Formes et enjeux de l`autocommentaire

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Formes et enjeux de l`autocommentaire
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Au risque du métatexte
Formes et enjeux
de l’autocommentaire
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
n° 15
Février 2015
http://www.uclouvain.be/sites/interferences
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
ISSN : 2031 - 2970
Au risque du métatexte
Formes et enjeux de l’autocommentaire
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
15 - Février 2015
http://www.interferenceslitteraires.be/nr15
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
Au risque du métatexte. Formes et enjeux de l’autocommentaire littéraire
5
Geneviève De Viveiros
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola. Archives, mémoire et
stratégie de consécration
17
Abigail RayAlexander
Flaubert and Baudelaire on Trial : On Authorial Intent, Intervention &
Responsibility before the Law
33
Rafaella Uhiara
L’autocommentaire en scène. Les enjeux de l’autoréflexivité dans un média éphémère
41
Anne Brancky
“C’était moi”. Marguerite Duras’s Auto-Commentaries
63
Josette Pintueles
Éditer et commenter son œuvre complète. Le défi d’Aragon
75
Isabelle Keller-Privat
Poetry at the Risk of Criticism in Key to Modern Poetry by Lawrence Durrell
89
Jean-Benoit Cormier Landry
« I am not Françoise Sagan ». L’(auto)-critique intégriée de Nathalie
Quintane, entre poésie et politique : du « Monstres et Couillons » aux
« Astronomiques assertions »
111
Marie-Laure Rossi
Le jeu des images. Annie Ernaux au risque de l’entretien médiatique
131
Andrea Chiurato
Un successo senza gloria. Splendori e miserie della ricezione di Alain
Robbe-Grillet in Italia
147
Varia
Christophe Collard
Jet lag ou médiation in motion. Médiatiser la présence permanente
171
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
Au risque du métatexte
Formes et enjeux de l’autocommentaire littéraire
Résumé
Ce numéro d’Interférences littéraires/Literaire interferenties vise à rendre compte des
risques qui marquent la réflexion métatextuelle des écrivains depuis la fin du xixe siècle.
Comment le risque est-il traité à une époque qui a vu se développer l’intérêt pour les
écrits intimes des écrivains en même temps que certains genres médiatiques comme
l’entretien ? Les articles réunis explorent les risques encourus dans le fait même d’exploiter certaines formes particulières de discours métatextuels et les stratégies de positionnement déployées par les différents agents – auteur, éditeurs, lecteurs, critiques
– impliqués dans la publication et la médiation de l’œuvre. Ce faisant, les différentes
contributions au numéro montrent que le métatexte est un espace de négociation où
se révèlent les tensions et conflits présents dans le champ littéraire : situé entre le
spontané et le concerté, il s’inscrit à la fois dans une réflexion (auto)critique sur l’acte
même d’écrire et dans une remise en cause du rôle joué par l’auteur et ses éventuels
interlocuteurs dans la dissémination de la littérature.
Abstract
The goal of this issue of Interférences litté­raires/Literaire interferenties is to bring
together different critical perspectives on the risks of metatextual commentary as it
has developed particularly from the end of the 19th century to the present – an era
characterized by considerable public interest in the private lives and intimate writings of authors. In this issue “On the Forms and Processes of Authorial Commentary”, particular attention is paid to how risks are perceived and assessed in relation
to metatextu­ality and how these risks are managed and mediated. In doing so, it illustrates the negotiations that precipitate metatextuality: located between spontaneity and
composition, metatexts are produced through authors’ (readers’, reviewers’) critical
reflections on the act of writing and through their questioning of the role of the writer
in the dissemination of literature.
Pour citer cet article :
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, « Au risque du métatexte. Formes
et enjeux de l’autocommentaire littéraire », dans Interférences littéraires/Literaire
interferenties, n° 15, « Au risque du métatexte. Formes et enjeux de l’autocommentaire », s. dir. Karin Schwerdtner & Geneviève de Viveiros, février 2015, pp. 7-15.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
Au risque du métatexte
Formes et enjeux de l’autocommentaire littéraire
Le risque de l’autocommentaire, c’est de
laisser croire qu’on maîtrise tout dans
l’écriture, que tout est voulu et c’est
complètement faux1.
Mes interviews, pour m’en tenir à moi,
ne sont qu’un énorme monument de
bêtises ! Je ne parle pas des phrases sans
liaison, heurtées, ne signifiant rien, produisant les effets les plus drôlatiques.
Mais les erreurs2 !
Réfléchir sur son écriture et sur son projet auctorial consiste souvent, pour
l’écrivain, à tenter de mettre en place une représentation singulière de soi et de son
travail. De ce point de vue, la réflexion d’auteur, qu’il s’agisse du commentaire métatextuel au cœur d’un texte ou de celui se situant en dehors de l’œuvre à proprement
parler, présente des intérêts multiples, notamment en termes de pré-configuration
de la réception. Toutefois, cette réflexion im­plique dans le même temps différents
types de risques, parfois antithétiques, comme susciter des interprétations potentiellement contradictoires ou, au contraire, réduire la possibilité de lectures plurielles au
profit de celle(s) que l’auteur souhaite privilégier. Pour d’autres, qui entreprennent
de livrer la trace de leurs réflexions sur leurs œuvres, le danger peut résider plutôt
dans la possibilité de se contredire, ou encore dans celle de trop (se) dévoiler. Et que
dire des risques d’une évolution de l’opinion de l’auteur au sujet de son travail (on
peut n’être pas le même écrivain à 20 et à 50 ans) ?
Renforcée par le développement des médias et de la présence des écrivains
dans les journaux, à la radio ou à la télévision, ainsi que par l’intérêt pour leurs
papiers privés, phénomènes qui ont pris leur essor à la fin du xixe siècle, pareille
situation a contraint les auteurs à composer avec le risque du discours auctorial relatif à l’œuvre. Ce donné nouveau de la pratique littéraire revêt des formes diverses
lorsqu’il se joue dans un à-côté de l’œuvre, plus ou moins proche d’elle. Ces discours auctoriaux entretiennent une relation particulière avec elle, déterminée à plusieurs titres. Il s’agit, pour les écrivains, de gérer une image d’auteur3 et de contrôler,
dans la mesure du possible, la réception de leurs écrits, en fonction de paramètres
1. Annie Ernaux, correspondance personnelle (avec Karin Schwerdtner), 12 juillet 2014.
2. « M. Émile Zola interviewé sur l’interview», dans Le Figaro, 12 janvier 1893. Repris dans Entretiens avec Zola, éd. Dorothy E. Speirs, Dolorès A. Signori, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa,
1990, p. 111.
3. Ruth Amossy, « La Double Nature de l’image de l’auteur », dans Argumentation et Analyse du
discours, n° 3, « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Ruth Amossy & Michèle Bokobza Kahan,
2009. [En ligne], URL : http://aad.revues.org/662
7
Au risque du métatexte
spécifiques : alors que certains discours sont censément clos et privés, du moins
dans un premier temps (écrits de l’intime), d’autres sont constitutivement publics
(entretiens, conférences), s’ils ne sont pas pris entre l’espace du texte et celui, public,
du théâtre, par exemple. Si certains demeurent à distance de l’œuvre, selon une situation qui peut évoluer (il suffit de songer au sort d’une certaine lettre bien connue
de Rimbaud, de facto annexée à ses œuvres complètes), ou s’ils sont publiés dans une
relative marge de la pratique littéraire d’un auteur (dans le cadre des « seuils » traditionnellement admis dans le champ littéraire), d’autres, qu’ils soient autographes ou
allographes (l’avant-propos écrit par un tiers, par exemple), accompagnent l’œuvre,
dans le temps ou dans l’espace de publication.
*
*
*
Dans cette perspective, les écrits intimes d’écrivains peuvent constituer chacun une forme de métatexte. À travers, par exemple, la correspondance personnelle,
le carnet de notes et le journal intime ou d’écriture, les écrivains se racontent, mais
aussi, et surtout, s’interrogent sur l’œuvre à venir, réfléchissent sur la portée de leur
travail. Si l’étude de ces écrits ou autocommentaires, conservés ou publiés, permet
de retracer la génétique de l’œuvre, il en résulte aussi une mise en lumière du processus complexe qui entoure la médiatisation de l’image de l’écrivain dans le champ
littéraire et de la construction d’un « ethos discursif »4. Les écrits intimes s’inscrivent
dans bien des cas dans le cadre de stratégies de positionnement déployées par les différents agents – auteurs, éditeurs, lecteurs – impliqués dans la publication de l’œuvre.
Comme l’a souligné Annie Ernaux lors du colloque de Cerisy qui s’est déroulé autour de son œuvre en 2012, les textes intimes comme le journal sont « le lieu
du spontané, d’une vérité incontrôlée »5 et donc a priori composés de ce qui pourrait
être considéré dangereux. Il en va sans doute de même pour la correspondance
privée, pour les archives personnelles a priori non destinées à être publiées, et cela,
depuis au moins le xixe siècle.
Comme l’explique Geneviève De Viveiros, la correspondance, à l’époque de
Zola, est un moyen pour les écrivains de créer des réseaux, d’élaborer des idées
esthétiques à la faveur d’échanges avec des interlocuteurs de type différents. À ce
titre, pour la recherche, la lettre a valeur de document et s’inscrit dans un processus
de construction de la mémoire. L’analyse de la correspondance d’écrivains du xixe
siècle suscite une réflexion sur la valeur et le statut de l’archive personnelle dans la
société contemporaine, dominée par le culte de l’image, la multiplicité des supports
textuels et des modes de communication. La société industrielle est, de fait, marquée par l’émergence « d’un système médiatique où la gestion des échanges matériels ou immatériels est assurée par des structures standardisées et collectives de
médiation »6. Qu’en est-il des écrivains, en particulier, lorsque ces modes de média4. Ibidem. Voir aussi Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, « U – Lettres », 2004.
5. Ce sont les mots d’Ernaux (chaque article est suivi d’un texte de l’auteure et d’une discussion
critique). Annie Ernaux: le temps et la mémoire, s. dir. Francine Best, Bruno Blanckeman & Francine
Dugast-Portes, avec la participation d’Annie Ernaux, Paris, Stock, 2014, p. 364.
6. Alain Vaillant, « Le journal, creuset de l’invention poétique », dans Presse et plumes, s. dir.
Marie-Ève Thérenty & Alain Vaillant, Paris, Nouveau monde, 2002, p. 317.
8
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
tion du discours relèvent de l’écrit et, surtout, portent sur l’œuvre, son élaboration,
ses significations ?
Dans la mesure où la lettre donne à lire un discours sur l’œuvre et son auteur
en dévoilant la face privée du fonctionnement du processus créateur, de surcroît,
elle expose l’écrivain aux risques du jugement public. C’est que, comme l’ont souligné récemment Geneviève De Viveiros, Margot Irvine et Karin Schwerdtner, la
lettre est « toujours écrite dans un rapport distancé face à l’autre, elle s’inscrit dans
une logique compromettante de révélation de soi, et, parce qu’elle est matérielle, elle
se transforme dès sa conception en objet, en archives »7. Pour Flaubert et Zola, à
l’apogée de leur carrière, au moment où la célébrité fait d’eux des figures reconnues
du champ littéraire, la correspondance, pour ce qu’elle dévoile et pour sa participation à l’histoire posthume des œuvres littéraires, présente de nombreux dangers. À
travers diverses manipulations qui passent du simple remaniement du texte épistolaire au refus de sa conservation, voire à sa censure, l’étude de la correspondance
révèle que ce genre est bien à l’origine d’une poétique identitaire. La correspondance est un lieu d’exposition de la « posture » de l’écrivain, c’est-à-dire, tel que
l’a défini Jérôme Meizoz, comme le lieu où « un auteur rejoue ou renégocie sa
‘position’ dans le champ littéraire par divers modes de présentation de soi ou “posture” »8. Les écrivains cherchent à protéger leur image et se servent de l’épistolaire
comme d’un moyen de consécration, en tentant de s’y définir et de s’y distinguer
(comme écrivains réaliste et naturaliste en l’occurrence). En ce sens, l’épistolaire
s’inscrit donc bel et bien comme un type de discours médiatique, d’autant plus que
l’usage progressif, depuis le xixe siècle, de l’archive privée comme « bien patrimonial
commun »9, amène les auteurs à se soucier de la réception immédiate mais aussi postmortem de leur œuvre.
La posture de l’écrivain est également mise en question dans les cas de procès
littéraire. Abigail RayAlexander nous invite à repenser les scandales entourant la
publication de Madame Bovary et des Fleurs du mal sous l’angle du métadiscours. Les
deux procès intentés, la même année, à Flaubert et à Baudelaire pour « outrage aux
mœurs » ont forcé ces derniers à se positionner dans l’espace public comme dans le
champ littéraire face à leur œuvre et à défendre leurs partis pris esthétiques. Dans
les deux procès, les arguments présentés par le procureur Pinard pour dénoncer
les idées esthétiques des deux auteurs mettant en cause la frontière entre l’écrivain
et son texte montrent l’évolution, en plein cœur du xixe siècle, des discours sur la
notion d’auteur. L’étude des textes de Flaubert et Baudelaire au moment où ils sont
poursuivis en justice révèle différentes pratiques auctoriales. Deux types de discours
produits par les auteurs sur leur œuvre apparaissent alors simultanément : un discours officiel, public, visant à distinguer l’objet littéraire de son auteur en vue de
défendre leur réputation et celle de leur création, et un discours privé, officieux, où
l’auteur s’associe pleinement à son écriture.
7. Geneviève De Viveiros, Margot Irvine & Karin Schwerdtner, « Introduction », dans
Risques et regrets. Les dangers de l’écriture épistolaire, s. dir. Geneviève De Viveiros, Margot Irvine &
Karin Schwerdtner, Montréal, Nota bene, 2015, p. 8.
8. Jérôme Meizoz, « “Postures” d’auteur et poétique (Ajar, Rousseau, Céline, Houellebecq »,
dans Vox-poetica, 2004. [En ligne], URL : http://www.vox-poetica.org/t/articles/meizoz.html
9. Françoise Hiraux, « Les archives personnelles, miroir des valeurs et des attentes de l’Occident », dans Les Archives personnelles : enjeux, acquisition, valorisation, s. dir. Françoise Hiraux & Françoise
Mirguet, Paris, L’Harmattan, « Academia », 2013, p. 13.
9
Au risque du métatexte
Le théâtre de par sa nature double, pris entre l’espace clos du texte et celui,
public, de la scène est un genre dont les pratiques métatextuelles se distinguent par
leurs manifestations souvent autoréférentielles tel que l’explique Rafaella Uhiara.
La représentation théâtrale se fonde sur un pacte établi entre scène et salle et il
arrive comme dans le cas de Quixote de Fabio Namatame, L’Effet de Serge de Philippe Quesne, et Disabled Theater de Jérôme Bel que les frontières entre « œuvre »
et « hors-œuvre » soient brouillées, au point de ne plus pouvoir être distinguées
de façon nette. Par l’utilisation d’autocommentaires sur scène, ces auteurs font du
théâtre un échange dynamique qui puise dans l’aspect éphémère du spectacle pour
inciter à une réflexion sur la représentation de soi et de l’œuvre, en jouant sur des
ambigüités référentielles dans le but de gagner l’adhésion du public à la faveur, paradoxalement, d’une forme de mise à distance critique.
Pour les écrivains dont l’écriture est une pratique autoréflexive, où sont
mêlées les frontières entre fiction et réalité, le risque est lié à « l’illusion biographique »10 créée par l’affrontement entre « l’image textuelle qui se donne à voir
à travers la production poétique/littéraire de l’écrivain », et ce qui est véhiculé
dans les médias comme étant son image « réelle »11. À travers les interventions
médiatiques de l’écrivain, le public en vient ainsi à chercher les clés de l’œuvre
dans la personnalité de l’auteur et sa présentation dans le champ culturel. Si cette
association est souvent perçue par les écrivains comme une atteinte à leur liberté,
il en est autrement de Marguerite Duras qui, tout au long de sa carrière, a de son
propre gré contribué à travers ses nombreuses apparitions à la radio, à la télévision et dans sa participation à la presse, à créer un mythe autour de sa figure. Elle
remettra constamment en question dans ces interventions publiques le statut de
la fiction dans ses écrits, mettant à l’avant-plan l’importance du biographique en
enchaînant les aveux sur son vécu et sur son influence sur sa pratique d’écriture.
Comme l’explique Anne Brancky, l’œuvre de Duras, empreinte d’une dimension
double, caractérisée souvent par la forme dialogique, se nourrit de ce jeu de miroir
de l’illusion biographique. Par ses affirmations médiatiques controversées et par
les nombreuses contradictions qui émaillent ses discours et les paratextes qui informent son œuvre, Duras remet constamment en question l’authenticité comme
valeur inhérente de l’œuvre littéraire.
La préface autographe (ou la postface ou l’ensemble de notes et de parenthèses) constitue un hors-texte au plus proche de l’œuvre qu’elle précède, suit ou
ponctue, en fonction de finalités spécifiques, pour alors en favoriser ou en occasionner la (re)lecture et, ce faisant, en orienter peu ou prou la réception. Selon
les types de paratextes auctoriaux, théorisés par Genette en termes de discours et
pratiques hétéroclites émanant de l’auteur, il peut s’agir de légitimer l’ouvrage lu
ou à lire (par exemple, en exposant ses principes esthétiques et/ou en répondant
à des critiques potentielles ou effectives), de rapporter les circonstances d’écriture, ou de prendre position au sein d’un champ littéraire déterminé, selon ce que
Jérôme Meizoz appelle des « conduites énonciatives et institutionnelles complexes,
10. Philippe Lejeune, « L’image de l’auteur dans les médias », dans Pratiques, n° 27, 1981,
pp. 31-40.
11. Galia Yanoshevsky, « L’entretien littéraire, un objet privilégié pour l’analyse du discours ? »,
dans Argumentation et Analyse du discours, n° 12, « L’entretien littéraire », s. dir. Galia Yanoshevsky, 2014.
[En ligne], URL : http://aad.revues.org/1726
10
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
par lesquelles une voix et une figure se font reconnaître comme singulières »12. Or,
si l’œuvre, comme c’est le cas de tout un pan d’écrits modernes et, notamment,
contemporains, est elle-même largement fondée sur le commentaire métatextuel
ou sur la prise de position dans un état du champ littéraire, la préface, ou tout autre
type de paratextes analogue, a souvent pour fonction de révéler certains aspects
hermétiques de l’œuvre, de gloser sur sa part de « non-dit » et, par là même, d’apporter, par rapport à l’œuvre, « quelque nouveauté ou quelque surprise »13 en matière
de réflexion métatextuelle.
Parlant en son nom, l’auteur de ce type de discours prend, a priori, davantage de risques que s’il faisait endosser ses propos à autrui, par exemple, à un être
de fiction. Ceci dit, le romancier qui, dans sa préface, prend soin de s’éloigner de
ses propres personnages de fiction, risque de s’effacer lui-même, selon l’effet de
« fuite » décrit par Maurice Couturier. En vertu de l’un des objectifs reconnus de
la préface, il peut effectivement s’agir, pour l’auteur d’un roman à contenu moralement critiquable, par exemple, de « se désolidariser totalement des personnages qu’il
a inventés […] d’ériger ces personnages en contre-exemples que le lecteur [...] est
invité à ne pas suivre, ou encore celle de le supplier de suspendre le plus longtemps
possible son jugement [..], comme c’est le cas chez Gide ou Nabokov »14. Ainsi,
contrairement à ce à quoi l’on pourrait peut-être s’attendre, la préface, dans de tels
cas de « fuite » ou de prise de distance à des fins d’autoprotection, s’avère aussi un
lieu d’effacement, dangereux pour tout auteur désireux par ailleurs de renforcer son
image ou sa présence dans le champ littéraire.
En revanche, accepter qu’un texte allographe, préfaciel ou autre, accompagne
directement son œuvre, revient à s’exposer au risque de compromettre sa représentation de soi et de son travail, telle qu’elle se trouve développée ailleurs. Un tel
consentement implique en effet de s’exposer au danger que l’image de l’écrivain
dont il est question dans le commentaire signé par autrui ne corresponde pas à celle
que l’auteur entend promouvoir. Ainsi, peut-être, de nombreux écrivains préfèrent
commenter eux-mêmes leur travail, ce qui ne les empêche pas de courir d’autres
risques aussi sérieux, comme ceux évoqués par Élisabeth Nardout-Lafarge : la
« préface, discursive, argumentative, qui prend position et statue sur le sens risque
de restreindre les possibilités de signification, de réduire la portée et, finalement, de
briser paradoxalement l’élan du texte »15.
Comme l’explique Josette Pintueles, dans son étude des documents destinés à
éclairer L’Œuvre poétique (préfaces, traductions, parenthèses et notes), Aragon, pour sa
part, reconnaît les risques qu’il prend à essayer d’anticiper et de contrôler la réception
et la critique de ses poèmes et, par là, à laisser sa conscience médatique (d’homme
politique, de journaliste et d’éditeur des textes d’autrui) influer sur sa présentation
de soi. L’autre danger, relevant d’une écriture « palimpsestueuse », serait celui de
refaire toute l’œuvre. Selon Pintueles, Aragon pratique non seulement de longues
12. Jérôme Meizoz, « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », dans
Argumentation et Analyse du discours, n° 3, « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Ruth Amossy &
Michèle Bokobza Kahan, 2009. [En ligne], URL : http://aad.revues.org/667
13. Ioana Galleron, L’Art de la préface au siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2007, p. 49.
14. Maurice Couturier, La Figure de l’auteur, Paris, Seuil, « Poétique », 1995, p. 70.
15. Élisabeth Nardout-Lafarge, « Signature et contre-signature dans l’exergue », dans Paratextes. Études
aux bords du texte, s. dir. Mireille Calle-Gruber & Elżbieta Zawisza, L’Harmattan, 2000, p. 302.
11
Au risque du métatexte
autocitations, il se projette aussi dans des débats esthétiques pour se situer notamment par rapport au surréalisme de Breton et aux mouvements esthétiques comme
le réalisme. Voilà ce qui peut entraîner le danger dont parlait Genette à partir de sa
conception singulière du paratexte :
Comme tous les relais, le paratexte tend parfois à déborder sa fonction
(celle d’assurer au texte un sort conforme au dessein de l’auteur) et à se
constituer en écran, et dès lors à jouer sa partie au détriment de celle de
son texte [...] attention au paratexte! Rien en effet ne serait plus fâcheux
à mon sens que de substituer à certaine idole du Texte Clos – [...] que
la considération du paratexte contribue largement [...] à déstabiliser – un
nouveau fétiche16.
L’étude des pratiques métatextuelles de la modernité met en lumière la diversité des modes discursifs adoptés par les écrivains pour contrôler la réception de
leur œuvre. L’auteur peut intervenir dans les cadres paratextuels, des « seuils » traditionnellement admis dans le champ littéraire (préface, présentation, postface), mais
aussi à travers des formes en marge de ces pratiques et par des procédés autoréférentiels au sein même de l’œuvre. Comme le remarque Isabelle Keller-Privat, la difficulté de dissocier ce qui relève du discours métacritique et de la pratique poétique
est ce qui caractérise l’œuvre du poète britannique Lawrence Durrell. Cette difficulté caractérise aussi deux textes de Nathalie Quintane, « Monstres et Couillons.
La partition du champ poétique contemporain » et « Astronomiques assertions »,
dont Jean-Benoit Cormier Landry entend considérer la « nébuleuse » comme un
ensemble qui présente, exemplifie, théorise et performe une poésie et une politique.
Dans un ordre d’idées analogue à certains égards, en abordant et en faisant référence aux réalisations d’autres écrivains à travers des poèmes mais aussi dans des
essais critiques et des entretiens, un auteur comme Lawrence Durrell refuse de donner une version unique et opératoire de sa définition de l’art et de ses valeurs esthétiques. En prenant simultanément la posture du poète et du critique, en brouillant
volontairement, et souvent de manière contradictoire, les références à son œuvre,
Durrell contraint son lecteur à distinguer et définir ses intentions poétiques, mais au
risque de se faire mal interpréter ou d’occasionner des malentendus potentiellement
dangereux pour lui. Durrell cherche, de cette manière, à recréer pour ses lecteurs
l’expérience intuitive, symbolique, de ce qui constitue, selon lui, l’écriture poétique.
Il en va sans doute de même du lecteur des deux textes de Quintane, car ceux-ci,
selon Cormier Landry, n’énoncent pas ce qu’on pourrait appeler des «précipités
ponctuels de la pensée» dans des formes directes, unifiées, détachables. Plutôt les
auraient-ils sur le bout de la langue, comme le montre l’article sur Quintane qui
s’attache à retracer l’évolution de la pensée de l’auteure quant à la pratique poétique
et politique du langage. Dans cette optique, la «critique intégrée» chez Quintane engage, non sans risque, des modes ouverts de lecture et des interprétations multiples.
Semblables dangers, pour l’auteur, se retrouvent dans l’entretien, forme
d’adresse à autrui qui permet de développer, dans le cadre d’un discours dialogique
public, une réflexion métatextuelle qui, le plus souvent, circule largement et donc
indépendamment de l’œuvre17. Tout écrivain voulant exercer une certaine maitrise
16. Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « Poétique », 1987, pp. 376-377.
17. Voir, entre autres, sur la pratique de l’interview littéraire, Anneleen Masschelein, Christophe
Meurée, David Martens & Stéphanie Vanasten, « Toward a Poetics of a Hybrid Genre », dans Poetics
12
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
sur son discours peut avoir à négocier avec les parti-pris et les préconceptions de
chroniqueurs qui, comme Camille Laurens le fait remarquer à l’occasion d’un entretien, s’appuyant sur l’exemple de quelques mauvaises expériences, « viennent vous
rencontrer avec l’idée de ce qu’ils veulent vous faire dire – qui vous amènent, donc,
dans une direction où vous n’aviez pas envie d’aller. […] Il arrive parfois, aussi, que
l’interviewer comprenne mal ce que vous dites. Et alors, pour cette raison, ce qui
est écrit ou transcrit dans le papier ne ressemble pas à ce que vous vouliez dire »18.
À en croire Louis Marin, le danger particulier du genre (mais qui, selon nous,
rappelle celui du paratexte palimpsestueux) résiderait notamment dans la possibilité
que les propos recueillis se substituent « au livre ou à l’article au nom de l’instantanéité, de l’immédiateté, de la rapidité pour ne pas dire de la vitesse de la publicité
de pensée »19. De là, un autre risque : que la critique prenne ce métadiscours pour
vérité absolue sur l’œuvre, pour parole d’autorité – risque qui serait d’autant plus
dangereux si, chez l’écrivain au moment de son interview (et comme Genette le dit
de Flaubert à l’époque de sa Correspondance), sa pratique lui restait, du moins dans ce
qu’elle aurait d’audacieux, tout à fait obscure ; si « sa conscience littéraire n’était pas
[…] au niveau de son œuvre » 20. À cet égard, dans la mesure où il s’agit d’un discours
partagé avec autrui, en général pour diffusion ou publication, l’entretien passe (a
pu passer) pour un mode d’expression relativement risqué, pouvant contribuer à
remplacer l’œuvre, à lui opposer des pensées ultérieures ou contradictoires, voire à
en réduire les possibilités de lectures plurielles.
Or, pour l’écrivain contemporain, à une époque où l’industrie du livre a peutêtre particulièrement besoin d’appui financier, commenter ouvertement ses livres
peut représenter une nécessité. Cela peut constituer en même temps une occasion
à ne pas rater, dans la mesure où, selon Ruth Amossy, l’entretien d’auteur est l’un
des seuls genres de discours qui, de concert avec la rencontre littéraire (l’échange)
par exemple, lui permette une présentation de soi et de son écriture qu’il peut tenter
de gérer au sein de son interaction avec l’intervieweur ou son public21. Aussi, de
nombreux écrivains se prêtent à l’exercice pour répondre à des questions sur leur
démarche littéraire et, par exemple, sa dimension éthique.
Bien qu’elle affiche, selon Marie-Laure Rossi, une réserve critique assez marquée vis-à-vis de l’espace médiatique, Annie Ernaux a accordé de nombreux entretiens à des journalistes de presse, de radio ou de télévision. Elle a non seulement
consenti à des interviews pour publication dans les médias, dans des magazines
spécialisés et dans des revues savantes, mais aussi fait paraître, avec Fréderic-Yves
Jeannet, un livre d’entretiens : L’Écriture comme un couteau. Plus récemment, en 2014,
elle a fait paraître Le Vrai lieu. Entretiens avec Michelle Porte, ouvrage créé à partir d’un
documentaire filmant l’auteur dans les lieux où elle a passé sa jeunesse ainsi que
dans ceux où elle vit aujourd’hui (Cergy). Ce livre d’entretiens, Ernaux tenait vraiment à le publier : « Car il y avait là une parole plus spontanée, plus libre, que dans
Today, vol. 35, 2014, pp. 51-116, ainsi que les entretiens rassemblés par David Martens et Christophe
Meurée (Secrets d’écrivains. Enquête sur les entretiens d’écrivains, s. dir. David Martens & Christophe Meurée, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, « Réflexions faites », 2014).
18. Karin Schwerdtner, « Au (beau) risque du “retour”. Entretien avec Camille Laurens »,
dans Essays in French Literature and Culture, n° 51, 2014, p. 137.
19. Louis Marin, De l’entretien, Paris, Minuit, 1997, p. 37.
20. Gérard Genette, Figures I, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1966, p. 242.
21. �����
Ruth Amossy, art. cit..
13
Au risque du métatexte
tous mes entretiens précédents »22. De ce point de vue, l’entretien peut être, autant
que le journal intime, le lieu (dangereux) d’une certaine candeur ou spontanéité,
d’une liberté d’expression que l’espace de l’œuvre ne permettrait peut-être pas (ou
pas de la même manière, du moins). Paradoxalement peut-être, le fait de courir les
différents dangers possiblement liés à l’entretien médiatisé, et en particulier ceux,
étudiés par Marie-Laure Rossi, d’être réduite à son personnage, de sombrer dans
la banalité ou de trahir les spécificités de l’expression littéraire, semble avoir pour
effet, chez Ernaux, d’enrichir et de complexifier la figure d’auteur qu’elle incarne
dans le champ littéraire, de renforcer sa présence d’écrivain.
Indissociables des discours « de l’auteur » et, en particulier, des images que
l’écrivain construit lui-même de sa propre personne, les discours « sur l’auteur »
œuvrent eux aussi, comme nous le disions, à la production d’une image de l’écrivain,
et cela, depuis l’extérieur, selon des impératifs divers correspondant aux fonctions
qu’elle est censée remplir dans le champ littéraire. Il s’agit de discours consacrés « à
la mise en scène des personnages d’auteur à l’intention du public » – qui esquissent,
donc, « une figure imaginaire, un être de mots auquel on attribue une personnalité,
des comportements, un récit de vie et, bien sûr, une corporalité »23. Sur ces représentations discursives qui sont le fait de tiers, celui-ci n’a en principe, comme le rappelle
Ruth Amossy, aucune prise directe. L’auteur lui-même est toutefois libre de réagir,
explicitement et ouvertement (dans les médias) ou implicitement et peut-être naturellement (dans et à travers ses écrits), mais cela, au risque de déclencher l’hostilité
du public, de la critique, et/ou de son éditeur (selon les circonstances), de susciter le
débat, ou d’attiser une polémique parfois déjà vive. Il suffit de songer à l’exemple de
Romance nerveuse, roman de Camille Laurens dont la rédaction fut en partie (au moins
indirectement) provoquée par les différentes réactions à son article dans la Revue littéraire, « Marie Darrieussecq, ou le syndrome du coucou », pour nous convaincre de ce
qu’il n’est guère possible de séparer ce qui se trame dans les discours qui assurent la
médiation de l’œuvre et ce qui se construit au sein de son propre espace.
Dans ses discours d’auteur (interviews, conférences), mais aussi dans ses
écrits, datant à partir notamment de la fin des années 1950, Alain Robbe-Gillet, de
son côté, ne se prive pas, comme Andrea Chiurato le montre dans son étude de la
réception de l’œuvre robbegrilletienne en Italie, de réagir aux images de lui présentées d’une part par l’establishment et d’autre part par la critique engagée de gauche ou
par des représentants de la neoavanguardia. L’écrivain s’empresse, en particulier, de
revenir sur l’incorrection, à ses yeux, de l’étiquette « école du regard » et, plus généralement, d’esquiver les grilles interprétatives que la critique littéraire ne cesse de lui
proposer, ce qui lui fait courir le risque de se contredire, et donc de compromettre
son œuvre, ou de révéler des éléments inattendus. La trilogie des Romanesques en est
un bon exemple, selon Chiurato : l’autobiographie prend en effet chez l’auteur des
Gommes une allure, métatextuelle, de révision et de commentaire des images qu’on
lui a attribuées au cours des années. L’étude ici proposée, de la dialectique entre
les discours sur l’auteur et les répliques de l’auteur, entend alors évaluer dans quelle
mesure un traitement avisé des « risques du métatexte » peut avoir garanti à RobbeGrillet une visibilité exceptionnelle sur la scène internationale.
22. ���������������������������
« Entretien. ��������������
Annie Ernaux. Le vrai lieu », le site Gallimard. URL : http://www.gallimard.fr/
Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Annie-Ernaux.-Le-vrai-lieu
23. �����
Ruth Amossy, art. cit.
14
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros
*
*
*
Si, dans les premiers articles de ce numéro, les risques associés au discours
métatextuel sont avant tout d’ordre personnel, ayant partie liée avec la dimension
spontanée, incontrôlée, des écrits de l’intime, ils concernent davantage, dans les
articles subséquents, les efforts pour orienter ou gérer la réception d’une œuvre particulière. Les articles réunis ici témoignent ainsi de ce que les écrivains, auteurs de
discours métatextuels de différents types, ont en commun d’entreprendre, explicitement ou non, de se situer par rapport à une production littéraire, par rapport à un
débat, ce qui peut avoir pour effet de complexifier leur figure d’auteur. Mais ce que
les articles de ce numéro montrent peut-être surtout réside dans le fait que le métatexte est un espace de négociation où se révèlent les tensions et conflits présents
dans le champ littéraire, entre ses agents, et parfois même au sein d’un seul et même
agent, l’écrivain : peu importe sa nature, qu’il soit l’expression d’une spontanéité ou
d’une imprécision (un refus de définir) susceptible de favoriser chez le lecteur ce
que Durrell appellerait « l’expérience intuitive », ou qu’il entend maîtriser un discours ou orienter l’opinion publique à l’endroit d’un auteur et son œuvre littéraire,
ce discours, situé entre le spontané et le concerté, s’inscrit dans une réflexion (auto)
critique24 sur l’acte d’écrire ainsi que dans une remise en cause du rôle, de la place
de l’auteur, dans la dissémination de la littérature.
Karin Schwerdtner
Université Western Ontario
kschwerd@uwo.ca
Geneviève De Viveiros
Université Western Ontario
gdevivei@uwo.ca
24. Jean-Luc Pagès, « L’autocritique en littérature », dans Perceptions et réalisations du moi : études,
s. dir. Mounir Laouyen, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2000, pp. 155-187.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Geneviève De Viveiros
La lettre comme métatexte
chez Flaubert et Zola
Archives, mémoire et stratégie de consécration
Résumé
Cet article se veut une réflexion sur le statut de la lettre comme métatexte
pendant la seconde moitié du xixe siècle et des liens de celle-ci à la mémoire. En procédant à l’étude de quelques différents usages de la lettre chez les écrivains pendant
la seconde moitié du xixe siècle, l’article met en perspective l’essor de la correspondance comme objet de collection et de la littérature intime. L’analyse de la correspondance de Flaubert et de Zola montre que les lettres sont considérées comme des
documents historiques pouvant mettre en danger la réputation de l’écrivain dans le
champ littéraire. La correspondance forme alors le pilier de diverses stratégies de
consécration et de positionnement.
Abstract
This article is a reflection on the status of the letter as a form of metatext during the late nineteenth century and its relationship to memory. In conducting a study
of several different uses of the letter by writers of the second half of the nineteenth
century, the article puts into perspective the role of correspondence as a collection
object and the development of intimate literature during this period. The analysis
of Flaubert and Zola’s correspondences shows that letters are considered historical
documents that might endanger the reputation of the writer in the literary field. It is
demonstrated next that correspondences thus form the backbone of various strategies of literary consecration and positioning.
Pour citer cet article :
Geneviève De Viveiros, « La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola. Archives,
mémoire et stratégie de consécration », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, « Au risque du métatexte. Formes et enjeux de l’autocommentaire », s. dir.
Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, février 2015, pp. 7-15.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
La lettre comme métatexte
chez Flaubert et Zola
Archives, mémoire et stratégie de consécration
Dans Célimare le bien-aimé, vaudeville de Labiche joué pour la première fois en
1863, le protagoniste cherche, la veille de son mariage, à faire disparaitre les lettres
de son ancienne maitresse car ces dernières sont jugées compromettantes puisque
elles peuvent ternir son image et risquer de faire annuler une union qui lui serait très
avantageuse :
Là… est ma petite collection, les lettres de ces dames… Je ne le cache pas…
j’ai aimé les dames (gracieusement) et je les aime encore, et je les aimerai toujours ; mais, au moment de me marier, je ne puis garder chez moi ces souvenirs
charmants… J’ai fait allumer le bûcher… et je vais consommer le sacrifice.
Voyons… on dit que le feu purifie tout.1
Tel que le montre bien cet extrait, la lettre, par sa présence physique, est considérée
comme un objet qui comporte des risques tant pour son auteur que pour son destinataire. Dans le domaine de la fiction comme dans la réalité, le topos de la lettre
gênante est constant dans l’histoire de la littérature2. Parce que matérielle, la lettre
est une trace tangible, une preuve empirique de l’existence ; parce que souvent
inscrite dans un rapport d’échange entre deux individus, c’est un espace intime, un
espace de révélation de soi. La lettre comporte des risques, parce qu’elle est un objet
qui perdure, qui reste, qu’on conserve.
Les travaux des dernières années dans le champ de l’histoire culturelle ont
bien démontré que prend forme en France au xixe siècle, une véritable passion
pour la collecte et la classification d’objets et de documents divers appartenant au
passé. C’est que, dans toute cette période post-révolutionnaire, période où la France
traverse une crise identitaire, va se développer une nouvelle conception collective
du temps. Suite aux traumatismes et aux multiples changements sociaux et culturels
amenés par les événements de la Révolution, va naître une nouvelle conscience historique animée par un sentiment ambigu et double se manifestant à la fois à travers
l’idée de la « perte », la volonté nostalgique de restaurer le passé et celle de se donner
une nouvelle histoire. À la culture classique, imprégnée d’une certaine croyance en
l’universalisme de l’être et en la continuité immuable du temps, va se substituer une
vision générale de l’histoire où prédomine un sentiment de rupture avec le passé et
l’idée d’être prisonnier d’une évolution temporelle irrévocable. Comme l’explique
bien Dominique Pety, « la conscience historique telle qu’elle apparaît au xixe siècle,
est d’autant plus fascinée par le passé, attachée à le faire revivre, qu’elle le découvre
1. Eugène Labiche, Théâtre complet, t. III, Paris, Michel Lévy, 1898, p. 11.
2. Voir les réflexions à ce sujet de Geneviève Haroche-Bouzinac, « Les lettres qu’on ne brûle
pas », dans Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 103, n° 2, 2003, pp. 301-308.
19
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
comme définitivement perdu. Le sentiment d’un déroulement linéaire inéluctable,
d’un écoulement non réversible, incite à préserver les traces, à rechercher celles qui
ont pu subsister dans un passé plus reculé, et qui peuvent attester de ce qui a été
quand une continuité s’est brisée » 3. Cette attitude va enclencher un nouveau mode
de pensée de l’histoire et surtout de nouvelles pratiques de l’archive. Au modèle des
« cabinets de curiosités » de la Renaissance et de l’âge classique, va se substituer peu
à peu une prolifération de la pratique de la collection comme dispositif savant de
préservation et de classement des documents et des objets. À partir de 1850 jusqu’à
la fin du siècle, la collection, considérée de plus en plus comme un projet érudit, se
voit investie d’un rôle essentiel dans la conservation du patrimoine artistique de la
nation4. Cette pratique ne se manifestera pas seulement au sein des institutions mais
aussi à l’échelle individuelle. On fera collection de toutes traces tangibles à partir
desquelles il sera possible de contrer et de (se) préserver, en quelques sortes, des
affres du temps5.
Dans le domaine de l’écrit, il ne faut donc pas s’étonner de voir fleurir tout
au cours du xixe siècle une prédilection pour les manuscrits de toutes sortes : un
coup d’œil sur les pratiques éditoriales de la période suffit pour nous convaincre
de la valeur que prend alors tout document littéraire. De Didier à Michel Lévy, les
grands éditeurs ont tous misé sur l’édition d’œuvres classiques ou contemporaines
augmentées d’apparats critiques développés, de notes et de manuscrits inédits6. De
par sa nature même, le manuscrit devient trace emblématique et légitime du passé
et acquiert ainsi le statut de document historique. Il s’agit d’une « pièce à conviction » dans la restitution du fait passé, et à plus grande ampleur, dans la constitution
de la mémoire – individuelle, collective, ou nationale. En tant que manuscrits, les
correspondances ne font pas exception à ce désir d’historicisation et d’archives.
Comme l’a bien souligné José-Luis Diaz, « dans le goût que le xixe siècle manifeste
pour les correspondances, il entre pour beaucoup un respect d’historien à l’égard
de ces documents personnels. […] La lettre n’est plus simple substrat occasionnel
d’échanges ; elle devient aussi objet de collection » 7.
Les correspondances deviennent alors un document prisé par les écrivains,
les lecteurs, les éditeurs, les collectionneurs de toutes sortes. Garante d’une certaine
authenticité de par leur matérialité, elles sont considérées comme un témoignage
historique.
3. Dominique Pety, Poétique de la collection au xixe siècle, Paris, Presses universitaires de ParisOuest, coll. [?], 2010, p. 27.
4. Ibid., p. 19. Comme l’explique aussi Françoise Hiraux, c’est à cette époque que se développe
l’usage d’archives privées comme « bien patrimonial commun » (voir, Françoise Hiraux & Françoise
Mirguet, La Valorisation des archives. Une mission, des motivations, des modalités, des collaborations. Enjeux et
pratiques actuels, Louvain-la-neuve, Academia, coll. [?], 2012, p. 13).
5. On peut argumenter, comme Marie-Pascale Huglo l’a fait récemment, que le développement des écritures intimes au cours de toute l’époque moderne serait une réponse à ce besoin
d’archives et parallèlement au besoin d’inventer une nouvelle histoire et de s’inscrire, s’identifier
à une nouvelle mémoire. « La valorisation symbolique des documents d’archives serait d’autant
plus nécessaire que la véritable mémoire, elle, aurait périclité. Les archives ainsi tiendraient lieux de
mémoire, elles seraient même l’un des lieux où l’opposition entre la mémoire collective spontanée
et la mémoire dans l’Histoire – distanciée, enregistreuse –se marque de la façon la plus tranchée. »
(voir Marie-Pascale Huglo, « Présentation », dans Protée, vol. 35, n° 3, « Poétiques de l’archive », s.
dir. Marie-Pascale Huglo, 2007, pp. 5-10).
6. Voir Roger Chartier & Henri-Jean Martin, Histoire de l’édition française. Le Temps des éditeurs,
t. III, Paris, Fayard, 1990.
7. Béatrice Diaz, L’Épistolaire, ou la pensée nomade, Paris, P.U.F., Coll. [ ?], 2002, p. 9.
20
Geneviève De Viveiros
C’est précisément les liens de la lettre à la mémoire que cet article cherche
à explorer chez les écrivains de la deuxième moitié du xixe siècle, moment où la
pratique de la lettre familière est à son apogée, où les ventes aux enchères et les
collections de correspondances battent leur plein8 et où est bien établi « l’ère médiatique » 9. Puisque la lettre est en quelques sortes « l’arrière-pays » 10 comme l’a
baptisé Brigitte Diaz de l’œuvre littéraire, que nous apprennent, par exemples, les
correspondances de Gustave Flaubert et d’Émile Zola sur les pratiques métatextuelles en cours dans la dernière moitié du xixe siècle ? Quel est le statut de la lettre
chez ceux qui consacrent alors leur carrière précisément « aux lettres » et qui sont
perçus comme les chefs de file, les « maitres » du roman « moderne » ? Quelle place
et quelles fonctions l’épistolaire, occupe-t-il chez ces écrivains associés au réalisme
et au développement d’une littérature jugée alors malséante et en quoi sont-elles
porteuses de « risques » ?
1. La lettre : trace de la subjectivité
L’augmentation du taux d’alphabétisation, l’invention du timbre-poste et
une plus grande efficacité du système de la poste, font de la lettre dans la deuxième moitié du xixe siècle, le genre le plus pratiqué non seulement par les écrivains, mais également par l’ensemble de la population11. Les lettres deviennent les
témoins du quotidien, elles sont le lieu d’épanchement, de réflexion et de découverte de
soi.
À travers les correspondances, peuvent se retracer les détails de la vie intime
des épistoliers. La correspondance devient au xixe siècle, un espace où s’exprime la
subjectivité. Les lettres sont ainsi devenues « de menues expansions de banale correspondance où l’on est toujours poussé par le besoin de parler de soi » 12, comme se
plaint George Sand à Charles Poncy le 24 août 1849. C’est ce que Flaubert lui-même
constate également à Louise Colet en 1853 lorsqu’il lui rapporte ses impressions de
lecture de l’œuvre épistolaire de Boileau.
Je viens de finir la correspondance de Boileau. Il était moins étroit dans
l’intimité qu’en Apollon. J’ai vu là bien des confidences qui corrigent
ses jugements. Télémaque est assez durement jugé, etc., et il avoue que
Malherbe n’était pas né poète. N’as-tu pas remarqué combien ça a peu
de volée, les correspondances des bonshommes de cette époque-là ? On
était terre à terre, en somme. Le lyrisme, en France, est une faculté toute
nouvelle. Je crois que l’éducation des jésuites a fait un mal inconcevable
aux lettres. Ils ont enlevé de l’Art la nature. Depuis la fin du xvie siècle
8. Sur l’évolution des usages de la lettre au xixe siècle, nous renvoyons à l’étude de José-Luis
Diaz, « Le xixe siècle devant les correspondances », dans Romantisme, n° 25, 1995, pp. 7-26.
9. �����������������������������������������������������������������������������������������
Comme l’explique Alain Vaillant, «La France industrielle et post-révolutionnaire est marquée […] par ce que nous appelons aujourd’hui un système médiatique où la gestion des échanges
matériels ou immatériels est assurés par des structures standardisées et collectives de médiation.
[…] De médiateur, [l’écrit littéraire] devient objet médiatisé » (Alain Vaillant, « Le journal creuset
de l’invention poétique », dans Presse et plumes, s. dir. Alain Vaillant & Marie-Ève Thérenty, Paris,
Nouveau monde, 2004, p. 317. Voir aussi, 1836, l’an I de l’ère médiatique, s. dir. Alain Vaillant &
Marie-Ève Thérenty, Paris, Nouveau Monde, 2001).
10. Béatrice Diaz, op. cit.,.
11. Voir La Correspondance. Les usages de la lettre au xixe siècle, s. dir. Roger Chartier, Paris, Fayard,
1992.
12. �������
George Sand, Correspondance, Paris, Michel Lévy, 1883, p. 1526.
21
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
jusqu’à Hugo, tous les livres, quelques beaux qu’ils soient, sentent la poussière du collège.13 L’art épistolaire et la littérature, comme le remarque finement Flaubert, acquièrent un alors nouveau statut : il ne s’agit plus d’un exercice de style soumis à
des règles rigides qui sentiraient « la poussière du collège », mais d’une pratique
authentique d’expression de soi. Il s’agit de rapporter des nouvelles mais également de s’adonner, voire de s’abandonner à des raisonnements, des aveux, des
opinions, des pensées toutes personnelles. La lettre devient peu à peu la trace
même de la subjectivité : on écrit une lettre autant pour soi-même que pour
l’autre. La lettre est considérée comme un miroir de quotidien, de la personnalité
mais aussi des pensées de l’individu qui la produit. Si, au xviiie siècle, la lettre
familière reste marquée par des contraintes sociales et celles imposées par les
épistoliers14, au xixe siècle, elle témoigne constamment d’un désir d’authenticité et de spontanéité. Dans ce sens, elle se rapproche du journal personnel et
devient comme lui, un genre lié à l’intime. Il est de moins en moins question,
contrairement au siècle précédent, d’associer à l’activité épistolaire un rôle et un
caractère public15.
Considérée comme un espace d’expérimentation, la lettre est aussi le canevas où l’écrivain ébauche ses idées esthétiques à l’état brute. Pour les écrivains du
xixe siècle, la lettre est souvent investie d’une valeur métatextuelle : ainsi, comme
le remarque Béatrice Diaz :
Quelles que soient, en effet, les distances que l’écriture épistolaire prend – ou
feint de prendre – avec la chose littéraire, elle est toujours plus ou moins explicitement animée d’intentions esthétiques et soutenue par une représentation
de l’acte d’écrire et l’idée que l’épistolier se fait de la littérature.16
Il n’est pas étonnant alors de constater que les grandes correspondances d’écrivains au xixe siècle sont truffées de commentaires sur leurs œuvres comme sur
celles des autres. Puisque la lettre procède d’un processus de dévoilement, elle
devient en tant qu’« autre texte », un document précieux pour retracer la génétique
de l’œuvre. Elle capte pas à pas le procédé créateur qui sous-tend la littérature.
Pour cette raison, les lettres constituent un lieu de production de discours littéraire tout aussi important que le sont, à l’époque, la presse, les préfaces ou les
œuvres de fiction.
C’est ce qui expliquerait la grande valeur documentaire mais aussi monétaire
associée à ce type d’écrits au cours de cette époque tout comme de nos jours : la
lettre est la trace tangible de l’existence de l’écrivain et du processus d’invention
littéraire. Pour ces raisons, elle devient un document historique qui doit être préservé.
13. Gustave Flaubert, Correspondance, éditeur scientifique du livre ?, Paris, Gallimard, « Folio. », 1998, p. 267.
14. Benoît Melançon, Diderot épistolier. Contribution à une poétique de la lettre familière au xviiie siècle,
Montréal, Fides, 1992, p. 150.
15. Op.cit., p. 247.
16. Béatrice Diaz, « Correspondance d’écrivains du xixe siècle : la valeur critique ajoutée »,
dans Valeurs et correspondance, s. dir. Alain Tassel, Paris, L’Harmattan, coll ?, 2010, pp. 54-72.
22
Geneviève De Viveiros
2. Métatextes épistolaires et archives
Si la pratique épistolaire n’est plus perçue, comme nous l’avons indiqué, par
les écrivains de la seconde partie du xixe siècle comme une activité purement stylistique, elle n’en reste pas moins valorisée comme un moyen de tisser des liens
sociaux, d’être en dialogue avec l’autre. La lettre permet d’établir des réseaux : c’est
un espace de sociabilité. Pour les écrivains du xixe siècle, la lettre apparaît comme
un laboratoire où, à travers des échanges, s’aiguisent des théories, se dessinent des
projets. À l’instar des carnets, des dossiers de notes préparatoires, on écrit une lettre
en guise de plan de l’œuvre à venir. Les écrivains sont bien conscients de la valeur
métatextuelle de la lettre et ils deviennent les premiers à considérer son utilité dans
le processus créateur et sur le plan de la mémoire. Ainsi, pour certains écrivains,
l’écriture de la lettre participerait à happer, à figer dans le temps les instants précieux
de la création et à contrer la fugacité du temps qui passe, l’éphémère de l’instant
présent. En voyage en Orient, Flaubert se désole de ne pouvoir à tout moment,
prendre la plume, afin d’écrire à son ami Louis Bouilhet ses impressions de voyage,
saisir l’instant comme il passe : « Si je pouvais t’écrire tout ce que je réfléchis à propos de mon voyage, c’est-à-dire que si je retrouvais quand je prends la plume les
choses qui me passent dans la tête et qui me font dire à part moi : « je lui écrirai ça »,
tu aurais vraiment peut-être des lettres amusantes. Mais va te faire foutre, cela s’en
va aussitôt que j’ouvre mon carton »17 C’est dans une longue lettre à son ami Valabrègue que Zola développe, en 1864, une première version de sa théorie naturaliste,
la fameuse « théorie des écrans » : « Lorsque j’ai reçu votre lettre, après l’avoir lue,
j’ai été pris d’une longue rêverie. Je vais, au courant de la plume, vous dire quelles
étaient mes pensées. J’éclaircirai ainsi pour moi mes propres idées, et je jetterai le
premier plan d’une étude assez étendue que je veux faire un jour sur la question
dont je désire vous entretenir. Jugez l’idée et non la forme, je parle comme je peux
et à la hâte »18. La lettre n’est plus seulement l’espace d’une pratique littéraire – il
ne s’agit plus d’obéir à une poétique épistolaire –, mais bien un laboratoire, pour
échanger des idées, de discussions sur la chose littéraire.
La lettre a souvent ainsi une fonction mnémonique : elle sert à (se)rappeler.
Si les correspondances des écrivains du xixe siècle sont parmi les plus élaborées, si
on a pu retrouver des milliers de lettres et continue d’en repérer dans les ventes aux
enchères, c’est d’abord parce que les épistoliers eux-mêmes ont fait collection de
tout objet ou écrit permettant d’informer leur vie et leur œuvre. On ne conserve
plus seulement, au xixe siècle, la lettre de l’autre comme un objet fétiche19, mais pour
se documenter soi-même. À cet effet, une lettre de Charles Baudelaire à Hippolyte
Tisserand datée du 28 janvier 1854 est un bel exemple de l’esprit de préservation de
l’écrit qui prédomine à cette époque et des différentes utilités du genre de la lettre.
Dans cette missive, le poète élabore une longue ébauche d’un projet de théâtre et
utilise la lettre comme un carnet de notes, une sorte de dossier préparatoire. « Dans
peu de temps d’ici, je saurai si je suis capable d’une bonne conception dramatique.
C’est du reste à ce sujet, et pour vous mettre au courant de l’état de cette conception que je vous écris une lettre un peu longue. ». Au gré des explications, se dévoile
17. ��������
Gustave Flaubert, op. cit., p. 131.
18. Émile Zola, Correspondance, éditeur scientifique ?, t. I, Paris, Montréal, CNRS, Presses de
l’Université de Montréal, 1979-1995, p. 375.
19. �������
Benoît Melançon, op. cit., p. 207.
23
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
tout le dessein littéraire envisagé: l’épistolier prend bien soin de noter l’origine de
ses idées comme la méthode qu’il entend utiliser pour mener à terme sa scène dramatique. « Ma principale préoccupation, quand je commençai à rêver à mon sujet,
fut : à quelle classe, à quelle profession doit appartenir le personnage principal de
la pièce ? – J’ai décidément adopté une profession lourde, triviale, rude. » La lettre
se termine sur le souhait d’entretenir un dialogue sur le projet, et, finalement, sur
un post scriptum qui donne valeur d’archive à l’acte épistolaire : « Ne détruisez pas
ma lettre, elle pourra, dans de certains cas, nous servir de note, ou de mémento »20.
En faisant le classement de sa correspondance avec Maxime du Camp,
Flaubert lui avoue garder quelques-unes de ses lettres pour la même raison : « 1o
Pour les relire quelquefois (je ne puis me résoudre à les anéantir) ; 2o Pour les utiliser comme document »21. Zola, quant à lui, entasse toute sa correspondance reçue
« dans des caisses » et ses disciples feront de même avec des lettres mais aussi des
articles de presse, des caricatures dans le but de collectionner tout ce qui pourrait
servir à documenter la vie du romancier et l’histoire littéraire du naturalisme22.
La correspondance participe alors on s’en rend bien compte à un processus
d’archivation de soi. La lettre a pour fonction de préserver des informations sur
l’œuvre en cours de création mais aussi, et par là-même, de contribuer comme
document à la mémoire de celui qui la produit.
2. Flaubert, Zola et les risques de la lettre
Les correspondances occupent une place cruciale dans la construction identitaire des écrivains et dans la formation d’un patrimoine. À travers les lettres, considérées comme les traces authentiques d’une personnalité, s’édifie l’image de l’écrivain, sa réception auprès du public contemporain mais aussi auprès de la postérité.
Comme le soutient Jacques Derrida, « la mémoire, c’est la question de l’avenir, et
pour l’archive, c’est toujours le futur antérieur qui, en quelque sorte décide de son
sens, de son existence. C’est toujours dans cette temporalité là que les archives se
constituent »23. Assurer aux correspondances un statut de document c’est souhaiter
leur inscription au sein de l’histoire, mais cette inscription entraîne des risques :
en effet, peu importe sa nature, l’archive est toujours soumise à un traitement post
mortem.
C’est ce sentiment de perte de sens et de contrôle dans le traitement de l’archive personnelle par des tiers à une époque ultérieure dont se méfie George Sand
dans une lettre à Poncy à propos de la publication de la correspondance de Béranger déjà en 1857:
20. Ibid., p. 99.
21. ��������
Gustave Flaubert, op. cit., p. 695.
22. �����������������������������������������������������������������������������������������
Ce fut le cas, par exemple, d’Henri Céard dont le fonds déposé au musée Carnavalet a été
récemment étudié par Agnès Fraysse. Henri Céard, disciple et collaborateur de Zola a collectionné
pendant une partie de sa vie des articles et des caricatures paraissant sur le naturalisme dans la presse
de la période (voir Agnès Fraysse, Quand Céard collectionnait Zola, Paris, Classiques Garnier, coll. ?,
2012). Comme le rapporte Zola lui-même dans une lettre du 18 février 1884 à Gratien Rebière, il
rassemblait et conservait les articles de presse où il était question de son œuvre : « J’ai toute une montagne de journaux ayant parlé de moi, à peine classés par année » (Correspondance, t. V, op. cit. [même
date de parution que le tome précédemment cité ?], p. 74).
23. Jacques Derrida, Mal d’archive. Une impression freudienne, Paris, Gallilée, « Incises », DATE,
p. 60.
24
Geneviève De Viveiros
“Ne donnez jamais les lettres des défunts que l’on vous demande. Cela cache,
en général, des spéculations. Celles qui sont honnêtes (comme les lettres de
Lamennais par Old-Nick) n’aboutissent pas, et risquent, pour tout résultat, de
vous priver de vos autographes qui s’égarent. Ces essais n’aboutissent pas, par
la raison que les parents, héritiers, ou amis éxécuteurs testamentaires, réclament le monopole de ces publications. C’est leur droit. Ils l’exercent tantôt par
cupidité, tantôt par respect véritable pour la mémoire du défunt. En effet, si
le défunt revenait, il ne serait pas toujours très content de voir publier entièrement des lettres qu’il n’a pas destinées au public. On est donc obligé de
tronquer. Eh bien, cela n’est pas très facile. Les gens qui publient demandent,
à ceux qui cèdent leurs lettres, d’avoir l’autographe entre les mains, se disant
responsables de l’authenticité de ces lettres. Dès ce moment, vous êtes à leur
discretion. S’ils publient ce que vous ne voulez pas, à qui vous en prendrezvous ? Bref, on se lance dans de grands ennuis et on s’expose à des tracasseries
judiciaires fort désagréables”.24
Cette dualité temporelle de l’archive, créée dans le présent en vue de l’avenir, Flaubert
et Maxime du Camp en sont aussi bien conscients lorsqu’en 1877, ils décident volontairement de s’adonner à la réorganisation de leur correspondance afin d’éviter
que de futurs lecteurs et exégètes n’interprètent de façon fallacieuse leurs propos.
La lettre étant, pour ces deux épistoliers, l’espace de confidences personnelles, la
peur que leur image publique ne soit à jamais ternie par ces écrits empreints de
mots crus, d’aventures érotiques, de pensées vagabondes, va les entrainer à repenser la préservation de leur correspondance. Flaubert confie-t-il ainsi à Edma Roger
des Genettes le 2 mars 1877 qu’il s’est débarrassé de ses lettres de jeunesse, jugées
compromettantes, à la bonne réputation de son œuvre et de sa mémoire: « Vous
ai-je dit que l’autre soir avec Maxime Du Camp, nous avons relu et brûlé toutes nos
lettres de jeunesse ? Celles-là du moins échapperont à la postérité, elles parlaient uniquement de la littérature et des dames »25 Pour l’auteur de Madame Bovary qui a subi un
procès au tribunal correctionnel de la Seine, « pour outrage aux mœurs publiques et
religieuses et aux bonnes mœurs »26, laisser dans ses archives personnelles des traces
de ses conquêtes amoureuses, de ses déboires sexuels, de ses théories ne peut que
davantage conduire vers l’improbité sociale et la peur d’être classé à jamais comme
auteur « immoral ». La bataille pour la littérature réaliste n’aurait été que vainement
gagnée au tribunal, si d’autres textes en venaient à donner raison au procureur Ernest Pinard et à tous les ennemis de cette littérature jugée provocatrice27.
Zola, de même, fait-il preuve de beaucoup de prudence lorsque Caroline
Commanville, la nièce de Flaubert, lui sollicite les lettres échangées entre son oncle
et lui. En 1883, Caroline Commanville cherche à faire paraître une édition de la correspondance de Flaubert et demande aux proches du romancier de lui faire parvenir
ce qu’ils ont conservé de leurs échanges avec l’auteur de Salammbô. Les compagnons
des dîners Magny et des « auteurs sifflés », Daudet, Zola, Tourguenieff, Maupassant
sont ainsi tous conviés par l’appel lancé par la nièce de Flaubert mais rechignent à
24. �������
George Sand, Lettre du 15 août 1857 à Charles Poncy, op. cit., p. 3167.
25. Mots en italique dans le texte (Gustave Flaubert, op. cit., p. 695).
26. Sur le procès de Madame Bovary, voir Yvan Leclerc, La Littérature en procès au
Paris, Plon, 1999.
27. Ibid.
25
xixe
siècle,
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
s’exécuter. Zola, le premier, explique son embarras face à une telle publication dans
une lettre du 20 mai 1883 :
« J’ai en effet gardé les lettres de votre grand et cher oncle. Je garde tout et
j’entasse, depuis dix ans, cette correspondance dans des caisses, en me promettant toujours de faire un classement. […] J’ai peur que les lettres ne soient
d’une intimité bien grande. Flaubert me parlait surtout de mes livres, et il a là
des éloges d’ami que je ne veux pas laisser publier. »
Il réitère les mêmes excuses dans des lettres à Daudet puis à Maupassant :
« Je suis dans votre cas, mon cher ami. Je crois bien n’avoir de Flaubert que
des lettres sur mes livres, qu’il me semble aussi gênant de laisser publier. Pourtant, il se pourrait qu’il m’ait écrit sur ses livres à lui, des choses intéressantes.
Le malheur est que, depuis dix ans, j’entasse tout ce que je reçois dans des
caisses, en me promettant toujours de me mettre à un classement. Je vais donc
conter cette vérité à madame Commanville et ajouter que je me livrerai à des
recherches, si elle m’en laisse le temps. Nous nous verrons sans doute ensuite,
nous pourrons en causer.
En principe, il me semble que nous ne devons pas donner les lettres qui
nous seraient trop personnelles, mais qu’il nous est difficile de refuser ce
qui peut être utile à la mémoire du cher vieux. […] »
et puis,
« Madame Commanville m’écrit pour me demander les lettres que m’a écrites
Flaubert. Je lui réponds que depuis dix ans j’entasse tout ce que je reçois dans
des caisses. […] Ces lettres sont si intimes, elles parlent si élogieusement de
mes livres, que, même après les avoir retrouvées et classées, j’hésiterais à les
donner. […] Daudet m’a écrit à ce propos, il est aussi embarrassé que moi. »
Il finit par s’opposer catégoriquement à la publication de ces lettres et de s’en plaindre à Caroline Commanville. Le romancier laisse clairement entendre la gêne qu’il
éprouve face à la publication de ces échanges qu’il classe dans la catégorie du privé : « ces lettres sont si intimes, si peu intéressantes pour le public, qu’il est vraiment impossible de les publier. […] Il ne m’y parle que de mes livres, et je refuse
absolument de livrer à l’impression ces réclames posthumes. » Malgré les réticences
de Zola, une partie de cette correspondance fut rendue publique : on retrouve 10
lettres sur près d’une trentaine de Flaubert envoyées à Zola dans l’édition entreprise
par Caroline Commanville28.
Ces affirmations du romancier quoique brèves montrent bien les fonctions
diverses et ambigües dont sont investies les correspondances dans le champ littéraire. Zola est bien conscient que la lettre présente des risques pour sa réputation
et qu’elle est à ce moment précis de l’histoire littéraire et sociale, un lieu de création
de l’identité de l’auteur, voire de mythification de l’écrivain. Il cherche à contrôler la
28. Cette première édition de la correspondance générale de Flaubert parut chez Charpentier
entre 1887 et 1893. Impossible de vérifier si ces lettres ont été obtenues directement de Zola. On
sait qu’il envoya sa première lettre à Flaubert accompagnée d’un exemplaire de Madeleine Férat le 10
janvier 1869. Les lettres adressées à Zola publiées dans cette édition de la correspondance débutent
en 1873. Dans l’édition plus récente de la correspondance dans La Pléiade, on retrouve 45 lettres de
Flaubert à Zola entre 1871-1885. Sur l’histoire des éditions de la correspondance de Flaubert, nous
renvoyons aux renseignements fournis par Yvan Leclerc, « Les éditions de la correspondance de
Flaubert », 2001. [En ligne], URL : http://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance.
26
Geneviève De Viveiros
médiatisation de son image. Il fait ainsi toujours œuvre de discrétion en 1888, dans
une lettre à Maupassant, où ayant accepté la légion d’honneur, il refuse de l’avouer à
son ami et de laisser une trace écrite de sa décision. Pensant que la légion lui ouvrirait les portes de l’Académie, Zola accepte la croix par l’intermédiaire de Marguerite
Charpentier29 lors d’une soirée à Médan, mais ne veut pas que cette décision soit
perçue par la presse et l’élite littéraire comme un jeu politique calculé, une tentative
de se pousser dans le monde —ce qui contreviendrait à l’image publique d’écrivain
modeste, se souciant peu des honneurs, qu’il essaie de promouvoir. « Vous m’avez
pardonné, n’est-ce pas ? Mon cher ami, d’avoir fait du mystère autour de vous. Mme
Charpentier m’avait apporté ici l’offre de Lockroy, et cela d’une façon si délicate,
que j’avais cédé. Mais, par enfantillage, peut-être je ne voulais pas qu’il existât une
acceptation écrite de moi. De là ma réponse ambiguë à votre lettre si aimable »30,
explique-t-il à Maupassant. Pour le romancier, les correspondances d’écrivains font
souvent tord à leur mémoire et à leur image publique. Il s’étonne ainsi de découvrir
à la lecture de la correspondance de Balzac, la figure sympathique de l’homme derrière le créateur de La Comédie humaine : « D’ordinaire on rend aux hommes illustres
un bien mauvais service lorsqu’on publie leur correspondance. Ils y apparaissent
presque toujours égoïstes et froids, calculateurs et vaniteux. On y voit le grand
homme en robe de chambre, sans la couronne de lauriers, en dehors de la pose officielle, et souvent cet homme est mesquin, mauvais même. Rien de cela ne vient de
se produire pour Balzac. Au contraire, sa correspondance le grandit »31. Maupassant
de même souligne dans un article qu’il consacre à Flaubert en 1881, l’importance
médiatique prise à son époque par les correspondances, les entretiens, les interviews
pour garantir la notoriété de l’écrivain dans le champ littéraire :
Aussitôt qu’un homme arrive à la célébrité, sa vie est fouillée, racontée, commentée, par tous les journaux du monde ; et il semble que le public prend un
plaisir spécial à connaître l’heure de ses repas, la forme de son mobilier, ses
goûts particuliers et ses habitudes de chaque jour. Les hommes célèbres se
prêtent bien d’ailleurs volontiers à cette curiosité qui augmente leur gloire : ils
ouvrent aux reporters la porte de leur maison et le fond de leur cœur à tout le
monde.32
Les affirmations de Zola comme cette déclaration de Maupassant laissent entendre que les correspondances sont aussi des lieux de discours stratégique. L’écrivain
chercherait à travers le genre épistolaire à imposer une « posture » auctoriale, c’està-dire comme l’a expliqué Jérôme Meizoz, « une façon personnelle d’investir ou
d’habiter un rôle voire un statut : un auteur rejoue et renégocie sa position dans le
29. Il s’agit de l’épouse de son éditeur, bien connue alors dans le monde des lettres pour ses
Salons.
30. �������������������������������������������������������
Lettre de Zola à Maupassant du 14 juillet 1888. Guy de Maupassant, Émile Zola, Correspondance, Rennes, La Part commune, 2013, p. 156. Zola aura eu raison de ne pas répondre à la lettre
de Maupassant, pour ne pas laisser de « trace écrite » quant à son désir d’obtenir la légion d’honneur, désir qui aurait été mal perçu par le public. On peut rappeler, à titre d’exemple, le scandale qui
entoura la nomination de Marcelle Tinayre en 1908. Pressentie pour recevoir le ruban, l’écrivaine
répondit publiquement à cet honneur dans une lettre qui fut publiée dans Le Temps et qui fut par la
suite l’objet de sévères attaques, les critiques ayant interprété cet acte comme un moyen publicitaire
et un affront à la tradition (voir Gabrielle Houbre, « L’honneur perdu de Marcelle Tinayre. L’affaire
de la Légion d’honneur ratée (1908) », Les Ratés de la littérature, Tusson, Du Lérot, 1999, pp. 89-101).
31. ������
Émile Zola, « La correspondance de Balzac », dans Le Bien public, 16 juillet 1877.
32. �������
Guy de Maupassant, « Flaubert dans sa vie intime », dans La Nouvelle Revue, t. 8, 1881,
p. 142.
27
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
champ littéraire par divers modes de présentation de soi »33. Dans l’acte –la volonté
de contrôler la publication de lettres intimes, il s’agirait finalement d’avoir main
mise sur l’interprétation et la pérennité de l’image de l’auteur et son œuvre. Si le
genre et la pratique de la lettre au xixe siècle permet une grande liberté d’expression
– ce qu’a baptisé Béatrice Diaz, « l’esprit de nomadisme » – la collection d’archives
peu importe sa nature, a comme finalité au contraire de limiter, d’organiser, de classer, d’ordonner dans le temps et dans l’espace une trace institutionnalisée des évènements. Devenue archive, la lettre peut s’avérer dangereuse pour celui qui en a été
l’auteur car elle se soustrait à un régime d’interprétation historique et historicisant.
L’hésitation de Zola à laisser paraître ces lettres peut donc être vue comme une résistance à toutes interprétations hasardeuses de son image à travers les temps. Zola
craint que les bons mots de Flaubert à l’égard de ses romans ne viennent à jamais
marquer sa place, sa réputation d’auteur. Il y voit un certain danger pour « la publicité posthume » de son œuvre et de son identité d’écrivain. Il cherche visiblement
à contrôler la réception de son œuvre et de se départir de la réputation d’auteur à
scandale, avide de réclame dont il est alors victime. Il faut dire qu’en cette année
1883 à ce moment précis de sa carrière, Zola cherche à se départir des étiquettes
peu flatteuses données par la presse à son œuvre. La publication de L’Assommoir en
1877 l’a rendu célèbre et a fait des Rougon-Macquart, des œuvres connues du public,
certaines atteignant le statut de best-sellers. Cette popularité l’a aussi placé sous
l’œil sévère des critiques qui s’en prennent constamment à ses idées esthétiques,
associant le naturalisme à la pornographie et à une littérature ordurière. Les années
1880 avec la publication de Nana puis des articles publiés dans Le Figaro marquent
des moments forts de la campagne menée par Zola pour la reconnaissance du naturalisme dans le champ littéraire. Suivant la série d’articles qu’il fait paraître dans la
presse et de la parution de Pot-Bouille, roman sur le milieu bourgeois qui lui attire
un procès, il cherche à promouvoir une image plus sereine de l’écrivain naturaliste
qu’il est. Suivant ce désir, son fidèle ami et disciple, Paul Alexis vient, quelques mois
plus tôt, en 1882, de publier une biographie où il dévoile au public une facette plus
intime de la personnalité de Zola. Dans Émile Zola. Notes d’un ami, le romancier est
présenté comme un travailleur acharné : à travers des déclarations issues de discussions, ses débuts, ses habitudes de travail, ses ambitions sont détaillées et rendues
sympathiques au lecteur. Publier à ce moment des lettres de Flaubert qui s’avéreraient « flatteuses », pourraient sans conteste donner une image négative de l’auteur
des Rougon-Macquart et contribuer au discours anti-naturaliste déjà bien répandu par
la presse.
La lettre est un métatexte qui sert aussi, on s’en rend bien compte, comme
une stratégie de positionnement de l’écrivain à la fois dans le champ litttéraire de
son époque et dans le processus d’historicisation et de sacralisation de son œuvre.
C’est dans ce sens aussi qu’il faut considérer l’entreprise contemporaine de
publication du Journal des Goncourt qui, a priori, peut sembler opposée à ce raisonnement. À travers la publication et donc la publicisation de son journal intime,
Goncourt cherche à se poser en historien de la sociabilité de son époque. C’est
d’abord suivant un désir de contrôle qu’il choisit de livrer ses impressions et par làmême d’ordonner une interprétation des faits qui lui sied. Considérant sa propre vie
33. �������
Jérôme Meizoz, « Postures d’auteurs et poétique (Ajar, Rousseau, Céline, Houellebecq) »,
dans Vox Poetica, 2004. [En ligne], URL : http://www.vox-poetica.org/t/meizoz.html
28
Geneviève De Viveiros
comme une collection d’archives, il s’assure ainsi de leur inscription dans l’histoire:
il donne sa vision des évènements pour garder le pouvoir sur ses impressions, il
travaille à sa propre histoire, à sa propre immortalité. En devenant les archivistes de
leurs propres œuvres comme de tous documents les commentant, les écrivains se
transforment ainsi en historiens de la littérature. En ordonnant et établissant euxmêmes des collections, il s’agit pour les écrivains de contrôler la mémoire. Comme
l’a bien souligné Dominique Pety, « dans la collection, le sujet projette son identité
sur ses objets, lesquels lui servent aussi à construire son rapport à l’histoire ; à travers eux, il se donne l’illusion de la maîtriser, et tente de la reconfigurer dans une
optique toute personnelle » 34. Les écrivains s’inscrivent ainsi eux-mêmes dans un
rapport historiographique face aux correspondances. Les pratiques archivistiques
de la lettre sont à l’origine de manipulations diverses de « réordonnancement et de
réécritures des existences » 35. Comme l’a souligné Michelle Perrot, les « correspondances familiales et littérature “personnelle” (journaux intimes, autobiographies,
mémoires), irremplaçables témoignages ne constituent pas pour autant les documents “vrais” du privé. Ils obéissent à des règles de savoir-vivre et de mise en scène
de soi par soi qui régissent la nature de leur communication et le statut de leur
fiction » 36.
Enfin, outre le risque de l’exposition publique, la publication de lettres intimes pose un autre problème pour Flaubert et Zola: la question de la valeur, de la
reconnaissance de l’originalité de leur œuvre littéraire dans le champ culturel.
3. La Lettre : stratégie de positionnement et de consécration
Si elles peuvent participer à informer et rappeler l’existence d’un auteur, les
correspondances peuvent du même coup risquer de compromettre le statut de
l’œuvre littéraire. Or, dans une époque où l’originalité et la création sont les valeurs
essentielles qui définissent l’œuvre d’art37, comment considérer la lettre familière,
intime, comme de la littérature ? C’est essentiellement la question que pose, entre
autres, Ferdinand Bruntière dans La Revue des deux mondes dans un essai paru en
1888 sur ce qu’il appelle « la littérature personnelle ». Les écrits de l’ordre de l’intime
que sont les lettres, le journal, les mémoires, ont, selon le critique, peu de vertus et
surtout, ils ne doivent pas être considérés comme de la littérature : « On conçoit
aisément que ces doctrines aient fait fortune ; car elles sont si commodes. Ceux qui
font métier d’écrire, avez-vous remarqué qu’elles les dispensent d’abord d’étude et
de travail ? […] S’il ne s’agissait maintenant que de noter les défauts de ce genre
de littérature, il n’y aurait rien de plus facile. Elle a d’abord quelque chose d’incivil,
et par là, je veux dire qui ne va pas seulement contre l’objet de la littérature, mais
encore contre celui même de la société »38. Les écrits intimes sont perçus comme
34. ����������
Dominique Pety, op. cit., p. 16.
35. ���������
Philippe Artières & Dominique Kalifa, « L’historien et les archives personnelles : pas à
pas », dans Sociétés et représentations, vol. 13, n° 1, 2002, p. 2.
36. Michelle PERROT, « Introduction », dans Histoire de la vie privée, s. dir. Philippe Ariès &
Georges Duby, t. 4, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 1987, p. 11.
37. Sur l’évolution de la notion d’originalité comme critère esthétique, voir, entre autres, Roland Mortier, L’Originalité : une nouvelle catégorie esthétique au siècle des lumières, Genève, Droz, coll ?,
1982 et Gérard Gengembre, Le Romantisme, LIEU ?, Université du Michigan, Ellipses, coll ?, 1995.
38. Ferdinand Brunetière, « La littérature personnelle », dans La Revue des deux mondes, numéro ?, janvier 1888, p. 437.
29
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
des compositions faciles, égocentriques, qui n’ont rien à voir avec l’art littéraire qui
consisterait plutôt à inventer une histoire contribuant à l’étude de la société et à
s’appliquer à la raconter à coups de bons mots et d’éloquence. La trivialité des anecdotes, la banalité du style, l’étalage du moi, permis par l’écriture intime, fondent les
principaux reproches que l’on adresse à cette littérature qui ne peut qu’être dévalorisée par l’institution littéraire. Non seulement, selon Brunetière, il est inconvenant et
sans utilité sociale « d’attacher trop d’importance à sa personne que de se faire ainsi
soi-même le centre du monde », mais aussi les propos souvent tenus sont, comme
dans le cas du Journal des Goncourt, « d’une banalité tout à fait singulière »39. Bien
qu’elle connaisse un essor considérable à ce moment de l’histoire40, la littérature
de l’intime n’est certainement pas encore reconnue comme légitime. En publiant
leurs correspondances intimes, les écrivains risquent donc également de menacer la
valeur littéraire de leur opus tout entier.
On peut ainsi comprendre que pour des écrivains comme Flaubert et Zola
qui se démarquent par un projet esthétique souvent dévalué par les critiques, et qui
cherchent à acquérir au sein du champ littéraire la reconnaissance littéraire, la publication de lettres peut s’avérer extrêmement risquée. Pour ces écrivains dont l’œuvre
de fiction, construite sur l’observation et l’exposition du réel, n’est, elle-même, pas
toujours perçue par l’opinion publique comme de la « littérature », la publication de
papiers intimes, également conçus comme de la « mauvaise littérature » ne pourrait
que servir à compromettre la canonisation espérée de leur œuvre.
C’est ainsi du moins que Maupassant rapporte dans un article sur la vie de
Flaubert le désir du romancier de protéger sa vie intime : « Nous autres, disait-il,
nous ne devons pas exister ; nos œuvres seules existent » et il citait souvent La
Bruyère, dont la vie et les habitudes nous sont presque inconnues, comme l’idéal
de l’homme de lettres. Il voulait laisser des livres et non des souvenirs »41. L’auteur
de Madame Bovary avait sans doute plus que raison d’élaguer ses écrits intimes et
de tenter de les préserver du regard public. La publication de la correspondance
Flaubert-Sand en 188442 donnera d’ailleurs lieu à de nombreux débats dans la presse
où l’on verra se creuser davantage un irrémédiable fossé entre le camp des disciples
du réalisme et celui de ses détracteurs. De la parution de ses lettres intimes de ces
deux maitres de la littérature, naitra d’autres arguments pour dénigrer l’œuvre de
Flaubert. De fait, des deux épistoliers publiés, Flaubert est celui à qui s’attaquent
surtout les critiques : l’on pardonne mal à celui qui prôna toute sa vie, l’objectivité
de l’écriture et la prééminence du style, les écarts de langage, les mots crus, les
39. Ibid., pp. 439-440.
40. ������������
Déjà en 1859, L’Annuaire encyclopédique : politique, économie sociale, statistique, administration,
sciences, littérature, beaux-arts, agriculture, commerce, industrie (Paris, Bureau de l’Enclyclopédie du xixe
siècle, 1859-1860) notait que « toute une littérature personnelle est née ces derniers temps », p.717.
Sur le développement de la littérature de l’intime au xixe siècle, voir Pour une histoire de l’intime et de
ses variations, s. dir. Anne Coudreuse & Françoise Simonet-Tenant, Paris, L’Harmattan, coll ?, 2009
et Pierre-Jean Dufief, Les Écritures de l’intime 1800-1914 : autobiographies, mémoires, journaux intimes et
correspondances, Paris, Boréal, « Amphi Lettres », 2001.
41. �������
Guy de Maupassant, « Flaubert dans sa vie intime », dans La Nouvelle Revue, t. 8, 1881,
p. 142. Notons, au passage, l’attitude ambivalente de Maupassant quant à la divulgation des papiers
intimes du maître de Croisset. Bien que l’auteur de Pierre et Jean chercha à défendre la mémoire de
Flaubert, il ne s’empêchera pas, en fait, de publier la correspondance de celui-ci ainsi que de nombreuses chroniques de souvenirs.
42. ������������������������������������������������������������
Sur la publication de la correspondance Flaubert-Sand, voir Lectures de la correspondance
Flaubert-Sand. Des vérités de raison et de sentiment, s. dir. Thierry Poyet, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2013.
30
Geneviève De Viveiros
racontars, les plaintes incessantes. « Sérieusement, on souffre avec Flaubert et pour
Flaubert, en lisant cette correspondance où son cœur saigne de souffrances imaginaires. Ajoutez qu’elle est d’une langue souvent médiocre et semée de trivialités
voulues et de jurons grossiers, par lesquels Flaubert croyait donner à toutes ses
pensées plus de pittoresque et de piquant », écrit, par exemple, Francisque Sarcey
dans Le xixe siècle43.
En refusant que leur correspondance ne devienne le lieu de confessions trop
intimes qui ne sauraient convenir à l’image voulue d’écrivain « sérieux », Flaubert
comme Zola cherchent à faire de la forme épistolaire un espace de consécration
de leurs idées esthétiques. La correspondance est vue et hautement désirée comme
un prolongement de l’œuvre entière. Cette transparence réaliste, Zola, quant à lui,
l’associe à l’idée de vérité qui lui est chère en spéculant sur l’authenticité de ses
propres lettres et l’intégrité de sa personne dans ce passage souvent cité de sa correspondance : « Je n’ai pas de secrets, les clés sont sur les armoires, on peut publier
toutes mes lettres un jour : elles ne démentiront ni une de mes amitiés, ni une de
mes convictions » 44.
*
*
*
Au terme de cette étude, plusieurs remarques s’imposent : d’abord, même si
la correspondance privée se voit peu à peu inscrite sous le régime des archives, sa
conservation, son accessibilité et sa diffusion passe par une série de dispositifs de
remédiation. La lettre relève d’un choix éditorial et surtout auctorial. Les correspondances comme d’autres formes de métatexte, sont issues d’un ensemble hétérogène
de manipulations diverses et elles ne doivent pas être considérées comme un genre
indépendant hors de leurs multiples contextes de production et de réception45.
À travers le métatexte que sont les lettres se met en place un discours sur le
rôle des archives et de la littérature dans la création de la mémoire collective. Les
lettres citées nous dévoilent aussi les tensions existantes dans le champ littéraire
et les diverses manœuvres des écrivains pour tenter de légitimer leur œuvre face à
la critique du xixe siècle comme face à celle de la postérité. Les correspondances
constituent un discours sur l’œuvre en même temps qu’elles sont un discours sur
les stratégies employées pour la reconnaissance de celle-ci. Les correspondances
sont donc aussi pour les écrivains un terrain de guerre pour faire valoir leurs idées
esthétiques. Les lettres illustrent les bases du combat mené par les écrivains pour
donner à la littérature de nouvelles frontières et de nouvelles étiquettes. Enfin, la
lettre en tant qu’archive et comme toute archive graphique se révèle aussi un espace
43. ������������������������������������������������
« Variétés. Lettres de Gustave Flaubert », dans Le xixe siècle, 10 février 1885. Sarcey résume,
en effet, assez bien l’ensemble des critiques adressées aux lettres de Flaubert par la presse de la
période. Voir aussi, par exemple, le texte de Brunetière du 1er février 1884 dans La Revue des deux
mondes sur cette publication.
44. Lettre à Henry Céard, 14 juin 1884 (Émile Zola, op. cit., t.V., p. 125).
45. Comme l’a bien souligné Cécile Dauphin, l’étude de l’épistolaire impose de « travailler sur
les limites » [citation apparemment fermée mais en même temps elle semble se poursuivre] [ce qui]
consiste à retrouver les diverses opérations qui ont rendu possible l’existence même du matériau, à
repérer les gestes qui l’ont « exilé » des pratiques et de leur temporalité propre, qui l’ont fait naître
en tant que corpus, pour l’établir en objet historique, en objet abstrait d’un savoir » (voir Cécile
Dauphin, « Les correspondances comme objet historique», dans Sociétés et représentations, vol. 13, n°
1, 2002, p. 5).
31
La lettre comme métatexte chez Flaubert et Zola
de transgression : elle nous informe par ce qu’elle rend disponible comme par ce
qu’elle censure, sur les conflits culturels d’une époque donnée.
Geneviève De Viveiros
Université Western Ontario
gdevivei@uwo.ca
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Abigail RayAlexander
Flaubert and Baudelaire on Trial:
On Authorial Intent, Intervention & Responsibility
before the Law
Abstract
This article explores the roles of authorial intent, intervention, and responsibility in the context of the 1857 trials of Flaubert and Baudelaire. Incorporating
thought from Barthes, Foucault, Poulet, and Booth, it offers a detailed study of the
proceedings of both trials that traces a nascent intentional fallacy. Finally, this article
integrates other publications and correspondence from Flaubert and Baudelaire to
show how they hold art to be above or beyond the law, despite their representations
of themselves while on trial. The multiplicity of projections of these two authors
complicates the idea that an author can be convicted as a singular entity guilty of a
literary crime.
Résumé
Cet article examine les�������������������������������������������������������������
rôle��������������������������������������������������������
s de l’intention, de l’intervention et de la responsabilité de l’auteur dans le contexte des procès de Flaubert et de Baudelaire en 1857. En se
fondant sur des réflexions de Barthes, Foucault, Poulet et Booth, il propose une étude
détaillée de ces deux procès qui soulèvent la question de l’erreur d’intention. En examinant d’autres publications et correspondances de Flaubert et Baudelaire que celles
incriminées dans le cadre de ce procès, il s’agit de montrer comment leur conception
de l’art se situe au-dessus ou au-delà des lois, en dépit des représentations d’eux-mêmes
qu’ils livrent à l’occasion de ces procédures judiciaires. La multiplicité des projections
de ces deux auteurs remet en cause l’idée qu’un auteur puisse être envisagé comme une
entité singulière coupable d’un crime littéraire.
To refer to this article:
Abigail RayAlexander, “Flaubert and Baudelaire on Trial: On Authorial Intent, Intervention & Responsability before the Law”, in Interférences littéraires/Literaire interferenties,
15, “The Risks of Metatextuality”, Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros (eds),
february 2015, 35-51.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, february 2015
Flaubert and Baudelaire on Trial:
On Authorial Intent, Intervention & Responsibility before the Law
Nous sommes tous pendus ou pendables.
Charles Baudelaire1
Literary trials offer a unique domain for examining authorial intervention.
Since an author must answer for his or her work in a literary trial, a conflation of
author and work occurs. If the words are found guilty, the writer pays. Additionally,
when an author is called upon to defend his or her work, he or she often must, via
their legal proxy, espouse some intent relative to their work. As a result, the author
makes a move from the usual modern-day status of “implied” or even “dead” to
something seen as “definitive” and very much “alive” and present within the work.
While an author’s legal defence does not necessarily represent the true intent of
the author, the status of the author at the moment of a trial brings to the fore the
tensions embedded in questions surrounding authorial intent, intervention, and responsibility. Just as a literary prosecution often aims to singularize the intent of an
author as immoral, blasphemous, etc., it also often singularizes both the work and
the author. However, in some trials, the allowance for multiple meanings within a
work still does not protect its creator from guilt brought on by one specific interpretation of the author’s work.
In 1857, two sensational literary obscenity trials occurred in Paris regarding
Flaubert’s Madame Bovary and Baudelaire’s Les Fleurs du Mal. One central aspect
of these trials involves an attempt to discern the distance – if any – between the
writers and their “obscene” narrators, characters, and events. While the belief in
authorial intention plays a crucial role in Flaubert’s trial and verdict, it does not hold
the same weight for Baudelaire’s prosecution (despite the fact that these trials have
the same prosecutor). In Baudelaire’s trial, the judges uphold a more “modern” dismissal of the importance of authorial intention, concluding that Baudelaire’s work
could have an immoral impact regardless of the aim of the author. Exhibiting his
recognition of the potential impact of his statements in his trial, Flaubert hires a
stenographer to keep a record of his trial in its entirety, which record was published
shortly thereafter alongside the novel. In their private correspondence and in other
publications beyond the trials, both writers occupy different stances concerning the
trials than those that they occupy during the trials. The availability of these writers’
private statements and opinions published subsequent to their trials complicates the
modern perspective on authorial intent regarding Flaubert and Baudelaire by providing different possibilities for understanding the writers’ opinions of these trials.
1. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Jacques Crépet, Georges Blin and Claude Pichois
(eds.), Paris, Corti, 1969, 362.
35
Flaubert and Baudelaire on Trial
To briefly recapitulate the facts surrounding these two trials, Flaubert and
Baudelaire were both tried on charges of offences against public and religious morality. Both trials had Ernest Pinard, who would a decade later become Minister of
the Interior, as their prosecutor. Flaubert, defended by Antoine Sénard on January
31, 1857, was acquitted of both charges on February 7; Baudelaire, defended by
Gustave Chaix d’Est-Ange on August 20, 1857, was acquitted of offences against
religious morality but convicted of offences against public morality on the same
day of his trial. As his sentence, six of Baudelire’s poems from Les Fleurs du mal
were suppressed, he was fined 300 francs, his editor Poulet-Malassis and his printer
de Brois were both fined 100 francs, and all three paid for the costs of the trial.
After writing to Princesse Mathilde, Baudelaire received a reduction of his fine to
50 francs. In 1949, nearly a century following Baudelaire’s trial, a court of appeals
reviewed his trial, annulled the 1857 conviction, and officially rehabilitated the six
“pièces condamnées”, thereby protecting their publishers from the still officially
illegal, though ongoing and unpenalized, publications of these suppressed poems.
Many studies exist that juxtapose these two trials.2 Hannoosh’s study inspires my examination of authorial intention within these trials. Hannoosh finds
that Pinard’s modifications to his prosecution of Baudelaire following his failure
to convince the tribunal to convict Flaubert leads this prosecutor to argue a more
“modern” view of authorial intention (which view the tribunal accepts). She finds
that, by de-emphasizing the importance of Baudelaire’s intentions in his poetry and
by stressing instead the importance of the effect of his works, Pinard convinces
the judges to remove the question of authorial intent from this second trial. Two
complications that I will add to Hannoosh’s astute study stem from the slipperiness
underlying authorial intention in this early instantiation of a “modern” reading.
Firstly, I find that Pinard’s “modern” means of reading via dismissing authorial
intent begins to arise during his prosecution of Flaubert. Secondly, in both trials,
I find that even while at times attempting to divorce the writers from their works,
Pinard and the two defence lawyers still at times treat the writers and their works as
interchangeable.
Hannoosh clarifies the radical nature of this “modern” means of reading a
work as divorced from its author (and from its other parts) that Baudelaire’s judges
adopt following Pinard’s cue:
On these two points, then – authorial intention and the integrity of the work
of art – the judges’ verdict ran counter to accepted ways of reading and were
seen to do so at the time. Indeed, in no other trials are the moral intention
of the author and the moral character of the book accepted but considered
secondary to the immoral nature of particular scenes […].3
Paradoxically, multiplicity emerges as a concern in the midst of this tendency to
conflate a writer with a work. Multiple parts of a work, multiple understandings of
an author, and multiple readings by multiple readers all collide in these trials examining the role and possible guilt of authors with regard to their published words.
However, alongside these possibilities for multiplicity, both the prosecution and the
2. See for example Yvan Leclerc, Crimes écrits, Paris, Plon, 1991 and Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l’écrivain, Paris, Seuil, 2011.
3. Michèle Hannoosh, “Reading the Trial of the Fleurs du Mal”, in: The Modern Language Review,
2011, 106, 2, 385.
36
Abigail RayAlexander
defence in these trials still argue for a singular interpretation of a work, leading either to the author’s guilt or innocence. The germ of a “modern” view of the author
as dead and of authorial intent as null found in these trials arises amidst a muddled
conglomeration of singularity and plurality pertaining to writers, readers, and texts.
Over a century after these trials, a number of theoretical works emerge to
complicate views of the authorial figure. Fortuitously and arguably not coincidentally, Flaubert and Baudelaire both make appearances in many theoretical texts
treating the roles of writers and readers. In resistance to a hermeneutical approach
to a work as best read when the reader’s interpretation aligns with the writer’s intention, Wimsatt and Beardsley publish an essay entitled “The Intentional Fallacy” in
1946. 22 years later, Roland Barthes writes his 1968 article “La mort de l’auteur”,
in which he includes Baudelaire as an example of an author whose work is interpreted with an over-dependence on his biographical information: “[…] La critique
consiste encore, la plupart du temps, à dire que l’œuvre de Baudelaire, c’est l’échec
de l’homme Baudelaire […]”.4 In resistance to this tendency, Barthes insists that a
superior means of reading a work pays no heed to authorial intent or to biographical information surrounding the author. He distinguishes the “Author” from the
“modern” writer along temporal lines. While the “Author” is seen as the past of the
work and the parental (here paternal) force nourishing the work, the “scripter” is
born at the same time as the work.5 Barthes thus introduces a temporal separation
between a work and its writer. This view liberates a work from the past presence
of its maker and allows the work and the author to signify differently for all of its
readers.
While describing this “modern” writer, Barthes includes examples from the
writing of both Flaubert and Baudelaire. He incorporates Flaubert’s characters
Bouvard and Pécuchet as well as Baudelaire’s comments on De Quincey to illuminate the shift from a view of the “Author” as communicating “passions, humors,
sentiments, impressions”, etc. from within himself to a reader via the work, to a
view of the “modern” scripter who has at his or her disposal only the “enormous
dictionary” of words recycled from other pieces of writing.6 This “modern” scripter
thereby undergoes an erasure of the personal characteristics that can be found in a
less “modern” “Author”. Barthes goes on to view thinking of the “Author” while
interpreting a text as placing a “stop clause” on the text, limiting its potential significance and effect: “[…] L’Auteur trouvé, le texte est ‘expliqué’”.7
By resisting this antiquated means of reading with the “Author” in mind and
thereby resisting the impulse to “arrest meaning”, Barthes finds that reading undergoes a liberation that also resists the law:
Par là même, la littérature […], en refusant d’assigner au texte […] un “secret”, c’est-à-dire un sens ultime, libère une activité que l’on pourrait appeler contre-théologique, proprement révolutionnaire, car refuser d’arrêter le
sens, c’est finalement refuser Dieu et ses hypostases, la raison, la science,
la loi.8
4. Roland Barthes, Le Bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984, 62.
5. Ibid., 64.
6. Ibid., 65.
7. Ibid., 66.
8. Ibid.
37
Flaubert and Baudelaire on Trial
Barthes’ incorporation of the law as an exemplary field of arrested meaning serves
as a useful means of grounding the analysis of literary trials. As an author necessarily enters into a literary trial as a figure attached to his or her text, a literary trial
embodies the old means of reading that Barthes resists. It seems that only an “Author” can be put on trial, while a “scripter” cannot. Nevertheless, as we shall see,
both Flaubert’s and Baudelaire’s trials paradoxically incorporate a more “modern”
means of regarding these writers.
Barthes ends this work with a claim as to the unique space occupied by the
reader. According to Barthes, it is within the reader that the multiplicities of a work
converge. In becoming this space for collection, readers in turn strip themselves of
personal traits: “[…] Le lecteur est un homme sans histoire, sans biographie, sans
psychologie; il est seulement ce quelqu’un qui tient rassemblées dans un même champ
toutes les traces dont est constitué l’écrit”.9 As an initial note, the readings offered by
the prosecution and the defence during these two trials represent just that, readings.
Whether the lawyers attempt to singularize or pluralize the possible readings, they all
still offer interpretations of the texts and of their authors that reflect different readers’ projections of what Booth deemed an “implied author” in 1961:
To put it in this way, however, is to understate the importance of the author’s
individuality. As he writes, he creates not simply an ideal, impersonal “man
in general” but an implied version of “himself ” that is different from the
implied authors we meet in other men’s works. To some novelists it has seemed, indeed, that they were discovering or creating themselves as they wrote.10
Multiplicity is thus also extended to authorial projections of themselves in this field
of thought. In his study of Booth’s work, Shen offers a terminological differentiation between the act of “encoding” an “implied author” (the process of creating
this persona enacted by the writer) and the act of “decoding” an “implied author”
(the process of creating this persona enacted by the reader).11 As an “implied author” can be the product of either an author or a reader, the possible iterations of
an “implied author” of a single work abound. Both processes show their centrality
in a literary trial.
1. Flaubert’s Trial12
Early in his prosecution of Flaubert, Pinard conjures authorial intent as discernible even in the novel’s title: “C’est encore là un titre qui n’explique pas la
pensée de l’auteur, mais qui la fait pressentir. L’auteur n’a pas voulu suivre tel ou tel
système philosophique vrai ou faux, il a voulu faire des tableaux de genre, et vous
allez voir quels tableaux !!!”.13 The author’s desire stands at the centre of Pinard’s
analysis here, as he leads into his arguments that Flaubert’s work both glorifies adultery at the expense of marriage and describes Emma’s religious experiences in an
9. Roland Barthes, Le Bruissement de la langue, 67.
10. ���������
Wayne C. Booth, The Rhetoric of Fiction, Chicago, Chicago University Press, 1968, 70-71.
11. ����
Dan Shen, “What is the Implied Author?”, in: Style, 45, 1, 2011, 80-98.
12. �������������������������������������������
For more on Flaubert’s trial, see Dominick LaCapra, Madame Bovary on Trial, London,
Cornell University Press, 1982.
13. ��������
Gustave Flaubert, Œuvres Complètes. 1851-1862, t. III, Claudine Gothot-Mersch (ed.),
Paris, Gallimard, 2013, 462.
38
Abigail RayAlexander
overly sexual manner. Pinard alternates between accusing Flaubert and accusing the
novel, at times conflating the two:
Avant de soulever ces quatre coins du tableau, permettez-moi de me demander
quelle est la couleur, le coup de pinceau de M. Flaubert, car enfin son roman est
un tableau, et il faut savoir à quelle école il appartient, quelle est la couleur qu’il
emploie, et quel est le portrait de son héroïne.
La couleur générale de l’auteur, permettez-moi de vous le dire, c’est la couleur
lascive, avant, pendant et après ces chutes !14
On account of this conflation, the pronoun “il” has an unclear antecedent, as it
could refer to either Flaubert or his novel. Pinard also distinguishes Flaubert from
the other two people accused for their role in the publication of Madame Bovary as
the person towards whom the tribunal should direct its most rigid condemnation:
“[…] Quant à Flaubert, le principal coupable, c’est à lui que vous devez réserver
vos sévérités!”15 Immediately following this singling-out of Flaubert as the guilty
party, Pinard guards against an objection that the work is moral, given that Emma is
arguably punished for her behaviour: “À cette objection deux réponses: je suppose
l’œuvre morale, par hypothèse, une conclusion morale ne pourrait pas amnistier
les détails lascifs qui peuvent s’y trouver. Et puis je dis: l’œuvre au fond n’est pas
morale.”16 From this statement, one finds that the novel carries the guilt.
Despite this conflation of the author and the work, Pinard ends with a more
“modern” view that edges towards dismissing authorial intent and foreshadows his
stance in Baudelaire’s trial. Concluding a series of questions as to why the tribunal
may condemn “le livre”, Pinard asks the following question: “Le condamnerezvous au nom de la conscience de l’auteur? Je ne sais pas ce que pense la conscience
de l’auteur […].”17 Here Pinard acknowledges that he cannot speak to the thoughts
of the author’s conscience, and yet he goes on to assert that a line he cites from
the novel reflects the thought of a sceptic: “Ce n’est pas un cri d’incrédulité, mais
c’est du moins un cri de scepticisme.”18 This oscillation between “traditional” and
“modern” views of the “implied author” continues as Pinard shortly thereafter
recognizes that his thoughts on the work are those of a reader: “Voilà la conclusion philosophique du livre, tirée non par l’auteur, mais par un homme qui réfléchit
et approfondit les choses […]”.19 Flaubert and his work are divided at this point
in the prosecution, leaving room for Pinard to interpret the text. Pinard describes
his conclusions as those of a man capable of reflection. Earlier in the trial, Pinard
explicitly expresses the concern that this work will fail to be properly judged by
female readers who do not possess the cold clarity of “des hommes qui s’occupent
d’économie politique ou sociale”.20 Pinard presents himself as a male reader capable of submitting Madame Bovary to the moral standards of his Christian society,
which only then provides for some means of dominating Emma. Within the work
itself, Pinard claims there are no forces capable of dominating and appropriately
14. Ibid., 465. Emphases mine.
15. Ibid., 478.
16. Ibid., 478-479.
17. Ibid., 480.
18. Ibidem.
19. Ibidem.
20. Ibid., 479.
39
Flaubert and Baudelaire on Trial
chastising her. It appears that the lack of authorial explanation (and moralization)
presents a danger for some readers unable to draw the conclusions that Pinard can
draw. Through this posited alternative reading, Pinard encourages the tribunal to
imagine a potentially dangerous reading by other (female) readers, incapable of interpreting the text in a moral fashion.
In 1968, Poulet’s article entitled “Phénoménologie de la conscience critique”
appears in publication. Poulet studies the reader’s instantiations of subjectivity – or
the reader’s “je” as differentiated from the reader’s “JE” – in this work. He finds
that a reader experiences the thoughts of another being (which he does not simply
view as the author), and this experience of “foreign” thoughts creates another subjectivity within a reader:
[…] Toute pensée devant avoir un sujet qui la pense, cette pensée étrangère
qui est en moi doit aussi avoir en moi un sujet qui m’est étranger. […] Quand
je lis, je prononce mentalement un JE, et pourtant ce JE que je prononce n’est
pas moi-même.21
The multiplicity of the reader borne from reading is based in the reader’s identification with another subject lending thoughts to the reader. And yet, the subject with
which the reader identifies is not easily classified. Poulet finds the proposition that
the author is equivalent to the subject that is read in a work to be false: “Le sujet qui
s’y trouve révélé à moi par la lecture que j’en fais n’est pas l’auteur […]. Le sujet qui
préside à l’œuvre, ne peut être que dans l’œuvre.”22 By reintegrating the reader, this
idea complicates the practice of putting an author on trial as the speaking subject
of a literary work. By presenting a female “JE” at risk of misinterpreting Flaubert’s
work, Pinard showcases this idea of the malleability and multiplicity of a reader’s
identity while interacting with a literary work (although with different ends).
In Flaubert’s defence, Sénard also accentuates the role of reading by insisting
that Pinard’s interpretation of Madame Bovary serves as just one reading of this text.
Sénard makes this argument while presenting both a different Flaubert as “implied
author” and a different Madame Bovary than those seen through Pinard’s interpretation:
Son livre […] reprendra bientôt devant vous sa véritable couleur, en même
temps qu’il fera connaître les intentions de l’auteur. Et, de la parole trop habile
que vous avez entendue, il ne restera dans vos souvenirs qu’un sentiment d’admiration profonde pour un talent qui peut tout transformer.23
While defending Flaubert, Senard emphasizes the writer’s upstanding character.
Based upon his personal familiarity with Flaubert, Sénard argues that the author’s
intentions are good and that such a lewd reading of his work results from the
distortions placed upon it by a reader’s interaction with the text. After producing
this lewd interpretation of the work, Sénard accuses Pinard of also conjuring an
injurious representation of the author behind the work; put into Shen’s terms, Sénard accuses Pinard of “decoding” a spurious “implied author”. Unlike Pinard’s
Flaubert, Sénard’s Flaubert is no painter of lasciviousness.
21. ��������
Georges Poulet, La Conscience Critique, Paris, Corti, 1971, 281.
22. Ibid., 284.
23. ��������
Gustave Flaubert, Œuvres completes, t. III, 483. Emphases mine.
40
Abigail RayAlexander
Sénard defends Flaubert’s work on the basis that it inspires “l’excitation à
la vertu par l’horreur du vice”.24 Throughout his plea, Sénard repeatedly conflates
Flaubert and his work with the aim of exposing the wish of his client to create an
accordingly useful (utile) work. For example, Sénard argues that this work is useful
as a warning against the perils of provincial education. On this theme, Sénard too
posits an imaginary female reader of Flaubert’s novel: “[…] Ce livre mis dans les
mains d’une jeune femme, pourrait-il avoir pour effet de l’entraîner vers des plaisirs
faciles, vers l’adultère, ou de lui montrer au contraire le danger […] et de la faire frissonner d’horreur?”25 Sénard also presents other sources of approval of this novel,
including “des mères de famille”, Lamartine, “les littérateurs de notre temps”, and a
“vénérable ecclésiaste” who lends Flaubert a book on the catechism.26 All of these
participants in the reception and production of Flaubert’s work lend the novel diversity in its readers’ approval. By mentioning these figures, Sénard encourages the
tribunal to adopt multiple perspectives as readers in order to see the far-reaching
utility of this work. Despite the diversification of readers that Sénard incorporates,
he eventually concludes that only one overall interpretation of this work is possible:
“La lecture de ce livre ne peut pas produire sur vous une impression autre que celle
qu’elle a produite sur nous, à savoir: que ce livre est excellent dans son ensemble, et
que les détails en sont irréprochables.”27 All of the individual readings thus merge
into one universal positive reading of Flaubert.
While inserting this flattering vision of Flaubert as the source of the work,
Sénard insists that the author does in fact clarify his warnings: “J’appelle cela une
excitation à la vertu, par l’horreur du vice, ce que l’auteur annonce lui-même, et
ce que le lecteur le plus distrait ne peut pas ne pas voir, sans un peu de mauvaise
volonté.”28 However, at a certain point in this plea, Sénard momentarily introduces
distance between Flaubert and his work in reference to Pinard’s claim that the novel
espouses the viewpoint of a sceptic: “Je n’ai pas ici de profession de foi à faire, je
n’ai que le livre à défendre […]”.29 Despite this momentary glimpse at a viewpoint
resonant with the intentional fallacy, Sénard quickly returns to treating the man
and the work as one and speaks of the author’s good thoughts as showing through
certain passages within the work. In direct contrast to his earlier claim that he need
only defend the book, Sénard later asserts that he defends the author: “Je défends
un homme qui […]”.30 In conclusion, Sénard ends with his established plea that the
tribunal forgive the work now that they better know its author through the upstanding text:
En le faisant venir en police correctionnelle, - lui, que vous connaissez maintenant un peu par son livre, lui que vous aimez déjà un peu, j’en suis sûr, et que
vous aimeriez davantage si vous le connaissiez davantage, - il est bien assez, il
est déjà trop cruellement puni. À vous maintenant de statuer. Vous avez jugé
piro,
24. Ibid., 482. This argument was far from new in literary trials of this period. See Gisèle SaLa Responsabilité de l’écrivain, 216.
25. Ibid., 485.
26. Ibid., 490-524.
27. Ibid., 532.
28. Ibid., 514.
29. Ibid., 518.
30. Ibid., 532.
41
Flaubert and Baudelaire on Trial
le livre dans son ensemble et dans ses détails ; il n’est pas possible que vous
hésitiez !31
Just as there is only one judgment for the work, Sénard insists there is also only one
judgment for the author.
Both Pinard and Sénard alternate between two sets of tendencies: conflating
and separating the author from the work, and multiplying and reducing the possible
readings of the work. In both of their presentations, the possibility for a “modern”
view of the author as separate from the work arises momentarily, but this view does
not dominate the proceedings. Both Pinard and Sénard recognize the possibility for
multiple interpretations of a work by different readers; however, while Pinard utilizes this plurality of readings to expose the danger posed by Madame Bovary in the
hands of ill-equipped readers, Sénard appeals to multiple readers’ interpretations
to demonstrate that the only correct view of this work is one of irreproachability.
2. Baudelaire’s Trials32
As in Flaubert’s trial, both sides of Baudelaire’s trial exhibit oscillations between
different views of authors and of readings. Early in his accusation of Baudelaire,
Pinard claims that the role of the judge is not that of a literary critic but instead of
that a determiner as to whether or not a line has been crossed. Pinard very explicitly
instills a divide between Baudelaire and his work: “Ce n’est pas l’homme que nous
avons à juger, c’est son œuvre […]”.33 However, in the following sentence, Pinard
slips back into speaking of Baudelaire’s work by speaking of Baudelaire the person:
“Charles Baudelaire n’appartient pas à une école. Il ne relève que de lui-même. Son
principe, sa théorie, c’est de tout peindre, de tout mettre à nu.”34 At a certain point in
his accusation, Pinard calls upon the tribunal to consider whether or not Baudelaire
was aware of his committing this alleged offence: “Vous apprécierez si Baudelaire,
cet esprit tourmenté, qui a voulu faire de l’étrange plutôt que du blasphème, a eu
conscience de cette offense-là.”35 Authorial
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intent holds strong in this position, despite Pinard’s opening claim of his aim to judge the work and not the man.
Knowledge of Baudelaire’s personal turmoil also seems to be present in his
recrimination more than was the case in Flaubert’s trial. Both Poulet and Barthes
comment upon the particular difficulty of forgetting Baudelaire the man when
reading his works. Poulet includes Baudelaire as an example in his argument for
viewing the presiding subject of a work as the result of the interaction of a work
and a reader, resonating with Barthes’ earlier-cited commentary upon Baudelaire’s
works as overly informed by “the failure of the man Baudelaire”. While Poulet still
supports incorporating biographical information into one’s reading of a work, he
tempers this view by separating the identity of an author from the work via the
example of Baudelaire:
31. Ibidem.
32. For more on Baudelaire’s trials, see Pierre Flottes, “Les deux procès des Fleurs du Mal”,
in: Revue des Sciences Humaines, 1957, 85, 101-110.
33. André Guyaux, Un Demi-siècle de lectures des Fleurs du Mal, Paris, Presses de l’Université
Paris-Sorbonne, 2007, 217.
34. Ibidem.
35. Ibid. 220.
42
Abigail RayAlexander
Quelle que soit la masse des informations que j’acquiers sur Baudelaire ou
Racine, quel que soit même le degré d’intimité où je parviens avec leur génie,
je sens que cet apport est insuffisant pour m’éclairer en son fond propre, en sa
perfection formelle, en le principe subjectif qui l’anime, l’œuvre particulière,
Phèdre ou Le Balcon, dans la lecture de laquelle je suis présentement absorbé.36
Barthes, Poulet, and Pinard all draw attention to a particularly strong urge to colour
one’s interpretation of Baudelaire’s work with knowledge of his personal life, and
this same urge leads Pinard to refer to Baudelaire as “cet esprit tourmenté”.
Similar to his statement in Flaubert’s case, Pinard allows for multiple readings of Baudelaire’s work and calls attention to the possibility of certain readers’
unpreparedness for what he considers to be a positive moral interpretation. He
acknowledges the defence of didactic portrayals of evil as horrific in order to inspire virtue, but he asks if the “lecteurs multiples, de tout rang, de tout âge, de toute
condition, prendront-ils l’antidote dont vous parlez avec tant de complaisance?”37
Here Pinard posits a didactic desire within Baudelaire only to say that regardless
of this desire, possible immoral readings of the text may still arise within readers.
In conclusion, Pinard retains the separation of Baudelaire and his work with which
he introduces his case (somewhat at the expense of the reputation of Baudelaire’s
“implied author”): “Soyez indulgents pour Baudelaire, qui est une nature inquiète
et sans équilibre. […] Mais donnez, en condamnant au moins certaines pièces du
livre, un avertissement devenu nécessaire.”38 Baudelaire receives both a degree of
separation from his work and a degree of affiliation with the other “guilty” writers
of his time. However unwell he may be, Baudelaire becomes the warning for future
writers of the consequences of publishing works that risk mis-reading.
To open his plea, Chaix d’Est-Ange presents a vision of Baudelaire as divided
into two entities, the honest man and the convicted artist: “Charles Baudelaire n’est
pas seulement le grand artiste et le poète profond et passionné […]. Il est plus: il est
un honnête homme, et c’est pour cela qu’il est un artiste convaincu […]”.39 ��������
This adjective “convaincu” encapsulates two projected aspects of Baudelaire: his intimate,
artistic conviction with regard to his work and his forthcoming legal conviction.
Foucault’s thought on the rise of the authorial figure as coeval with the transgressions of the work is succinctly concentrated in this adjective. In his analysis of the
“author function” in his 1969 lecture “Qu’est-ce qu’un auteur ?”, Foucault begins
by locating the entry of the author at the point at which the author is put on trial:
“Les textes, les livres, les discours ont commencé à avoir réellement des auteurs
(autres que des personnages mythiques, autres que de grandes figures sacralisées
et sacralisantes) dans la mesure où l’auteur pouvait être puni, c’est-à-dire dans la
mesure où les discours pouvaient être transgressifs.”40 Ownership of a text by an
authorial figure and punishment for a text’s transgressions are here seen as coeval
phenomena. It is the act of putting an author on trial that generates the author
function.
36. Georges Poulet, La Conscience critique, 284.
37. André Guyaux, Un Demi-siècle, 221.
38. Ibid. 222-23.
39. Ibid., 225.
40. Michel Foucault, Dits et Écrits, vol. 1, D. Defert (ed.), Paris, Gallimard, 1994, 799.
43
Flaubert and Baudelaire on Trial
This process of identifying an author in relation to his or her text also brings
about a projection of the author from the vantage points of what may be called
the author’s “jurors”. Foucault describes the authorial figure as a “projection” that
is “constructed”.41 Both the jurors judging an author’s work and the readers of an
author’s work formulate a projected, singular being that is referred to as the author.
However, the author is also a plural being. Foucault mentions the usage of the
first-person pronoun and the authorial narrator in prefaces as devices showcasing
the distance separating the author from the “alter ego” that writers may project of
themselves in their works: “En fait, tous les discours qui sont pourvus de la fonction-auteur comportent cette pluralité d’ego.”42 In the process of putting a work
and its author on trial, both the potentially plural readings and authors undergo a
paring down: “La question devient alors: comment conjurer le grand péril, le grand
danger par lesquels la fiction menace notre monde? La réponse est qu’on peut les
conjurer à travers l’auteur. L’auteur rend possible une limitation de la prolifération
cancérisante […]”.43 It is because of the guilt of the work, it is because the text
transgresses, that authors are needed as a singular target at which criticism may aim.
In putting authors on trial, jurors (who are also readers) hold accountable one or
only a few of the many possible significations of a text via a human proxy. This
human embodiment of a plurality of possible forms is then singularized into one
entity known as “the author”.
On account of this momentary singularization of the author during a trial,
it appears to be necessary for an author to at least seem to be convicted (that is, to
demonstrate their surety as to a singular, moral intent behind a work) when defending a work on behalf of which the author risks being legally convicted. According
to Chaix d’Est-Ange’s logic, Baudelaire’s work contains a distillation of the honest
man who writes: “Son œuvre, […] il l’a portée, il l’a mûrie dans son cerveau, avec
amour, comme la femme porte dans ses entrailles l’enfant de sa tendresse…”44 By
comparing Baudelaire’s relationship to his work to that of a mother and her child,
Chaix d’Est-Ange also implies some agency on the part of the work itself. After
its separation from Baudelaire, the work, like a child, may act against Baudelaire’s
wishes. Paradoxically, this comparison also resonates with Barthes’ take on the less
“modern” view of a work as part of the past of a paternal “Author”. Under a
Barthesian lens, Chaix d’Est-Ange embodies a “traditional” reader of Baudelaire’s
authorial impact on his work.
As Chaix d’Est-Ange argues, one must study not just the work but also
“l’esprit qui anime le livre”.45 Concerning Baudelaire’s wishes and intentions, Chaix
d’Est-Ange leaves no room for doubt, arguing, similarly to Sénard in Flaubert’s trial,
that his defendant’s intention in portraying vice is to inspire horror in his readers:
Est-ce que, sérieusement, ses intentions peuvent être douteuses; est-ce que
vous pouvez hésiter un instant sur le but qu’il a poursuivi et sur la fin qu’il
s’est proposée ? Vous l’avez entendu lui-même il n’y a qu’un moment, dans les
41. Ibid., 800-801.
42. Ibid., 803.
43. Ibid., 811. This citation is a variant translated by Daniel Defert.
44. André Guyaux, Un Demi-siècle, 225.
45. Ibid., 226.
44
Abigail RayAlexander
explications si loyales qu’il vous a données et vous avez été frappés sans doute
et émus de ces protestations d’un honnête homme.46
Unfortunately, Baudelaire’s statement was not preserved. While speaking on behalf
of Baudelaire, Chaix d’Est-Ange’s repeated insistence on the honesty of Baudelaire
gains significance when considered in light of theories of authorial intention. Authors can of course lie about their intentions if called upon to clarify them. Emphasizing the author’s honesty becomes a means of dispelling such anxieties surrounding authors’ projections of themselves, or certain of their “encoded implied
authors”, as potentially false. Chaix d’Est-Ange ends his plea with this same emphasis upon Baudelaire’s personal goodness and artistic good intentions, insisting that,
with a view of Baudelaire as a righteous and well-intentioned “implied author”,
the judges of his work must see that the work reflects its author and is therefore
similarly moral.
In both trials, the prosecution and the defence oscillate between separating
the work from its writer and conflating the two. Since a literary trial presents a particularly singularizing realm for an author, the allowance for multiplicity on the part
of the prosecutor suggests a transition towards dismissing both the figure of the
author as a singular being as well as authorial intention. This “modern” means of
reading emerges in inchoate form in Flaubert’s trial and then becomes more pronounced in Baudelaire’s trial. Both defenders lean more towards singularizing their
author and the reading of the author’s work in order to portray positive, upstanding
impressions of both the author and the work. In this way, the defence seems more
representative of “traditional” views of reading, even though “modern” readings
that take the intentional fallacy into account and present the author as completely
separate from the work would presumably free the author from incrimination. Dismissing authorial intent hinges upon recognizing and accepting two ideas: the multiplicity of authors and readers, and the resulting separation between a text and its
author. Pinard’s more “modern” acceptance of multiplicity in the figures involved
in writing and reading somewhat ironically still leads to Baudelaire’s conviction.
Baudelaire’s judges decide that, regardless of Baudelaire’s possibly moral intent, his
poems will necessarily bring about harm, as they “conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur […]”.47 The
tribunal throws intent entirely out of the question and incriminates Baudelaire’s
poems without concerning itself with Baudelaire’s desired effect.
According to the 1949 trial rehabilitating Les Fleurs du Mal, this separation
of Baudelaire from his work should have ensured Baudelaire’s innocence.48 After
noting that the 1857 court throws out authorial intent as a consideration here, this
1949 trial also claims that what was considered lewd in Baudelaire’s time can no
longer even be found in the condemned poems. Concerning this later trial, Ladenson notes that extensive knowledge of Baudelaire’s literary life and afterlife seem
to be requirements for a sound reading of Baudelaire’s work: “To read Baudelaire
properly, and therefore to find him innocent of the charges leveled against him,
46. Ibid., 225.
47. Ibid., 247. On the irony of accusations of “realism” having been levied against Flaubert
and Baudelaire, see Gisèle Sapiro, La esponsabilité de l’écrivain, 218.
48. See Jacques Hamelin, La Réhabilitation Judiciaire de Baudelaire, Paris, Librairie Dalloz, 1952,
73.
45
Flaubert and Baudelaire on Trial
it seems, it was necessary to have been educated in a post-Baudelairean cultural
climate.”49 Authorial intent holds a more fixed role in this 1949 trial, in which proving the guilty intention of the author appears as a necessity for conviction. Despite
this shift in the importance of authorial intent that would potentially have made
Baudelaire innocent in 1857, this later trial finds both Baudelaire’s work and his
intent to be free of the offence for which they were once convicted.
3. Writings Beyond the Trials
Thanks to the availability of their private correspondence and their texts published prior to and following the trials, a modern reader gains the capacity to view
multiple faces and opinions of both Flaubert and Baudelaire. This is not to say that
there exist only two Flauberts and two Baudelaires in this study of the trials (these
two entities would be the writers on trial and the writers in private works or publications following the trials). In fact, as Booth argues, writers can project themselves
differently in each individual letter that they write.50 A turn to the correspondence
between Baudelaire and Flaubert concerning their trials illuminates the projections
of themselves that they send to one another. In August of 1857, Flaubert writes
to Baudelaire to tell him of his indignation upon hearing that Baudelaire would be
tried for his work: “Je m’y intéresse comme si [votre affaire] me regardait personnellement. Cette poursuite n’a aucun sens. Elle me révolte.”51 Flaubert also advises
Baudelaire to have his lawyer recite passages from Béranger.52
Baudelaire does advise his lawyer to do this, in his preparatory notes for his
defence. This document includes a projection of himself that Baudelaire advises
his lawyer to transmit during the trial. As such, one cannot ascribe to these statements perfect sincerity. In these notes, Baudelaire makes a telling statement about
the lack of authorial intervention in his work: “[…] Mon unique tort a été de compter sur
l’intelligence universelle, et de ne pas faire une préface où j’aurais posé mes principes littéraires et
dégagé la question si importante de la Morale.”53 With
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the tribunal as an audience, Baudelaire wishes to state that some authorial intervention on his part would have helped
clarify the morality in his work. He goes on in these notes to pluralize morality: “Il y
a plusieurs morales. Il y a la morale positive et pratique à laquelle tout le monde doit
obéir. Mais il y a la morale des arts. Celle-ci est toute autre […].”54 Alongside this
problematization of morality, Baudelaire also offers a problematization of liberty : “Il y a aussi plusieurs sortes de Liberté. Il y a la Liberté pour le Génie, et il y a une
liberté très restreinte pour les polissons.”55 ����������������������������������������
Morality and liberty here undergo a pluralization similar to that of authors and readers that future theoretical works would
explore. The differentiating factor for Baudelaire’s pluralities lies in the privileged
position of the arts and of “Genius” to follow different rules from those governing
the commonplace world. Put in a modification of Poulet’s terms concerning read49. ����������
Elizabeth Ladenson, Dirt for Art’s Sake, Ithaca, Cornell University Press, 2007, 48.
50. ������
Wayne Booth, Rhetoric, 71.
51. ��������
Gustave Flaubert, Correspondance, vol. IV, Paris, Louis Conard, 1902, 220.
52. �����������������������������������������
For more on Béranger’s trial, see Gisèle Sapiro, Responsabilité.
53. ��������
Charles Baudelaire, Fleurs, 435.
54. Ibid., 436.
55. Ibidem.
46
Abigail RayAlexander
ers, the authorial “JE” follows different laws than those governing the “je” external
to a text. Later, Baudelaire writes four drafts for a preface for Les Fleurs du Mal. In
these unfinished pieces, Baudelaire states that his work was not written for women
and that he does not wish to explain his work: “Mène-t-on la foule dans les ateliers
de l’habilleuse et du décorateur, dans la loge de la comédienne?”56 Variants of this
word “comédie” will reappear in Baudelaire’s thoughts on the role of writers.
Baudelaire responds to Flaubert’s letter on August 25, 1857, five days following his trial, which event he describes as a “comédie” in this letter: “La comédie s’est
jouée jeudi.”57 In this instance, though, Baudelaire highlights the falseness of the trial
by describing it as a comedy, suggesting that all parties involved in the trial become
actors merely portraying characters. In 1860, Baudelaire writes to Flaubert about the
work of writers: “Travailler, c’est travailler sans cesse; c’est n’avoir plus de sens, plus
de rêverie; et c’est être une pure volonté toujours en mouvement. J’y arriverai peutêtre.”58 The effacement of “sens” and “rêverie” with the aim of rendering oneself
a “pure volonté toujours en mouvement” exposes an understanding of ideal writers
that is similar to Flaubert’s: ideal writers efface their own private personhood to transform into the author of a work. This possibility for change of one’s self as a writer
and the resulting potential for multiplicity reflect Booth’s theory on the “implied author”. In fact, Booth mentions Flaubert while studying this aspect of an “implied author”: “Since Flaubert, many authors and critics have been convinced that ‘objective’
or ‘impersonal’ or ‘dramatic’ modes of narration are naturally superior to any mode
that allows for direct appearances by the author or his reliable spokesman.”59 Booth
also incorporates Flaubert’s idealization of an author to introduce his conception of
an implied author in this work: “Flaubert, writing in 1853, claims that even the artist
who recognizes the demand to be a ‘triple-thinker,’ even the artist who recognizes
the need for ideas in abundance, ‘must have neither religion, nor country, nor social
conviction.’”60 One here finds exemplified in Flaubert the idea that an author, like
Poulet’s reader, must rid him or herself of their “je” external to the work. Foucault
also incorporates Flaubert as an exemplar of authorial self-erasure:
L’œuvre qui avait le devoir d’apporter l’immortalité a reçu maintenant le droit
de tuer, d’être meurtrière de son auteur. Voyez Flaubert, Proust, Kafka. Mais
il y a autre chose : ce rapport de l’écriture à la mort se manifeste aussi dans
l’effacement des caractères individuels du sujet écrivant […].61
According to Foucault, Flaubert’s work kills Flaubert. Flaubert’s usage of the “style
indirect libre” as well as his own view that artists do best to extricate themselves
from their works lead to this authorial suicide.62
56. Ibid., 369.
57. ��������
Charles Baudelaire, Correspondance, Claude Pichois and Jérôme Thélot (eds.), Paris,
Gallimard, 2000, 139.
58. Ibid., 217.
59. ���������
Wayne C. Booth, Rhetoric, 8.
60. Ibid., 69-70.
61. Michel Foucault, Dits et écrits, 793.
62. ��������������������������������������������������������
On Flaubert’s usage of the free indirect style, see Roy Pascal, The Dual Voice: Free Indirect
Speech and Its Functioning in the Nineteenth-Century European Novel, Manchester, Manchester University
Press, 1977, 98-112.
47
Flaubert and Baudelaire on Trial
Baudelaire’s article on Madame Bovary appears in L’Artiste nearly two months
after Baudelaire’s trial. In this article, Baudelaire examines the means modern artists
must deploy to arouse the interest of “toutes ces vieilles âmes”:
Et aussi prenons bien garde à nous abandonner et à parler pour notre compte
propre. Nous serons de glace en racontant des passions et des aventures où le
commun du monde met ses chaleurs ; nous serons, comme dit l’école, objectif
et impersonnel.63
In this work on Madame Bovary, Baudelaire insists that writers remove their own
interests from their writing to become “objectif et impersonnel”, which view aligns
with Flaubert’s. Specifically within Madame Bovary, Baudelaire finds that Flaubert
also attempts to efface his own sex:
Il ne restait plus à l’auteur, pour accomplir le tour de force dans son entier, que
de se dépouiller (autant que possible) de son sexe et de se faire femme. Il en est
résulté une merveille ; c’est que, malgré tout son zèle de comédien, il n’a pas
pu ne pas infuser un sang viril dans les veines de sa créature, et que madame
Bovary, pour ce qu’il y a en elle de plus énergique et de plus ambitieux, est
restée un homme.64
Flaubert, though talented, is not a perfect “comédien” because he leaves traces of
his sex in Emma. Baudelaire’s usage of the word “comédien” to describe a writer
links his study of Flaubert to his writings about his own work. In the first publication of Les Fleurs du Mal, a note introducing the “Révolte” section includes the following claim concerning the author of these poems: “[…] Fidèle à son douloureux
programme, l’auteur des Fleurs du Mal a dû, en parfait comédien, façonner son esprit
à tous les sophismes comme à toutes les corruptions.”65 One finds this Baudelaire
writing through a projection of himself in the third person, as “l’auteur des Fleurs du
Mal”. He describes this authorial entity as a “parfait comédien” who merely ����������
– but
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perfectly ����������������������������������������������������������������������������
– ��������������������������������������������������������������������������
portrays his surrounding “sophismes” and the “corruptions” without inserting his external “je” into the work. Nevertheless, in an 1866 letter to Narcisse Ancelle,
Baudelaire writes of his potential for dissimulation concerning this role of comédien:
Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres, que dans
ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion (travestie), toute ma haine ? Il est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes
grands Dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie ; et je mentirai
comme un arracheur de dents.66
63. Charles Baudelaire, Écrits sur la littérature, Michel Zink and Michel Jarrety (eds.), Paris,
Le Livre de Poche, 2005, 197.
64. Ibid. 199. On Baudelaire’s interpretation of Emma as a figure resisting gender assignment,
see Yvan Leclerc, “Madame Bovary et Les Fleurs du mal: lectures croisées”, in: Romantisme, 1988, 62,
41-49.
65. Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Le Livre de Poche, 1999, 176. Hannoosh sees
this citation and others in Baudelaire’s work as aiding him to avoid the charge of offences against
religious morality (as many poems accused of religious offence appeared in “Révolte”): “The charge
was not proved because if the evidence were pastiche, it could not, in a sense, be proved. Baudelaire
the vieux saltimbanque, the perfect comédien, the master of dédoublement, enjoying the ‘incomparable
privilège qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui’ (‘Les Foules’), mimicking the many voices of
nineteenth-century French society: this aesthetic, theorized in his critical essays and enacted in the
prose poems, had, in this instance, a crucial effect in the quashing of the charge.” (Michèle Hannoosh, “Reading”, 383).
66. ��������
Charles Baudelaire, Correspondance, 376.
48
Abigail RayAlexander
This letter works to negate Baudelaire’s claims of his role as a perfect comédien by
stating that he not only left traces of himself in this work –���������������������
comparable
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to Flaubert’s trace of masculinity left in Emma �������������������������������������������
– �����������������������������������������
but that he put all of his heart, tenderness, religion, and hatred into these poems.
In 1876, Flaubert writes to George Sand, in response to her criticism of
L’Éducation sentimentale as suffering because of the lack of authorial commentary to
explain the text: “Quant à laisser voir mon opinion personnelle sur les gens que je
mets en scène, non, non, mille fois non! Je ne m’en reconnais pas le droit.”67 The
usage of the word “droit” here inverts the logic of a literary trial and resounds
with Baudelaire’s view of the privileged morality and liberties of artists. While the
tribunal accuses Flaubert of failing to adequately elucidate the morality of his work,
Flaubert finds that he does not have the right to do just that. In February of 1880,
Flaubert writes a letter to Guy de Maupassant that is published in Le Gaulois a few
days later and that concerns Maupassant’s impending trial. In this letter, Flaubert
challenges the right to pursue writers within different genres: “Qu’on vous poursuive pour un article politique, soit ; bien que je défie tous les parquets de m’en
démontrer l’utilité pratique. Mais pour des vers, pour de la littérature ? non, c’est
trop fort !”68 Flaubert then discusses the unique morality of art: “Il faudrait s’entendre définitivement sur cette question de la moralité dans l’État. Ce qui est Beau
est moral, voilà tout, et rien de plus.”69 This passage resembles Baudelaire’s notes to
his lawyer, in which he claims that the “morale des arts” differs from the “morale
positive et pratique”.70 Flaubert also informs Maupassant that he will have to project himself falsely when on trial:
Pendant que ton avocat te fera signe de te contenir, – un mot pourra te perdre,
– tu sentiras derrière toi, vaguement, toute la gendarmerie, toute l’armée, toute
la force publique pesant sur ton cerveau d’un poids incalculable; alors il te
montera au cœur une haine que tu ne soupçonnes pas, avec des projets de
vengeance, de suite arrêtés par l’orgueil.71
Flaubert’s private opinions on the lack of the right of an author to judge a work
and his advice to dissimulate when on trial show that Flaubert’s public projection
of himself during his trial does not align with his private views concerning authorial
rights.
Thanks to the availability of these texts, one may today note the role of “comédien” that Baudelaire shares with Flaubert. As “comédiens”, these authors are
capable of projecting themselves through multiple entities that do not necessarily
represent the singularized being of the author that risks prosecution. Both Flaubert
and Baudelaire state that writers should not be subject to legal judgment for a work
of art, as art obeys a morality different from the everyday morality citizens are called upon to adopt. Despite their singular, obedient, and moral projections of themselves when on trial, Flaubert and Baudelaire recognize the multiplicity inherent in
67. ��������
Gustave Flaubert, Correspondance, vol. VII, Paris, Louis Conard, 1930, 285.
68. ��������
Gustave Flaubert, Correspondance, vol. VIII, Paris, Louis Conard, 1939, 397.
69. Ibidem.
70. ������������������������������������������������������������������������������������������
Ladenson finds this rebellion against morality to be a shared cornerstone of their works:
“[…] Both authors would be lost without the moral order they rebel against.” (Elizabeth Ladenson,
Dirt, 67).
71. Gustave Flaubert, Correspondance, vol. VIII, 400.
49
Flaubert and Baudelaire on Trial
authors and – at least at times – encourage an authorial erasure of self which allows
for a new entity to emerge as the author of a particular work.
Conclusion: The authorial paradox lives
In his article on Madame Bovary, Baudelaire states that one will not find the
author of Madame Bovary within the novel:
Plusieurs critiques avaient dit: cette œuvre, vraiment belle par la minutie et la
vivacité des descriptions, ne contient pas un seul personnage qui représente la
morale, qui parle la conscience de l’auteur. Où est-il, le personnage proverbial
et légendaire, chargé d’expliquer la fable et de diriger l’intelligence du lecteur ?
En d’autres termes, où est le réquisitoire ?
Absurdité ! Éternelle et incorrigible confusion des fonctions et des genres ! –
Une véritable œuvre d’art n’a pas besoin de réquisitoire. La logique de l’œuvre
suffit à toutes les postulations de la morale, et c’est au lecteur à tirer les conclusions de la conclusion.72
According to this version of Baudelaire, an author cannot be found in a work of
art, a work of art needs no prosecution, and the responsibility to interpret a work
of art lies in the hands of its readers. Baudelaire’s name for that which readers may
draw from a work, “les conclusions de la conclusion”, condenses the collaborative work of interpretation that Poulet finds representative of reading. Alongside
the (singular) authorial “conclusion”, which may be viewed differently by different
readers and which may accompany different projections of an “implied author”,
there are also the (plural) “conclusions” of the reader. Poulet utilizes the phrase
“conscience mitoyenne” to describe the result of a reader’s consciousness intermingling with the perception of an authorial consciousness, which allows the reader to
experience novel thoughts.73 Poulet separates this “conscience mitoyenne” from a
more distant “conscience critique” that becomes “étonnée” when witnessing its
neighbouring consciousness adopt the thoughts of another within a work.74 The
job of a critic here begins to resemble the job of a prosecutor or defender in a trial.
In a literary trial, one must separate out the consciousness that can be experienced
while reading and taking on the thoughts or actions of another being from the
consciousness that can regard and critique this process of identification. Imagining
the possible “common consciousnesses” of different (especially female) readers
and the harm that such “common consciousnesses” could cause becomes an issue
for debate in the trials of Flaubert and Baudelaire. As Poulet and these trials exhibit,
readers divide themselves into multiple consciousnesses when reading, and one of
these consciousnesses seems to be composed of some complex combination of
the reader and the writer; moreover, readers may also imagine themselves inhabiting other readers’ “common consciousnesses” through their conceptualization of
the writer. While operating in the “common consciousness” of a work, a reader
actively participates in the creation of meaning through a text and becomes capable
of drawing conclusions from the work’s conclusions, which process, according to
Baudelaire, renders literary prosecution irrelevant.
72. Charles Baudelaire, Écrits sur l’art, 199-200.
73. Georges Poulet, La Conscience critique, 285.
74. Ibid., 286.
50
Abigail RayAlexander
The paradox at the heart of a literary trial resists full acknowledgement,
which makes all of its participants “comédiens” of some sort. Even if one finds
within legal proceedings some recognition that an author is not to be found in a text
(as occurs to varying degrees in the trials here studied), the participants of a trial
still operate as though the author can be found and/or judged through a text. This
impossibility of complete annihilation of the author still operates in today’s world
of literary scholarship. After Barthes’ exposition of the authorial death, the author
still does not completely disappear. Both the variable figures of an “implied author”
as well as the “flesh-and-blood” person exist or once existed, and all projections of
an author can still impact a reader’s interpretation of a work. The literary trials of
the works of – and therefore of the writers – Flaubert and Baudelaire make this still
paradoxical treatment of the figure of the author exceptionally evident. A literary
trial calls a “flesh-and-blood” author to answer for the potential crimes of one or
more “implied authors”. Even when an authorial intervention occurs – in the form
of a defence plea in literary trials, but the same applies to introductions, didactic
authorial voices, etc. – there is no guarantee that the claims of that particular authorial voice (or “comédien”) represent the views of the “flesh-and-blood” author.
And yet, trials occur, authors are called forth to defend or deny certain interpretations of a work, and authorial intent remains a concern. In 2002, Michel
Houellebecq faced charges for “incitement to religious and racial hatred” against
Islam in an interview with Lire magazine. During his prosecution, segments of his
literary works were read by the prosecution in an attempt to prove Houellebecq’s
anti-Islamic nature.75 If convicted, Houellebecq could have been fined €45,000 and
imprisoned for a year. However, Houellebecq was acquitted: “The courts and the
government were well aware of the dangers inherent in a successful prosecution:
with such a precedent, blasphemy laws would regain currency.”76 This contemporary example exposes the risks that writers still run today. Trials like those of
Flaubert and Baudelaire (and Houellebecq) remind modern readers that, far from
being resolved, the problems implicit in authorial intent, intervention, and responsibility persist beyond and despite their disavowal. As long as readers can find works
to be guilty and can project sufficiently guilty images of “implied authors”, writers
risk conviction.
Abigail RayAlexander
Johns Hopkins University
abby8710@gmail.com
75. ����������������������������������������������������
See “Houellebecq acquitted of insulting Islam”, in: The Guardian 22 October 2002, [online]. URL: <http://www.theguardian.com/books/2002/oct/22/islam.religion>.
76. �������
Sophie Masson, “The Strange Trial of Michel Houellebecq”, in: The Social Contract Press,
2003-04, 14, 2, 112.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Rafaella Uhiara
L’autocommentaire en scène
Les enjeux de la réflexivité dans un média éphémère
Résumé
L’autocommentaire en scène implique d’autres enjeux et d’autres risques que
le texte imprimé. Compte tenu de la nature du média théâtral, des questions comme
l’auctorialité ainsi que l’appartenance à l’œuvre et au hors d’œuvre s’y trouvent parfois
brouillées. Cet article traite, dans un premier temps, des spécificités du média théâtral
et du pacte particulier qui s’y instaure et est susceptible de rendre flous le statut de
certains autocommentaires, inscrits au sein d’un espace ambigu entre œuvre et nonœuvre. Il porte dans un second temps sur la réception de ces commentaires et sur la
manière dont ils mettent en place une représentation de soi ou de l’œuvre en recherchant, dans ce média éphémère, une adhésion – ou réaction – dans l’immédiat plutôt
que l’édification d’une réception dans le temps. Notre réflexion porte sur trois spectacles : Quixote (2001), de Fábio Namatame ; L’Effet de Serge (2007), de Philippe Quesne
et Disabled Theater (2013), de Jérôme Bel.
Abstract
Self-comments in theatre involve other stakes and risks than printed text. Given
the nature of theatre, issues like auctoriality and intentionality are sometimes confused.
The first part will deal with theatrical media specificities that blur the status of certain
self-comments; we will discuss there the creation of ambiguous spaces by playing with
the theatrical pact. The second part will reflect on the reception. It contains an analysis
on how these comments aim to develop an image of the artist or their work in order to
seek for an immediate adhesion (rather than building it in a long time run). Our study
is based on the three following shows: Philippe Quesne’s L’effet de Serge (2007); Fabio
Namatame’s Quixote (2001) and Jérôme Bel’s Disabled Theater (2013).
Pour citer cet article :
Rafaella Uhiara, « L’autocommentaire en scène : les enjeux de la réflexivité dans un
média éphémère », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, « Au
risque du métatexte », s. dir. Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, février
2015, pp. 55-62.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
L’autocommentaire en scène
Les enjeux de la réflexivité dans un média éphémère
L’autocommentaire en scène implique d’autres enjeux et d’autres risques que le
texte imprimé. Étant donné la nature du média théâtral, des questions comme l’auctorialité, l’œuvre et le hors œuvre s’y trouvent parfois brouillées. Des spécificités du média théâtral qui rendent flous le statut de certains autocommentaires feront l’objet de la
première partie. Dans un premier moment, il sera question de la création d’un espace
ambigu entre œuvre et non-œuvre par le jeu avec le pacte théâtral et, dans un second
moment, nous traiterons de la façon dont le comédien peut émettre des commentaires
hors œuvre à l’intérieur de la durée d’un spectacle. La seconde partie de l’article porte
sur la réception et la façon dont ces commentaires visent à mettre en place une représentation de soi ou du travail, recherchant, dans ce média éphémère, une adhésion – ou
réaction – dans l’immédiat plutôt que l’édification d’une réception dans le temps. Notre
réflexion s’appuiera sur trois spectacles : Quixote (2001), de Fábio Namatame, L’Effet de
Serge (2007), de Philippe Quesne, et Disabled Theater (2013), de Jérôme Bel.
1. Les spécificités de l’autocommentaire théâtral
Puisque dans cet art vivant le hasard a un rôle crucial, il est parfois difficile
de saisir ce qui est interne ou externe à une œuvre théâtrale. Cette partie s’intéresse à
la possibilité au théâtre de forger des espaces hors œuvre dont la vocation est d’être
utilisés pour émettre des autocommentaires.
1.1. Les frontières d’une œuvre théâtrale
L’évènement théâtral se fonde sur un pacte établi entre scène et salle. Des
spectateurs viennent participer à un évènement dans lequel il y aura fondamentalement deux espaces symboliques : celui de la scène et celui de la salle. Dans celui de la
scène, il peut y avoir une fiction et, quand ce n’est pas le cas, ce qui se passe dans cet
espace est au moins doté d’une charge symbolique différente. En effet, selon Élie
Konigson, historien du théâtre, « le lieu théâtral n’est pas la rue, mais un espace, qui
peut certes être la rue, mais soustrait à la contingence et organisé, c’est-à-dire investi
symboliquement »1. Ainsi, compte tenu de la nature de cet art, fondamentalement
différent de la littérature, il peut être parfois difficile de définir, dans une représentation théâtrale, si un discours est étranger ou propre à une œuvre.
Cette difficulté apparaît d’autant plus clairement dans le prologue du spectacle Quixote, mis en scène en 2001 par Fábio Namatame à São Paulo. Quand le pu1. Élie Konigson, « Le spectateur et son ombre », dans Le Corps en jeu, s. dir. Odette Aslan,
Paris, CNRS, 1993, p. 188.
55
L’autocommentaire en scène
blic entre dans la salle, le comédien est déjà en scène ; il parle de manière informelle
avec les spectateurs qui arrivent. Dans une captation du spectacle, il est possible
d’entendre des lycéens entrant dans la salle : « Mince ! On est en retard ! Le spectacle a déjà commencé ! »2, suivi de la réponse rapide du comédien : « Non, non !
C’est moi qui ne voulais pas rester dans les coulisses ! Tant qu’il n’y a pas les trois
coups, ça ne compte pas. Je ne joue rien pour l’instant ! ». Les trois coups, on ne les
entendra jamais, alors que ce prologue non-assumé dure une vingtaine de minutes,
soit un tiers du spectacle. Or, si les spectateurs croient que ce prologue n’est qu’une
petite conversation avec le comédien précédant le spectacle, ces autocommentaires
ne sont pas perçus par eux comme appartenant à l’œuvre et ne font pas l’objet
d’un investissement symbolique autre que celui d’une conversation quotidienne ; ils
considèrent alors ces commentaires comme « hors œuvre ». Ce prologue se reproduit suivant ce même canevas à chaque présentation ; il est ainsi conçu comme partie de l’œuvre par les créateurs. Cette partie est d’autant plus importante à l’intérieur
de la structure de cette œuvre que c’est elle qui permet au comédien de devenir un
Don Quichotte crédible, en dépit de sa célébrité publicitaire, qui attire beaucoup de
spectateurs curieux de le voir en personne ; nous y reviendrons.
Quixote est ainsi l’exemple d’un spectacle qui joue avec le pacte entre scène et
salle pour forger un hors œuvre à l’intérieur même de la durée de l’évènement théâtral. Ce moment ambigu sera d’ailleurs consacré à des autocommentaires ciblant la
modification de l’image du comédien et du média théâtral, comme nous le verrons
dans la seconde partie de l’article.
1.2. Le risque structurel
Un autre élément structurel du théâtre qui rend trouble l’appartenance d’un
commentaire à l’œuvre est l’importance du hasard. La difficulté de démêler les éléments intentionnels, conçus au préalable, de ceux qui sont produits par le hasard de
l’évènement rend l’auctorialité davantage diffuse dans cet art collectif. Une réplique
ou un geste peut avoir été réfléchi auparavant par un auteur (ou metteur en scène),
responsable d’une conception de l’unité artistique de l’œuvre, ou bien, ce même
geste ou réplique peut avoir été créé à l’improviste par le comédien. Comme l’observait Anne Ubersfeld :
À proprement parler, on ne sait plus qui est l’émetteur principal, l’auteur ou
le metteur en scène ou les comédiens. Cette indécision est la base même de la
communication théâtrale ; c’est elle qui fait du théâtre non pas un médium par
lequel un individu parle à un autre individu, mais une activité par laquelle une
collection d’artistes, unis dans le même projet, parle à une collection d’individus unis dans la même activité, la réception du théâtre.3
Il existe dans la représentation théâtrale une ouverture structurelle permettant au
comédien de faire des commentaires non seulement en accord avec cette voix collective, mais aussi en se détachant d’elle, de sorte qu’on puisse se demander parfois
si les autres artistes sont d’accord avec ce qui est dit. Le spectacle a donc la possibi2. Toutes les citations de transcription du spectacle sont issues d’une captation inédite réalisée
le 15 septembre 2003 au Teatro Folha, à São Paulo, aimablement cédée par Carlos Moreno.
3. Anne Ubersfeld, « Communication théâtrale », dans Les Termes clés de l’analyse du théâtre,
Paris, Seuil, « Mémo – Lettres », 1996, p. 21.
56
Rafaella Uhiara
lité de semer parfois dans le public le doute sur l’appartenance ou non de certains
moments à l’œuvre.
Ce type de doute n’est pas banal : si les acteurs ont répété, l’énoncé fait partie
de la conception globale du spectacle ; s’ils n’ont pas répété, ce qui se produit a la
possibilité d’être perçu comme non intentionnel et, éventuellement, étranger à une
œuvre réfléchie préalablement. Dans L’Effet de Serge, du metteur en scène et plasticien Philippe Quesne, cette fragilité du jeu est réitérée par la présence d’un chien
et celle d’invités locaux qui ne connaissent pas l’intégralité du spectacle. Ils jouent
les amis de Serge, un artiste qui crée des spectacles d’effets son-lumière tous les
dimanches chez lui ; ces invités ne connaissent les petits spectacles de Serge qu’à
la première du spectacle. Ceci relève d’un choix volontaire du metteur en scène
qui vise à garder une certaine fraîcheur dans les réactions de ces comédiens invités
et dans les interactions entre eux et le protagoniste. Dans certains moments très
comiques, les invités sont susceptibles d’avoir des réactions qui ne semblent pas être
celles de leurs personnages, telles que des rires refoulés. Dans ces moments, devient
explicite le conflit entre le comédien, qui trouve la scène drôle et a envie de rire, et le
personnage, qui veut prétendre être plus ou moins embarrassé après la présentation
d’un spectacle mauvais. Ce rire portant un jugement sur le spectacle, ne serait-il pas
un commentaire minimal sur l’œuvre de quelqu’un qui y participe ? Puisqu’il est
involontaire, fait-il partie de l’œuvre ?
Ouvrons une parenthèse, qui nous semble mériter le détour dans le présent
dossier : nous connaissons l’intention du metteur en scène ainsi que toutes ces
données processuelles que nous venons de décrire uniquement parce qu’elles ont
été publiées. C’est une habitude courante dans le milieu des arts de la scène, qui
mériterait par ailleurs d’être analysée. En l’occurrence, nous avions lu un entretien
publié dans la revue Théâtre/Public dans lequel Philippe Quesne déclare travailler de
cette façon car il cherche à « conserver le trouble : mettre le public en situation de se
demander si les acteurs ont répété ou pas »4. La diffusion même de cette déclaration
ne changerait-elle pas paradoxalement la donne ? Pour ceux qui l’ont lu, il est possible qu’il n’y ait plus tellement de trouble, ou du moins pas de la même façon. Bien
que les réactions des invités locaux soient imprévisibles et non intentionnelles, nous
apprenons que la démarche du metteur en scène cherche justement à créer une
situation d’embarras et de fragilité entre Serge et ses invités. Ainsi, selon nous, ces
intentions peuvent faire partie de l’œuvre si le public a conscience de la démarche
du metteur en scène, explicitée lors de ses entretiens.
La même situation peut être observée dans un autre spectacle étudié ici :
Disabled Theater, de Jérôme Bel. Il s’agit d’un autre cas jouant de façon similaire sur
le brouillage de l’appartenance du commentaire sur scène au spectacle et que le
metteur en scène prétend ne pas maîtriser, lors d’entretiens publiés, dont celui-ci
sur mediapart.fr :
Il y a eu des répétitions, mais le présent surgit de telle manière que le passé,
c’est-à-dire les indications que j’ai pu donner, disparaissent. Disons même que
ces indications sont anéanties. C’est tout le contraire du théâtre, et de l’art en
général. En même temps, c’est d’une force incroyable. [...] Ils créent des événe4. Philippe Quesne, « Les mots écrits me plaisent - propos recueillis par Sabrina Weldman »,
dans Théâtre/Public, n° 184, 2007, pp. 56-57.
57
L’autocommentaire en scène
ments théâtraux : quelque chose qui se passe, et qui ne se repassera pas. C’est
fantastique, mais cela m’effraie aussi totalement.5
Intégrant la longue liste de spectacles documentaires de Jérôme Bel, Disabled Theater met en scène onze comédiens handicapés mentaux de la troupe suisse Theater
HORA. Ce spectacle tire un grand intérêt de la sincérité extrême de ces comédiens,
qui, selon une autre déclaration du metteur en scène, « n’ayant pas intégré certaines
conventions du théâtre, sont plus libres que des performers habituels »6. Ainsi, pendant le spectacle, il est possible de voir que leur présence sur scène n’est pas différente de celle du quotidien : ils ne se soucient pas de dissimuler leurs ressentis
durant le spectacle : l’ennui, l’envie de rire, de pleurer, de parler avec le comédien
d’à côté. Étant donné la difficulté, voire l’impossibilité, de figer des scènes pour
qu’elles soient présentées telles que le metteur en scène les auraient conçues, le
travail de conception du spectacle se situe plutôt dans l’organisation d’un dispositif.
Le spectacle structure les solos et les témoignages assez libres des comédiens par
la narration des consignes de Jérôme Bel énoncées en français et en allemand par
l’interprète de la troupe.
Dans une sorte d’épilogue, ils sont invités à partager avec le public leur ressenti sur le spectacle, ainsi que les retours – notamment négatifs – qu’ils ont reçus.
Si, d’un côté, ces commentaires font partie de l’œuvre car leur inscription y est
volontaire et réfléchie, d’un autre côté, en tant que spectateur, il est possible de les
percevoir comme détachés de l’œuvre, leurs contenus étant imprévisibles au point
d’« effrayer » le metteur en scène. Il est donc assez difficile de définir le statut des
commentaires des comédiens dans ce spectacle, tout comme dans le champ théâtral
plus largement. La nature de cet art vivant donne au hasard un rôle majeur. De plus,
s’agissant d’un art collectif, l’auctorialité est trouble. Ainsi, un autocommentaire
émis à l’intérieur de la durée d’un spectacle théâtral peut être perçu comme intérieur
ou extérieur, voire à la fois intérieur et extérieur, à l’œuvre. En lisant cependant les
entretiens avec le metteur en scène, qui sont d’ailleurs publiés dans le programme de
salle, nous comprenons que quoique les commentaires soient imprévisibles, il s’agit
d’un choix conscient du metteur en scène de travailler avec cette matière.
2. La quête d’adhésion par la réflexivité
Dans cette partie, nous analyserons les autocommentaires présentés dans la
partie précédente dans leur rapport au spectateur et à l’image de soi.
2.1. Disabled Theater : les critiques négatives sur le spectacle en scène
Dans le but de proposer une réflexion sur le rapport de notre société et de
nous-mêmes face au handicapé ainsi qu’au ban de leur représentation, ce spectacle met en scène le handicap. Le spectacle est pour cette raison parfois considéré
5. Ludovic Lamant, « Voir en quoi l’incapacité peut être productive », dans Mediapart, le 7 juillet 2012. [En ligne], URL : www.mediapart.fr/journal/culture-idees/020712/avignon-2012-jeromebel-voir-en-quoi-lincapacite-peut-etre-productive
6. « Les acteurs handicapés mentaux, du fait de leur altération au niveau cognitif, n’ont pas
intégré certaines de ces conventions [du théâtre]. Cette situation est extrêmement intéressante pour
moi car leur théâtre est d’une certaine manière plus libre que celui des performers habituels » (Jérôme
Bel, « Disabled Theater », dans Chimères. Revue de schizoanalyses, n° 80, 2013, p. 198).
58
Rafaella Uhiara
voyeuriste7 et il ne fait certainement pas l’unanimité du public. Puisque c’est un
spectacle qui renforce beaucoup la distance, l’altérité et la différence, ce sera plutôt
aux commentaires sur le spectacle – notamment négatifs – que le public pourra
s’identifier. Ceux-ci composent une sorte d’épilogue où il est demandé aux comédiens de venir l’un après l’autre au micro pour partager leur opinion sur le spectacle
ainsi que les retours qu’ils ont eus, dont la plupart viennent de leurs familles. Ceci ne
serait d’ailleurs pas aussi délicat si les familles étaient toutes enthousiastes à l’égard
du spectacle.
Parmi les impressions négatives, un comédien confie que son frère avait
pleuré au retour du spectacle car celui-ci lui semblait un freakshow. Les remarques
sont très diverses et les spectateurs de Disabled Theater se retrouvent souvent dans
l’une d’eux. En tant que spectatrice, ces commentaires ont eu un effet intéressant
sur moi. Pendant tout le spectacle, j’étais perplexe et irritée face à la démarche du
chorégraphe. Dès le moment où je me suis rendu compte que les comédiens et
Bel lui-même avaient conscience des problèmes que je voyais dans la proposition,
je me suis mise à reconsidérer le spectacle. Premièrement, si les comédiens disent
dans leurs commentaires être heureux d’y participer, tout en étant conscients de ces
impressions négatives, il me semble légitime qu’ils y prennent part. Deuxièmement,
si Jérôme Bel lui-même connait ces avis, il a donc eu l’occasion de réfléchir longuement à ces questions ; ainsi, s’il continue tout de même à présenter le spectacle, la
proposition mérite sans doute une analyse plus approfondie.
2. 2. L’Effet de Serge : rions des querelles du théâtre contemporain
Comme mentionné dans la première partie de l’article, L’Effet de Serge, de
Philippe Quesne, représente en clé comique un artiste qui crée des effets « sonlumière ». Jouer sur une telle esthétique aujourd’hui n’est pas un choix anodin. Le
spectacle semble caricaturer les créations fumistes qui misent tout sur les sensations en laissant en second plan, voire en refusant complètement, non seulement
toute fable, mais aussi tout sens de façon plus générale. Pour montrer plus concrètement la façon dont le spectacle de Quesne déjoue cette esthétique, regardons de
près l’une des petites présentations de Serge : « Effet lumineux sur une musique
de Wagner ».
Le petit spectacle est assisté par ses deux spectateurs depuis le salon de Serge
à travers une porte vitrée. Les lumières sont éteintes, on écoute le début grandiose
de la Chavauchée des Waklyries, petit à petit suivie par le clignotement des phares
d’une voiture empruntée à un ami de Serge, puis par beaucoup de fumée. Le choix
de la musique n’est certainement pas insignifiant : la mise en scène moderne ainsi
que ce « théâtre à sensations » que caricature Quesne hérite sans doute beaucoup
de l’esthétique sensorielle et immersive de Wagner. Dans L’œuvre d’art de l’avenir, par
exemple, il est possible de voir que le projet wagnérien de réunir tous les arts dans
une œuvre d’art totale (Gesamtkunstwerk) tient beaucoup à l’idée d’une expression
universaliste (« des sensations et des sentiments de l’espèce, communs à tous ») à
7. Par exemple : « Et qu’il le veuille ou non, le spectateur se retrouve dans la posture
d’un voyeur » (Johannes Sieverding, « Peut-on mettre en scène des handicapés ? », Metropolis/Arte. [En ligne], URL : www.arte.tv/fr/disabled-theater-peut-on-mettre-en-scene-deshandicapes/7542688,CmC=7542692.html)
59
L’autocommentaire en scène
travers « la toute-puissance des sensations physiques et des sentiments du cœur »8.
Néanmoins, cette idée, dans le contexte actuel, peut renvoyer assez facilement à la
« futilité postmoderne »9, traitée par Jean-François Lyotard, dans laquelle « la moralité des moralités serait le plaisir ‘esthétique’ ». Par ailleurs, la réflexion de Lyotard
nous semble trouver son équivalent théâtral dans le théâtre dit « postdramatique »
qui postule que « le politique du théâtre est le politique de la perception »10.
Dans les dernières décennies, cette esthétique postdramatique a gagné beaucoup d’espace dans les principales programmations des grands théâtres et festivals
en France et en Europe. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes programmations où
se présentent les spectacles de Quesne. L’Effet de Serge est ainsi présenté dans ces
théâtres pour leurs publics, qui sont certainement familiers, voire enthousiastes, de
cette esthétique. Les effets maladroits de Serge semblent porter un regard critique
sur le problème d’indéfinition du sens, souvent caché sous prétexte d’ouverture,
dans certaines de ces œuvres à vocation sensorielle. À ce sujet, nous renvoyons à
l’importante œuvre d’Umberto Eco, L’œuvre ouverte, où se distingue clairement la
différence entre « ouverture » et « indétermination » :
Or, « ouverture » ne signifie pas « indétermination » de la communication,
« infinies » possibilités de la forme, liberté d’interprétation. Le lecteur a simplement à sa disposition un éventail de possibilités soigneusement déterminées,
et conditionnées de façon que la réaction interprétative n’échappe jamais au
contrôle de l’auteur.11
Une fois la présentation terminée, Serge retourne dans la maison. Avec un regard
fier, il demande à ses amis – joués par les invités locaux – ce qu’ils en pensent. « Les
lumières suivent le rythme de la musique », explique-t-il après leur silence embarrassant. Les invités locaux continuent alors à se taire et affichent leur embarras car ils
n’ont grand-chose à dire à l’artiste. Le fait que ces comédiens répriment leurs rires
nous montre qu’ils jugent drôle cette partie du spectacle de Philippe Quesne auquel
ils participent. La salle est remplie par les éclats de rire du grand public qui assiste
au spectacle de Quesne. Ces rires sont provoqués à la fois par la scène, qui est effectivement amusante, et par ces comédiens, qui miroitent notre position spectatrice
sur la scène.
Le rire est intéressant car il met en évidence un accord entre les rieurs, en
l’occurrence le public réel et les comédiens qui jouent le petit public de Serge, forgeant une relation « presque de complicité », car, comme l’observait Bergson : « Notre
rire est toujours un rire de groupe. [...] Si franc qu’on le suppose, le rire cache une
arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs réels
ou imaginaires »12. Dans ce cas, invités locaux et public partagent non seulement le
sentiment de partager l’idée que le spectacle de Philippe Quesne est amusant, mais
aussi le rire d’une esthétique vide, qui peut être celle actuelle, très légitime.
8. Richard Wagner, L’Œuvre d’art de l’avenir, trad. J.-G. Prod’homme, Paris, D’aujourd’hui,
1982, p. 96.
9. « La futilité convient au postmoderne » (Jean-François Lyotard, Moralités postmodernes, Paris,
Galilée, « Débats », 1993, p. 11).
10. �����������
Hans-Thies Lehmann, « Politique de la perception, esthétique de la responsabilité », dans
Le Théâtre postdramatique, Paris, L’Arche, 2002, p. 291, souligné par l’auteur.
11. ��������
Umberto Eco, L’Œuvre ouverte, trad. Chantal Roux de Bézieux, Paris, Seuil, 1965, p. 19.
12. ������
Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique, Paris, P.U.F., « Quadrige », 1993,
p. 5.
60
Rafaella Uhiara
2.3. Quixote : La transformation de son image par l’autocommentaire
Dans Quixote, les commentaires réflexifs semblent chercher à modifier l’image
du comédien et du média théâtral. Rappelons-nous ce spectacle : il s’agit d’un
monologue, librement inspiré du roman de Cervantès et joué par Carlos Moreno,
grande célébrité publicitaire au Brésil. La forte popularité de la légendaire campagne
Bombril13 a aidé à attirer au théâtre un grand public non-habitué, curieux de voir
sur scène la star des éponges. D’ailleurs, Quixote a été amplement diffusé comme le
spectacle du « garçon-Bombril », bien que cette marque ne l’ait pas sponsorisé. De
« Le garçon-Bombril joue Don Quichotte »14 à « Quixote : Carlos Moreno essaye de
surmonter sur scène son stigmate de garçon-Bombril »15, de nombreux articles ont
cru bon de rapporter l’association entre la marque de produits de nettoyage et le
comédien. Le spectacle commence ainsi par le prologue informel décrit en première
partie, dans lequel le comédien entame des petites conversations avec les spectateurs en cherchant à briser la glace à propos de sa célébrité publicitaire à l’aide de
petites blagues : « Vous me connaissez tous de la télé, mais je suis un comédien aussi
! Bah, oui...Être comédien, ça ne s’arrête pas à vendre des éponges à la télé ! »16.
Ces commentaires autodérisoires ne se restreignent pas à l’image du comédien, elle
s’étend jusqu’à une idée d’impopularité du théâtre : « Supposons que ce monsieur
au troisième rang n’est venu que pour faire plaisir à sa femme [...] »17.
Ce prologue non-assumé comme partie de l’œuvre se présente comme une
occasion de défendre l’art théâtral devant le public. Ce plaidoyer commence par la
question de la transfiguration, point en commun entre Don Quichotte et le théâtre,
puis embrasse d’autres spécificités du théâtre, exposées comme des avantages par
rapport à d’autres médias : « Ce qui est intéressant au théâtre – tout est intéressant
: la télévision, le cinéma, tout ! – mais le théâtre n’a lieu que grâce à une vraie rencontre… »18. Ce qui est donc assez curieux dans ce prologue, c’est qu’il consiste en
une défense de l’art théâtral, tout en prétendant ne pas se servir d’une forme théâtrale pour véhiculer ce même discours. Ainsi, si le but du spectacle était celui de susciter une réflexion sur la nature du théâtre pour un public a priori non-convaincu, le
choix de prendre appui sur l’œuvre de Cervantès se révèle finalement astucieux car,
outre la possibilité de faire un éloge de la transfiguration et par extension du théâtre,
Carlos Moreno devient lui-même un « donquichotte », c’est-à-dire, un « redresseur
13. ��������������������������������������������������������������������������������������
Au-delà des nombreux prix reçus, les publicités du Garçon-Bombril sont tellement célèbres qu’elles ont parvenu à transformer le slogan de la marque – « 1001 utilités » – en une phrase
culte, et son nom, « bombril », en une métonymie pour désigner son principal produit, à savoir des
éponges d’acier. Le Garçon-Bombril a tellement captivé le public brésilien que ses publicités étaient
annoncées dans les programmes de télévision. Lorsqu’en 2004, la compagnie du publicitaire Washington Olivetto n’a pas renouvelé le contrat de Moreno, le public s’est mis à réclamer son retour.
Moreno a été le Garçon-Bombril pendant 30 ans et est même parvenu à figurer dans le Guinness Book
dans la catégorie « Most appearances in television commercials for the same brand ».
14. �����������������������������������������������������������������������������������������
« Garoto Bombril interpreta Quixote » (« Le ‘garçon Bombril’ joue Don Quichotte »), dans
Folha de São Paulo online, Région de São José dos Campos, le 17 mai 2001. [En ligne], URL : www1.
folha.uol.com.br/fsp/vale/vl1705200126.htm
15. ��������
Eudinyr Fraga, « Quixote : o ator Carlos Moreno tenta superar no palco estigma de garoto Bom Bril » (« Quixote : le comédien Carlos Moreno essaye de surmonter sur scène le stigmate
de ‘garçon Bombril’ »), IstoÉ Online. [En ligne] URL : www.terra.com.br/istoegente/60/divearte/
teatro_quixote.htm
16. �������������������������������������������
Transcription de la captation du spectacle Quixote (voir note 2).
17. Ibid.
18. Ibid.
61
L’autocommentaire en scène
de torts chimérique et généreux »19. La défense du théâtre dans un tel contexte ne
renverrait-elle pas à une bataille contre des moulins à vent ? Son ennemi – le scepticisme envers le théâtre – ne serait-il peut-être qu’imaginaire ? C’est la reconnaissance d’un certain « échec » du projet de Moreno qui le transforme paradoxalement
en Don Quichotte : cela nous permet de percevoir le spectacle lui-même comme un
projet donquichottesque, y faisant surgir une nouvelle déclinaison du donquichottisme, à savoir : celle de l’artiste qui fait du théâtre aujourd’hui, malgré tout.
*
*
*
L’autocommentaire en scène se caractérise principalement par sa nature
éphémère. Ne pouvant pas être revisités, ces commentaires peuvent jouer sur des
ambiguïtés qui seraient éliminées lors d’une relecture. C’est le cas de la définition
d’un commentaire comme réaction spontanée – hors œuvre – ou réplique conçue
en amont, interne à l’œuvre. Puisque les comédiens écoutent en direct la réaction
du public, ils ont toujours la possibilité de transformer leurs commentaires, en fonction de leurs retours. C’est le cas du prologue improvisé de Quixote et des rires du
public dans Serge. Ces autocommentaires étant émis dans la durée de l’œuvre, ils
jouent directement sur sa réception, comme nous l’avons vu dans la seconde partie. C’est grâce à un autocommentaire que la célébrité des éponges a pu devenir
Don Quichotte, que les spectateurs de Disabled Theater pourront réfléchir de façon
plus généreuse à ce spectacle, malgré les avis négatifs qu’ils auraient pu avoir avant
l’épilogue et que le public de Quesne pourra partager un moment de complicité
avec d’autres rieurs d’un théâtre contemporain mystificateur. Puisque le spectacle
est aussi éphémère que ces autocommentaires et que le spectateur ne pourra revoir
ni l’un ni l’autre, les souvenirs qu’il aura de tous deux s’éloigneront, ensemble, de
l’évènement. Ainsi, ces commentaires peuvent aboutir à transformer la mémoire à
long terme du spectacle, selon leur impact sur le spectateur.
Rafaella Uhiara
Université Sorbonne Nouvelle – Paris III
rafaella.uhiara@etud.sorbonne-nouvelle.fr
19. ���������������������������
Entrée « Donquichotte » du Trésor de la langue française informatisé. [En ligne], URL : atilf.atilf.
fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=2172532680. (Consulté le 1er octobre 2014).
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Anne Brancky
“C’était moi”
Marguerite Duras’s Auto-Commentaries
Abstract
In interviews, articles, and essays throughout her career, Marguerite Duras produced glosses on many of her literary texts, plays, and films, helping to build the
major public persona that the writer came to be known for. This paper considers the
way that these glosses recast one of her most famous works, Moderato cantabile (1958).
The novel traces the identification of the protagonist, Anne Desbaresdes, with a local, anonymous crime and her recreation of the crime with a stranger she meets in a
café. In interviews given after the publication of the novel, Duras claims to take as her
inspiration for this work shocking moments from her own autobiographical archive.
Suddenly, with these interviews, Moderato cantabile, received at the time of its publication as a poetic work of fiction, is transformed into an element of her developing
stable of autofictions.
Résumé
Dans des entretiens, des articles, et des essais au cours de sa carrière, Marguerite
Duras a produit des gloses sur plusieurs de ses œuvres, ainsi construisant le personnage publique que l’on reconnaît aujourd’hui. Cet article étudie la manière dont ces
gloses nous aident à repenser l’une de ses œuvres les plus connues, Moderato cantabile
(1958). Ce roman trace l’identification du protagoniste, Anne Desbaresdes, à un crime
anonyme et suit la reconstitution du crime par Anne et un étranger qu’elle rencontre
dans un café. Dans des entretiens suivant la publication du roman, Duras prétend que
ce sont ses propres expériences qui ont inspiré le rapport passionné entre Anne et
l’étranger, Chauvin. Grâce à ces entretiens, Moderato cantabile, reçue lors de sa publication comme une œuvre fictive, devient autofiction.
To refer to this article:
Anne Brancky, “‘C’était moi’. Marguerite Duras’s Auto-Commentaries”, in Interférences
littéraires/Literaire interferenties, 15, “The Risks of Metatextuality ”, Karin Schwerdtner
& Geneviève De Viveiros (eds), february 2015, 65-74.
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Blijde-Inkomststraat 21 – Bus 3331
B 3000 Leuven (Belgium)
Contact : matthieu.sergier@uclouvain.be & laurence.vannuijs@arts.kuleuven.be
Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, february 2015
“C’était moi”
Marguerite Duras’s Auto-Commentaries
One of Marguerite Duras’s best-known literary works, Moderato cantabile
(1958) recounts the story of two strangers who form a couple to create a new
narrative through the imitation of an anonymous killer and his victime. In subsequent interviews outside of the text, Duras also formed couples that allowed her
to discuss the novel, in effect providing glosses that rewrite this previously existing,
literary pair. The “partnerships” that Duras formed with her interviewers served as
a platform for the writer to both recast the dynamic between Anne and Chauvin
and to inscribe a figure of herself, that is, elements of her own autobiography, as
the inspiration of the text through a series of shocking claims. Initially received
as fiction, by the 1980s Moderato cantabile had been transformed into a scandalous,
exhibitionist, autofictional text by the sheer force of public avowal. This paper
therefore introduces a Duras who leaves what she characterizes as the “dark room”
of writing in L’Été 80 to invest in a social exchange that ultimately transforms her
literary project.1 These moves outside of herself into the space of partnership with
others helped to develop a major public persona that shifts the way we read even
her most classic work.
The 1980s ushered in a new era of autobiographical writings in France, often
embodied in writers like Annie Ernaux or indeed Marguerite Duras. In 1977, Serge
Doubrovsky had coined the term “autofiction” (in reference to his novel Fils) to
refer to fictionalized autobiography, which signaled a new way of writing the self
that could defy the strict “pacte autobiographique”2 to incorporate more extensive
creative manipulation by writers in order to tell their stories. Even writers associated
with the nouveau roman like Claude Simon, Nathalie Sarraute, and Alain Robbe-Grillet, to whom Duras had been uncomfortably linked early in her career, surprised
critics and the public with narratives that challenged the distinction between fiction
and autobiography (Géorgiques (1981), Enfance (1983), and Le Miroir qui revient (1985),
respectively). In 1984, Duras published her own autofiction, L’Amant, which won
the Prix Goncourt and sold over a million copies. Aliette Armel sees the publication
of L’Amant, with its narrating “je” and its overtly autobiographical revelations, as
Duras’s definitive entry into the Foucauldian “culture of avowal,” which valorizes
the power of confession to impart truth.3 However, Armel also points to the fundamental role that fascination, “essential source of her work,” plays in these avowals.4
1. Marguerite Duras, L’Été 80, 1980, Reprint, Paris, Les Éditions de Minuit, 2008, 81.
2. In which the author claims to relate authentic truths about him or herself. See Philippe
Lejeune, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.
3. Aliette Armel, Marguerite Duras et l’autobiographie, Paris, Le Castor Astral, 1990, 23 (my
����������
translation).
4. Ibid., 10 (my translation).
65
Marguerite Duras’s Auto-commentaries
After the publication of L’Amant, for example, Duras followed with a television appearance on the talk show Apostrophes (Antenne 2) with Bernard Pivot that
famously fascinated the public with exclusive revelations about the autobiographical nature of the novel, including intimations of an incestuous relationship with
her brother, descriptions of her adolescent sex life, and admissions of alcoholism.5
These disclosures convinced readers of the autobiographical “truths” contained
in L’Amant, which in turn shed a new, more intimate light on earlier works that
contained similar characters and scenarios (namely Un Barrage contre le Pacifique, published in 1950). Although French culture habitually affords an important cultural
space for writers and other intellectual figures, Marguerite Duras’s media presence
nevertheless stands out among her peers.6 Many of the texts she published well before L’Amant were also accompanied by a profusion of paratexts and extraliterary
glosses,7 at once confirming the perplexing, elusive nature of the literary works
and fixing what looked like authoritative interpretations on them.8 Moreover, in
these interviews and commentaries, Duras often implicated herself in what were
initially presented as fictional works. She claimed that the stories were based on her
own life, that she was one of the characters or the narrator of the text, or that the
work revealed something about her personal politics, relationships, or worldview.
As it turns out, therefore, dialogue in the form of the interview takes on an
important role in the crafting of the reception of her works. Readers of Duras
will already be familiar with the ways in which her novels and plays are often centered on a conversing couple, from the Japanese man and the French woman in
Hiroshima mon amour (1960) to Jacques Hold and Lol V. Stein in Le Ravissement de
Lol V. Stein (1964), or even the brother and sister in Agatha (1981). In these texts
and others, it is within a therapeutic mode of dialogue that the narrative unfolds.
At the metatextual level, although Duras claimed to write in isolation,9 much of
her work was written as a part of a literary “couple”: she wrote screen plays with
her colleague and lover Gérard Jarlot; dictated to and edited with Yann Andréa, her
young companion in her later life; interviewed actresses and criminals for newspaper and magazine articles; published long-form conversations with her friends and
admirers; and appeared on television talk shows, not to mention countless radio
interviews. Quite often, it was in these “partnerships” that Duras made some of
5. A 1989 article in The New York Times claims that according to trade sources, Apostrophes was
so influential that an appearance could sell several thousand copies of books for the author (“French
TV”). “French TV Show on Books Is Ending”, in: The New York Times, 5 September 1989, February 10, 2014. <http://www.nytimes.com/1989/09/05/books/french-tv-show-on-books-is-ending.
html>
6. ����������������������������������������������������������������������������������������
Armel calls Duras’s command of the media the “main originality of her approach” in relation to other writers of her generation, and especially those of the nouveau roman (35, my translation).
7. Significantly, many of these glosses were performed in pairs, such as Practicalities (La Vie
Matérielle, 1987 with Jérôme Beaujour) or Woman to Woman (Les Parleuses, 1974 with Xavière Gauthier)
or Les Lieux de Marguerite Duras (1977 with Michelle Porte).
8. In “Marguerite Duras: On dit,” Michel de Certeau describes a double discourse in which
Duras amplifies her narratives with a multiplication of paratexts: “While her narration always has less
meaning than we can tolerate, the technical explanations are always more precise than what we can
discern. These two discourses combine: one empties the content; the other outlines the procedure;
together they complete the work” (Michel de Certeau, “Marguerite Duras: On dit”, in Danielle
Bajomée and Ralph Heyndels (eds.), Écrire, dit-elle, Brussels, Éditions de l’Université de Bruxelles,
1985, 258, (my translation).
9. In Écrire, she writes: “One does not find solitude, one creates it. Solitude is made alone. I
made it. Because I decided that it was where I needed to be alone, that I would be alone to write
books” (Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, 1993, 17, my translation).
66
Anne Brancky
the most provocative and scandalizing claims about the links between her personal
life and her literary production.
1. The fascinated couple
Moderato cantabile begins with a crime passionnel that would seem to come
straight from a fait divers: a man shoots a woman in the heart in a crowded café,
but rather than flee the scene of the crime, he embraces his victim and kisses her
blood-soaked lips in front of a gathering crowd. With the mesmerized public, Anne
Desbaresdes, the bored wife of a wealthy industrialist in the town, becomes fascinated with the murder and morbidly curious about the circumstances that had led
up to the crime. In this early scene of the novel, Duras emphasizes the critical role
that the public plays in assigning meaning to the murder.
At the time that the crime occurs, Anne Desbaresdes happens to be with her
son at his piano lesson in an apartment overlooking the port of an industrial town
when suddenly a scream is heard through the open window, followed by the shocked cries of the townspeople who witness the crime in the café. The accumulating
screams ring out, “confirming an already established fact,” which places the spectator (the voyeur or voyeuse, the crowd, the reader) in the preeminent role in the very
recognition – indeed consecration (the French verb consacrer is used here) – of the
event; the event thereby becomes inextricable from the gaze cast upon it.10 In the
following pages, the crowd is described again and again as creating a “rumeur” that
rises up through the window of the apartment.11 The presence of the crowd takes
on such importance, in fact, that the murder itself is undermined by the voyeuristic
activity that surrounds it. When Anne, her son and the piano teacher finally look
out the window to see what is going on below, all they can see is a swarm of spectators gathered around a café and staring intently at the crime scene inside: “Below, a
welter of shouts and orders proved the consummation of an unknown incident.”12
The crime thus becomes an object of fascination waiting to be consummated by
the reaction of the public and commodified in the presse à sensation. Leslie Hill describes it as a “melodramatic scene that takes on the compulsive fascination of a
visual fantasy” that places the witness in the role of a “theatrical spectator,” a technique that Duras will also exploit in her cinematic works.13 The crowd is attracted
by the violence and remains “immobilized by the spectacle” in the café.14
The screams of the victim and the witnesses, combined with the fleeting
sight of the killer and his victim illuminated in the light of a photographer’s flash
bulb, activate something in Anne that takes her from a passive state of somnambulant apathy to an active search for annihilation. The novel teases out the dynamics
of fascination on the part of this witness/spectator towards the crime that leads to
obsession and a compulsion to repeat. Anne Desbaresdes enters into the scene of
the crime and appropriates the death of the unknown woman as a vicarious means
10. �����������
Marguerite Duras, Moderato cantabile, in: Four Novels, Richard Seaver, trans, New York,
Grove Press, 1982, 65.
11. ����������������������������������������������������������������������������������������
In the English translation, “rumeur” is translated as “murmur” and “noise,” which loses
the important quality of “rumor” or “public opinion” in the original.
12. Ibid., 67.
13. Leslie Hill, Marguerite Duras: Apocalyptic Desires, New York, Routledge, 1993, 51.
14. �����������
Marguerite Duras, Moderato cantabile, Paris, Les Éditions de Minuit, 1958, 17 (my translation).
67
Marguerite Duras’s Auto-commentaries
by which to experience her own virtual death. The death of the other becomes a
way for Anne Desbaresdes to learn what it feels like to die – and not only to die,
but to be murdered by her lover.
Anne Desbaresdes cannot therefore act alone, and instead she forms a new
couple with Chauvin, a working-class stranger who was also nearby when the crime
took place. In the days following the murder, the couple meets in the café and,
over glass after glass of red wine, attempts to reconstruct the circumstances that
had led to the crime passionnel they witnessed. Yet while they begin by discussing the
previous couple, reinventing who they were, what happened to the killer, and what
the motive had been, the focus of Anne and Chauvin’s conversation quickly shifts
onto Anne herself. The interrogation process, that strange, pseudo-detective’s quest
that customarily follows a crime, turns into an interrogation of the characters’ own
desires, marking a move from the narrative “real” into fantasy. The anonymous
woman and her killer therefore become empty vessels for Anne and Chauvin to
embody as their goal becomes not actually to find out what had happened to the
couple, but to discover what they themselves want to have happened, or even better, want to happen to them.
Here, Marguerite Duras paints again a portrait of a woman who seeks another in order to compensate for her own inability to speak, her failure to communicate. Just as we see in Hiroshima mon amour, Le Ravissement de Lol V. Stein, and the
early work Le Marin de Gibraltar (1952), the Anne-Chauvin couple is presented as a
man telling a woman’s story even as he participates in that story. Their relationship
is a bizarre, stilted, and intoxicated kind of therapy in which they appropriate a prophetic, active language in order to make real what they say. “Speak to me,” Chauvin
commands repeatedly. Chauvin tells her to sit down, and where to do so. She obeys.
Then he tells her, “I’d like you to have another glass of wine.”15 She welcomes his
orders: “Anne Desbaresdes sat back in her chair, momentarily relaxed. Unafraid.”16
The imperative has therefore an important function in their relationship; it emphasizes the power dynamic within the couple and reinforces the potential of language
to do, to act in the world.17 Indeed, Anne seems relieved to be told what to do, to
relinquish control to this stranger; it lifts her sense of fear in the face of a chaotic
world in which she is responsible for herself and her young son. Chauvin also tells
Anne about her life: the material facts of her quotidian routine, her desires, her
fantasies. In fact, it becomes clear that in being murdered, she hopes also to fulfill
his deepest desires. In this way, their conversation takes on a sado-masochistic erotic
quality that sublimates the desire to be killed into the co-creation of a new narrative
of desire.
The fantasy of her death in his hands is the most radical version of this
wish for total abdication, and yet is bound up in the more easily attainable erotic
masochism. Marianne Hirsch writes that in their reenactment, “[t]he epistemology
involved is a feeling rather than a knowing, an erotics rather than a hermeneutics.”18
15. �����������
Marguerite Duras, Moderato cantabile, in: Four Novels, 78.
16. Ibid.
17. ������������
For more on speech acts, see J.L. Austin, How to Do Things with Words, J.O. Urmson and Marina Sbisà (eds), Oxford, Clarendon Press, 1975.
18. ���������
Marianne Hirsch, “Gender, Reading and Desire in Moderato Cantabile”, in: Twentieth Century
Literature, Spring 1982, 28, 1, 70.
68
Anne Brancky
The link between eros and thanatos is strong throughout Duras’s oeuvre, and reaches
an early but significant peak in this work. One of the hallmarks of the Duras eros/
thanatos dynamic that gets expressed here is its imitative quality. Anne requires an
outline of desire – the presumed desire of the murdered woman – in order to activate her own erotic fantasy. Duras thereby suggests that there is no “degree zero”
in this kind of encounter because it always relies on a preceding couple.
Like the couple itself, this kind of palimpsestic desire also works on a metatextual level when Duras later claims that her narratives are based on autobiographical or anecdotal evidence. The rewriting that characterizes so much of her body
of work builds on earlier narratives to build a cumulative project. Duras emphasizes
here, therefore, the possibility of invention produced through creative imitation.
The Anne-Chauvin couple produces discourse out of a violent death, which is in
fact one of the other significant fils conducteurs that connects many of Duras’s literary works. In L’Été 80, she writes, “I told myself that one always wrote on the dead
body of the world, and, in the same way, on the dead body of love.”19 For Duras,
death is a new beginning, an opening that creates a space for writing. In a similar
way, the crime passionnel in the café creates a shock, a fissure that is filled with the
personal narratives of the survivors. It is only through imitating the death, however,
that the survivors are able to identify and produce such a narrative.
Importantly, this inventive imitation creates new value for the characters.
Since the murder, Anne has been stuck in a quietly turbulent, repetitive circularity, returning day after day to the scene of the crime. When Anne and Chauvin’s
narrative construction ultimately leads to a verbal reenactment of the couple’s last
moments, a release occurs and the repetition ends. “‘I wish you were dead,’ Chauvin
said. ‘I am,’ Anne Desbaresdes said,” completing the role-play and accomplishing
Anne’s symbolic death.20 Chauvin’s speech is performative, a verbal murder that
directly mimics the violent killing. The words, however, come only after a kiss on
the lips, a “mortuary ritual” that seals their fate, definitively linking the completion
of the mimesis to a muted jouissance.21
Identifying with the experience of a woman who is actively killed by her
lover is a way for Anne not only to approximate her own death, but to control and
understand it, even if it remains at the hands of another. In this sense, Duras describes a kind of Freudian “fort-da” mechanism where the subject can gain mastery
over a painful experience by repeating it: through the acting out of an amplified
version of death (the victim’s violent and public demise), her own smoldering
and sustained feeling of death and paralysis can be purged. Anne identifies with
the wish of the young woman to be killed by her lover, to be at once seen and
annihilated, both at the center of everyone’s thoughts and effaced by their own
projections. It is through her experience of death – first by witnessing the death of
the woman in the café, then by living her own symbolic death – that she achieves a
momentary reprieve from her insipid life. This process of coupling and doubling
generates an active and pleasurable experience from the violent crime at the center
of the text.
19. Marguerite Duras, L’Été 80, 1980, Reprint, Paris, Les Éditions de Minuit, 2008, 67. (my
translation)
20. �����������
Marguerite Duras, Moderato cantabile, in: Four Novels, 118.
21. Ibid., 117.
69
Marguerite Duras’s Auto-commentaries
Like the couple they are playing, their performance is immediately followed
by the incursion of the public. Just as soon as “it was accomplished” (“ce fut fait”), “a
hum returned” (“une rumeur arrivait…”).22 Like many of Duras’s heroines, who rely
on what Catherine Rodgers calls “specular relations,”23 a mediated identity through
the gaze of others, Anne Desbaresdes’s personal release is a public performance
to be acknowledged by others. The isolation of their couple is then perforated by
the outside, and the two individuals can finally leave the café. At the same time, the
insistence on the public gaze throughout the novel only serves to amplify Anne’s
feelings of alienation. Her relationship with her son – which forms another important couple in the novel – is shown to be her only reliable link to the exterior world.
Apart from this bond, Anne is marginalized from both the public that spends time
in the working-class café and her own, elevated social class as exemplified in the
decadent, bourgeois dinner in her dining room. This public gaze is therefore both
an affirmation and a validation, but it is also a bold expression of feelings of isolation and alienation. Recognition from others reaffirms the existential thrust that
the viewer’s gaze can carry, but also the impersonal cruelty of voyeurism. This
concomitant need for exterior validation and feeling of alienation/otherness is also
one of the quintessential characteristics of Duras’s work that finds expression here.
Once again, within the text, Duras emphasizes the importance of public acknowledgement, which will be echoed in the way she makes public “confessions” in
later articles and interviews. The audience “consecrates” the event or avowal: the
couple’s experience, therefore, is a public display that requires interpretation from
the outside.
2. The fascinating couple
As a writer, Duras was similarly aware of the importance of public reception
to her work. Throughout her career, Duras participated in a number of interviews
in which she established a generative couple with her interviewer that produced
glosses on many of her literary texts, plays, and films, and helped to build the
major public persona that the writer came to be known for. A series of these kinds
of partnerships outside of Moderato cantabile allowed her to enact a repetition or a
rehearsal that transforms this text by claiming after the fact that it is in fact an autobiographical retelling of one of her own love affairs. I emphasize, however, that the
“confessions” made around this text were meant to be equally as provocative and
fascinating as they were meant to be “true,” lending the text an added experiential
layer to the frisson that the story therein inspires. In this section, I draw from five
different interviews and collaborative texts in which Duras provides glosses on Moderato cantabile. These interviews span from the late 60s through the 80s, coinciding
with the growing public (and editorial) interest in confessional modes of writing
linked to autobiography. Additionally, as media platforms changed and television
became more important, Duras took advantage of these favorable circumstances
to promote her works, which in turn grew her media persona.
22. �����������
Marguerite Duras, Moderato cantabile, 121 (my translation).
23. ����
See Catherine Rodgers, “Sublime, forcément sublime: The body in Duras’s Texts”, in:
Romance Studies, Summer 1992, 20, 45-57.
70
Anne Brancky
In a 1971 interview with Bettina Knapp, Duras claims that Moderato cantabile
was so far, “the most autobiographical work… in terms of an interior experience.”24
At the same time, she acknowledges in another interview (1967, Hubert Nyssen)
that she intentionally kept the personal aspect of the work hidden for many years.
She confides, “I tried to relate a personal experience that I lived in secret. So there
was the question of propriety… I hid behind Moderato much more than behind my
other books.”25 Duras affirms that prior to the confession she is in the midst of
making, the author had remained largely absent from the narrative content of the
novel, and that she had deliberately hid herself behind the poetics of the writing.
Here we might recall that due to its experimental use of language, its unconventional structure, and, significantly, its publication by Les Éditions de Minuit (which
published many of the nouveau roman writers, including Alain Robbe-Grillet and
Claude Simon), Moderato cantabile was indeed received as a work belonging to the nouveau roman upon its publication. However, Duras was quick to put distance between
herself and these writers, maintaining her typical (and self-avowed) outsider status.
However, as we have begun to see, ex post facto revelations about the origins of the
novel completely undo her earlier camouflaging.
In later interviews, Duras reveals more explicitly autobiographical information when she further suggests that Anne Desbaresdes’s desire to be killed by Chauvin is based on her own relationship with one of her lovers in the 50’s, Gérard Jarlot.26 Jarlot was himself a novelist, a journalist, and a screenwriter; most notably, he
collaborated with Duras on the screenplay for Moderato cantabile in 1960 (directed by
Peter Brook), and Une aussi longue absence in 1961. She confesses to Xavière Gauthier
in their collaborative book of interviews, Woman to Woman (Les Parleuses), in 1974
that she once had “an erotic experience that was very, very, very violent,” with Jarlot
and, she continues, “I went through a crisis that was…suicidal; that is…what I tell
in Moderato cantabile, this woman who wants to be killed, I lived that.”27 Now not
only does she insert her own persona into the text, but she further sensationalizes
her participation by embedding the menacing undercurrent of death by suicide or
by consensual murder.
Duras reiterates the same direct claim in an interview with Leopoldina Pallotta Della Torre in the late 80s, where she links this violent erotic relationship in
her past to her writing. She admits,“that changed my way of making literature: it
was like discovering the gaps, the holes that I had within me, and finding the courage to express them. The woman in Moderato Cantabile and Hiroshima mon amour, it
24. Bettina L. Knapp, “Interviews avec Marguerite Duras et Gabriel Cousin”, in: The French
Review, 1971, 44, 4, 654-655 (my translation).
25. Marguerite Duras, “Marguerite Duras: ‘Un Silence peuplé de phrases’”, in: Hubert Nyssen,
Les Voies de l’écriture, Paris, Mercure de France, 1969, 130 (my translation).
26. �����������������������������������������������������������������
He is the subject of Duras’s article, “The Man Who Was a Lie” in Practicalities, which was
initially intended to become a novel about Jarlot. In her biography of Duras, Laure Adler submits
that Duras “discovered her true self through her burgeoning sex life” that was initiated by Jarlot
(Laure Adler, Marguerite Duras: A Life, Anne-Marie Glasheen trans., Chicago, University of Chicago Press, 1998, 205). Adler cites Duras from a personal interview saying, “For a long time, I was
part of society, I went to people’s houses for dinner. All that was part of the whole. I went to cocktail
parties, met people… and I wrote those books… That was it. Then one day I had a love affair and
I think that’s when it all started” (ibid., 205).
27. Marguerite Duras and Xavière Gauthier, Woman to Woman, Katharine A. Jensen trans.,
Lincoln, University of Nebraska Press, 1987.
71
Marguerite Duras’s Auto-commentaries
was me” (“c’était moi”).28 This unequivocal claim not only places Duras herself in
the figure of the woman character of these texts, but it also suggests that the formative personal experience changed the way she writes, in effect helping to shape
her oeuvre as we know it.
Duras further links her relationship with Jarlot to her writing in Practicalities
(La Vie matérielle), which is itself a reworking of a series of conversations the author
had with Jérôme Beaujour in 1987. Duras explains that when her mother passed away,
she and Jarlot went to the town where she died to attend her funeral rites, and in a
hotel room nearby, they engaged in a drunken, sado-masochistic delirium. Duras then
went to the funeral without Jarlot, but, she remembers, “I thought about the man
waiting for me in the hotel by the river. I didn’t feel any grief for the dead woman, or
for the man who was weeping, her son. I’ve never felt any since.”29 As she explains
it, the mourning process around her mother’s passing seems to have been displaced
into this violent affair. Rather than experiencing the pain of the loss of her mother,
or sympathy for her mourning brother, she thinks of the lover that awaits her. In
L’Amant, the narrator explains that her dead mother became for her “écriture courante” or “fluent writing”; that is, her death provided a release into writing, a flood of
language to express something that had until then been bound.30 As Duras describes
it to Beaujour, however, her mother’s death inspired various sublimations and multiple rewritings that are linked to Duras’s own erotic entanglements at the time of her
death. This violent love affair lasted months: “The madness lasted the whole winter.
After that it became less important – just a love affair. And after that again, I wrote
Moderato Cantabile.”31 Once this relationship had come to an end, the text was born. In
the same way that Anne Desbaresdes’s erotic attraction to Chauvin becomes sublimated into the construction of a narrative, so too does Duras’s own romance become
transformed into a novel. Duras inscribes her novel with a similar linear displacement
of death and mourning into an erotic experience, and finally into narration. Again, it
is the generative couple that is found at the origin of the text that serves as a spectral
model for Duras and the interviewer to imagine as they reestablish the source.
The ostensible relationship between Moderato cantabile and Duras’s own affair
with Jarlot also links the text to another provocative work in Duras’s repertoire:
L’Homme assis dans le couloir. This text, a version of which was first published in L’Arc
in 1962 and later by les Éditions de Minuit in 1980, is a brief narrative describing a
sexually graphic encounter between an anonymous man and woman that ultimately
turns to alarming violence. Although Yvonne Guers-Villate does a close textual analysis to very convincingly demonstrate the common source material between Moderato
cantabile and L’Homme assis dans le couloir, as well as the movement from the implicit
to the explicit from the one text to the other, it is in interviews and periodicals that
28. Marguerite Duras, La passion suspendue: entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre, René de
Ceccatty trans., Paris, Seuil, 2013, 53 (my translation).
29. Marguerite Duras and Jérôme Beaujour, Practicalities, Barbara Bray trans., New York,
Grove Weidenfeld, 1990, 13.
30. ���
In L’Amant, Duras writes: “That’s why I write about her so easily now, so long, so completely,
she has become fluent writing” (L’Amant, 38) (my translation). In her interview with Bernard Pivot on
Apostrophes, she explains, “By fluent writing, I would say an almost distracted writing that runs, that is
more concerned with grasping things than with saying them, you see. But I am talking about the peak
of words; it’s a writing that would run along the peak to move quickly, not to lose, because when one
writes, it’s dramatic, one forgets right away. And it’s terrible sometimes.” (my translation).
31. Marguerite Duras and Jérôme Beaujour, Practicalities, 14.
72
Anne Brancky
Duras provides confirmation to these assumptions and develops them into an extraliterary drama.32
The first, most apparent link between the two texts can be found within the
texts themselves. The familiar line, “c’est fait,” (“it is accomplished”) which signifies
the symbolic consummation of both death and erotic intimacy between Anne and
Chauvin in Moderato cantabile, also appears at the death of the woman protagonist
in the 1962 version of L’Homme assis dans le couloir. Further links can be established
outside of the texts as Duras openly explains the connection between the two works.
For example, in the Cahiers du cinéma in 1980, the author writes, “I must have written
[L’Homme assis dans le couloir], the first version, the year that I wrote the screenplay
for Hiroshima mon amour. The phrase: ‘You’re destroying me. You’re good for me’
is in this text for the first time. I wrote it for someone.”33 This statement places the
time of writing L’Homme assis dans le couloir around 1958, within the same period she
was writing and publishing Moderato cantabile. This disclosure further links the source
obsession of these two texts to a third: Hiroshima mon amour, that morbidly erotic text/
film that relies on the intensity of the link between eros and thanatos in Duras’s work.
Indeed, as we have seen, in her 1987 interview with Leopoldina Pallotta della Torre,
Duras confirms again that both Moderato cantabile and Hiroshima mon amour came out
of the same violent relationship in the author’s past that left her suicidal and ready to
write in a new way. The same autobiographical, erotic experience links all three texts.
*
*
*
Duras therefore unequivocally places her own scandalously irreverent affair
at the source of Moderato cantabile, one of her most famous works. In this way, the
author creates or renews interest in her work and in her own persona. Suddenly,
with these interviews, Moderato cantabile, received at the time of its publication as a
poetic work of fiction, is transformed into an element of her developing stable of
autofictions. Now readers see the text less as an experimental, avant-garde novel
and more an intimate revelation of her private life. This switch in attitude on the
part of the author seems to suggest a desire for greater implication in her fiction
and a greater public gaze on the author herself.
However, as the critics Michelle Royer, Aliette Armel, and Leslie Hill remind us,
though it is tempting to believe what Duras says publicly about her texts and to accept
her statements as authoritative ways of reading her work, we ought not necessarily
take her at her word. Her revelations are seductive and fascinating, offering convincing if ambivalent readings of her literary works, yet they should not necessarily be
held as verifiable truths.34 Of course, the line between truth and fiction has always
been a major critical concern with regard to Duras’s work, not only in terms of the
32. Yvonne Guers-Villate, “De l’implicite à l’explicite: de Moderato Cantabile à L’Homme assis
dans le couloir”, in: The French Review, 1985, 58, 3, 378.
33. Marguerite Duras, Les Yeux verts, Paris, Les Éditions de l’Étoile/Cahiers du cinéma, 1996,
48 (my translation).
34. �������������������������������������������������������������������������������������
Michelle Royer (“L’Écriture du vécu: L’Œuvre paralittéraire de Marguerite Duras”, in Stella Harvey and Kate Ince (eds.), Duras, Femme du siècle, New York, Rodopi, 2001, 73-86) emphasizes how misleading the paratexts can be, while Leslie Hill underlines the “element of provocation”
that underlies many of the statements made in these interviews, as well as the performative nature of
Duras’s interviews (Leslie Hill, Marguerite Duras: Apocalyptic Desires, New York, Routledge, 1993, 18).
73
Marguerite Duras’s Auto-commentaries
commentary she makes about her texts in the media, but also in terms of the way
she writes and rewrites characters and scenarios that are often familiar but always
mutating. Similarly, both within and outside of her texts, Duras is always supplementing previous images of herself, but she also destroys them along the way, making it
impossible to pin her down. This is in part due, once again, to the ways she chose to
navigate the changing media landscape. More than writers of previous generations,
Duras left behind scores of documents of all sorts of things she articulated about her
own works and other topics in real time (on the radio and on television). Even though
in her writing she claimed to write in one steady stream of ink, she actually rewrote
and revised her work over and over again. With some exceptions, in interviews and
television shows, however, she was unable to perform this revision.35 In this sense we
are left with two very different versions of Duras the writer: one that is extremely
literary and is quite “travaillée” (even when it reads effortlessly), and one that is more
public and therefore looser, freer, and sometimes more audacious because her pronouncements are barred from reworkings. At the same time we are also left with two
very different versions of Duras the “character”: one to be found as a kind of avatar
of the writer within the works, and one that speaks outside of them.
If these autobiographical statements are not to be held up as historical facts,
they maintain a value that lies outside of a truth/fiction binary. As Hill puts it, “[t]
he purpose behind many of Duras’s statements to the media is not to analyse, but
to provoke, disturb, seduce, justify, or admonish, and thereby incite the audience to
read or watch Duras.”36 Duras makes clear a certain anxiety about a lack of audience
for her work (even though Moderato cantabile was a commercial success upon its
publication, selling a half a million copies – and this anxiety seemed to be mitigated
with the publication of L’Amant, which catapulted her into a new level of mass
appreciation). She confides to Xavière Gauthier in Les Parleuses in ’74, “[t]here’s a
general silence surrounding me. That adds to the solitude, necessarily.”37 Although
not likely a deliberate marketing strategy or a direct means of increasing readership
(Hill does argue that these glosses were a marketing policy that were intended to
make Duras’s texts appear more accessible38), it is through personal disclosures
that Duras and the media attracted more attention to her work in her later career,
guaranteeing a discussion around her, while at the same time interfering with, and
perhaps even enhancing, our reading of her fiction.
Anne Brancky
Vassar College – Poughkeepsie, New York
anbrancky@vassar.edu
35. ����������������
We know that in Practicalities, composed of interviews with Jérôme Beaujour, she did a lot
of editing, for example.
36. Leslie Hill, Marguerite Duras: Apocalyptic Desires, 19-20.
37. Marguerite Duras and Xavière Gauthier, Woman to Woman, 39.
38. �������������������������������������������������������������������������������������
Leslie Hill also comments: “After 1975, few works by Duras appeared without an accompanying series of interviews to assist the launch of the work and offer the audience some kind of
semi-official authorial commentary. The process rapidly acquired the predictability of a ritual, one
which reflected the insatiable demands of the media for biographical facts and ever more official
authorial comment, but also had something to do with the marketing policy adopted by Duras’s
publishers given that, ever since Hiroshima mon amour, she had the reputation of being obscure or
difficult” (Marguerite Duras: Apocalyptic Desires, 15).
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Josette Pintueles
Éditer et commenter son œuvre complète
Le défi d’Aragon
Résumé
Le discours métatextuel d’Aragon dans son Œuvre Poétique (1974-1981) demeure
incompris. À la fois commentateur et éditeur de ses œuvres complètes, situées dans
leurs circonstances grâce à des paratextes et documents très variés et surprenants,
l’auteur s’y expose, jouant avec le modèle de Mémoires attendus, mais surtout essayant
d’anticiper et de contrôler la réception de son œuvre. Il pointe ironiquement les risques
politiques et littéraires, dessinant un éthos paradoxal, où la figure du supplicié côtoie la
caricature. L’autre risque, qu’Aragon ne commente pas directement, est celui de refaire
toute l’œuvre, car son écriture palimpsestueuse poursuit un dialogue intime et fantasmé
avec André Breton.
Abstract
Aragon’s commentaries on his work in L’Œuvre Poétique (1974-1981) remain misunderstood. Both commentator and publisher of his own complete works, considering their circumstances, using paratexts and very diverse and unexpected documents,
the author exposes himself, seems give us his expected memoirs, but mostly tries to
anticipate and control the reception of his work. With irony, he insists on literary and
political risks, showing himself with paradoxical ethos, as tortured and as a caricature
at the same time. Another risk, without any direct commentary, is to redo the whole
work, because Aragon writes towards a palimpsest: he prolongs an intimate and imaginary dialogue with André Breton.
Pour citer cet article :
Josette Pintueles, « Éditer et commenter son œuvre complète. Le défi d’Aragon »,
dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, « Au risque du métatexte »,
s. dir. Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, février 2015, pp. 77-87.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
Éditer et commenter son œuvre complète
Le défi d’Aragon
Dans l’étude qu’il a consacrée aux « seuils » ou paratextes littéraires, Gérard
Genette condamne sévèrement le « triste gâchis »1 que représentent à ses yeux les
commentaires d’Aragon au sein de son Œuvre Poétique : pour lui, ce sont de simples
préfaces tardives aux œuvres poétiques, une confession tronquée, autocensurée
pour des raisons politiques. L’infortune de cette étrange édition, annoncée comme
des œuvres poétiques complètes et parue en quinze volumes, au Livre Club Diderot
entre 1974 et 1981, semble lui donner raison. D’abord, Aragon, épuisé, a dû arrêter
ses commentaires au milieu du tome VIII et laisser à Jean Ristat le soin d’en achever
la publication ; elle a été remplacée chez le même éditeur par une deuxième version,
enrichie par Édouard Ruiz et Jean Ristat de textes retrouvés, mais amputée de la plupart des illustrations, qui est à son tour introuvable. Enfin, les commentaires d’Aragon – trois préfaces majeures exceptées2 – et beaucoup de documents choisis par lui
n’ont plus été réédités, même à la faveur de la publication de ses œuvres complètes
dans La Bibliothèque de la Pléiade. L’importance de ce métatexte est étrangement
négligée par les contemporains, alors même que les interventions d’Aragon dans
les médias, audiovisuels et journaux, devenaient rares3 : elle est aujourd’hui oubliée.
Or, l’œuvre, car c’en est une, est originale, hybride et complexe, et les lectures,
qui généralement s’attachent à sa seule dimension autobiographique, alors même
qu’on relève nombre d’erreurs chronologiques, en sous-estiment la portée. Le rassemblement des poèmes s’accompagne d’un ensemble hétérogène de documents destinés
à les éclairer : articles, préfaces à des expositions, traductions, aussi bien que des textes allographes ; enfin, un dispositif labyrinthique d’introductions, parenthèses et notes. La poésie
n’y occupe4 qu’environ la moitié des quinze tomes ; un peu plus du tiers des huit premiers,
relus et commentés par Aragon, à condition d’y inclure, comme lui, Les Aventures de Télémaque, Le Paysan de Paris et quelques fragments sauvés du manuscrit de La Défense de l’Infini.
Pourquoi Aragon a-t-il pris le risque d’accompagner sa poésie d’un appareil
si complexe, d’une telle accumulation de documents, qui noie ses poèmes et semble
mettre sur le même plan l’œuvre et son ombre, alors que les auteurs, même lorsqu’ils
visent l’édition exhaustive de leur œuvre, la distinguent en général de ses « scories »,
articles ou discours de circonstance? Il y paraît d’abord soucieux d’anticiper et de
1. Gérard Genette, Seuils (1987), Paris, Seuil, « Points Essais », 2002, pp. 252-253.
2. « Écrit au seuil », « L’homme coupé en deux » et le début de « J’appelle poésie cet envers
du temps », préfaces des tomes I, II et IV respectivement, ont été repris par Olivier Barbarant, sous
le titre « Écrits sur la poésie », à la fin de son édition des Œuvres poétiques complètes d’Aragon (Paris,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, tome II – désormais, OPC).
3. Essentiellement, un entretien avec Jean Ristat, « Vingt-six questions à Aragon », dans Le
Magazine littéraire, n° 89, juin 1974 (OPC II, pp. 1389-1392) et un entretien pour la Radio suisse
romande, diffusé le 6 octobre 1977.
4. « Ces livres où le domaine poétique s’étend à des écrits qu’on ne tient généralement pas
pour de la poésie » (OPC II, p. 1405).
77
Éditer et commenter son œuvre complète
contrôler la réception future de ses œuvres en explicitant toutes leurs circonstances,
quitte à revenir sur les précédents métatextes, notamment les préfaces des Œuvres
romanesques croisées, que Genette trouve plus « réconfortantes »5. Il met de ce fait en
jeu la légitimité de ce métatexte, en un siècle qui a vu la remise en cause de la notion
d’« auteur », puis la reconnaissance des métadiscours autobiographiques et génétiques, avant l’engouement pour ses interventions médiatiques les plus variées…
À la charnière des deux premières époques, la légitimité des métatextes se pose
en outre à propos du rôle joué par Jean Ristat. Aragon semble ainsi proprement
« exposer » son autorité, la mettre en jeu dans un espace public politique et littéraire,
dont participe le choix de l’éditeur. Enfin, la reprise des précédents métatextes ne
pouvait pas, chez lui, ne pas s’accompagner d’une tentation de les modifier, de les
compléter et parfois de les infléchir, en une démarche palimpsestueuse6 : le métatexte
devient un nouveau texte.
1. Originalité du métatexte
Aragon fournit un métatexte hybride et iconoclaste, ce qu’a bien noté Genette,
tantôt situé dans les paratextes – préfaces, notes, titres – tantôt dans les documents
joints – conférences, discours, articles, dont certains allographes. Au départ, cependant,
Jean Ristat devait assurer les notes de cette édition sous le nom de « Hors d’œuvre »,
à la fin de chaque volume7; mais ces « Hors d’œuvre » débordent vite de leur cadre et
Aragon en garde la maîtrise, ce que Ristat reconnaît sans peine (XV, p. 508). Ce dispositif original est resté incompris.
Dans le préambule, « Écrit au seuil », Aragon présente son projet d’œuvres
complètes comme une nouvelle œuvre, insistant sur le « singulier viril » du titre et
défiant une modernité qui, dans les années soixante-dix, lui préfère la notion de
« texte ». En commentant et en reconfigurant son œuvre, il remet aussi en jeu son
image d’auteur consacré : à la fois poète de la Résistance, ce que confirme l’anthologie de Seghers8, parue au moment où Aragon commence L’Œuvre poétique, et
l’intellectuel du PCF le plus populaire et emblématique. Sa poésie est largement
reconnue, sinon ses romans, popularisée par les mises en chanson et par l’institution
scolaire.
Mais précisément, cette image de l’auteur n’est-elle pas tronquée ? L’Œuvre
poétique est d’abord marqué par l’anamnèse de Dada et du Surréalisme, Aragon rappelant son rôle majeur dans leur naissance. Il avait pourtant lui-même encouragé
son oubli au nom de la défense du réalisme, lors des batailles esthétiques et idéologiques de la Guerre froide et dans ses préfaces des Œuvre romanesques complètes. C’est
pourquoi il inclut Les Aventures de Télémaque et Le Paysan de Paris dans L’Œuvre poétique. Il entend aussi soustraire son œuvre à l’étiquette du stalinisme à laquelle certains voudraient la cantonner et, tout en réaffirmant son communisme, laisser aux
jeunes générations, qu’il interpelle familièrement dans ses commentaires, un testa5. Gérard Genette, op. cit. p. 254.
6. Terme emprunté par Gérard Genette à Philippe Lejeune : Palimpsestes, la littérature au second
degré, Paris, Seuil, « Points Essais », 1982, pp. 505-509.
7. L’Œuvre Poétique, t. I, Paris, Livre Club Diderot, 1974, p. 34. Désormais, pour cette édition,
nous n’indiquerons que le volume en chiffres romains, entre parenthèses dans le texte.
8. Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes. France, 1940-1945, vol. I, Paris, Seghers, 1974.
78
Josette Pintueles
ment politique et littéraire plus nuancé. Il met en garde les jeunes gens, à l’époque
du Programme commun de la Gauche et s’appuyant sur ses écrits des années trente,
contre les outrances du langage et le gauchisme, de même qu’il s’insurge contre la
persistance de « l’image d’Épinal » (V, p. 43) du couple formé avec Elsa Triolet.
Se sachant attendu sur la reprise de ses poèmes les plus polémiques, comme
« Front rouge » et d’autres textes des années trente, il insiste sur le caractère exhaustif de l’ouvrage : « Y figure ce qu’on a retrouvé, que ce qui fut écrit me plaise ou
non, aujourd’hui. Voilà, c’est dit ». Ses commentaires semblent donc prévenir les
objections :
Cela dit, on s’attendait sans doute que j’en laisse aux lecteurs le soin de déduire
le jugement que je porte de moi, sur cette époque de ma vie, d’une simple
anthologie des poèmes écrits en ce temps-là. Mais, outre que cela ne pourrait
jamais passer que pour une simple esquive, je ne puis vraiment m’y borner.
D’abord parce que, poèmes ou pas, mes écrits d’alors ne me satisfont ni du
point de vue historique ni du point de vue poétique, créatif, n’est-ce pas ? Je les
trouve mauvais… (V, p. 15)
Face à ces risques littéraires et politiques, Aragon justifie les métatextes de
deux manières liées : l’exposition des circonstances, notion centrale chez lui, et la
démarche généalogique.
Aragon a toujours réclamé, on le sait, qu’on date ses écrits : « Je ne crois pas
qu’on puisse rien comprendre de moi, si l’on omet de dater mes écrits »9. Cette
revendication ne répond pas seulement à ceux qui l’accusaient d’écrire une « poésie
de circonstance », la plus décriée ; elle est plus ancienne : son extrême conscience
de l’historicité des œuvres, depuis le Projet d’histoire littéraire contemporaine présenté à
Jacques Doucet en 192310 et l’aventure dada, lui impose de « situer » celles-ci. Il écrit
à Gaston Gallimard, en 1940 :
Je crois que progressivement, à l’épuisement des éditions anciennes, il y aurait
intérêt pour la NRF à publier des éditions critiques de ces ouvrages, auxquelles
je propose de faire une préface et des notes destinées à [...] “sensibiliser” ce
public, pour l’intéresser à des ouvrages dont il saurait alors pourquoi, comment, quand ils ont été écrits, qui seraient enfin “situés” pour lui, littérairement
et historiquement.11
Après les poèmes de la Résistance12, sur fond de Guerre froide, il continue
à défendre la notion de « circonstance » dès ses Chroniques du bel canto, pour Europe,
et il proclame jusqu’aux articles de 1954 dans Les Lettres françaises13 : « Il n’y a pas
de poésie, si lointaine qu’on la prétende des circonstances, qui ne tienne des circonstances, sa force, sa naissance et son prolongement »14. Ainsi, il salue en novembre
9. Louis Aragon, « La Fin du Monde Réel », Postface des Communistes, dans Œuvres romanesques
complètes, t. IV, éd. Daniel Bougnoux, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2008, p. 624.
10. Id., Projet d’histoire littéraire contemporaine, présenté par Marc Dachy, Paris, Gallimard, « Digraphe », 1994.
11. Lettre à Gaston Gallimard du premier février 1940, Correspondance générale, Aragon-PaulhanTriolet, « Le temps traversé », s. dir. Bernard Leuilliot, Paris, Gallimard, « Cahiers de la NRF », 1994,
p. 76.
12. Voir la préface au Musée Grévin, « Les poissons noirs ou de la réalité en poésie » (OPC I,
pp. 918-919).
13. Louis Aragon, « Du sonnet », dans Les Lettres françaises du 4 mars 1954 (XII, pp. 26-28).
14. Id., Chroniques du bel canto, Genève, Albert Skira, 1947, p. 24.
79
Éditer et commenter son œuvre complète
1946 l’édition des œuvres complètes de Rimbaud dans la Bibliothèque de la Pléiade,
qui inclut les devoirs du lycéen, ses vers latins et sa correspondance. Elle sonne,
selon Aragon, la fin du ‘‘rimbaldisme’’ et les récupérations ‘‘partisanes’’ de l’œuvre
du poète : « Voilà Arthur Rimbaud rendu à ses circonstances. Le temps des interprétations délirantes, des abus de textes, des annexions hasardeuses est passé »15.
Dans la dernière chronique, « Noël ou l’école buissonnière »16, Aragon défend
les notes précisant les circonstances de la poésie : « C’est pourquoi je réclame à la
poésie, claire ou non, des notes, des précisions historiques, qui loin de m’empêcher
de rêver donnent à mon rêve l’immense champ de la réalité »17. Aragon reste fidèle à cette méthode lorsqu’il écrit ironiquement en 1959, dans
« Comment parler de soi » :
Un poème, c’est daté comme un article. Pas seulement les miens. La différence
est que le caractère circonstanciel de ce qu’il écrit est l’orgueil du journaliste,
et, sinon la honte, du moins la pudeur du poète, qui cherche à l’effacer, pour
une espèce de goût amer de l’éternité qu’il a dans la bouche, comme une gorgée d’eau de mer. J’ai passé ma vie, relisant les autres, à tenter de restituer aux
choses cette dernière ligne pâlie qui dit par exemple que ces phrases éternelles
écrites par Théophile Gautier le furent durant les journées de juin 1848 ou
cette fable à l’air innocent au lendemain du Deux-Décembre, par Marceline
Desbordes-Valmore : aussi comprendra-t-on que, me relisant, je voie dans le
miroir, par-dessus mon épaule, un monde que les vers autant que moi-même
me montrent, le journal du temps traversé, l’histoire des autres, qui est aussi
mon histoire.18
Aragon donne donc à lire, avec ses commentaires, des documents allographes
choisis pour situer ses œuvres : l’article de Jacques Rivière sur Les Aventures de Télémaque19, des poèmes de Robert Desnos, comme « Le banquet » et de Paul Éluard,
« Hymne à l’Autriche » et « Les vainqueurs d’hier périront ». Cependant, cet ensemble métatextuel, direct ou indirect, déborde rapidement les cadres chronologique et générique établis. Les circonstances incluent même la réception de ses
œuvres, y compris ses romans : non seulement Aragon insère l’article de Pierre Unik
sur Hourra l’Oural, mais aussi ceux de Georges Sadoul sur Les Cloches de Bâle20 et Les
Beaux Quartiers21. Ses « Notes pour un collectionneur » de 1922 sur Les Aventures de
Télémaque y figurent, augmentées de celles de l’édition de 1966 et de l’Épilogue qui
avait été supprimé pour cette dernière. Aragon se réfère aussi souvent à ses préfaces
des Œuvres romanesques croisées et commente, sans la reprendre, la préface d’Étiemble
au Roman inachevé, qu’il avait lui-même sollicitée (VI, pp. 14-15). En tenant compte
des circonstances des années 1970 et du public auquel il s’adresse, il fournit donc
un métatexte « au carré », métatexte des métatextes précédents.
15. Ibid., p. 190.
16. Ibid., pp. 231-258.
17. Ibid., p. 246.
18. « Comment parler de soi », reprise de l’article « Aragon vous parle : de lui-même » (France
Nouvelle, n° 739, 1959), à l’occasion de la parution d’une anthologie de ses poèmes au Club du Meilleur Livre, préfacée par Jean Dutourd, deuxième version de L’Œuvre Poétique, tome 5, pp. 915-924.
19. La Nouvelle revue française, 1er avril 1923.
20. Commune, n° 17, 1935, pp. 462-464.
21. Commune, n° 40, décembre 1936 (VII, p. 259-266).
80
Josette Pintueles
D’autre part, le préambule de L’OP promet une reconstitution généalogique
de l’œuvre, de « ce qui a pu s’engendrer à partir de ces origines » (I, p. 13), soit des
premiers poèmes gardés, postérieurs à 1917. Aragon entend « suivre la piste ainsi
laissée en la marquant de commentaires, en marge des écrits qui s’étendent à cette
heure sur soixante-six années de [sa] vie » (OPC, II, p. 1394).
La piste, cependant, se fait labyrinthe. Les remarques de plus en plus profuses, situées en notes, parenthèses et renvois d’un volume à l’autre : c’est le récit de
l’œuvre complète en cours de rassemblement, sur un ton souvent familier, où l’auteur se pose en commentateur et chercheur davantage qu’en re-lecteur de sa propre
œuvre. Il raconte les circonstances aléatoires dans lesquelles il retrouve certains
manuscrits : deux poèmes de 1920, « Aline » et « Ciel de lit », dans sa correspondance avec Gide, au Fonds Doucet ; sous le titre « Texte perdu et retrouvé (vraisemblablement, été 1927) », le « beau manuscrit » de « Dans la forêt » (IV, p. 90) donne
lieu à une note ironique mentionnant son prix au catalogue d’un libraire. Le poète
détaille volontiers les aléas subis par ses manuscrits : il dit retrouver dans les papiers
d’Elsa Triolet, au milieu de chroniques théâtrales, un poème rescapé d’un ensemble
de poèmes perdus, écrits entre « la fin 28 et l’été 30 » : « De amore Elsae. Poème écrit
dans les toilettes avec un couteau sur un mur »22.
Il établit aussi de nombreux rapprochements entre le passé et le moment où
il rédige ses commentaires, y compris en datant les interruptions de son travail et
les reprises : au tome VII, après le récit de la mort de Gorki, une parenthèse date
la rédaction de février 1976, corrigée en note de bas de page : « Je relis ce livre fin
février 1977. Ce livre a pris du temps » (VII, p. 152).
À une époque où sseules les interventions d’auteur autobiographiques ou
génétiques sont considérées légitimes, comme le rappelle Gérard Genette à propos
des « autocommentaires tardifs »23, ce geste peut être rapproché de celui de la « fabrique » pongienne ; Aragon ne livre cependant pas de brouillon, ni de version antérieure, mais une scénographie de la mise en œuvre qui tient lieu de fil conducteur
dans un dédale de digressions. Il l’inscrit dans les circonstances présentes et mime
une communication spontanée avec les jeunes générations, par des interpellations
familières et des allusions à l’actualité, aujourd’hui obscures.
Aragon veut leur livrer la totalité de son œuvre, pour en anticiper les futures
lectures. Non seulement il déplore la perte de quelques textes qui lui manquent
pour montrer la continuité de son œuvre, comme ces poèmes en prose qui devaient
accompagner des bois gravés d’Hélios Gomez, à la manière de Gaspard de la nuit,
confiés à un peintre espagnol, mais il regrette, dans « Écrit au seuil », de ne pouvoir
reprendre ceux de Breton pour retracer la généalogie du Surréalisme.
C’est, en effet, pour lui, « une histoire qu’il demeure à écrire »24. Il critique
la manière dont Maurice Nadeau en a rendu compte en 1964, dans son Histoire du
surréalisme25 et raille sans la nommer la thèse de Michel Sanouillet, publiée en 1965,
Dada à Paris. Il s’appuie, en revanche, sur ce que Philippe Soupault vient de dire à la
radio en une note à « L’Homme coupé en deux » (OPC II, p. 1375). Cette mise en
22. Voir la note d’Olivier Barbarant (OPC II, pp. 1358-1359).
23. �������
Gérard Genette, op. cit. p. 369.
24. « Note pour les lecteurs », I, p. 34.
25. Par exemple, la note 24 du tome III, p. 400, critique un détail sur Charlie Chaplin.
81
Éditer et commenter son œuvre complète
perspective de l’histoire littéraire provient de sa volonté de maintenir un dialogue
esthétique et politique avec la jeunesse : avec Jean Ristat, d’abord, et à travers lui,
à la fois avec l’avant-garde de Tel Quel, dont Ristat a d’abord été très proche26 et
avec les jeunes communistes, dans le droit fil de ses prises de position de mai 68,
notamment.
Les commentaires de L’OP, dont le préambule, combattent les lectures tronquées et partisanes de son œuvre. Par exemple, Aragon répond malicieusement à
ceux qui imputent ses sonnets à un repli esthétique imposé par le parti, en pointant
ceux, cachés dans la poésie de Breton et dans ses propres textes surréalistes, qui
« ne peuvent aucunement s’expliquer par la théorie de mon alignement politique à la
circonstance et aux souhaits supposés de mes coreligionnaires, si j’ose dire » (OPC
II, p. 1403).
Ces précautions pour conjurer l’oubli et les confiscations partisanes peuvent
surprendre chez un auteur de la stature d’Aragon et dans ces années soixante-dix,
où il semble dominer le champ littéraire ; Aragon gardait toutefois en tête, outre
sa disparition de certaines anthologies littéraires contemporaines, l’exemple de
Maïakovski, très présent dans L’OP, dont Elsa Triolet et sa sœur Lili Brik avaient eu
tant de mal à faire éditer les œuvres complètes et à entretenir la mémoire en URSS27.
En réclamant d’emblée l’« injustice » des lecteurs, Aragon semble avoir vu juste.
2. Une autorité exposée
Bien qu’Aragon proclame, dès le préambule : « ce n’est pas à moi de donner
leçon de moi-même » (OPC II, p. 1405, les nombreux portraits de l’auteur, photographies ou dessins, et les autoportraits discursifs souvent ironiques interrogent le
lecteur : plus que de simples illustrations ou témoignages accompagnant une édition
d’œuvres complètes, ils semblent orienter la lecture des commentaires vers l’autobiographie ou des Mémoires.
La récurrence de son autoportrait, à la fois en vieillard et en supplicié, empreint d’autodérision, paraît « se jouer » d’une attendue captatio benevolentiae:
Avez-vous jamais vu un automate qu’on peut remettre encore en marche et
qui fait les premiers gestes de son rôle, mais n’achèvera jamais le geste amorcé ? […] Au fond, ce qu’il lui restait à dire, à ce pantin, importe peu, l’essentiel
est qu’il se soit remis en marche, quitte à se casser tout de suite, l’épaule qui se
démanche, le nez qui retombe et le genou qui plie devant l’avenir… (OPC II,
pp. 1399-1400)
Le poète est un survivant s’exposant au jugement d’autrui : « Et c’est l’injustice, la merveilleuse injustice d’autrui que je demande aujourd’hui » (OPC II, p.
1405). Aragon désigne, en effet, l’ouvrage comme « grand pilori de [lui]-même »,
une « décollation », proposant de montrer sa tête au peuple en un geste de bravoure
à la Danton (OPC II, p. 1399). Et Ristat commente dans le dernier volume le choix
de la maquette, la reliure de soie assimilée à une « peau » marquée du monogramme
26. Sur les rapports entre Aragon et Tel Quel, voir Philippe Forest, « Aragon et l’avant-garde
romanesque des années 60 », Digraphe, n° 82-83, 1997, pp. 82-83.
27. C’est aussi le sens du legs de ses manuscrits « à la nation française », à l’origine de la création de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes, au CNRS.
82
Josette Pintueles
« A » : « Un monogramme devait-il ou non signer la peau (ou la soie) comme au
fer rouge on marquait autrefois les réprouvés et les bagnards ? » (XV, p. 506). Le
thème du martyre politique apparaît ici en sourdine. Il rappelle la récurrence chez
Aragon des figures de Saint-Sébastien28 – Elsa Triolet dit dans la première préface
des Œuvres romanesques croisées, qu’Aragon lui a tout de suite fait penser à un « SaintSébastien percé de flèches » – ou de Saint-Maurice, le tableau du Greco évoqué
dans Blanche ou l’Oubli. Il est proche de ce qui apparaît comme une « scénographie
auctoriale », au sens de José-Luis Diaz29, du poète communiste, d’autant que de
nombreux articles des Lettres françaises retenus dans L’Œuvre poétique sont consacrés
à des poètes persécutés dans leur pays, comme Yannis Ritsos, Nazim Hikmet ou
Mohammed Dib, sans qu’on puisse toutefois savoir si ce choix en incombe à Aragon ou à Jean Ristat.
La posture30 adoptée par Aragon se fait plus paradoxale quand il assume sa
caricature dessinée par Hoffmeister, en la plaçant pour ainsi dire en « exergue » du
commentaire de ses écrits des années trente, dont « Front rouge », sous ce titre
explicite : « Ce poème que je déteste ». Il montre un beau sens de l’autodérision car
on y voit un Aragon très frêle portant un énorme drapeau rouge (V, p. 144) : aveu
d’un rôle politique écrasant ? Le choix de ce portrait est fort. Daniel Bougnoux,
le mettant en perspective avec les nombreux portraits qui illustrent L’Œuvre poétique, y voit une manière crâne de « faire face », de la part d’un auteur ayant une
« conscience médiologique » aiguë, qu’il attribue surtout au militant31. Outre la
portée médiologique et politique du geste d’Aragon, on peut être sensible à l’éthos
paradoxal, dans cette façon d’assumer le portrait-charge. En tout cas, Aragon rappelle ce que lui a coûté ce qu’on a appelé « l’affaire Aragon », après la publication
de « Front rouge » et le Congrès de Kharkov, la rupture avec les amis surréalistes et
surtout avec Breton : « C’est une blessure que je me suis faite, et qui ne s’est jamais
cicatrisée. »32
La posture n’exclut donc pas la confidence, comme lorsque Aragon choisit
pour préface du tome II un article qu’il avait publié dans Les Lettres françaises à l’occasion de la réédition des Champs magnétiques, sous le titre de « L’homme coupé en
deux ». Celui-ci désigne d’abord le surgissement de l’écriture automatique chez les
deux auteurs, André Breton et Philippe Soupault, ce que corrobore le double portrait par Picabia illustrant l’article. Mais Aragon laisse entendre une secrète jalousie face à la réussite de cette création duelle, alors que Breton avait négligé plusieurs
projets d’écriture avec lui, dont il est resté Le Troisième Faust et « Madame à sa tour
monte », comme Nathalie Limat-Letellier l’a rappelé dans son analyse des « Écritures automatiques » d’Aragon33. « L’homme coupé en deux », au fil des commen28. Louis Aragon, Œuvres romanesques croisées, t. I, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 58. Désormais ORC, suivi de la pagination, enttre parenthèses dans le texte.
29. José-Luis Diaz, L’Écrivain imaginaire, scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris,
Champion, « Romantisme et modernité », 2007.
30. Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, « Érudition », 2007.
31. Daniel Bougnoux, « Aragon, faire ou ne pas faire face », dans Portraits de l’écrivain contemporain, s. dir. Jean-François Louette & Yves Roche, Champ Vallon, « Essais », 2003, p. 61.
32. VI, p. 306.
33. Nathalie Limat-Letellier, dans Manuscrits surréalistes. Aragon, Breton, Eluard, Leiris, Soupault,
s. dir. Béatrice Didier & Jacques Neefs, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, « Manuscrits
modernes », 1995, p. 132.
83
Éditer et commenter son œuvre complète
taires des premiers volumes de L’Œuvre poétique, semble bien être Aragon lui-même,
amputé, en quelque sorte, de son amitié pour Breton.
Les portraits de l’auteur, photographies et dessins, abondent dans L’Œuvre
poétique, mais aussi des illustrations que le discours métatextuel s’approprie comme
autant d’autoportraits indirects. Ainsi, un collage de Max Ernst34 où un cygne35,
assimilé à Lohengrin, qui « fait force rames pour arriver à Léda », fait écho au récit
autobiographique de la décision d’abandonner ses études de médecine pour la poésie : Aragon raconte être parti canoter au Bois de Boulogne (IV, pp. 13-14).
Dans L’Œuvre poétique, l’éthos qui émane des figures de l’auteur, à travers illustrations et autoportraits discursifs, est ambivalent et grinçant ; Aragon renoue avec les
provocations dadaïstes plutôt qu’il ne se montre « en majesté » ; si le « geste monumentaliste » des Œuvres romanesques croisées s’oppose au geste iconoclaste des débuts,
selon Jean-Pierre Martin36, L’Œuvre poétique retrouve ce dernier. On est aux antipodes
d’un Saint-John Perse choisissant comme écrin à ses Œuvres complètes les éloges prestigieux de Valery Larbaud ou de Paul Claudel. En guise de préface au tome V, Aragon
cite un extrait d’une conférence de 1972 : « Je suppose que vous êtes venus ici ou parce
que vous ne me connaissez pas, ou parce que vous connaissez de moi ce qu’on en
connaît ou croit connaître, et que vous voulez en savoir davantage » (V, p. 11). Cette manière de se « dérober » – Aragon joue à décomposer le mot pour en
inverser le sens : se « dé-rober » – rejoint l’éthos des dernières apparitions médiatiques
d’Aragon, du jeu de masques de différentes couleurs arborés à la télévision, pour
Apostrophes ou face à la caméra de Raoul Sangla, dans la série de Dits et non-dits réalisée
en 1978. Elle est aussi à mettre en relation avec son dernier roman, Théâtre/Roman37.
Les portraits, qu’ils soient discursifs ou se trouvent dans les illustrations, s’inscrivent dans des jeux intertextuels et iconotextuels et représentent une forme oblique
de métatexte qui, comme les préfaces, peut donner lieu à des lectures « feuilletées » selon
les destinataires ; on sait qu’Aragon a souvent pratiqué ces formes de « contrebande »
propices à la critique. Les lecteurs les moins convaincus ont pointé l’autocensure : nous
avons cité Gérard Genette, qui préfère les préfaces des Œuvres romanesques croisées, mais
Dominique Jullien y lit déjà des confidences biaisées : « larvatus prodeo »38. Car Aragon
s’emploie à décevoir l’attente de ceux qui lisent ses commentaires sous le seul angle
autobiographique, qui en attendaient des aveux, voire une autocritique.
Les catégories rhétoriques et poétiques sont trop hybrides dans L’Œuvre poétique
pour que le métatexte soit réduit, tantôt à des « seuils » des recueils poétiques, tantôt
à des Mémoires autonomes, même si Aragon joue aussi avec le modèle générique des
34. I, p. 168. Cette illustration est reprise dans Les Collages (p. 31) et dans L’Essai Max Ernst
(Écrits sur l’art moderne, Paris, Flammarion, 1981, p. 318).
35. José-Luis Diaz a analysé la scénographie auctoriale de cette image mallarméenne du poète,
pour le xixe siècle.
36. Jean-Pierre Martin, « Aragon mythographe de la littérature », dans Lire Aragon, s. dir.
Mireille Hilsum, Carine Trévisan & Maryse Vassevière, Paris, Champion, « Colloques, congrès et
conférences sur l’époque moderne et contemporaine », 2000, p. 288.
37. Josette Pintueles, « (Dé)jouer la fin de l’oeuvre : Théâtre/Roman et L’Œuvre Poétique », dans
« Théâtre/Roman, d’Aragon. Un singulier pluriel, s. dir. Marie-Christine Mourier & Roselyne Waller,
Valenciennes, Presses Universitaires de Valenciennes, 2015, pp. 61-74 (voir en particulier p. 67).
38. Dominique Jullien, « Larvatus prodeo. L’auteur et ses masques : stratégies de dissimulation dans le paratexte des Œuvres romanesques croisées », dans Paratextes : études aux bords du texte, s. dir.
Mireille Calle-Grüber & Elzbieta Zawisza, Paris, L’Harmattan, « Traits d’union », 2000, pp. 41-60.
84
Josette Pintueles
Mémoires, comme Jean-Louis Jeannelle l’a montré39. Les outils de l’analyse du discours sont plus efficaces pour analyser ce qui, dans ce rassemblement d’œuvres complètes relève d’un acte de communication. La fonction de « réglage » de l’œuvre telle
que Dominique Maingueneau l’a définie40 – le retour sur Dada et le surréalisme ou la
place accordée à l’immense activité journalistique, de L’Humanité aux Lettres françaises,
en passant par Europe et Ce soir – est plus pertinente pour saisir comment Aragon
prend en compte les circonstances de publication de L’Œuvre poétique.
Il manifeste sa volonté de contrôler son image et d’anticiper la réception
future de son œuvre. En effet, le métatexte, dans les paratextes et commentaires de
l’œuvre comme dans les interviews ou entretiens littéraires, résulte toujours d’une
négociation entre l’image publique de l’auteur, sa place dans les champs littéraire et
politique, sa posture et les scénographies auctoriales contemporaines. L’Œuvre poétique, en tant qu’édition d’œuvres complètes, se trouve marqué par l’apparition d’une
nouvelle forme d’autorité, résultat de l’évolution sociologique et médiologique de la
« double image »41 de l’auteur en général – telle que l’analyse Ruth Amossy – et de
l’histoire de l’édition, étroitement liées.
Tout métadiscours est, en effet, modelé par l’histoire de l’édition : Mireille
Hilsum a rappelé que les préfaces auctoriales ont d’abord été réclamées par les
éditeurs, au xixe siècle. Elle a aussi souligné que le rassemblement de l’œuvre complète par l’auteur fait de l’auteur un éditeur ou co-éditeur de son ouvrage, posture
contemporaine42. L’ajout de brouillons ou d’épitextes fait ensuite le succès de la
Bibliothèque de la Pléiade, dont Joëlle Gleize et Philippe Roussin ont montré l’évolution et le rôle dans l’établissement de la valeur littéraire43. Joëlle Gardes cite le
cas de Jean Paulhan réclamant à Saint-John Perse d’autres documents, journal et
correspondance, pour étoffer le volume trop mince de sa poésie, ce qui va conduire
le poète à créer de véritables palimpsestes de sa correspondance, par exemple44. Le
xxe siècle voit, enfin, selon Mireille Hilsum, des collections telles que « Écrivains de
toujours », au Seuil, ou « Les sentiers de la création » chez Skira, concurrencer en
prestige la Pléiade. Dans le cas d’Aragon, il n’est certes pas indifférent que l’œuvre
complète ait d’abord paru au Livre Club Diderot, une collection patrimoniale dans
la sphère des éditions communistes.
3. Une écriture palimpsestueuse : le métatexte comme nouveau texte
Si la tentation de refaire l’œuvre est toujours là quand les écrivains se relisent, comme le rappelle Mireille Hilsum, certains expurgent, d’autres réécrivent…
39. Jean-Louis Jeannelle, « Ne croyez pas que j’écris ici mes Mémoires. L’Œuvre poétique ou la
“mise en œuvre” », dans Recherches croisées Elsta Triolet/Louis Aragaon, n° 8, 2002, pp. 139-156.
40. Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand
Colin, « U – Lettres », 2004, p. 113.
41. Ruth Amossy, « La double nature de l’image d’auteur », dans Argumentation et analyse du
discours, n° 3, « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Ruth Amossy & Michèle Bokobza Kahan,
2009. [En ligne], URL : http://aad.revues.org/662
42. Mireille Hilsum dir., La Relecture de l’œuvre par ses écrivains mêmes. Tome II, Paris, Kimé, « Les
Cahiers de marge », 2007, pp. 5-6.
43. La Bibliothèque de la Pléiade. Travail éditorial et valeur littéraire, s. dir. Joëlle Gleize & Philippe
Roussin, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009.
44. Joëlle Gardes, « Le “Pléiade” de Saint-John-Perse, un cas unique d’autocélébration », dans
La Bibliothèque de la Pléiade. Travail éditorial et valeur littéraire, op. cit., p. 127.
85
Éditer et commenter son œuvre complète
Aragon, qui se veut exhaustif, est conduit sur des sentiers déjà explorés, comme
lorsqu’il cite longuement la préface du tome IV des ORC : « pas la peine de faire
autre chose que me citer » (V, p. 359).
La complexité croissante des questions poétiques et politiques traitées et le
déclin de ses forces l’obligent à s’arrêter à l’année 1937. Mais il a déjà commenté la
part de son œuvre qui n’avait pu se trouver dans les Œuvres romanesques croisées et il
remet alors ses pas dans les métatextes déjà nombreux : paratextes des Œuvres romanesques croisées, essai (Les Incipit), entretiens avec Francis Crémieux ou Dominique
Arban45, voire dans de nombreux articles des Lettres françaises où il mêlait souvent à
une critique subjective des œuvres d’autrui des considérations sur lui-même, « Les
Clefs », « Un perpétuel printemps »… Sans oublier le discours métatextuel abondant au sein même des derniers romans, à partir de La Mise à Mort. Le labyrinthe
devenait sans doute trop compliqué, métatexte au carré ou au cube !
Aragon propose, par exemple, au tome VII de « déromancer » (VII, p. 116)
le célèbre récit de l’enterrement de Gorki dans La Mise à Mort, en citant de longs
passages et en y ajoutant des précisions, notamment sur Michel Koltsov et en substituant au nom de Fougère celui d’Elsa Triolet. Le palimpseste ainsi déroulé s’ajoute
à celui que tissent les œuvres poétiques et leur commentaire.
En effet, le dispositif qui entoure l’œuvre interagit avec elle car Aragon déconstruit de manière discrète certains recueils, comme Le Mouvement perpétuel, dont
les deux parties sont séparées en deux tomes distincts, au motif de respecter les
dates où les poèmes auraient été écrits ; il s’agit plutôt de marquer l’année 1926, qui
occupe un tome entier, comme « plaque tournante » de la destinée du poète (« L’an
26 », III, p. 9). Aragon modifie aussi les dédicaces de certains poèmes, sans expliciter systématiquement ses raisons.
L’OP inclut en outre quelques apocryphes se présentant comme des commentaires : dans le même recueil, la « Strophe par hasard retrouvée » qu’Aragon
ajoute à « La route de la révolte » (OPC I, pp. 116-117), dédié à André Breton :
Cessez ah cessez ces paroles [...]
Ce que tu chantes fait école
Mieux eût valu de s’être tu
En revanche, le « Chant de la Puerta del sol » est prétendument daté de 1928 :
« La Chapelle-Réanville /Janvier 1928 ? » Au point d’interrogation, indice ténu de
son caractère apocryphe, il faut ajouter le fait que le poème se situe anachroniquement, avant le récit de la destruction du manuscrit de La Défense de l’infini, alors
qu’Olivier Barbarant le classe parmi les derniers poèmes écrits (OPC II, pp. 13011307). Une des « Écritures automatiques », « Bribes » (OPC I, p. 305), est suivie
d’un plus ambigu « Écrit au verso de “Bribes” » ; le titre en commente littéralement
l’origine ; or, Aragon ajoute cette « réponse » par-delà le temps, en italique et signée,
au dernier vers, « Grincez bien des dents » : « Peut-être un autre jour… »
Enfin, dans l’anamnèse du surréalisme, Aragon semble fantasmer la poursuite d’un dialogue avec Breton, rappelant sans cesse qu’ils avaient conclu un pacte,
45. Louis Aragon, Entretiens avec Francis Crémieux, Paris, Gallimard, 1964 et Id., Aragon parle
avec Dominique Arban, Paris, Seghers, « Poésie d’abord », 1968.
86
Josette Pintueles
ce qui donne lieu à l’image récurrente d’une conversation entre eux « le long des
Tuileries »46. Il ne cesse de défendre ses choix littéraires et politiques face au fantôme de Breton.
Il est donc impossible de séparer, dans L’Œuvre poétique, les œuvres des commentaires, de même que la dichotomie entre texte et hors-texte se trouve rompue
dans les exemples autobiographiques auxquels se réfère Genette ou dans les fictions
où Ruth Amossy analyse la double image de l’auteur. L’écriture palimpsestueuse de
L’Œuvre poétique se rapproche de la conception du roman telle qu’Aragon le pratiquait à la fin. Non que les commentaires soient de l’affabulation, ou de l’autofiction ; mais parce que, pour Aragon, contrairement à Michel Leiris – auquel, d’après
Jean Ristat, il avait voulu envoyer son Œuvre poétique – qui considérait la démarche
autobiographique comme le risque absolu, une dangereuse tauromachie, la solution
ou la clef du labyrinthe se trouve dans le roman, comme il l’avait déjà écrit dans
l’article majeur des Lettres françaises, « Les Clefs »47.
*
*
*
Le dispositif insolite de L’Œuvre poétique a été mal compris et se trouve désormais oublié, du fait de l’absence de rééditions, par négligence et censure, stupéfiantes
à l’égard d’un auteur de cette envergure. Dans L’Œuvre poétique, Aragon, en défiant
la notion même d’« œuvre », brouille, non seulement les frontières génériques et
chronologiques, mais aussi celle qui sépare, en principe, le métatexte du texte luimême. Il contribue ainsi à instaurer une nouvelle conception de l’autorité, légitimant des métatextes incorporés à l’œuvre même. Une lecture suivant les catégories
rhétoriques ou poétiques classiques, en saisit certes moins les enjeux que l’analyse
du discours, car elle réduit l’œuvre au schéma de Mémoires ou d’autobiographie, en
l’amputant des poèmes eux-mêmes. Or, l’intérêt de ce métatexte tardif, comme de
toutes les œuvres complètes éditées par leur auteur même, réside dans les fonctions
de « figuration » et de « réglage » de l’œuvre, selon les définitions de Dominique
Maingueneau. Les discours métatextuels, mêlés aux textes ou non, publics ou privés, ne peuvent désormais plus être saisis en dehors d’analyses médiologiques.
Josette Pintueles
lefaurepintueles@free.fr
46. Josette Pintueles, Aragon et son Œuvre poétique : l’« Oeuvre » au défi, Paris, Classiques Garnier,
« Études de littérature des xxe et xxie siècles », 2014, p. 272.
47. Numéro 1015, 6 février 1964. L’article n’a pas été repris en volume.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Isabelle Keller-Privat
Poetry at the risk of criticism in Key to Modern Poetry
by Lawrence Durrell
Abstract
This paper analyses the critical perspective which the novelist and poet Lawrence
Durrell develops in his study Key to Modern Poetry. Based on the framework of the lectures
he wrote for the British Council in Argentina in 1948, this collection of essays was published, thanks to the help of his poet friend John Gawsworth, in 1952. Although Durrell’s
critical outlook seeps throughout his entire opus, Key to Modern Poetry, which has so far been
ignored by scholars, offers the most illuminating viewpoint on the writer’s delicate relationship with critical discourse. Through his reading of the great modernists, Lawrence Durrell
places himself in the long chain of poets and thinkers and suggests the underlying link between his critical texts and the deeply self-referential texture of his fiction and poetry. Thus,
he appears as a writer standing in the margins and who, from the displaced, disquieting
perspective of the poet-critic, questions both the nature of poetry and the critic’s posture
and language. The critic’s imperatives remind the reader of the poet’s vital desire to circumscribe and never defile, to unfold the full potency of a vision unchained from any jargon.
In between reading and writing, reflexion and enunciation, Lawrence Durrell elaborates a
complex relationship to metatextual thinking and poetic practice.
Résumé
Cette étude interroge la réflexion critique que le romancier et poète Lawrence Durrell mène dans son ouvrage Key to Modern Poetry, qui reprend la trame des conférences qu’il
donna en 1948 sur la poésie pour le British Council en Argentine et qui fut publié en 1952.
Bien que cette réflexion imprègne toute son œuvre, c’est dans cet ouvrage, encore jamais
étudié jusqu’ici, et qui fut mis en forme par son ami, le poète John Gawsworth, que la délicate position de l’écrivain face au discours critique est la plus saisissante. Lawrence Durrell,
en passant par le détour de la lecture des grands poètes modernistes, s’inscrit dans la chaîne
des poètes et laisse deviner les liens entre ses écrits critiques et la nature profondément
auto-référentielle de sa fiction et de sa poésie. Ce faisant, il apparaît comme cet écrivain des
marges, qui, depuis la perspective déplacée du critique-poète, questionne tant la nature de
la poésie que la posture et le langage critique. Le lecteur reconnaît dans les exigences du
critique celles du poète : comment circonscrire sans déflorer ? Comment déployer la force
d’une vision sans la lourdeur du jargon ? C’est dans cet écart, entre lecture et écriture, entre
méditation et parole, que s’élabore le rapport complexe de Lawrence Durrell à la réflexion
métatextuelle et à la pratique poétique.
To refer to this article:
Isabelle Keller-Privat, “Poetry at the risk of criticism in Key to Modern Poetry by
Lawrence Durrell”, in Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, “The Risks
of Metatextuality”, Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros (eds), february
2015, 91-109.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, February 2015
Poetry at the risk of criticism
in Key to Modern Poetry by Lawrence Durrell Nothing is lost, sweet self
Nothing is ever lost.
The unspoken word
Is not exhausted but can be heard.
Music that stains the silence remains.
O! echo is everywhere, the unbeckonable
bird!1
Lawrence Durrell, the British writer born in India in 1912 who spent most of
his life travelling to Greece, Egypt, Argentina, Bosnia and ultimately France where
he died in 1990, is mainly known for his work as a prose writer. Yet, he was first
a poet and strove throughout his literary career to be recognized as such. His first
collections of poetry were published several decades before his famous Alexandria
Quartet.2 Quaint Fragments was issued in 1931, Ten Poems in 1932, Transition : Poems
in 1934. Lawrence Durrell continued to edit his poems as late as 1980, when the
last edition of his Collected Poems was issued by Faber, while continuing to insert
poems into his prose, with a frequency that increased steadily over the years: his
last work of fiction, The Avignon Quintet, comprises stunning new poems, while his
last residence book, Caesar’s Vast Ghost: Aspects of Provence, includes his last poetic
pieces.
Throughout his career he never ceased to question the role and meaning
of poetry in our society, starting as early as the 1940s. Lawrence Durrell’s first
analytic pieces were published in the poetry review Personal Landscape which
he launched with his friends Robin Fedden and Bernard Spencer in 1941 in
Cairo and which drew many contemporary British and Greek poets. This is the
place Durrell chose to publish some of his early poems as well as some of his
personal thoughts on poetry, paving the way for the meta-poetic reflexion which
he will later develop in his essay Key to Modern Poetry. We shall see how these first
lines attempting to define the poet’s art prepare the reader for the historical,
philosophical and aesthetic stakes of Durrell’s essay, and lead him to reconsider
the writer both as an artist and as a modern thinker who attempts to reshape
1. Lawrence Durrell, « Ideas about Poems II », in: Personal Landscape, 1942, 2; Personal
Landscape, An Anthology of Exile, London, Editions Poetry London, 1945, p. 74; the poem was
printed in italics in the poetry review and in the anthology; minor alterations were made in the final
version of Collected Poems published in 1985.
2. The Alexandria Quartet was initially published in four separate volumes in 1962 before the
one volume edition was issued in 1968.
91
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
his contemporaries’ reception of poetry by freeing himself from the norms and
forms of academic discourse. Indeed, Durrell’s criticism goes well beyond the
scope of his essay Key to Modern Poetry: it pervades his notes inserted in poetry
magazines where his poetic insights read like displaced poems, it seeps through
his fiction where characters disparagingly comment on Ruskin or Trollope,3
emphasising the modernist stance of The Alexandria Quartet, it shapes out entire
poems that are built as aesthetic and metaphysical reflections of and upon past
works.4 For the sake of brevity and clarity we shall focus here exclusively on
Key to Modern Poetry, bearing in mind that the extent and subtlety of Durrell’s
criticism deserves a wider study. When Durrell asserts that “[...] great poetry
is everywhere outside the range of such futile categories as we critics put up
around it”5 he is suggesting the delicate position of the critic whose message
escapes the narrow boundaries of the critical essay and inviting his reader “by
indirections to find directions out”.6 This may account for the specificity of
Durrell’s criticism as he deliberately casts an indirect gaze on his own work by
addressing other writers’ achievements, refuses to offer any stable definition of
the art of writing7 and constantly teases his interviewers while hiding behind
contradictory statements.8 Incidentally, the complex relationships between
Durrell’s critical texts and his self-referential discourse may also explain why
Lawrence Durrell’s literary criticism has so far never been studied by Durrellians
or any other academic researcher.
If we assume with Lawrence Durrell that one can never ascribe a definite
place to the poet who, behind the critic’s garb, chooses to stand “outside the
range” of those “[…] many critics and lecturers in this domain [who] cut up
their subject and anatomize it rationally–[so] that in the end it tastes like an apple
cut with a steel knife”9 then the writer as a critic puts his own existence and
legitimacy at risks: he may well never be heard any more, either as an artist or as
a critic. Taking on the role of those he derides – let us remember the powerful
slap Darley is given by Clea in The Quartet when he confesses he intends to write a
critical essay10 – Lawrence Durrell jeopardises his own discourse as a critic and as
a writer: he seems to adopt the treacherous position of the one who takes refuge
behind the other’s words, the “ogre” feeding on his victim. Unless this were just
another literary game, one of the writer’s elusive masks?
3. Lawrence Durrell, The Alexandria Quartet, London, Faber, 1974, 752-5.
4. Such as is the case, for instance, of “On First Looking into Loeb’s Horace”, which sends us
back to Horace’s Odes and to Keats’s poem “On First looking into Chapman’s Homer”.
5. Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, London, Peter Nevill, 206.
6. William Shakespeare, Hamlet, O.U.P., 1994, II i l.65, 200.
7. “How many times a day do I change my mind about writing?” asks Durrell when asked by
a fellow writer how he feels about writing, “From a Writer’s Journal”, in: The Windmill, 1947 2, 6, 50.
8. A detailed study of the interviews edited by Earl G. Ingersoll in Lawrence Durrell. Conversations
(London, Associated University Presses, 1998) still has to be carried out. My hypothesis is that it
would show how Durrell both unveils and conceals his literary sources and builds up a mythology
on his own production that may not be faithful to facts but nevertheless conveys a hidden truth on
his writing method and artistic outlook.
9. Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., x.
10. �����������������������������������������������������������������������������������������
“‘Criticism!’ she echoed sharply, as if the word were an insult. And she smacked me full
across the mouth […]. I looked like an ogre who had just taken a mouthful of bleeding flesh from
his victims” (The Alexandria Quartet, op. cit., 839).
92
Isabelle Keller-Privat
1. The liminal position of the poet-critic
Personal Landscape offers the reader both the theory on and the practice of
poetry by interweaving poems and essays, amongst which “Ideas About Poems”,
published in March 1942. It comprises a series of “notes on poetry”, to which various
poets contributed, and is introduced as “personal and private”, “the expression
of attitudes, of moods”, “as backgrounds to sections of their authors’ work”.11
Reflecting the strongly independent stance of the 1930s’ British poets, these notes
“do not present a manifesto” and may appear “diametrically opposite in standpoint
one to another”.12 Durrell and his poet friends were not trying to found a school but
to establish themselves as individual voices. Such a perspective already enlightens
the reader on Durrell’s theoretic and stylistic stance in Key where he steers free from
“the pedagogic lumber”13 and offers his reader “a brief disintoxication course”14
from the perspective of one who pretends to be “deficient in true scholarship”.15
Unlike most of his brilliant contemporaries, Durrell had indeed never been to
college and could thus claim to write from the position of the outsider, of the
marginal artist whose vast erudition took everyone by surprise. Furthermore, the
first lines of authorial self-comment published in Personal Landscape not only serve
to introduce Durrell as a poet and as a critic, they also evince the writer’s quest for
words, his constant, tentative probing of language:
Logic, syntax, is a causal instrument, inadequate for the task of describing the
whole of reality. Poems don’t describe, but they are sounding boards which
enable the alert consciousness to pick up the reverberations of the extra-causal
reality for itself.
Poems are negatives; hold them up to a clean surface of daylight and you
get an apprehension of grace. The words carry in them complete submerged
poems; as you read your memory goes down like the loud pedal of a piano,
and all tribal, personal associations begin to reverberate. Poems are blueprints.
They are not buildings but they enable you to build for yourself.16 The first part of this quotation enables us to grasp the function of poetry in
Durrell’s opus: it is the least awkward mode of communication because it enables
the artist’s voice to break free from the constraints of syntactic and causal logic
and opens the reader’s inner ear to potentially boundless echoes. Resorting to the
metaphor of music Durrell displaces here the language of criticism towards poetry.
This shifts both puts at risk the analytic content of his criticism and unsettles the
reader who must decide whether he is reading a poetic piece of criticism or a poem
on literature.
Simultaneously Durrell raises one of the paradoxes of criticism: how can
the critic ascertain the correct distance between the object described and its
description? This assertive and metaphorical definition of poetry was aimed at
a choice readership: the review, which was later to be reissued in London as an
11. ���������
Lawrence Durrell, « Ideas about Poems II », in: Personal Landscape, 2, op. cit., 2; Personal
Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 72.
12. Ibid., 72.
13. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., X.
14. Ibidem.
15. Ibidem.
16. ���������
Lawrence Durrell, Personal Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 73.
93
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
anthology (Personal Landscape, An Anthology of Exile) in 1945, originally consisted
in 8 issues published at author’s expense between 1941 and 1945. As such it was
initially designed as the space of a poetic experiment that would eventually bring
many as yet unknown poets into the limelight: Terence Tiller, Bernard Spencer,
George Seferis, etc. As early as 1942, one can sense in Durrell’s critical lines the
ongoing self-reflexive work of the poet who strives to circumscribe and decipher
the poetic act while attempting to fathom his own poetics as well as the delicate
quintessence of poetry. In so doing Durrell clearly places himself in the wake of
those poets described by the critic H. V. Routh whose work served as a basis for the
essays published in Key to Modern Poetry: “[...] man should be a revelation to himself,
limited only by his own vision” seeking and sharing “[...] the pursuit of beauty and
truth in all its most accessible and communal forms”.17
Exploring beauty and truth through its varied forms Durrell does not
exclude the poetic act from the critical discourse and develops a form of criticism
that is just as much aware of the limits of language as his poetry. Consequently his
criticism, just as his poetry, must be taken as the clue to a greater whole. In that
respect Lawrence Durrell places himself in the wake of T. S. Eliot. T. S Eliot, the
friend and mentor who corrected and published Durrell’s poems at Faber’s and
who confided to him the blueprints of his own poems also seems to have taught
him that the art of criticism, just like the art of poetry, lies in its elusiveness, in
its openness to the beauty and truth that may shine out of common language
and reveal, in T. S. Eliot’s own words, the power of “[…] this obscure impulse
[…] a burden which he [the poet] must bring to birth in order to obtain relief ”.18
Just as T. S. Eliot, Lawrence Durrell chooses the beauty of the image, the distant
brotherhood of words and similes to define the indefinable, the “something”
that perpetually evades language. “He [the poet] has something germinating in
him for which he must find words”,19 T. S. Eliot said: this “something” is the
“apprehension of grace”, the “submerged” creation through which Lawrence
Durrell tries to reorient both our poetic and analytic reception of literature.
This early definition of poetry, which already reads like a prose poem
structured around a binary rhythm, heralds the detailed, erudite criticism of poetry
which Durrell develops ten years later in Key to Modern Poetry. Following the lectures
he delivered for the British Council in Argentina in 1948, Lawrence Durrell, helped
by his poet friend John Gawsworth, eventually gave his thoughts a wider audience
in 1952. Durrell’s thoughts on poetry are then no longer “personal and private”
and are bound to follow a pedagogic organization, a structural method, despite
the poet’s reluctance who asserts in his preface “It is a sketch for a Method – not a
painting in oils”, thus resorting to a Cartesian vocabulary whose authoritative tone
he simultaneously undermines through the metaphor opposing the sketch and the
painting, the ephemeral trace of the pencil against the permanent stain of paint.
Durrell’s method is indeed changing over the years as the poet seeks to marry the
associative movement of poetry and the descriptive, logical outlook of criticism.
In Personal Landscape these approaches were set sharply against each other:
17. ������
H. V. Routh, English Literature and Ideas in the Twentieth Century, New York, Russell &
Russell, 1970 [1946], 193.
18. The Three Voices of Poetry, New York, Cambridge University Press, 1954, 29.
19. Ibid., 28.
94
Isabelle Keller-Privat
Describing, logic limits. Its law is causality.
Poetry by its associative approach transcends its own syntax in order not to
describe but to be the cause of apprehension in others:
Transcending logic it invades a realm where unreason reigns, and where the
relations between ideas are sympathetic and mysterious – affective – rather
than causal, objective, substitutional.
I call this the Heraldic Universe […].20
In Key, Durrell sets to explain “barbarities of technique and curiosities
of form”21 in an attempt to touch those readers who may resist direct
“apprehension”. Durrell the poet becomes the go-between, the translator of his
elders’ “Heraldic Universe”. It is noteworthy that the publication of his lectures
should have taken so long and necessitated the hand of another poet, as if
any reflection on poetry could only take place sideways, through the mediation
of a dragoman. We are thus entering a meta-discourse, a postponed comment,
which, as Anna Angelopoulos explains, “introduces time […] the time span of
the passage from one language to another”.22 In that respect, Durrell’s discourse
on poetry in Key is markedly different from his first literary comments in
Personal Landscape: the other’s hand, be it that of John Gawsworth contributing
to the organization of the book, or that of the various poets Durrell studies
throughout, enables him to engage in a very particular kind of exchange with his
audience. Never are we allowed to forget his twofold target–“my students (and
now, I hope, the common reader to whom this book is addressed)”23 – which
is potentially limitless: the students in Argentina quickly come to stand for any
student, the common reader ranges from “the most well-disposed of readers”
to “the poor literature teacher”.24 To each and every reader Durrell offers his
help as a dragoman, as a translator of “something incredibly difficult and
arcane”25: modern poetry. Durrell introduces himself in the very first lines of
his preface as a teacher aiming to “supply a satisfactory key to the complexities
of contemporary practice in poetry, and […] to give a brief account of the
poets writing today”.26 Yet, on the left hand-side of this first page, the reader is
reminded of the fact that Durrell is as much a prose writer as a poet. Indeed, we
do not meet the author’s name on the threshold of his preface but, instead, a list
of his perfectly balanced literary output:
20. ���������
Lawrence Durrell, Personal Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 72.
21. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., ix.
22. “Dans ma langue, en grec, on dit métaphrase : une formulation d’après-coup (méta signifie
après) donc une expression qui introduit le temps dans la traduction, la temporalité du passage d’une
langue à l’autre.” (“In my language, Greek, we say metaphrasis: a subsequent turn of phrase (meta
means after), i.e., an expression that brings time into the translation, the time span inherent to the
passage from one language to another”, (my translation)) – Anna Angelopoulos, “Le drogman”, in:
Georg R. Garner, L’étoffe du réel, Paris, Fédération des Ateliers de pyschanalyse, 2013, 6). Although
A. Angelopoulos is discussing here the figure of the dragoman, the Ottoman interpreter, as a
metaphor for the task assumed by the psychoanalyst, we shall see that the position of the poet
commenting on the poetry of others and indirectly enlightening the reader on his own work is not
altogether dissimilar.
23. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., x.
24. Ibid., ix.
25. Ibidem.
26. Ibidem.
95
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
“By the same author
Novels
Panic Spring
Cefalu
The Black Book
Prospero’s Cell
Poetry
A Private Country
Cities, Plains and People
On Seeming to Presume
Sappho: a Play”
The fact that Sappho should be inserted under the heading “Poetry” becomes
highly significant in the ninth chapter where Durrell discusses “the vogue of the
verse-play”27 geared by T.S. Eliot.28 Durrell thus implicitly places himself in the
wake of the experienced, daring and much-admired master of all contemporary
poets. He is a poet amongst poets: by including in the paratext the very material
he chooses to discuss in his book, he becomes both the object and the subject of
his own study. In that respect he is no different from other great writers such as W.
Wordsworth, S. T. Coleridge, D.H Lawrence, E. M. Forster, R. M. Rilke, or W. H.
Auden whom he quotes either in his epigraphs or in his chapters and whose words
are valuable both as literary creations and as literary comments. However, we shall
see that Durrell’s self-referential comments are only revealed indirectly, through
his reading of others, thus confirming our intuition that he is taking on the critic’s
garb as another mask behind which the writer’s work continues to develop, bearing
witness to the assertion that “[...] meanwhile the search goes on”.29 Typically, Durrell
is once again using language as a screen, i.e., as a space upon which he projects his
personal images for all to see and a space that hides yet another space.30 In this way
Durrell suggests that there is more to see than meets the eye in his criticism and
that the reader should look beyond the ex-planation (in the etymological meaning of
ex-planus, to flatten, to unfold) he provides on other poets for a second folding of
the text upon itself.31
2. Key: Putting the art of criticism into abyss
A structuralist approach of Key reveals that Durrell adopts the codes of the
critical essay as a genre, thereby building an apparently transparent pact with the
reader. However we shall see how the overt presence of the characteristic features of
27. Ibid., 189.
28. �����������������������������������������������������������������������������������������
The reference to T. S. Eliot’s work on poetic drama (1919) and dramatic poetry (1928) is
obvious in these pages (see T. S. Eliot, Collected Essays, London, Faber, 1953 [1932], 37-58).
29. ���������
Lawrence Durrell, “From a Writer’s Journal”, The Windmill, op. cit., 53.
30. �������������������������������������������������������������
See our studies on Durrell’s language as a screen in Corinne Alexandre-Garner and
Isabelle Keller-Privat, “‘Manufacturing Dreams’ or Lawrence Durrell’s Fiction Revisted through
the Prism of De Chirico’s Metaphysical Painting”, in: Deus Loci, NS 13, 2012-2013, 85-109; Corinne
Alexandre-Garner and Isabelle Keller-Privat, “Writing (on) walls or the palimpsest of time”
in: Donald P. Kaczvinsky (ed.), The Alexandria Quartet”, Durrell and the City, Collected Essays on Place,
Farleigh Dickinson University Press, 2012, 63-79.
31. See Gilles Deleuze, Le Pli : Leibniz et le Baroque, Paris, Éditions de Minuit, 1988.
96
Isabelle Keller-Privat
literary discourse does not preclude the text from hinting at another level of reading
through which Durrell’s essay marks its differe/ance32 from purely critical works.
Key relies on a transphrastic organization33 that follows the rules of a well
established genre and reflects the specific norms which warrant its legitimacy. The
table of contents, for instance, testifies to the construction of an authoritative,
thoroughly informed literary discourse which starts by questioning the validity
of the enunciative source (chapter I: The Limits of Criticism), before examining
“the revolutions in ideas”34 that have shaped modern poetry: our conceptions of
time and of the psyche. The following chapters (chapter II: Space Time in Poetry;
chapter III: The World Within; chapter IV: Beyond the Ego?) evince a faultlessly
didactic organization. The last five chapters are devoted to the second part
Durrell announces in his preface: “a brief account of the poets writing today”.35
Such an outline foreshadows a well planned discourse bent on explaining how
the historical and philosophical context has shaped modern poetry and thought
before concentrating on its various modes of expression through the works of
accomplished and famous authors (T. S. Eliot, G. M. Hopkins, W. H. Auden, Dylan
Thomas, Yeats, E. Sitwell). Significantly, Durrell the critic refrains from taking the
risk of praising unknown contemporary poet friends, ranking for instance David
Gascoyne amongst the “number of dark horses coming up on the outside which
look as if they will finish in style”,36 yet refusing to bet on the future.
This well mastered architecture is also a form of action: Durrell’s critical
discourse is part of a wider tradition he relies on and is consciously part of the
world which it seeks to explain. This is how Durrell can refer both to Aristotle37 and
to Wordsworth38 while conceding: “to explain a work of art takes us unfortunately
further away from its real meaning–which the sensibility will recognize as a whole,
not a series of parts. We must keep this in mind, too, when we come to think
as critics”.39 The carefully didactic transitions from one chapter to the next are
part of a deliberately self-aware study: chapter one ends on the notion of “Time
as an idea”, referring to the representation and distortion of time in Woolf and
Joyce and concluding “Time is one of the great clues to the modern outlook”,40
chapter II logically opens on the concept of space-time developed by Einstein
and its reworking in fiction through the creation of a “space-time continuum in
[…] words or phrases”.41 Chapter II concludes on what Durrell identifies as one
32. We are facing here another instance of the infinite concatenation of signifiers as described
by Jacques Derrida: « Est-ce un hasard […] si le sens du sens […] c’est l’implication infinie ? Le
renvoi indéfini de signifiant à signifiant ? Si sa force est une certaine équivocité pure et infinie […]
l’engageant […] à faire signe encore et à différer ? » (L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, 42).
“Is this an accident if […] the meaning of meaning […] is infinite implication? The indefinite
reference from signifier to signifier? Is it an accident if its strength lies in a relative, pure and infinite
equivocality […] compelling it […] to produce yet another sign and to differ?” (my translation).
33. ����������������������������������������������������������������������������������������
We refer the reader to Dominique Maingueneau’s description of the literary discourse in
Le Discours littéraire, Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, 31-35.
34. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 207.
35. Ibid., IX.
36. Ibid., 208.
37. Ibid., 3.
38. Ibid., 7.
39. Ibid., 4.
40. Ibid., 23.
41. Ibid., 26.
97
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
of the main characteristics of our age: our non-moral view and our acceptance
of duality, paving the way for a move from the outer to the inner universe, “the
domain of the psyche”.42 Meanwhile, the author makes sure that the reader never
loses sight of the main, founding hypotheses, reasserting in chapter II “that art
is only a dialect of a language”43 (a direct echo to the first page of chapter I) or
concluding that “causality and time are no longer certain certainties”44 in chapter
IV. Acting as a true, pragmatic teacher, Durrell constantly recalls his main tenets,
repeatedly shoring up his proofs. In so doing Durrell is anchoring his criticism in
a markedly significant historical an epistemological context while constantly taking
responsibility for every single hypothesis and commentary he offers. By quoting
other renowned critics, such as Dr. Peters commenting on Hopkins,45 or T. S. Eliot’s
assessment of the poet’s task,46 by opening his first two chapters on an epigraph
from H. V. Routh’s English Literature and Ideas in the Twentieth Century, or referring to
the choices made by poetry editors such as Harold Monro47 Durrell places himself
in the long chain of literary critics and thinkers, leaving his own furrow in a rich
and complex field. Significantly, most of the new voices of the thirties he praises
in 1948 as well as the more recent poets he examines and sets as exemplars of the
new poetic output are to this day the object of an ongoing, appreciative criticism.
Poets such as W. H. Auden, George Barker, Cecil Day Lewis, William Empson,
David Gascoyne, Louis MacNeice, Edwin Muir, Herbert Read, Bernard Spencer,
Dylan Thomas, to name but a few, are now part of the canon of British poetry in
the thirties, testifying to Durrell’s insightful analysis.48 As a consequence, the reader
is meant to ponder on the critic’s engagement: purporting to explain a mysterious
form of art, Durrell also acts as a seer who, beyond the mere description of the
wheels and cogs of writing, commits himself by naming the new poetic voices
that will shape the future. Taking the risk of praising the lesser known he shows
us that literature, far from being merely a form of escape (“Escape is the endless
theme of our contemplation, escape, escape”, as Gregory Death exclaimed in The
Black Book49), it is also, to paraphrase the title of V. S. Naipaul’s novel, A way in
the world. By reorienting literary criticism towards the unforeseeable future Durrell
surreptitiously breaks away from the old tradition that carefully trod safe ground
by focusing on long dead authors. This is one of the ways through which Durrell
subtly perverts the codes of the critical tradition.
Moreover, the reader cannot but be struck by the modernity and wisdom
of Durrell’s literary approach. Indeed the late 1940s and early 1950s were times
when an artist’s work used to be accounted for through his biography and, although
each author was ascribed a specific place within the various periods of literary
history, little was said on his technique or on the specificities of his practice. Writers
were judged in terms of moral values rather than on their stylistic innovations.
42. Ibid., 48.
43. Ibid., 44.
44. Ibid., 86.
45. Ibid., 173.
46. Ibid., 136.
47. Ibid., 120.
48. ������������������������������������������������������������������������������������������
Amongst other sources, I refer the reader to the bilingual anthology published by Michèle
Duclos, Poésie britannique des années trente, Presses universitaires de Bordeaux, 1996.
49. ���������
Lawrence Durrell, The Black Book, London, Faber, 1973 [1938], 160.
98
Isabelle Keller-Privat
Therefore, although Durrell may seem to be offering what looks like the archetype
of the literary discourse, he is also breaking new ground by asserting a radically new
form of criticism when declaring: “Yet if poems reflect their age at all we may be
able to dig under the surface for their cosmological content, and leave the personal
data to look after itself ”.50
In a structuralist fashion, Durrell’s essay adumbrates what was to become
“new criticism” in the 1960s, in which various contradictory traditions merged:
thematic analyses, Russian formalism, philosophical and historical perspectives that
relied on Marxism, psychoanalysis or existentialism in order to explain the causes
underlying creative production. Maingueneau argues that new criticism overcame
the 19th century’s rift by merging the aesthetic concern of artists for the creation
of an independent, organic whole and the biographical perspective of academic
philologists interested in literary documents.51 As Genette explains:
A style effect in this case is of course both a question of technical practice and of
vision, to borrow Proust’s words. It is neither the expression of pure “feeling”
(looking for the best way to express itself), nor a mere “manner of speech”
(which would be devoid of meaning): it is precisely a form, i.e., the way in which
language both divides and organizes words and things.52
When attempting to “dig under the surface” Lawrence Durrell clearly
advocates a reading that leaves aside the biographical elements in order to
understand how the work of art builds up a new vision of the world. Opening his
work on the influence of emerging theories (the theory of relativity, psychoanalysis
and Marxism) upon literary creation Durrell introduces a yet unheard of reading
method which was spreading fast within literary circles under the influence of
Virginia Woolf but which was still revolutionary for the layman. Relying in the
epigraph of chapter I on the authority of H. V. Routh, Durrell starts his essay by
striking a definitely modern note: “[…] literature is only one facet of the prism
which we call culture. All the arts and sciences are simply different dialects of the
same language […] Ideas from the various department of thought cross-fertilize
each other […]”.53 As a consequence a higher awareness of the world both affects
the production and the reception of the work of art and reveals “[...] a universe
perpetually shifting, changing its relations and tenses as verbs do in speech, altering
its outlines”.54 Significantly Durrell’s critical prose also enacts this shift through the
multilayered reading that his essay calls for. Adumbrating the poetic innovations
of the coming decades and reorienting the axis of critical interpretation Lawrence
Durrell encourages us to search for what H. V. Routh calls “[...] a glimpse into
the Unknown”.55 This new reading method is fundamental to the understanding
50. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 14.
51. See Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire, Paratopie et scène d’énonciation, op. cit.,
19-20.
52. “Le fait de style est ici, bien évidemment, pour recourir au vocabulaire proustien, tout
à la fois de l’ordre de la technique et de la vision : ce n’est ni pur « sentiment » (qui s’exprimerait du
mieux qu’il pourrait), ni une simple ‘façon de parler’ (qui n’exprimerait rien) : c’est précisément une
forme, une manière qu’a le langage de diviser et d’ordonner à la fois les mots et les choses” (Gérard
Genette, Figures II, Paris, Seuil, 1969, 20, my translation).
53. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 1.
54. Ibid., IX.
55. English Literature and Ideas in the Twentieth Century, op.cit., 1.
99
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
of the Modernist heritage which Durrell defends through a careful analysis of
James Joyce’s narrative technique. This is why he primarily explains how scientists
studying the principle of indeterminacy came to the conclusion that “the ultimate
laws of nature were simply not causal at all”,56 and were thus lead to “accept two
contradictory ideas as simultaneously true”,57 before inviting his reader to put into
practice the very principle of cross-fertilization he describes through a comparison
between Proust and Joyce’s characters:
Their books do not proceed along a straight line, but in a circular manner,
coiling and uncoiling upon themselves, embedded in a stagnant flux and reflux
medium which is always changing yet always the same. […] Characters have
a significance almost independent of the actions they engage in: they hang
above the time-track […].58
As well as studying the modifications of characterization in modern
novels, Durrell carries out precise stylistic analyses, such as when he shows
how “the relation of subject verb and object in the simple sentence has been
disturbed, no less than the relation of the sentence to the paragraph and the
paragraph to the book”.59 Hence, Durrell relies on a close reading of modern
poetics as a key to the understanding of modern poetry, which enables him
to present a comprehensive interpretation of T. S. Eliot’s Four Quartets that
embraces intertextual and thematic references (“the anguish of Laforgue”,
“Rilke’s Duinese Elegies”), stylistic analysis (“the dislocation of language”) and
ends on a balanced literary assessment: (“a masterly excursion into a new realm
of sensibility”60). In many other instances Durrell surprises the modern reader
by his sharp, demanding reading, such as when he uses Rilke’s concept of “lyric
totals” to illuminate Gerontion’s utterances and thus explain “the apparent lack
of grammatical continuity between the various parts of the poem”.61 His close
attention to stylistic and linguistic devices enables us to feel the sharpness of
his linguistic sensitivity, the keen search for poetic effects, the crafter at work
behind the critic. Advocating a reading that takes into account the influence of
the world upon the word, Durrell simultaneously shows how the word shapes
and renews our relation to the world. Thus, the “acceptance of duality”62 that
creators have inherited from modern physics and expressed through the various
layers of simultaneous associations in the stream of consciousness technique
refashions the reader’s perspective. Literature can no longer be considered as an
edifying instance of style and elegance, of dignity and morality, but as the very
means through which the individual’s view of the world and of his own self–
as a socio-historical subject and as a thinking conscience–may be regenerated.
Durrell shows that Man’s hold on life in the universe is no longer akin to that of
the all-powerful and domineering master but has become precarious, tentative,
giving V. Woolf ’s words a very contemporary ring: “Life is a luminous halo, a
56. Key to Modern Poetry, op. cit., 25.
57. Ibid., 31.
58. Ibidem.
59. Ibid., 36.
60. Ibid., 41.
61. Ibid., 37.
62. Ibid., 46.
100
Isabelle Keller-Privat
semi-transparent envelope surrounding us from the beginning of consciousness
to the end”63.
However risky the endeavour may seem, Durrell wants to “convey this
varying, this unknown and uncircumscribed spirit”,64 in Woolf ’s own words, both
as a writer and as a critic. In the light of this new creative and interpretative
approach through which the writer and the critic meet eye to eye, the critic’s
discourse appears as a delicate, empiric attempt at bridging the gap between two
distinct experiences of literature so as to “avoid the sin of a closed system”.65
It is then no wonder that Durrell’s reading of modern poetry should rely on
psychoanalysis, thus echoing Freud’s intuition according to which the psychoanalyst
and the writer explore the same mysterious field: “[...] poets and novelists are
precious allies”.66 After a brief survey of the influence of Freud’s theories on
the self and the unconscious, Durrell uses the metaphor of language in order
to suggest an analogy between the dream and the poem: just as poems, dreams
are, according to Durrell’s reading of Freud’s concepts, “a kind of language in
which, under various poetical disguises, the secrets of the unconscious could be
discovered at work”67. The poem, like the dream, is a form of displacement, a way
out of logical and moral codes. Therefore reading a poem and reading a dream
require similar skills: the reader-interpreter must piece together “the thousand
fragments of a Greek vase which the archaeologist’s patience assembles into
a single and beautiful whole”68. Such an image is quite telling of the analytical
process at work in the reading of poetry: it is a process of excavation and remembering that connects the reader to a mythological and symbolic substratum
which shapes not only the artist’s work but also our common world view. It is
a long, humble, sometimes hopeless task which Durrell takes up, such as when
he tries to understand the “formidable piece of compression [that] lies behind
a simple statement”69 in one of W. H. Auden’s lines or extends his analysis to
the compression of “sound-values […] often coming in the middle of the line
instead of being set like a milestone at the end of every five stresses”70. Freud’s
concepts are not used to build up a psychoanalytical reading of the creative act or
of its author. Rather, the subtleties of the dream are explored to serve an analytic
reading of the text: the links pointed out by Freud between individual dreams
and archetypal myths, the specific relationship to time enacted through the dream
or the psyche’s deep longing for a hidden truth expressed through compression
and displacement enable Durrell to sharpen our awareness of poetic devices and
to enhance their relevance in our fathoming of man’s psyche. However, when
discussing Groddeck’s IT in the following chapter, Durrell shows both the limits
of the analyst’s scope and of the critic’s powers: just as the analyst is unable to
trace back the original cause of a disease and has to be satisfied with exploring
63. Ibidem.
64. Ibidem.
65. Ibid., 6.
66. “[…] les poètes et romanciers sont de précieux alliés” (Sigmund Freud, Délire et rêves dans
la « Gradiva » de Jensen, Paris, Gallimard, 1949, 127, my translation).
67. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 52.
68. Ibid., 57.
69. Ibid., 61.
70. Ibid., 65.
101
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
“only the fringes”71 of the unconscious, the critic cannot circumscribe poetry in
words: “in understanding poetry it is always the words which get in the way”.72
Eventually, one may read in this seminal chapter entitled “Beyond the Ego?” an
echo of the very question the writer-critic asks himself: how can he, sharing his
elders’ quest, express a transcended personality, how can he free himself from the
rigid shell of the ego? The critic, in order to step over and break again with the
familiar pattern of an assertive, ego-centred criticism, opens his text to the others’
voice.
This is why Durrell chooses to give Otto Rank the final argument in which
the reader cannot fail to recognize the distant echo of Durrell’s fictional voices:
“The new type of humanity” in which “a man with creative power […] can give up
artistic expression in favour of the formation of personality”73 is none other than
the one embodied by the artist Balthazar describes in The Quartet: “The object of
writing is to grow a personality which in the end enables man to transcend art”.74
The fictional layer underlying Durrell’s critical discourse functions as an implicit
metatextual comment that applies not only to the novel itself but also to the essay.
Thus Durrell goes much further than merely referring indirectly to his own creative
act within his critical work: he shows how literature constantly infringes upon textual
barriers and shatters any form of discourse. The disseminating power of the word,
“vast perspectives of dispersal”75 says the poet, demands a new kind of reading
that constantly branches off and reflects the law of indeterminacy. This is how
Durrell’s critical discourse succeeds in putting into abyss the frailty of any definite
literary statement: “[…] in the last analysis great poetry reflects an unknown in the
interpretation and understanding of which all knowledge is refunded into ignorance.
It points towards a Something which itself subsists without distinction”.76 Just as
Groddeck, who “reach[ed] the boundaries of the ego”,77 Durrell admits facing the
impassable boundaries of literary discourse. Calling for the critic’s humility his essay
is still relevant nowadays, at a time when critical trends and analytical grids often
turn out to act as a screen between the text and the reader, evading, erasing the
literary object to the benefit of a self-promoting critical discourse that hopelessly
wants to define a surge that defies language. “Underneath the whole question of
poetry an unstateable proposition, like the shadowed side of the moon”,78 warns
the poet-critic.
3. Beyond criticism: the mystery of writing
When observing Lawrence Durrell’s gaze upon his fellow writers one cannot
refrain from visualizing those peculiar cubist compositions contemporaneous with
the poetic landscape of the 1930s, when painters played on fragmented perspectives
which threw the onlooker off balance. As Georg Garner explains:
71. Ibid., 75.
72. Ibid., 84.
73. Ibid., 88.
74. ���������
Lawrence Durrell, The Alexandria Quartet, London, Faber, 1974, 306.
75. ���������
Lawrence Durrell « Seferis », Vega, London, Faber, 1973, 54.
76. ���������
Lawrence Durrell Key to Modern Poetry, op. cit., 90.
77. Ibid., 73.
78. ���������
Lawrence Durrell, “From a Writer’s Journal”, The Windmill, op. cit., 52.
102
Isabelle Keller-Privat
Perspective does exist in the cubist space. But it is fragmented. A bilingual
poem by Ezra Pound says in two lines: ‘Le paradis existe / but it is is jagged.’
[…] The spectator no longer holds a fixed locus. Likewise, the spectator can
no longer enjoy the illusion and pleasure of mastering this space. […] The
new perspective ushered in by the cubist space stages incomplete impulses for
incomplete objects.79
Similarly, Durrell, when tracing back the socio-historical context of Kipling’s
poetry, the emergence of British socialists, when describing the influence of
Baudelaire, or following the curves of Yeats’ “Lake”, produces a somewhat jagged,
cubist picture of his own literary influences. The literary survey we are given to
read from the poetry of the 1890s, to the Georgians and Imagists, to T. S. Eliot
and G. M. Hopkins up to the new voices of the 1930s is to be interpreted both as a
snapshot of the literary landscape of the day and as an introspective, metatextual and
fragmented image of the literary world inhabiting Durrell’s creation. This accounts
for a contradictory structure: despite the pedagogic and linear organisation of the
whole, the recurring references to key authors compose a circular pattern sending
the reader back on his tracks. Thus T. S. Eliot’s words recur obsessively throughout
the essay: he is first quoted in chapter I when Durrell compares “Gerontion” and
Tennyson’s “Ulysses”,80 his Four Quartets are mentioned in chapter II,81 “Gerontion”
reappears in chapter III.82 Eliot is mentioned along with Auden, Spender and Sitwell
in chapter IV as numbering among the authors focusing on “Time and the ego”.83
His name crops up again in the sixth chapter devoted to Georgians and the Imagists84
where Durrell studies an extract from “The Love Song of J. Alfred Prufrock”.85 In
the same chapter Eliot’s words on the poet’s “continual surrender of himself as he
is at the moment to something which is more valuable”86 serve Durrell’s argument
on the necessary depersonalization of the creative artist. Chapter VII is entirely
devoted to T. S. Eliot; yet Durrell, seemingly failing to circumscribe this literary
genius, or feeling inevitably drawn back to his mentor, studies him again in his
analysis of the verse-play in the ninth chapter.87 In the last chapter Eliot appears
amongst the living elders who continue to shape out poetry’s future.88 Likewise,
Rimbaud, Baudelaire, Laforgue, Yeats, D. H. Lawrence, Virginia Woolf, James Joyce
or Edith Sitwell are amongst those ever present figures haunting Durrell’s writing
and one cannot help but feel, beneath the straightforward academic style, the poet’s
mind coiling around crucial literary figures.
79. “La perspective est parfaitement présente dans l’espace cubiste. Mais elle est fragmentée.
Un poème bilingue d’Ezra Pound dit en deux lignes: ‘Le paradis existe / but it is is jagged’. […] La
place du spectateur n’est plus assignable. Et par la même occasion, le spectateur ne peut plus se
complaire dans l’illusion et la jouissance de la maîtrise de cet espace. […] La nouvelle perspective
que l’espace cubiste inaugure met en scène des pulsions partielles pour des objets partiels” (Georg
R. Garner, L’étoffe du réel, op. cit., p. 35, my translation).
80. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 9.
81. Ibid., 37.
82. Ibid., 57.
83. Ibid., 83.
84. Ibid., 120; 125-126.
85. Ibid., 126-128.
86. Ibid., 136.
87. Ibid., 189-91.
88. Ibid., 205.
103
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
Not surprisingly, the reader recognises in Durrell’s academic assessment of
those literary giants the very tenets at work in his own poetics. Trying to define
the “cosmology”89 of the age, Durrell asserts the provisional nature of truth, the
ever moving, unstable nature of reality that turns any form of discourse on it
into a distortion,90 the all-encompassing presence of death,91 and the subjective
nature of any perception.92 Having thus unveiled the cornerstone of his own
fictional universe he proceeds to examine literary pieces fraught with echoes to
his own poetry. Reading in “Gerontion” “a sort of autobiography through the
lips of an old man, a hero, who sits before his house, thinking about death”,93
Durrell reminds us of “Cities, Plains and People”, the most autobiographical of
his poems, closing on the figure of Prospero who: “[...] by his open door / In
sunlight fell asleep / One summer with the Apple in his hand”.94 “Cities, Plains
and People”, just as “Gerontion”, may be read as “a series of ticker-tape messages
coming in from some remote stock-room, and being recorded haphazardly one
after the other. Memory, reflections, desire–all seem inextricably tangled up [...]”.95
Gerontion’s quest haunts Durrell long after: Durrell sees in Eliot’s yearning for
“a sign! / The word within a word”96 the proof that “It is revelation and not
more knowledge that Gerontion appears to be waiting for”.97 Twenty years later,
Durrell takes up the same quest and concludes his poem “The Reckoning”, with:
“It is not meaning that we need but sight”.98 Whilst still in Argentina, Durrell
publishes “On Seeming to Presume”, echoing Eliot’s question in “The Love Song
of J. Alfred Prufrock”, “So how should I presume?”.99 Simultaneously, his reading
in Freud’s interpretation of dreams of “the repressed impulse, looking for an
escape hatch”100 weaves its way into his own poems on Greece. Whether we
think of “Delos” (“The statues of the dead here / Embark on sunlight [...]”101),
or of “At Epidaurus” where “The olive signs the hill, signifying revival”,102 we
realise that poetry is for Durrell’s both a means to escape and connect, to free
one’s repressed impulses in a constant quest to attain a deeper truth for which
the living beauty of Greece stands as an eternal symbol. Durrell’s parallel reading
of Groddeck and contemporary poets also enables him to sketch out the ideal
approach to his own texts: “It is a great pity we cannot inhale poems like scents
[...]. That is why one should, if possible, allow poems to impact themselves upon
one without too much dissection of detail. Let them be totals to experience first
of all”.103
89. Ibid., 2.
90. Ibid., 3.
91. Ibid., 4.
92. Ibid., 5.
93. Ibid., 8.
94. ���������
Lawrence Durrell, Collected Poems 1931-1974, London, Faber & Faber, 1985, 173.
95. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 9.
96. Ibid., 12.
97. Ibidem.
98. ���������
Lawrence Durrell, Collected Poems 1931-1974, op. cit., 301.
99. ������
T. S. Eliot, Collected Poems 1909-1962, London, Faber, 2002, 5.
100. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 56.
101. ���������
Lawrence Durrell, Collected Poems 1931-1974, op. cit., 132.
102. Ibid., 97.
103. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 84.
104
Isabelle Keller-Privat
Choosing poets that cast a slanting light on his own poetry Lawrence Durrell
not only uses criticism as an indirect means for self-commentary: he shows how
poetry functions as the key which opens the door both to a universal and intimate
unconscious, helping the reader catch a glimpse of the thick layers of his own
personal mists, engaging him in a parallel, fascinating journey where the law of
random associations and fruitful displacements rules. In other words, he invites
the reader to share not only his texts but his conception of poetry throughout
an essay in which the critical discourse is a mere pre-text to the secret unfolding
of poetic correspondences. Like Baudelaire, Durrell resorts to poetry “as a direct
means of communication”104 that, by bringing closer the resounding notes of
distant echoes, points towards the ineffable, which is the true essence of poetry:
“a congeries of symbols which transfers an enigmatic knowledge to the reader”.105
Therefore Durrell’s critical approach appears to be based on an aporia:
stealthily breaking free from the critical discourse he has adopted he considers
poetry both as the object under study and as an explanatory device. Such an aporia
accounts for interpretative tensions that prevent the reader from defining Durrell’s
critical stance. Such is the case if we try to figure out Durrell’s relationship to
romanticism. On the one hand, he relies on Wordsworth to invoke the crucial
issue of “persuad[ing] people to become their own contemporaries”106 by quoting
the poet’s assertion: “Every great and original writer, in proportion as he is great
and original, must himself create the taste by which he is to be judged”.107 In that
respect, Durrell’s interpretation of the meaning of poetry and of the poet’s role is
strikingly ahead of its time, heralding the philosophic concerns voiced by Giorgio
Agamben some sixty years later:
The poet, as a contemporary, is such a rift, he is the one who prevents time
from merging and, simultaneously, the blood that must seal the wound.
The poet – the contemporary – must fix his gaze on his time. […] the
contemporary is the one who fixes his gaze on his time in order to descry not
light, but darkness.108
Yet, on the other hand, Durrell, keeps warning us against the dangers of
the neo-romantic spirit, disparaging the vogue of “sentimental melancholy”109
and “surrender to immediate sensation”110 of the 1890s while praising in G. M.
Hopkins the combination of “the most daring verbal and intellectual skill with a
strict discipline over form and emotion”,111 admiring in Spender and Day Lewis
“the romantic symbol […] renewed and controlled”112 or seeing in George Barker
104. Ibid., 100.
105. Ibid., 90.
106. Ibid., x.
107. Ibid., 7.
108. “Le poète, en tant que contemporain, est cette fracture, il est celui qui empêche le
temps de se rassembler, et, en même temps, le sang qui doit souder la brisure. […] Le poète – le
contemporain – doit fixer le regard sur son temps. […] le contemporain est celui qui fixe le regard
sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l’obscurité” (Giorgio Agamben, Qu’est-ce que
le contemporain ?, Paris, Payot & Rivages, 2008, 15-9, my translation).
109. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 112.
110. Ibid., 117.
111. Ibid., 165.
112. Ibid., 184.
105
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
a poetry “as delicately and richly coloured as the early poetry of Keats […] the
poetry of sorcery and spells” in which the “taming of his romantic sensibility”113 is
nevertheless necessary. Likewise, Durrell stresses in Yeats his “struggle to subdue
a romantic and richly Irish sensibility, which seemed always prepared to dissolve
his poems in seas of symbolism”.114 Simultaneously, Durrell, being sensitive to the
“great technical mastery” of Edith Sitwell’s early poetry, criticizes her for being
so “unromantic; reading her poetry was like biting into a sour apple”.115 Thus the
romantic spirit is alternately praised and distrusted: the unveiling of one’s sensitivity
is deemed a major risk by Durrell whose verse is yet fraught with echoes from
Wordsworth, Coleridge, Keats or Rilke. Structure and technique are considered
as a fortress against the formlessness of emotion; however, Durrell cannot bring
himself to praise technique and style for their own sake. This ambivalent attitude
reflects the tension that characterizes his poetry, trying to marry the sharp insight
of his romantic perception and the demands of a compressed, often elliptic, style.
But it also corresponds to the critical perspective adopted throughout Key where
Durrell, positioning himself as a sensitive and creative reader, pleads for a liberated
criticism that marries the contraries in a Blakean fashion.
Therefore reading his criticism enables us to understand how Durrell bridges
the gap in his own poetry between the various, antithetic influences that have
shaped his vision of the world and of the poetic art. Taking after Yeats, he uses
his symbols in such a way as to make them “yield esoteric meanings”116 within the
Heraldic universe he described as early as the 1940s:
The Heraldic Universe is that territory of human experience where the symbol
exists [...]
It is not a ‘state of mind’ but a continuous self-subsisting plane of reality
towards which the spiritual self of mind is trying to reach out through various
media: artists like antennae boring into the unknown through music or paint
or words, suddenly strike this Universe where for every object in the known
world there exists an ideogram.117
When Durrell asserts in Key that for Yeats “the symbol is initiatory and not
didactic”118 the reader of Durrell’s poetry immediately draws the link between Yeats’
words in The Symbolism of Poets and Durrell’s own poems perpetually seeking, after
Yeats, “those wavering, meditative, organic rhythms, which are the embodiment
of the imagination”,119 trying to “give a body to something that moves behind the
senses” through “words as subtle, as complex, as full of mysterious life, as the body
of a flower or of a woman”.120 Yeats’ search for the “hidden laws of the world”,121
his concern with form, his passion for the mythological material match Durrell’s to
such an extent that one necessarily feels lost between the lines, desperately trying to
113. Ibid., 199.
114. Ibid., 201.
115. Ibid., 203.
116. Ibid., 105.
117. ���������
Lawrence Durrell, Personal Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 72.
118. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 106.
119. Ibidem.
120. Ibid., 107.
121. Ibid., 106.
106
Isabelle Keller-Privat
figure out where Durrell’s commentary on Yeats stops and where Yeats’ words are
meant, in a purely anachronistic, unreal palimpsest, to enlighten Durrell’s poetry. As
a result the works quoted take on a new shade: they are no longer read as such but as
representatives of a larger whole that includes both their original author’s universe
and that of Lawrence Durrell’s. As Denis Vernant explains: « [...] the reproduced
work of art, presented as such, functions as an opaque reference since it is not its
referential content which matters but the very act of representation ».122 The text
infringes upon the traditional boundaries of representation by using quotations that
are not merely illustrative of their original context but function as displaced mirrors
of Durrell’s creative and metadiscursive art, engaging the reader in a “relational
reading”.123
Repeatedly unsettling the reader’s frame in a cubist fashion, Key can also
create odd-feelings of “déjà-vu” through a constant back and forth dynamics that
superimposes and diffracts literary references. Such is the case throughout many
passages devoted to T. S. Eliot. Thus, the analysis of “The Love Song of J. Alfred
Prufrock” describing the poem as “a moving-staircase of half-uttered associations,
memories, questions”124 and detailing “the cyclic technique [...], the halt and
recovery, the perpetual branching off to come back to the argument by another
road and from another angle”125 is strongly reminiscent of Durrell’s technique
in the long poem concluding his latest collection, On Seeming to Presume, and also
written in 1948: “The Anecdotes”. Divided, like “Cities, Plains and People”, into
sixteen sections,126 it offers fleeting visions that defy logic, as if the poet, bent on
circumscribing “In roundness, the embosoming of the Real”127 was doomed to
explore endlessly the “perpetual and useless suffering exposed / By conscience in
the very act of writing”.128 However, the poem concludes on the advent of modern
time ushered in by the poetic act, an era that annihilates duality, welding together
movement and stillness, life and death, the beginning and the end, the past, the
present and the future.129 The “yellow philosopher” brings back the shadow of
the “mythical Yellow Emperor”130 of “Cities” suggesting that in Durrell’s poetry,
just as in Eliot’s, the reader enters “All time suspended in an instant of time,
always renewing itself yet standing quite still. [...] It is a time which contains all
opposites”.131 Recognizing shreds of Durrell’s poems piercing through the critical
discourse of Key and bringing into light the ongoing creation at work beneath
122. “[…] l’œuvre reproduite, et présentée comme telle, s’avère référentiellement opaque
dans la mesure où importe non ce qu’elle représente, mais cette représentation elle-même” (Denis
Vernant, “Pour une analyse de l’acte de citer : les métadiscursifs”, in : Marie-Dominique Popelard
and Anthony Wall (eds.), Citer l’autre, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005, 192 (my
translation).
123. “L’hypertexte nous invite à une lecture relationnelle” (Gérard Genette, Palimpsestes,
Paris, Seuil, 1982, 452).
124. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 127.
125. Ibid., 128.
126. ���������������������������������������������������������������������������������������
The echoing titles of the various fragments, ascribing place names that are frequently
unrelated to the content of each section, contribute to the feeling of unending circularity: I. In Cairo;
II. In Cairo; IIII. At Rhodes; IV. At Rhodes; XII. In Rhodes; XV. In Rhodes; VI. At Alexandria; VII.
At Alexandria; VIII. In Patmos; IX. In Patmos; X. In Britain; XI. In Britain.
127. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 204.
128. Ibid., 207.
129. Ibid., 212-3.
130. Ibid., 169.
131. Ibid., 156.
107
Poetry at the Risk of Criticism in Key Modern Poetry
the critical act, the reader experiences with what Freud calls “the memory of an
unconscious daydream”.132 Such is the hidden purpose of Durrell’s indirectly selfreferential criticism: to displace the reading act in order to suggest a wider expanse
where genres and codes meet, where the analytic discourse is used not to so much
to describe as to pave the way for a poetic vision in which the word opens up a
“disenfranchised”133 world.
*
*
*
Reaching the last lines of Key to Modern Poetry, one realises that Durrell’s aim
was twofold: sketching out a “star-map”134 of the modern poetic universe that may
guide the reader through the most arcane contemporary poets, as well as giving
him a precious key to his own vision of poetry. Eventually, Durrell’s reading of
other fellow poets enables him to rank among the long chain of artists composing
this luminous, throbbing multiverse and to risk his own definition of the ethereal
essence of poetry: “poetry as one dialect of a greater language comprising the
whole universe of ideas[...]”.135 Consequently, Wordsworth, T.S. Eliot, W.H. Auden,
E.M. Forster, Yeats, amongst many others, act as so many keys opening up Durrell’s
metaphysical and aesthetic quest while enabling him to develop his own conception
of poetry. The definition he offers of poetry is necessarily opaque and elusive,
concealed behind the critic’s mask, hidden in the moving wheel of poetic echoes,
diffracted through the light of other poets’ words. Unsurprisingly one of the last,
and most enduring, definitions of poetry that concludes the essay is the result of a
multi-layered mediation, coming from a quote by W. H. Auden writing “In Memory
of W. B. Yeats”: “For poetry makes nothing happen: it survives / [...] it survives, /
A way of happening, a mouth”.136
Thus it seems that the principles of cross-fertilization and cross-connection
extolled by Durrell have born their fruit for the reader instinctively finds himself
relating the various poets’ voices, intercalating their world views, crisscrossing the
chequered pattern of scientific and metaphysical hypotheses in order to sense the
poet’s presence pointing at the “unbeckonable bird”137 singing behind the scenes.
In this way, Durrell manages to suggest a new conception of literary criticism,
while arousing the reader’s curiosity for another untapped territory: his own.
Speaking from the margins, a poet borrowing the critic’s stance, experimenting
with a new form of writing to discuss a practice from which he momentarily, and
only seemingly, excludes himself, making room in his own analysis for the reader’s
interpretation, both of the studied extracts and of their analysis, Durrell knowingly
puts his own voice at risk. Yet, this carefully studied margin from where he reaches
132. “[…] la sensation du « déjà vu » correspond au souvenir d’une rêverie inconsciente”
(Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1975 (1901), 203. “[…] the impression
of ‘déjà vu’ corresponds to the memory of an unconscious daydream” (my translation).
133. ������������������������������������������������������������������
“A disenfranchised last goodbye, / Goodbye” (“Le cercle refermé”, Caesar’s Vast Gost.
Aspects of Provence, London, Faber, 1990, 174).
134. ���������
Lawrence Durrell, Key to Modern Poetry, op. cit., 39.
135. Ibid., ix.
136. Ibid., 202.
137. ���������
Lawrence Durrell, Personal Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 74.
108
Isabelle Keller-Privat
out to his reader enables the poet to convey the “tension”, the sense of “disquiet”
which, according to Hugo Friedrich, defines modern poetry.138 The reader is thus
thrown into the margins between creation and its refraction and invited to wander
between the written and “the unspoken word”,139 between reading and writing.
Such is the very space wherefrom Durrell ponders poetry’s complex relationship
between practice and meditation, leaving to the reader the risk of formulating what
art merely suggests:
The artist is only concerned with the pure act of self-penetration, of selfdisentanglement […]. But his audiences (those who get his wavelength, so to
speak) get his message not in a formulated manner but as a vicarious intuition
of a hitherto concealed part of their own natures. Those who want the
message packaged are those whose self-intuitions are in need of practice.140
Worlds away from the critic who merely searches for “the message packaged”,
Lawrence Durrell adopts the infinitely riskier position of the writer who chooses
to pursue the work of “self-penetration” his fellow artists have long been engaged
in. As a poet-critic he writes from the position of the one who has unremittingly
“stepped across the threshold into the kingdom of [his] imagination”,141 and opens
up the realm of symbolic associations and literary brotherhood, seeking to unveil
to his readers not meaning but sight.
Isabelle Keller-Privat
Université Toulouse II – Jean Jaurès
iskeller@univ-tlse2.fr
138. “[…] elle provoque une tension qui provoque dans l’esprit du lecteur l’inquiétude plutôt
que la quiétude”; “[…] it arouses a tension that elicits in the reader’s mind disquiet rather than
peace” (Hugo Friedrich, Structure de la poésie moderne, Paris, Librairie Générale Française, 1999, 14,
my translation).
139. ���������
Lawrence Durrell, Personal Landscape, An Anthology of Exile, op. cit., 74.
140. ���������
Lawrence Durrell, “No clue to living”, Times Literary Supplement, London, 1960, 22.
141. ���������
Lawrence Durrell, The Alexandria Quartet, op. cit., 877.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Jean-Benoit Cormier Landry
« I am not Françoise Sagan »
L’(auto)-critique intégrée de Nathalie Quintane, entre poésie et politique :
du « Monstres et Couillons » aux « Astronomiques assertions »
Résumé
Cet article propose la mise en perspective de « Monstres et Couillons. La partition
du champ poétique contemporain » (2004) et de « Astronomiques assertions » (2011), deux
textes publiés dans une relative marge de la pratique proprement littéraire de l’auteure française Nathalie Quintane. En s’attachant à retracer l’évolution de la pensée de l’auteure quant
à la pratique poétique et politique du langage, il entend dresser les grands traits d’une conception de la réalité littéraire contemporaine qui s’articule autour de la notion de « délocalisation ». Aussi bien travail sur les formes qu’attitude quant à leur déchiffrement, l’idée de
délocalisation, diversement actualisée dans les réflexions considérées ici, amène cet article
à concevoir la nébuleuse de ces deux textes comme un ensemble qui présente, exemplifie,
théorise et performe une poésie et une politique qui s’assemblent en une « critique intégrée »,
locution susceptible de servir de clé pour la compréhension de la nature et de l’agir des textes
de Quintane elle-même et, potentiellement, de ceux d’autres écrivains dont les pratiques exigeantes déstabilisent aussi, durablement, l’expérience contemporaine du fait littéraire.
Abstract
The goal of this article is to put in perspective “Monstres et Couillons. La partition du
champ poétique contemporain” (2004) and “Astronomiques assertions” (2011), two texts
written by the French author Nathalie Quintane and published in the relative margins of her
literary practice. By the reconstitution of the writer’s thinking on poetry and politics, it aims
to draw the outlines of a contemporary reality of the literature, structured around the notion
of “délocalisation” (i.e.: dis-localization). Simultaneously and equally work on the form and
attitude in the process of its deciphering, the idea of “délocalisation”, actualized in various
ways in the works taken into account by this article, encourages us to conceive the aggregate
of these texts as an entity in which is presented, exemplified, theorized and performed a
poetry and a politics that assemble themselves in a “integrated critic” that can be seen as
a key to understand the nature and the action of Quintane’s very texts, but also those of
other writers whose challenging practices of the text also disrupt or deeply destabilize the
contemporary experience of the literary.
Pour citer cet article :
Jean-Benoit Cormier Landry, « “I am not Françoise Sagan”. L’(auto)-critique intégrée
de Nathalie Quintane, entre poésie et politique : du “Monstres et Couillons” aux “Astronomiques assertions” », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, « Au
risque du métatexte », s. dir. Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, février
2015, pp. 113-130.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
« I am not Françoise Sagan »
L’(auto)-critique intégrée de Nathalie Quintane, entre poésie et politique
Du « Monstres et Couillons » aux « Astronomiques assertions »
1. Le monde est tout ce qui a lieu. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus
Nathalie Quintane publie, dans un collectif paru aux éditions de La Fabrique
en 2011, un texte occupé des liens entre poésie et politique qu’elle intitule, d’après
le mot de Nostradamus, « Astronomiques assertions ». Composé d’une succession
d’énoncés irrégulièrement numérotés oscillant entre réflexions personnelles, citations de tout acabit, ébauches de dialogues, exemplifications et démonstrations, ce
texte à la facture formelle visiblement inspirée du Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein entend, aux côtés de ceux d’autres « écrivains qui ont en commun
de ne pas trop aimer qu’on les traite de poètes »1, envisager la poésie comme « une
opération pratique, concrète, où l’on ne se raconte pas d’histoires et où l’on pense
l’art comme un acte »2. Or, sept ans séparent ces « Astronomiques assertions » de
« Monstres et Couillons », autre texte de Quintane qui a fait date et est désormais
bien connu des praticiens, lecteurs et commentateurs de la poésie contemporaine
d’expression française. S’il est d’une allure autrement plus sobre que le texte de
2011, « Monstres et Couillons » s’occupe, non sans quelques airs de règlements de
comptes puisque écrit comme un « texte de combat »3, de la « partition du champ
poétique » et entend décrire cette prétendue « opposition tranchée (et erronée) entre
émotion et pensée »4 qui selon Quintane instaure, au sein de la réalité poétique de
la fin du vingtième siècle, une dynamique bipartite opposant de façon irréconciliable formalistes et lyriques. S’éclairant mutuellement dans les divergences même
qui les opposent ou qui, du moins, manifestent une évolution du travail de Quintane, « Monstres et Couillons » et « Astronomiques assertions », s’ils gagnent aussi
à être lus en regard de l’œuvre publiée par l’auteure dans l’intervalle, s’interpellent
et s’éclairent l’un l’autre dans la création d’un tout plus ou moins nébuleux mais au
1. Tiré du texte (sous lequel n’apparaît aucune signature) liminaire du collectif. Jean-Christophe Bailly, Jean-Marie Gleize, Christophe Hanna et alii., « Toi aussi, tu as des armes ». Poésie et
politique, Paris, La Fabrique, 2011, p. 7.
2. Ibidem.
3. Nathalie Quintane, « Monstres et Couillons. La partition du champ poétique contemporain », Sitaudis.fr [En ligne], URL : http://www.sitaudis.fr/Incitations/monstres-et-couillons-la-partition-du-champ-poetique-contemporain.php, texte mis en ligne le 19 octobre 2004, s. p. Le passage
suivant est tiré d’un additif de mars 2012, qui suit le texte original : « Ce n’était pas un texte de
réflexion mais un texte de combat – étant entendu qu’un texte de combat peut aussi être un texte
de réflexion. »
4. Ibidem.
113
« I am not Françoise Sagan »
travers duquel se cristallisent sans équivoque, ponctuellement, une vision et une
conception des réalités littéraire et politique de même que des activités, mécanismes
ou opérations qui leur sont associés ou qui pourraient l’être, à tort ou à raison, dans
la réalité bien palpable ou dans la spéculation prophétique d’une poète engagée.
En mettant en perspective ces deux textes, les pages qui suivent entendent
prendre la mesure de l’évolution d’une réflexion métatextuelle considérée ici comme
l’exemplification théorisée, sur le mode de la performance, d’un régime d’indistinction et d’indifférenciation mutuelle entre l’œuvre et son commentaire, entre le texte
et son action, entre la poésie et la politique. Au terme de notre lecture, un certain
parti pris pour la pratique d’une continuelle délocalisation du lieu du littéraire et de
son action pourra apparaître, au vu des autres textes de l’auteure et en regard de
ceux avec lesquels elle entre en dialogue, comme une clé d’interprétation apte à faire
signifier comme une « critique intégrée »5 l’œuvre de celle qui ne peut faire vivre
autrement que depuis ses zones grises une poésie scindée entre pensée et sentiment,
entre Monstres et Couillons, entre Jacques Derrida et Françoise Sagan.
1. Du stérile « no man’s land » au fantasme d’un « no land’s man » ?
Plutôt que d’amorcer d’emblée la dénonciation simple d’un état des choses,
« Monstres et Couillons », dans sa volonté affichée de penser une réalité contemporaine et à défaut de pouvoir s’appuyer sur la distance induite par un écart temporel
substantiel entre l’observateur et le phénomène étudié, significativement débute
ainsi :
Une rumeur tenace, puisque rumeur, laisse entendre qu’il n’y aurait plus depuis
longtemps en France de tendances poétiques nettement marquées, […] que
poètes et lecteurs baigneraient dans une sorte de liquide post-amniotique où ni
styles ni formes ne seraient clairement identifiables, où régneraient la diversité,
l’inclassabilité, le multiple, le composite et le varié […].6
Le conditionnel de cette affirmation et la qualification de « rumeur » (avec le mode
de transmission peu sûr, les modalités incertaines que supposent les canaux mouvants du déploiement qu’elle suppose), disent assez le peu de crédit qu’accorde
d’entrée de jeu Nathalie Quintane à ces suppositions : « Il n’y a là, poursuit-elle,
que fumée de pacification derrière laquelle brûlent frénétiquement les feux de joie
allumés par chacun des camps : celui des Monstres et celui des Couillons »7. Pour
la poursuite de notre hypothèse, l’ouverture de ce texte pose d’emblée deux choses.
L’une, explicite : Monstres et Couillons (Formalistes et Lyriques) se définiraient l’un
l’autre par le fait même de leur exclusion mutuelle dans une dynamique bipartite
dont le paradigme source, l’origine ou la cause serait à déceler, d’un point de vue
historique ou du moins strictement temporel, en amont de la fortune d’une certaine
esthétique du paradoxe, de l’indécidable et du double qui caractériserait la production poétique française des deux ou trois dernières décennies. L’autre, plus implicite pour lors mais qui intéresse prioritairement notre lecture : si pour Quintane
5. Id., « Astronomiques assertions », dans « Toi aussi, tu as des armes ». Poésie et politique, op. cit.,
pp. 175-197. La locution en question apparaît aux pages 179 et 195. 6. Id., « Monstres et Couillons. La partition du champ poétique contemporain », art. cit.
7. Ibidem.
114
Jean-Benoit Cormier Landry
une poésie et un champ poétique pacifiés, apaisés, sont impensables, le modèle du
combat, des chicanes de clochers et l’imagerie territoriale et militaire qui fournissent
à la littérature (et, partant, à sa théorie et à son histoire) une partie du répertoire de
ses concepts clés s’avèrent, quant à eux, bel et bien caduques.
Entre réflexion et combat ou entre création et commentaire, c’est d’ailleurs dans une prose et avec une distance variable qui laisse parfois, de manière
ponctuelle et furtive, penser à l’attitude du Roland Barthes des Mythologies ou de
Critique et vérité, que Quintane s’occupe, surtout dans la seconde partie de son
texte, à traquer les principes sous-jacents à la structure de l’opposition lyrisme/
formalisme. Ainsi en va-t-il selon elle de la « fable » de cette division marquée, « si
ancrée depuis trente ans qu’elle tend à fossiliser les imaginaires »8, qui se laisse
comprendre à la manière de « la paire antithétique chaud/froid : le Monstre, forcément “froid”, produit une écriture à la même température »9. Par extension, le
Lyrique est, lui, présenté par l’analyse de Quintane comme le dépositaire d’une
certaine quantité, variable, de chaleur, issue d’une humanité, d’une corporéité, du
cœur ou d’un souffle : le champ lexical est, potentiellement, infini. D’une manière
similaire, Quintane décortique les modèles et postures à partir desquels se forge
ou se sédimente, par l’usage et la citation, le prototype de l’un ou de l’autre. Ainsi
dit-elle du « Couillon » :
Chez certains « Lyriques », l’attention au réel semble dépendre d’une auto-humiliation, d’une conduite à la Thérèse de Lisieux […]. C’est que la dévotion est
une […], c’est la dévotion, c’est la reconquête d’un monde perdu par l’institution (ou du moins la mention, la citation) d’une posture apprise, celle du regret,
ou plutôt, ici, de la contrition.10
En analysant ainsi les fondations des deux prises de position, Nathalie Quintane
démontre le caractère construit et factice de l’une comme de l’autre : la « division
marquée » ne l’est bel et bien qu’en tant que « fable », qu’au niveau du récit qu’on
en fait. Ce faisant, l’auteure signale clairement que les partis pris (et le paradigme
même de leur opposition) s’élaborent, dans des mesures diverses selon les cas, sur
des bases qui ne leur sont pas propres, c’est-à-dire dans des scénarios et des narrations qui en trahissent le caractère historique et qui sont donc susceptibles de se voir
substituer d’autres modèles, de se livrer suivant d’autres scansions.
Poursuivant cette radiographie d’un état d’une partie du champ littéraire
contemporain, Quintane indique qu’à l’image des pratiques d’écriture ou des postures d’écrivains, les choix opérés par les lecteurs activent des œuvres et des lectures
elles-mêmes dépositaires d’une mémoire et conservant, comme en creux, des états
antérieurs du champ et d’anciennes partitions de celui-ci. Apparemment anodins,
ces choix et comportement relaient, affirme-t-elle, la politicité de l’ensemble :
qu’il n’y ait plus d’« écoles » identifiables n’a pas entraîné la dilution des anciennes « causes » dans le No Man’s Land brouillon des années 80/90. […]
En conséquence, lire Valérie Rouzeau plutôt que Jean-Michel Espitallier, c’est
acquiescer à une certaine vision du monde et à une certaine conception de
l’homme ; ce n’est pas « innocent ». Acheter à ses enfants les livres de la col8. Ibidem.
9. Ibidem.
10. Ibidem. C’est nous qui soulignons.
115
« I am not Françoise Sagan »
lection jeunesse du Dé Bleu, c’est les préparer […] à une saisie orientée de la
société et de ses enjeux.11
En somme, l’on comprend avec Quintane que même – ou plutôt faudrait-il dire
surtout – lorsque inconsciente, toute activation de la chaîne du livre, qu’il s’agisse
de production de poésie ou du choix des ouvrages pour jeunes lecteurs, met en
branle une machine qui dépasse le seul texte, qui engage des forces échappant au
lecteur et surpassant le visible. Aussi bien sait-on, au moins depuis Althusser, que
l’idéologie12 est ce à quoi l’on ne saurait échapper. Ce clin d’œil, furtif s’il en est un,
à Louis Althusser est moins anodin qu’il n’y paraît pour notre hypothèse – basée,
rappelons-le, sur l’idée d’une délocalisation – si l’on se remémore l’importance,
pour l’explication althussérienne du mécanisme de l’idéologie, de la métaphore de
l’interpellation : cette dernière prend place dans une narration qui est précisément
celle d’un déplacement, à savoir la déambulation d’un passant dans une rue. Or, à
même le texte de Quintane, pour les deux camps13 concernés, l’expérience du déplacement est présentée comme fondamentale : « Les Rencontres Poétiques Internationales sont les lieux d’expression favoris du Couillonisme et de la Monstruosité.
Délocalisés, Monstres et Couillons font le point » 14. Tout se passe donc comme si l’investissement d’un lieu tiers, étranger et, a priori et du moins en apparence, neutre (la rue, la
Rencontre Poétique Internationale, une librairie où acheter un livre jeunesse), était
proposé comme le prétexte à une mise au point, c’est-à-dire à un ajustement (terme
qui fait signe vers une notion centrale pour notre lecture d’« Astronomiques assertions » qui occupe la seconde part de ce texte).
Au niveau de la séparation des pratiques, degré cette fois moins géographiquement concret que ne peut l’être celui des institutions (et rituels) de la sphère
littéraire, il importe encore de remarquer que l’entreprise même en laquelle consiste
« Monstres et Couillons » est déjà l’occasion, ou le prétexte, de divers déplacements.
En effet, comme l’écrit Quintane, revenant sur son texte dans un « Additif » rédigé
huit ans après sa mise en ligne, il s’agissait alors de produire un « texte de combat
– étant entendu qu’un texte de combat peut aussi être un texte de réflexion »15.
Or, d’une part, combat et réflexion consistent en deux sorties, gauchissements ou
détournements par rapport à une acception courante du rôle et de la fonction du
poète, donc en l’investissement d’une position en marge d’un certain degré zéro
de la pratique poétique du texte. En outre, l’« Additif » de 2012, où s’effectue cette
mise au point qui prend la forme d’une autocritique ne se fait, elle, qu’au prix d’une
superposition momentanée des pratiques d’écrivain et de lecteur. Ainsi, le passant
d’Althusser « entre dans l’idéologie » lorsqu’il se retourne en réponse à l’appel que
11. Ibidem.
12. Voir notamment Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État. Notes
pour une recherche », dans Positions (1964-1975), Paris, Éditions Sociales, 1976, pp. 67-125. Article
initialement publié dans La Pensée, n° 151, juin 1970. Si un rapprochement a été fait rapidement plus
tôt entre la plume de Quintane et celle du Barthes de Critique et vérité, c’est aussi qu’on se souvient que
ce qui était dénoncé par Barthes dans les « évidences normatives » de la critique de Picard et consorts
était, précisément, leur caractère « idéologique ».
13. Nous notons encore, sans en relever ici chacune des implications, la parenté qu’entretiennent les lexiques convoqués par divers pans de la littérature (sociologie, théorie de l’avant-garde,
etc.) avec une réalité militaire et avec une conception de l’identité basée sur la « propriété » et la
« territorialité », éléments que nous questionnerons à nouveau dans le cours de ce texte.
14. Nathalie Quintane, « Monstres et Couillons. La partition du champ poétique contemporain », art. cit. (C’est nous qui soulignons).
15. Ibidem.
116
Jean-Benoit Cormier Landry
lui lance, concrètement ou de manière diffuse, l’appareillage de l’idéologie. D’une
manière similaire, formalistes et lyriques, lorsque conviés à l’une ou l’autre des manifestations poétiques qui animent le monde littéraire contemporain et participent
à circonscrire un certain espace de son expérience, s’expriment, précisent leur affiliation, se déplacent et s’ajustent. Finalement, au niveau des pratiques du texte et de
la langue, Quintane elle-même ne fait rien d’autre en passant d’écrivaine à lectrice,
ou de « combattante » à « analyste », dans le mouvement d’un double retour ou
retournement : dans son « Additif de mars 2012 », assurément fait-elle retour sur
son propre texte, mais ce n’est vraisemblablement que sous l’impulsion d’une obligation à (en) répondre, c’est-à-dire dans le contexte de certains appels, de certaines
interpellations : « Ce texte, nous dit Quintane, divise les poètes en deux camps. On
m’a souvent reproché son outrance simplificatrice »16. Dans l’ensemble désormais formé par « Monstres et Couillons », sa relecture
et son commentaire, il ne s’agit donc plus seulement pour l’auteure de se tenir de l’un
ou de l’autre des côtés d’un axe séparant la monstruosité formaliste à la couillonnerie lyrique. Le lecteur n’en remarque que mieux la difficulté qu’il y a à prendre
la mesure des déplacements, postures et prises de position qu’il faut pourtant bien
systématiser minimalement pour en comprendre la signification. C’est qu’entre
écrivaine et lectrice, entre poète et sociologue, les frontières restent ici floues ou
se font le lieu de ponctuelles invaginations révélatrices de zones mitoyennes ou
ambiguës s’accommodant mal de la séparation canonique des pratiques et postures,
de la division du travail par et sur le langage. Prendre la parole dans un tel espace
consiste ainsi, de facto, en un questionnement de la neutralité apparente d’une spatialité des discours et des expériences du sens. De cette façon moins spectaculaire,
donc, Quintane démontre-t-elle encore que toute actualisation du langage remue
les soubassements faussement neutres, toujours déjà idéologiques, donc politiques,
d’une partition de l’expérience du langage basée sur les catégories de l’espace, de la
propriété et de sa localisation.
La poésie contemporaine, ou du moins sa vitalité, paraît donc être, pour la
Quintane de « Monstres et Couillons », redevable, voire conditionnelle, à une pratique active du langage dans un champ qui, bien que de peu d’envergure – c’est « la
supérette à taille humaine de la poésie contemporaine d’expression française »17 – ne
doit pas se laisser choir dans la factice sécurité d’un solidaire « jamboree convivial »18
mais cultiver l’opposition par une pratique continuelle du déplacement où il s’agit de
revoir, affermir ou nuancer ponctuellement ses positions. Cette manière de procéder
dans les textes, par ceux-ci et au sein de l’espace que circonscrivent leur circulation
et leur expérience – donc entre autres mais non exclusivement dans ce « champ poétique » – n’efface pas les frontières et conserve, fût-ce virtuellement, l’imperméabilité
supposée (ou rêvée, ou fantasmée) des camps, des pratiques, des postures. Car dans
une réalité littéraire illustrée par le seul biais du combat qui s’y livre et sous lequel
se subsumeraient des querelles de moindre envergure, la violence du conflit et les
tactiques (itinéraires, parcours, travestissements ou trahisons) agissent comme critère paradoxal de la santé de l’ensemble. Ceci, « Monstres et Couillons » l’affirme de
manière plutôt explicite. Or, connectant durablement l’existence et l’expérience des
16. Ibidem. C’est nous qui soulignons.
17. Ibidem.
18. Ibidem.
117
« I am not Françoise Sagan »
textes (leur écriture comme leur lecture) sur celle de la politique, Nathalie Quintane
jette aussi les bases d’une pensée du littéraire en phase de se préciser et de s’affermir.
L’auteure termine son texte ainsi : « il peut y avoir une saine couillonnerie à incarner,
une vraie de vraie couillonnerie formaliste, une bien brave et bien violente couillonnerie ; allez, nouveaux Couillons, pas de quartier, sus aux Monstres ! »19
C’est cet appel au mixte, à l’hétérogène, à la superposition dans le mouvement
même du déplacement et de la querelle qui se clarifiera dans « Astronomiques assertions », en même temps que seront précisées et nuancées l’imagerie et les catégories
mêmes qui sous-tendent la compréhension de l’ensemble, à savoir un imaginaire qui
a pour base une spatialité organisée selon une cartographie dont la logique est ellemême ancrée dans une pensée de la territorialité et du propre, de la propriété. Pour
autant, il n’est pas question d’escamoter la variable historique dans l’étude de la dynamique du champ et, plus généralement, dans un certain discours sur les pratiques du
langage : Quintane évite savamment cet écueil en ancrant historiquement sa réflexion
– ou son « combat » – dans l’histoire de la littérature contemporaine, de sa critique et
de sa théorie, mais aussi dans un certain contexte et un certain récit s’élaborant autour
d’un événement, cyclique, dessinant un certain scénario : le texte, dit Quintane dans
l’additif, « visait essentiellement le Printemps des Poètes »20. Aussi ajoute-t-elle encore :
« je pensais qu’il y avait peut-être quelque chose à faire, ou en tout cas qu’on pouvait
en parler »21. Puis finalement : « je n’écrirais pas Monstres & Couillons aujourd’hui »22.
En somme, non contente de la partition, qu’elle sait factice, de l’expérience de
la poésie contemporaine en deux camps qui servent de prétexte à « des guerres picrocholines dont tout le monde se fout »23, Quintane engage à une complexification de
l’ensemble. Dans « Monstres et Couillons », une chose est bien claire : il y a du conflit
et celui-ci est considéré, dans une certaine mesure, comme tout à fait souhaitable. Aussi
doit-on s’assurer qu’il perdure. Une autre proposition s’y tient toutefois comme en
latence et sera articulée avec plus de rigueur dans le second des textes qui nous occupe :
si discorde il doit y avoir, elle ne peut continuer à se réaliser n’importe comment, prenant toujours à peu près la même forme, éclatant mollement dans les environnements
contrôlés – en l’occurrence le Printemps des Poètes mais aussi par extension un certain
imaginaire de la poésie, des pratiques du texte et de ses formes – dont les structures
sont elles-mêmes porteuses d’un principe fauchant à sa source ce que la querelle pourrait avoir de productif. Pour le dire clairement, il ne saurait plus s’agir pour les praticiens du texte contemporain de (se) déplacer, mais bien de brouiller les pistes, de ruser et
de délocaliser. Quel substitut, alors, à la fois à ce partage des terres qui ne règle rien et au
« No Man’s Land brouillon des années 80/90 »24 où rien ne s’est dissout ?
2. « Astronomiques assertions » : « régler son consentement » Si tant est que « Monstres et Couillons » est qualifiable de texte de combat et
(ou) de réflexion, « Astronomiques assertions » a, quant à lui et ce même au premier
19. Ibidem.
20. Ibidem.
21. Ibidem.
22. Ibidem.
23. Ibidem.
24. Ibidem.
118
Jean-Benoit Cormier Landry
abord, une toute autre allure. Il va en outre sans dire que les objectifs des deux
textes divergent sur nombre de points. Ainsi, là où le premier s’efforçait de clarifier
une situation, de décrire, rappelons-le, un « état du champ » en réaction à une série
de constats effectués dans un contexte qui, sans s’y réduire, avait pour point focal
la nébuleuse dessinée par la réitération cyclique d’un événement (le Printemps des
Poètes), le texte qui nous intéresse désormais procède à l’inverse à une sorte de
brouillage. Aussi le cadre se veut-il bien plus vaste et moins circonstanciel qu’il ne
l’était pour « Monstres et Couillons » : inscrit dans le projet d’un ouvrage collectif,
il s’agit d’une réflexion à la fois plus personnelle et plus générale sur les liens, inéluctables ou à établir, entre la poésie et la politique. Or, au seuil du texte, sur la base
de la réunion de cet ensemble d’aprioris, le lecteur convoquant quantité de réflexes
interprétatifs adaptés au type de texte qu’il s’attend à lire se trouve durablement
déstabilisé devant l’apparent fouillis qui se déroule devant lui. C’est que davantage
qu’une simple confusion qui serait à décoder par le lecteur, comme on mettrait
à leur place les pièces d’un puzzle, il assiste – moins d’ailleurs à la manière d’un
témoin spectateur que comme un assistant, un aide – à une remise en question du
caractère systématique des modes de l’écrire et du lire. Ainsi, alors que « Monstres
et Couillons » décrivait, déchiffrait ou traduisait des faits et une situation, « Astronomiques assertions » procède à l’encryptage en série de signaux livrés en vrac. Le
texte désengage en cela les mécanismes d’interprétation activés initialement – en
tout premier lieu l’expérience traditionnelle d’une lecture linéaire basée sur l’habitude d’une certaine syntaxe du texte – en contraignant le lecteur à un exercice de
déchiffrement qui passe par la manipulation consciente et simultanée de plusieurs
logiques interprétatives dans une sorte d’exégèse qu’il est impossible de faire reposer sur une organisation claire et évidente d’une textualité désormais fuyante, louvoyante et déguisée. De cette première manière le texte procède-t-il, nous aurons
l’occasion de le démontrer, à un ancrage fort dans la problématique du collectif, à
savoir les intrications du poétique et du politique. Nous remarquerons néanmoins
d’abord que là où « Monstres et Couillons » se posait en observateur d’une réalité
partitionnée, codifiée et donc interprétable, pour aborder et appeler en fin de texte
le projet d’une certaine bâtardise qui serait celle de la monstruosité couillonne ou
de la couillonnerie monstrueuse, « Astronomiques assertions » exemplifie, théorise
et performe, en les poussant à bout, les jeux avec et sur le sens rendus possibles et
révélés par ces migrations entre les postures et les usages de la langue, les fonctions
et les aspects du texte.
Il faut d’abord pour le comprendre dire un mot de l’apparence générale des
quelques pages qui forment le texte. D’emblée, « Astronomiques assertions » se
présente comme une accumulation d’énoncés, de citations, d’affirmations, s’organisant ponctuellement et parfois, par exemple, en exercices de lecture dirigée ou
en ébauches de démonstrations directement adressées au lecteur sous la forme
d’interrogations exemplifiées sur des normes ou habitudes de lecture et d’écriture
diverses, aussi ancrées soient-elles dans le quotidien de nos pratiques que le sont
la numérotation, la typographie, l’usage de l’italique, les procédés d’abréviation, la
métrique, l’utilisation de la majuscule (ou, à tout prendre, l’infini répertoire de possibles qu’offre la combinatoire de ces éléments et d’autres) : « Que fait à Changer la
Vie un changer la vie déjà en italiques ? » 25, demande par exemple Nathalie Quintane
25. Id., « Astronomiques assertions », op. cit., p. 182.
119
« I am not Françoise Sagan »
au détour d’une démonstration. En somme, entre citations (tirées d’ouvrages euxmêmes de natures et factures fort diverses), anecdotes personnelles, convocations
de sa propre œuvre publiée et croquis explicatifs, les morceaux s’amoncellent, se
lient (et se lisent) dans une séquence mimant le Tractatus logico-philosophicus de Ludwig Wittgenstein, dont la numérotation renvoie toutefois à une légende elle-même
d’aspect peu sûr en fin de texte et qui semble avoir été prise d’assaut ou contaminée
par une force impalpable qui en aurait gauchi ou altéré le caractère systématique.
Encore faut-il noter, à ce niveau macrotextuel et avant d’aller plus loin, les tensions
annoncées par le rappel simultané des écritures prophétiques de Nostradamus (desquelles est tiré le titre) et des aphorismes (dans la forme prise par le texte) d’un
Wittgenstein qui résumait son entreprise par la formule désormais bien connue :
« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. »26
Sur ce modèle, agissant chaque fois comme un rappel de l’infini arbitraire
du signe et de l’illusion de la référence, les divers travestissements et faux appels
lancés par ce texte sont autant d’occasions pour Quintane de se lancer sur la piste
d’un sens en apparence certain, univoque des mots, concepts, situations, morceaux
d’histoires, contextes ou référents divers avec lesquels elle se coltine intimement ou,
au contraire, ne fait que flirter. Dans tous les cas, se dégage de la lecture du texte que
la pratique quintanienne s’avère inéluctablement informée par ce qui lui préexiste
mais qu’en même temps elle imprime durablement la marque de son passage en
s’inscrivant comme une mémoire à venir dans la matière de ce déjà-là. Le fait est en
effet que quand Quintane affirme qu’« en poésie, l’entrisme se fait par le pied »27,
elle lie très profondément passé et présent, action politique et pratique des formes
dans le caractère actif d’un agir dissimulé ou furtif qui laisse au mieux sentir que
quelque chose (une révolution ou un texte) se trame. Par cette simple phrase, elle livre
une conception de la poésie et de la politique qui fait la part belle à l’invention aussi
bien dans son acception archéologique – la découverte d’un site ou d’un objet – que
technique – la création d’un nouvel objet ou d’un nouveau procédé28 : il y a bien là,
en somme, un rappel de la définition canonique de l’inventio comme catégorie centrale de la rhétorique. Néanmoins, tout l’esprit du mot de Quintane réside dans son
habile jeu sur l’équivoque du terme pied, qui laisse entendre que des modifications
primaires des perceptions du texte passent par un jeu sur le déjà-là des normes et
conventions, en l’occurrence les règles de la métrique. La formule dit aussi, bien
sûr, que ce pied est également celui duquel frapper le sol ou la machinerie pour faire
changer les choses, le sabot dans sabotage. Ainsi, dans le texte comme à l’usine, dans
la production du sens comme dans celle de la marchandise, ce serait donc au niveau
de la bonne marche de la chaîne (de montage ou du livre), donc au stade premier des
parcours, des espaces et de la localisation, que se trouverait un éventuel principe assurant l’efficacité d’un agir.
Or, de façon moins orientée, téléologique ou revendicatrice, le travail de remise en question auquel engage « Astronomiques assertions » prend aussi place
au niveau moins immédiatement perceptible des limites entre les œuvres et entre
26. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1922), trad. Gilles-Gaston Granger,
Paris, Gallimard, « Tel », 1993, p. 112.
27. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 175.
28. Par ailleurs, les deux derniers substantifs, « objet » et « procédé », renvoient fort significativement à deux manières de conceptualiser le fait littéraire que, loin d’opposer, nous considérons
comme complémentaires.
120
Jean-Benoit Cormier Landry
les disciplines, dans une interrogation sur la localisation, la nature et la fonction
du texte poétique qui s’effectue ici dans la convocation d’un nombre ahurissant
de sources diverses aux horizons multiples : roman, poésie, politique, philosophie,
critique littéraire, art visuel.
La première et la plus remarquable de ces interpénétrations est sans contredit
celle sur laquelle s’ouvre le texte, et qui consiste en une convocation, sous la forme
d’une micro-fiction d’une (auto ?)lecture de quelques opus composant l’œuvre de
Quintane elle-même. Le texte débute ainsi : « Mon amie A. P. (qui est mon amie
moi-même) rechigne : pourquoi en es-tu venue à parler de Tarnac, alors qu’avant tu
parlais de chaussure et que tu parlais aussi bien de Tarnac en parlant de chaussure
qu’en en parlant pas (de Tarnac) ? »29 Plus encore que l’indistinction de l’auteure et
de cette « amie » (confusion elle-même difficile à garantir vu la formulation d’une
ambiguïté volontaire dont Quintane semble avoir le secret), deux choses importent
ici. D’une part, la convocation, dans les premières lignes d’un texte « de réflexion »,
de l’œuvre publiée de l’auteure annonce une solidarité particulière des deux logiques
textuelles que sont celles de la fiction littéraire et du texte à teneur plus essayistique.
D’autre part, une indistinction relative, instaurant même une certaine absurdité
temporelle, est explicitement au moins supposée entre Chaussure et Tomates, les deux
textes auxquels il est fait allusion, le second ayant pour élément central les événements, désormais bien connus du public, généralement désignés comme « l’affaire
Tarnac »30.
Sur ces bases, le lecteur remarque donc que les premières « assertions » du
texte s’organisent de manière à déstabiliser un autre des présupposés de la lecture : celui d’une clôture d’un texte unifié, dont l’usage nous a appris à le considérer
comme circonscrit par les limites d’un opus tenant entre deux pages couvertures,
titré et signé31. Car, faisant un saut en arrière, Quintane poursuit : « En publiant
Chaussure à la fin des années 1990, je n’ai pas publié Oiseaux dans le Ciel puisque j’ai
écrit Chaussure »32. Or, de la même manière que, nous dit l’auteure d’entrée de jeu,
quelque chose des propos sur Tarnac se distillait déjà dans le Chaussure de 1997 (soit
dix ans avant les événements qui ont agité la petite commune du Limousin puis
une bonne part de la sphère médiatique française) qui n’attendrait pas le Tomates de
2010, c’est un leurre de croire en la fixité des limites du livre : non seulement écrire
Chaussure ne débarrasse pas du projet d’Oiseaux dans le Ciel, mais Chaussure recèle
comme en germe le Tomates qui naîtra treize ans plus tard.
Par ce commentaire sur le flou entourant les limites de textes formant sa
propre œuvre publiée (et celle vraisemblablement avortée, reconfigurée ou restée
à l’état de projet), Quintane invite à considérer la possibilité d’un texte s’écrivant
et se lisant contre les délimitations conventionnelles de l’objet livre ou de l’entité
textuelle, poussant de cette façon à un autre niveau la fragilisation des découpages
et des parcours des textes qu’elle avait entamée (avec la réflexion sur le « pied ») et
29. Ibidem.
30. À l’automne 2008, un petit groupe de gens, dont Julien Coupat, fondateur de la revue
Tiqqun, sont arrêtés et incarcérés après une histoire de sabotage d’une ligne de train de la SNCF.
Le lecteur désireux d’en savoir davantage retracera facilement sur Internet de nombreux sites, sans
compter divers articles ou monographies retraçant et analysant les tenants et aboutissants de l’affaire.
31. C’est là un présupposé certes, à parler proprement, aussi historique et réfutable que les
procédés de numérotation et la typographie.
32. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 175.
121
« I am not Françoise Sagan »
mise en scène dès les premiers jeux sur la typographie et le procédé de numérotation fournissant une sorte de principe tronqué dans la recherche de la raison ou de
l’irraison de l’arrangement et de la construction du sens. Ainsi, qu’il s’agisse d’un jeu
typographique ou, pour anticiper sur un terme recouvrant une réalité plus vaste et
des pratiques moins exclusivement scripturales, d’une opération dispositale, il semble
que le texte tende vers un objectif qui pourrait s’énoncer ainsi : rendre malaisés les
automatismes de la lecture33, c’est-à-dire démasquer le caractère actif, sensible et
subjectif de l’expérience du texte.
Tout se passe donc comme si ces premiers exercices de déstabilisation et de
brouillage agissaient, pour reprendre la terminologie d’un Christophe Hanna (lui
aussi auteur d’un des textes du collectif), à la manière de pièces d’un « dispositif »
considéré par ce dernier comme « catalyseur d’attention interprétative »34. Effectué
de concert avec le lecteur, ce report de l’attention sur l’activité même d’interprétation du texte réconcilie ponctuellement, mais de manière répétée et explicite,
l’intellect et le sensible, l’émotion et la forme dans la conscience renouvelée ou
libérée devant le surgissement, la construction ou l’imposition du sens sous l’effet
de la langue, de ses formes et de ses lieux d’actualisation, ainsi que de la vision du
monde, jamais innocente, que ceux-ci impliquent toujours déjà. Par là indubitablement politique, la langue et, partant, sa pratique poétique doivent pouvoir se faire
sur un mode actif, mouvant, sensible aux fluctuations et qui, en évitant toutefois
la calcification du dire dans les rets de la forme (et de ses conventions), ne sacrifie
pas pour autant tout horizon référentiel dans la mise de l’avant du paradoxe, de
l’équivoque et de l’indécidable polysémie comme critères de poéticité. Cette « catalyse de l’attention » ne se fait dans le texte qui nous intéresse – et c’est, nous le
suggérerons, le cas dans une très grande part de l’écriture quintanienne – par une
culture assumée de l’équivoque et de l’étrangeté. Celle-ci laisse ainsi, plus souvent
qu’à son tour, reposer la gravité même du propos et du projet d’écriture sur un
humour (vague ou franc), nimbant l’ensemble ou se manifestant ponctuellement.
Or, s’il trouve son effet premier dans la culture d’une connivence – et donc dans
la création des formes primaires d’une communauté de lecteurs – cet humour
est d’une manipulation malaisée dans la mesure où il est toujours potentiellement
exercice ludique : charade ou énigme, il semble chaque fois porter le sceau d’un
savoir dont le rire serait le chiffre.
Ce dernier point, s’il est corroboré par plusieurs lectures des textes quintaniens, n’échappe pas à l’analyse d’Alain Farah pour qui « c’est sur la drôlerie (autant
au sens d’étrange que d’humoristique) que se construit le sérieux de l’œuvre »35 de
Quintane. Aussi l’auteure ne contredit-elle pas cette hypothèse : à même les pages
d’« Astronomiques assertions », ayant posé à son lecteur la question fameuse de
« Qu’est-ce que la poésie ? »36, elle reconnaît et comprend que « ça [nous] turlu33. De façon parfois paradoxale, Quintane se plaît par moments à guider son lecteur dans la
culture même de ce malaise. Nous renvoyons, pour un exemple des plus patents, aux propositions
des pages 127 à 132 du récent Descente de médiums (Paris, P.O.L, 2014).
34. Christophe Hanna, Nos dispositifs poétiques, Paris, Questions théoriques, « Forbidden
beach », 2010, p. 23. La théorie du dispositif, à laquelle le présent travail est visiblement fort redevable, se déploie principalement, mais non exclusivement, dans Poésie action directe, Marseille, Al
Dante, « & », 2003.
35. Alain Farah, Le Gala des incomparables. Invention et résistance chez Olivier Cadiot et Nathalie Quintane, Paris, Classiques Garnier, « Études de littérature des xxe et xxie siècles », 2013, p. 180.
36. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 176.
122
Jean-Benoit Cormier Landry
pine »37 tout en soulignant plus loin que « L’humour des Turlupins est une opération
pratique »38. En liant la lourde question esthétique à un humour actif, agissant39,
c’est tout autant la poésie elle-même que le travail de la pensée qu’elle tire d’un côté
d’un pragmatisme assumé dans son déguisement même, volontairement déplacé
ou, peut-être plus exactement en ce qui nous concerne, délocalisé, distillé dans le
nébuleux d’un rire qui se contient, le texte ayant tôt fait de lui rappeler de ne pas
baisser sa garde.
Ainsi, au niveau de cette ambiguïté dont nous avons eu l’occasion de traiter
en abordant « Monstres et Couillons », « Astronomiques assertions » marque une
maturation certaine de la pensée quintanienne de la poésie, de la langue et de sa
politicité. Quintane a réfléchi dans son texte de 2004 à la partition d’un champ
poétique qui paraissait alors prendre la forme du binaire et l’apparence de la lutte
puis elle a mis en garde son lecteur contre le leurre et le caractère séduisant de la
réalité inverse, à savoir la culture du paradoxe et « l’amphibiologisme viscéral des
années 1980 »40. L’auteure propose désormais une conception du langage comme
espace d’une activité qui ne relève pas totalement d’une négativité pourtant articulée
(dont le « je préférerais ne pas » du fameux scribe41 ou certaines phrases de Beckett
formeraient peut-être encore certains des exemples les plus patents), sans être non
plus l’approbation simple et passive de l’« adhésion ». Dans l’intervalle entre les deux,
les possibilités politiques de l’usage de la langue seraient à trouver dans la possibilité de « régler son consentement »42 quant aux formes, itinéraires ou mécanismes
de référence de la langue et de ses figures. Quintane utilise pour illustrer cette idée
récurrente – et ses évidentes implications politiques – la figure de Claude Cahun43 :
Claude Cahun, faisant de son degré de consentement, ou de sa distance de
consentement, non de son « adhésion », une question politique. Mais elle a
d’office la distance de celle qui est un homme qui est une femme.44
Le drôle d’humour de Quintane, on l’aura compris, se présente de façon analogue
comme l’occasion, le catalyseur (à défaut d’en pouvoir être la garantie) d’une « distance » similaire, que l’auteure nous engage à pratiquer avec elle dans et par « Astronomiques assertions ». Alors que l’adhésion suppose le contact étroit de deux
surfaces sous l’effet d’un tiers, d’un liant ou d’une force extérieure, le « règlement »
37. Ibidem.
38. Ibid., p. 177.
39. Ceci met d’ailleurs pertinemment en cause la vigilance prônée par Quintane par rapport
au langage. En effet, la référence aux Turlupins (donc le rapprochement de ceux-ci avec la réalité
poétique) ne prend sens ici que considérée dans la polysémie même du terme, qui renvoie à une
secte qui se répandit en Europe au XIVe siècle, à une personne « dont les écrits ou les paroles sont de
mauvais goût, qui fait des plaisanteries grossières », et à un comédien ou un « médiocre bouffon ».
(Source de la définition : Site internet du CNRTL, [En ligne], URL : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/turlupin).
40. Ibid., p. 180.
41. Le lecteur aura ici reconnu le personnage de la nouvelle de Herman Melville, Bartleby.
42. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 186.
43. Le lecteur moins familier avec Claude Cahun et son œuvre gagnera à prendre connaissance du patient travail de recherche, de remise au jour et d’interprétation effectué entre autres
par François Leperlier (Claude Cahun : l’écart et la métamorphose, Paris, Jean-Michel Place, 1992 ou,
plus récemment, Claude Cahun : l’exotisme intérieur, Paris, Fayard, 2006). Voir aussi l’ouvrage collectif,
sous la direction d’Andrea Oberhuber, Claude Cahun. Contexte, posture, filiation. Pour une esthétique de
l’entre-deux, Montréal, Département des Littératures de langue française de l’Université de Montréal,
« Paragraphes », 2007.
44. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 186.
123
« I am not Françoise Sagan »
du consentement implique une conscience aiguë du caractère actif de l’exercice
du langage comme une pratique favorisant la mobilité et les fluctuations, comme
l’exercice à la fois plus libre et responsable d’une langue et d’une poésie qui fonctionnent selon un modèle irréductible à une séparation bipartite mais qui, en même
temps, serait à trouver à mille lieux de l’assomption45 du paradoxe comme assise.
Par la langue et au sein de l’espace défini par ses réalisations, il s’agit donc désormais
ni de choisir son camp, ni d’assumer l’indécidable, mais bien de pratiquer, de cultiver
et de performer une indécision chaque fois renouvelée, relative et ponctuelle. Dans
« Astronomiques assertions » tout comme dans une grande part de l’œuvre publiée
de l’auteure, cette indécision passe par une désautomatisation des réflexes interprétatifs, une culture de l’équivoque et du « déplacé » qui engage le lecteur à une prise
de distance qui, dans un unique mouvement, fragilise les repères ponctuels et le
cadre général de l’expérience interprétative, rendant une prise de position (ou une
assise du sens) malaisée, sujette aux fluctuations. Quintane ne disait-elle pas déjà
dans son texte de 2004 : « Délocalisés, Monstres et Couillons font le point »46 ?
3. Poésie et politique, « tropes et possession »
En toute cohérence avec ces suggestions, d’équivalentes opérations ont cours
au niveau des structures langagières elles-mêmes et « Astronomiques assertions »
véhicule et performe une vision de l’écriture et une compréhension de la langue qui
corroborent et complètent, dans la portraiture d’une certaine poétique, une pensée
dont nous avons déjà esquissé quelques traits. Nous l’avons avancé plus tôt : en
regard du « Monstres et Couillons » de 2004, les « Astronomiques assertions » et
l’exigence affirmée qu’elles recèlent de « régler son consentement » dans et par la
langue dénotent une attitude beaucoup plus inquiète47, voire suspicieuse, devant
les formes que prennent les réalisations du langage. En clair, il semble se dégager,
comme substrat ou fondement des propositions de Quintane, l’inquiétude d’une
auteure qui aurait perdu le sentiment d’une liberté, non plus seulement devant un
champ littéraire ou poétique qui happe les pratiques dans un binarisme vain, mais
plus profondément devant un langage qui ne peut plus être considéré comme le canal
neutre d’un choix, de l’adhésion comme on dirait qu’elle se fait à un camp, un parti
ou une option politique. Pour autant, l’auteure ne trouve pas non plus les indices
d’un secours dans les extrêmes d’une pensée qui s’élaborerait dans le seul sillage d’un
post-structuralisme vaporeux. Celle qui s’indigne que l’on « [veuille] du sens[,] les clés
du sens, la serrure du sens, le trou évidemment, la porte du sens, le chambranle, la
baraque tout autour »48 met tout de suite son lecteur en garde : « Ce n’est pas, attention, ce n’est pas que je plaide pour un retour à l’amphibiologisme viscéral des années
45. Développer minimalement autour de cette assomption en montrerait d’ailleurs assez vite la
proximité avec les idées de sanction, de prise en charge, termes tous plus univoques et plus près de
l’adhésion que du consentement. L’utilisation du mot dans le vocabulaire de la philosophie le dirait assez,
si l’imagerie religieuse à laquelle renvoie le terme ne suffisait pas à le suggérer.
46. Nathalie Quintane, « Monstres et Couillons. La partition du champ poétique », art. cit., s.p.
47. L’inquiétude nous semble d’ailleurs devoir être considérée comme un des affects moteurs de
la création quintanienne. Ainsi lit-on dans le texte de présentation de Tomates sur le site de l’éditeur
P.O.L : « comme je l’ai écrit d’une traite, il me semble qu’il peut se lire d’une traite ; traversé, accompagné, par l’inquiétude – ou l’impression durable d’avoir les boules que je ne suis pas la seule à avoir
ressentie cette année-là ». [En ligne], URL : http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&IS
BN=978-2-8180-0622-1
48. Nathalie Quintane, « Astronomiques assertions », op. cit., p. 180.
124
Jean-Benoit Cormier Landry
1980, le paradoxe en guise d’assise, le sublime raboté, l’exigence d’une hypothèse
doublée sur son col de l’hypothèse d’une exigence »49. Entre la concrétude fixe et
localisable du sens comme une « baraque » (habitable et posée sur des fondations,
sécuritaire et sous verrou) et la fiction de son inexistence dans une suspension numineuse, Quintane cherche quelque chose avec quoi l’on puisse effectivement travailler,
quelque chose comme des précipités ponctuels de la pensée. Or, il appert que ceuxci ne puissent se décider à s’articuler clairement. S’il faut les penser dans une prise
constante sur leur contexte, leur cadre d’énonciation et au sein des interactions qu’ils
entretiennent avec la nébuleuse de l’œuvre quintanienne, c’est fort justement parce
qu’elle ne les énonce jamais dans des formes directes, unifiées, détachables : elle les
a – avec et sans le jeu sur les mots décelable ici – sur le bout de la langue.
À cet égard, entre les extrêmes que pourraient être, d’une part, la sécheresse
de quelque chose comme le noumène ou l’idée platonicienne et, de l’autre, l’informe caractère immédiatement sensible de l’expérience, Quintane reconnaît au
type de l’anecdote un certain potentiel à être efficacement, simultanément, ce dépôt
minimal d’une intellection et l’embrayeur de ce travail ultérieur de la pensée en
quoi consiste l’ajustement, le « règlement du consentement » : « 1.6. Quelque chose
du concept commence dans l’anecdote (ce que relève Hocquard quand il dit qu’il
regarde un concept comme une anecdote de la pensée). Un concept, en tout cas, en fait
déjà mais n’en fait pas encore partie »50. Recouvert sous le vernis de la formule,
ce qu’énonce Quintane empruntant judicieusement les mots d’Hocquard nous
semble, au risque, toujours présent par ailleurs, de simplifier à outrance, devoir être
compris comme un certain primat et une préexistence de l’expérience, d’un certain
principe actif ou d’une puissance (celle qui pense, qui construit et donne sa forme à
l’anecdote, donc potentiellement au concept), sur son matériau (ici, dans la forme
spiralée et aporétique de Hocquard, sur le concept lui-même comme matériau de
base de l’anecdote.)
Dans cette optique, le lecteur qui fréquente les textes de Quintane constate
qu’au cœur de sa pratique plus contemporaine, l’anecdote occupe une place significative, peut-être – s’il fallait s’avancer sur ce point – d’importance comparable à
celle que pouvait avoir la « remarque »51 dans ses premiers écrits. Quintane convoque
d’ailleurs dans « Astronomiques assertions » celle-ci, que le lecteur familier avec
Grand ensemble52 reconnaît à peu de chose près :
Il y a dix jours, mon père me montre deux documents sensiblement égaux :
sur le premier, le plus récent, on fait état de sa qualité de combattant lors des
opérations en Algérie ; sur le second, le plus ancien, on fait état de sa qualité de
combattant lors des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre, en Algérie.53
L’auteure précise ce qui la tracasse, affirmant juste après : « Opérations n’est pas
opérations de sécurité et de maintien de l’ordre »54.
49. Ibidem.
50. Ibid., p. 178. C’est l’auteur qui souligne.
51. Nous renvoyons le lecteur au premier titre de Quintane, Remarques, Le Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 1997.
52. Nathalie Quintane, Grand ensemble (concernant une ancienne colonie), Paris, P.O.L, 2008.
53. Id., « Astronomiques assertions », op. cit., p. 184. C’est l’auteur qui souligne.
54. Ibid., p. 185. C’est l’auteur qui souligne.
125
« I am not Françoise Sagan »
Quintane utilise encore pour l’illustration de son propos l’exemple, flagrant
s’il en est un, du titre honorifique décerné de 1977 à 2001 à Léopold Sédar Senghor de Prince des Poètes. En relevant judicieusement qu’« à l’origine pour Ronsard,
l’intitulé complet du titre est : Prince des Poètes et Poète des Princes »55, Quintane pointe
du doigt, dans une adresse à cet « ami par le livre » (titre général, teinté d’un mou
mépris doublé d’ironie désignant l’association littéraire française L’Amitié par le
livre qui décernait alors ledit titre) que « le chiasme est le Grand Révélateur. Le
chiasme pense pour toi, sent pour toi, vit pour toi. C’est le chiasme qui parle par
ta bouche »56. En rappelant ainsi la part d’histoire et de passé qui se distille dans le
langage, celé dans les formes et les formules, Quintane met en garde contre l’apparente neutralité, séduisante mais illusoire, de la langue : « Prince des Poètes n’est pas un
“détournement”. Prince des Poètes contient, conserve, Poète des Princes »57.
Devant cet état de fait, à savoir que les formules sont dépositaires d’un passé,
d’une histoire et qu’elles recèlent potentiellement, dans leur modification, appropriation, dans leur usage même en apparence neutre, la totalité d’un programme
politique58, « Astronomiques assertions » est truffé de mises en garde, d’appels à
la vigilance : « 6.11. Relever les contextes, vérifier les formules »59. Tout ceci, se
déployant sur le multiple mode de la démonstration, du témoignage, de la réflexion,
avec les outils de la rhétorique ou dans la forme du récit, n’est évidemment pas
sans faire écho au rappel du caractère idéologique de la pratique du langage qui
prenait une place importante – certes plus limpide et ponctuelle – dans les pages de
« Monstres et Couillons ».
De ces diverses façons, « Astronomiques assertions » amène le lecteur à
prendre conscience que rien dans le langage n’est ni transparent, ni neutre. Il en va
certes des limites des œuvres et des textes comme les premiers énoncés du texte le
laissaient entendre alors qu’il est dit que Tomates et son référent premier (l’affaire
Tarnac), n’existant pas encore, sont déjà impliqués et comme contenus par avance
dans l’écriture même de Chaussure (bien antérieure à celle de Tomates). La même
chose se constate en outre sur le plan de la langue, de ses formes de base, voire
de sa présentation graphique, du répertoire de ses formules et de ses tropes : la
forme est dépositaire d’une mémoire qu’elle cèle et qui ne demande qu’à être réactivée, dénichée, interprétée pour retrouver sa pleine réalité qui, dans les cas les plus
patents, peut avoir la complexité louvoyante d’options politiques. S’il en est ainsi,
c’est, dit Quintane (entre autres via Hocquard), qu’un principe actif aura toujours
préexisté à la matière du langage et à son travail, souillant par avance le fantasme de
sa neutralité et désillusionnant inexorablement celui qui voudrait croire au leurre de
la référence.
Avant même qu’il ne s’agisse de qualifier l’usage qu’on en fait, il reste clair
pour Quintane que le langage est un outil que l’on possède, mais que nous n’avons
55. Ibid., p. 183.
56. Ibidem.
57. Ibid., p. 192.
58. Nous renvoyons ici surtout à Formage où une telle hypothèse est illustrée et discutée avec
davantage de vigueur. On peut y lire, notamment en ce qui concerne l’anecdote ou de semblables
formes : « toute proposition rapportant un fait inhabituel serait susceptible d’être un programme politique. […] En conséquence, si j’élimine de mon travail les phrases rapportant des faits inhabituels
ou prenant des formes inhabituelles, je tends à faire l’économie du politique » (Nathalie Quintane,
Formage, Paris, P.O.L, 2003, p. 97 et sqq.).
59. Id., « Astronomiques assertions », op. cit., p. 185.
126
Jean-Benoit Cormier Landry
celui-ci que dans l’exacte mesure où l’on est otage de ses formes : « Oxymore nous
surveille, Syllogisme nous arnaque, Métaphore nous escroque »60, dit celle qui rassemble le tout dans une formule lapidaire : « 5.4. Tropes et possession »61. Or, c’est
précisément dans le primat de l’activité pensante du sujet, en cette préexistence
de l’intelligence et de l’intellection sur l’intelligible, que réside la chance et l’espoir
d’une pratique libre du langage non plus assujettie et proie de ces tares (qui n’en
sont que dans la mesure où nous en restons les otages), une pratique « poétique »
et « politique » du langage basée sur une activité attentive, ponctuelle et continuellement renouvelée de l’ajustement : au sein du langage, la poésie serait cela, « régler
son consentement ». Sur le plan de l’anecdote Quintane le dit d’ailleurs : « Le spécialement poétique ne se niche pas uniquement dans l’affectueux de l’anecdote, mais
dans le démarrage critique qu’elle peut provoquer »62.
4. Poésie : du champ de bataille à la « fureur basse tout en quatrains »
Par ces « assertions » qui lient la langue au politique davantage (en apparence)
qu’au poétique, c’est en somme une théorie du fait poétique comme réalité politique
qui est en train de s’élaborer. Car le « règlement du consentement » est non pas primairement ou exclusivement mais aussi, affaire de langage, de poésie. Ceci revient
à dire que poésie et politique entrent en relation l’une avec l’autre dans une implication mutuelle qui les définit l’une et l’autre à même ce qu’elles ont d’inséparable.
Dans la pensée qu’élabore Quintane, la poésie – lorsqu’elle est – relève du politique,
car elle agit politiquement, et ce dans la mesure exacte où la politique – lorsqu’il y en
a au-delà de la dictature, du fascisme, du pouvoir bassement exercé – agit poétiquement. Étant l’affaire aussi bien de l’écriture que de son déchiffrement, impliquant
par cela l’idée minimale d’une communauté, la poésie (comme la politique) ne peut
prétendre sans se trahir elle-même à une neutralité, à une pure transparence.
Conséquemment, dans la réitération ponctuelle de l’ajustement, du règlement
du consentement, l’exercice du langage en quoi consiste la poésie ne saurait même
avoir pour idéal ou prototype l’impartialité de la « notation ». Or, en toute cohérence
avec la conception de la poésie dont elle laisse deviner les grands traits, il ne saurait
s’agir de s’en attrister : comme « quelque chose du concept commence dans l’anecdote, […] en fait déjà mais n’en fait pas encore partie »63, quelque chose débute dans
l’écriture, mais celle-ci n’est rien si laissée inerte, tant qu’elle n’est pas le support
nouveau et le lieu d’un « règlement » du consentement, donc à proprement parler
d’une critique, d’une lecture. Ainsi Quintane, en remarquant qu’elle a écrit quelque
chose « qui sonne comme des phénoménologèmes, ou qui sonne comme des poétismes,
ou qui sonne comme des pragmatismes » affirme que « peut-être [a-t-elle] eu tort de
compter sur qui sonne comme pour échapper au mythe (et aux mites) » 64 :
1.5.8. Écrire ne me semble pas être noter, sous figure
plus ou moins nubileuse, un genre de Weltanschauung.
1.5.9. Oui mais à la longue, dit-on, cela fait un genre de nuage, qui fait un genre
60. Ibid., p. 181.
61. Ibid., p. 184.
62. Ibid., p. 178.
63. Ibidem.
64. Ibid., p. 185. C’est l’auteur qui souligne.
127
« I am not Françoise Sagan »
de Weltanschauung (ou alors comme pour Françoise Sagan : une petite musique).
1.5.9.1. I am not Françoise Sagan.
8. Régler son consentement participerait du règlement de l’esprit, à la manière
souple et pourtant ferme de Montaigne.65
À cette urgente question de savoir ce qu’est la poésie, il faut donc revenir à notre
hypothèse de départ et convenir avec Quintane qu’elle est participation à une pratique réitérée et consciente de la délocalisation. Pas plus notation qu’aucune autre
activité apparentée telle la consigne ou l’archivage – qui supposent la systématicité
froide d’un classement consensuel et la calcification dans une localisation codifiable
par un ensemble plus ou moins complexe de coordonnées – la poésie est quant à
elle, au contraire, inscrite dans le schéma mouvant des reprises, appropriations et
propagations en série sous l’effet déstabilisant de subjectivités interprétantes et du
maniement régulé et inquiet des formes de la langue. Quintane est ici limpide :
1.5.2. Eh bien je dirais que l’un des patrons [de la poésie], comme on dit en
couture, est assez habilement fourni par Parthénios de Nicée, dans ses Erotica Pathémata. La poésie, là, c’est de la réécriture en format abrégé.
1.5.3. Les Pathémata de Parthénios sont des résumés de récits mythologiques
destinés aux littérateurs, puis à tout public, afin qu’il dispose d’une source sûre,
et facilement consultable (un manuel), s’il veut lui-même reprendre ces récits,
les commenter, les analyser.66
Lecture et écriture, pratique et matériau, objet et procédé, toujours simultanément
l’un et l’autre sans jamais toutefois se retirer dans un seul terme, la poésie dans
« Astronomiques assertions » se présente comme une affaire d’ajustement de soi,
des formes et du sens dans des espaces qui sont aussi bien les espaces formels des
productions langagières que ceux, conçus sociologiquement, définis par la séparation du travail sur et par les textes : « 8.11. De toute façon, on te demandera toujours
ta carte d’identité posturale »67, signale Quintane, précisant plus loin pour le bénéfice du lecteur qui n’aurait pas en tête le travail de l’historien et sociologue français :
« 8.12. Posture : façon d’occuper une position (Alain Viala, Éléments de sociopoétique) »68.
D’où la culture de déplacements et du brouillage, la multiplication des pistes simultanément lancées dans la création de productions langagières qui ne paient généralement pas de mine mais recèlent des possibilités de rencontre, d’assemblage, le
principe d’une action singulière, marquée par son origine, mais furtive et non-orientée (puisque délocalisée). Ainsi la poésie, « anecdote » ou « réécriture en format
abrégé », est-elle toujours déjà critique : « Une critique ponctuelle, dit Quintane, qui ne
viserait aucun horizon, n’esquisserait aucun genre de Weltanschauung »69.
La poésie, quand elle est, quand elle peut prétendre non pas se dire mais
être dite telle, s’élabore au cœur d’une série d’entre-deux et, dans sa dislocation
continuelle et ses réajustements réitérés, elle se délocalise elle-même dans la mesure
même où les termes qu’elle sépare s’impliquent les uns les autres en fragilisant leurs
65. Ibid., pp. 185-186. C’est l’auteur qui souligne.
66. Ibid., p. 177. Le recours à l’activité de la couture est intéressante pour la double raison
qu’elle rappelle que le texte est tissu, mais aussi que ce qu’il n’advient du texte sans une activité liante/
lisante qui joint les pratiques de lecture et d’écriture dans une sorte de continuum où l’on peut vraisemblablement entrevoir la tâche critique.
67. Ibid., p. 191.
68. Ibid., p. 192. C’est l’auteur qui souligne.
69. Ibid., p. 196. C’est l’auteur qui souligne.
128
Jean-Benoit Cormier Landry
assises même, les repères qui permettraient de les situer clairement dans l’élaboration d’un système minimal de positionnement (au sein d’attitudes, de formes, de
pratiques, voire de temporalités). Ainsi la poésie s’élabore-t-elle quelque part entre
Monstres et Couillons, entre lyrisme et formalisme, précisément là où ces termes
s’impliqueraient en s’indéterminant mutuellement : c’est ce que nous apprenait déjà
le texte écrit par l’auteure en 2004. Par ailleurs la poésie advient quelque part entre
l’écriture et la lecture, dans l’intervalle des pratiques qui s’interpénètrent en laissant
entendre que la spatialité qu’elles dessinent au niveau des pratiques de la langue
n’existe qu’à l’intérieur même de la fiction d’une séparation du travail sur et par le
langage. Aussi bien, au niveau de la temporalité, la poésie trouve-t-elle son moment
entre une mémoire (cristallisée dans les formes et les usages) et sa réactivation potentielle dans une réécriture conçue comme « règlement du consentement » et redisposition de ce donné en un texte neuf légué à l’autre et à un avenir impondérable.
« Poème : spéculation politique »70, affirme l’auteure pour qui l’écriture semble bel
et bien être un pari pris sur le futur. Dans un autre ordre d’idée encore faut-il souligner que la poésie ne s’enferme dans ni l’un ni l’autre des termes qui formeraient
une opposition entre l’activité d’une pratique et la passivité d’un matériau ou d’une
forme : le « spécialement poétique » se niche, Quintane l’a dit, dans une impulsion,
un « démarrage critique »71. Ce dernier point encore fait signe vers une ultime opposition que la poésie titille et tâte mais ne tranche pas : la poésie n’est l’affaire ni d’un
refus univoque ni d’une acceptation ou d’une adhésion mais d’un consentement variable
(donc une critique) devant diverses options politiques que révèlent ou recèlent la
langue et ses formes. Hésitante à rejeter en bloc le mot de Wittgenstein voulant que
« sur ce dont on ne peut pas parler, il [faille] garder le silence72 », l’auteure paraît
plutôt, pour lors et dans ce contexte, donner sa faveur au modèle d’un Nostradamus
qui « choisit – nous inspirant non par la bacchante fureur ne par limphatique mouvement, mais
par astronomiques assertions – une fureur basse tout en quatrains »73.
Nul genre définissable ni forme fixe à trouver pour cette critique sinon ces
textes instables engageant des modes ouverts de lecture et des interprétations multiples
comme le font les « Astronomiques assertions » de Quintane, les Prophéties de Nostradamus, ou encore, citées par Quintane, Les Nuits d’Octobre de Nerval qui lui-même
nomme son texte « fantaisie réaliste critique »74. « De la critique, mais intégrée »75, précise Quintane. De cette critique intégrée qu’elle lit chez Nerval et Nostradamus, elle
trouve le prototype dans une pratique dont la description laisse facilement voir des
similitudes avec celle de Quintane elle-même (dans « Astronomiques assertions » et
ailleurs) : « l’art de David Antin, sa façon de penser par le biais d’exemples, ses improvisations parlées, sa critique intégrée »76. Qu’il s’agisse de fureur descendue ou de critique
intégrée, il y va d’une incorporation, d’une diffusion, d’un insituable, d’un alliage, bref
non pas d’une perte ou d’une disparition mais d’une altération des critères mêmes de
la reconnaissance – et donc de la possibilité de l’assignation, de la fixation – dans un
exercice de délocalisation et un apprentissage de la furtivité.
70. Ibidem.
71. Ibid., p. 178.
72. �������
Ludwig Wittgenstein, op. cit., p. 112.
73. Ibid., p. 181.
74. Ibid., p. 195.
75. Ibidem.
76. Ibid., p. 179.
129
« I am not Françoise Sagan »
C’est, au final, ce qu’illustre Quintane au moment de clore « Astronomiques
assertions » en élaborant une certaine imagerie du fait poétique dans un questionnement récapitulatif sur les possibles politiques du littéraire contemporain : « 8.7. Quelle
latitude avons-nous (gardons-nous), sachant que nous sommes nulle part ? Très exactement la latitude indiquée sur la carte de l’océan de Lewis Carroll »77. Faisant référence
à cette carte de l’océan, uniformément blanche et figurant une pure étendue sans
échelle, donc d’un intérêt complètement nul sur un plan pratique autant pour la navigation que pour la localisation, elle affirme bien que nous, poètes et lecteurs, sommes
nulle part. Dans sa lancée, Quintane illustre le poème, l’œuvre, selon la métaphore bien
connue de Mandelstam, comme une bouteille à la mer que le lecteur, figuré ici comme
« une terre [ou] un Zodiac »78 doit bien se garder de « confondre avec une bouée de
sauvetage »79, cette dernière mise en garde laissant entendre que le poème demande à
être lu, activé, et la bouteille ouverte sinon cassée, comme le suggérait d’ailleurs déjà
Mandelstam lui-même avec d’autres mots en réitérant le caractère central du rôle du
lecteur dans la conception même de la nature du poème (alors que Quintane s’occupe
plutôt d’un agir de la poésie que de ce qui pourrait en être la nature ou l’essence).
*
*
*
En définitive, par l’écriture d’« Astronomiques assertions », texte touffu et déstabilisant qui apparaît comme critique intégrée sept ans après le texte de combat qu’était
« Monstres et Couillons », celle qui voulait déjà alors délaisser la sécheresse infertile
et la partition malheureuse d’un champ de bataille idéologique fait désormais voir des
étoiles à son lecteur dans la nébuleuse d’une sorte de fabulation astrale. Entre création et commentaire, entre théorisation et performance, c’est-à-dire dans l’illocalisable
d’une pratique alchimique que chacun de ces termes désigne sans que l’écriture jamais
ne s’identifie positivement à aucun, Nathalie Quintane engage ses lecteurs à se jeter
avec elle dans les abysses d’un océan à la cartographie inutile sur lequel ils flottent,
moins perdus que radicalement délocalisés, en constant réajustement et rééquilibrage.
Qui rencontre cette drôle de bouteille bien scellée qu’est l’œuvre de Quintane, et
parmi celle-ci d’abord peut-être les « Astronomiques assertions », comme qui rencontre un poème lorsqu’il y a poème, celui-là peut se compter chanceux d’être moins
seul dans ce nulle part qu’est la réalité littéraire contemporaine et d’avoir réalisé, activé
ou ouvert, la poésie et la politique, qui « sont mais ne sont pas encore », l’une l’autre.
Jean-Benoit Cormier Landry
Université de Montréal
jean-benoit.cormier.landry@umontreal.ca
77. Ibid., p. 190. Quintane s’interroge en outre dans les mêmes pages sur ce « nous » qui est
intrinsèquement porteur d’une ambiguïté quand à son caractère plus ou moins inclusif. Ainsi est-il
particulièrement significatif que ce « nous » renvoie de façon imprécise, indéterminée, à un ensemble
formé par des poètes et (potentiellement) des lecteurs, en tous cas qu’il mette en relief l’idée d’une
communauté encore convoyée par l’allusion, qui suit tout juste ce passage, à Mandelstam mais aussi
par celle à certains des travaux de Jean-Luc Nancy (voir La Communauté désœuvrée, Paris, Christian
Bourgois, 1990).
78. Ibid., p. 191.
79. Ibid., p. 190.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Marie-Laure Rossi
Le jeu des images
Annie Ernaux au risque de l’entretien médiatique
Résumé
Pour l’écrivain contemporain, commenter ses livres dans les médias représente
à la fois une nécessité et un risque. Bien qu’elle affiche une réserve critique assez marquée vis-����������������������������������������������������������������������������
à-��������������������������������������������������������������������������
vis de l’espace médiatique, Annie Ernaux a accordé de très nombreux entretiens à des journalistes de presse, de radio ou de télévision. Par-delà les dangers d’être
réduite à son personnage, de sombrer dans la banalité ou de trahir les spécificités de
l’expression littéraire, le commentaire qu’elle produit ainsi sur ses œuvres a eu des
effets polémiques, mais aussi esthétiques, susceptibles d’enrichir et de complexifier la
figure d’auteur qu’elle incarne dans le champ littéraire.
Abstract
Commenting on their own work through the media represents both a necessity
and a risk for the contemporary writer. Annie Ernaux has given many interviews to
newspapers, radio or TV journalists, despite taking critical distance from the media.
Beyond the dangers of being reduced to her own character, falling into triviality or
betraying specificities of literary expression, the commentary that she gives about her
works has been controversial, but also aesthetic, and likely to make the figure of the
author that she embodies richer and more complex.
Pour citer cet article :
Marie-Laure Rossi, « Le jeu des images. Annie Ernaux au risque de l’entretien médiatique », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, « Au risque du métatexte », s. dir. Karin Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, février 2015, pp. 133-145.
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Isabelle Meuret (Université Libre de Bruxelles)
Christina Morin (University of Limerick)
Miguel Norbartubarri (Universiteit Antwerpen)
Andréa Oberhuber (Université de Montréal)
Jan Oosterholt (Carl von Ossietzky Universität Oldenburg)
Maïté Snauwaert (University of Alberta – Edmonton)
Pieter Verstraeten ((Rijksuniversiteit Groningen)
Interférences littéraires / Literaire interferenties
KU Leuven – Faculteit Letteren
Blijde-Inkomststraat 21 – Bus 3331
B 3000 Leuven (Belgium)
Contact : matthieu.sergier@uclouvain.be & laurence.vannuijs@arts.kuleuven.be
Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 15, février 2015
Le jeu des images
Annie Ernaux au risque de l’entretien médiatique
Lors d’un entretien accordé à Karin Schwerdtner en 20111, Annie Ernaux a
explicité le passage à l’acte que représente pour elle l’écriture, en montrant comment le désir d’écrire est profondément lié chez elle au désir d’affronter un risque,
qu’il soit esthétique, psychologique ou social. L’interrogation fondamentale du travail
d’élaboration à l’origine de chacun de ses livres semble se résumer ainsi : « Qu’est-ce
qui serait pour moi dangereux, donc excitant, à écrire ? »2. Cette même notion de
risque est celle qu’elle convoque, lors de son passage à l’émission Apostrophes, pour
expliquer ses raisons de ne signer que rarement les manifestes rédigés par les intellectuels de son époque : ce sont des pétitions sans risques, or « seul le risque justifie la
pensée », affirme-t-elle en référence à Camus3. Si, comme cet auteur nous y invite,
l’on évalue l’intérêt des prises de parole d’un écrivain à la part de risque encouru, il
peut paraître difficile d’attribuer une quelconque valeur aux entretiens accordés par
Annie Ernaux aux journaux, à la radio ou à la télévision, au moment de la parution
de ses livres. La réserve teintée d’une forte dose de distance critique qu’elle manifeste vis-à-vis de ce champ social donne avant tout l’impression d’une concession
faite à la société du spectacle, pour les besoins de la promotion éditoriale, sans véritable engagement de sa part. Dans cette pratique extrêmement ritualisée de l’entretien médiatique, elle donne le sentiment de se plier aux règles du jeu sans chercher à
se distinguer ou à faire valoir une personnalité qui puisse prendre le pas sur le « je »
élaboré dans le récit autobiographique.
En effet, l’œuvre d’Annie Ernaux tend plutôt à taire et à masquer cette présence dans les médias, qui constitue pourtant une part non négligeable de son « métier » d’écrivain. Alors que quelques pages du journal Se perdre évoquent l’effervescence intellectuelle et amoureuse associée à son passage à l’émission Apostrophes
en mars 19904, cette expérience est complètement absente du récit Passion simple
censé présenter de manière objective la passion éprouvée pour un diplomate russe
pendant l’année 1989. De même, parmi les portraits d’elle-même en auteur qu’elle
propose dans Les Années, Annie Ernaux se représente devant sa bibliothèque5 ou
dans une classe de lycée commentant ses livres6, mais jamais face à un journaliste
à qui elle donnerait une interview. Ainsi, son attitude entre en cohérence avec ses
écrits pour minimiser sa présence dans les médias et en faire une pratique insigni1. Karin Schwerdtner, « Le dur désir d’écrire : entretien avec Annie Ernaux », dans The French
Review, vol. 86, n° 4, 2013, pp. 758-771.
2. Annie Ernaux, L’Atelier noir, Paris, Éditions des Busclats, 2011, p. 80.
3. Bernard Pivot, Apostrophes, « Les Mandarins », 23 mars 1990, Antenne 2.
4. Annie Ernaux, Se perdre (2001), dans Écrire la vie, Paris, Gallimard, « Quarto », 2011, pp. 865871, ainsi que Bernard Pivot, op. cit.
5. Annie Ernaux, Les Années (2008), dans Écrire la vie, op. cit., p. 1078.
6. Ibid., pp. 1025-1026.
133
Le jeu des images
fiante pour la constitution d’une œuvre qu’elle a cherché à imposer avant tout dans
le champ littéraire.
Cependant, force est de constater qu’au terme de quarante années de « carrière », les archives médiatiques concernant Annie Ernaux sont extrêmement abondantes7 et qu’elles peuvent constituer une source non négligeable d’autocommentaires susceptibles d’apporter un éclairage sur les conditions de production de ses
livres, sur la réception qui leur a été réservée et sur le sens que ces différentes publications ont pu avoir pour leur auteur. En outre, cet écrivain est devenu aujourd’hui
une figure bien identifiée du grand public, habitué à lire ses interviews dans les journaux, – particulièrement dans Le Monde –, à entendre sa voix à la radio ou à assister
à ses passages à la télévision. Les travaux de Lyn Thomas sur le courrier envoyé à
Annie Ernaux par ses lecteurs ont ainsi mis à jour l’intérêt accordé par le public
non pas seulement à l’image qu’ils ont pu se faire de l’auteur lors de la lecture de ses
livres, mais aussi à l’image qui se construit dans les médias8. Ces lettres témoignent
d’un « syndrome de la groupie »9 qui consiste à découper des photos de l’écrivain
dans la presse et à ne manquer sous aucun prétexte ses interventions à la radio ou
à la télévision.
Dans un tel contexte, il est nécessaire de réévaluer l’intérêt que l’on peut accorder à ces moments, apparemment hors de la pratique littéraire, qu’Annie Ernaux
a consacrés à commenter ses livres dans le cadre de la communication de masse.
Par-delà l’insignifiance qui semble s’en dégager, les passages à la télévision sont
évoqués sous le signe du danger associé à l’épreuve d’examen : « Demain, Apostrophes, qui ressemble vraiment pour moi à une épreuve de licence ou d’agreg »10.
Dans un entretien accordé le 19 janvier 2012, l’écrivain mentionne à deux reprises le
caractère « terrorisant »11 de cette forme de prise de parole. Il y a donc véritablement
un risque à s’autocommenter devant des millions de personnes, dans un dispositif
énonciatif que l’on ne maîtrise pas et avec lequel l’expression littéraire n’est que rarement en affinité. Quel peut alors être le désir sous-jacent qui justifie que le risque
soit malgré tout affronté à l’occasion de chaque publication ? On pourrait considérer les multiples interventions d’Annie Ernaux dans les médias comme autant de
passages à l’acte participant, dans ses marges certes, non seulement au succès public
mais aussi, au fil du temps, à la reconnaissance d’une œuvre et de son auteur. Ainsi,
les risques surmontés pourraient apparaître comme une source d’effets esthétiques
contribuant à enrichir, en le complexifiant, le discours élaboré dans l’espace littéraire reconnu comme tel.
Les entretiens médiatiques accordés par Annie Ernaux ont avant tout pour
fonction d’accompagner la première réception des livres tout juste publiés à la fois
en proposant une sorte d’avant‑propos promotionnel aux éventuels lecteurs et en
répondant à des critiques journalistiques qui ne lui ont pas toujours été spontané7. À la date du 22 décembre 2014, un recensement dans les bases Archives TV et DLTV de
l’Inathèque permet de dénombrer une cinquantaine d’émissions dans lesquelles Annie Ernaux intervient ou dans lesquelles celle-ci fait l’objet d’un compte-rendu ou d’un reportage.
8. Lyn Thomas, Annie Ernaux à la première personne (2005), trad. Dolly marquet, Paris, Stock,
« Essai », 2005, pp. 183-200.
9. Ibid., p. 187.
10. Annie Ernaux, Se perdre, op. cit., p. 870.
11. Id., « Le discours médiatique est une propagande des visions », entretien non publié réalisé
le 19 janvier 2012.
134
Marie-Laure Rossi
ment favorables. Ce faisant, elle entre dans le jeu kaléidoscopique des multiples
images d’écrivain suscitées par le va et vient qui s’organise entre l’espace de l’écriture et celui du commentaire dans les médias, au risque d’une certaine confusion.
Cependant, l’écrivain parvient le plus souvent à se réapproprier l’expérience de la
médiatisation dans le sens d’un dépassement de soi et d’une mise à distance du personnage fabriqué par l’imaginaire social.
1. Participer à la réception
Quelle que soit la clarté de son positionnement conscient vis-à-vis des médias, l’écrivain contemporain est condamné à nourrir des sentiments ambivalents
par rapport à l’entretien diffusé par la communication de masse. Cela tient au fait
que, depuis la fin des années 1970, le champ littéraire fait aussi partie du champ
médiatique.
Mardi 29 [janvier 2002]
[…] Je suis décidée à éviter le plus possible tout ce qui est pour moi exhibition,
exposition, course sans fin que celle qui consiste à vouloir exister in praesentia.
Au fond le silence de L’Occupation, même s’il blesse, est salutaire, me pousse
à couper complètement le fil déjà arachnéen m’attachant au milieu littéraire.12
Au moment de la publication de L’Occupation, Annie Ernaux est dans l’attente des
sollicitations journalistiques parce qu’il s’agit pour elle de participer à la réception
de son livre par le public en le présentant et en répondant aux éventuelles critiques.
Cet extrait de son journal montre combien il est subjectivement difficile d’accepter
le silence médiatique même si l’auteur définit la véritable nature de son énonciation
comme in absentia.
1.1. Faire son autopromotion
L’une des fonctions, souvent mal vécue, du « métier » d’écrivain contemporain consiste à entretenir le commerce de ses livres en devenant son propre représentant dans les différents salons du livre, mais aussi en contribuant au discours
publicitaire censé amplifier le bouche à oreille qui se diffuse autour d’un ouvrage.
Dès la publication des Armoires vides, en 1974, Annie Ernaux a accepté d’être
interviewée par la télévision suisse pour commenter son roman13. Tous ses récits
ont fait l’objet d’une invitation à en parler à la télévision française, que ce soit à
Apostrophes ou à Bouillon de culture, puis plus récemment à La Grande librairie14. De
même, elle a été invitée huit fois à s’exprimer dans l’émission d’Alain Veinstein,
12. Annie Ernaux, « Journal intime (inédit) », dans Trajectoires, n° 3, 2006, p. 148.
13. Catherine Charbon, La Voix au chapitre, 28 mars 1974, Radio Télévision Suisse.
14. Annie Ernaux a participé à l’émission Apostrophes pour les publications de La Place en 1984
et Une Femme en 1988. Elle a été invitée à Bouillon de culture pour les parutions de Passion simple en 1992,
de La Honte en 1997 et de Se perdre en 2001. Elle a participé deux fois en 2011 à La Grande librairie
pour les sorties de L’Autre fille et du volume Écrire la vie, et y a été invitée à nouveau, le 2 octobre
2014, pour présenter Le Vrai lieu. Entre temps, elle est intervenue dans des émissions aussi diverses
que Aujourd’hui Madame (1981), Droit de réponse (1984), Caractères (1992), La Marche du siècle (1997),
Droit d’auteurs (2001), Texto (2001), Campus (2002 et 2005), Le Bateau livre (2005 et 2008), Des Mots de
minuit (2005), Culture et dépendances (2005), Esprits libres (2008)…
135
Le jeu des images
Du jour au lendemain15. Certaines parutions, comme La Place, Passion simple, L’Usage
de la photo ou Les Années, ont chacune suscité plusieurs émissions de radio ou de
télévision. L’ensemble des dates, situées le plus souvent entre février et avril, laisse
imaginer l’intensité de l’activité médiatique qui s’est déployée autour d’un écrivain
familier de la rentrée littéraire de janvier.
1.2. Aller à la rencontre du grand public
Par-delà les enjeux promotionnels, l’intérêt de ces interventions tient plutôt
dans le désir d’aller à la rencontre du public afin d’y constituer un lectorat le plus
large possible. Pour un auteur dont la ligne directrice a été d’ « écrire littérairement
dans la langue de tous »16, l’exercice ne va pas de soi. Comment éviter de créer un
brouillage entre l’image, et a fortiori les images, produite(s) par les différentes formes
médiatiques et les ethos déjà contradictoires du narrateur et de l’auteur tels que le
texte les suggère17 ? Ce risque est d’autant plus problématique que la réception de
ces interviews par le lecteur peut se faire en amont ou en aval de la lecture ; il s’agira,
selon le cas, soit de se former des attentes par rapport au récit, soit de trouver une
certaine cohérence entre ce qui a été imaginé et ce qui est vu ou entendu.
Ainsi, Les Armoires vides, premier roman d’Annie Ernaux, publié en 1974,
laisse émerger dès les premières pages du texte deux ethos en conflit : celui de la
narratrice, Denise Lesur, s’exprimant dans une langue orale et assez crue et celui de
l’auteur, qui par les multiples références littéraires qu’il insère dans le récit, s’affirme
comme le produit d’une culture classique très maîtrisée.
Travailler un auteur du programme peut-être Victor Hugo ou Péguy. Quel
écœurement. Il n’y a rien pour moi là-dedans dans ma situation […]. Je ne
pourrais pas écrire trois mots d’affilée, je n’ai rien à dire sur Gide ni sur qui
que ce soit, je suis factice, […] factice aussi Bornin avec ses mots suçotés, son
sexe racorni, informe, ses mains me passent devant la figure, il sait sûrement,
la face d’œuf grasse et vicieuse, il s’élargit, le flot de viandox est arrivé au bord
de la bouche, j’ai bien serré les dents, si j’étais sortie, tout le monde aurait su
que j’étais enceinte.18
Le conflit linguistique est à l’image du parcours de la narratrice, née dans un
milieu populaire, devenue étudiante grâce à sa réussite scolaire, mais qui lit dans
l’avortement qu’elle vient de subir l’échec de la promotion sociale à laquelle elle s’est
risquée. Le passage d’Annie Ernaux dans l’émission La Voix au chapitre19, peut avoir
des effets ambivalents par rapport à la lecture du roman. L’auteur s’y exprime brillamment, dans une langue fort éloignée de celle de Denise Lesur, avec une élocution
très distincte, probablement assez conforme à ce que l’on entendait par « bien parler » à cette époque. Catherine Charbon rappelle qu’elle est agrégée et lui demande
15. Alain Veinstein, Du jour au lendemain, 6 février 1992, 21 avril 1993, 7 février 1997, 9 mai
2000, 14 février 2001, 7 mars 2002, 17 mars 2005, 18 mars 2008, France Culture.
16. Annie Ernaux, Retour à Yvetot, Paris, Mauconduit, 2013, p. 34.
17. Je me réfère ici aux distinctions entre image d’auteur et ethos littéraire élaborées par Ruth
Amossy (Ruth Amossy, « La double nature de l’image d’auteur », dans Argumentation et analyse du discours, n° 3, « « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Ruth Amossy & Michèle Bokobza Kahan,
2009. [En ligne], URL : http://aad.revues.org/662).
18. Annie Ernaux, Les Armoires vides (1974), dans Écrire la vie, op. cit., pp. 106-107.
19. Catherine Charbon, op. cit.
136
Marie-Laure Rossi
de situer le milieu social qu’elle dépeint par rapport aux descriptions de Zola. Cet
entretien peut ainsi accuser le divorce entre les deux identités que la narration romanesque tente de réconcilier.
La majorité des entretiens accordés à la télévision, et encore davantage à la
radio sur une chaîne comme France Culture, tend à renforcer cette image d’écrivain
très sûr de ses références culturelles. En 1984, Annie Ernaux est invitée à l’émission Droit de réponse, dans laquelle Michel Polac s’interroge, à l’occasion de la sortie
de l’adaptation cinématographique d’Un amour de Swann, sur l’intérêt de lire encore
Proust20. Celle-là se positionne en lectrice de Proust, mais qui préfère Céline, ce qui
reflète assez fidèlement ses propres choix d’écriture. Quelques années plus tard, en
1990, elle sera invitée par Bernard Pivot, sans aucun livre à promouvoir, pour parler
des Lettres à Sartre de Simone de Beauvoir21. Le téléspectateur peut la voir échanger
sur un pied d’égalité avec Julia Kristeva, égérie d’une certaine avant-garde littéraire
et universitaire bien avant qu’elle-même ne publie ses premiers romans. Avec Annie
Ernaux, l’autocommentaire passe souvent par le commentaire d’autrui, de Simone
de Beauvoir à Pierre Bourdieu. Cette forme très raffinée de l’autocommentaire,
aussi séduisante soit-elle pour les lecteurs experts, peut avoir quelque chose de décevant pour les lecteurs qui ont trouvé dans les récits d’enfance de cet auteur l’impression qu’ils racontent leur propre histoire.
Car il existe bien un risque d’entretenir le sentiment qu’en devenant écrivain,
Annie Ernaux a trahi sa classe sociale d’origine. Lyn Thomas signale de multiples
remarques de lecteurs se déclarant gênés par la contradiction qu’ils perçoivent entre
l’apparence de l’auteur et les sujets de son écriture.
Le choix d’un ensemble porte en lui les mêmes dangers que celui d’une métaphore, en ce qu’il exprime la distance entre la personne qui le porte et ses origines populaires. En même temps, porter une robe achetée à Monoprix pour
participer à Apostrophes serait aussi parlant et artificiel que le choix d’écrire dans
le dialecte du pays de Caux.22
Lyn Thomas ne note pas de commentaires des lecteurs sur la manière de s’exprimer
de leur auteur préféré. Mais on peut envisager qu’un effet de rupture puisse être
ressenti entre l’écriture très mesurée et élaborée des livres publiés et la parole médiatique plus spontanée, mais aussi plus réflexive, des interviews médiatisées. On peut
comprendre alors la réticence de cet écrivain à s’approprier cette image médiatique
qui menace sans cesse d’infirmer la solidarité témoignée dans ses écrits vis‑à-vis de
son milieu d’origine.
1.3. Répondre à la critique
Bien qu’un auteur racontant ses souvenirs d’enfance en milieu populaire
puisse considérer comme préférable de ne pas exposer au grand public la personne
cultivée qu’il est devenu, il reste malgré tout une nécessité d’intervenir dans les médias, celle de ne pas laisser à la critique de réception le monopole du jugement légitime à propos du livre fraîchement publié. À partir de la parution de Passion simple,
20. Michel Polac, Droit de réponse, « Proust, ma chère ? », 17 mars 1984, TF1.
21. Bernard Pivot, Apostrophes, « Les Mandarins », op. cit.
22. ����
Lyn Thomas, op. cit., pp. 194-195.
137
Le jeu des images
en 1991, il est arrivé à Annie Ernaux de devoir faire face à de véritables polémiques
où se sont mêlés commentaires moraux et esthétiques. Ainsi, intervenir à la télévision lui a parfois demandé de prendre position dans le débat critique en train de se
développer autour de son livre. Le 8 mars 199223, Bernard Pivot a ouvert l’émission
consacrée à Passion simple en demandant à l’auteur de commenter son précédent passage dans l’émission Caractères de Bernard Rapp24, puis il l’a invitée à répondre aux
critiques de Jean-François Josselin et d’Éric Neuhoff25. Annie Ernaux a riposté en
interrogeant le positionnement socio politique de ces journalistes et en expliquant
que leurs commentaires relevaient de l’« injure sexiste », du « mépris culturel » et
que leurs propos tenaient plus de la « réaction viscérale » que de l’analyse26. Elle a
continué à défendre son choix de maintenir dans le récit une référence à la chanson
de Sylvie Vartan, C’est fatal, animal : « Je l’ai écrit. Puis je ne l’ai pas barré parce que ça
ne faisait pas bien »27. Tout en mettant en cause le travail, mais aussi la déontologie
des critiques, elle affirme l’originalité de sa démarche du point de vue d’une écriture
au féminin appuyée sur une certaine sympathie pour les formes de culture populaire
associées à la féminité.
Isabelle Charpentier a identifié l’une des raisons du rejet des livres d’Annie
Ernaux par certains journalistes : la présence massive de réflexions métatextuelles
au sein même du récit. En effet, l’ensemble de ces commentaires a pu faire obstacle à une perception positive de ses écrits par la critique parce qu’ils gênent la
formulation d’un jugement dépassant la lecture littérale de l’œuvre28. Les commentaires formulés dans les médias redoublent ce phénomène à un moment du
processus éditorial où, justement, la parole est censée appartenir aux journalistes.
On peut imaginer qu’être deux fois dépossédés de la compétence herméneutique
qui les distingue du corps social puisse susciter des réactions de défense chez les
critiques, qui les conduisent à se raidir dans des conceptions quelque peu figées de
la valeur littéraire.
Si le besoin, mais aussi pour cet esprit très aguerri à l’analyse littéraire, le désir
d’affronter les critiques négatives peut expliquer les nombreuses prises de parole
d’Annie Ernaux dans les médias, le risque reste malgré tout important d’exaspérer
encore les tensions qui accompagnent la première réception du livre. Le gain n’est
peut-être pas tant dans la possibilité de peser sur le débat que dans la multiplication
des images de l’auteur pouvant résonner dans l’imaginaire social.
2. Participer au jeu kaléidoscopique des images de l’écrivain
23. Bernard Pivot, Bouillon de culture, op.cit.
24. Bernard Rapp, Caractères, « Femmes, femmes, femmes », 17 janvier 1992, FR3.
25. Éric Neuhoff a attaqué Passion simple sur sa brièveté, selon lui représentative de la valeur
mineure du sujet abordé. (Éric Neuhoff, « Un peu mince », dans Madame Figaro, n° 14757, 1er février
1992, p. 26).
Jean-François Josselin s’en est directement pris à l’auteur, en la nommant à douze reprises « la
petite A. ». (Jean-François Josselin, « Un gros chagrin », dans Le Nouvel Observateur, n° 1418, 9-15
janvier 1992, p. 87).
26. Bernard Pivot, Bouillon de culture, « Annie Ernaux », op. cit.
27. Ibid.
28. Isabelle Charpentier, « De corps à corps. Réceptions croisées d’Annie Ernaux », dans
Politix, n° 27, 3ème trimestre 1994, p. 74.
138
Marie-Laure Rossi
Le danger associé à l’intervention médiatique est lié au fait que l’écrivain
est dépendant du rôle que les journalistes tendent à lui faire jouer dans le cadre
d’un dispositif qu’ils imposent. La liberté et l’originalité qui lui restent tiennent
à la posture sociale et littéraire qu’il est capable d’inventer au sein de cet espace
contraint. Selon Jérôme Meizoz, la posture, en tant qu’articulation entre l’auteur
interne au texte et celui qui intervient dans l’espace public, « réengendre l’auteur,
le démultiplie »29. Cet acte d’« autocréation »30 remet en jeu l’identité de l’auteur à
chaque interview.
2.1. Témoigner d’une expérience
La fonction testimoniale largement revendiquée dans les écrits d’Annie Ernaux a conduit bon nombre de journalistes à mettre l’accent sur l’expérience relatée dans les différents livres plus que sur leur écriture. Le passage dans l’émission
Aujourd’hui madame31 tourne très rapidement au débat féministe. Lors de la parution
de récits consacrés à l’expérience de la passion amoureuse, les titres choisis par les
présentateurs mettent en évidence les excès, voire l’indécence, de ce qui a été vécu :
« Elle et lui : enfer et paradis »32, « Le grand déballage »33, « Leurs secrets dévoilés »34… La multiplicité de ces émissions contribue à faire d’Annie Ernaux une
figure de la femme libérée sexuellement telle qu’elle s’est imposée au tournant du
XXIe siècle avec l’émergence d’écrivains comme Catherine Millet, Christine Angot
ou Virginie Despentes. D’une manière encore plus marquée, certains journalistes
ont convié Annie Ernaux pour intervenir sur des sujets complètement autonomes
par rapport aux enjeux de l’écriture littéraire. Ainsi, elle s’est trouvée en situation de
raconter comment elle a accompagné les dernières années de sa mère, au milieu de
médecins, d’infirmières et de membres d’associations, dans l’émission La Marche du
siècle consacrée à l’accompagnement des mourants35. Si la parution récente de « Je
ne suis pas sortie de ma nuit »36 est signalée rapidement par Jean-Marie Cavada, il s’agit
uniquement d’un point de départ pour questionner l’auteur sur la maladie d’Alzheimer vécue par sa mère.
Prendre part à de telles interviews fait courir à l’écrivain le risque d’une certaine banalisation, réduisant son texte à un témoignage équivalent à celui de toutes
sortes d’invités médiatiques qui appartiennent davantage à la catégorie des « écrivants » qu’à celle des « écrivains »37. Cependant, les propos d’Annie Ernaux dans
ce contexte ne cèdent que rarement au commentaire banal de la réalité telle que la
reflète le discours médiatique. Prolongeant la « posture ethnographique d’observa29. Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, « Érudition », 2007, p. 30.
30. Ibidem.
31. Antoine Veyret, Aujourd’hui madame. Des auteurs face à leurs lectrices, 6 juillet 1981, Antenne 2.
32. Bernard Pivot, Bouillon de culture, « Elle et lui : enfer et paradis », 2 février 2001, France 2.
33. Philippe Bertrand, Texto, « Le grand déballage », 31 mai 2001, France 3.
34. Franz-Olivier Giesbert, Culture et dépendances, « Leurs secrets dévoilés », 6 avril 2005,
France 3.
35. Jean-Marie Cavada, La Marche du siècle, « Les compagnons des derniers jours. L’accompagnement des mourants », 14 mai 1997, FR3.
36. Annie Ernaux, « Je ne suis pas sortie de ma nuit » (1997), dans Écrire la vie, op. cit., 2011.
37. Roland Barthes, « Écrivains et écrivants », dans Essais critiques, Paris, Seuil, « Points Essais », 1964, pp. 152-159.
139
Le jeu des images
trice méticuleuse et lucide »38 que Jérôme Meizoz analyse dans ses récits, elle se positionne toujours en observatrice de la société, éclairée par un regard sociologique ou
anthropologique. Ainsi, lors de son passage à La Marche du siècle, elle dépasse le récit
de son expérience auprès de sa mère, pour énoncer l’une des leçons sociales que
l’on peut dégager de « Je ne suis pas sortie de ma nuit » : « Rien n’est fait pour la personne. On arrive avec un milieu, une histoire familiale et sociale, et brusquement on
n’est plus qu’un malade gentil ou pas gentil »39. Elle analyse ensuite la contradiction
d’une société très individualiste qui organise cependant la fin de vie sur un mode
collectif. Ce type de commentaire, très cohérent par rapport à l’ethos adopté dans les
livres, permet à Annie Ernaux de prolonger sa posture d’écrivain-sociologue dans
l’univers médiatique. Elle renouvelle ainsi la tradition intellectuelle en se montrant
impliquée à la fois dans l’expérience des réalités fondamentales de notre société et
dans la réflexion qui pourrait transformer celle-ci.
2.2. Incarner l’écriture
Mais le commentaire produit par Annie Ernaux sur ses livres dans les médias
est loin de se limiter à la portée référentielle de ses récits. Les enjeux esthétiques
liés à ses choix d’écriture sont défendus avec constance et rappelés d’une émission
à l’autre. Ainsi, au moment où Bernard Pivot tente d’explorer avec elle ce que les
réactions autour de Passion simple révèlent des attentes sociales envers les femmes,
Annie Ernaux réaffirme immédiatement ses choix.
AE : On n’attend pas cette parole-là, peut-être, venant d’une femme. On
attend cette parole sur un mode romantique, pathétique, romanesque, pour
tout dire.
BP : Et qu’elle se cache derrière un personnage…
AE : Oui, mais moi c’est pas ma démarche. Vous le savez bien par mes
précédents livres.40
Elle poursuit le commentaire en contestant l’idée qu’il puisse exister une écriture
féminine et une écriture masculine de la passion, ce qui déplace la discussion du
point de vue social vers le point de vue esthétique.
Il est vrai, cependant, que même les commentaires concernant le livre, ou le
texte proprement dit, peuvent paraître assez pauvres, voire tautologiques. L’un des
grands topoï de l’entretien médiatique consiste en une remise en récit de ce qui est
raconté dans le livre, au risque de réduire la narration à une simple histoire. Certains
commentaires du travail d’écriture peuvent aboutir à des déclarations stéréotypées
du type : « [Publier L’atelier noir est] une façon de montrer qu’écrire c’est pas si facile
que ça »41. La nécessaire vulgarisation qu’implique la présentation d’un livre dans le
cadre de la communication de masse conduit le journaliste et l’écrivain à s’en tenir
à un discours très conventionnel sur l’œuvre, comme lorsque François Busnel, à
l’occasion de la parution du recueil Écrire la vie en 2011, demande à Annie Ernaux
38. Jérôme Meizoz, « Annie Ernaux : posture de l’auteur en sociologue », dans Annie Ernaux. Se mettre en gage pour dire le monde, s. dir. Thomas Hunkeler & Marc-Henry Soulet, Genève,
MētisPresses, « Voltiges », 2012, p. 35.
39. Jean-Marie Cavada, La Marche du siècle, op. cit.
40. Bernard Pivot, Apostrophes, « Annie Ernaux », op. cit.
41. François Busnel, La Grande librairie, 1er décembre 2011, France 5.
140
Marie-Laure Rossi
de définir l’« écriture plate » ou de resituer son travail par rapport à l’autobiographie
et à l’autofiction42.
Malgré cela, l’écrivain parvient à maintenir un discours assez fidèle aux grands
enjeux de sa démarche artistique. Commentant le titre Écrire la vie, elle insiste sur la
nécessaire distance de sa posture autobiographique, sur la valeur cognitive de son
écriture, sur son désir de mettre en évidence les non-dits dans notre société.
Écrire la vie telle qu’elle m’a été donnée, depuis ma naissance, tout ce qui m’est
arrivé, qui est très banal. […] Cette matière-là, que j’en extirpe quelque chose
que je pourrais dire relever de la réalité, de la vérité. […] À partir de ce qui
m’est arrivé à moi, me mettre à distance. Mettre au jour des choses généralement cachées ou dont on ne parle pas.43
Pour le lecteur habitué de longue date aux livres d’Annie Ernaux, ce commentaire
n’apporte rien de neuf. Mais il constitue une synthèse assez fidèle qui, au moment
de la parution d’une somme de l’œuvre, peut être efficace pour présenter cet ensemble à un lectorat qui ne connaît pas encore son auteur.
En outre, les autocommentaires sont tissés d’un vocabulaire – « réalité », « vérité », « distance », « mettre au jour » - typique de l’écriture d’Annie Ernaux, à tel
point que certaines phrases semblent émerger directement des livres commentés.
Lors de son passage à Aujourd’hui madame, l’écrivain défend le point de vue adopté
pour parler de la maternité :
J’ai mis l’accent énormément, comme vous dites, sur les choses négatives. Mais
en disant que, les joies de la maternité, je les connaissais. Il fallait pas me faire le
coup, parce que effectivement je les connaissais. Mais je voulais parler de tout
le reste, de la merde, de ce qui est le plus embêtant et le plus répétitif. Six tétées
par jour au départ, ou six biberons, c’est pas du plaisir.44
Ce commentaire peut apparaître comme une variante d’un passage de La Femme gelée
sur le même thème :
Le coup de la plus belle part, on me l’a fait, et c’est elle qui m’avait retenue
d’aller chez la vieille à lunettes. Aujourd’hui je veux dire la vie non prévue,
inimaginable à dix-huit ans, entre les bouillies, la vaccination au tétracoq, la
culotte plastique à savonner, le sirop Delabarre sur les gencives.45
Par-delà la cohérence du propos, il faut souligner la reprise de l’expression « le
coup » et l’attention portée sur les réalités prosaïques de la maternité. Mais surtout,
le ton et la virulence de la revendication féministe se prolongent du roman vers
l’entretien, organisant la continuité entre l’ethos de la narratrice, celui de l’auteur
dans le texte et l’image de l’écrivain à la télévision. On peut noter d’ailleurs que
cette virulence disparaîtra des interventions télévisuelles d’Annie Ernaux, autour de
1984, au moment du tournant vers l’« écriture plate » plus conforme à l’éthique de
son projet d’écriture.
42. Ibidem.
43. Ibidem.
44. Antoine Veyret, Aujourd’hui madame, op. cit.
45. Annie Ernaux, La Femme gelée (1981), dans Écrire la vie, op. cit., p. 420.
141
Le jeu des images
2.3. Mettre en scène l’histoire du livre
L’autocommentaire médiatique n’est donc pas, assurément, un commentaire de
texte, à valeur herméneutique. Son efficacité tient davantage à sa capacité à dramatiser
la publication du livre, selon un processus qui peut évoquer le storytelling. Lors de son
passage à Bouillon de culture, Annie Ernaux raconte ce qu’a représenté pour elle le fait
de parler de Passion simple pour la première fois dans l’émission Caractères :
C’est pour moi, la rupture. Le livre, ainsi, ne m’appartiendrait plus. Et il fallait
une épreuve. Bernard Rapp, Caractères, était cette épreuve de faire passer du
silence de l’intimité sous les lumières et d’une certaine façon, de prendre de la
distance.46
Le récit tragique de la séparation du livre redouble celui de la séparation d’avec A., qui
se trouve ainsi mis en abyme : les téléspectateurs regardent avec quelle dignité l’écrivain
se sépare d’un livre dans lequel est racontée la souffrance d’une séparation amoureuse.
La valeur initiatique de ce récit se révèle aussi par les leçons qu’Annie Ernaux
tire de cette publication.
Je pensais que ça ne s’adressait presque qu’aux femmes. [Le courrier des lecteurs] m’a montré que les hommes ne sont peut-être pas si différents, hors des
rôles qui leur sont attribués. Quand ils laissent parler leur sensibilité, ils ne sont
pas tellement différents des femmes.47
L’auteur tisse une histoire autour de la publication du livre qui aboutit à une sorte de
réconciliation des hommes et des femmes, alors que le récit a montré les difficultés
à communier véritablement dans la passion amoureuse. L’écrivain peut apparaître
grandi par l’épreuve tragique qu’il a traversée à la fois dans l’écriture et sous le
regard des téléspectateurs.
Bien plus qu’un commentaire métatextuel, l’autocommentaire médiatique
constitue un espace où peuvent se déployer et s’incarner une série de figures élaborées au sein du texte littéraire : personnage tragique, femme libérée, témoin des
réalités quotidiennes, intellectuel moderne... Celles-ci enrichissent et renouvellent la
mythologie de l’écrivain contemporain mais elles peuvent aussi être reprises par un
travail d’écriture qui se réapproprie l’image produite par les médias.
3. Écrire l’expérience médiatique
Annie Ernaux n’écrit qu’épisodiquement sur ses interventions dans les médias. Mais lorsqu’elle s’y risque, cela constitue l’occasion pour elle de complexifier
l’ethos auctorial qui se manifeste dans ses textes.
3.1. Transformer l’ethos auctorial
Les pages de son œuvre où Annie Ernaux commente ses interventions dans
les journaux et ses passages à la radio ou à la télévision sont assez rares. Ces écrits
46. Bernard Pivot, Bouillon de culture, « Annie Ernaux », op. cit.
47. Ibidem.
142
Marie-Laure Rossi
peuvent être considérés comme des autocommentaires de second degré, puisqu’ils
portent sur un commentaire du commentaire formulé dans les médias. Compte
tenu des dangers qu’implique pour cet auteur la participation aux dispositifs médiatiques, il est peu surprenant de constater que cette forme d’autocommentaire
apparaît dans des textes dont le statut est problématique. En effet, les seuls écrits à
ce sujet dont nous disposions se trouvent dans les journaux intimes, où les interventions médiatiques sont présentées comme des aspects équivalents à d’autres de
la vie quotidienne de l’écrivain. L’extrait de 2002, publié dans la revue Tra-jectoires48,
évoque les démarches de l’auteur pour défendre la mémoire de Pierre Bourdieu, au
moment de son décès, dans la presse et à la radio. Le journal Se perdre présente un
ensemble d’informations très intéressantes sur les circonstances qui ont accompagné le passage dans l’émission Apostrophes consacrée à Simone de Beauvoir49. Cette
expérience de la télévision est, à nouveau, brièvement abordée par le second extrait
de journal intime, datant de 2005, diffusé sur le site libr-critique.com50, à propos de
son apparition dans un documentaire sur Arte et des émissions accompagnant la
publication de L’Usage de la photo. Enfin, l’expérience plus globale de la médiatisation engendrée par l’attribution du prix Renaudot, en 1984, fait l’objet d’une page
publiée dans le photojournal qui accompagne le volume paru dans la collection
« Quarto »51. Dans un premier mouvement, écrire sur sa participation aux différentes formes médiatiques relève, pour Annie Ernaux, de l’écriture pour soi, sans
aucun projet de rendre publiques ces réflexions.
Par conséquent, la décision de publier certaines de ces pages témoigne d’une
prise de risque mesurée – il s’agit, pour la plupart, de parutions dans des revues
savantes – mais réelle. À cet égard, la publication des pages concernant le passage
à Apostrophes dans Se perdre doit être considérée comme l’un des dangers qu’Annie
Ernaux cherche à affronter en publiant ses journaux.
Je crois maintenant que l’unicité, la cohérence auxquelles aboutit une œuvre
– quelle que soit par ailleurs la volonté de prendre en compte les données les
plus contradictoires – doivent être mises en danger toutes les fois que c’est
possible. En rendant publiques ces pages, l’occasion s’en présente pour moi.52
Rendre accessibles au lecteur les commentaires personnels rédigés par l’auteur sur
son passage dans l’émission de Bernard Pivot constitue un moyen de réhabiliter « la
femme fragile d’Apostrophes »53 qui a été ressentie comme un double encombrant au
moment de la passion amoureuse. Alors que l’ethos auctorial de Passion simple réalise
le fantasme d’être aimée pour des qualités plus intrinsèques que la notoriété, Se
perdre, en montrant comment l’intervention est préparée, inscrite dans une trajectoire intellectuelle et mise à distance par le jugement critique, construit un ethos plus
complexe, dans lequel l’identité de femme éprise par la passion est aussi une identité
48. Annie Ernaux, « Journal intime (inédit) », op. cit.
49. Annie Ernaux, Se perdre, op. cit.
50. Annie Ernaux, « Annie Ernaux, journal 2005 (extraits) ». [En ligne], URL : http://www.tpas-net.com/libr-critique/?p=687
51. Annie ernaux, photojournal réalisé pour l’édition Quarto, op. cit., p. 84.
52. Annie Ernaux, « Je ne suis pas sortie de ma nuit », op. cit., p. 608.
53. Annie Ernaux, Se perdre, op. cit., p. 789. « Et “on” m’aimerait certainement, la femme fragile
d’Apostrophes, des conférences de Prague ou d’ailleurs, mais je ne désire que l’amour choisi, désiré par
moi, et de préférence pour celui qui ne voit pas en moi l’écrivain. »
143
Le jeu des images
d’écrivain pleinement impliqué dans la vie littéraire de son temps. Il est probable
qu’une telle ambivalence ne pouvait être assumée publiquement que dans un deuxième temps de ce cycle narratif.
3.2. Subvertir l’image médiatique
Mais commenter ses passages à la radio ou à la télévision permet aussi à
Annie Ernaux de reprendre la main sur l’image d’auteur construite par les médias
et de la rendre plus conforme à ses valeurs et à ses désirs. Après l’enregistrement de
l’émission Diagonales54, en hommage à Pierre Bourdieu, elle commente sa prestation
dans son journal :
À « Diagonales », j’ai un peu pété les plombs, agacée par la façon d’Alain
Touraine d’occuper le terrain afin de vendre sa camelote, lui le sociologue de
la « liberté ». Je l’ai coupé mais sans rien dire d’intelligent, donc j’aurais mieux
fait de fermer ma gueule.55
Cette reconnaissance d’une erreur, au moins stratégique, dans l’attitude adoptée au
sein du débat radiophonique donne à Annie Ernaux la possibilité de se montrer
lucide, donc détachée, du personnage que l’émission lui a fait jouer en la plaçant
dans une table ronde avec un détracteur de la sociologie bourdieusienne. Dans le
cadre d’une publication essentiellement accessible aux lecteurs universitaires, cet
aveu réinscrit l’écrivain dans un ethos davantage marqué par la distance, qui lui vaut
l’estime de ce milieu.
Dans une perspective plus subversive, un extrait de L’Usage de la photo tourne
en ridicule un reportage de Timothy Miller consacré à Annie Ernaux. Il s’agit d’un
texte dans lequel Marc Marie raconte la crainte de sa compagne qu’on ne découvre
au moment de la projection sur grand écran que, dans une scène du documentaire,
elle écrivait des propos sur son désir que cesse cette prise de vue très conventionnelle.
On voyait notamment A. en train d’écrire à son bureau : le type de scène qu’on
retrouve, immanquablement, dès qu’il s’agit de présenter un écrivain dans son
élément naturel, comme s’il s’agissait d’une espèce animale en voie de disparition.56
À nouveau, ce passage est problématique : il est signé Marc Marie, mais il
s’inscrit dans un livre pleinement reconnu comme faisant partie de l’œuvre d’Annie
Ernaux, caractérisée par une grande porosité du « je » énonciatif. Le texte opère
une délégation de la fonction critique à un autre auteur, lui-même largement influencé par le point de vue et les traits stylistiques de celle dont il est question.
Ainsi, l’image d’écrivain produite dans l’espace médiatique se trouve renvoyée à sa
fonction mythologique tandis que le co-auteur, Marc Marie, se charge de rétablir
une identité plus « sacralisé[e] »57, donc plus inaccessible, au sein de la narration
p. 92.
54. Laurent Joffrin, Diagonales, « Pierre Bourdieu », 17 février 2002, France Inter.
55. Annie Ernaux, « Journal intime (inédit) », op. cit., p. 151.
56. Annie Ernaux et Marc Marie, L’Usage de la photo (2005), Paris, Gallimard, « Folio », 2006,
57. Ibid., p. 91.
144
Marie-Laure Rossi
autobiographique. Ainsi, la complexité des dispositifs associés au commentaire de
l’image sociale de l’écrivain tend à affirmer l’ethos de l’auteur au sein du texte comme
la seule instance authentique, dans le cadre d’une démarche selon laquelle l’écriture
littéraire est un moyen inégalable d’accéder à une vérité de soi et du monde.
*
*
*
Si l’autocommentaire produit dans les médias est difficile à appréhender, c’est
parce qu’il ne correspond pas, ou peu, à l’approche métatextuelle que l’on attendrait
de ce type de propos. Au contraire, la référence au « je » (auto) pose question, tant le
discours relève du commentaire d’autrui, du commentaire formulé par autrui ou du
commentaire sur un « je » qui se défausse sans cesse. L’efficacité de cette manière
d’intervenir tient probablement aux moyens qu’elle donne à l’auteur d’échapper
au risque d’enfermement dans une « personnalité » formatée par et pour l’espace
médiatique. Au contraire, Annie Ernaux se joue des images pour mettre en scène
les figures littéraires qu’elle a conçues dans l’écriture et pour incarner cette porosité
du « moi » qui fait l’objet de ses récits autobiographiques. Alors que certaines émissions littéraires peuvent donner l’impression de sacrifier les auteurs sur l’autel de la
médiatisation58, les entretiens d’Annie Ernaux montrent comment il est possible de
défendre la suprématie de l’ethos auctorial au sein de l’œuvre, même en participant
au grand récit orchestré par la communication de masse. Ainsi, la réécriture des entretiens accordés à Michelle Porte pour le documentaire Les Mots comme des pierres59,
sous la forme du livre Le Vrai lieu60, constitue l’une des formes les plus récentes des
moyens que s’est donnés cet écrivain pour défendre son identité spécifique d’auteur.
Marie-Laure rossi
Université Paris-Diderot – Paris 7
rossi_marielaure@yahoo.fr
58. Patrick Tudoret, L’Écrivain sacrifié. Vie et mort de l’émission littéraire, Paris, Le Bord de l’eau
– INA, « Penser les médias », 2009.
59. Michelle Porte, Les Mots comme des pierres. Annie Ernaux écrivain, 4 novembre 2013, France 3.
60. Annie Ernaux, Le Vrai lieu. Entretiens avec Michelle Porte, Paris, Gallimard, 2014.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Andrea Chiurato
Un successo senza gloria
Splendori e miserie della ricezione di Alain Robbe-Grillet in Italia
Sintesi
La critica italiana inizia a interessarsi a Robbe-Grillet sul finire degli anni Cinquanta,
anche se più alle sue teorie che alla sua opera. Gli infuocati anatemi contro la metafora e
contro il romanzo «ben fatto» si impongono al centro della scena culturale, suscitando
accese polemiche e altrettanto vivaci prese di posizione a suo favore. Attraverso un ampio
ventaglio di articoli, saggi, convegni e interviste le varie “fazioni” coinvolte nello scontro creano e diffondono immagini molto diverse del medesimo autore: quella proposta
dall’establishment non coincide con quella sostenuta dalla critica impegnata di sinistra; che,
a sua volta, è in netto contrasto con le interpretazioni fenomenologiche di alcuni rappresentanti della neoavanguardia. Ognuno tenta, insomma, di ricondurlo entro una differente
«sceneggiatura autoriale», giudicandolo in base alla propria concezione della letteratura.
Robbe-Grillet, dal canto suo, si dimostra controparte attiva in questo dibattito, ribadendo
in numerosi interventi l’inadeguatezza dell’etichetta di école du regard. Rifiutando le rigide
griglie interpretative proposte dalla critica e adottando quella che R. M. Allemand definirà
«la tecnica dell’anguilla» egli cercherà così di resistere, con alterne fortune, agli innumerevoli
tentativi di canonizzazione.
Résumé
La critique italienne commence à s’intéresser à Robbe-Grillet vers la fin des années
50, mais d’abord à ses théories plutôt qu’à ses romans. Ses anathèmes incendiaires contre
la métaphore et le roman «bien fait» engendrent de vives polémiques. À travers articles,
actes de colloques, postfaces, interviews, les différents « partis » impliqués dans l’affrontement créent et diffusent des images très différentes du même auteur : l’image proposée par
l’establishment ne coïncide pas nécessairement avec celle présentée par la critique engagée
de gauche; laquelle, à son tour, contraste nettement avec les interprétations phénoménologiques de quelques représentant de la «neoavanguardia». Chacun cherche à le faire adhérer
à un « scénario auctorial » différent, établi sur la base d’une idée très personnelle de la littérature. Robbe-Grillet, de son côté, ne se prive pas d’entrer activement dans le débat, le plus
souvent de façon indirecte, rejetant notamment l’étiquette d’école du regard. Il cherche finalement à esquiver les grilles interprétatives rigides que la critique ne cesse de lui proposer,
adoptant ce que R. M. Allemand appellera « la technique de l’anguille ». Au fond, il regimbe
devant toute tentative de cristalliser en un dogme les principes de sa poétique.
Per citare questo articolo :
Andrea Chiurato, «Un successo senza gloria. Splendori e miserie della ricezione di
Alain Robbe-Grillet in Italia», in Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15,
« Au risque du métatexte. Formes et enjeux de l’autocommentaire », a cura di Karin
Schwerdtner & Geneviève De Viveiros, febbraio 2015, pp. 149-169.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, febbraio 2015
Un successo senza gloria
Splendori e miserie della ricezione di Alain Robbe-Grillet in Italia
Tuttavia c’è una cosa, soprattutto, che i
critici non riescono a mandar giù, ossia
che gli artisti tentino di spiegarsi.
A. Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman
I confini del paratesto
Una riflessione attorno ai rischi del paratesto non può prescindere dal problematico statuto di questa categoria critica. La sua applicabilità dipende in misura
sostanziale dall’estensione che le riconosciamo, dalla selezione operata all’interno di
un «insieme eteroclito di pratiche e di discorsi»1 riconducibili sia a diverse tipologie
testuali, sia all’azione di attori spesso non coincidenti con l’autore. Gérard Genette
notava, d’altronde, come la disposizione di materiali attorno al corpo principale
dell’opera fosse influenzata da fattori storici e contingenti, generando una pluralità
di fenomeni difficili da ricondurre a un minimo comune denominatore. L’arbitrio
con cui tali scelte vengono effettuate dipende infatti dai confini storicamente mutevoli del testo stesso e non sempre appare chiaro cosa si collochi al di fuori o all’interno delle sue innumerevoli soglie.
Per quanto evidenti, le linee di demarcazione sembrano farsi sempre più sfumate se le si osserva da vicino; preferiamo dunque non spingerci oltre in una direzione che rischierebbe di portarci troppo lontano dal nostro argomento e sottolineare quanto simili questioni si siano dimostrate d’importanza cruciale negli studi
di ricezione2. Si potrebbero citare a tal riguardo numerosi aspetti connessi alle problematiche appena elencate: la gestione della propria immagine da parte dell’autore;
le strategie enunciative messe in campo a tal fine; la mutabilità delle vesti con cui
l’opera si presenta al pubblico. Senza voler estendere ulteriormente un elenco già
tanto fitto, appare evidente come il paratesto sia fonte di notevoli rischi e di altrettanto considerevoli opportunità connesse al carattere dinamico e relazionale della
comunicazione letteraria.
Per quanto un artista possa sforzarsi di gestire la relazione con il proprio
destinatario attuale o potenziale, tale impresa comporta sempre una scommessa,
1. Gérard Genette, Soglie. I dintorni del testo, , a cura di Camilla Maria Cederna, Torino, Einaudi, 1989, p. 4.
2. Cfr. Stanley Fish, C’è un testo in questa classe? L’interpretazione nella critica letteraria e nell’insegnamento, Torino, Einaudi, 1980; Wolfgang Iser, L’atto della lettura. Una teoria della risposta estetica, trad.
Rodolfo Granafei, Bologna, Il mulino, 1987; Hans Robert Jauss, Teoria e storia dell’esperienza estetica, ,
trad. Bruno Argenton, Bologna, Il mulino, 1987.
149
Un successo senza gloria
un certo grado di azzardo e di approssimazione. Il che si dimostra particolarmente
vero per quei testi che, per ragioni diverse, si sono trovati proiettati lontano dal
contesto di produzione originario. In tal caso, all’iniziale indeterminazione implicita
nella situazione comunicativa del linguaggio scritto – una comunicazione in absentia – si aggiungono una serie di fattori legati alle differenti tradizioni linguistiche e
culturali, ai rispettivi orizzonti delle attese coinvolti in questo dialogo a più voci.
Perché sostanzialmente di dialogo si tratta. Poco importa che si configuri nei termini di una collaborazione o di una contrapposizione, che tale dialettica si risolva
in una sintesi oppure in una divergenza irriducibile; gli attori coinvolti in questo
processo sono e rimangono sempre almeno due. Riprendendo le osservazioni di
Genette occorre quindi ribadire, ancora una volta, come il paratesto, nelle sue varie
tipologie e declinazioni, si configuri invariabilmente come «una zona non solo di
transizione ma di transazione, luogo privilegiato di una pragmatica e di una strategia,
di un’azione sul pubblico»3.
Gli studi di ricezione, in questa prospettiva, offrono numerosi spunti per approfondire l’aspetto negoziale del rapporto tra il/i destinatario/i, il/i destinatore/i
e i numerosi intermediari che si frappongono tra di loro. Nel corso del mio intervento cercherò di illustrare questa complessa rete di azioni e reazioni attraverso
un esempio concreto: la ricezione dell’opera di Alain Robbe-Grillet e del Nouveau
Roman in Italia tra la fine degli anni Cinquanta e la metà degli anni Sessanta.
1. Anno 1958. Il primo incontro ravvicinato
La critica italiana inizia a interessarsi al Nouveau Roman con un certo ritardo,
verso la fine degli anni Cinquanta. L’anno di svolta è indubbiamente il 1957: una
data non casuale se si considera ciò che è appena accaduto e sta ancora accadendo
all’ombra della torre Eiffel. Il 22 maggio, in un articolo al vetriolo apparso sulle
colonne di Le Monde, Émile Henriot conia un’espressione destinata a influenzare
per sempre l’immagine pubblica di Robbe-Grillet e compagni: l’école du regard. A
stretto giro la rivista Esprit dedica un numero monografico a «Le Nouveau Roman»
e consacra il movimento sulla scena letteraria europea4.
L’influenza di questa crescente notorietà al di fuori dei confini nazionali è
confermata dall’incredibile aumento delle traduzioni e degli scambi tra Francia e
Italia. Limitandoci a Robbe-Grillet basti ricordare il breve intervallo che separa la
pubblicazione delle sue opere principali: La gelosia (1958), Nel labirinto (1960), Una
via per il romanzo futuro (1961), Le gomme (1961), L’anno scorso a Marienbad (1961),
Il voyeur (1962), Istantanee (1963), Il Nouveau Roman (1965), La maison de rendez-vous
(1966). Dal silenzio pressoché assoluto in meno di otto anni si passa a una vera e
propria babele di testi.
Di fronte all’improvvisa fortuna editoriale dell’école du regard il responso della
critica nostrana, sino ad allora abbastanza distratta o reticente, non si fa attendere.
Nel complesso l’accoglienza iniziale è piuttosto tiepida, a tratti apertamente ostile.
3. Gérard Genette, Soglie, op. cit., p. 4.
4. Nel numero 7-8 di Esprit, pubblicato nel luglio 1958, viene fornita una prima, provvisoria,
lista dei nouveaux romanciers in cui figurano: Samuel Beckett, Michel Butor, Jean Cayrol, Marguerite
Duras, Jean Lagrolet, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Kateb
Yacine.
150
Andrea Chiurato
Percepito sin da subito come un disturbatore dei quieti giardini dell’Arcadia letteraria, il giovane esordiente non gode dei favori dei più autorevoli rappresentanti dello
status quo; il che d’altronde è pienamente in linea con l’attitudine provocatoria delle
sue prime dichiarazioni. Il fatto più curioso è però un altro: a prescindere dalle sue
affermazioni spesso lo si giudica per partito preso, a partire da una serie di stereotipi
superficiali e senza una reale conoscenza della sua opera. Si considerino ad esempio
le risposte a una delle «9 domande sul romanzo», rivolte dalla rivista Nuovi Argomenti
ai maggiori scrittori del Belpaese:
La scuola narrativa francese di cui fanno parte Butor, Robbe-Grillet, Nathalie
Sarraute e altri proclama che il romanzo volta definitivamente le spalle alla
psicologia. Bisognerebbe far parlare gli oggetti, tenersi ad una realtà puramente
visiva. Qual è il vostro parere?
Cassola: Il mio parere è che sono scempiaggini, e aggiungo che sarebbe ora di
finirla col prendere sul serio ogni trovata dello sperimentalismo avanguardistico che ci venga d’Oltralpe.
Morante: Quanto alla realtà puramente visiva predicata da una giovane scuola
francese odierna […] confesso di non avere ancora letto nessuna delle opere
prodotte da questa scuola, ma la sua tesi programmatica, così come è enunciata
nella presente inchiesta mi ispira qualche perplessità.
Pasolini: Non ho ancora letto Butor e gli altri: credo però – con loro solo
estrinsecamente – alla legge della realtà “puramente visiva” [...] : mi sembra
idiota, tuttavia, voltare le spalle alla psicologia.5
Appare evidente come la domanda stessa implichi, da parte dell’intervistatore, un’interpretazione di seconda mano, destinata a viziare inesorabilmente il
seguito della discussione. La “scuola dello sguardo” viene ridotta ad alcuni essenziali
tratti stilistici, ad alcune costanti tematico-formali, partendo da queste se ne giudicano
le intenzioni e i risultati. Operazione nella quale, insieme ai principali elementi dell’interpretazione oggettuale-cosista avanzata in quel periodo da Roland Barthes6, si mescolano numerose semplificazioni e altrettanti equivoci: il dislocamento della soggettività viene palesemente frainteso; il rifiuto dello psicologismo è tradotto erroneamente
in un’abolizione della psicologia del personaggio; la condanna dell’umanesimo viene
estremizzata in una cancellazione dell’Uomo. A tal riguardo c’è chi, come Pasolini e
la Morante, nutre forti perplessità; altri, come Cassola, oppongono un netto rifiuto
a priori. Al di là dei singoli giudizi, il dato più significativo è un altro, ossia il fatto
che la maggior parte degli intervistati confessi candidamente di non « aver ancora
letto nulla» di autori quali Robbe-Grillet, Butor, Sarraute. Su questo versante si tende,
insomma, a esorcizzare il potenziale disturbante dell’innovazione nel modo più semplice e immediato: ignorandola, senza lasciare spazio a un vero confronto.
Un grado di apertura maggiore lo dimostra Carlo Bo7, autorevole esponente
della critica del tempo. Certo non meno severo nel giudicare le opinioni altrui ma
5. «9 domande sul romanzo», in Nuovi Argomenti, n° 38-39, maggio-agosto 1959, pp. 13, 24, 28.
6. Barthes delinea la sua ipotesi di lettura in due saggi fondamentali: «Letteratura oggettiva»,
apparso su Critique nel 1954, e «Letteratura letterale», pubblicato nell’anno seguente (1955) dalla
medesima rivista. Pur rappresentando la prima, autorevole legittimazione del giovane esordiente,
queste etichette daranno luogo a numerosi fraintendimenti e improprie semplificazioni, al punto
che lo stesso Barthes, a breve distanza, si affretterà a precisare le proprie opinioni in un articolo dal
titolo quanto mai significativo: «Non esiste una scuola Robbe-Grillet» (Arguments, 1958) (cfr. Roland
Barthes, Saggi critici, trad. Lidia Lonzi, Torino, Einaudi, 1972, pp. 13-25; 26-33; 49-53.
7. ����������������������������������������������������������������������������������������������
Titolare dal 1939 della cattedra di lingua e letteratura francese presso l’università di Urbino – di cui diventerà poi rettore, a partire dal 1950 – Carlo Bo ha esercitato una notevole influenza
151
Un successo senza gloria
sicuramente più disponibile ad ascoltarle, anche solo per ribattere punto su punto
in maniera altrettanto convincente. Un chiaro esempio di questa sua attitudine è
«Un romanziere nel labirinto» del 1959, saggio in cui, precorrendo di un anno l’edizione italiana di Dans le labyrinthe, viene stilato un primo, provvisorio bilancio della
« scuola occasionale del nuovo romanzo»8. Anche qui, come nell’inchiesta di Nuovi
Argomenti, le idee di Robbe-Grillet vengono attribuite per osmosi a molti altri autori
promossi dalle Éditions de Minuit.
A dispetto di tale impropria semplificazione, le osservazioni di Bo scendono
comunque nel dettaglio, affrontando una serie di questioni di merito. Con l’aria
pacata di chi vuole gettare un po’ di luce in un dibattito tanto approssimativo, il
critico ligure non nasconde un misto di distacco e di condiscendenza verso questo
scrittore tanto «giovane»9. Un aggettivo dietro cui si profila una distanza che non
è solo generazionale e che nasce soprattutto da un’incompatibilità di formazione,
di orizzonti teorici, di prospettive sull’avvenire del genere romanzesco. Bo ritiene
infatti che l’école du regard sia una ricca «sorgente di problemi critici», mostrando tuttavia una notevole perplessità circa il fatto che simili «descrizioni» possano essere
«presentate come romanzi»10. L’invito finale con cui si rivolge ai suoi ideali interlocutori ha il tono dell’ennesima ramanzina di un maestro esigente di fronte a una
classe di allievi molto dotati, anche se troppo pigri per realizzare il loro vero potenziale: «Non sarebbe venuto il momento di scrivere i romanzi vincendo la dilettazione delle poetiche?»11.
Rispetto a questo primo fronte ci sono dunque più resistenze che aperture.
Robbe-Grillet, di conseguenza, si trova a ribadire continuamente i medesimi concetti in un dialogo tra sordi che non sembra condurre da nessuna parte. L’immagine
collettiva proposta da Henriot è talmente suggestiva e affascinante da mettere in
ombra i suoi sforzi e i numerosi distinguo con cui cerca di smarcarsi da un’etichetta
impropria e, alla lunga, limitante.
Uno dei primi tentativi in questa direzione è sicuramente l’Avvertenza posta
in chiusura all’edizione italiana di Una via per il romanzo futuro (1961)12:
I saggi riuniti per la prima volta in questo volume formano la totalità dei testi
“teorici” sulla letteratura da me pubblicati qua e là dall’inizio della mia corta
carriera di romanziere. […] Il lettore vi troverà dunque, in particolare, l’insieme delle opinioni e delle ipotesi, formulate nel corso del lavoro, sull’arte del
romanzo, sulla sua evoluzione recente e il suo avvenire prossimo. Tuttavia, i
all’interno del variegato panorama della critica militante ed è stato uno dei principali specialisti della
francesistica in Italia.
8. Carlo Bo, «Un romanziere nel labirinto», in La religione di Serra, Firenze, Vallecchi, 1967, pp.
471-475.
9. «Appena trentasette anni» sottolinea Bo, nato nel 1911 e allora prossimo alla cinquantina.
10. ������
Carlo Bo, «Un romanziere nel labirinto», op. cit., p. 474.
11. Ibid., p. 475.
12. ��������������������������
Curato da Renato Barilli, Una via per il romanzo futuro rappresenta il primo, sistematico
tentativo di divulgare le idee di Robbe-Grillet in Italia. È un volume sotto diversi aspetti giunto
prima del tempo, che comprende cinque degli undici saggi in seguito raccolti in Pour un nouveau
roman (1963): «Una via per il romanzo futuro» («Une voie pour le roman futur», 1956); «Riflessioni
su alcuni elementi del romanzo tradizionale » («Sur quelques notions périmées», 1957); «Natura,
umanesimo, tragedia» («Nature, humanisme, tragédie», 1958); «Joë Bousquet, il sognatore » («Joë
Bousquet, le rêveur», 1953); «Samuel Beckett, o la presenza della scena», («Samuel Beckett, ou la
présence sur la scène», 1953-1957). A questa sparuta lista viene aggiunto un contributo dal titolo
quanto mai esplicito – «L’engagement dello scrittore e il realismo socialista» – significativamente
escluso dalla silloge del 1963.
152
Andrea Chiurato
differenti capitoli del libro sono stati scritti per ciò stesso in date assai distanti
e la loro raccolta non costituisce – anzi molto ci manca – uno studio esaustivo dei problemi affrontati. Sono ancora soltanto pochi dati preliminari, che
non devono in nessun caso essere considerati come un codice di prescrizioni. Del resto, lungi
dall’aver cercato di stabilire una vera “teoria” del romanzo moderno, rigida e definitiva, così
come mi si è spesso rimproverato, ho voluto soprattutto, in queste pagine, affermare
con forza la totale libertà dello scrittore nei confronti delle pseudo-regole e dei
pseudo-valori che si minacciava di imporgli per sempre.13
Cercando di ribattere indirettamente alle critiche a lui indirizzate, Robbe-Grillet procede su due binari paralleli, mirando a un duplice obbiettivo: da un lato sottolinea il carattere operativo e provvisorio delle sue proposte, negandogli lo statuto
di poetica o di teoria onnicomprensiva; dall’altro, pur riconoscendo di esercitare una
certa influenza su altri scrittori, rifiuta esplicitamente il ruolo di capofila attribuitogli
da più parti14. Inutile aggiungere che un simile invito è destinato a cadere nel nulla;
non solo per la diffidenza dei suoi detrattori ma, come si vedrà fra poco, anche per
ragioni estrinseche legate alle dinamiche del mercato librario.
2. Lo specchio essenziale del paratesto
Uno dei principali rischi del paratesto è sicuramente quello di dire troppo o
troppo poco rispetto al volume che si vuole presentare. Per comprendere meglio
una simile differenza basta mettere a confronto le prime edizioni delle opere di
Robbe-Grillet.
Rivolgendoci al peritesto editoriale originale troviamo indicazioni piuttosto
scarne, specie per quanto riguarda i romanzi. La veste grafica adottata dalle Éditions
de Minuit – con cui il nostro prolifico autore pubblicherà buona parte della sua
produzione – è d’altronde ridotta al minimo. Poche facilitazioni vengono offerte al
lettore, quasi a volerlo spronare a confrontarsi direttamente col testo, senza alcuna
mediazione15. In conformità a questa politica editoriale gli spazi usualmente riservati alla prefazione e alla postfazione rimangono del tutto intonsi. Le informazioni
essenziali sono riportate nel frontespizio e solo in rare occasioni alla copertina vengono aggiunte le “alette”.
Nell’edizione del 1955 del Voyeur, ad esempio, i risvolti sono dedicati a un
elenco di titoli e autori (Samuel Beckett, Michel Butor, Marguerite Duras, Robert
Pinget, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Monique Wittig) che, pur non esplicitando l’esistenza di un’école du regard, ne fanno comunque presupporre l’esistenza.
Il paratesto in tal caso dice più di quanto dovrebbe, almeno rispetto alle intenzioni
dell’autore. Mentre quest’ultimo ripete a gran voce di non voler essere considerato un caposcuola, il suo stesso editore sfrutta comunque l’immagine collettiva
13. ������
Alain Robbe-Grillet, Una via per il romanzo futuro, a cura e con un saggio introduttivo di
Renato Barilli, Milano, Rusconi e Paolazzi Editori, 1961, p. 141. Corsivi nostri.
14. ������������������������������������������������������������������������������������
«“Est-ce que vous vous considérerez comme un chef d’école?” “Non. Néanmoins, il y a
à l’heure actuelle beaucoup de jeunes qui admettent pour eux-mêmes la plus grande partie de mes
propositions et qui précisent, à partir de là, leur propre vie”» (Alain Robbe-Grillet. «En retard ou en
avance?» (1959), in Le voyageur. Textes, causeries et entretiens (1947-2001), choisis et présentés par Olivier
Corpet, avec la collaboration d’Emmanuelle Lambert, Paris, Christian Bourgois, 2001, pp. 297-304).
15. ����������������������������������������������������������������������������
Una scelta che contribuirà in parte alla generale fama di illeggibilità dei nouveaux romanciers e
che risponde soprattutto a un criterio estetico. In ambito francese, infatti, la pressoché totale nudità
del testo è tradizionalmente considerata un «segno esteriore di nobilità e di eleganza» (cfr. Gérard
Genette, Soglie, op. cit., p. 27).
153
Un successo senza gloria
proposta da uno dei suoi più accaniti avversari a proprio vantaggio. Una scelta del
tutto comprensibile se pensiamo a quanto la notorietà di un singolo autore potesse
fungere da traino commerciale di una più ampia collection d’écrivains16.
Un’altra, significativa eccezione a questo principio di estrema economia è la
quarta di copertina di Dans le labyrinthe dove, al posto del marchio stellato di Minuit,
si trova una sorta di commento allografo firmato sotto la generica dizione “Les
Editeurs”. L’aggiunta di questo breve testo di accompagnamento deriva probabilmente da ragioni di ordine promozionale17 e manifesta un atteggiamento di insolita
disponibilità nei confronti del lettore medio. Il tono e lo sviluppo della premessa
iniziale – «Tout le monde a vu des labyrinthes» – sembra volerci offrire una tematica familiare, sotto vesti piuttosto rassicuranti. Allo stesso tempo cerca di avvicinarci all’ambientazione del romanzo, delineando un’analogia tra il punto di vista del
personaggio e quello del potenziale acquirente18. La strategia dell’anonima istanza
enunciativa è tanto chiara quanto efficace: suscitare l’attesa dicendo il meno possibile. Gli elementi essenziali della trama e la figura del protagonista, designato genericamente come l’«eroe», rimangono avvolti da un alone di mistero. Si focalizzano
alcuni aspetti strutturali di questa «avventura strana e rigorosa», senza però dirci
esattamente di quale tipo di avventura si tratti. Al posto di un riassunto ci viene in
sostanza offerta una prolessi dell’esperienza di lettura. Un’anticipazione in cui l’editore non svela al destinatario il contenuto del testo, cercando tuttavia di anticiparne
le reazioni.
Curiosamente tale indicazione non proviene dall’autore che, nel quadro appena delineato, appare nelle vesti del grande assente o, più dongiovannescamente,
del convitato di pietra. A discapito della sua intensa presenza sulla scena pubblica,
Robbe-Grillet mostra un certo riserbo nell’intervenire direttamente ai margini del
testo e, anche quando decide di infrangere questa regola, ciò non comporta un
adempimento delle tradizionali funzioni riconosciute alla prefazione autoriale: l’esplicazione delle proprie intenzioni, l’illustrazione delle circostanze di composizione
dell’opera, il posizionamento all’interno del campo letterario o della situazione
storica. Del resto, queste informazioni avrebbero rischiato di resuscitare l’antico
spettro dell’autore padre-padrone del significato del testo, concezione aspramente
criticata in quegli anni dal nascente strutturalismo e parimenti indigesta allo sperimentalismo francese.
Nelle sue intenzioni la nascita di un «nuovo romanzo» implicava un radicale
rinnovamento delle modalità di fruizione. Il lettore non doveva più essere guidato,
doveva trovare da solo la propria strada. Alla «libertà dello scrittore», rivendicata
nell’Avvertenza del 1961, avrebbe dovuto corrispondere un’eguale libertà della sua
ideale controparte. Nessuna esplicazione, nessuna contestualizzazione dunque. Il
modello relazionale adottato non era di tipo esplicativo bensì collaborativo.
Non stupisce, quindi, che i suoi primi romanzi si presentassero privi di prefazioni o postfazioni o, nei rari casi citati, con epigrafi e forme di commento allografo
16. ����������
Cfr. Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, Paris, Seuil, 1973, pp. 6-14.
17. ������������������������������������������������������������������������������������������
A dispetto della risonanza mediatica i primi romanzi di Robbe-Grillet non avevano difatti
raggiunto apprezzabili risultati di vendite.
18. ���������������������������������������������������������������������������������������������
«Nemmeno il lettore vede le cose dall’esterno. È nel labirinto anche lui. Tenuto in costante
allerta, mentre si domanda senza posa dove va, lui stesso vive questa avventura strana e rigorosa,
dove tutto gli appare necessario, dove nulla, tuttavia, lascia prevedere la fine» (Alain Robbe-Grillet,
Dans le labyrinthe, Paris, Seuil, 1960, quarta di copertina. Traduzione nostra).
154
Andrea Chiurato
che suggerivano non tanto un’interpretazione preconfezionata quanto un’adeguata
modalità di lettura. Una tale ritrosia rifletteva d’altronde la sua scarsa propensione
a confondere i ruoli di teorico e romanziere. Come ribadito nel decennio seguente
durante il colloquio di Cerisy-la-Salle (1971), le due pratiche andavano a suo avviso
rigorosamente distinte.
Farò dunque una dichiarazione solenne: la mia opera è costituita dall’insieme
di testi che ho pubblicato e che portano il nome di romanzi, novelle, racconti,
film, ecc. Ma non bisogna far rientrare all’interno di questo corpus né gli articoli pubblicati sui giornali, più o meno raccolti in volume sotto il nome di Saggi, né a maggior ragione le dichiarazioni verbali che posso fare in questa sede.19
Il «personaggio Robbe-Grillet» non doveva insomma essere confuso con
«l’individuo Robbe-Grillet». Il primo era, in buona parte, una creazione della critica;
il secondo parlava e avrebbe dovuto parlare esclusivamente attraverso i testi di cui
poteva rivendicare la paternità. Considerata in quest’ottica, l’immagine veicolata dal
paratesto o dal metatesto appariva come un ostacolo, un elemento di disturbo.
Un simile atteggiamento poteva funzionare nel mercato francese, già avvezzo
a capricci autoriali ben più stravaganti, ma in altri contesti rischiava di risultare
dannoso, se non addirittura controproducente. Gli editori italiani erano i primi a
rendersene conto, nel loro caso infatti occorreva preparare un pubblico ancora affezionato a narrazioni tradizionali sul modello de Il dottor Zivago e Il gattopardo a un
approccio al genere romanzo radicalmente diverso20.
3. Lo specchio deformante del paratesto
La laconicità delle indicazioni fornite dal paratesto originale offriva numerose opportunità agli editori esteri. Certo il ricercato minimalismo delle Éditions
de Minuit non forniva molti elementi da cui prendere spunto, ma lasciava d’altro
canto un largo margine di manovra per ulteriori interventi. Un margine forse troppo
ampio. Colmare gli spazi bianchi, occupare le molte soglie lasciate volontariamente
sguarnite dall’autore, comportava un’assunzione di responsabilità da parte di chi
avesse voluto cimentarsi in tale arduo compito. Una responsabilità a cui parecchie
case editrici italiane non si sottrassero, ben consapevoli della necessità di offrire,
specie al lettore meno smaliziato, un quadro approssimativo di un dibattito sino ad
allora rimasto confinato negli ambienti della critica specializzata. La moltiplicazione
degli apparati meta e paratestuali (prefazioni, postfazioni, avvertenze) con cui vengono corredate due delle opere più conosciute di Robbe-Grillet – La jalousie e Pour
un nouveau roman – ne è probabilmente la testimonianza più palese21.
19. �������������������������������������������������������������������������������������������
«Alors je fais une déclaration solennelle: mon œuvre, c’est l’ensemble des textes que j’ai
publiés et qui portent le nom de romans, nouvelles, récits, films, etc. Mais il ne faut faire entrer dans
ce corpus ni les articles de journaux, plus o moins ramassés en volume sous le nom d’Essai, ni à plus
forte raison les déclarations orales que je peux faire ici» (Jean Ricardou, Françoise Van RossumGuyon (eds.), Nouveau roman, hier, aujourd’hui, Colloque de Cerisy La Salle, 20-30 juillet 1971, Parigi,
Union générale d’éditions, 1972, pp. 316-317, traduzione nostra).
20. ����������������������������������������������������������������������������������������������
Pur senza voler ridurre l’orizzonte delle attese ai dati di vendita, riteniamo che questi due
testi forniscano un’idea piuttosto chiara dei gusti, o meglio, delle tipologie e delle morfologie romanzesche predilette dalla stragrande maggioranza del pubblico italiano sul finire degli anni Cinquanta.
21. ���������������������������������������������������������
Per la traduzione e la curatela dell’apparato critico de La gelosia Einaudi chiama Franco
Lucentini, uno dei suoi più valenti collaboratori. Rusconi e Paolazzi e Sugar, a cui dobbiamo due
diverse edizioni dei saggi critici di Robbe-Grillet (la prima nel 1961; la seconda nel 1965), si rivolgo-
155
Un successo senza gloria
La presenza di questi apparati ridefinisce profondamente l’equilibrio tra alcune delle funzioni attribuibili al paratesto: contestualizzazione, esplicazione e promozione. Le prime due, praticamente assenti nel peritesto originale, assumono un
rilievo inedito fuori del contesto francese. Molte delle informazioni inizialmente
date per scontate dall’editore, o volontariamente omesse dall’autore, dovevano infatti essere esplicitate e ciò comportava una serie di rischi. Decidere “se” e “quali”
elementi modificare non era una scelta del tutto indifferente.
Il primo ad accorgersene fu sicuramente Franco Lucentini, nel 1958, dopo
aver consegnato di persona a Robbe-Grillet le prime copie dell’edizione della Gelosia
ancora fresche di stampa. Lo zelante traduttore, prevedendo le difficoltà di orientamento in questo dedalo di descrizioni, si era premurato di venire in soccorso dei
potenziali acquirenti, aggiungendo una cartina topografica all’inizio del romanzo.
L’impresa era dettata da una preoccupazione comprensibile («meno assillato dai
dubbi, [il destinatario avrebbe potuto] dedicare maggior attenzione al va-e-vieni
nel tempo») ma, a giudicare dalla reazione del suo interlocutore, non fu apprezzata
come Lucentini sperava.
La pianta stessa, con relative e minuziose didascalie sotto il disegno, venne
stampata a sinistra della prima pagina del primo capitolo, in modo che il lettore l’avesse subito sotto gli occhi. Quando però la traduzione uscì, e io andai
a portare a Robbe-Grillet le tre tradizionali copie di sua spettanza, lui non mi
parve affatto entusiasta. “Mah – disse dopo aver esaminato la pianta un lungo momento. – Mah…”, ripeté continuando a esaminarla. “Ho fatto qualche
sbaglio?”. [...] Lui indicò con la punta della matita una certa stanza, a destra
del corridoio venendo dalla sala da pranzo, della quale nel libro si parla una
sola volta e in poco più di due righe; ma sulla cui ubicazione e il cui semplice
mobilio, proprio per questo, non pensavo di potermi essere sbagliato. “Ma è la
stanza di…”, dissi. “Appunto, – disse lui scendendo con la punta della matita
sino alla relativa didascalia. – Non bisognava dirlo prima!”.22
Il dettaglio rivelato dalla mappa riveste effettivamente un’importanza cruciale. La stanza a cui ci si riferisce nel breve scambio di battute è infatti quella
dell’invisibile narratore-protagonista della vicenda, attorno al cui ruolo continuiamo
a interrogarci sino alla fine del romanzo. Potrebbe trattarsi di un osservatore imparziale e distaccato, i cui sforzi sono frustrati da un particolare tipo di rivestimento per
finestre, le “gelosie” appunto. Oppure di un marito tradito dalla moglie – la sfuggente A., di cui conosciamo solo l’iniziale del nome – in preda ai morsi dello shakespeariano «mostro dagli occhi verdi che dileggia la carne di cui si nutre». Difficile
dirlo. L’autore sfrutta con abilità la polisemia del titolo, mantenuta senza forzature
nella traduzione italiana, suggerendo due possibili isotopie, l’una oggettiva, l’altra
soggettiva. Dal margine di gioco tra queste possibilità deriva il piacere di un testo
pienamente “scrivibile”, secondo la celebre definizione di Roland Barthes.
L’indicazione di Lucentini invece, seppur espressa in forma dubitativa –
«stanza (di X?) con letto a una sola piazza» – tendeva a privilegiare la seconda opzione, delineando una precisa situazione narrativa: quella del più classico triangolo
amoroso. Il fatto che “X” e “A.” non condividano il medesimo talamo suggerisce
no a prefatori del calibro di Renato Barilli e Luciano De Maria, entrambi profondi conoscitori della
scena culturale d’oltralpe.
22. ������
Alain Robbe-Grillet, La gelosia, a cura di Franco Lucentini, Torino, Einaudi, 1998, pp. 4-5.
156
Andrea Chiurato
involontariamente l’idea di un matrimonio in crisi e, senza troppe deduzioni, si può
arrivare a indovinare, o almeno a presupporre, la presenza di un terzo incomodo.
Rivelando sin da subito sia l’identità della voce narrante, sia i suoi rapporti con gli
altri protagonisti, una semplice didascalia avrebbe così risparmiato molta fatica al
lettore ma, fatto ben più grave, avrebbe anche rischiato di impoverire l’essenziale
senso di ambiguità dell’intreccio. Questi dettagli potevano e dovevano essere dedotti
dal testo dopo averlo letto e solo a prezzo di un certo sforzo ermeneutico, non dovevano quindi essere in alcun modo esplicitati prima. Su questo punto Robbe-Grillet
non era disposto ad alcuna mediazione: la mappa andava tolta, o almeno spostata.
Anche se Lucentini non dice molto altro di quel memorabile incontro, possiamo tuttavia ricostruire il seguito della travagliata gestazione editoriale del volume con
una certa precisione. La prima tiratura viene probabilmente mandata al macero, prima
ancora di giungere sugli scaffali delle librerie. Si procede dunque a una nuova edizione sprovvista di apparati paratestuali, ad eccezione di un’illustrazione di copertina
non proprio entusiasmante. Prima ristampa nel 1960, accompagnata da una significativa modifica: la “mappa” riappare inaspettatamente, anche se spostata nella pagina
di controguardia, dopo il colophon. Nell’edizione del 1962 viene ridisegnata l’intera
veste grafica del volume: la tanto ingombrante piantina, questa volta, è relegata su un
foglio a parte, separato dal corpo principale del libro. Una dislocazione controbilanciata dall’apparizione di molti altri elementi: una sovraccoperta, un ampio profilo biobibliografico nelle “alette”23; una fotografia nella quarta di copertina; il tutto corredato da un’autorevole raccomandazione. Quasi metà del secondo risvolto di copertina
viene difatti dedicata a un brano tratto da Le livre à venir di Maurice Blanchot (1959):
Nell’opera di Robbe-Grillet ciò che si impone a prima vista è una volontà
del tutto oggettiva: tutto vi è descritto minuziosamente, con una precisione
estrema e come da qualcuno che si contentasse di ‘vedere’. Sembra insomma
che noi vediamo tutto, ma che tutto non sia altro che visibile.24
Nel complesso la strategia di Einaudi sembra oscillare tra l’azzardo e la cautela. Pur reintroducendo a posteriori un elemento indigesto all’“emittente”, ha comunque l’accortezza di adottare una collocazione più defilata. La responsabilità
dell’unico commento allografo viene delegata a un’autorità della critica, ma si badi
bene, della critica francese. Quasi a voler veicolare un messaggio implicito, a esclusivo beneficio dell’autore: «Nel caso ci fossero eventuali reclami prego rivolgetevi
a qualcun altro, non a noi». A tal riguardo non ci risulta che Robbe-Grillet abbia
sollevato obiezioni di sorta25.
Nel 1998 infine, ormai risoltosi l’antico fraintendimento, Lucentini ha ricostruito l’intera vicenda in una nuova prefazione “tardiva”26. L’introduzione “originale” allografa, prevista per l’edizione del 1958 e in seguito eliminata, riappare sotto
nuove vesti in forma di postfazione. A cinquant’anni esatti di distanza la famigerata
23. �������������������������������������������������������������������������������������������
Nell’edizione del 1958 il profilo bio-bibliografico era riportato, insieme a una sintetica
sinossi del romanzo, nella quarta di copertina.
24. ������
Alain Robbe-Grillet, La gelosia, op. cit., seconda aletta di copertina.
25. ���������������������������������������������������������������������������������������
Né d’altronde sappiamo come abbia reagito all’incredibile passo indietro dell’edizione
1982 in cui, dopo vent’anni e in palese contraddizione con le sue indicazioni, la mappa è ritornata a
occupare la posizione originaria, all’inizio del primo capitolo, sul retro della prima pagina a sinistra.
26. ����������������������������������������������������������������������������������������
La ricostruzione di Lucentini, per quanto interessante, si dimostra lacunosa. Nessun accenno da parte sua né alle conseguenze dell’incontro del 1958; né all’inaspettata ricomparsa della
piantina nell’edizione del 1960.
157
Un successo senza gloria
mappa ha così trovato, dopo innumerevoli peripezie, una sistemazione definitiva
nella parte finale del volume.
Si potrebbe chiosare sullo strano destino di un testo venuto al mondo seminudo e ormai ricoperto di mille orpelli, ma, al di là di ogni ironia, ci preme sottolineare
un altro dato, a nostro avviso particolarmente interessante. Buona parte della fama
di Robbe-Grillet è derivata da questi frequenti ripensamenti e cambi di direzione
rispetto alle opinioni altrui e, paradossalmente, anche rispetto alle proprie27. Una
strategia ribattezzata da Roger-Michel Allemand come la «tecnica dell’anguilla»28.
Definizione quanto mai azzeccata, nel descrivere l’atteggiamento con cui ha cercato
di prevenire molti rischi del metatesto, specie quelli legati a una delle sue funzioni
essenziali: l’esplicazione. Rinunciando a occupare alcune soglie strategiche egli ha
voluto insomma rifiutare un modello paratestuale a suo avviso compromesso con
l’ordine del discorso incarnato dal romanzo “ben fatto”; un ordine fondato su una
situazione comunicativa di tipo autoritario, gerarchico, unidirezionale. L’esatto opposto di quello che gli sperimentalismi del secondo Novecento andavano proponendo negli anni Sessanta, ossia una maggiore partecipazione del lettore nella produzione di un’opera sempre più “aperta”. Il suo silenzio non deve di conseguenza
essere considerato come una forma di pudore o ritrosia, tutt’altro. In varie occasioni, come abbiamo visto, non ha esitato a esercitare il proprio potere contrattuale
e la propria notorietà per dettare o modificare le scelte editoriali. Pur rifiutandosi
di influenzare direttamente il processo di lettura spiegando “cosa avrebbe voluto
dire”, ha voluto comunque creare quelle che a suo avviso erano le condizioni di
fruizione ideali. Una tattica forse meno appariscente di quella adottata sulla scena
pubblica e, a giudicare dai risultati ottenuti, decisamente più efficace.
4. La tecnica dell’anguilla
Una delle prime occasioni di confronto diretto tra Robbe-Grillet e il pubblico
italiano fu la presentazione di Nel labirinto, nel maggio del 1960. All’evento partecipò
anche una delle giovani promesse della narrativa nostrana, Raffaele La Capria, non
nelle vesti di romanziere, come si potrebbe pensare, bensì in quelle di giornalista. La
sua testimonianza apparve sulle colonne de Il Mondo ed è probabilmente una delle
rare testimonianze di “intervista” da parte di un intellettuale italiano al più discusso
dei nouveaux romanciers. L’uso delle virgolette è d’obbligo, visto che nell’articolo vengono riportate solo tre domande.
Domanda: In un mondo di cui si nega il significato (perché non è assurdo, né
significativo, ma solo presente) come è possibile dare una qualsiasi forma o
struttura?
27. ���������������������������������������������������������������������������������������������
Tra i numerosi episodi che si potrebbero citare a tal proposito basti ricordare la clamorosa
rivelazione d’apertura del primo volume dei Romanesques, Le miroir qui revient: «Je n’ai jamais parlé
d’autre chose que de moi». Un’affermazione doppiamente scandalosa per un romanziere da sempre
considerato come il paradigma dell’oggettività, di fronte alla quale la critica si è trovata a dover riconsiderare tutta la sua opera in chiave autobiografica. Un approccio sino ad allora poco o per nulla
praticato.
28. �����������������������������������������������������������������������������������������
«Il précise même que ce sont les interdits qu’il a lui-même édictés, qui l’incitent à la
transgression: “A partir du moment où j’avais interdit la métaphore en général […] ce qui m’intéressait, c’était de mettre en action des métaphores”. Prenant acte de la “courbe folle de l’imago”, il
adopte la salutaire technique de l’“anguille”, qui selon lui […] permit à Barthes d’échapper à la
récupération par différentes chapelles des sciences humaines et d’éviter ainsi l’apposition d’une étiquette sur son œuvre» (Roger-Michel Allemand, Alain Robbe-Grillet, Parigi, Seuil, 1997, p. 99).
158
Andrea Chiurato
Robbe-Grillet: Una forma può essere indipendente dal significato, tanto è vero
che molto spesso le forme durano più dei significati.
Domanda: Ma una forma, una struttura, non sono intenzionali? E se sono
intenzionali come fanno a essere indipendenti da un significato?
Robbe-Grillet: Le arti figurative e la musica ci danno oggi un esempio di
forme intenzionali che non presuppongono necessariamente un significato.
Domanda: Le arti figurative e la musica che si servono di segni fondamentali, assoluti, [...] privi di significato, come sono appunto i colori, i volumi,
i suoni, non sono sotto questo aspetto diverse dal romanzo che si serve di
parole e di frasi, e cioè di dati concettuali legati necessariamente ad un significato? Questa differenza non implica obbligatoriamente per il romanzo
una presa di coscienza della realtà, che presuppone a sua volta un significato, poco importa se definitivo provvisorio, assoluto o relativo, esplicito
o immanente?29
Il breve scambio di battute si arresta bruscamente lasciando in sospeso l’ultima delle puntuali obiezioni mosse da La Capria, che conclude: «Non fu possibile
sentire la risposta di Robbe-Grillet». Un’explicit che non lascia molto spazio all’interlocutore e mostra come, nei suoi confronti, il giovane autore partenopeo tenda
a porsi nella parte dell’avvocato del diavolo. Maggiormente informato rispetto a
coloro che solo un anno prima dichiaravano di non aver letto ancora nulla dei nouveaux romanciers, non esita a porre domande scomode, individuando con grande precisione alcuni aspetti problematici. O meglio, un aspetto problematico – il rapporto
tra significanza e significazione – da cui derivano una serie di dubbi e perplessità.
Pur dimostrandosi affascinato dall’ipotesi di un superamento del cosiddetto «mito
della profondità»30, La Capria pone in evidenza i limiti “linguistici” della formaromanzo, inevitabilmente ancorata a una serie di «dati concettuali», ossia a valori
sociali, psicologici, antropologici difficilmente eliminabili con un semplice colpo di
spugna. L’intervistato ribatte sottolineando l’esistenza di strutture che non presuppongono «necessariamente» un significato.
Al di là delle divergenze, lo scambio di opinioni non sembrò comunque essergli sgradito. Durante il tradizionale rito della firma delle copie, infatti, il puntiglioso
inviato del Mondo fu omaggiato di una dedica: «À Raffaele La Capria ce livre dont
la “signification” se croit “blanchie”. Amicalement Robbe-Grillet»31. Meno di una
riga, due parole tra virgolette; tanto bastava a far comprendere al dedicatario che
quella era la risposta alla sua ultima domanda. Una risposta maliziosa che, al posto
di risolvere il dilemma lasciato in sospeso, ne apriva di nuovi:
E perché il significato […] si crede confinato negli spazi bianchi che separano le
diverse sequenze narrative, perché si crede blanchi […]? E che significato può
avere uno spazio bianco? Aveva voluto prendermi in giro con quella dedica o
aveva voluto farmi entrare daverro con lui dentro nel Labirinto?32
29. ���������
Raffaele La Capria, «La denuncia di Robbe-Grillet», in Il Mondo, 10 maggio 1960, p. 15.
30. ����������������������������������������������������������������������������������������
«Noi non crediamo più a quella profondità. Mentre le concezioni essenzialistiche vedevano la loro rovina, e l’idea di “condizione” sostituiva ormai quella di “natura”, la superficie delle cose
ha cessato di essere per noi la maschera del loro cuore, sentimento che preludeva a tutti gli “aldilà”
della metafisica» (Alain Robbe-Grillet, Il Nouveau Roman, a cura di Luciano De Maria, Milano,
Sugar, 1965, p. 54.
31. �������������������������������������������������������������������������������������������
«A Raffaele la Capria, questo libro di cui il “significato” appare “purificato”. Amichevolmente, Robbe-Grillet» (traduzione nostra).
32. ���������
Raffaele La Capria, «La denuncia di Robbe-Grillet», op. cit., p. 15.
159
Un successo senza gloria
Non potendo sottrarsi agli obblighi dell’intervista, situazione negoziale in cui
«le domande in un certo senso determinano le risposte»33, Robbe-Grillet era spinto a
ripiegare su una soluzione di compromesso. Pur riconoscendo alle sue affermazioni in
veste di «personaggio» un carattere effimero e transitorio, non poteva d’altronde costringere i suoi interlocutori a fare altrettanto. Lamentarsi per i numerosi fraintendimenti
ne avrebbe creati probabilmente di nuovi, meglio dunque smentire o precisare il significato di quanto già detto, rilanciando continuamente la palla nel campo dell’avversario.
Guardando agli effetti prodotti al di fuori dei confini nazionali da queste
successive correzioni di rotta dobbiamo però riconoscere che, a dispetto delle sue
precauzioni, le cose andarono esattamente nella direzione opposta. Mai come nel
dibattito italiano d’inizio anni Sessanta le sue “teorie” furono utilizzate strumentalmente come armi di lotta da parte delle varie fazioni della critica, senza che, dal
canto suo, egli potesse intervenire o porvi rimedio. Il caso di La Capria rappresentò
probabilmente una delle rare, felici eccezioni a questa regola.
A tal riguardo ricordiamo per inciso che il presunto “capofila” dell’école du
regard non parlava correntemente l’italiano e non aveva una grande familiarità né
con la tradizione romanzesca nostrana34, né con il suo mercato. La sua capacità
di influire direttamente sugli attori presenti in questo contesto era pertanto estremamente limitata e dipendeva in buona parte da alcuni fondamentali “mediatori”,
traduttori o semplici curatori dei suoi volumi35. Figure a volte disponibili a farsi portavoce delle sue esigenze, come nel caso di Lucentini; a volte decisamente critiche,
come La Capria; altre volte, come vedremo fra poco, più propense a servirsi del suo
nome a sostegno (o a detrimento) di una precisa causa.
5. Unicuique suum. A ciascuno il suo
A questo punto è necessario prendere in esame un’altra questione, anche più
rilevante. Ossia confrontare le diverse sfaccettature del «personaggio Robbe-Grillet» alla luce della tripartizione, proposta da José-Luis Diaz, tra «l’uomo sociale e
biografico»; «lo scrittore, “spettacolare”, “scenografico”, “mediatico”» e «l’autore
testuale»36.
Come abbiamo visto, nei primi anni di attività l’«individuo Robbe-Grillet»,
l’autore in carne ed ossa, era molto esposto dal punto di vista mediatico (insignito
nel 1955 del prestigioso Prix des critiques diventa presto un caso letterario), tut33. �������
Gérard Genette, Soglie, op. cit., pp. 349-350.
34. ����������������������������������������������������������������������������������������
Una significativa eccezione è rappresentata da Italo Svevo, l’unico romanziere italiano
incluso nell’Anthologie moderne di Pour un nouveau roman («La conscience malade de Zeno», 1954).
35. ���������������������������������������������������������������������������������������
Per sua fortuna buona parte dell’intellighenzia italiana di quel tempo era decisamente
francofona e francofila. La maggior parte degli uomini di lettere parlava correntemente il francese e aveva una conoscenza approfondita di una tradizione culturale da sempre percepita come
familiare, prossima, o perlomeno affine. A differenza dell’America, tanto lontana e tanto amata da
precursori del calibro di Cesare Pavese ed Elio Vittorini, la Francia appariva invece nelle vesti di
un più naturale termine di confronto, sia per ragioni storico-geografiche, sia per la reciproca rete
di influenze e scambi tra le rispettive tradizioni letterarie avvenuti nel corso dei secoli.
36. ����������������������������������������������������������������������������������
«L’homme sociale et biograpique»; «l’écrivain imaginaire, “spectaculaire”, “scénographique” et “médiatique”»; « l’auteur textuel» (cfr. «De l’écrivain au traducteur imaginaires.
Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa theorie de l’auteur», propos recueillis par Karen
Vandemeulebroucke & Elien Declercq, in Interferences litteraires/Literaire interferenties, n° 9, novembre 2012, p. 217, traduzione nostra – [Online], URL: http://www.interferenceslitteraires.be/
node/179).
160
Andrea Chiurato
tavia non si limitava ad agire esclusivamente sulla ribalta della scena culturale e
cercava di instaurare, ove possibile, uno stretto dialogo con i diversi attori coinvolti
nella filiera editoriale. Il caso de La gelosia è solo uno fra i tanti e potremmo citare
numerosi esempi della «grande sorveglianza» (grande vigilance) da lui esercitata nei
confronti dei responsabili della divulgazione della sua opera37. Non che questo
dialogo portasse sempre ai risultati desiderati, o eliminasse ogni possibilità di fraintendimento, ciononostante rifletteva da parte sua una notevole consapevolezza sia
dei meccanismi del mercato, sia dell’importanza del paratesto nell’influenzare le
aspettative del lettore.
Più defilato appare, per contrasto, il profilo dell’istanza prefativa dei suoi primi romanzi. Una scelta certo motivata dalla volontà di ridefinire una nuova idea di
autore e di autorialità, che si inserisce all’interno di un periodo storico in cui da più
parti se ne decretava la crescente inadeguatezza e l’imminente morte. L’unica, clamorosa infrazione a questo silenzio, cioè la decisione apparentemente paradossale
di pubblicare una serie di saggi in forma di commento ulteriore, venne giustificata
da Robbe-Grillet ricorrendo all’espediente dello “scrittore incompreso”38, un’immagine di sé destinata a diventare una delle chiavi privilegiate del suo futuro rapporto
con la critica dentro e fuori dall’accademia. Per sua sfortuna la controparte chiamata
in causa, soprattutto sul versante italiano, era ben più interessata alle sue pose di
dichiarato provocatore oltre che, naturalmente, alla «scenografia di gruppo»39 di cui
lo si riconosceva (a torto o a ragione) portavoce. Uno dei maggiori rischi destinati a
influenzare il processo di ricezione della sua opera deriva proprio da qui, da questo
delicato passaggio in seguito al quale la sua figura assume non solo il ruolo di punto
di riferimento, ma anche quello, ben più scomodo, di facile bersaglio.
Già alla fine degli anni Cinquanta alcuni slogan, presto promossi al rango di
poetica, si erano cristallizzati in patria in un’immagine collettiva, ribattezzata di volta
in volta Nouveau Roman, école du regard, école de Minuit. L’ethos40 individuale aveva così
iniziato a confondersi con l’ethos del gruppo di cui, agli occhi dell’opinione pubblica,
era divenuto il legittimo rappresentante. Il che, ça va sans dire, gli garantì una considerevole pubblicità gratuita, seppure a un prezzo molto alto. Tra i due si era difatti
instaurato un indissolubile legame, un vincolo che presupponeva un’appartenenza
e, allo stesso tempo, una gerarchia. Robbe-Grillet non era semplicemente un nouveau
romancier tra gli altri, era considerato il Nouveau Roman in persona. La sua notorietà
37. �����������������������������������������������������������������������������������������������
«Ainsi entre mille autres exemples, cette lettre de 1984 à une journaliste qui lui avait adressé la transcription d’un entretien radiophonique, dans laquelle il s’oppose à sa publication: “Je
m’arrête là dans une relecture de cet entretien, profondément déprimé une fois de plus par ce type
d’entreprise. Ce qui a été parlé doit rester oral. La clôture du langage écrit repose sous de tout autres fonctionnements. Prendre le décryptage d’une parole et prétendre l’imprimer après quelques
corrections de détail est une aberration”» (Alain Robbe-Grillet, Le voyageur, op. cit., pp. 16-17).
38. �����������������������������������������������������������������������������������
«I miei romanzi non furono accolti al momento della pubblicazione con unanime benevolenza è il meno che si possa dire»; «Non riuscivo a soddisfarmi di essere riconosciuto, apprezzato,
studiato dai soli specialisti»; «Ero convinto di scrivere per il “grande pubblico”, soffrivo d’essere
considerato un autore “difficile”»; «Scrissi allora […] una serie di brevi articoli in cui esponevo
alcune idee che a me parevano ovvie, [e] il risultato non fu quello che speravo. Fecero rumore, ma
vennero giudicati, quasi all’unanimità, al tempo stesso semplicistici e folli» (Alain Robbe-Grillet, Il
Nouveau Roman, op. cit., pp. 39-40).
39. ����������
José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 41.
40. ����������������������������������������������������������������������������������������
Cfr. «Un réseau de concepts. Entretien avec Dominique Maingueneau au sujet de l’analyse
du discours littéraire», propos recueillis par Reindert Dhondt & David Martens, in Interférences
littéraires/Literaire interferenties, n° 8, maggio 2012, p. 215 [Online], URL: http://www.interferenceslitteraires.be/node/162
161
Un successo senza gloria
all’estero era quindi legata a doppio filo a una serie di «etero-rappresentazioni»41 (hétéro-répresentations) elaborate da critici più o meno ostili, sfruttate sapientemente dal
suo editore di fiducia e, nella maggior parte dei casi, contestate da lui stesso senza
alcun successo. A poco servirono le avvertenze paratestuali, le dichiarazioni solenni,
le innumerevoli prese di distanza espresse in interviste e convegni: il «personaggio»
era ormai sfuggito al controllo del suo stesso creatore.
L’atteggiamento di spudorato «terrorismo intellettuale»42 dei suoi primi anni
di attività non avrebbe fatto altro che esacerbare questa situazione, mettendo inevitabilmente in ombra le successive correzioni di rotta. Per essere uno scrittore
disposto a condannare le distorsioni e le semplificazioni del «chiacchiericcio mediatico» (bavardage médiatique), egli non disdegnava affatto le occasioni offerte dal
peritesto pubblico, confessando candidamente di non essere capace di «restar in
silenzio»43. Non stupisce pertanto che le sue dichiarazioni, insieme ai suoi romanzi
e ai suoi articoli, fossero considerate nel loro insieme alla stregua di un manifesto.
Anzi, ci aiuta a comprendere meglio perché alcuni zelanti interlocutori, tra cui La
Capria, non esitassero a rinfacciargli le sue apparenti contraddizioni, costringendolo
a precisare la portata di alcune boutades. Il più delle volte con effetti involontariamente comici dato che Robbe-Grillet tendeva a schivare le questioni più scomode
attraverso l’umorismo cercando, nel contempo, di «consolidare elegantemente i
propri principi»44.
Nel [suo] caso l’ingiunzione è fondamentalmente paradossale, dato che non
ha mai smesso di evolvere, cambiando opinione, a volte contraddicendosi, e
sovente proclamando queste contraddizioni come costitutive della sua riflessione teorica, della sua pratica creativa, della sua ricerca artistica.45
Occorre di conseguenza chiedersi se nell’immediato quest’immagine di caposcuola gli abbia giovato o nuociuto. E ancora, in quale misura le scenografie edificate a partire dalle analisi di Barthes e dalle critiche di Henriot sono state tradotte al
di fuori dalla Francia? In che modo sono state rimodulate e rielaborate dalla critica
italiana?
Per quanto riguarda il primo punto la risposta è meno scontata di quanto
si potrebbe pensare. Rispetto ad altri appartenenti alla scuderia di Minuit, RobbeGrillet ha beneficiato indubbiamente di un’attenzione particolare; un fatto su cui
d’altronde non mancava di ironizzare autodefinendosi «un autore conosciuto per la
sua notorietà»46. Passando dal piano della fortuna a quello della fama non possiamo
però dimenticare quanto tale popolarità abbia spesso giocato a suo sfavore. Basti
41. �������������������������������������������������������������������������������������������
«De l’ecrivain au traducteur imaginaires. Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa theorie de l’auteur», op. cit., p. 219. Traduzione nostra.
42. ������
Alain Robbe-Grillet, Le voyageur, op. cit., p. 12.
43. �������������������������������������������������������������������������������������
«Se méfiant beaucoup de ce qu’il stigmatise comme le “bavardage médiatique”, tout en
avouant qu’il “n’aime pas rester muet”» (ibid., p. 16).
44. �������
Gérard Genette, Soglie, op. cit., p. 346
45. �����������������������������������������������������������������������������������������
«Dans [son] cas, l’injonction est fondamentalement paradoxale, puisqu’il n’a cessé d’évoluer, de changer d’avis, parfois de se contredire, et souvent de proclamer ces contradictions comme
constitutives de sa réflexion théorique, de sa pratique créative, de sa recherche artistique» (titre du
texte cité, in Roger-Michel Allemand, Christian Milat (eds.), Alain Robbe-Grillet: balises pour le xxie
siècle, Parigi-Ottawa, Presses Sorbonne Nouvelle – Presses de l’Université d’Ottawa, 2010, p. 34,
traduzione nostra).
46. ������������������������������������������
«Un auteur connu par sa notorieté» (Alain Robbe-Grillet, Le voyageur, op. cit., p. 12).
162
Andrea Chiurato
ricordare le risposte all’inchiesta di Nuovi argomenti, dove larga parte delle valutazioni
negative derivava da un’immagine prefabbricata, di seconda mano, di cui, tra l’altro,
quasi nessuno si preoccupava di verificare l’attendibilità. In tal caso il fare parte di
un gruppo si rivelò un’arma a doppio taglio, un ostacolo più che un’agevolazione
alla reale conoscenza della propria opera.
Il secondo e il terzo quesito implicano una più ampia gamma di sfumature
e richiedono una risposta più articolata. Come è noto ogni artista, al momento del
suo ingresso sulla scena culturale, deve selezionare una «posa», una «scenografia»,
un ruolo «in funzione del repertorio di posture esistenti sul mercato», o inventarne
di nuove47. Il fatto che tali scelte non sempre corrispondano a quelle del pubblico,
o tantomeno con quelle della critica specializzata, complica ulteriormente le cose.
C’è senza dubbio un certo margine di gioco tra i due estremi della comunicazione
letteraria e occorre tenerne conto, specie quando la ricezione si svolge in contesti
diversi da quello di produzione.
Sul versante francese dobbiamo riconoscere innanzitutto quanto il suo posizionamento iniziale, rigorosamente controcorrente, enfatizzasse i tratti del “terrorista”, disposto a smantellare pezzo per pezzo l’edificio del romanzo classico.
La contrapposizione frontale rispetto ad alcuni autorevoli modelli non poteva che
produrre, di rimando, una netta polarizzazione del dibattito. Non è dunque un caso
che si sia creato più nemici che alleati nel corso dei primi anni della sua carriera, dai
difensori del romanzo “ben fatto” agli epigoni dell’Esistenzialismo.
Per una curiosa coincidenza un fenomeno molto simile si ripropose a un
decennio di distanza anche sul versante italiano, in forma ancora più amplificata. Anche qui, infatti, la discussione si strutturò secondo uno schema conflittuale
che chiamava in causa diverse idee di letteratura, diverse opinioni riguardo al ruolo
dell’intellettuale, alle sue modalità di azione e alle sue responsabilità all’interno della
società. Cambiavano però gli attori coinvolti e, in maniera ancora più significativa,
cambiavano le «sovrastrutture storiche»48 entro cui si svolgeva questa lotta senza
esclusione di colpi.
In Italia, ad esempio, le riserve espresse dalla critica tradizionale si fondavano
sul cauto scetticismo dell’esperienza di fronte alla novità. Il giudizio, come nel caso di
Bo, enfatizzava la spregiudicatezza dell’esordiente, la mancata corrispondenza tra le
buone intenzioni e i discutibili risultati pratici. Le scenografie adottate erano quelle del
“giovane debuttante”, del “romanziere mancato”, del fenomeno passeggero costruito
dall’industria culturale a uso e beneficio di una nuova nicchia di consumatori.
Per la critica engagée invece Robbe-Grillet era lo «scrittore-Cézanne», colui «che
mutuava dalla metodologia scientifica e filosofico-operativa il suo credo letterario»49.
47. ����������������������������������������������������������������������������������������������
«Cela apparaît encore mieux lorsqu’on saisit la chose dans l’histoire: soit l’histoire personnelle, celle de l’adoption progressive par un jeune écrivain d’une posture, d’un rôle, d’une scénographie, en fonction du répertoire des postures existantes sur le marché quand il arrive en littérature;
soit l’histoire sociale, collective, des représentations, des postures et des scénographies auctoriales
typiques, exemplaires, imitables par tout un groupe, par toute une école, par toute une génération à
un moment donné» (Ruth Amossy et Dominique Maingueneau, «Autour des “scénographies auctoriales”: entretien avec José-Luis Diaz, auteur de L’écrivain imaginaire (2007)», in Argumentation et
Analyse du Discours, n° 3, 2009 – [Online], URL: http://aad.revues.org/678).
48. ����������
Cfr. Ruth Amossy et Dominique Maingueneau, «Autour des “scénographies auctoriales”:
entretien avec José-Luis Diaz », op. cit.
49. ������
Italo Calvino, «Il mare dell’oggettività» [1960], in Saggi (1945-1985), vol. I, Milano, Mondadori, p. 58.
163
Un successo senza gloria
Il capofila della cosiddetta «avanguardia razionalistica », «concentrato nella conoscenza d’un oggetto, nella forma di una cosa»50. O almeno così lo ritraeva Italo
Calvino sulle colonne del Menabò: uno scrittore-scienziato, una sorta di versione
aggiornata del romanziere-filosofo incarnato da Jean Paul Sartre, pronto a rivisitare
«la perdita dell’io, la calata nel mare dell’oggettività indifferenziata»51 già sperimentata dal protagonista della Nausée. Il giudizio su questo fronte tendeva pertanto ad
assumere una connotazione storica e non anagrafica, come nel caso precedente: pur
riconoscendo all’avversario il merito delle armi gli si rinfacciava un «atteggiamento
disperato» e «contemplativo» nei confronti della realtà, lo si invitava a compiere il
passo decisivo dalla «letteratura dell’oggettività» alla «letteratura della coscienza»52.
A recuperare, in definitiva, quel bagaglio di significazioni verso le quali La Capria
aveva richiamato la sua attenzione53.
Dalla neoavanguardia infine, oltre che come scrittore e teorico del romanzo,
era apprezzato soprattutto nella veste di «bandiera di combattimento»54. Di fronte
all’ala provinciale, se non addirittura arretrata, della critica nostrana Robbe-Grillet
era considerato un prezioso alleato nel rivendicare, insieme a una radicale ridefinizione di un’anacronistica concezione dell’impegno, il superamento del vizio di
contenutismo delle metodologie allora dominanti. Renato Barilli, curatore della
prima antologia dei suoi essais, oltre che influente membro del Gruppo 63, fu su
questo versante il suo più accanito sostenitore, arrivando a teorizzare una più ampia
convergenza tra i vari sperimentalismi affermatisi nel dopoguerra alla luce delle
nozioni chiave di «normalizzazione» e di «abbassamento»55.
Queste tre immagini, oltre a riflettere una serie di approcci al testo tra loro
incompatibili, ci permettono di individuare i profili di tre atteggiamenti: un netto
rifiuto fondato su un misto di confusione e di ignoranza; una cauta apertura di credito, moderata da una serie di resistenze di stampo ideologico; una collaborazione
fattiva dettata da una serie di obbiettivi comuni. Ognuno, insomma, aveva le sue
ragioni per celebrare o deprecare Robbe-Grillet, stigmatizzandolo come un pericoloso avversario o, al contrario, cercando di cooptarlo all’interno delle proprie file.
Una simile partigianeria era connaturata alla peculiare conformazione della
scena culturale degli anni Sessanta e, dal canto loro, gli attori coinvolti nello scontro
non esitarono a enfatizzarla. Recuperando e adattando alle proprie esigenze una
delle più classiche scenografie del canone occidentale – la sempre attuale querelle
des Anciens et des Modernes – i militanti schierati sull’uno o sull’altro fronte diedero
50. Id., «Vittorini: progettazione e letteratura» [1967], in Saggi (1945-1985), op. cit., p. 169.
51. Id., «Il mare dell’oggettività», op. cit., p. 53.
52. Ibid., p. 59.
53. ����������������������������������������������������������������������������������������
Emblematica da questo punto di vista la distinzione tra piano formale/linguistico e piano ideologico, ribadita anche da Elio Vittorini in un celebre editoriale del 1961: «I prodotti della
cosiddetta école du regard, il cui contenuto sembra ignorare che esistano delle fabbriche, dei tecnici e
degli operai, sono in effetti molto più a livello industriale, per il nuovo rapporto con la realtà che si
configura nel loro linguaggio, di tutta la letteratura cosiddetta d’industria che prende le fabbriche per
argomento. Ciò che ha di vecchio rispetto all’industria una letteratura come quella del regard […] è
l’atteggiamento disperato (e quindi incapace di progettazione) che si protrae in essa, per vizio retorico, dalle varie avanguardie del principio del secolo». Elio Vittorini, «Letteratura e industria», in Il
Menabò di letteratura, n° 4, 1961, pp. 18-19.
54. �������
Renato Barilli, «Presentazione», in Gli ultimi giorni di Corinthe, a cura di Laura Brignoli, in
corso di pubblicazione.
55. ������������
Cfr. Renato Barilli, L’azione e l’estasi: le neoavanguardie negli anni ’60, Torino, Testo&Immagine,
1999, pp. 10-11.
164
Andrea Chiurato
alla battaglia un carattere generazionale. Questa strategia, nel breve termine, giocò
a favore di coloro che si definivano nouveaux – o, sul versante italiano, Novissimi –
ma, dopo pochissimi anni, gli si ritorse contro.
Fu così che, dopo appena un lustro, la montante ondata di antiautoritarismo
travolse chi, sino ad allora, l’aveva cavalcata con grande successo. La prima vittima a
cadere fu il Gruppo 63, spazzato via dalla contestazione giovanile. All’incirca nello
stesso periodo, dopo un decennio di feroci dispute suscitate dai suoi romanzi e dalle
sue riflessioni, il nome di Robbe-Grillet perse improvvisamente buona parte del suo
smalto, insieme a quello di molti altri appartenenti alla cosiddetta école du regard. Il
numero di traduzioni diminuì sensibilmente, mentre il dibattito culturale iniziava a
spostarsi verso altri orizzonti.
6. Un successo senza gloria?
Diversi fattori contribuirono a determinare questo lento e inesorabile declino,
alcuni inerenti alle dinamiche interne del marketing editoriale, altri legati alla diversa
evoluzione della topografia culturale in Francia e in Italia, altri infine alla proteiforme personalità del nostro autore di riferimento.
Per quanto riguarda il primo punto, se vogliamo comprendere meglio la travagliata ricezione di Robbe-Grillet al di fuori dei confini nazionali, non dobbiamo sottovalutare la radicale differenza nel rapporto con i cosiddetti «adjuvants d’actorialité»56,
ossia con tutte quelle figure essenziali nel gestire la regia e la comunicazione della
propria immagine. La presenza e la disponibilità di queste «anime ausiliarie» (âmes
secondes) sembra infatti aver inciso in maniera significativa nel delineare, a seconda
del contesto, differenti modalità di valorizzazione e di promozione della sua opera.
In patria il legame esclusivo con Jerôme Lindon, colonna portante di Minuit,
gli garantì non solo un trattamento privilegiato in termini di promozione ma anche
una notevole capacità decisionale nell’orientare a priori le scelte relative al paratesto
e alla composizione dei singoli volumi. C’era in aggiunta una notevole coerenza tra
il posizionamento dell’editore di fiducia sullo scacchiere culturale e l’identità del
giovane debuttante accolto sotto la sua ala protettiva. Si può pertanto affermare,
senza ombra di dubbio, che la collaborazione tra i due si sia risolta in un reciproco
vantaggio. La durata del loro sodalizio ne è la più lampante dimostrazione – da Les
gommes (1953) a La reprise (2001), hanno attraversato insieme quasi mezzo secolo – e
non è probabilmente un caso che solo dopo la morte di Lindon, nel 2001, RobbeGrillet si sia rivolto a qualcun altro per dare alle stampe la sua ultima fatica, Un roman
sentimental (Fayard; 2007).
All’estero, ed in particolare in Italia, la situazione era invece alquanto differente, non solo sul lato dell’“offerta” ma, soprattutto, su quello della “domanda”. Nei
primi anni Sessanta il favore del grande pubblico nei confronti dei nouveaux romanciers
derivava da una volontà di aggiornamento e di sprovincializzazione, evocata magnificamente da Alberto Arbasino nella sua caricaturale «gita a Chiasso»57. L’interesse
da parte dei principali attori presenti sul mercato verso lo sperimentalismo francese
56. ������������������������������������������������
«Coadiutori dell’immagine autoriale» (José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire, op. cit., p. 143).
57. ��������
Alberto Arbasino, «La gita a Chiasso», in Il Giorno, 23 gennaio 1963, poi in Renato Barilli,
Angelo Guglielmi (eds.), Gruppo 63. Critica e teoria, Milano, Feltrinelli, 2003, pp. 150-154.
165
Un successo senza gloria
rispondeva dunque a questa precisa esigenza, più che a una reale volontà di ricollocazione della propria linea editoriale o a un effettivo rinnovamento dei gusti della platea
italiana, tradizionalmente più conservatrice della sua controparte francofona. Fu una
moda come sosteneva Bo? O forse il segno di una reale apertura verso il panorama
internazionale? Ancora oggi non è possibile separare nettamente le due facce della
medaglia: ciò che è certo è che questa passeggera simpatia si esaurì molto in fretta.
Nel caso di Robbe-Grillet va inoltre segnalata la mancanza di una vera e propria sintonia con il progetto culturale del suo principale “intermediario”, Einaudi.
All’interno della stessa casa editrice torinese e dell’ampia area di cultura di sinistra a
essa riconducibile, la generosa apertura promossa da Elio Vittorini incontrò difatti
numerose resistenze: sia quella di Calvino, decisamente più diffidente rispetto alla
«linea razionalistica dell’avanguardia»58; sia da parte di altri redattori che non condividevano la sua rinomata «spregiudicatezza»59 né, tantomeno, la sua predilezione per
«uno sperimentalismo originale e innovativo, ma elitario»60.
Dall’altra parte della barricata Feltrinelli, principale roccaforte del Gruppo 63,
non dimostrò una particolare disponibilità nei confronti del “capofila” dell’école du
regard. A dispetto dei numerosi punti di contatto tra la sua poetica e le rivendicazioni
di alcuni neoavanguardisti questa affinità elettiva non si tradusse, se non in minima
parte, in una collaborazione editoriale. Furono pertanto competitors di minore prestigio (Rusconi & Paolazzi; Sugar) ad accaparrarsi – come nel caso di Pour un nouveau
roman – i diritti sulla sua opera saggistica, colpevolmente trascurata dalla concorrenza. Il maggior limite di queste iniziative fu però la scarsa lungimiranza: il fatto
stesso che ai due coraggiosi tentativi del 1961 e del 1965 non sia seguita alcuna
ristampa riflette chiaramente l’incapacità di inserire organicamente questi brillanti
exploits all’interno di una strategia commerciale e identitaria di più ampio respiro. Si
trattò in pratica di episodi isolati, affidati più alla buona volontà dei prefatori che ad
un’accurata pianificazione sul lungo termine. Privi di alleati e di autorevoli intermediari, Robbe-Grillet e compagni si trovarono così relegati progressivamente in una
“nicchia” ristretta, lontano dalle luci della ribalta.
A rafforzare questa diminuzione di visibilità contribuì una drastica riduzione
del margine d’azione dei singoli protagonisti e dell’incisività dei loro interventi. A
partire dagli anni Settanta, infatti, le occasioni di confronto con il pubblico nostrano, dalle interviste alle presentazioni, si fecero sempre più sporadiche, indebolendo
inevitabilmente il processo di scambio da cui trae alimento l’evoluzione e la sopravvivenza di ogni scenografia autoriale.
Non bisogna dimenticare quanto questa «mitologia reciproca»61 (mythologie
réciproque) sia di fondamentale importanza nel calibrare la strategia comunicativa in
58. ���������������������������������������������������������
L’idea di sperimentalismo difesa dal futuro autore delle Città invisibili era d’altronde più
vicina alle ragioni dell’OuLiPo che a quelle dell’école du regard.
59. ���������������������������������������������������������������������������������������������
«Il rapporto con Casa Einaudi non è peraltro facile: fin dalla progettazione della sede milanese e del “Politecnico” […] Pavese e gli altri einaudiani manifestano diffidenza, freddezza e ostilità
nei confronti di Vittorini e del suo sodale Ferrara, per ragioni di gusto, atteggiamento intellettuale,
stile di lavoro, politica editoriale, eccetera, arrivando anche a temere e sospettare che i loro “interessi
milanesi”, i relativi “diretti o indiretti” legami editoriali, le “doppie e triple staffe”, possano danneggiare i programmi della casa editrice torinese, facendone conoscere i “segreti”» (Gian Carlo Ferretti,
L’editore Vittorini, Torino, Einaudi, 1992, p. 117).
60. ���������
Raffaele Crovi, «Vittorini editore», in Vittorini cavalcava la tigre: ricordi, saggi e polemiche sullo
scrittore siciliano, Roma, Avagliano, 2006, p. 109.
61. ����������
José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire, op. cit., p. 175.
166
Andrea Chiurato
base allo scarto tra percezione che ogni artista ha di sé e le reazioni dei suoi attuali
destinatari. Se in patria tale dialogo aveva contribuito a determinare il primo vero
«momento climaterico»62 della carriera di Robbe-Grillet (segnato da un lato dalla
pubblicazione dell’antologia degli essais, dall’altro dall’allontanamento delle suggestioni fenomenologiche); sul versante italiano all’inizio il feedback fu piuttosto debole
ed anche in seguito fortemente condizionato dalla persistenza di alcune “immaginiostacolo”. Sul finire degli anni Cinquanta, in un panorama ancora ingombro delle
macerie del neorealismo, veniva considerato troppo “oggettivo”, troppo radicale
nel suo rifiuto dell’umanesimo e della metafora. A metà dei Sessanta, quando la
neoavanguardia avrebbe rovesciato queste accuse in un attestato di merito, ecco
allora la transizione verso suggestioni formalistico-semiotiche, destinata a suscitare
le antipatie e le perplessità di molti tra gli alleati appena schieratisi al suo fianco. Il
suo messaggio appariva pertanto costantemente sfalsato rispetto all’orizzonte delle
attese della critica e del pubblico italiano, giungendo perennemente fuori tempo o
fuori luogo, costringendolo a infinite schermaglie di retroguardia, quando ormai lo
scontro si era spostato altrove. E non sarebbe andata meglio nei decenni successivi.
Nessuna delle sue successive rinascite – dal citazionismo postmoderno di
Topologie d’une cité fantôme (1976) e di Souvenirs du triangle d’or (1978) alla svolta dell’autofiction, segnata dalla trilogia dei Romanesques (1985-1994) – avrebbe contribuito a
modificare sostanzialmente la «scenografia di gruppo» fissatasi nell’immaginario
collettivo nei gloriosi anni della “scuola dello sguardo”. Questa staticità rappresenta,
d’altro canto, la faccia speculare di quella che Barilli non esita a definire nei termini
di una vera e propria damnatio memoriae nei suoi confronti, sia da parte dell’accademia, sia da parte del mercato. In ambito critico, essendo stato tra i pochi a mantenere viva la sua eredità, è difficile dargli torto. Per quanto riguarda invece la fortuna
editoriale, il suo giudizio è forse troppo severo.
Il nome di Robbe-Grillet non è difatti del tutto scomparso dagli scaffali delle
librerie, anche se indubbiamente ha perso gran parte del suo prestigio. Ad oggi
lo ritroviamo nei cataloghi di una pluralità di casi editrici – Archinto, Arcipelago,
ES, Guanda, Loescher, Nonostante, Spirali, Testo & Immagine – che, a partire
dagli anni Ottanta, sembrano aver voluto raccogliere il testimone lasciato cadere
da Einaudi. Tuttavia nessuna di queste solitarie iniziative sembra essere riuscita a
produrre un’eco paragonabile al clamore suscitato dall’accanita battaglia contro il
romanzo “ben fatto”.
Il diverso grado di presenza nell’epitesto pubblico al di fuori della Francia,
l’impedimento rappresentato dalla barriera linguistica e la conseguente necessità
di rivolgersi a figure di mediazione, non sono ragioni sufficienti a spiegare le cause
profonde di questa infausta sorte. Certo ci aiutano a comprendere meglio le distorsioni, i fraintendimenti e persino i clamorosi esempi di decodifica aberrante dei suoi
testi63 da parte della critica italiana, ma rischiano di porre in secondo piano quella
che, a nostro avviso, è la vera chiave di volta dell’intero processo.
62. Ibid., p. 160.
63. �������������������������������������������������������������������������������������������
Basti pensare alla forzata allegorizzazione del personaggio di “A.” da parte di Luciano de
Maria nella prefazione a Il Nouveau Roman. La protagonista femminile della Gelosia rappresenterebbe
ai suoi occhi l’Africa intera, un continente «addomesticato, industrializzato, geometrizzato», che «ha
perduto quasi interamente i suoi caratteri di terra esotica, selvaggia e misteriosa». Un’interpretazione
squisitamente postcolonial che se da un lato attualizza il testo, proiettandovi gli echi di una delle fasi
167
Un successo senza gloria
Nel corso della nostra analisi abbiamo confrontato la fisionomia di due campi
culturali in un’ottica sincronica, insistendo sulle ragioni che, per un breve momento,
hanno prodotto una certa consonanza tra queste due aree. Abbiamo evidenziato
come l’adozione e la diffusione di meta-modelli comuni (i giovani contro i vecchi, i
militanti contro i formalisti) siano una chiara testimonianza della tendenza a riproporre i medesimi atteggiamenti, le medesime pose e, più in generale, una disposizione degli schieramenti su fronti opposti per molti versi affine. Non possiamo però
affermare che tale sintonia si sia prolungata oltre il 1968, vero e proprio spartiacque
nella storia letteraria del Belpaese.
Mentre all’ombra della torre Eiffel la narrativa sperimentale ha continuato a
godere di ottima salute64, dando spazio all’affermazione di nuovi protagonisti (primo fra tutti il Nouveau Nouveau Roman), in Italia non ha avuto vita altrettanto facile. Senza voler trascurare figure di spicco quali Paolo Volponi, Giorgio Manganelli
e il “secondo” Calvino, non si può certo dire che queste forme di sperimentalismo
proseguano il discorso iniziato dal Nouveau Roman sul finire degli anni Cinquanta
o si pongano in continuità con esso. È vero piuttosto il contrario: il romanzo italiano post-sessantottesco non sembra aver rinunciato a un certo tasso di figuratività,
senza mai avventurarsi al di là delle «frontiere del racconto»65, ossia senza mai spingersi verso una celebrazione della produttività e della totale autonomia del significante. Tali rivendicazioni, cruciali sul versante francese, sono state invariabilmente
rubricate nel dibattito nostrano sotto l’etichetta del “formalismo”.
L’influenza di Robbe-Grillet è pertanto rimasta circoscritta a un ristretto
periodo storico e ha riguardato principalmente il dibattito teorico. Sul piano della
pratica nessuno, ad eccezione forse di Germano Lombardi, sembra aver seguito la
sua lezione. Gli stessi neoavanguardisti, i principali alleati di un tempo, gli hanno
preferito, nei fatti, un altro grande maestro – Carlo Emilio Gadda – spostando il
baricentro della loro ricerca sulla tessitura linguistica del testo, più che sugli aspetti
strutturali e compositivi a lui particolarmente cari. Non è dunque possibile parlare
né di suoi allievi né di eredi nella storia del canone italiano, al massimo di momentanei simpatizzanti.
L’attenzione pressoché esclusiva all’intensa fase di teorizzazione, culminata
con Pour un nouveau roman, ha portato a trascurare la sua successiva evoluzione creativa e, in definitiva, a una cristallizzazione della sua immagine personale. Volendo
a ogni costo farne un autore-tipo, rappresentativo di un determinato scorcio del
secondo Novecento, si sono create una serie di scenografie “da battaglia”, una serie
di ritratti parziali, statici, incapaci di armonizzarsi tra di loro.
All’esaurirsi del conflitto non è seguito un momento di conciliazione delle
diverse posizioni e, nel lungo termine, la mancanza di sintesi ha lasciato spazio al
risorgere dell’antico fantasma barthesiano. Solo nel caso di Barilli si può parlare di
un costante lavoro di manutenzione, di aggiornamento e di divulgazione di non
trascurabile importanza; ma, occorre precisarlo, si è trattato di una voce isolata
culminanti del processo di decolonizzazione del secondo dopoguerra; dall’altro contrasta palesemente con le intenzioni dell’autore e con la sua condanna del «mito della profondità».
64. ������������������������������������������������������������������������������������������
Si ricordi a tal proposito il crescente successo dell’ OuLiPo: un movimento nato nel 1960
che annoverava tra i suoi fondatori Raymond Queneau, intellettuale già noto e molto attivo sulla
scena culturale sin dalla fine degli anni Quaranta.
65. ������������
Cfr. Gérard Genette, «Le frontiere del racconto», in L’analisi del racconto, trad. Luigi Del
Grosso Destreri e Paolo Fabbri, Milano, Bompiani, 1969, pp. 273-290.
168
Andrea Chiurato
e principalmente confinata all’interno dell’accademia. La risonanza al di fuori di
questo ambito è stata piuttosto ridotta. Nei manuali scolastici, nelle rassegne storiche della letteratura italiana Robbe-Grillet figura a tutt’oggi sotto la voce di «letteratura oggettiva»66. Agli occhi del grande pubblico, il suo stile ha così assunto i
tratti stilizzati di una maniera. La provvisoria posa assunta al momento del debutto
è diventata uno sfondo fisso, in un perfetto esempio di quello che Diaz definisce
«l’imperialismo dell’immagine iniziale»67. Un’immagine incapace di rinnovarsi, fatalmente legata a una serie di questioni – l’impegno e l’alienazione; la relazione
tra il linguaggio, l’ideologia e la realtà; il prepotente riemergere della dimensione
oggettuale nelle società neocapitaliste – destinate a esercitare un minore fascino nei
confronti delle nuove generazioni di lettori.
La «scenografia individuale» si è insomma trasformata prima in un «modello
autoriale di gruppo» e poi, col passare del tempo, in una «scenografia d’epoca»68.
Una sorta di gabbia anacronistica, un’imago riduttiva e alla lunga soffocante per il
suo caposcuola. Una prigione da cui, a dispetto della «tecnica dell’anguilla», a dispetto dei ripetuti tentativi per impedire la fissazione la stabilizzazione della fisionomia del proprio «personaggio», non è mai davvero riuscito a evadere. La fortuna
di Robbe-Grillet sembra dunque essersi sviluppata in maniera alquanto diversa in
Francia e in Italia: mentre in patria la tendenza a rinnovarsi in continuazione, senza
paura di contraddirsi, ha costituito il suo principale punto di forza; in Italia questa
stessa attitudine è stata trascurata in favore di un profilo autoriale stabile e riconoscibile, anche se sempre più lontano dal suo referente ideale.
Andrea Chiurato
Università IULM – Milano
andrea.chiurato@iulm.it
66. ������������
Cfr. Giulio Ferroni, «Il Nouveau Roman», Generi e tecniche tav. 262, in Storia della letteratura italiana. Il Novecento, Torino, Einaudi, 1991, p. 509.
67. ����������
José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire, op. cit., p. 203.
68. Ibid., pp. 81-82.
© Interférences littéraires/Literaire interferenties 2015
http://www.interferenceslitteraires.be
ISSN : 2031 - 2790
Christophe Collard
Jet Lag ou médiation in motion ?
Scénographier la présence permanente
Résumé
La perspective proposée dans cet essai rejoint celle d’une plateforme contribuant à une réflexion sur le principe d’une « présence permanente » par le biais d’une
métaphysique processuelle. C’est dans cet esprit que la collaboration entre les architectes novateurs Diller+Scofidio et la troupe New Yorkaise The Builders Association
a donné lieu au spectacle Jet Lag (1998), décrite par Wehle comme « une aventureuse
performance à la croisée des médias » (2002) combinant action en temps réel, images
« live » et enregistrées, animation numérique, musique, ainsi qu’une dramaturgie dite
« traditionnelle » mettant en scène deux personnages historiques succombant à leurs
voyages au sein d’un présent permanent.
Abstract
The perspective proposed in this essay should provide a platform to reflect upon
the principle of a ‘permanent present’ by dramatizing a ‘process-metaphysics.’ It is
precisely in this capacity that the pairing of architectural innovators Diller+Scofidio
with NYC-based theatre troupe The Builders Association conceived of Jet Lag (1998),
an “adventurous cross-media performance” (Wehle, 2002) combining live action, live
and recorded video, computer animation, music, and dramatic text with two historical
characters. The first of these faked his progress in an around-the-world sailing voyage
before committing suicide after realizing he was drifting in circles, while the second
flew across the Atlantic 167 times in a period of six months and ultimately likewise
collapsed from travelling in a permanent present.
Pour citer cet article :
Christophe Collard, « Jet Lag ou médiation in motion ? Scénographier la présence permanente », dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, February 2015,
pp.173-181.
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Interférences littéraires/Literaire interferenties, 15, February 2015
Jet Lag ou médiation in motion ?
Scénographier la présence permanente
Scénographe pionnier, Adolphe Appia a affirmé jadis que l’art de la production scénique se résumait à projeter dans l’espace ce que l’auteur originel ne
pouvait que projeter dans le temps1. Mettant à part la notion problématique de
l’originalité, cette phrase rend bien la caractère intégratif ainsi que la portée extensive de la pratique scénographique, laquelle se nourrit effectivement d’un mélange
d’imagination et de savoir-faire. En tant que « tissu de performativité », selon la
formule de Rachel Hann2, elle entrelace plusieurs niveaux de signification stimulant la construction et la réception théâtrale. Cette dimension stratifiée impliquerait que la scénographie se situe bel et bien aux côtés tant de la dramaturgie
que de la mise en scène comme composante constitutive de la production3. Par
conséquent, lorsqu’une production théâtrale parvient à donner à voir et permet
de faire l’expérience de cet entrelacement de ses différents systèmes de signification, les spectateurs se trouveraient automatiquement invités à l’intérieur de son
architecture conceptuelle pour s’y confronter à ses principes de structuration et
de mise en forme de la représentation.
Afin de rendre compte de ces dispositifs de scénographie complexes et de
leurs effets sur les spectateurs, cet essai proposera une approche processuelle qui
consiste, en premier lieu, à concevoir la scénographie comme un marchepied
heuristique permettant d’aborder les complexités de la signification du spectacle
théâtral lorsqu’il mobilise un environnement technologique et prend ainsi corps
à travers lui. Car, si l’on accepte que chaque action socialisée peut être considérée
comme performative, et que la signification est une construction socialisée à base
d’actions performatives, la performativité théâtrale devient alors scénographie
incorporée, tant physiquement que technologiquement. De l’analyse de tissages
intermédiaux à une réflexion sur la « présence permanente » véhiculée au travers
de scénographies sophistiques, l’argumentation de cet essai se fonde sur une analyse de Jet Lag (1998), production intermédiale conçue par le collectif New-Yorkais The Builders Association qui émerge au milieu des années 1990, en plein milieu du boom numérique, et qui se concentre en particulier sur la « médiatisation
irrévocable »4 de la société contemporaine. Se donnant comme principal objectif
1. Adolphe Appia cité dans Robert Leach, Theatre Studies : The Basics, Londres, Routledge,
2008, p. 150 : « The art of stage production is the art of projecting into space what the original author was only able to project into time ». Sauf mention contraire, je traduirai les citations en anglais.
2. Rachel Hann, « Blurred Architecture : Durations and Performance in the Work of Diller
Scofidio + Renfro », dans Performance Research, vol. 5, n° 17, 2012, p. 12.
3. Patrice Pavis, Contemporary Mise en Scène: Staging Theatre Today, trad. Joel Anderson, Londres,
Routledge, 2013, p. 72.
4. Marianne Weems, directeur artistique de la Builders Association, citée par Caridad Svich,
« Weaving the “Live” and Mediated : Marianne Weems in Conversation with Caridad Svich », dans
Trans-Global Readings : Crossing Theatrical Boundaries, s. dir. Caridad Svich, Manchester, Manchester
173
Jet Lag ou médiation in motion ?
esthétique de défier les attentes d’un public confronté au caractère problématique
de la mise en œuvre spatiale et temporelle du caractère « vivant » des évènements
qu’ils portent à la scène, The Builders Association met ainsi l’accent sur l’interface
entre la présence effective des acteurs sur la scène (le « live ») et leur médiation
électronique en temps réel5. Tout en concevant des « live movies » (littéralement,
des « films en live » ou, mieux encore, des « films vivants ») mêlant les mondes du
théâtre, du cinéma et du cyberespace, ils font de l’architecture du spectacle une
force primordiale dans leur intégration fluide d’actions réalisées en direct au sein
d’une panoplie d’éléments plastiques telles que des séquences pré-enregistrées
comme étant des relais vidéo en temps réel, des animations CGI6, des jeux de son
et lumière, de la musique électronique, ou encore des montages de modélisations
informatiques. Leur objectif prioritaire réside dans le fait de produire la perception de processus constitutifs car convergents.
1. Tissages intermédiaux
Le produit d’une création collaborative et de l’entrelacement d’images
« live » et enregistrées, l’usage surabondant de dispositifs technologiques par The
Builders Association fournit à leurs pièces en même temps sa structure et son
contenu7. Il en va de même pour le style d’interprétation déployé par les acteurs
du collectif. Il constitue selon l’éminent praticien et théoricien du théâtre d’avantgarde Richard Schechner, un mélange générique supplémentaire en brouillant les
différences entre l’approche théâtrale et l’approche filmique8. Il se caractérise en
outre par un calibrage des gestes et des mouvements des acteurs visant à une
interaction intermédiale avec leurs interlocuteurs électroniques.
Le sens de la performativité propre à ce type de théâtre se produit pendant
que les perceptions d’espace, de temps et de présence par les spectateurs continuent à fluctuer. Cependant, malgré la dépendance de la convergence cognitive que
se partagent le théâtre et la scénographie comme composante constitutive de la
représentation et de sa réception, l’exemple intermédial fourni par The Builders
Association indique, pour le moins, que quand l’électronique rencontre la performativité en temps réel, on se retrouve avec un hybride mettant l’accent sur
l’aspect « live » sans proposer de clarifications quelconques9. Mettant en avant les
mécanismes et processus de médiation tout en nous dirigeant – paradoxalement –
vers des modes d’appréhension plus ou moins cohérents et familiers de l’espace,
University Press, 2003, p. 51 : « While we draw on some of the orthodoxies of earlier experimental
theatre, this company is emerging at a time when our culture has been saturated by the presence
of digital information, and our work centres around the growing issues of dealing with this “live”
format. Our projects explore the interface between media and live performance in a culture which
is irrevocably mediatised, not a culture that still privileges “liveness” ».
5. Gabriella Giannachi & Nick Kaye, Performing Presence: Between the Live and the Simulated,
Manchester, Manchester University Press, 2011, p. 178.
6. En particulier des réproductions de halls de départ d’aéroports avec tapis roulants mobiles
ainsi que de la cabine d’un vol long courrier pour la première partie, et d’images de synthèse animées
d’un océan à travers diverses conditions météorologiques pour la seconde partie (voir ci-dessous).
7. Philippa Wehle, « Live Performance and Technology: The Example of Jet Lag », dans
Performing Arts Journal, n° 70, 2002, p. 135.
8. Richard Schechner, « Building the Builders Association: A Conversation with Marianne
Weems, James Gibbs, and Moe Angelos », dans The Drama Review, vol. 56, n° 3, 2012, p. 52.
9. Voir Philip Auslander, « Liveness, Mediatization, and Intermedial Performance », dans
Degrés, n° 101, 2000, p. e1.
174
Christophe Collard
du temps, ou encore de la narration scénique, The Builders Association s’obstine
simultanément à résister la tendance qui, dans le théâtre expérimental contemporain, consiste à privilégier l’indétermination narrative10. Le travail réalisé par
cette compagnie dirigée par Marianne Weems procure un exemple qui témoigne
exemplairement du potentiel heuristique de la scénographie, dans la mesure où
The Builders Association fonde ses réalisations sur l’entrelacement de plusieurs
systèmes de signification distincts, au sein de compositions scéniques complexes,
mais qui, néanmoins, se caractérisent par une impression globale de cohérence.
Cet intérêt porté à la combinaison de la présence physique en temps réel
et d’applications technologiques sophistiquées qui permet tant aux concepteurs
qu’aux spectateurs de voir clair dans une « écologie spatiale »11 constituée par des
pratiques et processus architecturaux réciproques et poly-sensoriels, est partagé
par le célèbre duo d’architectes et artistes médiatiques Diller + Scofidio12, qui
invitèrent The Builders Association à collaborer sur Jet Lag13.
Production en deux parties, cette performance intermédiale met en scène
des histoires vraies qui ont eu lieu dans un passé récent. La première est celle d’une
femme américaine nommée Sarah Krasnoff – rebaptisée Doris Ackerman par la
dramaturge Jessica Chalmers – qui kidnappe son petit-fils de 14 ans et effectue
avec lui un total de 167 traversées transatlantiques consécutives (allers et retours)
de New York à Amsterdam afin de fuir le père du garçon, avant de finalement
succomber aux effets dû aux accumulations de décalages horaires. Le second
récit traite de la simulation médiatique à laquelle s’est livré Donald Crowhurst
(rebaptisé Roger Dearborn) : participant aux championnats du monde de voile
de 1969 sans préparation adéquate, il attire néanmoins l’attention de la BBC, qui
lui propose d’enregistrer son périple sur pellicule et bande magnétique. Contraint
à abandonner la course dès la première étape, plutôt que de rentrer chez lui, il
prend la décision de continuer à naviguer en rond non loin de la côte sud-africaine tout en falsifiant ses rapports pour la BBC concernant l’état d’avancement
de son périple (désormais devenu fictif), avant de finalement se jeter à la mer.
Le fait que les deux intrigues entrelacées au sein de cette production marquée par une ingéniosité technique notable se terminent par la mort physique
des protagonistes n’est bien sûr pas une coïncidence. Dans une société imprégnée de technologies et modelée par la simulation et les tromperies en tous
genres à partir de « nouveaux médias » numériques, la mort reste, selon Gabriella
Giannachi, une rare « possibilité du réel échappant à toute forme de représen10. Cette position est prise notamment par Izabella Pluta, qui démontre que le théâtre soidisant « post-dramatique » se distingue par l’absence d’un «centre» référentiel guidant l’interprétation par le spectateur. Dû au fait qu’aucun signifiant ou système de signification ne peut avoir la
préséance sur les autres, le corps (physique) de l’acteur – grâce à son immédiateté et sa particularité
– remplace la narration ‘stable’ par une sorte d’hybride sémiologique où se rencontrent structures
narratives, projections personelles et resonances analogiques (voir Izabella Pluta, L’Acteur et l’intermédialité. Les nouveaux enjeux pour l’interprète et la scène à l’ère technologique, Lausanne, L’Âge d’Homme,
2011, pp. 75-81).
11. �������
Rachel Hann, « Blurred Architecture : Durations and Performance in the Work of Diller
Scofidio + Renfro », dans Performance Research, vol. 5, n° 17, 2012, p. 14.
12. Diller + Scofidio est en fait le nom de l’agence new-yorkaise d’architecture expérimentale
fondée en 1979 par Elisabeth Diller et Ricardo Scofidio. En 2004 Diller + Scofidio devient Diller
Scofidio + Renfro lorsque Charles Renfro, collaborateur depuis 1997, devient associé de l’agence.
13. ��������
Caridad Svich, « Weaving the ‘Live’ and Mediated : Marianne Weems in Conversation
with Caridad Svich », dans Trans-Global Readings : Crossing Theatrical Boundaries, s. dir. Caridad Svich,
Manchester, Manchester University Press, 2003, p. 52.
175
Jet Lag ou médiation in motion ?
tation »14. L’approche compositionnelle convergente qui sous-tend le Jet Lag de
Diller + Scofidio et The Builders Association invite à reconsidérer des concepts
aussi fondamentaux de la représentation scénique tels que la présence et ses
corollaires, l’espace et le temps. Ainsi, elle confirme, entre autre, la théorie de
Matthew Causey selon laquelle l’ontologie de la mise en scène théâtrale a bel et
bien été altérée, à l’ère de la médiatisation de masse, en particulier en raison de
l’espace créé par les nouveaux médias15.
2. Présence permanente
Comme l’a souligné Hans-Thies Lehmann, qui a développé le concept,
les productions dites « postdramatiques » comme Jet Lag portent non seulement
l’attention sur la machinerie dramatique qui donne forme à l’illusion fondant la
représentation, mais, de surcroît, atteignent effectivement cet effet méta-théâtral
en plaçant chaque signifiant sur le même plan que l’acteur de par son immédiateté
et sa particularité perçues en temps réel comme composantes constitutives de la
création16. Ainsi, on pourrait supposer que le caractère constitutif de ce type de
productions se transmet par médiations matérialisées. De par l’interaction continue de multiples médias qui se joue sur scène, la notion de « présence théâtrale »
reflète plus que jamais un hybride sémiologique soumis à une fluctuation permanente. Sans aller jusqu’à avancer qu’une surabondance technologique serait de
mise dans le théâtre postdramatique, force est tout de même de reconnaître que
l’effet de saturation médiatique qui le caractérise tend à faciliter la reconnaissance
de l’investissement cognitif présupposé par les créateurs de ce type de mise en
scène. Car, en refusant les points de repères stables, notre attention peut se voir
dirigée du produit artistique « fini » vers le processus créateur. Il est peu surprenant, dès lors, que Diller + Scofidio (désormais Diller Scofidio + Renfro) aient
souhaité collaborer avec The Builders Association, dans la mesure où leur motivation première est d’examiner les relations entre sites et situations sans se préoccuper de définitions ou de disciplines préétablies17. Pour ce duo d’architectes
dont le travail est résolument axé sur les processus créateurs, ce dernier argument
n’est somme toute que logique : les phénomènes portant sur la présence, selon
Giannachi et Kaye dans leur étude intitulée Performing Presence : Between the Live
and the Simulated (2011), doivent être considérés comme faisant partie de réseaux
de relations temporelles et dynamiques18. Par conséquent, le temps, l’espace et le
14. ����������
Gabriella Giannachi, Virtual Theatre : An Introduction, Londres, Routledge, 2004, pp. 17-18.
15. ��������
Matthew Causey, « Screen Test of the Double : The Uncanny Performer in the Space of
Technology », dans Theatre Journal, vol. 4, n° 51, 1999, pp. 383-384 : « The ontology of performance
(liveness), which exists before and after mediatization, has been altered within the space of technology ».
16. �����������
Hans-Thies Lehmann, Postdramatisches Theater, Francfort, Verlag der Autoren, 2001, p. 423 :
« Das Theater führt hier seine technischen Möglichkeiten, in einzelnen Elemente zerlegt, vor Augen. Die Theatermaschinerie ist sichtbar. Das technische Funktionieren der Aufführung wird offen
ausgestellt : Kabel, Apparaturen, Geräte werden nicht schamhaft versteckt oder ‘weggeleuchtet,’
sondern wie Requisiten, fast wie Akteure ins Spiel integriert ».
17. ����������������������������������������������������������������������������������������
Comme l’affirma Elisabeth Diller, citée par Beth Weinstein, « We like to think of architecture as an event that can be choreographed [and that] choreography is the design of time, bodies
in time. This interrelated set of definitions [in turn] challenges the limits of each discipline » (Beth
Weinstein, « Flamand and his Architectural Entourage », dans Journal of Architectural Education, vol. 4,
n° 61, 2008, p. 26).
18. ����������
Gabriella Giannachi & Nick Kaye, Performing Presence..., op. cit., p. 3.
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Christophe Collard
social ne pourront également plus être considérés et conçus comme des entités
séparées, mais devraient plutôt se muer en hybrides spatio-temporels présumant
la pluralité et l’altérité19.
Un certain consensus existe parmi les théoriciens du théâtre, selon lequel
le phénomène contemporain du spectacle dit « postdramatique » émerge dans les
années 1970, notamment avec le Publikumsbeschimpfung (1966) de Peter Handke,
qui fait figure de grand tournant, même s’il s’agissait encore d’une pièce textuelle
au sens stricte du terme. Elle provoqua une réflexion fondamentale sur le théâtre
et ses spectateurs de par son mélange inouï de performances prescrites et de
subversions socioculturelles délibérées. Plusieurs décennies auparavant Bertolt
Brecht avait déjà pris d’assaut la tradition mimétique sur les scènes d’Europe
et de l’Amérique du Nord avec ses « Verfremdungseffekte » qui rejetaient toute
forme d’essentialisme naïf. Dans les années quatre-vingt, l’éminent spécialiste du
théâtre expérimental Richard Schechner, en se penchant sur la scène new yorkaise
des années soixante, fut le premier à dégager le concept de théâtre « postdramatique » lorsqu’il décrivait en particulier le phénomène des “happenings”, mais plus
tard l’utilisa aussi en parlant des pièces (absurdes) de Beckett, Genet et Ionesco.
Selon lui, toutes ces œuvres se distinguent non plus de par un récit préétabli, mais
plutôt par le jeu qui en devient la matrice générative. Lehmann qualifiera plus tard
de « post-Brechtiennes » ce type de conceptions théâtrales, considérant que les
questions qu’elle pose et que le type de participation cognitive qu’elle impose aux
spectateurs sont toujours étroitement liéés à Brecht, bien qu’elle refuse catégoriquement ses positions. Plus spécifiquement, la théorie Brechtienne (peut-être
paradoxalement) reste avant tout axée sur la “fable” ce qui n’est déjà absolument
plus le cas chez les auteurs dits “absurdes”, chez qui texte et théâtre se séparent
progressivement afin de laisser plus de place à une interprétation plus libre du jeu
entre les différentes composantes sémiotiques du spectactle.
Pareil constat est particulièrement pertinent pour rendre compte d’un spectacle tel que Jet Lag. Les acteurs dits « réels » traversent en effet, de façon à
première vue fluide, les seuils entre les espaces physiques et électroniques alors
même que leur « présence » s’opère à travers des relations disjointes entre les
espaces et les processus – et ce malgré qu’ils continuent à alimenter les récits dont
ils contribuent à la réalisation. Dès lors, une telle impression paradoxale de « cohérence-par-complexité », selon la formule de Paul Virilio, lorsqu’elle est produite
dans une pièce de théâtre pluri-médiale, « aide à développer une présence permanente
sous forme d’intensité intemporelle et illimitée »20. Les implications conceptuelles
de cette « présence permanente » n’en sont alors que plus importantes. Après
tout, puisque ce dispositif complexe exige une réponse constructive à une situation chaotique et sémiologiquement insaisissable, on se trouve à l’opposé de la
conception postmoderne caractérisant l’expérience contemporaine, imprégnée
de technologies et ainsi entièrement relativiste, du temps comme « non-temps »
ou encore « a-temporalité »21. Les créateurs de Jet Lag, cependant, firent un pas
supplémentaire en confrontant leurs spectateurs au principe de « présence perma19. Ibid. p. 5.
20. �����
Paul Virilio, The Lost Dimension, trad. Daniel Moshenberg, New York, Semiotext(e), 1991.
21. ������
Steve Dixon, « Theatre, Technology, and Time », dans International Journal of Performing Arts
and Digital Media, vol. 1, n° 1, 2005, p. 18.
177
Jet Lag ou médiation in motion ?
nente » de façon viscérale : bande son hypnotisante, panorama vidéo quasi infini
de l’espace dépersonnalisé des aéroports, annonces par haut-parleurs monotones,
et alternance constante de décollages et d’atterrissages – le tout contribuant à
une sensation virtuelle mais néanmoins nauséabonde de vivre dans une temporalité perpétuellement différée. Il en va de même en ce qui concerne l’autre protagoniste de la pièce qui, lui, nous égare sans relâche en continuant à réaliser
des comptes rendus mensongers sur sa webcam pendant que les spectateurs perçoivent la machinerie derrière l’illusion tournant à plein régime, et en temps réel,
sur des écrans vidéos géants, et que le voilier de Dearborn continue à braver des
vagues programmables en direction d’horizons à chaque instant moins plausibles.
Le tout provoque des sensations de nausée réelles, viscérales, sur des bases entièrement numériques22.
Comme le note à juste titre Steve Dixon, la négation postmoderne de la
possibilité intrinsèque de nouveauté bloque toute possibilité d’envisager un futur
quelconque23. Les scénographies sophistiquées de The Builders Association, en
revanche, véhiculent une perspective bien plus constructive. Et, contrairement
aux idées que l’on pourrait se faire au sujet de ce type de spectacles, constitutivement informés par les technologies et l’intermédialité, cette dimension constructive procède de l’usage fait par ce collectif de technologies numériques. Dans la
mesure où le partenariat entre The Builders Association et Diller + Scofidio a
donné lieu à un tissage intégratif de signifiants et de systèmes de signification
générant une impression de cohérence narrative qui en passe par une complexité
technologique et médiatique, elle réussit effectivement à donner forme au principe de « présence », conçu, selon la définition qu’en donne Rosemary Klich,
comme le résultat d’une réponse humaine envers la formation de modèles préétablis24. Marie-Laure Ryan, à son tour, a raison d’indiquer qu’à un niveau processuel,
l’encodage numérique – peut-être paradoxalement, compte tenu de sa capacité
à faire converger tous les médias existants vers ce que Charlie Gere appela des
« paysages médiatiques digitaux homogènes » ; « seamless digital mediascapes »,
littéralement, « paysages médiatiques digitaux sans coutures »25 – réintroduit les
différences entre les médias en tablant sur une manifestation sensorielle des données26. Après tout, une création numérique, quelle que soit sa qualité sémiotique,
préserve les composantes sémiotiques majeures du média antérieur qu’elle reprogramme (par exemple la version web d’un quotidien, le DVD d’une série télé
22. ���������������������������������������������������������������������������������������
Bonnie Marranca cite Marianne Weems, directrice artistique de la Builders Association,
qui décrit Jet Lag comme une production « about a woman who flew back and forth across the Atlantic 167 consecutively until she died of jet lag – I hope the telling of the story gives the audience
the visceral experience of jet lag. There’s a mesmerizing soundtrack, an endless panorama of video
showing the antiseptic space of the airport, and the impossibility of actually living there. The ‘story’
is take-off and landing, take-off and landing, until she is worn away. So there’s a kind of ambient
story – the skeleton is there – but it’s the experience created by the performers and the media that
has impact and that is recognizably contemporary » (Bonnie Marranca, « Mediaturgy : A Conversation with Marianne Weems », dans Performance Histories, s. dir. Bonnie Marranca, New York, PAJ
Publications, 2008, p. 194).
23. ������
Steve Dixon, « Theatre, Technology, and Time », dans International Journal of Performing Arts
and Digital Media, vol. 1, n° 1, 2005, p. 16 : « Postmodernism’s denial of the possibility of anything
new consequently denies the possibility of a future ».
24. ���������
Rosemary Klich, « The Builders Association, Super Vision », dans Mapping Intermediality in
Performance, s. dir. Sarah Bay-Cheng, Andy Lavender & Robin Nelson, Amsterdam, Amsterdam
University Press, 2010, p. 155.
25. ��������
Charlie Gere, Digital Culture, Londres, Reaktion, 2002, p. 10.
26. ������������
Marie-Laure Ryan, Avatars of Story, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2006, p. 29.
178
Christophe Collard
visionné sur PC-portable, ou encore la recréation numérique d’un avion ou d’un
voilier), et ceci malgré leur nouvel encodage. Qui plus est, comme avec chaque
média analogique la signification numérique reste avant tout une question de cadrage. En présentant le numérique dans le « live », son potentiel réflexif ne peut
être transmis sinon à travers un processus de reconnaissance. Dans Jet Lag, ce
genre de « passerelle mimétique »27 entre sentiments de familiarité et impressions
de nouveauté est réalisée à partir d’enregistrements authentiques d’un voilier longeant la côte de Long Island, ainsi que de l’aéroport international de Bruxelles28.
Sur la base de ces éléments, une feuille de route a été établie afin de permettre
le montage en temps réel de ces enregistrements en conjonction avec les images
captées en direct sur la scène et la bande son préétablie.
Dans la mesure où la production a été en tournée à travers le monde pendant
près de deux ans, les créateurs ont continué à ajouter au spectacle de nouveaux
éléments sur la base de leur propres expériences sensorielles vécues en voyageant
continuellement : les annonces dans les aéroports, les sons ambiants, les divers
moyens de transport, la façon dont les corps s’adaptent aux zones d’attente et aux
vols long-courrier, les petits détails d’architecture, l’entretien des lieux, ou encore
la cuisine locale – tous éléments sensés distinguer les différents lieux de passage29.
Pendant que les spectateurs se voient nourris de tels effets d’authenticité par petites doses, l’animation numérique prend graduellement le relais et les animations
en 3D nous conduisent à oublier de façon fluide et pratiquement imperceptible
ladite « passerelle mimétique » – même si chez The Builders Association il reste
toujours un résidu de tension palpable avec les corps « réels » toujours présents
sur scène. Selon les termes de la troupe, The Builders Association se préoccupe
principalement de « mettre en scène la simultanéité »30, ce qui rend encore plus
significatif le fait que, dans les cercles spécialisés, cette pratique consistant à composer des univers multi-media à partir d’encodages numériques porte le nom d’art
génératif.
Selon l’artiste génératif Matt Pearson31, lorsqu’on crée une œuvre d’art numérique, on est avant tout « commissaire » d’un « processus » de production. La
27. ����������������������������������������������������������������
Cette notion est empruntée à Diderot. Voir à ce sujet Robert L. Montgomery, Terms of
Response : Language and the Audience in Seventeenth- and Eighteenth-Century Theory, University Park, Penn
State Press, 2010, p. 203.
28. ��������
Caridad Svich, « Weaving the ‘Live’ and Mediated : Marianne Weems in Conversation with
Caridad Svich », dans Trans-Global Readings : Crossing Theatrical Boundaries, s. dir. Caridad Svich, Manchester, Manchester University Press, 2003, p. 53.
29. Ibid. p. 54.
30. ��������������������������������������������������������������������������������������
Conversation entre Marianne Weems et Richard Schechner dans son article ‘Building the
Builders Association,’ dans lequel on retrouve l’échange suivant (Richard Schechner, « Building
the Builders Association: A Conversation with Marianne Weems, James Gibbs, and Moe Angelos »,
dans The Drama Review, vol. 3, n° 56, 2012, p. 53) : SCHECHNER : All staged? It was very convincing.
/ WEEMS : And that’s a lot of what we do. We stage simultaneity. / SCHECHNER : You simulate – /
WEEMS :Yes, simulate simultaneity.
31. �����
Matt Pearson, Generative Art : A Practical Guide Using Processing, Shelter Island, Manning,
2011, p. 4 : « With more traditional art forms – sculpture, painting, or film, for example, an artist uses
tools to fashion materials into a finished work. This is clearly doing it the hard way. With generative
art, the autonomous system does all the heavu lifting; the artist only provides the instructions to the
system and the initial conditions ». Plus loin Pearson précise que « The artist creates ground rules
and formulae, usually including random or semi-random elements, and then kicks off an autonomous process to create the artwork. The system can’t be entirely under the control of the artist, or
the only generative element is the artist herself. The second hard-and-fast rule therefore is there must
be a degree of unpredicatbility. It must be possible for the artist to be just as suprised as anyone else »
(p. 6).
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Jet Lag ou médiation en mouvement ?
principale difficulté que cela implique ne concerne plus le travail ardu de l’artisan,
mais plutôt la conception d’un nombre de principes esthétiques qui influenceront
à la fois l’œuvre complète, ainsi que celle des algorithmes qui lui donneront forme.
Depuis l’avènement de l’encodage numérique, cette nouvelle pratique artistique
et médiatique qu’est l’art génératif a conduit à un développement exponentiel
de nouvelles possibilités, et ceci de telle façon que son potentiel génératif est
désormais considéré comme acquis32. Le seul préalable pour profiter de ce potentiel résiderait dans une compréhension fondamentale de sa « grammaire »33 en
conjonction avec les systèmes signifiants de l’ancien média à simuler et qui se voit
ainsi assimilé – ce qui n’est pas tellement différent, en fait, de la démarche de Diller + Scofidio lorsqu’ils remettent en question la dialectique entre l’architecture
et la présence, ni de celle de The Builders Association positionnant acteurs ainsi
que spectateurs comme « lieu et agent de présence »34. Les « écologies spatiales »,
pour recourir à la terminologie de Rachel Hann35, créées pour Jet Lag sont choréographiées de façon rigide tout en restant affectivement insaisissables. C’est donc
précisément pour cela que le processus unifiant ici à l’œuvre rend au principe de
scénographie sa pertinence heuristique, et ce en particulier à l’ère numérique.
3. Dialectique numérique
Comme Steve Dixon le souligne de façon particulièrement convaincante
dans son livre Digital Performance, « la conjonction entre la mise-en-scène (théâtrale) et les nouveaux médias a rendu possible toute une série de modes stylistiques
et esthétiques radicalement neufs, ainsi que d’expériences performatives, genres,
et ontologies uniques et sans précédent »36. Dès lors, même si Marie-Laure Ryan
a raison d’affirmer que l’encodage numérique réinstaure les différences sémiotiques malgré l’uniformité qu’il présuppose, le fait de s’engager dans cette dialectique en temps réel rappelle à tous les participants concernés l’importance de la
simultanéité. Car, comme l’exemple de Jet Lag le montre, voyager à travers un « présent permanent » infesté par une surabondance de technologies ne conduit pas
fatalement à des conclusions fatalistes. Et pendant que de nouvelles inventions
continuent à changer nos vies à la vitesse de l’éclair, l’esprit humain demeure
intrinsèquement équipé pour donner sens au monde qui l’environne – à une
condition, néanmoins : que l’interface technologique soit saisie de façon processuelle, c’est-à-dire en tant qu’épiphénomène, plutôt que comme une force figée
et appréhendable. En effet, dans la mesure où elles incitent tous les participants
concernés à remettre en question les dynamiques mêmes grâce auxquelles ils entrent en relation avec une œuvre d’art37, des scénographies intégratives telles que
celle qui constitue le Jet Lag de la Builders Association peuvent être considérées
comme fondamentalement génératives. Car le fait même qu’elles nous forcent à
32. Ibid., p. 11.
33. Ibid., p. 12.
34. ����������
Gabriella Giannachi avec Nick Kaye, Performing Presence: Between the Live and the Simulated,
Manchester, Manchester University Press, 2011, p. 236.
35. �������
Rachel Hann, « Blurred Architecture : Durations and Performance in the Work of Diller
Scofidio + Renfro », dans Performance Research, vol. 5, n° 17, 2012, p. 14.
36. �������������
Steve Dixon, Digital Performance : A History of New Media in Theatre, Dance, Performance Art,
and Installation, Londres, Routledge, 2007, p. 5.
37. ���������������
Voir Gabriella Giannachi, Virtual Theatre : An Introduction, Londres, Routledge, 2004, p. 20.
180
Christophe Collard
mettre de l’ordre dans le chaos organisé dans lequel nous vivons et que, malgré
tout, nous réussissions à opérer cette recomposition et à nous y retrouver, nous
contraint également à reconnaître la présence simultanée d’un produit fini et du
processus génératif à sa base. En effet, en jouant de distinctions établies et de
cadres de référence qui relèvent d’ordre distincts, l’autoréflexivité ainsi véhiculée
peut avoir un effet émancipateur qui contribue à ce que le théoricien de la convergence Henry Jenkins a appelé notre « intelligence collective »38.
Christophe Collard
Vrije Universiteit Brussel
cl.collar@vub.ac.be
38. ���������������
Henry Jenkins, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, NYU Press,
2008, p. 4.
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