’ionisation σ et à la probabilité de
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
119
la transition électronique mise en jeu. Cette section diminue rapidement quand le numéro
atomique de l’atome-cible augmente, mais elle reste élevée. En outre, le bruit de fond
peut être minimisé par les techniques de filtrage habituelles. Dans ces conditions, la
sensibilité du PIXE est bonne, et se situe classiquement dans la gamme des 10-6.
2.4.2 Champ d’application
La technique PIXE a été développée sur certains accélérateurs, utilisés pour des analyses
bien spécifiques. En France, citons celui du Laboratoire de Recherche et Restauration
des Musées de France (LR2MF), pour l’étude des œuvres d’art. En effet, il est possible
d’extraire le faisceau incident de l’enceinte sous vide, au moyen d’une fenêtre étanche
appropriée, de sorte que l’échantillon à étudier demeure à l’atmosphère. Il ne risque donc
aucune altération, et ses dimensions ne sont pas limitées. On peut ainsi caractériser, par
exemple, les pigments des peintures. Le PIXE convient bien à l’étude des matériaux
organiques. Les éléments majeurs (K, Cl, P, Ca) sont analysés avec des énergies de
protons inférieures à 1 MeV, ce qui concilie une section efficace acceptable et une
limitation de la profondeur de pénétration, ainsi que de l’absorption des rayons X de
basse énergie. Pour les éléments mineurs et les traces, il faut utiliser des énergies
incidentes plus élevées. Pour rechercher des éléments à faible teneur dans des matrices
de masse atomique moyenne, par exemple du palladium dans du cuivre, il est nécessaire
de réaliser un filtrage en énergie, au moyen d’absorbants judicieusement choisis. Le but
est d’isoler les raies d’intérêt analytique, en supprimant au niveau du spectre toutes celles
qui les masqueraient. Il est également possible, moyennant des montages adaptés et un
choix judicieux des conditions expérimentales, d’étudier des échantillons ne contenant
que des éléments de masses atomiques moyennes ou élevées. On a pu ainsi obtenir des
informations remarquables sur des pièces d’orfèvrerie antiques.
3. EXEMPLES D'APPLICATIONS
3.1 ANALYSE NUCLÉAIRE (NRA)
De nombreuses applications de l'analyse par faisceaux d'ions ont été rapportées dans le
passé. Nous nous limiterons ici à quelques exemples, afin d’illustrer les larges
possibilités offertes par ces techniques, tout particulièrement dans le cas de la science des
surfaces et des interfaces.
3.1.1 Caractérisation analytique et état de surface
Les surfaces doivent être préparées, qu'elles soient idéales, conditionnées ou
industrielles. Toute surface ainsi préparée doit être caractérisée de différents points de
vue : analytique, structural et textural, microgéométrique, mécanique (déformations et
contraintes). C'est au premier cas que nous nous intéresserons ici.
Un matériau métallique, soumis à un polissage mécanique à l'aide d'un papier abrasif
(carbure de silicium par exemple), subit une contamination de surface. En effet, de petits
fragments résultant du cisaillement du produit abrasif s'incorporent dans la surface. On
peut ainsi mettre en évidence la présence de carbone et de silicium, sous la forme des
isotopes naturels 29Si et 30Si. Même si, à chaque atome de carbone incorporé, est associé
un atome de silicium, les variations des hauteurs de pics correspondant aux réactions
12C(d,p)13C , 29Si(d,α)27Al* et 30Si(d,α)28Al traduisent des différences dans les
120
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
sections efficaces. En outre, la surface ainsi abrasée est très réactive. Son énergie
moyenne est élevée ; de plus, sa microgéométrie est telle qu’il existe des sites actifs
favorables à la germination. Il se produit une oxydation superficielle. Ce phénomène,
thermiquement activé, est favorisé durant l’abrasion par l'élévation locale de
température due au contact entre la surface et la particule abrasive. La présence
d'oxygène est bien mise en évidence par les pics des réactions 16O(d,p)17O* et
16O(d,p)17O. Plus le grain du papier abrasif est fin, plus la contamination en oxygène,
carbone et silicium, est faible. Ces deux derniers éléments peuvent d'ailleurs être
éliminés par un traitement chimique dans un bain de décapage. Ce point est important
quand on s'intéresse à la réactivité d'une surface, car la phase de germination peut être
aussi profondément affectée par la présence de ces débris de carbure de silicium. Pour
cette raison, une surface doit être préparée avec soin pour certaines applications, et dans
un souci d'optimisation. Dans de nombreux cas, les bains de décapage contiennent de
l'acide fluorhydrique (les fluorures formés sont en général assez solubles) ; on retrouve
alors du fluor en surface, signalé par le pic de la réaction 19F(p,αγ)16O. Le fluor agit
négativement sur l'adhérence d'une couche de conversion, par anodisation par exemple,
car cet élément a tendance à se rassembler ou à ségréger à l'interface couche-substrat. Il
convient donc au préalable de l'éliminer par un traitement à l'eau chaude (ce qui favorise
la solubilité des fluorures).
Examinons le spectre de distribution en énergie des protons émis dans la réaction
induite à la surface du zirconium, du titane, ou encore du niobium, après
un polissage chimique dans un bain fluonitrique ; on peut distinguer deux parties :
16O(d,p)17O*
un pic étroit, aux énergies élevées de protons ; ce pic est identique à celui obtenu sur
une couche mince d'oxyde prise comme référence (Ta2O5 par exemple) ;
un épaulement vers la partie des plus faibles énergies, correspondant à un nombre de
protons plus faible.
Le pic étroit traduit la présence d'un mince film d'oxyde (ou d'hydroxyde) superficiel,
formé lors du polissage et du contact à l’air. Selon le métal, la composition du bain de
polissage, les conditions de mise en œuvre, ce film est plus ou moins épais. Il est
possible de déterminer son épaisseur et d'optimiser dans chaque cas le traitement. En fait,
l'information quantitative obtenue est la masse d’oxygène par unité de surface. Pour la
traduire en épaisseur, il est nécessaire de connaître la structure du film superficiel. On
voit l'intérêt, parfois la nécessité, d'utiliser des méthodes complémentaires. La seconde
partie du spectre traduit la présence d'oxygène dissous dans le métal sous forme de
solution solide d'insertion. La présence de cet élément est liée à la technique
d'élaboration industrielle du métal (procédé Kroll pour le zirconium et le titane).
On peut procéder à une décomposition du spectre global, traduisant cette dualité. Si on
effectue, après polissage, un traitement thermique sous vide, l’analyse du spectre est plus
complexe. On observe en effet une troisième composante, due à la dissolution et à la
diffusion du film d'oxyde, qui se reconstitue spontanément par contact à l'air libre.
3.1.2 Réactivité des surfaces
Une surface métallique, placée dans une atmosphère agressive, donne naissance à une
couche de produits de corrosion plus ou moins protectrice. Les caractéristiques de cette
couche dépendent des conditions d'environnement (nature de l'atmosphère, température,
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
121
durée...). Les méthodes analytiques sont nécessaires pour identifier les éléments fixés en
surface, par exemple en corrosion atmosphérique. Compte tenu de sa spécificité, de sa
sensibilité, de sa souplesse et de son caractère non-destructif, la microanalyse nucléaire
se révèle intéressante, notamment en ce qui concerne le soufre.
Dans un domaine très différent, celui de la production ou de la transformation d'énergie,
ou bien du traitement des déchets (incinération), les matériaux sont souvent soumis à des
températures élevées et à des atmosphères oxydantes, voire très agressives. Les
phénomènes impliqués étant activés thermiquement (création de défauts ponctuels,
diffusion ionique...), l’épaisseur de la couche corrodée croît avec la température. On
cherche à réduire cette réactivité par le choix d'un matériau résistant, voire par l'emploi
d'éléments actifs comme l'yttrium. L'action de celui-ci est bénéfique vis-à-vis de
plusieurs phénomènes élémentaires : amélioration de l'adhérence de la couche,
annihilation partielle ou totale du rôle du soufre. A titre d'illustration, citons l’analyse
comparative d’échantillons de nickel ayant subi des traitements d'implantation de soufre
et d'yttrium, avec des séquences différentes, puis une oxydation dans des conditions
identiques. Le simple examen du spectre de la réaction 16O(d, p)17O* montre l'effet de
l'yttrium (figure 8).
d
Figure 8 : Analyse de l'oxygène 16O(d,p)17O* ( E o = 850 keV) : influence de
l'implantation d'yttrium et/ou de soufre sur l'oxydation du nickel (850°C ; 2,5 min ; air)
(doses d'implantation Y : 1016 at/cm2 ; S : 1015 at/cm2)
3.1.3 Autres applications
Les propriétés de certains matériaux de haute pureté, dans le domaine de l'électronique
par exemple, sont conditionnées par les éléments résiduels. Il est donc important de les
analyser par des méthodes très sensibles, comme l'analyse par activation. La recherche
d’une grande précision conduit à effectuer une correction de conditions aux limites, en
tenant compte de la concentration superficielle pour chacun des éléments dosés. La
microanalyse nucléaire est très bien adaptée à ces mesures de surface.
122
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Des travaux de certification de matériaux de référence ont été effectués dans le passé
dans un cadre européen, à partir d'analyses comparatives effectuées dans différents
laboratoires (Bureau Communautaire des Références). Il est souvent utile, en pratique, de
mettre en oeuvre plusieurs techniques d’analyse, afin de procéder à une approche
comparative. Celle-ci peut être profitable, comme en témoignent deux études réalisées
sur le molybdène et sur le titane. On a utilisé la spectrophotométrie, la microanalyse
nucléaire et la microgravimétrie.
TABLEAU 3 : EVOLUTION AVEC LA DURÉE D’OXYDATION, SELON DIVERSES TECHNIQUES
D’ANALYSE, DE L’ÉPAISSEUR DU FILM D’OXYDE FORMÉ SUR DEUX MÉTAUX
Oxydation du molybdène à 368 °C
Durée
d’oxydation
Microgravimétrie
Ép. (nm)
Analyse nucléaire
Écarts
Spectrophotométrie
Ép. (nm)
1015 Atomes/cm2 Ép. (nm)
(%)
1
42
220-225
37-38
- 10
33
3
55
295-340
50-58
+5
47-50
6
66-69
430-445
73-76
+ 10
74-78
9
87
505
85
-2
-
15
127
630-720
107-122
-4
101-119
Oxydation du titane à 402 °C
Durée
d’oxydation
Microgravimétrie
Ép. (nm)
Analyse nucléaire
Ecarts
(1015 at/cm2)
Ép.(nm)
Spectrophotométrie
(%)
Ép.(nm)
30 min
51
310-330
52-56
+ 10
52-57
1h
79-85
380-495
64-84
-1/- 3
80-82
1 h 45 min
83-114
490-670
83-114
3
125-137
700-865
119-147
- 6/+7
155-165
5
187-204
1045-1120
177-190
-6
-
0
112-117
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
123
Le but était d’étudier la cinétique de croissance des films d'oxydes formés dans l'air,
respectivement à 368°C sur le molybdène et à 402°C sur le titane, pour des durées
maximales de quelques heures. Les déterminations de structure des oxydes,
indispensables pour convertir en épaisseur les quantités d'oxygène mesurées par analyse
nucléaire, ont été réalisées par diffraction électronique en réflexion. Les oxydes formés
sont respectivement MoO3 et TiO2. Le tableau 3 présente les résultats. On constate des
écarts qui illustrent la dispersion expérimentale, donc le manque de reproductibilité des
méthodes. De plus, si on caractérise par NRA et par ellipsométrie les films formés sur
le titane, après une oxydation isochrone (3 h) à température croissante de 300 à 360°C,
on observe un écart systématique de même signe, et de valeur assez constante (tableau
4).
TABLEAU 4 : EVOLUTION AVEC LA TEMPÉRATURE SELON DIVERSES TECHNIQUES DE
MESURE DE L’ÉPAISSEUR DU FILM D’OXYDE FORMÉ DURANT 3 H SUR DU TITANE
Température
d’oxydation (°C)
Ellipsométrie (nm)
Analyse nucléaire
(1015 at/cm2)
(nm)
Écarts
(nm)
300
320
325
360
9
15
32
105-110
16-18
7-9
145
275
23
43
11
Cette différence tient au fait que l'analyse nucléaire appréhende la totalité de l’épaisseur
du film, tandis que l'ellipsométrie n’est sensible qu’à sa variation rapportée à un état de
référence (métal revêtu d'un film d'oxyde naturel). Le résultat est identique dans le cas du
molybdène. On voit l'intérêt des comparaisons, chaque méthode ayant ses avantages, ses
inconvénients, ses limites, qu'il convient de bien connaître.
3.2 RAYONNEMENT X (PIXE)
Nous avons mentionné plus haut les études effectuées sur des pièces d’orfèvrerie
antiques. A partir d’un échantillon de référence, contenant tous les éléments recherchés
à des teneurs relatives connues, on détermine les teneurs réelles par des itérations
successives, intégrant les sections efficaces et les coefficients d’absorption dans
l’échantillon inconnu. On a pu ainsi caractériser, après 5 itérations et avec une incertitude
de l’ordre de 10 %, des objets contenant du cuivre, de l’argent, de l’or et du cadmium.
L’or étant l’élément prédominant, on réduit le taux de comptage dans les raies L de cet
élément par l’interposition d’un filtre de zinc. Les signaux du cuivre, de l’argent et du
cadmium sont alors renforcés, ce qui augmente la sensibilité du dosage de ces éléments.
Un faisceau de protons de 3 MeV est extrait de l’enceinte sous vide à travers une fenêtre
de 12 µm d’aluminium, ce qui permet de laisser l’objet étudié à l’atmosphère. La figure 9
illustre le résultat d’une soustraction du bruit de fond, lors de l’analyse d’une soudure de
bijou, sur une aire de surface de 0,5 mm2.
124
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 9 : Spectre PIXE obtenu sur un échantillon archéologique, comportant les
éléments Au, Cu, Ag et Cd. Le signal de l’or est réduit par l’interposition d’un filtre en
zinc, ce qui augmente la sensibilité de détection pour les autres éléments (d’après D.
David, R. Caplain et G. Demortier, dans Méthodes usuelles de caractérisation des
surfaces, op. cit.)
3.3 RÉTRODIFFUSION ÉLASTIQUE (RBS)
3.3.1 Profilométrie de concentration
La mesure des concentrations en fonction de la profondeur est l’une des principales
applications de la microanalyse nucléaire. En effet, un spectre d’émission, aussi bien en
NRA qu’en RBS, n’est autre que la transposition d’un profil de concentration. Celle-ci
résulte de processus physiques connus et quantifiables. Il s’ensuit que la restitution d’un
profil à partir d’un spectre est théoriquement réalisable. Cette transformation doit tenir
compte, en l’inversant, du produit de convolution du profil par la fonction d’instrument.
En pratique, les logiciels de simulation procèdent par itérations successives, afin
d’ajuster un spectre calculé au spectre expérimental. Le point de départ de ce spectre
calculé est le profil de concentration, supposé connu à partir d’hypothèses raisonnables.
Nous présentons ci-dessous un exemple de profilométrie pour des interfaces enterrées.
En effet, la RBS est bien adaptée à la profilométrie de concentration, au niveau des
interfaces enfouies. La profondeur de pénétration des particules incidentes permet de
traverser la couche superficielle du matériau étudié, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer
une abrasion. Celle-ci est toujours plus ou moins perturbatrice, et elle augmente
l’incertitude expérimentale sur la mesure des profondeurs. Nous présentons ici, à titre
d’exemple, le résumé d’un travail effectué dans le cadre du Groupement de Recherche
1108 du CNRS « Caractérisation des interfaces dans les multimatériaux ». Un ensemble
cohérent de résultats a été obtenu lors de l’étude d’échantillons modèles, constitués d’une
couche de quelques dizaines de nanomètres d’un alliage (A,B), incluse entre deux
couches de A pur. La caractérisation porte ainsi sur les interfaces A/(A,B) ou (A,B)/A,
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
125
en excluant les effets perturbateurs de la surface. Le support était du silicium
parfaitement plan, pour réduire les effets de la rugosité initiale. Le couple Fe-Co est l’un
de ceux pour lesquels la dégradation de la résolution en profondeur est minimisée :
rendements de pulvérisation voisins dans le cas des analyses SIMS, menées
conjointement, faibles vitesses de diffusion. Il n’en est pas de même pour des systèmes
tels que Cu-Co, qui ont été également étudiés. La figure 10 montre l’ajustement, obtenu
au moyen du logiciel RUMP, d’un spectre théorique simulé et d’un spectre expérimental,
ainsi que les valeurs d’épaisseur qui en résultent. L’interprétation rigoureuse de ces
données est complexe. Une approche simplifiée conduit à des conclusions significatives.
Elles sont basées sur l’hypothèse que les résultats des mesures suivent la loi de
probabilité normale, l’intervalle de confiance retenu étant de 95%. D’après l’exploitation
statistique, la dispersion des mesures autour de la moyenne est inférieure à l’écart entre
celle-ci et la valeur nominale des épaisseurs de couches. La profilométrie RBS permet
donc de corriger utilement cette valeur nominale, ce qui permet de certifier les
échantillons comme étalons.
Figure 10 : Spectre RBS calculé au moyen du logiciel RUMP (trait continu), ajusté au
spectre expérimental (pointillé). Les contributions des éléments Fe et Co figurent
également en trait continu. Echantillon multicouches sur support de silicium,
comportant successivement, d’après cet ajustement : Si / 96,8 nm Fe / 45,1 nm Fe0,26
Co0,74 / 34,8 nm Fe / 4,5 nm d’oxyde (d’après A. Benyagoub, dans le cadre du
Groupement de Recherche 1108 du CNRS « Caractérisation des interfaces dans les
multimatériaux » (1996))
126
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
3.3.2 Paléométallurgie et analogues naturels
La paléométallurgie offre un large champ d’application à la microanalyse nucléaire, à la
frontière de la science des matériaux et de l’archéologie. Citons l’étude des analogues
naturels, dans le cadre du programme de stockage des déchets radioactifs piloté par
l’ANDRA. Les processus de corrosion des objets métalliques antiques, retrouvés dans le
sol, donnent en effet des informations irremplaçables sur l’influence du temps, à l’échelle
du millénaire. L’idée directrice est de prélever d’un seul tenant des objets archéologiques
en fer, avec leur gangue minérale et le sol avoisinant. Il peut s’agir aussi bien de
maçonnerie, mais cette configuration est plus rare. Il est alors possible de faire porter
l’effort de caractérisation sur l’interphase matériau-milieu, qui est la zone la plus
significative du point de vue de la corrosion. Ce mode opératoire, sans être nouveau, est
inhabituel en archéologie (figure 11). Diverses méthodes de caractérisation sont utilisées,
leur conjonction améliorant les résultats d’ensemble bien au delà d’une simple addition
d’informations.
Figure 11 : Cartographie de l’élément Fe, obtenu par RBS sur un échantillon
archéologique de fer inclus dans une maçonnerie gallo-romaine. La coupe de
l’échantillon montre le fer métallique subsistant, l’interphase de produits de corrosion
et le matériau (mortier hydraulique). L’élément Fe est inégalement réparti, mais on
l’observe même au-delà de la partie visible de l’interphase (d’après D. David et L.
Uran, fouilles de L. Cholet à Eu, étude ANDRA en cours de publication, 1998)
4. TECHNIQUES PARTICULIÈRES
4.1 LA MICROSONDE NUCLÉAIRE
Dans tout système d'analyse, on doit prendre en compte la résolution, qu'elle soit en
profondeur ou latérale. Selon cette approche, on est alors confronté à la focalisation du
faisceau incident, donc au caractère plus ou moins ponctuel de l'analyse. Dans des
systèmes biphasés dans lesquels on a une phase majoritaire, comportant en outre des
particules de secondes phases (des inclusions et/ou des précipités), il est nécessaire de
procéder à une analyse locale de celles-ci. Le même problème d'analyse ponctuelle est
La microanalyse nucléaire- Applications à la science des surfaces et interfaces
127
posé lors de l'étude de phénomènes de ségrégation ou de diffusion latérales. C'est la
raison pour laquelle des accélérateurs à micro-faisceaux ont été développés. Associés à
des dispositifs micrométriques pour l’observation des impacts et le déplacement des
échantillons, ils sont désignés par le terme de microsonde nucléaire (figure 12).
Figure 12 : Schéma comparatif de formation d’un faisceau ponctuel, pour des
radiations lumineuses (a), des électrons (b) et des ions (c). Dans chaque cas, la source
émissive est située à gauche de la figure, et le faisceau est focalisé sur un premier
diaphragme D1 par un condenseur. Une optique appropriée L forme alors une image
finale réduite de D1. L’ouverture angulaire du faisceau à l’entrée de L, qui est
génératrice d’aberrations, est limitée par un diaphragme D2. L’optique L est formée de
lentilles en verre pour la lumière, de bobines déflectrices pour les électrons et de
quadrupôles pour les ions. (d’après F. Watt et G. W. Grim, Principles and Applications
of High-Energy Ion Microbeams, op. cit.)
D'autres types de sondes ont montré le bien fondé de la démarche. Citons, par exemple,
la microsonde électronique, qu'elle soit utilisée en dispersion de longueur d'onde ou en
dispersion d'énergie. Toutefois, un des avantages de la microsonde nucléaire est
d’utiliser les trajectoires des protons, plus linéaires dans la matière que celles des
électrons. Ainsi, dans le cuivre, leur divergence angulaire est seulement de quelques
degrés après un parcours de cinq micromètres. Cette propriété augmente la résolution
latérale.
4.2 LE SUIVI EN CONTINU
La microanalyse nucléaire permet de caractériser des échantillons en cours de
transformation à la condition que la vitesse de celle-ci soit faible en regard du temps
d’acquisition d’un spectre. L’ordre de grandeur de celui-ci est d’une minute. Cette
aptitude a permis de suivre en continu des processus d’oxydation et de diffusion, à
température élevée. L’enceinte de traitement doit alors être isolée de l’enceinte sous vide
de l’accélérateur, par une fenêtre permettant le passage du faisceau.
128
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Il est souvent nécessaire de prévoir des dispositifs annexes, assurant par exemple le
refroidissement du détecteur à semi-conducteur, qui capte les particules émises.
L’isolation électrique de l’enceinte de mesure, nécessitée par l’intégration du courant
porté par le faisceau incident, s’en trouve compliquée. Mais, ce courant incident peut être
mesuré par d’autres dispositifs, tels que des obturateurs travaillant par échantillonnage.
En fait, les possibilités sont très étendues, et la microanalyse nucléaire a de ce fait un
large champ d’applications dans les laboratoires de recherche.
5. CONCLUSION
Dans cet article de revue à caractère général, nous avons montré les possibilités offertes
par l'utilisation des faisceaux d'ions, particulièrement en microanalyse nucléaire. Cette
méthode permet d'analyser aussi bien les éléments légers que les éléments lourds. Elle est
particulièrement bien adaptée à la caractérisation des films minces, ainsi qu’à celle des
surfaces et des interfaces. La possibilité de doser l’hydrogène, notamment, est d’un grand
intérêt pratique. L’emploi conjoint de la microanalyse nucléaire et de méthodes
complémentaires, telles que la spectrométrie de photoélectrons (XPS) pour accéder aux
liaisons chimiques, offre un large champ d’investigations à la science des matériaux.
BIBLIOGRAPHIE
D. Halliday, Introduction à la physique nucléaire Dunod, Paris (1957) 466 p.
F. Watt et G.W. Grim, Principles and Applications of High-Energy Ion Microbeams Adam Hilger,
Bristol (1987) 399 p.
D. David et R. Caplain, Méthodes usuelles de caractérisation des surfaces, Eyrolles, Paris (1988)
374 p.
S.A.E. Johansson et J.L. Campbell, PIXE :A Novel Technique for Elemental Analysis , John
Wiley & Sons, Chichester (1988) 347 p.
B. Agius, M. Froment et al., Surfaces, interfaces et films minces, Dunod, Paris (1990) 469 p.
D. David, Méthodes avancées de caractérisation des surfaces, Eyrolles, Paris (1991) 277 p.
D. David, New trends in ion-beam analysis, Surface Science Reports 16 (1992) 333-375
ANALYSE NON DESTRUCTIVE DE PIGMENTS
ET DE COLORANTS PAR LES TECHNIQUES
MICROSPECTROMÉTRIQUES
microspectrométries d'absorption, de fluorescence
et Raman
BERNARD GUINEAU
Institut de Recherches sur les Archéomatériaux, CNRS
3d, rue de la Férollerie, 45071 - Orléans Cedex 02
NDLR : Si la micro-analyse élémentaire est pratique courante sur les matériaux massifs
conducteurs depuis la mise au point de la microsonde électronique par Castaing, il
n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’identifier des composés organiques. La difficulté
s’accroît considérablement lorsque l’on ne peut travailler que sur des échantillons dont
au moins une des dimensions est de l’ordre du micromètre, comme les fragments de
films minces (couches picturales) ou bien des substrats de colorants et mordants
chimisorbés (fibres textiles).
Les méthodes ci-dessous présentées intéressent principalement les industries des
peintures, des encres, et des textiles. Elles sont également pratiquées par les
laboratoires de police scientifique. Une de leurs tâches consiste à identifier les
véhicules impliqués dans des accidents de la circulation et coupables du délit de fuite.
Les tôles de carrosseries étant peintes, des fragments de peinture se transfèrent par
contact lors des chocs. On attend de leur analyse non seulement l'identité du
constructeur, mais aussi l'année de mise en circulation. L'importance de ce problème
est telle qu’une entente entre les constructeurs d’automobiles permet de différencier, à
couleur identique, les peintures utilisées.
Ces méthodes sont aussi bien adaptées à l'étude des matériaux anciens, qu'ils
constituent des œuvres d'art ou bien de simples objets archéologiques. Elles permettent
d'en retirer de nombreuses informations et de les communiquer à la communauté
scientifique intéressée, historiens confrontés à des problèmes d'attribution,
conservateurs de musées et de bibliothèques ou restaurateurs d'œuvres d'art. Celle-ci
n'est pas uniquement constituée par les archéologues et les historiens, mais aussi par
les spécialistes du vieillissement des matériaux. La caractérisation des matériaux
anciens est en effet la seule possibilité d'étudier les effets d'un vieillissement naturel sur
les matériaux, vieillissement qu'aucune accélération artificiellement créée en
laboratoire ne saurait totalement remplacer.
INTRODUCTION
En mesurant dans un échantillon solide, liquide ou gazeux soumis à une excitation
lumineuse les fréquences de transitions électroniques ou celles correspondant aux
oscillations de groupements d'atomes, les spectrométries électronique ou vibrationnelle
130
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
permettent de déterminer la nature et parfois la structure des édifices poly-atomiques
(ions, molécules, cristaux) constitutifs de cet échantillon. Ces moyens d'analyse qui
peuvent être employés à l'étude de composés organiques ou minéraux ont vu étendre
récemment le champ de leur application à d'infimes fractions grâce aux progrès d'une
nouvelle instrumentation plus performante : sondes à fibres optiques, filtres réjecteurs
très étroits, détecteurs multicanaux extrêmement sensibles, logiciels informatiques
spécialisés dans l'acquisition et le traitement des données. Ces progrès ont ainsi favorisé
le développement des méthodes spectrométriques de microanalyse telles que la
microspectrophotométrie d'absorption dans les domaines visible et proche infrarouge
[1], la microspectrométrie de fluorescence et la microspectrométrie de diffusion Raman
[2]. Dans leur principe, ces investigations mettent en œuvre soit un capteur à fibres
optiques, soit un microscope à fort grossissement, lesquels sont reliés par un couplage
optique adapté à la fente d'entrée d'un spectromètre. De tels dispositifs instrumentaux
autorisent des analyses très ponctuelles, sans contact, et généralement non destructives.
Ces nouvelles possibilités analytiques n'ont pas manqué d'intéresser le domaine de
l'archéologie et celui de la conservation des œuvres d'art. Elles sont en effet
particulièrement bien adaptées à l'étude des matériaux anciens qui les composent et pour
lesquels les examens sont toujours limités du fait des très petites quantités d'échantillons
disponibles pour les analyses. Les prélèvements sur les œuvres, quand ils sont autorisés,
se doivent en effet d'être aussi réduits que possible et sans danger pour leur
conservation.
Grâce à la mise en œuvre de ces techniques de micro-analyse, de nombreux pigments et
colorants ont pu être identifiés. Par exemple, de minuscules prélèvements invisibles à
l'œil nu, effectués sur des peintures de l'Antiquité ou du Moyen Âge ont pu être
analysés. Pour chaque microprélèvement peuvent être obtenus un spectre de diffusion
Raman, un spectre d'absorption et un spectre d'émission de fluorescence.
Chacun sera plus ou moins facile à obtenir et plus ou moins caractéristique, selon la
nature des composés en présence, c'est-à-dire selon leur structure chimique et selon les
transitions d'énergie attendues. En spectrométrie Raman, par exemple, le choix d'une
longueur d'onde particulière pour l'excitation lumineuse, en rendant possibles des
conditions de résonance (ou de prérésonance), peut largement aider à l'obtention de
spectres significatifs. De leur côté, les métaux de transition qui entrent dans la
composition de nombreux pigments minéraux offrent en spectrométrie de réflexion
diffuse de remarquables absorptions correspondant aux transitions électroniques qui les
caractérisent.
Dans le cas des couleurs organiques d'origine naturelle ou artificielle, l'obtention de
spectres significatifs pour des composés organiques réputés fragiles est généralement
délicate. Il est plus facile, par exemple, d'obtenir un spectre Raman d'une particule
minérale bien cristallisée, convenablement orientée sous le faisceau du laser employé
comme source ponctuelle, que d'un colorant organique adsorbé sur un support, et de
surcroît faiblement abondant du fait de sa dilution. Dans certains cas, une extraction
préalable du colorant suivie d'une reconcentration s'avère indispensable. Heureusement,
les mesures peuvent être réalisées sur d'infimes fractions, notamment en fluorescence ou
en Raman grâce à l'effet de résonance S.E.R.S. (Surface Enhance Raman
Spectroscopy)[3].
On peut s'attendre ainsi dans le domaine de l'archéologie ou dans celui des "Sciences
auxiliaires de l'Histoire" au développement de ces techniques de micro-analyse d'autant
plus que sont prévisibles de nouveaux perfectionnements des capteurs à fibres optiques,
Analyse non destructive de pigments et de colorants
131
des détecteurs à semi-conducteurs et des systèmes interférométriques susceptibles
d'accroître notablement l'étendue du domaine spectral qui est actuellement couvert.
L'objet de cet article est de montrer à l'aide d'un petit nombre d'exemples, les
perspectives offertes et notamment ce que l'on peut attendre de l'examen de minuscules
échantillons si l'on tente d'additionner les résultats obtenus à l'aide de différents
microspectromètres, par exemple en réflexion diffuse [4], en fluorescence [5] et en
diffusion Raman [6 à 9].
MICRO-ANALYSE RAMAN
Avec les mesures en diffusion Raman, obtenir un spectre significatif constitue une
difficulté majeure. L'intensité de l'effet Raman qui est à mesurer est hélas extrêmement
faible au regard notamment du phénomène de diffusion Rayleigh dont l'intensité est en
moyenne 109 fois plus grande. Il faut donc disposer d'un spectromètre très performant
ayant à la fois une grande sensibilité et une excellente résolution capable de distinguer,
au milieu d'un bruit de fond ambiant qui peut être important, des raies Raman de très
faible intensité et surtout à proximité immédiate (à peine 10 nm) d'une raie Rayleigh très
intense. Une telle performance instrumentale exige des alignements optiques précis et
l'élimination implacable de toutes sortes de lumières parasites réentrantes. Dans une
microsonde Raman, la source d'excitation est fournie par un laser. Son faisceau est
focalisé sur l'échantillon à travers l'objectif d'un microscope. Au point d'impact, l'énergie
lumineuse est ainsi très concentrée. Il convient donc, dans le cas d'échantillons fragiles,
de n'utiliser que de faibles puissances et pendant un temps très court, de manière à
minimiser tout risque d'altération thermique ou photochimique de l'échantillon.
Heureusement, la plupart des composés, lorsqu'ils sont soumis à une excitation laser
raisonnable, sont suffisamment stables pour autoriser l'acquisition de spectres Raman
sans altération. En outre, l'emploi dans les nouvelles microsondes, de détecteurs
multicanaux à la fois très rapides et très sensibles a largement réduit les temps
d'éclairement et les puissances d'excitation nécessaires à l'acquisition des spectres [10].
On présente ici quelques exemples de mesures mettant en œuvre ces nouveaux
microspectromètres Raman et montrant les possibilités qu'ils offrent d'identifier
colorants anciens ou modernes dans des échantillons microscopiques.
IDENTIFICATION DE COLORANTS ORGANIQUES DE SYNTHÈSE
La figure 1 montre le spectre Raman d'un bleu de méthyle ou Acid blue 93, un colorant
de synthèse répertorié au Colour Index sous le code CI 42780 [11]. Ce composé du
triarylméthane a pu être identifié dans l'encre bleue d'un document manuscrit
contemporain soumis à une expertise. Pour cette analyse, un très petit échantillon
d'encre a été prélevé sous la loupe binoculaire à l'aide d'une fine pointe métallique. Posé
ensuite sur une lame de verre, sans aucune autre préparation, son examen a été réalisé
sans contact par microspectrométrie Raman. Le spectre obtenu en utilisant la raie 514,5
nm d'un laser à argon ionisé à puissance réduite (courbe 1B) comparé au spectre
standard d'un bleu de méthyle (courbe 1A) montre une grande similitude des raies
Raman, à la fois dans leur position en nombre d'ondes et en intensité. Un tel résultat
permet de conclure sans ambiguïté à la présence de ce colorant dans la composition de
l'encre bleue du document.
132
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 1 : Spectres Raman du colorant Acid blue 93 employé dans la fabrication des
encres bleues. Courbe A : étalon de référence de bleu de méthyle. Courbe B : microéchantillon d'encre bleue prélevé sur un trait d'écriture d'un document contemporain
soumis à expertise
Dans des conditions analogues, on a pu identifier la présence d'un violet de méthyle dans
un grain de craie violette prélevé sur un dessin au pastel du peintre James Ensor.
L'observation préalable de ce micro-échantillon au microscope optique, en dépit de
l'utilisation de diaphragmes et d'objectifs "fond noir", montre une très faible coloration,
le violet est très pâle et la couleur translucide. Néanmoins, au plus fort grandissement,
on observe que le grain contient de très petites inclusions violettes aux dimensions
inférieures à 10 micromètres. En outre, une particule jaune est accolée à l'un des côtés
de l'échantillon. En focalisant successivement le faisceau laser sur une inclusion violette
puis sur la particule jaune, les mesures ont permis d'identifier la présence de violet de
méthyle pour cette inclusion et de jaune de chrome (un pigment minéral) pour la
particule jaune. Pour ces mesures, les temps d'éclairement ont dû être fortement réduits
car, après quelques minutes, on pouvait observer un début d'altération des inclusions
violettes sous l'impact du faisceau laser, instabilité révélant combien étaient fragiles les
couleurs employées par Ensor. Le fait d'avoir à réduire la puissance de l'excitation
lumineuse diminue aussi le rapport signal sur bruit et de ce fait, quelques-unes des raies
Raman obtenues se distinguent à peine du bruit de fond ambiant. En revanche, à faible
puissance, on diminue aussi l'intense fluorescence qu’engendre cette couleur et qui gêne
sérieusement les observations en Raman. Le spectre obtenu (Figure 2) présente un
ensemble de raies caractéristique d'un violet de méthyle. Il ressemble à celui que donne
le bleu de méthyle précédent, mais son empreinte est cependant différente. Cette
couleur, appelée "violet de Paris" (CI 42535) [11], est réputée pour son manque de
solidité à la lumière ; le violet de méthyle a pourtant longtemps été utilisé dans la
Analyse non destructive de pigments et de colorants
133
coloration des papiers, comme colorant des encres d'imprimerie, dans la fabrication des
crayons de couleur ou celle de craies pour le dessin au pastel. Sur l'un des spectres, on
observe en outre la présence d'une autre raie. Son intensité, qui est grande, et sa position
en nombre d'ondes mesurée à 842 cm-1 montrent que cette raie n'appartient pas au même
composé. Cette raie Raman correspond en réalité à la fréquence de vibration d'un ion
CrO4- présent dans un chromate de plomb PbCrO4. On confirme ainsi sans trop de
difficultés la présence de jaune de chrome dans la particule jaune qui avait été observée
accolée à l'un des côtés de l'échantillon. Au reste, la grande intensité de cette raie à 842
cm-1 résulte pour une bonne part d'un effet de résonance qui amplifie considérablement
dans ce cas l'effet Raman. Nous aurons l'occasion de revenir un peu plus loin sur cet
effet.
Figure 2 : Spectre Raman d'un microprélèvement violet clair identifiant l'emploi de
violet de méthyle dans un dessin au pastel du peintre James Ensor
Heureusement, la plupart des pigments organiques qui sont utilisés de nos jours sont
beaucoup moins fragiles que les premiers colorants de synthèse découverts au XIXe
siècle ; ils offrent une solidité à la lumière et une stabilité en température bien
supérieures et, de ce fait, peuvent supporter sans précautions spéciales, un examen
Raman. C'est ainsi qu'ont pu être obtenus, sans aucune altération, les "empreintes
Raman" caractéristiques de pigments organiques actuels tels que les orangés et les
rouges de pérylène. Ces pigments, qui sont des dérivés de l'acide pérylène 3,4,9,10
tétracarboxylique, sont de type polycycle à noyaux condensés ; leur structure chimique
leur confère de remarquables propriétés : force colorante élevée, bonne solidité à la
lumière, excellente tenue à la chaleur et une bonne résistance à de nombreux agents
chimiques. Par changement de substituants sur le polycycle, différentes teintes
dominantes peuvent être obtenues, variant de l'orangé jaune au rouge vif et au rouge
violacé.
134
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 3 : Spectres Raman de pigments rouges de pérylène. Courbe A : rouge de
pérylène PR 179. Courbe B : rouge de pérylène PR 224. Courbe C : identification de
rouge de pérylène PR 224 dans une écaille de peinture automobile
La figure 3 montre les spectres Raman caractéristiques de deux rouges de pérylène
répertoriés au Colour Index sous les codes PR 179 et PR 224 [11]. Le premier est rouge
foncé et légèrement violacé, le second rouge vif. Leurs spectres Raman obtenus à partir
d'agrégats pulvérulents d'environ 20 micromètres de diamètre montrent une grande
similitude dans la position et l'intensité des raies ; ces raies correspondent à des
vibrations de cycle. On identifie ainsi l'appartenance à une même famille chimique de
ces deux composés [8, 9]. Dans le domaine compris entre 1300 et 1600 cm-1, c'est à
peine si on note un faible écart en nombres d'ondes de l'ordre de 10 cm-1. Compte-tenu
de la précision des spectromètres, une telle différence ne peut suffire à distinguer ces
deux rouges dans un but analytique. Heureusement, cet écart est double dans le domaine
compris entre 2600 et 3200 cm-1, c'est-à-dire pour des positions harmoniques, écart qui
permet alors de différencier ces pigments l'un de l'autre. En outre, le spectre du rouge
PR 224 présente une raie supplémentaire à 628 cm-1. Cette raie Raman toujours présente
dans les anhydrides cycliques permet de distinguer le PR 224 sans ambiguïté possible.
C'est ainsi qu'une mesure réalisée sur une écaille de peinture rouge de composition
inconnue a permis d'identifier la présence de rouge de pérylène PR 224 dans cet
échantillon (Figure 3, courbe C).
Analyse non destructive de pigments et de colorants
135
APPORT DE L'EFFET RAMAN DE RÉSONANCE À L'ANALYSE
D'UN MÉLANGE DE PIGMENTS
La plupart des peintures soumises à l'analyse sont en réalité constituées d'un mélange de
plusieurs pigments. Pour nombre d'entre eux, un effet de résonance Raman spécifique
peut être provoqué par un choix approprié de la longueur d'onde de la source servant à
l'excitation lumineuse. En effet, lorsque cette longueur d'onde est la même ou lorsqu'elle
est au voisinage d'une bande d'absorption du chromophore, une exaltation de l'effet
Raman peut être obtenue. Cette résonance Raman résulte d'un couplage de transitions
électroniques et vibrationnelles [12, 13].
Figure 4 : Spectres Raman d'un grain de safran pulvérisé. Courbe A : raie excitatrice
laser 514,5 nm. Courbe B : raie excitatrice laser 457,9 nm. La pente qui est observée
sur les courbes résulte de la fluorescence du colorant
La figure 4 montre un exemple de mesures Raman résonantes et non résonantes
obtenues sur un échantillon de jaune de safran, un colorant naturel dont la structure
chimique est celle d'un caroténoïde. Le spectre de réflexion diffuse de cet échantillon
présente une large bande d'absorption dans le domaine 400-500 nm, avec la présence de
deux petites absorptions autour de 500 nm (Figure 5). En spectrométrie Raman, si on
utilise une raie excitatrice à 514,5 nm, c'est-à-dire au delà de cette bande d'absorption, le
spectre présente des raies de faible intensité difficilement discernables du bruit de fond,
d'autant plus que se superpose en plus aux mesures Raman une intense fluorescence
parasite (Figure 4, courbe A). En revanche, si on utilise une raie excitatrice à 457,9 nm,
on observe une forte exaltation des raies Raman, particulièrement à 1166 et à 1540 cm-1
; cette exaltation est due à un effet de résonance (Figure 4, courbe B).
136
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 5 : Spectre d'absorption obtenu en réflexion diffuse d'un grain de safran
pulvérisé (provenance Iran)
Dans des conditions semblables, le pigment rouge d’hématite α-Fe2O3 présente un effet
de résonance lorsqu'on utilise une raie excitatrice à 632 nm, alors qu'on ne peut observer
que des raies de faible intensité si on utilise une raie excitatrice à 457,9 nm ou à 514,5
nm. De ce fait, l'emploi d'une excitation lumineuse de longueur d'onde appropriée, c'està-dire choisie en fonction de l'absorption spécifique d'un composé peut grandement
favoriser une identification sélective. Ainsi, pour un mélange supposé être formé de
deux pigments ou d'un pigment et d'un colorant (ocre rouge et jaune de safran, par
exemple), au moins deux raies excitatrices (632 nm et 457,9 nm) devraient être
employées. La longueur d'onde de chacune devra être choisie en fonction des bandes
d'absorption des composés supposés être présents de manière à provoquer un effet de
résonance distinct pour chacun des composés.
MICRO-ANALYSE PAR SPECTROMÉTRIE DE RÉFLEXION DIFFUSE
Les mesures en diffusion Raman pour de nombreux pigments ou colorants nécessitent
donc de connaître au préalable leur spectre d'absorption. Quelques-uns de ces spectres
présentent par eux-mêmes des bandes d'absorption caractéristiques. Cette information
spécifique est souvent suffisante pour identifier un pigment ou un colorant supposé être
présent, d'autant plus que le spectre d'absorption d'un très petit échantillon peut être
obtenu rapidement en utilisant un microspectrophotomètre à détection multicanale. De
tels équipements peuvent être utilisés soit en transmission, soit en réflexion. Faciles
d'emploi, ils ont aussi l'avantage de permettre d'obtenir un spectre en un temps très court
(quelques dizaines de secondes), même pour des échantillons de quelques micromètres
de diamètre grâce à l'emploi d'objectifs de fort grossissement (x 100 ou même x 200) [7
et 14].
La figure 6 présente les spectres comparés, obtenus en réflexion diffuse, d'un rouge de
cinabre HgS (courbe A) et d'un grain rouge d'hématite (courbe B). Le spectre du grain
de cinabre montre une plus grande absorption que celui de l'hématite dans le domaine
des jaunes ainsi qu'une pente plus prononcée autour de 600 nm, pente dont le point
d'inflexion peut être précisé au moyen de la courbe dérivée. Ces différences ont permis
Analyse non destructive de pigments et de colorants
137
de mettre en évidence l'emploi de rouge cinabre dans une peinture murale d'Aix-enProvence d'époque gallo-romaine (courbe C). La rapidité avec laquelle peut être menée
une telle investigation autorise ainsi un contrôle systématique et une classification rapide
d'un grand nombre de peintures, par exemple de fragments de peintures murales
recueillis lors de fouilles archéologiques. Seuls, quelques résultats paraissant ambigus
nécessiteront un complément d'analyse par d'autres moyens. Par exemple, si l'on suppose
que deux couleurs sont intimement mêlées, une analyse élémentaire peut s'avérer
indispensable, de même qu'en Raman, imposer le choix d'une raie excitatrice appropriée
[7].
Figure 6 : Spectres comparés, mesurés en réflexion diffuse, de trois micro-échantillons
de pigments rouges. Courbe A : échantillon de cinabre naturel (provenance Almaden,
Espagne). Courbe B : échantillon d'ocre rouge naturelle (réf. 5.01.1, Forbes
Collection). Courbe C : micro-échantillon rouge prélevé sur une peinture murale d'Aixen-Provence d'époque gallo-romaine
L'identification du bleu de smalt, un verre coloré au cobalt, est parfois difficile du fait
qu'étant un composé amorphe, la diffraction des rayons X n'est d'aucun secours ; en
outre, son spectre Raman ne présente qu'une ou deux raies de faible intensité. En
revanche, en réflexion diffuse, on observe pour ce pigment un ensemble de bandes
d'absorption caractéristiques constitué d’un triplet 545 / 595 / 645 nm correspondant à
des transitions électroniques Co2+ (Figure 7, courbe A). D'autres bandes d'absorption
peuvent être observées dans le proche infrarouge, à condition de bien les distinguer
d'harmoniques d'ordre 2 ou 3. Ainsi a-t-on pu identifier très rapidement, à l’aide d’un
objectif x100 un bleu de smalt dans un prélèvement microscopique effectué sur la
peinture d'un ivoire du XIIIe siècle conservé au Musée du Louvre (Figure 7, courbe B).
Ce résultat a permis de conclure qu'il s'agissait vraisemblablement d'un repeint tardif,
l'emploi de ce pigment n'apparaissant pas avant l'extrême fin du XVe siècle.
Dans le cas de mélanges de colorants, en s’inspirant des travaux de Fuller [15], nous
avons tenté d'obtenir des spectres d'absorption à partir des fractions obtenues par
chromatographie en couches minces (TLC) sur gel de silice. Grâce à l'emploi d'un nanoapplicateur, on a pu effectuer des dépôts très ponctuels sur les plaques
chromatographiques qui ont permis d'obtenir une bonne séparation des constituants
destinés aux mesures. La figure 8 montre un exemple de spectres mesurés en réflexion
138
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 7 : Spectres de réflexion diffuse de deux pigments bleus de cobalt. Courbe A :
étalon de référence de bleu de smalt (réf. 7.01.3, Forbes Collection). Courbe B : microéchantillon bleu prélevé sur un ivoire peint de la fin du XIIIe siècle (Louvre, inv. OA
9443)
diffuse sur la fraction bleue, puis sur la fraction rose d'un chromatogramme de bleu
d'indigo. Les spectres permettent d'identifier pour le bleu la présence d'indigotine
(courbe A) et celle d'indirubine pour le rose (courbe B). Ces résultats ont été ensuite
confirmés par d'autres examens, également réalisés in situ sur les mêmes fractions, soit
par spectrométrie Raman, soit par spectrométrie de fluorescence.
Figure 8 : Spectres de réflexion diffuse mesurés sur des fractions recristallisées de bleu
indigo après séparation chromatographique sur gel de silice (T.L.C.). Courbe A :
fraction bleue d'indigo (indigotine). Courbe B : fraction rose bleuâtre d'indirubine
MICROANALYSE PAR SPECTROMÉTRIE DE FLUORESCENCE VISIBLE
S'il est vrai que l'investigation de micro-échantillons colorés peut être entreprise par la
mise en œuvre de différentes méthodes d'analyse non destructives, le choix de la
méthode la plus appropriée dépend largement de la réponse spectrométrique des
composés étudiés. Par exemple, le spectre d'absorption d'un jaune ou d'un orangé
apporte souvent des résultats ambigus. D'autre part, l'acquisition de spectres Raman à
Analyse non destructive de pigments et de colorants
139
partir de composés dispersés ou fragiles nécessite des procédures particulières, ainsi que
de grandes précautions. Ces particularités augmentent généralement les temps
nécessaires aux analyses dont les résultats risquent en outre, de ne pas être totalement
satisfaisants. Un cas souvent rencontré est celui de l'identification d'un colorant
largement dispersé au sein d'un composé organique ou minéral servant de support à la
couleur. Néanmoins, des spectres Raman caractéristiques ont pu être obtenus à partir de
fractions recristallisées des solutions extraites.
Malheureusement aussi, de nombreux colorants organiques, qu'ils soient naturels ou de
synthèse, sont très fluorescents. Dans ce cas, le bénéfice apporté dans les mesures
Raman par l'effet de résonance est fortement diminué du fait que l'émission de
fluorescence est largement plus intense que l'effet Raman que l'on cherche à mesurer. De
nombreux moyens ont été proposés pour tenter de s'affranchir de cette fluorescence
parasite et la méthode Raman S.E.R.S. constitue l'un d'entre eux [16]. Son principe
repose sur l'exaltation du signal Raman lorsque certains composés sont adsorbés sur une
surface métallique rugueuse. Les propriétés optiques de la surface métallique ainsi que
des interactions spécifiques entre l'adsorbat et cette surface favorisent des transferts
d'énergie qui donnent lieu à l'exaltation du signal Raman en même temps qu'ils
s'accompagnent d'une baisse importante des rendements de fluorescence. De telles
mesures sont néanmoins délicates à mettre en œuvre. Leur succès dépend beaucoup de
la stabilité photochimique des extraits ; ces derniers, une fois sortis de leur support
d'origine, sont en effet rendus plus fragiles.
Un autre moyen de s'affranchir de cette fluorescence consiste à faire le choix, pour la
source excitatrice, d'une longueur d'onde pour laquelle le rendement de fluorescence est
le plus faible possible, mais en général, à cette longueur d'onde aussi, l'effet de
résonance Raman n'a plus lieu non plus.
Une approche radicalement opposée consiste à mesurer au contraire cette fluorescence,
un spectre de fluorescence étant souvent caractéristique d'un composé. C'est ainsi qu'en
utilisant une microsonde Raman, nous avons pu obtenir les spectres de fluorescence de
très petits échantillons solides. De tels spectres offrent ainsi une possibilité
d'identification simple et rapide pour certains composés. Les spectres obtenus montrent
généralement de larges bandes d'émission, mais les maxima sont suffisamment
caractéristiques pour satisfaire aux objectifs d'analyse. En outre, les mesures sont
rapides et ne nécessitent que de faibles puissances d'excitation permettant ainsi l'examen
d'échantillons fragiles. A nouveau, il est utile d'avoir au préalable une bonne
connaissance des spectres d'absorption de manière à pouvoir choisir pour la raie
excitatrice, la longueur d'onde la plus appropriée. La figure 9 présente un exemple de
spectres de fluorescence mesurés pour deux micro-échantillons d'indigo en employant la
raie excitatrice 632 nm d'un laser He/Ne. L'échantillon A est un étalon standard
d'indigo ; l'échantillon B est un microprélèvement effectué sur une initiale peinte en bleu
d'un manuscrit du IXe siècle ayant pour origine le nord de l'Espagne. La comparaison
des deux spectres (les écarts observés peuvent être considérés comme négligeables)
permet d'identifier la présence d'indigo dans ce microprélèvement aux dimensions
voisines de 5 micromètres. Les mesures ont duré quelques minutes et les risques
d'altération photochimique de cet échantillon ont été fortement réduits.
Dans des conditions analogues ont été obtenus les spectres de fluorescence de nombreux
pigments organiques. De nombreux jaunes, par exemple, qu'ils soient d'origine naturelle
(flavoniques) ou artificielle (azoïques) présentent une fluorescence non négligeable.
Cette méthode d'analyse soulève cependant quelques difficultés. La principale d'entre
140
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 9 : Spectres de fluorescence de deux bleus d'indigo. Courbe A : étalon de
référence d'indigo naturel. Courbe B : micro-échantillon bleu prélevé sur une lettre
peinte d'un manuscrit du IXe siècle du Nord de l'Espagne (B.n.F., Nouv. Acq. lat. 260)
elles est, s'agissant de composés solides, le manque de données disponibles publiées à ce
jour. Une autre difficulté vient de la présence toujours possible d'impuretés
fluorescentes susceptibles de contaminer les échantillons analysés, surtout s'agissant
d'objets archéologiques passablement altérés. Enfin, concernant les séparations
chromatographiques T.L.C., les mesures en fluorescence exigent l'emploi de supports et
de solvants exempts de toute impureté fluorescente. Cette précaution étant prise, on a
obtenu les spectres de fluorescence caractéristiques de différentes fractions. Leurs
résultats peuvent être ensuite utilement comparés aux résultats de l'absorption. On
additionne ainsi, pour un même échantillon, des informations complémentaires parfois
très utiles.
En conclusion, on retiendra les possibilités nouvellement offertes d'entreprendre par des
méthodes spectrométriques traditionnelles l'analyse de très petits échantillons. La
majorité de ces méthodes permettent des mesures sans contact et ne sont pas
destructives. Il n'est donc pas exclu de soumettre le même micro-échantillon à plusieurs
examens successifs. Les mesures étant le plus souvent comparatives, il est important de
disposer au préalable d'un grand nombre de spectres de référence. Une telle banque de
données nécessite de disposer aussi d'une collection bien documentée d'échantillons de
référence. Dans la perspective que nous avions d'étudier des peintures de l'Antiquité et
du Moyen Âge, nous avons rassemblé, au fil des années, un tel référentiel constitué à la
fois de pigments et de colorants anciens et de leurs données d'analyse. Cette collection
baptisée "chromothèque" s'enrichit un peu plus au fur et à mesure de chaque nouvelle
étude entreprise.
Analyse non destructive de pigments et de colorants
141
REMERCIEMENTS
L'auteur remercie les responsables de la revue "Studies in Conservation" éditée par
l'International Institute for Conservation of Historic and Artistic Works (I.I.C.) pour
leur accord d'une nouvelle parution réactualisée de son article de 1989 (vol. 34, 38-44)
intitulé : "Non-destructive analysis of organic pigments and dyes using Raman
microprobe, microfluorometer or absorption microspectrophotometer" et tout
particulièrement Mr. D. Bomford de la National Gallery qui, en acceptant en 1989 de
mettre en forme ce premier article, a largement contribué à son succès.
Mes remerciements s'adressent aussi à tous ceux qui, depuis de nombreuses années, ont
participé directement ou indirectement à ces recherches, soit dans la mise au point et
l'application des méthodes mises en œuvre, soit dans l'acquisition et l'interprétation de
leurs résultats : Mr. le Professeur M. Delhaye, ancien Directeur du Laboratoire de
Spectrochimie Infrarouge et Raman du CNRS, Mr. J-N. Barrandon, Directeur de
l'Institut de Recherches sur les Archéomatériaux du CNRS, Mr. le Professeur J. Vezin,
Correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Directeur d'Etudes à la
IVe section de l'École Pratique des Hautes Études [21], Mlle. H. Cherpin, Directrice du
Laboratoire de Police Scientifique de l'Identité Judiciaire de Paris, Mr. E. Da Silva,
Président-Directeur-Général de la Société Dilor, sans oublier naturellement mon ami et
complice de longue date, F. Delamare, partenaire et co-auteur de nombreux travaux
menés en commun [7, 14, 17, 18, 19 et 20], en raison de son intérêt pour l'archéométrie
et pour tout ce qui touche, de près ou de loin, aux innombrables problèmes de surfaces
qui se posent dans ce domaine à l'analyste.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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[14] Guineau B., Le folium des enlumineurs, une couleur aujourd’hui disparue. Ce que nous
rapportent les textes sur l'origine de cette couleur, son procédé d'emmagasinage
sur un morceau d'étoffe et son emploi dans l'enluminure médiévale. Identification
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médiévale, 26, CNRS éditions, (1996), 23-44.
[15] Fuller N.A., Analysis of thin-layer chromatograms of paint pigments and dyes by direct
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APPORT DE LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE DES IONS
SECONDAIRES À TEMPS DE VOL (TOF-SIMS)
À L'ANALYSE DES SURFACES
MONIQUE REPOUX*, ROBERT COMBARIEU* et YVES de PUYDT**
* École des Mines de Paris, CEMEF, UMR CNRS 7635 BP 207, F - 06904 Sophia Antipolis
** PIRELLI, 222 Viale Sarca, 20126 Milano, Italia
RÉSUMÉ
De par la grande diversité de ses champs d'applications, la spectrométrie de masse ToFSIMS s’est révélée une technique extrêmement féconde. Le mode statique de la
spectrométrie de masse des ions secondaires (SIMS statique) s'est considérablement
développé depuis plusieurs années et s'est révélé être un excellent outil d'analyse de
surfaces de composés organiques ou biologiques. Les faibles doses d'ions utilisées pour
la pulvérisation des surfaces permettent l'émission d'ions moléculaires "parents et
fragments" caractéristiques des espèces atomiques et moléculaires présentes dans la
première couche atomique (environ 1 nm). Par rapport au SIMS statique conventionnel,
l'analyse des ions secondaires par temps de vol offre une plus grande sensibilité, une plus
grande résolution en masse ainsi que l'accès à un domaine de masses théoriquement
illimité. L'utilisation de sources d'ions à métal liquide micro focalisées (<0,2 µm) permet
d'obtenir une imagerie moléculaire de la surface. De plus, un faisceau pulsé d'électrons
de faible énergie, neutralisant les charges de surface, rend possible l'analyse des
échantillons isolants. Ces particularités font du ToF-SIMS une technique très
performante pour caractériser la surface des matériaux les plus divers. Adsorption de
molécules organiques ou siliciées sur différents substrats, modification de surfaces de
polymères pour améliorer leurs propriétés adhésives, suivi de synthèses peptidiques, ou
caractérisation d’encres noires sur document écrit, nous allons en donner divers
exemples.
INTRODUCTION
Le développement d'outils analytiques de caractérisation physico-chimique de surfaces
est nécessaire pour déterminer et améliorer les propriétés des matériaux dans le cadre
d'applications diverses telles que l'usure, la corrosion, l'adhésion et la biocompatibilité.
Pour un matériau, l'importance des propriétés de la surface par rapport à celles du
volume lui-même provient du fait que ce sont les atomes de la surface qui sont les
premiers en contact lors de ces opérations tant d'un point de vue électrique que chimique
ou mécanique. Il existe un grand nombre de techniques analytiques utilisables pour
l'étude des surfaces [1-3]. Ces techniques sont toutes dirigées vers le même but : obtenir
une meilleure compréhension de ce qui se passe dans les premiers nanomètres par une
analyse chimique et structurale des espèces. Comme pour la plupart des problèmes
scientifiques, la complémentarité des techniques est toujours nécessaire dans le monde de
l'analyse. Chaque technique a ses spécificités, ses limitations et ses artefacts ; e.g.
144
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
manque de sensibilité (Infra-Rouge), spécificité moléculaire limitée (Auger, XPS),
information limitée (angle de contact), caractère destructif (SIMS dynamique). Mais,
ensemble, ces techniques peuvent apporter l'information appropriée pour résoudre un
problème donné. Cela demande à l'analyste non seulement une bonne définition du
problème (quel type d'information est nécessaire, sur quelle profondeur et à quelle
échelle (mm, µm ou nm)) mais aussi une bonne compréhension des différentes
techniques utilisées. Nous allons ici essayer de répondre à ces questions pour la
technique ToF-SIMS (Time of Flight Secondary Ion Mass Spectrometry). Le potentiel du
SIMS dans l'étude des polymères a été bien déterminé depuis le début des années 1980
[2]. Le développement principal de cette technique vise à obtenir une identification
moléculaire et une répartition des espèces détectées en surface plus précises [4,5] que
celles obtenues par XPS. En dépit du manque de compréhension des phénomènes
physiques se produisant lors de la pulvérisation de la surface par un faisceau de
particules et lors de la formation des ions secondaires, la technique SIMS a rapidement
progressé tant dans le domaine de l'instrumentation que dans celui de la méthodologie
expérimentale. L'utilisation de spectromètres à temps de vol a permis de s'affranchir des
limitations inhérentes aux quadrupoles : meilleure transmission, meilleure résolution en
masse, détection parallèle et domaine de détection en masse illimité. La combinaison de
ce type de spectromètres (qui nécessite un faisceau d'ions primaires pulsé), avec les
techniques de comptage, a rendu possible l'utilisation de très faibles doses d'ions
primaires, et de ce fait a considérablement abaissé le caractère destructif de cette
technique. Les principes de base de cette méthode d'analyse sont ici présentés ainsi qu'un
certain nombre d'applications illustrant son apport à la résolution de quelques problèmes.
PRINCIPE DE BASE
En spectrométrie de masse des ions secondaires (SIMS), l'échantillon solide (compatible
à l'ultra-vide) est bombardé par des ions primaires dont l'énergie peut être fixée entre 5 et
25 keV. L'interaction de ces particules primaires énergétiques avec les atomes de la
surface du solide se fait par un processus de collision du type "boule de billard". Une
partie de l'énergie des ions primaires est transmise aux atomes de la surface donnant lieu
à l'émission de particules secondaires : électrons, ions et neutres provenant des couches
atomiques les plus externes de l'échantillon. Les ions secondaires, positifs ou négatifs,
sont alors extraits, accélérés et analysés en masse. Malheureusement, le mécanisme exact
de la formation des ions secondaires n'est pas encore clairement défini, particulièrement
dans le cas de matériaux organiques.
SIMS STATIQUE
Du fait de l'existence de collisions entre les ions primaires et les atomes de la surface, le
SIMS est une technique destructrice par nature. Lorsqu'une surface reçoit des doses
d'ions élevées (supérieures à 1017 ions/cm2), il y a érosion et formation de cratères ;
l'analyse en masse des ions secondaires émis permet d'identifier les espèces présentes
dans l'échantillon sur une épaisseur de quelques centaines de nanomètres et des profils de
concentration en profondeur sont obtenus par la mesure des intensités de chaque espèce
en fonction du temps : on parle alors de SIMS dynamique. Cette technique donne donc
des informations sur la composition de volume de l'échantillon, et est très utilisée pour
l'étude des minéraux, des métaux et des semiconducteurs. Pour les matériaux organiques,
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
145
très sensibles au bombardement des particules, les doses d'ions primaires employées
doivent être beaucoup plus faibles (inférieures à 1013 ions/cm2) afin de minimiser les
effets de la pulvérisation et de dégradation de la surface : on fait alors du SIMS statique.
Dans de telles conditions, statistiquement, aucun point de la surface ne peut être atteint
par des ions primaires plus d'une fois pendant la durée de l'analyse. La zone perturbée
latéralement est d'environ 10 nm à partir du point d'impact. Elle est fonction de l'énergie
et de la masse des particules primaires. L'utilisation de doses d'ions primaires aussi
faibles réduit le nombre d'ions secondaires formés et demande donc des détecteurs
performants et une transmission élevée pour les systèmes de séparation en masse : les
spectromètres à temps de vol répondent à ces critères.
PROCESSUS D'IONISATION
Une meilleure connaissance des processus d'ionisation des particules secondaires
faciliterait considérablement l'interprétation et la quantification des spectres de masse en
SIMS. On constate en effet que les rendements d'ionisation peuvent être très différents
selon les espèces et selon leur environnement. Plusieurs modèles ont été proposés : alors
que pour les halogènes ou les alcalins, l'ionisation peut se faire directement sous l'impact
de l'ion incident, dans la plupart des matériaux, l'émission et l'ionisation sont deux
processus consécutifs [6]. Dans ce cas, on considère que l'énergie totale de l'ion incident
est transmise au fragment secondaire au cours de la collision. Cette énergie totale est
distribuée en énergie cinétique et énergie interne, la fraction énergie interne (vibrationrotation) croissant avec la masse du fragment. La majorité des espèces désorbées le sont
sous forme de particules neutres possédant un excès d'énergie interne et l'ionisation
intervient lors du processus de relaxation, soit dans la zone frontière matière-vide
(selvedge) via une interaction rapide ion-molécule et transfert de charge électronique,
soit après leur sortie dans le vide via une dissociation non adiabatique. Ces processus de
relaxation dépendent, bien sûr, du type de liaison (ionique ou covalente) et de l'état
électronique des molécules dans le matériau étudié : c'est ce qui est communément décrit
comme "effet de matrice". Une façon de s'affranchir de cet effet est d'accroître le
rendement ionique secondaire en envoyant par exemple un rayonnement laser ou un
faisceau d'électrons tangentiellement à la surface pour post-ioniser les particules neutres
émises.
PROFONDEUR D'ANALYSE
Lorsqu'on s'intéresse à des phénomènes de ségrégation en surface ou à des problèmes de
contamination, il est important d'avoir une idée de l'épaisseur de la couche d'où provient
l'information chimique. Les principaux facteurs influençant sont la masse et l'énergie à la
fois des ions primaires et des ions secondaires (les ions atomiques ont une distribution en
énergie plus large que les ions moléculaires). Cependant ces influences n'ont jamais été
étudiées de façon systématique. Une valeur généralement admise pour la profondeur
analysée en SIMS statique est de l'ordre du nanomètre, ce qui correspond aux toutes
premières couches atomiques de la surface [7-9]. Cette notion est cependant difficile à
conceptualiser pour des matériaux organiques ou polymères.
INSTRUMENTATION TOF-SIMS
Puisque c'est l'extrême surface des échantillons qui est étudiée en SIMS statique, les
146
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
analyses doivent être effectuées sous ultravide (pression inférieure à 10-8 Pa), afin de
s'assurer que l'information chimique recueillie provient bien de la surface étudiée et non
des espèces environnantes adsorbées. Il faut cependant garder à l'esprit que la mise sous
ultravide peut entraîner la désorption de produits volatils qui ne pourront donc jamais
être analysés par cette méthode.
Les principales composantes spécifiques d'un spectromètre ToF-SIMS sont la source
d'ions primaires et le système de séparation en masse.
SOURCES D'IONS PRIMAIRES
Les mesures de temps de vol nécessitent un faisceau d'ions primaire pulsé et mono
isotopique. Différents types de sources d'ions peuvent être utilisés : à impact électronique
de gaz nobles (Ar, Xe) ou réactifs (O2) suivi d'une séparation en masse, à ionisation de
surface (Cs) ou à métal liquide (69Ga, 115In). Ces dernières, basées sur l'ionisation par
effet de champ du métal liquide venant mouiller une pointe de tungstène, permettent
d'obtenir des faisceaux très fins (100 à 200 nm de diamètre). Les ions créés sont
accélérés pour atteindre une énergie comprise entre 5 et 25 keV.
Pour obtenir une haute résolution en masse, un paramètre important est la durée du pulse
d'ions primaires. Les largeurs de pulse utilisées sont de l'ordre de la nanoseconde avec
une fréquence de répétition de 10 à 20 kHz. Le nombre d'ions par pulse est inférieur à
100.
Des images à haute résolution latérale peuvent être obtenues par balayage de la surface
avec un faisceau focalisé : le signal reçu par le détecteur d'ions secondaires est alors
enregistré en fonction de la position du faisceau primaire sur l'échantillon. Les sources
d'ions à métal liquide (LMIG), sont utilisées dans ce but. Le problème majeur rencontré
dans l'imagerie est d'obtenir des signaux suffisamment intenses tout en conservant des
conditions statiques de bombardement.
SPECTROMÉTRE À TEMPS DE VOL
Un schéma de principe de cette technique est présenté sur la figure 1. La séquence
d'analyse est la suivante : un faisceau d'ions primaires pulsé est envoyé sur la surface de
l'échantillon. Entre deux pulses consécutifs, les ions secondaires, soit positifs, soit
négatifs, sont extraits et accélérés sous plusieurs kilovolts de telle façon qu'ils aient tous,
à l'énergie initiale près, la même énergie cinétique. Ils conservent cette énergie sur un
trajet d'environ 2 mètres, jusqu'à leur arrivée sur le détecteur.
Tous les ions parcourant ce trajet avec la même énergie, le temps qui leur est nécessaire
pour atteindre le détecteur est proportionnel la racine carrée de leur masse (il est
d'environ 80 µsec pour un ion de masse 1000). La dispersion en temps due à la
distribution en énergie initiale est corrigée par la géométrie du spectromètre : secteurs ou
miroir électrostatiques sont utilisés dans le but d'allonger ou de raccourcir le trajet des
ions ayant un excès ou un défaut d'énergie par rapport à l'énergie moyenne. Pour
terminer, un convertisseur digital (TDC) permet la détection quasi-parallèle de 1 ou
plusieurs (8 à 256) ions secondaires par pulse primaire.
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
147
TDC
s
on
d’i
e
n
urc
tio
so
sa
i
l
a
foc
lse
pu
ge
ya
a
l
ba
détecteur
m1
zone à énergie
constante
m2
pulse d’ions
primaires
zone d’accélération
échantillon
Figure 1 : Schéma de principe de la spectrométrie de masse d'ions secondaires par
mesure de temps de vol
Les spectres obtenus représentent le nombre d'ions arrivant sur le détecteur en fonction
du temps et donc de la masse (l'affichage se fait en général directement en fonction de la
masse). La mesure précise de la masse de ces ions résulte d'une procédure de calibration
par rapport à la masse exacte d'un certain nombre d'ions connus et systématiquement
présents en surface de tous les échantillons comme par exemple H, CH3 et C2H3 pour les
spectres d'ions positifs. Ce type de calibration est simplifié du fait de la détection quasiparallèle des ions : contrairement aux spectromètres utilisant une rampe de balayage pour
obtenir un spectre (quadrupoles, secteurs magnétiques), ici, statistiquement, tous les ions
sont extraits de l'échantillon au même instant et voient donc strictement les mêmes
champs.
COMPENSATION DE CHARGE
La plupart des matériaux organiques étant isolant électrique, il va y avoir accumulation
de charges positives en surface (charges positives apportées par le faisceau incident d'une
part, et éventuellement départ d'ions négatifs et d'électrons secondaires d'autre part). Le
potentiel de la surface de l'échantillon va donc s'accroître d'une tension pouvant aller
jusqu'à plusieurs centaines de volts, décalant l'énergie cinétique des ions secondaires
formés hors de la fenêtre d'énergie acceptée par le spectromètre. Ce problème, bien que
limité sur les ToF-SIMS du fait des sources d'ions pulsées et des très faibles doses
utilisées, est cependant crucial et il est nécessaire de compenser les charges produites
pour analyser des échantillons épais isolants. Le contrôle du potentiel de surface durant
l'analyse apparaît donc comme primordial pour obtenir des spectres d'ions secondaires
significatifs [10-12].
Deux techniques permettent de résoudre ce problème : utiliser des faisceaux primaires de
148
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
particules neutres (atomes au lieu d'ions) [10,11] mais malgré cela, le bilan des charges
électriques peut rester positif en raison des ions et des électrons extraits de la surface.
L'autre solution, la plus utilisée, consiste à inonder la surface avec des électrons de faible
énergie. Cette technique est facilitée dans les spectromètres à temps de vol, puisque dans
ce cas, les électrons sont envoyés entre deux pulses d'ions, en l'absence de champ
électrique au voisinage de la surface. Ce procédé peut parfois induire des phénomènes de
désorption ou de dégradation de la surface.
CAPACITÉS ANALYTIQUES ET LIMITATIONS
Comparé aux autres techniques généralement utilisées en analyse de surface, le ToFSIMS présente un certain nombre d'avantages :
1- Le premier est inhérent à la spectrométrie SIMS : détection de l'hydrogène et des
isotopes avec d'excellentes limites de détection (ppm).
2- Le mode statique permet l'identification directe du composé par la détection des ions
secondaires moléculaires présents dans les toutes premières couches atomiques de la
surface.
3- La combinaison avec un système de séparation des masses à temps de vol permet
d'obtenir une très haute résolution en masse (M/∆M pouvant atteindre 10000 à la masse
28) et de détecter des ions dans un domaine de masses théoriquement illimité.
4- La détection parallèle des ions permet une calibration en masse plus aisée et donc la
détermination de la masse exacte des ions secondaires. Elle permet aussi la superposition
parfaite des images de répartition.
5- L'utilisation de faisceaux d'ions de taille submicronique donne des capacités
d'imagerie de surface de haute résolution latérale aussi bien pour des espèces atomiques
que pour des espèces moléculaires.
Cependant comme nous l'avons déjà mentionné, la technique ToF-SIMS souffre de
quelques limitations :
1- En premier lieu, son incapacité à détecter des produits trop volatils qui désorbent
aisément de la surface lors de la mise sous ultra-vide des échantillons.
2- L'interprétation quantitative des spectres est difficile et nécessite des étalonnages
soigneux et la combinaison avec d'autres techniques d'analyse telles que les
spectroscopies d'électrons.
3- Les excellents seuils de détection couplés à l'extrême sensibilité aux espèces présentes
en surface, si utiles pour la résolution de certains problèmes, peuvent parfois se révéler
être une limitation, principalement lors de contaminations externes non désirées. Aussi,
bien que l'étude de surfaces "réelles" soit tout à fait possible, des préparations et des
manipulations très soignées des échantillons s'avèrent nécessaires.
Malgré ces quelques limitations et le fait que l'on soit toujours à la recherche d'une
meilleure compréhension des mécanismes de formation des ions secondaires, la
technique reste tout particulièrement utile lorsqu'on aborde des problèmes dans lesquels
la surface joue le premier rôle (adhésion, impuretés et contamination de surfaces par
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
149
exemple).
INTERPRÉTATION DES SPECTRES
A l'heure actuelle, les mécanismes d'émission et d'ionisation des ions ne peuvent que
difficilement prévoir qualitativement et encore moins quantitativement les spectres de
SIMS statique à partir de la structure chimique de la surface.
Aussi d'un point de vue pratique, la stratégie des premiers groupes travaillant sur SIMS a
été d'étudier des surfaces dont la chimie était bien caractérisée par d'autres techniques et
de les utiliser comme des références [2]. Des bibliothèques de spectres de SIMS statique
obtenus avec des spectromètres de masse quadrupolaires [13,14] ont déjà été constituées
sur une grande variété de surfaces de polymères et d'additifs. Wiley vient de compléter
ce Handbook par des spectres obtenus en ToF-SIMS [15]. Ces bibliothèques donnent ce
qui est appelé "l'empreinte digitale" d'une grande variété de composés. Cette partie des
spectres est souvent la plus intéressante pour l'identification de polymères.
L'interprétation de ces spectres est très semblable à celles des spectres obtenus par des
méthodes dites conventionnelles (EIMS ou Electron Impact Mass Spectrometry),
cependant la fragmentation est en général plus importante sur les spectres de SIMS
statique. Des travaux plus fondamentaux sont aussi effectués avec des spectromètres de
masse "tandem" dans le but de comprendre les mécanismes de fragmentation se
produisant lors du bombardement [16,17]. Une interprétation plus détaillée des spectres
sera décrite dans la section réservée aux applications.
APPLICATIONS DU SIMS STATIQUE
La technique ToF-SIMS peut être utilisée dans des domaines très divers aussi bien sur
des matériaux inorganiques (métaux, semiconducteurs, verres) qu'organiques, polymères
ou biologiques, conducteurs ou isolants. Nous reportons ici un certain nombre
d'applications montrant les capacités de cette technique.
MATÉRIAUX INORGANIQUES
Quelques articles dans la littérature [2-18] sont consacrés à son utilisation dans la chimie
de surface de matériaux inorganiques, les principaux portent sur des réactions de surface
en corrosion, lubrification, électrochimie, catalyse hétérogène et dans l'élaboration de
circuits intégrés, de semiconducteurs et de films en couches minces.
Les exemples qui suivent sont pris parmi les études effectuées au CEMEF avec un
spectromètre Charles Evans & Associates TRIFT de la première génération [19].
Interfaces dans des multicouches Fe/Co
Les interfaces dans les multicouches ont largement été étudiées en SIMS dynamique :
cependant, des corrections restent à faire car la forme des profils obtenus aux interfaces
peut être perturbée par la rugosité induite par le faisceau incident, par les phénomènes de
poussage dû au faisceau primaire et par les éventuelles différences de vitesses de
pulvérisation des matériaux. Dans le cas du multicouche Fe/Co présenté ici, fer et cobalt
ont des taux de pulvérisation très voisins, néanmoins, il est très visible sur les profils
d'érosion du système "Fe(30 nm)/Co(50 nm)/Fe(100 nm)" que l'interface inférieur Co/Fe
est beaucoup plus large que l'interface supérieur Fe/Co.
150
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
(a)
(b)
Image
α
Fe (30 nm)
Co (50 nm)
Fe (100 nm)
Si
250 µm
image Fe+
Intensité relative
(d)
(c)
1
0,8
0,6
SIMS dyn.
0,4
TOF
0,2
0
0
40
80
120
profondeur (nm)
image Co +
Figure 2 : a) Schéma d'une coupe d'un cratère d'érosion ionique dans un système
Fe/Co/Fe sur silicium - b) Image ionique du bord de cratère : répartition de Fe+ - c)
Répartition de Co+ - d) Profil d'intensité du Co+ mesuré à partir de l'image comparé au
profil obtenu en SIMS dynamique
Ces échantillons ont été observés en SIMS statique. Ici, ce ne sont donc plus des profils
d'érosion qui sont réalisés mais des images ioniques des bords de cratères obtenus au
préalable dans un SIMS dynamique conventionnel pendant l'enregistrement des profils.
Ces bords forment des biseaux avec un angle très faible de quelques milliradians [20].
Les images ioniques des bords de cratères (Figure 2) montrent clairement le cobalt au
centre du fer. Connaissant l'épaisseur globale de la couche de cobalt, il est facile de
traduire en épaisseur les mesures faites sur l'image et donc en particulier l'épaisseur des
interfaces. Les profils obtenus à partir des images sont comparés aux profils obtenus en
SIMS dynamique : alors que sur les profils de SIMS dynamique, obtenus avec un
faisceau d'ions O2+ de 5,5keV, sans apport auxiliaire d'oxygène sur la surface, on mesure
une largeur de 10 nm pour l'interface supérieure Fe/Co et 30 nm pour l'interface
inférieure Co/Fe, les valeurs obtenues à partir des images en SIMS statique sont
respectivement de 20 et 22 nm.
La plus forte valeur obtenue pour l'interface supérieure peut s'expliquer par une
focalisation insuffisante du faisceau utilisé pour obtenir les images ioniques, par contre,
la symétrie du profil obtenu et la valeur plus faible pour l'interface Co/Fe semble montrer
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
151
que l'imagerie en SIMS statique permette de s'affranchir des effets de la rugosité induite.
Mélanges d'oxydes Sb2O4 - (VO)2P2O7
Les oxydes du type VPO sont utilisés dans les réactions d'oxydation du type : C4H10 +
O2 -→ anhydride maléique. L'addition d'oxydes de type Sb-O aux V-P-O améliore leurs
propriétés catalytiques. Le but de cette étude est de trouver une explication aux
changements du comportement en catalyse de ces matériaux.
Les deux types d'oxydes ainsi que leur mélange avant et après catalyse à 400°C ont été
analysés en TOF-SIMS.
Malgré une certaine hétérogénéité, les spectres obtenus sur les mélanges (Figure 3)
montrent clairement que, en plus des oxydes initiaux, des clusters de type SbxVyOz, sont
présents en surface et par conséquent qu'il y a bien réaction entre ces 2 types d'oxydes.
Ce sont ces produits de réaction qui pourraient être précurseurs dans le processus de
catalyse.
Nbre de coups
SbVO3
VPO2
SbVO4H
VPO
SbVO2
200
220
240
Sb2O2
260
280
Sb2O3H
300
masse (uma)
Figure 3 : Spectre d'ions positifs du mélange d'oxydes Sb2O4 - (VO)2P2O7 montrant les
espèces créées lors du mélange
Contamination d'une surface de verre
Par du polypropylène
Une lame de verre de microscope nettoyée aux ultrasons dans un bain d'hexane puis de
méthanol a été mise en contact avec un film de polypropylène alimentaire. Des analyses
ToF SIMS sont réalisées sur cet échantillon avant et après contact avec le polymère.
Les spectres en ions positifs de la figure 4 montrent qu'un simple contact peut modifier
totalement l'extrême surface d'un échantillon : alors que les pics majoritaires sur la
surface initiale étaient le magnésium et le silicium caractéristiques du verre, les pics
dominant le spectre de la surface obtenue après contact sont ceux du polypropylène soit :
C3H5, C4H7, C5H9, respectivement aux masses 41, 55 et 69. De plus, on observe des
152
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
ions moléculaires à des masses plus élevées : 265 et 339 uma correspondant
respectivement à C18H33O et C21H39O3, caractéristiques d'un oléate de glycérol.
Figure 4 : Spectres d'ions secondaires positifs (a) d'une surface de verre nettoyée à
l'hexane et au méthanol, (b) après contact avec un film de polypropylène alimentaire
Par des résidus minéraux
L'étude menée a pour but de déterminer l'origine de défauts de surface visibles en milieu
industriel sur des pièces moulées de polycarbonate.
A l'endroit de ces défauts, on constate que le polycarbonate n'adhère pas parfaitement à
la paroi du moule de verre. Il en résulte des défauts de planéité sur la pièce en polymère
obtenue après démoulage.
Des analyses en SIMS statique sont effectuées après démoulage sur les parois des moules
en verre incriminés afin de comparer la composition de surface des zones avec défaut et
des zones sans défaut.
Hors du défaut (figure 5a) on constate qu'un film de polymère est resté en surface du
moule. Au contraire, dans la zone avec défaut (figure 5b), les espèces majoritaires sont
inorganiques, avec notamment la présence de plomb, d'indium, de potassium, de fer et
d'aluminium.
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
153
Ces moules sont utilisés de nombreuses fois et subissent à chaque cycle différents types
de nettoyage. Des analyses ToF-SIMS complémentaires effectuées sur les moules aux
différentes étapes du processus de nettoyage, ont permis de trouver l'origine de la
contamination.
Figure 5 : Spectre d'ions positifs de la paroi interne du moule en verre (a) d'une zone
sans défaut (b) d'une zone avec défaut
MATÉRIAUX ORGANIQUES
Une partie importante de la littérature sur les applications ToF-SIMS est dédiée à des
matériaux organiques : détection, identification et analyse structurale de biomolécules,
produits pharmaceutiques, polymères synthétiques ou autres molécules organiques non
volatiles et thermiquement stables [21-23]. La modification de surfaces de polymères par
des traitements aussi bien chimique que physique a aussi été largement étudiée par SIMS
statique. Reed et Vickerman [24] présentent une très bonne revue sur les applications du
SIMS statique à l'analyse de surface des polymères. Pour notre part, nous avons utilisé
cette technique pour différentes applications : détection d'additifs sur des surfaces de
polymères, ségrégation en surface et analyse de fracture de copolymères chargés,
modification de la surface de polymères par différents types de traitement plasma,
adsorption de molécules organiques sur métaux, nettoyage de surface de matériaux,
réactivité des additifs de lubrifiant en laminage à froid, contrôle de synthèses peptidiques
en chimie combinatoire, analyse de surface de composés organo-siliciés et
154
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
caractérisation d'encres anciennes.
Monocouche de PDMS sur Ag
Le premier exemple porte sur l'interprétation de spectres obtenus sur une monocouche de
polydiméthylsiloxane (PDMS) déposée sur un substrat d'argent. Généralement, les
spectres ToF-SIMS obtenus sur des couches minces de polymère déposées sur métal
noble peuvent être divisés arbitrairement en trois régions :
La première appelée fingerprint (Figure 6a) couvre le domaine de masses 0-100. Cette
région contient les ions issus de la fragmentation des unités monomères. C'est la plus
utile pour l'identification des polymères, sa comparaison avec des spectres de référence
publiés dans des bases de données donne en général l'identification directe de la plupart
des ions détectés.
La deuxième région appelée "région fragment" contient des ions formés à partir de
plusieurs unités monomères avec ou sans groupements terminaux. Ces fragments sont
principalement engendrés par des scissions statistiques de la chaîne principale, ou bien
proviennent directement de la déprotonation de chaînes oligomères de faible poids
présentes initialement à la surface de l'échantillon.
Dans la troisième région, appelée "région oligomère", des oligomères intacts de plus haut
poids moléculaire peuvent être identifiés. Ils sont généralement désorbés comme
particules neutres et leur détection se fait sous la forme de molécules neutres cationisées
par les ions métalliques provenant du substrat. Comme conséquence directe, la "région
oligomère" n'est pas observée sur des échantillons polymères épais. L'information
contenue dans cette région n'est cependant pas dénuée d'intérêt car elle permet d'avoir
accès à des renseignements d'une part sur l'unité moléculaire par la différence de masse
entre deux ions oligomères successifs et, d'autre part, sur la distribution en poids
moléculaire à la surface du polymère.
Si l'interprétation des spectres ToF-SIMS de surfaces de polymères purs peut paraître
plutôt simple, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'étudier les spectres de surfaces
"réelles" dont la chimie de surface est très souvent altérée par la contamination, par la
présence d'additifs ou d'agents de démoulage industriel ou encore par des phénomènes de
ségrégation de surface comme cela peut être le cas dans les copolymères ou les mélanges
de polymères.
Certains groupements chimiques ayant des rendements d'ionisation plus importants en
négatif qu'en positif (halogènes) ou inversement (métaux), l'obtention des spectres d'ions
secondaires positifs et négatifs est souvent d'un grand intérêt, les informations obtenues
par l'examen des deux spectres pouvant être complémentaires. La comparaison des
spectres obtenus en mode positif et négatif avec les spectres de référence des différents
constituants ainsi que la haute résolution en masse des spectres ToF-SIMS sont alors d'un
grand secours.
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
155
masse (uma)
Figure 6 : Spectre d'une monocouche de polydiméthylsiloxane sur un substrat d'argent :
(a) région "fingerprint", (b) région "fragments", (c) région "oligomère"
Adsorption du benzotriazole sur divers substrats
Une bonne façon de protéger les métaux des attaques chimiques consiste à bloquer de
156
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
façon durable les sites réactionnels présents sur leur surface. Utiliser pour cela un
réactant qui provoque la formation d'un film ultra-mince de quelques centaines de
nanomètres d'épaisseur, voire une simple couche adsorbée offre l'avantage de ne pas
changer l'aspect de surface du métal. Dans ce domaine comme dans celui des additifs
réducteurs de frottement en lubrification non-hydrodynamique, le caractère spécifique
des réactions substrat-adsorbat et la médiocre compréhension que l'on a de l'adsorption
chimique des molécules organiques ont laissé sans guide les expérimentateurs. Procédant
par tâtonnements, on a rapidement remarqué que certains groupements chimiques
montraient de remarquables affinités avec des substrats particuliers. C'est le cas du
groupement triazole avec le cuivre et les sels de ce métal. L'efficacité du pouvoir
inhibiteur de corrosion du benzotriazole (BTA) C6H5N3 a été exploitée dès les années
1960 pour traiter les bronzes. Depuis lors, de nombreux travaux ont été publiés
s'appuyant sur de nombreuses méthodes d'analyse (IRAS, XPS, UPS, LAMMA, SIMS
statique-désorption thermique), s'efforçant de percer à jour les raisons de ce
comportement singulier en déterminant l'épaisseur, la composition chimique et la
structure de la couche protectrice formée.
Selon les méthodes d'investigations utilisées, les auteurs présentent différents modèles
pour la représentation de la structure de la couche de benzotriazole adsorbée. Ceux qui
utilisent des méthodes vibrationnelles (UPS, IRAS) assurent que les molécules de BTA
planes s'adsorbent non pas à plat, mais en épi sur le substrat [25] Ceux qui s'intéressent
aux éléments présents à la surface (AES, XPS, SIMS statique, LAMMA, ToF-SIMS)
penchent en faveur d'adsorption de la molécule à plat sur la surface [26-28].
Nous avons repris cette étude [29] en combinant les techniques XPS et ToF-SIMS et en
comparant les résultats obtenus sur différents substrats Cu, Si, Fe, laiton et argent. Ils
confirment tout à fait les données de la littérature : la réactivité du benzotriazole envers
le cuivre constitue un cas particulier.
Les résultats obtenus par XPS montrent aussi que les molécules de BTA ont remplacé
toutes les molécules hydrocarbonées présentes initialement à la surface du cuivre, que les
rapports entre Cu/N/C sont bien dans le rapport 1/3/6 comme pour un polymère organocuivreux possédant une structure bidimensionnelle couvrant la surface du cuivre
confirmant ainsi le modèle de Cotton. Les résultats obtenus sur des surfaces de laiton α
65/35 sont analogues, ce qui peut s'expliquer par le fait que les premières couches de la
surface d'un laiton sont exemptes de zinc.
La figure 7 montre les spectres ToF-SIMS obtenus en mode positif et négatif sur cette
surface : non seulement les ions caractéristiques de la molécule de benzotriazole à m/z=
120 (M+H)+ et m/z=118 (M-H)- sont observés mais, en plus, des séries d'ions du type
CuxBTAy et Cux BTAxCN sont aussi identifiées aussi bien en positif qu'en négatif. En
spectrométrie de masse, ce type d'ions est souvent associé à un processus de cationisation
de la molécule organique par certains substrats (Ag, Cu), cependant les spectres obtenus
avec l'argent, bien connu pour être le meilleur agent cationisant, ne montrent jamais des
espèces AgxBTAy aussi abondantes qu'avec le cuivre. De plus, l'observation de ces pics,
en ions positifs comme en ions négatifs sont des preuves supplémentaires de la présence
d'un polymère organo-cuivreux. Des expériences complémentaires sont en cours pour
tenter de différencier plus directement les ions issus de cationisation de ces ions
moléculaires issus du polymère organo-cuivreux formés en surface du cuivre. La figure 8
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
157
illustre les hétérogénéités de composition obtenues après 10 minutes de trempage de
cuivre dans une solution de BTA : les régions initialement riches en chlorure de sodium
empêchent l'adsorption du BTA, il est peu probable que le chlore participe à la structure
du film adsorbé.
2
x 103
23Na
a+
1
Nombre de coups (unités arbitraires)
63Cu+
0
0
100
200
300
400
x 103
3 63 + C H NCu +
6 4
2 218
Cu
216
MCu2+
2
244
(M+2H)+
120
1
152
500
600
700
800
b+
+
369 M2Cu3
M3Cu4+
606
M4Cu5+
787
426
0
0
100
x 103
M-
CHN
200
300
400
M2Cu2CN388
6 4 3
690 118
MCuCN- M2Cu
4
600
700
M3Cu2-
800
b-
C18H12N9Cu2
480
C7H4N4Cu C12H8N6Cu
207
299
2
0
500
100
200
300
400
500
600
700
800
masse/charge (Dalton)
Figure 7 : Comparaison des spectres de masse d'une surface de cuivre avant (a+) et
après trempage dans une solution à 3% de BTA dans du méthanol (b+ et b-)
158
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 8 : Images de répartition en ions BTA-, Cu+, Na+ et Cl- sur une surface de
cuivre trempé 10 minutes dans une solution de BTA dans du méthanol
Traitement plasma de surfaces de polypropylène
La technique ToF-SIMS s'est souvent révélée comme un outil analytique puissant pour
l'étude de modification de surfaces de polymères dans le but d'accroître leurs propriétés
adhésives : identification de nouveaux groupements chimiques, scissions de chaînes ou
des changements plus subtils tels que des ramifications de chaînes ou des insaturations.
Des traitements plasma sont souvent utilisés mais leur efficacité varie en fonction du gaz
utilisé (oxygène, air, ammoniac...). La figure 9 présente un spectre de masse à haute
résolution obtenu sur une surface de polypropylène (PP) oxydée dans l'air par une
décharge plasma [30,31]. Pour une même masse nominale (m/z = 43), on observe, en
plus d'un ion caractéristique du PP (C3H7), l'espèce oxydée (C2OH3) et azotée (C2H5N)
correspondant à des greffages sur la chaîne du polypropylène en fonction des conditions
du traitement plasma ; de plus, le pic identifié comme SiCH3 indique clairement que la
surface de l'échantillon a été contaminée par une huile siliconée provenant du réacteur.
Cet exemple montre que des résolutions en masse de l'ordre de 5000 peuvent facilement
être obtenues même sur des échantillons isolants, ce qui est souvent suffisant dans la
plupart des problèmes rencontrés dans l'analyse de matériaux organiques.
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
159
Figure 9 : Spectre de masse à haute résolution obtenu sur une surface de polypropylène
oxydée dans une décharge plasma montrant la contribution des différentes espèces
ioniques à la masse 43
Peptides
Les synthèses sur support polymère sont communément utilisées pour la préparation de
bio molécules, de nucléotides et de peptides ; ainsi dans ce cas, le peptide désiré peut
être obtenu après une succession de cycles de couplage d'un amino-acide puis
déprotection (schéma ci-dessous).
R1
Linker
AA1
P
déprotection du N-terminal
R1
Linker
Linker
AA1
H
R1
R2
AA1
AA2
R1
Linker
AAn
Rn
P
AA1
couplage du second aminoacide
P
R2
AA2
Cycles multiples de
déprotection/couplage
Rn
AAn
P
Support polymère
Aminoacide en position n
Groupement protecteur si nécessaire
Groupement protecteur N-terminal
La détermination de la structure des composés formés ne peut être effectuée qu'après le
160
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
clivage du composé de son support polymère et sa solubilisation dans des solvants
organiques avant analyse par des méthodes spectroscopiques standards telles que les
RMN et les spectroscopies de masse (Fast Atom Bombardment - Electrospray Ionisation
et Matrix Assisted Laser Desorption). Ce contrôle prend énormément de temps et ne peut
se faire que sur quelques étapes réactionnelles intermédiaires ou à la fin de la synthèse.
Par ToF-SIMS, toutes ces procédures d'isolation ou de solvatation ne sont pas
nécessaires et le contrôle pas à pas de synthèses peptidiques par voie solide sur support
Merrifield [32] et Sheppard [33] a pu être ainsi réalisé, que le peptide soit lié au support
de façon covalente ou ionique [34].
57 Boc
Ion total
In
70 Pro
II
III
IV
120 Phe
Phe-Pro: bleu ; Boc: rouge
30 µm
PS-Ala-Phe-Pro-Boc
PS-Ala-Phe-Pro-H
Figure 10 : Images de répartitions des ions In+, Boc (57), Pro(70) et Phe (77+91+120)
et superposition des images en 57 Boc (rouge) et Phe-Pro (bleu) d'un mélange de billes
après réaction de déprotection du peptide
La figure 10 montre les distributions spatiales en ions 70(Pro), en ions 57(Boc), en ions
77+91+120 (Phe) ainsi que la superposition des images en 57Boc (rouge) et dipeptide
Phe-Pro (bleu) d'un mélange de billes consécutif à la réaction de déprotection du
dipeptide par l'acide trifluoroacétique. On constate que le peptide Ala-Phe-Pro est bien
présent à la surface des 3 billes et que le groupement protecteur Boc reste présent sur une
seule bille, le traitement de déprotection n'a donc pas été complet.
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
x 103
C2H3O
43 55
2
1
50
x 104
C4H9
57
2941
4
4
2
C4H9
57
2
1
50
250
77 87
Lys
20 x
Phe
120
(b)
5x
200
300
250
166
Rink
227
(c)
243 255 259
91
100
120
43 Pro 87
70
91
77 107 Phe
27
120
15
150
Fmoc
200
0
100
250
300
(d)
179
165
227 233
0
50
300
165
150
100
87
200
Fmoc 179
91 Phe
120
130
84
15 29
150
87
50
0
x 104
5x
100
15
0
x 104
(a)
C3H7O2
87
15 27
0
2
69
161
150
200
250
masse (uma)
5x
300
Figure 11 : Spectres en ions positifs d'une série de composés (a) : HEMA-βAla ; (b) :
HEMA-βAla-HMPA-Glu(OtBu)-Phe-Fmoc ; (c) : HEMA-βAla-Rink-Phe-Lys(Z)-Boc ;
(d) : HEMA-βAla-Kiso-Pro-Phe-Fmoc
Le ToF-SIMS permet de suivre étape par étape l'avancement des synthèses et de mettre
en évidence les réactions parasites [33]. Les méthodes de synthèses en chimie
combinatoire font appel à des séries de réactions chimiques avec des choix multiples de
réactifs pour chaque étape, ce qui entraîne la formation d'un très grand nombre de
composés de complexité croissante. Le développement toujours plus rapide de ces
162
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
méthodes fait maintenant appel à des approches MultipinTM dont la stratégie est
particulièrement bien adaptée pour l'optimisation des conditions de réaction. Nous avons
montré que la technique ToF-SIMS pouvait être appliquée à une grande variété de pins
chargés de différents dipeptides. Ainsi un grand nombre de composés du type : Résine Spacer - Linker - Peptides - Protecteur ont été analysés par cette méthode.
Résine = polystyrène (PS), polyamide (PA), hydroxyl éthyl acrylate (HEMA), acide
méthacrylique /diméthyl acrylamide (MA/MDA). Spacer= β-Ala. Linker= acide 4hydroxy méthyl phénoxy acétique (HMPA), groupement amide (Rink), ou groupement à
fort encombrement stérique (Kiso). Peptides= Alanine (Ala), Phényl alanine (Phe),
Proline (Pro), Leucine (Leu), Lysine (Lys), acide glutamique (Glu). Groupe protecteur
= tert-butoxy carbonyle (Boc), 9-fluorényl oxy carbonyle (Fmoc), phtalyle (Pht), benzyl
oxy-carbonyle (Z), trifluoro acétyle (CF3COO).
Sur la figure 11, on peut constater que toute modification d'une partie du pin se traduit
sur les spectres par la présence des pics caractéristiques du groupement modifié (peptide,
protecteur, linker ou support polymère) : ainsi sur (a), les pics 87 et 43 sont
caractéristiques du support polymère ; sur (b), les pics 77/91/120 sont caractéristiques de
Phe et 165/179 de Fmoc, le pic 57 étant caractéristique de tBu ; sur (c), le groupement
Boc est caractérisé par 57, Phe par 77/91/120, Lys par 84, et Rink par
166/227/243/255/259, sur (d), Pro est caractérisé par 70 et Phe par 77/91/120.
Cette étude a permis de montrer que la technique ToF-SIMS était bien adaptée à
l'analyse in situ de synthèses peptidiques en phase solide, tant sur support résine (billes)
que sur support plastique (pins). Cette technique qui ne nécessite aucun traitement
chimique préalable donne des résultats reproductibles. De plus, si aucune étude
quantitative n'a encore été entreprise dans le cas de mélanges, des réactions de
déprotection incomplète ou de réactions dérivées ont déjà été mises en évidence.
Organosiliciés
Des matériaux hybrides organiques-inorganiques.du type R-SiO1,5 et 1,5OSi-R-SiO1,5
sont obtenus par des procédés sol-gel : hydrolyse et polycondensation à partir de
précurseurs du type RSi(OR')3 avec R= groupement hydrogène, méthyle, éthyle, alkyle,
halogéno alkyle, aromatique et ferrocényle. Les poly organo silesquioxanes formés sont
tous des gels amorphes, non hydrolysables et pratiquement insolubles, se présentant sous
la forme de réseaux tridimensionnels. Leur analyse chimique ainsi qu'un certain nombre
de méthodes spectroscopiques (IR, RMN) montrent qu'en volume, le radical R reste lié
au Si de façon covalente. La localisation de ce radical, à cœur ou en surface du solide,
est cependant d'un grand intérêt, influençant les propriétés de surface du matériau dans
de nombreuses applications (adhésion, mouillage, stabilité à long terme et en
température, biocompatibilité).
Ces informations ne peuvent être obtenues par les méthodes spectroscopiques
précédemment citées qui ne donnent des renseignements que sur la composition globale
en volume, c'est pourquoi une investigation par ToF-SIMS de l'émission d'ions
secondaires de ces composés hybrides a été entreprise. Les spectres de masse obtenus sur
ces composés (figure 12) nous ont permis, d'une part, de vérifier leur état de propreté en
surface et, en particulier, l'absence des pics caractéristiques des précurseurs
correspondants R-Si(OR')3 et, d'autre part, de constater la présence du radical organique
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
27
15
10
69
41
39
43 45
20
30
40
Si
28
50
60
163
(a)
71
70
80
90
100
SiOH
45
(b)
15
Nombre de coups (unités arbitraires)
10
20
15
30
20
60
40
55
50
CH4N
30
30
28 39
40
Fe
43 56
15
100
56
60
40
70
80
90
100
(d)
70
80
C5H5Fe
121
80
100
Fe
*
120
140
90
100
C10H10Fe
186
160
(e)
180
*
121
56
45
40
60
*
60
*
50
C5H5
65
45
4
20
90
56
20
20
80
45 SiOH
18
10
70
(c)
45
30
15
50
41
39 43
30
NH4
18
10
40
(f)
*
60
80
100
120
140
140
160
180
masse (uma)
Figure 12 : Spectres de masse en ions positifs de gels mono et bisiliciés : (a) gel
[CH2=CH-SiO1.5] n ; (b) gel [1.5OSi-CH2=CH-SiO1.5] n ; (c) gel [NH2(CH2)3-SiO1.5] n ;
(d) gel [NH[(CH2)3-SiO1.5] 2] n ; (e) gel [C5H5FeC5H4-SiO1.5] n ; (f) gel [1.5OSiC5H4FeC5H4-SiO1.5] n
(Les pics marqués par * correspondent à une contamination)
164
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
R sur les seuls composés monosiliciés : ainsi les pics 69 C2HOSi et 71 CH3Si2 sont
présents sur le monosilicié (a) et absents sur le bisilicié (b) ; de même, les pics 65 C5H5,
121 C5H5Fe et 186 C5H5FeC5H5 sont présents sur (e) et absents sur le bisilicié (f). En
fait, la caractéristique commune à tous les composés bisiliciés étudiés est l'absence de
pics caractéristiques du radical organique et la présence toujours plus abondante du pic
45 SiOH.
La figure 13 montre aussi une comparaison plus systématique entre composés mono
RSiO1.5 et bisiliciés 1.5OSi-R-SiO1.5 avec R= CH2 , CH2-(CH2)n-, CH2=CH2 , C6H5 ,
C6H5-CH2 , C5H5FeC5H5. Pour chaque radical R, des pics caractéristiques sont choisis :
15 CH3 pour (CH2)n, 77 C6H5 / 91 C7H7 / 105 C8H9 pour C6H5-CH2 et 121 pour
C5H5FeC5H5. On constate alors que, pour chaque couple mono-bisilicié, le rapport entre
pics caractéristiques de R et des liaisons SiO est beaucoup plus grand pour les composés
monosiliciés que pour les bisiliciés. Les rapports 4 et 5, correspondants à des bisiliciés à
chaînes aliphatiques plus longues, semblent indiquer que plus la chaîne (CH2)n est
longue, plus elle aura tendance à émerger à la surface.
La surface de Matériaux Hybrides Organique-Inorganique Monophasiques a été analysée
par ToF-SIMS. Les spectres de masse obtenus tant en ions positifs qu'en ions négatifs
montrent que la partie organique est toujours détectée à la surface des monosiliciés [36]
et, au contraire, que les liaisons Si-O-Si sont seules présentes à la surface des composés
bi ou trisiliciés [37] confirmant ainsi les résultats de travaux précédents sur la réactivité
chimique de silices hybrides. Pour de tels composés amorphes et pratiquement
insolubles, cette technique apparaît comme la seule capable de localiser le radical
organique.
Figure 13 : Comparaison entre gels mono (barres blanches) et bisiliciés (barres noires)
: rapport entre les intensités de R et de SiO avec R= CH2 (1,2), CH2-(CH2)n (3,4,5),
CH2=CH2 (6,7), C5H5FeC5H5 (8,9), C6H5 (10,11), C6H5-CH2 (12,13)
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
165
Caractérisation d'encres noires anciennes
La composition des encres a depuis longtemps été étudiée pour tenter de résoudre
certains problèmes posés par les conservateurs de manuscrits, par les historiens ou bien
encore par la police scientifique. La complexité des mélanges de matières organiques et
minérales, ajoutée à la pollution laissée par le temps et au peu de matière que représente
un tracé font de ces études un véritable défi. C'est dans ce cadre que la technique ToFSIMS a été testée dans ce domaine au CEMEF [38] pour tenter de caractériser l'encre,
aujourd'hui de couleur brune, utilisée dans la rédaction sur parchemin d'un acte notarié,
daté de 1643, ainsi que celle, très noire, utilisée pour des commentaires faits deux siècles
plus tard sur le même support.
La littérature fournit des recettes d'encres noires appartenant à trois familles :
-
les encres à base de noir de carbone (en fait des peintures), suspension de noirs de
carbone utilisant des glucides ou des protéines comme dispersant. Inventées par les
Égyptiens 3000 ans avant les Chinois, elles sont actuellement connues sous le nom
générique d’encre de Chine.
-
les encres métallo-galliques (en fait des teintures), utilisées au moins depuis le
Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, dont la recette ancienne type consiste à mélanger
un extrait tannant (noix de galle) avec un sel métallique (sulfate ferreux ou
cuivreux), ce qui donne une teinture noire, puis d’y ajouter un liant (gomme
arabique) et un solvant (vin blanc) ;
-
depuis le milieu du XIXe siècle, les encres utilisant des noirs de synthèse (noirs
d’aniline…).
Les spectres obtenus sur les deux types de tracés mettent facilement en évidence les
espèces minérales : alors que le tracé du XIXe siècle ne renferme que du fer, du sodium
et du potassium celui du XVIIe contient en plus du zinc, du cuivre et du manganèse.
L'identification des espèces organiques est par contre bien plus complexe et
l'établissement préalable d'une bibliothèque de spectres de référence est indispensable.
L'analyse d'encres reconstituées à partir de divers composants est également utile car non
seulement des espèces nouvelles peuvent être créées lors des mélanges, mais il peut aussi
y avoir des modification de ces substances avec le temps.
Les spectres d'ions négatifs présentés figure 14 ont été obtenus sur deux encres
reconstituées à partir de noix de galle, de sulfates (ferreux pour la première, ferreux et
cuivreux pour la seconde), de vin blanc, d'eau et de gomme arabique. Les proportions
utilisées sont différentes pour ces deux échantillons. Les encres ainsi réalisées sont
déposées sur papier Canson. Les spectres de référence obtenus au préalable sur les
différents composés permettent de mettre en évidence sur ces deux encres la présence de
gomme arabique (pics de masse 183, 311, 325 et 339) et/ou d'arabinose (masses 163 et
255), sucre résultant de l'évolution chimique de la gomme arabique, ainsi que de noix de
galle (pics 124 et 169) ou d'acide gallique (dans ce cas, le pic 124 est beaucoup moins
intense que le 169).
L'analyse des tracés sur parchemin (figure 15) est par contre plus difficile. Si la
différence de nature des encres est évidente, il est délicat de se prononcer sur la présence
166
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
Figure 14 : Spectres de masse d'ions négatifs (masses 100 à 350) d’encres sur papier
Canson : (a) encre ferro-gallique et (b) encre cupro-ferro-gallique utilisant la gomme
arabique comme liant
Figure 15 : Spectres de masse d'ions négatifs (masses 100 à 350) de tracés sur
parchemin : (a) tracé brun du XVIIe siècle, (b) tracé noir du XIXe
Apport du TOF-SIMS à l’étude de surfaces de matériaux organiques et biologiques
167
de noix de galle ou d'acide gallique. Par contre, le liant utilisé semble être, là encore, de
la gomme arabique : en effet les pics caractéristiques sont visibles sur le tracé du XVIIe,
et on note la prédominance, dans cet intervalle de masses, des pics 163 et 255, pouvant
correspondre à l'arabinose.
Quant au tracé du XIXe, la présence d'arabinose semble probable mais on détecte en plus
des ions de masse 220 et 288, correspondant vraisemblablement à des espèces azotées,
ce qui laisse supposer la présence supplémentaire d'un liant protéique. Notons que ceci
est en accord avec des observations en microscopie électronique qui montrent que,
contrairement au tracé du XVIIe qui laisse visibles les fibres du parchemin (encreteinture), le tracé du XIXe est épais et les recouvre complètement (encre-peinture).
CONCLUSION
Ces quelques exemples d'applications de la technique ToF-SIMS à des domaines très
divers (micro-électronique, organique ou biologique) montrent bien la grande diversité
de son champ d'investigation. Au laboratoire, la technique ToF-SIMS a aussi été utilisée
pour mettre en évidence la formation de produits tribochimiques se produisant pendant
des opérations de mise en forme des matériaux entre l'acier et les additifs spécifiques
contenus dans les huiles de laminage (cf. article G. Dauchot du présent ouvrage). Cette
technique présente toutefois quelques inconvénients non encore résolus, le principal étant
la grande complexité des spectres de masse obtenus : leur interprétation fait souvent
appel non seulement à des bibliothèques de spectres, de plus en plus fournies, de surfaces
de référence, mais aussi à la connaissance la plus complète possible de l'histoire de ces
surfaces. Autre inconvénient inhérent à cette technique : sa très grande sensibilité aux
contaminations extérieures avec pour conséquence la nécessité de prendre de grandes
précautions dans la manipulation et le conditionnement des échantillons avant analyse.
Le principal atout de cette technique est sa capacité à fournir des informations sur les
toutes premières couches atomiques de la surface. Chaque fois qu'un problème se pose
dans un domaine tel que la propreté, la contamination, la ségrégation, l'adhésion,
l'adsorption ou la réactivité chimique de surface, la spectrométrie ToF-SIMS devrait être
utilisée. Cependant, comme on n'est jamais sûrs de l'épaisseur des couches concernées
dans ces procédés, il sera nécessaire d'étudier aussi ces surfaces par des techniques
complémentaires faisant appel à d'autres mécanismes d'interactions avec la matière. Ces
techniques peuvent être, entre autres, les spectroscopies d'électrons, les mesures d'angles
de contact, les spectroscopies infrarouge et Raman ou RMN. Ainsi les informations
apportées par la spectroscopie XPS porteront non seulement sur la nature et les
concentrations des éléments atomiques présents sur une épaisseur d'une dizaine de
couches atomiques mais aussi sur le type de liaisons dans lesquelles ces atomes sont
engagés. L'interprétation des spectres ToF-SIMS sera grandement facilitée par la
connaissance de ces informations. C'est la complémentarité des informations fournies par
plusieurs techniques qui apporte le plus souvent la solution aux problèmes posés à
l'analyste.
REMERCIEMENTS
Tous nos remerciements vont bien sûr à François Delamare qui a été l'élément moteur
dans l'acquisition et le développement de la technique ToF-SIMS au laboratoire, ainsi
168
Surfaces, tribologie et formage des matériaux
que pour les discussions fructueuses que nous avons eues lors des diverses études.
Certaines ont été effectuées avec des laboratoires lyonnais, à l'INSA (C. Dubois) et à
l'Institut de la Catalyse (L. Leonardos). Celles sur les protéines ont été développées en
collaboration avec les professeurs J.L. Aubagnac, R. Corriu et G. Cerveau de l'Université
de Montpellier II. L’étude sur les encres a été réalisée en contact étroit avec B. Guineau,
de l'Institut de Recherches sur les Archéomatériaux du CNRS à Orléans.
RÉFÉRENCES
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Analysis (2nd edition), vol.1, John Wiley & Sons, Chichester U.K., 1990.
[2] D. Briggs, M.P. Seah ed., Ion and Neutral Spectroscopy, in Practical Surface Analysis (2nd
edition), vol.2, John Wiley & Sons, Chichester, U.K., 1992.
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[4] J.C. Vickerman, Analyst, 119, 513, 1994.
[5] A. Benninghoven, Surface Science, 299-300, 246,1994.
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