le systeme contractuel dans le nouveau droit - FasoLex

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le systeme contractuel dans le nouveau droit - FasoLex
LE SYSTEME CONTRACTUEL DANS LE NOUVEAU DROIT
DE LA FONCTION PUBLIQUE ETATIQUE AU BURKINA FASO1
Introduction
A un moment où presque toutes les législations tendent à limiter les catégories d’agents non titulaires, en titularisant
progressivement celles-ci sans pour autant leur permettre d’accéder ipso facto à la qualité de fonctionnaire2, il paraît
surprenant que le Burkina Faso fasse du système contractuel, phénomène qui n’est pas nouveau, loin s’en faut, un mode de
recrutement de droit commun des agents publics de l’Etat. Ce qui est nouveau, c’est la place qu’occupe désormais ce
système dans l’ordonnancement juridique interne. Ce phénomène, en effet, a toujours existé dans le droit de la fonction
publique burkinabé dont le premier texte de base est la loi n° 22 AL du 20 octobre 1959 portant statut général de la fonction
publique. C’est une technique de recrutement qui permet à l’Administration de se lier les services d’un agent soit par des
contrats de droit public, soit par des contrats de droit privé3. Ainsi, à défaut d’interdiction légale expresse, une personne
publique peut recruter des agents sous contrat, voire instaurer un régime mi-contractuel, mi-réglementaire4.
Au Burkina Faso, le besoin de doter les agents contractuels de l’Etat d’un statut juridique est né au lendemain de
l’accession de ce pays à l’indépendance. En effet, c’est la loi n° 50-60 AN du 25 juillet 1960 fixant le statut des agents
temporaires des administrations et établissements publics de
la République de Haute Volta qui les régit5. Mais leur sort a beaucoup varié dans le temps. Si la ZATU n° AN IV – 011 bis
– CNR/TRAV du 25 octobre 1986 portant statut général des agents publics du Burkina Faso leur est applicable6, ils sont
exclus du champ d’application de la ZATU n° AN VI 0008/FP-TRAV du 26 octobre 1988 portant statut de la fonction
publique7. L’innovation est venue de la loi n° 13/98-AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et
aux agents de la fonction publique, loi promulguée par décret n° 98-205/PRES du 29 mai 1998. En effet, non seulement elle
crée deux catégories d’agents publics de droit commun à savoir les fonctionnaires et les agents contractuels de l’Etat mais en
plus, des dispositions spécifiques sont consacrées à la seconde catégorie. Il s’agit de la troisième partie de ladite loi composée
des articles 172 à 229 d’une part, et des articles 239 à 242, d’autre part. Par cette loi, le législateur a pris soin d’abroger
espressément la loi n° 50-60 qui régissait les agents contractuels. Leur régime juridique est désormais intégré dans l’unique
texte qui règle et leur sort et celui des fonctionnaires. Dès lors, le système contractuel perd de son caractère exceptionnel8 et
devient désormais un mode de recrutement alternatif des agents publics de l’Etat aux côtés du système de carrière qui prévaut
toujours pour les services régaliens (police, justice, sécurité, diplomatie, défense).
On assiste alors à une juxtaposition de deux systèmes de la fonction publique :
le système français dit « système de carrière »9 dont se sont largement inspirées les fonctions publiques des pays africains
francophones, et le système américain dit "système de l’emploi" auquel s’adapte la technique contractuelle10.
Comment en est on arrivé là ? Plusieurs facteurs exogènes et endogènes pourraient expliquer cette inflexion ou ce
renouveau dans la gestion du personnel administratif.
1
L’étude est volontairement limitée aux contractuels de l’Etat. Elle ne concerne pas par conséquent les contractuels des collectivités
territoriales régis par la loi n° 47/96 ADP du 21 novembre 1996 portant statut général des agents des collectivités territoriales. Cette loi fait
suite à la ZATU AN VIII/bis /FP/PRES du 2 mai 1991 qui n’a jamais été appliquée.
Elle ne concerne pas non plus les militaires servant sous contrat d’engagement régis par les articles 127 à 135 de la loi n° 009/98/AN du 16
avril 1998 portant statut général des personnels des forces armées nationales.
2
Voir Jean-Marie BRETON, «Droit de la fonction publique des Etats d’Afrique francophone », E.D.I.C.E.F./A.U.P. E.L.F., 1990, P39.
3
Voir Claude LECLERCQ-André CHAMINADE, « Droit administratif », Litec, 1992, P466
4
Voir Pascale WOLFCARIUS, « Le contenu et l’ évolution du principe d’égalité dans l’accès à la fonction publique », in Travaux du Centre
de philosophie du droit de l’université Libre de Bruxelles, l’égalité-vol VII, Bruxelles, Bruylant, 1982, P. 156.
5
Voir J.O.H.V. du 6 août 1960, p. 707.
La loi n° 7-63, AN du 29 janvier 1963 a prescrit la fin du recrutement des agents temporaires. Mais c’est le décret n° 78-499 du 1er décembre
1978 pris à une période de vide constitutionnel, qui est venu mettre fin à leur recrutement en favorisant leur intégration dans la fonction
publique ; malgré tout, ce corps a survécu.
Toutefois, ces agents ne doivent pas être confondus avec une catégorie particulière d’agents temporaires créée par le Conseil national de la
Révolution à titre de sanction, par décret n° 85-136 – CNR – PRES – DN – AC du 4 mars 1985 . Il s’agit des agents temporaires du
Programme populaire de développement .
6
Son article 2 dispose : « le présent statut de gestion du personnel de l’Etat s’applique aux militaires et aux personnes liées à l’Etat par un
contrat de travail du point de vue de la rémunération et des avantages indemnitaires qui sont versés aux agents Publics… »
7
son article 2 dispose : « le présent statut ne s’applique pas aux militaires, aux personnels des établissements publics, aux personnels des
collectivités publiques locales et aux personnes liées à l’Etat par un contrat de travail ».
8
La plupart des législations tendent à réduire les agents non titulaires, en l’occurrence les agents contractuels. Voir sur ce point JeanFrançois LACHAUME, « La fonction publique », Dalloz, 1992, P9.
9
Le système de la carrière est celui dans lequel l’agent public, une fois recruté, devient membre d’un corps ou d’un cadre hiérarchisé
comportant des emplois de niveau différent, où il passera toute sa vie professionnelle en franchisant divers grades et en occupant
successivement divers postes. Il s’agit d’un système de « structure fermée » en ce sens où la fonction publique occupe une place dans
l’ensemble de la Nation… et repose sur les deux notions fondamentales inhérentes à la structure fermée : la notion de statut et celle de
carrière. Le civil service britannique en est également une illustration typique. Voir Vassilios KONDYLIS, » Le principe de neutralité dans
la fonction publique, » LGDJ, 1994, p. 19. ; André DE LAUBADERE, « Traité de droit adminisratif », 6e édition LGDJ 1980, p. 39.
10
Le système d’emploi désigne un système dans lequel l’agent public est recruté pour occuper un poste déterminé auquel il reste en principe
affecté aussi longtemps qu’il est au service de l’Administration. Dans le cadre de ce système qualifié de « structure ouverte », la fonction
publique est un métier comme les autres et l’administration, une entreprise restaurant et gérant ses personnels dans les mêmes conditions
que toute autre entreprise. Voir Vassilios KONDYLIS, op. cit, p. 18. et A. DE LAUBADERE, op. cit, p. 38.
Le contexte africain est marqué depuis quelques années par un important mouvement de réformes administratives
dominées par l’approche managériale dont l’un des principes est la recherche de l’efficacité dans la gestion des affaires
publiques. Le cas typique est la réforme du statut de la fonction publique en République centrafricaine à l’issue de laquelle
une réforme du statut général a été recommandée par des experts extérieurs en l’orientant vers un système d’emploi à travers
l’implantation progressive d’un système de classification des emplois basé sur les tâches et prenant en considération une
rémunération liée à l’emploi exercé11.
Au plan international, on assiste à la poussée des dynamiques externes dominées par les exigences de l’ordre libéral que
préconisent les institutions de Bretton Woods pour la maîtrise des effectifs des agents de l’Etat et des dépenses budgétaires
du personnel administratif, la crise de l’Etat providence y étant pour beaucoup. A cela, s’ajoute la diabolisation du système
de carrière12. En effet, pour la Banque Mondiale, l’idéologie du service public dont est porteuse la fonction publique de
carrière est devenue obsolète13.
Au plan national le besoin de rénover l’administration générale s’est révélé une nécessité tant pour les agents publics qui
n’hésitent pas à dénoncer les dysfonctionnements de la fonction publique, que pour ses usagers dont les exigences se font de
plus en plus pressantes. Le thème suivant de l’Assemblée générale des agents du Ministère de la fonction publique et du
développement institutionnel tenue le 24 janvier 2002 montre bien que ces exigences restent toujours d’actualité : « la qualité
des prestations de services au sein du Ministère de la fonction publique et du développement institutionnel : bilan et
perspectives14 ».
Ainsi, après les réformes de 1986 et de 1988 confinées à la carrière et à la situation professionnelle des agents publics, et
les deux conférences annuelles de l’administration publique portant sur l’action de l’administration (CAAP) tenues
respectivement en octobre 1993 et en janvier 1995 sous l’égide du Ministère de la fonction publique et de la modernisation de
l’administration, une réforme globale de l’administration publique a été entreprise en 1998. Cette réforme qui tient compte
des conclusions de la conférence tenue en décembre 1997 sur les missions et le rôle de l’Etat s’appuie sur les principes et
méthodes du management public. Mais auparavant, des audits organisationnels des ministères et institutions ont été conduits
par le Ministère de la fonction publique et de la modernisation de l’administration15 qui est devenu le Ministère de la fonction
publique et du développement institutionnel. Il s’est par la suite mué en Ministère de la fonction publique et de la réforme de
l’Etat en vertu du décret 2002-205/PRES/PM du 10 juin 2002 portant composition du gouvernement.
La loi n° 013/98/AN du 28 avril 1998 précitée, dont les dispositions relatives aux agents contractuels de l’Etat intéressant
nos propos, s’inscrit dans cette réforme globale.
Au-delà du contexte d’élaboration de cette réforme, cette loi est importante à plus d'un titre.
D’abord, la littérature sur cette thématique, c’est-à-dire sur la situation des agents non titulaires, en l’occurrence, des agents
contractuels au Burkina Faso, est quasi inexistante. La plupart des écrits se préoccupent surtout du sort des agents titulaires16.
Ensuite, c’est une expérience de gestion combinée que le Burkina Faso, pays pauvre très endetté (PPTE), tente pour la
première fois à travers un texte unique. Pour appréhender cette expérience qui semble privilégier les emplois, il est important
d’examiner les traits essentiels de ce système contractuel (I). Mais à l’analyse, l’on se rend compte que ce système
s’apparente beaucoup à la situation du fonctionnaire et se complexifie d’autant (II).
I.
Les fondements juridiques et managériaux du nouveau système contractuel
Bien que le Burkina Faso ait toujours appliqué la conception statutaire du lien de service à l’instar des autres pays
africains francophones, son administration publique a toujours compté en son sein des agents contractuels et des agents
temporaires dont le régime juridique était séparé de celui des fonctionnaires.
Mais pour la première fois en 1998, le législateur, sans rompre totalement avec cette approche de la gestion du personnel
administratif, a, dans une optique managériale, introduit la gestion par voie contractuelle dont il convient à présent
d’examiner le contenu juridique (A) et les enjeux (B).
11
Voir Laurent BILLY, « Création et effectivité du droit de la fonction publique en Afrique francophone », in Dominique DARBON et Jean
du Bois de GAUDUSSON, Création du droit en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 354.
12
Voir Laurent BILLY, op. cit., p. 354.
13
Voir Augustin LOADA, « Où en est l’Administration publique ?, in C.E.A.N. L’Afrique politique – réformes des Etats africains, Karthala
2001, p. 29.
14
Voir Quotidien Burkinabè l’Observateur Paalga du vendredi 25 au dimanche 27 janvier 2002, p. 3.
15
Voir Ministère de la fonction publique et du développement institutionnel : « atelier de formation sur la mise en œuvre de la réforme
globale de l’Administration publique ». Burkina Faso, mai 1999, p. 15.
16
Comme l’atteste la bibliographie par Etat indiquée dans l’ouvrage de Jean-Marie Breton, op. cit, p. 257.,
A cette bibliographie s’ajoutent les références suivantes : Georges G. BAMBARA, « Evaluation des emplois et des performances dans les
fonctions publiques africaines : cas du Burkina Faso, in Cahiers africains d’Administration Publique, n° 42, 1994, p. 59-69 et Zachael KI,
» La fonction publique », Polycopié ENAM, Ouagadougou 2001-2002. Voir enfin Le droit de la fonction publique dans les pays d’Afrique
de l’Ouest, in cahiers de l’université de Perpignan, n° 6 et 7, 1989, 392.p.
Le régime juridique des agents contractuels
Tout en appliquant le système dit de la carrière, tous les pays africains ont été amenés à un moment ou à un autre à recruter
un nombre croissant de contractuels ou d’auxiliaires qui ne bénéficient pas de garanties accordées aux titulaires17. Mais
depuis, des efforts sont déployés çà et là en vue de la titularisation des agents contractuels18. Malgré tout, cette catégorie
d’agents publics n’a pas disparu. Mieux, au Burkina Faso, son sort a connu des améliorations par son ancrage institutionnel.
En effet, selon l’article 8 de la loi de 1998, les agents contractuels sont avec les fonctionnaires, les seuls agents de la fonction
publique. Il convient d’examiner le régime juridique auquel ces agents contractuels sont soumis. Cet examen passe par
l’analyse des dispositions légales relatives au recrutement de ces agents et à la modification et résiliation du contrat qui les lie
à l’administration.
Selon l’article 180 de la loi, « l’engagement individuel d’un agent s’effectue par un contrat de travail écrit et signé du
Ministre dont relève l’emploi sous réserve de l’observation des autres formalités prévues par la législation du travail en
vigueur. L’acte d’engagement est contresigné par l’agent contractuel concerné ». Cette disposition appelle quelques
remarques.
On est en présence d’un contrat écrit. Les contrats verbaux admis en droit du travail19 sont donc exclus. De plus, il s’agit
d’un contrat de travail de droit public et non d’un contrat de travail soumis au droit commun qui est gouverné par le principe
de l’autonomie de la volonté qui implique la liberté non seulement de s’engager mais également celle de fixer le contenu du
contrat.
Le contenu du contrat de travail de droit public est défini unilatéralement par l’administration, c’est à dire sans le
consentement du cocontractant20. Sa seule alternative est de contresigner ou non le contrat. Les parties n’étant pas placées
sur un pied d’égalité, il s’ensuit un déséquilibre du contrat. Mais ce déséquilibre n’est pas propre au droit public. En effet, le
droit public n’a pas le monopole des contrats inégaux. En droit privé, les contrats d’adhésion sont également rédigés
unilatéralement par l’une des parties et l’autre n’a aucune possibilité réelle de les modifier21.
Les agents parties à un contrat de travail conclu dans les conditions prédéfinies sont des agents de droit public. Ils se
distinguent des agents de droit privé qui relèvent des conventions collectives de travail22.
Au Gabon par exemple, les agents contractuels, qu’ils soient gabonais ou expatriés, étaient régis par la convention
collective du 3 juillet 1959 et par les protocoles d’accord des 19 et 23 février de la même année qui les soumettaient à un
régime juridique intégralement de droit privé23.
Si la loi burkinabé de 1998 est précise sur la situation juridique de l’agent contractuel, il n’en va pas de même partout. En
France par exemple, la distinction entre agent de droit public et agent de droit privé n’a pas toujours été aisée24 et l’on en est
venu à se demander si la qualité d’agent public s’acquiert seulement par le fait d’être employé par une personne publique.
Cette question a conduit la jurisprudence française à poser un certain nombre de critères. Ainsi, selon le Conseil d’Etat, la
condition juridique du personnel des services publics à caractère administratif (SPA) ne se pose pas. Ce sont des agents
publics parce qu’ils sont recrutés sur la base d’un acte unilatéral de nomination25.
Le problème se pose à propos des agents recrutés par contrat. Sur ce point, des voix s’élèvent pour exiger une évolution.
René Chapus estime par exemple que la jurisprudence Affortit-Vingtain qui reconnaît la qualité d’agent public aux
personnels des SPA devrait évoluer vers la reconnaissance aux personnels recrutés par contrat pour occuper un emploi dans
un service administratif de la qualité d’agent public. Il suffit pour qu’il en soit ainsi que les contrats d’engagement soient
17
Voir Alain PLANTEY, « considérations générales sur l’administration de l’Etat africain », in sous la direction de Gérard CONAC, les
institutions administratives des Etats francophones d’Afrique Noire, économica, 1979, p. 13 et Gérard TIMSIT, « l’évolution des droits de
la fonction publique dans les Etats d’Afrique Noire francophone », in sous la direction de Gérard CONAC, op. cit., p. 55.
18
Voir décret burkinabè n° 78-499 du 1er décembre 1978 précité ; en France, la loi du 11 juin 1983 a prévu leur titularisation. Elle n’autorise
désormais leur recrutement que dans des cas limites. Sur ce point, voir Olivier COUDRAY ; « Le recrutement d’un agent public pour une
durée déterminée et la qualification du contrat en contrat à durée indéterminée. Note sous TA de grenoble, 27 décembre 1996 et 3 avril
1998 (2 espèces). 1er) Mme Pellegrini ; 2e) Mme Simon Chautemps, AJDA 1999, p. 823.
19
En effet, selon l’article 10 de la loi n° 11/92/ADP du 22 décembre 1992 portant code du travail, … "Est considéré comme contrat de travail
toute convention écrite ou verbale, par laquelle une personne, appelée travailleur, s’engage à mettre son activité professionnelle,
moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une autre personne, physique ou morale, publique ou privée, appelée
employeur ".
20
Voir Jean Michel DE FORGES, « Droit de la fonction publique », P. U.F., 1986, p. 68.
21
Voir François TERRE, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE « Droit civil, les obligations », 6e édition, Dalloz 1996, p. 61 et Jacques
GHESTIN, « Traité de droit civil, la formation du contrat, » L .G.D.J., 3e édition, 1993, p. 75 et suiv.
22
La convention collective du travail est un accord relatif aux conditions de travail conclu entre, d’une part, les représentants d’un ou de
plusieurs syndicats ou groupements professionnels de travailleurs, et d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales d’employeurs
ou tout autre groupement d’employeurs ou un ou plusieurs employeurs pris individuellement, article 59 de la loi précitée n° 11/92/ADP.
23
Voir Max REMONDO, «Le droit administratif gabonais », L.G.D.J., 1987, p. 256.
24
Voir Guy BRAIBANT, « Le droit administratif français », Dalloz 1998, p. 322
25
Voir les arrêts suivants : CE, 4 juin 1954, Affortit et Vingtain, Rec. 342 ;
CE, 10 mars 1959, Lauthier, Rec. 198
TC, 25 novembre 1963, Dame Veuve MAZERAND, Rec. 792.
tenus pour administratifs en raison du simple fait qu’ils ont pour objet de faire participer directement ou non le cocontractant
au fonctionnement d’un service administratif26.
De ce point de vue, le législateur burkinabé semble avoir répondu à cet appel en faisant d’une personne recrutée par voie
contractuelle pour participer à l’exécution d’un service public un agent public.
Les développements qui précèdent montrent par conséquent que la voie contractuelle n’entraîne pas une remise en cause
du pouvoir unilatéral de l’administration ou des fondements traditionnels du droit administratif au niveau de la formation du
contrat. Les mêmes considérations sont valables également au niveau de son exécution et de sa résiliation. En effet, « pour les
nécessités du service, l’administration peut modifier à tout moment les clauses du contrat. Ces modifications ont lieu suivant
la même procédure et dans la même forme que celle qui ont présidé à l’engagement27 ». Ce pouvoir dérogatoire du droit
commun s’exerce dans le respect du principe du parallélisme des formes. L’Etat peut dans ces conditions et après notification
écrite de son projet modifier l’étendue des droits et des obligations des agents publics sans leur consentement car leur
situation statutaire et réglementaire ne leur confère aucun droit acquis. Mais contrairement aux autres contrats administratifs,
la modification s’étend aux clauses financières28.
En effet, ici, l’administration peut modifier unilatéralement la rémunération prévue par le contrat si celle-ci est fixée par
référence à un statut29.
L’Administration peut également licencier avec préavis et indemnité compensatrice l’agent contractuel en vertu de ses
prérogatives de puissance publique, pour suppression d’emploi résultant d’une réduction d’activité ou d’une réorganisation
des services. Ce licenciement pour "motif économique" a fait ses premiers pas en droit social30.
Les dispositions de l’article 180 laissent enfin apparaître une volonté d’assouplissement de la procédure de recrutement des
agents publics de l’Etat. On sait en effet que, par le passé, le recrutement de ces agents était centralisé au niveau du Ministère
chargé de la fonction publique. Désormais, et dans une perspective de rationalisation, la procédure a été déconcentrée dans la
mesure où seul le Ministre de tutelle de l’agent contractuel intervient dans la formation du contrat de travail. En principe, leur
recrutement concerne tous les Ministères à l’exception des Ministères de souveraineté (justice, sécurité, défense nationale,
affaires étrangères, finances, fonction publique), ou des Ministères chargés de la mise en œuvre des missions jugées
stratégiques par l’Etat. Mais pour certaines tâches précises, ces derniers peuvent recourir aux contractuels. Dans tous les cas,
l’agent contractuel ne peut occuper un emploi de conception, de prestations intellectuelles et techniques de haut niveau,
concourant à l’exécution des missions d’orientation, de formation, de contrôle et de suivi-évaluation des politiques
sectorielles de l’Etat31.
Actuellement, et en raison du gel des recrutements à la fonction publique consécutivement au Programme d’ajustement
structurel auquel le Burkina Faso a souscrit depuis 1991, seuls les Ministères jugés prioritaires sont autorisés à recruter des
agents publics. Il s’agit du Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation (MEBA), du Ministère de la Santé et
du Ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique (MESSRS).
Cette volonté de déconcentration n’est pas nouvelle. En effet, dans le droit des marchés publics régi par le décret n°96059/PRES/PM/MEF du 7 mars 1996, le processus de passation de ces marchés est diligenté par les commissions d’attribution
des marchés sous la responsabilité des Ministres ou Chefs d’institutions concernées, même si le Ministre chargé des finances
ou ses représentants signent tous les marchés publics32
Quoiqu’il en soit, le contrat, qui est en principe d’une durée indéterminée33,
n’implique aucune titularisation34 de l’agent contractuel dans un emploi de fonctionnaire même s’il occupe un emploi
permanent, sauf s’il est de nationalité burkinabé.
Il ne bénéficie donc pas de la protection que la titularisation assure au fonctionnaire. Et pour être définitif, son engagement
doit être précédé d’une période d’essai35.
26
Voir René CHAPUS, « Droit administratif général », Montchrestien, 8e édition, 1995, Tome II, p. 29 et suiv.
Article 202 de la loi de 1998.
28
Article 203 alinéa.
29
Voir Jean Marie AUBY et Jean Bernard AUBY, « Droit de la fonction publique – Etat, collectivités locales, Hôpitaux », 3e édition, Dalloz
1997, p. 254.
30
Article 38 du code du travail burkinabé.
31
Article 57 de la loi n° 013/98.
32
Article 4 in fine dudit texte.
33
Article 182, de la loi de 1998. « Tout engagement a lieu en principe pour une durée indéterminée ».
Les engagements à durée déterminée ne sont envisagées que pour l’exécution de travaux limités, dans le temps ou pour pourvoir à un
remplacement dont la durée est précisée dans le contrat… ». Sur la durée des contrats de travail, voir Mustapha TOURE, "Le contrat de
travail", in Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome 8-droit des relations professionnelles, p. 161.
34
Article 177 « la nomination des agents contractuels à un emploi permanent ou non permanent ne leur confère aucune vocation à être
titularisé dans un emploi de fonctionnaire ».
Toutefois, les contractuels de nationalité burkinabé occupant un emploi permanent peuvent accéder aux emplois de fonctionnaire dans les
conditions normales de recrutement des fonctionnaires… ».
35
Article 184.
27
Enfin, bien que les dispositions de la loi de 1998 n’aient pas encore donné lieu à un contentieux selon les enquêtes que
nous avons faites auprès des juridictions administratives du pays, il n’est pas exclu que des litiges naissent un jour quand on
sait qu’au Burkina Faso le contentieux administratif est largement dominé par le contentieux de la fonction publique. En
effet, les recours juridictionnels des fonctionnaires sur les questions de carrière et de discipline représentent près de 80 % du
contentieux de la fonction publique36 . La raison est fort simple : les fonctionnaires sont mieux à même de connaître leurs
droits et les procédures instaurées pour en permettre la défense37.
Ces litiges peuvent se rapporter à la formation du contrat, à son exécution et à sa résiliation. Ils ressortissent à la
compétence des juridictions administratives c’est-à-dire des tribunaux administratifs créés par la loi n° 21/95/ADP du 16 mai
1995 dans le ressort territorial des onze tribunaux de grande instance qui couvrent le pays, d’une part, et du Conseil d’Etat
créé par la loi organique n° 15-2000/AN du 23 mai 2000, d’autre part. Mais ils relèvent du juge de plein contentieux ou de
pleine juridiction et non du juge de l’excès de pouvoir. Cette règle est d’ordre public. Le recours pour excès de pouvoir n’est
recevable que pour les actes détachables des contrats, c’est-à-dire les décisions se rapportant à l’exécution et à la résiliation
du contrat si l’agent contractuel les estime illégales.
Les développements qui précèdent montrent que la fonction publique au Burkina Faso n’est plus exclusivement dominée
par le système de carrière. En effet, sans être supprimé, celui-ci coexiste désormais avec une autre technique juridique propre
au droit privé et qui se rapproche du système de l’emploi.
Ils démentent ainsi un constat invariablement fait à savoir l’imitation souvent excessive du modèle de l’ancienne
métropole38. Pourquoi cette mutation ? C’est à cette question qu’il convient à présent de répondre.
Les enjeux du système contractuel
Quelle est la philosophie qui sous-tend cette vieille formule aujourd’hui
réévaluée ? Le système de carrière donne-t-il des signes d’essoufflement pour que l’on veuille l’accompagner d’une
technique alternative d’intervention ? En un mot, qu’est-ce qui justifie ce réaménagement dans la gestion de la fonction
publique ? Plusieurs facteurs conjugués ont conduit selon nous l’administration à procéder à cette réforme.
Le premier facteur favorable est lié au souci de bonne gouvernance. En effet, dans le Plan National de bonne gouvernance,
que le Burkina Faso a adopté en 1998, on peut lire : « L’administration est l’instrument privilégié d’intervention de l’exécutif
pour la réalisation de ses politiques. Il importe donc que celle-ci soit réformée pour s’adapter à la nouvelle dimension des
missions de l’Etat et à l’environnement socio-économique et politique. Aussi, les actions à entreprendre pour augmenter la
productivité publique dans la perspective de la réalisation des objectifs de développement seront aussi bien relatives aux
capacités d’organisation, de gestion et de coordination de l’administration »39.
A cela, s’ajoutent d’autres facteurs :
- l’altération de la notion d’intérêt général par les nombreuses privatisations d’entreprises publiques40 ;
- le fait que l’administration soit de plus en plus perméable aux courants qui traversent la société41 et le fait que le système
de l’emploi dont la filiation avec le système contractuel ne fait aucun doute, sont un idéal réputé apte à promouvoir une
responsabilité plus accrue (accountability) des agents publics et plus flexible que le système de carrière42 ;
- L’Etat de droit ne peut s’épanouir que dans une administration efficace mise au service des citoyens, transparente,
prévisible et contrôlable 43 ;
- Le système de la fonction publique de carrière conçu par la puissance publique pour régir plusieurs milliers d’agents est
inadapté sans doute à cause de sa rigidité imputable à sa lourdeur, et est peu perméable au concept de responsabilité44.
Aussi, la logique de corps, de statut et de fonction, devrait-elle céder la place à une logique de résultat et de responsabilité.
Tout ceci passe par l’édification d’une administration de développement basée sur le mérite, le professionnalisme, une
administration qui ne se désintéresse plus de la productivité. Certes, la fonction publique n’a pas pour but la rentabilité
parce qu’elle doit offrir des services et satisfaire aux besoins essentiels des usagers, mais elle ne
36
Voir Christian HEN, Albert LOURDE, Jacques BURNOUF, « Les droits et obligations des fonctionnaires et leurs sanctions », in cahiers
de l’université de Perpignan. Le droit de la fonction publique dans les Pays d’Afrique de l’Ouest-, n° 6 et 7, 1989, p. 166. Voir également
Ahmed Tidjani BA, "L’évolution de la juridiction administrative en Haute-Volta", Thèse, Clermont-Ferrand, 1986, p. 636 ; Salif
YONABA, « La pratique du contentieux administratif en droit burkinabé : de l’indépendance à nos jours », Université de Ouagadougou,
2001, p. 51 et surtout p. 161 à 193 ; Benoît KAMBOU, Cour Suprême de Haute-Volta, Chambre administrative, 27 décembre 1968
K.N.L., Revue Voltaïque de droit n° 5, 1984, p. 49 (note jurisprudentielle sur la reconstitution de carrière d’un agent public).
37
Voir Jean-Marie BRETON, op. cit., p. 238.
38
Voir Alain PLANTEY, « Considérations générales sur l’administration de l’Etat africain », op. cit., p. 13 et Gérard Timsit, op. cit., p. 55.
39
Voir le Plan National de bonne gouvernance, p. 15.
40
Voir F. Michel SAWADOGO « La privatisation des entreprises au Burkina Faso », Revue burkinabé de droit, n° 27, janvier 1995, pp. 938. »
41
Cf. Yves MADIOT« Les tendances récentes du droit de la Fonction publique », Dalloz 1974, chron XLY, P 253
42
Voir Augustin LOADA, op. cit., p. 43.
43
Voir la modernisation des fonctions publiques africaines. Actes du colloque de Cotonou, novembre 1991, Ministère français de la
Coopération et du développement, 1992, P. 229.
44
Voir Marcel POCHARD, « Quel avenir pour la fonction publique ? » AJDA, 2000 n° 1, p. 13.
- peut tourner le dos à la productivité administrative45. Le souci d’améliorer cette productivité est relativement nouveau car
pendant longtemps, les notions d’efficience, de compétitivité, de rentabilité ont été jugées incompatibles avec la logique du
fonctionnement administratif46, l’administration n’étant pas un commerçant.
Dans le même sens, d’autres soulignent la quasi absence d’un système promotionnel liant les récompenses aux
performances, et une absence d’efficacité, de productivité et de motivation des agents au travail47.
D’autres vertus du système contractuel ont également guidé le choix du législateur burkinabé.
En effet, on a fait remarquer qu’elle assouplit les relations entre les personnes publiques et leurs agents48 en desserrant
l’étreinte unitaire et statutaire, et leur confère une grande latitude d’adaptation de leurs modes d’intervention49. En effet, elle
offre des possibilités certaines d’adaptation à des situations diverses ou des possibilités d’arrangements particuliers50. Le fait
que l’affectation des agents contractuels ait lieu de façon discrétionnaire et peut être modifiée à tout moment pour nécessités
de service51 se situe assurément dans cette dynamique. Le système contractuel permet donc une grande mobilité du personnel
que l’administration pourra déployer à souhait. De plus, nul n’ignore que les agents contractuels peuvent être licenciés sans
difficultés juridiques majeures. L’administration pourra ainsi mettre fin ad nutum à leur contrat pour "cause économique" et
en cas de transfert de compétences aux collectivités locales52.
De ce fait, on peut logiquement inférer que le système contractuel est un instrument de dégraissage de la fonction publique
en ce sens qu’il permet une déflation en matière d’effectifs, (même si tel n’est pas l’objectif poursuivi par le législateur),
toutes choses que redoutent les syndicats des agents publics notamment la Confédération générale des travailleurs du Burkina
(C.G.T.B.) et certains partis politiques. Le groupe parlementaire du Parti pour la démocratie et le progrès (PDP) n’a-t-il pas
qualifié la loi de 1998 de « diktat du Fonds Monétaire International (F.M.I.)53 ».
Il permet également de ne plus augmenter exagérément le nombre de fonctionnaires titulaires. Cela dit, la question qui
vient naturellement à l’esprit est de savoir si la fonction publique burkinabé est pléthorique. Jean-Marie Breton constate que
les effectifs des fonctions publiques africaines sont pléthoriques54 mais, ce constat général gagnerait à être nuancé car dans le
cas du Burkina Faso, le problème devrait se poser plutôt en termes de répartition harmonieuse des effectifs sur l’ensemble du
territoire national55. En effet, le ratio du nombre de fonctionnaires par rapport à la population totale est plus que raisonnable
dans la plupart des pays africains : un fonctionnaire pour 2500 personnes au Burkina Faso contre un fonctionnaire pour 800
personnes environ en Belgique56.
Dans le cas également du Tchad, l’administration ne semble pas encore saturée de cadres, le vrai problème est plutôt celui
de leur utilisation rationnelle57.
Ce système contractuel dont on loue les qualités (salaire plus élevé que celui des fonctionnaires), a cependant des
implications qui sont en rupture avec la conception traditionnelle de la fonction publique.
Premièrement, ainsi qu’il a été déjà relevé, le droit de la fonction publique perd de sa spécificité et le recrutement des
agents contractuels de son caractère exceptionnel.
Deuxièmement, la fonction publique n’est plus conçue comme un tout unique ou un bloc unitaire58, puisque le monopole
des fonctionnaires dans l’exécution des services publics à caractère administratif est désormais brisé. Ils ne sont plus les seuls
acteurs essentiels de la fonction publique dans la mesure où elle n’est plus enfermée seulement dans la forteresse de son
statut. On est en présence désormais d’une fonction publique à deux vitesses, c’est-à-dire d’une fonction publique où
cohabitent deux systèmes.
Cette inflexion dans la gestion du personnel administratif de l’Etat n’implique pas cependant un cloisonnement ou une
séparation étanche entre les deux systèmes. La loi n°13/98, qui régit conjointement les agents contractuels et les
fonctionnaires, tend à rapprocher ces deux catégories d’agents publics, ce qui dénature le système contractuel et augure d’un
avenir difficile.
II.
45
L’originalité et les difficultés d’application du nouveau système contractuel
Voir Laurent BLANC, « La fonction publique », que sais-je ?, op. cit., p. 81.
Voir Jacques CHEVALLIER, « Sciences administrative », P. U.F, 1986, p. 515.
47
Voir la modernisation des fonctions publiques africaines. Actes du colloque de Cotonou, op. cit., p. 130.
48
Voir Jean-François LACHAUME, PUF, 1986.
49
Voir Jean Marie BRETON, op. cit. ? p. 64.
50
Voir René CHAPUS, op. cit., p. 58 et Alain PLANTEY, «Traité pratique de la fonction publique », op. cit., p. 79.
51
article 200 alinéa 2.
52
article 218.
53
Voir le quotidien burkinabé, l’Observateur Paalga n° 4644 du 29 avril 1998, p. 3.
54
Voir Jean-Marie BRETON, op. cit., p. 241.
55
Voir Actes du Colloque de Cotonou, op. cit., p. 229.
56
Voir Augustin LOADA, op. cit., p. 40. Le nombre d’agents publics au Burkina Faso est estimé à 55 798, voir déclaration du Premier
Ministre du 28 mars 2002 sur l’Etat de la Nation, Observateur Paalga du 2 avril 2002, p. 20.
57
Neldita DENO-HORNGAR, « La réforme de la fonction publique tchadienne » in cahiers de l’université de Perpignan, op. cit, p. 80-81.
58
Voir Jacques CHEVALLIER, « La Politique française de modernisation administrative ; Mélanges Guy BRAIBANT, l’Etat de droit,
Dalloz, 1996, p. 84.
46
En principe, les agents contractuels et les fonctionnaires ne se trouvent pas dans une situation juridique similaire au regard
du service public. Ils sont soumis à des réglementations différentes. Mais la loi de 1998 qui régit conjointement ces deux
catégories d’agents publics tend à les rapprocher (A) créant ainsi un système de fonction publique hybride et donc peu
orthodoxe, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d’application (B).
A) Les analogies du système contractuel avec la situation du fonctionnaire
La situation des agents nommés et celle des agents engagés par contrat obéissent à différents systèmes de fonction
publique. Mais la pratique montre que les antagonismes et les différences sont beaucoup moins tranchés que ces expressions
le laissent supposer. En effet, comme le reconnaît Jean-Marie Breton, la plupart des systèmes contemporains de fonction
publique tendent à réaliser un amalgame plus ou moins satisfaisant d’éléments empruntés à l’un ou à l’autre modèle59.
Le nouveau droit de la fonction publique burkinabé s’inscrit dans cette dynamique. La loi de 1998 et les décrets
d’application qui l’accompagnent le confirment tant du point de vue des obligations professionnelles des agents contractuels
et des fonctionnaires, que du point de vue de leurs droits.
1) Du point de vue de leurs obligations professionnelles
Selon l’article 190 de ladite loi, l’agent contractuel est soumis à deux types d’obligations : les obligations générales qui
s’imposent à tout agent public et les obligations qui lui sont spécifiques.
Les obligations générales sont celles énumérées aux articles 15 à 26 de la loi. Elles sont classiques. Aussi, les
développements qui leur sont consacrés seront-ils concis.
A titre d’illustration, quatre obligations, qui ne sont pas des moindres, seront examinées successivement.
* L’obligation de servir avec loyauté, probité et patriotisme les intérêts
de la collectivité nationale, de l’Etat et des administrations au sein desquelles agents contractuels et fonctionnaires sont
employés, l’abandon de poste étant sanctionné sans procédure disciplinaire60.
* L’obligation d’exercer effectivement sa fonction.
Cela suppose que l’agent public consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées et
qu’il est responsable de l’exécution de ses tâches. Il en découle l’obligation de servir, d’occuper personnellement son emploi
et de s’y consacrer à titre exclusif. Bien entendu, la sous-traitance reste interdite. Il peut cependant, en tant qu’autorité
administrative, déléguer ses pouvoirs conformément aux textes en vigueur.
Naturellement, il ne peut et ne doit exercer une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, ni avoir pour luimême ou par personnes interposées sous quelque dénomination que ce soit des intérêts dans une entreprise. Que faut-il
entendre par activité privée lucrative ? S’agit-il d’activité essentiellement commerciale ou de toute activité parallèle ? Sur ce
point, la loi manque de clarté. C’est une insuffisance que les rédacteurs de l’Acte uniforme de l’OHADA (organisation pour
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique) portant sur le droit commercial général ont évitée puisque l’article 9 alinéa 1
de cet instrument international dispose que l’exercice du commerce est incompatible avec la qualité de fonctionnaire, de
personnel des collectivités publiques et des entreprises à participation publique. Une certitude cependant. Cette imprécision
qui n’est pas propre au législateur burkinabè vise partout à éviter l’affairisme car l’agent public peut être tenté de sacrifier
l’intérêt du service au profit de l’activité privée.
Dans l’orthodoxie de la fonction publique de carrière, cette interdiction de cumul peut se comprendre aisément. Mais dès
lors que la fonction publique utilise des techniques de droit privé en matière de gestion des ressources humaines, fermer la
porte à toute activité privée lucrative, peut paraître excessif vu la situation précaire dans laquelle se trouve l’agent contractuel
(instabilité de l’emploi, absence de titularisation). Seules les activités de commerce doivent par conséquent leur être interdites
mais des gardes fous doivent être ménagés pour assurer le strict respect de cette interdiction. Cela suppose nécessairement
une relecture de la loi de 1998 qui déboucherait sur une définition de la notion d’activité privée lucrative et qui ne fermerait
pas toutes les sociétés commerciales aux agents publics de l’Etat. En effet, si les sociétés de personnes ou sociétés par intérêt
(sociétés en nom collectif, sociétés en participation …) sont interdites aux agents publics de l’Etat, les sociétés telles les
sociétés à responsabilité limitée (S.A.R.L.) et les sociétés anonymes (S.A.) leur sont ouvertes. La raison est fort simple : la
qualité de l’actionnaire importe peu dans les sociétés de capitaux car l’actionnaire se préoccupe plus du montant du dividende
ou des espoirs de plus-value en capital de son titre que de l’activité de la société61.
Cette interdiction connaît cependant un assouplissement : les agents de la fonction publique peuvent effectuer des
expertises ou des consultations, donner des enseignements se rattachant à leur compétence, faire de la production agropastorale et réaliser des œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques.
59
Voir Jean-Marie BRETON, op. cit, p. 22.
Voir décret n° 98-374/PRES/PM/MFDI/MEF du 15 septembre 1998 portant modalités de mise en demeure des fonctionnaires et
contractuels de l’Etat en cas d’abandon de poste ou de refus de rejoindre le poste assigné.
Voir sur la question des obligations des fonctionnaires, Christian HEN, Albert LOURDE, Jacques BURNOUF, « Les droits et obligations des
fonctionnaires et leurs sanctions », in Cahier de l’université de Perpignan, op. cit., p. p. 133/168.
61
Voir Yves GUYON, Droit des affaires. Droit commercial général et société, Tome 1, Paris, Economica, 9é édition, 1996, p. 270.
60
Sur l’expertise, les pouvoirs publics ont pris trois textes qui témoignent de leur volonté de promouvoir ce secteur62.
Ces textes favorisent entre autres l’accès des agents publics de l’Etat à la consultation notamment individuelle. On se
souvient que cette accessibilité était rendue difficile à cause de la rigidité des textes antérieurs relatifs à la fonction publique.
Les agents contractuels de l’Etat disposent donc désormais comme les fonctionnaires d’un cadre juridique pour mettre en
valeur leurs connaissances au plan professionnel, scientifique et technologique.
Bien entendu, cette obligation d’exercer effectivement sa fonction est suspendue en cas d’accident du travail ou de maladie
professionnelle63 contractée par l’agent contractuel, lorsqu’il est appelé sous les drapeaux64 et s’il exerce un mandat politique
ou syndical65.
* Outre l’obligation de servir avec loyauté et l’obligation d’exercer effectivement sa fonction, l’agent contractuel
doit exercer sa fonction dans le respect des ordres hiérarchiques. Mais cette obligation d’obéissance ne signifie
pas obéissance aux options politiques des supérieurs, ni obéissance aux orientations politiques du gouvernement.
* L’agent contractuel doit en plus faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou
documents dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et dont la
divulgation est de nature à nuire aux intérêts du service public.
Cette obligation est doublée de l’obligation de secret professionnel qui concerne les renseignements acquis par l’agent dans
l’exercice de ses fonctions relativement aux particuliers.
* Enfin, l’agent contractuel est tenue à l’obligation de neutralité. Cela suppose qu’il doit assurer le service public à
l’égard de tous dans les mêmes conditions, de façon impartiale, sans discrimination de caractère politique, philosophique ou
religieux.
Il doit également s’abstenir de toute propagande et éviter d’apparaître comme l’homme d’un parti politique, d’une église
ou d’un groupe spirituel. Par conséquent, il ne doit pas se servir de ses fonctions pour répandre ses convictions ou pour faire
du prosélytisme politique ou religieux66.
Cependant, même si la neutralité est la matrice des obligations des agents publics de l’Etat, il faut bien reconnaître
l’influence croissante de la politisation de l’administration quel que soit le système de la fonction publique en présence
duquel l’on se trouve.
Certes, la base de recrutement est officiellement fondée sur le mérite et les aptitudes des candidats. Mais ce n’est que la
partie visible de l’iceberg car il existe, selon Pascale Wolfcarius, une partie cachée constituée de règles non écrites, de règles
officieuses qui relèvent de la pratique et qui se situent en dehors du droit67. Cette façon de voir les choses vaut surtout pour le
système de la fonction publique de l’emploi car l’on admet généralement que la politique contractuelle qui est liée à ce
système favorise la politisation des cadres68. Dans un système alternatif où se juxtaposent fonction publique de la carrière et
fonction publique de l’emploi, le risque de politisation ne doit pas être minimisé mais il ne doit non plus pas être surévalué.
La communauté de destin que les agents contractuels et les fonctionnaires partagent ne s’arrête pas à leurs obligations
professionnelles. Elle s’étend également à leurs droits.
1) Du point de vue de leurs droits
En tant que citoyens, ils ont les mêmes droits par exemple en matière de liberté d’opinion et d’expression ; en tant que
serviteurs de l’Etat, ils ont le droit syndical, le droit de grève, des droits pécuniaires, et des droits sociaux. Ces droits sociaux
consistent entre autres en une prise en charge d’une partie des frais d’hospitalisation, de la visite médicale annuelle au frais
de l’Etat ; à cela s’ajoute la participation de l’Etat aux frais de cercueil, linceul et de transport en cas de décès avec une
somme forfaitaire de 100.000 FCFA. Tous ces droits existent dans la plupart des pays africains d’expression française.
62
Il s’agit de trois décrets d’application de la loi de 1998 qui sont :
- le décret n° 98-377/PRES/PM/MFPDI du 15 septembre 1998 portant document cadre de stratégie de valorisation de l’expertise
nationale ;
- le décret n° 98-380/PRES/PM/MFPDI du 15 septembre 1998 portant organisation et promotion de l’expertise nationale au Burkina
Faso ;
- le décret n° 99-199/PRES/PM/MFPDI du 14 juin 1999 portant création d’une commission de promotion de l’expertise nationale
(CO.P. E.NA).
63
Article 205.
64
Article 209.
65
Article 210.
66
Voir Vassilios KONDYLIS, op. cit., pp 8-9.
67
Voir Pascale WOLFCARIUS, op. cit., p. 181.
68
Voir Alain PLANTEY « Considérations générales sur l’administration de l’Etat africain », op. cit., p. 13
Soulignons toutefois l’inexistence69 au Rwanda et au Burundi du droit de grève et le fait qu’au Mali, il est reconnu par la
Constitution mais il ne figure pas dans le statut général de la fonction publique70.
Si ces droits ont le mérite d’exister, leur substance présente parfois des différences qui rapprochent le droit de la fonction
publique et le droit du travail. L’exemple typique est le droit à la rémunération qui est un droit pécuniaire. L’on sait que pour
l’agent contractuel, le salaire de base71 est en principe mentionné dans le contrat d’engagement plus les accessoires
(indemnités, primes) alors que le fonctionnaire est soumis à une grille indiciaire et perçoit un traitement soumis à retenue
pour pension à raison de 8 % du salaire pour le compte de la Caisse Autonome de Retraite des Fonctionnaires (CARFO). Ce
salaire est complété par de nombreuses indemnités. Cette retenue est de 4,5 % pour les agents contractuels. Elle est ensuite
versée à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) mais désormais, et dans une logique de rapprochement, ils devront
la verser à la CARFO comme les fonctionnaires.
Mais contrairement au secteur privé, le salaire de l’agent contractuel public n’est pas négociable ; l’intervention des
organismes consultatifs dans sa fixation n’est donc pas nécessaire.
L’agent contractuel a également le droit d’être évalué chaque année comme le fonctionnaire par rapport à son rendement
dans le service. A cet égard, l’uniformisation du système d’évaluation est assurée par les articles 78 et 79 des dispositions de
la loi de 1998 relatives aux fonctionnaires et par l’article 192 des dispositions de ladite loi relatives aux agents contractuels
de l’Etat. Le décret n° 2000 86/PRES/PM/MFPDI du 13 mars 2000 fixe la date d’entrée en vigueur de ce système
d’évaluation des fonctionnaires et des agents contractuels de l’Etat au 1er janvier 200172. Ce système d’évaluation met en
avant des critères objectifs et évite de ce fait l’arbitraire du chef de service. En effet, c’est une évaluation basée sur
l’exécution d’un contrat de mission et la note est attribuée contradictoirement à la suite d’un entretien d’évaluation avec le
supérieur hiérarchique immédiat.
Elle n’est donc plus attribuée discrétionnairement comme par le passé par l’autorité investie du pouvoir de notation. Elle
est mesurée à l’aune du travail effectif effectué par l’agent au regard de la lettre de mission dont il est porteur. Comme on le
voit, les principes du management ont fait leur incursion dans le nouveau droit de la fonction publique burkinabé. C’est un
phénomène qui tend à devenir une mode car dans les administrations africaines, le courant managérial monte en puissance73.
Il faut bien admettre que c’est un passage obligé si l’on veut asseoir une administration de responsabilité et de missions dans
laquelle les agents sont d’abord soucieux de résultats et de la cohérence
entre leurs objectifs individuels et les besoins de l’administration74. La doctrine s’est même faite l’écho de ces principes.
Ainsi, Jacques Chevallier a écrit : « la gestion des ressources humaines implique à la fois une gestion prévisionnelle des
emplois, l’amélioration des conditions de travail, une meilleure prise en compte des performances des intéressés par
l'introduction de méthodes d'évaluation, le renforcement des dispositifs de formation et l’accroissement de la mobilité,
l’extension des méthodes de participation »75.
Neldita Dono-Horngar ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : «une politique de la fonction publique digne de ce nom
devrait aboutir à mettre sur pied une gestion prévisionnelle des agents de l’Etat. Cela suppose l’élaboration, en fonction des
moyens existants et des objectifs à atteindre, des politiques à moyen et long terme de l’emploi en vue d’assurer une utilisation
rationnelle non seulement des agents déjà disponibles mais aussi des cadres potentiels en formation ou à former pour l’avenir.
Il faut en un mot une planification des effectifs de la fonction publique »76.
Enfin, c’est dans une perspective managériale que beaucoup d’administrations dont celle du Burkina Faso ont introduit
dans la fonction publique le concept de « Cercle de qualité ».
Cette technique d’origine nippone permet à l’agent public d’avoir le sentiment qu’il participe effectivement à la définition
des objectifs de son administration et au travail quotidien77.
En matière de procédure disciplinaire, l’agent contractuel bénéficie comme le fonctionnaire de la règle de la
communication du dossier et de l’application de la procédure de mise en demeure avant son licenciement de la fonction
publique en cas d’abandon de poste ou de refus de rejoindre le poste assigné78.
Par ailleurs, tous deux peuvent prétendre aux concours professionnels79 et avancent dans les mêmes conditions.
69
Voir Cahiers de l’Université de Perpignan, op. cit., p. 137.
Ibidem, p. 140.
71
La fixation des traitements des agents contractuels de l’Etat est assurée par le décret 98-532/PRES/PM/MFPDI du 31 décembre 1998.
72
Le décret 2002-433 du 14 octobre 2002 fixe une nouvelle date d’entrée en vigueur. Voir J..O.BF du 31 octobre 2002, p. 1691.
73
Voir sur ce point, Jacques Mariel NZOUANKEU « La formation des hauts fonctionnaires en Afrique francophone », in Afrique
contemporaine, trimestriel n° 172, oct-déc 1994, numéro spécial – crises de l’éducation en Afrique, la documentation française, p. 222
74
Ibidem, p. 222.
75
Voir Jacques CHEVALLIER « La politique française de modernisation administrative », op. cit., p. 74.
76
Neldita dono-HORNGAR, « La réforme de la fonction publique tchadienne- nécessité et contraintes » in cahiers de l’université de
Perpignan, op. cit., p. 77.
77
Voir Actes du Colloque de Cotonou, op. cit., notamment les débats sur le cas du Burkina Faso, p. 131.
78
Voir décret n° 98-374/PRES/PM/MFPDI/MEF du 15 septembre 1998 portant modalités de mise en demeure des fonctionnaires et
contractuels de l’Etat en cas d’abandon de poste ou de refus de rejoindre le poste assigné
70
Quant aux obligations spécifiques des agents contractuels, elles sont liées à l’emploi qu’ils occupent80 ; celui-ci peut être
permanent ou non permanent mais en réalité, les contractuels ont toujours bénéficié de la permanence de l’emploi81.
Les développements qui précèdent autorisent-ils à affirmer que l’agent contractuel, autrefois considéré comme un parent
pauvre de la fonction publique, se voit aujourd’hui offrir une véritable sinécure parce que la loi de 1998 est généreuse à son
égard ? Assurément. Dans ce cas, n’est-il pas artificiel de séparer le régime juridique qui lui est applicable et celui applicable
aux fonctionnaires même à l’intérieur d’un texte unique ?
Dans le droit de la fonction publique burkinabé, c’est une innovation même s’il est fréquent qu’ailleurs l’administration
établisse des statuts de contractuels présentant plus d’une analogie avec ceux des fonctionnaires82.
Les analogies occupent une place si importante que l’on se demande ce qu’il reste pour les dissemblances. Certes, elles
existent mais elles sont si peu nombreuses qu’il n’est pas utile de leur consacrer une rubrique. C’est pourquoi, avant de passer
à une autre étape de la présente étude, nous nous contenterons de les rappeler étant entendu qu’elles ont déjà été évoquées
plus haut.
La première dissemblance tient à la non titularisation de l’agent contractuel dans un emploi de fonctionnaire même s’il
occupe un emploi permanent. Cependant, les contractuels de nationalité burkinabé, occupant un emploi permanent, peuvent
accéder aux emplois de fonctionnaires dans les conditions normales de recrutement des fonctionnaires. C’est une ouverture
prévue par l’article 177 de la loi n°13/98.
La deuxième dissemblance tient au fait que le fonctionnaire est soumis à un classement indiciaire alors que la situation de
l’agent contractuel est tout autre. En effet, son contrat prévoit la catégorie à laquelle il appartient, son échelle de classement et
son salaire de base.
Ainsi qu’on le voit, cette innovation est dominée par les analogies qui ont fini par éclipser les dissemblances.
Mais il est fâcheux de constater qu’elle tarde à prendre corps du fait des difficultés d’application.
B/ Une mise en oeuvre difficile
Il est peut être prématuré de faire le bilan de l’application de la loi n°13/98 trois ans après son entrée en vigueur. Sans
doute, le temps pour cet important texte sur la gestion des ressources humaines permettra-t-il de mettre en évidence ses forces
et ses faiblesses. Mais d’ores et déjà, un certain nombre de facteurs permettent de prendre la mesure des difficultés
rencontrées dans son application83. Ces facteurs sont à la fois internes et externes.
1) Les facteurs internes
Parmi les facteurs internes, on note l’inexistence de contrat formellement établi, la non maîtrise par les acteurs de la
fonction publique du nouveau système d’évaluation et l’incohérence de certaines dispositions.
En effet, la loi prévoit au niveau des conditions de recrutement un contrat individuel écrit signé par le ministre employeur
et contresigné par l’agent public conformément aux dispositions de l’article 180. Mais il est regrettable de constater
l’ineffectivité de ce qui constitue la trame du système contractuel. Dans la pratique, c’est une simple décision collective
d’engagement qui tient lieu de contrat. Cette décision indique la durée de l’engagement qui est en principe indéterminée et
précise que l’évolution de la carrière des intéressés sera fonction de leur mérite professionnel. Du coup, la période d’essai qui
est une condition de l’engagement définitif commence à partir de la prise de service des intéressés. Qui plus est, les contrats
d’objectifs, établis à partir des lettres de mission préparées par chaque ministre à l’intention des directeurs généraux, ne sont
pas une réalité partout. Il en résulte que les rapports entre l’Etat et ses agents n’ont pas véritablement changé au sens de la
nouvelle loi, la routine prenant le pas sur les textes.
Pour un texte relativement récent, qu’est ce qui justifie son inapplication ? Veut-on préparer une transition douce pour
éviter un changement brutal ? La loi n’est elle pas suffisamment claire ou connue des agents chargés de son application ?
Cette pratique procède-t-elle du souci d’uniformiser la situation de l’agent contractuel et celle du fonctionnaire ? Ce sont là
des questions que l’on pourrait se poser. Que faut-il en penser ? Il est indéniable que de nombreux agents publics connaissent
très peu le contenu de la réforme globale de l’administration. Pour remédier à cet inconvénient, un organe de presse a vu le
jour : « Le Serviteur de l’Etat ». C’est un bimestriel publié par la direction de la communication et de la presse ministérielle
du Ministère chargé de la fonction publique. Sa mission est d’informer notamment sur la mise en œuvre de la réforme
précitée.
79
L’article 177 alinéa 2 de la loi n° 13/98 dispose en effet… "toutefois les contractuels de nationalité burkinabé occupant un emploi
permanent peuvent accéder aux emplois de fonctionnaires dans les conditions normales de recrutement de fonctionnaires"…
Le mode commun d’accès aux emplois de la fonction publique est le concours (article 12 de la loi précitée).
80
Voir article 190 de la loi de 1998.
81
Voir Georges G. BAMBARA, op. cit., p. 60.
82
Voir Laurent BLANC, op. cit., p. 14.
83
Nous gardons volontairement le silence sur les problèmes nés du reversement des agents publics dans la nouvelle grille salariale car ces
problèmes ne concernent que les fonctionnaires.
De manière spécifique, la solution pourrait consister dans l’élaboration d’un prototype de contrat qui servirait de modèle à
tous les ministères et ce, pour éviter que la déconcentration de la procédure d’engagement n’entraîne des disparités au niveau
des conditions de recrutement.
Autre facteur non moins important : la non maîtrise du nouveau système d’évaluation des fonctionnaires et des agents
contractuels de la fonction publique, système entré en vigueur le 1er janvier 2001 en vertu du décret n° 200086/PRES/PM/MFPDI du 13 mars 2000.
Des textes d’application84 de la loi n°13/98 ont prévu des mécanismes de mise en œuvre de ce système. Au nombre de
ceux-ci, figurent l’obligation pour tout service public de disposer d’un manuel de procédure et d’un tableau de bord de
gestion, d’une part, et celle de veiller à l’élaboration de programmes et de rapports d’activités à partir de la lettre de mission
du Ministre qui fixe des objectifs particuliers à chaque responsable de structure de l’administration.
Ces programmes d’activités, qui peuvent connaître des réajustements en cours d’année après un « feed-back », fixent les
objectifs des services en précisant les actions à entreprendre, leur délai de réalisation, les résultats attendus et les contraintes
de réalisation.
Mais on constate avec regret que la phase "d’opérationnalisation" de ce nouveau système d’évaluation a pris du retard sur
le calendrier initial. En un mot, malgré les prescriptions des textes, l’entrée en vigueur de ce système ne s’est pas encore
véritablement effectuée. Des tentatives d’application ont certes été enregistrées mais elles ont buté sur des obstacles non
négligeables à savoir la non maîtrise de ce système par la quasi totalité des ministères et la mobilité incessante des agents
publics qui ont subi en la matière une formation appropriée.
"L’opérationnalisation" de ce système passe donc par une formation rationalisée de ceux qui ont en charge sa mise en
œuvre. Cette rationalisation suppose que la formation soit suivie et ciblée. Mais dans cette activité de renforcement de
capacité ou d’approche cognitive, le Ministère chargé de la fonction publique doit servir de locomotive ou de ministère phare
et l’accent doit être mis sur la planification, sur la connaissance des données de base de ce système d’évaluation, leur
décryptage, etc. Faute d’avoir réalisé ces préalables, ce système demeurera inopérant. Certes, c’est déjà un pas en avant que
des dispositions soient prises en vue de l’élaboration des tableaux prévisionnels des emplois et des effectifs d’une part, et du
parachèvement des textes d’organisation des emplois85, d’autre part.
Toujours sur le registre des facteurs internes, certaines dispositions manquent de cohésion et peuvent donner lieu à des
interprétations diverses.
Pour des raisons liées aux limites de nos propos, nous nous en tiendrons à deux articles parce qu’ils touchent la carrière des
agents contractuels. Il s’agit des articles 177 alinéa 2 déjà évoqué de la loi n°13/98 et 16 du décret n° 99103/PRES/PM/MFPDI/MEF du 29 avril 1999 portant modalités d’organisation des examens professionnels et des concours.
Tandis que le premier texte autorise les agents contractuels de nationalité burkinabé qui occupent un emploi permanent à
se présenter aux concours professionnels pour accéder aux emplois de fonctionnaires, le second texte les exclut implicitement
des concours directs qui sont ouverts uniquement aux candidats postulant un premier emploi dans la fonction publique. On
peut comprendre le souci au demeurant légitime des pouvoirs publics de donner la chance à ceux qui n’ont pas d’emploi d’en
avoir un. Mais la hiérarchie des normes exige qu’un décret d’application d’une loi en l’occurrence le décret n°99-103 se
contente de préciser cette loi en indiquant sa portée pour faciliter son application et non pour la vider de sa substance.
Toute autre approche conduirait l’administration à faire des incursions dans le domaine de la loi, ce qui est contraire au
principe de la séparation des pouvoirs.
2) Les facteurs externes
Ils tiennent aux craintes exprimées par les principales centrales syndicales des travailleurs dès l’entrée en vigueur de cette
réforme. Elles soulignent que ces craintes sont nées des risques liés au système contractuel et ont pour noms :
- la précarité et l’instabilité de l’emploi même si dans la pratique les agents contractuels occupent un emploi permanent ;
- la contractualisation, facteur aggravant de politisation de la fonction publique ;
- la disparition à terme du fonctionnaire du personnel administratif au profit du contractuel ;
- la réforme globale de l’administration est dans sa conception un diktat des Institutions de Bretton Woods.
En réponse à ces réactions peu favorables à la réforme globale de l’administration, le Ministre de la fonction publique et du
développement institutionnel a, dans un style impersonnel, tenté de rassurer en ces termes :
« Ils ont en effet annoncé que des fonctionnaires se réveilleraient au lendemain de l’entrée en vigueur des lois sur la
réforme sous le statut de contractuels. Ils ont prédit que l’emploi dans l’administration publique serait désormais précaire.
Ils ont effrayé les fonctionnaires et les contractuels honnêtes, sincères et innocents en avançant qu’ils seront désormais
exposés à l’arbitraire. Ils ont soutenu que tout avancement sera sinon bloqué, du moins difficile. Ils ont fait croire qu’avec la
84
Voir décret n° 98-373/PRES/PM/MFPDI du 15 septembre 1998 portant généralisation des manuels de procédures et des tableaux de bord
dans les administrations publiques ; voir également le décret n° 98-372/PRES/PM/MFPDI du 15 septembre 1998 portant normes
d’élaboration des programmes et rapports d’activités dans les services publics.
85
Voir déclaration du Premier Ministre en date du 28 mars 2002 sur l’état de la Nation.
réforme, les personnes en quête d’emploi dans l’administration publique ne pourraient plus accéder à la fonction publique.
Ils ont assimilé la réforme à une privatisation qui ne dit pas son nom.
Négationnistes par excellence, ils ont annoncé, souhaité, imaginé, prédit et attendu une catastrophe qui ne s’est pas
produite….. Notre arme demeurera le temps mais aussi tous les fonctionnaires sincères désireux de connaître la vérité. »86
Ces propos du premier responsable du département de la fonction publique montrent bien que cette réforme est loin de
recueillir l’adhésion de tous, notamment des syndicats des travailleurs. Rien d’étonnant alors que dans le cahier de doléances
qu’il ont remis au Ministre chargé de l’emploi à l’occasion de la commémoration de la fête internationale du Travail le 1er
mai dernier, ils aient réclamé, au point 16 du cahier, l’abrogation pure et simple de la loi n°13/98, le déblocage des
avancements et le reclassement des agents publics87.
Cependant, certaines craintes ne sont pas fondées. L’argumentaire sur la contractualisation généralisée est par exemple
inopérant pour des raisons textuelles. En effet, selon les dispositions de l’article 57 de la loi, la fonction publique de l’Etat
aura toujours besoin de fonctionnaires pour les ministères de souveraineté, les ministères chargés de missions stratégiques et
les emplois de haut niveau concourant à l’exécution des missions d’orientation, de formulation, de contrôle et de suiviévaluation des politiques sectorielles de l’Etat. Par conséquent, les autres emplois qui n’entrent pas dans le champ
d’application de l’article 57 peuvent être confiés aux autres partenaires de l’Etat tels les collectivités territoriales, les ONG,
les associations et le secteur privé aux termes de la loi n°10/98 précitée portant modalités d’intervention de l’Etat et
répartition de compétence entre l’Etat et les autres acteurs du développement.
Qui plus est, les agents publics qui avaient la qualité de fonctionnaires de l’Etat avant l’adoption de la loi n°13/98, le
demeurent toujours car aucun n’a opté pour le statut d’agent contractuel en vertu de l’article 240 comme s’ils abhorraient le
statut de contractuel.
D’autres craintes sont compréhensibles. Par exemple, la précarité et l’instabilité de l’emploi de l’agent contractuel sont
inhérentes au système de la fonction publique de l’emploi, véritable ratio legis de la loi n°13/98.
L’agent contractuel peut connaître en effet une grande instabilité de son emploi qui peut être supprimé par suite d’une
réorganisation interne.88 Ce sentiment est renforcé par la psychose permanente de voir son contrat rompu par
l’administration.
Il échappera à un tel désagrément s’il est docile. C’est pourquoi l’on reproche généralement au système contractuel
d’encourager le conformisme politique.89
Mais la science administrative montre que pour sa viabilité et son efficacité, aucune administration, si puissante soit elle,
ne peut reposer uniquement sur un système de fonction publique qui n’ interfère dans un autre.
Enfin, en dépit de notre approche sélective des facteurs justifiant les difficultés d’application de la loi, nous ne saurions
passer sous silence le fait que parmi tous les textes d’application annoncés, certains ont été adoptés. Ceux-ci ont été ou
examinés ou simplement évoqués dans la présente étude. D’autres, au contraire, ne le sont pas encore. Ils concernent les
accidents de travail, la sécurité sociale, "l’opérationnalisation" de l’expertise nationale, etc. Mais, ils n’en seront pas moins
valides juridiquement s’ils sont édictés ultérieurement. (CE, 29 mars 1957, Fédération des Syndicats de lait, Rec. 222).
Toutes ces difficultés d’application seront sans doute atténuées avec la nouvelle orientation imprimée au Ministère chargé
de la fonction publique. En effet, après la modernisation de l’administration et le développement institutionnel, ce ministère
doit aujourd’hui s’occuper de la réforme de l’Etat90 ; comme si cette réforme était indissociable des missions qui lui avaient
été confiées antérieurement ou comme si celles-ci correspondaient à la fin d’étapes qui ne sont plus jugées prioritaires.
En tout état de cause, ce recentrage des missions de l’Etat devrait nécessairement le conduire à prendre en compte les
contraintes technologiques (nouvelles technologies de l’information et de la communication), les contraintes économiques,
les contraintes financières (car l’Etat providence n’existe plus), les contraintes institutionnelles et les contraintes sociales
(mouvements revendicatifs).
Ces lignes consacrées au système contractuel dans le nouveau droit de la fonction publique au Burkina Faso n’épuisent pas
le sujet car avec le temps, des problèmes aujourd’hui insoupçonnés vont apparaître.
Certes, l’application de la loi n°13/98 en a révélé un certain nombre, dont les plus préoccupants ont été soulevés et
examinés.
Conclusion
86
Voir le Serviteur de l’Etat, n° 003, avril 1999, p. 2.
Voir le quotidien le Pays du 2 mai 2002, p. 5.
88
Voir Joseph-Issa-SAYEGH et Charles LAPEYRE, « Essai d’une théorie générale des statuts des personnes non fonctionnaires des
secteurs publics et para-publics en droit sénégalais », Penant, 1980, p. 6.
89
Voir Alain PLANTEY, "Considérations générales sur l’administration de l’Etat africain", op. cit., p. 13.
90
Il ne serait pas inintéressant d’évaluer l’incidence financière des dénominations nouvelles des ministères.
87
Au-delà des questions que ce système contractuel, version nouvelle, a suscitées, peut on affirmer que le glas du système de
la fonction publique de la carrière a sonné ? A notre avis, non, car, malgré la propension libérale de l’Afrique au double plan
politique et économique, les modernisations des administrations africaines laissent peu de place au système de la fonction
publique de l’emploi.
Tel est du reste l’avis de nombreux observateurs qui pensent que ce système est inadapté à l’environnement social et à
l’évolution de la conjoncture économique des pays du Tiers Monde.91
En effet, la fonction publique en milieu africain est assez largement soumise au jeu des forces politiques qui interfèrent
dans le fonctionnement normal du système administratif.92
Cette vision pessimiste n’a pas empêché le Burkina Faso de tenter une expérience combinée, avec en toile de fond le désir
de valoriser le système de la fonction publique de l’emploi. Mais la tendance affirmée à l’uniformisation de la situation
juridique de l’agent contractuel et du fonctionnaire, d’une part, et les difficultés d’application rencontrées, d’autre part, ne
vont elles pas compromettre la réalisation de cet objectif stratégique ? Ce risque est réel mais il pourrait être écarté grâce à
une relecture de la loi n°13/98.
Il est curieux cependant de constater que malgré les imperfections et les difficultés d’application de cette loi, l’expérience
du Burkina Faso intéresse certains pays africains.
En effet, sur recommandation du PNUD, le Burundi, le Tchad et le Niger ont envoyé des représentants dont certains à un
niveau ministériel au "Pays des Hommes intègres" afin qu’ils s’imprègnent de cette expérience. Il est donc probable qu’elle
fasse tâche d’huile et qu’elle cesse du même coup d’être un cas isolé dans l’espace UEMOA.93
Cette expérience nous enseigne enfin que la réception fidèle des modèles exogènes en matière de fonction publique ne
s’impose plus partout en Afrique.
KAMBOU G. Benoît
Maître-Assistant
à l’UFR-Sciences Juridiques et Politiques
Université de Ouagadougou
91
Voir J.M. Breton, op. cit., p. 23.
Ibidem, p. 224.
93
UEMOA : union économique et monétaire ouest africaine, organisation d’intégration dont le traité constitutif a été signé le 10 janvier
1994 .
Cette union, on le sait, prône le rapprochement des législations des Etats membres dans les domaines liés à ses objectifs. Or, la gestion des
personnels administratifs des Etats n’entre pas dans lesdits objectifs. Cela apparaît implicitement à l’article 91 du Traité qui exclut
l’application de la libre circulation des personnes en matière d’occupation d’emploi dans la fonction publique. Les mêmes préoccupations
existaient déjà dans le traité de Rome de 1957 qui utilise le concept d’administration publique . Sur ce dernier point, voir Etienne
CEREXHE, Louis le Hardy de BEAULIEU, "Introduction à l’union économique ouest africaine", De Boeck et Larcier. S.A., 1997,
Paris, Bruxelles, p. 73.
92