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— Entretien avec Daniel Carré, délégué national de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité
Notre médecine
a oublié que
nous étions mortels
Propos recueillis par Mathilde Azerot
Comment le débat sur la fin de vie a-t-il évolué
ces dernières décennies ?
Il y a eu une évolution considérable des conditions cliniques de la mort. Au siècle dernier, avant l’arrivée des
antibiotiques, la mort arrivait brutalement,
des gens en bonne santé de 50-60 ans faisaient une pleurésie ou une pneumonie,
attrapaient la tuberculose et mouraient.
Aujourd’hui, on assiste depuis 50 ans à une
augmentation considérable de l’espérance
La loi prend en charge
de vie mais des vies où il y a une perte prol’agonie avec la
gressive de la vitalité. Incontestablement,
sédation profonde et
aujourd’hui, un Alzheimer vit très vieux, les
prolongée jusqu’à la
cancéreux vivent avec leur cancer même
mort, mais ne répond
s’il peut se développer et entraîner la mort.
pas du tout à un
Les grands défis de la santé sont devenus les
cancéreux en fin
maladies chroniques. Ce qui cause le plus
de parcours qui sait
souci, pour l’heure, à la sécurité sociale, c’est
qu’il va mourir
le diabète, parce qu’il entraîne ensuite un certain nombre
de conséquences désastreuses : cancer, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, etc. Les conditions de santé
de la personne se délitent. La fin de vie a pris une tournure qu’elle n’avait pas il y a cent ans. À l’époque, on ne se
posait pas trop de questions, d’autant plus que les guerres
ont quand même pesé assez lourd dans les causes de
mortalité. Cela explique qu’il y a, à l’heure actuelle, une
certaine confusion dans la façon dont on prend les problèmes de fin de vie.
C’est-à-dire ?
On mélange ce qui a trait aux souffrances de l’agonie
avec l’anticipation de sa mort quand on est atteint d’une
maladie létale à court terme. La loi Claeys-Leonetti
prend en charge l’agonie avec la sédation profonde et
prolongée jusqu’à la mort, mais ne répond pas du tout
aux demandes d’un cancéreux en fin de parcours →
Elle a été présentée comme la deuxième grande réforme sociétale du quinquennat
de François Hollande après le mariage pour tous. La loi Claeys-Leonetti sur la fin de
vie, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 17 mars, instaure un droit
à la sédation profonde et continue jusqu’à la mort pour les malades en phase terminale.
L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite depuis plus
de 30 ans pour la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, compte pas moins de
670 adhérents dans le 13e. Pour Daniel Carré, l’un de ses membres et aussi délégué national
de l’association, cette loi, bien insuffisante, n’est qu’une étape, le temps que la société
française et le corps médical intègrent qu’on ne meurt plus comme avant en raison
de l’allongement de l’espérance de vie. Selon lui, un jour viendra où, comme en Belgique
ou en Suisse, la France encadrera une aide active à mourir.
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mortels. Cela conduit au déni que le médecin puisse
prendre en charge la mort comme un ultime soin. Si le
patient considère que la souffrance est intolérable, il
faut accepter son jugement et être là pour l’aider à partir. Mais cela est considéré comme une transgression
inadmissible. Les médecins sont désemparés devant le
fait que leur science ne leur permette pas de faire autre
chose que d’accompagner les derniers moments, mais
ils le font bien souvent dans des conditions qui relèvent
de l’obstination déraisonnable, c’est-à-dire de l’acharnement thérapeutique, qui n’est pas du tout un effet
marginal.
La proposition de loi d'Alain Claeys
et Jean Leonetti, un député socialiste
et un député UMP, a été présentée
comme un texte de rassemblement…
C’est surtout un texte de rassemblement d’une nomenklatura qui ne veut pas remettre en cause sa conception
anthropologique des choses. Ce n’est pas une loi de
consensus.
Avez-vous tout de même noté des avancées par
rapport à la précédente loi de 2005 ?
Cette loi s’affiche comme une loi destinée aux médecins
avec l’ouverture de nouveaux droits pour les patients.
Mais prenons par exemple le cas des directives anticipées : au regard du texte, si ces directives sont considérées comme inadéquates par le médecin, ça ne marche
pas. Donc ça ne sert pas à grand-chose.
conscient qu’il va mourir d’une maladie de
Charcot ou d’AVC grabataire et qui ne veut
plus vivre ce qu’il vit.
Le problème n’est pas
de savoir si ça arrivera
mais de savoir quand
ça arrivera. C’est
absolument inéluctable
que la France applique
un jour l’assistance
médicalisée à mourir.
L’ADMD a-t-elle été consultée pour la
préparation de la proposition de loi ?
Oui, mais nous étions très peu nombreux par
rapport aux establishments religieux et médical qui s’opposaient à la mort choisie. L’opinion publique nous soutient très largement,
puisqu’au dernier sondage en octobre 2014,
96% de la population française estimait qu’il
faut légaliser la mort active. Et là, on pond une
loi où on ne parle pas de mort active. On parle de sédation,
mais la sédation, c’est un outil de médecin, décidé par les
médecins et qui ne peut être conduit correctement qu’à
l’hôpital.
Comment expliquez-vous ce décalage
entre la position de l’opinion publique et celle
des décideurs ?
Il vient probablement du fait qu’on met en cause un
changement de paradigme dans la vie de l’homme.
Nous avons une médecine qui a oublié que nous étions
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Que sont ces directives anticipées ?
Les directives anticipées entrent en jeu quand on ne
peut plus parler. Aux États-Unis, ça s’appelle les « living
wills ». Si je suis dans le coma et que j’ai refusé qu’on
m’intube pour me maintenir en vie, le médecin ne peut
pas s’y opposer. Dans les directives allemandes, qui sont
opposables, la personne de confiance chargée de faire
respecter ces directives peut demander à l’assurance de
ne pas payer le médecin si elles ne sont pas respectées.
Pourquoi la France est-elle moins engagée
sur le sujet ?
Il y a une espèce de crispation d’une nomenklatura
médicale, encore une fois, sur le problème du pouvoir.
Ce pouvoir doit être remis en cause : vous ne pouvez agir
contre la volonté des gens. La conséquence est absurde :
50% des traitements prescrits ne sont pas suivis par les
patients.
Quelles sont les relations de l’ADMD avec le corps
médical ?
C’est un dialogue qui a été difficile. Nous avons pourtant
eu deux présidents médecins. Nous avons également
un réseau de médecins-conseils, c’est-à-dire que s’il y
a un problème dans un hôpital, repéré par un délégué
concernant un adhérent, nous pouvons faire intervenir
un médecin-conseil pour discuter avec l’hôpital. Et puis,
nous menons une action importante vis-à-vis du personnel soignant.
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Ces problématiques de la fin de vie devraient
être davantage présentes dans la formation du
personnel soignant et des médecins selon vous ?
Oui. Je suis un peu inquiet de voir ces jeunes médecins qui
sont formés de manière très pointue sur leur spécialité, qui
passent leur temps sur leurs ordinateurs au lieu de faire de
la clinique et qui ne considèrent pas la personne comme
quelque chose d’important. La fin de vie ne concerne pas
la maladie mais ce que la personne veut ou ne veut pas
vivre. Cela concerne la personne humaine, pas le malade.
La sédation profonde et continue est considérée
comme une aide à mourir, pourquoi ne satisfaitelle pas l’ADMD ?
La sédation profonde et continue est une anesthésie.
C’est vrai que si on n’intube pas, c’est la mort. Mais on
impose une technique, qui a sa place dans le combat
contre les souffrances des agonies, mais qui n’est pas
exclusive et qui de toute façon donne le même résultat
qu’une piqûre de penthotal : la mort dans la demi-heure.
Alors qu’avec une sédation profonde, la mort peut arriver
dans un, deux, trois, cinq jours. C’est une forme extrêmement hypocrite de refuser des techniques plus brutales
de mort assistée, qui correspondent aussi à un protocole
précis, mais infiniment plus simples à mettre en œuvre
qu’une sédation. Une sédation, cela implique qu’il y ait
une surveillance continue. C’est médicaliser la mort.
Philosophiquement, c’est pour moi inadmissible.
Beaucoup d’opposants à l’assistance médicalisée
à mourir affirment que si, en France,
nous avions des soins palliatifs à la hauteur,
les gens mourraient mieux.
Il y a quatre fois plus de soins palliatifs en Belgique qui
autorise pourtant l’euthanasie. Le soin palliatif peut être
une voie mais ce n’est pas la voie.
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Comment expliquez-vous que les soins palliatifs
soient si mal développés en France ?
La manière dont ils sont organisés coûte très cher. Il
faudrait intégrer des techniques palliatives pour calmer
la douleur, pour traiter les gens correctement beaucoup
plus en amont. Aujourd’hui, quand on ne sait plus quoi
faire, on se débarrasse des gens et on les envoie en soins
palliatifs. Mais comme les capacités des unités de soins
palliatifs sont beaucoup trop faibles, ils vont mourir en
EHPAD ou en SSR [Soins de suite et de réadaptation,
ndlr]. Le système de santé abandonne des gens dont on
sait qu’on ne peut plus les guérir. C’est un vrai abandon.
Mais je ne fais pas le procès des palliativistes car ils ont
effectivement une capacité technique à traiter la douleur.
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Pensez-vous que d’une manière inéluctable, la
France viendra à l’assistance médicalisée à mourir ?
Je suis absolument de l’avis de Lord Falconer, ancien
garde des Sceaux du gouvernement travailliste de Tony
Blair, qui avait présidé une commission sur le PAS [physician-assisted suicide, ndlr] au Royaume-Uni et selon lequel
le problème n’est pas de savoir si ça arrivera mais de savoir
quand ça arrivera. C’est absolument inéluctable. ◄
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