l`institution traditionnelle otwere chez les mbosi olee au
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l`institution traditionnelle otwere chez les mbosi olee au
UNIVERSITE CHARLES DE GAULLE LILLE III UFR des Sciences Historiques Artistiques et Politiques THESE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE LILLE III Discipline : HISTOIRE Présentée et soutenue publiquement par : JOSEPH ITOUA L’INSTITUTION TRADITIONNELLE OTWERE CHEZ LES MBOSI OLEE AU CONGO-BRAZZAVILLE Directeur de thèse : Monsieur le professeur JEAN MARTIN Jury : Madame Maria VASCONCELLOS, Professeur à l’université Charles de Gaulle-Lille3, présidente du jury Monsieur Dominique NGOIE NGALLA, Professeur à l’université Marien Ngouabi (BrazzavilleCongo), rapporteur Monsieur Michael SINGLETON, Professeur émerite à l’université de Louvain (Belgique), rapporteur Monsieur Jean MARTIN, Professeur émerite à l’université Charles de Gaulle - Lille3 6 juillet 2006 SOMMAIRE SOMMAIRE.......................................................................................................................................................... 1 DEDICACES ......................................................................................................................................................... 2 SIGLES UTILISES............................................................................................................................................... 3 REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................ 5 AVANT-PROPOS................................................................................................................................................. 6 INTRODUCTION GENERALE ......................................................................................................................... 8 PREMIERE PARTIE : LES MBOSI OLEE DANS LEUR ENVIRONNEMENT ..................................... 42 DEUXIEME PARTIE : OTWERE: INSTITUTION SUPREME DE LA SOCIETE MBOSI OLEE ....... 168 TROISIEME PARTIE : OTWERE EN TANT QUE SYSTEME JUDICIAIRE TRADITIONNEL EN MILIEU MBOSI OLEE ................................................................................................................................... 255 QUATRIEME PARTIE : CAUSES ET CONSEQUENCES DU DECLIN D’OTWERE ET REFLEXIONS SUR SA NATURE............................................................................................................................................. 364 CONCLUSION GENERALE .......................................................................................................................... 432 GLOSSAIRE ..................................................................................................................................................... 437 SOURCES ET REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES.............................................................................. 445 ANNEXES ......................................................................................................................................................... 475 TABLE DES ILLUSTRATIONS.................................................................................................................... 528 TABLE DES MATIERES ................................................................................................................................ 534 1 DEDICACES Je dédie ce travail à : -mon défunt père Vincent Itoua Manzanza -ma défunte mère Henriette Ngato -mes défuntes sœurs cadettes Marie Geneviève Itoua et Léonie Béatrice Itoua -mon défunt maître Jacques Essakomba -ma fille Merveille Itoua -mes frères, sœurs, oncles, tantes, enfants, neveux, nièces et amis(es). En souvenir des durs moments que nous avons vécus ensemble. Vos continuels conseils et soutiens m’ont fortement réconforté. Trouvez ici la manifestation de mon profond attachement. -mon oncle François Kiba Voici le travail que tu as toujours attendu de moi. Avec insistance, tu m’as demandé de faire cette étude sur Otwere. Tu as, par plusieurs formules, incité et mon courage, et mon orgueil, et ma volonté à m’intéresser à cette super institution dans laquelle ont baigné, tour à tour, ton glorieux grand-père Ngatsese (dernier Tsana O Boua) et ton père, le vénéré Gnanga Ekaa. Comme ces derniers, ont aussi baigné dans Otwere mes parents et grandsparents: Poue Otso, Okandze A Mba Okia, Mwanzibi Ibondzi. J’ai toujours cru percevoir en toi, les feux qui ont illuminé ces dépositaires du pouvoir d’Otwere. Que ce travail puisse être à la hauteur de tes chaleureux vœux et de ton riche enseignement. 2 SIGLES UTILISES ACI : Agence Congolaise d’Information ACCT : Agence de Coopération Culturelle et Technique AEF : Afrique Equatoriale Française ALAC : Atlas Linguistique de l’Afrique Centrale AND : Alliance Nationale pour la Démocratie APN : Armée Populaire Nationale BMS : Baptist Mission Society CATC : Confédération Africaine des Travailleurs Chrétiens CASL : Confédération Africaine des Syndicats Libres CERDOTOLA : Centre Régional de Recherche et de Documentation sur les Traditions Orales et pour le Développement des Langues Africaines CFCO : Chemin de Fer Congo-Océan CFHC : Compagnie Française du Haut-Congo CGAT : Confédération Générale Africaine des Travailleurs CM2 : Cours Moyen 2è année CMP : Comité Militaire du Parti CNR : Conseil National de la Révolution CNS : Conférence Nationale Souveraine CNT : Conseil National de Transition CP1 : Cours Préparatoire 1ère année CSC : Confédération Syndicale Congolaise CSR : Conseil Supérieur de la République DEA : Diplôme d’Etudes Approfondies EEC : Eglise Evangélique du Congo EJCSK : Eglise de Jésus-Christ sur terre par le prophète Simon Kimbangu ENS : Ecole Normale Supérieure E.O : Enquêtes orales ERDDUN : Espace de Recherche pour le Développement, la Démocratie et l’Unité Nationale FAC : Forces Armées Congolaises FDP : Forces Démocratiques et Patriotiques FNRUDR : Forum National pour la Réconciliation, l’Unité, la Démocratie et la Reconstruction GSIP : Groupement Spécial d’Interposition JMNR : Jeunesse du Mouvement National de la Révolution JOAEF : Journal Officiel de l’Afrique Equatoriale Française LIM : Livingstone Inland Mission MCDDI : Mouvement Congolais pour la Démocratie et le développement Intégral MES : Mission Evangélique du Congo MGR : Monseigneur MNP : Mouvement National des Pionniers MNR : Mouvement National de la Révolution MSA : Mouvement Socialiste Africain NIBOLEK : Niari, Bouenza et Lékoumou ONLP : Office National des Librairies Populaires ONU : Organisation des Nations Unies ORSTOM : Office de la Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer 3 OUA : Organisation de l’Unité Africaine PAS : Programme d’Ajustement Structurel PCT : Parti Congolais du Travail PSDC : Parti Social Démocrate Congolais PPC : Parti Progressiste Congolais RDA : Rassemblement Démocratique Africain RDA : République Démocratique d’Allemagne RDC : République Démocratique du Congo RDPS : Rassemblement pour la Démocratie et le Progrès Social RPC : République Populaire du Congo UDDIA : Union Démocratique de Défense des Intérêts Africains UJC : Union de la Jeunesse Congolaise UJSC : Union de la Jeunesse Socialiste Congolaise UMNG : Université Marien Ngouabi UNEAC : Union Nationale des Ecrivains et Artistes Congolais UNITA : Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola UPADS : Union Panafricain pour la Démocratie et le Progrès Social URD : Union pour le Renouveau Démocratique URFC : Union Révolutionnaire des Femmes du Congo 4 REMERCIEMENTS Ce travail de près de six ans d’enquête n’aurait sûrement pas pu aboutir si je n’avais bénéficié de nombreux concours. Je tiens tout particulièrement à exprimer ma respectueuse gratitude à Monsieur Jean Martin, Professeur à l’Université Charles De Gaulle Lille III qui a accepté de diriger mon travail. Pendant cinq ans sans relâche, il a fait avec moi le point. Mes remerciements vont aussi à Mesdames et Messieurs les membres du jury qui nous ont fait l’honneur d’accepter de juger ce travail. Mes remerciements s’adressent tout particulièrement à Monsieur François Kiba dont le concours et le riche enseignement ont permis la réalisation de ce travail. Je tiens également à remercier Messieurs et Mesdames : Edouard Oko, Fidèle Ndey, Oko Mouandzibi, Mwaziby-Olingoba, Victor Itoua, Bernadette Itoua, Michel Elenga Ockandzé, Gatien Obili Ondaye, Emmanuel Kimpo, Yvon Davy Ndzota, Nicolas Médard Koumoult, Désiré Boyenga Lilonga, Vincent Itoua, Jean Christian Mounguendé, Fortuné Linda, Adolphe Ngakosso, Patrick Itoua, André Engambé, Isaac Itoua, Eric Mallet, Ulrich Vianey Ebatta-Kaba, Camille Ofemba, Jean Marie et Marie Lucie Nianga, Aubin Sitou, Jean Pierre Boloko dont les conseils et les encouragements nous ont été précieux. J’ajoute à cette liste tous les chercheurs congolais qui ont produit des travaux sur les différents groupes ethniques du pays et particulièrement Dominique Ngoie Ngalla, Théophile Obenga, Abraham Constant Ndinga-Mbo, Antoine Ndinga Oba, Jérôme Ollandet, Louis Soussa, Charles Zacharie Bowao, Eugène Ognami, Emmanuel Daho, David Elenga, Yvon Norbert Gambeg, Marcel Ipari. Enfin, je suis particulièrement reconnaissant aux populations Mbosi qui, par leur témoignage, ont contribué à la réalisation de cette étude. 5 AVANT-PROPOS Les études consacrées à la société Mbosi sont, jusqu’ici, fort peu nombreuses, pourtant la richesse culturelle de cette société soumise aujourd’hui à une évolution politique, économique, sociale et culturelle accélérée, offre à l’historien, à l’anthropologue, à l’ethnologue, au sociologue, au juriste ou au politologue, un champ inépuisable de recherches. Au regard de cette carence, nous avons souhaité en tant que membre de la société Mbosi, apporter notre modeste contribution en analysant dans une perspective sociohistorique, l’une des institutions les plus significatives, les plus nobles et les plus pétries de riches enseignements de l’histoire de l’Afrique pour cerner le dynamisme interne des institutions traditionnelles congolaises, à savoir : Otwere. Cette étude est le fruit du travail d’un fils du «pays» qui s’est efforcé de comprendre et de traduire ce que les villageois et tous les Mbosi intéressés par la question lui ont dit. Nous entendons d’ici quelque esprit malveillant nous accuser de régionalisme, de tribalisme, ce mal qui déchire l’Etat congolais. En vérité, le mobile de notre choix, loin de servir ces basses préoccupations, se trouve excellemment résumé par cette pensée de Jean Lourougnon Guédé, Professeur de Biologie à l’Université d’Abidjan qui souligne l’intérêt de l’étude de Claude Hélène Perrot sur les Anyi-Ndényé de Côte d’Ivoire : «La reconstitution de l’histoire de la Côte d’Ivoire ne peut se faire que sur la base d’Histoire régionale solidement et clairement écrites»1. Fort de cette opinion, nous dirons que ce qui est vrai de la Côte d’Ivoire l’est aussi du Congo-Brazzaville et de bien d’autres pays africains. Les objectifs visés par le présent travail n’ont d’autres ambitions que d’exposer la volonté à contribuer à l’écriture de l’histoire de la région Mbosi, elle-même se voulant base et partie indissociable et indispensable de l’histoire du Congo, nation qui se cherche à ce jour. Otwere est une institution complexe qui associe en lui les dimensions politiques, juridiques, législatives, philosophiques et culturelles. C’est le coeur de la culture Mbosi. Aucun travail global n’a été publié sur cette question. La quasi totalité des études faites (cf. introduction) jusqu’à nos jours -études au demeurant plus sociologiques qu’historiques- n’ont privilégié qu’une sorte d’approche partielle de la question. Aucune recherche ne semble avoir été effectuée sur l’ensemble de l’institution Otwere. Tentative première, notre étude est basée surtout sur la tradition orale recueillie auprès de ceux qui ont vécu ou connu Otwere et sur les quelques rares documents écrits. Elle ne peut prétendre être exhaustive d’autant plus que ces travaux pourront faire l’objet de données de seconde main et permettre à d’autres chercheurs d’apporter un éclairage sur les points laissés dans l’ombre. Autrement dit, les travaux complémentaires sur la question seront pour longtemps encore de la plus grande utilité. L’on constatera également que cette étude sur Otwere contient des informations à dominante anthropologique, ethnologique, juridique et historique. La part de l’historien dans celle-ci, se situe dans sa capacité à rétablir un fait passé constitutif de l’histoire fondamentale de la société Mbosi. 1 Préface de la thèse de Perrot (C. H) citée par Ipari (M) : Les populations de la région de Sibiti (Congo) du XVè à la fin du XIXè siècle, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Université de Paris I – Panthéon Sorbonne, 1987, p2 6 Il convient de préciser qu’il s’agit d’une étude sur une organisation sociale, une société d’Afrique noire, la société Mbosi dans le nord du Congo-Brazzaville en Afrique Centrale. De toutes les sociétés de l’Afrique Centrale, le peuple Mbosi est le seul à possèder un système social basé sur Otwere. 7 INTRODUCTION GENERALE Les peuples du Congo ont vécu dans le cadre des organisations politiques de type royaume et chefferie. Longtemps, on a cru que l'histoire précoloniale du Congo ne s'arrêtait qu'aux royaumes Kongo, Loango et Tyo (Teke). Or, il n'y eut pas au Congo que des royaumes ; il y eut aussi, dans la partie septentrionale du pays, des chefferies politiquement bien structurées, au sein desquelles Otwere était l’institution politique fondamentale. Institution suprême, Otwere tire ses origines dans les temps les plus lointains et influence toutes les dimensions de la vie : politique, judiciaire, sociale et culturelle. Il régit le fonctionnement de toute la société traditionnelle Mbosi. Dans le cadre de nos travaux antérieurs (DEA), nous avons abordé Otwere dans sa dimension judiciaire. Il s’est agit en effet de présenter l’organisation, le fonctionnement de la justice traditionnelle et les affaires à traiter. Sur le plan de l’organisation, nous avons montré que la justice traditionnelle Mbosi repose sur le Twere qui est l’autorité morale et physique au nom de qui est rendue la justice, et grâce à qui sont harmonisés les points de vue. Du point de vue fonctionnel, nous avons caractérisé les procédures suivies pour chaque affaire et le déroulement de l’audience. Enfin, quant aux affaires à traiter, nous avons demontré qu’Otwere règle les questions liées à la rupture des liens de parenté, à l’adultère, au divorce, aux conflits de frontières entre villages, aux mariages, aux palabres pour santé et décés. Les résultats que nous avons ainsi acquis peuvent sans doute être approfondis. Nous allons approfondir notre étude sur Otwere en envisageant une thèse sur les autres dimensions d’Otwere notamment les dimensions politique, sociale et culturelle afin d’en approfondir la connaissance. Il sera surtout question d’étudier Otwere et de cerner sa réelle nature et son fonctionnement en tant qu’organisation. En fait, nous allons tenter de montrer que tout part d’Otwere, tout se réfère à Otwere en pays Mbosi. La vie sociale, politique, économique et culturelle est ordonnée par Otwere. Il est indubitable de constater partout dans la communauté Mbosi, qu’il existe une étroite corrélation entre Otwere et l’ensemble des structures que les Mbosi se sont données pour vivre. L’ensemble des structures et Otwere sont tous deux indispensables et inter-relatifs. Chacun crée et agit sur l’autre, influence la vie sociale en s’appuyant sur l’autre. Ils constituent, un ensemble et depuis les anciens temps une unité indissociable qu’est la civilisation de cette communauté. Les aspects de cette inter-action ne peuvent manquer d’interpeller les anthropologues et ethnologues qui étudient les sociétés africaines. Avant d’aborder le point consacré à l’intérêt de la recherche sur Otwere, nous allons tout d’abord dans cette présentation du sujet, définir certaines notions essentielles pour une meilleure compréhension de l’ensemble de notre étude. 8 La première d’entre elle est l’institution. Pour Maurice Duverger2, le mot «institution» désigne tout ce qui est inventé et établi par les hommes, en opposition à ce qui ressort de la nature : l’acte sexuel par exemple est un acte naturel, le mariage étant une institution. Par la suite, on entend par institution, les idées, les croyances, les usages, les pratiques sociales que l’individu trouve préétablis en face de lui. On réserve aussi le terme d’institution à un ensemble d’idées, de croyances et d’usages formant un tout ordonné et organisé (par exemple le mariage, la famille, les élections, le gouvernement, la propriété, etc). Toutes ces conceptions philosophiques du terme institution ne suffisent pas pour notre travail. Pour notre étude, nous avons utilisé le terme institution pour désigner un organisme constitué d’idées, de lois, de croyances et d’usages, et de personnes, le tout ordonné et imposé à l’homme (institution politique, institution sociale, etc). La deuxième notion est celle de tradition et de société traditionnelle. Comme le font remarquer Marie-Odile Géraud, Olivier Leservoisier et Richard Pottier3, la tradition peut se définir comme l’ensemble des messages (historiques, religieux, politiques, techniques, etc) reçus du passé et se perpétuant dans le temps, en se transmettant de génération en génération. Elle peut aussi être appréhendée comme un système, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs, des symboles, des idées et des contraintes qui détermine l’adhésion à un ordre social et culturel justifié par référence au passé, et qui assure la défense de cet ordre contre l’œuvre des forces de contestation radicale et de changement. Mais, la notion de tradition peut encore servir à déterminer un type de société, la société traditionnelle, laquelle a été, pendant longtemps, considérée par les anthropologues comme l’objet de leur étude privilégiée. Ce terme de «traditionnel» a reçu une succession de sens. Au XVIIIè siècle, il a servi à distinguer les «sauvages», des «civilisés». Au XIXè siècle, les appellations de «primitifs», «d’archaïques», de «sociétés sans écriture» l’emporteront pour signifier ce terme avant de cèder progressivement le terrain au cours du XXè siècle, aux appellations de «sociétés traditionnelles», «non industrielles» ou «sous-développées». Quel que soit le terme utilisé pour qualifier une société de traditionnelle, il a toujours été utilisé pour opposer celle-ci à la société moderne. L’examen de la notion de sociétés traditionnelles pose donc la question de ses caractéristiques. Quelles sont-elles ? Hubert Deschamps4 note que les sociétés traditionnelles se construisent d’abord sur les catégories de sexe et d’âge, les structures de la parenté et le réseau des alliances. Ensuite, l’échange dans ces sociétés ne se limite pas à la simple communication des biens et des marchandises ; il s’associe en outre, à l’établissement de certains rapports sociaux et comporte, en conséquence, une signification symbolique. 2 Duverger (M) : Institutions politiques et droit constitutionnel, Presses Universitaires de France, Paris, 1963, p4 Géraud (M-O), Leservoisier (O), Pottier (R) : Les notions clés de l’ethnologie. Analyses et textes, Armand Colin, Paris, 2000, pp50-56 4 Deschamps (H) : Histoire générale de l’Afrique noire. De Madagascar et des Archipels, Tome I : Des origines à 1800, Presses Universitaires de France, Paris, 1970, pp94-95 Lire aussi : Bruyas (J) : Les sociétés traditionnelles de l’Afrique noire, Harmattan, Paris, 2001, 255p Coquery Vidrovitch (C), Moniot (H) : L’Afrique noire de 1800 à nos jours, Presses Universitaires de France, Paris, 1940, pp274-277 3 9 A ces caractéristiques, il sied d’ajouter la stratification sociale tranchée (à base coutumière), la forte inégalité des statuts impliquant l’inégalité des revenus, l’essor social héréditaire, la population rurale nomade ou sédentaire, la faible diversité professionnelle, la forte relation classe-métier (paysan, guerrier), les faibles échanges entre groupes différents (biens, services, informations), la culture fortement intégrée, des connaissances fondées sur la tradition et la routine. Comme on le voit, la notion de société traditionnelle nécessite la plus grande prudence quant à son utilisation. Elle doit être comprise comme un idéal type qui, par définition, reste à nuancer et à discuter. Pour notre part, nous avons retenu la notion de société traditionnelle telle qu’elle est définie par Hubert Deschamps. La troisième notion enfin est celle d’initiation. En effet, l’institution Otwere en ellemême fait appel à un ensemble de caractérisations générales au niveau de l’initiation qui est à définir en ce sens. Comme le souligne N. Ngoma5, le terme «initiation», difficile et malaisé à définir, peut se comprendre comme une action portant à initier des néophytes aux mystères ou aux cérémonies qui accompagnent cette action. En retour, chaque maître initiateur exige de nouvelles vertus et recommande à ses adeptes une nouvelle vie. Au sens figuré, l’initiation signifie la première introduction à certaines choses secrètes ou élevées. Il peut s’agir de connaissances ou de participation(s) aux mystères de certaines divinités, par exemple. On parle ici, par extension, de la participation à un culte ou à une association quelconque. Mais initier signifie aussi recevoir ou admettre quelqu’un dans une société, dans une compagnie, une organisation ; lui donner la connaissance d’une chose ou le mettre au fait d’un art, d’une affaire, d’une science, d’une sagesse, d’une profession. Bref, l’initiation est l’ensemble des mécanismes par lesquels on donne aux néophytes la connaissance des notions qu’ils ignorent. Elle est donc la mise au courant des jeunes par les aînés, comme la mise au fait des ignorants par les experts. Elle est le transfert des pouvoirs ou des techniques d’une génération à l’autre dans une société déterminée. Elle est aussi l’ensemble des rites d’admission ou d’investiture à un organisme ou à une association. Quel que soit le domaine où on l’examine, l’initiation, nous apparaît au sens strict, comme une étape de la vie : une phase qui couronne le processus des apprentissages. Aussi ce long processus constitue-t-il lui-même une initiation au sens large. En tant que telle, elle se confond avec l’éducation voire l’institution. Cette institution présentait, selon les milieux, les sociétés, plusieurs variantes portant notamment sur les noms, la durée, le lieu, le nombre, l’âge et le sexe. La spécificité de l’initiation en Afrique quant à elle porte souvent sur le fait que dans la démarche d’individualisation et d’éducation, tout est initiation. Par exemple, les jeux sociaux, le passage d’un âge à un autre, les actes sociaux (chasse, pêche, etc) exigent de l’individu d’atteindre un certain niveau de maturité pour intégrer les phases d’apprentissage. 5 Ngoma (N) : Initiation dans les sociétés traditionnelle africaines, cas de Kongo, Presses Universitaires de Zaïre, Kinshasa, 1981, p12 10 L’initiation à Otwere chez les Mbosi Olee, quant à elle, constitue un ensemble de rites d’admission à cette institution, un processus d’investiture à l’échelle sociale de membre d’Otwere. Ici elle se confond à une éducation au futur converti social car Otwere fait d’un individu un «Etre». I. Intérêt de la recherche sur Otwere Il y a deux centres d’intérêts pour ce travail : l’intérêt scientifique et l’intérêt de pratiques politiques. Sur le plan scientifique, l’intérêt de ce travail c’est l’approfondissement de la connaissance des civilisations des peuples du Congo en général et de la civilisation Mbosi en particulier. Il existe en effet très peu d'études sur la question Otwere. La seule étude existante à notre connaissance est celle de Mgr Benoît Gassongo : Otwere. La judicature ancestrale chez les Mbochis parue en 1979 et qui n’a abordé la question que de façon partielle. En dehors de lui, il y a d’autres auteurs6 qui ont étudié Otwere de façon aussi parcellaires en mettant l’accent sur la dimension culturelle. Toutes ces études font apparaître Otwere soit comme une société secrète ou une pratique culturelle, soit comme une pratique judiciaire. A travers cet travail, nous entendons contribuer à une meilleure connnaisance historique, sociologique et anthropologique d’Otwere. En effet, lorsqu’on étudie tous ces aspects de façon approfondie et en les reliant entre eux, on s’aperçoit qu’Otwere serait un système, une institution chargée de la régulation de la vie en société Mbosi. Sur le plan politique, l’intérêt de ce travail s’explique par le fait que l’Etat congolais moderne pourrait s’inspirer de la pratique d’Otwere pour la mise en place d’une nouvelle gouvernance notamment dans le domaine de la régulation des conflits, de la gestion publique et de l’élaboration des règles de droit. C'est pour toutes ces raisons que nous est venue l’idée d’entreprendre ce travail. 6 Mondzo (J. C) : La justice coutumière au Congo-Brazzaville. A partir de l’exemple du twere chez les Mbosi De nos jours, Thèse de Doctorat en Droit, Université de Perpignan, 2002, 424p Ovoula (A. E) : La médiation dans la culture et la religion traditionnelle bantu : étude sur les Mbochi du Congo, Mémoire de Licence en théologie de l’information, Pontificio Universita Grogoiana, Facolta Di Missiologica, Rome, 2000, 100p Ndinga-Mbo (A. C) : Infrastructures de gens d’eau de la cuvette congolaise. Tradition et devenir contemporain, Thèse de Doctorat d’Etat ès Lettres et Sciences Humaines, Université Jean Moulin Lyon III, 1995, 1525p Oboba (G. N) : Une forme de juridiction chez les Koyo de la République Populaire du Congo : «Otwere», Mémoire de DEA d’études africaines, Université de Paris 1, 1986-1987, 109p Ollandet (Jerôme) : Les contacts Teke-Mbosi. Essai sur les civilisations du bassin du Congo, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Université Paul Valery Montpellier, 1981, 2 Tomes, T1. 276p ; T2. 581p Mgr Gassongo (B): Otwere. La judicature ancestrale chez les Mbochis, Les Lianes, Brazzaville, 1979 11 II. But de la présente recherche Comme nous venons de le dire, la présente étude entend contribuer à une meilleure connaissance historique, sociologique et anthropologique du peuple congolais en général et du peuple Mbosi en particulier. D’un point de vue historique, nous allons faire référence à l’identification, aux migrations. Ensuite, nous parlerons d’un point de vue sociologique des structures sociales et politiques. Enfin, nous parlerons d’un point de vue anthropologique des rites, des danses et de leurs instruments, des croyances, des pratiques sociales et judiciaires. L’étude d’Otwere tentera de cerner les mécanismes de fonctionnement de la société Mbosi du nord-Congo en général, mais particulièrement de la société Mbosi Olee. III. Délimitation de la présente recherche 1. Le Congo-Brazzaville : brève présentation 1.1. Généralités Comme l’indique Calixte Baniafouna7, le Congo-Français, Moyen-Congo, CongoBrazzaville, République du Congo, République Populaire du Congo, République du Congo… le changement à plusieurs reprises de dénomination témoigne de l’instabilité de cette ancienne colonie française, une instabilité que nous examinerons en annexe III (pp487-527). Le Congo-Brazzaville (par opposition au Congo-Kinshasa ou République Démocratique du Congo ex-Zaïre) est un Etat de l’Afrique Centrale. Situé à cheval sur l’équateur, il s’étend sur plus de 1.500 km, des rivages du Golfe de Guinée jusqu’à la République Centrafricaine. Le Congo-Brazzaville a une superficie de 342.000 km2 et il est limité au nord par les Républiques du Cameroun et du Centrafrique, à l’est et au sud par le fleuve Congo, la République Démocratique du Congo et l’Angola (enclave du Cabinda), à l’ouest par l’Océan atlantique et le Gabon. Ce pays dispose d’une façade maritime qui s’étend sur 170 km de long et est placé au cœur du deuxième plus vaste bassin fluvial de la planète : le fleuve Congo et ses affluents. Sur son seul territoire, on dénombre trois fleuves (Congo, Kouilou, Louémé) et au moins une trentaine (30) de rivières dont les navigables toute l’année sont : le Niari, l’Alima, le Kouyou, la Nkéni, la Léfini, la Sangha, la Likouala, la Likouala aux herbes, etc. Cette richesse aquatique en fait l’un des plus fertiles du continent africain, avec notamment des forêts et savanes luxuriantes où l’on trouve les espèces de bois les plus rares (limba, okoumé, acajou, sapelli, sipo…). C’est aussi ce qui explique pourquoi le Congo est le refuge de diverses espèces animales rares telles que les gorilles, les éléphants, les panthères, les boa et bien d’autres. 7 Baniafouna (C) : Congo démocratie. Les déboires de l’apprentissage, Vol. I, Harmattan, Paris, 1995, p13 12 Quant au climat du pays, il est caractérisé par deux grandes saisons : . La grande saison des pluies : Période : septembre à décembre et de janvier à mai Caractéristiques : pluies très fréquentes, et température élevée (de 25° à 35° voire plus). Elle est entrecoupée de deux petites saisons sèches : . La première petite saison sèche : Période : de janvier à février Caractéristiques : peu (voire pas) de pluie, et température (entre 30° et 35° voire plus) . La deuxième petite saison sèche : Période : mars . La grande saison sèche : Période : de juin à septembre Caractéristiques : très peu ou absence de pluies et température modérée (entre 18-20° et 25°). Ces différents éléments caractérisant les généralités sur le Congo sont illustrés par les cartes ci-après : 13 Carte N°1: L’Afrique Source : Agenda Sotelco (Société des télécommunications du Congo), 2004 14 Carte N°2 : L’Afrique Centrale Source : Cette carte est disponible sur l’adresse : www.delcaf.cec.eu.int 15 Carte N° 3 : L’Afrique Centrale Source : Cette carte est disponible sur l’adresse : www.delcaf.cec.eu.int 16 Carte N°4 : Le Congo en Afrique Centrale Source : INRAP : Géogrpahie de la République Populaire du Congon Edicef, Paris, 1983, 3è édition, p5 17 Carte N°5 : La République du Congo Source : Agenda Sotelco, 2004 18 Carte N°6 : Relief et hydrographie Source : Vennetier (P) : Atlas de la République Populaire du Congo, Editions Jeune Afrique, Paris, 1977, pp6-7 19 Carte N°7 : Zones climatiques et pluviométries au Congo Source : INRAP : Op. Cit, p12 20 Carte N°8 : La végétation Source : Vennetier (P) : Op. Cit, p17 21 1.2. Données démolinguistiques D’après le recensement de 2003, la population du Congo-Brazzaville est de 2.954.218 d’habitants et composée très majoritairement de Bantu et de quelques populations Pygmées dissiminées à travers les zones forestières. Les principaux groupes ethniques8, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes, sont du nord au sud : les Oubanguiens, les Sangha, les Maka, les Mbosi (13 %), les Teke (23 %), les Kongo (40 %) auxquels il convient d’ajouter les Echira et les Kota (groupes à cheval sur le Congo et le Gabon). Cette répartition des différents groupes ethniques est montrée sur les cartes qui suivent. Chaque ethnie a ses coutumes, ses croyances, ses institutions traditionnelles et sa langue ; cependant ces langues peuvent être regroupées en deux groupes linguistiques : le Lingala au nord et le Kituba (le Munukutuba) au sud. La langue officielle est le français. 8 Moukoko (P) : Dictionnaire général du Congo-Brazzaville, Harmattan, Paris, 1999, pp173-339 22 Carte N°9 : Les groupes ethniques du Congo Source : INRAP : Op. Cit, p21 23 Carte N°10 : Les principaux groupes ethniques du Congo Source : Vennetier (P) : Op. Cit, p21 24 1.3. Organisation administrative Ancienne colonie française appelée Moyen-Congo, le Congo à l’instar de nombreuses autres colonies d’Afrique noire francophone acquiert son indépendance le 15 août 1960. Sa capitale Brazzaville (900.000hts) a été capitale de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F en 1910) et de la France Libre (1940-1943). Outre Brazzaville, les autres grandes villes du pays sont : Pointe-Noire (600.000 hts, capitale économique), Dolisie, Nkayi et Ouesso. Le Congo est divisé en 11 Départements (régions) et 86 districts qui renferment de nombreux villages ainsi que l’indique le tableau suivant : Tableau N°1 : Départements et districts du Congo Régions ou Départements Superficie Chef-lieu Districts 66044 Population (estimation 1992) 70675 La Likouala Impfondo Sangha 55795 55132 Ouesso La Cuvette 74850 151531 Owando 60.000 (en 2004) Ewo Impfondo, Dongou, Epéna, Enyellé, Liranga, Bétou Mokéko, Sembé, Souanké, Ngbala, Pikounda Owando, Makoua, Boundji, Oyo, Tchikapika, Mossaka, Loukoléla, Ngoko, Ntokou Ewo, Kellé, Okoyo, Etoumbi, Mbama, Mbomo Djambala, Gamboma, Abala, Ollombo, Ongogni, Mpouya, Ngo, Mbon, Makotimpoko, Allembé, Lékana Kinkala, Boko, Mayama, Vinza, Ngabé, MbanzaNdounga, Kimba, Louingui, La Cuvette Ouest Les Plateaux 38400 119722 Djambala Le Pool 33955 195792 Kinkala 25 La Lékoumou 20950 74420 Sibiti Le Niari 25925 220085 Dolisie Le Kouilou 13650 665502 Pointe-Noire La Bouenza 12260 219822 Madingou Ngoma Tsé-Tsé, Ignié, Loumo, Mindouli, Kindamba Sibiti, Komono, Zanaga, Bambama, Mayéyé Louvakou, Kimongo, Divenié, Kibangou, Makabana Hinda, MadingouKayes, Mvouti, Kakamoéka, Nzambi, Tchimba-Nzambi Madingou, Mouyondzi, Loudima, Mfouati, Kayes, Mabombo, Boko-Songho, Yamba, Tsiaki, Kingoué 26 Carte N°11 : Organisation administrative du Congo Source : Programme intérimaire post-conflit du Congo (PIPC), 2000-2002, Direction générale de la proigrammation, Ministère de l’économie, des finances et du budget, République du Congo, 2000, p270 27 2. Délimitation de la zone d’étude L'ampleur du thème Otwere et les difficultés réelles qu’il représente, nous ont poussé à restreindre le champ de notre étude en fonction des informations disponibles. Ainsi, le cadre choisi pour mieux rendre compte de l'évolution d'Otwere est celui des Mbosi Olee. Les Mbosi Olee habitent la rive droite de l’Alima, au point où la majestueuse rivière décrit une forte boucle (boucle de l’Alima) avant de se jeter dans le fleuve Congo. Ils occupent un territoire qui va de la rivière Alima au nord au village Inkouélé au sud-ouest et à l’embouchure de la Tsakoso au sud-est (village Ipheri dans le district de Makotimpoko), de la source de la rivière Como à l’ouest au village Ibaphi à l’est. Cet espace se situe dans la région administrative (actuellement Département) des Plateaux et regroupe les districts d'Abala, d'Ollombo, d'Ongogni et de Makotimpoko (cf. carte ci-dessus). 28 Carte N°12 : Cadre géogrphique Mbosi Olee Source : Cette carte a été tirée de notre mémoire de DEA : La justice traditionnelle au Congo-Brazaville : cas des Mbosi Olee, Mémoire de DEA d’histoire, Lille3, 2001-2002, p9 29 3. Délimitation temporelle Délimiter géographiquement le sujet ne suffit pas, il faut aussi réfléchir sur les limites temporelles, car le premier danger de la recherche est de partir dans tous les sens, de se perdre dans les «sables» et de rendre ainsi impossible toute construction d’objet. Pour éviter ce risque, la définition des limites temporelles est un garde-fou élémentaire. Nul n'échappe au "temps". Tout ce qui est Histoire est limité par le temps et l'espace. Le métier d'historien se place toujours sous le signe du temps. Ce que l'historien cherche dans la société c'est la temporalité et le cours du temps et son empreinte sur l’homme. C'est pourquoi cette étude couvre la période qui va des origines à 1958. Une telle délimitation du champ d'étude mérite d'être justifiée. Les origines de l'implantation de la population Mbosi Olee nous paraissent encore obscures. Mais l’année 1958 marque quant à elle la disparition définitive d'Otwere dans la contrée, avec l'arrivée des sectes religieuses (Saka-Saka, Dieudonné et Monseigneur) en provenance du Congo-Belge qui ont accéléré l’évolution de cette institution sociale entamée par les actions conjuguées de l’administration coloniale et de la religion catholique. Depuis, il n’en subsiste que des souvenirs entretenus par des «sages» qui l’ont connu ou vécu, et l’exercice de sa fonction judiciaire assurée par des amateurs. Ce choix, certes arbitraire, répond à un certain nombre de critères que nous estimons commodes : la maîtrise de la langue et la connaissance des faits de la sociologie Mbosi Olee. En nous limitant aux Mbosi Olee, nous avons évité toute généralisation, la diversité et la variété des sociétés Mbosi étant une évidence du point de vue de sa pluralité ethnique (le groupe Mbosi est constitué de plusieurs sous-groupes). Celles-ci n'étant pas réductibles les unes aux autres, ne réagissant pas toutes de façon uniforme, à l'impact des influences culturelles extérieures. Notre souci a été de nous fonder sur une étude de cas, la société Mbosi Olee étant celle que nous connaissons le moins mal. IV. Problématique La vie socio-politique des Mbosi Olee est dominée par l'institution Otwere qui apparaît comme une vision du monde, un système de représentation, disposant d’une idéologie qui guide son action dans toutes les dimensions de la vie: sociale, politique, économique et culturelle. Celle-ci fait surgir un certain nombre de questions précises : quelle est sa nature et sa fonction ? Quelle est son organisation et son fonctionnement interne ? Quelle est son influence sur la société ? Quelles sont les questions qui font appel à Otwere au niveau social ? Il est à dire qu’en raison de l’emprise qu’Otwere a eu sur la société Mbosi Olee, il nous est apparu nécessaire de consacrer à cette institution une étude particulière. Aussi, pour mieux conduire notre travail, allons-nous examiner cette institution à travers les trois axes de réflexion suivants : 1)- Les attributions et les symboles d'Otwere: A travers cet axe, nous essayerons de cerner et de comprendre le caractère multidimensionnel d’Otwere. 30 1-1)- La dimension politique Elle sera analysée à la lumière d’un certain nombre de questions qui tiennent aux origines de l’institution, à sa nature, à ses caractéristiques, à sa structuration, aux conditions d’adhésion de ses différents membres et aux fonctions qu’ils assument. 1-2)- La dimension sociale Les règles et les préceptes de la société Mbosi sont l’émanation de l’institution Otwere. Il s’agira pour nous de voir comment ils sont véhiculés et intériorisés par la population, et comment Otwere assure et garantit la protection des personnes et des biens. 1-3)- La dimension culturelle Elément pivot du patrimoine culturel Mbosi, Otwere possède des rites et des symboles qui lui confèrent le statut d'une organisation socialement structurée et hiérarchisée. Dans notre approche, nous tenterons d’élucider ces rites, ces symboles et d’autres traits caractéristiques d’Otwere tels: les interdits, le rituel du déroulement d’une cérémonie, etc. 2) – L’organisation et le fonctionnement de la justice traditionnelle Otwere comporte une dimension judiciaire. Il rend la justice dans la société Mbosi. A travers cette dimension, nous essayerons de présenter: 2-1)- L’organisation de la justice La justice constitue l’une des dimensions majeures d’Otwere. Nous nous interrogerons sur son organisation à travers les axes ci-après: les "juridictions", le Twere et l’organisation des affaires. 2-2)- Le fonctionnement de la justice Ce fonctionnement peut-être compris à travers les procédures et le déroulement des audiences. 2-3)- Les affaires à traiter Otwere règle les problèmes sociaux. Il s’agira ici de présenter et d’analyser les affaires liées au mariage, à l’adultère, au divorce, à la rupture des liens de parenté, aux conflits de frontières, à la santé, au décés, à l’héritage et à la succession. 3)-Le déclin d'Otwere Otwere a décliné dans la société Mbosi Olee. Quelles ont été les causes de ce déclin, quelles ont été les conséquences politiques, sociales et juridiques de ce déclin? Ces questions seront au centre de cette réflexion. V. Méthodologie Pour traiter ce sujet, nous avons utilisé des documents susceptibles de nous renseigner sur le groupe Mbosi. Très peu de documents existent à cet effet. Quelques rares documents que nous avons pu rassembler et souvent dans des conditions difficiles, nous ont servi d'éléments d'appoint. Nous nous sommes également rendu sur le terrain afin d’interroger quelques "sages" de la contrée, de village en village auprès des vieux héritiers d’une riche tradition. Au besoin, il aurait été indiqué que nous assistions à beaucoup de palabres. Mais la conjoncture actuelle ne nous a pas permis de le faire. Ainsi, nous avons jugé opportun d’interroger sur place à 31 Brazzaville des Mbosi ayant vécu longtemps au village et connaissant l’institution Otwere. Mais la progression de notre étude s’est heurtée à de nombreuses difficultés. 1. Difficultés de la recherche 1.1. Difficultés matérielles 1.1.1. Les déplacements Nos déplacements dans la contrée ne se sont effectués qu'à pied et sur des pistes. Nous sommes allé d'un village à l'autre à la recherche d’informations sur les Mbosi. 1.1.2. Les instruments Nous étions muni d'un dictaphone pour recueillir les informations et d'un sac de voyage, d'un bloc note et de stylos à bille. 1.1.3. Le guide Dans nos différents déplacements dans la contrée, nous étions toujours accompagné d'un guide. 1.2. Difficultés financières Nous nous sommes heurté à des difficultés financières: -achat de piles, de cassettes, -rémunération d’informateurs souvent exigeants, -achat du papier pour la mise en forme définitive du travail, -saisie du travail. 2. Sources d'archives Nous avons travaillé dans les fonds d’archives suivantes : 2.1. Archives Nationales A la suite des destructions liées à la guerre du 5 juin 1997, il nous a été impossible de travailler aux archives nationales du Congo, à Brazzaville. 2.2. Archives du Ministère de l'intérieur Nous n’avons pu consulter ces archives qui ont été détruites lors de la guerre du 5 juin 1997. 32 2.3. Archives régionales de Djambala Nous avons consulté les différents registres d’Etat-civil (actes de mariage, de naissance, de décès), de recensement et les monographies. Ces monographies nous ont été utiles dans la connaissance de la Région des Plateaux (milieu physique, organisation administrative, activités économiques). 2.4. Archives du District d'Abala Ces archives concernent les déclarations de mariage, de naissance, de décès, les registres de recensement et les monographies. Les monographies ont été d’un apport considérable pour notre travail. Elles renseignent sur le milieu physique, l’organisation administrative, les activités économiques. 2.5. Archives du District d'Ollombo Les archives de ce poste administratif ne sont constituées que d’actes d’Etat-civil (mariage, naissance, décès), de registres de recensement et de monographies. Si les registres d’Etat-civil sont utiles à l’histoire démographique, les monographies, quant à elles, nous ont renseigné sur le milieu géographique, l’organisation administrative, les activités économiques. 2.6. Archives du District d'Ongogni Les archives de ce poste administratif ne sont constituées que d’actes d’Etat-civil (mariage, naissance, décès), de registres de recensement et de monographies. Si les registres d’Etat-civil sont utiles à l’histoire démographique, les monographies, une fois encore, nous ont renseigné sur le milieu géographique, l’organisation administrative, les activités économiques. 2.7. Centre des archives d'Outre-Mer d'Aix en Provence Dans ce centre, nous avons consulté les archives de l’ancienne administration coloniale. Nous nous sommes intéressés aux séries : Gabon-Congo, Afrique Equatoriale Française. La plupart des archives de ces cartons donnent des renseignements particulièrement intéressants sur la présence française au Congo. Ces renseignements portent sur les explorations, les rapports et correspondances administratifs, l'organisation administrative du Congo-Français, la justice coloniale. Malgré leur valeur, elles ne peuvent éclairer, malheureusement, que l'histoire de cette présence étrangère et ne sauraient prétendre éclairer toute l'histoire des peuples du Congo. Car les peuples et leurs civilisations sont fort antérieurs à l'arrivée des Français et, d'ailleurs, 33 réellement peu atteints par les textes écrits des Européens, lesquels ne sont que des vestiges d'un stade historique: la colonisation. Ce stade mérite cependant d'être étudié comme une période au cours de laquelle Français et autochtones ont vécu ensemble sur un territoire qu'ils ont dû mettre en valeur avec des objectifs souvent contradictoires. 3. Documents imprimés Nous avons consulté les documents écrits ci-après : Atlas Linguistique De L’Afrique Centrale (A.L.A.C). Situation Linguistique De L’Afrique Centrale Inventaire Preliminaire. Le CONGO, A.C.C.T-CERDOTOLA - Equipe Nationale du Congo, Paris, 1987, 122p Le présent ouvrage fait le point sur les connaissances actuelles de la situation linguistique du Congo. De la page 57 à 58, il présente le groupe Mbosi et permet l'identification des Mbosi Olee. BOUQUET (Armand) : Fétiches et Médecines traditionnelles au Congo (Brazzaville), ORSTOM, Paris, 1969, Vol. 36, 182p Dans cet ouvrage ethno-botanique, il est fait mention à la page 17 des migrations Mbosi et du maître d’Otwere. COQUERY VIDROVITCH (Catherine) : Brazza et la prise de possession du Congo 1883 – 1885, Mouton, Paris, 1969, 502p Cet ouvrage retrace l'action de Brazza et ses compagnons au Gabon et au Congo. Il présente de la page 309 à 322 quelques aspects de la civilisation Mbosi. DAHO (Emmanuel): «La compensation matrimoniale chez les Mbosi: Tradition et évolution» in Cahiers de Recherche de l’UER des Sciences Juridiques, N°6, Université Paris Nanterre, 1986, pp 75-91 Article dont la lecture permet de comprendre l'importance de la dot dans le mariage traditionnel Mbosi. DAHO (Emmanuel) : Le mariage Mbosi : tradition et évolution, thèse de Doctorat de 3è cycle de sociologie, Université de Caen, 1983, 328p Cette thèse constitue une étude très intéressante sur le mariage en milieu Mbosi. DELAFOSSE (Maurice) : Enquête coloniale dans l’Afrique Française Occidentale et Equatoriale sur l’organisation de la famille indigène, les fiançailles, le mariage avec une esquisse générale des langues de l’Afrique, Société d’éditions géographiques, maritimes et coloniales, Paris, 1930, 382p De la page 462 à 473, cet ouvrage contient d'utiles renseignements sur la civilisation Mbosi (organisation de la famille, chefferie, mariage, mœurs, coutumes et croyances). EBEKA (Joseph) : «Morotoua contre Ndaka-Noloki» in Revue Liaison, N°16, Brazzaville, 1951, pp 22-24 L'auteur de cet article retrace le mouvement migratoire des Mbosi. 34 ELENGA (David) : Les Ambosi au Congo: Tradition et Evolution des systèmes de parenté et d’alliance, Thèse de Doctorat en Ethnologie, Université François Rabelais Tours, 1991, 421p Dans cette thèse pour le Doctorat d’Ethnologie, David Elenga étudie le système traditionnel et le système évolutif de la parenté et d'alliance chez les Mbosi. Il traite aussi des questions liées au milieu naturel, aux migrations, à l'organisation socio-politique et aux activités économiques des Mbosi. GASSONGO (Mgr Benoît) : Otwere. La judicature ancestrale chez les Mbochis, Les Lianes, Brazzaville, 1979, 39p C'est l'ouvrage de référence ou de base sur l'institution Otwere en pays Mbosi. Dans cet ouvrage, l'auteur définit Otwere, donne ses caractéristiques, les conditions d'adhésion et décrit son fonctionnement rituel. Il dégage aussi la cause du déclin d'Otwere. Cet ouvrage a été une source indispensable pour notre travail. ITIMBOU (Alexis B.R) : Pouvoir et Société en pays Koyo, Mémoire de fin de cycle pour l’obtention du Certificat d’Aptitudes Professionnelles à l’Enseignement Secondaire (CAPES), ENS-UMNG, B/ville, 1996 – 1997, 68p Ce mémoire est un très bon début de réflexion sur les institutions traditionnelles de pouvoir chez les Koyo. L'institution Otwere y occupe une place importante à travers sa définition et son organisation. LEGRAIN (Michel) : Le père Adolphe Jeanjean, Editions du Cerf, Paris, 1994, 234p Cet ouvrage biographique retrace les étapes de la vie et de l’œuvre apostolique du père Jeanjean dans le monde Mbosi. Il présente également quelques coutumes Mbosi. MAZENOT (Georges) : La Likouala-Mossaka. Histoire de la pénétration du HautCongo, 1878–1920, Mouton, Paris, 1970, 476p L'auteur nous présente l'action coloniale française dans le nord du Congo et l'organisation socio-politique des Mbosi. Cet ouvrage bien documenté est l'une des œuvres qui nous a été très utile dans notre travail. MONDZO (Jean Claude) : La justice coutumière au Congo-Brazzaville. A partir de l’exemple du twere chez les Mbochis De nos jours, Thèse de Doctorat en Droit, Centre d’Etudes et de Recherches Juridiques sur les Espaces Méditerranéen et Africain Francophone, Université de Perpignan, 2002, 424p Cette thèse est une description de la justice traditionnelle des Mbosi du Congo septentrional fondée sur Otwere et rendue par les Kani et Twere. Ndinga (Antoine): Sur les rives de l’Alima, Harmattan, Paris, 2003, 268p Cet ouvrage est un dialogue entre l’auteur et sa fille. Il fait découvrir à cette dernière les réalités de la tradition ancestrale Mbosi. La question Otwere occupe une place de choix dans ce dialogue. 35 NDINGA–MBO (Abraham, Constant) : Pour une histoire du Congo-Brazzaville. Méthodologie et réflexions, Harmattan, Paris, 2003, 308p C’est un ouvrage à la fois méthodologique et de réflexions sur l’histoire du Congo. Dans l’ensemble de cet ouvrage, on trouve des renseignements utiles sur les Mbosi et leur institution Otwere. NDINGA–MBO (Abraham, Constant) : Onomastique et histoire du CongoBrazzaville, Harmattan, Paris, 2004, 228p Dans cet ouvrage, l’auteur présente l’apport de l’onomastique dans la recherche historiographique du Congo-Brazzaville à partir des populations Kongo et Ngala. Les Mbosi y occupent une place de choix avec leur identification et l’analyse des traits caractéristiques de leur civilisation. OBENGA (Théophile) : Introduction à l’histoire du peuple de la République Populaire du Congo, Office National des Librairies Populaires, Brazzaville, 1972, 144p Cette œuvre importante constitue un répertoire des différents groupes ethniques du Congo. On peut regretter l’absence de toute mention relative aux Pygmées. Parmi les différents groupes, les Mbosi occupent une place importante, à en juger par le nombre de pages qui leur a été consacrées, de la page 58 à 71, avec l'analyse de leurs structures sociopolitiques. Cette œuvre a été une source importante pour notre travail. OBENGA (Théophile) : La cuvette congolaise. Les hommes et les structures, Présence Africaine, Paris, 1976, 172 p C'est l'ouvrage de base sur le groupe Mbosi. Dans cet ouvrage, l'auteur appréhende la totalité de la culture de ce peuple à tous les niveaux, de ce qui la conditionne, la perpétue et lui donne sens, de l'environnement naturel au langage et ses autres structures productrices et signifiantes que sont la parenté, l'économie et la politique. OBENGA (Théophile) : La littérature traditionnelle des Mbochis. Etsee le yamba, Collection Paroles et Traditions, Présence Africaine /ACCT, Paris, 1984, 325p Dans cet ouvrage, tous les genres littéraires traditionnels du peuple Mbosi sont amplement représentés, traduits et commentés: poèmes-chants relatifs aux phénomènes naturels et astronomiques, à la cosmogonie nationale, aux rites, pouvoirs et magies, à la célébration des jumeaux, à la danse kiebe-kiebe, à l’état de maternité, aux danses récréatives si variées, aux amours paysannes, aux élégies des pleureuses, aux divertissements littéraires des enfants, etc. Les contes, proverbes, maximes et devinettes ne sont pas oubliés. OBOBA (Georges Nicolas) : Une forme de juridiction chez les Koyo de la République Populaire du Congo : Otwere, Mémoire de DEA d’études africaines, Université de Paris1, 1986-1987, 109p Ce mémoire de DEA d’études africaines est une riche contribution sur Otwere en tant que forme de juridiction en milieu Koyo (Mbosi). Dans ce travail, l’auteur met d’abord l’accens sur la structuration d’Otwere et les sens donnés à ce mot. Ensuite, il décrit les rituels de consécration et d’intronisation du Twere et enfin, il présente Otwere comme procès rituel de sorcellerie. 36 OLLANDET (Jerôme) : Les contacts Teke-Mbosi. Essai sur les civilisations du bassin du Congo, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Université Paul Valery Montpellier, 1981, 2 Tomes, T1. 276p ; T2. 581p Cette thèse en deux volumes est une étude ethnographique exhaustive de deux groupes ethniques du Congo: les Teke et les Mbosi. L'auteur y aborde pratiquement tous les problèmes liés aux mouvements de population, à l'organisation socio-politique, aux activités économiques et à la culture. De la page 231 à 253, il définit Otwere et décrit son fonctionnement rituel. Il souligne aussi le rôle du maître d'Otwere et du Twere. Enfin, il aborde la séance judiciaire et la question des frais de justice. Ce travail nous a intéressé surtout dans ses parties consacrées aux Mbosi. ONDONGO TSIMBA (Gaston Guy Bosco) : La condition socio-juridique de l’enfant chez les Mbochi et son évolution dans la région de Brazzaville, Thèse de Doctorat en droit, Limoges, 1994, 330p Cette thèse est un très bon début de réflexion sur la prise en charge de l'enfant chez les Mbosi dans la pensée traditionnelle, d'une part, et sa protection en droit moderne, de l'autre. OVOULA (Alexis Edgard) : La médiation dans la culture et la religion traditionnelle bantu : Etude sur les Mbochi du Congo, Mémoire de Licence en théologie de l’information, Pontificio Universita Gregoriana, Facolta Di Missiologica, Rome, 2000, 100p Ce mémoire est une riche réflexion sur l’idée de médiation dans la culture et la religion traditionnelle Bantu en général et Mbosi en particulier. Dans le premier chapitre, l’auteur met en évidence l’essence philosophique et anthropologique des notions comme la médiation et la tradition sans oublier ses deux constituants que sont la culture et la religion. Dans le deuxième chapitre, il étudie l’épiphanie de la médiation chez les Bantu du Congo en particulier chez les Mbosi. Il l’articule autour de trois approches différentes qui s’interpénétrent : une première approche historique permettant de retrouver les origines des Bantu du Congo (les Mbosi) ; une seconde approche socioculturelle s’applique à montrer comment est constituée l’anthropologie philosophique bantu pour la médiation et enfin la troisième approche religieuse démontre son fonctionnement et son ouverture sur l’Etre suprême. SAUTTER (Gilles) : De l’Atlantique au fleuve Congo. Une géographie du souspeuplement. République du Congo. République Gabonaise, Mouton, Paris, 1966, 2 vol, 1102p Cet ouvrage en deux volumes est une étude géographique sur les deux pays d'Afrique Centrale: le Congo et le Gabon. L'auteur aborde les problèmes liés à la géographie du pays : relief, climat, démographie, économie et organisation administrative. De la page 237 à la page 248, il fait aussi une présentation des Mbosi et de leur migration. L'ouvrage nous a fourni des renseignements d'ordre général sur les migrations Mbosi, leur évolution administrative et économique. SORET (Marcel) : Histoire du Congo. Capitale Brazzaville, Paris, Berger-Levrault, 1978, 237p Dans ce livre, l'auteur nous fait une présentation des différentes étapes de l'évolution du Congo depuis la préhistoire jusqu'à la période des indépendances. De la page 97 à 108, il fait mention du peuple Mbosi, de ses migrations et de son organisation socio-politique. 37 L’ouvrage nous a renseigné de façon générale sur les Mbosi. SOUSSA (Louis) : Evolution des structures sociales traditionnelles du Congo. De la pénétration coloniale française à nos jours (L’exemple Mbochi ), Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire (Ethnologie), Ecoles des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1981, 418p Cette thèse fait une présentation du peuple Mbosi avant l'arrivée des colonisateurs français. Elle décrit et analyse également le contact Mbosi-Français dans la boucle de l'Alima. C'est une étude de base pour comprendre l'histoire de la colonisation de la région par les Français. VENNETIER (Pierre): Les hommes et leurs activités dans le Nord du CongoBrazzaville, ORSTOM, Paris, 1963, 289p Dans ce manuel, l'auteur présente la géographie physique, humaine et économique des populations du nord du Congo. Il aborde aussi la gestion économique de cette partie du Congo par les sociétés concessionnaires coloniales. Cette étude nous a paru intéressante dans ses parties consacrées à l'établissement des hommes, surtout des Mbosi et aux compagnies concessionnaires du nord du Congo. Tous ces documents contiennent des renseignements fort utiles et sont d'un apport considérable. Cependant, toutes ces données écrites ont été soumises à la méthode de la critique historique dont les aspects sont les suivants : -la critique externe qui permet d'apprécier la provenance et l'authenticité du document; -la critique interne qui permet d'apprécier l'exactitude, la sincérité et la crédibilité des faits rapportés dans les documents. Ce travail une fois effectué, nous en avons fait la synthèse globale; celle-ci nous a permis de disposer d'éléments qui ont été d'un précieux apport pour l'élaboration de notre travail. 4. Documents oraux Les documents oraux ou sources orales sont, on s’en doute, la source déterminante de l’histoire précoloniale des Mbosi Olee qui manque singulièrement de sources écrites ainsi que nous venons de le démontrer. Comme l’indique Abraham Constant Ndinga-Mbo9, on ne saurait aujourd’hui, au Congo, se passer de cette catégorie de sources que constitue la tradition orale. Elle offre une documentation abondante et variée, fournie par les groupes sociaux eux-mêmes, donc traduisant leur point de vue. L’importance de la tradition orale vient donc de ce que tout notre patrimoine d’hier et même d’aujourd’hui y est entièrement contenu. Aujourd’hui encore, malgré la diffusion de l’écriture, nombreux sont les Congolais qui vivent la culture dans et par la parole. Il n’y a pas, par exemple, de code juridique traditionnel écrit pour les arbitrages, les mariages, les successions, les rites, etc. La tradition orale contient effectivement la culture du peuple «profond», représentant le pays réel. Même alphabétisés, les Congolais continuent d’être des hommes de la parole. Il 9 Ndinga-Mbo (A. C) : Pour une histoire du Congo-Brazzaville. Méthodologie et réflexions, Harmattan, Paris, 2002, pp105-107 38 paraît difficile d’écrire l’histoire du Congo en ignorant la culture qui cimente la cohésion de nos populations en société, et avec laquelle elles ont agi dans l’histoire, et agissent encore aujourd’hui. Une telle place implique une certaine minutie dans la collecte et le traitement de ces traditions. Depuis en effet, que Jan Vansina, Amadou Hampaté Ba, Hubert Deschamps10 ont donné à la tradition orale ses lettres de noblesse, un progrès méthodologique a déjà été accompli dans son maniement en tant que source de l’histoire. Il s’agit désormais de la prise en compte globale de ce que les sociétés de l’oralité ont engendré, ce qui étend «le territoire de l’historien» aux récits, aux contes, aux proverbes, aux toponymes, aux anthroponymes, aux lieux (ceux qui portent la trace du passé), aux rituels, aux objets-témoins, à la littérature chantée, etc. Nous éviterons de ce fait de verser dans une présentation détaillée de notre méthodologie d’enquête qui n’a assurément rien d’original. La valeur d’une méthodologie tient, pensons-nous, à celle des résultats auxquels elle permet d’aboutir. En bref et sans négliger les écrits, les sources orales ont été notre principale source de renseignements ; ce qui nous a amené une fois de plus à entreprendre des enquêtes sur le terrain à la rencontre des informateurs. 4.1. Informateurs Au cours des différentes enquêtes, notre démarche a consisté d'abord à sélectionner les informateurs qui connaissent mieux la tradition. Nous avons interrogé quelques "vieux sages" de la contrée. Nous avons aussi interrogé les personnes relativement jeunes car elles peuvent aussi avoir hérité des traditions. Cette sélection des informateurs a été suivie de l'enquête proprement dite. 4.2. Enquêtes sur le terrain Sur le terrain, nous avons interrogé les personnes dont la liste est indiquée dans le tableau consacré aux informateurs (cf. p446). 4.3. Enquête elle-même 4.3.1. Aspect matériel Pour mener à bien les enquêtes, nous nous sommes muni de deux instruments techniques: un guide d'entretien comprenant des questions ouvertes et des questions fermées 10 Vansina (J) : De la tradition orale ; essai de méthode historique, Musée royal de l’Afrique Centrale, Tervuren, 1961, 179p ; «La tradition orale et sa méthodologie» in Histoire Générale de l’Afrique Tome I : Méthodologie et Préhistoire Africaine, Jeune Afrique/UNESCO, Paris, 1980, pp89-98 Amadou Hampaté Ba : «La tradition vivante» in Histoire Générale de l’Afrique Tome I : Méthodologie et Préhistoire Africaine, Jeune Afrique/UNESCO, Paris, 1980, pp99-112 Deschamps (H) : Op. Cit, pp131-138 39 (cf. document Annexe pp476-477) et un dictaphone pour l'enregistrement des entretiens. 4.3.2. Déroulement de l'enquête Au début de l'enquête, les informateurs nous ont paru méfiants. Voulant créer un climat de confiance et de familiarité, nous avons posé d'abord des questions d'ordre général. Nous n'osions sortir le matériel qu'une fois l'amitié établie entre l'informateur et nous. A ce moment, nous passions de l’entretien extensif à l’entretien intensif, plus opérationnel, qui cloisonne l’enquête en plusieurs thèmes spécifiques. Au cours de l'entretien, il est arrivé que l'informateur ne donne pas satisfaction à la question posée; nous reprenions la question sous une autre forme. Si un proverbe était énoncé, nous en demandions la signification. Les informateurs ont été interrogés séparément, mais chaque fois que cela était possible, des séances collectives d'entretien ont aussi eu lieu. Nous avons aussi participé à des discussions par des questions apparemment désintéressées afin d’orienter les débats vers tel ou tel thème. Par ailleurs, nous avons été obligé, dans certains cas, de mémoriser notre questionnaire car nous avons souvent noté que leur exhibition sur une feuille avec leur aspect «bureaucratique et policier» dénaturait visiblement le comportement des informateurs, au risque de compromettre l’objectivité, et donc la fiabilité de leurs réponses. La prise de notes pendant les entretiens a souvent revêtu le même caractère. 4.3.3. Résultats Grâce à la conjugaison de ces méthodes et moyens d'enquêtes, nous avons pu recueillir d'importantes données orales. Ces données obtenues ne présentent pas une histoire incontestable. Le rôle du chercheur serait trop facile si les documents oraux lui apportaient des faits vérifiables. Leur mode de transmission les fragilise. Aussi, avons-nous soumis toutes nos données au crible de la méthode historique qui comporte deux aspects : -la critique externe: il s'agit ici de se poser des questions sur l'informateur afin de mieux le connaître et de savoir comment a été recueilli le témoignage ; -la critique interne: à ce niveau, après avoir éliminé tout ce qui apparaît comme des additions, des interprétations, nous avons comparé les divers témoignages. Nous les avons, en outre, confrontés aux éléments issus de l'analyse des sources écrites. Après ces deux opérations (la critique externe et la critique interne), nous avons procédé à la synthèse qui nous a permis de disposer d'importants témoignages oraux et écrits. 5. Sources iconographiques Grâce à des photos et au concours d'un dessinateur, nous avons pu reconstituer les instruments d'Otwere, les insignes de pouvoir et les éléments de la vie culturelle des Mbosi. Le recours à cette méthode, a l'avantage de restituer un objet vivant en rapport avec toute la structure mentale et sociale. 40 VI. Plan de l’étude Nous avons divisé notre sujet en quatre parties qui sont les principales articulations du texte. La première partie présente la société Mbosi Olee. Elle se subdivise en quatre chapitres consacrés essentiellement à l’étude de l’homme et de son milieu physique, de l’organisation sociale et politique, à la vie économique et culturelle. Cette partie paraît nécessaire en ce qu’elle peut permettre une meilleure compréhension d’Otwere dans toutes ses dimensions. En effet, en tant qu’institution supême et multidimensionnelle, Otwere est à l’origine de tout ce qui va constituer cette première partie de l’étude car Otwere suggère, inspire, influence et régule l’organisation sociale et politique, la vie économique et culturelle. La deuxième partie examine Otwere comme institution globale de la société Mbosi. Elle se subdivise en quatre chapitres: le premier porte sur les généralités sur Otwere, le deuxième sur la nature et les fonctions d’Otwere, le troisième sur l’organisation d’Otwere et le quatrième sur les différentes cérémonies d’Otwere. La troisième partie analyse Otwere dans sa dimension judiciaire. Quatre chapitres essentiels organisent cette partie, à savoir: organisation de la justice traditionnelle, son fonctionnement, les affaires à juger et à concilier. La quatrième partie traite de la disparition d’Otwere. Elle se subdivise en trois chapitres : les causes exogènes du déclin d’Otwere, les causes endogènes du déclin d’Otwere et ses conséquences et en dernier lieu, les réflexions sur Otwere. 41 PREMIERE PARTIE : LES MBOSI OLEE DANS LEUR ENVIRONNEMENT L’image fausse que plus d’une personne se fait de la société Mbosi Olee, notamment dans la description de son milieu naturel et humain, résulte assez souvent de la méconnaissance qu’elles ont de la manière d’agir, de penser et de vivre du peuple Mbosi et également des règles qui régissent et réglementent son fonctionnement. Cette première partie est consacrée à la description de cette société, cadre à l’intérieur duquel s’effectue notre recherche. Elle se présente de la manière suivante : tout d’abord l’examen de l’homme et du milieu naturel qui s’impose comme le premier chapitre de cette partie. Le second chapitre se propose d’étudier l’organisation sociale et politique des Mbosi Olee ; les différentes activités économiques feront l’objet du troisième chapitre et enfin, le quatrième chapitre décrit la vie culturelle des Mbosi Olee. 42 CHAPITRE I : L’HOMME ET LE MILIEU NATUREL Ce chapitre autour de l’homme Mbosi et son milieu naturel est une réflexion axée sur trois points. Il va s’agir, dans un premier temps, de l’identification des Mbosi. Le mouvement migratoire Mbosi, deuxième point de cette réflexion, met l’accent sur les causes de l’émigration de ce peuple. Enfin, les Mbosi dans leur milieu naturel, troisième et dernier point de l’analyse, ouvre la voie à une étude sur le lien qu’entretient l’homme Mbosi avec ses différentes activités. 1. La communauté Mbosi 1.1. Groupe Mbosi Le peuple Mbosi constitue un des plus grands groupes ethniques de la République du Congo. Il fait partie du grand groupe ethnolinguistique bantu11 appelé Ngala12. On a coutume d’utiliser le terme générique «Mbochi» pour désigner ce grand groupe ethnique du nord. Mais, cet usage est une déformation du nom Mbosi qui remonte à la colonisation et qui a été imputée aux administrateurs coloniaux et aux missionnaires catholiques, qui étaient les uns et les autres étrangers et inhabiles à la culture et à la langue indigène (autochtone). En fait, on emploie les termes authentiques suivants: «Ambosi» (au pluriel) et «Ombosi» (au singulier) pour désigner les originaires de cette ethnie et «Mbosi» pour désigner l’ethnie. Ce groupe est divisé en plusieurs sous-groupes ci-après: Koyo, Akwa, Ngare, Mboko, Mbosi. A ceux-ci s’ajoutent d’autres sous-groupes Ngala entre autres les Moye (ou Moï), Likouba et Likouala. 1.2. Les Mbosi stricto sensu Les Mbosi proprement dits ne sont pas isolés des autres Mbosi, mais sont membres d’une communauté linguistique large où l’intercompréhension est immédiate. Ils sont les plus nombreux de tous les sous-groupes qui constituent le grand groupe Mbosi. Installés de part et d’autre de l’Alima, ils habitent les districts d’Abala, Ollombo, Alembe, Ongogni, Boundji, Oyo, Tchikapika, Ngoko. Ils occupent une partie de celles de Mossaka, d’Owando et de Makotimpoko. Plusieurs fractions s’individualisent au sein même de ces Mbosi stricto sensu. Ce sont : -Sur la rive gauche de la rivière Alima, les Mbosi de: Mbonzi, Obaa, Eboyi ou Omboo, Ambosi a Ngolo. 11 Une recherche sur le terme «Bantu» ne peut ignorer la teneur de l’analyse historique et linguistique que propose Théophile Obenga dans son ouvrage : Les Bantu, langues, peuples, civilisations, Présence africaine, Paris, 1985, pp335-339. Il étudie le mot «homme» (homo) dans quelques langues Bantu. «Il rapporte que c’est en 1862 que le missionnaire W.H.L Bleek (1827-1875) forge le terme pour désigner un vaste ensemble de langues, visiblement apparentées, précisément les langues Bantu. Le singulier de ce mot est : muntu. Il signifie simplement : «homme (homo), être humain, personne humaine». 12 Ndinga-Mbo (A. C): Onomastique et Histoire du Congo-Brazzaville, Harmattan, Paris, 2004, pp73-128 43 Ce dernier sous-groupe Mbosi (Ambosi a Ngolo) renferme actuellement les sousensembles ci-après: Tsambitso, Okouele, Mbosi de Tchikapika et de Tongo. Cette appellation Ambosi a Ngolo a été attribuée par les Mbosi Olee pour désigner tous leurs frères Mbosi qui habitent la rive gauche de la rivière Alima (précisément les districts d’Oyo et Tchikapika). En revanche, ceux-ci et les Likouba appellent leurs frères de la rive droite de l’Alima (Mbosi Olee) par Ambosi a Ngola Tsongo (Mbosi du côté de Tsongo). Ce sont deux groupes apparentés et voisins habitant les deux rives de l’Alima . Précisons par exemple que les Mbosi qui sont désignés aujourd’hui «Asi Tsambitso» (dans le district d’Oyo) ne se reconnaissaient pas dans cette appellation. Elle leur a été attribuée récemment. Tsambitso (littéralement Tsambi = terre ; Tso = rouge) est en fait le nom d’un village des Asi Ibongo. C’est dans ce village que Mgr Augouard avait implanté le 15 janvier 1899 une mission catholique, Sainte Radegonde. Comme nous allons le voir plus loin (Cf. l’historique des missions de l’Alima), après la fermeture de cette mission, suite à la fronde contre les Spiritains menée par les habitants des villages Abo et Pama, les chrétiens furent abandonnés à eux-mêmes. Exhortés par les Spiritains de Saint Benoît de Boundji, ils quittaient périodiquement leur contrée par groupe pour suivre l’enseignement sipirituel à Boundji. Les prêtres et les Mbosi de Boundji avaient pris l’habitude de désigner ces chrétiens par le nom de leur village d’origine, «Tsambitso». L’appellation «Asi Tsambitso» a été désormais appliquée à tous les Mbosi originaires de cette contrée ; -Sur la rive droite de la rivière Alima, les: Ngae, Nguilima, Ondinga, Mbosi Olee. Ces quatre groupes habitent tous la boucle de l’Alima. Les membres de la Mission de l’Ouest africain (1883-1885), furent les premiers Européens à parler des Mbosi. Ponel disait d’eux qu’ «ils ne connaissent pas la rivière tout en se trouvant sur ses bords»13. Les koyo (Kouyou) et les Akwa (Makoua) apparaissent de ce point de vue différent des autres Mbosi. Certes, ils vivent dans la savane, mais à la limite de la zone de l’eau; ils ont par conséquent un contact mixte. En effet, on rencontre chez eux des clans résolument tournés vers l’intérieur des terres ; d’autres sont ouverts sur la rivière. Il faut d’ailleurs noter que la plupart des villages Mbosi ne sont pas installés au bord des rivières. Ainsi, quand ils débarquèrent du Léon XIII le 6 janvier 1900, c’est avec un chef Likouba, nommé Ofemba (cf chap I de la quatrième partie) que les missionnaires catholiques entrèrent en contact pour fonder la mission qui devait par la suite s’appeler Boundji. Les Mbosi étaient à l’intérieur des terres, à une heure de marche14. C’est sans doute au contact des Likouba et des Likouala (gens d’eau), que les Mbosi apprirent à naviguer et à pratiquer la rivière. 1.3. Le sous-groupe Mbosi Olee Le terme Olee désigne une danse traditionnelle Mbosi pratiquée par les originaires des terres Asoni, Bombo, Olembe, Ilanga, Tsongo, Ondinga et Tse. Cette danse constitue l’un des fondements de la culture de ce sous-groupe Mbosi et a fini par devenir l’élément d’identification du sous-groupe. L’expression Mbosi Olee est récente. Elle est née à Brazzaville, capitale du Congo, après la seconde guerre mondiale (1945) du fait que ces Mbosi font de la danse Olee leur 13 Lettre de Ponel à de Rhins, écrite de Pombo, le 6 mai 1885 cité par Mazenot (G): La Likouala-Mossaka. Histoire de la pénétration du Haut-Congo 1878-1920, Mouton, Paris, 1970, pp149-150 14 R.P. Prat: Grammaire Mbosi et Dictionnaire, 1917 44 principale manifestation de groupe, la cause principale de leurs rassemblements en fin de week end. Cette expression Mbosi Olee, est en réalité le sobriquet utilisé pour les désigner, les distinguer des autres sous-groupes et surtout les situer dans le territoire occupé par l’ethnie. Ce sobriquet naguère mal apprécié par ces Mbosi fait son chemin pour devenir leur point d’indentité. L’usage du sobriquet est très courant dans les sociétés de l'Afrique Centrale. Et il est certain que bon nombre de noms que des colonisateurs ont attribué à des peuples sont effectivement des sobriquets donnés par des voisins. Les Mbosi Olee sont répartis en zones d’habitation qui sont : Asi Asoni c’est-à-dire les originaires d’Asoni, qui comptent 21.746 habitants, dans les districts d’Ollombo et d’Ongogni; regroupés dans les villages: Endolo, Esami, Okaye, Otsini, Apheme (Mapémé), Oyaa, Mollomo, Toro (Kalanga), Mbandza, Lesanga, Akiese, Ngamba, Oyale, Oyani, Endzei, Iphoundou, Mbe A Tsono, Owoyi, Ondzatoni (Pama), Komo, Ongoyi, Ongo, Elo, Epaa, Otsini, Oleme, Ipounou (Tsoloba), Kanaa, Bomba, Ongogni, Inguina, Mbe-Ongouala (Ongouala), Obala, Ongale, Ka, Kaye, Mbe-Ngueko (Kasimba), Okoo-Ako, Nguielakomo, Bele, Ekasa, Konosoho, Ekolo, Osende (Mossende), Ala. Asi Tsongo c’est-à-dire les originaires de Tsongo, comptant 3.000 habitants, dans le district d’Ollombo et autour des villages: Nguiele-Okasa, Okasa, Ngania, Esebili, Akiele, Tsodzo (ou Tsodzou), Ekongo, Etoni. Asi Bombo c’est-à-dire les originaires de Bombo, avec 3.000 habitants, dans le district d’Ollombo et autour des villages: Ndzouou, Bene, Ngosi-Ngosi, Ambombongo, Mbe-Kanga (Aphoua), Bolo, Okoo, Pounamoue, Ndongo, Akiele, Nguiele, Itandi, Etala, Ngouene, Obatsene, Koli, Epengue, Lekana, Djambala, Tsolo-Okasa. Asi Ilanga c’est-à-dire les originaires d’Ilanga, avec 6.900 habitants, dans le district d’Ollombo et autour des villages: Epaa, Ikouele, Kapha, Tsolokasa, Ondzandongo, Tsokia, Ngamba, Komo, Pama, Ika, Ndongo, Emboli, Yapha, Bouandza, Pombo, Ibaphi, Abongotsambe, Asale. Asi Tse ou Asi Ilanga la Tse c’est-à-dire les originaires de Tse ou d’Ilanga du sud, avec 1.713 habitants dans le district de Makotimpoko et autour des villages: Ibouli, Ebaa, Mbondzi, Obetsene, Elondi, Okiele, Konga, Osa, Ipheri, Asomina, Obendza, Osele, Odoumou, Okonongo, Opombo, Obeme, Tangalenga. Asi Olembe c’est-à-dire les originaires d’Olembe, avec 5459 habitants, dans les districts d’Ollombo et d’Ongogni, et autour des villages: Okamamoue, Ekasa, Itsoundou, Tsagni, Oleme, Abatsambe, Ngania Ossebi, Ollombo, Kondzi, Ikouele, Okaa, Kala, Oboya, Konohoso, Itoo, Ikare, Angolo, Mbandza, Pasa, Mboma, Akana, Ibangui, Akiele A Ngouene, Kondzi, Abatsambe, Obangue, Iphinda, Tsangue, Esala, Tsalehe, Akiele, Akana, Mbe a koa. Asi Ondinga c’est-à-dire les originaires d’Ondinga, avec 6729 habitants, dans les districts d’Abala et d’Ollombo, et autour des villages: Abala, Ndimi, Ondzolo, Okondo, Itomba, Ebaa, Ongoli, Endolo, Mbaye, Ongoueya, Asengue, Pousou, Oyongo, Okonga, Ekisi, Kosona, Akala, Apombo, Mbaa, Ati-Ati, Ebou, Okele, Endzolo, Obeme, Mbanguoni, Onguende, Ekouasende, Ebongo, Otali, Etoro, Enganga, Olanaa, Okouebe, Etseli, Olongo A Tsono, Osa, Akongo, Ibea, Odzeka, Epougnou, Okongo, Leboa, Ongouo, Oyaba, Kanihi, Iphi- 45 Lephoa, Asengue, Okaga (Oka), Komo, Ilolo, Oyapha, Okiemoue, Etoro, Akongo m’Okouma, Ipounou, Ndongo-Omio, Elondi, Mbopho, Nguielokasa, Ekolayoa (Iphinda), Iniengue. 46 Carte N°13 : Les sous-groupes de l’ethnie Mbosi Source : Soussa (L) : Evolution des structures sociales au Congo. De la pénétration coloniale française à nos jours (l’exemple Mbochi), Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, EHESS, Paris, 1981, p34 47 Carte N°14 : Localisation des Mbosi Source : Obenga (Th) : La cuvette congolaise. Les hommes et les structures, Présence Africaine, Paris, 1976, p169 48 2. Origine et migrations Le peuplement Mbosi Olee s'inscrit dans le contexte global de l'histoire des migrations de l'ethnie Mbosi, des groupes ethniques ayant occupé le Nord-Congo. La question de savoir, d'où viennent les Mbosi et comment ils se sont installés sur leur terroir actuel, nous impose une certaine démarche quant à son élucidation. L'analyse du cadre général, de l'histoire des migrations profondes des peuples Bantu vivant en Afrique Centrale, d'une part et celle des peuples Ngala qui vivent au Nord-Congo, dont les Mbosi font partie, d'autre part, nous permet de mieux cerner la question. De nombreux auteurs se sont intéressés à ce sujet. Cependant, pour comprendre les origines du peuple Mbosi, il faut d'abord remonter à l'histoire de l'immense groupe Ngala, que l'on trouve dans les deux Congo et au Cameroun. En effet, c'est le prince camerounais Dike Akwa Nya Bonambela dans son ouvrage: Les descendants des pharaons à travers l'Afrique qui nous indique une piste de recherche sur les liens entre les peuples Mbosi et les Ngala-Dwala. Selon cet auteur : «C'est aux Ngala-Dwala débordant la côte camerounaise pour atteindre la Guinée Equatoriale par les Benga et Boubi, le sud -est par les Kollé et Ibonô jusqu'à Port-Harcourt, le Gabon par les Bakota et les Okande, qu'il importe de rattacher des tronçons à l'est et au sud des Bangala zaïrois, depuis les XVIè et XVIIè siècles et du Congo par les Mbosi »15. C’est dans cette perspective qu’il sied d'opérer une prospection dans l'histoire des peuples Ngala des deux Congo. A cet effet, une illustration donnée par Jérôme Ollandet16, dans une remarquable étude où il met en exergue l'existence des liens de parenté entre les Mongo du Congo-Kinshasa et les Mbosi, nous paraît utile. L'origine et les migrations des peuples Mbosi ont été également abordées par Joseph Ebeka, Pierre Vennetier, Gilles Sautter, Théophile Obenga, Marcel Soret17. Tous s'accordent à reconnaître que le peuple Mbosi serait venu de l'Est du fleuve Congo. Mais quelles furent les causes de cette migration des Mbosi ? Avec Marcel Soret18, nous retiendrons qu’il y a certainement, à la lointaine origine, le surpeuplement du noyau proto-bantou oriental : pendant des siècles, une très lente progression a amené les Mbosi dans la boucle du Congo, puis, vers la fin du XVIIIè siècle, leurs migrations s’accélèrent. Cette longue marche parallèle à l’équateur ne semble toutefois pas seulement la conséquence d’un élan ancien qui dirigerait toute une masse de populations vers un lointain occident : une grande partie de celles-ci sont restées dans la boucle du Congo pourtant plus densément peuplée que cette cuvette. 15 Prince Dike Akwa Nya Bonembela: Op. cit, Editions Osiris-Africa, Bruxelles, 1985, p89 Ollandet (J) : Op.Cit, pp73-116 17 Ebeka (J): «Morotoua contre Ndaka-Noloki » in Revue Liaison, N°16, Brazzaville, 1951, pp14-16 Vennetier (P): Les hommes et leurs activités dans le Nord du Congo-Brazzaville, Cahiers ORSTOM, Série Sciences Humaines, Vol II, N°1, Paris, 1963; pp80-86 Sautter (G): De l’Atlantique au fleuve Congo. Une géographie du sous-peuplement. République du Congo. République Gabonaise, Mouton, Paris, 1966, 2vol, p245 Obenga (Th): La cuvette congolaise. Les hommes et les structures, Présence Africaine, Paris, 1976, pp3-5 Soret (M): Histoire du Congo. Capitale Brazzaville, Berger-Levrault, Paris, 1978, pp97-99 18 Soret (M) : Op. Cit, p98 16 49 Le départ accéléré des Mbosi est sans doute en rapport avec l’installation et surtout l’expansion des Mongo. Celle-ci aurait duré cinq siècles du XIVè siècle à l’aube du XIXè siècle et elle serait liée, en partie du moins, aux razzias Arabes sur la côte orientale. Ce n’est pas un «appel au vide» qui a poussé les Mbosi fuyant les Mongo à franchir le Congo mais plutôt l’existence d’une ligne de moindre résistance entre la forêt inondée et le môle Teke. Ainsi, la pénétration de la cuvette congolaise par les Mbosi aurait-elle suivi la trajectoire des cours d'eau. Après plusieurs mouvements, les Mbosi auraient traversé par petits groupes le fleuve Congo sous la direction de leur chef, et répandus en remontant les rivières Alima, Likouala-Mossaka et Kouyou. Les Mbosi eurent comme base de départ la boucle de l'Alima de part et d'autre du grand cours d'eau. Tout le mouvement interne est donc parti de ce secteur. En remontant l'Alima, les Mbosi se sont séparés en deux groupes: l'un s'est dirigé vers le Nord, c'est-à-dire la rive gauche de la rivière Alima ; l'autre s'est, à son tour, dirigé vers le Sud, c'est-à-dire la rive droite de l'Alima. Chacun des groupes a occupé son habitat actuel. Elle n'est pourtant pas la seule voie de pénétration. D'autres groupes de même origine ont remonté par d'autres rivières; tel est le cas des Koyo et des Akwa. Ces derniers ont eu comme voies principales de pénétration la Likouala-Mossaka et ses deux affluents, le Kouyou et la Mambili pour se retrouver dans leur habitat actuel. Les Ngare et les Mboko quant à eux, à la conquête de nouveaux habitats ont traversé le pays Mbosi, Koyo et Akwa. Ils se sont installés à l'extrêmité occidentale de la cuvette congolaise. Les auteurs qui ont étudié cette question donnent même les noms d'ancêtres qui avaient conduit le groupe. Ainsi, les Mbosi se disent tous les descendants de Ndinga. L'expression Mbosi suivante, traduit cette reconnaissance du groupe envers son ancêtre: "Ambosi a mba Ndinga" c'est- à- dire les Mbosi sont peuple de Ndinga ou sont de Ndinga. Une autre expression Mbosi: "Eboyi ya Kiba" c'est- à -dire, le peuple de Kiba, mentionne un autre chef de migration. Kiba serait un autre chef, qui avec Ndinga aurait conduit et guidé la migration Mbosi sur les terres qu'ils occupent actuellement. Abraham Constant Ndinga-Mbo n’a d’ailleurs pas manqué d’en faire mention dans ses recherches sur les peuples de la cuvette congolaise lorsqu’il souligne : «Ndinga et Kiba sont deux anthroponymes aussi lourds d’histoire chez les ngala terriens. Les traditions mbosi les présentent comme les chefs de migration et héros-fondateurs de leur groupe»19. Quant à la périodisation de l'installation du peuple Mbosi, les données recueillies à ce sujet sont fragmentaires d'où la difficulté pour nous de donner une date précise, de l'installation du peuple Mbosi dans son habitat actuel. Néanmoins, Théophile Obenga20 argumente à ce sujet que les Mbosi ont occupé leur habitat actuel, à partir du IVè et Vè siècles de notre ère. D'autres auteurs et chercheurs dont 19 Ndinga-Mbo (A. C) : Op. cit, p136 Obenga (Th) : Op. cit, pp3-5. S'appuyant sur la formation du royaume Kongo, de celle des Etats de la région et de l'ensemble des foyers culturels de l'Afrique Centrale, Théophile Obenga défend cette thèse selon laquelle la date de l'installation des Mbosi dans la cuvette congolaise remonterait à une époque relativement lointaine. Pour lui, de nombreux faits bien établis permettent d'admettre que les ancêtres des Mbosi actuels occupèrent la région à ces dates à la suite des mouvements migratoires primaires bantous. La glottochronologie (méthode statistique qui se propose de calculer la profondeur temporelle existant depuis la séparation de deux ou plusieurs langues ou 20 50 Pierre Vennetier21, Gilles Sautter22 et Marcel Soret23 s'accordent à estimer que cette installation des Mbosi remonte à un minimum de sept (07) à huit (08) générations c'est-à-dire au milieu du XVIIIè siècle. A défaut de renseignements archéologiques, ces différentes hypothèses constituent des indices importants susceptibles de nous éclairer sur la question de la date de l'installation des Mbosi. Au-delà de cette dualité qui rend les origines des Mbosi encore obscures, au regard de l'étude du prince Dike Akwa Nya Bonambela, qui s'oppose à celles d’autres chercheurs cités à propos de l'origine du peuple Mbosi, le mouvement migratoire quant à lui, a été bien analysé par eux. Précisons à ce propos que l’origine d’Otwere est intrinsèquement liée au peuple Mbosi depuis ses origines. Sans préciser avec exactitude la date d’instauration de cette institution, nous pouvons faire remonter celle-ci avant l’époque des migrations. Cela nous laisse penser et conclure qu’Otwere, en tant qu’institution, est liée à la racine même de la culture et de la civilisation Mbosi. Comme nous le verrons par la suite, Otwere est né d’un besoin, celui de régler et d’organiser différentes coutumes de vie et de créer une société stable et pacifique, apte à s’autoréguler, à croître et à progresser de manière raisonnée et institutionnalisée. Eu égard à ce qui précède, nous sommes en droit de retenir que l'occupation des terres par les Mbosi est donc un fait ancien, en tout cas bien avant le XVIIIè siècle puisque nous les retrouvons comme d'actifs partenaires des Teke dans la traite des esclaves des XVIIè et XVIIIè siècles. Mis à part ces considérations historiques, il nous semble essentiel de revenir ici de manière plus précise, sur les conditions géographiques du pays Mbosi Olee. 3. Le milieu naturel A travers une description sommaire de son relief, son climat, sa végétation, ses sols et son hydrographie, nous allons maintenant tenter de caractériser le milieu naturel. 3.1. Le relief La plaine et les plateaux constituent deux grands ensembles du relief Mbosi Olee. 3.1.1. La plaine Une vaste plaine occupe presque les 2/3 de la contrée Mbosi Olee et constitue un segment de la cuvette congolaise (zone basse). Cette vaste plaine qui commence depuis les villages Iphoundou et Mosende (terres Asoni et Olembe) au Sud, Ipounou et Okonga (terre Ondinga) à l'Ouest et s'étend jusqu'à la rivière Alima au Nord et à l'Est. Il s'agit ici d'une zone dialestes d’un tronc commun connu ou supposé ou le laps de temps séparant deux états attestés d’une même langue) indique que la langue des Mbosi se serait separée de celles des Kongo et des Batéké à ces dates. 21 Vennetier (P) : Op. cit, pp 80-86 22 Sautter (G) : Op. cit, p 245 23 Soret (M) : Op. cit, pp 97-98 51 qui couvre totalement toutes les terres, Ilanga Tse, Bombo et Tsongo, une grande partie de la terre Asoni, une partie des terres Olembe et Ondinga. Cette vaste plaine est traversée par de nombreux cours d'eau dont les principaux sont les rivières Tsakoso, Ndzale-Tse, Como, Oyee, Lebomo, Yele, Wowo, Ougnou, Kouï. Elle est aussi constituée de deux zones nettement distinctes: la zone de terre ferme et la zone marécageuse ou inondée. La zone de terre ferme occupe les terres Asoni, Bombo, Tsongo, Olembe et Ondinga. Quant à la zone marécageuse ou inondée temporaire ou permanente, elle occupe les terres Ilanga. 3.1.2. Les plateaux Ils sont d’étendues moyennes dans l’ensemble avec des altitudes qui oscillent autour de 300 à 400 m, mais très remarquables avec des collines élevées. On les observe au sud du territoire Mbosi Olee autour des villages Ekolo, Konosoho et Ito de la terre Olembe. On les observe aussi autour des villages Ngamba, Ongouala, Oyani (Mont Kametani) de la terre Asoni. On les trouve également à l'ouest du territoire Mbosi Olee autour des villages Mboma, Akana, Mbandza de la terre Olembe. Ils sont plus dominants autour d’Abala. Dans cette zone de plateaux, on note la naissance de cours d'eau comme Bagni, Ougnou, Kouï. Elle est aussi traversée par les rivières comme como, Ilemi, Ndzale, NdzaleItse. 3.2. Le climat Le climat du pays Mbosi Olee est de type subéquatorial avec une forte chaleur (25 à 26°c en moyenne) et une pluviosité abondante de 1600 à 1800 mm d'eau par an. Ce pays Mbosi Olee connaît deux grandes saisons: Ephoya (saison sèche) et Otoupha (saison des pluies), intercalées par des saisons intermédiaires sèches et humides. Ces saisons auxquelles se subordonnent les activités économiques sont ainsi décrites : 3.2.1. Ephoya Ephoya ou grande saison sèche, va du mois de mai au mois de septembre. Elle est composée de deux parties : 1)-Poangwe ou Poula : correspond au début de la saison sèche avec un début de défrichement des champs. Cette période s'étend de Mai à juin. 2)-Ephoya proprement dit: allant de juin à septembre. C’est la période des grands travaux des champs (isa ou okonda), des arbres sont abattus. De nombreuses activités de pêche (Ikondza) sont pratiquées : ithoa, partie de pêche qui consiste à vider des étangs avec des paniers en osier ; iboua, pêche aux harpons ; enfin, ikondza m’okya, pêche aux filets. 52 3.2.2. Otoupha Otoupha c’est la grande saison des pluies qui court du mois de septembre au mois de mai de l’année suivante. Elle comporte quatre phases qui sont: tsala, lesaa, ikombo et leka. Entre deux phases successives d’Otoupha s’étale une petite saison sèche appelée lekwele. 1)-Tsala : c’est le début de la saison des pluies, au mois de septembre. Au cours de cette période se pratique la pêche par barrages ou aux harpons. On récolte les ndouengue (fourmis ailées, termites ailés) qui sortent des termitières (isemba). Tsala se poursuit jusqu'à Issei qui est la période de l'inondation des rivières. Elle est caractérisée par l'apparition dans la savane inondée d'un champignon appelé isee. 2)-Lekwele l'indee ou Ephinda : C’est la petite saison sèche allant de fin novembre à début décembre. Cette période est caractérisée par une pellicule noire (Elombo) qui couvre les eaux basses des petits ruisseaux. La pêche n'est pas pratiquée. Indee est une plante qui donne des petits fruits rouges dont les oiseaux sont friands. 3)-Lesaa : c'est une période pluvieuse allant de début décembre à fin janvier. Elle précède le murissement des safous. 4)-Lekwele la lesaa : c'est une courte saison sèche. Elle va de fin janvier au début de février. C'est la période de murissement des safous (lesaa) et elle précède l'apparition des champignons (akombo; sing. ikombo). 5)-Ikombo : c'est la période des pluies qui sépare lekwele la lesaa et lekwele la kaaika. Les rivières assombries pendant lekwele l'indee, deviennent claires. En effet, l’eau des rivières change de coloration en fonction des saisons. Les poissons font leur apparition. 6)-Lekwele la kaaika : c'est une petite saison sèche au mois de mars. On s’y adonne à la pratique de la pêche, par assèchement des étangs, réservée aux femmes. C’est une saison caractérisée par le fleurissement d'oka (pl. ika, grand arbre). Les fruits d'oka sont mangés par les singes et les poissons. 7)-Lekaa : il s'agit d'une période de grandes pluies (d’avril à mai). Le temps par excellence de la pêche par barrages. 3.3. La végétation La forêt (ko) et la savane (olongo, kondo, ebaphi) sont les deux grands ensembles de végétation du pays Mbosi Olee. 3.3.1. La forêt Il convient de distinguer la forêt de terre ferme et la forêt galerie. La forêt galerie s'étend le long des cours d'eau et surtout dans la terre Ilanga. C'est une forêt composée des espèces d'arbres: okomba, ipopoh, ibangamba, ibwe, sondzo, oka, yandza, lekwele, okouele, osomba, ophouphourou, obare, ipombolo, okangapa. Elle est surtout caractérisée par des grandes touffes de lianes à piquant (leka, sing. ka; ibabale, sing. obabale; assanga, sing. sanga; itsou, sing. otsou). 53 On y rencontre aussi les palmiers ci-après: olengue (palmier dit sagoutier); ibouou (palmier bambou). La forêt de terre ferme est une forêt secondaire qui se rencontre dans toutes les terres Mbosi Olee. Cette forêt est fermée et composée des espèces variées suivantes: engondo, oboro, olomo, onguie, ossossi, tsagni, bouma, okoo, obessi, ophimbi, otsende, mbembe, okokomba, toura, otophi, ondzindzingui, okoungou, osomba, epha, otomba, isengue, okomi, ossengue, ephinda, oteli, eyanguisi, ophephesi, obala, obare, ololongo, oye, olo, omama, otsoundou, obindzi. Elle est aussi le principal domaine des activités agricoles (culture de manioc). Dans cette forêt, on rencontre les palmiers ci-après: ipeyi (palmier raphia), ilephi (palmier ronier). Dans la forêt de terre ferme comme dans la forêt galerie, poussent les palmiers à huile (abiya, sing. ibiya). Le sous-bois de chacune des forêts est occupé par des grands «murs» de lianes et d'autres arbustes qui rendent quelquefois l'accès difficile. Les différentes espèces de palmiers sont très utiles pour l'alimentation et la construction. En tant qu’espace et lieu sacrés, la forêt constitue le siège d’un sanctuaire (l’Eselee) destiné à organiser les cérémonies rituelles d’Otwere. 3.3.2. La savane Elle se juxtapose à la forêt. On rencontre les espèces herbacées ci-après: ibaphi (sing. ebaphi) et indongo (sing. ondongo) qui caractérisent la savane de la dépression et ika (qui caractérisent la savane des plateaux). On rencontre aussi des arbustes comme engani, idoundouh, elolo, ossihi. Y poussent également des petits arbustes comme ipombolo, ipopoh et les espèces herbacées ci-après: poulou (sing. lepoulou) et akinga (sing. ikinga). La plupart des plantes du couvert végétal Mbosi sont utiles et constituent des espèces protégées. Elles servent à la construction et au chauffage. Certaines d’entre elles donnent des produits de la cueillette tel que okami, itophi, otsende, obessi, ossah, ombague. D'autres cependant sont utilisées dans la pharmacopée traditionnelle. C’est le cas de oye, okami, ibondzi, ondzindzingui, onguiee, lekasa la mpoo, ipopoh, idoundouh. D'autres encore participent à la restauration et à la protection du sol cultivable: okami, otsende, ophimbi, ibondzi, lela, engondo, tsagni pour leur ombre. Enfin d'autres sont destinées à la fabrication des objets à valeur culturelle. Ce sont les cas de isengue, osomba, ipopoh pour la fabrication des tam-tams (asoumba), oka pour la fabrication des pirogues. 54 3.4. Les sols Le pays Mbosi Olee présente deux types de sols: les sols argileux et les sols sableux. 3.4.1. Les sols argileux Ils occupent la majeure partie du pays Mbosi Olee. On les rencontre dans les terres Asoni, Bombo, Tsongo, Olembe et Ondinga. Ils sont couverts d’une couche de l’humus naturel, donc se prêtent à l’agriculture surtout en saison de pluies. 3.4.2. Les sols sableux On les trouve surtout dans les deux terres Ilanga et dans la partie orientale de la terre Asoni. Ils sont inondés pendant la saison des pluies et ne sont, en partie, cultivables que pendant la grande saison sèche. Il y pousse surtout le tarot et le palmier à huile (sur les parties élevées). 3.5. L'hydrographie Le pays Mbosi Olee a un réseau hydrographique dense dont les principaux cours d'eau du sud vers le nord sont la Tsakoso, la Como et l'Alima. 3.5.1. Tsakoso Tsakoso prend sa source dans les bas fonds du village Inkouélé en pays Bangangoulou (district de Gamboma). Après avoir traversé une zone du pays Bangangoulou, elle traverse le sud des terres Olembe et Bombo, dans un lit encaissé et peu profond, jusqu’au village Okoo. En amont de ce village, après avoir reçu ses plus grands affluents (Wouphou, Akongo, Oyee, Boueme, Kouï, Safouhou, Ougnou et Bagni), elle étale son lit qui se disperse dans la haute forêt et ses eaux inondent les terres traversées. A partir de ce point, elle forme un grand arc de cercle autour de la terre Asoni dont elle constitue une limite naturelle avec les terres Tsongo et les deux Ilanga (qu’elle traverse avant de se jeter dans le fleuve Congo). C’est aussi, à partir du village Okoo (terre Bombo) que le cours d’eau prend une grande importance économique pour l’ensemble des populations traversées: il constitue avec ses affluents, une grande réserve de poissons donc le domaine de grande pêche. Son régime varie suivant le rythme des précipitations: très inondée pendant la saison des pluies, la Tsakoso ainsi que les affluents qui l’alimentent, s’assèche totalement et son lit dispersé se fractionne en étangs jusqu’au village Asomina (terre Tse). 3.5.2. Como La Como prend sa source près du village Ossele dans le district d'Abala. Elle traverse les terres Ondinga, Olembe et le village Tsokia (terre Ilanga) et se jette dans l'Alima après le village Tsokia. Pendant la saison sèche, l'étiage est très prononcé, alors qu'en saison des pluies c'est le contraire qui se produit en raison d'une pluviosité abondante. Malgré cela, les pirogues empruntent ce cours d'eau même en saison sèche. 55 3.5.3. L’Alima L'Alima est un affluent du fleuve Congo. Elle a une longueur de 515 km, une largeur moyenne de 150m et une profondeur moyenne aux basses eaux de 2 à 3 mètres. Elle est navigable toute l'année. C’est une rivière historique puisque c’est sur ses rives qu’avait commencé la pénétration coloniale française du Congo. Elle a été parcourue sur 75 km par Brazza en 1878. Elle est alimentée par des nappes d'eau souterraines des plateaux Batéké (d'où la constance du régime de cette rivière). Elle reçoit en territoire Mbosi Olee deux affluents: Lebomo et Como. Des bateaux à moteur de 15 à 20 tonnes remontent l'Alima jusqu'à Lékéti24 (en territoire Tegue). Ce cours d'eau arrose le terroir Mbosi Olee à partir de la terre Olembe jusqu'à la terre Ilanga. L'Alima se jette dans le fleuve Congo à partir de Bounda (campement Moye). Le pays Mbosi Olee est également traversé par plusieurs cours d'eau secondaires qui alimentent les trois plus grands ci-dessus: Bagni, Oyee, Ougnou, Kouï, Lebomo, Boueme, Leï, Ndziema, Bakouagni, Bili, Ikoso, Louama, Ayo, Tse la tsembe, Awayi, Ilemi, Ndzale, Ndzale Itse, Ndzale ya Ati-Ati, Asondzo, Wowo, Yele, Miandzi, Mbomi, Ikoupha, Lekagna, Ophou, Ata - Ata, Pima. 4. Conclusion Les Mbosi Olee qui représentent plus de cinquante mille (50.000, recensement de la population de l’année 2000) habitants de la population de la région administrative (Département) des Plateaux de la République du Congo, comptent pour le plus grand sousgroupe ethnique de cette région. Sous-groupes de la grande ethnie Mbosi, les Mbosi Olee occupent un pays composé de deux types de relief : les plaines qui constituent un segement de la cuvette congolaise et les palteaux qui sont un prologement des hauts plateaux batéké. Ce pays présente des atouts très propices aux activités agricoles et de pêche. La vie sociale y est active avec ses danses et ses fêtes multiples. Enfin, c’est dans cet espace et sur ces hommes qu’Otwere a exercé son influence. 24 Obenga (Th) : Introduction à la connaissance du peuple de la République Populaire du Congo, Office National des Librairies Populaires, Brazzaville, 1972, 144p 56 CHAPITRE II : L’ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE Saisir la quintescence de la variété culturelle de la population Mbosi Olee exige une analyse minutieuse des mécanismes de son fonctionnement à travers ses systèmes de parenté et de village et surtout celle de ses chefferies traditionnelles qui régulent les liens entre les différents membres de la société. Tels sont donc les points qui seront abordés dans ce chapitre. 1. Système de parenté Chez les Mbosi, la parenté est d'autant plus importante qu'elle est à la base de tout pouvoir traditionnel. L'analyse du système de parenté dans le présent point nous amenera à examiner la notion de parenté, sa structure, les parents d'un Mbosi, la place et le rôle de la personne dans ses familles. 1.1. Définition de la parenté Avec Martine Segalen25, on retiendra que la parenté constitue un système de «repérage social» qui s’effectue par la terminologie. Cette dernière sert à désigner l’univers des parents que la consanguinité, l’alliance (ou dans certains cas l’adoption) nous donnent. De plus, la terminologie de la parenté est un système de classement des parents qui désigne les conduites d’évitement, de respect, de plaisanterie que l’on peut avoir avec ces types de parents. Chez les Mbosi, la parenté est appelée Oboro. Elle désigne le lien qui unit tous ceux qui sont issus d'un ancêtre commun, masculin ou féminin. Tous ceux qui reconnaissent cette appartenance à un même ancêtre sont entre eux des iboro (parents). On distingue parmi ceux-ci, les iboro b’iteyi (parents paternels) d'une part, et les iboro b’ingoo (parents maternels), d'autre part. Ainsi, les Mbosi reconnaissent sur le plan biologique une étendue de liens constitués par les connexions généalogiques tandis que sur le plan social, ils reconnaissent l'existence de quelques catégories principales de parents. A première vue leur système de parenté paraît à la fois simple et complexe. 25 Segalen (M) : Sociologie de la famille, Armand Colin, Paris, 1993, p60 57 1.2. Structure de la parenté La parenté ou Oboro chez les Mbosi Olee est structurée en Isiya et Ndeyi. 1.2.1. Isiya = clan Pour Marc Augé, le clan «rassemble tous ceux qui se considèrent, en vertu d'une relation généalogique présumée et indémontrable, comme les descendants en ligne directe, soit parternelle (patriclan), soit maternelle (matriclan), d'un(e) ancêtre commun(e) légendaire ou mythique»26. Chez les Mbosi Olee, le clan est appelé Isiya (pl. asiya). Il comprend tous les membres, vivants ou morts tous issus d'un ancêtre commun masculin ou féminin appelé gniakoumou. Le Mbosi actuel est donc issu de plusieurs asiya. Mais du fait de l’absence de supports écrits qui devaient renseigner sur ses asiya, il se contente actuellement de ne retenir que huit (8) asiya essentiels (quatre maternels et quatre paternels) par lesquels il s’inserre dans la société. Isiya se caractérise par : 1)-un nom: le nom de l'isiya est le nom de l'ancêtre éponyme premier, précédé d'un préfixe qui indique la succession, déifie le patriarche et suivi du nom du siège. Par exemple : -A Tsana O Boua: clan des Tsana, siège Boua -A Ndei E Ekongo: clan des Ndei, siège Ekongo -A Ngoue Iboro: clan Ngoue, siège Iboro -Ikombi O Bomba: clan des Okombi, siège Bomba. 2)-un siège: le siège d'un isiya est le premier village créé et habité par le premier chef de clan, l'ancêtre qui serait parmi les premiers Mbosi émigrés et installés sur le territoire actuel. Certains de ces villages ont disparu mais les asiya qui leur sont tributaires demeurent avec des représentants dispersés dans le territoire Mbosi Olee. 3)-une devise: nom et siège du premier ancêtre que les membres du clan évoquent ou scandent lors des circonstances solennelles. Pour chaque Mbosi, le nom d'isiya constitue une devise qu'il invoque lorsqu'il est confronté à une situation difficile. Il l'évoque aussi pour annoncer son identité dans toute affaire où il est impliqué. Par exemple, lors des fêtes, des sorties ou retraits de deuil, mariages, palabres. L'individu a aussi le droit d'user de la devise de son clan à titre d'exclamation en public pour exprimer la surprise ou l'étonnement, pour invoquer l'esprit du premier parent en vue de retrouver ses sens et regrouper ses forces dans une situation difficile. 4)-un totem qui est représenté soit par un animal27, soit par un reptile, soit par un arbre (une plante). 26 Augé (M) : Les domaines de la parenté, Maspero, Paris, 1975, p26 La symbolique du totem, spécialement sous la forme animale, se trouve en Afrique noire sous diverses formes. Il y a de totem du groupe ou du clan et le totem de l’individu. Le totem du groupe est le signe médiatique symbolisant l’unité du groupe et de lui découle beaucoup de principes moraux et sociaux (contes, proverbes, dictons) qui président à la vie, à la survie et à l’harmonie. L’animal constitue ainsi la référence symbolique des structures et des institutions, de telle sorte qu’on l’identifie au groupe même. Pris dans ce sens, l’animal 27 58 5)-en relation avec le totem, certains interdits alimentaires touchent des poissons, animaux et plantes considérés comme faisant partie du totem d'isiya. L'interdit alimentaire frappe l'ensemble des membres du clan: femmes, hommes et enfants. Isiya renseigne sur l'origine des personnes, des familles Mbosi Olee. Il apparaît pour ses descendants, comme un lieu de sécurité, non seulement parce qu'il détermine, réglemente la constitution des groupements, l'accession à l'héritage et l'exercice du pouvoir, veille au respect de l'exogamie, mais aussi parce qu'il crée et entretient un champ de forces où vivants et mânes des ancêtres sont liés et à l'intérieur duquel l'individu est sensé trouver équilibre, santé, protection. Il apparaît aussi comme un lieu d'insécurité parce que : -l'appartenance à certains clans prédispose à la sorcellerie héréditaire (Ikoundou); -l'appartenance au clan prédispose aux maladies dues à la consommation de certains aliments interdits aux membres du clan (poissons, viande de certains animaux, de certains serpents). Ces poissons et animaux étaient considérés comme éléments de la puissance du premier parent. On pense encore que l'ancêtre s'est réincarné dans cet animal sacralisé28 dont on ne peut consommer la chair. On note les asiya Mbosi Olee ci-après : - Tsana O Boua, siège Boua ; - Mwandzola O Pama, siège Pama ; - Ngangale Akongo, siège Akongo ; - Ndee E Ekongo, siège Ekongo ; - Ngoue O Toro, siège Toro ; - Elongo A Asale, siège Asale ; - Ikombi O Bomba, siège Bomba ; - Mboula nganga, siège Endolo ; - Tsekiembe Ingamba l'ito, siège Akoupha ; - A Ndinga : plusieurs clans distincts sont homonymes du nom du chef de la migration Mbosi sur leur habitat. Par exemple : -A Ndinga E Elondi, siège Elondi ; - A Ndinga O Mbopho, siège Mbopho ; -A Ndinga O Koso, siège Koso (Tsodzo). Ce tableau qui est loin d’être exhaustif, a cependant le mérite de démontrer que la société Mbosi Olee est une société segmentaire. totémique a un statut considérable dans les groupes : c’est l’animal tabou, celui qui ne doit être tué ni mangé. Armoiries de la famille, du clan, de la tribu, de la race (B. Cendrars : Anthologie nègre, Librairie générale, Paris, 1985, p135). Dans son caractère individuel, le totem est, l’être le plus intime, plus profond de la personne qui ne doit être livré. Il témoigne du pouvoir et de la puissance de son protecteur. C’était le cas par exemple de Mobutu au Zaïre qui était dit Nkoï mobali (le léopard mâle) et c’est le cas de Paul Biya au Cameroun qui est «lion indomptable. Pour compléter cette analyse, on peut lire Levi-Strauss (C) : Le totémisme aujourd’hui, PUF, Paris, 2000, 159p 28 Chez les Mbosi Olee, l’animal sacré constitue le totem du clan 59 1.2.2. Ndeyi = lignage Pour Patrick Tort et Paul Désalmand, le lignage est le «groupe d’individus liés par les liens du sang et suivant une règle de filiation unilinéaire ; il comprend exclusivement les personnes capables de fait d’établir leur relation généalogique avec un ancêtre commun ; un lignage est donc l’ensemble des descendants unilinéaires d’un ancêtre ou d’une ancêtre commun(e) connu(e)»29. A partir de cette définition disons que chez les Mbosi Olee, le lignage est appelé Ndeyi. C’est la famille étendue. Il a un patriarche nommé Niakoumou ya ndeyi. Ndeyi désigne aussi une lignée de parents. Ndeyi est donc le groupe des parents considérés comme proches de l’individu et qui lui assurent son attachement à un Isiya. Ainsi, pour un Mbosi, la parenté est organisée en plusieurs lignes qui constituent pour lui des représentations des asiya auxquels il appartient. Plusieurs lignées composent un clan. Dans un clan, un Mbosi peut se reconnaître dans huit (8) lignages au moins qui lui sont proches. On range les parents auxquels le Mbosi appartient dans les lignes suivantes: 1.2.2.1. Le groupe des paternels: Iteyi 1.2.2.1.1. Iteyi: ligne des membres du groupe père Elle est naturellement représentée par le père et comprend en outre les frères de même mère et de même père, ses cousins maternels et neveux utérins (fils et filles de ses sœurs et de ses cousines maternelles), ses sœurs et cousines maternelles. C’est la ligne responsable de la vie de l’enfant. C’est la ligne dont le père est pande (son idihima c’est-à-dire ligne des membres du groupe des oncles maternels). 1.2.2.12. Ikaa l’Iteyi: ligne des grands-parents maternels du père Cette ligne est représentée par le grand-père (père de la mère). C’est la ligne maternelle du père du père, Ikaa la lengandza. 1.2.2.1.3. Ikaa la lengandza: ligne du père du père Cette ligne est représentée par le père du père (le grand-père paternel). Elle comprend, outre le grand-père lui-même, ses frères et sœurs de même mère, ses cousins et cousines maternels, ses neveux et nièces (fils et filles de ses sœurs de même mère, de ses cousines maternelles), les oncles et tantes paternels (frères et sœurs de même père que le père). C’est la ligne dont le père est okola. 1.2.2.1.4. Ikaa la epaphe (ou epaphele): ligne du grand-père paternel du père Cette ligne est représentée par le grand-père. C’est la ligne Ikaa la lengandza du père, celle dont le père est nda. Elle comprend, outre le grand-père lui-même, les oncles paternels du père, les cousins paternels du père. 29 Tort (P), Désalmand (P): Sciences humaines et philosophie en Afrique. La différence culturelle, Hatier, Paris, 1978, p98 60 Ces lignes paternelles constituent l’iteyi (parenté paternelle) d’une personne, d’un Mbosi. Lors des événements qui concernent la personne, elles se posent en groupe comme responsable de sa condition d’enfant, de vie. Le pouvoir au sein d’une famille est exercé par le père, ses cousins paternels et maternels et ses neveux utérins (ateyi). Le père, ses frères, ses cousins et ses neveux avaient obligation de veiller sur l’enfant. Ils marient l’enfant (fille ou garçon), constituent la première couche de responsabilité pour tous les problèmes liés à sa santé, aux préjudices qu’il cause à autrui, à son décès. Ils ont le devoir de lui assurer le logement, l’éducation, l’épanouissement social. L’enfant, mâle, reçoit en héritage de son père, tous les droits qui étaient reconnus ou non à ce dernier; alors que les obligations et devoirs sont reçus par les neveux utérins. Ainsi, l’enfant devient Odi c’est-à-dire l’oncle maternel des neveux de son père et dans toute la ligne où le père était pande. Il devient en cela, «propriètaire» des neveux, nièces, petits neveux et petites nièces utérins de son père. Il peut faire valoir ses droits à une chefferie dans toutes les lignes de parenté du père (même dans la ligne idihima du père où celui-ci ne pouvait pas exercer ce pouvoir). Il peut recevoir en héritage la gestion des biens matériels qui appartiennent à son père. En effet, en Afrique, la propriété d’un bien peut incluer aussi bien un élément purement matériel qu’une personne physique. En échange, le fils n’a pas le droit de vendre, d’échanger ni d’hypothéquer toute ou partie de terre de la lignée de son père. Aussi, sa personne physique ne peut être aliénée, ni gagée pour la cause des parents paternels. Ainsi, il n’est pas reconnu à tout membre de la parenté paternelle, le droit de «vendre» ou échanger ou encore d’ensorceler un enfant. 1.2.2.2. Le groupe des maternels: Ingoo 1.2.2.2.1. Idihima: ligne des membres du groupe des oncles Elle est constituée et détenue par les Adi (sing. Odi= propriétaire). Elle comprend l’oncle maternel (de même mère que la mère) et les sœurs de la mère, les cousins et cousines utérins (maternels) de la mère (du côté de sa mère), le grand oncle (de même mère que la grand-mère, mère de la mère), les grands cousins (cousins maternels de la grand-mère) et les enfants de tous ces parents. Avant l’essor du patriarcat, l’idihima était la ligne forte de parenté. L’enfant était consideré comme appartenant exclusivement à la mère et propriété des frères et cousins de la mère, les Adi. Pour cette ligne, l’enfant est pande. Ce terme signifie: manche ou support de la famille, porteur du pouvoir sur le patrimoine. 1.2.2.2.2. Ikaa la idihima: ligne des grands-parents maternels de la mère Elle est constituée des descendants (enfants et surtout neveux) du père de la mère de la mère. Un membre influent de cette ligne peut prendre la place d’odi si de la ligne d’odi, personne ne s’affirme. 61 1.2.2.2.3. Ikaa la lengandza: ligne du père de la mère Elle est représentée par le grand-père maternel (le père de la mère) et comprend, outre le grand-père lui-même, ses frères, ses cousins maternels et neveux, les frères et sœurs de la mère (de même père). 1.2.2.2.4. Ikaa la epaphe: ligne du grand-père paternel de la mère Elle est représentée par le grand-père de la mère (père de son père) et comprend les cousins et neveux de cet ancêtre. Pour cette ligne, l’enfant est nda epaphe (arrière petit -fils). Toutes ces lignes constituent l’ingoo (lignée maternelle). Lors des mariages, des décès, de recherche de solution en cas de maladie, elles se posent en groupe pour s’opposer au patrilignage ou au mari, comme «propriétaire» de la personne concernée. Contrairement aux us d’Iteyi (famille paternelle), ici le pouvoir est incarné par les grands-parents (Akaa, sing. kaa) de la ligne pande (les grand-oncles). Ces derniers lèguent ce pouvoir aux oncles (ngwolomi, odi) ou/et à leurs enfants. L’exercice de ce pouvoir se traduit par le droit de possession lors du règlement des problèmes de mariage, de santé, de décès, d’héritage, de conflits intra ou/et extra-familiaux. Celui-ci était très fort au moment de l’esclavage et se traduisait par le droit de «vendre» et d’ensorceler. L’abus des grands oncles, des oncles et de leurs descendants mâles dans l’exercice de ce droit de possession et l’innocence des pères sur les enfants, ont poussé ceux-ci à s’attacher à la famille paternelle pour être protégés. C’est cette révolte qui a conduit à la «révolution» qui, elle-même, s’est traduite par l’essor du patriarcat. Il nous est difficile de fixer en terme de temps le début de cette «révolution du patriarcat» chez les Mbosi Olee. Toutefois, on note que le matriarcat était encore très fort après l’esclavage avec «l’homme panthère» (ngwe) et la sorcellerie (ekiri). Ces deux derniers phénomènes ont succédé à l’esclavage. C’est par ces moyens que les grands-oncles, les oncles et leurs fils pouvaient arracher mystiquement un enfant à la protection de son père pour le «vendre» à d’autres maîtres. La «révolution du patriarcat» n’a pas pour autant éliminé le matriarcat: le frère de la mère (ngwolomi) reste en droit le «propriétaire» du fils de la sœur (mwana bola) et devient son protecteur vis-à-vis des nuisances mystiques des parents paternels. Ses droits et pouvoirs restent très forts dans le règlement des problèmes liés aux conflits intra ou extra-familiaux, à la santé et au décès de l’enfant : - il reçoit la deuxième dot (en volume) lors du mariage de la fille de sa sœur (mwana bola) ; -en cas de maladie ou infortune, il reçoit la déclaration d’Osambe (palabre pour santé) et clôture celle-ci par la mise en garde des malfaiteurs, l’invitation à tout esprit malfaisant de libérer et de quitter l’enfant malade ; -en cas de décès, il reçoit les «symboles d’annonce» et de déclaration de décès ; -en cas de conflit intra-familial, il peut prononcer la déchéance de l’autorité paternelle sur l’enfant et faire prendre acte par le Twere (juge) ; 62 -en cas de conflit extra-familial où la responsabilité de l’enfant est engagée et entraîne de lourdes réparations, il peut céder une partie des biens ou de la terre de ses ancêtres maternels si lui et ses parents ne regroupent pas les fonds suffisants au dédommagement. 1.3. Les parents d’un Mbosi 1-3-1. Les paternels 1.3.1.1. Les ascendants 1.3.1.1.1. Akaa (sing kaa) Ce sont les grands-parents, les géniteurs de la lignée paternelle. Ce sont aussi tous ceux ou toutes celles qui occupent le même palier généalogique que la mère du père, le père du père dans toutes les lignes. Ils sont appelés Agnako (sing. gnako), Akaa (sing kaa)30. Ils ont autorité sur tous les membres de la famille paternelle. Le rang dévolu aux grands-parents paternels est ikaa. 1.3.1.1.2. Ateyi (sing. Teyi) Les Ateyi sont les parents de même niveau généalogique que le père dans chaque ligne. Ce sont les pères. Il s’agit du père, de ses frères et de ses cousins. Ils sont appelés Ateyi (sing. teyi). L’enfant les appelle tous avec affection et respect, Da (papa=père). Le père est le chef de sa famille (femme et enfants). Il veille à l’insertion des enfants dans leur famille paternelle. Il a autorité sur ses enfants et ses petits-enfants. Il les protège, les marie et les guide. Il est aidé et remplacé par ses frères, ses cousins et ses neveux utérins. Avec eux ou par eux, il a l’initiative de convoquer des audiences d’Osambe (conjuration), de palabre pour décès concernant les enfants. Pour chaque Mbosi, l’autorité, les droits et les obligations du père ne cessent pas avec la mort de ce dernier. Lorsque par exemple, le père meurt en laissant une femme, des enfants, le lévirat31 est pratiqué dans l’intérêt des enfants et de la famille. Le frère cadet du défunt ou son neveu utérin, ou à défaut un autre parent devrait épouser la veuve et hériter ses enfants. La femme ne peut pas refuser ce second mariage si on le lui offre ; et c’est seulement si elle ne reçoit aucune proposition d’un parent de son premier mari qu’elle est libre de se remarier à son gré. La pratique sociale du levirat s’inscrit ici dans le cadre de la prééminence de la dimension sociale du mariage sur sa dimension individuelle. La femme se considère comme appartenant non seulement à son époux, mais également aux frères de celui-ci du fait de l’origine de la dot ayant permis la signature du contrat matrimonial. Durant toute la vie conjugale, la femme mariée appelle les frères cadets de son époux «alomi a nga» (mes maris). A cet effet, une femme consentait volontier épouser un de ces frères en cas du décés de son 30 Le terme kaa est neutre. On n’appelle pas un parent par le mot gnako, on l’appelle par Kaa. On appelle kaa un gnako. Mais pour préciser de quel Kaa il s’agit, on est tenu d’adjoindre à l’un des termes un déterminatif qui marque la distinction de sexe; par exemple kaa y’ibaa c’est-à-dire le grand-père, kaa y’oyiri c’est-à-dire la grand-mère. 31 Augé (M): Op. Cit, pp34-35 63 époux, le statut de célibat étant méprisable. Bien social, la femme l’était au même titre que les autres biens laissés par l’époux défunt. Les Mbosi ne considèrent jamais le lévirat comme une nouvelle union, mais plutôt un prolongement des liens déjà créés. D’ailleurs le fait qu’aucun gage matrimonial, aucune cérémonie ne précède l’intégration de la femme dans le nouveau foyer montre bien que le nouvel époux ne fait que se substituer au précédent. Il importe de faire remarquer que cette pratique sociale présente des avantages certains. Ceux-ci apparaissent particulièrement au niveau de l’éducation des enfants à tel point que ceux qui sont en bas âge ignorent souvent leur statut d’orphelin. Ainsi que cela apparaît, on peut dire que dans la société traditionnelle Mbosi, du fait de l’héritage des veuves, les notions d’orphelin et de veuve étaient inconnues. 1.3.1.1.3. Atasamware (sing. Tasamware) Ce sont les sœurs du père. Sœurs directes ou classificatoires (cousines matrilatérales ou patrilatérales du père) ; «pères féminins». Tasamware, principale sœur du père pallie aux manquements du père dans l’éducation de l’enfant. Les obligations et les droits qu’elle devrait accomplir en l’absence de son frère, incombent à son fils (neveu utérin du père) ou à ses neveux (enfants de ses sœurs ou de ses cousines). 1.3.1.2. Les collatéraux 1.3.1.2.1. Bana b’Ateyi (sing. Mwana Teyi) Ce sont les parents mâles et femelles, dont l’enfant est lié par son père et par leurs pères et classés au même niveau que lui dans chaque ligne. Ce sont les enfants de papa, enfants de même père. Il s’agit des frères et sœurs, des cousins et cousines de par le père. On les considère comme les enfants du père quelle que soit la ligne de parenté à laquelle on appartient. Les plus âgés sont «agnephi» (grands-frères, grandes-sœurs) et appelés «tomi», les moins âgés «adimi» (cadets, petits-frères, cadettes, petites-sœurs). Les Bana ba Ateyi de sexe opposé sont appelés Abola (sing. bola). Ce sont les frères et cousins pour une fille, les sœurs et cousines pour un garçon. 1.3.1.2.2. Bana ba Atasamware (sing. Mwana Tasamware) Ce sont les parents mâles et femelles de même niveau généalogique qu’Ego dont celui-ci est lié par les sœurs et cousines de son père. Il s’agit des enfants des tantes paternelles. Les Bana ba Atasamware de sexe opposé sont appelés les Abola pour Ego. Ce sont les cousines pour un garçon et les cousins pour une fille. Les Bana ba Atasamware issus de la sœur de même père et de même mère que celui-ci sont les Pande et les garçons remplacent le père dans ses obligations et ses devoirs vis-à-vis de l’enfant; ils deviennent Ateyi. 64 1.3.1.2.3. Abola (sing. Bola) Ce sont les parents de sexe opposé et qui sont classés au même niveau généalogique qu’Ego dans chaque ligne de parenté parternelle. Ce sont les frères et cousins pour une femme, les sœurs et cousines pour un homme. 1.3.1.3. Les descendants 1.3.1.3.1. Bana (sing. Mwana)32 Pour un homme, les Bana (enfants) sont les parents de deux sexes issus de lui, de ses frères et de ses cousins. Pour une femme, les Bana (enfants) sont les parents de deux sexes issus d’elle, de ses sœurs et de ses cousines. 1.3.1.3.2. Bana b’Abola (sing. Mwana Bola) Ce sont les parents mâles et femelles issus des sœurs et cousines pour un homme ou des frères et cousins pour une femme. Il s’agit des enfants des sœurs, des frères (neveux et nièces utérins d’une part et neveux et nièces agnatiques, d’autre part). L’appellation bana b’Abola est souvent réservée pour désigner les neveux et nièces d’un homme. 1.3.1.3.3. Anda (sing. Nda) Ce sont les petits-enfants: les enfants des enfants, ceux des nièces, ceux des neveux. 1.3.1.3.4. Ipaphe (sing. Epaphe) Ce sont les arrières petits-enfants: les enfants des petits-fils et des petites-filles, ceux des petits neveux et ceux des petites nièces. 1.3.1.3.5. Ipaphele (sing. Epaphele) C’est le 3è rang d’andaa constitué par les enfants des arrières petits-fils et petitesfilles. 32 Dans l’ethnie Mbosi, l’enfant est appelé «Mwana» au singulier et «Bana» au pluriel. Ce terme n’apporte aucune distiction ni selon l’âge, ni par rapport au sexe, il sert à la fois pour désigner un garçon ou une fille. Il est cependant possible de dire : «Mwana y’oyiri» pour une fille et «Mwana y’ibaa» pour le garçon ; Ogniephi/Odimi» sont utilisés pour distinguer l’aîné du cadet. Il se trouve pas chez les Mbosi des indications équivalentes au générique «cousin ou cousine» en français et, de ce fait, cette classe n’existe pas dans l’organisation de la parenté. En effet, en Afrique en général et chez les Mbosi en particulier, l’enfant au sein d’une famille ou d’un lignage appellera : «papa » non seulement son père mais les frères de celui-ci, voire tous ses contemporains ; «maman» sa mère et ses contemporains ; «frères» et «sœurs», les membres de sa génération. De cette façon, les expressions de «demi-frères» et de «demi-sœurs» sont absentes du langage. Illustrons ce qui vient d’être dit par ces mots : «…Dans la culture africaine, les fils et les filles des tantes ou des oncles sont considérés comme les frères et sœurs et non comme les cousins. Nous n’établissons pas les mêmes distinctions que les blancs à l’intérieur de la famille. Nous n’avons pas de demi-frères, ni de demi-sœurs. La sœur de ma mère est ma mère ; le fils de mon oncle est mon frère ; l’enfant de mon frère est mon fils ou ma fille…», Nelson Mandela : Un long chemin vers la liberté, Fayard, Paris, 1995, 1ère édition, p17 65 1.3.2. Les maternels 1.3.2.1. Les ascendants 1.3.2-1.1. Akaa (sing. kaa) Ce sont les grands-parents, les géniteurs de la lignée maternelle. Ce sont aussi tous ceux ou toutes celles qui occupent le même niveau que la mère de la mère, le père de la mère ou le frère du père de la mère. Ils sont appelés Agnako (sing. Gnako), Akaa (sing. kaa). Ils ont le pouvoir spirituel sur tous les membres de la lignée. La classe à laquelle appartiennent les grands-parents maternels est nommé Ikaa. 1.3.2.1.2. A ngoo (sing. Ngoo) Les A ngoo sont les parents de sexe féminin de même niveau généalogique que la mère dans chaque ligne. Ce sont les mères. Il s’agit de la mère, de ses sœurs et de ses cousines. Elles sont appelées A ngoo (sing. Ngoo). L’enfant les appelle toutes, Niongo ou, avec plus d’affection, Nènè (maman). La mère est responsable de son foyer (mari et enfants). Elle veille aussi sur la famille maternelle. Elle a également autorité sur ses neveux et nièces, sur ses frères et sœurs cadets. Lorsque par exemple, la mère meurt en laissant des enfants, son mari peut épouser la sœur de la défunte. Le sororat33 est pratiqué dans l’intérêt des enfants: la sœur qui succède à sa défunte sœur élèvera ses neveux comme s’ils étaient ses propres enfants. En outre, les enfants élevés par une co-épouse de la mère subissent généralement de mauvais traitements car il arrive que la jalousie d’une mère se manifeste vis-à-vis de ceux qui ne sont pas ses enfants biologiques. Cette forme de mariage n’est pas une particularité Mbosi, d’autres sociétés africaines aussi la pratiquent. Chez les Baluba du Congo-Démocratique, à en croire Gabriel Lusangu, lorsque l’épouse meurt, l’époux reçoit en mariage une de ses belles sœurs. En pareille circonstance, il n’est jamais question de dissolution ni de rupture, les liens demeurent, l’alliance entre les deux familles subsiste, de même que les préhibitions matrimoniales, ainsi que les attitudes interpersonnelles et inter-groupales issues du lien matrimonial34. Si cette pratique sociale présente des avantages tels : l’éducation des enfants, le maintien des liens entre les deux groupes familiaux, il n’en demeure pas moins qu’elle présente également des inconvénients. En effet, le fait qu’une femme prolonge les liens créés à la suite du mariage de sa sœur aînée limite dans une certaine mesure les possibilités de son groupe de diversifier les rapports sociaux. Ici encore, aucune cérémonie particulière ne précède l’intégration de la nouvelle femme dans le domicile conjugal. Il faut toutefois préciser que le refus de procurer une femme au veuf avait pour conséquence la restitution des biens matrimoniaux reçus au titre du premier mariage (si le décès de sa femme est du fait des parents). 33 Tort (P), Désalmand (P): Op. Cit, p72 Lusangu (G): Systèmes matrimoniaux africains : le mariage Baluba cité par Daho (E): Le mariage Mbosi: Tradition et évolution, Thèse de Doctorat de 3è cycle de Sociologie, Université de Caen, 1981, p74 34 66 1.3.2.1.3. Angwolomi (sing. Ngwolomi) Ce sont les frères de la mère. Il s’agit des frères et cousins de la mère. L’enfant les appelle tous, Noo (ou Noko pour les générations modernes) ou avec plus d’affection, Noonoo. Le Ngwolomi (la mère mâle), Odi ou oncle maternel est la personne la plus importante pour l’enfant, de la famille maternelle. Il est le garant de la stabilité de la famille maternelle. Rien ne peut se faire sans son agrément. Il encadre ses neveux dans le règlement des problèmes familiaux. Ses neveux utérins (Pande) héritent tout de lui: femmes, bétail ou tout autre objet de valeur. L’oncle ou les oncles maternels incarnent le pouvoir familial maternel. Ils exercent une grande influence sur les enfants des sœurs dont ils sont responsables35. 1.3.2.2. Les collatéraux 1.3.2.2.1. Bana b’A ngo (sing. Mwana ngo ou cousins germains) Ce sont les parents mâles et femelles de même niveau généalogique qu’Ego dans chaque ligne de parenté maternelle et auxquels il est lié par sa mère et par leur mère. Ce sont les frères et sœurs, les cousins et cousines matrilatéraux. Il s’agit des enfants de la mère, enfants des sœurs de la mère et, cousines quelle que soit la ligne de parenté à laquelle on est lié. Les Bana b’a ngo les plus âgés sont agnephi (grands frères) et les moins âgés sont Adimi (petits-frères). Les Bana b’a ngo de sexe opposé sont des Abola. 1.3.2.2.2. Bana b’A ngwolomi (sing. Mwana ngwolomi) Ce sont les parents de même niveau généalogique qu’Ego auxquels celui-ci est lié par les frères et cousins de sa mère, quelle que soit la ligne de parenté qui les lie à la mère d’Ego. Les plus âgés sont Agnephi et les moins âges Adimi. Les Bana b’a ngwolomi issus du frère de même mère que la mère, ou de ses cousins maternels sont pour Ego, comme leur père, Adi. Ils sont Akola pour Ego et pour eux, Ego est Pande et remplace leur père dans les obligations et devoirs paternels. 1.3.2.2.3. Abola (sing. Bola ou soeurs et frères) Ce sont les parents de sexe opposé et qui sont classés au même niveau qu’Ego dans chaque ligne de parenté maternelle. Ce sont les frères et cousines pour une femme, les sœurs et cousines pour un homme. 35 En analysant le système de parenté et la structure familiale Mbosi, Théophile Obenga souligne l’importance sociale de l’oncle maternel à l’égard des neveux utérins : «… Ngwolomi, c’est l’oncle maternel, le frère de la mère. Il aide matériellement les enfants de sa sœur (bana a bola) à s’émanciper dans la société, à faire des études (…), à se marier, en se prononçant sur le choix du conjoint ou de la conjointe, en fournissant la dot (…). Tout oncle maternel est toujours généreux pour ses neveux», Op. Cit, p28. Il n’y a rien d’étonnant dans ces conditions que les enfants considèrent leur oncle maternel comme une véritable mère. 67 1.3.2.3. Les descendants 1.3.2.3.1. Bana (sing. Mwana ou enfants) Pour un homme, les Bana (enfants) sont les parents de deux sexes issus de lui, de ses frères et de ses cousins. Pour une femme, les Bana (enfants) sont les parents de deux sexes issus d’elle, de ses sœurs et de ses cousines. 1.3.2.3.2. Bana b’Abola (sing. Mwana Bola ou neveux et nièces) Ce sont les parents mâles et femelles issus des sœurs ou des cousines pour un homme ou, des frères et cousins pour une femme. Il s’agit des enfants des sœurs, des frères (neveux et nièces utérins d’une part et neveux et nièces agnatiques d’autre part). 1.3.2.3.3. Anda (sing Nda) Ce sont les petits-fils: les enfants des petits-fils et des petites-filles, ceux des petitsneveux et ceux des petites-nièces. 1.3.2.3.4. Apaphe (sing. Epaphe) Ce sont les arrières-petits-fils: les enfants des petits-fils et des petites-filles, ceux des petits-neveux et ceux des petites-nièces. 1.3.2.3.5. Ipaphele (sing. Epaphele) C’est le 3è rang des arrières-fils ou andaa, constitué par les enfants des arrières petitsfils et petites-filles. 1.4. Place et rôle de la personne dans sa famille : Pande et Okola Le terme Pande désigne le poteau, le manche, le support; il désigne beaucoup plus le groupe des utérins dans une ligne. En revanche, le terme Okola signifie «acte sexuel»; il désigne beaucoup plus les agnats, les enfants liés à la famille par amour, par mariage de leurs mères à la famille. Lorsque l’on considère un frère et une sœur comme des germains de sexe opposé, les enfants nés de la sœur et de toute fille des lignes de cette sœur sont vis-à-vis des biens et des enfants du frère des apande (sing. pande, poteaux, manches, des utérins). Ils constituent le socle des deux familles. Ils prennent la place de leur mère et remplacent l’oncle (frère de la mère) en sa qualité et responsabilité de père vis-à-vis de ses enfants. Les enfants nés du frère et des garçons de la ligne de la sœur sont akola (sing. okola, liés à la famille par mariage de leurs mères avec la famille, des agnats). Ils constituent le potentiel des Adi pour les premiers. Ils remplacent le père dans ces qualités et droits d’oncle, de propriétaire (odi) de ses neveux utérins. 68 Dans un isiya, les apande sont les membres issus de la sœur de créateur d’isiya et des filles et petites filles de celle-ci. En revanche, les akola sont les membres issus du fondateur d'isiya lui-même et des enfants et petits-enfants de ce dernier. Ainsi, un homme est, avec sa sœur et ses neveux utérins apandé dans un isiya ou dans le village où la mère, son frère, la grand-mère, le grand oncle, l’arrière grand-mère et l’arrière grand oncle, sont apande. On est okola là où le père est pande. Autour d’un homme pris comme fondateur d’une lignée, la catégorie des pande est composée des enfants et petits-enfants de sa sœur, de sa cousine maternelle. A l’opposé, la couche des akola est composée de ses enfants, des enfants de son frère, de son cousin et de ses neveux (utérins). 1.5. Le fonctionnement de la famille La famille Mbosi Olee, comme dans les autres coutumes congolaises, fonctionne comme une collectivité. Le chef de la famille est l’instance centrale de cette collectivité dont nous venons d’exposer la structure. Le sang, la propriété commune sur la terre et sur toutes les autres valeurs patrimoniales sur la terre, constituent des liens physiques, moraux, occultes et spirituels entre les membres. Les fonctions sont complémentairement reparties comme par un statut, par Apande et Akola telles que nous l’exposerons ci-après : Autour d’un homme encore et après lui, ses enfants (akola) et ses neveux utérins (apande) se partagent rôles et places dans la famille, sur les biens et sur la terre : -Le neveu utérin (fils de la sœur ou de la cousine germaine) est dit gardien des biens de l’oncle et son successeur; ceci avec et en l’absence de frères du défunt. En l’absence de ce dernier : .le neveu utérin devient le père des enfants de son oncle ; .le neveu utérin pose les «scellés» sur les biens (y compris les femmes) de l’oncle avant le partage entre les membres de la famille. Ces «scellés» sont levés le jour de la palabre (Po) sur le décès de l’oncle ; .le neveu utérin conserve les symboles et insignes de la chefferie de la terre ; .le neveu utérin conserve, hérite de tous les biens (y compris les femmes et les enfants). Il peut en distribuer certains en guise de don aux autres parents d’une ligne maternelle ou paternelle. Lorsque l’acquéreur en abuse (surtout d’une femme), ce bien peut lui être restitué. Les biens d’un décédé ne peuvent être distribué en lignes parentales qu’en l’absence d’un frère et d’un neveu utérin de ce rang. .l’ensemble des pande choisit l’okola qui succède au trône de la chefferie ; .le pande le plus âgé intronise et remet les insignes et symboles du pouvoir à l’okola, choisi pour succéder au trône de la chefferie. -Le fils proche (fils du défunt ou de son frère) remplace le père sur la terre, dans le village et l’isiya (ceci en l’absence du frère et cousin du père). En l’absence de ce dernier : .il devient Odi des neveux utérins et petits neveux du père ; .il continue la gestion de la terre, protège celle-ci et les autres biens du père (sauf les femmes) et du clan ; .il peut être choisi pour remplacer le père au trône de la chefferie du village ; .il peut se faire hisser au trône d’une chefferie où le père était pande ou okola ; 69 .l’ensemble des akola assure la pérennité de la vie du village et d’isiya ; ils perçoivent la redevance sur les produits de la terre et des eaux qu’ils doivent présenter aux pande. On peut conclure que, dans une famille, dans un village, dans une ligne de parenté et dans un isiya, pande et okola se complètent à la mort du chef de famille, de ligne, du village ou d’isiya. Il est donc abusif de dire que la famille Mbosi Olee est patriarcale. Il est aussi faux de dire qu'elle est matriarcale. Ce qui paraît sûr, c'est qu'elle est semi-patriarcale et semimatriarcale. Pour tout dire, il apparaît que la société Mbosi Olee est bilinéaire avec une inflexion matrilinéaire. Au sujet de la bilinéarité, Marc Augé établit clairement les différentes fonctions et les avantages de ce système lorsqu'il écrit : "Le système unilinéaire a pour avantage d’affilier les individus à un seul groupe, donc de créer des unités discrètes, c'est-à-dire des groupes qui ne se recoupent ni ne s'imbriquent entre eux. En système bilinéaire les unités gardent valeur discrète : patrilignages et matrilignages ne se recoupent pas, bien que chaque patrilignage puisse comprendre des membres de tous les matrilignages et inversement. Chaque groupe remplit des fonctions différentes, et l'on imagine les stratégies matrimoniales qui peuvent s'élaborer en fonction de la double appartenance de chaque individu"36. Il convient aussi de se rendre compte que ce tableau fournit des renseignements sur le problème de la succession chez les Mbosi Olee. 2. Structure du village Dans la société Mbosi, le village a été de tout temps perçu comme un espace social au sein duquel se déroulent les activités économiques, sociales, politiques, juridiques et culturelles. La nature du village dans cette société est fonction des rapports sociaux existant entre les différents membres qui forment cette communauté de vie. 2.1. Définition du village Chez les Mbosi Olee, le village (mboa, mpoo) est une entité autonome intégrant une agglomération habitée, l’ensemble de la population qui l’habite ainsi qu’un territoire s'étendant sur plusieurs hectares et couvert par les forêts (kô), les savanes (ilongo), les terres (tsengue), les rivières (ikiessi) constituant les domaines claniques. Du point de vue de l’institution Otwere, on considère que la notion de village englobe tout à la fois l’espace des habitations en tant que tel, que l’on considère comme un territoire profane où se déroulent différentes activités courantes de chaque jour. Elle englobe en outre l’espace sacré, celui de la forêt où se déroulent les différentes cérémonies consacrées à Otwere. 36 Augé (M) : Op.cit, p63 70 2.2. Evolution du village L’histoire du village est simple37 : 2.2.1. Fondation Le village Mbosi est généralement fondé par le premier patriarche du clan (l’ancêtre qui serait parmi les premiers Mbosi émigrés et installés sur le territoire actuel). Pour un motif quelconque, surpeuplement, ambition, caractère indépendant, mésintelligence avec les siens, un homme peut se séparer du tronc primitif avec femmes et enfants, pour fonder un autre village sur le même territoire ou sur un autre territoire rencontré inoccupé. L’emplacement choisi est celui qui paraît offrir les meilleures conditions de vie à tout point de vue: terrain pour les cultures, eau pour les usages domestiques et la pêche, surveillance des routes commerciales. Le choix est libre; la terre ne manque pas. Il suffit, pour éviter les procès, de ne gêner en rien les gens qui auraient des intérêts antérieurs dans le même terroir. Quant à la délimitation de son étendue, les Mbosi considérent qu’un village ou un tsengue s’arrête là où commence la zone d’exploitation et de rejouissance d’un autre groupe. Il n’existe aucune délimitation artificielle continue ; il n’y a ni fossé, ni haie, etc mais des repères naturels dont chacun connaît l’emplacement exact et la signification pour éviter ainsi les conflits de violation. A cet effet, Pierre Vennetier écrit à juste titre : «Il n’existe pas de limites matérielles, sur le terrain, mais celles-ci sont pourtant connues avec précision, surtout en ce qui concerne les zones de chasse et de pêche»38. 2.2.2. Dénomination du village Un village chez les Mbosi Olee est un espace nommé. Chaque village a son nom39 qui révèle souvent l'histoire du milieu ou l'origine du créateur. Cette histoire est souvent riche de renseignements. 2.2.3. Site Les Mbosi Olee construisent leurs villages à l'orée d'une forêt ou en savane, à proximité d'un cours d'eau ou d'une route. A ce sujet, Abraham Constant Ndinga-Mbo écrit : «Généralement, le choix d’un site, c’est-à-dire de l’emplacement même où les maisons sont bâties repose sur des conditions précises: le bon approvisionnement en eau; la défense contre d’éventuels agresseurs (confluents, îles, terrasses…); la protection contre les éléments de la nature (inondations, eboulis, vents dominants…); la fertilité des sols; les bonnes pêcheries; les facilités commerciales (voie d’eau; carrefour; marchés; gués; ports)»40. 37 Cureau (A) : Les sociétés primitives de l’Afrique équatoriale, Colin, Paris, 1912, pp215-217 Vennetier (P) : Géographie du Congo-Brazzaville, Gauthier-Villars, Paris, 1966, p76 39 Le village Tsodzou par exemple doit son nom à un regroupement de plusieurs villages de la contrée (9 à 10) sur ordre des premiers Européens arrivés au Congo. A l’initiative des frères Ndé et Ondendé, les chefs de ces dix (10) villages se sont retrouvés pour former un seul village auquel, ils ont donné le nom de Tsodzou ou qui signifie que quand les gens se retrouvent autour d’une calebasse, c’est qu’il y a un problème. Tsodzou = calebasse debout. Nous tenons ces informations d’Oko Mouandzibi, fondé de pouvoir à la Paierie auprès de l’ambassade du Congo en France, le 9 décembre 2002. 40 Ndinga-Mbo (A. C) : Op. Cit, p27 38 71 2.3. Formes de village Le village Mbosi est de forme rectangulaire dont chaque largeur est occupée par une case: celle du chef du village ou d'un sage, notoriété vénérée. Les deux cotés de la longueur sont deux lignes de cases laissant entre elles une large rue centrale. On distingue deux types de village: le village homogène et le village hétérogène. 72 Pl.1 : Village Mbandza 73 Schéma N°1 : Les principaux types de villages Source : Vennetier (P) : Op. Cit, P25 74 2.3.1. Le village homogène Le village homogène se caractérise par la dimension parentale des rapports sociaux de ses habitants. Ce type de village qui a existé partout en pays Mbosi, est aujourd’hui de moins en moins répandu. D’une manière générale, on y observe, une prééminence de l’aspect familial, lignagé et clanique sur le caractère géographique et territorial de l’unité de résidence. La vie dans son contexte social se confond avec celle du lignage. On pourrait même dire que le village s’identifie au lignage. Aussi, le fonctionnement de cet aspect social est-il régi par les principes qui, généralement, orientent la vie lignagère. C’est au niveau de cet aspect social que s’organisent toutes les activités des membres de la communauté sous l’autorité du chef du village qui est généralement le chef de lignage. Il est l’aîné et le représentant le plus ancien des vivants. Du fait de sa sagesse, son sens de la justice, sa gestion saine des biens collectifs et sa capacité d’intervention sur le plan religieux, il est l’objet de vénération, de respect de tous les membres du village. Les domaines familiaux, les forêts, les rivières, les savanes font partie intégrante de cet espace social et sont exploités dans un cadre communautaire. Bien que les chefs de foyers jouissent d’une certaine marge d’autonomie dans leurs activités quotidiennes, l’aîné dispose d’un pouvoir de contrôle sur eux car c’est à lui qu’incombe l’administration du village41. 2.3.2. Le village hétérogène Un village hétérogène, contrairement au village homogène, est le regroupement de plusieurs familles appartenant à des lignages et à des clans différents. Ce type de village résultant de la politique de regroupement de villages imposée par la colonisation, est aujourd’hui le plus répandu en pays Mbosi. Mais, s’il est un brassage de segments de lignages, il est au départ la propriété d’un seul clan, c’est-à-dire un village homogène. Toutefois, le chef du premier village restera le chef du village agrandi par la présence de ces différents clans. Du fait de certains types de rapports sociaux entre différents lignages, du départ de certains membres de leur lignage d’origine, un village homogène attire vers lui des étrangers. Le village devient alors une unité de résidence se définissant plus sur la base d’une occupation géographique de l’espace que d’une structure de descendance. Ici, les différents segments de lignages qui constituent le village coexistent mais ne s’interpénètrent jamais. Chacun des chefs des différents segments de lignages dispose d’une autonomie bien marquée, mais respecte les droits et l’autorité de l’aîné du lignage fondateur du village. En fait, le fonctionnement du village hétérogène est tel que le chef du lignage fondateur reste au dessus des chefs des différents segments de lignages. Le rôle de l’aîné consiste particulièrement dans l’accomplissement de certains rites nécessaires à la fertilité des sols, à l’abondance du gibier dans les zones de chasse, du poisson dans les rivières et surtout à arbitrer les conflits qui peuvent opposer les différents membres de la communauté villageoise42. 41 42 Daho (E): Op. Cit, p17 Obenga (Th): Op. cit, p78 75 Du fait de cette fonction sociale, acceptée par la collectivité, l’aîné reçoit, des membres de la communauté, en signe de redevance pour terre, des produits issus de la récolte, de la chasse ou de la pêche43. 2.4. Fonctions du village Le village chez les Mbosi Olee a une fonction politique, sociale et économique. 2.4.1. Fonction politique Aujourd'hui, le village Mbosi Olee, est, comme tout autre village dans toute région ethnique du Congo, la cellule primaire de l'organisation et du pouvoir d'Etat. Il est sous l'autorité d'un président du comité du village, lui-même placé sous le contrôle du sous-préfet. Jadis, le village était cette entité indépendante placée sous l'autorité, à la fois administrative et morale, d'un chef : le chef du village, du clan. Mais, il était seulement placé sous le contrôle d'Otwere. Le village tel qu'il est, assure à l'homme sécurité, indépendance vis-à-vis de l'extérieur, paix, liberté relative, droit à la vie politique dans la ligne de parenté qui le lie au village, à la vie économique: droit et liberté de cultiver, de chasser et de pêcher. 2.4.2. Fonction sociale Espace nommé, le village offre à l'homme un espace vital. Il lui assure l'information, l'éducation, le travail, la formation par le souvenir des ancêtres, les rapports variés entre les vieux et les jeunes. Ainsi, le village développe, protège l'histoire, la civilisation, la culture de l'être humain, en garantissant le lien qui l’unit à sa famille, ses clans d'origine et à d'autres êtres humains. Il constitue le premier lieu où l'homme commence à observer les autres forces de la nature qui influencent son comportement et son éducation. Le village révèle aussi l'être humain en tant qu'existant, individuellement lié au village. En effet, selon la conception Mbosi de la vie, le véritable sens de l’être humain ne peut s’expliquer qu’à travers son village d’origine où sont enterrés certains éléments du corps tels: le cordon ombilical, les premières coupes d’ongles et de cheveux. Théophile Obenga souligne fort bien cette liaison entre l’être humain et son village lorsqu’il écrit : «Par le fait que le village garde l'élément qui lie l'être humain à celui qui lui a donné le jour : le cordon ombilical (Okwoo), coupé, séché et suspendu dans une case du village. Le village devient par conséquent la mère en propre de l'être humain venu à l'existence. Le cordon ombilical lie désormais l'homme au village… Le village, gardien du cordon ombilical, devient également, par là même, le séjour essentiel de l'être humain »44. Tous les problèmes relatifs à la vie de l’être humain ne peuvent être résolus avec facilité que dans son village natal, gardien de son cordon ombilical que le Mbosi présente comme force première de l’être humain. Ainsi, on explique les maladies (soigner un malade dans son village présenterait un avantage car il aurait la protection des membres morts de la famille), des problèmes menaçant la stabilité du foyer conjugal. 43 44 Obenga (Th): Op. cit, p78 Obenga (Th): Op. cit, p34 76 La liaison entre l’être humain et son village natal s’exprime également et surtout par le fait suivant: lorsqu’un individu meurt dans un village qui n’est pas le sien, il est recommandé que son corps soit inhumé dans son propre village. Enterrer quelqu’un dans son espace social c’est agrandir la communauté des morts, c’est le «ramener auprès de son cordon ombilical». La naissance et l’inhumation d’un homme doivent avoir pour lieu privilegié le village natal45. Si l’homme dans son existence, reste lié au nom de son village d’origine, les rapports sociaux qui lient les habitants d’un même village atteignent parfois une dimension parentale. Les membres d’un même village se considèrent tous comme des frères: «Bisi asi Tsodzo c’est-à-dire nous sommes originaires de Tsodzo»46. Le désir de se référer constamment à son village d’origine, de se regrouper entre «frères» d’un même village procure à l’individu la sécurité, diminue l’anxiété d’un homme faible et inquiet. Le nom du village devient pour ainsi dire une force d’équilibre pour chacun des habitants. Nous découvrons ainsi que, chez les Mbosi, le village n'appartient pas seulement aux vivants. Il reste également celui de ceux qui, bien que morts en constituent la partie invisible de la population, assurent la protection des vivants, de la terre et du village. C'est ce qui justifie l’emplacement de leurs tombes dans le village: contigues aux maisons et aux places publiques. 2.4.3. Fonction économique En matière économique, le village apparaît comme un regroupement d'activités productives, collectives et individuelles. Le village assure à ses habitants la terre, la forêt et les savanes, l'eau, sur lesquelles ils assurent l'essentiel de leur développement. Il protège l'activité économique de chacun; celui-ci s’articule autour d’un terroir souvent protégé et riche en ce qu’il est sacré. Quiconque voudrait en profiter sans autorisation préalable alors qu’il est étranger, peut en subir un sort. Ceci est perceptible dans le domaine de la chasse en forêt et de la pêche. Le village est aussi un marché, le lieu de rencontre des commerçants pour la vente de leurs produits. On précisera ultérieurement le rôle, la place et la fonction des marchés au sein de la communauté Mbosi Olee. 2.4.4. Dimension anthropologique du village Le nom d’un village dans cette société ne peut être perçu comme une simple étiquette mais recouvre une dimension anthropologique. Ce nom procure à chacun de ses habitants un statut social élevé. Le fait qu’un individu se réfère toujours à son village d’origine reflète son souci permanent de se distinguer des esclaves qui occupent la position la plus basse dans la hiérarchie sociale. En effet, dans cette société, un esclave est toujours perçu comme un être humain sans «racine», sans origine, incapable d’indiquer son village ou sa famille d’origine. Or le Mbosi justifie son existence sociale par son appartenance à son village. 45 Obenga (Th): Op. cit, p34 De plus en plus, les éléments ruraux qui émigrent en ville se regroupent au nom de la solidarité villageoise dans des associations d’entraide ou de groupes folkloriques 46 77 Si comme nous l’avons vu, le village explique l’existence de l’être humain, il est donc le lieu où s’effectuent d’une manière générale toutes sortes d’activités. Mais la vie d’une communauté villageoise concerne autant les vivants que les morts. Le maintien de l’équilibre social au sein de la communauté implique le respect de certaines normes relatives à la vie du village. Aussi, au niveau du village, la vie diurne appartient aux vivants et la vie nocturne est reservée aux morts, aux forces invisibles (ikwe). C’est ainsi que chaque matin, les hommes, les femmes et les enfants vaquent à leurs occupations et quand arrivent les ténèbres du soir, chacun se presse de rentrer chez lui. Si l’accomplissement de certains travaux peut être toléré la nuit, il est strictement interdit aux enfants de pleurer la nuit et aux femmes de balayer la maison. Le Mbosi pense avec conviction qu’un individu qui s’opposerait à ces prescriptions susciterait la colère des forces invisibles, colère qui pourrait se traduire par le mauvais état de santé du contrevenant, pouvant entraîner sa mort. Il n’en demeure pas moins que certaines activités des vivants ont pour moment privilégié la nuit. Il en est ainsi de la danse des jumeaux appelée «okiera» et de la danse ipouende. Ceci résulte du fait que dans la société Mbosi, comme dans d’autres sociétés africaines certainement, les jumeaux sont perçus comme des êtres extraordinaires, plus proches des divins que des ordinaires47. De tout ce qui précède, on pourrait dire que du fait de ces dimensions, le village demeure un endroit privilégié et stable pour l’accomplissement des travaux, le déroulement quotidien des fêtes, naissances, inhumations, etc. D’autre part, le village assure la sécurité et la protection de l’être humain du fait qu’il le met en contact permanent avec d’autres membres vivants et le déclare uni des forces invisibles. 3. La chefferie traditionnelle Comme le note Isidore Ndaywel E Nziem48, l’organisation des chefferies est la structure administrative et politique la plus connue, la plus généralisée et la plus récurrente des sociétés. Elle a préexisté à toutes les formes étatiques: royaume, empire, république. Elle a constitué la structure politique la plus classique du Congo ancien. Après la mort de Ndinga, ce patriarche Mbosi ayant guidé, avec son frère Kiba, leur migration sur la terre qu'ils occupent actuellement, les Mbosi n'ont pas connu toutes ces formes historiques d'Etat. Ils se sont organisés en chefferies indépendantes les unes des autres au plan administratif mais coordonnées au plan politique et judiciaire par une suprême institution: Otwere. 47 Daho (E): Op.Cit, pp19-22 Ndaywel E Nziem (I) : Histoire générale du Congo De l’héritage ancien à la République Démocratique, Afrique Editions, Bruxelles, 1998, p61 48 78 3.1. Organisation du pouvoir traditionnnel dans la société Mbosi En pays Mbosi, le pouvoir est clanique, lignager et familial. Le clan ou le lignage occupe ordinairement un village. Ce dernier est placé sous l’autorité d’un chef. Le chef reçoit par son sacre, pouvoir moral et héréditaire d’administrer les hommes, de gérer la terre et d’autres domaines du patrimoine villageois. Il doit sa légitimité à sa naissance, à son rang. Il détient son pouvoir des anciens (ancêtres du clan). En dehors de l’institution Otwere qui est commune à toutes les populations Mbosi, comme nous l’avons dit plus haut, les institutions ou chefferies au sein des sous-groupes Mbosi ne sont pas les mêmes ; elles diffèrent. Malgré cela, le pouvoir se transmet toujours entre les membres du clan, du lignage, de la famille. Chez les Mbosi Olee, le rôle héréditaire, clanique et sacré de gardien et de protecteur du village et du territoire du village, est dévolu à la branche des pande du village qui en détient et conserve le pouvoir de nomination du chef du village. Le rôle héréditaire, clanique et sacré de gérer les hommes et le patrimoine du village est dévolu à la branche des akola, au sein de laquelle est choisi le chef traditionnel du village. L'ensemble des pande et des akola constitue le conseil sacré du village qui se réunit à chaque fois qu'il faut choisir le chef du village ou qu'il se pose un problème grave dans le village ou concernant un ressortissant de celui-ci. Cet ensemble est appelé "A nga Tsengue" c'est-à-dire, propriétaires fonciers de la terre sur laquelle est construit le village. 3.2. Types de chefferies Le Mbosi Olee, comme les autres Mbosi, réalise qu’à chaque échelle sociale, l'homme admet un chef. Ainsi, on peut relever, dans toutes les zones, une série de chefs qui exercent un pouvoir dans cette société. 3.2.1. A l'échelle de la famille et du lignage C'est l'aîné des vivants, représentant les anciens patriarches dont tout le monde descend et dont on se rappelle encore l'histoire qui exerce le pouvoir à ce niveau. Cet aîné, homme, est en effet chargé de l'encadrement des membres de la famille. Il doit pourvoir à l'établissement des membres du lignage. Comme nous venons de le dire plus haut, le chef de famille, de lignage, les protège et les aide à contracter mariage. Il est dit Gniakoumou (l’ayant droit) de sa lignée. Il participe avec les autres chefs de lignes à la gestion du patrimoine clanique du village. 79 3.2.2. Au niveau du clan et du village Depuis son implantation, le village est toujours placé sous l'autorité d'un chef appelé A nga mboa ou Okondzi ya mboa (chef du village). 3.2.2.1. Le système traditionnel 3.2.2.1.1. Le propriètaire de la terre Le village traditionnel Mbosi Olee, tel que nous l'avons défini et caractérisé plus haut, est placé sous l'autorité collégiale des dignitaires des lignages appelés A nga tsengue (propriétaires de la terre, du territoire du village). Cet ensemble, ayant à sa tête l'aîné des pande, agit comme un conseil du village, propriété du clan. Il veille à l'intégrité du patrimoine du village et à la protection des habitants du village. Il reçoit une partie de tout produit de pêche et de chasse : un panier de poisson en cas de grande pêche, une patte de l’animal abattu sur son territoire ou sa terre. «Une de leurs prérogatives essentielles était le droit à une partie déterminée des animaux tués sur leurs terres (une défense quand il s’agissait d’un éléphant, une cuisse quand la bête abattue était un buffle) »49 a écrit Georges Mazenot. Sur cette question, Pierre Vennetier est beaucoup plus explicite lorsqu’il écrit : «Traditionnellement, le chef de terre perçoit certaines redevances en nature –poisson, tel ou tel morceau de la bête abattue- dont l’importance varie avec les circonstances. Elles sont plus élevées, par exemple, lorsque le gibier a été tué par des chasseurs étrangers au clan, qui ont exercé un droit de poursuite. Par contre, la redevance n’existe pas, semble-t-il, lorsqu’il s’agit des produits alimentaires récoltés»50. Les liens entre A nga tsengue et sa terre sont des liens de sang, de lignage. Il possède cette terre mais il ne la gouverne pas. Son pouvoir a un caractère idéologique et le relie aux ancêtres patrilinéaires de tous ceux qui relèvent de son autorité. Pour assurer l'exercice du pouvoir administratif et moral du village, les A nga tsengue choississent et investissent un chef appelé A nga mboa ou Okondzi ya mboa (chef du village). 3.2.2.1.2. Le chef de village 3.2.2.1.2.1. Dénomination Depuis les temps anciens, le village est placé sous l'autorité d'un chef appelé A nga mboa ou A nga mpoo ou encore Okondzi ya mboa. 3.2.2.1.2.2. Critères d’admission aux fonctions de chef du village Pour devenir chef du village, il faut : -avoir eu un parent chef de village ; -être okola (pl. akola, enfant né du frère et des garçons de la ligne de la sœur) ou ndaa (petit-fils). Le titre de chef du village est conféré à okola ou ndaa par les pande (enfant né de la sœur et de toute fille des lignes de cette sœur vis-à-vis des enfants du frère) qui sont les chefs biologiques de la famille ; -être de sexe masculin : seuls les hommes sont admis au titre de chef de village et les femmes en sont exclues. Cette exclusion des femmes à la chefferie chez les Mbosi Olee 49 50 Mazenot (G) : Op. cit, p169 Vennetier (P) : Op. cit, p72 80 s’apparente beaucoup à la loi salique51 des Romains ou même Hébraïques, là où les femmes n’avaient pas le droit de gérer un héritage laissé aux hommes ; -être adulte, âgé d’au moins trente cinq (35) ans ; -être membre d’Otwere (institution politique et de justice) ; -être en bonne santé physique et mentale ; -avoir de l’humilité et être raisonnable, impartial, sage ; 3.2.2.1.2.3. Fonctions du chef de village Le chef du village possède de larges pouvoirs dans les domaines suivants: 3.2.2.1.2.3.1. Pouvoir administratif Le chef du village a le pouvoir d'administrer les hommes ou tous les habitants du village ou encore toutes les familles et les clans du village, de gérer la terre (s’il est aussi chef de famille ou de clan) et d'autres domaines du patrimoine villageois. Il gère et protège son village; sa maison est le Mbale (case centrale, communautaire du village). Les chefs de famille ou de clans sont responsables devant lui. Les Abiali ou les notables sont aussi sous son autorité. Le chef du village a également une fonction «militaire»: il doit mobiliser les hommes valides pour la défense du village en cas d’attaque. 3.2.2.1.2.3. 2. Pouvoir politique et mystique Le chef du village est le garant des valeurs morales et spirituelles du village légué par les ancêtres. 3.2.2.1.2.3. 3. Pouvoir juridique Le chef traditionnel du village n’incarne pas le pouvoir judiciaire sur son village ni sur les hommes. Mais en tant que membre d’Otwere, le chef du village peut exercer la fonction juridique pour règler les problèmes du village et rend justice entre les hommes de son village. Il peut être titulaire d’un kwephe y’otwere (coffret d’Otwere), c’est-à-dire détenteur des secrets d’Otwere, maître d’otwere, du coffret d’Otwere. A ce titre, il acquiert les pouvoirs juridiciaires qui lui permettent de gouverner en dehors de son territoire. Il devient alors l’un des plus grands Twere c’est-à-dire l’un des plus grands juges. Il rend justice dans son Mbale (case de justice), le Mwandzi dans la main droite, symbole d’équité, de justice. C’est dans ce contexte que Laurent-Roger Ngimbog dégage à juste titre le rôle judiciaire du chef dans la société traditionnelle en ces termes : «Dans la société traditionnelle, le chef était investi d’un pouvoir charismatique, et sa mission principale était de veiller sur son peuple en garantisant sa sécurité et tranchant les litiges qui étaient portés devant lui. Dans l’exercice de sa fonction de juge, le chef était entouré d’un collège de notables, gardiens de la tradition et des valeurs morales qui constituaient le socle sur lequel était bâtie la société. C’est dans cet esprit que fonctionnait l’arbre à palabre traditionnel et à l’ombre duquel les litiges examinés publiquement et contradictoirement, tandis que les jugements étaient rendus en premier et dernier 51 La loi salique ; code de loi civile et pénale franco-germanique rédigé à la fin du règne du roi mérovingien Clovis (481-511), exclue les femmes de la succession de la terre (elles héritent uniquement des biens mobiliers). Par la suite, à partir du XIIIè et particulièrement au début du XVè siècle, cette loi excluait les femmes, non seulement de l’héritage des terres familiales, mais de la fonction monarchique dans le royaume, Denizard (M) : Les droits des femmes et la loi salique, Indigo & côté-femmes éditions, Paris, 1994, pp9-10 81 ressort, à la satisfaction générale étant donné que tout le système reposait sur la confiance que le peuple entretenait vis-à-vis de son chef et de ses conseillers»52. Soulignons que dans la société traditionnelle Mbosi, le chef n’est jamais un despote. Il sait écouter ses concitoyens et ne prend de sévères décisions qu’après avoir consulté les sages du village qui veillent à ce que le chef n’outrepasse pas ses pouvoirs légitimes. 3.2.2.2. Le système colonial Le village du système colonial est administré par un chef de village (Okondzi ya mboa) nommé par l'administrateur chef de la mission coloniale. Dès lors, le village avait cessé d'être une entité indépendante pour relèver de l'autorité du chef de terre et chef de district. Ce chef détenait sa légitimité du pouvoir colonial incarné par le chef de district. Nous examinerons ses missions plus loin dans notre point sur la déchéance d'Otwere. 3.3. Les autres formes de chefferies et de pouvoir traditionnels53 Avant la colonisation française, la communauté Mbosi, qui se comportait comme une nation politiquement supervisée par Otwere, était, administrativement organisée et divisée en chefferies indépendantes. Chaque chefferie avait juridiction sur un village ou sur un groupe de village. Son pouvoir émanait du clan propriétaire du village. Chez les Mbosi Olee, on rencontre aussi les autres formes de chefferies et de pouvoirs traditionnels tels que Mara et Ondinga. 3.3.1. Mara 3.3.1.1. Définition Mara désigne en milieu Mbosi Olee une chefferie traditionnelle qui consiste en la gestion des portions de terre dont les membres des clans sont détenteurs ou ayants-droit. A cet effet, Mara apparaît comme une institution compétente exerçant un large pouvoir administratif, moral et spirituel sur les membres du clan. Mara est donc, dans les zones d’Asoni, de Tsongo, de Bombo, d’Ilanga et de Tse, d’Olembe, le pouvoir traditionnel du chef du clan et du village tel qu’il est défini et caractérisé plus haut. Le terme Mara désigne aussi le trône de ce chef (la chefferie) qui lui est conféré lors de son sacre ou investiture. Le chef qui exerce le Mara et élévé à son trône est appelé Obiali. Par extension, on utilise le terme Mara pour désigner la cérémonie du sacre d’Obiali. Depuis que l’administration coloniale et le pouvoir politique du Congo indépendant, l’ont dépossèdé de son pouvoir administratif, Mara se présente, est perçu comme une chefferie socioculturelle dans une zone de villages, tout en conservant sa noblesse et sa notoriété qui le rattachent à un village et au clan justifiant son existence. 52 Ngimbog (L-R) : «La justice administrative à l’épreuve du phénomène de la corruption au Cameroun» in Droit et Société, 51/52, L.G.D.J, Paris, 2002, p304 53 Nous avons élaboré ce point sur la base des entretiens que nous ont accordés Angala François, commerçant âgé d’environ 70 ans, domicilié à Ouenzé-Brzzaville, le 21/02/2001 ; Nguiko A Kié Apa, un chef trasditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001 et Ngalémé (Nganongo Emmanuel), le 15/06/2001. 82 Le couronnement d’un Obiali se réalise en deux cérémonies publiques, à caractère religieux et culturel, qui constituent successivement son sacre et son investiture devant le population de la zone et des zones voisines. Elles sont alimentées essentiellement par la danse populaire : Olee. Le temps qui sépare le sacre (Ikoueya la Mara = entrée dans Mara = sacre au Mara) et l’investiture (Ipala la Mara = sortie du Mara) est plus ou moins long et est fonction du pouvoir financier de la personne choisie et sacrée par le clan. C’est la période imposée à Obiali non encore investi pour son hibernation, ses préparatifs, son grossissement. Il est consigné à résidence dans sa maison allongée d’un sanctuaire (Lesasi). Toutefois, il peut recevoir d’autres Abiali (anciens), les membres du clan, de la famille et du village. Ainsi donc, la sortie constitue une fête sans précédent. Cette étape est, pour tout dire, la plus solennelle, la plus riche et la plus artistique, au cours de laquelle le nouveau notable (Obiali) en compagnie des anciens (notables) doit apparaître au milieu d’une foule bigarrée, rivalisent d’effort, d’esthétique, de tenue majestueuse, de maquillage avec d’autres invités, soit par leur simple présentation aux yeux des spectateurs, soit par leur manière de danser. 3.3.1.2. Le personnage d’Obiali 3.3.1.2.1. Qui est Obiali? Obiali est un dignitaire sacré et investi au Mara. Il est alors appelé Eboro ibaa c’est-àdire «le parent mâle, l’aîné par excellence, le grand homme»; le chef. Obiali est l’autorité suprême du Mara. Il incarne le pouvoir administratif, spirituel, moral du village clanique ou du clan. Il représente pour la collectivité familiale, son unité, sa cohésion, sa perpétuité, son pouvoir sur la terre de ses aïeux. Par son caractère éminemment sacré, il signifie le rassemblement et la survie de tous. Sa personne est chargée de force. Son pouvoir est transcendant et atemporel. 83 Pl.2 : Okoulou Okombi : Obiali du village Bomba (district d’Ollombo) 84 Pl.3 : Nguiko A Koli, Obiali du village Koli (dans le district d’Ollombo) 85 3.3.1.2.2. Critères d’admission aux fonctions d’Obiali Pour devenir Obiali, il faut : -appartenir au clan par le père ou par le père de la mère ; -avoir eu un parent Obiali pour héritier ; -être un Okola (pl. Akola, enfant né du frère et des garçons de la ligne de la sœur) ou un Ndaa (petit-fils). Le titre d’Obiali est conféré à Okola ou au Ndaa par les Pande (enfant né de la sœur et de toute fille des lignes de cette sœur vis-à -vis des enfants du frère) qui sont les chefs biologiques de la famille et du village. Il est confirmé lors du couronnement, Mara. Mais un Okola ou un Ndaa n’aspire pas toujours à devenir Obiali. On peut demeurer Okola ou Ndaa toute sa vie ; -être dépositaire d’une terre (Tsengue) : en sa qualité de membre du clan, Obiali dispose nécessairement de Tsengue (terre) sur laquelle il doit règner ; -être de sexe masculin: seuls les hommes sont admis au titre d’Obiali et les femmes en sont exclues. Les droits d’une femme sur une terre sont dévolus à ses enfants masculins ; -être adulte, âgé d’au moins trente cinq (35) ans ; - être membre d’Otwere (institution politique suprême et de justice) ; -être en bonne santé physique et mentale ; -avoir de l’humilité et être instruit de la coutume, impartial, sage ; -savoir respecter et faire respecter le totem du clan. On rapporte54 que des sacrifices humains sont nécessaires pour accèder à certains Mara. Toutefois, le sacrifice humain n’est pas une condition pour accèder à tout Mara. 3.3.1.2.3. Les insignes distinctifs d’Obiali Haut personnage de la hiérarchie familiale et clanique, Obiali se distingue du commun de la société par les insignes de pouvoirs ci-après : 1)- Caphe: couronne. C’est une bande triangulaire d’étoffe rouge (en velour rouge). Obiali reçoit caphe le jour de son sacre que le plus grand pande pose sur sa tête. Le caphe est posé sur la tête d’Obiali : la base du triangle vers le visage et s’arrête où s’arrêtent les cheveux vers la figure ; la pointe du triangle tombe vers la nuque. 2)-Moo : grand collier (circulaire) en rouleau de tissu rouge sur lequel on applique (ou plante) les crins de queue d’éléphant (tsiphi) et de longues plumes de grands oiseaux. Le Moo est posé en ornement sur la tête pour soutenir le caphe. Pour le rendre plus ornemental, on applique sur le Moo, des cauris, des coquillages blancs et brillants. 3)- Lepopo : coiffure. C’est une toge tissée en fils de raphia et colorée. Il couvre le crâne d’Obiali. 4)-Osanga : collier. C’est un collier en acier cylindrique roulé en anneaux circulaires de plus de 4cm de diamètre. Il peut être en simple tige d’acier circulaire et logé dans un rouleau de tissu rouge ou bleu. Au collier sont fixées de longues dents de panthère qui symbolisent la puissance et la richesse d’Obiali. Le nombre de dents de panthère indique le rang d’Obiali dans le concert des Abiali d’une zone. 54 Ce point est le résultat de l’entretien que nous avons eu avec Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001. 86 5)- Ekoro ya Ngwe : peau de panthère, sert de tapis ou d’ornement du siège sur lequel Obiali est installé, assis. 6)-Kami : habit de couleur rouge : l’un des signes distinctifs de richesse. 7)-Edzouna : pagne, habit ordinaire d’Obiali. 8)-Leswa : pagne brodé de tissu bleu ou rouge. 9)-Olondo : sac de sortie (gibécière). L’Olondo d’Obiali est distinctif par son lanse en bande d’étoffe rouge et bleu sur laquelle sont appliqués des coquillages de toutes couleurs. On y loge des peaux d’Olwengue (ginette), d’Osiya (singe à courte queue blanche), de Ndzoli, d’Obili (animaux de la race du renard) et les objets de valeur. 10)-Ekoro y’Olwengue : peau de ginette qu’Obiali a entre les mains ou place dans Olondo. 11)-Apara : bracelets en lames de cuivre bien piqué et rapé pour être éclatant et brillant à porter aux bras. 12)-Iminga : bracelets de pieds en tige ronde de cuivre et d’acier. 13)-Epoumbou : chasse-mouche en bout touffu de queue de buffle. Obiali s’en sert dans la main comme éventail au moment de la cérémonie pour produire le vent doux sur son visage (figure) peinturluré. 14)-Tsiphi : touffe de crins de queue d’éléphant qu’Obiali a dans la main et lui sert aussi d’éventail. 15)-Mbee : c’est la pipe. La pipe d’Obiali est terminée par une longue tige, ornée, de plus de 40cm. 16)-Ndzwembe l’Abiali : c’est une hâche de parade à lame large et à manche (moins de 30cm de long) courbe. Le manche est bien orné avec des punaises et fils fins de cuivre et d’acier. Obiali l’accroche à son épaule gauche (etousou y’ewese) quand il se déplace. Il le tient hissé à la main gauche au moment de la cérémonie. Tous ces insignes ont une valeur artistique, rituelle et mystique. Ce sont les véhicules du pouvoir et assurent la matérialisation du pouvoir. Ils lui confèrent au demeurant un profond respect de la part du reste de la population. 87 Pl.4 : Ekoro ya Ngwe (peau de panthère) 88 Pl.5 : Ekoro y’Olwengue (peau de ginette) 89 Pl.6 : Epoumbou 90 Pl.7 : Caphe 91 3.3.1.3. Fonctions d’Obiali Chez les Mbosi Olee, Obiali est le chef de son clan. Il gère et protège sa terre, sa maison est le Mbale (case centrale) du village. Il a des pouvoirs mystiques. Il est le garant des valeurs morales et spirituelles du clan léguées par les ancêtres dont il est considéré comme l’intermédiaire avec les vivants. Obiali doit être, en principe, pourvu des forces mystiques qui doivent lui procurer (doter) d'une influence d’ordre traditionnel sur les mentalités. Ce sont ses forces qui lui valent, aux yeux des hommes, le pouvoir d’être l’interlocuteur entre eux et les morts du clan. Il est souvent consulté pour la guérison des maladies considérées comme héritées des aïeux. Il est aussi et surtout consulté par les vivants pour demander aux morts de doter la terre du gibier, du poisson ou pour rendre les récoltes abondantes. Les Abiali sont souvent considérés comme des grands aphande c’est-à-dire des hommes dotés de puissance occulte. S’il est chef de village, il (Obiali) fait appel au pouvoir politique et administratif qui relève de ce dernier. Obiali a aussi un pouvoir juridique : il rend justice dans son Mbale pour sa famille, pour le village ou pour le public des villages voisins. Il n’applique sur sa terre que les lois et règlements régissant l’ensemble de la société Mbosi. Ces lois et règlements sont édictés par Otwere. Obiali qui a obligatoirement et avant tout adhéré à Otwere (institution du pouvoir politique, juridique et législatif) peut être le titulaire du kwephe y’otwere (coffret d’Otwere) c’est-à-dire le détenteur des secrets d’Otwere, le maître d’Otwere, du coffret d’Otwere. A ce titre, il acquiert les pouvoirs juridiques qui lui permettent de gouverner en dehors de son territoire. Obiali qui peut devenir Twere (c’est-à-dire l’un des plus grands juges) lorsqu’il a rempli les conditions liées à cette fonction (qualités de justice, de doctrine, de sagesse et d’intelligence), il rend la justice dans son Mbale (case de justice) avec son Mwandzi dans la main droite, symbole d’équité, de justice. Dans le cadre des dispositions coutumières, Obiali bénéficie de certains privilèges équivalents à certains droits de jouissance : les membres de la famille, lui assurent assistance et aide dans la construction et réparation des cases, de ses champs et de ses barrages de pêche. Obiali reçoit une partie de tout produit de pêche et de chasse: une quantité de poissons en cas de grande pêche; une défense d’éléphant; l’omoplate et l’avant-bras de l’animal abattu sur sa terre. Les Mbosi Olee devaient et doivent encore à Obiali respect, amour, obéissance à cause de ses pouvoirs. Obiali est taillé à l’image de son totem, la panthère (Ngwe), l’un des animaux les plus craints en pays Mbosi Olee à cause de sa férocité, sa voracité et sa témérité. Il est salué avec déférence par flexion légère des genoux et claquement des doigts des deux mains (Letsondi). Le claquement des doigts est un salut original des Mbosi. 92 Et de plus, Obiali n’est désigné que par son nom sacré de Mara. Par exemple : Ngamboyi, Ngaakosso. Il peut être aussi désigné par une tournure révérencielle: Eboro ibaa c’est-à-dire aîné par excellence. A ces différentes chefferies, il faut mentionner que les Mbosi Olee ont connu un type de pouvoir assez particulier appelé Ondinga. 3.3.2. Ondinga 3.3.2.1. Définition Ondinga est à la fois un pouvoir et une chefferie traditionnels claniques mystiques dont les origines remontent à des temps lointains. Dans la zone Ondinga, le chef est considéré comme Ndinga du clan ; il administre le village au nom de Ndinga ; il se veut le représentant de Ndinga (patriarche qui a guidé l’émigration Mbosi comme nous l’avons rappelé ci-haut). Certains Ndinga ont réussi à associer, pour leur chefferie, le pouvoir administratif dévolu à Obiali, les pouvoirs politiques, juridiques et législatifs sur une zone dévolus à Otwere. Ils se présentent alors comme chacun, le concentré des pouvoirs sur les populations de sa zone. Il se veut ainsi comme le représentant spirituel des anciens. 3.3.2.2. Le personnage du Ndinga 3.3.2.2.1. Qui est Ndinga? Ndinga est un dignitaire qui détient le pouvoir appelé Ondinga. C’est un simple citoyen du village mais influent de par son pouvoir. Son nom est composé de son nom patronomique suivi, parfois, du nom du village qui constitue sa juridiction ou du nom du clan dont il détient le pouvoir et l’autorité. On dit par exemple : -Ngatse O Mbopho ou Ndinga O Mbopho c’est-à-dire Ngatsé du village Mbopho ou Ndinga du village Mbopho -Ndinga O Koso c’est-à-dire Ndinga du clan Koso. 3.3.2.2.2. Comment devient-on Ndinga? Ndinga ne s’acquiert pas par des cérémonies et ce n’est pas un titre. C’est un pouvoir ancestral qui s’acquiert uniquement par les liens du sang. On ne devient pas Ndinga. Mais, on naît Ndinga parce que les parents ou l’un des parent(s) (père, grand-père, oncle, grand-oncle) sont ou est membre(s) du clan Ndinga. On ne choisit pas un Ndinga ou un chef Ndinga. On devient chef Ndinga par la succession par initiation du vivant de celui qu’on est appelé à succéder. Il n’y a pas de cérémonie d’investiture d’Ondinga. La succession est connue avant la mort de celui qu’on succède. 3.3.2.3. Fonctions du Ndinga Ndinga règne et gouverne la société de son système. Il a des insignes qui indiquent sa place par rapport aux autres Ndinga de la zone. En revanche, Ndinga O Koso par exemple n’avait pas d’insigne ni de symbole. 93 Il possède de larges pouvoirs de protection et de défense du village. Il protège la terre contre l’ennemi, veille à son intégrité. Il peut être pourvu de pouvoirs mystiques: influence d’ordre traditionnel sur les mentalités, interlocuteur entre les vivants et les morts du clan. Ndinga exerce, sur son clan, les pouvoirs politiques, juridiques et légilatifs dévolus au maître d’Otwere. C’est là l’une des grandes différences entre lui et Obiali. Cependant, on remarque que les domaines de l’exercice des différentes fonctions (administratif et politique) sont aussi distincts. 94 Pl.8 : Oko Ndzouembe, Ndinga O Mbopho (Village Mbopho) 95 4. Conclusion Au terme de cette analyse de l’organisation sociale et politique des Mbosi Olee, il est aisé de reconnaître les éléments tels que : la structure parentale, le système de village ainsi que la maîtrise de la chefferie qui constituent bien des aspects fondamentaux pour la connaissance du fonctionnement et d’articulation de la société Mbosi Olee. Otwere régule cet environnement socio-politique. Cette tentative de restauration de l’histoire de la population Mbosi Olee serait cependant incomplète pour la connaissance de cette population si l’on n’analysait pas ses modes de vie (économique et culturel). 96 CHAPITRE III : VIE ECONOMIQUE L’économie pratiquée dans cette société reste d’abord une économie domestique, axée essentiellement sur l'agriculture, la cueillette, l'élevage, la chasse, la pêche, l'artisanat et le commerce. L’économie traditionnelle Mbosi Olee est donc assise sur la terre. Dans ce chapitre, nous examinerons ces différents aspects de l’économie traditionnelle Mbosi Olee. 1. Le régime de la terre Le travail de la terre est le principal moyen de production. La terre appartient généralement à la collectivité clanique (vivants et morts membres du clan). Ceci résulte du fait que dans la société Mbosi, et conformément aux principes coutumiers, la notion de propriété privée des moyens de production est inimaginable. Le droit de cultiver, de chasser ou de pêcher est reconnu à tous les habitants du village même aux étrangers habitant le village. Toutefois, le produit de la grande chasse ou de grande pêche est frappé d'une redevance pour la terre, à donner au propriétaire de la terre qui se la partage avec les autres membres du groupe. Il ne peut l’aliéner à des fins personnelles. La terre dans cette communauté est donc un bien inaliénable. Même le chef, qui appartient lui aussi à un lignage donné ne possède pas la terre de la communauté villageoise de façon privée : « …Son rôle consiste à veiller sur l’ensemble du patrimoine des familles indépendantes, à accomplir les rites nécessaires à la fertilité du sol, à l’abondance du gibier sur les zones de chasse, à arbitrer les querelles de bornage. Il reçoit en compensation de tels services rendus à titre d’aîné et de représentant des ancêtres morts, quelques cadeaux provenant de la récolte, de la chasse. Il les reçoit parce qu’il exerce une fonction sociale acceptée par la psychologie collective »55 a écrit Théophile Obenga. Du point de vue de cet auteur, la terre est une propriété collective et le chef n’exerce qu’une fonction de garant. Il conviendra aussi de retenir que la terre n’appartient pas à un individu, ni à une famille mais à tout le clan. Elias Tasmin Olawale, le décrit ainsi : «…La terre appartient à une grande famille dont beaucoup de membres sont morts, quelques-uns sont vivants et dont le plus grand est encore à naître »56. Il est ici question de dégager le fait qu’un territoire est une propriété qui s’entend de la manière la plus large par rapport et en fonction de la succession des générations familiales et claniques. Pour tout dire, la terre dans la société Mbosi Olee est protégée par l’institution Otwere. 55 56 Obenga (Th) : Op. cit, p78 Elias Olawale (T) : La nature du droit coutumier africain, Présence Africaine, Paris, 1978, 2è édition, p183 97 2. L’agriculture L'agriculture reste la base essentielle de la production sociale. Elle se pratique dans le cadre de la communauté villageoise, regroupant des familles données. 2.1. Forces productrices matérielles et humaines D’après Claude Quin57, les forces productives recouvrent d’une part les moyens de production, c’est-à-dire les moyens et les objets de travail et, d’autre part, les hommes en tant que producteurs y compris les connaissances qu’ils mettent en œuvre. En s’inspirant de cette définition, nous pouvons relever que les forces du travail de la terre dans la société Mbosi Olee se présentent de la manière suivante: 2.1.1. Moyens de production Ainsi que nous venons de le voir, la terre qui est le principal moyen de production appartient au groupe clanique. Le principal outil de production et le plus couramment utilisé est la houe. Son utilisation est exclusivement reservée aux femmes. Un homme qui oserait s’en servir s’exposerait à la moquerie des individus de sa classe d’âge. Cet outil qui se caractérise par son manche court oblige les femmes à se baisser pendant plusieurs heures lorsqu’elles effectuent des travaux agricoles. En zone forestière ou savane, la houe sert particulièrement à piocher et à amasser la terre en buttes rondes ou en plates-bandes rectangulaires. L’utilisation d’autres outils est également nécessaire. On se sert de hache pour abattre les arbres (son utilisation est réservée aux hommes) et de la machette pour couper des arbustres et herbes moins résistants. 2.1.2. Unité de production L’organisation familiale des Mbosi se caractérise par un système de liens équilibrés autour de l'enfant, descendance patrilinéaire et matrilinéaire. L'enfant appartient donc à ses deux parents: il constitue un élément commun, un lien équilibré entre les familles de son père et celles de sa mère. Mais, du fait du système virilocal de la résidence de la famille, l'enfant appartient à l'unité du travail de la famille de son père. Si l'unité de production peut-être considérée comme un système au sein duquel se conjuguent les forces de travail de plusieurs acteurs, dans le travail (agricole, artisanal) chez les Mbosi, elle est constituée des frères, de leurs épouses, de leurs enfants, de leurs soeurs n’ayant pas encore acquis le statut de femmes mariées. Comme on peut l’observer, la fille Mbosi qui est une force importante de travail dans la société, apparaît, du fait d'alliance matrimoniale, un élément réducteur de l'unité de travail de la famille de ses parents époux. Ce fait social explique en partie la raison d'être de la compensation matrimoniale qui caractérise les contrats de mariage. 57 Quin (C): Classes sociales et Union du peuple de France, Editions sociales, Paris, 1976, p21 98 Au regard de sa composition, on peut conclure que l’unité de production est familiale (la famille étant étendue) et les contrats de travail ne sont constitués que par les liens de sang ou d'amour. 2.2. Organisation du travail Les activités économiques qui sont en permanence contrôlées par l’aîné du lignage ou le chef de famille s’effectuent conformément à un certain calendrier agricole. Les plantations sont échelonnées dans le temps en fonction de celui-ci. 2.2.1. Le calendrier agricole Bien avant l’émergence de l’agronomie moderne, l’agriculture était basée sur des observations astronomiques comme l’observe très bien Hervé Diata qui écrit : «L’observation et la connaissance des mouvements des astres a permis aux populations congolaises de se représenter le temps, de déterminer le rythme saisonnier, et de semer et prévoir le cycle de la végétation »58. Aujourd’hui, en revanche, les activités agricoles se déroulent selon le calendrier qui obéit lui-même aux températures et précipitations. Les Mbosi ont une maîtrise des variations climatiques. Toute l’année durant, en fonction de l’intensité des pluies et du niveau des températures, le paysan se consacre, à un rythme plus ou moins soutenu, à l’agricuture qui constitue l’activité dominante. Nous examinerons de façon approfondie cette question du calendrier agricole dans notre point consacré à la mesure du temps des Mbosi. 2.2.2. La division du travail agricole Dans la société Mbosi, la division du travail agricole se fonde sur la base de deux facteurs essentiels: le sexe et l’âge. 2.2.2.1. Répartition selon le sexe Dans l’ouvrage de Pierre Vennetier: Les hommes et leurs activités dans le Nord du Congo-Brazzaville, on peut lire : «La société traditionnelle, répartissant les tâches entre ses membres en fonction des nécessités impérieuses, avait confié aux femmes l’agriculture vivrière, les hommes assurant la défense, et les travaux de force tels que le gros défrichage, ou la chasse»59. Cette observation est aussi valable pour le monde Mbosi. Le sexe constitue en fait l’élément fondamental de la structure générale de la répartition des tâches. Ce facteur est d’une importance telle que les arbres des plantations, comme les cultures, obéissent à cette division par sexe. Il en est de même des techniques qui permettent l’acquisition des animaux en zone forestière ou en savane. En règle générale, reviennent à l’homme les travaux qui nécessitent une force physique considérable. 58 Diata (H) : La négation du paradigme productiviste, Thèse de Doctorat d’Etat d’économie, Université de Grenoble, 1979, p45 59 Vennetier (P) : Op. cit, p163 99 La femme considérée comme une source de vie, s’occupe des semailles. En outre, l’entretien des champs, la récolte, le transport et la tranformation des produits, lui reviennent. A cet effet, Philippe Laburthe-Tolra écrit : «…Ce sont les femmes qui ont partie liée avec la terre. Cest pourquoi les buttes, les semailles, les sarclages, les repiquages, les récoltes de tout ce qu’on met en terre sont leur pricipale activité»60. 2.2.2.2. Répartition selon l’âge Dès l’âge de 6 ou 7ans, en dépit de leurs occupations, les enfants participent activement aux divers travaux agricoles. La jeune fille accompagne sa mère aux champs pour assurer la garde du nourrisson, ce qui n’exclut nullement sa participation aux travaux de sarclage. Elément mobile, la jeune fille travaille dans les champs familiaux en attendant d’être mariée. Le jeune garçon, quant à lui, en compagnie de son père, participe aux travaux qui requièrent moins d’effort physique. En règle générale, les travaux de défrichement sont réservés aux jeunes et les adultes se consacrent aux travaux les plus pénibles. 2.3. Les opérations culturales 2.3.1. Types de champs et espèces cultivées Les techniques de préparation du champ et les diverses plantes cultivées constituent les éléments fondamentaux de distinction des champs. Au regard du type d’agriculture qui est pratiqué par les paysans Mbosi, on distingue trois types de champs: 2.3.1.1. Champ en forêt En forêt, la préparation du terrain à cultiver est assez rudimentaire et a lieu généralement au début de la saison sèche. Le nettoyage des sous-bois composés de lianes et d’arbustes, précède l’abattage des arbres. L’homme s’attaque aux arbres à l’aide d’une hache, les laisse se dessécher pendant quelques semaines ou quelques mois et les brûle ensuite61. L’intervention de la femme n’a lieu qu’au moment des semailles. Au milieu des vestiges de troncs d’arbres abattus et calcinés, elle élève des buttes (oka, pl. ika) rondes ou circulaires, en plates-bandes rectangulaires et sème en utilisant comme outil principal, la houe (esee). Cette culture sur brûlis forestier dure généralement deux à trois ans, temps à l’issue duquel la chute de fertilité oblige les femmes à se déplacer et à laisser le champ en jachère. Les principales espèces cultivées sont: le manioc, le maïs, la patate, l’igname, l’ananas, la canne à sucre, l’arachide, le bananier, et plusieurs qualités de légumes. Les boutures de manioc (mboro y'iko) sont piquées obliquement en terre sur sillon. Elles ne viennent à maturité qu’après six à sept mois environs. Il n’en demeure pas moins qu’en entendant la récolte du manioc, les femmes procèdent d’une manière périodique, à la cueillette des feuilles de manioc qui sont également consommées. 60 Laburthe-Tolra (P): Les seigneurs de la forêt. Essai sur le passé historique, l’organisation sociale et les normes éthiques des anciens Beti du Cameroun, Publication de la Sorbonne, Paris, 1981, p281 61 Si l’incinération pratiquée par les hommes permet de débarasser la terre des éléments qui l’encombrent, elle a surtout l’avantage de la rendre riche du fait d’un apport minéral fertilisant provenant des cendres. 100 Les arachides (ndzoo) sont mises en terre dans des petits trous. Les patates (isitôro) sont également bouturées, souvent dans les champs de manioc. Le maïs (isangui) et les légumes accompagnent souvent le manioc et l’arachide sur le sillon ou entre sillons. Après une récolte, la plantation est laissée en jachère pendant plusieurs années. 2.3.1.2. Champ en savane Dans les champs de savane, contrairement aux précédents, les travaux nécessitent moins d’effort physique. La préparation du terrain et les semailles sont complètement effectuées par les femmes. Les hommes n’apportent leur contribution qu’à la protection du champ contre les animaux. Les principales espèces cultivées sont : le manioc, le maïs, la patate douce, l’igname, le sésame. Il convient de préciser qu’en ce qui concerne le sésame et l’arachide, dès les premières pluies, les graines peuvent être mises en terre dans les sillons circulaires. Le sarclage comme sur champ en forêt consiste à éliminer les mauvaises herbes et rémuer la terre aux pieds des plantes avec une houe. Les graines utilisées proviennent généralement de la récolte précédente quand celle-ci n’a pas été complètement consommée. A ces deux types de champs, on peut ajouter les jardins. 2.3.1.3. Les jardins Outre les plantations itinérantes sur brûlis, sont effectués les cultures de "cour", des jardins, à proximité des habitations: canne à sucre, légumes, (épinard, oseille, courge, aubergine), arbres fruitiers (safoutier, kolatier, palmier, manguier, bananier). 2.3.2. L’entretien des champs Les seules opérations d’entretien consistent en un vague désherbage après les premiers mois des semailles. Le désherbage s’effectue soit à l’aide d’une houe soit à la main. Pendant les travaux d’entretien, la participation des enfants est nécessaire. Les mauvaises herbes qui gênent la croissance des plantes sont soit enterrées soit rejetées à la périphérie du champ. Quand les épis commencent à murir, une surveillance permanente du champ contre les oiseaux et les autres prédateurs s’impose. Pour ce faire, les femmes placent des épouvantails ou attachent des vêtements usés ou des touffes de feuilles sur les arbustes qui prennent ainsi des formes humaines, ce qui éloigne les bêtes des abords du champ. 101 3. L’élevage et la pêche Dans cette économie essentiellement rurale, l’élevage et la pêche constituaient le complément de l’agriculture. 3.1. L’élevage Les Mbosi Olee ne sont pas une population d’éleveurs. L’élevage est domestique et pratiqué suivant des procédés traditionnels. Son importance numérique est faible. Il répond surtout aux besoins sociaux et religieux de la population. Chaque famille possédant à titre individuel une quinzaine ou une vingtaine de volailles selon les cas et quelques têtes de chèvres ou de moutons. Les Mbosi élèvent des cabris (ambosi, sing, mbosi) et des moutons (ameme, sing. Meme, Mbata) qui se nourrissent de l'herbe sauvage au bord du village. Il n'y a pas de fonction de berger. Le soir, les bêtes rentrent seules au village et s’enferment dans les abris construits pour elles. Cette faible pratique de l’élevage a été soulignée par Pierre Vennetier lorsqu’il écrit: «L’élevage est une activité tout à fait négligée par la population, qui comprend difficilement la nécessité de nourrir les animaux. Ces derniers sont donc libres, doivent subvenir eux-mêmes à leurs besoins, et vaquent toute la journée autour des cases et dans la brousse environnante. Moutons et chèvres, en petits groupes d’une douzaine de têtes broutent surtout le long des talus routiers, où l’herbe est plus haute»62. Pour cet auteur, l’élevage est supplanté par d’autres formes d’activités. Cette importance mineure explique sans doute le fait que les animaux ne soient pas conduits sous la houlette d’un berger. Par conséquent, cette citation a le mérite de mettre en évidence l’absence d’une culture pastorale par opposition aux peuples Peuls en Arique de l’Ouest. La volaille comprend les poules, les coqs, les canards et les pigeons. Bien que peu développée, la volaille est très appréciée et recherchée sur le marché local comme unité d'échange et surtout comme animaux des sacrifices religieux et des gages matrimoniaux. Elle permet aussi de nourrir, le cas échéant, un éventuel visiteur, ou de lui faire un don à la fin de son séjour. 3.2. La pêche La pêche est une activité des femmes et des hommes Mbosi. Ils la pratiquent en toute saison dans des nombreux cours d'eau qui arrosent le pays et dans les étangs (ikyesi, sing, okyesi; itongo, sing. etongo). La pêche se pratique sous plusieurs types dont l'un est itoa qui signifie "vidange" et qui est une activité exclusivement des femmes; l'autre bwande avec les nasses et qui est une activité masculine; enfin, il y a iboua (pêche masculine) dans l’eau profonde des étangs pendant la saison sèche et au début de la saison des pluies. A ces types, il faut ajouter : Ilopho (pêche aux hameçons) et Okia (pêche aux filets). 62 Vennetier (P): Op. cit, p180 102 Ainsi, le premier type se pratique dans les marigots et étangs. Les femmes construisent des retenues d'eau en barrant le cours d’un ruisseau ou en encerclant un coin du bord du ruisseau qu'elles vident avec des paniers et le poisson reste sur la vase quand l'étang constitué est totalement à sec. Lorsqu’elle est pratiquée sur de grands étangs ou sur des tronçons importants de cours d’eau, cette pêche associe aux femmes, les hommes. Ceux-ci construisent les barrages pour constituer l’étang à vider. Pendant que les femmes puisent l’eau pour vider l’étang, les hommes utilisent le harpon pour capturer le poisson. Les poissons qui restent sur la boue sont ramassés par les femmes : les hommes les réservent aux femmes outillées de cette partie de pêche. Pour vider l’étang, les femmes ne jettent pas l’eau librement hors du lieu de pêche : l’eau puisée est versée dans un autre panier (plus aéré : Ingo) pour prendre le poisson qui tenterait d’échapper avec l’eau ramassée et jetée hors étang. Ici la pêche est une partie bruyante, une ambiance de fête. Les femmes, se constituant un ensemble souvent assez important, laissent libre cours leur joie. Des slogans expriment souvent des proverbes visant à critiquer les comportements des hommes vis-à-vis de leurs épouses. Cette pêche commune amène souvent la population du village et les ressortissants du clan qui viennent d’ailleurs à séjourner plusieurs jours dans les campements en forêt pour pêcher et fumer le produit. Pendant les petites saisons sèches qui découpent la saison des pluies, les femmes, pour la nourriture quotidienne, pratiquent des petites pêches. L’une d’elles est faite avec le panier aéré appelé Ingo (Pl. Ango) que les femmes plongent dans l’eau et tirent pour prendre le petit poisson ou les frétins. L’autre type de petite pêche féminine est pratiquée à l’aide des plantes empoisonnantes (Mbaha, sing. Lembaha) : la femme écrase les feuilles de la plante, qu’elle jette dans l’eau. Les poissons atteints émergent de l’eau et sont ramassés. Cette pratique de la pêche a été également observée par Philippe Laburthe-Tolra chez les Beti (Cameroun) lorsqu’il écrit : «La grande pêche est une activité typiquement féminine. Elle s'appelle alog, de log qui signifie écoper, jeter l'eau dehors. Elle consiste en effet à établir, en travers d'un cours d'eau, un barrage de terre, de feuilles et de bouts de bois (kumba) qui l'endigue complètement; à l'intérieur du bief où l'on veut pêcher (et qui prend le nom de mfia rivière barrée), on édifie des barrages secondaires qui découpent le cours d'eau en autant de casiers que les femmes entreprennent d'assécher complètement en jetant l'eau sur les rives avec des biloga (sin. eloga) ou écuelles de bois qui servent à cet usage. Les poissons qui apparaissent sont attrapés, soit à la main, soit à l'aide d'une épuisette en fibres de triumfette (okon) utilisée comme un tamis; ils sont recueillis dans un panier à ouverture évasée et à col étroit appelé nkun. Une variante de l'alog consiste à empoisonner l'eau du bief: on emploie à cet effet les plantes ondondo ndig (la liane-piment), akpaa (Tetraplema tetraptera, Mimosées), eyed (Pachyelasma tessmanii) et ngom (Tephrosia toxica, légumineuse vénéneuse). Les poissons qui viennent flotter le ventre en l'air à la surface de l'eau rendent inutile le travail de l'assèchement. La pêche se fait dans une ambiance de fête entre femmes, très libre et très gaie, d'où sont normalement absents les hommes: nous savons qu'on y tient des propos obscènes qui ont pour effet de les éloigner»63. Le second type se pratique dans des rivières. Elle consiste à laisser séjourner dans l'eau, une nasse (okogni, pl. ikogni) soit de taille moyenne, soit de taille plus grande. Il s'agit dans bien des cas des nasses rigides à antichambre. Dans celles-ci sont introduits des appâts, 63 Laburthe-Tolra (P): Op, cit, p284 103 souvent des sections de manioc rouï, ou de noix de palme ou autres fruits ou poissons dont le but est d'attirer les poissons. La plus importante pêche à la nasse est pratiquée aux mois d’avril et mai. Elle consiste, par les hommes exclusivement, à installer un barrage sur le cours d’un ruisseau ou d’une petite rivière en faisant passer l’eau par des turbines (Ipongo, sing. Epongo) taillées dans le tronc d’un arbre et placées sous le barrage. Deux nasses sont accrochées à l’aval et l’amont d’Epongo. Une fenêtre d’Epongo est la seule ouverture réservée aux poissons qui tentent de traverser le barrage, attirés par l’eau qui coule à travers le système aménagé. Une fois dans l’Epongo, les poissons (souvent de petites anguilles et les silures) sont, soit repoussés par l’eau assez violente, dans la nasse de l’amont, soit s’introduisent dans celle de l’aval. On relève donc comme la chasse, que la pêche revêt également des formes individuelles et collectives. Mais à la différence de la chasse, le produit de la pêche collective peut être individuel. Cela dépend des instruments mis en jeu. La pêche collective, dans les zones de grande pêche, est liée au régime des eaux courantes: elle commence avec l'amorce de la décrue et mobilise des effectifs très importants. Pendant plusieurs mois, la vie se déroule dans les campements établis en forêt sur les bancs de sable aux bords des étangs. Les instruments et moyens de pêche sont très nombreux et divers: filets, claies, pièges, barrages et nasses, pirogues, paniers (ingolo, ongolo), harpons, hameçons. Il s'agit d'une très riche panoplie qui montre la place tenue par la pêche dans la vie quotidienne des populations surtout celles des zones Ilanga et Tse dont la pêche est la principale activité économique. Le poisson capturé est fumé, emballé dans des paniers et mis sur le marché. Pierre Vennetier témoigne de cette technique lorsqu’il écrit : «Le poisson pêché est aussitôt fermé, afin d’assurer sa conservation, tant au village que dans les nganda. Le fumoir, à l’air libre ou sous abri, se compose d’une table à claire-voie située à 1m du sol. Le poisson y est disposé et recouvert de nattes de raphia, de feuilles, de tôles, de bâches… Le feu est entretenu en permanence. Il faut environ 3 jours pour achever l’opération, avant de passer à une autre fournée. Mis à sécher sur une claie, le produit est enfin emballé dans des paniers de fibres de dimensions variables»64. Ici, l’auteur peint de bout en bout de façon explicite un tableau de la chaîne de production du poisson ; tout en mettant en avant de façon simpliste la communion, la cohésion sociale, la fraternité qui s’articule autour de cette activité. Ainsi, ces différents éléments peuvent servir d’instruments de mesure du degré de sociablité de la société Mbosi. Les Mbosi Olee n'ont pas une réputation de pêcheurs comme leurs voisins Moye : le Mbosi Olee pêche toute l’année et en toute saison. Pourtant, il n’a pas la même maîtrise de cette activité que le Moye. Les Mbosi Olee conscients de leur faiblesse en la matière ont su avec ingéniosité se rabattre sur des activités dont ils s’estiment meilleurs (agriculture, chasse, cueillette) de manière à contrebalancer leur déficit par l’échange. C’est ainsi que les Mbosi exportaient du manioc et importaient du poisson. Cette stratégie est aussi valable pour les Moye qui inversement importaient du manioc tout en exportant du poisson. Mais, ce qui est frappant dans ces échanges c’est l’adresse avec laquelle ces populations non instruites livresquement plutôt dotées d’une ouverture d’esprit ont su être en phase avec l’un des précurseurs de l’économie moderne internationale (Ricardo) qui considérait l’échange comme un jeu à 64 Vennetier (P): Op. cit p179 104 somme positive, jeu dans lequel il n’y a que des gagnants dans la mesure où on reçoit ce que l’on ne produit des autres pour leur donner en retour ce que l’on produit. 4. La cueillette et la chasse La chasse et la cueillette offraient aussi de larges possibilités aux Mbosi Olee car la flore et la faune étaient plus riches à cette époque qu’aujourd’hui. 4.1. La cueillette Elle fait partie de la vie quotidienne et intervient comme complément de l'agriculture dans la satisfaction des besoins alimentaires et médicaux de chaque foyer. La cueillette en forêt ou en savane offre une gamme assez large de produits alimentaires de base et de service. Elle fournit à l’homme des légumes sauvages, des tubercules comestibles, des fruits, des champignons, des graines oléagineuses, du miel, des chenilles, des termites et autres insectes comestibles, des feuilles pour la cuisine (cuisson de poisson, de manioc, de viande, de légumes), du bois comme source d'énergie (éclairage, chauffage utilisé pour cuire les aliments, fumer et sécher les produits à conserver), les matériaux de construction, toutes les matières premières utilisées dans l'artisanat, les instruments de musique, les produits médicaux. Cette activité ne nécessite pas comme dans les autres activités une intervention de techniques complexes pour l’acquisition du produit final. Elle est mixte. Il n’en demeure cependant pas moins vrai que certains produits sont cueillis uniquement soit par les hommes, soit par les femmes et d’autres par les personnes des deux sexes. En règle générale, la récolte des champignons, la collecte de légumes naturels et celle des feuilles servant à préparer le manioc sont réservées aux femmes. En revanche, la récolte des noix de palme, la récolte du vin de palme, la collecte de certaines plantes utilisées pour le bâtiment (qui fournissent des matériaux nécessaires à la construction des maisons) et la fabrication des paniers sont réservées aux hommes65. Bien que la cueillette présente en apparence des techniques simples pour l’acquisition du produit final, il convient néanmoins de préciser que la récolte du vin et des noix de palme nécessite non seulement du courage mais surtout un savoir-faire. Aussi pour devenir un récolteur de vin, un homme doit-il se consacrer au préalable à plusieurs séances d’initiation afin de bien maîtriser la technique de montée qui est on ne peut plus délicate et risquée. En outre, l’ouverture du trou pratiqué dans le palmier requiert une technique aussi spécialisée. 65 Daho (E) : Op. Cit, p37 105 4.2. La chasse La chasse est partout ailleurs exclusivement le fait des hommes, les femmes n’intervenant que pour le transport du butin. Elle est une activité qui fournit la quasi totalité de l’alimentation carnée dans la nourriture des Mbosi. Les Mbosi chassent tous les jours en forêt et en savane pour se procurer la viande et aussi les peaux d'animaux. Cette activité qui exige la mise en œuvre de techniques variées et quelquefois très élaborées revêt deux formes : individuelle et collective. 4.2.1. La chasse individuelle Elle est pratiquée par une ou deux personnes (le chasseur et son aide) au moyen des instruments et des outils tels: des fusils, des sagaies, des flèches, fosses, pièges. Elle peut avoir lieu la nuit ou le jour La description faite par Pigaffeta de la chasse à l’éléphant par piège correspond à la technique utilisée par les Mbosi pour capturer non seulement l’éléphant, mais également d’autres grands animaux particulièrement ceux qui sont réputés dangereux. En effet, cet auteur écrit : «Pour capturer les éléphants, on creuse des fosses très profondes aux endroits où ils ont coutume de paître. Les fosses sont étroites dans le fond et s’élargissent dans la partie supérieure de façon que rien ne puisse aider à s’en échapper les bêtes qui y sont tombées. Pour que les éléphants ne s’aperçoivent pas du piège, on couvre des fosses de terre, d’herbes et de feuillage ; lorsque l’animal passe dessus, il s’abat dans le trou »66. Le piège, le fusil et la fosse, sont en effet les techniques les plus utilisées pour la chasse individuelle et il existe plusieurs types de pièges dont: les pièges-écraseurs qui servent à capturer les animaux de petites tailles et la glue pour la capture des oiseaux. Certains gros gibiers comme la panthère, le sanglier, sont capturés avec le piege étrangleur. Celui-ci est composé d’un tronc d’arbuste et d’une corde ou d’une liane solide. La corde ou la liane est attachée au bout du tronc d’arbuste qui est planté profondement à plus de trois mètres du passage supposé de l’animal. L’autre bout de la corde se termine par un nœud que l’on installe sur le passage de la bête à chasser. Un système très sensible est placé sous le nœud. Si, à son passage à cet endroit, l’animal pose sa patte sur le système, celui-ci déclenche le redressement du tronc qui entraîne la corde. La bête est soit étranglée puisque pendue, soit prise par la patte et attend le chasseur qui viendra l’abattre. 4.2.2. La chasse collective La forme de la chasse collective la plus pratiquée est la chasse au filet (Okya). Elle est pratiquée en savane et en forêt. Elle peut mobiliser quelques personnes ou toute la population mâle adulte et jeune d'un ou de plusieurs villages. Elle peut être organisée lorsqu'un dépisteur 66 Pigaffeta et Duarte Lopez : Description du royaume Congo et des contrées environnantes, Editions Nauwelaerfs, Paris, 1965, p54 106 spécialisé a aperçu un gibier ou un troupeau ou sous forme de grandes battues au grand hasard des trouvailles avec des "chiens dépisteurs éduqués"67. Ici, la pratique consiste à tendre plusieurs filets autour de la portion de savane ou de forêt qui est supposée abriter les bêtes ou la bête chassée. Le côté de l’enclos non couvert par les filets est occupé par les jeunes qui doivent faire de grands bruits pour orienter le gibier vers les filets. La chasse collective est une activité qui provoque une ambiance de grand mouvement et de gaieté, surtout au moment du partage des produits. Elle est aussi une compétition entre les chasseurs propriétaires de filets qui rivalisent aussi bien d’adresse que de pouvoirs à attirer le gibier vers son filet. L’adresse est aussi constatée dans la promptitude à atteindre par la sagaie, le gibier pris au filet. En effet, pour le partage du produit et sur chaque gibier, on réserve des parties importantes au propriétaire du filet qui a accroché le gibier, puis aux deux premiers voisins qui l’ont aidé à tirer le gibier : dans certaines zones, le propriétaire du filet reçoit une patte de derrière sur chaque gibier pris par son filet, le premier voisin dont la sagaie est arrivée sur le gibier reçoit une patte avant tandis que le deuxième reçoit un quartier de cotelette. Le reste constitue la part commune. Cette chasse qui utilise les filets et la sagaie est pratiquée dans plusieurs pays d’Afrique. Dans son ouvrage intitulé : Magie et chasse au Cameroun, Henri Koch caractérise cette activité dans ce pays en ces termes : «Cette chasse est une battue qui consiste à encercler une portion de forêt avec une vingtaine de filets, et à rabattre les bêtes vers eux pour qu’elles s’y prennent. Au cours de cet encerclement qui est répété sept à douze fois, de proche en proche, dans la même journée, les rabatteurs sont conviés à ne pas laisser percer leur cercle par le gibier et à abattre les animaux à la lance dans la mesure de leurs possibilités. Cette chasse est rituelle en ce sens qu’elle n’est pas organisée sans un motif traditionnel valable (…). (…) Tout en elle est traditionnellement fixé depuis les temps anciens. C’est un cérémonial où tous les gestes, étudiés par les générations passées, sont des legs obligatoirement respectés. Si elle a un sens profond, ce n’est pas tellement de capturer du gibier, mais de mobiliser les rouages d’une coutume ancestrale afin de la maintenir vivante»68. Au-dèla du type de chasse pratiqué, on peut retenir la richesse singulière et intergénérationnelle que le peuple Mbosi a su préserver. Cette richesse se justifie par la répétition à l’identique des gestes immémoriaux lors des parties de chasse. Car, ce qu’il y a de difficile pour un peuple ou un individu ce n’est pas vraiment le changement ; mais la constance dans le temps pour toutes ces entreprises. Pour les deux formes de chasse, il convient de signaler ce facteur important fourni par la pratique des fétiches. Ces fétiches de chasse sont pratiqués à des fins d'une part, d'attirer vers lui le gibier dans l'intérêt de le tuer le premier et en recevoir une part plus importante pendant le partage, et d'autre part, dans celui de se protéger contre les attaques des animaux ainsi rendus furieux. 67 D’après André Leroi-Gourhan, le chien, seul animal dont la domestication soit universelle au sens strict, est utilisé partout pour la recherche du gibier, soit qu’on l’emploie à décéler la présence de l’animal chassé sans participer à l’action meurtrière, soit qu’on lui confie le soin de maintenir le contact et de fixer le piège, soit qu’on l’utilise pour poursuivre, joindre et abattre le gibier (Leroi-Gourhan : Evolution et techniques. Milieu et technique, A. Michel, Paris, 1945, p74). 68 Koch (H) : Magie et chasse au Cameroun, Berger-Levrault, Paris, 1968, p177 107 Pour la chasse aux buffles (Andza, sing. Ndza ou Amboo, sing. Mboo), une préparation fétichiste est nécessaire. En effet, la préparation matérielle et spirituelle se fait la veille du départ et une danse (Okya ou Iboupha) est organisée à cet effet pour demander aux ancêtres de rendre la chasse fructueuse et pacifique (sans danger). L’importance de la pratique de la chasse a été soulignée par Pierre Vennetier en ces termes : «Celle-ci est du ressort des hommes. Jadis surtout collective, la chasse a évolué, principalement depuis la multiplication des fusils; elle reste cependant un événement de la vie courante, et se pratique encore régulièrement. Il n’est guère de jour ou un ou deux hommes du village ne partent à la recherche de gibier. Les chasses collectives, mobilisant toute la population mâle adulte et une partie des jeunes gens, ont une fréquence bien inférieure, une fois par mois, en moyenne. Elles sont toujours précédées par une réunion au cours de laquelle sont discutées, sous l’autorité du chef de village, et le choix du terrain de chasse (il faut tenir compte de l’appropriation lignagère), et les méthodes qui seront employées, avec le rôle dévolu à chacun. Les armes sont sorties des cases, aiguisées, renforcées. Le féticheur ne manque pas d’invoquer la protection des ancêtres défunts en vue d’un résultat fructueux»69. Le caractère rudimentaire des instruments utilisés à l’époque lors des parties de chasse, commandait un certain nombre d’impératifs parmi lesquels l’importance des participants (chasse collective), l’efficacité. Dès lors, la pratique de la chasse individuelle pouvait être assimilée comme une contravention à ces impératifs. Ensuite, l’usage du fusil a ouvert tant soit peu le chapitre de la chasse individuellle. Enfin, la multiplication du fusil loin d’évincer la communion qui régnait autour de la chasse collective, l’a renforcée certainement notamment par la naissance de la confrérie des chasseurs, confrérie placée sous l’autorité du féticheur et ayant pour socle l’initiation. 5. L’artisanat Dans la société Mbosi, comme dans la plupart des sociétés africaines, les activités artisanales incombent aux personnes des deux sexes. L'artisanat Mbosi Olee est très varié et développé. Il n'est pas distinct de l'agriculture et des activités de production. Il exploite surtout le domaine des boissons alcoolisées, de l'huile de palme, de la vannerie, de la poterie, de la forge, de la sculpture, du tissage, de la natte de lit. La matière première est fournie au moyen de l'agriculture, la cueillette et de l'extraction par la forêt, la savane et le sol. La confection des paniers destinés au transport des produits agricoles, à la pêche, à la conservation des produits de toilette, celle des nasses par entrelacement de fibres végétales, du traitement des peaux ou de queue ou encore des dents d’animaux, des Mwandzi, Kwephe, Pengue (instruments d’Otwere) est du ressort des hommes. A la différence de l’agriculture, l’artisanat, activité pourtant individuelle ou familiale, produit des biens à caractère industriel nécessaires au développement traditionnel de la population. L’artisan Mbosi tire ainsi des avantages importants de son activité : il est parmi les plus riches et les plus respectés dans le village ou dans la zone. Il ne correspond pas à ce qu’écrit Emmanuel Terray dans son ouvrage intitulé: Le marxisme devant les sociétés primitives et lorsqu’il relativise cette notion d’activité spécialisée des artisans dans le monde traditonnel : «Il n’y a pas dans le cadre traditionnel, d’artisan spécialisé, c’est-à-dire tirant le principal de ses revenus de l’exercice de cette activité. L’artisan est toujours intégré dans une cellule sociale constituée autour des activités agricoles; il est toujours principalement un paysan et accessoirement un artisan»70. 69 70 Vennetier (P): Op. cit, p173 Terray (E): Le marxisme devant les sociétés primitives, Maspero, Paris, 1979, p112 108 Ici, il serait prétentieux de parler de la spécialisation du travail dans la mesure où s’il est possible d’établir une graduation d’activités au même titre que la pyramide des besoins popularisée par Maslow, on s’apercevrait qu’en premier figure les activités agricoles et accessoirement l’artisanat. 5.1. La forge La forge est l'activité noble par excellence et créatrice de la richesse. C'est le domaine professionnel du forgeron. Le forgeron fabrique tous les instruments et objets métalliques utilisés pour l'agriculture, la pêche et les autres activités artisanales (coupe-coupe, hache, houe, harpon, hermite, couteau, aiguille, lame à raser, pipe, bijoux). Il fabrique aussi ses propres instruments. Il réalise la fusion et la fonte des pièces métalliques pour obtenir des instruments de haute résistance utilisés dans les activités désignées ci-dessus et dans la musique. Il réalise également des alliages pour obtenir des bijoux; se livre à la sculpture pour fabriquer les manches ou les supports des instruments qu'il fabrique, et est toujours consulté pour redresser, réparer ou affûter les instruments métalliques qu'il a fabriqués et même des fusils de chasse d’importation. Généralement, les techniques très complexes de forge se transmettent à l’intérieur du clan. L’exercice de ce type d’activités artisanales nécessite un temps d’initiation ou de formation. Le forgeron du village ou de la zone a droit à une redevance sur chaque gros gibier abattu par n'importe quel moyen de chasse dans le village ou du secteur. Si l’exercice du métier de forgeron permet à l’individu d’accéder à un certain rang social, d’être perçu comme un être d’une importance supérieure, il importe de souligner que cette suprématie ne lui est pas reconnue sur le plan métaphysique, mais simplement sur le plan social et économique. Il jouit d’une grande considération du fait des produits de son activité, lesquels sont indispensables pour la satisfaction des besoins sociaux des membres de la communauté. La rareté des artisans de métaux (il ne s’en trouve pas dans chaque village) est également un élément qui fait du forgeron un homme très respecté et jouissant d’un grand prestige social. Du fait de la multitude des produits fabriqués par le forgeron lesquels intéressent le groupe social dans ses dimensions esthétique, agricole, récréative, musicale, belliqueuse, hiérarchique, on peut dire que l’artisan de métaux détient dans une large mesure un pouvoir de contrôle autant que les chefs sur le plan économique, politique et culturel71. Le travail du fer revêt une grande importance sociale non seulement chez les Mbosi, mais également dans d’autres ethnies du Congo et d’Afrique. En effet, R. Vannyn a observé que «le travail du fer a toujours été en honneur chez les Bakongo»… Selon le même auteur, «les Bakongo assurent également que c’est à l’art de travailler le fer qu’ils ont dû leur grandeur première et leur prospérité avant l’arrivée des européens»72. 71 72 Obenga (Th) : Op. cit, p90 Vannyn (R) : L’art ancien du métal du bas-Congo, Belgique, 1961, p69 cité par Daho (E) : Op. Cit, p40 109 Par ailleurs, chez les Dogons du Mali, le forgeron jouit d’un pouvoir qui l’assimile aux prêtres, aux magiciens. Il est perçu comme un être doué d’une puissance surnaturelle, comme celui qui, socialement, représente les ancêtres auprès des vivants. Aussi, le range-t-on parmi les personnages «sacro-saints». On dit souvent de lui qu’il est en contact permanent avec les morts et le fait qu’il tire la matière première de son travail du sous-sol (monde des morts) serait l’expression de ce contact73. 5.2. Le tissage Le tissage surtout textile, a perdu son grand essor avec la colonisation qui a introduit le tissu plus élaboré. Les Mbosi ont abandonné le tissage au profit du produit français. L’activité de tissage avait pour but de produire le tissu et les sacs pour homme (Olondo). A partir de la fibre raphia, le tisserand fabriquait le tissu à raphia utilisé pour l'habillement (toujours sous forme de pagne) de l'homme et de la femme. Cette forme de production textile était l'une des activités de noblesse et génératrices de large richesse en pays Mbosi. Son auréole dans la société atteignait quelquefois celui du forgeron : il était bien fréquenté et respecté. 5.3. La sculpture A partir du bois, les sculpteurs fabriquent les mortiers (eboka), les pétrins (epale ou epomba), les pirogues (bouare), les chaises longues (kiti) et les tabourets (ebonga, bedzi), les lits, des masques et statuettes à usage récréatif ou rituel, fétichiste. Ils fabriquent aussi les caissons (Kwephe) de femme et des maîtres d’Otwere. 5.4. La vannerie Produit, à partir de la liane, du rotin, du bois, du bambou et autres plantes herbacées, les nasses, les sommiers de lits, les paniers de pêche, les paniers de transport, les sacs et les gibecières de pêcheurs et de chasseurs, les valises (peyi), les corbeilles. A partir de latte de tige d'une plante herbacée à haute tige et à large feuille unique (lengongo), la femme Mbosi fabrique la natte utilisée pour couvrir le lit ou tout autre couchage ainsi que pour envelopper les morts. Cette activité réservée à la femme, est surtout développée dans les zones de grandes forêts d'Ondinga, d'Olembe et actuellement du village Tsodzo. 5.5. La poterie La poterie est une activité qui n’a pas connu un grand développement en pays Mbosi. Cette activité qui consiste à fabriquer des récipients ménagers à partir de l'argile pétrie et cuite au feu de bois, est essentiellement feminine et est une spécialité du peuple Moye. Elle était surtout pratiquée dans la zone Mbosi Olee (Ilanga la Tse) voisine des Moye. 73 Beaudoin (G) : Les Dogons du Mali, Armand Colin, Paris, 1984, pp204-205 110 5.6. La fabrication de l'huile de palme Pour fabriquer de l'huile de palme, le Mbosi prend des noix fraîches du régime de palmier, qu'il choisit bien mûres. Ces noix sont bouillies dans l'eau pendant près d'une heure, puis on les laisse refroidir. Les noix de palme bouillies sont pilées dans un mortier. On malaxe alors dans de l'eau dans un récipient les noix entre les mains; les fibres écrasées se détachent du fruit, la matière oléagineuse se libère pour former un mélange avec l’eau, l’opération continue jusqu'à ce que les noyaux soient dégarnis de pulpe. Les noyaux et les fibres forment le résidu et sont écartés du mélange. Il reste un magma d’huile au dessus de l’eau qu’on délaie dans une quantité d'eau nécessaire à la préparation74. Cette description correspond à une faible production. Pour les grandes productions, les noix bouillies sont placées dans des grands vases et malaxées avec des pieds ou pincées entre les mains pour laisser couler l’huile. Dans le premier cas, l’opération s’effectue jusqu’à la libération totale de l’huile qui forme un magama jaunâtre au dessus de l’eau. Ce magma est soigneusement séparé de l’eau avec les mains et versé dans un récipient que l’on va chauffer au grand feu. Le liquide chauffé se casse et forme deux parties : l’huile légère qui est recueillie dans un récipient à travers un filtre tandis que la partie lourde et pateuse est conservée pour être destinée à la préparation de certains légumes, viandes et poissons. Les fruits qui étaient restés au fond du récipient avec les fibres sont retirés et sechés au soleil : les fruits sont utilisés pour l’extraction d’amandes et les fibres sont destinés à la préparation des feux. 5.7. La fabrication des boissons 5.7.1. Olengue C'est de la sève fermentée du palmier dit sagoutier. On pratique une entaille dans le pied de la fleur du palmier et on recueille le jus dans une calebasse appliquée à l'entaille. La fermentation a lieu directement dans la calebasse. 5.7.2. Ngwandza Ngwandza ou Onganda est la liqueur de maïs. Il est obtenu à partir d'un mélange de maïs pilé et de manioc, et cuit à haute température puis fermenté. L'alcool est obtenu par distillation. 5.7.2. Mbolo C’est du vin obtenu à partir du palmier à huile qu’on abat. En fait de boisson, la prinicipale que l’on rencontre dans toutes les cases des villages Mbosi voire d’Afrique75, est l’eau. Contrairement à l’eau, ces vins de palme et de maïs que nous venons de présenter ne se consomment pas au repas. En réalité, la nécessité sociale importe plus que la recherche de l’excitation alcoolique. La boisson intervient à tout instant : dans le cadre des civilités et des transactions, au moment des fêtes et des mariages, lors des rituels et des manifestations honorant les ancêtres, des cérémonies d’Otwere. 74 75 Balandier G) : La vie quotidienne au royaume Kongo du XVè au XVIIIè siècle, Hachette, Paris, 1965, p15 Dugast (I) : Monographie de la tribu des Ndiki (Banen du Cameroun), Insitut d’Ethnologie, Paris, 1955, p473 111 Outre, ces usages alimentaires, thérapeutiques et religieux, sociaux et culturels, les autres usages sont économiques : ces vins procurent à certains des revenus. Par cet examen ci-dessus, nous avons tenté de reveler la masse des biens que l’agriculture, la chasse, la pêche et l’industrie artisanale fournissent à l’économie du Mbosi Olee. On note que le Mbosi tire l’essentiel de sa vie économique de la terre, de la forêt et de l’eau. 6. Le commerce Lorsqu’une société possède un cadre organisationnel pour la conduite des échanges économiques, elle dispose alors d'un système commercial interne (centres vers lesquels se font les mouvements des acheteurs et des revendeurs, calendrier des jours de marché, circuits des échanges commerciaux et autres faits conférant aux échanges régularité et prévisibilité). Celui-ci devient externe lorsqu’il met en relation une ethnie donnée avec d’autres groupes sociaux distincts76. 6.1. Echanges intérieurs Des marchés internes sont organisés dans les villages. A chacun des quatre jours de la semaine Mbosi correspond (ent) un ou deux marchés dans une zone. Ainsi, une zone peut compter dans des villages différents, un ou deux marchés les jours d'Odoua, d'Okondzo, d'Okia et de Tsono. C'est ainsi qu'on pouvait rencontrer et fréquenter dans la même zone d'Asoni par exemple, les marchés dont les plus célèbres étaient: -Odoua a Tanda -Okia ba Lesanga -Okia b'Otsini -Okondzo b’Oleme -Okondzo ba Tsa Olongo -Tsono a Mbe -Tsono Ipounou -Tsono Oko. Le marché appelé en Mbosi Iphi ou Ndzande est désigné par le nom du jour où il est organisé suivi du nom du village qui l'abrite. Un marché peut disparaître d'un village pour être organisé le même jour dans un autre village77. 76 Obenga (Th) : Op. Cit, p97 Indépendamment de son importance économique, le marché Mbosi est le lieu privilégié de l’échange social : c’est là que se créent et se tissent les liens inter-villages. Pour les femmes, il est le seul débouché des produits qu’elles créent et dont la vente constitue leur unique revenu. Le marché commence tôt le matin. Mais ce sont les marchands qui déterminent l’heure et ils viennent de loin, bien entendu certains habitent le même village. Avant de partir au marché, la femme doit préparer le repas de la famille et marcher longuement pour être à pied d’œuvre. Les vendeuses viennent de tous les villages environnants. Elles installent leurs produits en petits tas de plusieurs unités. Chaque tas corespond à une unité de prix. L’acheteur choisit parmi les tas offerts et marchande en interchangeant les unités. Avec l’argent de la vente, les femmes par exemple achètent les denrées qui leur manquent ou que le village ne produit pas. Une autre partie du marché est constituée par les marchands ambulants qui sont toujours des hommes. 77 112 Les produits vendus sur ces marchés sont : -produits de l'agriculture: manioc, bananes, igname; -produits de la cueillette: fruits sauvages, ananas, ikami (espèce d'ananas), itophi (espèce de citrouille), igname sauvage, chenilles et champignons; -produits de la pêche et de chasse: poisson fumé, viande fraîche et surtout fumée, plumes d'oiseaux; -produits de l'artisanat: coupe-coupe, hache, houe, harpon, couteau, raphia, instrument de cuisine, bijoux, huile de palme, boisson. Depuis longtemps, le troc78 a cessé de caractériser les échanges commerciaux. Le Mbosi utilisait une monnaie représentée par les cauris avant qu'il découvre la monnaie française introduite par la colonisation. Les produits sur le marché, surtout le manioc qui coule des zones continentales vers les zones inondées et le poisson ou la viande qui coulent des zones inondées vers les zones continentales, ne sont toujours pas vendus au comptant. Ces produits de base ont connu un système de circulation d'un marché à l'autre appelé "Oteeni" (rendez-vous, jour d'échéance du contrat d'échange). Une femme X produit du manioc, l'emballe soigneusement sous forme de fût, l'amène sur le marché de la zone. Une femme Y venue de la même zone ou d'une autre zone, prend le manioc après avoir conclu un prix. Elle le transporte sur un deuxième marché vers la partie inondée du pays. Elle peut le remettre à crédit à une troisième femme Z. Le même produit peut ainsi traverser trois ou quatre marchés. L'argent suivra le sens inverse jusqu'à la productrice. 6.2. Echanges extérieurs Avec les peuples voisins, le Mbosi échange ses produits par le moyen d'intermédiation et de commerçants ambulants. Il exporte vers le pays Mbosi de la rive gauche de l'Alima (ou vers les pays Likouba et Moye), le manioc, l'igname, l'arachide, les nattes, le tissu en raphia, la Kola, le bois rouge pour la fabrication d'ongouele (Kaolin). En revanche, il importe d'eux des produits de poterie, les roches de peinture, le poisson, la viande fumée (du buffle ou de l’éléphant surtout). L’importance du marché et des échanges dans le monde Mbosi sont témoignés par Théophile Obenga en ces termes : «Ceux-ci ont lieu pratiquement tous les jours de la semaine, mais les endroits où ils se font sont fixés à l’avance et ils varient d’un groupe à l’autre au sein de la grande ethnie mbochi. Il se dégage de la sorte des circuits économiques d’ampleur également variable. Mais les produits circulent parfois très loin, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’ethnie mbochi. Il faut aussi rester sensible au dynamisme social dû aux déplacements des hommes et des biens, dans des espaces économiques déterminés »79. Et il poursuit : «Le marché (ipfi, ihi, ihu; ibokho) du village Lessanga chez les Olee (sous-groupe Asoni a Kolo), le jour de okya, était autrefois très célèbre (il existe d’ailleures de nos jours encore). Les Moyi vendaient 78 Nous employons ici le mot «troc», car pour obtenir un objet l’on en donnait un autre. Si, bien souvent l’on échangeait légumes contre ignames, par exemple, au temps passé pour acquérir la chose désirée. 79 Obenga (Th) : Op. Cit, p98 113 aux Olee du poisson, de la céramique (boa), de l’huile. Ils retournaient dans leurs régions marécageuses avec du manioc mbochi. Les Olee désignent par elasi le fait de se rendre à un marché mais en passant la nuit en chemin. Les distances parcourues étaient donc parfois suffisamment longues »80. De son côté Gilles Sautter émerveillé par l’efficacité de ces échanges a écrit : «Traditionnellement, les Moye se procurent un complément de vivres, de manioc surtout par échanges avec (…) les Mbochi de l’arrière pays. (…) On touve des villages (…) comme (…) Lessanga (…), Ongoye, Kana, où se tient un marché, tous les quatre jours : Banga Ngoulou et Mbochi viennent y échanger leur manioc, leurs arachides, leurs ignames contre du poisson ou des poteries»81. Le Mbosi Olee exporte vers le pays Teke (Ngangoulou, Boma, Koukouya) essentiellement du poisson. Il reçoit par les commerçants ambulants Teke, l'arachide et le tabac, le pagne en raphia imprimé. Ces produits sont transportés sur les marchés intra ou extra zones sur tête ou sur dos, au moyen des paniers de transport (Kasa, Otiere). Ce type de commerce est exercé par les femmes et les jeunes. Ce commerce très florissant montre qu’à l'époque précoloniale il existait des surplus agricoles dans la zone Mbosi Olee. En dépit de l’évolution des conditions socio-économiques, ce dynamisme n’a pas disparu de nos jours, bien au contraire, c’est une force intérieure qui existe toujours et constitue à n’en pas douter un apport considérable pour le développement économique du Congo82. Ainsi, ces activités d’agriculture, de chasse, de cueillette, d’élevage, d’artisanat, de commerce sont mises sous la protection d’Otwere qui garantie la libre pratique de ces activités dans le respect des us et coutumes édictées par l’institution. 7. Conclusion Par cet examen qui couvre tout ce chapitre, nous avons tenté de révéler la masse des biens que l’agriculture, la chasse, la pêche et l’industrie artisanale fournissent à l’économie du Mbosi Olee. On note que cette population tire l’essentiel de sa vie économique de la terre, de la forêt et de l’eau. L’homme Mbosi a ainsi su adapter sa vie à son milieu naturel. Cette adaptation se traduit par la conception des techniques très diversifiées d’exploitation du milieu qui offrent à la vie une production très variée, qui, elle-même signale la diversité de l’éco-système. L’activité primaire de l’agriculture, de la pêche et de la chasse ne relève pas des spécialistes : elle est souvent collective. Cependant, on y observe une séparation entre l’homme et la femme qui marque une certaine division du travail entre sexe dans cette société. En revanche, l’industrie artisanale relève de spécialistes respectés et bien fréquentés qui composent la couche des riches. 80 Obenga (Th) : Op. Cit, p98 Sautter (G) : Op. Cit, p265 82 Obenga (Th) : Op. cit, p104 81 114 Le commerce qui a permis la création de plusieurs marchés est souvent intérieur même s’il permet des échanges assez remarquables entre les zones et entre le peuple Mbosi et les voisins. Les relations commerciales étaient également entretenues avec des éléments dynamiques d’autres sous-groupes voire d’autres ethnies (par exemple, les Teke, les Moye, les Likouba). Il convient de remarquer que beaucoup d’opérations économiques que nous venons de décrire n’ont pas encore été effacées par la pénétration coloniale. Ces formes de production conditionnent encore dans une large mesure la vie des paysans Mbosi, retiennent toujours leur intelligence et caractérisent leur pensée : rapports de l’homme à la terre ancestrale, les techniques agricoles traditionnelles, les divers produits des artisans. Cependant, à cette étude sur la société Mbosi Olee, telle qu’on s’est efforcé de la décrire dans sa complexité physique, parentale et familiale, économique et politique, le regard censé sur des faits culturels Mbosi, peut être aussi l’un des produits de l’histoire sociale Mbosi. 115 CHAPITRE IV : VIE CULTURELLE Dans les chapitres précédents, nous avons présenté le Mbosi Olee et son milieu, son organisation sociale et politique, ses activités économiques. Dans ce présent chapitre, nous examinerons tour à tour la langue, la littérature, la mesure du temps, la croyance, la musique et les danses qui constituent des éléments caractéristiques de la vie culturelle des Mbosi. 1. La langue Avec Jacques Maquet83 dans son ouvrage intitulé: Afrique. Les civilisations noires, nous retiendrons que la langue est une partie de toute culture. Elle est transmise peu à peu à l’enfant dès son plus jeune âge, elle fournit les catégories à travers lesquelles le monde est perçu, elle est le véhicule d’enseignement qui permet d’apprendre autrement que par l’exemple. La langue est ici le point de départ, nécessaire, dans l’identification de l’ethnie. Elle est toujours considérée comme le véhicule et le moyen privilegié par lequel s’exprime la culture. Elle est le paramètre le plus important pour déterminer une aire culturelle ou la spécificité d’une culture. Elle constitue un système qui évolue selon ses propres lois de développement. Pour cette raison, elle est étudiée par une discipline très spécialisée. Cette situation propre aux phénomènes linguistiques explique que nous en traitions. L’Embosi est la langue des Mbosi habitant la partie nord du Congo-Brazzaville. C’est un des dialectes vernaculaires les plus parlés, les plus riches et les plus prestigieux du pays. L’étendue du territoire concerné par cette langue couvre en gros les Départements administratifs de la Cuvette et des Plateaux. A l’intérieur de cette zone, on a les variètés ciaprès de l’embosi : -Ambosi b’Olee -Ambosi b’Ondinga -Ambosi a Mbonzi -Ambosi a Ngae -Ambosi a Nguilima -Ambosi Eboyi -Ambosi b’Obaa -Ambosi a Ngolo (renferme actuellement les sous-groupes Mbosi ci-après: Okouele, Tsambitso et Tongo). Les différences entre les diverses variétés d’embosi sont essentiellement phonétiques. Cela nous amenera à parler de variantes d’une langue Mbosi, dont la varièté standard serait embosi et qui donne son nom à tout le groupe. L’intercompréhension suivant les locuteurs des différentes variètés ne pose aucun problème sérieux. Selon les locuteurs Ambosi eux-mêmes, il ne s’agit pas de variètés linguistiques différentes; mais plutôt de populations qui se distinguent surtout par la terre qu’elles habitent ou par le trait culturel (exemple la danse de…). 83 Maquet (J): Afrique. Les civilisations noires, Horizons de France, Paris, 1962, p25 116 Toutefois, l’intonation peut permettre à son locuteur averti (Mbosi) de se rendre compte que son interlocuteur est Mbosi de telle zone. Les Ambosi a Ngae et les Ambosi a Mbonzi par exemple ont la même intonation. Cependant, le travail du linguiste est rendu ardu du simple fait que la langue Mbosi n’est pas codifiée par des documents écrits à l’exception du catéchisme écrit par les premiers prêtres catholiques vers 190784. Depuis l’an 2000, un regain pour l’écriture du Mbosi s’est manifesté avec la CISL qui a publié beaucoup de documents écrits particulièrement le Dictionnaire Mbosi-Français85. Comme les autres langues africaines, l’Embosi subit depuis la pénétration coloniale l’agression des langues occidentales, le français surtout. Cependant grâce à sa profonde parenté avec d’autres langues ou dialectes bantu, il résiste bien à cette agression. Il constitue le solide support et le véhicule de la riche culture Mbosi. Il participe à la formation et à l’enrichissement du lingala, première langue nationale du Congo. L’écriture du Mbosi devrait impliquer des accents allant du plus tonique au plus grave. Grâce à cette diversité d’accents, l’Embosi est une langue claire qui prédispose son praticien à l’apprentissage des langues modernes. 2. La littérature orale Pour Alain Ricard, la littérature orale «c’est d’abord une langue à traduire, c’est ensuite un autre moyen de communication à restituer»86. Chez les Mbosi Olee, la grande partie de la production littéraire reste cependant orale. Cette littérature comprend plusieurs genres: la chanson, la devise, les proverbes, le conte87. Ces genres oraux donnent à l’institution Otwere une certaine morphologie et épaississent généralement le corpus des sujets ou d’inombrables problèmes qu’Otwere se propose de régler ou de traiter. Aussi bien à travers la chanson, le proverbe, le conte ou la devise, le Twere véhicule au-delà du pathétique, du merveilleux et du culturel, des usages relatifs à la situation à régler, à l’affaire à traiter. Ce sont donc des moyens de communication qui participent de la culture d’Otwere. 2.1. La chanson (Ondzembe, pl. Indzembe) Le Petit Larousse Grand format définit la chanson comme «une composition musicale divisée en couplets et destinée à être chantée»88. La chanson Mbosi est un mode dynamique de l'expression populaire et érudite. Elle permet l'expression des sentiments, l'évocation des anciens et des présents, la critique et la valorisation des comportements, l'invocation des mânes et des esprits. Chez les Mbosi Olee, la chanson est appelée Ondzembe (pl. Indzembe). Elle n'est pas l'oeuvre du seul artiste, chanteur ou griot. Elle est aussi l'oeuvre de toute la population qui 84 R.P. Prat : Op. Cit Dictionnaire Mbosi-Français, CISL-Congo, Brazzaville, 1ère édition, 2000, 299p 86 Ricard (A): Littératures d’Afrique noire : des langues au livre, Karthala, Paris, 1995, p41 87 Obenga (Th) : La littérature traditionnelle des Mbochis. Etsee le yamba, Collection Paroles et Traditions, Présence africaine/ACCT, Paris, 1984, 325p 88 Le Petit Larousse Grand format, Larousse, Paris, 2004, p198 85 117 chante pour pleurer et se plaindre, pour danser et plaire, pour consoler et se consoler, pour louer et encourager, pour haïr et défier, pour meubler les contes et agrémenter les proverbes. Lorsqu’elle est chantée par une personne en solitaire ou dans un orchestre de danse, elle est dite Ondzembe. Quand elle est entonnée par un penseur et chantée en coeur, elle est dite Etitii. Les chants, auxquels participent souvent les Ndzembe (chanteur-griot), marquent de nombreuses circonstances de l’existence (naissance, veillée mortuaire, mariage, chasse, manifestation, etc). Les chansons comportent généralement un aspect moral ou didactique marqué. L’art Mbosi Olee est effet, un «art engagé, un art militant». Il contribue à sa manière à forger le type d’homme ayant une imposante prestance soutenue en profondeur par de réelles vertus morales et une large sociabilité. C’est cela que veut la conscience collective et c’est au service de cet idéal que l’artiste met son talent. C’est dans cet esprit que s’illustre également l’emploi des proverbes. 2.2. Les proverbes (Ikoongo, pl. Ekoongo, sing) Dans L’Encyclopaedia Universalis89, nous retiendrons que les proverbes constituent le genre le plus paradoxal de la littérature orale. L’un des plus anciens, sans doute, mais aussi celui qui a le mieux résisté à l’érosion du temps. Difficile à cerner, investi comme il est, en amont, par les dictons, les lieux communs, les «expressions proverbiales» et les locutions populaires et, en aval, par les adages, les sentences, les maximes et les jeux de société de la culture savante, le proverbe populaire reste malgré tout reconnaissable. Sa brièveté, les images sidérantes qu’il impose, ses inventions stylistiques (métaphores, périphrases, antithèses, rapprochements imprévus, jeux de mots, rimes, assonnances, etc) l’impriment dans la mémoire. A la fois évidente et énigmatique, c’est une œuvre d’art en miniature qui fait les délices du peuple et l’admiration des créateurs. Chez les Mbosi Olee, les proverbes sont appelés Ikoongo (sing. Ekoongo). Ils constituent un moyen didactique pour mettre en garde et prevenir, promettre et annoncer, inviter à la sagesse et à l'action, conseiller. Ils sont surtout produits et utilisés par les A nga ayele (les instruits, les intelligents), les Twere (juges), les Ndzembe (chanteur-griots) et autres sages. Le proverbe peut être utilisé dans le langage direct ou chanté. Exemples de proverbes Mbosi Proverbes 1 En Mbosi : Bembe bembe a kweya ndeyi ya mba ngwe En français: Le faible doux et intelligent entre facilement au domicile de la panthère (considérée comme l’animal le plus féroce). 89 Encyclopaedia Universalis Corpus 19, Paris, 1996, pp152-153 118 Leçons : -La douceur et l’intelligence permettent de vaincre l’ennemi le plus redoutable. -Qui demande avec douceur et intelligence, arrache ce que le donateur a de plus cher. Proverbes 2 : En Mbosi : Ibe la ngoo izema si la panda gnoua la ngoua En français: Quelque galeuse que peut être la mamelle de sa mère, l’enfant tête. Leçons : -Ce qu’offre sa mère (parent) est nourrissant et plus légitime que ce qu’on reçoit de la mère d’autrui (d’un autre). -Quelque pauvre que soit son domicile, il faut l’habiter. -Vouloir vivre au-delà de ce qu’on produit soi-même, conduit aux inconvénients imprévisibles. Proverbes 3 : En Mbosi : Bouande b’ombiya obourou osimba ko En français: Il ne faut pas compter sur le produit du barrage (pêche par nasse) d’un autre pour promettre faire manger son étranger (hôte), pour faire attendre un passant affamé. Leçons : -Ne jamais compter exclusivement sur les dons pour bâtir un projet. -On ne s’engage pas dans une affaire en comptant sur les forces des amis. -Il faut bâtir le chez soi pour se dire digne et fier de vivre. 2.3. Le conte (Esima, pl. Isima, sing) Selon Hélène Sabbah90, on désigne par contes des récits courts, en vers ou en prose, narrrant des histoires divertissantes dont la vocation est de transmettre une réflexion morale ou sociale. Qu’ils soient merveilleux, philosophiques ou fantastiques, les contes présentent des caractéristiques communes. Essentiellement oral à son origine, le conte est un genre littéraire qui est passé de la tradition populaire à la littérature. Il existait dans l’antiquité gréco-latine, en orient et en Afrique noire, avec une double vocation : divertir et instruire. Chez les Mbosi Olee, le conte est appelé Esima (pl. Isima). C’est un genre assez developpé dans la littérature traditionnelle Mbosi Olee. Toujours narré la nuit, il met en scène tantôt des hommes, tantôt des animaux plus ou moins personnifiés qui vivent dans un monde empreint de merveilleux. Les animaux sont catalogués en bons et méchants, en intelligents, en malins et en idiots. Par exemple, la panthère qui dans les contes Mbosi Olee est prise comme la reine des animaux est aussi presentée comme la plus féroce mais aussi la plus crédule et la plus trompée. Le lièvre et la tortue en revanche, sont presentés comme les plus intelligents, les plus malins, qui échappent toujours à des coups et qui réalisent les scènes contre les grandes bêtes. Le bouc ou la chèvre est l'animal le plus faible et le plus idiot. 90 Sabbah (H) : Le français méthodique au Lycée, Hatier, Paris, 2004, pp270-271 119 Le conte utilise des thèmes universels, quelquefois des thèmes qu'on ne retrouve qu’en Afrique ou étroitement localisés, liés à telle ou telle région. Autour d'un feu de bois ou bien au clair de lune, le conte est l'oeuvre de la société qui se transmet de génération en génération. Il rassemble surtout les enfants autour des aînés, femmes ou hommes. Exemple de conte Mbosi Pourquoi la panthère est devenue ennemie du chien91 La panthère et le chien étaient des amis très chers l’une pour l’autre. Ils se vouaient sans limite amour, foi et confiance. Un jour, la panthère met bas cinq petits. Pour les nourrir, elle promet ne pas leur donner ni fruit, ni légume, plutôt la chair d’autres animaux. Elle devait donc, tous les jours, aller à la chasse, tuer tout animal, petit ou grand et ramener la chair à la maison pour la nourriture de ses petits. Elle décide, pour leur sécurité, de confier la garde de ses petits à son ami supposé sincère, le chien qui devait les recevoir à son domicile. Pour convaincre sa chère amie, l’hôte vante la chaleur que son domicile devrait offrir aux enfants. Marché et contrat conclus entre amis, la panthère vint le soir déposer ses petits au domicile du chien mais exige de les trouver chaque jour en bonne santé et bien nourris. Le lendemain, au très petit matin, la panthère partit pour la chasse et ne revint chez elle que le soir à la tombée de la nuit, chargée de gibiers. Après avoir dépecé ses produits, elle va rendre visite à son ami, le chien, et à ses enfants. Celui-ci, dès qu’il vit sa chère amie arrivée avec un gros panier de viande, saute de joie et lui annonce : -chère grande sœur et amie, j’ai une très bonne nouvelle pour toi. Je t’annonce, comment tu me vois maintenant ? -Oui tu as accouché comme moi -Oui j’ai mis bas quatre jolis chiots que je vais élever comme les petites panthères. Je compte sur toi, n’est-ce pas pour les nourrir ? -Compte sur moi. Tous les jours, ils auront de la viande. Mais je t’apporterai deux paquets: un de chair pour mes enfants et l’autre des os pour tes petits. Entendu. -Bien compris grande sœur. Ta volonté est, pour moi inviolable. La panthère demande à voir les enfants et à les faire téter. Le chien les lui amène par pair d’abord, puis le dernier. Remplie de joie, la panthère repartit chez elle pour passer une nuit pleine. Le matin, elle reprend le chemin de la haute forêt pour la chasse. A la nouvelle que le chien venait de mettre bas après la panthère, le lièvre vint le saluer et le couvrir d’éloges et de compliments : -que le ciel te remercie et te protège pour avoir donné au monde des animaux, des nouveaux guerriers. Je t’annonce que la panthère, notre maîtresse, a, elle aussi, mis bas un grand nombre de petites reines. -oui mon cher ami lièvre. Tu sais bien que la panthère est mon amie et que je suis son confident. C’est moi qu’elle a choisi pour donner ses enfants à garder afin qu’elle se livre à la chasse sans penser à leur insécurité. -ha oui. Je sais aussi que, pour nourrir ses petits, elle va dépeupler toute la forêt du monde des animaux. Reparti chez lui, le lièvre ne dort pas: il réfléchit toute la nuit pour trouver l’argument 91 Ce conte nous a été envoyé par François Kiba, un ancien inspecteur d’Etat, domicilié au centre-ville de Brazzaville, le 13/09/2004. 120 à convaincre le chien afin d’obtenir les petits de la panthère et se venger de la grande fauve. Le matin après, il se présente au domicile du chien avec la mine d’un mourant. Son état étonne le chien qui se fond dans une grande pitié de son ami. -que t’arrive- t-il ? Cher ami, tel que tu vois, je suis près de la mort. Tous les charlatans que j’ai fait venir me disent qu’il n’y plus rien à faire pour me sauver si je ne mange pas la chair d’une panthère. J’ai pensé qu’il ne reste que toi pour me sauver d’une mort très proche. Tu dois me céder un des petits de ton amie que tu as à ta garde. Le chien sursaute d’étonnement et de peur : -tu es stupide mon ami. Je dois quoi…? Tu veux que la panthère me dévore et même dévore toute la descendance? -chien, tu sais que je suis ton meilleur ami ; tu sais que je ne t’ai jamais voulu de mal ; que je ne peux rien te refuser tout le temps que ta vie était en danger. La panthère, même si tu ne touches à un poil de ses enfants, elle finira par te dévorer quand un jour elle ne ramène aucun gibier de sa chasse. Au lieu de gardien nourricier, tu deviendras la nourriture de ses petits. D’ailleurs, elle ne pourra jamais se rendre compte de notre contrat. Sauve-moi d’une mort injuste et précoce. -comment ferai-je pour qu’elle ne se rende pas compte de la disparition d’un de ses enfants? Elle qui doit les voir chaque soir, les faits téter tous avant de rentrer chez elle. -oui! Mais combien sont-ils? -ils sont cinq -désormais quand elle arrive, tu ne lui présentes qu’un petit à tour de rôle de façon qu’au cinquième tour, tu lui ramènes le premier présenté. Si le petit refuse de téter, tu fais entendre qu’il est capricieux, qu’il avait tété tes mamelles avec tes petits. La récitation enregistrée, le crédule chien livre un petit de la panthère au lièvre qui, à deux pas du domicile du chien reprit ses galops et promet un véritable festin avec sa famille et ses amis. Le soir quand arriva la panthère au domicile du chien, tout se passe comme avait prescrit le malin lièvre. Alors pour ne plus vivre cette jalousie, j’ai décidé de les présenter un à un et chacun son rôle seul. Elle repartit sans savoir que l’un de ses enfants était dans les marmites du lièvre. Toutefois, elle demande pourquoi son ami lui présente aujourd’hui les enfants un à un au lieu de lui amener deux à deux comme hier. Le chien lui dit : -grande sœur, hier le dernier enfant s’était piqué d’une crise de jalousie parce qu’il est tété seul. Alors pour ne plus vivre cette jalousie, j’ai décidé de les présenter un à un et chacun à son rôle seul. Il n’en fallait pas plus pour convaincre l’idiote panthère. Les choses ne s’étaient arrêtées là. Régulièrement, le lièvre se présentait au domicile du chien pour lui demander la livraison d’un autre petit de la panthère. Il ne tarissait pas d’arguments touchant gravement sa vie ou celle d’un de ces propres enfants. Ainsi, il va réussir à se faire livrer, après le premier, le deuxième, le troisième petits de la panthère sans que celle-ci s’aperçoive de leur sort. Quand vint le lièvre au domicile du chien pour prendre le quatrième enfant de la panthère, il trouve le chien dans une attitude très agressive. Dès sa vue, le chien saute sur le malin criminel, mais n’arrive pas à l’étouffer. Le lièvre, sûr de ses multiples tours d’intelligence, amuse son hôte; puis finit par le menacer : -si tu me refuses le petit de la panthère, je cours tout de suite lui signaler ta trahison. Ainsi, toi et tes descendants seront dévorés d’une seule bouchée. En revanche, si tu continues d’exécuter ma volonté et m’aider à guérir de mon grave mal, je vais tout de suite te fournir les 121 moyens de te sauver des dents de la panthère. Le chien prit une autre peur et s’adoucit : -quels moyens me proposes-tu ? -d’abord, tu dois mettre tes propres petits loin d’ici. Il suffit de prendre le sentier que tu rencontres à quelques distances d’ici. Ce sentier te conduit vers le village des hommes qui n’est pas si loin d’ici. Tu n’ignores pas l’amitié que les hommes ont pour toi et pour les tiens. Tu laisses tes petits derrière une case; un homme, les apercevant, va les accueillir et les nourrir gracieusement. Toi, tu ne te feras pas encore voir et tu viendras monter la garde du seul enfant de la panthère qui va rester aujourd’hui. Quand la mère panthère arrive ce soir, tu lui présentes cinq fois le même petit. Lorsque le petit, au 2è, 3è, 4è ou 5è tour n’arrive plus à téter les seins de sa mère, tu dis que ces quatre faux petits ont déjà tété tes mamelles alors que le premier dormait. C’est pourquoi le premier a bien tété ses seins et les autres, bien rassasier de ton lait ne peuvent plus téter. Le crédule chien se laisse encore prendre par l’intelligence du lièvre et lui laisse emporter le quatrième enfant de la panthère. Après quoi, il ramasse ses petits et va les laisser derrière les cases des hommes qui les ramassent quelques instants après. Le soir, la panthère est reçue par l’astuce et reçoit, sans se rendre compte, cinq fois le seul petit qui lui reste pour la journée. Elle s’extasie de les voir bien nourris et qui grandissent à merveille. Un seul instant, elle ne peut penser au cruel tour que ses amis lui jouent. Le matin d’après, le lièvre décide qu’il ne faut plus laisser un jour de plus au dernier petit de la panthère. Très tôt, il vint au domicile du chien et lui dit : -tu m’as sauvé d’une mort qui paraissait déjà imminente. Tu es donc désormais mon meilleur ami. Mais pour que mon mal ne revienne plus jamais, il faut offrir une redevance à mes guérisseurs. Ils m’exigent la même chair de la panthère. Tu ne peux plus hésiter de me remettre le dernier enfant de la panthère, ennemie de la race animale. En outre, il ne faut plus rester ici. -comment faire? Interroge le chien agacé -ce soir, avant que la panthère arrive et quand j’aurai fini la fête avec ma famille et nos charlatans, je te reviendrai ici. Tu vois la touffe qui est devant ton gîte, je me tiendrai-là. Quand arrive la panthère, tu fais un semblant tour vers l’extérieur de ta case comme pour lui ramener ses petits. Ce serait le moment où je vais paraître. Elle ne m’aime pas. Elle va se mettre dans une course pour me prendre et espérer faire manger ma chair par ses enfants. Pendant ce duel auquel je l’invite, tu quittes ta maison et finiras par rejoindre tes enfants au village des hommes qui t’attendent depuis hier. Quant à moi, j’ai assez de jambes pour ne pas me faire prendre par le tueur sans moral. Tu sais bien que, rarement il a mangé la chair des gens de ma race. D’ailleurs, je t’annonce que, depuis deux jours, j’ai installé ma résidence au fond d’une grande et vaste construction de lianes à piquants qu’aucun prédateur de la taille de la panthère ne peut pénétrer. Alléché par l’intelligence de son ami, le chien lui livre le dernier petit de la panthère. Le lièvre court vite à son domicile faire sa fête avec la chair du dernier descendant de la panthère, méchante reine des animaux. Après sa fête et avant d’aller l’attendre au domicile du chien, le comédien lièvre, court attendre la panthère sur le chemin que la grande féroce a l’habitude de prendre pour revenir de sa chasse. Le hasard fait qu’il ne perde pas de temps avant de rencontrer l’infortunée panthère. Dès qu’il l’a perçu, lui qui était blotti dans les contreforts d’un grand arbre, bondit comme pour provoquer le félin dans un duel. Celui-ci, 122 qui, ce jour-là et comme un présage de son malheur, ne ramène aucun gibier, crut à la dernière chance. Il ramasse tout son poids pour se jeter sur celui qu’il croyait être déjà sa proie. Le malin lièvre répond par une esquive insolente en se mettant hors de l’adversaire sans intelligence. Il la toise avec mépris. Il s’en suit une course effrénée en si peu de temps, le fauve perd le chemin du lièvre. L’intrépide malin court alors attendre son adversaire au lieu du crime qu’il lui a commis. La panthère, fatiguée et sans chair à amener à ses pauvres enfants, arrive avec sa queue entre les jambes au domicile du traître chien. Tout va se passer suivant le plan du lièvre. Dès que le chien aperçoit la panthère, il saute vers son amie et s’étonne : -que t’arrive t-il, grande sœur? Tu n’est jamais si fatiguée et tu n’amènes rien pour les enfants? Sans répondre à son interlocuteur, la panthère demande seulement à voir les enfants. -Ils dorment et sont fatigués pour n’avoir pas bien mangé. Je vais tout faire pour les réveiller tu attends. Le chien avait, à peine, tournée le dos à la panthère quand surgit le lièvre. Le fauve se rappelant l’affront de tout à l’heure, jure de ne plus laisser échapper ce petit provocateur. Il bondit de toutes ses dernières énergies. Le lièvre le tire vers le lieu de leur récente rencontre, fait faire à la panthère plus de trois tours du grand arbre aux contreforts. La panthère culbute et tombe au moment où elle se croyait sur la bête amusante. Le lièvre traverse les contreforts et va attendre la méchante reine de l’autre côté de ceux-ci. D’un bond, la panthère passe par-dessus cet édifice. Le lièvre l’esquive comme il a l’habitude. Il se place pas loin du prédateur et lui faire une déclaration moqueuse : -je comprends et suis désormais convaincu que tu es le grand tyran de la forêt, le plus grand féroce et le plus méchant de notre monde. Alors que je viens vers toi pour t’annoncer un malheur qu’aucun autre que toi ait jamais connu et compatir avec toi, voilà que tu te décides de me donner la mort. Tu ignores que le chien a donné tes enfants à manger à ses petits et ses amis. Va t-en. Tu seras à jamais maudit, tu n’auras plus jamais un ami parmi les animaux. La panthère qui a faim et qui tient à amener une chair à ses enfants n’entend pas la méchante déclaration. Elle bondit de plus bel derrière le lièvre. Cette fois, le malin court vite et glisse dans sa résidence de lianes impénétrables. Confuse, la panthère doit retourner au domicile du chien. Elle ne trouve ni le propriétaire des lieux, ni ses enfants. Elle réalise alors la déclaration du lièvre. Elle se met à chercher le traître chien. Tout de suite, celui-ci qui le sent à quelques mètres se met à aboyer: «Ouo ouo ouo». La panthère se jette à sa poursuite. Peu à près, le chien entre dans le village des hommes étonnés. Tout le village est alerté. Dès que la panthère a tenté de pénétrer le village, des hommes, armés de sagaies se sont mis à la poursuivre. Pour ne pas mourir et devenir la nourriture des villageois, elle a regagné la forêt, mais promet que toutes les nuits, elle et toute sa descendance, reviendront contourner les villages des hommes à la recherche du chien et de ses descendants. C’est depuis cette trahison que la panthère est devenue l’ennemie du chien et que celui-ci a quitté la forêt pour se réfugier dans le village des hommes. 123 Leçons Les Mbosi tirent de ce conte des leçons aussi variées que diverses. On peut retenir les leçons suivantes : 1)-Sur la traîtrise du chien -Quand l’amour ou l’amitié est trahie, naît la haine la plus meurtrière et sans fin. -Il n’y a pire ennemi qu’un ami qui trahit. 2)-Sur la tyrannie de la panthère -Le crime que le tyran commet par sa force dans les milieux des faibles, il le reçoit plus meurtrier de la part du faible intelligent. -Quand la force devient tyrannique, elle crée l’intelligence des faibles. 3)-Sur le jeu du lièvre L’amitié d’un intelligent cache des intérêts dont le meurtre fait partie. Nous venons de présenter les quelques genres de la littéraure orale des Mbosi Olee qui constituent la mémoire collective de tout un groupe. C’est une littérature de loin la plus ancienne, la plus complète et la plus importante. Ancienne car pratiquée depuis des siècles et transmise de génération en génération. Complète car cette littérature aborde tous les sujets: mythes cosmogoniques, romans d’aventures, chants rituels, poèsie épique, funèbre, guerrière, contes, fables, proverbes et devinettes. Importante par son abondance, son étendue et son incidence sur la vie de l’homme Mbosi. En effet, cette littérature n’a jamais cessé, même pendant la colonisation, d’animer les cours de chefferies, comme les veillées villageoises. Quant à sa portée sur le public Mbosi, il faut savoir, pour en juger, que cette littérature orale charrie non seulement les trésors des mythes et les exhubérances de l’imagination populaire, mais véhicule l’histoire, les généalogies, les traditions familiales, les formules du droit coutumier, aussi bien que le rituel religieux et les règles de la morale. Bien plus que la littérature écrite, elle s’insère dans la société africaine, participe à toutes ses activités. Cellesci sont scandées par une appréhension du temps originale à cette population. 3. La mesure du temps Dans la société traditionnelle africaine, le temps est le cadre dans lequel l’homme fait entrer les actes de sa vie. En effet, la vie de tout Africain comporte des séquences, des étapes aussi importantes les unes que les autres. L’étude de la division du temps et du calendrier est importante pour les sociétés traditionnelles africaines afin de comprendre les mécanismes de leur fonctionnement. A ce sujet, l’étude de référence est celle de Georges Niangoran Bouah92 menée sur les peuples lagunaires de Côte-d’Ivoire. Au Congo-Brazzaville, Théophile Obenga93 a tracé la voie à une telle étude sur le peuple Mbosi. Les Mbosi Olee ont leur représentation du temps en étroite liaison avec leurs croyances et leurs connaissances de l'univers. 92 Niangoran Bouah (G): La division du temps et le calendrier rituel des peuples lagunaires de Côte-d’Ivoire, Institut d’ethnologie, Paris, 1964, 164p 93 Obenga (Th): Op. cit, pp97-98 124 Pour eux, les mondes physiques et métaphysiques sont intimement imbriqués et interagissent l'un sur l'autre. Ils divisent leur temps en: Ebou, Souengue, Loona et Okoo. 3.1. Ebou Ebou (pl. Ibou) c'est l'année. Ebou va du début d'une saison des pluies à la fin de la saison sèche suivante. Il commence le premier jour de la saison des pluies et est divisé en souengue. 3.2. Souengue Souengue c'est le mois. Ce terme désigne également la lune. Il correspond à l’espace de temps qui s’écoule entre deux lunes. Le premier jour du mois commence le soir où on aperçoit pour la première fois le croissant de la nouvelle lune et le dernier jour intervient le soir où se répète le même phénomène astrologique. 3.3. Loona Loona c'est la semaine. Elle comprend non pas sept jours, mais quatre jours : Odoua, Okondzo, Okia et Tsono. Odoua : c'est le premier jour de la semaine. Il correspond au repos des esprits. Il correspond aussi à une faible activité de pêche et de chasse parce que les esprits et les mânes qui doivent les accompagner sont au repos. Aussi est-il déconseillé ce jour là, d'entreprendre des activités spirituelles, fétichistes. Okondzo : c'est le deuxième jour de la «semaine». Il est perçu comme un jour de chance dans les activités économiques. Toutes les activités aux plans spirituel, fétichiste et matériel sont conseillées car Okondzo est un jour d'intense vitalité des esprits et des mânes reveillés du repos d'Odoua. Okia : troisième jour de la «semaine», Okia est, comme Okondzo, le jour de grandes activités économiques et de grande vitalité des esprits et des mânes. Okia est le jour des rencontres commerciales, sportives et culturelles. C'est le jour des conseils au plan politique, judiciaire. Tsono : quatrième et dernier jour de la «semaine», est le jour sacré. Il est réservé au culte des ancêtres, aux séances de revitalisation des gris-gris de protection individuelle ou collective. Les esprits et les mânes ont, ce jour, une activité fébrile et très intense. Tsono est aussi férié; jour de repos pour les vivants. Les travaux des champs ou toute activité individuelle en forêt sont déconseillés, interdits. Seules les activités collectives de pêche ou de chasse peuvent être pratiquées. Tsono est le jour de clôture des rencontres sportives et culturelles. Cette quatraine Mbosi continue, moins que par le passé certes, à rythmer la vie dans sa globalité aux plans économique, spirituel, commercial et culturel. Elle a permis, par exemple, de faire fonctionner des marchés rotatifs dans les différentes contrées Mbosi. 125 3.4. Okoo Okoo (pl. Ikoo) ou Bousa : C'est le jour divisé en période: Oyele (matin), Bousa Ndzou (midi ou milieu de la journée), Ekoo (l'après-midi) et Kouele (nuit). Cette répartition du temps est établie pour une corrélation entre l'activité économique, culturelle et spirituelle de la société ou de l'homme. Elle est le fait de l'observation du temps dans son évolution et du comportement de la nature. 4. Religion et croyance 4.1. Religion Comme le souligne Alphonse Pierre Van Eetvelde94, la religion est une composante essentielle de l’existence humaine. Elle intégre en profondeur l’existence des populations. L’homme noir a lui aussi conscience que la religion est une dimension de son existence. Les religions africaines traditionnelles sont multiples et complexes. Chaque groupe ethnique possède ses propres croyances et pratiques religieuses, avec même quelques différences, parfois, selon les villages. Ces religions ne sont jamais le fruit d’élaborations conceptuelles systématiques. Elles résultent, dans les modalités des croyances et des pratiques, d’une expérience collective longue et touchant aux sources et racines des communautés : elles sont liées tant aux mythes d’origine qu’aux structures socio-culturelles et aux modes de vie. La population traditionnelle Mbosi Olee est une population animiste. Elle place l’esprit dans plusieurs corps et phénomènes divins. Elle croit aux divinités sous plusieurs représentations. 4.1.1. Dieu Depuis que le Mbosi l’a découvert et accepté son existence, il ne lui donne la forme humaine ou animale. Son domaine est toujours le ciel et la terre. Le vrai terme Mbosi pour désigner Dieu est Zakamba ou Ngandzoli. En revanche, le nom Zambe, c'est-à-dire Dieu, est une appellation moderne issue du lingala. La notion de Dieu unique (Zambe) est moderne et paraît comme une importation. La religion monothéiste quant à elle est une importation de l’époque coloniale. Les Mbosi n'ont en effet connu les religions catholique, protestante et autres qu'à travers les colonisateurs et missionnaires. Au départ, elles lui ont été imposées comme mode de vie et de civilisation. Les premiers chrétiens ont été attrapés et baptisés de force. 4.1.2. Ikwe (les ancêtres morts ou esprits) Avec Alphone Pierre Van Eetvelde95, on découvre que dans toutes les sociétés, avec beaucoup de variantes selon celles-ci, que la croyance crée un nombre parfois élevé d’êtres invisibles, imperceptibles aux sens, doués d’intelligence et de puissance illimitées. Leurs 94 Van Eetvelde (A. P) : L’homme et sa vision du monde dans la société traditionnnelle négro-africaine, Academia Bruylant, Louvain-la-Neuve, 1998, pp211-213 95 Van Eetvelde (A. P) : Op. cit, pp216-219 126 caractéristiques, attributs, pouvoirs, sont très différents, car ils se manifestent par des aspects multiples à la vie des hommes dans leurs sociétés. Ces invisibles sont, en des endroits, soit supra-terrestres, soit rattachés à la nature visible. Le Mbosi traditionnel croit aux Ikwe : l’ensemble de tous les morts devenus invisibles. En fait, ils sont aussi des esprits. Leur statut particulier se situe à la limite du monde humain et du monde de l’au-delà. Ils sont certes au-dessus de l’homme, mais ils sont inférieurs aux autres dieux. C’est avec eux que l’homme traite régulièrement par ses incantations et ses prières. Ils bénéficient d’un culte élaboré et soigné. Ils ont encore besoin des services de l’homme qui doit pourvoir à leurs besoins de nourriture et d’habillement. Cela suffit pour expliquer les «offrandes» qui jonchent les cimetières africains. Grâce aux nganga (les féticheurs); l’homme connaît ses besoins et le moyen d’y porter remède. Mais ces esprits sont parfois utilisés par les mauvais divins pour nuire aux autres. Ils se répartissent à leur tour en deux sous-groupes. Les errants sont les esprits rôdeurs nommés Ikale (sing. Okale). Il s’agit des esprits mauvais ou en quête d’asile. Ce sont les esprits des morts contre lesquels la communauté des ikwe a retenu quelques griefs. Certains sont accueillis après un temps plus ou moins long, tandis que d’autres sont rejetés pour toujours. Ce sont ces esprits mauvais qui guident l’action des sorciers. Ces hommes se cachent dans ces esprits pour accomplir leurs activités maléfiques. Mais les ikwe sont aussi les bons esprits, c’est-à-dire les anciens qui occupent l’étage de vie entre les dieux et les humains. Les ikwe sont invisibles mais possèdent une forte possibilité d’incarnation. Ainsi, surtout les Ikale, ils apparaissent aux hommes de manière physique au détour des pistes ; derrière les cases du village ou au pied des gros arbres. Ils se trouvent ainsi dans le même écosystème que le vivant96. Du monde des ikwe, s’en détache un à qui les Mbosi doivent le mal et le bien : c’est Nganzoli. Les Mbosi le désignent comme auteur de leur malheur et de leur bonheur. Les expressions Mbosi comme : «Ipehe etso la nganzoli» c’est-à-dire je remets tout à Nganzoli ; «Wa nganzoli a koulou nga te» c’est-à-dire si Nganzoli me laisse la vie, justifient cette conviction. Par les ancêtres Mbosi, Nganzoli était considéré comme auteur de la vie. C’est l’okwe le plus grand, omniprésent, qui veille sur l’homme et punit ses fautes. Cette présence ambivalente s’explique sans doute par une sorte d’auto-termination de l’homme et en partie par le fait que les humains n’aiment pas s’imaginer dans un cadre entièrement différent de celui qu’ils occuperont eux-mêmes après la mort. Comme on le voit, quels que soient leur lieu d’apparition, il semble que le lieu de vie des esprits soit constitué des endroits où ils menaient leur existence humaine. Ce serait un long et passionnant travail à faire que de dégager la variante congolaise (Mbosi) de la croyance religieuse. A défaut d’une élaboration rigoureuse, que peut seule permettre une très longue confrontation avec les différentes variantes du mythe de la mort lié à l’origine et avec la tradition orale, nous nous contenterons d’une hypothèse englobant le cycle complet de l’homme. 96 Ollandet (J) : Op. Cit, p550 127 La terre est le domaine de l’homme, il en est tiré par l’action des ancêtres. Mais l’homme n’est pas qu’un corps physique, il est aussi vivant grâce au principe vital qui lui vient de ces mêmes ancêtres grâce à une force qu’ils détiennent de Nzambe. Autrement dit, il existe entre le vivant et Dieu, le monde grouillant de tous ceux qui l’ont précédé dans l’audelà. Ce monde de l’au-delà touche par une paroi celui du vivant et par l’autre, il est contigu à celui de Dieu. Aussi, le vivant qui est le pallier le plus bas, n’arrive jamais à Nzambe ni par ses prières ni par son action, les ancêtres seuls ont ce privilège. Aux vivants de s’adresser à eux. 4.1.3. La mort Plusieurs pensées Mbosi expliquent la mort. Pour ce peuple, la mort est un voyage par lequel le mort quitte le monde des vivants pour rejoindre les anciens. Ainsi, par exemple, le Mbosi dit que «Nyanga asi nzoua osina awa» c’est-à-dire Nyanga a déjà effectué son voyage, pour dire que Nyanga est mort. Les morts ne sont pas loin des vivants. Ils sont seulement devenus invisibles. C’est pourquoi, ils écoutent et voient les vivants. Ils sollicitent des vivants de pourvoir à leurs besoins comme à ceux des humains. Par ces deux pensées, les Mbosi situent le monde des morts dans le même espace peuplé par les vivants. Cet espace n’est donc pas aux cieux comme le situe les religions chrétiennes. On retient aussi, à travers certaines expressions, que l’homme vivant est un resumé de deux dimensions (un être en deux) : l’être spirituel qui quitte l’enveloppe physique pour rejoindre le monde invisible. Ici, la pensée Mbosi rejoint la pensée judéo-chrétienne qui enseigne que l’homme est composé d’une enveloppe et d’une âme. La mort est le retour de l’âme vers le créateur pendant que l’enveloppe qui est une carcasse en terre redevient terre. Mais, il existe une différence entre les deux pensées. Pour le Mbosi, la mort n’est pas un événement naturel. Elle est toujours provoquée par les coups du sorcier ou la colère des anciens. On ne meurt jamais sans cause. La mort est aussi considérée comme une étape entre deux naissances : le mort peut revenir au monde des vivants par réincarnation. 4.1.4. La réincarnation Le Mbosi croit et enseigne la réincarnation. La personne meurt et renaît plusieurs fois. Le retour du défunt est effectué par l'intermédiaire d'une fille de sa famille (enfant, nièce, une des épouses du fils ou du neveu). L'enfant qui naît comme revenant revendique le nom que portait la personne réincarnée97. Cette revendication est relevée à travers un comportement (pleurs nocturnes, 97 Cette conception de la vie dans l’au-dela à travers la réincarnation n’était pas propre au Mbosi, elle a été aussi observée en Afrique Orientale par Bamunoba et Adoukonou chez les Batagwenda de l’Ouganda : «…Ils croient aussi en une sorte de réincarnation, lorsque la même silhouette, les attitudes et le teint du mort se reconnaissent dans un jeune membre de la famille. La réincarnation est un fait associée à la ressemblance», La mort dans la vie africaine, Présence Africaine, Paris, 1979, p102. 128 amaigrissement, anxiété) ou une maladie persistante. Le sorcier n'est pas réincarné. Il devient, après sa mort, le mauvais esprit errant appelé Okale. 4.2. Le fétiche Avec Alfonso Iacono98 dans son ouvrage intitulé: Le fétichisme: Histoire d’un concept, nous retiendrons que le mot «fétiche» vient du portugais feitiço, lequel vient à son tour du latin facticius, qui signifie «artificiel» et s’applique à ce qui est le produit conjoint de l’habileté humaine et de la nature. Dans sa composition non naturelle, il signifie soit fabriqué, soit faux, postiche, ou encore imité, et cette ambivalence du faux et du fabriqué dans le mot feitiço, pris comme substantif, a débouché sur la notion de «sortilège». L’origine du terme est donc européenne. «Fétiche» est le nom donné par les blancs aux objets de culte et aux pratiques religieuses des peuples et des civilisations d’Afrique noires aux XVè et XVIè siècles. Le Mbosi traditionnel croit plutôt aux fétiches et aux totems (réprésentés comme nous l'avons déjà vu soit par un animal, soit par un reptile, soit par un arbre). Le fétiche Mbosi est une composition d'éléments naturels : les racines ou les feuilles de plantes, les grains ou fruits, les huiles et essences, les morceaux ou poudre d'os ou de dents d'animaux, de poissons, de serpents ou de mollusques, le feu et le soleil, la terre et l'eau. Pour un Mbosi croyant et adepte du fétiche, l'association de quelques racines, de quelques feuilles d'herbe ou d'arbre, avec des morceaux ou de la poudre d'os ou de dents d'un animal choisi, d'un serpent ou d'un mollusque, une ou quelques roches brûlées au feu et mouillé dans une huile et exposée au soleil ou enfermée dans la terre, est dotée d'énergies et de forces mystérieuses incalculables qui pourraient permettre : -de provoquer ou d'arrêter la pluie ; -de créer ou de faire disparaître les animaux ou les poissons dans la forêt ou dans la rivière ; -de créer et d'envoyer ou de désorienter la foudre ; -d'envoyer un mauvais sort et faire mourir une victime à n'importe quelle distance ; -de parer à une attaque mystique ; -de rechercher et d'abattre l'auteur d'un mauvais sort ; -d'être invisible, de se cacher dans un arbre, dans un rocher, dans un fleuve, dans un animal ou dans le ventre d'une autre personne ; -de percevoir et de découvrir tout invisible dans n'importe quel abri mystique. Le Mbosi accorde donc des pouvoirs illimités au fétiche. Il croit ainsi aux vertus de la nature et à l'existence d'un esprit supérieur. Bien sûr, l'exploitation de ces vertus de la nature n'est reservée qu'à quelques connaisseurs et initiés appelés Nganga ou Aphandi. Ces derniers font bénéficier les autres membres de la société de leurs connaissances sous forme de fétiches appelés suivant l'usage: Pende, Itounga, Bouere. Au regard de ce qui vient d’être souligné, pour les Mbosi comme pour les Batagwenda, la réincarnation est associée à la reproduction. Une personne qui meurt en laissant derrière elle de la famille, est une personne ressuscitée. Elle n’est pas totalement morte, car quelque chose d’elle continue à vivre dans sa famille, son clan par le canal des nouvelles naissances. 98 Iacono (A): Le fétichisme: Histoire d’un concept, Presses Universitaires de France, Paris, 1992, p5 129 4.3. Les Nganga Les Nganga sont les féticheurs. Ils sont à la fois des personnages redoutables, des guerisseurs, des divins. Cette perception du féticheur est appuyée par Armand Bouquet lorsqu’il écrit : « …, le féticheur joue dans la vie sociale congolaise un rôle très important. C’est lui qui devra déterminer la cause ou l’origine des événements de la vie publique ou privée, sera chargée d’apporter le remède psychique ou naturel aux malheurs des hommes ou du village. C’est aussi à lui que l’on demandera d’apaiser les esprits courroucés, ou les interroger pour connaître l’avenir. C’est éventuellement lui qu’on ira trouver pour lui demander de capter ces forces vitales pour pouvoir s’en servir à son usage personnel dans un but souvent inavouable. Enfin c’est encore au féticheur qu’on aura recours pour déterminer le coupable dans certaines affaires judiciaires. C’est ainsi que le nganga sera tour à tour, devin, médecin, juge ou sorcier sans qu’il soit possible de séparer l’homme de ses fonctions »99. De son côté Théophile Obenga écrit à leur propos : «En réalité, les nganga s’occupent de la protection et de la promotion de la santé publique de la société entière. Ce ne sont pas des magiciens, encore moins des individus possédant des pouvoirs religieux, sacrés. Ce sont des individus qui font preuve de grandes connaissances dans les domaines de l’anatomie, de la botanique (plantes médicinales), de la géographie, de l’histoire tribale, de la psychologie sociale. Leur expérience de la condition humaine est large. C’est cela qu’il faut bien entendre »100. Investis d'un statut spécifique, en vertu de leur position d'élus des génies et considerés comme leurs porte-paroles parmi les êtres humains, les nganga sont sensés détenir une connaissance supérieure aux communs des mortels et être les seuls susceptibles de pouvoir expliquer la plupart des phénomènes ou en prévoir l'apparition. Ils font preuve de grandes connaissances dans plusieurs domaines: religieux, psychologique, sociologique, médical et scientifique. Ils sont dépositaires d'un pouvoir mystique hérité des ancêtres ou acquis auprès d'un autre nganga plus expérimenté (Ophandi). Ils traitent ceux qui sont possédés par les forces occultes, par les mauvais génies de l’eau et de la forêt et par les sorciers. Parmi leurs nombreuses thérapeutiques, l’art du verbe est important ; ils connaissent l’art des formules, des invocations, des imprécations. Le chant est le meilleur moyen d’approcher les ancêtres, les esprits et de communiquer avec eux. Le féticheur fume du tabac. C’est également un mode de communication avec les ancêtres ou le surnaturel et permet un voyage hallucinatoire. Les féticheurs savent, avec des remèdes savamment confectionnés à base de végétaux et d’huile, extirper le mal qui est dans la victime et exécuter des danses sacrées pour conjurer les mauvais esprits et l’action du sorcier. Leur fonction se transmet obligatoirement aussi de père en fils ou par initiation à un candidat. Le nganga a en effet des attributions plus étendues. Il prédit l’avenir, fait des incantations, soigne et guérit; ensuite, et c’est là son grand rôle, il désigne celui qui, par un sortilège quelconque, a donné la maladie ou fait mourir le patient. Dans la plupart des cas, la population ne saurait (ne peut) attribuer les accidents, la maladie, la mort à des causes naturelles; elle ne voit là que la manifestation d’un esprit excité par un ennemi, aussi ont-ils (les nganga) un «démon» pour chaque maladie, le démon de la dysenterie, de la fièvre, de la petite variole par exemple. C’est le nganga qui est appelé à 99 Bouquet (A): Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville), ORSTOM, Paris, 1969, p25 Obenga (Th): Op. cit, p92 100 130 donner ses soins à la victime du sortilège. Les nganga sont donc maîtres dans l’art de guérir; leurs connaissances médicales consistent à la fabrication de quelques poudres extraites de l’écorce d’arbres et de potions dont la formule est inconnue. Ces remèdes ne s’administrent pas en raison de leurs vertus curatives, mais à cause de leur puissance magique. On inflige souvent aux malades un traitement tel que s’ils guérissent, c’est assurément en vertu de ce principe: un mal en chasse un autre. Le rôle du nganga ne se borne pas à administrer ses médicaments, il consiste aussi à chasser les esprits, à chercher quel est celui qui a excité cet esprit; il trouve toujours un coupable, le désigne et son jugement est sans appel. Il est chargé également, dans certains cas, de supplier la justice; il est souvent appelé comme arbitre pour régler les contestations entre deux hommes, entre les familles; il intervient dans les palabres101. Les nganga peuvent être des hommes ou des femmes. Les services qu’ils assurent doivent être retribués. 101 Blaise (P) : Le Congo. Histoire-Description-Mœurs et Coutumes, H. Lecène et H. Oudin, Editeurs, Paris, 1889, pp195-1906 131 Pl.9 : Nguilélé Apognianga, une femme nganga 132 En se référant à l’étude de Théophile Obenga102 et à celle de Georges Nicolas Oboba ainsi qu’à nos entretiens104, les nganga peuvent être classés en quatre groupes : Ophandi, Oboue Manga, Ekanga Ikoueme, Oboue Ikoni. 103 4.3.1. Ophandi C'est le maître qui permet à l'initié d'acquérir par iphanda (acquisition) un pouvoir mystique. Sa science consiste à brûler un mélange de matières naturelles. La poudre obtenue par cette combustion est mouillée d'une huile, repartie en trois ou neuf boules que l'initié avale. De cette façon, il acquiert le pende ou pouvoir de faire ou de devenir ce qu'il désire. Cette poudre peut aussi être attachée dans un morceau d'étoffe ou dans un petit panier. L'initié a alors acquis l'Itounga (gris- gris protecteur) ou le bouere (gris-gris malfaiteur) que l'on dresse contre un ennemi à faire disparaître, ou aussi un Okosa (gris-gris guérisseur ou décéleur) pour devenir un guérisseur, un thaumaturge. Certaines pratiques occultes, mystiques ou de sorcellerie, demandent des sacrifices humains ou holocaustes. Très souvent, c’est le parent proche qui est demandé en sacrifice par le féticheur ou sorcier dit Nganga ou Ophande en Mbosi: le père ou la mère, l’enfant, le neveu ou la femme… Ainsi les esprits et les âmes des personnes sacrifiées vont constituer une «armée de défense» et d’attaque du nouveau initié, car cela va de son charisme. C’est à juste titre que Théophile Obenga déclare : «Les apfande possèdent le ipfanda, puisance ou force acquise avec le concours d’un nganga opfandisi (celui qui initie), soit dans le but de s’enrichir (oyee; le boa, mbomo, intervient constamment au cours de cette initiation), soit dans celui d’opérer des interventions spectaculaires dans la nature (pende ou pyendo) »105. A la lumière de ce texte, on peut dire que l’intervention du nganga se décline de deux façons. Elle peut concourir à l’accomplissement d’interventions spectaculaires d’une part et à l’enrichissement d’autre part. Cependant, nous allons nous apesantir sur le rôle du boa (mbomo) comme courroie de transmission pour le processus d’enrichissement. A cet effet, le boa est considéré en Afrique comme l’un des grands reptiles doté d’une bouche assez extensible et dont la capacité d’ingurgiter des poids de taille impressionnante ne peut souffrir d’aucun démenti compte tenu du volume de son estomac. C’est ainsi que de façon imagée, d’un point de vue mystique, on oppose par symétrie à cette capacité d’ingérer, celle de régurgiter d’énormes quantités d’aliments assimilés au nombre desquels on associe l’argent, et ce, d’un point de vue métaphysique. D’où le bien-fondé de l’usage du boa comme totem dans l’accomplissement des rites d’enrichissement. 102 Obenga (Th) : Op. Cit, pp92-96 Oboba (G.N) Op. Cit, pp12-14 104 Tout ce qui précède ressort de l’etretien que nous avons eu avec Nguilélé Apoho-Nianga, une femme féticheur, âgée d’environ 70 ans, domiciliée à Ouenzé-Brazzaville, le 2/02/2001. 105 Obenga (Th): Op. cit, pp93-94 103 133 4.3.2. Oboue Manga (Ote Manga) C'est un prêtre dont on dit qu’il est doté de pouvoirs occultes. Il est consulté pour déceler l'origine d'une maladie ou les coupables d'un mauvais sort ou du décès d'une personne. Il peut prévenir le consultant d’un événement qui surviendra. Il utilise soit une vue mystique qui lui permet de voir à l’aide d’un miroir mystérieux, les images des malfaiteurs, soit un odorat mystique qui lui permet de sentir à l’aide d’un grisgris l'odeur d'un malfaiteur recherché, soit aussi d'une ouie mystique qui lui permet de percevoir à l’aide de son gris-gris les déclarations mystérieuses d'un malfaiteur recherché. Pour être Oboue manga, on doit sacrifier auprès de son maître plusieurs membres de la famille (sacrifice du père ou de la mère) dont les esprits produisent les forces et pouvoirs recherchés. 4.3.3. Ekanga Ikoueme C'est le féticheur dont on dit doter des pouvoirs de poursuivre, d'anéantir, d'abattre l'auteur non connu d'un vol, d'un acte malfaisant ou d'une maladie ou d'un décès. C'est un vengeur. Il n'initie pas son client mais, lui remet un gris-gris appelé Okoueme qu'il doit planter au lieu de l’objet volé ou à protéger, faire porter par la personne à protéger ou planter dans la tombe d'un décédé à venger. "L'armée spirituelle" et mystique du féticheur est considérée comme transportée sur le lieu par ce fétiche. Cette «armée» est conduite par l’esprit du mort qu’on doit venger. Elle se déploie, recherche, rencontre, anéantit et abat le coupable. Le féticheur a dû prévenir son client sur l'agent ou la cause de la mort du coupable recherché. Une fois les résultats considérés atteints ou le délai fixé atteint, le fétiche (okoueme) est déplanté, ramené à son maître ou détruit suivant ses indications. Son "armée" qui était en mission rejoint le siège. 4.3.4. Oboue Ikoni C'est le guérisseur, le médecin ou le chirurgien. Certains grands parmi eux sont dotés d'okosa (fétiche déceleur) qui leur permet avant le traitement de faire une consultation pour connaître la nature, l'origine, la cause et l'auteur de la maladie et enfin établir le diagnostic et de déterminer le traitement. Le traitement, pour des graves maladies, est composé de trois parties: les médicaments, la délivrance du malade des mains ou de la prison mystique du sorcier, la protection et la sécurité. Le traitement médical utilise les mêmes voies que la médecine moderne: voie buccale, la peau (par inhalation et frottement) et les injections intramusculaires par incision. Par voie buccale, le traitement est composé d'apoma, association solide à mâcher composés de sel et des autres roches, de feuilles, d'écorces, de grains (et morceaux de fruits) dont toujours la kola, le piment d’alligator, des potions. 134 La délivrance du malade par le fétiche du médecin qu'il place au chevet du malade ou lui est attaché. Elle est aussi assurée par une décoration du lieu où est logé le malade ou certaines séances de danses. La protection est assurée par un fétiche (itounga) que le guérisseur confectionne pour le malade avant de le remettre à sa famille. Ce fétiche a pour mission de protéger le malade contre toute tentative de récidive par le sorcier et de lui assurer une sécurité contre toute autre attaque. Pendant le traitement, le malade est soumis à certains interdits qui sont levés à la fin du traitement lors d'une séance appelée "Iphousa la nguisi" (levée d'interdits). Cette séance intervient après le paiement total des frais de traitement. Suivant le mode de traitement et les thérapeutiques soignées, les Aboue ikoni (sing. Oboue ikoni, les guérisseurs) sont répartis en plusieurs spécialités dont on peut citer: Nganga pouma (soigne les malades atteints de fièvre avec convulsion, frisson et avec coma), Nganga bonga (soigne et guérit les luxations et fractures par immobilisation du membre), Nganga Apora (soigne les plaies et les blessures), Nganga Okiera (spécialisé dans la préparation d'une eau particulière, destinée à baigner les jumeaux qui sont considérés comme des êtres extraordinaires dotés de divinité), Nganga Ekiera (spécialiste des fièvres répétées des femmes accompagnées d'amaigrissements prononcés et des sursauts, de délires la nuit), Nganga Iloï (soigne les couples qui perdent souvent leurs enfants à bas âge). Retenons que la pratique religieuse en pays Mbosi Olee apparaît comme une thérapeutique de lutte contre la maladie et la sorcellerie que comme un culte rendu à Nzambe, Dieu. On reconnaît son existence, mais à notre connaissance il n’existe pas un culte spécifique, individuel, collectif ou privé qui l’ait pour mobile. Les cultes sont voués aux morts et aux ancêtres et aux divinités proches des vivants. Dans ce sens la religion renvoie l’homme à son passé. Ces ancêtres expriment et résolvent un certain nombre de problèmes de ceux qui s’adressent à eux. Ils permettent de ce fait de faire face aux aléas de la vie. Le recours qu’on leur fait permet pour ainsi dire la gestion du quotidien et de l’ordre. Mais c’est surtout au nganga que l’homme s’est toujours adressé pour la résolution de ses menus problèmes, pour lutter à la fois contre la maladie et la mort. Autrement dit, il existe deux sortes de maladies, deux sortes de morts: celles qui viennent des aieux, mais qui ne sont pas nombreuses, et les autres, la majorité, qui reposent sur les menées obscures des sorciers. Aussi, le nganga qui seul peut lutter contre ces derniers, et qui, dans une certaine mesure peut procurer à l’homme le bonheur souhaité, occupe-t-il dans la société Mbosi Olee et congolaise, une place de choix. 5. La sorcellerie Le Mbosi traditionnel croit aussi à la sorcellerie. Notre propos n’est pas d’ouvrir un chapitre sur la sorcellerie dans la présente étude. Néanmoins, notre intention est de donner brièvement quelques explications sur cette croyance en milieu Mbosi que nul n’a pu étudier de façon sérieuse par manque d’informations et de documents. La sorcellerie se traduit dans les langues nationales congolaises par des mots «Ndoki, Kindoki», termes qui expriment dans la conception congolaise une idée du mal, du danger social, du pouvoir mystique, d’intelligence dans le but essentiel de faire du mal, de provoquer la maladie ou la mort d’autrui. Il s’agit d’un acte anti-social qui occupe une place 135 prépondérante dans la mentalité et le comportement des Congolais en général et des Mbosi en particulier. Dans la société traditionnelle congolaise et Mbosi en particulier, la maladie et la mort n’étaient pas considérées comme des faits ayant une explication dans le cours normal de l’action et de la réaction des causes naturelles. Toute maladie, toute mort, jusqu’à preuve de contraire était considérée comme provenant de l’action directe ou indirecte du sorcier. Cette conception des choses nous permet de comprendre qu’en droit traditionnel Mbosi toute maladie, toute mort, repose sur la sorcellerie. Ce rôle déterminant que joue la sorcellerie dans le droit traditionnel nous oblige à disséquer de notre mieux la notion de sorcellerie. 5.1. Qu’est ce que la sorcellerie? La sorcellerie est définie de plusieurs manières selon les auteurs. Tout au moins avonsnous choisi un certain nombre qui illustre cette diversité: Auzanneau définit la sorcellerie comme «un pouvoir mystérieux que possédait ou que sont censés posséder certains personnages dits sorciers, dont ils se servent pour jeter des maléfices à autrui ou faire croire qu’ils peuvent en jeter»106. Pour sa part, le père Van Wing soutient que «le sorcier détient un pouvoir qui lui permet non seulement de dominer les esprits vitaux d’un parent mais encore la vie et les biens de n’importe qui»107. De son côté Dominique Ngoie Ngalla écrit que la sorcellerie est «l’ensemble d’actions occultes mauvaises qu’exercent dans cet espace, domaine du crime ou de la mort, ces individus doués de par leur naissance pour initiation du pouvoir de mettre à leur volonté perverse la société au sein de laquelle ils vivent et les destinées de leurs semblables»108. A la lumière de toutes ces définitions, nous pouvons dire que la sorcellerie est un acte anti-social par lequel une personne humaine dite sorcier ou sorcière, dotée d’un pouvoir mystique, donne volontairement ou involontairement, par des voies occultes, la maladie, l’infirmité ou la mort à autrui ou même lui jette un mauvais sort, élimine ses chances dans toute activité. 5.2. Comment et par quels moyens devient-on sorcier? D’après les informations109 qui nous ont été fournies, la sorcellerie se transmet de façon rigoureuse par hérédité, mais les modalités sont variables selon les groupes ethniques. Ainsi chez les Mbosi Olee, elle s’acquiert de trois manières : -par transmision : il paraîtrait «qu’ils naissent tels». Ce n’est pas un cadeau qu’une mère fait à son enfant. C’est une transmission naturelle par le sang de la mère à son enfant de 106 R.P. Auzanneau : La sorcellerie dans les pays des missions, 193 , p112 cité par Ognimba (A): Les infractions contre les personnes dans le droit traditionnel congolais, Thèse de Doctorat en droit, Université de Paris VII, 1989, p42 107 R.P. Van Wing : Etude Bakongo cité par Ognimba (A) : Op. Cit, p42 108 Ngoie Ngalla (D) : Conférence polycopiée du 8 février 1980 sur la magie et la sorcellerie africaine comme idéologie, p9 cité par Ognimba (A): Op. Cit, p42 109 Ce point est le fruit de l’entretien que nous avons eu avec Nguilélé Apoho-Nianga, une femme féticheur, âgée d’environ 70 ans, domiciliée à Ouenzé-Brazzaville, le 2/02/2001. 136 par sa naissance et de manière inconsciente. La mère sorcière ne peut pas non plus expliquer pourquoi elle est sorcière (Ikoundou)110 ; -par achat et apprentissage : d’autres peuvent le devenir moyennant l’argent et «l’obligation d’offrir» à son initiateur, un proche parent (père, mère, frère, sœur, tante ou autres membres de la famille). En effet, l’initiation à la sorcellerie ne peut être efficace que s’il y a sacrifice de sang humain et cela suppose une longue initiation dont le but est de se doter de pouvoir non inné ; -enfin par contamination : par exemple le fait de consommer sans le savoir de la chair humaine, il faut alors payer le prix de l’initiation en apportant à son tour une autre victime, donc accepter sous peine de mort cruelle, de faire partie de la confrérie des «mangeurs d’hommes»111. Un autre exemple, est celui d’un parent qui, disposant de ce pouvoir de sorcier, le transmet à un enfant ou à un neveu par legs du fétiche porteur de ce pouvoir. Il est à souligner que la sorcellerie, qui amène beaucoup de troubles dans les sociétés africaines, est une science secrète qui ne peut être étudiée de façon précise car tout le monde se défend d’appartenir à cette société secrète. A cet effet, citons cet extrait de Jean Malonga sur la société Lari (Kongo) : «Partout en Afrique -où le décès n’est jamais considéré comme une fin naturelle de l’être- personne ne peut prétendre nier l’existence de la sorcellerie à laquelle est attribuée la cause de toutes les maladies. Selon les milieux, la sorcellerie est expliquée de plusieurs manières, toutes d’ailleurs aussi fausses les unes que les autres parce que ces informations sont fournies par des profanes. L’explication valable ne peut venir que d’un sorcier authentique. Mais comme il est lié par le secret de la secte, aucun sorcier ne pourrait se permettre de violer impunément ce secret, même au prix de tortures inhumaines, de faveurs ou de richesses: la moindre indiscrétion de sa part quant aux manœuvres occultes de la secte lui vaut irrévocablement la peine de mort décrétée par ses pairs »112. 5.3. Types de sorcellerie On observe, chez les Mbosi Olee deux formes de sorcellerie: Ikoundou et Ekiri. 5.3.1. Ikoundou C'est la sorcellerie innée qui se transmet de mère à enfants (fille et garçon) et toutes les lignes des filles à leurs enfants113. 110 La croyance selon laquelle quand on a une mère sorcière, on devient forcément sorcier, existe aussi bien chez les Wolof, les Sérères et les Peuls en Afrique de l’Ouest, l’ethnologue Margueritte Dupire qui connaît bien la société Peule signale que «la sorcellerie est, d’après eux (les Peuls), transmise par voie utérine : quand on a une mère sorcière, on devient sorcier à moins d’un traitement approprié ; et cette sorcellerie est la pire de toute», Organisation sociale des Peuls. Etude d’ethnographie comprarée, Plon, Paris, 1970, pp375-381 111 On croit en effet que les sorciers constituent de véritables associations qui le plus souvent se réunissent en sabbats nocturnes, se livrent à des festins, échangent leur pouvoir maléfique, préparent leurs actions criminelles, s’occupent du recensement. 112 Malonga (J): «La sorcellerie et l’ordre du Lemba chez les Lari» in Revue Liaison, Brazzaville, 1958, p46 cité par Sinda (M): Le messianisme congolais et ses incidences politiques, Payot, Paris, 1972, p372 113 Ils logent en eux, semble-t-il, ce que l’on nomme couramment «Ikoundou», qui peut être matérialisé comme un «ulcère» assoifé du sang d’autrui. C’est grâce à cet ulcère à influence néfaste, qui bien entendu, ne ronge pas son propriétaire, que le sorcier peut jalousement envoûter celui dont il veut menacer l’existence, et par là même «manger» son âme. C’est pendant la nuit-qu’ils (les sorciers) pratiquent la sorcellerie. Ce moment leur étant propice, ils abandonnent, paraît-il, leurs corps et s’envolent dans les airs (à l’instar des chauves-souris) vers les personnes dont ils veulent «manger» l’âme ou qu’ils veulent rendre malades. 137 La personne dotée d'Ikoundou en ensorcelle d'autres en association à d’autres individus dotés de la même puissance. Sa secte opère la nuit. 5.3.2. Ekiri C'est une transaction occulte. C’est la sorcellerie par acquisition auprès d'un nganga. La personne dotée d'Ekiri a le pouvoir mystique d'ensorceler, de tuer, de vendre des gens en association ou non avec d'autres personnes. 5.4. Les causes de l’intervention des sorciers Chez les Mbosi Olee, surtout, on rapporte114 que le sorcier ne s’exerce pas sur n’importe qui, ni n’importe où. Le sorcier opère dans les lignages de sa parenté, sur les personnes qui lui sont parentées ou dans les familles des alliés et sur les victimes désignées par ceux-ci et avec leurs concours. Les titulaires d’Akoundou, en particulier, opèrent toujours en association malfaiteurs. La mère du bébé amène son enfant de peur qu’il pleure et éveille l’attention des voisins sur ses longues absences la nuit. Ainsi l’enfant finit par appartenir à la secte ayant grandi en son sein. Ils attaquent leurs victimes préalablement choisies ou répérées quand celles-ci se trouvent dans le sommeil pendant la nuit, donc dans un état de certaine inconscience. La victime est anéantie par un repas mystique que la sorcière lui sert dans son sommeil. Elle le consomme dans un rêve. Elle peut aussi être affaiblie par un acte sexuel que lui offre la sorcière ou le sorcier selon qu’elle est homme ou femme. Si la victime est dotée, elle aussi, de forces occultes, elle refuse de se faire prendre par l’appât et le combat contre elle peut occuper plusieurs nuits. Dans le cas contraire, la consommation du repas ou de l’acte sexuel mystique, l’affaiblit et elle est abattue. Les sorciers la vident de son sang et de sa chair qu’ils consomment en repas sorcier. Les spécialistes d’Ekiri, quant à eux, agissent en solitaire ou en groupe. Ils attaquent, sans préparation préalable, leur victime, bien indexée ou désignée. Ils utilisent leurs forces mystiques immenses ou leur armée composée des âmes des anciennes victimes. La victime est, soit abattue et son sang et sa chair sont offerts en offrande aux divinités mystiques du sorcier, soit anéantie, enlevée puis vendue au correspondant occulte ou encore échangée contre un bien convoité. Les causes de la sorcellerie peuvent être identifiées par suppositions ou par des aveux que les titulaires arrivent à faire devant un Nganga. On retient surtout : la soif et le goût mystique de la chair humaine, l’enrichissement, la domination et le pouvoir115. 5.4.1. La soif et le goût mystique de la chair humaine S’offrir un repas de sang et de chair humaine est la seule cause criminelle de la mort que les titulaires d’akoundou donnent à leurs victimes. Ces êtres sont, on le raconte, équipés 114 Ce développement émane de l’entretien avec Nguilélé Apoho-Nianga, une femme féticheur, âgée d’environ 70ans, domiciliée à Ouenzé-Brazzaville, le 2/02/2000. 115 Le descriptif constituant ce point résulte des entretiens que nous avons eu avec Ngolo François, âgé d’environ 65ans, domicilié à Talangaï-Brazzaville, le 28/01/2000. 138 de petits appareils ayant la forme de reins et accrochés soit à la paroi extérieure de leur intestin, soit à la paroi de leur cavité abdominale. Ces organes sont issus de la mère, si celle-ci en est elle-même pourvue. Ces grains inhabituels et héréditaires appelés Akoundou (sing. Ikoundou), sont les émetteurs de leurs forces occultes et les indicateurs de leur envie pour la chair humaine. Après la mort, ils sont supposés devenir de mauvais diables (Ikale, sing. Okale) errant dans le village ou dans la zone, perturbant le sommeil et les activités en forêt des villageois. Ils sont toujours, lorsque les phénomènes de leur errance sont constatés, exhumés, autopsiés et incinérés. D’ailleurs, lorsqu’une personne du village est présumée possesseur d’akoundou, elle est soumise à l’autopsie avant son enterrement (après la cérémonie d’Otwere si elle en était membre). Une fois l’autopsie décèle les organes inhabituels appelés akoundou, le corps de la défunte personne, est incinéré car la personne ne doit pas avoir une âme et un esprit. Les Mbosi Olee croient que l’incinération détruit et le corps physique et l’âme d’un mort. 5.4.2. L’enrichissement Le but essentiel visé par le praticien d’Ekiri est l’enrichissement. Comme nous l’avons défini ci-haut, Ekiri est un système criminel qui consiste à enlever une victime, pour l’offrir en offrande à une divinité destinée à produire des biens ou pour vendre à un autre système pour recevoir des biens. Ekiri signifie «vente». C’est donc un système de vente occulte de personnes. Comme pour akoundou, la victime subit deux morts. La première est celle qu’elle subit dans le corps occulte par lequel le sorcier l’atteint ; la deuxième est celle qui survient au grand jour après une maladie ou une crise. Après la première mort (occulte), la personne physique vraie est considérée par le sorcier comme vidé de sa vie. Ekiri possède des sous-systèmes comme Mbomo (boa) et Potemone (porte-monnaie). -Le Mbomo (le boa) : la divinité acquise par Iphanda, se manifeste sous forme de boa. Le grand serpent mystique, se nourrit de sang et de chair des victimes offertes en offrande par le maître et transforme ses proies en monnaie, en argent qu’il vomit, soit sous le lit du maître, soit dans une cachette amenagée par celui-ci. -Le Potemone (porte-monnaie) : la divinité acquise est un esprit qui après avoir consommé le sang et la chair de la proie, vomit l’argent dans le porte-monnaie du maître. Les Mbosi Olee observent une différence entre les systèmes de sorcellerie et les sectes de sociétés secrètes. Le sorcier ne tue pas au vif sa victime. Il crée mystiquement une doublure de celle-ci qu’il tue. La victime physique est alors vidée de son système immunitaire et développe une maladie qui est lancée par les forces du boureau qui l’emporte dans une mort réelle. Le sorcier ne reconnaît jamais être sorcier de son état. Sa culpabilité dans le décés de sa victime est révélée par le nganga. Il peut avouer son forfait et dénoncer ses associés et ses complices devant ce nganga si les révélations de celui-ci sont indéniables. Les accusés associés ou complices sont obligés d’accepter la co-responsabilité et supporter conjointement la réparation civile. A contrario, les sociétés secrètes, toujours réputées criminelles comme la sorcellerie, tuent au vif la victime. Elles laissent le corps de la victime sur le lieu du forfait ou emportent vivante la victime rendue inconsciente par des procédés occultes. 139 On peut toujours relever une similitude dans les causes et buts. On note que les Andzophi (ou Andzopho, sing. Ndzophi ou Ndzopho ; membres de sociétés secrètes d’hommes-panthères ou caïmans) s’attaquent et tuent les femmes pour leur prédilection sur le sexe et les mamelles des victimes qui leur offrent le repas d’honneur et leur assurent une élévation en société. Ils tuent la victime vivante sans détour occulte et abandonnent le corps mutilé sur le lieu. Le fétiche leur produit la capacité d’invisibilité et la force intense pour neutraliser la ou les victime(s). Ils portent des enveloppes qui les déforment. Les hommes-caïmans et les hommes-panthères enlèvent les victimes vivantes et, par un procédé, les rendent inconscientes. Ces victimes sont offertes en offrandes à des divinités ou tuées pour leur chair. Les membres des sociétés secrètes peuvent être dressées contre une victime pour régler un compte entre des antagonistes ou pour éliminer un arrogant dans un village. Nous y reviendrons plus bas dans la quatrième partie de notre étude. 5.4.3. Dans le pouvoir et la domination L’exercice du pouvoir, lorsqu’il est entendu comme exercice de l’autorité sur autrui (un autre individu, une famille, un groupe d’individus ou un peuple) a souvent fait naître dans le comportement du chef le sentiment que seul son point de vue doit être considéré comme le meilleur, l’indiscutable. Sa volonté doit être faite par tout l’entourage. C’est une volonté de domination. Cette volonté de domination a souvent aussi caractérisé le Mbosi traditionnel même parmi les pairs. Il cherche souvent à paraître mieux que ses pairs, être plus apprécié dans l’œuvre commune. Son ambition est toujours d’être au-dessus d’eux. Pour obtenir que sa volonté soit faite et que son ambition aboutisse, il recourt au fétiche en tant que source de puissance. Il devient un Ophandi. Dans ce domaine, le féticheur lui exige toujours le sacrifice du sang à offrir aux divinités de la puissance. Ici, les victimes ne sont pas attaquées par les candidats à la sorcellerie, mais par son initiateur. L’élève sorcier désigne les victimes à offrir en nombre exigé et le maître se charge de les avoir. C’est une forme d’Ekiri aussi. Les problèmes posés par la sorcellerie en Afrique noire en général et chez les Mbosi Olee en particulier restent sans solution dans leur ensemble. Les cultes de désorcellisation auxquels on a eu recours ont lamentablement échoué dans leur démarche. Aucun but n’a été atteint si ce n’est la multiplication des cultes. La sorcellerie continue de perturber les sociétés africaines et inspire toujours une grande crainte aux Africains. Cette crainte est loin de disparaître: il suffit de jeter un coup d’œil dans un livre datant des XIVè ou XVè siècles et traitant des problèmes africains, notamment de la sorcellerie, pour conclure que la situation est identique par rapport à celle qui existait auparavant116. Les temps ont changé mais la croyance en la magie ou en la sorcellerie perdure. Bon nombre d’Africains continuent de penser que la réussite sociale ou intellectuelle relève ou dépend des forces surnaturelles. Les Africains, y compris ceux qui gouvernent l’Afrique moderne, croient encore de nos jours en la magie ou en la sorcellerie. Crainte due à la psychologie africaine ou à l’esprit foncièrement religieux des Africains? Mais, est-ce que cette croyance en la sorcellerie, qui empoisonne les sociétés 116 Sinda (M): Op. cit, p372 140 africaines, disparaîtra-t-elle, un jour avec le brassage des cultures que subissent de plus en plus les générations montantes africaines? 6. Musique et danses Aucune étude n’existe sur la musique et la danse en milieu Mbosi Olee. Nous nous référons à des travaux d’ordre général et spécifique117 sur la question pour présenter le phénomène dans le monde Mbosi Olee. La musique et la danse constituent, dans un ensemble indissociable, la plus grande dimension de la culture du Mbosi en général et du Mbosi Olee en particulier. Cet ensemble est désigné par le terme générique d’Iseya. Ce terme, que les Mbosi prononcent avec poésie : Iseya-Iya, désigne aussi, quand on veut considérer séparément les deux éléments de l’association, le deuxième des deux : musique ; le premier élément, la danse, est alors désigné par le terme Abina. La danse et la musique peuvent être, ensemble considérées comme la grande forme de l’expression du Mbosi Olee. En effet, ici, l’individu et la société dansent et chantent pour exprimer la joie, pour exprimer la douleur et pour pleurer ; ils dansent et chantent pour préparer la chasse, pour préparer une partie de pêche, pour préparer une guerre, pour défier l’adversaire ou répondre à sa provocation. On chante pour invoquer les esprits des anciens, on danse et chante pour guérir d’une maladie ou pour évacuer un mauvais sort. Tous les sentiments du Mbosi sont donc exprimés par la chanson ou par la danse. La danse et la musique accompagnent même les grands rites d’Otwere. On est donc émerveillé de constater la grande diversité de danses créées et spécialisées par cette population. Elle a aussi mis au point une grande gamme d’instruments de musique. Chaque danse spécialisée est animée par un chanteur-griot appelé Ndzembe. Nous articulerons ce point sur les danses traditionnelles, le Ndzembe (chanteur-griot) et les instruments de musique118. 6.1. Les danses traditionnelles Le Mbosi Olee partage sa vie entre l'activité économique et la danse. Il danse pendant les fêtes, pendant le deuil, pour faire son sport, avant et après la chasse, avant et après la guerre, pour invoquer ses mânes et pour faire revivre ses mythes. 117 Encyclopaedia Universalis Corpus 7, Paris, 1996, pp36-39 Encyclopaedia Universalis Corpus 12, Paris, 1996, pp392-403 Encyclopaedia Universalis Corpus 15, Paris, 1996, pp970-991 Leymarie (Isabelle) : Les griots wolof du Sénégal, Maisonneuve et Larose, Paris, 1999 183p Ngoie Ngalla (D) : «Notes ethnographiques sur quelques instruments de musique Beembe» in Cahiers Congolais D’anthropologie et D’histoire, Tome 10, 1985, pp53-59 Théma Encycloédie Larousse. Arts et culture, Paris, 1991, pp330-445 118 Nous avons élaboré ce point sur la base des entretiens que nous accordés Angala François, commerçant âgé d’environ 70 ans, domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 12/02/2001 ; Ondey Mbola, chanteur-griot du village Ngania, âgé d’environ 55ans, le 31/05/2001. 141 Le Mbosi Olee danse et utilise la danse pour exprimer sa joie, son malheur, sa rancoeur, sa victoire, pour menacer et défier l'ennemi, pour soigner et être guéri. Par la danse, le Mbosi Olee exprime donc ses sentiments, ses émotions, ses croyances, communique avec les mânes des anciens et les esprits. Le folklore Mbosi Olee est riche. Il comporte: les danses populaires (Leso, Olee, Engondza), les danses reservées au sport (Mondo), les danses reservées aux institutions (Kongo), les danses de guerre (Koma) et de chasse (Iboupha ou Okya), les danses reservées aux mythologies (Okiera, Lekwa, Ipouende, Akousa, Mawata, Okala), les danses reservées à la médecine (Ekiera, Iloï). A chaque danse du folklore Mbosi correspond une musique spécifique qui porte le même nom. 6.1.1. Les danses populaires 6.1.1.1. Leso C’était la danse et la musique populaire Mbosi des deux rives de la basse Alima. Elle a disparu au début du XXè siècle pour faire place à deux filles (danses): Ondzombo du côté gauche de la rivière Alima et Olee du côté droit de la rivière Alima. 6.1.1.2. Olee Olee est une danse et une musique traditionnelle Mbosi. Elle est la transformation et le développement de Leso pour la population Mbosi de la rive droite de la basse-Alima désignée aujourd'hui par le groupe de mot «Mbosi Olee». Dire en Mbosi que: «ba bina olee» signifie en français que l'on danse Olee; dire: «ba seya olee» c'est-à-dire que l'on joue et/ou on chante Olee. Olee est la danse populaire des Mbosi dits d'Olee. Elle est dansée lors des fêtes d'investiture et de sortie des Abiali (sing. Obiali, chefs traditionnels de clan couronnés), lors des rencontres et des assemblées des associations (Adingui, sing. Odingui), sur la place d'un marché, lors de la première dot d'une fille, à la mort d'un Obiali ou d'une notoriété publique, d'une célébrité, à la mort d'un Okola (danseur). La danse Olee était strictement reglementée. Elle interdisait sa pratique à tout voleur, à toute personne qui a commis un adultère vis-à-vis de son inférieur. Il y a deux formes d'Olee: Olee b’asoumba (Olee des tam-tams) et Olee b’ayiri (Olee des femmes). 1)-Olee b’asoumba appelé aussi Olee b’abaa (Olee des hommes) ou encore Ekolokoo. Tous les participants à la danse et qui en constituent l'orchestre, restent assis autour des tam-tams, jouant d'un instrument ou frappant dans les mains en chantant en coeur ou en écoutant les mélodies d'un chanteur-griot. Les danseurs se lèvent par groupe de 2, 3, 4 et plus pour exprimer leurs talents dans la danse. Ces groupes sont souvent constitués d'hommes de même âge ou d'âge proche ou de même rang social. 2)- Olee b’ayiri ou Olee b’ilengue (Olee des jeunes) appelé aussi jadis Lephouesse et aujourd'hui, «la jeunesse», est dansé sans tam-tam par les jeunes. Les jeunes, debout constituent un cercle, dansent, chantent en coeur ou en écoutant un chanteur-griot qui évolue au milieu du cercle. 142 Les deux formes d'Olee sont dansées en imprimant au corps un mouvement vertical du haut vers le bas. Pour accompagner et soutenir ce mouvement, le danseur exécute un balancement ordonné de ses bras devant lui: chaque bras est balancé au même moment que le pied opposé frappe le sol. Le mouvement est surtout appuyé par un mouvement longitudinal de la colonne vertébrale que chaque danseur exécute avec souplesse et la dextérité qui rendent agréables son corps à la vue des spectateurs. 6.1.1.3. Engondza Engondza est une danse funéraire strictement pratiquée par les femmes. Elle est exécutée les jours de veillée mortuaire. L’exécution de la danse Engondza se fait sans instruments de musique. Les femmes, debout, forment un cercle, exécutent le mouvement sur place et font quelques incursions au milieu du cercle. Ce mouvement se fait par des martèlements en cadence du sol à l'aide des pieds ou des sautillements cadencés. Le tout se passe sous la puissance vocale d'une ndzembe (chanteuse-griot) et des refrains en coeur des femmes. Les femmes peuvent aussi exécuter Engondza en faisant ce mouvement de danse décrit plus haut en cadence par des allers-retours à travers la cour, au rythme des chants et refrains en coeur des femmes. Engondza est dansé pendant les manifestations ou cérémonies de Mondo par les hommes et les femmes. 6.1.2. Les danses réservées au sport : Mondo Mondo est une danse ancestrale Mbosi basée sur le sport. C'est la course rapide ou de fond que l'on pratique en tournant sur soi et en dansant. Avec la danse Kongo, Mondo est l’une des plus anciennes danses Mbosi Olee dont les origines semblent coïncider avec celles de la population elle-même. Mondo à la fois danse, jeu et spectacle est pratiqué pour rendre hommage à ses danseurs et artistes morts. En effet, à l’occasion des obsèques d’anciens danseurs et artistes, Mondo est organisé. Au cours de cette danse par exemple, des exhibitions de force et d’endurance sont autorisées. Quelques années après le premier hommage rendu, les séances de Mondo sont pour une seconde fois organisées sous forme de rencontres festivalières et compétitives. Ces séances sont convoquées pendant la saison sèche pour célébrer la mémoire d’un artiste décédé. Ces rencontres festivalières et compétitives sont appelées Itoumba ou Onganga. Elles sont annoncées pour la plupart à l’occasion d’une rencontre de Mondo ou de marché populaire avec précision de date et connaissent la participation d’un grand public, des artistes, des danseurs. Le danseur de Mondo est assimilé à un revenant, à un mort. Il est appelé selon les tenues: Ombiya-lebe et Okwe. L’Ombiya-lebe est porteur d’une tenue composée de deux pièces en tissu raphia: le dessus et le bas, recouverts de plumes d’oiseaux. 143 L’Ombiya-lebe est un artiste de la danse Mondo. Pour la culture Mbosi, il est considéré comme étant «ngoo ikwe» c’est-à-dire mère des ikwe, mère des danseurs, donc le supérieur. L’Okwe est également un artiste de la danse Mondo. En comparaison d’Ombiya-lebe, il est dit en Mbosi: «mwana» c’est-à-dire enfant. Les Ikwe (sing. Okwe=diable) sont les enfants d’Ombiya-lebe. L’Okwe est porteur d’une enveloppe de tissu transparent (tenue) dont le haut est terminé par un ourlet dans lequel on loge un axe de tige de bambou implanté de plumes d’oiseau (lekôri) qui sous-tend l’enveloppe et lui donne la forme large pour permettre à l’artiste de réaliser sa rotation. Mondo n’est pas une danse ordinaire : il revêt un caractère festif et ne se déroule qu’avec l’approbation des anciens. Il nécessite toute une préparation. En effet, les rencontres festivalières et compétitives (onganga) de la danse Mondo, organisées dans un village sont précédées de séances préparatoires de quatre à sept jours avant la rencontre. Pendant cette période, les candidats (artistes) sont internés et des séances de répétition de danse sont organisées chaque après-midi de façon à apprécier les performances de chaque artiste. Le festival compétitif de Mondo se déroule en deux phases: l’aller (ikoueya = entrée) a lieu l’après-midi du premier jour et le retour (ipala = sortie) la matinée du deuxième et dernier jour. Il met en compétition les artistes des différentes délégations. Toute la nuit qui sépare les deux phases est consacrée à une soirée dansante appelée «koura» regroupant les différentes délégations des villages venues à la compétition. L’heure de la compétition est donnée par le village qui organise son point de musique; le moment décisif de la rencontre a lieu avec l’apparition des Ombiya-lebe. Les Ombiya-lebe viennent pour le spectacle. Ils dansent, sautent et courent dans tous les sens du village. Après leurs spectacles, les Ombiya-lebe dont le nombre ne dépasse pas dix par onganga se retirent pour laisser place aux ikwe. Les ikwe apparaissent dans le village par zones géographiques sous les acclamations des spectateurs et la musique qui les accompagnent et les Ibanda (sing. Obanda, instrument de musique) joués par les ndzoï a toura (sorte de police d’Okwe). On interpelle «l’orchestre»; la musique. La musique bat son plein. L’Okwe commence à danser sur place, «isanga» (exhibitions de force et d’endurance). Par la suite, l’Okwe se lance en tournant sur lui-même. Il est guidé, devant lui, par son ndzoï a toura à coup de son Obanda et par un parent habile à coup de son Ongongo (instrument de musique); derrière lui il est accompagné par une foule de parents et de sympathisants, de curieux qui acclament, chantent et dansent. La vitesse est fonction de la distance qu’il se fixe. S’il veut faire une course dansée de cinq à six cases du village, il va vite et exprime toute sa force. En revanche, s’il veut courir en un, deux ou trois tours la longeur du village, il adopte une vitesse relativement lente. Il ne doit pas tomber pendant son mouvement de danse. 144 Le dernier Okwe appelé «Edipha ikourou» qui clôture la compétition est choisi parmi les meilleurs artistes de la zone d’acceuil et le plus souvent de la famille concernée. A la fin de la compétition, une prime est allouée à tous les compétiteurs sans tenir compte de leur performance, mais elle tient compte de la catégorie d’âge. Dans chaque catégorie, la prime d’okwe du village ou de la zone d’acceuil est un peu plus élévé que celle des autres. Il faut noter que la prime la plus élévée est celle d’Ombiyalebe. 145 Pl.10 : Okwe : danseur de Mondo 146 6.1.3. Les danses réservées aux institutions : Kongo Kongo est la danse d’Otwere. Elle a un caractère extrêmement sacré. C’est la danse de puissance. Elle est exclusivement reservée aux membres de l’institution Otwere. Elle permet et provoque le contact entre les puissances d’Otwere et les puissances occultes. Elle est l’une des expressions privilégiées de la relation d’unité que les membres d’otwere entretiennent entre eux et avec les maîtres d’Otwere (détenteurs des kwephe). Elle est un moyen de communication direct avec le surnaturel. La première exécution de kongo consacre l’accession d’un individu à un nouveau statut social, celui de membre d’otwere. Kongo est exécutée à la mort d’un membre d’otwere ou avant et le jour de la célébration rituelle d’Otwere. Cette exécution a lieu le jour ou la nuit au lieu des obsèques, au village ou au «sanctuaire». Tous les participants à la cérémonie constituent «l’orchestre» assis autour des joueurs de tam-tams et des ngombi (guitare traditionnelle). Tout le monde chante, joue à un instrument ou frappe des mains. Le Ndzembe se lève de temps en temps au milieu de la «foule orchestre» pour développer son art de chanteur, par des évocations des valeurs et qualités des célébrités d’Otwere et par des invocations aux âmes et esprits des anciens et les dieux d’Otwere. L’évolution du ndzembe est toujours arrêté par un membre de l’orchestre qui lance la chanson libre des membres d’otwere. De temps en temps aussi, un «philosophe» ou un penseur entonne une chanson de proverbe dont tout l’orchestre chante en cœur un refrain. Les danseurs se lèvent, pour exécuter la danse, par groupe. Kongo peut être dansé en marchant. Pour marcher vers le sanctuaire ou en sortir, tous les membres d’Otwere, le Mwandzi hissé vers le haut et agité allègrement, exécutent doucement Kongo. L’exécution de Kongo comme celle d’Olee, imprime au corps le mouvement vertical du haut vers le bas. Ici ce mouvement requiert plus de sérieux et de noblesse pour exprimer et respecter le caractère sacré d’Otwere. 6.1.4. Les danses de chasse : Okya ou Iboupha Okya est une danse de chasse. C’est la danse des chasseurs (Abengui, sing. Obengui). Cette danse a un caractère sacré. Elle met en contact les abengui avec les puissances occultes du domaine de la chasse. Elle est l’une des expressions privilégiées de la relation que les abengui entretiennent avec les ancêtres-chasseurs, les mânes de la chasse. Elle a aussi pour but de mobiliser les chasseurs, d’aiguiser leur bravoure et de les rendre plus audacieux et plus astucieux à attaquer la bête ; même la plus féroce. Okya est exécutée à la mort d’un Obengui ou avant et après la chasse. A cette occasion, au roulement des tam-tams, chaque Obengui danse avec ou sans ses armes de chasse en main, simulant la chasse, pousse des cris de bravoure, étale ses qualités de grand chasseur et ses puissances mystiques à atteindre le gibier dans toutes les conditions. 147 En simulant la chasse, les Abengui imitent les animaux qu’ils traquent. Revêtant leur peau ou leur plumage, portant une queue postiche et éventuellement des cornes, ils imitent l’aspect et le comportement afin de les attirer. De même, en mimant leur mort, ils cherchent à s’assurer la réussite de la chasse. Le tout se passe sous la puissance vocale d’un ndzembe, des musiciens et des instruments accompagnateurs. 6.1.5. Les danses de guerre : Koma Koma est la danse de guerre très ancienne à caractère sacré. Elle est pratiquée chaque fois qu’il y a un conflit. Elle est l’une des expressions privilégiées de la relation que les Andzanga (guerriers) entretiennent avec les anciens. Elle est enfin un moyen de communication directe avec le surnaturel. La danse koma est exécutée à la mort d’un ndzanga (guerrier) ou avant le départ pour la guerre. La pratique de la danse koma par les andzanga entraîne une exaltation au combat, donne confiance et force. Elle a pour but de mobiliser et d’aiguiser la bravoure des andzanga. Elle est aussi destinée à rendre les armes efficaces. A cette occasion, au roulement des tam-tams, chaque ndzanga danse debout avec ses armes en main, simule le combat, pousse des cris de bravoure, étale ses qualités de grand guerrier et ses puissances mystiques. Le tout se passe sous la houlette d’un ndzembe, des musiciens et des instruments accompagnateurs. Le spectacle comporte quelques risques: saut à travers les flèches implantées à terre, jet de couteau à «l’adversaire» pendant les entraînements. 6.1.6. Les autres danses Outre ces diverses danses, nous pouvons encore mentionner les autres danses ciaprès : Okiera (danse des Akiera, c’est-à-dire les jumeaux), Lekwa (danse destinée aux esprits de la paix), Okala (danse qui s’adresse aux esprits et mânes charmeurs et envoûtants), Ekiera (danse que le nganga ekiera, spécialiste des fièvres, organise chaque soir pour soigner une femme qui souffre des fièvres nocturnes et permanentes, que l'on dit poursuivie et possédée par des mauvais esprits), Iloï (danse organisée pour soigner une femme qui souffre de décés précoce des enfants). 6.2. Ndzembe Chez les Mbosi, le Ndzembe est un chanteur-griot. Le Ndzembe vient d'un autre terme Mbosi Ondzembe qui signifie le chant. Les Ndzembe sont donc les chanteurs-griots Mbosi Olee. Ils se caractérisent par leurs puissances vocales et leurs cultures multidimensionnelles : ils sont à la fois musiciens, poètes, philosophes, historiens et traditionnistes. Ils constituent une «caste sociale» protégée par Otwere. C'est à eux que reviennent le rôle et le soin d'animer la musique et la danse les jours de fête, de veillée mortuaire. La chanson du ndzembe n'est pas une oeuvre préparée d'avance. Bien qu'improvisée, elle exprime la richesse des connaissances de l'artiste qui peut chanter toute une nuit sans être 148 épuisé. A travers sa chanson, le ndzembe tente toujours de retracer l'histoire de la société Mbosi à travers celle des anciens, la généalogie des grands hommes, des grandes lignes parentales et des grands clans. C’est l’expression de la tradition orale commune à tous les peuples d’Afrique noire. Le Ndzembe chante les valeurs et les qualités des hommes célèbres, les classe dans leur groupe de naissance, dans leur famille et leurs clans, évoque les animaux et les plantes qui concourent à leur puissance. Il est surtout doué pour l’alliance qu'il fait entre les arbres, les animaux, les roches et l'homme. Il est aussi admiré pour la souplesse de ses mouvements, la portée et l'inaltérabilité de sa voix. Les talents de virtuoses des ndzembe leur attirent l'admiration de tout le monde. Cette virtuosité elle-même est acquise au cours de longues années de travail et d'études. Le travail du ndzembe et la pratique de la danse ne peuvent être compris sans ses instruments accompagnateurs. 6.3. Les instruments de musique La musique Mbosi Olee utilise des instruments très variés qui ressemblent aux instruments de la musique moderne et jouent les mêmes rôles. On peut les classer dans trois groupes en fonction de leur construction et de leur utilisation. Ainsi, on peut citer : -les instruments à corde: Ngombi, Lendouma, Esandza; -les instruments à vent: Ngoo Isoumba, Tsomba, Poula, Enâ, Obanda, Tsembe; -les instruments à percussion: Ongongo, Ngasaha, Bosi, Mouaasi, Eye. Si pour la musique moderne, les instruments ont pour rôle de "produire les sons agréables pour l'oreille et intéresssants pour l'esprit", les instruments de la musique traditionnelle Mbosi Olee produisent des sons qui pénètrent l'homme, provoquent le "transport" de son coeur vers l'au-delà, éveillent les éléments de sa puissance mystique, "transportent" le message des humains aux anciens et invitent les esprits à venir se mêler à la vie des humains. Un artiste musicien Mbosi Olee ne peut utiliser qu'un seul instrument. Toutefois leur nombre à une séance de danse ou de musique n'est pas limité. Tout instrument de musique utilisant le fer ou tout autre métal fait intervenir le forgeron, seul artiste habilité à transformer le métal et à travailler le bois. 6.3.1. Les instruments à corde 6.3.1.1. Ngombi C'est une guitare traditionnelle Mbosi avec quatre cordes. Le Ngombi est composé d'une caisse en bois, à la base de laquelle et sur la face supérieure, est pratiquée une ouverture. Sur la face postérieure de la caisse sont fixées quatre tiges d'arbuste qui sous-tendent quatre cordes raides en fils ronds de liane soigneusement taillés. Ces fils partent de la base de la caisse et passent au dessus de l'ouverture. Si à la base de la boîte ces cordes partent, d'un même niveau, leur longueur est pourtant inégale et ordonnée en fonction de la courbe reglable des tiges. A l'extrêmité supérieure de chaque tige est accrochée une lame métallique qui porte les bouts de chaînes. 149 Le Ngombi est joué à l'aide d'un dé en liane et fixé au majeur ou sur l'index de la main droite. Le percuteur en liane du dé glisse sur les cordes pendant que les cinq doigts de la main gauche, bloquent et lâchent tour à tour les cordes vers leurs extrêmités. Comme la guitare, le Ngombi donne les sons que le musicien veut produire. Cet instrument est utilisé dans les danses Kongo et Ekiera. 6.3.1.2. Esandza L’Esandza est une boîte en bois de forme parallèlépipédique qui porte une ouverture à la base de la face supérieure. Sur cette face supérieure sont fixées cinq fines tiges métalliques redressées obliquement par un support (liane ou métal). L’Esandza est joué à l'aide des deux pouces qui grattent alternativement les bouts redressés des tiges métalliques. La boîte est soutenue dans les deux mains par les autres quatre doigts de chacune des mains. Cet instrument est utilisé dans la plupart des danses et par les musiciens solitaires. 150 Pl.11 : Ngombi 151 Pl.12 : Esandza 152 6.3.2. Les instruments à vent 6.3.2.1. Ngoo Isoumba C'est le plus gros et le plus important tam-tam. Il est taillé en cylindre dans un gros tronc d'arbre que l'on évide du bois intérieur sans percer le fond. Sa hauteur totale n’excède pas 60 cm pour permettre au musicien assis de le dominer. Le Ngoo isoumba est terminé à la base par quatre pattes cylindriques qui permettent sa station debout empêchant le fond d'avoir contact avec le sol. L’ouverture du ngoo isoumba est fermée avec la peau du cabri ou du mouton que l'on fixe solidement à l'aide des clous et des lattes de lianes. Un petit orifice perce le bas de l'instrument pour permettre de mouiller la peau de l'intérieur avec un jet d'eau. Avant de jouer, le musicien doit couvrir la surface de la peau d'un tapis de pâte de manioc cuit. Cette couverture donne à la peau une élasticité suffisante et une capacité de vibration extraordinaire. Le Ngoo isoumba est ensuite posé sur un «matelas» de feuilles. Il est utilisé dans la musique des danses Olee, Mondo. 6.3.2.2. Tsomba C’est le petit tam-tam de forme cylindrique allongé taillé dans le cylindre d'un tronc d'arbre travaillé en forme de cône évidé d'un bout à l'autre. Une peau de mouton (Ekoro ya meme) ou de cabri (Ekoro ya mbosi), fixée à l'aide des clous et des lianes tressées, ferme l'ouverture supérieure du tronc évidé. La partie postérieure du Tsomba se termine par un collier circulaire. Le Tsomba couché entre les jambes du musicien assis en tailleur, est joué à mains nues pour un orchestre assis. Il peut être joué par un musicien debout. Il est alors accroché aux reins du musicien par une corde. Il est utilisé par toutes les danses Mbosi Olee. 6.3.2.3. Obanda C'est une trompète Mbosi. L’Obanda est une corne (Tsembe) de grande antilope (Mbousa), soigneusement polie et percée vers la pointe après être vidé de l’os. On joue en soufflant, par la petite ouverture, dans l'instrument. On l'utilise dans la danse Mondo. L’Obanda est aussi un instrument de communication et de signalisation utilisée (comme le cor) pour rechercher et orienter les personnes perdues en forêt. 6.3.2.4. Tsembe Les Mbosi utilisent la corne (Tsembe) de la gazelle ou d'une petite antilope comme sifflet. L’instrument est appelé Tsembe. On l'utilise aussi comme instrument de communication pour éveiller les esprits, les mânes et les pratiques des féticheurs. On l'utilise également dans les danses Ekiera, Okiera, Iloï, Ipouende. 153 Pl.13 : Ngoo Isoumba 154 Pl.14 : Tsomba 155 Pl.15 : Obanda (pl. Ibanda) 156 Pl.16 : Tsembe 157 6.3.3. Les instruments à percussion 6.3.3.1. Ongongo (pl. Ingongo) C'est un gong Mbosi. Il est obtenu par un assemblage à la soudure de deux tôles d'acier en forme de semi-cône. L'ensemble forme un pavillon creux que l'on frappe à l'aide d'un bâtonnet pour produire les sons dont la gravité varie en allant du fond vers l'ouverture. L’Ongongo peut être simple, c'est-à-dire formé d'un seul pavillon : on dit qu'il est d'un seul nez (Pemba poo). Il peut être composé de deux pavillons : on dit qu'il est de deux nez (Apemba aba). L’Ongongo est utilisé dans les danses Olee, Mondo, Iboupha (Okya). Il est aussi utilisé pour accompagner la marche des Abiali (chefs traditionnels), des Ikwe. Il est également utilisé comme instrument de communication en forêt. 6.3.3.2. Bosi C’est un instrument de musique Mbosi. Il est obtenu par l'assemblage de trois ou quatre petits fruits appelés Inguie (Onguie) au moyen d'une tige de bois qui en constitue l'axe. Les fruits issus d'un arbre appelé Onguie sont séchés puis percés dans le sens de l'axe longitudinal avec une tige métallique chauffée au feu. Ils sont remplis d'Ikokoo (grenaille) et enfourché à travers l'axe en bois. L’axe est composé de deux parties : -le manche, partie plus grosse, est terminé à sa base par un bout conique et garni de punaises ou de collier en fils métallique en spirale ; -la tige, plus fine que le manche passe à travers les fruits. Pour empêcher les fruits (Inguie) de glisser le long de la tige, celle-ci est terminée par un collier métallique ou en liane. Condamnés entre l'extrêmité supérieure du manche et le collier terminal de la tige, les Inguie n'ont que le mouvement circulaire autour de l'axe. L'ensemble constitue une production artistique de choix. Le Bosi est surtout utilisé pour les danses Olee, Kongo. Il est joué en le frappant dans la main gauche dont les mouvements font répéter les sons produits. 6.2.3.3. Mouaasi Cet autre instrument de musique Mbosi est fabriqué à partir du fruit en tube allongé et gonflé d'un arbre appelé Omouaasi (arbre de Mouaasi). Une fois mûr, le Mouaasi est cueilli, seché au feu du chauffage d'une chambre pendant plusieurs jours. Les nombreux pépins sont libérés de la pulpe cassée par le séchage et constituent une sonnaille. Le Mouaasi est joué en le faisant frapper dans la main gauche dont les mouvements font répéter les sons produits. Il est utilisé dans de nombreuses danses, surtout les danses reservées aux récits mythologiques et de santé comme Okiera, Okala, Lekwa. Il est aussi utilisé par les féticheurs et les guérisseurs dans leurs invocations. 158 Pl.17 : Ongongo y’apemb’aba (gong de deux nez) 159 Pl.18: Ongongo ya pemba poo (gong d’un seul nez) 160 Pl.19 : Bosi 161 Pl.20 : Mouaasi 162 Pl.21 : Eye 163 La musique et la danse dans la société Mbosi Olee comme nous l'avons décrit, révèlent que ce phénomène n'obéit pas à une simple "logique de loisir". Toutes les danses Mbosi Olee, en effet, cachent en filigrane des pratiques fétichistes: tel danseur ou chanteur ou "musicien" veut exceller, être la "coqueluche" des foules, être la vedette inégalable. L'analyse de sa structuration prouve que ce domaine permet de saisir des dimensions sociologiques, psychologiques, culturelles fondamentales à savoir: cérémonies d'investitures des notables, de fêtes, de deuil; rites magico-religieux et bien d'autres activités. Pour tout dire, les différentes danses Mbosi Olee, les instruments et genres de musique qu'elles utilisent permettent de comprendre la pratique de la danse et de la musique dans sa globalité. Ainsi, "pourquoi et quand danse le Mbosi Olee?" a l'avantage de comprendre la fonctionnalité du milieu culturel Mbosi et surtout d'avoir une assez large connaissance de ses vertus. Ces éléments caractéristiques de la vie culturelle Mbosi Olee tels que la croyance, les danses et leurs instruments bénéficient de l’intervention d’Otwere. En effet, ils sont mis sous la protection d’Otwere qui garantie de ces activités dans le strict respect des us et coutumes édictées par Otwere. 7. Conclusion La vie culturelle des Mbosi Olee est intimement liée à l’organisation sociale et économique. La civilisation Mbosi est une civilisation de l’oralité où sont liées les pratiques magiques, rituelles auxquelles se rattachent la fabrication des fétiches, la pratique de la danse et de la musique. En dehors de quelques rares tentatives, la langue Mbosi n’est pas encore suffisamment écrite. La littérature orale s’exprime à travers plusieurs genres: les récits, les contes, les proverbes. La croyance de la population Mbosi Olee est surtout dominée par les fétiches. Le recours à cette valeur domine la vie religieuse, économique, socio-politique, artistique et la médecine traditionnelle. La musique et la danse sont intimement liées à la personne Mbosi Olee. Les attributs particuliers de la musique Mbosi se situent dans sa structure polyrythmique. Les instruments de musique sont nombreux et variés. Ils éveillent les âmes et suscitent la rencontre des morts avec les vivants. Ils utilisent la corde, le vent et la percussion. Les danses, quant à elles, se fondent sur l’harmonie entre les mouvements du corps et les rythmes de la musique. Elles caractérisent le Mbosi Olee et lui servent de mode d’expression de ses sentiments en toutes circonstances. Elles sont nombreuses, variées et spécialisées. On note que, outre la joie et la tristesse qu’elles traduisent alternativement ou successivement, les danses se présentent comme cultes aux âmes et aux esprits des anciens. C’est par elles que le Mbosi sollicite de ses morts, de Nganzoli (esprit supérieur) le bonheur, la chance, le courage, la guérison et la protection. 164 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE Comme nous l’avons vu, les Mbosi Olee sont l’un des sous-groupes de l’ethnie Mbosi qui occupe la partie septentrionale du Congo. Cette grande ethnie, souvent désignée par une déformation de son nom, le Mbochi, est l’un des grands peuples constituant le grand groupe ethnolinguistique Ngala. Le sous-groupe Mbosi Olee occupe le nord de la région administrative des Plateaux. Il est entouré des sous-groupes ci-après : Tegue ou Teke-Alima, Ngangoulou, Moye, Ngaë et Nguilima. Ce sous-groupe est distingué des autres sous-groupes Mbosi par la danse Olee qui est l’élément fondamental de sa culture. Pour marquer cette différence, les autres sous-groupes ont attaché à son nom celui de la danse fondatrice : Mbosi Olee. La population Mbosi Olee est répartie en zones d’habitation qui sont Asoni, Tsongo, Bombo, Ilanga, Ilanga la Tse, Ollembe, Ondinga. La population de chacune d’entre-elle est désignée par le préfixe Asi (qui signifie peuple de…) suivi du nom de la zone. On a ainsi Asi Asoni, Asi Tsongo… Comme pour les autres Mbosi et les populations voisines, l’histoire des Mbosi Olee est traversée par les grands événements de l’histoire qui sont : la migration, l’esclavage et la colonisation. En effet, sa migration dont la période reste encore mal définie, guidée par Ndinga et Kiba, l’a conduit jusqu’aux terres qu’il occupe actuellement. L’esclavage qui a déporté les jeunes gens valides s’est poursuivi jusqu’aux années 1880 tourné vers l’océan indien par l’intermédiaire du Congo-Belge (actuelle République Démocratique du Congo). La colonisation française a établi son règne sur cette population dès la fin de la seconde moitié du XIXè siècle. Ce règne colonial français s’est attaqué aux grandes valeurs de la civilisation de la population qu’il a remplacées par les valeurs d’une civilisation jusqu’à ce jour inadaptée. Le pays occupé par les Mbosi Olee est un segment de la cuvette congolaise associé à une portion des plateaux, prolongement des plateaux batéké. Il a un climat tropical très arrosé et caractérisé par deux grandes saisons qui se répartissent l’année : la grande saison des pluies, d’octobre à mai, elle-même découpée par de petites saisons sèches et la grande saison sèche de juin à septembre. Il est couvert d’une végétation luxuriante et abondante composée de savanes à haute steppe et de forêt aux espèces très variées et géantes. On rencontre les forêts continentales sur les plateaux et les forêts galeries qui longent les cours d’eau. Le réseau hydrographique de ce pays est très dense et compte de nombreux cours d’eau qui coulent de la partie haute (l’ouest du pays) vers le fleuve Congo. Quant à la société Mbosi Olee, elle est divisée en clans et lignages. Le clan est un ensemble de personnes (mortes et vivantes) toutes descendantes d’un même ancêtre venu dans la migration et ayant occupé une portion de terre et fondé un village. Le lignage regroupe des familles se sentant proches les unes les autres parce que issues d’un même aïeul plus ou moins lointain. 165 L’individu se considère comme un élément d’une famille très large allant jusqu’au huitième degré en ligne directe et composée de quatre lignes de parenté paternelle et quatre lignes de parenté maternelle. Le matriarcat et le patriarcat sont très équilibrés. L’individu appartient de façon très égale à toutes les lignes de parenté de la mère et à toutes les lignes de parenté du père. Le pays est organisé politiquement en chefferies claniques indépendantes les unes des autres, appelées Mara ou Ondinga ou encore chefferie du village, etc, qui, chacune, associe les valeurs suivantes : un territoire de plusieurs hectares, un village fondé par le premier patriarche, une population composée par les membres du clan ou émigrés des clans étrangers. A la tête de chaque chefferie, règne un chef appelé A nga mboa, Obiali ou Ndinga. On parvient à ce rôle et à la dignité de ces chefferies en succèdant à son père, à son grand-père ou à un oncle consanguin. On y est nommé, après choix, et sacré par le conseil des Pande. La vie économique est caractérisée par : -l’agriculture qui associe l’homme et la femme sur des champs en forêt et en savane ; -l’élevage peu développé ; -la pêche qui, comme l’agriculture, associe le travail de l’homme et celui de la femme sur des opérations variées et correspondant aux différentes saisons ; -la cueillette qui fournit surtout les légumes, les chenilles et insectes, les champignons, est pratiquée, par l’homme et par la femme en opérations séparées ; -la chasse qui assure l’essentiel de la nourriture carnée à la société est pratiquée individuellement ou collectivement par les hommes ; -l’artisanat préparait déjà la population à «l’industrialisation» de son économie quand l’esclavage et, surtout, la colonisation sont venus l’étouffer. Il est composé des opérations du fer par la forge, du textile par le tissage, du bois, de la liane par la vannerie, les ustensiles de cuisine par la poterie, de la «chimie» par l’huile et l’alcool ; -le commerce assurait déjà des échanges intérieurs et extérieurs avec les populations voisines : de nombreux marchés étaient crées et fréquentés pour des échanges variés. La culture Mbosi en général et Mbosi Olee en particulier, a pour base et support la langue Mbosi appelée Embosi, langue non écrite, mais qui permet le développement d’une littérature orale structurée en contes, chansons et proverbes. Depuis la nuit des temps, le peuple a mis au point la mesure du temps qui compte Ebou (année), période qui va du début d’une saison de pluies à la fin de la saison sèche suivante ; Souengue (mois), période qui va du premier jour de l’apparition d’une lune au premier jour de la lune suivante ; Loona (semaine) de quatre jours ; Okoo (jour) divisé en périodes correspondant aux étapes du mouvement du soleil. Avant l’apparition des religions catholique et protestante qui ont accompagné la colonisation française, le Mbosi croyait en plusieurs esprits dont le supérieur était le Nganzoli (créateur du bien et du mal). Il plaçait l’esprit dans plusieurs corps et phénomènes naturels ; il croyait aux divinités sous formes de représentations. Mais depuis que les religions importées lui ont enseigné l’existence du Dieu unique, le Mbosi ne lui a jamais donné une forme humaine ou animale, son domaine est le ciel et la terre. Pour le Mbosi, comme pour tout être humain, la mort ne traduit pas la fin de la vie. Elle est expliquée comme passage du monde des humains, des visibles au monde des esprits, 166 des invisibles. Il y a aussi, ce qui peut constituer une particularité africaine, en tout cas Mbosi, c’est que le mort ne quitte pas son village, sa terre, ses forêts. Il côtoie les vivants. Comme religion principale, le Mbosi Olee pratique le fétiche par lequel, il croit, en associant des corps naturels, être capable de produire des forces spirituelles qu’il peut destiner à causer la mort ou à lui assurer le bonheur et la sécurité. Il établit une différence entre le fétiche et la sorcellerie qui est exclusivement considérée comme puissance du mal acquise soit par transmission de mère à l’enfant (Ikoundou), soit par le fétiche (Ekiri). Lorsqu’il est pratiqué par le Nganga (guérisseur), le fétiche se veut une grande école de la médecine traditionnelle. La danse et la musique composent ensemble un art qui peut être considéré comme axe central de la culture du Mbosi Olee. Les instruments de musique sont nombreux et variés ils sont toujours considérés comme capables d’éveiller les âmes, de susciter la rencontre des morts avec les vivants. Tout ce que l’on découvre dans cette première partie de notre étude laisse dire que la société Mbosi Olee avait déjà mis en place toutes les fonctions de sa vie. L’individu y trouvait déjà les dimensions essentielles de son existence qu’il a su adapter à son milieu naturel. Toute étude impatiente peut, cependant, conclure que la vie d’un Mbosi se passe dans les limites étroites de son village et de son clan. Une telle conclusion serait, peut être hardie, mais incomplète. En effet, le Mbosi vit dans une société large et active, bien sûr, à partir de son clan et de son village. On arrive alors aux questions suivantes : qui assure la liaison entre les inidividus dans cette société ? Qui joue le rôle de régulateur des fonctions principales dans cette société ? Les réponses à ces questions seront données par les deuxième et troisième parties qui composent l’essentiel de notre étude : Otwere. 167 DEUXIEME PARTIE : OTWERE: INSTITUTION SUPREME DE LA SOCIETE MBOSI OLEE Otwere consitue en milieu Mbosi Olee l’instance et l’espace de régulation de toute la réalité sociale : culturelle, économique, politique, juridique, spirituelle et esthétique. C’est un ensemble de représentations et de pratiques nouées en gerbe symbolique, à partir de quoi les Mbosi donnent sens et signification à l’univers qui est le leur et agissent sur lui. Otwere est donc un socle sur lequel reposent la culture et la civilisation Mbosi, le pouvoir et l’autorité des notables, des chefs de village ou de clan. C’est par cette vision des choses qui prend en compte aussi bien les aspects socioculturels que politiques et fonctionnels que s’annonce cette deuxième partie. Nous allons tout d’abord énoncer quelques généralités sur Otwere, ensuite nous décrirons sa nature et ses fonctions, son organisation interne et enfin ses cérémonies les plus importantes. 168 CHAPITRE I : GENERALITES SUR OTWERE Ce chapitre ouvre la voie à une réflexion sur la définition, les origines et les caractéristiques d’Otwere. Il s’agit d’une véritable théorie d’ancrage dans une réalité qui permet de saisir de façon apodictique la notion d’Otwere en terre ou pays Mbosi en général et milieu Mbosi Olee en particulier. Cependant, il aborde ce que va être Otwere dans sa nature et sa fonction, et dans son organisation sociale et cérémonielle. 1. Définitions d’Otwere Otwere est l’institution supérieure de la société Mbosi. Sur lui reposent le politique, le juridique, le judiciaire, l’économique, le culturel, bref tout le réel social Mbosi. Mais, dans la société actuelle, ce terme a sur le plan du sens une dimension polysémique. Otwere désigne une institution Mbosi qui gère le droit, un système d’exercice judiciaire. Tout Mbosi a toujours recours à Otwere pour le règlement des différends. Otwere désigne aussi un jugement à rendre ou rendu dans une affaire opposant deux ou plusieurs individus. On dit par exemple : «Itoua a pho Otwere a mba Ngala wa l’olomi» c’est-à-dire : le juge Itoua a rendu le jugement relatif au différend ayant opposé Ngala et son mari. Suivant cette acception, Otwere est alors synonyme de justice. Otwere est la valeur morale et éthique qu’un homme peut se pourvoir pour s’élèver en société et l’influencer par sa vertu. Otwere désigne également un art de vivre, un ensemble de règles, de connaissances, de lois et de techniques nécessaires pour régler la vie en société. C’est aussi la manière dont un Twere (juge), un maître d’Otwere, juge les différends opposant des individus, tranche conformément à la droite raison, à un idéal d’humanisme. On dit par exemple: «Elenga adi l’Otwere» c'est-à-dire «Elenga est habile dans l’art de juger, de rendre la justice ; il est juste». Cette extension du terme Otwere a souvent dérouté le chercheur qui tente de travailler sur l’institution. Souvent, le chercheur ne découvre pas la première dimension du terme, la première chose que les Mbosi désignent par ce terme. Ainsi, Antoine Ndinga Oba qui s’est intéressé à cette quatrième conception du terme l’appréhende en ces termes : «L’Otwere est un ensemble de connaissances, préceptes et règles régissant la vie dans la société. Les connaissances enseignées permettent à ceux qui en sont investis de mieux connaître les forces qui agissent sur le monde, autrement dit, les lois de la nature, les choses visibles et invisibles. On dit des gens avancées en matière d’Otwere qu’ils ont quatre yeux pour voir le jour et la nuit. C’est ce qui leur permet de conjurer les forces du mal et de braver les sorciers dans l’exercice de la justice»119. Otwere désigne également l’école du savoir et de l’éloquence dans la coutume Mbosi. En effet, Otwere confère à tous ses membres le droit de prendre la parole au cours de certaines manifestations ou cérémonies. En prenant la parole, le Twere doit persuader, convaincre son auditoire et trancher. Ce qui nécessite un sérieux apprentissage et une solide initiation. 119 Ndinga Oba (A) : Sur les rives de l’Alima, Harmattan, Paris, 2003, p110 169 Otwere désigne une cérémonie d’initiation et d’adhésion des membres d’une contrée ou bien le rassemblement de ses membres (assemblée) convoqués pour l’admission de nouveaux membres dans l’institution. Cette cérémonie est célébrée dans un sanctuaire que les Mbosi appellent «Eselee ou kinda». Toute convocation d’Otwere est provoquée par l’adhésion de nouveaux membres. Lorsqu’on a des postulants ou candidats, Otwere peut être convoqué. Mgr Benoît Gassongo, qui avait perçu la fonction judiciaire d’Otwere définit l’institution comme une «judicature ancestrale»120. Un autre sens que Mgr Benoît Gassongo a eu raison de donner au précepte Otwere est quand il désigne une cérémonie de l’institution socio-politique. Il écrit : «Otwere, dans sa signification fondamentale et rituelle, était l’assemblée ou le rassemblement des juges ancestraux, convoqués pour l’admission de nouveaux membres. Toute convocation d’Otwere n’avait que ce seul but. Lorsqu’on avait des postulants ou candidats, Otwere pouvait être convoqué»121. Louis Soussa, prenant ce terme pour désigner la sagesse et la philosophie enseignées par Otwere institution suprême, écrit : «Otwere est d’abord une sagesse philosophique; c’est un degré d’initiation mystique; ensuite et seulement à cause de cette sagesse reconnue, c’est la fonction judiciaire»122. Abraham Constant Ndinga-Mbo estime, quant à lui, qu’«Otwere est dans tout le pays Ngala plus qu’une simple étape initiatique. Ce terme désigne la judicature en pays Ngala, la profonde philosophie du pays fondée sur la justice sociale car Otwere est en réalité l’union de la sagesse et de la vertu dans un individu»123. Toutes ces conceptions sont parcellaires au regard du précepte polysémique d’Otwere. Elles ont, ensemble, le grand mérite de faire percevoir Otwere comme : -Institution socio-politique ; -Système de gestion et pouvoir d’adminstration de la société Mbosi ; -Pouvoir de sécrétion et de protection de la coutume ; -Pouvoir et fonction judiciaire. Otwere ainsi défini est connu et pratiqué sous différentes appellations chez d’autres populations du Nord-Congo : -chez les Akwa : Oywe -chez les Ngangoulou: Otouere -chez les Mboko: Onkani -chez les Ngare: Onkani -chez les Tegue: Onkani -chez les Likouba: Bototele -chez les Likwala: Bototele -chez les Moye (Moï): Bototele -chez les Bomitaba: Ototele. 120 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit Mgr Gassongo (B) : Op. Cit, p14 122 Soussa (L): Op. Cit, p51 123 Ndinga-Mbo (A.C) : Pour une histoire du Congo-Brazzaville. Méthodologie et réflexions, Harmattan, Paris, 2003, p122 121 170 2. Origine d’Otwere Otwere domine la vie de toutes les populations Mbosi habitant la cuvette congolaise. Pour toutes ces populations comme pour tout le groupe Ngala du Congo, Otwere s’impose comme une superstructure ancienne dont l’origine paraît encore obscure et mal connue. A cet effet, Mgr Benoît Gassongo écrit : «Otwere est une vieille institution qui avait trait à la justice de nos pères. Il a existé, paraît-il, dans nos tribus du Congo avant d’être supplanté par la justice coloniale ou moderne. Il a existé aussi chez les Blancs, les juifs (les Jephté) »124. Ici, l’auteur qui est un prélat (un homme d’église) laisse entrevoir l’existence d’une institution semblable chez le peuple juif et chez les blancs (les Européens). Mais, il ne précise pas sous quelle forme. De son côté, Jérôme Ollandet précise que : «Le rite d’initiation à la sagesse tire sans doute son origine de tous les premiers conseils d’Anciens pour le règlement des premiers différends. Les Mbosi auraient peut-être eu le mérite d’en faire une institution»125. Comme Mgr Benoît Gassongo, Jérôme Ollandet ne précise pas non plus avec exactitude l’époque ou la date de l’instauration de cette institution. Ces manquements observés chez ces auteurs seraient-ils dus au caractère oral ou au manque de support écrit de notre histoire précoloniale ? Sans doute une réponse affirmative paraît justifiée à en croire cette maxime d’Amadou Hampaté Ba : «quand un vieillard meurt en Afrique c’est toute une bibliothèque qui brûle»126. Le défaut de transcription des connaissances transmises oralement par les anciens explique jusqu’alors l’imprécision sur les origines de cette institution. Ce qui reste vrai, c’est qu’Otwere a une origine ancienne que l’on peut faire remonter avant l’époque des migrations Mbosi. Il serait né de la volonté des populations Mbosi à régler les problèmes sociaux, ethiques et culturels de manière pacifique et légale. Ainsi, les Mbosi dans leur mouvement sous la conduite de leurs héros légendaires Ndinga et Kiba, s’étaient déplacés, transportant avec eux Otwere, leurs traditions et leurs croyances. Ces usages voyageaient avec eux lors de leur migration jusqu’à leur installation sur le territoire actuel. D’autre part, certains informateurs127 Mbosi Olee nous apprennent qu’Otwere dans leur contrée serait né avec l’installation des Mbosi sous la conduite de Ndinga (Ndinga chef de file de la migration Mbosi) dans l’espace qu’ils occupent actuellement. Dans la conduite des Mbosi, Ndinga tenait des réunions ou assemblées avec certains chefs de clans ou de groupe. Ces réunions avaient pour objet l’organisation et l’occupation de la terre, le règlement des litiges entre clans. Elles prirent la forme d’une institution décentralisée au cours des temps. Certains chefs de clans influents et enrichis finirent par créer des sections autonomes d’Otwere appelées Kwephe. Par exemple : -Kwephe ya A Ngwe O Toro c’est-à-dire section d’Otwere du clan A Ngwe O Toro ou A Ngwe Iboro 124 Mgr Gassongo (B): Op. cit, p3 Ollandet (J): op. cit, p237 126 Amadou Hampaté Ba cité par Ndinga-Mbo (A) : Op. Cit, p106 127 Ce développement émane de l’entretien avec Angala François, un commerçant âgé d’environ 70ans domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 12/02/2001. 125 171 -Kwephe ya A Ndei E Ekongo c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ekongo -Kwephe ya Omboula-Nga c’est-à-dire section d’Otwere du clan Omboula-Nga -Kwephe ya A Tsana O Boua c’est-à-dire section d’Otwere du clan A Tsana O Boua -Kwephe ya Elongo Asale c’est-à-dire section d’Otwere du clan Elongo Asale -Kwephe ya Akongno la Ndzo c’est-à-dire section d’Otwere du clan Akongno la Ndzo -Kwephe ya A Kipha O Kolima c’est-à-dire section d’Otwere du clan A Kipha O Kolima -Kwephe ya A Mbombi Akiele c’est-à-dire section d’Otwere du clan A Mbombi Akiele -Kwephe ya Okiele c’est-à-dire section d’Otwere du clan Okiele -Kwephe ya Ndzi Ala c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ndzi Ala -Kwephe ya Asandza l’Ongogni c’est-à-dire section d’Otwere du clan Assandza l’Ongogni -Kwephe ya Ikoueme Ekasa c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ikoueme Ekasa -Kwephe ya Mwandzola O Pama c’est-à-dire section d’Otwere du clan Mwandzola O Pama -Kwephe ya Ngatsongo O Pouma c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ngatsongo O Puma -Kwephe ya Ikombi O Bomba c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ikombi O Bomba -Kwephe ya Tsekiembe Ingamba c’est-à-dire section d’Otwere du clan Tsekiembe Ingamba -Kwephe ya Oto Ibonga c’est-à-dire section d’Otwere du clan Oto Ibonga -Kwephe ya Okiene Eba c’est-à-dire section d’Otwere du clan Okiene Eba -Kwephe ya Ela Mbosi c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ela Mbosi -Kwephe ya Ondee O konga c’est-à-dire section d’Otwere du clan Ondee O Konga et d’autres encore. Avec la «décentralisation administrative» de la société Mbosi Olee en zones (Tsengue) et en villages autonomes, ces kwephe se sont multipliés et à leur tour en ont crée d’autres comme pour fonder la volonté de certains chefs à gagner leur autonomie vis-à-vis de l’organisation centrale. Par exemple : 1) – Kwephe ya A Ngwe O Toro a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Ngaporo Sikangue (village Elo) auquel a succédé Nganongo Oborô (village Okassa) ; -Kwephe ya mba Ngamboyi Obare (village Okasa) auquel a succédé Okandze Opala (village Okassa) ; -Kwephe ya mba Nguebili Ibaressongo (village Ongouala) auquel a succédé Ngandoni Mbongo (village Onguala) ; -Kwephe ya mba Ibara Mbembe (village Ngania) ; -Kwephe ya mba Ngambe A Mbama Niombo (village Ngamba) ; -Kwephe ya mba Ngakosso Lemoua (village Nguiele-Okasa) ; -Kwephe ya mba Ibara l’Ombandza (village Nguiele-Okasa). 2) - Kwephe ya A Ndei E Ekongo a donné les kwephe autonomes ci-après: -Kwephe ya mba Ngatse Okoua (village Bomba) auquel a succédé Ondongo (village Bomba) ; -Kwephe ya mba Oko Obei (village Apheme ou Mapeme) auquel a succédé Mboula Engondo A Mba Oko Obei (village Apheme ou Mapeme) ; Kwephe ya mba Okandze A Mba Okia (village Epaa) auquel a succédé Obassi Otendi (village Epaa). 172 3) – Kwephe ya Mboula-Nga a donné les kwephe autonomes ci-après: -Kwephe ya mba Ngapaa (village Apheme ou Mapeme) auquel a succédé Mouandzibi Ibondzi128 (village Tsodzo) ; -Kwephe ya mba Nga Ngo b’Okei (village Endolo). 4) - Kwephe ya A Tsana O Boua a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Ngatsese Kassambe Onguiebele129 (village Epaa) auquel a succédé Ngatsese Okouere (village Epaa). 5) – Kwephe ya Tsekiembe Ingamba a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Ngamboyi Kaakaa (village Komo) ; -Kwephe ya mba Abongo (village Ibouli). 6) - Kwephe ya Ondee O Konga a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Dimi Ngawua130 (village Mbandza) auquel a succédé Nianga Dimi (village Mbandza). 7) - Kwephe ya Elongo Asale a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Ngokoupha Ndzeli (village Ekolo) auquel a succédé Ngapey (village Komo) ; -Kwephe ya mba Obambi Assaa (village Ekolo- Mossende) ; -Kwephe ya mba Elenga Kalima (village Nguiele-Okasa) ; -Kwephe ya mba Ngambe (village Nguiele-Okasa) ; -Kwephe ya mba Ibara l’Ombandza (village Nguiele- Okasa). 8) – Kwephe ya Akongno la Ndzo a donné les Kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Ngakosso (village Mbey A Tsono ou Mbey Ngasoua) ; -Kwephe ya mba Itoua Ndzo (village Oyale). 9) – Kwephe ya A Kipha O Kolima a donné le Kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Ngaporo A Mbossa (village Mbandza). 10) – Kwephe ya Mbombi Akiele a donné le kwephe autonome ci-après: -Kwephe ya mba Ngaakosso M’Oko (village Akiele). 11) – Kwephe ya Mwandzola O Pama a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Nguiko A Kie Apa (village Kasimba) ; -Kwephe ya mba Itoua la Mba Ewuesse la Tsana (village Ambombongo). 12) – Kwephe ya Ndzi Ala a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Ngaakia (village Odzia). 13) – Kwephe ya Asandza l’Ongogni a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Nguiko M’Ondei (village Ngouene). 128 Mouandzibi Ibondzi a été à la fois chef du village Tsodzo et A nga kwephe (maître d’Otwere). Il a été sacré A nga kwephe en 1953 au village Isemba. Nous tenons ces informations de son fils Oko Mouandzibi, fondé de pouvoir à la Paierie auprès de l’ambassade du Congo en France, le 9 décembre 2002. 129 Ngatsese Kassambe Onguiebele a été à la fois chef du village Epaa, Obiali de ce même village et A nga kwephe 130 Dimi Ngawua a été à la fois chef du village Mbandza, A nga Kwephe et sous la colonisation française chef de terre Ondendoula 173 14) – Kwephe ya Ikoueme Ekasa a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Mbongoo (village Ngouene). 15) – Kwephe ya Ngatsongo O Pouma a donné le kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Ngandoni M’Ongali (village Ongali). 16) – Kwephe ya Ikombi O Bomba a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Ngakono (village Kanaa) ; -Kwephe ya mba Ikie l’Onanga (village Emboli). 17) – Kwephe ya Oto Ibonga a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Oto Mbembe (village Okongo) ; -Kwephe ya mba Oba A Kondzi (village Kondzi ). 18) – Kwephe ya Okiene a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Elonda Letso (village Ebaa) ; -Kwephe ya mba Ngapey A Tsangue (village Tsangue). 19) – Kwephe ya Ela Mbosi a donné le Kwephe autonome ci-après : -Kwephe ya mba Ibombo Mboula (village Oyapha). 20) – Kwephe ya Okiele a donné les kwephe autonomes ci-après : -Kwephe ya mba Elenga Olande (village Okouephe) ; -Kwephe ya mba Ondongo (village Okiele). Il existe donc de nombreux kwephe (sections autonomes d’Otwere) dans la société Mbosi Olee. Aucun détenteur de kwephe n’est supérieur à l’autre. Il existe entre les différents kwephe des relations fonctionnelles et complémentaires non hiérarchiques. Cependant leur ensemble constitue la hiérarchie supérieure de l'institution qui supervise toute la société. Chaque kwephe obéit à un totem qui est représenté soit par un animal: Ngwe (panthère), Embolo (lion), soit par un reptile Ibiri (couleuvre), soit par un arbre : Mbomi, Oka, soit par un oiseau : Koso (perroquet), Oley (charognard). Ce totem a comme pouvoir de gardien du kwephe. Le secret du totem d’un kwephe ne doit être livré qu’à un neveu utérin ou à un fils jugé digne et apte à succéder le parent détenteur du pouvoir, à garder secrets les renseignements reçus. 3. Les caractéristiques d'Otwere Avec Mgr Benoît Gassongo131, nous retiendrons qu’Otwere se présente comme l'institution ancestrale la plus sacrée, la plus respectable et la plus respectée, la mieux implantée et la plus cohérente de la société Mbosi tout entière, pour tout dire c'est l'institution suprême. 3.1. Otwere : institution sacrée 131 Mgr Gassongo (B): Op. Cit, pp5-7 174 La question du sacré a existé de tout temps. Elle est la hantise de l’être humain dans le monde qui l’a vu naître et qu’il produit. De l’animisme à la tradition judéo-chrétienne -la torah, la Bible, les apocryphes- en passant par la religion musulmane, hindouiste, bouddhiste, etc, le sacré constitue l’une des plus importantes préoccupations de l’être humain ; il est la plate-forme de son existence. Comme l'indique Jean Jacques Wunenburger132, le sacré correspond à un ensemble de comportements individuels et collectifs qui remontent aux temps les plus immémoriaux de l’humanité. On peut les répérer à trois niveaux : celui de l’expérience psychique individuelle, celui des structures symboliques communes à toutes les formes de représentation sacrée, celui enfin des fonctions culturelles du sacré dans les sociétés. Aussi, la littérature dite ésotérique133, les recherches et fouilles historiques et anthropologiques sur les cultures et civilisations anciennes -égyptienne, grecque, romaine- ou la littérature tout court (les représentations dionysiennes ou les tragédies grecques antiques) démontrent sans doute de l’étroite relation de l’homme avec les dieux et avec le sacré. Le sacré et l’homme ou la mystique et l’humain sont donc, deux «forces», deux «pouvoirs» essentiellement tributaires. L’un est pour l’autre, ce que l’âtre est pour la chaumière et vice-versa. Ainsi, Otwere chez les Mbosi Olee est une institution qui enfonce ses racines dans le sacré. Mais qu’est ce qui confère à Otwere son caractère sacré ou mystique? Tout le peuple est convaincu qu’Otwere est l’institution la plus sacrée en terre Mbosi. Le caractère sacré d’Otwere est crée par la croyance Mbosi Olee. Elle affirme que toute force qui guide et oriente l’action de l’homme est d’inspiration divine. Toute la communauté est résolue à croire que l’action d’Otwere, ses règles et lois sur les hommes, sont l’inspiration de Nganzoli (esprit supérieur qui secrète le bien et le mal) et doivent être acceptées comme sacrées. 3.1.1. Le mythe des instruments d’Otwere Notre travail sur Otwere, de manière générale, touche à la question du sacré. Otwere, lui-même, force cette croyance Mbosi : son premier instrument, le Mwandzi, est accepté comme emblème de la communauté. Tous les instruments de la suprême institution au sujet desquels nous avons consacré tout un chapitre et sur lesquels nous pouvons revenir, sont dotés du caractère sacré pour caractériser cette institution. Nous notons que le cérémoniel d’Otwere, tel que nous l’avons commenté, se présente comme espace de rites et de cultes. Le sanctuaire ou l’Eselee en haute forêt, constitue l’authentique lieu de ces rites et cultes. Comparativement à la tradition hébraïque ou juive, le sanctuaire134 est le lieu par excellence de l’initiation des membres d’Otwere. Il est la «chambre haute» où l’homme, le 132 Wunenburger (J.J): Le sacré, Presses Universitaires de France, Paris, 2001, p7 Schuré (E): Les grands initiés, Librairie Académique Perrin, Paris, 1960, 508p 134 Le mot santuaire est dérivé du latin «sanctus» et signifie saint. Ce mot est retrouvé dans le chant de messe chrétienne : «Saint», «Saint le Seigneur…». «Dieu seul est saint, il est le tout autre» est-il écrit dans la Bible. Par rapport aux hommes, à l’univers Dieu est «séparé». Par conséquent on dira d’Israël qu’il est le peuple de Dieu, le peuple élu, peuple mis à part. Dans les religions anciennes, le sanctuaire désignait «l’espace réservé au Dieu» à l’intérieur du temple, l’espace qui lui est consacré sur la terre des hommes. Pour le temple de Jérusalem, on disait «le saint des saints», le lieu sacré par excellence, interdit au profane. Chez les orthodoxes, cet espace est séparé par une sorte de clôture percée de trois portes, appelée iconostase. En termes d’architecture chrétienne, le sanctuaire désigne la partie 133 175 Ngo Otwere, appelé à quitter le vulgaire subi une «métamorphose». Il passe d’un monde à un autre. Il n’est plus l’homme vulgaire de la couche des non-initiés. Il appartient dorénavant à la classe qui l’élève à la connaissance du secret, à la connaissance de l’origine du bien et du mal. Il passe donc de la catégorie des non-initiés à celle des initiés où il se sent désormais lié à un seigneur, Ndinga, à un rite ; à un totem, à une tradition et à ses exigences. Il a franchi les interdits. Ainsi donc, chez les Mbosi Olee, ceux qui sont appelés à servir et à vivre comme membres d’Otwere, sont invités à une partie d’initiation, c’est-à-dire à être doté du pouvoir sacré ; ils sont mis hors des hommes du commun, c’est-à-dire les Ipombo. L’Eselee est le lieu par excellence de l’investiture Mbosi par Otwere. Tout ceci ne fait pas oublier que, de façon évidente, Otwere n’est pas une divinité mais et reste avant tout un pouvoir des hommes. Il convient de retenir aussi que l’un des facteurs par lesquels Otwere impose à la croyance Mbosi son caractère sacré est la forêt. Les éléments qui favorisent ce caractère sacré d’Otwere sont fournis par la distance qui sépare le village à Eselee, et aussi par la force du fétiche que pratiquent les maîtres d’Otwere pour dominer, pour écraser. autour du chœur, espace où se déroule la liturgie, espace séparé de la nef et surélevé. Cependant, les chrétiens ont préféré employer le mot église, pour désigner les lieux où ils se rassemblent. Ces développements ont caractérisé le sanctuaire dans le monde judéo-chrétien. Dans les civilisations anciennes et dans les sociétés traditionnelles, on rencontre aussi des sanctuaires. Chez les anciens égyptiens, le temple (sanctuaire) n’était pas un simple édifice –cadre indifférent des actes qui s’y jouaient- mais une image abrégée du monde, une sorte de maquette figurant symboliquement les zones de l’univers où se mouvait le Dieu. C’était la demeure du Dieu. On s’y rendait par une allée bordée à gauche et à droite par des sphinx. On y entrait par une porte encadrée de deux tours massives précédées de hautes aiguilles de pierres, les obélisques : cette porte ouvrait sur une vaste cour entourée de colonnades où tout le monde pouvait pénétrer : la cour péristyle. Au fond de la cour, se trouvait la demeure du Dieu. Cette demeure comprenait la salle hypostyle (salle au toit supporté par des colonnes), salle de réception réservée à quelques privilégiés, et le sanctuaire, abri de la statue du Dieu où seuls le roi et les grands prêtres étaient admis. Sa construction faisait partie des activités divines et suivait les prescriptions d’un rituel de fondation précis où, là encore du point de vue dogamatique, seuls le roi et quelques divinités particulières intervenaient. Ainsi donc en Egypte antique, le pharaon avait crée un monument qui non seulement proclamait les bienfaits et la puissance du Dieu, mais aussi, grâce à l’incorporation de l’énergie vitale divine dans ses images, permettait l’accomplissement des rites. Obenga (Th) : La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère, Harmattan, Paris, 1990, p467 ; Meeks (D), Favard-Meeks (Ch) : Les dieux egyptiens, Hachette, Paris, 1995, pp163-165 ; Sauneron (S) : Les prêtres de l’ancienne egypte, Editions du Seuil, Paris, 1998, p62. Chez les Grecs, le sanctuaire était un espace consacré à une ou plusieurs divinité(s), et limité par des bornes. A l’intérieur de cet espace se trouvaient le plus souvent –mais pas nécessairement- un ou plusieurs temple(s), des chapelles, des autels, des statues, etc. L’espace sacré, et comme tel inviolable. Claude Mossé : Dictionnaire de la civilisation grecque, Editions Complexe, Paris, 1998, pp434-435. Chez les Romains, le sanctuaire n’est pas nécessairement un bâtiment, ni d’ailleurs simplement un lieu ou un édifice occupé par une divinité. En effet, tout lieu public ou privé peut servir de sanctuaire, de lieu de culte, pour peu qu’il y ait des hommes pour célébrer les rites : souvent un espace purifié avec un autel permanent ou portail suffit. Toutefois, reconnaître une présence divine, dresser un autel, une chapelle, un temple, et célébrer un culte ne revient pas pour autant à créer un lieu sacré. En termes Romains, seuls sont sanctuaires les terrains ou bâtiments consacrés par un magistrat du peuple romain, ou à défaut, en vertu d’une loi, ou par ceux que le peuple a élus à cette fin. Si ces règles sont respectées, la consécration et la dédicace ne sont pas valables, et on peut disposer librement de l’objet ou du lieu en question. Encyclopedia Universalis, p557 Par ailleurs, chez les Mbosi Olee, le sanctuaire, que nous allons analyser plus loin, appelé Eselee est le lieu où se déroule la célébration rituelle d’Otwere, lieu réservé uniquement aux membres de cette institution. Le mot sanctuaire dans le langage d’aujourd’hui, désigne tout lieu de culte, lieu de pèlerinage. Par exemple, Lourdes, Fatima, Assise, Lorette, Montmartre. Ce mot a également été employé dans le langage civil et juridique pour désigner un lieu protégé et inaccessible. Ainsi donc, selon les sociétés, les époques, les domaines, le mot sanctuaire exprime divers aspects de la réalité sociale liés au sacré. 176 Cette force des fétiches qui sont logés dans le Mwandzi, le Pengue y’ebani et dans le Kwephe impose le respect dû à ces instruments. Ils cessent désormais d’être considérés comme objets d’art, symboles folkloriques, pour recéler en eux une dimension mysticospirituelle : ils sont sacrés. Pour justifier par exemple cette dimension qu’acquiert le Mwandzi par le fétiche, on relève que l’expertise en matière de règlement des affaires, élève les Twere (juges traditionnels) détenteurs de ces instruments qui se hissent au rang de notoriété de la rhétorique et du mysticisme. C’est ce que démontrait Elenga Olande135, l’un des juges traditionnels émérites dans le district d’Abala qui, avant le règlement d’une affaire d’une certaine délicatesse, devait faire passer la nuit à son Mwandzi sur la tombe de son défunt père après l’avoir, induit d’une décoration d’écorce de bois et vin de palme. Au moment du jugement, muni de son Mwandzi, il espérait être guidé dans le développement de ses arguments par l’esprit de celui-ci. Un autre cas est celui de Nyanga Ekaa136. Celui-ci muni d’un très vieux Mwandzi qu’il aurait hérité de son père mort vers 1902, simulait souvent le sommeil pendant que le Twere adverse évoluait dans son argumentation. Quand venait le tour de ce Nyanga Ekaa, l’adresse avec laquelle il répétait l’argumentation adverse, lui que l’on avait cru endormi, laissait la Cour ébahie et sa réplique plaçait l’adversaire dans une position d’hypnose. Son argumentation était acceptée comme la plus juste et la plus convaincante. Le montant de réparations des dommages proposé par lui, était souvent adopté sans contestation par toutes les parties. 3.1.2. La forêt Pour le Mbosi Olee, la forêt, surtout ses grands arbres (les géants de la forêt) était considérée comme habitat privilégié des esprits, des mânes des anciens. C’est ce qui justifie que la forêt soit toujours choisie comme le lieu exclusif où doit être installé l’Eselee (sanctuaire) destiné à abriter une cérémonie d’Otwere, surtout au pied d’un grand arbre. C’est surtout aussi le calme qui détermine ce choix de la forêt, la garde des secrets, la liberté des débats. Ici, les membres d’Otwere espéraient associer à leur cérémonie les ancêtres morts. La participation des mânes était sollicitée la veille de la cérémonie par un culte célébré par les dignitaires du clan propriétaire de la forêt. Ce culte était toujours accompagné d’une offrande fournie par A nga kwephe. Ainsi, la forêt constitue un facteur du caractère sacré d’Otwere. Par ailleurs, le fait que les assemblées et cérémonies d’Otwere aient lieu en forêt et hors de la vue des Ipombo et des femmes témoignent aussi du caractère sacré d’Otwere. 135 Parmi les juges traditionnels ou Twere du district d’Abala, Elenga Olande compte parmi les émérites. Expert en la matière, sa notoriété fut de l’ordre à la fois rhétorique et du mysticisme. Grand manipulateur du dialecte Mbosi, il détournait souvent - et grâce aussi à ses pouvoirs occultes- ses collègues juges de leurs pensées et les déboussolait. Et quand l’affaire à régler lui paraissait délicate et que la plaidoirie de la partie adverse s’avérait sérieuse, il invoquait la pluie qui durait 15 mn environ. Cette courte pluie, en signe d’intermède, fut son pouvoir par excellence qui divertissait la partie adverse et lui donnait la victoire, c’est-à-dire lui permettait de gagner le procès. 136 Nous tenons ces informations de son fils Kiba François, ancien inspecteur d’Etat, domicilié au centre-ville de Brazzaville. 177 3.1.3. La distance village-Eselee Si la forêt choisie pour abriter une cérémonie d’Otwere peut être celle au bord de laquelle est construit le village, l’Eselee ou le Kinda installé au pied d’un très grand arbre de cette forêt, doit être séparé du village de plus de 150 m. Cette distance village-Eselee a sa signification. Elle imprime avant tout le caractère secret du lieu où doivent se dérouler les cérémonies d’Otwere. Elle permettait aussi de retirer les secrets d’Otwere de la connaissance des Ipombo et des femmes. Elle a pris le caractère de lieu d’exil journalier pour les activités d’Otwere lorsque l’administration coloniale était résolue à combattre la civilisation Mbosi. Il était donc bien indiqué d’éloigner les lieux de cérémonies d’Otwere du village. Cette distance village-Eselee consacre surtout, l’écart entre le sacré et le vulgaire, entre l’activité de l’homme et celle de la femme, entre le spirituel et le matériel, entre la maturité et l’immaturité. De manière générale, elle caractérise l’écart entre le sérieux et l’ordinaire, entre la strate des élus de la société et les exclus, entre les membres d’Otwere et les Ipombo. 3.2. Otwere : institution respectable Otwere est l'institution la plus respectable et la plus respectée de la société Mbosi. C'est grâce à son autorité indéniable qu’Otwere est arrivé à empêcher les guerres entre villages ou entre groupe de lignages. En effet, tout problème entre villages ou entre groupe de lignages est résolu pacifiquement par l’institution. Il arrive que des hommes s'affrontent dans un combat armé, les hostilités doivent cesser quand le commis d’Otwere ou le Twere s’interpose en agitant le Mwandzi. Le Mwandzi représente à peu près en comparaison à la justice moderne, le maillet qui impose le silence. Les conflits étaient nombreux. On raconte137 qu'autrefois un conflit avait éclaté entre d'un côté, Pama et les villages du système Mwandzola et de l'autre côté, les villages Epaa, Elo, Ipounou, Obalembomo du système Tsana O Boua138 à propos d’un buffle tué (par le chasseur Kolo du village Epaa) à la frontière des deux systèmes. De part et d'autre les hommes se sont présentés armés de couteaux, de coupe-coupe et d'okoungou (arme en bois séché au feu, taillée en forme de coupe-coupe). Chacun s’apprêtait à jeter son arme lorsque Ngambomo du village Obalembomo se plaça entre les hommes en furie brandissant le Mwandzi. Le conflit fut confié à un Twere qui le régla en faveur des villages du système Tsana. Otwere fait respecter la propriété individuelle et collective: les objets de production (lances, filets de chasse, houe, paniers, couteau et calebasse du récolteur de vin de palme). 137 Ce point est le résultat de l’entretien avec Angala François, un commerçant âgé d’environ 70ans domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 12/02/2001. 138 Tsana O Boua tout comme Mwandzola O Pama sont deux grands Abiali de la terre Asoni. Ils avaient réussi à former chacun un ensemble politique plus vaste que le simple cadre de leur juridiction. On parle alors de système Tsana O Boua ou de système Mwandzola O Pama. Ces deux systèmes regroupent en fait un certain nombre de Mara des villages de leur terre. 178 Par exemple, il arrive que quelqu'un mette le feu volontairement à un arbre fruitier, ou incendie une maison d'habitation dans un village ; qu'il s'attaque et détruise volontairement un objet de production, il est obligé d'adhérer à Otwere. Le passage du cortège d'Otwere est respecté par tout le monde. Les femmes et les Ipombo s'écartent et se cachent dans les maisons au moment où passe un cortège d'Otwere. Une forêt qui abrite un Eselee d'Otwere ne peut pas être débroussée et mise en culture. Elle est inviolable. Un Ebani qui est envoyé en mission d'Otwere dans un village peut ramasser dans ce village fruits et volailles. Aucun habitant du village ne peut ni mettre fin à son action ni arracher ce qu'il a pris. 3.3. Otwere : institution constante et rigoureuse Otwere est l'institution la plus rigoureuse. La date d'une cérémonie ou d'une assemblée d'Otwere une fois fixée ne peut être reportée. Une fois admis membre d'Otwere, l’individu le demeure toute sa vie. Les lois de la société s’imposent à tout individu sans distinction de rang ou de sexe ; elles sont intransigeantes en tout lieu et à tout temps. Pour la même faute, le non membre d’Otwere encourt la même peine qu’un membre d’Otwere. Si la peine retenue et exigée pour une faute, est celle considérée comme la plus lourde, c’est-à-dire l’obligation d’ahésion à Otwere, elle est appliquée aussi bien au non membre d’Otwere qu’à un membre et à une femme. Le premier subit lui-même la peine alors que le membre fait subir sa peine, par substitution, par un parent non membre d’Otwere. La femme, puisqu’elle est exclue d’Otwere, doit pour exécuter sa peine, désigner comme l’homme membre d’Otwere un parent mâle qui doit subir l’obligation de devenir membre de l’institution malgré lui. Cette rigueur des principes et lois d’Otwere est surtout constatée dans les cérémonies de l’institution quand le maître qui préside les séances est contraint de conserver une position d’immobilité de tout son être pendant toute la journée du déroulement de l’instance. En effet, une fois hissé et assis sur son trône139 pour présider la cérémonie, l’A nga kwephe entre dans une position d’immobilité totale et ne peut ni la quitter ni chanceler quelque soit l’événement qui survient pendant qu’il est contraint de garder sa position. Ces quelques faits que nous soulignons et d’autres, nous autorisent à conclure qu’Otwere est constant et rigide dans l’exercice de sa puissance sur les hommes. 3.4. Otwere : institution cohérente Otwere est une institution cohérente, et la seule qui régit toute la société Mbosi. Un principe, une règle ou loi, prise lors d'une assemblée dirigée par un maître de kwephe, s'impose à tous les hommes et femmes, membres ou non d'Otwere. 139 Le Mbosi considère son tabouret de tronc d’arbre comme l’endroit où se repose son âme et celles de ces ancêtres morts. Ainsi, le trône où est assis le maître de l’institution est non seulement un lieu où s’est réfugié son âme, mais aussi celles de sa communauté tout entière. Cette communauté comprend, bien sûr, les ancêtres morts qui sont les garants de la vie des êtres humains vivants. La liaison entre ces derniers et les autres morts pendant l’initiation est entretenue par le maître d’Otwere. 179 Un jugement rendu pour une affaire est sans appel. Aucune instance judiciaire n'est audessus d'une autre. Cependant ses décisions étaient applicables quelque soit le lieu d’habitation du justiciable. Elle est garantie par Otwere et par un membre d’Otwere. Un membre d'Otwere qui se rend coupable d'une infraction prévue par Otwere, supporte tous les frais d'adhésion à Otwere d'un membre de sa famille. Un Opombo qui commet une faute prévue et punie par Otwere reçoit pour sanction suprême le devoir d'adhérer à Otwere, il doit supporter le coût afférent à l'organisation de son "intronisation". Les secrets d'Otwere sont observés par tous les membres de la société. Une divulgation du secret d’Otwere vaut une amende (poulets, cabris, moutons, espèces) au coupable. Le verdict est donné par Otwere en ces termes : "Hé ! Hié ! Ombongo amia ngolo apouru l'okonda (bis) (Refrain) Ombongo a mia ngolo apourou l'okonda ce qui veut dire : Le plus petit fretin qui avala le silure a accepté de grossir (et d'éclater). Ndoli, hé ! atona mwandzi a dinga angounda: Quand Ndoli refusa la paix, il aima le bouclier (la guerre). Ono ono, ezaha no bea a bare opfamissa zoro : Quand tu manges ce qui appartient à autrui, prépare-toi à une attaque sévère"140. Il s’agit ici d’une mise en garde à tout contrevenant aux préceptes et règles régissant l’institution Otwere. 3.5. Otwere : institution suprême Initié ou pas, tout membre de la société est soumis à Otwere. Avant l’époque coloniale, les chefs avaient d’importantes fonctions au sein des lignages, clans, familles, collectivités mais étaient tenus de respecter Otwere en tant que source de son autorité. Même les Abiali (chefs de clans), les nganga (féticheurs) et autres notables, lui étaient soumis. D’ailleurs, toute restriction à l’institution supposait une injure à la réglementation, donc Otwere. Les A nga kwephe entretenaient des rapports fraternels avec les chefs de village et différents notables et dignitaires. Ces rapports, Otwere les protégeait dans le sens du respect des personnes, des biens et de l’environnement. En cas de calamités naturelles, de mort subite par accouchement, pendaison ou tout autre accident mortel (morsure de serpent, assassinat, incendie de maison, etc) par exemple, le chef de clan propriétaire des lieux de l’événement avait l’obligation immédiate d’aviser les A nga kwephe pour qu’ils prennent les précautions nécessaires. Ils intervenaient non pas pour un jugement collectif ou individuel ; mais pour s’informer des faits et en tirer les conséquences pour le reste de la collectivité. A cet effet, une cérémonie regroupant un nombre important de villageois devait être organisée, au cours de laquelle prenaient part les A nga kwephe, les membres d’Otwere, les chefs de villages et les populations environnantes. A la fin de la cérémonie, des rituels interviennent dans le strict respect de la tradition. Au nom de l’institution Otwere, les A nga kwephe se relaient tour à tour, clamant haut et fort le mérite du bien contre le mal, prononçant les noms des grands clans totémiques. Désormais, rien ne devra plus être comme avant. Aux paroles des grands initiés répond en chœur l’assemblée réunie en conjuration au milieu des 140 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit, p6 180 incantations. Ce grand rituel d’Otwere s’assimile à Lebayi ou Lebaye (conjuration sacrée en vue de l’extirpation des maux qui minent la société). Le but de cette conjuration sacrée est d’éloigner le mal. Ainsi, s’affirme le rapport Otwere-respect des traditions en milieu Mbosi Olee. En fait, Otwere constitue le cadre fondamental à l’intérieur duquel s’exerce le pouvoir. C’est par rapport à lui qu’il faut étudier les autres cadres du pouvoir. 4. Conclusion De toutes les sociétés de l’Afrique Centrale en général et congolaises en particulier, le peuple Mbosi est le seul à possèder un système social basé sur Otwere. Nous en avons décrit l’originalité. Institution Mbosi à caractère sacré, Otwere est le régulateur social ; comme tel, il est donc considéré comme l’axe central d’articulation de la société Mbosi. La question que l’on peut poser tout de suite est : sommes-nous sûrs de connaître la nature de cette institution et ses fonctions ? Nous allons, dans le chapitre qui suit tenter d’apporter une réponse à cette juste question. 181 CHAPITRE II : NATURE ET FONCTIONS D’OTWERE Nombreux de par le monde sont les hommes qui, en traversant l’Afrique en voyage touristique ou pour d’autres motifs, ont cru connaître ce continent et ses peuples. Certains ont poussé l’assurance de leur prétendue connaissance de la vie en Afrique et ont conclu que les sociétés traditionnelles de ce continent étaient sans organisation politique, sans histoire et sans culture. Si nous avions la mission de répondre à ces faux observateurs des sociétés traditionnelles africaines, nous aurons écrit, comme ci-haut, que la société traditionnelle Mbosi était dotée d’une institution suprême qui régulait toutes les grandes fonctions de la vie en cette communauté. Cette institution était Otwere. Le caractère mutidimensionnelle de cette institution rend assez difficile l’analyse de sa nature. C’est à l’analyse de la nature de cette institution que nous allons nous atteler dans ce chapitre. Cette analyse va se situer dans une perspective qui prend en compte son caractère d’instrument de régulation sociale, sa dimension spirituelle, sa dimension philosophique141, son rôle politique et économique en démontrant que ces éléments fonctionnels d’Otwere font de celui-ci une institution de plus grande envergure en terre Mbosi Olee. 1. La nature d’Otwere Aux origines anciennes, Otwere est une superstructure exclusivement reservée aux hommes. Ainsi, il est un ensemble de représentations et de pratiques nouées en une gerbe symbolique à partir de quoi les Mbosi donnent un sens à la société et l’organisent. Comme tel, il est source de pouvoir, et même de «réalisation» ; donc éminament politique. Otwere est la première institution Mbosi. Il est au-dessus de toutes les autres institutions de la société Mbosi. Tout acte politique, judiciaire, économique et culturel est garanti et protégé par Otwere. Il est dit en Mbosi : «Otwere ngo a manga» c’est-à-dire Otwere mère des institutions Mbosi, première institution. Le pouvoir politique et administratif exercé par un chef de village ou un chef de clan est garanti et protégé par Otwere. Pour être un chef du village ou un Obiali (chef traditionnel détenteur de la chefferie, "Mara"), il faut être membre d'Otwere. Les limites territoriales d'un village sont garanties par Otwere. Tout litige de frontière entre deux villages est réglé par un juge membre d'Otwere. Le droit est dit sous la protection d'Otwere et en son nom. Le juge (Twere) doit être muni du Mwandzi quand il rend son jugement. Tout jugement définitif est traduit par un rituel qui constitue, pour les deux parties, à couper en deux une feuille dont les deux bouts sont ensuite conservés dans le Mwandzi du Twere. Les marchés sont sous la protection d'Otwere. Par exemple, pour arrêter un marché et faire une communication publique dans celui-ci, il faut être un ngo Otwere (membre d'Otwere). 141 Oboba (G.N) : Op. Cit, pp56-57 182 Les grandes associations culturelles comme les danses Olee et Mondo, s'exécutent sous la protection d'Otwere. Qui déchire par exemple, la "tenue" d'un danseur de Mondo (Okwe) est passible de la plus haute sanction en société Mbosi : adhésion obligatoire à Otwere. Ainsi donc, Otwere est le cœur de la culture Mbosi. 2. Les pouvoirs et fonctions d’Otwere Comme le prédestine sa nature, Otwere assume une triple fonction politique, administrative et juridictionnelle. 2.1. Otwere est une «institution politique» Comme Philippe Parini dans son ouvrage intitulé, Les institutions politiques142, nous affirmons que toute société comporte un pouvoir politique, moyen utilisé par une minorité pour dominer la majorité. En effet, dans toutes les formes de sociétés organisées, il s’établit une distinction hiérarchique entre un petit nombre d’individus chargés de prendre les décisions et la masse des autres qui se contentent d’exécuter ces choix. Il s’établit entre les deux groupes une relation de commandement et d’obéissance reflétant cette autorité qui s’exerce sur les gouvernés. En rapprochant Otwere à cette conception de la notion d’institution de Philippe Parini, nous retenons ce que souligne Maurice Duverger143. Otwere est donc inventé et établi par les premiers patriarches Mbosi pour donner une forme à leurs idées, leurs croyances en vue de réguler les usages, les pratiques sociales dans cette société. Il se pose comme un ensemble d’actes que les individus trouvent devant eux et qui s’imposent à eux. Grâce à Otwere, il s’établit dans la société Mbosi comme nous venons de le dire une distinction hiérarchique entre un petit nombre d’individus chargé de prendre les décisions et la masse des autres qui se contentent d’exécuter ces choix. Il s’établit entre eux une relation de commandement et d’obéissance. Otwere n’est pas une simple institution, une banale croyance, il se veut une «institution politique» car il oriente, guide l’ensemble d’activités de l’homme Mbosi. Il gère la pensée et la croyance de la communauté Mbosi. Otwere exerce sur cette société tous les pouvoirs tels qu’ils sont conçus par l’homme moderne : politique, administratif, législatif et juridique. Institution qui guide et oriente la vie de l’homme et contrôle son activité, Otwere détient et exerce donc le pouvoir politique sur la société. Ses préceptes et règles s’imposent à tout le peuple Mbosi. Ainsi que le souligne Maurice Georges Oboba144, Otwere apparaît comme la base de l’organisation de cette société, le support de la vie collective, l’organisme qui secrète l’expression et garantit l’ordre dans la société. Il assure la cohésion de la société, fonde son intégration et la paix en son sein. 142 Parini (Ph) : Les institutins politiques, A. Colin, Paris, 1984, p9 Duverger (M) : Op. Cit, p4 144 Oboba (G.N) : Op. Cit, pp56-57 143 183 Il se présente comme l’unique forme de pouvoir de la société Mbosi : il protège et garantit la sécurité des hommes et des biens, protège les autres institutions (sociales, culturelles et spirituelles) et garantit leur fonctionnement. C’est ainsi que les grandes danses populaires comme Olee, Mondo, qui sont les grandes expressions de l’identité du Mbosi Olee sont protégées par Otwere. Quiconque s’attaque ou pollue les instruments de danse, de musique de ces danses est traqué par Otwere et peut-être obligé «d’allumer le feu» d’Otwere. Otwere dispose d’un «appareil répressif» incarné par les Ibani. Ces derniers jouent un rôle de «police». Ils sont seuls autorisés par le maître d’Otwere à poser les actes de répression dans un village. 2.2. Otwere guide et oriente l’exercice du pouvoir administratif Dans la société Mbosi Olee, l’exercice du pouvoir administratif de chaque village autonome, est dévolu au chef traditionnel du village et du clan appelé A nga mboa ou Okondzi ya mboa (chef du village) ou encore appelé Obiali (chef de clan). Si dans les autres contrées Mbosi, les pouvoirs politiques, administratifs, spirituels (fétichistes) et judiciaires sont concentrés entre les mains du Kani ou Mwene, chez les Mbosi Olee, ils sont séparés. Le chef d’un village est issu du clan dominant le village et est sacré par les sages détenteurs du pouvoir moral, spirituel du village ou du clan. Il est le gardien de la vie des hommes et le garant de l’intégrité du village. Il détient la légitimité de son appartenance au clan de par son père. Il n’est pas choisi par Otwere et aucune autorité d’Otwere n’interfère dans sa désignation. Cependant, nul ne peut être sacré chef du village s’il n’est pas «ngo y’otwere» (membre d’Otwere). Otwere protège ses instruments de pouvoir et l’intégrité du territoire du village. Ainsi, on relève qu’Otwere est indirectement (par ses membres), le pouvoir administratif traditionnel dans chaque village et dans la société Mbosi Olee. Otwere apparaît donc dans l’exécutif par son rôle de contrôle et d’orientation : -un chef du village ou un chef de clan doit d’abord être membre d’Otwere ; -le chef du village ou le chef du clan applique sur son territoire (village) les règles et les lois édictées par Otwere. Il faut noter qu’Otwere assure l’intangibilité des frontières des villages, le respect de la proprièté individuelle et collective. -Otwere protège le chef du village ou le chef de clan en lui conférant son caractère sacré. 2.3. Otwere, institution juridictionnelle Otwere exerce un pouvoir de justice, la fonction de grand magistrat de la société. C’est en son nom et sous sa protection que sont jugés et réglés tous les conflits qui surgissent entre les hommes, entre les lignages ou entre les villages dans la communauté Mbosi. 184 Les «juridictions» sont toujours organisées et établies dans les villages autour des grands Twere (A ngo b’Otwere). Si l’exercice de ses fonctions est libéral, le Twere ne peut être qu’un membre d’Otwere. Il interprète les règles et préceptes d’Otwere. Dans l’exercice de sa fonction, le Twere est toujours muni d’un mwandzi qui lui assure sa protection et l’autorité de son jugement. Alexis Edgard Ovoula perçoit le Twere comme «la personne qui incarne la médiation et la met en œuvre dans son emblème : le Mwandzi, un balai fait de nervures de palmes. Ce balai symbolise la sagesse, la justice, la paix et la parole»145. Le Twere a donc le devoir d’instruire et de trancher les palabres. Il le fait dans un esprit non pas répressif mais de conciliation et de paix, car la paix est le fruit de la justice. La bonne justice devient ainsi un facteur important de la résolution pacifique des conflits. L’institution Otwere est donc un facteur de cohésion sociale, de maintien de l’ordre et de la régulation des conflits, de réconciliation des personnes et des familles. C’était une institution par laquelle la société gérait et dissipait les conflits qui naissaient en son sein, rétablissait l’équilibre social et garantissait la sécurité et la paix dans le milieu. C’est dans l'exercice de cette fonction qu'Otwere est considéré par extension comme une palabre. Que peut-on entendre par palabre dans la société traditionnelle? Le terme palabre couvre plusieurs significations. D'origine espagnole "palabra" signifie parole. De là, en français le sens de : -conférence avec un chef noir ou entre des noirs eux-mêmes ; -discussion, conversation longue et ennuyeuse ; -débat coutumier entre les hommes d'une communauté villageoise ; -procès traditionnel devant un tribunal coutumier146. Aucune de ces définitions n’épuise le sens du palabre. Pour le Mbosi, la palabre est autre chose encore. Ici, la palabre est la restauration de l'harmonie par laquelle la communauté tout entière, autour d'un "repas commun", se décharge de ses haines, rétablit l'équilibre et se raffermit. C’est au cours d’une palabre que le chef éteint les feux allumés entre les hommes de sa communauté villageoise. Les mariages, les divorces sont règlés aussi par la palabre au domicile du chef. Les soins au malade nécessitent également une assemblée des parents autour d’une notoriété. La palabre rejoint l'éducation des parties au moyen d'un type d'institution sociale déterminée dans un cadre spécialement agencé. Elle est un effort pour rétablir l'entente par la parole réconciliatrice. Mumpini Ongom dira à ce sujet : "La palabre se définit d'abord avant tout comme une institution qui garantit l'ordre social. C'est une assemblée villageoise ou tribale qui se réunit pour traiter de toutes les affaires importantes de la communauté : décider les grandes orientations (guerre, paix, alliance), débattre de tout événement heureux ou malheureux susceptible de modifier ou de perturber l'équilibre social (naissance, mariage, décés, catastrophe naturel, conflit de société)"147. 145 Ovoula (A.E) : La médiation dans la culture et la religion traditionnelle Bantu : étude sur les Mbochi du Congo, Mémoire de Licence en théologie de l’information, P.UG.F.DI, M , Rome, 2000, p73 146 Saenger Von (A) : «La palabre dans la sagesse bantou», document disponible à l’adresse : http://www.avsphilo.org/bantou.phl, consulté le 22/04/03, p2 147 Mumpini Ongom: Comprendre trois prétendants un mari de Guillaume Oyono Mbia, Editions les classiques, N°861, p4 185 Jean Godefroy Bidima estime pour sa part que la palabre est «non seulement un échange de paroles mais aussi un drame social, une procédure et des interactions humaines. La palabre est donc mise en scène, mise en ordre et mise en parole»148. Et il ajoute : «Par la palabre, la société interroge ses références, se met à distance et peut entrer dans un dialogue ininterrompu avec elle-même et son Autre. En Afrique, on rencontre la palabre à tous les niveaux de la société civile, toute occasion étant propice pour faire advenir du sens par les mots. Il existe donc plusieurs types de palabre que l’on regroupera en deux : les palabres iréniques tenues en dehors de tout conflit (à l’occasion d’un mariage, d’une vente…) et les palabres agonistiques qui font suite à un différend»149. De son côté Etienne Le Roy, après avoir passé en revue tous ces sens du terme palabre, nous propose deux versions féminine et masculine de palabre lorsqu’il écrit : «Le féminin, la palabre, est utilisée pour désigner de manière plus précise une réunion générale ou importante réunissant différents acteurs pour négocier»150. Il ajoute encore dans sa version masculine : «Le palabre est, dans le contexte colonial français, une réunion judiciaire ou administrativo-judiciaire, organisée pour régler un différend plus ou moins grave sur la base d’un mode dialogué, et non d’un mode autoritaire et imposé. Il s’agit alors de prendre en considération l’ensemble des points de vue et tenter d’aboutir à une solution acceptable par tous même si elle ne l’est pas par tous, donc ne résulte pas d’un consensus (…). Le palabre est donc le cadre ou la formule d’organisation des modes indigènes de règlement des conflits qu’a intégrés le colonisateur à son dispositif d’administration et à condition d’en faire un usage à sa seule discrétion. Le palabre reconnu par l’administration coloniale est ainsi ce qui nous rapproche de la justice des Européens mais nous éloigne de la conception de la justice des Africains»151. Pour cet auteur, palabre est un terme «hermaphodite» qui possède donc des principes féminin et masculin. Otwere est ainsi palabre chez les Mbosi Olee lorsqu'il "siège" comme un tribunal, une sorte de Cour de justice. Il utilise une expression propre comme le droit moderne. L’expression d’Otwere doit être précise, concise et elle a une structure tout à fait particulière. Il n’a rien à envier à la façon de rendre la justice dans le droit moderne. Il a également ses juges, ses avocats, ses experts en parole qui se répartissent toutes les fonctions de la justice. Otwere-palabre en fin de compte est une sécrétion sociale, une émanation de la sagesse traditionnelle permettant le règlement, la résolution des différends sans créer le mécontentement de l'une des parties. 148 Bidima (J.G): La palabre: une juridiction de la parole, Editions Michalon, Paris, 1997, p11 Bidima (J-G) : Op. cit, p10 150 Le Roy (E) : Les Africains et l’institution de la justice. Entre mimétismes et métissages, Dalloz, Paris, 2004, p43 151 Le Roy (E) : Op. Cit, p44 149 186 2.4. Otwere, institution législative et réglementaire Mbosi Otwere peut être considéré comme un organe législatif et réglementaire. En effet, lors de ses assemblées rituelles, Otwere édicte les préceptes moraux, les lois, les règles qui s’imposent à tous les hommes et femmes, membres ou non. Otwere édicte aussi les règles qui régissent les rapports entre villages, entre les villages et les habitants enfin entre les habitants eux-mêmes. Otwere intervient également dans les problèmes de réglementation de l’environnement: interdiction d’abattre les palmiers, de mettre le feu à des plantations ou à la forêt, aux habitations, pratiques d’empoisonnement des eaux comme technique de pêche. En dernière analyse, toutes les conceptions philosophiques, spirituelles en pays Mbosi ont pour fondement Otwere. Il garantit et contrôle l’exercice de toutes les grandes activités sociales Mbosi. Otwere apparaît donc comme la grande Ecole initiatique qui recouvre et concerne tous les aspects de la vie. Il n’est pas accessible ou compréhensible à celui qui n’en pénètre pas le secret et déroute l’esprit cartésien habitué à tout séparer en catégories bien définies. En effet, en lui, spirituel et matériel ne sont pas dissociés. Passant de l’ésotérique à l’exotérique, Otwere sait se mettre à la portée des hommes, leur parler selon leur entendement et intervenir en fonction de leurs aptitudes. Il est à la fois philosophie, sagesse, connaissance, science, droit, art. 3. La dimension culturelle d’Otwere 3.1. Otwere et le sacré Otwere institution la plus sacrée, la plus respectée et la plus respectable, se fixait la mission de défendre, de protéger et faire respecter le sacré. 3.11. Les instruments d’Otwere Comme nous l’avons montré plus haut, les instruments d’Otwere étaient considérés comme biens sacrés de la société ; ils étaient respectés et protégés. S’attaquer à un instrument d’Otwere correspondait à contrevenir à la plus haute loi de la société. On risquait pour cet acte le bannissement ou l’adhésion obligatoire à Otwere. 3.1.2. La femme Elle est considérée comme personne sacrée en société Mbosi Olee. Quiconque retirait son pagne pour rendre sa nudité publique, commettait un acte confondable à un sacrilège et qualifié de crime de haut niveau. Il était passible de la plus grande peine en droit Mbosi : l’adhésion obligatoire à Otwere. 187 3.1.3. Les forêts protégées Une forêt réservée aux cérémonies d’Otwere dans un village était strictement protégée. Aucune activité de l’homme n’y était tolerée. Une simple promenade dans cette forêt contrevenait à la loi de la société. Des pans de forêts considérés comme réserve du village ou de groupe de village était placés sous la protection d’Otwere : ils étaient sacrés. 3.1.4. Les activités économiques et culturelles Pour le Mbosi et pour Otwere, toute activité qui élève l’homme et assure son développement socio-économique et socioculturel était sacrée et protégée. Ainsi détruire par la force d’une arme, un filet de chasse, un barrage de pêche, un instrument d’agriculture était qualifié comme crime et passible d’une sanction. Certains arts, surtout dans le domaine de l’artisanat sont considérés sacrés et protégés par Otwere. On classe dans cette catégorie la fabrication des instruments d’Otwere, la forge. Si l’exercice de la médecine traditionnelle et du fétiche est libéral, les instruments du médecin sont protégés par Otwere qui veille à leur garantir son caractère opératif et sacré. 3.1.5. La propriété La propriété individuelle et collective est sacrée. Ainsi, la terre, propriété de la collectivité clanique est indivisible et indestructible. 3.2. Otwere secrète et enseigne la philosophie La philosophie est l’amour de la sagesse dans son sens étymologique grec. Elle est donc une conception du monde qui privilégie la pensée, une conception du monde qui met l’accent sur l’intelligence et la réflexion. Analyser la conception de la société par Otwere revient à l’inscrire au mouvement de la philosophie surtout la philosophie africaine152. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, le terme Otwere chez les Mbosi désigne aussi une sagesse, un acte de penser, une haute réflexion sur l’être et la vie. Ce qui pousse à dire (affirmativement) qu’Otwere-institution dispose d’une philosophie qui souvent guide son action sur la société. Lorsqu’il fonctionnait comme justice, Otwere se déterminait à lutter contre l’erreur, la faute, la fraude et à favoriser la raison, l’honneur, le travail. Dans sa mission d’éloigner l’homme de l’erreur, de la fraude, de la médiocrité, de la méchanceté, Otwere cherchait à bâtir une société juste, de bonnes personnes, et de bons travailleurs. Pour la paix, pour l’honneur et le bonheur de l’homme, Otwere refuse la prison et la guerre. Le droit, la justice et la loi sont les seules forces pour l’établissement de l’équilibre, de l’égalité entre les hommes. Tout homme descend de Ndinga. Il vit pour son honneur et pour l’honneur de la communauté. 152 Habimana Makamba (Z), Lucas (Th) : Courants actuels de la philosophie africaine, Academia Bruylant, Louvain-La-Neuve, 2002, 92p 188 Tous les courants philosophiques Mbosi concourent à la composition de l’idéologie d’Otwere qui détermine le principe communautaire de la vie en société Mbosi. On relève et retient en milieu Mbosi les principes philosophiques suivants qui fondent l’action d’Otwere sur les hommes : -la terre est un bien communautaire du clan : tout membre du clan ou habitant le village a droit et liberté de l’exploiter ; -les produits de l’agriculture et de la pêche appartiennent au producteur qui donne une redevance au clan détenteur de la terre et des eaux ; -le chef du clan est garant de la vie des hommes dans son village et sur sa terre : il est le responsable présumé des catastrophes sur sa terre ; -l’homme jouit pleinement du produit de son travail. Il est cependant soumis à verser une redevance pour la terre sur le gros gibier et sur le produit de grande pêche. 3.3. Otwere enseigne l’art de juger La rhétorique est l’ensemble des procédés et de techniques permettant de s’exprimer correctement et avec éloquence153. Dans les définitions du terme Otwere, nous avons écrit qu’Otwere désigne un art, une habilité à rendre justice qui réserve la plus grande place à la rhétorique comme art dans la culture Mbosi Olee. Et puis, si l’on se refère à la définition de l’oralité que propose Le petit Larousse grand format, «l’oralité est un ensemble d’informations plus ou moins légendaires, relatives au passé, transmises d’abord oralement de génération en génération»154. On arrive à déduire que toute société humaine a connu et développé l’oralité. Il s’agit d’une réalité considérable pour les sociétés à long passé, dont la mémoire reste le seul dépositaire des valeurs à transmettre. Ainsi, bien plus qu’informations transmises, l’oralité se veut être un mode de transmission et de véhicule des informations. C’est un art réel et intégré au patrimoine culturel d’une société. Ainsi lorsque cet art intègre une rhétorique c’est-à-dire le bon discours qui consiste en une éloquence et une langue spéciale, les Mbosi Olee le désigne par Otwere. Otwere est donc l’art de juger, de bien juger, de bien rendre la justice : l’art du Twere. Il mêle la rhétorique à la connaissance, le raisonnement à la gestuelle, le proverbe à l’humour. Il conduit à la sagesse, à la maîtrise des mœurs et problèmes de la société. Dans le développement de son art, l’auditoire est facilement ému devant le vaste savoir que le Twere étale sur les mœurs du règne animal, du monde des oiseaux, sur la vie et les mœurs des insectes et des fourmis, sur le secret des plantes et des champignons dans leur développement. Il réussit toujours à surprendre quand il décèle une exacte similitude entre le comportement de l’homme et celui de l’animal, d’un oiseau, d’un insecte dans une circonstance qu’il semble révèler pour la première fois à la connaissance de l’auditoire au moment où il commet l’acte à juger ou au moment où il s’est trouvé devant l’acte en cause. Ce qui étonne, c’est que cette vaste connaissance n’intègre pas le domaine du plus petit, de l’invisible à l’œil nu. Pour lui, l’invisible au premier œil (œil nu) de l’homme est du 153 154 Petit Larousse en couleurs, Larousse, Paris, 1991, p865 Le petit Larousse grand format, Larousse, Paris, 2003, p720 189 domaine de l’esprit. C’est cette conviction qui le pousse sans réserve, dans la pratique de son art, à se mettre à une «école d’initiation divine» : l’école du fétiche. Il va à cette école pour être doté de la capacité, par exemple, d’un porc épic qui ne se trompe jamais de sentier et qui l’amène de son gîte au lieu d’alimentation et vice-versa. Cette capacité du porc épic lui permet, il est convaincu, de ne pas fléchir sur son raisonnement quand il développe son argumentation. Il peut aussi solliciter à être doué de la mémoire du perroquet qui sait toujours enregistrer et restituer la chanson d’un autre être animal ou humain. Ce qui est évident, c’est que, les plus talentueux de ces juges Mbosi, savent tenir à leurs lèvres l’auditoire quand ils font étalage de leur savoir, de leur éloquence, quand ils semblent toujours mettre au même rythme la cadence du mouvement du Mwandzi qu’ils tiennent à la main et le son (timbre) de leur voix. Le Twere se reconnaît d’abord et avant tout à sa manière de parler. Et son parler diffère essentiellement de celui de l’homme ordinaire, l’Opombo. C’est un maître de la parole. Il manie avec finesse la langue dont il est le maître. Sa technique, c’est la reformulation. Reformuler en permanence ce que les autres ont déjà dit : analyser, chercher le sens caché des mots, leur symbolisme et en sentir les vibrations, avant de répondre à une question pour bien montrer qu’il n’y a pas de malentendu entre les orateurs. On considère que celui qui oublie ou omet de reformuler ce qu’a dit l’orateur qui l’a précédé, n’est pas encore dans le métier, n’a pas la maturité de son savoir. Cet art qui lui est enseigné par les anciens, est surtout rhétorique parce qu’il fait appel à la paramiologie, cette science des proverbes ou l’art de bien dire, d’utiliser les proverbes à bon escient. En effet, les proverbes occupent une place de choix dans l’univers culturel Otwere. Ils témoignent de leur enracinement dans le terroir Mbosi qui se traduit par la description réaliste de cette société traditionnelle d’une part, et de la mentalité et de la cosmogonie des hommes dans leurs rapports à la nature d’autre part. Les proverbes ne sont pas de simples paroles, «un simple parler» mais sont aussi un art de bien parler et de convaincre. Les proverbes participent donc de la plastique, de la rhétorique car ils embellissent la parole, donnent aux mots une valeur particulière. Ils font un usage abondant des tropes et de la gestuelle pour mieux communiquer. Ce grand savoir est le résultat d’une formation patiente que nous avons voulu assimiler à une initiation, entendu qu’elle comporte une dimension mystique par le fétiche. Ici, nous confirmons le propos de Patrick Tort et Paul Désalmand : «Les sociétés africaines se méfient de l’improvisation. Elles cherchent à former des individus bien adaptés à leurs différents rôles sociaux et dont les relations seront harmonieuses, bien plus qu’à développer des personnalités fortes qui suscitent immanquablement des tensions à l’intérieur du groupe où elles vivent»155. 155 Tort (P), Désalmand (P): Op. Cit, p129 190 4. Influence d’Otwere sur la société Mbosi Olee 4.1. Pouvoir sans partage Les grandes fonctions sociales, économiques et culturelles s’exercent au nom d’Otwere, soit sous sa protection. Chez les Mbosi Olee, nous avons relevé que : -le pouvoir administratif est placé sous l’autorité d’Otwere et n’est exercé que par ses membres ; -la justice est rendue en son nom et exclusivement par ses membres ; -les lois et les règles qui régissent la société sont rendues et protégées par Otwere ; -les grands groupes culturels sont placés sous son autorité et se veulent ses expressions: par exemple, Olee, grande danse folklorique populaire est sous la protection d’Otwere : ses tam-tams et les autres instruments de musique sont aussi ceux d’Otwere, et sont inattaquables. Mondo, une autre danse de grande importance en milieu Mbosi Olee est aussi sous la protection d’Otwere : toute infraction aux règles de cette danse est punie comme grand crime et conduit à l’adhésion à Otwere. Iboupha ou Okia, danse de chasse est également placée sous la protection de celui-ci. 4.2. Hiérarchisation des groupes sociaux Otwere fonde une société d’ordre et de hiérarchie. En effet, en tant qu’organisation sociale, Otwere a crée en société Mbosi un mode d’usages, de formes et de rites. Il a fondé un ordre hiérarchique au sein de la communauté. En tant qu’institution, il s’est érigé en univers exclusivement réservé à l’homme. D’après nos enquêtes156, du point de vue d’Otwere, il a existé dans la société Mbosi Olee deux groupes sociaux : les A ngo b’Otwere (membres d’Otwere) et les Ipombo (nonmembres). Le groupe des A ngo b’Otwere qui s’occupaient de toutes les fonctions de la gestion de la société. Ils pouvaient être adultes ou jeunes. Le groupe des Ipombo regroupe toutes les femmes157 et tous les hommes non-membres quelque soit leur âge. Il était exclu de la gestion politique. Les Ipombo menaient leur vie normalement. Ils vivaient cependant dans la peur car Otwere n’acceptait pas qu’il y ait des Ipombo. En effet, leur vie était caractérisée par la peur et l’inquiétude perpétuelle : chaque faute en société même involontaire qui pouvait, pour le membre d’Otwere, être sanctionnée par une amende matérielle ou financière, était, pour l’Opombo une cause d’adhésion obligatoire à Otwere ; ce qui coûtait cher car il était contraint de supporter tous les frais d’organisation de la cérémonie convoquée à cet effet. 156 Nous avons construit ce point sur la base des entretiens que nous ont accordés Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001 ; Okandzé Gaspard, un agent retraité de la compagnie aérienne «Lina-Congo», habitant le village Elo, âgé d’environ 60ans, le 20/05/2001 et Poué Boniface, un paysan du village Mollomo, âgé d’environ 60ans également, le 27/05/2001. 157 Si la femme est mariée à un membre d’Otwere, elle n’a plus le même traitement que les autres. Elle change de statut. 191 Un Opombo n’est pas autorisé à succéder à un parent A nga kwephe, pour s’élever à la hiérarchie supérieure d’Otwere, ni à la chefferie du village, ni au Mara du clan pour accéder à la gestion du village. La naissance peut ouvrir à un Opombo, le droit privilégié à une succession à l’un de ces deux rangs. Mais sa qualité de non-membre d’Otwere l’en exclut. L’Opombo n’est pas autorisé à accéder au lieu de rassemblement des membres d’Otwere. Il n’est pas admis à voir passer un cortège d’Otwere, à assister aux obsèques d’un membre d’Otwere quels que soient ses liens avec le défunt. L’Opombo a le droit de jouir de la vie culturelle du village : il participe à toutes les danses sauf à Kongo, danse d’Otwere. Dans la vie économique, quelques activités sont interdites à un Opombo. En effet, s’il lui est reconnu la pratique de l’agriculture sur les terres autorisées à tout le village, de la pêche, de la chasse dans toutes les forêts, de la cueillette et l’extraction des huiles, de la fabrication de certains paniers, en revanche, il est interdit à un Opombo d’ouvrir une forge pour fabriquer les outils de chasse, de pêche et d’agriculture. Il lui est aussi interdit d’exercer le métier de tisserand. La fabrication des instruments d’Otwere ne lui est pas enseignée ni autorisée. Les obsèques d’un Opombo avaient de tout temps été célébrés dans l’intimité après autorisation d’Otwere sinon rien. La femme, malgré le rôle économique important qu’elle joue dans la société, est exclue d’Otwere et tenue à l’écart de l’exercice des grandes fonctions de la société : elle ne peut être chef d’un village ou Obiali (notable) d’un clan ; elle ne peut pas rendre la justice ; elle n’est pas membre d’Otwere et ne peut pas toucher au mwandzi ; elle ne doit pas non plus assister au passage d’un cortège d’Otwere et ne peut accéder aux obsèques d’un parent membre d’Otwere. Cependant la femme est souvent impliquée comme gardienne du totem d’un kwephe qu’elle transporte jusqu’à l’Eselee (sanctuaire). Aussi, ne sert-elle que d’appui à son époux ou à son fils au cours d’une cérémonie d’Otwere patronnée par celui-ci. Cette exclusion, traduit la place secondaire que la société Mbosi Olee, comme toutes les autres sociétés du groupe ethnique, réserve à la femme du fait de sa nature et de son statut: Otwere fait de la femme un être dominé. Les jeunes et les adultes constituaient une réserve obligée qui pourvoyait Otwere en membres. Les enfants pouvaient être admis avant l’adolescence quand les parents le désiraient et pouvaient ainsi participer aux cérémonies d’Otwere avant l’adolescence. 4.3. Organisation administrative du pays Mbosi Olee Avant la pénétration coloniale, le pays Mbosi Olee, comme les autres zones territoriales Mbosi, était organisé en villages indépendants les uns des autres. Chaque village était une propriété du clan et le chef du village était chef du clan. On ne l’appellait pas chef du village (ce terme est de la colonisation) mais, on l’appellait A nga omoue ou A nga mboa. Comme aujourd’hui, chaque village possèdait un territoire aux limites précises et respectées par les voisins. 192 Le village était administré par ce dernier qui incarnait l’autorité administrative et morale du clan sur le village et dans le village. Comme le clan était réputé associant les vivants et les morts, le pouvoir de ce chef était considéré comme venu des morts et non d’une autorité vivante supérieure. Les villages étaient regroupés en zones d’influence (Asoni, Bombo, Olembe, Tsongo, Ilanga, Ondinga, Tse). Les secteurs Mbosi Olee n’avaient pas de chef administratif qui coordonnait leur gestion. Ils étaient égaux entre eux. Malgré son indépendance dans la gestion administrative, morale et spirituelle de son village et de son territoire, tout chef de village était soumis au même système de gestion et partageait la même coutume fondée sur les lois et les règles d’Otwere. Ainsi, tout le peuple Mbosi constituait une espèce de «nation» composée de villages indépendants placés sous l’autorité d’Otwere. 4.4. Organisation et exercice du pouvoir Alexis Itimbou dans son étude sur les Koyo158 décrit l’organisation du pouvoir qui a des ressemblances avec l’organisation du pouvoir dans la zone de notre étude. Ainsi, le pouvoir chez les Mbosi Olee est reparti entre quatre institutions : -le pouvoir législatif exercé par les A ngo b’Otwere (les membres d’Otwere) ; -le pouvoir religieux incarné par les Nganga (féticheurs) ; -le pouvoir judiciaire exercé par les Twere (juges) ; -le pouvoir administratif et moral exercé par les chefs du village ou du clan membre d’Otwere dans chaque village sous l’autorité d’Otwere et par un membre de l’institution suprême. Dans le jugement des crimes et délits, Otwere ne prononçait que les sanctions d’amende et de réparation matérielle et financière : il n’existait pas de peine d’emprisonnement. En effet, aucun village ou aucune autorité n’était doté d’une prison. (La haute sanction était constituée par l’adhésion obligatoire à Otwere dont la couverture financière et matérielle de la cérémonie incombe à l’auteur de la faute). La prison n’a donc jamais été un fait de la civilisation traditionnelle Mbosi. Il a fallu attendre le règne de la colonisation pour voir apparaître ce phénomène, ses instruments et son fonctionnement sur le territoire Mbosi. En dehors des Ibani qui ne sont mis en mouvement que par les A nga Kwephe et dans les conditions qui ont été indiquées plus haut, la société Mbosi Olee tout entière, ne disposait pas de force de police pour la prévention des fautes et l’établissement de l’ordre : seule la peur de la loi d’Otwere et la crainte de ses sanctions disciplinaient le citoyen et garantissaient l’ordre. Otwere exerce donc, seul et de façon uniforme une influence totale sur la population Mbosi Olee. On observe aussi la pratique d’Otwere et l’exercice de son influence sur les autres populations Mbosi. Chez la plupart de ces populations, l’A nga Kwephe appelé Kani ou Mwene ou encore Nganga Otwere (chez les Mbosi de la rive gauche de la rivière Alima), 158 Itimbou (A.B.R) : Pouvoir et Société en pays Koyo, Mémoire de fin de cycle pour l’obtention du Certificat d’Aptitudes Professionnelles à l’Enseignement Secondaire (CAPES), ENS-UMNG, B/ville, 1996-1997, 68p 193 concentre entre ses mains tous les pouvoirs : politique, administratif, juridique, législatif et religieux. Kani ou Mwene, qui, avant d’être élevé à ce rang franchit plusieurs étapes d’initiation (quelquefois secrètes), rassemble tous les pouvoirs sur la société de sa zone. Ce cheminement de Kani, est certainement le facteur retenu par certains observateurs, surtout étrangers, pour qualifier Otwere de société secrète. Otwere est aussi l’instance suprême de gestion sur les autres populations Ngala qui peuplent le nord du Congo et exerce sur eux les mêmes influences. Citons surtout les populations : Likouba, Likwala et Moye (Moï). Otwere est également le système d’organisation sociale importé par certaines sociétés du groupe Teke qui avoisinent le peuple Mbosi : Bangangoulou (ou Ngangoulou), Tegue, Mbeti. On explique cette pénétration de la civilisation Mbosi dans ces sociétés par le partage de frontières communes avec ceux-ci : d’où l’interpénétration des civilisations. 5. Conclusion Ayant des origines très lointaines dans l’histoire, Otwere s’impose et est accepté comme une superstructure, une institution suprême sur la société Mbosi. Il a regné seul sur cette société en exerçant tous les pouvoirs : politique, administratif, législatif, judiciaire, moral et religieux. Il a géré la pensée et la croyance de la populations Mbosi Olee et de toute la communauté Mbosi. Les pouvoirs qui ne lui sont pas directement dévolus, sont soit exercés sous son autorité et protégés par lui comme le fétiche (religion), la culture ; soit exercés sous son autorité et par ses membres comme le pouvoir administratif et judiciaire. Il a constitué l’axe central de la régulation de la vie en société Mbosi. Pour l’exercice de ses pouvoirs, Otwere a disposé du corps des Ibani comme appareil de répression placé sous l’autorité exclusive d’A nga kwephe. Otwere est ainsi au fondement de l’organisation politique de la société Mbosi. Otwere a protegé toutes les valeurs que l’homme Mbosi considère comme sacrées qui vont de ses propres instruments à la propriété. Ainsi, la femme, personne sacrée n’était pas outragée et violée. Les réserves de forêts sont inviolables, la propriété individuelle est protégée. Otwere secrète et enseigne la philosophie. Les courants philosophiques en pays Mbosi concourent à la composition de l’idéologie d’Otwere qui détermine les principes de la vie communautaire. Otwere enseigne l’art de la rhétorique qui apparaît comme une école initiatique à cause de la dimension mystique qu’elle sollicite du fétiche. Otwere exerçait une influence totale sur la communauté Mbosi sur laquelle il fondait une société ordonnée et hiérarchisée. Les membres d’Otwere composaient la classe des privilégiés dans cette société où la femme et l’homme non-membre n’avaient aucun rôle dans la gestion des pouvoirs. Sous le règne d’Otwere, les pays Mbosi étaient organisés en villages autonomes placés sous l’autorité des chefs de village ou de clan (A nga mboa, Obiali, Ndinga, Kani ou Mwene). 194 Cependant, tout le peuple Mbosi constituait une espèce de «nation à structure décentralisée» placée sous l’autorité politique, juridictionnelle et législative d’Otwere. Ces instruments dotés du caractère sacré étaient imposés à cette structure comme «armoiries nationales». Sous son règne, la société Mbosi ne connaissait ni prison ni armée. Seules les lois et les règles d’Otwere assuraient la paix et la sécurité, protégeaient le fonctionnement des institutions et le respect des interdits et des valeurs sacrées. Les autres institutions de la vie culturelle et religieuse se plaçaient sous l’autorité d’Otwere qui guidait leur exercice et leur assurait le caractère sacré. Pour assurer sans partage tous les pouvoirs sur tous le peuple Mbosi et sur les autres institutions de la communauté, Otwere devait se doter d’une organisation. C’est ce que le chapitre III se propose d’éclairer. 195 CHAPITRE III : ORGANISATION D’OTWERE Comme Maurice Duverger159, nous observons que chaque société humaine est structurée : elle ressemble à un édifice. A l’image de la société, les institutions qui en déterminent l’architecture sont aussi structurées pour exercer une influence indiscutable sur l’organisation politique. Otwere qui a regné sur la communauté Mbosi et a soumis son peuple à une organisation institutionnelle solide et intransigeante, se révèle une institution bien structurée : il dipose d’une organisation classificatoire assez simplifiée qui se divise en quelques échelles hiérarchiques, des instruments sacrés et respectés qui symbolisent son autorité. Il se caractérise par une modalité d’adhésion particulièrement articulée en étapes bien définies. 1. Les échelles hiérarchiques d’Otwere Otwere est organisé du haut vers le bas en échelles hiérarchiques. En pays Mbosi Olee, son organisation, assez simplifiée, traduit la stratification de la société. A cette stratification correspond donc la stratification de l’institution suprême. 1.1. Stratification d’Otwere Représentée par le schéma160 ci-après, elle comprend : Schéma N°2 : Echelle hiérarchique d’Otwere A nga kwephe Osambehe A ngo b’Otwere Ibani Iphongo Ipombo 159 Duverger (M) : Sociologie politique, Presses Universitaires de France, Paris, 1968, p102 Les échelles hiérarchiques d’Otwere dans le monde Mbosi Olee peuvent être représentées soit par le schéma N°2, soit par le schema N°3. 160 196 Schéma N°3 : Echelle hiérarchique d’Otwere Otwere (Assemblée rituelle) A nga kwephe Ibani A ngo b’otwere Ipombo 197 1.2. Les hommes d’Otwere161 1.2.1. A nga kwephe L’A nga kwephe est un sage dépositaire du pouvoir d’Otwere. Il fut à l’origine le détenteur d’une délégation du pouvoir et de l’autorité de Ndinga. Il est devenu le chef et détenteur d’une section d’Otwere. Même avec la multiplication des kwephe et l’existence du Mara (chefferie du clan détenue par Obiali), l’A nga kwephe demeure un chef autonome d’Otwere. Dans son secteur, il se présente à la fois comme sage, savant, puissance. En le désignant par maître d’Otwere, Armand Bouquet dit de lui : "Kani et Twere sont sous l'autorité spirituelle et religieuse du Ngo Na Twere ou mère des twere, qui résume l'unité du clan; il est l'interprète entre le peuple et les forces immatérielles; il préside les cérémonies rituelles, peint de rouge et de jaune, coiffé d'un bonnet de peau de panthère, tenant à la main la hache de commandement et de queue d'éléphant, la poitrine ornée d'un collier de dents d'hippopotame ou de panthère"162. Du point de vue symbolique ce sont des insignes, des attributs du pouvoir. Premièrement, le bonnet en peau de panthère a pour rôle de protèger le maître d’Otwere de certaines attaques d’ordre mystique ou spirituel. En second lieu, la hache de commandement a une signification essentiellement symbolique, il s’agit avant toute chose d’une arme de parade, mais elle n’a pas de fonction guerrière. La queue d’éléphant, quant à elle, va servir d’évantail durant la cérémonie. Enfin, le collier de dents d’hippopotame ou de panthère matérialise la puissance du maître d’Otwere. L’ensemble de ces instruments rituels actualise le pouvoir du maître d’Otwere à chaque cérémonie. De son côté, Antoine Ndinga Oba observe : «Le notable, le patriarche de la famille est dépositaire du pouvoir judiciaire accordé par Dieu, hérité des ancêtres ou acquis aux moyens d’importantes sommes d’argent. Il est le chef d’une juridiction reconnue par ses pairs et appelée kwèfè. Il a sous son autorité des magistrats, avocats ou juges portant le titre de twere et des miliciens dénommés ibaani chargés de faire exécuter les arrêts de justice ainsi que les représailles contre les condamnés »163. Les Mbosi des autres sous-groupes désignent l’A nga kwephe par le Nganga Otwere (le dépositaire d’Otwere). Ici, l’homme accumule en ses seules mains les pouvoirs administratif et morale d’A nga mboa ou Obiali (chef du village ou de clan) et ceux politique et judiciaire d’A nga kwephe. Dans son ouvrage intitulé : La cuvette congolaise. Les hommes et les structures, Théophile Obenga parlant de ce personnage, l’inscrit dans la catégorie des sages dont le domaine de la culture est constitué par un ensemble d’interrogations, de 161 Pour cette section sur les hommes d’Otwere, nous nous référons à plusieurs entretiens dont ceux avec Ngapela Obaré, un agent retraité de la Mairie de Brazzaville, âgé d’environ 60ans, domicilié à TalangaïBrazzaville, le 2/01/2000 ; Nguilélé Apoho-Nianga, une femme féticheur, âgée d’environ 70ans, domiciliée à Ouenzé-Brazzaville, le2/02/2001 ; Angala François, un commerçant âgé d’environ 70ans également domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 12/O2/2001 ; Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001 et de Ngalémé (Nganongo Emmanuel), un chef traditionnel de clan (Obiali) du village Lesanga, le 15/06/2001. 162 Bouquet (A): Op. Cit, p17 163 Ndinga Oba (A) : Op. Cit, p110 198 réflexions ou de recherches à caractère relationnel et, mettant en jeu le rapport de l’homme au monde et à son propre savoir : «Nganga Otwere : c’est un sage, un philosophe, c’est-à-dire un homme qui connaît tout ce que l’on pense sans savoir (dans les limites d’une culture donnée, bien entendu). Ce maître passe des heures et des heures à philosopher dans son Ekwembe, endroit retiré et calme, propice à la réflexion philosophique. On ne se lasse jamais d’écouter un Nganga Otwere »164. On note ainsi que pour Théophile Obenga, le Nganga Otwere apparaît à la fois comme un divin et un sage. Nous confirmons l’image que donne cet auteur. 1.2.1.1. Accession au kwephe On dispose de deux voies différentes pour accèder au kwephe : 1.2.1.1.1. La succession On devient A nga kwephe en succédant à un parent direct décédé (père, oncle). A la mort d’un A nga kwephe, un fils ou un neveu utérin ou encore un frère consanguin parmi les plus âgés et les plus sages, peut volontairement décider de succéder au parent mort. Il peut aussi être prié par la famille ou les autres A nga kwephe de succéder au parent décédé. Il reçoit en héritage tous les insignes et instruments laissés par le parent décédé. 1.2.1.1.2. L’affiliation Un membre d’un clan titulaire d’un kwephe d’Otwere qui se sent apte et capable de posséder un kwephe peut créer ses insignes et instruments de kwephe et devenir A nga kwephe. Bien qu'indépendant des autres kwephe du clan, il dote le sien du même totem. Mais, les membres du clan doivent donner leur consentement moyennant de l’argent. 1.2.1.2. Critères d’accession Dans les deux cas, pour être un A nga kwephe, il faut : -être un membre d’Otwere ; -faire partie d’un clan qui possède un kwephe. L’A nga kwephe hérite son titre de son clan maternel ou paternel qui possède un kwephe y’otwere ; -être un Isongo (Edza Isongo) dans le kwephe à hériter ou à créer ; -être adulte ou vieux (âgé au moins de 30 ans) ; -être reconnu sage par les membres du clan et disposer d’une personnalité philosophique, matérielle et sociale affirmée. 1.2.1.3. Le sacre 1.2.1.3.1. Le sacre par voie de succession Par voie de succession, le sacre peut se faire en deux étapes. Dès la mort du parent A nga kwephe et lors de la cérémonie de ses obsèques, le successeur accepté est placé assis à côté du kwephe (coffret) en s’adossant à celui-ci. On dit en Mbosi : «aso yeeme ou a yeemi mo kwephe» c’est-à-dire qu’il s’est adossé au siège (kwephe). Ayant aussi touché le symbole du pouvoir, il a alors le titre d’A nga kwephe et jouit de certaines prérogatives reconnues par son rang. 164 Obenga (Th) : Op. Cit, p93 199 Mais, il ne pourra jouir de tous les attributs de son rang que le jour de la cérémonie rituelle qu’il doit patronner. A cette cérémonie, un ancien A nga kwephe le hisse sur son kwephe. C’est ce que Théophile Obenga explique : «C’est au cours d’une longue et émouvante cérémonie que le kani investi reçoit tous les attributs de son rang, en même temps que les anciens l’initient à la profonde philosophie du pays (Otwere), fondée sur la justice sociale. Cette cérémonie a lieu dans la forêt, à l’intérieur d’un enclos (Esele), préparé à cet effet. Cet enclos s’appelle aussi Kinda »165 1.2.1.3.2. Le sacre par voie d’affiliation Par voie d’affiliation, le sacre d’un nouvel A nga kwephe comporte aussi deux étapes. Dès que ses intentions sont jugées légitimes et acceptées, il fait fabriquer son kwephe et se dote de moyens d’habiller et de protéger son kwephe. Il provoque une réunion des anciens A nga kwephe et de quelques Adza Isongo du clan d’affiliation et des autres clans. Au cours de cette réunion, il est déclaré digne d’être A nga kwephe où un Edza Isongo du clan lui dévoile son totem en lui indiquant le signe du totem, ses interdits, le mode d’invocation. A cette occasion, il révèle sa décision de célébrer une cérémonie d’Otwere et annonce le nom de l’opombo qui va «préparer le feu» (olambi mia m’otwere). Comme le premier, il ne recevra les attributs de son rang que lors de la cérémonie rituelle. Il est intronisé publiquement par un ancien A nga kwephe et un Edza Isongo du clan. On est investi A nga kwephe une seule fois et on le demeure toute la vie. Aucune institution, aucune instance ne peut révoquer un A nga kwephe. 1.2.1.4. La place d’A nga kwephe dans la société L’élévation au kwephe place son titulaire au sommet de la société. Pourtant, considéré individuellement, l’A nga kwephe n’exerce pas un pouvoir apparent ni sur le village qu’il habite, ni sur le clan qui lui a ouvert l’accès au kwephe ni sur la société. Au sein d’un village par exemple, le maître d’Otwere est un simple citoyen comme un autre sous l’autorité du chef du village ; mais au regard de l’institution Otwere, il se place au dessus du chef de village et de tous les villageois. L’ensemble des A nga kwephe de différents clans a sur la société Mbosi Olee une autorité absolue et exclusive. Il constitue une représentation collective de l’institution. En effet, ensemble les A nga kwephe, exerçent des pouvoirs étendus sur la société Mbosi Olee. L’unité des A nga kwephe oriente et coordonne l’activité juridico-politique et socio-législative. On les considère comme incarnation de l’ensemble de la société. L’A nga kwephe, avons-nous dit, est le gardien de la justice ; le garant de l’intégrité du territoire de chaque village et de la société ; il est le protecteur et le garant des lois, interdits et préceptes. Il est le symbole de la communauté tout entière et l’incarnation de la justice. Quand, sous l’action conjuguée des administrateurs coloniaux et des religions, ce rôle d’Otwere a fini par se reduire au seul pouvoir judiciaire, celui d’A nga kwephe en pays Mbosi Olee a fini par être perçu comme le plus grand Twere c’est-à-dire le plus grand juge. Pour 165 Obenga (Th) : Op. Cit, p42 200 toute la population, il incarne la sagesse, la vertu, la justice. Il garantit avec l’ensemble de l’institution, l’exercice de la justice. Maître d’Otwere, l’A nga kwephe préside la cérémonie d’Otwere en initiant les candidats à l’institution. Il assure la responsabilité de la protection de la morale, des lois et coutumes, des hommes et des biens en pays Mbosi Olee ; il participe et garantit la transmission du savoir. Il est au centre de l’histoire considérée comme patrimoine de la communauté. L’importance de la place d’A nga kwephe dans l’institution Otwere et dans la société Mbosi a été caractérisée par Antoine Ndinga Oba en ces termes : «L’Otwere dans toutes ses dimensions est supervisé par des notables (…) qui sont censés en maîtriser tous les aspects, pour avoir l’autorité nécessaire sur les autres membres de la hiérarchie et les populations de la juridiction. Ils sont historiens, philosophes et savants. Historiens, ils connaissent les principaux événements ainsi que la généalogie des grandes familles de la contrée. C’est ce qui leur permet de situer les gens dans le contexte de leur famille pendant les jugements»166. 1.2.1.5. Avantages d’être A nga kwephe L’A nga kwephe est connu et reputé et l’on vient de la zone et de loin faire appel à son savoir, à sa sagesse et à sa justice. On le salue avec déférence et lorsqu’il est doublé du titre d’Obiali, il est salué par la flexion légère des genoux et claquement des doigts des deux mains (letsondi). Les Mbosi doivent au maître d’Otwere respect et soumission. Ils se le représentent comme un personnage au-dessus de tous les villageois. La justice (Otwere) est rendue sous sa direction. Le maître d’Otwere est considéré comme détenteur du pouvoir des ancêtres. Il est considéré comme ayant reçu de ceux-ci des pouvoirs mystiques étendus, une sagesse, condition nécessaire pour mener à bien sa tâche. L’A nga kwephe reçoit des Ipombo ou Inguiele, qui deviennent membres d’otwere par son canal, des biens et des espèces à titre de frais d’admission à Otwere. Il reçoit aussi en contrepartie des services qu’il rend, des dons de toutes sortes : pièces d’étoffes, animaux, aliments, argent. Souvent, il arrive à accumuler une richesse assez importante au regard des autres membres de la société. A lui seul est rattaché le corps des Ibani qu’il met en mouvement quand les circonstances s’expriment. 1.2.1.6. Noms des A nga kwephe Ainsi, quelques noms des A nga kwephe c’est-à-dire maîtres d’Otwere sont connus en pays Mbosi Olee, à savoir167 : -Ngaakosso (village Toro) -Ngakosso Engondo (village Toro) -Ngaporo (village Elo) -Nganongo Oborô (village Okassa) 166 Ndinga Oba (A) : Op. cit, pp175-176 Le descriptif constitutif de ce point résulte des entretiens que nous ont accordés Ngapela Obaré, un agent retraité de la Mairie, âgé d’environ 60ans domicilié à Talangaï-Brazzaville, le 2/02/2000 ; Nguiki A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001. 167 201 -Ngamboyi Obare (village Okassa) -Okandze Opala (village Okassa) -Nguebili (village Ongouala) -Ngandoni (village Ongouala) -Ibara Mbembe (village Ngania) -Ngambe A Mbama Niombo (village Ngamba) -Ngakosso Lemoua (village Ngiele-Okassa) -Elenga Kalima (village Ngiele-Okassa) -Ibara l’Obandza (village Ngiele-Okassa) -Ngamboyi kaakaa (village komo) -Ngapey (village komo) -Abongo (village Ibouli) -Ngatse Okoua (village Bomba) -Ondongo (village bomba) -Oko Obei (village Apheme ou Mapeme) -Mboula Engondo A Mba Oko Obei (village Apheme ou Mapeme) -Ngapaa (village Apheme ou Mapeme) -Ngapey A Tsangue (village Tsangue) -Otora (village Ekassa) -Ngo Lekori l’Otora (village Ekassa) -Ngaporo A Mbossa (villageMbandza) -Dimi Ngawoua (village Mbandza) -Nianga Dimi (village Mbandza) -Onday M’One (village Mbandza) -Nguedzemi (village Endolo) -Poue Otso (village Tsodzo) -Mwandzibi Ibondzi (village Tsodzo) -Obambi Assaa (village Ekolo-Mossende) -Ngakosso (village Mbey a Tsono ou Mbey Ngassoua) -Itoua Ndzoo (village Oyale) -Ngakosso m’Oko (village Akielé) -Ngatsesse Kassambe Onguiebele (village Epaa) -Ngatsesse Okouere (village Epaa) -Okandze A Mba Okia (village Epaa) -Obassi Otendi (village Epaa) -Ondou Lengossi (village Emboli) -Ikie l’Onanga (village Emboli) -Ngambe (village Ngiele-Komo) -Ngayongô (village Otsini) -Ondongo (village Okiele) -Ngaakia (village Odzia) -Nguiko m’Ondei (village Ngouene ya Tsale) -Mbongoo (village Ngouene) -Nguiko Akie Apa (village Kassimba ou Mbey Ngueko) -Itoua la mba Ewouesse la Tsana (village Abombongo) -Oko mbo Opombo -Ngandoni m’Ongali (village Ongali) -Ibombo Mboula (village Oyaba) -Ngakono (village Kanaa) -Oto Mbembe (village Okongo) 202 -Oba A Kondzi (village Kondzi) -Elonda Letso (village Ebaa) -Ibombo Mboula (village Oyapha) -Elenga Olande (village Okouephe). 1.2.2. Ibani (pl. Ebani, sing) Les Ibani constituent le corps de force dans la société Mbosi Olee. Ils composent la «police» d’Otwere. A chaque A nga kwephe sont rattachés un nombre d’Ibani qui ne peuvent être mis en mouvement que par lui ou, avec son autorisation par un autre A nga kwephe qui en fait la demande. Les Ibani sont donc les chargés de mission (atoma) d’A nga kwephe auquel ils sont rattachés. Ils sont seuls autorisés à porter le pengue. Ils portent le pengue pour accomplir une mission d’Otwere ordonnée par l’A nga kwephe. Ce pengue est protégé par Letseyi (couvert par Letseyi). Si, dans un village, un habitant (homme ou femme) contrevient aux préceptes de la vie dans la société Mbosi par incendie volontaire ou involontaire dans une forêt protégée ou une maison d’habitation, par destruction d’un instrument de production de biens (de chasse, de pêche, d’artisanat, de récolte de vin, de forge, de tisserand) ou et surtout par la profanation d’un instrument d’Otwere, ses actes sont perçus comme une atteinte grave à l’ordre social et sacrilège. Ils sont qualifiés d’actes criminels. Le village et l’auteur sont tout de suite placés sous le contrôle d’Otwere. L’A nga kwephe le plus proche est saisi d’office et met en mouvement des Ibani. La première sortie des Ibani est alors une occasion de manifestation de la force : ils arrivent (3 ou 4 ou plus), en silence dans le village qui, du coup, est tenu en respect : pas un seul habitant ne doit bouger : les femmes et les enfants, les Ipombo, se retirent dans les cases. La colonne inspecte deux ou plusieurs fois le village et tourne autour de la case de l’auteur de l’acte délictueux (deux fois), puis s’empare de la volaille (surtout les poulets) et autres produits (safous «fruits sauvages», ananas, bananes), et repart. Le village est donc investi jusqu’à ce que l’auteur se présente ou présente un membre de sa famille pour «allumer le feu d’Otwere». Ils (Ibani) parcourent à nouveau le village une ou plusieurs fois, inspectent les alentours, en vitesse et en silence, puis ils se dispersent. C’est le premier avertissement. Ils peuvent revenir plus tard. Leur statut particulier d’hommes de main et de messager, les décharge de toute responsabilité lors des exactions auxquelles ils peuvent se livrer au cours de leurs manifestations (pillages, dégradation). Représentant l’aspect parfois répressif et arbitraire du pouvoir d’A nga kwephe et d’Otwere, les Ibani n’agissent que sur leur ordre et ne sont responsables que devant eux de l’exercice de leur influence sur la volaille qu’ils attaquaient. 203 Il y a chez les Mbosi Olee trois degrés d’Ibani : 1.2.2.1. Ibani b’A nga kwephe ou Ibani b’ignion la kwephe C’est-à-dire les Ibani du «siège» : ils protègent l’A nga kwephe le jour de la célébration rituelle d’Otwere. Ils sont assis à côté d’A nga kwephe. Ils construisent le «sanctuaire» (Eselee). Ils préparent le kinda. Ils placent tous les symboles relatifs au bon déroulement de la cérémonie d’Otwere. Ils conduisent les Iphongo dans l’Eselee. Ils sont recrutés par l’A nga kwephe parmi les membres d’isiya, proches parents d’A nga kwephe et membres d’Otwere. 1.2.2.2. Ibani b’A ngo Otwere Ils protègent le «sanctuaire» le jour de la célébration d’Otwere. Ils jouent le rôle d’agents de sécurité le jour de la cérémonie. Ils gardent la porte d’entrée d’Eselee. Ils taxent, perçoivent les amendes des personnes qui sont prises au piège placé à l’entrée de l’Eselee. Ils sont recrutés par l’A nga kwephe parmi les membres d’Otwere. 1.2.2.3. Ibani b’Onguiele Ils sont chargés d’exécuter les missions d’A nga kwephe dans le village. Ils ne participent pas à la construction de l’Eselee et n’y sont pas admis. Ils sont recrutés par l’A nga kwephe souvent parmi les membres d’isiya non membres d’Otwere. Ils sont donc des Ipombo ou des Inguiele. Leur accession au rang de membre d’Otwere est souvent une simple formule et une entente avec l’A nga kwephe si ce dernier prépare une cérémonie d’Otwere. Ce corps des Ibani168 est aussi constitué autour des Kani dans les contrées Mbosi de la Cuvette. Dans son ouvrage intitulé : Pour une histoire du Congo-Brazzaville. Méthodologie et réflexions, Abraham Constant Ndinga-Mbo le présente comme l’initié le plus important dans l’entourage du Kani et fait une description assez exhaustive de ce personnage : «Dans l’entourage du Kani, l’initié le plus important est l’ebanyi. Cet homme (…) attaché à la personne du Kani, joue le rôle de protecteur et compagnon fidèle du Kani, présent là où se trouve son maître, le suivant absolument partout (…). Il assiste de ce fait à tous les procès présidés par son maître. (…) Au cours des procès présidés par le Kani, on en dénombre souvent vingt à trente assis devant les portes du palais de justice (Kanza ou Olebe). Ils sont reconnaissables (…) à leur costume de plumes d’oiseaux, imvunza, porté autour des reins et en coiffe, aux faux coupe-coupes en bois sculptés, à la cloche double accrochée à leur jupe en raphia, et leur grand sac en liège qu’ils portent en bandoulière. Ils s’enduisent généralement le corps de toutes sortes d’onguents et parfums, plus précisément de kaolin et d’argile rouge, mondo, mélangés au bois de ngola (…) réduit en poudre et malaxé dans l’huile de palme. Ce maquillage le rend affreux (ebanyi signifie, littéralement, «poubelle»), mais les couvre d’une immunité inviolable dans le village en temps de guerre ou de paix. Un peu bouffon, un peu gendarme, ebanyi symbolise ici aussi la coercition et l’arbitraire que renferme le pouvoir du Kani. En sa qualité de représentant du Kani, il est supposé n’agir que sur son ordre et n’être responsable que devant celui-ci de toute exaction commise. Il se comporte en tout cas en dehors du palais du Kani comme un exécuteur de basses besognes. D’ailleurs, on fuit à son passage car il se donne souvent le droit de piller tout ce qu’il voit : poulets, poissons fumés, cabris, bananes, manioc… A l’annonce de la mort du Kani, les ebanyi se répandent à travers les villages et les champs de l’Okani et se livrent à de nombreux actes de pillage et de vandalisme. Ils prétendent de la sorte alimenter le grenier du Kani (…). 168 On rencontre aussi les Ibani chez les Tegue ou Teke-Alima et Mbeti (sous-groupe Teke) dans le Département de la Cuvette-Ouest sous l’appellation courante Ebanighi 204 (…) Et dans ces incursions, les victimes principales sont les non-initiés (…). En temps ordinaire, ebanyi est le messager patenté du kani, chargé de la convocation des Kani ou des Twere qui sont ici les maîtres de la justice car initiés majeurs au droit dans les grands procès de la cour du Kani. Jadis, il était chargé de porter des messages périlleux à l’ennemi ou sur les champs de bataille. Cette fonction est hériditaire : la succession se fait de père en fils pourvu que le fils ait, bien sûr des aptitudes»169. 169 Ndinga-Mbo (A. C) : Op. Cit, pp114-115 205 Pl.22 : Ebanigi du Département de la Cuvette Ouest 206 Pl.23 : Ebanigi dans le Département de la Cuvette Ouest lors de leur danse 207 1.2.3. A ngoo (sing. Ngoo) Les A ngoo ou A ngoo b’otwere : ce sont les initiés c’est-à-dire les membres de l’institution Otwere. On est Ngoo Otwere à vie. Aucune institution, aucune instance ne peut démettre un ngo Otwere. C’est de l’ensemble des A ngo b’Otwere que sortent les Twere (fonctionnaires de la justice). 1.2.4. A nga Isongo L’A nga Isongo ou l’Edza Isongo ou encore l’Isongo n’est pas un grade : c’est une position honorifique dans Otwere et dans la zone Mbosi Olee. Il est donc un sage membre d’Otwere et fait partie des membres influents d’un clan (Isiya) titulaire d’un kwephe. Il est nécessairement descendant direct d’un ancien A nga kwephe. Il peut succéder à un A nga kwephe ou créer un kwephe filial. L’A nga Kwephe recourt toujours à un A nga Isongo de son Isiya pour superviser l’organisation d’une cérémonie qu’il (A nga Kwephe) doit patronner. A ce titre, il reçoit et assure la tutelle du premier Opombo qui vient provoquer la célébration de la cérémonie appelé «Olambi miya m’Otwere». L’A nga Isongo qui est invité à accomplir ce rôle est dit Osambe Otwere (organisateur de la cérémonie d’Otwere). Les A nga Isongo sont des privilègiés dans la société : -lorsque, dans le village ou dans un village du voisinage, un homme a accédé ou se prépare à accéder à Otwere, la part des dîmes à verser à A nga Isongo est plus élevée que celle reçue par un simple membre d’Otwere ; -un Isongo membre du kwephe qui prépare une cérémonie peut se faire livrer le compte-rendu de la mission d’un Ebani et se faire servir une partie du contenu du pengue (gibecière ou panier) de cet Ebani ; -les Isongo sont sollicités par les Ipombo, qui décident d’appartenir à Otwere, pour atteindre l’A nga kwephe. Ils perçoivent pour cela des commissions. Autour d’un A nga kwephe, il y a deux ou trois Isongo. Ils ont tous la haute connaissance du totem du kwephe, donc du clan. Ils ont la charge d’assister l’A nga Kwephe et d’assurer sa protection contre les puissances occultes lors de la cérémonie patronnée par l’A nga kwephe. 1.2.5. Iphongo (ou Ephongo) Ce sont les postulants ayant fait acte de candidature à Otwere. Dès qu’un Opombo «a mis la tête dans un kwephe», il devient membre d’Otwere. Mais avant la cérémonie rituelle de son admission, il est encore considéré comme un simple particulier (Ephongo ou Iphonga). Il garde ce statut pendant les 15 ou 45 jours de la préparation de la cérémonie de son admission. Il est sous la protection exclusive d’Osambe et d’A nga kwephe. 208 1.2.6. Opombo (pl. Ipombo)170 ou Onguiele (pl. Inguiele) Ce sont les hommes adultes ou jeunes qui ne font pas partie d’Otwere. Par rapport à Otwere, ils forment avec les femmes la classe des exclus, des non initiés, donc la basse couche de la société. C’est cette couche sociale qui pourvoît Otwere en membres. 1.3. Echelles d’Otwere dans les autres groupes Mbosi et du nord-Congo Les autres populations du Nord-Congo qui connaissent cette institution comme les Mbosi Olee présentent une échelle hiérarchique différente. Ainsi par exemple, on a comme le montre ce tableau : Tableau N°2 : Echelles d’Otwere dans les autres sous-groupes Mbosi et du nord-Congo Sous-groupes ethniques Grade ou Rang Koyo 1)-Kani, Mwene C’est le chef traditionnel, maître d’Otwere 2)-Obela ma C’est le successeur du kani lepembe 3)-Obela Juges instructeurs et porte-parole du Kani (pl. Ibela) 4)-Twere Ce sont les membres d'Otwere, les assesseurs. (pl. Atwere) A ce niveau, on note deux niveaux de hiérarchie: -Twere de deuxième niveau -Twere de premier niveau 5)– Opombo Ce sont les non-membres d'Otwere (pl. Ipombo) 1)- Kani C'est le chef traditionnel, maître d’Otore Akwa Eboyi Rôles et fonctions 2)- Yombi Juges 3)- Ekourikii Suppléant du Yombi 4)- Tore L'initié à Otore 5)- Ehonga 6)- Opombo (pl. Ipombo) 1)-Kani, Mwene Le candidat à Otore Ce sont les non membres d'Otore C’est le chef traditionnel, maître d’Otwere 170 Le terme «Opombo» au singulier, se dit au pluriel «Ipombo». A son origine, ce mot veut signifier profane. Ici l’allusion est faite à l’assemblée des hommes libres jouissant pleinement de leurs droits familiaux ancestraux. Il s’agit exactement des jeunes, des adultes, des femmes ou de personne n’exerçant aucune responsabilité, ne savent rien de l’histoire fermée et sa connaissance de l’histoire ouverte ne se limitent à un canevas d’éléments reçus en certaines circonstances, lors des manifestations collectives ou lignagères. 209 2)-Twere (pl. Atwere) Obaa Mbonzi 3)-Opombo (pl. Ipombo) 1)-Nganga Otwere Ce sont les membres d’Otwere, les assesseurs. Dans les Twere, il y a une hiérarchie ; on a : -Abongo Tsambo : c’est la « femme » et porteparole du kani (Mwasi ya mba kani) -Iboua : c’est le twere qui n’a pas encore atteint le niveau requis pour représenter le kani. Son lepembe (trait blanc) va du poignet au coude du bras gauche Ce sont les non membres d’Otwere C’est l’illuminé ; il distribue le pouvoir d’Otwere à tout le monde. Généralement, le Nganga Otwere apparaît en période de saison sèche dans un village de son choix pour réaliser son action. Ses émissaires prennent le soin d’annoncer sa venue à l’ensemble des villages 2)-Kani, Mwene C’est le chef traditionnel, il assure la pérennité d’Otwere 3)-Obela C’est le juge instructeur et porte-parole de Kani ou Mwene. Dans les Ibela, celui qui est plus proche du Kani ou Mwene et qui est son porte-parole principal est appelé Obela Ekô 4)-A nganga a Ce sont les membres d’Otwere, les assesseurs ndzele ou A nganga a kinda 5)-Opombo Ce sont les non membres d’Otwere (pl. Ipombo) 1)-Nganga Otwere C’est l’illuminé ; il distribue le pouvoir d’Otwere à tout le monde. Généralement, le Nganga Otwere apparaît en période de saison sèche dans un village de son choix pour réaliser son action. Ses émissaires prennent le soin d’annoncer sa venue à l’ensemble des villages 2)-Kani, Mwene C’est le chef traditionnel, il assure la pérennité d’Otwere 3)-Obela (pl. Ibela) Juges instructeurs et porte-parole du Kani ou Mwene Dans les Ibela, il y a trois sortes: -Obela Ekô: porte-parole principal du Mwene -Obela: assesseurs -Epampande: c'est lui qui distribue le Mwandzi entre les Ibela 3)-Ebani (pl. Ibani): Messagers, informateurs, "policiers" d'Otwere 210 Mbosi de Ngolo (Tsambitso, Tongo, Okouele) 4)-Opombo (pl. Ipombo): 1)– Ngo a Twere 2)– Twere 3)– Obela Ngaë 4)- Opombo (pl. Ipombo) 1) –Kani, Mwene 2)– Obela 3)– Twere Nguilima Likouba Ce sont les non-membres d'Otwere C'est le maître d'Otwere. Il tient dans sa main droite trois Mwandzi C'est le juge instructeur. Il tient deux Mwandzi dans sa main droite C'est le juge instructeur. Il tient le Mwandzi dans sa main droite. En l'absence des deux premiers, il règle tous les problèmes; en leur présence, il règle les problèmes sous leur contrôle Ce sont les non-membres d'Otwere C'est le chef traditionnel, maître d'Otwere C'est le juge instructeur et porte-parole du Kani ou Mwene C'est le juge, l'assesseur, les membres d'Otwere 4)-Opombo (pl. Ipombo) 1)– Ndinga Ce sont les non membres d'Otwere 2)– Obela C'est le juge instructeur et porte-parole du Ndinga 3)– Ebani C'est le messager d'Otwere 4)-Twere 5)– Opombo (pl. Ipombo): 1)-Ndeke C'est le juge, l'assesseur, les membres d'Otwere Ce sont les non-membres d'Otwere 2)-Ebouka minoyi 3)- Obela 4)-Mounouangui 5)-Monguelo 6)-Ba ngoko C'est le chef traditionnel, maître d'Otwere C’est le maître de bototele. Il rend la justice avec beaucoup de Bwandzi (ressemble à un balai de justice) C’est le gardien des secrets de Bototele. Il seconde Ndeke et est aussi chargé de la préparation de la cérémonie rituelle de bototele C’est le juge instructeur et porte-parole. Il rend la justice avec deux Bwandzi C’est le juge, porte-parole. Il rend la justice avec deux Bwandzi. Seuls les membres de Bototele font la différence entre un Obela et un Mounouangui C’est le juge, assesseur. Il rend la justice avec un seul bwandzi Ce sont les membres de Bototele 211 7)-Mondo Ngangoulou Ce sont les non initiés qui assurent le protocole. Ils sont marqués de mondo (kaolin) à la lèvre inférieure Ce sont les non membres de Bototele a C’est le maître d’Otouere 8)-Mbouli 1)-Ngo ngo touere 2)-Ibon (sing, Ce sont les « policiers » d’Otouere Ebon) 3)-Ban b’Otouere Ce sont les membres d’Otouere 4)-Inguiele (sing. Ce sont les non-membres d’Otouere Onguiele) Ce tableau qui n’est certrainement pas exhaustif, indique que dans toutes les contrées Mbosi ou Ngala ou voisines, Otwere est organisé en échelles hiérarchiques comme chez les Mbosi Olee. Les différences d’appellation et des rôles des échelles, traduisent les quelques différences dans la culture générale, elles-mêmes justifiées par les différences dans la nature des terres habitées. 2. Les instruments d’Otwere171 La puissance, l’autorité et le pouvoir d’Otwere sont symbolisés par des instruments physiques qui jouent le rôle "d’armoiries" de la communauté Mbosi. Ces instruments sont : Mwandzi, Kwephe y’otwere, Pengue y’ebani. 2.1. Mwandzi Le Mwandzi joue le rôle de "drapeau" c'est-à-dire d'emblème de la société Mbosi. Il est l’instrument de la puissance d’Otwere et le flambeau de la société. Celui-ci ressemble à un balai et est fait de nervures de feuilles d’un palmier appelé Ipeyi. Il a été défini par Mgr Gassongo comme : «Un assemblage de tiges de feuilles des branches de palmiers tressés habilement et enroulés dans des crins ou fibres d’un palmier spécial (ipeyi ou épeu) et soutenues à l’une des extrêmités par des bagues en spirales cuivrées qui en formaient le manche. Au bout de celui-ci était enfoncé un gros clou cuivré, en forme de cône »172. Le Mwandzi est une construction ingénieuse des artisans Mbosi. Les nervures de palmier sont rassemblées par leurs premières extrémités, dans un cône tissé avec le crin du même palmier. Cette construction se termine en haut et en bas par deux colliers en spirales (4 à 5 spirales en haut et 6 à 7 en bas). 171 Nous nous référons sur cette question aux travaux de Mgr Benoît Gassongo, Oboba et aux entretiens avec Okandzé Lékouégni, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 63ans, le 27/05/2001 ; Ngambomi Athanase, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 75ans, le 28/05/2001 ; Ondey Mbola, un chanteur-girot du village Ngania, âgé d’environ 55ans, le 31/05/2001 et Ondélé, un paysan du district de gamboma, âgé d’environ 70ans, le 6/06/2001. 172 Mgr Gassongo ( B ) : Op. Cit, p8 212 Le collier du haut dont les spirales sont de même diamètre est appelé Ebanga ya Mwandzi (bracelet du Mwandzi). Il sert à donner au Mwandzi l’allure rectiligne et à «discipliner» l’ensemble des nervures. Le collier du bas dont le diamètre des spirales est décroissant vers l’extrêmité, est appelé Iphei la Mwandzi (bague du Mwandzi). L’Iphei est précédé en haut d’un autre collier, en spirales aussi, mais plus élaboré et mieux taillé qui soutient la construction en crin. Comme l’Ebanga et l’Iphei, ce troisième collier est en cuivre. Il peut être aussi en Okisi (fer ou alliage de fer). A l’extrême base du Mwandzi, est logé un gros clou à tête conique appelé, Ekouma-Ndzondo. Il représente le socle du pouvoir d’Otwere. La construction en crin se termine vers le haut par un tissage plus artistique appelé «Okirïï a Mwandzi» (construction de rive, cadre embellissant). La nature rare des éléments qui constituent ces différentes parties, leur forme et surtout leur valeur, non seulement donnent au Mwandzi l’allure d’un objet d’art respectable qui le différencie du simple balai domestique, mais surtout exprime le caractère sacré de cet instrument. Le Mwandzi est porté et utilisé par tous les membres d’Otwere (A ngo b’Otwere) surtout lors des cérémonies d’Otwere ou à la prise de parole en public au cours d’une affaire. Tout homme muni ou qui touche le Mwandzi est protégé et respecté. Il peut faire cesser les conflits et arrêter une guerre. En effet, se bat-on quelque part, le voilà en avant qui se précipite vers les belligérants et arrête les hostilités grâce à cet emblème qu’il hisse entre eux. Nous retrouvons une analogie intéressante chez les Ngangoulou, population voisine des Mbosi Olee: «Au sens rituel Ongnia désigne un instrument en forme de balai d’Afrique fait avec un certain art. Généralement quand on prend la parole en public, on doit l’avoir en main par tradition, il est aussi utilisé pour la danse pendant les concerts organisés à l’occasion des cérémonies funèbres ou théâtrales d’ongnian. Parfois, l’insigne du chef fait en queue de buffle peut exceptionnellement servir d’ongnianbalai. Cet instrument est le symbole de la dignité, de la noblesse, du respect de l’ordre juridique par opposition au scandale, à la violence. Par exemple si une personne convoquée au tribunal refuse de se présenter, on lui envoie l’ongnian qu’on lui abandonne s’il est récalcitrant, afin de lui rappeler la valeur des institutions. Un jurisconsulte qui s’exprime avec ongnian en main impose par la présence de celui-ci le silence de l’auditoire et son invitation à la réflexion»173. Le Mwandzi a d’abord une fonction rituelle parce que tous les membres d’Otwere participent à la cérémonie avec leur Mwandzi à la main. La fonction de cet instrument est ensuite judiciaire parce que le Twere (juge) rend justice avec son Mwandzi à la main qui est là pour discipliner l’assemblée et imposer la paix aux justiciables. C’est le symbole principal de l’audience. Comme la fabrication du Kwephe, celle du Mwandzi se fait aussi sur commande. Elle est secrète et réservée aux artisans autorisés. 173 Antchouin Mongo (J) : Contribution à l’étude des idées politiques et sociales congolaises antérieures et postérieures à l’ère coloniale, Thèse de doctorat d’Etat en Droit, Paris, 1975 cité par Mondjo (J. C) : Op. Cit, pp90-91 213 Le Mwandzi est l’insigne du pouvoir d’Otwere et surtout l’emblème de la société Mbosi: c’est son drapeau par comparaison aux sociétés européennes. A cet effet, Jean Claude Mondjo écrit : «Le Mwanzo ou le mwanzi est donc le symbole de la paix, il est l’équivalent du drapeau blanc européen, qui sert à arrêter temporairement ou définitivement une guerre »174. On raconte175 que le Mwandzi vient de Ndinga. Ce patriarche qui a guidé la migration des Mbosi devait disposer d’une chasse mouche qu’il tenait régulièrement dans les rencontres et réunions qu’il patronnait. Il le brandissait quand il donnait des ordres et les instructions. Ainsi, après son décès, toutes les populations qui se réclament de lui, ont conservé cet instrument et en ont fait le symbole du pouvoir. Pour les Mbosi Olee, chaque élément du Mwandzi symbolise la mission, le rôle d’Otwere dans la société : 1)- chaque tige (nervure de la feuille du palmier Ipeyi) représente un individu dans la société. L’ensemble des tiges représente la population qui constitue la société. Un individu, membre ou non d’Otwere qui casse volontairement une tige de Mwandzi commet le crime le plus abominable de la société ; 2)- le premier collier (ebanga) qui rassemble les tiges et leur donne l’allure rectiligne indique qu’Otwere a pour mission de rassembler les peuples, de veiller à la vie d’ensemble : Otwere assure l’unité du peuple. L’Ebanga le tient rassemblé et droit. Le respect de ce rôle d’Otwere impose à chaque membre d’Otwere qui fait usage de Mwandzi, surtout à une cérémonie, de poser sa main sur ce collier (ebanga), le pouce dressé vers le haut suivant la direction du Mwandzi. L’inobservance de ce devoir expose le contrevenant à une amende ; 3)- les deux colliers du bas indiquent ensemble que chaque homme, chaque femme et chaque enfant Mbosi est descendant de Ndinga: il est sacré. Otwere lui assure la vie et le protège. Personne n’a le droit de supprimer la vie d’un autre ni de détruire les outils de son activité ; 4)- le clou conique terminal (Ekouma-ndzondo) est la partie par laquelle le Mwandzi touche la terre. Tout Mbosi a donc droit de demander à la terre ses aliments. Otwere protège la terre et l’activité de l’homme. Les frontières des villages sont inviolables. Personne n’a le droit de détruire la terre et la nature. L’Ekouma-ndzondo est le concentré du pouvoir de la société, du peuple. Le Mwandzi est aussi conçu et utilisé par les autres populations Mbosi voire Ngala et du Nord-Congo où il joue les mêmes rôles et est doté du même caractère sacré. On le désigne par les noms suivants : Koyo Akwa Mboko Ngare : Mwandzo : Mwandzo, Otsaso : Otsaso : Mwandzi, Otsaso 174 Mondjo (J. C) : Op. Cit, p72 Ce point est le fruit de l’entretien avec Ondélé, un paysan du district de Gamboma, âgé d’environ 70ans, le 6/06/2001. 175 214 Likouba Likwala Moï (Moye) Teke Ngangoulou Tege Mbeti Bomitaba : Bwandza, Montsaso : Bwandza, Montsaso : Bwandza, Montsaso, Mwandzi : Onia-kiwolo : Ongnia : Mwandzi : Mwandzi : Moutsasa 215 Pl.24: Mwandzi 216 Pl.25: Mwandzi 217 2.2. Kwphe y’Otwere Comme nous l’avons dit plus haut, le kwephe désigne une section de l’institution Otwere. Il symbolise une parcelle de l’autorité de Ndinga. Il est matériellement représenté par une petite caisse faite de lames de bambou du palmier à huile. Sa fabrication toujours sur commande est très secrète et réservée aux artisans autorisés. Il constitue le symbole du trône du chef de la section concernée. C’est sur cette caisse que se pose et se hisse le chef de kwephe dans le "sanctuaire" pendant les cérémonies convoquées et placées sous son autorité. Pour souligner sa dimension sacrée, on met au fond du kwephe les insignes de la puissance du totem de l’isiya (clan) et de la force du titulaire : dents de panthère, de lion, tête de serpents venimeux, têtes et griffes de grands oiseaux (Mbembe = épervier, Ndziphi = cigogne, Kanga = pintade, Endzandza = espèce de hibou, Oley = charognard, Olomi a tsoso = coq), des gris-gris, des fétiches, un vieux noyau de noix de palme. Chacun de ces insignes représente un élément de puissance. Pour le titulaire de kwephe, ces éléments de puissance jouent le rôle de défense contre les attaques occultes des autres puissances, de charme et d’autorité vis-à-vis de la communauté. Certains éléments ont un caractère nocif. Ils ont la puissance d’inciter des membres de la société à commettre des fautes, des gaffes et de les attirer vers le kwephe pour être admis à Otwere. La dimension extérieure de la puissance et de l’autorité est surtout symbolisée par son habillement extérieur: le kwephe est habillé d’étoffe ou de couverture rouge (Kami) piquée de grandes plumes de grands oiseaux (Ndziphi, cigogne ; Mbembe, épervier ; Oley, charognard ; Olomi a tsoso, coq ; Kanga, pintade ; Endzandza, espèce de hibou) et de crins de queue d’éléphant (Tsiphi). Le Kwephe est gardé dans une pièce de la case de son titulaire (A nga kwephe) derrière une cloison d’étoffe rouge et de peau de panthère. L’accès à cette pièce est interdit. Le jour de la cérémonie d’Otwere, le kwephe est posé sur une peau de panthère étalée sur le sol. Il reçoit le titulaire patronnant la cérémonie. Cette présentation de kwephe a été résumée par Mgr Benoît Gassongo de la manière suivante : «Kwebe-otwere était une sorte de coffret, toujours voilé dans une étoffe écarlatée (etoya ou kami). On la gardait suspendu dans la case entre la cloison intérieure et la cloison arrière. Jamais il n’était posé à terre, sauf le jour de la célébration d’otwere, au sanctuaire ; même alors, on ne le voyait pas. Seuls les membres appartenant au totem familial de ce kwebe-otwere pouvaient profiter de ce moment pour le voir et encore, si personne d’autre n’était présent. A l’intérieur, il n y avait pas grand’chose, sinon un vieux noyau de palme ou deux petits fétiches. Le premier devait attirer de nombreux candidats vers son maître, pour les faire entrer dans la judicature et l’enrichir ; l’autre enfermait tous les maux possibles destinés à être infligés à ses ennemis : ils étaient symbolisés par des dents de bêtes féroces (panthères, lions, caïmans) et des serpents venimeux (vipères, najas)»176. Le Kwephe est donc l’instrument du pouvoir d’A nga kwephe. Son usage est strictement réservé à l’échelon supérieur d’Otwere, l’A nga kwephe. Pour la première fois, l’A nga kwephe est intronisé et hissé sur le kwephe, au cours de la cérémonie convoquée et placée sous son autorité, par un ancien titulaire du kwephe du même Isiya. Lors d’une grande cérémonie d’admission de nouveaux membres et de prise de 176 Mgr Gassongo (B) : Op. cit, p10 218 règles présidant la vie dans la société, seul l’A nga kwephe, maître qui patronne la cérémonie, monte sur son kwephe. Ils peuvent être deux ou trois ou plus à patronner collégialement la cérémonie et chacun d’eux est hissé sur son kwephe. Pour les cérémonies consacrées au décés, les A nga kwephe présents ne sont pas placés sur leurs instruments. Cependant, ils sont placés sur les peaux de panthères dans un coin de l’Eselee et protégés par les Ibani. Le Kwephe, comme dit plus haut, n’est pas exposé à la vue du public. Pour aller de la case d’A nga kwephe au lieu de la cérémonie, il est transporté par la femme préférée du maître. Le transport est assuré au moyen d’un panier de transport bien protégé par les nattes. Ce transport est effectué de nuit. 219 Pl.26 : Kwephe 220 3.3. Pengue y’ebani Le Pengue y’ebani est un panier fabriqué comme celui que portent les hommes lorsqu’ils vont à la pêche, à la chasse et aux champs. Son caractère sacré est signalé par son revêtement extérieur. Il est habillé de tresses de feuilles de palmier à huile finement taillées (Letseyi ou letsee). Ce revêtement cache le panier et lui donne une allure différente du panier ordinaire. Son "lanse" est fait avec l’écorce du tronc de bananier bien tissée et bien huilée. Sur les rebords de son ouverture, chaque titulaire peut afficher un objet décoratif de son choix, comme les plumes d’oiseau. Il place au fond du pengue des gris-gris de puissance. Ces gris-gris sont souvent destinés à hypnotiser la population au passage du porteur du pengue. Le Pengue y’ebani est exclusivement utilisé par les Ibani qui jouent le rôle de "policier" d’Otwere. Chaque Ebani relève d’un titulaire de kwephe (A nga kwephe). L’Ebani ne porte le pengue que quand il est en mission d’Otwere envoyé par un A nga kwephe ou à l’occasion de la cérémonie d’Otwere. Au dessus de pengue et pour le couvrir et couvrir le tronc de son corps, l’Ebani portait, en bandoulière croisée, sur les épaules quelques trois cercles de tresse de feuilles de palmier (Tseyi, sing. Letseyi). Cet ensemble lugubre effrayait les femmes et les enfants. Il l’utilise comme symbole du pouvoir et comme gibecière où il verse tout ce qu’il ramasse et arrache au cours de sa mission : œufs, fruits, arachides et canne à sucre. Le Pengue y’ebani est suspendu dans une pièce où l’accès est interdit à toute personne étrangère sauf au titulaire. Mgr Benoît Gassongo caractérise cet instrument en ces termes: «Pengh’ebani (ibani) est une sorte de sacoche faite de lianes tressées. Les émissaires d’Otwere s’en servaient pour y mettre ce qu’ils récoltaient au cours de leur mission. Pour qu’il fût nommé pengh’ebani, il devait être habillé de bandelettes de feuilles très fines de palmiers appelées tsaé. Sans ces insignes particuliers, il était un objet profane, généralement à l’usage des pêcheurs et des fabriquants de pirogues»177. 177 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit, p8 221 Pl.27 : Pengue 222 Pl.28 : Pengue couvert de letseyi 223 Pour la population Mbosi Olee, chaque instrument d’Otwere est le symbole du pouvoir de l’institution. L’ensemble représente la puissance de l’institution. 3. Admission dans Otwere Comme l’indique justement Jacques Maquet178, dans les sociétés traditionnelles, devenir adulte est un phénomène profondément transformateur de la vie sociale et implique un changement de statut de l’individu à l’intérieur du goupe (social), ainsi qu’une prise en compte de l’importance nouvelle du rôle qu’il est désormais invité à y tenir. Une telle mutation du statut social s’accompagne donc d’une certaine solennité et des rites cérémoniels. Ce mouvement est très remarquable en société Mbosi Olee. Ici l’individu subit cette mutation au sein de sa famille, de son lignage, de son village et de son clan. Quand il atteint l’étape d’adolescence, il a déjà assimilé par l’observation des anciens, la part essentielle de son patrimoine social. Il sait déjà quelle est sa place dans le réseau des relations humaines. Il sait aussi quelle est la place de l’être humain dans la société et dans la nature. Dans tous les sous-groupes Mbosi, cette formation, ces connaissances ne suffisent pas pour élèver l’individu au statut d’homme complet, d’homme libre et socialement utile car il n’est pas encore autorisé à accèder aux fonctions sociales au sein du groupe. Avant d’assurer le statut d’adulte complet, il doit passer par l’initiation à Otwere, devenir Ngo Otwere, s’il ne l’a pas été à l’âge de nourrisson. Pour devenir Ngo Otwere c’est-à-dire membre de cette institution, il y a peu d’exigences. On note cependant celle liée au sexe. L’initiation comporte plusieurs étapes de préparation qui vont de la demande au sacre dans l’Eselee. 3.1. La condition d’admission : le sexe Seuls les hommes sont admis membres d’Otwere ; les femmes en sont exclues. L’âge ne constitue pas une condition. Même les enfants du moins en principe, sont admis comme membres d’Otwere. Ils sont présentés à la cérémonie d’admission par un parent (oncle maternel ou père) qui participe à celle-ci. Il n’est point besoin de justifier ce refus des femmes dans Otwere en dehors de leur statut au sein de toutes les sociétés anciennes. Chez les Mbosi, la femme était vue comme un être physiquement faible. Elle est placée sous l’autorité et la domination de l’homme qui prétend la protéger. Ce statut l’exclut de l’activité de l’homme surtout de l’exercice du pouvoir. Cependant, les femmes (mère ou épouses d’A nga kwephe) sont chargées du transport et de la protection du Kwephe. En raison de leur force à garder secret, l’homme lui fait jouer le rôle de coffre du totem de Kwephe. 178 Maquet (J): Africanité traditionnelle et moderne, Présence Africaine, Paris, 1967, pp67-69 224 3.2. Les circonstances d’adhésion179 Il y a deux types d’adhésion : l’adhésion volontaire et l’adhésion obligatoire. 3.2.1. L’adhésion volontaire Pour être admis en tant que membre d’Otwere à titre volontaire, il faut présenter sa candidature à un A nga Kwephe par l’intermédiaire d’un ancien. En effet, le maître d’Otwere détient seul le pouvoir et le droit de convoquer Otwere et d’initier les «candidats» conformément aux règles qui régissent cette «science du sacré». Alors commence leur long processus d’initiation et d’adhésion. La première cérémonie qui suit la rencontre entre les postulants et le maître d’Otwere est réservée à la mise en garde par le maître d’Otwere et la déclaration d’honneur des postulants. Au cours de cette cérémonie, encore très secrète, le maître d’Otwere, reçoit des postulants et leur pose les questions suivantes : -avez-vous réfléchi à votre engagement? -avez-vous bien mesuré le sérieux d’Otwere? -avez-vous bien pris connaissance de ce qu’implique votre engagement? A chaque question, le postulant ou les postulants répondent par la formule identique suivante : «heee» c’est-à-dire, oui, nous acceptons. Après la phase des questions-réponses, le maître annonce les obligations des postulants sous la forme d’une mise en garde. Les postulants doivent véritablement en prendre connaissance, pour mesurer le sérieux de leur engagement : -l’adhésion à Otwere entraîne des exigences morales, économiques et financières très étendues ; -qui met sa tête dans un kwephe ne doit plus reculer, ni retarder son adhésion. Après cette étape, le maître (A nga kwephe) demande, au(x) postulant(s) de poser le premier acte de leur engagement irrévocable : «la mise de tête dans kwephe». Il s’agit, ici, pour les postulants et leur parrain choisi, de verser les frais d’engagement et de symboles de leur adhésion. Ces frais étaient uniformes et de même taux dans tout le pays Mbosi Olee. Ils étaient constitués de deux parties : -une première partie appelée «Ebengaa ya kwephe» était payée en nature (peau de panthère, objet de luxe ou tissu rare) ; -une autre partie en monnaie. Avant l’arrivée et l'usage du franc, cette partie était payée en monnaie locale de l’époque : cauris, barrettes. 179 Nous avons construit cette question sur la base de l’étude de Mgr Benoît Gassongo et aux entretiens que nous ont accordés Ngapela Obaré, un agent de la Mairie de Brazzaville, âgé d’environ 60ans, domicilié à TalangaïBrazzaville, le 2/01/2000 ; Angala François, un commerçant âgé d’environ 70ans, domicilié à OuenzéBrazzaville, le 5/12/2001. 225 Cet acte accompli, l’A nga kwephe déclarait aux postulants qu’ils étaient désormais admis au statut d’Iphongo (sing. Ephongo ou Ephonga) d’Otwere (candidats agréés à Otwere) et qu’ils appartenaient au totem de son kwephe (coffret d’Otwere, trône). Si ces actes sont posés par un Opombo individualisé, et si son engagement est le premier à provoquer la convocation d’Otwere, il est engagé par l’A nga Kwephe à assumer «la cuisson du feu d’Otwere (alamba mia m’otwere)», c’est-à-dire à supporter les frais de préparation et d’organisation de la cérémonie qui sera convoquée par et sous l’autorité de l’A nga Kwephe consulté. Lorsque que les actes de «mise de tête» sont posés par un collectif de deux, trois ou plus de postulants, ils sont déclarés associés et assument collégialement les charges et ils participent à tous les frais. Dès le moment de sa «mise de tête» dans un kwephe, tout Opombo, appartient au statut intermédiaire entre le ngo Otwere et l’Opombo (exclu social). Il s’engage dans la plus dure période de sa vie en existence. Il subit le poids moral et financier de son statut caractérisé par : -une brimade de collège pourtant non autorisée sur le simple Opombo ; -sa retenue à l’écart de la classe des A ngo b’otwere qui va devenir la sienne : il n’assiste même pas au passage d’un cortège d’Otwere; il ne peut pas encore approcher, en public surtout, un ngo Otwere muni du Mwandzi; il n’accède pas encore à une cérémonie d’obsèques d’un membre d’Otwere ; -des dépenses obligées quelquefois non prévues. Cette situation qui s’arrête à la fin de la cérémonie de son sacre comme membre d’Otwere, est plus dure et est plusieurs fois multipliée pour le postulant obligé. C’est ce qui explique pourquoi l’adhésion à Otwere est considérée comme la plus dure épreuve qu’un Mbosi Olee subisse de sa vie. Elle constitue l’épreuve la plus redoutée quant à ses obligations. Elle suffit comme la plus sevère peine pour sanctionner les infractions aux lois de la société, les actes les plus criminels des hommes. Elle épargne au pays l’érection de prisons et l’entretien des forces armées pour le règlement des conflits. On relève par ailleurs, que lorsqu’un Edza Isongo est admis à succéder à un A nga kwephe ou à créer un kwephe, à la première cérémonie de son sacre où il se hissera pour la première fois sur le kwephe, il engage un Opombo (non-membre d’Otwere) du clan pour mettre sa tête dans le coffret d’Otwere créé. Cet Opombo est aussi soumis à la procédure cidessus. 3.2.2. L’adhésion obligatoire L’obligation d'être admis (ou de faire admettre un parent) à Otwere est la plus haute sanction que peut encourir un homme qui contrevient à une loi ou viole un interdit d’Otwere : -incendie d’une maison, d’un arbre fruitier ; -casse volontaire d’une calebasse du récolteur de vin ; -destruction d’un arbre fruitier même personnel ; -refus de payer une amende de composition pour un adultère ; -déshabillement d’une femme en public ; -destruction d’un barrage de pêche ; -colère devant et contre un porteur de Mwandzi ; -contact avec un instrument d’Otwere ; -attaque contre un Ebani (policier d’Otwere) ; -refus délibéré de payer les primes d’Onganga (danse Mondo). 226 Dès qu’une telle infraction est commise dans un village par un homme ou un groupe d’hommes, la contrée tout entière est indignée et un A nga kwephe se saisit de l’affaire. Les Ibani sont mobilisés. Ils parcourent une, deux ou plusieurs fois le village concerné. Si l’infraction est commise par une personne, ils contournent chaque fois la maison du coupable. Mais si elle est commise par un groupe d’hommes, ils contournent le village en silence, avant de poser les actes de force en s’emparant de la volaille, des œufs ou des fruits (bananes, ananas, canne à sucre). Ils ne cessent leur incursion dans le village que si le chef du village ou l’auteur du crime, se rend à l’A nga kwephe et offre un Opombo pour «mettre sa tête» dans le coffret d’Otwere. Il est désigné «allumeur du feu d’Otwere» obligé. L’Opombo, candidat obligé reçoit l’honneur de répondre au questionnaire destiné au postulant volontaire. Mais les dépenses afférentes à sa «mise de tête» et à la préparation de la cérémonie lui sont plusieurs fois multipliées. Si l’auteur du crime qui implique l’adhésion à Otwere est déjà Ngo Otwere (membre), il désigne un parent qui assume la sanction par substitution. Les charges d’admission par substitution incombent au coupable de la faute qui a occasionné la cérémonie. Le sage qui est choisi pour parrainer l’Opombo et organiser la cérémonie est appelé Osambehe. L’Opombo est dit : «Olambi miya m’Otwere» c’est-à-dire le «préparateur du feu d’Otwere». 3.3. Les «offrandes» Il s’agit, ici, des réceptions que «l’Olambi mia» (préparateur, allumeur du feu d’Otwere = candidat principal) était contraint de donner aux anciens membres d’Otwere, aux maîtres de l’institution et aux mânes de la terre choisie pour abriter l’assemblée. Chaque offrande était, pour le maître qui convoque l’assemblée et les anciens de la région, l’occasion d’évaluer le niveau de préparation de la cérémonie. Mais l’offrande consistait pour l’Ephongo principal, aidé par les autres Iphongo à la cérémonie en préparation, à offrir à leur maître, aux autres maîtres de la zone et aux anciens, un riche repas dont la quantité et la qualité des aliments variaient en hausse. Pour respecter la croyance des Mbosi Olee qui pensent que toute action, toute activité de grande portée est considérée comme autorisée et protégée par les esprits des anciens et les mânes de la société, un prélèvement était fait de chaque menu et enterré, du vin était versé par terre, symboliquement destiné aux anciens. Ces offrandes revêtaient surtout un caractère de repas d’adoration à Otwere et on les désignait par le terme «Ilambi b’Otwere» c’est-à-dire «cuisson d’Otwere ou repas d’adoration d’Otwere». Les offrandes (Ilambi, sing. Olambi) sont toujours prises hors du village, dans un recoin et sous un petit bois. La préparation du lieu de rencontre consistait au débrouissaillement et en ameublement composé de quelques nattes étalées sur le sol, de quelques peaux de panthère et de tabourets réservés aux maîtres de kwephe attendus. Cet endroit, qui ne devait pas être confondu avec le grand Eselee ou Kinda (sanctuaire) où devait 227 se dérouler la grande cérémonie d’Otwere, était aussi appelé Ebindi (pl. Bindi=camp). Chaque offrande était aussi désignée par ce mot. Pour préparer une cérémonie d’Otwere, on comptait au total cinq offrandes ou «Bindi» dont le nom «Ebindi» était suivi du nom du plat principal exigé. La valeur, l’importance et la richesse de ces menus allaient croissantes de la première à la cinquième : 1)- «offrande» de perches (Ebindi ya Ikyengue) ; 2)-«offrande» de silures (Ebindi ya Angolo) ; 3)-«offrande» d’anguilles (Ebindi ya Agniombo) ; 4)-«offrande» de poulets (Ebindi ya Atsoso) ; 5-«offrande» de cabris ou chèvres (Ebindi ya Ambosi)180. Chaque plat était accompagné de manioc et le repas arrosé de vin de palme (Olengue) dont les quantités étaient exigées en terme de panier pour le manioc et de calebasse pour le vin et en nombre croissant : 1 panier de manioc + 1 calebasse de vin de palme pour l’offrande de perches ; 5 paniers de manioc + 5 calebasses de vin de palme pour l’offrande de chèvres. Les «offrandes» sont données un Okia (troisième jour de la semaine Mbosi) et espacées de douze jours, c’est-à-dire de trois semaines de quatre jours (Ikia ibâ la ndâ). A chaque «offrande», l’Osambehe distribue les dîmes. La dîme était une petite somme à donner aux anciens membres d’Otwere en signe de frais d’adhésion. Pour le compte d’Olambi, l’Osambehe doit distribuer les dîmes à tous les anciens membres de la zone au cours des cinq offrandes et aux anciens qui viennent de loin pour assister à la célébration de la cérémonie avant le jour de celle-ci et au fur et à mesure de leur arrivée dans le village. A la fin de chaque «offrande», l’assemblée rappelle et fixe la date de la prochaine séance. La date de la célébration de la cérémonie est renvoyée à plus tard. Les candidats ont besoin de temps pour l’organiser car il faut subvenir aux besoins d’un grand concours de gens: paniers de manioc, de poissons, de viande ; des cabris, des moutons, des poulets, des calebasses de vin de palme (Olengue) ainsi que l’argent pour contenter d’autres maîtres d’Otwere et anciens initiés. Chaque offrande ou Ilambi, était surtout le lieu et l’occasion où les Iphongo (Opombo admis à être candidats) reçoivent une éducation croissante en sagesse et en comportement responsable, à la connaissance des interdits. Cette éducation qui leur était aussi prodigué au quotidien par l’Osambehe et les autres sages s’achevait à la fin de la grande cérémonie. Elle constituait donc une initiation progressive des Iphongo aux rites et normes d’Otwere et de la société. 180 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit, p17 228 4. Conclusion Ce chapitre a montré qu’en pays Mbosi Olee, Otwere était organisé de façon cohérente et solide. Sa stratification comprenait cinq (5) échelles hiérarchiques et un niveau d’honorabilité : A nga kwephe, Ebani, Ngo Otwere, Isongo, Ephongo et Opombo. Dans son secteur et dans la société, l’A nga kwephe se présente comme un puissant patriarche imbu du savoir et de la sagesse. Tout Ngo Otwere peut devenir A nga kwephe par succession à son père ou à son oncle. Il peut aussi le devenir par filiation en créant son Kwephe dans le même clan où il en existe déjà et dont il est ressortissant. Mais il faut faire preuve d’une personnalité morale et matérielle affirmée. Isolé, l’A nga kwephe ne semble pas représenter une échelle de la vie sociale. Cependant l’ensemble des A nga kwephe représente la plus haute échelle de la société ; au dessus même des chefs de village ou de clan. A chaque A nga kwephe est rattaché un corps d’Ibani qui assure la fonction de «police», de sécurité. Ce corps se divise en trois (3) catégories en fonction de leur place autour d’A nga kwephe et de leur position dans l’Eselee. Ils sont recrutés parmi les A ngo b’Otwere. Mais l’A nga kwephe peut aussi recruter les Ibani parmi les Ipombo de son clan qui sont seulement utilisés pour les missions ordinaires dans le village. Nous avons montré qu’Otwere représente une organisation hiérarchique cohérente et possède ses instruments de pouvoir. Cette organisation comporte un certain nombre d’échelles comprenant le maître et les membres de l’institution. Les A ngo b’Otwere sont les membres d’Otwere. Ils appartiennent à vie à l’institution. Leur ensemble constitue la classe des élus de la société, la classe dominante. Ils exerçent toutes les grandes fonctions sociales dans la société : les chefferies claniques de village, la justice. Ces trois échelles sociales et le groupe honoraire des Isongo, étaient seuls habilités à utiliser les instruments d’Otwere. Considérés comme les valeurs les plus sacrées de toutes les «nations Mbosi», ils s’imposaient comme emblèmes de chaque «nation» du groupe ethnique. Le Mwandzi, surtout, joue, sur chaque société du groupe, le rôle du drapeau, donc de la plus haute représentativité de la société. Les A nga Isongo sont des sages, grands membres d’Otwere, très proches d’un A nga kwephe. Avec les autres sages du clan, ils assurent la protection occulte du Kwephe de leur clan et veillent au respect du totem du Kwephe. Bien que leur corps ne constitue pas une échelle hiérarchique au sein d’Otwere, ils exerçent une grande influence dans chaque Kwephe et dans leur zone d’habitation et sont très honorés. Les Iphongo sont des candidats admis à devenir membres d’Otwere. En attendant leur sacre, ils forment une classe intermédiaire entre les membres d’Otwere et les Ipombo qui constituent la classe des exclus sociaux. Le statut d’Iphongo comporte de dures épreuves financières et morales accompagnées de sevères brimades et qui font de l’adhésion à Otwere le plus grave événement de la vie d’un homme Mbosi. La fin de ce statut qui marque son accession à la classe des dignitaires, correspond à la fin de la cérémonie de son adhésion vers les dernières heures du jour de la célébration. L’adhésion à Otwere est un processus plus ou moins long. Elle comporte plusieurs étapes allant de l’engagement irrévocable au culte rituel dans l’Eselee. Les plus importantes 229 étapes sont celles des cinq offrandes appelées «Ilambi ou Bindi», destinées aux anciens membres et aux mânes du clan d’A nga kwephe et du village où sera célèbré la cérémonie d’adhésion. L’adhésion est toujours célèbrée par une cérémonie tenue en grande forêt au sein d’un sanctuaire amenagé. Le chapitre suivant sera consacré à la description des cérémonies d’Otwere et à caractériser le sanctuaire. 230 CHAPITRE IV : LES CEREMONIES D’OTWERE Deux cérémonies caractérisent seules la vie de l’institution Otwere en société Mbosi Olee. Ce sont des moments où la danse et la musique accompagnent des importants rites coutumiers. Chaque cérémonie couronne un événement de la vie d’un membre d’Otwere : cérémonie du sacre qui célèbre son admission à Otwere, c’est-à-dire à la classe des privilégiés et la cérémonie du deuil qui célèbre son décès. Pour l’homme, elles marquent ses actes de «naissance et de décés». 1. La cérémonie du sacre des membres d’Otwere 1.1. Objet Les séances d’assemblées ordinaires d’Otwere ont un caractère solennel, sacré et mystique. Convoquées pour l’admission de nouveaux membres au sein de l’institution, elles étaient le lieu privilégié pour la prise des grandes décisions, lois et règlements régissant la vie de la société Mbosi. 1.2. Convocation Une séance d’assemblée ordinaire d’Otwere est convoquée par l’A nga kwephe qui a reçu les candidatures d’admission dans Otwere. Dès lors, l’A nga kwephe désigne un Osambehe et donne ordre aux Ibani de diffuser la nouvelle décision d’une cérémonie à célébrer. Les Ibani de kwephe passant alors de village en village parcourent le pays pour donner l’information. La date définitive de la cérémonie sera fixée par l’Osambehe après toutes les séances d’offrandes. Pour diffuser cette date, l’Osambehe choisit un marché ou tout autre lieu de grande affluence (fête d’association, danse, sorties de dignitaire). Il se présente avec un ongongo (gond) ou avec une petite natte appelée «Ekouphou». Il donne trois ou quatre coups d’ongongo et d’Ekouphou pour attirer l’attention du public. Lorsque le bruit de l’instrument est perçu par la foule, il demande silence et déclare : «L’Otwere de tel village que va célébrer l’A nga kwephe X et dont les feux sont préparés par l’Opombo Y, aura lieu dans 3 ou 4 Okia (un des quatre jours de la semaine Mbosi)». 1.3. Les préparatifs La cérémonie d’Otwere demande de longs préparatifs. En effet, l’organisation incombe à l’A nga kwephe, à l’Osambehe (parrain d’Olambi) et aux Ibani. 1.3.1. A nga kwephe Comme nous l’avons dit plus haut, l’A nga kwephe est un sage dépositaire d’Otwere. Maître d’Otwere, il préside la cérémonie d’Otwere en incitant les candidats à l’institution. 231 1.3.2. Osambehe L’Osambehe est un sage choisi pour parrainer un opombo principal dans la préparation d’une cérémonie. Il a la fonction de maître de cérémonie. C’est lui qui veille à l’organisation et au fonctionnement de la cérémonie rituelle d’Otwere. Il est choisi parmi les confidents d’A nga kwephe. L’Osambehe assure aussi «le protocole». Il reçoit tous les membres d’Otwere invités à la cérémonie, met en place tous les éléments qui doivent servir à la célébration d’Otwere. Il assure la liaison entre les Ipombo, l’A nga kwephe et les anciens membres. Toute l’organisation d’une cérémonie lui incombe. Il est aidé dans sa tâche par les A ngo b’otwere des familles des Ipombo. Ce rôle d’Osambehe n’est pas permanent. L’Osambehe n’est pas une échelle d’Otwere. Il est désigné pour l’organisation d’une cérémonie. 1.3.3. Ibani Comme nous venons de le voir les Ibani sont les messagers, informateurs et surtout les «policiers» d’Otwere. Ils jouent un rôle très actif lors de la célébration rituelle d’otwere. Ils sont chargés de la construction de Eselee ou Kinda (sanctuaire) pour la cérémonie d’otwere. 1.3.4. Le «sanctuaire» (Eselee) La cérémonie ordinaire d’Otwere a lieu dans un «sanctuaire» appelé «Eselee y’otwere» (ou encore Kinda y’otwere). L’Eselee est situé à quelques 300 m du village. C’est un enclos circulaire construit par les Ibani pendant près de trois semaines. Il est fait de branchages de palmier à huile. Les branches de palmier sont disposées de telle manière que de l’intérieur comme de l’extérieur, l’œil ne peut rien percevoir à travers. Ce dernier est toujours placé dans une forêt protégée, interdite à l’abattage des arbres et à l’agriculture. On le situe à l’ombre, là où les arbres sont les plus grands, où la forêt est la plus touffue et au pied de l’arbre le plus grand (Lekoumou, Okoungou, Oteli). L’Eselee comprend trois parties : -au centre est planté un bananier ou un jeune palmier ou encore les deux. Sous ces plantes, sont placés les fétiches protecteurs d’A nga kwephe, maître de cérémonie. Ce point est assimilé au centre d’un village et est placé sous l’autorité et la protection d’A nga kwephe. On l’appelle «Kinda y’Otwere» c’est-à-dire centre d’Eselee ou du Kinda. Autour du Kinda est planté une petite clôture en golettes destinée à recevoir les Mwandzi de tous les invités à la cérémonie ; -la plus grande partie du «sanctuaire» est réservée à l’assemblée des membres d’Otwere qui s’asseyeront autour du Kinda ; -plus loin, un peu reculé c’est le «quartier» du maître de cérémonie qui sera placé juste au pied du grand arbre, de manière à avoir devant lui une vue générale de toute la cérémonie. Pour accéder au «sanctuaire», il y a une porte principale et des portes sur les bascotés. L’entrée principale est plus ou moins fermée, couverte par des bandelettes de feuilles de palmiers. Seuls les anciens invités peuvent la franchir. C’est ici, à cette entrée qu’ils sont 232 encore une fois mis à l’épreuve. Aussi, au seuil même de l’entrée, sont placés deux pièges181, le premier en haut tendu à la hauteur de la tête, sorte d’arc (ibara) plus ou moins camouflé par des bandelettes de feuilles de palmiers ; et le second, en bas : sorte de petit trou délicatement pratiqué et fermé avec de la poussière et des feuilles qui n’attirent nullement l’attention. Le piège d’en haut est invisible de l’intérieur, celui d’en bas ne l’est, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur. C’est le secret ou le mystère de l’institution. Les deux sont camouflés pour quelqu’un arrivant de l’extérieur. Néanmoins en entrant ou en sortant, il faut les éviter. Mais si par maladresse ou par inadvertance le pied de celui qui entre chancèle et tombe dans le trou ou par un mouvement similaire, avec la tête, on déclenche le piège d’en haut ; on est alors soumis à une amende ferme d’Otwere. Et on rapporte généralement que l’épreuve ne manque jamais de déclencher l’un ou l’autre piège, à la satisfaction d’Otwere. Sur le chemin qui mène au village, il y a deux autres sanctuaires182, cette fois de taille très reduite, et distants l’un de l’autre. Ils appartiennent aux Ibani. Faits pour Otwere, ils sont aussi clos et les profanes n’y pénètrent pas. Pour aller au grand Eselee, tous les anciens doivent passer par là. Les émissaires y assurent les différents services d’Otwere et la relation entre le village et le grand Eselee. A l’intérieur d’Eselee sont érigées toutes les représentations de la société, depuis les hommes et leurs activités, en passant par les animaux jusqu’à la nature. Ce travail est effectué par les Ibani. Dans l’Eselee durant le rituel, un grand enseignement d’initiation est donné aux Iphonga sur la société et la nature afin de les préparer à la maîtrise de la vie conduisant à la sagesse. 1.3.5. La consultation des ancêtres Avant la cérémonie d’Otwere, l’A nga kwephe doit consulter ses propres ancêtres et les ancêtres de la terre où va se dérouler la cérémonie. A ces derniers, il s’adresse par l’intermédiaire d’A nga tsengue (propriètaire de la terre). En effet, cette consultation commence par une visite secrète que l’A nga kwephe doit rendre à l’Eselee. Au cours de cette visite, il doit verbalement et en versant le vin de palme, demander à l’arbre de protèger sa cérémonie. Le culte se poursuit par des offrandes qui sont destinées aux anciens, afin de les disposer en faveur du ou des donateurs. En effet, l’A nga kwephe verse une redevance appelée «Tsoo ya tsengue» aux propriètaires et dignitaires du village où aura lieu la cérémonie. La 181 L’utilisation de ces pièges, pendant les initiations est aussi courante en dehors du pays Mbosi. D’après Dominique Zahan «chez les Dieli, dès le début de la phase initiatique, au moment où le néophyte s’apprête à entrer dans le bois sacré, on le confronte à un dispositif composé de deux cordes verticales serrées l’un contre l’autre, fixées par le haut à une branche d’arbre et par le bas à un piquet. Le jeune homme hésite et, en général, contourne l’obstacle ce qui est une erreur punissable d’amende ou de fustigation. On montre ensuite aux jeunes gens la manière convenable de passer l’obstacle. Il faut se présenter de dos, la face tournée vers l’entrée du bois, écarter les deux cordes avec les mains passées derrière le dos et s’introduire à reculons dans l’intervalle aini pratiqué…» , Religion, spiritualité et pensée africaines, Paris Payot, 1970, pp99-100 182 Certains peuples d’Australie utilisent également plusieurs enclos lors des cérémonies initiatiques : « …La bora, une cérémonie d’initiation, comporte toujours la préparation d’un terrain sacré. Chez les Yvin, les Wriradjuri, les Kamilaroi, chez quelques tribus de Queensland, on ménage un cercle de terre, dans lequel auront lieu les cérémonies préliminaires, et, à quelques distances, un pettit enclos sacré. Ces deux constructions communiquent par un sentier, le long duquel les hommes de la tribu invivante disposent différents images et insignes sacrés.. .», Mircéa Eliade : Initiattion, rites, sociétés secrètes, Gallimard, Paris, 1992, p29 233 redevance a pour effet d’associer les puissances du village à la sécurité mystique du village et de la cérémonie. Dans le cas où la célébration de la cérémonie a lieu dans un village d’emprunt, le Tsoo ya tsengue symbolise la demande d’autorisation de la convocation d’Otwere dans le village. Il sera completé par une part des biens apportés par les Iphonga. Après ce préalable, les dignitaires et propriétaires de la terre du village sont associés à la préparation de la cérémonie dans toutes les dimensions : propreté du village, sécurité mystique, spirituelle et physique du village, des inivités et surtout des Iphonga. On procède conjointement (l’A nga kwephe et les dignitaires du village) aux offrandes destinées aux mânes des anciens du village. Le demandeur (A nga kwephe) reçoit donc l’autorisation de convoquer la cérémonie sur la terre du village. Il est alors autorisé à accèder à la forêt où se déroulera le cérémonial, solliciter la bienveillance des esprits gardiens des lieux, d’introduire les instruments de sa puissance protectrice qui seront désormais, tolérés, accueillis et associés aux mânes du village et surtout aux esprits gardiens de la forêt d’accueil. C’est donc pour cet éveil des esprits des anciens, leur association à la protection de la cérémonie qu’avant d’organiser une grande cérémonie ordinaire, l’A nga kwephe doit solliciter l’avis et l’autorisation des propriétaires de la terre. Notons que, même si la cérémonie a lieu sur une terre et un village d’emprunt, l’A nga kwephe ne néglige pas la consultation de ses propres ancêtres. Ceux-ci sont invités à l’accompagner dans la cérémonie183. 1.3.6. L’arrivée des délégations dans le village Durant quatre ou cinq jours, le village va connaître une effervescence et une grande affluence car, une grande cérémonie d’Otwere sera célébrée et, les membres d’Otwere souvent par délégation, viennent en grand nombre dans le village. Le soir, au nom d’A nga kwephe et sous l’autorité d’Osambehe, les membres d’Otwere du village et les parents du candidat, passent de maison en maison pour distribuer les victuailles aux A nga kwephe invités et aux différentes délégations. Chaque délégation ou chaque A nga kwephe invité reçoit toute sa ration (du soir et du matin). 183 La consultation des ancêtres exige l’accomplissement d’un rituel sacrificiel à leur endroit. Elle se traduit matériellement par l’usage de deux supports : l’arbre et les offrandes. En effet, les arbres ne sont pas seulement les avatars végétaux des puissances de la brousse, mais leurs auxiliaires ; ils fournissent à la fois un abri, et la matière des remèdes que les génies accordent aux hommes. De même, dans une dimension métaphysique l’abre symbolise «l’autel» comme le lieu d’expiation. Ainsi, les sacrifices accomplis aux pieds des arbres et les paroles qui leur sont adressées ne sont pas un culte rendu à «l’âme» des arbres moins encore à «l’esprit» des arbres, mais aux puissances qui les habitent. En revanche, les offrandes aux ancêtres ne peuvent être accomplis que par des hommes. La finalité de l’offrande est de formuler une requête ou d’exprimer un remerciement au sujet d’une affaire résolue. Cependant, seuls les hommes initiés sont habilités à faire l’offrande. Par ailleurs, si l’offrande est collective, elle relève du chef de la collectivité (A nga kwephe pour Otwere par exemple). Ce dernier est le seul à pouvoir sacrifier au nom de toute l’institution. Il en va de même pour le chef de famille. Il ressort de ce principe que les aînés sont les mieux habilités à faire des sacrifices à vocation collective. Un cadet peut également accomplir un sacrifice mais sa requête ne peut porter que sur les personnes ou les choses dont il a la responsabilité». Si une femme souhaite faire un sacrifice, elle doit demander à son mari de l’accomplir pour elle. L’interdiction qui lui est faite d’exécuter un sacrifice en dit long sur les restrictions imposées aux femmes dans de nombreuses sociétés africaines. L’obligation de (cet intermédiaire marque) cette intermédiaition montre ainsi l’impossibilité, pour une femme, de manifester son autonomie sociale. 234 Il arrive que deux ou trois A nga kwephe soient associés pour présider conjointement l’assemblée, chacun disposant d’un Olambi et d’un Osambehe. Les délégations reçoivent de chacun d’eux la dotation de nourriture et de boisson. On observe aussi au village des rencontres, des réceptions, des concertations entre membres d’Otwere. Parmi les membres du clan de kwephe, un personnage reconnu pour son pouvoir charismatique assure la garde mystique du kwephe et de son titulaire. 1.3.7. La danse Kongo La danse kongo fait partie intégrante de la cérémonie. Les membres d’Otwere sont donc tous conviés ou invités à animer du premier jour et au dernier et chaque soir, cette cérémonie par des chants et danses kongo. Mais avant l’animation, les membres d’otwere doivent se concerter pour dégager les grands repères qui, non seulement doivent définir la «soirée», mais toute la cérémonie. Cette réunion entre membres doit se dérouler sous les auspices du candidat principal ayant «attisé le feu d’Otwere» ou sous la protection d’un A nga kwephe. La danse kongo en effet, est exécutée par un Ndzembe, ou chantre. Dans ses chants, le Ndzembe loue les hommes et les forces de la nature qui sont associées à celle de l’homme et constituent ses totems. Il chante en effet les défunts bienveillants, les cosmogonies associées aux rites ancestraux, les louanges des anciens chantres d’Otwere décédés et les exploits d’éminents chasseurs et membres d’Otwere déjà retournés dans le monde des esprits. La musique est à son paroxysme. Les membres d’Otwere se lèvent au nombre de 2, 3, voire 10 ou plus pour exécuter la danse, chacun son Mwandzi dans la main droite. Les séquences de kongo sont entrecoupées par des slogans, des incantations et des déclarations. Pour faire ses déclarations, on se lève, on exhibe quelques mouvements, on fait «taire» le chant et arrêter la danse. On tend quelques pièces de monnaie au ndzembe et aux musiciens, comme pour solliciter leur attention. Puis, on scande un slogan rituel et en chœur la foule répond. Quand le maître de kwephe danse, les Ibani volent à son secours et avec leur tseyi lui rendent honneur et gloire en dansant autour de lui. La danse kongo a donc une fonction importante. C’est une danse initiatique, ésotérique, dont la signification échappe au commun des mortels, seuls les initiés peuvent en connaître la vraie signification. Comme le souligne Maryse Raynal184 au sujet des danses initiatiques en Afrique noire, la danse a une fonction sociale très importante dans la société traditionnelle, elle n’a pas –comme dans nos sociétés occidentales (du moins à l’heure actuelle)- un aspect purement ludique. Elle a une vertu unificatrice : elle établit un lien entre les néophytes d’un même groupe, car si chacun danse pour soi, il le fait avec les autres dans une identité de mouvements et de gestes, dans une communauté de connaissance, dans une même volonté d’accord qui fait d’un groupe de danseurs un seul grand corps vivant. La danse permet de reserrer les liens entre les hommes et les groupes. 184 Raynal (M) : Justice traditionnelle. Justcie moderne : le devin, le juge, le sorcier, Harmattan, Paris, 1994, p170 235 1.4. Déroulement de la séance rituelle La célébration rituelle d’Otwere constitue un rituel à la fois politique et culturel. Elle consacre l’accession au statut de membre d’Otwere, au trône pour l’A nga kwephe. Elle dure toute une journée. Elle commence le matin et se termine le soir. 1.4.1. Le matin Le jour de Tsono (le quatrième jour de la «semaine» Mbosi Olee), Otwere entre en forêt. On dit en Mbosi : «Otwere okweyi ko». L’A nga kwephe y est passé déjà depuis le deuxième chant de coq185 (environ 2 heures du matin). Il est passé le premier, escorté par les Ibani et son «protecteur». Une femme (sa mère ou la plus aimée de ses épouses, initiée aux secrets du kwephe) porte son coffret (kwephe) dans un panier et les dignitaires de la famille du totem suivent de près. Il est vrai que la femme est exclue d’Otwere mais sa présence à cette cérémonie est symbolique. On peut tenter d’expliquer cette présence de la femme dans le sanctuaire par l’indispensable complémentarité homme + femme qui conduit à la naissance, autrement dit à faire apparaître. Cette réalité n’est pas suffisante pour justifier la présence d’une seule femme parmi les dépositaires de la puissance masculine dans leur retranchement secret. Il faut, avant tout, préciser que la femme admise ici est la mère ou la plus aimée des épouses d’A nga kwephe, maître de la cérémonie. Elle vient jouer deux rôles. Le premier rôle est qu’elle assure le transport de l’instrument sacré du pouvoir : le kwephe. En effet, le port du panier est exclusivement réservé à la femme. Le kwephe étant transporté dans un panier pour son caractère particulier de cache ne peut être porté que par une femme. Porter un panier au dos est interdit aux hommes chez les Mbosi, d’ailleurs cela porte atteinte à la dignité d’Otwere. Le deuxième rôle est plus délicat. Placée derrière l’homme, elle lui sert de support, d’appui. C’est la femme qui aide l’A nga kwephe à se maintenir rectiligne toute la journée dans sa position verticale, immobile sans chanceler. Pourquoi ces deux rôles sont confiés de préférence à la femme ? On répond à cette question par l’exploitation et la mise à profit des exceptionnelles qualités de la femme dont l’homme n’est pas doté. Dans le premier rôle qu’A nga kwephe confie à sa mère ou son amour, l’homme exploite la souplesse et la douceur de la femme. Elle est habile dans le maniement et l’entretien des choses délicates. Cette qualité l’homme l’observe surtout quand la femme porte l’enfant depuis les premières heures de sa naissance, quand elle le couvre de douceur, l’entretien avec toute la délicatesse dont elle seule a le secret. 185 Dans cette société où l’usage des montres n’est pas une pratique courante, le chant du coq et les cris des oiseaux sont des indicateurs précis de l’heure. Le deuxième chant des coqs correspond à 2h du matin. D’ailleurs, certains paysans Mbosi soutiennent que la montre est une bête vivante. De même à Rome, à l’époque du Moyen Age, le recours aux chants des coqs étaient fréquents : «…Les prudents ont ainsi pour fonctions de conseiller les parties et les juges dans les procès (agere), d’assister les citoyens dans la rédaction d’actes juridiques (cauere) et de donner une réponse (respondere) à ceux qui les consultent lorsque leur cas peut poser un problème. C’est ce dernier aspect de l’activité jurisprudentielle qui a retenu l’attention : les écrivains romains se plaisent à évoquer, parfois sur le ton de la plaisanterie, les plaideurs avides de savoir qui se présentent dès le chant du coq… », Ducos (R) : Rome et le droit, Librairie générale française, Paris, 1996, p20 236 Le kwephe qui abrite le totem et les autres fétiches du maître est une chose délicate et sacrée. Compte tenu des attaques qui peuvent lui venir de l’assistance, l’A nga kwephe va à la cérémonie avec la peur d’y mourir. Ses éléments d’esquive et de repulsion sont rattachés et associés au kwephe. Pour ces considérations, on estime l’homme impropre au transport du kwephe en raison de son caractère brutal et sans souplesse. La femme seule convient à ce rôle. Les qualités de la femme qui lui valent la préférence de l’homme dans le second rôle sont abstraites. Ici, on veut utiliser la patience et la force à contenir de la femme. Elle est considérée comme l’être le plus doué de patience et d’endurance. Il y a aussi son ventre qui est considéré par l’homme comme un «coffre hermétique» que la puissance mystérieuse de l’homme à de la peine à pénétrer. L’A nga kwephe, assis sur son coffret (kwephe) qui lui sert de siège mystique, doit demeurer immobile, le dos raide, toute la journée. Il ne doit pas bouger ; il ne doit pas chanceler ; il ne doit pas tourner son regard exclusivement fixé vers et sur la foule ; il ne doit pas se lever avant l’heure convenue où il sera appelé à saluer la cérémonie, et ce, quel que soit le besoin, quelque soit le danger qui survient. Dans cette position qui doit témoigner la maîtrise de l’homme, ses qualités de chef, son rôle de domination sur les hommes, l’A nga kwephe est accompagné par la femme en qui il a la totale confiance. Elle lui assure l’appui derrière, le soutient, maîtrise le moindre mouvement de son corps. Conjointement à ce rôle, la femme détient et actionne le fétiche protecteur personnel de l’homme qui n’est pas logé dans le kwephe et doit lui permettre d’esquiver et renvoyer les attaques mystiques des ennemis occasionnels. Ce n’est pas à n’importe quelle femme que l’on fait accomplir ce rôle. Elle doit être initiée au mécanisme d’action du fétiche et du totem du kwephe. Ainsi avec les A nga Isongo du Kwephe, avec l’Osambehe et les autres notoriétés fortes de la famille, la femme assure, dans la cérémonie, la garde mystique d’A nga kwephe condamné, lui-même, à demeurer immobile pendant des heures. Elle n’est donc pas associée directement à la cérémonie des hommes comme une compagne ordinaire, comme la dimension féminine de l’homme qu’a découverte Colette Houeto quand elle écrit : «La conception anthropologique africaine veut que l’homme tout seul ne se réalise jamais, car l’homme est un être de deux dimensions. Il y a dans l’homme une dimension féminine et une dimension masculine et l’homme ne peut nier l’autre dimension sans se refuser de s’accomplir. L’homme en tant qu’individu n’a jamais rien fait de bon dans la solitude de son sexe… C’est pourquoi partout où l’on rencontrera l’homme, on trouvera la femme, on sentira sa présence (…) dans une optique d’équilibre et de complémentarité»186. Puis à l’heure convenue, c’est le tour de l’interminable cortège des membres d’Otwere. Ils sont munis de leurs Mwandzi, des instruments de musique. Ils déposent leurs Mwandzi appuyés contre l’enclos du Kinda. Les Iphonga (les candidats) conduits aussi par les Ibani depuis le petit matin prennent un autre itinéraire que celui des membres d’Otwere. Etant encore profanes, ils attendent patiemment dans leur petit coin, plongés dans le silence et la peur des coups, parfois très violents, de la part des membres. Ceci se pratique lors de leur appel et de leur entrée dans le 186 Houeto (C) : La civilisation de la femme dans la tradition africaine, Présence Africaine, Paris, 1971, p53 237 «sanctuaire» par les petites portes des bas-côtés. En effet, les Iphonga reçoivent des coups et ils sont molestés. Il s’agit d’une brimade ritualisée. C’est ainsi fait. On pourrait peut être interpréter le sens de ce rituel comme un passage du monde profane, supposé basé sur la violence, à un monde pacifique qui est la caractéristique d’Otwere. C’est simplement aussi qu’on naît dans la douleur comme ceux-là qui vont naître symboliquement à Otwere. Les artistes membres d’Otwere s’installent tout autour du Kinda. Les joueurs de ngombi et d’asoumba, le ndzembe occupent la portion centrale de cette foule. Entre la foule et le quartier du maître de cérémonie se placent les A nga kwephe invités. En plus, toute la journée est dominée par la danse kongo entrecoupée par les incantations des sages. 1.4.2. La mi-journée Dans la mi-journée l’Eselee devient plus bruyant, la danse s’anime, les proverbes se succèdent. Dans le village, règne un silence de mort. Aucune activité. Les profanes se cachent dans leurs maisons dès qu’ils voient un émissaire venir du sanctuaire, car ils craignent d’être pris dans quelque piège. Les femmes gardent leurs enfants autour d’elles dans leurs maisons et écoutent en silence les incantations qui proviennent de l’assemblée, du sanctuaire. Là-bas, ce n’est plus comme le matin, on y sent plus d’exaltation. Que se passe t-il? Les discours sont moins longs et plus espacés, rares. Mais, les slogans et les incantations sont surtout repetés par des proches d’A nga kwephe et les autres notoriétés venues avec un défit. Bientôt, au quartier d’A nga kwephe, maître de cérémonie, les cris et les intonations des Ibani annoncent quelque chose. Le maître d’Otwere a pris ses mesures. On détache le voile qui le sépare de la vue de l’assemblée depuis de longues heures. La «loge» est au grand complet. Que voit-on alors présentement au sanctuaire? Tout d’abord le maître d’Otwere lui-même, majestueusement assis sur son coffret (kwephe y’Otwere), au fond de la «loge», face à l’entrée et à l’assemblée. Il est revêtu de ses plus beaux atours, le visage maquillé, une brindille de bois entre les dents (symbole du silence), adossé contre l’arbre géant187, assisté d’une femme et d’un Ebani ya kwephe et du protecteur du totem qu’on dit être du coffret d’Otwere. Il demeurera ainsi, figé pendant des heures, gardant un mutisme absolu devant le déroulement de la cérémonie qui ne prend fin qu’avec le coucher du soleil. A cet effet, voici la description que fait à juste titre Jean Michel Wagret de l’accoutrement rituel de ce personnage : 187 L’importance de l’arbre dans les cérémonies initiatiques a été prouvée par plusieurs auteurs dont Lê Thankh Khôi : « … l’arbre en Afrique comme dispensateur de richesses, triomphe des forces de vie sur celles des morts. Il est l’initiateur qui introduit le héros au sacré et lui permet de traverser les épreuves. Il est la mère nourricière, il renferme des creux et de l’eau, dont il faut se détacher pour devenir adulte. Il est le refuge pour des personnages en rupture sociale… », Educations et civilisations des sociétés d’hier, Fernand Nathan, Paris, 1995, 1ère édition, p74 238 «…Le N’go na twere, ou Mère des twere (…) préside les cérémonies rituelles, le visage peint, moitié en rouge, moitié en jaune, porte sur son chef un diadème orné de peau de panthère, de poils d’éléphant et de kauris, tient à la main la hâche de commandement et porte sur la poitrine le collier rayonnant de dents d’hippopotame, symbole de soleil»188. Du point de vue symbolique ces différents objets sont des insignes, des attributs du pouvoir. Le diadème orné de la peau de panthère, de poils d’éléphant et de kauris est un signe de seigneurie, de dignité. Il a pour fonction de témoigner la place exceptionnelle du maître d’Otwere, le spectre de sa richesse qui le place au-dessus de l’ordinaire. La hâche de commandement a une vocation surtout représentative. Enfin, le collier rayonnant de dents d’hippopotame incarne la puissance du maître d’Otwere. Du point de vue cuturel surtout, chaque peinture utilisée pour le maquillage du chef est symbole d’un caractère de pouvoir : -le jaune qui occupe le côté gauche de sa figure représente sa force d’endurance et son courage ; -le rouge qui s’étend en large bande verticale sur tout le côté droit de la figure, est signe de force et de puissance ; -le noir et le blanc, en bandes fines verticales, sont respectivement symbole de la force de protection personnelle et facteur de sa force de vision, sa grandeur. En dernière analyse, l’importance et la signification des peintures dans le monde Mbosi a été soulignée par Catherine Coquery Vidrovitch en ces termes : «Les peintures rouge, blanc, jaune, noir en usage chez eux sont des fétiches. Jamais, le Mbochi ne sort sans avoir l’œil, ou les deux yeux parfois, entouré d’un cercle blanc ou rouge. Le jaune ne s’emploie qu’en cas de guerre»189. Il est indéniable que dans certains cas, le chef utilise ces peintures surtout le blanc qui sépare le rouge et le jaune, comme facteurs stimulateurs de sa vision occulte qui lui permettent de visionner les activités mystérieuses des invités. Ce blanc, même si le porteur ne l’a pas doté de pouvoir de stimuler ses fétiches, peut lui être suicidaire. Il peut être utilisé comme écran lumineux à travers lequel les adversaires pourraient explorer à loisir tous les éléments de sa puissance et même lui arracher certains ou le vider totalement de sa puissance. Il a donc la dimension occulte de son être dans les mains des ennemis. Si parmi ses gardiens ou parmi les invités amis, personne ne se révèle de force supérieure ou égale à l’enleveur, pour l’arracher ou négocier sa libération, le porteur du blanc est homme mort. Il peut tout de suite tomber et mourir au sein de la cérémonie ou mourir quelques jours après. Ce blanc est porté autour des yeux par un grand nombre de grands Mbosi présents à la cérémonie. Il assure à chacun ce facteur de stimulation de sa double vision. On prétend que chacun a deux yeux : un œil pour la vue ordinaire, un deuxième œil pour la vue occulte, la vue d’au-delà. L’Eselee lieu où se déroule la cérémonie est aussi le lieu de la manifestation de la puissance du fétiche. La cérémonie d’Otwere offre donc l’occasion aux puissances mystiques 188 189 Wagret (J.M) : Op. Cit, p19 Coquery Vidrovitch (C) : Brazza et la prise de possession du Congo 1883-1885, Mouton, Paris, 1969 ; p317 239 Mbosi Olee de s’affronter. Il s’y déroule de grands combats mystiques, quelquefois sans conflit préalable. Qui assiste à cette manifestation du fétiche, à ces attitudes d’hostilité, à l’exhibition de la puissance dans l’Eselee peut facilement commettre l’erreur de juvenilité d’observation si on conclut qu’Otwere est l’organisation des sorciers ou des fétichistes. En effet, si le fétiche était une valeur enseignée ou exigée par Otwere, il serait propriété de tous les membres de cette institution surtout à l’âge adulte. Ce qu’on note c’est que la majorité des membres est sans valeur occulte notable. L’acquisition du fétiche est une initiation libre et volontaire en dehors d’Otwere mais auprès des grands prêtres du fétiche : les Nganga. Ce qui est remarquable en société Mbosi, c’est que lorsque l’individu devenu majeur s’élève en grade et considération, il est toujours hanté par l’obsession d’associer en sa personne trois dimensions de l’être : physique ou humaine, intellectuelle ou morale et spirituelle. Il caresse le rêve de domination et d’invincibilité. Les facteurs humains et intellectuels de domination sont fournis à l’homme par les enseignements d’Otwere et par l’observation de la vie dans la société. A contrario, pour assouvir sa volonté de dominer et d’être invincible, l’homme a recours aux forces des esprits. Il n’attend pas ces forces non seulement des esprits de ses ancêtres surtout pas d’un Dieu quelconque, mais du fétiche. L’homme Mbosi, comme nous l’avons déjà constaté et comme nous le repeterons, a observé et réalisé que, des prélevements des corps de la nature, associés dans certaines conditions de lieu et de température, peuvent créer des énergies d’ordre spirituel capables de le doter de la capacité d’attaquer et de vaincre, de se protéger, d’esquiver et de parer les coups des adversaires occultes, de devenir invisible à toute vue. C’est le fétiche. La pratique et l’usage du fétiche accompagnent toute sortie de l’homme, toutes ses rencontres avec les autres, toutes activités individuelles ou collectives. Les cérémonies d’Otwere sont donc, comme tout autre lieu et/ou autre cause de rencontre des hommes, les lieux où des forces du fétiche s’attaquent et se contrattaquent. Puis, c’est une assemblée immense d’anciens membres, placés sur un côté, assis sur le sol occupant un grand espace avec leurs instruments pour la musique et, dans un coin, non loin d’eux, leurs Mwandzi entrelacés, couchés sur des traversins en bois, prêts à être saisis pour la danse, quand, debout, ils exécutent des contorsions volontaires. Sous le regard inquisiteur du maître d’Otwere qui supervise l’ensemble de la cérémonie, on voit toutes sortes de choses laissées là, pour l’instruction des candidats. Nous y reviendrons. Au centre, à un endroit dégagé, il y a un semblant de cadavre humain mis dans un «cercueil» de l’époque, réduit, gardant la position d’un homme assis sur séant, les bras croisés repliés sur la poitrine. Mandés par trois coups de gongs ou de gros tam-tams (les A ngo b’asoumba), les candidats qui étaient tenus à l’écart et surveillés par les Ibani entrent dans le sanctuaire par des portes très basses dans les bas-côtés. Ils rampent, les yeux fermés, alors qu’ils sont agacés et brimés par les membres. Ils rampent nus à plat ventre les têtes entre les cuisses des uns et des autres suivant l’ordre du rang. Gardant cette position depuis leur entrée, ils se mettent en 240 cercle autour en suivant les indications d’un ancien qui les dirige. Lorsque tous sont à l’intérieur et placés convenablement, ayant toujours les yeux fermés, couchés à plat ventre, on «commande» la danse, et ils l’exécutent ainsi. Puis on leur demande de s’asseoir et d’ouvrir les yeux pour regarder le mort. Ils pleurent tous. Puis ils se redressent et, cette fois, pour une danse convenable. Le cadavre exécute aussi la cadence de la danse. Ils (les candidats) ne comprennent pas comment mais deux hommes dissimulés à 15 mètres de la danse, du côté du maître du coffret d’Otwere, actionnent adroitement le cadavre (Ebembe), à l’aide d’une longue liane (Lengosi) cachée sous le sol190. «L’école initiatique» continue son enseignement par différents sujets exposés à cette intention. A droite, on présente un palmier à huile qui s’élève et porte des régimes de noix de palme, et un sagoutier (palmier Olengue). Un récolteur muni de ses calebasses y monte pour recueillir son vin. Ici, on voit un bananier fétiche, «Kinda», avec un régime de bananes. Là un agriculteur dans sa plantation. Là encore un forgeron avec ses outils et travaillant dans sa forge. Enfin toutes les représentations de la société et de la nature s’y trouvent. Ce qui a été mimé l’a été avec habileté et témoigne de l’enseignement minutieux qui se donnait à «l’école initiatique». Mais celle-ci n’enseignait jamais que dans le sanctuaire et encore, à voix basse. Elle n’était jamais initiée au village pour être ainsi communiqué à toute la société. Au demeurant, ce qu’on faisait au sanctuaire des membres pour l’instruction des candidats représentait la vie quotidienne des hommes en pays Mbosi. Après l’entrée au sanctuaire des candidats, l’exécution plus ou moins réussi de la danse par eux, l’expression de leurs doléances dans des sanglots devant la dépouille mortelle, on en venait à un «examen probatique». «L’examen probatique» était très sommaire. Seuls le subissaient les principaux candidats, dejà renseignés par un ancien. Du reste quelle que fût l’âpreté des questions posées, il n’était plus possible d’être recalé du fait que, dès l’appel et l’entrée officielle et effective au sanctuaire, on était désormais un consacré à Otwere et, par conséquent, désormais «Ngo Otwere» c’est-à-dire membre d’Otwere. «L’examen probatique» consistait, pour les candidats, à choisir entre deux sujets présents ou non et à dire pourquoi ils préféraient tel ou tel sujet et non tel autre. On disait par exemple : quelle serait votre préférence entre le boa et la vipère? Pourquoi votre préférence va-t-elle à un tel et non à tel autre? Que serait votre choix entre la sagaie et le couteau? Il y’avait acquiescement à chaque bonne réponse de la part de l’assemblée par: «oui si la réponse était bonne et par non si la réponse était mauvaise». 190 Le «cadavre» secoué par les anciens initiés est représenté par un tronc sculpté. Dans la coutume Mbosi, il est interdit de balloter les morts, sauf dans certains cas, les cadavres des sorciers. Ainsi, secouer ce «cadavre» équivaut à la naissance des candidats, car par l’initiation le néophyte doit en quelque sorte «mourir» pour renaître plein de sagesse et doter d’un pouvoir de communiquer aux ancêtres morts. Mircéa Eliade abonde dans le même sens : «…Le moment central de toute initiation est représenté par la cérémonie qui symbolise la mort du néophyte et son retour parmi les vivants. Mais il revient à la vie un homme nouveau, assumant un autre mode d’être. La mort initiatique signifie à la fois la fin de l’enfance, de l’ignorance et de la condition de profane… », Op . Cit, p16 241 Cette interrogation à laquelle étaient soumis les nouveaux membres traduisait la base de la tradition d’Otwere, de son idéologie et de sa philosophie. Par sa réponse, le nouveau devait préférer : -les animaux nobles, sages et protecteurs (panthère) aux féroces, redoutables qui s’attaquent sans discernement à l’homme ; -les serpents non venineux, qui même s’ils s’attaquent à l’homme, ne le tue pas toujours (boa) aux serpents venineux qui attaquent et tuent ; -les outils de travail agricole et artisanal aux outils de chasse et guerre (sagaie, flèche); -le palmier à huile dont le jus permet de préparer la nourriture au palmier à vin dont la sève (vin) saoule et fait perdre la raison et le contrôle du père sur la famille ; -le chien qui accompagne l’homme à la chasse au chat dont le toucher peut rendre malade. Ces réponses données à haute voix par un ou deux (les principaux) initié(s) servaient d’enseignement aux autres nouveaux initiés. La séance d’initiation des nouveaux membres se terminait par un breuvage que les admis étaient invités à boire, appelé «Mboundzou l’Otwere». Le Mboundzou était un mélange dans l’eau de mare (plus ou moins boueuse) de feuilles, fruits et écorces d’arbre, plus ou moins pourris et pimenté (petit piment). Les nouveaux admis marchant à quatre pattes passaient tour à tour devant Mboundzou, plongeaient la bouche dans la solution, tournaient la tête de gauche à droite et de droite à gauche, dressaient la tête pour montrer que la bouche était mouillée donc sortait du Mboundzou. L’action était répétée trois fois et à chaque fois le candidat était ovationné par la foule. Certains candidats informés sur la composition de la solution, mouillaient seulement la bouche et n’avalaient rien. Le Mboundzou, solution repugnante était considérée par les grands membres d’Otwere comme fond de sagesse. Le boire était considéré comme faire preuve d’humilité devant les faibles, de courage et de bravoure devant les dures épreuves de la vie, de constance et de contenance devant les problèmes de la société : c’était la haute preuve de sagesse. Le Mboundzou était donc le sacre des nouveaux membres d’Otwere. A chaque occasion, certains anciens grands membres, reprenaient le breuvage. Ils exhibaient leur bravoure, leur puissance sur la terre et sur les hommes, leur capacité à pouvoir se placer au dessus des autres humains. Après le Mboundzou, les nouveaux admis sont considérés comme désormais sacrés et autorisés à se lever et à se mêler aux anciens. Ainsi donc, l’Osambehe pousse un grand cri comme pour proclamer l’achèvement de son œuvre. Puis, il invoque les noms des anciens grands maîtres des coffrets et des grands clans totémiques d’Otwere très respectés. Il reconnaît enfin que l’institution Otwere n’est pas à lui, mais qu’elle appartient à de grands maîtres et à de grands clans. Voici par exemple, comment il s’exprime : «A nga kâ (ou) a nga ko, Amba Oto Ibonga 242 Amba Okyena Ebâ Amba Angwe Eboro Amba Andé Ekongo Ma Otwere Héé ! Héé ! Autrement dit : Ce n’est pas à moi mais à Oto, d’Ibonga à Okyena, d’Ebâ (deux grands maîtres reputés) à Angwe, d’Iboro ! à Ande, d’Ekongo ! (deux grandes familles totémiques reputées)»191. 1.4.3. Le soir La forêt commence à s’obscurcir. Le maître du coffret d’Otwere qui, depuis de longues heures, n’a pas prononcé un mot, laisse tomber la brindille de bois qu’il tient dans sa bouche, se lève et exalte Otwere par la danse kongo. Il fait «taire» la danse. Il prodigue des conseils, blâme le mal, exhorte au bien, relate l’expérience des ancêtres exemplaires, retrace les généalogies. Il emploie aussi des proverbes, légendes, symboles, donne des expressions d’éloquence que tout le monde écoute avec attention : un véritable cours de science morale à l’attention, non seulement des postulants à Otwere, mais aussi à celle de l’assistance. C’est pour chacun des assistants un fond de sagesse à transmettre aux générations futures. Les membres d’Otwere, (les A ngo b’Otwere) profitent de la longue journée pour refaire leur Mwandzi, discuter dans les intermèdes avec le maître sur la solution de telle ou telle affaire à régler, sur la «jurisprudence» de certains jugements déjà rendus. Et aussitôt après, le maître d’Otwere appelle à nouveau la danse kongo. Il danse et, avec lui l’assemblée. Dès lors, c’est le départ au village qu’on a quitté au premier chant du coq. Un Ebani proclame ce départ avec des cris lugubres et prolongés. Il ouvre la marche. Chaque membre, du moindre au plus important, met son Mwandzi sous l’aiselle gauche, mais à la vue du village, tous le tiennent à la main droite, bras plié à la hauteur de l’épaule et l’agitent à l’envie. L’ensemble des Mwandzi qui tremblottent d’un mouvement uniforme au dessus des têtes des membres d’Otwere constitue un spectacle des plus attrayants. Le cortège se dirige vers la maison du principal initié. Les femmes et les profanes peuvent alors sortir de leurs maisons dans la cour pour voir et admirer Otwere. Tandis que le cortège forme un grand cercle dans la cour et exécute neuf fois la danse kongo. Ainsi donc se termine la célébration d’Otwere. Quiconque a assisté à cette cérémonie, en sort marqué toute sa vie. En tout cas les postulants à Otwere en sortent toujours initiés. L’initiation permet de transmettre les systèmes des valeurs du groupe et ses règles de conduite. Elle permet aussi le passage du stade de profane à celui d’initié. Le rituel de couronnement d’un candidat au pouvoir politique est un épisode sociologique de grande importance car on découvre le sens du rituel, celui du pouvoir politique et la nature profonde de ce pouvoir et de l’institution qui sacre le candidat retenu. 191 Mgr Gassongo (B) : Op. cit, pp25-26 243 1.5. Prise et promulgation des lois Il n’est pas question pour nous de faire ici une longue analyse d’une question qui relève plus des spécialistes du droit que de l’historien. Il s’agit ici pour nous de saisir les éléments essentiels qui caractérisent le cheminement de la prise des règles et des lois qui concourent à la composition du droit Mbosi. Une attitude réductrice européenne (Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire) prétend que l’Afrique noire est un monde sans culture, sans civilisation et sans histoire. Cette vision réductionniste, ce «gobinisme» qui a l’ambition de valoir à la fois, un regard exotique et un discours anthropologique sur l’homme et le continent noirs ne saurait être crédité de la valeur d’étude approfondie, car ce continent a toujours fonctionné comme un lieu de la vie et toute vie produit une culture et engendre une histoire. Les travaux du R.P. Placide Tempels192 et de Léo Frobenius193 constituent heureusement, une réplique authentique à ce discours européocentrique ; ces deux auteurs révèlant mieux l’Afrique au monde et les Africains à euxmêmes. L’Afrique noire possède une culture, une civilisation. Toute société vit et secrète sa culture donc engendre une civilisation et un droit qui la sous-tendent et la caractérisent. Elle dispose donc d’une histoire. A propos des sociétés traditionnelles du Congo, Alexis Gabou ramenant le pouvoir législateur à celui des mœurs, a écrit : «Chaque ethnie est législatrice pour elle-même. La diversité du législateur coutumier entraîne la diversité du droit privé congolais qui traduit la diversité des mœurs des ethnies congolaises»194. Otwere, institution suprême en société Mbosi, est le législateur de cette société. Ses règles et ses lois composent les «codes» des populations Mbosi. Jamais écrits, ces «codes» qui constituent le droit coutumier Mbosi sont fondés sur l’oralité comme support de leur promulgation et de leur transmission aux générations futures. Ces règles et ces lois sont véhiculées de génération en génération dans la société Mbosi toute entière, allant des anciens, dépositaires des normes ancestrales, aux jeunes soit par la mémoire collective et les usages, soit au moyen de la communication à l’occasion des grandes cérémonies d’Otwere ou des rencontres des grands sages de l’institution. Ainsi, comme nous l’avons déjà dit, Otwere édicte des principes qui fondent la tradition de toutes les populations Mbosi, en ayant force de loi et composant le droit Mbosi. Le droit coutumier Mbosi, traite de la famille, de la parenté, de la propriété, de la succession, du mariage et du divorce, des frontières entre villages, de la protection de la nature, des relations de voisinage. Une étude approfondie de ces coutumes exigerait des volumes. Mais ce qu’il faut en retenir, c’est que les règles de fonctionnement de la société Mbosi, couvrent tous les domaines de la vie : politique, social, économique, culturel. C’est à l’occasion d’une cérémonie d’Otwere que les grandes décisions, des règles et des lois sont prises ou reformulées et promulguées. Il faut aussi retenir que toute grande cérémonie d’Otwere est un rituel. La plus haute rencontre, convoquée pour punir un outrage à la loi, un crime commis par un non-membre d’Otwere. 192 R. P. Tempels (P): La philosophie bantoue, Présence africaine, Paris, 1965, 123p Frobenius (L): Léo Frobenius: une anthologie, Editions française, 1973, 247p 194 Gabou (A) : Le mariage Ladi et Koukouya, Saint Paul, Brazzaville, 1979, p5 193 244 Le rôle d’Ephongo principal à une cérémonie, qui impute à celui-là toute la couverture des frais et charges de préparation et déroulement de la cérémonie, constitue la plus grande et unique sanction pour punir le crime commis en société Mbosi. Au cours de la cérémonie, l’infraction et le crime commis sont diffusés et vulgarisés à travers les chansons et les slogans. Par l’interrogation à laquelle ils étaient soumis à la séance d’initiation, les Iphongo étaient informés, enseignés sur les lois et règles en vigueur dans la société. Par le breuvage qui termine la séance de leur initiation, ils renonçaient à une vie de libertinage pour intégrer la classe des sages. Par une déclaration du maître de la cérémonie, la loi violée est reformulée. Il peut aussi arriver qu’un comportement ou un acte menace l’harmonie et les équilibres de la vie en société dans une zone territoriale. Les maîtres de kwephe et d’autres membres influents de la zone, au cours des rencontres informelles, se concertent et analysent le comportement ou l’acte observé. De ces concertations, naît une opinion qui exprime l’indignation des dépositaires des normes de la vie en communauté, gardiens de la coutume, face au comportement ou à l’acte incriminé. Cette opinion conduit à éditer des règles et des principes au cours d’une cérémonie d’Otwere qui condamne le comportement. Toute la zone concernée et les autres zones voisines du territoire Mbosi Olee sont informées et investies par la règle ou la loi et en sont soumises d’office. Il arrive également qu’à l’approche d’une cérémonie d’Otwere, les maîtres de kwephe et les autres membres influents de la zone, au cours de leurs contacts préparatoires ou informels avec le maître de la cérémonie convoquée, réfléchissent sur certaines questions importantes de la vie dans la zone ou dans une zone voisine. Ainsi sont retenues, des déclarations qui seront faites pour devenir règles et lois lesquelles intégreront le droit coutumier de tout le peuple Mbosi. Ainsi, par une longue tradition, le coutumier Mbosi, incarné par Otwere est parvenu à se constituer des «codes» parlés. Ces «codes» prescrivent ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Par cette même tradition et surtout à travers des jurisprudences, le droit coutumier est parvenu à constituer une tarification, base de réparations dues pour les dommages causés à la propriété et à l’intégrité de la personne d’autrui. Comme nous venions de le mentionner, Otwere est l’instance qui légifère ses règles et ses lois, accouplées aux décisions de la justice rendue en son nom par les membres d’Otwere dans toutes les zones du territoire Mbosi, constituent le droit coutumier de ce peuple. Le droit demeure donc le fondement de leur organisation sociale car il leur garantie autant la survivance des valeurs morales que les rapports de cohésion entre les membres de l’ethnie qui forment tout un système de représentation, de pensée, de croyance, le tout s’ordonnant autour de la notion de justice. Au regard de tout ce qui vient d’être dit, on peut conclure avec Jean Bruyas195 que les techniques traditionnelles d’adaptation des normes s’accomplissent en toute société par la 195 Bruyas (J) : Les sociétés traditionnelles de l’Afrique noire, Harmattan, Paris, pp109-110 245 prise de décision, c’est-à-dire, de dispositions de portée générale ou individuelle auxquelles se trouvent soumis les membres de la société. 2. La Cérémonie de décès d’un membre d’Otwere La cérémonie funèbre en l’honneur d’un membre d’Otwere est accomplie pour que le défunt reçoive ou non la félicité des défunts ou des ancêtres. Elle juge le comportement du défunt vis-à-vis d’Otwere. 2.1. Obsèques d’un membre d’Otwere196 Comme Louis Vincent Thomas dans son ouvrage intitulé: Anthropologie de la mort197, nous rappelons que la mort, ainsi qu’elle se révèle à tout homme pensant, est un processus naturel qui s’abat aussi bien sur l’être humain que sur d’autres créatures végétales et animales. Le phénomène en lui-même est toujours provoqué par une cause et à une raison : une maladie, un accident, un suicide volontaire, etc. L’autopsie qui est l’une des fonctions de la médecine moderne est à cet effet reconnue comme le plus efficace des procédés dans la recherche et la détermination des causes cachées de la mort. C’est de cette manière que s’explique et fonctionne le phénomène voire le concept de mort dans les sociétés occidentales. Mais à la différence de la conception de ces sociétés, la mort dans la plupart de sociétés, notamment traditionnelles d’Afrique est d’une explication tout à fait particulière. Elle s’explique généralement comme un voyage au pays des ancêtres, soit sur convocation de ceux-ci, soit sur décision matérielle des autres vivants. Dans ces civilisations, le contraste vie-mort est ce par quoi s’explique la relation qui attache l’homme au sacré, aux ancêtres et à tout humain défunt. Pour elles, l’existence humaine est tenue en laisse par les forces invisibles, les dieux (les esprits). C’est aussi à ces forces que l’on doit nécessairement toute situation, toute calamité naturelle. Tout ce qui accompagne l’existence ou qui la sanctionne est lié au sacré. C’est dans cette dimension culturelle, traditionnelle, qu’il sied de placer le sens qu’accorde la société Mbosi Olee à la mort. Chez les Mbosi Olee, la mort appelée Lekou, est la disparition, le décès d’une personne. C’est un phénomène qui arrache une personne aux siens et à la société. C’est un départ définitif qui est toujours décidé par les forces occultes, les sorciers ou par sanction des esprits des ancêtres ou de Nganzoli. C’est dans cette dimension qu’on doit comprendre les sens des rites funéraires dans la société Mbosi Olee. Ici, tous ces rites célèbrent le voyage de l’être qui quitte le monde des humains pour rejoindre celui des invisibles donc des puissances éternelles. Les obsèques constituent un ensemble d’opérations préparatoires de ce voyage, de la séparation du défunt d’avec les survivants et la terre, l’invitation des anciens à recevoir le voyageur. 196 Tout ce qui précède ressort de plusieurs entretiens dont ceux avec Ngaela Obaré, un agent retraité de la Mairie de Brazzaville, âgé d’environ 60ans, domicilié à Talangaï-Brazzaville, le2/01/2000 ; Angala François, un commerçant âgé d’environ 70ans, domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 12/02/2001 et Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001. 197 Thomas (L. V): Anthropologie de la mort, Payot, Paris, 1978, pp15-45 246 L’exécution de ces opérations d’obsèques, le cadre où elles se déroulent et le monde qu’elles mobilisent diffèrent selon qu’elles concernent la mort d’un homme ordinaire, d’un membre d’Otwere ou d’une puissance politico-fétichiste. Les obsèques d’un homme non-membre d’Otwere (un Opombo) ou d’une femme, se déroulent souvent dans l’intimité des parents, des membres de son association civile (non liée à Otwere) et des connaissances. Elles peuvent être précédées, pendant la veillée funéraire, par la danse Olee ou autre danse que pratiquait le défunt. Toutefois, les obsèques d’un Opombo n’étaient jamais célébrés par Otwere. Son enterrement était sans enjeu. Les obsèques d’un membre d’Otwere, en revanche, quelque soit l’âge du défunt, étaient célébrés par une cérémonie d’Otwere, donc avec grande solennité. Si le membre d’Otwere est une notabilité politique doublée de puissance fétichiste, cette cérémonie est précédée par des rites occultes et secrets qui ont lieu, dès que l’être physique s’éteint. Pour certains décédés de cette classe, la déclaration de décés n’a pas lieu tout de suite. Il faut préparer sa séparation avec toute la nature qu’il devait incarner. Ces notabilités sont dites dotées de pouvoir d’habiter les milieux naturels et établir avec les êtres de ces milieux des relations secrètes et intimes. Ce pouvoir est une dotation du fétiche. Il peut être aussi un don des ancêtres à travers le développement du totem du clan ou de la famille. Pour prévenir les réactions des milieux de la deuxième vie (occulte) il faut, avant d’annoncer la mort d’une de ces notabilités, la séparer des êtres qu’elle incarnait, au milieu des hommes, par des rites immédiats et secrets198. Si ces rites ne sont pas réalisés alors le décés du défunt est suivi d’apparitions mystérieuses et menaçantes. Pour exemple, on peut assister à des phénomènes inédits suivants : -si le défunt était établi dans et incarnait soit l’hippopotame, soit le caïman, son décés est tout de suite salué par des pluies diluviennes ayant pour effets l’innondation des villages et des rivières et l’arrêt des activités de la population. Il pourra aussi être suivi d’apparitions désordonnées d’hippopotames ou des caïmans menaçant les villageois ; -si le disparu avait établi son habitation occulte en grande forêt et incarnait le lion ou la panthère, son décés est salué par les hurlements des lions ou des panthères et le mouvement de ces fauves autour des villages ; -s’il avait établi sa puissance sur toute la nature de son village, son décés est d’abord annoncé par de grandes tornades accompagnées de chutes de grands arbres et foudres qui s’abattent sur la zone. Le décés déclaré sans préparation sera suivi, outre l’apparition des fauves, par la tristesse qu’accusent les rivières et les plantations. On peut observer une pellicule noire ou jaunâtre à la superficie (surface) des eaux ayant pour effet d’éloigner les poissons, ou sur les plantes ayant pour effet la mauvaise récolte et la fuite des animaux loin de la zone d’influence du puissant. Si le décés survient à la tombée de la nuit ou la nuit avancée, les rites commencent par un ordre d’éteindre le feu dans tout le village et dans les villages de l’influence du décés. Les autres rites se déroulent dans l’obscurité. Ils consistent à confectionner, sous le contrôle du sage connaisseur du secret du totem ou d’un parent ayant reçu du défunt l’information et la 198 Les cérémonies rituelles célébrées au moment de la mort d’une notabilité ont une grande importance chez les Mbosi et sont intégrées à la vie sociale. Ces cultes ne sont pas particulier aux Mbosi ; ils sont aussi pratiqués dans les autres ethnies voire d’autres pays d’Afrique. Ils font, en outre, depuis plusieurs années, l’objet de nombreuses études convergentes dans presque toutes les aires culturelles d’Afrique : Cf : Bamunoba (Y.K), Adoukounou (B) : La mort dans la vie africaine, Présence Africaine, Paris, 1979, 335p ; Thomas (L) : Cinq essais sur la mort africaine, Université de Dakar, Faculté des lettes et des sciences humaines, Dakar, 1968, 502p 247 formation sur le fétiche fondateur de la puissance, d’un contre fétiche. Celui-ci prend le fétiche et s’enferme avec le corps dans la case fermée et sans lumière. Selon que l’on craint plusieurs réactions, ces initiés peuvent être deux, chacun muni d’un contre fétiche différent. Ils les lui attachent au bras et aux chevilles. Pendant ce temps, un troisième homme attend sur le toit de la case funèbre le signal de la maison pour annoncer la mort. Dès que les personnes enfermées finissent d’attacher les contre fétiches et de tracer sur les plantes de pied et sur la figure des peintures appropriées et liées à la puissance, un des deux tape fort, trois fois, à la porte enfermée. Au troisième signal, le griot juché sur la toiture annonce à grand cris : «Ngaakosso a Toro a nzoue ee» (trois fois) c’est-à-dire «Ngaakosso du village Toro est parti iiii» (trois fois). Au troisième cri, il éclate en pleurs et l’ordre est ainsi donné aux villageois qui attendaient l’autorisation de pleurer. Le deuil commence dans le village. Pour ce cas d’un notable à la large puissance sur la nature de sa zone, après l’armement en contre fétiche, un homme est envoyé, toujours dans l’obscurité, sur un palmier qui porte un régime. Il doit condamner les jeunes branches du palmier en les ligotant ensemble avec une liane à piquants. Une fois cette première opération réalisée, il abat le régime. La chute du régime simule la chute du puissant personnage. Du haut du palmier, il annonce (toujours trois fois) dans le même style la mort. Certains notables éteints, il est dit d’eux qu’ils sont dotés du pouvoir d’annoncer euxmêmes leur décés. Le cri lancé par le griot est un appel qui s’écrit ainsi : «Ngaporo Elo eee» (trois fois) c’est-à-dire «Ngaporo du village Elo eee» (appel). Au troisième cri, le défunt répond : «I eee ; he ngue inzoueee» c’est-à-dire «oui ii he je suis parti ii». La réponse peut être celle-ci : «I eee ; he ngue phi ware ee» c’est-à-dire «oui iii je suis déjà ici iii». Dès que cette réponse entendue comme écho de la forêt, l’homme sur la toiture ou sur le palmier éclate en pleurs en donnant aux villageois l’ordre de pleurer et d’ouvrir le deuil. Le notable décédé est ainsi considéré séparé de ses incarnations : les villageois sont protégés. Ce dialogue entre le monde des vivants et le disparu dont le corps est étalé dans sa case obscure, crédite les pensées Mbosi sur la mort. En effet, lorsque le griot annonce à grand cri le départ de Ngaakosso du village Toro, il force le commun du monde à accepter que ce dignitaire n’est pas mort, mais voyage. Quand à l’appel du griot qui le cherche, Ngaporo du village Elo répond, celui-ci prouve qu’il n’est pas loin des vivants et qu’il les entend. Et en annonçant : «Hé je suis parti iii», il confirme qu’il effectue un voyage et salue ceux qui restent vivants. Encore quand il annonce que : «oui iii je suis déjà ici», il désigne le nouveau monde qu’il a rejoint, mais qui n’est pas loin de l’ancien monde. Ainsi, disons que pour les Mbosi, comme pour beaucoup de civilisation, la mort n’est pas une fin, n’est pas une destruction de l’être : c’est un changement d’état. C’est au deuxième jour du décés que, comme pour tout membre d’Otwere, a lieu la cérémonie d’obsèques. Ce n’est qu’après avoir accompli les différentes étapes du rituel que les sages initiés peuvent ordonner que le mort soit pleuré à la manière des Mbosi: avec des cris, des danses de femmes (Engondza), etc. 248 Le corps du défunt lavé et habillé est exposé en public, installé dans son Mbale (case centrale ou case du chef). Ses épouses et les femmes de la famille entourent ce corps toute la première journée et au cours de la veillée mortuaire. A propos de la toilette des morts nous constatons qu’elle est aussi pratiquée dans la société occidentale comme le souligne Louis Vincent Thomas : «Lavé, coiffé, rasé, revêtu de ses plus beaux habits, le défunt était replacé sur son lit, pourvu de ses objets de piété (chapelet, médailles…) et parfois de ses bijoux qu’il gardait par-delà la mise en bière. Cette tradition est demeurée à peu près intacte dans la plupart des familles françaises qui se contentent, pour leurs morts, de soins élémentaires sauvegardant l’hygiène et l’esthétique»199. Ces rituels accomplis par les initiés du village, ne sont que des préliminaires du grand rituel qui s’accomplira sous les auspices de toute l’institution Otwere. Mais celle-ci ne peut se présenter que lorsqu’elle reçoit des parents du mort ou du chef du village, une convocation la concernant. 2.2. Cérémonie 2.2.1. Convocation et objet de la cérémonie Le corps d’un membre d’Otwere est à la disposition de l’institution jusqu’à la fin des rites mortuaires. Au deuxième jour du décès d’un membre d’Otwere, les membres de l’institution du village et des villages voisins sont convoqués à la cérémonie des obsèques. Cette cérémonie a pour but, de rendre un dernier hommage au défunt et de libérer sa dépouille en la laissant à la disposition des parents qui pourront procéder à son inhumation. La cérémonie est convoquée par les parents en consultation avec un A nga kwephe de la zone ou un Edza Isongo (A nga Isongo). 2.2.2. Déroulement de la cérémonie 2.2.2.1. Déroulement dans la maison du mort Entre 14h et 15h, les Ibani affublés de leurs instruments (pengue et tseyi) parcourent le village. Tous les pleurs cessent. Les Ibani prennent le contrôle de la maison du mort d’où se retirent toutes les femmes qui gardent le corps. Puis, un à un, les membres d’Otwere arrivent munis de leur Mwandzi. Ils entourent, assis ou debout, le corps de leur collègue; ceux qui ne trouvent pas de place dans la maison se tiennent debout autour de celle-ci. A l’entrée d’A nga kwephe ou de l’A nga Isongo, l’Ebani pousse un grand cri rituel. Un autre membre entonne la chanson de la danse kongo. Tout le monde, même les membres hors de la maison chantent au rythme des instruments de musique (ngombi, asoumba, mouaasi). On exécute six (6) ou neuf (9) fois la danse kongo. Puis, l’Ebani lance à nouveau le cri rituel. La foule se lève. Quatre Ibani parcourent le village pour vérifier le mouvement des Ipombo, des femmes et des enfants (non membres d’Otwere). Ainsi, les chansons et les slogans se succèdent. La foule danse avec tristesse en agitant les Mwandzi. On se dirige vers le sanctuaire (Eselee) préparé en forêt par les Ibani quelques heures avant. 199 Thomas (L. V): Rites de mort, Fayard, Paris, 1985, p63 249 2.2.2.2. Déroulement dans Eselee 2.2.2.2.1. Eselee «sanctuaire» Ici, le «sanctuaire» est un simple espace désherbé et nettoyé sous le bois, non loin du village. Dans le «sanctuaire», le corps est déposé à côté de l’espace occupé par les membres d’Otwere. 2.2.2.2.2. La danse La danse agrémentée du son des instruments de musique (ngombi et asoumba) s’endiable. Les slogans fusent de toute la foule. Les chants sont entonnés. Les cris stridents des Ibani participent de la solennité de la cérémonie. La danse kongo bat son plein. 2.2.2.2..3. La procédure de demande du corps du défunt Vers 15h ou 16h, un membre influent et éloquent d’Otwere prend la parole au nom du village et de la zone, au nom du village et d’A nga kwephe. Il demande aux parents de lui dire les raisons de cette cérémonie et de présenter le défunt. Il joue le rôle de «juge, procureur» Un autre membre, choisi comme «conseiller» de la famille, se lève et prend la parole au nom de celle-ci. Son discours est souvent long et fleuri. Il commence à raconter les circonstances dans lesquelles le père du défunt avait épousé sa mère et fondé leur foyer, ce qu’il a fait avec elle, comment le défunt était conçu, comment il était né. Il poursuit son propros en rappelant les circonstances de la naissance du défunt, de son enfance, s’il était marié, s’il a fait des enfants, comment il vivait en société, ce qu’il faisait, comment, quand et où il était admis membre d’Otwere. Enfin, il raconte les circonstances de sa mort et, pour conclure, il demande l’autorisation d’inhumer le corps. Il présente une taxe appelée en Mbosi: «Asoue la gniama». Le «procureur» designé, après avoir pris les avis des membres d’Otwere et de leur maître, se lève et reprend la parole. Il rappelle quelques extraits du discours du «Twereconseil» et fait la déclaration suivante selon les cas : -il arrive que le défunt ait distribué les frais d’adhésion (ilambi) à la majorité des membres d’Otwere du village et de la zone plus anciens que lui, le «procureur» déclare que les «asoue la gniama» sont acceptés et la dépouille du défunt peut appartenir à ses parents ; -il arrive aussi que le défunt qui avait été admis dans Otwere loin de son village, avait négligé de distribuer aux anciens les frais d’adhésion, le «procureur» déclare aux parents que leur défunt n’avait pas observé la procédure d’admission dans Otwere et en conséquence leurs «asoue la gniama» sont irrecevables. La dépouille du défunt reste propriété d’Otwere. Dans ce dernier cas, le «Twere-conseil» invite les parents à une concertation (eyimbi). Trois points de vue sont envisagés : *si les parents ont des preuves que le défunt s’était acquité de ses devoirs, ils donnent au «Twere-conseil» les arguments de sa «plaidoirie» ; *si la famille est convaincue de la négligence du défunt, elle présente un obondi (frais de réparation) ou amende et quelques ilambi des dignitaires. Les deux formes de réparation représentent un ensemble de biens équivalant à une importante somme (plus de 20 ou 30F) ; 250 *si les parents sont convaincus de la faute du défunt et sont incapables de la reparer, ils abandonnent le corps du défunt à Otwere. Au retour du «Twere-conseil» et de la famille, le «procureur» fait taire la danse et demande au «Twere-conseil» de déposer le point de vue des parents. Dans le premier cas, le «Twere-conseil» fait sa «plaidoirie». Il regrette la déclaration du «procureur», argumente à coup de citations, convoque des témoins. Dans le second cas, «le Twere-conseil» sollicite le pardon d’Otwere et du village, présente l’Obondi de la famille (cabri et poulets) et les quelques biens représentant les ilambi. Dans le troisième cas, le «Twere-conseil» présente l’aveu des parents et tente d’obtenir un pardon pour eux et pour leur défunt. Après lui, le «procureur» se lève pour son «requisitoire». Après avoir pris l’avis des anciens, il déclare : -dans le premier et le deuxième cas, si les arguments fournis sont jugés convaincants ou suffisants, il déclare les «asoue la gniama» acceptés et le corps mis à la disposition des parents ; -dans le troisième cas, il déclare le corps du défunt abandonné à la disposition d’Otwere qui doit le faire «disparaître»; et il demande aux parents de quitter le «sanctuaire». Il faut noter que ces débats de procédure se déroulaient en pleine danse. Bientôt le cri d’Ebani annonce la fin de la cérémonie en forêt et le retour au village. A comprendre le déroulement de ce rituel traditionnel, on se convaint que le membre d’Otwere en restait adhérant jusqu’à sa mort. La qualité de membre d’Otwere imposait des règles et des obligations vis-à-vis de ses collègues membres d’Otwere et de la société. Le cérémonial décrit ci-haut, revèle qu’Otwere seul disposait du pouvoir de déclarer le décès et d’autoriser l’inhumation. Par ailleurs, la confession, que l’on peut relever ici, ne doit pas être retenue comme une incantation de sorcellerie, elle reste une expression de la puissance d’Otwere et de l’exclusivité de son pouvoir sur toute la société Mbosi Olee. 2.2.2.3. Le retour au village Il arrive que la cérémonie cesse en fin d’après midi, le corps est conduit au cimetière par les parents. Il arrive aussi que la cérémonie cesse au moment de la tombée de la nuit, le corps est ramené à la maison du mort par les membres d’Otwere, car on n’ensevelit jamais les corps la nuit chez les Mbosi. Les membres d’Otwere sortent du «sanctuaire» et de la forêt comme ils y étaient venus, en cortège serré, le corps du défunt bien protégé au centre de la foule. Le cortège regagne la maison du mort, réinstalle le corps où trouve en place le simili. On exécute six à neuf tours de la danse kongo. Pendant ce temps, quelque quatre à six hommes dissimulés, font danser la toiture de la maison au son du tam-tam. On prétend que c’est l’esprit du défunt qui danse à son tour. Le corps qui est ramené à la maison est enterré le lendemain aux premières heures de la matinée. 251 Mais, en application de la décison du Twere dans le troisième cas évoqué plus haut, le corps du membre d’Otwere abandonné à l’institution par les parents sans capacité d’accomplir les obligations posthumes du défunt, était remis aux Ibani pour être enterré très loin dans la forêt ou déporté dans un village et dans une discrétion hermétique. Cette inhumation qui visait la soustraction de la tombe du défunt de la connaissance des parents correspondait à la disparition du corps. Cette disposition d’Otwere était très redoutée car tout Mbosi doit avoir une tombe sur la terre de ses anciens et à côté d’eux. Cette tombe est sacrée et vénérée. Le déroulement de la cérémonie est aussi résumé par Mgr Benoît Gassongo : «…selon la coutume, il fallait au moins deux juges lors des enterrements des profanes, et de nombreux juges pour les enterrements des juges. A l’enterrement d’un profane, l’un des juges demandait à l’autre le droit du mort à l’enterrement. Celui-ci, avant de l’accorder, révélait le clan et le totem familial du défunt. Ensuite on laissait à la famille le droit de l’enterrement à l’heure de son choix. L’enterrement d’un juge nécessitait de nombreux juges pour emmener son corps au sanctuaire, d’abord pour sa mise en bière et ensuite pour se soumettre au règlement ; il y avait une danse funèbre avant et après la mise en bière»200. 3. Conclusion Quand on tente d’élucider la pensée Mbosi Olee lorsqu’elle est liée à la situation de l’homme vis-à-vis d’Otwere, on parvient à l’idée que celui-ci naît deux fois : la première fois, il naît au milieu des parents quand il vient au monde ; la deuxième fois, il naît dans la société quand il vient au monde d’Otwere. Chaque naissance est une occasion de grande exaltation, une occasion de grande fête et de joie pour le mileu acceuillant. La première naissance a lieu dans la maison parentale alors que la naissance dans Otwere a lieu en forêt au cours d’une grande fête des anciens. Celle-ci produit des douleurs qui sont senties par la mère génitrice, la deuxième quant à elle, produit des douleurs qui sont supportées par l’être naissant lui-même. Dans la société Mbosi, l’être non parvenu à Otwere a une éducation imparfaite qui le maintient encore proche du mal et de l’ignorance. Il n’est pas encore capable de faire la différence entre le mal et le bien, entre le vulgaire et le sacré, entre ce qui détruit l’existence et ce qui la soutient. Il est donc encore enclin à commettre de grandes fautes qui peuvent troubler l’ordre et la paix dans la société parce qu’il ignore ses devoirs et ses droits. Ainsi tout acte à caractère criminel dont il se rend coupable est une raison péremptoire pour son adhésion à Otwere. Comme cet acte est sacré et doit marquer un événement de la vie de l’homme, Otwere l’organise avec munitie et soins. Le candidat sent sa prochaine métamorphose. Il est admis en forêt, milieu saint et sacré. Le décor d’Eselee lui permet de découvrir que la vie de l’homme est soutenue par son travail et l’ensemble des fonctions qu’assure la cohésion de la société. Il va découvrir le rôle du forgeron, du tisserand, du récolteur de vin, du cultivateur et du pêcheur, etc. La formation qu’il reçoit est conçue comme un enseignement de valeurs qui assurent son transport de l’homme ignorant et délinquant vers un être formé et éduqué. Il devient donc le citoyen armé de bonne morale et pourvu d’une capacité à s’écarter du mal. Il reçoit donc 200 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit, p10 252 une nouvelle naissance et les premières esquisses de danses qu’il exécute, assimile ses premiers pas dans la société. Cette grande cérémonie d’adhésion est son «acte de naissance». Elle est surtout le lieu où Otwere confirme et exerce son pouvoir législateur. Ici, le détachement de l’institution adopte, reformule les règles qui nourrissent la coutume à considérer le droit Mbosi. La cérémonie de décés est l’ensemble de rites et cultes exécutés pour demander, au bénéfice du défunt, la félicité des ancêtres. Elle se déroule dans le respect de la pensée Mbosi sur la mort. Ainsi après le rituel familial au deuxième jour après le décés, Otwere recupère le corps de son membre et le conduit en forêt pour cette cérémonie d’adieu. Cette cérémonie est aussi un jugement du comportement du membre décédé, quelque aurait été son rang dans la société et surtout vis-à-vis de l’institution. Par cette procédure dite de demande de corps, les membres de l’institution présents à la cérémonie analysent la situation du défunt vis-à-vis de la société et d’Otwere. Le bon comportement de l’homme de son vivant conduit à l’autorisation de son inhumation : son corps est libéré et remis aux parents. En revanche, son comportement jugé délinquant, lui vaut le refus de droit à bénéficier d’une sépulture digne de son statut. Son corps est inhumé loin des lieux de sa famille pour ne jamais avoir les honneurs aux morts. Au bout de cette procédure, Otwere signe l’acte réglementaire de décés du défunt et sa dépouille prend une des destinations ci-dessus. Le membre d’Otwere, en pays Mbosi Olee, a effectivement, une naissance et une mort particulières. 253 CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE Définir Otwere comme un art de rendre la justice en société Mbosi c’est le limiter à une des fonctions qu’il exerce sur la société. Le définir comme philosophie est n’apercevoir qu’un seul enseignement de cette institution dans la société. Dire qu’Otwere est la haute manifestation de la sagesse en pays Mbosi, revient à ne l’apercevoir qu’à travers le résultat de son éducation sur l’homme Mbosi. Otwere est toutes ces valeurs réunies. Il est d’abord une grande institution politique, législative, judiciaire qui a regné sur les peuples Mbosi comme institution suprême. Son origine est encore mal connue. Mais on raconte avec insistance et pertinence, qu’il est la poursuite des assemblées de Ndinga avec les chefs de clans quand il les convoquait pour des instructions. Toutes les populations qui subissaient son règne et en particulier les Mbosi Olee, le caractérisait d’institution sacrée, respectée et respectable, constante et rigoureuse, cohérente et inamovible. C’est l’institution suprême et unique considérée comme superstructure de la société. Otwere a exercé sur ses populations toutes les fonctions : politique et administrative, législative et juridictionnelle. Il protégeait toutes les fonctions sociales, culturelles et économiques de la société et toutes les valeurs considérées sacrées de l’existence de l’homme Mbosi. Il donnait des enseignements sur les arts et la philosophie. Son influence sur la société est totale et sans égale ni limite. Mais, il a divisé la société, selon que l’on est son adhérent ou non, en classe des supérieurs et classe des inférieurs. Il a surtout réussi la coordination des sociétés qui vivaient en chefferies autonomes pour constituer une espèce de «nation à structure décentralisée». Son organisation simple et cohérente, se caractérise en une stratification en cinq (5) échelles et symbolise les hirérarchies dans la société. L’admission comme membre d’Otwere est un acte sacré assimilable à une nouvelle naissance dans la société. Elle a lieu au cours d’une cérémonie en forêt, milieu considéré comme sacré puisque résidence des esprits des anciens. La mort d’un membre d’Otwere, qui n’est pourtant pas la fin de l’être est aussi célèbrée en forêt où l’acte de décés est signé et livré aux parents du défunt sous forme d’acte coutumier oral. Après son affaiblissement par les actions conjuguées de l’administration coloniale et des missionnaires catholiques, Otwere a surtout conservé sur ses populations, son pouvoir juridictionnel. La partie suivante de notre étude nous offre l’occasion d’observer, analyser et dévoiler l’exercice de cette fonction d’Otwere. 254 TROISIEME PARTIE : OTWERE EN TANT QUE SYSTEME JUDICIAIRE TRADITIONNEL EN MILIEU MBOSI OLEE La vie en société peut être perçue comme l’ensemble des liens qui unissent les hommes, des rapports qui définissent leurs relations et déterminent les domaines d’exercice de leurs intérêts. Ces liens et ces rapports sont souvent causes des heurts et des conflits meurtriers entre les membres quand ces conflits d’intérêts ont lieu au-delà des règles qui limitent et orientent le fonctionnement de ces liens et de ces rapports. Toute société où les bornes ne sont pas dressées autour des intérêts des hommes et où le fonctionnement des rapports entre ces hommes est laissé libre, est, sans doute, sujette à l’anarchie. La société Mbosi Olee n’était pas une société d’anarchie. Elle disposait d’une organisation, Otwere, qui régulait les rapports entre les membres de la société. Otwere définissait les règles d’ordre et exerçait le pouvoir judiciaire. C’est à l’étude de l’organisation et de la pratique (fonctionnement) de ce pouvoir judiciaire que nous allons consacrer cette troisième partie. Pour ce faire, nous avons réparti les affaires que la société soumet à Otwere en deux catégories : les affaires à concilier et les affaires à juger, en fonction de leurs caractères. Cette troisième partie est structurée en quatre chapitres. Les deux premiers présentent l’organisation et les modalités de fonctionnement du pouvoir judiciaire, alors que l’exposé de la pratique des affaires ci-dessus catégorisées est l’objet des deux derniers chapitres. 255 CHAPITRE I : ORGANISATION DE LA JUSTICE TRADITIONNELLE Comme le font observer Kéfing Konde, Camille Kuyu et Etienne Le Roy201, toute organisation judiciaire est l’expression d’une vision du monde en fonction de laquelle la société sera traduite en institutions rectrices qui ont pour dénomination dans l’expérience moderne la justice, l’administration… La justice est ainsi à appréhender dans le cadre d’une institution de régulation qui ne trouve pleinement sa justification, donc son efficacité et sa légitimité, qu’en exprimant les valeurs et les représentations que les membres de la société tiennent pour l’expression spécifique et originale de leur monde, mi-vécu, mi-rêvé, mais concrètement exprimé. La justice constitue l'une des plus grandes dimensions d'Otwere. Elle est rendue par des «magistrats» appelés Atwere (sing. Twere). En fonction de sa position dans l'affaire en débat, le Twere peut jouer le rôle de juge, de "conseil" (avocat) ou même d'intermédiaire (notaire). L’organisation de la justice traditionnelle en milieu Mbosi Olee met en évidence l’existence des “juridictions”, un acteur, le Twere et le rôle dévolu à cette institution. 1. Les “juridictions”: existence et organisation La société traditionnelle Mbosi Olee est organisée en villages autonomes. L’organisation de la justice obéit à l'organisation administrative du pays Mbosi Olee en villages. Nous conviendrons, en effet, pour les besoins de compréhension de désigner, le règlement des conflits sous l’autorité de l’institution Otwere par “tribunal” puisque le déroulement des audiences est presque similaire à celui des tribunaux modernes. En effet, «Otwere-justice», par son aspect ludique, théâtral et rhétorique, est une véritable juridiction. Il en a la composition, l’organisation et la compétence. Il n'existe pas de "tribunal" occupant un rang hiérarchiquement supérieur à l’autre analogue à une Cour d’Appel. Il n’existe pas non plus de chef hiérarchique de la fonction pour le pays Mbosi Olee. La justice est rendue en assemblée ou palabre. Les chefs de village, de famille tiennent les "tribunaux" dans leurs villages et familles pour les affaires sollicitant la réconciliation. Ainsi, il apparaît que le chef du village, de famille, nécessairement membre d’Otwere, joue un rôle important dans le règlement des litiges, dans son rôle de Twere. Les A nga kwephe (les maîtres d’Otwere) et les A ngo b’Otwere (membres d’Otwere) tiennent les "tribunaux" pour les affaires à juger. Tous ces "tribunaux" sont indépendants les uns des autres. Aucun "tribunal" n'est doté du pouvoir hiérarchique permettant de casser un jugement rendu par un autre. La décision rendue est sans appel202. 201 Kéfing Konde, Kuyu (C), Le Roy (E) : «Demande de justice et accès au droit en Guinée» in Droit et Société, LGDJ, 51/52, Paris, 2002, p391 202 En droit, l’appel consiste à juger à nouveau une affaire en un second degré de juridiction. Le juge qualifie de nouveau les faits. Ce qui est différent de la cassation où le juge ne vérifie que l’application du droit. Dans la tradition Mbosi, Otwere est, nous l’avons vu, une institution inviolable. Ces décisions sont prises à l’unanimité et exécutées aussitôt. Le jugement rendu par le Twere est univoque. Un Twere n’a pas la possibilité de se prononcer sur les jugements d’un autre Twere. Les jugements du Twere ont pour but de rétablir l’harmonie, 256 Il ne suffit pas d'être maître d'Otwere (A nga kwephe) ou chef de village ou encore chef de clan, de famille, pour être "chef d’un tribunal" et se voir déférer les affaires par la société. Il faut être Twere (juge). Le Twere est choisi parmi les A ngo b’Otwere (membres d’Otwere) selon ses capacités intellectuelles, morales et humaines, pour son amour de la justice et sa puissance d’analyse. Dans un village où il n’y a pas de maître d’Otwere, c’est le Ngo Otwere qui tient le “tribunal”. Le vide n’est toujours pas possible car dans tout village Mbosi Olee, il y a toujours un ou des A ngo b’Otwere. Ces “tribunaux” ne pouvaient pas être assimilés aux tribunaux coloniaux hiérarchisés. Ils n'étaient pas non plus organisés en chambres spécialisées. Un “tribunal” pouvait connaître une affaire qui lui était soumise et jugée selon la tradition et les règles d'Otwere. Un Twere solitaire dans une affaire ou devant un “tribunal”, agissait sous l'autorité et sous la protection d'Otwere. Tous les résidents ou non des villages, les membres de la famille défèrent les affaires à juger (Po) à leurs chefs respectifs. D'ordinaire les "procès" se déroulent les jours de repos soit au pied d'un arbre203 dans le village, soit au Mbale (case du chef) du village. Dans sa fonction de "maître d'un tribunal", un chef est assisté de deux ou trois Twere qui jouent le rôle d'assesseurs ou de jurés. Toutefois, il n’est pas aisé de rapprocher Otwere-justice avec les tribunaux des villages instaurés par la colonisation et appelés tribunaux coutumiers. C’est la justice moderne mal adaptée. En effet, la colonisation a modifié la justice traditionnelle. En nommant les chefs de village voués à sa cause, il leur a confié la direction de la justice. Dans ce cas, les tribunaux deviennent dépendants et hiérarchisés. Au bas de l’échelle, le tribunal du village, après celui du canton, celui du district et celui de la région et enfin les Cours au niveau national. Toutes les affaires suivent ce cheminement, même en ce qui concerne le divorce ou l’adultère. En fait, ce sont deux systèmes juridiques opposés, l’un fondé sur la coutume, parole pérenne des ancêtres, et l’autre fondé sur la loi, incarnation abstraite d’un pouvoir fluctuant. la paix dans la société. Il est rare d’observer des mécontentements à la suite des sentences rendues par le Twere. En effet, les sentences rendues doivent arracher absolument l’accord des juges, des parties en conflits même du public. Car pour la population Mbosi, l’appel n’existe pas en ce qui concerne les jugements rendus par le Twere parce qu’il n’existe pas de faux jugement puisque ce dernier rend une décision conforme aux coutumes qui satisfait tout le monde. 203 L’arbre en tant qu’espace juridictionnel n’est ni un fait propre aux Mbosi, ni un fait récent dans l’histoire. C’est une pratique ancienne. C’est le premier espace juridictionnel à travers l’histoire à en croire ces auteurs. En effet, Jean Carbonnier atteste cela lorsqu’il écrit : «…Tout lieu d’audience dans les sociétés archaïques est une aire sacrée et comme retranchée du monde ordinaire. Si les arbres font fréqemment partie du décor judiciaire, c’est qu’ils attirent le charisme divin et le transmettent aux magistrats qui sont assis à leur ombre. Dans la Chine antique, un recueil de jurisprudence était intitulé : le cas de dessous de poirier. En Israël, le livre des Juges (15 :14) évoque la justice rendue sous un chêne -bon précédent pour Saint Louis. Autre indice philologique : l’etymologie qui fait dériver de l’arbre (tree), du chêne (dru), notre trève (trace, treegwa), moment de paix et de justice (laquelle est pacification)… », Flexible droit pour une sociologie du droit sans rigueur, L.G.D.J, Paris, 1998, 6è édition, p322. De son côté, Olivier Martin témoigne sur la question au Moyen Age : «L’audience de la Cour féodale se tient souvent en plein air, parfois sous un noyer ; dans la région parisienne, sous un orme ; l’orme de Saint-Gervaix a été célèbre à Paris, au XIIIè siècle, la possession d’un orme par un seigneur est enseigne de haute justice, c’est-à-dire fait présumer qu’il est haut justicier… », Histoire du droit français des origines à la Révolution, CNRS, Paris, 1991, 2è édition, p322. Dans son article traitant des espaces juridictionnels en droit Bantu, il regrettable que Pierre Louis Agondjo Okawe ait pu ignorer ce lieu de conciliation dans le monde africain, «La notion d’espace juridictionnel en droit Bantu» in Cahiers de Recherche de l’UER des sciences juridiques, N°1, Université de Paris Nanterre, 1981, pp23-60. 257 Le Mbosi se sent lié à son droit, à sa justice qui est perçu comme une partie de lui-même puisque l’homme est la continuation des ancêtres. Antoine Ndinga Oba témoigne de cette dualité d’existence lorsqu’il écrit : «Il existe présentement deux mondes juxtaposés dans ce domaine de la culture et de la justice : l’un, celui de la culture du monde profond de la majorité, celui des populations qui ont gardé leur originalité ; l’autre celui de vernis culturel hérité du maître d’hier. Il est l’apanage de l’Etat, animé par la minorité dirigeante et imposé à tout le monde, malgré les résistances patentes des populations. Le pays est livré à un jeu de cache-cache où le peuple se réfugie dans l’univers culturel national et refuse de se dépouiller de son identité tandis que l’Etat s’évertue à imposer l’ordre nouveau bâti sur des réalités allogènes»204. 2. Les Twere (les juges) Le pouvoir et le droit de juger sont autorisés aux membres d’Otwere (les A ngo b’Otwere) qui justifient des qualités et critères exceptionnels dans l’art de convaincre, de juger, de réconcilier. Celui à qui est conféré ce pouvoir est appelé Twere. Mais les attributions du Twere sont plus larges. Le Twere est en effet à la fois comme un juge, un «avocat ou conseil», un «notaire», un conciliateur, un porte-parole et même comme «officier d’Etatcivil». A la différence de leurs frères de la rive gauche de l’Alima, les Mbosi Olee ont introduit une distinction entre le Ngo Otwere (membre de l’institution) et le Twere (membre de l’institution, professionnel de l’art de juger, de réconcilier, d’intercéder, etc). Le Twere n’est donc pas une échelle hiérarchique dans l’institution Otwere ; c’est un «professionnel libéral du droit», (magistrat, avocat, huissier, notaire, etc). Il se pose comme sage et savant, gardien du droit coutumier et de la paix et participe au maintien de l’ordre dans la société. Cette polyvalence est soulignée par plusieurs auteurs congolais qui ont écrit sur la question. Ainsi, dans sa thèse de Doctorat, Yvon Norbert Gambeg écrit à ce sujet : « (…) twere, celui qui se pose en maître de la connaissance, grand juge du pays et maître des affaires qui participe ainsi à l’organisation de l’espace social et politique en même temps qu’il le sécurise en veillant au droit, à l’application des décisions et à l’inviolabilité de la coutume ou des pratiques juridiques qui se sont transformées en coutumes »205. De même Jérôme Ollandet témoigne de ce personnage en ces termes : «C’est l’animateur indispensable qui change de peau suivant la place que la société veut lui faire jouer dans un procès donné. Juge d’instruction dans la mesure où la partie plaignante se confie à lui pour lui assigner l’adversaire devant la justice, il est aussi l’avocat-interprète entre les Twere, les juges et les plaignants. Enfin il joue parfois le rôle d’avocat de la défense. On assiste alors à des échanges oratoires admirables entre ses pairs de l’accusation et lui»206. 204 Ndinga Oba (A) : Op. Cit, p160 Gambeg (Y. N): Pouvoir et société en pays Teke (République Populaire du Congo ). De vers 1505 à 1957, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Université Paris I – Panthéon – Sorbonne, 1984, pp386-387 206 Ollandet (J): Op. Cit, p240 205 258 2.1. Les critères d’admission aux fonctions de Twere Pour exercer les fonctions de Twere, toute personne doit répondre à deux critères essentiels et indispensables qui sont : 2.1.1. Etre homme La femme n’est pas autorisée à juger en public les problèmes entre les hommes. Il ne lui est pas davantage reconnu le droit de régler les litiges entre ses consoeurs. La fonction de juger est donc réservée aux seuls hommes207. Bien que le critère d’âge ne soit pas exigé, le Twere doit être d’un âge qui lui permet de se placer avec aisance et autorité entre les parties dans une affaire qui lui est reportée. 2.1.2. Etre Ngo Otwere La justice, en pays Mbosi, est l’une des formes du pouvoir d’Otwere sur la société. C’est pourquoi, pour être Twere, il faut d’aborder adhérer à Otwere, c’est-à-dire être Ngo Otwere (membre de l’institution). 2.2. Les qualités du Twere Le Twere, quelle que soit la place qu’il occupe dans une affaire, doit disposer d’atouts et de qualités qui concourent à son efficacité et se conjuguent pour caractériser son art : art de juger tel que nous avons tenté de l’esquisser plus haut (Cf. deuxième partie, chapitre II, pp189-190). 2.2.1. La rhétorique Le Twere est un orateur puissant. Il excelle à remuer et soulever les assemblées par sa parole entraînante mais il est toujours maître de lui-même. Il doit meubler son intervention de proverbes, de récits et poèmes qui font appel à ses connaissances philosophiques, culturelles, scientifiques et techniques sur l’univers humain, animal et végétal. Le Twere est un homme éloquent et talentueux. Il ne se contente pas seulement d’élever la voix ou de la baisser, de la faire vibrer, de marcher ou de s’arrêter, de s’asseoir mais aussi de se lever et se transformer en «accusateur ou défenseur» qui est censé disposer de la parole comme d’un art ; il fait preuve d’une ingéniosité remarquable qui lui permet de convaincre son auditoire. 2.2.2. La capacité de rétention Le Twere doit être capable de reproduire le discours, l’intervention, adverse comme pour fixer l’auditoire sur l’argumentation adverse et le préparer à recevoir sa réplique. 207 Cette exclusion des femmes des fonction judiciaires se retrouve dans toutes les sociétés d’Afrique Centrale, à l’exception des Manja (en République Centrafricaine), où, selon Vergiat, «les deux plus vieilles femmes du clan pouvaient se joindre au tribunal, pour évoquer la juste raison», Mœurs et coutumes des Manjas, Harmattan, Paris, 1981, p196 259 2.2.3. L’élégance dans la conduite du raisonnement Le raisonnement du Twere doit être clair. Le Twere doit présenter les choses de manière que même celui qui a tort, se retire sans se sentir vexé ou humilié. D’ailleurs, le langage agréé au cours des audiences est fait de symboles, de paraboles et se révèle souvent très hermétique aux non-initiés. Ici le sous-entendu fait partie intégrante de l’art et de l’exercice de la parole. 2.2.4. La solidité de l’argumentation L’intervention du Twere doit s’appuyer sur des arguments solides. Le Twere doit très bien connaître l’histoire des origines et de l’exode des familles ou un antécédent célèbre pour trancher un problème. Il doit surtout connaître la jurisprudence et le droit Mbosi Olee, Otwere. 2.3. La formation La formation du Twere est essentiellement orale208 et empirique. Elle a généralement un caractère hermétique, usant de la langue de bois209. Le Twere est initié sur le tas. Un homme qui entre dans Otwere est autorisé à assister à des séances de justice aux côtés des anciens. Au fur et à mesure qu’il «siège», il peut être consulté afin d’émettre des avis ou afin d’acquérir une notoriété de sage. Il sera reconnu Twere, par la population de son village et des villages de sa zone, au moment où l’on aura considéré comme suffisante l’acquisition des qualités requises. C’est à partir de ce constat d’acquisition suffisante de qualités que ses concitoyens peuvent se référer à lui pour régler les conflits ou différends qui les opposent. Le Twere est aussi formé par les voyages. En effet, le Twere qui voyage, découvre et vit d’autres expériences, enregistre les différences ou ressemblances, élargit le champ de sa formation et de son expérience. Partout où il passe, il participe aux réunions, entend des récits historiques et «juridiques», s’attarde auprès d’un transmetteur qualifié en initiation ou généalogie, et prend ainsi contact avec l’histoire et les traditions des terres, des villages qu’il traverse. Le contact régulier avec les anciens et les voyages à travers le pays Mbosi Olee, sont indispensables au futur Twere: «chaque jour, l’oreille doit entendre ce qu’elle n’a pas encore entendu». L’éducation était donc permanente. 208 «La société traditionnelle ne possède pas d’écriture, l’éducation n’est pas instutitonnalisée. Tout se transmet donc oralement de génération en génération à travers des activités très variées, intégrées aux besoins de la collectivité et des inidividus. La théorie et la pratique sont liées. C’est en regardant faire et en faisant, véritable pédagogie du concret et de l’initiation, que le jeune apprend, connaît la nature environnante (plantes, animaux, saisons…), apprend son rôle social. C’est en imitant les adultes, c’est en s’identifiant à eux, qu’il acquiert une parfaite maîtrise des choses de la vie. C’est en participant aux activités de la collectivité qu’il apprend les savoirs (connaissances, savoir-être et savoir-faire) immédiatement utiles. La société tout entière (famille, voisins, adultes, groupes des pairs) est éducatrice et repose sur un certain nombre de valeurs fondamentales : le sens de la famille, l’hospitalité, le droit d’aînesse, le respect des adultes et des morts, le partage, l’honnêteté, la solidarité… Cette dernière se fait entre les membres de la communauté villageoise, de la famille, entre les générations. Les anciens sont très utiles, voire indispensables : ils constituent la sagesse, la mémoire vivante du village (…). L’aspect le plus important du système éducatif traditionnel, est que l’apprenant étant responsable de l’acquisition des connaissances, l’apprentissage devient le sous-produit de l’activité et non le but principal», Ngonika (M) : L’éducation au Congo-Brazaville, Pradigme, Orléans, 1999, pp13-14. 209 Ndinga Oba (A) : Op. Cit, pp110-176 260 L’acquisition des connaissances et des aptitudes dépend non seulement de la qualité de sa mémoire mais aussi de son attitude envers les anciens et les clients : il doit être poli, avenant et serviable car il est dit : «le secret des vieux ne se paie pas seulement avec l’argent mais surtout avec de bonnes manières». 2.4. Fonctions et images du Twere Dans la société Mbosi Olee, nous avons relevé que le Twere exerce indifféremment toutes les fonctions des domaines judiciaires et parajudiciaires, et des domaines civils. Dans l’exercice de ses nombreuses fonctions, en raison de son large savoir et des qualités qui adulent son art et sa personnalité, il est perçu par la société comme une école ; de ce fait il lui est confié de nombreuses missions, surtout dans les domaines du droit, de la morale, de la culture, et de la politique. 2.4.1. Au plan moral et culturel Le Twere est perçu comme le gardien des moeurs, le détenteur de la sagesse. Il sert de modèle au milieu (enfants, jeunes, adultes). Au moment où se détériorent les valeurs ayant servi de pilier de la nation congolaise, les Twere pouvaient aider à moraliser la société et promouvoir les vertus de tolérance, de respect mutuel, de dignité, d’honnêteté et de vérité aujourd’hui fortement compromises. 2.4.2. Au plan social et judiciaire Le Twere joue un rôle important en servant de témoin dans les divers accords au niveau local, depuis le mariage en passant par les règlements de succession et le partage de l’héritage jusqu’à la fixation des limites de terrain. Lorsqu’il s’agit du mariage par exemple, le Twere agit comme le ferait un «officier d’Etat-civil» dans le droit moderne. Il recueille le consentement des époux, mais il n’y a pas d’écriture, de registre comme dans le droit moderne. Lorsqu’il s’agit d’une affaire consistant à sauver une personne en état de maladie, le Twere intervient en tant que conciliateur et peut être régulateur entre les familles en présence. Dans le cas de décès, le Twere apparaît principalement comme «notaire» : il conduit la répartition de l’héritage laissé par le défunt entre les parents. La fonction caractéristique de Twere aux yeux du public, est celle de juge. Il instruit, juge, tranche les conflits ou litiges. Il le fait dans un esprit non répressif mais de conciliation et de paix, car faut-il le répéter, la paix est le fruit de la justice. La justice judiciaire devient ainsi un facteur important de la résolution pacifique des conflits. Au cours des audiences, le Twere est aussi habilité à relèver toute erreur de procédure glissée dans les débats. Les procédures et les modalités de dédommagement sont conduites et fixées par lui. On peut dire qu’en tranchant les litiges qui lui sont soumis, en punissant les coupables selon Otwere (loi), le Twere dit le droit. En outre, selon les circonstances, le Twere joue soit le rôle de «conseil ou d’avocat». Le Twere est un «avocat ou un conseiller» : les parties comparaissent accompagnées de Twere qui fait office «d’avocat ou de conseiller». En effet, au cours des audiences, chaque 261 partie prend la parole par l’entremise de son «Twere-conseil» (avocat) qu’elle aura choisi pour sa cause. Le «Twere-conseil» (avocat) défend sa partie. Il veille à la réconciliation. 2.4.3. Au plan politique En raison de ses multiples fonctions, le Twere apparaît ainsi comme le titulaire d’un pouvoir parallèle au pouvoir administratif : il détient un pouvoir politique évident. En outre, les Twere sont toujours perçus dans le monde Mbosi comme détenteurs de la pensée centrale (philosophes), défenseurs de la tradition nationale. Ce groupe social, éminent par son savoir et ses enseignements, était et reste encore aujourd’hui l’âme du monde Mbosi voire Ngala. Il constitue aujourd’hui une des survivances de ce qu’était la véritable nation Mbosi. Le Twere tel qu’il est présenté, est désigné par les autres populations Mbosi ou du Congo sous des appellations différentes suivantes : -Chez lez Akwa : Okombe ; -Chez les Teke : Owobi ; -Chez les Ngangoulou : Touere ; -Chez les Mbosi de Mbonzi : Obela ; -Chez les Mbosi de Ngolo : Twere, Obela ; -Chez les Mbosi Obaa : Obela ; -Chez les Mbosi Eboyi : Obela ; -Chez les Likouba: Obela. Chez les Koyo : Abraham Constant Ndinga-Mbo210 nous fait découvrir qu’Obela est effectivement le serviteur du Kani, chef couronné. Il joue aussi auprès du Kani le rôle de « secretaire» particulier. Au cours des procès présidés par le Kani ou Mwene, l’Obela parle toujours au nom du Kani : «Mwene a seri ware» c’est-à-dire «le Mwene a dit que..» ; «N’oseri la Mwene ware» c’est-à-dire «tu as dit au Mwene que…». L’Obela est en fait le véritable factotum de l’appareil judiciaire : il est juge d’instruction dans la mesure où la partie plaignante se confie à lui et lui demande d’assigner son adversaire devant le Kani ; il est l’assesseur du Kani au cours des procès que celui-ci préside. C’est lui qui dirige les débats, coordonne les arguments, assure l’interprétariat entre le plaignant et l’accusé. Ces indications d’Abraham Constant Ndinga-Mbo, ne font que s’ajouter à ce que nous avons relevé dans les rôles confiés aux différentes échelles d’Otwere chez les Mbosi de la rive gauche de l’Alima et chez les Mbosi Olee. Comme nous l’avons déjà souligné en effet, le Twere Mbosi Olee peut juger et dire seul le droit dans une affaire. Mais il peut aussi être assesseur dans une Cour auprès d’un A nga kwephe ou auprès d’un chef de clan (Obiali)Twere. Chez les Bokiba (Congo-Kinshasa) : Mobenge Mbwanga. Armand Hutereau témoigne de ce personnage en ces termes : «Les Bokiba soumettent rarement un différend au Kumu. Ils préfèrent s’adresser au Mobenge mbwanga (maître des différends) chargé de résoudre tous les désaccords causés par les questions d’héritages, des mariages, les divorces. Sa décision a force de loi et quiconque ne l’observe pas se rend responsable de toutes les conséquences de sa mauvaise volonté. 210 Ndinga-Mbo (A. C) : Op. Cit, pp126-129 262 Ce Mobenge mbwanga est reconnu par tous comme le plus sage et le plus instruit dans les us et coutumes de la tribu; le Kumu même le respecte et admet comme conformes à la loi les décisions qu’il prend dans les matières de sa juridiction»211. Chez les Dogons du Mali : Hogon : Gérard Beaudoin212 indique que le Hogon a une double fonction, spirituelle, car il est le prêtre du Lébé et du Nommo, et temporelle puisqu’il rend la justice dans la communauté et dit le droit. Lors de l’audience, on ne peut pas s’adresser directement à lui et il faut emprunter le truchement de son assistant, le Kérou ou Kédiou. Outre le règlement des conflits entre individus, il est aussi habilité à faire respecter les tabous religieux et à punir par exemple le fait d’avoir tissé après le coucher du soleil. Chaque jugement est sanctionné par une amende dont la plus faible sera un poulet, mais le Hogon peut aller jusqu’à ordonner la confiscation de tous les biens, l’expulsion du village et même la démolition de la maison familiale. Il joue également le rôle d’un tribunal d’Appel, car on peut s’adresser à lui si on conteste la décision du conseil des anciens ou du Kérou. 2.5. Les droits et rétributions de Twere Dans la société Mbosi Olee, le Twere n’a pas que des missions. En contrepartie des services qu’il rend, il reçoit des égards importants. Sa vie matérielle est facilitée par l’arrivée des dons de toutes sortes: pièces d’étoffes, animaux, aliments et argent. Le Twere peut aussi recevoir un Tsoo (c’est-à-dire sorte d’obole). Le Tsoo reçu par le Twere peut désigner trois choses : -les frais de justice (lekoutsambe) que chaque partie dépose entre les mains du Twere avant le jugement ; -les dessous de table dans le sens qu’il peut recevoir des objets ou des sommes d’argent pour qu’il prenne à coeur l’affaire à juger. Cet acte n’est pas contraire aux mœurs c’est-à-dire que ce n’est pas délictuel ; -les frais de déplacement (Iphei la Mwandzi) déposés pour symbole d’invitation à venir juger. Le Twere procède également dans chaque affaire à traiter à un prélèvement sur les biens et sommes versés en réparation du préjudice ou en remboursement ou sur les biens et sommes à répartir en héritage. 3. Le rôle de la justice Comme le note Antoine Aissi213, contrairement aux écrits de certains auteurs214, le système juridictionnel africain avait connu une unité profonde quant aux techniques de mise en œuvre du droit. Les affaires civiles et pénales se réglaient apparemment de la même manière. Il ne faut pas en déduire pour autant que la différence entre les unes et les autres fussent ignorées. Les praticiens du droit traditionnel reconnaissaient les délits, infractions tels l’adultère, des délits privés qui ne mettaient en jeu que des intérêts particuliers comme le vol. 211 Hutereau (A) : Notes sur la vie familiale et juridique de quelques populations du Congo-Belge, Musée du Congo-Belge, Bruxelles, 1909, p97 212 Beaudoin (G) : Les Dogons du Mali, Armand Colin, Paris, 1984, pp153-154 213 Aissi (A) : Op. Cit, p89 214 Evans-Pritchard : The Nuer, p162 ; également dans African Political Systems, pp293-294 ; Sir Henry Maine : Ancient Law, p379. Les idées de ces auteurs sont analysées par T. Olawale Elias dans son ouvrage intitutlé : La nature du droit coutumier africain, Présence Africaine, Paris, 1961, 325p 263 Aussi, dans la société traditionnelle Mbosi, les affaires que les Twere sont appelés à règler font jouer à la justice des rôles aussi variés que divers. Cette diversité des rôles de la justice conduit l’observateur à répartir les affaires habituellement soumises à la justice par la population Mbosi Olee en deux catégories : les affaires à concilier et les affaires à juger. Nous nous contenterons ici seulement de les définir et de les décrire, en réservant leur étude détaillée dans les chapitres trois et quatre de cette partie. 3.1. Les affaires à concilier Il s’agit d’une catégorie d’affaires pour lesquelles le Twere joue les rôles «d’officier d’Etat-civil», de notaire, de conciliateur, de témoin ou d’intermédiaire. Dans cette catégorie d’affaires non conflictuelles, nous avons classé : le mariage, l’adultère interne à la famille, les palabres pour santé et décés. 3.1.1. Le mariage (iba) Comme dans toute société humaine, pour les Mbosi Olee, le mariage (ou iba) est une succession d’actes liant l’ensemble des parents d’un garçon (époux ou Olomi) à l’ensemble de ceux d’une fille (épouse ou Mwasi). Ces actes sont conclus sur le mouvement de la jeune fille qui est appelée à quitter ses parents (sans s’en séparer) pour procréer et fonder une famille. Chaque acte ouvre l’occasion d’une cérémonie au cours de laquelle les parents du garçon versent une dot à la famille de la fille toute entière, avec un montant précis dont les parents sont connus à l’avance. Chez les Mbosi, le célibat n’existe pas. Une femme doit toujours être mariée. Une fille prise en mariage est une occasion pour manifester la joie. Le rôle de Twere ici, est constitué par la transmission de cette dot. Il joue le rôle «d’officier d’Etat-civil», de porte-parole. La dot étant répartie en plusieurs factions qui identifient, chacune, le groupe de parents ayant droit, le rôle de la justice est joué à chaque fraction de manière identique, mais par des acteurs (Twere) différents. 3.1.2. L’adultère interne à la famille L’adultère (bosi) chez les Mbosi Olee, est un délit qui oppose un homme qui contracte les relations intimes avec une femme au mari de sa partenaire. Quand l’auteur de l’adultère est un parent du mari préjudicié, l’adultère est moins conflictuel. Tout acte que le mari préjudicié peut commettre sur son parent (cousin, cadet ou neveu) n’aggrave pas le délit. L’adultère interne à la famille est réglé à l’amiable, en famille tant que l’auteur est plus jeune que le mari de sa concubine. Le Twere choisi par la famille joue alors le rôle de médiateur. La réparation est considérée comme un acte d’excuse (obondi) conçu et fixé entre l’auteur de l’adultère et le Twere. Elle consiste à amadouer, à calmer et à apaiser les éléments colériques du mari : elle se veut symbolique. Le Twere qui fait accepter généralement ses présents, commet l’acte de réconciliation. 264 3.1.3. Osambe (conseil des familles pour santé, échec, envoûtement) La maladie quelle qu’elle soit, est considérée comme causée par des forces maléfiques de nature spirituelle (sorcellerie) ou physique (fétiche). Le Mbosi Olee doit aux mêmes agents tout échec dans la vie économique ou dans la vie sociale et familiale (stérilité). Pour sauver une personne d’une longue et grave maladie, ou pour la libérer de tout échec, les différents clans de la victime sont convoqués en conseil pour une palabre appelée Osambe. Ici, le Twere, après avoir fait passer les frais du conseil, après avoir fait reconnaître les droits et autorité des uns et des autres, coordonne les déclarations des clans qui sont autant de délibérations. Son rôle est donc celui d’un médiateur ou d’un coordinateur. 3.1.4. Po a ndo (Conseil des familles pour décès) Le décés d’une personne impose toujours à son maître (époux pour une femme mariée, père pour toute autre personne) des obligations vis-à-vis des autres parents. Ces obligations sont assumées en deux séances de palabre au cours desquelles l’obligé doit : -d’abord annoncer le décès et obtenir l’autorisation d’inhumer les restes mortels du décédé; -puis déclarer le décès et présenter les biens constituant l’héritage du décédé. Pour la première séance qui précède et ouvre les obsèques, le Twere agit comme «officier d’Etat-civil». Pour la deuxième séance, son rôle va de celui «d’officier d’Etat-civil» à celui de notaire en passant par celui de conciliateur. 3.2. Les affaires à juger Dans une société, certaines affaires qui opposent des hommes ou groupes d’hommes, des familles ou groupes de famille les uns aux autres, sont reconnues graves et conflictuelles. Les conflits qu’elles engendrent sont quelquefois causes de conflits entre familles ou entre villages. Certaines de ces affaires peuvent mettre en cause la sécurité d’une zone. A cette catégorie d’affaires, pour lesquelles l’action de la justice est de rétablir l’équilibre menacé par les troubles nés dans ces circonstances, nous en avons classé quelques unes dont : 3.2.1. La rupture des liens de parenté Lorsqu’il y a un mariage consanguin par exemple, le Twere intervient comme juge parce qu’il rompt les liens de famille entre les futurs époux uniquement ou entre les familles pour autoriser le mariage. 3.2.2. L’adultère extra-familial Il oppose un homme qui contracte les relations sexuelles avec la femme d'un autre homme non-parenté à ce dernier. Cette affaire est portée directement en jugement. 3.2.3. Les autres affaires à juger Il s’agit du divorce, des conflits de frontières entre les villages, des conflits des droits de propriété sur la terre, l’eau et les biens. 265 Le divorce est une affaire portée directement en jugement. Quant aux deux autres, ces affaires sont réglées par des groupes de sages de ces deux villages. A ces niveaux, le Twere intervient en tant que juge. 266 Schéma N°4 : Organisation de la justice traditionnelle Mbosi Olee Otwere : Institution Twere : membre d’Otwere Affaires à juger : -rupture des liens de parenté -adultère -divorce -conflits de frontières entre les villages -conflits de droits de propriété sur la terre, l’eau et les biens Procédure et rôle du Twere Juge Affaires à concilier : -mariage -palabre pour la santé -palabre pour le décès -héritage et succession Procédure et rôle du Twere Avocat -Notaire -Officier d’Etat-civil -Conciliateur et témoin -Médiateur Avocat Sanctions 267 4. Les caractères généraux de la justice traditionnelle A partir des enquêtes réalisées sur le terrain215 et des lectures portant sur le droit traditionnel Mbosi216, nous en sommes arrivés à la conclusion selon laquelle celui-ci est un droit coutumier basé sur le prinicipe de solidarité clanique. A ces deux éléments s’ajoute le caractère oral de ce droit souvent complexe eu égard à sa nature à la fois laïque et religieuse. Enfin, ce droit a pour finalité la préservation de l’équilibre social. Nous allons analyser ces aspects généraux qui caractérisent ce droit Mbosi dans les lignes qui suivent. 4.1. Le droit Mbosi est un droit traditionnel Les règles et les lois qui fondent son exercice sont issues de la coutume. La justice qui dit ce droit, fait asseoir, en règle générale la réparation des dommages jugés, sur des valeurs de la civilisation agraire coutumière. L’évaluation de cette réparation se rapporte toujours sur les valeurs courantes des produits physiques de l’agriculture, la pêche et de l’élevage qui sont les créations de la paysannerie. 4.2. Le droit Mbosi est un droit basé sur le principe de solidarité clanique Ici la personne n’a une identité individuelle: elle est identifiée et fixée dans le clan. Ainsi la justice s’adresse, à travers l’auteur du préjudice d’un côté et la victime de l’autre côté, à des clans217. C’est le caractère solidaire du droit Mbosi. L’individu chez les Mbosi appartient d’abord à son groupe, qui est responsable collectivement de tout dommage causé par l’un de ses membres à tout étranger au clan. La charge qui incombe au clan est de répondre aux torts causés par l’individu. Toutefois, il ne faut pas se méprendre car l’individu délinquant ne jouit guère pour autant d’une impunité totale. Ce qui peut être reconnu comme «unité du clan» s’avère le plus souvent lourd de conséquence pour la famille proche du délinquant. La justice chez les Mbosi recherche avant tout à travers le groupe la possibilité de régler en urgence les méfaits occasionnés par un individu indélicat. C’est pour cela qu’elle s’adresse, au sein de sa famille étroite, à un membre rapproché qui peut être, un frère, une sœur capable de payer en partie ou en totalité des amendes infligées par le «tribunal». 215 Tout ce qui précède résulte des entretiens que nous avons eu avec Okandzé Lekouegni, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 63ans, le 27/05/2001 ; Ngambomi Athanase, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 75ans, le 28/05/2001 et enfin, Ondélé, un paysan du district de Gamboma, âgé d’environ 70ans, le 6/06/2001. 216 Elenga (N) : Op. Cit, pp6-7 217 D’une part, la famille donne plus de garantie de solvabilité que l’individu pris à part entière. D’autre part, l’esprit de la soldarité se traduit par l’appartenance d’un individu à un clan. 268 4.3. Le droit Mbosi est oral Nous l’avons dit, nous aurons encore l’occasion, dans cette étude, de dire que ce caractère est expliqué par l’absence de l’écriture dans cette société jusqu’à la soumission du peuple Mbosi à la colonisation. La justice Mbosi ne s’inspire donc pas des codes écrits mais de la coutume qui lui fournit son contenu. Ce droit coutumier est un droit oral et en tant que tel, difficile d’accès surtout pour un occidental qui a tendance à raisonner à partir des concepts européens218. 4.4. Le droit Mbosi est un droit complexe : droit oral liant le laïciste à la religion Otwere qui protège et dicte la coutume est suffisamment imprégnée de la religion. Ici les ancêtres possèdent un contrôle sur les vivants et les institutions. Ils doivent être invoqués à chaque événement d’Otwere. Cependant, la justice dont Otwere est la fondation sacrée, juge autant les faits physiques que les actes de la sorcellerie et de l’esprit des morts lorsque ceux-ci sont retenus comme causes et moyens utilisés et dressés par l’auteur du préjudice. Donc pour statuer, la justice traditionnelle Mbosi ne tient compte que des faits présentés par les parties en conflit. Par ailleurs, ce droit est purement oral et par conséquent n’est toujours pas ouvert aux non-initiés ; il s’apprend. Toutefois, cet apprentissage n’est pas à la portée de tout individu. Il va sans dire que certaines conditions doivent être remplies pour l’accés aux fonctions de Twere219. 4.5. Le droit Mbosi vise prioritairement l’équilibre social au sein de la communauté La justice qui fonde son exercice sur l’application et le respect de ce droit, se préoccupe de protéger le plus faible et de sanctionner le préjudice sur autrui. Tout dommage emporte la compensation en faveur de la personne lésée. Le but immédiat est le rétablissement de l’ordre social. Il ne met pas en péril l’union du groupe, et est donc considérée comme peu grave, on s’efforce d’abord d’apaiser les tensions en recourant, comme le précise Tasmin Elias Olawale, «à une discussion ordonnée des différends qui séparent les parties, discussion qui se déroule dans la certitude commune que la sagesse et l’expérience des anciens parviendraient à suggérer aux plaideurs une solution acceptable par tout le monde»220. Ainsi donc, la justice traditionnelle Mbosi est une justice de l’intermédiation, de la conciliation, de la médiation, de l’arbitrage. Elle tend à colmater les brèches ouvertes à l’occasion d’une affaire, à rétablir l’équilibre du groupe, à apaiser les rancoeurs. 218 Raynal (M) : Op. Cit, p14 Sur ce point, se référer au personnage du Twere 220 Elias Olawale (T) : Op. Cit, p285 219 269 4.6. Le droit Mbosi a des fonctions sociales La justice Mbosi et le droit traditionnel qui lui fournissent ses matériaux, traduisent très fortement les règles et les préceptes de vie dans cette communauté. Ils permettent d’envisager les rapports entre les concitoyens, les rapports sociaux. Ils mettent l’accent sur l’équilibre social et protègent la paix dans la société, le droit de l’individu et des clans. Ils garantissent non seulement l’exaltation de l’individu, mais surtout l’équilibre de la famille et du groupe. 5. Conclusion L’organisation du pouvoir judicaire en société Mbosi Olee met en fonction, pour rendre la justice, plusieurs juridictions ou Cours, toutes égales et indépendantes. Elles existent dans les villages sous juridiction du chef du clan ou du village ou sous juridiction d’un A nga kwephe ou d’un simple Ngo Otwere. Aucune juridiction n’a le pouvoir hiérarchique de Cour d’Appel sur d’autres. Une affaire est toujours considérée définitivement jugée. Bien évidemment un justiciable non satisfait, peut refuser d’appliquer une décision et se référer à une autre Cour. Cette autre instance prend connaissance de l’affaire en premier et dernier ressort sans considération des décisions précédentes. En effet, une affaire qui avait déjà été traitée ne peut pas faire l’objet d’un recours. Autrement dit, la décision est rendue une fois pour toutes. Seulement la partie qui n’est pas satisfaite de la décision peut saisir à nouveau une autre juridiction. Celle-ci ne doit pas statuer en fonction de la décision qui avait été rendue préalablement. Cette organisation procure, l’exercice des fonctions de juger et de dire le droit à des «magistrats» appelés Twere. Le Twere est un membre d’Otwere qualifié par son large savoir, sa sagesse et les qualités exceptionnelles qu’il affiche dans la société. Il exerce ses fonctions comme homme indépendant et libéral, mais sous autorité et protection d’Otwere. Le Twere se présente dans sa société comme une école ; il reçoit de la société, des larges missions de moraliste, d’éducateur et surtout de formateur dans les domaines culturel, social, judiciaire et politique. Selon l’acte que le Twere est appelé à commettre, Otwere a réparti les affaires qui opposent les Mbosi en affaires à concilier et en affaires à juger. Le Twere suivant l’affaire agit comme «officier d’Etat-civil», «notaire», reconciliateur, juge. Dans une affaire, selon la place qu’il est appelé à occuper, il est juge, il est «conseil, avocat-défenseur». L’appareil judiciaire de la population Mbosi Olee, tel qu’il apparaît dans cette étude décèle des caractéristiques qui, si l’on veut, autorisent à établir de nombreuses analogies entre le système judiciaire traditionnel des Mbosi Olee et celui dit moderne. Mais il y a surtout, en nous associant à l’étude de John Gilissen221, deux points majeurs qui permettent de cerner des différences essentielles entre les deux systèmes. 221 Gilissen (J): Op, cit, pp9-68 270 1)-Le cumul des fonctions: du juge au médiateur Il est à noter que les personnes habilitées à rendre des décisions de justice dans le monde traditionnel Mbosi Olee cumulent d’autres fonctions voisines voire connexes. En effet, ces personnes connues sous le nom de Twere, non seulement exerçent les fonctions de juge, mais aussi celles «d’officiers d’Etat-civil», d’auxiliaires de justice ou de conseil, «d’administrateurs». Ces rôles varient en fonction des affaires pour lesquelles ils sont sollicités. Ils changent aussi de rôle dans la même affaire en fonction de l’étape ou de la décision à prendre. Cet aspect est typique et original de la société traditionnelle Mbosi et se démarque de la société moderne où l’organisation sociale produit la séparation des pouvoirs consacrant l’autonomie de la justice qui a pour conséquence la légitimation du pouvoir de justice aux seuls magistrats. 2)-L’absence de dualisme entre les juridictions Le système traditionnel de la justice Mbosi Olee ne connait pas le principe dualiste ou hiérarchique entre les juridictions comme on l’observe dans la justice congolaise moderne. En effet, on note, dans la justice traditionnelle Mbosi, l’existence d’un seul niveau de juridiction auxquelles sont déférées les affaires quelques que soient les matières. Ainsi, les affaires, qu’elles soient de matière civile ou pénale (dans le sens moderne de ces notions) peuvent être de la compétence de la même juridiction. Il n’est pas observé de conflits de compétence dans ce système malgré l’existence de plusieurs Cours. Enfin, les décisions rendues par le Twere sont sans appel et ne peuvent pas faire l’objet d’un recours. Le Twere prend ses décisions en premier et en dernier ressort et il n’existe pas d’autre juridiction à saisir au-delà de celle qui a rendu la décision en première instance. Il n’existe donc pas une hiérarchie des juridictions dans le système traditionnel Mbosi. Cette situation est restée comme telle jusqu’à l’arrivée de la colonisation française. Malgré l’existence de ces différences qui peuvent être prises pour fondamentales au regard du droit moderne, il est faux de conclure que la société Mbosi ne disposait pas de justice, plutôt de palabre pour le règlement des affaires qui opposaient les citoyens. Mais comment la justice Mbosi fonctionnait et quelles procédures appliquait-elle? 271 CHAPITRE II : TRADITIONNELLE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE Le fonctionnement de la justice traditionnelle des Mbosi Olee obéit à des codes, non écrits, soigneusement élaborés par la coutume. Il se fonde sur les procédures que suivent les Twere dans l’exercice du métier. L’objet de ce chapitre est de décrire le fonctionnement de cette justice traditionnelle en présentant les procédures, les audiences, la qualification et les caracctères généraux des dommages et, enfin, la responsabilité civile. 1. La procédure 1.1. La "saisine" de Twere Si l’on s’en tient à la définition que propose Gérard Cornu dans le Vocabulaire juridique222, la "saisine" c’est l’action de porter devant un organe, une question sur laquelle, celui-ci est appelé à statuer. La "saisine" est bien connue et pratiquée dans la justice Mbosi Olee. Dans cette dernière, c’est la partie qui a subi le préjudice (soit la victime elle-même ou soit le répresentant de son clan) qui a le pouvoir de "saisine". La "saisine" obéit à un formalisme qui varie selon la nature de l’affaire à traiter. Le requérant ou la personne ayant pouvoir ou devoir de diligence, se présente au "Twere-juge" et dépose verbalement sa requête. En effet, l’action en justice ou l’accusation devant un "Twere-juge" débute par une «assignation» verbale adressée à la partie adverse par l’intermédiaire du "Twere-juge". C’est donc au "Twere-juge" que le demandeur ou plaignant s’adresse. Il lui incombe de saisir la partie adverse. Cette requête orale ou «plainte» est symbolisée par le dépôt d’un fonds ou d’un matériel ayant valeur de fond de "saisine" appelée "Iphei la Mwandzi" quelle que soit l’affaire. 1.2. Les modalités d’information des parties à se retrouver Ces modalités dépendent aussi de la nature de l’affaire à traiter. 1.2.1. Le cas d'une affaire à juger Lorsqu’il s’agit d’une affaire à juger, la modalité d’information s’apparente à une convocation. Pour contraindre le prévenu à se présenter, le "Twere-juge" désigne un messager (Toma) qui doit être muni d’un instrument de pouvoir du "Twere-juge". La nature de cet instrument est fonction du statut du "Twere-juge" saisi de l’affaire. Lorsque le "Twere-juge" est un A nga kwephe, l’insigne du pouvoir peut être le Penge qu’amène un Ebani ou le Mwandzi porté par le Ngo Otwere désigné. 222 Cornu (G) : Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2000, 8è édition, p790 272 Lorsque le "Twere-juge" est un chef du village ou un chef traditionnel de clan ou de famille Mbosi Olee, l’insigne du pouvoir peut être son Epoumbou (touffe de poils de queue de buffle). Lorsqu’il n’a pas d’attribut de pouvoir public, l’insigne du pouvoir peut être son Mwandzi quand il se constitue lui-même messager. Cet insigne ne doit pas demeurer plus de 24 heures chez le "prévenu". Au-delà de cette limite, l’attitude du prévenu devient constitutive d’outrage et d’autres procédures sont engagées. 1.2.2. Le cas d'une affaire destinée à la réconciliation Pour les affaires relevant de la réconciliation comme Po a ndo, Osambe, Ibaa, la partie qui a le pouvoir de "saisine" envoie le Twere directement chez l’autre partie pour l’informer de la date de la retrouvaille. Lorsqu’une des voies procédurales que nous venons de décrire a été choisie et suivie, elle aboutit à la fixation d’un jour pour l’ouverture de l’audience. 2. "Audience" et retrouvailles Le déroulement des audiences est fonction de la nature des affaires à traiter. En effet, les audiences ont lieu en public avec la procédure contradictoire223. On assiste alors à une joute oratoire à laquelle participe le public. Antoine Ndinga Oba écrit à cet effet : «L’Otwere se pratique dans un contexte foncièrement démocratique. Les jugements se déroulent publiquement, animés par l’assistance qui participe au rythme imposé par le juge. Ce dernier se réfère à Dieu au début et tout au long du procès, pour solliciter la sagesse et le discernement. Il faut simplement se cultiver et apprendre le langage du milieu. La situation est semblable dans le monde moderne où tout n’est pas facile à comprendre quand les juges utilisent leur langage professionnel»224. Lorsque la population concernée est réunie, les parties au procès présentes, les Twere prennent place. Les parties au procès, la victime ou son représentant et l’accusé se tiennent près des membres de leur famille. Comme l’indique Maryse Raynal225, la représentation juridique est répandue dans la procédure africaine. Elle trouve son fondement dans le fait que le chef de famille est responsable de ses membres. Lorsqu’il s’agit d’une affaire à juger, les parties comparaissent face à face. Avant l’ouverture des audiences chaque partie paie les frais de justice appelés "lekoutsambe". L’audience commence par une introduction du "Twere-conseil"226 de la partie convoquée ou accusée qui s’informe sur les raisons de la convocation et se poursuit par 223 En droit, cette procédure «requiert la garantie d’un droit de défense. En effet, il faut que la partie à l’endroit de laquelle la saisine a été dirigée soit à même d’assurer sa défense de telle sorte que le résultat de cette opération lui soit opposable», Cornu (G) : Op. Cit, pp215-216 224 Ndinga Oba (A) : Op. Cit, p160 225 Raynal (M), Op. cit, p210 226 En revanche, chez les Mbosi de la rive gauche de l’Alima, le Kani ou Mwene est le maître de la justice, même s’il délègue généralement ses fonctions judiciaires à la classe des hommes de loi, les Ibela (Sing. Obela). En effet, il rend justice avec la complicité de ses assesseurs (Ibela) dans le strict respect des us et coutumes de sa communauté. Quand il rend justice, le Kani ou Mwene est assis sur une natte et tient dans la main un Ephoumbou. Devant lui, son Obela est assis sur un petit banc et derrière lui, les Twere qui tiennent leurs Mwandzo qui symbolisent, la paix. Devant lui encore, à gauche et droite, face à face, les parties en conflits et en face de lui l’assistance. 273 l’audition de la partie accusatrice. En effet, au cours des audiences, la procédure s’engage et se poursuit par l’intermédiaire du "Twere-juge". C’est ce dernier qui dirige l’audience. Chaque partie s’adresse à lui et c’est lui qui accorde la parole aux parties. Les parties ne peuvent prendre la parole pour s’adresser au "Twere-juge" que par l’entremise du "Twereconseil" ("Twere-avocat") qu’ils auront choisi pour leur cause. C’est à l’audience que se fait la véritable instruction. C’est à ce moment également que les «avocats» plaident la cause de leur client. Quel que soit son statut (Twere-juge, Twere-conseil ou avocat), le Twere en parlant doit toujours avoir un Mwandzi à la main. Il se réfère, au début de son exposé, à l’esprit des anciens maîtres d’Otwere comme pour implorer leur protection et inspiration. A ce propos Mgr Benoît Gassongo écrit : «Mwanzi servait au juge ou à l’avocat qui avait la parole. Celui-ci le tenait de la main droite et le bout du manche touchait le sol ou la natte sur laquelle il était assis. Lorsqu’il était debout, au milieu d’une grande assemblée, il le tenait tantôt de la main gauche, tantôt de la main droite ou des deux à la fois. C’est alors que pour un grand orateur, l’exposé coulait de source »227. De son côté, Antoine Ndinga Oba précise à juste titre que : «Le Twere implore la grâce de Dieu au début de l’audience. Il tient à la main droite une espèce de balai quand il officie. Les jugements faits sur la base des règlements et procédures de l’Otwere sont pratiqués encore maintenant au village et en ville»228. Pour ne pas blesser les susceptibilités, il doit être un bon orateur, intelligent et diplomate. Le langage de Twere est périphrastique et métaphorique. Au cours de l’audience, les parties peuvent demander des suspensions afin de se retirer et se concerter sur les positions à soutenir chaque fois que le besoin se fera sentir. Cette concertation est appelée "Eyimbi"229. Au cours d'Eyimbi, la partie qui s’est retirée arrête sa position à donner à son "Twere- conseil". Au retour, le "Twere-juge", " maître de séance" ou son délégué, interroge la partie qui vient de se concerter sur les résultats ou conclusions de leur concertation. Le "Twere- conseil" de cette partie expose les résultats (conclusions) de leur concertation. Il mêle dans son discours tout ce qui peut flatter le «Twere-juge» et l’auditoire: il loue sa sagesse, son discernement, son impartialité ; il n’oublie rien de ce qu’il croit propre à retenir son attention. Sa «plaidoirie» ne lasse pas l’attention de l’assemblée, du juge, et de sa Cour. Lorsqu’il a terminé, le "Twere-juge", après avoir répété l’exposé, écouté, invite la partie adverse à donner son avis sur cet exposé et à présenter ses prétentions, en lui demandant si elle a bien compris. Aucours de l’audience, l’Obela au nom du Kani ou Mwene commence son discours par la formule ci-après : «Mbia. A nzambe, a nzambe ; a nzambe atso ngui leyi wo c’est-à-dire silence, ô les Dieux, ô les Dieux ; tous les Dieux, venez à mon aide, à mon secours, venez m’assister, me soutenir». Il termine son discours par la formule suivante : «A nzambe ngui piii, ngui soumi ou a nzambe i simwa c’est-à-dire ô Dieu que je m’arrête ou bien j’ai dit, j’ai clôturé ou terminé». Et le public répond en cœur : «Opa ne he c’est-à-dire nous avons entendu, nous avons compris ; c’est évident que vous avez terminé». 227 Mgr Gassongo (B) : Op. cit, p8 228 Ndinga Oba (A) : Op. Cit, p111 229 Cette pratique est bien connue dans d’autres coutumes congolaises. Par exemple, chez les Tegue de l’Alima, elle prend le nom de «Kihimi» ; chez les Likouba, elle est appelée, «Koukou ou Eyimbou» et enfin chez les Bangangoulou, elle est appelée Ekourou mphou. 274 Chaque Twere qui prend la parole se donne le devoir de rappeler les diverses phases de l’audience et les discours prononcés avant de donner la position de sa partie. Les témoins peuvent aussi être entendus sur la demande de l’une ou l’autre partie. Le "Twere-juge" les interroge, les confronte aux parties intéressées qui peuvent répliquer s’il y a lieu. L’importance du témoignage dans la procédure traditionnelle africaine a été soulignée par Maryse Raynal lorsqu’elle écrit : «Le témoignage est sans aucun doute une source importante d’informations dans un procès coutumier et convient parfaitement à l’esprit de ces sociétés sans écriture (…). La preuve par témoins peut être recueillie à plusieurs moments de la procédure. Tout d’abord au cours d’une phase informelle et, si besoin est dans un deuxième temps, au cours du procès. (…) Le chef de village, en fonction de ces éléments d’information, peut décider du recours à tel ou tel moyen de preuve. (…) De toute façon les témoignages ne sont jamais pris à la légère dans ce type de société ; ils sont la seule mémoire, en tant que tels ils doivent être respectés»230. Tout au long de l’audience, chaque fois que les Twere ou d’autres personnes prennent la parole, terminent une idée et marquent une pause avant de poursuivre, les membres de l’assemblée répondent par une approbation sonore, à bouche fermée : "Hum, Hum, Hum…" qui veut dire «entendu, entendu». C’est ce qu’exige la tradition d’Otwere. Lorsque le volume des hommes qui répondent est faible, un homme peut exiger à l’assemblée de l’augmenter. Il dit en ces termes : "Lesima Otwere", qui veut dire «répondez à Otwere». L’orateur sait alors qu’il est écouté, et il continue. Chaque intervenant marque la fin de son exposé par la formule : "ipi i" et l’assemblée conclut par l’expression : "paaaa" c’est-à-dire «j’ai terminé, fini ; fini». A chaque instant, et pour marquer le passage d’une intervention à l’autre, lorsqu’il y a trop de bruit, chuchotement aigu, le "Twere-juge" impose le silence : "Mbia. Atso Mbia" : silence silence à tout le monde. Lorsqu’enfin les parties se sont exprimées ou après l’audition des différentes parties en présence, le "Twere-juge" se retire avec ses assesseurs pour requérir leur avis car en tant que juge suprême, le "Twere-juge" doit avoir connaissance de tous les ressorts occultes d’une affaire avant de statuer en toute lucidité. Ainsi, reprenant les points soulevés et répétant toutes les prétentions des deux parties, les témoignages (les exposés des témoins) et généralement l’intégralité de ce qui s’est dit de part et d’autre, afin de faire voir qu’il a entendu et tout retenu, le "Twere-juge" propose le jugement, le verdict que l’une des parties peut rappeler séance tenante. Ce n’est donc point une décision discrétionnaire, mais le signe d’une grande maturation. Il doit présenter les choses de telle manière que même celui qui a tort, se retire sans se sentir vexé ou humilié. Il joue le rôle de «conseil» de chaque partie vis-à-vis de l’autre, apprécie les propositions sages et, par des proverbes et tournures oratoires, demande que la paix soit privilégiée. Pour convaincre les parties et mettre l’avantage de son côté, il recourt souvent à des comparaisons entre les hommes et certains animaux. Il fait ainsi observer comment certains individus du règne animal, arrivent à échapper aux griffes ou dents des grands féroces en faisant usage de leur intelligence, de leur patience, de leur humilité et surtout de prudence. Il oppose ceux-là aux grands féroces, imbus de leur force et leur grande taille, se laissant facilement prendre aux pièges de l’homme. Il peut, souvent, révèler que le champignon qui sort de terre au matin, se trouve évanoui dès le soir de la journée parce qu’il accélère vite sa croissance. C’est souvent dans les discours qui préparent et précédent le 230 Raynal (M) : Op. Cit, pp274-275 275 verdict que le Twere développe son art de séduction, ses talents oratoires. C’est le lieu pour l’entendre. C’est à ce niveau que la partie accusatrice se retire pour une dernière concertation. Au cours de celle-ci, le "Twere- avocat" joue son rôle de conseiller de la partie. Il analyse le jugement, dégage les avantages et l’intérêt de la réconciliation à conclure avec l’autre partie afin de retrouver la paix. "L’audience" peut durer des heures selon l’importance de l’affaire et le comportement des parties concernées. Mais après débats contradictoires, intervient le verdict. Le Twere ne rend son verdict qu’après avoir entendu tout le monde. "L’audience" se termine par des réparations déterminées en fonction de la nature de l’affaire traitée et de la responsabilité reconnue dans le déclenchement de la palabre. Après la réparation du préjudice subi par la partie victime qui peut être réalisée séance tenante ou après terme, le Twere-juge (maître de séance) déchire entre les parties une parcelle de feuille de bananier dont il met un morceau dans son Mwandzi en signe d'archives, témoin, symbole, souvenir. Pour les affaires qui relèvent de la réconciliation comme Po a ndo, Osambe, le déroulement des audiences et retrouvailles est similaire excepté le fait que les parties concernées sont séparées et le "Twere-conciliateur et témoin" se déplace d’un lieu à l’autre pour exposer les positions des uns et des autres. C’est à la fin, lorsque les échanges sont concluants (lorsque la réconciliation est possible) que les deux parties se retrouvent ensemble et arrêtent les conclusions communes. Pour le mariage (ibaa) par exemple, la cérémonie est simple. Elle consiste en la réunion, la retrouvaille des familles chez les parents de la fiancée. Le déroulement du rituel est le même. A chaque phase et pour chaque dot, le “Twere-officier d’Etat-civil” est chargé de transmettre la dot. En fait, le mariage chez les Mbosi est une cérémonie de joie, de liesse regroupant les deux familles des jeunes gens qui se lient pour une vie commune en vue de procréer. Il se fait en public. Tous les habitants du village sont libres d’assister à cette cérémonie. 3. Les caractères généraux, la qualification et la réparation du dommage Gérard Cornu définit le dommage comme «toute atteinte subie par une personne dans son corps (dommage corporel), dans son patrimoine (dommage matériel ou économique) ou dans ses droits extra-patrimoniaux (perte d’un être cher, atteinte à l’honneur), qui ouvre à la victime un droit à réparation (on parle alors de dommage réparable), lorsqu’il résulte soit de l’inexécution d’un contrat, soit d’un délit ou quasi-délit, soit d’un fait dont la loi ou les tribunaux imposant à une personne la charge»231. Ainsi définit, l’étude sur la notion du dommage requiert une analyse sur ses caractères généraux et sa nature afin d’envisager sa réparation. Cette démarche a été utilisée par Norbert Elenga dans son étude sur «la responsabilité civile des parents en droit traditionnel et en droit moderne congolais»232. 231 232 Cornu (G) : Op. Cit, p308 Elenga (N) : Op. Cit, pp13-16 276 3.1. Les caractères généraux du dommage L’observation nous fait dire que la justice traditionnelle Mbosi fonde ses actes, ses verdicts sur les faits de la coutume, les règles de la vie dans la société. Pour déterminer la responsabilité d’un auteur, elle ne se perd pratiqument pas dans le labyrinthe de la recherche de la matérialité des faits causés à autrui. Ce fait peut être matériel, moral, spirituel (sorcellerie) ou religieux (envoûtement). Tout dommage causé à autrui, subi par lui-même, par un des siens ou à ses biens (matériels ou animaux) engage la responsabilité de l’auteur. La justice Mbosi ne se préoccupe pas des conditions psychologiques ou naturelles de l’auteur d’un dommage. L’existence de la faute seule détermine la responsabilité de l’auteur. Les faits qui peuvent impliquer la responsabilité judiciaire d’un homme peuvent être commis, soit par lui-même volontairement ou involontairement, soit par autrui dont il a la responsabilité, soit par un animal ou un objet dont il est le propriétaire directe ou indirecte. Dans sa décision, la justice recherche l’équité dans le règlement des litiges pour satisfaire aux besoins d’équilibre et de paix en société. Il n’existe souvent pas des circonstances annulant en partie ou en totalité une responsabilité. Lorsqu’un dommage traverse les limites de la famille, il entraîne toujours une réparation. Pour ce faire, le juge part de la réalité des faits et du dommage subi par autrui pour déclarer la responsabilité judiciaire de son auteur. 3.2. La nature des dommages Les formes des atteintes subies par les Mbosi du fait des tiers et les moyens utilisés pour les causer permettent de répartir les dommages qualifiés par la justice traditionnelle en trois groupes ci-après : dommage matériel, dommage corporel et dommage moral. Ce sont ces trois dommages qui se dégagent aussi dans la définition du dommage mentionné ci-haut. Cependant en droit Mbosi, il existe une particularité en matière de dommage moral, dans laquelle les faits de sorcellerie sont pris en compte. 3.2.1. Les dommages matériels233 et corporels234 Les dommages matériels sont des atteintes à la propriété d’un groupe ou de l’individu membre du groupe. Ce peut être des atteintes aux biens tels que le champ, la case, les moyens de chasse, de pêche et aussi les atteintes au domaine du clan. Quant aux dommages corporels, ce sont les maladies, les blessures et la mort qui constituent les atteintes contre l’intégrité physique, les plus fréquentes dans les sociétés traditionnelles. C’est la catégorie des dommages auxquels les sociétés traditionnelles réservent une attention très particulière. 233 234 Dommage portant atteinte à l’intégrité physique d’une personne, Cornu (G) : Op. Cit, p318 Dommage portant atteinte au patrimoine d’une personne, Cornu (G) : Op. Cit, p318 277 3.2.3. Les dommages moraux235 La notion de dommage moral n’est pas non plus étrangère au droit traditionnel. Bien au contraire, les atteintes à l’honneur, à la considération, à la réputation étaient considérées dans les sociétés traditionnelles comme des préjudices très graves236. Aussi, les Congolais des sociétés traditionnelles pouvaient endurer avec patience et souvent stoïquement les souffrances physiques mais ils étaient extrêmement sensibles au mépris sous quelque forme que ce soit. Ainsi par exemple, chez les Mbosi où le sens de l’honneur est développé, une atteinte à l’honneur comme l’adultère est un préjudice très grave qui exige une réparation. A ces faits, il faut ajouter d’autres de dimension mystique. En effet, dans les sociétés traditionnelles, la maladie et la mort ne sont pas considérées comme des malheurs naturels237. Elles sont plutôt dues à l’action maléfique et aux envoûtements des sorciers. A ce titre, on les assimile à des dommages dont la cause est simplement inconnue. Il faut alors recourir à divers procédés. 3.3. La réparation du dommage Lorsque les conditions de la responsabilité sont réunies, celle-ci entraîne l’obligation de réparer le préjudice causé238. La réparation doit être intégrale c’est-à-dire compenser exactement le préjudice subi. On distingue, la réparation en nature, qui consiste à rétablir les choses dans l’état où elles se trouvaient si le dommage n’était pas intervenu, et l’indemnisation qui consiste à allouer à la victime une somme d’argent équivalente au dommage subi. En dépit de ces deux formes de réparation du préjudice, il en existe encore plusieurs autres. Celles-ci ont été longuement développées dans les chapitres traitant des affaires à juger et à concilier. L’objectif dans ce point est simplement de souligner que la réparation du dommage est une obligation pesant sur l’auteur de celui-ci. 4. La responsabilité civile Pour bien l’introduire dans la présente étude, il nous faut rappeler certaines notions que nous avions déjà exposées, au chapitre relatif au système de parenté. Il s’agit des notions comme famille, parents, enfants. Le concept de famille Mbosi rejette le contenu restrictif que lui confère la civilisation occidentale qui la limite à la cellule composée d’un père, d’une mère et des enfants (famille nucléaire). La famille Mbosi est une collectivité qui englobe toutes les personnes directement et indirectement liées par le sang. Ainsi, en coutume Mbosi, le concept parents ne signifie pas seulement le père et la mère géniteur. Pour le Mbosi, l’enfant a autant de pères que son géniteur masculin a de frères, de demi-frères et de cousins. Il a aussi, autant de mères que celle qui lui a donné la vie a des 235 Dommage portant atteinte à la considération, à l’honneur, à l’affection ou à un élément de la joie de vivre d’une personne, Cornu (G) : Op. Cit, p318 236 Elenga (N) : Op. Cit, p16 237 Voir p331, note N°302 238 Terre (F), Simler (Ph), Lequette (Y) : Droit civil. Les obligations, Dalloz, Paris, 1999, 7è édition, p763, note 825 278 sœurs, de demi-sœurs et de cousines. Ses oncles sont tous les frères, tous les demi-frères et tous les cousins de sa mère. A l’inverse, tout homme est autant le père des enfants dont il est géniteur que ceux qui sont nés de ses frères, de ses demi-frères et de ses cousins. Il a, sur tous, autorité, devoirs et droits. Avant de faire une analyse sémantique de cette notion, nous allons procéder à sa définition. 4.1. La définition de la responsabilité civile Avec Pénélope Agallopoulos-Zervoyannis239, nous retiendrons que par expression «responsabilité civile», on désigne «l’ensemble des dispositions qui règlent l’obligation, provenant de différentes causes, d’indemniser le dommage causé à une personne». Le but de la responsabilité civile est le dédommagement de la victime. En droit traditionnel Mbosi, aucune règle coutumière ne précise la notion de responsabilité civile, ni ne donne une définition comme le fait le droit moderne. La responsabilité est une réalité qui se vit de façon empirique. Il n’y a aucune formule pour caractériser cette responsabilité. Dans la famille, l’individu est solidairement lié à l’ensemble. Tout événement qui survient dans la vie d’un parent le concerne. Ainsi la responsabilité de l’individu dans une affaire est partagée par tous les membres de sa famille. Il est aussi évident que le dommage subi par une personne se repartit sur tous les membres de sa famille. Pour les sociétés traditionnelles, la responsabilité civile a pour fondement la solidarité clanique. C'est elle qui explique que le groupe du coupable contribue toujours à la réparation des dommages causés par ce dernier. La solidarité entre les membres du clan est la première des lois principales du clan. La solidarité familiale est un phénomène universel. Partout et quelle que soit l'époque, les hommes éprouvent toujours un sentiment de solidarité. Pour démontrer l'importance de la solidarité familiale, Friederick Engels écrit : «…Les dénominations de père, enfant, frère, sœur ne sont pas de simples titres honorifiques, mais entraînent avec elles des obligations mutuelles très précises, très sérieuses, dont l'ensemble forme une part essentielle de l'organisation sociale des peuples»240. Cette citation de F. Engels suffit à mieux comprendre la notion de solidarité familiale ou clanique. 4.2. Les caractères de la responsabilité civile 4.2.1. La responsabilité civile est une obligation Recevoir sur soi les faits et fautes commis par autrui dont on est lié par le sang, par un animal ou un objet dont on a la propriété241 est un devoir et une obligation expliqués par la solidarité clanique. 239 Agallopoulos-Zervoyannis (P) : La responsabilité civile des parents du fait de leurs enfants mineurs, Centre universitaire de droit public, Bruyant, Bruxelles, 1990, p204 240 Engels (F): L'origine de la famille et de la propriété privée, Editions FOC. Paris, 1954, p34 241 On retrouve en droit Mbosi, les traces d’une responsabilité objective dont le droit moderne congolais fait usage à travers l’application des articles 1382-1384 du Code civil français. Le défaut d’un Code civil typiquement congolais traduit la volonté d’appliquer ces articles hérités de la colonisation. 279 En effet, le principe de responsabilité civile est une obligation, un devoir recommandé à tout membre du clan de soutenir un des leurs, responsable d’un dommage causé à autrui. Ainsi, dès qu’il a causé un dommage, l’individu disparaît, sa responsabilité individuelle se répercute sur son groupe. Cette analyse se vérifie d’autant plus qu’après paiement de la dette, les membres du groupe ne se retournent pas contre le coupable pour lui exiger le remboursement. Les réclamations entre frères sont inxestantes au sein d’un même clan242. Refuser d’assister un autre parent dans ses besoins et dans la responsabilité qui lui incombe fait courir le risque d’affaiblir la famille, le clan et équivaut à désobéir à l’esprit des anciens. 4.2.2. La responsabilité civile est collective Comme le note Elias Tasmin Olawale243, l’individu étant confondu avec le groupe, celui-ci est responsable collectivement des dommages causés par l’un de ses membres à des étrangers. Le groupe répare tous les torts imputables à l’individu et répond de toutes ses infractions à l’ordre public ; tel est le principe de la solidarité du groupe ; il s’ensuit que tout crime commis par l’un des membres contre un autre ne concerne que le groupe. Chez les Mbosi, le partage de la responsabilité est fondé sur l’entraide que les membres d’une famille développent entre eux. C’est une démonstration de l’unité de la famille, de la consolidation des liens qui rattachent les membres d’une famille, d’un lignage les uns aux autres. Cet attachement qui est à la base de la solidarité clanique est fondé non seulement sur les liens de sang mais aussi par la propriété. C’est ce que souligne à juste titre Norbert Elenga lorsqu’il écrit : «La solidarité clanique est cet attachement profond et total des membres d’un clan donné, attachement fondé et causé par le sentiment de participation de tous à une vie commune dont les ancêtres fondateurs et autres ascendants forment la partie invisible du clan que les vivants honorent encore aujourd’hui. La communion vitale, l’unité de vie à laquelle tous participent et qui unit entre eux vivants et trépassés est donc le fondement de la solidarité clanique. Cette vie cependant est considérée sous sa forme intégrale. Les membres du clan sont unis non seulement par le sang mais également par leur patrimoine, par leur fonds, car la personne humaine ne se conçoit pas dépouillée de ses appartenances. Le patrimoine est d’ailleurs l’élément matériel indispensable pour accroître la vie commune»244. Comme on le voit, la solidarité clanique doit donc être considérée dans nos sociétés sous sa double forme de communauté de sang et de communauté de propriété. Si un individu cause un dommage à autrui ou une infraction à l’ordre publique, sa responsabilité judiciaire individualisée se mue en responsabilité civile collective au moment de la réparation245. Certains proverbes Mbosi témoignent, illustrent et confirment cette solidarité. Ainsi par exemple, pour caractériser la responsabilité civile des parents, on fait usage du proverbe 242 Dans les sociétés traditionnelles, les réclamations étaient considérées comme des actes dangereux, parce qu’elles entraînaient l’éclatement du clan. A ce titre, elles étaient sévèrement reprimées. Parfois les auteurs pouvaient être victimes des envoûtements. Toutes ces raisons concouraient à l’inexistence des réclamations au sein du clan. 243 Elias Olawale (T) : Op. Cit, p107 244 Elenga (N) : Op. Cit, pp21-22 245 Nous entendons dire par là que c’est toute la famille qui sera tenue solidairement à réparation du préjudice causé par un de ses membres. C’est donc au moment de la réparation que se manifeste cet aspect de la solidarité. Nous vous rappelons que toute personne dans la société Mbosi, quelque soit son âge est considérée comme un «enfant» et comme tel il engage toute sa famille pour un éventuel dommage qu’il aurait causé. 280 suivant: «Ye sa akiema ye boua mikoro ba andzoyi», ce qui signifie littéralement que «les feuilles et les branchages que font tomber les singes du haut des arbres atterissent sur les dos des éléphants. Ce qui veut dire que les dommages causés par un individu, engagent la responsabilité des parents». Ce proverbe seul suffit à établir la responsabilité collective du groupe auquel appartient l’auteur d’un dommage. La pratique de la responsabilité collective rend bien compte du mode de vie communautaire des milieux traditionnels, pour qui la solidarité clanique est l’une des règles fondamentales de la vie en groupe. Toutefois le degré de cette solidarité n’est pas absolu, car celle-ci peut être limitée à un niveau moindre lorsqu’il y a rupture des liens de parenté246. 4.2.4. La responsabilité est transmissible La responsabilité qui incombe à une personne est transmise à ses successeurs de génération en génération. C’est ainsi par exemple que lorsqu’un père disparaît, ses frères, ses cousins et ses neveux utérins le subrogent dans ses devoirs vis-à-vis de ses enfants. Par faits inverses et symétriques, les enfants subrogent leur père dans ses devoirs et rôles d’oncle à l’égard des neveux utérins. Cette réalité que nous avons évoquée dans la succession en droit traditionnel Mbosi, rend assez léger l’orphelinat en société Mbosi : tout enfant quelque soit son âge qui perd son père est assuré de recevoir les services des parents du défunt pour sa vie, ses besoins et ses devoirs. Telle qu’elle est caractérisée, la responsabilité civile produit à toute personne lésée, le sentiment objectif que le dommage qu’elle subit est réparable dès lors qu’il se collectivise et se répand sur plusieurs débiteurs. Ainsi, la reponsabilité se transmet d’un individu au clan, au groupe familial. En effet, chaque fois qu’un membre du clan cause un dommage à autrui, le problème de la réparation dépassera du coup les seuls individus interessés pour ne concerner désormais que les groupes familiaux. L’individu étant confondu avec le groupe, celui-ci est responsable collectivement des dommages causés par l’un de ses membres. Le groupe répare tous les torts imputables à l’individu et répond de toutes ses infractions à l’odre public. A ce titre, la victime disposera en effet, de par le système même, d’une action directe non pas sur le coupable seul, mais sur tout son groupe. La solvabilité de celui-ci est évidente. Cette solvabilité est accrue par le grand nombre des membres qui composent le groupe clanique et qui sont indivisiblement et solidairement débiteur à l’égard de la victime. Cette action directe de la victime porte sur l’ensemble du groupe. C’est à celui-ci de s’arranger en famille pour réunir la fortune nécessaire à la réparation qui lui est exigée247. La victime ne saura pas de quel individu précis du groupe responsable provient la fortune. Un autre facteur qui accroît la garantie d’indemnisation de la victime est le fait qu’aucune prescription ne vient rendre caduque son action en réparation du dommage. Le 246 La rupture des liens de parenté étant l’une des causes de déchéance sinon de l’affaiblissement de la solidarité familiale. Pour plus de précision se référer au point portant sur la rupture des liens de parenté (pp287-292). 247 Le chef de clan, au cours d’une concertation à l’audience, sensibilise les membres du clan sur la contribution de chacun au montant de la réparation. Il fixe une échéance. 281 droit traditionnel ne connaît donc pas la prescription. Ainsi, on voit fréquemment dans les sociétés traditionnelles, des membres d’un clan, être poursuivis pour un dommage causé par un des leurs, décédé depuis de nombreuses années248. 4.3. Le schéma de la réparation La coutume et la pratique sociale conseillent, pour chaque auteur d’un dommage, un responsable civile à qui incombe la réparation249. 4.3.1. L’auteur du dommage est un enfant mineur ou une chose La responsabilité civile de l’acte causé par l’enfant mineur incombe directement à des géniteurs. Pour la réparation chaque parent se partage sa part de responsabilité avec ses parents de tous les lignages quand le volume de l’indemnité dépasse sa propre capacité de réparation. Pour une indemnisation modeste, le père peut seul subroger à son enfant mineur. Lorsque le volume de l’indemnisation arrêté ne le justifie pas et que le père de l’enfant exige la part des parents de son épouse, ceux-ci, en venant au concours de leur fille, réagissent en élevant cette exigence en conflit qui entraîne le retrait momentané de l’épouse et des enfants. Leur retour au foyer sera l’occasion de versement de nouvelles dots. La responsabilité civile d’un acte dont l’auteur est un animal ou un objet matériel incombe directement au propriétaire de l’agent. Il associe à la réparation ses proches parents et amis. 4.3.2. L’auteur du dommage est un adulte Nous avions déjà révèlé qu’en droit traditionnel Mbosi, toute personne, quelque soit son âge, est un enfant. Ses actes impliquent la responsabilité civile de ses parents des deux côtés et de tous les lignages. Mais pour ne pas éveiller des réactions dormantes que peut ruminer un côté contre l’autre, la coutume a mis en vigueur un schéma de réparation de dommage dont est responsable la personne définie. 4.3.3. Le dommage est causé à un parent La responsabilité civile incombe au côté parental qui lie l’auteur et à la victime. Toute tentative d’associer l’autre côté est expliquée comme reniement de l’enfant par le côté de la parenté avec la victime. La réaction du côté appelé au concours peut aller jusqu’à la qualification du côté impliqué de défaillance. Cette qualification, lorsqu’elle n’est pas écartée par une intervention positive et efficace dans la réparation du dommage objet du conflit, entraîne la prononciation de la déchéance de la parenté du côté avec l’auteur du dommage. 248 Cette nouvelle action en réparation est déclenchée, le plus souvent lors de la survenance d’un autre événement grave opposant les deux clans antagonistes. Pour pouvoir régler cette nouvelle affaire, on exhumait l’ancienne c’est-à-dire on commençait par le règlement de cette dernière pour en terminer par la récente. 249 Comme en droit moderne, il s’agit de la réparation du fait personnel, du fait des choses dont on a la garde, du fait d’autrui, voir Guizemanes (N) : «La responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur en droit français et en droit belge» in Agallopoulos-Zervoyannis (P) : Op. Cit, pp260-265 282 4.3.4. La victime n’est pas un parent La réparation du dommage causé à autrui par un individu qui ne lui est pas lié par une relation de parenté traditionnelle, appelle le concours moral, financier et matériel de tous les parents de l’auteur. La participation des parents peut être immédiate et directe quand elle est versée par les parents présents à l’audience devant le Twere. Elle peut parvenir aussi par courrier apporté par un autre parent quand l’intervenant n’est pas présent aux débats, à l’audience. La participation est quelquefois incitée par le sentiment de sauvegarder l’honneur de la famille ou du clan. Elle est également influencée par le nombre d’assistants aux côtés de la victime et leur influence sur l’audience juridique. Ici la famille de la victime et celle de l’auteur rivalisent, peut être autant de sonorité des noms que de la force de l’argument physique que seul le Twere sait dominer et maîtriser. L’aveu de la responsabilité judiciaire est aussi dicté par le sentiment d’honneur et de la grandeur de sa famille que par les arguments du Twere. Ce culte de la grandeur de son clan est affiché pour tenter l’humiliation de l’adversaire. Il faut dire que tous ces sentiments sont excités par le nombre et la valeur des parents venus partager la responsabilité civile. 4.4. La preuve du partage de la responsabilité civile La preuve de la vie associative et collective dans la société Mbosi comme dans tous les groupes ethniques du Congo, et en Afrique, est déjà donnée dans nos exposés sur la famille, sur la succession et au présent chapitre sur le fonctionnement de la justice. Nous aurons, dans différents exposés sur les procédures particulières de la justice traditionnelle Mbosi, l’occasion de la mettre encore au grand jour. Dans notre exposé sur la parenté, à propos du fonctionnement de la famille, nous avons écrit que la famille Mbosi, comme dans d’autres coutumes congolaises, fonctionne comme une collectivité. Nous voulions par là dire que l’individu trouve son identité dans sa famille et la famille assure la responsabilité des actes de ses membres. Nous avions voulu aussi mettre en lumière que la famille jouit collectivement des produits de l’activité de l’individu. Dans l’exposé sur l’héritage et la succession en société traditionnelle Mbosi, nous avons révèlé dans notre introduction ce qui suit : dans une succession, l’individu se présente comme représentant l’intérêt d’une ligne, d’un clan parmi les huit auxquels le défunt, de son vivant ou après son décès est rattaché. Ce caractère collectif n’exclut pas totalement l’intérêt individuel. Mais celui-ci est toujours couvert par le clan. Nous avions, à propos de la dévolution successorale, rapporté que l’individu (le défunt) est donc un élément commun à huit lignes de parents et chacune d’elle joue le rôle de propriétaire collectif des biens produits et acquis par l’individu. Plus haut dans le présent chapitre, en décrivant le déroulement de l’audience, nous avions révèlé qu’au cours de l’audience les parties peuvent demander et obtenir des suspensions afin de se retirer et se concerter sur les positions à soutenir chaque fois que le besoin s’en fait sentir. 283 Cette révélation témoigne que l’individu responsable ou victime judiciaire d’un fait causé ou subi par lui ne se présente pas seul devant le Twere. Il est entouré des siens qui viennent partager sa responsabilité ou le préjudice qu’il a subi. A propos de cette répartition de la responsabilité entre les membres d’une famille voire d’un clan, plusieurs auteurs congolais, africains ou étrangers ont témoigné sur la question. Aussi, pour souligner le caractère collectiviste du droit africain, Elias Tasmin Olawale écrit dans son souvrage intitulé, La nature du droit coutumier africain que : «L'élément de référence du droit africain est la communauté et non l'individu»250. Cet auteur a voulu souligner, pour ce qui est de la société Mbosi, la présentation en clan dans certaines palabres devant le Twere. L’individu se présente comme élément d’un clan et c’est le clan qui assure la référence du Twere dans l’affaire. A ce niveau, Norbert Elenga pour définir la responsabilité civile que l’individu recueille dans une affaire dit : «L'obligation qu’à un individu, par ricochet son groupe, à réparer le dommage causé à autrui, par luimême, par des personnes dont il a l'autorité sur elles ou par des animaux dont il a la garde ou la propriété»251. Le R.P Tempels à son tour, dans son étude sur la philosophie bantoue, caractérise la famille bantu de la façon suivante : «Pour les bantous, l'homme n'apparaît en effet, jamais comme un individu isolé, comme une substance indépendante. Tout homme, tout individu constitue un chaînon dans la chaîne des forces vitales, un chaînon vivant actif et passif rattaché par le haut à l'enchaînement de sa lignée ascendante et soutenant sous lui la lignée descendante. On pourrait dire que chez les bantous, l'individu est nécessairement un individu clanique»252. Enfin, Mgr Joseph Cuvelier, rapporté par Théophile Obenga dans son ouvrage L'Afrique centrale précoloniale, apprécie la solidarité africaine dans sa responsabilité en écrivant : «…Quand parmi eux surgit quelque difficulté pour une affaire d'intérêt, s'ils veulent intenter un procès à leur adversaire, ils le font de la manière suivante. Celui qui veut intenter le procès se rend chez le comte, lui expose l'affaire litigieuse (…). Au jour déterminé, tous se trouvent à l'endroit habituel. C'est chose vraiment intéressante. Les deux parties invitent tous leurs parents et amis, dont le nombre montera quelquefois à cent pour une seule des parties»253. Pour témoigner de la répartition de la responsabilité civile entre les membres d’une famille, entre les parents et l’auteur ou la victime de l’acte, nous rapportons les faits observés dans la société congolaise et ailleurs en Afrique par Etienne Le Roy lorsqu’il écrit : «Ce sont pas des individus isolés qui comparaissent mais des membres de collectifs. Ces collectifs sont présents à travers certains de leurs membres, et d’abord de ceux qui ont autorité pour engager ce collectif ou le représenter dans les rapports externes à ces groupes. Chez le chef Nkéwa, les femmes étaient, dans des sociétés matrilinéaires, accompagnées de leurs frères ou de leurs oncles maternels non parce qu’elles ne savaient ou ne pouvaient se défendre mais parce que la solidarité de la famille ou du lignage ainsi exprimée est le signe et la condition de la prise en charge collective, donc de la régulation communautaire de la société. Il en était de même pour beaucoup de jeunes hommes, la présence des aînés étant seulement moins explicite»254. 250 Elias Olawale (T) : Op. Cit, p151 Elenga (N): Op. Cit, p9 252 R. P. Tempels (P): Op. Cit 253 Cuvelier (J) : Relations sur le Congo du père Laurent de Lucques 1700-1717, Institut royal colonial belge, 1953, pp81-82 cité par Obenga (Th): L'Afrique centrale précoloniale. Documents d’histoire vivante, Présence Africaine, Paris, 1974, p20 254 Le Roy (E) : Op. Cit, p31 251 284 Il conclut à ce sujet : «La famille ou le lignage n’apportent pas seulement un soutien moral ou affectif mais sollicitent ou encouragent les témoignages qui peuvent être décisifs dans la société où l’écrit garde une valeur plus symbolique (…) qu’instrument de preuve (…). Se présenter devant une juridiction sans le soutien de sa parenté est un handicap lourd (…)»255. A la lumière des assertions d’Etienne Le Roy, on peut en conclure que les faits sociaux s’expliquent par le collectif, lequel s’inscrit dans le corps, car il est le médiateur entre le collectif et l’individu. Ici, le collectif peut être appréhendé comme le baromètre du degré de cohésion sociale entre le collectif et ses membres. Par conséquent, il est à noter que la cohésion sociale et la solidarité entre les membres de la société africaine représentent un facteur important sinon essentiel de cette culture. 4. Conclusion Le droit coutumier Mbosi, quel que soit le lieu où il est énoncé, se trouve basé sur le phénomène de l’oralité car l’écriture était inconnue. On observe ainsi l’absence de greffiers dans les juridictions traditionnelles. Tous les actes de justice ainsi que la procédure étaient oraux et sans support de conservation. Les Twere, seuls se posent comme gardiens des lois et des traditions coutumières. Ces personnages passaient pour des archives vivantes du droit et des jurisprudences. Cette fonction fondamentale ne pouvait être dévolue qu’à des personnes âgées rompues au savoir et à la pratique judiciaire. Ils sont seuls maîtres dans le maniement des proverbes et autres formules lapidaires (paroles, gestes, etc) destinés à moduler l’esprit de la communauté et lui servir d’école. Toutes ces considérations qui caractérisent le personnage du Twere, les multiples procédures qu’il applique dans l’exercice de son autorité, font de la justice en société Mbosi Olee une haute fonction dont l’exercice est confié aux initiés. Les actes de cette justice excluent la recherche de la matérialité des faits causés. Ils ont leur siège exclusif dans le lien qui monte du dommage subi à son auteur. Le fait peut être matériel, moral, spirituel ou religieux. Toute responsabilité entraîne l’obligation de réparer le préjudice. Cette portée des actes de la justice Mbosi souligne une nouvelle différence entre celle-ci et la justice moderne qui ne reconnaît pas les faits de sorcellerie et/ou d’envoûtement comme causes de dommages subis par un individu. L’exécution des décisions de justice est rendue supportable et facile par la responsabilité civile qui associe à l’auteur d’un dommage tous les membres de sa famille ou de son clan. Le droit coutumier Mbosi Olee qui fonde la justice, fait de l’individu un élément solidaire de la famille. La famille est solidaire à l’individu dans les actes qu’il cause à autrui ou qu’il subit. La réparation des dommages décidée par la justice est partagée par tous les membres de la famille ou du clan. Cette responsabilité guide l’acte de la justice qui s’adresse à un clan à travers l’individu auteur du dommage. C’est ici encore un autre trait de différence entre la 255 Le Roy (E) : Op. Cit, p31 285 justice traditionnelle Mbosi et la justice coloniale (héritée par le pays indépendant) qui fait de l’individu un responsable à part entière du tort qui a été commis par rapport à un tiers en excluant toute responsabilité de la famille du contrevenant. A l’exception de quelques différences liées aux particularités et au caractère des affaires à traiter, le fonctionnement obéit aux mêmes règles. Dans la suite, nous présenterons le fonctionnement de la justice selon le type d’affaires à traiter. 286 CHAPITRE III : LES AFFAIRES A JUGER256 L’intitulé de ce chapitre répond au souci de montrer que les actes et les procédés que développait le Twere pouvaient varier en fonction de l’affaire qui était soumise à son intervention. Ici nous nous proposons de présenter ces actes et procédés dans quelques affaires que nous avons classé dans le groupe d’affaires conflictuelles dont la rupture des liens de parenté, l’adultère extra-familial, le divorce et les conflits de frontières. Dans ces affaires, nous le rappelons, le Twere juge, tranche et détermine la sanction. 1. La rupture des liens de parenté257 1.1. Définition En société Mbosi Olee, les liens de parenté entre les membres d’un même clan ou d’une même ligne, sont sacrés et indivisibles. Mais certaines infractions considérées comme péremptoires, peuvent conduire à la rupture des liens de parenté, par acte devant le Twere et les membres de famille. Cet acte est la rupture de parenté ou "Iboma l’Oboro". L’acte de la rupture de liens de parenté requiert deux procédures : -"Ikiena la mbopha" ou section de nervure de la feuille de bananier ; -"Ipousa la disi l’Okia" ou dénouement (ouverture) du nœud du filet. 1.2. Les causes de la rupture 1.2.1. Le mariage entre parents (mariage consanguin) Le mariage entre deux parents, même liés par le lignage ou simplement par le clan, est interdit et considéré comme incestueux258. Il est toujours la cause de rupture de liens de parenté entre les époux et leurs parents (père et mère, frère et soeur) uniquement. Ici l’acte juridique outre qu’il efface un lien conventionnel de parenté vient aussi résoudre une question de croyance religieuse. Pour le Mbosi, le mariage entre parents, entre des personnes descendant d’un même ancêtre (même très éloigné), produit des enfants 256 Dans ce chapitre, tout ce qui est descriptif est le résultat des entretiens que nous avons eu avec Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 17/05/2001 ; Okandzé Gaspard, un agent retraité de la compagnie aérienne «Lina-Congo», du village Elo, âgé d’environ 60ans, le 20/05/2001 ; Poué Boniface, un paysan du village Mollomo, âgé d’environ 60ans également, le22/05/2001 et Okandzé Lekouegni, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 63ans, le 27/05/2001. 257 Pour ce point sur la rupture des liens de parenté, nous reprenons ici notre mémoire de DEA : La justice traditionnelle au Congo-Brazzaville : le cas Otwere en milieu Mbosi Olee, Mémoire de DEA d’histoire, Université Charles De Gaulle Lille III, 2001-2002, pp103-109 258 Le mariage incestueux n’est pas autorisé. Lorsque les parents sont informés dès le début des contacts conduisant au mariage, ceux-ci interviennent pour l’interdire. Le juge ne peut intervenir. La question est résolue au niveau familial. Lorsque les deux futurs époux s’opposent à l’intervention des parents, ceux-ci sont abandonnés à eux-mêmes. Aucune intervention du Twere n’est sollicitée. Lorsque le mariage a eu lieu sans savoir que les époux étaient des parents et que cela se découvre a posteriori, les familles se retrouvent pour mettre fin aux liens de famille entre les deux époux, là, l’intervention du Twere est sollicitée. 287 anormaux et même des phénomènes. L’acte juridique vient réparer ce défaut et annuler le risque génétique que porte l’inceste y compris celui des maladies héréditaires comme la drépanocytose. Cette croyance de nature religieuse de la tradition Mbosi, est appuyée par la thèse génétique sur la drépanocytose qui explique que les enfants nés des parents (tous deux) porteurs de forts taux de cette maladie dans leur sang naissent héréditairement affectés de cette maladie et ont peu de chance de vivre longtemps. Pour cette croyance Mbosi Olee, les descendants d’un même clan, portent le même sang. Les enfants qui peuvent naître d’un mariage entre eux ont un sang porteur de mêmes défauts et incomplet. L’acte juridique de rupture de parenté est un réparateur psychologique. 1.2.2. La sorcellerie comme cause de décès répétés Lorsque plusieurs décès dans une même famille, sont révèlés comme faits de la sorcellerie d'un parent ou d’une autre famille apparentée, ils peuvent être cause péremptoire de la rupture de liens de parenté entre la famille victime et l’accusé de sorcellerie. En fait, c’est un cas très rare. Le plus souvent la parenté est mise en veilleuse. 1.2.3. L’esclavage La coutume reconnaissait à l’oncle maternel ou tout autre parent qui avait qualité d’oncle, le droit de vendre le neveu utérin ou la nièce utérine. Quand ce droit était exercé avec abus, il conduisait à la rupture des liens de parenté entre les parents géniteurs des victimes et le vendeur. Le jugement du Twere dissoud le droit de l’oncle sur les neveux non vendus. 1.3. Les parties en présence En fonction de la nature de l’acte à poser, la rupture des liens de parenté oppose les parents à séparer. 1)-Si la rupture des liens de parenté est la section de la nervure de la feuille de bananier (Ikiena la mbopha), la palabre oppose les groupes des parents à séparer. -Dans le cas de mariage entre deux parents très proches dans une même ligne, la rupture de parenté oppose les parents proches de l’épouse à ceux très proches de l’époux, devant le Twere et les autres parents qui acceptent de conserver leurs liens avec les uns et les autres. -Dans le cas de la sorcellerie ou d’esclavage, la rupture oppose les parents de la ligne proche de la victime aux parents proches du malfaiteur devant les autres parents et le Twere. 2)-Si la rupture des liens de parenté est le dénouement du nœud du filet (Ipousa la disi l’Okia), la palabre oppose deux parents à séparer. 1.4. La saisine du Twere La saisine du Twere est dévolue à la partie qui prend l’initiative de rompre les liens de parenté. 288 Pour "Ikiena la mbopha", la palabre est portée devant un "tribunal" par la partie qui a l’initiative de saisine. " L'audience" est publique. Pour "Ipousa la disi l’Okia", l’acte est prononcé par un Twere et se déroule devant les parents. 1.5. Le rôle du Twere 1)-Dans Ikiena la Mbopha Le Twere agit comme un juge : - il entend les parties ; - il tente une réconciliation entre les parties en leur faisant connaître le caractère indissoluble des liens de parenté (liens de sang) et les conséquences de leur rupture sur les générations passées et futures ; - il prend acte des positions définitives des parties ; -il reçoit et transmet les biens et sommes en remboursement des dons, dots et héritages passés entre parties avant la rupture ; -il juge en sectionnant la nervure de feuille de bananier entre les parties ; -il conserve une lame de cette nervure dans son Mwandzi en guise d’archives. 2)-Dans "Ipousa la disi l’Okia" Le Twere joue le rôle de " notaire" : -il prend acte de la décision des parties ; -il ouvre entre les parties à séparer le nœud du filet ; -il conserve le bout de la corde dénouée en guise d'archives et preuves. 1.6. La procédure ou le déroulement du "procès" de rupture des liens de parenté 1.6.1. Requête Un membre de la famille lésée se présente devant le "Twere-juge" et formule verbalement sa requête afin de solliciter la rupture de liens de parenté avec la personne ou la famille citée comme auteur des faits et causes de la rupture. Il dépose son Iphei la Mwandzi. Le «Twere-juge» convoque la partie citée et fixe la date de la palabre publique. Il en informe les Twere de son "tribunal" et les commet à la recherche d’informations sur les clans et lignes des familles qui s’opposent. 1.6.2. Le déroulement de "l'audience" Un membre de la famille convoquée, choisi comme “Twere-conseil” prend parole et requiert du Twere-juge (A nga mbale) les objets et causes de la convocation. Le «Twere-juge» l’invite, pour préalable, à déposer lekoutsambe (ou tsoo). Si ce préalable est accompli, il invite la partie requérante à faire sa déposition. La partie requérante, par un membre choisi comme “Twere-conseil” et à travers un discours, énumère faits et gestes dont la partie accusée est auteur et responsable. Elle conclue par une invite à rompre la parenté qui la lie à l’autre. 289 Ensuite, le «Twere-juge» (la Cour), après avoir repété, comme pour fixer l’auditoire, le discours de l’accusateur, passe la parole à la partie accusée. L’accusé enfin, demande un temps de suspension pour un "Eyimbi" (concertation) afin de préparer sa réplique. Dès son retour et sur demande de la Cour, il dépose son argumentaire, et, sauf en cas de mariage incestueux, il appelle le "tribunal" à faire entendre à l’autre partie les causes d’une réconciliation. Il évoque dans son discours les origines de la parenté commune, la profondeur des liens qui lient les deux parties, les faits et causes subis par lui et dont les parents anciens et actuels de l’autre partie sont auteurs et responsables ; il dépose l’inventaire des biens et sommes qui sont passés de droit d’une partie à l’autre en dots, dons ou héritages. Un Twere du "tribunal" prend parole, reproduit intégralement les dépositions de l’une et l’autre partie, fait apparaître la gravité des faits dont les uns et les autres sont auteurs, la profondeur de la parenté qui les lie, la prépondérance des ancêtres ou ascendants communs, et rappelle à la partie qui demande la rupture les conséquences qui peuvent découler de cette rupture de la parenté. Il conclue son discours par une invite à la partie requérante de revoir sa position. La partie accusatrice demande, à son tour, un temps de suspension et se retirer pour étudier son argumentaire. A son retour et sur demande du Twere du "tribunal", elle reprend la réplique de l’adversaire, les appels du "tribunal" et détaille ses arguments par faits et leurs conséquences, donne sa position sur la situation : • Si elle accède à la demande de réconciliation (dans les cas de la sorcellerie ou de l’esclavage) elle présente ses conditions et ses mises en garde ; • Si elle confirme sa demande de rupture, elle annonce ses comportements à venir visà-vis des membres de l’autre partie. Le Twere du "tribunal", reprend ce nouveau discours, souligne les faits ou ceux qui procèdent au maintien de position. Il se tourne vers le «Twere-juge» comme pour demander son instruction sur le niveau atteint par la palabre. Le «Twere-juge», après avoir rappelé aux uns et aux autres leurs responsabilités dans l’acte qu’ils veulent poser, les renvoie en concertation sur la nouvelle position de l’accusation : • Si l’accusation a accepté la réconciliation, seule la partie accusée se lève pour étudier ses avis sur les conditions et mises en garde de l’accusation. Elle est accompagnée d’un Twere du “tribunal” qui a pour rôle de la conseiller sur le bien fondé de ces conclusions et mises en garde ou de l’aider à étudier celles qu’elle doit accepter. • Si l’accusation a maintenu sa demande en rupture des liens, les deux parties se lèvent, accompagnées, chacune d’un Twere du "tribunal" qui aura pour rôle de tenter de procéder à l'ultime réconciliation. Toutefois, les parties reviennent devant le "tribunal" avec leurs listes verbales des biens et sommes à demander en remboursement à l’autre, au titre des dots, dons et héritages passés à elle à travers ses anciens et nouveaux membres. Si la réconciliation est retenue comme solution et si les compromis sont trouvés sur les conditions et mises en garde de l’accusation, le “maître du tribunal” prononce l’annulation de la demande de rupture au bénéfice des liens profonds de la parenté. Il met la partie accusée en sursis pour que les faits et causes évoqués dans ce procès ne se reproduisent plus. 290 Si après avoir entendu à nouveau les parties, la position de l’accusation reste infléchie, le “tribunal” reçoit la déposition des listes des biens et sommes en remboursement des deux parties. Le Twere du "tribunal" prend parole pour tenter de rappeler à l’une et l’autre partie, le droit des anciens et actuels parents de recevoir les dots, les dons et héritages issus de l’une ou l’autre partie actuellement opposée. Il leur propose l’abandon, au bénéfice du droit des anciens, des biens et sommes demandées en remboursement. Le “Twere-juge” peut les inviter à se lever à nouveau pour se prononcer sur cette proposition. Si l’avis des parents (sages) de l’une et l’autre partie absents au procès, est révèlé indispensable, le «maître du tribunal» suspend l’audience et la renvoie à une date qu’il fixe dans quatre, huit ou douze jours c’est-à-dire dans une, deux ou trois semaines du calendrier Mbosi. 1.6.3. Le jugement A la dernière phase de l’audience, après avoir entendu les avis des sages ou parents absents à la première phase, après avoir mis les parties en accord sur les listes des biens et sommes demandés en remboursement, le «Twere-juge» reprend, avec une certaine fidélité, les dépositions et déclarations des parties, les rappels et conseils du “tribunal”, et met fin à son discours. Il demande aux parents présents et délégués de se mettre en trois groupes : - le groupe des parents qui acceptent de maintenir leur parenté avec l’accusation et la rompre avec l’accusé ; - le groupe des parents qui maintiennent leur parenté avec l’accusé et la rompent avec l’accusation (face au premier) ; - le groupe des parents qui restent liés à l’accusation et l’accusé (entre les deux). Le “Twere-juge” fait venir la nervure de feuille de bananier. Muni du Mwandzi, il la tient au milieu, invite le premier parent de l’accusation et le premier parent accusé à tenir chacun à un bout la nervure. A l’aide d’un couteau, il coupe la nervure au point où il l’avait tenue. Ce geste signifie qu’il est définitivement mis fin à la parenté. Il déclare que les parents de tel lignage, tel clan, appartenant à telle et telle famille sont séparés dans les liens de sang qui les unissaient. Chaque parent en présence conserve le morceau de la nervure qui est restée dans sa main. Le “Twere-juge” prélève une larme de chaque morceau qu’il verse dans le Mwandzi qui était utilisé pour le "procès". Remarques Tous les faits, qui sont causes de la rupture des liens de parenté, sont réputés accomplis avant l’acte de rupture. La procédure que nous révélons ici concerne surtout l’acte de rupture publique désigné par "Ikiena la Mbopha" provoqué par : le mariage entre parents très proches, la sorcellerie comme cause de décès, l’esclavage. Dans le cas de mariage consanguin, la procédure s’arrête à la déposition de l’accusation ; l’autre partie ne réplique pas : le mariage est réputé fait accompli. Le jugement 291 est immédiat et les autres phases de la procédure sont dispensées. En effet, la rupture des liens de parenté ne touche que les deux époux et leurs proches (père et mère, frère et soeur) uniquement. Les liens de famille et de parenté restent intacts pour le reste de la famille. Cette cérémonie se déroule devant le Twere et dans la maison familiale. 1.7. La rémunération du Twere Pour son action, le “Twere-juge” perçoit des honoraires qui sont composés d’iphei la Mwandzi, de lekoutsambe ou de tsoo versés par les parties opposées et procède à un prélèvement sur le montant des sommes et objets versés. 2. L’adultère 2.1. Définition En société Mbosi Olee, comme nous l’avons déjà dit, l’adultère est la relation sexuelle d’une personne mariée avec une personne autre que le conjoint. Il est appelé «Bosi». L’adultère (Bosi, pl. Mesi) est considéré comme un délit qu’un homme commet contre celui ou ceux, mariés à la femme ou femmes qui ont eu des relations extra conjugales avec lui. L’auteur de l’adultère est donc l’homme, et la femme son complice. 2.2. La saisine du Twere Le Twere est saisi par le mari de la femme adultère. 2.3. Les parties en présence L’adultère est la palabre qui oppose d’une part le mari et ses parents, et de l’autre le fautif ou l'homme adultère et ses parents. 2.4. Les procédures L’adultère est réglé par un “Twere-juge” choisi. Suivant que l’adultère est intrafamilial ou extra-familial, le “Twere-juge” peut être un sage du village (ou un parent) ou le "maître d’un tribunal" traditionnel devant lequel le mari de la femme assigne sa femme et son partenaire. Si l’auteur est un parent proche (toujours moins âgé que le mari : frère, neveu), un conseil de famille exige la réparation : le jugement est donc une réconciliation et la réparation peut se limiter au versement d’une indemnité en espèces ou nature (habit, outil agricole) et une calebasse de vin de palme. En fait, il n’y a pas de Bosi (adultère) entre un frère et une belle-soeur, entre neveu utérin et l’épouse de son oncle, entre petit-fils et l’épouse du grand-père. Bref, il ne saurait être question de Bosi entre un homme et l'épouse d'un aîné (par exemple grand-frère, oncle 292 maternel ou grand-père) sous la tutelle de qui il vit et dont il est sous une quelconque manière l'héritier potentiel. Dans la logique de la tradition Mbosi, il n’y a pas adultère entre un homme et la femme de son parent259. Si l’auteur de l’adultère (Tsembe) n’est pas un parent, le procès pour adultère prend l’allure d’une séance judiciaire publique (comme nous l’avons décrite plus haut) qui oppose la famille du préjudicié à celle de l’auteur. Si les deux partenaires n’ont pas été surpris en flagrant délit, la procédure passe par une instruction qui procède par l’audition de la femme d’abord, puis de son complice. Elle commence dès que le mari rassemble les éléments du soupçon que sa femme a des relations avec un autre homme que lui. La femme est alors citée devant un premier Twere (de la famille ou du village) qui va l’entendre pour recevoir ses aveux. Pour être plus efficace, le Twere peut recourir au savoir faire d’une femme jugée ayant de l’influence sur "l'inculpée". Si la femme fait ses aveux et donne des éléments de preuve de ses rapports sexuels avec tel ou tel homme, on dit que : "Mwasi ya mba Elenga a tari Oko" c’est-à-dire «la femme d’Elenga a dénoncé Oko en adultère». Michel Legrain écrit à cet effet : «L’adultère existe quand la femme mariée a été surprise, ou bien quand, pressée par son mari supconneux, elle a livré un nom. Sa parole suffit. Cité devant les anciens qui font office de juges (les kani), l’homme accusé, s’il prend un petit bout de bambou et le donne aux kani ou mari lésé, avoue sa faute et promet la réparation»260. Etant en possession des aveux de sa femme et en fonction de l’identité du fautif cité, le mari abandonne le conflit avec la femme et poursuit le fautif cité devant l’une des “juridictions” citées plus haut. Si le fautif est un parent proche, le même Twere qui a instruit l’affaire au niveau de la femme, continue le " procès" jusqu’à la réparation. Si le fautif n’est pas un parent proche du mari, celui-ci dessaisit le premier Twere et saisit un "tribunal". 259 Analysant la question de l’adultère chez les populations du Centrafrique, Maryse Raynal introduit une distinction des relations adultères commises à l’intérieur d’une famille, qui s’apparente avec la réalité observée dans le monde Mbosi, entre le frère aîné avec la femme de son jeune frère et entre le jeune frère avec la femme de son frère aîné : «Si par exemple, le frère aîné a des relations adultérines avec la femme de son jeune frère, l’acte est considéré comme un manquement grave aux règles de la parenté et de l’autorité parentale, emportant la malédiction des ancêtres. En effet, le fils aîné est appelé à devenir le chef de famille après le décés du père. Par une fiction juridique on considère donc qu’il y a une unité dans la dualité : fils aîné/père, et que l’acte profondément anormal est le fait du père. La communauté, s’estimant en danger et éprouvant de la répulsion à l’égard des amants (…). Par contre, les relations adultères du jeune frère avec la femme de son frère aîné sont beaucoup moins graves dans la mesure où celui-ci a vocation à prendre pour épouse la veuve de son frère aîné. Le frère continue la personne du défunt et les enfants qui naîtront de cette nouvelle union (qui d’ailleurs n’en est pas une puisqu’elle prolonge la première union) seront frères à part entière avec ceux qui sont issus de la première union. Il y a donc continuité et non rupture du fait de la mort. En conséquence, le jeune frère sera simplement réprimandé par les siens et la femme corrigée», Op. Cit, p115. Ces deux types d’adultère provoquent des réactions sociales totalement différentes. Le premier est un ferment désordre au sein de la famille ; des dissenssions graves parfois des ruptures, peuvent surgir à cette occasion. L’acte est donc on ne peut plus grave car il atteint la famille dans son unité et l’expose à la mélédiction des ancêtres. En revanche, le deuxième n’a pas les mêmes implications sur la cohésion du groupe. 260 Legrain (M) : Le père Adolphe Jeanjean misssionnaire au Congo, Les Editions du Cerf, Paris, 1994, p213 293 2.5. Le rôle du Twere Le rôle du Twere est : -de recevoir la demande verbale du mari, symbolisée par le dépôt d’Iphei la Mwandzi; -de convoquer les parties en conflits. Celles-ci en se présentant devant le tribunal versent lekoutsambe (tsoo) ; -d’entendre en audience publique la déposition des parties ; -d’arracher les aveux du concubin et de le convaincre à supporter les réparations en préjudice de son adultère; -de prononcer le verdict ; -de veiller à ce que le montant des réparations (Ndzambe) exigées soit (d’un niveau) supportable pour le prévenu. 2.6. Les peines et sanctions En matière d’adultère, chaque société gradue ses sanctions et ses peines en fonction de leur perception, leurs us et coutumes. De cette manière, chez les Mbosi Olee, le fautif est condamné à réparer le préjudice qu’il a causé au mari de sa partenaire. On dit de lui en Mbosi: "Asi toua bosi" c'est-à-dire «qu’il a commis l'adultère ou en d'autres termes, il est condamné à une amende pour adultère». La nature et le taux de la réparation sont fonction des liens de parenté ou non entre les deux hommes. Si le fautif n’est pas proche du mari, la réparation est une somme d'argent dont le montant est fixé par le conjoint de la femme après en avoir discuté avec le “Twere-juge” et reçu les avis de son entourage. Cette amende peut aussi être payée sous forme d’un animal domestique, de préférence un cabri ou une chèvre. Mais la préférence pour la chèvre infléchit celle du cabri, pour la raison que la chèvre peut procréer, ce qui sans doute devait augmenter le nombre des espèces caprines du bénéficiaire. Si l'homme adultère est insolvable, sa famille s'en porte garant. La femme n’est toutefois pas exemptée. A la différence de l’auteur de l’adultère dont l'amende est payée publiquement devant une instance judiciaire présidée par un Twere, pour la femme, l'affaire est réglée en privé c'est-à-dire dans le cadre de l'intimité conjugale. Si elle n'était pas congédiée (ce qui est d'ailleurs rare), elle doit s'attendre à des représailles telles que le refus de la part du mari de consommer sa cuisine, le refus de dialogue, l'interruption des relations sexuelles pendant une durée fixée par le mari lui-même261. 261 Si cette pratique des sanctions et peines relatives à l’adultère ayant eu cours dans la société Mbosi peut heurter la sensiblité des populations d’autre culture, il est à noter au regard de l’histoire que cette pratique n’est pas l’apanage du peuple Mbosi. A cet effet, Mechior-Bonnet et De Tocqueville dans leur ouvrage intitulé : Histoire de l’adultère, mettent en exergue les sanctions et peines qui ont été en vigueur en Europe à l’époque moyen-âgeuse : «Les lois saliques des Germains punissent l’adultère par des amendes arithmétiquement fixées selon la gravité de la faute. Celui qui lève la jupe d’une femme jusqu’au dessus des genoux paie six sols ; celui qui voit sa nudité soit d’un côté soit de l’autre, douze sols ; si l’adultère est concommé, deux cents sols (…). La loi des Burgondes ordonne de noyer la femme dans les marais. Chez les Francs, elle est jetée dans le fleuve, une grosse pierre attachée au cou ; si elle flotte, elle est innoncente. Les Saxons brûlent la femme adultère et sur, ces cendres, étranglent son complice», Editions la Martinière, Paris, 1999, pp57-61. 294 Pour réparer son infidélité et le déshonneur causé à son mari, la femme fautive doit offrir à son époux du vin de palme, une indemnité au taux variable et un repas dont les mets diffèrent de l’ordinaire (poulet surtout) en vue d’attendrir son époux et bénéficier par conséquent de la levée des sanctions que celui-ci a retenu à son encontre. L'ensemble des produits offerts à titre de dédommagement est nommé Obondi (du verbe Mbosi Ibondo qui signifie, réparer, se repentir)262. Pour la consommation des aliments constituant l’Obondi, il n'y a aucune cérémonie, l'affaire étant privée. Seulement, le partage de ce repas avec quelques parents dépend exclusivement de l'esprit de convivialité du mari. Les frères, cousins et neveux du mari vivant ensemble participent à ce repas exceptionnel et de grande qualité. Cependant, une femme dépourvue de moyens se trouvait dans la nécessité de solliciter une aide auprès de ses parents qui avaient tout intérêt à la satisfaire sinon c'était eux qui endossaient la responsabilité. 2.7. La rémunération du Twere Pour son action, le Twere perçoit des honoraires qui sont composés d’Iphei la Mwandzi (frais de saisine), de lekoutsambe (frais de justice) versés par les parties et procède à un prélèvement sur le montant des réparations. 3. Le divorce 3.1. Définition Le divorce est la dissolution des liens du mariage entre époux. Comme le note Marc Augé , c’est un processus par lequel un mariage reconnu valide socialement, peut être dissout du vivant des partenaires qui reprennent tous deux leur indépendance réciproque et sont libres de se remarier. Le divorce diffère de la séparation dans la mesure où celle-ci, même reconnue légalement, ne permet pas aux conjoints de contracter un nouveau mariage, car les époux conservent leur statut matrimonial. 263 Bien que de nombreuses sociétés traditionnelles ne fassent pas de distinction claire entre séparation et le divorce, la grande majorité de celle-ci permettent la dissolution des liens matrimoniaux des ex-conjoints. On constate que les traitements infligés à l’homme adultère diffèrent de ceux infligés à l’endroit de la femme, ceux-ci étant plus sévères : la femme a payé un lourd tribut. Aujourd’hui l’évolution des mœurs rend inopérentes de telles pratiques. 262 Michel Legrain témoigne de cette réalité : «Tant qu’elle n’a pas demandé pardon, le mari n’a aucune relation sexuelle, ne mange pas ce qu’elle prépare, ne lui donne rien, ne lui parle que pour l’insulter et souvent la frappe. La coupable alors se procure du vin de palme et deux paquets de raphia et vient supplier son mari d’en finir. La palabre est finie», Op. Cit, p213. Pour notre part, toutes ces marques d’attention de la femme à l’égard de son mari témoignent de la dévotion particulière que la femme voue à l’epoux réconquis. 263 Augé (M) : Op. Cit, p 34 295 Chez les Mbosi Olee, le divorce est désigné par plusieurs expressions : -"Itona la Mwasi ou Itona l’Olomi" c’est-à-dire le refus de la femme ou du mari. On dirait, pour le mari, qu’il a refusé sa femme (a toni Mwasi) et pour la femme, qu’elle a refusé son mari (A toni Olomi) ; -"Iboma la ibaa" c'est-à-dire "tuer" le mariage, mettre fin au lien du mariage. Mais pour signifier par exemple une union matrimoniale déjà rompue, on dit en Mbosi : "Ibaa isi wa" c'est-à-dire le mariage est déjà "mort". Cette expression mérite d’être signalée car elle traduit une certaine réalité sociale. En effet, dire que le mariage est mort lorsque intervient la rupture de liens matrimoniaux fait penser que le Mbosi perçoit le mariage comme une institution vivante. De ce fait, la longévité de celle-ci dépend non seulement des conjoints mais également et surtout des membres des deux groupes familiaux. Quand le mari est mort, le mariage n'est pas "tué" car le frère cadet du défunt ou son neveu utérin par la règle du lévirat, peut recueillir la veuve et les enfants. -"Ipasa la Lekasi" c’est-à-dire l’acte de divorcer ; c’est une expression récente qui résulte des formes de mariage moderne où on signe un contrat écrit. Quelque soit les expressions utilisées, les circonstances dans lesquelles le divorce est accordé varient considérablement d’une société à l’autre et selon les époques. 3.2. Les causes Le divorce est causé par264 : 3.2.1. L’adultère et l’infidélité de la femme L’infidélité d’une femme est toujours considérée comme de nature à porter atteinte à l’honneur de son mari, à causer un déséquilibre moral et social au mari qui peut se sentir l’objet de la risée des gens de son âge. Elle peut donc conduire au divorce. Le divorce peut aussi être causé par un premier cas d’adultère si l’acte est commis avec un autre homme considéré comme appartenant à la basse classe. L’infidélité et l’adultère de l’homme ne peuvent pas constituer, pour une femme, des causes de rupture des liens matrimoniaux. L’incapacité de l’un des époux à assumer les obligations du mariage constitue une cause du divorce. 3.2.2. L’incompatibilité des caractères Les caractères comme l’égoïsme, la paresse, l’incapacité d’accomplir des obligations conjugales, peuvent constituer, pour l’homme ou la femme, des causes de divorce265. 264 La plupart des causes évoquées ici, l’ont été dans les études de David Elenga et Louis Soussa (Op. Cit, pp372-377). 265 Analysant les coutumes du Congo-Belge (actuelle République Démocratique du Congo), Sohier aboutit à une conclusion qui peut s’appliquer à la société Mbosi. Celui-ci écrit : «Tout manquement grave d’un époux aux obligations dérivant du mariage peut être une cause de divorce, mais aucun manquement n’est une cause de divorce s’il ne revêt pas un caractère réelle de gravité. Avant l’arrivée des Européens, le divorce était rare, aucune espèce de faute n’est par elle-même une cause de divorce que les détails et les circonstances lui confèrent un caractère de gravité», cité par Binet (J) : Le mariage en Afrique noire, Editions du Cerf, Paris 1959, p150 296 3.2.3. Le vol Le vol est un acte infâme en pays Mbosi. Il porte atteinte à l’honneur de la famille et du conjoint. Quand il est commis par un homme, celui-ci est comme exclu de la société et ne participe plus à des sorties culturelles avec les autres. Ses épouses vivent longtemps une honte et sont comme repoussées par les autres femmes. Une épouse peut être bien accueillie par ses parents si elle décide de quitter cet homme et demander le divorce. La famille noble de la femme casse le mariage Si le vol est commis par une femme, le mari dont l’honneur est blessé court vite déposer la femme auprès de ses parents et demande le remboursement de sa dot. 3.2.4. La sorcellerie et les décès répétés des enfants Pour ces deux causes, le divorce est obligé par les parents d’un côté ou de l’autre. 3.2.5. La mort du mari Il y a aussi divorce lorsque la femme ne trouve (ou n’accepte) pas d’héritier à son conjoint décédé. 3.2.6. La stérilité et l’impuissance La stérilité de l’homme peut conduire au divorce dans le cas où les parents de la fille pensent que celle-ci ne pourra plus reproduire la famille. Ils exercent alors des pressions sur leur fille pour obtenir le divorce. La stérilité de la femme ne constitue pas en soi une cause du divorce, bien qu’elle puisse dans certains cas y amener. Si la stérilité est accouplée à d’autres vices comme l’infidélité, l’égoïsme ou la paresse, elle peut conduire au divorce. En revanche, elle permet à l’homme de contracter un deuxième mariage. On relève que si une femme stérile, assure à son mari de bonnes prestations, sa fidélité et de bons repas, elle peut faire oublier son défaut et devenir la femme préférée du polygame. En effet, on prétend que, si par malheur la femme n’a pas d’enfant, elle se prête entièrement et exclusivement au service de son mari. 3.3. Les parties en présence Comme pour le mariage, le divorce est la palabre qui oppose d’une part le mari et ses parents et de l’autre la femme et ses parents. 3.4. La saisine du Twere Selon le cas, c’est le mari ou la famille de la femme qui saisit le Twere. 297 3.5. La demande en divorce -Si l’initiative est du mari Lorsque le mari est excédé par l’une des causes déjà mentionnées, il conduit la femme chez sa famille d'origine et dépose le motif de sa décision. Il peut aussi la répudier purement et simplement. -Si l’initiative est de la femme La femme qui prend l’initiative du divorce, quitte la maison et le village conjugal pour rejoindre ses parents. Elle expose à ceux-ci les raisons de sa décision. Le fait que l’épouse se réfugie auprès de ses propres parents atteste son attachement perpétuel à sa famille d’origine. Ainsi que nous l’avons déjà souligné, même mariée, la femme ne cesse jamais d’appartenir à son lignage au sein duquel elle trouve protection et assistance. Si ces fougues témoignent de la marge de liberté dont jouit l’épouse vis-à-vis de son époux, par cet acte, la femme reconnaît l’autorité du chef du lignage et se soumet à sa volonté pour le règlement des conflits. Ici encore, apparaît la dimension sociale du mariage, toute décision tendant à remettre en cause les liens matrimoniaux devant être prise par le conseil familial. Cette intervention du groupe dans le règlement des conflits conjugaux constitue un frein au divorce. Dans les deux cas, les parents de la femme tentent toujours une réconciliation entre les conjoints. En la raccompagnant au domicile conjugal, ils impliquent les parents de celui-ci et un Twere du village. Lorsque l’épouse était reconnue fautive, des conseils lui étaient prodigués de manière à l’amener à respecter ses devoirs féminins et à accepter de les accomplir au sein du foyer conjugal. Il s’agit de lui rappeler que la femme a pour devoir celui de donner et entretenir la vie. Elle doit donc être épouse et mère et que ces deux fonctions fondamentales résument ses rôles dans la société. Il arrivait aussi que l’époux soit reconnu responsable des actes ayant conduit à la séparation de corps. Celui-ci était alors tenu de verser des dommages et intérêts à la bellefamille, acte social indispensable au retour de l’épouse dans le domicile conjugal. C’est ce que les Mbosi appellent le système d’ibondo l’abwe (demander pardon à la belle-famille). Que l’épouse soit reconnue fautive ou que l’époux le soit, la consommation du vin de palme payé par le mari marque officiellement la réconciliation. Si le mari considère péremptoire la cause de son initiative, il peut refuser de reprendre sa femme et confirme sa décision. La femme aussi peut refuser de rejoindre le domicile conjugal. Dans tous ces cas, la femme peut se voir proposer un second mari dans la famille de son conjoint. A défaut de réconciliation, les parents de la femme qui reçoivent en retour leur fille, attendent la convocation d’un "tribunal" saisi. Lorsque l’initiative du divorce vient de leur fille, ils prennent celle de saisir aussitôt un "tribunal" pour l’affaire. Dans le cas de stérilité confirmée du mari, des décès des enfants ou de la sorcellerie sur la femme, les parents de celle-ci peuvent prendre l’initiative du divorce. 298 Actuellement et notamment dans les centres urbains, la partie qui prend l’initiative de divorce, remet à l’autre une somme d’argent appelée Ticket ou Olengue266 pour symboliser sa décision et également pour matérialiser une telle décision. Ce qui précède montre que ces tentatives de réconciliation témoignent du souci des Mbosi de maintenir d’une manière permanente les liens matrimoniaux. Cependant, il n’en demeure pas moins vrai que cette dimension sociale du mariage limite la marge de liberté de la femme qui est tenue de se soumettre à l’autorité morale du chef du lignage. Cette contrainte fait penser que la femme mariée est perçue par son groupe familial comme une mineure, une personne incapable de prendre une décision personnelle. Ces réconciliations répétées empêchaient certes le divorce, mais il arrivait qu’elles échouent. En pareille circonstance, s’engageaient des pourparlers entre les deux groupes en vue de situer les responsabilités individuelles et collectives et d’en tirer les conséquences juridiques. 3.6. Le rôle du Twere ou du "tribunal" Le divorce est souvent jugé par un "tribunal" comme affaire grave. Le "maître du tribunal" a pour rôle : -de recevoir la demande verbale de la partie qui a pris l’initiative, symbolisée par le dépôt d’Iphei la Mwandzi (frais de saisine) en argent ou objets ; -de convoquer la partie adverse par l’intermédiaire d’un messager. Celle-ci en se présentant devant le “tribunal” verse comme la partie accusatrice son lekoutsambe ; -d’entendre en audience publique la déposition des parties. D’une manière générale, chaque groupe familial en présence tente de convaincre la communauté afin de faire endosser les responsabilités de la rupture à l’autre ; -de tenter une réconciliation entre les parties en confiant chacune d’elle à un «Twereassesseur» de son tribunal ou à une personne considérée comme sage (femme ou homme). Le Twere ou le sage, tente de ramener chaque partie à des meilleurs sentiments pour continuer la vie en commun. Ici, on évoque la situation des enfants issus du mariage, les autres mariages ou les relations entre les personnes influentes dans les familles. Si les positions des parties ne se prêtent pas à la réconciliation : •d’entendre le mari et ses parents dans l’énumération des biens matériels, financiers remis en dot ou dons aux beaux-parents ou d’objets de valeur remis à la femme (habits de valeur, bijoux); •d’entendre la femme et ses parents dans leur acceptation des dots et dons déclarés par le mari et ses parents; •de confronter les deux dépositions pour fixer la valeur des dots et dons et la faire accepter par les parties; •de prononcer le divorce en demandant à la femme et à ses parents de rembourser la dot. 266 Olengue existe depuis les ancêtres. Mais le terme ticket est récent ; il est symbolisé par la somme d’argent que le mari remet à son épouse pour signifier son renvoie chez ses parents. Une fois chez ceux-ci, la présentation de cet argent sert de preuve de la décision du mari de divorcer de leur fille. 299 3.7. Les peines et sanctions Le divorce chez les Mbosi conduit nécessairement au remboursement de la dot. Le remboursement est majoré lorsque le divorce a été demandé par l’épouse. Au regard de cette sanction principale qu’est le remboursement de la dot, on est tenté de dire qu’en droit Mbosi, le divorce est en partie ou totalement au tort de la femme. En effet, les peines sont reparties comme suit : -si le divorce est à la responsabilité de la femme ou de ses parents, les dots et les dons sont remboursés au double du montant fixé devant le "tribunal" ; -si le divorce est à la responsabilité du mari, les dots et dons sont remboursés au simple . Pour une veuve qui demande le divorce d’avec sa belle famille après avoir constaté le défaut de successeur en mariage du conjoint décédé, le remboursement est un montant forfaitaire fixé pour tous les cas du genre par une règle de justice. La garde des enfants est toujours confiée au père sans obligation pour la mère. Une partie de la dot remboursée est restituée aux parents de la femme pour reconnaissance des enfants par le père. Du fait de l’éducation socialisée, le divorce n’entraînait pas d’énormes conséquences psychiques sur les enfants. Habitués à vivre au sein de la grande famille, ceux-ci étaient pris en charge par les hommes ou les femmes du groupe familial selon leur sexe et, leur éducation ne pouvait être affectée. Ainsi que cela apparaît, la parenté classificatoire présente des avantages certains et la prise en charge des enfants par les membres du lignage illustre cet état de fait. L’acte de divorce n’est pris qu’après remboursement total du montant des dots et des biens. Il est symbolisé par la déchirure entre les familles d’une parcelle de feuille de bananier. Les deux parties sont versées dans le Mwandzi du chef du "tribunal". Ainsi que cela apparaît, nous touchons là à l’aspect fonctionnel de la compensation matrimoniale. Signalons que celle-ci est une garantie de l’union, une preuve de l’existence des liens matrimoniaux, un titre instrumental et solennel du mariage. Avant le divorce et avant le remboursement de la dot, la femme est encore liée à son mari. Toute aventure extra-conjugale équivaut à un adultère dont l’ancien mari peut demander et obtenir la réparation en dehors du remboursement de la dot. Tout enfant né de cette relation sexuelle appartient à l’ancien mari. La paternité de celui-ci est codifiée par l’acte de reconnaissance de tous les enfants qu’il a accompli par la restitution d’une partie de la dot. Ainsi que l’a fait remarquer Georges Forthomme «tant que toutes les restitutions n’ont pas été accomplies, le devoir de fidelité persiste pour la femme et les enfants qui naîtraient d’elle continuent à être considérés comme les enfants du mari»267. Si en quittant le foyer conjugal, la femme va tout droit dans la maison d’un autre homme, la séparation ne suit pas la procédure de divorce. L’affaire oppose l’ancien mari au nouvel élu de la femme. Les parents de celle-ci peuvent ne pas se présenter à la palabre du “tribunal”. 267 Forthomme (G) : Mariage et industrialisation, Edition Vaillant-Carmanne, Liège, 1957, p90 300 L’affaire est qualifiée de “vente” (pour l’ancien mari) et d’achat de la femme (pour le nouveau). Avant l’acte d’achat de la femme, le nouveau mari doit d’abord payer l’adultère au premier mari. Le fait d’avoir abandonné le foyer pour intégrer la maison du nouvel homme constitue un adultère. La réparation du préjudice est un montant arbitraire demandé par l’ancien mari. La femme est donc “vendue” par l’ancien et achetée par le nouveau en tant que femme et non en tant qu’esclave. Le prix de vente est le montant de la dot versée à la belle famille doublée. Le nouveau mari, après avoir réglé la réparation du préjudice, doit se présenter chez les parents de la femme. Il doit continuer les dots que l’ancien mari n’avait pas encore versé. La question de la vente ne doit pas être considérée dans sa dimension occidentale. La femme bien que «vendue» ne constitue pas pour autant une marchandise, il s’agit plutôt d’une réparation pécunière perçue par le mari en rapport à l’adultère. C’est ce qu’exige la tradition Mbosi. Nous ne pouvons terminer ce point sans parler du partage des biens. En effet, sous sa forme traditionnelle, le mariage Mbosi ne créait pas la communauté des biens. Chacun des époux disposait librement des biens acquis par son travail quotidien. Tel qu’il fonctionnait, ce régime matrimonial apparaissait logique dans la mesure où même marié, chacun des époux se sentait toujours plus près de son lignage que de son conjoint. L’on a montré dans les pages précédentes que par son mariage, la femme n’intégrait jamais la famille de son mari d’une part et que le mariage ne créait pas une famille nouvelle, ayant son autonomie et son patrimoine. Les étangs, les forêts, les terres étaient toujours exploités dans un cadre lignager. Denise Paulme l’explique d’ailleurs clairement lorsqu’elle écrit : «Le mari africain retient jalousement ses droits de propriété il n y a jamais régime de communauté entre époux…La femme agit de même, elle garde le contrôle des biens acquis par son travail »268. Notons que cette tradition d’indépendance existe également chez d’autres peuples d’Afrique. Par exemple, dans son ouvrage intitulé : Les Dogons du Mali, Gérard Beaudoin269 souligne que les biens propres de la femme, sa fortune personnelle ou ses biens familiaux ne sont pas partagés avec le mari et sont gérés par elle. Dans la concession, elle possède un grenier personnel dans lequel elle range ses vêtements, ses bijoux, son argent et ses provisions ; son mari ne s’aventurera jamais à l’ouvrir sans son autorisation. 3.8. La rémunération du Twere Pour son action, le Twere perçoit des honoraires qui sont composés d’Iphei la Mwandzi, de lekoutsambe et procède à un prélèvement sur la dot remboursée. La description et l’analyse du processus de divorce montre que dans la société traditionnelle Mbosi, l’intervention du Twere, des chefs de lignages dans le règlement des conflits militait en faveur de la stabilité du ménage. La rupture des liens matrimoniaux ayant pour conséquence la restitution partielle ou intégrale des biens matrimoniaux par la famille de l’épouse constituait un frein au divorce du fait de la rareté des biens de dot. L’importance de la dimension sociale du mariage ne pouvait permettre à une femme de rompre les liens sans solliciter l’approbation des membres de son groupe familial. 268 269 Paulme (D) : Femmes d’Afrique noire, Mouton, Paris, 1960, p17 Beaudoin (G) : Op. Cit, p153 301 Par ailleurs, la pratique du lévirat et celle du sororat répondaient au désir de maintenir aussi longtemps que possible les liens entre les deux groupes de parents. Mais ces règles matrimoniales ont été ébranlées par l’évolution des mœurs. La conquête de l’autonomie personnelle par l’individu, son émancipation de la tutelle familiale et la facilité de se procurer l’argent nécessaire au remboursement de la dot ne semblent pas favoriser la stabilité du ménage. En effet, certaines femmes ont acquis aujourd’hui des possibilités de rompre les liens matrimoniaux selon leur volonté. 4. Les conflits de frontières entre les villages270 La société Mbosi est composée de villages indépendants les uns des autres qui se comportent comme autant de "micro-Etats" autonomes jouissant d'un territoire. Les conflits liés aux limites de territoire entre villages sont fréquents. Ils sont souvent provoqués par des avancées ou les reculs de la forêt sur la savane ou par le déplacement de lit de rivières, de ruisseaux. Ils sont nés soit : -lors de l'attribution d'une redevance de chasse pour un gibier abattu à la frontière de deux villages. Chacun des deux villages revendique sa propriété sur le lieu d'abattage et réclame l'attribution de la redevance ; -lors de l'ouverture des champs sur la partie de la forêt située à la frontière. Les cultivateurs de chaque village réclament le droit de cultiver sur cette partie et en méconnaissent le droit des autres ; -lors des activités de pêche sur la partie déplacée d'une rivière. Les pêcheurs de chaque village réclament leur droit de pêche sur cette partie. Ces conflits de frontières sont souvent causes d'affrontements meurtriers entre villages. Pour éviter tout heurt sanglant, les parties recourent au jugement d'un «Twere- juge ou d'un "tribunal". Le «Twere-juge» individuel peut être requis par un A nga kwephe de la zone ou un Obiali influent (Koa) de la zone. L’une ou l’autre autorité peut se saisir comme garant de la paix pour empêcher les heurts sanglants. Le « Twere-juge » ou le "tribunal" peut être saisi par une des parties en conflit. Il a pour rôle : -de recevoir la demande verbale de la partie qui a pris l'initiative, symbolisée par le dépôt d’Iphei la Mwandzi ; -de convoquer les parties par l'envoi d'un messager. Celles-ci en se présentant devant le "tribunal" versent lekoutsambe ; -d'entendre en audience publique la déposition des parties ; -de reconstituer la ligne de frontière à partir des anciennes indications (arbres, lianes, élévation ou creux de terre) à relever à la tête d'une mission composée des délégués de chaque village et de l'autorité médiatrice ; -de prononcer un jugement équitable ; -de percevoir et verser à la partie qui gagne le procès, l'argent ou les objets en réparation. 270 Sur cette question, nous reprenons notre travail de DEA : Op. Cit, pp103-109 302 Pour son action, le «Twere-juge » perçoit des honoraires qui sont composés d’Iphei la Mwandzi, de lekoutsambe et procède à un prélèvement sur le montant des sommes ou objets versés. 5. Conclusion Dans toutes les affaires dites à juger, l’action de la justice suit une procédure comportant les mêmes actes qui vont de la saisine, au jugement en passant par le dépôt de frais de saisine, l’instruction en audience publique, l’audition des témoins, toujours en audience publique. Les audiences ont lieu à la résidence du Twere, à son Mbale ou sous un arbre devant ce Mbale. Le domicile du Twere, surtout du Twere chef de clan ou A nga kwephe, tient lieu de «tribunal d’instance» pour chaque circonstance. Dans chacune de ces affaires, l’action de la justice vise surtout l’établissement et la consolidation de la paix en société, et entre les individus qui partagent le même lieu de vie. Chaque fait qui cause préjudice à autrui entraîne une peine de réparation du dommage. Aucun fait ne peut recevoir une décision de nullité en partie ou en totalité. En revanche, le juge ne prononce pas les peines d’emprisonnement ni celle d’adhésion à Otwere qui ne relèvent pas de sa compétence. Pour chaque affaire, le juge reçoit une rémunération versée soit par les parties en présence sous formes de frais de saisine et d’ouverture de la procédure, soit par le prélévement sur la réparation des dommages. Ici, le Twere exerce les fonctions de juge. L’instruction est conduite sous forme de dépositions et de répliques des parties en audience publique par l’intermédiaire des «Twereconseil» et «Twere-avocat» choisis par les parties. Ces rôles vont variés dans les affaires dites à concilier auxquelles nous allons consacrer le prochain chapitre. 303 CHAPITRE IV : LES AFFAIRES A CONCILIER Ce chapitre traite des questions liées au mariage, aux palabres pour santé et décés (questions généralement traitées en rapport avec la sorcellerie), à l’héritage et à la succession. Ces questions relèvent soit de l’intermédiation, soit de la conciliation. En ce qui concerne particulièrement la palabre liée à la sorcellerie, contrairement à Georges Nicolas Obaba271 qui englobe tous les cas de figure dans un seul exposé, nous allons distinguer deux cas : la palabre en cas de maladie et la palabre en cas de décés. L’étude de ces questions permettra de montrer comment les Mbosi ont, par l’usage de la médiation ou de l’arbitrage (donc du dialogue), fait preuve d’adresse et de lucidité d’esprit, voire d’intelligence pour réguler des affaires aussi délicates que complexes. 1. Le mariage (Ibaa) 1.1. Objet de mariage En société Mbosi Olee, le mariage appelé ibaa, est un contrat272 qui lie la famille de l’époux à la famille de l’épouse. La femme peut être choisie par le garçon lui-même ou par ses parents. Mais le contrat est conclu entre les familles avec comme support la dot que verse la famille du mari aux parents de la femme. C’est le "Twere-officier d’Etat-civil" qui est chargé de passer les différentes dots lors de chacune des phases du contrat de mariage. 1.2. La saisine du Twere Les différentes étapes du mariage et le dépôt de la dot à chaque instance des parents, constituent autant de phases du contrat de mariage. Ces différentes phases ne sont pas réalisables au même moment ni dans le même village. A chaque phase, le Twere est saisi par la famille du mari dans le village des parents de la femme à qui la dot est à verser. Il peut être amené par les parents du mari depuis leur village. 1.3. Les parties concernées Comme nous l’avons dit pour l’objet du mariage, la conclusion du mariage, rassemble, autour du Twere, d’une part le futur mari et ses parents et de l’autre la future épouse et ses parents hommes. 271 Oboba (N. G) : Op. Cit, pp49-53 Le contrat est passé entre deux clans (familles). En effet, dans la société traditionnelle Mbosi, il existe cette particularité que la famille d’un homme décide de la femme sinon choississe la femme que ce dernier doit épouser. Il en va de même de la famille de la femme qui donne son consentement sur le prétendant sans tenir compte du point de vue de la fille. Comme en occident au Moyen Age et particulièrement au XIIè siècle, le choix du conjoint, n’est pas une affaire personnelle, fondée sur l’atirance entre deux personnes et sur leur décision de cohabiter ensemble. Au contraire le choix du conjoint est une affaire familiale. En effet, le groupe familial tout entier choisit un conjoint pour l’un des siens. La fille est plus soumise à la contrainte que le garçon, Martin Aurel : «La dot, une très mauvaise affaire pour la femme» in Revue Histoire, N°245, juillet-août 2000, p30 272 304 1.4. Les étapes du contrat de mariage Comme l’indiquent Philippe Laburthe-Tolra et Jean Pierre Warnier273, le déroulement du mariage met en évidence son caractère de contrat entre deux groupes : il comporte un certain nombre d’étapes, de transactions, de formalités. Chez les Mbosi Olee, le contrat de mariage est ouvert après la collecte des informations nécessaires tant sur la jeune fille que sur chaque groupe de familles dont est issue la fille convoitée. Ces informations qui sont collectées aussi bien par les parents que par le futur époux lui-même, visent à renseigner sur : -l’engouement et la capacité de la jeune fille au travail ; -la tendance à l’égoïsme de la mère de la fille ; -la sorcellerie dont peut-être soupçonnée une ligne des parents de la future épouse (surtout les groupes parentaux maternels) ; -la stérilité dont peut être accusée sa mère ou ses grands parents ; -les décès dont ont été éprouvés les parents. Chaque renseignement influence la décision du futur prétendant et de sa famille. Ce n’est donc pas la relation d’amour qui conduit au mariage en pays Mbosi Olee, mais la situation des parents et des familles qui influence l’union en mariage d’un garçon et d’une fille. Pour les Mbosi, l’enfant est surtout le produit de la mère. Les défauts, les échecs et la sorcellerie de la mère peuvent apparaître chez l’enfant. Cette croyance autorise que ces renseignements soient orientés vers la mère de la fille et vers les groupes familiaux de la mère. Dès que tous les éléments d’enquête, sans exception, s’avèrent satisfaire le goût du garçon et celui de ses parents, commence le processus du contrat de mariage suivant les règles de la coutume qui exigent que chaque phase du contrat se déroule au domicile d’un groupe familial de la jeune fille. Dans les lignes et pages qui suivent, on s’apercevra que chaque phase du processus de mariage est un «marché» qui a pour effet l’appropriation par le jeune garçon et ses parents de la jeune fille qui s’apprête à quitter sa famille (sans se détacher de l’autorité parentale), pour intégrer la famille du garçon. 1.4.1. La demande de la main La demande de la main est perçue comme une manifestation de l’intention du jeune garçon et de ses parents. Elle se fait par le dépôt de pagne (Okande) à l’intention de la fille, au père de celle-ci274. 273 Laburthe-Tolra (P), Warnier (J. P): Ethnologie. Anthropologie, Presses Universitaires, Paris, 1999, p72 A ce propos Maurice Ngonika écrit : «Le mariage a une importance capitale dans la vie d’une fille. En effet, il conduit à la maternité et représente une condition essentielle pour son intégration et son accession à la plénitude sociale. Ce cheminiment vers le mariage reste lié à la volonté des parents, qu’il s’agisse de la fille comme du garçon. Cependant, les filles n’y accèdent guère de la même façon. Certaines sont acquises ; la coutume veut que celui qui désire épouser une femme aille d’abord trouver son père ou son oncle maternel et en prenne immédiatement possession dès l’accord de ce dernier. D’autres sont échangées ou héritées», Op. Cit, p11. 274 305 Ce dépôt de pagne est une opération sans formalisme qui n’exige pas (dans les villages) de cérémonie particulière. Toutefois, le garçon ou son parent, peut se faire assister devant le père de la fille d’un habitant du village de la fille qui joue, pour la circonstance, le simple rôle de tuteur temporel pour le prétendant. L’acceptation du pagne par la jeune fille, symbolise son consentement au mariage. Dans les villages, ce consentement de la jeune fille n’est pas attendu séance tenante. Elle le donnera à son père ou un parent qui assure sa tutelle (si elle n’est pas sous le toit de ses parents). Pour préparer le consentement de la fille, le père (ou le tuteur) appelle la fille et lui demande de servir de l’eau à l’hôte. Si le pagne est déposé par le père du garçon, ce dernier (garçon) est préparé, après communication de la décision du père à faire un séjour d’une nuit dans le village de la jeune fille. Il descend, pour ce séjour, au domicile du tuteur qui a assisté au dépôt du pagne : il n’a pas encore l’accès libre au domicile des futurs beaux-parents. Il est présenté à ceux-ci par le tuteur. Pour le présenter à la fille, les parents demandent à celle-ci de lui servir de l’eau et le soir, de lui apporter la nourriture prévue à cet effet. Le lendemain matin, elle apporte de l’eau au garçon pour sa toilette matinale. La future mariée réalise toutes ces missions sans connaître les pourparlers secrets la concernant. Le jeune garçon peut lui adresser quelques mots de tendresse sans révéler ses intentions. Il quitte le village des beaux-parents avec un rendezvous pour la première cérémonie. 1.4.2. Le consentement Après le passage du garçon, le père de la fille, qui a déjà préparé la mère (ou une tante), présente le pagne à celle-ci et lui annonce l’intention du garçon à qui elle a servi l’eau et la nourriture. Si la fille redoute le mariage et manifeste son refus, elle est mise au conseil de sa mère ou d’une tante ou encore d’une grand-mère qui, souvent, la ramène à de bonnes intentions et arrivent à lui faire accepter le pagne, donc de donner son consentement au mariage. Les parents féminins qui reçoivent, en terme de devoir, le rôle de faire entendre la raison à la fille, utilisent comme arguments, l’autorité sacrée des hommes et surtout du père, qui ont déjà accepté le mariage. On fait surtout entendre à la fille que son devoir, en tant que fille, est de ne pas contrevenir à la volonté du père si celui-ci décide de la marier ; que son rôle est d’être portée en mariage pour procréer afin de perpétuer la famille. Si ces mariages qui apparaissent comme des mariages de raison ou d’intérêt, réalisés selon le diktat des aînés, étaient une constance des coutumes africaines, il semble qu’en Europe cette même pratique avait cours275. En conséquence, l’amour était pour ainsi dire unilatéral, c’est-à-dire soumettait la femme au diktat sentimental de l’homme. Avant la date significative du consentement de la fille, le père de celle-ci mène une enquête de moralité, autant sur le garçon que sur ses parents. Il doit être rassuré : 275 Binet (J): Aspects actuels du mariage dans le sud Cameroun, Edition de l’Union Française, Paris, 1952, p22 306 -si le garçon peut valablement s’occuper de sa femme : a t’il déjà ouvert un champ? A t’il déjà élevé un barrage pour la pêche? Apparaît-il à des cérémonies de danses avec les autres garçons? -si les parents n’ont jamais fait l’objet d’accusation pour sorcellerie ; ont-ils déjà connu de décès d’enfants et pour quelles causes? -si les tendances à l’égoïsme peuvent leur être reconnues? -si le garçon et ses parents peuvent appartenir à un ou deux même(s) clan(s) que le père ou la mère de la fille. Il arrive que, pour cause d’éloignement des villages des futurs beaux-parents, le père de la fille éprouve des difficultés pour récolter suffisamment de renseignements sur son futur gendre et sur ses parents. Il désigne alors un parent ou un ami à lui habitant le village du garçon ou un village voisin, que le garçon et ses parents doivent accepter comme facilitateur du mariage (Okaphi) et il exige qu’ils soient parrainés par ce facilitateur devant lui. Il arrive aussi que le garçon ou un de ses parents porte un défaut parmi les renseignements recherchés par les parents de la fille. Le facilitateur désigné décline ses responsabilités et refuse de les parrainer devant les parents de la fille. Ce refus suffit pour permettre au père de la fille de refuser le mariage même si la fille a donné un consentement favorable. En revanche, l’accord de parrainer le futur époux par le facilitateur désigné, prime sur tout autre renseignement défavorable reçu par les parents de la fille par un autre canal. Toutes ces enquêtes et exigences préalables renseignent sur le caractère hautement sacré du mariage chez les Mbosi Olee qui lui attribuent un caractère divin: favorisé par les mânes des anciens. 1.4.3. Le dépôt d’Isare (argent donné pour la demande de main) Des jours passés, et après avoir fait parvenir à son futur beau-père le message annonçant son arrivée, le jeune garçon se présente le soir du jour convenu avec une petite délégation et une calebasse de vin de palme (une seule suffit pour cette étape). Si le pagne a été déposé par un parent, la délégation est conduite par ce parent ; si non elle peut être conduite par un frère aîné du jeune prétendant ou par un oncle. Elle comprend, si cela a été exigé, le parrain désigné. Ici intervient déjà le Twere. Ce dernier peut être choisi et saisi depuis le village du garçon ou sera choisi et saisi avant la cérémonie dans le village du père de la fille. Comme le fait remarquer Marc Augé276, partout, le mariage fait l’objet de rituels conduits par un ou plusieurs membres de la communauté annonçant ou signifiant non seulement la reconnaissance des nouveaux époux, mais aussi la création des liens -juridiques, sociaux et économiques- entre le groupe de filiation du mari et celui de la femme. La délégation se rend directement au domicile du chef de la famille du futur beau-père (ou du tuteur de la fille) où elle est reçue et logée par celui-ci et sa famille sur rendez-vous. L’accueil est souvent indicatif sur les conclusions des pourparlers : la chaleur de l’accueil, les empressements des parents (père, mère, frères et tantes) de la fille, les cris des poulets que l’on égorge pour le repas des hôtes, révèlent déjà à la délégation que la décision de la fille et 276 Augé (M): Op. Cit, p32 307 des parents est favorable au mariage ; en revanche, leur froideur indique la déception que la délégation va subir. Les pourparlers commencent avant le repas par le Twere saisi qui demande au père de la fille de s’entourer tout de suite de ses proches désignés par l’expression Mbosi: «ba dza la no» c’est-à-dire les proches. Après le repas des hôtes, les deux groupes se rassemblent et la cérémonie est ouverte par le porte-parole du père de la fille. Celui-ci, qui se pose provisoirement comme invité ordinaire, ouvre ainsi la cérémonie par un discours traditionnel, plein de proverbes, de tournures et périphrases. Il termine son propos par les questions suivantes adressées au père de la fille277 : -quel est l’objet de ton invite? -pourquoi la présence des hôtes? Le père de la fille répond : «je n’ai su que transmettre le message, l’invitation vient de Monsieur X (il désigne le père du prétendant ou son représentant), nous allons ensemble découvrir leurs intentions. Se tournant vers le Twere du groupe du futur époux, il s’adresse en ces termes : j’ai été surpris ce soir de vous accueillir chez moi; vous m’avez demandé de réunir mes proches (ba dza la no = les proches). Le père ou son représentant, comme le commande la tradition, reprend chaque discours entendu. Puis avant de répondre, il demande un temps de concertation (Eyimbi) pour sa délégation et de se lever par la formule phonique suivante : «quand le vin est encore caché dans l’herbe, on ne doit pas le promettre aux invités». Au retour de cette concertation, après la relance du porte-parole du groupe de la fille, le porte-parole des hôtes en présentant la calebasse de vin répond aux questions qui lui ont été posées : -nous sommes venus vous présenter ce pot (Otsoo = petit vin), prenez-le et quand vous serez à sa lie, demandez-nous son objet. Le porte-parole du beau-père reprend le discours de l’hôte et le prie d’ouvrir sa «gibecière» par la formule suivante, pleine de politesse et de souplesse : «le vin est un véritable guerrier qui met tout le monde à son commandement, avec lui dans la tête, les négociations peuvent prendre des tournures non voulues, videz, si vous pouvez déjà votre panse et dites-nous l’objet du pot ». Le porte-parole des hôtes, par un discours très imagé et plein de métaphores, dévoile alors l’objet de la rencontre et de la cérémonie. En désignant le garçon ou le père qui a déposé le pagne, il annonce: -ce garçon d’avenir (ou ce père plein d’ambition) était un jour de passage dans votre village ; il a été attiré par une «poule» (fille) qui trottinait autour de votre case. Les mouvements de la «jeune poule» ont troublé son cœur (ou éveillé son ambition). Les renseignements pris ont indiqué que cette « petite et admirable poule » vous appartient. Pour 277 Ce développement émane de plusieurs entretiens en l’occurrence ceux que nous ont accordés Ngatsé Albert, un maçon retraité, âgé d’environ 70ans, domicilié à Ouenzé-Brazzaville, le 24/01/2000 ; Nguiko A Kié Apa, un chef traditionnel de clan (Obiali) du district d’Ongogni, le 15/05/2001 ; Okandzé Gaspard, un agent retraité de la compagnie aérienne «Lina-Congo», du village Elo, âgé d’environ 60ans, le 20/05/2001 et Ngambomi Athanase, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 75ans, le 28/05/2001ainsi que sur les études de Elenga et Daho déjà citées 308 exprimer le trouble de son cœur, le «jeune coq» (garçon) a déposé un pagne pour marquer ses intentions. Notre séjour aujourd’hui est de savoir ce qu’est devenu notre pagne? S’il est rejeté, remettez le nous; s’il est accepté, comblez nous de joie. Avant de répondre à ce porte-parole pour marquer son accord ou son refus au mariage, le père de la fille par l’entremise de son porte-parole, requiert l’avis du parrain qu’il a exigé. Celui-ci s’il a accepté son rôle, présente les qualités du garçon et la réputation dont jouissent ses parents et termine son propos en marquant son honneur à parrainer ce mariage et sa responsabilité dans la vie de la fille dans son futur ménage. Si le parrain a refusé de se présenter à la cérémonie, le père de la fille reporte celle-ci pour défaut de parrain. Mais signalons à cet effet que tous les mariages n’ont pas de parrain. Après l’avis favorable du parrain, le père de la fille évoque un autre préalable : il demande qu’on lui présente le garçon. C’est le rôle qui incombe au parent qui conduit la délégation qui donne «l’Etat-civil» du garçon en le désignant par métaphore de «coq» désormais troublé par la vue de la «poule» qu’il convoite. En donnant les noms des parents du garçon, il peint leurs qualités, celles dont ceux-ci sont issus, cite les clans dont-ils ressortent et vante donc les descendants du garçon. Ce dernier préalable permet au père de la fille de prendre en toute responsabilité la décision d’accorder la main de sa fille s’il est convaincu qu’il n’existe aucun clan commun au garçon et à lui ou à sa femme, donc à leur fille. En effet, comme nous l’avons souligné plus haut, les normes coutumières de la société Mbosi Olee interdisent le mariage entre parents, entre les ressortissants d’un même clan. Une fois convaincu qu’aucun fait ne s’oppose au mariage de sa fille et du garçon prétendant, le père de celle-ci donne son accord et celui de la famille par la formule suivante: «votre pagne est reçu avec joie, il est présenté à la mère et aux tantes (par la convoitée) avec empressement, il peut être déposé au couturier afin d’être porté pour votre plaisir et selon votre goût». Cette dernière partie de son propos rappelle à la délégation du garçon qu’il peut commencer son premier devoir. Le porte-parole de celle-ci, en homme sage, après avoir pris acte de l’avis conditionné du père de la fille et souligné la joie que l’on peut lire sur les visages du garçon et de ses accompagnateurs, annonce que la délégation doit se lever à nouveau pour une concertation par l’adage suivant très populaire dans la société : «quiconque n’a pas bien plié son bras, ne peut prétendre lancer avec efficacité la sagaie pour abattre un gibier» (= pour répondre à l’exigence, nous devons nous préparer, consulter nos moyens). A leur retour de la concertation, le porte-parole du groupe du père de la fille relance les négociations par demande de la suite de la concertation des hôtes en formulant : «deux rats devaient vous attendre derrière la maison, avez-vous attrapé le mâle (synonyme de mauvaise solution car le mâle du rat est difficile à attraper ; avez-vous attrapé la femelle (symbole de bon résultat)? Présentez-nous celui que vous avez apporté». Le porte-parole répond alors en disant : «qui veut monter au faîte d’un arbre commence son mouvement par le bas. Le rat que nous ramenons est femelle. Nous déposons nos «Isare» pour confirmer notre engagement». Il dépose une somme d’argent qui accompagne le pagne de la future épouse appelée en Mbosi «Isare»278 c’est-à-dire les trois. Son dépôt et son acceptation terminent les négociations et ouvrent la calebasse de vin. 278 Ce terme «Isare» est révélateur: à une ancienne époque, la somme présentée montait à 300 unités monétaires Mbosi (coquillages) et avec la colonisation qui a introduit dans le pays la monnaie française, elle était représentée par 3 francs. Ainsi, le nom «Isare» (les trois) qui désigne la somme qui accompagne le pagne et 309 La cérémonie qui est désignée par «Isare» constitue à bien voir la première étape du processus de mariage. Elle peut être perçue comme ouverture des fiançailles entre le garçon et la fille ; mais elle ne suffit pas pour permettre à la fille de rendre visite à son futur époux. Elle permet au garçon d’amorcer l’acquisition du statut d’homme adulte devant les habitants de son village et devant les parents : pour avoir déjà ouvert «Isare» sur une fille, commence sa mutation du statut de mineur vers celui de majeur ; il sort petit à petit de la classe des jeunes garçons de son village pour occuper une place parmi les hommes du village. «Isare» ouvre au garçon la voie de ses obligations envers les parents de la fille et envers sa préférée. Il doit dès cet instant apporter les cadeaux à la belle-famille (kola, tabac, fruits, nourriture : poisson ou viande). Au cours de la consommation du vin279 qui termine cette cérémonie, il y a des présentations symboliques et directes des familles, des directives des beaux-parents et des mises en garde. La déclaration par laquelle le porte-parole du groupe de parents de la fille met fin à la cérémonie renferme un appel pressant au devoir du garçon. Il dit par exemple : «ce que nous venons de faire et de vivre, est l’expression de votre intention, la femme ne peut vous arriver qu’après que vous ayez accompli les étapes qui suivent. Si votre «Isare» n’est qu’une aventure, vos parents dont on vante les qualités tireront les conséquences. Il faut retenir qu’on ne doit pas abandonner au feu un paquet de bonne nourriture ; le feu finit par le consumer et laisser le blagueur à sa faim». Ce qui signifie en Mbosi: «Isounga la mia oyousa koo». Ce proverbe rappelle au garçon que son retard à concrétiser ses engagements, sera compris comme manifestation d’insouciance donc autorisera les parents de la fille à le remplacer par un autre prétendant plus expressif. «Nous allons quant à nous, continuer à dormir sur nos lauriers et vous attendons pour la suite de vos engagements». 1.4.4. La pré-dot (Ileli)280 La pré-dot n’est pas un pré-mariage. Elle est l’élément qui ratifie le contrat de mariage réputé conclu par le dépôt et l’acceptation de «Isare». La pré-dot est le premier degré de la compensation matrimoniale. Elle compense les multiples obligations et charges assumées par les père et mère de la fille, depuis la grossesse jusqu’à l’âge de mariage de celle-ci. Les Mbosi honorent les charges qu’un homme assume pour entretenir la grossesse de sa femme, la naissance de l’enfant, pour son entretien et pour son éducation. On estime que, pour qu’une fille arrive à l’âge de mariage, son père a, au minimum consulté six fois un guérisseur pour sa santé et la mère a été plusieurs fois mouillée par ses urines. confirme l’intention du futur marié, est donc le raccourci des nombres trois cent (300) Ndzi (trois cent argents: Ndzi signifie en français argent) et après, trois phalanga (3 francs). 279 Avant de consommer le vin qui lui est remis, le père de la jeune fille verse une certaine quantité sur le sol et observe une minute de silence. Par ce acte, il informe non seulement les ancêtres mais les associe à cet événement social d’une grande importance. 280 Elenga (D) : Op. Cit, pp132-134 310 La pré-dot, désignée en Mbosi par le terme Ileli (sing. Eleli) ou compensations préalables et préliminaires, est versée donc aux père et mère de la future épouse. Elle est composée de deux parties de montant égal : -Aboua Otopha (6 consultations de guérisseurs) pour le père ; -Andzigna a ngo (urine sur la mère) pour la mère. La pré-dot est versée au cours d’une cérémonie plus importante que toutes les précédentes aussi bien pour la quantité de boisson qui l’accompagne (2 calebasses de vin) que pour le public qu’elle rassemble : la mère et le père sont assistés. Le versement de la pré-dot est officié par Twere. Il est exécuté par la délégation du jeune marié. Celle-ci est constituée en deux parties : une en espèce et une autre en nature (les dons aux parents et la boisson) fixées par la coutume. Comme nous l’avons dit ci-dessus, la pré-dot ratifie le contrat de mariage. Elle ouvre la voie aux autres étapes du mariage. Elle ouvre surtout droit au jeune garçon de recevoir sa femme. Certains parents de fille arrivent à remettre tout autre élément de compensation matrimoniale après la naissance du premier enfant vivant du mariage. Toutefois, les autres étapes suivantes sont obligatoires pour confirmer le mariage qu’elles ne peuvent plus empêcher ni annuler. 1.4.5. La dot (Obwe) Comme le souligne Marc Augé281, la compensation matrimoniale, improprement appelée «dot» dans la littérature francophone ou prix de la fiancée, consiste en une série de biens et/ou de services offerts par le fiancé et ses parents au père ou d’autres parents de la fiancée pour conclure ou valider le mariage et compenser pour la famille de la jeune fille la perte d’un de ses membres. La compensation matrimoniale varie considérablement, dans sa forme et dans sa fonction, d’une société à l’autre, mais elle constitue toujours, un engagement. Les biens qui constituent la compensation matrimoniale et le montant de celle-ci varient d’une société à l’autre. Chez les Mbosi Olee, la dot appelée Obwe se distinguait des premiers versements (ileli) aussi bien par son caractère public et non clandestin, que par l’importance des moyens mis en jeu, sans compter l’affluence considérable des assistants, c’est-à-dire les parents et les amis. Cette différence entre ileli et obwe correspond avec ce que C. Pairault a nommé «le mariage ratifié» ; pour le premier, et «le mariage consommé», pour le second282. Le terme qui sert à désigner la compensation matrimoniale est Obwe. Il est polysémique en ce sens qu’il désigne d’abord l’ensemble des biens destinés aux beauxparents ; ensuite, l’acte par lequel les beaux-parents sont compensés. Il désigne aussi la relation familiale qui lie les beaux-parents unis par le mariage. C’est dire qu’obwe, représente à la fois les biens matériels et l’instance appropriée pour la remise de ces biens aux destinataires. Obwe marquait en même temps la fin des premiers versements et le début d’une phase consécratoire impliquant en cela les intérêts de deux groupes de parenté différents. En arriver 281 282 Augé (M): Op. Cit, p35 Pairault (C) : Boum- le-Grand : village d’Iro, Institut d’ethnologie, Paris, 1966, p187 311 là suppose qu’auparavant la candidature du futur gendre a été agréée et qu’il y avait donc lieu de consommer ce qui avait été ratifié. Cette rencontre publique nécessite la présence des parents des lignages maternels et paternels de la jeune fille. Il s’agit ici de rendre officiel et définitif l’engagement pris par la fille, le garçon et à travers eux les deux groupes face au contrat matrimonial. La remise des biens matrimoniaux par le groupe du jeune homme par le canal du Twere au cours de chacune des cérémonies relatives est la condition nécessaire et suffisante à la confirmation du contrat matrimonial. Cette quatrième phase est perçue par les Mbosi comme étant la plus consécratoire du mariage car ceux-ci considèrent la dot, comme pierre angulaire de la coutume en matière des unions matrimoniales. Au Congo-Démocratique également par exemple, cette phase du processus matrimonial est considérée comme la plus décisive. Dans son étude sur les enseignants de Kinshasa, Guy Besnard écrit : «Le mariage coutumier n’est pas composé d’une seule cérémonie mais est un processus jalonné d’étapes…Le versement des cadeaux obligatoires en argent ou en nature en constitue le moment le plus important»283. Obwe versé en argent, boisson et autres objets comme symboles se subdivise en plusieurs parties : Côté paternel : -dot du père -dot du grand-père -dot de l’arrière-grand-père -dot du frère de la fille Côté maternel : -dot de l’oncle -dot du grand-père -dot de l’arrière-grand-père. Chaque partie de la dot est versée à la lignée concernée au village et au domicile du chef de la ligne. Devant chaque instance maternelle, le futur mari et sa délégation sont conduits par le père de la fille. C’est pour ce dernier l’occasion de prouver qu’il s’est déjà luimême acquitté de sa dot à l’instance. Si non, il lui est contesté la qualité de père de la fille en mariage, donc de parrainer la dot de celle-ci. Il doit donc, avant de présenter la dot de son gendre, verser la sienne. S’il s’est déjà acquitté de ses propres obligations, et que la qualité de père de sa fille ne peut lui être contestée, la cérémonie de la dot de sa fille commence par un vin qu’il offre à l’instance concernée des beaux-parents. Les quatre étapes qui viennent d’être décrites demeurent encore indispensables pour la conclusion du contrat de mariage. Si certains aspects du mariage coutumier ont été affectés du fait de l’économie monétaire, l’urbanisation ou la scolarisation, on peut constater que les jeunes qui se marient coutumièrement le font encore conformément à ce processus matrimonial. 283 Bernard (G) : Ville africaine, famille urbaine, p68 cité par Daho (E) : Op. Cit, p133 312 Il arrive aussi que selon les moyens du marié, les dépôts de pagne et «Isare», la prédot et la dot se fassent en une fois chez le père de la fille. Celui-ci invite la belle-famille et ses parents, commence par leur offrir un pot de ses propres moyens. 1.4.6. Les modes du versement de la dot Comme la pré-dot, la dot peut être versé : -en valeurs : suivant ses moyens et ceux qui sont fournis par ses parents, le jeune marié peut présenter des pagnes, un animal (chèvre, mouton), un objet artisanal (vase en céramique), un objet de luxe (bijou) dont la valeur peut couvrir une partie ou la totalité de la dot due à une instance de parents ; -en monnaies : il s’agissait, avant la colonisation, de monnaie traditionnelle du pays connue sous l’appellation de Ndzi (= argent) constituée en coquillages. Pendant la colonisation et aujourd’hui, cette monnaie est remplacée par le Franc. 1.4.7. Ibengaa (sing. Ebengaa) Outre la pré-dot et la dot réglementaires, le futur mari et ses parents peuvent être soumis à l’obligation de verser des cadeaux (Ibengaa) en nature exigés par la mère, le père ou autres parents de la future épouse. Les Ibengaa284 (exigences) constituent donc la partie, obligatoirement en nature, de la dot. Ils compensent les peines et les pertes en biens de richesse subies par le parent qui demande. Le futur mari a l’obligation de verser l’objet demandé dans la nature exigée. Substituer un objet ou la monnaie à l’objet demandé est considéré comme désobéissance et mépris. Les Mbosi considèrent que manquer à cette obligation peut entraîner des ennuis dans le mariage (stérilité de l’épouse, maladies répétées ou amaigrissement sans cause apparente de l’épouse et des enfants). Les objets demandés comme Ibengaa sont : -les animaux : chèvres, poules, canards Le père de la fille peut exiger l’un de ces animaux pour remplacer celui qu’il a dû perdre pour soigner la fille ou qu’il a dû donner à un beau parent au titre de sa dot; un grandpère demande une chèvre ou une poule ou une canne, pour se faire rembourser l’animal qu’il avait perdu en dot de la grand-mère de la fille ou pour soigner la mère de la fille; -l’habillement et élément de literie : pagnes, nattes Le père de la fille peut demander un pagne de haute marque pour compenser ses peines dans les soins sanitaires de la fille ; La mère peut exiger un pagne ou une natte ou encore les deux pour remplacer celui ou ceux qu’elle a perdu parce ce que détériorés par les urines de la fille ; La grand-mère peut exiger à remplacer un pagne ou une natte perdu(e) pour la fille, pour la mère de la fille; 284 Le sens étymologique du terme ebengaa étant inconnu, il importe de rappeler que sous cette appellation, les Mbosi entendaient désigner les «objets d’expection». a vrai dire, les ibengaa étaient recherchés parmi les objets rares d’origine interne ou d’origine externe (objets d’importation européenne ou encore des objets obtenus par le biais des transactions commerciales avec les populations voisines). L’autre aspect particulier d’un ebengaa reste la façon dont il est obtenu. En effet, un ebengaa était aussi une exigence formelle, voire une obligation de recevoir en imposant. C’est pourquoi les Mbosi disent : ebengaa = «s’impose, s’exige», etc. Il est important de préciser que suivant la coutume, les ibengaa étaient de la compensation matrimoniale exceptionnelle. 313 -les instruments aratoires : houe, hache, coupe-coupe demandé par la mère, la grandmère, le père, le grand-père, l’oncle ; -les instruments de pêche ou de chasse : filets, lances demandés par le père, le grand-père, l’oncle; -les produits agro-artisanaux : huile de palme demandée par la mère, la grand-mère. -les objets de beauté : bijoux, peaux d’animaux, tissus. Les Ibengaa sont versés sans cérémonie spéciale. Toutefois, le père de la fille doit assister au versement de tout ebengaa quand il est adressé à un parent maternel de sa fille. L’Ebengaa est nécessairement un élément de richesse. S’il est exigé en animal, celuici doit être une femelle qui donnera des petits. Sur une ligne de parents de la fille, à l’exception de la mère, de la grand-mère maternelle et du père, on ne peut enregistrer plus d’un demandeur d’ebengaa. 1.4.8. Les rôles de la dot Avec Emmanuel Daho dans son article intitulé: La compensation matrimoniale chez les Mbosi: Tradition et évolution285, nous pouvons noter que ce qui peut retenir l’attention des chercheurs et qui confère le véritable sens à la compensation matrimoniale est que, outre son rôle de symbole de conclusion de contrat de mariage, cet élément recouvre plusieurs dimensions de logique interne des comportements sociaux des Mbosi. Ainsi, on peut convenir que, si, pendant des siècles, le droit écrit n’a pas existé dans la société Mbosi, la force de la tradition peut en tenir lieu. A travers les rôles que cette société assigne à la compensation matrimoniale, dans tous ses compartiments (Isare, Ileli, Obwe et Ibeenga), on peut saisir des règles importantes de la coutume des Mbosi. 1.4.8.1. La dot exclut les femmes du contrat de mariage Exceptés la partie de la pré-dot due à la mère, des Ibeenga que peuvent recevoir la mère et la grand-mère maternelle, aucun parent féminin ne reçoit une part de la dot d’une fille. On relève que dans la dot principale, la mère de la fille est remplacée par son frère ou son cousin utérins qui reçoivent la dot des oncles. Les femmes sont exclues de la répartition de la dot. 1.4.8.2. La dot est la preuve d’adhésion au contrat de mariage La dot étant le symbole matériel du contrat de mariage, sa répartition que nous avons produite à la page précédente indique les parties en présence dans le contrat. Il arrive des cas dans la répartition de la dot où tous les membres de la famille n’ont pas eu leur part. Certains membres n’ayant pas reçu leur part peuvent se plaindre. Cette situation entraînait souvent des conséquences malheureuses pour la jeune fille ou le couple en terme soit de maladie, soit de procréation. C’est ce que rapporte le père Prat qui dit : 285 Daho (E): «La compensation matrimoniale chez les Mbosi: Tradition et évolution» in Cahiers de recherches de l’UER de Sciences juridiques, N°6, Université de Paris Nanterre, 1986, pp75-91 314 «…Lorsque vous avez débattu le prix de la dot avec les parents de la jeune fille, ils se le partagent ensuite. Or, il arrive assez souvent que certains d’entre eux ne sont pas contents de la part qui leur est ainsi échue. Ils en gardent du ressentiment. Et s’ils ne peuvent se venger sur les autres parents, ils chercheront à se venger sur la jeune fille elle-même»286. Par cette vengeance dont parle l’auteur, il faut entendre les attaques en sorcellerie (longues maladies, interruptions répétées de grossesses, troubles de menstruation, stérilité), etc. La coutume ouvre cependant, le droit à la dot à trois degrés de chaque groupe parental: trois degrés du côté paternel, trois degrés du côté maternel. Il peut arriver qu’un parent n’appartenant pas à l’un de ces trois degrés dans un groupe, s’estime en droit de recevoir la dot de la fille et l’exige. Le mari de celle-ci, pour mettre, sa famille (épouse et enfants) à l’abri d’ennuis, prépare les biens, se fait accompagner par le père de son épouse ou par son oncle (frère de la mère de la fille) pour déposer la dot demandée. Dès lors, le parent honoré se sent concerné par le mariage et est prêt à répondre à toute convocation pour les problèmes de la fille. Une autre spécificité de la dot chez les Mbosi, c’est son caractère repétitif : en effet, très souvent à l’occasion d’un conseil de famille pour santé ou pour décès de la mariée ou de ses enfants, et surtout lorsque les parents ayant reçu la dot ne vivent plus, les parents survivants exigent du mari, un complément de dot. Ils se réfèrent pour cela à l’adage suivant : «la dot est une nasse tendue sur un ruisseau intarissable que l’on doit visiter tous les jours pour prendre le poisson»287. Cette formule veut dire que la dot est sans cesse renouvelable. Ainsi, pour recueillir l’adhésion des beaux-parents survivants, à son mariage d’avec leur fille, le garçon ou son remplaçant dans le mariage renouvelle la dot, bien qu’à taux relatif. 1.4.8.3. La dot confère l’autorité à l’homme dans le mariage Le principe coutumier Mbosi qui impose exclusivement au garçon et à ses parents de verser des cadeaux et l’argent, la dot aux parents de la jeune fille, lui reconnaît la qualité de chef de famille. Il n’est pas le maître de la femme dans le mariage, ni l’employeur de celle-ci. Dans le mariage chez les Mbosi, la femme doit servir son mari et sa belle famille et le mari et sa famille doivent servir et protéger la femme : obligation de la vêtir, de la soigner et de la protéger contre les mauvais actes. Ainsi donc, la dot confère l’autorité à l’homme dans le mariage en sa qualité de chef de famille. Mais cette autorité du mari ne s’étend pas dans le domaine économique. Chez les Mbosi en effet, les activités de production sont déterminées selon le sexe. S’agissant des champs par exemple, les hommes déboissent et les femmes sèment. S'agissant de la pêche, les hommes pêchent au filet, harpon et hameçon et les femmes au panier. Les hommes bâtissent des maisons et les femmes s’occupent de la cuisine. L’argent gagné après la vente du manioc ou maïs cultivés dans le champ travaillé par le mari est partagé entre les époux de manière libre. Cependant, ce que la femme a gagné de la 286 Prat (J) : Op. Cit, pXXXIV Ce point est le fruit de l’entretien que nous avons eu avec Ndey Mbola, un chateur-griot du village Ngania, âgé d’environ 55ans, le 31/05/2001. 287 315 pêche ou du champ cultivé elle-même, ne se partage pas avec l’époux. Les époux ont chacun leur bien. 1.4.8.4. La dot légitime la paternité La compensation matrimoniale en régime coutumier légitime la paternité de l’époux à l’égard des enfants. En principe - cela est toujours respecté – le père d’un enfant est celui qui, au moment de la signature du contrat matrimonial, a procédé au versement des «bea b’obwe» pour la mère de cet enfant. Aujourd’hui du fait du «glissement» de la société vers la filiation patrilinéaire, il revient à celui qui verse ces biens d’attribuer à ses enfants, dès leur naissance, son nom ou celui d’un parent défunt. Il convient de signaler que l’octroi du nom d’un parent défunt est une pratique sociale qui permet aux vivants de l’immortaliser. Cette dimension juridique de la compensation matrimoniale est attestée par ce que les Mbosi disent d’un enfant né d’une femme non «dotée» : «mwana ya akange» (enfant illégitime). Cet enfant ne peut légitimement être reconnu enfant de son géniteur que si celui-ci verse une dot pour valider son union avec sa mère ou sa reconnaissance de l’enfant hors foyer. Si la procédure de reconnaissance de l’enfant intervient après la mort de sa mère, le père doit verser deux dots: une pour épouser le cadavre de la mère pour établir sa légitimité sur l’enfant, l’autre pour reconnaître son enfant. En revanche, la dot fait du mari d’une femme le père de ses enfants, même s’ils sont adultérins ou nés pendant la procédure de divorce de la mère d’avec son mari avant que la dot soit remboursée. Ce fait caractérise aussi d’autres civilisations africaines. C’est ainsi que Claude Meillassoux, après une étude menée sur les Gouro (Côte d’Ivoire) constate : «Si la femme quitte son mari avant d’avoir eu des enfants, le nouvel époux – car une femme qui ne divorce que pour marier – doit rembourser au premier la totalité des versements que celui-ci a fait à sa belle-famille. Si la femme a déjà eu un ou plusieurs enfants, ceux-ci demeureront avec leur père, à moins qu’il n’exige le remboursement de la dot, auquel cas, ils reviendront à la famille de la femme si celle-ci a procédé au remboursement»288. 1.4.5.5. La dot est un capital Pour la coutume Mbosi Olee, le mariage est perçu comme un investissement et la dot est un capital. Elle participe à l’héritage qu’un homme laisse aux siens à sa mort. La femme, bien acquis par ce capital, reste, dans la famille du défunt mari. Si la veuve décide de quitter la famille du défunt mari, elle et ses parents doivent rembourser la dot qui était versée pour elle. Ses enfants restent membres de la famille de leur père après que celle-ci ait versé une petite somme de reconnaissance de la paternité des enfants. La dot est donc l’un des facteurs favorisant le lévirat en société Mbosi. Pour souligner ce rôle de capital que le garçon et ses parents placent dans la famille de la jeune femme, nous aimons relever un fait important de la coutume Mbosi, fait en voie de disparaître heureusement. Il s’agit du droit de substitution. 288 Meillassoux (C) : Anthropologie économique des Gouro de Côte-d’Ivoire de l’économie de subsistance à l’agriculture moderne, Mouton, Paris, 1964, p215 316 Nous désignons par droit de substitution, le fait qu’un homme qui perd sa femme, par décès de celle-ci, peut revendiquer et obtenir de substituer à sa défunte femme, une soeur ou une cousine de la disparue si la mort de la femme était causée par sa famille. Ce droit est ouvert et reconnu à l’homme qui a versé toute dot, lorsque, pour le décès de sa femme, toutes les déclarations des féticheurs consultés, accusent un clan parental de la défunte. Pour réparer sa perte et reconstituer l’objet de son capital, l’époux éprouvé oblige le clan coupable du décès de sa femme, à lui fournir une autre fille en remplacement de la défunte. La dot versée au clan coupable au titre de la première femme se reporte sur la fille de substitution. 1.4.5.6. La dot est facteur de stabilité La compensation matrimoniale apparaît comme un élément destiné non seulement à établir des relations entre deux groupes, mais également et surtout à les maintenir d’une manière durable. En effet, dès lors que les objets matrimoniaux sont remis aux parents de l’épouse, chacun doit veiller à l’accomplissement des obligations matrimoniales de telle sorte que les liens matrimoniaux ne puissent se défaire. La consommation du divorce dans cette société étant conditionnée par le remboursement des biens matrimoniaux par les parents de l’épouse, on peut dire, dans une certaine mesure que, sous sa forme traditionnelle, la compensation matrimoniale était un élément ne permettant pas à une épouse de se livrer à un type d’actes pouvant entraîner l’instabilité du foyer. Etant une hypothèque forte sur les libertés de l’épouse et une garantie de la stabilité dans l’union, on peut dire que sous sa forme traditionnelle, la “dot“ maintenait la femme dans une situation inconfortable, dans la mesure où son départ définitif du foyer conjugal était lié à l’obligation des parents de restituer les biens matrimoniaux reçus en dot. Aujourd’hui le développement économique de la société bien que relatif a introduit de nouveaux comportements. Une épouse disposant d’une capacité financière, peut se permettre de prendre ses libertés et ses droits de quitter son foyer conjugal quand elle en sent le besoin et de procéder elle-même au remboursement de la dot. Ce fait actuel pour une femme de demander le divorce car capable de rembourser elle-même la dot est-il une bonne chose ? Nous ne le croyons pas. Nous constatons que les foyers ne sont plus stables et les divorces se multiplient sacrifiant ainsi la vie des enfants issus et créant des foyers d’enfants de rues. La femme ayant donc acquis petit à petit sa liberté dans le foyer, la dot n’est plus le facteur contraignant pour la maintenir dans un foyer. La stabilité des unions repose de plus en plus sur des facteurs objectifs d’amour. De même qu’il y a mariage chez les Français quand il y a célébration de celui-ci devant l’officier d’Etat-civil. La dot chez les Mbosi ne constitue pas un frein à l’évolution de la société, au contraire, elle est un garde-fou et garantit l’unité et la stabilité du foyer. 1.4.5.7. La dot assure une personnalité à la femme Comme le note Georges Balandier289, la dot reste définie d’une manière unanime comme une tradition indispensable ; elle témoigne du «respect dû à la femme» ; elle est signe de la légitimité de l’union : elle a valeur d’enregistrement, pourrait-on dire. La dot distingue l’épouse de la concubine et de la femme-esclave (qui, elle, est achetée). Pour tout dire, la dot tend, malgré l’importance prise par l’économie monétaire, à conserver son caractère de 289 Balandier (G) : Op. Cit, p318 317 symbole de contrat de mariage, et non à apparaître comme le «prix» de la femme cédée en mariage. Chez les Mbosi, toute femme non dotée se sent minorée devant les autres épouses du village. Les père et mère d’une fille placée en union sans dot ont leur personnalité dégradée dans le village. Ils peuvent faire l’objet de railleries du village. En effet, un mariage passé sans dot est considéré comme une union libre et les enfants nés de cette union sont propriétés des parents de la femme. Cette situation, surtout si elle résulte de l’insolvabilité économique du mari, place les parents de la femme dans une position morale des plus inconfortable parce que le statut de celle-ci rappelle celui des anciens esclaves. Tous ces faits sont aussi observés par Emmanuel Daho qui les résume en ces termes : «Il apparaît clairement que la compensation matrimoniale témoigne du respect dû à la femme, confère à une union un caractère de mariage et en dernière analyse valorise la femme. L’union avec versement de la compensation matrimoniale constitue, pour la femme, une véritable promotion sociale. Il y va d’ailleurs de l’honneur du groupe familial tout entier. En effet, une femme mariée est perçue dans la société comme celle qui a reçu une bonne éducation familiale, laquelle l’a orientée vers les fonctions que la société lui assigne: être épouse et mère de famille. En revanche une ndumba (prostituée) est celle qui a reçu une éducation qui ne s’adapte pas aux réalités socio-culturelles. Certes une ndumba peut avoir des enfants, donc être mère de famille, mais celle-ci ne remplissant pas la fonction d’épouse, ner peut être socialement valorisée»290. La femme mariée, se sent dans la plénitude de sa personnalité et de sa condition de femme et mère au foyer que si son mariage est conclu en terme de dot pour sceller l’accord entre ses parents et son époux. La dot, sa composition et la promptitude à la verser assurent à la fille le témoignage de la valeur que les clans de ses parents et ceux de son mari attribuent à ses qualités physiques et morales. Des anthropologues et ethnologues ont vu dans la dot africaine à travers ses formes matérielles et financières, le prix de la fiancée, le mariage négro-africain devenant donc un pur phénomène d’achat – vente. Cette thèse a été réfutée par plus d’un, également anthropologues et ethnologues; du reste, d’autres faits des sociétés traditionnelles au Congo disent bien que la dot n’est pas le prix de la fiancée. Cheikh Anta Diop dans son livre : L’unité culturelle de l’Afrique noire, explique la différence entre la dot dans la société indoeuropéenne et celle dans la société africaine en ces termes : «Dans un système de vie nomade, la femme indo-européenne est considérée comme un poids encombrant et une bouche à nourrir ; dans le mariage , elle apporte donc une dot au mari, comme pour compenser économiquement le dommage qu’elle lui cause en venant se faire nourrir. Dans le système de vie sédentaire où la femme africaine est une actrice incontournable dans la production et la reproduction de producteurs, son départ en vue du mariage constitue une perte pour sa famille ; il est donc normal que ce soit le mari qui donne une dot aux parents de sa femme»291. Il conclut son analyse en disant : «Si l’indo-européenne qui donne sa dot n’achète pas son mari, l’africain qui remet la sienne n’achète pas davantage sa femme»292. La dot ne peut pas être le prix de la fille dans la mesure où celle-ci malgré le mariage reste la fille et l’enfant de sa famille. Un objet acheté ne peut pas avoir deux propriétaires. 290 Daho (E): Le mariage Mbosi: Tradition et évolution, Thèse de doctorat de sociologie, Université de Caen, 1983, p172 291 Cheikh Anta Diop : L’unité culturelle de l’Afrique noire, Présence Africaine, Paris, 1982, p33 292 Cheikh Anta Diop : Op. Cit, p33 318 Par ailleurs, si la femme Mbosi était achetée, c’est-à-dire une chose alienée par son mari ou sa famille, elle ne pouvait pas bénéficier d’une capacité à attribuer des noms à ses enfants, elle ne pouvait pas refuser de se remarier avec un parent de son époux mort comme l’exige la coutume, elle ne pourrait pas revenir dans son village pour y demeurer pendant longtemps afin de soigner ses parents ; enfin si la femme Mbosi était achetée, il serait difficile pour elle de disposer d’une autonomie financière. Emmanuel Daho abonde en ce sens : «…la femme Mbosi qui intègre son foyer conjugal ne peut être considérée comme étant achetée lorsqu’on examine la question sous un angle juridique. Elle ne saurait être identifiée à une femme esclave du fait qu’auprès de son époux elle jouit de tous les droits qui lui sont reconnus par la société. Or, une personne vendue perd ses droits sociaux, acquiert le statut d’esclave, ce qui n’est pas pour une femme mariée avec la dot. Le mari n’acquiert jamais les pleins droits, car l’épouse peut, avec l’accord des membres de sa famille d’origine, demander le divorce et quitter définitivement son foyer conjugal. L’on sait qu’un personne vendue ne peut se prévaloir de ce droit»293. La description assez large que nous venons de donner sur le système matrimonial Mbosi Olee, ne doit pas être considérée comme une étude totale du mariage coutumier de cette société. Nous avons, seulement, voulu faire saisir que, le mariage, fait social codifié et protégé par Otwere, et officié par les membres de cette suprême institution, offre de larges dimensions de la coutume Mbosi, droit non écrit de cette société. Les multiples fonctions de la dot, telles que nous venons de les mettre en évidence, permettent d’affirmer que la compensation matrimoniale, du point de vue du mariage en société Mbosi, est une valeur globale de celle-ci. C’est d’ailleurs cette multifonctionnalité qui fait de la compensation matrimoniale une donnée particulière du système Mbosi. Aujourd’hui, avec la compénétration et la cohabitation des ethnies qui, jadis, vivaient isolées et la coexistence des civilisations et coutumes, la dot, tout en demeurant élément central du mariage coutumier, a perdu beaucoup de ses fonctions fondamentales. Le mariage coutumier, quant à lui, reste officié par le Twere dans les centres urbains. 1.5. Le rôle du Twere Sauf les Ibeenga, chaque dot est versée devant le Twere qui la transmet. Le Twere est donc, sous le contrôle et la protection d’Otwere, "l’officier d’Etat-civil" dans le contrat de mariage. Il fait respecter les règles et les taux de la dot prescrits par Otwere et en vigueur dans la zone où se déroule le mariage. Il fait observer à chaque partie le montant de chaque phase de la dot. Il devient conciliateur si la famille du futur époux est dans l'incapacité de verser ce montant. Il est constitué témoin pour la suite de la dot non versée. Si le parent n’est plus aligné sur la liste des lignes ayant droit à la dot, demande et exige que lui soit versée une dot pour la fille à marier, le rôle du Twere consiste à concilier les parties. Pour chaque phase de contrat de mariage et dot, le Twere qui a officié en conserve un symbole en guise d’archives. 293 Daho (E) : Op. Cit, p178 319 1.6. La rémunération du Twere Pour son rôle, le Twere reçoit le Tsoo (faire amende honorable) versé par la famille du mari à chaque dot. 2. Osambe (palabre organisée pour la santé d’une personne)294 Les croyances et les coutumes en Afrique attribuent à certains faits ou événements des causes surnaturelles relevant des pouvoirs maléfiques de certains individus appelés sorciers. Aussi, comme l’indique Sylvie Fainzang295, toute société élabore, pour faire face à la maladie, un système de stratégie destinée à en enrayer la cause. Sont ainsi mis en place un certain nombre d’instances dont la vocation explicite est de résoudre le problème posé par son apparition. Lorsque la maladie survient, il faut non seulement tout mettre en oeuvre pour la faire disparaître, mais aussi comprendre pourquoi elle est apparue et qui en est l’auteur mystique. La société traditionnelle Mbosi Olee dispose d’une instance dont l’intervention est requise en cas d’apparition de la maladie. Il s’agit d’Osambe296. C’est sur cette instance que nous porterons notre attention pour tenter de définir son rôle spécifique, son mode d’intervention et les représentations qui lui sont attachées. 2.1. Objet Osambe est une palabre organisée suite à une maladie. C’est une séance judiciaire à l’échelle parentale. Elle est convoquée pour : -Obtenir la guérison d’une maladie grave et persistante ; -Obtenir la guérison de la stérilité d’une femme ; -Arrêter les échecs d’une personne ou d’une famille ; -Arrêter les causes de décès dans une famille. 2.2. Les parties en présence Osambe oppose : 1)-Pour un homme, un enfant : la famille paternelle à la famille maternelle. 2)-Pour une femme mariée : l’époux (et ou sa famille) aux belles-familles paternelles et maternelles de l’intéressée. 294 Pour ce point sur Osambe, nous reprenons ici notre mémoire de DEA : Op. Cit, pp122-133 Fainzang (S): L’intérieur des choses. Maladies, divination et reproduction sociale chez les Bisa du Burkina, Harmattan, Paris, 1986, p98 296 Cette palabre est bien connue dans d’autres coutumes congolaises. Par exemple, chez les Mbosi de la rive gauche de l’Alima (Mbosi de la Cuvette) et les Likouba, Osambe est connue sous l’appellation de Ndo ; chez les Bangangoulou, on la désigne par Onkou. 295 320 2.3. La convocation d’Osambe Deux cas sont observés : 1)-Osambe d’un homme, d’un enfant : cet Osambe est convoqué par le père ou son successeur. La convocation est faite sous forme de communication de la date retenue pour la séance judiciaire. Cette communication est faite au chef de chaque lignage maternel par le père lui-même ou son successeur ou par un messager dûment mandaté par lui. 2)-Osambe d’une femme mariée : en dehors du cas de convocation d’Osambe évoqué ci-haut, Osambe est aussi demandé par le mari d’une femme. Au sujet d’Osambe ou Ndo d’une femme mariée chez les Mbosi, Michel Legrain écrit: «On répudie pas sa femme parce qu’elle est malade : on la soigne, en la menant éventuellement d’un féticheur à l’autre. Si cela ne suffit pas, le mari convoque une assemblée de tous les parents de sa femme pour leur faire des remontrances. Cela se nomme en Mbochi le ndo. Il supplie aussi toute cette famille de cesser de nuire à sa femme, de ne plus l’ensorceler. S’il est en tort, qu’on le lui dise, et il payera pour réparer. S’il le faut, le mari restitue pour un temps sa femme à sa famille d’origine, là où sa vie a commencé et s’est développée. Quand elle est guérie, on lui ramène, et il offre quelque chose en remerciement »297. 2.4. La saisine du Twere et son rôle Le Twere est choisi parmi les sages du village qui abrite l’Osambe ou d’un des villages voisins. Il est saisi par la partie qui a l’initiative de la convocation. La saisine est une invitation verbale à venir juger, confirmée par le dépôt d’un objet ou d’une somme d’argent en guise de frais de saisine (Iphei la Mwandzi). Le rôle du Twere est de veiller au respect des principes établis ou de la jurisprudence reconnue. Il veille surtout à l’établissement ou à la reconnaissance de la légitimité de chaque partie. Il s’efforce à réconcilier les parties pour cette légitimité. Pour son action, il procède à des prélèvements d’office sur chaque somme d’argent ou objets versé en frais (symboles : Ileli). 2.5. Le déroulement de l’audience publique Osambe se déroule au domicile de la victime ou de la partie qui a l’initiative de convocation. Les autres parties arrivent le soir du jour qui précède la date prévue pour la palabre. 2.5.1. La réquisition introductive du Twere "L’audience" commence ici par la réquisition du "Twere- conciliateur et témoin" qui demande à la partie ayant l’initiative de convoquer l’Ossambe d’exposer le motif du rassemblement des familles. Toutes les parties sont rassemblées à la même place. Son discours évoque tour à tour, le moment, le lieu et les circonstances de l’invitation qu’il a reçue, les précautions prises pour se présenter, l’étonnement de trouver en ce lieu beaucoup de personnes rassemblées. 297 Legrain (M) : Op. Cit, p220 321 Après avoir répété ce discours, le "Twere-conseil" de la partie ayant l’initiative de la convocation expose le motif d’Osambe et demande au "Twere- conciliateur et témoin" de l’aider dans sa situation. En guise de premier conseil, le "Twere-conciliateur et témoin" l’invite à trouver un siège pour ses beaux-parents et à se séparer d’eux. C’est le "Twere-conciliateur et témoin" qui conduit les invités (beaux-parents) au siège qui leur est indiqué et les convie à s’asseoir et à l’attendre en ce lieu. 2.5.2. La constitution des symboles d’Osambe : Ileli Après la séparation des parties, le "Twere-conciliateur et témoin" demande à l’hôte d’Osambe de présenter les symboles (ileli) à déposer aux beaux-parents. Il s’agit : -Ibondi (sing.Obondi, réception à distinguer de tous repas offerts depuis l’arrivée des invités) ; -Asoue la gniama (droits d’Osambe) ; -Ibo la moro (le «certificat de vie» de la personne concernée). Actuellement, ce symbole des plus importants vaut une pièce de 10 francs enfermée dans un papier. Il ne peut être découvert que par la personne qui sera la dernière à la recevoir (Odi). De nos jours, tous ces symboles sont représentés par des sommes d’argent assez minimes et une quantité modeste de boisson. Après, le "Twere-conciliateur et témoin", s’informe sur les noms des clans ou des représentants des clans de l’autre côté. Il doit aussi s’assurer si entre les parties, il existe un médiateur nommé (Ondzale m’iba) déjà constitué. S’il en existe un, il doit accompagner le "Twere-conciliateur et témoin" ou l’équipe de Twere (le Twere saisi peut se faire seconder par un compère choisi par lui). Si l’Ondzale m’iba n’a jamais été constitué, l’hôte d’Osambe en propose un nom et verse les frais de constitution. Ondzale m’iba qui va être accepté par les autres parties doit être apparenté au moins à deux clans différents en présence. 2.5.3. La présentation des symboles Le "Twere-conciliateur et juge", se présente devant les clans invités, accompagné de son second, de l’Ondzale m’iba et des proches (enfants, frères ou sœurs) en l’honneur de qui l’Osambe est organisé. Même s’ils sont rassemblés au même lieu, les gens agissent par clans. Lorsque l’Osambe est convoqué pour une femme mariée, par le mari ou par le successeur du mari, le "Twere-conciliateur et témoin" s’adresse d’abord au clan du père de la femme. Lorsqu’elle concerne un homme, un enfant, convoqué par le père ou son successeur, le "Twere-conciliateur et témoin" s’adresse d’abord au clan paternel de la mère du concerné. Il sera ensuite orienté successivement vers le clan paternel de la grand-mère (mère de la mère de l’intéressé) et enfin vers le clan maternel (clan de sa mère et de sa grand-mère) c’est-à-dire le clan des oncles utérins appelés Adi (les oncles maternels). Devant le représentant de chaque clan, il termine son discours par une invitation de recevoir les symboles d’autrui, de les conserver s’ils n’appartiennent qu’à lui ou de les transmettre à qui de droit. 322 2.5.4. L’établissement de la légitimité A la fin du discours du "Twere-conciliateur et témoin" pour la représentation des symboles au premier clan, le chef de ce clan (pour la circonstance) invite ses membres à se retirer pour une concertation (eyimbi). Si aucun litige ne reste latent entre lui et les autres clans présents (de ses beauxparents), il peut les associer à la concertation. Dans ce cas, c’est l’équipe des Twere qui est invitée à se retirer pour laisser l’ensemble se concerter. La concertation permet d’établir la légitimité de celui qui a eu l’initiative de convoquer l’Osambe et qui en a constitué les symboles. Il s’agit de se rappeler et de reconnaître : 1)-Dans le cas où l’Osambe est convoqué pour une femme mariée -Si l’époux a versé toutes ses dots ; si non il lui est fait l’obligation de les verser (au moins en partie) avant que les symboles constitués par lui soient reçus. -Si le premier époux étant décédé et succédé dans le mariage par un remariage, le successeur a déjà versé sa dot de succession ; si non il doit le faire pour que ses symboles soient reçus 2)-Dans le cas d’Osambe convoqué pour un homme, un enfant -Si le père ou son successeur a terminé de verser les dots au titre du mariage de la mère de l’intéressé. Si non il n’est pas le père légitime et les symboles constitués ne sont pas recevables. Il doit verser au moins une partie de ces dots pour établir sa légitimité. La descendance légitime ainsi ce mariage. -La personne ou les personnes concernées par l’Osambe étant orpheline(s) de mère, si le père ou ses successeurs ont versé la dot de reconnaissance d’enfants (Soo) laissés vivants par la défunte mère. Dans le cas contraire, la légitimité du père n’est plus reconnue. Il faut verser cette dot pour que les symboles soient reçus. -Un ou plusieurs frères ou sœurs de la personne concernée étant décédés, si le père ou ses successeurs ont déjà convoqué et fait tenir le conseil de famille pour chaque décès. Sinon, il doit commencer par les symboles relatifs à ce conseil qui doit se tenir avant l’Osambe. Cette première concertation terminée, les familles rejoignent les Twere qui leur demandent d’annoncer la décision que leur concertation leur a permis d’arrêter (pour ou contre la réception des symboles qui leur sont présentés). Si aucun manquement, aucune cause de refus n’est retenu contre les symboles, le "Twere-conseil" du clan paternel annonce la recevabilité des symboles par son clan et demande au Twere de les transmettre aux autres clans. A chaque niveau, le même examen de situation est fait pour la légitimité du clan précédent qui transmet les symboles. Tout litige révélé doit être réglé séance tenante sinon le clan fautif appréhendé est déclaré non légitime pour jouer son rôle. Le "Twere-conciliateur et témoin" qui a amené les symboles d’Osambe est chargé de régler ce litige sans une autre forme de saisine. Si un manquement ou une cause d’irrecevabilité est présumé (e) établi, le "Twereconciliateur et témoin" est prié de ramener les symboles à son auteur. 323 2.5.5. La réplique pour la défense de la légitimité en cas d’irrecevabilité Le "Twere-conciliateur et témoin" revient au siège des membres du clan hôte d’Osambe. Il est interrogé par le "Twere-conseil" de ceux-ci qui lui demande de transmettre les positions des beaux-parents sur les symboles. En cas d’irrecevabilité, le "Twere-conciliateur et témoin" dépose les symboles et transmet les positions des beaux-parents toujours par un discours qui doit révéler le talent et la connaissance. Les membres du clan doivent se retirer ou demander au Twere de se retirer pour une concertation. La concertation de tous les membres du clan devant le "Twere-conciliateur" et témoin permet d’analyser la cause d’irrecevabilité relevée par les clans des beaux-parents. Ici le "Twere-conciliateur et témoin" joue le rôle de conseil des familles, du clan en difficulté. Par les proverbes, les tournures de la langue, les citations, les rappels des cas de jurisprudence connus en la matière, il oriente l’analyse des faits invoqués par les clans adverses. Il rappelle au mari ou au père les devoirs et les meilleures positions à prendre devant les beaux-parents pour mieux préserver la santé ou la cause de l’épouse ou des enfants. Si la cause de l’irrecevabilité est reconnue fondée, la réplique des familles du clan en difficulté est une proposition du règlement partiel ou total de cette cause. Le règlement peut être en régularisation ou un ajout complémentaire. Si, à l’inverse, la cause d’irrecevabilité est qualifiée non fondée, la réplique est un ensemble d’arguments rappelant la date, le lieu et les témoins des actes posés pour le règlement de la cause invoquée. Dans les deux cas, la proposition concertée et remise au "Twere-conciliateur et témoin" doit être accompagnée d’un fonds constitué pour la réparation de la faute (Obondi) aux beaux-parents assimilant la réparation du préjudice. Le montant de ce fond est fonction des faits relevés. En la circonstance, le "Twere-conciliateur et témoin" et les sages des clans, doivent rappeler que l’on n'a jamais totalement raison devant les beaux-parents. Il faut réparer le tort causé aux beaux-parents ; il faut toujours solliciter leur pardon. Le "Twere-conciliateur et témoin" revient vers les clans convoqués pour Osambe (clans des beaux-parents). Il est interrogé par le "Twere-conseil" du clan qui a soulevé l’exception d’irrecevabilité, qui, après le rappel des faits, demande les raisons du retour. Celui-ci (le Twere-conciliateur et témoin) doit d’abord comme son interlocuteur rappeler toutes les interventions faites lors de son premier passage et les péripéties qui ont abouti à la déclaration d’irrecevabilité des symboles et d’illégitimité de leurs auteurs, avant de déposer les propositions qui le ramènent. Il annonce et présente d’abord le fond d’adoration pour assouplir les positions, puis annonce et présente la réparation de la cause d’irrecevabilité qui lui était opposée. Si le niveau et le montant de la réparation et du fond de réconciliation sont reconnus suffisants et acceptables, le "Twere-conciliateur et témoin" les met en circulation avec les symboles d’Osambe suivant le circuit décrit plus haut. Lorsqu’ils arrivent devant le représentant du clan des oncles (Adi); celui-ci déclare les symboles acceptés et les renvoie vers le père pour partage. Cette acceptation des symboles vaut autorisation de la tenue de la palabre, «Osambe». 324 Sur chaque chapitre de réparation ou de régularisation, le "Twere-conciliateur et témoin" prélève pour sa commission une ponction dont le montant est fonction des sommes ou de la nature d’objets présentés en règlement. Sur les boissons, il prélève pour lui et son second, une part qui varie aussi en fonction des quantités présentées. 2.5.6. Les frais de justice (Iboro la Mwandzi) Le "Twere-conciliateur et témoin" revient au siège du clan qui a convoqué l’Osambi et constitué les symboles, muni de la position finale des beaux-parents (clans convoqués) c’està-dire l’acceptation et l’autorisation d’Osambe. Avant de répondre au discours qui l’invite à signifier la position finale des clans invités, il réclame «sa prise en charge» et prétend avoir effectué un long voyage sans manger ni boire et être épuisé par celui-ci. Par cette formule, il demande et exige le versement de ses frais de justice (iboro la Mwandzi). Ceux-ci sont fixés et ont le même montant dans toute la zone Mbosi Olee. De nos jours, leur montant est de 500fcfa dans les villages et de 3000fcfa dans les centres urbains. Après avoir reçu ses frais, il dépose la position des beaux-parents dont il annonce l’impatience à quitter le village. Il reçoit alors l’ordre d’aller appeler les beaux-parents pour les ramener au siège d’Osambe. 2.5.7. La séance publique et finale: la palabre Osambi est provoqué par les révélations des Nganga (féticheurs) consultés par le mari ou par le père ou par la personne victime, pour connaître les causes et les origines de la maladie, des échecs et des décès dont sont victimes la femme ou les enfants. Ces consultations peuvent déterminer aussi le rituel réparateur auquel doit se soumettre le malade. Chaque clan ou plusieurs membres de chaque clan dès l’annonce de la convocation d’Osambe doivent consulter un ou plusieurs Nganga pour constituer les éléments de leur défense et de l’accusation qu’ils doivent faire. La palabre publique est la séance de déclarations en fonction des résultats des consultations c’est-à-dire des révélations des Nganga. Le rôle du Twere ici, est de coordonner la palabre et distribuer la parole en fonction des responsabilités. La palabre est ouverte par le "Twere-conciliateur et témoin" qui invite le mari (et son clan) ou le père (et son clan) à trouver devant lui les clans de ses beaux-parents. Il présente ces clans en refaisant circuler le symbole «d’ibo la moro», toujours secret. Le représentant de chaque clan est appelé à le recevoir debout et les autres membres du clan viennent se ranger derrière lui. Après cette présentation solennelle, il procède à l’audition des déclarations. 2.5.7.1. La déclaration du mari ou du père Le mari ou le père est simple gardien de la femme ou de la personne victime du mal qui a provoqué la convocation d’Osambe. Sa déclaration est une accusation. Il annonce le mal dont sa femme ou ses enfants est ou sont victimes. Il dénonce le clan ou les clans dont sont issus les responsables du mal, les raisons qu’ils utilisent pour leurs actes. Il ne doit pas désigner un nom mais peut donner les caractéristiques du ou des plus grand (s) porteurs du 325 mal, le degré de parenté avec la personne ou la famille victime, les formes d’agents (animaux, serpents, poissons, vers, insectes, plantes) qu’ils ont introduit dans le ventre ou dans le sang de la victime pour causer la maladie ou la stérilité ; il peut citer (souvent avec conviction) les formes des esprits qu’ils utilisent pour atteindre la victime ou la famille victime. Il termine son discours par une mise en garde, un appel aux auteurs du mal à retirer du ventre ou du sang de sa femme ou de ses enfants, les agents du mal qu’ils ont introduit pour l’obtention immédiate de leur guérison ou de rétablissement de leur santé. Il prononce des menaces pour une riposte, une vengeance si toutes les formes d’esprits maléfiques ne quittent pas sa femme ou ses enfants ou si, un malheur plus grave surviendrait dans sa famille. Cette déclaration est faite par un ou deux parents (un paternel et un maternel) du mari ou du père et peu fréquemment par lui-même. 2.5.7.2. La déclaration du groupe des paternels de la femme ou du père de la mère de l’enfant et du groupe des paternels de la mère de la femme ou du père de la grand-mère de l’enfant Cette première déclaration est suivie par les déclarations du clan du père de la femme ou du père de la mère de l’enfant et du clan du père de la mère de la femme ou du père de la grand-mère de l’enfant. Ces deux clans sont les producteurs de la personne ou de la famille victime. Ils ne sont pas propriétaires de cette personne ou de cette famille. Leurs déclarations prennent acte de l’accusation du gardien. Elles peuvent être prononcées par deux ou trois orateurs se succédant dans chaque clan. Si l’accusation du gardien recoupe les révélations de leurs propres consultations, ils les soutiennent, les complètent ou même les aggravent s’ils le peuvent. Si l’accusation du gardien (mari ou père de la victime) ne s’accorde pas avec les révélations de leurs consultations ou excluent un groupe des responsables du mal de la victime, ils peuvent formuler leur propre accusation. Leur accusation peut viser une personne ou un groupe de personnes du village ou de la famille du mari ou du père de la victime. Si l’accusation du gardien ou leur propre accusation implique leur clan, les orateurs de chacun de ces clans intermédiaires, tout en se mettant hors d’accusation ou forçant la défense de leur famille directe, invoquent les esprits des morts de leurs clans pour demander l’arrêt du mal de la victime. Ils font aussi des mises en garde, des menaces pour obtenir le retrait des esprits maléfiques et l’arrêt du mal. 2.5.7.3. La déclaration du groupe des oncles maternels Ce groupe est celui des possesseurs, propriétaires (Adi, sing. Odi) de la personne ou de la famille victime. Il est appelé idihima (appartenance) de la personne concernée. La déclaration de ce clan est finale et clôture l’Osambe. On dit en Mbosi, pour exprimer la valeur de cette déclaration, que : «Odi la dipha ndeyi» c’est-à-dire l’oncle maternel clôture la séance des pourparlers. Comme celles des clans précédents, la déclaration des Adi peut être prononcée par deux ou trois orateurs se succédant. Le premier à parler est l’oncle maternel immédiat de la victime (frère ou cousin consanguin de la mère) qui a dû faire des consultations auprès des féticheurs pour le compte d’idihima. Son discours est très dur, très véhément. Après avoir pris acte des accusations 326 précédentes, il contre-attaque les autres clans. Il dénonce les esprits malfaiteurs du village qu’habite la victime, les autres lignes parentales de celle-ci. Il indexe les autres familles de ses propres clans. Il termine son discours par des formules qui, à la fois exigent et annoncent la guérison, la fin du mal de la victime. Le dernier à parler est l’oncle maternel de la mère (et de l’oncle immédiat) de la victime ou son fils ou le fils de son oncle. Si l’Osambe se déroule devant la case habitée par la victime, ce dernier orateur, l’Odi primaire (propriétaire principal) devant qui s’étaient arrêtés les symboles d’Osambe, parle en se plaçant à la porte de cette case. Dans son discours, après avoir pris acte de toutes les accusations portées contre son clan, il déclare qu’il assume toutes les révélations faites. Il invoque généralement les esprits des oncles et autres parents morts pour obtenir la guérison et la paix dans la famille victime. Il invective les esprits intrus et exige leur départ dès l’instant. Il termine son discours en déclarant qu’il amène avec lui “tous les grillons, tous les cafards, toutes les souris, tous les gécots qui peuplent la maison de sa propriété". Après cette déclaration, il boit une boisson qu’il crache sur la victime et dans sa maison, comme pour les laver de tous les esprits intrus ou propriétaires qui les habitent. De nos jours, ce crachat est remplacé par un lavement de mains dans de l’eau qui doit être versée sur la victime et autour de sa case298. Ce geste termine la procédure d’Osambe. Si pendant les phases précédentes le "Twere-conciliateur et témoin" passait le Mwandzi à tous ceux qui prenaient la parole, à la palabre publique, le Mwandzi n’est pas autorisé aux orateurs. Les déclarations publiques de nature brutale et querelleuse ne doivent être dites en se plaçant sous le contrôle et la protection du Mwandzi. Le noble instrument reste, pendant toutes les déclarations, hissé dans les mains du "Twere-conciliateur et témoin". Malgré la dureté des discours, la gravité des révélations qui peuvent irriter les parents indexés ou les victimes, personne ne peut bouger pour s’attaquer ou à l’orateur ou à la personne indexée: la présence du "Twere-conciliateur et témoin" muni du Mwandzi hissé tient tout le monde au respect et au calme. Après le geste final d’Odi, tous les invités, surtout l’Odi principal doivent quitter le village comme pour amener les mauvais esprits qui doivent les suivre. Pour la même personne et pour la même cause, l’Osambe peut être convoqué une ou deux fois suivant que la cause persiste. 298 L’objectif de ce crachat ou du lavement des mains accompagné de paroles exorcissantes, est de faire sortir, disparaître le mal afin de rétablir l’équilibre. En effet, chez les Mbosi, le rite d’exorcisme se pratique sur un être huamin, sur un animal, sur un lieu ou sur un objet précieux, pour faire sortir une influence maléfique perturbant dans le but de guérir ou de purifier. Il se pratique sur un être humain, lorsqu’il présente des signes évidentes de possession, d’envoûtement ou d’ensorcellement que sont les frissons, monologues incohérents, visions hallucinatoires, maladie étrange ou succession de malheurs inexplicables. Il est clair que le diagnostic fait et approuvé conduit nécesairement à son exorcisation. Il faut mentionner que ces faits exorcissants effectués au cours de ce rituel sont parfois très simples, parfois hermétiques et incompréhensibles. Mais les gestes et les manipulations aident à la compréhension. La guérison recherchée par l’exorcisation est parfois double. D’abord, pour le malade, elle est à la fois physique et psychique ; ensuite elle est aussi individuelle et sociale, du fait que la rupture d’équilibre d’un membre de la communauté a entraîné une rupture d’équilibre social. Ces faits exorcissants sont, dans la plupart des circonstances, constitués d’une adresse qui comprend deux intentions : d’abord elle accuse et condamne la force malfaisante. On l’injurie même. Ensuite elle l’ordonne de quitter le lieu, la personne… Très souvent, au nom de la communauté, l’exorcisme termine la cérémonie par une sorte de proclamation d’innoncence qui atteste de la bonne foi ou du désir de tous de vivre en paix. 327 Schéma N°5 : organisation d’une prise de parole lors d’Osambi Pour homme ou femme non mariée Père de l’intéressé (constituteur) Père de la mère de l’intéressé Oncles maternels (côté adi) grand mère Pour femme mariée Mari (constituteur) Père de l’intéressé Oncles maternels (côté Adi) 328 3. Po a ndo (Palabre organisée à la suite d’un décès)299 La mort est un phénomène universel. En Afrique noire, elle est considérée comme causée par un esprit maléfique ; le sorcier. Comme le note Sylvie Fainzang300, relevant du même ordre de représentation que la maladie, elle est également un signe à décoder, un événement à expliquer. Il faut préciser que par rapport à la colonisation avec l’avènement de la médecine moderne et la culture occidentale, les mœurs des Mbosi n’ont pas évolué. Ils sont restés «traditionnalistes». Le peuple demeure toujours ancré sur ces croyances ancestrales. La mort est toujours considérée comme le résultat des pratiques de sorcellerie. Aussi, chez les Mbosi Olee avant et après l’enterrement, il existe une palabre communément appelée "Po a ndo" dont l’accomplissement consiste en un débat de toutes les questions que pose un décès301. 3.1. Objet Po a ndo est une palabre organisée suite à un décès. C’est une audience judiciaire convoquée en deux séances pour connaître, délibérer et juger de toutes les questions que peut soulever un décès. La première séance qui intervient avant l’enterrement a pour objet unique : d’annoncer le décès et d’obtenir l’accord d’enterrement. La deuxième séance qui intervient après enterrement a pour objet de : -déclarer définitivement le décès ; -reconstituer les origines du défunt ; -désigner les coupables ; -indemniser les parties préjudiciées ; -partager l’héritage ; -désigner les successeurs pour les veuves et les enfants ; -la reconnaissance des enfants orphelins de la femme décédée ; -débattre pour protéger la famille du défunt. 3.2. Les parties en présence Comme l’Osambe, la palabre pour décès oppose : 1)-Pour décès d’une femme mariée : l’époux et sa famille aux familles paternelle et maternelle de la défunte; 2)-Pour le décès d’un homme ou d’un enfant : le père et sa famille aux familles paternelle et maternelle de la mère du défunt; 3)-Pour décès par accident d’arbre au champ ou lors d’orage, décès par foudre, décès par assassinat par bête féroce, décès à l’accouchement ou par morsure de serpents, 299 Pour ce point Po a ndo, nous reprenons ici notre mémoire de DEA : Op. Cit, pp133-139 Fainzang (S): Op. Cit, p144 301 Cette palabre est bien connue dans d’autres coutumes congolaises. Par exemple, chez les Likouba, Po a ndo est connue sous l’appellation de Ndoko ; chez les Bangangoulou, on la désigne par Eye ndouo. 300 329 piqûres de poisson : trois parties sont en présence : le mari ou le père face aux familles paternelles et maternelles et le propriétaire de la terre où s’est produit l’accident. 3.3. L’initiative de la convocation On distingue deux cas de responsabilité : -Pour décès d’une femme mariée: l’obligation de convoquer la palabre de décès incombe au mari de la défunte ou à la famille du mari. -Pour le décès d’un homme ou d’un enfant: l’obligation de convoquer la palabre incombe au père du défunt ou à sa famille. Le mode de la convocation diffère suivant les phases de la palabre : -pour la première séance, avant les obsèques, la convocation est une invitation à être au lieu du décès à l’heure indiquée. Elle a lieu au deuxième jour du décès ; -pour la deuxième séance, la convocation est faite sous la forme de communication de la date retenue pour la palabre. La communication est faite par l’intermédiaire du Twere qui a officié la première séance si cette deuxième doit être tenue quelques jours après les obsèques. Si la deuxième séance de la palabre est renvoyée sine die à plusieurs mois après les obsèques, la communication est faite par le mari ou le père ou par un messager envoyé par l’un ou l’autre auprès des chefs de familles paternelle et maternelle du défunt. 3.4. La saisine du Twere Pour décès ordinaire Pour chaque séance de la palabre, le Twere est saisi par le mari (ou son successeur) et sa famille pour le décès ordinaire d’une femme mariée, par le père (ou son successeur) et sa famille pour le décès ordinaire d’un homme, d’un enfant La saisine est une invitation à venir juger. Elle est symbolisée par le dépôt de frais d’invitation (Iphei la Mwandzi). Pour décès criminel Pour les Mbosi, les décès criminels (lekou la lebeyi) sont les décès provoqués par : -crime volontaire ou involontaire (assassinat, fusillade, torture) ; -morsure de serpent, attaque de bête féroce, chute d’arbre par abattage ou vent ; -foudre ; -suicide ; -accouchement. Pour la première catégorie de décès criminels, le propriétaire de la terre sur laquelle a lieu ce crime, est partie civile dans le procès. Son Twere (avocat) joue un rôle de «procureur». Pour les autres crimes, le propriétaire de la terre se constitue responsable primaire du crime. Le Twere (juge) de la première phase de la palabre (procès) est choisi et saisi par lui. La responsabilité des obsèques lui incombe parce que le crime lui est primairement imputé. 330 Pour ces crimes, il a aussi la responsabilité de connaître l’auteur du décès. Pour cela, sous l’autorité du chef du village, il convoque les deux familles (maternelle et paternelle) du défunt pour consultation du féticheur afin de connaître l’auteur du décès. Cette délégation est composée de : -un représentant du côté paternel ; -un représentant du côté maternel ; -un représentant du propriétaire de la terre ; -un représentant du chef du village. Trois féticheurs différents doivent être consultés. Les résultats doivent s’accorder. En société traditionnelle Mbosi, la mort même causée par un phénomène ou par un être naturel, n’est pas fait naturel. Elle est toujours considérée comme causée par un esprit maléfique, le sorcier302. Ainsi, la coutume Mbosi a préféré remettre la deuxième phase du procès de décès après la constitution de la responsabilité de chaque mort. Cette responsabilité est constituée par les révélations des Nganga (féticheurs) consultés pour connaître l’origine, la cause et l’auteur du décès. Comme le montre Elias Tasmin Olawale303, les sociétés africaines connaissent divers moyens de démasquer les coupables. Elles font appel pour ce faire à des éléments surnaturels et en particulier aux ordalies, aux serments solennels et à la divination. La première démarche en face d’un crime mystérieux consiste souvent pour la victime ou un de ses parents à consulter un des devins qui existent au sein de presque toutes les communautés africaines. De par leur expérience des hommes et leur connaissance intime des habitants du pays, de par le soin qu’ils mettent à interroger et à enquêter, en tenant compte de tous les éléments possibles de l’affaire, ces praticiens avisés et habiles arrivent souvent à être en mesure de délimiter un groupe de suspects au sein duquel le vrai coupable à toutes les chances de se trouver. Ce n’est toujours qu’après ces consultations et la détermination de responsabilité (si aucune des puissances impliquées dans le décès n’est issue du village) que la responsabilité du propriétaire de la terre est dégagée et cette autorité est rétablie dans son rôle de «procureur» du village (A nga tsengue). Comme nous l’avons déjà dit, le propriétaire de la terre qui est nécessairement membre d’Otwere, joue un rôle important dans le règlement des litiges en sa qualité de Twere. 302 A ce propos Maryse Raynal précise que : «Maladie et mort sont des événements, des phénomènes anormaux qui n’ont pas de causes naturelles pour l’Africain. Il n’y a pas de bonne mort, c’est-à-dire de mort qui puisse être expliquée logiquement et qui de ce fait puisse être maîtrisée. Toute mort est mauvaise dans la mesure où elle constitue un amenuisement des forces vitales du groupe, une rupture et donc l’amorce d’un désordre. Même une mort qui peut apparaître comme tout à fait naturelle pour un esprit occidental n’est jamais perçue comme telle par l’indigène. Elle est toujours la manifestation de la volonté des ancêtres, des mauvais génies, d’un esprit malin (le sorcier) ou d’un homme. (…). Jamais une mort n’est accidentelle, n’est le fait du hasard ; elle est toujours voulue par quelque chose ou par quelqu’un. Même si –par exemple– on reconnaît que tel individu n’a pas voulu tuer tel autre individu cela ne signifie pas pour autant que l’on perçoive l’acte comme un acte intentionnel ; au contraire, on pensera qu’une autre force, une autre volonté est intervenue. Toute mort est perçue comme un meurtre», Op. Cit, pp27-28 303 Elias Olawale (T) : Op. Cit, p245 331 3.5. Le rôle du Twere 3.5.1. A la première séance du "procès" Le rôle du Twere consiste à transmettre l’unique symbole d’annonce du décès, «Ibouye la ndouhou» (réception d’annonce de décès), constitué par le père du défunt ou le mari de la défunte et donnée à la belle-famille venue aux obsèques. «Ibouye la ndouhou» est composé, dans les villages d’un panier de manioc et de paquets de poissons fumés, et en ville d’une somme d’argent assez faible et d’une quantité modeste de boisson (il s’agit d’une somme de 3.500fcfa et d’un casier de boisson comportant aussi bien des bières que des jus). Il symbolise l’accueil, la réception de la belle-famille venue aux obsèques par le beau-fils. Celui-ci affirme que la belle-famille est bien son hôte et annonce le décès par ce geste d’une manière officielle. Par une réplique solennelle, la bellefamille accepte l’annonce et prend acte du décès. «Ibouye la ndouhou» a surtout valeur d’annoncer coutumièrement le décès. Par son acceptation, les parents maternels et paternels agissant en représentant des clans, posent l’acte de : -prendre acte du décès annoncé ; -acceptation provisoire de la légitimité de la partie qui l’a constitué ; -donner accord pour l’organisation, le lieu et la date des obsèques ; -s’engager à participer aux frais des obsèques. 3.5.2. A la deuxième séance du "procès" 1)-Pour décès ordinaire La deuxième séance de la palabre intervient souvent après les consultations par clan, des Nganga. Les révélations des Nganga permettent de constituer l’identité du ou des responsables du décès, connaître les formes et la nature des matières à utiliser pour atteindre ce ou ces responsables pour venger la victime. Les révélations des Nganga sont utilisées par un autre Nganga auquel les délégués des familles maternelle et paternelle se réfèrent pour composer le fétiche vengeur. La palabre est convoquée souvent après le délai demandé par le féticheur pour faire agir son fétiche. Le rôle du Twere consiste à : -transmettre les symboles (Ileli) de déclaration de décès; -faire reconnaître la légitimité de l’époux de la défunte ou du père du défunt ; -procèder à la répartition de l’héritage dont les femmes ; - transmettre le symbole (Soo) de reconnaissance des enfants quand il s’agit du décès d’une mère ; -officier les débats d’Osambe pour la santé des proches du décédé. 2)-Pour décès criminel La palabre pour un décès criminel ou accidentel a lieu après le conseil de terre qui délibère sur les révélations du ou des nganga consultés en urgence. 332 En effet, en cas d’un décés criminel ou subit, la famille de la victime saisit le chef de terre qui, à son tour doit accepter d’aller à la consultation d’un nganga. Sous la direction du chef du village, la délégation pour consultation du nganga est compsée de : -un représentant du chef du village ; -un représentant du chef de terre ; -ureprésentant de chaque côté des familles de la victime ; -un représentant du mari s’il s’agit d’une femme mariée. Après consultation, le compte rendu est fait devant le chef du village et ses conseillers (Twere), le chef de terre et sa famille, les représentants des deux familles de la victime s’il s’agit d’une femme mariée. C’est l’autorité juridique qui a prescrit les consultations qui conduit le compte rendu et ce sont les Twere qui arbitrent toujours. Il entend les déclarations des délégués et désigne le ou les coupables du décès quand ceux-ci n’ont pas été expressément désignés par les nganga consultés. Avant la séance du compte rendu, le ou les coupables présumés correspondant aux révélations des nganga consultés sont livrés à la vindicte des populations des villages traversés et enfermés dans une des cases de l’autorité judiciaire. La palabre familiale est ici confondue au jugement du crime. Le rôle du Twere ou du tribunal consiste à : -transmettre les symboles (Ileli) de déclaration de décès ; -faire connaître la légitimité des parties en présence ; -recevoir les parties dans leur action civile ; -fixer avec les parties la nature et le montant des indemnités et des réparations ; -transmettre le symbole de reconnaissance des enfants orphelins de mère (Asoo) ; -officier le partage de l'héritage ; -officier les débats d’Osambe pour la santé des proches parents du décédé. D’une manière générale, la deuxième phase de Pô a ndo se déroule à la manière d’un procès, avec ceci de particulier qu’elle juge les rapports entre les familles du défunt et des personnes de son entourage. On assiste alors à l’exposé de situation mettant en scène le défunt ou les personnes de son entourage. Selon les moments, le Twere joue le rôle de conciliateur, d’accusateur ou d’accusé, de notaire et de témoin, de juge.. 3.5..3. Les symboles de déclarations de décès ou Ileli Qu’il s’agisse de décès ordinaire ou de décès criminel, les symboles de déclaration de décès ou ileli sont constitués de (en) : -ibondi (sing. obondi) c’est-à-dire symbole de réception présenté en nature ou argent ; -ongolo a po c’est-à-dire panier d’affaire ; symbole de demande de tenue et d’ouverture de la palabre. Il est donné en argent ou en nature ; -asoue la gniama (sing. Soue la gniama) c’est-à-dire frais de constitution de décès. Il est présenté en argent ou en nature ; -ibo la moro c’est-à-dire la tête du décédé symbolise la déclaration du décès. Il est composé d’une pièce de monnaie (10fcfa) enfermée dans un papier et doit passer de main en main jusqu’au clan des oncles qui prend acte du décès. 333 3.6. Les peines La justice traditionnelle Mbosi304 ne prononce pas les peines de mort ni d’emprisonnement. Seuls les coupables d’une mort criminelle révélée par les Nganga subissent une détention préventive jusqu’au jugement lequel doit intervenir dans les quatre, huit, douze jours suivant l’arrivée du coupable. Les peines prononcées par la justice Mbosi à l’issue d’un Pô a ndo (palabre pour décès) sont surtout matérielles ou financières, morales et civiles. 3.6.1. Peine de cabris Elle est appliquée contre un mari ou un père qui n’a pas été capable ou qui aurait négligé d’entraîner les familles à la recherche des actions de vengeance pour le décès de son épouse ou de son enfant. Elle est aussi appliquée contre tout autre parent ou clan accusé de sabotage d’actions de vengeance du décès. Elle est surtout appliquée contre tout coupable d’un décès accidentel. Elle consiste, pour le coupable, de produire un ou des cabris vivants (ou la valeur en argent du nombre des cabris exigés). Le coupable qui produit ce ou ces cabris accepte sa culpabilité et se met à la disposition de la justice et des parents pour fixer les indemnisations (ou amendes) ou autres peines récurrentes. Cette peine constitue un préalable précédant toute autre peine. 3.6.2. Peine de remboursement des frais engagés Elle consiste, pour le coupable reconnu d’un décès criminel, de rembourser les frais engagés (Iloueme, sing. Eloueme) par les autres délégations dans les consultations. Elle est distincte des indemnisations que les parties peuvent fixer après débat avec le Twere. C’est un deuxième préalable après les cabris. 3.6.3. Peine d’indemnisation Lorsqu’elle répare un décès criminel, elle peut être aggravée et muée en obligation d’adhérer à Otwere si le coupable fait preuve d’une mauvaise volonté de payer les indemnités fixées. Le délai n’est pas souvent fixé. 3.6.4. Peine de substitution Si l’auteur est un parent ou une de parents, s’agissant du décès d’une épouse, la bellefamille est contrainte de remplacer la défunte par l’une de ses soeurs. Les dots versées pour la femme décédée sont comptées pour la remplaçante. 304 Itoua (J) : Op. Cit, pp140-141 334 3.6.5. Peine de déchéance de droit de paternité Elle est infligée à un père ou à ses ayants droits : -s’il est reconnu coupable de la mort de plus d’un enfant de la même femme. Les parents de la femme peuvent lui retirer et la femme (leur fille) et les enfants restés vivants. Il perd tout droit et toute autorité sur la femme et les enfants ; -s’il est reconnu coupable de la mort ordinaire ou criminelle de sa femme, mère des enfants vivants. Les parents de la décédée peuvent lui retirer tous les enfants. Il perd tout droit et autorité sur ses enfants ; -s’il n’a pas été capable de convoquer la palabre pour décès de sa femme et constituer le symbole de reconnaissance des enfants orphelins de celle-ci. Les parents de la défunte peuvent lui retirer les enfants sur lesquels il perd droit et autorité. La peine cesse quand le père ou son successeur rattrape ses obligations. 3.6.6. Peine de déchéance de droit parental Lorsqu’un parent ou une ligne de parents est reconnu coupable du décès d’une femme ou d’un enfant et s’il n’a pas été en mesure de payer les indemnités exigées, le mari ou le père de la décédée ou du décédé et les autres clans demandent au Twere de prononcer la déchéance de son droit sur les enfants de la défunte ou sur les frères et sœur du défunt. 3.6.7. Peine de cession de tout ou d’une partie du patrimoine territorial Si l’auteur est le propriétaire de la terre, la famille du défunt (les deux côtés) réclament le dommage et intérêt. Si le propriétaire de la terre n’arrive pas à payer, une partie de sa terre est donnée à la famille de la victime. 3.7. La rémunération du Twere Outre Ipheyi la Mwandzi, le Twere est rémunéré par prélèvement d’office sur chaque somme ou objets versé en frais (symboles = Ileli) ou en réparation des préjudices. 335 4. L’héritage et la succession Comme l’indiquent J. M Gilardeau et J. A Jodier pour le monde occidental305, la succession constitue l’un des temps forts de la vie des familles dans les sociétés traditionnelles Mbosi Olee. Depuis toujours, la transmission du savoir et des biens est au centre des préoccupations. Chaque individu souhaite, par l’intermédiaire de ses proches, prolonger son image, son œuvre. Selon les époques, les régions, les sociétés, les pratiques sont différentes mais, prévaut la volonté d’assurer la préservation de ce qui a patiemment été édifié par les générations antérieures. Les Mbosi Olee, comme nous venons de le constater, constituent l’un des sousgroupes ethniques au Congo qui aient réussi à établir un équilibre entre le matriarcat et le patriarcat. C’est donc cet équilibre qui guide le droit successoral traditionnel dans ce sousgroupe de la société congolaise. Il convient de relèver que, comme dans les autres coutumes congolaises, la succession chez les Mbosi Olee est une affaire exclusivement familiale. Elle exclut toute relation (mariage ou amitié) qui rapproche le défunt avec des partenaires considérés comme étrangers à la famille. Ici, la famille intègre toutes les personnes unies au défunt par l’utérus et par le sang. Les membres de toutes les lignes de parenté d’un décédé concourent à sa succession. On peut donc retenir qu’en droit traditionnel Mbosi Olee, la succession présente l’image de la coutume de cette popupation. A ce propos, Gilbert Kaya, relève que : «Les congolais s’accordent avec d’autres peuples pour faire de la succession une affaire essentiellement familiale et la vocation correspondante, en principe, le monopole légitime des seuls parents du défunt»306. Cependant, pour les Mbosi Olee, il faut aussi observer, que sa fonction et sa dévolution sont plus collectives qu’individuelles. Dans une succession, l’individu se présente comme représentant l’intérêt d’une ligne, d’un clan, parmi les huit auxquels le défunt de son vivant ou après son décès, est rattaché. Ce caractère collectif n’exclut pas totalement l’intérêt individuel. Mais celui-ci est toujours couvert par le clan. Il est à signaler que cette étude de la succession coutumière en milieu Mbosi présente des difficultés dues à l’absence des travaux qui y sont consacrés. Néanmoins, à partir des ouvrages généraux sur la question indiqués en bibliographique et des enquêtes menées sur le terrain307, nous tenterons de caractériser cette question dans le monde Mbosi Olee à travers les axes ci-après : l’ouverture, puis la dévolution de la succession, la nature des biens successoraux, le mode de détermination des héritiers, les formes de partage. 305 Gilardeau (J.M), Jodier (J.A) : Les successions dans le monde agricole, Litec, Paris, 1992, p15 Kaya (G) : L’héritage dans l’ancien et le nouvel ordre juridique congolais, Thèse de Doctorat en Droit, Bourgogne, 1994, p95 307 La description constituant ce point résulte des entretiens que nous ont accordés Ngapela Obaré, un agent retraité de la Maririe, âgé d’environ 60ans, domicilié à Talangaï-Brazzaville, le 2/01/2000 ; Ngolo François, âgé d’environ 65ans, domicilié à Talangaï-Brazzaville, le 28/01/2000 ; Angala François, un commerçant de OuenzéBrazzaville, âgé d’environ 70ans, le 12/02/2001 et Ngalémé (Nganonogo Emmanuel), un chef traditionnel de clan (Obiali) du village Lesanga, le 15/06/2001. 306 336 4.1. Ouverture de la succession Avec Françoise-Marie Azema308, nous retiendrons que les règles générales du droit successoral déterminent l’ouverture de la succession et les conditions réquises pour succéder. L’ouverture de la succession s’effectue suivant certaines causes, à un certain moment, et en un certain lieu. En droit traditionnel Mbosi Olee, la succession est ouverte par la mort ou par la disparition, lorsque celle-ci est réputée définitive, donc assimilée à la mort. La succession peut être aussi ouverte par une absence de très longue durée et surtout quand le retour du parent à succéder est considéré comme incertain. Il existe donc trois causes permettant l’ouverture de la succession à savoir, la mort, la disparition et l’absence. Le droit moderne de la succession fait aussi état de ces trois causes309. La succession est ouverte partout où le défunt est possesseur d’un bien ou d’une fonction ou encore d’un droit. Il n’est jamais exigé à un successible la condition de cohabitation avec le bien à hériter ou avec le domaine de la fonction abandonné par le défunt. Ces causes sont constatées par la décision du conseil de famille (Po a ndo). La succession est réglée par le Twere qui se comporte plus comme un notaire que comme juge. Il guide la répartition des biens entre clans lors du conseil (po a ndo) officié par lui pour la déclaration du décès par la ligne des pères. Ici se constitue l’une des occasions d’assister à la transmutation du «magistrat» Mbosi Olee qui, dans la même affaire du décés, passe de la fonction du juge quand il fait accepter la décision de l’absence définitive du défunt par les parents maternels et décide de l’ouverture de la succession, à celle du «notaire» qui officie la répartition des biens de la succession. Cette relative complexité de la coutume Mbosi, trace la différence entre le droit coutumier et le droit écrit. Alors que le droit traditionnel Mbosi, confère au même «magistrat» le pouvoir de décider du décés d’une personne et celui de conduire sa succession, le code de la famille congolais, confère ces pouvoirs à des acteurs différents et même multiples. A propos de l’acte de décés, la loi portant ce code de la famille confère le pouvoir à l’autorité d’Etat-civil et dispose : «L’état des personnes n’est établi et ne peut être prouvé que par les actes de l’Etat-civil. Toutes les naissances, tous les mariages et tous les décés sont inscrits sous forme d’acte sur les registres de l’Etatcivil»310. Par ailleurs, en ce qui concerne l’ouverture de la succession, cette même loi (le code de la famille), se refère à une déclaration judiciaire en disposant : «La succession s’ouvre par la mort et par la déclaration judiciaire du décés en cas d’absence ou de disparition»311. 308 Azema (F-M) : Le nouveau droit des successions, MB Edition, Paris, 2è édition, 2002, p43 Azema (F-M) : Op. Cit, p43 310 Code de la famille congolais, article 22 in Assemekang (Ch) : Le droit des personnes et de la famille. Commentaire et guide pratique du code de la famille de la République Populaire du Congo, Editions du Ministère de la justice, p256 311 Code de la famille congolais, article 22 in Assemekang (Ch) : Op. Cit, article 452, p389 309 337 4.2. Les scellés sur les biens du défunt Devant les parents de différentes lignes et sous l’autorité du Twere qui a officié la phase du conseil consacré à l’annonce du décès, les obsèques d’un décédé se terminent par une cérémonie de mise de «scellés»312 sur ses biens rassemblés, si possible, dans la maison qui lui a servi de dernier domicile. Ainsi, le neveu utérin aîné, ferme la maison et au moyen d’une liane, scelle la porte où sont sensés être enfermer les biens meubles. Les veuves, qui font partie de ces biens sont tenues de demeurer dans le village et dans leurs cases habituelles jusqu’à la prochaine séance du conseil de famille consacrée à la déclaration définitive de décès, au règlement de la succession à la palabre pour la protection de la descendance du défunt. Quiconque, parent ou non, soutire un bien de la maison scellée ou se porte auteur de la grossesse d’une veuve avant cette séance, est accusé de la responsabilité du décès du défunt. Toute démarche entreprise pour rechercher, auprès des nganga, les auteurs mystiques de la mort du défunt, leurs actes et raisons de leur forfait, pour la vengeance par la famille, est abandonnée et l’auteur du forfait est d’office accusé de la sorcellerie qui a tué le décédé. Mais pendant la période d’attente de la prochaine séance du conseil, les veuves peuvent recevoir secrètement les offres des successibles prétendants au remariage. Toutefois, aucune veuve ne peut rejoindre le prétendant dont les offres et les actes d’assistance emportent son choix pour la succession à sa main. Le scellé de la maison, nous l’avons dit, est placé par le neveu utérin et consanguin. Cette charge lui incombe en l’absence d’un frère de même mère et même père du défunt. Il accomplit cette charge en qualité de trait commun entre les clans paternels et maternels puisqu’il est élément commun, comme le défunt de toutes les lignes qui interviendront dans la succession. Sous son contrôle, les biens laissés par le défunt conservent le caractère de possession commune qui passe de l’oncle défunt au neveu utérin. 4.3. Les biens et domaines de la succession La succession s’ouvre aussi bien sur les biens meubles et immeubles, sur l’argent que sur les fonctions, les droits, les privilèges, les devoirs et responsabilités abandonnés par le défunt. 4.3.1. Les biens meubles Les biens meubles d’un défunt qui comptent dans l’héritage sont surtout les objets de luxe, surtout ceux en métaux précieux. Le matériel habituellement laissé en héritage sont les outils de l’agriculture, de chasse et de pêche, le bétail et la volaille. L’héritage d’une femme est composé surtout d’objets moyens de transport, d’ustensiles de cuisine en argile quand ils ne sont pas encore utilisés. 312 Cette pratique coutumière est aussi de mise dans les sociétés traditionnelles du sud du Congo, par exemple, chez les Vili (sous-groupe de l’ethnie Kongo). Cependant chez ces derniers c’est plutôt le frère du défunt et non le neveu utérin qui scelle la porte. 338 Les objets usuels comme habillement, ustensiles de cuisine et de repas, sont considérés comme funèbres. Ils sont soit déposés dans la fosse avec le corps du défunt, soit déposés comme ornement sur sa tombe. 4.3.2. Les biens immeubles L’habitat traditionnel du Mbosi Olee, de l’homme comme de la femme, est construit en matériaux légers et naturels. Il est par ailleurs transportable et facilement détruit. La case d’un défunt est considérée comme funèbre et crainte par les survivants. Elle ne participe généralement pas à la succession. On l’abandonne et on la voue à la ruine libre. Elle peut être vouée à l’incendie immédiat. Si la case présente encore une grande valeur d’habitation, on peut la vendre à un acquéreur non membre de la famille. Celui-ci doit la déplacer de l’emplacement (parcelle de terre). Seule la case qu’habitait un chef de clan peut avoir pour vocation à devenir la case commune du village où se réunissent les habitants du village pour le règlement des problèmes. Les seuls biens immeubles qui viennent en succession sont les champs non récoltés, les arbres fruitiers, les barrages de pêche en exploitation. 4.3.3. La terre La terre et les infrastructures économiques qu’elle porte, sont des biens indivisibles du clan. Elles ne viennent pas dans l’héritage d’un membre du clan quelque soit son rang et ses fonctions dans le clan et dans le village. Les enfants et les autres héritiers du défunt, ont leur droit, sur toutes les terres où les droits du défunt étaient exercés, légitimés par leur naissance. En effet, la vocation à la terre est un droit naturel et non successoral. On appartient à un clan par naissance et non par succession. Ainsi, l’enfant et son père, le neveu utérin et son oncle, appartiennent aux mêmes clans par naissance et ont les mêmes droits et obligations sur les biens communs du clan. On relève cependant que, dans l’exploitation de la terre, sur les secteurs de forêts où le défunt avait souvent installé ses plantations et ses champs, sur les secteurs de rivières où il installait ses barrages de pêche, ses enfants et ses neveux utérins ont priorité sur les autres membres du clan. Ce privilège est perdu lorsque avant que les héritiers atteignent l’âge d’exploiter la terre ou l’eau, un membre du clan ou même un autre habitant du village, installe ses exploitations sur les secteurs abandonnés. 4.3.4. Les fonctions Le domaine sur lequel le droit traditionnel Mbosi Olee fait plus porter la succession, est surtout celui de la continuité des fonctions qui étaient accomplies par un décédé. Il s’agit de perpétuer les droits, les obligations et les liens par lesquels le défunt était rattaché à la communauté. Ici, la dévolution successorale consiste au choix de dignes successeurs qui continueront les rôles et les charges d’époux vis-à-vis des veuves, les rôles et obligations de père vis-à-vis des orphelins, les rôles et privilèges de propriétaire sur les neveux utérins. On place aussi dans ce cortège les fonctions civiles de chef traditionnel de village ou de clan et les fonctions politico-judiciaires traditionnelles sur la société (A nga kwephe). 339 4.3.4.1. La succession dans les fonctions matrimoniales Comme nous l’avons dit plus haut, le mariage en société Mbosi Olee est une relation qui unit les familles du garçon à celles de la jeune fille. La dot qui est la consécration matérielle et financière de cette union, est pour le jeune garçon, une forme d’investissement. La femme est considérée comme bien acquis, issu de l’investissement. Prise comme telle, la femme veuve vient dans l’héritage de son conjoint comme l’élément qui a plus de valeur313. Sa valeur de mère d’enfants qu’elle avait avec le défunt mari, lui interdit de sortir de la famille de celui-ci malgré le décès. Elle recevra donc un parent du défunt qui lui succédera dans le mariage. Sous l’autorité de ce successeur, elle continue l’éducation des enfants et reste liée à la ligne parentale qui rattache le défunt au successeur314. Elle cesse ainsi d’appartenir, en tant que bien de richesse, aux clans du défunt auxquels l’héritier n’appartient pas. 4.3.4.2. La succession dans les obligations parentales Dans la société Mbosi Olee, les relations qui unissent un homme à ses enfants ne disparaissent pas à sa mort. Ainsi, les obligations qu’il avait vis-à-vis de ses enfants (garçons et filles) de tout âge, et les privilèges qui lui revenaient en tant que père, viennent dans la succession et incombent à des remplaçants coutumièrement désignés. 4.3.4.3. La succession dans les rôles et privilèges vis-à-vis des neveux utérins Le droit traditionnel Mbosi, qui réserve à la femme un rôle simplement affectif, attribue à un homme, frère ou cousin de la femme mère, les rôles et privilèges de propriétaire des neveux et nièces utérins. Les fonctions qu’il accomplit pour jouer ces rôles et jouir de ces privilèges ne périssent pas avec la mort de l’oncle. Dans ces fonctions, il est aussi remplacé par des successeurs désignés par le droit traditionnel. 4.3.4.4. La succession dans les fonctions civiles et politiques Comme dans les sociétés monarchiques africaines, dans la société traditionnelle Mbosi Olee, les fonctions civiles de chef traditionnel de village et celles politico-judiciaires de maître d’Otwere sur la société sont des biens qui se transmettent d’une personne investie à une autre à investir la succcession dans les conditions analogues. Ces fonctions ne sont libérées que par la mort du détenteur investi. Elles apparaissent donc dans la succession de celui-ci, bien que la dévolution successorale dans ces domaines n’est pas prononcée par la même instance judiciaire que dans les autres biens et fonctions libérées par le décès du défunt. La mort d’un homme qui a été investi et porté au rang de patriarche jusqu’à la fin de sa vie, sur l’une de ces valeurs ou sur les deux, laisse donc des vacances qui justifient leur retour au dépositaire du pouvoir de conservation du clan. 313 La femme est en effet un bien par excellence et constitue un élément capital de l’assiette successorale dans la tradition Mbosi. 314 Kaya (G) : Op. Cit, p62 et s. Selon cet auteur, la dévolution successorale se trouve au service d’un idéal : celui de la continuité du lignage à tout prix. 340 4.4. La dévolution successorale Comme le souligne François Terré et Yves Lequelle315, au décès d’une personne, le patrimoine qu’elle animait n’est pas détruit, mais se transmet. A qui ? Tel est l’objet de la dévolution successorale. Aussi, pour comprendre cette notion chez les Mbosi Olee, étudiera-ton successivement le droit à la succession et les conditions d’admission à celle-ci. 4.4.1. Le droit à la succession Nous avons indiqué plus haut que la société Mbosi Olee, est une société clanique. L’individu est rattaché à la société par plusieurs clans dont la mémoire, qui n’est pas aidée par une écriture, ne lui permet de se réclamer que de huit lignes de parenté. Chacun de ces clans se présente à l’individu par une ligne de parenté. Il est donc un élément commun à huit lignes de parents et chacune d’elles remplit le rôle de propriétaire collectif des biens produits et acquis par l’individu. Nous avons aussi vu que la parenté Mbosi Olee consacre l’équilibre entre le patriarcat et le matriarcat. Ainsi, la succession d’un individu (homme surtout) met en présence les représentants de huit lignes de parents (quatre paternels et quatre maternels). Le droit Mbosi exclut le conjoint survivant de la succession de son partenaire défunt. En effet, comme nous l’avons déjà précisé, le mariage, en droit Mbosi, n’offre pas à un conjoint le droit d’appartenance aux familles de l’autre316. Cette exclusion est d’autant plus caractéristique qu’elle trouve son fondement dans le fait que le mariage dans la société traditionnelle africaine en général317 et Mbosi en particulier n’a pour finalité essentielle que la procréation, partant le renforcement numérique des lignages. Seuls les enfants nés de l’union appartiennent aux familles de chaque géniteur et de façon égale. La succession, en droit Mbosi, est nous l’avons dit au début de ce point, une affaire qui rassemble exclusivement les parents du défunt. Toute personne étrangère à toutes les familles dont le défunt est membre, est exclue de sa succession. Le conjoint survivant étant compté comme étranger des familles de son partenaire décédé, n’intègre pas l’ensemble des successeurs de celui-ci. La femme, dans la famille de son époux a un statut particulier. Nous avons déjà révélé qu’elle fait partie des biens acquis par son mari. Elle est donc un élément de la richesse de celui-ci, donc appartient à la masse de biens rapportés à la succession de son conjoint. 315 Terré (F), Lequelle (Y) : Droit civil. Les successions. Les libéralités, Dalloz, Paris, 3è édition, 1997, p31 Dans ces conditions, accorder le droit de succéder à la femme susciterait le risque de voir une partie importante du patrimoine familial disparaître au profit d’autres familles c’est-à-dire celles de l’autre conjoint (femme). Le souci de conservation du patrimoine au sein de la famille justifie que la femme soit discriminée lors du partage de la succession. 317 Kaya (G) : Op. Cit, pp116-117 316 341 4.4.2. Les conditions d’admission à la succession 4.4.2.1. Le degré de parenté Disons, comme Gilbert Kaya318, que «pour succéder il faut, être, en principe, parent du défunt». Faisant une différence entre le droit traditionnel et le droit écrit quant à la définition de la famille, Gilbert Kaya écrit : «S’appuyant sur la notion de consanguinité, le droit traditionnel donne à la famille un caractère illimité en y englobant toutes les personnes dans les veines desquelles circule le même sang sans égard aux considérations de proximité»319. C’est dire qu’en droit Mbosi Olee, la qualité première que doit avoir tout candidat ou tout appelé à succéder à un décédé est d’appartenir à l’une au moins des huit lignes de parenté du défunt. Mais, sur chaque ligne, le degré de parenté qui sépare chaque successible du défunt est souvent requis pour classer les prétendants. Ainsi, le fils de l’oncle vient après le cousin, surtout en ligne utérine. Ce classement est plus complexe dans les lignes consanguines. Si le père du défunt n’a pas laissé un frère ou un cousin utérin direct, ses neveux utérins viennent le représenter dans la succession de l’enfant décédé. Ils reçoivent les charges, les droits et les privilèges de père du défunt et ses frères et sœurs survivants. Les frères du défunt, pourtant très proches de lui en lien de sang que les neveux du père, viennent après les neveux du père et reçoivent d’eux le droit de succéder à leur frère défunt par transmission. Un fait remarquable dans la succession à un parent est à signaler parce que difficilement perçu par les non-initiés, il s’agit de la part réservée au matriarcat. En effet, en l’absence de frère du défunt de même père et de même mère, le rôle et la fonction de père visà-vis des orphelins incombent prioritairement au neveu utérin. En l’absence de celui-ci, ces rôles et fonctions incombent au cousin utérin du défunt. Le frère et le neveu utérin, s’ils existent, exercent ces prérogatives en se plaçant dans la ligne maternelle utérine (côté maternel de la mère du défunt). Ils partagent ces fonctions avec les cousins utérins du défunt et avec les fils de l’oncle de celui-ci. Les frères de même père du défunt n’apparaissent pas en cette qualité dans la succession de celui-ci. Ils apparaissent comme père du défunt et exercent désormais, les fonctions de grand-père de ses enfants, par représentation de leur père commun prédécédé. Comme nous l’avons souligné ci-haut, ils viennent dans ce rôle en accompagnant le neveu utérin du père ou les cousins utérins de ce père. L’un ou l’autre de ces deux rôles, sont surtout remarquables dans la répartition des dots des filles du défunt et dans tous les événements qui surviennent dans la vie de celles-ci. Ainsi, le droit traditionnel Mbosi place dans la succession, le matriarcat en position plus privilégiée que le patriarcat. Pour atténuer ce qui peut paraître comme une inégalité de privilège, la pratique place les frères, les neveux utérins et les enfants du défunt, en position de privilégié dans la succession. 318 319 Kaya (G) : Op. Cit, p31 Kaya (G) : Op. Cit, p31 342 4.4.2.2. L’âge et la santé mentale La succession ayant pour but de faire continuer les charges, les droits et les fonctions d’un parent décédé, il est bien compréhensible que le successeur ait l’âge de perpétuer ces fonctions pour l’intérêt du défunt et pour l’intérêt collectif du clan auquel l’héritage est échu. Il faut donc que le successeur ait l’âge de créer et gérer une famille, de gérer et conserver un bien collectif ou individuel. Lorsque cette condition de majorité minimale est accomplie, tous les parents se présentent avec les mêmes droits. Toutefois, la pratique coutumière qui impose le respect des plus âgés, lorsque deux parents se présentent au même degré dans la même ligne, le moins âgé, peut abandonner la jouissance de l’héritage au plus âgé si ce dernier présente des dispositions morales et mentales appréciées par les autres membres de la ligne parentale320. La folie est l’incapacité évidente pour succéder. Ces conditions d’âge minimal et de qualité morale irréprochable sont exigées surtout dans la succession aux fonctions de patriarche dans le clan, dans le village ou dans la société. Dans ces fonctions, le candidat à la succession doit, en plus de l’âge et de la probité morale, faire preuve d’une sagesse visible et convaincante. Il faut aussi souligner qu’en droit et pratique traditionnels Mbosi Olee, tout parent débile mental n’est pas pris en compte dans la succession. Bien que le droit à une succession est reconnu à tout parent dès la naissance, la jouissance, quant à elle, n’est pas reconnue au mineur. Elle est reportée sur les fonctions et les biens fixes et non périssables. Le successeur retrouvera ses droits quand il aura atteint la majorité. 4.5. Les biens à présenter à la succession 4.5.1. Les biens propres du défunt En règle générale, les biens qui composent l’héritage d’un défunt sont ceux dont il était propriétaire. Il peut s’agir des valeurs, du matériel et de l’argent produits ou acquis par lui, présents au lieu du décès ou ailleurs, en sa position ou en position des tiers. L’inventaire de ces biens est établi tout de suite après les obsèques ou complété le jour du conseil des familles pour son décès. La liste de ces biens à présenter à la succession est une 320 Nous pouvons observer que le système traditionnel de la dévolution successorale est un corps de règles inégalitaires où l’ordre de génération et l’âge c’est-à-dire le principe de promogéniture est un facteur de discrimination quant à l’éventualité pour les prétendants d’accéder à la succession. En effet, le principe de promogéniture ou le droit d’aînesse signifie que la capacité successorale qu’on reconnaîtra ou on ne reconnaîtra pas à un individu sera fonction de son âge. La circonstance de l’âge, selon que celui-ci est plus ou moins avancé, génère une présemption soit de sagesse, avec tout ce que cela suppose de sérieux, d’expérience et de compétence nécessaires à la bonne conduite des affaires familiales, soit, au contaire, d’absence ou d’insuffisance de sagesse, auquel cas l’individu serait considéré comme inapte aux fonctions convoitées. L’aîné dit-on, est censé possèder les qualités de l’homme idéal, celui qui, oubliant tant soit peu sa propre personne, vouera toute sa vie à la défense des intérêts collectifs de la famille, en favorisera la stabilité et la cohésion. Et parce qu’elle est conforme à cette loi qui veut qu’en matière de vie les aînés guident le pas des cadets, cette règle gérontocratique paraît ne pas poser de difficultés particulières dans les sociétés concernées. 343 liste mentale. Nous avons procédé par une classification en trois catégories des biens à succéder : 1)-La catégorie des biens mobiliers Il s’agit : -des outils de l’agriculture, de la pêche et de la chasse (sagaies et filets, coupe-coupes, haches, couteaux, nasses de pêche, harpons) ; -des ustensiles non utilisés; -des équipements industriels ou d’artisanat (forge, instruments à tisser, instruments de la vannerie, instruments pour la récolte de vin de palme) ; -des animaux et de la volaille ; -les objets de luxe: bracelets en métaux précieux, objets de beauté. 2)-La catégorie des biens immobiliers Il s’agit des domaines : barrages de pêche, champs en friche ou cultures, arbres fruitiers. 3)-La catégorie résiduelle des biens Il s’agit : -de la ou les femme(s) épousée(s) par lui en première union (première main), c’est-àdire qu’il a personnellement dotées ; -de la femme léguée à un parent qui continue le mariage comme fonction commune de la famille ; -des produits des cotisations des associations des personnes avec lesquelles le défunt a conclu un contrat d’adhésion ; -des créances créées sur tierce personne ; -de l’argent et les valeurs issus des dots de ses filles (perçus et à percevoir) ; -des valeurs (matérielles ou financières) mises en dépôt chez un parent ou un ami pour conservation ou en prêt conclu ; -des valeurs culturelles. Cette classification que nous avons réalisée peut être présentée différemment par d’autres auteurs en l’occurrence Michel Legrain321. Avant la clôture des séances d’obsèques, le père ou le représentant successoral du père déclare les biens du défunt qu’il est sensé connaître et demande que vienne se présenter toute personne pour déclarer les biens du défunt détenus pour conservation ou en prêt, les animaux du défunt tenus en méteyage, les créances en cours du défunt. La peur de la poursuite par l’esprit du défunt pousse les intéressés à s’acquitter de cette obligation sans trop se faire attendre. La femme qui avait déjà quitté le foyer du défunt et intégré celui d’un parent de ce dernier en remariage (en seconde main), garde son nouveau foyer. Mais, comme nous l’avons souligné plus haut, apparaît sur la liste des biens laissés par le défunt. Elle fera partie de la part de l’héritage concédée à la ligne de parenté dont le nouveau mari est membre. 321 Sur cette question des biens à présenter à la succession, Michel Legrain témoigne : «L’héritage d’un Mbochi décédé comporte tradtionnellement des outils, des armes, des secteurs de forêts marécageuses et poissonneuses, des tranches de forêts sèches anciennement débroussées pour les plantations et qui demeurent au repos pour cinq ou six ans, des chiens, cabris et volailles», Op, Cit, p221. Ces éléments cités par Mchel Legrain peuvent être regroupés en deux catégories : biens mobliers et immobiliers. 344 4.5.2. Les biens n’appartenant pas au défunt Il s’agit, ici, des biens dont la création ou l’acquisition n’est pas un acte propre du défunt bien qu’il en ait la jouissance, la garde au nom ou pour le compte d’un lignage auquel il est rattaché. Il est nécessaire d’inclure à cette catégorie les fonctions dont le défunt, à son vivant, était titulaire. Dans cette catégorie, on inscrit : -la femme qu’il a eu en héritage d’un parent prédécédé; -la femme qu’il a eu par concession d’un parent encore vivant; -des objets, des valeurs matérielles, d’animaux venus en sa possession par succession à un ou à des parents prédécédé(s); -des objets et insignes de chefferie qui lui étaient transmis à l’occasion de son sacre; -des valeurs rituelles pour le culte des anciens d’un clan; -des dons et legs reçus d’amis ou de parents. Ces biens, même s’ils sont séparables des biens propres du défunt, sont rapportés à sa succession et frappés du scellé. En règle générale, ils sont renvoyés dans les lignes de leur origine. Mais, à l’exception des insignes de chefferie, des valeurs rituelles de culte des anciens, la vocation à ces biens est réglée au même moment qu’à des biens propres du défunt. 4.5.3. Les biens exclus de la succession On place ici les biens qu’autrui a, par différentes raisons, mis, à sa garde ou sa disposition. On porte sur cette liste : -les dépôts de valeurs (matérielles ou financières) placés sous sa garde par le conjoint, un parent ou un ami; -les objets ou équipements pris en emprunt sur autrui ami, conjoint, parent pour le fonctionnement des rôles qui lui sont dévolus, pour le fonctionnement d’une industrie artisanale ; -les biens acquis dont le défunt, au jour de son décès n’a pas eu la possibilité de rembourser la contre-valeur, mais qui gardent leurs états et leur valeur. Le propriétaire peut demander la restitution de son bien si aucun parent n’accepte la succession dans le contrat. On peut, en principe, inclure dans cette catégorie les dettes qu’autrui a contractées envers sur le défunt. La restitution de ces biens à leurs propriétaires n’attend pas le règlement de la succession. Ils sont remis à leurs propriétaires déclarés et prouvés à la fin des obsèques. 4.6. Le passif d’une succession Le droit à la succession impose aux successibles l’obligation collective ou individualisée de continuer les charges du défunt. Les chapitres habituels qui composent le passif de la succession sont essentiellement les dettes créées par autrui sur le défunt de son vivant, les frais de ses obsèques, les dots non encore versées pour son mariage avec l’une de ses épouses, la reconnaissance coutumière des enfants nés du défunt et d’une épouse prédécédée, les charges et obligations pour appartenance à l’institution Otwere, si le défunt, ne s’en est jamais acquitté. La liquidation des charges constituées par les dots non versées et par les frais obligatoires de reconnaissance des enfants pour leur maintien dans la famille, est rapportée au 345 règlement de la succession. Le versement des dots de la femme imparfaitement dotée incombe au parent qui succédera au défunt dans le mariage avec elle. Les frais de reconnaissance des enfants seront versés, cas par cas, à l’occasion de la mort de la mère de chacun d’eux. Si à la mort de la mère d’un orphelin, les successeurs du défunt ne viennent pas verser la prime de leur droit de père sur l’enfant, les parents de la mère constatent la défaillance de paternité et déclarent l’orphelin exclusivement membre des familles de la mère. Les autres points du passif sont exigibles pendant les obsèques. Les détenteurs de dettes peuvent parvenir à établir une modalité d’apurement de leurs créances si un successeur leur est désigné pour continuer la charge du défunt. L’acquittement des charges obligatoires vis-à-vis d’Otwere est sine qua non pour l’inhumation du corps du parent décédé membre d’Otwere qui n’avait pas encore liquidé ses obligations à l’égard de l’institution suprême de la société. Il s’agit de la dîme à payer aux anciens membres d’Otwere. Cette dîme est obligatoire et surtout à un caractère d’indescriptibilité incontournable. Tout membre d’Otwere qui avant de la distribuer à la majorité des anciens membres, est accusé, le jour de la cérémonie de ses obsèques célébrés par Otwere, d’un incivisme vis-à-vis de la société. Il n’a pas droit à la terre. Pour lui offrir une tombe, les parents reçoivent collectivement ces obligations avec les charges liées aux obsèques et aux dettes, comme éléments obligatoires de la succession. Otwere étant aboli depuis les années 1958, le droit à la terre n’est plus conditionné pour les membres du clan propriétaire du patrimoine le plus ancien qui assure le lien indélébile entre membres. Mais les charges d’obsèques gardent le caractère collectif de la succession qui incombe à tous les membres de chaque ligne qui se la repartissent en fonction du degré de leur proximité avec le défunt. Refuser de recueillir la succession au passif d’un parent revient non seulement à polluer la mémoire du décédé mais aussi, à porter un discrédit au collectif des survivants de la famille. Cet acte s’il est commis par un individu ou par un groupe de parents, fait de son auteur un exclu de la ligne de parenté qui le liait au défunt. C’est ici le caractère statutaire de la succession en pays Mbosi Olee. 4.7. La situation des enfants Comme partout dans les coutumes congolaises, pour le Mbosi Olee, le géniteur incontesté d’un enfant est la mère. Pourtant le Mbosi n’exclut pas la participation d’un homme dans la création d’un enfant. Ici l’enfant appartient aux deux parents. Mais si la propriété de la mère sur l’enfant est, nous le répétons, incontestable, celle du père est présomptive. Le droit traditionnel Mbosi a simplifié le problème que pose la vocation de paternité en faisant père d’un enfant le mari de sa mère. Tant qu’une femme est liée à un homme par une relation de mariage, tout enfant né d’elle, quelque soit l’état de l’homme et quelque soit la position de la femme par rapport au domicile conjugal au moment de la venue au monde de son enfant, le père de celui-ci est son mari. 346 Le caractère présomptif de la vocation de la paternité produit ses effets lorsque, par décès ou par divorce, la mère vient à se séparer de son mari ou de sa succession. Après avoir remboursé la dot, en cas de divorce ou de séparation par défaut d’application du lévirat, les parents de la mère reçoivent droit et pouvoir d’emmener les enfants comme produits exclusifs de leur fille. Pour rattraper sa vocation de paternité, le père ou sa succession doit verser une somme d’argent à taux unique pour tout le pays Mbosi Olee, appelée Soo (taxe de reconnaissance de la paternité). Si, pour quelque cause défavorable, cette somme pas trop très élevée, n’est pas versée pour confirmer la paternité sur les enfants dont la mère quitte la famille, la vocation de paternité est éteinte et les enfants n’appartiennent désormais et exclusivement qu’aux familles de la mère. Eu égard à ce qui précède, la situation d’une veuve pose deux problèmes pour ses enfants. Le premier est celui posé par la non exécution du lévirat à son égard. Il peut arriver qu’elle ne jette son dévolu sur aucun parent survivant du défunt mari. Elle déclare sa séparation par rapport à la famille du défunt et verse une prime de dédommagement. Par obligation successorale, les parents du défunt rattrape la paternité en versant à leur tour une somme d’argent nommée en Mbosi Soo. Ainsi, les enfants restent membres des familles du père défunt même si la garde des enfants mineurs incombe à la mère qui sort. Le deuxième problème, le plus simple, est celui qui découle de la succession dans le mariage par un parent du défunt avec la mère. La vocation de paternité sur les enfants n’est pas mise en cause. Les enfants demeurent membres des familles de leur défunt père. Deux cas se présentent pour leur position. Les enfants majeurs restent dans le village de leur défunt père et se présentent à sa succession comme membres de familles propriétaires. Les enfants mineurs sont et demeurent sous la garde de la mère qui les place sous l’autorité du nouveau mari qui, vis-à-vis des enfants continue à exercer les fonctions de père quant aux obligations d’éducation et d’entretien. Les privilèges et les droits qui étaient ceux du père transmis aux lignes utérines de familles du défunt. 4.8. Le partage de la succession 4.8.1. Les testaments et les legs Les testaments et les legs322 consentis par un homme, avant son décès, lorsqu’ils se rapportent sur des biens durables et non ou peu périssables, fixés ou transportables, portent un caractère temporaire. Ils sont réputés suspendus par le décès du donateur. 322 L’article 895 du Code Civil repris par Corinne Renault-Brahinsky dans son ouvrage intitulé : Droit des successions, définit le testamment comme «un acte par lequel le testateur dispose pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens qu’il peut révoquer», Gualino éditeur, Paris, 2002, p127. Quant au legs, Françoise-Marie Azema reprenant aussi le Code Civil en son article 1003, le définit comme «la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes des biens qu’il laissera à son décès», Op. Cit, p161. Ces deux notions traduisent la volonté du défunt à laquelle seront tenus les membres de la famille. Elles sont utilisées aussi bien dans la société moderne que dans la société traditionnelle Mbosi, avec cette particularité d’être purement verbale en droit traditionnel Mbosi. 347 Comme nous l’avons souligné à propos de la femme léguée à un parent, tout bien légué ou donné à tierce personne, est en position de dépôt provisoire et conserve le caractère de bien de la collectivité familiale. Il est théoriquement rappelé dans la masse des biens laissés par le défunt. Ce retour est facilité par la probité des bénéficiaires des actes librement consentis par le défunt qui viennent volontairement déclarer les biens qu’ils ont à leur disposition par legs. Le testament porte souvent sur les biens qui restent jusqu’à sa mort, à la disposition du créateur. Le testament a toujours un caractère ségrégationniste pour garantir l’intérêt d’un parent ou d’un groupe de parents contre la prétention des autres successibles plus autorisés par le droit. Mais il ne donne pas droit d’enlèvement automatique. Comme le legs, il est examiné par le conseil des parents lors du règlement de la succession. Ce qui est notoire, c’est le respect de la volonté du défunt. Bien que le legs et le testament, comme tout acte de droit chez les Mbosi Olee, restent des actes oraux, ils revêtent un aspect religieux qui inscrit la priorité de leurs bénéficiaires sur tout autre prétendant aux biens concernés. Il y a deux solutions possibles que le conseil des parents, réunis pour la succession, peut réserver au legs ou au testament. Si le bénéficiaire du legs ou testament est un ami ou toute autre personne étrangère à toutes les lignes de parenté du défunt, il se présente à lui deux voies de conservation ou d’acquisition du bien. La première voie concerne un bien matériel si le legs ou le testament voue au bénéficiaire un outil, un tissu, un ustensile, un bien d’industrie artisanal, la volonté du défunt est totale et inviolable. Le bien légué ou donné par testament sort de la famille du défunt et intègre les biens personnels du bénéficiaire. A contrario, la volonté du défunt n’est pas totale du point de vue des parents, si l’acte porte sur une veuve. Le bénéficiaire est placé devant une alternative. Si la volonté du donateur lui vaut une obligation à ne pas trahir, il recueille la succession et «achète le droit à la succession». Pour les parents, le bénéficiaire de la succession étranger à la famille est un perturbateur, comme tout autre, dans leur mariage avec la veuve désignée par l’acte. Le coût de «vente et d’achat» n’emporte aucune circonstance atténuante ; l’acte du défunt est violé. Il peut arriver que, devant le prix d’achat de la succession, le bénéficiaire décline la donation et la veuve reste liée à la famille. Cette dernière décision est possible seulement si le bénéficiaire du testament et la veuve, objet de la donation n’ont pas encore tissé les liens de concubinage pendant le vivant du défunt. Sinon à l’acte du défunt s’ajoutent l’honneur de l’acquéreur et le respect qu’il doit vouer à sa dulcinée, pour que l’achat devienne un acte d’orgueil. La deuxième solution susceptible d’être retenue le conseil sur le legs ou le testament, concerne un membre de la famille. Ici la volonté du défunt est totalement inviolable. Le bien, quelque soit sa nature (matérielle ou humaine), légué par le défunt avant son décès ou donné par testament au parent survivant reste acquis. Ce bien qui conserve le caractère commun, fait partie de la part des biens dévolus à la ligne de parenté qui ouvre le droit de successible au bénéficiaire. Le premier statut de don ou legs cesse et le bien est désormais un bien de la succession. Le testament prend plus de valeur d’investiture et d’imposition dans la succession aux fonctions. Il s’agit souvent d’écarter un successible qui présente plus de qualités statutaires 348 pour favoriser un autre qui présente au défunt plus d’arguments matériels et moraux, comme aptitude à rassembler la famille, sagesse dans la famille et dans la société, promptitude à intervenir dans les événements survenant dans la famille et dans le clan, prédisposition à conserver le secret, etc. On a souvent enregistré de multiples cas où avant sa mort, un père, pour ses enfants, désigne un frère consanguin au détriment de tout neveu utérin, alors que le droit coutumier, dédie à la ligne utérine la continuité dans la fonction de père du défunt. Ce testament est surtout établi pour dédier la fonction de patriarche dans le village et le clan. Cette fonction et la fonction de patriarche politique dans le clan sont les domaines exclusifs du clan. Comme nous l’avons déjà fait noter plus haut, la succession à ces fonctions est dédiée par les dépositaires du pouvoir d’investiture dans le clan qui constituent la ligne des Pande du clan. A la mort d’un détenteur des fonctions de chef de clan, les insignes du pouvoir sont récupérés par ces dignitaires et conservés par le plus âgé d’entre eux. On dit que la fonction est repartie au conservatoire du clan. En général, le successeur sera désigné parmi les candidats qui se manifestent, tous appartenant à la ligne des Akola du clan, en fonction de ses qualités qui le placent en meilleure position face aux autres prétendants. Il arrive que le dernier détenteur du poste, désigne son dauphin à la fonction. Son testament peut destiner à la haute dignité un de ses propres enfants garçons, un des fils de son frère prédécédé ou un neveu consanguin ou utérin. Sa volonté prend valeur de prédétermination du conseil du clan. Le dauphin ainsi élu peut recevoir le sacre pendant les obsèques du parent prédécesseur. On dit qu’il est «investi sur cadavre»323. On ne doit pas ignorer que le testament pour prédestiner un successeur aux fonctions de chef de clan ou de village est toujours précédé par la préparation du candidat aux secrets du totem de la dynastie et à la connaissance du culte des anciens. 323 Les cas sont très nombreux à signaler. Mais nous avons préféré mentionner celui de la «dynastie» des Ngaporo au village Elo et celui de canton colonial de Ngania narré par François Kiba. Au village Elo par exemple, Ngonongo Obehé, succède dans les conditions normales à un cousin de son père à la dignité de Ngaporo. Avant sa mort, il reçoit la pression des grands personnages du village Oleme pour préparer à sa succession son neveu consanguin Sikangue Ibo la Mbouande (fils de sa sœur consanguine Tsehy). Sikangue que le grand-père avait arraché de son père biologique, pour des raisons inconnues à nos jours, devait être fixé sur la terre de ses grands-parents à Elo. Parmi les grands personnages qui avaient influencé le testamment de Nganongo Obehé, on cite surtout Ngatsesse – Kassambe Kiakia du village Epaa. Ainsi, Nganongo Obehé, pour empêcher son neveu de rechercher le village de son père, le destine à sa succession au trône de Ngaporo. Derrière lui, Nganongo Obehé avait pourtant laissé autant de parents qui possédaient des arguments statutaires à sa succession. Au-delà de la dignité de Ngaporo, Nganongo Obehé confère à son neveu, la garde des enfants, le lévirat avec ses veuves préférées. Comblé de la succession, presque totale, de son oncle, Sikangue Ibo la Mbouande s’est investi sur la terre de ses grands-parents, a construit son immense personnalité et une richesse remarquable, pour son temps. Tous ces atouts ont concouru pour lui ouvrir la possibilité de conquérir le sacre à la fonction politique d’A nga kwephe dans la ligne utérine de sa mère du clan A ngwe O Toro. A sa mort, Sikangue désigne pour succèder à la dignité de Ngaporo, son fils Ita, qui était investi dans les mêmes conditions que lui, «sur cadavre». En ce qui concerne le village Ngania, Ondey-Ndola, premier chef de la terre qui porte son nom (terre OndeyNdola), investi par les premiers administrateurs coloniaux, avait subi lui aussi la pression des dignitaires de son clan et des clans voisins, aux fins de présenter Ibara Mbembe à l’administration coloniale pour le succéder. Ainsi choisi, Ibara Mbembe exerce les fonctions de chef de terre par intérim de son oncle avant la mort de celui-ci. Sa confirmation à la succession n’était plus qu’une formalité administrative. Il évolue et progresse dans la fonction jusqu’aux rangs successifs de chef de canton et de chef de tribu du nord de l’Alima-Lefini. 349 4.8.2. Les règles du partage de la succession Le partage est l’ensemble des opérations de répartition des biens du défunt entre les différents héritiers324. Ces opérations constituent le dénouement attendue de la relation successorale et participent ainsi à la nature de celle-ci. Le partage obéit à des règles qui, compte tenu de l’importance et de la complexité des opérations à réaliser, doivent être respectées scrupuleusement. Chez les Mbosi Olee, le partage de l’héritage d’un homme a souvent constitué un moment d’empoignades chaudes, surtout entre les parents paternels et les parents maternels du défunt. Tout le monde ne sort pas toujours satisfait dans ses ambitions et dans sa volonté. Les tensions qui ont caractérisé les premières phases de la palabre pour décès du défunt conduisent souvent vers les causes de la discrimination dans le partage entre les lignes consanguines et les lignes utérines. Si les faiblesses ou la négligence d’un côté ont été retenues comme refus d’assistance du défunt dans la maladie qui a entraîné sa mort, ou si un côté est accusé pour contenir l’auteur des causes de la mort du défunt, ce côté ou une ligne de ce côté voit sa vocation à la succession niée par l’autre côté. Ces tensions, qui surgissent dans la palabre pour décès, le déni des droits à la succession des uns par les autres, pourraient bien aboutir à des combats rangés et sanglants si Otwere avait laissé la palabre pour décès à la compréhension des parties. Les tensions, même si elles n’emportent pas toujours le reniement des droits de quelques parents ou de certaines lignes, sont aussi observées dans le partage, pourtant amiable, entre les lignes d’un même côté. En effet, devant le volume, souvent limité, des biens rapportés au partage, la ségrégation n’est pas exclue. Si la réalité Mbosi, telle que nous venons de la caractériser ci-haut, laisse présager l’existence d’une discrimination entre cohéritiers lors du partage des biens laissés par le défunt, il n’en demeure pas moins que certains biens restent dans la propriété collective et par conséquent exclus du partage individuel. Cependant l’existence de ces deux régimes n’exclut pourtant guère l’usage de la pratique des privilèges reconnus à certains membres de la famille. Nous allons donc examiner le droit de privilège et les droits (biens) indivisibles avant d’étudier les mécanismes des exclusions, des discriminations. 4.8.2.1. Le droit de privilège Les héritiers privilégiés sont ceux que la naissance place sur toutes les lignes de parenté du défunt. Ils appartiennent, par conséquent aux mêmes lignages que le défunt et représentent les mêmes clans qui le rattachaient à la société. Tout ou partie de la succession recueillie par l’un d’eux, conserve le statut de propriété privée ou collective du défunt ou à sa disposition. Le passage de tout bien ou de toute fonction du défunt à un héritier privilégié est un simple transfert de propriété ou de gestion. Tout parent conserve sa vocation à la succession sur ce bien. Mais les biens de la succession qui sont recueillis par un héritier privilégié viennent grossir le volume des biens propres de ce dernier. Il dispose de tous les droits sur les biens qui étaient propres au défunt avec le concours des autres parents qui jouissaient des mêmes liens avec le défunt. 324 Seriaux (A) : Manuel de droit des successions et des libéralités, PUF, Paris, 2003, pp191-198 350 Le droit traditionnel Mbosi réserve des priorités dans le classement de ces héritiers que nous nommons privilégiés, à savoir le frère, le neveu utérin et l’enfant325. Il s’agit ici d’un trait qui oppose le droit traditionnel Mbosi au droit du code de la famille qui réserve ces privilèges au conjoint survivant et aux enfants326. 4.8.2.1.1. Le frère Il s’agit du frère cadet ou aîné lié au défunt par la filiation de sang (par le père) et de l’utérus (par la mère). Devant les autres héritiers, il reçoit en priorité la succession de son défunt frère. Il peut s’il le désire ou s’il est obligé ou encore prié par les autres membres de la famille, recueillir tout ou grande partie de la succession de son défunt frère. Il est le seul héritier qui peut concilier tous les intérêts en puissance qui auraient pu se manifester dans la succession et qui acceptent le recul. S’ils sont deux ou plusieurs frères survivants, ils peuvent se répartir à l’amiable les biens mais exercent collégialement les fonctions, à l’exception de celles de patriarche dans le clan ou dans la société qui n’admettent qu’un seul titulaire. Dans la répartition des biens et des rôles, les frères survivants accordent la priorité à l’aîné qui joue, vis-à-vis de l’ensemble le rôle de coordinateur et d’encadreur. Celui-ci reçoit à sa disposition et sous son autorité, tout bien ayant un caractère d’indivisibilité pour l’intérêt de la famille. Il peut aussi conserver la jouissance de tout bien que le défunt a acquis par héritage d’un parent prédécédé, si les autres membres du lignage qui avaient placé le bien à la disposition du défunt lui reconnaissent les mêmes qualités qui avaient concouru à l’attribution du bien au défunt frère. Pour une raison ou pour une autre, il peut concéder un bien à un autre parent. C’est-àdire que les autres parents y compris les neveux utérins et les enfants ne reçoivent de biens que ceux qu’il accepte de leur céder. 325 Pour soustraire la famille de la lutte de succession comme ceci est le cas au sein des organisations de type charismatique, le droit traditionnel Mbosi s’est très tôt par opposition au droit moderne doté d’un dispositif encadrant strictement la succession. Pour ce faire, en l’occurrence pour des raisons sociologiques, il classe de façon ordinale trois acteurs au cœur de son dispositif : le frère, le neveu utérin et l’enfant. -Le frère : si en théotie, l’ordre de naissance entre les frères importe peu pour se prévaloir du statut d’héritier ; la pratique en est tout autre puisque le plus souvent l’héritage finit par échoir dans les mains du frère aîné. Cependant, l’omnipotence du frère est relative. Car dans l’hypothèse d’une multiplicité de frère, la collégialité l’emporte sur celle-ci. -Le neveu utérin : ici, par une formule lapidaire que nous énonçons comme suit : «le neveu utérin fils de la mysoginie Mbosi», nous soulignerons l’origine de l’autorité de ce dernier dans l’architecture familliale pour comprendre la subtilité du contre-pouvoir auquel est assujettie son autorité. En effet, au regard des liens sanguins et utérins, une sœur peut de facto se prévaloir héritière de son frère défunt. Or, pour parer au risque de glissement des biens du défunt vers le mari de la sœur, le droit Mbosi arrive avec ingéniosité d’évincer l’ayant-droit légal de son statut d’héritier, pour lui préférer l’autorité de son fils (neveu utérin). Pourtant, le même droit après avoir fait du neveu utérin héritier par défaut du fait de la mysoginie de celui-ci va une nouvelle fois face aux suspicions de glissement d’héritage chapeauter l’autorité du neveu utérin par la surveillance exercée par les parents les plus proches du défunt. Autrement dit, la subordination de l’autorité du neveu utérin tient du caractère opportun de sa présence dans l’échiquier familial. -Les enfants : ils sont systématiquement héritiers dès lors que survient le décés du père. Aussi, les mêmes restrictions d’encadrement d’héritage leurs sont imposées au même titre qu’aux neveux utérins à une différence près. Puisqu’il s’agit ici de se prémunir du glissement de l’héritage vers les lignes maternelles de leur parenté. Enfin, par delà les différences entre ces acteurs privilégiés pour ce qui est de l’exercice de leur statut d’héritier, un seul point commun les unifie : ils ne font pas l’objet de contestation puisque dépositaire de l’autorité du conseil de famille. 326 Code de la famille congolais, article 472 à 474 ; article 485 à 490 in Assemekang (Ch) : Op. Cit, pp395-399 351 Le frère monoparental avec le défunt vient à la succession par le côté commun. Mais tout frère utérin et dont le père est le frère total du père du défunt est compté comme dans l’ensemble des frères ci-dessus qualifiés. 4.8.2.1.2. Le neveu utérin Le deuxième rang parmi les héritiers privilégiés dans la succession d’un homme après son décès est occupé, en droit traditionnel Mbosi Olee, par son neveu utérin. Nous rappelons que ce neveu utérin est chargé de poser les scellés sur les biens du défunt après les obsèques et en attente du conseil de famille. Reprécisons que ce neveu utérin est celui dont la mère est liée au défunt par le sang du père et l’utérus de la mère. En sa qualité du fils de la sœur du défunt, au sens total, il assure les mêmes garanties aux prétentions à la succession, comme s’il était frère du défunt. En réalité, il se substitue à sa mère qui est écartée des obligations de la succession de son frère pour des raisons discriminatoires de sexe. Ainsi, en l’absence des frères, le neveu utérin du défunt peut ou doit recevoir le tout ou partie de la succession de son défunt oncle. Tout bien qui peut être recueilli par un autre parent paternel ou maternel du défunt, l’est par lui. Il peut aussi continuer la gestion des biens que son oncle défunt avait acquis par héritage d’un parent prédécédé ou par dépôt en garde d’un lignage. S’ils sont deux ou plusieurs, les neveux utérins se répartissent les charges et remettent les charges qui garantissent les intérêts de la famille et du clan au plus âgé. Une différence sépare les neveux utérins des frères. Dans leur gestion de la succession, les neveux utérins sont surveillés par les parents les plus influents et les plus proches des deux côtés du défunt. On craint que dans sa (ou leur) gestion, le neveu ou les neveux utérin(s) s’autorise(nt) de glisser certains biens de l’héritage vers leurs lignages paternels. Pour résoudre les problèmes inspirés par cette crainte objective, les anciens obligeaient le neveu utérin à venir habiter le village de l’oncle défunt. Une des solutions pour palier cette crainte, est l’association des enfants du défunt dans la cogestion avec les neveux utérins. 4.8.2.1.3. Les enfants Le droit traditionnel Mbosi confère le titre d’enfants intervenant dans la succession d’un défunt aux personnes nées de lui et celles nées de ses frères tels qu’ils sont définis dans le paragraphe ci-haut. Devant un homme Mbosi vivant ou décédé, il n’existe aucune différence entre les enfants nés de lui et ceux nés de son frère. Ces enfants interviennent ensemble dans la succession de l’un ou de l’autre des pères. Ils sont tous réputés appartenir à tous les clans et lignages des deux parents frères. En l’absence des deux et des neveux utérins, les enfants succèdent à l’un ou l’autre comme héritiers privilégiés, répondant à leur désir ou à la décision des parents. En présence des neveux utérins, ils peuvent concourir à la succession comme privilégiés et comme co-gestionnaires. Toutefois, les enfants ne reçoivent aucun droit d’hypothèque et de cession ou d’aliénation sans avis des parents. Ils sont surveillés pour 352 empêcher que les biens de la succession glissent du père vers les lignes maternelles de leur parenté. Les limites qui s’interfèrent dans la gestion de la succession par les enfants étaient biens observées dans les villages. Aujourd’hui et souvent avec une certaine brutalité surtout en ville où l’héritage comporte souvent des biens meubles et immeubles importants, les enfants repoussent ces limites. Il importe de faire noter qu’en ville et même au village, les autres héritiers privilégiés ou non, renoncent de plus en plus à la succession sur les biens matériels (meubles et immeubles) pour accroître le privilège des enfants. Au décès d’un homme, les parents rassemblés pour la palabre, décident souvent à l’amiable, de céder toute la succession du défunt à ses enfants. Ici les enfants nés du frère du défunt n’ont plus le même privilège qu’ils avaient dans les villages. Ils reçoivent ce que leurs frères, devenus cousins, leur concèdent volontairement. Cette révolution qui a commencé dans les années 1970 dans les familles à grande population d’enfants dans les milieux ruraux, engage aujourd’hui des amertumes dans certaines familles dans les centres urbains. En effet, on assiste à de nombreux cas où les frères, les neveux, les sœurs et même les ascendants directs, sont écartés de la succession des parents dont ils recevaient souvent les meilleures ressources pour leur vie. 4.8.2.2. Les biens indivisibles Avant de dégager «l’assiette de l’indivision» c’est-à-dire les biens qui font partie de l’héritage collectif et son fonctionnement dans la tradition Mbosi, la définition de l’indivision paraît s’imposer en premier lieu. Le terme de «l’indivision» évoque quelque chose de très précis : «la concurrence des droits de même nature que plusieurs personnes exercent sur un même bien ou sur une même masse de biens sans qu’il ait division matérielle, et donc individualisation de leur part»327. Ce moment caractérise la situation des biens avant le partage que les héritiers recueillent de leur auteur. Cette conception de l’indivision du moins dans son fonctionnement ne semble pas correspondre avec la réalité des Mbosi328. En effet, dans la mémoire du Mbosi traditionnel, la partie de la succession ouverte à l’occasion du décès d’un homme, qui est reçu par son frère, son neveu utérin ou son fils, constitue des biens indivisibles de l’héritage collectif. Ils sont considérés comme sous la propriété personnelle du défunt représenté par un de ces privilégiés. Et pourtant, surtout le frère du défunt n’est soumis à aucun contrôle dans la gestion des biens considérés pourtant comme héritage commun à tous les parents. S’ils ne sont pas périssables, les parents de tous les lignages attendent de les retrouver à l’occasion du décès de l’héritier privilégié. Souvenons-nous que nous avions inséré que le fils héritier était dépourvu du droit d’hypothéquer, d’aliéner et de donation à ses parents maternels. Il peut pourtant user de certains biens pour ses propres besoins. 327 Capitant : «L’indivision héréditaire» in Revue critique, 1924, p19 et s, 84 et s ; Panol Ripert : Traité pratique de droit civil français, Tome 2, Les biens, N°286, p283 cité par Kaya (G) : Op. Cit, p245 328 Chez les Mbosi, c’est le privilégié désigné qui administre à lui seul les biens collectifs et indivisbles sans le contrôle des autres membres de l’indivision. Cette optique est contraire à la réalité même de la notion de l’indivision qui est dominée par deux idées essentielles : d’une part la collaboration de chacun des héritiers d’une manière ou d’une autre à la gestion de masse commune ; d’autre part, cette liberté reconnue aux indiviseurs d’accepter ou pas tel ou tel autre mode de gestion. 353 L’indivision frappe aussi tout bien entrant dans la part d’un lignage par le partage entre lignages, qui conserve le caractère du bien commun du lignage élu. Un tel bien est placé sous la garde du parent chef de clan dans l’intérêt de tous les parents. Sont aussi frappés du sceau d’indivisibilité, les outils de l’agriculture, les matériaux et équipements d’industrie artisanale, les veuves. 4.8.2.3. La discrimination Elle pénalise surtout les petits-enfants et les femmes. Nous avons déjà évoqué plus haut l’écartement des enfants en bas âge de la succession de leur géniteur défunt. Cependant, il est souvent arrivé qu’avant ou au moment de sa mort, un parent destine un bien qui lui était assez cher, à son fils ou à sa fille ou encore à sa petite fille ou son petit-fils, à son neveu ou à sa nièce encore très jeune. Le bien est reçu et conservé par la mère de l’élu jusqu’à sa majorité. La discrimination est surtout observée à l’égard des femmes. Une mère, une tante ou une sœur ou encore une nièce sont représentées dans la succession par leurs enfants garçons à l’âge de succéder. Directement une femme ne reçoit à la succession d’un parent que les objets de seconde valeur comme les pagnes, la volaille, les petits outils agricoles. Mais en guise de récompense de son amitié et surtout de son assistance assidue et efficace au parent dans ses souffrances pré-mortuaires, une femme peut recevoir des biens importants par donation directe et personnelle du défunt. Cette situation discriminatoire à l’égard de la femme est soulignée par Amsatou Sow Sidibé en ces termes : «La condition successorale de la femme africaine est généralement présentée sous un jour défavorable. Celle-ci est considérée le plus souvent soit comme exclue de la succession, soit comme bénéficiant de droits d’héritage dérisoires au profit des héritiers de sexe masculin»329. La ségrégation inverse est observée à l’égard des hommes dans la succession d’une parente. Elle n’est pas cette fois une exclusion. Elle est justifiée par la séparation des tâches du travail entre l’homme et la femme en société traditionnelle Mbosi. Comme dans la plupart des cas, l’héritage qu’abandonne une femme à ses successeurs est composé des objets de travaux champêtres et de transport, ils ne peuvent pas intéresser les hommes. Le partage est ici amiable entre les filles, mères, tantes, sœurs et cousines de la défunte. 4.8.3. Le régime du partage Pour expliquer l’existence de successeurs privilégiés nous avons insinué sur les tensions qui peuvent découler des discriminations dans le partage d’un héritage. Pour empêcher d’éventuelles perturbations de la sécurité publique, Otwere impose le règlement d’une succession à la compétence de la justice traditionnelle. Ce règlement constitue l’avant dernière étape de la palabre pour décès. Quand il arrive à ce point de son audience, le Twere rassemble au même lieu toutes les tendances de parents. Il ouvre cet instant de son office par une réquisition au père du défunt ou à la ligne parentale qui détient ce titre et joue le rôle dévolu à ce titre, pour lui demander de 329 Amsatou Sow Sidibé : Le pluralisme juridique en Afrique : l’exemple du droit successoral sénégalais, Librairie générrale, de droit et de jurisprudence, Paris, 1991, p115 354 présenter l’héritage laissé, après qu’il ait assuré la présentation des lignages maternels du défunt aux parents paternels. Pour répondre à la réquisition, le père ou celui qui en fait fonction, devant tous les parents et sous l’autorité de Twere prie le neveu utérin de lever ses scellés sur la maison funèbre. Le Twere fait une nouvelle citation au père pour lui demander de transmettre les biens présents et cités aux parents des lignages maternels. Un bien symbolique circule alors de lignage en lignage pour terminer devant le représentant du lignage des oncles utérins. Si en traversant les différents lignages aucune objection n’est levée, le représentant du lignage des oncles prend acte, donne quitus au père et lui renvoie la masse globale de la succession pour la répartition. Le partage s’effectue à deux niveaux suivant deux régimes différents. 4.8.3.1. Le régime judiciaire du partage D’après Alain Sériaux330, le partage judicaire dans le monde moderne est le procédé par lequel les cohéritiers, en désaccord sur l’opportunité de la mise en œuvre du partage ou sur les manières d’y procéder, sollicitent l’intervention du juge. Ainsi celui-ci procédera par le contrôle de ce partage et par l’estimation des biens composant la succession. Cependant cette conception ne semble pas s’adapter à la réalité traditionnelle Mbosi. En effet, en droit traditionnel Mbosi, le juge (Twere) intervient obligatoirement même en l’absence de tout désaccord entre les parties à la succession. Cette opération entraîne, en droit Mbosi un fractionnement de la masse successorale en un certain nombre de lots, lesquels sont ensuite attribués aux intéressés. Le partage ici est fait avec le concours du Twere ou par lui. Il s’agit de répartir la succession entre les lignages consanguins et utérins. Après avoir renvoyé les biens et les veuves qui n’étaient pas propres au défunt dans leurs lignages d’origine, après avoir fait régler la part du passif jamais résolu, le Twere fait constater la masse de la succession qui reste à partager. Si la masse du passif s’est avérée supérieure à la masse des objets et valeurs de la succession, le surplus de ce passif est réparti en deux parts égales entre les lignes du père et celles de la mère du défunt. Chaque côté, sur les biens qui lui sont revenus ou sur cotisations collectives, verse sa part séance tenante car le règlement du passif ne peut aller au-delà de la séance, sauf les éléments qui se rapportent aux biens physiques ou humains (par exemple les veuves) dont le règlement incombe à leurs preneurs qui peuvent négocier le moratoire avec les créanciers concernés. En l’absence d’héritiers privilégiés, la masse de la succession dévolue au partage est répartie en deux lots suivant la nature des biens qui la composent. 4.8.3.1.1. Les biens meubles et valeurs A ceux crées par le défunt et rapportés à la succession, s’ajoutent les aides et cotisations reçues pour les obsèques et qui ont échappé aux frais de ceux-ci ainsi qu’au règlement du passif de la succession. 330 Seriaux (A) : Op. Cit, pp199-200 355 Ces biens et valeurs sont répartis en deux lots de volume égale que Twere destine l’un aux lignages du côté du père et l’autre aux lignages du côté de la mère. Ce partage, il faut le souligner, caractérise la période actuelle de l’histoire de la succession en pays Mbosi Olee. Dans les anciens temps, le Twere devait poursuivre le partage de chaque lot en trois autres lots au volume inégal : -du lot paternel, le Twere réservait le sous-lot le plus gros au père ou à ses représentants qui sont ses frères, ses neveux utérins, ses cousins utérins ou les enfants de son oncle ; -le sous-lot moyen était destiné au grand-père (le père du père du défunt) ou à ses représentants ; -le troisième sous-lot était destiné à l’autre grand-père (père de la mère du père du défunt) ou à ses représentants ; -du lot maternel, le gros sous-lot revenait à l’oncle ou à ses représentants qui sont ses frères, ses enfants ou ses cousins ; -le sous-lot moyen était destiné au grand-père (père de la mère du défunt) ou à ses représentants ; -le troisième sous-lot allait à l’arrière grand-père (grand-père utérin de la mère du défunt) ou à ses représentants. Si parmi les biens répartis figurent un équipement d’industrie artisanale (forge par exemple), le lot constitué par ce bien est recueilli par le côté qui avait initié le défunt au métier. L’autre côté ou les autres lignages reçoivent les autres objets et valeurs jusqu’à l’équivalence. Par ailleurs, signalons que dans cette société traditionnelle, l’héritage est dévolu en fonction de la nature des biens. Ainsi, certains biens, par exemple les armes, ne se transmettent qu’aux mâles dans le lignage paternel ou maternel. En revanche, les bijoux féminins et les parures, les ustensiles de cuisine sont remis aux femmes. 4.8.3.1.2. Les domaines Les biens tels qu’ils sont évalués ci-haut (voir les biens propres) sont réputés fixes. Ils restent donc propriétés des parents les plus proches au défunt et qui habitent le lieu de leur implantation. L’exemple le plus en vue est donné par les arbres fruitiers et les barrages de pêche. Sortent de ce lot, les champs dont la récolte est en cours ou future. Les champs cultivés sont des patrimoines communs au défunt et à sa veuve (ou ses veuves). Celle-ci continue la récolte pour elle et pour les enfants à sa charge. Si une partie de la récolte est vendue, le produit issu de la vente est partagé entre la veuve et les héritiers privilégiés ou l’ensemble des héritiers représentés par celui qui a recueilli la veuve. Revient à ce dernier de présenter la part du produit de la récolte aux autres héritiers de son lignage. 356 4.8.3.1.3. Les veuves Le lévirat est un fait de civilisation très pratiqué non seulement chez les Mbosi mais aussi chez d’autres peuples d’Afrique331. La veuve, nous l’avons déjà dit, constitue dans une succession Mbosi, le bien le plus précieux. On la compare et la nomme par la pointe d’ivoire. Elle emporte souvent des convoitises et sa dévolution pose plus de problèmes que les autres éléments de la succession. Pour mettre les différents parents en accord tacite, la coutume a établi un mode de répartition de la ou des veuve(s). Comme les autres biens, la veuve qui était venue chez le défunt par héritage, est recueillie par le lignage qui attachait le défunt au premier époux prédécédé. Sa nouvelle situation trouve la solution à l’amiable dans le lignage d’origine. 4.8.3.1.3.1. Cas d’une succession monogamique Le premier mariage réalisé par un homme dans sa vie est prétendu financé avec le concours prédominant de son père. A son décès, la veuve est destinée au côté paternel et au successeur que le père désigne. Si la veuve jette son dévolu sur un parent utérin de son défunt conjoint, le côté paternel surtout le père ou son représentant «vend» à l’élu l’union maritale perdue. Le successeur acquéreur s’entoure du concours du lignage qui lui ouvre le droit à la succession pour payer la valeur que Twere a pu faire accepter au lignage déçu. 4.8.3.1.3.2. Cas d’une succession polygamique Si le défunt parent a eu, en mariage propre plus d’une épouse, le partage des veuves est opéré par le Twere suivant le code réglementaire préférentiel suivant : La première veuve va au côté paternel et la seconde au côté maternel332. L’ordre peut être inversé par le choix d’une des deux dulcinées. En effet, si une des veuves choisies pour nouveau conjoint un parent du côté auquel elle n’est pas destinée réglementairement, l’autre côté recueille la deuxième. Si le défunt laisse plusieurs veuves, le partage est fait de façon égalitaire entre les côtés maternels et paternels en respectant l’ordre préférentiel du paternel sur la première épouse. 331 Analysant la situation de la veuve en droit traditionnel tchadien, Benjamin Djokoloun la caractérise de la manière suivante : « …bien avant la fin de la période de deuil, le conseil de famille a déjà scellé le sort de la veuve en désignant l’un des siens avec laquelle elle doit se remarier. C’est le règne du lévirat. Il peut aussi arriver qu’au moment de faire le grand saut dans la terre des ancêtres, l’homme désigne l’un des siens pour épouser sa femme. C’est la dot versée à la famille de l’épouse qui fonde le pouvoir d’imposer le lévirat à la veuve (…). Dans tous les cas, le remariage ne peut se faire que dans le cercle familial. La tradition impose que la veuve se remarie avec quelqu’un de moins jeune que son mari défunt. Cependant, il serait inconcevable que la veuve puisse épouser le père ou les frères aînés du défunt», La condition de la veuve dans le droit positif tchadien des personnes et de la famille in Revue internationale de droit comparé, Paris, Juillet-septembre 2002, N°3, 50è année, pp820-821 332 Elenga (D) : Op . Cit, p178. Cette priorité ainsi accordée aux agnats a pour explication, la compensation versée par le père pour l’obtention de la première épouse. Les autres épouses étant obtenues grâce aux efforts personnels du défunt mari. 357 Si le nombre des veuves est impair, le côté paternel reçoit la moitié du nombre plus une veuve. Si par le jeu du choix relativement respecté mais limité des veuves, un côté reçoit plus de veuves qu’il ne devait en avoir, ce côté achète le droit à la succession, c’est-à-dire l’union que l’autre côté perd d’avec la veuve qui glisse au côté acquéreur sans permutation. Le prix de cette transaction est négocié à travers le Twere qui officie la succession. 4.8.3.2. Le régime amiable du partage Comme l’indique Alain Sériaux333, pour opérer entre eux la répartition des biens de la succession, les copartageants ont d’abord la ressource de s’entendre. Ils procéderont alors à un partage amiable. Cette opération apparaît, en droit moderne, comme le premier procédé du partage dont l’échec traduira la nécessité de faire intervenir le juge pour un partage judiciaire. Cependant, en droit traditionnel Mbosi, ce procédé revêt une certaine originalité. En effet, il caractérise le partage au sein d’une ligne entre les différents membres de celle-ci des lots reçus lors du partage judiciaire. Autrement dit, il constitue le second niveau de partage dans le régime de partage successoral en droit traditionnel Mbosi. Au sein de chaque côté, le partage des biens reçus de la succession se poursuit entre lignages. Le partage est effectué proportionnellement à l’intensité du lien qui rattachait le défunt aux lignages. Le bien qui a plus de valeur est recueilli par le lignage le plus proche. Le partage ici est fait suivant le mode des anciens avec la différence qu’il est amiable et les représentants des lignes acceptent la règle. Mais si les biens, en nombre, ne peuvent pas atteindre tous les lignages, le lignage qui reçoit le bien commun verse aux autres une compensation financière. Entre les successeurs d’un même lignage, surtout qu’ici, le concept de lignage et de clan, se confond à celui de la famille, les règles du respect du plus âgé et de la proximité parentale avec le défunt permettent la signature d’accord à l’amiable. Les biens matériels auxquels est attachée une valeur importante, sont remis à la disposition du chef du lignage pour l’intérêt de l’ensemble. Les autres objets peuvent être reçus par ceux des parents qui manifestent plus d’intérêt. Par exemple, un jeune qui atteint l’âge de travailler le champ, peut se voir attribuer une machette, une hache. Cette décision que prend le chef du lignage est souvent bien accueillie par l’ensemble parce qu’elle permet de lancer le jeune parent à l’activité qui attend assurer son exaltation. La veuve recueillie par une lignée, est reçue par le prétendant qui lui avait déjà manifesté ses intentions. Les autres parents souvent adhérent au choix de la veuve ou à l’intention du prétendant. Ici toute tension qui se manifeste entre les appétits des membres de la famille est éteinte par le chef de famille qui fait observer l’intérêt général de la collectivité familiale. La succession, en droit traditionnel Mbosi Olee, peut être comprise comme une donnée coutumière de cette civilisation ethnique. Elle est exclusivement une affaire familiale. L’examen de l’exposé sur le partage de cette succession conduit à conclure qu’en droit traditionnel Mbosi, la dévolution successorale incombe en premier lieu à des privilégiés classés en trois échelles qui interviennent en remplacement les unes des autres ou collégialement pour conserver toute la succession dans l’intérêt collectif des familles. 333 Sériaux (A) : Op. Cit, p198 358 Ces successeurs qui accueillent la globalité ou la plus grande part des biens successeraux, par obligation surtout, sont par ordre successif, les frères du défunt, ses neveux utérins et ses enfants auxquels se mêlent les enfants de ses frères. Ils constituent les descendants directs du décédé. A défaut de ces privilégiés, la succession d’une personne est une affaire de six parents ascendants dont trois viennent du côté paternel et trois du côté maternel. Les autres parents, même les collatéraux proches, viennent en représentation de ceuxci qui sont : -du côté paternel: le père du défunt, ses deux grands-pères consanguins ; -du côté maternel: l’oncle utérin du défunt et ses deux grands-pères utérins. Ce tableau d’intervention dans la succession d’un décédé, donne la preuve que la coutume Mbosi Olee est bicéphale: elle est à la fois patriarcale et matriarcale à taux égal. Ce caractère d’équilibre entre la patrilinéalité et la matrilinéalité en coutume Mbosi est certainement l’explication de la relative adaptation de ce peuple aux dispositions du droit moderne à l’appui du code de la famille congolais adopté le 17 octobre 1984. En effet, le code de la famille congolais a adopté un nouveau droit successoral. Il reconnaît à côté de la succession légale, la succession testamentaire par laquelle le testateur peut faire des legs à un étranger de la famille. En dehors des cas d’indignité qui permettent d’écarter un successible, d’après le code de la famille, les successions sont déférées aux enfants et descendants du défunt, à ses ascendants, à ses parents collatéraux et à son conjoint survivant. Ce code de la famille congolais qui, selon Gilbert Kaya334 «se veut en quelque sorte l’acte de naissance d’un nouveau type de famille» inclut dans la fédération des successeurs d’un décédé, son conjoint et ses enfants. Il crédite aussi le testamment et le leg en faveur de toute personne étrangère à la famille. A la différence des autres coutumes qui sont, soit régies par le matriarcat strict, comme les Bembe et les Kongo au sud, soit par le patriarcat strict comme les Bondjo de la Likouala, les Mbosi, surtout les Mbosi Olee semblent accepter les règles modernes de la succession, surtout, comme nous l’avons dit en milieu urbain. Ce code ne fait donc pas l’unanimité quant à son application dans les différents groupes ethniques du Congo car en matière de succession les disparités sont encore constatées suivant qu'on se trouve dans telle ou telle ethnie du pays. Ce point ne devait pas être l’objet de notre travail. Nous le mentionnons ici pour indiquer comment toutes les institutions héritées de la colonisation par l’Etat indépendant concourent à la dégradation et au périssement des valeurs traditionnelles. Ce constat est bien exprimé par Gilbert Kaya quand il écrit : «D’une part, considérant avec Siméon, que les sentiments et l’esprit de la famille sont, au-delà d’un certain degré si usés qu’ils ne pourraient servir (par exemple) de fondement à une dévolution successorale, le législateur a rompu avec cette tradition qui faisait de la famille une collectivité aussi étendue que le lien de sang qui lui sert de base»335. 334 335 Kaya (G) : Op. Cit, p30 Kaya (G) : Op. Cit, p30 359 5. Conclusion Les affaires que nous avons qualifiées d’affaires à concilier sont, pour la plupart, du domaine social. Les parties se préparent à établir des contrats de famille (mariage) qui sont appelées à résoudre des problèmes posés par le fonctionnement des relations de parenté. A de rares exceptions, les retrouvailles ont lieu au siège d’une famille intéressée. Le Twere joue alternativement ou successivement les rôles «d’administrateur civil, de notaire», de réconciliateur et même celui de juge quand il arrive à prononcer la déchéance de droit ou de parenté. Ici, comme dans la catégorie précédente d’affaires et surtout pour la discipline des séances, chaque partie intervient par l’intermédiaire d’un parent spécialiste du droit et de la justice. Celui qui joue le rôle d’assistant ou de porte-parole du groupe apparaît quequefois comme défenseur des intérêts du groupe. Pour chaque nature d’affaire, le juge suit et applique un code spécial en vigueur dans la société. Lorsqu’il intervient dans le mariage, il sait quelle procédure utiliser à chaque phase du contrat matrimonial. Et même s’il n’a eu la ou les première(s) phase(s), il sait comment conduire celle qui lui est confiée et les éléments de l’échéance de la dot qu’il doit faire passer. Le contrat de mariage étant, en coutume Mbosi, une succession d’actes que conclu un futur époux avec chaque ligne de parents de sa future épouse, il fait intervenir un panel important «d’officier d’Etat-civil». L’efficacité de l’acte, surtout si le futur époux ne dispose pas de tous les biens composant la fraction de la pré-dot ou de la dot à présenter, dépend de la compétence du juge à manier son art et de sa réthorique. La dot, même si elle peut revêtir le caractère que lui confèrent de nombreux observateurs étrangers, qui la définissent comme compensation de main d’œuvre que les parents de la fille perdent du fait de mariage, est assez faible et compartimentée chez les Mbosi Olee. Pourtant elle y est comprise comme ciment du contrat de mariage au regard des rôles que l’on lui fait jouer. L’un des rôles confiés à la justice fait une exception de la civilisation Mbosi Olee. Il s’agit de son rôle dans la santé de la population. La maladie, l’échec et la mort étant des résultats d’ensorcelement ou d’envoûtement, l’écartement de leurs causes est pense-t’on, obtenu au cours d’une assemblée des familles appelée Osambe, autour d’un Twere. Les actes de Twere consistent à dresser la généalogie des clans du malade en faisant circuler les frais d’Osambe (ou Ileli), à juger les faits d’insuffisance du jeu d’assistance dans les familles, à conduire les discours d’inculpation, d’aveux ou/et de conjuration des représentants de lignes de parenté. En dressant la généalogie du malade, il peut arriver à remonter une parenté, qui, par négligence des membres tendait déjà vers l’extinction ou un accaparement des rôles par des parents des rangs lointains. Cette action et les discours des parents établissent un gain psychologique d’assistance du malade. Le Twere intervient surtout dans les décés. Ici il commence par des actes à la fois «d’administrateur» et de juge quand il fait passer les frais d’annonce et de déclaration de 360 décés, décèle et règle les déconvenues introduites dans le fonctionnement des relations parentales. Il finit par jouer le rôle de «notaire» quand il conduit la succession et le partage de l’héritage. Cette opération, souvent complexe dans les autres coutumes, est ici, facilité par le droit coutumier Mbosi qui établit l’équilibre entre le patriarcat et le matriarcat bien que la liste de successibles paraît plus allongée qu’en droit moderne tracé par le code de la famille congolais. Ce droit coutumier confère à la succession le sens de pérennisation des droits, obligations et surtout fonctions sociales et politiques du parent défunt. En effet, en droit Mbosi Olee la succession porte sur tous les biens meubles et immeubles, sur toutes les fonctions sociales et politiques abandonnées par un défunt. Seuls les biens meubles et immeubles usuels qui ont servi déjà le créateur (habillement, ustensiles, cases) qui sont considérés sacrificiels ou funèbres donc destinés à la destruction ou à accompagner le défunt dans sa tombe ou sur celle-ci, tous les biens et fonctions viennent à l’héritage. Contrairement à l’affirmation de Gilbert Kaya336 sur le cas des Bembe et des Teke de la Bouendza, la terre ne vient pas à l’héritage d’un Mbosi Olee. Elle est bien indivisible du clan, elle appartient à tous les membres du clan et ne peut venir dans la succession d’un invidividu. Parmi les fonctions abandonnées par un défunt, on compte celle d’époux et de père. Le lévirat est donc une donnée du droit Mbosi. Il est aussi justifié par la dot. Le testament «n’a pas pour but de distraire les biens légués, mais seulement de les répartir …»337. Comme on comprend, les biens sur lesquels porte un testament et même un legs, reviennent à la succession. C’est un acte d’attribution qui précède le partage. 336 337 Kaya (G) : Op. Cit Kaya (G) : Op. Cit 361 CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE Le droit et la relative liberté de l’homme, la paix, la cohésion, la sécurité et l’ordre dans la société Mbosi, constituaient les plus grandes préoccupations de l’institution Otwere. Ayant estimé impropres l’institution et le fonctionnement des armées et des prisons dans la société, Otwere confie la protection de ces valeurs cardinales à la justice. Seule elle devait veiller à leur consolidation et à leur respect par tous les peuples et par tous les hommes soumis au règne d’Otwere. La justice est donc la seule fonction d’ordre pour le pays Mbosi Olee en particulier et pour toutes les communautés Ngala en général. Dans la société Mbosi Olee, son organisation calquée sur l’organisation politico-administrative du pays, place les véritables Cours de justice dans les villages auprès des A nga kwephe, des Abiali ou d’un Ngo Otwere. La fonction était donc exercée par un «fonctionnaire libéral» appelé Twere (magistrat) qu’Otwere créditait d’une autorité et d’un pouvoir absolus. Bien que sa fonction soit apparemment libérale, le Twere est guidé dans ses actes par des codes rigoureux secretés par la coutume mais qu’il devait appliquer avec rigueur et intelligence au nom et sous protection de l’institution suprême. Cette protection inviolable et intangible lui était assurée, tout au long du règlement d’une affaire, par le port du Mwandzi, «emblème et drapeau» des «nations» Mbosi, ou d’une représentation matérielle de ce sacré instrument. Les «Cours ou tribunaux» étaient tous de même niveau donc n’étaient pas liés par une relation de hiérarchie. Tout jugement rendu par un Twere ne pouvait être reformé en appel, ni être cassé. Cependant une partie dans une affaire pouvait contester un jugement et recourir à un autre Twere ou à une autre Cour. L’affaire était traitée comme en premier et dernier ressort sans référence aux décisions de la première Cour. Mais elle ne pouvait pas être introduite devant une troisième Cour. Cette dernière devait opposer le refus de connaître. La partie contestataire avait le choix d’exécuter l’un des premiers jugements. Si elle refusait de se soumettre aux deux jugements, elle courait le risque d’être qualifiée de recalcitrante et s’exposait à la réaction de l’institution Otwere. Le champ de compétence de la justice d’Otwere en société Mbosi n’avait pas de limite. Toute affaire qui devait lier ou opposer les hommes lui était soumise. De la menace verbale à la mort, de l’adultère au divorce, du vol à la destruction des biens, du niement des droits aux conflits de frontières, les décisions du Twere étaient prises en qualité de juge. Toutes ces affaires constituaient le groupe d’affaire à juger. Au-delà du mariage à la succession en passant par la santé, le Twere jouait alternativement tous les rôles de justice et d’auxiliaire de justice. La matérialité des faits ne constituait pas une preuve limitative des actes du juge. Les preuves des faits étaient fournies par le flagrant acte, par la dénonciation des victimes et surtout par la dénonciation des féticheurs (Nganga). Ainsi, l’échec, la maladie et la mort étaient des faits commis à autrui par la sorcellerie et l’envoûtement, dénoncés par le féticheur et jugés par le Twere sous forme de réconciliation ou d’assistance notariale. Si dans les affaires dites à juger, la procédure d’Otwere n’accuse pas assez de différences avec celle de la justice coloniale remplacée par la justice de la République 362 indépendante, au niveau des affaires dites à concilier, les procédures de la justice Mbosi recèlent des différences notoires avec cette rivale. Les codes du mariage et le code de la succession constituants de première place de la coutume Mbosi, qui pouvaient prétendre à une meilleure place parmi les coutumes du Congo, ont subi des rétorsions dans le code congolais de la famille. La justice qui était l’un des grands pouvoirs que l’institution Otwere a fortement exercé sur le peuple Mbosi, a subi la loi de la justice coloniale et du droit dit moderne de l’Etat indépendant. Avec toute la coutume, avec Otwere, elle a péri malgré une faible survivance qu’on observe encore dans les villages comme dans les centres urbains. Mais la fonction est maintenant exerçée par des amateurs sans grandes qualités. Ceux-ci mènent une vie difficile à la justice moderne car elle est encore incomprise par les peuples qui la trouvent inadaptée à leur vie et incompétente pour un grand nombre d’affaires. 363 QUATRIEME PARTIE : CAUSES ET CONSEQUENCES DU DECLIN D’OTWERE ET REFLEXIONS SUR SA NATURE Les développements précédents montrent qu’Otwere est au cœur de la civilisation Mbosi. En effet, le pouvoir qu’il a exercé et la discipline qu’il a imposée de même que les valeurs qu’il a inculqué ont largement contribué au rayonnement de cette civilisation auprès des ethnies voisines. Mais ce rayonnement s’est affaibli avec la colonisation d’abord et l’idéologie des sectes religieuses ensuite. En effet, le déclin d’Otwere s’amorce à la fin du XIXè siècle avec la colonisation française et l’évangélisation, et s’achève au début de la deuxième moitié du XXè siècle avec l’apparition et le développement des sectes religieuses. Cette quatrième partie est structurée en trois chapitres. Le premier chapitre traite des causes exogènes du déclin d’Otwere et, le deuxième des causes endogènes et des conséquences de ce déclin. Alors que nos réflexions sur la nature réelle d’Otwere sont exposées dans le troisième chapitre. 364 CHAPITRE I : LES CAUSES EXOGENES DU DECLIN D’OTWERE Le déclin d’Otwere, est lié à un certain nombre de causes et faits. Dans ce chapitre, nous analysons les facteurs exogènes du déclin de cette organisation. Les facteurs les plus importants que nous avons retenus sont la colonisation, l’évangélisation et le développement des sectes religieuses. 1. La colonisation Ce point consacré à la colonisation comme l’un des facteurs exogènes du déclin de l’institution Otwere n’a pas la prétention de retracer le parcours du colonisateur au Congo ou dans le nord-Congo chez les Mbosi Olee, mais tente de montrer en quoi et comment la colonisation a contribué à ce déclin. La colonisation a été l’une des plus grandes préoccupations des sociétés industrialisées au XIXè siècle. Elle consistait non seulement en la conquête de l’espace, mais aussi en la création de nouveaux débouchés. Dans cet élan, l’Afrique a été l’une des plus importantes cibles de l’Europe en général et de la France en particulier. En effet, Brazza a effectué trois voyages338 (entre 1878 et 1885) dans le bassin du Congo pour le compte de la France. Ces voyages ont été marqués par des accrochages avec les Apfourou339 sur l’Alima en 1878 d’une part et par la suite la signature des traités340 avec le Makoko, chef des Batéké (Tyo) d’autre part. Ces traités ont été ratifiés plus tard par le Parlement français et la conférence de Berlin (1885) qui délimita le bassin conventionnel du Congo341. C’est dans ce contexte que la France se vit reconnaître la possession de la rive droite du Congo et de l’Oubangui. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusions : la “signature” de ces traités est loin d’être le synonyme de la soumission de tout le pays dont les populations ne dépendaient pas toutes de l’autorité de Makoko. En effet, le roi Makoko n’avait autorité que les populations Teke de son royaume, et non sur les populations Kongo ou Mbosi par exemple. 338 Lire Brunschwig (H): Brazza, l’explorateur. Les traités Makoko (1880-1882), Mouton, Paris, 1972 Coquery Vidrovitch (C): Op. Cit Gamache (Pierre): Géographie et Histoire de l’Afrique Equatoriale Française, Fernand Nathan, Paris, 1949, 304p 339 Le terme «Apfourou» a été légué à l’histoire par l’explorateur Brazza qui est le premier Européen à être parvenu sur la rivière Alima, dans la cuvette congolaise en 1878. Malheureusement, il n’existe pas au Congo un peuple appelé Apfourou. Il semblerait que le terme «Apfourou» est la déformation du terme Tegue (Teke-Alima) et Mbosi, «Avourou ou Abourou» qui signifie les étrangers. Ce sont les Mbosi et les Tegue en relation commerciale avec les Likouba qui les désignaient ainsi. En effet, les Likouba (dans la vallée intérieure, installés dans un pays de marécages et de lagunes) remontaient très loin et régulièrement l’Alima en pirogue pour acheter à ces deux peuples du manioc, des tissus raphia, du sel, des esclaves et autres. Ainsi donc, les «Apfourou» seraient vraissemblablement les Likouba, un peuple habitant les zones situées autour de l’actuel district de Mossaka. 340 Traité du 10 septembre 1880 conclu à Nduo entre Brazza représentant du gouvernement français et le roi Makoko, souverain des Bateke qui déclarait céder son territoire et ses droits héréditaires à la France et faisait état de sa volonté d’arborer le pavillon français. Ce traité a été complété par le traité du 3 octobre 1880 signé à Ncouna par lequel Brazza prenait effectivement possession d’un territoire situé sur la rive nord du stanley-Pool (Ntamo) en présence de plusieurs chefs locaux, vassaux de Makoko (Jean Martin : Lexique de la colonisation, Dalloz, Paris, 1988, p246). 341 Brunschwig (H) : Le partage de l’Afrique noire, Flammarion, Paris, 1971, pp41-65 365 En dépit de la non soumission des populations Mbosi à l’autorité de Makoko, la colonisation s’est intéressée aux deux rives de l’Alima. Ainsi, les autochtones ont été soumis au mode de vie occidental, en particulier français et contraint à abandonner leur propre culture. Il en a découlé une acculturation des populations soumises marquant ainsi le déclin de l’institution Otwere comme nous allons le montrer à travers les paragraphes qui suivent. 1.1. La politique coloniale de la France La politique coloniale de la France dans le pays Mbosi s'inscrivait dans le cadre général de la politique coloniale française inaugurée au XIXè siècle par Jules Ferry, ses séides et ses épigones. Cette politique consistait en effet pour la France à : -explorer les territoires vacants d'Afrique ; -fonder et administrer des colonies ; -imposer aux peuples autochtones la civilisation occidentale (culture française). Cette politique avait nécessité de gros capitaux pour : -la création des voies de communication ; -la création d’une infrastructure administrative ; -la mise en valeur des territoires colonisés grâce au concours de sociétés commerciales (compagnies concessionnaires). Tels étaient les grands traits de la politique coloniale de la France au Congo-Français. Pour appliquer cette politique, les colonisateurs devaient user du jeu de trois forces décrites par Georges Balandier dans une étude relative aux changements sociaux en Afrique : «Il est habituel de reconnaître que la colonisation a agi par le jeu de trois forces à séparer – associés historiquement et vécues comme étroitement solidaires par ceux qui les subissent - : l'action économique, administrative et missionnaire»342. En s’inspirant de cette analyse de Georges Balandier, nous tenterons de présenter l’action coloniale de la France dans la région et d’appréhender la désorganisation du système traditionnel à travers l’organisation administrative, économique et judiciaire. 1.2. L’occupation coloniale du pays L’un des aspects majeurs de la colonisation a été celui de l’occupation du pays avec l’organisation de l’administration territoriale coloniale que nous allons sommairement rappeler ici. Elle s’était accompagnée de la suppression des chefferies traditionnelles au profit de la chefferie coloniale et d’un découpage territorial. Elle avait enfin soumis le colonisé à une série de transformations qui devaient inévitablement affecter la société traditionnelle dans sa base politique, économique et culturelle. 342 Balandier (G): Op. Cit, p8 366 1.2.1. L’organisation de l’administration territoriale coloniale Cette organisation administrative a été abondamment décrite par Jean Suret Canale343, Raymond Bafouetela344, Antoine Aissi345 et moi-même346. De ces travaux, nous retiendrons que la France avait organisé administrativement ses colonies du Congo-Français de la manière suivante : 1.2.1.1. Le Commissaire général Il était le responsable suprême de la colonie et nommé directement par le gouvernement métropolitain. Son action politique était dirigée et suivie de très près par le Département dont il relevait et qui exigeait l’approbation préalable des décrets qu’il prenait. Il avait la haute direction du pays tout entier du point de vue politique, administratif et économique. Il était le dépositaire des pouvoirs de la République et à lui seul incombait la charge d’imprimer la politique générale à suivre dans la colonie. La mise en application de cette politique était l’œuvre des lieutenants-gouverneurs, ses collaborateurs directs. Le Commissaire général était assisté d’un conseil de gouvernement où siégeaient entre autres : les lieutenants-gouverneurs, le chef de service judiciaire, quelques réprésentants des sociétés concessionnaires quand les discussions ont trait aux affaires économiques, et le secrétaire général qui assure l’intérim en cas d’absence ou d’empêchement du Commissaire génaral. Il cumulait tout. En effet, c’est lui qui décidait de la division administrative des colonies, de la modification des assiettes des impôts directs et indirects, du développement des cultures de rente. Mis à part les lieutenants-gouverneurs qui étaient nommés par le Département, il lui revenait d’accepter ou de renvoyer les administrateurs et de les nommer dans chaque colonie du groupe. A partir de 1908, le Commissariat général était transformé en gouvernement général et, en 1910, le Congo-Français prenait le nom d’Afrique Equatoriale Française (A.E.F). Les attributions du gouverneur général étaient les mêmes que celles du Commissaire général. 1.2.1.2. Les Lieutenants-gouverneurs C’est en 1907 que le Moyen-Congo a son propre lieutenant-gouverneur. Celui-ci administrait, sous la haute direction du commissaire général ou du gouverneur général, la colonie qui lui était confiée. Comme tout administrateur, il s’occupait de la bonne marche politique, économique, financière et sociale de la colonie. Il lui revenait de prendre les décisions urgentes concernant, par exemple, une expédition contre les indigènes qui se révolteraient et faire ensuite un rapport au commissaire général. Le Lieutenant-gouverneur était assisté d’un conseil d’administration où siègaient les divers responsables des services spécialisés de la colonie et quelques représentants des sociétés commerciales. Ce conseil discutait et prenait des décisions relatives aux questions purement locales : impôt, construction de routes, affectation des fonctionnaires et de gardes 343 Suret-Canale (J) : Afrique noire. L’ère coloniale 1900-1945, Editions sociales, Paris, 1962, pp93-418 Bafouetela (R) : La politique indigènes de la France au Moyen-Congo 1886-1930, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Paris VII, 1974, pp84-94 345 Aissi (A) : Op. Cit, pp94-117 346 Itoua (J) : Les Mbosi de la rive droite de l’Alima et l’occupation française (1885-1937), Mémoire de Maîtrise d’histoire, FLSH-UMNG, B/ville, 1995-1996, pp89-98 344 367 régionaux. Mais, le plus grand rôle des lieutenants-gouverneurs était d’appliquer et de faire appliquer au niveau local les décisions venant des commissaires généraux et du Département. 2.1.3. Les administrateurs dans les circonscriptions et les subdivisions A la tête de chaque circonscription et subdivision, se trouve un chef de circonscription ou de subdivision, omniprésent. Il administre, perçoit l’impôt, fait la police, rend la justice, gère les prisons et dirige les services publics. Presque tous avaient une grande idée de leurs fonctions multiples. Et Réné Trautman d’écrire : «La tendance des administrateurs à exagérer leur importance vient de la multiplicité des fonctions qu’ils remplissent aux colonies. Si dans les villes, leurs attributions sont limitées par celles des autres fonctionnaires, il n’en est pas de même en pleine brousse, où par la force des choses, ils deviennent universels. En dehors de leurs occupations naturelles que tout le monde connaît : admnistration des indigènes, règlement des palabres, direction des gardes, surveillance des prisonniers, perception de l’impôt, innombrables paperasses à fournir au gouverneur…, il doivent aussi être magistrats, architectes, ingénieurs des ponts et chaussées, médecins, collectionneurs, agronomes, géologues, vétérinaires, combattants»347. C’étaient vraiment des hommes à tout faire de l’administration. Leurs mutiples fonctions tiennent sans doute d’un système oppressif mais aussi de la pénurie constante du personnel administratif qui sera une des grandes plaies de l’administration coloniale, tout particulièrement en Afrique Equatoriale Française. Pour assurer une meilleure main mise sur le pays, l’administrateur eut recours à des auxiliaires autochtones : gardes régionaux, interprètes et chefs indigènes. 1.2.1.4. Les auxiliaires Pendant longtemps, faute d’école et d’enseignement quelconque, le cadre d’écrivains ou interprètes indigènes était presque inexistant. Les quelques interprètes existants jouèrent surtout le rôle d’hommes de renseignements et de commissionnaires. Le principal intermédiaire entre l’administration et les indigènes était le milicien. Le milicien ou garde régional était l’agent de police, souvent ancien tirailleur, décidé à imposer au Noir la puissance qu’il tient du Blanc, dont son fusil, sa baïonnette et son chéchia sont le symbole. Il ira seul, ou avec deux ou trois autres, avec ou sans la bénédiction du gouvernement local, faire exécuter les mesures décidées : recrutement des porteurs, réparation de ponceaux et gîtes d’étapes, création de pistes, entrée de l’impôt. Ces gardes régionaux ont été à l’origine de biens des maux subis par les indigènes. 1.2.1.5. La chefferie administrative coloniale La chefferie traditionnelle fait ainsi place à la chefferie administrative. Le cercle ou la subdivision est divisée en tribus, cantons ou terres ; le canton en village. Les chefs évoluent à l'intérieur de ces structures. A vrai dire, ce nouveau mode d’organisation des chefferies 347 Trautman (R) : Au pays de Batouala, Paris, 1922, pp94-95 cité par Aïssi (A) : Op. Cit, pp103-104 368 constituait la révolution pour capter et faire tourner la machine traditionnelle au profit du nouveau système «impérial». Sur ce point, Jean Suret-Canale souligne à juste titre que «Les chefs (…) ne disparaissent pas. L’administration française va même en créer là où il n’en existait point. Mais l’institution, lors même qu’elle conserve les apparences traditionnelles et utilise les mêmes hommes et les mêmes familles a un caractère fondamentalement nouveau. La véritable chefferie traditionnelle fait place à la chefferie administrative»348. 1.2.1.5.1. Les chefs de tribu La tribu embrasse plusieurs terres ; une ou plusieurs tribus sont comprises dans la subdivision. A la tête de la tribu est placé un chef de tribu. Les chefs de tribu sont nommés et révoqués par décision du lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo sur proposition du chef de circonscription (circulaire de 1922). Ils dirigent, surveillent et contrôlent l’action des chefs de terre ou de village placés sous leur autorité. Mais ils ne doivent pas se substituer à eux dans leurs affaires intérieures. 1.2.1.5.2. Les chefs de terre ou de village La terre est l’ensemble des villages obéissant au même chef. A la tête de chaque terre est placé un chef de terre qui relève les chefs de village, et qui est contrôlé par le chef de tribu. Les chefs de terre sont nommés et révoqués par le chef de la circonscription sur proposition du chef de subdivision ; il est secondé dans l’exercice de ses fonctions par des chefs de village (circulaire de 1922). Les chefs de terre ou de village ont des attributions, politiques et administratives économiques et financières. Ces attributions se résument à la collecte de l’impôt en vue de sa remise au commandant, la réquisition de la main d’œuvre, les corvées à faire exécuter, les cultures à faire planter, l’hygiène du village à faire assurer. Ils avaient aussi le devoir de signaler les cas d’épidemies et de maladies contagieuses constatées dans la terre ou le village, assister au recensement, fournir les renseignements utiles et aussi de signaler les «mauvais esprits». Toutes ces catégories de chefs avaient droit à des marques extérieures du pouvoir, symbole de leur autorité. Mais sur ce point, il convient de noter que toutes les sociétés africaines en général et les Mbosi en particulier, n’ont pas été surprises par l’institution de ces signes du pouvoir. Elles ont toujours accompagné la possession du pouvoir par des signes extérieurs. L’administration coloniale pour valoriser l’autorité qu’elle conférait aux chefs indigènes et pour rester plus près de la réalité les a repris à son profit. Ainsi, dès 1913, un arrêté du Lieutenant-Gouverneur du Moyen-Congo institue en faveur des chefs indigènes dits chefs de terre de la colonie une bande insigne mobile et un uniforme349. En 1922, cet arrêté est abrogé et les bandes insignes sont remplacés par «un brassard ou des galons spéciaux»350 selon les catégories de chefs. 348 Suret-Canale (J): Op. Cit, p106 Arrêté du Lieutenant-Gouverneur du Moyen-Congo, 21mars 1913 cité par Soussa (L): Op. Cit, p98 350 Circulaire N°066 du 12 avril 1922 adressée par le Haut-Gouverneur du Moyen-Congo aux chefs de circoncription citée par Soussa (L) : Op. Cit, p91 349 369 A l’insigne et à l’uniforme, s’ajoutait la rémunération. Ils «ont été les appâts du pouvoir colonial pour inciter les chefs indigènes à plus de zèle, de soumission et de loyalisme. C’est l’un des moyens les plus sûrs pour transformer le chef traditionnel en chef administratif»351. Un système de signes est toujours un système caractéristique qui renvoie à une idéologie. La rémunération était faite selon les catégories de chefs. Les chefs de village et de terre «devaient être rémunérés par des remises sur l’impôt allant jusqu’à 5% et pouvaient recevoir des gratifications supplémentaires»352. Dans le système français, c’était l’administration directe des colonies qui prévalait : le gouverneur métropolitain contrôlait directement les colonies en y affectant des résidants ou gouverneurs généraux. Ceux-ci avaient comme collaborateurs des lieutenants-gouverneurs et, à la base, des administrateurs de cercles ou de circonscriptions et des chefs de districts ou de postes ou de subdivision. Ce système faisait de l’administrateur de circonscription ou de subdivision, le seul réprésentant légal des indigènes qui devenaient des sujets. A l’intérieur de ce système, les structures politiques autochtones (Mbosi par exemple) devenaient de simples parodies, les chefs indigènes n’étant plus utilisés qu’au niveau de leurs villages respectifs. Les anciennes chefferies de terre ou de clan disparaissaient purement et simplement, se transformant à leur plus simple expression : la chefferie de village dont les chefs n’étaient que les auxiliaires de la colonisation au même titre que d’autres auxiliaires plus directs de l’administration qui étaient les gardes régionaux et les interprètes. Cette structure imposée était tout à fait différente de ce que les Français avaient trouvé sur place en venant occuper le pays. Le représentant suprême n’était plus l’élu du peuple qu’il gouvernait, mais le représentant d’un pays lointain que les Mbosi ne connaissaient même pas. Bien plus, ceux-ci ne pouvaient l’aborder comme ils le faisaient avec leurs grands chefs et ses ordres ne leur parvenaient qu’à travers mille et un dédales, ordres impératifs, qu’il fallait exécuter faute de se voir puni, alors qu’auparavant, le Mbosi libre pouvait facilement débouter ce qu’on lui intimait de faire. Ainsi, aux yeux du Mbosi en ce début de colonisation, ces autorités n’étaient pas leurs chefs mais des auxiliaires de la colonisation. En définitif, nous retiendrons de cette réorganisation du pouvoir qu’elle porta un coup fatal à l’institution Otwere du fait que les détenteurs du pouvoir autochtone qu’étaient les A nga kwephe, les Abiali, les Ndinga ou simplement des chefs de famille membres d’Otwere ont été remplacés par des chefs auxiliaires de l’administration coloniale dont la désignation ne respectait pas les normes traditionnelles. En effet, cette nouvelle organisation de l’autorité va ôter à Otwere son monopole sur le règlement des «affaires», le pouvoir colonial ayant établi de nouvelles juridictions et formes d’administration. Par ailleurs, Otwere était, comme nous l’avons montré, une culture qui se transmettait de génération en génération. Les anciens avant de rendre leurs âmes, devaient préparer leurs successeurs à la sagesse et à la culture d’Otwere. Comme nous l’avons déjà caractérisé dans la deuxième partie de cette étude, Otwere était donc un pouvoir dont les détenteurs devaient avoir atteint une certaine maturité physique et culturelle. Avec la colonisation, les modes de recrutement et de rémunération des chefs de village, de tribu ou de canton ont remis en cause l’intérêt d’être membre d’Otwere pour être responsabilisé comme cela était le cas avant la colonisation. Alors préoccupés désormais par leurs responsabilités attribuées par les Gouverneurs coloniaux, les chefs indigènes, héritiers de la culture d’Otwere, négligèrent au fil 351 Kinata (C): Evolution économique et sociale des Bakongo du Mbula Ntangu (Pool-Congo) 1896-1942, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Université de Paris VII, p117 352 Circulaire de 1922 déjà citée 370 du temps leurs responsabilités liées à Otwere au profit de nouvelles responsabilités. Un schisme total va donc avoir lieu entre les chefs traditionnels et leur institution d’une part, et entre les chefs traditionnels et leurs enfants -potentiels héritiers d’autre part ; d’où la déchéance d’Otwere. Par la suite, toute cette atmosphère a laminé l’influence d’Otwere en milieu Mbosi Olee, et le processus de déclin s’était renforcé, comme nous allons le voir à travers la création du poste administratif, l’implantation des compagnies concessionnaires et l’institution de l’économie monétaire, l’institution de l’impôt, l’implantation des écoles coloniales et de la justice coloniale, et le processus d’évangélisation. 1.2.2. La création du poste administratif et le découpage territorial Pour leur implantation dans le pays Mbosi Olee, les colonisateurs ont crée un poste administratif qui a plusieurs fois changé d’emplacement. Le premier emplacement de ce poste était le village Pombo situé sur une plaine bordant la rivière Alima. Comme l’indique Georges Mazenot353, l'emplacement de ce poste, connu sous le nom de "poste du Bas-Alima" fut choisi par Brazza au début du mois de mars 1884, lorsqu'il descendait pour la première fois l'Alima. Mais c'est Froment qui construisit le poste au début de l'année 1885. Mais le poste fut supprimé. L’Inspecteur général des colonies en mission note au sujet de cette suppression qu’elle «a été une erreur qu’il importe de réparer en rétablissant la subdivision avec ses anciennes limites»354. Le chef de la circonscription de l’Alima estima pour sa part que «les raisons exposées par l’Inspecteur pour le rétablissement du poste de Pombo étaient conformes aux nécessités politiques et économiques du pays»355. Conformément aux observations de l’Inspecteur général, chef de mission, le lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo prit des mesures pour rétablir la situation antérieure à la désaffectation du poste de Pombo356. Ces mesures aboutirent au détachement des populations de la rive gauche de l’Alima de la circonscription du Kouyou. Ces populations réintégrèrent la circonscription de l’Alima qui fut rattachée à celle des Bateke. Ce qui donna naissance à la circonscription des Bateke-Alima. Boka est le poste qui supplanta Pombo dans la boucle de l’Alima. Ce poste est situé sur une colline au bord de la rivière Alima. Comme le montre Louis Soussa357, Boka a été crée en 1912 par les Français, après la pacification de la Lobaye. Il a été choisi à cause de sa proximité avec la mission catholique de Saint François Xavier de Boundji situé sur la rive gauche de l'Alima. Boka était un poste militaire crée dans le but de pacifier le pays Mbosi de la boucle de l'Alima. Ce poste commandait les postes de Diélé et de Gamboma. 353 Mazenot (G): Op. Cit. pp101-103 Mission Picanon, Rapport fait par M. Picanon, Inspecteur général des colonies, 9 septembre 1918 cité par Soussa (L): Op. Cit. p81 355 Mission Picanon, Observations du chef de la circonscription de l’Alima au rapport Picanon, Osele, 10 septembre 1918 cité par Soussa (L): Op. cit. p81 356 Mission Picanon, Réponse du Lieutenant-Gouverneur du Moyen-Congo, au rapport Picanon, B/ville le 3octobre 1918 cité par Soussa (L): Op. Cit, p82 357 Soussa (L): Op. Cit. pp82-85 354 371 Ce poste a été abandonné en 1914 pour être implanté au village Ossele situé sur un plateau qui mène jusqu'à la rivière Mpama. Cet emplacement a été, semble-t-il, choisi pour rapprocher le chef-lieu des deux subdivisions qu'il commandait à savoir : Diélé et Gamboma. Le poste d’Ossele contrôlait tout le pays Mbosi de la boucle de l'Alima. C'est à partir de la création de ce poste que l'Administration coloniale va s'installer sur le pays Mbosi, en le divisant en terres. On y implante une prison pour placer les recalcitrants, une agence spéciale, c'est-à-dire une espèce de trésor régional et un tribunal où un administrateur français rendait régulièrement la justice, assisté des chefs indigènes comme assesseurs. Ce poste a finalement été déplacé pour être transféré à Mabirou par arrêté du 28 septembre 1936. En exécution de cet arrêté, le poste d'Ossele a été officiellement transféré à Mabirou le 13 février 1937. Mabirou est situé sur une plaine au bord de la rivière Alima, et le poste avait hérité les bureaux de l’ancienne société concessionnaire Nkémé-Nkéni. Mabirou était un centre administratif et un centre commercial de par la présence des frères Tréchot (Compagnie française du Haut et Congo, C.F.H.C) qui achetaient aux populations indigènes : palmistes, nattes, peaux de caïmans, caoutchouc (Ndembe), noix de palme. Ce poste a été abandonné à cause de la présence de la mouche tsé-tsé et transferé définitivement à Abala en 1950. Cette instabilité du poste administratif sur l’Alima due à l’hostilité du peuple Mbosi Olee à la pénétration coloniale jusqu’à l’indépendance en 1960 a eu un impact sur la vie quotidienne des populations autochtones : leur contrôle, leur mouvement pour payer l’impôt. Otwere régissant l’ensemble de la vie politique, sociale, économique et culturelle de ces populations s’est trouvé désorganisé dans sa structuration qui s’est encore accentué avec le découpage territorial. Comme le signale Louis Soussa358, pour faire du pouvoir coutumier l’auxiliaire de l’administration coloniale, les colonisateurs avaient divisé le pays Mbosi de la rive droite de l’Alima en 13 terres administratives fonctionnant selon les normes nouvelles. Il s’agit des terres ci-après : Boubé, Bateke, Ossélé, Bambochi, Mpama, Alima, Lebomo, Como, Ebou, Dzima, Boucha, Ondendoula, Pombo. Chaque terre avait à sa tête un chef. Avec ce nouveau découpage du pays, l’administration coloniale a atténué l’influence des zones traditionnelles et de leurs chefs, et partant celle d’Otwere. La présence de l’administration coloniale a considérablement affaibli le champ d’action d’Otwere. 1.3. L’implantation des compagnies concessionnaires et l’institution de l’économie monétaire Comme on l’a pu le constater, après la période d’exploration de la région par Brazza et ses compagnons, la zone de l’Alima a été confiée aux compagnies concessionnaires pour son exploitation économique, et l’économie marchande s’est développée dans la zone Mbosi à partir de ces compagnies. 358 Soussa (L): Op. Cit. pp88-90 372 Avec Catherine Coquery Vidrovitch359, nous retiendrons qu’un decret-type de concession assorti d’un cahier de charges mis au point au début de 1889 autorisait, dans le but de coloniser et de mettre en valeur les terres domaniales du Congo-Français tels financiers ou commerçants à s’installer pour trente ans dans un territoire déterminé. Les concessionnaires étaient par ailleurs soumis à un certain nombre d’obligations, la principale étant la constitution d’une société d’exploitation dont le capital devait être fixé en proportion de la surface concédée (il ne devrait pas, en tout état de cause, être inférieur à un franc par hectare). Le concessionnaire astreint à un cautionnement assez élevé était également tenu de verser une redevance fixe annuelle et un pourcentage de ses revenus, d’assurer un service de navigation à vapeur, de mettre en exploitation progressive les terres concédées et de concourir éventuellement à l’établissement de postes de douane. Le 24 mai 1899, le Ministère des colonies adressait au commissaire général du CongoFrançais des instructions relatives aux concessions territoriales qui soulignaient l’esprit général ayant présidé à l’élaboration des textes relatifs aux compagnies concessionnaires. Les sociétés commerciales et l’administration coloniale y étaient présentées comme défendant au Congo, des intérêts distincts mais en réalité solidaires. Au cours de l’année 1899, tout était prêt pour l’attribution des premières concessions ; la commission des concessions coloniales avait commencé à instruire un certain nombre de demande. De nombreuses sociétés obtenaient pour trente ans, par decret du Ministère des colonies, de vastes concessions de tailles très inégales, découpées dans ce qu’on appelait alors le Congo-Français. Aussi c’est dans cette optique que des sociétés suivantes furent créées dans la région de l’Alima : -Société agricole et commerciale de l’Alima, créée par décret du 15/04/1899, située sur la rive droite avec 20.000 km2 ; -Société de l’Alimaïenne, créée par décret du 19/05/1899, située sur la rive gauche de l’Alima avec 8300 km2 ; -Compagnie française du Haut-Congo (CFHC)360, crée par décret du 31/03/1899, située sur la rive gauche de l’Alima, avec 36.000 km2361. L’importation et l’exportation constituaient l’activité réelle de ces compagnies concessionnaires. Elles ne créaient aucune richesse naturelle et se contentaient d’exploiter les ressources naturelles du pays. Ces compagnies concessionnaires se caractérisaient en plus par des exactions, les crimes commis contre les indigènes, la pratique du travail forcé par le biais de l’impôt de capitation payable en nature, précisément en produits de la cueillette dont l’Etat leur laissait la perception. Elles n’ont pas respecté les cahiers de charge : mettre en valeur les terres spoliées aux autochtones. 359 Coquery Vidrovitch (C): Le Congo aux temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930, Mouton, Paris, 1972, pp51-70 360 La Compagnie Française du Haut-Congo (CFHC) est une des sociétés concessionnaires établies au MoyenCongo. Fondée et dirigéee par les cinq frères Tréchot, elle disposait de domaines très étendus dans le «pays des rivières» (Likouala-Mossaka). Elle connut des débuts difficiles, tirant de maigres revenus du commerce de l’ivoire, de la cueillette et du caoutchouc. Après la Première Guerre mondiale, elle se tourna vers la production d’huile de palme et elle s’imposa bientôt comme le seul exportateur. A l’expiration de sa concession (1931), elle prit le nom de Compagnie Française du Haut et Bas-Congo (C.F.H.B.C). En dépit de la vétusté de son équipement et de divers scandales suscités par ses pratiques d’exploitation des indigènes, elle poursuivit ses activités jusqu’à l’indépendance. Elle est nationalisée par l’Etat congolais en 1965 (Jean Martin : Op. Ci, pp234235). 361 Soret (M): Op. Cit. p150 373 Ainsi, ces compagnies ont créé les besoins d’argent (impôt, monétarisation de la dot, etc) qui ont contraint les jeunes à quitter les villages pour aller dans les zones d’exploitation. L’installation des compagnies concessionnaires faisait de la terre, élément essentiel du patrimoine sur lequel était assis le pouvoir d’Otwere, une propriété de la puissance coloniale. Même si la population autochtone continuait à cultiver, à pêcher dans ses eaux et à chasser le petit gibier pour son auto-subsistance, l’exploitation de la terre pour des fins économiques était confiée à la compagnie concessionnaire des frères Trécho. Tous les produits agricoles de rente et du sous-sol étaient apportés aux compagnies. Les gros gibiers étaient apportés au district ou à la compagnie. Même sur le petit gibier, le chef de terre devait recevoir une redevance au même titre que le chef traditionnel. Il est possible que cette occupation de l’espace ait eu une incidence sur les activités d’Otwere notamment les activités rituelles en dévastant les forêts sacrées pour les cultures de cacao, de café, de palmier à huile. Par ailleurs, l’introduction de la monnaie française, le franc, ne s’est pas limitée aux échanges marchands ; la monnaie coloniale a aussi intégré le circuit de l’institution Otwere. Les biens réels traditionnels perdirent progressivement leur importance au profit des signes monétaires européens. 374 Carte N°15 : Les compagnies concessionnaires Source : Coquery Vidrovitch (C) : Op. Cit, p291 375 Carte N°16 : Les compagnies concessionnaires Source : Vennetier (P) : Op. Cit, p185 376 1.4. L’institution de l’impôt de capitation et ses répercussions sur les populations indigènes 1.4.1. L’institution de l’impôt de capitation L’impôt de capitation était aussi l’une des préoccupations des lois préconisées par la colonisation. Institué par Brazza dans les années 1894 dans la région de la Sangha, et généralisé par la suite dans tout le pays par le gouverneur Lamothe, cet impôt selon les circulaires du 3 février 1899 et du 15 juillet 1900, s’élevant à 3 francs au minimum par tête ou à 6 francs par case. A défaut de l’argent, les indigènes devaient remettre des produits naturels tels que : le caoutchouc, le bois, l’ivoire et d’autres objets de grand prix. Catherine Coquery Vidrovitch note à cet effet que «C'est en 1894 qu'un impôt fut perçu pour la première fois parmi les populations indigènes du Congo-Français. L'occupation de territoires de la Sangha sous la direction personnelle de Monsieur de Brazza, avait amené les autorités françaises à réclamer des peuplades indigènes de ces régions le paiement d'un tribut périodique. Ce tribut était versé en nature, sous la forme d'une certaine quantité d'ivoire et de caoutchouc. Régulièrement perçu chaque année il a, depuis 1894, constitué un véritable impôt»362. C’est dans ce même esprit que Mgr Gassongo363, en remontant l’histoire des Mbosi dans une perspective de colonisation, montrait comment l’impôt de capitation était une obligation. En effet, en 1908, arrive de l’aval un bateau à vapeur qui accoste au premier port de la rive droite de l’Alima, Pombo et qui débarque des blancs accompagnés par des militaires noirs. Pour la première fois, on procède à des convocations des chefs traditionnels. Pombo venait ainsi d’être fondé. Mais, il était déjà une factorerie de la compagnie dite «Alima». Des chefs des alentours répondirent nombreux à la convocation. Etaient présents : Ngakala Oyele de Pombo, Lesombo de Tongo, Ibara Isengue de Yaba, Odou Oyele d’Emboli, Okieli de Ndenda, Akoulou Otere d’Asale, Yoa Ewossa d’Isemba, Itoua Okouangue d’Ekongo, Opomba de Mboundzi A Tse, Okouya Ibamba d’Itonono, etc. Les chefs de l’intérieur ne furent pas nombreux, mais Mboundze de Bele et Ngambe d’Asale étaient venus en personne. L’administrateur qui convoqua ces chefs indigènes leur tint un discours en français qui fut traduit en langue vernaculaire par un interprète. Voici en substance, d’après Mgr Gassongo, ce qui leur a été dit : «Envoyé par une autorité supérieure, leur dit-il, je suis venu pour mettre un impôt sur vos hommes. Vous le payerez chaque année à compter de l’année prochaine, c’est-à-dire 1909»364. Après ce discours, il sortit alors une monnaie toute blanche et toute ronde qu’il tint entre deux doigts et leur présenta en disant : «Voyez-vous cette chose ? C’est un pata, objet de l’impôt. Vous le gagnerez par un travail de vos mains et surtout par la vente de vos produits aux gens du poste et, notamment aux blancs des deux compagnies qui se partagent les deux rives de votre rivière, l’Alima et l’Alimaïenne»365. 362 Coquery Vidrovitch (C) : p317 Mgr Gassongo (B): Op. Cit, p22-23 364 Itoua (J): Op. Cit, p53 365 Itoua (J): Op. Cit. pp53-54 363 377 Des représentants des deux compagnies étaient présents pour la circonstance et il les leur présenta en continuant ainsi son discours : «En attendant que vous trouviez cette chose que je vous ai montrée tout à l’heure ajouta-t-il, vous payerez d’abord votre impôt en barrettes, monnaie qui circule déjà dans votre région. Le cauris ne sera pas accepté (parce qu’il est difficile à compter) ; mais vous le garderez encore pour des échanges entre vous, dans vos marchés. En plus de la pièce de pata, vous gagnerez par la vente de vos produits beaucoup d’autres pièces d’argent, par exemple : des makouta, des pièces d’un centime, de 5c, de 10 c, de 50 c, etc. Les gens du poste achèteront vos bêtes domestiques (chèvres, cabris, moutons, poulets), si vous les leur apportez en échange. Les blancs des compagnies achèteront : l’huile de palme, l’huile de bambou, les pointes d’ivoire. Les patas sont entre leurs mains. Les gagneront vite ceux qui, les premiers leur apporteront ces choses que je viens de nommer. Vous allez retourner dans vos villages, et moi, l’année prochaine, à la même époque, je vous appellerai de nouveau pour la perception de l’impôt »366. Tel fut en substance le discours du blanc «Le Lieutenant» venu pour instaurer l’impôt devant les chefs indigènes. Cependant cet impôt de capitation fut mal perçu par certaines personnalités traditionnelles et donna naissance à un vaste mécontentement qui allait engendrer des mouvements de résistance. L’un des grands résistants fut Obambe Mboundze367 du village Bele. L’importance de cette résistance pour les Mbosi Olee et l’importance de la lutte anti-coloniale de la contrée nous poussent à la présenter de manière succincte. 1.4.2. La résistance des Mbosi Olee ou la guerrre d’Obambe Mboundze La résistance d’Obambe Mboundze a déjà été abondamment décrite par Mgr Benoît Gassongo368 et par moi-même369. De ces études, nous retiendrons que le commandement des troupes coloniales au Congo-Français installé à Brazzaville avait dépêché dans la rive droite de l’Alima des troupes aux ordres du capitaine Lados pour mieux mâter la résistance en 1911. Dans chaque village investi, elles devaient ouvrir le feu et faire la guerre à la population résistante. Malgré son modeste armement (les populations n’étaient armées que de sagaies, de couteaux et d’armes à feu artisanales), chaque village investi par les troupes coloniales fortement armées d’armes à feu modernes tentait de se défendre vaillamment. Malgré cette supériorité, aucun détachement de la première expédition n’avait réussi à soumettre le pays ni les populations des villages investis. Il fallait attendre la deuxième expédition, toujours en plusieurs colonnes. Cette fois, l’expédition avait atteint le village de Mboundze. En effet, au lever du jour, l’expédition dirigée par quatre blancs quittait Oko pour Bele. Elle campa à proximité du village en attendant le lever du soleil. 366 Itoua (J): Op. Cit, pp53-54 Obambe Mboundze était un grand chef populaire, influent, charismatique et riche de la région et de son temps qui a vécu dans le village Bele. Il avait beaucoup de fusils et de la poudre en quantité. Nombreux étaient des grands chefs qui venaient à lui pour des emprunts en étoffes, en barrettes, en cauris. C’était vraiment selon l’expression Mbosi un “Ondele a kondo” c’est-à-dire le blanc de la terre. Ce qui montra la popularité d’Obambe Mboundze ne fut autre que la possession d’une lampe tempête (jusque-là personne dans la contrée n’avait vu une lampe). Une lampe tempête qui pour la première fois fut sortie devant tout le monde et à une cérémonie de taille, le Mara d’Esami Ephala (Nguendzemi Endolo) au village Endolo. En effet, Mboundze vint en personne à cette cérémonie, fit allumer sa lampe et la confia à Mbela Apenda, qui l’amena à la danse pour l’éclairer. Ce fut alors un spectacle attrayant pour le village en fête. 368 Mgr Gassongo (B) : Op. Cit 369 Itoua (J) : Op. cit. pp71-85 367 378 Quand le jour apparut, les villageois sortis des cases de Bele situé sur une éminence aperçurent au loin la troupe qui arrivait. Ils se dirent : «ça sort de l’ordinaire. Venez voir ; qu’est ce que ça peut être ? Les voilà, les voilà qui viennent nombreux». Le jour de leur arrivée à Bele, Mboundze malade avait convoqué la veille les notables du village. Il les informa de la venue prochaine de ses hôtes. Il donnait des indications sur l’accueil qui leur serait réservé. Quand tout à coup une femme descendant la rivière, rentra précipitamment dire à l’assemblée : «la forêt est couverte de rouge» puis, elle se retira. En effet, elle avait vu des tirailleurs portant à la tête leurs chéchias rouges, s’apprêter à leur sortie soudaine à 200 mètres du village. Devant cette situation, des notables demandèrent des fusils et de la poudre à Mboundze. Mais ce dernier leur répondit : «ça doit être mes hôtes qui viennent à moi pour me voir, mais si ce sont mes hôtes, vous n’avez pas le droit de porter mes fusils contre eux. Cela ne s’est jamais vu». Il refusa les fusils et la poudre qu’il avait pourtant en grande quantité dans ses trésors, à l’intérieur de ses appartements. Mboundze parlait encore à ses hommes, quand crépitèrent contre lui avec violence les fusils de ses hôtes ennemis à l’entrée du village. Ce fut la débandade générale, le sauve qui peut. Assez mal habillé, et encore blessé et ainsi sans rien entre les mains, Obambe Mboundze avança vers l’ennemi et cria : «d’où viennent ces hommes fous qui épouvantent mon village en paix ?». Il eut une minute d’accalmie ; puis l’ordre fut donné : feu ! feu ! feu ! Dans cette longue suite de détonations, Mboundze tomba à côté de sa case face à l’ennemi. L’expédition occupa tout le village, tira dans les cases et poursuivit les villageois dans la forêt pour les massacrer. Et durant toute cette journée de malheurs, l’expédition victorieuse se livra au pillage et à la «damnification». Elle fouilla les cases, saccagea tout, y compris les trésors du chef, mit le feu aux cases, tua toutes les bêtes qui jonchaient le sol parmi les cadavres humains. Sous un des grands lits du chef Mboundze, le capitaine de l’expédition trouva son fils Akomoley. Le chef de l’expédition interdit de le tuer. Il fut amené en prison à Brazzaville et n’assista pas à l’enterrement de son père, ni des siens. Akomoley fut libéré en 1922. Avant de partir de Bele, le capitaine de l’expédition coupa un tronc de bananier et l’amena sur la cour devant la case du chef. Il en fit trois morceaux et demanda à ce qu’on lui amenât les huit corps dont celui du chef. Il les aligna dans le même sens, plaça celui du chef au milieu et posa un morceau de bananier sous la tête, un autre sous le dos et enfin un troisième sous les pieds370. Après tout cela, le capitaine mit sa troupe en marche et quitta le village Bele, le laissant dans la désolation et la consternation. Le retour de l’expédition à Pombo marqua la fin de celle-ci. Une expédition qui concernait la terre de Bombo et qui avait eut pour conséquence la mort du chef Obambe Mboundze. 370 Ce geste marque la différence entre le chef et ses compagnons. Il marque aussi un signe d’honneur, de considération. Dans la tradition Mbosi, le cœur du bananier est souvent assimilé à celui des grands hommes ou considéré comme leur lieu de refuge mystique. Est-ce que Mboundze a été déjà trahi par un grand chef Mbosi sur le trajet suivi par les blancs ? Par ce geste, les blancs ont-ils cru empêcher la «résurrection» de Mboundze ? Mais les enquêtes sur le terrain, ne nous ont pas donné de renseignements sur ces questions. 379 Après cette élimination d’Obambe Mboundze, les Français organisèrent une autre expédition pour venir à bout de Ngatsese et de la terre d’Asoni. En effet, le chef Ngatsese371 tenait des rassemblements demandant à ses compatriotes de s’abstenir de payer l’impôt aux blancs. Tous ces meetings de Ngatsese avaient conduit les Français à lancer cette nouvelle expédition afin de venir à bout de ce dernier. A ce sujet, Joseph Onongo Ebanza dans une étude traitant des résistances dans le monde Mbosi écrit : «En 1912, l’Alima n’était pas entièrement occupée. Les chefs de Pombo (…) et des villages environnants repoussaient toute tentative de palabres avec les Européens par des moyens violents. Un certain Gaussesse (…) acquit une réputation d’invulnérabilité et d’ubiquité au cours des engagements qui devenaient monnaie courante. C’est l’arrivée en janvier 1913 de la 2è compagnie évacuée de la Lobaye qui sonna le glas de la résistance locale. En effet, dés qu’il prit ses fonctions à la tête de la circonscription, le capitaine Fournier se mit en campagne»372. C’est au cours d’une expédition de recherche dans le village Otsini qu’un détachement militaire croise le fils de Tsese, le nommé Nianga Ekaa. Ce dernier âgé entre 20 et 25 ans, est arrêté et déporté à Pombo. Informé de la capture et de la déportation de son fils, Tsese a résolu de se rendre et de se soumettre : il fait le voyage de Pombo. Il est reçu par des représailles cruelles et jeté dans une espèce de prison où il retrouve son fils. Alors que les blancs se préparaient à le déporter, dès le lendemain au lever du soleil, à Tongo (village de Lesombo, un autre chef déjà soumis) sur la rive gauche de la rivière Alima, le chef Ngatsese que l’on croyait suffisamment affaibli par les sévices, a réussi au milieu de la nuit, à s’échapper de cette prison avec son fils sans laisser de trace. On raconte373 que le matin, alors que rien ne faisait douter de la présence des prisonniers, les blancs eurent la surprise, en ouvrant la prison, de constater sa fuite sans effraction. Une battue fut opérée dans tous les environs de Pombo et on résolut de retrouver leurs traces sans succés. Cependant, rentré chez lui après avoir délivré son fils, Tsese a donné l’ordre à ses concitoyens de se soumettre à l’impôt des blancs. Sur cette question, Joseph Onongo Ebanza écrit une fois de plus : «Gaussesse, déjà vieux et fatigué d’avoir soutenu de longues hostilités finit par subir la loi du plus fort (…) et grâce à son influence sur les populations prit la décision de soumission»374. En conclusion, nous pouvons retenir que les Mbosi de la rive droite de l’Alima ont résisté à la pénétration coloniale ou à l’installation des Français dans leur localité. Ils ont échoué en raison de leur faiblesse «militaire». Ce qui a eu des conséquences énormes sur leur histoire, sur leur institution fondamentale, Otwere. 371 Ngatsese, de son vrai nom Kassambe Onguiebele Kiakia, est un Obiali du village Epaa. Il est devenu successivement Nguiko d’Epaa, Ngatsese d’Epaa et le dernier Tsana O Boua. Tous ces trois noms sont des titres de chefferie, auxquels il s’est élevé par le biais du Mara. Il est appelé par les blancs Tsese. 372 Onongo Ebanza (J) : Histoire de la pénétration coloniale en Afrique Occidentale et Centrale. Les résistances congolaises, Brazzaville, 1989, p152 373 Nous tenons ces informations de l’entretien avec son arrière-arrière petit-fils, Kiba François, ancien inspecteur d’Etat, domicilié au centre-ville, le 24/07/2002. 374 Onongo Ebanza (J) : Op. Cit, p152 380 Sur le plan humain, il est matériellement impossible d’évaluer avec précision les pertes en vies humaines. Toutefois, nous pouvons retenir que l’une des grandes pertes n’est autre que la mort du chef Mboundze et celle de ses compagnons. Mais à côté de cela, on peut noter la mort inutile des populations autochtones et des membres de l’expédition. Mgr Gassongo écrivait à ce propos : «Il les minimisa en haussant les épaules, mais il donna un nombre qui reste inconnu : il y eut seulement 136 morts tous bien comptés»375. Plus loin, il ajoute : «Il y eut guerre. Son expédition fut réduite de quelques militaires qu’il fut obligé d’enterrer en brousse, et il ramena aussi avec lui les blessés de son armée»376. Sur le plan matériel, les pertes furent nombreuses : des cases brûlées, saccagées ; des bêtes tuées, abandonnées sans oublier des trésors pillés. Sur le plan politique, battu militairement et asservi, autorisé par Ngatsese, seule autorité traditionnelle restée miraculeusement en vie, la population a accepté de payer l’impôt colonial. Cet impôt ne pouvait être payé qu’en monnaie française (le franc). Pour avoir cette monnaie, les indigènes devaient vendre à vil prix leurs animaux, leurs produits agricoles, leurs denrées de valeur (comme l’ivoire). Ils ne devaient plus faire usage de leur monnaie traditionnelle. Déracinés de leurs habitudes de vie, les indigènes ont perdu leur personnalité et détournés petit à petit de l’autorité de leurs chefs et d’Otwere au profit des nouveaux chefs imposés par la colonisation. A ces conséquences politiques, on peut en ajouter une autre à savoir, le déplacement et le regroupement des populations dans un même village. En effet, l’administration coloniale avait jugé utile de regrouper les populations en entités villageoises viables. Il était indispensable pour lui de fixer la population en des endroits précis afin de pouvoir la contrôler et la surveiller plus facilement : recensement, recouvrement des impôts. Car la dispersion des agglomérations indigènes que l’on peut visiter qu’en tipoye rend le contrôle des plus difficiles, il faut un temps infini à l’administrateur pour se rendre dans tous les villages, on ne tient la population en main que lorsqu’on peut se transporter chez elle très rapidement. De plus, le regroupement est une condition indispensable à une bonne administration du pays, par la possibilité qu’il donne aux chefs d’accroître une autorité qu’ils n’auraient jamais sur une population dispersée ayant par cette dispersion une facilité d’échapper au contrôle. Et les populations déplacées ne devront être installées que le long des routes d’automobiles»377. 375 Mgr Gassongo (B): Op. cit, p65 Mgr Gassongo (B): Op. cit, p65 377 Soussa (L) : Op. Cit, pp104-105 376 381 1.5. L’instauration de la justice coloniale Comme le mentionne Joseph John-Nambo378, le phénomène colonial qui a si profondément bouleversé les structures sociales africaines ne pouvait épargner les institutions judiciaires traditionnelles. Il s’agissait d’abord de déterminer si l’Etat colonisateur devait, ou bien maintenir les juridictions qui existaient précédemment, ou bien confier à des magistrats européens le soin d’appliquer la législation traditionnelle africaine. Pour des raisons d’ordre historique, pratique et psychologique, l’attitude du législateur colonial français avait d’abord été de reconnaître le principe du maintien des «juridictions spéciales indigènes». Mais parler du maintien des juridictions spéciales indigènes, ce n’est pas déclarer maintenues les juridictions traditionnelles existantes antérieurement dans les colonies, sans intervention de l’autorité coloniale dans leur fonctionnement. Il s’agissait plutôt ici d’un maintien contrôlé et surtout sous condition du respect scrupuleux de l’ordre public colonial. C’est donc dans ce cadre non dénué d’ambiguïté que le pouvoir colonial a procédé par touches successives à l’institution d’une justice dite indigène dans le souci de veiller au mieux aux intérêts supérieurs coloniaux. La justice coloniale au Moyen-Congo a été réglementée par de nombreux décrets complémentaires ci-après : -décret du 28 septembre 1897 portant réorganisation de la justice au Congo-Français ; -décret du 19 décembre 1900 organisant le service judiciaire au Congo-Français ; -décret du 17 mars 1903 portant réorganisation du service judiciaire au CongoFrançais ; -décrets du 12 mai 1910 et du 16 avril 1913 portant organisation de la justice indigène ; -Décret du 17 février 1923 sur la justice indigène ; -Décret du 29 avril 1927 portant organisation de la justice indigène379. Ces différents décrets organisaient la justice selon le modèle occidental et non congolais voire Mbosi. Ils ont contribué à la désintégration des structures politiques indigènes, de la justice traditionnelle des Mbosi selon l’institution Otwere. Par ailleurs, avec ces décrets, on est en présence de deux sortes de juridictions : une juridiction métropolitaine tenue par les Français et une juridiction indigène tenue par les autochtones eux-mêmes. Ce n’étaient vraiment pas une innovation car les indigènes, depuis le début de la colonisation, continuaient à présenter leurs litiges à leur chef respectif. Mais, comme le voulait le système français, il fallait l’institutionnaliser et celle-ci eut lieu avec l’organisation de la chefferie dans l’étendue du Moyen-Congo380. L’organisation de cette justice indigène est relativement simple. Elle comprend un tribunal indigène siégeant au chef-lieu de chaque circonscription et de chaque subdivision. Ce tribunal était présidé par le chef de la circonscription ou de la subdivision, assisté en matière civile et commerciale de 2 assesseurs indigènes, ayant voix délibérative; en matière répressive, d’un assesseur européen français et d’un assesseur indigène ou à défaut d’un Européen citoyen français, de 2 assesseurs indigènes avec voix consultative. 378 Nambo (J.J): «Quelques héritages de la justice coloniales en Afrique noire» in Droit et Société, N°51/52, L.G.D.J, Paris, 2002, p327 379 Aissi (A) : Op. Cit, pp143-198 380 Bafouetela (R): Op. Cit, p97 382 Pour les affaires qui opposaient les autochtones dans les villages et dans les zones rurales, on a institué des tribunaux coutumiers présidés par les chefs de terre. Ces tribunaux ont arraché aux Cours et tribunaux traditionnels des affaires dites à juger. Même s’ils appliquent les mêmes procédures, ces tribunaux sont apparus comme une substitution à la justice d’Otwere, comme le souligne Joseph John-Nambo : «La France avait élaboré pour ses colonies d’Afrique noire une organisation judiciaire aussi proche que possible du système métropolitain et qui maintenait en France les plus hautes instances juridictionnelles. Cette nouvelle organisation judiciaire était incapable de se substituer aux justices traditionnelles qui demeuraient très actives, mais y ajoutait de nombreux tribunaux crées par l’Etat colonial, tribunaux transposés de métropole et très souvent destinés au règlement des affaires de caractère moderne, ou tribunaux aussi proches que possible de la tradition africaine pour régler les affaires à caractère traditionnel»381. Précisons également qu’au départ, la société traditionnelle n’avait pas réservé un accueil favorable à cette nouvelle organisation. Elle ne tarda cependant pas à devenir une sorte de Cour d’Appel. En effet, quand la justice coutumière n’arrivait pas à réconcilier deux parties, celles-ci n’hésitaient pas à recourir à l’appareil judiciaire colonial. Et les pouvoirs judiciaires qui appartenaient traditionnellement aux chefs, aux Twere leur furent progressivement enlevés. Toutefois, la perte du droit de rendre la justice a été certainement la plus grande atteinte portée à Otwere et à l’autorité des chefs traditionnels. Dans sa circulaire de 1915, adressée aux chefs de circonscription, le Gouverneur Fourneau, après avoir relevé que leurs rapports présentaient les chefs indigènes comme étant dépourvus d’autorité, ajoutait que cette situation était fatale «car nous leur avons enlevé le droit de haute et basse justice». Il recommandait en conséquence de «les investir d’une autorité nouvelle qui sera comme le reflet de la vôtre». Que les chefs indigènes aient eu besoin de cette «autorité nouvelle» signifierait effectivement qu’ils avaient en grande partie perdu celle qu’ils détenaient de la coutume, avant leur investiture par l’autorité coloniale. Il en résulta une détérioration progressive du schéma d’autorité ancien qui prévalait en matière de la régulation de l’ordre social. Cet appareil judiciaire importé jugeait selon des concepts radicalement différents de ceux de la justice coutumière. On assistait alors assez souvent au heurt de deux civilisations : la civilisation européenne, composée d’éléments hétéroclites, fondée sur la raison des Grecs, la loi romaine et les découvertes scientifiques et la civilisation des peuples noirs, originale et s’appuyant sur sa culture orale et l’expérience des anciens, ces véritables bibliothèques sonores. En raison de ce fait qui doit être admis sans contexte, les Européens se sont trouvés à chaque instant en contact avec des réalités différentes et souvent ils se sont demandés s’ils ont jugé selon la justice. En fait, la justice indigène prolonge les pouvoirs de l’administration382. En effet, cette justice coloniale était trop loin des justiciables et il fallait aux comparants de longs déplacements pour la saisir. De plus, vu le nombre de dossiers à étudier, le jugement ne pouvait avoir lieu que longtemps après, ce qui faussait le sens africain de la justice et pouvait entraîner que le plaignant se rende justice lui-même. A cela, il y a la méconnaissance des coutumes par l’administrateur-juge et celui-ci abusera parfois des sanctions qu’il appliquera. 381 382 Nambo (J.J): Op. cit, p338 Suret-Canale (J): Op. Cit, p423 383 La justice africaine, comme nous l’avons vu dans la troisième partie de ce travail, était détenue par les villageois membre d’Otwere qui tranchaient les conflits avec l’aide des anciens des villages s’appuyaient sur Otwere. Les chefs, pour conserver leur dignité, devaient être impartiaux. Or, avec la justice coloniale rendue par les blancs, les Mbosi ne s’y retrouvaient plus quand ils étaient inculpés : non application des coutumes locales et, quand celles-ci étaient appliquées, c’était bien plus en faveur de l’occupant ; pas de présence des anciens mais des assesseurs souvent étrangers au village, à la région ou au pays. Et les sanctions ne concordaient plus avec les peines traditionnelles, seule la volonté du commandant comptait. Ainsi donc, sous la colonisation, l’imposition de nouvelles structures judiciaires a transformé de nombreuses institutions traditionnelles dont principalement Otwere. En effet, Otwere qui jugeait et tranchait les affaires en pays Mbosi (une judicature) va perdre son statut à l’arrivée du colonisateur. Désormais, les affaires seront tranchées par la justice établie par le pouvoir colonial et Otwere perdra ainsi son crédit et son rôle. 1.6. L’implantation de l’école coloniale Pour asseoir ces diverses structures, il fallait au colonisateur éduquer les masses indigènes désormais à sa disposition, afin d’établir sur des bases concrètes la civilisation importée et aussi pour mieux faire comprendre les objectifs qu’il poursuivait. L’enseignement n’est-il pas l’outil fondamental de la transformation des sociétés et de leurs mentalités ? Qu’avait pu faire la France dans ce sens dans la contrée ? Dès les premières années qui suivirent l’occupation coloniale de la boucle de l’Alima, l’administration française avait très tôt exprimé l’intérêt qu’il y avait à constituer une école chargée de l’enseignement primaire. En effet, l’Inspecteur général des colonies Picanon, en tournée dans la boucle de l’Alima le soulignait très clairement. Voici ce qu’il en dit : «Il y aurait intérêt à constituer le plus tôt qu’il se pourra l’enseignement primaire laïque dans la circonscription et d’initier par ce moyen les jeunes indigènes à la connaissance, élémentaire tout au moins, du français»383. Suite à la lecture de ce rapport, le chef de la circonscription fit l’observation suivante : «Si l’école n’est pas encore constituée c’est que nous comptons demander des crédits pour faire une école à Ossele avec internat. Dans cet internat seront reçus exclusivement les fils de chefs. De sorte que si les missionnaires catholiques ont des élèves choisis dans n’importe quelles catégories de la population et plutôt dans les médiocres, il nous reviendra d’enseigner le français et d’élever dans notre esprit les futurs dirigeants indigènes»384. Ces paroles que nous avons soulignées nous font directement penser à l’aspect le plus important de l’incidence européenne : la perte de souveraineté pour pratiquement tous les peuples africains. Et un peuple qui perd sa souveraineté est nécessairement exposé à une autre culture. Il perd sa confiance en soi ; il perd surtout le droit de se diriger par lui-même, la liberté de choisir ce qu’il peut changer dans sa propre culture ; ce qu’il peut imiter ou rejeter 383 Rapport de la mission d’inspection Picanon, p24 cité par Soussa (L): Op. Cit, p196 Observation du chef de la circonscription d’Ossele au rapport de la mission d’inspection Picanon, Ossele, 10 octobre 1918 cité par Soussa (L): Op. Cit, pp196-197 384 384 d’une autre culture. C’est pourquoi la justification du régime colonial est précisément qu’il s’applique à des «peuples enfants», incapables et donc sans personnalité. Même si comme ailleurs au Congo, l’œuvre d’éducation et de formation est presque exclusivement l’affaire des missionnaires, par ces propos, on note la volonté des colonisateurs de créer des écoles dans la région. Ainsi, avec la présence coloniale, trois écoles laïques vont être créées assez tard dans la boucle de l’Alima. Il s’agit des écoles ci-après : Mabirou (1944), Ossele (1948) et Abala (1950). L’esprit et les méthodes de son école restent l’oppression culturelle et la formation de quelques individus aptes à remplir certaines tâches utiles à ses besoins. 1.6.1. L’esprit et les méthodes L’action coloniale en matière de culture se limita à peu près uniquement à l'enseignement. Là encore, il s’agit d’un enseignement conçu comme exclusivement utilitaire et qui procédait de la seule culture jugée valable : celle du colonisateur que le colonisé, c’està-dire le dominé, devait accepter comme telle et faire sienne. C’est donc une culture nouvelle qui se surimpose à la traditionnelle avec pour objectif affiché ou non de faire disparaître la culture autochtone, du moins là où elle était incompatible avec la culture occidentale. Au départ, il n’était pas question de former des indigènes parce que leur instruction présentait un double danger : d’une part, une main-d’œuvre indigène qualifiée coûterait plus chère et d’autre part, l’instruction les conduiraient, à prendre conscience de leur état de dominé et d’exploité. Tout système d’oppression, en effet, considère toujours l’instruction comme un danger. Consultons à ce sujet Mgr Augouard : «Une expérience de 42ans, dit-il, m’amènera à constater qu’il n’est pas bon de chercher trop à élever les Noirs au niveau Européen. Il faut les retirer de la dégradation et de la sauvagerie où ils croupissent depuis tant de siècles, mais il faut bien se garder de les pousser à une civilisation trop raffinée, que pour le moment, ils sont incapables de supporter. J’en ai pour garant, poursuit-il, l’exemple des Noirs qui sont allés combattre en France. Ils ont pris des habitudes de confort et les vices des Européens et de retour chez eux ils ne veulent plus travailler ni obéir. De l’avis des gens avisés, ces Noirs prétendus civilisés font courir de grands dangers à nos colonies»385. Mais, l’instruction apparaît comme un mal nécessaire dont on peut se passer. En effet, l’appareil colonial ne pouvait fonctionner sans un minimum de subalternes autochtones. D’une manière générale, cette contradiction explique la politique coloniale en matière d’enseignement ; un enseignement utilitaire dont la diffusion doit être limitée au mieux des intérêts de la métropole. Il faut peut être se référer au Ministre des colonies Albert Sarraut pour mieux saisir le rôle imparti à cet enseignement. La mission qu’il lui assigne est dictée par des considérations économiques, administratives, politiques, mais aussi militaires386: «Instruire les indigènes, écrit-il, est assurément notre devoir. Mais ce devoir fondamental s’accorde par surcroît avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents. L’instruction, ajoute-t-il, en effet, a d’abord pour résultat d’améliorer la valeur de la production coloniale en multipliant, dans la foule des travailleurs indigènes, la qualité des intelligences et le nombre de capacité; elle doit en outre, parmi la masse laborieuse, dégager et dresser les élites de 385 Mgr Augouard: Rapport annuel 1920 cité par Kinata (C): Op. Cit, p156 Chacun de nous se souvient du rôle joué par les troupes noires des colonies françaises d’Afrique noire au cours des deux guerres mondiales. 386 385 collaborateurs qui comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction, suppléeront à l’insuffisance numérique des Européens»387. Le Ministre Sarraut fait en réalité coïncider intérêt et devoir. Autrement dit, la morale officielle ne se masque de devoir que par intérêt. A ces considérations qui viennent d’être définies, s’ajoute la dépersonnalisation culturelle qui est un des moyens de cet enseignement. Il exige que soit écartée la langue locale ; ce qui, dans l’esprit du colonisateur était conforme au rôle qu’il voulait assigner aux africains passés par l’école qui devaient être les intermédiaires des «commandants» en particulier et des colonisateurs en général. On comprend donc pourquoi la langue française est l’un des premiers objectifs de cet enseignement. C’est dans cet esprit de dénaturation que la conférence de Brazzaville (1944), dans sa séance du 8 février adopta, sur proposition du Gouverneur Général Félix Eboué, une recommandation relative à cet enseignement. Son point «3» disait notamment que «l’enseignement doit être donné en langue française, l’emploi pédagogique des dialectes locaux parlés étant absolument interdit, aussi bien dans les écoles privées que dans les écoles publiques»388. Même son de cloche chez le R.P. Côme Jaffre pour qui «les progrès de la colonisation suivent le degré de facilité des relations entre colonisateurs et colonisés. Les indigènes d’un pays se rapprochent de nous, entrent dans notre sphère d’action et reçoivent notre influence, dans la mesure où notre langue pénètre chez eux et là où la leur nous devient familière. C’est tout naturel: seule cette possibilité de communications mutuelles, ajoute-t-il, établit le contact intime qui, par la copénétration des pensées et des sentiments permet d’atteindre et d’entamer la mentalité indigène, cette muraille de barbarie». Puis, il dévoile au grand jour le but poursuivi par l’enseignement du français : «Dans le rapprochement et le commerce des idées, peu à peu, les conceptions du primitif s’effacent devant nos conceptions; nos manières prévalent sur ses coutumes, nos mœurs supplantent ses mœurs, votre vie s’impose à sa vie et insensiblement se substitue à elle. Cette conquête de l’âme en même temps que du corps, n’est-ce pas la véritable civilisation?»389. Tout est donc clair. Il s’agit de former des individus qui parlent, écrivent et comprennent la langue du blanc, qui doivent se rapprocher de l’Occident par leurs idées religieuses, politiques et sociales et qui, par conséquent doivent renier leur propre culture. Ce sont des nègres-blancs, c’est-à-dire des acculturés qui se croient supérieurs aux autres Noirs qui n’ont pas bénéficié des «avantages» qu’offre l’école. Ces acculturés traitent les autres Noirs de sauvages, de non «civilisés». Eux nègres-blancs, se disent noirs de peau, mais blancs d’esprit. Il s’agit bien souvent de ces gens «sachant vaguement lire, ayant des notions d’écriture, ayant enregistré dans leur mémoire un certain nombre de mots français, dont ils 387 Sarault (A): La mise en valeur des colonies françaises, Payot, Paris, 1923, p95 J. de la Roche : Le gouvernement Général Eboué, Hachette, Paris, 1957, pp167-168 389 Le R.P. Côme Jaffre: Méthode pratique Lari-Français cité par Kinata (C): Op. Cit, p160 388 386 ignorent parfois les sens exacts juste assez savants en un mot pour s’écarter de la terre et mépriser leurs frères restés au village»390. Il faut se rappeler en effet que «pendant les premières années de la colonisation tout jeune garçon sortant de l’école primaire et sachant lire, écrire et compter, était assuré de trouver dans l’administration ou dans les maisons de commerce, un emploi qui, pour être subalterne, n’en paraissait pas moins un idéal difficilement accessible. De plus une grande majorité d’Européens appartiennent à la catégorie des fonctionnaires et cet exemple a paru significatif. L’idée s’est donc profondément ancrée dans les esprits que le «certifié»… ne saurait voir ses capacités mises en valeur ailleurs qu’à la ville et par un emploi de bureau»391. A partir de 1944, des changements vont intervenir dans la politique générale et les orientations de l’enseignement colonial. On peut s’en rendre compte en parcourant les discours de quelques responsables coloniaux. «Notre enseignement colonial, nous dit l’Inspecteur Général Delage, ne pourra en aucun cas se limiter à un simple dressage. Il ne s’agira pas de donner aux Noirs les quelques notions de langage, d’écriture, de calcul et d’hygiène destinées à faciliter la compréhension des ordres du Blanc. Il ne s’agira pas de perfectionner un automate à notre service. Notre école africaine ne saurait être conçue comme une école de boys»392. L’enseignement colonial commence ainsi à changer de visage. Et à Brazzaville, lors du conseil supérieur de l’enseignement, des 27, 28 et 29 novembre 1944, le Gouverneur Général Bayardelle recommande «qu’une importance égale à celle attachée à l’enseignement des garçons doit être apportée à l’enseignement des filles qui doit marcher de pair, afin d’éviter un déséquilibre fatal à la société et à la famille indigène»393. Le Bulletin de l’enseignement de l’AEF publie en 1945 des instructions provisoires pour l’enseignement féminin. Voici les consignes que donne à ce sujet l’Inspecteur Général de l’enseignement Fournier : «Dans le cours d’enseignement ménager, l’institutrice ne devra jamais oublier qu’elle s’adresse à des écolières africaines, filles d’une race en pleine évolution, mais dont les coutumes sont très différentes des nôtres. Il importe donc de ne pas rechercher à plier la vie indigène à la vie européenne… Est-ce à dire que notre enseignement doit se figer en un conservatisme routinier? Certes non. Au contact de l’Européenne, la femme noire apprendra à tricoter, à coudre, à tailler un vêtement, à ordonner un repas, à élever son enfant et tenant compte des petits secrets de la médecine courante, à panser une plaie en prenant garde aux risques d’infection. En conclusion, notre enseignement sera donc à la fois traditionaliste et modérément novateur. Le but à atteindre est d’améliorer la vie indigène, de la faire évoluer vers une existence plus confortable, plus saine, plus sûre…»394. Le cadre général de l’école coloniale étant retracé, disons quelques mots des conséquences qui résultèrent de cet enseignement. 390 Circulaire N°8 du Gouverneur Général Antonetti, 8 mai 1925, J.O AEF, 1925, p281 cité par Soussa (L): Op. Cit, p203 391 353 Vennetier (P): Op. Cit, p90 392 Inspecteur Général Delage cité par Suret Canale: Op.Cit, p489 393 Gouverneur Général Bayardelle cité par Soussa (L): Op. Cit, p204 394 Inspecteur général de l’enseignement Fournier in Bulletin de l’enseignement de l’AEF, N°16, avril 1945 cité par Soussa (L): Op. Cit, p205 387 1.6.2. Les conséquences L’enseignement, dans le monde Mbosi précolonial, était pragmatique, basé sur l’imitation (ou l’initiation) par les enfants des faits et gestes de leurs parents en suivant ceuxci dans les champs, à la pêche, à la chasse, en regardant les gens construire des maisons, fabriquer des poteries, des pièges, etc. Les jeunes s’éduquaient aussi en écoutant, les soirs, les anciens qui leur faisaient des exposés sur l’histoire lointaine de la tribu, des vénérés de la famille et ainsi, on leur inculquait les us et coutumes du milieu social dans lequel ils étaient «situés» pour leur vie et auxquelles ils doivent se confondre. Les villageois s’éduquaient également grâce à leur adhésion à Otwere qui constituait le couronnement de l’éducation dans le monde Mbosi. En analysant les développements précédents sur l’enseignement colonial, nous ne retrouvons plus l’ensemble des éléments qui permettaient au jeune Mbosi de grandir en s’éduquant par imitation ou par initiation. Singera-t-il le commandant nouveau venu, le «César» tout puissant, ou son père, craintif, exécutant sans protester les ordres qui lui étaient donnés ? Il ne pouvait singer le commandant, celui-ci par ses manies, faisait tout pour se rendre inabordable, intouchable et, pour l’enfant, il devait se former en lui un être timoré, tout de haine pour le colonisateur, tout en l’admirant. Dans ces écoles, nous venons de voir qu’il apprenait le français voire le catéchisme. En tout et pour tout, le système éducatif colonial était fait de sorte que le Mbosi puisse entrer en contact avec la civilisation occidentale. On peut retenir que l’œuvre accomplie par la colonisation en matière d’enseignement est caractérisée par sa tendance faussement assimilatrice et surtout par la dénaturation de la culture traditionnelle et par la dissolution des systèmes religieux qui lui étaient associés. En revanche des progrès involontaires furent obtenus et sont répartis tant du coté des Africains que des Européens. Du côté africain, l’école a permis l’ouverture sur le monde extérieur et la prise de conscience de l’état d’exploité et de dominé par une partie de la population instruite. Du côté européen, cet enseignement a eu le rôle dangereux que redoutaient tant de responsables coloniaux: «éviter que l’enseignement des indigènes ne devienne un instrument de perturbation sociale»395. Il s’ajoute à ces transformations un fait important qu’il convient de noter, c’est la diffusion par le biais de l’enseignement d’un savoir nouveau qui valorise la connaissance écrite, celle du «lettré» ou du bureaucrate, Ndombi396, aux dépens de la connaissance orale. Les aînés qui connaissent beaucoup plus de choses que les jeunes dans le cadre de la tradition orale voient ainsi leur rôle menacer. Ils constituaient des sources majeures de l’information et ils étaient le seul moyen de découvrir le passé. A cette connaissance primaire des aînés, c’est-à-dire la connaissance essentielle qui met la société en œuvre, à l’effet de la répétition s’est donc ajoutée une autre source de connaissance : l’écriture. Depuis la pénétration coloniale, elle encourage les bouleversements et divise désormais la société en culture savante et en culture populaire, basée sur la tradition orale. Elle permet la fidélité dans 395 Hardy (Georges): Une conquête morale : l’enseignement en A..O.F, Armand Colin, Paris, 1917, p2 Ndombi est un terme Mbosi qui désigne quelqu’un qui sait lire et écrire et qui travaille dans une administration. 396 388 la transmission et la conservation du message et retire pour ce faire à l’oralité son dynamisme propre. Elle permet aux «lettrés» de prendre le pouvoir politique, économique et culturel et impose une nouvelle stratification sociale. Mais c’est en partie à cause de la perte de souveraineté qu’elle a entraîné, plutôt que la simple présence du christianisme et de l’enseignement occidental, que l’influence du pouvoir colonial apparaît aussi profonde et perturbatrice. Car, répétons-le, le changement est l’essence de l’histoire, il est universel et n’est pas nécessairement destructeur. Ils furent nombreux ceux de la boucle de l’Alima qui accueillirent favorablement l’enseignement, mais refusèrent de se laisser christianiser. Ce qui est cependant vrai est que les contacts entre les peuples différents ont toujours conduit à une grande diffusion de croyances et de nouvelles idées sociales, politiques, économiques et religieuses. Généralement, c’est le plus fort qui impose sa loi, c’est-à-dire sa langue, sa culture, bref ses manières d’être. Désormais en contact avec la culture et civilisation de l’homme blanc, ces lettrés intellectuels, déracinés de leur propre culture, vont de plus en plus avoir des regards favorables sur la civilisation occidentale que Mbosi ou congolaise. Ainsi donc, cette ouverture que lui a apporté l’école a suscité au Mbosi Olee une certaine déconsidération d’Otwere qui, somme toute, reste limité. Autrement dit, les changements sont soit imposés, soit entrepris dans des conditions qui ne laissent pas beaucoup de liberté de choix. Nous pensons que la question que l’historien peut se poser, c’est celle de savoir si cette perte de souveraineté et de liberté avec les contraintes qu’elle implique et à laquelle s’ajoutent des conditions économiques nouvelles était telle que le régime colonial bouleversa tout et complètement. Par ailleurs, par son action, la colonisation avait favorisé les débuts de l'acculturation, mais elle avait au même moment jeté les bases d'un système, réalisé une œuvre considérable qui ruina la société Mbosi, bouleversa sa tradition et transforma le mode de vie des autochtones. Ainsi, l'acculturation liée à la colonisation française a été à la base du déclin d'Otwere. En effet, les jeunes garçons scolarisés quittaient les villages pour la ville où ils côtoyaient d’autres valeurs (cinéma et autres attraits de la vie urbaine, etc) et se désintéressaient des pratiques ancestrales. Dans cette perspective, Otwere voyait ses réservoirs de recrutement se tarir. Ainsi donc, comme l’écrit le père Mveng397, «l’école coloniale n’était pas seulement une agression contre la culture indigène, c’était un système d’annihilation culturelle. L’école missionnaire, en s’y ralliant, ouvrait l’avenir à la crise d’identité et de survie dont souffre encore l’Afrique». Il serait cependant intéressant de pourvoir ce tableau des agents du déclin d’Otwere en jetant un coup d’œil sur les religions monothéistes surtout sur l’église catholique. Celle-ci est un des facteurs qui contribuent à l’évolution des structures sociales. Il convient donc de lui accorder une place non négligeable dans les analyses qui vont suivre. 397 Père Mveng cité par Akoun (A. sous la direction de) : Mythes et croyances du monde entier, Tome III. Afrique noire, Amérique, Océanie, Libis-Brepolds, Paris, 1985, p199 389 2. Le processus d’évangélisation des populations indigènes Aux XIXè et XXè siècles, de nombreuses religions monothéistes firent leur apparition au Congo-Français ou Moyen-Congo, actuellement Congo-Brazzaville, en vue de l’évangélisation des populations indigènes. Elles jouèrent un rôle important dans l’histoire du pays. Au nombre de ces religions, on peut citer: le catholicisme, le protestantisme, le kimbanguisme et l’islam. Signalons qu’aucune de ces missions religieuses n’est installée dans le ressort de la boucle de l’Alima en général et dans le pays Mbosi Olee en particulier. Mais l’impact que la mission de Boundji a eu sur l’ensemble du pays Mbosi nous oblige ici à évoquer l’activité missionnaire. L’absence des religions monothéistes (protestantisme, kimbanguisme et islam) dans le pays Mbosi s’explique d’une part par le fait que l’église catholique dès 1899 disposait déjà d’un bateau à vapeur pour faciliter leur navigation sur la rivière Alima (qui était l’unique voie de communication pour pénétrer la contrée) où se trouvaient les Mbosi. Les autres religions monothéistes ne disposant pas des mêmes moyens de transports ne pouvaient pénétrer en terre Mbosi. D’autre part, cette absence s’explique aussi par la collaboration entre les colonisateurs français, les sociétés concessionnaires telles que les frères Trécho et l’église catholique. Les colonisateurs français et les sociétés concessionnaires ont aidé à la pénétration de l’église catholique en pays Mbosi. L’histoire de l’implantation des autres religions monothéistes au Congo-Brazzaville sera abordée et jointe en annexe (Cf. pp478-486). Cette présentation aura l’avantage de donner une carte des religions monothéistes au Congo-Brazzaville. 2.1. Le catholicisme Deux grands moments marquent la christianisation du Congo. Le premier fut marqué au XVè siècle par l’expérience chrétienne du royaume Kongo par les Portugais. Le deuxième est contemporain à l’expansion coloniale européenne du XIXè siècle. C’est ce deuxième moment qui intéresse notre étude. De nombreux chercheurs africains ou africanistes ont tenté de réfléchir sur la christianisation en Afrique. A la suite de Dominique Ngoie Ngalla, Célestin Niama, Célestin Ngoma Foutou, Michel Legrain, l’abbé François Wambat et Louis Soussa398, pour ne citer que ceux-là, nous avons pensé, par cette étude, apporter notre modeste contribution quant à la connaissance du christianisme africain. 398 Ngoie Ngalla (D): Les missions catholiques et leur évolution sociale au Congo-Brazzaville (1880-1930), Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Bordeaux, 1970, 235p Niama (C): La vie des missionnaires au Loango (Congo) 1880-1940 – Recherches sur les méthodes d’apostolat, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Nantes, 1975, 140p Goma Foutou (C): Histoire des civilisations du Congo, Anthropos, Paris, 1981, 434p Koren (H): Les spiritains. Trois siècles d’histoire religieuse et missionnaires, Beauchesne, Paris, 1982, 633p Legrain (M): Op. cit, 339p Wambat (F): Le christianisme au Congo 390 L’objet de ce point porte surtout sur l’implantation du catholicisme dans le pays Mbosi en général et son absence dans le pays Mbosi Olee en particulier. Toutefois, certaines remarques méritent d’être faites compte tenu du contexte colonial de la christianisation du Congo pour que notre discours ne soit perçu, ni comme une réaction anti-coloniale, ni comme une réaction anti-missionnaire mais une présentation réelle des faits historiques. Cette analyse a aussi un autre but, celui de montrer que le catholicisme, mieux les documents des missionnaires, résumé de leurs activités, sont pour nous, Congolais, voulant refaire l’histoire de notre pays, une source d’éclairage non négligeable. Dans ce point, nous allons retracer l’histoire de l’implantation du catholicisme et de son œuvre d’éducation, de son absence dans le pays Mbosi Olee. 2.1.1. L’implantation de l’église catholique au Congo Avec Henri Koren399, Pierre Mouyeke400 et l’abbé François Wambat401, nous retiendrons que depuis ses explorations dans le bassin du Congo et la signature, le 3 octobre 1880, du traité avec le roi des Teke, Makoko, Brazza a fait ressortir l’intérêt qu’il y aurait à établir une mission au bord du Pool. Cette mission au bord du Pool allait occuper une situation stratégique importante : elle sera le point de départ de nombreuses autres missions le long du fleuve. Pour donner consistance à sa jeune fondation, confiée au départ à la garde du sergent Malamine, Brazza s’adressa au révérend père Carrie qui a la lourde charge de mettre en exécution ce vaste programme. En effet, en 1878 grâce à l’appel et à l’offre du roi de Loango, Manimacosso Chicoussou, le père Carrie avait acheté, le 9 octobre, un terrain à Loango (situé sur la rive droite du fleuve Congo). Un traité fut signé à cet effet entre sa majesté Manimacosso Chicoussou (roi de Loango) et le père Carrie (Vice-préfet apostolique du Congo). Au premier trimestre de 1883, tout le plateau de Loango revenait aux missionnaires. Le père Carrie débarque à Loango accompagné du frère Vivien et d’une douzaine d’ouvriers pour le début des travaux et la chapelle est inaugurée le 4 mai 1884. Comme la conférence de Berlin (1884-1885) contraint les missionnaires à évangéliser sur les territoires de leur nation, les Spiritains quittent Landana pour Loango. Pour poursuivre l’œuvre d’installation de l’église catholique dans le pays, le R.P. Carrie, préfet apostolique de Loango qui avait juridiction religieuse sans limite vers l’intérieur du pays, désigna, dès 1881, le père Augouard. C’est ainsi que le père Augouard fut chargé d’une tournée d’exploration pour choisir un emplacement favorable au bord du Pool. En effet, accompagné de 20 porteurs, il partit le 6 juillet 1881 de Landana pour le Stanley-Pool, par la route des caravanes. Il arriva au bord du Djoué le 3 août de la même année et se dirigea vers le village Mfoa, où s’élévera plus tard, la ville de Brazzaville. Il reçut un très mauvais accueil de la part du chef de Mfoa, qui s’opposa en même temps à son implantation en ces lieux. Ce refus s’explique par le fait que les Teke et leur chef local n’avaient pas été avisés par Brazza de l’arrivée du père Augouard. En fait, les représentants du Makoko ne devaient recevoir en ami que des blancs porteurs d’une plume de coq à leur chapeau. 399 Koren (H): Op. cit, pp374-377 Mouyeke (P): L’implantation des missionnaires catholiques au Congo sud occidental, Thèse de Doctorat de 3è cycle d’histoire, Ecole des Hautes Etudes, Centre d’Etudes Africaines, Paris, 1982, pp52-79 401 Wambat (F) : Op. Cit, pp102-104 400 391 Le père Augouard n’insista pas, et se replia sur la rive droite du Djoué, où favorablement impressionné par l’accueil chaleureux des Lari, il put choisir le lieu de la future mission (Saint-Louis de Linzolo) à 30 km de Mfoa. Il noua des relations avec les grands chefs de la contrée. Le père Augouard et sa suite quittèrent le Stanley-Pool, le 7 août 1881, pour Landana, où ils arrivèrent le 30 du même mois, à la grande surprise de tout le personnel de la mission. Malgré le manque de création de missions religieuses et l’insuffisance de porteurs, ce premier voyage fut un voyage de reconnaissance. Et lorsqu’il s’est posé le problème d’édifier une œuvre de conquête «pacificatrice et civilisatrice» de la France, au centre de l’Afrique entre 1882 et 1885, le père Carrie reçut du Gouvernement français, l’autorisation et l’argent, devant lui permettre d’accélérer le processus de prise de possession du Stanley-Pool et d’y fonder une mission. C’est dans ce cadre que de retour à Landana, le père Augouard se prépara à une nouvelle expédition plus importante que la première. Pour cette deuxième mission, il fallait recruter de bons porteurs, le long de la côte et Loango fut choisi comme lieu de rassemblement. Tous ceux qui firent partie de la mission, se retrouvèrent à l’endroit indiqué le 31 juillet 1883. Puis, ils allèrent ensuite rejoindre le père Augouard à Landana, d’où ils s’embarquèrent tous pour le Stanley-Pool, le 7 août 1883. La mission se composait de cent vingt noirs, des pères Augouard et Kraff, du frère Savinien et d’Albert Dolisie qui avait rejoint celle-ci, sur ordre de Brazza. Le voyage dura trente jours, malgré la fatigue et la fièvre qui éprouva la caravane. La mission arriva le 15 septembre 1883 à Mfoa, et se dirigea aussitôt vers le Djoué. Le père Augouard et sa suite furent mal reçus par le chef de Mfoa et celui du Djoué, Mbouamou Nzali. La caravane quitta les tribus Bateke402 et continua sa route jusqu’aux bords de la rivière Linzolo. Elle s’installa sur la petite colline qui avait été choisie par le père Augouard, lors de son précédent voyage. Ce fut là qu’il construisit la première mission du Congo, qui va servir de base, pour l’expansion de la nouvelle religion, mais aussi de la civilisation occidentale. Et pour donner une assise définitive à la mission, un contrat fut signé entre, d’une part les chefs coutumiers locaux (Ngandziémo de Kinzanga, Moumboumoumou de Kindounga, Kouanga de Minguinga) et d’autre part les représentants de l’église catholique (les pères Augouard et Kraff) et contresigné par le révérend père Carrie. L’œuvre des missionnaires spiritains rayonna depuis la mission de Landana qui avait la vie et la vitalité, jusqu’à Linzolo, au Stanley-Pool, en passant par Loango. Et quand vint la conférence de Berlin en 1884-1885, les Spiritains se replièrent sur le sud-Congo acquis aux nouvelles idées. En effet, les pères Augouard et Carrie, quittèrent Landana. Le premier et une partie du personnel alla rejoindre la mission de Linzolo, reconnue par lui en 1883 ; tandis que l’autre partie se transporta à Loango avec le père Carrie (le père supérieur de Landana) qui fut d’ailleurs bien recompensé de sa peine, puisqu’en 1886, le Congo-Français, où il venait de fonder deux ans auparavant la mission de Loango, fut érigé en vicariat apostolique. Le choix s’arrêta sur lui, et il fut sacré Evêque. 402 Les Bateke étaient hostiles à la religion à cause de leurs fétiches dont ils ne voulaient pas se débarrasser 392 L’ambition de Mgr Carrie était d’implanter une mission dans chaque tribu, mais cette idée fut écartée à cause du nombre très insuffisant des missionnaires en 1886 et de l’hostilité des tribus du nord. C’est ainsi que les missionnaires de la congrégation de Saint-Esprit, durent concentrer leurs efforts dans la partie sud du Congo. L’on vit s’élèver dans cette partie du pays, les plus anciennes missions, symbole de la nouvelle civilisation : celle de Linzolo en 1883, de Loango en 1884, de Brazzaville en 1887, de Mayumba en 1888, de Sette-Cama en 1890, de la Bouenza en 1892. La plupart de ces missions furent construites sur des terrains stratégiques, pour intercepter les convois d’esclaves. Par la suite, vinrent des écoles, des ateliers d’apprentissage et des orphélinats qui furent implantés dans chaque mission. Linzolo, Loango et Brazzaville servirent de fer de lance à la pénétration de l’Evangile et l’influence française, au sud-Congo. Il y aura successivement d’autres missions, à savoir : la mission de Kindamba, de Kibouendé (ex-Baratier) et celle de Mbamou qui abritera, le petit séminaire, enfin celle de Voka. Ces missions attireront beaucoup de jeunes à cause de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de bonnes «manières des blancs». De 1892 à 1914, on enregistre la création de plusieurs autres missions religieuses dans la région : Mouyondzi, Mindouli, etc. Ainsi donc, grâce à l’action des prêtres spiritains dirigés par les R.P Augouard et Carrie, l’œuvre d’évangélisation du sud-Congo avait pris de l’ampleur et des centres de «civilisation» chrétienne et française naquirent en pleine brousse ou en pleine forêt. Ces missionnaires catholiques ne se sont pas arrêtés uniquement à la partie sud du Congo, ils se sont intéressés également à la partie nord du pays. Comme le note l’abbé François Wambat403, la christianisation du nord du Congo débuta en 1889 quand Mgr Carrie accompagné du père Augouard fondèrent, le 25 avril, la mission de Saint Louis de Liranga, au confluent du Congo et de l’Oubangui. Ils en confièrent la direction au père Paris. Mgr Augouard continua cette œuvre d’évangélisation en fondant des missions le long du fleuve Oubangui et de la rivière Alima. A l’époque, les rivières étaient les seules voies de communication. Ainsi donc, après Saint Louis de Liranga, il fonda sur l’Oubangui, la mission de Betou (1893) et d’autres missions sur l’Alima que nous aborderons plus bas. En 1937, Mgr Biechy, successeur de Mgr Guichard fonda sur le plateau koukouya, la mission de Lekana, celle de Ouesso sur la Sangha en 1940. Sacré évêque en 1955, Mgr Emile Verhille créa en peu de temps et successivement les missions de Kellé (octobre 1953), Souanké (1959), Djambala (1960). Ainsi donc, les missionnaires catholiques ont accompagné les colonisateurs dans leur action au Congo en général et dans le pays Mbosi en particulier. 403 Abbé Wambat (F): Op. cit, pp139-140 393 2.1.2. L’implantation de l’église catholique dans le pays Mbosi : historique des missions de l’Alima La christianisation de l’Alima voire du pays Mbosi s’inscrit dans le contexte général de l’évangélisation du Congo et de la partie nord en particulier. La première mission de l’Alima, Notre Dame de Lékéty (pays Teke-Alima ou Tegue, sous-groupe Teke) fut fondée le 29 juin 1897 par Mgr Augouard. Puis, il décida d’en fonder deux autres. Il les voulait toutes suffisamment rapprochées pour qu’elles puissent être facilement visitées et pas trop éloignées les unes des autres pour que les missionnaires ne s’y sentent pas isolés. Il devait installer la mission du «milieu», c’est-à-dire, celle de Boundji deux ans après celle de Lekety. Mais le projet fut repoussé par deux séries de difficultés. Parti de Bazzaville, le Léon XIII404 à bord duquel il se trouvait, subit de graves avaries à la sortie du couloir405. Pour continuer sa route sur Boundji, Mgr Augouard fut obligé d’emprunter le Peace406 des missionnaires américains installés à Bolobo en territoire du Congo Belge. Cette fois encore, une autre difficulté surgit. Dans la basse Alima, une violente tornade l’obligea de s’arrêter à Tsambitso où il fonda le 15 janvier 1899 la mission de Sainte Radegonde. Après la construction de l’église baptisée Sainte Radegonde, les missionnaires de la congrégation du Saint-Esprit (les Spiritains) y avaient organisé l’évangélisation en langue locale, Embosi. Très rapidement, les «vieux» leur avaient manifesté de l’hostilité parce qu’ils monopolisaient les «jeunes» qui désormais, échappaient à leur contrôle. La fronde contre les Spiritains avait été menée surtout par les habitants des villages Abo et Pama. A cause de cet environnement hostile, les Spiritains avaient dû abandonner l’église de Sainte Radegonde ; le chef de la mission catholique, le père Masselard, avait été alors affecté à Liranga, sur le cours de l’Oubangui. Le Léon XIII une fois réparé, Mgr Augouard quitta à nouveau Brazzaville le 26 décembre 1899 pour le Haut-Congo. Cette fois, enfin, plus de problème; il arriva le 10 janvier 1900 à Otse-Otse (petit village au bord de l’Alima habité par Ofemba, d’origine Likouba). C’est là que Mgr Augouard qu’accompagnaient les R.P. Colombel et Mauger ainsi que le frère Stanislas, installa la mission qui prit le nom de Boundji et qui fut dédiée à Saint François Xavier, le 10 janvier 1900. Dernière née des missions de l’Alima, Boundji est restée longtemps la plus grande mission du Congo septentrional. Elle eut l’école la plus renommée dont les élèves venaient même de la région de Brazzaville. Elle devint à la fois le soubassement de l’instruction de tout le pays Mbosi et le quartier général des prêtres pour l’évangélisation. Même chez des populations restées païennes, telles celles de la rive droite (boucle) de l’Alima, la mission a joué un rôle dont tous les Mbosi se souviendront encore pendant longtemps – on s’explique alors pourquoi l’activisme des Mbosi les avait dressés épisodiquement contre cette mission vis-à-vis de laquelle «il y avait du reste dans les dernières années du régime colonial des sentiments mêlés: ils auraient voulu la mission différente, mais lui gardaient une certaine tendresse, reconnaissant obscurément en elle une sorte de foyer national»407. 404 Le Léon XIII, c’est un bateau à vapeur. Le “couloir” est le nom que l’on donne à la partie encaissée du cours du fleuve Congo pendant la traversée des Plateaux Bateke. A cet endroit, le fleuve n’a que 2km de large. 406 Le Peace, c’est aussi un bateau à vapeur prêté au père Augouard par les missionnaires protestants installés sur la rive belge, à Bolobo. 407 Sautter (G): Op. Cit, p237 405 394 Précisons qu’abandonnés à eux-mêmes après la fermeture de Sainte Radegonde, les chrétiens de cette mission, exhortés par les spiritains de l’église de saint Benoît, quittaient eux aussi périodiquement leur contrée par groupe pour suivre l’enseignement spirituel à Boundji. Ainsi donc, la mission de Boundji a été le cœur de la chrétienté Mbosi408. Dans les autres contrées du groupe Mbosi, ce sont les successeurs de Mgr Augouard qui vont poursuivre son œuvre d’implantation de l’église catholique. Ainsi, Mgr Firmin Guichard, successeur de Mgr Augouard, ancien missionnaire de Boundji, fonda en 1928 sur la Likouala, la mission de Makoua qui abritera le petit seminaire. Mgr Biechy, successeur de Mgr Guichard, fonda le 20 mars 1946 celle de Fort-Rousset (aujourd’hui Owando)409. Le cadre historique de la fondation de ces missions étant retracé, disons maintenant quelques mots sur l’absence de missions religieuses chez les Mbosi Olee. 2.1.3. L’absence des missions religieuses dans le pays Mbosi Olee Aucune mission religieuse n’est installée dans le ressort de la boucle de l’Alima en général et dans le pays Mbosi Olee en particulier. En effet, les Mbosi Olee n’ont pas connu et ne connaissent pas dans leur contrée les différentes religions monothéistes (catholicisme, protestantisme, kimbanguisme et islam). Dans tout le pays, les habitants sont restés longtemps très ma joritairement animistes. L’histoire de l’implantation de l’église catholique et de ses activités (évolution) reste très éloignée des préoccupations des Mbosi Olee. Toutefois, les premiers chrétiens originaires de cette contrée étaient attrapés410 et baptisés de force à Boundji. D’autres jeunes y allaient se faire baptiser et tout s’arrêtait là. En effet, depuis Boundji, contre leur volonté et résistance, l’évangélisation catholique visait deux objectifs immédiats : convertir les populations à la religion chrétienne et lutter contre les valeurs traditionnelles de la culture Mbosi. Pendant longtemps, cette conversion était imposée à des âmes brutes mais vierges, sans formation scolaire mais à qui il était demandé de retenir le nom de Dieu et quelques lois de l’église chrétienne. A l’exception d’une faible minorité qui était retenue au siège de la mission pour constituer et renforcer la communauté chrétienne, les jeunes ainsi convertis étaient renvoyés dans leurs villages avec, pour recommandations au nom de Dieu et de l’autorité coloniale de désobéir aux règles de la vie coutumière ; de créer, par groupe de villages, des petites communautés (cercles) de chrétiens qui devaient prier ensemble, vivre en demi-affranchis, en haïssant la vie des parents et les valeurs de leur culture. C’est ainsi que dans ce processus d’évangélisation, certains jeunes avec l’aide des missionnaires ont fondé quelques rares catéchuménats dans les villages. Nous pouvons mentionner des villages comme Gagnia, Bene, Nguiele-Okassa, Elo, Bandza, Ondzandongo, Emboli, etc. Des noms de ces jeunes catéchistes sont connus: Antoine Ondaye, Donatien Gakegni, Jules Ganguia, Serge Ngatsé, Daniel Ekolongo, Edouard Ndey411. 408 Legrain (M): Op. Cit, p49 Abbé Wambat (F): Op. Cit, pp139-140 410 L’évangélisation était appuyée par l’administration coloniale. Celle-ci était appelée en appui par l’église en cas de racalcitrance des villageois à l’évangélisation ou à la scolarisation. Par ailleurs, il y avait une complicité entre l’église et l’administration coloniale : la confession par exemple donnait lieu à une transmission des informations à l’administration lorsque les villageois avouaient certains de leurs actes pouvant être considérés comme délits. De ce fait, l’administration avait intérêt à répondre favorablement aux sollicitations de l’église. 411 Soussa (L) : Op. Cit, p191 409 395 Dans l’ensemble, les populations indigènes de la contrée étaient très hostiles aux missions chrétiennes. Cette hostilité s’explique par le fait qu’elles restaient très attachées à leurs pratiques ou croyances traditionnelles, à leurs réalités ancestrales. L’ironie du sort est que Mgr Benoît Gassongo, jeune Mbosi Olee minoritaire était ordonné prêtre avant tous les autres. Cet échec des missionnaires catholiques dans l’action d’évangélisation ne les empêcha pas de s’investir dans l’appareil d’éducation et de formation. 2.2. L’œuvre d’éducation par les missionnaires catholiques Dans le cas précis du pays Mbosi Olee, l’école est avant tout une affaire des missionnaires catholiques qui, après les catéchuménats, y créèrent des écoles. La première de ces écoles est celle de Gagnia (1940) suivie de celle de Bandza et d’Ongogni (1941). A partir de 1950, ils intensifièrent leurs efforts de création des écoles. Ainsi, certains catéchuménats se transformèrent en écoles primaires de village qui constituèrent un tremplin ou une primo-sélection pour l’école de la mission. En effet, pour avoir accès à l’école de la mission, la sélection était très sévère; il n’y avait que les enfants intelligents, particulièrement doués qui y parvenaient. On vit alors l’ouverture des écoles à Ekouassende (1950), Tsokia (1959). Comme quoi, l’œuvre d’éducation et de formation a été ici comme ailleurs au Congo presque exclusivement l’affaire des missionnaires. On déplore le fait qu’ils aient implanté ces écoles tardivement dans la boucle de l’Alima; mais il faut reconnaître qu’ils ont instruit et formé des jeunes gens avec des moyens et des méthodes qui leur étaient propres et qui peuvent paraître aujourd’hui discutables. Mais «cela était suffisant pour entamer des convictions, dessiner des mentalités nouvelles»412. L’essentiel du corps enseignant de ces écoles et d’une manière générale de l’enseignement privé était constitué de moniteurs plus ou moins bien formés. Certaines écoles étaient créées dans l’improvisation et se fermaient avec le départ du maître. Quant aux méthodes de recrutement de ce corps enseignant, elles étaient très différentes de celles de l’enseignement public où «la sélection des cadres indigènes s’opère par le Certificat d’Etudes indigènes dont l’obtention a été rendue obligatoire, à partir du 1er octobre 1934 pour accéder à l’emploi de moniteur»413. Le niveau de l’enseignement que dispensaient les missionnaires était en réalité à la mesure de l’objectif poursuivi. Par contre-coup et de fait, on ne peut nier qu’ils aient rendu service au pays, en augmentant le nombre d’enfants instruits. En développant des œuvres sociales, en ouvrant des écoles, ils ont contribué davantage à l’évolution des mentalités. L’action des missionnaires a été de ce point de vue très bénéfique. A la veille de l’indépendance, une nette évolution se dessinait partout, marquée par une prise de conscience de plus en plus aiguë de la situation de dominé. Pourtant l’enseignement dispensé, tant par les missionnaires que par les rares écoles laïques, visait bien un tout autre objectif. En effet, pour plus d’un Mbosi, le missionnaire catholique est l’agent fossoyeur de ses traditions, le technicien sournois qui a organisé, favorisé et réalisé l’aliénation et la 412 Ngoie Ngalla (D): «Aperçu sur l’évangélisation du Moyen-Congo par les pères du Saint-Esprit» cité par Kinata (C): Op. Cit, p143 413 Mission d’inspection Dimpault, 1934 cité par Soussa (L): Op. Cit, p195 396 déstructuration de sa société, de l’institution Otwere. Pendant longtemps et l’instar de leurs compatriotes colonisateurs, ils ont avec assurance et suffisance nié la réalité d’une identité culturelle Mbosi voire congolaise, mais, en même temps, et paradoxalement, ils ont mené un combat sans merci contre tout ce qu’ils appelaient les superstitions païennes. Il convient de reconnaître que le Mbosi est un homme, avec ses traditions propres. Seulement il apparaissait aux yeux des missionnaires comme un «homme inférieur» dont la sauvagerie et l’arriération mentale appelaient ces derniers au secours. Il fallait donc le conquérir à la «civilisation chrétienne». Cela était d’autant plus évident que le missionnaire restait convaincu que le christianisme, loin d’être une religion parmi d’autres, représentait la seule forme universelle du rapport de l’homme avec Dieu. La mission se définissait ainsi dans un rapport inégalitaire, et «comme une conquête spirituelle des terres non chrétiennes pour les assimiler à une religion bien établie, très structurée, entrée dans un concert unitaire dont l’Europe possède déjà toutes les données». Par ces phénomènes d’évangélisation et de scolarisation, l’église catholique a effectivement joué un rôle primordial dans l’affaiblissement des institutions traditionnelles Mbosi. En incitant les autochtones à opter pour la foi chrétienne, l’église catholique imposait par là un mode de vie contraire aux aspirations des indigènes. En effet, l’église catholique enseigne sa culture occidentale aux enfants indigènes, inculque à ces derniers les idées selon lesquelles la tradition des indigènes n’est que du satanisme et rien d’autre ; et tout ce que ne prévoit pas la Bible est l’œuvre démoniaque. Otwere fut considéré comme une association, une organisation regroupant les adeptes du diable. D’où le désintéressement total de ces jeunes enfants indigènes à leur propre institution, et un désintéressement qui va donner naissance à la chute d’Otwere. En dernière analyse, les missionnaires ne considèrent habituellement les lois et coutumes africaines voire Mbosi que comme des aspects haïssables du «paganisme» que leur devoir est d’extirper au nom de la civilisation chrétienne. Cette attitude provient sans aucun doute du fait que, consciemment ou inconsciemment, ils considèrent la culture et en particulier la chrétienté et la civilisation occidentale comme supérieure. Dans la mesure où la culture africaine voire Mbosi est considérée comme une masse confuse de coutumes, de rites et de pratiques inhumaines, il est difficile de l’admettre comme faisant partie de l’ordre social. Les pratiques coutumières Mbosi doivent être néfaste à une entreprise religieuse de ce type et doivent être totalement abolies. L’église catholique a donc été une des sources lointaines de l’affaiblissement d’Otwere en milieu Mbosi Olee. Conclusion sur l’impact effectif de la colonisation et de la religion catholique Les actions conjuguées des administrateurs coloniaux et des missionnaires catholiques ne semblent pas avoir eu totalement raison d’Otwere. Si en tant que puissance et système de gestion politique de la société, la super-institution a vu dépérir son autorité, au plan de la justice, Otwere a conservé tout son pouvoir : -il a fait de la justice traditionnelle, la plus grande dimension de son autorité dans laquelle est concentrée toute sa puissance ; -il a conservé, à travers cette fonction non altérée par l’action coloniale, ses caractères d’institution sacrée, vénérée et vénérable, respectée et respectable, cohérente. 397 On observe que, même s’ils ont superposé leur mode de vie à la tradition Mbosi, même s’ils ont réussi à faire accepter leur monnaie comme seule valeur des échanges dans la société, même s’ils ont réussi à pervertir et à déconseiller les valeurs traditionnelles, les colons et les missionnaires catholiques, n’ont pas effacé l’autorité d’Otwere, non pas «tordu le cou» de la super-institution. Si ces cérémonies ont pris une valeur plus culturelle que de «rencontres congressistes», elles restent l’occasion d’admission de nouveaux membres. La jeunesse est demeurée sa réserve assurée. Il a fallu, selon toutes les personnes interrogées, attendre le milieu des années 1950 pour assister à la déchéance d’Otwere. 3. Les sectes religieuses 3.1. Nature et but des sectes Dans Théma Encyclopédie Larousse : Les hommes et leurs histoires. Histoire. Systèmes politiques. Histoire des idées. Religions414, on peut noter que le monde des sectes est un monde varié et changeant. L’unicité du mot recouvre une grande diversité de motivations et de types. «Secte» vient du mot latin sequi, qui signifie «suivre». Par glissement de sens, le mot définit aussi les principes qui guident cette manière de vivre, qu’ils soient d’ordre politique, moral, philosophique ou théologique. Puis le mot secte prend le sens de refus, de rupture à partir du moment où le christianisme, vers la fin du IVè siècle, devient la religion officielle de l’Empire. Il garde, de nos jours, ce sens précis, qui donne à la secte le caractère de contestation d’une institution ecclésiastique, débouchant plus ou moins rapidement sur une dissidence. Les sectes naissent donc d’une volonté de protestation, d’intransigeance, qui manifeste un refus de toute compromission. Comme il s’agit de mouvement religieux, elles recherchent la justification théologique qui légalise en quelque sorte leur dissidence. Tel est le cas des sectes issues des grandes religions monothéistes. Mais on constate aussi l’existence de sectes liées d’abord à des phénomènes d’acculturation, puis à la résistance à cette acculturation, voire à son refus. Ces sectes sont, en fait, le résultat de processus de compensation en réponse à des traumatismes culturels et on peut les regarder comme des tentatives de rééquilibrage d’une société : c’est le cas en Afrique noire et en Amérique latine. D’autres sectes entendent se développer pour restructurer la société humaine, dans laquelle elles veulent agir. Au Congo-Brazzaville, on rencontre de nombreuses sectes religieuses. Nous pouvons mentionner entre autres les sectes religieuses ci-après : Matsouanisme, Lassysme, Mawata, Munkunguna, Croix Koma, Dieudonné, Saka-Saka, Monseigneur, etc. Toutes ces sectes ou églises s’inspirent immédiatement dans leur rite, leur symbolique et jusque dans le nom, de la religion chrétienne415. En effet, ces sectes dérivent des églises chrétiennes par un étonnant effort d’éclectisme en se servant de la Bible et utilisant les pratiques de guérison par les miracles qui se rapprochent de pratiques ancestrales dans ce 414 Théma Encyclopédie Larousse : Les hommes et leurs histoires. Histoire. Systèmes politiques. Histoire des idées. Religions, Larousse, Paris, 1991, p506 415 Wagret (J.M) : Op. Cit, 205 398 domaine. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un syncrétisme416 entre le christianisme et la tradition africaine. En effet, ces sectes ou églises associent croyances chrétiennes et croyances «traditionnelles». Elles visent surtout à résoudre certains problèmes existentiels non résolus par les églises chrétiennes importées. Les leaders de ces sectes appelés «pasteurs» sont baignés à la fois dans une culture africaine et une religion monothéiste occidentale. C’est ce qui explique ce genre de synthèse culturelle. Un des lieux communs de ces «églises noires» est précisément la destruction des fétiches. Il convient aussi de souligner que certaines sectes ont créé des écoles, des dispensaires, des foyers sociaux et des associations de jeunesse et d’entraide. Ce sont donc les prophètes qui rendent la justice en cas de conflit. Certaines de ces sectes que nous venons de citer sont nées au Congo-Brazzaville ; d’autres en revanche sont nées au Congo-Kinshasa et ont atteint par la suite le CongoBrazzaville. Dans ce travail, nous n’allons pas les analyser toutes mais, nous n’évoquerons que les sectes «Mawata, Dieudonné, Saka-Saka et Monseingeur» qui ont pénétré le pays Mbosi Olee et ont eu une incidence remarquable sur leur institution Otwere. 3.2. Les actions menées par les sectes religieuses dans la contrée 3.2.1. Mawata de Ngolo Alphonse La première secte religieuse qui s’est attaquée à Otwere venait du Mayombe, région du Kouilou dans le sud-ouest du Congo. Elle a été introduite dans le pays Mbosi Olee par Alphonse Ngolo417, un adepte du Lassysme de Zéphirin Lassy418. C’est donc dans les années 1940 que Ngolo Alphonse s’est détaché de son maître Zéphirin pour revenir dans son pays natal avec la mission d’évangéliser les Mbosi Olee et de les convertir à sa secte. Ngolo a, comme les autres sectes, orienté son action vers une lutte féroce contre Otwere et les autres valeurs culturelles Mbosi. L’action de ce dernier a été vite anéantie et sa secte a fini par prendre la forme et le contenu d’un fétiche appelé, Mawata419 qu’il implantait dans les villages qui acceptaient son action. Il mourut en 1954 sans avoir atteint son but. 416 L’avènement du christianisme en Afrique noire a provoqué un phénomène socio-religieux complexe, le syncrétisme. Il s’agit en général d’une combinaison au demeurant peu cohérente de doctrines ou de systèmes différents ou, plus précisément, d’une «tendance à faire fusionner certains éléments religieux traditionnels avec d’autres éléments religieux d’origine étrangère». En l’occurrence, on tente d’allier des éléments du christianisme, d’une part, et de la religion traditionnelle, de l’autre. Une telle tentative peut être individuelle (syncrétisme informel) ou collective (syncrétisme élaboré, ou secte). La tendance syncrétiste n’est pas propre à l’Afrique. Elle est un phénomène universel connu dans l’histoire des religions, et qui apparaît chaque fois qu’entre deux croyances différentes l’intégration n’a pas été faite. (Akoun A. Op. cit. P202). 417 Ngolo Alphonse est un Mbosi Olee, originaire du village Esibili (Terre Onday Ndoula, dans le district actuel d’Ollombo). 418 Le Lassysme ou le christianisme prophétique en Afrique tire son nom de son prophète Lassy Zéphirin, né en 1911 à Pointe-Noire. Il porte également le nom de «Bougisme» ou «Zambi-Bougie». Son combat dans la région côtière du Congo-Brazzaville, prône la lutte contre les sorciers et leurs actions nuisibles. Son rituel de guérison des malades ensorcelés s’accompagne de l’imposition des mains ou de l’eau lustrale qu’il leur fait boire et dont il les asperge également. Les rites de cette religion sont largement empruntés au catholicisme, la lecture de la Bible et la prière constituent (avec le recouvrement de cotisations soigneusement tarifiées) le fond des cérémonies bougistes. 419 Mawata vient du mot Mamiwata qui signifie sirène ; le Mawata est le pouvoir de la sirène. 399 3.2.2. Les sectes religieuses en provenance du Congo-Belge Vers la fin des années 1950, en effet, les mouvements religieux "Saka-Saka", "Dieudonné" et "Monseigneur" en provenance du Congo-Belge (actuelle République Démocratique du Congo) ont pénétré simultanément le pays Mbosi Olee par les pays Moye et Bangangoulou au sud, et par l'Alima au nord. Leur but consistait à désacraliser et à anéantir aussi bien les institutions traditionnelles (cas Otwere) que les pratiques occultes. Se présentant comme des envoyés de Dieu, les propagandistes de ces sectes ont acquis une grande notoriété tant dans les pays Moye, Bangangoulou que Mbosi. Au sujet de cette pénétration, Mgr Benoît Gassongo observe : «…en 1958, un mouvement étranger à l’Alima, celui des saka-saka, supplanta nos coutumes traditionnelles. Ses auteurs exploitèrent notre région et en profitèrent largement. Somme toute, ces hommes furent des charlatans. Venus tantôt du Gabon par Mékamo, tantôt du Congo Belge (aujourd’hui Zaïre) par Bolobo, ils amenèrent des désordres épouvantables dans nos régions du nord, à tel point que l’on pensait même à des signes avant-coureurs de la fin du monde»420. Georges Mazenot écrit au sujet de la secte Dieudonné : «Le diéudonnisme est venu du Congo-Belge (=Jérôme Nganda ), ancien catéchiste de la mission catholique. Commençait à rééditer, au moment où le Congo-Français devenait libre et le Congo-Belge à bouger, le mouvement de Simon kimbangou – autour de 1955. Etait en prison à Bolobo. Expulsé du Congo-Belge en 1956, il s'est réfugié du côté français (MpouyaMoke … -Mongolo-Mbaya-Gamboma d'où il sillonnait le pays jusqu'à Boubé, Abala, Ossélé, Emboungou, etc)421. Ces sectes religieuses en provenance du Congo-Belge étaient les agents décisifs de la disparition d'Otwere en pays Mbosi Olee. En effet, ces sectes religieuses opèrent séparément, prodiguent un enseignement à leurs fidèles et détruisent les fétiches. Dieudonné par exemple enseigne surtout: la pureté de la femme, le monothéisme, et proclame le nom de Dieu comme source et refuge de leurs forces. A cet effet, Georges Mazenot observe : «A Mbaya, où habitent depuis 1925 un bon contingent de kimbanguistes (= simonistes), Dieudonné a changé un peu son "église". On ne chantait plus les chants de Simon Kimbangou (anti-blanc. Exemple: les blancs sont finis; ils ont encore le signe du pouvoir, mais le pouvoir même ils ne l'ont déjà plus). Dieudonné prenait des chants protestants et les adaptait pour ses fidèles; on les chante lentement en claquant les mains. Après un succès fou auprès des Bangangoulou, les Mbochi d'Abala et de Gamboma se laissèrent prendre»422. Quant à «Saka-Saka», c’est un exemple d’église dont l’action ne vise que la lutte contre la sorcellerie. Prosper Mouyoula écrit à ce propos : «Son chef, Alphonse Marcel se veut mystique et se proclame prophète. Il annonce que sa mission sur terre est d’enterrer et de déterrer tous les fétiches appartenant aux sorciers. Son rituel se veut rigoureusement simple : imitant Jésus portant une croix, Saka-Saka empoigne un bâton denommé Mademoiselle»423. 420 Mgr Gassongo (B): Op. cit, pp26-27 Mazenot (G): Op. cit, p390 422 Mazenot (G): Op. cit, p390 423 Mouyoula (P): Crises et mutations politiques au Congo-Brazzaville : radioscopie et interprétation d’une histoire complexe (1946-1996), Thèse de Doctorat d’histoire, Lyon2, 2004, 2Vol, p92 421 400 Ce qui est certain, c’est qu’il entend jouer sur la psychologie collective du village par la séduction, la persuasion et la peur de représailles des ancêtres424. Greffés sur le passé ou plus exactement sur la psychologie traditionnelle, ces prophètes se présentent comme progressistes ouvrant la lutte contre la sorcellerie. Par ailleurs, ces mouvements à la fois religieux et mercantilistes se sont livrés à une lutte sans merci contre les pratiques traditionnelles et Otwere. En effet, dans chaque village traversé, ils devaient, par des tours de magie, accuser les personnes âgées de sorciers, les valeurs d’Otwere d’incarnation du diable. Par ce jeu, les propagandistes de ces sectes retiraient des maisons des objets ayant forme de fétiches ou d’arbalettes auxquels, ils attribuaient le pouvoir maléfique du propriétaire de la maison qu’ils livraient à la vindicte des jeunes du village. Ils mobilisèrent les éléments les plus jeunes de la population qui leurs servaient d'informateurs. Ils demandaient aux populations de présenter leurs fétiches et ils les brûlèrent. Les jeunes leur indiquaient du doigt les ennemis qu'ils considéraient comme les sorciers. Par ce geste, les jeunes exprimaient ainsi leur haine envers les membres d'Otwere considérés par eux comme responsables de leur servitude. Les accusés étaient généralement des personnes âgées, hommes et femmes sans défense parmi eux, les maîtres d'Otwere, donc les détenteurs de la culture traditionnelle. Pour prétendre protéger les populations contre leurs ennemis sorciers et les forces occultes, les sectes religieuses remplaçaient ces fétiches détruits par un seul, le leur, appelé "Kinda". Ici Kinda est un piquet de bois planté au milieu de la cour du village. Symbole de sauvegarde et de protection, bouclier du village et des villageois, il est une vertu dont dépend aussi bien l’existence que les pratiques sociales. Outre le piquet de bois «Kinda» dont disposaient ces sectes, l’usage de l’eau bénite fut aussi très en vogue. Celle-ci, à en croire les sectes, était susceptible de protéger les humains contre les nuisances d'origine diabolique. Il suffisait donc, disaient-elles, d’en prendre un breuvage pour être à l’abri des forces occultes. Toutefois, quiconque voulait s’en procurer, devait verser une certaine somme d’argent auprès du responsable de la secte car cette eau n’était pas gratuite mais payante. Ayant ainsi une influence déterminante dans la société, les sectes se sont laissées aller à brûler et à détruire toutes les valeurs culturelles et de pouvoir des populations dont les symboles d’Otwere. Tous les grands détenteurs du pouvoir d’Otwere et de Mara, étaient livrés aux jeunes comme auteurs de leur mort ou de leurs malheurs. Ainsi donc, Otwere ne résista pas aux mouvements des "Saka-Saka", "Dieudonné" et "Monseigneur". Les maîtres d'Otwere furent comme les autres populations victimes de ces sectes. Leurs insignes, considérés comme fétiches, brûlés. Depuis, les maîtres d'Otwere n'ont plus eu le moindre courage de convoquer des cérémonies. 424 Lorsque ce prophète arrive dans un village, il attend la tombée de la nuit pour se rendre au cimetière. Les Congolais vouent au cimetière une grande importance mystique. Le défunt dispose en ce lieu d’un pouvoir incommensurable sur le monde des vivants. Si le jour appartient aux vivants, la nuit appartient aux morts. C’est une sorte de «no man’s land» entre le visible et l’invisible, le profane et le sacré, l’humain et le divin, le doute humain et la certitude des ancêtres et des génies. S’introduire au cimetière est interpreté comme disposant des mêmes pouvoirs que les morts. 401 Les sectes religieuses ont vraisemblablement pillé l’identité morale et métaphysique des Mbosi Olee. C’est pourquoi, il est difficile de reconstituer les rites d’Otwere. Les rituels magico-religieux d’Otwere ont été en effet, progressivement abandonnés Somme toute, les sectes religieuses en provenance du Congo-Belge sont les facteurs déterminants du déclin d'Otwere en milieu Mbosi Olee, car Otwere désacralisé –ses insignes dévoilés, détruits et mis en spectacle devant le public- connaît depuis lors une déchéance sans précédent425. 4. Les autres causes du déclin d’Otwere A ces causes sont venus s’ajouter d’autres qui ont concouru au déclin d’Otwere. Il s’agit de: la fonctionnarisation instaurée par la colonisation que ce soit au niveau politique où les membres d’Otwere sont chargés de transmettre les ordres et les instructions des autorités ou au niveau de la justice, lorsqu’ils deviennent des assesseurs à voix consultative, l’exode de la population vers les centres urbains. Aussi, cette institution a été confondue avec les nouvelles cultures qui la pervertissent: l’argent, la scolarisation, la fonction administrative, politique, militaire, etc. Tout ce processus a contribué à vider l’institution de sa substance. En outre, les différents régimes politiques qui se sont succédés avec l’accession du pays à l’indépendance ont dénaturé l’institution. En effet, des superpositions de systèmes ont entraîné des confusions et même des conflits entre les personnages investis selon la tradition et ceux qui avaient reçu leur investiture selon les critères modernes. Il faut enfin ajouter parmi ces causes, la défaillance des Mbosi Olee voire des membres d’Otwere eux-mêmes et la détérioration des valeurs humaines et sociales découlant du contact avec les cultures étrangères. 5. Conclusion De nos jours, Otwere n’existe plus dans le pays Mbosi Olee. Il n’est plus célébré nulle part dans cette contrée. Depuis que leurs insignes ne sont plus considérés que comme des fétiches reduits en poussière, les anciens maîtres d’Otwere ne se sont jamais senti le courage de tenir des cérémonies. L’action conjuguée de la colonisation, de l’église catholique et surtout des sectes religieuses en provenance du Congo-Belge, principalement basées sur le christianisme, ont été à la base de ce déclin. La colonisation d’une part, par son rejet des valeurs traditionnelles d’Otwere, par le biais de la scolarisation et du culte chrétien comme seule tradition religieuse autorisée, ont précipité la chute des valeurs africaines d’Otwere. D’autre part, le dénigrement des populations autochtones instruites envers leur propre culture ; le travail de réorganisation des mouvements de populations et le comportement agressif des colonisateurs ont sapé Otwere à sa base, en a occulté et détruit les fondements. Nous allons maintenant essayer de décrire les causes endogènes et les conséquences du déclin d’Otwere. Celles-ci sont multiples et variées. Elles sont principalement d’ordre politique et économique et bien évidemment idéologique et culturel. 425 Mgr Gassongo (B): Op. Cit, p30 402 CHAPITRE II : LES CAUSES ENDOGENES ET LES CONSEQUENCES DU DECLIN D’OTWERE Nous avons montré qu’Otwere, par ses enseignements et ses actions multiples et variées a constitué le cadre de toute la vie pour les Mbosi Olee. Autrement dit, Otwere a été pour ces populations la matrice de la civilisation c’est-à-dire un repère pour toutes les fonctions de vie dans la société. L’objet de ce chapitre est de présenter d’une part les causes endogènes du déclin d’Otwere et d’autre part les conséquences du déclin. Nous avons retenu l’inexistence d’un système politique et de défense centralisé, les faiblesses de l’organisation et du niveau de développement économique et culturelle, le poids d’Otwere sur les jeunes comme causes endogènes du déclin d’Otwere. Nous tenterons d’analyser ces faits et phénomènes qui ont facilité la domination coloniale et l’évangélisation et donc le déclin de l’institution Otwere. En ce qui concerne les conséquences, nous allons montrer que le déclin et plus tard la disparition d’Otwere en tant qu’institution ont crée un vide important : l’absence de repères autochtones pour d’une part apprécier les effets des nouvelles institutions politiques et administratives qui s’installaient et, d’autre part, sauvegarder les aspects positifs des prescriptions d’Otwere dans les domaines socio-culturels, économiques et juridiques. 1. Les causes endogènes du déclin d’Otwere 1.1. L’inexistence d’un système politique et de défense centralisé 1.1.1. Les faiblesses du système politique Comme nous l’avons déjà souligné, le pays Mbosi Olee était organisé en villages indépendants les uns des autres. Ces villages étaient placés sous la protection et le contrôle de l’institution Otwere mais sans autorité centrale qui coordonnerait les activités ou les actions des différents chefs de village ou de famille. Il n’y avait donc pas de pouvoir central. C’était là une des faiblesses de l’organisation politique. C’est cette faiblesse qui a facilité la domination française. En effet, aussitôt installée l’administration coloniale a crée un système administratif dit «indigène» structturé en villages, en terres ou cantons et en sous-préfectures à la tête de laquelle se trouvait un sous-préfet, autorité centrale coordonnant les activités des chefs de cantons et villages. Dans ces conditions, la résistance des autchtones devenait difficile par leur inorganisation. Ainsi, les organismes politiques, administratifs d’Otwere étaient anéantis. Bien que sous forme d’institution en maquis, Otwere a pu organiser sa survivance au-delà de la période coloniale, son déclin se trouvait déjà amorcé. 1.1.2. Les faiblesses du système de défense 1.1.2.1. L’absence du système central de défense La colonisation française a trouvé le pays Mbosi, sous la direction d’Otwere, sans force armée centrale organisée. Cette situation est le résultat de la décentralisation administrative du pays. En effet, après la conquête de la terre contre le peuple Teke426 et après son installation, mais surtout après la mort de son chef Ndinga, le peuple Mbosi s’est doté d’une décentralisation administrative qui accorde l’autonomie totale à chaque zone et surtout 426 Soret (M) : Op. Cit, pp97-99 403 au système local de gestion. Cette organisation de l’administration du pays ne pouvait pas permettre la création et le fonctionnement d’une armée centrale pour la défense communautaire du pays. On se rappelle que plus haut, nous avons relevé que l’enseignement d’Otwere bannissait la guerre : l’interrogation à laquelle étaient soumis les néophytes dans le sanctuaire lors d’une cérémonie d’admission, consistait à leur faire haïr les instruments de guerre et à préférer à ceux-ci, ceux utilisés pour la chasse, la pêche et l’agriculture. Or la conquête des pays Mbosi par la colonisation française a été réalisée au moyen d’une série de guerres locales entre une armée structurée et des villages non organisés ni préparés à la guerre. La large décentralisation administrative qui a pour corollaire l’absence d’une autorité centrale, le dialogue comme système de résolution de tous les conflits dans la société, expliquent l’absence d’un système de défense centralisé. Chaque village tentait de se défendre seul devant l’envahisseur muni d’armes modernes. Une telle organisation ne pouvait permettre une résistance efficace contre les conquérants. 1.1.2.2. Le faible niveau des moyens de guerre La société Mbosi Olee disposait des moyens de guerre rudimentaires constitués essentiellement de sagaies, de couteaux, de machettes427, etc. Ces armes étaient fabriquées par les artisans locaux à partir de bois et de métal. Il n’y avait donc pas d’armes à feu. Ce faible niveau des moyens de guerre s’explique par le faible niveau de développement économique, l’absence de minerais ainsi que l’absence de contact avec les entités monarchiques de la contrée qui étaient susceptibles de détenir des métaux sous leurs sols. C’est avec cet armement de loin rudimentaire que les populations Mbosi avaient affronté l’armée coloniale mieux organisée et puissamment équipée d’armes à feu. Si on prend en compte l’insuffisance de ces moyens, couplée à l’absence d’organisation centrale, on ne pouvait qu’assister à la victoire du colonisateur sur les autochtones. Cette victoire a permis au colonisateur de s’attaquer au patrimoine cuturel de la contrée et à l’institution Otwere. 1.2. Les faiblesses de l’organisation et du niveau de développement économique et culturel 1.2.1. Le faible niveau de développement économique Quand il se trouva surpris par la pénétration française, le peuple Mbosi n’avait pas encore organisé son économie à l’image de celle du colonisateur. L’économie Mbosi, avonsnous écrit plus haut, était encore dominée par l’économie d’autosubsistance basée sur l’agriculture au sens large, avec des activités commerciales très limitées. De ce fait, le peuple Mbosi ne pouvait pas permettre la production des moyens de guerre. C’est ce qui explique qu’outre les armes de guerre mentionnées, son industrie artisanale, la forge, s’était simplement limitée à la fabrication des outils de chasse et de pêche : lance, harpon, coupecoupe. 427 Itoua (J) : Op. Cit, pp64-66 404 Par ailleurs, l’introduction de l’économie coloniale428, en créant plus de besoins monétaires a entraîné l’exode rural, et donc a privé le système Otwere de ses adhérants potentiels les plus actifs. De plus, les jeunes allant en ville rencontrèrent une autre culture (religion monothéiste, musique moderne, cinéma)429 qui mit en doute la leur propre. Cette situation a eu, surtout, pour conséquence le rejet de l’autorité d’Otwere par les jeunes. Otwere perdait ainsi, lentement mais inévitablement son rôle d’institution régulatrice de la civilisation Mbosi Olee. 1.2.2. L’absence d’écriture et les problèmes de transmission des connaissances et de résistance idéologique 1.2.2.1. L’absence d’écriture Au moment du choc entre la religion catholique et la civilisation Mbosi symbolisée par le fétiche, la première (religion catholique) était, depuis des siècles, assise sur un important support écrit constitué par la Bible et d’autres grandes œuvres religieuses. L’autochtone était encore assis sur l’oralité, donc sans support solide. Alors que si tôt arrivés sur la terre Mbosi, les prêtres catholiques se sont employés à traduire en langue Mbosi430 les enseignements de Dieu par l’écriture. Ces missionnaires catholiques et colonisateurs venus dans la contrée ne rencontrèrent pas d’écrits, de livres, ni de manuscrits sur la culture Mbosi, sur le fétiche, ni sur l’institution Otwere pour connaître son enseignement. L’absence d’écriture a favorisé le caractère mythique et secret d’Otwere. Son enseignement reste oral et réservé à quelques initiés. Ainsi n’étant pas écrit, les enseignements d’Otwere ne pouvaient pas être à la portée de la majorité de la population, qui ne pouvait donc organiser sa défense contre la civilisation occidentale. 1.2.2.2. Mythe et secret du fétiche L’absence d’écriture a donc favorisé le caractère mythique et secret du fétiche et des autres valeurs mythologiques de la croyance. Les faits et gestes des féticheurs, même dans les cas de la médecine traditionnelle, sollicitent du public qu’il leur soit reconnu la place d’élus célestes, donc de surhumains. Le commun des mortels n’a pas accès à la connaissance du fétiche même quand il sollicite son action pour guérir d’un mal. Ainsi, écartée de sa connaissance, la majorité de la population ne peut organiser la défense du fétiche contre la civilisation occidentale. De plus, le caractère secret et hermétique de son enseignement et de sa connaissance vaut au fétiche la triste valeur de cause et de source de la mort. Certains féticheurs sont perçus et accusés comme responsables exclusifs de la mort. Le mythe et le secret du fétiche, selon les personnes interrogées, étaient aussi exploités par les missionnaires, pour obliger les populations à connaître et à croire en Dieu, à se convertir au christianisme afin de se protéger des pratiques néfastes des féticheurs. Ainsi donc, l’opacité de l’enseignement et de la connaissance du fétiche, dimension mythologique de la civilisation Mbosi, qui découle de l’absence d’écriture sont les causes de la pénétration et surtout du développement des idéologies étrangères, dont particulièrement la religion chrétienne. Celle-ci étant particulièrement contre le fétiche ne pouvait que chercher à 428 Coquery Vidrovitch (C) : Op. Cit Vennetier (P) : Op. Cit, p59 430 Lire Legrain (M) : Op. Cit, p60 429 405 détruire Otwere, institution suprême qui protégeait les féticheurs en tant que détenteurs du pouvoir mythologique. 1.3. Le poids d’Otwere sur les jeunes Nous avons souligné, plus haut, que les sectes religieuses en provenance du CongoBelge ont réussi à causer l’effondrement d’Otwere grâce aux concours de la jeunesse. Cette participation des jeunes à la déchéance d’Otwere est expliquée comme révolte provoquée par le poids et la pression que cette institution et toute la civilisation de la société exerçaient sur la couche juvénile. On se rappelle que les jeunes constituaient la réserve obligée des candidats à l’adhésion à Otwere. Les règles et les lois du pays étaient souvent perçues comme autant de limites infranchissables des libertés et des droits des jeunes. Ces contraintes étaient aussi et surtout exprimées pour empêcher les jeunes à développer des contacts avec l’autorité coloniale ou religieuse. Des jeunes ont développé brusquement des maladies inexplicables lorsqu’ils étaient désignés pour aller dans l’armée ou travailler pour le compte du colonisateur. La voie de l’école était interdite, surtout que ces écoles n’existaient pas sur le sol local. Au moment de l’arrivée des sectes religieuses, ces interdits engendraient des comportements de révolte des jeunes. Cette révolte qui peut être comparée à une «véritable révolution» de mentalités, n’est pas la première à attribuer à la jeunesse Mbosi. La plus significative est le passage de la société Mbosi du régime matriarcat au régime patriarcat indiqué plus haut (cf. pp62-63). Cette «révolution» est restée permanente jusqu’à nos jours et a permis la révolte des jeunes contre les faits de la civilisation et le poids d’Otwere. 2. Les conséquences de la disparition d’Otwere 2.1. Le domaine socio-économique Le déclin et la disparition d’Otwere sont aussi celle de la culture économique de la société Mbosi. L’action coloniale a surtout eu pour résultat le changement des habitudes de consommation des populations colonisées qui devaient abandonner leurs productions pour consommer les biens de l’industrie du pays colonisateur. Ainsi, dans le domaine de l’artisanat, on déplore surtout la disparition des forgerons et des tisserands. Pour sa consommation tout le peuple s’adresse désormais à l’industrie coloniale. Dans le domaine de l’environnement, les prescriptions d’Otwere ne sont plus recpectées. Ainsi, des forêts, jadis réservées et protégées, sont aujourd’hui défrichées pour des activités économiques induites par l’économie marchande. Les modes de pêche qui étaient interdits sont aujourd’hui pratiqués et causent l’appauvrissement des eaux de toutes espèces de poissons. Les lieux où la chasse au fusil était interdite, c’est-à-dire des réserves protégées du pays, ont été traversés pour la chasse au fusil moderne à destruction massive et inconsciente. Cette pratique destructrice et incontrôlée de la chasse a eu pour solde incontestable l’appauvrissement des forêts, comme des eaux en toutes espèces de gibiers : le pays est alors déserté par tous les animaux et les grands oiseaux qui assuraient la source de l’alimentation carnée de la population 406 2.2. Le domaine de la justice C'est dans le domaine de la justice qu'Otwere a pu survivre. Mais, elle a cessé d’être un pouvoir et est devenue un simple art. Ceci s’explique par le fait que la fonction judiciaire était l’une des fonctions d’Otwere qui avait une grande emprise directe sur les citoyens. Elle n’était plus réservée aux seuls Twere assermentés qu’étaient les A ngo b’Otwere (les membres d’Otwere). Tout Mbosi qui possède une connaissance du droit coutumier Mbosi peut être apelé à rendre la justice dans une fraction de ce peuple. L’usage du Mwandzi par exemple par le Twere qui rend la justice ne lui assure plus la protection et l’autorité de «dire le droit». On utilise désormais l’ancien emblème du peuple Mbosi pour se distinguer de la foule qui assiste à un procès coutumier. Les instruments d’Otwere ne sont plus sacrés puisqu’ils ont perdu en quelque sorte leur pouvoir institutionnel : leur rôle de représentation du caractère sacré d’Otwere sur la société ainsi que leur valeur fondamentale de vénération comme instrument d’autorité. Le Mwandzi qui a survécu aux feux des sectes religieuses n’est plus qu’un objet de musée chez les Mbosi Olee. Sa construction et sa conservation ne sont plus que les œuvres de l’artiste ordinaire non assermenté. En outre, la justice dite moderne est aussi inadaptée aux réalités des Mbosi Olee. La majeure partie de la population à laquelle elle s’adresse demeure analphabète et maîtrise très mal la langue française dans laquelle est rendue cette justice431. Elle lui apparaît, à juste titre comme la justice des «blancs», donc une justice «étrangère». Donc, bien qu’affectée par les changements institutionnels imposés par la colonisation et poursuivis par l’Etat moderne, la justice coutumière Mbosi Olee continue jusqu’aujourd’hui à appliquer les procédures élaborées et mises en pratique par Otwere. 2.3. Le domaine socio-culturel Avec la disparition d’Otwere, la loi traditionnelle a perdu son support. Elle est couramment violée. Ainsi, on observe et on déplore surtout l’apparition de la dépravation des mœurs, le développement d’une délinquance, jamais tolérée par Otwere, qui se traduit par le non respect des institutions traditionnelles et modernes, la désobéissance des jeunes aux ordres et à l’éducation des parents, la déliquescence de l’éducation. Le vol, la violence et l’assassinat dont surtout les plus âgés sont victimes, ont pris la place de la loi et devenus les modes de règlements des problèmes. Le viol et l’inceste, la culture et la consommation à grande échelle des stupéfiants, défient aujourd’hui la morale et la règle. On assiste alors à une absence de la légalité qui explique cette dépravation de toute la vie sociale. En revanche, le folklore seul résiste et continue d’assurer l’identité du peuple Mbosi. Mais, il est traversé par des rythmes exotiques qui pervertissent la pensée autochtone et la spolient de ses valeurs ancestrales. 431 Lire Nazam Halaoui: «La langue de la justice et les constitution africaines» in Droit et Sociétés, N°51/52, L.G.D.J, Paris, 2002, pp345-365 407 Le fétiche continue à préoccuper la croyance surtout qu’il offre les meilleurs soins aux malades dans la société. On observe pourtant qu’il a pris un grand essor surtout parmi les jeunes. Mais ses méfaits sont attribués aux personnes âgées qu’on tue en toute impunité. En marge de ces éléments éclairant sur la décadence d’Otwere, il y a place pour les apports liés à la colonisation ou l’Etat moderne. De ces apports nous citerons : les télécommunications, les mass-média, le cinéma, la médecine, l’école, la construction de l’économie moderne, etc. 3. Conclusion Eu égard à tout ce qui vient d’être dit, on peut retenir que : -l’absence d’une armée centrale qui, résulte de la décentralisation du pouvoir politique et administratif, explique la faible résistance des populations contre la pénétration coloniale ; -le faible niveau de développement économique n’a pas permis au peuple de résister aux appâts matériels tendus par les colonisateurs pour vaincre le pays dans les domaines économique et culturel ; -l’absence de l’écriture et le secret hermétique du fétiche n’ont pas permis à Otwere d’élaborer une idéologie forte pour résister contre les religions monothéistes. En raison de ces faiblesses intrinsèques, l’attaque conjuguée de la colonisation et de la religion chrétienne qui l’accompagnait ainsi que celle des sectes religieuses dans les années 50, ont abouti au déclin de l’institution suprême de direction politique des populations Mbosi Olee et par l’oblitération des valeurs de la civilisation de cette société. Cette disparition de la matrice de la civilisation Mbosi a eu pour conséquence l’ébranlement total de la société. C’est pourquoi, on assiste aujourd’hui au développement des comportements et phénomènes pervers ou déviants contre lesquels Otwere avait su protéger les populations. Après avoir dégagé et analysé les causes endogènes et les conséquences du déclin d’Otwere, nous allons être amené à réfléchir sur la nature profonde de cette institution. 408 CHAPITRE III : REFLEXION SUR OTWERE Cette étude sur Otwere fait suite à quelques travaux qui ont été menés aussi bien dans la zone Mbosi Olee que sur la culture et la civilisation Mbosi. Ces travaux, d’une manière générale, peuvent avoir avec l’institution Otwere que nous nous sommes proposés d’étudier, des parallélismes importants et peuvent éclairer dans certains cas les points d’ombre de notre étude. Légère ou profonde, incomplète ou totale, toute étude sur Otwere devrait conduire à une réflexion sur sa nature. Dans cette perspective, quand on compare Otwere à une organisation politique ou sociale des temps modernes, on peut être amené à se poser les questions suivantes : Otwere est-ce une forme de société secrète ? Otwere est-ce une organisation politique ou une institution politique en terme moderne d’Etat ? Les pays Mbosi soumis au règne d’Otwere constituaient-ils une forme d’Etat ? Quelle relation y-a-t-il entre Otwere et l’ensemble de la culture Mbosi ? Otwere peut-il contribuer au droit moderne ? Dépouillant le terme Otwere de tous les autres sens qu’il prend dans la langue Mbosi pour désigner les multiples préceptes et grandeurs de la vie courante dans le pays pour ne le réserver que dans la désignation de l’institution supérieure et suprême telle que nous l’avons définie au début de notre étude, nous allons organiser notre réflexion autour des questions cidessus. 1. Otwere, une société secrète ? Le monde des humains, depuis l’aube de son histoire a toujours assisté à la naissance et à la disparition d’associations dites sociétés secrètes. Comme le souligne Rémi Boyer432, la société secrète constitue un phénomène universel. Présente depuis l’antiquité, elle s’est manifestée dans tous les domaines de la vie et emprunte des formes multiples, plus ou moins adaptées aux temps ou aux expaces. En Afrique noire, on raconte433 que les sociétés secrètes étaient surtout caractérisées par les sévices qu’elles faisaient subir aux populations. Elles possèdaient un système de communication très rapide entre les membres habitant des villages éloignés, leur organisation ou «la formation de leurs membres» les dotait d’une capacité de mouvement très rapide et surtout mystérieuse. Leurs membres étaient dotés d’un pouvoir d’invisibilité devant le monde extérieur. Leurs actions dans la société étaient maléfiques et redoutées. Le crime constituait leur seule ambition et leur légitime but. Il n’est pas question de donner un exposé, même incomplet de ce phénomène extrêmement complexe. Cependant pour notre travail, nous avons réfléchi sur certains caractères de ces sociétés qui pourraient permettre une comparaison entre elles et Otwere. Pour ce faire, commençons par définir la société secrète. Pour René Alleau, une société secrète est «toute association dont les membres 432 Boyer (R) : Essai de typologie de la société secrète, document disponible à l’adresse : ttp ://membres.licos.fr/univcirem/typo.html ? consulté le 12/11/05, p1 433 Ce point est le résultat de l’entretien que nous avons eu avec Okandzé Lekouegni, un paysan du village Mbandza, âgé d’environ 63ans, le 27/05/2001. 409 s’engagent par un serment solennel à garder le secret sur les rites et sur les symboles de l’initiation qu’ils ont reçus»434. On peut retenir de l’étude de René Alleau que les sociétés secrètes ont les caractéristiques suivantes : -sélection à l’entrée : l’accès à une société secrète n’est pas libre. Les membres sont soumis à une sélection rigoureuse en fonction de critères intransigeants ; -les lois d’organisation et de fonctionnement internes sont hermétiques, esotériques et ne peuvent transparaître au monde extérieur ; -la vie et la conduite des membres sont ordonnées par un code opaque et mythique ; -leurs actions concernent exclusivement leurs membres frappés de secrets inviolables, jalousement et exclusivement observés par tous les membres ; -leurs insignes ne sont pas lisibles par le monde extérieur ; -le caractère mythique de leurs enseignements et leur langage en font des organisations originales et mystérieuses. Pour notre part, nous dirons simplement que la société secrète traditionnelle se caractérise par le secret, son caractère fermé et le rite que nous comprenons comme l’existence d’un corpus doctrinal et d’une praxis initiatique. Les caractéristiques que nous venons de présenter ne peuvent être retenus pour l’institution Otwere bien que de nombreux observateurs extérieurs l’aient assimilée à une société secrète à cause du cérémonial, des rites initiatiques, des tabous, de la hiérarchie, des symboles et du lieu où se réunissent ses membres. Ces observateurs n’ont certainement pas su analyser et cerner le fonctionnement de l’institution supérieure des peuples Mbosi et Ngala. Comme tous les autres peuples africains435, surtout ceux qui ont conservé comme lui le mode de vie traditionnel, le peuple Mbosi a été traversé par des sociétés secrètes dont les plus connues de notre temps sont : Ekiri (transactions occultes), Ngwe (hommes-panthères), Nzopho (association de malfaiteurs). Leur histoire donne des éléments qui permettent de les rapprocher des caractéristiques que nous avons énumérées ci-dessus. 434 Alleau (R): Les sociétés sécrètes, Editions Planète, Paris, 1963, p43 En Afrique Centrale, les sociétés secrètes d’hommes-animaux sont très diverses. On en connaît d’ailleurs très mal l’origine. On rencontre des sociétés d’hommes-lions chez les Sara, d’hommes-léopards chez les Manja et les Banda, d’hommes-éléphants chez les Ngaka, d’hommes-pythons chez les Manja, et d’hommes-caïmans à peu près chez tous les peuples riverains : Langba, Ngbugu (ou Ngubu), Yakoma, Sango, Banziri, Mondjombo (…). Pour être admis dans ces sociétés secrètes très fermées, il faut que le nouvel adepte contracte une dette de chair. Il doit offrir quelques vies humaines, de préférences des parents (père, mère, oncle, enfant) aux membres de la société pour faire la preuve de son courage. Seuls la chair et le sang humain permettent une assimilation complète au groupe. Les actes d’anthropophagie qui se renouvellent ultérieurement permettent d’accroître la puisance de ces hommes. D’ailleurs, lors de ces festins rituels, seuls les organes chargés d’énergie, les organes nobles sont consommés : le cœur, le foie, la langue (elle symbolise l’éloquence), les organes génitaux et le sang puisqu’il représente la vie. Pour commettre leurs forfaits (vol, crime), ces hommes doivent s’assimiler parfaitement à l’animal, emprunter sa force et sa forme. Soit ils revêtent une peau, soit ils se tatouent avec une mixture colorée pour imiter le pelage de l’animal, Raynal (M) : Op.Cit, pp150-151 435 410 1.1. Ekiri D’après notre informateur Ondele436, Ekiri (Vente = système de transactions occultes des victimes) qui semble né, dans le pays Mbosi Olee, au lendemain de l’abolition de l’esclavage au niveau international, était une association d’hommes qui avaient pour but de faire disparaître par enlèvement mystique des jeunes (garçons et filles) pour les vendre aux correspondants dans les pays voisins. Cette société a fini par se muer en société de sorciers et devient, aujourd’hui un système plus secret et plus dangereux, désigné par le même nom d’Ekiri. Dans les autres sousgroupes Mbosi (Akwa, Koyo par exemple), cette société a encore une survivance appelée Andzimbisme (Andzimba). Chez les Mbosi, Ekiri a aussi opéré sous plusieurs formes : -chez les peuples habitant le long des fleuves et des rivières, les membres d’Ekiri revêtaient la forme du caïman et s’attaquaient aux usagers de l’eau. La société est dite des «hommes-caïmans» ; -chez les peuples habitant les zones de terres fermes (loin des rivières), ils prenaient la forme de panthère et s’attaquaient aux femmes et aux hommes sur les pistes de communication ou dans les champs. Ils étaient dits les «hommes-Ngwe» (hommes-panthères). 1.2. Ndzophi ou Ndzopho De ce même informateur (Ondele)437, Ndzophi ou Ndzopho438 (esprit malfaiteur) serait né au XVIIIè siècle et a vécu jusqu’au delà des années 1940. Ses membres s’attaquaient exclusivement aux femmes et fuyaient les hommes. Une femme était respectée et sauvée de ces criminels quand elle portait un enfant grarçon ou portait la grossesse d’un embryon masculin. Les A ndopho (membres de cette société secrète) attaquaient leurs victimes en forêt. Leur mouvement était remarqué surtout, pendant la période de poussée de champignons en forêt ou de début des travaux des champs. Les femmes (même en groupe) à la recherche de champignons ou aux champs, étaient surprises et attaquées. Quand ils arrivaient à tuer une femme, ils abandonnaient son corps après l’avoir mutilé des mamelles et d’appareil génital. Ils étaient donc des criminels cyniques qui attaquaient les femmes et les filles pour leurs sexes et leurs mamelles. 436 Le descriptif constituant ce point ressort de l’entretein avec Ondélé, un paysan du district de Gamboma, âgé d’environ 70ans, le 6/06/2001. 437 Ce point est le fruit de l’entretein avec Ondélé, un paysan du district de Gamboma, âgé d’environ 70ans, le 6/06/2001. 438 On rencontre surtout Ndzophi chez les Tegue et les Mbeti sous l’appellation de Ndjobi. D’après Maurice Ngonika, le Ndjobi, à la fois fétiche et culture, est un rituel d’initiation, de techniques religieuses, de contraintes sacrées qui associée hors du village, une véritable conversion des hommes (les femmes n’y ont pas accès), à l’issue de dures épreuves. Il impose un code social en exigeant la fraternité, en luttant contre les pratiques de sorcellerie, d’envoûtement, d’emprisonnement, pour faire bref, le mal sous toutes ses formes, en interdisant formellement le vol et l’adultère, en régularisant les rapports sexuels et revigorant les anciens interdits. Il se veut le protecteur de l’ensemble de la communauté et de ses biens (Maurice Ngonika : Op. Cit, p11). 411 Dans leurs actions, ils ne changeaient pas de corps. Ils portaient cependant un masque qui les déguisait, construit des haillons, des feuilles et de plumes d’oiseaux noirs (corbeaux surtout). Cet habillement lugubre hypnotisait la femme dès qu’elle se trouvait devant l’horrible apparition. Elle perdait facilement ses sens et ses forces. La victime était abattue à coup de couteaux très tranchants. Quand ce mouvement était remarqué dans une zone, les A nga kwephe, les Abiali et les notoriétés de la zone ordonnaient leur chasse. Comme ils ne disposaient, pour leur déguisement, que de leur enveloppe en haillon, on les apercevait facilement, surtout à l’orée de forêt où ils se postaient souvent pour guêter le passage des femmes non accompagnées d’hommes. Ils étaient souvent poursuivis, surtout par les chasseurs ou les pêcheurs en groupe. Mais leurs fétiches d’invisibilité (Indzombi) les mettaient facilement hors de danger. 1.3. Andzimba Un autre exemple de société secrète malfaisante qui est encore pratiqué dans le pays Akwa (Makoua) et qui mérite d’être décrite, c’est Andzimba. Amédée Ognimba439 note à propos de ce corps que l’Andzimbisme par exemple, est l'ensemble d'actions mauvaises exercées par les Andzimba440. Dans la conception traditionnelle Mbosi voire congolaise, les Andzimba sont des individus dotés du pouvoir de se rendre invisible et qui procèdent à l'enlèvement mystique de leurs victimes humaines à qui ils donnent la mort physique. Les Andzimba sont dénommés au singulier Ndzimba. On utilise usuellement ce terme Andzimba parce que l'Andzimbisme est un crime de groupe. Il s'agit, à proprement parler, d'une association de malfaiteurs, une société secrète. Pour bien cerner la notion d'Andzimbisme, il importe de mettre en relief ses origines et ses fondements. A l'origine dans la région de la Cuvette441 (actuel Département de la Cuvette), les chasseurs d'éléphants étaient dotés du pouvoir de se rendre invisible appelé en Mbosi Indzombi442 qui leur permettait de dissimuler leur présence à l'animal. Ce pouvoir leur était procuré par le moyen d'