Dossier de presse
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Lancement de l’initiative pour des multinationales responsables 21 avril 2015 Contenu Contenu du dossier de presse – Communiqué de presse du 21 avril 2015 – Discours de Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse – Discours de Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud – Discours de Cornelio Sommaruga, président honoraire du CICR – Texte de l’initiative et explications (par Andreas Missbach, membre de la direction de la Déclaration de Berne) – Discours d’Antoinette Hunziker-Ebneter, directrice de Forma Futura Invest SA –Coalition – Comité d’initiative – Personnalités soutenant l’initiative – Factsheet : la nécessité d’agir – Factsheet : le devoir de diligence – Flyer et brochure d’information Berne, le 21 avril 2015 – Communiqué de presse | 1 Business mondial ? Responsabilité globale ! Les sociétés domiciliées en Suisse doivent faire face à leurs responsabilités lorsque leurs activités à l’étranger menacent les droits humains et l’environnement : c’est par ce message qu’une large coalition a lancé aujourd’hui à Berne une initiative pour des multinationales responsables. Cette initiative populaire doit garantir que les entreprises suisses intègrent le respect des droits humains et des normes environnementales dans l’ensemble de leurs relations d’affaires. Conditions de travail déplorables dans les usines textiles en Asie ou en Europe de l’Est, travail des enfants dans la production de cacao en Afrique de l’Ouest, émissions mortelles de dioxyde de soufre en Zambie : des sociétés suisses sont aussi impliquées dans ces scandales. La Suisse est la vingtième puissance économique mondiale. Or, selon une étude récente de l’Université de Maastricht, reposant sur plus de 1800 cas, elle figure à la neuvième place des pays les plus fréquemment concernés par des violations des droits humains commises par des entreprises. Même si de tels cas font régulièrement les gros titres des médias, le Conseil fédéral et le Parlement refusent d’agir et continuent de miser sur les initiatives volontaires des firmes. En mars, le Parlement a ainsi rejeté de justesse une motion visant à renforcer la responsabilité des entreprises à l’égard de leurs activités à l’étranger. Seule une forte pression de la société civile pourra imposer des règles contraignantes. C’est pourquoi une large coalition d’organisations lance aujourd’hui une initiative populaire. Inspiré des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés en 2011, son texte soumettrait les sociétés domiciliées en Suisse à un devoir de diligence en matière de droits humains et de normes environnementales. Les sociétés seraient tenues d’évaluer l’ensemble de leurs relations d’affaires afin d’identifier les risques potentiels et prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Enfin, elles devraient rendre compte publiquement de leur analyse et de leurs actes. Afin de garantir que toutes les entreprises s’acquittent de leur devoir de diligence, les multinationales domiciliées en Suisse pourront aussi avoir à répondre devant les tribunaux des violations des droits humains ou des atteintes à l’environnement commises par des firmes qu’elles contrôlent. En revanche, si une entreprise peut prouver qu’elle a rempli son devoir de diligence et pris toutes les mesures nécessaires, sa responsabilité ne sera pas engagée. L’initiative aura par conséquent un fort effet préventif, en incitant les entreprises à agir correctement. Pour Cornelio Sommaruga, président honoraire du CICR et membre du comité d’initiative, cette initiative représenterait un pas essentiel pour la Suisse : « En tant que siège des organisations humanitaires et terre d’accueil de nombreuses multinationales, la Suisse a un rôle important à jouer. Il est primordial pour la réputation de notre pays de responsabiliser nos entreprises. » D’autres Etats sièges de multinationales étudient d’ailleurs l’introduction de dispositions légales analogues. En France, l’Assemblée nationale a ainsi adopté fin mars une proposition de loi présentant de Berne, le 21 avril 2015 – Communiqué de presse | 2 nombreux points communs avec cette initiative. Selon Antoinette Hunziker-Ebneter, ancienne présidente de la Bourse suisse et actuelle directrice de Forma Futura Invest SA, « cette initiative nous permet de créer une base nouvelle réunissant les initiatives volontaires de la société civile et de l’économie privée et les efforts de régulation étatiques pour protéger les droits humains et l’environnement. Les entreprises obtiennent un outil contraignant pour minimiser les risques. Cela renforcera leur valeur et leur compétitivité. » Les 66 organisations membres commencent aujourd’hui la récolte de signatures. Plus d’informations sur www.initiative-multinationales.ch. Pour des questions générales sur l’initiative : Secrétariat de campagne Béatrix Niser-Lindley, coordinatrice romande beatrix.niser@initiative-multinationales.ch, 021 612 00 94 / 078 659 14 03 Pour davantage d’informations : Chantal Peyer, Pain pour le Prochain peyer@bfa-ppp.ch, 021 614 77 10 / 079 759 39 30 Daniel Hostettler, Action de Carême hostettler@fastenopfer.ch, 041 227 59 41 Peter Niggli, Alliance Sud, peter.niggli@alliancesud.ch 031 390 93 30 / 079 262 69 27 Danièle Gosteli Hauser, Amnesty International Suisse dgosteli@amnesty.ch, 031 307 22 22 Olivier Longchamp, Déclaration de Berne longchamp@ladb.ch, 021 620 03 09 Discours I | 1 L’initiative multinationales responsables s’inscrit dans une dynamique internationale Manon Schick, Directrice de la Section suisse d’Amnesty International Mesdames et Messieurs, Je suis ravie de vous accueillir à cette conférence de presse du lancement de l’initiative pour des multinationales responsables, soutenue par 66 organisations suisses de développement, de protection de l’environnement, représentantes d’actionnaires, de syndicats, de groupes d’Eglise, de défense des droits humains et des droits des femmes. Cette initiative fait suite à la campagne « Droit sans frontières », lancée en 2011, qui exigeait que notre gouvernement crée des bases légales pour que les entreprises suisses respectent les droits humains et l’environnement, y compris dans leurs activités à l’étranger. En sept mois, la coalition d’organisations non gouvernementales a récolté plus de 135 000 signatures, qui ont été déposées auprès de la Chancellerie fédérale. Nous verrons par la suite comment notre gouvernement et notre Parlement y ont répondu. On peut déjà relever que même si notre Conseil fédéral reconnaît une grande responsabilité des entreprises suisses en matière de respect des droits humains et de protection de l’environnement, en Suisse comme à l’étranger, il se borne à promouvoir les initiatives volontaires et rechigne à vouloir les encadrer par une réglementation contraignante. Limites de l’autorégulation : cas exemplaires Pourtant, l’autorégulation des entreprises a clairement montré ses limites. Les initiatives volontaires, dont l’application dépend généralement du bon vouloir des sociétés, manquent de mécanismes de contrôle externes et indépendants, et elles sanctionnent rarement celles qui contreviennent aux principes fixés. Les problèmes demeurent, et pas seulement pour des multinationales étrangères. Les entreprises suisses aussi sont concernées. Selon une étude récente de l’Université de Maastricht1, qui repose sur une analyse de plus de 1 800 cas, notre pays figure à la neuvième place des pays les plus fréquemment concernés par des dénonciations de violations des droits humains commises par les entreprises. A titre d’exemple, l’émission de la télévision alémanique «Rundschau»2 en mars 2014 a documenté comment la filiale Mopani de Glencore, qui exploite une mine de cuivre en Zambie, affecte de façon négative les êtres humains et l’environnement. Ses émissions de dioxyde de soufre sont presque quarante fois supérieures aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans cette région, les maladies des poumons sont très répandues et le taux de mortalité est élevé. Autre exemple : les entreprises pharmaceutiques Roche et Novartis ont été critiquées au sujet de tests de médicaments3 sur des êtres humains menés dans des pays en développement ou émergents. Ces expérimentations délocalisées s’accompagnent de fréquentes violations éthiques du fait de réglementations moins strictes, qui plus est dans un contexte où l’accès aux soins n’est pas garanti. Le manque de transparence met aussi en danger les personnes participant à ces essais. Encore un exemple : le pesticide hautement toxique paraquat, interdit en Suisse et en Europe, continue à être commercialisé dans les pays en développement par le géant de l’agrochimie Syngenta. Le droit à la santé est violé, puisque ce pesticide cause chaque année des milliers de cas d’intoxication, entraînant parfois la mort. Discours I | 2 Contexte international Ces exemples montrent qu’il est nécessaire, en Suisse aussi, de se doter de bases juridiques adéquates pour éviter que nos entreprises ne se trouvent impliquées dans des abus. L’initiative pour des multinationales responsables s’inscrit dans une dynamique internationale. Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et droits de l’homme4, élaborés par le Prof. John Ruggie, ancien Représentant spécial sur les entreprises et droits de l’homme5, ont été adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme à Genève en 2011. Ces principes reposent sur trois piliers : • Le devoir des États de protéger les droits humains et de s’assurer que les entre prises ne les violent pas. • La responsabilité des entreprises de respecter les droits humains. Celles-ci doivent mettre en place des procédures de diligence raisonnable, c’est-à-dire s’assurer que leurs activités n’occasionnent pas des violations et en cas d’abus, prendre les mesures appropriées pour y mettre un terme. Elles doivent aussi rendre compte de manière transparente des problèmes identifiés et des me sures adoptées. • L’accès à des voies de recours efficaces pour les victimes de violations de droits humains par les entreprises. Ce devoir concerne aussi bien les États que les entreprises. Les États sont tenus d’élaborer des plans d’action nationaux de mise en œuvre des Principes de l’ONU. Ce processus a démarré dans quelque 25 pays, dont la Suisse. Ces principes ont également été intégrés dans les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales ou dans les directives de la Société financière internationale, structure de la Banque mondiale. Plusieurs pays ont également élaboré des lois spécifiques sur le devoir de diligence ou de rendre des comptes, comme aux États-Unis (loi Dodd Frank sur les minerais de conflit, ou le Responsible Investment Reporting Requirement à l’intention des entreprises qui investissent au Myanmar), au Royaume-Uni (où le droit des sociétés oblige les organes dirigeants des entreprises à prendre en compte l’environnement et les communautés dans leurs activités), et en France, où l’Assemblée nationale a adopté fin mars 2015 en première lecture une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre6. En consacrant une obligation de vigilance pour les très grands groupes vis-à-vis des sociétés qu’ils contrôlent et de leurs principaux sous-traitants, cette proposition de loi renforce la prévention des risques. Conclusion Cette dynamique internationale va certainement se renforcer dans les années à venir. Les Principes directeurs de l’ONU ont posé un cadre, et sa mise en œuvre effective dépend de la volonté des États de ne pas se limiter à le faire connaître et le promouvoir au moyen d’initiatives de bonne conduite. Ces Principes préconisent d’ailleurs un « mélange judicieux » de mesures volontaires et juridiquement contraignantes. Vouloir déléguer la responsabilité de la réglementation aux États qui accueillent les entreprises, leurs filiales ou leurs sous-traitants est une utopie, surtout quand ceux-ci souffrent de faible gouvernance ou de corruption. La Suisse, où siègent de nombreuses multinationales, a les moyens d’assumer un rôle précurseur, en ancrant un devoir de diligence dans la loi. Il s’agit d’une première étape plus que nécessaire. Elle est indispensable. Voilà pourquoi nous lançons aujourd’hui la récolte des 100 000 signatures nécessaires à l’aboutissement de cette initiative pour des multinationales responsables. Discours I | 3 1 http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2559255 2 http://www.srf.ch/news/schweiz/glencore-xstrata-und-die-asthma-toten-von-mufulira 3 https://www.ladb.ch/themes-et-contexte/sante/essais-cliniques/ 4 http://www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf 5 Le Professeur John Ruggie a été nommé en 2005 par le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan comme Représentant spécial chargé de la question des droits de l’homme, des sociétés transnationales et autres entreprises. 6 http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2578.asp Discours II | 1 Entreprises et droits humains dans l’arène de politique intérieure Peter Niggli, Directeur d’Alliance Sud Pendant longtemps, en Suisse, la relation entre entreprises et droits humains n’était pas un sujet de politique intérieure. Le Conseil fédéral et l’administration pensaient que les gouvernements sont les seuls responsables des droits humains. Si les entreprises s’en tenaient aux lois nationales des différents pays, elles respecteraient automatiquement aussi les droits humains. La quiétude était impressionnante pour un pays qui possède la plus grande concentration de sièges de multinationales par habitant au monde, qui gèrent des milliers de filiales et de fournisseurs dans tous les continents. 1. Depuis quelques années on assiste à une agitation productive. En 2008, 2009 et 2010, les membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires nous ont raconté qu’en Amérique latine, en Afrique et en Asie ils ont été interpellés sur les comportements douteux de multinationales extractives suisses. Fait piquant : la plupart de ces entreprises leur étaient complètement inconnues. En 2010 il y a eu une autre surprise : la société internationale de mercenaires Aegis a déplacé son siège à Bâle – une nouvelle arrivée d’entreprise qui a fait craindre au Conseil fédéral des difficultés de politique extérieure. Au cours des 15 dernières années, la Suisse est devenue le centre de multinationales minières et des matières premières, c’est-àdire des entreprises pointées particulièrement souvent du doigt pour les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement. L’opinion publique ne l’a appris qu’en 2011 grâce au livre sur les matières premières de la Déclaration de Berne. Aussi en 2011 la Suisse a accepté les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et droits de l’homme. A l’époque le Conseil fédéral pensait qu’aucune nécessité d’action n’en résulterait. C’est seulement la pétition de Droit sans frontières qui a exigé de tirer les conséquences des nouvelles évolutions et des principes directeurs de l’ONU pour l’administration et la législation. 2. La pétition a trouvé une oreille favorable auprès de beaucoup de parlementaires. Un groupe interparlementaire composé de représentants de sept partis (PS, Verts, Verts libéraux, PDC, Parti évangélique, PBD, PLR) a accompagné son cheminement parlementaire. Depuis 2012 il y a eu plus de 25 interventions parlementaires. Certes, les exigences de la pétition ont été refusées par les commissions compétentes comme allant trop loin. Mais elles ont inspiré plusieurs interventions dans le sens de la pétition. Entre autres, le Conseil fédéral a été prié d’élaborer un plan d’action national pour la mise en œuvre des principes directeurs de l’ONU. Quatre pays européens ont adopté de tels plans au cours des deux dernières années, alors que les autres vont suivre une décision correspondante de l’UE. Le Conseil fédéral aurait dû présenter le plan d’action fin 2014. Sa parution est maintenant annoncée pour juin. 3. La Commission de politique extérieure du Conseil national a exigé, en plus, un rapport sur la première exigence de la pétition, à savoir le devoir de diligence raisonnable. Cet instrument préventif est un élément central des principes directeurs de l’ONU. Le devoir de diligence implique que les entreprises, (1) identifient les risques pour les droits humains et l’environnement, (2) prennent des mesures contre cela et (3) fassent un rapport. Pour répondre à ce postulat, le Conseil fédéral a publié en mai 2014 un rapport de droit comparé qui explique comment d’autres pays traitent du devoir de diligence raisonnable en matière de droits humains et Discours II | 2 d’environnement. Le Conseil fédéral reconnaît ainsi le problème et la responsabilité de la Suisse : « En tant que siège de nombreuses entreprises internationales, la Suisse assume une grande responsabilité en matière de respect des droits de l’homme et de protection de l’environnement, en particulier vis-à-vis des pays qui ne respectent pas suffisamment les principes de l’Etat de droit. Cette responsabilité est engagée en cas de violation des droits de l’homme ou de pollutions commises dans ces pays par des entreprises suisses, violations qui peuvent entacher l’image de notre pays. » Dans ce rapport, le Conseil fédéral soulève même la question de savoir «si la Suisse ne devrait pas assumer un rôle de précurseur en matière de mise en oeuvre des principes directeurs des Nations Unies. »Il reconnaît le mélange judicieux (« smart mix ») de mesures volontaires et contraignantes des principes directeurs et il pointe la tendance au niveau international à une régulation croissante dans ce domaine. Mais concrètement, le Conseil fédéral ne veut rien savoir du mélange judicieux. Par conséquent, la Confédération n’a pas donné de consignes aux entreprises sur la mise en œuvre du respect des droits humains et de la protection de l’environnement par leurs filiales à l’étranger. Elle les a exhortées à adopter des mesures volontaires de diligence raisonnable. 4. La Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) a présenté en automne dernier une motion exigeant d’ancrer le devoir de diligence raisonnable dans un cadre juridique approprié, par exemple dans la réforme du droit de la société anonyme. Le Conseil national a accepté la motion ce printemps, à une courte majorité. La décision a été renversée à peine une heure et demie plus tard. Les opposants avaient mis sous pression, avec succès, quelques parlementaires bourgeois qui avaient voté en suivant leur conscience et sans instructions, comme c’est prévu par la loi. 5. Des deux exigences de la pétition, le devoir de diligence raisonnable est la plus facile. C’est pour cela que dans le processus parlementaire nous nous sommes concentrés là-dessus – et nous avons échoué de peu. Raison pour laquelle aujourd’hui nous lançons l’initiative pour des multinationales responsables. Elle reprend en gros la proposition de la motion de la CPE–N. L’initiative n’exige rien d’autre que ce que certaines multinationales suisses, mais de loin pas toutes, prétendent avoir déjà introduit depuis quelques années – à savoir un mécanisme interne de diligence raisonnable qui lie la direction, à tous les échelons et dans toutes les branches de l’entreprise. Discours III | 1 Une démarche importante pour la Suisse Cornelio Sommaruga, président honoraire du CICR Vi saluto nella mia lingua materna, lingua nazionale ed ufficiale svizzera … ma so che a questa conferenza stampa non è opportuno parlarla : Peccato ! Mesdames et Messieurs, Vous vous posez probablement la question de savoir qu’est-ce que cet homme du passé – que je suis – vient chercher dans ce Comité d’Initiative. Laissez-moi vous dire que dans mon long cheminement professionnel – que cela soit comme diplomate, comme Secrétaire général adjoint de l’AELE, comme Délégué du Conseil fédéral aux Accords commerciaux, comme Directeur de l’Office fédéral des Affaires économiques extérieures, comme Président du CICR (pendant 13 ans), comme Président du Centre international de Genève pour le Déminage humanitaire (pendant 8 ans) et enfin comme Président d’Initiatives et Changement de Caux – successeur du Réarmement moral – (aussi pendant 8 ans) – dans mon cheminement professionnel, – disais-je – j’ai beaucoup voyagé dans le monde entier et eu des contacts avec des autorités et des populations de très nombreux Pays. On m’adressait souvent la parole comme « Le Suisse »et on me disait généralement du bien de mon Pays. Toutefois – et c’est là où le bât blesse – il y avait souvent des remarques sur les investissements, mieux sur l’activité économique « suisse »dans le Pays. C’était surtout en Afrique et en Amérique latine, mais aussi dans certains Pays d’Asie. On ne faisait pas de différence entre la Suisse comme Pays et les entreprises, qu’il s’agisse de filiales d’entreprises suisses ou de sociétés fournissant les Suisses, la critique était toujours sérieuse : pourquoi traitez-vous si mal nos travailleurs ? Pourquoi vous, les Suisses, ne faites pas attention à éviter tant d’accidents de travail ? Vous vous rendez compte des effets des nuisances atmosphériques sur la santé des travailleurs ? Et nos jolies terres, vous ne tenez pas compte de la protection de la nature ! Sans être un fanatique de la protection de l’environnement, je pense qu’on ne peut pas rester insensible à ces critiques. S’il s’agit en plus de violations des droits de l’homme, alors je ne peux pas rester silencieux. J’ai examiné de plus près la situation en Suisse ces derniers 20 ans et je me suis rendu compte de l’importance des multinationales, qu’il s’agisse de sociétés bien connues de l’alimentaire et de produits pharmaceutiques, cotées en bourse, ou des compagnies de négoce, d’ingénieurs, de production pétrolière, d’extraits de minéraux, de productions agricoles de base, de compagnies cotées en bourse ou non et généralement peu connues par le grand public. Ce sont certes des sociétés exposées à des risques, non seulement économiques, mais surtout pour leur personnel ou celui des filiales ou sociétés locales dirigées depuis la Suisse et tout cela pour un chiffre d’affaires de centaines de milliards de dollars. Je connaissais les préoccupations de Kofi Annan qui avait lancé le Global Compact, et je suivais aussi les efforts de l’OCDE pour des Règles de conduite pour les multinationales et également les travaux de l’UE dans ce domaine. Mais toutes ces dispositions – qui ne sont pas négligeables – contiennent des appels aux multinationales d’agir sur une base volontaire ! Même les Principes directeurs de l’ONU élaborés par le Prof. John Ruggie, adoptés par le Conseil des Droits de l’homme en 2011, qui donne la responsabilité pri- Discours III | 2 maire aux Etats et subsidiairement aux entreprises de protéger les droits de l’homme, n’est pas un instrument contraignant. Ruggie insiste aussi sur la réparation (pour les victimes), avec le corollaire de l’accès aux tribunaux des Pays comme la Suisse où se situe le centre économique ou décisionnel de l’entreprise, accès qui reste aléatoire, pas seulement pour des raisons juridiques ! Que fait la Suisse, Pays hôte des institutions de Droits de l’homme et depuis 150 ans, de l’humanitaire ? Peu ou rien, malgré diverses pétitions et interventions parlementaires, car le Conseil fédéral et la majorité du Parlement continue à promouvoir une action volontaire des entreprises. Le secteur économique fait beaucoup de déclarations, mais les résultats sur le terrain ne s’améliorent pas. La transparence aussi laisse à désirer. Après tout ce que j’ai vu et entendu dans le monde, le moment et venu d’introduire enfin une disposition contraignante de respecter les Droits de l’homme et les normes environnementales internationales pour les entreprises. WIR BRAUCHEN EINEN PAUKENSCHLAG ! Et ce Coup de semonce peut seulement venir d’une initiative constitutionnelle. Nous devons éviter de tomber dans une situation où la pression étrangère bilatérale ou multilatérale, nous pousse dans la perte de maîtrise, comme cela a été le cas pour la place financière ! L’initiative Entreprises responsables pour protéger l’être humain et l’environnement est donc aussi une démarche importante pour le bien de la Suisse. Factsheet | 1 Explications sur le texte de l’initiative La Constitution fédérale est modifiée comme suit : Art. 101a | Responsabilité des entreprises 1 | La Confédération prend des mesures pour que l’économie respecte davantage les droits de l’homme et l’environnement. Il s’agit du principe général de l’initiative. Cette disposition ne donne pas seulement une compétence à la Confédération, mais l’oblige à prendre des mesures pour que les entreprises suisses respectent davantage les droits humains et l’environnement. Elle doit en tenir compte dans tous les domaines du droit, avec des mesures qui peuvent aller au-delà des exigences de l’initiative. 2 | La loi règle les obligations des entreprises qui ont leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal en Suisse, conformément aux principes suivants : Cette disposition définit le champ d’application de l’initiative et détermine quelles «entreprises suisses» sont concernées. Elle repose en premier lieu sur les règles de droit international privé contenues dans la Convention de Lugano. – Le siège statutaire découle des statuts de la société. – L’administration centrale est le lieu où les décisions se prennent et où la société est dirigée. Ce lieu peut différer du siège statutaire, notamment dans le cas de sociétés boîtes aux lettres. – Par principal établissement, on entend un centre d’activités effectif et reconnaissable ou un lieu qui regroupe des ressources matérielles et en personnel importantes. Il est donc possible qu’une entreprise ait plusieurs établissements principaux. a. les entreprises doivent respecter également à l’étranger les droits de l’homme internationalement reconnus et les normes environnementales internationales; elles doivent veiller à ce que ces droits et ces normes soient également respectés par les entreprises qu’elles contrôlent ; les rapports effectifs déterminent si une entreprise en contrôle une autre ; un contrôle peut de fait également être exercé par le biais d’un pouvoir économique Le texte constitutionnel vise en premier lieu les activités à l’étranger des entreprises suisses. C’est pourquoi il est placé immédiatement après l’art. 101 de la Constitution fédérale (Politique économique extérieure). Les droits de l’homme sont des droits qui servent à la protection des dimensions fondamentales de la personne et de la dignité humaines. Selon le droit international public contraignant, l’Etat doit également protéger ses citoyens et ses citoyennes contre les atteintes par des personnes privées. Celles-ci comprennent également les entreprises. Selon les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies (principe 12), les droits de l’homme internationalement reconnus englobent au minimum la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que ses instruments de mise en œuvre les plus importants: – Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte de l’ONU II) – Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte de l’ONU I). – Les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT). Par normes environnementales internationales, on entend les normes qui ont été élaborées en-dehors des processus législatifs nationaux, entre autres dans le cadre du droit international public (par exemple, le protocole de Montréal sur la protection de la couche d’ozone), des organisations internationales (par exemple, les valeurs maximales d’émissions de l’Organisation mondiale de la santé) ainsi que des standards privés (par exemple, les normes ISO). Il reviendra au législateur de déterminer ce qui a valeur de norme environnementale internationale. Factsheet | 2 Les entreprises contrôlées sont, par exemple, les filiales de multinationales (d’où le fait que nous parlons d’Iinitiative pour des multinationales responsables), mais aussi des constellations où un contrôle de fait est exercé, comme des joint -ventures, des contrats de fournisseurs, distributeurs ou sous-traitants. Lors d’une plainte, les tribunaux détermineront de cas en cas si et pour quelle raison un tel rapport de contrôle existe. b. les entreprises sont tenues de faire preuve d’une diligence raisonnable ; elles doivent notamment examiner quelles sont les répercussions effectives et potentielles sur les droits de l’homme internationalement reconnus et sur l’environnement, prendre des mesures appropriées en vue de prévenir toute violation des droits de l’homme internationalement reconnus et des normes environnementales internationales, mettre fin aux violations existantes et rendre compte des mesures prises ; ces obligations s’appliquent aux entreprises contrôlées ainsi qu’à l’ensemble des relations d’affaires ; l’étendue de cette diligence raisonnable est fonction des risques s’agissant des droits de l’homme et de l’environnement ; lorsqu’il règle l’obligation de diligence raisonnable, le législateur tient compte des besoins des petites et moyennes entreprises qui ne présentent de tels risques que dans une moindre mesure ; L’introduction d’un devoir de diligence raisonnable constitue le cœur de l’initiative. Sur la base des Principes directeurs de l’ONU et des Principes directeurs de l’OCDE, une procédure de diligence raisonnable est composée des trois éléments suivants: identifier les risques, agir en conséquence, rendre compte des analyses et des mesures adoptées. c. les entreprises sont également responsables du dommage causé par les entreprises qu’elles contrôlent lorsque celles-ci violent des droits de l’homme internationalement reconnus ou des normes environnementales internationales dans l’accomplissement de leur activité ; elles ne le sont pas au sens de la présente disposition si elles prouvent qu’elles ont fait preuve de toute la diligence prévue à la let. b pour prévenir le dommage ou que leur diligence n’eût pas empêché le dommage de se produire ; Une entité qui contrôle une entreprise doit aussi utiliser ce pouvoir pour empêcher des violations de droits humains internationalement reconnus ou de l’environnement. Une entité qui tire un avantage économique d’une autre entité doit assumer les risques qui y sont liés. Lorsqu’une entreprise suisse contrôle un acteur économique à l’étranger, l’Etat helvétique a le devoir de protéger les personnes contre des atteintes aux droits humains et à l’environnement à l’étranger. Le texte de l’initiative se réfère à la responsabilité de l’employeur (art. 55 CO) qui est la disposition juridique la plus proche dans le droit suisse existant. Le devoir de diligence raisonnable en matière de droits humains est fondé sur les risques (principe 17b). Il devrait s’étendre à toutes les incidences négatives sur les droits de l’homme auxquelles une entreprise peut ou pourrait contribuer par le biais de ses propres activités, ou qui peuvent découler directement de ses activités, produits ou services ainsi que de ses relations d’affaires (principe 17a). Afin de prévenir, atténuer et mettre un terme aux incidences négatives – potentielles et effectives – de leurs activités sur les droits humains, les entreprises devraient intégrer de manière efficace les résultats de leurs études d’impact dans l’ensemble des fonctions et processus internes pertinents et prendre les mesures qui s’imposent. Il convient également de réparer les dommages liés à des incidences déjà effectives (principe 19 et commentaire du principe 22). Les entreprises devraient rendre compte formellement et publiquement de la manière dont elles font face à leurs incidences sur les droits humains (principe 21). La taille d’une entreprise n’est pas un critère suffisant pour juger de son profil de risque. En pratique, la majorité des petites et moyennes entreprises (PME) présentent de faibles risques en matière de droits humains, en particulier lorsque leurs activités se limitent à la Suisse. Pour ces sociétés, le législateur devra établir une procédure très simplifiée. Il n’est cependant pas adéquat de libérer complètement l’ensemble des PME du devoir de diligence, puisqu’un certain nombre d’entre elles présentent des risques élevés de violations de droits humains (par exemple, le commerce de diamants). La relativisation de la responsabilité civile s’inspire également de cette responsa bilité de l’employeur: les sociétés sont libérées de leur responsabilité si elles peuvent prouver qu’elles ont rempli correctement leur devoir de diligence. Le fardeau de la preuve est donc renversé: ce n’est pas à la victime de prouver la culpabilité de la société mère (une telle preuve est souvent très difficile à apporter), mais à la société mère d’établir son innocence, ce qu’elle peut faire en montrant qu’elle a bien rempli son devoir de diligence. Cela améliore également la sécurité juridique pour l’économie: si une entreprise peut démontrer de manière crédible qu’elle a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le dommage en question, elle n’aura pas à craindre le verdict des tribunaux. Factsheet | 3 d. les dispositions édictées sur la base des principes définis aux let. a à c valent indépendamment du droit désigné par le droit international privé. Dans les procédures judiciaires internationales, les tribunaux suisses appliquent souvent le droit étranger, c’est-à-dire le droit du pays où le dommage s’est produit. C’est pourquoi ce paragraphe indique au législateur qu’il doit donner à la loi d’exécution la valeur d’une disposition impérative. Le propre d’une disposition impérative est que, dans des cas internationaux, elle doit être appliquée quel que soit le droit en vigueur selon le droit international privé. Il s’agit en général de normes qui sont considérées par la Suisse et la communauté des juristes comme revêtant une importance fondamentale, notamment parce qu’elles servent à la protection de la dignité humaine. Pour le dire simplement: ce paragraphe garantit que les dispositions prévues par l’initiative doivent dans tous les cas être prises en compte par les tribunaux suisses. Discours IV | 1 Pourquoi l’initiative est aussi juste et importante pour l’économie Antoinette Hunziker-Ebneter, directrice et partenaire fondatrice Forma Futura Invest SA Un avenir digne ne peut exister pour tous que si les entreprises domiciliées en Suisse assument aussi leur responsabilité sociale, sociétale et écologique dans leurs affaires internationales. Elles devraient se comporter en conséquence et être contraintes de rendre des comptes. Si les initiatives volontaires ont incontestablement permis de nombreux développements positifs, toutes les sociétés domiciliées en Suisse n’assument malheureusement pas leurs responsabilités. Pensons aux atteintes à l’environnement et aux violations des droits humains commises depuis des décennies par les entreprises pétrolières et autres multinationales des matières premières ayant leur siège en Suisse ; à la vente dans les pays en développement de pesticides interdits chez nous, et aux graves conséquences pour la population et l’environnement qui en découlent ; ou à l’utilisation de revenus provenant de l’extraction d’or et d’autres métaux en République démocratique du Congo pour financer des actes de guerre d’une cruauté inimaginable. Il ne s’agit là que de quelques exemples. Dès lors, la question suivante se pose : en dépit de leurs échecs patents et répétés, peut-on attendre des initiatives volontaires qu’elles suffisent à empêcher cela ? Selon moi, la réponse est NON. Il est dans l’intérêt de la Suisse et de nos entrepreneurs de prévenir de telles atteintes ! Car comme notre gouvernement le reconnaît, celles-ci constituent un risque de réputation pour notre pays (pas seulement en tant que siège de l’ONU) et pour les entreprises concernées. Et c’est précisément de cela qu’il s’agit : un devoir de diligence raisonnable (mandatory due diligence) permet de prévenir les comportements risqués, d’empêcher les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement. Beaucoup d’entreprises l’ont reconnu. De plus, la transparence est essentielle. Transparence sur les affaires, les conditions de travail, les conséquences environnementales, les recettes fiscales et beaucoup plus. Il existe pour cela de nombreuses initiatives et programmes. Privés et étatiques, nationaux et internationaux, volontaires et contraignants. L’exigence de transparence est dans l’air du temps et un nombre croissant d’entreprises y sont sensibles. Elles publient des rapports sur la responsabilité sociale, forment des chargés de communication à la durabilité. Il faut le saluer, mais ce n’est pas suffisant. Les entreprises respectent-elles ce qu’elles promettent en grande pompe? Ces efforts sont-ils davantage que des exercices de relations publiques ? Des secteurs et des entreprises tout à fait centrales, dont l’impact environnemental est énorme, ou dont les affaires sont risquées du point de vue des droits humains, se soustraient aux nombreuses initiatives volontaires et proactives. Les initiatives volontaires sont un morceau du puzzle parmi d’autres. Elles aident à promouvoir la responsabilité d’entreprise. Elles sont nécessaires et ont contribué à ce que les problèmes soient reconnus. Mais malheureusement, elles ne suffisent pas. C’est pour cela que cette initiative est nécessaire : le devoir de diligence raisonnable oblige les sociétés à publier un rapport sur les risques qu’elles identifient, les droits menacés et les mesures qu’elles adoptent. Discours IV | 2 Dans une autre perspective, un élément central du marché soi-disant libéral est que les prix payés pour les biens et services doivent refléter une vérité des coûts. Malheureusement, beaucoup d’entreprises multinationales génèrent une bonne partie de leurs profits en externalisant les coûts. Lorsqu’elles laissent les communautés locales assumer seules les conséquences environnementales de l’extraction d’énergies fossiles, de métaux nobles et de terres rares, elles ne font pas qu’externaliser leurs coûts : elles refusent d’assumer leurs responsabilités. Le prix payé par les consommateurs ne tient pas compte des conséquences environnementales. C’est la population résidant sur le lieu d’extraction qui le paie. Lorsque, de surcroît, l’entreprise optimise ses impôts dans le pays de production, cette communauté est doublement perdante : non seulement elle doit faire face seule aux dégâts environnementaux, mais en plus, elle est privée des ressources étatiques qui permettraient de les réparer. A lui seul, ce constat montre que les initiatives volontaires ne peuvent qu’avoir un effet limité : aucune société n’internalise les coûts volontairement! L’environnement, les droits humains et les droits du travail, la diversité culturelle et biologique sont autant de biens communs dont la préservation ne peut être considérée seulement comme un facteur de coût. Non seulement leur protection fait l’objet de nombreuses conventions internationales, mais en plus, personne ne peut sincèrement vouloir leur destruction. Il existe donc un devoir juridique et moral de respecter et de promouvoir les droits humains et l’environnement. Et cette obligation doit aussi valoir pour les multinationales qui ne s’engagent pas (encore ?) volontairement. C’est à cela que sert cette initiative et c’est pour cela que je la soutiens. Nous sommes tous sollicités : la société civile, les consommateurs et les investisseurs. Et l’Etat. Un assortiment de mesures de régulation et d’initiatives privées est pertinent là où l’aspect volontaire atteint ses limites, où il en va de la protection juridique et morale de biens communs non commercialisables comme les droits humains et ceux du travail, la protection contre l’exploitation et le pillage et la protection de notre environnement. La société civile peut exiger la transparence. Elle peut exercer une pression publique sur les entreprises. Les consommateurs peuvent exiger la transparence et la vérité des coûts ; nous pouvons orienter notre consommation de façon à privilégier les produits et les entreprises qui assument leur responsabilité. Ainsi, nous pouvons pousser les entreprises à être plus équitables et à adopter une perspective durable. Les investisseurs peuvent exercer de l’influence par l’utilisation de la ressource dont ils disposent – l’argent. Les différentes possibilités d’un investissement durable ont une influence positive sur l’économie réelle et c’est une façon supplémentaire de pousser les entreprises à assumer leurs responsabilités. Mais les Etats doivent aussi assumer leurs responsabilités – et cela vaut également pour la Suisse. Si nous avons le courage de mettre en œuvre cette initiative, nous aurons intégré le respect des droits humains et de l’environnement dans l’économie de façon crédible. Cette initiative nous permet de créer une base nouvelle réunissant les initiatives volontaires de la société civile et de l’économie privée et les efforts de régulation étatiques pour protéger les droits humains et l’environnement. Nous pouvons renforcer la réputation de notre pays et doter les entreprises d’un outil contraignant pour minimiser les risques. Cela renforcera leur valeur et leur compétitivité. Je vous remercie pour votre attention. Coalition | 1 La coalition L’initiative pour des multinationales responsables est portée par une vaste coalition. 66 organisations des domaines de l’entraide, des droits humains, des droits des femmes, de la protection de l’environnement, des Eglises, mais aussi des syndicats et des unions d’actionnariat en font partie. nd sy env iro nn em en t ue de développem politiq ent ats églises investir éthiquemen t me e la fem its d dro h ts oi dr um ai ns s tre au Coalition | 2 Organisations porteuses Action de Carême Alliance Sud Amnesty International Brücke – Le pont Comundo (Bethlehem Mission Immensee, E-Changer, Inter-Agire) Déclaration de Berne DB Ethos Greenpeace Groupe de travail Suisse-Colombie Pain pour le prochain Société pour les peuples menacés Swissaid terre des hommes schweiz Terre des Hommes Suisse Organisations de soutien ACLI – Associazioni Cristiani Lavoratori Internazionali ACSI – Associazione consumatrici e consumatori della Svizzera italiana Actares Associazione di aiuto medico al Centro America AMCA Attac Bergbau Menschen Rechte Biorespect Botteghe del Mondo Bruno Manser Fonds CETIM cfd : L’ONG féministe pour la paix Eglises réformées Berne-Jura-Soleure – Œcuménisme Terre Nouvelle-Migration EPER FIAN Suisse pour le droit à l’alimentation Fondation Abendrot Fondation Suisse de l’Energie FPS – Femmes protestantes en Suisse Groupe de travail Tourisme et Développement Groupe pour une Suisse sans Armée GSsA Guatemalanetz Bern Helvetas Swiss Intercooperation humanrights.ch / Mers Incomindios Interaction / StopPauvreté 2015 Interteam Jesuiten weltweit Juristes démocrates de Suisse JDS Justitia et Pax KAB – Katholische Arbeitnehmerinnen-und Arbeitnehmer Bewegung Schweiz Ligue suisse de femmes catholiques SKF Magasins du monde medico international Schweiz Missionskonferenz Multiwatch Neue Bauernkoordination Schweiz PAN SWISS Coalition | 3 Peace Brigades International PBI Peace Watch Switzerland Pingwin Planet Pro Ethica Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie RSE Solidar Suisse Solifonds Sozialinstitut der KAB Schweiz ssp / vpod Transparency International Schweiz Travail.Suisse Unia Union syndicale suisse Unité Uniterre WWF Comité d’initiative | 1 Le comité d’initiative Le comité d’initiative de l’initiative pour des multinationales responsables réunit 23 personnes du domaine politique, scientifique, économique, religieux et des organisations non-gouvernementales. Ils / elles soutiennent toutes et tous l’initiative à titre personnel. Baumann Michael, Pain pour le prochain Bühlmann Cécile, Greenpeace Calmy-Rey Micheline, ancienne conseillère fédérale Herkenrath Marc, Alliance Sud Holenstein Anne-Marie, experte en politique de développement Karagounis Ion, WWF Kurmann Anton, Mission mondiale des jésuites Marty Dick, ancien conseiller aux Etats Missbach Andreas, Déclaration de Berne Morel Caroline, Swissaid Nay Giusep, ancien juge fédéral Niggli Peter, expert en politique de développement Palazzo Guido, professeur en éthique des entreprises Pittet Jean-Luc, Terre des Hommes Suisse Rieger Andreas, USS / Unia Roth Monika, professeure de droit Schick Manon, Amnesty International Simoneschi-Cortesi Chiara, ancienne conseillère nationale Sommaruga Cornelio, président honoraire de Caux Sottas Eric, Action de Carême von Graffenried Alec, ancien conseiller national Wettstein Florian, professeur d’éthique économique Zwahlen Jacques, ancien chef d’entreprise Personnalités soutenant l’initiative | 1 Les personnalités suivantes soutiennent l’initiative multinationales responsables Dick Marty, ancien conseiller aux Etats, Co-président du comité d’initiative « Personne ne voudrait que la circulation routière repose sur des principes volontaires et soit dictée par la loi du plus fort. De la même manière, les activités des sociétés à l’étranger doivent être encadrées par des règles claires. » Monika Roth, Professeure de Droit, Co-présidente du comité d initiative « Rien ne justifie que les sociétés suisses méprisent les droits humains et les standards environnementaux pour servir leur propre intérêt. » Nick Beglinger, président swisscleantech « Le devoir de respecter l’environnement et les droits humains vaut autant pour les entreprises que pour notre pays. A long terme, les entreprises suisses ne seront compétitives à l’échelle internationale que si leurs activités sont propres. De même pour la Suisse : celle-ci ne pourra devenir un modèle d’économie durable et humaniste que si elle prévoit des règles claires. C’est pourquoi je soutiens l’initiative pour des multinationales responsables. » Dominique Biedermann, président Ethos « Les organes dirigeants de toute entreprise ont un devoir de diligence en matière de droits humains fondamentaux et d’environnement naturel. Cette exigence incontournable s’applique aussi bien à la société elle-même qu’à ses filiales et ses fournisseurs partout dans le monde. » Marc-Alain Bloch, Directeur Général, La Semeuse SA « Si les entreprises ne sont pas responsables, qui le serait ? Cette initiative ne demande pas la lune. C’est une base pour considérer enfin comme il se doit nos semblables et respecter l’environnement. Un bon début pour créer un monde meilleur » Personnalités soutenant l’initiative | 2 Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale « En tant que Suissesse, j’ai une responsabilité pour ce que les multinationales suisses font à l’étranger. Malgré de bons accords volontaires, des violations des droits de l’homme et des atteintes à l’environnement continuent de se produire. Des règles contraignantes sont nécessaires pour y mettre un terme. C’est pour cela que je m’engage. » Ursula Haller, ancienne conseillère nationale « Cette initiative est nécessaire pour que les entreprises assument leurs responsabilités. Malheureusement, la responsabilité volontaire reste souvent une belle illusion. Trop de personnes ne sont prêtes à agir que si cela ne porte pas préjudice à leurs affaires. S’il ne tient qu’aux entreprises d’investir dans la prévention, celle-ci reste lettre morte. Les sociétés qui ne respectent pas les droits humains et les standards environnementaux doivent en assumer les conséquences. » Gisuep Nay, ancien juge fédéral, membre du comité d’initiative « Personne ne devrait priver ses semblables des libertés et des droits fondamentaux qu’il revendique pour lui-même. » Factsheet | 1 Pourquoi l’initiative pour des multinationales responsables est-elle nécessaire? Allégations par secteur1 Matières premières : 29 % Informatique : 16 % Biens de consommation (y compris le textile) : 15 % Services financiers: 10 % Aliments/boissons : 8 % Infrastructures: 8 % Constructions mécaniques lourdes : 6 % Pharma/chimie : 5 % Autres : 3 % A l’instar des activités de Shell au Nigeria, de Dow Chemical à Bhopal ou encore des marques de la mode dans des pays à bas salaires, d’innombrables cas illustrent depuis des décennies les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement commises par des multinationales. Les sociétés suisses ne font pas exception. C’est ce que démontre une étude récente à partir des données du Centre de Ressources sur les Entreprises & les Droits de l’Homme2. Depuis une dizaine d’années, ce centre documente sur son site (business-humanrights.org) les dénonciations de violations des droits humains et offre la possibilité aux entreprises de réagir. Il s’agit de la base de données de ce genre la plus large au monde. Elle ne couvre pourtant qu’une partie des incidents, puisqu’elle présente uniquement les cas portés à l’attention du public par des individus, des ONG ou des médias. Un coup d’œil sur les filières les plus touchées permet d’observer qu’une part importante des dénonciations concerne des secteurs où les entreprises suisses sont fortement représentées, en particulier celui des matières premières. La Suisse est la 20e puissance économique mondiale. Toutefois, elle se situe à la 9e place pour le nombre de cas documentés par pays. Elle se hisse même au 5e rang si l’on rapporte ces cas au PIB. Plusieurs exemples emblématiques illustrent cette situation. Glencore au Congo: dégradation de l’environnement et violence policière En avril 2012, la société zougoise Glencore déclarait avoir réglé le problème de pollution des eaux provoqué par son usine Luilu en République démocratique du Congo. Toutefois, de nouvelles analyses scientifiques prouvent le contraire. Des échantillons prélevés dans le canal Albert et la rivière Pingiri attestent que ces cours d’eau présentent une concentration de cuivre et de cobalt plusieurs fois supérieure aux limites fixées par l’Organisation mondiale de la santé: la concentration de cuivre y est ainsi jusqu’à 6 fois supérieure et celle en cobalt 53 fois. Les poissons ont disparu de la rivière Luilu et les pâturages d’antan le long des berges ressemblent aujourd’hui à de la «terre brûlée». Les populations qui habitent en aval de la mine ne peuvent utiliser l’eau de la rivière, ni pour leurs besoins quotidiens, ni pour irriguer leurs champs. Ailleurs en RDC, Glencore poursuit également un projet d’exploitation minière dans une réserve de chasse. Les exactions commises par les forces de sécurité y sont monnaie courante. En février 2014, Mutombo Kasuyi est décédé des suites de violences policières dans la concession de la filiale de Glencore à Kolwezi, Kamoto Copper Company (KCC). Ce père de famille la traversait, à la recherche de travail3. Bata: violations des droits des travailleurs chez un fournisseur Jusqu’à fin 2013, la fabrique de chaussures sri-lankaise Palla & Co était l’un des soustraitants de la marque Bata, dont le siège est en Suisse. Selon le syndicat local, Bata était même le principal client de cette usine en août 2012. A cette époque, invoquant des difficultés financières, la direction de Palla a refusé de payer aux ouvriers et aux ouvrières l’augmentation de salaire semestrielle qui leur était due contractuellement. Cette situation s’est reproduite à la fin 2012 ainsi qu’en août 2013. Les négociations entre les syndicats et la direction de l’usine n’ont pas abouti, ce qui a conduit les travailleurs et travailleuses à se mettre en grève. Factsheet | 2 Au lieu de chercher le dialogue avec les grévistes, Palla a préféré employer la manière forte. En novembre 2013, quinze syndicalistes ont été licenciés. Puis, un mois plus tard, 179 travailleurs et travailleuses syndiqués ont été limogés. Certaines de ces personnes ont été réengagées dans les semaines suivantes, à la condition cependant qu’elles renoncent à s’affilier au syndicat. Actuellement, 92 employés et 12 syndicalistes luttent toujours pour leur emploi. De nombreuses personnes peinent à trouver un autre travail car la direction de Palla semble avoir diffusé des listes avec les noms des personnes licenciées et incité d’autres usines à ne pas les engager. Confrontée à ces violations des droits du travail, Bata a tout d’abord nié avoir une responsabilité dans cette affaire. Plus tard, elle a admis que Palla avait violé le code de conduite de Bata, mais elle a refusé de s’engager pour trouver une solution. Fin 2013, soit une année et demie après le début du conflit, Bata a mis fin à ses relations d’affaires avec Palla, sans avoir jamais cherché à offrir une réparation aux personnes lésées. Ce comportement constitue une grave violation de la responsabilité des entreprises dans le respect des droits humains ainsi que des droits du travail4. Syngenta: herbicide mortel Syngenta vend du Paraquat dans plusieurs pays en développement, alors même qu’elle sait que ce pesticide controversé ne peut pas y être utilisé d’une manière adéquate. La multinationale bâloise se rend ainsi coresponsable de milliers de cas d’empoisonnement et de décès par an. Le Paraquat – interdit en Suisse depuis 1989 à cause de sa toxicité élevée – est considéré comme l’herbicide le plus mortel du monde. On estime à plus d’un million par an le nombre d’empoisonnements dans le monde dus à des pesticides. Des dizaines de milliers de cas entraînent la mort. Une part non négligeable de ces intoxications provient de l’usage du Paraquat. Les causes d’accident les plus fréquentes sont le manque de vêtements de protection appropriés ainsi que l’emploi de pulvérisateurs défectueux. Dans de nombreux cas, les paysans n’ont pas les moyens d’acheter les équipements requis. Ailleurs, le port de vêtements de protection est rendu difficile par le climat tropical. Syngenta répond aux critiques depuis des années avec les mêmes arguments: le produit est sans danger si on l’emploie correctement, et des millions d’utilisateurs ont déjà bénéficié de programmes de formation. En affirmant cela, elle ignore le fait qu’un usage approprié du Paraquat et le respect des standards de sécurité requis sont illusoires pour de nombreuses personnes dans la plupart des pays. Les programmes de formation n’y changent rien5. Roche et Novartis: tests de médicaments contraires à l’éthique Les essais cliniques effectués par des entreprises pharmaceutiques comme les firmes suisses Roche et Novartis dans des pays en développement et émergents violent fréquemment les standards éthiques minimaux. Etape essentielle, délicate et très onéreuse du processus de recherche et développement, les tests de médicaments sur des êtres humains sont de plus en plus souvent délocalisés dans des pays où les essais sont bon marché et les régulations faibles. Près d’un essai clinique sur deux est réalisé aujourd’hui dans des pays en développement et émergents. En Chine, par exemple, un essai revient trois fois moins cher qu’aux Etats-Unis et s’effectue en outre bien plus rapidement. Le recrutement de «volontaires» est également beaucoup plus facile dans les pays pauvres, car la participation à des essais cliniques représente souvent le seul moyen d’accéder à des soins médicaux. Des enquêtes conduites en Argentine, en Ukraine, en Russie et en Inde dressent un bilan alarmant: du fait d’une régulation et de contrôles plus laxistes, les risques de nonrespect des standards éthiques internationaux et de violations des droits humains y sont élevés. Cela, via l’absence de demande de consentement, l’utilisation abusive de placebos, l’interruption abrupte du traitement à la fin des essais ou encore le Factsheet | 3 manque de compensation financière en cas d’effets secondaires graves. Quand bien même le produit testé est ensuite mis en vente dans le même pays, son prix est trop élevé pour la plupart des cobayes, qui dès lors n’y ont pas accès. Il arrive par ailleurs que les patients ne soient pas informés du fait que leurs médicaments se trouvent encore en phase d’essai. Les droits de ces personnes sont bafoués 6. Neosoft AG: technologie de surveillance pour des escadrons de la mort? En septembre 2013, la société informatique suisse Neosoft est apparue dans les données du «monde sous surveillance» (Spy Files) publiées par Wikileaks comme étant l’un des rares fabricants suisses de technologies de surveillance haut de gamme. La firme vend notamment le «IMSI-Catcher», un appareil permettant de détecter les téléphones portables et d’identifier les utilisateurs jusqu’à un kilomètre de rayon. En été 2014, une délégation du Bangladesh s’est intéressée à cette technologie: dix membres de l’unité spéciale paramilitaire Rapid Action Battalion (RAB) ont rendu visite à Neosoft. Le RAB a été qualifié d’escadron de la mort par Amnesty International et Human Rights Watch. Depuis 2004, le groupe s’est en effet rendu responsable de plus de 700 morts et de l’enlèvement de nombreux membres de l’opposition. Il reste à prouver si la technologie mortelle a été ou sera livrée au RAB, mais de solides indices pointent dans ce sens. Dans l’appel d’offres du RAB, publié par l’hebdomadaire WOZ, il est demandé qu’une formation sur le site de l’entreprise («factory site») soit dispensée par le fournisseur à «dix officiers pendant une durée de dix jours ouvrables». Selon les documents, la formation comprendrait un cours pour administrateurs de systèmes. Ainsi, le transfert de connaissances serait assuré et les officiers du RAB devraient apprendre à résoudre les problèmes qui pourraient survenir lors de l’utilisation du logiciel. La visite de la délégation bangladaise pourrait bien avoir précisément servi à cela8. En conséquence, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) chargé du contrôle des exportations, a déposé plainte contre Neosoft auprès du Ministère public de la Confédération en septembre 2014. Conformément à la Loi sur le principe de la transparence dans l’administration publique, la Neue Luzerner Zeitung a pu accéder à la liste des pays faisant l’objet d’une demande pour des exportations de technologies de surveillance. Aux côtés du Bangladesh, on trouve l’Azerbaïdjan, l’Ethiopie, le Venezuela et la Biélorussie. Des demandes d’exportation vers le Yémen, la Chine, la Russie et le Turkménistan ont été finalement retirées. Le SECO admet n’avoir à ce jour jamais interdit de telles exportations. Les obstacles juridiques pour justifier une interdiction sont élevés, puisque la situation des droits humains ne constitue pas un critère légal pour les biens à double usage 8. 1 Source: Kamminga 2015, basées sur 1877 reproches entre 2005 et 2014 sur business-humanrights.org 2 Menno T. Kamminga, Utrecht University, Company Responses to Human Rights Reports: An Empirical Analysis, 2015. Les chiffres par pays d’origine ont été enrichis par les données de la Banque Mondiale sur le PIB. 3 Action de Carême/Pain pour le prochain, communiqué de presse du 17.6.2014. 4 http://business-humanrights.org/en/sri-lanka-ngo-calls-on-bata-shoe-company-to-take-responsibility-for suppliers-dismissal-of-workers-allegedly-due-to-union-activity et www.cleanclothes.org/news/2014/12/15/tell bata-to-stop-cut-and-run-sri-lanka 5 www.paraquat.ch 6 www.ladb.ch/themes-et-contexte/sante/essais-cliniques/ 7 WOZ, 4.9.2014, www.rts.ch/info/suisse/6120656-une-entreprise-suisse-de-cybersurveillance-en-affaires-avec le-bangladesh.html 8 Neue Luzerner Zeitung, 8.1.15, «Schleier um Big Brother gelüftet»; St. Galler Tagblatt, 6.2.15, «Geheimniskrämerei um Big Brother». Factsheet | 1 Le devoir de diligence, cœur de l’Initiative pour des multinationales responsables Ainsi que le Conseil fédéral le relève, les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme en 2011, « fixent pour la première fois un cadre de référence reconnu internationalement sur la manière d’obliger les entreprises industrielles à respecter les droits de l’homme dans l’Etat où elles sont actives et de garantir que les victimes de violations soient effectivement indemnisées »1. L’initiative entend mettre en œuvre au plan national l’un des éléments centraux de ces Principes directeurs : la diligence raisonnable en matière de droits humains. Par conséquent, elle instaure un devoir de diligence pour les sociétés dont la fonction est essentiellement préventive : identifier les risques et prendre des mesures adéquates afin d’éviter que les droits humains ne soient violés. Le devoir de diligence s’étend également aux standards environnementaux. Dans la pratique, le non-respect de tels standards va souvent de pair avec des violations de droits humains. Que signifie le devoir de diligence en matière de droits humains dans le contexte du droit international public ? 2 Le devoir de diligence en matière de droits humains selon les Principes directeurs3 La notion de « diligence raisonnable » présente dans le texte de l’initiative est reprise des Principes directeurs de l’ONU, dont la mise en œuvre s’effectue actuellement à l’échelle mondiale. Ces Principes reposent sur trois piliers : 1) le devoir des Etats, 2) la responsabilité des entreprises, et 3) l’accès à la justice, permettant aux victimes de violations d’obtenir réparation pour les dommages qu’elles ont subis. La diligence raisonnable en matière de droits humains est l’élément central du second pilier (la responsabilité des entreprises de respecter les droits humains). La diligence raisonnable en matière de droits humains vise les incidences négatives sur les droits de l’homme auxquelles l’entreprise peut ou pourrait contribuer par le biais de ses propres activités, ou qui peuvent découler directement de ses activités, produits ou services ainsi que de ses relations d’affaires 4. Une procédure de diligence comprend trois composantes : 1) identifier les risques, 2) agir en conséquence, 3) rendre compte des analyses et des mesures adoptées. 1) Identifier les risques Une procédure de diligence en matière de droits humains est plus ou moins complexe, suivant le risque de graves incidences sur les droits humains ou la nature. C’est pourquoi chaque entreprise doit, en examinant l’ensemble de ses activités, s’assurer en premier lieu qu’elle connaît les incidences négatives sur les droits de l’homme qu’elle peut ou pourrait contrer. La diligence raisonnable en matière de droits humains doit être mise en œuvre le plus tôt possible, dès le début d’une nouvelle activité ou relation d’affaires. Les risques pour les droits de l’homme peuvent en effet s’accroître ou diminuer dès l’élaboration des contrats ou d’autres accords; ils peuvent être transmis par des fusions ou des acquisitions. Un processus de diligence est une tâche continue, étant donné que les risques en matière de droits de l’homme peuvent changer au fur et à mesure de l’évolution des activités et du cadre de fonctionnement de l’entreprise. Pour cette raison, les sociétés sont obligées d’analyser l’ensemble de leurs activités actuelles et de celles qu’elles prévoient de développer. La complexité des procédures de diligence dépend de la taille de l’entre- Factsheet | 2 prise et du risque qu’elle présente de graves incidences sur les droits de l’homme, ainsi que de la nature et du contexte de ses activités 5. Pour évaluer les risques relatifs aux droits de l’homme, les entreprises devraient recourir à des compétences internes et/ou indépendantes externes, et procéder à de véritables consultations avec des groupes et autres acteurs concernés susceptibles d’être touchés 6. Les droits humains qu’il s’agit de prendre en compte englobent la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que ses instruments de mise en œuvre les plus importants : –le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte de l’ONU II) –le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte de l’ONU I). –les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT)7. Une procédure de diligence « peut être incorporée aux systèmes de gestion des risques de l’entreprise au sens large, sous réserve qu’elle ne se borne pas à identifier et gérer les risques importants auxquels l’entreprise est elle-même exposée, et qu’elle prenne en compte les risques encourus par les titulaires des droits » (c’est-à-dire les victimes potentielles de violations)8. Ce changement de perspective est l’aspect déterminant qui différencie la façon d’approcher les risques de violation des droits humains de la manière par laquelle sont abordés les risques entrepreneuriaux. 2) Agir en conséquence Lors de l’évaluation des risques sur les droits humains, les entreprises doivent rechercher les incidences négatives effectives et potentielles. Ensuite, elles doivent agir pour prévenir les effets potentiels ou au moins réduire les risques qu’une violation survienne. Il convient également de mettre un terme aux incidences effectives, c’est-à-dire aux violations déjà commises, et de réparer les dommages subis. Les éléments de cette réparation sont définis au paragraphe 22 du deuxième pilier des Principes directeurs et font l’objet du troisième pilier. Afin de prévenir et atténuer les incidences négatives de leurs activités sur les droits humains, les entreprises doivent intégrer les résultats de leurs études d’impact à l’ensemble des fonctions et processus internes pertinents et prendre les mesures qui s’imposent. Une intégration efficace suppose que la responsabilité de remédier à ces incidences soit assignée au niveau et à la fonction appropriée au sein de l’entreprise. Cela implique également que le processus décisionnel interne, les allocations budgétaires et les processus de contrôle permettent de prendre des mesures efficaces contre ces incidences9. Les mesures qu’il convient d’adopter varient selon les cas. Elles diffèrent selon le fait qu’une entreprise a elle-même été la cause d’un préjudice, qu’elle y a contribué directement, que l’incidence négative est liée à ses activités, ses produits ou services, ou encore à ses relations d’affaires. Les facteurs qui permettent de déterminer l’action appropriée dans ce genre de situation dépendent notamment de l’influence dont l’entreprise dispose afin de faire cesser une incidence négative. Ce n’est que lorsqu’une entreprise n’a pas le pouvoir de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives ou lorsqu’elle n’est pas en mesure d’accroître ce pouvoir qu’elle devrait envisager de faire cesser une relation d’affaires10. Mettre un terme à des relations d’affaires lorsque des violations des droits humains sont attestées dans la chaîne d’approvisionnement est donc un comportement qui contredit explicitement les Principes directeurs. Pour vérifier s’il est remédié aux incidences négatives sur les droits de l’homme, les entreprises devraient contrôler rapidement l’efficacité des mesures qu’elles ont prises. Ce contrôle devrait se fonder sur des indicateurs quali- Factsheet | 3 tatifs et quantitatifs appropriés, et en particulier s’appuyer sur les appréciations des acteurs directement concernés 11. 3) Rendre compte Pour rendre compte de la façon dont elles remédient à leurs incidences sur les droits humains, les entreprises devraient être prêtes à communiquer publiquement. Les entreprises dont les activités ou les cadres de fonctionnement présentent des risques d’incidences graves sur les droits de l’homme doivent faire connaître officiellement la manière dont elles y font face. Dans tous les cas, de telles communications doivent s’effectuer selon des modalités ainsi qu’à une fréquence en rapport avec les incidences sur les droits humains de l’entreprise et être faciles d’accès pour les publics auxquels elles s’adressent. Elles doivent également fournir des informations suffisantes pour évaluer l’efficacité des mesures prises par une entreprise pour remédier à l’incidence sur les droits humains. Les rapports devraient porter sur tous les thèmes afférents à la manière dont les entreprises identifient les incidences négatives sur les droits de l’homme et y remédient. Le contenu et la crédibilité des rapports sur les droits humains peuvent être renforcés par une vérification indépendante 12. Les rapports exigés vont donc en tout cas bien au-delà du niveau usuel des rapports de durabilité. Rendre compte de manière crédible et cohérente implique que l’ensemble des risques en matière de droits humains soit pris en compte, que la priorisation de certains domaines d’action soit justifiée; les mesures prises et leurs effets doivent être présentés soigneusement. Selon les Principes directeurs, la quantité et la qualité des informations fournies dans de tels rapports doit permettre de juger si les mesures prises par une entreprise sont adéquates ou non. Procédures de diligence simplifiées pour les PME La majorité des entreprises suisses sont des petites et moyennes entreprises (PME). Le texte de l’initiative prévoit que le législateur devra introduire dans la législation d’exécution des clauses permettant de tenir compte de la situation particulière des PME qui ne présentent que peu de risques de violations de droits humains. Il n’est cependant pas adéquat de libérer complètement de telles entreprises du devoir de diligence, puisqu’il existe un certain nombre de PME dont l’activité présente un risque élevé de violations de droits humains (par exemple le commerce de diamants ou l’industrie du vêtement). La taille d’une entreprise n’est pas un critère suffisant pour juger des risques de violations de droits humains ou de dégâts environnementaux que ses activités présentent. La majorité des PME, en particulier celles dont le profil de risque est faible (les entreprises dont l’activité est limitée à la Suisse et dont la chaîne d’approvisionnement n’est pas internationale) n’auront à appliquer qu’une procédure très simplifiée. Identifier les risques Agir en conséquence (éliminer les risques ou au moins les atténuer, mettre un terme aux violations, examiner l’efficacité des mesures adoptées) Rendre compte 1 Rapport de droit comparé. Mécanismes de diligence en matière de droits de l’homme et d’environnement en rapport avec les activités d’entreprises suisses à l’étranger, mai 2014, p. 3. 2 Nous sommes ici dans le domaine du « droit mou » (soft law), dont les normes ont valeur de référence au niveau international, mais sans être contraignantes. 3 L’initiative couvre également les risques relatifs aux dégâts environnementaux. 4 Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, principe 17 (a). 5 Ibid., principe 17 (b), (c) et commentaire. 6 Ibid., principe 18 (a), (b). 7 Ibid., principe 12. 8 Ibid., principe 17 commentaire. 9 Ibid., principe 19 et commentaire. 1 0 Ibid., principe 19 et commentaire. 1 1 Ibid., principe 20. 1 2 Ibid., principe 21 et commentaire.