L`entrepreneuriat social : maximiser les capabilités plutôt que le profit

Transcription

L`entrepreneuriat social : maximiser les capabilités plutôt que le profit
Sommaire Ateliers
ATELIER 1 : POLE DE COMPETITIVITE ET STRATEGIES ENTREPRENEURIALES
Président : Frank Lasch
Salle 310
Damien TALBOT
Les pratiques de proximités : les pays et les pôles de
compétitivité.
Bernard DUSSUC
et Sébastien GEINDRE
Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances ?
Géraldine AURET
Le
groupement
d'entreprises,
une
stratégie
entrepreneuriale complémentaire aux outils de gestion :
diversité des objectifs et des résultats recherchés par
l'entreprise.
ATELIER 2 : ACOMMPAGNEMENT ENTREPRENEURIAL
Présidente : Sylvie Sammut
Salle 311
Stéphanie MITRANO-MEDA
et Lucien VERAN
Jean REDIS
Ludvig LEVASSEUR
Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial.
Proposition d'un cadre de référence.
Entrepreneuriat répété, capital organisationnel et accès au
financement par capital-risque.
Comment peut-on voir le monde depuis son appartement ?
Un cadre d'analyse liant structure de propriété,
comportements stratégiques, orientations temporelles du
dirigeant et la Moyenne Entreprise.
ATELIER 3 : ENTREPRENEURIAT ET RESEAUX
Présidente : Agnès Paradas
Salle 310
Wadid LAMINE,
Hela CHEBBI
et Alain FAYOLLE
Ekaterina LE PENNEC
et Antonin RICARD
Vincent LEFEBVRE
Quel apport de la théorie de l'acteur-réseau pour
appréhender la dynamique de construction du réseau
entrepreneurial ?
Les réseaux d'influence et l'implantation des PME.
Vers une typologie des réseaux formels d'entrepreneurs :
une étude exploratoire.
1
ATELIER 4 : ENTREPRENEURIAT ET SOCIETE
Président : Léo-Paul Dana
Salle 311
Patrick GILORMINI
Amira LAIFI
Salah KOUBAA
et Abdelhak SAHIBEDDINE
L'entrepreneuriat social : maximiser les capabilités plutôt
que le profit.
La problématique de légitimité d'une jeune entreprise
dans un champ émergent.
L'intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc.
ATELIER 5 : REPRESENTATION ENTREPRENEURIALE ET BUSINESS MODEL
Président : Karim Messeghem
Salle Amphi D 300
Thierry VERSTRAETE & al.
Blandine LANOUX
CLAVERIE
Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de
Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du
bâtiment.
La représentation de l'Entrepreneur au Cinéma.
2
Table des matières des résumés
G. AURET, Le groupement d'entreprises, une stratégie entrepreneuriale complémentaire aux
outils de gestion: diversité des objectifs et des résultats recherchés par
l'entreprise…………………………………………………………………………………..p.4
B. DUSSUC, S. GEINDRE, Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances au
service des PME membres ?.............................................................................................p.17
P. GILORMINI, L'entrepreneuriat social: maximiser les capabilités plutôt que le
profit…………………………………………………………………………………….….p.36
S. KOUBAA, A. SAHIBEDDINE, L'intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc: une
analyse PLS de la méthode des équations structurelles………………………………..…p.54
A. LAIFI, La problématique de légitimité d'une jeune entreprise dans un champ
émergent………………………………………………………………………………...…..p.73
W. LAMINE, H. CHEBBI, A. FAYOLLE, Quel apport de la théorie de l'acteur-réseau pour
appréhender la dynamique de construction du réseau entrepreneurial?...........................p.91
B. LANOUX CLAVERIE, La représentation de l'Entrepreneur au Cinéma ………..…p.119
V.LEFEBVRE, Vers une typologie des réseaux formels d'entrepreneurs: une étude
exploratoire…………………………………………………………………………......…p.143
E. LE PENNEC, A. RICARD, Les réseaux d'influence et l'implantation des
PME……………………………………………………………………………………….p.161
L. LEVASSEUR, Comment peut-on voir le monde depuis son appartement? Un cadre
d'analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du
dirigeant et la moyenne entreprise…………………………………………………..……p.175
S. MITRANO-MEDA, L. VERAN, Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial
Proposition d'un cadre de référence……………………………………………………….p.195
J. REDIS, Entrepreneuriat répété, capital organisationnel et accès au financement par capitalrisque………………………………………………………………………………..……..p.211
D. TALBOT, Les pratiques de proximités: les pays & les pôles de
compétitivité……………………………………………………………………………….p.234
T. VERSTRAETE et al. , Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business
Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment………………………….….p.250
3
Le groupement d’entreprises, une stratégie entrepreneuriale
complémentaire aux outils traditionnels de gestion : diversité des
objectifs et des résultats recherchés par l’entreprise
Proposition de communication professionnelle
(recherche-action ayant conduit à la mise en place d’outils sur le terrain investi)
Géraldine AURET
Consultant - Expert Afnor
THALIS Conseil – Le Millénaire – 725 rue Louis Lepine – 34000 Montpellier
Tél. : 06 70 72 12 63 – g.auret@thalis-conseil.fr
Résumé : A partir d’une revue de l’expérience du cabinet de Thalis Conseil, spécialisé dans
la création, la gestion et l’évaluation de groupement d’entreprises, nous proposons une
communication visant à formuler un cadre de présentation du phénomène économique des
groupements d’entreprises régionaux, véritable stratégie collective entrepreunariale. Nous
mettons en avant que les objectifs et les résultats s’analysent selon les positions complexes du
dirigeant au sein du groupement qu’il soit président, membre du bureau ou bien simple
adhérent (sur la base d’une enquête effectuée auprès de 48 entreprises membres de
groupements, par questionnaires et entrevues). D’autre part, l’analyse tend enfin à démontrer
que les objectifs recherchés du dirigeant relèvent plus d’une notion de sociabilisation que d’un
souhait de développement commercial direct.
Mots clefs : Groupement d’entreprises, Actions collectives, Objectifs et résultats différenciés
Valeur sociale, Valeur commerciale
Abstract: Based on a review of feedback carried out by Thalis Conseil, specialists in the
creation, management and assessment of company groupings, we would like to propose
a presentation aimed at formulating a framework for the economic phenomenon of the
regional company groupings, a truly joint entrepreneurial strategy.
On the basis of a survey of 48 grouping member companies, carried out by means of a
questionnaire and by interviews, we would emphasize that objectives and results have to be
looked at from the rather complex point-of-view of the Manager, be he/she the Chairman, an
office executive or merely a simple member of the grouping.
Moreover, analysis tends to show that, in the long run, the objectives aimed for by
the Managers would appear to increase the idea of socialisation rather more than the desire for
direct commercial development.
Key words: Company grouping, Joint action, Differing objectives and results, Social value,
Commercial value
4
Introduction
Les réseaux inter organisationnels (RIO) ou coopération interentreprises sont un phénomène
ancien et, pourtant, durant ces quinze dernières années, ils sont devenus des éléments
incontournables de la vie économique régionale avec une multiplication des créations de
groupements en Languedoc-Roussillon.
Le développement de la recherche relative à l’analyse de ce type d’organisation atteste
également de l’intérêt de la communauté scientifique pour ce phénomène.
Les réseaux inter organisationnels (RIO) sont un phénomène organisationnel appréhendé sous
plusieurs aspects, et il n’existe pas une théorie ou une définition faisant consensus, mais bien
des concepts d’analyse du phénomène et des définitions précisant le fait « par lequel deux
organisations au moins forment au cours du temps des liens plus ou moins puissants et
étendus dans le but de réduire les coûts et/ou d’augmenter la valeur reçue et ainsi d’en tirer un
bénéfice mutuel » (Andersen et Narus 1991).
La littérature et les théories explicatives du phénomène sont donc très nombreuses. Notons,
que, parmi les approches conceptuelles les plus citées dans la littérature scientifique, nous
trouvons notamment la théorie des coûts de transaction (TCT) (Williamson, 1975). Cette
théorie permet d’étudier des procédures de coopération de firmes dans un cadre d’activités
complémentaires. Le point de départ de la TCT est de postuler que toute transaction
économique engendre des coûts préalables à leur réalisation. Dès lors, les agents économiques
peuvent être amenés à rechercher des arrangements institutionnels alternatifs permettant de
minimiser ces coûts.
Ainsi, entre le marché et l'entreprise, de nombreuses formes "hybrides" peuvent être
identifiées dont le réseau inter organisationnel. Néanmoins, cette théorie ne permet pas de
comprendre les motifs d’une coopération horizontale, ainsi que les intentions stratégiques de
la firme autres que marchandes ou d’optimisation de coûts.
Le courant de l’école de la stratégie, développé par Miles et Snow (1986), est engagé dans
une démarche d’identification des différentes formes organisationnelles. Pour ce courant,
l’alliance stratégique est prioritairement en quête de synergie pour faire face à la concurrence.
En sociologie économique, la notion d'encastrement (Granovetter, 1985) permet de concevoir
les transactions économiques dans les relations sociales. Deux sortes d’encastrement se
distinguent : l'encastrement relationnel (les relations personnelles qui influencent l'action), et
l'encastrement structural (qui renvoie plus largement aux réseaux auxquels l'acteur prend
part). Ce sont ces deux formes d'encastrement qui assurent la continuité des relations entre les
individus, en leur permettant d'acquérir un socle social commun à travers un réseau inter
organisationnel et, à partir de là, engendrer des relations économiques.
Ces théories définissent des concepts d’analyse différents en ne se basant que sur la notion de
firme et n’étudient que partiellement les objectifs de l’individu au sein du groupe. Aussi, notre
approche préconise de sortir du déterminisme des courants dits classiques en analysant le RIO
à travers les objectifs et les résultats recherchés par l’agent économique participant au groupe,
à savoir, l’entrepreneur.
Nous appuierons le cadre de notre proposition sur une approche opérationnelle basée sur une
expérience avérée de dix ans dans la conception et la mise en œuvre de RIO. Nous proposons
d’adosser à notre analyse les résultats d’une enquête effectuée en 2009, auprès de 48 chefs
d’entreprises appartenant à un ou plusieurs réseaux inter organisationnels. Cette enquête a été
5
réalisée par questionnaire auto-administré et en face à face dans le cadre de la rédaction du
Guide « Création, gestion et évaluation des groupements d’entreprises » G.Auret et
F.Bensallem pour le compte de l’Agence Française de Normalisation.
1. Périmètre du champ d’investigation « terrain »
Avant de déterminer les objectifs et les résultats recherchés par l’entrepreneur au sein d’un
réseau inter organisationnel, nous devons, dans un premier temps, définir le concept
spécifique expérimenté sur le territoire régional. En effet, les réseaux inter organisationnels
régionaux sont empreints de dénominateurs communs récurrents et précis.
Tout d’abord, la profusion des définitions, voire la confusion dans l’usage des termes, nous
amène à utiliser le terme le plus usité sur le territoire régional, à savoir : « groupement
d’entreprises »(GE).
1.1. Définition et caractéristiques d’un groupement d’entreprises en LanguedocRoussillon
Les groupements d’entreprises du Languedoc-Roussillon se caractérisent principalement par :
-
le territoire :
Le territoire, dont sont issues les entreprises et sur lequel s’exercent les actions du
groupement, est dans la majorité des cas régional.
-
le secteur d’activité des entreprises du groupement et/ou interprofessionnel :
Traditionnellement, les entreprises des groupements sont issues d’un même secteur
d’activité voire d’une même filière (exemple : NOVAE LR, groupement d’entreprises
des technologies de l’information et de la communication). Toutefois, certains
groupements sont interprofessionnels et regroupent des entreprises de secteurs
d’activité différents, le plus souvent autour d’une thématique commune. (exemple :
SOECO, groupement d’entreprises dédié à la thématique du développement durable).
Ils ont, pour la plupart, été initiés soit par les pouvoirs publics, soit par les entreprises
sur la base d’une construction volontaire.
- la structure juridique du groupement :
La plupart des groupements d’entreprises sont constitués sous la forme associative
(association Loi 1901). Ce choix a des incidences sur le mode de gouvernance, la conduite des
actions, et sur la fiscalité et les ressources du groupement.
- le mode de pilotage et de coordination du groupement :
Puisque la majorité des groupements sont constitués sous forme d’associations loi 1901, on
retrouve généralement dans les organes de gouvernance un Président, un Bureau et/ou un
Conseil d’Administration, qui travaillent souvent en collaboration avec un Animateur /
Coordinateur. La coordination est assurée, soit en interne par un ou plusieurs salariés, soit par
des consultants extérieurs spécialisés, en fonction des choix du groupement.
-
le budget dont le groupement dispose :
Ces financements sont basés sur des programmes d’actions annuels ou pluriannuels et
proviennent : de ressources privées (cotisations des membres, participation financière des
membres aux actions, sponsoring…) ainsi que de ressources publiques (subventions
provenant de collectivités locales, de l’Etat ou de structures attachées, de l’Europe).
6
- le type d’actions menées par le groupement :
Exemples d’actions collectives en matière de développement commercial (réalisation d’outils
commerciaux en commun, participation collective à des salons professionnels…) ; en matière
de développement des ressources humaines et des compétences (recrutement d’un cadre RH à
coût et temps partagés, CV thèque, bourse aux stages,…) ; amélioration des pratiques de
l’entreprise, benchmark (organisation de rencontres thématiques, technologiques, stratégiques,
organisation de visites d’entreprises, analyse comparative des pratiques au sein du
groupement…).
-
le type et la nature des entreprises composant le groupement (Cf. ci-après)
1.2. L’entreprise adhérente
Pour un entrepreneur comme pour son entreprise, sous-entendu son personnel également, le
groupement n’a pas vocation à se substituer aux moyens et aux ressources internes, mais bien
à compléter dans une logique additionnelle ou complémentaire, les outils à leur disposition
pour le développement de l’entreprise dans son ensemble.
Il devient aujourd’hui une véritable composante de la stratégie globale de l’entreprise au
même titre qu’un partenaire traditionnel. Il est entré dans le paysage du chef d’entreprise
moderne et de ses salariés. Du reste, en région, il n’est pas rare de croiser des chefs
d’entreprises membres de plusieurs groupements.
L’enquête « terrain », menée en 2009, auprès de 48 entreprises adhérentes à différents
groupements, toutes activités et tailles confondues, nous a permis d’établir la « Fiche
d’identité de l’entreprise adhérente à un groupement ».
Tableau 1 - Carte d’identité de l’entreprise régionale adhérente à un groupement
d’entreprises
Maturité
- 67% des entreprises ont plus de 5 ans d’existence
Structures
- 59% sont constituées en Sarl ou SA/SAS
- 45% sont dites « familiales »
- 66% ont un effectif < 20 salariés
Organisation commerciale
- 80% ont une clientèle « entreprises »
- 54% évoluent sur un marché géographiquement étendu au niveau national
- 37% ont un marché à l’export
- 70% ont un chiffre d’affaires en stagnation ou en croissance
Extrait de l’étude réalisée entre mai et juillet 2009 auprès de 48 entreprises de la région
Languedoc-Roussillon adhérentes à au moins un groupement d’entreprises, tout secteur
d’activité confondu
Même si ces résultats reflètent la composition du tissu régional, nous avons pu relever que les
éléments majeurs communs à l’ensemble des entreprises sont les suivants :
- Les entreprises adhérentes à des groupements sont des entreprises ayant dépassé le
stade de la création, ce sont des entreprises dites « matures ».
7
-
-
Peu d’entreprises artisanales sont représentées. La plupart des structures sont
essentiellement des entreprises industrielles et de services à l’industrie. La
financiarisation de l’économie et les contraintes du marché, à travers notamment les
donneurs d’ordre, poussent au regroupement.
La majorité des entreprises sont indépendantes et n’appartiennent pas à un groupe.
Ce sont des TPE et PME avec une faible structure d’encadrement.
Si la croissance de l’entreprise n’est pas remise en cause (chiffre d’affaires en
croissance selon déclaration du chef d’entreprise), il semblerait que le groupement
devienne l’opportunité d’un nouveau mode de développement de l’entreprise
additionné aux deux modes traditionnels que sont la croissance organique et la
croissance externe.
2. Des objectifs et des résultats différenciés selon le positionnement de
l’entrepreneur au sein du groupement d’entreprises
2.1. Différents positionnements possibles de l’entrepreneur au sein du groupement
d’entreprises
Une grande diversité d’acteurs et de modes d’intervention entrent en jeu dans le
fonctionnement, la gouvernance et le pilotage d’un groupement. Ces modes divergent aussi
d’un groupement à l’autre. La grande constante est que les Hommes jouent un rôle essentiel !
Plusieurs acteurs interviennent en interne et en externe et leurs rôles sont différents à chaque
stade de la vie du groupement. Les interventions dans un mode collectif supposent un état
d’esprit différent de celui du management d’entreprise individuel, une grande capacité
d’écoute et d’adaptation. Il ne s’agit plus d’une gouvernance d’un chef d’entreprise au sein de
son entreprise mais d’une gouvernance qui devient dès lors collégiale.
Notons également que la notion de temps est une donne fondamentale dans le fonctionnement
d’un groupement. Les temps de réaction, de validation, d’action sont généralement plus longs
que dans une entreprise, la posture managériale est modifiée.
8
Figure 1 – Acteurs internes et externes au groupement d’entreprises
Le schéma, ci-dessus présenté, positionne les « acteurs-entrepreneurs-entreprises » internes et
externes au groupement. Ceci nous amène à constater que les objectifs et les résultats attendus
seront différents, quel que soit le territoire, le secteur d’activité, la taille, le budget, le type
d’actions, selon le positionnement de l’entreprise et, donc, de l’entrepreneur qui la représente
au sein même du groupement. La participation à un groupement d’entreprises engendre donc
une participation interne au groupement différenciée selon que l’entrepreneur participe à la
gouvernance ou bien qu’il soit simple participant aux actions, voire seulement adhérent non
participant.
2.1.1. Les entrepreneurs membres du Bureau et du Conseil d’Administration
Ainsi, les entrepreneurs membres du Bureau (Président, Trésorier, Secrétaire) auront des
objectifs complémentaires, voire extérieurs à leur propre entreprise, qui s’attacheront plus au
fonctionnement et à l’atteinte des objectifs du plan d’actions du groupement : taux de
réalisation du plan d’actions, taux de participation aux actions, respect des délais, bilan sur les
ressources utilisées et à disposition, nombre d’adhérents et reconduction des financements
publics. En outre, la notion d’image du groupement est également un objectif et un résultat à
mesurer : « visibilité » et notoriété du groupement (nombre d’articles de presse, taux de
fréquentation des sites internet…). Cette notion immatérielle et difficilement quantifiable a un
impact direct dans la reconnaissance de l’entrepreneur au sein du groupe et en externe vis-àvis des parties prenantes.
Verbatim
« Etre président c’est relever un challenge, en faisant adhérer à une cause à laquelle on est
profondément attaché, des partenaires qui ne sont pas des salariés. C’est générer avec
d’autres de la richesse et des réflexions. C’est avoir la conviction profonde que l’on est bien
plus forts à plusieurs et que cette force est source d’énergie et de créativité. C’est enfin juste
9
avoir envie de donner et de partager. Un conseil : être à l’écoute et n’agir que dans l’intérêt
du groupement. »
« Dans un groupement on entretient avec tout le monde des relations humaines sans liens de
hiérarchie tout en étant dans un contexte professionnel. C’est une formidable aventure
humaine ! »
Nous noterons qu’à aucun moment un Président ne parle de développement de sa propre
activité ni de son entreprise. Il est à remarquer que les membres du Bureau, eu égard
notamment au temps qu’ils peuvent consacrer, à titre bénévole, au fonctionnement du
groupement d’entreprises, ont souvent un sentiment de citoyenneté et de défense des intérêts
du groupe supérieurs à leurs propres intérêts. Du reste, les résultats induits directement et
indirectement dans leur entreprise ne sont pas proportionnels, voire quasi nuls au regard du
temps passé.
Le Bureau rend compte et fait valider les décisions majeures et stratégiques du groupement
au Conseil d’Administration. Le Conseil d’Administration représente l’ensemble des
entreprises adhérentes au groupement. Les entrepreneurs, membres du conseil, sont impliqués
quant à eux de façon plus opérationnelle dans la mise en œuvre du plan d’actions (les pilotes
sont généralement des administrateurs). Ainsi, leurs objectifs et leur mesure des résultats
seront plus liés à la réalisation de l’action et à ses résultats directs auprès des entreprises qui y
participent, tels que, pour des actions de « développement des ressources humaines et des
compétences » : nombre de conventions avec l’enseignement supérieur, nombre de stagiaires
recrutés, participation à des salons emploi, nombre de CV recensés et diffusés, nombre de
recrutements effectués,…
En outre, même si, de par leur positionnement au sein du groupe, les notions de notoriété et
d’image sont importantes, l’impact direct et indirect pour leur entreprise est souvent
négligeable proportionnellement à leur implication.
Les entrepreneurs membres du Bureau ou du Conseil d’administration ont un sentiment, non
quantifiable mais expérimenté sur le terrain, d’appartenance et de défense du groupe très fort.
Leur intérêt individuel, sous entendu quant à des retours pour leur entreprise, est moins
stratégique que l’intérêt collectif.
2.1.2. Entrepreneur adhérent
L’entrepreneur ne faisant pas partie des instances de gouvernance ou du pilotage du
groupement d’entreprises souhaite généralement participer à une ou plusieurs actions. Dès
lors, les objectifs et les résultats recherchés sont de :
- bénéficier d’économies d’échelle grâce aux effets de volume dus au nombre
d’entreprises participantes,
- accéder à des moyens matériels et immatériels pour lesquels les entreprises ont
souvent des difficultés d’accès à titre individuel, faute de moyens suffisants,
- être connues, reconnues, visibles vis-à-vis des parties prenantes économiques,
- et de manière générale pour « être plus fortes à plusieurs ».
L’appartenance au groupe est beaucoup moins prégnante, l’entrepreneur ne s’implique pas
dans le fonctionnement et la stratégie du groupe, il accède et participe à l’action sans la
mener.
10
2.2. Principales raisons et objectifs d’adhésion à un groupement d’entreprises pour
l’entrepreneur
Qu’ils soient simples membres ou participant à la gouvernance, nous avons interrogé 48
entrepreneurs pour savoir quelles étaient les principales raisons et les objectifs de leur
adhésion à un groupement d’entreprises.
Le traitement des données a permis l’analyse suivante :
Figure 2 – Principales raisons et objectifs d’adhésion à un groupement d’entreprises pour
l’entrepreneur
16%
14%
14%
14%
12%
10%
10%
10%
8%
6%
8%
8%
9%
9%
7%
6%
5%
4%
2%
0%
Extrait de l’étude réalisée entre mai et juillet 2009 auprès de 48 entreprises de la région
Languedoc-Roussillon adhérentes à au moins un groupement d’entreprises, tout secteur
d’activité confondu
Même si l’objectif d’un groupement est de permettre à des entreprises de réaliser des projets
en commun, l’analyse de ces résultats démontre qu’il est tout autre pour l’entrepreneur luimême.
L’objectif d’une entreprise, et a fortiori de l’entrepreneur, est différent des objectifs définis
pour un groupement. Même si les motivations pour adhérer à un groupement peuvent être
différentes d’une entreprise à l’autre selon son contexte et ses enjeux propres, on retrouve des
tendances communes :
- La notion de « développement du chiffre d’affaires » n’arrive qu’en cinquième
position des motivations citées pour le panel interrogé.
- Les intentions premières d’un entrepreneur restent de rencontrer d’autres chefs
d’entreprises : ils souhaitent pouvoir échanger et partager sur leurs expériences, leurs
bonnes pratiques et leurs difficultés, ouvrir leur regard, découvrir leurs pairs…
Nous retrouvons cet objectif quel que soit l’acteur-entreprise dans le groupement, qu’il soit
membre du Bureau ou du Conseil d’Administration, ou seulement adhérent participant.
11
Verbatim
« Participer à un groupement d’entreprises m’a permis de rencontrer des chefs d’entreprises
ou des cadres dirigeants confrontés à des problématiques identiques aux miennes, qui m’ont
aidé ou que j’ai pu aider.
Les rencontres régulières permettent de confirmer ou d’infirmer certains jugements que l’on
peut se forger seul dans son entreprise. »
« Adhérer à un groupe, un réseau, c’est pouvoir échanger avec d’autres sur des
problématiques ou des aspirations communes, et se donner des outils de comparaison
désintéressés et sincères. »
« L’appartenance au même réseau crée la solidarité entre les membres, nous avons une zone
d’échange possible. C’est une relation de proximité dont nous tirons avantage, mais
également une relation de diversité et d’ouverture. Au sein du réseau tout le monde joue le
jeu, l’appartenance au réseau ouvre la possibilité de l’échange et du benchmarking.
12
2.3. Elargir le terrain de la recherche aux objectifs et aux résultats attendus par l’entrepreneur
RESULTATS
Résultats du groupement
ATTENDUS
Résultats par action
Résultats externes induits
par le groupement sur
l'entreprise
ACTEURS
INTERNES AU
GE
Entrepreneurs
membres
du
Bureau ou du
Conseil
d'administration
Entrepreneurs
adhérents
-Atteinte des objectifs du plan d’actions du
groupement
-Taux de réalisation du plan d’actions
-Taux de participation aux actions
-Respect des délais
-Bilan sur les ressources utilisées et à
disposition
-Nombre d’adhérents
-Reconduction des financements publics
-Taux de participation aux -Atteinte
des
objectifs
actions
« finaux » du groupement :
-Respect des délais
développement du chiffre
-Respect des procédures
d’affaires
des
membres,
-Respect des budgets
maintien
et
création
-Taux de satisfaction des d’emplois,
développement
membres
des compétences et de
l’employabilité des salariés,
développement
de
la
représentativité du secteur
d’activité,…
-Image,
notoriété
et
reconnaissance
du
groupement d’entreprise et de
la profession ou de la
thématique qu’il porte vis-àvis des parties prenantes
économiques sur le territoire
-Vaincre l’isolement
-Résultats selon le type -Développement
des
-Partage d’expérience
d’action :
actions
RH, compétences et des savoirs
-Participer à des actions extérieures à Innovation,
Benschmark, grâce aux actions mais
l’entreprise
Développement commercial… internes
à
l’entreprise
-Image de la profession
-Développement
de
la (dirigeant et personnel de
-Image grâce à la visibilité sur les supports compétitivité
et
de
la
de communication du groupement
performance
-Sentiment d’appartenance à un groupe
-Bénéficier
d’économies
d’échelle grâce aux effets de
volume dus au nombre
d’entreprises participantes,
-Accéder à des actions, moyens
difficilement accessibles à titre
individuel
l’entreprise)
-Développement du chiffre
d’affaires grâce aux actions
mais extérieur au groupement
-Avantage concurrentiel
-Visibilité et image
Objectifs et résultats attendus de la participation à un groupement d’entreprises quel que soit le positionnement de l’entrepreneur au
sein du groupement d’entreprises
1- Groupement d’entreprises : recherche du lien social, image, notoriété et visibilité
2- Actions- objectifs et résultats directs et internes à l’entreprise : optimisation financière grâce à l’effet volume et outil d’accès à un
moyen matériel ou immatériel difficilement accessible à titre individuel
3- Groupement et actions - objectifs et résultats indirects et externes à l’entreprise : développement du chiffre d’affaires.
14
Quel que soit le positionnement de l’acteur-entreprise au sein du groupement d’entreprises,
nous constatons que :
- Les actions permettent aux entreprises de retrouver les objectifs initiaux que propose
un groupement. Elles sont la promesse de résultats intrinsèques à l’action,
opérationnels, définis au départ à moindre coût et accessibles car collectifs.
- La majorité des actions produiront des effets, des résultats au sein de l’entreprise mais
rarement entre les entreprises du groupement. La somme des résultats individuels
forme un résultat collectif mais, la plupart du temps, les actions ne produisent pas de
résultats additionnels interentreprises.
- Une action collective peut également avoir un effet multiplicateur d’une action
possible à titre individuel, elle augmente dès lors la rentabilité d’une action
individuelle et réduit souvent le temps d’une mise en œuvre individuelle.
- La somme des résultats des actions collectives forment l’efficacité du processus
collaboratif global, c'est-à-dire ceux du groupement.
- Le développement du chiffre d’affaires n’est qu’une conséquence induite du résultat
des actions, mais il est incertain au départ et à la conclusion de l’action. L’action
permet de mettre en place les éléments pour favoriser une possibilité d’accroissement
du chiffre d’affaires à moindre coût, mais ne le garantit pas. Dans la majorité des cas,
le groupement d’entreprises ne permet pas d’accroître son chiffre d’affaires et ne
favorise pas le chiffre d’affaires interentreprises. Ce sont les actions qui pourront
favoriser son émergence, mais de façon externe aux acteurs du groupement.
Néanmoins, l’analyse doit également tenir compte du positionnement de l’entrepreneur au
sein du groupement d’entreprises :
- Les chefs d’entreprises membres du bureau et du conseil d’administration : notoriété
et image, reconnaissance auprès des institutionnels, résultats globaux du groupement
d’entreprises et accomplissement du programme d’actions…
- Ensemble des chefs d’entreprises adhérents : vaincre l’isolement, échanger avec
d’autres et avoir accès à une information stratégique, accéder à des moyens à moindre
coûts grâce aux économies d’échelle et aux effets volume.
Notre étude souhaite démontrer que les approches conceptuelles les plus citées dans la
littérature scientifique telle que la théorie des coûts de transaction, l’école de la stratégie ou la
théorie de l’encastrement ne prennent que partiellement en compte la notion d’individu au
sein du groupe. Elles ne s’attachent qu’à la notion de résultats pour la firme que
l’entrepreneur représente. Même si les résultats de notre investigation terrain tendent à
abonder dans le sens de ces théories, il n’en reste pas moins que nous souhaitons apporter un
recentrage sur l’entrepreneur lui-même et sur les résultats qu’il recherche en tant qu’individu
comme première raison d’appartenance à un groupement d’entreprises.
Le groupement d’entreprises apporte un résultat d’ordre social, voire de sociabilisation. La
recherche sur l’entrepreneur appartenant à un groupement d’entreprises, pour être complète,
doit tenir compte du prisme des sciences humaines et sociales.
15
Conclusion
Dans un contexte de crise économique et financière, le groupement d’entreprises est un
formidable accélérateur de compétitivité et de performance dans lequel le dirigeant additionne
à sa stratégie individuelle, une stratégie additionnelle et complémentaire.
Loin d’une coopération interentreprises classique de type association, fusion,
acquisition…pour accroître les positionnements sur certains marchés notamment, le processus
collaboratif du phénomène économique des groupements d’entreprises est original dans ses
composantes, ses objectifs et ses résultats constatés.
A travers cette communication, nous avons souhaité démontrer d’une part que les objectifs et
les résultats de l’entrepreneur sont différents selon qu’il appartient à la gouvernance ou qu’il
soit simple participant. D’autre part, que les objectifs et les résultats premiers du chef
d’entreprise ne sont pas marchands mais appartiennent à la science humaine.
La vocation du groupement d’entreprises n’est donc pas d’être un éco-système d’affaires mais
uniquement un moyen de le favoriser.
Références bibliographiques
AFNOR – BENSALLEM F., AURET G. (2010), Guide méthodologique pour la création et
la gestion de groupements d’entreprises en Languedoc-Roussillon.
HASROURI L. (2007), « Une synthèse des travaux sur le contrôle des réseaux inter
organisationnels en France », Association francophone de comptabilité.
HEITZ M. 3 (2000), « Les coopérations interentreprises : une grille de lecture », Finance
Contrôle Stratégie – volume 3, n°4.
ITTURA M., PINOTEAU C., GUIEU G. (2003), « Les réseaux interentreprises : une
comparaison bibliométrique franco-américaine », Facef Pesquisa, n°3.
LEYRONAS C., LOUP S. (2008), « Les Stratégies collectives entrepreneuriales en TPE sont
elles stratégiques et entrepreneuriales ? », Journée de Recherche « Entrepreneuriat et
Stratégie ».
LE ROY F., YAMI S. (2009), Management stratégique de la concurrence, Paris Dunod.
SANFELIEU V. (2004), Créer et animer des clubs d’entreprises – Guide méthodologique à
l’usage des CCI, CCI de Nîmes Entreprises.
VOUILLOT E., BROCARD JC. (2009), Ingénierie des groupements entre PME-PMI,
DRIRE Franche Comté.
Retour à la table des matières
16
Le pôle de compétitivité : un courtier en connaissances ?
Bernard DUSSUC
Maître de conférences
IAE Lyon
Magellan, Université Lyon 3
bernard.dussuc@univ-lyon3.fr
Sébastien GEINDRE
Maître de conférences
IAE Grenoble,
CERAG, Université de Grenoble
sebastien.geindre@iae-grenoble.fr
Résumé : Les pôles de compétitivité, structures constituées majoritairement de PME, visent à
améliorer la performance de leurs membres, en particulier en ce qui concerne le
développement de l’innovation. Notre étude porte sur cette mission première dévolue aux
pôles. Pour aborder cette question essentielle pour les PME, nous utilisons les travaux relatifs
au courtage en connaissances développés par Hargadon (1998). Cet auteur définit le courtier
en connaissances (« knowledege broker ») et le présente comme un acteur pertinent à même
de faciliter le développement de l’innovation, pour le plus grand bénéfice du réseau qui
bénéficie de ses services. Dès lors, nous nous interrogeons sur le rôle tenu par les pôles de
compétitivité : ceux-ci peuvent-ils être considérés comme de véritables courtiers en
connaissances, au sens où Hargadon les définit ? Notre questionnement mobilisera une étude
de cas, portant sur le pôle Plastipolis (unique pôle de compétitivité français dévolu à la filière
plasturgiste). L’enquête qualitative présentée nous permettra d’appréhender les pratiques
mises en œuvre par ce pôle au service de ses adhérents et l’éventuelle activité de courtier en
connaissances développée par celui-ci afin de faciliter l’innovation.
Mots clés : Courtier en connaissances, pôle de compétitivité, PME, innovation, Plastipolis
Abstract: Clusters are a useful tool for firms which compose them. These firms are mainly
SMEs. Clusters aim to enhance innovation development and therefore firms performance. In
this communication, we question how a cluster manages this mission, since enhancing
innovation is a crucial matter for SMEs. In order to improve our understanding, first we
introduce the concept of knowledge broker developed by Hargadon (1998). Then, we question
whether a cluster’s governance structure may be analysed as a knowledge broker for firms.
We analyze Plastipolis, a French cluster whose main industry is plastics processing activities.
We use qualitative data from interviews to analyze how a cluster’s governance structure
works and then, we show that it partly acts as a knowledge broker.
Key words: Knowledge broker, cluster, SME, innovation, Plastipolis
17
Remerciements :
Nous tenons à remercier l’évaluateur de cette communication pour ses remarques critiques
ainsi que les membres de l’équipe de recherche qui ont contribué à l’étude sur le terrain, à
savoir Y. Chappoz et C. Poivret (Magellan, Lyon 3) et O. Brette (INSA Lyon).
Introduction
Les pôles de compétitivité constituent un outil aux services des entreprises qui les composent,
à savoir essentiellement des PME (Bocquet et Mothe, 2009) 1. Une des tâches essentielles qui
incombe à ces pôles est de favoriser le développement de l’innovation afin d’améliorer la
performance des organisations membres (Messeghem et Paradas, 2009 ; Bocquet et al., 2009).
Nous n’aborderons pas ici (en reprenant partiellement les thèmes évoqués par Atamer et al,
2005 : 16) l’analyse de la performance de l’innovation (« produire un résultat observable ») ni
la dynamique concurrentielle introduite par l’innovation, mais nous nous attacherons à
envisager comment un pôle de compétitivité peut aborder cette mission première portant sur
l’innovation en façonnant des conditions « pour permettre la réplication du processus »
(Ibid.). Il s’agit donc de la prise en compte d’aspects organisationnels liés au processus
d’innovation, entendue comme « l’exploitation de nouvelles idées pour élaborer de nouveaux
produits, processus, services ou pratiques commerciales » (Pitaway et al., 2004).
Pour traiter de cette problématique de l’innovation, essentielle pour les PME, nous
reprendrons les travaux relatifs au courtage en connaissances. En effet, le recours à un
courtier en connaissances (« knowledge broker 2 »), défini par Hargadon (1998) et Hargadon
et Sutton (2000), est proposé comme une voie possible pour le développement de l’innovation
(Batterink et al., 2010 ; Ramirez et Dickenson, 2011) en considérant la variable essentielle
qu’est la connaissance. En effet, le processus complexe de création de la connaissance
(Nonaka et Toyama, 2005) est présenté par ces auteurs comme un élément favorisant
l’innovation au sein des organisations.
Ce rôle de courtier, sur lequel nous reviendrons dans une première partie, est « sous-étudié »
pour Batterink et al. (2010). Des travaux ont déjà mis en exergue la place tenue par un pôle de
compétitivité, structure à même d’insuffler une dynamique propice à l’innovation (par
exemple, Messeghem et Paradas, 2009). Mais un pôle de compétitivité peut-il pour autant être
considéré comme un véritable courtier en connaissances au profit des entreprises qui le
composent, à savoir essentiellement des PME (DATAR, 2012) ?
Nous nous appuierons sur une étude réalisée pour le compte du pôle de compétitivité de la
plasturgie, à savoir Plastipolis, en prenant en considération le caractère spécifique de la
recherche en PME et les conséquences qui en découlent (Schmitt et Saint-Pierre, 2011) sur
lesquelles nous reviendrons. Cette réflexion répond à une interrogation légitime - d’ailleurs
émise par le pôle lui-même - portant sur les pratiques mises en œuvre par les entreprises,
notamment en termes d’innovation. L’enquête qualitative présentée permettra d’appréhender
la place que tient Plastipolis : ce pôle peut-il être considéré comme un courtier en
connaissances au sens défini par Hargadon (1998) ?
1
Pour ces auteurs, 85 % des membres des pôles sont des PME (définies comme des entreprises de moins de 250
salariés, « l’effectif étant le seul critère utilisé, sans que l’appartenance à un groupe ne soit prise en compte »,
p. 102).
2
La notion de « broker », qui va de pair avec celle de «réseau », de façon plus large, fait l’objet de nombreux
travaux qui ne sont pas repris ici. Ces travaux présentent le réseau comme une forme (inter-)organisationnelle à
même de répondre aux évolutions de l’environnement économique (Miles et Snow, 1986 ; Miles et al., 1992 ;
Gulati et al., 2000).
18
1. Le courtier en connaissances
Le courtier en connaissances est présenté comme un acteur favorisant le développement de
l’innovation (Hargadon, 1998 ; Hargadon et Sutton, 2000) en particulier en PME (Batterink et
al., 2010). En effet, ces dernières organisations (Schmitt et Saint-Pierre, 2011) éprouvent, en
ce qui concerne l’innovation, différentes « insuffisances » (Batterink et al., 2010) comme :
-
une capacité d’absorption réduite ;
-
un faible potentiel innovateur ;
-
un manque d’expertise fonctionnelle ;
-
un management trop « court termiste » (…).
Le courtier a l’ambition de réduire, voire d’éliminer les freins à la coopération et à
l’innovation par une stimulation et une facilitation du processus 3. Il peut ainsi aider les PME
en identifiant leurs besoins (en termes d’innovation), en articulant leurs demandes respectives
de savoir, en mettant en place des partenariats adaptés et en manageant les processus de
coopération inter-organisationnelle (Ibid.).
1.1. Les missions dévolues au courtier en connaissance
Pour la définition des missions imparties au courtier en connaissances, nous utiliserons les
travaux fondateurs proposés par Hargadon (1998) et Hargadon et Sutton (2000). Cette activité
revient pour ces auteurs à conjuguer plusieurs tâches essentielles, à savoir :
Capturer les « vieilles » idées. Il s’agit pour cela de rester dans une attitude
d’ouverture, que ce soit au sein et en dehors de l’organisation, en reliant divers marchés,
industries, lieux géographiques, domaines d’activités stratégiques, etc.. Cet assemblage de
connaissances issues de contextes disparates devra permettre de créer des « collections
massives d’idées » (certaines d’entre elles aboutissant à des innovations, d’autres non) ;
1)
Conserver les idées en vie. Souvent la difficulté est de ne pas avoir accès à
l’information (en temps, etc.). Il faut parvenir à maintenir la mémoire, d’où l’intérêt de
matérialiser les connaissances, de pouvoir « toucher » les idées (avec des dessins, des
maquettes, par exemple). En effet, il sera extrêmement difficile de pérenniser des idées si elles
ne sont pas incarnées par des objets tangibles. Par ailleurs, il faut faire face à divers obstacles
freinant, voire empêchant, la diffusion des idées (distance physique, aspects politiques,
compétition interne, etc.) ;
2)
Imaginer de nouveaux usages à de « vieilles » idées. Il sera lors nécessaire de
raisonner par analogie, de multiplier les échanges (à la fois formels et informels) et également
de faire « tomber les murs » entre les personnes, les services, les organisations ;
3)
Tester les concepts en devenir potentiel. Une idée doit pouvoir se transformer en
produit, en service, en process, en « business model ». Cette innovation potentielle doit avoir
une concrétisation suffisamment précoce pour faire l’objet d’un test le plus rapidement
possible durant le processus afin d’être, si nécessaire, corrigée, amélioré.
4)
3
Ce rôle dévolu au courtier (« broker ») n’est pas spécifique au courtier en connaissances (voir, par exemple,
Miles et Snow, 1986 ; Miles et al., 1992).
19
Selon ces mêmes auteurs, le courtier en connaissances doit rester dans une attitude empreinte
d’empathie et d’humilité ; il ne s’agira pas, par exemple, de rejeter les idées extérieures, sous
prétexte qu’elles ne sont pas « inventées ici ». Le courtier insufflera des façons de raisonner et
d’agir qui permettent de dépasser les domaines de savoir, de poursuivre l’apprentissage de
nouvelles connaissances, d’utiliser des idées dans de nouvelles situations. L’innovation n’est
pas, dans la majeure partie des cas, une percée fondamentale, mais plutôt une combinaison
adroite et jusqu’alors ignorée de l’existant. Elle n’apparaît pas davantage comme la réussite
d’un inventeur, génial et solitaire, mais plutôt comme un processus collectif.
Pour illustrer nos propos, nous pouvons reprendre une des nombreuses illustrations fournies
par Hargadon (1998 : 213). Le laboratoire Edison & Co’s, à la fin du XIXème siècle a
développé de nombreux produits pour l’industrie. Par exemple, le phonographe originel est
une innovation qui résulte de la combinaison de connaissances en provenance du télégraphe,
du téléphone et d’autres appareils électriques.
Innover requiert donc une organisation qui donne à la fois l’opportunité et la reconnaissance à
tous les acteurs impliqués dans la démarche entreprise, le courtier en connaissances devant,
grâce à la prise en charge de différentes activités « types », œuvrer dans ce projet essentiel, en
particulier pour les PME.
1.2. Les activités « types » développées par le courtier en connaissances
Pour mener à bien les missions qui lui sont dévolues, le courtier doit assumer différentes
activités auprès des organisations dont il a la charge. Il devra faciliter les transferts d’une
entreprise et/ou d’une industrie à l’autre, en se reposant sur une large palette de compétences
lui permettant de contribuer à la résolution de problèmes relatifs à différents contextes
sectoriels.
Une idée centrale est d’augmenter la « variété requise » (Nonaka, 1994, 2007) des entreprises
en apportant un regard neuf. Hargadon (1998), rejoignant les approches cognitivistes,
souligne à ce niveau les limites des procédures et routines organisationnelles qui s’avèrent
contre-productives ; celles-ci s’appuient en effet sur des façons de procéder déjà en vigueur et
donc renoncent de fait à l’innovation qui pourtant se devrait d’être permanente.
20
Les activités à développer par le courtier en connaissances
(d’après Hargadon, 1998)
Activité
Ouverture
(« access »)
Contenu
-
Apprentissage
(« learning »)
-
Réseautage
(« linking »)
Mise en œuvre
(« implementation »)
-
Exposition à d’autres industries et aux connaissances
valorisables que ces dernières offrent
Exposition à des situations d’échange
Apport de connaissances (issues de problèmes et/ou de
solutions déjà considérés) en vue d’un usage futur
Inventaire des potentialités valorisables avec amélioration de
la « variété requise » au sein des organisations considérées
Création d’équipes de développement et mise en relation
d’acteurs complémentaires (avec le souci de respecter la
« variété requise » afin de réaliser des transferts d’une
industrie à l’autre)
Combinaison d’idées (à la fois propres à l’industrie et
importées d’autres industries)
Transformation de concepts innovants en une réalité (de
produit ou de processus)
Initiation à une logique d’apprentissage permettant la
construction du savoir organisationnel destiné à un usage
futur
Pour résumer, le courtier en connaissances évalue et facilite les transferts à potentiel d’un
contexte à l’autre, en vue de développer l’innovation dans une acception non radicale.
2. Méthodologie de l’étude
L’étude est de type qualitatif et prend comme support la forme de l’étude de cas (HladyRispal, 2000, 2002). Le raisonnement est inductif non radical dans la mesure où nous tentons
d’appréhender des pratiques d’innovation des PME d’un pôle de compétitivité, à l’aune de la
grille de lecture du courtage en connaissances (Hargadon, 1998). Nous ne prétendons donc
pas ériger de lois et/ou faire table rase des recherches précédemment développées.
Nous retenons les recommandations émises par Schmitt et Saint-Pierre (2011) rappelant la
spécificité des PME, organisations au caractère souvent « fermé » et au comportement
complexe et particulier. L’étude proposée peut être définie comme « interactionniste 4 »
(principe du tiers, c’est-à-dire l’équipe de recherche, non pas exclus mais inclus). Cette équipe
de recherche peut en effet être amenée à un rôle de « traduction » (lors des entretiens menés,
des comptes rendus intermédiaires, etc.). La mise en place du protocole de recherche
s’appuiera sur trois piliers (Ibid.), à savoir :
4
Pour Schmitt et Saint-Pierre (2011), il s’agit pour les chercheurs d’être « en interaction avec leur objet de
recherche tout en conservant leur rôle de producteurs et de diffuseurs de connaissances ».
21
-
la confiance 5 (en interne entre les membres de l’équipe de recherche mais également
avec Plastipolis - le donneur d’ordres - et les acteurs interrogés, l’intérêt porté au
travail entrepris étant réciproque) ;
-
la temporalité 6 ;
-
la pluridisciplinarité (permise par la diversité de profils de l’équipe mobilisée pour
cette étude, en termes de formation, d’âge, d’origine géographique et de niveau
d’expérience dans la pratique de la recherche).
Les données recueillies sont qualitatives. Leur nature nous semble en adéquation et en
réponse au projet de recherche, compte tenu du cadre conceptuel et des questions retenues
initialement (Marshall et Rossman, 1995)
La mise en œuvre d’une étude de cas nous paraît adaptée. Ce type de travail présente un
double intérêt, à la fois théorique et méthodologique (Hlady-Rispal, 2000 ; 2002). En effet,
l’étude de cas autorise des recherches en phase avec les préoccupations des praticiens (Paturel
et Savall, 2002). Dans la situation présente, le travail correspond à une mission confiée par
Plastipolis sous la forme d’un contrat de recherche, ce qui implique bien évidemment un
intérêt de la part des « donneurs d’ordres ». D’autre part, la démarche du cas est davantage
indiquée (Yin, 1989) lorsque les interrogations portent sur le « pourquoi » et le « comment »,
lorsque les chercheurs ont peu de maîtrise sur les faits observés et que le phénomène étudié
est contemporain et relatif à des situations vécues. Nous sommes dans ces situations. En effet,
nous interrogeons les pratiques des PME du pôle Plastipolis et du pôle lui-même (pourquoi ?
comment ?).
Face aux faiblesses affichées de prime abord par cette méthode du cas (Yin, 1989 : 21),
différents outils peuvent être développés, à même de renforcer la robustesse de l’étude
entreprise. Nous suivons ces recommandations à trois niveaux :
-
l’accès au terrain est justifié et négocié, les acteurs (Plastipolis et les entreprises
retenues) étant associés à la démarche (Avenier, 1989) initiée par le pôle lui-même ;
-
les sources de données sont multipliées afin de permettre leur triangulation, sachant
que les retours intermédiaires effectués avec les membres du pôle vont dans ce sens
(Jick, 1979) ;
-
les analyses débutent durant la phase de collecte des données (Huberman et Miles,
1991 ; Marshall et Rossman, 1995), dans un souci d’enrichissement et d’interactivité
avec les acteurs concernés (au sein de l’équipe de recherche, mais aussi avec le
donneur d’ordres, cf. point précédent).
5
Cette confiance a été renforcée de différentes façons. Par exemple, l’un des membres de l’équipe a donné par
ailleurs des cours de formation continue sur le site, a assuré des suivis de cadres apprenants dans plusieurs
structures de l’échantillon. Un autre enseignant-chercheur de l’équipe a précédemment exercé une activité
professionnelle sur le terrain investigué, bénéficiant ainsi d’un « encastrement » local.
6
Il s’agit de concilier le temps de l’entreprise (bref) et l’horizon souvent beaucoup plus long de l’équipe de
recherche. La remise de rapports intermédiaires au donneur d’ordres, et plus largement le respect du cahier des
charges co-établi ont contribué au respect de cette contrainte inhérente au temps.
22
Les sources des données recueillies
Origine des données
Temps
Entretiens auprès de responsable de 17 entreprises (1 ou 2
personnes par firme) réalisés sur site (généralement avec
visite de l’entreprise, des ateliers, etc.)
33h30
Entretiens auprès des responsables de Plastipolis
9h00
Entretiens « hors échantillon Plastipolis » (entreprises non
adhérentes, acteurs institutionnels, etc.)
10h00
Données recueillies
Entretiens enregistrés
(avec accord préalable)
puis retranscrits en
intégralité.
L’échantillon d’entreprises retenu est constitué de membres de Plastipolis, mais aussi
d’organisations non adhérentes. Il pourra se justifier selon les critères de représentativité (Yin,
1989 ; Hlady-Rispal, 2000) et de potentiel d’apprentissage. Sur ce point, il faut noter que le
terrain choisi a fait l’objet de différentes recherches depuis de nombreuses années (Saglio,
1991 ; Dussuc, 2002 ; Poivret, 2010). Ceci nous a permis de « suivre » dans le temps les
pratiques développées par les entreprises interrogées et ayant fait l’objet des travaux
précédents. Bien évidemment, la mission confiée par Plastipolis a favorisé notre démarche de
recherche, dans la mesure où la totalité de l’échantillon pressenti a pu être interrogée.
3. Présentation du terrain investi : le pôle de compétitivité Plastipolis et
les entreprises de la filière plasturgiste
Les pôles de compétitivité sont initiés comme une réponse aux défis posés à l’économie
française, suite à deux rapports publiés en 2004 (Retour, 2009 : 93) :
-
celui de C. Blanc consacré aux écosystèmes de croissance
-
celui de la DATAR « centré sur la définition d’une nouvelle politique industrielle par
les territoires »).
Parmi ces pôles présents sur le territoire français, l’un d’entre eux, à savoir Plastipolis, a
retenu notre attention.
3.1. Les pôles de compétitivité : quelques rappels
Un pôle de compétitivité « est une combinaison sur un espace géographique donné,
d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques et privées qui
s’engagent à travailler ensemble au sein d’une même structure, afin de dégager des synergies
autour de projets communs à caractère innovant disposant d’une masse critique nécessaire
pour une visibilité internationale » (Retour, 2009 : 93). Il s’agit de développer les
collaborations pour permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier
plan 7.
Les pôles de compétitivité constituent un outil de soutien pour les PME bénéficiant de ce type
de structure, en particulier en ce qui concerne le développement de l’innovation (Bocquet et
al., 2009 ; Messeghem et Paradas, 2009 ; DATAR, 2012). La possibilité est offerte à ces
7
Voir competitivite.gouv.fr/politique-des-poles-471.html.
23
organisations de mener à bien des partenariats collaboratifs avec des entreprises de toutes
tailles et de dépasser la logique de sous-traitance qu’elles peuvent subir. Nous relevons, selon
ce même rapport (DATAR, 2012), en 2009, que 17 % des membres des pôles étaient des
jeunes sociétés de moins de cinq ans. D’ailleurs, la part attribuée aux PME dans les projets
soutenus par le FUI (Fonds Unique Interministériel) avoisine les 40 % (cf. infra).
Graphique 1 :
Répartition des dépenses de financement
sur les projets soutenus par le FUI (DATAR, 2012)
100%
90%
14%
15%
15%
15%
51%
48%
46%
45%
80%
70%
60%
Laboratoires
50%
Grandes entreprises
40%
PME
30%
20%
35%
37%
39%
39%
2007
2008
2009
2010
10%
0%
Soixante et onze pôles sont répartis sur le territoire, certains étant labellisés comme
« mondiaux » (ou « à vocation mondiale »), d’autres ne bénéficiant pas de cette
reconnaissance.
Les entreprises membres des pôles sont en grande majorité des PME (83 % selon la DATAR,
2012). Cette proportion varie d’un pôle à l’autre. Certains pôles sont « gouvernés » (Bocquet
et al., 2009) par une (voire plusieurs firmes) leader(s). D’autres, à l’instar de Plastipolis, (cf.
infra) sont constitués essentiellement de PME, avec une gouvernance plutôt « collégiale ».
Pour cette recherche, le pôle de compétitivité sera certes un objet conceptuel, mais surtout
constituera un terrain de recherche négocié, la structure d’animation du pôle Plastipolis
attendant de notre part des réponses à ses interrogations principalement quant aux pratiques
d’innovation mises en œuvre.
3.2. Le pôle Plastipolis
Le pôle Plastipolis regroupe depuis 2005, date de l’attribution de son label, les acteurs de la
filière plasturgiste 8, avec une forte concentration sur la région Rhône-Alpes (surtout le
8
Il s’agit du seul pôle dédié à la plasturgie en France, le projet de création d’un second pôle en Normandie ayant
été rejeté par le CIADT.
24
département de l’Ain et particulièrement la Plastics Vallée, centrée sur Oyonnax 9) et la
Franche-Comté (essentiellement le Jura).
Cette filière se caractérise par une multiplicité de métiers : fournisseurs de matières premières,
fournisseurs de composites (« compounds »), fabricants de biens d’équipements (comme les
presses à injecter par exemple), fabricants d’outillages (moules essentiellement),
transformateurs de matières (selon différentes techniques telles l’injection, le soufflage,
l’extrusion, le roto-moulage, etc.).
Ces acteurs, à de rares exceptions près, ne commercent pas avec le consommateur final. Leurs
donneurs d’ordres relèvent d’une grande diversité d’industries : automobile, agro-alimentaire,
cosmétique et parfumerie, médical, électronique, horlogerie, etc. La position à tenir dans la
filière est donc difficile 10, les entreprises plasturgistes étant prises « en tenaille » (Poivret,
2010) :
-
en amont se trouvent les grands groupes chimiques, fournisseurs de matières
premières avec des chiffres d’affaires pouvant dépasser 50 milliards de dollars
(Arkema, DuPont de Nemours, Dow, etc.) ;
-
en aval se situent les donneurs d’ordres, eux aussi de grands groupes (des
équipementiers de premier rang, voire des constructeurs, comme par exemple dans
l’industrie automobile).
La grande majorité de ces entreprises plasturgistes subit une concurrence exacerbée, souvent
en provenance de pays à bas coûts de main d’œuvre. Pour les mécaniciens moulistes par
exemple, cette menace est très prégnante. Entre 2000 et 2009, la réalisation locale de moules
et de modèles a diminué de 40 %, en particulier du fait d’une délocalisation importante de la
production sous la pression des grands donneurs d’ordres (Poivret, 2010).
Les entreprises impliquées dans le pôle Plastipolis
(source : rapport Plastipolis)
Nombres d'entreprises membres
dont PME
dont ETI (entreprises de taille intermédiaire)
dont grandes entreprises
2009
162
125
30
7
2010
179
141
31
7
La part relative des PME au sein de Plastipolis est certes importante (près de quatre
entreprises sur cinq sont des PME). Il n’en demeure pas moins que ces PME semblent être
moins présentes sur les projets labellisés par le pôle (cf. infra, tableau 4). La question reste
posée de savoir si ce dernier constat brut va dans le sens des conclusions avancées par
plusieurs auteurs selon lesquels la petite taille serait un lourd handicap lorsqu’il s’agit de
mettre en œuvre des processus d’innovation (Batterink et al., 2010) ou si d’autres explications
atténuent ce constat, l’indicateur du dépôt de brevet, par exemple, n’étant pas significatif de la
dynamique insufflée par le pôle de compétitivité (Bocquet et al., 2009).
9
Voir Saglio, 1991.
Poivret (2010, p. 244) cite le président de Plastipolis lors d’une table ronde organisée avec le président
N. Sarkosy : « les relations qui existent entre les donneurs d’ordres et les sous-traitants notamment de
l’automobile sont exécrables. On est plus dans des relations de maître à esclave que dans du partenariat ».
10
25
Outre les entreprises, d’autres acteurs sont impliqués au sein de Plastipolis (Poivret, 2010), à
savoir : des laboratoires 11 (le Pôle Européen de Plasturgie, le CEA, etc.), des centres de
formation (le lycée technologique Arbez Carme, l’INSA, etc.), des « institutionnels » (CCI,
syndicats professionnels), des collectivités locales. Mais Plastipolis reste un pôle d’industriels
(par opposition à un pôle qui serait géré par des chercheurs ou des personnalités
« académiques »), en précisant de plus que les universitaires impliqués privilégient la
recherche « appliquée ».
Les PME et les projets labellisés par Plastipolis en 2010
(source : rapport Plastipolis)
Nombre de projets labellisés par Plastipolis en 2010
- dont le porteur de projet est une PME
- dont impliquant au moins une PME
37
8
28
Pour finir cette présentation du terrain, il nous semble important de rappeler avec Poivret
(2010) que la structure d’animation du pôle n’est absolument pas sous la dépendance d’une ou
plusieurs firmes. La majorité des adhérents (cf. supra) étant des organisations de petite taille,
le pôle est donc « à forte dominante PME » selon les termes de Bocquet et Mothe (2009). Il
s’ensuit, selon ces auteurs, que la structure d’animation de ce pôle 12 assume un rôle essentiel
pour ce qui touche les pratiques mises en œuvre. Elle doit contribuer « à la création d’une
dynamique collective entre des acteurs hétérogènes et déficitaires en ressources et en capacité
d’interaction » (Ibid. : 108). Mais est-il pour autant possible de considérer le pôle Plastipolis
comme un véritable courtier en connaissances au sens défini par Hargadon (1998)?
4. Le pôle Plastipolis : un courtier en connaissances ?
La littérature met en évidence le fait que les PME manquent le plus souvent de ressources et
de compétences (Julien et Marchesnay, 1989) qui leur permettraient de pratiquer l’innovation
en utilisant exclusivement les moyens internes dont elles disposent (Narula, 2004 ; Bocquet et
al., 2009 ; Batterink et al., 2010).
Nous verrons dans un premier point que la stratégie de développement de l’innovation menée
par Plastipolis a évolué vers une acception élargie (correspondant à la vision d’Hargadon,
1998). Ceci nous permettra de répondre par la suite à la question de savoir si ce pôle de
compétitivité peut véritablement être considéré comme un courtier en connaissances.
4.1. De l’innovation technologique à l’innovation globale
Plastipolis, à ses débuts, a privilégié une acception technologique de l’innovation, notamment
car l’environnement institutionnel « pousse » dans cette direction 13. En 2008, suite à
l’intervention d’un cabinet de consultants, les thèmes sont revus, le pôle souhaitant retenir un
approche plus « large ». Mais, différentes entreprises, souffrant de compétences internes
limitées ne peuvent pas s’inscrire dans cette dynamique de l’innovation. Dès lors, sous
l’impulsion d’un nouveau président qui succède au président fondateur, la notion d’innovation
11
Certains sont publics, d’autres privés. La liste énoncée n’est pas exhaustive.
Ces auteurs travaillent plus particulièrement sur la notion de gouvernance des pôles de compétitivité.
13
Les projets partenariaux retenus par Plastipolis portent alors sur six thèmes principaux : maîtrise des
matériaux, maîtrise des procédés de fabrication, composites, micro- et nano-structuration des polymères,
emballages agro-alimentaires biodégradables et propriétés sensorielles.
12
26
globale est retenue (intégrant les ressources humaines, le développement commercial,
marketing et international des entreprises, etc.).
La stratégie suivi par le pôle est donc à la fois :
-
large, le pôle regroupant des entreprises très différentes (au niveau des marchés servis,
des technologies usitées, etc.). Pour fédérer cette diversité, une stratégie ouverte est
requise 14 ;
-
contrainte, car fortement inspirée des « roadmaps » européennes relatives à la
plasturgie. La plasturgie est une industrie mature où les « grandes » innovations
(matériaux, outils) ont eu lieu et où les innovations à venir seront sans doute plus
incrémentales que radicales 15.
Il apparaît donc - notre étude ayant confirmé ce point - que la gouvernance et la stratégie
retenus (Bocquet et al., 2009) sont en adéquation avec le « profil » des adhérents, à savoir des
PME, éparpillées sur la filière plasturgiste et desservant des marchés très différents. Le pôle
peut-il alors être considéré comme un courtier en connaissances ?
4.2. Les tâches de courtage en connaissances assumées par le pôle
Le pôle s’inscrit par différents points tout à fait dans la logique décrite par Hargadon (1998).
En effet, ses responsables mettent en œuvre des actions qui correspondent aux missions
attribuées à un courtier en connaissances, que ce soit directement au sein du pôle (3.2.1) ou en
tentant d’insuffler des nouvelles pratiques auprès de leurs membres (3.2.2).
La totalité des PME interrogées insiste sur le fait que la structure d’animation du pôle leur
permet de pallier certaines lacunes, souvent inhérentes à leur taille réduite.
4.2.1. Plastipolis : différentes missions de courtage mises en œuvre en « interne »
Le pôle est présenté comme un plus en termes de connections, de contacts. Grâce à lui, des
relations sont nouées qui permettent d’acquérir de nouvelles connaissances et d’ouvrir
l’entreprise à des problématiques et à des nouvelles perspectives qui lui étaient étrangères.
Par exemple, ce responsable innovation évoque sa participation au conseil scientifique de
Plastipolis :
« Ce qui est important, c’est pas tant la session du comité scientifique, c’est ce
qui se passe en inter session en fait, c’est des discussions qu’on a entre experts,
sur une zone neutre…ou une zone humide, comme on appelle aussi de temps en
temps, c'est-à-dire qu’on sort chacun de son contexte d’activité, et on est à même
d’échanger autour de problématiques qui sont des problématiques de fond du
métier, et qui permettent de déboucher sur des associations pour créer nousmêmes un projet avec un groupe de personnes derrière, donc quelque part c’est
un peu de la veille techno…. »
Des synergies, des coopérations voient le jour grâce à l’action d’animation et le réseautage
développés par Plastipolis. Il s’agit bien entendu :
-
du montage de projets « 100 % Plastipolis » avec des adhérents aux compétences très
diverses compte tenu de leurs profils respectifs. Les acteurs reconnaissent aux
14
Par exemple, dans le dossier de labellisation, l’amélioration des matériaux peut porter sur : la tenue
thermomécanique, l’allégement, la durabilité, la stabilité des propriétés dimensionnelles, la tenue au feu, la
résistance aux agents extérieurs, la « recyclabilité », l’aspect, le toucher, la transparence, la souplesse, la dureté,
etc.
15
Rapport Ernst &Young, (1998), La plasturgie française à l’horizon 2005, 21 p.
27
animateurs du pôle la capacité à identifier par mi les adhérents les compétences
requises et les acteurs idoines à même de développer un projet sur de bonnes bases ;
-
mais également de nombreux projets « inter-pôles » qui assurent une véritable
ouverture vers l’extérieur, c’est-à-dire en dehors de la filière de la plasturgie et de ses
métiers 16, et donc au-delà des membres de Plastipolis.
Le pôle met en place des groupes d’échange, propose des formations, des ateliers de
recherche portant sur des thématiques très larges, des voyages d’études pour découvrir
d’autres pratiques et d’autres acteurs économiques, notamment à l’étranger.
Une meilleure structuration des projets est également rendue possible par le pôle. Il peut
s’agir d’un apport méthodologique (formation et suivi dispensés) et/ou d’un apport en
compétences 17.
Donc, au regard des activités incombant à un courtier 18 en connaissances (cf. tableau 1, p.3) ,
il apparaît que les activités d’ « ouverture », d’ « apprentissage » et de « réseautage » sont
bien prises en charge.
Par contre, Plastipolis n’intègre pas la phase aval, c’est-à-dire la mise en œuvre de
l’innovation (la transformation du concept en une réalité tangible). Pour cette raison, même si
nombre d’activités développées par Plastipolis renvoient à celles assumées par un courtier en
connaissances, le pôle ne peut pas être assimilé à ce type d’acteur (cf. infra, tableau 5).
4.2.2. Plastipolis : un « facilitateur » pour les adhérents
Le pôle cherche par ailleurs, au-delà des missions accomplies, à insuffler un état d’esprit et à
modifier les pratiques de ses adhérents, qui se placent souvent dans une logique de coûts et à
court terme, avec peu d’ouvertures vers d’autres horizons en termes de marchés, de produits.
Le pôle agit dans le sens des préconisations avancées par Hargadon (1998) : recrutement de
personnel qualifié, offre de formation interne, investissements, changement de « business
model », structuration des processus notamment pour ce qui concerne l’innovation,
développement de l’intelligence économique, etc.
Il distille la confiance autour de lui en étant un tiers, intéressé de façon différente 19 à la
réussite de la relation mise en œuvre. Il s’agit de favoriser le renoncement à une culture de
l’autonomie et le passage à une logique plus collective permettant l’apprentissage réciproque.
4.3. Pourquoi Plastipolis n’est pas un courtier en connaissances
Cependant, force est de constater que Plastipolis et sa structure d’animation ne peuvent pas
véritablement assumer la fonction de courtier en connaissances comme pourraient le faire des
structures spécifiques dédiées à cette activité (telles les « usines à invention » décrites par
16
Par exemple, le pôle Plastipolis est coordinateur technique du projet Wiintech qui vise à promouvoir les
technologies propres des PME européennes, « pour les rapprocher des marchés ». Huit pôles de compétitivité ou
« clusters » européens relevant notamment des industries de la chimie et des matériaux visent ainsi à développer
leurs complémentarité et envisagent des partenariats de R&D ainsi que des relations commerciales. Ce projet se
déroulera sur deux ans et a été lancé en février 2012. Il est un moyen de mener une veille « hors filière » et de
bénéficier de phénomènes d’apprentissage pour le pôle et pour ses membres.
17
Pour de nombreuses organisations, les moyens humains restent très limités, en particulier pour ce qui concerne
les PME.
18
Nous retrouvons sur le terrain les trois facettes du « broker » selon Miles et al. (1992), à savoir : l’architecte, le
coordinateur et le facilitateur.
19
Nous ne pouvons pas dire que Plastipolis est « désintéressé » par les projets mis en œuvre !
28
Hargadon, 1998 ou Hargadon et Sutton, 2000), ou encore des entreprises dont la taille
conséquente, voire le métier 20, rendent cette activité pleinement réalisable.
4.3.1. Des moyens limités et d’autres tâches à assumer
Le test d’idées ne peut être la principale tâche dévolue aux animateurs de Plastipolis qui
doivent se consacrer à bien d’autres activités que nous évoquons ci-après. Cet éventail élargi
de taches à assumer réduit de fait les actions entreprises relevant du courtage de
connaissances. L’équipe est restreinte en nombre, et donc la diversité en interne forcément
limitée de fait.
Les enjeux du pôle dépassent par bien des aspects ceux assignés à un courtier en
connaissances puisqu’il s’agit 21 non seulement de trouver de « nouvelles applications grâce à
l’innovation technologique » et d’acquérir des « avantages compétitifs (…) pour l’ensemble
de la filière française » mais également de promouvoir une image dynamique de la plasturgie
française, de favoriser la pénétration de nouveaux marchés et d’assurer le rayonnement du
pôle de compétitivité, etc. Outre la promotion de l’innovation, qui va de pair avec le souci
affiché de la formation, de la gestion des compétences et le développement des coopérations
(Hargadon, 1998), la priorité de Plastipolis porte également sur la communication. Le champ
d’activités pris en charge est donc plus large que celui revenant à un courtier en
connaissances.
Plastipolis n’est donc pas au sens premier du terme un véritable courtier en connaissances 22,
même si nombre d’actions entreprises correspondent à ce type d’activités. D’ailleurs, le pôle
n’est pas « attendu » sur cette seule dimension par ses membres et c’est ainsi que les
adhérents apprécient largement son apport.
4.3.2. Des attentes autres de la part des adhérents
L’adhésion (au moins initialement) peut ne pas être motivée par un soutien à l’innovation au
sens strict. Plus largement, des attentes très différentes peuvent s’exprimer, ne correspondant
pas aux activités reconnues comme étant celles d’un courtier en connaissances. Il pourra
s’agir de différents points appréciés positivement par les adhérents de la structure comme :
-
l’augmentation de la notoriété et de la reconnaissance permises par Plastipolis ;
-
la diminution des coûts (« mutualisation ») et des risques ;
-
l’accompagnement administratif (aide au montage de dossiers concernant notamment
la perception de fonds publics, soutien au niveau de la protection industrielle) ;
-
l’ouverture vers de nouveaux débouchés commerciaux (l’entreprise cherche à valoriser
les innovations dont elle dispose, à se diversifier) ;
-
la promotion de la plasturgie, de ses métiers, voire des actions de lobbying (…).
Par les différentes missions qui lui sont confiées, le pôle de compétitivité est donc un soutien
précieux pour les bénéficiaires de ses services, qui vont au-delà du seul courtage en
connaissances.
20
Nous pensons à des cabinets de conseil.
www.plastipolis.fr
22
Pour Hargadon (1998 : 210) évoquant les courtiers en connaissance : « leur seul apport consiste en de
nouvelles solutions qui prennent la forme de nouveaux produits ou designs de production ».
21
29
4.3.3. Plastipolis et le courtage en connaissances : synthèse
Compte tenu des éléments recensés relatifs aux pratiques mises en œuvre par Plastipolis, il
apparaît que la structure étudiée n’est pas (et ne doit pas) se comporter comme un courtier en
connaissances :
- d’une part, un pôle ne peut assumer toutes les missions imparties à un courtier (cf.
infra);
Les activités de courtage développées par Plastipolis
Activité
Contenu
-
Ouverture
Apprentissage
-
Réseautage
Mise en œuvre
-
23
ouverture interne par la mise en relation des adhérents issus de
différents métiers, desservant différents marchés […] (pour des
projets à finalité affirmée ou à diverses occasions 23)
ouverture externe (lors de la mise en place de projets multipôles, lors de voyages d’études, etc.)
animation du réseau, mise à disposition de compétences
diverses par les salariés animateurs de Plastipolis
organisations d’ateliers thématiques et de programmes de
formation
travail de recensement et d’agencement des connaissances
détenues au niveau du pôle et de ses adhérents
recensement auprès des adhérents des savoir faire valorisables
et quête de nouvelles voies de développement (notamment par
le biais des projets inter-pôles)
Création d’équipes de projets et de recherche Plastipolis en
fonction des compétences (re-)connues des adhérents et de
différents critères (complémentarité, limitation des risques
concurrentiels, etc.)
Création d’équipes de projets et de recherche inter-pôles selon
le même schéma
Activité non prise en charge par le pôle
d’autre part, les missions confiées au pôle ne se limitent pas, loin s’en faut, au
courtage en connaissances. Comme évoqué précédemment, les adhérents, en majorité
des PME, n’attendent pas seulement un soutien pour développer leurs pratiques
d’innovation, mais un accompagnement beaucoup plus large.
Par exemple : séances d’information, de formation, voyages d’études, conseil scientifique, etc.
30
4.3.4. Des conduites déviantes ?
Par ailleurs, nous relevons que certaines entreprises adoptent des conduites paradoxales, au
moins a priori en ne rejoignant pas la structure… tout en adoptant une stratégie basée sur
l’innovation.
A cet égard, nous pouvons citer par exemple le cas d’une PME située au cœur de la Plastics
Vallée qui a privilégié une démarche que nous pouvons qualifier de pro-active. Cette société
était connue depuis des dizaines d’années pour être le spécialiste local de la « mallette »,
c’est-à-dire un produit à relativement faible valeur ajoutée. Ses clients (donneurs d’ordres)
peuvent être par exemple des fabricants d’outillage de bricolage. La société qui ne travaille
que la matière plastique n’a pourtant pas rejoint le pôle Plastipolis mais a préféré intégrer le
cluster Lumière centré sur la région lyonnaise. Un responsable nous confie :
« Rejoindre Plastipolis, je ne vois pas trop. Nous les connaissons tous bien. Nous
savons où sont les entreprises si nous avons besoin. Ce n’est pas comme le cluster
Lumière ; là c’est radicalement différent ».
Ce type de comportement va dans le sens de l’augmentation de la variété requise (Nonaka,
1997 ; 2004) et peut nous renvoyer aux réflexions de Burt (1992 ; 1995) relatives aux
opportunités offertes par ce type de réseautage, lorsqu’un acteur cherche à s’insérer dans un
réseau « autre », devenant ainsi un lien stratégique entre deux structures réticulaires. En effet,
la société «évoquée, déjà bien encastrée (Granovetter, 1973 ; 1985) sur le territoire
plasturgiste et bénéficiant donc de fait d’un accès aux ressources « locales », recherche de
nouvelles opportunités en prenant position dans un réseau « tiers ». Ce faisant, non seulement
de nouvelles opportunités lui sont offertes, mais elle acquiert ainsi une position privilégiée en
comblant un vide structural (Burt, 1992 ; 1995).
Cette stratégie s’accompagne de différentes actions qui transforment radicalement le
« business model » (Demil et Lecocq, 2008) de la société. L’entreprise embauche un
spécialiste de l’optique, investit dans des machines très spécifiques (usinage au diamant
permettant une très grande précision, par exemple). Elle peut désormais proposer une
expertise à forte valeur ajoutée et assure des co-développements, par exemple pour des
collimateurs pour lampes LED haute puissance, en traitant directement avec des entreprises
leaders sur leurs marchés comme OSRAM ou Philips.
Ce comportement compréhensible n’est est pas moins - par certains aspects - préjudiciable
pour le pôle et pour ses adhérents (en termes d’ouverture sur d’autres industries qui ne profite
pas forcément à Plastipolis et à ses membres, en termes de technicité de la firme considérée,
etc. ) et il nous semble que les responsables de Plastipolis doivent s’alerter de cet état de fait
et chercher s’il est possible d’y remédier. La grande difficulté sera de concilier deux missions,
a priori contradictoires, mais en réalité complémentaires, à savoir :
-
être le pôle de la plasturgie au service des entreprises de la filière et de ses spécificités
(dimension interne) ;
-
assumer l’ouverture et l’échange vers d’autres industries, d’autres territoires, d’autres
pôles(…), d’autres horizons et ainsi ouvrir de nouvelles perspectives.
Bien évidemment, il ne faut dès lors pas considérer l’adhésion d’une entreprise de la filière à
un autre pôle comme un échec, dans la mesure où la mission confiée à Plastipolis est assumée.
Il semble tout à fait légitime qu’une entreprise recherche d’autres compétences, à l’instar de
ce responsable d’une entreprise fortement impliquée dans le pôle et spécialisée dans la
réalisation de pontons combinant l’aluminium et le plastique.
31
« On peut imaginer plusieurs pôles demain. Pourquoi ? En fonction des
compétences. Si on évoque le Pôle Plastipolis, il a une vraie expertise dans le
domaine des plastiques, dans le domaine des polymères (…) dans les vraies
compétences de la plasturgie, toutes les technologies. Dans l’innovation qu’on a
à développer, on aura besoin de ces compétences. On aura besoin de créer des
partenariats avec différentes entités. On peut imaginer : demain on souhaite
élargir la gamme de passerelles en utilisant du composite, on ira très
probablement chercher … il y a un pôle composites…on peut aller chercher
EMC2. On va travailler sur les mouvements de la houle… en termes d’énergie, on
va travailler avec le pôle mer. S’il y a un co-développement avec de la plasturgie,
ce sera aussi avec Plastipolis… Plastipolis/Viameca ou Plastipolis/pôle mer.
Mais les compétences de chaque pôle étant différentes, je pense qu’il y a un vrai
intérêt à travailler avec différents pôles. »
Cette exigence d’une double orientation à combiner dans les actions menées par le pôle entre
le « dedans » et le « dehors » nous semble pouvoir être mise en relation avec les propos de
Ferrary (2008) et de Messaghem et Paradas (2009).
Même si les terrains investis sont très différents 24, dans leurs études respectives, les auteurs
évoquent la nécessaire ambidextrie de la structure d’accompagnement. Celle-ci se doit de
susciter des projets variés qui valorisent :
-
d’une part, des logiques d’exploitation25 ;
-
d’autre part des logiques d’exploration.
La structure d’accompagnement, en l’occurrence le pôle dans le cas de Plastipolis, se doit de
faire coexister les deux activités - exploration et exploitation - mais aussi d’assurer « le
transfert des innovations radicales générées par les activités d’exploration vers des activités
d’exploitation (Ferrary, 2008 : 110). En effet, dans les structures de taille importante,
l’ambidextrie s’entend au niveau intra-organisationnel ; mais elle peut également s’envisager
dans une dimension inter-organisationnelle 26. Compte tenu du profil des adhérents de
Plastipolis, c’est cette dernière configuration qui est envisageable.
Nous ne prétendons évidemment pas ramener les logiques d’exploitation aux seuls projets
« internes » à Plastipolis ou croire, par exemple, que les projets d’exploration concerneraient
seulement les projets orientés vers le dehors, c’est-à-dire « inter-pôles ».
Pour conclure, en fonction du profil des entreprises dont il a la charge et de la filière dans
laquelle ces dernières évoluent - pour Plastipolis, majoritairement des PME aux profils très
variés et une industrie mature - le pôle de compétitivité doit décliner sa stratégie et les actions
mises en œuvre : poids des projets « internes » et/ou externes au pôle, niveau d’ambidextrie
privilégié. Ces choix seront des variables clés en vue de l’atteinte des objectifs de
« redynamisation » du territoire assignés aux pôles de compétitivité.
24
Respectivement des multinationales du secteur des hautes-technologies et le Pôle Européen d’Innovation
Fruits et légumes.
25
Il s’agit de la majorité des innovations développées par les adhérents de Plastipolis, compte-tenu du degré de
maturité de la plasturgie. Ces projets sont ceux que doit prendre en charge le courtier en connaissances.
26
« L’ambidextrie est la caractéristique de réseaux informels d’organisations géographiquement localisées et non
pas d’une entreprise en particulier » (Ferrary, 2008 : 120).
32
Conclusion – Discussion
Ayant retenu l’étude de cas unique, nous sommes conscients que le pôle choisi, à savoir
Plastipolis, de par ses caractéristiques (spécificités de la filière de la plasturgie et de ses
métiers, avec une grande hétérogénéité interne - en termes de métiers, marchés desservis,
technologies mises en œuvre -) est sans doute plus en situation de se positionner dans une
approche du type « courtage en connaissances » (par rapport à des pôles qui seraient plus
« monolithiques » en termes de métiers, de marchés desservis ou dont la gouvernance serait
plus autocratique).
Par ailleurs, compte tenu de l’historique attribué au territoire de ce pôle, centré sur la Plastics
Vallée, c’est à dire un système productif local clairement identifié au même titre que la vallée
de l’Arve, nous pourrions également nous interroger : la structure Plastipolis n’a-t-elle pas
pris le relais, dans une forme institutionnelle, de réseaux d’entraide jadis plus sociaux et qui
participaient fortement à l’innovation et à la performance économique de la vallée ?
La démarche de courtage en connaissances ne semble pas pouvoir être considérée comme
étant le (seul) rôle de la structure d’animation d’un pôle de compétitivité pour les différentes
raisons évoquées (activités de courtage en connaissances non assumées sur la phase « aval »,
i.e celles portant sur la concrétisation de l’innovation, moyens limités du pôle, multitude des
tâches à remplir par ailleurs).
Néanmoins, il apparaît que les réflexions et les préconisations émises par les travaux portant
sur le courtage en connaissances méritent une attention particulière ; ils présentent un
potentiel d’apprentissage et nous semblent pouvoir être adaptés, en partie au moins, aux
missions dévolues aux pôles de compétitivité. Notre interrogation initiale portant sur le
comment du développement de l’innovation à l’aune de cette grille de lecture particulière
devra se faire à deux niveaux, à savoir celui de la structure d’animation elle-même et celui des
entreprises adhérentes qui devront elles aussi adopter des pratiques adaptées.
Enfin, nous ne pouvons pas passer sous silence le fait que cette logique de courtage en
connaissances ne traite pas de l’innovation radicale, qui certes n’est sans doute pas la plus
fréquente, mais qui ne doit pas pour autant être négligée. Un pôle de compétitivité ne peut pas
ignorer cette dimension. Les réflexions relatives à la nécessaire prise en compte de
l’ambidextrie requise à un niveau inter-organisationnel vont dans ce sens et mériteraient
d’être approfondies. Il pourrait être intéressant notamment d’interroger les pratiques relatives
aux différents projets pris en charge par le pôle en relation (composition des équipes,
processus mis en œuvre, etc.) avec les types d’innovations développées (radicales vs
incrémentales par exemple).
Bien évidemment, le développement de l’innovation passe également par d’autres variables
comme le capital social du ou des principaux dirigeants, en particulier lorsqu’il s’agit de
PME. Ce point, non abordé ici, mérite sans doute une attention particulière ; il ne s’agit pas de
s’interroger sur ce capital social en tant que variable déterminante (de la capacité à
entreprendre, du type de stratégie suivie, etc.). Il convient plutôt de se demander s’il est
possible de mieux manager cette dimension « capital social », afin de contribuer au
développement de pratiques d’innovation adaptées. Et un pôle de compétitivité est sans doute
en situation de se poser cette question, voire d’y contribuer en pratique !
33
Bibliographie
ATAMER T., DURAND R., REYNAUD E. (2005), « Développer l’innovation », Revue
Française de Gestion, mars-avril, n° 155, p. 13-22.
AVENIER M.-J. (1989), « Méthodes de terrain et recherche en management stratégique »,
Economies et sociétés, Sciences de Gestion, n° 14, p. 199-218.
BATTERINK M., WUBBEN E., KLERKX L., OMTA S. (2010), « Orchestrating innovation
networks : the case of innovation brokers in the agri-food sector », Entrepreneurship and
Regional Development, Vol. 22, n° 1, January, p. 47-76.
BOCQUET R., MOTHE C. (2009), « Quelle gouvernance pour les pôles de compétitivité
constitués de PME », Revue Française de Gestion, janvier, Vol. 35, n° 190, p.101-122.
BOCQUET R., MENDEZ A., MOTHE C., BARDET M. (2009), « Pôles de compétitivité
constitués de PME : quelle gouvernance pour quelle performance ? », Management et Avenir,
n° 25, p. 227-244.
BURT R.-S. (1992), Structural Holes : The social structure of competition, Harvard
University Press.
COHEN W.-M, LEVINTHAL (1990), « Absorptive Capacity : a New Perspective on
Learning and Innovation », Administrative Science Quarterly, Vol. 35, p. 128-152.
BURT R.-S. (1995), « Le capital social, les trous structuraux et l’entrepreneur », Revue
française de sociologie, n° 36, p. 599-628.
DATAR, (2012), Les projets de R & D des pôles de compétitivité aidés dans le cadre du
Fonds Unique Interministériel (FUI), DGCIS DATAR, p.72.
DEMIL B., LECOCQ X. (2008), « (Re-)penser le développement des organisations. Les
apports du modèle économique », Revue française de gestion, n° 181, p. 113-122.
DUSSUC B. (2002), Le réseautage horizontal progressif : une pratique favorable à la
réussite des opérations de croissance externe, thèse de doctorat en sciences de gestion,
Université de Toulon et du Var, p. 443.
FERRARY M. (2008) « L’innovation radicale : entre cluster ambidextre et organisations
spécialisées », Revue française de gestion, n° 187, p. 109-125.
GRANOVETTER M.-S. (1973), « The strong of weak ties », American Journal of Sociology,
Vol. 78, n° 6, p. 1360-1380.
GRANOVETTER M.-S. (1985), « Economic action and social structure : the problem of
embeddeness », American Journal of Sociology, Vol. 91, n° 3, p. 481-510.
HARGADON A. (1998), « Firms as knowledge brokers : lessons in pursuing continuous
innovation », California Management Review, Spring, Vol. 40, Issue3, p. 209-227.
HARGADON A. Sutton R-I. (2000), « Building an innovation factory », Harvard Business
Review, May-June, Vol. 78, Issue 3, p. 157-166.
HLADY-RISPAL M. (2000), « Une stratégie de recherche en gestion : l’étude de cas », Revue
française de gestion, janvier-février, p. 61-70.
HLADY-RISPAL M. (2002), La méthode des cas. Application à la recherche en gestion, De
Boeck University, p. 250.
HUBERMAN A.-M., MILES M.-B. (1991), Analyse des données qualitatives, Recueil de
nouvelles méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, p. 480.
34
JICK T. (1979), « Mixing qualitative and quantitative methods : triangulation in action »,
Administrative Science Quaterly, Vol. 14, p. 602-611.
JULIEN P.-A., MARCHESNAY M. (1989), La petite entreprise, Vuibert.
LEONARD-BARTON D. (1992), « Core capabilities and core rigidities : a paradox in
managing new product development », Strategic Management Journal, Vol. 13, p. 111-125.
MARSHALL C., ROSMAN G.-B. (1995), Designing qualitative research, Second Edition,
Sage Publications, Thousand Oaks, London, New Dehli.
MESSEGHEM K., PARADAS A. (2009), « L’émergence d’un pôle de compétitivité
agroalimentaire : de l’encastrement à l’ambidextrie », Management et Avenir, n° 5, p. 164183.
MILES R.-E., SNOW C.-C. (1986), « Organization : new concepts for new forms »,
California Management Review, Vol. 28, n°3.
MILES R.-E., SNOW C.-C., COLEMAN H. (1992), « Managing 21st century network
organization », Organizational Dynamics, Vol. 20, n°3, p. 5-20.
NARULA R. (2004), « R&D collaboration by SMEs : new opportunities and limitations in
the face of globalisation », Technovation, 24, n° 2, p. 53-61.
NONAKA I. (1994), « A dynamic theory of organizational knowledge creation »,
Organization Science, Vol. 5, n° 1, February, p. 14-37.
NONAKA I. (2007), « The knowledge-creating company », Harvard Business Review, JulyAugust, Vol. 85, n° 7/8, p. 162-171.
NONAKA I., TOYAMA R.(2005), « The theory of the knowledge-creating firm :
subjectivity, objectivity and synthesis », Industrial and Corporate Change, Vol. 14, n° 3, p.
419-436.
PATUREL R., SAVALL H. (2002), « Recherche en management stratégique ou management
stratégique de la recherche en stratégie ? », Economies et sociétés, Sciences de gestion.
PITTAWAY L., ROBERTSON K., MUNIR D., DENYER D., NEELY A. (2004),
« Networking and innovation : a systematic review of the evidence », International Journal of
Management Review, Vol. 5-6, n° 3-4, p. 37-68.
POIVRET C. (2010), La gouvernance d’un réseau territorialisé d’organisations par une
structure d’animation autonome, fonctionnement et impact : le cas de Plastipolis, thèse de
sciences de gestion, Université Jean Moulin Lyon 3, P. 441.
RAMIREZ M., DICKENSON P. (2010), « Gatekeepers, knowledge brokers and inter-firm
knowledge transfer in Beijing’s Zhongguancun Science Park », International Journal of
Innovation Management, Vol. 14, n°1, p. 93-122.
RETOUR D. (2009), « Pôles de compétitivité, propos d’étapes », Revue française de gestion,
Vol. 35, n° 190, p. 93-99.
SAGLIO J. (1991), « Echange social et identité collective dans les systèmes industriels »,
Sociologie du travail, n°4, p. 529-543.
SCHMITT C., SAINT-PIERRE J. (2011), « Rapprocher chercheurs et praticiens pour le
développement de connaissances scientifiques : l’exemple d’une recherche en PME »,
Management et Avenir, n° 43, p. 392-409.
YIN R. (1989), Case study research. Design and methods, Sage publications, Newbury Park,
London, New Dehli.
Retour à la table des matières
35
L’entrepreneuriat social :
maximiser les capabilités plutôt que le profit
Patrick GILORMINI
Enseignant-chercheur
ESDES- Université Catholique de Lyon
23, place Carnot
F-69286 Lyon cedex 02
Telephone: 04 72 30 50 48
pgilormini@univ-catholyon.fr
Résumé : Cet article a pour objet de caractériser ce que l’expression d’ « entrepreneuriat
social » recouvre comme significations afin de cerner l’horizon éthique dans lequel elle
s’inscrit. L’attribution du qualificatif de social à un entrepreneur comprend l’identification et
l’exploitation d’opportunités de création de valeur sociale auquel ni le marché ni les pouvoirs
publics ne peuvent répondre et qui appellent des combinaisons innovantes de ressources en
rupture avec les pratiques sociales existantes. L’entrepreneuriat social ne peut être circonscrit
ni dans les stratégies argumentatives de la responsabilité sociale de l’entreprise, ni dans la
question des statuts et des formes de gouvernance de l’économie sociale et solidaire.
Aujourd’hui le concept d’entrepreneuriat social s’institutionnalise par des pratiques
entrepreneuriales singulières d’intérêt général reconnues par les pouvoirs publics et les
financeurs privés. Les entrepreneurs sociaux français s’organisent en un mouvement qui
affirme la singularité de leurs projets. Une revue de la littérature académique et des critères
mobilisés par les institutions, montre que l’entrepreneuriat social s’articule à une éthique
économique libérale qui prend en compte le bien-être visé par la personne mais également sa
qualité d’agent capable de poser librement des choix. Face aux injustices, l’entrepreneuriat
social vise non pas à maximiser le profit mais à concevoir et mettre en œuvre de nouveaux
équilibres socio-économiques. Ceux-ci doivent permettre de développer les capacités des
personnes les plus vulnérables à faire des choix de fonctionnement répondant à leur idée de la
vie bonne. L’idée de justice qui sous-tend l’action de l’entrepreneur social s’exprime non pas
en termes de distribution des biens mais en termes d’accès à des possibilités
d’accomplissement d’un ensemble de fonctionnements humains.
Mots clés : entrepreneuriat, opportunités, RSE, économie sociale et solidaire, justice,
capabilités.
Abstract: This paper analyses the various meanings of “social entrepreneurship” as a
concept useful in management research. It aims at defining the ethical horizon in which it is
used. It hinges on a survey of scholarly definitions and criteria used by governmental or
financial institutions to differentiate social entrepreneurship from commercial
entrepreneurship. It takes stock of the emerging movement of French social entrepreneurs and
of the development of private foundations promoting them. Social entrepreneurship is neither
corporate social responsibility (CSR) nor third sector or solidarity economy. Using a
36
stakeholders’ approach, CSR is too often focused on discussing social armistices between
business and society. Third sector organizations, although they are a hybrid of market, nonmarket, and non-monetary forms of economy, with democratic governance based on
voluntary association, are not necessary grounded on any entrepreneurial project.
Social
entrepreneurship is a concept rooted in entrepreneurship as the pursuit of opportunity beyond
tangible resources that are currently controlled. Its objectives are not to maximize profits but
to create social value by combining human and capital resources. It is a process of socioeconomic transformation looking for a new equilibrium in term of justice in order to bring
solution to social issues linked to inequality in functioning and capabilities. The capability
approach seems to provide an interesting framework to analyze its ethical drivers in terms of
social justice.
Key words: entrepreneurship, opportunities, corporate social responsibility, third sector,
justice, capabilities
Introduction
En France, les concepts d’entrepreneur social, d’entrepreneuriat social, de « social
business », et d’entreprise sociale sont de plus en plus utilisés dans la communication
d’entreprise et repris dans les média. Une sélection des articles de la presse périodique
francophone faisant référence à ces concepts donne un rapide aperçu de ce phénomène :
Nombre
Sur 2ans
Sur 1an
Sur 6mois
d’occurrences
des
expressions :
Entreprise sociale
413
282
177
Entrepreneur social
341
197
83
Entrepreneuriat
298
173
91
social
Social business
192
97
42
Comptage effectué sur la base Factiva et portant sur la période du 31/01/2010 au 31/01/2012
Les entrepreneurs s’associent en chœur pour faire valoir leurs empreintes sociales (Carli, et
al., 2011) en faisant du ‘développement durable un catalyseur de la performance’ en
‘réinvestissant dans les vraies valeurs’
en affirmant leur désir de ’développer
l’entrepreneuriat social’ pour ‘un emploi responsable’. Dans un champ où de nombreux
professionnels s’enthousiasment pour la responsabilité sociale de l’entreprise et rivalisent
d’arguments pour faire valoir leurs ambitions et leurs réalisations vis-à-vis de la société civile
cette floraison relève-t-elle d’une besoin de justification des chefs d’entreprise face à la
critique sociale (Boltanski, 2009) ou traduit-elle l’avènement d’une nouveau type
d’entrepreneurs ?
Joindre l’épithète de social au nom d’entrepreneur est un procédé qui s’applique à des
organisations du secteur public, du secteur privé ou de l’économie sociale et solidaire. Dans
la mesure où cette qualification fréquente dans le discours commun est relativement récente,
sa signification reste floue et varie en fonction des acteurs qui la mobilisent. Toutefois, son
usage actuel vise à distinguer l’entrepreneur social de l’industriel paternaliste, philanthrope ou
intéressé, dont l’objectif était de moraliser les ouvriers dans un but de les fixer dans
37
l’entreprise, de les détourner du syndicalisme et du socialisme à travers un réseau
d’institutions sociales assurant un minimum de bien être. L’entrepreneuriat social n’a pas
pour modèle une famille étendue dont le manager serait le père et les salariés les enfants.
Cette expression se distingue également de la notion d’entreprise citoyenne en vogue à la fin
du XXème siècle, qui n’est qu’une forme de paternalisme démembré via l’Etat providence
(Ballet & De Bry, 2001, p. 132). La mondialisation et les crises de la dette ont fait de ce
dernier une institution tout aussi contestée que la famille. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire
de faire un premier état des définitions théoriques de l’entrepreneuriat social et des concepts
qui lui sont attachés dans la littérature académique (1), avant d’examiner en quoi
l’institutionnalisation du concept par les pouvoirs publics, le mouvement des entrepreneurs
sociaux, et les fondations recoupe l’approche académique (2).Ce travail permet de poser
l’hypothèse que l’entrepreneuriat social est une pratique qui s’inscrit une théorie de la justice
s’attachant aux capacités de la personne et à sa liberté de réaliser diverses combinaisons de
fonctionnements(3).
1. Fondements théoriques du concept d’entrepreneuriat social
Nous nous attachons ici à situer le concept d’entrepreneur social par rapport aux définitions
de l’entrepreneur (a) , de la responsabilité sociale de l’entreprise (b), de l’économie sociale et
solidaire (c) qui le recouvrent en partie puis de faire état des définitions qui en sont
actuellement proposées dans la littérature académique (d)
1.1. Un entrepreneuriat qui ne maximise pas le profit et poursuit des opportunités
Selon l’économiste Joseph Schumpeter (1935) , la dynamique économique du capitalisme a
pour principe l’entrepreneur. Celui-ci exprime la volonté de réaliser un profit. Ce profit est
impossible à créer dans le circuit stationnaire de périodes en périodes de la théorie de
l’équilibre général de Léon Walras. Ce n’est que grâce à la modification volontaire par
l’entrepreneur des conditions technologiques de la production et de la distribution que se
dégage un surplus qu’est le profit. L'entreprise est l'acte de réaliser, l'entrepreneur l'agent qui
réalise des combinaisons nouvelles de facteurs de la production. Cette transformation consiste
en l’innovation qui est une des composantes essentielles du capitalisme au même titre que
l’entrepreneur, l’investisseur et le profit. Pour mettre en œuvre des innovations radicales ou
incrémentales l'entrepreneur doit vaincre une série de résistances. Son rôle spécifique est de
s’émanciper des solutions clé en main et de la tyrannie du « tout fait ». François Perroux
(1960, pp. 15-16) précise cette analyse en distinguant :
l’entrepreneur statique qui applique des recettes accoutumées qui lui sont fournies par son
expérience ou les habitudes professionnelles. Il forme des combinaisons routinières et
prend des risques « courants » qui sont largement prévus et en conséquent réduits. C’est
un rentier qui mentant à sa fonction est le serf des comptabilités passées. Il calcule en
réduisant autant que possible la part du pari.
l’entrepreneur dynamique qui est un ami de l’innovation éprouvant l’appel du large. Il
élabore des combinaisons nouvelles qui comportent des risques économiques. Ceux-ci
provoquent l’écroulement s’ils sont invaincus et suscitent les ascensions vertigineuses
s’ils sont dominés. Cet entrepreneur est tout entier embarqué dans son entreprise et
38
accepte les grandes pertes dans sa course ardente au profit exceptionnel. Ses calculs
économiques sont l’instrument de ses paris.
Dans cette perspective l'entrepreneuriat social est une fonction qui ne se caractérise ni par le
statut juridique ni par le statut social d’un individu ou d’une organisation. De même, on n'est
pas entrepreneur social d'une façon continue, comme l'on exerce un métier ou une profession.
Le concept d’entrepreneuriat social a été popularisé en France lorsqu’en 2005 Mohammad
Yunus s’est associé à Danone pour créer Grameen Danone Foods au Bangladesh et financer le
projet en lançant la SICAV Danone Communities comme incubateur de social business. Dans
ce projet imaginé par Franck Riboud et le futur prix Nobel de la paix, les actionnaires ne
recevraient aucun dividende et devraient se contenter de récupérer leur capital (Marchant,
2012). Pour M Yunus (2007), le social business se distingue des entreprises de maximisation
du profit (profit-maximising business) dans la mesure où il est intégralement dédié à la
résolution de problèmes sociaux et environnementaux. Le social business correspond à une
entreprise qui est orientée sur une cause et non sur le profit. Ce n’est toutefois pas une œuvre
de charité dans la mesure où, l’entreprise doit couvrir l’intégralité de ses coûts pour atteindre
son objectif social. Pour cela, il lui faut facturer un prix de vente, des commissions ou des
honoraires sur les produits et services qu’elle crée. C’est une entreprise qui non seulement ne
doit pas réaliser de pertes, mais également ne distribue pas de dividendes (no loss, nodividend) dans la mesure où les excédents qu’elle génère doivent être réinvestis pour
poursuivre son expansion auprès des plus démunis. Deux types de social business sont
distingués par M. Yunus (2007). Le premier orienté sur la consommation sert les pauvres par
la nature des biens et services qu’il propose (produits de qualité à très bas coût), le deuxième
orienté sur le travail est une entreprise qui indépendamment des biens et services qu’elle
commercialise, est gérée par les plus pauvres et devient une de leur source de revenus.
En sciences de gestion, l’entrepreneuriat est devenu est un champ de recherche académique
important. Pour Shane & Venkataraman (2000) l’entrepreneuriat est un domaine de recherche
analysant la façon dont sont découvertes, créées et exploitées les opportunités de mettre sur le
marché de nouveaux biens et services, par qui avec quelles conséquences. L’entrepreneuriat
est appréhendé par Stevenson (1985) comme la poursuite d’une opportunité au-delà de la
prise en compte des ressources tangibles actuellement contrôlées. Cette définition met
l’accent sur la façon dont se fait l’identification d’une opportunité , sur le processus
d’engagement vis-à-vis de cette opportunité, sur la façon dont on cherche à mobiliser des
ressources afin de la concrétiser , sur le management d’un réseau de partenaires fournisseurs
de ressources appartenant à différentes structures hiérarchiques , et enfin sur la façon dont les
acteurs sont évalués et rémunérés. Stevenson et Jarillo (1990, p. 23) définissent l’opportunité
comme une situation future jugée désirable et réalisable. La découverte de l’opportunité est un
processus cognitif subjectif fondé sur une évaluation personnelle qui rend la situation plus ou
moins favorable selon les valeurs et l’expérience de l’entrepreneur.
Stevenson (1990) distingue le management administratif du management entrepreneurial. Le
premier est un système de planification et de contrôle formalisé qui conduit à accorder la
primauté au management des ressources. Ce management administratif peut constituer un
frein à l’adoption d’un comportement entrepreneurial dans la mesure où il favorise
l’exploitation d’une situation au détriment de l’exploration. Le management entrepreneurial
au contraire correspond à l’engagement de personnes sur un projet qui se fait sans tenir
compte des ressources détenues. Le manager entrepreneur doit être en capacité de s’engager
vite sur un mode expérimental sans attendre qu’il ait toutes les ressources nécessaires à sa
39
disposition. Son engagement se fera étapes par étapes, limitant celui-ci à ce qui est nécessaire
pour obtenir plus d’information et des premiers succès, avant d’aller rechercher des ressources
supplémentaires.
L’entrepreneuriat social s’inscrit dans ce champ théorique où la recherche
d’opportunités est stimulée par l’échec du marché et des pouvoirs publics à satisfaire
efficacement des besoins humains de base des populations. Il induit la création ou
l’identification de nouvelles relations entre moyens et fins économiques et sociales
précédemment non détectées ou non utilisées par les acteurs de la sphère marchande, de la
sphère publique ou de la société civile. Il combine la riche tradition entrepreneuriale avec une
mission de transformation sociale. Dans ses projets, l’entrepreneuriat social met en œuvre de
nouveaux business models, invente de nouvelles approches, crée des solutions qui dans
différentes régions du monde encouragent les organisations publiques et privées à mieux
prendre en compte les besoins des plus pauvres (Seelos & Mair, 2005). Il convient maintenant
de préciser ce qui distingue cette approche des stratégies de responsabilité sociale de
l’entreprise.
1.2. Un entrepreneuriat qui n’est pas soluble dans une RSE instrumentale
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est l’ensemble des obligations, légales
ou volontaires, qu’une entreprise doit assumer afin de passer pour un modèle imitable de
bonne citoyenneté dans un milieu donné (Pasquero, 2005). Dans une approche
institutionnaliste, c’est un concept managérial des relations entre l’entreprise et la société
mais également politique et éthique. L’approche dominante de la responsabilité sociétale de
l’entreprise (RSE) s’appuie sur le concept de parties prenantes et tend à considérer que
l’entreprise doit satisfaire les demandes éthiques et sociales de celles qui comptent réellement
dans l’espoir que ceci lui sera profitable et lui permettra de poursuivre durablement ses
activités (Mitchell, Agle, & Wood, 1997; Agle, 1999). Un business case a fini par se
développer pour la RSE dans lequel l’engagement volontaire des entreprises dans les
domaines sociaux et environnementaux est considéré comme un investissement au même titre
que tout autre attribut d’une offre, comme la qualité, le service, ou le degré d’innovation
(Vogel, 2005). Au nom de la RSE les entreprises ont développé des démarches proactives ou
réactives qui répondent à des attentes de moralité ou de bonté exprimées par des individus ou
groupes d’individus qui peuvent influencer ou être influencés par la réalisation de leurs
objectifs (Freeman, 1984). Pour les entreprises qui ont un fort niveau d’intégration de la RSE
dans leur stratégie et le management de leurs activités ces réponses passent notamment par le
développement de partenariats avec des acteurs de la société civile (ONG, associations…) qui
sont engagés dans la promotion de causes sociétales (Capron & Quairel-Lanoizelée, 2004).
Sous cet angle, la RSE est un dialogue continu avec des parties prenantes visant à légitimer
l’entreprise en l’inscrivant dans un isomorphisme coercitif, normatif ou mimétique
(DiMaggio & Powell, 1983). La RSE apparait comme un processus dialogique par lequel les
managers d’une organisation conçoivent et discutent des relations avec les parties prenantes,
de leurs rôles vis-à-vis du bien commun mais aussi des comportements permettant de tenir ces
rôles et de s’engager dans une relation pérenne avec les parties prenantes (Basu & Palazzo,
2008). La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) peut être considérée comme un discours
au sens plein du terme, c’est-à-dire venant créer les « éléments de réalité » allant dans le sens
de celui-ci, mais aussi comme une « prison » des directions des grandes entreprises,
enfermées par ce discours dans une forme de circularité « contenu du discours – éléments de
réalité produits par le discours ». (Pesqueux, 2011) . S’élabore alors en continu une stratégie
sociale d’entreprise (Husted & Allen, 2011) qui conçoit et met en place des projets répondant
40
à une demande sociale. Elle doit être récompensée par un accroissement de la fidélité des
clients, de l’engagement des salariés, une amélioration de l’acceptabilité sociale sécurisant les
profits futurs. Très souvent l’orientation des stratégies de responsabilité sociale n’est pas
entrepreneuriale mais administrative (Stevenson H. , 2000) dans la mesure où elle est dirigée
par le développement ou la préservation des actifs immatériels actuellement contrôlés par
l’entreprise et non par la poursuite d’opportunités répondant aux besoins de développement
durable des communautés. Le management des parties prenantes laisse peu de place à
l’émergence de l’entrepreneur conçu comme un individu d’exception capable de faire du
nouveau et d’affronter la désapprobation de la communauté sociale (Schumpeter, 1935) .
1.3. L’économie sociale et solidaire n’a pas le monopole de l’entrepreneuriat social
L’économie sociale et solidaire (ESS) rassemble historiquement des sociétés de
personnes a-capitaliste (associations, coopératives et mutuelles) qui n’ont pas pour finalité la
création de valeur pour des actionnaires et qui partagent trois principes : une autonomie de
gestion notamment vis-à-vis des pouvoirs publics ; une gouvernance démocratique répondant
au principe une personne-une voix ; une lucrativité limitée, leurs excédents étant mis en
réserve à des fins de réinvestissement. Même si elles représentent en France 10 % du PIB,
comptent pour environ 12 % de l’emploi salarié pour 210.000 établissements employeurs, ces
entreprises qui dans une vision régulatrice de l’économie s’imposent entre l’Etat et le Capital
ont du mal à s’affirmer, à peser dans le débat public et à influer les décideurs. (Sibille &
Ghezalli, 2010). L’émergence du concept d’ « entreprises sociales » comme modèle distinct
d’organisation issue de la société civile a été observée comme une évolution importante en
Europe depuis les années 1990. Cette qualification reste toutefois attribuée principalement à
des entreprises d’insertion par l’activité économique comme les associations intermédiaires,
les ateliers et chantiers d’insertion, les groupes économiques solidaires… (Defourny &
Nyssens, 2010). La crise de la fin des années 2000 est marquée par un regain d’intérêt pour
l’économie sociale et solidaire. Il s’enracine dans deux tendances fortes qui impactent les
rapports entre les sphères du marché, de la société civile et de l’Etat depuis une vingtaine
d’années. La première est la marchandisation et la privatisation d’un certain nombre de
responsabilités incombant jusqu’aux années 80 à l’Etat providence. La seconde est
l’expérimentation de nouvelles formes de solidarité, d’action sociale et collective par des
organisations issues de la société civile. L’ESS apparait dans ce contexte soit comme une
forme de substitution au service public soit comme un nouveau terrain d’action pour la société
civile. Dans le premier cas, il prend acte du changement profond des politiques sociales
publiques. Dans le second cas, l’ESS crée un nouvel espace pour les mouvements solidaires
ou collectifs leur permettant d’influencer sur l’évolution des politiques sociales publiques.
L’entrepreneuriat social conduit à un management de projet privilégiant la constitution
de réseaux réactifs et flexibles (Stevenson H. , 2000). Il procède par combinaison et
hybridation de formes organisationnelles issues de l’ESS et de l’entreprise capitaliste. Sa
remise en question des formes hiérarchiques basées sur la détention des ressources le conduit
à entretenir une proximité avec le mouvement coopératif. Toutefois comme le soulignent
Defourny et Nyssens (2006) , alors que les coopératives s’attachent en premier aux intérêts de
leurs membres, les entrepreneurs sociaux ont un ensemble plus large d’objectifs sociaux et
d’obligations vis-à-vis des communautés où ils émergent. Distinction reprise par Michel
Adam (2009) entre l’entreprise capitaliste créée « pour soi », la coopérative créée « pour
nous » et l’entreprise sociale créée « pour les autres ». En tant que phénomène nouveau
l’entrepreneuriat social suscite de nombreux débats parmi les acteurs de l’économie sociale et
solidaire dans la mesure où il s’inscrit pleinement dans cette tradition européenne, mais s’en
distingue également en s’appuyant sur des outils économiques et des cadres juridiques élargis.
41
L’enjeu de l’économie sociale et solidaire ne réside pas dans liberté d’entreprendre mais dans
la modification des cadres dans lequel elle s’exerce (Frémeaux, 2011). L’ESS ne vise pas un
dépassement du capitalisme mais l’extension de la démocratie à tous les niveaux dans une
société libre et ouverte. Il ne s’agit pas pour elle de détecter, saisir et exploiter des
opportunités de création de valeur économique et sociale mais de rendre la gouvernance des
entreprises plus démocratique dans une perspective réformiste et régulationiste qui souligne
que l’entreprise capitaliste n’est pas la seule option possible.
1.4. Un entrepreneuriat osant la création de valeur économique et sociale
Dacin P., Dacin T. & Matear T. (2010) ont recensé 37 définitions de l’entrepreneuriat
social dans la littérature académique. Elles se distinguent selon qu’elles s’attachent aux
caractéristiques de la personne de l’entrepreneur social , au secteur dans lequel s’exerce
l’activité , aux processus et aux ressources mobilisées par l’entrepreneur social ou bien à la
mission principale et aux objectifs assignés à l’entreprise. L’entrepreneuriat social fournit une
occasion unique de revisiter et de penser à nouveaux frais non seulement le concept
d’entrepreneuriat, mais également la signification du mot social appliqué à l’entreprise (Mair
& Marti, 2006).
Dees (1998) met en évidence une typologie qui distingue les entreprises sociales à partir de
leur genèse et de leur fondation. D’un côté se trouvent les organisations qui ont été créées
pour une mission sociale ou environnementale et qui sont financées et largement gérées par
des dons volontaires (mécénat et bénévolat), de l’autre se trouvent les entreprises qui sont
créées et gérées au sein d’entreprises commerciales privées. Entre ces deux extrémités se
trouve un éventail d’entreprises à but lucratif ou non-lucratif dont les ressources financières
combinent des dons privés, des subventions publiques, du capital-investissement et des
revenus commerciaux. J. Gregory Dees (1998) propose une définition classique de
l’entrepreneur social qui les considère comme des agents de changement dans le domaine
social dans la mesure où :
Ils se donnent pour mission de créer et de développer de la valeur sociale et pas
seulement de la valeur privée,
Ils sont sans cesse à la recherche de nouvelles opportunités leur permettant de remplir
cette mission,
Ils s’engagent dans un processus continu d’innovation d’adaptation et d’apprentissage,
Ils agissent avec témérité sans être limités par les ressources qui sont actuellement à
leur disposition,
Ils témoignent d’un sens élevé de leurs responsabilités en rendant compte aux parties
prenantes qu’ils servent des moyens et des résultats obtenus.
La définition proposée par Haugh (2006) met l’accent sur l’importance des solutions à
finalité sociale et par extension environnementale, élaborées suivant les principes de gestion
d’entreprises. ‘Entreprise sociale’ fait référence dans cette acception à toute une gamme
d’organisations qui pratiquent l’échange marchand dans un but social. Elles adoptent
différents statuts juridiques mais ont en commun des pratiques de gestion qui prévalent dans
le monde des affaires, des finalités sociales, des profits qui sont réinvestis au bénéfice d’une
communauté. Leur ambition est focalisée sur la recherche de l’utilité sociale, des objectifs
non-financiers et leurs résultats se mesurent par des indicateurs non financiers relatifs à l’offre
et à la demande des services qu’elles procurent. Cette définition met l’accent sur le fait que les
entreprises sociales doivent être profitables pour conduire un projet ambitieux et pérenne mais
que ceci ne constitue pas leur finalité première qui est la recherche de l’utilité sociale. Cela
42
signifie que l’identification et la recherche de besoins sociaux non satisfaits est tout à fait
décisive dans la caractérisation de ce type d’entreprise.
La question de l’adaptation des ressources face à l’ampleur des besoins sociaux est
posée dans la définition de Mair et Marti (2006) pour qui en tant que pratique et champ de
recherche académique, l’entrepreneuriat social est un processus de création de valeurs par
une combinaison innovante de ressources. Ce processus explore et exploite des opportunités
de création de valeur sociale en stimulant le changement social et en répondant aux besoins
sociaux. Il implique non seulement l’offre de nouveaux produits ou services mais également
la création de nouvelles formes organisationnelles. L’entrepreneuriat social vu comme
processus dynamique est une forme différente d’entrepreneuriat qui peut apparaitre non
seulement dans la création de nouvelles entreprises mais également dans des entreprises déjà
bien établies.
La finalité est un critère clé permettant de distinguer l’entrepreneur social de
l’entrepreneur d’affaire. Pour Bornstein et Davis (2010), l’entreprise sociale cherche à
maximiser son impact social généralement en satisfaisant un besoin urgent qui a été négligé,
mal traité , ou ignoré par d’autres formes d’institutions. Alors que pour l’entrepreneur
d’affaire, l’objectif est de maximiser les profits ou la valeur actionnariale en constituant une
organisation pérenne et respectable qui apportera de la valeur à des clients et des emplois
attractifs à ses salariés, le défi auquel est confronté l’entrepreneur social est de traiter des
problèmes que ni les institutions gouvernementales ni les mécanismes de marché ne sont
parvenus seuls à résoudre.
Bornstein et Davis distinguent également l’entrepreneuriat social de
l’action
gouvernementale dans la mesure où, contrairement à celle-ci, il ne peut faire appel à la
contrainte publique et doit s’inscrire dans une démarche inductive qui mobilise d’abord les
énergies du terrain. Il procède
de l’observation et de l’expérimentation vers
l’institutionnalisation et l’adoption autonome de ses solutions. Enfin l’entrepreneuriat social
se distingue de l’activisme dans la mesure où il ne cherche pas avant tout à influencer le
processus de décision des grandes institutions ou à faire changer l’opinion publique mais
poursuit un éventail d’options plus large comprenant en particulier la création d’institutions
qui mettront elles-mêmes directement en œuvre des solutions opérationnelles aux problèmes
sociaux.
Austin, Stevenson, Wei-Skillern et Leonard (2007) définissent également
l’entrepreneuriat social comme une activité innovante de création de valeur sociale, qui peut
se manifester au sein des secteurs publics, commerciaux et non-lucratifs mais également entre
eux sous la forme de structures hybrides combinant des activités lucratives et non-lucratives.
Ils insistent en particulier sur la finalité de création de valeur sociale et le non enrichissement
de l’entrepreneur ou de ses actionnaires. Le modèle qu’ils proposent se présente sous la forme
d’un diagramme de Venn où l’opportunité occupe une place prééminente dans la mesure où
elle est le point de départ de toute la démarche entrepreneuriale. Les deux variables
contributives que sont les capitaux et les personnes se superposent avec la première dans une
relation d’interdépendance. L’ensemble est intégré autour de la proposition de création de
valeur sociale. Ces trois cercles se trouvent eux-mêmes insérés dans un contexte politique,
socioculturel, démographique, fiscal et réglementaire qui constituent des facteurs de
contingence requérant l’attention vigilante de l’entrepreneur social.
43
Environnement
contingent
Proposition
de valeur
sociale
Pour l’entrepreneur commercial comme pour l’entrepreneur social, l’opportunité est
définie comme un état futur désirable différent de la situation présente dont il croit possible la
réalisation. Le premier s’attache au retour sur investissement économique, alors que le second
s’attache au retour sur investissement social. La principale différence entre un entrepreneur
commercial et un entrepreneur social s’avère être que le premier s’attache aux percées qu’il
peut réaliser sur de nouveaux marchés notamment en stimulant de nouveaux besoins alors que
l’entrepreneur social s’attache à satisfaire plus efficacement des besoins de base courants par
des initiatives innovantes. Pour l’entrepreneur social le problème n’est pas l’existence d’une
demande mais la capacité à attirer des ressources par l’innovation sociale afin de satisfaire
cette demande. Le champ des opportunités est relativement large pour les entrepreneurs
sociaux dans la mesure où ils sont capables de combiner des projets financièrement
autosuffisants ou profitables et d’autres déficitaires nécessitant de recourir à des dons ou à
des subventions. Toutefois face à une pléthore d’opportunités, l’énergie qu’ils doivent
dépenser pour mobiliser des personnes et des capitaux requiert une autolimitation de leur
champ d’action en regard des ressources qu’ils sont en capacité de mobiliser. Souvent la
croissance devancera les plans de développement de l’entrepreneur social. Pour diffuser son
innovation et optimiser son impact en évitant de distraire ses ressources de son objectif
premier, il devra multiplier les partenariats et les alliances avec des acteurs publics et privés.
Zahra & alii (2009) définissent l’entrepreneuriat social comme l’ensemble « des
activités et processus entrepris pour découvrir, définir et exploiter des opportunités afin
d’augmenter la richesse sociale en créant de nouvelles entreprises ou en manageant des
organisations existantes de façon innovante ». A partir de quoi ils proposent une typologie des
entrepreneurs sociaux (bricoleurs, constructeurs ou ingénieurs sociaux) qui non seulement
conduit à les différencier dans leur découverte et leur approche des opportunités mais
également souligne les enjeux éthiques propres à chaque type. Les bricoleurs sociaux
s’attachent à répondre à des besoins sociaux locaux non satisfaits. Les constructeurs
exploitent des failles de marchés en s’attachant à des clientèles négligées afin d’introduire des
innovations dans le système social. Les ingénieurs sociaux s’emparent de problèmes
systémiques dans les structures sociales existantes en introduisant des changements
révolutionnaires. Les enjeux éthiques de ces trois types d’entrepreneurs sociaux portent sur
leurs motivations, les ressources mobilisées et les modes de gouvernance et de contrôle de
leurs activités. Ils varient en fonction de l’échelle géographique de l’entreprise, de la
complexité de leur business modèle et du niveau d’ambition dans le changement social visé.
44
Le champ de l’entrepreneuriat social s’étend sur diverses dimensions chacune d’entre elles
appartenant à des catégories conceptuelles différentes. Cinq dimensions semblent pouvoir
constituer l’armature autour de laquelle ce concept s’est construit (Praszkier & Nowak,
2012) :
Une mission sociale qui réponde à des besoins sociaux mal satisfaits. L’entreprise
sociale se construit en réponse à un enjeu social traduit par un entrepreneur sous la
forme d’une opportunité pour laquelle il conçoit de nouvelles approches.
Une innovation sociale qui soit une invention fonctionnant lorsqu’elle est mise en
œuvre par les activités des personnes, leurs interactions et produisant des résultats
opérationnels.
Un changement social qui puisse être éprouvé dans le long terme et qui ait des
conséquences multiples et de longue portée. Si l’innovation constitue l’étincelle qui
initie le changement, celui-ci doit s’incarner dans les pratiques quotidiennes et
essaimer dans d’autres domaines que celui qui l’a vue naître.
Un esprit entrepreneurial qui anime complètement le porteur de projet qui n’a de
cesse de rechercher de nouvelles opportunités permettant au changement social de
devenir une réalité tangible. Un engagement total dans le processus de déconstruction
des modèles anciens et de création de nouveaux modes d’interaction sociale est pour
cela nécessaire.
Une personnalité créative à la fois en termes de vision anticipatrice mais également de
développement d’un capital social. Cette créativité entrepreneuriale permet, en
particulier dans les situations d’adversité et de risques, de nouer des relations inédites
tissant de nouvelles formes de coopération dans la confiance,
2. Les définitions institutionnelles de l’entrepreneuriat social
La structuration du champ de l’entrepreneuriat social s’effectue également par le jeu des
acteurs. Dans une perspective institutionnaliste, il convient de s’intéresser au processus de
légitimation de l’entrepreneuriat social en France. Ce processus est entendu comme une
construction sociale issue d’une évaluation d’ensemble, percevant ou supposant que les
actions d’un entrepreneur social sont désirables, justes, et appropriées dans le cadre d’un
système de normes, de valeurs , de croyances et de définitions (Suchman, 1995).
Parmi les manifestations récentes de reconnaissance de l’entrepreneuriat social en France,
nous proposons de distinguer celles qui relèvent des pouvoirs publics (a), celles qui relèvent
des entrepreneurs sociaux eux-mêmes (b), et enfin celles qui relèvent des fondations finançant
leurs initiatives (c).
2.1. Les pouvoirs publics définissent l’entrepreneuriat social
La France comptant parmi les 34 pays membres de l’OCDE partage avec elle une
définition de l’entrepreneuriat social comme toute forme d’activité privée conduite dans
l’intérêt public et organisée selon une stratégie entrepreneuriale dont l’objectif n’est pas la
maximisation du profit , mais l’atteinte de certains objectifs économiques et sociaux. Cette
définition s’inscrit dans un contexte de retrait de l’état providence au profit d’une économie
mixte dans laquelle les entrepreneurs sociaux délivrent des services sociaux et contribuent à
l’inclusion sociale. Au-delà des différences nationales entre les pays de l’OCDE, les
entreprises sociales répondent à des critères :
45
économiques : une contribution directe à la production et à la commercialisation de biens
et de services ; un degré élevé d’autonomie financière ; la prise d’un niveau significatif de
risques économiques ; un nombre minimum de salariés ;
sociaux : être issue de l’initiative de citoyens ; un pouvoir de décision qui n’est pas basé
sur la détention du capital ; une gouvernance participative ; une distribution limitée des
profits ; une volonté explicite d’apporter des bénéfices à une communauté [OECD-Local
Economic and Employment Development Programme] 27.
Le 25 octobre 2011 La Commission Européenne publiait une communication visant à soutenir
l’entrepreneuriat social en Europe. Elle entend par entreprises sociales « des entreprises
pour lesquelles l'objectif social ou sociétal d'intérêt commun est la raison d'être de
l'action commerciale, qui se traduit souvent par un haut niveau d'innovation sociale,
dont les bénéfices sont principalement réinvestis dans la réalisation de cet objet social,
et dont le mode d'organisation ou le système de propriété reflète la mission,
s’appuyant sur des principes démocratiques ou participatifs, ou visant à la justice
sociale. »
La Commission Européenne précise qu’il peut s’agir d’entreprises fournissant des services
sociaux , ou des biens et services destinés à un public vulnérable, et d’entreprises dont le
mode de production des biens et des services poursuit un objectif d’ordre social mais dont
l’activité peut couvrir des biens ou services autres que sociaux. Elle distingue par ailleurs
clairement cette initiative de celle qu’elle a prise la même année en matière de responsabilité
sociale des entreprises Cette dernière ne concerne pas les entreprises dont « la finalité
première est explicitement sociale et/ou environnementale, qui réinvestissent leurs bénéfices à
cet effet, et dont l’organisation interne prend en compte les objectifs sociétaux » (Commission
Européenne, 2011)
En avril 2010 le Député du Nord Francis Vercamer remettait au Premier Ministre un rapport
visant à doter la France d’une politique ambitieuse pour développer l’économie sociale et
l’entrepreneuriat social. Ce rapport prend acte de la pluralité des définitions tout en soulignant
que l’appellation entreprise sociale se focalisera plus sur « la dimension entrepreneuriale de
l’action, l’importance des pratiques réelles mises en œuvre et de leur évaluation, au regard des
principes et des valeurs qui sous-tendent le projet de ses promoteurs. » [Vercamer 2010, p
23]. F.Vercamer émet dans sa proposition N°5 la recommandation d’engager une démarche
de création de labels dépassant la seule approche statutaire pour mieux reconnaître
l’appartenance à l’économie sociale. Il préconise la constitution d’un label pour
l’entrepreneuriat social et d’un label d’entreprise à finalité sociale et solidaire. La question de
la définition de ce qu’est une entreprise sociale s’avère constituer un véritable enjeux pour les
entreprises de l’économie sociale et solidaire comme en témoigne le courrier adressé le 8
mars 2010 par la CPCA, le CJDES, le CNCRES,le GNC et l’USGERES au député Vercamer .
Cette lettre qualifie le projet de label des entreprises sociales de prématuré dans la mesure où
les valeurs et principes inscrits dans les fondements juridiques des sociétés de personnes
existent déjà et permettent de les distinguer des entreprises de capitaux qui développent des
démarches de RSE. Elles soulignent notamment leur réserve envers des critères qui
n’intégreraient pas la détention collective du capital et la non appropriation individuelle des
résultats.
27
http://www.oecd.org/department/0,3355,en_2649_34417_1_1_1_1_1,00.html
46
2.2. Les entrepreneurs sociaux français se constituent en mouvement
Le 2 février 2010 était lancé le premier mouvement des entrepreneurs sociaux de France
(Mouves) à la suite des travaux du CODES (Collectif pour développer l’entrepreneuriat
social). Ce mouvement a pour objectif d’améliorer la visibilité de l’entrepreneuriat social et
de favoriser la reconnaissance des entreprises à finalité sociale. Présidé par Mr Jean-Marc
Borello, délégué général du Groupe SOS, le Mouves se définit comme un mouvement de
personnes rassemblant des entrepreneurs sociaux désireux de concilier efficacité économique
et utilité sociale, réussite individuelle et intérêt collectif 28. Le Mouves exprime très clairement
son projet à travers les quatre axes clés suivants :
Elaboration d’un ensemble de critères permettant de fonder un label « Entreprise
sociale »,
Conception et diffusion d’un ensemble d’indicateurs démontrant l’efficacité des
entreprises sociales,
Constitution et développement de structures d’accompagnement à l’innovation
sociale,
Développement de l’enseignement et de la recherche sur l’entrepreneuriat social.
La question de la définition et de la caractérisation de l’entreprise sociale est tout à fait
centrale dans ce mouvement qui part de la définition suivante : « Les entreprises sociales sont
des entreprises à finalité sociale, sociétale ou environnementale et à lucrativité limitée. Elles
cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance ».
Le Mouves définit deux critères d’objectifs : « Finalité sociale, sociétale ou
environnementale ou territoriale inscrite dans l’objet social de l’entreprise et dans le pacte
d’actionnaire (s’il existe) » et « Création d’emplois » auquel il ajoute six critères de moyens
indispensables : « Initiative privée ;Production de biens et/ou de services ; Recherche
d’implication d’une ou plusieurs parties prenantes dans la gouvernance ;Rémunération
limitée des apports en fonds propres ;Excédents majoritairement réinvestis dans le
projet ;Encadrement de l’échelle des salaires (facteur 3 à facteur 10 en fonction du nombre
de salariés »
Le Mouves travaille actuellement à une proposition de label qui s’inscrit dans la lignée des
travaux de la CSESS et qui vise une démarche simple, accessible, appropriable dans et hors
l’économie sociale et solidaire. Dans cette perspective il propose actuellement de retenir
quatre critères :
Un projet économique et entrepreneurial qui doit être une initiative privée, créatrice
d’emplois, produisant des biens et des services suivant un modèle économique viable.
Une finalité sociale ou sociétale d’intérêt général et de réponse à des besoins sociaux
peu ou mal satisfaits.
Une lucrativité nulle ou limitée avec notamment l’encadrement de l’échelle des
salaires.
Une gouvernance démocratique ou participative.
Les travaux du Mouves en matière de labellisation affirment vouloir rendre compte de la
diversité des entreprises sociales et s’inscrire à partir d’un socle commun, dans une démarche
d’amélioration continue.
L’affirmation des spécificités de l’entrepreneur social se manifeste également dans les
« 60 propositions pour changer de cap » émises en novembre 2010 par le Labo de l’ESS, think
28
http://www.mouves.org/
47
tank présidé par Claude Alphandéry 29. Celles-ci manifestent en effet la volonté de faire
émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux et solidaires en faisant mieux
connaître le métier d’entrepreneur social. La construction d’un référentiel métier de
l’entrepreneur social et solidaire permettrait notamment de mieux préciser les spécificités de
l’entrepreneur dans sa relation aux administrateurs, aux salariés et aux autres parties prenantes
, dans sa pratique particulière du leadership et des fonctions managériales et commerciales, et
dans sa gestion financière originale liée à l’hybridation des ressources [Proposition N°39].
Ces essais de définition institutionnelle de l’entrepreneuriat social posent la question
de savoir comment les entrepreneurs sociaux résistent aux pressions iso morphiques des
normes qui ont pour effet de les enfermer dans un cadre qui s’il facilite leur reconnaissance,
n’en reste pas moins contraire l’esprit de transformation sociale qui les anime. Néanmoins si
la légitimité pragmatique de l’entrepreneuriat social reste à prouver, sa légitimité morale
semble assurée dans la mesure où il répond pleinement aux valeurs de l’idéologie libérale qui
privilégient des solutions sociales fondées sur l’initiative individuelle et la logique du marché
(Dart, 2004).
2.3. Les fondations imposent des critères de soutien aux entrepreneurs sociaux
L’examen des critères retenus par les organismes qui apportent leur soutien financier aux
entrepreneurs sociaux permet également de caractériser l’entrepreneuriat social tel qu’il est
promu aujourd’hui. Nous retiendrons ici ceux adoptés par la fondation Schwab, Ashoka et la
fondation Skoll toutes trois actives en France où elles comptent des lauréats depuis quelques
années.
Créée en 1998 en étroite liaison avec le Forum Economique Mondial de Davos, la
Fondation Schwab soutient des entrepreneurs qui travaillent dans différents secteurs comme
la santé, l’environnement, l’éducation, la micro finance ou l’aide aux entreprises. Dans la
mesure où leur action doit être équilibrée et durable ils interviennent simultanément dans
plusieurs domaines. En France, la Fondation Schwab qui depuis 2007 décerne avec le Boston
Consulting Group le prix de l’entrepreneur social de l’année, retient les trois principaux
critères suivants :
L’innovation définie comme la capacité à induire du changement social en transformant
des pratiques traditionnelles. L’entrepreneur social doit démontrer une capacité à
introduire des idées en rupture avec les cadres de références habituels et à les mettre en
œuvre.
La durabilité conçue comme la capacité de l’entrepreneur à pérenniser son action dans la
durée et à s’y consacrer pleinement en s’attachant à développer son autonomie financière.
L’impact social direct en associant directement les bénéficiaires de l’action à sa mise en
place et en étant capable d’en démontrer les effets par des comptes rendus et des
témoignages de parties prenantes de l’entreprise notamment des personnes les plus
pauvres et les plus désavantagées.
Deux autres critères sont également pris en compte à savoir, la portée et l’extension de
l’entreprise au-delà de son contexte d’origine et la possibilité de la répliquer dans d’autres
régions du monde pour résoudre le même type de problèmes. 30
Créé en Inde en 1980, l’organisation Ashoka est présente en France depuis 2006 où elle
vise à faire de chacun un agent de changement. Son premier critère pour soutenir un
29
30
http://www.lelabo-ess.org/
http://www.schwabfound.org/sf/SocialEntrepreneurs/SearchandSelectionProcess/Criteria/index.htm
48
entrepreneur social est la nouveauté de l’idée qu’il porte. Indépendamment de son domaine
d’application que ce soit les droits humains ou l’environnement, il importe de démontrer qu’il
s’agit d’une réelle innovation comprenant un potentiel réel de changement. Les quatre autres
critères de sélection d’Ashoka sont les suivants :
La créativité : l’entrepreneur a-t-il une vision de comment peut-on mieux répondre à des
besoins humains que cela n’a été fait jusqu’alors ? Est-il en capacité de résoudre des
problèmes en concevant des solutions opérationnelles ?
Les qualités d’un vrai entrepreneur à savoir, être en mesure d’identifier des opportunités
de changement et d’innovation et de se consacrer entièrement à leur mise en œuvre. La
capacité de s’investir pleinement dans son projet sur une durée de 10 à 15 ans apparaît
comme une condition indispensable pour faire de l’idée une réalité.
L’impact social de l’idée indépendamment de l’entrepreneur qui la porte. Il est important
que le changement induit puisse changer significativement les façons de faire et inspirer
d’autres initiatives de réformes en profondeur ailleurs dans le monde.
La fibre éthique de l’entrepreneur, sa capacité agir en combinant émotion et raison, sa
capacité à inspirer confiance. 31
La mission de la fondation Skoll est d’induire des changements d’ampleur en
investissant des fonds dans les projets d’ entrepreneurs sociaux, en les mettant en relation et
en valorisant leurs actions. Elle porte l’ambition de les aider à résoudre les problèmes
mondiaux les plus urgents. Cette fondation créée par Jeff Skoll, président et fondateur d’eBay
propose la définition suivante de l’entrepreneur social : « De même qu’un entrepreneur
change la face du monde des affaires, une entrepreneur social est un agent de changement de
la société. » Afin de transformer la société et de l’améliorer, il saisit des opportunités
inexploitées en améliorant des systèmes, en inventant de nouvelles approches, et en créant
des solutions durables pour transformer la société. Les entrepreneurs sociaux sont sans cesse à
la recherche de nouvelles façons de résoudre les problèmes qui rongent la société. Cette
fondation créée en 1999 apporte son soutien financier en fonction des quatre axes suivants qui
forment sa grille d’analyse:
La nature de l’enjeu : la fondation s’attache à soutenir les initiatives visant l’équité
économique et sociale du plus grand nombre, favorisant l’accès de tous aux soins de base,
prenant en compte la durabilité environnementale du développement économique,
permettant aux institutions de mieux exercer leurs responsabilités sociale, favorisant la
paix, l’harmonie sociale , la tolérance et les droits de l’homme .
Le point d’inflexion : la fondation apprécie si le porteur de projet agit en choisissant le
moment opportun où un écosystème est prêt à basculer avec le maximum d’impact.
L’innovation : elle évalue si par la création d’un modèle innovant l’entrepreneur peut
déclencher des changements à grande échelle
L’Impact potentiel : elle privilégie les initiatives ayant l’impact le plus profond et le plus
large possible 32
Pour ces fondations l’entrepreneuriat social est bien avant tout une démarche
entrepreneuriale comprise comme la combinaison, d’un contexte dans lequel se situe une
opportunité, d’un ensemble de caractéristiques personnelles requises pour identifier et
poursuivre cette opportunité, et d’un nouvel équilibre plus satisfaisant pour l’ensemble des
participants que les équilibres antérieurs. Ce qui distingue l’entrepreneuriat social de
31
32
http://www.ashoka.org/support/criteria
http://skollworldforum.org/about/what-is-social-entrepreneurship/
49
l’entrepreneuriat maximisant le profit, ce ne sont pas les motifs personnels mais le fait que
l’entrepreneur social ne peut, en regard des caractéristiques des marchés auquel il s’adresse, ni
anticiper ni compter sur la création d’un profit substantiel lui permettant de rémunérer ses
investisseurs (philanthropes ou fonds publics). Dans l’esprit des organisations qui le
financent, l’entrepreneuriat social présente les trois caractéristiques : (1) l’identification d’un
équilibre stable mais profondément injuste qui cause de la souffrance, de l’exclusion et
marginalise une partie de l’humanité qui n’a ni les moyens financiers ni les appuis politiques
pour changer sa condition sociale, (2) l’identification, au sein de cette équilibre injuste, d’une
opportunité de développement d’une proposition de valeur sociale qui suscite la mobilisation,
l’engagement, la créativité, et le courage de défier cette situation de domination, (3) la mise
en place d’un nouvel équilibre stable plus juste qui libère les énergies et allège les souffrances
de la communauté visée. (Martin & Osberg, 2007)
Dans cet esprit Holger Patzel et Dean Shepard (2011) ont développé un modèle qui
suggère que la formation des opportunités d’entrepreneuriat social s’enracine dans la
perception des menaces qui pèsent sur l’environnement naturel et communautaire d’un
territoire et sur la motivation altruiste d’améliorer les conditions d’existence des autres à
partir de sentiments personnels d’empathie et de sympathie. L’identification d’opportunités de
changement en vue d’un équilibre social plus juste s’avère plus complexe que l’identification
d’opportunités de profit motivée par les seuls gains égoïstes. Elle met en jeu une éthique
impliquant à la fois la perception de la vulnérabilité et des risques sociaux, mais aussi des
raisons d’agir relevant un esprit altruiste, de solidarité et d’économie inclusive au service
d’une communauté.
Conclusion
Le processus entrepreneurial de découverte, d’évaluation et d’exploitation d’opportunités
ne suffit pas à appréhender la spécificité de l’entrepreneuriat social qui réside dans
l’arraisonnement de moyens économiques à une finalité sociale. Face à l’injustice
l’entrepreneur social opère un dépassement de l’indignation et de la révolte. Le bien-être
cesse d’être une finalité interne à l’individu ou une harmonie de l’entre soi, mais procède au
contraire d’un décentrement vers l’intérêt général. Pour comprendre cette dynamique, il nous
semble important de sortir d’une conception de la rationalité économique qui soit fondée sur
l’intérêt personnel et d’intégrer une vision éthique 33 de l’entrepreneur. Le fait d’accomplir ce
qu’on aimerait réaliser peut être une composante de la rationalité, et cela peut inclure la
promotion d’objectifs désintéressés auxquels on accorde de la valeur et que l’on souhaite
atteindre (Sen A. , 1987, p. 18).
Nous devons nous interroger sur l’horizon éthique dans lequel s’inscrit l’entrepreneuriat
social et plus particulièrement sa finalité sociale d’intérêt général. A partir des éléments de
caractérisation que nous avons rassemblés ci-dessus, nous formulons l’hypothèse que ni une
approche utilitariste dans la lignée de J.S. Mill, ni une approche égalitariste libérale
contractualiste dans la lignée de J.Rawls, ni une approche libertarienne des droits de propriété
dans la lignée de R. Nozick ne permettent de rendre compte de façon satisfaisante de l’idée de
justice qui anime les entrepreneurs sociaux. Ceux-ci ne visent pas une société juste mais se
concentrent sur les avancées de la justice sociale. Ils ne s’intéressent pas tant aux institutions
et aux règles sociales mais aux réalisations concrètes. Leur raisonnement est plus comparatif
33
Au sens de Paul Ricœur : L’éthique, c’est le désir d’une vie accomplie, avec et pour les autres ; dans des institutions justes.
50
que transcendantal. Plutôt qu’une égalité de ressources ou d’utilités, ce qui est visé dans leurs
projets est l’articulation de deux notions : les capacités de la personne et les libertés de les
mettre en œuvre. L’entrepreneur social s’attache à la possibilité effective qu’un individu a de
choisir diverses combinaisons de fonctionnement en fonction de son environnement.
Dans son désir de vie, la question que se pose l’entrepreneur social se distingue de celle
que se pose l’entrepreneur maximisant le profit. Il se demande « que peuvent-ils faire et que
peuvent-ils être ? » alors que le second se demande « combien ont-ils ? ». Libéral dans son
essence, l’entrepreneur social donne aux plus démunis les outils dont ils ont besoin pour
choisir. Son projet met les citoyens souffrant d’inégalités de pouvoir comme d’inégalités de
revenus en capacité de choisir librement la vie à laquelle ils aspirent. Ils sont considérés, non
comme des récepteurs passifs de biens sociaux, mais comme des êtres dignes et libres de créer
des espaces de discussion communs et de cheminer hors de l’asservissement et des privations.
Pour reprendre les catégories proposées par Amartya Sen (1987), l’entrepreneur social vise à
maximiser quatre dimensions d’une personne: son bien-être en termes d’accomplissement,
son bien-être en termes de liberté, sa qualité d’agent en termes d’accomplissement, et sa
qualité d’agent en termes de liberté. Il accorde la priorité au bien-être entendu comme de
fonctionnement et s’oppose à l’idée que la richesse pourrait être considérée comme une fin en
soi. Selon lui les premiers biens visés sont ce que les individus rationnels désirent comme pré
requis pour mener leur projet de vie. Il se concentre sur les vies humaines et pas seulement sur
les ressources dont disposent les gens, ou sur les « objets de confort » qu’ils peuvent posséder
ou utiliser (Sen A. , 2010). Les richesses ne valent ici que par rapport aux activités qu’elles
rendent possibles. L’entrepreneuriat social s’attache à rendre possible l’exercice des
capabilités des individus et à apporter aux exclus la liberté d’exprimer des préférences selon
leurs conceptions du juste, leurs priorités du moment et leurs facultés singulières. Nous
proposons l’hypothèse que l’entrepreneur social procède d’une évaluation comparative de la
qualité de vie en s’intéressant aux enjeux de justice sociale. Il s’attache notamment à
l’exercice pratique des droits humains fondamentaux en vue du respect de la dignité humaine
et témoigne en actes que cette pratique n’est pas seulement du ressort des pouvoirs publics
(Nussbaum, 2006) ou des acteurs de la société civile mais également des acteurs du marché.
L’entrepreneur social part d’une évaluation des « capabilités » dont jouissent
effectivement les plus vulnérables. Dans le projet auquel il les associe, il identifie des
opportunités en envisageant leurs vulnérabilités comme supposées dans un environnement
donné et en proposant de nouveaux agencements au service de l’intérêt général alliant
économie de dépenses publiques par des dispositifs de prévention et augmentation des
richesses partagées par une modèle économique centré sur l’homme.
Bibliographie
Commission Européenne. (2011, octobre 25), Initiative pour l'entrepreneuriat social,
Communication de la Commission au Parlement européen , au Conseil, au Comité
économique et social européen et au Comité des régions (COM( 2011) 682 final, Bruxelles.
ADAM M. (2009), Réinventer l'entrepreneuriat: Pour soi , pour nous, pour eux, Paris
L'harmattan.
51
AGLE B. M. (1999). “Who matters to CEOs ? An investigation of stakeholders attributes and
salience, corporate performance and CEO Values”, Academy of management journal,n°42 , p.
507-525.
AUSTIN J. E., STEVENSON H., WEI-SKILLERN J., LEONARD H. (2007),
Entrepreneurship in the Social Sector, Thousand Oaks, CA Sage.
BALLET J., DE BRY F. (2001), L'entreprise et l'éthique, Paris Le Seuil.
BASU K., PALAZZO G. (2008), “Corporate social responsibility : a process model of
sensemaking”, Academy of management review , n°33 (1; p. 122-136).
BOLTANSKI L. (2009), De la critique: précis de sociologie de l'émancipation, Paris
Gallimard.
BORNSTEIN D., DAVIS S. (2010), Social entrepreneurship : what everyone needs to know,
Oxford University Press.
CAPRON M., QUAIREL-LANOZELEE F. (2004), Mythes et réalités de l'entreprise
responsable, Paris La Découverte.
CARLI, CLAMADIEU, GRI, KOSCIUSKO-MORIZET, NIBOUREL, ROUSSET, et al.
(2011), Empreintes sociale: En finir avec le court terme, Paris Odile Jacob.
CODES - 100 Entrepreneurs sociaux s'engagent, (2009). Développer l'entrepreneuriat social:
Le livre blanc, Paris AVISE.
Commission Européenne, (2011, Octobre 25). Responsabilité sociale des entreprises: une
nouvelle stratégie de l'UE pour la période 2011-2014, Communication de la Commission au
Parlement européen , au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des
régions (COM ( 2011) 681 final, Bruxelles.
DACIN P. A., DACIN M., MATEAR M. (2010, August), “Social entrepreneurship: why we
don't need a new theory and how we move forward from here”,Academy of Management
Perspectives , p. 37-57.
DART R. (2004), “The Legitimacy of social enterprise”, Nonprofit Management and
Leadership , n°14 (4), p.411-424.
DEES J. (1998), “The meaning of social entrepreneurship”, Kaufmann Center for
Entrepreneurial Leadership, Stanford University Graduate School of Business.
DEFOURNY J., NYSSENS M. (2006), Defining social enterprise , Dans M. Nyssens, Social
enterprise: at crossroads of market, public policies and civil society, London:Routledge.
DEFOURNY J., NYSSEN M. (2010), Social Enterprise Dans K. Hart & J. C. Laville, The
Human Economy, London Polity Press.
DIMAGGIO P., POWELLE W. (1983, 48,April ), “The iron-cage revisited: institutional
isomorphism and collective rationality in organizational field”, American Sociological Review
, p. 147-160.
FREEMAN R. (1984), Strategic management: a stakeholder approach, Boston MA Pitman.
FREMEAUX P, (2011), La nouvelle alternative ? Enquête sur l'économie sociale et
solidaire, Paris Les petits matins/ Alternatives Economiques.
HAUGH H. (2006), Social Entreprise:beyond economic outcomes and individual returns,
Dans J. Mair, J. Robinson, & K. Hockerts, Social entrepreneurship (p. 180-206), Basingstoke
Palgrave Macmillan.
HUSTED B. W., ALLEN D. B. (2011), Corporate social strategy, Cambridge University
Press .
Le LABO' de L'économie sociale et solidaire, (2010, Novembre), “ Pour une autre
économie ” , Alternatives économiques , Hors Série Poche n°46Bis.
MAIR J., MARTI I. (2006), “Social entrepreneurship research: a source of explanation,
prediction and delight”, Journal of World Business , p.37-44.
52
MARCHANT E. (2012, Janvier / Février), “La dynamique de Danone Communities”. Le
Journal de l'Ecole de Paris du Management ,n°93, p. 17-24.
MARTIN R. L., OSBERG S. (2007, Spring), “Social entrepreneurship: The case for
definition”, Stanford social innovation review , p. 28-39.
MITCHELL R., AGLE B., WOOD D. (1997), “Toward a theory of staholders identification
and salience:Defining the principle of who and what really counts”, Academy of Management
Review ,n° 22.
NUSSBAUM M. (2006), Frontiers of Justice: Disability, Nationality, Species Membership,.
Harvard University.
PASQUERO J. (2005), “La responsabilité sociale des entreprises comme objet des sciences
de gestion”, Dans M. Turcotte, A. Salmon, Responsabilité sociale et environnementale de
l'entreprise, Québec Presse de l'Université de Québec.
PATZELT H., SHEPARD D. A. (2011, July), “Recognizing opportunities for sustainable
development”, Entrepreneurship Theory and Practice , p. 631-652.
PERROUX F. (1960), Economie et Société, Paris PUF.
PERROUX F. (1960), Le capitalisme, Paris PUF.
PESQUEUX Y. (2011), “La responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) comme discours
ambigü”, Innovations , n°1/34, p. 37-55.
PRASZKIER R., NOWAK A. (2012), Social entrepreneurship: theory and practice,
Cambridge University Press.
SCHUMPETER J. (1935), Théorie de l'évolution économique, Paris Dalloz.
SEELOS C., MAIR J. (2005), “Social entrepreneurship :creating new business models to
serve the poor”, Business Horizon , n°48, p. 241-246.
SEN A. (1987), Ethique et Economie, Paris PUF.
SEN A. (2010), L'idée de justice, Paris Flammarion.
SHANE S. (2000), “Prior knowledge and the discovery of entrepreneurial opportunities”,
Organization Sciences ,n° 11, p. 448-469.
SHANE S., VENKATARAMAN S. (2000), “The promise of entrepreneurship as a field of
research”, Academy of Management Review ,n° 25 (1), p. 217-226.
SIBILLE H., GHEZALLI T. (2010), Démocratiser l'économie: le marché à l'épreuve des
citoyens, Paris Bernard Grasset.
STEVENSON H. H., JARILLO J. C. (1990), “A paradigm of entrepreneurship:
entrepreneurial management”, Strategic Management Journal , p.17-27.
STEVENSON H. (2000, February), “Why entrepreneurship has won ! ”, Coleman White
paper,USASBE , p. 1-8.
STEVENSON H., GUMPERT D. (1985), “The heart of entrepreneurship”, Harvard Business
Review , p. 85-94.
SUCHMAN M. (1995), “Managing legitimacy:strategic and institutional approaches”,
Academy of Management Journal , n°20 (3), p. 271-610.
VERCAMER F. (2010), Rapport sur l'économie sociale et solidaire, Paris Assemblée
Nationale.
VOGEL D. (2005), “Is there a market for virtue ? The business case for corporate social
responsibility”, California management review ,n° 47,summer,p.19-45.
YUNUS M. (2007), Creating a world without poverty: Social business and the future of
capitalism, New York Public Affairs.
ZAHRA S. A., GEDAJLOVIC, E., NEUBAUM D. O., SHULMAN J. M. (2009), “A
typology of social entrepreneurs: motives, search processes and ethical challenges”, Journal
of Business Venturing , n°24, P. 519-532.
Retour à la table des matières
53
L’intention entrepreneuriale des étudiants au Maroc
Salah KOUBAA
Enseignant Chercheur
Abdelhak SAHIBEDDINE
Enseignant chercheur
Ecole Nationale de Commerce et de
Gestion, LERSEM, Université
Chouaib Doukkali – El Jadida
(MAROC)
Sahibeddine@gmail.com
Faculté des Sciences Juridiques,
Economiques et Sociales, Université
Hassan2 –Casablanca (MAROC)
koubaasalah@gmail.com
Résumé : L’entrepreneuriat est un des leviers stratégique pour la création des emplois et des
richesses d’une nation. L’entrepreneur, figure emblématique de la théorie Schumpétérienne,
est un individu innovateur et moteur de la croissance économique. Partant de là, plusieurs
pays voient dans l’encouragement à la création des PME une voie stratégique prometteuse
pour doper de manière permanente le tissu entrepreneurial. Le Maroc n’en est pas en reste.
Des politiques d’accompagnement et d’appui à la création d’entreprises ont été mises en place
pour encourager diplômés de l’enseignement supérieurs, de la formation professionnelle et les
bacheliers. Il semble donc important d’œuvrer pour rendre le dispositif universitaire plus
performant en termes de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des jeunes
porteurs d’idées de projets. L’accent doit être mis essentiellement sur les attitudes à l’égard de
la création d’entreprise, les aptitudes entrepreneuriales et l’intention des étudiants à rendre
leur comportement plus performant.
Théoriquement, l’article s’appuie sur la théorie de la psychologie sociale notamment la
théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) et le modèle de la formation de l’événement
entrepreneurial (Sokol et Shapero 1982). Empiriquement, nous avons fait le choix de la
méthode des équations structurelles qui permettent d’analyser les différentes relations
causales du modèle conceptuel. L’approche Partial Least Square (PLS) est mise en place au
lieu de l’approche Covariance Based Structural Equation Modeling (CBSEM). Les résultats
montrent que le modèle de l’intention est validé dans le contexte estudiantin marocain avec
une variance de 45% et des relations hypothétiques significatives entre les différentes
variables du modèle.
Mots clefs : Intention entrepreneuriale - Théorie du comportement planifié - Attitude à
l’égard de l’entrepreneuriat - Approche PLS
Abstract: Entrepreneurship is one of the strategic levers for creating jobs and wealth of a
nation. The contractor, an emblematic figure of the Schumpeterian theory, is an individual
54
and innovative engine of economic growth. From this, several countries are in encouraging
the creation of a strategic path promising SMEs to permanently boost the entrepreneurial
fabric. The Morocco is no exception. Accompanying policies and support for
entrepreneurship have been implemented to encourage graduates of higher education,
vocational training and graduates. It is therefore important to work to make the university
system more efficient in terms of awareness, training and support for young people with
project ideas. The focus should be primarily on attitudes towards business creation, and
entrepreneurial skills for students to make their behavior more efficient.
Theoretically, the paper uses the theory of social psychology including the theory of planned
behavior of Ajzen (1991) and model of the formation of the entrepreneurial event (Shapero
and Sokol 1982). Empirically, we have chosen the method of structural equations for
analyzing the different causal relationships of the conceptual model. The Partial Least
Squares approach (PLS) is implemented instead of the approach Covariance Based Structural
Equation Modeling (CBSEM). The results show that the model is validated for the context in
Moroccan student with a variance of 45% and significant hypothesized relationships between
different variables in the model.
Key words: Entrepreneurial intention - Theory of planned behavior - attitudes towards
entrepreneurship - PLS approach
Introduction
L’entrepreneuriat est considéré comme étant l’un des leviers stratégique pour la création des
emplois et des richesses au niveau d’une nation. L’entrepreneur, figure emblématique de la
théorie Schumpétérienne, est un individu innovateur et moteur de la croissance économique.
Partant de là, plusieurs pays voient dans l’encouragement à la création des petites et
moyennes entreprises une voie stratégique prometteuse pour doper de manière permanente le
tissu entrepreneurial. Le Maroc n’en est pas en reste. Des politiques d’accompagnement et
d’appui à la création de PME et de TPE ont été mises en place durant la première décennie
des années 200034. Les diplômés de l’enseignement supérieurs, de la formation
professionnelle et les bacheliers sont la principale cible.
Le début de cette première décennie marque aussi un changement
radical dans
l’enseignement supérieur et plus particulièrement dans l’enseignement de l’entrepreneuriat et
l’intégration des modules de création d’entreprises dans pratiquement tous les enseignements
universitaires alors qu’ils se limitaient aux écoles de commerce et de gestion avant la mise en
place de la réforme35. De même la recherche sur l’entrepreneuriat et les méthodes
pédagogiques de son enseignement sont en phase de gestation. Il semble donc important
d’œuvrer pour rendre le dispositif universitaire plus performant en termes de sensibilisation,
de formation et d’accompagnement des jeunes porteurs d’idées de projets. L’accent doit être
mis essentiellement sur les attitudes à l’égard de la création d’entreprise, les aptitudes
entrepreneuriales et l’intention des étudiants à rendre leur comportement plus performant.
34
Il s’agit notamment du programme MOUKAWALATI qui a pour objectifs la création effective d’entreprises
viables et la pérennisation des entreprises créées. Le programme a envisagé La création de 30.000 TPE et 90.000
emplois entre 2006 et 2008.
35
La charte nationale d’éducation et de formation et la loi 01-00 portant organisation de l’enseignement
supérieur au Maroc, B.O.F N° 4800 du 1/06/2000, PAGE : 393
55
Toutefois et contrairement à d’autres pays, rares sont les recherches ou études qui ont permis,
à notre connaissance, d’examiner l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au
Maroc (Boussetta 2003). L’Observatoire Internationale de l’Intention Entrepreneuriale des
Etudiants 36 ne fait référence à aucune recherche sur le cas du Maroc contrairement à ses
voisins arabes (Tunisie, Algérie et Mauritanie). De même le rapport de Global
Entrepreneurship Monitor 37 ne fait pas référence à l’entrepreneuriat et les activités
entrepreneuriales au Maroc. La présente communication consiste à présenter les résultats
d’une recherche menée auprès de 302 étudiants de licence, de master (Bac+4 et Bac+5) ainsi
que les étudiants ingénieurs appartenant aux établissements universitaires marocains.
Théoriquement, cette communication s’appuie sur la théorie de la psychologie sociale
notamment la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) et le modèle de la formation
de l’événement entrepreneurial (Sokol et Shapero 1982). Empiriquement, nous avons fait le
choix de la méthode des équations structurelles qui permettent d’analyser les différentes
relations causales du modèle conceptuel. Avant de présenter les résultats de cette analyse, il
sera question du cadre théorique et méthodologique du présent travail.
1. Cadre théorique
Plusieurs recherches se sont consacrées à la modélisation de l’intention pour prédire le
comportement de l’individu. Il s’agit notamment des travaux de la psychologie sociale (Ajzen
1991, Bundura1977). Ces modèles ont été mobilisés et développés par d’autres auteurs
(Krueger, Reily et Crasrud2000, Tounès, Boissin, Chollet et Emin2009) pour analyser
l’intention entrepreneuriale comme étant une variable prédictive du comportement de
création d’une nouvelle organisation. Nous présentons dans un premier temps les modèles de
l’intention entrepreneuriale, ensuite le modèle et les hypothèses de recherche
1.1. Le modèle de l’événement entrepreneurial
Le modèle de l’événement entrepreneurial de Shapero (1982) est considéré comme étant un
modèle pionnier dans le champ de l’entrepreneuriat. Depuis, d’autres auteurs ont développé et
vérifié ce modèle (Krueger 1993, Krueger et al 2000) pour analyser et observer
empiriquement l’intention entrepreneuriale notamment dans le milieu estudiantin 38. Ce
modèle accorde une place cruciale au système social et aux valeurs culturelles dans la
formation de l’événement entrepreneurial 39. Selon Shapero et Sokol, l’événement
entrepreneurial résulte de quatre catégories de facteurs. D’abord, un contexte explicatif de
l’acte entrepreneurial faisant référence aux déplacements négatifs, situations intermédiaires et
aux déplacements positifs. Ensuite, les facteurs de perceptions de désirabilité et de faisabilité
de l’acte entrepreneuriale. Enfin, la formation de l’intention à entreprendre.
Les déplacements négatifs font allusion, à titre d’exemple, au licenciement, divorce ou
insatisfaction au travail ou encore un échec dans les études qui vont pousser l’individu à
passer à l’acte d’entreprendre. L’événement entrepreneurial peut alors être expliqué par un
36
http://cerag-oie.org/fr/index.php
http://www.gemconsortium.org
38
Les travaux de Jean-Pierre Boissin, Barthélémy Chollet et Sandrine Emin ont conduit à la constitution de
l’observatoire international des intentions entrepreneuriales des étudiants (http://aims2009.cerag.org/fr/ )
39
‘[t]he social and cultural factors that enter into the formation of entrepreneurial events are most felt through
the formation of individual value systems. More speciWcally, in a social system that places a high value on the
formation of new ventures, more individuals will choose that path . . . . More diVusely, a social system that
places a high value on innovation, risk-taking, and independence is more likely to produce entrepreneurial events
than a system with contrasting values.’ Shapero and Sokol (1982: 83)
37
56
changement forcé de contexte. D’un autre côté, l’obtention d’un héritage, un gain à la loterie,
etc.. sont considérés comme étant des facteurs favorables ou encore des stimulus positifs. Les
situations intermédiaires (between things) sont les événements qui entrainent des
modifications dans les parcours de vie des individus. Elles sont à la base du déclenchement
de l'événement entrepreneurial, par exemple, chez les étudiants qui obtiennent leur diplôme
une école de commerce ou d’ingénieur (Tounès 2003).
Figure 1. Modèle de formation de l’événement entrepreneurial
La désirabilité perçue elle se forme par le système de valeurs des acteurs. Ce système se forge
par l’influence des variables sociales et culturelles, notamment celles de la famille et des
parents. Les expériences antérieures, les échecs ou encore les réussites dans des aventures
sont des facteurs qui renforcent les perceptions de désirabilité. Quand à la faisabilité perçue,
elle se forme sur la base des perceptions des facteurs d’appui et de soutien disponibles. Il
s’agit notamment de la disponibilité des ressources financières et informationnelles et en
termes de compétences notamment les enseignements dispensés dans les établissements
universitaires
1.2. La théorie du comportement planifié
La notion d’intention est considérée comme le meilleur prédicateur des comportements
planifiés notamment dans le cas des comportements rares et difficilement observables
(Krueger, Reilly et Carsrud, 2000). La théorie comportementale peut nous permettre de
comprendre le processus d’influences des variables individuelles et contextuelles sur
l’intention entrepreneuriale.
57
Attitude à l’égard du
comportement
Normes
subjectives
INTENTION
Comportement
Perceptions du contrôle
comportemental
Figure 2 : Modèle du comportement planifié (Ajzen 1991,p.182)
La théorie du comportement planifié (theory of planned behavior) d’Ajzen (1991) est une
théorie prédictive des comportements individuels. L’intention est au centre du raisonnement
et explique le comportement Trois variables déterminantes de l’intention : les attitudes, les
normes subjectives et la perception du contrôle comportementale.
Les attitudes à l’égard du comportement (attitude toward the behavior) se réfèrent au degré
d’évaluation favorable ou défavorable que fait l’individu du comportement souhaité. Ces
attitudes dépendent fortement des résultats attendus du comportement en question (Azjen
1991). Les normes subjectives (subjective norm) résultent des perceptions que fait l’individu
de son contexte social et des pressions des personnes qui lui sont proches. Il s’agit notamment
de ce que ces personnes (famille et amis) pensent de l’intention de l’individu. Enfin, la
perception du contrôle comportementale (perceived behavioral control) met en exergue
l’importance des contraintes et des difficultés pour traduire l’intention en acte
comportemental. Elle implique la perception de la disponibilité des ressources, des
opportunités, des freins anticipés et des compétences nécessaires
1.3. Hypothèses de recherche
Les modèles de l’événement entrepreneurial (Shapero et Sokol, 1982) et du comportement
panifié (Azjen 1991) tentent de prédire l’intention des acteurs et par conséquent leur
comportement. Le premier est proposé mais rarement testé dans le domaine de
l’entrepreneuriat. Le second est développé et largement validé dans le domaine de la
psychologie sociale et la recherche marketing (Krueger et al2000).
Nous partons de ces deux modèles que nous considérons comme étant complémentaires pour
proposer, sans prétendre créer, un modèle de recherche qui fait apparaître les antécédents de
l’intention entrepreneuriale: l’attitude entrepreneuriale, la faisabilité entrepreneuriale perçue
et la désirabilité entrepreneuriale perçue.
58
Faisabilité
entrepreneuriale
H1
H4
Attitude
entrepreneuriale
Intention
entrepreneurial
Désirabilité
entrepreneurial
Figure 3 : Modèle de recherche proposé (version adaptée du modèle de comportement
planifié)
Le concept d’attitude très utilisé dans la recherche en psychologie sociale est largement utilisé
dans les disciplines des sciences de gestion et plus particulièrement en marketing pour
appréhender le comportement du consommateur et en théorie des organisations et gestion des
ressources humaines pour comprendre les comportements individuels et collectifs dans les
entreprises. Il fait référence à l’ensemble des sentiments, croyances et tendances relativement
durables et axés vers des gens, des groupes, des idées, des problèmes ou encore des objets
précis (Petty, Wengener et Fabrigar, 1997). Les différentes définitions du concept convergent
vers l’idée de prédisposition à répondre envers un objet social et que cette prédisposition
pourrait s’apprendre (Oullet 1978). Cette définition explicite la composante comportementale
de l’attitude comme étant une prédisposition à partir d’une évaluation favorable ou
défavorable de quelque chose. La deuxième composante affective souligne l’importance des
sentiments, humeurs et émotions à propos d’une personne, d’une idée, d’un événement ou
d’un objet. Enfin, la composante cognitive met l’accent sur les pensées, les opinions, les
connaissances ou les informations de la personne. L’attitude prédit le comportement a adopter
dans une situation donnée et résulte de l’interaction entre l’affectif, le cognitif et le
comportemental
L’attitude entrepreneuriale est définit comme étant l’attitude de l’individu à l’égard de la
création d’entreprise. Elle représente le degré d’évaluation, favorable ou défavorable, qu’un
étudiant a de cette création. Cette évaluation se fait sur la base des résultats attendus, de la
recherche ou non de l’autonomie par le créateur et de la réalisation de soi, ainsi que la
connaissance des opportunités d’affaires et la mise en œuvre de sa créativité et de sa passion à
l’innovation. Elle dépend des personnes qui comptent dans l’existence de l’individu, parents,
amis et membres du réseau social
Les chercheurs en entrepreneuriat insistent sur d’autres facteurs qui influencent l’intention
entrepreneuriale (Boissin, Emin et Chollet 2009). Il s’agit notamment de la désirabilité perçue
qui fait référence à ce que l’entourage du créateur (famille, amis et ceux dont l’opinion
compte pour l’individu) pense de l’acte de création (Shapero et Sokol 1982). La faisabilité
perçue consiste à l’évaluation que fait le créateur de ses capacités entrepreneuriales pour
pouvoir concrétiser et traduire en réalité son intention. Il s’agit de la perception du contrôle
comportemental (Azjen 1991).
59
2. Méthodologie
2.1. Echantillon et méthode d’analyse
Notre recherche porte sur l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au Maroc.
Nous avons interrogé environ 2000 personnes et nous avons récupéré 302 réponses, soit un
taux de réponse d’environ 15%. Nous avons envoyé notre questionnaire par émail à une série
de listes de contacts et nous avons utilisé le formulaire Google Documents. L’utilisation de
cette méthode d’administration de notre questionnaire est justifiée par l’absence d’une base de
données des étudiants universitaires au Maroc. En fin de compte, notre échantillon est un
échantillon de convenance.
Notre étude porte sur un échantillon d’étudiants bac+3, bac+4 et bac+5 répartis entre les
établissements universitaires au Maroc : les facultés des sciences juridiques, économiques et
sociales (FSJES), les écoles nationales de commerce et de gestion (ENCG), les écoles
nationales des sciences appliquées (ENSA) et les facultés des sciences (FS). Le total des
réponses collectées s’élève à 302 (Tableau 1).
Cette répartition par établissement donne une idée sur la formation des étudiants interrogés.
Ainsi, les sciences économiques, de gestion et le droit (FSJES et ENCG) représentent 80% de
l’échantillon. Le reste est représenté par les sciences exactes et de l’ingénieur (FS et ENSA).
En ce qui concerne la répartition homme/femme, 66% des répondants sont des étudiantes
(femmes) et 34% sont des étudiants (hommes). Quant à la répartition des tranches d’âge. Plus
de 80% des étudiants interrogés se situent dans la tranche d’âge [20-25 [ans et 13 % des
étudiants se situent dans la tranche [25-30[ (Tableau 2).
Nous avons choisi l’approche Partial Least Square (PLS) au lieu de l’approche Covariance
Based Structural Equation Modeling (CBSEM). Cette dernière utilise l’estimation par le
maximum de vraisemblance (maximum likelihood) pour minimiser la covariance de
l’échantillon et celle prédite par le modèle théorique (Urbach et Ahlemann 2010). Pour
analyser les réponses collectées, nous avons utilisé la méthode des équations structurelles qui
se veut une méthode confirmatoire permettant la validation ou le rejet des hypothèses déduites
de la littérature. Le logiciel Smart PLS est utilisé pour tester les hypothèses de recherche, le
modèle de mesure et la validation du modèle structurel. L’analyse de la fiabilité et de la
validité des construits est faite à l’aide du logiciel SPSS qui a permis le calcul d’alpha de
Cronbagh et l’analyse en composante principale
2.2. Opérationnalisation des variables
La théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991) suppose l’existence de trois variables
explicatives de l’intention qui est un préalable au comportement : l’attitude à l’égard d’un
comportement, le contrôle du comportement envisagé et la norme sociale.
En se basant sur la littérature existante, nous proposons une adaptation des construits à notre
champ d’analyse, en l’occurrence, l’intention entrepreneuriale chez les étudiants de
l’université marocaine. Notre adaptation, rappelons-le porte aussi sur les hypothèses entre les
différents construits. Dans ce cadre, notre modèle s’appuie largement sur celui d’Ajzen (1991)
et nous supposons que l’intention des étudiants de devenir des créateurs d’entreprises
s’explique par leurs attitudes à l’égard de la création d’entreprise, leur capacité à mener à bien
un projet entrepreneurial et la désirabilité entrepreneuriale perçue.
L’attitude à l’égard de la création d’entreprise s’explique par les croyances qu’une personne a
sur le monde de l’entrepreneuriat et les perceptions des revenus qui résulteront du
60
comportement adopté. Elle représente le degré d’évaluation, favorable ou défavorable, qu’une
personne a du comportement concerné (Ajzen 1991). Boissin et al (2009) parlent dans la
littérature francophone de l’attrait pour la création d’entreprise. Pour opérationnaliser ce
construit, nous partons de la littérature existante et nous retenons 7 items (voir annexe2) avec
une forte cohérence interne. Après avoir analysé l’échelle et les dimensions de l’échelle,
l’analyse en composantes principales fait apparaître l’existence de trois composantes du
construit de l’attitude : les motivations en termes de carrière et de situation professionnelle
que l’étudiant souhaite avoir, les besoins en termes d’autonomie, de liberté dans la prise de
décision et de pouvoir et enfin, la créativité et l’innovation.
La faisabilité perçue évalue les perceptions individuelles en ce qui concerne la capacité de
l’étudiant à créer et démarrer son entreprise. Il définit la capacité perçue par l’individu pour
mettre en œuvre l’acte de création d’entreprise. Les auteurs utilisent la notion de contrôle
comportementale perçu (Ajzen 1991, Krueger et al 2000) ou encore d’efficacité personnelle
perçue (Bandura 1977, 1982, 1994). Le construit est mesuré à l’aide d’un seul item (Boissin et
al, 2009) : « si vous le deviez, pensez-vous être capable de créer votre entreprise ? » sur une
échelle allant de « pas du tout capable » à « tout à fait capable ». La capacité entrepreneuriale
perçue est mesurée par 6items faisant référence aux difficultés liées à la création, au niveau
de maitrise des étapes du processus et la détermination de l’individu à mettre en œuvre l’acte
entrepreneurial.
La désirabilité perçue est le troisième construit prédictif du comportement en question
(Shapero et Sokol 1982). Certains auteurs (Ajzen 1991, Krueger et al 2000, Boissin 2009)
utilisent le concept de norme sociale. Celui-ci se réfère à l’entourage social de l’individu
(famille, amis,..) et l’opinion que chaque groupe aurait concernant son engagement dans la
création d’entreprise (Boissin et al 2009). Trois items sont utilisés : (1) les membres de la
famille qui me sont proches pensent que je serais un entrepreneur, (2) mes amis les plus
proches pensent que je serais entrepreneur et (3) les gens qui sont important pour moi pensent
que je serais un entrepreneur.
Pour évaluer l’intention entrepreneuriale des étudiants, une première question fermée est
posée : Avez-vous une idée de création d'entreprise? (oui/non). Il faut préciser que le fait de
répondre « Non » ne signifie pas forcément l’absence de l’intention. La question porte sur
l’idée et permet de constater que 74,6% des étudiants ont une idée de création d’entreprise.
Une deuxième question est portée sur la probabilité de création d’entreprise par l’individu
durant les années prochaines (au cours de l’année prochaine, 5 prochaines années et dans cinq
ans et plus). Les répondant considèrent que la probabilité de créer leur entreprise durant
l’année prochaine est très faible (76,6%) et forte dans cinq ans et plus (66,4%). Les autres
indicateurs sont utilisés pour mesurer la force de l’intention et le degré de séduction et de
sérieux dont l’acte entrepreneurial est pris en compte (voir items dans l’annexe 2). Précisons
que Kolvereid (1996) propose de mesurer l’intention en tenant compte de l’alternative
professionnelle : salariat/entrepreneuriat. Nous avons retenu cette logique pour voir dans
quelle mesure les étudiants interrogés sont attirés par la création d’entreprise 40. 50,3% des
interrogés considèrent que la création d’entreprise comme étant une option professionnelle
très attractive, 16,2% voient dans cette option comme étant plutôt attractive et 18,8% comme
étant attractive.
40
Parmi les options professionnelles suivantes, laquelle qui vous attire le plus? (échelle de 1 à 5, pas du tout
attractive à tout à fait attractive)
-
Un emploi dans une entreprise privée
Un emploi dans une administration publique/ fonction publique
Création de votre propre entreprise
61
3. Modèle et test d’hypothèses
Pour tester le modèle et les hypothèses de recherche, nous suivons la méthodologie
habituellement utilisée dans les recherches et les études mobilisant l’approche PLS. Nous
faisons référence essentiellement aux recommandations de Haenlein et Kaplan (2004) et
Bruhn, Georgi et Hadwitch (2008) : (1) examiner les caractéristiques générales des variables
du modèle et plus particulièrement le niveau des corrélations et leur significativité, (2)
s’assurer de la validité du modèle de mesure et (3) tester le modèle structurel par la mise à
l’épreuve des hypothèses formulées.
3.1. Validation du modèle de mesure
Appelé aussi modèle externe (outer model), le modèle de mesure représente les relations
linéaires supposées entre les variables latentes et les variables manifestes (Annexe 1). Le
modèle de mesure résulte de l’analyse factorielle confirmatoire (AFC) et permet d’observer
que chaque variable latente est reliée par un lien qui indique la contribution factorielle estimée
par l’AFC (Tableau 4). Les contributions factorielles des items sont fortement liés au construit
qu’elles mesurent. Ces indicateurs représentent les items du questionnaire qui ont fait l’objet
de développements théorique et empirique.
La validation du modèle de mesure nécessite l’examen des critères de la fiabilité et la validité
des échelles utilisées. La fiabilité est habituellement analysée par le recours au coefficient de
corrélations entre les indicateurs de mesure. Elle définit la qualité d’un instrument de mesure
qui, appliqué plusieurs fois à un même phénomène, doit donner les mêmes résultats » (Evrard,
Pras et Roux 1993, p. 586). Les méthodes d’équations structurelles proposent un autre
indicateur, le rhô de Joreskog, comme étant une autre alternative intéressante parce qu’il est
moins sensible au nombre d’items analysés (Didellon et Valette Florence 1996, cité par
c de Composite Reliability (CR) prend en
compte les différentes contributions factorielles des indicateurs de mesure (Henseler, Ringle
et Sinkovics, 2009). Les deux coefficients sont interprétés de la même manière. L’examen des
coefficients de fiabilité interne,
c), des échelles de
mesure montrent que le seuil de 0,8 ou 0,9 exigé par les spécialistes en méthodologie de
recherche est atteint 41.
De même, la fiabilité de chaque item doit être mesurée par la part de variance qu’explique la
variable latente pour chaque indicateur. Cette part doit être supérieure à 50%. Le rapport de
SmartPLS (Cross Loading ou Outer Loadings) montre que la part de la variance expliquée par
les variables latentes pour chacun des items est supérieure à 0,5 (Tableau 4), les relations
entre chaque variable latente et les variables manifestes la mesurant sont significatives au
seuil de 5% (T-value>1,96).
En ce qui concerne la validité, elle indique le degré selon lequel un instrument de mesure
parvient à mesurer le construit auquel il renvoie (Baggozi 1981). Quatre formes de validité
sont souvent distinguées par les spécialistes en méthodologie de recherche : (1) la validité de
contenu, (2) la validité de trait (la validité convergente et la validité discriminante), (3) la
41
The composite reliability takes into account that indicators have different loadings, and can be interpreted in
the same way as Cronbach’s alpha. No matter which particular reliability coefficient is used, an internal
consistency reliability value above 0.7 in early stages of research and values above 0.8 or 0.9 in more advanced
stages of research are regarded as satisfactory (Nunnally&Bernstein,1994), whereas a value below 0.6 indicates
a lack of reliability ((Henseler, Ringle et Sinkovics, 2009, p.299)
62
validité prédictive et (4) la validité nomologique. Le choix de l’approche PLS nous permet de
nous limiter la validité convergente et la validité discriminante (Urbach et Ahlemann 2010).
La validité convergente vérifie si les items qui sont censés mesurer la même variable sont
corrélés (Evrard et al, 1993). Elle mesure la quantité de variance qu’une variable latente
capture de ses indicateurs par rapport aux erreurs de mesure. Pour évaluer la validité
convergente, Fornell et Larcker (1981) proposent deux critères : les contributions factorielles
de chaque indicateur doit être significatif et supérieur à 0,5 (Tableau 4) et la variance de la
variable doit être davantage expliquée par les indicateurs qui la mesurent que par l’erreur.
Cette dernière condition est vérifiée par l’AVE qui doit être supérieur à 0,5 (Tableau 4).
L’AVE est la moyenne au carrée des contributions factorielles d’un bloc d’indicateurs pris
séparément. Il mesure le montant de la variance capturée par le construit de ses indicateurs
par rapport aux erreurs de mesure. Les résultats montrent que les contributions de tous les
items sont fortement corrélés avec les construits qu’ils mesurent (supérieures à 0,5) et le seuil
de l’AVE est aussi respecté (Tableau 4). La validité convergente est donc vérifiée.
L’AVE est aussi conçu pour être utilisé comme un outil d’évaluation de la validité
discriminante. La validité discriminante signifie que les variables qui sont différentes
théoriquement sont aussi différentes empiriquement La racine carrée de l’AVE doit être
supérieur aux corrélations du construit avec les autres (Barclay, Higgins et Thompson 1995).
Cette situation indique que la variance partagée entre les items et le construit qu’ils mesurent
est supérieure à celle partagée avec les autres construits. Les contributions factorielles (cross
loading) des items censés mesuré un construit doivent être supérieures à celles des autres
construis (Chin 1998, Urbach et Ahlemann 2010). Le tableau 5 présente les valeurs AVE dans
la diagonale de la matrice des coefficients de corrélation. La validité discriminante est alors
vérifiée et les construits sont différents les uns des autres dans le modèle de mesure.
Globalement, les résultats issus de PLS algorithm permettent de conclure que les critères de
validation du modèle de mesure sont vérifiés. En effet, les coefficients de composite
reliability pour évaluer la consistance interne des échelles de mesure sont tous supérieurs à
0,80. Les validités convergente et discriminante respectent largement les seuils retenus par les
chercheurs : AVE supérieur à 0,5, racine carrée de l’ave est supérieure aux corrélations entre
variables latentes et les contributions factorielles des items dépassent 0,50.
3.2. Modèle structurel et test d’hypothèses
Appelé aussi modèle interne (inner model), le modèle structurel représente les relations entre
les variables latentes explicatives et les variables latentes expliquées. La validation du
modèle structurel examine les coefficients de détermination R2, la significativité des
coefficients de régression en utilisant les T-Student.
Le coefficient de détermination permet d’avoir une idée générale de l’ajustement du modèle.
Il mesure la part de la variance de la variable latente endogène expliquée par la régression.
Pour avoir un pouvoir explicatif suffisant, les valeurs R2 doivent être suffisamment élevées.
Les valeurs proches de 0,670 sont substantielles. Elles sont moyennes lorsque R2 = 0,333 et
faibles lorsqu’elles sont inférieures à 0,19 (Chin 1998). Le modèle structurel montre que la
part de la variance de l’intention entrepreneuriale expliquée par la régression est de 45,5%.
Les coefficients de régression entre les variables latentes mesurent l’importance de la relation
causale. Certains auteurs (dont Huber et al 2007, cité par Urbach et Ahlemann 2010, p21)
proposent que le coefficient de régression soit supérieur à 0,1. La signification d’une relation
causale est testée à l’aide des valeurs T.
63
Figure 4 : Modèle structurel de l’intention entrepreneuriale des étudiants
Les valeurs T-student permettent de tester la signification de ces relations causale. Dans
l’approche PLS, elles sont calculées suivant une procédure de re-échantillonage (resampling)
appelée Bootstrap. L’examen des résultats obtenus permet de conclure que toutes les
regressions sont significatives au seuil de 5% par ce que les valeurs de T-statistic dépassent
1,96. Le tableau suivant récapitule les coefficients de régression entre les variables latentes
sur la base de l’échantillon original, les coefficients de régression en utilisant la technique de
bootstrap et les valeurs de T. ce qui permet de conclure que les régressions sont significatives
et donc les hypothèses sont retenues.
3.3 Discussion
Les résultats de cette recherche permettent de valider le modèle explicatif de l’intention
entrepreneuriale au travers l’attitude des étudiants à l’égard de la création d’entreprises, leurs
capacité à mettre en œuvre des idées de projets et l’influence du contexte. Il est intéressant de
souligner le caractère exploratoire de cette recherche dans la mesure où il n’existe pas à notre
connaissance des travaux sur l’intention entrepreneuriale des étudiants universitaires au
Maroc. Des recherches similaires ont été faites en Tunisie (Aliouat et Ben Cheikh 2009), en
France (Boissin, Branchet, Benredjem et Schaaper 2009 ; Boissin, Cholle, Emin 2009 ;
Tounès 2006), et dans d’autres pays. A l’instar de ces recherches nous nous basons aussi sur
les modèles de l’intention développés dans la psychologie sociale.
Certains résultats semblent très importants à discuter. Nous commençons d’abord par les
statistiques descriptives de la variable intention qui montrent que 93% considèrent que la
création d’entreprise est au moins une idée séduisante. Environ 68% des répondants pensent
sérieusement à l’idée. 70% supposent que la probabilité de création durant l’année prochaine
est très faible alors qu’elle est forte voir très forte dans les cinq prochaines années. Ce qui
peut être expliqué par le besoin d’une expérience professionnelle dans le domaine de
l’entreprise avant de se lancer dans l’affaire. L’entrepreneuriat est aussi considéré comme un
choix professionnel. 35% sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord sur la création
d’entreprise comme un objectif professionnel. Finalement, on peut considérer que les
étudiants universitaires au Maroc constituent un vivier d’entrepreneurs potentiel. La part des
étudiants qui ont une idée de création d’entreprise est de 74,6%.
64
Cette intention s’explique essentiellement par la capacité de l’étudiant à entreprendre. En
445 (Tableau 6). Rappelons que la capacité entrepreneuriale fait référence à la faisabilité
perçue développée par Shapero et Sokol (1982) et Krueger et al (2000). Ce résultat est
similaire à celui obtenu par Krueger et al (2000) et, Aliouat et (Ben Cheikh 2009) dans le
contexte tunisien. Dans toutes ces recherches, la faisabilité apparaît comme le déterminant
principal de l’intention.
Cette capacité a un effet positif sur l’opinion de l’environnement social (famille, amis,..).
Cette opinion est favorable à la création d’entreprise dans 70% des cas. Autrement dit, plus la
capacité entrepreneuriale de l’étudiant est forte, plus l’opinion de son entourage social est
(Tableau 6). Cette opinion du contexte social à un poids positif dans l’explication de
63. La relation entre la désirabilité perçue et l’intention est
donc significative. La capacité entrepreneuriale des étudiants influencent aussi leur attitude à
globalement, l’existence d’une attitude favorable. Celle-ci dépend de la capacité
d’entreprendre et s’explique par la recherche de l’autonomie, du pouvoir et la réalisation de
ses objectifs et son potentiel de créativité. Toutefois, la régression de l’intention sur l’attitude
Au total, le modèle structurel montre que l’intention de créer une entreprise est fortement
corrélée à l’attitude à l’égard de la création, la capacité entrepreneuriale et la désirabilité. 45
% de la variance de l’intention sont expliqués par le modèle. Toutes les relations
hypothétiques du modèle sont significatives au seuil de 5% (T-statistics du tableau 6). Les
poids de la faisabilité perçue et de la désirabilité sont plus forts que celui de l’attitude.
Un des apports les plus importants est l’exploration de l’entrepreneuriat des étudiants dans le
contexte marocain. Certes, l’approche est confirmatoire des modèles testés des
comportements planifiés et de l’événement entrepreneurial. Il n’en reste pas moins que
certaines relations mises en exergue dans cette recherche et rarement prises en comptes dans
les travaux antérieurs. Il s’agit notamment de l’influence positive de la capacité
entrepreneuriale sur l’attitude et la désirabilité. Ce résultat peut avoir des implications fortes
sur la politique universitaire en matière d’entrepreneuriat. Il s’agit notamment de la mise en
place des enseignements permettant le renforcement de la capacité entrepreneuriale des
étudiants pour influencer positivement 42. Comme le souligne Boissin et al (2009, p.4), « il
paraît nécessaire d’imaginer des enseignements susceptibles d’agir directement sur l’attrait de
la création d’entreprise. En d’autres termes, les enseignements doivent certes fournir des
compétences, mais ils doivent également être en mesure de faire de la création d’entreprise,
de l’entrepreneuriat un choix de carrière attractif, désirable, pour l’étudiant ».
42
Dans le but de renforcer les compétences entrepreneuriales de ses étudiants, l’université Hassan II de
Casablanca met en place un module entrepreneuriat pour toutes les formations universitaires
65
Conclusion
En guise de conclusion de cette communication, le modèle de l’intention entrepreneuriale est
validé dans le contexte estudiantin marocain. Comme les autres les recherches dans le
domaine, la question qui se pose à présent est de savoir combien d’étudiants qui passe à
l’action c'est-à-dire ceux qui transforment leur intention en comportement effectif. D’autres
questions qui méritent aussi d’être analysé, il s’agit notamment du rôle modérateur de
certaines variables contextuelles tels que l’environnement juridique et économique du
créateur, son acception au risque etc..
Les résultats de cette recherche ne doivent pas passer sous silence certaines limites de notre
travail. Il s’agit en premier lieu de la méthode d’échantillonnage. En effet, en l’absence de
base de données des étudiants universitaires, le choix d’un échantillon de convenance est
utilisé. La représentativité de l’échantillon est une autre limite. Certaines universités malgré
leur poids dans la carte géographique nationale ne sont pas prises en compte 43. La deuxième
limite est relative à l’intention entrepreneuriale qui ne doit pas être confondue avec l’acte
entrepreneurial. L’intention ne signifie pas forcément la création d’entreprise qui ne doit pas
être, à son tour, confondu avec l’entrepreneuriat.
Bibliographie
AJZEN I. (1991), “The theory of planned behavior”, Organizational and Human Decision
Processes n°50, p.179-211.
ARLOTTO J., BOISSIN J-P., MAURIN S. (2007), « L’intention entrepreneuriale des
étudiants Grandes Ecoles / Universités : un faux débat ? », 5ème Congrès de l’Académie de
l’Entrepreneuriat Sherbrooke, 3-5 octobre 2007.
BANDURA A. (1977), « Self-efficacy : toward a unifying theory of behavioural change”,
Psychological reviw, vol 84, n°2, p.191-215.
BOISSIN J-P., BRANCHET B., BENREDJEM R., SCHAAPER J. (2009), « Comparaison
des intentions entrepreneuriales des étudiants : France – Pays arabes », Centre d’Etudes et de
Recherches d’Appliquées à la Gestion, Cahier de recherche, n°2009-30 E4 .
BOISSIN J-P., CHOLLET B., EMIN S. (2009), « Les déterminants de l’intention de créer une
entreprise chez les étudiants : un test empirique », M@n@gement, vol 12 n°1, p.28-51.
BOUSSETTA M. (2003), « Formation à la culture entrepreneuriale : l’expérience de l’Ecole
Doctorale de Gestion de l’ Université de Rabat –Agdal au Maroc », disponible en ligne :
http://web.hec.ca/airepme/images/File/agadir/Boussetta%20D.pdf
ALIOUAT B, BEN CHEIKH A. (2009), « Les déterminants environnementaux de l’intention
de créer une start-up en TIC : cas des ingénieurs tunisiens », 6ème Congrès de l'Académie de
l'Entrepreneuriat, 19-20 et 21 novembre 2009 - Sophia Antipolis.
CHIN W., (1998), “The partial Least Square approach to structural equation modelling”, In
Modern Methods for Business Research, Marcoulides,G.A (ed.), Lawrence Erlbaum
Associates, Mahwah, NJ, p.1295-1336.
GUDERGAN S., RINGLE C., WENDE S., WILL A. (2008), “Confirmatory tetrad analysis
in PLS path modelling”, Journal of Business Research, doi:10.1016/j.jbusres.2008.01.012.
HAENLEIN M., KAPLAN A. (2004), « A Beginner’s Guide to Partial Least Squares
Analysis”, Understanding Statistics, vol3 n°4, p.283–297.
43
L’université Caddi Ayyad de Marrakech et l’université Sidi Mohammed Ibn Abdillah de Fès
66
HENSELER J., RINGLE C-M., SINKOVICS R-R. (2009), “The Use of Partial Least
Squares Path Modeling in International Marketing”, In Sinkovics, R. R., Ghauri, P. N. (Eds.),
Advances inInternational Marketing. Bingley: Emerald, p. 277-320.
KOLVERIED I. (1996), “Prediction of employment status choice intention”,
Entrepreneurship Theory and Practice, p.47-56.
KRUEGER N-F., REILY M-D., CRASRUD A-L (2000), “Competing models of
entrepreneurial intentions”, Journal of Business Venturing, vol. 15, p. 411-432.
KRUEGER F., Crasrud A-L. (1993), “Entrepreneurial intentions: Applying the theory of
planned behaviour”, Entrepreneurship and Regional Development, vol. 5, p. 315-330.
OUELLET A. (1978), «Analyse du concept attitude : du concept théorique au concept
opératoire», Revue des sciences de l'éducation, vol 4, n°3, p. 365-374.
SHAPERO A., SOKOL L. (1982), “The social dimensions of entrepreneurship». In Kent, C.,
Sexton, D., Vesper, K. (eds.) The Encyclopedia of Entrepreneurship, Englewood Cliffs, NJ.
Prentice-Hall, p.72 – 90.
TOUNES A. (2006), « L’intention entrepreneuriale des étudiants : le cas français ». La Revue
des Sciences de Gestion, vol3 n°219, p. 57-65.
Retour à la table des matières
67
Appendix
Tableau 1 : Répartition de l’échantillon selon l’établissement
Etablissement
FSJES
ENCG
ENSA
FS
Autres
Total
94
149
48
10
1
302
31,13
49,34
15,89
3,31
0,33
100
Effectif (N)
Pourcentage (%)
Tableau 2: L’âge des répondants
Age
Effectif (N)
Pourcentage (%)
[15-20[
[20-25[
[25-30[
30 et plus
TOTAL
94
149
48
10
1
31,13
49,34
15,89
3,31
0,33
Tableau 3 : Répartition géographique de l’échantillon
Ville
Oujda
El Jadida
Casablanca
Tanger
Agadir
Rabat
Settat
Autres
Total
Effectif
108
80
45
25
16
12
10
6
302
En %
35,76
26,49
14,90
8,28
5,30
3,97
3,31
1,99
100
68
Tableau 4: Contributions factorielles des indicateurs de mesure, validité et fiabilité des échelles
0,198
0,178
0,337
ATENTR49
0,690
0,163
0,112
0,249
ATENTR50
0,680
0,172
0,072
0,208
ATENTR51
0,735
0,186
0,116
0,193
ATENTR52
0,742
0,245
0,189
0,279
ATENTR54
0,728
0,209
0,169
0,239
ATENTR55
0,662
0,180
0,186
0,201
ATENTR79
0,655
0,210
0,281
0,315
CAPEN311
0,118
0,675
0,299
0,315
CAPEN312
0,305
0,802
0,414
0,610
CAPEN313
0,164
0,799
0,320
0,447
CAPEN314
0,030
0,613
0,197
0,236
CAPEN316
0,260
0,683
0,320
0,419
DESEN231
0,235
0,385
0,816
0,416
DESEN232
0,158
0,406
0,870
0,421
DESEN233
0,206
0,337
0,827
0,384
INTEN521
0,331
0,384
0,308
0,700
INTEN531
0,311
0,502
0,429
0,812
INTEN552
0,307
0,480
0,452
0,840
INTEN553
0,234
0,445
0,406
0,813
INTEN554
0,355
0,590
0,412
0,873
INTEN555
0,246
0,505
0,415
0,842
INTEN556
0,301
0,531
0,349
0,831
69
AVE
0,789
Fiabilité
c)
Intention
Désirabilité
Capacité
Attitude
ATENTR48
0,89
0,86
0,51
0,84
0,77
0,52
0,88
0,79
0,70
0,93
0,92
0,67
Tableau 5 : Corrélations entre les construits et évaluation de la validité discriminante
Attitude
Capacité
Désirabilité
Attitude
0,711960
Capacité
0,278447
0,718734
Désirabilité
0,237850
0,450959
0,838476
Intention
0,365238
0,605092
0,486581
Intention
08179352
Tableau 6 : Les relations hypothétiques
Original
Sample
Sample
Mean
Standard
Deviation
Standard
Error
T Statistics
Attitude -> Intention
0,183790
0,201502
0,076503
0,076503
2,402376
Capacité -> Attitude
0,278447
0,321158
0,113549
0,113549
2,452215
Capacité -> Désirabilité 0,450959
0,464277
0,078145
0,078145
5,770789
0,444622
0,434389
0,084000
0,084000
5,293117
Désirabilité -> Intention 0,242360
0,245068
0,092134
0,092134
2,630517
Capacité -> Intention
Annexe 1 : Modèle de mesure
Annexe 2: Les items du modèle
70
Capacité entrepreneuriale
Dans quelle mesure êtes-vous d'accord avec les énoncés suivants au sujet de votre
capacité de créer votre entreprise? (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3:
D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)
CAPEN311: Démarrer une entreprise serait facile pour moi
CAPEN312: J'ai une forte détermination pour démarrer mon entreprise
CAPEN313: Je peux contrôler le processus et les étapes de création d'une nouvelle entreprise
CAPEN314: Je maitrise tous les détails pratiques nécessaires pour démarrer une entreprise
CAPEN316: Si je vais démarrer une entreprise, c'est que je sais que j'aurais une très forte
probabilité de réussir
Désirabilité entrepreneuriale
Indiquez votre degré d'accord ou de désaccord avec les énoncés suivants: *
(1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à
fait d'accord)
DESEN231 : Les membres de la famille me sont proches et pensent que je serais un
entrepreneur
DESEN232 : Mes amis les plus proches pensent que je serais entrepreneur
DESEN233 : Les gens qui sont important pour moi pensent que je serais un entrepreneur
Attitude entrepreneuriale
Indiquer votre degré d'accord ou de désaccord sur l'importance des facteurs suivants
dans la décision de créer votre propre entreprise (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas
d'accord, 3: D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)
ATENTR48 : être votre propre chef
ATENTR49 : être libre
ATENTR50 : être autonome dans le travail
ATENTR51 : être en mesure de choisir vos propres tâches
ATENTR52 : avoir le pouvoir de prendre les décisions
ATENTR54 : réaliser ses rêves
ATENTR55 : créer quelque chose de nouveau
ATENTR79 : mettre en œuvre votre créativité
Intention entrepreneuriale
71
INTEN521 : Selon vous, la création d'entreprise est une idée (de 1 à 5) (1: Pas du tout
séduisante, 2: Plutôt pas séduisante, 3: Séduisante, 4: Plutôt séduisante, 5: Tout à fait
séduisante)
En prenant en compte votre situation actuelle, indiquez votre degré d'accord ou de
désaccord avec les énoncés suivants (1: Pas du tout d'accord, 2: Plutôt pas d'accord, 3:
D'accord, 4: Plutôt d'accord, 5: Tout à fait d'accord)
INTEN551: Je suis prêt à faire n'importe quoi pour être entrepreneur
INTEN552: Mon objectif professionnel est de devenir entrepreneur
INTEN553: Je vais tout faire pour créer et gérer ma propre entreprise
INTEN554 : J'ai une forte détermination de créer une entreprise dans le futur
INTEN555: J'ai très sérieusement pensé à démarrer une entreprise
INTEN556: J'ai la ferme intention de démarrer une entreprise un jour
72
La problématique de légitimité
d’une jeune entreprise dans un champ émergent
Amira LAIFI
Professeur de Stratégie
Ecole de Management
Normandie
a.laifi@em-normandie.fr
Résumé : L’objectif de cette communication est de caractériser le processus par lequel une
jeune entreprise opérant dans un champ émergent acquiert une légitimité. Cette recherche
s’appuie sur l’étude du cas Cyberlibris, un jeune acteur du champ du livre électronique, un
champ naissant susceptible introduire une rupture au sein du champ du livre. A travers le cas
Cyberlibris nous tentons de restituer le processus de légitimation d’une nouvelle entreprise.
Ce cas permet en effet, de mettre en avant des arbitrages que les managers des jeunes
entreprises innovantes font entre management symbolique et management substantif de la
légitimité. Il met également en exergue la manière dont les dimensions symboliques et
substantives de la légitimité s’articulent à travers le temps.
Mots clés : légitimité, symbolique, substantive, jeune entreprise, champ émergent,
Abstract: The objective of this communication is to explain the process in which a young
company in an emerging field acquires legitimacy. This research focuses on Cyberlibris a
young actor in the electronic book field which is a current threat of the book/publishing
sector. Through the case of Cyberlibris we attempt to explain the legitimization process of a
new company and underscore the choices made by managers between symbolic and/or
substantive management of legitimacy. The manner in which symbolic and substantive
dimensions of legitimacy interact over time is also addressed.
Keywords: legitimacy, symbolic, substantive, young company, emerging field
73
Introduction
Le milieu des années 1990 a connu un renouveau des travaux sur la légitimité, largement
porté par l’institutionnalisme et le néo-institutionnalisme. Jusqu'alors abordée selon une
vision de conformité, d’adéquation et de stabilité, la légitimité a cette fois-ci été approchée
sous un autre angle : celui du changement planifié, de la perturbation et de la non-conformité
(DiMaggio et Powell, 1991 ; Oliver, 1991 ; Fligstein, 1997 ; Lawrence et al. 2002 ;
Greenwood et Suddaby, 2006). Dans la même veine, certains travaux portant sur la conduite
du changement et sa légitimation par les jeunes entreprises se sont développés (Starr et
McMillan, 1990 ; Aldrich et Fiol, 1994 ; Hunt et Aldrich, 1996 ; Zimmerman et Zeitz, 2002 ;
Dobrev et Gotsopoulos, 2010 ; Navis et Glynn, 2010). Une des conclusions des premiers
travaux consiste à dire que les entreprises enracinées dans un champ acquièrent une légitimité
au moins en raison de leur profitabilité soutenue. Qu’en est-il des jeunes entreprises ?
Les jeunes entreprises souffrent d’un accès difficile aux ressources. Les adeptes de l’approche
institutionnelle postulent que la capacité d’une organisation à fédérer des acteurs et mobiliser
des ressources dépend de son ‘‘capital légitimité’’. La légitimité est un facteur motivant et
incitant les acteurs à soutenir une entreprise et à lui apporter des ressources nécessaires à son
développement et à sa survie. La nouveauté est un handicap à la légitimité (Hunt et Aldrich,
1996) et paradoxalement, elle est un remède à la nouveauté (Starr et McMillan, 1990). La
légitimité est une ressource qui fait défaut à une nouvelle entreprise (Navis et Glynn, 2010 ;
Dobrev et Gotsopoulos, 2010), mais que cette dernière doit acquérir pour réussir à obtenir
l’approbation de parties externes. Une nouvelle organisation est une entreprise indépendante
qui n’a pas d’histoire ni dans le champ dans lequel elle évolue ni au sein d’autres champs. Un
autre élément la définissant est le caractère nouveau de son activité (Aldrich et Fiol, 1994).
La légitimité est primordiale et vitale. La théorie institutionnelle, suppose que la rationalité
limitée et l’incertitude sont des invariants des sociétés et du monde des affaires. Les acteurs
sont souvent dans l’incertitude quant à l’aboutissement d’une action : s’agit-il de la meilleure
alternative pour atteindre les objectifs fixés ? Est-ce la seule façon de procéder ? L’objectif
ciblé est-il le meilleur ? Pour faire face à une telle incertitude, les acteurs sociaux se réfèrent
aux règles, normes, valeurs et modèles développés et renforcés par des systèmes sociaux et
perçus comme légitimes. Qu’en est-il lorsque le cadre institutionnel est fragile voire inexistant
ou lorsque des entités émergent et sont non conformes à un ordre existant, le mettent en
danger et/ou menacent sa légitimité ?
L’objectif de cette communication est d’analyser et comprendre la manière dont une jeune
entreprise évoluant dans un champ naissant construit son capital légitimité. Pour ce faire nous
nous sommes appuyés sur une étude qualitative menée entre 2005 et 2009. Cette étude a porté
sur un cas unique : celui de Cyberlibris, une jeune entreprise opérant dans le champ du livre
électronique, un champ émergent au sein de l'industrie du livre.
Dans une première partie théorique, la nouveauté comme handicap à la légitimité et les
dimensions de légitimité sont mises en avant. Dans une deuxième partie la méthodologie et le
terrain d’étude sont présenté. Ensuite dans une dernière partie le processus de légitimation est
restitué.
74
1. De la nouveauté à la question de la légitimité : une approche théorique
Il est désormais admis que les nouvelles entreprises ont un taux de mortalité plus élevé que les
entreprises établies. D’ailleurs, pour un ensemble de ces entreprises le moment d’entrée
aggrave le handicap de la nouveauté. En effet, les entreprises qui entrent très tôt dans un
marché émergent, souffrent du désavantage du « first mover » (Robinson et Min, 2002 ;
Liberman et Montgomery, 1998). Ainsi, l’échec de ces organisations semble intimement lié
au défaut de légitimité inhérent à la jeunesse de l’organisation et au caractère émergent du
champ dans lequel elles opèrent.
La légitimité est l’expression d’‘‘une acceptation normative de la droiture [d’une
organisation], une reconnaissance qu’[elle] est raisonnable et impartiale, une perception
qu’[elle] est désirable, convenable et appropriée’’ (Brown, 1998 : 38). Une organisation est
considérée légitime si ses fins et moyens sont conformes aux normes, valeurs et attentes
sociales (Dowling et Pfeffer, 1975). L’efficacité et les performances économiques ne sont de
ce fait pas suffisantes pour conférer une légitimité à une organisation. La légitimité est
accordée par une audience externe (Boyd, 2000) qui se fonde sur des dimensions
pragmatiques et/ou socioculturelles (Suchman, 1995). C’est une ressource qui permet
l’attraction d’autres ressources (Zimmerman et Zeitz, 2002).
1.1. La nouveauté d’une organisation : une entrave à la légitimité
Les jeunes entreprises ont besoin de ressources auprès de leurs environnements. Les
ressources mobilisées affectent le design des jeunes entreprises et peuvent conduire au
développement d’une structure organisationnelle inappropriée pour soutenir la croissance
future (Dobrev et Gotsopoulos, 2010). Zimmerman et Zeitz (2002) considèrent qu’au final, le
facteur motivant et incitant des acteurs externes à soutenir une jeune entreprise 44 et à lui
apporter des ressources consiste en leur croyance (belief) : un sentiment leur prédisant si
l’entreprise est compétente, efficace, efficiente, digne de confiance, appropriée et
indispensable. Une entreprise récemment créée doit ainsi se montrer légitime (Starr et
McMillan, 1990), notamment auprès de ces acteurs en mesure de lui apporter les ressources
qui lui sont nécessaires. Ses performances économiques et ses objectifs sont fortement
corrélés au crédit dont elle bénéficie auprès de ces parties. La légitimité permet de faire face à
l’handicap de la nouveauté qui est un important facteur d’échec des jeunes entreprises (Hunt
et Aldrich, 1996).
Le passé de l’organisation figure parmi les facteurs qui contraignent son accès à la légitimité.
D’après Stinchcombe (1965), une organisation récemment créée pâtit d’un déficit de
légitimité. L’absence d’un passé qui pourrait témoigner de la performance d’une jeune
entreprise est l’un des facteurs susceptibles d’entrainer un manque de confiance chez les
clients, les fournisseurs, les distributeurs, les investisseurs, les autorités … qui douteraient de
la survie même de l’organisation et qui par voie de conséquence ne seraient pas motivés à
travailler avec. Sur un plan économique et social, une jeune entreprise est désavantagée par
rapport à celles en place. D’après Zimmerman et Zeitz (2002), les performances passées des
organisations enracinées peuvent souvent leur offrir une légitimité. La société juge une
organisation appropriée en partie parce qu’elle a réalisé de bonnes performances dans le
44
Nous désignons par jeune entreprise, une entreprise indépendante, non abritées par une organisation puissante.
Ces jeunes entreprises ne peuvent pas compter sur des organisations existantes pour les parrainer et leur procurer
une légitimité externe (Aldrich et Fiol, 1994).
75
passé. Toutefois, les traces des performances économiques et sociales d’une entreprise
récemment créée sont limitées ou inexistantes. De même, les ressources relationnelles d’une
jeune entreprise sont souvent médiocres, au mieux modestes. Or, c’est cet aspect relationnel
qui, entre autres, va permettre à l’entreprise de prendre conscience et de s’approprier valeurs,
normes, croyances et systèmes symboliques en tant que supports de la légitimité morale et
cognitive.
1.2. La nouveauté du champ : une entrave à la légitimité
Créer une nouvelle entreprise est une initiative risquée, le risque est particulièrement élevé
lorsque l’activité de l’organisation n’a pas d’antécédents (Dobrev et Gotsopoulos, 2010). En
plus des difficultés auxquelles une entreprise récemment créée doit faire face, les fondateurs
d’un nouveau champ doivent soulever des capitaux auprès de parties sceptiques, recruter du
personnel novice, non formé etc. Les pionniers d’un champ émergent, pendant les premières
années de leur existence, sont confrontés à un ensemble de défis différents de ceux des jeunes
entreprises évoluant dans des secteurs établis. Du point de vue de la théorie institutionnelle,
les entrepreneurs d’un champ en phase de formation évoluent, au mieux dans un vide
institutionnel favorisant une magnanimité et une indifférence de l’audience, au pire dans un
environnement hostile imprévisible quant aux actions individuelles (Aldrich et Fiol, 1994). La
légitimité d’une nouvelle organisation est affectée par la récence de son âge mais également
par le caractère nouveau du champ dans lequel elle évolue et par la légitimité de ce champ
(Navis et Glynn, 2010). Le développement et l’affirmation d’une industrie sont largement
conditionnés par le facteur légitimité, même s’il ne s’agit pas du seul facteur déterminant la
stabilité et la croissance d’un champ. Plusieurs variables peuvent expliquer le succès d’une
industrie, reste que la légitimité n’est pas évaluée à sa juste valeur, le rôle qu’elle joue dans le
développement d’un champ et de ses acteurs est resté sous-estimé (Aldrich et Fiol, 1994).
Les années de formation d’un nouveau champ, secteur, marché, ou d’une nouvelle
technologie sont caractérisées par un vide de légitimité qui réduit les chances de survie des
organisations dans l’industrie. Une nouvelle entreprise créée dans un espace social
institutionnellement méconnu, se retrouve dépassée par un « désavantage composé » constitué
de sa jeunesse et de la nouveauté de son champ. Etre à la fois jeune et différent accentue
l’incertitude à laquelle les décideurs sont confrontés. Dans un contexte de vide de légitimité,
l’accès aux ressources est donc limité même si elles ne sont pas rares (Dobrev et Gotsopoulos,
2010). Dobrev et Gotsopoulos soulignent que les chances qu’une jeune entreprise déploie et
utilise les ressources de manière cohérente ne peuvent être qu’aléatoires ceci détermine la
capacité de l’organisation à les mobiliser. L’organisation doit respecter les attentes des acteurs
externes non seulement en se conformant à leurs intérêts et objectifs mais aussi en se
conformant à la manière dont les ressources seront déployées afin d’atteindre ces objectifs et
satisfaire les attentes des acteurs externes. L’accord social que les entreprises naissantes
doivent obtenir afin de sécuriser les ressources, se fonde sur la crédibilité des revendications
et des déclarations de ces entreprises. Or, ces entreprises ont du mal à justifier leurs demandes
et allocations de ressources car les acteurs externes ne disposent pas de références qui peuvent
leur servir de bases d’évaluation de ces demandes de ressources et de leur déploiement par les
nouvelles entreprises (Lomi et Larsen, 1998). En effet, les entreprises fondées dans un
contexte de vide de légitimité sont désavantagées parce qu’elles sont exposées à la faiblesse
de l’environnement institutionnel caractérisant les champs naissants. Elles ont besoin de
temps pour ‘‘routiniser’’ les activités, instaurer de la confiance entre les membres du champ,
76
bâtir des relations avec les acteurs externes, apprendre comment coordonner les tâches,
surveiller et motiver et mobiliser les acteurs du champ.
La légitimité n’est pas seulement l’expression de la manière dont ces ressources devraient être
déployées, elle est également la traduction de ce à quoi l’entreprise et ses projets doivent
ressembler afin d’obtenir les ressources. Elle est déterminée par le degré de conformité de
l’organisation aux règles et normes en vigueur (DiMaggio et Powell, 1983, 1991 ; Meyer et
Scott, 1983 ; Zucker, 1983), ce qui est loin d’être le cas d’une organisation opérant dans un
nouveau champ. Les investissements réalisés par une jeune entreprise opérant dans un champ
naissant peuvent paraitre inappropriés en se référant à un ensemble de manières de faire
cohérentes et partagées. L’audience externe peut voir dans ces investissements une violation
et une transgression de ces normes. La déficience de légitimité découle dans ce cas découle de
l’activité jugée déviante du nouveau champ par rapport à un existant. Les acteurs
perturbateurs et les innovations menacent la légitimité des acteurs préexistants. Ces derniers
ne restent pas indifférents aux projets décalés, d’où le caractère doublement problématique
des jeunes entreprises des champs naissants. En effet, les projets proactifs, attirent en général
l’attention des tiers qui le plus souvent adoptent des positions hostiles en réponse à ces projets
proactifs. Les acteurs en place craignent une délégitimation de la totalité de leur champ en la
présence de menaces de secousses institutionnelles ou de projets subversifs.
2. Manager sa légitimité : légitimité substantive vs légitimité symbolique
La légitimité est souvent problématique. Ce qui explique que les organisations cherchent à
acquérir une légitimité à travers des pratiques symboliques et substantives (Ashforth et Gibbs,
1990). Mais, quelques soient les méthodes de légitimation, l’intention est la même : renforcer
la croyance des acteurs sociaux que les activités et les objectifs de l’organisation sont en
harmonie avec les attentes, valeurs et normes des acteurs sociaux.
2.1. La légitimité substantive
Elle reflète une conformité des performances aux attentes des acteurs sociaux dont
l’organisation dépend pour l’obtention de ressources critiques. Elle repose sur la satisfaction
des intérêts des parties d’échange. Cet aspect de la légitimité est très proche de la légitimité
rationnelle de Weber (1995), et de la légitimité pragmatique de Suchman (1995) et recèle une
présence minime de légitimité économique. Cette légitimité, qu’on appellera également
légitimité d’échange, est déclinée de la théorie de l’échange selon laquelle les acteurs
échangent leur soutien, plus précisément leurs ressources, contre les performances réelles de
l’entreprise tels les retours sur investissements pour les actionnaires, les prix raisonnables
pour les consommateurs, les salaires justes pour les employés, etc (Ashforth et Gibbs, 1990).
Ces performances sont déterminées par le marché, la législation, les forces politiques, les
pratiques en vigueur, etc. Leurs conformités aux attentes des acteurs sociaux sont cruciales
pour la survie de la plupart des organisations.
2.2. La légitimité symbolique
Elle est fondée sur la construction de sens. C’est essentiellement une légitimité cognitive
explicative qui repose sur l’intelligibilité des actions et des comportements (Berger et
77
Luckmann, 1967). Le management symbolique donne du sens aux actes de l’organisation ou
transforment le sens des actes. Selon cette approche symbolique, la légitimation est largement
un processus rétrospectif selon lequel l’organisation interprète ses actions passées en fonction
des valeurs sociales en cours. Les managers sont en mesure d’affecter la manière dont la
réalité sociale est construite et fournir de nouvelles justifications lorsque les valeurs changent
(Pfeffer et Salancik, 1978). Les leaders de l’organisation sont des personnages typiques de
production de sens. Ils font partie d’un processus interactif et souvent itératif de la
construction sociale et de la négociation qui caractérisent le processus de légitimation.
Plus un champ est institutionnalisé, et les liens entre les acteurs sociaux le constituant
organisés et institutionnalisés, plus ces acteurs adoptent un management symbolique. Les
liens forts et la connaissance intime des acteurs permettent de fonder ses jugements et
évaluations sur des impressions (Ashforth et Gibbs, 1990).
Vraisemblablement, les acteurs sociaux ont tendance à scruter l’organisation et ses actions
lorsque l’organisation n’a pas des standards d’outputs clairs et tangibles, n’a pas de
connaissance complète concernant les liens de cause à effet ou la technologie, ses fins/moyens
sont contestés, souffre de l’handicap de la nouveauté, son activité comporte des risques
élevés et/ou les acteurs sociaux anticipent des liens à long terme avec l’organisation (Meyer et
Scott, 1983). Dans ce cas, souvent les managers préfèrent le management des symboles plutôt
que l’action substantive car la première approche préserve la flexibilité et les ressources
(Ashforth et Gibbs, 1990). Cependant, les acteurs sociaux préfèrent généralement l’inverse.
Ce qui engendre des tensions palpables. Selon la théorie de la dépendance aux ressources,
plus les attentes des acteurs sont cohérentes avec celles des acteurs clés et en accord
avec l’agenda de management de l’organisation, plus l’entreprise offre des réponses
substantives plutôt que symboliques (Pfeffer et Salancik, 1978).
Généralement les managers tendent à défendre l’état existant à travers la dénégation, les
contre-demandes, etc. au lieu de s’engager dans un processus de résolution de problèmes et de
changement substantif. Lorsque l’audience demande des réponses substantives, les réponses
symboliques ne peuvent qu’aggraver la menace. Plus l’audience stigmatise l’organisation et
sa crédibilité, plus les « supporters » de l’organisation restreignent leur soutien, ce qui à son
tour réduit la capacité de l’organisation à fournir des réponses substantives (Ashforth et
Gibbs, 1990).
Ce papier a pour objectif d’étudier et analyser la manière dont une jeune organisation d’un
champ émergent tente de construire son capital légitimité.
Dès lors, quel arbitrage faire entre légitimité symbolique et légitimité substantive d’une jeune
entreprise dans un champ émergent ?
Comment les différents aspects de légitimité peuvent-ils affecter ses performances ?
Pourquoi des manœuvres et actions de légitimation d’échec ou de succès?
3. Terrain et méthodologie d’étude
Afin d’apporter des éléments de réponses à ces questionnements, nous nous sommes
intéressés à un champ qui connait des bouleversements et dont les modes de fonctionnement
sont menacés par l’avènement de « nouvelles » technologies : le secteur de l’édition du livre
en France. Ces révolutions technologiques ont tracé les contours d’un champ émergent au sein
78
du champ du livre : le livre numérique. Au sein de ce champ naissant, entre 2005 et 2006,
période du début de l’étude, évoluaient trois agrégateurs concurrents : Net library, Numilog,
et Cyberlibris. Net library étant un agrégateur, leader mondial et un leader aux Etats Unis
d’Amérique, nous l’avons écarté de notre étude empirique. Restaient Cyberlibris et Numilog.
Nous avons alors commencé à travailler sur les deux entreprises jusqu’à ce que Numilog soit
racheté, en 2007/2008, par Hachette. Au final, nous nous sommes focalisés sur Cyberlibris.
C’est le cas pivot de notre étude : une nouvelle organisation, d’un champ émergent, qui
développe un projet perturbateur au sein d’un champ fortement institutionnalisé. Ainsi nous
étudions un cas critique (Yin, 1994), appelé également cas intrinsèque ou singulier (Stake,
1995). Cyberlibris est une bibliothèque numérique créée en 2003 qui offre des packages de
livres numériques aux bibliothèques des grandes écoles de commerce. Elle donne un accès en
ligne, illimité dans le temps et dans l’espace. Cyberlibris représente une rupture stratégique
avec un ordre préexistant au sein du champ de l’édition du livre. Ronez (2006) souligne que la
transformation la plus radicale qu’a connu le champ du livre provient vraisemblablement de la
numérisation associée à Internet, c’est un ‘‘système d’organisation de l’information qui
représente une réelle innovation, ergonomique, sémantique, structurelle et dans le rapport à
l’information’’ (p.8). Cyberlibris s’inscrit dans une approche disruptive, elle est propulsée par
la propre volonté déviante de ses dirigeants 45. Le caractère perturbateur de Cyberlibris n’a pas
suscité l’enthousiasme des acteurs du livre. Au sein de ce champ hautement institutionnalisé
plusieurs parties prenantes potentielles comme les éditeurs, les bibliothèques universitaires,
les décideurs dans les écoles de commerce, les professeurs, des membres du Syndicat national
de l’édition, accordent peu de crédit à Cyberlibris, et mettent en cause le champ du livre
numérique de manière générale. Cyberlibris souffre d’un défaut de légitimité qui a entravé
son lancement et son développement.
Nous avons donc mené une recherche qualitative de nature processuelle, qui met l’accent sur
le temps et les processus et étudie en profondeur un contexte social (Silverman, 1993). Cette
recherche qualitative est une analyse contextuelle s’inscrivant dans le temps (Lee, 1991).
Nous avons commencé l’étude empirique par une collecte de données secondaires, en
2005. Cette étape a permis de dessiner ‘‘provisoirement’’ les contours du champ de l’édition.
Elle nous a également aidé à replacer l’industrie du livre dans son contexte économique et à
repérer les interviewés potentiels. La collecte des données secondaires s’est ensuite poursuivie
tout au long du processus de la recherche, l’objectif étant d’effectuer un recoupement
permanent avec les données issues des entretiens (Yin, 1994). Aussi, nous avons effectué 50
entretiens conduits auprès des acteurs impliqués, influencés et/ou influençant le processus de
légitimation, sur des périodes différentes s’étalant de 2006 à 2009, pour parvenir à repérer
l’évolution des comportements et des relations entre l’organisation pivot et ses différents
interlocuteurs. Ainsi des acteurs du champ du livre électronique, des éditeurs leaders et de la
frange de l’édition, des distributeurs, des libraires, des imprimeurs, des bibliothécaires, des
auteurs, des juristes, des représentants d’associations professionnelles et des représentants de
syndicats présents ont été interviewés. Le principe de la saturation a été difficile à respecter
car le phénomène étudié est contemporain et le cas investi est en cours. Cyberlibris est en
évolution constante, le champ du livre numérique de manière générale est en perpétuelle
transformation. Les avis des acteurs changent, leurs positions également. De nouveaux
éléments apparaissent continuellement. Nous avons toutefois veillé à confirmer ou infirmer
les informations fournies lors des entretiens suivants. Dans la mesure du possible nous avons
essayé d’obtenir des rendez-vous avec au moins un représentant de chaque profession de
l’industrie du livre et un représentant de chacun des corps associatifs et syndicaux. Ces
entretiens ont fourni des données qualitatives riches et caractérisées par une forte capacité
45
Ce sont les propos des éditeurs interviewés jusqu’à fin 2007.
79
explicative des processus (Miles et Huberman, 2003). Les données recueillies sont
sélectionnées et catégorisées. L’unité d’analyse retenue pour coder les entretiens est le
paragraphe (Miles et Huberman, 2003). Les principaux maître-codes qui ont été utilisés sont
les suivants : ACT (acteurs du champ), LEG (légitimité), MAN (manœuvres), CAR (caractère
innovant), EVE (évènement clé). Le codage a été effectué en recourant au logiciel d’analyse
des données qualitatives NVIVO, et manuellement, ce qui nous a permis de nous approprier
les données. Le traitement et l’analyse des données ont permis de mettre en lumière la
nouveauté de Cyberlibris et le caractère problématique de sa légitimité.
4. Résultats
4.1. Pourquoi Cyberlibris souffre d’un défaut de légitimité ?
Entre 2003 et 2007, Cyberlibris a souffert d’un défaut de légitimité à la fois substantive, et
symbolique.
Du coté de la demande, en 2003, 4 écoles de commerce étaient abonnées à Cyberlibris. En
dehors d’Euromed Marseille, les 3 autres écoles avaient besoin de Cyberlibris. Ce sont des
écoles qui comme ESC La Rochelle ou ESC Montpellier, ne disposaient pas d’un grand
centre de documentation et/ou qui avait besoin d’une littérature anglo-saxonne pour répondre
à une politique d’ouverture internationale.
‘‘Au départ les écoles qui ont pris Cyberlibris n’ont pas de centre de documentation comme Montpellier ou la
Rochelle. Euromed a mordu l’hameçon, ils se sont bien accommodés’’ (documentaliste anonyme 1).
On est parti avec la responsable médiathèque d’HEC qui préside l’ACIEGE avec deux autres collègues, à Paris
pour se réunir avec Eric Briys pour qu’il nous présente le produit. L’avis était négatif, et HEC n’a d’ailleurs
toujours (2007) pas Cyberlibris’’ (documentaliste anonyme 2).
L’accès simultané de toute une promotion à la même référence, l’accès à distance (en dehors
des locaux de l’école) - devenu nécessaire avec la multiplication des formations à distance et
des stages à l’étranger -, l’accès non limité dans le temps, etc. sont des facteurs qui ont
conféré une certaine légitimité substantive à Cyberlibris.
Du coté des éditeurs, des petites structures ont rejoint le système d’offre de Cyberlibris pour
des raisons instrumentales liées à une production éditoriale abondante et à un système de
diffusion/distribution physique sélectif donnant très peu de visibilité à ces acteurs. Cyberlibris
a séduit notamment les petits éditeurs ayant peu de visibilité, dont la prise en charge par des
structures de diffusion/distribution reste limitée. C’est le cas de beaucoup d’éditeurs dans les
domaines spécialisés ciblant une population précise, mais dispersée géographiquement. En
effet, en France, la plupart des structures performantes de distribution/diffusion, sont plutôt
adaptées aux maisons d’édition de grandes tailles.
‘‘Un éditeur qui vient qui veut être publié et distribué, un libraire va lui demander 40 %, moi je vais lui
demander 25 %, je lui paye 35%, il va me dire vous êtes fou ça va pas me permettre de vire, c’est la réalité
économique qui veut ça comme ça et on rentre dedans ou pas, les prix du pétrole qui augmentent et les camions
qui roulent voilà c’est ça’’ (P. Gadesaude, DILISCO)
80
Aussi, une légitimité symbolique liée aux dirigeants de Cyberlibris et aux ressources
relationnelles dont ces derniers disposent, ont joué sur l’acceptabilité de la bibliothèque
numérique. Un aspect symbolique attaché aux dirigeants et à une confiance en leurs capacités
et compétences explique une certaine acceptabilité de Cyberlibris. Du coté des éditeurs
comme des écoles de commerce, ce volet de la légitimité a été largement souligné. Cette
légitimité symbolique dont a bénéficié Cyberlibris lors de son démarrage, a agi comme un
vecteur de création de la bibliothèque numérique. Les compétences, notamment d’Eric Briys,
ses qualités de pédagogue, la connaissance profonde qu’il a du métier de l’enseignement et du
monde de l’édition, ont permis de conférer une crédibilité bibliothèque numérique.
4.1.1. Un défaut de légitimité symbolique et substantive de l’offre de Cyberlibris
Une bibliothèque numérique est un espace qui met davantage en avant les mérites d’une page
que d’un livre dans son ensemble. La linéarité d’un livre, une valeur chère aux éditeurs et aux
auteurs, n’est plus respectée dans cet index élargi que représente la bibliothèque numérique.
Avec ce mouvement de ‘‘User generated content’’, les acteurs d’un secteur traditionnel
culturel voient se profiler la disparition de toute une culture autour du livre au profit d’un
commerce mettant en cause leur existence. Malgré un changement des habitudes des lecteurs
et une dématérialisation croissante du savoir, il y a toute une population qui continue à utiliser
la version papier et révèle une dimension affective liée à l’œuvre de Gutenberg.
La plus forte opposition à la bibliothèque numérique est décelée auprès des enseignants qui
n’accordent pas de légitimité cognitive à Cyberlibris. Ils ne sont pas séduits et convaincus par
l’univers symbolique que les dirigeants essayent de tisser autour de Cyberlibris. Les
enseignants rejettent Cyberlibris en tant qu’outil pédagogique, il ne s’agit pas de l’outil idéal
pour assurer au mieux l’activité pédagogique. D’autant plus que tous les enseignants ne sont
pas familiarisés aux Technologies de l’Information et de la Communication et nombre d’entre
eux sont habitués à préparer les cours selon des méthodes qui leur sont propres en s’appuyant
sur des références qu’ils ont l’habitude d’utiliser.
‘‘Les gens n’ont pas forcément envie de changer leur méthodes et leurs références, ce n’est pas forcément
rassurant pour les profs’’ (B. Berthou, enseignant chercheur spécialiste du numérique).
Aussi l’offre de Cyberlibris a un défaut de légitimité substantive. Son contenu s’avère
incomplet et impertinent, car il ne contient pas des manuels et des références bien précis
utilisés comme support de cours. Il y a également des problèmes techniques et de connexion.
4.1.2. Un défaut de légitimité symbolique du système d’offre
Cyberlibris implique des variations dans la chaine de valeur générique du champ de l’édition.
Plusieurs éditeurs et des membres du Syndicat National de l’Edition ont exprimé leurs
craintes quand au rôle que peut jouer un éditeur voir même un auteur dans un futur qui n’est
pas très lointain. Les éditeurs redoutent une situation semblable à celle des éditeurs anglosaxons.
‘‘Ce sont des acteurs qui veulent s’approprier les fonds des éditeurs’’ (A. Gallimard, Editions Gallimard).
Si auteurs et éditeurs jouent toujours leurs rôles conventionnels, en évolution, dans la chaîne
du livre, les libraires et les bibliothécaires se voient évincés du système d’offre du livre
électronique. Or, ce sont eux qui, traditionnellement, assurent la promotion d’un ouvrage et sa
mise en avant sur le marché, qui conditionnent le succès ou l’échec d’un livre, d’un auteur, et
de manière générale d’un éditeur. Dans le numérique tout est mis à la même hauteur, sans
aucune discrimination entre les œuvres ce qui déplait à plusieurs éditeurs et auteurs. Certains
81
éditeurs ne voient pas l’utilité de Cyberlibris et des acteurs du livre numérique en général,
puisque les libraires existent. S’ajoute à ça, une manière de procéder qui s’est ancrée dans le
champ du livre du coté des éditeurs et des liens commerciaux forts entre éditeurs et libraires
qui se sont installés et renforcés, qui, selon les éditeurs, sont difficiles à éliminer. Le livre
numérique se heurte aux habitudes.
‘‘N’importe quel libraire, n’importe quel grossiste est tout à fait prêt, est tout à fait en mesure de proposer tous
les bouquins de tous les éditeurs, de manière plus simple que les abonnements d’ailleurs à des revues’’ (R.
Lefebvre, Editions Dalloz).
Le champ du livre numérique reconfigure également le paysage du secteur de l’édition
traditionnel en faisant appel à des acteurs nouveaux pour constituer leur système d’offre.
C’est un domaine à forte intensité capitalistique qui requiert des compétences techniques et
technologiques développées.
Les caractéristiques structurelles du champ des bibliothèques numériques situent Cyberlibris
ainsi que les autres acteurs du numérique au sein d’une population qui est loin d’être intégrée
au sein du secteur de l’édition du livre. L’identité du champ, dans laquelle les acteurs du livre,
explique la réticence voir l’hostilité de ces derniers. Les acteurs du champ émergent se
heurtent alors à des logiques identitaires ou institutionnelles, et à des réticences fortes de la
part des acteurs attachés au fonctionnement antérieur. Certains acteurs établis considèrent
certaines figures et façons de faire comme de véritables identités : pour eux, ‘‘changer
d’identité c’est changer complètement de repères socioprofessionnels’’ (Hatchuel et Weil,
1992: 104). Selon Hatchuel et Weil, dans les processus de changement les enjeux sont plus
profonds qu’une perte de pouvoir ou une limitation des capacités d’intervention. Ils
considèrent radical un changement mettant en cause les ‘‘identités professionnelles’’.
4.1.3. Un défaut de légitimité substantive et symbolique du modèle de revenu
Comme pour les autres produits culturels dématérialisés, le problème de la juste rémunération
se pose, parce que sans cette logique de juste rémunération, la création est mise en danger.
Editeurs et auteurs ont exprimé leur réticence à adhérer à des modèles de revenu qui n’ont pas
encore fait leurs preuves au moment où le modèle papier résiste encore. Les éditeurs
considèrent risquée l’adoption de modèles de substitution, notamment pour les livres aux
ventes fortes et régulières. Ils soulignent le fait que le numérique risque de cannibaliser les
ventes physiques sans pour autant compenser le manque à gagner sur le papier.
‘‘Il y a un problème qui est celui de la rentabilité des ouvrages aujourd’hui, non pas parce que la distribution
coûte très cher mais parce que la chaîne nécessite un certain nombre d’intermédiaires et que c’est extrêmement
tentant d’avoir du numérique, vous éliminez effectivement l’imprimeur et le distributeur, vous éliminez
énormément de coûts, vous n’avez plus que le coût de la matière grise, de l’auteur, de l’éditeur et du metteur en
page, effectivement ça revient beaucoup moins cher, le problème c’est que personne n’achète ce produit
aujourd’hui, très peu de gens, la part du numérique pèse trois fois rien dans le chiffre d’affaire globale de
l’édition du livre. Le problème c’est qu’aujourd’hui on n’a pas de client même dans le domaine technique
scientifique’’ (P. Pernet, Editions Pearson).
Par ailleurs, les méfiances des ayants droits sont aussi très élevées en l’absence d’une
législation dédiée à la cession des droits numériques. Les éditeurs se demandent s’ils ne feront
pas le jeu des acteurs puissants du champ du numérique et des technologies de l’information
dont l’enrichissement serait bâti sur l’exploitation de leurs fonds sans qu’ils en tirent eux
même profit. La question de la juste rémunération est également évoquée par le syndicat
national de l’édition et la société des gens de lettre. Les modèles de revenus de la société de
l’information doivent compenser la juste rémunération des auteurs, une rémunération
proportionnelle à l’usage de leurs œuvres (Livres hebdo, n°631, p.66). Ceci est sans doute
82
l’une des raisons pour lesquelles le modèle de revenu de Cyberlibris a souffert d’un défaut de
légitimité cognitive. Le vide institutionnel, et plus précisément, l’absence d’un modèle de
revenu de référence dans le champ du numérique a pu contribuer à la déficience de légitimité
cognitive de la politique tarifaire de Cyberlibris. De même, celle-ci est en décalage total avec
le modèle de revenu du livre papier. Le modèle de revenu de Cyberlibris est un modèle
locataire, dont les abonnements des écoles de commerce sont la principale source de revenus.
Ces abonnements vont de 20.000 à 60.000 euros par an environ. Cyberlibris signe des contrats
avec des bibliothèques ou des institutions sur la base d’un prix par individu ou par étudiant.
Ce prix est fixe quel que soit le nombre de consultations. Ce qui fait que la recette aval est
verrouillée par la structure de l’établissement client. Les recettes sont données à l’avance. Par
exemple : si un abonnement coute à une école 20.000 euros. 10.000 euros reviennent à
Cyberlibris et 10.000 euros sont répartis entre les éditeurs. Chaque éditeur reçoit 10.000 euros
multipliés par le taux de consultation de son catalogue dans le total des consultations de
l’école en question. C’est une politique tarifaire qui ne s’intègre pas dans les schémas
existants, les logiques qui sous-tendent les deux modèles tarifaires sont différentes.
‘‘Moi je pense que pour faire venir les éditeurs il faut qu’il y ait une forme de proportionnalité entre le volume
de consultation des ouvrages et la recette obtenu par l’éditeur, et la difficulté avec ce modèle c’est que la
proportionnalité ne fonctionne qu’en répartition des recettes et elle ne fonctionne pas en termes absolus. C'està-dire que concrètement si la consultation de mon ouvrage double et que parallèlement celles de tous les autres
éditeurs doublent mes recettes ne bougent pas. Donc la proportionnalité ne fonctionne pas. On est sur un
système de répartition mais à enveloppe constante et ce n’est pas du tout incitatif. Et donc par le fait que ça ne
soit pas incitatif je pense que ça fait sans doute obstacle à ce que les éditeurs mettent en jeu dans le périmètre de
Cyberlibris des œuvres qui présentent des enjeux économiques importants’’ (R. Lefebvre, Editions Dalloz).
‘‘La remarque m’a été faite maintes et maintes fois. Et ceci pour une raison simple. Les éditeurs aimeraient
garantir un floor, je voudrais être sûr que j’aurais tant par page, ce qui est issue directement du modèle
physique, puisque dans le modèle physique, ils raisonnent au chiffre d’affaires par page, ils connaissent le prix
distributeur, le prix Lang, ils le divisent par la pagination, c’est comme ça qu’ils raisonnent et c’est pour ça
qu’il y a des livres plus chers que d’autres. Et c’est pour ça aussi qu’ils voulaient avoir plus de sous par clic
parce que leur ouvrage est meilleur que celui du voisin. Je leur ai dit non’’ (E. Briys, Cofondateur).
Aussi, le modèle de revenu de Cyberlibris a souffert, jusqu’à 2008, d’une déficience en
légitimité substantive s’expliquant par le faible niveau des revenus du coté des éditeurs et par
une politique tarifaire excessive du coté des écoles de commerce.
4.2. Une tentative de management symbolique de la légitimité
Face à cette déficience en légitimité, aux réactions négatives des acteurs du champ du livre et
à une entreprise qui peine à se développer voire à survivre, les dirigeants de Cyberlibris ont
tenté de se reposer sur leur capacité de communication et de persuasion afin de donner un
sens à leur bibliothèque numérique et de construire un univers de symboles. Ils ont donc
présenté, Cyberlibris comme un outil de diffusion de la connaissance et de démocratisation de
l’accès aux livres, une ‘‘ressource rare et coûteuse’’. Eric Briys se considère comme
‘‘missionnaire’’, qui a pour objectif de ‘‘simplifier la tâche pour le lecteur’’, de lui
‘‘permettre un accès non limité dans le temps, dans l’espace et en quantité voulue aux
ouvrages’’. Cyberlibris est présenté comme un nouvel outil pédagogique mis à la disposition
des écoles de commerce, pour produire de l’intelligence collective tout en permettant au
lecteur de découvrir des ouvrages sans contrainte budgétaire ni logistique. C’est également un
outil permettant aux auteurs et éditeurs d’être plus visibles sur le marché. Reste que,
majoritairement, les acteurs du champ du livre n’ont pas été séduits par ce discours. Certains
acteurs comme les professeurs ou les éditeurs l’ont trouvé peu, voir pas crédible.
83
4.3. Gérer la sphère réelle pour gagner en légitimité
A partir de 2006/2007, les dirigeants de Cyberlibris ont fait appel à des concours externes afin
d’être en phase avec les exigences des clients et s’adapter à leurs besoins. L’interface de
Cyberlibris a évolué grâce, entre autres, aux contributions des documentalistes.
‘‘Mme Brisset de l’ESC Lille … a beaucoup orienté les produits Cyberlibris, et plutôt dans le bon sens. Elle a
quelque part influencé nos amis à l’ACIEGE. Parce qu’au fond on a des besoins assez communs entre écoles de
commerce’’ (M. Breuil, Documentaliste).
Le design et les fonctionnalités de la plateforme ont évolué et des applications web 2.0 ont été
développées. D’un point de vue purement technique, l’offre a évolué grâce aux interventions
de scientifiques et acteurs technologiques spécialisés qui ont apporté des connaissances
spécifiques et approfondies. A la fin de 2007, Cyberlibris a été marqué par une adaptation de
l’offre et un changement de géométrie de la composante académique de son offre. La
composition de la clientèle a également évolué.
‘‘Au troisième trimestre de 2007, nous avons été contactés par des petites écoles. Ils sont venus nous voir en
nous demandant si on ne pouvait pas faire quelque chose d’adapté aux petites structures’’ (E. Briys,
Cofondateur).
En 2007/2008, le compartiment académique de Cyberlibris s’est élargi par la conception de
Cyberlibris Access, une bibliothèque numérique dédiée aux petites écoles de commerce.
‘‘Maintenant on segmente … Comme c’est des entités bac+2, bac+3, évidemment la littérature dont ils ont
besoin ce n’est pas du tout la littérature qu’ils utilisent dans les business school. Les gens sont ravis parce que
là où les étudiants n’avaient rien, dorénavant ils ont quelque chose et on n’attend pas des profs qu’ils nous
recommandent parce qu’ils sont souvent des vacataires, ils n’ont pas le temps ils s’en foutent’’ (E. Briys,
Cofondateur).
En 2008/2009, Cyberlibris a touché une nouvelle cible, les universités. Les fondateurs ont mis
en place e-Biblio Couperin. Les tarifs de ces offres sont nettement moins élevés que ceux de
l’offre de départ, Infinite. En 2009, Cyberlibris Select, une offre ciblant les masters
spécialisés en finance, les salles de marché et les bureaux de consulting, a également été mise
en place. Ces formules, ont bénéficié d’une légitimité substantive, ont attirés beaucoup de
petites et grandes écoles de commerce, certaines universités ont également contracté des
abonnements Cyberlibris.
A partir de 2008, les interviewés ont mis en avant une amélioration de la qualité de l’offre. En
effet, le contenu de Cyberlibris n’arrête pas de croître, certains interviewés parlent même
d’inflation du contenu de Cyberlibris. L’amélioration du contenu est quantitative et
qualitative. Les clients de Cyberlibris ont manifesté une satisfaction de la prestation technique
de la bibliothèque numérique. Le nombre de clients est passé de 50, en 2008, à 80 en 2009
(dont une trentaine de grandes écoles, une trentaine de petites écoles de commerce et le reste
des institutions d’enseignement supérieur à l’étranger). La figure ci-dessous illustre
l’évolution du nombre de clients de Cyberlibris entre 2003 et 2009.
84
Figure 1 :
Evolution du nombre de clients
90
Nombre de clients
80
70
60
50
40
30
20
10
0
2003
2004
2005
2007
2008
2009
Années
Plusieurs éditeurs prestigieux anglo-saxons ont intégré le système d’offre de Cyberlibris. De
même, plusieurs éditeurs français ont rejoint la liste des fournisseurs de contenu de la
bibliothèque numérique. L’augmentation du nombre de clients et l’accroissement du chiffre
d’affaires de Cyberlibris crédibilise davantage l’entreprise auprès des éditeurs. Ces derniers
ont accordé une certaine légitimité substantive à Cyberlibris. La figure ci-dessous illustre
l’évolution du chiffre d’affaires de Cyberlibris entre 2003 et 2009.
Figure 2 :
Evolution du chiffre d'affaires
2500
CA (K euro)
2000
1500
1000
500
0
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
Années
La légitimité substantive de Cyberlibris a permis d’attirer des acteurs réputés au système
d’offre de la bibliothèque numérique ce qui a pour conséquence l’amélioration de la légitimité
symbolique de Cyberlibris. L’acceptabilité et la fiabilité dont Cyberlibris bénéficie renvoie
alors aux acteurs externes.
85
Conclusion et discussion
En mobilisant l’approche néo-institutionnelle, nous avons apporté un éclairage sur la manière
dont les dirigeants d’une nouvelle organisation opérant dans un champ émergent assoient une
légitimité vitale pour la survie et le développement de leur entreprise. Les performances
passées de Cyberlibris sont dérisoires et son jeune âge ne permet pas de témoigner de sa
robustesse économique et/ou sociale. Ainsi elle ne peut revendiquer une légitimité tel que
pourrait le faire une entreprise établie, autrement dit en se fiant à ses performances passées.
En même temps, elle doit paraître crédible auprès des acteurs du champ pour survivre et se
développer.
A l’issue de cette recherche, un principal résultat se dégage : le rôle des dirigeants dans la
crédibilisation d’un projet déviant. Ce rôle est d’autant plus important lorsque l’organisation
n’a pas de passé. Les adhérents potentiels au système d’offre de Cyberlibris, n’ont pas pu
juger l’acceptabilité de la nouvelle organisation en se référant à son histoire, ses performances
passées, sa réputation, sa capacité à réaliser certaines activités, etc. Ainsi, la réputation du
personnel clé de Cyberlibris, qui a fait ses preuves dans d’autres milieux, d’autres secteurs
d’activité, mais aussi et surtout dans l’édition et l’enseignement supérieur, le charisme et la
capacité de communication des dirigeants ont constitué des critères de jugement sur lesquels
se sont appuyés les parties externes pour formuler leurs jugements. La légitimité des
dirigeants qui est une légitimité symbolique ou encore représentative ‘‘ ‘‘representational
legitimacy’’ dérivée de la conception Weberienne de la légitimité…qui repose sur les
croyances des autres’’ (Wiewel et Hunter, 1985 : 490), a accompagné le démarrage de
Cyberlibris.
Cette recherche permet également de restituer et de caractériser le processus de légitimation
d’une jeune entreprise opérant dans un champ émergent. Il ressort de la restitution du
processus de légitimation de Cyberlibris qu’une jeune entreprise opérant dans un champ
émergent n’a pas intérêt à s’engager pendant la phase d’émergence, dans une stratégie
légitimation symbolique qui reposerait sur la construction d’un univers de sens autour de
l’innovation. Le cas étudié met en avant la difficulté pour une jeune entreprise innovante de
recruter un environnement externe influent. C’est cet environnement social qui permettra
d’acter ses objectifs, sa vision, ses interprétations, ses valeurs, etc.
Nous soulignons également que la légitimité symbolique et la mobilisation collective se
travaillent dans la durée. Cela nécessite notamment de s’engager dans un processus de
négociation avec les acteurs influents en amont du lancement d’un projet. Ceci implique par
ailleurs de construire au préalable une légitimité substantive. Ce type de légitimité s’appuie
moins sur la mobilisation d’acteurs extérieurs et s’inscrit moins dans la durée que les
dimensions symboliques de la légitimité. Aussi la légitimité substantive constitue un levier
afin de stimuler la légitimité symbolique.
Pendant la phase d’émergence, autrement dit jusqu’à environ 2007, les dirigeants de
Cyberlibris ont tenté de faire gagner leur entreprise en légitimité en se reposant
essentiellement sur des aspects symboliques. Ils ont tenté d’assoir une légitimité symbolique
car la légitimité substantive n’était pas au rendez-vous. Les dirigeants de Cyberlibris ont
essayé de construire un univers de sens autour de la bibliothèque numérique. Les travaux
postulent ainsi, qu’une raison importante d’échec de plusieurs projets entrepreneuriaux réside
dans un manque de compréhension de la part de l’audience (Navis et Glynn, 2010). A travers
plusieurs actions de communication, les porteurs du projet se sont investis dans un travail
d’explication et de clarification de leur mission et de la raison d’être de Cyberlibris. La
86
communication permet d’instaurer une cohérence des interprétations et des compréhensions,
c’est un moyen efficace pour favoriser le partage de système de compréhension (Brown,
1998). Toutefois, les managers de Cyberlibris n’ont pas réussi cet exercice de communication
et de clarification et ne sont pas arrivés à construire un univers symbolique de sens autour de
la bibliothèque numérique. Au moins, deux éléments semblent expliquer cet échec à acquérir
une légitimité symbolique : la surabondance de communication et l’absence d’une
mobilisation collective.
Les managers tendent à exagérer grossièrement leurs déclarations et, face à un défaut de
légitimité, Martin (1982) souligne que les formes implicites de communication tendent à être
plus crédibles que les formes explicites de communication. Il semble que la légitimité
s’acquiert plus aisément lorsque les revendications sont indirectes et subtiles. Toutefois, les
organisations souffrant d’une faible légitimité, n’ont pas nécessairement ni la capacité ni le
temps pour construire de manière délicate leur légitimité.
En l’absence d’une reconnaissance positive, la simple mise en avant de ses qualités n’est pas
suffisante. Il est nécessaire de les promouvoir et de considérer le processus de légitimation
comme une construction collective de sens (Ashforth et Gibbs, 1990). Les entreprises opérant
dans des champs émergents, qui s’écartent nettement des pratiques établies jusque-là
dominantes, doivent intervenir de manière préventive dans leur environnement culturel afin
de développer des soutiens adaptés à leurs besoins décalés (Aldrich et Fiol, 1994). Les
managers doivent promouvoir activement de nouvelles explications de la réalité sociale
(Oliver, 1991). Pour ce faire, ils ont besoin de fédérer des acteurs influents autour de leur
projet (DiMaggio, 1988 ; Lawrence et al., 2002). La réussite de la construction d’un univers
symbolique autour de Cyberlibris est déterminée par la capacité de l’organisation à se projeter
au-delà de ses propres frontières, à diffuser ses valeurs et sa vision, et à agir de manière
concertée. Pour rendre leur version et leur perception des choses plausibles, les dirigeants de
Cyberlibris avait besoin de l’aide de tierces parties et de créer un environnement qui promeut
leurs objectifs et valeurs, reste qu’ils n’ont pas réussi à mobiliser et recruter des acteurs de cet
environnement externe qui soient favorables à leur projet.
Aussi, le cas Cyberlibris met en avant les difficultés que peut rencontrer un jeune acteur
innovant dans la légitimation de son projet quand il se focalise sur des acteurs « mineurs » au
sein du champ et ne s’engage pas dès les phases amont du projet dans un travail de
négociation avec les organisations majeures du champ organisationnel. La qualité et la
réputation des partenaires représentent un élément de jugement susceptible de conférer une
crédibilité à une organisation (Dacin et al. 2007). Le soutien d’un certain nombre d’acteurs ou
d’un réseau de partenaires est un moyen important d’acquérir une légitimité symbolique
(Oliver, 1990 ; Wiewel et Hunter, 1985). Or jusqu’à environ, 2008, Cyberlibris n’a pas pu
s’associer à des organisations reconnues ou compter sur la composition de son système
d’offre pour prouver que c’est un acteur convenable. Les partenariats et collaborations mis en
place entre l’organisation et des acteurs externes permettent de montrer ou améliorent la
réputation, l’image, le prestige et la congruence de l’organisation, de ses activités et de ses
objectifs avec les normes de l’environnement institutionnel dans lequel elle opère.
L’utilisation opportuniste des réseaux de partenaires, des liens et coalitions institutionnels
permet de montrer à des partenaires potentiels l’acceptabilité de l’organisation (DiMaggio,
1988). La qualité des liens et des relations entre l’organisation et des acteurs de son
environnement motivent d’autres acteurs à collaborer et à s’associer aux projets de
l’organisation focale (Oliver, 1990).
87
La difficulté d’agir sur la sphère symbolique a amené les dirigeants de Cyberlibris à d’abord
agir dans la « sphère réelle » avec un management des résultats tangibles comme les ventes,
les profits et les budgets. Cela lui a permis d’acquérir une légitimité substantive et par la suite
une légitimité symbolique.
Bibliographie
ALDRICH H., FIOL C.M. (1994), ‘‘Falls rush in? The institutional context of industry
creation’’, Academy of Management Journal, vol.19, n°4, p.645-670.
ASHFORTH B.E., GIBBS B.W. (1990), ‘‘The double edge of organizational
legitimation’’, Organization Science, vol.1, n°2, p.177-194.
BERGER P.L., LUCKMANN T. (1976), The Social Construction of Reality, New York
Doubleday Anchor.
BOYD J. (2000), ‘‘Actional legitimation: No crisis necessary’’, Journal of Public
Relations Research, vol.12, n°4, p.341-353.
BROWN A.D. (1998), « Narrative, Politics and Legitimacy in an IT Implimentation »,
Journal of Management Studies, Vol. 35, n° 1, p. 35–58.
DACIN M.T., OLIVIER C., ROY J.P. (2007), ‘‘The legitimacy of strategic alliances: an
institutional perspective’’, Strategic Management Journal, vol.28, p.169-187.
DIMAGGIO P.J. (1988), ‘‘Interest and Agency in Institutional Theory’’ in Zucker L.
(ed.), Research on Institutional patterns and Organizations: Culture and Environment,
Cambridge MA, p.3-22.
DIMAGGIO P.J., POWELL W.W. (1991), The New Institutionalism in Organizational
Analysis, University of Chicago Press.
DIMAGGIO P.J., POWELL W.W (1991), ‘‘Introduction’’ in DiMaggio et Powell, The
New Institutionalism in Organizational Analysis, Chicago: University of Chicago Press,
p.1-38.
DIMAGGIO P.J., POWELL W.W. (1983), ‘‘The iron cage revisited: Institutional
isomorphism and collective rationality in organizational field’’, American Sociological
Review, vol.48, p.147-160.
DOBREV S.D., GOTSOPOULOS A. (2010), ‘‘Legitimacy vacuum, structural imprinting,
and the first mover disadvantage’’, Academy of Management Journal, vol.53, n°5, p.11531174.
DOWLING J., PFEFFER J. (1975), ‘‘Organizational legitimacy: social values and
organizational behaviour’’, Pacific Social Review, vol.18, p.122-136.
FLIGSTEIN N. (1997), ‘‘Social skill and institutional theory’’, American Behavioural
Scientist, vol.40, n°4, p.397-405.
88
GAMOT G., VIDAILLET B. (2001), ‘‘Processus de décision en groupe restreint : application
du modèle du groupthink à une fusion’’, Actes de la Xème Conférence Internationale de
l'AIMS, Québec, Juin.
GREENWOOD R., SUDDABY R. (2006), ‘‘Institutional entrepreneurship in mature
fields: the big five accounting firms’’, Academy of Management Journal, vol.49, n°1,
p.27-48.
HATCHUEL A., WEIL B. (1992), L’expert et le système, Economica.
HUNT C. S., ALDRICH H. E. (1996), ‘‘Why even Rodney Danger field has a home page:
Legitimizing the world wide web as a medium for commercial endeavors’’, Annual
Meeting of the Academy of Management, Cincinnati, OH.
LAWRENCE T.B., HARDY C., PHILLIPS N. (2002), ‘‘Institutional effects of interorganizational collaboration: the emergence of proto-institutions’’, Academy of
Management Journal, vol.45, n°1, p.281-290.
LEE A.A. (1991), ‘‘Integrating positivist and interpretive approaches to organizational
research’’, Organization Science, vol.2, n°4, p.342-365.
LIBERMAN M. B., MONTGOMERY D.B. (1998), ‘‘First-mover (dis)advantages:
retrospective and link with the resource-based view’’, Strategic Management Journal,
vol.19, n° 12, p. 1111-1125.
LOMI A., LARSEN E. (1998), ‘‘Density delay and organizational, survival:
Computational models and empirical, comparisons’’, Computational and Mathematical
Organization Theory, vol.3, p.219–247.
MARTIN J. (1982), ‘‘Stories and scripts in organizational settings’’, in Hastorf A.H. et
Isen A.M. Cognitive Social Psychology, Elsevier, p.255-305.
MEYER J.W., SCOTT W.R. (1983), Organizational Environments: Ritual and
Rationality, Beverly Hills, CA Sage.
MILES M.B., HUBERMAN A.M. (2003), Analyse des Données Qualitatives, 2ème
édition, Bruxelles, De Boeck.
NAVIS C., GLYNN M. A. (2010), « How New Market Categories Emerge: Temporal
Dynamics of Legitimacy, Identity, and Entrepreneurship in Satellite Radio, 1990–2005 »,
Administrative Science Quarterly, Vol. 55, p. 439-471.
OLIVER C. (1991), ‘‘Strategic responses to institutional processes’’, Academy of
Management Review, vol.16, n°1, p.145-179.
OLIVER C. (1990) ‘‘Determinants of interorganizational relationships: integration and
future directions’’, Academy of Management Review, vol.15, p.241-265.
PETERSON R.A., ANAND N. (2004), « The Production of Culture Perspective », Annual
Review of Sociology, Vol. 30, pp. 311-3.
PFEFFER J. (1981), ‘‘Management as symbolic action: the creation and maintenance of
organizational paradigms’’, Research in Organizational Behaviour, vol.3, n°1, p.1-52.
89
PFEFFER J., SLANCIK G.R. (1978), The External Control of Organizations, New York,
Harper et Row.
REITTER R., RAMANANTSOA B. (1985), Pouvoir et politique, Paris McGrow-Hill.
REITTER R. (1991), Cultures d’entreprise, Paris Vuibert.
ROBINSON W. T., S. Min (2002), ‘‘Is the first to market the first to fail? Empirical
evidence for industrial goods businesses’’, Journal of Marketing Research, Vol. 39, No. 1.
RONEZ J. (2006), le livre à l’ère du numérique, Syndicat de la Librairie Française.
SILVERMAN D. (1993), Interpreting Qualitative Data, London, Sage Publications.
STAKE R.E. (1995), The Art of Case Study, Sage Publications.
STARR J. A., MACMILLAN I. A. (1990), ‘‘Resource captation via social contracting:
Resource acquisition strategies for new ventures’’, Strategic Management Journal, vol.11,
p.79-92.
STINCHCOMBE A. L. (1965), ‘‘Social structure and organizations’’, in March J. G.,
Handbook of Organizations, Chicago: Rand McNally, p.142-193.
SUCHMAN M.C. (1995), ‘‘Managing legitimacy: strategic and institutional approaches’’,
Academy of Management Review, vol.20, n°3, p.571-610.
WIEWEL W., HUNTER A. (1985), ‘‘The interorganizational networks as a resource: a
comparative case study on organizational genesis’’, Administrative Science Quarterly,
vol.30, p.482-496.
WEBER M. (1995), Economie et Société, tome I: Les Catégories de la Sociologie, Paris,
Plon Pocket.
YIN R.K. (1994), Case Study Research: Design and Methods, Londres, Sage
Publications.
YUKL G., FALBE C.M. (1991), ‘‘Importance of different power sources in downward
and lateral relations’’, Journal of Applied Psychology, vol.76, n°3, p.416-423.
ZIMMERMAN M. A., ZEITZ G. D. (2002), ‘‘Beyond survival: Achieving new venture
growth by building legitimacy’’, Academy of Management Review, vol.27, n°3, p.414431.
ZUCKER L.G. (1983), ‘‘Organizations as institutions’’, Research in the Sociology of
Organizations, vol.2, n°1, p.1-47.
Retour à la table des matières
90
Quel apport de la théorie de l’acteur-réseau pour appréhender la
dynamique de construction du réseau entrepreneurial ?
Wadid LAMINE
Enseignant-chercheur,
Groupe ESC Troyes
wadid.lamine@get-mail.fr
Hela CHEBBI
Enseignant-chercheur, EDC
Paris
hela.chebbi@edcparis.edu
Alain FAYOLLE
Professeur et directeur du
centre de recherche en
Entrepreneuriat,
EM Lyon Business School
fayolle@em-lyon.com
Résumé : Les travaux de recherche sur le réseau social de l’entrepreneur ne cessent de
croitre. Cependant les connaissances produites sur les dynamiques de construction de ce
réseau restent limitées. Peu de travaux de recherche apportent une base empirique sur
l’évolution du réseau de l’entrepreneur en fonction du temps. Ce constat est encore plus
marqué pour tous ceux qui s’intéressent à l’étude de la phase ante création du processus
entrepreneurial innovant. En prenant comme fondement théorique la conception de la création
de la valeur nouvelle de Bruyat (1993), les auteurs ont suivi pendant deux ans la formation
progressive du réseau d’un porteur de projet de création d’entreprise innovante. La
contribution majeure de ce travail réside dans l’emploi de la théorie de l’acteur-réseau
(Akrich, Callon et Latour, 1988, 2006) pour étudier cette dynamique de formation du réseau
dans une situation de création d’entreprise innovante.
Mots clefs : Processus entrepreneurial, Spécificités de la phase de survie-développement,
Traduction, Réseau Social, Incubation
Abstract: The bulk of research on social networks in entrepreneurship focuses on the nature
and characteristics of social ties at a given moment in time or on the contribution of the
network as a whole as opposed to its development dynamics. Despite the fact that a number of
researchers have sought to explore the role of social networks, only a handful of them actually
focused on the development of social networks over time (Jack, 2010). In this study, we
propose to use the Actor Network-Theory (Akrich, Callon & Latour, 1988, 2006), that we
believe will lead to fill this gap in the literature. By following the trajectory of an innovative
entrepreneurial project over a period of two years, we observed the evolution of the
entrepreneurial network configurations. The study provides new insights into the dynamic
process of network formation, in the specific context of the innovative new venture launch.
Key words: Entrepreneurial process, New Technology Based Firm Specificities’, Actor
Network-Theory, Social Network, Business Incubation
91
Introduction
Sans nier le rôle et l’importance des grandes entreprises, l’impact de la création d’entreprise
innovante sur l’économie (Acs & Audretsch, 2003 ; Baumol, 2006) a convaincu les pays de
la nécessité d’orienter leurs politiques d’innovation et de soutien aux entreprises
technologiques vers ce type d’organisation (Mustar & Larédo, 2002). En France, cela s’est
traduit notamment par la mise en place d’incubateurs publics qui jouent un rôle clé dans
l’accompagnement des projets de création d’entreprise innovante (Chabaud & Gonard, 2008).
La réussite, survie dans un premier temps, puis développement des projets et des jeunes
entreprises innovantes est un enjeu essentiel. Il dépend, certes, des structures et des mesures
d’accompagnement, mais cet enjeu relève aussi de la manière dont le porteur de projet
interagit avec son environnement, en particulier pour exploiter les ressources des réseaux
sociaux qui s’y trouvent (Fayolle, 2007). Bien que l’on parle systématiquement de
mondialisation et de marché économique global, y compris pour ce type d’entreprise, les
innovations et les connaissances sont souvent produites localement par des réseaux d’acteurs
établis sur un territoire (Heraud & Levy, 2005). Les créations d’entreprises innovantes, en
France comme ailleurs, s’appuient donc sur au moins deux types de capital : social et humain
(Akrich, Callon & Latour 1988 ; Bernasconi et al. 2006 ; Wright et al. 2007). En dépit du fait
que de nombreux travaux ont cherché à mieux situer le rôle et l’importance des réseaux
sociaux dans le champ de la création d’entreprise (Aldrich & Zimmer, 1986; Burt, 1992 ;
Hoang & Antoncic, 2003; Witt, 2004 ; Hite, 2005 ; Messeghem & Sammut, 2007 ; Jack,
2010), nous pensons que les connaissances disponibles sont encore insuffisantes pour éclairer
toute la complexité du phénomène (Gartner, 1985 ; Bruyat, 1993 ; Bruyat & Julien, 2001). En
particulier, peu de recherches visent à prendre en compte les spécificités des projets de
création d’entreprise innovante ou à s’inscrire dans une perspective dynamique pour mieux
comprendre le processus de formation des réseaux (Jack, 2010).
Ainsi, comprendre les dynamiques de formation du réseau social (RS) de l’entrepreneur
pendant la phase ante création du processus, permet de compléter nos connaissances et de
disposer de leviers pour mieux accompagner les porteurs des projets innovant notamment par
les incubateurs.
Le travail que nous présentons ici a pour objectif de combler, partiellement, ces deux lacunes
en essayant de répondre à la question suivante : Dans un contexte de création d’entreprise
innovante, comment la configuration du réseau social de l’entrepreneur naissant évolue-t-elle
en fonction de l’avancement dans le processus entrepreneurial?
Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons d’utiliser la théorie de l’acteur-réseau (Akrich,
Callon et Latour, 1988, 2006), en prenant en compte les spécificités principales des projets de
création d’entreprise innovante. Dans ce cadre, nous considérons que grâce à l’outil
méthodologique de la chaîne de la traduction qu’elle propose, elle permet de restituer, d’une
manière satisfaisante, la dynamique de formation du RS, au service des projets. Elle nous
permet aussi d’identifier les registres de partenaires privilégiés ainsi que les le type de
ressources qui en donnent accès à chaque étape dans le processus de développement du RS.
Nous étudions, en conséquence, la survie et le développement initial des projets de création
d’entreprise innovante, en considérant qu’ils sont liés à la manière dont les porteurs de projet
parviennent à construire les RS et les alliances qui leur sont nécessaires. Cette conception
nous conduit à adopter la définition de Bruyat et Julien (2001), qui considère l’entrepreneuriat
comme une dialogique individu – création de valeur nouvelle, dans une double dynamique de
changement, pour l’individu et pour l’environnement concerné.
92
Dans la suite de cet article, nous présenterons l’importance du RS pendant la phase de surviedéveloppement des projets de création d’entreprise innovante (section I). Puis, nous
introduirons la théorie de l’acteur-réseau en précisant son application au processus de création
d’entreprise innovante (section II). Dans une troisième et dernière section, nous exposerons
notre étude empirique, la méthodologie suivie et les résultats obtenus. Cette étude est de
nature exploratoire. Elle a porté sur un cas de création d’entreprise innovante incubée dans un
incubateur public Rhône-Alpin. Nous terminerons cet article par une partie, discussion et
conclusion, qui revient sur les apports de la recherche, ses limites et les voies nouvelles
qu’elle suggère.
1. L’importance du réseau dans la phase de survie-développement des
projets de création d’entreprise innovante
La survie et le développement des jeunes organisations sont des thèmes qui renvoient vers une
littérature abondante et riche sur la réussite, le succès, l’échec et enfin la croissance 46
(Chrisman et al. 1998; Delmar & Shane, 2002 ; Lasch et al. 2005 ; Gelderen et al. 2006 ;
Moreau, 2008). L’impact du réseau social de l’entrepreneur sur cette réussite a été largement
étudié dans le champ (voir Chabaud et Ngijol, 2005).
En effet, l’étude du RS de l’entrepreneur permet d’enrichir nos connaissances sur le
phénomène entrepreneurial en mettant en avant le rôle de l’action collective dans la création
de la valeur nouvelle (Faylle, 2007) et la mobilisation des ressources nécessaires (Hite, 2005).
Ainsi, par l'intermédiaire des entités qui le composent, le réseau de l’entrepreneur contribue à
l'identification, à l'évaluation et à l'accès à des opportunités d'affaires (Nicolaou & Birley,
2003; Schutjens & Stam, 2003). Le réseau, et notamment les contacts familiaux et les amis,
influencent également par leurs conseils, la décision du passage à l'acte entrepreneurial ou non
(Cooper, 2002). Il expose le couple individu-projet de création d’entreprise à des nouvelles
idées, à des nouvelles visions du monde, où il lui offre un cadre de références à la fois
protecteur et propice à la survie et au développement de la nouvelle entreprise (Davidson &
Honing, 2003).
Le réseau social de l’entrepreneur contribue également significativement au processus de
stimulation et de développement de l'apprentissage entrepreneurial et technologique. En effet,
l'interaction entre l'entrepreneur et les différents membres de son réseau permet d'échanger les
connaissances et les compétences et ainsi de faire émerger de nouvelles capacités
entrepreneuriales, (Davidson & Honing, 2003). Cependant, la majorité des travaux sur le RS
en entrepreneuriat, qui s’est pour l’essentiel consacrée à souligner la complexité du processus
de création d’entreprises en général, peut souffrir d’une inadaptation relative aux spécificités
de la création d’entreprise innovante. Bruyat (1993) et Shane (2003), entre autres, considèrent
que les spécificités principales des processus de création d’entreprises innovantes sont :
l’incertitude, l’asymétrie d’information, le manque de légitimité et la nominalité requise
indispensable pour la continuité de l’activité entrepreneuriale.
46
Pour disposer de revues de littérature récentes, se référer aux thèses récemment soutenues d’Olivier Witmeur
(2008) et Philippe Silberzahn (2009).
93
1.1 L’incertitude
Selon Knight (1921), l’incertitude correspond à un futur dont la distribution des états est non
seulement inconnue, mais impossible à connaître. Elle est toujours (plus ou moins) présente
au cours d’un processus de création d’entreprise, car elle est associée à l’innovation, au
changement et à la création. Lors de la mise au point de son projet, l’entrepreneur naissant
doit faire face à deux types de facteurs d’incertitude : ceux associés à l’environnement et ceux
liés au couple individu-projet lui-même. Ce sont ces derniers qui nous intéressent
particulièrement, car les premiers, malgré leur importance, demeurent d’ordre général et non
spécifiques au projet. En effet, un projet innovant, en raison de sa nature et de ses
caractéristiques, supporte nécessairement une part d’incertitude non réductible, difficilement
évaluable par les partenaires potentiels de l’entrepreneur. Le premier facteur, lié au projet,
concerne la valeur qu’accorderont les partenaires au produit ou service. Certains projets
n’expriment leur valeur que lorsque le produit ou le service est véritablement mis en marché
(Shane & Stuart, 2002). Le second facteur d’incertitude est technique liée à la fabrication du
produit ou du prototype. Ce type d’incertitude concerne la recherche – développement, la
mise au point et l’industrialisation (Low & Srivatsan, 1994). Lorsque le projet est innovant et
complexe, cette incertitude est omniprésente. Le projet peut alors achopper sur ce qui
paraissait un point de détail (Bruyat, 1993).
1.2 L’asymétrie d’information
Pendant la phase ante création du processus, le créateur d’entreprise s’efforce d’acquérir les
ressources nécessaires au développement de son projet afin d’assurer la continuité de ses
activités (Shane, 2003). Il doit communiquer et transformer des informations et des situations
vécues (Fayolle, 2007) afin d’intéresser des parties prenantes qui détiennent les ressources
indispensables à la survie de son projet. Cependant, il existe très souvent des décalages de
représentation et de perception entre l’entrepreneur et ses parties prenantes (Barry, 1994 ;
Gompers, 1995). Ces décalages sont dûs au caractère idiosyncratique de l’information et des
croyances qui, dans certaines circonstances, sont nécessaires à l’existence du profit
entrepreneurial. Selon Shane (2000), des acteurs qui ne partagent pas la même perception de
la situation avec l’entrepreneur, vont soit sous évaluer l’opportunité détectée ou créée par lui,
soit ne pas la percevoir tout simplement. Par ailleurs, certains chercheurs en entrepreneuriat
ont mis l’accent sur le rôle des liens sociaux dans la résolution des problèmes engendrés par
l’asymétrie d’information (Shane & Cable, 2002). En se basant sur le concept
d’encastrement de Granovetter (1973), Shane et Cable (2002) pensent que les obligations
sociales entre des acteurs connectés et le transfert de l'information par des relations sociales,
influencent la décision d’apporter ou non des ressources pour assurer la survie de la nouvelle
organisation.
1.3 Le manque de légitimité
Le manque de crédibilité de la future entreprise est une difficulté souvent soulignée par les
entrepreneurs et les chercheurs. La confiance (Low & Srivatsan, 1994) et la légitimité
(Tornikoski & Newbert, 2007; Messeghem & Sammut, 2007) sont au cœur des relations qui
lient l’entrepreneur aux autres acteurs qui considèrent la nouvelle entreprise le plus souvent
comme un client peu important et à risque (d’impayé). Le rôle de l’entrepreneur est dans ces
conditions de communiquer sur son projet, de négocier avec les partenaires indispensables, de
les convaincre que quelque chose n’existe pas, existe ou va exister, pour les faire adhérer au
projet. La personnalité et les capacités dynamiques du créateur (Zahra et al. 2006), porte94
parole de son projet et de son équipe, constituent des facteurs essentiels dans cette quête de
légitimité et d’établissement d’un pacte de confiance.
1.4 La nominalité requise
Nous avons vu précédemment que dans un contexte d’incertitude irréductible, il est quasiment
impossible de prévoir les réalisations futures, qui sont par définition imprévisibles (Saravathy,
2001). Cependant, la création d’une entreprise innovante, sa survie et son développement
dépendent très souvent de la capacité de l’entrepreneur et de son équipe à atteindre des
performances minimales sur un certain nombre de fonctions ou d’opérations et à développer
rapidement un ou plusieurs avantages concurrentiels (Eisenhardt & Schoonhoven,
1995 ; Hannan et al., 1996; Littunen, 2000). Bruyat (1993), considère qu’un projet est à
« nominalité requise » lorsque son lancement et sa réussite dépendent de ses performances
minimales dans un ordre et dans des horizons de temps précis. Si chacune des opérations
requises n’atteint pas, en un temps déterminé, un niveau de performance minimum, le
lancement de l’entreprise sera irrémédiablement compromis. Ceci est dû à la perte de
confiance, au désintéressement des partenaires indispensables et/ou surcoûts insupportables et
des manques à gagner engendrés par l’allongement du processus de création.
2. La théorie de la traduction et la création d’entreprise innovante
Ces quatre caractéristiques montrent que dans un contexte de création d’entreprise innovante,
le porteur de projet se trouve dans une situation entrepreneuriale (Fayolle, 2007) complexe et
problématique. Afin de rendre compte d’une description différente et plus complète du
processus entrepreneurial, la théorie de l’acteur réseau (Akrich, Callon & Latour, 2006) peut
s’avérer intéressante. Elle semble être une alternative intéressante parce qu'elle met à
disposition un mode de réflexion qui permet de réaliser une description dynamique et plus
complète d'une situation entrepreneuriale complexe (Korsgaard, 2011) et changeante. Dans la
mesure où le chercheur, qui étudie les évolutions du projet de création, traduit le processus
entrepreneurial en une trajectoire narrative, en étudiant en profondeur un ensemble de
documents, de récits, de discours et des artefacts techniques, tout en mettant l'accent sur les
mouvements d'associations-dissociations des acteurs (humains et non humains).
Ainsi, la théorie de l’acteur réseau nous permet de rompre avec le monde dualiste où l'objet et
le sujet sont déconnectés en situant le processus entrepreneurial dans le monde vécu et dans
l'expérience, ce qui va donner du sens à la trajectoire entrepreneuriale et à son devenir
(Steyaert, 2007). D'où la proximité et la cohérence avec la conception contingente et
systémique de l'entrepreneuriat que nous avons adoptée dans ce travail, qui place le couple
individu (sujet) - projet (objet) au cœur d'un système dynamique et ouvert sur son
environnement.
La théorie de la traduction, appelée aussi théorie de l’acteur réseau (Actor Network Theory :
ANT) a été développée dans le cadre des recherches portant sur les processus d’innovation et
s’ancre dans une approche sociotechnique des organisations. Les fondateurs de ce courant,
Akrich, Callon et Latour (1988, 2006) ont montré que le succès des innovations dépend de la
réussite d’une association inédite entre des acteurs multiples et différents. De cette
association, de la mobilisation et de la coopération de tous les acteurs va émerger un réseau
sociotechnique et une dynamique de production qui ont pour corollaires l’efficience du
processus et sa réussite.
Afin d’atteindre un stade de construction d’un réseau « irréversiblisé », ces chercheurs ont
défini une démarche, inspirée de l’ethnométhodologie de Garfinkel (1967), qui prend appui
95
sur une séquence d’étapes appelée chaîne de la traduction. Traduire, c'est « exprimer dans son
propre langage ce que les autres disent et veulent, c'est s'ériger en porte parole» (Callon,
1986 : 204). Mais traduire c’est aussi, négocier, effectuer une série de déplacements de tous
genres et ce à chaque séquence du processus, qui peut être défini en quatre grandes étapes :
- La problématisation : Il s'agit d'un système d'associations entre des entités dont il définit
l'identité ainsi que les problèmes qui s'interposent entre elles et ce qu'elles veulent. Ainsi se
construit un réseau de problèmes et d'entités au sein duquel un acteur se rend indispensable.
La problématisation consiste à formuler les problèmes et proposer des solutions (Harrisson &
Laberge, 2002). Cette mise en mouvement s'opère autour d'un projet provisoire et minimum,
englobant les intérêts de chacune des entités.
- L’intéressement : Il s’agit de l'ensemble des actions par lesquelles une entité s'efforce à
imposer et à stabiliser d'autres acteurs qu'elle a définis par sa problématisation. Un
intéressement réussi confirme la validité de la problématisation, qui dans le cas contraire se
trouve réfutée.
- L’enrôlement : c’est le mécanisme par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui
l'accepte, c'est un intéressement réussi.
- La mobilisation : c’est la convocation progressive d'acteurs qui s'allient et font masse pour
rendre crédibles et indiscutables une proposition, un projet ou une innovation. Selon Law
(1985), cette mobilisation, au-delà du système d'alliances qu'elle constitue, a une réalité
physique. Elle se matérialise par toute une série de déplacements.
L’application de l’ANT à l’étude du processus de création d’entreprise innovante nous semble
particulièrement pertinente. Elle met à notre disposition un outil méthodologique qui nous
permet d’étudier le système entrepreneurial, dans sa dimension dynamique en accordant le
même degré d’importance aux deux dimensions qui forment le système : la dimension
technique représentée par le projet et la dimension sociale représentée par l’individu. En effet,
selon le principe de la symétrie généralisée de l’ANT, toute distinction entre faits de nature et
faits de société doit être supprimée. Des liens étroits entre l’humain et le non humain, ainsi
que l’individu et son projet doivent être considérés en les traitant avec les mêmes termes et au
même degré d’importance. Par ailleurs, appliquer la sociologie de la traduction à l’étude de ce
type de processus entrepreneurial, revient à étudier les dynamiques de déplacement dans la
trajectoire de la situation entrepreneuriale qui caractérise la dialogique individu/projet,
pendant lesquelles le couple se trouve porté par un mouvement de mobilisation du réseau qui
se cristallise au fur et à mesure de l’avancement du processus.
En outre, L’ANT permet de concevoir le processus de création d’entreprise innovante comme
un processus tourbillonnaire Akrich, Callon et Latour (1988, 2006), qui prend en compte la
rétroaction, pendant la période de réalisation, de tout ce qui touche à la définition technique
ou organisationnelle du projet. Lors de ce processus, les différentes composantes d’un projet
(technique, légale, financière, marketing, sociale, culturelle, etc.) ne coexistent pas à toutes les
étapes de développement du projet. Elles ne peuvent apparaître que sous forme
d’ « hypothèses » ou d’ « ébauches », plus ou moins nombreuses, contradictoires,
hétérogènes, à chaque itération de projet. L’entrepreneur doit pouvoir « proposer à chacune
des itérations l’ensemble des candidats ou des ébauches de problèmes qui pourraient se
trouver plus tard sur le chemin critique » (Duret et al., 1997). Cette obligation de définition
d’ébauches se rapproche de la notion de nominalité requise exposée plus haut, c'est-à-dire que
l’entrepreneur doit définir en amont le niveau de nominalité requise à atteindre pour chaque
aspect du projet ainsi que les problèmes éventuels qui peuvent l’en empêcher.
96
Par ailleurs, compte tenu des spécificités du projet de création d’entreprise innovante, des
anti-programmes 47 (Martin, 2003) pourraient naitre de quatre manières : soit suite au manque
de crédibilité du porteur de projet, soit à cause de l’asymétrie d’information entre deux ou
plusieurs entités, soit en raison de l’incertitude, ou qui pourraient surgir tout simplement à
cause d’un intérêt divergeant (économique, culturel, personnel, etc.). De ces anti-programmes
vont naitre des controverses, que l’ANT propose d’utiliser comme épreuves productrices de
savoirs pertinents susceptibles de favoriser l’apprentissage autour du projet. Ces controverses
suivent les mouvements de (dé) réalisation progressive du projet de création. L’étude des
controverses devrait conduire à renforcer la robustesse des projets entrepreneuriaux innovants
en gestation et pouvoir ainsi intéresser les parties prenantes, possesseurs de ressources, dont le
projet a ou aura besoin. Ce qui signe à terme, la naissance d’un accord entre les différents
acteurs sous forme d’un réseau qui alimente le projet en énergie et qui contribue à la
stabilisation de la situation entrepreneuriale.
Donc l’ANT met à notre disposition un mode de réflexion et un outil méthodologique (la
chaîne de la traduction) qui nous permettent de suivre l’évolution du système entrepreneurial
(Bruyat & Julien, 2001), en tenant compte des caractéristiques du projet innovant. Au sein de
ce système, l’individu n’est qu’un entrepreneur en gestation et le projet n’est qu’un objet en
conception (Fayolle, 2007) qui pourrait devenir une entreprise stable et équilibrée, comme il
pourrait s’arrêter à tout moment du processus. Ce qui pourrait entraîner la disparition de la
situation entrepreneuriale. Dans ce qui suit, nous mobilisons la théorie de l’acteur réseau pour
étudier la dynamique de formation d’un réseau social d’un projet de création d’entreprise
innovante dans le domaine de la nanotechnologie de l’espace.
3. Etude empirique : Le cas SuperNova
Nous rappelons que ce travail vise à approfondir notre compréhension du développement du
processus entrepreneurial et notamment des dynamiques de formation du RS dans un contexte
de création d’entreprises innovantes. Pour ce faire, l’étude longitudinale du cas Supernova
nous permettra de comprendre les modes et les conditions de constitution d’un RS et sa
cristallisation autour d’un entrepreneur naissant. De notre point de vue, cela doit pouvoir
contribuer à une meilleure appréhension des dynamiques entrepreneuriales pendant cette
phase cruciale du processus.
3.1 Contexte et méthodologie de recherche
Un large consensus semble se dégager chez les chercheurs en sciences de gestion autour de
l’importance d’une approche exploratoire qualitative dès lors que l’on s’intéresse à l’étude
d’un phénomène complexe, dans une perspective processuelle (Hill et al., 1999 ; Brush &
Listenstein, 2001, etc.). En outre, la littérature plaide pour une approche qualitative parce
qu’elle permet de fournir des théories plus riches et plus dynamiques (Hoang & Antoncic,
2003). C’est particulièrement le cas de l’étude des dynamiques de réseau de l’entrepreneur
(O’Donnell et al., 2001 ; Lechner & Dowling, 2003, Jack, 2010, Slotte-Kcock & Coviello,
2010), un phénomène peu connu (Miles & Huberman, 2003).
Par ailleurs, le nombre relativement faible des travaux empiriques qui étudient l’entrepreneur
naissant et la réussite entrepreneuriale dans sa dimension dynamique (Moreau, 2008) peut
47
L'ANT considère un anti-programme comme une entité humaine ou non-humaine susceptible de perturber le
projet mais qui peut aussi s'avérer indifférente ou positive si le projet parvient à modifier son opposition en
ralliement.
97
justifier, à notre sens, l’approche longitudinale (Pettigrew, 1992) privilégiée dans cette
recherche. En effet, afin d’accroitre nos connaissances relatives aux dynamiques du système
entrepreneurial nous avons opté, à l’instar de La Ville (de) (2001) et comme le suggère Jack
(2010) pour l’étude d’un cas unique (Eisenhardt, 1989 ; Eisenhardt & Graebner, 2007). Ce
dernier pourrait être un exemple puissant (Siggelkow, 2007), riche en informations grâce à
l’immersion du chercheur dans la réalité du phénomène étudié.
En substance, nous avons suivi pendant deux ans, le processus de construction du réseau
d’actants d’un projet de création d’entreprise innovante dans le domaine de la
nanotechnologie de l’espace : SuperNova. Ce projet est incubé au sein de ‘Créalys’, un
incubateur public de la région Rhône Alpes. Le projet a été identifié et retenu le 15/01/2008,
lors d'une réunion avec l'ensemble des chargés d'affaires de l'incubateur. Les critères que nous
avons retenus pour choisir ce projet sont les suivants :
Il s’agit d’un premier projet de création d’entreprise pour l’entrepreneur
La date de la création de l'entreprise est prévue au plus tard le 01/avril/2009 ;
L'acteur principal dans le processus est le porteur du projet, l'incubateur ne joue
qu'un rôle secondaire ;
L'existence d'un leader dans le cas d'une création par une petite équipe
entrepreneuriale ;
La signature de la convention d'incubation ou à défaut le passage des deux comités
d'engagement et de sélection avec succès (signature prévue très prochainement).
Dans le cadre de cette recherche, nous avons opté pour une triangulation dans la collecte des
données (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1989) à partir des observations participantes (Journé, 2005)
(depuis mars 2008), des analyses documentaires complémentaires et des entretiens semidirectifs. Ces derniers ont été menés avec des intervalles de temps de quatre mois. La
périodicité de ces rencontres a été définie avec le porteur du projet en prenant en
considération nos attentes, nos objectifs, les disponibilités du créateur et le rythme estimé
d’avancement de ses activités.
Le premier entretien s’est déroulé le 14 mars 2008 au sein de l’incubateur. Les autres
rencontres ont eu lieu les 06 octobre 2008, 19 janvier 2009, 15 mai 2009, 28 septembre 2009
dans les locaux du laboratoire de recherche de l’entrepreneur à l’INSA de Lyon. La dernière
entrevue a été réalisée le 31 janvier 2010 dans les locaux de la nouvelle entreprise. Cette
entreprise, créée le 05 octobre 2009, s’est installée dans une pépinière de la région lyonnaise,
réservée aux activités technologiques.
Au total huit entretiens semi-directifs ont été réalisés. Les deux premiers, auprès du chargé
d’affaires qui accompagne l’entrepreneur, ont permis de nous initier au domaine de
compétences de l’entrepreneur (sciences de l’ingénieur). Les six interviews réalisées avec
l’entrepreneur, ont été riches en informations à propos de l’historique du projet et de son
évolution. Un accent particulier a été mis sur la construction de son réseau. Dans ce cadre, il
convient de souligner qu’une convention de confidentialité a été signée avec une obligation de
faire relire les retranscriptions des entretiens enregistrés, par l’entrepreneur. Cette démarche
peut être justifiée par l’objectif de protéger son innovation.
A côté des entretiens, nous avons choisi de participer à des réunions et des visites des
laboratoires de recherches, afin de saisir une logique de situation des différents contextes au
sein desquels émerge le projet. En effet, nous avons participé à certains comités de suivi du
projet chez l'incubateur, où l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le processus
98
d'incubation étaient présents. Nous en citons les principaux : INPI, Lyon Sciences Transfert,
Cellule de transfert au sein de l’université, La Chambre de Commerce de Lyon, INSA Valor,
chargé d'affaires, CNRS, etc.
En outre, nous nous sommes déplacés sur les lieux de développement techniques du projet.
Ainsi nous avons assisté à des expérimentations des prototypes tout en réalisant des
simulations avec les technologies développées.
Parallèlement, nous avons pris contact avec d'autres acteurs qui font partie du réseau de
l'entrepreneur. Notre présence au sein du laboratoire de recherche, nous a offert la possibilité
d'observer et de manipuler des artefacts physiques, d'examiner les différentes versions des
prototypes, de visualiser des enregistrements de toutes les expérimentations, d'analyser avec
le porteur du projet des dessins et des plans etc. Ces artefacts ont fait l'objet d'une analyse
continue dans le temps (figure. 1).
Des informations complémentaires, notamment des vidéos, des images, des plans d’affaires et
des dossiers de candidatures au concours national Oseo, ont été échangées par courriers
électroniques. Les données collectées ont fait l’objet des conversations téléphoniques soit
pour contrôler leur véracité, soit pour suivre l’état d’avancement de certains éléments liés au
projet tels que les rencontres avec des acteurs clés du réseau, les résultats des concours ou des
tests de faisabilité des prototypes. Ces échanges ont été réalisés d’une manière continue dans
le temps, soit à l’initiative du chercheur, soit à celle de l’entrepreneur.
Figure 1. Exemple d’artefacts étudiés : Le déployeur ‘Flymat’
Par ailleurs, trois entretiens de groupe ont été réalisés. Le premier avec les principaux acteurs
du réseau de l’entrepreneur. Il a eu lieu au sein de l’incubateur en présence du porteur du
projet et de son chargé d’affaires. Le second avec l’entrepreneur et ces deux associés et le
dernier avec les mêmes personnes en plus de la présence d’une quatrième personne chargée
du développement informatique du projet. Ces entretiens de groupe nous ont permis d’avoir
des regards et des avis externes sur le projet et son porteur.
Toutes les informations collectées ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu guidée
par la méthodologie de l’ANT (Bardin, 2001). En utilisant le logiciel Nvivo8, une grille
99
d’analyse a été élaborée selon le processus de codage suivant : A partir du cadre théorique
mobilisé et de la démarche de l’ANT, 19 nœuds libres ont été identifiés en ignorant tout lien
qui pouvait exister entre eux. Suite à cette pré-structuration, nous avons fait appel à une tierce
personne indépendante qui a une formation en stratégie des entreprises innovantes et qui n’a
aucune connaissance du cas étudié. Un double codage de l’ensemble des entretiens a été
effectué sans concertation afin d’éviter toute influence sur la procédure de codage. Au terme
de cette opération, la fiabilité du codage a été jugée très bonne avec un indice de Kappa de
Cohen obtenu, estimé à 95% et avec un taux d’accord au niveau du nombre des codes qui
s’est élevé à 97% 48.
Avant d’exposer les résultats de cette recherche, il convient de souligner que ce choix
méthodologique est à la fois risqué et original. D’une part, il est risqué dans la mesure où
nous ne disposions d’aucune garantie quant à l’aboutissement de ce projet. D’autre part, son
originalité est liée à l’alliance qui existait entre le chercheur et le cas étudié. Cette dernière
pouvait tourner en « trahison » (Callon, 1986) en cas d’échec. Le tableau suivant résume les
principaux éléments de l’approche méthodologique suivie dans le cadre de ce travail.
Tableau 1 : Synthèse de la démarche méthodologique suivie
Méthodologie de la recherche
Approche suivie
Longitudinale & exploratoire (intervalle de quatre mois en moyenne entre les entrevues)
Contexte de la
recherche
Le projet SuperNova : un projet de création d’entreprise innovante dans le domaine de la
nanotechnologie de l’espace issu de la valorisation de recherche de l’entrepreneur
étudiant. Le projet est incubé dans un incubateur public de la région Rhône Alpes Créalys.
Collecte des
données
2 Entretiens auprès
du chargé d’affaires
accompagnateur de
l’entrepreneur
6 entretiens auprès
de l’entrepreneur
Date
15/01/2008 et
18/02/2008
14/03/08 – 06/10/08
19/01/09- 15/05/09
28/09/09 – 31/01/10
Durée
Nature de
l’information
collectée
3h
Initiation au domaine
de compétences de
l’entrepreneur
(sciences de
l’ingénieur).
Première
présentation du
couple individuprojet.
Analyse des
informations
48
Observation
participante
(depuis mars
2008)
Des documents
complémentaires
Visite au
laboratoire de
recherche.
Plan d’affaires
18h
Historique du projet
Evolution du projet
Construction du
réseau
Controverses
Participation à des
réunions
d’évaluation au
sein de
l’incubateur.
Dossier de
candidature au
concours Oseo
Des videos
d’expérimentation
Différentes versions
des prototypes.
Analyse thématique de contenu basée sur le logiciel Nvivo8
19 nœuds libres identifiés au préalable
Un double codage fiable à 95% selon l’indice de Kappa de Cohen
254 codes obtenus au total
Pour plus d’informations sur les guides d’entretien et le codage des entretiens voir annexe 1.
100
3.2 La traduction du projet ‘Supernova’
L’analyse de contenu que nous avons effectuée nous a permis de disposer d’une masse de
données bien structurée ainsi que d’une grande richesse informative que nous avons mobilisée
pour la description du projet. Cette description a été élaborée en suivant la démarche de la
chaine de la traduction telle que préconisée par la théorie (Akrich, Callon & Latour, 1988 et
2006). Elle reprend l’historique du projet, son évolution en fonction du temps, la dynamique
de construction du réseau d’actants et l’état actuel de la situation entrepreneuriale. La figure 1,
ci-après reprend les différentes phases de développement du réseau 49.
Le tableau 2 qui suit permet de situer dans le temps ces différentes phases dans le processus
de construction du réseau de l’entrepreneur et de fournir des informations sur leur durée.
Tableau 2 : Synthèse des différentes phases de la construction du réseau entrepreneurial
Phase
1
2
3
4
5
6
7
8
Nombre
d’acteurs :
1
2
3
7
17
17
23
44
Humains
1
2
3
7
17
17
21
37
Non
Humains
0
0
0
0
0
0
2
7
Date
L’intention
de travailler
dans le
domaine de
l’espace est
née à l’âge
de 18 ans.
30/06/07
14/03/08
06/10/08
19/01/09
15/05/09
28/09/09
31/01/10
Durée
5 ans
12 mois
environ
2à3
mois
4 mois
4 mois
4 mois
4 mois
Fin de
suivi de
l’évoluti
on du
réseau
Dans ce qui suit, nous détaillerons les principales caractéristiques de cette dynamique.
3.2.1. Vers une problématisation de la situation entrepreneuriale initiale
SB (A) est un jeune entrepreneur de 23 ans, élève ingénieur de l’INSA de Lyon, en fin
d’études dans la filière génie mécanique. Il a eu l’idée de créer une entreprise en valorisant les
résultats de ses recherches universitaires (phase 1), dont l’objet est de proposer à des
entreprises un service de validation des composants électroniques d’un vol spatial simulé dans
les conditions extrêmes de l’espace. Ce service de validation pourrait être réalisé grâce à la
vente de deux produits développés par le porteur de projet : un ‘déployeur’ et un nano49
Les actants qui forment le réseau sont identifiés par des lettres. Par exemple : (A) est le porteur du projet, (B),
son premier associé, etc. L’ordre de ralliement au réseau est respecté en suivant l’ordre alphabétique.
101
satellite qui seraient intégrés dans une fusée et proposés à la clientèle. Cependant, la
réalisation de cette idée nécessite la présence d’un certain nombre d’acteurs, qui ont été
identifiés par ce jeune porteur de projet: un associé en informatique, un associé en
électronique, un incubateur, un laboratoire de recherche, un tourneur fraiseur, le Centre
National des Etudes Spatiales (CNES) une structure de valorisation (INSAVALOR) et un
lanceur de fusée, etc.
102
Figure 1. Evolution de la construction du réseau au cours du temps
Phase 1
Phase 2
Phase 3
Phase 4
A
A
F
B
B
A
E
B
A
D
C
C
Phase 5
Phase 6
N
P
A
D
G
C
H
R
H
Q
R
B
U
D
I
Q
S
G
X
H
103
F
J
I
C
G
V
A
A
I
Z
P
T
E
B
D
O
F
J
B
AA
Y
F
E
J
T
P
O
E
O
M
Phase 7
R
Q
C
W
Figure 1. Evolution de la construction du réseau au cours du temps (Suite)
Phase 8
A
A
AE
Y
A
O
AA
P
K
A
A
A
Z
A
T
A
A
V
A
A
F
A
A
A
B
B
A
D
U
A
A
E
G
A
A
B
A
A
A
I
J
104
L
S
W
H
X
Q
A
A
C
Q
AZ
Mais la plupart de ces entités ont refusé de coopérer avec le créateur d’entreprise en raison de
plusieurs problèmes qui sont liés soit au projet, soit au porteur lui-même (phase 3). Parmi ces
difficultés, nous pouvons citer : les problèmes techniques des nano-satellites qui ne sont pas
encore prêts à être commercialisés, l’ambition du projet qui est trop importante pour un jeune
entrepreneur naissant de 23 ans, la perception que le domaine de l’espace reste l’affaire des
grandes entreprises, la politique du pays qui n’est pas favorable, l’inexpérience de l’étudiant
qui accentue l’incertitude quant à la réussite du projet, le manque de ressources financières et
matérielles, l’inégalité de pouvoir entre le jeune créateur et les grandes institutions, les
problèmes d’exportation des produits à double usage, l’absence de statut juridique pour le
créateur d’entreprise, etc.
(E1) Le domaine de l’espace est perçu par les gens comme inatteignable… Quand il y a
quelqu'un comme nous qui veut se lancer dans le domaine avec les compétences et les
moyens qu'on dispose, on est pris de haut et pas très au sérieux. Dans notre société, le
domaine de l'espace est souvent vu comme un secteur réservé aux grandes entreprises
(NASA, ESA, EADS, etc.) … et, c'est ce préjugé qui nous pose un vrai problème
aujourd'hui par rapport à nos interlocuteurs incontournables. Ces barrières nous
obligent à dépenser énormément de temps et d'énergie pour convaincre les gens que ce
qu'on fait est basé sur des vraies opportunités technologiques et d’affaires… ...Après, il
y a tous les problèmes des jeunes qui veulent se lancer dans une activité ambitieuse, qui
n'ont pas d'expérience et de légitimité …
(E2) Une autre raison qui pourrait nous être reprochée, c'est le risque élevé dans notre
activité dû à l'incertitude de notre projet qui démarre dans un domaine encore
inexploité. Les personnes que nous avons contactées nous disent : Mais on encourt un
risque énorme avec votre projet ! et encore, on va toucher à des domaines et à des
interlocuteurs qu'on n'a pas prévus initialement...
3.2.2. L’émergence du réseau entrepreneurial : entre intéressement, enrôlement et
mobilisation
L’intéressement des ‘actants’
Afin de faire face à toutes ces difficultés et pour pouvoir intéresser les personnes dont il a
besoin pour créer son entreprise, SB a modifié trois fois l’objet de son projet. Par exemple,
pour faire face aux problèmes techniques qui empêchent certains acteurs de s’associer au
projet, il est passé de l’activité de développement des nano-satellites à celle de développement
de pico-satellites (passage de la phase 4 à la phase 5).
(E3) Au début, nous avons prévu de travailler sur les femto satellites qui pèsent moins
de cent grammes. Ce qui me semblait être conceptuellement quelque chose de faisable et
d’innovant et que nous cherchons à développer. Mais à mon avis, cette offre doit
attendre encore au moins cinq ans, le marché n’est pas encore prêt pour la
commercialiser. En plus, au niveau de la maîtrise de la technologie, ça serait difficile
d'avoir une puissance très élevée dans un produit aussi petit. Par ailleurs, notre
innovation doit porter sur les pico satellites au début, c'est-à-dire, on va essayer de
travailler notre système de plate-forme pour avoir plus d'espace disponible pour les
charges utiles de clients,...
Ensuite, pour intéresser des clients qui restent perturbés par la complexité de l’offre, le projet
est passé de la vente du satellite et du ‘déployeur’ à la proposition d’une offre plus globale de
certification spatiale, qui simplifie au maximum la procédure pour le client en limitant le
nombre d’interfaces client à une personne (passage de la phase 7 à la phase 8). Il a fait de
même pour les personnes qui trouvent que le projet est trop risqué avec un niveau
d’incertitude trop élevé. Pendant la phase 7, SB a réalisé avec l’aide de deux artisans en
105
métallurgie un prototype (AA) qui vole, qui résiste au choc et à la chaleur et qui fonctionne en
orbite. De la même façon, pour contourner l’absence d’un statut juridique qui lui permettrait
d’exporter, SB a créé, pendant la phase 8, une association (AE) avec deux autres personnes,
ce qui lui a permis d’avoir un numéro d’immatriculation d’entreprise. Enfin, pour intéresser
les lanceurs de fusées qui refusaient de collaborer au début du projet, il a fait jouer la
concurrence pendant la phase 6 en négociant avec trois stations internationales de lancement
simultanément. Cette stratégie de négociation a porté ses fruits et s’est conclue par la
signature d’un accord de partenariat avec une station spatiale indienne (V). Ce partenariat a
permis entre autres au créateur d’entreprise de décrocher l’une de ses premières commandes
avec un centre de recherche indien, l’actant (Z). Cette stratégie de négociation a permis
également d’intéresser d’autres acteurs nationaux et européens, parmi lesquels figure le
ministère de la recherche (AJ), le ministère de la défense (AK), le conseil de la région Rhône
Alpes (W), le réseau EBN 50 (AL), etc. L’incubateur (D) a joué ici un rôle de catalyseur dans
le rapprochement et la construction des liens avec ces institutions.
L’enrôlement et la mobilisation des ‘actants’
Après avoir identifié un nombre élevé d’acteurs et réussi à les intéresser, SB est parvenu à en
enrôler un nombre relativement important. En effet, les entités qui ont été intéressées par le
projet et qui ont accepté d’y contribuer sont passées de 2 acteurs, (A) et (B) dans la phase 2, à
environ 50 au moment du lancement de l’activité, 18 mois plus tard, dont un nouvel associé
(U). Sur la trajectoire de développement du projet, nous constatons un déplacement dans le
rythme et l’intensité de ralliement de nouveaux actants (Voir le passage de la phase 7 à la
phase 8). Ceci est dû à la preuve de faisabilité technique du projet suite à la réussite dans
l’épreuve du test en vol du prototype de ‘déployeur’(AA). Cet intéressement « réussi » a été
obtenu grâce à de nombreux arrangements, négociations, ajustements et adaptations. Par
exemple, entre les phases 7 et 8, SB a réussi à négocier avec des enseignants pour la mise à
disposition d’une classe entière d’étudiants en fin d’études du cycle ingénieur. L’objectif était
de travailler sur le développement des différentes composantes du satellite en gardant une
certaine avance technologique sur le marché. Il a pu mobiliser trois groupes composé de trois
étudiants, chacun pour l’étude et la mise en œuvre de différents aspects du projet.
(E4) Plusieurs projets de fin d’études travaillent et sur le prototype et sur les satellites.
Nous avons embauché quatre stagiaires que nous ne payons pas, c’est un arrangement
que nous avons fait avec les enseignants. Nous ne les payons pas mais ils nous aident.
Pourquoi ? Parce que le sujet est passionnant et les professeurs s’intéressent à ce genre
de projets qui motivent les étudiants. Ce sont des étudiants en fin de cycle ingénieur
général … quatre travaillent sur le plan d’affaires et sur notre futur troisième produit,
ème
les stations en sol. Puis, nous aurons un 9 stagiaire qui vient se joindre à nous sur
ème
l’intelligence artificielle que nous allons intégrer dans le satellite et enfin il y a un 10
stagiaire qui est en IUT, qui travaille sur le déployeur avec moi… Aussi, il y a un
groupe d’étudiants, c’est une classe entière qui travaille sur la faisabilité d’un
déployeur de nano-satellites. Cette étude est comme un sondage pour anticiper le
marché des nano-satellites qui s’ouvrira un jour. Comme ça nous aurons une avance
sur le marché qui répondra à la demande future. Ces stagiaires sont suivis par trois
professeurs et nous mêmes.
Ces acteurs universitaires ont contribué au développement technique du projet. Ils ont réussi,
sous la direction de l’entrepreneur, à mettre en œuvre un prototype fonctionnel avec une
garantie de répétabilité des résultats. Ce qui a permis à l’entrepreneur d’obtenir un brevet sur
50
EBN : European Business Network
106
le déployeur et gagner conséquemment en légitimé et crédibilité vis-à-vis des principaux
acteurs institutionnels.
(E5) Ce qu'il y a en fait et ce que nous avons remarqué ces deux derniers mois, quand
nous avons sorti le 'déployeur', qui fonctionne déjà et qui est dans un stade très avancé
avec un brevet déposé, les gens nous voient différemment. Donc nous voyons un
changement d'attitude à tous les niveaux. C'est surprenant ! Il n'y a pas de changement
au niveau du projet, mais juste une petite vidéo qui montre un mécanisme qui marche,
ils te regardent différemment ! !.
Par ailleurs, le rôle des acteurs techniques était central dans ces dynamiques d’intéressement
et d’enrôlement. En effet, à côté du brevet et du prototype, l’entrepreneur a mobilisé d’autres
objets techniques pour convaincre ces acteurs de la faisabilité et la validité du projet. A titre
d’exemple, l’entrepreneur a mis en œuvre un démonstrateur technologique sous la forme
d’une vidéo qui a joué le rôle de porte-parole vis-à-vis de l’Agence Spatiale Européenne.
Cette démarche a réussi à intéresser un responsable au sein de cette agence qui s’est impliqué
dans le projet par son expertise et par la mobilisation de son réseau professionnel 51.
(E6)… En outre, nous avons développé une vidéo démo qui sert comme démonstrateur
technologique pour intéresser l'agence spatiale européenne et la faire adhérer au projet
sous forme d'un partenariat de lancement des produits développés par 'SuperNova'.
Cette vidéo a été réalisée suite à la demande d'un responsable au sein de cette agence
afin de donner plus de poids et de crédibilité aux jeunes ingénieurs en quête de
légitimité et augmenter leur chance pour être sélectionnés par cette institution…
Cette expérience illustre le rôle d’intermédiation que peut jouer l’artefact technique quand il
s'érige en un porte-parole du couple individu-projet et de l'ensemble du collectif d'acteurs qui
s'est mobilisé pour le construire. Il joue, en outre, un double rôle de représentation, en amont
et en aval dans le processus de sa mobilisation. En amont, quand il reflète, d'une part, les
intentions, les aspirations, les habitudes, les interactions, les compromis et les objectifs de
l'entrepreneur, et d'autre part, les moyens, les compétences et les ressources enrôlées pour
réaliser le projet entrepreneurial. En ce sens, il indique, à l'acteur que l'entrepreneur veut
l'intéresser, quelque chose sur le couple-individu projet et sur les conditions sociotechniques
de sa (non) réalisation. En aval, quand il se charge de faire une projection sur l'avenir du
processus entrepreneurial, parce que l'artefact technique est généralement un objet éphémère,
une ébauche ou une promesse d'un avenir souhaité. Ici la vidéo envoyée transmet au lecteur
les capacités sociotechniques de l'entrepreneur, le script de déploiement souhaité et l'état et la
vitesse d'avancement du projet.
En assumant ce rôle de représentation, l'artefact technique devient ainsi un vecteur
d'information et de communication qui va réduire le décalage de représentations perçues et
l'asymétrie d'information qui pourraient exister entre l'entrepreneur et ses interlocuteurs. De
même, grâce à cet artefact technique, la légitimité de l'entrepreneur va augmenter en
visualisant ces vidéos, ces textes, ces rapports, ces études, ces tests, ces expérimentations, etc.
Cependant, l'artefact pourrait, suite à une mauvaise représentation involontaire et non
contrôlée, trahir l'entrepreneur.
Par ailleurs et afin d’améliorer le développement technique de son projet, l’entrepreneur
naissant a fait appel à deux artisans expérimentés « fraiseurs-tourneurs », (E) et (G), avec qui
il a réussi à négocier des prix très avantageux et des facilités de paiement. Afin d’assurer une
veille technologique, il a voyagé dans plusieurs pays pour participer à des conférences
51
Quand on a arrêté notre étude, un partenariat entre l’ESA et le porteur de projet était en cours de finalisation.
107
spécialisées. Il a aussi fait appel à la compétence d’un expert international dans les
technologies de l’espace (O).
(E7) L’expert allemand qui nous a donné des conseils d’ordre général sur le domaine,
le modèle économique, technique, politique, c’est un ingénieur qui travaille dans le
domaine depuis des années, il est spécialiste dans les mini satellites. Ce type de
satellites appartient à un marché voisinant le notre et qui utilise les mêmes techniques.
Même si cet expert est de plus en plus occupé. Il reste toujours avec nous pour nous
donner des conseils. A vrai dire aujourd’hui nous sommes passés à un stade où nous
n’avons plus vraiment besoin de lui… Mais au démarrage quand c’était plus de la
passion, nous ne savions pas trop ce que nous allons faire, c’est lui qui nous a encadré
et dirigé vers la forme actuelle du projet. Les entretiens téléphoniques que nous avons
eus avec lui, nous ont étaient d’une utilité inestimable.
Il faut signaler aussi que l’entrepreneur a réussi à exploiter certaines contingences
(Sarasvathy, 2001) qui l’ont conduit à établir de nouveaux liens avec des gens rencontrés par
hasard dans le cadre de ses activités entrepreneuriales. Ces contacts ont été intéressés par son
idée initiale et mobilisés dans le processus de construction de son projet. A titre illustratif, à
un moment donné du développement du projet, SB a été bloqué suite à un problème
thermique au niveau du ‘déployeur’. En discutant avec son associé de ce problème dans un
train, un passager attiré par le sujet s’est associé à la conversation et a apporté la solution au
problème thermique. En effet, cette personne (BA) est l’un des spécialistes français du
domaine avec qui SB garde toujours de bonnes relations et auquel il fait régulièrement appel
quand il a besoin de son expertise. Néanmoins, certaines actions d’intéressement n’ont pas
connu la même réussite. Par exemple, le créateur a échoué dans l’enrôlement d’un ingénieur
en électronique, spécialiste dans le domaine du spatial (AB), parce qu’il n’a pas réussi à le
désintéresser d’un autre projet concurrent, consistant à aller travailler chez EADS où le risque
perçu est beaucoup moins élevé.
3.3. La dynamique de construction du réseau entrepreneurial
A partir des développements précédents, nous pouvons constater que l’ingénieur SB a réussi à
cristalliser autour de son projet tout un réseau d’actants dont le noyau est constitué de trois
associés (A, B, et U). Une série de déplacements, d’ajustement et de négociations a été
entreprise dans ce cadre. Ce résultat confirme l’observation de Fayolle (2007) qui considère le
projet entrepreneurial comme un objet en conception évolutive. Afin de mieux comprendre la
dynamique de construction de ce réseau, il est possible de regrouper les huit phases du projet
Supernova en trois principales configurations, chacune caractérisée par des problèmes, des
registres et des acteurs différents. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur : les spécificités
du projet Supernova, les quatre caractéristiques de tout processus entrepreneurial innovant
(nominalité requise, équivocité, asymétrie d’information et incertitude) et la chaîne de la
traduction (voir figure 2 ci-dessous).
La première configuration concerne les quatre premières phases de la construction du réseau.
Ces dernières se caractérisent particulièrement par l’opposition d’adhésion de plusieurs
acteurs au projet Supernova, et ce parce qu’il est basé uniquement sur les résultats
108
Figure 2 : La lecture de la trajectoire entrepreneuriale du projet SuperNova au travers de l’ANT
2’ si I <
4
- Mécanismes :
Né i i
-Mécanismes : Preuve
technique, intermédiation,
2 si I >
Problématisation P1
Enrôlement (E)
- Asymétrie
d’information
-Professeur
5’ si I <
7
8’ si I <
- Mécanismes : Preuve
technique &
8 si I >
5 si I >
Problématisation P2
Enrôlement (E)
- P1
-Incubateur
- Incertitude technique
-Laboratoire
3’ si E< 0
-Expert
- Inégalité de pouvoir
-Registre 3= Registre 2
+ registre financier +
affaires
-Registre 2 = Registre 1 +
Support, + commercial
-Registre 1 :
Technologique,
universitaire, personnel
1
Intéressement (I)
Intéressement (I)
Intéressement (I)
- Manque de visibilité
Problématisation
P3
6’ si E< 0
- P2
Enrôlement (E)
-Oseo
-La Région
- Retard technique
-Business
- Statut étudiant
6 si
3 si
Mobilisation
Mobilisation
9 si
Mobilisation
Etc.
T
Configuration Réseau
2
Configuration
Réseau 1
109
Configuration
Réseau 3
9’
si
universitaires de SB. Ceci montre que les premiers types de problèmes rencontrés par le
créateur sont essentiellement liés au manque de légitimité. Ce qui rejoint l’argumentation de
Messeghem et Sammut (2007). En effet, le manque de légitimité a accentué le différentiel de
perception entre les acteurs, d’où l’asymétrie d’information. Selon Barry (1994), ce décalage
des perceptions, qui caractérise tout projet entrepreneurial innovant, peut conduire à une sousévaluation de l’opportunité détectée. En plus de ces problèmes, se sont ajoutés également
l’inégalité de pouvoir (entre lanceurs de fusées et SB par exemple) et la politique publique
peu favorable pour lancer ce type de projet. Afin de dépasser ces controverses, le créateur SB
a tenté d’intéresser plusieurs acteurs à son projet. Pour ce faire, trois registres sont
indispensables : la technologie, l’université, et les connaissances personnelles du créateur.
Pour le cas de Supernova, SB a modifié les caractéristiques techniques de son produit
(développement des pico satellite au lieu des nano satellite) pour attirer le plus de personnes
pouvant lui apporter une valeur ajoutée dans la réalisation de son projet. Il a négocié les prix
(avec les artisans par exemple) tout en profitant de sa présence dans les conférences
internationales afin de communiquer davantage sur son projet. Tous ces éléments permettent
de dépasser les préjugés stipulant que ce secteur est exclusivement réservé aux grandes
entreprises. Certains experts, professeurs et amis se sont finalement joints au projet. D’où
l’enrôlement et la mobilisation selon la chaîne de la traduction (Akrich, Callon & Latour,
2006). Malgré les efforts déployés par l’entrepreneur au cours de cette première étape,
certains acteurs, nécessaires au projet, continuaient à refuser toute collaboration. D’où la
deuxième configuration du RS.
Dans le cadre de la deuxième étape (phases 4 et 5), nous pouvons constater que la nature des
problèmes rencontrés par SB a changé, ce qui a nécessité l’utilisation de nouveaux arguments
pour convaincre de nouveaux acteurs, et exploiter ainsi leurs ressources. En effet, en plus des
difficultés citées précédemment, l’incertitude et le manque de visibilité ont fortement
influencé le comportement des partenaires potentiels. En reprenant la réflexion de Bruyat
(1993), nous pouvons considérer que les facteurs liés au couple individu-projet sont la vraie
source d’incertitude comparée à l’environnement externe du projet. Plus particulièrement, il
s’agit des aspects techniques liés à la fabrication du prototype de l’offre. D’où l’importance
de la R&D dans ce type de projet (Low & Srivatsan, 1994). Dans ce cadre, les négociations
commerciales peuvent s’avérer indispensables pour convaincre. Des preuves techniques
peuvent être également utilisées pour conclure des partenariats (avec des laboratoires indiens
pour le cas de Supernova). Cet intéressement, basé sur plusieurs actants, peut conduire à la
mobilisation de nouveaux acteurs tels que les entreprises locales et les incubateurs. Ces
derniers peuvent jouer un rôle important dans le développement des services de validation des
composants électroniques d’un vol spatial. Leur mobilisation a permis au créateur de
Supernova de développer son réseau et surtout de profiter de certaines ressources financières
et des expertises dans le domaine.
Malgré l’évolution du réseau de l’ingénieur SB, nous avons constaté que quelques acteurs clés
manquaient encore au bon développement du projet. C’est le cas des business angels, des
scientifiques, etc. Selon la chaîne de la traduction, ces derniers n’ont pas pu être enrôlés
malgré la diversité des registres utilisés. D’où la formation à la troisième confioguration qui
regroupe les phases 7 et 8. Dans ce cadre, d’autres problèmes ont émergé. C’est le cas de la
complexité et du retard technique de l’offre, du manque des ressources financières et du statut
d’étudiant du créateur du projet Supernova. Tous ces facteurs ont rendu difficile la
commercialisation du service de validation. Ceci peut être interprété à la lumière de la
nominalité requise. En effet, il est possible de considérer que le projet innovant Supernova n’a
pas pu atteindre, en quelques mois, des performances minimales sur les caractéristiques de
110
l’offre (déployeur), ce qui a entraîné un retard au niveau de l’avantage concurrentiel (Hannan
& al, 1996). Dans ce type de situation, les registres précédemment cités dans les étapes
précédentes mériteraient d’être complétés par des aspects financiers. Des négociations et des
preuves techniques et économiques, comme des nouvelles versions de prototypes ou du plan
d’affaires, sont nécessaires pour intéresser de nouvelles personnes et les convaincre de
rejoindre le projet. Une fois qu’un rôle leur est attribué, elles alimenteront le réseau
moyennant une mobilisation ponctuelle. Au final, une nouvelle version du réseau
sociotechnique est développée.
Le tableau (3) de synthèse ci-dessous décrit les différentes phases d’évolutions du réseau
entrepreneurial, le nombre d’acteurs, les techniques de constrcution et d’activation des liens
sociaux, l’intenisté de ses liens et en fin les ressources que chaque configuration du réseau
permet de mobiliser et/ou d’en faciliter l’accès.
Discussion
A partir de ces interprétations, la création d’une entreprise innovante apparaît comme un
processus tourbillonnaire basé sur la mobilisation progressive et évolutive de plusieurs
acteurs. Ces derniers, en permettant à tout entrepreneur d’acquérir des ressources nécessaires
à son projet (Shane, 2003), constituent un véritable capital social et humain (Wright et al.
2007). Pour tout entrepreneur naissant, le véritable enjeu consiste à identifier les acteurs
nécessaires et les difficultés potentielles (la problématisation) en se basant sur les quatre
caractéristiques de tout projet innovant. L’objectif étant de définir les registres (Personnel :
famille-amis, Technologique : experts-techniciens-chercheurs, Financier : business angelinvestisseurs, Affaires : clients-fournisseurs et Support : Incubateur-Réseau Entreprendre)
adéquats pour intéresser, enrôler et mobiliser ces acteurs (Law, 1985). Certes l’importance des
registres n’est plus à démontrer mais l’ordre de leur utilisation peut être amené à changer en
fonction des caractéristiques du projet et de ses besoins en termes de ressources. Dans ce
cadre, une certaine redondance au niveau des liens peut être constatée (Burt, 1992) étant
donné que les composantes du projet ne coexistent pas à toutes les étapes. Néanmoins, le
réseau de l’entrepreneur naissant reste très riche en trous structuraux donnant accès à des
ressources de nature diverse au niveau régional (Lechner & Leyronas, 2007), comme au
niveau national, voire international.
En outre, en étudiant la trajectoire de l’émergence de cette nouvelle entreprise, nous avons
constaté une forte mobilisation des liens faibles (Granovetter, 1973), et une mobilisation quasi
nulle des liens forts. Ainsi, nous confirmons les résultats des travaux de Liao et Welsch
(2003), Julien et al. (2004) et Zhang et al. (2010), qui insistent sur l'importance des liens
faibles dans le processus entrepreneurial (Dubini & Aldrich 1991 ; Chell & Baines 2000). La
prépondérance des liens faibles, pendant la phase ante création du processus entrepreneurial,
peut être expliquée par l’absence de l’exigence d’une réciprocité entre les contacts, comme le
confirment Martinez & Aldrich (2011). Elle peut être due aussi à la nature innovante du projet
qui contraint l’entrepreneur à créer des liens ex-nihilo, ce qui n’est pas forcément le cas dans
un projet entrepreneurial peu innovant. D’autre part, cette question d’utilisation des liens
forts/faibles et leur importance peut varier en fonction du temps et des étapes dans le
processus entrepreneurial.
111
Tableau (3) : Synthèse de l’évolution du RS de l’entrepreneur naissant
Étapes
Registre d’acteurs
Bénéfices/Ressources Mobilisées
Natures
de lien
Techniques de construction/activation
de lien
Phase 1
Phase 2
Phase 3
Nombre
d’acteurs
1
2
3
Universitaire/Technologique (1)
Universitaire/Technologique (2)
Fort
Fort
Narration
Narration
Phase 4
6
Universitaire/Technologique (4)
Support (2)
Faible
Plan d’affaires
Présentation devant des comités de
sélection
Phase 5
16
Universitaire/Technologique (5)
Support (8)
Affaires (3)
Phase 6
15
Universitaire/Technologique (5)
Support (8)
Affaires (2)
Phase 7
23
Universitaire/Technologique (7)
Support (11)
Affaires (4)
Phase 8
52
Universitaire/Technologique
(12)
Support (12)
Affaires (20)
Financement (8)
Association
Conseil scientifique
Référence sur le marché
Accès aux ressources de l’Université
Conseil scientifique
Référence sur le marché
Networking
Conseil scientifique
Référence sur le marché
Networking
Moyens de production
Soutien moral et financier
Conseil scientifique
Référence sur le marché
Networking
Moyens de production
Soutien moral et financier
Conseil scientifique
Référence sur le marché
Networking
Moyens de production
Soutien moral et financier
Veille technologique
Crédibilité - Pouvoir
Réduction d’incertitude
Confiance en soi
Réduction d’asymétrie d’information
Ressources matériels et humaines
112
Faible
Faible
Faible
Participation à des manifestations
scientifiques spécialisées
Faible
Preuve de faisabilité
Mobilisation des démonstrations
technologiques
Réputation du projet
Néanmoins, et malgré la faiblesse des liens, nous avons remarqué l’existence d’une cohésion
assez forte (Martinez & Aldrich, 2011) et évolutive au sein du réseau entrepreneurial qui s’est
« stabilisé », après avoir suivi une série de configurations, sous la forme d’un réseau
irréversibilisé (Callon, 1992) supportant le projet entrepreneurial.
Par ailleurs, la théorie de l’acteur réseau nous a permis une lecture dynamique différente et
complémentaire à celles des théories du capital social appliquées au domaine de
l’entrepreneuriat. En effet, en suivant les différentes phases du processus de construction de
réseau, nous confirmons les propos de Lechner et Dowling (2003), qui pensent que le réseau
social passe par plusieurs tailles en fonction des phases dans le processus et que ses tailles
reflètent le niveau de la performance entrepreneuriale (Lechner & Leyronas, 2007). Une
performance qui dépend de la capacité dynamique de l’entrepreneur (Zahra et al., 2006) à
fédérer (intéresser, enrôler, mobiliser) autour de lui un collectif d’acteurs, détenteurs de
ressources indispensables à la survie-développement de son projet.
En outre, la construction du réseau entrepreneurial se réalise aussi dans le cadre d’un jeu de
pouvoir entre l’entrepreneur et les acteurs clés (notamment les acteurs institutionnels :
l’Université, La cellule de valorisation, Le centre national des études spaciales, etc.) qui
donneront accès à des ressources stratégiques pour le projet. Comme le confirment Lopolito et
al. (2011), ce jeu de pouvoir a pour objectif principal l’occupation d’une place centrale dans le
réseau afin de tirer un maximum de profit de la situation entrepreneuriale.
En plus, l’émergence de la nouvelle entreprise, se fait sur un fond de controverses (Callon,
1986) alimentées par un niveau d’incertitude élevé et un manque de légitimité important
(Elfring & Hulsink, 2003). Ce qui explique le mode de réflexion ‘éffectual’ (Sarsvathy, 2001)
adopté par l’entrepreneur. Ici, nous corroborons les résultats de (Chandler et al., 2011), qui
affirment l’existence d’une association positive entre l’incertitude et l’expérimentation dans
l’approche effectuale. En effet, à défaut de prédire le futur qui par définition est imprévisible,
notamment dans un contexte d’innovation, l’entrepreneur modifie et ajuste ses objectifs (Due
et al. 2009). En adoptant cette approche, l’entrepreneur « Effectuator » (Chandler et al., 2011)
conçoit le futur comme le résultat d’une co-création par un réseau d’acteurs « Stitched
together » (Dew et al., 2009). D’où la proximité avec l’approche de la théorie de l’acteurréseau qui conçoit l’innovation comme le résultat d’un processus tourbillonnaire, coconstruite par un réseau irréversibilisé d’acteurs. Cependant, cette logique effectuale est
modérée dans le processus de création d’entreprise par ce que les chercheurs du centre de
sociologie de l’innovation appellent le script futur souhaité (Martin, 2003). Il s’agit d’un
scénario que l’entrepreneur devrait réaliser en l’ajustant, chemin faisant, en fonction des
ressources qui sont à sa disposition et qui sont mobilisées grâce à son réseau. Ce script futur
souhaité, exige de la part de l’entrepreneur un rendement minimal qui garantirait la poursuite
du processus entrepreneurial (Bruyat, 1993).
En outre, nos résultats montrent aussi l’importance de la notion de la preuve dans le processus
de formation du RS de l’entrepreneur et dans la démarche entrepreneuriale d’une manière
générale (voir les extraits P.21). En effet, le doute sur la capacité de l’entrepreneur à
concrétiser son idée n’est levé (ou diminué) qu’une fois le porteur de projet a démontré la
faisabilité technique et/ou commerciale de la future entreprise. Cette preuve (ou vérité) vient
clôturer les controverses autour du couple individu-projet pour laisser la place à la confiance
et à la légitimité. Cette preuve vient alors soit débloquer une situation pour faciliter la création
d’un nouveau lien, soit renforcer l’intensité d’un lien existant.
Enfin, nous avons observé que l’entrepreneur naissant a construit et mobilisé des compétences
interactionnelles lui permettant de développer et de combiner les différents types
113
d’interactions, techniques et sociales (La Ville (de), 2001). Ces compétences ont contribué à
la construction, la mobilisation et l’exploitation d’un capital social. Ainsi nous renforçons par
notre travail les résultats obtenus par Baron et Markman (2003), qui témoignent de l'existence
d'une relation significative entre la performance entrepreneuriale (financière) et le niveau des
compétences sociales.
Conclusion
Tous ces aspects, illustrés par le schéma ci-dessus (fig. 2), montrent l’utilité d’un cadre
théorique original, tel que celui de la théorie de l’acteur réseau, dans la compréhension de la
dynamique de formation d’un réseau d’acteurs qui apportent des ressources nécessaires à la
survie/développement de tout projet entrepreneurial innovant. Généralement utilisée pour
étudier des projets d’innovation dans des organisations, elle constitue dans ce travail, focalisé
sur la phase ante création du processus entrepreneurial, un cadre conceptuel novateur. La
mobilisation de la théorie de l’acteur-réseau nous a permis d’étudier le RS de l’entrepreneur
naissant différemment. Elle nous a renseignés principalement sur les dynamiques de la
formation des liens, sur les problèmes rencontrés, les registres mobilisés et les ressources dont
ils facilitent l’accès. Cette recherche a mis en avant aussi l’importance du rôle des
compétences sociales de l’entrepreneur et de la preuve dans la démarche entrepreneuriale.
Sur le plan méthodologique, Cette recherche fait partie des rares travaux à s’être intéressés à
l’étude de la dynamique de construction du réseau social de l’entrepreneur naissant, d’une
manière longitudinale et en temps réel. Elle propose un protocole méthodologique qui associe
les composantes de la chaîne de la traduction (problématisation, intéressement, enrôlement et
mobilisation) aux spécificités de la création d’entreprise innovante, en particulier pendant la
phase ante création. Par cette étude qualitative, nous confirmons aussi la pertinence de l’étude
d’un cas unique comme le suggèrent Eisenhardt et Graebner, (2007), et notamment pour
étudier la dynamique de construction du réseau de l’entrepreneur (Jack, 2010).
Sur le plan managérial, la conception proposée pourrait aider l’entrepreneur naissant à mieux
conduire son processus de création en optimisant la construction de son réseau. Pour les
incubateurs, ce travail pourrait améliorer l’efficacité et l’efficience de leurs modes
d’accompagnement. En ce sens, les responsables et les chargés d’affaires doivent promouvoir
et diversifier les activités de réseautage. Malgré ces apports, il convient de souligner
l’incapacité de généraliser les résultats obtenus à partir d’un cas unique. Un travail
complémentaire, que nous avons engagé sur d’autres projets de création d’entreprise
innovante, devrait nous permettre d’élaborer plus d’implications. A côté de cette perspective
de recherche, nous avons identifié trois nouvelles pistes intéressantes. La première concerne
l’étude du rôle de l’artefact technique dans la dynamique de construction du réseau. La
deuxième pourrait porter sur les compétences sociales de l’entrepreneur. Enfin, l’étude de
l’évolution de l’intensité des liens entre les acteurs au cours de la construction du réseau
pourrait également s’avérer prometteuse en s’appuyant sur les travaux de Granovetter (1973).
114
Bibliographie
- ACS Z., AUDRETSCH D. (2003), Handbook of Entrepreneurship Research: An
Interdisciplinary Survey and Introduction, Boston: Kluwer Academic Publishers.
- AKRICH M., CALLON M., LATOUR B. (1988), «A quoi tient le succès des innovations ?
Premier épisode : l’art de l’intéressement », Gérer et comprendre, n°11, p. 15-29.
- BARRY C. (1994), « New Directions in Research on Venture Capital Finance », Financial
Management, n°23 (3), p. 3-15.
- BERNASCONI M., DI BIAGGIO L., FERRARY M. (2006), “High-Tech clusters: network
richness in Sophia Antipolis and Silicon Valley”, in Bernasconi M., Monsted M., HighTech Entrepreneurship, Managing innovation variety and uncertainty, Routledge, LondonNew York.
- BOLTANSKI L., THEVENOT L. (1987), Les économies de la Grandeur, Presses
Universitaires, Paris.
- BOURDIEU P. (1980), « Le capital social: notes provisoires », Acte de recherches en
sciences sociales, n°31, p. 2-3.
- BRUYAT C. (1993), Création d’entreprise : contributions épistémologiques et
modélisation, Thèse pour le Doctorat de Sciences de Gestion, Grenoble.
- BRUYAT C., JULIEN P.A. (2001), “Defining the field of research in entrepreneurship”,
Journal of Business Venturing, n°16(2), p. 165-180.
- BURT R.S. (1992), Structural Holes, Harvard University Press, Cambridge (Mass.).
- CALLON M. (1992), « Variété et irréversibilité dans les réseaux de conception et d'adoption
des techniques », in FORAY D., FREEMAN C. (ed.), La technologie et la richesse des
nations, (p. 275-324), Paris, Economica.
- CALLON M. (1986), Éléments pour une sociologie de la traduction, L’Année sociologique,
n°36, p. 169-210.
- CALLON M., LATOUR B. (1991), La science telle qu'elle se fait, Paris, La Découverte.
- CHABAUD D., GONARD T. (2008), “How incubators support the creation of new
ventures? The case of a French academic incubator”, CREM conference: Entrepreneurship,
Culture, Finance and Economic Development, Université de Caen (19-20 juin 2008).
- CHANDLER G., DETIENNE D., MCKELVIE A., MUMFORD T. (2011), “Causation and
Effectuation Processes: A Validation Study”, Journal of Business Venturing, n°26(3), p.
375-390.
- CHELL E., BAINES S. (2000), “Networking, entrepreneurship and micro-business
behavior”, Entrepreneurship and Regional Development, n° 12 (3), p.195–215.
- CHRISMAN J.J., BAUERSCHMIDT A., HOFER C.W. (1998), “The Determinants of New
Venture Performance: An Extended Model” Entrepreneurship Theory and Practice, n° 23
(1), p. 5-30.
- COOPER A. (2002), “Networks, alliances and entrepreneurship”, In: Hitt, M.A., Ireland,
R.D., Camp S. M. & Sexton D.L. (dir.), Blackwell Publishing.
- DAVIDSSON P., B HONIG. (2003), “The role of human and social capital among nascent
entrepreneurs”, Journal of Business Venturing, n°18(3), P. 301_331.
- DELMAR F., SHANE S. (2002), “What firm founders do: a longitudinal study of the startup
process?”, In Frontiers of Entrepreneurship Research, ed. Bygrave W. D., Brush C. G.,
Davidsson P., Fiet J., Greene P. G., Harrison R. T., Lerner M., Meyer G. D., Sohl J. ,
Zacharakis A., (pp. 632-645), Wellesley: Babson College.
- DEW N., READ S., SARASVATHY S.D., WILTBANK R. (2009), “Effectual versus
predictive logics in entrepreneurial decision-making: differences between experts and
Novices”, Journal of Business Venturing, n°24 (4), p. 287–309.
115
- DUBINI P., ALDRICH H. (1991), “Personal and extended networks are central to the
entrepreneurial process”, Journal of Business Venturing, n°6, p. 305–313.
- DURET M., LATOUR B., MALLARD A. (1997), Comment introduire la procédure qualité
dans le suivi des projets d'innovation pour le transport ?, Rapport final, financement
DRAST n° 96 MT 39.
- EISENHARDT K. (1989), “Building theories from case study research” Academy of
Management Review, n° 14(4), p. 532_550.
- EISENHARDT K., SCHOONHOVEN K. (1995), “Failure of entrepreneurial firms:
ecological, upper echelons and strategic explanations in the US semi-conductor industry”,
Working paper, Stanford University.
- EISENHARDT K., GRAEBNER M.E. (2007), “Theory building from cases: opportunities
and challenges”, Academy of Management Journal, n° 50(1), p. 28-32.
- ELFRING T., HULSINK W. (2003), “Networks in entrepreneurship: The case of hightechnology firms”, Small Business Economics, n° 21 (4), p.409-422.
- FAYOLLE A. (2007), Entrepreneurship and new value creation: the dynamic of the
entrepreneurial process, Cambridge university press.
- GARTNER W.B. (1985), “A framework for Describing the Phenomenon of New Venture
Creation”, Academy of Management Review, n°10(4), p. 696-706.
- GELDEREN M.V., THURIK R., BOSMA N. (2006), “Success and risk factors in the prestartup phase”, Small Business Economics, n° 26, p. 319-335.
- GIDDENS A. (1984), The constitution of society,Cambridge, poly Press, (traduction
française, PUF, Paris, 1987.
- GOMPERS P. (1995), “Optimal Investment, Monitoring, and the Staging of Venture
Capital”, The Journal of Finance, n° 50(5), p. 1461-1489.
- GRANOVETTER M. (1973), “The strength of weak ties”, American Journal of sociology,
n°78(6), p.1360-1380.
- HANNAN M., BURTON D., BARON D. (1996), “Inertia and change in the early years:
employment relations in young, high technology firms”, Industrial and Corporate Change,
n°5(2), p. 503-536.
- HERAUD J.A., LEVY R. (2005), “University-industry relationships and regional innovation
systems”, in P. Llerena, M. Matt (eds): Innovation policy in a knowledge-based economy, (p.
193-219) Springer, Berlin-Heidelberg.
- HITE J.M. (2005), “Evolutionary processes and paths of relationally embedded network ties
in emerging entrepreneurial firms”, Entrepreneurship Theory and Practice. n°30(1), p. 113144.
- HOANG H., ANTONCIC B. (2003), “Network-based Research in Entrepreneurship. A
Critical Review”, Journal of Business Venturing, n° 18 (2), p. 165-187.
- JACK S., ANDERSON A. (2002), “The effects of embeddedness on the entrepreneurial
process”, Journal of Business Venturing, n°17, p. 467-487.
- JACK S. (2010), “Approaches to studying networks: implications and outcomes”, Journal of
Business Venturing, n°25(1), p. 120-137.
- JOURNE B., « Etudier le management de l’imprévu : méthode dynamique d’observation in
situ », Finance, Contrôle, Stratégie, (2005), vol. 8, n° 4, p. 63-91.
- JULIEN P., ANDRIAMBELOSON E., RAMANGALAHY C. (2004), “Networks, weak
signals and technological innovations among SMEs in the land-based transportation
equipment sector”, Entrepreneurship and Regional Development, n°16(4), p. 251-269.
- KNIGHT F., (1921), Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Mass.: Houghton Mifflin,
Reprint, London, London School of Economics, 1946.
116
- KORSGAARD
S.T. (2011),
“Entrepreneurship
as
translation:
Understanding
entrepreneurial opportunities through Actor-Network Theory”, Entrepreneurship and
Regional Development.
- LASCH F., LE ROY F. , YAM S. (2005), « Les déterminants de la survie et de la croissance
des Start-Up TIC », Revue Française de Gestion, n°31(155), p. 37-55.
- LAVILLE (de) V.I. (2001), « L’émergence du projet entrepreneurial : apprentissages,
improvisations et irréversiblement », Revue de l’Entrepreneuriat, n°1(1), p. 43-59.
- LAVILLE (de) V.I. (2000), « L’entrepreneuriat technologique comme processus de création
collective », dans Bernasconi, M Monsted, M. et coll., Les Start Up high-tech, Paris, Dunod.
- LECHNER C.,& DOWLING, M. (2003), “Firm networks: external relationships as sources
for the growth and competitiveness of entrepreneurial firms”, Entrepreneurship and
Regional Development, n°15, p. 1–26.
- LECHNER C., LEYRONAS C. (2007), “Network-centrality versus network-position in
regional networks: What matters most? - A study of a French high-tech cluster”,
International Journal of Technoentrepreneurship, n°1(1), p. 78-91.
- LIN N., ENSEL W. M., VAUGHN J. C. (1981), “Social resources and strength of ties:
Structural factors in occupational status attainment”, American Sociological Review,
n°46(4), p. 393-405.
- LIAO J., H WELSCH (2003), “Social capital and entrepreneurial growth aspiration: A
comparison of technology and non-technology-based nascent entrepreneurs”, Journal of
High Tech Management Research, n°14(1), p. 149-170.
- LITTUNEN H. (2000), “Networks and local environmental characteristics in the survival of
new firms”, Small Business Economics, n°15, p. 59-71.
- LOPOLITO A., MORONE P., TAYLOR R. (2011), “An agent-based model approach to
innovation niche creation in socio-technical transition pathways”, Economics Bulletin,
n°31(2), p. 1780-1792.
- LOW M., SRIVATSAN V. (1994), “What does it mean to trust an entrepreneur?” in S.
Birley et I. MacMillan (eds), International Entrepreneurship, (59-78) London: Routledge,.
- MARTIN S. (2003), « Peut-on utiliser la sociologie de la traduction pour la gestion de
l'innovation ? », Thèse de doctorat, Mines ParisTech.
- MARTINEZ M., ALDRICH H. (2011), “Networking strategies for entrepreneurs: balancing
cohesion and diversity”, International Journal of Entrepreneurial Behaviour & Research,
n°17(1), p.7 – 38.
- MESSEGHEM K., SAMMUT S. (2007), « Poursuite d'opportunité au sein d'une structure
d'accompagnement : entre légitimité et isolement », Gestion 2000, n°3, p. 67-81.
- MILES M.B., HUBERMAN A.M. (2003), Analyse des données qualitatives, 2ème édition,
Paris De boeck 2003 (coll. Méthodes en sciences humaines).
- MOREAU R. (2008), « La spirale du succès dans la création d’entreprise », Population et
Avenir, Mars-Avril, p. 51-60.
- MUSTAR P., LARÉDO P. (2002), “Innovation and Research Policy in France (1980-2000)
or the disappearance of the Colbertist State”, Research Policy, n°31(1), p.55-72.
- NEWBERT S.L. (2005), “New Firm Formation: A Dynamic Capability Perspective”,
Journal of Small Business Management, n°43(1), p. 55-77.
- NICOLAOU N., S. BIRLEY (2003), “Academic networks in a trichotomous categorization
of university spinouts”, Journal of Business Venturing, n°18(3), p. 333_359.
- O’DONNELL A., GILMORE A., CUMMINS D., CARSON D. (2001), “The network
construct in entrepreneurship research: a review and critique”, Management Decision,
n°39(9), p. 749-760.
117
- PETTIGREW A.M. (1992), “The Character and Significance of Strategy Process Research”,
Strategic Management Journal, n°3, p. 5-16.
- SARASON Y., DEAN T., JESSE F., DILLARD J.F. (2006), “Entrepreneurship as the nexus
of individual and opportunity: A structuration view”, Journal of Business Venturing, n°21,
p. 286-305.
- SARASVATHY S. (2001), “Causation and effectuation: Toward a theoretical shift from
economic inevitability to entrepreneurial contingency”, Academy of Management Review,
n°26(2), p. 243-263.
- SCHOONHOVEN C., ROMANELLI E. (2001), “Emergent themes and the next wave of
entrepreneurship research”, in Schoonhoven, C., Romanelli, E. (Dir.), The entrepreneurship
dynamic: origins of entrepreneurship and the evolution of industries, (383-408), USA,
California, Stanford University Press.
- SCHUTJENS V., E. STAM (2003), “The evolution and nature of young_firm networks: a
longitudinal perspective”, Small Business Economics, n°21(2), p. 115_134.
- SHANE S., CABLE D. (2002), “Network ties, reputation, and the financing of new
ventures”, Management Science, n°48(3), p. 364-381.
- SHANE S., STUART T. (2002), “Organizational endowments and the performance of
university start-ups”, Management Science, n°48(1), p. 154-170.
- SHANE S. (2003), A general theory of entrepreneurship, Cheltenham (UK) Edward Elgar
Publishing.
- SIGGELKOW N. (2007), “Persuasion with case studies”, Academy of Management Journal,
n°50(1), p. 20-24.
- STEYAERT C. (2007), “Entrepreneuring as a conceptual attractor?”, a review of process
theories in 20 years of entrepreneurship studies, Entrepreneurship and Regional
Development, n°19(2), p. 453- 477.
- TORNIKOSKI E.T., NEWBERT S.L. (2007), “Exploring the determinants of organizational
emergence: A legitimacy perspective”, Journal of Business Venturing, n°22(2), p. 311-335.
- WITT P. (2004), “Entrepreneurs’ networks and the success of start-ups”, Entrepreneurship
and Regional Development, n°16(1), p. 391-412.
- WRIGHT M., HMELESKI K. M., SIEGEL D. S., ENSLEY M. D. (2007), “The Role of
Human Capital in Technological Entrepreneurship”, Entrepreneurship Theory and Practice,
n°31(6), p. 791-806.
- ZAHRA S., SAPIENZA H., DAVIDSSON P. (2006), “Entrepreneurship and dynamic
capabilities: A review, model and research agenda”, Journal of Management Studies,
n°43(4), p. 917-955.
- ZHANG J., SOH P., WONG P. (2010), “Entrepreneurial Resource Acquisition through
Indirect Ties: Compensatory Effects of Prior Knowledge”, Journal of Management, n°36(2),
p. 511-536.
Retour table des matières
118
La représentation de l’Entrepreneur au cinéma
Blandine LANOUX CLAVERIE
Enseignant-Chercheur de l’Université Catholique de Lyon
Laboratoire ESDES Recherche
blanoux@ucly.fr
Résumé : Cet article a pour objet d’explorer les représentations de l’entrepreneur véhiculées
par un média particulièrement puissant : le Cinéma. Pour comprendre les dissemblances du
soutien social réservé aux entrepreneurs selon les pays en vue adapter l’accompagnement du
processus de création au contexte culturel, une étude est réalisée sur 141 films. Le cadre
d’analyse reprend les deux grands courants de pensée en entrepreneuriat : l’approche "par les
traits" et l’approche "par les faits". Un volet supplémentaire original vient compléter ce cadre
: celui des genres cinématographiques adoptés par les réalisateurs. La comparaison culturelle
porte sur des films français, américains et d’autres produits dans le reste du monde. 17 items
permettent d’analyser les motivations et le tempérament des créateurs d’entreprises ou
repreneurs. Les agissements et considérations sociales sont examinés à partir de 12 items, du
secteur d’activité, du sexe de l’entrepreneur, et du nombre de protagonistes du projet. Pour
finir, l’étude du genre cinématographique est menée via la catégorisation des films en 5
grandes familles.
Mots clés : Entrepreneur, cinéma, représentation sociale, médias, accompagnement
Abstract: The purpose of this article is to question the social representations of the
Entrepreneur in films. Because Cinema is a particularly powerful media, it can help us to
understand the differences in social support to entrepreneurships in different countries, and to
adapt the institutional support to the creation process inside each cultural context. A study is
conducted on 141 films. The analytical framework is based on two major schools of thought
in entrepreneurship: the “Who” approach and the “What” approach. An additional dimension
completes the framework : the Genre adopted by the directors. The cultural comparison
concerns French films, Americans and other products in the world. 17 items are used to
analyze the motivations and temperament of business creators. The actions and social
considerations are examined through 12 items, the business sector, the sex of the
Entrepreneur, and the number of project stakeholders. Finally, the study of the adopted genre
is conducted via the categorization of movies into 5 families.
Key-words: Entrepreneur, film, social représentation, média, social support
119
Introduction
Depuis 1997, les études annuelles réalisées dans le cadre du programme international GEM
(Global Entrepreneurship Monitor) tentent de faire ressortir les orientations et les disparités de
l’activité entrepreneuriale par pays. Parmi les indicateurs de suivi, le soutien culturel et social
à l’entrepreneuriat est mesuré sur la base d’entretiens avec des experts. Son examen a poussé
les auteurs du rapport 2003-2004 pour la France à énoncer le constat suivant : la culture est le
premier facteur limitatif de l’esprit d’entreprise (Torrès, Eminet , 2004). Ce « je t’aime moi
non plus » n’est pas une spécificité hexagonale. Il est partagé par l’Allemagne, le Portugal et
la Slovénie dans le sous-groupe de 22 pays « Economies basées sur l’innovation ». Mais il
suscite des interrogations. Une investigation plus poussée dans le champ scientifique de
l’entrepreneuriat nous apprend que les facteurs influençant la décision de création d’entreprise
varient selon les pays (Hayton and al., 2002). Dans le courant du management interculturel
impulsé par Hofstede (1980), on retrouve les travaux de Shane (1992, 1993), MacGrath et al.
(1992), Mueller & Thomas (2000). En 1997, Kostova introduit le concept de profil
institutionnel national pour expliquer comment les lois dictées par les états (dimension
régalienne), les connaissances socialement partagées (dimension cognitive) et les systèmes de
valeurs (dimension normative) impactent l’activité économique domestique. Repris par
Busenitz et al. (2000), ce concept est appliqué à l’entrepreneuriat 52 pour permettre l’étude
comparée de six pays. Il en ressort que dans les pays où les entrepreneurs sont "admirés", la
probabilité que les actifs essayent de créer ou de gérer une jeune entreprise est plus forte
qu’ailleurs. Mais ce sont les environnements fortement cognitifs et régaliens qui procurent
compétences et soutien nécessaires aux firmes pour rencontrer le succès et accéder ainsi aux
investisseurs externes et au marché public. Notons au passage que les auteurs octroient la
palme du meilleur profil institutionnel aux Etats-Unis et que l’Allemagne se retrouve dernier
du groupe (la France n’ayant pas été évaluée). En 2002, Mitchell et al. présentent une étude
exploratoire réalisée dans 11 pays et ayant permis de rassembler 990 réponses. Les questions
posées au départ par les chercheurs sont au nombre de trois : (1) Les entrepreneurs ont-ils un
mode de fonctionnement intellectuel différent des autres acteurs de l’entreprise ? (2) Dans
quelle mesure le mode de pensée entrepreneurial est-il universel ? (3) Et quelle est l’ampleur
des disparités selon les cultures nationales ? Ce n'est pas tant l'ampleur des disparités qui nous
importent ici que le pourquoi. Aborder la problématique du soutien culturel et social à
l’entrepreneuriat requiert, selon nous, une approche dans la lignée des cultural studies. Notre
assomption est que la production cinématographique, appréhendée comme un ensemble de
discours, peut nous aider à mieux saisir les représentations de l’entrepreneur dans nos
sociétés. Pour comprendre les dissemblances du soutien réservé aux entrepreneurs selon les
pays, nous sommes les premiers à réaliser une étude quantitative sur 141 films selon un cadre
d’analyse qui reprend les deux grands courants de pensée en entrepreneuriat : l’approche "par
les traits" et l’approche "par les faits". Un volet supplémentaire original vient compléter ce
cadre: celui des genres cinématographiques adoptés par les réalisateurs. La comparaison
culturelle porte essentiellement sur les films français et américains, les productions des autres
pays étant trop faibles pour permettre de faire ressortir des résultats valides. Cet article
s’articule de la manière suivante : Dans une première partie, sera exposé le design de la
recherche. Dans la deuxième partie, seront présentés les résultats obtenus. La troisième partie
servira à approfondir l'interprétation des deux outputs majeurs de ce travail.
52
…et recoupé avec une enquête de l’IMD (International Institute for Management Development) (1994) ainsi
qu’avec des données de l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) (1995)
120
1. Design de la recherche
Puisque nous cherchons à dessiner les contours des représentations sociales de l'entrepreneur
au cinéma selon le pays de production, il faut nous interroger sur le sens de la construction de
ces représentations. Les stéréotypes filmiques reflètent-ils l'imaginaire collectif d'une société
ou bien résultent-ils des intentions de ceux qui fabriquent ces produits culturels ? La réponse à
cette question va influer sur notre approche méthodologique, en particulier sur la façon dont
nous avons procédé à la sélection des films. Ensuite sera échafaudé notre cadre d’analyse sur
la base des travaux de recherche en entrepreneuriat et dans l’optique de pouvoir identifier des
caractéristiques culturelles.
1.1.Représentations sociales au cinéma : figures imposées par l’industrie ou reflets de
valeurs partagées ?
Nombreux sont les théoriciens et les professionnels du cinéma convaincus qu’on peut imposer
un sens aux spectateurs. A l’appui de cette croyance, la question-programme de Lasswell
(1948) sous-jacente à la majorité des études portant sur l’influence d’un média : « Qui dit
quoi, par quel canal, à qui et avec quel effet ? ». Elle rappelle immanquablement la théorie de
l’information, invitant à concentrer l’attention sur trois éléments : l’intervention extérieure au
contenu de ce qu’on veut dire, qui est susceptible d’en modifier le sens (bruit sémantique) ;
ensuite les répétitions nécessaires pour qu’un message soit correctement transmis (redondance
sémantique) ; et enfin la capacité du canal de transmission, évaluée à la fois qualitativement et
quantitativement. Cette approche suggère que l’émetteur constitue le seul élément agissant et
que le récepteur, c’est-à-dire le public, demeure passif. Certes, au cinéma, l’obscurité, le
silence, le corps au repos, l’attention attirée, l’identification à l’œil de la caméra, placent le
spectateur dans un état psychique voisin du rêve (Metz, 2002). Et selon Lendrevie et de
Baynast (2004), le puissant impact de ce média le situe au premier rang des cinq canaux
publicitaires. Dans ce cadre, deux courants d’inspiration différente ont fustigé les industries
culturelles au long des années 80 : d’un côté les chercheurs européens ou américains, plus ou
moins proches du marxisme, appuyant la revendication des pays non alignés pour
l’instauration d’un nouvel ordre mondial de l’information ; de l’autre, des philosophes et des
sociologues accusant les médias d’être les artisans de la défaite de la pensée, et de conspirer
en même temps contre la culture et la démocratie (Balle, 2009 : 651). Germann (2008), fonde
justement sa recherche sur l’idée qu’il existe un impérialisme culturel, fruit de la domination
des marchés par l’oligopole des majors. La stratégie des « blockbusters » contribuerait à
uniformiser les biens et services culturels et à nuire ainsi à la diversité culturelle. Le lecteur
est en droit de s'interroger sur les moyens qui permettent de communiquer une idée ou un
sentiment au spectateur. Il existe des codes filmiques. Selon la classification de Metz (1971),
fondateur de la sémiologie du cinéma, ces codes peuvent être cinématographiques ou non. Les
réalisateurs se servent de ces codes, de consignes, de références, explicites ou implicites, pour
inciter le spectateur à un mode de lecture. Eisenstein, le réalisateur soviétique, était d’ailleurs
persuadé qu’il pouvait forcer le spectateur à penser dans une certaine direction. Dans cette
optique, le montage avait quatre fonctions : une fonction narrative, esthétique mais aussi de
pathétisation (émouvoir par l’amplification des événements) et d’argumentation dans le but
d’exprimer des idées, des valeurs idéologiques.
121
Prenant le contre-pied du modèle de la « piqûre hypodermique » lasswellienne 53 comme
représentation de l’action des médias, Jacques Ellul (1962) énonce, dans Propagandes, la
thèse suivante : le « propagandé » existe avant le propagandiste. Il en est le complice, voire la
cause, et non la victime. L’auteur renvoie sociologues et psychologues des médias dos à dos
puisque, selon lui, l’attention doit être portée sur les conditions d’apparition de la propagande,
et non sur ses recettes et techniques plus ou moins grossières. Ainsi la dissolution de groupes
« organiques » tels que la famille ou le milieu de travail exposerait les individus désarmés à
l’action des médias. La sur-information nourrirait leur goût pour les idéologies et accroitrait
leur crédulité. Sans verser dans cette radicalité, force est de constater que depuis les travaux
de Roger Odin (1982) et la sémio-pragmatique (Watzlawick, 1983), il est admis que le film ne
possède pas de sens en soi, la production de sens procédant à la fois de l’espace de la
réalisation et de l’espace de la lecture spectatorielle. Bordwell, Thompson (2000) et Chirouze
(2006) montrent que les tentatives de manipulation sont peu efficaces. Le spectateur perturbe
la lecture, agit sur le texte en quelque sorte, en construisant son histoire. Il faut donc convenir
qu’il y a co-construction du sens. La prise en compte de ce phénomène est importante dans
notre étude. Si la signification véritable d’un film suppose la relation au public, si « le sens
émerge de rapports motivés entre des signes et des acteurs sociaux » (Esquenazi, 2000), alors
notre panel ne doit pas seulement reposer sur la définition du thème traité mais également sur
le fait que les films ont été vus par le plus grand nombre et qu’ils ont rencontré un écho
spécial auprès des spectateurs et des cinéphiles. Ils sont inscrits dans les mémoires collectives
parce que les individus ont accepté, voire choisi, qu'ils s'y inscrivent, et cela, à leur manière,
c’est-à-dire selon leur propre interprétation de ces discours.
1.2.Impact sur la sélection des films étudiés
Pour sélectionner les films de notre échantillon, nous avons choisi de rassembler des fictions
ayant rencontré un certain succès en termes d’entrées, de reconnaissance des pairs
(récompenses) et des critiques. Nous en avons recensé 141, sortis entre 1926 et 2012. Dans le
tableau 1, ci-dessous, ils sont classés par pays de production, la classe "Reste du monde"
comprenant 6 co-productions (USA-Jamaïque ou France-Italie par exemple).
Tableau 1 : Les films de la sélection par zone de production
Zone Production
Sélection
USA
47 (33%)
France
56 (40%)
Reste du monde
38 (27%)
Total
141 (100%)
Ces films ont été sélectionnés [annexe 1], de manière exhaustive, sur la base d’une lecture
scrupuleuse de 12000 synopsis et critiques édités dans le Larousse des films 54, réalisée par un
seul chercheur.
La rareté des œuvres est liée à notre délimitation stricte du thème abordé : Il s’agit soit :
- de la création ou de la reprise d’une activité économique –légale ou tolérée par les
autorités- par un ou plusieurs individus ;
- du parcours d’un entrepreneur (il doit créer ou avoir créé sa propre entreprise), qu’il
soit de courte durée ou qu’il retrace une large partie de sa vie.
53
Dans le modèle de la "piqûre hypodermique ", les informations sont diffusées (ou inoculées) sans qu’on ne
perçoive la propagande qu’elles véhiculent, sans qu’on ne questionne leur véracité, et sans qu’on s'interroge sur
leur origine.
54
Ce dictionnaire a été élaboré sous la Direction de Jean-Claude Lamy appuyé par 60 collaborateurs journalistes,
critiques, chercheurs, scénaristes et producteurs. La collaboration d’un cinéphile ayant créé sa propre base de
données de plus de 47 780 items54 a également permis d’enrichir cette sélection (site cinefiches.com).
122
L’activité créée ou reprise doit procurer des moyens de subsistance à d’autres individus que
l’entrepreneur lui-même en cas de réalisation du projet. Ont donc été écartés les films dont les
héros sont mafieux, montent délibérément une escroquerie, exercent une profession libérale,
sont salariés, propriétaires terriens ou auto-entrepreneurs. C’est ainsi que Lord of War (2005)
a été exclus, le héros, trafiquant d'armes commissionné, étant pourtant un homme d'affaires
d'exception. Un autre exemple de rejet est celui de A la recherche du bonheur (2007).
L'histoire vraie narrée dans ce film porte sur le destin d'un noir américain mu par l'esprit
d'entreprise et la volonté de sortir de la précarité. Mais il ne crée pas non plus d'entreprise et
ne procure pas de source de subsistance à d'autres. Pour chaque pays de production des films
de notre échantillon, nous avons repris les productions annuelles depuis 1975 55. Cela nous a
permis d’acter que l’échantillon ne reflète pas les productions par pays, mais les parts de
marché des œuvres cinématographiques projetées en France. En 2010, elles se partageaient en
34% de films nationaux, 49% de films étatsuniens et 2% d'autres d'après le CNC 56. Ainsi les
productions indiennes, chinoises ou japonaises sont quasi absentes de notre ensemble alors
qu’aujourd'hui, elles représentent respectivement 22%, 9% et 7% de la production mondiale.
La période étudiée est assez large, autorisant ainsi l’observation de spécificités culturelles
constantes dans le temps, résistantes aux « modes managériales », aux essors industriels ou
technologies, ou aux politiques économiques (D’Iribarne, 1989). Pour autant, dans la phase
d'interprétation de notre recherche, nous ne nous interdirons pas d’exploiter les résultats
d'analyses de films réalisées dans une perspective "historique". Nous entendons par là des
analyses qui mettent en relation les stéréotypes filmiques avec des représentations sociales
supposément caractéristiques d'un certain pays à une certaine époque. Nous pensons par
exemple aux travaux de Lamendour (2008) qui a visionné 46 films français pour la période
1914-1947 afin de réaliser un historique de la représentation du cadre (Lamendour, 2008).
Pour ce faire, elle avait au préalable recensé 330 films à partir de catalogues génériques et des
catalogues de Pathé, Gaumont et Eclair sur une période allant de 1895 à 2005.
Après avoir décrit de quelle manière les films ont été sélectionnés et pourquoi ils reflètent les
parts de marchés et non la production, examinons à présent comment notre cadre d'analyse
permet d'explorer les objets complexes que sont les œuvres cinématographiques.
1.3.Cadre d'analyse et méthodologie
Afin de faciliter les croisements avec la littérature en entrepreneuriat, nous avons choisi
d'analyser les représentations de l'entrepreneur au cinéma selon deux angles : l'approche "par
les traits" et l'approche "par les faits". Le courant de l'approche "par les traits" cherche à
savoir ce qui différencie l'entrepreneur du non-entrepreneur. Selon Fayolle (2004), en
résultent quelques 50 caractéristiques psychologiques identifiées par les chercheurs. Il est
illusoire de penser qu'un seul et même individu puisse être porteur de tous ces traits de
personnalité. De son côté, Verstraete (1999) prévient du danger de croire qu'il existerait un
profil type, une grille dans laquelle tout entrepreneur doit pouvoir "entrer" : « Imaginons
l’agent banquier en possession d’une telle grille, en laquelle il croit, le "meilleur des mondes"
d’Huxley ne serait pas loin. ». Dans le contexte spécifique de notre étude, disposer d’une telle
abondance de caractéristiques à observer est sans aucun doute un avantage. Toutefois il n'est
pas possible d'interroger un discours comme on interroge un sujet (une personne). La validité
55
La délimitation des zones géographiques provient de l’analyse de Screendigest, entreprise d’intelligence
économique spécialisée dans les industries cinématographiques, de la vidéo et du jeu
(http://www.screendigest.com/
World Film Production / distribution June 2006) et de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel
(http://www.obs.coe.int)).
56
CNC : Centre National du Cinéma et de l'image animée, http://www.cnc.fr/
123
de nos résultats dépend de la possibilité de construire une chaine logique d'indices. Prenons le
cas du trait « internalité ». L'internalité est le sentiment de contrôler directement le cours des
choses. Dans la réalité, les réponses d'un entrepreneur aux questions du chercheur permettent
de valider la présence de ce trait chez le sujet. Mais le test de présence de l'item pratiqué sur
une dizaine de films de notre sélection révèle que les conditions de recueil de preuves
multiples et variées sont insatisfaisantes : nous ne parvenons pas à trouver des indices
irréfutables. En conséquence, nous écartons l'item « internalité ». Prenons à présent le cas du
trait « persévérance ». Cette fois, des indices sans équivoque peuvent être rassemblés. Par
exemple, dans Un éclair de génie (2009), Bob Kearns, inventeur de l'essuie-glace à balayage
intermittent, lutte pour la reconnaissance de la paternité de son invention par les géants de
l’automobile américains. Sa ténacité est explicite. Elle s'exprime au travers de ses décisions
contraires aux conseils des avocats, de la durée de la procédure, du rejet des tentatives
tardives de négociation des adversaires ou bien encore de l'éclatement de la sphère familiale
face à l'épreuve. D’autre part elle apparaît dans les synopsis et les critiques du film. C’est
donc qu’elle a été reconnue par d’autres que le chercheur. Cet effort d'objectivité amène à ne
retenir que 20 items pour décrire la personnalité de l’entrepreneur représenté au cinéma,
parmi lesquels 14 sont destinés à répondre à la question : « Quelles sont ses motivations? »57.
Trois concernent son tempérament et peuvent s'exprimer en dehors de la création ou de la
reprise d'entreprise, trois portent sur son état psychique. Le second angle de l’analyse est celui
correspondant au courant de pensée "par les faits". La première interrogation est la suivante :
« Quelles thématiques reliées aux agissements de l'initiateur sont abordées dans les films ? ».
Huit items, retenus selon les modalités précédemment exposées, servent à y répondre. La
seconde question est reliée à la fonction de l’entrepreneur dans la société. Trois éléments
s’inscrivant dans une perspective sociétale sont ainsi scrutés. Nous avons également interrogé
le sexe de l’entrepreneur représenté au cinéma, et le fait qu’il entreprenne seul ou avec des
partenaires. Un test du khi2 a été pratiqué entre les lignes (USA, France, reste du monde) et
les colonnes (ensemble des items autorisant un marquage « thème présent »)
Tableau 2 : Test d'indépendance entre les lignes et les colonnes
Khi (Valeur observée)
106,873
Khi (Valeur critique)
81,381
DDL
62
p-value
0,000
Alpha
0,05
Interprétation du test :
H0 : Les lignes et les colonnes du tableau sont indépendantes.
Ha : Il existe un lien entre les lignes et les colonnes du tableau.
Etant donné que la p-value calculée est inférieure au niveau de signification alpha=0,05, on doit rejeter l'hypothèse nulle H0, et
retenir l'hypothèse alternative Ha.
Le risque de rejeter l'hypothèse nulle H0 alors qu'elle est vraie est inférieur à 0,03%.
Pour finir, notre cadre d'analyse comprend un volet original, celui des approches par genres
cinématographique. A l’heure actuelle, il n’existe pas de statistiques par genres sur les
données rassemblées et rendues publiques par les organismes tels l’Observatoire Européen de
l’Audiovisuel ou le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée). Les publications
théoriques consacrées à la notion de genre au cinéma sont également rares, les études
analytiques privilégiant les découpages par auteurs, mouvements et styles. La justification de
cette lacune réside dans le manque de consensus sur cette catégorisation et sur le fait que
57
Voir le résultat de notre démarche en Annexe 2
124
l’accession du cinéma au statut d’art se fait plutôt contre le genre. En effet, le genre peut être
considéré comme une manifestation de la mécanisation et de la diffusion massive des produits
culturels. Il permet aux studios de produire suivant une dialectique de
standardisation/différenciation et facilite la communication avec les exploitants et les publics.
Nous avons donc réalisé nous-mêmes une catégorisation des films de notre sélection en 5
genres majeurs à partir des classements des bases de données sur internet, telles cinéfiches ou
allociné. Notre cadre d'analyse est représenté dans le schéma ci-dessous.
Figure 1 : Cadre d'analyse de la recherche
Approche de
l’entrepreneur
"par les traits"
- Motivations
-Tempérament,
état psychique
Approche de
l’entrepreneur
"par les faits"
- Secteurs d’activité
- Agissements
- Perspective sociétale
- sexe
Comparaison
- partenaires
USA
France
Reste du monde
Approche cinématographique
Genres
2. Résultats de l'étude
La présentation des résultats de l'étude adopte la même structure que le cadre d'analyse, en
trois parties : les "traits", les "faits", le genre.
2.1.Approche par les traits
Les raisons explicites motivant la création, ou la reprise d’une entreprise, dans les films de
notre échantillon, sont répertoriées dans le tableau 3 ci-dessous : L’item qui revient le plus
fréquemment dans les discours cinématographiques est la reconnaissance sociale, loin devant
l’enrichissement et la saisie d’une opportunité. A titre d'exemples d'indices ayant permis
d'identifier cet item, une scène révélatrice est décrite ici.
Il s'agit d'une altercation extraite de La Grande Nuit (1997). Elle oppose deux restaurateurs,
italiens immigrés aux USA. Un mensonge du plus expérimenté des deux, Pascal, dont l'affaire
est florissante, va mettre en faillite l'entreprise du plus jeune, Secundo, et de son frère Primo.
Ce mensonge visant à récupérer leurs compétences, vient d'être révélé :
Pascal : « Ce que tu considères comme une trahison, saches que je l'ai fait par respect. Ton
frère est un formidable investissement… toi aussi, cela va de soi. »
Secundo : « Mon frère n'est pas à votre portée. Tous les deux, vous ne vivez pas dans le même
monde. Ce qu'il fait exister, ce qu'il a en lui, est une chose rare. Comparé à Primo, vous n'êtes
rien. »
125
Pascal : Je suis un homme d'affaires. Je suis où il faut être au moment où il faut. Et toi, tu
peux me dire ce que tu es exactement ?
Secundo : (Silence).
Mais nous aurions aussi pu illustrer la révélation d'une motivation double (Reconnaissance
sociale et conquête amoureuse) par la scène de la rencontre entre Alfred Eaton (Paul
Newman) et les parents de Mary Saint-John dont il s'est épris dans Du haut de la terrasse
(1960).
Tableau 3 : Les motivations de la figure de l’entrepreneur au cinéma
Pays de
production
Motivations
1-
Reconnaissance sociale
2-
S'enrichir / accumuler du capital
3-
Saisie d'une opportunité
4-
Etre libre
5-
Pérenniser l'entreprise, conserver le capital et/ou des valeurs
culturelles
6-
Pour les autres
7-
Par esprit de compétition
8-
Accéder au pouvoir
9-
Survivre, sortir de la misère
10- Retrouver une dignité
11- Conquête amoureuse
12- Sous la contrainte familiale ou sociale
13- En rébellion
14- Par revanche, vengeance
60%
52%
Total
général
Marquage
(% sur 141)
42%
52%
43%
27%
24%
31%
30%
25%
32%
28%
32%
29%
21%
28%
17%
32%
24%
25%
9%
30%
24%
21%
28%
13%
13%
18%
15%
25%
11%
18%
9%
9%
32%
15%
9%
11%
21%
13%
15%
9%
11%
11%
0%
14%
16%
10%
15%
7%
8%
10%
9%
5%
8%
7%
USA
(% sur 47)
France
(% sur 56)
Reste du
monde
(% sur 38)
L'importance prise par l'enrichissement comme motivation dans les films américains nous
remémore ce que Tocqueville écrivait déjà il y a plus d'un siècle et demi : « Souvent, les
américains appellent une louable industrie ce que nous nommons l’amour du gain, et ils
voient une certaine lâcheté de cœur dans ce que nous considérons comme la modération des
désirs » (1840). Reprenant ces propos, D’Iribarne (1989) prévient contre les préjugés français
qui empêchent de concevoir que la société américaine puisse être fondée sur un idéal
marchand où la logique de l’échange honnête et équitable prend une place centrale.
Remarquons également dans ce tableau, une préoccupation plus importante en France (et plus
largement en Europe), pour la pérennité de l’entreprise, tandis que la figure entrepreneuriale
américaine est davantage animée par l’esprit de compétition. Ainsi Zinos, allemand d'origine
turque, patron du restaurant Soul Kitchen (2010), et Yvan, dirigeant d’une menuiserie (Ma
petite entreprise, 1999) sont-ils prêts à recourir à des moyens illégaux pour éviter la faillite.
126
Dans Vassa (1982), c’est le milieu décadent de la bourgeoisie tsariste qui est décrit, et la
tragédie d’une femme amenée à prendre en charge le destin de sa famille. La pérennité et la
disparition de la tradition sont aussi des thèmes centraux de Shower (1999), un film chinois
mettant en scène le retour du fils qui a réussi dans les affaires et qui n’est pas prêt à reprendre
l’établissement de bains publics de son père. L’esprit de compétition américain est prégnant
dans Géant (1956) sur fond de champs pétrolifères du Texas, avec un entrepreneur rebelle
interprété par James Dean. Il s’exprime aussi nettement dans Jerry Maguire (1996). Parmi les
motivations explicatives des créations d’entreprises, il en est une sous-représentée dans les
films US, c’est celle de la survie (assouvissement des besoins élémentaires). Les éléments
explicatifs de ce constat peuvent être très divers : il y a le fait que la création d’entreprise
nécessite une mise de départ minimale. Mais le niveau de vie en Amérique du Nord et
l'attractivité commerciale du thème sont probablement plus "impactants". Les films asiatiques
et orientaux brisent les tabous de l'extrême pauvreté et de l'enfance au travail. Les tortues
volent aussi (2005) de Bahman Ghobadi conte la vie dans un camp du Kurdistan irakien à la
veille de l’entrée en guerre des américains. Les mines sont ramassées par des enfants contre
l'argent de l'ONU. Privé de bras, Hingaw travaille avec sa bouche, les autres clopinent et
galopent sur leurs béquilles, débordant de vitalité malgré leur infirmité... « Tu ne m'envoies
que des gosses sans mains » proteste un adulte venu demander quelques enfants démineurs à
Kek Satellite, le petit chef entrepreneur. « Justement, ceux-là n'ont plus peur des mines ! »
réplique le garçon. Dans le tableau 4 figurent les autres items de notre analyse "par les traits".
La persévérance est le trait de caractère de l’entrepreneur le plus prégnant dans les films
américains.
Tableau 4 : Tempérament et état psychique
Pays de production
Tempérament
et état Psychique
1- Persévérance
2- Résilience
3- Autoritarisme
4-
Troubles psychiatriques ou
psychosomatiques
5- Crise identitaire
6- Suicide
USA
(% sur
47)
43%
France
(% sur
56)
25%
Reste du
monde
(% sur 38)
34%
Total général
Marquage
(% sur 141)
33%
17%
20%
24%
20%
15%
11%
24%
16%
15%
21%
11%
16%
6%
25%
11%
15%
6%
11%
3%
7%
A cet égard, plusieurs œuvres de notre sélection interrogent le modèle David contre Goliath,
et l’idée qu’un petit peut gagner contre un grand s’il fait preuve d’ingéniosité et de
persévérance. Tucker (1988) narre l’histoire de Preston Tucker, constructeur automobile
génial et visionnaire, qui tenta de révolutionner l'industrie automobile par des innovations
spectaculaires. Il sera tout de même vite abattu par les trois grands du marché qu'étaient Ford,
General Motors et Chrysler. Un éléphant (Coca-Cola) et une souris (l’entreprise australienne
MacDowell fabricant de sodas) entament une valse dangereuse dans The Coca-Cola Kid
(1985). Quant au documentaire Mondovino (2004), il cherche à démontrer la fragilité des
petits viticulteurs attachés aux traditions face à l’uniformisation des goûts à l’échelle
mondiale, correspondant en tous points à l’offre des propriétaires californiens. Selon Barry
(1980), les objectifs propres de l’entrepreneur, inadaptés à ceux d’une organisation, rendraient
difficile la construction d’une carrière. Dans L’envie (2004) de Barry Levinson, Nick,
heureux inventeur du « Vapoorizer » qui le rendra millionnaire, se plaint, auprès de son ami et
127
collègue Tim, des mauvaises évaluations de ses supérieurs, notamment en termes d’attention
au travail. Barry (1980) ajoute que l’entrepreneur aurait tendance à agir par impulsion et
entretiendrait des relations plutôt autocratiques avec ses subordonnés. Ce type de relation
entre un patron et un jeune manager manipulé, déstabilisé, inspire particulièrement les
cinéastes français. On le retrouve dans Une étrange affaire (1981) où Michel Piccoli campe
un dirigeant mystérieux et imposant qui va exercer une emprise redoutable sur Louis Colin
(interprété par Gérard Lanvin). Les français pointent davantage que les américains les crises
existentielles des entrepreneurs et la recherche du sens, dans leurs fictions. Souffrance et
névrose (paranoïa, masochisme, hystérie…), présentées par Kets de Vries (1991) comme la
genèse des différentes formes de leadership, est illustrée dans Un type comme moi ne devrait
jamais mourir (1976) mettant en scène l’installation de Léopold de sa voiture, après qu’il ait
délaissé son usine et sa femme. Dans A l’origine (2009), de Xavier Giannoli, Philippe Miller
est un mythomane qui va ré-ouvrir et diriger le chantier de construction d’une autoroute. Mais
on retrouve aussi le thème de la névrose/psychose dans Aviator (2005), de Martin Scorcese.
Howard Hughes est ainsi présenté comme un être hypocondriaque souffrant de paranoïa à la
fin de sa vie.
2.2.Approche par les faits
Dans l’approche "par les faits", l'entrepreneur est un acteur avant d'être une personnalité.
Nous allons donc nous intéresser à ses agissements au cinéma. Tout d'abord au travers des
secteurs d'activité économique dans lesquels il choisit de créer ou de reprendre une entreprise
; ensuite via les talents et compétences qu'il doit savoir exploiter pour arriver à ses fins. Pour
finir, nous nous placerons davantage d'un point de vue sociétal pour examiner le rôle qui lui
est incombé, et si une femme peut remplir ce rôle dans les représentations sociales.
2.2.1. Secteurs d’activité privilégiés des scénaristes
Le tableau 5 répertorie les secteurs d’activités des entreprises créées ou reprises au cinéma.
Une tendance est de porter à l’écran la création ou le pilotage d’entreprise dans le secteur de
l’hôtellerie restauration. Cela peut provenir du fait que cette activité parle au plus grand
nombre de spectateurs (L’autre moitié du ciel, 1986 ; La graine et le mulet, 2007). C’est une
activité dans laquelle la gestion des hommes et du stress est centrale, ce qui ouvre des
perspectives artistiques dans la description de personnages hauts en couleurs (Le grand
restaurant, 1966 ; La grande nuit, 1997).
128
Tableau 5 : Secteurs d’activités des entreprises créées ou reprises au cinéma
Pays
Secteurs d'activités
1-
Industrie
2-
Hébergement et restauration
3-
USA
(% sur 47)
France
(% sur 56)
Reste du
Total général
monde (%sur
(% sur 141)
38 )
36%
32%
16%
29%
9%
9%
16%
11%
Arts, spectacles et activités créatives
15%
4%
11%
9%
4-
Services en direction des personnes
6%
5%
13%
8%
5-
Pêche, élevage, agriculture
9%
5%
5%
6%
6-
Information et communication
6%
7%
5%
6%
7-
Non explicite / non pertinent
4%
7%
3%
5%
89-
Activités financières
Commerce de détail
4%
4%
5%
5%
3%
3%
4%
4%
10- Activités de soutien aux entreprises
0%
4%
8%
4%
11- Très diversifié
12- Construction
13- Commerce de bouche
2%
2%
0%
7%
4%
2%
0%
5%
5%
4%
4%
2%
14- Commerce de gros
15- Transports
0%
2%
2%
2%
5%
0%
2%
1%
16- Activités scientifiques et techniques
0%
0%
3%
1%
100%
100%
100%
100%
Total général
Si l’on s’intéresse plus précisément aux différences par pays, on note que certains réalisateurs
américains ne reculent pas devant la difficulté de filmer des industries capitalistiques :
l’exploitation des puits de pétrole, le secteur de l’automobile, en raison peut-être de moyens
financiers plus importants autorisant le grandiose, le spectaculaire. King Vidor, lorsqu’il
réalisa Une romance américaine dans les années 40, pensait que le moment était choisi pour
valoriser le savoir-faire américain dans la production de l’acier. Exaltant un système où un
immigré arrivant sans le sou peut devenir un grand magnat industriel, la fiction expose tout le
cycle de production de l’acier depuis l'extraction du minerai jusqu’aux usines automobiles et
aéronautiques. A l’exception de ces quelques cas, l’usine et les chaînes de fabrication
n’apparaissent qu’en filigrane dans les films de notre échantillon. Les technologies de
production ne sont pas filmées au plus près, les gestes précis des ouvriers et le vocabulaire
technique des ingénieurs sont abordés de manière très superficielle. Au cinéma, paysages
industriels, images d’usines, de hauts fourneaux ou d’habitations ouvrières, constituent le
ferment identitaire des ouvriers ou des syndicats, pas celui des entrepreneurs (Roekens et
Tixhon, 2011). Le dernier commentaire que nous pouvons faire sur les activités économiques
de notre échantillon porte sur leur caractère traditionnel, si l’on écarte The Social Network
(2010) et August (2008). Alors même que l’entrepreneur est supposé développer une vision,
on ne trouve aucun film de science fiction. Le futur imaginé par les cinéastes ressemble-t-il à
celui décrit par Drucker ? En 1993, le gourou du management américain répond à Schumpeter
qui redoutait la disparition de la fonction d’entrepreneur (1947 : 89). Associée à la saturation
des opportunités d’investissement, elle entraînerait la chute du capitalisme, au profit d’une
administration routinière des entreprises. « L’énergie humaine s’écarterait des affaires. Des
actes extra-économiques attireraient les meilleurs esprits et fourniraient les occasions
d’aventure » (1947). Pour Drucker, la prophétie ne s’est pas réalisée. Le capitalisme ne
disparaît pas. Au contraire, il devient la forme d’organisation économique dominante, mais il
n’a plus besoin des entrepreneurs : les nouveaux capitalistes sont des salariés anonymes et
129
sans visage, des financiers et des gérants de portefeuilles, animés par le gain. Les grands
classiques de la science fiction semblent donner raison à Drucker. Que ce soit dans Soleil Vert
(1974), Total Recall (1990) ou I Robot (2004), l’avenir dépeint est hostile à la prise
d’initiative. On ne retrouve pas la figure de l’entrepreneur. Il est remplacé par le scientifiquechercheur soumis au dictat d’hommes de pouvoir, ou bien par l’homme d’affairesadministrateur essentiellement motivé par la conservation de privilèges et l’hégémonie d’un
trust.
2.2.2. Analyse des thématiques associées
Dans le tableau 6 ont été listées des thématiques associées à l’entrepreneuriat dans les films
de notre sélection et reliées au courant de pensée de l'entrepreneur "par les faits".
Tableau 6 : Thématiques reliées au courant "par les faits" selon la zone géographique de
production
USA
(% sur 47)
Les agissements
France (%
sur 56)
Reste du
monde (%
sur 38)
Total Marquage
(% sur 141)
1-
Famille
32%
55%
45%
45%
2-
Invention, innovation, créativité, solutions nouvelles
53%
34%
29%
39%
3-
Développement d'une stratégie ou d'une tactique
43%
27%
18%
30%
4-
Endettement, ruine, risque sur le patrimoine
23%
20%
34%
25%
5-
Leadership / charisme
30%
25%
16%
24%
6-
Technicité managériale
19%
20%
13%
18%
7-
Gestion d'équipe
13%
21%
13%
16%
8-
Réseau, relationnel
21%
13%
USA (% sur
47)
France (%
sur 56)
Les préoccupations sociales
16%
16%
Reste du
Total Marquage
monde (%
(% sur 141)
sur 38)
45%
28%
1-
Appartenance à une classe sociale défavorisée
28%
18%
2-
Morale / éthique / considérations humanistes, religieuses ou
idéologiques
21%
18%
34%
23%
Contexte économique hostile /crise / difficulté de
subsistance
2%
5%
34%
12%
Rejet social
9%
5%
5%
6%
3-
4-
Pour comprendre le comportement du dirigeant de PME, le sociologue français Bauer (1993)
le représente comme une bête à trois têtes: celles de l'Homo Economicus, du Pater Familias et
de l'Homo Politicus. Au cinéma, ces trois forces centrifuges se traduisent, dans les
représentations françaises, mais plus généralement dans les représentations européennes et
asiatiques, par la fréquence des thématiques de l’endettement, de la subsistance de la famille
et des dérives autoritaires (pour les films français). La relation de l’entrepreneur à sa famille
revêt des formes stéréotypées : La question du lien, conflictuel ou non, entre un père et son
fils, le fils étant supposé succéder au patriarche, est présent dans au moins 11 fictions par
130
exemple. Notons encore une sensibilité particulière au problème du surendettement chez les
Italiens et les Chinois : quatre films italiens et trois films chinois et taïwanais l’abordent de
front. Dans Il Boom (1963), un entrepreneur en proie à des difficultés financières entrevoit la
fin de ses problèmes dans le don d'un œil à un autre entrepreneur qui offrirait une somme
colossale pour la "transaction". Dans Les vers à soie du printemps (1933), une famille de
petits producteurs de soie se sacrifie et s'endette pour obtenir les plus beaux cocons, en vain.
Nous terminerons l’analyse des thématiques associées en évoquant la créativité car elle
revient dans près de 40% des films de notre échantillon. Pour Mintzberg (1990),
l’entrepreneur est celui qui est capable de trouver des solutions audacieuses à des problèmes a
priori difficilement surmontables. Ce que la plupart des managers perçoivent comme un
dilemme, l’entrepreneur est capable de le retourner en une opportunité. De manière générale,
les réalisateurs parviennent plutôt bien à décrire comment émergent ces idées nouvelles, par
comparaison avec la littérature. Probablement parce que le cinéma permet de rendre compte
de l’engagement dans le réel du héros, relié à une sélection des éléments sur lesquels son
attention va être focalisée et qu’il va interpréter. Cependant l’innovation technologique à
proprement parler est marginalement représentée. Dans les œuvres américaines, la diffusion
des innovations se font dans les secteurs de l’électricité (La vie de Thomas Edison, 1940) ou
de l’automobile (Aïe mes aïeux, 1926, Tucker 1988, Un éclair de génie 2009). Par
comparaison, en Europe, on trouve un film britannique –L’homme au complet blanc, 1951narrant les tribulations d’un chimiste, Sidney Stratton, qui invente un tissu inusable et
insalissable. Cinq films français complètent le tableau : Le graphique de Boscop (1976) qui
raconte l’histoire d’un éboueur ayant construit un ordinateur produisant des chansons à
succès ; Le petit baigneur (1968) dans le secteur des chantiers navals ; Clémentine Chérie
(1963) dans celui du textile ; Itinéraire d’un enfant gâté (1988), où Sam Lion met au point des
nettoyeuses. Dans J’invente rien (2006), Paul créée la "poignette", idée simple mais géniale
qui doit lui permettre de devenir millionnaire et de récupérer Mathilde. Paul est un inadapté
social, incapable de vendre quoi que ce soit à qui que ce soit. Il peut passer des heures à
compter des cacahuètes pour savoir si chaque paquet contient la même quantité. Mais il
présente une curiosité pour la technique. Observateur des comportements humains, il finit par
se passionner pour son produit. Cela l’amène à rencontrer des industriels, comprendre les
contraintes de production, déposer un brevet à l’INPI, s’associer avec son beau-père qui
accepte d’investir dans sa société. Les fictions portant sur l’entrepreneuriat immigré
soulignent quant-à-elles le problème de l’inaccessibilité des ressources financières. Pour cette
population, le désarroi est grand face aux procédures administratives. Il est illustré par la
scène de demande d’aide à la région dans La graine et le Mulet (2007) et celle de la signature
d’un acte donnant tout pouvoir au frère de l’entrepreneur dans Soul Kitchen (2010).
2.2.3. Gender study
Dans le tableau 7, apparaît le sexe des héros, ainsi que le nombre d'individus impliqués dans
la création ou la reprise. Nous opérons un premier constat : universellement, l’entrepreneur
est plutôt représenté au cinéma comme un homme.
131
Tableau 7 : Nombre et sexe des héros
USA (% sur
47)
France (%
sur 56)
Reste du
monde (%
sur 38)
Total général
(% sur 141)
Homme seul
79%
79%
71%
77%
Femme seule
15%
13%
16%
14%
6%
2%
8%
5%
Duo d'hommes
Groupe d'hommes >2
5%
Duo Homme/Femme
2%
Non pertinent (série de portraits)
100%
Total général
100%
2%
3%
1%
3%
1%
100%
100%
On voit que 84% des principaux protagonistes des récits cinématographiques sont des
hommes. Ce chiffre est à rapprocher de la part des films réalisés par des hommes : 94% des
141 films sélectionnés. Un focus sur les 20 fictions dans lesquelles l’entrepreneur est de sexe
féminin, permet de mettre en exergue la part équivalente entre réalisateurs français et
américains. La différence réside dans la période de production des films : plutôt l’après-guerre
et les années 60 pour les USA, et plutôt les années 80 en France. En 2010, les statistiques du
GEM sur la situation réelle de l'entrepreneuriat féminin place la France à la quatrième place
derrière l’Australie, les Etats-Unis et l’Islande, dans le groupe des pays dont l’économie est
basée sur l’innovation. Dans l’échantillon de l’étude de Mitchell et al. (2002), portant sur 11
pays, la France est la nation dans laquelle la proportion de femmes créatrices d’entreprises est
la plus importante (30%), avec le Chili, tandis que les répondants Chinois et Japonais étaient
tous des hommes. Pour en revenir à nos observations, les réalisateurs des films où
l’entrepreneur est une femme sont généralement engagés politiquement quand ils ne sont pas
clairement féministes comme André Téchiné, François Ozon ou Gleb Panfilov. Dans It’s a
free world (2007), Ken Loach, dont le réalisme social et les revendications de gauche
constituent la signature, dénonce un système dans lequel les victimes économiques, peuvent
se retrouver de l’autre côté du miroir. Son héroïne, Angie, devient de la sorte un exploiteur
sans scrupules, presque inconsciemment, en cherchant simplement à sortir elle-même de la
précarité. En ce qui concerne les interprètes : Parmi les actrices ayant incarné les femmes
entrepreneurs, il y a celles capables de jouer des personnalités ambigües, fortes -voire dureset rusées. Par exemple : Simone Signoret dans Judith Therpauve (1978) ; Faye Dunaway dans
L’Or noir de l’Oklahoma (1973) ; Jeanne Moreau dans Souvenirs d’en France (1975). Et
puis, il y a des choix à contre-emploi comme celui d’Audrey Tautou dans Coco avant Chanel
(2009) d’Anne Fontaine, le seul film réalisé par une femme et relatant l’histoire d’une femme
entrepreneur de notre échantillon.
2.3.Enseignements apportés par le genre cinématographique
Après avoir exposé les résultats de notre étude portant sur la figure de l'entrepreneur au
cinéma sous l'angle des "traits" et des "faits", nous abordons à présent une approche originale,
celle de l'étude des genres. Conscients que la notion de genre se trouve au confluent de
logiques économique, idéologique et stylistique (Moine, 2009), nous avons séparé notre
échantillon en cinq groupes : films dramatiques, comédies, films d’aventure, biopics 58 et
documentaires pour tenter d'en faire ressortir des enseignements. Le tableau 8 reprend ce
classement.
58
Un biopic, abréviation de bibliographical picture, est un long-métrage bibliographique retraçant avec plus ou
moins de fidélité la vie d’un personnage célèbre (Moine, 2009).
132
Tableau 8 : Catégorisation des films par genres
Genres
USA
(% sur
47)
France
(% sur
56)
Reste du
monde
(% sur 38)
Total
(% sur 141)
Famille dramatique
53%
41%
68%
52%
Famille comédie
26%
48%
26%
35%
Biopic
17%
7%
3%
9%
4%
2%
0%
2%
2%
3%
1%
Aventure
Documentaire
Le tableau révèle la grande part des comédies françaises dans l'échantillon. De quoi les
français rient-ils plus précisément dans les films de notre échantillon ? Comme les nordaméricains, ils s’amusent des extravagances des nouveaux riches (Coco, 2009 ; La vérité si je
mens, 1997). Mais il y a aussi des différences : Dans les années 70, les français rient de
l’absence de considération du patron pour le prolétariat. Dans cette optique, les entrepreneurs
qui se ridiculisent, emploient des termes militaires : « C’est un ordre, exécution ! », ou
comptent les ouvriers à la place des moutons pour s’endormir. La mauvaise évaluation de la
juste rétribution pour le travail fourni est aussi un sujet comique. Ainsi la taille du chéquier
utilisé pour verser le salaire sera fonction du montant à payer, lui-même proportionnel à la
taille du salarié. Pour finir, on note aussi un comique de situation typiquement français : celui
de la rencontre entre deux milieux sociaux qui ne sont pas censés se côtoyer. Dans Le petit
baigneur (1968), Louis-Philippe Fourchaume, Directeur des Chantiers Fourchaume, et son
épouse profitent d’un dimanche pour retrouver André Castagnier, l’inventeur-concepteur de
ses bateaux, dont le licenciement s’est avéré une erreur de taille. Assis dans leur Jaguar type
E, ils interpellent un agriculteur d’un « mon brave » aristocratique, avant de suivre son cheval
de trait odorant sur les chemins de terre. Aborder l’entrepreneuriat sur le ton de la comédie
revient aux USA à narrer des « dump-lucky stories ». Il s’agit d’histoires de personnages naïfs
qui réussissent sans le faire exprès. Le film Soyez sympas, rembobinez (2008) met en scène un
jeune homme en charge de gérer une boutique de cassettes vidéo en l’absence de son patron.
Suite à un incident magnétique, les cassettes sont effacées. Pour ne pas décevoir la clientèle,
le héros et son acolyte responsable de l’incident, re-filment eux-mêmes les classiques du
cinéma avec une caméra VHS, et du matériel de récupération (boîtes de conserve, fils
téléphoniques…). Contre toute attente, les clients en redemandent. Un grand succès se profile
alors, entraînant de véritables enjeux managériaux : des revendications salariales, des moyens
de production à gérer, des délais à réduire, des produits à promouvoir… etc.
3. Interprétation des résultats
Comme exposé dans la section 1.1., savoir quel acteur, entre l’émetteur du message porté
dans les films, et le spectateur, construit les représentations sociales de l’entrepreneur n’est
pas déterminant dans cette étude. Ce qui nous préoccupe est de savoir comment mythes et
héros portés à l’écran font échos aux perceptions que les gens ont du processus de création ou
de reprise d’entreprise (Drakopoulou Dodd, Anderson, 2007). En effet la qualité du soutien
social à l’entrepreneur est reliée à ces représentations sociales (Swedberg, 2000). Cette
connaissance s’avère utile pour améliorer l’accompagnement de l’entrepreneuriat. A l’instar
de Facchini (2008) qui a porté son attention sur les pays en voie de développement, nous
pensons que chaque société a intérêt à « caler son processus de développement sur sa
trajectoire culturelle propre ».
133
3.1.L’entrepreneur par les traits
Si les entrepreneurs potentiels se projettent et s’auto-évaluent différemment en France ou aux
Etats-Unis, il est pertinent d’identifier les facteurs de blocage ou de stimulation, les croyances
qui soutiennent l’engagement dans le processus et celles qui le découragent.
La partie de notre analyse basée sur les traits a donc un intérêt pour gérer la première phase de
l’éducation à l’entrepreneuriat appelée sensibilisation.
Elle fait apparaître que, dans l’imaginaire collectif Français, s’engager dans un parcours
entrepreneurial répond moins à un besoin de se mesurer aux autres et de s’enrichir qu’à celui
de prendre en charge un groupe et conserver un patrimoine, par comparaison avec les EtatsUnis. Les discours véhiculés par la presse Française reflètent-ils les mêmes tendances dans la
légitimation du parcours entrepreneurial ? Radu et Redien-Collot (2008) ont étudié 962
articles entre 2001 et 2005 afin de saisir la manière dont les croyances de désirabilité et de
faisabilité de l’entrepreneuriat y étaient exprimées. Il en ressort que la perception par les
politiciens de la responsabilité sociale de l’entrepreneur est très visible dans les articles de
presse. Un tiers des papiers traite du soutien institutionnel à la création. En revanche,
l’expression de la perception par les entrepreneurs de la société, de l’environnement et de la
communauté qui les entourent est quasi inexistante. Les enquêtes sur l’attractivité du parcours
d’entrepreneur existent mais les explications plus détaillées sur ce qui attire et ce qui fait de
l’entrepreneuriat un modèle positif ne sont pas mentionnées. L’analyse de Tadu et RedienCollot (2008) rejoint la nôtre sur la forme prise par la récompense des efforts déployés par les
entrepreneurs. En effet, la presse Française met en avant les modes intrinsèques de la
récompense : autonomie, liberté de choix et accomplissement de soi, tandis que l’ambition de
gagner, l’enrichissement et la quête du pouvoir ne sont pas reconnus ouvertement comme des
motivations primordiales. L’apport de notre analyse de films, par rapport à la littérature par
les traits (Gasse, 2011), est d’avoir intégré des motivations à contenu négatif. Il s’agit
d’échapper à des situations redoutées comme « ne pas se retrouver au chômage », dont
l’évocation devient permise par le biais de la fiction. De même, les items rassemblés dans le
groupe « Tempérament et états psychiques » décrits permettent également d’aborder des
sujets souvent éludés dans la littérature sur l’entrepreneur : la dépression et les affections
psychosomatiques par exemple.
3.2.L’entrepreneur par les faits: un héros viril et isolé
L’analyse du tableau 7 montre que Français, Américains et les autres pays producteurs des
films analysés partagent la même représentation de l’entrepreneur, viril et solitaire.
Elle constitue même le thème central de Sauvez le tigre (1972) et Itinéraire d’un enfant gâté
(1988). Lorsqu’elle n’est pas omniprésente, elle correspond aux phases de lancement du
projet –dans lequel peu de gens croient- mais aussi aux phases de réussite définitivement
établie. La première situation est illustrée dans Jerry Maguire (1996). Humilié par un
licenciement expéditif, l’agent sportif annonce publiquement sa volonté de monter sa propre
agence et appelle ses collaborateurs à le suivre. Seul un grand silence gêné règne alors dans
l’open space. La seconde situation entraînant la solitude mérite une attention particulière. A la
fin de sa vie, Charles Foster Kane (Citizen Kane, 1941) se retrouve isolé dans son immense
villa silencieuse, au bout d’une table interminable ; même chose pour Howard Hughes
(Aviator, 2005) qui ne se laisse plus approcher que par quelques « fidèles ». A l’enterrement
de Jay Gatsby (Gatsby le magnifique, 1974), deux personnes suivent le corbillard, un ami (le
narrateur) et son père. Le Papet dans Jean de Florette (1986) vit reclus après le suicide
d’Ugolin. Derrière ces destins tragiques, deux causes : soit des sacrifices concédés par les
entrepreneurs à leur rêve, à leur projet, moralement condamnables ; soit une absurde
134
obstination, face cachée de la persévérance, une des qualités universellement reconnues pour
mener à bien un projet de création d’entreprise. L’image de l’entrepreneur masculin et
individualiste dans l’imaginaire collectif pose plusieurs problèmes. Le premier touche à la
désirabilité : comment se projeter, quand on est une femme, ou quand on est sensible au bienêtre collectif ? Le second est lié aux compétences à acquérir en termes de réseautage et de
management d’équipes. Selon Mustar (1994), la dynamique de l'innovation est intimement
reliée au réseau, à savoir l'ensemble des relations entre des acteurs diversifiés : des
laboratoires académiques, des entreprises, des pouvoirs publics, des programmes
technologiques, des clients. En conséquence, écrit-il, « nous sommes loin de la dynamique
schumpétérienne de l'entrepreneur héroïque et isolé. Seuls, les chercheurs-entrepreneurs ne
peuvent rien : Pour réussir, ils ont besoin d’être enchâssés dans ces réseaux. Nos statistiques
en ont donné la preuve : ceux qui ne construisent pas ces réseaux disparaissent rapidement ou
végètent ». Sur les 141 de notre échantillon, seuls 3 films français dont 2 sont sortis en 1936
(La belle équipe de Julien Duvivier et le crime de M. Lange de Jean Renoir) évoquent la
possibilité de créer à plusieurs. Ils questionnent la viabilité d’une entité créée collectivement
et l’opportunité fournie par la subite disparition d’un dirigeant despotique. Si l’on se réfère
aux travaux de Gand et Segrestin (2009), les tentatives de création d’entreprises
"démocratiques" et le soutien de ces initiatives par les intellectuels et les chercheurs
correspondent à deux périodes de notre histoire : le tout début du vingtième siècle et les
années 1960-1970. On trouve donc ici un décalage dans le temps assez important entre
l’émergence d’une pensée économique, ses tentatives de mise en œuvre au travers
d’innovations organisationnelles, et sa représentation au cinéma, interprétable comme une
forme d’acceptation sociale. A côté de cette spécificité française, où l’on envisage la création
d’entreprise à plus de deux fondateurs, il s’en dessine une autre : celle de la place de la
famille. Le fait qu’elle soit aussi prégnante doit immanquablement impacter les pratiques en
termes d’accompagnement à la création d’entreprise et de conseil aux entreprises en France.
A l’heure actuelle, les travaux de recherche portant sur les entreprises familiales ne permettent
pas de statuer définitivement sur les avantages et les inconvénients de l’influence d’une
famille sur la propriété et le management (Arrègle, Mari, 2010). On peut toutefois présumer
que ce type d’entreprise jouit d’un capital patient lui permettant de faire face mieux que
d’autres à un contexte économique turbulent et de développer une forme de résilience
organisationnelle. Le fait d’avoir comparé les représentations de l’entrepreneur dans les films
nous a également permis de mettre en exergue l’importance accordée par les américains à
trois types de comportements : l’innovation ou la recherche de solutions nouvelles, le
leadership et l’élaboration d’une stratégie ou d’un tactique. Ces résultats entrent en résonance
avec l’observation de la performance des USA en termes de brevets déposés, montants
investis en Recherche et Développement, nombre de prix nobels…etc. Mais également avec
les travaux de Shane (1993). Ce dernier, s’appuyant sur une étude comparative de grande
envergure, a montré que la tolérance à l’incertitude facilite l’émergence d’innovations. Les
sociétés les moins anxieuses sont celles qui acceptent le mieux le rôle des leaders ou des
champions et qui présentent les inerties au changement les moins fortes. C’est probablement
pour cette raison que l'approche nord-américaine de l’entrepreneur nous apparaît
dépassionnée et iconoclaste. Lamendour (2009) la qualifie quant à elle d’intrigante. Elle
ajoute que « Les portraits des dirigeants en majesté (…) parviennent à critiquer ceux qu’ils
portent aux nues ». There will be blood (2007), description clinique de l’aventure d’un
chercheur d’or noir en Californie en 1889, en est un exemple, au même titre que Citizen Kane
(1941), Géant (1956) ou Aviator (2005). Plus étonnant encore, les « loosers » susceptibles
d’entraver le retour à l’ordre post reaganien trouvent leur place dans notre échantillon US. Ed
Wood (1995) était considéré comme le plus mauvais réalisateur de tous les temps de son
135
vivant. Le pornographe Larry Flint (1996) n’est pas un personnage qui suscite la sympathie
unanime dans son pays d’origine.
3.3.Résultat apporté par l’analyse du genre : faire face au rire des français
En France, la place prise par la comédie dans le traitement du sujet de l’entrepreneuriat est
plus grande qu’aux Etats-Unis (c.f. tableau 8). Cette constatation constitue un résultat central
de notre étude. Le comique naît quand des hommes réunis en groupe, dirigent leur attention
sur l’un d’entre eux, faisant taire leur sensibilité et exerçant leur seule intelligence. Selon
Bergson (1940), celui vers lequel l’attention est portée est celui dont la raideur du caractère
devient suspecte à la société parce qu’elle est le signe d’une activité qui tend à s’écarter du
centre commun autour duquel elle gravite. Le rire est là pour corriger sa distraction et pour le
tirer de son rêve. Pour le philosophe moraliste, la société est « en présence de quelque chose
qui l’inquiète, mais à titre de symptôme seulement –à peine une menace, tout au plus un
geste. C’est donc par un simple geste qu’elle y répondra. Le rire doit être quelque chose de ce
genre, une espèce de geste sociale ». Cette idée apporte un éclairage nouveau dans notre
analyse. Si les français rient davantage de l’entrepreneur, c’est parce qu’il leur pose un
problème moral plus grand qu’aux américains. L’observation des biopics concourt à valider
l’idée selon laquelle, poursuivre un but égocentrique dévalorise le projet de création en
France, quels que soient les outputs sociaux positifs en découlent (créations d’emplois,
essaimage, rentrées fiscales… etc.) (Radu et Redien-Collot, 2008). L’analyse des biopics
montre que les « héros français » de notre panel sont : l’abbé Pierre dans Hiver 54 (1989) de
Denis Amar, Coluche, l’histoire d’un mec (2008) d’Antoine De Caunes -des entrepreneurs
sociaux par excellence- et enfin Coco avant Chanel (2009), c’est-à-dire Coco avant qu’elle ne
s’enrichisse.
Conclusion
Cet article avait pour objet l’exploration de la représentation de l’entrepreneur au cinéma.
Nous souhaitions comprendre les raisons pour lesquelles le soutien sociétal à cet acteur
économique est inégal selon les pays. Pour réaliser cette investigation, une base de données de
141 films a été rassemblée, un cadre d’analyse a été élaboré, basé sur deux des trois courants
de recherche en entrepreneuriat (l’entrepreneur par les traits et l’entrepreneur par les faits) et
sur une approche plus originale au travers du genre cinématographique. Il ressort de notre
analyse qu’on observe des points communs dans les productions cinématographiques
Française, Américaine et celles du reste du monde, mais aussi des dissemblances. A partir des
17 items conservés pour observer les motivations et le tempérament, nous avons pu observer
que, dans l’imaginaire collectif Français, s’engager dans un parcours entrepreneurial répond
moins à un besoin de se mesurer aux autres et de s’enrichir qu’à celui de prendre en charge un
groupe et conserver un patrimoine, par comparaison avec les Etats-Unis. Les français pointent
davantage que les américains les crises existentielles des entrepreneurs et la recherche du
sens, dans leurs fictions. Les agissements et préoccupations sociales ont été étudiés à partir de
12 items, 16 secteurs d’activités, du sexe du personnage qui créé ou reprend une entreprise, et
du nombre de protagonistes du projet. Français, Américains et les autres pays producteurs des
films analysés partagent la même représentation de l’entrepreneur, viril et solitaire. Cette
représentation sociale pose plusieurs problèmes. Le premier touche à la désirabilité : comment
se projeter, quand on est une femme, ou quand on est sensible au bien-être collectif ? Le
second est lié aux compétences à acquérir en termes de réseautage et de management
d’équipes. Le cinéma ne répond ni à la question de la disparition de l’entrepreneur ni à la
transformation de son rôle économique dans nos sociétés car les cinéastes sont plus à l’aise
136
dans le récit d’histoires inspirées du passé. Lorsque des alternatives sont imaginées (par des
réalisateurs français, dans les années 30), comme la création d’entreprises "démocratiques",
elles se terminent mal. Pour finir, l’étude du genre cinématographique révèle qu’en France, la
place prise par la comédie dans le traitement du sujet de l’entrepreneuriat est plus grande
qu’aux Etats-Unis. Si les français rient davantage de l’entrepreneur, serait-ce parce qu’il leur
pose un problème moral plus grand qu’aux américains ?
Bibliographie
ARREGLE J-L., MARI I. (2010), « Avantages ou désavantages des entreprises familiales ? »,
Revue Française de Gestion, n°200, p. 87-109.
AUMONT J., MARIE M. (2008), « L’analyse des films », Armand Colin, Paris.
BALLE F. (2009), « Médias et Sociétés », 14ième édition, Editions Montchrétien Lextenso,
Paris.
BARRY B. (1980), « Human and organizational problems affecting growth in the smaller
enterprise », Management International Review, n°20(1).
BERGSON H. (1940), « Le rire – Essai sur la signification du comique », Presses
Universitaires de France, réédité en 2010, Paris.
BORDWELL D., THOMPSON K. (2000), « L’art du film. Une introduction », Paris De
Boeck, 2000.
BUSENITZ L.W., GOMEZ C., SPENCER J.W. (2000), « Country Institutional profiles :
unlocking entrepreneurial Phenomena », Academy of Management Journal, vol.43, n°5,
p.994-1003.
CHATEAU D., (2010), « Philosophies du cinéma », Armand Colin.
CHENILLE V., GAUCHEE M. (2006), « Mais où sont donc les « salauds » d’antan ? »,
Manière de voir, n°88, Août-septembre, p.78-81.
CHIROUZE A. (2006), « Les mécanismes d’influence d’un film : entre manipulation, éthique
et co-construction du sens », Market Management, vol.6, n°4, p. 98-126.
COWLING M. (2000), « Are entrepreneurs different across countries ? », Applied Economics
Letters, n°7, p.785-789.
D’IRIBARNE P. (1989), « La logique de l’honneur », Collection Points, éditions du Seuil.
DE TOCQUEVILLE A. (1840), « De la démocratie en Amérique », collection "Folio"
Schoenhofs Foreign Books, réédition 1986.
DRAKOPOULOU DODD,S., ANDERSON A.R. (2007), « Mumpsimus and the Mything of
the Individualistic Entrepreneur », International Small Business Journal, n°25 (4) p. 341-60.
DRUCKER P. (1993), « Au-delà du capitalisme, la métamorphose de cette fin de siècle »,
Dunod, Paris.
ELLUL J. (1962), « Propagandes », Armand Colin, Paris.
ESQUENAZI J-P. (2000), « Le film, un fait social », Réseaux, vol.18, n°99.
FACCHINI F. (2008), « Culture, diversité culturelle et développement économique », Revue
Tiers Monde, vol.3, n°195, p.523-554.
GAND S., SEGRESTIN B. (2009), « Peut-on partager la direction de l’entreprise ? Retour sur
les « entreprises démocratiques », Entreprises et histoire, n°57, Vol. 4, p.126-140.
GASSE Y. (2011), « Les entrepreneurs des secteurs technologiques : leur profil, leurs
motivations et leurs actions », Management et Avenir, vol. 2, n°42, p.247-261.
GERMANN C. (2008), « Diversité culturelle et libre-échange à la lumière du cinéma »,
Collection de droit international public, éditions Helbing Lichtenhahn, Bâle.
HAYTON J.C., George G., Zahra S.A. (2002), « National Culture and Entrepreneurship : a
review of Behavioral Research », Entrepreneurship Theory and Practice, Summer, p.33-52.
137
HOFSTEDE G. (1980), « Culture’s consequences. International Differences in Work-related
values », Sage, London.
KETS DE VRIES M.F.R. (1990), « Profession Leader – une psychologie du pouvoir »,
McGraw-Hill, Paris.
KOSTOVA T. (1997), « Country institutional profiles: Concept and measurement », Academy
of Management Best Paper Proceedings, p.180-189.
LAMENDOUR E. (2008), « Histoire d’une représentation restrictive : portrait du cadre en
professionnel contrarié », Revue Française de Gestion, n°188-189, vol.8, p. 119-139.
LAMENDOUR E. (2009), « Le manager Pygmalion », Revue Française de Gestion, n°194,
vol. 4, p. 149-167.
LASSWELL H.D. (1948), « The Structure and Function of communication in Society », in
Lyman Bryson ed., “The communication of ideas”, New York, Harper.
LENDREVIE J., DE BAYNAST A. (2004), « Publicitor, de la publicité à la communication
intégrée », Paris, Dalloz, 6ième édition.
MACGRATH R.G., MACMILLAN I.C., YANG E.A., TSAI W. (1992), « Does culture
endure, or is it malleable ? Issues for entrepreneurial economic development », Journal of
Business Venturing, 7, p.441-458.
METZ C. (1971), « Langage et cinéma », Paris, Larousse.
METZ C. (2002), « Le signifiant imaginaire. Psychanalyse et Cinéma », Paris, Christian
Bourgeois Editeur.
MINTZBERG H. (1990), « Le Management, Voyage au centre des organisations », Les
Editions d’organisation.
MITCHELL R.K., SMITH J.B. MORSE E.A., SEAWRIGHT K.W., PEREDO A.M.,
MCKENZIE B. (2002), « Are Entrepreneurial Cognitions universal ? Assessing
Entrepreneurial Cognitions across Cultures », Entrepreneurship Theory and Practice, p.9-32.
MOINE R. (2009), « Film, genre et interprétation », Le français d’aujourd’hui, n°165, p.9-16,
Armand Colin.
MUELLER S.L., THOMAS A.S. (2000), « Culture and Entrepreneurial potential : A nine
country study of locus and control and innovativeness », Journal of Business Venturing, n°16,
p.51-75.
MUSTAR P. (1994), « L'entrepreneur schumpéterien a-t-il jamais existé ? », Gérer et
Comprendre Annales des Mines, p. 30-37.
ODIN R. (1982), « L’analyse sémiologique des films. Vers une sémio-pragmatique », Paris,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
RADU M., REDIEN-COLLOT R. (2008), « The Social Representation of Entrepreneurs in
the French Press : Desirable and Feasible Models ? », Internal Small Business Journal,
26:259.
RAFFO C., O’CONNOR J., LOWATT A., BANKS M. (2000), « Attitudes to Formal
Business Training and Learning amongst Entrepreneurs in the Cultural Industries », Journal
of Education and Work, Vol. 13, n°2.
ROEKENS A., TIXHON A. (2001), « Cinéma et crise(s) économique(s) », Presses
universitaires de Namur, Editions Yellow Now, Crisnée.
SCHUMPETER J.-A. (1911), « Théorie de l’évolution économique »,
(http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html),
(traduction française 1935).
SCHUMPETER J. A. (1947), « Capitalisme, socialisme et démocratie », 1990 (2e édition),
Payot.
SELLIER G. (2009), « Gender studies et études filmiques : avancées et résistances
françaises », Diogène, n°225, PUF, p. 126-138.
138
SHANE S. (1992), « Why do some societies invent more than others ? », Journal of Business
Venturing, 7, p. 29-46.
SHANE S. (1993), « Cultural influences on national rates of innovation », Journal of
Business Venturing, 8, p.59-73.
SWEDBERG R. (2000), « Entrepreneurship : the Social Science View », Oxford University
Press.
TORRES O., EMINET A. (2005), « Global Entrepreneurship Monitor, Rapport 2003-2004
sur l’entrepreneuriat en France et dans le monde », EM Lyon.
WATZLAWICK P. (1983), « Pragmatique de la communication », in Sillamy N.(dir.),
Bordas, Paris.
Retour à la table des matières
139
Annexe 1 – Liste des films
N° Titre Français
Année
de
sortie
N°
Année
de
sortie
Titre Français
N°
Titre Français
Année
de
sortie
2009
Gatsby le Magnifique
26 [The Great Gatsby]
1974
51 La Vérité si je mens !
1997
2 Adua et ses compagnes
1960
Géant
27 [Giant]
1956
La vie de Thomas Edison
52 [Edison the Man]
1940
Aïe mes aïeux
[So' s your old man]
Arizona
August
Aviator
1926
1941
2008
2005
28
29
30
31
1987
2009
1987
1989
53
54
55
56
1978
1994
1972
1979
1991
1995
32 Il Boom
33 It'a a free world
1963
2007
1975
34 Itinéraire Bis
1983
La Zizanie
L'affaire
L'affaire Mattei
L'amateur
L'apprentissage de
57 Duddy Kravitz
58 Largo Winch
Larry Flynt
[The People Vs Larry
59 Flynt]
1980
1999
1941
1963
35
36
37
38
1988
1986
1973
1996
60
61
62
63
1979
1986
2006
1936
1985
2009
39 J'invente rien
40 Judith Therpauve
2006
1978
1999
1966
16 Coco avant Chanel
17 Coluche, l'histoire d'un mec
2009
2008
1989
1936
18 Damages
19 Deuxième vie
Du haut de la terrasse
20 [From the Terrace]
2007
2000
1995
1952
70 Le Petit Marcel
Le Roi de la Bière
71 [What ! No Beer ?]
Le Roi du tabac
72 [Bright Leaf]
1976
21 Ed Wood
Edouard mon fils
22 [Edward my son]
Esclaves de New York
23 [Slaves of New York]
41 Korczak
42 La Belle Equipe
La Boutique de la famille Lin
43 [Linjia Puzi]
44 La Graine et le Mulet
La grande nuit
45 [Big Night]
La Liste de Schindler
46 [Schindler's List]
La Maîtresse de fer
47 [The Iron Mistress]
64 Le goût des autres
65 Le Grand Restaurant
Le Grand Ziegfeld
66 [The Great Ziegfeld]
67 Le Graphique de Boscop
Le Maître des îles
68 [The Hawaiians]
69 Le petit baigneur
2012
73 Le téléphone rose
1975
24 Father of invention
25 France Boutique
2009
2003
48 La mer à boire
La terre tremble (épisode de
la mer)
[La terra trema (episodio del
49 mare)]
50 La truite
1948
1982
L'envie
74 [Envy]
75 Les ambitieux
2004
1964
1 A l'origine
3
4
5
6
7 Bugsy
8 Casino
C'est dur pour tout le
9 monde
C'est encore loin l'amérique
10 ?
11 C'est quoi la Vie ?
12 Citizen Kane
13 Clémentine Chérie
Coca-cola Kid
14 [The Coca-Cola Kid]
15 Coco
1960
1949
1988
Good Morning Babilonia
Good Morning England
Hamlet goes business
Hiver 54, l'abbé Pierre
Itinéraire d'un enfant gâté
Jean de Florette
Jeanne la Française
Jerry Maguire
140
1959
2007
1997
1994
L'associé
L'autre moitié du ciel
Le Caïman
Le crime de M. Lange
1974
2008
1996
1936
1976
1970
1968
1933
1950
Annexe 1 – Liste des films (suite)
N°
Titre Français
Anné
e de
sortie
N°
Année
de
sortie
Titre Français
Les bouchers verts
76 [De gronne slagtere]
2005
Que les gros salaires
101 lèvent le doigt !!!
1982
Les Ensorcelés
77 [The Bad and the Beautiful]
1952
Raining Stones
102 [Raining Stones]
1993
78 Les grandes familles
1958
Rendez-vous, Champs103 Elysées
1937
79 Les grandes gueules
1965
80 Les P'tites Têtes
Les toilettes du pape
81 [El Bano del Papa]
1982
82 Les tortues volent aussi
Les vers à soie du printemps
83 [Chun Can]
2005
84 L'Etat de grâce
85 L'héritier
L'homme au complet blanc
86 [The Man in the White suit]
L'or maudit
87 [Sutter's Gold]
L'Or noir de l'Oklahoma
88 [Oklahoma Crude]
1986
1972
89 Ma petite entreprise
104 Rockers
Romance américaine
105 [An american Romance]
1978
106 Romuald et Juliette
Sauvez le tigre !
107 [Save the Tiger !]
Schmock
108 [Fire Sale]
1989
1972
1975
1951
109 Sex-Shop
110 Shampoo
Shower
111 [Xizao]
1936
112 Soul Kitchen
2010
1972
1975
1999
113 Souvenirs d'en France
Soyez sympas,
rembobinez
114 [Be kind rewind]
90 Moi y'en a vouloir des sous
1972
115 Studio 54
1999
91 Mon pote
92 Mondovino
2010
2004
1986
1978
93 Monsieur Batignole
2002
94 Montparnasse Pondichery
My beautiful Laundrette
95 [My beautiful Laundrette]
Nickelodeon
96 [Nickelodeon]
Panique à Hollywood
97 [What just happened ?]
1993
116 Tampopo
117 The Betsy
The Full Monty, le grand
jeu
118 [The Full Monty]
The King of Marvin
119 Gardens
120 The Social Network
The van
121 [The Van]
2010
122 There will be blood
Thomas Gordeïev
123 [Foma Gordeev]
124 Tout feu tout flamme
Train, amour et crustacés
125 [It happened to Jane]
2007
98 Petit à petit
99 Potiche
Protection rapprochée
100 [Livvakterna]
2008
1933
1985
1976
2008
1971
2010
2001
1944
1972
1975
1999
141
2008
1997
1971
1996
1959
1981
1959
N°
Titre Français
Travail au noir
126 [Moonlighting]
Année
de
sortie
1982
127 Trois enfants dans le désordre
Tucker
[Tucker : The Man and his
128 Dream]
Un certain jour
129 [Un certo Giorno]
Un éclair de génie
130 [Flash of genius]
1966
131 Un linceul n'a pas de poches
Un nouveau russe
132 [Platon Makovski]
1975
133 Un si joli village
Un type comme moi ne
134 devrait jamais mourir
135 Une étrange affaire
Une femme d'affaires
136 [Rollover]
Une femme extraordinaire
137 [Lucy Gallant]
Une riche affaire
138 [It's a gift]
1978
139 Une vie meilleure
Vassa
140 [Vas'ja Zeleznova]
Yi Yi
141 [One and a two]
2012
1988
1969
2009
2001
1976
1981
1981
1955
1934
1982
2000
Annexe 2 – Illustration de la sélection des items “Motivation”
Thèmes issus de la littérature
Se fixer ses propres objectifs
Avoir ses propres critères d’excellence
Aimer être indépendant des personnes, des contraintes et des restrictions.
Ecarter les contraintes et les directives pré-établies.
S’ouvrir de nouvelles possibilités de carrière
Faire ce qui plait et en éprouver du plaisir
Relever les défis
Voir l’occasion de se mesurer aux autres comme un stimulant à la performance
Aimer se mesurer à des adversaires à sa taille
Aimer évaluer et déjouer la concurrence en affaires
Chercher à améliorer constamment sa performance
Devenir leader régional, mondial
Aimer faire des choses difficiles et se confronter à des projets exigeants
Etre axé sur l’efficacité et sur les résultats
Vouloir exploiter tout son potentiel et progresser
Rechercher le contrôle des ressources liées à la réalisation des projets
Réalisation de soi
Internalité : donner la prédilection à des causes internes dans sa recherche
d'explication des évènements auxquels le sujet fait face
Tendre à la propriété des résultats
Chercher à se distinguer et à occuper l’avant scène
Vouloir accéder à un statut et assoir sa réputation
Vouloir être le patron et ne pas suivre les directives des autres
Aimer diriger et influencer les personnes pour les amener à faire selon ses plans.
Vouloir décider seul et agir à sa guise
Tenir à mobiliser les ressources et les gens au service de ses propres objectifs
Aimer travailler avec des experts
Prendre charge des responsabilités et des personnes
Développer des activités au pays et des emplois
Mettre un bien ou un service à disposition de la communauté
Impliquer des collègues dans un projet
Rechercher les situations qui laissent une grande marge de manœuvre et qui
permettent d’exercer sa pleine initiative et toute sa créativité
Initier, créer quelque chose
Prouver qu’un concept vaut la peine d’être exploité
Chercher constamment de nouvelles façons de faire les choses
Ne pas accepter la conformité
S’enrichir, faire de l’argent, connaître la réussite financière
Tenir à être libre de choisir ses dépendances en fonction des besoins et du prix à
payer.
Ne pas être dépendant du soutien affectif ou social des autres
Refuser d’être réduit à un objet, un moyen et être respecté, indépendamment
de son âge, de son sexe, de son état de santé physique ou mentale, de sa
condition sociale, de sa religion ou de son origine ethnique.
Existence de facteurs déclencheurs : trop-plein d’énergie ou d’expérience à
exploiter, avoir du temps ou de l’argent à faire fructifier, découvrir une
opportunité, rupture dans le parcours de la vie personnelle (décès d’un parent
e.g.) ou professionnelle (licenciement e.g.)
Structurer rapidement sa réflexion stratégique pour passer vivement à l’action
Echapper à une situation matérielle précaire.
Echapper au chômage
142
Items conservés
Etre libre
Commentaires
Source Gasse
(2001)
Par esprit de
compétition
…
…
Rejeté
Rejeté
Rejeté
Rejeté
Rejeté
Reconnaissance
sociale
Accéder au
pouvoir
…
Rejeté
Pour les autres
Invention,
innovation,
créativité,
solutions
nouvelles
En rébellion
S’enrichir,
accumuler du
capital
Pérenniser
l’entreprise,
conserver le
capital et/ou des
valeurs culturelles
Retrouver une
dignité
S’est imposé via
l’échantillon
Conquête
amoureuse
Saisie d’une
opportunité
Barry (1980)
Survivre, sortir de
la misère
Rare dans la
littérature. S’est
imposé via
l’échantillon
Rare dans la
littérature. S’est
imposé via
l’échantillon
Vers une typologie des réseaux formels d’entrepreneurs : une
étude exploratoire
Vincent LEFEBVRE
Enseignant-Chercheur
Co-responsable du pôle Entrepreneur
ISC Paris
vincent.lefebvre@iscparis.com
Résumé : Le réseau de l’entrepreneur, formel ou informel, d’affaires ou personnel, de
socialisation ou économique, opérationnel ou tactique, est souvent mis en avant comme un
facteur clé de la réussite entrepreneuriale. Cependant, peu de recherches sont consacrées au
fonctionnement effectif des réseaux formels d’entrepreneurs. Cet article répond à ce manque
dans la littérature entrepreneuriale et présente une première proposition de typologie
permettant de distinguer les réseaux formels d’entrepreneurs selon les actions concrètement
déployées sur le terrain. Notre recherche qualitative exploratoire conduite sur la base de
questionnaires administrés en face à face et à distance à un échantillon de 9 animateurs de
réseaux formels d’entrepreneurs permet d’identifier trois grands types de réseaux formels : la
communauté de pratique, la communauté de liens faibles, et, respectivement, la communauté
de mimétisme inter-organisationnel.
Mots clefs : Réseaux formels d’entrepreneurs, accompagnement entrepreneurial,
communauté de pratique, communauté de liens faibles, mimétisme inter-organisationnel
Abstract: Formal or informal, operational or tactical, for business or personal, entrepreneurial
networks are often highlighted as a key factor of entrepreneurial success. Yet, we know little
about the functioning of formal networks of entrepreneurs. The present article addresses this
gap in the literature and presents an original typology that distinguishes among formal
networks of entrepreneurs according to the kind of actions these networks implement for their
members. Our exploratory qualitative field research conducted on the basis of questionnaires
to a sample of nine leaders of formal networks of entrepreneurs highlights three main types of
formal networks of entrepreneurs: the community of practice, the community of weak ties,
and, respectively, the community of inter-organizational imitation.
Key words: formal networks of entrepreneurs, entrepreneurial support, community of
practice, community of weak ties, inter-organizational imitation
143
Introduction
La littérature entrepreneuriale a montré que les relations de l’entrepreneurs favorisent
le développement des compétences des participants et à la performance des entreprises
(Grossetti et Barthe, 2008). Plus spécifiquement, la mise en relation d’entrepreneurs et
l’échange de bonnes pratiques sont présentés, aussi bien par les dirigeants d’entreprise que par
les chercheurs, comme des vecteurs importants de la pérennité et de la croissance des jeunes
entreprises (Szarka, 1990 ; Wiklund, Patzelt, Shepherd, 2009).
Parmi la multitude de réseaux et de clubs d’entrepreneurs existant en France, les
réseaux formels d’entrepreneurs sont des regroupements d’entrepreneurs organisés autour
d’un accompagnateur professionnel ou bénévole, qui joue le rôle d’animateur permanent du
réseau. Selon Le Brasseur et Rochibaud (1999), les réseaux formels sont des réseaux
horizontaux et tactiques, à visée de socialisation et/ou économique. S’inscrivant dans un
contexte d’accompagnement de dirigeants, les réseaux formels d’entrepreneurs déploient un
ensemble plus ou moins hétérogène de pratiques et de discours à des fins de mise en relation
d’affaires, d’échange d’expérience et d’apport de connaissances. En entrepreneuriat, il y a peu
de recherches empiriques consacrées au fonctionnement des réseaux formels d’entrepreneurs
du point de vue des objectifs visés et des actions mises en place pour les atteindre. Notre
question de recherche concerne les actions planifiées, initiées par les réseaux formels
d’entrepreneurs de manière récurrente afin de consolider les compétences entrepreneuriales
des participants et soutenir le développement des entreprises membres. Quelles sont les
catégories d’actions déployées par les réseaux formels d’entrepreneurs afin d’accompagner
les entrepreneurs et leurs entreprises ? Ce questionnement a pour finalité de permettre
l’élaboration d’une première typologie des réseaux formels d’entrepreneurs selon les
catégories d’actions les plus fréquemment mises en œuvre. Ceci est susceptible d’intéresser
les accompagnateurs, les entrepreneurs et la communauté académique, car l’identification fine
des actions des réseaux formels d’entrepreneurs permettrait de mieux appréhender le paysage
français de l’accompagnement et de mieux évaluer, par la suite, la contribution effective des
réseaux formels d’entrepreneurs au niveau des individus et de leurs entreprises.
Notre objectif est de présenter une première typologie des réseaux formels
d’entrepreneurs français, selon les catégories d’actions proposées le plus fréquemment aux
participants. Cette typologie a été élaborée de manière abductive, sur la base de notre
expérience professionnelle d’accompagnateur 59 et à partir d’une série de critères de
différenciation repérés dans la littérature entrepreneuriale et en sciences de gestion. Afin de
tester la pertinence de nos critères de différenciation et le caractère discriminant de notre
typologie, nous avons effectué une enquête qualitative exploratoire auprès de 9 animateurs de
réseaux formels d’entrepreneurs. Après une revue de littérature consacrée aux réseaux formels
d’entrepreneurs, nous présentons notre typologie et notre enquête exploratoire, dont nous
discutons les résultats. Nous allons conclure avec quelques propositions opérationnelles à
l’intention des professionnels de l’accompagnement.
59
10 ans d’expérience dans l’accompagnement entrepreneurial : conseil en création, pilotage de dispositif
d’appuis régionaux, création et animation de réseaux d’entrepreneurs, membre fondateur d’une fédération de
club d’entrepreneurs.
144
1. Revue de littérature
La littérature entrepreneuriale présente les réseaux d’entrepreneurs comme des
environnements favorables à la détection et la validation collective d’opportunités d’affaires
et de ressources (Tremblay et Carrier, 2006). La littérature dédiée à l’accompagnement
entrepreneurial analyse les réseaux d’entrepreneurs en tant que vecteurs institutionnels et
relationnels au service du développement territorial (Schieb-Bienfait et Clergeau, 2005). Dans
un contexte de l’accompagnement, le concept de « communauté de pratique » est mobilisé
afin de souligner la mission d’apprentissage et d’échange de bonnes pratiques assignée aux
réseaux par leurs organisations tutélaires, consulaires ou associatives (Levy-Tadjine, 2010).
Tout en s’inscrivant dans la lignée des travaux sur les réseaux sociaux (Bares, Bourgne et
Froehlicher, 2008), notre recherche examine les réseaux formels d’entrepreneurs en
s’appuyant sur des apports théoriques complémentaires en entrepreneuriat et sciences de
gestion afin d’étudier comment ces réseaux agissent au service de l’entrepreneur et de son
entreprise.
Pour examiner le fonctionnement des réseaux formels d’entrepreneurs, nous prenons
en compte les actions déployées par les réseaux au niveau de l’entrepreneur, de son entreprise
et de son marché.
Les réseaux permettent de tester des idées, acquérir des informations et des
connaissances sur les meilleurs pratiques en vigueur, et mobiliser les ressources nécessaires à
la croissance de l’entreprise. Les réseaux formels d’entrepreneurs déploient des activités au
service de l’entrepreneur et de son entreprise, visant à renforcer les compétences de
l’entrepreneur (Aouni et Surlemont, 2007 ; Bayad, Boughattas et Schmitt, 2006), à l’aider à
développer son entreprise par l’identification et la mobilisation de nouvelles ressources
(Pansy Hon, 2004) et à accroitre sa connaissance du marché et de son secteur économique
(Shane, 2000). A chacun de ces niveaux correspondent les enjeux ci-dessous :
Niveau de l’entrepreneur : développement des compétences entrepreneuriales,
managériales, techniques, de gestion et sectorielles, conceptualisées en tant que
connaissances (savoirs), attitudes (savoir-être) et habiletés (savoir-faire),
Niveau de l’entreprise : acquisition de nouvelles ressources, détection d’opportunités
et élaboration du modèle organisationnel,
Niveau du marché : exploitation des opportunités, renforcement des connaissances
relatives au marché et des meilleurs moyens pour satisfaire la demande.
Notre prémisse de départ serait que tous les réseaux formels d’entrepreneurs articulent
ces trois niveaux d’intervention dans le cadre de leur travail d’accompagnement. Afin de
comprendre ce que sont et font les réseaux formels d’entrepreneurs, et être en mesure de les
différencier, la littérature entrepreneuriale et en sciences de gestion proposent trois notions
fondamentales : la « communauté de pratiques », la « communauté de liens faibles » et le
« mimétisme inter-organisationnel ». A partir de notre expérience de 10 ans du métier
d’accompagnateur et d’une revue de littérature, notre prémisse serait que les réseaux mettent
en œuvre des démarches d'apprentissage du métier d'entrepreneur par la constitution de
communautés de pratiques qui facilitent l'accès aux savoirs, savoir-faire et habiletés des
entrepreneurs membres. D’autre part, ces réseaux peuvent également être analysés comme des
communautés de liens faibles qui favorisent la mise en relation d’affaires entre les
entrepreneurs. Enfin, ces réseaux donnent accès aux participants à une meilleure connaissance
de leur marché et de leur secteur économique, ainsi que des moyens les plus adaptés pour
satisfaire la demande, par le biais de processus de mimétisme inter-organisationnel.
Au niveau de l'entrepreneur et de ses compétences, nous retenons la notion de
communauté de pratique, dont l’objectif est la montée en compétences d'un groupe
professionnel. Au niveau de l'entreprise avec son organisation et ses ressources, la théorie des
145
réseaux sociaux a retenu notre attention car elle étudie l'optimisation de l'organisation et
l'accès à des ressources rares. Enfin, au niveau de la connaissance du marché et des moyens
de le satisfaire, c'est l'isomorphisme des entreprises, et en particulier la notion d'imitation telle
que définie par les néo-institutionnalistes qui nous permet d’analyser les actions des réseaux
formels d’entrepreneurs.
1.1. Les réseaux formels d’entrepreneurs en tant que communautés de pratique
Apparue comme un outil de management intra-entreprise, la notion de « communauté
de pratique » fait référence à un groupe d’individus qui partagent un engagement et
l'identification à une expertise commune, dont les membres se choisissent mutuellement, et
qui vise le développement des compétences de ses membres, la construction et l'échange de
connaissances (Lave et Wenger, 1990). Selon Cohendet, Créplet et Dupouët (2003), l’objectif
de ces communautés est la montée en compétences par rapport à une pratique donnée, dans le
cadre d’un groupe avec des participants homogènes partageant une passion commune, qui
accumulent de la connaissance sur cette pratique en faisant circuler les meilleurs pratiques, se
sélectionnent mutuellement, et produisent de la connaissance au travers d’un mode
d’apprentissage involontaire. Les communautés de pratiques conduisent à la résolution rapide
des problèmes, l’identification facilitée des interlocuteurs susceptibles d'apporter des
réponses, une meilleure circulation des bonnes pratiques dans l'entreprise, le développement
des compétences professionnelles, et l'amélioration du turn-over des salariés (Wenger et
Snyder, 2000). Les auteurs ont mis en évidence le fait que « les apprentis apprennent autant
de leurs compagnons ou d'apprentis plus expérimentés qu'ils ne le font des maîtres artisans »
(ibid. : 141). Dans le cas des réseaux formels d’entrepreneurs, la notion de communauté de
pratique permet d’éclairer aussi bien l'organisation du réseau que ses résultats. En effet, cette
notion répond aux enjeux de montée en compétences de l'entrepreneur et à la construction de
ses savoir-faire et savoir-être afin d’optimiser le rapport entre le temps nécessaire pour
rechercher une expertise et du soutien et le temps nécessaire pour accéder à une information
de qualité.
L’étude de la morphogenèse des communautés de pratique réalisée par Dupouët,
Yildizoglu et Cohendet (2003) a mis en évidence l’existence d’une démarche de coordination
de la communauté aboutissant à la constitution d'un « répertoire de ressources cognitives »
communes. Dans le cadre des réseaux formels d’entrepreneurs, la coordination est entre les
mains de l'animateur du réseau. L’animateur et les contributeurs externes apparaissent comme
des « Participations Périphériques Légitimes » (Lave et Wenger, ibid.) qui contribuent à
renforcer les mécanismes d'apprentissage des membres dans le cadre de la communauté de
pratique. Leur présence entrainerait un changement progressif de la perception collective de la
pratique partagée par les membres.
Nous pensons que les réseaux formels d’entrepreneurs peuvent s'apparenter à une
communauté de pratique de par leur modèle organisationnel et les objectifs poursuivis. Ceci
nous conduit à formuler la proposition suivante :
Proposition 1 : Les réseaux d'entrepreneurs agissent comme des communautés de pratique
à condition de poursuivre un objectif commun de montée en compétence par le partage de
pratiques, et d’avoir une démarche de sélection de candidats homogènes partageant une
même passion d'entreprendre et souhaitant participer ensemble aux échanges.
146
1.2. Les réseaux formels d’entrepreneurs en tant que communautés de liens faibles
Selon Grannoveter (1973), « la force d'un lien est une combinaison (probablement
linéaire) de la quantité de temps, de l'intensité émotionnelle, de l'intimité (la confiance
mutuelle) et des services réciproques qui caractérisent ce lien » (ibid. : 1361). S'inscrivant en
opposition avec les liens forts constitués par la famille et les amis qui, eux, sont mobilisés
sous forme de soutien, les liens faibles facilitent l’accès à des ressources au service du
développement de l’entreprise (Chell et Baine, 2000). Les réseaux formels d’entrepreneurs
sont une source de liens faible. L'entrée dans un réseau formel d’entrepreneurs favorise la
mise en relation du créateur / repreneur / dirigeant avec des pairs inconnus initialement
Chollet (2002). A partir du moment fondateur de l’entrée dans le réseau, celui-ci offrirait à
l’entrepreneur membre de multiples liens interpersonnels potentiels, rendus possibles par
l'appartenance au même réseau, ce qui nous conduit à envisager les réseaux formels
d’entrepreneurs comme des « communautés de liens faibles ».
Selon la théorie des trous structuraux, la taille et la centralité d’un réseau limiteraient
la quantité de ressources accessibles à un individu (Burt, 1997). Afin de dépasser cette limite,
les entrepreneurs s’appuieraient sur l’identification et l’utilisation des « trous structuraux »
présents dans le réseau afin de maximiser leur accès à des ressources variées (Hoang et
Antoncic, 2003). Les trous structuraux sont définis comme étant l’absence de liens entre deux
contacts non redondants dans un réseau (Burt, ibid.). Plus un réseau est riche en trous
structuraux, plus il serait source d'opportunités. Les réseaux riches en trous structuraux
seraient une source privilégiée de gains d’information et de contrôle (Burt, 1995). D’une part,
l’entrepreneur accèderait plus rapidement à une information de bonne qualité et non
redondante et, d’autre part, il en contrôlerait la diffusion.
Ceci nous conduit à formuler une nouvelle proposition :
Proposition 2 : Les réseaux formels d’entrepreneurs peuvent prendre la forme de
communautés de liens faibles, favorisant plus ou moins un recrutement hétérogène de leurs
membres, et conduisant ainsi à une apparition plus ou moins importante de trous
structuraux.
1.3 Les réseaux formels d’entrepreneurs, environnements favorisant le mimétisme interorganisationnel
Les actions mises en place par les réseaux formels d’entrepreneurs favorisent parfois
l’apparition du mimétisme inter-organisationnel : l’échange de bonnes pratiques, les
témoignages d’entrepreneurs qui ont réussi, dans le même secteur ou dans des secteurs
différents sont susceptible de conduire les participants à imiter les stratégies et les modèles
organisationnels qu’ils perçoivent comme dominants ou gagnants. L’imitation serait fondée
sur deux enjeux : l’information et la rivalité. L'imitation fondée sur l'information se produirait
lorsque les entrepreneurs ne concourent pas sur le même marché ou la même niche, lorsqu’ils
ont des entreprises de tailles différentes, lorsqu’ils n'utilisent pas de ressources similaires ou
lorsqu’ils évoluent dans des environnements très incertains. L'imitation fondée sur la rivalité
et sur les risques se produirait lorsque les entrepreneurs concourent sur le même marché ou la
même niche, ont des tailles d’entreprise identiques, font appel aux mêmes ressources ou
évoluent dans des environnements pas ou peu incertains (Lieberman et Asaba, 2006). Le
mimétisme apparaît comme un moyen pour l'entrepreneur et son entreprise d'apparaître plus
légitimes sur le marché et de se conforter dans la prise de risque. Que l'imitation porte sur les
pratiques ou sur la stratégie, la dimension sectorielle revient quasi-systématiquement. Ainsi, si
147
l'entrepreneur peut accroître sa connaissance du marché à travers l'analyse des acteurs, il peut
également augmenter sa connaissance des moyens pour satisfaire ce marché par l'action
d'imitation des pratiques en vigueur.
La littérature identifie trois mécanismes générateurs d'isomorphisme :
le mécanisme coercitif, qui est impulsé par un problème de légitimité et une nécessité
politique : l'entreprise subit des pressions directes ou indirectes en provenance
d'organisations dont elle dépend, ce qui entraîne une modification organisationnelle,
le mécanisme de mimétisme, qui résulte d'une réponse empruntée à d'autres acteurs afin de
répondre à des incertitudes,
le mécanisme normatif, qui vise à unifier les acteurs d'un secteur en validant leur
professionnalisme et en assurant leur légitimité (Dimaggio et Powell, 1983).
Les réseaux formels d’entrepreneurs réunissent ou non des entreprises agissant dans le
même secteur économique. Lorsque les membres interviennent sur le même marché, les
enjeux mimétiques sont assez aisément identifiables au regard des éléments énoncés cidessus. Lorsque les membres n’interviennent pas sur le même marché, les réseaux formels
d’entrepreneurs mobilisent toutefois, par le biais de témoignages, des entrepreneurs de renom
et des entreprises de succès afin de rassurer les jeunes entreprises membres sur la prise de
risque et de présenter des modèles de croissance, contribuant ainsi à la mise en place de
démarches mimétiques. Ceci nous conduit à formuler notre dernière proposition:
Proposition 3 : Les actions des réseaux formels d’entrepreneurs sont propices au
mimétisme entre adhérents ou avec des entreprises extérieures, ce mimétisme se mettant en
place dans le cadre de la connaissance du marché et des meilleurs moyens de répondre à la
demande.
2. Critères de différenciation des réseaux formels d’entrepreneurs
Nous pensons que les actions des réseaux formels d’entrepreneurs se déploient à trois
niveaux : l’entrepreneur, l’entreprise et le marché. Trois types de leviers ont été identifiés
permettant d’étudier les actions mises en œuvre par les réseaux à l’intention des membres :
La communauté de pratique : envisagée sous l’angle de la passion commune
d’entreprendre, elle constitue un levier qui peut être mobilisé afin de conduire
l’entrepreneur à renforcer ses connaissances et ses compétences,
La communauté de liens faibles : un levier qui peut être mobilisé afin de renforcer la
capacité de l’entreprise à identifier des opportunités, accéder à de nouvelles ressources et
des modèles organisationnels performants,
Le mimétisme inter-organisationnel : un levier qui peut être mobilisé afin d’améliorer
l’exploitation de l’opportunité et de faciliter l’accès aux connaissances relatives au marché
et aux meilleures manières de le satisfaire, par le biais de l’observation et de l’imitation des
stratégies et des pratiques en vigueur.
Les réseaux formels d’entrepreneurs articulent ces niveaux et ces leviers de différentes
façons, afin de répondre aux besoins des membres. Les réseaux formels d’entrepreneurs se
positionnent chacun de manière spécifique par rapport aux 6 critères de différenciation
proposés et peuvent s’apparenter à plusieurs « types » des 3 identifiés – réseau formel
fonctionnant comme une communauté de pratique, réseau formel fonctionnant comme une
communauté de liens faibles, réseau formel promouvant le mimétisme inter-organisationnel
(cf. Figure 1). Dans le Tableau 1, nous reprenons ces critères de différenciation en précisant
les sources bibliographiques qui ont contribué à son émergence.
148
Besoins liés
à l’Entreprise
Besoins liés
à l’Entrepreneur
Ressources
Nouvelles opportunités
Organisation
Compétences
Savoirs
Savoir-être
RFE* fonctionnant comme une
Communauté de Pratique
RFE* fonctionnant
comme une
Communauté
de Liens Faibles
RFE* promouvant le
Mimétisme Inter-organisationnel
Besoins liés
aux Marchés
Figure 1. Typologie des réseaux
*RFE = réseau formel d’entrepreneurs
149
Légitimité
Connaissance du marché
des moyens de satisfaire la demande
formels Connaissance
d’entrepreneurs
Niveau
Entrepreneur
Focus des Actions du réseau
Les compétences :
entrepreneuriales
managériales
techniques de gestion et
sectoriel
Les connaissances (savoirs), les
attitudes (savoir-être) et les habiletés
(savoir-faire)
Les ressources
Entreprise
L’opportunité (détection)
L’organisation
Littérature
Filion (1998)
Aouni et Surlemont (2007)
Bayad, Boughattas, e Schmitt (2006)
Tjosvold et Weicker (1993)
Witmeur (2007)
Papadaki et Chami (2002)
Guyot, Janssen et Lohest (2006)
Janssen (2002)
Nixdorff (2001)
Gartner (1988)
Gartner (1990)
Leibenstein (1968)
Coase (1937)
Edith Penrose (1959)
Witmeur (2007).
Alvarez et Busenitz (2001)
Yvon Pesqueux (2011)
Verstraete et Fayolle (2005)
L’opportunité (exploitation)
Marché
Casson (2005)
Shane et Venkataraman (2000)
La gestion de l’information
Verstraete et Fayolle (2005)
Drucker (1985)
Les connaissances relatives au Kirzner (1997)
marché
Chabaud et Ngijol (2004)
Baron et Shane (2007)
Les connaissances pour satisfaire la Ardichvili, Cardozo et Ray (2003)
demande
Alvarez et Barney (2004)
Type de réseau
Basé sur les communautés de
pratique et sur les participations
périphériques légitimes
Wenger et Snyder (2000)
Dupouët, Yildizoglu et Partick
Critères :
Cohendet (2003)
- monter en compétences,
Cohendet, Créplet et Dupouët (2003).
- construction des savoir-faire et
Lave (1991)
des savoir-être,
Kimble et Hildreth (2005)
- optimiser le rapport entre temps et
Lave et Wenger (1990)
recherche d'expertise et de
soutien,
- accès à de l'information experte
Szarka (1990)
Basé sur la communauté de liens Le Brasseur et Rochibaud (1999)
faibles
Proulx (1998)
Grannoveter (1973)
Critères
Chell et Baine (2000)
Taille
Jenssen et Koenig (2002)
Densité
Pansy Hon (2004)
Hoang et Antoncic (2003)
Diversité
Burt (1995)
Liens faibles
Burt (1997)
Trous structuraux
Barthélemy Chollet (2002)
Basé sur le mimétisme interorganisationnel
Critères :
- Présence de modèles
- Uniformité sectorielle
- Réglementation
- Enjeux de légitimité
- Prise de risque mesurée
Tableau 1. Critères de différenciation des réseaux formels d’entrepreneurs
150
Littérature
Julien (2007)
Dimaggio et Powell (1983)
Lieberman et Asaba (2006)
Fernhaber et Li (2010)
3. Méthodologie
Une étude qualitative exploratoire a été réalisée pendant l’été 2011 auprès de 9
responsables de réseaux formels d’entrepreneurs français par le biais d’un questionnaire écrit
de 83 questions, administré en face à face et à distance grâce à Sphinxonline. La proposition
de participation a été adressée aux responsables de réseaux formels d’entrepreneurs de la
Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris et auprès de ceux de la Fédération des Clubs
d’Entrepreneurs, France Entrepreneurs. Deux animateurs ont été rencontrés en entretien et
quatre ont répondu sur la plate-forme Internet. Les trois autres participants ont été identifiés
en dehors de ces réseaux et interrogés en face à face (deux d’entre eux) et à distance (un
participant).
3.1. Les participants
Dans le Tableau 2, nous indiquons les noms des participants et rappelons les
caractéristiques de leurs réseaux en termes de taille, ancienneté, type et nombre d’adhérents.
Interviewé
Réseau
Fonction
Prise de
Création
fonction
Taille
Type d'adhérents
CCIP - passer le relais Club repreneur CCIP75
Conseiller reprise
transmission
2008
2009
150
Repreneurs personnes
physiques et dirigeants en
croissance externe
Virginie
Sanfelieu
Club des entrepreneurs du
Pays Uzège-Pont du Gard
Chargée
d'animation
réseaux
d'entreprises à la
CCI de Nîmes
2000
2006
75
Chefs d'entreprises,
Réseau multisectoriel
Joël Porcher
PDG 93
Animateur
2008
2008
73
PME et PMI de toutes
activités de tailles
similaires
Dominique
Steve
Club des Dirigeants et
Créateurs d'Entreprises
Association des Ingénieurs
ESME Sudria
Vice Président
2011
2008
100
Ingénieurs diplômés de
l'ESME Sudria
Le réseau de l’image
Animatrice
2007
2008
40
Entreprises du secteur de
l’image
Business Club SARL
Gérant
2002
2002
90
Toute entreprise
Comité Bougainville
Président
association
Stéphane
Meunier
Christine
Sadrin
Jean-François
Massiat
Thierry
Bégaud
Carole
Ryckewaert
Club des Entrepreneurs
Responsable
CCIP Paris – ADVANCIA*
Administrateur et
Julien Jérémie Génération Medef
parrain du Medef
2008
2008
100
2009
2005
50
2008
2008
300
100 membres de
l’écosystème du tourisme.
1200 entrepreneurs
référents externes
Entrepreneurs dirigeant à
Paris et petite couronne
Membres du Medef moins
de 40 ans et extérieurs
* seul ce réseau a déclaré avoir un numérus clausus 120.
Tableau 2. Les participants à l’enquête
3.2. Le questionnaire
La conception du questionnaire (Cf. Annexe) a été réalisée en fonction de la revue de
littérature. Notre objectif a été d’opérationnaliser nos concepts (la communauté de pratique, la
communauté de liens faible et le mimétisme inter-organisationnel) et de les transposer en
questions permettant de repérer les actions mises en place par les réseaux avec comme ligne
de mire l’entrepreneur, l’entreprise et le marché.
151
Le questionnaire interrogeait sur trois grandes familles d’actions des réseaux :
celles relevant des communautés de pratique et visant la montée en compétences des
entrepreneurs membres afin de tester notre première proposition,
celles relevant des communautés de liens faibles et visant à favoriser l’accès des
entreprises membres à des ressources et des informations sur la détection d’opportunités
afin de tester notre deuxième proposition,
celles relevant du mimétisme et visant à favoriser l’accès de l’entreprise à de l’information
sur le marché, ainsi que la connaissance du marché et des meilleurs manières pour
satisfaire la demande afin de tester notre troisième proposition.
Concrètement, les actions identifiées par le questionnaire étaient les suivantes : les
critères de recrutement des entrepreneurs et de sélection des entreprises membres, les critères
liés au marché sur lesquels les entrepreneurs et leurs entreprises interviennent, les critères de
constitution des groupes de travail, la nature des informations disponibles dans l’annuaire du
réseau, dans la lettre du réseau, communiquées lors des réunions et des ateliers, les objectifs
des ateliers, l’objectif général ou la finalité du réseau. Chacune de ces actions a fait l’objet
d’une notation allant de 1 (jamais utilisé) à 9 (utilisé systématiquement). Nous avons regroupé
l’ensemble de ces questions afin d’obtenir la note moyenne obtenue par chacun des réseaux
en fonction des trois types d’actions mentionnées ci-dessus.
4. Les résultats
Nos propositions ont été confirmées au sens où l’ensemble des réseaux interrogés se
concentrent sur les trois niveaux de l’entrepreneur, de l’entreprise et du marché à travers un
travail sur l’opportunité d’affaire, les ressources et le modèle organisationnel. En même
temps, l’ensemble des réseaux interrogés met en œuvre des actions d’accompagnement qui
relèvent des communautés de pratique, des communautés de liens faible et du mimétisme
inter-organisationnel (cf. Tableau 3). En moyenne, les réseaux formels d’entrepreneurs
interrogés mettent notamment en œuvre des actions caractéristiques aux communautés de
pratiques et de liens faibles, et légèrement moins d’actions relevant du mimétisme interorganisationnel. Les actions faisant appel au mimétisme ont été moins citées que celles
relatives aux communautés de pratique et aux communautés de liens faibles. Les réseaux qui
semblent mobiliser le plus souvent des actions spécifiques aux communautés de pratique sont
ceux dont l’animateur est un professionnel ou quasi-professionnel de l’animation de réseau
(par opposition à ceux qui animent bénévolement). Les réseaux pour lesquels les actions liées
au mimétisme et donc aux enjeux de connaissance du marché semblent néanmoins jouer un
rôle central sont :
le Comité Bougainville (Tourisme) et le Réseau de l’image, les deux étant ancrés dans un
secteur d’activité donné,
Génération Medef, un réseau qui fonde ses actions sur la mise en avant de modèles
d’entrepreneurs de succès,
les réseaux qui s’adressent à des repreneurs afin de renforcer leurs connaissances relatives
au marché, critère déterminant dans le choix d’un repreneur par un cédant (CCIP – passer
le relais – Club repreneur CCIP75).
152
CCIP - passer le relais - Club repreneur CCIP75
Club des entrepreneurs du Pays Uzège-Pont du Gard
PDG 93
Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises ESME Sudria
LE RESEAU DE L'IMAGE
Business Club SARL
Comité Bougainville
Club de Entrepreneurs CCIP Paris - ADVANCIA
Génération Medef
Moyenne
Médiane
Communauté de
pratique
5,06
5,4
3,24
3,39
5,34
1,55
6,28
5,45
3
4,94
5,06
Communauté de
liens faibles
6,23
6,19
3,78
4,38
6,59
2,36
5,94
5,68
2,89
4,89
5,68
Mimétisme interorganisationnel
5,2
4,96
2,13
3,5
5,78
1,68
5,94
2,73
4,11
4
4,11
Tableau 3. Résultats de l’enquête
Pour faciliter la lecture du tableau ci-dessus, une représentation de type radar nous
permet de visualiser les différents réseaux en fonction des pratiques mises en avant. On peut
s’apercevoir que chacun des réseaux interrogés élabore au travers de ses pratiques un
« profil » particulier, en fonction de la fréquence d’apparition des actions d’accompagnement
relevant des trois dimensions testées dans l’enquête (voir Figure 2).
Figure 2. Les profils des réseaux formels d’entrepreneurs, selon leurs actions
d’accompagnement
Les résultats indiquent une prépondérance des actions relevant de la communauté de
liens faibles pour l’ensemble des répondants. Dans les réseaux interrogés, par rapport au
nombre total des membres, très peu d’entre eux se connaissaient avant d’intégrer le groupe
(cf. Tableau 4). Ceci confirme la constitution de communautés de liens faibles, avec des trous
structuraux favorisant la détection mutuelle d’opportunités d’affaires.
153
CCIP - passer le relais - Club repreneur CCIP75
Club des entrepreneurs du Pays Uzège-Pont du Gard
PDG 93
Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises (Association des Ingénieurs ESME Sudria)
LE RESEAU DE L'IMAGE
Business Club SARL
Comité Bougainville
Club des Entrepreneurs CCIP Paris – ADVANCIA
Génération Medef
Membres déjà connus avant
intégration
plus de 6
0
5à6
3à4
1à2
1à2
1à2
1à2
1à2
Tableau 4. Nombre d’entrepreneurs membres se connaissant entre eux avant l’entrée dans
le réseau
Lors de l’enquête, une dimension supplémentaire a été identifiée : la centralité de
l’animateur, qui joue un rôle essentiel dans la mise en relation entre les membres du réseau.
Son intervention change selon les modalités de recrutement, qui peuvent varier de
l’inscription libre à l’entretien d’adhésion. Cependant, même dans le cadre d’une inscription
libre, l’animateur est considéré (sauf pour le Club des Dirigeants et Créateurs d'Entreprises Association des Ingénieurs ESME Sudria) comme une « personne ressource » ou comme « le
principal référent » du réseau. La part des entrepreneurs connus par l’animateur est pour la
majorité des animateurs interrogés supérieure à 80%. 8 animateurs sur les 9 interrogés
reconnaissent jouer un rôle important dans la mise en relation des entrepreneurs, et ceci
quelles que soient les thématiques concernées - affaires, entraide ou collaboration. La
centralité est donc apparue comme un élément déterminant du rôle de l’animateur, ce qui
semble d’ailleurs représenter une récompense symbolique pour les animateurs bénévoles qui
consacrent du temps et des efforts à leurs réseaux, sans contrepartie financière.
Au-delà de la non-représentativité des résultats due aux dimensions réduites et à la
constitution de notre échantillon, d’autres limites sont apparues. D’une part, le rôle de
l’animateur et sa place centrale dans la mise en œuvre des actions et le fonctionnement du
réseau et, d’autre part, la dimension tacite des communautés de liens faibles. En effet, les
animateurs ont eu des difficultés à pointer les apports effectifs des liens faibles au
fonctionnement de leur réseau. Par ailleurs, l’auto-évaluation d’un dispositif créé et animé par
les participants peut avoir biaisé les réponses, avec des effets de sur- ou sous-évaluation des
actions véritablement déployées sur le terrain. Il est alors nécessaire de confronter discours et
pratiques afin de pouvoir repérer les écarts. Nous avons croisé pour chacun des réseaux
interrogés les réponses au questionnaire avec l’offre d’accompagnement du réseau, à partir de
documents écrits fournis par les participants à l’enquête. Il n’y a que pour le réseau PDG93
que nous avons relevé un écart important entre l’offre, les objectifs et les réponses au
questionnaire.
5. Discussion
Selon Prashantham et Young (2009), le capital social de l’entrepreneur devrait
comporter des liens faibles et forts, homogènes et hétérogènes, pour lui permettre d’acquérir,
assimiler, transformer et exploiter les ressources qui y sont attachées. Ring, Peredo et
Chrisman (2009) suggèrent que les réseaux d’affaires sont un moyen privilégié permettant de
mobiliser ces différents types de liens. Cependant, ils rappellent l’importance d’adapter les
actions du réseau aux besoins des membres au travers d’objectifs d’accompagnement
clairement énoncés. Nous pensons que notre travail pourrait contribuer à cette démarche de
154
mise en adéquation et permettre aux réseaux formels d’entrepreneurs de mieux articuler
objectifs et actions d’accompagnement.
Les réseaux formels d’entrepreneurs interrogés fonctionnent comme des
communautés de pratique, des communautés de liens faibles et des communautés de
mimétisme inter-organisationnel. Ces trois leviers de l’action répondent à des objectifs
d’accompagnement de l’entrepreneur dans sa montée en compétences, de l’entreprise dans
son identification d’opportunités, sa mobilisation de ressources et son organisation, et enfin,
de l’entrepreneur et de son entreprise dans leur capacité à répondre à la demande tout en
améliorant leur connaissance du marché. La typologie proposée n’offre pas des types
exclusifs, les réseaux interrogés mettant en avant des actions variées afin de répondre à
l’ensemble des problématiques de l’entrepreneur, de son entreprise et de son marché. Même si
les appellations des réseaux formels d’entrepreneurs (clusters, SPL, grappes d’entreprises,
etc.) évoquent des différences d’appartenance et de fonctionnement, dans la pratique, il
semblerait que les actions déployées renvoient davantage à un « patchwork d’approches »
qu’à des catégories étanches les unes par rapport aux autres.
Conclusion
Nous avons identifié dans la littérature trois critères de différenciation majeurs
permettant de catégoriser les réseaux formes d’entrepreneurs selon les actions mises en œuvre
de manière récurrente par l’animateur: la communauté de pratique, la communauté de liens
faibles et le mimétisme inter-organisationnel. Ces trois leviers contribuent à trois niveaux
différents aux attentes et besoins des entrepreneurs et de leurs entreprises. Tout d’abord, au
niveau de l’individu, ils conduisent à l’acquisition et au renforcement des compétences.
Ensuite, au niveau de l’entreprise, ils soutiennent l’identification d’opportunités et
l’acquisition de nouvelles ressources. Enfin, au niveau de l’entreprise vis-à-vis de son marché,
ils consolident l’exploitation d’opportunités, l’information et la connaissance du marché, ainsi
que la connaissance relative à la satisfaction de la demande. Cette mise en perspective des
actions, du fonctionnement et des objectifs des réseaux aboutit à l’élaboration d’une grille
d’analyse qui permet de classer les réseaux formels d’entrepreneurs non seulement au travers
de leurs caractéristiques internes mais aussi à partir de leurs actions orientées vers l’extérieur.
Cette démarche facilite, selon nous, une approche globale des réseaux formels
d’entrepreneurs.
Les animateurs des réseaux formels d’entrepreneurs pourraient utiliser le modèle
proposé - entrepreneur/communauté de pratique, entreprise/communauté de liens faibles et
marché/mimétisme inter-organisationnel - afin de clarifier leurs objectifs et de mieux
répondre aux besoins des entrepreneurs adhérents. Les entrepreneurs de jeunes entreprises
pourraient s’appuyer sur ce travail afin d’orienter le choix d’un ou de plusieurs réseau(x)
répondant à des besoins spécifiques. Plus concrètement, pour un entrepreneur intéressé
principalement par le développement de ses propres compétences, un réseau fonctionnant
comme une communauté de pratique serait le plus adapté ; pour un entrepreneur intéressé en
premier lieu par le développement des ressources de son entreprise, un réseau fonctionnant
comme une communauté de liens faible serait à envisager ; enfin, pour un entrepreneur
intéressé notamment par la connaissance du marché et de son secteur économique, un réseau
facilitant le mimétisme inter-organisationnel serait le plus pertinent. En effet, comme le
soulignent Chabaud et Ngijol (2004 : 16), « si une démarche générale de cartographie des
réseaux utilisés par l’entrepreneur est porteuse d’enseignements, l’interrogation sur un recours
différencié aux réseaux (…) permettra d’améliorer notre compréhension du comportement
entrepreneurial et, plus largement, nous permettra de cerner le potentiel explicatif de la théorie
des réseaux sociaux ».
155
Bibliographie
ALVAREZ S.A., BARNEY J.B (2004), « Organizing rent generation and appropriation:
toward a theory of the entrepreneurial firm », Journal of Business Venturing, n°19, p. 621–
635.
ALVAREZ S.A., BUSENITZ L.W. (2001), « The Entrepreneurship of resource based
theory », Journal of Management, n°27, p. 755-775.
AOUNI Z., SURLEMONT B. (2007), « Le processus d’acquisition des compétences
entrepreneuriales : une approche cognitive », 5ème Conférence Internationale de l’Académie
de l’Entrepreneuriat.
BARES F., BOURGNE P., FROEHLICHER, T. (2008), « Une lecture scientométrique de la
littérature sur les réseaux sociaux en sciences de gestion et en entrepreneuriat », 9e Congrès
International francophone en entrepreneuriat et PME.
BAYAD M., BOUGHATTAS Y., SCHMITT C. (2006), « Le métier de l’entrepreneur : le
processus d’acquisition de compétences », Congrès International francophone en
entrepreneuriat et PME.
BURT R.S. (1997), « The contingent Value of Social Capital », Administrative Science
Quaterly, n°42(2), p. 339-365.
BURT R.S. (1995), « Le capital social, les trous structuraux et l'entrepreneur », Revue
Française de Sociologie, 36 (4), 599-628.
CASSON M. (2005), « Entrepreneurship and the theory of the firm », Journal of Economic
Behavior et Organization, n°58, p. 327-348.
CHABAUD D., NGIJOL J. (2004), « La contribution des réseaux sociaux à la reconnaissance
des opportunités de marché », Cahier de Recherche, n°13.
CHELL E., BAINES S. (2000), « Networking, entrepreneurship and micro-business
behavior », Entrepreneurship and regional development, n°12, p. 195-215.
CHOLLET B. (2002), « L’analyse des réseaux sociaux : quelles implications pour le champ
de l’entrepreneuriat », 6ème Congrès international francophone sur la PME.
COASE R. (1937), The nature of the Firm, Economica, n°4(16), p. 386–405.
COHENDET P., CREPLET F., DUPOUËT O. (2003) , « Innovation organisationnelle,
communautés de pratique et communautés épistémiques : le cas de Linux », Revue Française
de Gestion, n°5(146), p. 99-121.
DIMAGGIO P.J., POWELL W.W. (1983), « The Iron Cage Revisited: Institutional
Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological
Review, n°48(2), p. 147-160.
DUPOUËT O., YILDIZOGLU M. COHENDET, P. (2003), « Morphogenèse de
communautés de pratique », Revue d’économie industrielle, n°103, p. 91-110.
FERNHABER S.A., LI D. (2010), « The Impact of Interorganizational Imitation on New
Venture International Entry and Performance », Entrepreneurship Theory and Practice.
FILION L.-J. (1998), « Deux types d’entrepreneurs : l’opérateur et le visionnaire.
Conséquences pour l’éducation », Cahier de recherche de la Chaire d’entrepreneurship
Malcean Hunter, n° 10.
156
GARTNER W. (1990), « What are we talking about when we talk about entrepreneurship? »,
Journal of Business Venturing, n°5(1), p. 15-28.
GARTNER W.B. (1988), « “Who is an entrepreneur" is the wrong question », American
Journal of Small Business, n°12(4), p. 11-32.
GRANNOVETER M. (1973), « The Strenght of Weak Ties », American Journal of
Sociology, n°78(6), p. 1360-1380.
GUYOT J.-L., JANSSEN F., LOHEST O. (2006), « Facteurs influençant la croissance de
l’emploi des PME wallonnes », Center for Research in Change, Innovation and Strategy,
Working Paper, n° 11.
GROSSETTI M., BARTHE J.F., « Dynamique des réseaux interpersonnels et des
organisations dans les créations d'entreprises », Revue française de sociologie 3/2008 (Vol.
49), p. 585-612
HOANG H., ANTONCIC B. (2003), « Network-based research in entrepreneurship. A critical
review », Journal of Business Venturing, n°18, p. 165-187.
JANSSEN F. (2002), « Les déterminants de la croissance de l’emploi des PME relatifs aux
caractéristiques du dirigeant d’entreprise », 6ème Congrès international francophone sur les
PME.
JENSSEN J.I., KOENIG H.F. (2002), « The effect of social networks on resource access and
business start-ups », European Planning Studies, n°10(8), p. 1039-1046.
JULIEN P.-A. (2007), « Le réseautage riche: une condition de croissance pour les PME »,
Vème Congrès International de l’Académie de l’Entrepreneuriat.
KIMBLE C., HILDRETH P. (2004), « Communities of practice: going one step too far? »,
Business, n°13.
KIRZNER, I. (1997), « Entrepreneurial Discovery and the Competitive Market Process : An
Austrian Approach », Journal of Economic Literature, XXXV, p. 60-85.
LAVE J., WENGER E. (1990), Situated Learning: Legitimate Periperal Participation.
Cambridge, UK Cambridge University Press.
LAVE J. (1991), Perspectives on socially shared cognition. American Psychological
Association.
LE BRASSEUR R., ROBICHAUD Y. (1999), « Les réseaux formels de relations comme
facteur de développement économique », Revue du Nouvel-Ontario, n°23.
LEVY-TADJINE T. (2010), « Pour une modélisation pragmatique de la relation
d’accompagnement entrepreneurial », Journée de recherche L’entrepreneuriat : apports de
recherche pour la pratique, p. 9-11.
LIEBERMAN M.B., ASABA S. (2006), « Why do Firms Imitate Each Others? », Academy of
Management Review, n°31(2), p. 366-385.
NIXDORFF J.-L. (2008), « Unraveling the Process: A Qualitative Study of Entrepreneurial
Cognition in Opportunity Recognition », George Washington University School of Business,
Thèse de doctorat.
PANSY HON, Y.L. (2004), « Entrepreneurial networks: a comparison of western and
Chinese concept », 13th Nordic Conference on Small Business Research.
PAPADAKI E, BASSIMA C. (2002), « Les facteurs déterminants de la croissance des microentreprises au Canada », Direction générale de la politique de la petite entreprise, Industrie
Canada.
157
PENROSE E. (2009), The Theory of the Growth of the Firm, Oxford, UK Oxford University
Press.
PESQUEUX Y. (2011), « Entrepreneur, entrepreneuriat (et entreprise) : de quoi s'agit-il ? »,
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/56/78/20/PDF/Entrepreneurship.pdf, version 1-22 fév.
2011.
PRASHANTHAM S., YOUNG S. (2009), « Post-Entry Speed of International New
Ventures », Entrepreneurship Theory and Practice, n°35 (2), p. 275-292
PROULX M.U. (1988), « L'approche par les réseaux : un instrument d'analyse mésoéconomique », Aix-en-Provence, Université d'Aix, Marseille III, Centre d'économie régionale,
CER.
RING J.K, PEREDO A.M, CHRISMAN J.J. (2009), « Business Networks Economic
Development in Rural Communities in the United States », Entrepreneurship Theory and
Practice, n°34 (1), p. 171-195.
SCHIEB-BIENFAIT N., CLERGEAU C. (2005), « Les dispositifs d’accompagnement à la
création d’entreprise ou l’économie sociale au secours de l’économie de marché », 4e Congrès
de l’Académie de l’entrepreneuriat.
SHANE S. (2000), « Prior Knowledge and the Discovery of Entrepreneurial Opportunities »,
Organization Science, Vol. 11, Issue 4, p. 448-469.
SHANE S., VENKATARAMAN S. (2000), « The promise of entrepreneurship as a field of
research », Academy of Management, n°25(1), p. 217-226.
SZARKA J. (1990), « Networking and Small Firms, » International Small Business Journal,
n°8(2), p. 10-22.
TJOSVOLD D., WEICKER D.W. (1993), “Cooperative and competitive networking by
entrepreneurs: A critical incident study », Journal of Small Business Management, n°31, p.
11-21.
TREMBLAY M., CARRIER C. (2006), « Développement de la recherche sur l’identification
collective d’opportunités d’affaires : assises et perspectives », Revue de l’Entrepreneuriat,
n°5(2), p.77-80.
VERSTRAETE T., FAYOLLE A. (2005), « Paradigmes et Entrepreneuriat », Revue de
l’Entrepreneuriat, p. 33-52.
WENGER E.C., SNYDER W.M. (2000), « Communities of Practice: The Organizational
Frontier », Harvard Business Review.
WIKLUND J., PATZELT H., SHEPHERD D. (2009), « Building an integrative model of
small business growth ». Small Business Economics, n°32(4), p. 351-374.
WITMEUR O. (2007), « L’évolution des stratégies de croissance des jeunes entreprises »,
Université libre de Bruxelles, Université d’Europe – Solvay Brussels School of Economics
and Management, Thèse de doctorat.
Retour à la table des matières
158
ANNEXE : le questionnaire
Les réseaux d’influence et l’implantation des PME
Ekaterina LE PENNEC 60
Doctoral student
GREDEG, CNRS, UMR 6227, France
IAE, Université de Nice, France
Antonin RICARD
Doctoral student
CERGAM, France
IAE, Université d’Aix Marseille, France
Résumé : Cet article a pour objectif d’introduire le concept de « réseau d’influence » dans le
contexte de l’implantation d’une entreprise à l’étranger. Ainsi, cette recherche commence par une
présentation des différentes approches théoriques sur l’internationalisation des PME. Ensuite,
nous introduisons et développons le concept de « réseau d’influence », sur la base des cadres
théoriques existants. Enfin, une étude empirique a été réalisée auprès de trois entreprises
implantées à l’international. Celle-ci nous permet de détailler les acteurs, les étapes et les éléments
clés de la mise en œuvre de ce type de réseaux, dans le cadre spécifique de l’implantation d’une
PME à l’étranger. Ces données permettront à terme de développer des outils afin d’aider les PME
à s’implanter à l’international.
Mots clefs : PME, internationalisation, réseaux d’influence, réseaux sociaux, étude de cas
Abstract: The aim of this article is to introduce the concept of “network of influence” in the
specific context of establishing a business abroad. Thus, this research begins with an overview of
various theoretical approaches of the internationalization of SMEs. Next, we introduce and
develop the concept of "network of influence" on the basis of existing theoretical frameworks.
Finally, an empirical study was conducted among three firms located abroad. This allows us to
detail the actors, the steps and key elements of the implementation of such networks, in the
specific context of the establishment of an SME abroad. These data will eventually conduct to
develop tools to assist SMEs to develop internationally.
Key words: SME, internationalization, social networks, influence networking, cases studies
60
Authors appear in alphabetic order
161
Introduction
L'internationalisation croissante des firmes, couplée aux progrès techniques en matière de moyens
de communication et à l'agrandissement de l'Union européenne ouvrent de vastes possibilités de
développement aux petites et moyennes entreprises (PME). Ainsi, les PME occupent une place
primordiale dans le paysage économique international. Selon un sondage effectué en 2007 par
l’Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et de l’Industrie (ACFCI) auprès des
dirigeants des PME françaises, 27% de ces dernières importent des produits, 22% exportent des
produits, 10% sont implantées à l’étranger. En outre, les PME françaises, pour un tiers, regardent
déjà vers l’international (CSA ACFCI, 2007). Ces chiffres appuient la légitimité des recherches
sur l’internationalisation des PME, également soutenue la communauté académique depuis de
nombreuses années (Penrose, 1959 ; Buckley et Casson, 1995 ; Coviello, 2006 ; Thorelli, 1986).
La majorité des travaux constate que l’internationalisation, dans le monde des petites et moyennes
entreprises, se caractérise par une très grande diversité et qu’aucune PME, quelle que soit son
origine géographique, ne ressemble totalement à une autre (Torrès, 1998). Par conséquent, les
chercheurs ont dressé diverses descriptions et analyses du comportement d’internationalisation
des PME. Dans notre travail de recherche, nous nous focaliserons sur l’approche par les réseaux,
développée, entre autres, par Gemser, Brand et Sorge (2004).
En effet, nous pensons que cette thématique n’est pas encore assez développée comme en
témoignent les différentes actions menées par les entreprises auprès de cabinets de conseil,
lorsqu’elles cherchent à se développer dans un pays étranger. En effet, les cabinets de conseil
accompagnent les sociétés dans le diagnostic de leurs forces et de leurs faiblesses, afin de les aider
à mettre en place leur stratégie de développement à l'international. Ils proposent ainsi à leurs
clients des études de marché, des informations sur la concurrence locale, l’organisation de visites
et la participation à des salons professionnels, des missions de prospective, du marketing direct…
Certaines vont plus loin en proposant l’hébergement à l’étranger, le recrutement de personnel, un
service de traduction et des conseils fiscaux à l’implantation. Toutefois, aucune aide n’est
apportée au développement structurel de l’entreprise lorsqu’elle est implantée, aucune aide ne lui
est fournie quant à son insertion dans le milieu local et les réseaux d’affaires du pays d’accueil or
il nous semble que ce point est essentiel.
Cette article a pour objectif de proposer des pistes de recherche pour répondre à la question
suivante : comment les réseaux d’influence interviennent-ils dans l’implantation d’une PME à
l’étranger? Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord effectuer un état des lieux des
différentes approches théoriques de l’internationalisation des PME. Ensuite, nous introduirons le
concept de « réseau d’influence », qui ne possède pas de cadre ni de domaine théorique existant.
Enfin, nous espérons mettre en évidence l’existence et le rôle de ce type de réseaux sur
l’implantation d’une PME à l’étranger en effectuant une étude de cas multiples.
1. Cadre théorique
1.1. Les approches théoriques de l’internationalisation
Différentes approches théoriques (économiques et managériales) ont été développées par les
chercheurs ces dernières années pour expliquer l’internationalisation des PME (Johanson et
Vahlne, 1977 ; Amis et Schoemaker, 1993, Gemser et al, 2004). Trois courants de pensée
dominent les recherches sur l’internationalisation : la théorie « behavioriste », l’approche par les
ressources et les compétences et l’approche par les réseaux. Cette partie nous permettra de
positionner notre nouvelle approche par rapport à ces trois courants et de mettre en évidence les
différences.
162
1.1.1. L’approche « behavioriste »
Ce courant de pensée s’inspire de deux modèles très connus : le modèle d’Uppsala ou « Umodel » (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975 ; Johanson et Vahlne, 1977) et le modèle
d’Innovation ou « I-model » (Bilkey et Tesar, 1977 ; Gankema et al, 2000). Ces deux modèles
décrivent et analysent l’internationalisation comme un processus linéaire. L’« U-model » a été
développé par l’Ecole suédoise d’Uppsala. Au cœur de ce courant de pensée se trouve une étude
empirique de Johanson et Widersheim-Paul (1975) effectuée auprès de quatre entreprises. Elle
décrit l’internationalisation comme un processus lent, graduel qui dépend de l’expérience acquise
par une entreprise sur un marché international. Johanson et Vahlne (1977) développent quatre
étapes successives d’internationalisation : 1) l’entreprise part du marché domestique, mais son
activité d’exportation est irrégulière ; 2) l’entreprise commence à exporter par l’intermédiaire d’un
agent indépendant ; 3) quelque temps après, l’entreprise crée une unité commerciale ; 4) enfin,
l’entreprise installe son unité de production. En développant ses activités, l’entreprise accumulera
de l’expérience et des connaissances sur le marché international, ce qui lui permettra de réduire sa
distance psychologique, définie comme l’ensemble des différences culturelles qui influence la
circulation de l'information entre une société et ses marchés (Johanson et Vahlne, 1977). Pour
expliquer la nature incrémentale du processus d’internationalisation, Johanson et Vahlne (1977)
ont formulé un modèle dynamique, dans lequel le résultat d'un cycle d'événements est vu comme
l'établissement de la contribution pour le cycle.
La structure fondamentale du modèle est fournie par la distinction entre les aspects statiques (state
aspect sets, décisions d’exécuter des ressources et de s’engager dans les activités étrangères) et les
aspects dynamiques (change aspect sets, décisions d'engagement) de l'internationalisation. Ce
modèle, se composant de deux facteurs qui sont la quantité de ressources acquises et le degré
d'engagement, insiste sur l'action continue réciproque entre d’une part le développement de
connaissances des marchés, et d’autre part l’engagement important de ressources sur les marchés
internationaux.
L’« I-model », élaboré par Rogers (1962), présente la décision d’internationalisation comme
processus d'apprentissage associé à l'adoption d'une innovation ou d'une nouvelle idée. Parmi
plusieurs modèles connus d’innovation, il faut souligner ceux de Bilkey et Tesar (1977) qui
représentent l’internationalisation comme un processus graduel, composé de plusieurs stades, de
l’ignorance de l’export vers l’exportation dans les pays psychologiquement plus distants, chaque
stade représentant un nouveau processus d’innovation. En effet, l’I-model est fondé sur les deux
concepts de base de l’U-model : il représente l’internationalisation comme le processus linéaire et
souligne l’importance de la distance psychologique (Bilkey et Tesar, 1977).
Ces approches sont dominantes dans les théories portant sur l’internationalisation des PME. Elles
ont souvent été critiquées pour leur nature mécanique (car elles décrivent tout simplement les
processus sans aller plus loin) et parce qu’elles ne permettent pas d’expliquer les comportements
de plusieurs PME, ce que font les deux autres courants de pensée, tels que nous le verrons ciaprès.
1.1.2. L’approche par les ressources et compétences
Ce courant de pensée définit l’entreprise comme un ensemble de ressources productives et
compétences de l’équipe (Penrose, 1959). L’avantage concurrentiel pour une entreprise est la
capacité de mobiliser et de coordonner ses ressources, ses compétences clés : stratégiques,
opérationnelles et techniques (Amit et Schoemaker, 1993, Prahalad et Hamel, 1990). Ainsi, pour
pouvoir employer ses ressources peu utilisées, l’entreprise se développe hors de ses frontières
(Penrose, 1959). Mais comment organiser le transfert des ressources à travers le monde ? D'abord,
la transmissibilité des ressources dépend de leurs caractéristiques. Les ressources tangibles,
comme les systèmes de distribution, ne sont pas faciles à échanger à travers les pays parce qu'elles
sont physiquement reliées à un endroit (Rugman, 1982). Les ressources impalpables, comme la
163
connaissance, sont toujours difficiles à transférer à travers différents endroits parce qu'elles sont
géographiquement spécifiques (Hu, 1995). Dans tous les cas, les PME recherchent leurs propres
moyens de transférer leurs ressources selon leurs propres capacités. Les autres facteurs importants
pour décrire l’internationalisation sont la disponibilité des ressources et l'intérêt pour le
développement de capacités (Tallman et Fladmoe-Lindquist, 2002). Les entreprises aux
ressources limitées et aux faibles capacités d’apprentissage auront des difficultés à se développer
même sur le marché local et elles ne pourront pas aller à l’étranger. A l’opposé, les firmes aux
fortes capacités d’apprentissage et aux ressources plus ou moins limitées vont réussir à
l’international. Les auteurs soulignent également la nécessité des regroupements des entreprises
en réseaux, car ces structures facilitent l’intégration au marché international, augmentant ainsi les
capacités d’apprentissage et créant des ressources supplémentaires.
1.1.3. L’approche par les réseaux
Fondée sur le modèle d'Uppsala, de Johanson et Vahlne (1990), l’approche par les réseaux définit
l'internationalisation comme l'extension, l’infiltration et l'intégration dans des réseaux de relations
d'affaires à l’étranger (Johanson et Mattsson 1988). L'extension fait allusion aux investissements
dans les réseaux encore inconnus pour l’entreprise, alors que l’infiltration signifie augmenter ses
engagements de ressources dans les réseaux où l’entreprise est déjà présente. L'intégration peut
être comprise comme la coordination de différents réseaux nationaux.
Johanson et Mattsson (1988), dans leur modèle, mettent l’accent sur l'apprentissage graduel et le
développement de connaissances du marché par l'action réciproque win-win dans les réseaux. La
position d'une entreprise dans le réseau peut être -micro- d’une firme à l’autre ou firm-to-firm
(contient les relations entre les membres d’un réseau) ou -macro- de la firme au réseau ou firm-tonetwork (développement des relations avec d’autres réseaux existants). En combinant ces micro et
macro perspectives, concernant les réseaux, Johanson et Mattsson (1988) ont identifié quatre
stades d'internationalisation : premier entrant ou the early starter, dernier entrant ou the late
starter, l'international solitaire ou the lonely international et l'international parmi d'autres ou the
international among others. La force de ce modèle réside dans le fait d'expliquer le processus
plutôt que l'existence des entreprises internationales.
Concernant le « premier entrant », les dépenses de l’entreprise sont importantes car les
connaissances des marchés étrangers sont limitées. L’objectif des entreprises à ce stade est
d’accumuler de l’expérience. Les entreprises peuvent rencontrer des difficultés liées à une
capacité de production insuffisante pour répondre à la demande du nouveau marché. Pour
« l'international solitaire », l'entreprise est présente à l’international et grâce à ses connaissances
du marché, elle peut entrer dans n’importe quel réseau. Le « dernier entrant » a des problèmes
différents de ceux relevés dans les deux précédents points : Les organisations ont déjà établi leurs
structures en réseaux. Elles peuvent bénéficier des avantages de ces dernières, mais le rôle des
clients ou des fournisseurs est plus important dans l’action d'ordonner le processus. La PME,
exposée à cette structure de marché, est hautement spécialisée et réglée aux spécificités de
l'industrie. L’étape « l'international parmi d'autres » opère dans un réseau compétitif et développé
des différentes nationalités. Par conséquent, pour les PME, l'internationalisation par les ressources
externes est la meilleure option stratégique (Johanson & Mattsson 1988).
Un autre courant de pensée, développé par Aldrich et Zimmer (1986), décrit l’importance des
réseaux informels de contacts. Ces réseaux, développant l’échange de contacts et de pratiques,
pourront être un appuie important pour une jeune PME. Dans la lignée de ces travaux, Gibb
(1988, 1997) introduit la layers theory et propose de hiérarchiser des acteurs d’un réseau d’appui
rencontré par une PME. McDougall et al (1994) affirment qu’ils pourraient être utilisés pour
164
identifier de nouvelles opportunités, obtenir des conseils d'affaires et l'assistance d’un expert aux
négociations étrangères, donc être à la source d’une implantation à l’étranger.
Les recherches sur les réseaux de contacts, appelés également par d’autres auteurs « réseaux
relationnels » (Surply, en 2000), « réseaux sociaux » (Granovetter, 1985) ou « réseau d’appui »
(Gibb, 1988) analysent des données relationnelles – les relations, leurs régularités, leurs
implications parmi des entités sociales. Surply, en 2000, définit ces réseaux comme « l’ensemble
des relations interpersonnelles qu’un individu entretient avec des personnes significatives de son
entourage social ; les acteurs sont des amis, des connaissances, des collègues ». Voisin (2004) les
décrit comme « un ensemble de liens concrets, informels, personnalisés entre un ensemble fini
d’acteurs constituant un instrument analytique donnant une représentation simplifiée d’un
système social complexe, en mettant à jour des régularités dans la composition, l’agencement des
relations et la frontière du réseau ».
Différents chercheurs (Etemad, 2005 ; Coviello et Munro, 1997) insistent sur l’importance des
réseaux relationnels, formels et/ou informels, dans le processus d’internationalisation. Parmi eux,
Gemser et al. (2004) soulignent que l’internationalisation émerge suite à des comportements
influencés par une multitude de relations formelles et informelles. Gemser et al. (2004) décrivent
que pour chaque entreprise, il y a deux formes d’internationalisation : en « cavalier seul » ou en
« coopération ». L’approche par les réseaux procure une nouvelle perspective d’interprétation du
processus d’internationalisation de la firme. Comme les relations sont définies par des liens entre
les unités (Granovetter 1985), les réseaux relationnels ont deux éléments principaux : l’ensemble
des acteurs (aussi appelés sommets ou nœuds) et les liens parmi eux (ou arcs). Un ensemble
d’acteurs peut être une organisation ou un groupe d’organisations. Les liens connectent des paires
d’acteurs. Ils peuvent être orientés potentiellement dans une direction (lorsqu’on donne des
conseils à quelqu’un par exemple), dichotomiques (présents / absents, ou amitié / non amitié) ou
ayant des valeurs (mesurées sur une échelle, comme la force de la relation d’amitié) (Masquefa
B., 2005). Les relations avec cet ensemble d’acteurs peuvent être la collaboration, le conseil, le
contrôle et bien sûr l’influence. Chaque relation définit un réseau différent. Nous choisissons
d’appeler réseaux d’influence, les réseaux dont la finalité est d’influencer sur les processus
d’internationalisation.
Après avoir montré que l’appartenance d’une entreprise à un réseau est un des déterminants de
l’implantation à l’étranger, et introduit la notion de réseau d’influence, les questions qui se posent
sont les suivantes : comment définir les réseaux d’influence, quel est leur rôle ? Quels en sont les
acteurs ? Comment fonctionnent-ils et comment pouvons-nous maximiser les avantages de ces
derniers ?
1.2. Internationalisation des PME et Réseaux d’influence
1.2.1. Définition des réseaux d’influence
Développée depuis plus de 50 ans, grâce aux travaux pionniers de French et Raven (1959, 1965),
le concept d’influence a été employé dans beaucoup de domaines : psychologie (processus par
lequel une personne fait adopter un point de vue par une autre) ; géopolitique (zone d'influence,
politique d'influence opposée à la politique de puissance) ; politique (désigne des phénomènes de
pouvoir qui ne reposent pas sur la détention d'une autorité légale - l’influence des intellectuels,
des médias ou des autorités morales, par exemple) ; sociologique (les groupes d'influence sont des
organisations qui exercent une certaine emprise sur les décisions des autorités et les réorientent
dans un sens favorable à leurs intérêts) ; en intelligence économique, notamment à propos du
lobbying. D’une manière générale, nous pouvons considérer l’influence comme une situation
sociale impliquant des relations entre des individus pouvant appartenir aux mêmes réseaux
sociaux ou pas. L’influence est le processus de construction ou de modification des modes de
pensées, d’une opinion ou d’un comportement d’un individu par un autre individu. Ainsi,
165
l’influence est le résultat d’une stratégie directe ou indirecte. Pour résumer, l’influence décrit des
relations individuelles ou collectives, visibles ou invisibles, positives ou négatives, conscientes ou
inconscientes entre la source d’influence (émetteur ou l’influent) et la cible (récepteur ou
l’influencé) (Huyghe, 2003).
Depuis de nombreuses années, le terme de « réseaux » est « cristallisateur de réflexions » tant
dans le monde académique que professionnel (Le Boterf, 2004). Le « réseau d’entreprises »
recouvre des types d’entreprises et des situations économiques très diverses chaque fois qu’il y a
décentralisation d’une entreprise vers des entreprises partenaires (Le Boterf, 2004). Nous pouvons
voir le réseau comme un nouveau paradigme technologique et une nouvelle logique
organisationnelle (Castells, 1998), ou comme « des relations que l’organisation entretient avec
son environnement » (Voisin et al, 2004). Gemser et al (2004) avancent que l’internationalisation
est née à la suite de comportements d’influence par une multitude de relations formelles et
informelles. De même, dans la lignée des travaux de Mathews et Zander (2007) et d’Ojala (2009),
une société peut tirer un avantage compétitif en construisant des réseaux internationaux pour
accéder aux nouvelles connaissances, ressources et compétences. En effet, ces réseaux
relationnels peuvent être étudiés sous le prisme de la notion d’influence (French et al., 1959 ;
Aissaoui et al., 2004 ; Tenzer, 2003 ; Gannon, 1995 ; Huyghe, 2003).
Nous définissons donc les réseaux d’influence comme des structures dans lesquels les acteurs ont
des rôles différenciés, mais qui sont liés les uns aux autres par une volonté de coopération
(formelle ou informelle) au sein d’une même communauté, afin de se soutenir mutuellement.
Pour être performant61, un réseau développe des fonctions et des objectifs précis : regrouper des
entreprises d’un même secteur, permettre à des entrepreneurs de rencontrer des investisseurs ou
encore mutualiser les ressources de petites structures. Ses membres ont une « culture réseau » : ne
pas hésiter à rendre service, être à l’écoute des autres, donner pour recevoir. La réciprocité fait, en
effet, partie des règles non écrites de ces clubs qui fonctionnent sur le principe du gagnantgagnant (win-win).
En outre, l’influence au sein des réseaux obéit à deux principes : la précision et la coordination.
« L’efficacité de l’influence naît d’abord du sens du lieu et du temps, de la façon d’évaluer les
potentialités ou les résistances, puis d’appliquer le minimum de pression pour obtenir le plus
grand effet. Elle joue, dans le cadre des relations interpersonnelles, avec l’efficacité d’un mot,
d’un conseil, le poids d’une solidarité ou d’une demi-promesse, sur une quasi-complicité »
(Huyghe, 2003). Lorsqu’on étudie la stratégie internationale menée par une entreprise, l’influence
est certainement au premier plan.
1.2.2. Les acteurs des réseaux et leur fonctionnement
Les acteurs des réseaux d’influence internationaux sont multiples, ils ne peuvent pas être
déterminés définitivement, car ils dépendent de la culture du pays que l’entreprise essaye
d’intégrer. Nous pouvons en citer quelques-uns : élite politique, élite économique, associations et
organismes non gouvernementaux du monde des affaires, CCI (Chambre de Commerce et
d'Industrie), entreprises multinationales. Au sein de chacun de ces groupes se trouvent des acteurs
spécifiques comme par exemple, au sein de l’élite politique et l’élite économique, des
responsables d’entreprises, des députés, des « think tanks », des « lobbies », des institutions
étatiques s’organisant dans les réseaux informels. Les associations et les ONG (organismes non
Authors appear in alphabetic order
ormance nous nous appuyons sur les travaux de Seppänen et al. (2005) et Gueye B. (2009) qui adoptent la notion
de performance à la confiance. Plus précisemment, Gueye B. (2009) considère que la performance est une
conséquence d’une confiance.
166
gouvernementaux) du monde des affaires en font également partie puisqu’elles réunissent des
entreprises afin qu’elles puissent partager leurs expériences. Ces groupes facilitent les relations et
l’insertion dans la communauté des affaires. On peut citer, par exemple, l’OPORA (Organisation
Non Gouvernementale des Petites et Moyennes Entreprises en Russie) ou Club France. Le Club
France organise différents événements pour réunir les membres et des membres potentiels. Par
exemple, l’Assemblée Générale du Club France a, cette année, réuni, au cours d’une même soirée,
plus de 650 participants. Les missions de cette organisation sont de promouvoir l’investissement
français à l’étranger et de créer un terrain d’échanges favorables pour les sociétés françaises
présentes ou cherchant à aborder ce marché. Elle a également pour vocation de faciliter les
contacts personnels et le partage d'expériences professionnelles au sein de la Communauté
d'Affaires Francophone. A l'écoute de ses adhérents, le Club France propose une structure souple
et une approche pragmatique pour trouver ensemble une solution à leurs préoccupations
professionnelles. Mais bien sûr leur principal objectif est de devenir une force d’influence. Les
CCI locales (Chambres de Commerce et d'Industrie) ont aussi comme mission de promouvoir
l’investissement et de créer un terrain d’échanges favorable pour les sociétés présentes à
l’étranger. Elles divisent leurs membres en « membres d’honneur », « membres entreprises » ou
« membres individuels ».
Il est important de s’interroger sur le degré d’influence des différents acteurs, de manière à
orienter le choix des acteurs vers les acteurs ayant le plus d’influence. Par exemple, pour une
entreprise A cherchant à s’implanter à l’étranger, les entreprises multinationales, déjà présentes
sur ce marché, de même origine que l’entreprise A, pourront dans certains cas être un soutien plus
efficace qu’une firme locale. Grâce à ces appuis, les PME pourront avoir accès aux ressources de
ce marché. Les acteurs des réseaux d’influence établissent des stratégies relationnelles afin
d’assurer leur développement. Les recherches existantes ont permis d’identifier plusieurs
classifications des stratégies d’influence. La plus connue, celle de Knippenberg (2003), distingue
deux stratégies d’influence, la soft ou douce et la hard ou dure (Knippenberg, 2003). La tactique
douce est une stratégie d’intégration rationnelle, où l’influencé peut accepter ou rejeter la pression
de l’influence. La tactique dure est assez agressive, son objectif étant d’aller jusqu’au but
recherché.
Après avoir présenté la notion de réseaux d’influence, il est important de la confronter à la réalité
du terrain. Nous allons observer comment les entreprises déterminent les réseaux d’influences, ses
acteurs, quelles sont les étapes d’intégration dans ces réseaux et enfin, quelle est l’influence de ces
derniers sur l’implantation d’une PME.
2. Méthodologie
L’étude de cas se présente comme la méthode la plus appropriée pour analyser le rôle et le
fonctionnement des réseaux d’influence dans l’implantation des PME à l’étranger. En effet,
l’étude de cas permet d’examiner un phénomène actuel et son contexte même si les frontières
entre ces derniers ne sont pas évidentes (Yin, 1994). Cette méthodologie permet de répondre à
l’objectif de notre article qui consiste à analyser l’ensemble des processus dans leur contexte
(Wacheux, 1996).
2.1. Le choix des études de cas
Dans le cadre de notre projet, nous avons décidé d’effectuer une démarche qualitative fondée sur
l’étude de cas multiples. Chaque cas a été sélectionné de manière à ce qu’il présente des
caractéristiques similaires, comme le conseille Yin (2003). Ainsi, trois PME russe ont été choisies
en prenant soin de respecter une certaine homogénéité entre elles. Premièrement, elles viennent
toutes du même secteur d’activité : ces entreprises se spécialisent depuis longtemps sur la
production de différents systèmes de purification de l’eau. Deuxièmement, ces entreprises
d’origine russes ont été créées au début des années 1990. Enfin, ces trois entreprises sont
167
implantées dans trois pays identiques (Allemagne, France, Etats-Unis). Quant à l’instrument de
recherche, nous avons premièrement privilégié les entretiens semi-structurés qui ne sont ni
entièrement ouverts, ni canalisés par un grand nombre de questions précises (Quivy et Van
Campenhoudt, 2006) afin de satisfaire l’objectif exploratoire de cet article. Les entretiens ont été
réalisés au cours de l’année 2011.
2.2. Recueil des données
Dans les trois études de cas, trois outils de recueil d’informations ont été utilisés : les entretiens,
l’observation directe et l’analyse de documents (Yin, 1989). En premier lieu, nous avons
interrogé les PDG, les directeurs des filiales, le directeur adjoint, les directeurs du marketing, les
responsables d’export et les responsables de projet (17 personnes au total dans chaque société soit
51 entretiens au total). Ces entretiens ont duré en moyenne une heure et demie et ont eu lieu en
face à face pour les personnes présentes en France et en Russie, par téléphone ou par
visioconférence pour les cadres présents aux Etats-Unis.
Enfin, nous avons également effectué une analyse de données secondaires : business plans des
projets internationaux, mails échangés entre les partenaires, études de marchés, notes internes sur
l’avancement des projets, etc. Pour le recueil de documents, nous avons collecté le maximum
d’informations à la fois sur nos trois entreprises, sur leurs partenaires et sur le développement des
sociétés sur les marchés étrangers.
Tableau 1. Présentation des entreprises étudiées
Entreprise
A
B
C
Implantation dans les Pays Nombre d'employé
Allemagne 2009
France 2004
Etats-Unis 1998
Allemagne 2006
France 2011
Etats-Unis 2008
Allemagne 2002
France 2006
Etats-Unis 2001
150
60
125
Le guide d’entretien a été construit autour de thèmes formulés pour répondre aux questions de
recherche. Lors des entretiens, nous avons commencé par présenter notre définition du réseau
d’influence, puis nous avons abordé successivement les thèmes qui suivent :
Thème 1 : Quels sont les acteurs de réseaux d’influence ?
Ce premier thème avait pour objectif de déterminer les acteurs du réseau. Nous avons commencé
par la question ouverte : quels sont les acteurs publics ou privés que vous connaissez qui
accompagnent les entreprises dans leur démarche d’internationalisation ? La liste des acteurs
proposée aux interrogés représentait les membres suivants : l’élite politique, l’élite économique,
les associations et ONG (organismes non gouvernementaux), les CCI locales (Chambres de
Commerce et d'Industrie), les entreprises multinationales, les collectivités territoriales, les
cabinets de conseil.
Thème 2 : Comment et par quelles étapes les entreprises intègrent-elles les réseaux d’influence ?
Ce deuxième thème a contribué à analyser la stratégie des premières démarches de l’entreprise
pour rejoindre un réseau. Nous avons posé, par exemple, les questions suivantes : « Comment
établir les premiers contacts ? » ou « Quelles sont les stratégies les plus efficaces ? ». Enfin nous
avons demandé de formuler quelques recommandations à ce sujet.
168
A la suite de ces 51 entretiens, une analyse de contenu a été effectuée (Grenier et Josserand, 2003)
grâce aux techniques de codage ouvert et axial (Strauss et Corbin, 1990).
3. Résultats et discussions
L’articulation des résultats est organisée en trois parties répondant aux thèmes de l’entretien semidirectif: la description des acteurs des réseaux, l’intégration des réseaux via ces acteurs et le rôle
de la confiance dans l’établissement des réseaux d’influence locaux.
3.1. Les acteurs des réseaux d’influence
Dans le processus d’implantation, les entreprises entrent en relation avec différents acteurs.
L’objectif de cette recherche était de déterminer lesquels, parmi eux, peuvent être considérés
comme les acteurs de réseaux d’influence et lesquels ont un impact sur l’implantation de PME à
l’étranger.
Tout d’abord, les premiers partenaires des entreprises sont les CCI locales (Chambre de
Commerce et d'Industrie) et les agences chargées du développement économique de la région :
« Notre premier partenaire en France est une CCI locale » (l’entreprise C, répondant R 2). Ces
dernières permettent aux entreprises de rencontrer les cadres des entreprises multinationales
d’origine russe qui s’implantent sur le même territoire avant les multinationales d’origines locales
ou étrangères (dans tous les cas, les entreprises considèrent ces trois types de multinationales
comme les différents types d’acteurs d’un réseau d’influence) : « en Allemagne nous avons
beaucoup travaillé avec une entreprise multinationale d’origine locale dont le PDG nous avons
rencontré pendant le petit déjeuner organisé par une CCI, son dirigent nous a accueilli bras ouvert
se qui n’était pas le cas de l’entreprise russe s’implanter sur le même territoire, magret l’effet
qu’on ne travaille pas sur les mêmes produits » (l’entreprise A, répondant R 3). Le rôle le plus
important a été accordé aux élites politiques et économiques locales comme par exemple les
députés, les personnes d’influence, les « think tanks », les « lobbies ». Par exemple, une des
entreprises a constaté qu’elle avait réussi son implantation aux Etats-Unis grâce à son intégration
dans un club informel via un député connu : «Dans notre implantation a Californie nous avons
rencontré Monsieur X, dans un soirée organisé par la mairie. Cette personne nous a permis
d’intégrer dans le club des dirigeants locaux, qui organise ses réunion informels tout les mois dans
le club du golf » (l’entreprise C, répondant R4).
On note également le rôle important des cabinets de conseil locaux. Ce résultat peut s’expliquer
par l’activité croissante des cabinets ces dernières années et par la diversification de leurs services
proposés : « Pour s’implanté en Allemagne nous avons embouché le cabinet du conseille, dons le
dirigent nous avons rencontré dans un salon spécialisé » (l’entreprise A, répondant R1) ». De plus,
les cabinets possèdent aujourd’hui leurs propres réseaux d’influence. Ainsi, la collaboration avec
ces derniers, d’ordinaire très coûteuse pour une entreprise, donne un accès direct à des contacts
importants. Cependant cette voie peut s’avérer risquée et conduire à une perte de temps et / ou
d’argent à cause de mauvais partenaires. Par exemple, on rencontre des cabinets qui se présentent
comme membres actifs d’un réseau important, mais qui en réalité ne jouissent d’aucune relation
ou bonne réputation sur le marché local. Par exemple, une des société a, selon son directeur
général, vécu une mauvaise expérience en France : en 2006, l’entreprise a contacté un cabinet
avec un projet d’implantation dans la région PACA. Pendant deux ans, l’entreprise finançait le
projet. Mais au final, cette collaboration n’a pas du tout répondu aux attentes de l’entreprise :
« L’expérience française nous a couté chère nous avons perdu de l’argent et du temps. Le cabinet
du conseille avec lequel nous nous somme engagé en effet n’était pas bien réputé en France »
(l’entreprise C, répondant R2). Cette anecdote renforce l’importance cruciale du choix du bon
réseau d’influence.
169
3.2. Les étapes d’intégration des réseaux d’influence
En ce qui concerne l’intégration dans un réseau, les interrogés relèvent que, très souvent, les
premiers contacts avec les membres des réseaux intéressants avaient été élaborés au cours des
événements tels que salons, conférences, foires, petits déjeuners d’affaires organisés par les CCI
ou les associations. Plusieurs contacts ont également été élaborés grâce aux connaissances,
recommandations d’anciens partenaires ou membres des réseaux déjà connus. Les lieux cités
comme les plus efficaces et les moins coûteux pour faire des rencontres d’affaires sont les salons
professionnels internationaux : « Quand nous avons décidé de s’implanter en Allemagne les
membres de notre équipes sont parti pour participer au salon afin de rencontrer les acteurs
économiques locaux » (l’entreprise A, répondant R2). Les salons permettent à la fois de lancer et
de fidéliser ses partenaires habituels en faisant de la promotion d'image de marque de la société,
d'enrichir ses connaissances du marché, d’observer l'état de la concurrence et bien évidemment de
constituer ou de développer son réseau.
Les sociétés confirment qu’il ne faut pas attacher trop d'importance à la vitesse de réalisation de
l’internationalisation, mais qu’il faut plutôt classer les tâches de ce développement suivant leur
degré d'importance. Le directeur général de la PME « A » conseille tout simplement d’« aller vers
les autres » et de ne pas oublier le principe général des réseaux winwin ou gagnant-gagnant. On
peut, par exemple, essayer d’organiser des rencontres et des échanges d’expériences entre les
acteurs connus, si le budget d’entreprise le permet. L’accès le plus court vers le développement
des relations reste la construction du développement de la confiance interpersonnelle.
Pour rejoindre un réseau d’influence à l’étranger, une entreprise passe par trois étapes : 1) les
premiers contacts, 2) le développement des relations, 3) la création de la confiance.
1) Les premiers contacts : coopérer avec des membres de réseaux identifiés offre une vision des
possibilités, voire des compétences, des connaissances et des ressources disponibles dans le pays
d’accueil. Comme l’avait présenté Huyghe (2003), nous avons noté que « l’efficacité de
l’influence naît d’abord du sens du lieu et du temps et de la façon d’évaluer les potentialités ou les
résistances ». Le plus difficile pour les entreprises, nous semble-t-il, est à la fois de se développer
tout en maintenant simultanément une activité relationnelle avec plusieurs réseaux. Un
développement comme l’activité relationnelle mobilise beaucoup d’investissement et d’énergie
tout en n’offrant aucune garantie de résultats. La procédure la plus courante consiste à commencer
par contacter les organisations non gouvernementales qui réunissent les personnalités du monde
des affaires. Ces organismes organisent régulièrement des rencontres, des réunions, des
conférences pour leurs membres et les futurs membres potentiels.
2) Le développement des relations : il débute après avoir établi les premiers contacts avec les
réseaux potentiels. Cette étape conduit à mobiliser des futurs partenaires potentiels répondant aux
objectifs de l’entreprise, en essayant d’appliquer le minimum de pression pour obtenir le plus grand
effet (Huyghe, 2003).
3) La confiance: Dans ce cas, la confiance est la notion clé des réseaux d’influence.
3.3. La confiance comme catalyseur des réseaux d'influence
Les entreprises considèrent la confiance comme le dernier stade d’intégration à un réseau
d’influence. Selon Surply (2006), la confiance peut être comme : « un état de vulnérabilité face à
une situation d’incertitude créée par le comportement stratégique du partenaire ou de possibles
manifestations d’opportunisme… un méso concept intégrant les processus psychologiques
170
individuels, la dynamique de groupe et les arrangements institutionnels » ou comme « un
ensemble de mécanismes qui permet à deux ou plusieurs individus ou organisations de mener à
bien une tâche qui nécessite la participation de tous à des degrés divers ». La confiance, c’est une
capacité à dépasser la peur entre les acteurs de réseaux qui ont des relations durables pour
s'engager dans la construction risquée. Ce facteur est donc un élément clé à maîtriser pour la
construction des réseaux d’influence. Zucker (1986) distingue trois formes de confiance en
fonction de leur mode de production :
la confiance intuitu personae (characteristic based trust),
la confiance relationnelle (process based trust)
la confiance institutionnelle (institutional based trust).
La confiance intuitu personae (characteristic based trust) est attachée à une personne en fonction
de caractéristiques propres (par exemple, l’appartenance à une famille, une ethnie ou à un même
corps). La base de cette forme de confiance est dans les caractéristiques particulières des
personnes. C’est l’étape où l’organisation commence à faire connaissance, à échanger, à établir
des contacts avec des partenaires potentiels. On peut supposer que cette étape ouvrira la porte
d’un possible nouveau réseau. La confiance relationnelle (process based trust) est fondée sur les
échanges des expériences vécues et des contacts établis. – Dans ce cas, la confiance est attachée à
une structure formelle qui garantit les attributs spécifiques d’un individu ou d’une organisation.
La confiance institutionnelle (institutional based trust) est liée avec une structure formelle qui
affirme les attributs spécifiques (Zucker, 1986). C’est l’étape au cours de laquelle les relations
sont créées : les acteurs partagent une culture commune, une vision similaire du monde. Comme
la confiance est créée à partir de valeurs communes entre les acteurs, ces derniers les traduiront en
objectifs communs (Ouchi, 1980). Des relations fondées sur la confiance entre des entreprises, qui
n’ont pas toujours les mêmes objectifs et qui ne partagent pas forcément la même culture, sont
une possibilité d’engagement dans une relation d’interdépendance, non contractuelle (Van Wijk,
2000).
En tant que stratégie internationale menée par une entreprise, un réseau d’influence permet ainsi
de faire circuler des éléments matériels ou immatériels entre chacun de ses acteurs selon des
règles bien définies. Pour rejoindre un réseau d’influence à l’étranger, une entreprise passe par
trois étapes : 1) les premiers contacts, 2) le développement des relations, 3) la création de la
confiance.
La création de la confiance est la première étape de l’accession à un réseau. L’entreprise, après
être devenue un membre du réseau d’influence, partage ses relations, ses intérêts et ses valeurs.
Nous pouvons considérer que l’élite politique, l’élite économique, les collectivités territoriales,
les associations et les ONG (organismes non gouvernementaux) du monde des affaires, les CCI
locales (Chambres de Commerce et d'Industrie), les cabinets de conseils font partie des acteurs
des réseaux d’influence à l’étranger. Ce sont des outils parfaits pour les entreprises voulant réussir
à l’international, mais il faut bien savoir les utiliser. Les réseaux d’influence sont une construction
risquée. Ils peuvent être utilisés « pour » ou « contre » l’entreprise cherchant à s’implanter à
l’étranger. Les sociétés ont toujours le risque d’entrer en relation avec un réseau ne possédant pas
une bonne réputation sur le marché local. Les entreprises multinationales, de mêmes origines que
les PME et déjà présentes sur le marché à l’étranger, sont des appuis très efficaces pour les
entreprises qui s’y implantent.
Les études de cas effectuées ont satisfait nos premières attentes. L’analyse qualitative confirme
l’importance des réseaux d’influence ainsi que leur impact sur l’implantation des PME à
l’étranger et sur l’image des entreprises. Comme les réseaux d’influences ne possèdent pas de
cadre théorique bien déterminé, nous voudrions développer nos propositions avec une approche
comparative qui permettra d’analyser des situations identiques dans des réalités différentes : par
171
exemple, l’implantation de petites et moyennes entreprises dans différents pays. Il est important
d’étudier ce phénomène en s’intéressant au cadre de plusieurs projets, de plusieurs études de cas.
Conclusion
Dans cet article nous avons effectué une articulation des différentes approches théoriques de
l’internationalisation des PME avec les fondements des approches par les réseaux. Le réseau
d’influence ne possède pas de cadre ni de domaine théorique spécifique. Ce concept découle
différentes approches : sociologiques, historiques, organisationnelles ou stratégiques. La notion de
réseaux d’influence est complexe. Rejoindre un réseau d’influence surtout à l’étranger est un acte
d’engagement. Il faut y consacrer du temps et faire les rencontres décisives pour l’activité.
L’étude qui vient d’être réalisée est intéressante à plusieurs titres. Sur le plan théorique, elle
permet d’introduire et d’analyser la notion de réseau d’influence. Pour le monde des affaires des
petites et moyennes entreprises prêtes à développer leurs activités à l’international, elle présente
les acteurs pour accéder aux réseaux. Sur le plan empirique, cette étude permet de comprendre les
réalités opérant dans un environnement particulier et risqué, celui de l’internationalisation des
PME. En outre, l’analyse des acteurs de ce réseau permet également de cerner les enjeux et les
étapes de leur intégration.
Il paraît à présent nécessaire de mettre en lumière l’ensemble des relations interpersonnelles de
nature formelles ou informelles, qui relient les acteurs d’un territoire (Granovetter, 1985). En
outre, un prochain développement pourrait être d’étudier la structure de ces réseaux, via
l’utilisation de cartographies.
Bibliographie
ACFCI (2007), L'internationalisation des PME, sondage CSA N°0701248.
AMIT R., SCHOEMAKER P. J. (1993), «Strategic assets and organizational rent», Strategic
Management Journal, n°14, p.33-46.
AGERON B., HUAULT I. (2002), « Complexité du processus d’internationalisation de la PME :
vers un enrichissement de l’approche behavioriste », Management International, n°6(2), p.43-53.
ALDRICH H., ZIMMER C. (1986), Entrepreneurship through social networks, dans Sexton, D.L.
and Wilson, R.W. (Eds), The Art and Science of Entrepreneurship, Ballinger, Boston College,
p.154-67.
BILKEY W., TESAR G. (1977), «The export behavior of smaller sized Wisconsin manufacturing
firms», Journal of International Business Studies, n°8 (1), p.93-98.
BLANCHET A., GOTMAN A. (1992), L’enquête et ses méthodes: l’entretien, Nathan Université
LE BOTERF G. (2004), Travailler en réseau, Edition d’Organisation.
CASTELLS M. (2001), La société en réseaux, Fayard.
COVIELLO N.E., MUNRO H. J. (1997), «Network relationships and the internationalization
process of small software firms», International Business Review, n°6(4), p.361-386.
CONVIELLO N.E. (2005), «The network dynamics of international new ventures», Journal of
International Business Studies, vol. 37, n° 5, p.713- 731.
ETEMAD H. (2006), «SME internationalization strategies based on a typical subsidiary
Evolutionary life cycle in three distinct stages». Management International Review, n°45 (3),
p.145-186.
FRANCOIS L. (2004), Business sous influence, Eyrolles.
GANKEMA H.G., SNUIF H.R., ZWART P.S. (2000), « The internationalization process of small
and medium-sized enterprises: An evaluation of stage theory». Journal of Small Business
Management, n°38 (4), p.15-27.
172
GEMSER G., BRAND M.J., SORGE A. (2004), « Exploring the Internationalization Process of
Small Businesses: A Study of Dutch Old and New Economy Firms», Management International
Review, n°44 (2), p.127-150.
GIBB A.A. (1988), 'Stimulating Entrepreneurship and New Business Development'. International
Labour Office, Geneva, p. 73.
GIBB, A.A. "Small firms' training and competitiveness, Building upon the small business as a
learning organisation", International Small Business Journal, April-June, Vol. 15, n°3, Issue n°59,
p. 13-29, 1997.
GUYE B. (2009), « La généralisation de la confiance, pivot de la performance dans les réseaux de
franchise: proposition d’un modèle ». Revue Management et Avenir, n°22, p.171-187.
GRANOVETTER M. (1985), «Economic action and social structure: The problem of
embeddedness», American Journal of Sociology, n°91 (3), p.481-510.
HU Y.-S. (1995), «The International Transferability of the Firm’s Advantages», California
Management Review, n°37, p.73–88.
HUYGHE F.-B. (2003), «L’influence ou le pouvoir des signes», Agir, revue de la Société de
stratégie, n° 14.
JOHANSON J., WIEDERSHEIM-PAUL F. (1975), «The internationalization of the firm- four
Swedish cases», Journal of Management Studies, n°12 (3), p.305-322.
JOHANSON J., VAHNE J.-E. (1977), «The Internationalization Process of the Firm : a Model of
Knowledge Development and Increasing Foreign Market Commitments», Journal of International
Business Studies, n°8 (1), p.23-32.
JOHANSON J., VAHNE J.-E. (1990), «The mechanism of internalization», International
marketing review, n°7(4), p.11-24.
JOHANSON J., MATTSON L-G. (1988), «Internationalization in industrial systems- A
Network approach», Strategies in global competition, p.287-314.
MATHEWS J.A., ZANDER I. (2007), «The International Entrepreneurial Dynamics of
Accelerated Internationalization», Academy of International Business, n°38, p.387-403.
MC DOUGALL P., OVIATT B. M. (2000), «International entrepreneurship: The intersection of
two research paths», Journal of Small Business Management, n°43 (5), p.902-909.
OUCHI W. (1980), «Markets, Bureaucracies, and Clans», Administrative Science Quarterly,
n°25(1), p.129.
OJALA A. (2009), «Internationalization of knowledge-intensive SMEs: The role of network
relationships in the entry to a psychically distant market», International Business Review, n°18,
p.50-59.
PRAHALAD C. K., HAMEL G. (1990), «The core competence of the corporation», Harvard
Business Review (May-June), p.79-91.
PENROSE E. (1959), The Theory of the Growth of the Firm, Oxford University Press.
ROGERS E. (1962), Diffusion of Innovations, The Free Press.
RUGMAN A. (1982), Inside the multinationals, Croom Helm.
SEPPANEN R., BLOMQVIST K., SUNDQVIST S. (2005), « Measuring Inter-Organizational
Trust-A Critical Review of the Empirical Research in 1990-2003», Industrial Marketing
Management, n°2 (36), p.249-265.
SURPLY J. (2006), Thèse de doctorat, « Gouvernance des transferts de savoirs et de compétences
dans la coopération interentreprises « nord-sud » : le cas du Liban», Sceaux : Université Paris
Sud, faculté Jean Monnet, laboratoire Pesor.
TALLMAN S., FLADMOE-LINDQUIST K. (1994), «A resource-based model of the
multinational firm», Article présenté à la 1994 Strategic Management Society Conference, Paris.
TALLMAN S., FLADMOE-LINDQUIST K. (1994), «Resource-based strategy and competitive
advantage among multinationals», In P. Shrivastava, A. Huff & J. Dutton (eds), Advances in
Strategic Management, 10A.Interorganizational relations and interorganizational strategies, p.4572, JAI Press Inc.
173
TALLMAN S., FLADMOE-LINDQUIST K. (2002), «Internationalization, Globalization and
Capability Based Strategy», California Management Review, n°45 (1), p.116-135.
THORELLI H.B (1986), «Networks: between markets and hierarchies», Strategic Management
Journal, n°7, p.37-51.
TORRES O. (1998), «Vingt-cinq ans de recherche en PME : une discipline entre courants et
Contre-courants, in Torres, O. (Sous coordination), PME: De nouvelles approches, Paris, Edition
Economica, p.17-53.
VAN WIJK G. (2000), Confiance et Structure, La confiance en Question, in Laufer R. and
Orillard M. Cahiers de Socio-Economic. Harmattan.
VOISIN C., MAHMOUD-JOUINI S. B., EDOUARD S. (2004), Les Réseaux: Dimensions
Stratégiques et Organisationnelles, Economica.
WACHEUX F. (1996), Méthodes Qualitatives et Recherche en Gestion, Economica.
YIN R. K. (1994), Case study Research-Design and Methods, Applied Social Research Methods
Series, Vol 5, Sage Publications, Second Edition, Thousand Oaks.
ZUCKER L. (1986), «Production of trust: institutional sources of economic structure: 18401920», Research in Organization Behavior, n°8, p.53-111.
Retour à la table des matières
174
Comment peut-on voir le monde depuis son appartement ? Un
cadre d’analyse liant structure de propriété, comportements
stratégiques, orientations temporelles du dirigeant et de la
Moyenne Entreprise
Ludvig LEVASSEUR,
Doctoral Research Assistant - PhD Student,
Groupe Sup de Co Montpellier Business School, Montpellier Research in Management,
l.levasseur@supco-montpellier.fr
Résumé :Une démarche abductive et des données qualitatives ont d’abord permis de créer un
cadre d’analyse intégrant structure de propriété, comportements stratégiques et orientations
temporelles (du dirigeant et de la Moyenne Entreprise) puis de mettre en évidence le conflit
entre les différentes orientations temporelles du dirigeant. Plusieurs recherches montrent les
dimensions du cadre comme l’indépendance formelle de la propriété actuelle ou la
considération insuffisante apportée par l’analyse stratégique aux implications individuelles et
collectives du temps. Or, le niveau moyen de développement de la ME peut ici permettre de
combler ce vide théorique. Il convient donc de savoir comment la structure de propriété
influence les comportements stratégiques et les orientations temporelles du dirigeant et de la
ME. Cette question renvoie alors le dirigeant au conflit entre un futur de court terme ou
proxémique (l’appartement) et un futur de long terme ou lointain (le monde). Les résultats des
quatre études de cas montrent le rôle de certaines variables (Conseil d’Administration,
synergies, paramètres familiaux et personnels lors de la transmission, incertitude, importance
du rapport à l’investissement et aux personnes) sur l’anticipation, l’innovation, la
formalisation, l’orientation temporelle du dirigeant, l’orientation temporelle stratégique de
l’organisation, la finance et la gestion des ressources humaines. Ils montrent également que,
étant forcé de se projeter dans l’avenir et de faire face à un quotidien incertain, le dirigeant se
résigne face à la vie, ce qui rend difficile toute stratégie de long terme. Enfin, des conseils ont
été prodigués et des pistes de recherches futures ont été évoquées.
Mots-clés: PME ; entreprises familiales ; propriété ; stratégie ; temps
Abstract :An abductive approach and qualitative data were first of all used to create an
analytical framework encompassing the ownership structure, strategic behaviour and time
perspectives of the CEO and the medium-sized enterprise. Conflicts between the CEO's
different time perspectives were then identified. Several previous studies have emphasised
aspects of this framework, such as the formal independence of current ownership structure as
well as the failure of strategic analysis to fully take into account the impact of time on
individuals and groups. The medium-sized enterprise's low level of development was deemed
ideal in order to seek to bridge this theoretical gap. It was therefore necessary to find out how
ownership structure influences the strategic behaviour and time perspectives of the CEO and
175
the medium-sized enterprise. This research question hinges on the conflict between the CEO's
time perspectives: the short-term or proxemic future (the apartment) versus the long-term or
distant future (the world). Findings from four case studies showed the influence of certain
variables (i.e. the board of directors, synergy, family and personal factors during the transfer
period, uncertainty, the importance of investment and people) on forecasting, innovation,
reporting, the CEO's time perspective, the company's strategic time perspective, finances and
human resource management. The results also showed that since CEOs are forced to be
future-oriented while experiencing uncertainty on a day-to-day basis, they become resigned
towards life, which makes it difficult to develop any long-term strategy. Finally, some
recommendations to CEOs and possible avenues for future research were suggested.
Keywords: SMEs, family businesses, ownership, strategy, time
Introduction : présentation et justifications de la question, de l’intérêt, des
objectifs et du plan de recherche
Aujourd’hui, ‘un actif sur deux employés dans une PME travaille en réalité pour un
groupe, si bien que l’indépendance […] est de plus en plus formelle et de moins en moins
économique’ (Filion, 2007 : 50). Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi ‘la structure
de propriété devient […] une variable déterminante pour différencier l’univers des ME [ou
Moyennes Entreprises]’ (Le Vigoureux, 1997 : 78). Or, la structure de propriété influence le
comportement stratégique de la ME puisque ce dernier diffère selon la structure du capital de
ce type d’entreprise. Ainsi, lorsque la propriété, la direction et le contrôle sont concentrés,
l’entreprise (plutôt ‘indépendante’ ici) adopte un comportement stratégique ‘Conservateur’
(caractérisé par moins de prise de risque, d’innovation et de proactivité). À l’inverse, lorsque
la propriété, la direction et le contrôle sont dispersés, l’entreprise (plutôt ‘adossée’ ici) adopte
un comportement stratégique ‘Entrepreneurial’ (caractérisé par plus de prise de risque,
d’innovation et de proactivité) (Le Vigoureux, 1997 : 84). Cependant, si le lien entre structure
de propriété et comportement stratégique est désormais plus clair, ‘l’analyse stratégique [bien
qu’ayant été] récemment nourrie de […] reconnaissance, […] n’a […] pas encore pris la
mesure des implications d’un temps multiple, subjectif, créateur mais aussi destructeur,
individuel (psychologique) ou collectif (organisationnel, culturel). Les implications de
l’orientation temporelle des dirigeants sur leurs comportements stratégiques et leur vision de
l’avenir, la coexistence de temps multiples dans l’organisation et leurs impacts sur les
processus d’apprentissage ou la formation de la stratégie n’apparaissent souvent qu’en
filigrane dans la littérature’. On se propose de combler ce vide théorique à travers l’étude de
la Moyenne Entreprise (ou ME). En effet, cette dernière ‘peut […] constituer sur maints sujets
un terrain propice aux constructions intellectuelles futures tant elle se situe à un stade de
développement intermédiaire offrant un bon équilibre entre le nombre de variables à explorer
et une lisibilité de leurs enchaînements’ (Aurégan, Joffre et Le Vigoureux (1997 : 2057-2058
pour les deux citations)). Ainsi, le problème qui se pose est de déterminer comment la
structure de propriété influence les comportements stratégiques et les orientations
temporelles du dirigeant et de la ME. On verra que cette question renvoie alors le
dirigeant au conflit d’orientations temporelles entre un futur que l’on peut qualifier de
court terme ou de proxémique (l’appartement) et un futur lointain ou de long terme (le
176
monde) 62. L’intérêt de cette recherche est double. Cette recherche devrait permettre, d’un
point de vue théorique, de lier différents champs appartenant aux sciences de gestion et à la
psychologie sociale, ouvrant ainsi la voie à des recherches et des collaborations futures. Elle
devrait également permettre, d’un point de vue managérial, de conseiller les dirigeants 63 sur
ces thématiques et ce, quel que soit le degré d’ouverture du capital de leur entreprise. Nos
deux objectifs sont donc de construire des propositions qui aideront à la création d’un cadre
d’analyse liant structure de propriété, comportements stratégiques, orientations temporelles du
dirigeant et de la Moyenne Entreprise mais également de mettre au jour l’existence d’un
conflit entre des orientations temporelles différentes. En vue d’atteindre ces buts, nous
présenterons successivement notre cadre théorique, notre cadre méthodologique, nos résultats
ainsi que leur discussion et leurs limites avant de conclure. Il nous faut maintenant délimiter
le champ d’étude et définir les concepts.
1.1. Cadre théorique
1.1. Définitions des concepts
La structure de propriété est définie par Le Vigoureux (1997 : 79) bien qu’on ne
distingue pas (comme lui le fait) les entreprises indépendantes, adossées et contrôlées 64. On
préfère ainsi conjuguer les deux derniers types sous l’appellation d’entreprise adossée.
L’entreprise est indépendante lorsqu’elle est détenue ‘à plus de 95 % par une ou plusieurs
personnes physiques’. L’entreprise est alors adossée lorsqu’elle est détenue ‘à moins de 95 %’
et que le ‘pourcentage de droits de vote le plus important’ est détenu par une personne
morale 65. Le comportement stratégique est défini par Covin et Slevin (1989 : 77). Ils précisent
que la posture stratégique conservatrice ou entrepreneuriale de la firme est contenue dans la
volonté de l’équipe de direction à prendre des risques, à innover et à être en concurrence
agressive avec les autres firmes 66. Hellström et al. (2003 : 264) définissent, quant à eux, les
orientations temporelles comme la prédominance relative du passé, du présent et du futur dans
62
Selon Moles et Rohmer (1978) ; cité dans Torrès (2003). Le lecteur pourra aller consulter la référence
suivante : MOLES A., ROHMER E. (1978), Psychologie de l’espace, Casterman.
63
On précise que l’INSEE dans les tableaux de l’économie française édité en 2011 (2011 : 147) a comptabilisé
3 101 900 PME en 2009 (d’après le nombre de salariés, soit de 0 à 249 salariés).
64
Ici, le débat sur la gouvernance et le rapport entre dirigeants et actionnaires surgit. Charreaux précise (1997 :
421-422) que ‘le gouvernement des entreprises recouvre l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de
délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui « gouvernent » leur conduite
et définissent leur espace discrétionnaire’.
65
Le Vigoureux (1997 : 84) montre également que les entreprises adossées possèdent en leur sein un grand
nombre de capital-risqueurs, d’administrateurs et de pôles d’actionnaires. Ceci s’oppose aux entreprises
indépendantes dont le capital et les fonctions de direction sont détenues par les fondateurs, les dirigeants et par
leur famille.
66
La citation originale est : ‘A firm’s entrepreneurial-conservation orientation is indicative of its strategic
posture. The entrepreneurial-conservation orientation of a firm is demonstrated by the extent to which the top
managers are inclined to take business-related risks, to favor change and innovation in order to obtain a
competitive advantage for their firm, and to compete aggressively with other firms […]’.
177
la pensée personnelle 67. Enfin la ME est définie par l’observatoire européen des PME
(Savajol, 2003 : 19) qui précise qu’elles ‘emploient 50 à 249 salariés’. Par ailleurs, Filion
(2007 : 487) définit l’entreprise familiale comme ‘une organisation dans laquelle les
propriétaires, les gestionnaires et ceux qui ont le contrôle sont les membres d’une même
famille ; ils prennent des décisions stratégiques et peuvent appartenir à différentes
générations. Ils ont l’intention de garder l’entreprise dans la famille […]’.
1.2. Des définitions aux thèmes de la revue de littérature
Tout d’abord, la notion de comportement stratégique (Covin et Slevin, 1989)
comprend la proactivité. On choisit ici de lier l’anticipation et la formalisation à la proactivité.
Mais, si l’idée de prendre les concurrents de vitesse en menant des actions en avance
(anticipation) se lie facilement à la proactivité, la liaison entre formalisation et proactivité est
moins aisée. Il faut alors considérer l’idée que c’est plutôt une action (rapide et souple) et non
une réflexion formalisée (longue et rigide) qui permet a minima l’adaptation et a maxima la
proactivité. Forte anticipation et faible formalisation confèrent donc rapidité, avance et
souplesse qui peuvent finalement permettre à l’organisation d’être proactive. Par ailleurs, on
prendra en considération, tout comme Covin et Slevin, l’innovation. On doit également
considérer la transmission car elle est un élément clé de la définition ainsi qu’un élément
distinctif des entreprises familiales (lorsqu’elles sont comparées aux entreprises non
familiales). On ne doit cependant pas oublier que le dirigeant, vu comme un individu dont la
mise au jour des causes d’une orientation temporelle dominante sont difficilement
connaissables a priori, prend des décisions qui impactent également l’organisation. L’étude
indispensable de l’organisation peut alors porter sur deux ressources essentielles : les
ressources financières (la rentabilité est d’ailleurs liée à la prise de risque, troisième élément
de la notion de comportement stratégique selon Covin et Slevin) et les ressources humaines.
La revue de littérature ci-dessous comprendra donc une présentation de tous ces thèmes.
1.3. Revue de littérature liée aux propositions
1.3.1. Anticipation et formalisation
Bien que nous entendions par anticipation, le fait pour une entreprise d’être proactive
(au sens de Covin et Slevin, 1989), on peut dresser la matrice suivante qui combine
anticipation et formalisation (Tableau 1) :
67
La version originale est : ‘Temporal orientation designates the relative dominance of past, present and future in
a person’s thought […]’.
178
Degré d’anticipation
Tableau 1 : matrice couplant formalisation, anticipation, et profil du dirigeant (adapté de
Calori et al., 1997 : 12 ; Mintzberg, 1973)
Entrepreneurial : grande vision
Planificateur à Long Terme :
stratégique, rentabilité forte et à long grande vision stratégique, rentabilité
terme, goût de l’action, évaluation
forte et à long terme, goût pour la
intuitive des sources informelles
réflexion et méthodes formelles,
d’information, spectre équilibré,
orientation « Futur » très forte mais
Fort
degré de polychronicité 68 et
orientation secondaires faibles ainsi
orientation « Futur » élevés,
que méthodes formelles employées.
orientations secondaires équilibrées
et méthodes peu formelles
(expérience et intuition).
Adaptatif : pas de grande vision
stratégique, rentabilité faible et à
court terme, goût pour l’action,
évaluation intuitive des sources
informelles d’information, spectre
Faible
pauvre, degré de polychronicité et
orientation « Futur » faibles,
orientations secondaires équilibrées
et méthodes peu formelles
employées.
Faible
Fort
Degré de formalisation
Ajoutons que, concernant la formalisation dans les PME, Kraus et al. (2005) précisent
que ces dernières n’utilisent pas forcément la planification stratégique à cause de leur petite
taille et qu’elles ont plutôt tendance à s’attacher à l’intuition et à l’expérience. Leur
planification stratégique est donc encore balbutiante 69.
1.3.2. Innovation
Filion (2007 : 121) la définit comme ‘le fait qu’une entreprise ou une organisation
adopte un changement dans le but d’augmenter sa productivité globale, de répondre à de
nouveaux besoins du marché ou de s’attaquer à de nouveaux marchés […]’. Il ajoute,
concernant les PME, que c’est ‘l’innovation globale [qui] est la plus importante. […] [E]lle
est constituée d’une foule de petites améliorations, apportées à de multiples endroits sur la
chaîne de valeur, qui finissent par rendre la stratégie de l’entreprise difficile à imiter par ses
concurrents’.
68
D’après Hall (1984), la polychronicité est le fait d’effectuer plusieurs travaux en même temps dans le cadre
d’horaires plus souples.
69
La citation originale est : ‘present research on strategic planning in SMEs is still in its infancy’ (Kraus et al.,
2005 : 3).
179
1.3.3. Transmission de l’entreprise familiale
James (1999) présente un modèle dont le but est de montrer comment les liens
familiaux, renforcés par l’horizon temporel familial et intergénérationnel, améliorent les
décisions d’investissement des managers propriétaires familiaux comparativement aux
managers propriétaires non familiaux (James, 1999 : 44) 70. L’auteur montre ainsi que la
fonction d’utilité du manager propriétaire familial est similaire à celle du manager propriétaire
non familial, à ceci près que, dans le premier cas, elle comprend l’utilité de l’enfant (ou des
enfants) concernant les rentabilités futures (James, 1999 : 46) 71. Donc, dans ce cas, si le
propriétaire dirige une firme familiale qu’il souhaite transmettre à son (ses) enfant(s) en
deuxième période, et s’il est concerné par la richesse de son (ses) enfant(s), l’investissement
qu’il fera dans sa firme sera plus important que dans le cas du manager propriétaire non
familial. Par conséquent, le désir de transmettre l’affaire familiale à la génération suivante agit
comme une incitation pour le propriétaire dirigeant familial à considérer les implications (sur
le long terme) des décisions de consommation et d’investissement sur la richesse familiale
(James, 1999 : 46-47) 72.
1.3.4. Orientation « Futur » du dirigeant, loi proxémique, effet de microcosme et typologie
des coquilles
Dans un but d’identification des liens entre perception temporelle et réflexion
stratégique du dirigeant, Aurégan (1998 : 40) présente, à partir d’une étude réalisée auprès de
50 dirigeants du cartonnage, une caractérisation de la typologie appelée « perception
temporelle ». Les résultats sont illustrés dans le tableau suivant (Tableau 2) :
Tableau 2 : typologie de la « perception temporelle » (d’après Aurégan, 1998 : 40)
Moyenne globale
F ratio
F proba
(note sur 5)
4,90
11,73
0,0001
Orientation
« Futur »
2,91
10,18
0,0002
Orientation
« Passé »
2,88
15,01
0,000
Orientation
« Cycle »
2,09
9,43
0,0004
Orientation
« Présent »
Bien qu’ayant introduit l’orientation « Cycle » ou l’idée d’une régularité dans la
reproduction des événements, ces orientations sont à rapprocher de la notion de perspective
70
La citation orginale est : ‘[…] the model’s purpose is to show how family ties that increase of the horizons of
family managers across generations improve investment decisions relative to non-family managers’.
71
La version originale est : ‘The function is similar to the one described in the simple owner as manager case,
except this time the utility the proprietor’s child receives for any given return of the company is also included in
the proprietor’s utility function’.
72
La citation d’origine est : ‘Thus, the desire to transfer the family business to the next generation of family
managers acts as an incentive for proprietors to consider the long-run implications of their consumption and
investment decisions on their family’s welfare’.
180
temporelle développée par Zimbardo et Boyd (1999 : 1274-1275). On précise que ces derniers
ont mis au jour cinq dimensions ou registres temporels. Il y a tout d’abord le Passé Négatif
(caractérisé par une vision négative et répugnante du passé). Puis, il y a le Passé Positif (lié à
une attitude sentimentale et chaude concernant le passé). Il y a aussi le Présent Fataliste
(résumant une attitude fataliste, sans espoir et sans défense envers le futur et la vie) ainsi que
le Présent Hédoniste (qui est lié à la jouissance du moment présent et à la non-prévision des
conséquences futures). Enfin, il y a le Futur qui se caractérise par la bataille pour les buts et
les récompenses futures 73.
De plus, si Torrès (2003) montre le bien-fondé de l’application de la loi proxémique
développée par Moles et Rohmer, c'est-à-dire ‘un principe d’ordonnancement qui hiérarchise
le degré d’importance des actions et des réflexions de l’individu’ (Torrès, 2003 : 121), comme
cadre d’étude pour les Petites Entreprises (ou PE) et les Très Petites Entreprises (ou TPE), on
peut dire que ce cadre s’applique aussi aux ME, notamment le grossissement de l’effet de
microcosme. Ce dernier est vu comme l’attention exclusive portée par le dirigeant au court
terme au détriment du long terme plutôt caractérisé par des degrés de décentrage et de
réflexion plus élevés. D’après Mahé de Boislandelle (1996), c’est la résultante d’une charge
croissante de travail assumée par le dirigeant. Celle-ci se caractérise autant par une intensité
professionnelle que relationnelle, autrement dit interne qu'externe. Il faut également noter
qu'elle se traduit par une intensité des impératifs. Enfin, le grossissement de cet effet est
visible au travers de l’étendue souvent très petite du marché, de la diversité des produits et du
capital détenu ainsi que de la planification et des normes, ces dernières étant carrément
absentes ici.
Enfin, pour terminer sur les orientations temporelles et toujours en lien avec notre
titre, on peut présenter la typologie des coquilles de Moles et Rohmer et préciser que
l’entreprise se situe au niveau de l’appartement dans le tableau suivant (Tableau 3) :
73
Le lecteur pourra voir Apostolidis et Fieulaine (2004) pour une validation française de l’échelle originale.
Lorsque nous écrivons « Futur », nous entendons cette perspective temporelle.
181
Tableau 3 : typologie des coquilles de Moles et Rohmer (adapté de Torrès, 2003 : 129)
Type de coquilles
Attributs
Le corps propre.
Frontière de l’être. Définition de la frontière
entre le moi et le monde.
Le geste immédiat.
Sphère d’extension du geste autonome.
Ordonnancement du « tout » à portée de
main.
La pièce d’appartement (le domaine visuel).
Territoire optiquement fermé et couvert par
le champ visuel. L’espace est sous l’emprise
du regard.
L’appartement (l’idée d’emprise et de
Lieu où est exercée l’emprise de maître et de
privatisation).
possesseur. La domination s’exerce à
l’intérieur mais s’arrête à l’extérieur.
Le quartier (le lieu charismatique de la
Domaine familier dont on n’est pas maître.
rencontre, le regard social).
Personnalisation de l’impersonnel.
La ville et son centre (la coquille
Lieu des services rares. Lieu de la variété et
d’anonymat).
de l’anonymat.
La région (l’agenda).
Domaine où l’homme dépend de son agenda
donc de l’organisation du budget-temps.
Ensemble des lieux où l’on peut rapidement
se rendre.
Le vaste monde (l’espace de projets).
Zone de voyage et d’exploration. Réservoir
du nouveau. Transgression des frontières
régionales.
1.3.5. Orientation « Futur » organisationnelle stratégique
Le vigoureux et Aurégan (2010) montrent que la ME familiale adossée (à des entités
minoritaires comme un capital-investisseur, un groupe ou un acteur institutionnel) arrive à
innover, à se tourner vers de nouvelles idées, à chercher de nouveaux réseaux et à éviter toute
inertie organisationnelle. La présence de l’actionnaire minoritaire et extérieur constitue donc
un moteur pour le développement de ces entreprises.
1.3.6. Rentabilité
Marchesnay (1994) a présenté, concernant les dirigeants, les typologies PIC et CAP.
Elles peuvent être résumées dans le tableau suivant (Tableau 4) :
182
Tableau 4 : typologies PIC et CAP (adapté de Marchesnay, 1994 : 148-150)
Le dirigeant Pérennité-IndépendanceLe dirigeant Croissance-AutonomieCroissance
Pérennité
Pérenniser son affaire ;
Valoriser rapidement les capitaux engagés ;
rester dans le même secteur d’activité ;
s’installer dans un (ou des) secteur(s)
favoriser l’innovation sur les procédés ;
d’activité(s) à forte(s) marge(s) future(s) ;
régler les problèmes de reprise et de
conserver son autonomie de décision plutôt
succession ;
qu’accroître son patrimoine ;
faire grandir son patrimoine
s’endetter (même en faisant entrer des
(notamment par l’investissement
capitaux extérieurs) ;
immobilier) ;
se lancer dans les investissements
conserver un champ de vision long mais
immatériels ;
étroit ;
« faire faire » (c'est-à-dire externaliser)
disposer d’un capital social ;
certaines activités ;
ne pas souscrire à l’endettement ;
conserver un champ de vision plus court
s’attacher à l’exploitation plutôt qu’à
mais aussi plus large.
l’exploration (March, 1991).
La notion de rentabilité est surtout présente dans le profil CAP, bien qu’il y ait une réciprocité
entre l’un et l’autre. Ainsi, ‘le CAP peut être amené à évoluer: il accumule du patrimoine, il
fonde une famille, il dispose d’une clientèle stable, d’un savoir-faire qui lui confère une
compétence distinctive, etc. Bref, le CAP peut devenir PIC (l’inverse est moins probable, car
le dégagement impliquerait des coûts irrécupérables dissuasifs, il faut alors imaginer des cas
d’absorption ou de cessation de l’affaire, et de redémarrage dans des activités nouvelles)’
(Marchesnay, 1994 : 150).
1.3.7. Ressources Humaines
D’après Fabi et al. (2004), il y une corrélation positive et croissante entre l’intensité
des pratiques de GRH dans les PME et le nombre d’employés. Ainsi les ‘moyennes
entreprises (101-400 employés) […] se caractérisent par un recours significativement plus
important aux pratiques de diffusion d’information stratégique, diffusion d’information
opérationnelle et participation aux profits’ (Fabi et al., 2004 : 9) 74.
74
À partir d’un échantillon de 200 PME manufacturières québécoises, ce résultat préalablement descriptif est
confirmé par sept variables (ici pratiques de GRH) sur les onze sélectionnées : la description des tâches,
l’évaluation du rendement, la formation, l’information stratégique, l’information économique, l’information
opérationnelle ainsi que les primes et bonis.
183
2. Méthodologie de recherche
2.1. Echantillon et méthode
Pour répondre à cette problématique, nous avons déployé une méthodologie
qualitative à travers quatre 75 études de cas, la logique similitudes/différences, l’entretien 76
semi-directif et l’analyse de contenu. Les quatre cas, sélectionnés selon le critère de
‘représentativité théorique’ (Hlady Rispal, 2002 : 82), constituaient une ‘[…] prérecherche’ qui allait permettre de ‘découvrir les variables à prendre en compte dans une étude
ultérieure plus classique par questionnaire […]’ (Giroux, 2003 : 43-44). Il fallait choisir des
cas qui, par leurs spécificités, allaient permettre de comprendre en profondeur le phénomène.
De plus, dans ce contexte, une épistémologie alternative (ou non-positiviste) semblait adaptée.
On a choisi la posture épistémologique interprétativiste car on reconnaît qu’il y a dépendance
entre le sujet et l’objet, que la connaissance est subjective et contextuelle et que l’idiographie
et l’empathie sont des critères valides pour comprendre et interpréter les motivations des
acteurs (Perret et Séville, 2003 : 14-15). Par ailleurs, on démarrait du terrain pour établir des
propositions qui seraient testées ultérieurement de manière quantitative. Dans ce contexte, la
démarche abductive faisait sens. Comme le précise Koenig (1993 : 7), ‘l’abduction consiste à
tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter’. On peut
ajouter que les onze matrices ont été construites selon l’article d’Eisenhardt (1989) 77 et
l’ouvrage de Yin (1994). Des catégories et un codage ont également été construits à partir des
synthèses similitudes/différences intra et inter-cas. En effet, les matrices ont été construites à
partir de l’étude des similitudes et des différences entre les quatre cas ainsi constitués de
données primaires (quatre entretiens semi-directifs) et de données secondaires (documents
internes et sites internet pour chaque cas). Les matrices regroupant des paires, des triangles et
un carré d’entreprises ainsi que l’analyse des données qualitatives ont mené à des catégories
émergentes et à un codage émergent comme l’illustre le tableau suivant (Tableau 5)
Tableau 5 : grille de codage 78
75
Eisenhardt (1989) précise qu’un nombre de cas compris entre quatre et dix fonctionne bien. La citation
originale est la suivante : ‘while there is no ideal number of cases, a number between 4 and 10 cases usually
works well’ (Eisenhardt, 1989 : 545).
76
La grille d’entretien et les transcriptions des entretiens sont disponibles sur simple demande adressée à
l’auteur.
77
Les 11 matrices des similitudes et des différences se répartissaient de la façon suivante : les paires étaient les
suivantes : DP et SF ; SF et ETE ; ETE et C ; C et DP ; C et SF ; DP et ETE. Les triangles étaient les suivants :
DP, C et SF ; SF, C et ETE ; DP, C et ETE ; DP, SF et ETE. Le carré était le suivant : DP, SF, C et ETE.
78
Adossées et Indépendantes sont ici écrits avec des majuscules car il s’agit du codage.
184
Items
Catégories
Codes
Caractérisation
de la Moyenne
Entreprise
Adossée
Incohérence
Spéculation
Dynamisme et
Partage
Liberté
Famille
Ancrage
Ancienneté et
Risques
Décalage par
rapport à
l’Actualité
Nouveauté
Contraintes
Dénaturation
de la Moyenne
Entreprise
Indépendante
Précision
Dynamisme
Rapidité
décisionnelle
Basique
Etre à la page
Logique Projet
Logique de
Compétences
Abondance
Documentaire
Abondance du
Reporting
Caractéris_MEA_I_Incohérent
Caractéris_MEA_I_Spécul
Caractéris_MEA_A_Dyna&Partag
Caractérisation
de la Moyenne
Entreprise
Indépendante
Anticipation
Innovation
Forte
Formalisation
de la Moyenne
Entreprise
Adossée
Orientation
« Futur » du
Dirigeant,
Gestion de la
Succession et de
la Transmission
de la Moyenne
Entreprise
Difficulté de la
situation
Famille
Ouverture
Successorale
Cadeau non
voulu
Caractéris_MEI_I_Libr
Caractéris_MEI_I_Fami
Caractéris_MEI_I_Ancrag
Caractéris_MEI_A_RisqAncien
Caractéris_MEI_A_Décalactu
Anticip_I_Nouveau
Anticip_I_Contraint
Anticip_I_DénaturMEI
Anticip_A_Précis
Anticip_A_Dyna
Innov_I_Rapidécision
Innov_I_Basiq
Innov_I_Actuel
Innov_A_Projet
Innov_A_Compétences
FortFormalisa_MEA_AbondDocu
FortFormalisa_MEA_AbondReport
OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_I_Difficile
OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_I_Famil
OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEA_A_OuvertSuc
OrientaFutur_Dir_Succ_Transmis_MEI_A_Veupa
185
Orientation
« Futur » de
l’Organisation
et Stratégie
Orientation
« Futur » de
l’Organisation
et Finance
Orientation
« Futur » de
l’Organisation
et Ressources
Humaines
Incertitude
Stratégie de
Surface
Stratégie de
Profondeur
Retour sur
investissement
Complexité
Facteur
Humain
Crucial et
Indispensable
Evolution
OrientaFutur_Orga_Strat_Incertain
OrientaFutur_Orga_Strat_StratSurface
OrientaFutur_Orga_Strat_StratProfonde
OrientaFutur_Orga_Fi_R.O.I
OrientaFutur_Orga_Fi_Complex
OrientaFutur_Orga_RH_HomCrucial&Indisp
OrientaFutur_Orga_RH_Evolu
Ces synthèses ont toutes été validées par chaque personne interrogée. Par ailleurs, il faut noter
que des catégories sont ‘des rubriques ou classes qui rassemblent un groupe d’éléments, tel
que les unités d’enregistrement dans le cas de l’analyse de contenu, sous un titre générique,
rassemblement effectué en raison des caractères communs de ces éléments’ (Bardin, 1977 :
150). Enfin, il faut préciser que l’on a eu la chance de mener quatre études de cas (dont les
caractéristiques répondaient à l’exigence de représentativité théorique) qui se trouvaient être
des entreprises partenaires de notre institution d’enseignement et de recherche. On reconnaît
ici que l’accès au terrain se trouvait alors grandement facilité. On peut désormais présenter les
quatre entreprises DP, SF, C et ETE et un tableau comparatif.
2.2. Présentation des cas et tableau comparatif de l’échantillon
2.2.1. Moyenne Entreprise indépendante DP
Créée en 1986, la Société par Actions Simplifiées DP, comptant aujourd’hui 110
salariés, est spécialisée dans la fabrication et la pose de gaines de ventilation. Concernant la
structure de propriété, son Président Directeur Général, M. O., détient 99,9% du capital et sa
fille, Mélanie, les 0,01% restants. Les aspects les plus notables de cette ME familiale sont les
valeurs de famille, de liberté, de simplicité et de compétitivité. Ces valeurs sont d’autant plus
fortes dans le contexte actuel d’incertitude dont les conséquences se font sentir (le dernier
Résultat Net publié était de 85000 euros alors que son Chiffre d’Affaires avoisinait les 6,3
millions d’euros).
2.2.2. Moyenne Entreprise indépendante SF
M. E. occupe le poste de Directeur Général dans l’entreprise SF depuis 22 ans. Cette
Société par Actions Simplifiées (SAS) familiale existe (sous cette forme juridique) depuis
1946. Elle a pour activité l’import et le négoce de bois ainsi que ses dérivés. Cette Moyenne
Entreprise, dont les deux principaux actionnaires sont le PDG (descendant de la famille
fondatrice avec 80 % des parts), et, M. E. (seule personne extérieure avec 20 % des parts),
compte tout de même 125 salariés et totalise un Chiffre d’Affaires de 33 millions d’euros. Les
valeurs de cette entreprise sont le métier, le patrimoine, le terroir, le bon sens, les relations et
les ressources humaines.
186
2.2.3. Moyenne Entreprise adossée C
La Société Anonyme C, dont l’année de création remonte à 1950, est présente dans le
secteur du bâtiment, du gros œuvre et de l’entreprise générale. Cette Moyenne Entreprise a
cependant une particularité : elle est détenue à 70 % par ses 170 salariés regroupés en
personne morale. Elle a publié un Chiffre d’Affaires (récent) de 45 millions d’euros. Le
Directeur Général et Président du Conseil d’Administration, M. G., a vivement accepté de
participer et nous a précisé les valeurs de l’entreprise : Conseil d’Administration, pérennité,
ouverture et importance du collectif.
2.2.4. Moyenne Entreprise adossée ETE
M. D. travaille depuis 39 ans chez ETE, une filiale d’un grand groupe de BâtimentTravaux Publics 79 coté en bourse. Il occupe les postes de Directeur Technique et de Chargé
d’Affaires. Cette filiale a réalisé l’an dernier un Chiffre d’Affaires de 32 millions et un
résultat de - 1 million d’euros. Elle prévoit donc, pour 2011, d’éponger cette perte. Malgré son
statut de filiale de groupe, l’entreprise ETE est ouverte aux 245 salariés à hauteur de 20 %.
Ses valeurs sont l’esprit d’entreprise, l’avancement, l’innovation, les équipes, la rentabilité,
les documents et la quasi-invisibilité. On peut désormais dresser le tableau comparatif de
l’échantillon (Tableau 6) :
79
Ce groupe couvre les métiers du bâtiment, de la construction métallique, de l’électricité, du génie climatique et
des voies ferrées.
187
Tableau 6 : tableau comparatif des quatre cas
Entité familiale
Structure de
l’actionnariat
Nombre de
salariés
Activité
Type
d’entreprise
(Savajol, 2003)
Entreprise DP
Entreprise SF
Entreprise C
Oui
Entreprise
indépendante
détenue à 99,9%
par le PDG et
0,01% par sa
fille.
Non
Entreprise
adossée car
entreprise
indépendante
mais détenue à
70% par ses
salariés 80.
110
Oui
Entreprise
indépendante
détenue à 80%
par le PDG
(descendant de
la famille
fondatrice) et à
20% par le DG
(seule personne
extérieure).
125
Fabrication et
pose de gaines
de ventilation.
Import et négoce
de bois et
dérivés.
Moyenne
Entreprise
Moyenne
Entreprise
Bâtiment, gros
œuvre et
entreprise
générale.
Moyenne
Entreprise
170
Entreprise
ETE
Non
Entreprise
adossée (filiale
d’un grand
groupe de
Bâtiment
Travaux
Publics) détenue
à hauteur de
20% par ses
salariés.
245
BTP.
Moyenne
Entreprise
3. Résultats et propositions
En premier lieu, les points de vue divergent concernant la ME adossée. Ils peuvent être
négatifs pour les dirigeants des entreprises familiales et indépendantes, la liant à une
« bêtise » (DP) et à un « coup, un one shot » (SF) ou positifs pour les dirigeants d’entreprises
adossées, la liant à « une stratégie, une vision partagées » (C) et à une « motivation » (ETE).
Ensuite, la ME indépendante est liée à « la liberté d’action, de pouvoir de décision et de
gestion » (DP) ainsi qu’au « patrimoine » susceptible de faire l’objet d’une « transmission à
ses enfants » (SF). Elle est aussi liée et à un ancrage dans la mesure où « le patron connaît
tout le monde par son prénom » (SF). La ME indépendante est par contre liée, pour les
dirigeants d’entreprise adossée, à l’ancienneté et au décalage par rapport à l’actualité
(ouvertures, progressions et alliances d’entreprises). En fait, elle est perçue comme un
ensemble de « schémas désuets » (ETE).
3.1. Anticipation et Moyenne Entreprise adossée
Concernant l’anticipation et la ME adossée, on remarque que le poids des contraintes
est partagé : les dirigeants d’entreprise indépendante, même s’ils reconnaissent « un apport
d’idées extérieures » (DP), voient aussi un grand nombre de contraintes qui peuvent dénaturer
l’entreprise. L’entreprise devient alors « le produit qu’on a acheté ou qu’on a vendu » (SF).
Les autres dirigeants voient une contrainte dans le poids décisionnel et la pression qu’exerce
80
Cette SCOP est considérée comme adossée car les salariés détiennent 70% du capital. On considère que leur
regroupement constitue une personne morale. Elle est également détenue à moins de 95% par une ou plusieurs
personnes physiques.
188
le Conseil d’Administration qui est « un point d’arrêt obligé pour le dirigeant » (C). Ils voient
aussi un dynamisme et une possibilité « d’avancer et d’innover dans des domaines de la
recherche et des études » (ETE). Par conséquent :
Proposition 1 : Il existe une corrélation positive entre l’anticipation 81 et l’entreprise
adossée.
3.2. Innovation et Moyenne Entreprise adossée
L’innovation est vue par les dirigeants de la ME indépendante comme un handicap.
Cependant, ils tentent d’être à la page en essayant de dépasser l’innovation basique avec la
mise en place de « synergies » (SF). Il ne fait cependant aucun doute pour les dirigeants de la
ME adossée que l’innovation est « extrêmement favorisée » (C) chez eux tant au niveau d’une
logique de projet (collaboratif) que d’une logique de développement de compétences, par le
biais de conventions, de stages et de programmes de formation ciblés sur ce thème. Ainsi :
Proposition 2 : Il existe une corrélation positive entre l’innovation et l’entreprise
adossée.
3.3. Forte formalisation et Moyenne Entreprise adossée
La forte formalisation est une caractéristique de la ME adossée. Tous les participants
en sont (sans exception) convaincus. Cette idée est synthétisée sous la catégorie de
l’abondance documentaire et de l’abondance du reporting. Il y a donc, selon eux, « beaucoup
plus de documents à traiter, […] de comptes rendus à sortir, à imprimer et à lire…» (ETE).
Donc :
Proposition 3 : Il existe une corrélation positive entre la forte formalisation (abondance
des documents et des reportings) et l’entreprise adossée.
3.4. Transmission et Moyenne Entreprise adossée
La gestion de la transmission de l’entreprise est une question qui semble se poser
uniquement pour le cas de la ME indépendante. Leurs dirigeants perçoivent la situation
comme difficile en raison d’une multitude de paramètres, notamment familiaux et personnels.
À ce sujet, un dirigeant a dit : « ça dépend de ta santé, de ta vie de famille […] » (DP). Les
autres dirigeants, même s’ils rejoignent l’idée d’un cadeau non voulu dans certains cas, disent
qu’il y a une ouverture successorale les concernant, dans la mesure où ils ne sont que des
actionnaires partiels. Ainsi, pour eux, « en matière de succession, c’est beaucoup plus ouvert »
(C). Ainsi :
Proposition 4 : Il existe une corrélation négative entre la gestion de la succession, de la
transmission de la Moyenne Entreprise et l’entreprise adossée.
81
On entend par anticipation le fait de développer une stratégie à long terme, de garder le cap et d’influencer
l’environnement. Nous regroupons l’ensemble sous le terme de proactivité (au sens de Covin et Slevin, 1989).
Le point clé ici est l’idée selon laquelle la présence d’un Conseil d’Administration oblige le dirigeant à avoir un
plan stratégique extrêmement clair et à clarifier ses positions. Il adopte donc une stratégie de long terme l’aidant
ainsi à garder le cap et susceptible d’influencer l’environnement (par les répercussions de ses actions).
189
3.5. Stratégie et Moyenne Entreprise
3.5.1. Stratégie de surface et Moyenne Entreprise
En lien avec l’orientation « Futur » du dirigeant, tous les dirigeants disent que c’est
l’incertitude qui domine et qui les conduit, quelle que soit la structure de propriété, à adopter
une stratégie de surface, c'est-à-dire l’affinage de l’existant. Par exemple, un dirigeant a dit :
« mon horizon de travail, moi, il est inférieur à un an » (ETE). Par conséquent :
Proposition 5.1 : Les dirigeants sont tous conduits, en raison de l’incertitude, à adopter
une stratégie de surface (c'est-à-dire affiner l’existant) dans leur travail au quotidien.
3.5.2. Stratégie de profondeur difficile et Moyenne Entreprise adossée
Cette réalité du terrain s’oppose alors à la difficulté, en particulier pour les entreprises
adossées, de mettre en place un véritable plan stratégique, sur cinq ans, et une véritable
stratégie de profondeur. En effet, selon un dirigeant : « comme l’horizon de travail est
inférieur à un an, on ne peut pas projeter des choses plus loin […] » (ETE). Alors :
Proposition 5.2 : Il existe une corrélation positive entre la difficulté de mettre en place en
stratégie en profondeur et la moyenne entreprise adossée.
3.6. Rentabilité et Moyenne Entreprise
Concernant les questions financières, la plupart des dirigeants reconnaissent un retour
sur investissement indispensable même s’il peut subsister une complexité liée au rapport du
dirigeant à l’investissement. Un dirigeant nous a donc dit : « ça serait pareil, j’aurais le même
objectif de rentabilité quand même » (DP). Donc :
Proposition 6 : Bien que le rapport à l’investissement soit complexe, l’objectif de
rentabilité est indispensable tant pour les dirigeants de Moyennes Entreprises
indépendantes que pour les dirigeants de Moyennes Entreprises adossées.
3.7. Ressources Humaines et Moyenne Entreprise
Enfin, les réponses concernant les ressources humaines sont semblables. Le facteur
humain est ainsi vu comme crucial et indispensable. Il est aussi lié, quelle que soit la structure
de propriété, à une logique d’évolution des compétences du personnel. En conséquence, les
ressources humaines « sont fondamentales » (SF). Ainsi :
Proposition 7 : La gestion des ressources humaines et la logique d’évolution du
personnel sont cruciales tant pour les dirigeants de Moyennes Entreprises
indépendantes que pour les dirigeants de Moyennes Entreprises adossées.
3.8. Synthèse des résultats validée par les acteurs du terrain
Après s’être entretenu avec les décideurs des sociétés DP, SF, C et ETE, on présente
ici la synthèse des résultats obtenus.
Tout d’abord, on note qu’il existe une hétérogénéité des points de vue concernant la
moyenne entreprise adossée. Ces points de vue peuvent être négatifs pour les dirigeants des
entreprises familiales indépendantes (la liant ici à une incohérence et à une spéculation
possible) et positifs pour les dirigeants de sociétés adossées (la liant dans ce cas à un
dynamisme et à un partage). Ensuite, la moyenne entreprise indépendante est liée à la
liberté, à la famille et à un ancrage (plutôt local) pour leurs dirigeants. La moyenne
entreprise indépendante est par contre liée, pour les dirigeants d’entreprises adossées, à
190
l’ancienneté et au décalage par rapport à l’actualité (ouvertures, progressions et alliances
d’entreprises).
Concernant l’anticipation et la moyenne entreprise adossée, on remarque que le poids
des contraintes est partagé : les dirigeants d’entreprises indépendantes, même s’ils
reconnaissent une possible nouveauté, voient un grand nombre de contraintes qui peuvent
dénaturer l’entreprise indépendante. Les autres dirigeants (ceux des entreprises adossées)
voient une contrainte dans le poids décisionnel et la précision qu’exerce le Conseil
d’Administration mais également un dynamisme et une possibilité d’avancement.
L’innovation est vue par les dirigeants de la moyenne entreprise indépendante comme
un possible handicap. Cependant, ces derniers tentent d’être à la page en essayant de
dépasser l’innovation basique (notamment, par la mise en place de synergies). Il ne fait
cependant aucun doute pour les dirigeants de la moyenne entreprise adossée que l’innovation
est plus favorisée (chez eux) tant au niveau d’une logique de projet (collaboratif) que d’une
logique de développement de compétences (conventions, stages et programmes de formation
ciblés sur ce thème).
La forte formalisation est une caractéristique de la moyenne entreprise adossée. Tous
les participants en sont (sans exception) convaincus. Cette similitude d’opinions est
synthétisée sous le thème de l’abondance documentaire et de l’abondance du reporting.
Ensuite, il faut noter que la gestion de la succession et de la transmission de
l’entreprise est une question qui semble se poser qu’en cas de la moyenne entreprise
indépendante. En effet, les dirigeants de ces structures voient ici la situation comme difficile
en raison d’une multitude de paramètres (familiaux et personnels). Les dirigeants de la
moyenne entreprise adossée, quant à eux, voient, même s’ils rejoignent l’idée d’un cadeau
non voulu dans certains cas, une ouverture successorale les concernant (dans la mesure où
ils ne sont que des actionnaires partiels).
Toujours en lien avec l’orientation « Futur » du dirigeant, tous les dirigeants notent
que c’est l’incertitude qui domine, les conduisant, quelle que soit la structure du capital, à
adopter, dans ce contexte d’imprévisibilité, une stratégie de surface (c'est-à-dire, l’affinage
de l’existant).
Cette réalité du terrain se confronte ainsi à la difficulté pour les sociétés adossées
(notamment) de mettre en place un véritable plan stratégique (de cinq ans) et une véritable
stratégie de profondeur.
Concernant les questions financières, même si la plupart des dirigeants reconnaissent
un retour sur investissement indispensable, il peut subsister une complexité liée au(x)
rapport(s) de la (des) personne(s) à l’ (aux) investissement(s).
Enfin, une similitude est aussi apparue dans les réponses concernant l’orientation
« Futur » de l’organisation et les ressources humaines. Tous les acteurs reconnaissent ici que
le facteur humain est crucial et indispensable. Il est aussi lié (quelle que soit la structure) à
une logique d’évolution des compétences du personnel.
3.9. Résultats et lien entre théorie et pratique
Tout d’abord, cette synthèse a été validée par les acteurs du terrain. Elle est donc non
seulement le produit de résultats mais aussi d’interactions. De plus, un effort de
communication a été consenti pour rendre cette réalité complexe plus claire, plus intelligible
et plus explicite pour les acteurs du terrain. Cette synthèse est aussi vue comme une narration,
c'est-à-dire comme une présentation enactée des résultats. Cette synthèse rassemble donc les
deux critères d’un savoir actionnable, c'est-à-dire, la traduction et la mise en scène (d’après
Avenier et Schmitt, 2007) qui lient alors loi proxémique, effet de microcosme et typologies
des coquilles, d’une part, et conflits d’orientations temporelles vécus par les acteurs du
terrain, d’autre part. Enfin, ces regards croisés (dirigeants de ME indépendantes et ME
191
adossées) permettent d’éclairer les pratiques de chaque catégorie, première étape d’une
réflexion engagée en vue d’apporter des améliorations aux situations actuelles.
Discussion et conclusion
Bien que les objectifs de création d’un cadre d’analyse intégrateur mais également de
mise en évidence d’un conflit entre des orientations temporelles différentes soient désormais
atteints avec la prise en compte de la proactivité, du Conseil d’Administration, des synergies,
des documents et reportings, de la situation personnelle et familiale du dirigeant, de la
rentabilité et des ressources humaines, la valeur ajoutée est surtout située dans le second
objectif, notamment dans les items « Orientation « Futur » du Dirigeant et Horizon de
Travail » et « Orientation « Futur » de l’Organisation et Stratégie » (résultats contenus dans le
point 3.5). En effet, le résultat innovant mais/et qui va contre l’intuition 82 est que les
dirigeants ne sont pas orientés « Futur » mais « Présent Fataliste » 83. Ce résultat traduit une
incertitude mais également, et au-delà, une perte de contrôle de la situation et une dépendance
plus forte des dirigeants envers le sort. Ceci tend d’ailleurs à rejaillir sur l’orientation
temporelle organisationnelle stratégique. Ainsi, concernant les entreprises adossées, le
dirigeant de l’entreprise C nous a dit : « la stratégie, c’est cinq ans pour nous, un plan
stratégique » alors que, dans le même temps, le dirigeant de l’entreprise ETE nous a
confirmé : « Mon horizon de travail, moi, il est inférieur à un an ». Les entreprises
indépendantes et familiales suivent et renforcent même cette tendance puisque le dirigeant de
l’entreprise DP nous a dit, concernant l’orientation temporelle stratégique de son
organisation : « Aujourd’hui, c’est inférieur à un an parce que, je te dis, à la fin de l’année, on
sera peut-être fermé, alors… ». Il nous a également dit, concernant son orientation
temporelle : « Ça ferme de partout. Tout le monde dépose le bilan ». En fait, il semblerait
qu’on demande aux dirigeants de se projeter dans l’après-demain alors qu’ils ne tiennent pas
pour sûr ce qu’aujourd’hui doit leur apporter. Ils adoptent donc, du fait des forces
environnementales, une attitude résignée face à la vie qui rend difficile toute stratégie
organisationnelle basée sur le long terme. Dès lors, il est difficile pour le dirigeant, qui se
situe, d’après la typologie de Moles et Rohmer, au niveau de l’appartement, c’est-à-dire qu’il
domine la situation à l’intérieur de l’entreprise, de voir le monde, c'est-à-dire d’explorer des
futurs possibles en transgressant les frontières. En tout état de cause, les ponts entre sciences
de gestion, psychologie, sociologie et psychosociologie sont maintenant jetés. Par ailleurs, on
a tout de même pu conseiller 84 aux dirigeants de ME indépendantes de prendre davantage en
compte la formalisation et les remarques de l’extérieur. Ensuite, on a conseillé aux dirigeants
de ME adossées de prendre plus en compte leurs consœurs indépendantes, l’humain, la
collaboration et l’optique de long terme. Il est clair que la réticence ressentie lors des
entretiens concernant l’opposition entre ces deux « univers » doit maintenant cesser pour
laisser place à une plus grande collaboration. Cette réticence est cependant bien le reflet d’une
82
Selon Whetten (1989 : 494) et sa question ‘What’s new ?’. On peut ajouter qu’un article intéressant est un
article qui étudie un nouveau sujet, qui utilise une nouvelle méthode ou qui offre une nouvelle façon de voir les
choses. La citation originale est : ‘Every paper would take on a new topic, devise a new method, or offer a new
way of seeing things’ (Barley, 2006 : 19-20).
83
‘[L]a dimension « Futur » regroupe des items […] indiquant une position tournée vers l’avenir et vers des
buts’ alors que ‘la dimension « Présent Fataliste » regroupe les items […] caractérisant une attitude fataliste et
résignée face à la vie’ (Apostolidis et Fieulaine, 2004 : 209).
84
Selon Whetten (1989 : 494) et sa question ‘So what ?’.
192
certaine dénaturation 85 (Torrès et Julien, 2005 : 368). Enfin, bien qu’ayant tenu compte de la
validité du construit (en triangulant les données primaires comme les entretiens et les données
secondaires comme les sites internet et les documents internes), de la validité interne et de la
validité externe (en faisant valider toutes les synthèses intra-cas et inter-cas par les acteurs
interrogés), cette étude n’est cependant pas sans limites et les pistes de recherche futures sont
nombreuses. Il faudrait notamment diversifier l’échantillon en incluant des très petites
entreprises et des petites entreprises appartenant par exemple aux secteurs des services, de la
construction et du commerce. Ceci nous permettrait d’affiner encore davantage nos
propositions (voire d’en créer de nouvelles) et d’accroître le potentiel de généralisation. Il
faudrait aussi envisager une étude confirmatoire quantitative (par l’envoi d’un questionnaire
aux entreprises sélectionnées), c'est-à-dire qu’on rejetterait certaines hypothèses établies et
qu’on n’en rejetterait pas d’autres.
Bibliographie
APOSTOLIDIS T., FIEULAINE N. (2004), « Mesurer le temps dans les applications
psychosociales: validation française de l’échelle de temporalité ZTPI », Revue européenne de
psychologie appliquée, Vol.54, n°4, p.207-217.
AURÉGAN P. (1998), « Perception du temps et réflexion stratégique: le cas des dirigeants
d’entreprise moyenne », Finance, Contrôle, Stratégie, Vol.1, n°1, p.27-48.
AURÉGAN P., JOFFRE P., LE VIGOUREUX F. (1997), « Modèles d’analyse stratégique:
contributions récentes », In SIMON Y., JOFFRE P. (dir.) Encyclopédie de gestion,
Economica, p.2041-2060.
AVENIER M-J., SCHMITT C. (2007), « Elaborer des savoirs actionnables et les
communiquer à des managers », Revue Française de Gestion, Vol.33, n°174, mai, p.25-42.
BARDIN L. (1977), L’analyse de contenu, PUF.
BARLEY S.R. (2006), « When I write my masterpiece: thoughts on what makes a paper
interesting », Academy of Management Journal, Vol.49, n°1, p.16-20.
CALORI R., VÉRY P., ARRÈGLE J.L. (1997), « Les PMI face à la planification
stratégique », Revue Française de Gestion, n°112, janvier-février, p.11-23.
CHARREAUX G. (1997), « Vers une théorie du gouvernement des entreprises », In
CHARREAUX G. (dir.) Le gouvernement des entreprises - Corporate Governance - théories
et faits, Economica, p.421-469.
COVIN J.G., SLEVIN D.P. (1989), « Strategic management of small firms in hostile and
benign environments », Strategic Management Journal, Vol.10, n°1, p.75-87.
EISENHARDT K.M. (1989), « Building theories from case study research », Academy of
Management Review, Vol.14, n°4, p.532-550.
FABI B., RAYMOND L., LACOURSIÈRE R., ARCAND M. (2004), « Les PME les plus
performantes se distinguent-elles par leurs pratiques de GRH ? », VIIème Congrès
International Francophone en Entrepreneuriat et PME, Montpellier, 27-29 octobre.
FILION L.J. (2007), Management des PME: de la création à la croissance, Pearson
Education.
85
La notion de dénaturation signifie ici que le système managérial spécifique à la PME peut disparaître pour
produire d’autres modèles de management probablement plus proches du modèle utilisé par la grande entreprise.
La citation originale est : ‘Networking behavior or risk capital use are other examples showing that the specific
management system for some small businesses can disappear to produce other management models probably
closer to the big business model. These practices are denaturing: they aim to reduce informality, strengthen
explicit behaviors, relieve personalization and enhance procedures’.
193
GIROUX N. (2003) , « L’étude de cas », In GIORDANO Y. (dir.) Conduire un projet de
recherche: une perspective qualitative, EMS, p.41-84.
HALL E.T. (1984), La danse de la vie, temps culturel, temps vécu, Seuil.
HELLSTRÖM C., HELLSTRÖM T. (2003), « The present is less than the future: mental
experimentation and temporal exploration in design work », Time and Society, Vol.12, n°2-3,
p.263-279.
HLADY RISPAL M. (2002), La méthode des cas: application à la recherche en gestion, De
Boeck.
INSEE (2011), Tableaux de l’économie française, Plaquette officielle nationale de référence,
février (http://www.insee.fr/fr/ffc/tef/tef2011/tef2011.pdf).
JAMES H.S. (1999), « Owner as manager, extended horizons and the family firm »,
International Journal of the Economics of Business, Vol.6, n°1, p.41-55.
KOENIG G. (1993), « Production de la connaissance et constitution des pratiques
organisationnelles », Revue de Gestion des Ressources Humaines, Vol.9, novembre, p.4-17.
KRAUS S., SCHWARZ E.J., RESCHKE C.H. (2005), « Strategic planning as prerequisite for
growth and success of SMEs, literature review and implications », Conférence d’été du
XèmeAnniversaire du DRUID, Copenhague, 27-29 juin.
LE VIGOUREUX F. (1997), « Entreprises moyennes: structure de propriété et comportement
stratégique », Revue Française de Gestion, n°116, novembre-décembre, p.71-84.
LE VIGOUREUX F., AURÉGAN P. (2010), « Comportement et gouvernance des moyennes
entreprises familiales au capital ouvert », Revue Internationale PME, Vol.23, n°3-4, p.71-93.
MAHÉ DE BOISLANDELLE H. (1996), « L’effet de grossissement chez le dirigeant de
PME: ses incidences sur le plan du management des hommes et de la GRH, IIIème Congrès
International Francophone sur la PME, Trois-Rivières, 23-25 octobre.
MARCH J.G. (1991), « Exploration and exploitation in organizational learning »,
Organization Science, Vol.2, n°1, p.71-87.
MARCHESNAY M. (1994), « Le management stratégique », In JULIEN P-A. (dir.) Les
PME: Bilan et perspectives, GREPME, Economica, p.133-162.
MINTZBERG H. (1973), « Strategy-Making in three modes », California Management
Review, Vol.16, n°2, p.44-53.
PERRET V., SEVILLE M. (2003), « Fondements épistémologiques de la recherche »,
In THIÉTART R-A. (dir.) Méthodes de recherche en management, Dunod, p.13-33.
SAVAJOL H. (2003), PME: clés de lecture. Définitions, dénombrement, typologies, Étude
académique
OSÉO,
janvier
(http://www.oseo.fr/notre_mission/publications/etudes_et_rapports/academiques/les_pme_cle
s_de_lecture_n_1).
TORRÈS O. (2003), « Petitesse des entreprises et grossissement des effets de proximité »,
Revue Française de Gestion, Vol.29, n°144, p.119-138.
TORRÈS O., JULIEN P-A., (2005), « Specificity and denaturing of small business »,
International Small Business Journal, Vol.23, n°4, p.355-377.
WHETTEN D.A. (1989), « What constitutes a theoretical contribution? », Academy of
Management Review, Vol.14, n°4, p.490-495.
YIN R.K. (1994), Case study research: design and methods, Sage.
ZIMBARDO P.G., BOYD J.N. (1999), « Putting time in perspective: a valid, reliable
Individual-Differences Metric », Journal of Personality and Social Psychology, Vol.77, n°6,
p.1271-1288.
Retour à la table des matières
194
Diagnostic des programmes de mentorat entrepreneurial.
Proposition d’un cadre de référence.
Stéphanie MITRANO-MEDA
Doctorante au Centre d’Etudes et de
Recherche en Sciences de Gestion AixMarseille (CERGAM), Consultante
associée chez MERKAPT.
smitrano@merkapt.com
Lucien VÉRAN
Professeur Agrégé, Docteur et HDR en
Sciences de Gestion, CERGAM et
Euromed Management.
veran.lucien@wanadoo.fr
Résumé : La pratique du mentorat entrepreneurial se développe rapidement en France depuis
le début des années 2000 mais la recherche sur le sujet en est encore à ses débuts. Un
corolaire de cette situation est le manque d’outils fiables, de modèles pertinents et d’un cadre
de référence unifié qui pourraient aider les praticiens à construire un programme ou à en faire
le diagnostic. Notre recherche vise à donner des pistes pour une consolidation du cadre de
référence en s’appuyant sur les principaux modèles de la littérature. Au-delà l’objectif est de
pouvoir proposer aux praticiens un outil de diagnostic simple et structuré, leur permettant une
auto-évaluation de leur propre programme de mentorat entrepreneurial. Nous proposons en
synthèse un modèle tripartite (mentor, mentoré et organisation tierce) du processus de
mentorat entrepreneurial décomposé en quatre étapes. Cette décomposition permet de faire
émerger plus facilement les huit fonctions de l’organisation tierce généralement repérées par
la littérature : attraction, sélection et formation des participants, mise en relation du binôme de
mentorat, mise en place d’un cadre, suivi de la relation, reconnaissance des mentors et
évaluation du programme. C’est sur ces huit fonctions que nous proposons de baser notre
outil de diagnostic. Pour chacune d’entre elle nous identifions un ou plusieurs indicateurs de
performance permettant aux praticiens de faire une première auto-évaluation de leur
programme. Pour finir nous établissons et discutons les indicateurs pour deux programmes
réels présentés de façon stylisée.
Mots clés : Mentorat, diagnostic, accompagnement, processus, entrepreneuriat
Abstract: Mentoring for entrepreneurs has been rapidly developing in France since 2000,
however research on this subject is only just beginning. Consequently, reliable tools, pertinent
models and unified framework of reference that could help practitioners to design or diagnose
a mentoring programme, are lacking. Our research aims to give some leads in the
consolidation of the framework by relying on the principal models in the literature. Beyond
this, the objective is to propose to practitioners a simple and structured diagnostic tool,
enabling them to evaluate their own entrepreneurial mentoring programme. We propose a
summary of a tripartite model (mentor, mentee and third party organisation) of the
entrepreneurial mentoring process which is decomposed in four stages. This stage approach
195
allows the emergence of the eight functions of the third party organisation generally spotted in
the literature: attracting, selecting and training participants, matching the dyad, setting the
framework, monitoring the relationship, recognizing the mentors and evaluating the
programme. We propose to use these eight functions as the basis for our diagnostic tool. For
each one of them we will identify one or several performance indicators allowing
practitioners a first auto-evaluation of their programme. To finish we will establish and
discuss these indicators for two real programmes.
Keywords : Mentoring, diagnostic, process, entrepreneurship
196
Introduction
La pratique du mentorat entrepreneurial se développe rapidement en France depuis le début
des années 2000 86 mais la recherche sur le sujet en est encore à ses débuts. Un corolaire de
cette situation est le manque d’outils fiables, de modèles pertinents et d’un cadre de référence
unifié qui pourraient aider les praticiens à construire un programme ou à en faire le
diagnostic. Notre recherche vise à donner des pistes pour une consolidation du cadre de
référence en s’appuyant sur les principaux modèles de la littérature (Mitrano-Méda et Véran,
2012). Au-delà l’objectif est de pouvoir proposer aux praticiens un outil de diagnostic simple
et structuré, leur permettant une auto-évaluation de leur propre programme de mentorat
entrepreneurial.
Nous définissons et positionnons dans notre première partie le mentorat entrepreneurial dans
la pratique et au sein de la recherche académique. Nous présentons ensuite de manière
détaillée le modèle tripartite du processus de mentorat entrepreneurial sur lequel nous
proposons de baser notre outil de diagnostic. En troisième partie nous proposons sur la base
du modèle tripartite des indicateurs de performance permettant le diagnostic d’un tel
programme et les appliquons à deux programmes réels présentés de façon stylisée.
1. Le mentorat entrepreneurial. Définition et positionnement.
Le mentorat est une des nombreuses pratiques d’accompagnement répertoriées et classifiées
par Paul (2004). La cartographie (figure 1) élaborée par celle-ci présente de façon synthétique
les pratiques d’accompagnement et les ordonnent sur deux axes : l’axe « sens – technicité » et
l’axe « réflexion – action ». Le mentorat doit figurer selon Paul dans le quadrant action et
sens. Paul décrit ainsi la pratique du mentorat comme ayant à la fois une orientation projet et
une composante individuelle qui favorise l’actualisation de soi (de l’entrepreneur) et le
transfert d’expérience du mentor (transmission et filiation).
«La relation mentorale se définit donc, sur une base de réciprocité et de solidarité
intergénérationnelle, comme une relation d’aide et d’apprentissage, entre une personne
d’expérience qui partage connaissance, expérience, idées et compréhension d’une
organisation avec une personne moins expérimentée, disposée à tirer profit de ce
partage» (Paul, 2004 : p43)
En synthèse des définitions proposées dans la littérature (Clutterbuck et Meggison, 1999 ;
Fletcher et Ragins, 2007 ; Paul, 2004 ; Ragins et Kram, 2007), nous retiendrons pour notre
part que le mentorat est une relation d’accompagnement bénévole sans lien hiérarchique, dans
un contexte professionnel, pensée pour produire un enrichissement mutuel et pour favoriser la
mise en œuvre de transitions significatives par le mentoré.
Dans un contexte de mentorat entrepreneurial la relation bénévole d’accompagnement
s’établit sur la base du projet d’un entrepreneur novice et est conduite par un entrepreneur
plus expérimenté.
86
Des liens vers des programmes français de mentorat sont donnés en annexe.
197
Figure 1 : Une cartographie des pratiques d’accompagnement de l’entrepreneur
(d’après Paul, 2004)
La pratique du mentorat se développe à l’initiative d’organismes publics, semi-publics ou
privés visant à développer l’entrepreneuriat et la création d’entreprise localement ou
nationalement. Citons quelques uns des programmes de mentorat entrepreneurial français :
-
Le Réseau Entreprendre (association de chefs d’entreprise) ;
L’Institut du Mentorat Entrepreneurial (créé par la Chambre de Commerce et
d’Industrie de Paris) ;
France Initiative (accompagnement d’entrepreneurs créant leur emploi) ;
Créatorat (programme de mentorat pour les entreprises hébergées dans la pépinière
Créativa d’Avignon) ;
Moovjee (accompagnement mentoral de jeunes entrepreneurs et étudiants
entrepreneurs) ;
Le réseau EPWN (mentorat des femmes professionnelles dont des femmes
entrepreneurs) ;
Le Camping (accélérateur de start-ups à Paris).
Concentrée à sa naissance au Québec, la recherche sur le mentorat entrepreneurial a
commencé par s’intéresser aux facteurs de succès de la relation (Couteret, St Jean et Audet,
2006 ; Cull, 2006 ; Gravells, 2006), aux fonctions et compétences du mentor (McGregor et
Tweed, 2002 ; St Jean, 2009 ; St Jean et Audet, 2010), à la structure de soutien (Couteret, St
Jean et Audet, 2006) et aux résultats du mentorat (Bisk, 2002 ; Carsrud, Gaglio et Olm, 1987 ;
Deakins, 1998 ; Simard et Fortin, 2008 ; St Jean, 2009). Depuis 2010, les recherches se sont
intensifiées avec les travaux de St-Jean (2009) basés sur le programme de mentorat
entrepreneurial de la Fondation pour l’Entrepreneurship (Québec). Cependant aucune
recherche n’a proposé à ce jour de vision globale du processus de mentorat. Nous proposons
198
en conséquence en deuxième partie un modèle tripartite couvrant l’ensemble du processus de
mentorat et pouvant servir de cadre de référence pour la construction d’outils de design et de
diagnostic à l’usage des praticiens.
2. Un modèle tripartite du processus de mentorat entrepreneurial.
Nous avons élaboré un modèle tripartite de processus de mentorat entrepreneurial (figure 2),
après avoir analysé plusieurs modèles dyadiques et tripartites de mentorat dans le contexte
organisationnel et entrepreneurial (Allen, 2007 ; Baugh et Fagenson, 2007 ; Couteret, St Jean
et Audet, 2006 ; Fletcher et Ragins, 2007 ; St Jean, 2009 ; Young et Perrewé, 2007), et après
avoir conduit une première étude qualitative longitudinale auprès de binômes de mentorat
entrepreneurial.
Figure 2 : Processus et principales fonctions du mentorat entrepreneurial
Ce modèle met en exergue les fonctions de l’organisation tierce (que nous détaillons cidessous) à chaque étape du processus de mentorat entrepreneurial.
2.1 Première étape : les participants.
Dans le cadre d’un mentorat entrepreneurial les participants appartiennent à des entreprises
distinctes. Les coordinateurs des programmes n’ont donc pas accès à un pool interne de
mentors et mentorés potentiels. L’organisation tierce a pour première mission d’attirer
(Fonction n°1 : Attraction) des mentors de qualité répondant à un profil supposé être bien
défini. Il semble plus facile d’attirer des mentorés potentiels qui sont supposés comprendre les
bénéfices qu’ils pourront tirer d’un accompagnement. Il semble toutefois, d’après une étude
199
qualitative menée par nos soins 87 que la réputation de l’organisation tierce joue un rôle
important dans l’attraction des participants. De plus la mission et les valeurs de l’organisation
tierce doivent résonner avec les motivations altruistes des mentors.
Au niveau de la sélection (Fonction n° 2) des participants (mentors et mentorés), quatre
conditions semblent devoir déterminer une bonne initialisation de la relation de mentorat :
- Le mentor doit être crédible aux yeux du mentoré, il doit posséder expérience et
réseau (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Cull, 2006).
- Le mentor doit posséder des compétences relationnelles, être à l’écoute, avoir de
l’empathie, encourager la réflexion, et respecter son rôle (Cull, 2006 ; Couteret, St
Jean et Audet, 2006 ; Gravells, 2006 ; Simard et Fortin, 2008).
- Le mentoré doit également posséder des compétences relationnelles : il doit être
ouvert et à l’écoute, doit avoir la capacité à se dévoiler et être en demande d’aide
(Cranwell-Ward, 2004 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Fletcher et Ragins, 2007 ;
Klasen, 2002 ; Lee, 2000).
- Le mentoré doit être en demande d’aide et ressentir le besoin d’être accompagné
(Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Gravells, 2006).
- Le mentor et le mentoré doivent être motivés et s’engager volontairement dans cette
relation (Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Cull, 2006 ; Gravells, 2006 ; Simard et
Fortin, 2008).
L’organisation tierce peut choisir de former les participants (Fonction n° 3) afin de les
préparer à la relation, de leur transmettre un cadre éthique, de leur faire comprendre leurs
rôles et responsabilités et de les aider à développer les compétences relationnelles nécessaires.
Des recherches ont montré que plus les mentors étaient formés plus ils étaient efficaces dans
la relation et plus les mentorés pouvaient tirer un véritable enseignement de la mise en
relation (St-Jean et Mitrano-Méda, 2012).
2.2 Deuxième étape : l’appariement du binôme.
L’organisation tierce est responsable de l’appariement du binôme mentor-mentoré (Fonction
n° 4 : mise en relation). Elle doit trouver des moyens de les faire se rencontrer afin de
favoriser l’échange humain comme suggéré par la formule des « blinds dates » de BlakeBeard, O’Neill et McGowan (2007). Celles-ci sont des rencontres sans engagement qui
permettent aux participants de faire connaissance et à l’organisation tierce d’informer des
conséquences de leur choix les mentors et les mentorés.
Les chercheurs s’accordent pour écrire que le processus d’appariement doit être le plus
transparent possible et impliquer au mieux les participants dans le choix de leur binôme
(Clutterbuck et Megginson, 1999 ; Couteret, St Jean et Audet, 2006 ; Hattingh, Coetzee et
Schreuder, 2005 ; Houde, 1996). De plus, l’organisation tierce doit identifier et comprendre
les différents critères d’appariement importants pour les entrepreneurs. Des critères
d’appariement parfois paradoxaux (similarité versus complémentarité) sont relevés par
plusieurs auteurs. La similarité perçue entre acteurs (en termes de secteur d’activité, de métier
ou de personnalité) favorise ainsi la relation de confiance (St Jean, 2009). A l’opposé la
complémentarité perçue entre les membres de binôme (différentiel d’expérience et de
compétences) favorise le sentiment d’utilité de la relation. La proximité géographique peut
favoriser les rencontres physiques et la disponibilité des membres du binôme peut assurer que
87
Résultats communiqués lors d’une conférence en 2012
200
la relation puisse être entretenue (Cranwell-Ward, Bossons et Gover, 2004 ; Klasen et
Clutterbuck, 2002 ; Klauss, 1981). Le facteur appariement est souvent mentionné sous la
forme d’un sentiment ou d’un ressenti positif (feeling), d’alchimie personnelle («personal
chemistry», Gravells, 2006) ou même de compatibilité personnelle (fit). Cette relation doit
être basée sur la confiance (Couteret St Jean et Audet, 2006 ; Cranwell-Ward, 2004 ; Houde,
1996 ; St Jean, 2009 ; Wang et al, 2010 ; Wilson, 1990) et la confidentialité pour favoriser des
échanges authentiques et efficaces.
2.3 Troisième étape : la relation de mentorat.
Le suivi de la relation impose la prise de conscience au niveau de l’organisation tierce de la
nécessité d’assumer certaines fonctions dans un cadre formel lisible. Le cadrage formel
(Fonction n° 5) de la relation impose que soient définis les objectifs de la relation, le rôle et
les attentes de chacun (Cranwell-Ward, 2004 ; Gerstein, 1985 ; Hattingh, 2005 ; Houde, 1996
; Klauss, 1981) mais aussi la durée prévue de la relation et la fréquence des rencontres. Une
fois le binôme créé, l’organisation tierce joue un rôle de suivi (Fonction n° 6), mesurant
épisodiquement les résultats de la relation et la satisfaction du binôme. Elle peut ainsi éviter
les dysfonctionnements potentiels et l’essoufflement de la relation (Feldmann, 1999). En cas
de problème elle doit pouvoir aider à sa résolution voire entamer une procédure de séparation
amiable afin d’en limiter les conséquences négatives. Elle doit s’assurer également que le
cadre fixé lors de la formation des participants est bien respecté. Elle est le garant du
fonctionnement éthique de la relation (ISPME, 2006). Elle peut accompagner le
développement des mentors en organisant des groupes de discussion visant l’échange de
meilleures pratiques (Cranwell-Ward, Bossons et Gover, 2004 ; Hattingh, Coetzee et
Schreuder, 2005).
2.4 Quatrième étape : les résultats de la relation.
A l’échéance de la relation l’organisation tierce a pour mission de mesurer ses résultats
(Fonction n° 8). L’objectif est ici de continuellement évaluer l’efficacité de ses actions et
d’améliorer son programme. Afin de garder, stimuler et attirer des mentors dans ce type de
processus elle doit aussi trouver des moyens pour les reconnaître (Allen, 2007) et les mettre
en valeur (Fonction n° 7).
Il est possible de distinguer deux types de résultats produits par la relation de mentorat : les
retombées 88 dites proximales (immédiates) et les retombées distales ou les conséquences à
plus long terme. Les retombées proximales pour les membres du binôme peuvent être
mesurées par la satisfaction et la perception de la qualité de la relation ainsi que par le
développement ou apprentissage acquis grâce à la relation.
Bien qu’il soit plus difficile de mesurer les retombées distales pour les membres du binôme et
les parties prenantes (l’entreprise du mentoré, le mentoré, le mentor et l’organisation tierce) il
serait intéressant de pouvoir grâce à une étude longitudinale les évaluer. Pour mesurer les
retombées pour l’entreprise du mentoré il faudra prendre soin de considérer de nombreuses
variables de contrôle telles que l’industrie, le financement, le pays, l’expérience du mentoré
dans son secteur et toutes autres variables pouvant impacter le succès d’une start-up.
Cette modélisation holistique du processus de mentorat entrepreneurial va nous servir de
cadre de référence pour la construction d’un outil de design et de diagnostic destiné aux
praticiens du mentorat entrepreneurial.
88
Nous avons conservé le vocabulaire de St Jean (2009)
201
3. Proposition d’un outil de diagnostic à l’intention des praticiens du
mentorat entrepreneurial.
Un diagnostic est un processus de production de mesures (Rummle et Brache, 2005) ayant
pour but d’analyser le niveau de performance atteint par certaines variables d’un système ou
d’une organisation à des fins d’amélioration. Les praticiens ont recours à un processus de
diagnostic lorsqu’il s’agit d’identifier les points d’excellence et les faiblesses de leurs
structures ou de leurs processus d’action. Tout diagnostic a pour vocation, en référence à un
état ou une norme considéré comme souhaitable, d’orienter les praticiens vers l’activation de
mesures correctives dans une optique d’amélioration continue de la performance du système
ou de l’organisation évaluée. Dans le cas du mentorat entrepreneurial, nous proposons
d’utiliser notre recherche comme cadre pour la construction d’un tel outil de diagnostic.
Le modèle présenté ci-dessus (figure 2) permet d’analyser le processus de mentorat
entrepreneurial et ses principales fonctions de manière à la fois globale et détaillée. A chaque
étape du processus il permet de poser des questions clefs et de fixer les bases de l’évaluation
de la performance du programme analysé. Ce diagnostic va au delà de la simple évaluation de
la satisfaction des participants qui a été jusque là la méthode dominante d’évaluation des
programmes de mentorat.
3.1. Evaluation des fonctions de l’organisation tierce. Indicateurs et questionnements.
L’outil doit permettre en tout premier lieu d’évaluer les 8 fonctions principales (figure 2) de
l’organisation tierce dans le processus de mentorat entrepreneurial :
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
Attraction des participants.
Sélection des participants.
Formation des participants au mentorat.
Mise en relation du binôme de mentorat.
Cadre donné à la relation.
Suivi de la relation.
Reconnaissance des mentors.
Évaluation des résultats de la relation.
L’ensemble de ces fonctions et le processus sur lequel elles sont ordonnées, constituent la
base de notre grille de diagnostic. La mise en œuvre effective des fonctions est la première
phase du diagnostic proposé ici. Une fois vérifiée cette mise en œuvre une phase d’évaluation
est proposée. Pour chacune des fonctions nous soumettons aux responsables du programme
des indicateurs d’évaluation de la performance du programme étudié. Nous avons suivi la
démarche proposée par Rummler et Brache (1995) en commençant par l’identification des
résultats attendus par fonction (tableau 1) et en analysant ensuite les éléments les plus
critiques qui conditionnent leur performance. Pour chacun de ces éléments critiques nous
proposons un indicateur simple, facilement mesurable par l’organisation tierce à des fins
d’autodiagnostic. Nous proposons également de standardiser le jugement relatif au niveau
atteint par ces indicateurs tout en ayant conscience d’un nécessaire affinement au cas par cas
de cette tentative de normalisation.
202
Tableau 1 : Indicateurs de performance des fonctions de l’organisation tierce dans le
processus de mentorat
Fonctions de
l’organisation tierce
Attraction
Sélection
Formation
Mise en relation
Cadre
Suivi
Reconnaissance
Evaluation
3.1.1
Résultats attendus
Indicateurs
Chaque mentoré est accompagné par un
mentor.
Chaque participant a le profil requis (voir
le paragraphe 2.1).
Ratio mentors/mentorés.
Les participants comprennent la relation
et y sont préparés.
Les binômes sont bien accordés, la
relation est satisfaisante.
Les participants comprennent et
respectent le cadre fixé.
Les coordinateurs soutiennent la relation
et aident à éviter les dysfonctionnements.
Les mentors se sentent reconnus et
renouvellent leur participation.
Les résultats sont mesurés et aident à
l’amélioration du programme.
Ratio : mentors actifs/mentors potentiels.
Ratio : mentorés accompagnés/mentorés
sélectionnés.
Nombre d’heures de formation.
Indicateur de ‘fit’ : ratio entre le nombre de
relations qui ont fonctionné (arrivée à
terme avec retombées proximales positives)
par rapport au nombre de relation créées.
Fréquence et qualité de communication et
d’explication du cadre.
Fréquence des contacts entre coordinateur
et participants.
Indicateur de fidélisation : mentors
expérimentés / mentors.
Effectivité de l’évaluation : nombre de
types de résultats mesurés.
Taux d’amélioration : pourcentage
d’amélioration des résultats des relations
mentorales d’une année sur l’autre.
Indicateurs d’attraction des participants.
Pour mesurer la fonction d’attraction de l’organisation tierce nous avons choisi de calculer le
ratio mentors/mentorés soit le nombre de mentors potentiellement disponibles par mentoré
sélectionné. Un ratio supérieur ou égal à 1 indiquerait que l’organisation attire suffisamment
de mentors pour accompagner les mentorés potentiels. Un ratio inférieur à 1 dénoterait un
pouvoir d’attraction faible et pourrait poser problème si les mentors sont en activité
professionnelle et ne disposent pas de suffisamment de temps pour accompagner plus d’un
mentoré.
Cet indicateur est pensé pour aider l’organisation tierce à se poser des questions sur sa
stratégie de communication et de prospection de mentors. L’organisation devra en effet
examiner sa réputation, sa mission, ses valeurs et la congruence entre celles-ci et les
motivations des participants. Ceci lui permettra d’identifier un gap éventuel entre sa
communication, sa mission et ses valeurs. L’interrogation pourra aussi porter sur la clarté de
la communication de l’organisation tierce. Attire-t-elle des mentors qui souhaitent s’engager
sincèrement dans cette démarche de bénévolat ?
3.1.2
Indicateurs de sélection des participants.
Les indicateurs proposés pour la fonction de sélection des participants sont : le ratio mentors
utilisés / mentors potentiels et le ratio mentorés accompagnés / mentorés sélectionnés. Si ces
indicateurs sont proches de 1 cela démontre que la sélection toutes choses étant égales par
ailleurs a été efficace c’est à dire qu’elle a produit l’effet attendu, la plupart des mentors
sélectionnés sont utilisables et la plupart des mentorés sélectionnés sont « accompagnables ».
Un mentoré sélectionné mais non accompagné est le signe soit du fait que l’organisation
203
tierce ne trouve pas de mentor adapté soit que le mentoré n’est pas « mentorable ». Dans les
deux cas, il existe un problème de sélection soit du mentoré soit des mentors potentiels.
Symétriquement deux cas de figures sont possibles si un mentor est identifié comme tel mais
n’est jamais ou rarement utilisé. Soit il n’est jamais ou rarement disponible et est donc peu
engagé, soit il n’est jamais ou rarement retenu par un mentoré lors de la mise en relation. Ce
dernier cas témoigne d’un manque de crédibilité du mentor concerné ou de l’absence chez lui
de compétence relationnelle qui lui permettrait de s’entendre avec les mentorés. Dans les
deux cas un problème de sélection existe très probablement.
Si le ratio « mentors utilisés / mentors potentiels » ou celui « mentorés accompagnés /
mentorés sélectionnés » ne s’approche pas de 1, l’organisation tierce peut alors examiner les
profils des mentors et mentorés sélectionnés et s’interroger sur ses critères de sélection.
Comment l’organisation tierce identifie-t-elle les profils des potentiels participants
(compétences, expériences, motivations, besoins) ? De quelles informations l’organisation
tierce dispose-t-elle au sujet des participants potentiels ? Les critères de sélection sont-ils
adaptés pour ce programme de mentorat ?
3.1.3
Indicateurs de préparation des participants.
Le nombre d’heures de formation à la relation d’accompagnement est un indicateur du degré
de préparation des participants au mentorat. Si ce nombre d’heure est nul, il est à douter que
les participants puissent bien comprendre le cadre et les objectifs de la relation ainsi que leurs
rôles et responsabilités à venir.
Plus le nombre d’heures sera important, plus l’organisation tierce sera assurée du fait que les
participants comprennent le cadre fixé pour le programme et la relation de mentorat, les rôles
et responsabilités de chacun. Plus les participants sont formés plus ils ont eu l’opportunité
d’aller en profondeur sur le contenu d’une discussion mentorale et de développer les
compétences nécessaires pour la mener à bien (St-Jean et Mitrano-Méda, 2012).
Au delà du nombre d’heures de formation, l’organisation devra bien sûr s’interroger sur le
contenu de celle-ci. Permet-elle une bonne compréhension du cadre, des objectifs et des
rôles ? Donne-t-elle l’opportunité aux participants de développer les compétences nécessaires,
de partager les expériences et les bonnes pratiques ?
3.1.4
Indicateurs de la qualité de la mise en relation.
Pour mesurer la qualité de la mise en relation du duo mentor-mentoré nous pouvons utiliser
un indicateur de « fit » (concordance entre le profil du mentor et celui du mentoré). Celui-ci
peut être approché par un ratio rapportant le nombre de relations qui ont fonctionné (arrivées à
terme avec des retombées proximales positives – voir partie 2.4) par rapport au nombre de
relation créées.
Un ratio très proche de 1 indiquera que la mise en relation est efficace, c’est à dire qu’elle a
produit l’effet attendu : la création de binômes performants pour lesquels la relation de
mentorat a été satisfaisante, a permis un apprentissage et a permis l’atteinte d’objectifs.
Plus le ratio s’éloigne de 1, plus l’organisation devra s’interroger sur sa façon d’aborder la
mise en relation du binôme. Qui crée les binômes ? Sur quels critères se base-t-on pour les
apparier ? Y a-t-il adéquation entre les besoins du mentoré et les compétences du mentor ?
Les participants sont-ils impliqués dans le choix du binôme ? Peuvent-ils se rencontrer sans
engagement préalable ?
204
3.1.5
Indicateurs de bonne mise en place du cadre de la relation.
Afin d’évaluer l’activation de la fonction de cadrage (organisation de la relation) de
l’organisation tierce, nous proposons de mesurer la fréquence de communication du cadre. Il
s’agit d’évaluer le nombre de fois (par quelque medium que ce soit : document formel,
réunion d’information, réunion individuelle, internet) pendant la durée du programme où
l’organisation tierce a communiqué sur les rôles et responsabilités des mentors et mentorés,
les objectifs du programme, le cadre éthique de la relation et les règles de conduite à respecter
(confidentialité, absence de lien d’intérêt par exemple).
Si cette fréquence est nulle ou très proche de 0, nous pourrons considérer que le cadre même
s’il existe formellement n’est pas communiqué et donc n’est pas connu des participants. Plus
la fréquence sera importante plus les participants auront l’opportunité de s’en imprégner et
donc de le respecter.
Si cet indicateur est à un faible niveau, l’organisation tierce pourra se poser les questions
suivantes : le cadre définit-il bien l’aspect éthique, les rôles et responsabilités de chacun, les
objectifs, la fréquence et la durée de la relation ? Le cadre a-t-il été clairement communiqué
aux participants ? Ce cadre est-il compris et partagé par tous ? Les participants ont-ils
l’opportunité de s’engager formellement à suivre ce cadre et les règles de conduite qu’il
impose ?
3.1.6
Indicateurs de suivi de la relation.
Pour mesurer la performance de l’organisation tierce dans sa fonction de suivi, nous pouvons
tenter de mesurer la fréquence des contacts entre le ou les coordinateurs du programme de
mentorat (représentants l’organisation tierce) et les membres des binômes mentor-mentoré.
Plus la fréquence sera élevée et l’organisation tierce aura des chances de détecter de potentiels
dysfonctionnements.
Si la fréquence des contacts est faible, l’organisation tierce pourra s’interroger sur
l’adéquation entre le besoin de suivi et les ressources attribuées à ce suivi : y a-t-il un nombre
suffisant de coordinateurs par rapport au nombre de binômes en cours d’accompagnement ?
Les rôles et les responsabilités du coordinateur ont-ils été clairement définis et sont-ils
réalistes par rapport à sa charge de travail ? Le coordinateur dispose-t-il d’outils de suivi ?
3.1.7
Indicateurs de reconnaissance des mentors.
Afin de mesurer si l’organisation tierce reconnaît suffisamment ses mentors (dans l’optique de
leur procurer un retour sur leur investissement de temps et d’énergie et de les fidéliser) nous
proposons de mesurer le ratio de mentors expérimentés (c’est à dire ayant renouvelé leur
mandat de mentor) par rapport au nombre total de mentors.
Un mentor qui se sent reconnu et valorisé aura plus de chance de vouloir renouveler
l’expérience. La reconnaissance est en effet un des bénéfices perçus par le mentor et un des
facteurs impactant la volonté de mentorer (Allen, 2007).
Si le ratio « mentors expérimentés / mentors » est faible ou n’augmente pas d’une année sur
l’autre, l’organisation tierce pourra s’interroger sur sa façon de mettre en valeur les
contributions des mentors ? Sont-ils remerciés à la fin de chaque programme ? Appréhendentils bien le résultat de leur contribution ? L’organisation tierce fait-elle le lien entre la réussite
des mentorés et la contribution des mentors ?
205
3.1.8
Indicateur d’évaluation de la performance globale du programme.
Il est essentiel de mesurer ou plus généralement d’évaluer la performance d’un système ou
d’un processus afin de pouvoir mieux le piloter et d’en améliorer la performance (Rummler et
Brache, 1995). Une des fonctions de l’organisation tierce est donc de mettre en place un
système d’évaluation du programme de mentorat afin de pouvoir améliorer le processus
global et de tenter de maximiser les résultats pour les mentorés (retombées proximales et
distales dans la figure 2). Deux indicateurs nous semblent possibles pour l’évaluation de cette
fonction :
-
Effectivité de l’évaluation : le nombre et la variété des résultats mesurés. Concernant
les retombées proximales par exemple : satisfaction des participants, apprentissage
constaté par les mentorés, atteinte des objectifs de la relation.
-
Taux d’amélioration : le pourcentage d’amélioration des résultats mesurés, d’une
année sur l’autre suite aux améliorations entreprises sur le processus (concernant par
exemple la façon de mettre les binômes en relation).
Un faible niveau constaté sur ces deux séries d’indicateurs témoignera d’une défaillance du
système de contrôle du processus global de mentorat. Absence de mesure pour la première
série, mesures non suivies d’effet pour la deuxième série.
3.2. Deux applications.
Nous nous proposons à titre d’illustration d’appliquer notre grille d’indicateurs à deux
programmes réels de mentorat entrepreneurial (tableau 2). Le diagnostic de ces deux cas très
différents met en avant la diversité des pratiques dans le domaine et permet d’identifier les
points d’excellence ainsi que les points d’amélioration de chaque programme sur des
fonctions spécifiques de l’organisation tierce.
Tableau 2 : Diagnostic de deux programmes de mentorat entrepreneurial
Fonctions
Indicateurs
Programme A
Programme B
Attraction
Sélection
Formation
Mise en
relation
Cadre
Suivi
Reconnaissance
Evaluation
Ratio mentors/mentorés
Ratio mentors
actifs/mentors potentiels
Ratio mentorés
accompagnés/mentorés
sélectionnés
Nombre d’heures de
formation
Indicateur de ‘fit’
5/1
4/5
1/2
1/1
1/1
3/5
0
12 pour les mentors
2 pour les mentorés
0,8
Fréquence de
communication du cadre
Une fois par programme
Fréquence des contacts
coordinateur/participants
Indicateur de fidélisation
Effectivité de la
l’évaluation
Taux d’amélioration
Une fois par semaine
1
0,5
1
(satisfaction des mentorés)
12%
(satisfaction des mentorés)
206
Six fois par programme pour
les mentors
Une fois par programme pour
les mentorés
0
0,8
0
5%
3.2.1 Diagnostic du Programme A. Le mentoré d’abord.
Le programme A est un programme d’accompagnement, sur une durée de six mois, de
porteurs de projets entrepreneuriaux dans le domaine des TIC (Technologies de l’Information
et de la Communication).
Les points d’excellence du programme A sont : l’attraction des mentors, un bon fit dans la
mise en relation et une bonne fréquence du suivi par le tiers organisateur du programme.
Ses faiblesses (points d’amélioration) résident dans une faible explicitation du cadre et une
absence notoire de formation des acteurs.
Le programme A se focalise sur les mentorés, en attirant un maximum de mentors offrant
ainsi aux mentorés un choix large de mentors potentiels et permettant un bon « fit ».
Cependant malgré le choix d’une stratégie de multiplication des mentors potentiels par
mentoré tous les mentors ne sont pas utilisés. Ceci reflèterait-il un problème de sélection ?
Les mentors attirés ont-ils le profil requis pour un mentorat efficace ? Nous pourrions aussi
nous interroger sur les motivations des mentors vu le fort pouvoir attractif de l’organisation A.
Une faiblesse est visible au niveau de la communication du cadre aux acteurs qui ne sont
ainsi pas bien préparés à la relation d’accompagnement. L’organisation A semble compenser
ce manque de cadre en mettant en place un suivi très dense.
Le programme est jeune (2ème promotion) et les mentors de la première vague semblent fidèles
(50% des mentors actuels sont des anciens). Cependant cet indicateur étant couplé à un fort
indicateur d’attraction, nous pouvons penser que la reconnaissance est effective et crée un
certain degré de fidélité.
L’évaluation du programme est très partielle (1 seule mesure) et seule la satisfaction des
mentorés est mesurée. Se basant sur l’évaluation et les commentaires des mentorés de la
première promotion, l’organisation de ce programme a mis en place un suivi plus strict pour
la deuxième vague. Cette démarche a impacté positivement le résultat (taux de satisfaction) de
12%. Bien que peu développée, la fonction d’évaluation du programme A est effective mais
pourrait bénéficier d’une mesure élargie des résultats (apprentissage et atteinte des objectifs)
afin de mieux évaluer l’efficacité globale du programme.
3.2.2. Diagnostic du programme B. Le mentor moteur du programme.
Le programme B est un programme d’accompagnement sur deux ans proposé aux
entrepreneurs réunis au sein d’une pépinière d’entreprises de l’agro-alimentaire en région
PACA. Les points d’excellence du programme B sont : la préparation à la relation
d’accompagnement et la fréquente communication du cadre pour les mentors ainsi qu’une
forte fidélité des mentors indiquant une bonne reconnaissance par le programme de leurs
contributions. Ses points d’amélioration possibles résident dans la préparation et la sélection
des mentorés, ainsi que dans le suivi des relations et l’évaluation du programme.
Le programme B se focalise sur les mentors grâce aux clubs des mentors qui permettent une
très bonne préparation de ceux-ci à la relation d’accompagnement et à la compréhension du
cadre fixé. L’indicateur de fidélisation étant lui aussi élevé, il semble évident que les mentors
sont satisfaits de participer à ce programme.
Il apparait ici que ce sont les mentors qui font fonctionner le programme, l’organisation B ne
mettant pas à la disposition du programme suffisamment de ressources pour un suivi fréquent
et une évaluation correcte des relations. Ce sont les mentors qui apportent des améliorations
au processus de mentorat de par leurs échanges sur les meilleures pratiques.
Le programme B repose sur la bonne volonté de mentors peu nombreux qui suivent plusieurs
mentorés par programme. Le faible nombre de mentors par rapport au nombre de mentorés
207
ajouté à un ratio « mentorés accompagnés/mentorés sélectionnés » de 3/5 nous indique que la
diversité des mentors n’est peut-être pas suffisante pour permettre d’accompagner tous les
mentorés sélectionnés. L’organisation B devrait donc renforcer son pouvoir d’attraction et
revoir son processus de sélection en fonction des profils pour espérer pouvoir accroître le
« fit » mentor/mentoré.
Conclusion
Les pratiques de mentorat se développant sans réel cadre théorique robuste, nous avons voulu
proposer au travers de cette communication un outil de diagnostic et un ensemble
d’indicateurs pouvant aider les praticiens à évaluer la performance de leur programme de
mentorat en en identifiant les fonctions critiques.
Les indicateurs proposés sont simples et doivent être améliorés à l’épreuve du terrain. Ils
peuvent cependant dans une première approche aider à identifier les points sur lesquels
l’organisation devrait se focaliser.
En dehors du pur diagnostic, le cadre de référence utilisé ici peut également être utilisé lors de
la conception d’un programme de mentorat entrepreneurial. Nombre de variables doivent être
prises en compte et l’organisation tierce doit prendre des décisions quant aux différentes
activités à mettre en place : qui sera mentor / mentoré ? Pourquoi un programme
d’accompagnement ? Pour quels résultats ? Quels sont les éléments d’affinités majeures à
considérer pour une relation de mentorat entrepreneurial réussie ? Quel cadre donnons-nous à
cette relation ? Qui va pouvoir faire le suivi ? Quels sont les critères d’évaluation à suggérer
aux mentors et mentorés pour évaluer leur progression ?
La recherche en cours peut également fournir un guide aux praticiens souhaitant concevoir un
programme d’accompagnement d’entrepreneur par le mentorat. Le modèle tripartite proposé
permet en effet d’envisager le processus dans sa globalité et de planifier les différentes
activités de l’organisation tierce. Il permet également d’organiser les ressources nécessaires
telles que le nombre de coordinateurs et de définir leur mission afin de recruter et de former
les bonnes personnes. Les indicateurs proposés, s’ils sont à ce stade de l’ordre de
l’expérimentation, peuvent être utiles pour la formulation des objectifs d’un programme. A
terme ils ont vocation à devenir les composantes d’un tableau de bord de pilotage pour un bon
management des programmes de mentorat.
Annexe. Quelques liens vers des programmes de mentorat entrepreneurial
en France.
Le Réseau Entreprendre : http://www.reseau-entreprendre.org
L’Institut du Mentorat Entrepreneurial : www.institut-mentorat.ccip.fr
France Iniative : www.france-initiative.fr
Créatorat : http://www.creativa.agroparc.com
Moovjee : http://www.moovjee.fr/
Le réseau EPWN : http://www.europeanpwn.net/
Le Camping : http://www.lecamping.org/
208
Références bibliographiques.
ALLEN T.D. (2007), « Mentoring relationships from the perspective of the mentor », dans
B.R. Ragins et K. Kram (sous la direction de), The handbook of mentoring at work, SAGE
Publications, p. 123-147.
BAUGH S.G., FAGENSON-ELAND E.A. (2007), « Formal mentoring programs », dans
B.R. Ragins et K. Kram (sous la direction de), The handbook of mentoring at work, SAGE
Publications, p. 249-271.
BISK L. (2002), « Formal entrepreneurial mentoring: the efficacy of third party managed
programs », Career Development International, Vol. 7, n° 5, p. 262-270.
BLAKE-BEARD S.D., O'NEILL R.M., MCGOWAN E.M. (2007), « Blind dates? The
importance of matching in successful formal mentoring relationships », dans B.R. Ragins et
K. Kram (sous la direction de), The handbook of mentoring at work, SAGE Publications, p.
617-632.
CARSRUD A.L., GAGLIO C.M., OLM K.W. (1987), « Entrepreneurs - Mentors, Networks,
and successful New Venture Development An Exploratory Study », American Journal of
Small Business, Vol. Fall, p. 13-18.
CLUTTERBUCK D., MEGGISON D. (1999), « Mentoring executives et directors”, Elsevier
Butterworth-Heinemann.
COUTERET P., ST-JEAN E., AUDET J. (2006), « Le mentorat : conditions de réussite de ce
mode d'accompagnement de l'entrepreneur », Papier présenté à 23e Colloque annuel du
Conseil Canadien des PME et de l'Entrepreneuriat, Trois Rivières.
CRANWELL-WARD J., BOSSONS P., GOVER S. (2004), “Mentoring”, a Henley review
of best practice, Palgrave MacMillan.
CULL J. (2006), « Mentoring Young Entrepreneurs: What leads to Success? », International
Journal of Evidence Based Coaching and Mentoring, Vol. 4, n° 2, p. 8-18.
DEAKINS D., GRAHAM L., SULLIVAN R., WHITTAM G. (1998), « New venture support:
an analysis of mentoring support for new and early stage entrepreneurs », Journal of Small
Business and Enterprise Development, Vol. 5, n° 2, p. 151-161.
FELDMAN D.C. (1999), « Toxic mentors or toxic protégés? A critical re-examination of
dysfunctional mentoring », Human Resource Management Review, Vol. 9, n° 3, p. 247-278.
FLETCHER J.K., RAGINS B.R. (2007), « Stone Center Relational Cultural Theory », dans
B.R. Ragins et K. Kram (sous la direction de), The handbook of mentoring at work, SAGE
Publications, p. 373-399.
GERSTEIN M. (1985), « Mentoring: An Age Old Practice in a Knowledge-Based Society »,
Journal of Counseling and Development, Vol. 64, p. 156-157.
GRAVELLS J. (2006), « Mentoring start-up entrepreneurs in the East Midlands Troubleshooters and Trusted Friends », The International Journal of Mentoring and
Coaching, Vol. IV, n° 2,
HATTINGH M., COETZEE M., SCHREUDER D. (2005), « Implementing and Sustaining
Mentoring Programmes: A Review of the Application of Best Practices in the South African
Organisational Context », SA Journal of Human Resources Management, Vol. 3, n° 3, p. 4048.
HOUDE R. (1996), Le mentor : transmettre un savoir-être, Hommes et Perspectives.
ISMPE. (2006). The International Standards for Mentoring Programmes in Employment.
www.ismpe.com
KLASEN N., CLUTTERBUCK D. (2002), Implementing Mentoring Schemes, Butterworth
Hainemann.
209
KLAUSS R. (1981), « Formalized mentor relationships for management and executive
development programs in the federal government », Public Administration Review, Vol.
July/August.
LEE F.K., DOUGHERTY T.W., TURBAN D.B. (2000), « The role of personality and work
values in mentoring programs », Review of business, Vol. summer, p. 33-37.
MCGREGOR J., TWEED D. (2002), « Profiling a New Generation of Female Small Business
Owners in New Zealand: Networking, Mentoring and Growth », Gender, Work and
Organization, Vol. 9, n° 4, p. 420-438.
MITRANO-MÉDA S., VÉRAN L. (2012), « L'analyse du processus de mentorat
entrepreneurial. Une approche tripartite », Papier présenté à 2ème Rencontre entre acteurs des
réseaux d'accompagnement et chercheurs, Montpellier.
PAUL M. (2004), L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique, L'Harmattan.
RAGINS B.R., KRAM K.E. (2007), « The roots and meaning of mentoring », dans The
handbook of mentoring at work, SAGE Publications, p. 3-15.
RUMMLER G. A, BRACHE A. P., (1995), “Improving Performance: How to Manage the
White Space in the Organization Chart”, Jossey-Bass Management.
SIMARD P., FORTIN J. (2008), « Mentorat des entrepreneurs », Gestion, Vol. 33, p. 10-17.
ST-JEAN E., (2009), « Retombées et facteurs de succès d'une relation de mentorat
d'entrepreneur novice selon la perspective du mentoré », Thèse de doctorat soutenue à
Université Laval, Québec.
ST-JEAN E., AUDET J. (2010), « Le mentorat d'affaire : existe-t-il un style d'intervention
idéal ? », Papier présenté à CIFEPME : 10ème Congrès International Francophone en
Entrepreneuriat et PME, Bordeaux.
ST-JEAN E., MITRANO-MÉDA S. (2012), « La formation des mentors d’entrepreneurs
novices : une manière de s’assurer de la qualité de l’intervention de mentorat ? », Papier
présenté à 2ème Rencontre entre acteurs des réseaux d'accompagnement et chercheurs,
Montpellier.
WANG S., TOMLINSON E.C., NOE R.A. (2010), « The role of mentor trust and protégé
internal locus of control in formal mentoring relationships », Journal of Applied Psychology,
Vol. 95, n° 2, p. 358-367.
YIN R.K. (2009), « Case Study Research: Design and Methods”, 4th edition, SAGE
Publications, Inc.
YOUNG A.M., PERREWÉ P.L. (2000), « The exchange relationship between mentors and
protégés: the development of a framework », Human Resource Management Review, Vol. 10,
n° 2, p. 177-209.
Retour à la table des matières
210
Entrepreneuriat répété, capital organisationnel
et accès au financement par capital-risque
Jean RÉDIS
ESIEE Management
Cité Descartes - BP 99 - 2 bd Blaise Pascal - 93162 Noisy-le-Grand Cedex
IRGO – Equipe Entrepreneuriat & Stratégie
redisj@esiee.fr
Résumé : Cet article porte sur l’existence d’éventuelles différences dans l’accès au capitalrisque entre les entrepreneurs répétés (qui ont fondé plusieurs sociétés, successivement ou en
parallèle) et les entrepreneurs novices (qui créent une entreprise pour la première fois). Bien
que les résultats empiriques soient partagés quant à l’existence d’une surperformance des
entrepreneurs répétés par rapport aux entrepreneurs novices, de nombreux exemples semblent
suggérer que les entrepreneurs répétés semblent jouir d’une plus grande facilité d’accès au
capital-risque. Ce paradoxe peut s’expliquer en mobilisant la théorie du capital
organisationnel. L’octroi d’un financement par capital-risque se caractérise par une asymétrie
d’information entre le financeur et l’entrepreneur. Pour y remédier, les solutions peuvent soit
prendre une forme contractuelle, soit reposer sur la confiance entre les parties. Dans cette
seconde perspective, l’expérience entrepreneuriale, en tant qu’élément de l’apprentissage
entrepreneurial, constitue un atout pour l’entrepreneur répété, dans la mesure où il dispose
d’avantages à la fois en termes de capital humain (expérience) et de capital social (réseau) que
l’entrepreneur novice. Ce sont ces atouts qui seraient susceptibles de lui permettre d’avoir un
accès privilégié au capital-risque. La revue des études empiriques tend à montrer que les
entrepreneurs répétés sont privilégiés dans l’accès au financement par capital-risque. Ils
bénéficient de financements plus rapides et reçoivent davantage de fonds que les
entrepreneurs novices. En revanche, les résultats sont partagés quant à savoir si leurs
entreprises bénéficient de meilleures valorisations que celles des entrepreneurs novices de la
part des investisseurs en capital.
Mots-clés : finance entrepreneuriale ; capital-risque ; start-up ; apprentissage entrepreneurial ;
capital organisationnel ; capital humain ; capital social ; entrepreneuriat répété.
Abstract: This article is about the existence of potential differences in access to venture
capital between serial entrepreneurs (who have founded several businesses, either one after
the other or simultaneously) and new entrepreneurs (who create a business for the first time).
Even though the empirical results differ regarding the serial entrepreneurs’ outperformance
compared to new entrepreneurs, numerous examples seem to suggest that serial entrepreneurs
have an easier access to venture capital. This paradox can be explained through organisational
theory. The distribution of venture capital is characterized by an information asymmetry
between the investor and the entrepreneur. This problem can either be solved through
contracts or rely on a mutual confidence. If we look at the second solution, the entrepreneurial
211
experience, because considered as entrepreneurial training, is an advantage for the serial
entrepreneur, because he or she has both more human capital (experience) and social capital
(network) than a new entrepreneur. These are advantages that can give the entrepreneur easier
access to venture capital. A review of empirical studies points towards an easier access to
venture capital for serial entrepreneurs. They access funds more quickly, and receive bigger
sums than new entrepreneurs. But the studies are less conclusive if we look for a higher
valuation of the serial entrepreneurs’ businesses compared to those of the new entrepreneurs.
Key words: entrepreneurial finance ; venture capital ; start-up ; organizational capital ;
human capital ; social capital ; serial entrepreneurship.
Introduction
Pour les créateurs de nouvelles entreprises, en particulier celles basées sur l’immatériel
et la propriété intellectuelle, le capital-risque est une source importante de financement de
l'entreprise (Hsu, 2007). Au-delà de l’apport des fonds, il est généralement admis que le fait
d’être financée par le capital-risque apporte à la jeune société une certification, une
professionnalisation et un suivi attentif : le capital-risque joue ainsi un rôle d’accélérateur de
croissance (Denis, 2004).
Cependant, les chiffres montrent que le taux de réussite dans l’accès au financement
par capital-risque est très faible (de l’ordre de 3 à 5%). 89 Or, dans ce contexte de rationnement
du capital, certains créateurs d’entreprises semblent avoir plus de facilités pour financer leur
société : les entrepreneurs répétés, c’est-à-dire ceux qui ont créé préalablement une ou
plusieurs entreprises. Par exemple, des entrepreneurs comme l’américain Jim Clark 90, le duo
composé du danois Janus Friis et du suédois Niklas Zennström 91 ou le français Marc
Simoncini 92 ont multiplié les créations d’entreprises et ont à chaque fois réussi à lever des
fonds auprès du capital-risque.
Ces constats interrogent, d’autant que l’éventuelle surperformance des entrepreneurs
répétés par rapports aux autres n’a pas été clairement établie empiriquement : les résultats des
quelques études réalisées sur ce thème sont partagés (par exemple Chambers et al., 1988 ;
Kolvereid et Bullvag, 1993 ; Gompers et al., 2006).
Ceci amène à une double interrogation. Sans l’existence de preuves empiriques
attestant formellement d’une meilleure performance, quelles sont les raisons qui pourraient
expliquer que les entrepreneurs répétés puissent jouir d’un accès privilégié au financement par
capital-risque ? Et au-delà des exemples anecdotiques précités, cet éventuel accès privilégié
au financement par capital-risque est-il ou non confirmé par les études empiriques sur des
échantillons statistiquement significatifs ?
89
Les études réalisées, notamment dans le contexte français, évaluent le taux de sélection (soit le pourcentage
d’entreprises ou de projets d’entreprises financées par le capital-risque parmi l’ensemble des candidats) entre 1%
et 10% ; notamment, Lachman (1999) l’estime entre 5% et 10% et Paolin-Gagin et Delalande (2000) entre 1% et
3%.
90
Jim Clark a fondé cinq sociétés : Silicon Graphics (fondée en 1981), Netscape Communications (1994),
Healtheon (1996), myCFO (1999) et Shutterfly (1999), les trois prmeières d’entre elles ayant été introduites en
Bourse.
91
Janus Friis et Niklas Zennström ont fondé, entre autres, Kazaa, un système de partage de musique, et Skype,
un système de téléphonie mondial gratuit sur internet.
92
Marc Simoncini a créé notamment i-France, un portail internet, et Meetic, un site de rencontre en ligne, avec
l’aide du capital-risque.
212
Ainsi, cette communication a pour but de contribuer à répondre à la double question
de recherche suivante. D’abord, existe-t-il dans la théorie entrepreneuriale des éléments qui
permettraient d’expliquer d’éventuels atouts des entrepreneurs en série dans l’accès au
financement en capital ? Ensuite, cet avantage supposé se confirme-t-il dans la pratique
entrepreneuriale ?
Ce questionnement présente un intérêt pluriel, à la fois sur un plan théorique et du côté
des pratiques. Au niveau théorique, la mise en perspective de la question de l’accès au
financement des entrepreneurs répétés nécessite à la fois de se pencher sur le processus de
sélection des dossiers par les investisseurs, mais également sur l’analyse des caractéristiques
de l’entrepreneur et sur leurs conséquences en termes d’accès au financement. Du côté des
investisseurs, depuis les premières schématisations du processus de sélection des dossiers
(Tiejbee et Bruno, 1984), l’analyse a été enrichie, intégrant les risques de conflits d’agence
entre capitaux-risqueurs et créateurs, et évaluant à cette aune les outils mis en place, grâce
notamment à la théorie des signaux (Gompers et Lerner, 2000 ; Denis, 2004 ; Rédis, 2009).
Du côté de l’entrepreneur, Starr et Bygrave (1991) avaient suggéré que le fait d’être
entrepreneur répété apportait des atouts, mais aussi des désavantages. Depuis, la réflexion a
été approfondie, grâce à la mobilisation de nouveaux champs théoriques, telles que la théorie
de l’apprentissage entrepreneurial (Politis, 2005 ; Aouni et Surlémont, 2007), et la théorie du
capital organisationnel, qui intègre le capital humain et le capital social de l’entrepreneur.
Sur un plan pratique, la question d’un accès au capital-risque éventuellement facilité
pour les entrepreneurs répétés renvoie à des enjeux majeurs, dans la mesure où les jeunes
sociétés faisant appel à ce type de financement se situent principalement dans des secteurs
dans lesquels la vitesse de développement est un atout essentiel. Comme Zhang (2007) l’a
montré, un accès plus rapide au capital-risque est en corrélation avec une plus forte
probabilité d’accéder à la profitabilité et d’aller jusqu’à une introduction en Bourse, ainsi
qu’avec une plus grande croissance de l’effectif. Par conséquent, un accès plus rapide au
capital-risque pour les entrepreneurs en série peut avoir un effet substantiel sur la performance
de leurs entreprises ultérieures. Par ailleurs, des différences éventuelles entre les entrepreneurs
répétés et les autres quant au niveau de valorisation 93 de leur société lors de l’arrivée des
investisseurs sont de nature à influer sur la répartition initiale du capital et donc sur la
répartition du pouvoir dans l’entreprise, ce dès l’entrée des investisseurs, et par la suite lors
d’éventuels tours de table ultérieurs (Saint-Pierre, 2010).
Cette communication se présentera de la manière suivante. Dans un premier temps,
partant du constat que l’entrepreneuriat répété ne constitue pas une catégorie homogène, il
conviendra d’abord de définir avec précision ce concept et ses subdivisions, tels que
l’entrepreneur « novice », l’entrepreneur « en série » et l’entrepreneur « en parallèle ». On
cherchera aussi à évaluer l’importance de l’entrepreneuriat répété relativement à la population
entrepreneuriale totale, à partir des données empiriques disponibles. Puis, les caractéristiques
spécifiques des entrepreneurs répétés seront présentées, tant en termes de profils, de
motivations que de performances.
On s’intéressera ensuite aux raisons théoriques susceptibles d’expliquer un accès au
capital-risque plus facile pour les entrepreneurs répétés. La sélection des projets par les
capitaux-risqueurs s’inscrit dans un contexte d’asymétrie d’information. Pour y remédier, des
solutions d’ordre contractuelles peuvent être mises en oeuvre, mais le contexte de confiance
entre l’investisseur et l’entrepreneur est également susceptible de jouer un rôle. Dans cette
perspective, l’expérience entrepreneuriale, en tant qu’élément de l’apprentissage
93
La valorisation de l’entreprise correspond à sa valeur retenue suite à la négociation entre les investisseurs et
l’entrepreneur. Les investisseurs utilisent plusieurs méthodes pour évaluer une société, les plus usitées étant la
méthode des comparables et la méthode des cash-flows actualisés. Pour plus de développements, voir Rédis,
2008.
213
entrepreneurial, permet d’accroître à la fois le capital humain et le capital social du créateur,
fournissant à l’entrepreneur répété des atouts pour la levée de fonds.
Enfin, il conviendra d’examiner les résultats des études empiriques réalisées afin de
constater si les entrepreneurs répétés jouissent ou non d’un accès privilégié au capital-risque.
On envisagera successivement d’éventuelles différences de traitement, selon que l’entreprise
ait été créée par un entrepreneur répété ou non, sur la vitesse de levée de fonds, sur les
montants levés et sur les niveaux de valorisation obtenus.
1. Définitions et principales caractéristiques des entrepreneurs répétés
Dans un premier temps, il s’agira de définir le concept d’entrepreneuriat répété, qui
peut renvoyer à différentes situations entrepreneuriales, puis d’évaluer son importance relative
dans la population entrepreneuriale totale. On présentera ensuite les principales
caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés, puis les résultats des études empiriques
consacrées à l’analyse de leur performance relative.
1.1. Définition et estimation de l’importance de l’entrepreneuriat répété
Il convient dans un premier temps de définir les notions d’entrepreneurs répétés,
multiples, en série ou en parallèle. Il n'existe pas de définition généralement acceptée (Starr et
Bygrave, 1991) et une variété de définitions ont été présentées (Donckels, Dupont et Michel,
1987: Kolvereid et Bullvag, 1993; Birley et Westhead, I993; Scott et Rose, 1996: Carter,
1997: Westhead et Wright, 1998: Schaper et al., 2005).
Donckels et al. (1987, p. 48) ont proposé la définition suivante : « les entrepreneurs
répétés sont des entrepreneurs qui, après avoir lancé une première entreprise, créent ou
participent à la mise en place d'un (e) autre entreprise (s) ». Kolvereid et Bullvag (1993) ont
adopté une définition des « créateurs d'entreprise expérimentés » : les entrepreneurs
expérimentés ont créé plus d'une entreprise et sont toujours propriétaires de l'entreprise la plus
récemment créée en plus de la nouvelle entreprise actuelle. Birley et Westhead (1993b, p. 40)
ont donné une définition plus large des créateurs « habituels » : « ... les créateurs habituels
ont créé au moins une autre entreprise avant le lancement de l’entreprise actuelle ». Hall
(1995) a séparé conceptuellement les entrepreneurs habituels en deux catégories : les
entrepreneurs « en série » (« serial entrepreneurs ») et les entrepreneurs « en parallèle »
(« portfolio entrepreneurs »). La caractéristique qui différencie l’entrepreneur en série de
l’entrepreneur en parallèle est la temporalité de la propriété des entreprises, à savoir si deux
entreprises (ou plus) sont gérées en même temps. L’entrepreneur en série lance toujours une
affaire après l’autre, tandis que l’entrepreneur en parallèle possède plusieurs affaires en même
temps. S'appuyant sur la définition de Hall (1995), Westhead et Wright (1998) ont suggéré
qu’un entrepreneur « habituel » est un individu qui a lancé, hérité ou acheté plus d'une
entreprise, tandis que l’entrepreneur en série est une personne qui a vendu ou fermé son
entreprise d'origine, mais qui à une date ultérieure a hérité, créé ou acquis une autre
entreprise. Les entrepreneurs en parallèle ont été définis comme les individus qui possèdent
deux entreprises ou plus en même temps. Schaper et al. (2005) notent cependant que, dans les
différents travaux de recherche ayant porté sur l’entrepreneuriat répété, ces deux catégories se
chevauchent fréquemment.
Les entrepreneurs répétés sont souvent opposés aux entrepreneurs « novices ». Cette
catégorie, qui constitue la plus grande partie des entrepreneurs, comprend les créateurs
d’entreprise qui n’ont pas d’expérience antérieure de création ou de gestion d’une entreprise
(Westhead et al., 2003).
214
Schéma n°1 Typologie des entrepreneurs
L’entrepreneur…
A créé une seule
entreprise
A créé plusieurs
entreprises
Ne possède qu’une
entreprise à la fois
Entrepreneur novice
(Novice entrepreneur)
Entrepreneur en série
(Serial entrepreneur)
Possède plusieurs
entreprises simultanément
Entrepreneur en parallèle
(Portfolio entrepreneur)
Entrepreneurs répétés
(ou habituels)
(Habitual entrepreneurs)
Source : auteur
On peut donc proposer le schéma suivant (Schéma n°1). Les entrepreneurs novices
n’ont jamais créé d’entreprise avant l’entreprise actuelle, contrairement aux entrepreneurs
habituels ou répétés, qui disposent déjà de l’expérience du lancement d’une ou de plusieurs
sociétés. Les entrepreneurs répétés se partagent entre les entrepreneurs en série (qui ne
possèdent jamais plusieurs entreprises en même temps) et les entrepreneurs en parallèle (qui
possèdent en même temps deux entreprises ou plus).
En raison du développement encore insuffisant de la connaissance en démographie
entrepreneuriale, les estimations de la proportion d’entrepreneurs habituels parmi l’ensemble
de la population entrepreneuriale sont parcellaires. Birley et Westhead (1993b), qui ont
examiné les études ayant porté sur les créateurs d’entreprises au Royaume-Uni 94, ont noté que
la proportion de nouvelles entreprises fondées par des entrepreneurs habituels variait de 12%
à 36%. Des études portant sur les Etats-Unis ont également suggéré que le phénomène de
l’entrepreneuriat répété est répandu. Dans une étude menée dans le sud de la Californie,
Schollhammer (1991) a trouvé que 51% des entrepreneurs interrogés avaient contribué à
l'ouverture de deux entreprises ou plus. Gompers et al. (2006) ont estimé la proportion de
sociétés créées par des entrepreneurs en série dans le total des entreprises financées par le
capital-risque aux Etats-Unis de 1975 à 2000. Les entrepreneurs en série représentent une
fraction significative de l'échantillon, passant d'environ 7% en 1986 à un pic de 13-14% en
1994, puis diminuant ensuite après 1994, probablement en raison de l'afflux d’entrepreneurs
novices dans le cadre du boom de l'Internet. En Australie, Schaper et al. (2005), dans une
étude portant sur un échantillon de 199 micro-entreprises de Nouvelles-Galles du Sud, ont
trouvé une proportion d’entrepreneurs habituels de 26%. D’après ces différentes études,
l’entrepreneuriat habituel apparait comme un phénomène significativement répandu.
Il convient maintenant d’examiner les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs
répétés.
1.2. Les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs répétés
A partir de données portant sur la Grande-Bretagne, Westhead et Wright et leur équipe
ont comparé les créateurs novices et les entrepreneurs habituels sur de nombreuses
dimensions telles que les caractéristiques démographiques, les antécédents et les motivations,
les compétences et les connaissances, les attitudes face à l'entrepreneuriat, les capacités
organisationnelles, le secteur industriel d’origine et la performance des entreprises (Birley et
94
Selon les travaux, les études ont porté sur l’ensemble du pays ou sur certaines régions seulement.
215
Westhead, 1994; Westhead et Wright, 1998; Westhead et al, 2005; Wright et al, 1997).
Carland et al. (2000) ont travaillé sur les entrepreneurs des États-Unis pour étudier les
différences démographiques et psychologiques entre entrepreneurs novices et habituels.
Schaper et al. (2005) ont examiné les différences portant sur les caractéristiques personnelles
et les entreprises entre créateurs débutants et expérimentés en utilisant les données
australiennes. Kolvereid et Bullvag (1993) ont travaillé sur un échantillon de 250
entrepreneurs norvégiens mêlant novices et expérimentés. Ces différents travaux ont permis
d’en apprendre davantage sur les caractéristiques des entrepreneurs habituels.
Il ressort de ces différents travaux que la plupart des entrepreneurs habituels sont des
hommes, qu’ils tendent à avoir un niveau d’éducation plus élevé que les entrepreneurs
novices et sont susceptibles de lancer leur première entreprise à un âge plus précoce que les
créateurs novices (Kolvereid et Bullvag, 1993 ; Westhead et Wright, 1998). Les résultats de
l’étude de Schaper et al. (2005) ont confirmé ces éléments et ont de plus montré que les
entrepreneurs en série ont tendance, assez logiquement, à être légèrement plus âgés que la
moyenne des entrepreneurs.
Cependant, beaucoup des caractéristiques des entrepreneurs répétés semblent très
hétérogènes et assez variables dans le temps. Il apparaît qu’ils n’ont pas toujours tendance à
créer leurs différentes entreprises dans le même secteur industriel (Wright, Robbie et Ennew,
1997) et que leurs motivations, le type d’entreprise qu’ils lancent et leur façon de gérer
peuvent dans les faits varier significativement entre leur première création d’entreprise et les
suivantes (Wright, Westhead et Sohl, 1998). Les considérations d’environnement et le cadre
contextuel, tels que la localisation géographique et le stade de développement de l’entreprise,
sont des éléments qui semblent avoir un impact sur l’entrepreneuriat répété (Wright,
Westhead et Sohl, 1998).
Pour ce qui est des motivations, celles qui mènent à l’entrepreneuriat répété peuvent
être très diverses et inclure le désir d’indépendance, la volonté d’accéder à la sécurité
financière, un certain « sentiment d’excitation » (Westhead et Wright, 1998), le sens du devoir
et le désir d’apporter une contribution à une communauté locale (Rosa, 1998). Les
motivations citées par les entrepreneurs habituels pour créer des entreprises ne sont pas les
mêmes selon qu’il s’agisse d’une première création ou d’une création ultérieure. La
motivation du gain financier, en particulier, semble être moins importante pour les
entrepreneurs habituels lors du lancement d’une seconde entreprise. En outre, les créateurs
d’une seconde entreprise souhaitent généralement qu’elle soit moins risquée que la première.
Le désir ou le besoin de travailler en autonomie et de construire une organisation plus
importante sont, cependant, fréquemment cités par les entrepreneurs répétés (Wright et al,
1997).
Les études empiriques montrent également que les entrepreneurs répétés qui ont réussi
et se sont ainsi construit une bonne réputation sont réticents à participer à des projets qui
pourraient porter atteinte à leur statut dans la communauté des affaires. En outre, les
entrepreneurs habituels sont moins enclins à investir leurs propres ressources dans des
entreprises risquées. Prises ensemble, ces observations suggèrent que de nombreux
entrepreneurs habituels deviendraient adverses au risque au fil du temps (Wright, Westhead et
Sohl, 1998).
1.3 La performance des entrepreneurs répétés : des résultats contrastés
Pour ce qui est de la performance relative des entrepreneurs répétés et novices, les
résultats des différentes études empiriques réalisées sont partagés. Chambers et al. (1988) ont
examiné la performance de 100 nouvelles entreprises dans le sud du Michigan et ont constaté
que l'expérience antérieure de création de l'équipe fondatrice n'aide pas, même si l'expérience
216
antérieure de gestion a un effet positif. Kolvereid et Bullvag (1993) ont comparé la
performance de 250 entrepreneurs norvégiens mêlant novices et expérimentés. Ils trouvent
que les entrepreneurs expérimentés sont plus débrouillards, ont tendance à s'impliquer dans un
environnement commercial plus concurrentiel, mais ne montrent aucune différence en termes
de performances. De la même manière, la plupart des autres études consacrées au sujet
concluent à une absence de lien entre entrepreneuriat répété et performance de l’entreprise
(Bruderl et al., 1992 ; Marino et De Noble, 1997 ; Shane et Stuart ; 2002 ; Baptista et al.,
2007). En revanche, Gompers et al. (2006), qui ont cherché à mesurer l’influence des
compétences entrepreneuriales en examinant la performance des entreprises créées par des
entrepreneurs en série et financées par le capital-risque aux Etats-Unis, obtiennent des
résultats différents. Leur étude visait à répondre à la question suivante : les entrepreneurs qui
ont connu un succès par le passé ont-ils plus de chances de réussir dans leurs entreprises
ultérieures que les entrepreneurs novices ou que les créateurs qui ont déjà entrepris et échoué?
Leur conclusion est positive. Leurs résultats empiriques indiquent que les entrepreneurs qui
ont réussi dans une entreprise précédente (par exemple, ceux qui ont lancé une société qui est
allée jusqu’à une introduction en Bourse) ont 30% de chances de réussir dans leur future
entreprise, alors que les entrepreneurs novices n’ont que 18% de chances de réussir et les
entrepreneurs qui ont échoué précédemment n’en ont que 20%. L’influence positive de
l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise a également été mise en évidence
par Shepherd et al. (2000).
Tableau n°1
L’influence de l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise :
une synthèse des résultats des études empiriques réalisées
Auteurs
Chambers et al. (1988)
Bruderl et al. (1992)
Kolvereid et Bullvag (1993)
Marino et De Noble (1997)
Shepherd et al. (2000)
Shane et Stuart (2002)
Gompers et al. (2006)
Baptista et al. (2007)
Pays
Etats-Unis
Etats-Unis
Norvège
Etats-Unis
Etats-Unis
Etats-Unis
Etats-Unis
Portugal
Influence de l’entrepreneuriat répété
sur la performance de l’entreprise
Non
Non
Non
Non
Oui
Non
Oui
Non
Source : synthèse réalisée par l’auteur.
Cette section a permis de définir l’entrepreneuriat répété, d’évaluer l’importance
relative de ce phénomène et d’identifier les caractéristiques spécifiques des entrepreneurs
répétés. Une revue des travaux empiriques relatifs à la comparaison de la performance entre
entrepreneurs novices et répétés a été présentée. Or, il apparaît que l’influence de
l’entrepreneuriat répété sur la performance de l’entreprise n’est pas établie dans la grande
majorité des travaux recensés. Ceci pose donc question : si ce n’est pas en raison de
meilleures performances antérieures avérées, pourquoi les entrepreneurs répétés pourraient-il
bénéficier d’un meilleur accès aux capitaux ? Nous allons, dans le cadre d’une deuxième
section, tenter de répondre à cette interrogation par une mise en perspective théorique, en
mobilisant notamment la théorie du capital organisationnel.
217
2. Les causes susceptibles d’expliquer un accès au capital-risque plus facile
pour les entrepreneurs répétés : l’apport de la théorie du capital
organisationnel
Afin de chercher à expliquer le paradoxe précédemment évoqué (un accès au
financement par capital-risque facilité pour les entrepreneurs répétés par rapport aux
entrepreneurs novices, sans que cela ne corresponde à des différences de performances en
pratique), il convient d’abord de revenir aux fondements du processus de décision des
investisseurs. Dans cette perspective, on rappellera d’abord que la sélection des projets par les
capitaux-risqueurs s’inscrit dans un contexte d’asymétrie d’information. Pour y remédier,
comme nous l’établirons ensuite, les solutions peuvent soit prendre une forme contractuelle
(définition du contrat d’investissement, financement graduel…), soit reposer sur la confiance
entre investisseurs et entrepreneurs. Or, en s’inscrivant dans cette approche, l’entrepreneur en
série peut être favorisé, comme nous l’analyserons enfin. En effet, l’entrepreneuriat répété,
qui constitue une des formes de l’apprentissage entrepreneurial, apporte au créateur en série
un supplément de capital humain et de capital social, censés lui donner des atouts pour la
levée de fonds.
2.1. Le processus de décision d'investissement des capitaux-risqueurs
Afin de mieux comprendre les atouts dont peuvent disposer les entrepreneurs répétés
dans l’accès au financement, il convient d’abord de remettre en perspective le processus de la
levée de fonds et les enjeux de l’investisseur. A cette fin, nous analyserons dans un premier
temps le phénomène d’asymétrie d’information qui existe entre investisseurs et entrepreneurs,
avant d’examiner les solutions possibles pour y remédier : celles de nature contractuelle, puis
celles qui reposent sur la confiance entre les parties.
2.1.1. Un problème fondamental d’asymétrie d’information
Les contraintes d’accès au capital financier que rencontrent les entrepreneurs sont bien
établies (Evans et Leighton, 1989), en particulier pour les jeunes entreprises technologiques
dans lesquelles l’actif principal repose sur la propriété intellectuelle, et pour lesquelles des
fonds importants sont nécessaires pour financer la mise sur le marché d’un produit ou d’un
service (Hsu, 2007). Le processus de sélection des projets utilisé par les capitaux-risqueurs a
fait l’objet de nombreuses recherches. Shepherd et Zacharakis (1999) ont fait une revue
critique de ces travaux, qui met en évidence l'importance que les investisseurs accordent aux
capacités de l'équipe fondatrice, que ce soit leurs compétences en gestion (Tyebjee et Bruno,
1981, 1984), les antécédents des créateurs (Hutt et Thomas, 1985), leur connaissance du
marché (MacMillan et al., 1987), ou les traits généraux des entrepreneurs (Hisrich et
Jankowitz, 1990). Les investisseurs ont naturellement tendance à financer les entrepreneurs
qui semblent avoir le plus de compétences.
Bien que ces recherches aient porté principalement sur l’identification des critères
discriminants permettant d’expliquer ce qui différencie les entrepreneurs qui réussissent à
obtenir des fonds et ceux qui y échouent, le processus d'investissement du capital-risque ne
s’arrête pas là. Ce processus consiste en réalité en une série de décisions. Les capitauxrisqueurs doivent non seulement choisir les entrepreneurs et les projets qu’ils vont financer,
mais ils ont également à décider du moment auquel réaliser l'investissement initial, du
calendrier des tours de table ultérieurs, et du montant à investir dans chaque tour (Hsu, 2007).
218
Au centre de cette série de décisions d'investissement des capitaux-risqueurs se situe
un problème d'asymétrie d'information entre l'entrepreneur et les investisseurs (Leland et
Pyle, 1977; Amit et al, 1990;. Fried et Hisrich, 1994; Gompers, 1995; Shane et Cable, 2002).
Le problème fondamental est le suivant : bien que les capitaux-risqueurs souhaitent fonder
leurs décisions sur la qualité de l'entrepreneur, et bien qu’ils utilisent tous les moyens
possibles pour recueillir des informations pertinentes au cours du processus de sélection, il
n'est jamais possible d'en connaître autant sur l'entrepreneur que ce dernier en sait sur luimême 95. Ce problème d'asymétrie d'information ne va donc pas porter seulement sur le choix
des personnes ou des projets que les investisseurs vont financer, mais déterminera également
le rythme auquel ils investiront et les montants qu’ils apporteront.
Une première réponse à ce problème d’asymétrie de l’information peut prendre une
forme contractuelle.
2.1.2. Une première réponse : l’approche contractuelle
Pour surmonter ce problème d’asymétrie d’information, la littérature en finance
entrepreneuriale met l'accent sur plusieurs types de solutions d’ordre contractuel, notamment
la définition du contrat de financement, le type de titres utilisés et le financement graduel
(Gompers et Lerner, 2000; Kaplan et Stromberg, 2001, 2003 et 2004 ; Shane et Cable, 2002 ;
Denis, 2004).
En premier lieu, la définition du contrat de financement a pour but de répondre à cet
objectif. Les investisseurs intègrent souvent des clauses spécifiques pour se prémunir d’un
éventuel comportement opportuniste du créateur. En particulier, les droits de vote, les droits
aux flux financiers et les autres droits sont souvent conditionnés à des mesures de
performance (financière et non financière). Les capitaux-risqueurs pourront obtenir le contrôle
total de l’entreprise si celle-ci ne réalise pas la performance attendue. Les contrats
d'investissement contiennent également des clauses permettant de partager les risques entre
entrepreneurs et financeurs 96. Kaplan et Strömberg (2003) ont montré empiriquement que les
caractéristiques des contrats de financement correspondaient à ce que les théories prédisaient.
Ensuite, le choix des instruments de financement utilisés vise également à répondre au
problème d’asymétrie d’information. Ainsi, le financement par actions privilégiées est
préférable au financement par dette dans les contextes d’asymétrie d’information : Trester
(1998) montre que le financement par actions privilégiées est davantage utilisé lors des
premiers stades de développement (au cours desquels l’asymétrie d’information est très
élevée) alors que le financement par dette sera utilisé lors des stades de développement plus
tardifs (au cours desquels l’asymétrie d’information sera plus faible). Plusieurs recherches ont
également cherché à expliquer l’usage du financement convertible. Cornelli et Yosha (2000)
ont montré que ce type de financement permettait à l’investisseur de se prémunir contre les
comportements éventuellement opportunistes de l’entrepreneur.
Enfin, la pratique généralisée de l'investissement graduel par les capitaux-risqueurs a
aussi pour but de répondre au problème d’asymétrie de l’information (Gompers et Lerner,
2000). Les investisseurs prennent presque toujours les décisions d'investissement étape par
étape : ils ne fournissent initialement qu’un montant minimal à une société, et conditionnent
95
Par exemple, les investisseurs ne connaissent généralement pas de façon certaine le niveau de compétence de
l'entrepreneur en matière de gestion. De plus, il n’est pas sûr qu’ils soient en mesure de comprendre pleinement
la technologie sur laquelle l'entrepreneur fonde son projet d’entreprise. En outre, ils n'ont aucun moyen de
vérifier l'évaluation que fait l'entrepreneur des opportunités de marché. Enfin ils ne peuvent pas prédire
l’intensité de l’effort que produira l'entrepreneur dans la création et le développement de son entreprise.
96
Dans ce contexte, de nombreux travaux ont eu pour objet de déterminer le contrat de financement optimal
(Admati et Pfeiderer, 1994 ; Barney et al., 1994 ; Bergemann et Hege, 1998 ; Black et Gilson, 1998 ; Kaplan et
Strömberg, 2001 ; Cumming, 2002 ;…).
219
leurs décisions d'investissement ultérieures aux performances de cette entreprise, de manière à
évaluer la capacité de l'entrepreneur et la viabilité de son plan d’affaires au fil du temps, se
réservant également le droit de mettre fin à l'investissement dans le cas où un objectif de
rendement ne serait pas atteint.
Néanmoins, à côté des solutions contractuelles, une autre réponse à l’asymétrie de
l’information peut résider dans l’approche par la confiance.
2.1.3. Une seconde réponse : l’approche par la confiance
Une autre manière d’atténuer ce problème d'asymétrie de l'information réside dans
l’intégration sociale de l’entrepreneur (Shane et Cable, 2002), inspiré par les travaux de
Granovetter (1985), développés initialement en sociologie économique. L'idée principale est
que les décisions économiques, dont fait partie l'investissement en capital-risque, ne se
déroulent pas isolément d’un contexte, mais sont au contraire intégrées dans un
environnement social. En particulier, les relations personnelles des entrepreneurs peuvent
avoir une influence sur l’obtention des financements, sur la rapidité avec laquelle les créateurs
obtiennent des fonds et sur les montants qu’ils peuvent lever. Des liens sociaux communs
permettent le transfert d’informations entre les investisseurs et l'entrepreneur. De plus, si
l'entrepreneur commet un acte qui pourrait nuire aux intérêts du capital-risqueur, il doit
prendre en compte la possibilité de perdre la confiance de nombreuses autres personnes
faisant partie du même réseau social. Par conséquent, ces connexions sociales mutuelles sont
en mesure de renforcer significativement la confiance des investisseurs en capital-risque
envers le chef d'entreprise (Wiklund et Shepherd, 2008).
Afin de mieux comprendre dans cette perspective les atouts supposés des
entrepreneurs répétés dans l’accès au capital-risque, il convient d’analyser l’influence du
capital organisationnel de l’entrepreneur.
2.2. L’influence du capital organisationnel de l’entrepreneur
L’entrepreneuriat peut être vu soit comme un processus ou soit comme un phénomène
(Verstraete et Fayolle, 2004). Dans une vision processuelle, l’entrepreneuriat consiste en la
découverte d'opportunités d’affaires et dans leur exploitation (Shane et Venkataraman, 2000).
Afin d'exploiter une opportunité une fois qu'elle a été mise en évidence, l’entrepreneur doit
assembler les ressources nécessaires pour exploiter cette opportunité et trouver un moyen
d'organiser ces ressources, afin d'extraire de la valeur de l'opportunité, ce qui implique à la
fois d’avoir accès à ces ressources pour générer des rentes associées à une opportunité de
marché, et de le faire d'une manière qui permette à l'acteur économique de s'approprier au
moins une partie des rentes qui ont été générées (Alvarez et Barney, 2004 ; Alvarez et
Busenitz, 2001). Parmi les ressources dont dispose l’entrepreneur figurent son capital humain
et son capital social. Or, la représentation de l’entrepreneuriat en tant que processus s’inscrit
dans une approche comportementaliste ou béhavioriste (Gartner, 1988). Dans cette vision,
l’entrepreneuriat est perçu comme étant de nature évolutive, excluant la stabilité du
comportement de l’entrepreneur dans le temps. Dans cette perspective on peut envisager
l’entrepreneuriat comme étant un processus d’apprentissage dynamique au cours duquel les
individus acquièrent de manière continue des compétences et des connaissances nécessaires
pour réussir dans le processus entrepreneurial (Cope, 2005). On analysera en premier lieu
comment l’expérience entrepreneuriale constitue l’un des éléments de l’apprentissage
entrepreneurial. On examinera ensuite en quoi l’expérience entrepreneuriale peut accroître
d’une part le capital humain et d’autre part le capital social du créateur, lui donnant des atouts
supplémentaires pour sa recherche de financement.
220
2.2.1. L’entrepreneuriat répété : un élément de l’apprentissage entrepreneurial
Selon Minniti et Bygrave (2001), l’apprentissage entrepreneurial correspond à un
processus continu et cumulatif au sens où ce qui est appris à une période vient s’ajouter à ce
qui a été appris à une période précédente. Ainsi, chaque individu entre dans le processus
entrepreneurial avec un « stock de connaissances » subjectif qui est conditionné par ses
connaissances préalables (Aouni et Surlémont, 2007). Harvey et Evens (1995) ont proposé le
concept de « degré de préparation entrepreneuriale » qui renvoie aux habiletés et capacités
apportées par l’entrepreneur au processus entrepreneurial et qui conditionne la façon avec
laquelle il perçoit et expérimente l’apprentissage durant le processus entrepreneurial (Cope,
2005). Les connaissances acquises à partir d’expériences préalables ont de ce fait une capacité
d’auto-renforcement qui permet au processus d’apprentissage de se régénérer au fur et à
mesure de l’acquisition de nouvelles connaissances (Aouni et Surlémont, 2007).
Selon Politis (2005), le type d’expérience préalable conditionne le type de
compétences entrepreneuriales développées et influence ainsi le niveau de préparation
entrepreneuriale des individus. Cet auteur a identifié trois types d’expériences
professionnelles pouvant être transformées en connaissances utiles pour l’identification et
l’exploitation de l’opportunité : les expériences entrepreneuriales préalables, les expériences
managériales et les expériences dans le secteur d’activité concerné. L’expérience managériale
permet d’acquérir les capacités entrepreneuriales permettant de faire face aux contraintes
relatives à la nouveauté telles que la capacité de négociation, la capacité de prise de décision,
de l’organisation, de la communication, etc. Ensuite, l’expérience dans le secteur d’activité
permet de réduire les incertitudes reliées au projet, au marché et à la technologie. Enfin,
l’expérience entrepreneuriale est reconnue pour permettre l’acquisition de connaissances
tacites et pour faciliter la prise de décision dans un contexte d’incertitude et de pression, alors
que l’expérience managériale permet de faciliter l’accès à l’information prioritaire pouvant
servir pour reconnaitre l’opportunité (Aouni et Surlémont, 2007).
Ainsi, le type d’expérience que l’entrepreneur aura vécu avant de s’engager dans le
processus entrepreneurial influencera le type de compétences et d’habiletés qui composent
son stock de connaissances. Nous allons examiner en quoi l’expérience entrepreneuriale
permet d’accroître le capital humain et le capital social du créateur, et ainsi d’améliorer ses
perspectives en matière de levée de fonds.
2.2.2. Une amélioration du capital humain de l’entrepreneur
La théorie du capital humain postule que les individus qui disposent de davantage de
capital humain, ou d’un capital humain de meilleure qualité, parviennent à de meilleures
performances dans l'exécution de tâches données (Becker 1975). Dans un contexte
entrepreneurial, le capital humain fait référence aux connaissances et compétences qui
permettent de s'engager avec succès dans de nouvelles créations (Davidsson et Honig, 2003,
Snell et Dean, 1992). Le capital humain est composé à la fois de capital humain générique et
de capital humain spécifique.
Le capital humain générique consiste en des connaissances, des compétences, et une
capacité à régler des problèmes qui sont transférables à des situations différentes. Le capital
humain général correspond typiquement à l'éducation (Rauch et Frese, 2000). Dans un
contexte entrepreneurial, le capital humain général est précieux parce qu'il facilite l'intégration
et l'accumulation de nouvelles connaissances, fournissant aux créateurs une large palette
d'opportunités qui les aident à s'adapter à de nouvelles situations (Gimeno, Folta, Cooper et
Woo, 1997).
221
Alors que le capital humain générique est généralisable indépendamment des
contextes, le capital humain spécifique ne l’est pas. Dans un contexte entrepreneurial, le
capital humain spécifique fait référence à l'éducation, à la formation et à l'expérience qui
seront valables dans des activités entrepreneuriales, mais qui auront peu d'applications en
dehors de ce domaine (Becker, 1975; Gimeno et al., 1997). Dans la littérature
entrepreneuriale, la composante du capital humain spécifique qui a fait l'objet de plus grand
nombre de travaux est l'expérience de création antérieure (Carter, Williams et Reynolds,
1997; Florin, Lubatskin et Schulze, 2003 ; Stuart et Abetti, 1990).
L'expérience dont dispose les entrepreneurs répétés leur apporte une expertise en
gestion d'entreprise (Wright, Robbie et Ennew, 1997) et leur donne des références pour juger
de la pertinence de l'information (Cooper, Folta et Woo, 1995) qui peuvent leur permettre
d’avoir une meilleure compréhension de la valeur réelle des opportunités de nouveaux projets
de création d’entreprises, d’accélérer le processus de création d'entreprises et d’améliorer la
performance (Davidsson et Honig, 2003).
2.2.3. Un accroissement du capital social de l’entrepreneur
Le comportement économique, tel que l’activité entrepreneuriale, est contingent à des
réseaux de relations interpersonnelles, qui forment la base du capital social d'un individu
(Coleman, 1988; Granovetter, 1985). Ces réseaux se définissent par un ensemble d'acteurs
(individus et organisations) et par un ensemble de liens entre eux (Hoang et Antoncic, 2003).
Selon Lin et al. (1981), le capital social peut être considéré comme une ressource liée à un
réseau relationnel. Les réseaux sociaux sont présentés par la famille, la communauté et les
relations organisationnelles. La théorie du capital social se réfère alors à la capacité des
acteurs à extraire des ressources de leurs réseaux sociaux (Lin et al., 1981).
D’un point de vue entrepreneurial, le capital social désigne l’ensemble des relations
interpersonnelles et inter-organisationnelles à travers lesquelles les entrepreneurs ont accès à
une variété de ressources nécessaires pour la découverte et l’exploitation de l’opportunité
d’affaire ainsi que la réussite de l’entreprise (Davidsson et Honig, 2003; Wiklund et
Shepherd, 2008). Le capital social est généralement représenté par les relations entre les
réseaux, la force des liens, la fréquence des réunions, et les relations familiales et sociales. Le
réseau relationnel représente les liens possibles au niveau personnel ou organisationnel. Ces
liens peuvent être directs ou indirects et présenter des intensités variables. Dans ce contexte,
l’amitié et la confiance sont particulièrement importantes pour faciliter le transfert des
informations et des savoirs qui sont coûteux à obtenir par d’autres moyens (Wiklund et
Shepherd, 2008). Ils créent des opportunités pour l’échange de biens et services qui sont
difficiles à obtenir par l’engagement contractuel. En particulier, les créateurs utilisent leurs
contacts pour accéder aux ressources et favoriser le déroulement du processus de création
(Wiklund et Shepherd, 2008).
Le rôle du capital social sur l'acquisition de ressources par la jeune entreprise a
également été explicitement mis en évidence. Fried et Hisrich (1994) ont montré que, les
investisseurs recevant tellement de plans d'affaires de société à financer, les liens sociaux
jouent un rôle important dans la détermination de celles qui seront financées. Ces résultats
laissent entrevoir un processus par lequel les investisseurs ont tendance à financer les
entrepreneurs dont ils entendent parler, soit par les créateurs des autres sociétés qui sont déjà
dans leurs portefeuilles, soit par leurs collègues investisseurs, leurs amis proches ou leur
famille. A partir d’une étude sur 202 investisseurs de capital-risque en phase d'amorçage,
Shane et Cable (2002) ont constaté que les liens, directs et indirects, entre entrepreneurs et
investisseurs ont une incidence sur la sélection des projets à financer. En outre, Shane et
Stuart (2002) ont constaté que les entrepreneurs munis d’un capital social (consistant en des
222
liens directs ou indirects pré-existants avec les investisseurs en capital risque) bénéficient
d'une plus forte probabilité de recevoir un financement lors des premiers stades de la vie de
l’entreprise.
Ainsi, l’expérience entrepreneuriale est censée accroître à la fois le capital humain et
le capital social d’un entrepreneur, dans la perspective de l’apprentissage entrepreneurial. Il
convient maintenant de détailler les atouts dont les entrepreneurs répétés sont censés disposés
dans l’accès au capital-risque.
2.3. Les atouts présumés des entrepreneurs répétés dans la levée de fonds
En raison de ces caractéristiques du processus d'investissement du capital-risque, il y a
des raisons de croire que les créateurs expérimentés ont des avantages par rapport aux
créateurs novices. Une expérience de création préalable peut avoir aidé l'entrepreneur à établir
des connexions avec des capitaux-risqueurs, ce qui peut à la fois faciliter l’obtention d’un
financement et lui permettre d’obtenir une meilleure valorisation.
2.3.1. Les atouts des entrepreneurs répétés dans l’obtention des financements
D’après Hsu (2007), le capital social doit être considéré comme une ressource dont la
quantité peut augmenter ou diminuer en fonction des actions et des décisions des individus.
Le capital social, entendu comme un ensemble de relations entre des individus, peut
augmenter ou diminuer de manière dynamique. Ainsi, une expérience antérieure de création
d’entreprise donne à un entrepreneur l’occasion d’avoir connu un large éventail de personnes,
incluant des financeurs (comme des banquiers, des capitaux-risqueurs et des business angels),
des professionnels (des comptables, des consultants, des avocats et des spécialistes en
ressources humaines), des fournisseurs ou des clients. Les connexions avec ces personnes,
établies lors de l'expérience de création précédente, augmentent le « stock » de capital social
de l'entrepreneur. Certaines de ces connexions, même si elles ne correspondent qu’à des liens
faibles ou indirects, pourront devenir utiles à l'avenir lorsque l'entrepreneur créera une
nouvelle entreprise.
En particulier, le fait d’avoir préalablement créé une société financée par le capitalrisque renforce les liens mis en place par l’entrepreneur avec le milieu des investisseurs, vu
que l’investissement en capital-risque se caractérise généralement par une interaction sociale
au sein de zones géographiquement délimitées (Sorenson et Stuart, 2001). Cette interaction
sociale, qui englobe aussi les clubs communautaires entrepreneuriaux, les événements et les
médias spécialisés, peut servir de moyen par lequel l'information sur l'existence et la qualité
des entrepreneurs est communiquée aux investisseurs.
Ainsi, les entrepreneurs qui bénéficient de l'expérience d’une création d’entreprise
antérieure devraient avoir tendance à disposer de davantage de capital humain et de capital
social. On s’attend donc à ce qu’ils aient un avantage sur les entrepreneurs novices dans le
processus d'acquisition de ressources. En outre, l'importance du capital organisationnel des
nouvelles entreprises dans l'accès au capital-risque peut être subordonnée à la réussite de
l'expérience de création antérieure des fondateurs. Les entrepreneurs qui disposent d’une
expérience de création réussie sont susceptibles d'envoyer un signal plus clair de leur qualité
entrepreneuriale (Spence, 1974). Ces signaux générés par des créations d’entreprises
antérieures à forte valeur peuvent être particulièrement importants pour les entrepreneurs
opérant dans les industries émergentes (dans lesquelles les ingrédients nécessaires à la réussite
du projet peuvent être moins faciles à déceler par rapport en comparaison avec des industries
plus mûres).
223
Les entrepreneurs en série sont également censés bénéficier d’avantage en termes de
valorisation de l’entreprise.
2.3.2. Les atouts des entrepreneurs répétés pour la valorisation de l’entreprise
Les entrepreneurs répétés sont également supposés bénéficier d’atouts pour ce qui est
de la valorisation de leur entreprise.
- Une meilleure position dans la négociation financière
Les entrepreneurs ayant une expérience de création antérieure sont censés être dans
une meilleure position de négociation pour ce qui est de la valorisation de l’entreprise, car ils
sont susceptibles d'avoir appris davantage de leur expérience préalable. En revanche, les
créateurs novices peuvent ne pas être aussi habiles à négocier avec les investisseurs,
notamment pour ce qui tient de l'évaluation de l’entreprise, car ils ne sont pas familiers des
processus de négociation. Cette asymétrie de pouvoir est exacerbée dans les négociations sur
l'évaluation de nouvelles entreprises en raison de l'incertitude concernant la performance
probable de l'équipe entrepreneuriale dans l'entreprise actuelle. De plus, l’entrepreneur en
série qui a connu la réussite a les moyens d'attendre de se voir proposer des conditions de
valorisation plus favorables (Hsu, 2007).
- Un effet de signalisation
Par ailleurs, la réussite d’une entreprise préalablement créée joue aussi le rôle de
signal vis-à-vis des capitaux-risqueurs, leur indiquant que le créateur habituel qui a connu le
succès est plus susceptible d'avoir une forte capacité entrepreneuriale. Une réussite antérieure
signale également que le créateur dispose de contacts utiles dans son réseau social - comme
des clients fidèles ou des fournisseurs – qui peuvent favoriser la réussite de la nouvelle
entreprise. Les entrepreneurs expérimentés peuvent donc se voir proposer des valorisations
plus élevées en raison du risque réduit de défaillance du point de vue des investisseurs, en
particulier à partir du moment où les entrepreneurs expérimentés sont plus susceptibles d'être
sensibles à la protection de leur réputation entrepreneuriale spécifique.
- Une prime de « courtage inter-organisationnelle » réduite
A côté du pur investissement financier, les investisseurs en capital-risque sont
susceptibles de fournir des services de courtage inter-organisationnels. L’activité des
capitaux-risqueurs les amène en effet à développer des réseaux d'information et des réseaux
sociaux grâce aux sociétés déjà présentes dans leur portefeuille (Sorenson et Stuart, 2001 ;
Hochberg et al., 2007). Ces réseaux peuvent être particulièrement bien développés dans les
secteurs industriels dans lesquels ils ont une expérience d’investissement importante (Hsu,
2004). Les capitaux-risqueurs peuvent faire bénéficier les entreprises investies de services
variés : recrutement de cadres, identification de sources de financement ultérieures,
identification de partenaires pour des alliances stratégiques prometteuses… (Bygrave et
Timmons, 1992, Gompers et Lerner, 1999 ; Hellmann et Puri, 2002). Ce rôle de courtier en
information et en ressources entre des parties peut être rémunéré sous forme de «
commissions » (Marsden, 1982), ce qui se traduit en l’occurrence par une décote de
valorisation infligée par les investisseurs aux entrepreneurs qui ont le plus besoin de ce type
de services.
Les entrepreneurs répétés sont susceptibles d'avoir déjà établi des liens sociaux avec le
marché du travail et les marchés de capitaux, ainsi qu’avec des partenaires potentiels pour des
alliances stratégiques, ce qui leur permet d'atténuer leur dépendance envers les capitauxrisqueurs pour ce rôle de « courtage ». En revanche, les entrepreneurs novices, qui n’ont pas
en moyenne autant de liens sociaux, et qui ont donc besoin des capitaux-risqueurs pour les
aider à combler les « trous relationnels » (Burt, 1992) afin d'accéder aux marchés et à des
224
partenaires, peuvent faire l'objet de « frais de courtage » sous la forme d'évaluations de leurs
entreprises à des niveaux inférieurs. Pour toutes ces raisons, les entreprises créées par des
entrepreneurs répétés devraient donc être mieux valorisées que les entreprises créées par des
entrepreneurs novices.
Il convient maintenant de s’intéresser aux résultats des études empiriques afin de
constater si les entrepreneurs répétés jouissent ou non dans les faits d’un accès privilégié au
capital-risque.
3. Les résultats des études empiriques : le constat d’un avantage pour les
entrepreneurs répétés
On envisagera successivement les éventuelles différences de traitement, selon que les
sociétés aient été créées par un entrepreneur répété ou non, sur la vitesse de levée de fonds,
sur les montants levés et sur les valorisations obtenues.
3.1. Un accès au financement en capital-risque plus rapide
L’accès plus ou moins rapide au financement en capital présente des enjeux importants
pour les entreprises considérées. En effet, les entreprises financées par capital-risque se
concentrent dans les industries de haute technologie, dans lesquelles le rythme d'innovation
rapide donne au premier acteur un grand avantage. Les résultats de Gompers et al. (2006) ont
montré des différences significatives dans le délai d’accès au financement, selon que les
entrepreneurs soient novices ou répétés. En moyenne, les entrepreneurs en série reçoivent un
financement de la part du capital-risque à un stade de développement plus précoce de leur
entreprise. Gompers et al. (2006) ont examiné, parmi les sociétés financées par le capitalrisque à l’occasion d’un premier tour de table, la proportion d’entreprises en stade dit
« précoce »97 selon que ces entreprises avaient été créées par des entrepreneurs en série ou
novices. Alors que 45% des sociétés fondées par des entrepreneurs novices reçoivent des
fonds lors d’un premier tour à un stade dit « précoce », ce taux monte à 60% pour les
entreprises créées par des entrepreneurs pour lesquels il s’agit de la deuxième (ou n-ième)
entreprise créée. En outre, les entreprises « ultérieures » créées par les entrepreneurs en série
reçoivent également des fonds lors premier tour lorsque ces entreprises sont plus jeunes : ces
sociétés sont âgées de 21 mois contre 37 mois pour celles lancées par les entrepreneurs
novices.
Ces résultats ont été confirmés par Zhang (2011), dans une étude réalisée sur un
échantillon de 5972 entreprises. Le délai de réalisation du premier tour de table est plus court
en moyenne de 9,5 mois pour les entrepreneurs qui avaient déjà créé une entreprise financée
par le capital-risque. En moyenne, les entrepreneurs novices bouclent leur premier tour de
table en 19,5 mois, contre 19,2 mois pour les entrepreneurs qui avaient déjà créé une
entreprise, mais non financée par le capital-risque, alors que le délai moyen n’est que de neuf
mois pour les sociétés fondées par les entrepreneurs qui avaient déjà créé antérieurement une
société financée par le capital-risque.
3.2. Des montants plus importants apportés par le capital-risque
Les résultats de Zhang (2011) montrent que les entreprises fondées par des créateurs
qui avaient déjà lancé une entreprise financée par le capital-risque reçoivent en moyenne 4,1
97
Gompers et al. (2006) incluent dans le stade « précoce » les étapes de « démarrage », de « développement du
produit », de « beta test », avant que la société en soit à une étape « rentable » ou « de produit
commercialisable »).
225
M$ de plus à l’occasion du premier tour de table que les sociétés fondées par des
entrepreneurs novices. Cette différence est considérable, vu que le montant moyen levé à
l’occasion du premier tour de table est en moyenne de l’ordre de 7,47M$. En revanche, les
entrepreneurs qui avaient déjà créé une entreprise, mais non financée par le capital-risque, ne
reçoivent pas de montants supérieurs à la moyenne. Ces résultats suggèrent que les
entrepreneurs ayant une expérience antérieure de création d’entreprise financée par le capitalrisque lèvent davantage de capitaux à un stade précoce de financement. Selon Zhang, cet
avantage proviendrait des connexions sociales qu’ils ont préalablement établies avec les
capitaux-risqueurs plutôt que de compétences entrepreneuriales supérieures. Pris ensemble
avec l’accès plus rapide au capital-risque déjà mentionné, Zhang estime que ces résultats
suggèrent que les entrepreneurs ayant déjà une expérience de création financée par le capitalrisque ont une longueur d'avance dans le processus de levée de fonds auprès des investisseurs.
Cependant, les entrepreneurs ayant une expérience de création d’entreprise non-financée par
le capital-risque ne présentent pas d'avantage à un stade très précoce de financement.
En examinant l’ensemble des tours de table réalisés, Zhang (2011) montre que les
entrepreneurs en série ayant déjà fait appel au capital-risque lèvent en moyenne 3,7M$ de plus
par tour de table que les entrepreneurs novices. Cette différence de montant est cependant plus
petite que celle observée lors du seul premier tour de table, suggérant que l’avantage des
entrepreneurs en série ayant déjà sollicité le capital-risque diminue au fil du temps.
Cependant, les créateurs en série n’ayant pas fait appel au capital-risque lors de leur
précédente création d’entreprise lèvent malgré tout en moyenne 0,8M$ de plus par tour de
table que les entrepreneurs novices. Ceci suggère que, bien que les capitaux-risqueurs ne
favorisent pas lors du premier tour de table les serial entrepreneurs n’ayant pas fait appel à
eux précédemment, cette catégorie d’entrepreneurs apprend beaucoup lors de cette expérience
de création. Ces connaissances et compétences acquises, qui sont ensuite reconnues par les
capitaux-risqueurs, aident ces entrepreneurs en série à lever davantage de fonds lors des tours
de table ultérieurs.
En prenant en compte la somme totale des fonds octroyés par entreprise, le montant
total levé par les entrepreneurs en série ayant déjà fait appel antérieurement au capital-risque
est supérieur de 5,7M$ à la moyenne, comparé à un écart de 4,1 M$ lors du seul premier tour.
L’écart a donc tendance à s’amenuiser au fil des tours de table ultérieurs. Ceci est cohérent,
puisqu’au fil du temps les entrepreneurs, y compris ceux qui n’avaient pas de liens sociaux
avec les capitaux-risqueurs, vont progressivement apprendre à se connaître avec ces derniers
et ceci permet donc progressivement de surmonter les problèmes d’asymétrie d’information.
Ainsi, les entrepreneurs qui n’avaient pas levé de fonds au cours d’une expérience de création
antérieure sont de moins en moins désavantagés lors des tours de table ultérieurs.
De manière tout à fait intéressante, les résultats de Zhang semblent ainsi indiquer que
l’importance relative des compétences et des connexions établies varie suivant le stade de
financement par le capital-risque. A un stade de financement très précoce, ce sont les
connexions de l'entrepreneur avec l’univers du capital-risque (le capital social) qui joueraient
le plus grand rôle ; dans les tours de table suivants, le renforcement des compétences
entrepreneuriales (le capital humain) prend de plus en plus d’importance.
3.3.Une différence de valorisation des entreprises ?
La valorisation de la start-up est un enjeu important tant pour les entrepreneurs que
pour les investisseurs (Hsu, 2007). Cependant, les résultats des études empiriques réalisées
sont contrastés. D’après les résultats de Hsu (2007), l'expérience de création antérieure est
positivement liée à la valorisation par les capitaux-risqueurs. Ces résultats suggèrent donc que
les mesures du capital humain sont liées au développement du capital social (Coleman, 1988)
226
et que la valorisation augmente en proportion du capital humain des fondateurs (ce qui est
conforme aux résultats de la littérature sur le capital humain et le capital organisationnel). Ce
résultat plaide aussi pour une conceptualisation des ressources organisationnelles de
l’entreprise nouvelle sous la forme d’un investissement (augmentant au cours du temps) plutôt
que d’une dotation (fixée au départ).
Cependant, les travaux de Gompers et al. (2006) aboutissent à des conclusions
différentes. Ces auteurs ont étudié l’influence de l'entrepreneuriat en série sur la valorisation
des entreprises. Pour analyser cette question, la méthodologie a consisté à utiliser l'évaluation
du premier tour « pre-money »98 comme mesure de valorisation. La valorisation « premoney » est égale au produit du prix payé par action au moment du tour de table et du nombre
d’actions en circulation avant le tour de table 99. Compte tenu du fait que les entrepreneurs en
série qui ont déjà réussi dans le passé présentent des taux de réussite plus élevés dans leurs
entreprises actuelles, on s’attendrait à ce que ces entreprises-là bénéficient de plus hautes
valorisations. Cependant, les résultats ne montrent pas que les entrepreneurs en série (que leur
précédente entreprise ait connu la réussite ou non) sont en mesure de profiter de leur taux de
réussite supérieurs par la vente d’actions à des prix plus élevés. Ceci suggère que les sociétés
de capital-risque sont en mesure d'acheter ces actions « au rabais ». Cette conclusion
paradoxale est néanmoins cohérente avec les résultats de Kaplan et Stromberg (2003), qui ont
examiné les termes des contrats de capital-risque et ont trouvé que les entrepreneurs en série,
s’ils ont bénéficié de conditions plus favorables que les entrepreneurs novices, notamment
quant au nombre de sièges au conseil d’administration, aux droits de liquidation et aux
conditions du financement graduel, n’ont pas reçu une meilleure valorisation de leur
entreprise (mesurée en termes de répartition du capital). Ceci pourrait s’expliquer par le fait
que leur taux de réussite supérieur rend moins important pour les investisseurs en capitalrisque de se protéger par des dispositions de contrôle plus strictes. Gompers et al. (2006) en
concluent donc que c’est dans les termes non-financiers de l'investissement que les
entrepreneurs en série peuvent extraire une plus grande partie de la valeur face au capitalrisque, plutôt que dans la valorisation financière de leur société.
Conclusion
Les entrepreneurs répétés (qui se partagent entre les entrepreneurs en série et les
entrepreneurs en parallèle) constituent une part significative de la population entrepreneuriale.
Ils présentent des caractéristiques particulières et leurs motivations peuvent être spécifiques.
De nombreux exemples tendent à suggérer qu’ils bénéficieraient d’un accès privilégié au
capital-risque, bien que les résultats empiriques soient partagés quant à leur surperformance
en matière de gestion par rapport aux entrepreneurs novices.
L’objet de ce papier était double. Il s’agissait d’une part de comprendre, au plan
théorique, pourquoi les entrepreneurs répétés seraient susceptibles de bénéficier d’atouts dans
l’accès au financement en capital, et ensuite d’observer si les résultats des études empiriques
confirmaient cet état de fait.
La contribution de ce papier se situe donc à deux niveaux. D’abord, au plan théorique,
la mobilisation des champs de l’apprentissage entrepreneurial et du capital organisationnel a
permis de mieux comprendre pourquoi les entrepreneurs répétés étaient susceptibles d’être
98
La valorisation « pre-money » est perçue comme la valeur actuelle nette de la société, et exclut donc les
capitaux supplémentaires levés à l’occasion du tour de table.
99
Les calculs sont issus de Venture Source.
227
avantagés dans la levée de fonds.. Face à l’asymétrie d’information inhérente à la relation
entrepreneur/investisseur, l’expérience entrepreneuriale constitue une composante de
l’apprentissage entrepreneurial et les entrepreneurs répétés sont ainsi censés disposer d’un
capital organisationnel (tant en termes de capital humain que de capital social) supérieur à
celui des entrepreneurs novices.
Ensuite, le survey réalisé a montré que les atouts présumés des entrepreneurs en série
en matière de levée de fonds sont largement confirmés par les études empiriques existantes,
que ce soit en termes de rapidité d’accès aux capitaux que de montants levés. En revanche, les
résultats relatifs à un avantage en termes de valorisation des entreprises sont plus contrastés.
Les limites de notre contribution tiennent notamment au faible nombre d’études
empiriques réalisées sur ce thème, et en particulier à l’absence de travaux réalisés dans le
contexte francophone. Il est à espérer que la communauté des chercheurs en finance
entrepreneuriale se saisira de cette thématique, afin de permettre d’approfondir notre
compréhension à la fois du processus de financement des start-up et du rôle du capital-risque
en tant que contributeur à la création de valeur
Bibliographie
ADMATI A.R., PFLEIDERER P. (1994), « Robust financial contracting and the role of
venture capitalists », The Journal of Finance, vol. 49, n° 2, p. 371-402.
ALVAREZ S.A. , BARNEY J.B. (2004), “Organizing rent generation and appropriation:
Toward a theory of the entrepreneurial firm”, Journal of Business Venturing, n°19(5), p. 621–
635.
ALVAREZ S., BUSENITZ L.W. (2001), “The entrepreneurship of resource-based theory”,
Journal of Management, n°27, p. 755–776.
AMIT R., L. GLOSTEN,
E. MULLER (1990), “Entrepreneurial Ability, Venture
Investments, and Risk Sharing”, Management Science, n° 38, p. 1232–1245.
BARNEY B.J.B., BUSENITZ L., MOESEL D. (1994), « The relationship between venture
capitalists and managers in news firms: determinants of contractual covenants », Managerial
finance, vol. 20, n° 1, p. 19-30.
BATES T. (1990), “Entrepreneur human capital inputs and small business longevity”, Review
of Economics & Statistics, n°72(4), p. 551–559.
BAPTISTA R., KARAÖZ M., MENDONÇA J. (2007),” Entrepreneurial Backgrounds,
Human Capital and Start-up Success”, Jena Economic Research Papers #2007-045, p. 1–39.
BECKER G.S. (1964), Human Capital, National Bureau of Economic Research, Columbia
University Press, New York.
BECKER G.S. (1975), Human capital, University of Chicago Press.
BERGEMANN D., HEGE U. (1998), « Venture capital financing, moral hazard, and learning
», Journal of Banking & Finance, vol. 22, n° 6-8, p. 703-735.
BIRLEY S.,WESTHEAD P. (1993), “A comparison of new businesses established by
“novice” and “habitual” founders in Great Britain”, International Small Business Journal,
n°12, p. 38–60.
BLACK B.S., GILSON R.J. (1998), « Venture capital and the structure of capital markets:
banks versus stock markets », Journal of Financial Economics, vol. 47, p. 243-277.
228
BRUDERL J., PREISENDORFER P., ZIEGLER R., (1992), „Survival chances of newly
founded business organizations”, American Sociological Review, n°57 (2), p. 227–242.
BURT R. (1992), Structural Holes: The Social Structure of Competition, Harvard University
Press, Boston, MA.
BYGRAVE W.D., J.A. TIMMONS (1992), Venture Capital at the Crossroads, Harvard
Business School Press, Boston, MA.
CARLAND J.C., CARLAND J.W., STEWART W.H. Jr. (2000), “The Indefatigable
Entrepreneur: A Study of the Dispositions of Multiple Venture Founders,” Journal of
Business and Entrepreneurship, n° 12, p. 1-18.
CARTER N.M., WILLIAMS M., REYNOLDS P.D. (1997), “Discontinuance among new
firms in retail: The influence of initial resources, strategy, and gender”, Journal of Business
Venturing, n°12, p. 125–145.
CARTER S. , RAM M. (2003), “Reassessing portfolio entrepreneurship: Towards a multidisciplinary approach”, Small Business Economics, n°21(4), p. 371–380.
CHAMBERS B.R., HART S.L., DENISON D.R. (1988), “Founding Team Experience and
New Firm Performance,” in B. Kirchhoff, W. Long, E. McMullan, K. Vesper and W. Wetzel
(eds.), Frontiers of Entrepreneurship Research, Babson College.
COLEMAN J.S. (1988), “Social capital in the creation of human capital”, American Journal
of Sociology 94, p. S95–S210.
COOPER A.C., FOLTA T.B., WOO C.Y. (1995), “Entrepreneurial information search”,
Journal of Business Venturing, n°10, p. 107–120.
COPE J. (2005), « Toward A Dynamic Learning Perspective of Entrepreneurship »,
Entrepreneurship: Theory and Practice, Vol. 29 (4), (Juillet), p. 373-397.
CORNELLI F., YOSHA O. (2000) , « Stage financing and the role of convertible debt »,
London, Document de recherché.
CUMMING D.J (2002) , « Contracts and exits in venture capital finance », Document de
recherche, University of Alberta, AFA 2003 Washington, DC Meetings, 39 pages.
DAVIDSSON P., HONIG B. (2003), “The role of social and human capital among nascent
entrepreneurs”, Journal of Business Venturing, n°18(3), p. 301–332.
DENIS D. J. (2004), “Entrepreneurial finance : an overview of the issues and evidence”,
Journal of Corporate Finance, vol. 10, p. 301-326.
DONCKELS R., DUPONT B., MICHEL P. (1987), “Multiple business starters. Who? Why?
What?”, Journal of Small Business and Entrepreneurship, n°5, p. 48–63.
EVANS D.S., LEIGHTON L.S. (1989), “Some empirical aspects of entrepreneurship”,
American Economics Review, n° 79, p. 519–535.
FLORIN J., LUBATKIN M., SCHULZE W. (2003), “A social capital model of high-growth
ventures”, Academy of Management Journal, n°46(3), p. 374–385.
FRIED V.H., R.D. HISRICH (1994), “Toward a model of venture capital investment decision
making”, Financial Management, n° 23, p. 28–37.
GARTNER W. B. (1988), « Who is An Entrepreneur? Is the Wrong Question », American
Journal of Small Business, Vol. 12, n° 4, p. 11-32.
229
GIMENO J., T. FOLTA, A. COOPER, C. WOO (1997), “Survival of the fittest?
Entrepreneurial human capital and the persistence of underperforming firms”, Administrative
Science Quarterly ,n°42, p. 750–783.
GOMPERS P., J. LERNER (1999), The Venture Capital Cycle, Cambridge, MA MIT Press.
GOMPERS P. , J. LERNER (2000), “Money Chasing Deals? The Impact of Fund Inflows on
Private Equity Valuations,” Journal of Financial Economics, n° 55, p. 281-325.
GOMPERS P., A. KOVNER, J.LERNER, D. SCHARFSTEIN (2006,. “Skill vs. Luck in
Entrepreneurship and Venture Capital: Evidence from Serial Entrepreneurs,” NBER Working
Paper n° 12592.
GRANOVETTER M. (1974), Getting A Job: A Study of Contacts and Careers, Harvard
University Press, Cambridge, MA.
GRANOVETTER M. (1985), “Economic action and social structure: The problem of
embeddedness”. American Journal of Sociology, n°91(3), p. 481–510.
HALL P. (1995), “Habitual owners of small businesses”, in Chittenden, F., M. Robertson & I.
Marshall (eds) , Small firms : Partnerships for growth, Paul Chapman Publishing, London.
HARVEY M., EVANS R. (1995), “Strategic Windows in the Entrepreneurial Process”,
Journal of Business Venturing, n°10, p. 331–347.
HELLMANN T., M. PURI (2002), “Venture capital and the professionalization of start-up
firms: empirical evidence”, Journal of Finance, n°57, p. 169–197.
HISRICH R. D., A. D. JANKOWITZ (1990), “Intuition in Venture Capital Decisions: An
Exploratory Study Using a New Technique” , Journal of Business Venturing, n°5, p. 49–62.
HOANG H., ANTONCIC B. (2003), “Network-based research in entrepreneurship: A critical
review”, Journal of Business Venturing, n°18(2), p. 165–188.
HOCHBERG Y., A. LJUNGQVIST, Y. LU (2007), “Venture capital networks and
investment performance”, Journal of Finance, n°62, p. 251–301.
HSU D.H. (2004), “What Do Entrepreneurs Pay for Venture Capital Affiliation?”, Journal of
Finance, n°59, p. 1805-1844.
HSU D.H. (2007), “Experienced Entrepreneurial Founders and Venture Capital Funding,”
Research Policy n°36, p. 722-741.
HUTT R. W., B. THOMAS (1985), “Venture Capital in Arizona”, Frontiers of
Entrepreneurship Research, p. 155-169.
KAPLAN S., P. STRÖMBERG (2001), “Venture Capitalists as Principals: Contracting,
Screening, and Monitoring”, American Economic Review, n° 91, p. 426-430.
KAPLAN S., P. STRÖMBERG (2003), “Financial Contracting Theory Meets the Real
World: Evidence from Venture Capital Contracts”, Review of Economic Studies, n° 70, p.
281-316.
KAPLAN S., P. STRÖMBERG (2004), “Contracts, Characteristics, and Actions: Evidence
from Venture Capitalist Analyses”, Journal of Finance, n° 59, p. 2177-2210.
KOLVEREID L., E. BULLVAG (1993), “Novices Versus Experienced Founders: An
exporatory Investigation.” In S. Birley and I. MacMillian (eds.) Entrepreneurship Research:
Global Perspectives, p. 275-285, Elsevier Science Publishers, Amsterdam.
LACHMAN H. (1999),: Capital-risque et capital-investissement, Paris, Economica.
230
LELAND H.E., D.H. PYLE (1977), “Informational Asymmetries, Financial Structure, and
Financial Intermediation” ,Journal of Finance, n° 32, p. 371-387.
LIN N., W. ENSEL, VAUGHN J. (1981), “Social resources and strength of ties: Structural
factors in occupational status attainment”, American Sociological Review, n°46(4), p. 393–
405.
MACMILLAN I.C. (1986), “To really learn about entrepreneurship, let's study habitual
entrepreneurs”, Journal of Business Venturing, n° 1, p. 241-243.
MARINO K.E., DE NOBLE A.F. (1997), “Growth and Early Returns in Technology-Based
Manufacturing Ventures” Journal of HighTechnology Management Research, n° 8(2), p.
225–242.
MARSDEN P.V. , “Brokerage behavior in restricted exchange networks”. In: P.V. Marsden
and Nan. Lin, Editors, Social Structure and Network Analysis, Sage, Beverly Hills, CA
(1982).
MINNITI M., W. BYGRAVE (2001), « A Dynamic Model of Entrepreneurial Learning»,
Entrepreneurship: Theory and Practice, Vol. 25 (Printemps), p. 5-16.
PAOLI-GAGIN V., V. LALANDE DE (2000), Le capital-risque, Paris, Gualino Editeur.
POLITIS D. (2005), « The Process of Entrepreneurial Learning: A Conceptual Framework »,
Entrepreneurship: Theory and Practice, Vol. 29 (4), (Juillet), p. 399-424.
RAUCH A., FRESE M. (2000), Human capital of small scale business owners and business
success: A longitudinal study of moderators and mediators, Paper presented at the ICSB
World Conference 2000, June, Brisbane.
REDIS J. (2008), « Quand l’entrepreneur rencontre l’investisseur en capital : le processus de
la levée de fond », Revue du Financier, n°170, mars-avril, p. 41-60.
REDIS J. (2009),: Finance entrepreneuriale – Le créateur d’entreprise et les investisseurs en
capital, DeBoeck, Coll. Petites entreprises et entrepreneuriat, Bruxelles, p. 195.
ROBINSON P.B. ,E.A. SEXTON (1994), The effect of education and experience on selfemployment success, Journal of Business Venturing, n°9, p. 141–156.
SAINT-PIERRE J. (2010), « La finance entrepreneuriale, vrai champ de recherche ? »,
Expansion Entrepreneuriat, n°8, décembre 2010, p. 6-15.
SCHAPER M., G. MANKELOW, B. GIBSON (2005), “Serial Entrepreneurship: An
Exploratory Analysis of Australian Firms,” paper presented at the 50th International Council
for Small Business (ICSB) World Conference.
SCHOLLHAMMER H. (1991), “Incidence and determinants of multiple entrepreneurship”,
In W.D.B.N.C. Churchill, J.G. Covin, D.L. Sexton, D.P. Slevin, K.H. Vesper, & W.E. Wetzel,
Jr. (Eds.), Frontiers of entrepreneurship research (pp. 11–24), Wellesley, MA Babson
College.
SCOTT M., P. ROSA (1996), “Opinion: Has firm level analysis reached its limits? Time for a
rethink”. International Small Business Journal, n°14(4), p. 81–89.
SHANE S., D. CABLE (2002), “Network Ties, Reputation, and the Financing of New
Ventures”, Management Science, n° 48, p. 364-381.
SHANE S., T. STUART (2002), “Organizational endowments and the performance of
university start-ups”, Management Science, n°48, p. 154–170.
231
SHANE S., S. VENKATARAMAN,(2000), “The promise of entrepreneurship as a field of
research”, Academy of Management Review, n°25(1), p. 217–226.
SHEPHERD D. A, A. ZACHARAKIS (1999), “Conjoint Analysis: A New Methodology for
Researching the Decision Policies of Venture Capitalists”, Venture Capital, n° 1, p. 197-217.
SHEPHERD D.A., DOUGLAS E.J., SHANLEY M. (2000), “New venture survival:
ignorance, external shocks, and risk reduction strategies”, Journal of Business Venturing, n°
15, p. 393–410.
SNELL S.A., DEAN J.W. (1992), “Integrated manufacturing and human resource
management : A human capital perspective”, Academy of Management Journal, n°35(3), p.
467–504.
SORENSON O., T.E. STUART (2001), “Syndication networks and the spatial distribution of
venture capital investments”, American Journal of Sociology, n°106, p. 1546–1586.
SPENCE A.M. (1974), Market Signaling: Informational Transfer in Hiring and Related
Screening Processes, Harvard University Press, Cambridge, MA.
STARR J.A., W.D. BYGRAVE (1991), “The Assets and Liabilities of Prior Start-up
Experience: An Exploratory Study of Multiple Venture Entrepreneurs.” In CHURCHILL, N.
C., W. D. BYGRAVE, J. G. COVIN, D. L. SEXTON, D. P. SLEVIN, K. H. VESPER, & W.
E. WETZEL (eds), Frontiers of Entrepreneurship Research, Wellesley, MA:Babson College,
p. 213–227.
STUART R.W., ABETTI P.A. (1990), “Impact of entrepreneurial management experience on
early performance”, Journal of Business Venturing, n°5(3), p. 151–160.
TYEBJEE T.T. ,A.V. BRUNO (1981), “Venture Capital Decision Making: Preliminary
Results from Three Empirical Studies”, Frontiers of Entrepreneurship Research, p. 316-334.
TYEBJEE T.T., A.V. BRUNO (1984), “A Model of Venture Capitalist Investment Activity”,
Management Science, n° 30, p. 1051-1066.
TRESTER J. (1998), « Venture capital contracting under asymmetric information », Journal
of Banking & Finance, vol.22, p. 675-699.
UCBASARAN D., WESTHEAD P.,WRIGHT M. , BINKS M. (2003), “Does entrepreneurial
experience influence opportunity identification?”, Journal of Private Equity, n°7(1),p. 7–14.
VERSTRAETE TH., FAYOLLE A. (2004),: « Quatre paradigmes pour cerner le domaine de
recherche en entrepreneuriat », 7ème Congrès International Francophone en Entrepreneuriat
et PME, 27, 28 et 29 octobre 2004, Montpellier.
WESTHEAD P. (1997), “Ambitions, ‘external’ environment and strategic factor differences
between family and non-family unquoted companies”, Entrepreneurship & Reg. Develop.,
n°9, p. 127–57.
WESTHEAD P., M. WRIGHT (1998), “Novice, serial and portfolio founders: Are they
different? “, Journal of Business Venturing, n°13, p. 173–204.
WESTHEAD P., M. WRIGHT (1999), “Contributions of novice, portfolio and serial founders
located in rural and urban areas”, Reg. Studies, n° 33, p. 157–73.
WESTHEAD P., D. UCBASARAN, M. WRIGHT (2005), “Decisions, actions and
performance: Do novice, serial and portfolio entrepreneurs differ?”, Journal of Small Business
Management, n°43(4), p. 393–417.
232
WIKLUND J., SHEPHERD D.A. (2008), “Portfolio Entrepreneurship: Habitual and Novice
Founders, New Entry, and Mode of Organizing”, Entrepreneurship Theory and Practice,
July, p. 701-725.
WRIGHT M., K. ROBBIE ,C. ENNEW (1997), “Venture capitalists and serial
entrepreneurs”, Journal of Business Venturing, n°12(3), p . 227–249.
WRIGHT M., P. WESTHEAD, J. SOHL (1998), “Editors’s introduction: Habitual
entrepreneurs and angel investors”, Entrepreneurship Theory and Practice, n°22(4), p. 5–21.
ZHANG J. (2007), “Access to Venture Capital and the Performance of Venture-Backed StartUps in Silicon Valley”, Economic Development Quarterly, n° 21(2), p. 24-147.
ZHANG J. (2011), “The Advantage of experienced start-up founders in venture capital
acquisition: evidence from serial entrepreneurs”, Small Business Economics, n°36(2), p. 187208.
Retour à la table des matières
233
Les pratiques de proximités : les pays et les pôles de compétitivité
Damien TALBOT
Maître de conférences en
Sciences de Gestion
GREThA
(UMR CNRS 5113)
Université de Bordeaux
damien.talbot@u-bordeaux4.fr
Résumé : Ce travail fait le lien entre les travaux proximistes et la façon dont ils ont été
utilisés par des décideurs appartenant à divers types d’organisations publiques, par exemple
pour soutenir une démarche entrepreneuriale. Les principaux résultats de l’approche par la
proximité sont exposés. La proximité présente deux dimensions, géographique et
organisationnelle. Les politiques publiques des pays et des pôles de compétitivité sont
interprétées comme une mise en pratique de proximités organisationnelle et géographique
articulées. Nous concluons sur l’idée que la démarche proximiste permet d’ouvrir une piste de
recherche éclairant les rôles positifs et négatifs des proximités dans la construction des
relations nécessaires à l’entrepreneuriat, d’ancrer l’entrepreneur dans l’action collective
(proximité organisationnelle) et dans l’espace géographique (proximité géographique).
Mots clefs : proximités, entrepreneuriat, pays, pôle de compétitivité.
Abstract: This article aims to link proximist results and the way they were used by policy
makers, for example to support an entrepreneurship approach. The principal results of the
Economy of Proximity are exposed. Proximity has two dimensions, geographical and
organisational. The french public policies of the « pays » and the business and research cluster
are understood as an articulation of these two kinds of proximities. We conclude that the
French School of Proximities enlights positive and negative roles of proximities for building
relations, useful for entrepreneurship behaviors. Entrepreneur is now placed in social and
geographical spaces.
Key words: proximities, entrepreneurship, « pays », business and research cluster.
234
Introduction
S’est développé en France depuis une vingtaine d’années, à l’initiative d’un groupe de
chercheurs 100, une approche dit « de la proximité ». Vouloir appréhender la proximité permet
de poser des questions du type « qui est proche de qui ? », « qui est proche de quoi ? », « que
faut-il partager pour agir ensemble ? », « comment les acteurs incorporent la présence et
l’absence 101 ? », « comment combinent-ils des relations proches et à distance ? ». Répondre à
ces questions permet de souligner le rôle des liens sociaux dans l’action entrepreneuriale,
faisant l’hypothèse que le partage de valeurs morales, de croyances, de représentations, d’un
lieu, est un ingrédient essentiel pour atteindre un niveau suffisant de coordination d’une part,
et affecte les modalités des coordinations d’autre part nouées par l’entrepreneur. Dans cette
perspective, la proximité permet de penser l’entrepreneur comme un acteur qui doit interagir
pour mener à bien son projet.
La proximité présente plusieurs dimensions. Intuitivement, on pense en premier lieu à la
proximité géographique qui réunit des agents partageant un même espace. Il apparaît en
second lieu que l’agent est présent à la fois « ici et ailleurs ». Ici car il est localisé dans un
espace géographique au sein duquel il entretient des relations de voisinage, ailleurs car
l’acteur est évidemment en relation à distance avec d’autres agents. De fait, on peut être
« proche » de quelqu’un tout en étant éloigné géographiquement : la proximité présente alors,
au côté de la dimension géographique, une dimension non géographique. Elle pose en même
temps la question de la localisation et de l’organisation des interactions économiques que
noue un entrepreneur.
Plus généralement, la proximité géographique est un élément constitutif de la stratégie des
acteurs économiques comme le montre nombre de situations empiriques actuelles : firmes qui
développent des stratégies de localisation non réductibles à une simple recherche de faible
coût de main d’œuvre ou d’avantages pécuniers, création de clusters (Silicon Valley, City de
Londres, Sophia Antipolis) dont on pressent que la proximité géographique est un des ressorts
de leur capacité à innover, construction de parcs fournisseurs dans l’industrie automobile
(Hambach pour l’assemblage de la Smart) dans l’industrie aéronautique (Toulouse et
Hambourg pour l’assemblage des Airbus). Certains praticiens, en particulier les décideurs
politiques, se sont emparés des résultats issus des travaux de l’Ecole de la proximité pour
orienter leurs politiques de soutien au développement local. En France, les politiques qui ont
mis en place les pays ou les pôles de compétitivité visent à faire interagir des acteurs colocalisés très hétérogènes pour qu’ils entrent en interaction en vue de mener à bien des projets
entrepreneuriaux collectifs de développement durable et d’innovation.
Ce travail s’attache à faire le lien entre d’une part, les travaux proximistes et, d’autre part, la
façon dont ils ont été utilisés par des décideurs appartenant à divers types d’organisations
publiques, par exemple pour soutenir une démarche entrepreneuriale. Pour atteindre cet
objectif, l’article s’organise de la façon suivante : une première partie présente les principaux
100
Ce groupe informel « Dynamiques de Proximité » rassemble des économistes, mais aussi des sociologues, des
géographes et des gestionnaires. Pour une présentation du groupe et des problématiques qui y sont développées,
cf. Carrincazeaux, Lung, Vicente (2008). De façon plus approfondie et non exhaustive, le lecteur peut se référer
à Gilly et Torre (2000), Pecqueur et Zimmermann (2004), Talbot et Kirat (2005), Torre et Rallet (2005), BoubaOlga, Carrincazeaux et Coris (2008), Rychen et Zimmermann (2008), Carrincazeaux, Grossetti et Talbot (2008)
ou encore Kirat et Torre (2008).
101
Question posée par Giddens (1987).
235
résultats de l’approche par la proximité, une seconde expose deux politiques publiques de
mises en articulation des proximités organisationnelle et géographique, les pays et les pôles de
compétitivité. Ces actions publiques visent, sur la base d’une proximité géographique
existante, à impulser la construction d’une proximité organisationnelle pour soutenir les
entrepreneurs. A chaque fois, un bilan de ces actions est proposé. Nous revenons en
conclusion brièvement sur l’apport de la démarche proximiste à la compréhension du
phénomène entrepreneurial.
1. L’approche par la proximité
L’approche par la proximité fait l’hypothèse que la localisation dans l’espace géographique et
le positionnement dans un réseau d’interactions conditionnent l’apparition et/ou le
renforcement des activités économiques des acteurs, à l’instar des entrepreneurs. Même si le
nombre de dimensions distinguées peut varier selon les auteurs, tous admettent une distinction
séminale entre dimension géographique et non géographique de la proximité que nous
reprenons ici. De façon simple, la proximité présente deux dimensions, géographique et
organisationnelle.
1.1. La proximité géographique
On parlera de proximité géographique lorsque les acteurs partagent un même espace. Plus
précisément, la proximité est un jugement porté par les acteurs sur une faible distance
géographique (Torre, Rallet, 2005). Qualitative, elle devient difficilement mesurable : on
s’estime alors être « proche de » ou « loin de », ces deux termes constituant les extrémités
d’un même continuum. De ce fait, la proximité géographique est relative et peut concerner
des acteurs co-localisés au sein d’une même ville bien sûr, mais aussi au sein d’une même
région. Concrètement, les membres du pôle de compétitivité Aerospace Valley qui recouvre
deux Régions administratives (Aquitaine et Midi-Pyrénées) peuvent être situés à 200 km l’un
de l’autre et pour autant se déclarer proche géographiquement, tant les autres firmes du
secteur aéronautique sont très dispersées spatialement (que l’on songe aux 16 sites d’Airbus
éclatés dans toute l’Europe). Ce jugement peut être positif ou négatif.
1.1.1. Les effets positifs de la proximité géographique
Une proximité géographique vécue positivement favorise l’émergence et/ou le renforcement
d’une relation pour deux raisons. D’une part, une proximité géographique facilite les
interactions en face à face et donc les échanges. Ici, les infrastructures de transport et de
communication permettent la circulation des informations, des biens physiques, des individus.
Dans le cas d’une proximité géographique permanente, le face en face devient possible à
organiser dans un délai très bref. Ce type d’interaction limite l’incertitude issue de la
dimension tacite inhérente à tous savoirs et les risques d’opportunisme (Boschma, 2005). Il
viendra notamment faciliter la diffusion de connaissances hétérogènes et donc l’innovation
(Loilier, 2010). La proximité géographique temporaire est une autre solution pour créer des
situations de face à face. Tout au long du processus productif par exemple, le besoin de
proximité géographique peut varier, être par exemple intense lors des phases communes de
236
conception et de développement comme dans le cas des équipes plateaux réunissant pour
quelques semaines donneurs et preneurs d’ordres sur un même site pour co-concevoir des
composants d’une automobile ou d’un avion. La mobilité des individus est aussi une façon de
permettre des interactions de face à face qui restent à certains moments essentiels à toute vie
sociale en général, et aux activités productives en particulier. Le besoin de proximité
géographique temporaire peut être satisfait dans divers espaces, comme l’entreprise (réunions,
équipes plateaux), ou les temporary clusters (foires, conférences) (Torre, 2009).
D’autre part, l’espace géographique ne doit pas uniquement s’entendre comme un contexte
purement physique doté d’attributs matériels au sein duquel se déroulent des relations
économiques. Il est aussi un référent cognitif : chacun associe des valeurs, des
représentations, des coutumes, des modes de vie, une histoire, un nom, des limites physiques
et administratives, une mémoire des coordinations précédentes réussies ou échouées, des
conflits, etc., à une aire géographique. L’espace joue un rôle dans la démarche de typification,
démarche qui consiste à identifier des personnes, des objets, des actions à des « types »
généralisables (Lagroye, François, Sawicki, 2006), ici en fonction de leur localisation.
L’espace géographique devient alors un lieu particulier qui intervient dans le processus de
construction des identités locales dans le sens où il est une composante du rapport aux autres,
puisque les acteurs locaux le font exister au regard des autres (Laganier, Villalba, Zuindeau,
2004). Il est en alors à l’origine d’un sentiment d’appartenance. Par exemple, Toulouse a été
et est encore associée aux entrepreneurs fondateurs de l’industrie aéronautique française
(Morane, Dewoitine, Latécoère) et reste la ville où sont assemblés la majorité des avions de la
gamme Airbus et où sont effectués les premiers essais en vol des nouveaux programmes
(Caravelle, Concorde, famille Airbus). Certains entrepreneurs développent une stratégie de
différenciation basée sur les spécificités du lieu de leur production, en promouvant par
exemple des labels d’indications géographiques comme les Appellations d’Origine
Contrôlée : ils tirent leur légitimité des valeurs (l’authenticité, la qualité) associées à l’espace
géographique. Se réclamer d’un lieu revient donc à se réclamer d’un groupe social, par
association, facilitant l’apparition de relations au sein de ce groupe (Giddens, 1987).
1.1.2. Les effets négatifs de la proximité géographique
Si la proximité géographique peut être souhaitée, comme le suggère l’analyse de ses effets
positifs, elle peut tout autant être subie et générer des effets cette fois négatifs. La proximité
subie renvoie au cas où les acteurs ont une représentation négative de la faible distance
géographique qui les sépare, dont ils subissent la réalité du fait brut. Concrètement le
propriétaire d’un terrain peut provoquer des nuisances, une usine rejeter des polluants, autant
d’actions qu’ils ne pourraient faire autrement. La proximité géographique se transforme dans
ce cas en une contrainte pour le voisinage, tant on voit mal les membres d’une association,
d’un syndicat professionnel ou encore des élus se délocaliser pour se soustraire à un voisinage
indésirable.
Kirat et Torre (2008) notent que les différents usages ou intentions d’usages de l’espace
(usages résidentiels, productifs, récréatifs ou de préservation de la nature) sont d’autant moins
compatibles qu’ils se déploient sur un même lieu. La superposition des fonctions, que chacun
veut attribuer à un même territoire, est source de conflits entre les usagers de l’espace. La
mise en œuvre de projets, tout particulièrement ceux susceptibles de créer des nuisances, la
rareté des sols disponibles, l’apparition progressive de dispositifs de gestion publique des sols
à une échelle territoriale (nouvelles règles d’urbanisme par exemple) sont des facteurs
d’expression, voire d’émergence, d’identités territoriales. Et les auteurs de conclure à une
237
territorialisation croissante des conflits d’usage, démontrant que la proximité géographique
peut être constitutive d’inégalités créant des rapports de force entre les acteurs.
Ce n’est pas pour autant que toutes actions collectives deviennent définitivement impossibles,
car les acteurs qui n’ont pas la capacité de se relocaliser ailleurs doivent faire face à cette
externalité négative de proximité. Cet état de fait constitue à lui seul une forte incitation au
compromis en mobilisant la dimension positive des ressources cognitives communes, c’est-àdire le lien social identitaire, obligés que sont les acteurs de s’entendre in fine.
Finalement, le fait de se sentir proche ne doit pas être interprété comme l’assurance qu’une
relation s’instaure, de la même façon qu’une route n’implique pas systématiquement une
interaction. La relation à autrui ainsi posée n’est ici qu’une possibilité de relation entre deux
individus ou organisations pour l’instant indépendants. Cela signifie simplement que
l’existence d’une forte proximité géographique entre acteurs n’est pas neutre : elle est une
mise en disponibilité relationnelle, une ressource encore latente qui sera activée si elle
s’articule à une proximité de nature organisationnelle, qu’elle soutient, renforce, compense,
voire détruit en s’avérant être une source de conflits.
1.2. La proximité organisationnelle
On parlera de proximité organisationnelle entre des individus et/ou des organisations
lorsqu’ils partagent un langage, des représentations co-construites et un projet collectif
significatif d’une réflexion stratégique commune et de l’existence d’un entrepreneur pour le
porter. Ces ressources cognitives, parce qu’elles sont partagées, permettent d’acquérir, de
conserver et de transmettre des connaissances, des savoir-faire, des expériences, bref d’activer
une relation. Le partage de ressources cognitives n’est pas la seule condition à l’établissement
d’une relation. Lorsque ces ressources prennent la forme de valeurs morales, de normes
sociales, de règles ou de routines, elles font aussi office d’outils de régulation de la relation.
En effet, il faut aussi donner une cohérence à des intérêts contradictoires, réguler des conflits
toujours latents, hiérarchiser les problèmes, imposer des arbitrages, élaborer des compromis.
Dit autrement, il faut au côté des ressources cognitives, partager des outils de coordination
visant à la régulation pour qu’une relation s’instaure. Le partage souhaité ou imposé d’outils
de régulation est donc l’autre condition à l’établissement d’une interaction. Notons que des
outils de coordination comme les règles remplissent simultanément les deux fonctions,
d’échange et de régulation, finalement distinguables que d’un point de vue analytique.
Concrètement, la proximité organisationnelle se déploie à l’intérieur des organisations ou
entre des organisations (Kirat, Lung, 1995 ; Gomez et al., 2011). L’exemple de la forme du
groupe illustre cette distinction entre des proximités intra et inter-organisationnelle. Au sein
du groupe et sur le plan cognitif, vont se nouer des rapports de production qui ne sont pas
uniquement verticaux dans le sens où ils peuvent concerner directement des unités entre elles.
Ces rapports résultent des contraintes de la division cognitive du travail au sein du groupe. Ce
dernier doit généralement surmonter deux obstacles dans la coordination : gérer différentes
unités détentrices de compétences qui ont tendance à se chevaucher ; favoriser la diffusion des
règles et des routines entre des sites dispersés dans l’espace. Deux types de réponses
complémentaires peuvent être apportés. D’une part, la spécialisation des sites permet d’éviter
la duplication des compétences. D’autre part, sont élaborés des mécanismes d’apprentissage
ayant pour but la création et l’assimilation de règles et de routines. Ces mécanismes
d’apprentissage vont aussi permettre le traitement de l’information ainsi que l’acquisition, la
conservation et la transmission de connaissances dans et entre les unités du groupe.
238
Sur le plan de la régulation des interactions, le groupe se compose de liens hiérarchiques entre
la société mère, constituant le centre de décision, et ses unités (filiales, sociétés contrôlées
minoritairement, etc.) le plus souvent spatialement dispersées. Ces structures, qui découlent
des propriétés juridiques, sont les vecteurs des relations financières et patrimoniales autorisant
plus ou moins d'autonomies financière et stratégique aux unités qui se conforment aux règles
édictées par la tête de groupe. Ici la spécialisation des sites accentue le pouvoir d’une maison
mère devenant de facto la seule entité du groupe à conserver une approche globale des
questions stratégiques. Cette dernière impose ses décisions et cherche à contrôler les relations
internes, entre les unités, et externes, entre les unités et son environnement (fournisseurs,
clients, financeurs, etc.). Cette régulation et ce contrôle visent à imposer une stratégie. En
outre, la société mère a pour fonction de gérer l’allocation des capitaux entre plusieurs
activités. Ce rôle d’arbitrage est l’expression du pouvoir de l’équipe dirigeante, elle-même
soumise au contrôle des actionnaires qui pèsent sur la stratégie globale du groupe.
Le groupe peut aussi développer une proximité inter-organisationnelle quand ses
établissements s’insèrent dans une chaîne de valeur pour réaliser un produit complexe. La
proximité organisationnelle au sein de la supply chain aéronautique prend la forme d’un
réseau pyramidal avec à son sommet les grands groupes industriels que sont les architectesintégrateurs (Kechidi, Talbot, 2010). Viennent ensuite les systémiers qui participent à la
conception et à la réalisation d'un ensemble technique dont ils ont la responsabilité. Sur le
plan cognitif, les systémiers détiennent des compétences techniques spécifiques mobilisables
pour la conception et/ou la production d’un ensemble technique majeur et participe en lien
avec l’architecte-intégrateur à la co-spécification des systèmes. Ces échanges visent à la
production de connaissances communes indispensables au développement d’un sousensemble technique.
Une fois le sous-ensemble co-spécifié avec l’architecte-intégrateur, ce dernier attend du
systémier qu’il lui fournisse le sous-ensemble en respectant les caractéristiques techniques
définies, dans les délais et au prix fixés. A charge pour lui de faire appel, ou non, en fonction
de sa stratégie d’externalisation, à des firmes de rangs équivalents ou inférieurs dans la chaîne
de sous-traitance. Il s’emploie alors à réguler un réseau de sous-traitants et de firmes
partenaires, en lieu et place de l’architecte-intégrateur (Talbot, 2011). Autrement dit, le
systémier doit être capable de tenir le rôle d’architecte, non pas comme l’architecteintégrateur pour l’ensemble d’un avion, mais pour un sous-système. Dans les faits, cette
organisation s’avère complexe tant les relations verticales se doublent parfois de relations
horizontales, un systémier pouvant à la fois fournir un système complet à l’avionneur et un
sous-système à un autre sous-traitant de rang 1 du même avionneur.
Parfois, les établissements des architectes-intégrateurs ou des grands systémiers nouent des
relations productives au sein de territoires dans lesquels ils sont ancrés pour développer avec
d’autres acteurs locaux (firmes, laboratoires de recherche, collectivités locales, etc.) des
ressources spécifiques localisées en tirant bénéfice des avantages de la proximité
géographique. A titre d’illustration, la politique des pôles de compétitivité joue sur les effets
positifs des proximités pour mettre en relation des établissements de grands groupes, des PME
locales et des laboratoires de recherches qui partagent non seulement un même lieu mais aussi
un secteur d’activité. Elle illustre, comme nous le verrons dans le paragraphe 2.2, une
articulation possible des proximités organisationnelle et géographique.
Finalement, la proximité organisationnelle apparaît comme une condition nécessaire à toute
action collective, étant entendu qu'elle peut varier en intensité. L’entrepreneur n’échappe pas
à ce besoin de partage de ressources cognitives et d’outils de régulation pour construire ses
relations, mobiliser les ressources matérielles et cognitives disponibles et mener à bien son
projet. Lorsque le projet est collectif, l’entrepreneur devient l’acteur clé du collectif,
239
l’animateur du projet. Il contribue à la formation de relations entre organisations (firmes,
laboratoires, universités, collectivités locales, etc.) en matière d’échange de produits, de
compétences, en vue de satisfaire son intérêt, ici réussir son projet. Parfois, la proximité
géographique ne jouera aucun rôle dans les coordinations mises en place par l’entrepreneur.
Parfois, il utilisera les effets positifs de la proximité géographique pour favoriser le
déploiement de ses relations.
2. Des proximités construites par l’acteur public
On peut constater que le terme « proximité » connaît, au moins en France, un vif succès dans
divers domaines : on parle à la fois de police de proximité, de justice de proximité, de
démocratie de proximité, de services de proximité, etc. comme si des relations sociales par
trop distendues devaient être rapprochées. Implicitement, l’hypothèse est faite que la
proximité présenterait des caractéristiques favorisant le maintien, voire le renforcement des
relations, quel que soit le domaine d’activité. L’engouement international actuel que connaît
la notion de cluster, à la fois chez les décideurs politiques et les chercheurs en sciences
sociales, trouve d’ailleurs son fondement dans cette hypothèse implicite. Concrètement, les
politiques publiques se sont emparées de cette approche afin de créer des proximités. Au
début des années 2000, la création des pays et plus récemment des pôles de compétitivité
illustrent cette mise en pratique des proximités.
2.1. Les pays
Le pays est institué par la Loi d’Orientation de l’Aménagement et du Développement du
Territoire du 4 février 1995 (dite aussi Loi Pasqua), reprise par la Loi d’Orientation sur
l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire adoptée le 29 juin 1999 (dite aussi
Loi Voynet), et amendée par la Loi « Urbanisme et Habitat » du 2 juillet 2003 qui apporte
quelques changements dans la procédure de constitution et dans la gestion des projets de pays.
Selon la Loi Pasqua, le pays manifeste la communauté d’intérêts socio-économiques. Il n’est
ni une nouvelle circonscription privée de toute vie juridique autonome, ni une nouvelle
collectivité agissant en nom propre : sur un plan juridique, il se définit comme un groupement
territorial d’aménagement et de développement local possédant sa personnalité sans détenir la
gestion de ses propres affaires, le situant entre la circonscription et la collectivité. Le but est
de réorganiser les services de l’Etat, en établissant comme règle, la primauté des projets sur la
structure et en autorisant les acteurs locaux à s’organiser en dehors des périmètres
administratifs et dans un cadre commun cohérent (Gilly, Wallet, 2004). Cet espace de
coordination cherche à réunir de façon peu contraignante le territoire institutionnel, celui de
l’action publique, avec le territoire économique, celui des acteurs socio-économiques. Une
charte de pays peut faire appel à un Agenda 21 local, compris comme l’instrument politique
visant à décliner localement les grands principes de l’Agenda 21 établi au Sommet de Rio en
1992. L’Agenda 21 local est en effet un projet de développement durable du territoire misant
sur la recherche de convergences entre performances économiques, sociales et
environnementales. Ce projet se traduit en programmes d’actions définissant les objectifs et
les moyens de mise en œuvre du développement durable du territoire, l’ensemble étant évalué
régulièrement selon une grille d’indicateurs et en concertation avec les parties concernées. Il
souligne la vocation de l’échelon local à devenir l’un des espaces pertinents du
développement durable. La démarche de pays vise aussi à créer des interactions entre villes et
espaces ruraux via des porteurs de projets, la Loi Voynet affirmant que le projet de
240
développement durable du pays est destiné « à renforcer les solidarités réciproques entre la
ville et l'espace rural ». Considérant que les espaces ruraux ne disposent que rarement des
ressorts de la croissance interne, cette démarche prend en compte les effets de polarisation et
d’agglomération qui caractérisent les centres urbains (Aubert et al., 2004). Les pays résultent
donc d’une démarche volontaire des acteurs qui définissent collectivement des projets
financés par l’Etat, dans le cadre du volet territorial des contrats de plan Etat-Région. Ils
peuvent ainsi venir soutenir une démarche entrepreneuriale.
2.1.1. Le principe : articuler les proximités pour favoriser des projets de développement
durable
La démarche des pays vise à articuler à une proximité géographique existante une proximité
organisationnelle pour créer un territoire. Les pays ont vocation à rassembler des acteurs
hétérogènes et co-localisés au sein de « pays naturels », c’est-à-dire d’une espace
géographique porteur de références cognitives partagées par ses habitants. Il s’agit de
transformer un espace existant qui doit présenter « une cohésion géographique, culturelle,
économique ou sociale, à l'échelle d'un bassin de vie ou d'emploi ». La politique publique
propose par la Loi divers outils de régulation pour organiser diverses coordinations et ainsi
favoriser l’émergence de projets entrepreneuriaux de développement durable du territoire.
Pour ce faire, deux principes sont posés. D’une part, le pays doit rassembler des acteurs variés
mais concernés par la problématique du développement durable : entreprises, collectivités
publiques, associations, syndicats, entrepreneurs, etc. L’une des conséquences attendue est
l’accroissement de la cohésion sociale, le renforcement de solidarités locales, par la
concertation entre acteurs hétérogènes. Ici l’entrepreneur peut jouer un rôle d’acteur clé dans
cet accroissement car il doit mobiliser les ressources et les compétences des autres parties
prenantes pour conduire son projet, qu’il soit individuel ou collectif (Brèchet et al., 2009).
D’autre part, la démocratie participative doit caractériser le fonctionnement des pays. Cette
démocratie (parfois qualifiée de « démocratie de proximité ») est un outil de résolution de
problèmes locaux par la création de compromis. Cet outil de régulation est une modalité de
gestion de la tension permanente entre intérêts individuels et compromis collectif, en
associant les bénéficiaires d’un projet à sa définition. On suppose alors que le programme
défini localement sera mieux compris (et donc légitimé) car il est censé mieux répondre aux
besoins des bénéficiaires. Ce peut être une façon de renforcer la légitimité dont a besoin tout
entrepreneur (Messeghem, Sammut, 2010). L’introduction de cet outil de régulation permet
de souligner que la proximité géographique ne peut suffire à elle seule pour impulser une
relation, qu’il faut y associer l’intentionnalité des acteurs s’exprimant par exemple dans la
réalisation d’un projet commun. Il s’agit de passer de l’existence d’une identité locale, portée
par la proximité géographique, à la définition d’un intérêt commun aux acteurs proches, porté
par la proximité organisationnelle, à l’origine de projets collectifs.
Finalement, la politique des pays est l’expression d’une nouvelle représentation du
développement local qui se fait jour dans la pensée publique française à la fin des années 90.
Cette création des pays renvoie à la nécessité de repenser les interventions publiques,
cherchant à simplifier les procédures de décisions et les actions. Dorénavant, le
développement local se veut le résultat d’un partenariat entre acteurs locaux en associant les
aspects économiques, sociaux et culturels et en rompant avec une politique d’aménagement
fondée sur une logique purement redistributrice des richesses nationales sous formes d’aides
et de primes diverses. Fondamentalement, les richesses ne sont plus allouées par l’Etat, mais
241
doivent être créées localement avec le concours de l’Etat. Le territoire ne doit plus être
seulement aménagé mais d’abord développé, résultant d’un processus endogène de
construction. On le voit, les représentations du développement local ont profondément évolué,
notamment sous l’influence des auteurs proximistes.
L’approche a permis en effet l’endogénéisation du rôle de l’espace géographique dans la
coordination (Lauriol et al., 2008 ; Gomez et al., 2011). Traditionnellement, l’espace avait été
compris comme un cadre neutre et uniforme, sans relief autre que ceux identifiables par des
coûts (Bellet, Colletis, Lung, 1993). L’espace était alors appréhendé d’abord par la notion de
distance. C’est bien à un dépassement de cette vision restrictive que s’est attachée la
démarche proximiste, pour prendre en compte les conséquences de la localisation de chaque
acteur sur leurs modes de coordinations dans un espace hétérogène, asymétrique, multiforme,
bref à chaque fois singulier et complexe (Gilly, Torre, 2000). Et puisque l’on peut interagir à
distance, la proximité s’est vue dotée d’une dimension non spatiale. Cette introduction élargit
ainsi considérablement le champ d’analyse puisqu’il devient possible de questionner
l’ensemble des modèles de coordination, entre des acteurs proches ou non géographiquement.
La conséquence est essentielle : l’analyse ne débute plus obligatoirement par l’étude des
modes de coordinations déjà fondés sur une proximité géographique, mais elle peut y aboutir
en expliquant les processus d’élaboration. Le territoire par exemple, comme catégorie de
recouvrement des proximités géographique et organisationnelle n’est plus postulé, il devient
un construit. Ainsi, le rôle de l’espace n’est ni ignoré, ni postulé. Cet apport a ouvert la voie à
une nouvelle compréhension du développement territorial, basé sur un processus de
développement endogène des territoires résultant par exemple d’une démarche
entrepreneuriale.
2.1.2. Un outil progressivement mis en sommeil
Mais la réalité montre, au-delà de toute vision idéalisée et des affirmations volontaristes, que
les pays rencontrent dans leur fonctionnement de nombreuses difficultés. La dynamique de
constitution des pays a connu un essor rapide, particulièrement marquée sur les années 2004 à
2005. Même si plus de 370 démarches de pays ont été réalisées, depuis une loi de décembre
2010, il n’est plus possible d’en créer de nouveaux. Ils ne couvrent au final qu’une petite
partie du territoire français. Plusieurs raisons expliquent ce relatif insuccès.
Le premier écueil renvoie à l’épineuse question de la définition du périmètre du pays qui ne
recoupe pas forcement les proximités géographiques existantes. Les pays peuvent, par
exemple, renvoyer à une circonscription électorale. Ces découpages ne permettent pas de
fonder le pays sur un espace vécu, de mobiliser une identité partagée, un référent cognitif
commun. La question d’une délimitation cohérente des pays avec leur histoire, est centrale
afin que celle-ci puisse faciliter la coordination. Autrement dit, le pays ne fonctionne que s’il
repose sur une proximité géographique forte non réduite à une faible distance spatiale entre
les parties prenantes.
Dans d’autres cas, l’outil de régulation que constitue le pays ne vient que soutenir un
processus relativement autonome et endogène au territoire. Il peut même dans certaines
situations le perturber. Les obligations légales qu’impose la politique de pays peuvent alors
entrer en tension avec des démarches entrepreneuriales locales et plus généralement avec les
mécanismes locaux de coordination en place et accroître par là même les coûts de
coordination (cf. l’exemple du Pays des Coteaux de Bigorre proposé par Gilly et Wallet,
2004).
242
Plus fondamentalement, Bertrand et Moquay (2004) notent ici une contradiction à vouloir
produire du développement en appliquant une logique homogénéisante face à une diversité
territoriale. Il y a un paradoxe à chercher à impulser des dynamiques locales par nature
singulières à partir d’un cadre généralisé, même souple. Il faut voir là l’une des limites de
certains pays car la construction d’un territoire, nous l’avons dit, ne se décrète pas.
Enfin, l’hétérogénéité des acteurs pose bien entendu des problèmes de fonctionnement. Cet
espace de coordination qui regroupe divers acteurs aux logiques différentes (administratives,
politiques, économiques) est aussi un enjeu de pouvoir, un révélateur des conflits locaux, des
effets négatifs de la proximité géographique conduisant à une situation de lock in. La pratique
démontre que c’est lorsque les conflits institutionnels et politiques sont mis entre parenthèses
que les pays fonctionnent. Dans le même temps, l’apaisement des conflits ne doit pas
conduire à une coordination atone : la réalité montre en effet que certains pays deviennent un
lieu consensuel frôlant l’immobilisme, sans dynamique entrepreneuriale.
2.2. Les pôles de compétitivité
La politique publique française des pôles de compétitivité prend racine dans les nombreux
travaux qui ont montré que la proximité géographique permanente entre acteurs, lorsqu’elle
est souhaitée, est un facteur favorable à la création et à la diffusion des connaissances. En
particulier, les analyses insistent sur le besoin d’interactions en face à face pour faciliter le
transfert de connaissances tacites nécessaires aux processus d’innovation, interactions en face
à face d’autant plus faciles que les acteurs sont proches. Ces résultats sont notamment à
mettre au crédit de la tradition marshallienne des districts industriels (Beccatini, 1991), de la
Geographic Economy (Krugman, 1991), des théories sur les systèmes régionaux ou nationaux
d’innovation (Lundvall, 1992, Braczyk et al., 1998, Doloreux, 2004), sur les milieux
innovateurs (Camagni, 2001), sur les clusters (Porter, 1998) et de l’Economie de la Proximité.
Mais à l’inverse de ce qu’on a pu observer dans les districts industriels où les acteurs entrent
en interaction de leur propre initiative, les relations entre les parties prenantes d’un pôle sont
impulsées par les pouvoirs publics. L’autre particularité des pôles consiste à réunir des
partenaires hétérogènes. En ce sens, ils se rapprochent des pays et repose eux aussi sur l’idée
d’articuler les proximités. Mais la comparaison s’arrête là tant les objectifs sont différents.
2.2.1. Le principe : articuler les proximités pour favoriser des projets de Recherche et
Développement (R&D)
Un pôle a pour objectif de favoriser la co-production de connaissances pour augmenter la
compétitivité des territoires et des secteurs concernés (Mendel, Barbet, 2008). Cette politique
publique propose de nouveaux principes d’organisation de l’innovation : elle soutient ici non
pas l’idéal type de l’entrepreneur schumpetérien ou visionnaire (Verstraete, 2001) mais plutôt
l’idée que l’innovation, parce qu’elle suppose des recombinaisons de connaissances, est
d’abord une affaire collective. Dans cette conception, l’entrepreneur devient un acteur
relationnel à la recherche de dispositifs de mises en réseaux pour échanger des savoirs
complémentaires dans le cadre de projets collectifs. Cette politique soutient, à travers des
mécanismes de labellisation et des aides financières, des plates-formes d’innovation qui
consistent à mutualiser des équipements (réalisation de tests et de prototypes par exemple) et
surtout des projets de R&D collaboratifs réunissant des grandes firmes, des PME, des
organismes de formation et des laboratoires de recherche.
243
Comme pour les pays, il s’agit de créer par l’action publique une proximité organisationnelle
entre des acteurs issus de champs organisationnels différents, articulée à une proximité
géographique existante. Elle cherche à créer progressivement au fil des rencontres une
mémoire des coordinations réussies et donc de la confiance pour permettre l’apprentissage
collectif et ainsi l’innovation. Souvent, les projets soutenus financièrement réunissent des
acteurs hétérogènes aux compétences, au ressources et aux activités complémentaires, par
exemple autour d’un produit (systèmes embarqués, véhicule du futur, textiles techniques,
etc.), tant leur recombinaison contribue à l’innovation (Boschma, 2005). Cette recombinaison
peut passer notamment par un rapprochement fécond entre science et industrie (Saxenian,
2000). Finalement, cette complémentarité permet d’ouvrir le pôle sur une pluralité de
trajectoires technico-productives via les projets collaboratifs, en évitant les phénomènes de
lock in que rencontrent par exemple les territoires engagés dans des trajectoires de
spécialisation.
Les règles de fonctionnement d’un pôle sont très variées et laissées à la discrétion des acteurs.
Par exemple, en 2005, est créé en régions Aquitaine et Midi-Pyrénées le pôle AESE
(Aéronautique, Espace Systèmes Embarqués), plus communément appelé « pôle Aerospace
Valley ». Malgré une spécialisation dans le secteur de la construction aéronautique et spatiale
(48% des emplois), le pôle Aerospace Valley renvoie à un large spectre d’activités. Les
projets collaboratifs de R&D réalisés dans ce pôle sont en effet regroupés en 9 Domaines
d’Activité Stratégique (DAS) représentant les principaux domaines technologiques étudiés,
allant des activités aéronautique jusqu’à la conception et à la production de satellites, en
passant par les systèmes embarqués. Chaque DAS est animé par des personnes issues
généralement des grands groupes. Cette activité d’animation consiste essentiellement à définir
les objectifs des projets collaboratifs et à vérifier qu’ils sont en cohérence avec la stratégie
commune qui prévaut au sein du DAS. La définition de ces objectifs se réalise lors de
réunions régulières 102.
Cette proximité organisationnelle s’appuie sur une proximité géographique existante, cette
dernière jouant son rôle bénéfique de soutien de trois façons : premièrement, comme
facilitateur d’interactions en face à face, la proximité géographique facilite les échanges de
connaissances ; deuxièmement, les acteurs très hétérogènes ont toutefois a minima une
référence commune, celle du territoire dans lequel ils sont ancrés, susceptible de faire émerger
une confiance même minimale ; troisièmement, les relations nouées autour des projets
s’encastrent dans des réseaux sociaux par nature très localisés. C’est en effet surtout la nature
localisée des réseaux sociaux qui expliquent que les processus d’innovation collective soient,
pour certains d’entre eux, localisés. Les coopérations qu’exigent les activités d’innovation en
commun ont tendance à d’autant mieux s’établir entre des acteurs appartenant à des
organisations différentes qu’ils sont issus de la même université ou Ecole en particulier, qu’ils
appartiennent déjà au même réseau social localisé en général (Grossetti, Bes, 2001). Créer et
maintenir des relations sociales supposent des diners familiaux ou amicaux, des activités de
loisirs réalisées en commun, etc., bref de fréquentes relations relativement routinières qui ne
peuvent pas être trop dispersées. Ceci explique qu’une part importante des réseaux sociaux se
concentre dans un même espace, par exemple une agglomération urbaine, et qu’en retour les
activités d’innovation collective bénéficiant de ces réseaux s’en trouvent elles aussi
spatialement concentrées.
102
Ces informations sur les mécanismes d’animation des DAS sont issues d’entretiens réalisés avec la
responsable de DAS. Ces derniers ont été réalisés entre 2008 et 2010 dans le cadre d’un contrat de recherche
cofinancé par les Régions Aquitaine et Midi-Pyrénées visant à analyser les transformations organisationnelles de
la supply chain régionale aérospatiale. Au total, une quarantaine d’entretiens a été réalisée au sein de ce secteur,
plus précisément auprès de firmes, de laboratoires de recherche et de collectivités locales soutenant l’innovation.
244
Concrètement, et selon la Datar 103, 71 pôles sont répartis sur le territoire français depuis 2005,
date de la création des premiers pôles. Ils se sont construits autour d’activités de niches (le
laser, le parfum), émergentes (écotechnologies) ou matures (automobile, aérospatial). Entre
2005 et 2011, plus de 1000 projets collaboratifs ont été soutenus financièrement par l’Etat et
les collectivités territoriales. Certains projets ont débouché sur la commercialisation de
produits et services, tandis que d’autres concernent des connaissances communes plus
fondamentales. Beaucoup d’entre eux ont conduits à des dépôts de brevets. Adoptant une
démarche entrepreneuriale, des créateurs d’entreprises ont aussi créées leurs start up ou leurs
PME par essaimage.
2.2.2. Les difficultés
Les pôles, comme les pays, rencontrent un certain nombre de difficultés. Par définition, un
pôle est composé d’acteurs autonomes aux intérêts et aux temporalités divergents. Ainsi, les
animateurs des pôles ne disposent d’aucune autorité sur les membres, doivent construire des
coopérations où chaque participant au projet dispose d’un poids équivalent aux ressources
apportées et peuvent faire défection si leurs intérêts ne sont pas satisfaits (Weil, Fen Chong,
2008). D’autant qu’il est difficile d’attribuer les droits de propriété sur les productions
collectives d’un pôle (Gomez, 2008). La question de l’exclusivité des droits de propriété
devient un enjeu majeur du fonctionnement d’un pôle, chaque partenaire cherchant à satisfaire
son intérêt. Or la nature des coopérations au sein d’un pôle suppose une certaine mutualisation
des ressources complémentaires, à la fois cognitives et matérielles. A cela s’ajoute le fait qu’il
est difficile d’évaluer le gain collectif, à la manière d’une entreprise qui peut en tant que
centre de profit calculer un bénéfice net. Quelle est la valeur d’une nouvelle connaissance ?
Des relations de confiance éventuellement nouées ? Comment calculer sa propre
contribution ? De fait, cette incertitude peut freiner l’investissement dans une relation et un
projet dont il est impossible ex ante de calculer le bénéfice. Ainsi des comportements
opportunistes sont toujours possibles et redoutés, surtout entre des partenaires hétérogènes.
Ces mêmes acteurs peuvent par ailleurs entretenir des relations asymétriques parce qu’ils
participent déjà à d’autres réseaux. Par exemple, les relations crées par les projets
collaboratifs portés par le pôle Aerospace Valley sont encastrées dans des réseaux de soustraitance souvent anciens. A l’inverse des pôles de compétitivité constitués essentiellement de
PME (Bocquet, Mothe, 2008), ce pôle est largement dominé par des établissements
appartenant à des groupes (203 établissements sur 340) et principalement des groupes français
(170 établissements), même s’il regroupe également des PME ainsi que des centres de
recherche ou de formation spécialisés. Ces mêmes grands groupes sont les principaux
donneurs d’ordres du secteur aérospatial et partagent à ce titre une proximité organisationnelle
avec des industriels de différentes tailles (sont ici exclus les laboratoires de recherche) de la
supply chain. Dans cette dernière sont exercés par les donneurs d’ordres d’intenses contrôles
envers les preneurs d’ordres de rangs inférieurs. Les projets collaboratifs associent donc des
entreprises par ailleurs clients ou fournisseurs. Ces projets collaboratifs sont parfois perçus
par les donneurs d’ordres comme une nouvelle opportunité d’exercer un contrôle
supplémentaire sur les compétences, les savoir-faire et les connaissances de leurs
fournisseurs, comme une façon déguisée de réguler la relation d’approvisionnement.
Aerospace Valley est en outre symptomatique de pôles qui s’appuient sur une base
relationnelle forte, structurée, issue d’une histoire industrielle déjà ancienne (ici construite au
103
Informations disponibles sur le site http://competitivite.gouv.fr/.
245
fil des programmes aéronautiques développés dans le Sud-Ouest comme la Caravelle, le
Concorde et les Airbus). Il bénéficie pleinement des effets positifs de la proximité
géographique : face à face facilité, espace comme référent cognitif et encastrement des
relations dans des réseaux sociaux. La politique publique vient ici conforter des espaces
d’interaction denses et ayant déjà produit des connaissances dans le passé. L’idée est alors
d’accentuer le processus et de l’ouvrir à de nouveaux acteurs locaux (les laboratoires publics,
des PME, des entrepreneurs) pour accroître la recombinaison des connaissances.
A l’inverse certains pôles ont été créés ex nihilo, regroupant des acteurs qui n’avaient encore
que peu échangés et/ou disposant de ressources insuffisantes. Ainsi, Mendel et Barbet (2008)
ont montré que quelques pôles s’appuient sur un tissu industriel n’offrant que de peu de
moyens de R&D, car majoritairement composé de PME. Ici c’est niveau de ressources
cognitives et matérielles qui fait défaut. Parfois, c’est la diversité qui est trop importante. Si la
complémentarité des ressources cognitives favorise l’innovation, au-delà d’une certaine
distance cognitive, l’incompréhension inhibe tout échange. En outre, ces pôles, qui ne peuvent
s’appuyer sur une tradition coopérative, ont des difficultés à s’approprier des outils de
régulation élaborés au niveau national dans une démarche top down.
Plus généralement, les différences importantes observées dans les capacités des pôles (la
distinction opérée entre pôles mondiaux et pôles nationaux illustre cette situation) et les outils
de régulation mis en place au sein des pôles (auto-organisés ou régulés, enracinés dans un
tissu économique historique ou crée spécifiquement pour favoriser l’émergence d’une
technologie) montrent que l’objet n’est pas stabilisé dans la pratique (Gomez, 2008).
Conclusion
Au final, nous tirons deux enseignements de ce travail au cours duquel nous avons défini les
deux dimensions de la proximité, géographique et organisationnelle, qu’il est possible
d’articuler pour générer des relations locales, comme dans le cas des pays et des pôles de
compétitivité.
Sur un plan empirique, nous avons analysé deux types de mises en pratique de la proximité
impulsées par des politiques publiques. Les diverses difficultés soulignées dans le
fonctionnement des pays et des pôles de compétitivité montrent combien il est délicat de
décréter les proximités dans une approche top down. C’est bien aux parties prenantes de
décider d’utiliser les proximités que l’acteur public tente de construire. Les acteurs conservent
donc une large autonomie, ce qui est la fois gage du succès d’une telle politique et aussi une
source d’échecs, puisque chacun peut faire défaut quand il le décide. Il s’agit alors
« d’impulser une organisation » au sens entrepreneurial du terme (Verstraete, Fayolle, 2005)
en créant les conditions favorables à cette impulsion, c’est-à-dire des proximités.
Sur un plan théorique, il est apparu que la proximité n’est pas une théorie à proprement parler.
Ainsi, le vocable « proximité » ne constitue pas un objet théorique en soi, comme le sont les
conventions pour l’Economie des Conventions, les institutions pour les institutionnalistes, etc.
De même, les différentes dimensions de la proximité qui sont proposées font appel à des
théories existantes en sciences sociales pour prendre leur sens. Ainsi, pour définir la proximité
organisationnelle, il faut reprendre à son compte les apports des théories des organisations ou
encore utiliser l’économie régionale pour parler de proximité géographique. Cette polysémie
n’est pas forcement appelée à disparaître à partir de l’instant où l’on comprend que l’approche
246
par la proximité est plus une heuristique qu’une théorie. En sens, cette démarche intellectuelle
n’est ni rattachée, ni issu d’une théorie unique. Elle est donc par nature interdisciplinaire : si
elle a été élaborée par des économistes, elle est aujourd’hui utilisée par des géographes, des
sociologues, des gestionnaires. Et comme heuristique, elle a aussi vocation à déborder la seule
communauté scientifique, ce que nous avons cherché à montrer dans ce travail. Finalement,
l’approche par la proximité est par nature appliquée.
En ce sens, elle rejoint l’entrepreneuriat qui vise aussi à lier recherche et pratique. Plus
fondamentalement, au regard du phénomène entrepreneurial, la démarche proximiste met en
exergue deux points essentiels. D’une part, la mise en lumière du rôle de la proximité
organisationnelle souligne que l’entrepreneur, loin d’être une figure isolé, s’insère dans des
réseaux parfois soutenus par l’acteur public pour bénéficier d’un apprentissage réciproque.
L’entrepreneur est un acteur fondamentalement relationnel (Brèchet et al., 2009), lui
permettant de rompre son isolement (Messeghem, Sammut, 2010). Il devient un entrepreneur
situé dans l’espace social, puisque « (…) tout projet, même individuel, se développe dans un
collectif englobant, dans un contexte d’interactions avec d’autres acteurs sans lesquels il ne
pourrait naître et s’actualiser » (Brechet et al., 2009 : 42). D’autre part, si le modèle
entrepreneurial développe l’idée que les déterminants de l’innovation réalisée par une firme
sont bien entendu fonction de la stratégie poursuivie au sens large (Basso et al., 2009),
l’approche par la proximité géographique focalise l’attention du praticien sur la stratégie de
localisation comme élément central d’accès à des ressources spécifiques. L’entrepreneur
devient alors un acteur situé dans un espace géographique. Plus généralement, l’approche
proximiste permet d’ouvrir une piste de recherche visant à éclairer les rôles positifs et négatifs
des proximités dans la construction des relations nécessaires à l’entrepreneuriat. D’ancrer
l’entrepreneur dans l’action collective et dans l’espace géographique.
Bibliographie
AUBERT F., LEPICIER D., PERRIER-CORNET P., WAVRESKY P. (2004), « Structure
économique des territoires : une analyse des disparités micro-régionales à l’échelle des pays
en France », XLème Colloque de l’ASRDLF, Convergence et disparités régionales au sein de
l’espace européen, Bruxelles, septembre.
BASSO O., R., FAYOLLE A., BOUCHARD F. (2009), « L’orientation entrepreneuriale.
Histoire de la formation d’un concept », Revue française de gestion, vol. 5, n°195, p. 175-192.
BECATTINI G. (1991), “Italian Districts: Problems and Perspectives”, International Studies
of Management and Organization, vol. 21, n°1, p. 83-90.
BELLET M., COLLETIS G., LUNG Y (eds) (1993), « Economie de proximités », Revue
d'Economie Régionale et Urbaine, n°3.
BOCQUET R., MOTHE C. (2008), « Gouvernance et performance des pôles de PME »,
Revue française de gestion, vol. 10, n°190, p. 101-122.
BOSCHMA R. (2005), « Does geographical proximity favour innovation? », Economie et
Institutions, n°6 et 7, p. 111-126.
BOUBA-OLGA O., CARRINCAZEAUX C., CORIS M. (eds) (2008), « La proximité : 15
ans déjà ! », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n°3.
BRACZYK H.J., COOKE P., HEIDENREIC, M. (1998), Regional innovation systems,
Routledge editions.
247
BRECHET J.P., SCHIEB-BIENFAIT N., DESREUMAUX A. (2009), « Les figures de
l’entrepreneur dans une théorie de l’action fondée sur le projet », Revue de l’entrepreneuriat,
vol. 8, n°1, p. 37-53.
CAMAGNI R. (1991), Innovation network, spatial perspectives, Belhaven Press, London.
CARRINCAZEAUX C., LUNG Y. (1998), « La proximité dans l’organisation des activités
de conception des produits automobiles », in M. Bellet, T. Kirat et C. Largeron (eds),
Approches multiformes de la proximité, Hermès, Paris.
CARRINCAZEAUX C., LUNG Y., VICENTE J. (2008),” The scientific trajectory of the
french school of proximity: interaction- and institution- based approaches to Regional System
of Innovation”, European Planning Studies, vol. 16, n°5, p. 617-628.
DOLOREUX, D. (2004), “Regional Innovation Systems in Canada: A Comparative Study”,
Regional Studies, vol. 38, n°5, p. 479-492.
GIDDENS A. (1987), La constitution de la société, Presses Universitaires de France, Paris.
GILLY J.P., TORRE A., (eds) (2000), Dynamiques de proximité, L'Harmattan, Paris.
GILLY J. P., WALLET F. (2004), « Enchevêtrement espaces de régulation et gouvernance
locale. Les processus d’innovation institutionnelle dans la politique des pays en France »,
XLème Colloque de l’ASRDLF, Convergence et disparités régionales au sein de l’espace
européen, Bruxelles, septembre.
GOMEZ P.Y (2008), « La gouvernance des pôles de compétitivité. Impasses théoriques et
reformulation de la spécificité des pôles », Revue française de gestion, vol. 10, n°190, p. 197209.
GOMEZ P.Y, ROUSSEAU A., VANDANGEON-DERUMEZ I. (2011), « Distance et
proximité : esquisse d’une problématique pour les organisations », Revue française de
gestion, vol.4, n°213, 2011, p. 13-24.
GROSSETTI M., BES M.P. (2001), « Interacting individuals and organizations: a case study
on cooperations between firms and research laboratories », in A. Kirman et J.B. Zimmermann
(eds), Economics with heterogeneous interacting agents, Springer, Berlin.
KECHIDI M., TALBOT D. (2010), « Institutions and coordination: what is the contribution
of a proximity-based analysis? The case of Airbus and its relations with the subcontracting
network », International Journal of Technology Management, vol. 50 n°3/4, p. 285-299.
KIRAT T., LUNG Y. (1995), « Innovations et proximités : le territoire, lieu de déploiement
des processus d'apprentissage » in N. Lazaric et J. M. Monnier (eds.), Coordination
économique et apprentissage des firmes, Economica, Paris.
KIRAT T., TORRE A. (eds) (2008), Territoires de conflits. Analyses des mutations de
l'occupation de l'espace, L'Harmattan, Paris.
KRUGMAN P. (1991), Geography and Trade. The MIT Press, Cambridge, Mass.
LAGANIER R., VILLALBA B., ZUINDEAU Z. (2002), « Le développement durable face au
territoire : éléments pour une recherche pluridisciplinaire », Revue Développement Durable et
Territoires, dossier n°1 Approches territoriales du Développement Durable, téléchargeable
sur http://developpementdurable.revues.org/sommaire105.html
LAGROYE J., FRANÇOIS B., SAWICKI F. (2006), Sociologie Politique, 5e édition, Presses
de Sciences Po et Dalloz, Paris.
LAURIOL J., PERRET V., TANNERY F. (2008), « Stratégies, espaces et territoires. Une
introduction sous le prisme géographique », Revue française de gestion, vol.4, n°184, p. 91103.
LOILIER T. (2010), « Innovation et territoire. Le rôle de la proximité géographique ne doit
pas être surestimé », Revue française de gestion, vol. 36, n°200, p. 15-35.
LUNDVALL B.A. (1992), National Systems of Innovation : Towards a Theory of Innovation
and Interactive Learning, Pinter Publishers, London.
248
MENDEL A., BARBET M. (2008), « Quelle gouvernance pour les pôles de compétitivité
constitués de PME ? », Revue française de gestion, vol. 10, n°190, p. 123-142.
MESSEGHEM K., SAMMUT S. (2010), « Accompagnement du créateur : de l’isolement à la
recherche de légitimité », Revue de l’entrepreneuriat, vol. 9, n°1, p. 82-107.
PECQUEUR B., ZIMMERMANN J.B. (2004), « Introduction. Les fondements d’une
économie de proximités » in B. Pecqueur B., et J.B. Zimmermann, (eds), Economie de
Proximités, Hermès, Lavoisier, Paris.
PORTER M. (1998), “Clusters and the new economics of competition”, Harvard Business
Review, vol. 76, n°6, p. 77-90.
RALLET A., TORRE A. (2007), « Introduction. Faut-il être proche pour innover
ensemble ? », in A. Rallet et A. Torre (eds), Quelles proximités pour innover ?, L’Harmattan,
Paris.
RYCHEN F., ZIMMERMANN J.B. (eds) (2008), “Clusters in the Global Knowledge-based
Economy: Knowledge Gatekeepers and Temporary Proximity”, Special Issue of Regional
Studies, vol. 42, n°6, p. 767-776.
SAXENIAN A. (2000), “Inside-Out: Regional networks and Industrial Adaptation in Silicon
Valley and Route 128”, in Systems of Innovation, Growth, Competitiveness and employment,
Edquist C and McKelvey M., EE, Cheltenham, UK.
SEARLE J. (1998), La construction de la réalité sociale, Gallimard, Paris.
SEARLE J. (2005), “What is an institution?”, Journal of Institutional Economics, vol. 1, n°1,
p. 1-22.
TALBOT D. (2011), « Contrôles et proximités au sein de la supply chain aéronautique »,
Logistique & Management, vol. 19, n°1, décembre, p. 3-14.
TALBOT D., KIRAT T. (eds) (2005), « Proximité et Institutions : nouveaux éclairages »,
Economie et Institutions, n°6 et 7, 1er et 2e semestres.
TORRE A. (2009), « Retour sur la notion de proximité géographique », Géographie,
Economie, Société, n°11, p. 63-75.
TORRE A., RALLET A. (2005), « Proximity and localization », Regional Studies. vol. 39,
n°1, p. 47-60.
VERSTRAETE T. (2001), « Entrepreneuriat : modélisation du phénomène », Revue de
l’entrepreneuriat, vol. 1, n°1, p. 5-23.
VERSTRAETE T., FAYOLLE A. (2005), « Paradigmes et entrepreneuriat », Revue de
l’entrepreneuriat, vol. 4, n°1, p. 33-52.
WEIL T., FEN CHONG S. (2008), « Les pôles de compétitivité français », Futuribles, n°342,
p. 5-26.
Retour à la table des matières
249
Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business
Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment
Thierry VERSTRAETE (dir.), Estèle JOUISON-LAFFITTE, Florence KREMER,
Martine HLADY, Jérome BONCLER, Thomas BOUCHER, François BOUSQUET,
Jean DONDI, Alain MEIAR, Christophe PAPIN, Fabrice SCIPION
Chaire Entrepreneuriat de l’Université Montesquieu Bordeaux IV
Equipe Entrepreneuriat de l’IRGO (institut de recherche en gestion des organisations)
irgo@u-bordeaux4.fr
Résumé : La notion de Business Model (BM dans la suite du texte) est apparue avec les startup sur Internet. L’équipe de 11 chercheurs réunie pour ce projet s’est appuyée sur une
théorisation du BM dans ce contexte de création d’entreprise. Cette communication apprécie
la pertinence de cette théorisation dans le contexte d’entreprises établies. Le travail s’est
intéressé à des entreprises présentant a priori un potentiel entrepreneurial, notamment en
termes de développement. Le terrain des entreprises du secteur du bâtiment a pu être exploité
grâce à la participation de la Fédération Française de Bâtiment de Gironde (FFBG) au
financement d’une Chaire. Avec ce partenariat, ce qui intéressait l’équipe de recherche était
d’apprécier la possibilité de déployer à la fois sa théorisation du BM et ses déclinaisons en
outils avec des entreprises existantes dans un secteur établi et plus exactement sur des
activités pouvant être considérées comme traditionnelles. Si, du point de vue des chercheurs,
le travail fournissait l’occasion d’élargir le contexte de leur travail antérieur (contexte de
création d’entreprise), pour la FFBG il s’agissait de fournir aux jeunes dirigeants l’occasion
de poser une réflexion sur le potentiel de leur entreprise. Selon la FFBG, l’un des problèmes
réside dans la taille des entreprises, jugées trop petites, qu’il faudrait aider à grandir. L’intérêt
des chercheurs et celui des acteurs du bâtiment se retrouvent autour de la question de
recherche suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes dirigeants d’entreprise du
secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris par eux et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ?
Cette question de recherche est la première d’un programme appelant plusieurs phases de
travail, appelant elles-mêmes plusieurs étapes. Pour sa première phase, ce programme
mobilise une équipe de 11 chercheurs et l’échantillonnage a retenu 5 cas. Alors que de
nombreux textes portant sur le BM font l’économie d’une phase empirique, ici une rechercheaction est déployée, sur la période juillet 2009 – janvier 2011.
Ce texte part d’un rapport de recherche (Verstraete et al. 2011a) et d’une communication, ici
enrichie, lors du congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation (Verstraete et
al. 2011b) qui est ici remerciée pour l’autorisation donnée à la présentation lors du Workshop.
250
Introduction
Avec les premières start-up sur Internet, les investisseurs, sentant un potentiel d’affaires à
exploiter, avaient besoin de comprendre un système leur paraissant complexe. Cette
complexité était le fruit de la conjonction de plusieurs facteurs parmi lesquels la nouveauté, le
vocabulaire employé par des initiés inventant sans cesse de nouvelles expressions, ou encore
les astuces à trouver pour capter des revenus alors que l’utilisateur n’était pas forcément le
payeur. Un effort supplémentaire était alors exigé auprès des porteurs de projet pour rendre
intelligible non seulement leur idée puis leur marché, mais également tout un ensemble
d’éléments relatifs à la façon de gagner de l’argent, à la chaîne de valeur, aux relations avec
les parties prenantes, etc. La notion de Business Model (BM dans la suite du texte) est
apparue dans ce contexte 104.
Certains diraient, hormis l’hermétisme du vocabulaire parfois employé par les acteurs de ce
nouveau domaine, « rien de nouveau sous le soleil ». Ce n’est pas faux. Pour tout type de
projet, il convient : de montrer le marché potentiel et la capacité à lever des bons de
commande ; d’expliquer comment l’offre va être, d’une part, produite à partir des ressources
réunies et, d’autre part, délivrée au marché ; d’estimer le volume d’affaires selon les
ambitions affichées ; de rassurer sur la qualité des partenaires ; etc. Pourtant, tel un buzzword,
l’expression BM s’est diffusée de façon spectaculaire, certes au départ dans le domaine
Internet, puis dans ce qui peut être qualifié de « high-tech ». Désormais, on entend parler de
BM quelles que soient la nature du projet (économie sociale et solidaire, art, culture, …),
l’expression du phénomène entrepreneurial (création d’entreprise, reprise d’entreprise,
intrapreneuriat, etc.), la forme institutionnelle (entreprise, association, fondation, …, du
domaine privé ou du domaine public). Ce vocabulaire est entré dans le monde des affaires et
se retrouve même employé par des grands groupes établis (voir par exemple le rapport
d’activité 2010 de L’Oréal). Ce n’est pas sans agacer certains spécialistes en stratégie
condamnant les excès de ceux érigeant le BM comme l’indispensable concept à connaître
aujourd’hui (ex : Porter, 2001). Lors d’un échange relatif au travail ici présenté, notre
interlocuteur, tout en reconnaissant l’intérêt de discuter la notion de BM hors du contexte dans
lequel elle a été créée (et plus exactement diffusée), nous disait : « il est tentant de mettre cette
idée à la mode à toutes les sauces et comme dans le siècle précédent, on s’est demandé si les
dirigeants ne faisaient pas du marketing (du BM) comme Monsieur Jourdain de la prose. ».
Nous rejoignons ce propos, c’est pour cette raison que notre équipe mène des travaux dans le
cadre de recherches-actions pour apprécier l’utilité du BM dans un contexte précis et
opérationnel.
En synthèse, ces spécialistes en stratégie font preuve de prudence pour au moins trois raisons.
Premièrement, bon nombre d’entreprises (en création ou établies) ont réussi, ou réussissent,
sans connaître ce concept et sans utiliser les rares outils en découlant. A ce titre, c’est avec
modestie qu’il convient de décliner les concepts auprès de ses utilisateurs potentiels.
Deuxièmement, ces outils ne sont pas toujours explicitement mis en œuvre par des théoriciens
trop souvent éloignés des réalités du terrain qu’ils décrivent et faisant parfois du BM un
concept fourre-tout sur la base d’anecdotes, s’exonérant ainsi de démarches empiriques. En
d’autres termes, ils théorisent sans mettre à l’épreuve des faits et de la pratique le fruit de leur
104
Selon Desmarteau et Saives (2008), la première utilisation de l’expression BM daterait de 1957 avec un texte
de Bellman et al. (1957). Le BM y correspondait à une modélisation mathématique des sources de revenus dans
le cadre d’un jeu d’entreprise.
251
cogitation. A cet effet, notre adhésion à une conception praxéologique et ingénierique des
sciences de gestion nous conduit à opérationnaliser nos concepts.
Troisièmement, le risque de redécouvrir des choses bien connues est présent. Les écrits ou les
pratiques mobilisant le BM prennent parfois des raccourcis témoignant d’un manque de
connaissance de certains outils. Avec cette nécessaire prudence, nous considérons le BM
comme une boîte à outils, ou comme une perspective originale sur la conception des affaires
conduisant néanmoins à solliciter les outils éprouvés.
Dans tous les cas, le chercheur ne peut ignorer une notion dont le terrain s’empare et a en
charge d’éclairer à la fois sur sa nature, ce qu’il peut contenir et, dans un souci de valorisation
socio-économique, ce qu’on peut en faire. Cet objectif ne peut pas s’imaginer sans démarche
empirique. L’équipe de recherche ayant conduit le travail ici présenté s’intéresse au BM. Elle
s’appuie sur des travaux ayant conduit à une théorisation déclinée en outils mis en œuvre sur
le terrain de la création d’entreprise (Jouison, Verstraete, 2008 ; Jouison, 2008 ; Verstraete,
Jouison-Laffitte, 2009, 2011). L’un des objectifs poursuivi est de dépasser ce contexte pour
interroger l’utilisation du BM dans le cadre d’une entreprise existante.
Une opportunité de terrain s’est présentée dans le secteur du bâtiment. Ce terrain a pu être
exploité grâce à la participation de la Fédération Française du Bâtiment de Gironde (FFBG)
au financement de la Chaire Entrepreneuriat de l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
Selon le Président de la FFBG, l’un des problèmes des entreprises du bâtiment du
département de la Gironde réside dans la taille des entreprises, jugées trop petites, qu’il
faudrait aider à grandir.
L’intérêt des chercheurs et celui des acteurs du bâtiment se retrouvent autour du BM qui peut
être un outil au service des jeunes dirigeants souhaitant exploiter le potentiel entrepreneurial
de leur organisation. Les échanges entre les chercheurs de l’équipe et des acteurs du bâtiment
ont en effet montré que les deux objectifs pouvaient se rejoindre. Les chercheurs utiliseraient
le BM sur le terrain des entreprises du bâtiment pour que leurs dirigeants puissent apprécier
l’outil afin d’exploiter le potentiel entrepreneurial de leur organisation. En effet, pour cette
première phase du travail, le protocole a plus exactement consisté à apprécier la capacité du
dirigeant, d’une part, à comprendre le BM et, d’autre part, à percevoir l’intérêt de le
mobiliser. Les deux aspects sont liés. La capacité renvoie à l’effort d’apprentissage que le
dirigeant ne déploiera qu’à la condition d’y trouver un intérêt. Ainsi, notre question de
recherche a été la suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes dirigeants
d’entreprise du secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris d’eux et perçoivent-ils l’intérêt de
le mobiliser ?
La réponse à cette question se fait en deux temps. Premièrement, nous revenons au contexte
originel (création d’entreprise) du BM et à sa première fonction (quête d’intelligibilité). Nous
verrons que la création de sens constitue le cœur de cette notion. Ce sens n’est pas construit
uniquement par un créateur mais par un ensemble de partenaires partageant une certaine
vision d’un monde collectivement construit. Cette construction conduit à l’émergence d’une
convention faisant du BM, en quelque sorte, le medium de l’expression de la vision de ce
« monde commun » aux multiples parties prenantes (dirigeants, fournisseurs, clients, salariés,
etc.) que devrait constituer l’entreprise (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009, 1011). C’est,
deuxièmement, cette conception qui est mobilisée par l’équipe de recherche et le cadre
opératoire afférent ainsi que les résultats de la recherche sont présentés. Ce cadre est une
recherche-action ayant mobilisé une équipe de 11 chercheurs et 5 dirigeants sur une période
allant de juillet 2009 à février 2011. Les résultats reconnaissent l’utilité du BM, lequel est
compris par les dirigeants suffisamment intéressés pour demander la poursuite du travail selon
252
une perspective en partie déjà discutée. Ce travail comporte également des limites qui sont
présentées ainsi que des apports moins directement liés à la réponse à la question.
1. Les soubassements théoriques : le Business Model comme traduction
d’une convention créatrice d’un sens pour le collectif impliqué
Ici, nous allons tout d’abord rappeler la nécessité de modéliser les objets (situations, faits,
projets, etc.) perçus comme complexes par les acteurs, notamment pour que ces derniers
saisissent le sens des éléments observés. Ensuite, la théorie de la traduction est évoquée. Ce
qui pourrait paraître anecdotique permet plus sérieusement de convoquer un vocabulaire
pertinent qui lui est emprunté et d’insister sur la nécessité de communiquer les modèles selon
des formes comprises. Cette section montre que le BM est la traduction d’une convention
créatrice de sens pour le collectif réuni autour des affaires. Le mot sens est utilisé dans sa
polysémie, puisqu’il indique autant l’intelligibilité que la direction à prendre. La perspective
systémique et la théorie de la traduction apportent des éléments intéressants d’éclairage et de
vocabulaire pour comprendre ce sens. Mais c’est la théorie des conventions qui, depuis plus
d’une décennie, guide l’équipe dans ses réflexions sur l’objet BM.
Autrement dit, dans cette première partie du texte et pour ce Workshop dont le thème est le
lien entre la théorie et la pratique, nous commençons par livrer le contenu théorique de notre
conception du BM (saisir le complexe, le traduire et comprendre la dynamique collective le
faisant naître) en précisant ensuite, avec une littérature plus circonscrite au BM, les
composantes de celui-ci pour en adopter une définition issue d’un modèle (en quelque sorte
un modèle du BM) éprouvé sur le plan pratique (utilisation sur le terrain) et reconnu sur le
plan académique (publications) 105.
1.1. La nécessité de modéliser des affaires pour en offrir une représentation par une
traduction de l’organisation globale du système entreprise
Les premières affaires imaginées par quelques esprits créatifs sur internet étaient souvent
incompréhensibles pour les parties prenantes potentielles, notamment les investisseurs,
découvrant un domaine complexe, pour des organisations elles-mêmes complexes (la
systémique s’est intéressée à ce titre à l’entreprise comme système complexe). Nous allons
traiter la nécessité de modéliser le complexe pour ensuite mobiliser une traduction rendant la
représentation à la fois possible et accessible.
S’agissant de la complexité, depuis von Bertalanffy (1968), les approches systémiques ont
insisté sur la nécessité de modéliser les objets complexes pour les rendre intelligibles (Le
Moigne, 1977; Morin, 1977 ; et bien d’autres). Il s’agit de comprendre comment les choses
sont organisées au sein d’ensembles plus ou moins vastes. Ces ensembles sont composés
d’éléments de différentes natures interagissant pour produire des manifestations difficiles à
simplifier sans risquer de perdre dans la compréhension du fonctionnement global. L’une des
idées clés de la systémique est d’admettre l’impossibilité de comprendre le fonctionnement
d’un tout par une décomposition de ses parties ensuite ré-agencées mécaniquement.
L’organisation est plus complexe. Elle structure les éléments en leur affectant une place et une
fonction dans un système pouvant lui-même être un élément d’un autre système plus vaste.
105
Le modèle du modèle, pouvant être traduit sous différent langage (oral, écrit, schéma, mathématique, etc.),
est ici circonscrit à la compréhension d’une affaire (Verstraete, Jouison-Laffitte, 2009), qui serait une
combinaison du modèle-maquette et du modèle économique présentée par Eyquem Renault (2011). Cet auteur
parle également du modèle exemple, qu’on trouvera évoqué par Baden-Fuller et Morgan (2010).
253
En considérant son entreprise comme un système complexe, tout dirigeant doit en effet
considérer l’ouverture de celui-ci sur d’autres systèmes et organiser les choses de façon
adéquate, c’est-à-dire en composant à la fois avec des nécessités opérationnelles et des désirs
stratégiques. L’organisation, qui est autant une dynamique qu’une entité résultant de celle-ci,
correspond à un agencement ou à une mise en ordre certes toujours relative à l’observateur
(Atlan, 1979). Organiser, c’est ordonner l’évolution des éléments (tangibles, intangibles, …
humains, non humains, …), dans un sens favorable à l’organisateur ; encore faudra-t-il que ce
dernier fasse partager son but aux acteurs qu’il souhaite impliquer en leur faisant voir l’ordre
qu’il tente d’établir et les inciter à y contribuer. Le dirigeant doit ainsi convaincre les parties
prenantes potentielles d’apporter les ressources de toute nature permettant d’organiser les
choses de sorte à atteindre le futur désiré. Comprendre une entreprise nécessite de mettre au
jour ce qui constitue le cœur des affaires grâce à une modélisation rendant intelligible
l’organisation afférente, laquelle ne se restreint pas à un organigramme ou à un processus de
fabrication, mais témoigne d’une dynamique de captation de ressources, d’organisation de ces
ressources pour fabriquer la valeur proposée (l’offre) et de proposer effectivement la valeur
fabriquée (Verstraete et al, 2010, p180).
La modélisation atteint son objectif à la condition d’être comprise par ceux à qui elle est
destinée par l’utilisation d’un langage approprié. Il convient alors, en quelque sorte, de
procéder à une traduction du modèle pour passer d’une représentation générique à une
traduction comprise par l’interlocuteur approché.
Ainsi, s’agissant de la traduction, quel que soit le système étudié, pour que l’image qui en est
donnée (représentation par un texte, un schéma, une formule mathématique, un récit … ou
une combinaison de plusieurs formes) soit assimilée par le destinataire de la connaissance
apportée, encore faut-il que le langage utilisé soit compris par celui-ci. Pour passer d’une
image représentative du système à une représentation cognitive (c’est-à-dire à la génération
d’un schéma mental créateur de sens pour celui qui apprend), il convient en effet de
transmettre selon un langage accessible. Pour une entreprise, cette transmission concerne un
sens relatif, à la fois, à une quête d’intelligibilité et à une direction à prendre pour atteindre un
futur désiré. Elle ne concerne pas uniquement le vocabulaire employé. C’est, entre autres, ce
qu’on pourrait tirer de la théorie de la traduction, qui ne se réduit pas à des considérations
linguistiques. Elle montre l’implication des différentes composantes du système en tant que
médiateurs ou intermédiaires pour lier l’ensemble (Callon et Law, 1988 ; Akrich et Callon,
2006). Ces composantes sont humaines (par exemple les parties prenantes) ou non humaines
(par exemple Internet). Autrement dit, cette théorie (appelée également théorie de l’acteur
réseau) considère tous les objets comme des acteurs potentiels d’un réseau. Au risque de
caricaturer, on pourrait dire que ces objets parlent, c’est-à-dire communiquent ou, plus
exactement, peuvent être considérés comme des médiateurs faisant tenir l’ensemble. Chacun
d’entre eux posent des problèmes, auxquels sont apportés des solutions par un jeu de
médiations stabilisant le système.
La théorie de la traduction n’est pas au cœur de notre conceptualisation du BM, néanmoins
elle propose un vocabulaire signifiant et elle est stimulante pour considérer le BM comme un
acteur aidant à la construction et au maintien du système entreprise (la théorie de la traduction
parlerait de point de passage obligé). Il s’agirait alors de réunir un groupe de départ,
impliquant un nombre réduit d’acteurs enrôlés pour l’occasion, c’est-à-dire que ces acteurs se
voient affectés une tâche au sein du système pour agir en tant qu’intermédiaires et, ainsi, lier
un réseau se développant en intégrant d’autres acteurs. La mise en relation des acteurs est
rendue possible par la traduction, c’est-à-dire par l’établissement d’un lien entre des enjeux a
priori hétérogènes. Dans notre cas, les acteurs humains (les fournisseurs, les salariés, les
254
entrepreneurs, les acteurs du développement local, etc.) ont des enjeux spécifiques mais
participent ensemble à un système se stabilisant, notamment par la voie du porte-parole
essentiel qu’est l’entrepreneur. Plus exactement, celui-ci est le traducteur du problème
générique et doit se faire accepter dans ce rôle, ce qui est facilité lorsque ce problème intègre
les attentes d’un collectif. Ce dernier point nous semble essentiel dans la création d’un sens
constituant la genèse du BM, c’est-à-dire la façon dont un ensemble partage la conception des
affaires envisagées. Si la théorie de la traduction aide à reconnaître le rôle essentiel de
l’entrepreneur (le porte parole) et du BM (point de passage obligé), la théorie des conventions
constitue le corpus que nous mobilisons pour expliquer la nature du BM, notamment le
partage ci-dessus évoqué.
1.2. La théorie des conventions pour expliquer la nature du Business Model
Verstraete et Jouison-Laffitte (2010), en reprenant Desreumaux (1998, s’appuyant sur
Barnard, 1938, et Simon, 1947), rappellent que l’équilibre de l’organisation dépend de
l’apport d’un ensemble d’acteurs attendant en retour une rétribution (ex : un salaire rétribuant
le travail d’un employé, un produit comme un paiement pour les clients, etc.). La relation est
durable si chaque partenaire est satisfait selon son propre système d’évaluation. Ce qui veut
dire qu’un possesseur de ressources (financeur pour l’argent, bailleur pour un local, salarié
pour son travail, …), avant d’apporter celles-ci, fait généralement plus ou moins explicitement
part de ses attentes. La solution au problème qui lui est soumis doit intégrer ces dernières. A
défaut, il ne s’engage pas. Ainsi vu, le problème générique posé par l’entrepreneur (par
exemple l’identification d’une demande non satisfaite), et auquel il voit une solution
profitable, nécessite de considérer les enjeux pour les parties prenantes potentielles. Il est posé
par un collectif exigeant. Verstraete et Jouison-Laffitte, qui travaillent le BM en contexte de
création d’entreprise, parlent de « cristallisation » des parties prenantes (et ils convoquent la
théorie afférente ; Freeman et Reed, 1983 ; Clackson, 1995 ; Donaldson et Preston, 1995 ;
…). Cette cristallisation autour d’un projet de création d’entreprise est liée à une
représentation collective faisant accord sur la façon de concevoir l’affaire en démarrage. Sans
cet accord, les chances de cristallisation sont faibles. Pour éclairer cette représentation
collective, les auteurs mobilisent la théorie des conventions. Ils partent (voir 2009, 2011) du
numéro de mars 1989 de la « Revue Economique » où sont posés les jalons d’un programme
de recherche sur la convention. Celle-ci n’est pas réduite à une coordination de nature
informative mais à une coordination de relations, pour envisager que l’échange marchand est
lié à un cadre commun de référence qui est une convention. Il ressort de leur revue de la
littérature que les acteurs d’un espace-temps partagent une base de connaissances communes
influençant leur comportement. La récurrence des situations traversées stabilise le système par
une coordination des acteurs qui, ce faisant, contribuent à l’émergence d’une représentation
collective les aidant à interpréter leurs propres comportements par rapport à un référentiel de
comportements communément admis dans l’espace-temps considéré (cf. Orléan, 1994). Outre
cet ajustement des comportements intersubjectifs, il y aurait un phénomène de mimétisme
(Gomez, 1994). L’idée n’est pas de dire que tout le monde va être conduit au même
comportement, mais la convention reste le résultat d’une combinaison entre des actions
individuelles, et en cela elle évolue, et un cadre contraignant les sujets (Dupuy et al., 1989).
Autrement dit, l’acteur décide aussi par mimétisme puisque ce cadre, permettant de préjuger
du comportement des autres, le guide d’autant plus que la situation lui paraît incertaine et
qu’il est hésitant. C’est ainsi que cette théorie répond à la gestion de l’incertitude en laissant à
l’acteur la possibilité de décider de son comportement par une combinaison de motivations ou
de capacités cognitives idiosyncrasiques et une représentation plus collective et régulée,
justement, par ces allers et retours entre l’individu et le système dont il est autant le produit
255
que la cause. Le cadre commun autorise les accords entre les individus agissant ; il peut se
désigner sous différents vocables : convention constitutive, paradigme, sens commun, modèle
cognitif, etc. (Eymard-Duvernay, 2006). Il permet de comprendre la coordination des
conduites humaines (Eymard-Duvernay et al., 2006).
Ainsi, selon Verstraete et Jouison-Laffitte, ce cadre commun autorise l’émergence d’une
entreprise autour de la façon dont une affaire est envisagée et, en étant soutenue par un
collectif, donne naissance à une convention constituant l’entreprise (action d’entreprendre)
pour donner lieu à la création d’une firme (l’entreprise en tant qu’entité). Chargé d’intentions,
d’une histoire sociale elle-même porteuse de règles ayant forgé son vécu expérientiel,
l’individu apprécie les conventions l’entourant. Cette appréciation suppose de comprendre
que les acteurs qu’il rencontre vont adhérer à son projet en fonction des conventions
influençant leur propre comportement. Autrement dit, son projet doit donner du sens, lequel
prend corps dans la convention qu’il va faire naître avec les acteurs convaincus le rejoignant.
Le BM est la traduction de cette convention rendant intelligible le système complexe qu’est
l’entreprise (qu’elle soit en création ou établie).
1.3. Faire « voir » le contenu de la convention pour faciliter l’exercice de conviction : un
modèle de Business Model
Au regard des deux sous-sections précédentes (1.1 et 1.2), nous faisons du BM la traduction
d’une convention (cadre commun partagé) créant du sens par, et pour, des parties adhérant
aux affaires proposées et participant à la construction de ces affaires par un apport de
ressources tangibles ou intangibles. L’entrepreneur, en tant que porte parole, présente la
convention en construction aux possesseurs de ressources approchés.
En transformant le BM en outil, celui-ci sert alors la mise au point du projet et l’exercice de
conviction consistant à faire adhérer les parties prenantes. A cette fin, et pour faciliter la
compréhension du destinataire du propos, le BM lui-même nécessite une modélisation pour,
en quelque sorte, le « faire voir » aux intéressés (en premier lieu le créateur lui-même). Par
faire voir, nous voulons dire une capacité à générer, dans l’esprit de celui qui reçoit le
message, un schéma cognitif fournissant l’intelligibilité dont il a besoin pour comprendre
l’affaire proposée et s’y projeter. Sans ce sens, il y a peu de chance qu’il participe au projet.
L’un des problèmes posé à l’entrepreneur est que l’individu à qui il s’adresse tend à
interpréter l’information selon ses schèmes du moment (Cossette, 1994), à partir des
situations antérieures qu’il a vécues (Moscovici, 1986), de ses émotions (Damasio, 1995), de
son engagement (Weick, 1979), etc. Il faudrait aller puiser dans les théories de la
représentation, par exemple des schémas causaux (Kelley, 1967, 1972), de l’attribution
(Heider, 1971, 1958), de la dissonance cognitive qui révèle l’homme comme rationnalisant
plutôt que rationnel (voir Beauvois et Deschamps, 1990), et bien d’autres. Nous ne ferons pas
une revue de la littérature en la matière, mais les connaissances pouvant en être tirées pour
notre objet de recherche montreraient que l’entrepreneur est devant la difficulté de vouloir
changer les choses alors que les individus à qui il s’adresse ont un fonctionnement cognitif
plutôt stable, surtout lorsque des représentations sociales figent un noyau dur particulièrement
difficile à atteindre en termes de changement (voir Jodelet 1989 pour un ouvrage générique
sur les représentations sociales, Abric, 1994a et b, pour la théorie du noyau central). Il faut
donc aider la structure cognitive à intégrer le BM en tant que représentation créant du sens
dans le système investi. Le créateur doit parvenir à produire, par une traduction, la génération
d’une image mentale représentative du BM. C’est cette image qui est signifiante pour le
destinataire du propos. Evidemment, l’entrepreneur procède à l’exercice à partir de ses
256
propres représentations cognitives qui ne sont pas l’exact reflet du BM en construction. Le
BM est le fruit d’une représentation collective, mais on admettra aisément que l’entrepreneur,
en tant que porte parole, est celui qui en a la représentation la plus complète ou au moins la
plus congruente. On notera aussi que plus le projet est innovant, plus l’exercice de conviction
peut être difficile (faire adhérer). Plus le projet est complexe, plus sa modélisation est utile
(quête d’intelligibilité). Si, de plus, on souhaite aider l’entrepreneur pour que la convention
émerge, puis se maintienne, il convient de lui fournir les outils aidant à imaginer ce qu’elle
peut être. Il faudrait, en quelque sorte, « modéliser le modèle » pour comprendre ce qu’il est
(sa nature), et ensuite y mettre du contenu. Après avoir discuté de sa nature (la convention
décrite précédemment), Verstraete et Jouison-Laffitte en ont proposé un contenu générique cidessous résumé. Ils considèrent, en se basant sur la littérature et en investissant des terrains
dans le cadre de la mise au point de projet, que le BM est un artefact social et en propose la
définition suivante : « le BM est une convention relative à la génération de la valeur, à la
rémunération de celle-ci et au partage de cette rémunération. Notre conception conduit à
parler de modèle GRP (génération, rémunération, partage). » (Verstraete, Jouison-Laffitte,
2009, p. 9 ; voir également 2011). Il est possible de considérer plus exactement le BM comme
étant soit l’artefact, soit la traduction de cette convention décrite par les auteurs.
La génération de la valeur comporte trois catégories de connaissance : la proposition de
valeur, la fabrication de celle-ci et le porteur du projet.
La « proposition de valeur » est une expression désormais répandue dans la littérature portant
sur le BM (Maître et Aladjidi, 1999 ; Osterwalder, 2004). Il s’agit de générer une offre
fournissant de la valeur à ceux à qui elle s’adresse, et en premier lieu les clients qui sont sans
doute les premières parties à convaincre pour voir les autres parties adhérer au projet
(l’objectif d’une étude de marché bien menée est de montrer l’existence d’un marché composé
de clients disposés à acheter). Si l’offre n’apporte pas de valeur, il y a peu de chance pour que
des consommateurs désirent l’acquérir (les écrits à ce propos sont évidemment nombreux, en
stratégie comme en marketing, sachant qu’on pourrait remonter aux thèses de Smith ou de
Ricardo). Bref, qui voudrait de quelque chose qui ne vaut rien ? Il s’agit de cerner l’utilité de
l’offre pour des segments de marché et des consommateurs identifiés, de clairement savoir
pour qui la valeur est créée, ce qui conduit également à apprécier la concurrence (Afuah et
Tucci, 2001 ; Magretta, 2002 ; Chesbrough, 2003 ; Morris et al., 2005). Le BM explique alors
pourquoi, d’une part, la clientèle ciblée trouve intéressante la proposition de valeur et
l’acquiert. Cette acquisition suppose que cette offre soit fabriquée et effectivement proposée
par un acteur auquel le système reconnaît une légitimité, notamment dans sa capacité à tenir
sa promesse (donc à fabriquer l’offre).
On ne réussit jamais seul, il faut échanger une valeur attendue par ceux qui apportent les
ressources de toute nature nécessaires ou utiles au projet d’entreprendre (donc qui a une
valeur pour celui-ci). Ainsi, à côté de la valeur attendue par les clients, on ne minimisera pas
les attentes des fournisseurs, des salariés, des financeurs, etc. La génération de la valeur est
rendue possible par la participation d’un réseau apportant ses ressources au projet. Ce réseau
est d’ailleurs déjà souvent impliqué dans une construction du secteur, lequel possède déjà son
architecture des échanges entre acteurs. Cette vision de l’entreprise n’est pas
fondamentalement nouvelle comme nous l’avons précédemment évoqué.
Tant que les partenaires sont satisfaits de l’échange, la relation est durable et l’entreprise
pérenne. La littérature sur le BM fait référence à un réseau de valeur (Shafer et al., 2005)
contribuant à la fabrication de la valeur. Le BM s’amende par les exigences des parties
prenantes potentielles rencontrées, évidemment sans croire pouvoir toutes les intégrer. Ce
qu’il faut, c’est emporter l’adhésion d’un nombre suffisant de parties prenantes en fonction de
257
l’ambition du projet, autant pour le démarrage de celui-ci que pour sa pérennité. Les
partenaires idéaux n’adhèrent pas toujours, mais le projet n’est pas forcément mis en péril.
Toutefois, la qualité du réseau réuni impacte le BM qui se construit en fonction des ressources
captées. Le BM dépend ainsi autant de la considération des attentes des parties prenantes que
de la qualité des ressources effectivement obtenues ou promises. L’adhésion des parties
prenantes appelle en conséquence une autre dimension du BM car une partie n’apporte la
ressource qu’en compensation de ce qu’elle tire de la relation d’échange. Cette dimension du
partage appelle un exercice de conviction car il ne faudrait pas croire en une compréhension
spontanée du modèle. L’espace investi est composé d’acteurs ayant des attentes de différentes
natures et le système s’est construit de sorte à ce que ces attentes soient satisfaites par des
échanges de valeur (analogie avec l’architecture de la valeur).
Evidemment, l’entreprise doit gagner quelque chose de tout cela, notamment contre la valeur
qu’elle apporte au marché. Verstraete et Jouison-Laffitte (2008, 2009, 2010) parlent de
rémunération de la valeur (elle correspond à ce que d’autres appelleraient le modèle
économique). Il s’agit de comprendre la manière (Maitre et Aladjidi, 1999), ou la logique
(Linder et Cantrell, 2001 ; Morris et al. 2005), ou les mécanismes (Chesbrough, 2003) ou le
plan (Kumar et al., 2003) permettant de capter des revenus. Bref, comment l’entreprise gagnet-elle de l’argent (Petrovic et al., 2001 ; Magretta, 2002 ; Morris et al., 2005) ? Comment
l’entreprise vend et achète des biens et services et gagne de l’argent (Osterwalder, 2004,
p.14) ? Une fois les sources et le volume des revenus identifiées (Timmers, 1998 ; Morris et
al. 2005), il s’agit évidemment d’apprécier le potentiel de gain (Dubosson-Torbay et al. ,
2002), aujourd’hui et demain (Rappa, 2000 ; Afuah et Tucci, 2001 ; Petrovic et al., 2001).
L’appréciation de ces gains nécessite de mettre au jour la structure des coûts et les marges.
Cette rémunération de la valeur est le prix payé par des marchés intéressés par ce qui est
proposé. Elle comporte a minima les sources de revenus, le volume de ceux-ci et une
estimation des profits (et donc évidemment une estimation des coûts).
Le modèle GRP peut être résumé par le tableau suivant.
Tableau 1. Les composantes du BM par le modèle GRP
Génération
Le(s) porteur(s) de projet (qui
propose l’offre ?)
Expérience
Motivations
Entourage
Etc.
Rémunération
Les sources des revenus
Les canaux
Les payeurs
Etc.
La proposition de valeur (l’offre)
Idée
Marché
Ambition,
Concurrence
Etc.
Le volume des revenus
Chiffre d’affaires
Part de marché (aujourd’hui
et/ou demain)
Eléments non financiers (ex :
notoriété)
Etc.
Les profits
Performance financière (marge,
seuil de rentabilité…)
Performance non financière
(climat social, notoriété, …)
Etc.
La fabrication de la valeur
(l’organisation)
Identification des ressources
Capacité à capter, à agencer les
ressources (organisation)
Capacité à délivrer l’offre
Etc.
258
Partage
Conventions et Conviction
Comprendre les conventions du
contexte. Exemples :
Du monde de la création
d’entreprise
Du secteur d’activité
Des univers des parties
prenantes
Etc.
Le réseau des parties prenantes
Identification des parties
prenantes potentielles et de leurs
éventuelles connexions
Optimisation des échanges
(gagnant-gagnant)
Etc.
L’architecture de la valeur
Mode de répartition actuel de la
valeur
Mode envisagé de répartition
futur de la valeur
Etc.
Ce tableau a été traduit en grille d’entretien pour investir le terrain des entreprises du
bâtiment 106.
2. Un cadre opératoire déployé sur le terrain des entreprises du bâtiment
pour des résultats montrant l’utilité du Business Model
La grille GRP sert la collecte des informations et la représentation du BM des entreprises du
bâtiment selon un protocole de recherche-action déployé pour répondre à la question de la
compréhension et de l’utilité du concept de BM pour ces entreprises.
2.1. Un cadre opératoire basé sur une recherche action
Susman et Evered (1978), dans un texte restant d’actualité, considèrent que les sciences de
l’organisation vivent une crise dont l’un des symptômes est une sophistication croissante de
méthodes inutilisables par les praticiens. Ces méthodes accumulent une connaissance sans que
les acteurs supposés être intéressés ne puissent la mobiliser, notamment parce que la
construction du savoir est trop souvent déconnectée des problèmes rencontrés par ces
praticiens. Les auteurs montrent qu’il s’agit d’une lacune que d’autres perspectives peuvent
combler sous réserve de ne pas verser dans le modèle unique de la science, donc en révisant
certains critères de scientificité (par exemple l’idée de « test »). Sans rejeter quelque méthode
que ce soit, il n’est pas déraisonnable de considérer qu’en Sciences de Gestion certains
problèmes nécessitent une définition commune (entre chercheur et acteurs du terrain étudié)
pour que le pilotage de l’organisation puisse utiliser la connaissance apportée par des
chercheurs qui, par ce principe, peuvent difficilement rester neutres. Susman et Evered
proposent la « recherche-action » (RA dans la suite du texte) comme une alternative
permettant à l’activité de recherche de rester en phase avec les problèmes auxquels les
praticiens font face. Elle nous semble être un cadre opératoire répondant particulièrement bien
au thème du workshop « de la théorie à la pratique ».
Notre RA s’appuie donc sur le processus cyclique proposé par Susman et Evered (figure 1).
Figure 1 : Le processus cyclique de la recherche action (Susman, Evered, 1978, p.588)
106
Cette grille fait plusieurs dizaines de pages et peut être envoyée aux lecteurs en formulant la demande aux
auteurs.
259
La RA est, historiquement, une méthode de recherche qualitative de type participatif où le
chercheur s’implique volontairement dans les systèmes sociaux qu’il étudie et apprécie, en
conséquence, l’évolution de la situation et/ou des comportements. Cette forme de RA s’inscrit
dans la lignée Lewinienne. Jouison-Laffitte (2009) relèvent les points communs des textes
légitimant la RA comme méthode scientifique : « la R.A. est un processus ; c’est une méthode
de recherche visant à résoudre des problèmes concrets en situation ; elle est mise en œuvre par
une collaboration entre les chercheurs et les acteurs de l’entreprise (l’implication de ces
derniers dans la recherche pouvant être plus ou moins reconnue selon les auteurs) ; son
objectif est de produire des connaissances scientifiques sur les situations étudiées. » (p.4). Elle
relève également le caractère cyclique de la RA (cf. tableau 1).
Tableau 1 : la recherche action, un processus cyclique (Jouison-Laffitte, 2009)
Références
Les étapes du cycle d’une recherche action
« Cycles itératifs » : (1) Identification du problème ; (2)
Argyris et al. (1985)
Planification ; (3) Action ; (4) Evaluation
« Processus cyclique » : (1) Définition du problème; (2)
Hult et Lennung (1980)
Planification de l’action ; (3) Mise en œuvre ;
(4) Retour des données; (5) Evaluation
« Cycle » : (1) Planification; (2) Action;
Lewin (1946)
(3) Découverte de faits à propos de l’action
Stringer (1996)
« Spirale » : (1) Regarder ; (2) Penser ; (3) Agir
« Processus cyclique » : (1) Diagnostiquer ;
Susman et Evered (1978)
(2) Planifier l’action ; (3) Réalisation de l’action ;
(4) Evaluer ; (5) Spécifier
Notre RA s’appuie sur le processus cyclique proposé par Susman et Evered (figure 1).
Chaque phase du processus est rappelée ci-dessous, en montrant comment elle s’est
concrètement exprimée dans notre recherche.
rception du problème, laquelle appelle une
négociation entre les parties réunies. Une demande explicite est spontanément formulée ou
émerge implicitement de la rencontre et des échanges entre le(s) chercheur(s) et le(s) ou le(s)
acteur(s) du terrain.
Le problème a émergé lors d’une première réunion par des échanges entre les chercheurs et
les représentants de la FFBG. Les deux chercheurs représentant l’équipe lors de cette
rencontre ont évoqué que celle-ci était à la recherche de partenaires pour la Chaire
entrepreneuriat et d’un terrain pour étendre le champ d’application des connaissances
précédemment apportées sur le BM (préalablement circonscrites au contexte de la création
d’entreprise). Du point de vue de l’équipe, la question afférente à ce problème serait : le BM,
tel que conceptualisé par l’équipe, peut-il dépasser le contexte de la création d’entreprise et
devenir un outil d’aide à la décision pour les dirigeants d’organisation (firme, association,
etc.) ? Lors de cette rencontre, la FFBG était représentée par le Président départemental, le
secrétaire de cette fédération et un jeune dirigeant d’entreprise. Ils ont formulé le souhait de
moderniser les pratiques de formation des jeunes dirigeants notamment pour aider les plus
ambitieux, c’est-à-dire ceux désirant faire croître leur entreprise. La FFBG est persuadée que
la petite taille des entreprises est l’un des problèmes du secteur dans le territoire géographique
concerné. La question caractérisant le problème pointé du point de vue de la FFBG serait :
quels moyens (ou outils) utiliser pour sensibiliser les jeunes dirigeant à la nécessité de
développer leur entreprise, voire les y inciter ?
260
Chacune des parties a écouté l’autre pour recevoir ses intuitions. Les échanges entre parties a
conduit à la question de recherche suivante : s’agissant de l’utilité du BM pour les jeunes
dirigeants d’entreprise du secteur du bâtiment, celui-ci est-il compris par eux et perçoivent-ils
l’intérêt de le mobiliser ?
Le souhait de croissance (la FFBG pensant que les petites entreprises du département doivent
gagner en taille) n’a pas été intégré à la question pour que celle-ci ne soit pas perçue comme
une nécessité. Au regard des échanges, il a aussi été précisé que la recherche concernerait les
jeunes dirigeants et pas la FFBG.
d’une RA, la notion de mythe rationnel de la RI (Hatchuel et al. 1986, in David, 1998) nous a
conduit à être un peu plus exigeant sur cette phase. Il s’agit d’une vision idéalisée de
l’organisation vers laquelle il faudrait tendre. Cette phase implique l’élaboration d’un modèle
théorique se matérialisant par un outil de gestion décliné sur le terrain étudié. Le BM mis au
jour est, dans une certaine mesure, déjà une vision idéalisée (nous y reviendrons), mais pas
celle d’un futur ou de souhaits vers lesquels il faudrait tendre. Nous ne sommes donc pas dans
une RI, mais le BM est bien un modèle théorique décliné sur le terrain de la FFBG.
Une réunion s’est tenue dans les locaux de l’Université avec 11 chercheurs, 5 dirigeants, 2
observateurs de la FFBG. Elle a permis de recevoir l’agrément des dirigeants sur la question
posée et un accord de chacun d’entre eux pour leur participation. L’objet du travail a été
présenté. Il a été clairement précisé que celui-ci ne pouvait pas s’assimiler à du consulting et
que les chercheurs, bien qu’étant en mesure de s’impliquer, n’étaient pas appelés à répondre à
un ordre de mission du donateur de la chaire. Le côté gagnant-gagnant de la relation a été mis
en exergue après que la notion de BM ait été présentée. Cette mise au point n’a pas remis en
question le souhait d’engagement des dirigeants, celui-ci était le bienvenu car il ne fallait
évidemment pas s’attendre à la moindre complaisance de chefs d’entreprise dont l’emploi du
temps est particulièrement chargé. Cette réunion a également permis de rappeler quelques
soubassements théoriques du modèle GRP, en prenant le soin de vulgariser le propos et ne pas
rester attaché à un vocabulaire trop académique. Il s’agissait néanmoins d’affirmer que le
travail s’inscrit avant tout dans une perspective scientifique, laquelle a été unanimement
acceptée par les jeunes dirigeants. En ce sens, le BM est apparu comme un outil permettant de
construire une version idéalisée de l’entreprise et le GRP comme l’outil à décliner, les
dirigeants réagissant déjà sur les points d’illustration présentés.
S’agissant de la planification de l’action, lors de cette réunion a été décidé qu’un binôme de
chercheurs travaillerait en collaboration avec un dirigeant d’entreprise dans le but de mettre
au jour le BM de celle-ci. Ce BM, en tant que traduction, peut dans une certaine mesure
représenter la vision idéalisée de l’entreprise car les chercheurs se sont basés sur des
entretiens essentiellement avec le(s) dirigeant(s), des données secondaires venant compléter
les données à traiter. Le BM étant par nature une convention, il faudrait, pour y avoir accès de
façon moins idéalisée, rencontrer un nombre significatif de parties prenantes pour, en quelque
sorte, dessiner la convention.
inspiré cette phase puisque qu’elle insiste sur l’utilisation de l’outil (expérimentation). Celleci provoque des réactions centrées sur la modélisation théorique de l’organisation sousjacente. L’intervention inhérente à cette phase engage le chercheur qui renonce alors à sa
neutralité pour prendre activement part à l’action (cf. Sardas et Guénette, 2003 ; Savall et al.,
2004). Le chercheur assume l’influence qu’il aura inévitablement.
261
Les jeunes dirigeants ont participé à la formulation du BM de leur organisation selon le
modèle GRP présenté dans la section précédente. Pour ce travail, les chercheurs avaient
préalablement travaillé la grille à utiliser pour investir le site à partir de travaux antérieurs
menés dans le contexte de la création d’entreprise (Jouison, 2008 ; Verstraete, JouisonLaffitte, 2009). Le changement de contexte a conduit à adapter la grille pour renseigner les
catégories G, R et P du BM. Cette mise au jour du BM a produit, le cas échéant, des
discussions à propos des écarts se dessinant entre le BM idéalisé par l’entrepreneur et le BM
perçu par les chercheurs analysant les données collectées et se basant sur des pratiques
repérées. Pour chacun des 5 sites, 3 accès de plusieurs heures au terrain ont été nécessaires
pour réaliser l’action et faire émerger la représentation que les dirigeants ont du BM. Toutes
les rencontres ont été enregistrées, et autant les bandes sonores que les matériaux collectés
étaient à la disposition de l’ensemble des chercheurs de l’équipe.
rencontre collective entre chercheurs a été organisée au cours de laquelle un premier bilan
s’est effectué de la façon suivante. Après un échange collectif sur les conditions du
déroulement de la recherche, lequel rapportait de façon positive à la fois la disponibilité des
dirigeants et leur implication dans le programme, chaque binôme de chercheurs a présenté aux
autres le BM en cours de traduction (grâce à un diaporama). Il est ressorti de cette réunion la
nécessité d’aller plus loin sans tomber dans la consultance. A partir du BM mis au jour, il a
été décidé d’en identifier les points de vigilance et les points d'appui. A ce titre, la méthode
PMI (Plus ou Moins Intéressant) a été retenue pour, dans un tableau, et par composante
générique du BM (c’est-à-dire G, R et P) mettre en exergue le ou les points positifs majeurs
(P), les principaux points négatifs (M) et ce qu’il serait intéressant de faire (I) pour améliorer
la situation 107. Cette action supplémentaire a conduit à un nouvel accès terrain servant
également en partie la phase suivante du cycle de la recherche.
recommandations de Verstraete et Jouison-Laffitte (2009) et rédige une première version du
BM en une dizaine de pages (premier type de visualisation) et réalise un diaporama
(deuxième type de visualisation) à l’aide d’un logiciel dédié. Ces deux formes de
représentations du BM sont discutées avec le dirigeant. Les discussions (lors de cette
rencontre, puis par mails) engagées autour de l’amendement des premières versions
permettent d’apprécier l’apprentissage réalisé par les chercheurs (sur l’entreprise et son
secteur) et celui réalisé par les dirigeants apprenant l’outil. La première manifestation de la
pertinence du BM, et hormis le protocole déployé. Il en résulte que le BM est un outil
pertinent pour comprendre le BM d'une entreprise existante et qu’il est un outil pour prendre
du recul et voir son entreprise sous un angle nouveau. Pour mieux spécifier l’apprentissage et
identifier les résultats (apports et limites du travail notamment), une réunion générale s’est
déroulée dans les locaux de la FFBG en présence du Président départemental et du délégué
national aux relations avec l’enseignement supérieur, du secrétaire général de la FFBG, des 11
chercheurs et des 5 dirigeants, d’un observateur de la FFBG, également jeune dirigeant mais
n’ayant pas été un lieu d’étude. Lors de cette réunion, l’objectif a été d’exposer, en une
quinzaine de minutes, le BM de l’entreprise à l’ensemble des autres participants de la
recherche. Cette présentation est faite par le binôme de chercheurs et le dirigeant. Cette
démarche implique ce dernier dans l’apprentissage du BM. Dans notre recherche, cette phase
s’est combinée à la précédente car les discussions préalables à la présentation ont conduit à
107
Carrier (1997) nous rappelle que la méthode PMI a été mise au point par de Bono. Dans le cadre de cette
recherche, elle n’a pas été utilisé pour un travail de créativité, mais pour relever les points forts, les points faibles
et les aspects méritant d’être travaillés au regard du « diagnostic » effectué.
262
évoquer les possibilités d’agir sur certains leviers d’action identifiés lors de la mise au jour du
BM. Autrement dit, si celui-ci a été essentiellement un outil de diagnostic, parce qu’il lie la
stratégie aux opérations à conduire, il a provoqué, non pas encore des scenarii possibles, mais
des possibilités d’amélioration que le tableau PMI a aidé à mettre en évidence.
L’anonymat étant proposé, une enquête (cf. annexe afférente) a été menée auprès des
dirigeants pour apprécier leur satisfaction de la démarche et leur sentiment explicite sur leur
apprentissage de l’outil. Ainsi, il fut possible de savoir si la réponse à la question de recherche
était explicitement positive ou négative. Le protocole avait, en amont, certes permis
d’anticiper cette réponse puisque très vite les dirigeants se sont impliqués et ont compris
l’intérêt de maîtriser l’outil qu’ils apprenaient chemin faisant. Les éléments de l’analyse (cf.
section 2.2) vont également sans ambigüité, dans ce sens. Mais, dans le cadre de la recherche
dans une rubrique « de la théorie à la pratique », il a paru utile, pour ne pas dire nécessaire,
d’interroger les dirigeants sous cette forme. A l’unanimité, la réponse à la question de
recherche a été positive. Mais au-delà d’un strict « oui », elle a été agrémentée de remarques
présentées dans la section relative à la discussion (section 2.2).
La réunion a été également l’occasion d’une discussion générale, durant laquelle le souhait de
prolonger la relation ainsi que des attentes pour la suite ont été explicitement formulés par les
différentes parties. Les suites pourraient conduire au processus de changement
(transformation réciproque de l’outil et de l’organisation) appelé par la RI.
L’accompagnement de la transformation passe notamment par la mise en place d’un suivi et
d’une analyse de l’évolution de l’organisation (processus d’apprentissage des membres de
l’organisation et du chercheur sur la solution apportée au problème rencontré). Au-delà de la
transformation induite par l’intervention, Plane (1997) considère que la recherche doit
permettre aux acteurs de développer une capacité d’introspection et de conceptualisation, ce
qui est déjà en partie atteint dans notre recherche.
un nouveau cycle. Les cinq phases précédentes
constituent une boucle du processus évoqué par Susman et Evered (1978). Une nouvelle
boucle s’est, en quelque sorte, amorcée suite à la réunion de débriefing tenue le matin, le
début d’après-midi a été le lieu d’une réunion du comité de pilotage de la recherche. Elle a
permis de relever le souhait de partir vers une nouvelle recherche. Les chercheurs ont, après
ces différentes phases, engagé des discussions sur le retour à la théorie, c’est-à-dire l’apport
de la recherche au concept de BM (cf. la discussion).
263
Le tableau suivant regroupe les phases de travail de notre recherche.
Tableau 3. Les phases de la recherche-action.
Phase
1. Identification et
définition du problème
Date ou période
17 juillet 2009
2. Discussion du
problème et planification
de l’action
22 janvier 2010
3. Déroulement de
l’action
De janvier à juin
2010
4. Evaluation de l’action
13 juillet 2010
5. Apprentissage,
résultats généraux
30 novembre
2010
18 février 2011
Résultat
Réunion entre chercheurs et représentants du secteur pour
aboutir à la formulation du problème et de la question suivante
: le BM est-il compris par les jeunes dirigeants d’entreprise du
secteur du bâtiment et perçoivent-ils l’intérêt de le mobiliser ?
Réunion entre chercheurs de l’équipe et dirigeants pour discuter
la question de départ et l’objet du travail, pour évoquer le
principe de la recherche action et aborder le déploiement de
celle-ci.
Il a été décidé de constituer des binômes de chercheurs mis en
relation avec un dirigeant (10 chercheurs pour 5 dirigeants)
pour mettre au jour une représentation du BM.
Mis au point du protocole d’accès au terrain, adaptation du
GRP. Pour chacun des 5 sites, 3 accès de plusieurs heures au
terrain pour mettre au jour la représentation du BM.
Rédaction de la représentation du BM en 9 pages formatées,
réalisation d’un diaporama. Mise en exergue des points positifs,
des points négatifs et des perspectives.
Restitution du travail lors d’une réunion avec les participants à
la recherche et quelques représentants FFBG.
Remise du rapport de recherche.
Ces phases ont été déployées sur le terrain de cinq entreprises œuvrant dans le secteur du
bâtiment (tableau 4).
Tableau 4. Les sites investis par la recherche
Nom de l’entreprise
Noms des dirigeants
Structure juridique
AA
C
SAS
Année de création de
l’activité
Métiers de l’entreprise
1981
SBC
HN et KN
3 structures
SAS, SARL, SARL
1972, 1981, 2002
Electricité
Courants forts
et faibles
Constructeurs de
maisons
individuelles
1 911 k€
(en 2009)
15
3
Dernier CA connu (HT)
Effectif moyen annuel
équivalent temps plein
(hors intérimaires)
Effectif moyen en
intérimaires (équivalent
temps plein)
AS
UQ
SAS
D
NH
SAS
E
DC
SARL
1919
2005
Fermeture du
bâtiment
Peinture
intérieure
bâtiments
collectifs
3 500 K€
(en 2009)
20
1986, rachat en
avril 2007
Second œuvre du
bâtiment
(aménagement
d'espaces
professionnels désamiantage)
4 284 k€
(en 2009)
23
2 208 k€ (en
2009)
19
1 120 k€
(2009)
16 salariés +
4 TNS
0
0
2à3
(remplacements
ponctuels)
0
2.2. Discussion des résultats sur la compréhension du BM et de son utilité
Le déroulement de la recherche a favorisé l’instauration d’une confiance, même si parfois
quelques réserves ont été formulées sur la communication des données chiffrées, davantage
par humilité que par culte du secret.
Le dirigeant E a été tout d’abord été surpris lorsque nous avons évoqué la
rémunération la valeur. Les ratios calculés faisant apparaître la destination des
264
investissements et le coût des fournitures. Il nous a affirmé qu’il en parlerait avec son
frère chargé de la comptabilité (juillet 2010, entretien non enregistré).
Le dirigeant de PME prend rarement spontanément un temps de recul, la recherche en a fourni
l’occasion. L’implication croissante de ces derniers dans la recherche est un témoignage du
sens apporté par l’outil. Chemin faisant, le vocabulaire relatif au GRP (génération de la
valeur, rémunération de la valeur, partage) ou utilisé par les spécialistes du BM (proposition
de valeur, réseau de valeur, …), apporté par chaque binôme de chercheurs, a progressivement
été assimilé par les dirigeants et intégré à leur vocabulaire, parfois assez tôt, parfois au terme
du travail.
Dirigeant E : « rémunération de la valeur, vous voulez dire quoi ? ». « ce que
m’apporte ce fournisseur ? ah ok, c’est en effet important de se poser cette question… »
(avril 2010)
L’un des dirigeants SBC a utilisé le terme de BM pour la première fois dans sa
présentation orale devant ses confrères, en ayant bien saisi sa portée, alors qu’il
n’avait jamais employé celui-ci lors des entretiens préparatoires.
Le support pour la présentation du 30 novembre 2010 a été validé et finalisé avec
l’implication de la dirigeante D. Dans un email expédié le 23 novembre, la dirigeante
indique : « Je vous attends comme convenu demain. Je me suis permis de faire des
commentaires dans le document que vous m’avez transmis. ». Par ailleurs, lors de la
présentation, la dirigeante commente les propos des chercheurs avec pertinence. Le
chercheur : « Sur le plan de la génération de la valeur, aujourd’hui, le gros atout de
l’entreprise… c’est justement sa capacité à tenir sa promesse. C’est-à-dire que le client
perçoit la valeur que D souhaite lui délivrer. On a donc ici une adéquation entre les
besoins du marché et l’offre qui lui est apportée. ». Et la dirigeante commente : « la
seule petite différence c’est que si quelqu’un vient et nous demande de lui faire un
mouton à 5 pattes et bien nous on lui fait. ». Lors de la réunion collégiale du 13 juillet,
le binôme a présenté la grille GRP à la dirigeante D (absente lors de la réunion de
lancement du protocole de recherche présentant le modèle) qui a immédiatement fait le
lien avec l’ensemble des questions posées lors des trois premières rencontres : « Ah, je
comprends mieux pourquoi vous m’avez posé toutes ces questions. ». Son implication a
été remarquable dans l’effort de représentation de son BM. Lors de la rencontre
préparatoire du 24 novembre, la dirigeante avait exprimé le souhait de ne pas prendre
la parole le 30 ou le moins possible, « juste pour compléter » alors que, dans les faits,
le 30 novembre, elle a très activement participé à la présentation.
Au cours des entretiens liés à la partie P, remplir la matrice de parties prenantes a été
un exercice particulièrement stimulant et ludique pour une jeune dirigeante (AA) qui
s’en est littéralement emparée : « Je vais la remplir moi-même : ça me parle votre
tableau ».
Si les interactions lors des accès terrain a permis d’apprécier l’intégration du vocabulaire, il a
été remarquable de le constater lors de la présentation finale des BM à l’ensemble des
protagonistes de la recherche. Si les dirigeants n’appellent pas tous spontanément ce
vocabulaire, les compléments apportés par chacun d’entre eux aux propos des chercheurs ont
bien montré la compréhension du concept et de ses composantes, voire de sa nature, c’est-àdire une convention. C’est la dimension P (partage) du modèle GRP qui semble permettre
l’apprentissage de cette nature. Evidemment sensible au réseau d’affaires, le BM accentue
l’importance des relations à entretenir par une relation d’échange avec les parties prenantes à
apprécier et parfois à améliorer.
265
Discussion engagée entre les deux dirigeants de l’entreprise SBC : « Moi je vois plus
l’aspect administratif, toi tu vois plus l’aspect technique (…). Là, c’est la photo de tout
ce qui se passe. On voit que tout le monde y trouve son compte » (mai 2010).
AA : « Le BM va être très pratique pour faire passer des choses à notre comptable … ».
Dans le cas concerné, la comptabilité de l’entreprise est assurée par une personne qui,
bien que compétente pour assumer ces tâches, les réalise sans aucune procédure
explicite. Le BM est utilisé ici comme un outil de communication pour pointer un
dysfonctionnement tout en dépersonnalisant l’origine de la remise en cause : l’accord
se fait autour de la convention au-delà de la personne du dirigeant.
Le travail sur le BM conduit le dirigeant à se poser des questions qu’il ne se pose jamais ou
rarement. Le BM permet par exemple d’envisager d’élargir le cercle des partenaires, c’est-àdire d’intégrer l’idée que les parties prenantes ne sont pas restreintes aux proches
collaborateurs ou à ceux rencontrés fréquemment.
SBC « Ah, oui, avec ce fournisseur, c’est particulier. On n’a pas vraiment un contrat,
enfin, c’est plutôt un contrat moral (…) On est partenaires ; par exemple on est affiché
sur leur site internet ».
Après une heure du premier entretien, le dirigeant de l’entreprise AS évoque
l’importance du choix du préleveur (BM de désamiantage) prestataire extérieur qui
analyse la qualité de l’air après désamiantage : « on a fait le choix d’un préleveur un
peu cher, mais il apporte quoi ? il permet en étant réactif de gagner du temps sur la
réalisation du chantier ». Dans un autre entretien au moment où il découvre le réseau
de relations il prononce la phrase suivante « il est compliqué ce réseau de relations, et
puis ensuite il y a la dynamique entre tous les éléments ».
Le binôme a présenté une matrice élargie des parties prenantes à la dirigeante de
l’entreprise D qui a suscité un certain intérêt. Elle a notamment pris conscience
qu’elle était une entreprise internationale (fournisseurs espagnol et belge). Par
ailleurs, alors qu’elle ne parlait que de fournisseurs au début de l’entretien, la
dirigeante distingue au fur et à mesure des échanges ceux qu’elle désigne par
« partenaires » de ceux qui restent des « fournisseurs ».
Les affaires sont alors à redéfinir selon un cercle plus large, c’est d’ailleurs à cette redéfinition
du BM (sa régénération, cf. Benavent et al. 2000), que la suite de la RA pourrait se consacrer,
comme l’ont demandé explicitement certains dirigeants.
E : « maintenant, c’est vrai on peut rajouter les sous-traitants… ils pensent comme
nous, ils nous ressemblent dans la façon de travailler. Même si on ne fait pas souvent
appel à eux, il faut les considérer. Après il y a aussi des entreprises en nettoyage en
sous-traitants, ce n’est pas notre travail, ils font partie des parties prenantes. » (avril,
2010).
Si le co-apprentissage est remarquable lors de la présentation finale des BM, il s’est manifesté
bien en amont par l’intervention des dirigeants dans la rédaction du BM, puis la réalisation
des diapositives, et les discussions qu’occasionnaient ces traductions formelles.
E. « çà, c’est vraiment ce qui nous distingue… une réalisation et un suivi rigoureux des
chantiers (…) Ce suivi rigoureux permet à notre entreprise de tenir les délais et d’éviter
différents surcoûts et pertes », (dirigeant lors de la relecture du BM, octobre 2010).
SBC insiste sur le fait que l’assureur doit être mis dans le schéma de présentation du
BM car c’est un partenaire essentiel. Grace à un partenariat très ancien et sans
sinistres, SBC économise plusieurs pourcents de chiffre d’affaires en frais d’assurance
(juin 2010).
266
Les dirigeants ont ainsi vu, chemin faisant, apparaitre leur BM. Ce qui aurait valeur
d’anecdote est en fait une donnée marquante : à la lecture de la première version de l’effort de
rédaction du BM, l’un des dirigeants (AA) n’a pu contenir l’émotion provoquée une
représentation aussi fidèle, bien que synthétique, de l’image qu’il se fait de son entreprise.
« Tout est là, mon entreprise, la vie de mon père, ça tient dans ces pages ».
Ce type de réaction est peu évoqué en recherche en Sciences de Gestion ; il est peut-être tout
simplement rare. La modélisation permet de voir, et cette visualisation touche le dirigeant trop
souvent « le nez dans le guidon » ou « les mains dans le cambouis ».
Au moment de la construction des diapositives sur la présentation finale, le dirigeant AS
se montre très intéressé par la diapositive avec les parties prenantes proposée par le
binôme de chercheurs. Il trouve cette diapositive très concrète « j’ai tiré de mon père
une valeur : la fibre entrepreneuriale, de ma femme le partage, de mes enfants le
soutien. Je dois leur apporter épanouissement, ce serait bien, mes enfants c’est sûr, le
reste je ne sais pas… ». Toujours au moment de la construction commune des
diapositives et autour du diaporama proposé « et après, il y a une autre phase ?
l’intérêt du modèle c’est qu’il est construit, une fois qu’il est fait on peut travailler.
Mais c’est moi qui suis en avance ». Le dirigeant a perçu l’intérêt du BM, il souhaite
poursuivre l’expérience ce qu’il exprimera d’ailleurs à d’autres reprises.
La recherche montre qu’un travail sur le BM constitue un apprentissage de la convention. Ce
faisant, ce travail questionne sur les autres niveaux de conventions avec lesquels compose le
BM.
Le dirigeant SBC explique que, de plus en plus, pour construire des maisons, il faut
pouvoir maîtriser du foncier et donc traiter avec les forestiers : « Ce sont des gens
qu’on aborde d’une certaine façon. Ils sont attachés à des valeurs (…). Ce n’est pas le
premier venu qui va être accepté » (mai 2010).
Les conventions du secteur d’activité en sont un exemple. Les dirigeants réclament d’ailleurs
un travail sur ce niveau. L’équipe est d’ores et déjà à la recherche du vocable le plus
approprié pour qualifier ce type de convention, l’expression BM étant réservée au niveau de
l’entreprise et non du secteur.
E. « Le problème, c’est ces règles d’action du secteur d’activité. Nous, on veut faire de
la qualité (…). Si on se conforme au secteur et à ce que nous demandent nos clients,
on pourrait faire bien moins (…) mais non, ça ne nous intéresse pas (..). C’est à la fois
une force et une différence qui peut nous nuire, c’est vrai. » (mai 2010).
Dès la première rencontre en entreprise, le dirigeant AS, alors qu’il présente son
entreprise, prononce la phrase suivante : « il faut définir son modèle, il faut travailler
un peu différemment des autres, on ne sous-traite pas son cœur de métier ». Pour ce
dirigeant l’intérêt du BM est apparu très tôt.
Le travail sur le tableau PMI a également été éloquent. D’une part, il a d’abord permis la
formulation des points forts et des points faibles du BM tel que présenté. D’autre part, il a
ouvert des perspectives de recherche puisque la colonne « il serait intéressant » invitait à
retravailler certains éléments du BM ou à étudier les actions pouvant être mis en œuvre pour
davantage mettre en avant un point positif (exemple : accentuer la communication sur une
compétence maîtrisée) ou pour travailler un point négatif afin de minimiser l’impact qu’il
pourrait avoir.
267
AA : pour ce cas, le travail a été à l’origine d’un changement stratégique – un
changement de cible – que le dirigeant pressentait et que l’analyse du BM a confirmé,
facilitant la prise de décision.
D : La mise au jour du BM et l’utilisation de l’outil PMI ont permis à la dirigeante de
formuler et de pondérer les leviers d’action à sa disposition pour faire évoluer
positivement son entreprise :
- Accent mis sur la nécessité de relancer le processus de transmission
- Responsabilisation possible de son frère et d’autres salariés de l’entreprise
(notamment le chef d’atelier) pour la seconder sur la dimension technique du métier
- Amélioration de la communication sur la valeur créée pour les salariés en vue
de réduire le turnover
- Mise en œuvre d’une véritable politique de prospection commerciale…
En conséquence, les dirigeants sont très intéressés pour une poursuite du travail, en ouvrant la
perspective d’une recherche conduisant à la formulation d’une version idéalisée du BM puis
des actions à mener pour passer du BM ici travaillé à cette version idéalisée.
SBC : « Cela peut-être pour nous un outil pour se regarder de l’autre côté du miroir
(…). On sait qu’il faut changer en permanence. Rien que quand vous changez de
conducteur de travaux, il faut changer les procédures ! » (mai 2010)
E : « oui, réfléchir à cet outil pour pouvoir faire mieux », (octobre 2010).
Conformément aux engagements pris auprès de la FFBG, les cinq entrepreneurs ayant
participé au projet de recherche ont rempli, à l’issue de la présentation finale du BM de leur
entreprise, un questionnaire (anonyme) de satisfaction. Le but de cette enquête est double : il
s’agit de recueillir le ressenti des dirigeants concernant le déroulement du projet et d’évaluer
ce que l’outil BM leur a apporté, à titre personnel et pour leur entreprise. Le questionnaire a
été auto-administré par écrit.
L’analyse des réponses montre que les dirigeants sont « plutôt » ou « tout à fait satisfaits »
d’avoir participé au projet. Les dirigeants reconnaissent la qualité des réunions en séance
plénière qui ont réuni les 5 dirigeants et les représentants de la FFBG et l’équipe des
chercheurs au complet. Les relations avec les équipes de chercheurs (capacité d’écoute des
chercheurs, capacité à réfléchir ensemble) sont jugées très satisfaisantes par l’ensemble des
participants. Ces résultats traduisent l’implication des acteurs face au projet et la bonne
compréhension des règles de la RA. Lorsque les chercheurs ont quitté leur position de
neutralité, leurs actions ont été acceptées voire encouragées par les entrepreneurs, au titre de
la « franchise » et de l’« ouverture d’esprit ».
Concernant l’apport du projet, les dirigeants soulignent l’utilité de la RA : ils sont deux à être
« tout à fait d’accord » et trois à être « plutôt d’accord » pour affirmer que le projet a été utile
pour eux et pour leur entreprise. Le taux d’adhésion s’accroît lorsqu’il s’agit du texte écrit de
9 pages 108, jugé « très utile » par 3 des 5 dirigeants et « utile » par les deux autres. Plus
précisément, les dirigeants ont apprécié « le fait de se poser et de réfléchir sur les outils de
gestion pour voir les améliorations ou mettre le point sur les faiblesses ». La dimension
« diagnostic » du BM est ainsi bien comprise. Elle ressort spontanément dans le discours des
répondants qui ont apprécié de « voir » leur entreprise grâce au BM. Parmi les apports de
l’outil figurent ainsi « la formalisation » et « la retranscription des informations par le
binôme » qui renvoient au pouvoir de sens et de visualisation du BM. Loin de rebuter les
dirigeants, l’effort de co-rédaction avec les chercheurs et la mise au point des diapositives de
présentation ont permis aux dirigeants de construire une version lisible et structurée de leur
108
Les congressistes peuvent s’adresser aux auteurs pour recevoir une copie.
268
entreprise. La prise de recul est également citée par tous les participants comme l’un des
points les plus positifs du travail mené (« le temps pris a permis de prendre du recul », [j’ai
apprécié le fait d’avoir] « une remise en question », « un autre regard »).
Le ressenti face au projet, exprimé par les participants, permet ainsi de répondre
favorablement à notre question de recherche : de l’avis des utilisateurs, le BM a servi les
jeunes dirigeants du bâtiment à au moins trois niveaux. Il les a servis dans leur diagnostic sur
les trois dimensions du modèle (génération, rémunération et partage), dans leur propre regard
face à leur entreprise (« prise de conscience plus importante »), et enfin dans le fait de faire
émerger des préconisations pour le futur (« le projet a permis de mettre à plat un certain
nombre de choses, notamment sur les évolutions de l’entreprise », [de dégager des] « axes de
travail »).
Non seulement l’outil est jugé utile à titre individuel, mais il prend, dans le discours des
acteurs, une dimension collective que l’on pourrait qualifier « de branche ». Les répondants
recommanderaient unanimement l’outil à leurs confrères du bâtiment, membres de la FFB,
d’une part. Ils évoquent une attente « des propositions générales autour de nos entreprises ».
L’un des dirigeants, avec prudence, ne se prononce pas sur le contenu de la suite « à
déterminer ». Trois d’entre eux appellent à un suivi et un accompagnement dans la mise en
action des préconisations dégagées (« actions de transformation », « mettre en place des
actions dans le réel », « mettre à exécution mes projets »). Le souhait de poursuivre le projet
s’accompagne parfois d’une démarche intellectuelle (aller plus loin « par curiosité »,
« approfondir la réflexion »), mais également d’une demande de conseil implicite que les
chercheurs ne sont pas en mesure de satisfaire (« avoir des entretiens plus courts et plus
nombreux »).
Deux autres apports de la recherche, moins directement liés à la question de recherche,
peuvent être mis en avant : un apport méthodologique, un apport empirique.
Le travail réalisé fait apparaître un apport méthodologique qui s’exprime par une RA
impliquant 11 chercheurs. Ce n’est pas fréquent. C’est même résolument nouveau s’agissant
de l’objet BM pour lequel les essais sont plus courants que les recherches empiriques.
S’agissant d’un apport empirique, sans équivoque, le BM peut sortir de son contexte originel,
les start-up, pour être utilisé avec des organisations existantes. La modélisation du modèle, à
savoir le GRP, s’est avérée pertinente.
Le dirigeant E a apprécié la visualisation co-construite du modèle. Il a posé des
questions sur les schémas, les a compris puis corrigés (juillet 2010, entretien non
enregistré). Il s’est montré particulièrement satisfait lors de sa présentation finale en
novembre, heureux et un peu surpris à la fois de « posséder » désormais le modèle,
s’appropriant pleinement l’outil lors de la présentation orale aux autres dirigeants.
Les dirigeants de SBC ont pour leur part insisté à plusieurs reprises sur le fait que le
BM d’une entreprise doit être revu dans le temps car les attentes des uns et des autres
évoluent. Ils rappellent notamment que, lorsqu’ils ont repris l’entreprise, un BM était
en place et ils ont été contraints de le modifier : « On avait le personnel qui était là.
Mais dans l’entreprise, quand on a commencé à produire des statistiques pour mesurer
ce que chacun apporte, on s’est mis tout le monde à dos » (mai 2010). En cinq ans, tout
le personnel, pourtant ancien, était parti.
On remarquera que, comme outil de diagnostic, il a été nécessaire de préciser les composantes
du modèle. Si le GRP se précise lors de la mise au point du projet de création d’entreprise, il
269
compose avec les foisonnants détails d’une entreprise existante. Par exemple pour la
dimension R (rémunération), une fois le cadre de la collecte et celui de l’analyse redéfinis,
elle a été toutefois plus facile à mettre en œuvre dans ce contexte, un historique (par les
documents de synthèse et autres éléments communiqués par les dirigeants) permettant de
l’apprécier de façon évidemment moins spéculative. Il en est de même s’agissant par exemple
de la fabrication de la valeur (dimension G), des visites de l’entreprise ou de chantiers
permettant de voir certaines parties de la chaîne de valeur, le dirigeant prenant un évident
plaisir à commenter, c’est-à-dire à expliquer comment tel ou tel partie du processus était mis
en œuvre
AA : en outre, le modèle GRP a continué à être fructueux plusieurs semaines après les
échanges avec les chercheurs. En effet, un des dirigeants s’est servi du BM rédigé pour
alimenter les rubriques de son nouveau site web.
Le dirigeant AS envisage de créer un petit groupe (ajouter de nouvelles activités à son
entreprise), le travail sur le BM est pour lui le moyen de tester la faisabilité de cette
vision stratégique.
Au registre des limites, on relèvera principalement une certaine frustration à ne pas avoir été
plus loin dans le travail, par exemple concernant le rôle que pourrait jouer le BM comme outil
de réflexion (pour les dirigeants) au delà de l’outil de diagnostic. La visualisation des BM
favorise un caractère émancipatoire (à l’instar de la cartographie cognitive, cf. Audet, 1994),
c’est-à-dire qu’elle aide à penser à des choses auquel l’acteur ne pense pas en l’absence de
cette visualisation. Le BM peut à ce titre faire l’objet d’une utilisation créative, une méthode à
concevoir le transformant en outil d’essence heuristique (ce que font Osterwalder et Pigneur,
2010). Le travail sur le tableau PMI a, comme indiqué précédemment, également généré une
attente pour un travail sur une version idéalisée ou souhaitée.
Une autre limite tient à l’échantillonnage, puisque les dirigeants ont été en quelque sorte
recrutés par la FFBG. On peut imaginer que les participants ont ainsi été sélectionnés pour
leur capacité à savoir se rendre disponible, ce qui n’est pas évident comme ont pu le constater
les chercheurs. Il s’avère que, finalement, tous les dirigeants ont offerts une disponibilité
supérieure à ce qui pouvait être attendu, l’intérêt perçu du BM n’étant pas étranger à cet
engagement.
La dernière limite significative est apparue lors de la présentation « publique » des BM (phase
5). Chaque trinôme (2 chercheurs, 1 dirigeant) , tout en restant sur le modèle GRP, a construit
la représentation du BM selon des formats textuels et graphiques singuliers. Il y a en la
matière nécessité de systématiser les présentations, ce que les chercheurs ont ressentis et ce
que les dirigeants ont explicitement exprimés.
Conclusion
La réponse à la question de recherche est positive : le BM est compris et l’utilité de le
mobiliser certaine. Les apports de la recherche sont principalement confirmés par :
- l’implication des participants,
- l’appropriation du vocabulaire (sans croire qu’il est maitrisé dans ses détails),
- la compréhension de la nature du BM grâce au travail sur la dimension P du GRP qui,
d’une part, montre que l’entrepreneuriat est partenarial et, d’autre part, invite à
travailler le réseau de relations,
- la maîtrise des composantes et, à la fois, de leur articulation et de leur imbrication,
- les questions que la lecture par le BM suscite,
- le souhait de poursuivre le travail
270
Les apports de la recherche se remarquent également par la réunion de 11 chercheurs et 5
dirigeants d’un secteur peu investi par la recherche en Sciences de Gestion.
L’apport méthodologique s’exprime par une RA particulièrement bien adaptée pour apprécier
le lien entre la théorie et la pratique. Les recherches empiriques sont trop rares sur le BM.
Les limites relèvent d’un souhait d’aller plus loin, mais cela augure des suites à la recherche, à
l’échantillonnage et la représentation du BM en diapo que les participants auraient aimé plus
homogène afin de pouvoir mieux entrer dans une discussion comparative bien que cela ne
faisait pas parti du protocole prévu.
S’agissant des suites à donner à la présente recherche, il s’agira, vraisemblablement, dans un
premier temps et sur la base du BM dessiné, d’en imaginer une nouvelle vision idéalisée, pour
le futur cette fois. Les dirigeants étant sensibilisés au modèle GRP, ce dernier servira la
formulation du futur désiré, ce qui nécessitera d’imaginer les évolutions du secteur d’activité
de l’entreprise au sein duquel le BM devra se transformer (se régénérer). Le BM pourra être
utilisé comme outil créatif au service de la formulation stratégique. Nous rejoignons les
conceptions heuristiques du BM, à ce titre la grille d’entretien peut être en partie simplifiée,
ce qui conduirait à des séances de collecte moins longues mais pouvant être multipliées
(rencontres, contact téléphoniques ou internet), comme l’ont suggéré quelques participants.
Bibliographie
ABRIC J.C. (1994a), « L'organisation interne des représentations sociales : système central et
système périphérique », in GUIMELLI C. (dir), Structures et transformations des
représentations sociales, Delachaux et Niestlé.
ABRIC J.C. (1994b), Pratiques et représentations sociales, Presses Universitaires de France.
AFUAH A., C.L. TUCCI (2001), Internet Business Model and Strategies : text and cases,
Boston McGrawHill.
AKRICH M. , CALLON M. (2006), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris,
Mines Paris, les Presses Sciences sociales.
ATLAN H. (1979), Entre le cristal et la fumée – Essai sur l’organisation du vivant, Editions
du Seuil.
AUDET M. (1994), « Plasticité, instrumentalité et reflexivité », dans COSSETTE P. (dir),
Cartes cognitives et organisations, Presses de l’Université de Laval, Ed Eska.
BADEN-FULLER C., MORGAN M.S. (2010), « Business Models as Models », Long Range
Planning, p. 43
BARNARD C.I. (1938), The functions of the executive, Cambridge Mass.
BEAUVOIS J.L., DESCHAMPS J.C. (1990), « Vers la cognition sociale », dans
BENAVENT C., VERSTRAETE T. (2000), Entrepreneuriat et NTIC - construction et
régénération du Business-model, dans VERSTRAETE T. (dir.), Histoire d'entreprendre - les
réalités de l’entrepreneuriat, Caen Editions Management et Société.
CALLON M., LAW J. (1988), « La protohistoire d’un laboratoire », dans CALLON M. (dir),
La Science et ses réseaux, Editions La Découverte.
CARRIER C. (1997), De la créativité à l’intrapreneuriat, Presses de l’Université du Québec.
CHESBROUGH H.W. (2003), Open Innovation: The New Imperative for Creating and
Profiting from Technology, Boston : Harvard Business School Press Books.
COSSETTE P. (1994), Cartes cognitives et organisations, Les Presses de l’Université de
Laval, Ed Eska.
271
CLARKSON M.B.E. (1995), “A Stakeholder Framework for Analysing Corporate Social
Performance”, Academy of Management Review, Vol.20, n°1, 92-117.
DAMASIO A.R. (1995), L’erreur de Descartes, Editions Odile Jacob.
DAVID A. (1998), Logique, épistémologie et méthodologie en sciences de gestion, DMSP
Cahier de recherche, n°265.
DESMARTEAU A.H., SAIVES A.L., (2008), « Opérationnaliser une définition systémique et
dynamique du concept de modèle d’affaires : cas des entreprises de biotechnologie au
Québec », XVIIe Conférence de l'AIMS, Nice-Sofia-Antipolis.
DESREUMAUX A. (1998), Théorie des Organisations, Caen, Éditions Management et
Société.
DONALDSON T., L.E. PRESTON L.E. (1995),“The Stakeholder Theory of the Corporation:
Concepts, Evidence and Implications”, Academy of Management Review, Vol.19, n°1, p. 90118.
DUBOSSON-TORBAY M., OSTERWALDER A., PIGNEUR Y. (2002), « eBusiness Model
Design, Classification and Measurements », Thunderbird International Business Review,
Vol.44, n°1, p.5-23.
DUPUY, J.P., EYMARD-DUVERNAY F., FAVEREAU O., ORLEAN A., SALAIS R.,
THEVENOT L. (1989), « Introduction du dossier sur les conventions », Revue Economique,
Vol.40, n°2, p.141-145.
EYMARD-DUVERNAY F. (2006), L'économie des conventions, méthodes et résultats, Tome
1 – Débats et L'économie des conventions, méthodes et résultats, Tome 2 - Développements,
Paris La Découverte.
EYMARD-DUVERNAY F., FAVEREAU O., ORLEAN A., SALAIS R., THEVENOT L.
(2006), « Des contrats incitatifs aux conventions légitimes. Une alternative aux politiques
néoliberales », dans EYMARD-DUVERNAY F., L'économie des conventions, méthodes et
résultats, Tome 1 – Débats, Paris: La Découverte.
EYQUEM-RENAULT M. (2011), Analyse pragmatique du Business Model et performations
de marché dans l’entrepreneuriat technologique, Thèse pour le Doctorat en Socio-Economie
de l’Innovation, ParisTech.
FREEMAN R. E., REED D. (1983), “Stockholders and Stakeholders: A New Perspective on
Corporate Governance”, California Management Review, Vol.25, n°3, 88-106.
GOMEZ P.-Y. (1994), Qualité et théorie des conventions, Paris Economica.
HEIDER F. (1971), « Attidudes et organisation cognitive » dans FAUCHEUX C.,
Psychologie sociale théorique et expérfimentale, Paris Mouton (Traduction De « Attitudes
And Cognitive Organization », Journal Of Psychology, 21, 1946).
HEIDER F. (1958), The Psychology Of Interpersonnal Relations, New York, Weiley.
JODELET D. (1989), « Représentations sociales: un domaine en expansion », dans JODELET
D. (dir), Les représentations sociales, Presses Universitaires de France.
JOUISON E. (2008), Le Business Model en contexte de création d’entreprise :
rechercheaction sur le terrain des porteurs de projet de création d’entreprise, Thèse pour le
doctorat de sciences de gestion, IRGO – Université de Bordeaux.
JOUISON E., VERSTRAETE T. (2008), « Business model et création d’entreprise », Revue
française de Gestion, n° 181.
JOUISON-LAFFITTE E. (2009), « La recherche action : oubliée de la recherche dans le
domaine de l'entrepreneuriat », Revue de l’Entrepreneuriat, p. 8(1).
KELLEY H.H. (1967), « Attribution theory in social psychology », dans LEVINE D. (dir),
Nebraska Symposium Of Motivation, University of Nebraska Press.
KELLEY H.H. (1972), « Causal schemata and the attribution process », dans JONES E.E. et
al (dir), Attribution : perceiving causes of beharviour, Morriston, NJ, General learning Press.
272
KUMAR K., MAHADEVAN B., (2003), “Evolution of Business Models in B2C Ecommerce: The Case of Fabmall”, IIMB Management Review, vol. 15, n°4, p.23-30.
LE MOIGNE J.-L. (1977), La théorie du système général. Théorie de la modélisation, Presses
Universitaires de France.
LINDER, J.C., CANTRELL S. (2001), « Five business-model myths that hold companies
back», Strategy & Leadership, Vol.29, n°6, p.13-18.
MAGRETTA J. (2002), « Why Business Models Matter », Harvard Business Review, Vol.80,
n°5, p.3-8.
MAITRE, B., ALADJIDI G. (1999), Les Business Models de la Nouvelle Economie, Paris
Dunod.
MORIN E. (1977), La méthode. La nature de la nature, Editions du Seuil.
MORRIS, M., SCHINDEHUTTE M., ALLEN J. (2005), « The entrepreneur's business model:
toward a unified perspective », Journal of Business Research, vol.58, n°6, p.726-735.
MOSCOVICI S. (1986), « L’ère des représentations socials », dans DOISE W.,
PALMONARI A. (dir), L’étude des représentations sociales, Delachaux et Niestlé.
ORLEAN A. (1994), "Vers un modèle général de la coordination économique par les
conventions", introduction générale à l'ouvrage collectif Analyse économique des conventions,
sous la direction d'A. Orléan, Paris, Presses Universitaires de France, coll. "Quadrige".
OSTERWALDER A., PIGNEUR Y. (2010), Business Model Generation, Osterwalder A.,
Pigneur Y (ed.).
OSTERWALDER A. (2004), The Business Model Ontology - a proposition in a design
science approach, PhD, Université de Lausanne.
PETROVIC O., KITTL C., TEKSTEN R.D. (2001), « Developing Business Models for
eBusiness », International Conference on Electronic Commerce, 3ème édition, Vienne.
PLANE J.M. (1997), « Recherche-intervention en management et développement de
l'entreprise », Gestion 2000, n° 6, p.119-131.
PORTER M. (2001), « Strategy and the Internet », Harvard Business Review, vol. 79, n° 3.
RAPPA M. (2000), Business Models on the Web, Format html. disponible sur
http://digitalenterprise.org/models/models.html (dernier accès avril 2008).
SARDAS J.C., A.M. GUÉNETTE (2003), « Qu'est-ce que la recherche-intervention ? »,
Revue économique et sociale, n°2, p.123-126.
SAVALL H., ZARDET V. (2004), « Recherche en sciences de gestion : approche
qualimétrique : observer l'objet complexe », Editions Economica, Paris.
SHAFER S.M., SMITH H.J., LINDER J.C. (2005), « The power of business models »,
Business Horizons, Vol.48, n°3.
SIMON, H.A. (1947), Administrative Behavior, MacMillan.
SUSMAN G.I., EVERED R.D. (1978), « An assessment of scientific merits of action
research », Administrative Science Quaterly, vol.23, n°4, p.582-603.
TIMMERS P. (1998), « Business Models for Electronic Markets », Journal on Electronic
Markets, Vol.8, n°2.
VERSTRAETE T., JOUISON-LAFFITTE E. (2009), Business Model pour entreprendre - le
modèle GRP : théorie et pratique, de Boeck Université.
VERSTRAETE T. (2010), Préparer le lancement de son affaire – méthode à l’usage du
créateur d’entreprise et de son conseiller, de Boeck.
VERSTRAETE T. , JOUISON-LAFFITTE E. (2010), « Une théorie conventionnaliste du
Business Model en contexte de création d’entreprise pour comprendre l’impulsion
organisationnelle », Xe CIFEPME, (Congrès International Francophone sur l'entrepreneuriat
et la PME), Bordeaux, octobre.
273
VERSTRAETE Thierry., JOUISON-LAFFITTE Estèle. (2011), « A conventionalist theory of
the Business Model in the context of business creation for understanding organizational
impetus », Management International, Volume 15 n°2, Hiver.
VERSTRAETE T., JOUISON-LAFFITTE Estèle, KREMER Florence, HLADY Martine,
BONCLER Jérome, BOUCHER Thomas, BOUSQUET François, DONDI Jean, MEIAR
Alain, PAPIN Christophe, SCIPION Fabrice (2011a), Recherche-action pour apprécier
l’utilité du concept de Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment,
Rapport de Recherche, Chaire Entrepreneuriat de l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
VERSTRAETE T., JOUISON-LAFFITTE Estèle, KREMER Florence, HLADY Martine,
BONCLER Jérome, BOUCHER Thomas, BOUSQUET François, DONDI Jean, MEIAR
Alain, PAPIN Christophe, SCIPION Fabrice (2011b), « Recherche-action pour apprécier
l’utilité du concept de Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment »,
Congrès de l'Académie de l'Entrepreneuriat et de l'Innovation, Paris, Octobre 2011.
VON BERTALANFFY L. (1993), Théorie générale des systèmes, Dunod, 1993 (nouvelle
édition de la traduction du texte de 1968 publié chez Gearge Braziller, Inc, New York).
WEICK K.E. (1979), The social psychology of organizing, Reading, Massachussetts,
Addison-Westley.
Retour à la table des matières
274
Annexe : le questionnaire distribué aux dirigeants
275
276
277