LE GOUVERNEMENT DE L`ALGÉRIE

Transcription

LE GOUVERNEMENT DE L`ALGÉRIE
EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ
LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE
de
1852
a
1858
WJ
EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ
LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE
de
Par M.
RîbourT,
1852 à 1858
colonel au corps
de M. le
PAR
B.»»
m.
impérial d'étal-major,
maréchal comte
premier aide
de camp
Randon
LE GÉNÉRAL DE DIVISION
DE CHABAUD-LA-TOUR
Membre du Comité des fortifications,
supérieur
du
génie
ancien commandant
i. l'armée d'Algérie
(Extrait du Journal des Débats des 10
et 12
juillet
1859.)
PARIS
TYPOGRAPHIE LE NORMANT, RUE DE SEINE, 10
1859
EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ
LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE
de
1852
a
1858
La Revue européenne a publié dans ses
livraisons des 15 avril, 1" et 15 mai 1859,
trois articles du plus vif intérêt sur le
gouvernement de l'Algérie de 1852 à 1858,
dictés par une haute expérience militaire et
politique à l'un des officiers supérieurs les
plus distingués de ce corps d état-major
dans lequel les notabilités abondent. Ainsi
que le dit le colonel Ribourt. au début de ce
remarquable travail, lorsque la France, il y
a vingt-huit ans, alla planter énergiquement
son drapeau sur la côte d'Afrique, au plus
haut des remparts de ce château de l'Empe
reur, dont le
nom même rappelait le dés
de Charles-Quint, sa victoire, acclamée
par l'Europe entière, fut celle de la civilisalion contre la barbarie, du droit contre la
piraterie et la violence.
De nouvelles perspectives s'ouvrirent
ainsi devant la France étouffant dans les li
etelleacommites où 1815 l'a enfermée,
astre
mencé
à fonder
sur
la
côte africaine un em
renoncer à ses am
bitions européennes , par les espérances
qu'il lui donne d'un accroissement légitime
de puissance dont nul n'aura le droit de se
plaindre ni de s'alarmer.
En effet, ainsi que le rappelle en quelques
lignes nerveuses le colonel Ribourt, le rôle
de la côte septentrionale du continent afri
cain a été grand dans l'histoire du monde.
pire qui
lui
permettra
de
« C'est là que s'éleva Carthage: avec les Nu
mides, dont nos chasseurs d'Afrique ont dompté
les héritiers, Annibal gagna toutes ses victoires;
avec eux Scipion le vainquit à Zama. Province
de la république romaine, l'Afrique nourrit
l'Italie et Rome. Quand l'empire romain crou
lait sous le poids de ses vices, Genséric, de la
côte d'Afrique, domina pendant vingt ans la
Méditerranée, et Bélisaire partit de l'Afrique
reconquise pour faire reeuler en Italie l'inva
sion germaine. C'est dans cette grande oasis
africaine que les Arabes venus de leur désert
trouvèrent la force de soumettre l'Espagne et
de s'élancer par delà les Pyrénées. Le khalifat
de Cordoue dura pendant huit siècles. Pendant
ce temps, des villes puissantes s'élevaient au
nord de la Méditerranée depuis Tanger jusqu'à
Tripoli ; la Sicile, les Baléares, l'Italie méridio
nale , même une partie de notre Provence
étaient occupées. La Méditerranée occidentale
devenait un lac africain.
» Cette grandeur de la domination arabe fut
aussi fragile que brillante, et la terre sur la
quelle elle avait projeté un éclair de civilisa
tion retourna à la barbarie. Au seizième siècle,
les Turcs y parurent pour y camper, non pour
—
y fonder
un empire.
puissance
des lieux,
7
—
Telle était
cependant la
que ces garnisons d'aven
turiers constituèrent des Etats assez forts pour
braver Charles-Quint, Louis XIV et l'Angleterre,
pour humilier durant trois cents ans la cbrétienté et rançonner son commerce.
» Voilà ce qu'a été
le nord de l'Afrique ,
présage certain de ce qu'il peut être un jour,
non plus pour une domination menaçante, mais
pour la grandeur et la prospérité de la France.
L'Algérie ne se trouve maintenant, grâce à la
vapeur, qu'à trente-six heures de nos côtes pour
une escadre; et, grâce à l'électricité , elle est
sous la main du gouvernement métropolitain.
Cette France africaine semble même une conti
nuation de l'autre. Alger est sous le méridien
de Paris, La Calle sous celui de Strasbourg,
Nemours sous celui de Rennes. La portion de
la Méditerranée qui s'étend delà Corse et delà
Sardaigne à l'Espagne est donc enfermée, par
le nord et par le sud, entre des terres françai
ses, et Alger double la force de Toulon. L'an
cienne Régence a été déjà et est encore pour
notre armée une excellente école; pour les cul
tivateurs de nos campagnes, un immense et
fructueux domaine qui les attend ; pour notre
commerce, pour les esprits ardens, un vaste
théâtre d'activité féconde ; pour la France en
fin, une occasion nouvelle d'accomplir la mis
sion, qu'elle semble tenir de Dieu, de conqué
rir pour civiliser, quand tant d'autres n'ont
conquis que pour opprimer.
» Aussi toutes les fois qu'une mesure impor
tante est prise relativement à ce pays sur le
quel reposent tant d'espérances, la France y
regarde attentivement. »
Qui
ne se rappelle en effet
les
mémora-
blés luttes dont a si souvent retenti la Cham
bre des Députés sur cette grande question
de l'Algérie, luttes dans lesquelles toutes les
fait jour, où les chi
de l'occupation restreinte ont été pré
conisées, mais où les destinées de l'Algérie
ont été si éloquemment prophétisées, et qui
ont abouti à faire donner cent mille hommes
et 100 millions par an au maréchal Bugeaud
contradictions se sont
mères
pour achever cette glorieuse conquête?
Naguère le gouvernement général de l'Al
brisé ; Alger la guerrière, dont le
gérie a été
nom exerce un si puissant prestige que sa
1830 a rendu la France souve
de droit de toute l'ancienne régence
d'Alger, tant aux yeux des indigènes habitant
cette grande centrée et des princes de Maroc
et de Tunis, qu'à ceux des puissances euro
péennes; Alger dont le siège ne pourrait
être entrepris désormais, grâce à l'enceinte
bastionnée dont nous l'avons enveloppée,
que par une armée de 60,000 hommes
pourvue d'un parc d'artillerie considérable ;
Alger dont le port, qui nous a coûté 25 mil
lions, peut recevoir à ce jour cinquante
bâtimens de guerre et plus de deux cents
bâtimens de commerce , et dans lequel
va bientôt
être organisé un arsenal où
nos vaisseaux pourront réparer leurs ava
ries de combat pour s'élancer de nouveau
conquête en
raine
contre
l'ennemi ; Alger,
capitale
politique,
—
9
—
de
l'Algérie, dont la
garantirait, même dans
une guerre gigantesque, celle de notre co
lonie tout entière, Alger redescend au rang
d'un simple chef-lieu de province.
Le gouverneur général, cette personnifi
cation imposante des pouvoirs civils et mili
taires de la métropole, dont l'action per
sonnelle était si puissante sur les chefs indi
gènes, dont la grande position semblait si
bien faite pour un de nos maréchaux,
un de nos princes, le gouverneur général
n'est plus la clef de voûte de l'organisation
administrative de notre colonie.
Un ministère spécial a été crée pour l'Al
gérie, transportant le centre du gouverne
ment d'Alger à Paris; et, comme le dit le
colonel Ribourt, sans rien préjuger tou
chant les résultats de l'expérience tentée
en ce moment, il paraît juste et nécessaire
de bien marquer le point auquel les gou
verneurs généraux avaient amené la co
lonie, pour qu'il soit possible de juger plus
tard des progrès que l'administration nou
aura
velle
obtenus, et d'établir entre les
deux systèmes une comparaison dont le pays
profitera. Tel a été le but du travail sur le
l'attenquel nous croyons devoir appeler
recommandons
la
lecture
dont
nous
et
lion,
et la méditation à toutes les personnes pré
occupées de l'avenir et du développement
militaire et
maritime
conservation nous
pour-
—
de la
puissance
io
française
sur
les bords de la
Méditerranée.
Ribourt divise en quatre pé
les vingt-huit années depuis lesquelles
l'Algérie nous appartient. La première pé
riode est celle de 1850 à 1841 pendant la
Le
colonel
riodes
quelle neuf commandans en chef ou gouver
s'y succèdent; l'armée est
de dévouement et d'ardeur; les
chefs, avec de petites ressources, accomplis
sent de grandes choses, comme la prise de
Conslantine. < On parle d'occupation res»
treinte, et l'on semble croire qu'il suffit de
•> tenir l'Algérie par le bord. »
La seconde période s'étend de 1841 à
1847. Le juste sentiment des devoirs impo
sés à la France par son honneur et ses inté
neurs généraux
admirable
Le maréchal Bugeaud
Algérie avec mission de la
conquérir et de la coloniser, et l'illustre
maréchal, justifiant sa noble devise : « Ense
et aralro », écrase la grande insurrection
rêts
triomphe
enfin.
est envoyé
en
suscitée par
Abd-el-Kader,
remporte sur
le
Maroc la victoire dTsly, entr'ouvre lesud,
entame la Grande Kabylie, en même temps
qu'il trace des routes et fonde des villages.
La troisième période, de 1847 à 1852,
s'ouvre par le gouvernement du duc d'Aumale. Ce jeune prince, depuis la campagne
de 1840 qu'il avait faite auprès de son frère
le duc d'Orléans, sous les ordres du mare-
—
chai
Valée
quitté
,
n'avait
l'Algérie;
Il
—
pour
ainsi
commandant
la
dire
plus
subdivision
de Médéah , il avait porté le coup le plus dé
cisif à la puissance d'Abd-el-Kader en s'einparant, par une marche audacieuse, de sa
smalah aux plaines de Taguin; et il avait
achevé d'acquérir une haute expérience du
commandement et des affaires de l'Algé
rie à la tète de la division de Conslantine. Il apporta à l'Algérie l'ordonnance
du 1er septembre 1847 qui reconstituait
les services administratifs de l'Algérie ,
et qui mérite d'être signalée , quoiqu'elle
n'ait pas eu une longue existence légale,
parce
qu'elle
montrait
une
vive
sollici
tous les intérêts de la colonie,
et qu'elle a été suivie, sinon dans sa lettre, du
moins dans son esprit, par tous les succes
seurs du Prince-gouverneur. Arrive ensuite
la catastrophe de février; sept généraux en
tude
pour
quatorze mois se succèdent dans le palais
du Gouvernement. Quelques coups vigou
reux, comme celui de la prise de Zaatcha, à
laquelle le maréchal Canrobert, alors colo
nel, prit une part si brillante, sont frappés
pour maintenir le prestige de nos armes.
La quatrième période, de 1852 à 1857,
est remplie tout entière par un seul com
mandement, celui du maréchal Randon.
Ainsi les deux commandemens des ma
réchaux Bugeaud et Randon, de durée égale,
*■
—
12
—
la moitié du temps de la do
mination française en Algérie , et il suffit de
les étudier pour connaître ee que l'autorité
militaire a fait en Algérie, juger son esprit,
ses méthodes et les services qu'elle a ren
dus. La période du commandement du ma
réchal Bugeaud est déjà ancienne et fut
presque exclusivement militaire par la né
cessité même de la lutte; celle du comman
dement du maréchal Randon était hier en
core debout et active; la conquête de l'Al
gérie est achevée par lui dans le sud et dans
la Kabylie ; mais il est fait à la colonisation
une part égale à celle de la conquête; la
colonie se développe au sein de la sécurité
la plus profonde, avec ses préfets, ses mai
res, ses tribunaux, sa télégraphie électrique
et bientôt ses chemins de fer, et c'est là
qu'on appréciera ce que peut le système des
gouvernemens généraux entre des mains
ys
fermes, habiles, dévouées et vigilantes.
Le maréchal Randon, alors général de
division, fut appelé, le 11 décembre 1851,
au gouvernement de l'Algérie ; dix années de
commandement à Oran et à Bone, les fonc
tions de directeur des affaires de l'Algérie,
et enfin celles de ministre de la guerre lui
avaient donné une connaissance approfon
die et une haute expérience de l'ensemble
comme des détails des affaires algériennes.
Disons d'abord quelle fut la part de la
comprennent
—
13
—
de l'achèvement de la conquête
les sept années de son gouverne
guerre el
pendant
ment.
Les préoccupations inspirées par l'état de
l'Europe étaient des plus graves.
En peu de temps il est pourvu à la dé
fense des côtes par la création de nom
breuses batteries sur les points accessibles
du littoral. Les corps permanens de l'armée
d'Afrique, tradition vivante de la pratique
de la guerre, sont augmentés dans de fortes
proportions; au lieu d'un seul régiment de
zouaves, trois sont créés, à 4,000 hommes
chacun ; trois bataillons de tirailleurs indi
gènes sont constitués; les smalah de spahis
sont organisées.
Mais des intrigues
menaçantes pour notre
domination s'ourdissaient dans les profon
deurs du Sud. L'Algérie est divisée géomé
triquement en deux zones naturelles. De la
Méditerranée à l'Atlas, c'est le Tell ou le
pays du blé et des rivières; de l'Atlas nu
grand désert, c'est le Sahara algérien ou le
pays des dattes et des troupeaux. Cette se
conde
région, double de la
première en su
perficie, est incessamment parcourue par
des tribus à la recherche de pâturages pour
leur bétail. Les oasis qu'on y rencontre
dans les lieux arrosés ont des habiians sé
dentaires dont les demeures et les palmiers
sont enfermés
dans des
enceintes
qui
ser-
14
—
vent aux
nomades
—
d'entrepôt
et
de
places
d'échanges.
C'était au milieu de ces populations, sur
lesquelles nous n'avions d'autre action que
les relations que leur crée avec le Tell la
nécessité
que
de s'y
approvisionner
Mohamed-ben-
Abdallah,
avant 1845,
de grains,
notre kha-
après avoir
lifat de Tlemcen
fait le voyage de la Mecque et s'y être
inspiré des conseils fanatiques d'un homme
célèbre en Orient, El-Snoussi, un des chefs
des Khouan , associations religieuses se
crètes, leva contre nous l'étendard de la
guerre
sainte, et
s'avança audacieusement
de l'oasis d'Ouarghla jusqu'à Laghouat.
Le général Randon dirigea contre l'agita
teur deux colonnes : l'une de la province
d'Oran, l'autre de la province d'Alger, qui,
sous les ordres du général Pélissier, investi
rent Laghouat. Sous l'impulsion énergique
du chef qui les commandait, elles ouvrirent
à coups de canon Feneeinte de Laghouat ,
s'y précipitèrent par la brèche, les zouaves
en tète, et noyèrent dans le sang des révol
tés cette redoutable insurrection. Le géné
ral Bouscaren et le commandant Morand y
furent glorieusement tués ; Ben-Abdallah s'é
chappa par miracle.
Les indigènes comprirent bien que la ré
du Sud avait été vaincue dans La
ghouat ; car ils disaient : « Les Français ont
sistance
—
conquis
lo
dans le Sahara
—
un second
Alger.
»
Mais le péril pouvait renaître; convenait-il
de continuer un système qui n'avait pu le
conjurer, et d'administrer encore par des
chefs indigènes ;
en restant nous-mêmes
étrangers au pays? Le gouverneur général
ne le pensa pas, et il proposa et obtint l'oc
cupation permanente de Laghouat. Des ca
sernes, des hôpitaux, les forts Bouscaren et
Morand élevés là où tombèrent en combat
tant ces braves officiers, firent de celte ville
la forteresse du désert. Le fort de Géryville,
construit à la limite du Tell oranais, com
pléta la ligne de nos postes avancés, tracée
par Bouçaada et Biskara dans la province de
Constanline.
De ces places bien approvisionnées et
chacune
d'un équipage de cha
munies
meaux, nos colonnes peuvent dominer com
plètement le Sud, « ce pays de la soif. » Le
M'zab se soumit ; en 1853,1e colonel Durkharieu, accompagné de Si-Hamza, notre
l'une
représentant
de
des
lifat, le
pluspuis-
san tesfamilles religieuses dusuddelaprovince
alla arborer le drapeau de la France
les minarets de l'oasis d'Ouarghla , à
près de 200 lieues de la Méditerranée, et
l'année suivante, après le brillant combat
qui coûta à l'ennemi 500
de Meggarin
Tugmorts, 1,000 fusils et cinq drapeaux,
comgurth ouvrait ses portes à la colonne
d'Oran,
sur
,
—
mandée par
le
comme
occupé,
—
général
Desvaux,
Laghouat,
de la France.
En même temps
conquête
1C
que
par
nos
restait
la
fai
s'accomplissait
du Sud, de hardies
saient respecter
et
les troupes
opérations
frontières.
En 1853, le maréchal Randon, à la tète des
divisions Mac-Mahon et Bosquet, domptait
dans les Babor la Kabylie orientale, déblo
quait Djigelly et l'unissait à Constantine par
une route, ouverte en quelques jours par les
deux divisions réunies, au travers de ces
rudes montagnes. En 1854, le gouverneur
général pénétrait, à la tête des divisions
Mac-Mahon et Camou, dans la grande Ka
bylie
pour
y
Bou-Bagbla,
combattre encore un
qui soulevait
agitateur,
les tribus
en ex
le départ des vieux régimens afri
cains pour l'armée de Crimée, dont « ils fu
rent la trempe », suivant l'expression éner
gique du maréchal Canrobert. Les tribus
entre la rive droite du Sebaou et la mer
étaient conquises en quelques jours de com
bats , et le maréchal Bandon s'emparait
ploitant
par une marche audacieuse, du
des Beni-Yaya, le point culminant
et la clef de cette grande citadelle de la Ka
bylie d u Djurj ura dont l'aspect gigantesque et
magnifique éclatait pour la première fois aux
yeux de nos soldats à la fois ravis et éton
nés. Ce chaos de montagnes et de préciensuite
,
sebt
,
—
17
—
la Suisse
du haut du
pices,
qui rappelait
Righi,
ces villages sans nombre couronnant
vue
d'énormes carapaces de tortues les
des contreforts qui rayonnaient sous
nos pieds, apprenaient à l'armée, avec la
grandeur du résultat qu'elle avait obtenu en
comme
arêtes
du point qui les dominait, celle
de la tâche qui lui restait à accomplir. Dix
jours de eombats sanglans sur ces crêtes
ardues firent taire toute résistance autour
du Sebt; mais juillet arrivait; les chaleurs
étaient accablantes pour l'armée efforçaient
à interrompre les opérations; et le jour
n'était pas encore venu où la grande Kabylie tout entière devait se soumettre à nos
s'emparant
armes.
Pendant
plus
de deux années, à
partir
de
la
belle campagne de 1857, qui devait attein
dre ce grand résultat. Une partie de l'armée
échelonnée entre Tisser et Dellys, Dra-elMizan et Tiziouzou, travailla sans relâche à
ce
moment, le
relier entre
maréchal
elles
Randon
et avec
Alger
prépara
ces
trois
bases de nos futures opérations. Les postes
de Tiziouzou et de Dra-el-Mizan reçurent de
grands développemens et furent entourés
d'enceintes imprenables pour les Kabyles ;
des casernes, des baraquemens, des manu
approtentions y furent installés ; de grands
visionnemens de vivres, de médicamens, de
munitions de guerre, d'outils et de matériel
2
—
18
—
y furent réunis au commencement
printemps de 1857 ; des milliers de mu
lets arabes, amenés de tous les cereles de la
province, s'y rassemblèrent pour assurer les
ravitaillemens de l'armée, et le 24 mai, le
maréchal Randon, à la tète des trois divi
sions Mac-Mahon, Renault et Jusuf, faisait
donner l'assaut à ces montagnes redoutables
dont les habitans nous opposaient plus de
30,000 fusils. La division Maissiat venue de
Sétif ; une colonne venue d'Aumale sous les
ordres du colonel d'Argent ; une autre co
lonne partie de Dra-el-Mizan et dirigée par
le colonel Drouhot, qui vient de mourir
glorieusement à la bataille de Magenta, attaquaiept à l'est, au sud et à l'ouest, nos en
nemis que nous enfermions ainsi dans un
cercle de feux. Deux mois de combats achar
nés amenaient tous les chefs de ces belli
queuses tribus, que les Romains, au temps
de leur plus grande puissance, n'avaient ja
mais pu soumettre, à demander l'aman au
commandant en chef de l'armée française,
qui, tout en combattant, avait exécuté en
dix-sept jours 26 kilomètres d'une route
comme celle du Simplon, à travers les pré
cipices des montagnes les plus abruptes, et
construit l'enceinte du fort Napoléon qui
doit assurer notre domination sur cette
confédération du Djurjura jusqu'alors in
du
du
génie
domptée.
19
—
Pendant
de
ces
que se
événemcns
—
déroulait la
série
brillante
militaires auxquels pou
le bâton de comman
dement et l'énergie d'un des premiers chefs
de notre armée, le gouverneur général ne
cessait pas d'appliquer sa haute et incessante
sollicitude aux intérêts civils, pour le déve
loppement seul desquels l'épée devait être te
nue hors du fourreau, jusqu'à ce que la
vaient seuls présider
sécurité, cette première condition fle toute
colonisation, eût été définitivement assurée.
Examinons donc maintenant, avec le
nel Ribourt pour guide, l'œuvre du gouver
neur général, tant dans l'administration du
pays arabe que dans celle du territoire ci
vil, et
voyons
dans le
«
d'abord
gouvernement
Il ne fallait
été accompli
des indigènes.
ce qui a
pas oublier
qu'ils
sont
vingt
; que ce sont des
têtes ardentes, facilement Inflammables , qu'au
milieu d'eux, parmi les Arabes, existe une aris
tocratie puissante qui réunit souvent la triple
influence de la richesse, de la religion et d'une
autorité séculaire; tandis qu'au sein des tribus
kabyles, dans quelques confédérations du sud,
comme chez les Bem-M'zab, la démocratie a at
teint ses extrêmes limites. »
fois
plus nombreux que nous
Etre juste, ferme et modéré », voilà la
d'action dont il fallait faire
usage vis-à-vis d'élémens si divers, pour
«
seule uniformité
obtenir
l'amélioration morale et
des indigènes,
pour
les élever à
matérielle
notre
civili-
—
salion,
noble
but
20
poursuivre et qui sera
mis
aux
yeux
-
que nous n'avons cessé
du
de
le sceau de la légitimité
monde
entier sur
notre
conquête.
Le
de
gouverneur général sut agir sur
populations que
l'esprit
leurs mœurs, leur langue
leur religion séparent si profondément
de nous, non seulement par le spectacle de
notre civilisation et le déploiement de notre
puissance, mais aussi par trois moyens di
rects : la religion, la justice et l'instruction
et
publique.
« Tous les indigènes surent que nous respec
tions leur culte et leurs croyances; qu'ils pou
vaient compter sur notre assistance pour
ré
leurs monumens religieux;
qu'enfin, dans les grandes solennités, nous de
mandions à leurs prêtres d'offrir des prières à
Dieu pour notre Empereur et des actions de
parer ou construire
grâces pour nos victoires qui maintenaient en
Orient le trône des Osmanlis.
»
Ils surent aussi que nous voulions pour
tous une justice intègre. L'organisation des
tribunaux musulmans avait été maintenue
après la conquête ; l'ordonnance du 28 fé
vrier 1841, pour donner de plus grandes
garanties aux justiciables, avait soumis à
l'appel, par-devant la Cour royale d'Alger
les jugemens des tribunaux indigènes.
Un projet de décret qui réalisait toutes les ré
formes dont l'expérience avait fait recon
naître la nécessité fut proposé par le mare—
21
—
—
1er
Randon et accepté le
octobre 1854.
Lesmdersas ou écoles supérieures arabes,
chai
ouvertes en
tantine,
1850 à Blidah, Tlemcen, Consdes encouragemens. Les
reçurent
écoles arabes françaises, créées en 1850,
étaient au nombre de douze en 1858, en
pleine
prospérité et
comptant
neuf
cents-
élèves.
Trois institutions nouvelles furent créées
par le maréchal Randon : l'Ecole des Mous
ses, le Collège arabe et l'Ecole de Médecine.
Le maréchal Randon, habilement secondé
par le contre-amiral de Chabannes, com
mandant supérieur de la marine en Algérie,
créa pour les jeunes Arabes une école de
mousses à bord du stationnaire d'Alger. En
1856, soixante élèves indigènes y étaient
installés ; un brick-école fut mis à leur dis
position pour les exercices de la manœuvre
et le maniement des voiles. Dès la fin de
l'année suivante, le service des ports put
être fait presque partout par de jeunes
indigènes sortis de l'école des
marins
mousses ou provenant d'engagemens vo
lontaires. « Ainsi revivra à notre profit et
à celui de la civilisation cette marine algé
rienne, qui durant trois siècles avait été
l'épouvante et l'opprobre de la Méditer
ranée. »
L'institution
haut
et plus
du
loin.
«
collège
Ce
arabe
va
plus
n'est plus seulement
22
—
de
un coin
aux
indigènes ;
histoire,
—
notre civilisation qui est montré
ce sont notre
nos sciences qu'on
langue , notre
leur enseigne,
respectant leur foi rehgieuse ; c'est
l'habitude du travail qu'on leur donne. »
C'était chose difficile que de persuader à des
tout en
—
musulmans
de
remettre
à des
chrétiens
l'é
ducation de leurs enfans. Le maréchal Ran
don y parvint, grâce à la confiance, à l'af
fection respectueuse que les chefs indigènes
pour lui; et dès le printemps de
1858 le nombre des élèves indigènes s'éle
vait à 55.
Des élèves européens sont admis aussi à
(avaient
suivre
les
cours
du
d'externes; il
collège arabe en
qua
les
des points de contact qui serviront
à hâter le jour de l'union des deux popu
lations.
Une école de médecine enfin a été créée
à Alger, où les jeunes Arabes qui ont appris
le français sont admis à acquérir les notions
premières de chirurgie, de médecine et d'art
vétérinaire, qui, sans faire d'eux des savans, en feront des hommes utiles et capa
bles, après avoir suivi la clinique de nos
hôpitaux algériens, d'aller plus tard prati
quer au sein des tribus, avec les conseils des
officiers de santé de nos régimens. Un seul
mot suffira pour faire comprendre àquel
point les indigènes sauront apprécier ce
lité
enfans
s'établit ainsi entre
—
nouveau
bienfait;
été données
23
trois
—
mille
consultations
le chef du
de Fort-Napoléon.
Voilà les vues élevées de propagande mo>
raie qui guidaient ces hommes
d'épée, si
souvent accusés de ne connaître et de n'aiJ_mer que la force. Suivons-les dans des tra
vaux d'un autre ordre, et l'on verra avec
quelle sollicitude ils s'efforçaient de donner
le bien-être aux Arabes en échange de leur
sauvage et stérile liberté qui depuis des
siècles mettait partout au milieu d'eux de la
misère et du sang.
L'état de guerre et d'anarchie où avaient
toujours vécu les indigènes entretenait la
violence des mœurs, les haines des familles,
les vengeances héréditaires. Non seulement
les tribus, mais les oasis, les villes, les vil
lages mêmes des Kabyles étaient divisés en
ont
en une année par
/service médical
partis recourant sans cesse
vider
les
aux armes pour
plus petites querelles.
communication
Les
étaient infestées de
voies
de
marau
la ter
les indi
gènes. La paix a été assurée entre les tribus,
entre les divers partis ; une vigoureuse im
pulsion a été donnée par les bureaux ara
bes à la police du pays; les tribus ont été
rendues responsables des méfaits de leurs
membres. La sécurité des personnes et des
transpropriétés, celle des marchés et des
deurs
et
d'assassins
reur parmi
les
qui répandaient
colons
et parmi
—
actions,
ont
été
24
—
assurées par une
énergique
protection.
L'honneur de l'armée d'Afrique et
de ses
dans les
succès de la guerre que dans les labeurs de
la paix. Depuis les légions romaines, qui ma
niaient la pioche aussi bien que l'épée, nulle
armée au monde n'a accompli autant de
travaux ni tant fait pour livrer un grand
pays à la culture et à la civilisation. Quand
nos soldats ne combattent pas, ils travail
lent, et chaque année, durant sept mois,
50 ou 60,000 hommes étaient échelonnés au
travers de tout le territoire pour ouvrir les
routes, dessécher les marais, abaisser les
montagnes, faire des ponts, des barrages,
bâtir dans les tribus des maisons de com
mandement, sur les chemins des caravansé
rails, et créer dans le désert des oasis nou
chefs est peut-être
moins
encore
velles.
« C'étaient alors nos officiers du génie
qui
les guidaient, placés eux-mêmes sous l'habile
direction du général de Chabaud La'Tour. Sa-
vans
modestes, soldats
infatigables,
vrais pion
de la civilisation, ils faisaient oublier, à
force de dévouement, leur petit nombre, ou,
grâce à leur bon esprit de confraternité, se re
crutaient parmi les officiers d'artillerie de pré
niers
cieux auxiliaires
(1) Le jugement
Randon,
maréchal
prix pour
eux,
(1).
dans ces quelques lignes par le
les officiers du génie, a trop de
que nous n'ayons pas cru devoir in-
porté
sur
polir
Près de 6,000 kilomètres de
été
dans les
routes ont
dernières années en
pays arabes; et combien de ponts, d'aque
ducs; combien de maisons de commandemens, de caravansérails, de puits, de fon
taines, de moulins , ont-ils été créés ?
j
ouverts
Et
qu'on
grand chemin
six
n'oublie pas qu'en Afrique un
c'est la paix pour le pays qu'il
traverse; l'ordre
et le bien-être y passent d'a
bord ; la civilisation vient ensuite. »
Dans le
sud
les
puits artésiens ont produit
une véritable révolution
matérielle et mo
de ce siècle
France des puits artésiens, on
ne se doutait guère que cette précieuse in
vention était de temps immémorial prati
quée par des peuplades perdues du Sahara.
Elles mettaient des années à les creuser avec
de grandes dépenses et de grands périls. Ces
puits mal établis , avec un tubage grossier,
se comblaient souvent. Quand un puits se
ferme, un centre de population s'éteint. En
1855 un ingénieur, demandé à la maison
Degousée, M. Laurent, fut attaché à nos ex
On reconnut tous les indices
péditions.
d'une nappe d'eau souterraine descendant
de l'Atlas vers Biskra jusqu'à l'oued Rir. Le
rale.
Lorsqu'au
commencement
on parla en
maréchal
Randon donna l'ordre
aussitôt
d'y
tenter des forages.
sérer
celte
nous
ayons
citation dans notre compte rendu, quoique
l'honneur d'y être personnellement nommé.
—
26
—
Le général Desvaux commandant la sub
division de Bathna, prépara tout avec son intel
ligente activité. Le 9 juin, à Tamerna, après
trente-neuf jours et trente-neuf nuits d'un tra
vail continu, on atteignit à une profondeur de
60 mètres la nappe artésienne ; l'eau jaillit à la.
surface en une gerbe immense; le puits de
Tamerna donna 4,500 litres par minute, 6,800
mètres cubes par jour. Les habitans accourus
à ce spectacle se roulaient de joie dans ces
eaux vierges et bienfaisantes et bénissaient la
main qui les leur avait données. En quelques
jours toutes les tribus du Sahara connurent les
merveilles de Tamerna ; elles comprirent notre
puissance sur la nature même, ainsi que les
bienfaits de notre civilisation. Elles nommè
rent le nouveau puits Ain el Afla (la source de
la paix).
s a
Sidt-Rached, où les palmiers n'avaient
pu être arrosés depuis quatre ans, la sonde fit
jaillir 4,000 litres d'eau à la minute (la fon
taine de la prospérité); à ElKsour, 3,500 litres
jaillissant à 1 mètre et demi au-dessus du sol;
à Sidl-Sliman, 4,000 litres par minute (la fon
taine de la vie); à Bram, 2,000 litres. « Nous
mourons, disaient les habitans dont le puits
» s'était comblé
; venez nous sauver. » Et on
les sauvait.
» De grandes fêtes célébraient chaque suceès
nouveau. On accourait de toutes parts pour
voir le miracle. Les coups de fusil de la fan
tasia joyeuse se mêlaient aux chants religieux
des vieillards et des femmes qui rendaient
grâce à la fois à Dieu et aux Français. A
Temacin, le chef Si-Mamar, après avoir té
moigné sa gratitude à nos foreurs, se tourna
vers les Arabes et leur dit : « Jadis l'arrivée
des Français dans l'Oued-Rir vous elïraya;
«
aujourd'hui vos craintes sont changées en cris
—
27
—
de reconnaissance; car ils vous ont donné
deux choses que vous ne connaissiez plus, la
paix et
la
prospérité.
»
Et ainsi allaient nos braves soldats, aussi
lîers de leurs fatigues pacifiques que de leurs
travaux guerriers, portant la vie là où la nature
mettait la mort, environnés des bénédictions
»
de
ces
populations,
qu'ils
conquéraient une
seconde fois par la reconnaissance.
»
« D'autres peuples de nos jours ont
aussi
fait des conquêtes. Où est celui qui a autant
donné aux vaincus et dont la chute serait un
malheur pour la nation qu'il laisserait libre ? »
Le gouverneur général , en créant ces
terres nouvelles, sut enseigner aux indigènes
à en tirer meilleur parti. Il multiplia les
avis, les conseils, les ordres pour secouer
leur apathique lorpeur, pour améliorer les
nouanciennes cultures, en introduire de
plantes
les
le
comme
le
coton,
f velles,
tabac,
tinctoriales et
Le
oléagineuses.
nombre
des bêtes
ovines pourra
être
Algérie à 50 millions et plus sans
que les troupeaux sortent des terrains de
libre parcours. Le maréchal Randon fit for|~iner à Laghouat un troupeau composé d'élémens choisis avec le plus grand soin dans
les quinze cents troupeaux qui rayonnent
autour de cette oasis; on le divisa ensuite
en deux parts : l'une resta dans l'oasis
porté
en
pour procéder
à l'amélioration de la
race
-
28
-
pour les croila race mérine, fut établi à ElBérin, près de Médéah. On recommanda les
mêmes soins aux chefs indigènes, en leur
promettant de donner des géniteurs d'élite à
ceux qui se montreraient dignes de les re
cevoir. Une autre mesure, bien simple en
apparence, a produit aussi des résultats con
sidérables; l'usage barbare de la tonte à la
faucille a été remplacé par la tonte avec nos
cisailles. Grâce à toutes ces innovations, la
production de la laine s'accroît en qualité
et en quantité, et l'exportation annuelle des
laines ne tardera pas à s'élever à 15 ou 20 mil
lions de kilogrammes.
Le maréchal, se regardant comme le tu
teur d'un peuple enfant, s'arma près de lui
de la leçon douloureuse de 1856, année
pendant laquelle 100,000 bœufs , plus de
3 millions de moutons, de 1 million 200,000
chèvres, de 25,000 chameaux avaient péri
faute d'abris ou de nourriture, ce qui repré
sentait une valeur de plus de 70 millions de
francs, pour contraindre toutes les tribus à
avoir des abris où les troupeaux se réfu
gieraient pendant les pluies, et des approvisionnemens de fourrages.
Le gouverneur général, ancien colonel
du 2° régiment des chasseurs d'Afrique ,
donna tous ses soins aussi à relever la race
des chevaux africains, réduite de nombre
par elle-même;
semens avec
l'autre,
—
et
de
qualité
29
—
par
vingt -cinq
colonel directeur
années
de
Un
inspectant
"sans cesse tout le territoire, un comman
dant pour le double dépôt de remonte et
d'étalons dans chaque province, enfin des
guerre.
officiers acheteurs agissant
des tribus
directement
au
telle fut l'économie du
système adopté,
à l'aide duquel l'admi
connut
nistration
supérieure
toutes les
ressources chevalines, du pays et put faire
près
arriver partout
penses.
,
ses conseils
Plus de douze
et
ses
récom
mille concurrens
in
digènes se sont disputé en 1856 les primes
instituées. Outre les étalons de l'Etat, cha
que tribu doit avoir ses étalons primés et
soumis aux inspections. Le chiffre des sail
lies des étalons reconnus, qui n'était guère
que de 2,000 en 1851, s'est élevé à 26,000
1858. Des courses, occasions de fêtes et
de grandes réunions, où des entrées élevées
permirent d'instituer des prix d'une valeur
considérable, couronnèrent l'édifice, et le
Stud-Book du pur-sang algérien, institue
par le gouverneur, a déjà reçu le nom des
meilleurs étalons et de célèbres vainqueurs.
Avec les richesses des Arabes se sont ac
crues les ressources du Trésor. Les deux
principaux impôts consacrés par la loi mu
récol
sulmane sontl'achour ou la dîme
.en
.des
tes,
lezekat
de bétail. Le
ou
droit
rôle
de
payé par chaque
ces
impôts
tète
est préparé
—
uu sein
de
30
—
commissions
consultatives qui
leurs membres l'employé
des finances le plus élevé de la localité, et
des notables européens et indigènes ; les
élémens qui servent à la formation des rôles
sont les états statistiques établis par les
soins du commandement sur les tableaux
fournis par les cheiks, les caïds et les agas,
avec contrôle hiérarchique, et dont les offi
ciers des bureaux arabes vérifient l'authen
ticité à deux reprises, au temps des labours
et à celui des moissons. Les rôles sont ap
prouvés et rendus exécutoires par le gou
verneur général. Le produit est versé direc
tement dans les caisses du receveur des
contributions par les collecteurs indigènes,
sans jamais passer par les mains des agens
de l'autorité militaire.
En 1 851 , l'impôt arabe rendait 6 millions ;
en 1857, il a donné près de 18 millions. Il a
triplé en six années par l'augmentation de
la richesse des tribus, et aussi par les soins
apportés à toutes les parties de
administra
tion.
En outre, un budget particulier constitué
par 20 c. additionnels au principal de l'im
pôt arabe, est consacré aux travaux d'utilité
publique en pays arabe. Il est réparti par le
gouverneur général, ordonnancé parle ser
vice du génie et celui de l'intendance mili
taire, et il est la source des travaux les plus
comptent parmi
l'
—
féconds exécutés,
l'Etat,
On
——
ai
—
comme
par nos officiers
tous les travaux de
du
génie.
l'erreur de
est livré
craint de par
voit combien est profonde
ceux qui croient qu'en
Algérie tout
à l'arbitraire, et qui n'ont pas
ler de dilapidations en faisant retomber sur
l'institution même des bureaux arabes la
responsabilité de crimes individuels. Parmi
les prêtres, les juges et les hauts fonction
naires de la métropole, ne s'est-il pas ren
contré parfois des coupables? et qui, dans
ce cas, a songé à mettre en cause l'institu
tion même, l'Eglise, la magistrature et l'ad
ministration? Il faut le répéter, les officiers
des bureaux arabes sont étrangers à tout
maniement de fonds. Le général Charon,
qui avait réglé avec une précision si remar
quable
la
comptabilité
avait porté
durant
du
service
du génie,
son gouvernement géné
esprit d'ordre dans les diffé
de l'administration, et notam
ment dans celle des bureaux arabes. De
Bannombreuses circulaires du maréchal
don ont confirmé l'abstention des officiers
de ces bureaux à toute opération de trésore
hiérarchisant
et
réglementant
rie ,
en
leurs attributions dans tous ses détails.
ral
le
même
rentes parties
officiers des bureaux arabes, choisis
les plus méritans, souvent seuls au mi
solieu des tribus, parcourent le pays sous un
Les
parmi
—
32
—
leil torride, pour y veiller à l'ordre public, à
la sûreté des chemins, ouvrant aux voyageurs
européens, au commerce, les routes du Sud, se
faisant l'instituteur de l'Arabe, l'initiant à
notre agriculture, à toutes les ressources de
notre civilisation; faisant obscurément et uti
lement de grandes choses, gens de cœur, d'in
telligence et de dévouement qui ont été les
conquérans du Sud, et, après la guerre, les
vrais pacificateurs du pays. »
qu'à récapituler les
faits de l'administration du ter
ritoire civil sous le gouvernement général
du maréchal Bandon. Le colonel Bibourt
rappelle d'abord qu'en territoire civil il y
avait partage d'autorité : les préfets, mis en
ministre de la
relation directe avec le
guerre, recevaient de lui leurs instructions,
et chacun d'eux administrait son départe
ment, comme font leurs collègues de France,
sous la haute surveillance du gouverneur
Il
ne nous reste plus
principaux
général,
pour
les
qui
toute son
intéressant la
conservait
questions
autorité
colonie
tout entière.
grande question à
, la
Algérie est celle de la colonisa
tion. En 1851, la population européenne en
Algérie était de 131,000 personnes, et à la
fin de 1857 de 189,000; augmentation en
six années , 58,000 ou 44 pour 100. Certes
»ce n'est pas assez, et il serait à souhaiter
/
Après la
conquête
résoudre en
—
33
qu'un puissant courant
—
d'émigralion
se
di
l'Algérie , comme celui qui porte
tous les ans d'Europe en Amérique 300,000
colons. Mais en Algérie la terre était occu
pée par un peuple belliqueux qui l'a brave
ment défendue pendant dix-sept années
et
rigeât sur
,
laisser sa place au so
leil ; et maintenant elle se détend encore en
exigeant du cultivateur européen, pour lui
livrer des moissons, de rudes travaux préli
auquel nous voulons
minaires.
Le
créé la sé
disent les Arabes,
peut aller maintenant d'un bout à l'autre de
la régence avec une couronne d'or sur la
gouvernement colonial a
curité.
tête,
Et
«
Une jeune fille
,
et elle arrivera comme elle est partie.
en
même
temps
ce
■■
gouvernement, en
les grands capitaux
le moment où
décideront à s'engager dans l'exploitation
a tout fait pour appeler les
algérienne ,
petits capitaux et ouvrir à deux batlans les
portes de l'Algérie à la colonisation euro
attendant
se
péenne.
Compagnies
Des
auxquelles de grands
été concédés ayant échoué
de villages, et la colonisa
avantages avaient
dans la
création
étant, hors d'une certaine
à des dangers sérieux, les gou
verneurs généraux responsables de la sûreté
publique, furent amenés par la force des cho
ses à choisir l'emplacement des centres de
tion individuelle
zone,
exposée
3
-
34
-
population, tant au point de vue militaire et
politique que par
des
raisons
hygiéniques
et
agricoles.
fut très rationnel, et on l'ad
s'il était de provenance an
glaise ou américaine. Choisir des emplacemens
où la salubrité de l'air, le régime des eaux et
la qualité des terres assurassent la prospérité
des colons; pour la sûreté réciproque des
routes et des villages, échelonner cenx-ci le
long des voies qui reliaient entre eux les points
occupés militairement; pour que les habitans
des villages, qui représentent la petite pro
priété, aient du travail, et les grands domaines
des bras en même temps que de la sécurité ;
établir les grandes fermes isolées dans l'inté
rieur du périmètre formé par les routes et les
centres de population ; donner à chaque village
sa fontaine publique, son lavoir couvert, son
école, son église, sa maison commune, ses
rues empierrées , sa place du marché plantée
d'arbres; en un mot, faire en quelques années
; ce que, en tout pays, la population agricole a
mis des siècles à exécuter, voilà ce qu'a ac
compli cette administration que d'ignorantes
ou perfides accusations ont osé taxer d'insou
ciance pour les intérêts civils ; et tout cela en
épargnant l'argent de la France, grâce à l'embploi des bras de l'armée. »
«
Le
plan suivi
beaucoup
mirerait
;
L'application de ce système commença
1841 Dix ans après, le maréchal Bugeaud
et ses successeurs avaient créé cent trente
centres de population et concédé 100,000
hectares. Dans la période de 1852 à 1858,
en
.
—
le
35
—
des centres de population a été
à deux cents et la superficie concédée
nombre
porté
à 200,000 hectares. L'aisance, la moralité,
la santé publique se sont en même lemps
partout améliorées; la
population rurale
atteignit le chiffre de 70,000 âmes.
Le système de la vente des terres doma
niales aux enchères
publiques, mesure excel
la terre a déjà acquis une valeur
réelle, fut inauguré avec succès en 1855
par la vente de plusieurs milliers d'hectares
dans la province d'Oran.
Il fallait aussi reconnaître les terres libres
et appropriées à la culture européenne. Une
commission dite des transactions et partages
régularisa dans la seule plaine de la Mitidjah
l'état de 50,000 hectares, dont plus du tiers
revinrent à la colonisation européenne et
28,000 servirent à indemniser plus de 2,000
familles indigènes qui reçurent chacune un
titre de propriété incommutable. Le gou
lente là
où
verneur
général prescrivit aussi au service
topographique un travail d'ensemble qui fit
l'Etat pouvait rentrpr en
de 500,000 hectares par
province; et l'on termina en même temps
les études préparatoires de l'établissement
de 150 nouveaux villages.
Le cantonnement des tribus, mesure qui
devait causer beaucoup d'émotion dans le
pays arabe et être exécutée avec autant de
reconnaître
possession
que
de
près
—
prudence que
36
—
de fermeté, devait être
précé
dée de travaux topographiques et statistiques
complets. Cette opération ne pouvait èlre
que successive, et s'appliqua en premier lieu
aux tribus contiguës au périmètre de la co
lonisation européenne. Ces principes gui
dèrent le maréchal Randon, qui substitua
en même temps, quand il jugea la chose
possible, la propriété individuelle à la pro
priété collective, comme chez les Aribs de
îaMitidjah,etil parvint à resserrer le champ
de parcours de plusieurs tribus de manière
à permettre d'introduire la colonisation eu
ropéenne dans les intervalles de l'occupa
tion arabe.
Le
des
maréchal
efforts pour
Randon
ne
cessa
de faire
étendre les limites du terri
substituer les commissaires civils,
les juges de paix aux autorités militaires;
constituer des administrations municipales;
créer des sociétés de secours mutuels, des
Caisses d'épargne ; étendre le service médi
cal de la colonisation, l'institution des or
phelinats, l'inspection des établissemens de
bienfaisance, des prisons. En cinq années,
toire civil,
cinquante-trois
huit justices de
paroisses,
autant
d'écoles,
furent créés. A la fin de
1857, sur une population de 189,000 Euro
péens, 170,000 étaient placés sous la pro
tection de l'administration civile.
Etait-ce donc là les actes d'un pouvoir
paix
—
37
—
jaloux de faire dominer son auto
rité à l'exclusion de toute autre, et frappé
Jùane impuissance administrative radicale?
| Parlerons-nous maintenant des travaux
immenses déjà exécutés dans tous nos centres
dépopulation, des casernes, des hôpitaux, des
manutentions, des magasins de subsistances,
qui donnent un aspect monumental à toutes
nos jeunes cités, et qui suffisent au caserne
ment et aux approvisionnemens d'une ar
mée de plus de 60,000 hommes; rappel
lerons-nous le port d'Alger offrant une
nappe d'eau de 94 hectares et défendu par
plus de 300 bouches à feu ; le port de re
les
fuge d'Oran , le port de Cherchell
débarcadères de la plupart des ports se
chefscondaires ; les routes reliant tous les
lieux de subdivision avec ceux des divisions
et desservies par des Messageries régulières ;
le réseau du télégraphe électrique établi sur
2,000 kilomètres de développement et don
nant déjà à l'Eiat un produit qui dépasse
militaire
,
200,000 fr. ; toutes nos villes pourvues
d'eaux de source abondantes ; l'assainisse
ment de la riche plaine de la Métidjah, des
environs de Constantine, de Milianah, de
Djigelli, deLaCalle, deBathna; les grands
barrages du
"~~~
Sig
et
de la Minah?
Aussi quel merveilleux accroissement,
agricole
sous tous les aspects, de la richesse
pour
acheté
avait
l'Algérie
1851
du pavs ! En
,
—
38
-
de francs de blé à l'étranger ; en
1855, elle en a vendu à la France seulement
pour20millions de francs, après avoir, dans
cette année et la précédente, fourni à l'ar
mée d'Orient plus de 30 millions de kilo
grammes de blé , farine, orge, pain et bis
15
millions
cuit.
Enl851,il n'y avait encore que 537 plan
teurs de tabac , 446 hectares de cultures et
300,000 kilogrammes de produit. En 1857,
le nombre des planteurs s'était élevé à plus
de 5,000, la surface cultivée à près de
4,000 hectares , les produits à 3 millions
500,000 kilogrammes achetés par la régie
française, sans compter 1 million de kilo
grammes achetés directement par le com
merce, et tout ce qui est consommé sur
place ou écoulé par les frontières de Tunis
ou du Maroc.
Pour le coton, le progrès est plus marqué
encore relativement à son faible point de
départ. En 1852, cette culture ne couvrait
encore que 52 hectares; mais le gouverne"
ment était décidé à ne reculer devant aucun
sacrifice pour l'acclimater en Algérie. L'Em
pereur donna 100,000 fr. sur sa cassette
particulière pour assurer durant
cinq an
nées un prix de 20,000 fr. au producteur de
cette précieuse denrée le plus méritant;
l'administration envoya les meilleures grai
nes d'Amérique et se chargea d'acheter les
—
39
récoltes, de
sorte que
ploitations
purent
—
les
avoir
plus modestes
ex
leur cotonnière;
des notions claires furent répandues parmi
les colons et pénétrèrent jusque dans les tri
bus,
des bu
furent prescrits par
le maréchal Randon dans les régions saha
riennes. En 1856, il a été consacré à la cul
ture du coton 2,000 hectares qui ont pro
duit 200,000 kilogrammes de coton de qua
lité comparable à celle des plus belles es
grâce
aux
reaux arabes.
soins persévérans
Des
essais
pèces connues.
L'huile d'olive fournit une exporta
tion d'une valeur de près de 3 millions de
francs.
Les forêts algériennes couvrent i million
200,000 hectares. En présence de l'insuffi
sance du personnel forestier pour préserver
des dévastations de l'incendie et de la vaine
pâture ces immenses étendues, le maréchal
Randon a développé, comme gouverneur
général, l'institution des compagnies de bû
cherons militaires qu'il avait organisées dans
la province de Bone dès l'année 1845, et
qui a déjà rendu de grands services à l'éco
nomie forestière.
La richesse métallurgique de l'Algérie est
merveilleuse ; malgré le peu de recherches
faites jusqu'à ce jour et l'insuffisance des ca
pitaux engagés, il a été exporté dans la seule
kilogramannée 1857 plus de 11 millions de
—
Tries
de
minerai
40
—
de fer, de
cuivre et
de plomb
argentifère.
"
La loi du 11 janvier 1851, qui a consa
l'assimilation commerciale entre la
France et l'Algérie, a été une loi de salut
pour la colonie. Le chiffre des exportations
algériennes pour la France était de 6 mil
lions 700,000 fr. en 1850; il s'est élevé à
34 millions en 1857. Les échanges entre
la France et l'Algérie ont nécessité, en 1857,
l'emploi de 5,500 navires jaugeant près de
800,000 tonneaux, ce qui équivaut à plus
du neuvième de tous nos transports, sans
compter le cabotage entre les ports de l'Al
gérie, qui a transporté plus de 300,000 ton
rappelle l'étonnement du
nes. Qu'on se
monde en face des produits algériens à l'Ex
position universelle de 1855, et les 400 ré
compenses dont ils furent l'objet. Disons
enfin que les recettes pour le compte du Tré
sor, qui ne dépassaient pas 19 millions en
1 851 , sont portées à 57 millions au budget
de 1859, et que l'Algérie est venue prendre
dès 1856, sur nos états de commerce, le
cré
rang après l'Angleterre, les Etats.
et l'Espagne.
L'Etat peut seul hâter le moment où tous
ces élémens de richesse prendront leur com
plet essor par la création générale de voies
de transport économiques. C'est cette pen
sée qui a décidé le maréchal Randon à pré.
cinquième
Unis, la Belgique
—•
—
41
—
dès l'année 1854 le plan du réseau des
chemins de fer algériens. La population tout
parer
entière s'associa aux espérances que ce pro
jet faisait naître,
fut un jour de fête
le maréchal rentra à
Alger en rapportant le mémorable décret
du 8 avril 1857. Il mit aussitôt la main à
l'œuvre pour commencer les travaux de la
ligne d'Alger à Oran, avec les bras de l'ar
et ce
populaire que celui où
mée.
Que le réseau décrété le 8 avril 1857 s'a
d'années, et l'Algérie , devenue
dans la guerre une forteresse inexpugnable
pour l'ennemi du dehors, tout en étant à l'abri
des soulèvemens intérieurs, bravera toutes les
«
chève en peu
complications
européennes
,
verra
la
popula-
développer rapidement, et sera pour les
temps de disette le grenier d'abondance de la
iton
se
métropole.
Le
gouverneur
océan
rie.
de
sables qui s'étend au
Les Anglais
ont
commerce africain ;
trent
faire
travers de cet
sud de l'Algé
possession du
général voulut aussi
pénétrer notre commerce au
déjà pris
leurs produits y
pénè
cinq portes qu'ils se sont ouvertes,
la Guinée, la Sénégambie, le Maroc, Tripoli
l'Egypte.
Cependant par le pays des M'zabites, par
Ouarghla et le Souf, nous touchons à la ré
gion que traversent les caravanes de Tafilet
venues de Maroc , celles de Tombouctou qui
et
:
par
-
ment comme un
42
-
de Tripoli et
Mourzouck
ces points de départ for
cercle immense au centre
du Niger,
\ de l'Egypte qui s'y
T et le Fezzan. Tous
arrivent
celles enfin
rendent
par
duquel se trouventlnsalah, R'hatetR'hamès,
lieux de rencontre et de séjour des carava
nes.
« Ces déserls
ont leurs habitans, et leurs
maîtres, les Touaregs, qui sur leurs rapides
méharis courent de Tombouctou à Laghouat,
et du Touat au Fezzan ; avec leur protection
payée par une prime
d'assurance, le désert de
vient une grande route praticable. Le maréchal
Randon a su nouer des relations avec eux, et à
la fin de 1855 Si-Hamza, notre khalifat, vint à
Ouarghla â la rencontre de quatre chefs toua
regs, qui le 10 janvier 1856 entraient à Alger
au milieu d'une foule immense attirée par ce
curieux spectacle. Jamais Touareg n'était venu
jusque-là; on n'avait jamais vu sur les bords
de la Méditerranée leur accoutrement bizarre
et belliqueux : ce double voile qui leur cache
le visage, et sans lequel ce serait pour eux un
déshonneur de paraître en public; les deux
robes blanehe et bleue et le cafetan de drap qui
descend jusqu'aux pieds, le pantalon flottant
serré autour des reins par une ceinture et audessus de la cheville par une bordure éclatante,
des sandales de cuir ornées de gracieux des
sins; un grand poignard attache le long du
bras gauche, un sabre à deux tranchans, une
lance en fer, un bouclier de peau d'éléphant.
Ces hommes venaient s'assurer par leurs yeux
de toutes les merveilles qui sont contées au
désert sur notre puissance. Ils furent reçus par
le gouverneur, s'entretinrent longuement avec
-
lui,
et partirent
43
-
d'escorter les
traverseraient leur
en promettant
caravanes algériennes qui
pays.
Le maréchal Randon ne laissa pas se per
bonne volonté. Avant la fin de l'an
née, une caravane était organisée sur R'hamès.
La direction en fut confiée au capitaine Bonnemain, qui partit du Souf le 26 novembre avec
15 souasas, 26 chameaux portant des marchan
dises et 6 méharis servant de monture. Pendant
cinquante-cinq lieues, il trouva de l'eau et des
pâturages en abondance ; mais durant onze jours
de marche à travers quatre-vingts lieues de pays,
il ne vil plus que le désert dans son affreuse
aridité. Enfin parut R'hamès avec ses vingt mi lie
palmiers et son enceinte élevée de plus 3 mè
tres, qui renferme 7 à 8,C00 habitans. Le ca
pitaine Bonnemain resta six jours dans cette
ville à en étudier les ressources, le commerce
et les relations avec Tripoli et le Soudan. Le
7 janvier 1857, il rentrait dans le Souf, ayant
tracé au commerce de l'Algérie une route sans
périls et au bout de laquelle sont des profits
»
dre
cette
certains.
Ce
néral
»
succès encouragea
à
le
une entreprise plus
gouverneur gé
difficile
: ouvrir
directe d'Alger au Soudan
par R'hat. Il avait déjà envoyé à plusieurs
reprises des Sahariens à lnsalah et même à
Tombouctou, et une première caravane de
Laghouat était allée à R'hat. Une seconde
fut organisée, cette fois avec un fonction
la
route
naire
plus
de l'armée
Derba,
élevé
la
pour
en
chef, l'interprète
Bou-
de savoir et d'intelligence
France. Celte fois le voyage était
musulman
-
.
44
—
Bou-Derba , parti de
long 550 lieues.
1"
Laghouat le
août 1858 avec vingt-cinq
chameaux chargés de vivres et d'eau, attei
gnit R'hat sans difficulté, sinon sans fatigue,
1er
et il rentrait à Laghouat le
décembre
1858 avec la conviction que nous pouvions
faire dans ces régions un commerce fruc
:
—
tueux.
1
Tel est le tableau que le colonel Ribourt
déroule dans les pages d'un si grand intérêt
dont nous avons essayé de faire passer la
substance sous les yenx de nos lecteurs.
« Où sont les prophètes de malheur ! s'écriet-il éloquemment à la dernière page de son
œuvre si remarquable, qui, il y a quinze années
encore, disaient qu'on ne ferait rien de l'Algé
rie, qu'il fallait au plus vite en sortir 1 Une va
leur énorme n'a-t-elle pas été ajoutée au capital
national par les conquêtes et les travaux de
nos soldats, par ces routes, ces ports, ces con
structions de toute sorte, et ces millions d'hec
tares et. de forêts dont s'est accru le domaine
public de la France? Les levenus publics de
l'Algérie, qui s'élèvent aujourd'hui à près de
40 millions, représentent déjà à eux seuls un
capital de 800 millions, et cependant l'impôt
foncier n'exister pas encore pour les colons
européens.
ans la France a vendu à
1 milliard 43 millions de mar
chandises d'origine et de fabrique françaises,
qui lui ont été payés par 248 millions de pro
duits algériens, et le reste en espèces. L'argent
qu'elle dépense dans la colonie pour l'occupa»
En
vingt-sept
l'Algérie
pour
tion n.ilitaire
nières,
et
nous
sième qui s'est
lui
revient
ne
déjà
donc de deux ma
d'une troi
parlerons pas
révélée.
Est-ce en effet toujours par doit et avoir
qu'il faut dresser les comptes d'un grand peu
ple? Ces généraux , ces soldats que la guerre
d'Afrique a formés, à combien évaluez-vous,
pour les porter à l'actif de la France, leurs
lalens et leur courage? Et par quel chiffre
faut-il représenter l'accroissement de force que
vaut à notre pays l'occupallon de 250 lieues
de côtes le long de la Méditerranée, qui rede
vient ce qu'elle a été, le grand théâtre du com
merce, de la civilisation et de la puissance?
»
»
Nousavonssuivile colonel Ribourt dansl'exde l'œuvre des gouverneurs généraux et
particulièrement de celle du maréchal Ran
don ; il répond assez, ce nous semble, à ceux
qui s'inquiétaient de voir un des chefs de
notre glorieuse armée à la tête du gouverne
ment de l'Algérie, prétendant que les consé
quences en étaient l'état de siège en perma
nence, les commissions militaires, le mépris
systématique des intérêts civils, une admi
nistration inintelligente en un mot, et bru
tale comme le sabre que portait son chef.
■**
Ajoutons, pour démontrer la vanité de
ces attaques passionnées dont le bon sens
public a déjà fait justice, que le gouverneur
'général, dont les fonctions étaient civiles au
tant que militaires, était entouré de fonc'tionnaires appartenant à l'ordre civil, soit
affaipour préparer, soit pour expédier les
posé
—
res
3
190,000
—
;
qu'il
y
a
en
Al
face de
Européens, et que c'est par l'armée
s'exécutent presque tous les travaux
gérie
que
46
étrangères à l'armée
millions
d'indigènes
en
civils.
« On avait cru jusqu'ici que la vie militaire
était une grande école et les commandemens
supérieurs une pierre de touche pour recon
naître les esprits d'élite. On pensait que les
obligations si nombreuses du généralat, en dé
veloppant les qualités d'action et les habitudes
de prévoyance, préparaient admirablement au
maniement des grandes affaires, et que l'admi
nistration supérieure était toujours sûre de
trouver dans les rangs élevés de l'armée des
hommes éprouvés auxquels elle pouvait confier
les missions les plus difficiles. Pourquoi un
gouverneur général, vieilli dans l'administra
tion des corps, et qui, ayant rencontré partout
autour de lui l'autorité civile, a toujours vécu
en cordiale intelligence avec elle, lui serait-il
hostile sur les rivages africains? Esl-ce que la
vie tout entière du soldat n'est pas employée à
la protection des intérêts civils? Est-ce qu'il
ne sait pas que l'épée n'a été remise entre ses
mains, avec le droit terrible de la guerre, que
pour la défense de la société, et que l'armée
n'a d'autre raison d'être que de servir de bou
levard inexpugnable à la civilisation qui tra
vaille derrière elle?... Faire des ruines et verser
du sang, c'est parfois nécessaire, et dans ces
ruines sanglantes on
trouve souvent de la
gloire; mais élever un empire, créer une so
ciété,- mettre au monde un peuple
nouveau, ac
croître la richesse, la grandeur, la force de son
pays, voilà l'honneur suprême ! »
-
47
—
Nous terminerons par la citation de ces
lignes éloquentes l'examen de l'ouvrage du
colonel Ribourt; il apprendra à la France
bien des choses qu'elle ignore encore; et
quand notre armée
sa
d'Italie
aura
accompli
tâche glorieuse, à jamais illustrée
par
les journées désormais immortelles de Ma
genta et de Solfcrino, tous les cœurs géné
reux dans notre patrie, tous ceux que fait
battre la noble ambition de l'agrandisse
ment de la France, du développement de
la race française et de l'accroissement de
sa puissance et de ses idées civilisatrices dans
le monde; tous ceux qui veulent que les lu
mières de l'Evangile fassent reculer de plus
en plus les ténèbres de la barbarie, reporte
ront
|
s
\
|
I
leurs
vœux sur ce magnifique royaume
de l'Algérie que la Providence nous a donné
pour nous dédommager de la perte de nos
grands établissemens de Saint-Domingue,
de l'Amérique et des Indes. Ce jour-là un
gouvernement énergique, et par là même
fécond, sera reconstitué au sein de cette
belle cité d'Alger, prédestinée à être la capitaie du nord du continent africain; et la
puissance du crédit de la France, comme
celle de ses armes, sera consacrée à hâter
les destinées de ce nouvel empire.