Face aux risques extrêmes : banques et assurances

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Face aux risques extrêmes : banques et assurances
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Le point de vue d’un réassureur
Des assureurs résilients
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DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES
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S.A.
L’introduction des extrêmes
dans la mesure des risques
L’appel aux marchés financiers : les cat bonds
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AGRICOLE
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CRÉDIT
Nouvelle ère, nouveau « Business Model »
Les plans de continuité d’activités
C
PAR
B A N C A I R E S
ÉDITÉE
H O R I Z O N S
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Rôle de l’État et des banques centrales
Les États-Unis depuis le 11 septembre 2001
Quelles leçons tirer des accidents financiers ?
La gestion des risques extrêmes à Calyon
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A Face aux risques
banques et
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HORIZONS
Editorial
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ALAIN STRUB, DIRECTEUR DES RISQUES ET CONTRÔLES PERMANENTS GROUPE,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Nouvelle ère, nouveau « Business Model »
...........................................
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ERWANN MICHEL-KERJAN, SPÉCIALISTE DE LA GESTION ET DU FINANCEMENT
DES RISQUES DE CATASTROPHES À LA WHARTON BUSINESS SCHOOL DE PHILADELPHIE
L’introduction des extrêmes dans
la mesure des risques
..................................................................................................................................
17
ADRIAN ROCHE, DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
ÉRIC SALOMON, DIRECTION DES RISQUES, GROUPE RISQUES OPÉRATIONNELS,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Gérer le risque extrême :
le point de vue d’un réassureur
......................................................................................
25
GODEFROY DE COLOMBE, DIRECTEUR DES AFFAIRES PUBLIQUES, SCOR
Des assureurs résilients
.........................................................................................................................
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SERGE OPPENCHAIM,
DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
L’appel aux marchés financiers comme
alternative à la réassurance : les cat bonds
...................................
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PERRINE KALTWASSER, COMMISSAIRE-CONTRÔLEUSE DES ASSURANCES ET ACTUAIRE
Table ronde : les plans de continuité d’activités
ALAIN STRUB, DIRECTEUR DES RISQUES ET CONTRÔLES PERMANENTS GROUPE,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
PASCAL CELERIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRÉDIT AGRICOLE D’ILE-DE-FRANCE
BERNARD MARY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRÉDIT AGRICOLE NORD EST
ROBERT ZEITOUNI, RESPONSABLE DU PÔLE SÉCURITÉ ET CONTINUITÉ D’ACTIVITÉS,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
JEAN-PAUL BETBÈZE, CHEF ÉCONOMISTE, DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
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BANCAIRES
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NUMÉRO
328
–
MARS
2006
extrêmes :
assurances
Le rôle de l’État face aux risques extrêmes
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GUILHEM BENTOGLIO, CHARGÉ DE MISSION AU COMMISSARIAT GÉNÉRAL DU PLAN
La réaction des banques centrales aux crises financières
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.....................................................................................................................................................
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ANTOINE MARTIN, FEDERAL RESERVE BANK DE NEW YORK
Les États-Unis face aux risques extrêmes depuis
le 11 septembre 2001
SANDRINE BOYADJIAN ET HÉLÈNE BAUDCHON, DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Quelles leçons tirer des accidents financiers ?
...................................................
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ADRIAN ROCHE, DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
La gestion des risques extrêmes à Calyon :
penser et agir
........................................................................................................................................................................................
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HERVÉ GOULLETQUER, MAXIME PENNEQUIN, GILLES TRANCART,
DIRECTION DE LA GESTION ET DU CONTRÔLE DES RISQUES, CALYON
Vivre et gagner avec le risque extrême
..........................................................................
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JEAN-PAUL BETBÈZE
CHEF ÉCONOMISTE, DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Service aux lecteurs
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Jean-Paul Betbèze
RÉDACTION EN CHEF
Rémy Contamin
SECRÉTARIAT DE RÉDACTION
Véronique Champion-Faure
SUIVI DU FICHIER
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DIRECTEUR DES RISQUES ET CONTRÔLES PERMANENTS GROUPE,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
L e sujet des risques extrêmes est un sujet difficile, car il porte sur la capacité
de nos organisations à éviter le risque absolu qui est celui de la mort, mort des
personnes, mort des organisations.
En la matière, on sait qu’on ne doit rien négliger et qu’il n’y a pas de demimesure possible.
Mais quoi et comment faire ?
Car il s’agit de penser l’impensable, comme on l’a vu le 11 septembre 2001,
d’imaginer le fait que peut advenir ce qui n’est jamais advenu. Il faut en permanence se poser la question : que se passerait-il si... ? On n’est plus dans le
domaine des probabilités. Les techniques classiques, les modélisations des
risques, ne sont pas d’un grand secours.
À cet égard, une veille spécifique, chargée de recenser les cas dont on peut
avoir connaissance, quel que soit le secteur d’activité, et de décrire les effets
qu’un cas similaire pourrait avoir sur l’entreprise, est utile.
Malgré cela, on sait qu’on ne pourra jamais tout prévoir et qu’il restera une
part de risque imprévisible, absolument non maîtrisable.
Il faut donc anticiper pour tout à la fois tenter d’éviter ces risques, en réduire
l’ampleur s’ils surviennent, et permettre aux organisations de subsister quels
qu’en soient les effets après que le sinistre se soit produit.
La caractéristique de ces risques est qu’ils entraînent pour l’entreprise l’impossibilité durable de remplir sa mission, de remplir son rôle dans la société, d’assurer ses finalités. Pour les gérer, il est donc nécessaire de déterminer quelles
sont les fonctions essentielles, qui constituent le cœur de l’activité, et dont la
continuité est attendue par l’environnement.
Il s’agit ensuite de mettre en œuvre les conditions de fonctionnement qui
garantiront l’exercice de cette mission et la réalisation des tâches qui en découlent. C’est le domaine des plans de continuité d’activités.
La difficulté réside ici dans le fait que ce type de risque présentant un caractère
de très grande rareté, il est loin des préoccupations des acteurs ; et donc l’entretien en état de marche des dispositifs se situe rarement en bonne place dans
leur plan de charge.
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Sauf si les dispositifs en question participent de l’activité quotidienne normale.
Et c’est sans doute là qu’il faut chercher les solutions.
Prenons l’exemple d’un effondrement d’immeuble : une chose est de disposer
de locaux de substitution, autre chose est d’avoir décidé de répartir l’activité
dans plusieurs immeubles. On perçoit bien que dans le deuxième cas, lors de
sinistre grave, on réduit sa portée (on écarte le sinistre pour une partie des salariés) et la continuité d’activité est facilitée par le fait que les systèmes installés
dans les autres immeubles peuvent continuer à fonctionner (à condition bien
sûr de ne pas avoir spécialisé trop chaque immeuble dans une activité donnée,
ce qui oblige à une conception de l’organisation pensée pour un fonctionnement en cas de crise).
Prenons un autre exemple, celui des plates-formes de traitements (d’appels
téléphoniques et de prise d’ordre des clients, de gestion des sinistres avec les
tiers...). Un back-up utilisé chaque semaine, notamment pour absorber les
pointes d’activité, aura des chances de fonctionner bien mieux en cas de
sinistre, lorsqu’il devra monter en puissance, qu’un back-up activé épisodiquement lors de simulations décidées par le département sécurité de l’entreprise.
C’est donc bien à une réflexion sur nos organisations qu’il faudra se livrer.
Cela en vue de modifier notre façon d’exercer nos métiers au quotidien, puisqu’il s’agit moins de prévoir des dispositifs qui s’activeront uniquement en cas
de sinistre que de concevoir, pour les activités essentielles, des traitements, des
processus opérationnels permanents, qui seront résistants aux sinistres.
Le défi consiste alors à profiter de cet effort de réorganisation pour améliorer
aussi la qualité de la prestation, sa fiabilité et sa productivité.
La gestion du risque devient alors – y compris dans sa dimension risques
extrêmes – un élément parmi d’autres à intégrer dans la gestion « normale » de
l’entreprise, dont on sait qu’elle consiste toujours à rechercher la combinaison
qui optimisera les différentes composantes qui font la performance globale
dans la durée.
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INTERVIEW
DE
ERWANN MICHEL-KERJAN
SPÉCIALISTE DE LA GESTION ET DU FINANCEMENT DES RISQUES
DE CATASTROPHES À LA WHARTON BUSINESS SCHOOL DE PHILADELPHIE
(CENTER FOR RISK MANAGEMENT AND DECISSION PROCESSES,
DONT IL EST LE MANAGING DIRECTOR)
ET À L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE (LABORATOIRE D’ÉCONOMÉTRIE).
Avec la montée des coûts liés aux catastrophes naturelles
telles que Katrina ou aux attaques terroristes à grande
échelle, comment se pose la question de la couverture des
risques extrêmes aujourd’hui ?
Cette question se pose brutalement. Le facteur majeur tient
au changement radical dans l’échelle de la déstabilisation et
des conséquences économiques et sociales. En l’espace de
quelques années, nous sommes passés de risques importants,
certes, mais relativement locaux géographiquement (Tchernobyl, par nature, était une exception), à des risques globaux,
extrêmement coûteux. Une des caractéristiques principales de
ces nouveaux risques est leur interdépendance. La globalisation des activités économiques est indéniablement accompagnée d’une globalisation des risques extrêmes.
Prenons quelques exemples récents. Les attaques du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. Elles n’ont pas été qu’une
crise états-unienne. Ces attentats ont coûté quelque 35 milliards de dollars de remboursement d’assurance, les deux tiers
desquels furent payés par les réassureurs, dont la plupart
étaient européens. Implication directe de la globalisation des
activités financières : du point de vue de la couverture financière des risques extrêmes, le 11 septembre a d’abord été une
catastrophe européenne. De même, la crise de l’anthrax au
cours de l’automne 2001 a touché, directement ou par effet
d’interdépendance, tous les systèmes postaux en Europe.
Ceux-là manquaient très nettement, jusqu’au plus haut niveau
décisionnel, de capacité de coordination internationale et de
réponse collective. L’épisode du SRAS répond à la même
logique. En l’espace de trois mois, trente pays étaient touchés. Il en est de même pour la grippe aviaire. Pour cette
raison, je propose le terme de « risques à grande échelle »,
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puisque c’est bien de cela dont il s’agit.
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/... Qui doit payer ? Nous touchons ici à la question centrale.
2001, puis 2004, puis 2005 : voici la liste des records de
l’année la plus coûteuse de toute l’histoire de l’assurance et
de la réassurance mondiale pour ce qui relève de la couverture des catastrophes. Si vous additionnez le 11 septembre et
Katrina, ce sont près de 80 milliards de dollars de remboursement d’assurance. Pour vous donner un référentiel, c’est
autant que la somme cumulée de tous les remboursements
d’assurance ayant suivi la totalité des catastrophes naturelles
survenues dans le monde entre 1970 et 1988 (prix corrigé de
l’inflation). Deux événements qui ont donc coûté à l’industrie de l’assurance autant que dix-huit années…
Ces événements extrêmes se succèdent aujourd’hui à un
rythme accru – cela limite la diversification intertemporelle
de votre portefeuille – et avec un facteur de corrélation entre
lignes de risques (et pays) plus fort, limitant la diversification géographique de votre prise de risque.
De plus, les dommages assurés ne sont que la partie visible
de l’iceberg : à lui seul, l’ouragan Katrina a infligé quelque
200 milliards de dollars de dommages, volatilisés en
quelques heures. À titre comparatif, cela représente près des
deux tiers du budget de l’État français cette année.
Le constat est donc entendu : en l’espace de cinq ans, nous
avons basculé, passé le « tipping point ». La couverture de
tels risques doit alors être repensée. Et ce changement radical d’échelle ne requiert pas juste un peu plus de ce que l’on
faisait auparavant ; il requiert un nouveau type de réponse.
Plusieurs grands états-majors et gouvernements le reconnaissent aujourd’hui et tentent de mieux en comprendre les
enjeux, afin de redéfinir adéquatement leur stratégie ou
action de politique publique.
Qu’entendez-vous par « nous avons basculé » ?
Trois choses : échelle, interdépendance, et irréversibilité.
D’abord, l’échelle de réalisation est telle que l’événement
affecte un très grand nombre de personnes et d’organisations
simultanément. Or, pour des capacités de réaction limitées,
celles-ci sont à rendement d’échelle marginale décroissant.
Prenez l’exemple d’un accident impliquant 100 voitures
dans le brouillard. Il n’appelle pas la même logistique d’intervention que 100 accidents distincts impliquant seulement
une voiture, et survenant systématiquement à deux jours
d’intervalle. Dans le dernier cas, votre capacité d’intervention peut non seulement être relativement limitée, mais elle
peut être testée en temps réel très souvent et améliorée d’une
intervention à l’autre, jusqu’à devenir parfaitement rodée et
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efficace (pensez aux interventions du Samu ou des pompiers). Alors que dans le premier cas, elle nécessite des capacités extraordinaires qui requièrent un tout autre ordre de
coordination. Il en va de même du financement de telles
catastrophes : votre besoin en capital est beaucoup plus
important que la somme de vos besoins pour n expositions
de plus faible taille. Et puisque beaucoup d’organisations
ont toutes un besoin de capital immédiatement après une
catastrophe, le coût du capital augmente significativement.
C’est l’effet d’échelle.
Ensuite, ces événements sont tels que même si vous-même
ou votre organisation n’êtes pas directement touchés, vous
subirez des répercussions importantes de type effet domino,
par le biais de vos partenaires, vos clients, vos fournisseurs…
qui peuvent in fine mettre à mal votre propre activité.
Même si vous protégez parfaitement votre compagnie, elle
reste extrêmement vulnérable de par ses liens d’activités avec
d’autres qui n’ont peut-être pas pris les mêmes mesures que
vous et, de fait, sont déstabilisées par une catastrophe. Dès
lors, quelle incitation avez-vous à investir dans des mesures
de protection coûteuses si vous savez que d’autres n’en font
pas de même, et que leur refus de le faire vous fait supporter
un risque que vous ne contrôlez pas ? C’est l’effet d’interdépendance.
Enfin, il existe bel et bien un point de non-retour, « d’irréversibilité de l’impact ». Prenons la ville de la NouvelleOrléans ; même si elle sera partiellement reconstruite
(notamment grâce aux remboursements d’assurance et aux
aides fédérales d’urgence), elle ne sera plus jamais comme
avant. L’effet irréversibilité n’est d’ailleurs pas toujours dû à
une destruction ponctuelle. Pensez à la crise de responsabilité qui a secoué le milieu des affaires (Enron, Worldcom,
etc.) : la loi préparée par le député américain Michael Oxley
et le sénateur Paul Sarbanes a changé radicalement le fonctionnement de milliers d’entreprises opérant aux États-Unis
(loi dite Sarbanes-Oxley). C’est l’effet irréversibilité.
Or, ces trois effets n’interviennent pas indépendamment, ils se
combinent et se renforcent mutuellement. Là est le basculement.
On avait coutume de dire de ces risques extrêmes qu’ils
étaient très peu fréquents et au coût substantiel, est-ce bien
toujours le cas ?
C’est une très bonne question. Sur les impacts financiers, ils
sont plus importants que jamais et le seront demain encore
plus ; les données sont formelles, je ne pense donc pas qu’il y
ait véritablement controverse sur ce point. Pour ce qui relève /...
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/... de la probabilité, cela reste vrai bien sûr si vous la comparez à
celle d’événements qui se répètent de très nombreuses fois de
manière indépendante, par exemple les accidents de voiture.
Pourtant, je ne pense pas qu’ils soient encore à très faible probabilité d’occurrence. Quand des événements supposés survenir tous les 500 ans se succèdent tous les ans ou tous les 5
ans, c’est bien que les anciens modèles de prédiction sont
dépassés et qu’il faut revoir les hypothèses de base.
Faisons ensemble un exercice simple. Prenez un papier et un
crayon, et dix minutes de votre temps pour lister les événements
extrêmes survenus au cours des cinq ou six dernières années :
catastrophes naturelles, terrorisme, catastrophes industrielles,
pandémies, crises financières, juridiques, nouvelles régulations
transformant votre activité… Maintenant que les dix minutes
sont écoulées, combien en avez-vous ? 5, 7, 12, plus ? Quelle est
la moyenne annuelle du nombre de tels événements déstabilisants ? Quelle est alors la probabilité de l’occurrence d’un autre
événement extrême au cours de l’année 2006 ? Certainement, elle
est de 1. Et combien de tels événements d’ici 2010 ? Beaucoup,
et même beaucoup plus qu’avant. La question n’est donc plus
vraiment « si », mais « lequel, quand et où ? ».
Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de « compter » le nombre de
ces événements, mais de quantifier leur vraisemblance dans un
contexte particulier, un lieu et un temps particulier. Et nous
touchons là un point douloureux pour beaucoup d’entre nous,
financiers ou actuaires. C’est la limite de connaissance des
modèles de quantification du risque. L’approche probabiliste
traditionnelle est, au mieux, très discutable (comment quantifier mathématiquement la probabilité d’une attaque terroriste
de grande ampleur en 2006 contre une capitale financière mondiale ?). Plus dangereux encore, les estimations probabilistes
sont parfois trompeuses pour les dirigeants qui les utilisent
pour prendre des décisions importantes. Elles peuvent en effet
apporter un faux sentiment de sécurité, de « maîtrise » du phénomène (« la probabilité est infime », « nous sommes vraiment
en queue de distribution », « de toute manière, cela n’arrive
qu’aux autres »). Il s’agit alors bien plus de travailler sur une
série de scénarios déstabilisants plausibles, et de savoir comment l’entreprise réagirait à chacun d’eux.
Quel est votre sentiment sur les principales menaces que
vous percevez à l’horizon 2010 ?
Depuis 2005, j’ai le plaisir de travailler étroitement, ainsi que
plusieurs de mes collègues de la Wharton Business School aux
États-Unis, avec le Forum économique mondial de Davos. Le
forum est tout à fait conscient de l’impérative nécessité de
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mettre la question des risques extrêmes à l’agenda des plus
grands décideurs. C’est précisément ce qu’il a fait avec cette
initiative jointe, le « global risks programme », en partenariat
avec les états-majors de Merrill Lynch, Marsh & MacLennan
et Swiss Re. Les premiers résultats ont été présentés lors du
Forum 2006 fin janvier. Nous avons retenu 25 risques ; ils
incluent notamment le terrorisme international de masse, les
grandes catastrophes naturelles (ou « super-cat »), les impacts
nombreux du changement climatique, ainsi que le développement exponentiel des nanotechnologies, la protection des
grandes infrastructures critiques, l’émergence de nouvelles
pandémies, en passant par la croissance fulgurante de la
Chine et de l’Inde, les nouvelles régulations de marché et les
crises fiscales.
Ils ont tous en commun de toucher potentiellement plus de
trois continents et d’engendrer des conséquences économiques
supérieures à 10 milliards de dollars, le seuil retenu. C’est là
un premier élément de réponse à votre question. Un second
élément de réponse est, qu’à mon sens, la plupart de ces
risques se réaliseront à horizon 2010-2015 - à des degrés
divers bien sûr. Ils seront plus ou moins déstabilisants, porteurs de plus ou moins d’opportunités de marché (et de cohésion sociétale), selon le degré de préparation des comités de
direction d’entreprise (et des gouvernements).
Notre capacité de réaction est ici primordiale. À bien y réfléchir, aucun de ces risques extrêmes n’est exogène ; tous sont
endogènes à nos sociétés. Ils résultent de forces combinées
politiques, économiques, sociales et religieuses en place, et
futures.
Prenez le cas des catastrophes dites naturelles. Un événement
naturel de grande ampleur ne devient une catastrophe que lorsqu’il touche des zones fortement peuplées et/ou industrialisées,
et mal préparées à y faire face. De même, le lien entre intensité
de certaines catastrophes (ouragan, canicule) avec le changement climatique observé depuis une quinzaine d’années est
aujourd’hui reconnu par une large part de la communauté
scientifique. Les deux effets combinés constitueront certainement un challenge encore plus important en 2010 ou 2015 que
nous l’avons vu ces trois dernières années. La croissance des
valeurs et des densités de population dans des zones exposées
est également un facteur radical d’amplification des impacts
futurs. Par exemple, 80 % des valeurs assurées dans l’État de
Floride se situent sur les côtes, particulièrement vulnérables
aux ouragans. Si le même ouragan qu’Andrew, qui a dévasté les
côtes de Floride en 1992, survenait cette année, il engendrerait
/...
plus du double des dommages économiques d’alors.
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/... En vous appuyant notamment sur votre expérience améri-
caine et européenne, quel est votre point de vue sur l’état
et l’efficacité des « partenariats public-privé » actuellement en place ?
Mon expérience et l’importance de cette question me forcent
à émettre un jugement critique. Je trouve aujourd’hui le
terme « partenariats public-privé » de plus en plus galvaudé.
Au cours des six derniers mois, j’ai compté, rien qu’en France
et aux États-Unis, plus de… 110 conférences, séminaires,
workshops, incluant cette expression dans leur titre principal.
Attention, je ne dis pas que je suis contre. Le concept même
est porteur de sens. Reconnaître la nécessité d’impliquer dans
une démarche collective à la fois le secteur public et les
acteurs privés est essentiel. Mais n’est-il pas défait de sens car
utilisé à tort et à travers ? Hélas, se contenter de brandir ce
concept comme « la » solution miracle ne vous amène pas très
loin. L’enjeu premier – le travail de fond à effectuer pour
observer des modifications tangibles et mesurables –
demeure : Qui sont les véritables partenaires ? Combien sontils ? Quel pouvoir d’action représentent-ils vraiment ? Quelles
sont les conditions du « partenariat » ? Pour quels coûts,
quelles responsabilités ? Pour quels bénéfices attendus, et à
quel horizon temporel ? Que recherche l’acteur privé, la
sphère publique, et pour quel agenda respectif ? Le partenariat
est-il temporaire ou mis en place pour durer ?
De ces réponses à ces questions (rarement posées de la sorte)
dépendra la véritable valeur de ces partenariats. Aussi, dans
l’idée de partenariat, il y a celle de volonté commune des partenaires à s’unir. Si le Crédit Agricole décide de s’unir à deux
autres groupes bancaires dans un projet de financement
important, les trois partenaires doivent être satisfaits du résultat du partenariat. Le choix des partenaires et les termes du
partenariat sont donc à négocier.
Pour vous en convaincre, il est intéressant d’analyser les
conditions de « partenariats » de plusieurs systèmes en place
pour la couverture des risques de catastrophes. Pour certains,
le secteur privé de l’assurance a très largement bénéficié du
partenariat (au détriment de certaines catégories d’assurés, le
gouvernement laissant faire), comme on l’a vu de certains systèmes de couverture contre les inondations. Pour d’autres, il
est obligé de participer (cas du terrorisme en France et aux
États-Unis) selon des termes définis par la loi (donc par la
partie publique).
Cela n’est pas sans créer de tensions. Celles-ci risquent
d’ailleurs fort de s’accentuer avec l’accroissement des déficits
publics (réticence du Trésor à couvrir des risques qui relèvent
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pourtant d’une fonction régalienne, comme la menace terroriste) et une compétitivité accrue (réticence des assureurs à
couvrir des risques qu’ils ne couvriraient pas s’il n’y étaient
pas contraints par la loi). Notons ici que le refus d’un assureur, ou d’une banque, de couvrir un risque estimé trop
important ne constitue pas en soit une défaillance de marché,
comme on l’entend parfois. Cela constitue un signal de marché d’une activité jugée par trop risquée.
Dans une perspective de politiques publiques, il faut bien
faire la différence entre défaillance de marché et un légitime
souci d’équité. Par exemple, en France, tout(e)
habitant/entreprise doit être couvert(e) contre les inondations, et paie le même pourcentage de surcharge (12 %) de sa
prime de base. Il en résulte qu’un grand nombre de primes
d’assurance sont fortement subventionnées par ceux qui ne
sont pas du tout, ou très peu, exposés à ce risque. Économiquement, c’est inefficace ; mais c’est aussi adhérer à l’idée de
solidarité nationale.
Il me paraît donc primordial de bien définir, ex ante, les
termes du partenariat, afin de garantir son efficacité économique, sa cohérence politique et son impact d’équité. L’an
passé en France, deux rapports importants ont inscrit la question du rôle et de la responsabilité des secteurs public/privé
comme élément central de leur approche : le rapport public
2005 du Conseil d’État (Responsabilité et socialisation du
risque), et l’étude prospective dirigée par Guilhem Bentoglio
et Jean-Paul Betbèze au Commissariat Général du Plan (services du Premier ministre). J’en recommande la lecture.
Votre expertise sur ces sujets émergents est sollicitée par un
nombre croissant d’organisations, quels enseignements
tirer de l’évolution de vos travaux et initiatives des deux
côtés de l’Atlantique pour les dirigeants des grandes entreprises, des banques et du secteur de l’assurance ?
Ces risques extrêmes vont continuer de déstabiliser bon
nombre de compagnies. Nous avons été formés dans les
Grandes Écoles ou Universités à gérer la continuité ou, tout
au plus, des crises locales mais en univers stable, échelle limitée et connaissance du phénomène. Aujourd’hui, vous
confrontez votre organisation à des événements d’échelle très
large, en univers dont les référentiels changent très rapidement, et avec un haut niveau d’incertitude. Cela fait de la
prise de décision un art plus complexe. Certaines organisations resteront sur le bord de la route, stagnant ou régressant,
faute d’avoir anticipé assez tôt au niveau du comité de direction. D’autres ont déjà compris qu’il s’agissait d’un nouvel /...
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/... environnement, avec de nouvelles règles, et aussi d’impor-
tantes opportunités de marché. Et plutôt que de confier ces
questions à leurs seuls risk managers les ont portées à l’agenda
de leur conseil d’administration. C’est ce que nous nous
efforçons d’enseigner aux futurs grands leaders qui viennent
étudier à Wharton.
À plus large échelle, je m’applique à aider les décideurs à
mieux appréhender ces nouvelles opportunités, en leur évitant
les coups de tonnerre que la gestion au quotidien de leur
agenda ne leur permet pas toujours d’anticiper à temps. C’est
crucial, car les dirigeants seront en première ligne, sous le feu
des medias (voire de juges), lorsqu’une catastrophe surviendra.
Quant au secteur de l’assurance, il constitue aujourd’hui la
première industrie au monde, en termes de revenus générés
par son activité. Ajoutons le secteur bancaire, et vous avez ici
un géant, sans proche second. Les enjeux économiques pour
ces deux secteurs sont donc de tout premier plan.
La direction des affaires financières de l’OCDE (30 pays
membres), a d’ailleurs placé récemment la question de la gestion et du financement des risques à grande échelle comme
l’un de ses axes d’action prioritaires. Que les trois premières
entreprises à se joindre à l’initiative Global Risks de Davos
que je mentionnais plus haut soient trois leaders dans leur
domaine respectif est une parfaite illustration des nouvelles
priorités de marché. D’autres devraient nous rejoindre dans
les semaines à venir.
Ces risques extrêmes sont globaux. Ce qui vous affecte
aujourd’hui touchera demain d’autres, et réciproquement. Ils
appellent donc des initiatives globales. Positivement, ils
ouvrent à autant de fantastiques opportunités de marché pour
ceux qui savent les reconnaître et les saisir. En un mot, ces
sujets sont devenus stratégiques, car à très forte valeur ajoutée. Pour un grand groupe comme le Crédit Agricole,
à l’heure de l’implémentation du plan de développement initié récemment par le président René Carron, sans doute fautil voir ici une source fantastique de création de valeur à étudier plus avant.
14
Nouvelle ère, nouveau “Business model”
I N T E R V I E W
D E
E R W A N N
M I C H E L - K E R J A N
TRAVAUX RÉCENTS
Ouvrages/Rapports
• Traité des nouveaux risques. Éditions Gallimard, Folio-Actuel, Inédit n° 100
(avec O. Godard, C. Henry, P. Lagadec).
• Global Risks 2006 - World Economic Forum, Davos (www.weforum.org)
• Seeds of Extremes. How Private Action Can Reduce Public Vulnerability,
Cambridge University Press (avec P. Auerswald, L. Branscomb, T. LaPorte) (à
paraître, automne 2006).
Articles
• « Assessing, managing and financing extreme events », US National Bureau of
Economic Research, (avec H. Kunreuther et B. Porter).
• « Public-private partnerships for covering extreme events: Impact of information
distribution on risk-sharing «, (avec N. DeMarcellis), Asia-Pacific Journal of Risk
and Insurance, février 2006.
• « Looking beyond TRIA : A clinical examination of terrorism loss sharing »,
US National Bureau of Economic Research, (avec H. Kunreuther), mars 2006.
• « Quelle couverture financière du terrorisme en 2010 ? », Revue Risques, FévrierAvril 2006.
Media
• « Point de vue : Katrina », Le Monde, 4 septembre 2005.
•« Les États-Unis à l’heure des choix », Le Figaro, Opinion, 11 septembre 2005.
• « A new era calls for a new model », International Herald Tribune, (avec
P. Lagadec), 1er novembre 2005.
•« Grippe aviaire : pourquoi la menace doit être prise au sérieux. 3 questions à... »,
L’Argus de l’assurance, 20 janvier 2006.
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L’introduction des extrêmes
dans la mesure des risques
ADRIAN ROCHE
DIRECTION DES ETUDES ECONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
ERIC SALOMON
DIRECTION DES RISQUES GROUPE,
RISQUES OPÉRATIONNELS, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
L’augmentation des pertes économiques et financières causées par les risques extrêmes a révélé la nécessité de compléter les outils classiques de mesure du risque, toutes activités confondues. Les réflexions et la recherche ont ainsi été
particulièrement stimulées dans les équipes quantitatives de
mesure du risque. Celles-ci ont mis à la disposition des managers et des marchés financiers des outils spécialement dédiés
aux événements extrêmes, qui se diffusent et se standardisent peu à peu.
L a prise en compte des événements extrêmes dans l’organisation de l’économie n’est pas un phénomène nouveau. Différents vestiges antiques, retrouvés en Chine ou en Egypte,
prouvent en effet de façon étonnante que les civilisations
confrontées aux aléas extrêmes de la nature tâchaient déjà de
s’en accommoder. Sur la colonne nilométrique de Rodâh par
exemple, située près du Nil, ont été gravés pendant plus de
huit siècles, les niveaux de crue du fleuve. Ces statistiques servaient au calcul des impôts payés au calife. Les caprices climatiques, aux effets déterminants sur l’activité humaine, existent
toujours. La nouveauté de notre époque est d’avoir multiplié
le champ des possibles et l’ampleur des extrêmes à mesure que
se sont développés les industries et les services, que les populations se sont concentrées et l’économie globalisée. Les nouveaux extrêmes, dont les facteurs de risque sont proprement
liés à l’homme, se sont ajoutés à ceux issus de la nature, sans
les faire disparaître. Dans cet article, nous nous intéressons
particulièrement aux éléments extrêmes défavorables. Un
échantillon de différents phénomènes notoires récents montre /...
17
N U M É R O
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–
M A R S
2 0 0 6
/... que les extrêmes sont partout et qu’ils ne sont nullement
anecdotiques.
• Katrina (2005), l’un des ouragans les plus destructeurs, a
provoqué plus de 50 milliards de dollars de dégâts aux ÉtatsUnis ;
• « Le tsunami » (2004), en plus des dégâts environnementaux
et humains, a détruit environ 10 milliards de biens publics et
privés répartis sur l’Indonésie, l’Inde, la Thaïlande, le Sri
Lanka et les Maldives.
Outre ces catastrophes naturelles, les risques extrêmes sont
présents dans la finance et l’industrie et apparaissent également sous la menace terroriste.
• Le krach boursier du 19 octobre 1987 provoqua la baisse la
plus importante du Dow Jones, soit 22,6 % en une journée ;
• Alcatel est le titre du CAC 40 qui a connu la plus forte
baisse à ce jour : – 38,4 % le 17 septembre 1998, après une
annonce décevante de son président sur les futurs résultats de
l’entreprise ;
• La faillite de la Barings (1995), après une perte sèche de
1,3 Md $ sur une position spéculative défavorable prise sans
l’accord des dirigeants ;
• La faillite de WorldCom (2002), après plusieurs années de
manipulation frauduleuse des comptes, est la plus coûteuse de
l’histoire économique : 104 Mds $ d’actifs partent en fumée ;
• L’incendie de l’ancien Crédit Lyonnais (1996), fut l’un des
plus importants de France, avec des dégâts totaux assurés
s’élevant à 315 millions d’euros ;
• L’explosion de l’usine AZF (2001) a coûté au final 1 milliard d’euros ;
• Les pertes directes occasionnées par l’attaque du 11 septembre 2001 aux États-Unis sont estimées à 80 Mds (dont
32,5 couverts par les assureurs et réassureurs).
Les points communs de ces événements sont l’ampleur des
pertes qu’ils ont causées et leur petite fréquence. Ces deux
critères vont permettre de définir les extrêmes, pas de façon
intrinsèque, ce qui n’aurait aucun sens, mais relativement
aux événements récurrents. Il convient donc, au préalable,
de fixer les seuils de taille et de fréquence à partir desquels
un phénomène économique peut être qualifié d’extrême.
Pour cela, l’observateur considère la période de référence,
dont la durée est liée à la nature même des problèmes économiques en cause. Celle-ci peut aller du siècle ou plus pour
les investissements publics d’infrastructure (barrages, digues,
ponts...), à la journée, voire l’heure pour les traders sur les
18
L’introduction des extrêmes dans la mesure des risques
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marchés des changes, en passant par la décennie pour certains investisseurs institutionnels. La conjonction d’une probabilité d’occurrence associée à une période de référence
permet de définir la notion de « temps de retour », qui est la
plus pertinente des définitions pour caractériser un risque
extrême car elle définit une échelle commune de mesure
pour la rareté. Comment savoir par exemple la probabilité
de défaut la plus élevée entre une probabilité de 0,7 % pour
un horizon d’un an et une probabilité de 1,9 % pour un
horizon de trois ans ? Le temps de retour dans le premier cas
est de (1/0,007) × 1 an = 143 ans et de (1/0,019) × 3 ans =
158 ans dans le second. Autrement dit, le premier événement est moins « rare » que le second, car il se produit une
fois tous les 143 ans.
LES FAILLES DES MESURES USUELLES
L es statistiques traditionnelles, qui étudient un phénomène à
travers son comportement moyen, caractérisent mal les
extrêmes. Elles fournissent uniquement des indications sur la
distribution générale d’un phénomène.
Le graphique suivant représente un indice (de distribution
empirique) mesurant le coût annuel de tous les sinistres assurés dus aux catastrophes naturelles aux États-Unis pendant la
période 1956-1994. On constate que l’essentiel des risques est
concentré sur les petites valeurs, mais qu’il existe des
catastrophes très coûteuses. Une année a été particulièrement
catastrophique, avec un indice compris entre 48 et 50. Cette
zone est appelée queues de distribution en statistiques, c’està-dire la représentation graphique de l’ensemble des événe/...
ments extrêmes.
INDICE DU COÛT DES SINISTRES DUS AUX CATASTROPHES NATURELLES AUX ÉTATS-UNIS
0,2
Distribution
empirique
Probabilité
0,15
Distribution
log-normale
0,1
0,05
Indice de coût
0
2
6
10
14
18
22
26
30
34
Note : Zajdenweber (1999), « Économie des extrêmes », Flammarion.
19
38
42
46
50
Source : Zajdenweber, CA
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/... Nous pouvons calculer la moyenne et l’écart type de la distri-
bution, de façon à ajuster une distribution de type log-normale (1) , démarche courante en statistiques (2) . Le résultat que
nous obtenons est net graphiquement : les queues de distribution sont largement sous-évaluées. La probabilité empirique
est égale à 0,025 contre 0,009 selon la distribution log-normale. L’interprétation de ces probabilités en temps de retour
est plus démonstrative de la qualité des estimations. Empiriquement, il faut attendre 40 ans pour que se produise une
catastrophe entraînant un coût d’indice 50 ou plus, contre
111 sous la distribution log-normale.
De la même façon, sous une hypothèse normale, le temps de
retour d’un krach boursier de type 1987 est de 15 milliards
d’années, soit l’âge de l’univers. En d’autres termes, pour une
variation des prix d’une amplitude de 10 écart types, la probabilité vaudrait 1 / 15 × 10 9 , ce qui n’est pas réaliste. Au
regard des différents épisodes financiers du siècle, il devient
ainsi nécessaire de changer d’outils d’analyse.
VERS DES MESURES STATISTIQUES SPÉCIFIQUES
I l est très important de bien modéliser les queues de distribution pour éviter des erreurs grossières de prévision. Il existe
pour cela deux démarches distinctes que nous présentons
maintenant. La première consiste à utiliser une loi statistique
qui reproduit les queues de distribution empirique, sans se
préoccuper de la répartition des valeurs moyennes. La seconde
caractérise les extrêmes à partir de la distribution globale d’un
phénomène ; c’est l’objet de la théorie des valeurs extrêmes.
Vilfredo Pareto, en 1886, fut le premier à rendre compte des
extrêmes et à fournir une fonction mathématique s’ajustant aux
données empiriques. Elle fut mise en évidence par l’auteur pour
caractériser la distribution des revenus des ménages, mais son
application actuelle est aujourd’hui bien plus vaste, notamment
en assurance. La démarche est à l’origine très pragmatique, puisqu’elle utilise comme support la courbe des fréquences cumulées. Le graphique suivant est un exemple typique. Il répond ici
à la question : combien y a-t-il d’ouragans dont le dommage
causé à été supérieur ou égal à un montant donné ?
(1) La loi log-normale équivaut à l’exponentielle d’une loi normale. On y a souvent
recours lorsque la modélisation porte sur des variables aléatoires positives.
(2) L’hypothèse de Normalité ou hypothèse Gaussienne est largement exploitée en
finance. Cette importance est justifiée, notamment par le fait qu’il s’agit de la distribution naturelle des erreurs de mesure, mais aussi parce qu’elle intervient dans
le théorème de limite centrale selon lequel la moyenne de n réalisations indépendantes de la même loi de probabilité (éventuellement inconnue) converge vers une
loi normale. Elle est également couramment utilisée pour modéliser le rendement
des actifs financiers. Le célèbre modèle de Black et Scholes, qui utilise un processus
de diffusion dont la distribution est Gaussienne, en est une bonne illustration.
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L’introduction des extrêmes dans la mesure des risques
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FRÉQUENCE CUMULÉE DES DOMMAGES DUS AUX OURAGANS AUX ÉTATS-UNIS
10
1
0,1
1
Pertes (échelle log)
10
100
Note : Pielke & Landsea (1998) : « Normalized hurricane damages in the United States 192595 », Weather and Forecasting, vol 13.
Toute l’information sur les extrêmes est contenue dans la partie
droite de la courbe. Le premier point sur l’axe des abscisses
signifie qu’un seul cyclone a causé dans le passé des dégâts supérieurs à 70 Mds $ (en valeur de 1995), il s’est produit en 1926.
Plus généralement, la courbe est caractérisée par une section
concave qui correspond aux petites valeurs allant jusqu’à
5 Mds de dégâts, puis les plus grandes s’ajustent à une droite
de pente égale à – 0,8. On appelle cette droite la droite de
Pareto. L’ajustement des réalisations extrêmes à cette fonction
va permettre d’évaluer, par interpolation, des pertes potentielles qui ne se sont jamais produites dans le passé. Par
exemple, on peut estimer que la probabilité d’occurrence d’un
ouragan causant des pertes de 100 Mds $ de dégâts est de
0,03 pour une période de 80 ans (durée de notre historique),
soit une fois tous les : (1/0,03) × 80 ans = 2 666 ans.
Le problème de ce type d’estimation est lié aux caractéristiques de la pente de la droite. En effet, lorsqu’elle est inférieure ou égale à – 2, la distribution n’a plus d’écart type
défini et lorsqu’elle est inférieure ou égale à – 1, l’écart type
mais aussi la moyenne sont infinis. Cela signifie qu’il est alors
impossible de couvrir le risque associé selon une approche de
type Value at Risk (VaR) ou même d’en calculer le coût.
L’application de la Théorie des Valeurs Extrêmes (TVE)
donne un cadre plus systématique, rigoureux et cohérent que
l’exemple précédent. En effet, son théorème principal permet
de déduire la distribution des extrêmes à partir de la distribution totale, sans traiter séparément les extrêmes des risques
récurrents. Il existe deux méthodes possibles d’estimation. La
plus ancienne, qui date de 1975, est dite « méthode des excès »
ou POT (Peaks Over Threshold). Elle estime la distribution /...
21
Source : Pielke & Landsea , CA
Fréquence
100
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/... statistique des extrêmes à partir des données observées au-delà
d’un certain seuil suffisamment élevé. Le théorème de Pickands donne la forme de la loi limite pour les valeurs
extrêmes : sous certaines conditions de convergence, la distribution limite est une loi de Pareto généralisée.
La forme la plus aboutie de la TVE est récente (1997). Elle
permet d’estimer les probabilités d’événements rares en extrapolant le comportement de la queue de distribution à partir
des plus grandes données observées. Elle décrit les limites possibles de la loi statistique du maximum de n réalisations indépendantes d’une même variable aléatoire. D’après le théorème
de Fisher-Tipper, si cette limite existe, la loi limite ou loi des
valeurs extrêmes converge vers l’une des lois suivantes : une
loi de Fréchet, de Gumbel ou de Weibull.
Ce résultat fondamental sur la loi des extrêmes est un analogue du théorème de limite centrale pour la moyenne.
PRINCIPE DE LA TVE POUR LA LOI NORMALE
1,2
Normale
N=2
N=5
N = 10
N = 50
Gumbel
1
f(x)
0,8
0,6
0,4
0,2
0
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
En pratique, si la modélisation porte sur l’ensemble de la distribution (toutes les réalisations du phénomène) on utilise la loi
Normale usuelle. Mais à mesure que l’on exclut les valeurs
récurrentes de l’échantillon, pour ne conserver que les réalisations maximales sur une période donnée, la distribution s’épaissit, se déplace vers la droite et converge vers une loi de Gumbel.
Cette méthode permet d’obtenir des temps de retour plus vraisemblables pour la mise en place de tests de stress que la loi de Gauss.
Appliquons par exemple la TVE au marché boursier pour répondre
au type de questions suivantes : quelle est la probabilité d’occurrence
d’un krach de type 1987 ou encore d’une baisse de 30 % en journée
sur le CAC 40, un mouvement n’ayant encore jamais été enregistré ?
Les premières données dont nous avons besoin sont les historiques
de cours, desquels nous déduisons l’historique des variations :
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L’introduction des extrêmes dans la mesure des risques
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COURS DES INDICES
12 000
CAC 40
10 000
Dow Jones
8 000
6 000
4 000
2 000
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001
Source : Datastream, CA
20
RENDEMENT JOURNALIER DES INDICES
(en %)
15
10
5
0
-5
-10
-15
-20
-25
1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001
Source : DRG, CA SA
Puis, nous retenons de cet échantillon les mouvements
extrêmes réalisés chaque mois et la TVE nous permet d’y
associer une loi de probabilité. Les résultats en temps de
retour s’obtiennent par simple lecture du graphique ci-dessous : une baisse du Dow Jones identique ou supérieure à
celle du Krach de 1987 survient tous les 50 ans et une baisse
/...
de plus de 30 % peut revenir tous les 100 ans environ.
Echelle de risque (en %)
ESTIMATION DES TEMPS DE RETOUR DES STRESS SCENARII
0
-5
-10
CAC 40
-15
Dow Jones
-20
-25
-30
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Source : DRG, CA SA
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/... CONCLUSION
P ar définition, les risques extrêmes sont rares. En pratique,
les estimations que l’on cherche à produire correspondent
parfois à des niveaux de risque complètement inconnus car
absents des historiques. La crédibilité des extrapolations
devient alors suspecte. Que penser par exemple d’une probabilité estimée pour un séisme de magnitude 4 dans une région
où en plus d’un siècle, des magnitudes uniquement comprises
entre 0 et 2 ont été enregistrées ? Cette critique doit rappeler
qu’il est nécessaire d’interpréter les estimations avec précaution. Néanmoins, elle ne peut être un frein à son application
opérationnelle. En effet, il est nécessaire pour les gestionnaires d’attribuer des valeurs numériques à leurs scénarii et la
TVE est l’outil scientifique le plus rigoureux qui existe à ce
jour pour effectuer ces évaluations.
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Gérer le risque extrême :
le point de vue
d’un réassureur
GODEFROY DE COLOMBE
DIRECTEUR DES AFFAIRES PUBLIQUES, SCOR
Le coût des catastrophes augmente de manière exponentielle
depuis quelques années. L’économie mondiale parvient toutefois à absorber ces destructions de valeur exceptionnelles,
grâce au développement et à la sophistication des mécanismes de marché d’assurance et de réassurance, donc au
transfert et à la dispersion des risques catastrophiques à
l’ensemble de l’économie mondiale.
Les risques modernes, extrêmes, sont quant à eux souvent
abstraits ou invisibles et encore mal maîtrisés. Ils requièrent
ainsi un approfondissement de la réflexion collective et politique pour mieux les appréhender.
L ’émotion planétaire suscitée par le tsunami de décembre
2004 avait clôturé une année record pour l’assurance et la
réassurance mondiale : 300 000 morts, 123 milliards de dollars américains de dommages économiques, dont 42 milliards
supportés par le secteur de l’assurance. 2004 dépassait ainsi
l’année 2001, année du World Trade Center, qui avait constitué le plus grand choc de l’assurance mondiale.
LE RISQUE CATASTROPHIQUE
L e record ne durera pas longtemps. Car l’année 2005 double
quasiment ces chiffres. Les tempêtes en Europe du Nord en
janvier, les inondations en Europe centrale puis en Inde en
août, et la série historique de quatre cyclones de force 3 a
causé des dommages estimés à 225 milliards de dollars, dont
/...
plus de 80 milliards de dommages assurés.
25
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LES DIX PLUS GROS SINISTRES POUR L’ASSURANCE (1970 - 2005)
Pays
États-Unis
États-Unis ; Bahamas
États-Unis
États-Unis
États-Unis ; Caraïbes
États-Unis ; Caraïbes
Etats-Unis ; Caraïbes
Japon
États-Unis
Europe
Cyclone Katrina
Cyclone Andrew
Attentats du 11/09/2001
Tremblement de terre Northridge
Cyclone Wilma
Cyclone Yvan
Cyclone Charley
Typhon Mireille
Cyclone Rita
Tempête Daria
Année
2005
1992
2001
1994
2005
2004
2004
1991
2005
1990
Coût (en USD milliards)
45
21
20
17,8
11 (est.)
11
8
7,8
7 (est.)
6,6
Source : Swiss Re, SCOR
/... Le cyclone Katrina illustre à lui seul l’inflation des coûts des
catastrophes naturelles. La facture de l’ouragan qui a dévasté
La Nouvelle-Orléans atteindra 45 milliards de dollars pour les
assureurs. Là encore, c’est deux fois le coût de la catastrophe
naturelle la plus onéreuse jusqu’ici, l’ouragan Andrew et ses
21 milliards de dollars de dégâts assurés en 1992.
milliards de $
COÛT DES SINISTRES CATASTROPHIQUES ASSURÉS (1970-2005)
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
71
73
75
77
79
81
83
85
87
Catastrophes naturelles
89
91
93
95
97
99
01
Catastrophes d’origine humaine
)
03 (est.
05
Source : Swiss Re, SCOR
La fréquence des événements catastrophiques extrêmes semble
s’accélérer. Pour l’industrie du risque, la question est de savoir
s’il s’agit d’un pic des lois de probabilité ou de la déformation,
voire du déplacement de la distribution statistique historique
des catastrophes naturelles. Statistiquement, la période de
retour de Katrina est comprise entre 10 et 25 ans ; la période
de retour de Katrina, Wilma et Rita quasiment au même
endroit du globe et dans la même saison est centenaire. Ces
périodes de retour sont exceptionnellement longues, mais elles
existent dans les hypothèses des modèles statistiques.
Aujourd’hui, l’industrie est divisée et manque de la profondeur statistique nécessaire pour trancher entre ces deux inter26
Gérer le risque extrême : le point de vue d’un réassureur
G O D E F R O Y
D E
C O L O M B E
prétations : les événements constatés appartiennent-ils à la
distribution de probabilité en vigueur ou à une nouvelle distribution qui trouverait son origine, par exemple, dans les
changements climatiques.
De manière certaine en revanche, les coûts de ces catastrophes
augmentent de manière exponentielle (voir graphique ci-dessus). C’est certes une conséquence d’une plus grande fréquence conjoncturelle. Mais ces chiffres résultent surtout de
la pénétration croissante de l’assurance, de l’urbanisation
accrue qui accélère la concentration des richesses, du développement économique rapide dans les zones à risques (Californie, Asie du Sud-Est, Japon, etc.) et de l’augmentation de la
valeur moyenne de la vie humaine.
L’économie mondiale parvient aujourd’hui néanmoins à
absorber ces destructions de valeur exceptionnelles. Cette
prouesse, à laquelle s’habitue l’opinion publique sans en réaliser la performance, résulte du développement et de la sophistication des mécanismes de marché d’assurance et de réassurance, autrement dit de transfert et de dispersion des risques
catastrophiques à l’ensemble de l’économie mondiale. En
dépit de l’ampleur de ces catastrophes et de ces records historiques, la chaîne de l’assurance et de la réassurance a démontré sa solidité au cours des deux dernières années. De même,
en 2001, quand aux dommages du World Trade Center au passif des bilans de réassurance s’est ajouté la crise des marchés
financiers à leur actif. Deux facteurs expliquent largement
que l’industrie ait surmonté ces stress test et en montrent également les limites :
(i) Du point de vue technique, réassureurs et rétrocessionnaires (les réassureurs des réassureurs) font appel à des
modèles mathématiques afin de déterminer avec précision
l’exposition de leurs bilans aux risques catastrophiques dans le
monde, la gestion de leurs cumuls de risques et donc le capital nécessaire à allouer à leurs souscriptions de risques catastrophiques. Ces modèles constituent en outre les instruments
de calcul des besoins de protection financière des réassureurs
eux-mêmes (la rétrocession).
La fiabilité de ces modèles dits « cat models » a été mise en
doute lors de la survenance de Katrina. Ce débat fut largement
trompeur car il oubliait trop souvent que les modèles n’ont pas
pour vocation de prévoir l’avenir, ce qui peut paraître une
banalité, mais toutefois utile à rappeler. Les modèles sont utilisés pour le contrôle des expositions catastrophiques. Ils se
renforcent donc en puissance et complètent les bases de données à chaque grande catastrophe, tant du fait des données
empiriques que procure l’analyse des destructions que sous /...
27
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/... l’effet de la pression des utilisateurs qui, face à des montants
de plus en plus élevés, veulent connaître avec toujours plus de
fiabilité leurs expositions. Ainsi, c’est après l’ouragan Andrew
en 1992 que les modèles ont réellement connu leur avènement
et ont commencé à être utilisés comme des éléments-clés du
contrôle des risques des grands réassureurs et rétrocessionnaires. Et, sans surprise, au cours des derniers mois, les principaux modèles utilisés et commercialisés sur le marché ont proposé de nouvelles versions de leurs calculateurs.
(ii) Ensuite, le fonctionnement des marchés de l’assurance et
de la réassurance a permis d’absorber ces chocs majeurs en
série du fait de la réactivité accrue des marchés de transferts
des risques. Ces derniers, qui étaient orientés fortement à la
baisse au début de l’été, ont réagi rapidement et intégré les
conséquences qu’auront aujourd’hui et demain cette sinistralité exceptionnelle sur les résultats des acteurs. Les tarifs sont
ainsi repartis en hausse sur la quasi-totalité des lignes de marché de grands risques, et l’on peut s’attendre à ce que cette
tendance perdure du fait de la durée nécessaire à la reconstitution des fonds propres et des réserves. La rétrocession a
connu des hausses de taux particulièrement fortes qui ne manqueront pas de se répercuter sur les primes des réassureurs et,
in fine, n’en doutons pas, des assureurs. Si une certaine viscosité, d’un an ou deux, est inévitable, ne serait-ce que par le
temps de remontée des sinistres et d’une forme de mutualisation inter-temporelle des pertes, le marché de l’assurance,
réassurance et rétrocession, démontre une certaine efficience.
Dès lors, et en dépit des incertitudes inhérentes à « l’indomptabilité » de la nature qui, pour ceux qui en doutaient, est et
reste la principale cause des grandes catastrophes dans le
monde, le risque de catastrophes naturelles n’apparaît pas en
tête des « risques extrêmes » qu’identifient les professionnels
du risque.
LES 10 PLUS GRANDS RISQUES EN 2006
Virus, attaque informatique
Globalisation
Risque juridique
Risque d’exploitation
Responsabilité civile
Instabilité des régimes de régulation
Risques liés à la consommation
Catastrophes naturelles
Risques comptables
Terrorisme
Source : Swiss Re Corporate Risk Survey, 2006
28
Gérer le risque extrême : le point de vue d’un réassureur
G O D E F R O Y
D E
C O L O M B E
LES RISQUES EXTRÊMES
D epuis 15 ans, la principale nouveauté en matière de risques
extrêmes est ailleurs. Les risques extrêmes se définissent
comme les risques dont on ne sait pas si le système d’assurance sera capable de les supporter. Or, le changement de
nature sans précédent de notre univers des risques fait apparaître de nouveaux risques extrêmes car largement inconnus,
incontrôlés et particulièrement anxiogènes dans leur perception. Les risques extrêmes sont aujourd’hui caractérisés par le
fait qu’ils sont (i) abstraits et/ou invisibles et que (ii) les institutions chargées de la gestion de ces risques vacillent.
(i) Les nouveaux risques sont abstraits et complexes. Les ouragans, les tremblements de terre ou même les accidents de la
route sont des risques majeurs, massifs et pourtant cernés et
donc appréhendables, acceptés et contre lesquels le système de
protection a démontré une certaine résistance. Les risques
modernes, à l’inverse, apparaissent abstraits : ce sont pour
beaucoup des concepts, au premier rang desquels « la globalisation », « le libéralisme », « le réchauffement de la planète » ou
le « trou d’ozone ». Ces concepts totalisants sont présentés
comme des risques qui concernent toute la population et cette
abstraction de la responsabilité accroît le sentiment d’impuissance et de vulnérabilité.
Les risques modernes sont invisibles. Au premier rang des
risques extrêmes de demain identifiés par une analyse du risk
management des 250 plus grandes entreprises mondiales (voir
encadré) : les risques liés au développement des NTIC (virus
informatiques, piratage internet, intrusion électronique, protection des droits de propriété, bugs et sécurité des réseaux,
nanotechnologies) - invisibles, relativement abstraits et maîtrisés par une poignée de spécialistes dont le langage paraît
inabordable à la plupart des décideurs. Autres risques
extrêmes, les risques de pandémie (SIDA, SARS, grippe
aviaire) dont les modes de propagation sont incontrôlés, les
modes de transmission méconnus et contre lesquels les modes
de protection traditionnels (vaccins, traitement médicaux)
sont inefficaces.
De même, pour les risques de radiation (champs électromagnétiques, atome) : invisibles et à forte capacité anxiogène ;
les risques génétiques dont la manipulation touche autant à
l’éthique qu’à la médecine (Prion - vache folle, OGM, principes actifs médicamenteux) et dont l’appréhension appartient
à un temps long incompatible avec le besoin immédiat (économique et politique) d’assurance des sociétés développées.
Les risques de contamination (amiante, pollution) ou les
risques bactériologiques (Anthrax, sarin) participent eux aussi /...
29
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–
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2 0 0 6
/... de ces risques modernes dont une des caractéristiques pre-
mières est l’invisibilité.
(ii) Les risques modernes paraissent mal maîtrisés : la nature
des risques, leur diffusion, leur prévention font sans cesse
l’objet de débats d’experts caractérisés par l’incertitude, l’indétermination et l’indécision. La plupart des débats sur les
risques modernes apparaissent ésotériques aux yeux du public.
L’incertitude ou l’impuissance qui en ressort alimente sans
cesse la perception de ces risques.
De plus, les institutions supposées prendre en charge les
risques apparaissent elles-mêmes risquées, « les boucliers »,
concept très présent dans les discours politiques des sociétés
modernes, apparaissent percés... La menace perçue et réelle
des risques extrêmes est aussi générée par l’inadaptation des
institutions censées gérer le risque. C’est ainsi l’exemple du
risque de longévité, amplifié par le doute face aux capacités à
long-terme des régimes de retraite, ou le risque maladie qui
devient un risque extrême lorsque se multiplient les maladies
nosocomiales dans les hôpitaux.
Le risque type de cette nouvelle ère est le terrorisme : invisible, touchant des populations de manière totalement aléatoire – sans repérage économico-social traditionnel – et dont
les institutions traditionnelles (armée, services de renseignements) semblent peu adaptées pour protéger de la menace. Le
terrorisme engendre ainsi la terreur et la déstabilisation des
États autant par les actes qu’il commet que par la propagation
d’un sentiment généralisé de vulnérabilité au sein de l’ensemble de la population. Les moyens jusqu’à présent utilisés
par les terroristes sont ceux principalement de la prise
d’otages (Munich), de la bombe (Madrid ou Londres), de la
destruction massive par des avions détournés (New York). La
menace majeure qui guette les sociétés modernes réside dans
l’emploi de moyens qui engendrent un sentiment de vulnérabilité maximum, comme une bombe sale. Se « croiseraient »
alors risques modernes (radiation, bactérie) et terrorisme. Ce
risque dit « d’hyper-terrorisme » est le risque extrême type.
MATHÉMATIQUE ET SOCIOLOGIE
DU RISQUE EXTRÊME
C e changement de paradigme de la nature des risques est
lourd de changements dans sa gestion des grands risques. En
premier lieu, les risques traditionnels étaient des risques
sériels. Liés à un événement défini, les dommages étaient ainsi
circonscrits dans l’espace et dans le temps. Les risques
modernes sont des risques latents, dont la datation est souvent imprécise, la diffusion large et dont les manifestations
30
Gérer le risque extrême : le point de vue d’un réassureur
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“
La notion de risque
entraînent des réactions en chaîne et l’apparition de nouveaux
risques (le risque d’explosion d’un moteur, lui-même lié au acceptable a changé
risque de pollution, de perte d’exploitation d’une entreprise, alors même qu’au
d e r e s p o n s a b i l i t é a c c i d e n t s d u t r a v a i l , e t c ) . L e s r i s q u e s quotidien la sécurité
modernes sont extrêmes parce qu’ils sont « hyper-corrélés » et est souvent plus grande
limitent les possibilités de mutualisation des uns par les qu’auparavant.
autres, mettant ainsi en tension le système même d’assurance Le sentiment selon
lequel tout dommage
et de protection.
En second lieu, les outils probabilistes traditionnels sont peut et doit être imputé
i n a d a p t é s à l ’ a p p r é h e n s i o n d e c e s r i s q u e s e x t r ê m e s : l a à une personne privée
ou publique et doit,
moyenne n’existe plus dans le nouvel univers des risques. Dans
que ce soit le cas
les modèles usuels de l’économie théorique de l’assurance,
ou non, ouvrir droit
seuls les événements moyens sont pris en compte (gain moyen
à une indemnisation,
et espérance mathématique de la valeur du sinistre) et c’est
se généralise.
cette « moyennisation » qui permet le traitement rassurant des La perception du risque
risques. Or, le hasard a lui-même changé de nature. Dans le est accentuée par
cas des risques modernes, les coûts des sinistres ne sont plus la médiatisation des
distribués de manière traditionnelle et convergente (gaussienne grandes catastrophes
diraient les statisticiens), mais de manière erratique et impré- (Seveso, Tchernobyl,
visible ou tout simplement inconnue du fait de la nature AZF...) et par la crainte,
même de ces nouveaux risques. Le hasard moderne est un face à l’accélération des
« hasard sauvage » (1). Les théories probabilistes applicables sont progrès scientifiques
dès lors fondées sur le théorème « des valeurs extrêmes » dont et techniques, des
la principale caractéristique est l’absence d’échelles connues et menaces pour la santé
maîtrisées – situations, par exemple, dans lesquelles les et l’environnement, en
sinistres sont d’autant plus chers qu’ils sont peu probables, ce particulier, qu’engendre
qui signifie que l’espérance de la loi de probabilité est infinie. l’activité humaine.
Face aux risques extrêmes, la gestion du risque se change donc Mais les catastrophes
d’une gestion fondée sur l’expérience passée à une gestion de naturelles et les agents
infectieux ont causé
l’exposition présente et future aux risques nouveaux.
Dans une société toujours plus averse au risque et dont le et continuent de causer
risque devient la principale variable politique, ces change- infiniment plus de
ments sont particulièrement sensibles car ils touchent les victimes et de dommages
limites mêmes de la sécurité. À l’inverse d’une demande poli- que l’ensemble
tique grandissante des sociétés développées de « risque zéro », des catastrophes
technologiques.
ils affirment la réalité des risques et le besoin de toute société
« Responsabilité et
d’en porter une partie. Autrement dit, le risque extrême
socialisation du risque »,
moderne est la baisse tendancielle du risque socialement
Conseil d’État,
acceptable.
Rapport public 2005.
À cet égard, la jurisprudence, qui mesure dans ses identifications de responsabilités et ses décisions d’indemnisation
l’évolution du risque socialement acceptable, donne une illustration éloquente. Dans l’évolution des régimes de responsabilité, la place de la responsabilité sans faute est une tendance /...
”
(1) Benoit Mandelbrot, « Hasard, fractales et finance », 1997.
31
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/... lourde. La notion de préjudice elle-même évolue fortement,
son acception s’étendant de plus en plus aux cas pour lesquels
aucune responsabilité ne peut (et ne pourra demain) être retenue, ce qui est le cas de la plupart des risques modernes.
QUELLE GESTION DES RISQUES EXTRÊMES ?
F ace à l’évolution des risques, une chose reste certaine : la
gestion des risques est et reste la définition d’une clé de répartition du capital nécessaire pour faire face aux sinistres éventuels engendrés par ces risques qui ne génèrent pas de « risque
systémique », i.e. une définition qui ne mette pas en risque
par son énonciation le système d’assurance au sens large
(privé ou public-privé traditionnel).
Gérer les risques extrêmes est donc in fine une question politique de définition de la frontière entre assurance et solidarité, c’est-à-dire de portage direct du risque par la société. Les
fonds d’indemnisation, mêlant contribution des responsables
et financement des assurés, sont une forme de réponse (utilisée, par exemple, dans les cas des contaminations accidentelles
par le VIH, ou des victimes de l’amiante). La garantie de
l’État au-dessus d’une certaine exposition des marchés de
transferts de risque en est une autre, avec l’inévitable risque
d’aléa moral et la difficulté de la définition du seuil de solvabilité du système d’assurance. La couverture du risque terroriste dans la plupart des pays développés est souvent inspirée
de ce schéma.
Néanmoins, la socialisation du risque a elle-même une limite
financière indépassable, définie par l’acception publique du
risque qui sera portée individuellement, comme le montrent
les débats récurrents sur la réforme de l’assurance maladie par
exemple. De même, l’obligation d’assurance imposée à certaines professions n’est imposable que si le coût en est économiquement supportable.
La gestion des risques extrêmes est donc aussi, et avant tout,
une réflexion collective, politique et pourtant urgente.
Réflexion sur la prévention et l’économie du risque : « À quel
prix doit-on reconstruire la Nouvelle-Orléans ? », demande ainsi
Howard Kunreuther in Lessons from Hurricane Katrina
(2005). Réflexion sur la notion d’indemnisation dont les
quantums doivent parvenir à une harmonisation ou, au
moins, à une stabilisation. Réflexion sur le principe de précaution qui doit être un principe d’action et non un principe
d’abstention vis-à-vis de risques incertains ou inconnus.
Réflexion sur la liberté individuelle qui est essentielle aux
sociétés modernes, mais qui, par essence, n’existe pas sans une
part de risque individuel.
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Des assureurs résilients
SERGE OPPENCHAIM
DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
La résilience mesure la résistance d’un métal aux chocs.
Emprunté à la physique, ce terme s’applique bien à l’Assurance. Face aux catastrophes qui frappent la planète depuis
2001, le secteur a en effet tenu ses engagements et sa capacité de réaction s’est renforcée.
A ucune grande société d’assurance n’a fait faillite à la suite
des catastrophes. Les dernières défaillances liées à des sinistres
exceptionnels remontent à 1991 et 1999, et encore ne s’agissait-il que de petits réassureurs, l’un australien, l’autre singapourien. De même, une seule compagnie d’assurance a été
placée sous tutelle aux États-Unis en 2004 alors que treize
typhons s’abattaient sur le pays.
Le secteur de l’assurance a donc absorbé les chocs. Son résultat d’exploitation total est resté constamment positif. Il a
même retrouvé en 2004 son niveau de 1998, avec cependant
des différences de situation. Aux États-Unis par exemple, les
pertes techniques constatées depuis 2000 sont compensées par
les revenus du portefeuille d’investissements.
Pourtant, la Bourse porte un regard sévère sur l’Assurance.
L’indice mondial mesurant le jugement des marchés financiers
sur les réassureurs est tombé à 30 à la fin de 2003, partant
d’une base 100 au début de 2001. Il s’établit aujourd’hui aux
alentours de 50. Les réassureurs européens ont d’ailleurs été
plus sanctionnés que leurs homologues des États-Unis. Au gré
des événements, l’indice américain fluctue en effet entre un
plancher de 85 et un plafond de 130, et l’européen entre 20 et
50. Les assureurs « dommage » ont vécu la même descente aux
enfers, leur indice passant sous la barre des 45 dans les derniers
mois de 2003. Les Américains sont depuis remontés au niveau
100, tandis que les Européens stagnent sous le seuil des 70.
Comment expliquer cette suspicion ?
Les marchés amplifient souvent les événements et ont tendance à accentuer les décotes. La perte de capitalisation subie
par les compagnies d’assurance après les attentats du 9 septembre 2001 a ainsi été supérieure au montant des indemnisations directes qu’elles devaient verser. Cette différence intègre
les incertitudes sur les conséquences exactes de l’attaque et sur /...
33
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/... le risque de multiplication des opérations terroristes. Elle
reflète également les interrogations du marché sur l’issue des
litiges engagés contre les assureurs, voire sur leur volonté de
se développer dans des pays émergents situés dans des zones
de grande fragilité climatique ou sociale.
Quant à la disparité de traitement entre compagnies européennes et américaines, elle provient probablement de l’exposition plus importante des premières aux grands aléas. Très
présents outre-Atlantique, les réassureurs européens prennent
en effet largement en charge les conséquences des cataclysmes
frappant le continent nord-américain. Ainsi, dans le cas du
cyclone Katrina de 2005, les indemnisations à verser par
Swiss Re sont estimées à 1,2 Mds $, et celles dues par les
Lloyd’s de Londres à 3 Mds $, soit un montant comparable à
celui déjà déboursé en 2004 pour couvrir quatre autres
cyclones. L’engagement d’Allianz est estimé à 585 M$, ceux
de Munich Re et d’Hannover Re à 490 M$ et 310 M$. En
comparaison, si la note à régler par l’américain Berkshire
Hathaway sera également lourde, celle de ses confrères tournera entre 250 M$ et 675 M$.
Confrontés à de tels enjeux, les assureurs ont déjà adapté leur
offre. La persistance de grands risques les oblige à redoubler
d’efforts dans cette voie.
LES RAISONS DE LA BONNE RÉSISTANCE
DES ASSUREURS
D eux séries de facteurs ont contribué à la stabilité du monde
de l’assurance. D’une part, la prise en charge du coût des
catastrophes est partagée entre les assureurs, la collectivité et
les individus eux-mêmes, en fonction des garanties souscrites
et de la réglementation en vigueur dans le pays concerné.
D’autre part, les assureurs ont fait preuve de discipline de
gestion et de réactivité tarifaire.
IMPACT ÉCONOMIQUE ET MONTANT
DES INDEMNISATIONS
Parce qu’il existe des systèmes de protection mixtes publicsprivés dans les pays industrialisés et que l’assurance demeure
malheureusement une denrée rare dans les pays émergents,
l’immense impact économique des catastrophes ne se répercute pas intégralement sur les assureurs.
Reprenons la chronique des années 2000 pour estimer la différence
entre préjudices humains et matériels et réparation financière(1).
(1) Source : Revue Sigma (Compagnie suisse de réassurance) ; collection des années
2002 à 2005.
34
Des assureurs résilients
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2005 : Les turbulences climatiques ont détruit 225 Mds $,
dont 135 Mds $ par l’ouragan Katrina et les inondations de
la Nouvelle Orléans, et 15 Mds $ par les cyclones Rita et
Wilma. Les assureurs et réassureurs prennent à leur charge
80 Mds $, dont 70 Mds $ versés aux États-Unis et 6 Mds $
aux victimes des intempéries qui ont frappé l’Europe. Comme
on le voit, l’essentiel de l’intervention des assureurs concerne
les pays développés, les autres régions du monde pouvant difficilement accéder à des mécanismes marchands de protection.
Bien que couvrant partiellement les dommages, cette intervention des assureurs n’en demeure pas moins considérable.
Elle a ainsi conduit les numéros deux et cinq de la réassurance, Swiss Re et Hannover Re, à puiser dans leurs réserves
et à modifier leurs objectifs financiers.
2004 : Le coût économique des catastrophes naturelles et
techniques de l’année a dépassé 123 Mds $, essentiellement
concentré, à nouveau, dans les pays industriels. Les destructions faites par les treize ouragans qui se sont abattus sur les
États-Unis et les pays voisins se sont élevées à 59 Mds $,
celles liées au tremblement de terre et aux dix typhons qui ont
secoué le Japon et sa région à 14 Mds $. Les assurances-dommages ont pris en charge 32 Mds $ aux États-Unis et 6 Mds $
au Japon, auxquels il faut ajouter les capitaux attribués au
titre des assurances de personnes.
En comparaison, le coût économique du tsunami, qui a frappé
le 26 décembre douze États riverains de l’Océan indien et fait
plus de 280 000 victimes, est évalué à 14 Mds $, dont 5 Mds $
assumés par les assurances. Notons cependant, pour s’en
réjouir, que l’immense mouvement de solidarité internationale a également permis de recueillir 13 Mds $ d’aide à la
reconstruction.
Ces chiffres doivent être mis en regard de la diffusion des
produits d’assurance dans le monde. Sur 1 395 Mds $ de
primes « non vie » collectées, 643 Mds $ l’ont été en Amérique
du Nord, 473 Mds $ en Europe de l’Ouest, 106 Mds $ au
Japon et 145 Mds $ dans les pays émergents.
2003 : Des 70 Mds $ de dommages comptabilisés cette année,
seuls un quart étaient assurés. Etaient faiblement couvertes les
conséquences de la sécheresse en Europe (14 Mds $ de pertes
économiques), celles du typhon en Corée du Sud (6 Mds $)
ou encore celles des deux catastrophes vécues par les ÉtatsUnis : coupure de courant pendant trois jours en plein été
(6,8 Mds $ de dommages), tempêtes de neige et de grêle
quelques mois après (5 Mds $).
Calculé par la Compagnie suisse de réassurance et publié par
la revue Sigma, le bilan des sinistres de l’année indique que /...
35
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/... 8,4 % d’entre eux se sont déroulés aux États-Unis, 9,5 % en
Europe, 45 % en Asie hors Japon ; en ce qui concerne les
pertes humaines, 0,5 % des victimes résidaient aux ÉtatsUnis, 0,7 % en Europe et 87,4 % en Asie hors Japon ; enfin,
60,7 % des indemnisations concernaient les États-Unis,
11,8 % l’Europe et 5,6 % l’Asie hors Japon.
2002 : Un tiers des dommages étaient couverts par une assurance. Les inondations en Europe, les tempêtes aux ÉtatsUnis, les attentats terroristes à Bali et à Djerba, les naufrages
de ferries en Asie ont coûté 42 Mds $ et ont donné lieu à
13,5 Mds $ de réparations financières. Mais 2002 marque un
tournant dans la prise de conscience du besoin de mieux s’assurer : la collecte de primes « non-vie » a progressé cette
année-là de 9,1 % dans les pays industrialisés et de 10,7 %
dans les pays émergents.
2001 : Marqué par l’effroi des attentats du 11 septembre et la
crainte de la diffusion du virus informatique Code Red, responsable de 2,6 Mds $ de dégâts, le début du 21 e siècle a vu
les assureurs débourser 34,4 Mds $ d’indemnisations pour
sinistres exceptionnels, dont 19 Mds $ pour les dossiers liés à
l’attaque contre le World Trade Center. À cette somme couvrant les dommages matériels et pertes d’exploitation, il
convient d’ajouter les quelques dizaines de milliards de dollars versés au titre des assurances de personnes et de responsabilité civile.
UNE GESTION ADAPTÉE AUX CIRCONSTANCES
Mesurant la vulnérabilité des grandes agglomérations et les
enjeux du déséquilibre climatique, les assureurs et réassureurs
n’ont cessé depuis lors d’adapter leur gestion.
Leur première réaction a consisté à resserrer la politique de
souscription des garanties « événements naturels » et « actes de
terrorisme ». Celles protégeant les secteurs exposés, tels l’exploitation pétrolière, les réseaux de distribution de l’eau et de
l’électricité ou encore les transports, ont été mieux tarifées.
Cette réactivité a joué un rôle essentiel dans l’équilibre des
comptes. Comme on le sait en effet, l’assurance est caractérisée par l’inversion de son cycle de production. Autrement dit,
on établit le prix de vente des polices sans connaître leur coût
réel. Protéger les clients contre une série de chocs successifs
implique donc de reconstituer les provisions financières au
fur et à mesure. L’approfondissement de la réflexion menée
avec les pouvoirs publics sur les mécanismes d’assurance les
plus adaptés aux risques nouveaux a également permis de
mieux identifier la responsabilité de chaque acteur.
Facilitée par le bon environnement économique et boursier,
36
Des assureurs résilients
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une deuxième série de mesures a permis d’améliorer la gestion
actif-passif des compagnies.
Ces dernières ont également modifié leur organisation
interne. La transformation des Lloyd’s, figure essentielle du
monde de l’Assurance, symbolise ce mouvement de restructuration. Après une succession d’années noires ayant mis à mal
le marché londonien, les Lloyd’s ont adopté en 2003 un système de franchise comprenant soixante et un syndicats et un
Conseil. Trois responsabilités lui incombent : la bonne gestion du capital en fonction du risque, la mise en place d’indicateurs de performance, l’établissement de scénarios de
risques incluant des situations extrêmes, scénarios auxquels les
plans d’activités doivent se conformer.
Ces décisions ont eu des résultats tangibles. Les Lloyd’s sont
redevenues profitables depuis 2002 et espèrent limiter les
pertes générées par les ouragans de 2005. De leur côté, les
assureurs non-vie américains ont amélioré leur ratio combiné.
Rapportant les prestations versées, les dotations aux provisions et les frais généraux au total du chiffre d’affaires, cet
indicateur est descendu à 100,1 % en 2003, puis à 98,1 % en
2004 alors qu’il s’élevait à 107 % en 2002. Ce progrès est également perceptible en Europe.
LES RISQUES EXCEPTIONNELS INFLUERONT
LA STRATÉGIE DES ASSUREURS
L ’avenir des Assurances dépend-il des risques extrêmes ? À
l’évidence oui. L’augmentation du coût cumulé des grands
sinistres avoisine 6 % en moyenne depuis vingt ans, contre
1,3 % les quarante années précédentes. Les raisons en sont
connues : elles sont liées au mouvement mondial d’urbanisation et d’accumulation de richesses, à l’interdépendance des
économies, au développement des transports et notamment du
tourisme, à l’étendue des perturbations climatiques, à la virulence enfin des menaces infectieuses. Un autre phénomène
mérite également attention : les ondes des grands chocs se diffusent rapidement et largement. L’imagination stratégique des
assureurs aura ainsi à s’exercer dans trois domaines : le développement international, l’anticipation des risques, la performance opérationnelle.
FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DE L’ASSURANCE
DANS LES PAYS ÉMERGENTS
En tête des priorités que se fixent les grands opérateurs internationaux figure l’extension de leurs activités dans les pays
émergents. Ces perspectives sont stimulantes et l’entrée des
économies asiatiques, méditerranéennes ou latino-américaines /...
37
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/... dans le monde de l’assurance ne peut être que bénéfique. Que
l’on songe aux attentes des populations chinoises et indiennes
dont les systèmes de prévoyance publics sont en capilotade !
La demande commence d’ailleurs à s’affirmer : les primes d’assurance-dommages collectées en Asie méridionale et orientale
ont progressé de 6,6 % en termes annuels réels, de 5,9 % en
Amérique latine, de 13,5 % en Europe centrale et orientale.
Cette croissance devrait se poursuivre à un rythme au moins
égal à celui du PIB.
Une réalité s’impose pourtant : ces zones recèlent un potentiel
inégalé de fléaux dévastateurs. Ainsi, 96 % des victimes recensées en 2004 l’ont été en Asie contre 2 % aux États-Unis ;
7 des 10 villes les plus peuplées du monde se trouvent dans les
pays émergents ; enfin, les pandémies comme la pneumonie
atypique (SRAS) ou le virus H5N1 de la grippe aviaire y
prennent naissance.
Pour ne pas être cassée par ces désastres, la dynamique économique des pays émergents réclame la mise en place de systèmes de détection et de prévention. Décidée après la catastrophe, la création du réseau d’alerte aux raz-de-marée dans
l’Océan indien témoigne des difficultés pour y parvenir. Il
faut également prévoir de reconstruire rapidement ce qui est
détruit. Dans cette perspective, l’Assurance a un rôle crucial à
jouer pour aider les populations locales et les entreprises
étrangères à sortir de la paralysie. Au Sri Lanka par exemple,
les eaux ont englouti plus de 100 000 bâtiments et 105 000
véhicules alors que le PIB du pays ne dépasse guère 18 Mds
US $. De leur côté, les groupes français travaillant en Asie ont
dû fermer des implantations : Lafarge ses cimenteries d’Aceh,
des Maldives et de Sri Lanka, le Club Méditerranée trois villages, le groupe Accor certains de ses hôtels.
En concurrence avec d’autres économies émergentes, les pays
touchés doivent rapidement reconstituer leurs outils de production s’ils ne veulent pas voir leurs carnets de commandes
se tarir. Les pays développés y ont intérêt : jusqu’à quel point
peuvent-ils dorénavant supporter l’interruption de leurs
échanges avec les pays en développement ? A-t-on des solutions pour surmonter la mise hors service des plateformes
informatiques indiennes, des usines chinoises ou de la filière
électronique taiwanaise ? Dit autrement, le redémarrage
rapide des activités stoppées par une catastrophe naturelle est
un facteur de stabilité mondiale et un critère d’attractivité
pour les pays émergents.
Un cercle vertueux pourrait dès lors s’enclencher. La valeur
croissante des infrastructures des pays émergents implique de
les protéger matériellement et financièrement contre des aléas
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Des assureurs résilients
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brutaux. Deux voies s’ouvrent : l’amélioration des constructions pour les amener aux standards internationaux de résistance aux chocs, la souscription d’assurance pour disposer, le
cas échéant, des capitaux nécessaires à la relance de l’activité.
Les assureurs et réassureurs pourraient être incités à proposer
des garanties, en liaison éventuellement avec les organismes
internationaux d’aide au développement. Versées en cas de
sinistres, les indemnisations permettront de reprendre la
marche en avant.
Une telle dynamique existe déjà à Taiwan où les primes d’assurance-vie par habitant s’élèvent à 1 500 $ et celles d’assurance-dommages à 400 $, contre quelques dollars dans les pays
voisins. Si elle s’étend, de grandes compagnies d’assurances
régionales en naîtront. Les risques extrêmes représentent en
effet des ferments de déstabilisation que des pays comme
l’Inde et la Chine ne peuvent se permettre de laisser agir.
Cette prise de conscience s’est traduite, sur le plan externe, par
l’aide humanitaire indienne au Pakistan à l’occasion du séisme
d’octobre 2005. Sur le plan interne, elle conduira les autorités
politiques locales à donner aux Assurances les ressources nécessaires à leur modernisation, comme elles l’ont fait pour les
banques. Elle les incitera également à demander aux compagnies étrangères de participer à cet effort en entrant au capital
d’acteurs domestiques, en vendant des contrats spécifiques ou
en contribuant à des fonds de garantie.
ANTICIPER
Le vivier des périls se régénère en permanence. Ceux qui ont
déjà frappé ne se reproduisent pas de la même manière, tandis
que leurs cibles n’offrent pas les mêmes failles ni les mêmes
protections. Les sites anéantis sont en effet rarement reconstruits à l’identique. Ainsi, l’ancienne usine AZF de Toulouse
a-t-elle perdu toute vocation industrielle et le World Trade
Center laissera-t-il la place à un autre aménagement. Dans un
autre registre, une salle climatisée doit équiper chaque maison
de retraite depuis la sécheresse de 2003 : il faudra veiller à ce
que les circuits de ventilation soient parfaitement entretenus.
En résumé, les profils de risques évoluent, les points de vulnérabilité se transforment. Ce phénomène explique la réactivité
dont les Assureurs doivent faire preuve : pour maîtriser les
conséquences financières des catastrophes, il leur faut anticiper et non plus seulement rétropoler. Cette exigence d’anticipation est d’autant plus forte que l’urbanisation, dont on
pressent les effets pathogènes, est galopante : d’après les
Nations Unies, plus de 60 % de la population mondiale vivra
/...
dans des villes en 2030.
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/... COORDONNER
Pour un assureur, un risque extrême représente un risque
total. Qu’ils s’occupent d’assistance, de gestion financière ou
d’indemnisation, tous ses services sont en effet immédiatement accaparés par l’événement. Ils sont mobilisés pour longtemps. Trois défis opérationnels en découlent : s’adapter à la
désorganisation, faire face au cumul des responsabilités et
enfin, traiter les dossiers dans la durée.
Un assureur n’est pas à l’abri d’une rupture de fonctionnement. Ses employés peuvent être obligés d’abandonner leurs
bureaux, ses réseaux de communication ployer, ses experts
être dans l’incapacité de se rendre sur les lieux du sinistre.
Telles sont les leçons des dernières tempêtes américaines. Il
lui faut pourtant continuer à assumer ses engagements,
prendre les premières mesures de sauvegarde et communiquer
avec les assurés, les pouvoirs publics, les marchés financiers...
Pour s’y préparer, des plans de continuité d’activité et des cellules de crises sont prévus.
Le deuxième défi qui se pose à l’assureur est la mise sous tension simultanée de toutes ses fonctions. Un sinistre majeur
rejaillit en effet aussi bien sur la branche « vie » que « non
vie », sur les contrats individuels que collectifs, sur les couvertures de responsabilité civile que de pertes d’exploitation.
L’explosion de l’usine d’engrais AZF souligne cette complexité : 100 000 déclarations de sinistres ont été déposées,
portant sur 27 000 logements et 10 000 dommages corporels,
dont 4 800 accidents du travail et 30 décès.
Le cas de l’amiante montre enfin que la gravité de certaines
situations ne se révèle que dans le temps. Rassemblant
730 000 plaignants aux États-Unis, cette affaire a déjà coûté
70 Mds $ de garanties en responsabilité civile. Les litiges en
cours pourraient aboutir à 200 Mds $. Il est à craindre qu’à
défaut de protections scientifiques et juridiques, les nouvelles
technologies ne génèrent des conflits identiques. De telles
mises en cause pourraient cibler les nanotechnologies, qui
manipulent la matière au niveau moléculaire pour produire
des objets dont la taille se situe entre 1 et 100 nanomètres,
soit 1/10 000 e de mm.
Les risques exceptionnels changeront les termes et les frontières de l’Assurance. Nul doute qu’elle ne s’y adapte : l’Assurance est une longue histoire d’innovations dont les hommes
et les femmes se sont emparés pour sécuriser leur condition.
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L’appel aux marchés financiers
comme alternative
à la réassurance : les Cat bonds
PERRINE KALTWASSER
COMMISSAIRE-CONTRÔLEUSE DES ASSURANCES ET ACTUAIRE
Les Cat Bonds sont des obligations dont le versement des
intérêts et le remboursement du principal dépendent de la
survenance d’une ou plusieurs catastrophes naturelles. Ce
sont des instruments privilégiés et complémentaires à la
réassurance traditionnelle, qui sont en train de gagner leur
place en complément de celle-ci pour la couverture des
risques extrêmes.
L es tempêtes Lothar et Martin en Europe en 1999, le tsunami en Asie du Sud-Est fin 2004, l’ouragan Katrina en Louisiane en 2005 et aujourd’hui la menace d’une pandémie de
grippe aviaire soulignent combien la couverture des risques
catastrophiques est un enjeu de plus en plus important pour
le secteur de l’assurance.
L’industrie est à cet égard confrontée à un paradoxe : d’une
part, le niveau de fonds propres est élevé, si l’on en juge par
la rentabilité souvent considérée insuffisante par les actionnaires ; mais parallèlement, les fonds propres paraissent insuffisants pour couvrir les risques extrêmes tels les catastrophes
naturelles ou les attaques terroristes majeures. La réassurance
traditionnelle (transfert de risques d’assurance à un réassureur
en échange d’une prime fixe) est la réponse triviale à ce paradoxe mais même les réassureurs sont peu enclins à accepter
des risques qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliards de dollars, comme ce serait le cas pour un tremblement
de terre à Los Angeles par exemple.
Les Cat Bonds ou obligations catastrophes naturelles sont
apparus au milieu des années 90 aux États-Unis. En effet,
après l’ouragan Andrew en Floride en 1992 et le tremblement
de Terre de Northridge en Californie en 1994, de nombreux /...
41
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/... assureurs ont fait faillite et la couverture des catastrophes
naturelles est redevenue un vrai sujet pour l’industrie. Des
techniques de gestion alternative des risques se sont alors
développées, dont les Cat Bonds, auxquels cet article est
consacré.
DES OBLIGATIONS DONT LE REMBOURSEMENT
DÉPEND DE LA SURVENANCE DE CATASTROPHES
U n Cat Bond est une obligation dont le versement des intérêts et le remboursement du principal dépendent de la survenance d’une ou plusieurs catastrophes naturelles. Les fonds
sont investis dans des titres sans risque tels que des OAT ou
des obligations de haute qualité (notées AAA ou AA par les
agences de notation) dont les intérêts sont versés à l’investisseur. Celui-ci est aussi rémunéré pour porter ce risque par une
prime versée par l’émetteur du Cat Bond (un assureur ou un
réassureur dans la plupart des cas). Le seul risque transféré est
donc un risque d’assurance. Le Cat Bond est en général émis
via une entité juridique ad hoc, appelé Special Purpose Vehicle
(SPV), comme c’est le cas pour la titrisation des prêts. Parmi
les éléments figurant dans le contrat, on trouve notamment :
• La période de couverture.
• La nature des événements catastrophiques couverts.
• Le mécanisme d’indemnisation.
FLUX FINANCIERS LIÉS À UN CAT BOND
1. Le SPV émet des Cat Bonds et entre dans un contrat de couverture avec la cédante ; les fonds des investisseurs sont placés par le SPV dans des actifs sans risque.
2. En régime « normal » : la cédante paie la prime au SPV et les investisseurs reçoivent les intérêts des placements et la prime.
3. En cas de survenance d’un sinistre : le SPV paie le sinistre à la cédante, avec les intérêts des placements, et
en vendant une partie des actifs si nécessaire.
4. À maturité : les actifs restants du SPV sont liquidés et versés à l’investisseur.
Le SPV peut aussi rentrer dans un swap pour permettre aux investisseurs de se couvrir contre le risque de taux,
en échangeant les intérêts des placements contre le LIBOR par exemple.
Contrepartie
du SWAP
Intérêts
des placements
Cédante
Primes
périodiques
Sinistres
Libor
SPV
Compte de
nantissement
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Principal
Libor + prime
Principal - sinistres
Investisseurs
L’appel aux marches financiers comme alternative a la reassurance : les Cat bonds
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LES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION
D’UN CAT BOND
L a modélisation du produit se fait en trois étapes :
• Construction d’une bibliothèque d’événements catastrophiques : chaque événement est décrit par sa probabilité d’occurrence et ses caractéristiques (intensité, localisation...).
Cette bibliothèque prend en compte des événements déjà survenus dans le passé et d’autres non observés mais possibles
(comme un tremblement de terre majeur au centre des ÉtatsUnis).
• Évaluation des conséquences monétaires en fonction du
type, de la valeur et de la localisation des biens assurés.
• Enfin, évaluation des pertes subies par le Cat Bond en fonction des éléments déclencheurs de son intervention.
Les techniques utilisées pour valoriser les Cat Bonds font
appel à la fois aux méthodes utilisées traditionnellement en
assurance (méthodes actuarielles) et aux méthodes utilisées en
finance pour valoriser les dérivés de crédit par exemple. La
modélisation des catastrophes naturelles joue un rôle essentiel, à mesure que celle-ci s’améliore, la valorisation des Cat
Bonds devient plus simple.
Un des éléments primordiaux de la valorisation est l’élément
qui déclenche l’indemnisation de la cédante. Initialement,
celui-ci était toujours le montant des sinistres. Le remboursement est alors égal au montant des pertes de la cédante,
comme pour les traités de réassurance traditionnelle. Les
investisseurs sont soumis à deux aléas importants : le risque
que le portefeuille de la cédante concentre des mauvais
risques et la lenteur de l’estimation des dégâts. Les indices de
branche permettent d’éviter le premier de ces risques. Dans ce
cas, le remboursement dépend des résultats de l’ensemble des
assureurs d’une branche. Il existe alors un risque pour la
cédante que les revenus du Cat Bond soient insuffisants pour
couvrir les sinistres (1) . L’investisseur évite l’exposition au
risque de souscription d’une entreprise en particulier mais
conserve celui de l’industrie.
Autre solution, après une catastrophe, les paramètres de celleci sont rentrés dans un modèle de dommages géré par un
tiers, qui estime les pertes de la cédante en fonction de son
portefeuille et cette estimation sert pour le remboursement.
La complexité du modèle rend ce type d’indicateur peu transparent pour l’investisseur. Finalement, avec les déclencheurs
paramétriques, le remboursement dépend du lieu et de l’in- /...
(1) Lorsqu’il y a risque de décorrélation entre le montant des sinistres à la charge
de l’entité émettrice et l’indemnité versé par le Cat Bond, on parle de « basis risk ».
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/... tensité de la catastrophe (indice de Richter d’un tremblement
de terre par exemple). Ce type d’indices réduit les problèmes
de transparence et le délai de paiement car les informations
sont immédiatement accessibles, mais le risque de décorrélation entre le montant touché par la cédante et les sinistres
réels est plus important. Les indices paramétriques sont une
adaptation plus fine de ce type de modèle aux risques réels de
la cédante. Ils prennent en compte des zones plus petites et le
remboursement est fonction du niveau d’exposition de la
cédante sur ces « microzones ». Au final, la nature de l’élément
déclencheur est donc un équilibre entre les intérêts divergents
des émetteurs et des investisseurs.
Comme une obligation traditionnelle, un Cat Bond est aussi
noté par une agence de notation qui évalue sa probabilité de
défaut. La prime de risque d’un Cat Bond pour une note donnée (BB par exemple), initialement supérieure à celle d’une
obligation traditionnelle, s’en rapproche désormais. Cette
prime de risque payée par la cédante (qui est égale à la rémunération de l’investisseur au-delà du taux sans risque) est
déterminée par trois éléments :
• l’espérance mathématique des pertes pour l’investisseur (qui
est aussi reflétée par la notation du Cat Bond) ;
• une prime supplémentaire pour rémunérer l’aversion de l’investisseur pour ce type de risque ;
• enfin une dernière partie regroupe un ensemble de rémunérations supplémentaires difficiles à quantifier : manque de
liquidité du titre, méconnaissance de ce type de produit, jeu
de l’offre et de la demande...
UN MARCHÉ ENCORE JEUNE
MAIS EN RAPIDE DÉVELOPPEMENT
P ar nature, les Cat Bonds sont un instrument privilégié et
complémentaire à la réassurance traditionnelle pour les assureurs et réassureurs importants mais aussi pour les fonds de
garantie et les pools de réassurance, qu’ils soient privés ou
publics ; mais le coût de mise sur le marché reste un obstacle à
leur développement.
À leurs débuts, ces produits ont essentiellement été achetés
par des assureurs et des réassureurs, qui comprenaient bien la
façon dont ils fonctionnaient. Ce premier cercle s’est élargi
aujourd’hui à des investisseurs intéressés par la décorrélation
avec les marchés financiers et les produits à taux fixes (obligations). Aujourd’hui, les acheteurs sont aussi les banques commerciales, les fonds de pension, les gérants institutionnels et
des fonds dédiés aux Cat Bonds.
Les émissions de Cat Bonds se sont réellement développées à
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L’appel aux marches financiers comme alternative a la reassurance : les Cat bonds
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partir de 1997 et représenteraient 4 Mds $ en 2004. Mais leur
montant total est difficile à estimer. En effet, certains Cat
Bonds sont vendus à un seul investisseur (ou un groupe) et la
transaction n’est pas toujours rendue publique. Ce nombre de
transactions serait en hausse en 2004, selon le rapport de
MMC Securities. La durée des contrats se standardise, elle est
généralement comprise entre 2 et 5 ans. Le montant unitaire
d’une émission, actuellement de l’ordre de 200 M$, est en
hausse. Les émetteurs renouvellent en général les titres
lorsque ceux-ci arrivent à échéance. Actuellement, un peu
plus de la moitié des titres couvrent des risques aux ÉtatsUnis, où l’exposition aux catastrophes naturelles est très
importante (ouragans, tremblements de terre, tsunamis, ...).
L’ouragan Katrina a servi de véritable test, passé avec succès,
pour le marché encore jeune des Cat Bonds. Pour la première
fois, l’un d’eux pourrait quasiment entièrement être mis en
défaut. Ce Cat Bond, dont le principal est égal à 190 M$, a
été émis en août 2005 au travers du SPV « Kamp Re 2005 »
par Swiss Re, pour le compte de Zurich Financial Services.
Celui-ci devait être activé si dans les cinq ans suivant son
émission, la compagnie devait payer plus d’un milliard de
dollars pour un tremblement de terre ou un ouragan aux
États-Unis. La notation de « Kamp Re » a été abaissée, après le
passage de l’ouragan, de BB+ à CC par Standard & Poor’s.
Malgré ceci, 2005 est une année record pour l’émission des
Cat Bonds : plus de 3,2 milliards de dollars sur les neuf derniers mois de l’année, dont les deux tiers après Katrina.
Des obligations couvrant le risque de mortalité ont aussi été
émises depuis 2004 pour couvrir la dérive du taux de mortalité, qui pourrait résulter d’une épidémie telle la grippe
aviaire ou d’une attaque terroriste. L’émission d’obligations
couvrant le risque de mortalité ou le marché des dérivés climatiques, essentiellement au Chicago Mercantile Exchange
(bourse du climat du CME), sont d’autres champs d’application pour la titrisation des risques catastrophes. En France,
AXA a titrisé une partie de son portefeuille automobile.
En conclusion, les marchés financiers sont et seront sans
doute de plus en plus sollicités pour couvrir les risques d’assurance. La gamme de risques couverts s’est élargie : du risque
d’épidémie à la couverture des catastrophes naturelles. La
titrisation représente une alternative intéressante pour les
fonds de garantie des catastrophes et les entités importantes.
L’importance des volumes échangés sur les marchés financiers
et la décorrélation entre le risque catastrophe et les risques de
défaut et de fluctuations des marchés financiers plaident en la
faveur de l’utilisation de ces produits. Pour preuve, en 2005, /...
45
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/... l’offre et la demande se sont accrues dans un contexte rendu
difficile par l’ouragan Katrina et la menace que constitue la
grippe aviaire. Les Cat Bonds ne remplaceront certes pas la
réassurance traditionnelle mais ils sont en train de gagner leur
place en complément de celle-ci pour la couverture des
risques extrêmes.
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Table ronde :
les plans de continuité d’activités
ALAIN STRUB
DIRECTEUR DES RISQUES ET CONTRÔLES PERMANENTS GROUPE,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
PASCAL CELERIER
DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRÉDIT AGRICOLE D’ILE-DE-FRANCE
BERNARD MARY
DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRÉDIT AGRICOLE NORD EST
ROBERT ZEITOUNI
RESPONSABLE DU PÔLE SÉCURITÉ ET CONTINUITÉ D’ACTIVITÉS,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
JEAN-PAUL BETBÈZE
CHEF ÉCONOMISTE, DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES,
CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Pour commencer, pourriez vous nous rappeler où en est la
réflexion des régulateurs et de la place financière de Paris sur
les plans de continuité d’activités ?
Robert Zeitouni : Dans ses réflexions sur les Plans de Continuité d’Activités, le Crédit Agricole identifie trois types.
Les premiers sont endogènes et peuvent survenir alors que
l’environnement externe reste intact. L’environnement
externe comprend les transports en commun, les télécommunications, l’électricité…, il suppose complète la disponibilité
du personnel de l’entreprise. C’est l’exemple de l’incendie
d’un immeuble et de l’indisponibilité prolongée d’un site
informatique.
Les deuxièmes ne concernent pas directement la Banque, mais
l’hypothèse d’un système de place qui se met en mode PCA.
On pourrait citer le GSIT, Groupement pour un Système
Interbancaire de Télé compensation, la CRI (Centrale des
Règlements Internationaux), etc.
Il faut alors vérifier que la Banque est capable d’échanger avec
le système, qu’elle soit elle-même en mode de fonctionnement
normal, ou en mode PCA.
Les troisièmes catégories concernent les sinistres qui perturbent l’environnement externe de la Banque : ils sont qualifiés
de risques extrêmes et ont un impact sur le fonctionnement
de l’ensemble de la Place, Banques et Systèmes de Place, et
/...
sont de fait, des risques systémiques.
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/... À l’évidence, l’étude de ces risques et de leur solution de
contournement ne peut se faire qu’en concertation entre tous
les participants au système bancaire, et avec les fournisseurs
des services essentiels pour fonctionner (eau, électricité, télécommunications...). La Banque de France coordonne cette
réflexion de Place avec la FBF et les représentants appropriés.
Dans tous les cas, il s’agit d’empêcher un risque systémique,
une crise de liquidité qui se propagerait à l’ensemble des systèmes de paiement. Les exigences pour la Banque, en matière
de risques extrêmes, comportent des responsabilités particulières, du fait qu’elles sont au cœur du financement et de
l’économie.
Les scénarii types sont finalement peu nombreux. On y
retrouve la crue centennale et la pandémie de la grippe aviaire.
Ils diffèrent de par leur soudaineté, leur étendue géographique
et leur durée. Une cyber-attaque est soudaine, la montée des
eaux de la Seine est progressive, elle est jalonnée de seuils
d’alerte. La gestion d’une crise comme la grippe aviaire dépend
d’une multitude de facteurs : décisions des pouvoirs publics,
disponibilité des services communs, décisions de la banque, etc.
L’ensemble de ces travaux est planifié pour 2006. Il faut y
ajouter les préoccupations qui pourraient se transformer en
recommandations et peut-être en exigences, de l’Euro système
et de la Banque des Règlements Internationaux, en ce qui
concerne la résilience du Système Financier International.
En définitive, les Plans de Continuité d’Activités des Banques
apparaissent extrêmement encadrés.
En tant que banquiers du Crédit Agricole, quels types de
risques extrêmes vous semblent pouvoir mettre en danger la
continuité de l’activité des Caisses Régionales ou du groupe
dans son ensemble ?
Alain Strub : C’est la question clé. Indépendamment des exigences des régulateurs, les dirigeants de banque ont en effet
des responsabilités évidentes dans ce domaine. On peut
d’ailleurs être frappé de constater que les banquiers ont déjà
pris en considération bon nombre des mesures que vont
imposer les régulateurs.
Dans cet esprit, il faut aussi avoir conscience des besoins spécifiques des Caisses Régionales et des filiales, qui ne sont pas
forcément toutes dans les préoccupations de place du régulateur. Le risque extrême doit être de fait étudié aussi bien au
niveau de la place financière qu’au niveau d’un établissement
de crédit, de l’ensemble de ses réseaux de distribution, de ses
métiers et des fonctions qu’il exerce. Pour prendre un
exemple, on doit se poser la question de l’incidence de l’arrêt
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Table ronde : les plans de continuité d’activités
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du Cedicam (1) sur l’activité du groupe Crédit Agricole, indépendamment des implications pour le système bancaire. En
d’autres termes, si une ligne de métier s’arrête en amont,
comment préserver une continuité de l’activité bancaire jusqu’à son destinataire final, le client ? La problématique doit
être déclinée aux risques pouvant bloquer l’ensemble du
groupe, un ou plusieurs de ses métiers, une ou plusieurs
régions… Quels que soient les scénarios imaginés, on doit
s’interroger sur le fonctionnement que l’on souhaite maintenir à tout prix. Que doit-on faire, quoi qu’il arrive, pour
répondre aux attentes de la société à notre égard ? Il en va de
notre légitimité.
Bernard Mary : Pour répondre à votre question, ce qui me
vient instantanément à l’esprit, c’est notre souci premier de
l’homme, que ce soit l’homme client ou l’homme salarié,
indépendamment de questions de périmètre ou de territoire.
Ensuite, la banque étant une industrie de l’information, une
importance primordiale doit être accordée à la préservation
des données et de leurs modes de traitement. Enfin, vient la
sauvegarde des infrastructures physiques, sans lesquelles l’exploitation dynamique de ces données ne peut se réaliser. Un
schéma simple formalise les points sensibles d’une banque
/...
pour la continuité de son activité.
TYPES DE
SYSTÈMES
Centralisation
Décentralisation
Systèmes de protection
Créateurs de valeurs
Types de localisations
Hommes
Dynamique
de crise
Données
INFORMATION
inputs
Traitements
outputs
Physique
Exercice de crise
Éducation
Pédagogie
Back-up
Entretien des sytèmes
de back-up
Appropriation
individuelle et
collective
ASSURANCES
Dynamique
de gestion
(1) Le Cedicam est un groupement d’intérêt économique (GIE) associant à parité
Crédit Agricole S.A. et les Caisses Régionales. Il élabore la stratégie du Crédit Agricole dans le domaine des moyens de paiement et, en tant qu’unité opérationnelle, il
gère les flux financiers liés aux moyens de paiement.
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/... Pascal Célérier : La criminalité informatique est, à mon avis,
une menace de tout premier ordre pour l’industrie bancaire.
Le traitement des données nécessite des systèmes d’information qui doivent travailler 24 h/24 h, sur des bases de plus en
plus larges et dans une architecture de plus en plus intégrée
(internet, systèmes de paiements...). Il ne me semble pas
qu’on ait encore pleinement mesuré l’ampleur des dommages
qu’une cyber-attaque pourrait causer au système bancaire.
En tant que directeur général du Crédit agricole d’Ile-deFrance, le risque d’une crue centennale est évidemment aussi
l’une de mes grandes préoccupations. Alors qu’on évoque souvent la crue de 1910, il faut bien garder à l’esprit qu’en
moyenne, ces crues surviennent tous les 50 ans, avec une
menace sans doute croissante en raison de l’urbanisation galopante des dernières décennies et en dépit de tous les aménagements réalisés sur la Seine. Ma perception est que les pouvoirs
publics réfléchissent évidemment à cette question, mais qu’ils
sont assez désarmés face aux conséquences d’une crue centennale. Ces crues se répètent à intervalles longs et relativement
réguliers, on le sait, mais ce n’est pas pour cela que les pouvoirs publics sont aujourd’hui en mesure de savoir comment
gérer une telle crise. Il s’agit d’un risque de nature similaire à
celui auxquels sont confrontés les États-Unis à propos de la
faille sismique californienne.
Face à cette menace, nous avons décidé le transfert dans
d’autres régions de nos centres informatiques, qui se situaient
Quai de la Rapée au bord de la Seine.
Enfin, je pense qu’il ne faut pas rentrer dans la tentation de
surmédiatiser certains risques dont on ne mesure pas pleinement l’importance ou d’agiter des menaces dont les experts
relativisent l’importance. On entrerait alors dans des logiques
de psychose injustifiées et aux effets largement contre-productifs, avec parfois le risque de forts effets de réputation pour
les personnes ou les entreprises qui véhiculent ces menaces.
Rétrospectivement, le passage à l’an 2000 entre dans cette
catégorie et je m’interroge sur le sujet de la grippe aviaire.
Alain Strub : La question la plus importante est celle de la
sauvegarde des ressources humaines clés d’un grand groupe
comme le nôtre. Bien souvent, certaines fonctions vitales ou
essentielles sont concentrées dans les sièges sociaux, ce qui
soulève bien sûr le risque de destruction matérielle d’un
immeuble, mais pose de façon bien plus dramatique la question de la sécurité des hommes. Répartir les personnes sur différents sites, avec les bases de données sensibles qu’elles utilisent, paraît alors relever du bon sens. Même si la
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Table ronde : les plans de continuité d’activités
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déconcentration des ressources humaines clés pose ensuite,
évidemment, la question de leur plus grande difficulté de
coordination entre elles au quotidien.
Quels sont les avantages et les inconvénients de la structure
décentralisée des groupes mutualistes pour prévenir et gérer
les risques extrêmes ?
Pascal Célérier : Contrairement à une idée reçue, il n’est pas
évident qu’un groupe décentralisé soit plus fragile. Les infrastructures physiques, les décideurs et les salariés sont mieux
répartis géographiquement, les systèmes d’information également, ce qui facilite la gestion de certains risques en les segmentant. Avoir encore plusieurs systèmes d’information est
un handicap en termes de taille critique, de coûts fixes et
donc d’optimisation, mais présente l’avantage d’une plus
grande robustesse par rapport à un système unique. Les
défaillances sont cantonnées et cela offre également la possibilité de constituer des back up entre ces systèmes. En revanche,
la transversalité et la coordination sont plus difficiles, ce qui a
nécessité pour le groupe Crédit Agricole par exemple la mise
en place d’une mission de coordination des plans de continuité d’activités.
Bernard Mary : Je pense en effet qu’on ne mesure pas tous
les coûts de la centralisation et de la concentration. Pour faire
face aux conflits sociaux, les industriels ont tendance à répartir les risques. Le Crédit Agricole étant construit comme cela,
on en tire de la valeur sur cette question des risques de continuité d’activités, au même titre qu’au plan commercial, du
fait de notre proximité avec la clientèle. À mon avis, on peut
d’ailleurs basculer facilement un grand nombre de fonctions
d’une Caisse Régionale sur une autre, voire imaginer sans trop
de difficultés un back up complet entre deux Caisses.
La prévention des risques extrêmes est évidemment au coeur
de la mise en place des plans de continuité d’activités. En
même temps, la contrainte du coût par rapport aux avantages
perçus à court et moyen terme, alors que la probabilité de
réalisation des risques extrêmes sur cet horizon reste extrêmement faible, semble une barrière insurmontable. Comment
résoudre ce problème ?
Bernard Mary : Les considérations financières sont une
contrainte clé, dans la mesure où l’horizon de réalisation des
risques extrêmes est par définition inconnu et potentiellement
très lointain. Les coûts pouvant être supportés par une organisation évoluant dans un contexte concurrentiel sont de facto /...
51
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/... limités par les rentrées de cash et par les exigences fixées par le
marché. C’est pour cela qu’on est naturellement réticent à
mettre en place certaines mesures extrêmement coûteuses de
prévention des risques extrêmes. Ces coûts ne se transforment
en bénéfices, réduisant l’impact des sinistres, que si les risques
se réalisent dans un horizon court, de quelques années tout au
plus. Il faut donc également s’interroger pour savoir si des
bénéfices à court terme ne peuvent pas également être dégagés
de la mise en place de ces mesures préventives.
Jean-Paul Betbèze : C’est ce que les économistes appellent
des externalités et ont pu formaliser sous la forme d’incitations de marchés. L’idée d’externalité tient à ce que la production d’une entreprise ou la consommation d’un particulier
se trouve parfois modifiée par les choix faits par d’autres
agents économiques. L’exemple classique est celui de la pollution, qui est un cas d’externalité négative. Une solution
consiste alors à émettre des droits à polluer, sur un marché où
les entreprises payent et s’échangent des bons donnant le
droit de produire du CO 2 . Pour revenir à notre problème du
coût de la prévention des risques extrêmes, les externalités
positives tiennent aux incidences indirectes et positives de
dépenses coûteuses par rapport à une probabilité extrêmement
faible de réalisation du risque, mais générant indirectement
d’autres avantages facilement valorisables. On peut alors parler d’incitations de marché permettant de réduire, voire de
compenser, ces coûts d’apparence exorbitants en première
approche.
Alain Strub : La réflexion des pouvoirs publics, mais aussi
des entreprises et des banques, doit effectivement se porter
également sur ce terrain de la création de valeur. Un premier
exemple est le passage à l’an 2000. Il a occasionné des
dépenses substantielles dans les systèmes d’information, mais
généré aussi des avantages réels en matière d’optimisation et
de sécurité des systèmes. Des back up ont été mis en place,
pouvant être utilisés en cas de blocages d’activité, pour
quelque raison que ce soit. Dans le même ordre d’idée, les
systèmes d’authentification sur internet, d’apparence très coûteux par utilisateur lorsqu’on travaille avec des clientèles
de masse, peuvent également servir à augmenter les ventes,
s’ils accroissent suffisamment le degré de confiance des
clients. Le deuxième exemple, cité plus haut, du transfert des
systèmes d’information du Crédit Agricole d’Ile-de-France
pour se prémunir d’une crue de la Seine, a également été
pensé dans le cadre des synergies entre Caisses Régionales.
52
Table ronde : les plans de continuité d’activités
A L A I N
S T R U B ,
R O B E R T
P A S C A L
C E L E R I E R ,
Z E I T O U N I ,
B E R N A R D
J E A N - P A U L
M A R Y ,
B E T B È Z E
Une autre difficulté face aux risques extrêmes est d’accoutumer les gens à prendre en compte dans leur quotidien des événements extrêmement rares. Comment faire ?
Pascal Célérier : Il est en effet difficile de mobiliser les esprits
sur une telle question, d’autant que la capacité et la volonté
d’oubli sont extrêmement fortes. Le tsunami en Asie l’a encore
démontré récemment. L’accoutumance aux risques extrêmes
est sans doute plus facile dans les régions du monde développé
où on sait que les menaces sont bien identifiées. Le Japon est
un exemple. Mais cela passe par de la pédagogie, de la formation et des simulations. En outre, il ne faut pas (dans la plupart des cas) attendre grand chose des pouvoirs publics. Ils
seront vraisemblablement débordés, comme tout le monde, ou
de toute manière préoccupés par mille autre choses que votre
situation personnelle ou celle de votre entreprise. Une autre
difficulté est de lutter contre les automatismes et les instincts
de panique dans ces périodes extrêmes. Et aussi parfois de lutter contre « le bon sens », ce qui est plus difficile encore.
L’exemple de la Nouvelle Orléans est éclairant de ce point de
vue. La première décision était qu’il fallait évacuer et non rester, or ce n’est généralement pas ce que l’on a en tête dans une
telle situation. L’événement extrême et ses conséquences sont
souvent très différents de ce qu’on avait pu imaginer.
Alain Strub : Les plans de continuité imposent tout d’abord
le maintien en condition opérationnelle des process
« dégradés », ce qui suppose de penser et d’entretenir cette
appropriation de la logique de crise, de tester périodiquement
les back up et de faire fréquemment des exercices de simulation. Une pédagogie active et la pratique doivent conduire les
gens à se poser les bonnes questions en temps de crise, à développer les bons réflexes de manière à bien gérer leurs émotions. Lorsque la pratique des process de crise est intégrée au
quotidien, on a des chances que tout fonctionne lorsque la
crise survient.
En 2001, le Crédit Agricole a été confronté au drame de Carr
Futures, dont les étages se situaient au sommet du World
Trade Center. Le 11 septembre a constitué l’archétype du
« choc extrême » tel que mentionné dans la nouvelle réglementation bancaire. Carr Futures, devenue Calyon Financial,
filiale, à l’époque, de Crédit Agricole Indosuez, a subi le
désastre de plein fouet. Les équipes New-Yorkaises de cette
filiale étaient localisées quelques étages au-dessus du point
d’impact du premier avion. L’entreprise a survécu malgré des
conditions initiales horribles. Les plans de continuité des activités ne prévoient pas une destruction des immeubles conco- /...
53
N U M É R O
3 2 8
–
M A R S
2 0 0 6
/... mitante à des pertes humaines lourdes (69 victimes). En
outre, les survivants étaient souvent en état de choc ou de
détresse morale. La continuité de nos affaires a été assurée en
transférant très rapidement les activités vitales à Carr Futures
Londres et au siège de Carr Futures, à Chicago. Puis le site
BCP (Business Continuity Plan) a été activé dans New York
même. Des renforts en provenance de Chicago ont été acheminés par bus, pour, d’une part, prêter assistance aux familles
des victimes et, d’autre part, pour aider les survivants et aussi
pour commencer la reprise des opérations par Carr Futures
New York.
Il faut donc accepter de vivre avec l’idée de ces risques
extrêmes, d’affronter l’éventualité de ces drames, non pour
accepter la fatalité car il faut d’abord prendre toutes les dispositions pour réduire le risque et ses conséquences, et éviter sa
survenance autant que possible, mais pour se préparer au cas
où, malgré toutes les précautions prises, il surviendrait.
54
N U M É R O
3 2 8
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M A R S
2 0 0 6
Le rôle de l’État
face aux risques extrêmes
GUILHEM BENTOGLIO
CHARGÉ DE MISSION AU COMMISSARIAT GÉNÉRAL DU PLAN
Le système assuranciel français, où se combinent efficacement les mécanismes de marché et l’intervention de l’État, a
prouvé sa solidité et fait preuve de fortes capacités d’adaptation ces dernières années. Des catastrophes plus coûteuses
et l’émergence de nouveaux risques nécessitent toutefois
pour l’État d’étoffer encore sa culture du risque de manière à
mieux anticiper les faiblesses potentielles de ce système face
à un futur incertain.
L ’ouragan Katrina a montré à quel point la concentration de
dégâts dans l’espace et dans le temps rend difficile de gérer
rapidement et efficacement une crise de cette ampleur, y compris pour une grande puissance comme les États-Unis. Le présent article ne traite pas de l’intervention d’urgence ni de la
question des secours, mais de la place de l’État en France dans
la sécurisation du système assuranciel, quand il est confronté
à des risques extrêmes susceptibles de coûter très cher et donc
de mettre en cause soit la santé financière du secteur de l’assurance, soit l’assurabilité de certains risques.
Les assurances peuvent couvrir sans trop de difficultés les
risques indépendants et à faibles montants. En revanche, en
cas de risque extrême (dommages sériels ou concentrés), la
mutualisation est plus difficile et les assurances sont confrontées à des problèmes de non assurabilité (1). Le secteur s’organise alors, afin de mieux répartir les risques entre différents
agents économiques, par la coassurance, la réassurance ou
encore par le transfert des risques aux marchés financiers
(titrisation).
Cependant, ces mécanismes ne permettent pas de régler tous /...
(1) Un risque est dit assurable si la personne qui porte le risque peut le transférer
vers un autre agent économique (une compagnie d’assurance) à un prix qui rend
l’échange intéressant pour chacune des parties.
55
N U M É R O
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M A R S
2 0 0 6
/... les problèmes de non assurabilité. Il est alors du ressort de
l’État d’intervenir, afin que les personnes et les entreprises
puissent s’assurer contre des risques qui mettent en cause la
sécurité ou l’esprit d’initiative. Aujourd’hui, les autorités
publiques (que ce soit à l’échelle nationale ou à l’échelle européenne) interviennent à différents niveaux pour garantir le
bon fonctionnement du marché français de l’assurance (voir
schéma). En légiférant, l’État peut élargir le champ des
risques assurables par le secteur privé. Dans l’intérêt des assurés, il s’efforce, par l’intermédiaire des autorités de régulation
et de contrôle, de prévenir toute défaillance d’acteurs du marché. En tant que réassureur en dernier ressort, il rend possible
la couverture de grands risques catastrophiques, en prenant à
sa charge les tranches supérieures d’indemnisation en cas de
dommage très coûteux. Garant de la solidarité nationale, il
intervient en cas de crise exceptionnelle non prévue dans les
contrats d’assurance ou en cas de crise du secteur lui-même (2).
LA PLACE DE L’ÉTAT FACE AUX RISQUES EXTRÊMES
Assurable
État
Réglementation
(obligation
d’assurance,
etc.)
Marchés financiers
Réassureur en
dernier ressort
Titrisation
Surveillance
et contrôle
Solidarité
nationale
Autorités
de régulation



Réassurance
Montant de dommage croissant
Non
assurable
Coassurance
Assurance A
Assurance B
COASSURANCE, RÉASSURANCE, TITRISATION
L e secteur privé de l’assurance s’est bien entendu lui-même
organisé pour faire face aux risques extrêmes. La constitution
de pools de coassurance permet de mutualiser les risques sur
une base plus large, et donc de faire face à un sinistre excep(2) Pour plus de détails sur la place de l’État dans l’architecture de l’assurance en
France, on pourra se reporter au rapport du Commissariat général du Plan, L’État
et l’assurance des risques nouveaux, G. Bentoglio et J.-P. Betbéze, La documentation française, septembre 2005, et notamment à la première partie, dont le présent
article est inspiré.
56
Le rôle de l’État face au risque extrême
G U I L H E M
B E N T O G L I O
tionnel. Au-delà, la pratique la plus répandue est le recours à
la réassurance. Opérant au niveau international, les grands
réassureurs permettent une meilleure mutualisation géographique des risques, ce qui est particulièrement important dans
le cas de catastrophes naturelles qui touchent spécifiquement
mais massivement une région ou un pays (même si un tsunami comme celui de l’Asie du Sud-Est en décembre 2004 a
touché des pays éloignés de milliers de kilomètres). Les
contrats de réassurance renforcent la résilience du système
assuranciel en cas de risque extrême. Cependant, il reste des
cas où l’incertitude peut s’avérer trop grande : après le 11 septembre 2001, les réassureurs ont souhaité se désengager de la
couverture du risque terroriste, compte tenu des montants
potentiellement très élevés et de l’incertitude sur les probabilités des sinistres.
Par ailleurs, un nouvel outil se développe depuis une dizaine
d’années pour faire face aux risques extrêmes, notamment aux
catastrophes naturelles : la titrisation des risques. Cela passe
généralement par l’émission d’obligations catastrophe (catbonds). Pour l’instant, leur diffusion reste limitée, en raison
de certaines difficultés de montage, de leur coût, de la délicate fixation de leur prix et de la non-maturité du marché.
Elles représentent malgré tout un moyen prometteur de transfert des risques catastrophiques aux marchés financiers, dont
la capacité est bien supérieure à celle de la réassurance.
Quels sont dès lors les cas où l’intervention de l’État s’avère
nécessaire pour contribuer à résoudre les problèmes d’assurabilité ou de solvabilité posés par les risques extrêmes ?
L’ÉTAT ET LA FRONTIÈRE DES RISQUES ASSURABLES
L ’État peut avoir à intervenir pour restaurer l’assurabilité en
cas d’aléa moral, mais cela concerne peu les risques extrêmes
(cas des normes de prévention des risques pour la conduite
automobile ou la sécurité dans le transport maritime, par
exemple). Il est cependant des cas où des risques, sans être
forcément très coûteux, restent rares. L’État peut alors intervenir en organisant la constitution d’un fonds de garantie,
lorsque les assureurs ne mettent pas en place directement
entre eux des mécanismes de coassurance. L’objectif est d’organiser un partage des risques. On compte ainsi de nombreux
fonds, tels le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires
ou le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme
et d’autres Infractions (FGTI). Ce dernier, créé en 1990, permet d’indemniser les préjudices corporels de toutes les victimes d’actes terroristes survenus en France, depuis 1985. Le
FGTI est un fonds public, dont les ressources proviennent de /...
57
N U M É R O
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–
M A R S
2 0 0 6
/... prélèvements sur les contrats d’assurance de biens, complétés
par le remboursement des indemnités des responsables des
infractions.
L’ÉTAT CONTRÔLEUR
L es autorités publiques produisent aussi des normes pour
obtenir une gestion suffisamment prudente des compagnies
d’assurance, dans l’objectif d’éviter les faillites d’assureurs. À
l'instar des banques, le secteur des assurances est régulé afin
de maintenir la solvabilité de ses entreprises. L’inversion du
cycle d’activité de l’assurance (3) justifie notamment un tel
cadre réglementaire. Les réglementations en la matière sont
essentiellement d’origine européenne. Les instances de
contrôle restent nationales et coopèrent au niveau européen.
En France, l’Autorité de contrôle des assurances et des
mutuelles (ACAM, ex-CCAMIP), autorité administrative
indépendante, a pour mission de contrôler le respect de la
réglementation dans l’intérêt des assurés. Les règles de solvabilité communes reposent sur trois exigences : des provisions
prudentes, pour couvrir les engagements contractuels envers
les clients ; des actifs admissibles, de bonne qualité et
liquides ; des fonds propres suffisants pour couvrir les risques
non anticipés (marge de solvabilité).
Sur le long terme, les faillites de compagnies d’assurance sont
très rares en France, mais confirment l’importance du
contrôle prudentiel et de son intervention rapide, pour protéger l’intérêt des assurés et la réputation de la profession. Cela
justifie la nécessité d’un système de contrôle prudentiel efficace. En parallèle, les assureurs ont développé des techniques
pour mesurer les risques, adapter les tarifs, gérer leurs bilans.
L’ÉTAT RÉASSUREUR EN DERNIER RESSORT
E n tant que réassureur en dernier ressort, l’État rend possible la couverture de grands risques catastrophiques (catastrophes naturelles ou hyper-terrorisme) en prenant à sa charge
les tranches supérieures d’indemnisation en cas de dommage
très coûteux.
Les principes qui guident l’intervention de l’État sont de se
limiter aux risques inassurables et de faire payer le prix du
risque ; de privilégier l’intérêt général, en protégeant directement les biens et les personnes ; d’inscrire l’intervention étatique dans un marché concurrentiel. Cette intervention permet d’éviter que les assureurs et réassureurs ne se retirent
(3) Les assureurs reçoivent le paiement du service qu’ils vendent avant d’avoir à le
rendre, donc avant d’en connaître le coût exact.
58
Le rôle de l’État face au risque extrême
G U I L H E M
B E N T O G L I O
complètement des risques extrêmes. Le système GAREAT (4) de
protection contre le terrorisme en est un bon exemple. Suite
aux attentats du 11 septembre 2001, le consensus établi entre
assureurs et réassureurs, consolidé par la garantie de l’État, a
permis de constituer un pool qui a restauré l’assurabilité du
risque terroriste. L’État garantit alors de prendre à sa charge
la dernière tranche de dommages si ces derniers sont supérieurs à un certain montant. Cela passe par la garantie illimitée qu’il donne à la Caisse Centrale de Réassurance (CCR).
Dans le système français d’assurance contre les catastrophes
naturelles (« Cat. Nat. »), bon exemple de partenariat publicprivé, l’obligation d’assurance et l’intervention en dernier ressort sont liées. Face à des montants potentiellement très élevés de sinistres extrêmes comme un séisme à Nice, l’industrie
française a considéré au début des années 1980 que les catastrophes naturelles étaient non assurables. La loi de 1982 instituant le régime Cat. Nat. a permis de débloquer la situation.
En s’appuyant sur un principe de solidarité nationale, la loi
impose une assurance obligatoire, prélevée par surcharge sur
la prime payée par l’assuré pour l’assurance incendie et dommage aux biens. Les assureurs collectent les primes et indemnisent les victimes. En contrepartie, ils peuvent se réassurer
auprès de la CCR. La gestion privée des sinistres se conjugue
avec l’intervention publique (c’est l’État qui décide de classer
les communes en « état de catastrophe naturelle »).
L’ÉTAT ASSUREUR EN DERNIER RESSORT
E n tant qu’assureur en dernier ressort, l’État est garant de la
solidarité nationale. Il intervient en cas de crise exceptionnelle non prévue dans les contrats d’assurance ou en cas de
crise du secteur lui-même. Ce type d’intervention est implicite et peut prendre deux formes.
D’une part, l’État peut intervenir pour indemniser les victimes après une très grave catastrophe. C’est alors le principe
de solidarité nationale qui s’applique, dans le cas d’intervention d’urgence lors d’inondations par exemple. L’intervention
ex post peut également passer par la création d’un fonds d’indemnisation, comme ce fut le cas pour la loi du 31 décembre
1991 d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés par le VIH.
D’autre part, la succession de risques extrêmes peut porter
atteinte à la santé financière du secteur. Si la multiplication
de dommages non prévus devait mettre en difficulté de nom- /...
(4) Gestion de l’Assurance et de la Réassurance des risques Attentats et Actes Terroristes.
59
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2 0 0 6
/... breux acteurs de la profession, ou un assureur ou réassureur
de premier plan, l’État devrait intervenir afin d’éviter des
faillites qui risqueraient d’engendrer une crise systémique
(notamment par les liens de réassurance entre les divers
acteurs du secteur et par des effets de contagion boursière).
Les exemples de sauvetage dans le secteur bancaire aux ÉtatsUnis dans les années 1980 (crise des savings and loans), au
Japon, en Suède et en Finlande dans les années 1990 montrent que l’intervention de l’État est nécessaire quand un secteur aussi crucial pour l’économie que la banque ou l’assurance est en détresse financière. L’État peut alors intervenir
directement, en renflouant les capitaux propres des entreprises concernées, ou indirectement, en mettant en place des
montages financiers avec les banques pour assurer la survie
des acteurs menacés.
VERS UNE GESTION DE RISQUE PLUS COMPLÈTE
EN CAS DE RISQUES EXTRÊMES ?
L e système assuranciel français, où se combinent efficacement les mécanismes de marché et l’intervention de l’État, a
prouvé sa solidité. Il a permis au secteur de résister très
convenablement aux années difficiles de la période 19992003, pendant lesquelles se sont succédé des tempêtes coûteuses, les attentats du 11 septembre 2001, la catastrophe
industrielle d’AZF, des inondations et la chute des cours
boursiers qui ont tour à tour touché le passif et l’actif des
compagnies. Le système a aussi montré de fortes capacités
d’adaptation (création de GAREAT dès décembre 2001).
Cependant, nous vivons dans un monde où la concentration
géographique des richesses et des personnes rend les catastrophes plus coûteuses, où de nouveaux risques (technologiques, épidémiologiques…) peuvent émerger, suite à l’interdépendance accrue des réseaux et des activités et au progrès
scientifique et technique, et où l’instabilité juridique peut
fausser le calcul des assureurs. Dans ces conditions, les montants assurés de certains sinistres pourraient dépasser fortement ce qui avait été prévu par les assureurs lors de la signature des contrats.
Dans un tel contexte, il apparaît que l’État doit étoffer sa culture du risque. Il doit contribuer à anticiper les faiblesses
potentielles par rapport au futur. Cela suppose notamment
de :
– mieux identifier le risque et d’envisager la catastrophe, en
développant des méthodes d’évaluation prospective des
risques extrêmes et en diffusant la pratique du retour d’expérience ;
60
Le rôle de l’État face au risque extrême
G U I L H E M
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– favoriser la santé et la couverture des assurances, en renforçant le rôle, au sein de l’Union européenne, de l’instance de
contrôle coordonnatrice pour les groupes d’assurance internationaux ; et en encourageant le développement d’un marché
de titrisation des risques encore peu mature, par exemple via
l’émission d’obligations catastrophes par l’État ou la CCR ;
– éviter les effets pervers pour l’assurance des grandes missions régaliennes, en garantissant la stabilité du cadre juridique et en responsabilisant mieux les bénéficiaires de régimes
tels que les catastrophes naturelles, par l’instauration de franchises ou de bonus-malus, par exemple.
61
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Réaction des Banques centrales
aux crises financières
A N T O I N E M A R T I N (1)
FEDERAL RESERVE BANK DE NEW YORK
Un des aspects de la réponse apportée par les banques centrales aux crises financières reste pour l’essentiel le même
aujourd’hui qu’au 19 e siècle : la banque centrale injecte d’importantes liquidités dans le système financier. Toutefois,
alors que dans une économie à monnaie-marchandise l’apport de liquidités se faisait sous la contrainte d’un taux d’intérêt élevé, ces liquidités peuvent être proposées à des taux
bas aujourd’hui
L es économies font périodiquement face à des crises financières. Celles-ci sont souvent le fait de la médiocrité des institutions mais peuvent également être dues à la malchance ou à
des événements imprévisibles comme les attentats terroristes
du 11 septembre 2001. Ces crises peuvent toucher les pays
développés comme les pays en développement. D’un point de
vue stratégique, il est essentiel de réduire autant que faire se
peut la probabilité d’occurrence de telles crises et de savoir
comment y réagir le cas échéant.
Cet article se penche sur la réponse des banques centrales aux
crises financières. L’un des éléments majeurs de cette réponse
n’a pas changé de manière significative depuis 150 ans, il
s’agit de l’injection de grandes quantités de liquidités dans le
système financier. Pour les banques centrales, l’apport de
liquidités s’est révélé un bon moyen de contenir les tensions
financières. Par contre, un autre aspect de la réponse des
banques est très différent aujourd’hui de ce qu’elle était par le
passé. Au 19 e siècle, la Banque d’Angleterre injectait des liquidités à un coût élevé, alors que lors des crises récentes, les
banques centrales ont fait un apport de liquidités à bas coût,
comme l’illustre la réaction de la Federal Reserve aux événements du 11 septembre 2001. Cet article tente de démontrer
q u e c e t t e d i f f é r e n c e p e u t s e c o m p r e n d r e s i l ’ o n p r e n d /...
(1) Les avis exprimés sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la
position de la Federal Reserve Bank de New York ou du Federal Reserve System.
63
N U M É R O
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–
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/... conscience du fait que la banque centrale doit avoir une stra-
tégie différente dans le cas de la monnaie-marchandise et dans
celui de la monnaie fiduciaire.
Dans un premier temps, cet article décrit la stratégie prônée
par Walter Bagehot et suivie par la Banque d’Angleterre au
19 e siècle. La deuxième partie passe en revue la réponse apportée par la Federal Reserve aux événements du 11 septembre de
manière détaillée. La troisième partie de l’article a pour but
d’expliquer que la réponse de la Fed au Krach de 1987 est
similaire dans les grandes lignes à celle du 11 septembre. La
quatrième partie étudie et explique les différences entre la
politique appliquée par la Bank of England au 19 e siècle et la
réaction de la Fed aux crises récentes, la cinquième partie
étant consacrée à la conclusion.
PERSPECTIVE HISTORIQUE :
STRATÉGIE RECOMMANDÉE PAR BAGEHOT
L a première étude systématique de la réaction d’une banque
centrale à une crise financière est souvent attribuée à Walter
Bagehot (2) . Bagehot, qui venait d’une famille de banquiers,
était rédacteur du magazine The Economist. Dans son ouvrage
sur les banques centrales, un classique intitulé Lombard Street,
publié en 1873, Bagehot propose que les banques centrales
gèrent les crises de deux manières : tout d’abord en prêtant
librement et massivement et en deuxième lieu en faisant ces
prêts à un taux d’intérêt très élevé. À l’heure actuelle, la
recommandation de Bagehot visant à prêter beaucoup en
temps de crise reste une composante majeure de la réponse
typique des banques centrales. Toutefois, et pour des raisons
que nous examinerons plus bas, en temps de difficultés financières extrêmes, les banques centrales prêtent désormais à un
taux d’intérêt réduit plutôt qu’à un taux élevé.
En 1866, la suspension de paiements décrétée par l’établissement bancaire Overend and Gurney, déclencha un début de
panique. Toutefois, comme le souligne Bagehot, cette
panique fut contenue lorsque la Banque d’Angleterre appliqua
une stratégie de prêts massifs à fort taux d’intérêt. Par la
suite, en 1878, lorsque la City Bank de Glasgow fit faillite, et
en 1890, lorsque ce fut le tour de la Baring Bank, la Banque
d’Angleterre appliqua la même stratégie, avec le même succès.
Par contraste, en 1847 et en 1857, la Banque d’Angleterre
refusa dans un premier temps de prêter de l’argent, ce qui
allait exacerber la panique. Celle-ci ne se calma qu’après que
(2) Il convient de mentionner qu’Henry Thornton avait déjà exposé certaines des
idées attribuées à Bagehot.
64
Réaction des Banques centrales aux crises financières
A N T O I N E
M A R T I N
la Banque d’Angleterre eut reprit ses prêts, suite à une
annonce du Chancellor of the Exchequer (ministre de l’Économie et des Finances britannique) selon laquelle il se déclarait
prêt à couvrir les frais de la Banque d’Angleterre si son Service d’émission augmentait la monnaie en circulation sans
couverture-or et était de ce fait poursuivie en justice.
Du fait du succès remporté, la stratégie recommandée par
Bagehot a attiré beaucoup d’attention et est restée le pivot de
la réaction des banquiers centraux, lorsqu’ils sont confrontés
à des crises financières majeures.
LES CRISES MODERNES : LE CAS DU 11 SEPTEMBRE 2001
L es attentats terroristes du 11 septembre ont détruit massivement certaines des infrastructures utilisées par des banques et
institutions financières pour communiquer. Cette interruption des moyens de communication entre banques s’est traduite par une fermeture temporaire du marché interbancaire.
Certaines banques se sont en conséquence trouvées face à des
besoins massifs en liquidités alors que d’autres connaissaient
un excès de liquidités. Étant donné que le marché interbancaire ne fonctionnait pas, ces banques n’étaient pas en mesure
de prêter leurs excès de liquidité à celles qui en avaient
besoin. Pour atténuer les effets de la pénurie de liquidités et
empêcher que la panique s’étende, la Federal Reserve a offert
un volume de réserves très inhabituel.
En général, la Fed fournit des liquidités aux marchés par le
biais de l’escompte officiel (discount window - DW) et des
opérations d’open market (OMO) (3). Dans une OMO, la Fed
fournit des fonds aux courtiers spécialisés dans la négociation
des valeurs du Trésor par le biais de contrats de report (repurchase agreements - RP). Ces courtiers prêtent alors les fonds
aux banques sur le marché interbancaire. En temps normal, la
Fed met en adjudication une quantité de réserves fixe et ne
passe pas de transactions à des prix qui impliqueraient un
taux d’emprunt inférieur à celui qu’elle a fixé. Le discount
window permet aux banques d’obtenir des fonds directement
auprès de la Fed. À l’époque, le taux d’intérêt du discount
window était inférieur de 50 points de base au taux cible du
marché des fonds fédéraux (4). Les banques ne sont pas autorisées à prêter cet argent sur le marché interbancaire.
On étudie ci-après le détail de certaines des mesures adoptées /...
(3) Une troisième source de liquidité est constituée par les moyens de paiement en
cours d’encaissement (Float), ce qui correspond au temps écoulé entre le moment
où un chèque est déposé et celui où il est crédité.
(4) Le taux DW a été de 3 % jusqu’au 14 septembre, de 2,5 % du 17 septembre au
1 er octobre et de 2 % après cette date.
65
N U M É R O
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–
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/... par la Fed durant les jours qui ont suivi le 11 septembre. Pour
Graphique 1
une description plus détaillée, il convient de se reporter au
rapport rédigé par le Markets Group de la Federal Reserve
Bank de New York (2002). Le graphique 1 présente les avoirs
empruntés (fonds obtenus par l’intermédiaire de l’escompte
officiel - DW) et les avoirs non empruntés (fonds obtenus par
les opérations d’open market - OMO) (5) . Les 11 et 12 septembre, de grosses quantités de liquidités ont été fournies par
le biais du discount window du fait que le fonctionnement du
marché interbancaire était perturbé. Les jours suivants, avec
l’amélioration des communications interbancaires, l’apport de
liquidités s’est fait beaucoup plus par le biais des opérations
d’open market que par le discount window. Si le taux d’intérêt
sur les emprunts qui passent par l’escompte officiel (DW) n’a
pas changé jusqu’au 17 septembre, date à laquelle le taux
cible des fonds fédéraux a été réduit de 50 points de base, les
banques ont été encouragées à emprunter, ce qui a généré un
taux effectif d’emprunt inférieur au taux habituel. Le 11 septembre vers midi, le Board of Governors publiait un communiqué de presse en précisant que la Federal Reserve était ouverte
et opérationnelle et que l’escompte officiel était disponible
pour faire face aux besoins en liquidités.
Le graphique 1 montre également que la Fed a prêté de grosses
sommes par le biais des opérations d’open market. Les 13 et 14
septembre, le volume des avoirs non-empruntés était cinq fois
plus élevé que durant les jours qui ont précédé le 11 septembre. Comme l’aurait prôné Bagehot, la Fed a vigoureusement fourni des liquidités : du mercredi (12 septembre) au
lundi suivant (17 septembre), le volume des opérations d’open
market a cherché à apporter tout le financement demandé par
OFFRE DE LIQUIDITÉS PAR LA FED AUTOUR DU 11 SEPTEMBRE 2001
140 Mds $
120
100
Avoirs empruntés
60
Avoirs non empruntés
60
40
20
0
23/08 27/08 29/08
3/09 5/09
7/09 11/09 13/09 17/09 19/09 21/09 25/09 27/09 1/10
3/10
(5) Les graphiques 1, 2 et 3 viennent du Markets Group de la Federal Reserve Bank
de New York (2002).
66
Réaction des Banques centrales aux crises financières
A N T O I N E
M A R T I N
Graphique 2
les courtiers auprès du Desk, pour atténuer dans la mesure du
possible les interruptions dans les transactions et les accords de
règlement (6). Le grahique 2 présente les contrats de report (RP)
au jour le jour et à terme. Durant cette période, les reports au
jour le jour peuvent être assimilés à des prêts d’urgence. Leur
importance, sur la période comprise entre le 12 et le 19 septembre, atteste du montant considérable de liquidités injecté
par la Fed sur le marché interbancaire.
ENCOURS DE REPORTS À TERME ET OVERNIGHT AUTOUR DU 11 SEPTEMBRE 2001
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Mds $
RP overnight
RP à terme
23/08 27/08 29/08
3/09 5/09
7/09 11/09 13/09 17/09 19/09 21/09 25/09 27/09 1/10 3/10
Graphique 3
La politique appliquée par la Fed s’est écartée des recommandations de Bagehot sur un aspect important – les liquidités ont été
mises à disposition à un faible taux d’intérêt : le Desk a dû
accepter la plupart des propositions, même celles qui étaient
faites à des taux nettement en-dessous de la cible des 3 %, afin
d’organiser des contrats de report d’une taille suffisante (7). Le
grahique 3 montre les conséquences de l’apport de telles quantités de liquidités. Le taux des fonds fédéraux a atteint des /...
TAUX DES FONDS FÉDÉRAUX AUTOUR DU 11 SEPTEMBRE 2001
5
7
%
Taux effectif
4
3
6
Plus haut
11 septembre 2001
Taux cible
2
1
0
23/08 27/08 29/08
Plus bas
3/09 5/09
7/09 11/09 13/09 17/09 19/09 21/09 25/09 27/09 1/10
(6) Markets Group de la Federal Reserve Bank de New York (2002), page 22.
(7) Markets Group de la Federal Reserve Bank de New York, page 24.
67
3/10
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3 2 8
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2 0 0 6
/... minima très proches de zéro les 14, 17 et 18 septembre. Du 17
au 20 septembre, le taux effectif (moyenne du taux des transactions passées par les principaux agents pondérée en fonction des
volumes) a été nettement inférieur au taux cible.
LE KRACH DU 19 OCTOBRE 1987
L e lundi 19 octobre 1987, le Dow Jones Industrial Average
perdait 23 pour cent de sa valeur. Cette chute de 500 points
constituait la plus grosse chute de l’histoire de la bourse sur
une seule journée. Ce krach réduisit fortement la valeur des
portefeuilles de valeurs détenus par les agents de change et les
spécialistes du marché et les banques hésitèrent à faire crédit
aux agents de change et aux spécialistes dont la solvabilité
n’était pas certaine. Des faillites massives dans le secteur
financier auraient pu avoir de graves conséquences pour l’économie réelle (Neely, 2004).
La réponse apportée par la Fed lors du krach boursier de 1987
est dans les grandes lignes analogue à celle qui a suivi le
11 septembre 2001. À la suite du krach, la Fed a immédiatement annoncé qu’elle était prête à faire office de source de
liquidités pour soutenir le système économique et financier.
Elle a ensuite adopté un certain nombre de mesures pour s’assurer qu’elle disposait d’assez de liquidités. De gros montants
ont été mis à disposition par le biais du discount window
(DW) et des opérations d’open market (OMO). Dans certains
cas, le Desk est entré sur le marché avant l’heure à laquelle il
le fait habituellement (Neely, 2004).
Là encore, la Fed n’a pas fourni les liquidités à un taux d’intérêt élevé. En fait, en réaction à ce krach, le taux cible des
fonds fédéraux a été réduit d’environ 7,5 % à quelques 6,75 %
(Goodfriend, 2002). Le taux des fonds fédéraux n’est certes
pas descendu aussi bas après le krach de 1987 qu’après le
11 septembre 2001. Mais dans les deux cas, les grandes lignes
de la politique suivie étaient les mêmes.
DE BAGEHOT
AUX BANQUES CENTRALES MODERNES
I l paraît normal de se demander pourquoi Bagehot recommande de prêter à un taux d’intérêt élevé alors que la Fed a
tendance à réduire le coût des liquidités en temps de crise.
Cette différence peut se comprendre si l’on tient compte du
fait que Bagehot vivait dans un monde de monnaie-marchandise (commodity money) alors que la Fed opère dans un monde
de monnaie fiduciaire (fiat money).
Dans un monde de monnaie-marchandise, il y a une limite à
la quantité de liquidités que peut apporter la banque centrale.
68
Réaction des Banques centrales aux crises financières
A N T O I N E
M A R T I N
C’est la raison pour laquelle il est important de s’assurer que
ces liquidités sont attribuées de manière appropriée et vont en
priorité aux institutions qui en ont le plus besoin. En effet, si
le coût d’acquisition des liquidités est faible, toutes les
banques seront intéressées à emprunter auprès de la banque
centrale, ne serait-ce que pour se protéger de l’éventuel risque
d’aggravation de la crise. Toutefois, plus le nombre des
banques tentant d’acquérir des liquidités augmente, plus la
probabilité que la banque centrale ait assez pour répondre à
toutes les demandes diminue. Il est alors probable que les
liquidités seront mal attribuées.
Par contraste, lorsque le coût des liquidités est suffisamment
élevé, les institutions qui n’en ont pas un besoin pressant préfèrent éviter une telle acquisition. Ceci laisse alors davantage
d’argent pour les autres banques et augmente ainsi la résilience du système financier. Il est possible de démontrer formellement que dans une économie de monnaie-marchandise,
un taux d’intérêt élevé permet à la banque centrale de laisser
s’installer une auto-sélection des banques qui ont le plus
besoin de liquidités (Martin, 2005).
Dans un monde de monnaie fiduciaire, la banque centrale a la
capacité virtuellement illimitée d’augmenter l’apport d’argent.
De ce fait, l’inquiétude quant au fait qu’il n’y aura peut-être
pas assez de liquidités pour les institutions qui en ont réellement besoin s’efface. Étant donné qu’il est toujours possible
de produire assez de liquidités, la banque centrale n’a pas à
s’inquiéter de la manière dont celles-ci vont être réparties.
Dans ces conditions, son principal souci est de s’assurer que
les liquidités sont à la disposition du plus grand nombre. L’un
des moyens de favoriser l’accès aux liquidités consiste à veiller
à ce que le prix n’en soit pas trop élevé.
La possibilité pour les banques d’apporter des liquidités à bas
coût n’est toutefois pas sans contraintes. Tout d’abord, à long
terme, une forte augmentation des liquidités pourrait générer
de l’inflation et aller ainsi à l’encontre d’autres objectifs stratégiques. De ce fait, la banque centrale ne peut fournir des
liquidités à bas prix qu’à titre temporaire. Dans le cas du
11 septembre, le grahique 3 montre que le taux effectif des
fonds fédéraux n’est resté très bas que durant quelques jours
avant de remonter au taux cible.
L’autre risque est que les banques en viennent à considérer
que la banque centrale va réduire le coût des liquidités dès les
premiers signes de problèmes.
Ceci pourrait entraîner un aléa moral car les banques vont
s’attendre à être renflouées chaque fois qu’un problème se
p o s e e t s e r o n t a l o r s e n c o u r a g é e s à p r e n d r e d e s r i s q u e s /...
69
N U M É R O
3 2 8
–
M A R S
2 0 0 6
/... e x c e s s i f s ( 8 ) . I l e s t d o n c e x t r ê m e m e n t i m p o r t a n t q u e l e s
banques centrales ne dégagent des liquidités à bas coût que
dans des situations exceptionnelles afin d’éviter ce problème
d’aléa moral. Toutefois, dans ces situations effectivement
exceptionnelles, la banque centrale doit réagir avec fermeté
face à des risques susceptibles d’avoir des conséquences
extrêmes, comme le suggère l’approche de gestion des risques
(« risk management ») proposée récemment pour la politique
monétaire par l’ancien gouverneur Alan Greenspan.
CONCLUSION
C et article montre que l’un des aspects de la réponse apportée par les banques centrales aux crises financières reste pour
l’essentiel le même aujourd’hui qu’au 19 e siècle : la banque
centrale injecte d’importantes liquidités dans le système
financier. Toutefois, sur certains points, les actions des
banques centrales modernes diffèrent radicalement de celles
des banques du passé. Au 19 e siècle, l’apport de liquidités se
faisait à un taux d’intérêt élevé alors qu’à l’heure actuelle ces
liquidités sont généralement proposées à bas taux. Ces changements s’expliquent par le fait que, dans un monde de monnaie fiduciaire, une banque centrale ne saurait suivre la même
politique que dans une économie à monnaie-marchandise.
RÉFÉRENCES
BAGEHOT W.,
1873. Lombard street, a description of the money market. (Scriber, Armstrong, and Co, New York). Références tirées de l’édition de 1901, Kegan
Paul, Trench, Trüber and Co. Ltd. London.
GOODFRIEND M.,
2002. “The phases of U.S. monetary policy: 1987 to 2001.”
Federal Reserve Bank of Richmond, Economic Quarterly, 88, pages 1 à 16.
MARKETS GROUP DE LA FEDERAL RESERVE BANK DE NEW YORK,
2002, “Domestic open market operations during 2001.” Federal Reserve Bank of
New York.
MARTIN A., 2005. “Reconciling Bagehot with the Fed’s response to September
11.» Federal Reserve Bank of New York, Staff Reports 217.
2004. “The Federal Reserve Responds to Crises : September 11th
was not the First.” Federal Reserve Bank of St. Louis Review, 86, pages 27 à 42.
NEELY C.-J.,
THORNTON H.,
1802. An enquiry into the nature and effects of the paper
credit of Great Britain. Réimpression de 1962 (Augustus M. Kelley, New York).
(8) L’aléa moral se réfère au changement de comportement qui apparaît lorsqu’un
agent économique est assuré contre un risque. Pour donner un exemple, si ma
bicyclette est assurée contre le vol, je risque de la protéger moins soigneusement que
si elle ne l’était pas.
70
N U M É R O
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2 0 0 6
Les États-Unis face aux
risques extrêmes
depuis le 11 septembre 2001
HÉLÈNE BAUDCHON ET SANDRINE BOYADJIAN
DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
Le 11 septembre 2001, le coeur de Manhattan s’est effondré,
la Maison Blanche a été évacuée, le Pentagone incendié et la
Bourse fermée. Les attentats ont mis à mal pendant un peu
plus d’une semaine les marchés financiers américains. Les
politiques monétaire et budgétaire ont réagi avec une grande
promptitude et une vigueur impressionnante. Cette gestion
de la crise a permis de rétablir la confiance, sauvegarder le
système financier et éviter une dépression auto-réalisatrice
après le 11 septembre.
L es États-Unis ont récemment été confrontés à un risque
extrême d’une nature et d’une ampleur inconnues jusque-là :
les attentats terroristes contre le World Trade Center (WTC) à
New-York. Le président G. W. Bush a qualifié cette tragédie
« d’acte de guerre ». Les risques de règlement sur les systèmes
de paiement ont été considérables et la réaction vigoureuse
des autorités après les attentats a joué un rôle crucial pour
prévenir une crise de liquidité.
Du point de vue macroéconomique, il n’y a pas spécialement
d’avant et d’après 11 septembre. Suite aux attentats, le risque
macroéconomique était que la baisse importante des indices
de confiance et des marchés boursiers ne perdure et se propage, entraînant dans une spirale à la baisse consommation,
investissement et emploi. Il faut tout d’abord rappeler que les
attentats ne sont pas à l’origine de la récession en 2001 bien
qu’ils soient intervenus alors que l’économie américaine était
vacillante. C’est l’éclatement de la bulle boursière en
mars 2000 qui en a été le déclencheur. Ces attentats ont
entraîné diverses interventions militaires (Afghanistan,
octobre 2001 - mars 2002 ; Irak, mars-mai 2003) qui ont
contribuées aux hésitations de la reprise au tournant 2001- /...
71
N U M É R O
3 2 8
–
M A R S
2 0 0 6
/... 2002 en alimentant l’incertitude ambiante (1) . Au final, grâce à
l’activisme de la politique économique, la récession a été
néanmoins courte et peu marquée, et la reprise solide (cf. graphique). Néanmoins, ces évènements ont changé le paysage
économique américain.
2e guerre du golfe
1re
guerre
du golfe
consommation des ménages
2008Q1
2006Q1
2007Q1
2005Q1
2004Q1
2002Q1
2003Q1
2001Q1
2000Q1
1999Q1
1997Q1
1998Q1
1993Q1
1994Q1
1995Q1
1996Q1
1991Q1
1992Q1
1990Q1
1989Q1
1987Q1
1988Q1
1983Q1
1984Q1
1985Q1
1986Q1
attentats du 11 septembre
PIB
*En gris clair : les administrations républicaines ;
en blanc : les administrations démocrates ;
en bleu : les récessions.
LA BANQUE CENTRALE,
PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT
L a principale mission de la banque centrale est de maintenir
la stabilité du système financier notamment par son rôle de
prêteur en dernier ressort, et de contenir tout risque systémique qui peut surgir sur les marchés financiers. La priorité
des autorités monétaires a été la gestion de la liquidité. Le
11 septembre, la Fed, dirigée à ce moment-là par son vice gouverneur M. Ferguson (2) , a fait savoir qu’elle était prête à
injecter des montants quasiment illimités de liquidités pour
éviter les cessations de paiements via le canal habituel du refinancement « overnight » et celui de l’escompte. (cf. l’article
d’Antoine Martin dans cette même revue).
Le 17 septembre, avant la ré-ouverture de la Bourse de NewYork, le FOMC a décidé en dehors de son calendrier de
réunions programmées de baisser le taux des fedfunds de
50 pb, à 3 %. Depuis le début de l’année 2001, les taux
avaient déjà été diminués de 350 pb. Le communiqué associé
(1) Il a fallu attendre juillet 2003 pour connaître la date du creux (novembre
2001). Ce long délai s’explique par la nature même de la récession (crise de surinvestissement) et de la reprise sans emplois qui s’est ensuivie.
(2) A. Greenspan n’était pas aux États-Unis au moment des attentats mais en Europe.
72
Source : BEA, CA
éclatement de
la bulle boursière
1981Q1
1982Q1
9
8
7
6
5
4
3
2
1
0
-1
-2
-3
CROISSANCE DU PIB ET DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES
(GLISSEMENT ANNUEL, %)
Les États-Unis face aux risques extrêmes depuis le 11 septembre 2001
H É L È N E
B A U D C H O N ,
S A N D R I N E
B O Y A D J I A N
à cette décision mentionnait que même avant les attentats la
conjoncture demeurait mauvaise. Avec un retour à la normale
des infrastructures de paiement, les prêts ont été remboursés
et le bilan de la Fed, temporairement gonflé, s’est à nouveau
contracté.
Devant la détérioration de la conjoncture, la Fed est à nouveau intervenue le 2 octobre, pour baisser son taux directeur
de 50 pb.
Sur le plan international, la Fed a signé des accords d’échange
de devises avec la Banque Centrale Européenne (BCE), la
Banque du Canada (BoC) et la Banque d’Angleterre. Avec ces
swaps, ces banques centrales ont pu approvisionner en dollars
leurs institutions financières. Le 17 septembre, la BoC a
diminué son taux de financement à un jour de 0,5 point pour
l’amener à 3,5 %. La BCE a réduit le sien de 0,5 point pour
fixer celui-ci à 3,75 %.
IMPACT LIMITÉ SUR LA CONJONCTURE
D ébut septembre 2001, la confiance des ménages et des entreprises s’était déjà affaiblie très nettement par rapport au sommet de 2000. Les attentats les ont davantage entamées. En
novembre, le NBER a annoncé que l’économie américaine était
en récession depuis mars 2001. Malgré la bonne tenue de la
demande globale, plusieurs secteurs ont été durement touchés.
Les compagnies aériennes ont subi de fortes moins-values via la
chute de la fréquentation et des surcoûts liés à la sécurité. Le
secteur de l’assurance s’est trouvé confronté à une catastrophe
sans précédent. En revanche, la demande a augmenté dans les
secteurs de la sécurité. Certaines entreprises présentes dans le
WTC ont dû se délocaliser dans le New Jersey.
La première réaction des marchés a été de se réfugier dans la
qualité. Les cours des actions ont chuté. Ce recul a été
emmené par la chute des valeurs des compagnies aériennes et
des assureurs. Mais la correction boursière globale n’a pas
débuté en septembre 2001 mais au printemps 2000. L’écart
de rendement entre obligations publiques et obligations de
sociétés s’est creusé. Puis, les écarts de rendement se sont globalement resserrés en fin d’année 2001 avant qu’ils ne s’élargissent à nouveau avec les faillites d’Enron et Worldcom. Le
choc subi par les marchés financiers paraît avoir été largement
transitoire. Cette baisse est restée sous contrôle grâce à l’assouplissement temporaire des règles de la SEC.
ENTRÉE DANS UNE ÈRE DE FORTES INCERTITUDES
L ’économie américaine s’apprêtait à rebondir au moment de
ces frappes terroristes et ce choc n’a fait que différer le /...
73
N U M É R O
3 2 8
–
M A R S
2 0 0 6
/... processus de quelques semaines. Selon le NBER, les États-
Unis sont sortis de la récession en novembre 2001. Un mois
après les attentats, A. Greenspan affichait (3) une relative sérénité face à l’évolution future de l’économie. Il a estimé que
« les marchés financiers s’ajusteront aux nouveaux risques ».
Cette crise de liquidité a conduit à une nouvelle tendance :
l’aversion au risque qui pèse sur les marchés boursiers. Ce
sentiment s’est reflété dans la persistance de « la fuite vers la
qualité » qui maintient les taux des emprunts d’État à long
terme à des niveaux très bas. Concernant les flux internationaux de capitaux, les États-Unis auraient pu éprouver davantage de difficultés pour obtenir des financements extérieurs
pour leur déficit exceptionnel. Or, cela n’a pas été le cas.
Cet excès de liquidité a conduit à la hausse les prix des actifs
non vulnérables à l’aversion au risque. En particulier, le marché immobilier et les matières premières ont enregistré de
fortes progressions. En dépit d’une sortie rapide de récession,
la Fed a dû poursuivre son assouplissement monétaire (jusqu’à 1 % en mars 2004). Par ailleurs, un autre risque était
craint : celui de la trappe à liquidité. Ce risque de déflation,
bien que considéré comme mineur, était suivi de près par la
Fed en 2003/04. Les États-Unis ont pu éviter de tomber en
déflation grâce à l’accélération des prix immobiliers et à la
bonne tenue des prix des services.
LA RÉACTION IMMÉDIATE
DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE
L a réaction immédiate du gouvernement a été conséquente.
40 milliards de dollars de dépenses d’urgence ont été débloqués dès le 14 septembre au titre de la reconstruction de New
York et de l’effort de guerre, plus 15 milliards le 21 septembre pour renflouer les compagnies aériennes. L’Aviation
and Transportation Security Act du 16 novembre instaure que
l’État assure désormais le contrôle des bagages et des personnes dans les aéroports. Le Patriot Act a été voté quelques
semaines après les attentats.
Une augmentation du budget militaire, la plus importante
depuis les années Reagan, est prévue pour 2002 et 2003
(hausse de 14 et 16 %, respectivement, in fine). Le budget
consacré à la sécurité intérieure voit son poids dans le PIB
doubler à 0,30 % (1,5 % des dépenses). Ce type de dépenses
ne représente néanmoins qu’une petite part du total des
dépenses effectuées par l’État, à comparer par exemple au
poids des dépenses militaires (20 % du total en 2005).
(3) Discours du 17 octobre 2001.
74
Les États-Unis face aux risques extrêmes depuis le 11 septembre 2001
H É L È N E
B A U D C H O N ,
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B O Y A D J I A N
L’Office of Homeland Security, créé le 8 octobre 2001, assure
la coordination des démarches de sécurité intérieure au niveau
fédéral et local ; le National Homeland Security and Combating Terrorism Act, ratifié en mai 2002, appelle à la création
d’un Department of Homeland Security, finalement créé en
novembre 2002.
Ce super-ministère reprend sous son aile l’ensemble des activités touchant à la sécurité intérieure, auparavant traitées
dans diverses agences fédérales.
Malgré un souci en apparence commun, les Républicains et
les Démocrates ont eu du mal à trouver un terrain d’entente
et le plan de relance de 42 milliards de dollars sur 10 ans n’a
été ratifié que début mars 2002 (Job Creation and Worker
Assistance Act).
Si la plus forte croissance des dépenses militaires est une
conséquence directe des attentats, ce n’est pas le cas des
baisses d’impôts, à l’exception de la loi de mars 2002. Les
finances publiques se seraient donc de toute manière dégradées. La doctrine de G.W. Bush est dans la droite ligne de
celle de Reagan : il faut réduire les impôts pour stimuler le
travail et l’innovation et donc soutenir la croissance. Dans les
faits, cela n’a pas été aussi efficace qu’escompté en termes de
création d’emplois, mais la croissance a été opportunément
soutenue par une relance keynésienne classique, à laquelle
s’est ajoutée la contribution positive du surcroît de dépenses
/...
militaires (cf. tableau).
CROISSANCE DU PIB ET CONTRIBUTIONS DES DÉPENSES PUBLIQUES (G)
Rythme annualisé
trimestriel moyen
moyenne 1959-1969
moyenne 1970-1979
moyenne 1975-1987
(guerre froide)
moyenne 1980-1989
moyenne 1990-1995
moyenne 1996-2000
moyenne 2001-2005
2001
2002
2003
2004
2005
Croissance
du PIB
4,4
3,4
Contribution
des G
totales
0,8
0,2
Contribution
des G
militaires
0,1
– 0,2
Contribution
des G
civiles
0,1
0,1
Contribution
des G
locales
0,4
0,3
3,5
3,1
2,4
4,1
2,6
0,2
1,9
4,1
3,8
3,1
0,6
0,7
0,1
0,4
0,5
0,9
0,7
0,4
0,4
0,2
0,3
0,3
– 0,2
0,0
0,2
0,2
0,3
0,3
0,2
0,0
0,1
0,1
0,0
0,0
0,1
0,1
0,2
0,0
0,1
0,1
0,2
0,2
0,2
0,3
0,1
0,3
0,2
0,0
0,1
0,1
Source : BEA, CA
75
N U M É R O
3 2 8
–
M A R S
2 0 0 6
/... L’accent mis sur les questions de politique étrangère et de
sécurité intérieure dans trois des cinq discours sur l’État de
l’Union (4) est révélateur des stigmates de l’après 11 septembre
et donc des changements de priorité de l’administration de
G.W. Bush face à un risque d’un nouveau genre, le terrorisme
de masse. Sa réélection l’est plus encore : les considérations
de sécurité intérieure et de politique étrangère ont primé sur
celles de sécurité économique.
Les dépenses militaires comptent désormais pour près de
4 points de PIB, contre 3 % au plus bas, à la fin des années
1990. Malgré cette progression, leur poids dans le PIB reste
en deçà des 6 % atteints en pleine guerre froide. La hausse des
autres dépenses discrétionnaires s’est faite au prix d’un creusement du déficit public. Quant aux grands projets (réforme
de la Social Security et du code fiscal), ils n’ont toujours pas
sérieusement avancé.
LA RÉALLOCATION DES RESSOURCES
FACE À UN RISQUE EXTRÊME
L ’engagement volontaire des États-Unis dans la lutte contre
le terrorisme et l’accroissement des mesures de sécurité intérieure entraînent une réallocation des ressources dont il est
difficile d’évaluer précisément l’impact sur les gains de productivité et la croissance à long terme. D’après Hobijn
(2002), le coût des efforts d’adaptation de l’économie américaine à la nouvelle donne sécuritaire devrait néanmoins être
minime et ne pas impacter durablement la croissance, car les
montants en jeu sont eux-mêmes modestes relativement à la
taille de l’économie américaine (5).
Une partie des facteurs de production (travail et capital)
risque d’être détournée vers la production d’un bien intermédiaire (la sécurité) au détriment de la production de biens
finals. Coûts de production et coût du capital pourraient en
être accrus, pesant sur l’investissement, l’emploi et la productivité. Une partie de l’argent public étant allouée à des fins
uniquement militaires, une limitation stricte de la croissance
des autres dépenses discrétionnaires (éducation, formation,
R&D, infrastructures, effectifs, ...) s’imposerait pour ne pas
faire plus déraper le déficit public, au risque de porter préjudice à la croissance. La réorientation de la R&D vers la
recherche militaire rendrait de nouveau moins accessibles au
domaine public les découvertes faites dans le domaine mili(4) En 2002, 2004, 2006.
(5) “What Will Homeland Security Cost?”, numéro spécial de la FRBNY Economic
Policy Review s u r “ T h e E c o n o m i c E f f e c t s o f S e p t e m b e r 1 1 ” , v o l u m e 8 , n ° 2 ,
novembre 2002.
76
Les États-Unis face aux risques extrêmes depuis le 11 septembre 2001
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taire. Par ailleurs, le contrôle plus strict de l’immigration est
source de nombreux mécontentements. La gestion à flux tendus des stocks, de plus en plus courante dans l’industrie, est
fortement tributaire d’un passage efficace aux frontières. Le
durcissement des contrôles transfrontaliers après les attentats
a désorganisé l’activité de ces entreprises, surtout à la frontière entre les États-Unis et le Canada.
Pour 2003, en retenant une définition la plus large possible
des dépenses sécuritaires et en supposant un doublement de
leur part dans le total des dépenses des entreprises, Hobijn a
estimé à un maximum de 72 milliards de dollars le total des
coûts directs, soit 0,7 % du PIB (y compris les + 0,3 % du
budget sécurité intérieure). Ces efforts réduiraient de 1,12 %
le niveau de la productivité du travail du secteur privé et de
0,8 % le niveau de sa productivité globale. L’impact est ici
concentré sur une année. En réalité, la mise en place des nouvelles procédures sécuritaires prendra plusieurs années, ce qui
rend insignifiant l’impact sur la productivité.
Il reste possible que les succès économiques engrangés par les
États-Unis depuis la fin de la guerre froide, et donc en temps
de paix, soient d’une manière ou d’une autre remis en question dans les années à venir. Pour autant, les États-Unis
savent s’adapter et opérer des changements stratégiques
majeurs. Pour preuve, face à une succession de chocs (krach
boursier, attentats du 11 septembre, guerre contre le terrorisme, scandales comptables), l’économie américaine et son
système financier ont fait preuve d’une formidable capacité de
réaction et d’absorption. En particulier, les systèmes de paiements et de règlements ont bien tenu, même dans ces circonstances extrêmes. Ces bons résultats sont à mettre sur le
compte des politiques économiques expansionnistes et des
efforts accomplis en faveur de la stabilité financière.
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Quelles leçons tirer
des accidents financiers
ADRIAN ROCHE
DIRECTION DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
L’importance croissante de la finance dans l’économie a
élargi les problématiques relatives au risque de système. En
particulier, les accidents financiers qui se sont produits
durant les dix dernières années sont riches d’enseignements
pour penser la stabilité financière aujourd’hui.
L e développement de la finance s’est particulièrement accéléré ces dernières années. La liquidité s’est fortement accrue,
de nouveaux acteurs non bancaires, en quête de rendement,
ont intégré les marchés financiers et l’innovation s’est poursuivie, introduisant un éventail de risques encore mal connus.
Dans ce contexte, les problématiques du risque de système
ont également évoluées vers des logiques de marché. Les analyses de chocs exogènes doivent donc être complétées par des
problématiques de fuite de liquidité, de contractions soudaines et violentes du prix des actifs, de contagion et de
concentration des risques.
Nous étudions dans cet article les caractéristiques communes
aux « accidents » qui ont touché certaines institutions financières ces dernières années, afin de mieux comprendre les
risques potentiels à venir.
POSITIONS ABYSSALES, LEVIERS ÉLEVÉS
ET ÉVÉNEMENT EXTRÊMES
À y regarder de plus près, la réalisation du risque de système
est une combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les
positions sont très larges et concentrées sur des segments de
marché particuliers. Ensuite, les leviers d’endettement sont
élevés et réalisés sur les marchés dérivés où des fonds sont
requis uniquement pour les appels de marge. Enfin, il y a un
événement déclencheur de l’accident financier, souvent
extrême et donc inattendu, qui sera amplifié et propagé par
/...
les deux premiers éléments.
79
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/... La crise de LTCM (1998) est emblématique de ce phénomène
en montrant comment la faillite d’un acteur pouvait entraîner
dans sa chute ses contreparties et déclencher le risque de système. De son coté, la faillite de la Barings (1995), sans conséquence systémique, a révélé le besoin de juguler le risque opérationnel, qui est un vecteur important des catastrophes
financières.
L’AFFAIRE BARINGS
La faillite de la Barings, d’autant plus inattendu pour une institution emblématique créée il y a plus de deux siècles, a été
provoquée par une perte sèche de 1,3 Mds $ engloutissant
instantanément le capital de la banque d’affaires. Nick Leeson, le trader responsable, s’était positionné long de 7,7 Mds $
sur des futures sur indice Nikkei et court de 16 Mds $ sur des
futures sur obligations du Trésor japonais. Tout commença à
la fin du mois de janvier 1995, lorsque eut lieu le tremblement de terre de Kobe qui provoqua la chute de l’indice de
plus de 6 points. Persuadé de sa stratégie et du caractère éphémère de la baisse, le responsable de l’unité trading de futures
sur la zone renforça ses positions. À la fin du mois de février,
l’indice avait perdu 15 %. Ne pouvant faire face aux appels de
marge colossaux requis par la chambre de compensation de la
place, il quitta son poste et envoya plus tard le fax suivant à
ses supérieurs : « Sincere apologies for the predicament that I
left you in ».
Cet événement a révélé une défaillance du système de contrôle
au sein de la banque et l’importance du risque opérationnel (1).
Il n’y avait en effet aucune séparation entre le front et le back
office. N. Leeson contrôlait ainsi à la fois les activités de trading, l’enregistrement des ordres et le paiement des appels de
marge, sans qu’aucune limite de trading ne soit fixée.
Cette affaire ne fut pas un cas isolé. Le problème de contrôle a
été soulevé notamment après les pertes subies par les banques
japonaises Daïwa (1,1 Mds $) et Sumitomo (1,8 Mds $).
Celles-ci se sont accumulées pendant dix ans dans les deux
sociétés sans que les dirigeants ne s’en aperçoivent.
Comme complément à la dotation d’outils statistiques de type
Value-at-Risk pour évaluer les pertes potentielles, c’était donc
une véritable culture du risk management qu’il était néces(1) Cet événement témoigne aussi du manque de coopération entre les marchés de
Singapour et d’Osaka. Pour que les autorités puissent agir avant la catastrophe, il
est important de connaître les positions multiples des traders. Pourtant, les marchés
d’Osaka et de Singapour, en raison de la pression concurrentielle, n’ont pas dévoilé
les positions, alors que sur le marché d’Osaka, la Barings a accumulé 20 000
contrats de 200 000 $ chacun. Cela représentait 8 fois la deuxième plus grande
position, qui s’élevait à 2 500 contrats.
80
Quelles leçons tirer des accidents financiers
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saire d’introduire et de promouvoir au sein des établissements
financiers. Cet aspect qualitatif du contrôle interne des
risques est bien expliqué à travers ses différentes modalités
dans un document de la BRI de 1998 (« Framework for the
evaluation of internal control system ») dont on tire ici
quelques aspects majeurs :
• La banque doit avoir une unité de contrôle du risque indépendante, responsable de la mise en place et de l’implémentation du système de management. Cette unité doit donc être
séparée des unités de trading et faire ses rapports directement
aux responsables.
• Elle doit conduire un programme régulier de backtest.
• Les dirigeants doivent être activement investis dans le processus de contrôle du risque. Les rapports qui leur sont présentés quotidiennement doivent être utilisés à un niveau d’autorité suffisamment élevé pour pouvoir réduire l’exposition au
risque de traders ou de la banque dans son ensemble et fixer
des limites.
• Un programme rigoureux de tests de stress doit être mis en
place.
• Une revue indépendante doit être réalisée régulièrement par
un audit interne. Celle-ci doit analyser finement les activités
des unités de trading et de l’unité de contrôle du risque.
LTCM : LE CAS DU RISQUE DE SYSTÈME
La stratégie de ce fonds spéculatif était axée sur de l’arbitrage
de prix entre actifs similaires, notamment sur des combinaisons de taux à diverses échéances sur tous les marchés de dette
souveraine, dont la Russie. Ce type de stratégie génère un
rendement relativement faible et doit donc être effectué à
l’aide de leviers très élevés pour être rentable. Ainsi, à la fin
de l’année 1997, le bilan de LTCM était constitué de 5 Mds $
de fonds propres et de 125 Mds $ de dettes (soit un levier de
25 pour 1). Le montant notionnel de ses contrats dérivés de
taux s’élevait à 1 250 Mds $, soit 2,4 % du marché global.
Les premiers soucis de LTCM furent causés par la baisse du
marché hypothécaire américain, qui provoqua une perte de
16 % du capital du fonds en juin 1998. Puis, en août, le
moratoire russe sur la dette publique lui fit perdre
550 Mds $. A la fin du mois, le capital de LTCM avait fondu
de moitié. Enfin, au début du mois de septembre eut lieu le
phénomène massif de fuite de liquidité des marchés émergents
vers la dette américaine, accentuant l’écartement des spreads.
Le montant des appels de marge requis mettait alors potentiellement LTCM en défaut.
Ce fonds n’était pas le seul à être mis en porte à faux par cet /...
81
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2 0 0 6
/... événement inattendu. La perte de confiance sur les marchés
de taux et le comportement mimétique des acteurs firent
plonger le prix des actifs au profit des bons du Trésor américain qui étaient beaucoup plus liquides, faisant chuter d’autant la valeur des collatéraux des débiteurs.
Le risque de contrepartie des intervenants du marché, qui
avaient des positions très denses entre eux, dont LTCM en
faillite, était donc à son apogée et le danger d’une implosion
des bilans par ventes simultanées était imminent.
Le 15 septembre 1998, le risque de système était ainsi avéré.
La FED devait régler deux problèmes : l’impact du déboire de
LTCM sur ses contreparties et la perte de confiance des marchés caractérisée par le fly to quality. Elle coordonna donc
d’une part un consortium de 14 banques pour renflouer les
capitaux propres du fonds de façon à éviter la liquidation
immédiate des titres, en attendant un retour des primes de
risque à la normale. D’autre part, elle effectua en deux mois
trois baisses de 25 points de base des taux directeurs. Elle
démontra ainsi aux investisseurs sa résolution ferme de fournir toute la liquidité nécessaire à un fonctionnement normal
des marchés, alors en pleine crise de valorisation. De cette
façon en effet, la Fed redéfinissait un prix plancher pour les
titres de court terme, nécessaire à l’évaluation de l’ensemble
des risques par les investisseurs.
Cet épisode a révélé plusieurs failles dans le management du
risque, à commencer par les leviers gigantesques accordés par
les brokers. Chase Manhattan, par exemple, avait une exposition de 3,2 Mds $ sur LTCM, soient l’équivalent de 13 % de
ses fonds propres. De plus, les financements n’étaient pas
garantis, en plus des collatéraux, car le fonds était réputé sain
par ses contreparties, qui ignoraient pourtant les placements
de leur débiteur. Concernant la mesure du risque, LTCM,
tout comme les brokers, ont sous-estimé les pertes potentielles sur leurs titres en fondant leur gestion sur la Value-atRisk. Or, celle-ci exclut les mouvements extrêmes liés à la
fuite de liquidité. Cet échec a stimulé la recherche dans ce
domaine et, dès 1999, le CRMPG (Counterparty Risk Management Policy Group), un organisme privé qui s’intéresse notamment au bon fonctionnement des marchés dérivés, a initié une
architecture de management et de mesure du risque de
contrepartie destinée aux différents intervenants (2) . Le risque
de liquidité y joue un rôle clé et les ratios qui sont définis
intègrent le cash disponible et les besoins de liquidité en cas
(2) CRMPG (1999) : Improving counterparty risk management practices.
82
Quelles leçons tirer des accidents financiers
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de diminution des positions en valeur de marché (mark to
market).
LES RISQUES D’ACCIDENTS FINANCIERS
AUJOURD’HUI
N ous avons vu que les accidents financiers se produisaient
dans des conditions particulières, caractérisées par des événements extérieurs inattendus et des gestions inadaptées au sein
des institutions financières. Nous pouvons, fort de ces expériences, envisager des incidents systémiques, en particulier sur
les marchés dérivés de crédit en pleine évolution et à propos
des Government Sponsored Enterprises américaines qui portent
un risque de grande envergure.
MARCHÉS DÉRIVÉS DE CRÉDIT :
INSTRUMENT DE DISSÉMINATION DES RISQUES
OU BOMBE À RETARDEMENT ?
Développé depuis la fin des années 90 pour atteindre aujourd’hui un montant notionnel global de 6 000 Mds $ (soit 4 fois
le montant de la dette corporate mondiale), le marché des
dérivés de crédit permet une véritable réallocation du risque
de crédit, notamment des banques vers les assurances et les
hedge funds, pour un montant de plus de 100 Mds $ en 2003.
Plusieurs événements de l’année 2005 permettent de faire un
point sur les risques sous-jacents à ce marché. La dégradation
Vendeurs de protection
Banques
Brokers
Assurances
Fonds de gestion
Autres
2001
39 %
16 %
32 %
10 %
3%
2004
35 %
15 %
21 %
26 %
3%
Source : BBA, 2004
Acheteurs de protection
Banques
Brokers
Assurances
Fonds de gestion
Autres
2001
51 %
20 %
7%
15 %
7%
2004
42 %
15 %
9%
25 %
9%
Source : BBA, 2004
de General Motors et Ford au rang de speculative grade révéla
la présence de hedge funds relativement concentrés sur les segments dérivés, notamment les tranches inférieures de CDO et
/...
d’indices CDS (3) impliquant les constructeurs automobiles.
83
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/... Le risque réside, comme nous l’avons vu, dans une fuite mas-
sive de liquidité. Celle-ci ne s’est finalement pas produite, car
la dégradation était anticipée et les perspectives de croissance
suffisamment bien orientées. La tension sur les taux a donc
été passagère. Cependant, la stratégie de couverture des fonds
vendeurs d’options sur défauts a été mise en échec par les
modèles d’évaluation des tranches. Ceux-ci supposaient que
les corrélations de défaut des signatures titrisées évolueraient
de façon synchrone, ce qui n’a pas été le cas puisque le risque
était purement idiosyncrasique et non macroéconomique.
Leur couverture en delta (4), établie en se positionnant sur des
tranches intermédiaires, était donc sous-estimée, entraînant
ainsi des pertes sur leur portefeuille.
Il faut également retenir un point positif de cet épisode
concernant les leviers d’endettement autorisés par les brokers,
bien moins importants qu’il y a dix ans. Une étude publiée
par la BRI (5) évalue le niveau du levier moyen des hedge funds
en 1998 entre 7,5 et 10, alors qu’il se situerait entre 2,5 et 5
aujourd’hui. Ceci devrait donc limiter, dans le cas d’un événement plus grave ou non anticipé sur le marché des crédits,
la tension sur les prix consécutive à la mise en place de stratégies identiques des acteurs.
Une organisation du marché et des contrôles de risque
à perfectionner
Nous avons vu sur les produits dérivés de taux que la faillite
de LTCM et celle de la Barings avaient conduit à une organisation de contrôle plus poussée des acteurs sur le marché. Il
semble que de nouveaux efforts sur les marchés dérivés de crédit soient à entreprendre. Le rapport de la FSA, paru au début
de l’année, a en premier tiré la sonnette d’alarme au sujet des
encours anormalement élevés de transactions non confirmées
et du manque de suivi des back-offices sur les front-offices. Les
responsables au sein des banques ont en effet constaté des
retards de confirmation des transactions pouvant aller jusqu’à
90 jours. Laps de temps durant lequel les instruments peuvent
avoir changé plusieurs fois de mains. Ce retard de coordination des organes internes de contrôle peut conduire à des
(3) Les CDO et les indices de CDS sont des actifs qui permettent de transférer le
risque de crédit sous-jacent d’un panier de signatures. L’investisseur choisit une
tranche de ce panier au degré de seniorité variable, de la plus risquée (tranche
equity) à la plus sûre (la tranche dite senior).
(4) Le delta est la dérivation du prix d’un dérivé par rapport au prix de son sousjacent. Il indique donc le nombre d’actifs sous-jacents qu’il faut acheter ou vendre
de façon à répliquer le profil de gain du dérivé.
(5) McGuire, Remolona et Tsatsaronis (2005), “Time-varying exposures and leverage in hedge funds”, BRI.
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Quelles leçons tirer des accidents financiers
A D R I A N
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dérives aux conséquences graves. De tels événements se sont
déjà produits sur les marchés de dérivés de taux notamment.
Wall Street avait aussi été paralysé en 1968, suite à l’accumulation de retards dans le traitement des transactions.
Le CRMPG devrait contribuer de nouveau à fédérer les efforts
des acteurs pour limiter le risque opérationnel, en particulier
en réduisant les confirmations d’ordres en souffrance et en
renforçant les systèmes et équipes de back-offices.
Cette adaptation est plus longue car, contrairement aux dérivés de taux, les instruments de gré à gré de crédit sont plus
sophistiqués et leur documentation complexe exige une gestion manuelle des ordres plus importante.
Le protocole de novation : une avancée pour juguler
le risque opérationnel
De son coté, l’ISDA (International Swaps and Derivatives
Association) a établi un protocole de novation au début du
mois de septembre 2005 en vue de remédier au problème
grandissant des cessions sans consentement. Le rapport du
CRMPG évalue la part des cessions de contrats CDS à 40 %
des volumes totaux. Or, les contrats sont généralement cédés
à un tiers sans l’accord de la contrepartie d’origine. De plus,
celle-ci est généralement prévenue tardivement. Cette absence
de consentement et de suivi des cessions nuit à la bonne évaluation du risque de contrepartie et accroît les risques de
litiges entre les acteurs sur les termes des contrats.
C’est pourquoi le protocole de novation prévoit, sous peine
de nullité des transactions, que toute cession d’un dérivé et
des obligations en découlant par l’une des parties, devra être
notifiée par écrit à l’autre partie. Cette dernière devra en
retour donner son accord préalable à ce transfert le jour même
où elle en a reçu la demande.
Le protocole devrait également faciliter le suivi exhaustif des
transactions et des contreparties ainsi que le montant des
expositions. Ceci est d’autant plus nécessaire que tous les vendeurs de protection ne satisfont pas nécessairement les appels
de marge requis, accroissant d’autant plus les risques pour les
banques.
LE CAS DES GOVERNMENT SPONSORED
ENTERPRISES
Le risque d’accidents financiers existe également sur d’autres
marchés, comme l’a montré la sur-réaction des taux durant
l’été 2003, où l’équivalent de 500 Mds $ de bons du Trésor
américain ont été vendus mécaniquement. De ce point de
vue, l’attention se porte sur les Government Sponsored Enter- /...
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/... prises (GSE) américaines, Fannie Mae et Freddie Mac, qui
garantissent à elles seules plus de 3 300 Mds $ de Mortgage
Backed Securities (MBS), soit quasiment les encours de bons
du Trésor américain. Leur poids très important les identifie
ainsi comme porteuses de risque systémique, d’autant plus
qu’elles bénéficient de leviers élevés et d’une garantie implicite du gouvernement, qui incite à la prise de risque (aléa
moral).
Ces institutions sont particulièrement sujettes au risque de
taux d’intérêt, qui peut se manifester de deux façons :
• Une divergence des durations de l’actif et du passif de leur
bilan ;
• La demande de réaménagement des prêts hypothécaires des
emprunteurs.
Le premier risque est un problème de gestion classique, résolu
avec des swaps de taux. Le second risque implique que les
investisseurs en MBS sont vendeurs d’options de prépaiement. Comme le profil de gain sur ce produit n’est pas
linéaire, la couverture en delta doit être réajustée continuellement à mesure que les taux évoluent. Lorsque les taux augmentent, il faut ainsi vendre des bons du Trésor ou d’autres
instruments financiers équivalents. Les vendeurs d’options
sont d’autant plus actifs qu’ils sont perdants quel que soit le
mouvement des taux sous-jacents. Ils craignent la volatilité
des taux, notamment lorsque l’option est « à la monnaie ». La
vente de bons nécessaire à la couverture dynamique provoque
elle-même une hausse des taux qui tend à augmenter la duration des MBS. Les détenteurs de ces prêts doivent donc
vendre des produits de taux fixe, exacerbant la hausse initiale.
Les montants très importants impliqués dans ces couvertures
financières engendrent donc des mouvements de prix temporairement anormaux, susceptibles dans le meilleur des cas de
provoquer des pertes limitées et, dans le pire des cas, de
mettre en faillite un acteur important du marché avec le
risque de système que cela implique.
Cette exposition des GSE au risque de taux est bien réelle.
Les régulateurs ont récemment remis en cause les méthodes de
valorisation des instruments de Fannie Mae. Cette dernière,
qui représente entre 10 et 15 % du marché secondaire des
MBS, ne publie plus ses résultats depuis 2004 et les problèmes identifiés à ce jour par la SEC pourraient entraîner un
retraitement des bénéfices d’au moins 11 Mds $.
86
Quelles leçons tirer des accidents financiers
A D R I A N
R O C H E
RISQUES
Marché
Barings
Actions, dérivés
LTCM
Taux souverains,
dérivés
Taux US (MBS),
dérivés
Taux corporate, CDS
Fannie Mae
General
Motors
Fraude /
Comptabilité
Reporting des
positions d’un trader
–
Valorisation comptable
des positions
–
Modèle
Système
–
Pas de prise en compte
du risque de liquidité
–
–
Mauvaise spécification
des corrélations de défaut
oui
–
Source : CA
CONCLUSION
L es exemples d’accidents que nous venons d’évoquer dressent
un panorama de la finance moderne qui est plutôt encourageant et montrent une réelle capacité d’absorption de chocs de
marché d’ampleurs significatives. Ils révèlent que les efforts de
compréhension et de contrôle des risques ont été bien menés,
que ce soit du point de vue des acteurs privés ou des autorités.
Les premiers ont intégré des outils de management du risque
de plus en plus sophistiqués et complets, en phase avec les exigences requises. L’effort de transparence sur les marchés dérivés de crédit semble néanmoins à poursuivre. Les autorités,
quant à elles, ont su activement lisser les crises par leur capacité à coordonner les agents privés et à fournir en urgence la
liquidité parfois nécessaire. Dans cette mesure, la globalisation
financière a pu bénéficier des effets positifs de marchés plus
profonds et de nouvelles sources de diversification.
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Gestion des risques extrêmes
à Calyon :
penser et agir
HERVÉ GOULLETQUER, MAXIME PENNEQUIN ET GILLES TRANCART
DIRECTION DE LA GESTION ET DU CONTRÔLE DES RISQUES, CALYON
Le risque extrême, pouvant engendrer un accident financier,
est la résultante d’évènements extérieurs inattendus et
d’orientations de gestion inadaptées au sein des banques.
C’est dans ce contexte que les exercices de stress tests
trouvent toute leur place. Ceux-ci sont d’autant plus importants que l’équilibre financier de la banque est en train de se
dégrader et qu’ils sont ciblés sur les activités en fort développement ou portant sur des périmètres à environnement
général moins porteur.
PENSER : LE RISQUE EXTRÊME COMME
POINT DE RENCONTRE ENTRE UN ÉVÉNEMENT
EXOGÈNE ET UNE SITUATION ENDOGÈNE
T out le monde reconnaît la dimension ambiguë de l’expression « risque extrême ».
La définition courante du risque est celle de danger éventuel,
plus ou moins prévisible.
L’adjectif extrême caractérise ce qui est tout à fait au bout
(d’un espace ou d’une distribution, au sens statistique du
terme) ou ce qui est exceptionnel.
L’homme, ou la femme, de Risques n’est pas plus à l’aise. Le
risque se probabilise (on mesure une probabilité de défaut et
on calcule un taux de perte) et le passé, donc le repérable, sert
de guide à ces travaux de quantification.
Mais on sent, au moins intuitivement, que l’expérience historique ne balaie pas forcément tout le champ des situations
possibles. Les équilibres du moment, qu’ils soient économiques ou financiers, géopolitiques ou technologiques, écologiques ou sociaux, ne sont pas ceux d’hier et les caractéris- /...
89
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/... tiques des acteurs concernés (les entreprises par exemple et les
banques dans le cas d’espèce qui nous intéresse avec cet
article) sont différentes de celles d’il y a quelques années et
différentes pour chacun d’entre eux : une banque japonaise
n’est pas une banque française, ne serait-ce que pour des raisons de régulation et de caractéristiques du marché domestique. On peut même dire que deux établissements concurrents sur les mêmes marchés sont différents, pour des raisons
de taille, de stratégie ou de plus ou moins grande présence sur
tel ou tel segment de clientèle.
Pourquoi alors ne pas considérer que le risque extrême apparaît au point de rencontre entre un évènement exogène et une
situation endogène ? Le risque extrême, pouvant engendrer un
accident financier, serait la résultante d’évènements extérieurs
inattendus, de réponses inappropriées des responsables des
policy makers et d’orientations de gestion inadaptées au sein
des banques.
Pour ce qui est de l’environnement dans lequel les banques
interviennent, il est raisonnable de penser que le concept de
surprise restera d’actualité.
• Technologiquement, on le sait, les innovations suivent
actuellement une courbe assez proche de l’exponentielle. Les
produits et les processus de production se transforment. Les
acteurs de la vie économique et les organisations sont soumis
à des logiques quasi-darwiniennes (à moins qu’il ne faille parler de la fameuse destruction créatrice de Schumpeter ?).
• Économiquement, la logique de la mondialisation dynamise
le commerce international, tout en redistribuant les cartes
entre les différents acteurs.
• Politiquement, trois lignes de force se dessinent. Premièrement, la capacité d’intervention des administrations nationales (pour faire simple, des gouvernements) est à la fois
davantage sollicitée (de par les déséquilibres induits par les
changements économiques et technologiques) et moins efficaces (largement à cause d’un cadre économique dépassant de
plus en plus les frontières nationales alors que celui de l’intervention sociale reste à l’intérieur de celles-ci). Deuxièmement,
si des échanges internationaux de plus en plus importants et
non contraints sont favorisés par la présence d’un acteur central (le pays le plus « fort », tant économiquement que diplomatiquement et militairement), la logique de la « redistribution des cartes », qui favorise l’apparition de « nouveaux
géants », participe à terme de la contestation de la position de
cet acteur dominant. Troisièmement, et dans le sillage de ce
deuxième point, il pourrait sembler avisé de mettre en place
90
Gestion des risques extrêmes à Calyon : penser et agir
H E R V É
G O U L L E T Q U E R ,
M A X I M E
P E N N E Q U I N
E T
G I L L E S
une instance de régulation internationale à même de tempérer
les effets déstabilisants de cette « contestabilité », une sorte
d’Union européenne à la « sauce » mondiale en quelque sorte.
Cependant, une réforme de l’ONU, s’inscrivant dans cette
perspective, ne paraît pas à envisager avant un certain temps.
• En termes de sécurité, un monde ouvert, même si la majorité
des gens en profite, crée des laissés-pour-compte qui peuvent
vouloir détruire ceux qui sont, pensent-ils, à l’origine de leurs
désillusions. De plus, des structures évolutives, par le rythme
rapide des changements économiques et technologiques, sont
peut-être moins prêtes à se protéger contre ces nouveaux
adversaires que sont les terroristes internationaux ou, à un
degré évidemment moindre, les pirates informatiques.
• En termes écologiques, un développement économique
rendu possible pour une partie de plus en plus importante des
quelque six milliards d’habitants de la planète implique une
sollicitation de plus en plus grande des ressources naturelles
et la production à une échelle de plus en plus large de déchets
en tout genre (liquides, solides et gazeux). Quelles en seront
les implications, au-delà de celles déjà bien visibles sur les
prix relatifs des matières premières ou sur l’apparition de
solutions innovantes comme les droits à polluer ?
Face à un environnement présenté, vraisemblablement à juste
titre, comme instable, il n’est pas besoin d’être grand clerc
pour conclure qu’il y a des tas de bonnes raisons pour le système bancaire de se trouver confronté à des évènements
adverses et inattendus. Poussons simplement un peu loin deux
tentations visibles aujourd’hui : le protectionnisme et une gestion de la rareté des matières premières, non par le marché,
mais par la préférence politique. Quelles en seraient les implications pour les établissements financiers américains ou européens, pour ne retenir que ceux-ci ?
La réponse ne va pas de soi. Elle passe dans tous les cas par
une bonne compréhension des équilibres financiers et des axes
de développement de la banque concernée.
Cela fait déjà plusieurs décennies que les régulateurs du système bancaire et les établissements eux-mêmes ont mis au
point des systèmes de diagnostic de la solidité financière de
chacun d’entre eux. N’est-ce pas un outil indispensable de
mesure de la capacité à faire face à un environnement brutalement devenu adverse ?
Dans le cas américain, dès la fin des années 70, il est apparu
que la solidité de telle ou telle banque dépendait de celle plus
ou moins grande d’un certain nombre de variables-clé : la
profitabilité, le niveau de fonds propres, la qualité des actifs /...
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/... et la liquidité. Les indicateurs retenus pour capter les infor-
mations nécessaires pouvaient en revanche varier d’un modèle
à l’autre.
Toujours aux États-Unis, il est intéressant de constater que,
d’une période d’à peu près dix ans à l’autre, les banques qui
ont fait faillite se caractérisaient bien par une dégradation
des mêmes ratios mis en avant par les travaux de modélisation. En revanche, il faut noter que si 1 371 établissements
ont fait faillite entre 1984 et 1994, ils n’ont été que 44 à
subir le même sort de 1995 à 2003. Si le monde est devenu
plus incertain, disons depuis la fin des années 80, sous l’effet
d’une logique de mondialisation prenant de plus en plus de
place, comment se fait-il que les banques américaines aient
semblé être de plus en plus immunes face à cette montée du
risque d’environnement ? Deux réponses peuvent spontanément être faites. Même si vraisemblablement elles ne suffisent
pas à clore le débat.
Premièrement, les banques ont appris leur leçon et ont suivi
de près les ratios au sens si significatif en termes de capacité à
faire face lors des moments difficiles. Deuxièmement, cet
environnement, tant présenté comme comportant moults
dangers, se caractérisait aussi par des aspects plus positifs. En
la matière, une distinction est à faire entre les évolutions
macroéconomiques et celles de nature microéconomique. Au
titre des premières, mettons la désinflation et l’importante
valorisation des actifs. À celui des secondes, notons la diversification des sources de revenu et une plus grande capacité à
couvrir le risque, voire à le sortir du bilan de la banque.
Les acquis d’ordre microéconomique sont tout à fait positifs
et leur impact ne doit en rien être sous-estimé. Quant aux
bonnes surprises tirées de l’environnement macroéconomique,
rien ne dit qu’elles seront pérennes ou que leurs effets ne
seront pas contrariés par d’autres événements aux conséquences opposées. C’est pourquoi le constat de banques à la
fois plus solides et gérées de façon plus précautionneuse ne
peut suffire à considérer que tout est durablement sous
contrôle.
À l’avenir, les modèles de solidité financière des banques
devront être pris en compte dans une dimension à la fois plus
dynamique et davantage anticipatrice. Lesquels parmi les
indicateurs retenus se dégradent et lesquels sont prêts d’atteindre des seuils embarrassants ? Quelle synthèse de ces différentes dynamiques individuelles est-il possible de faire, afin
de disposer d’un pilotage à la fois opérationnel et efficace ?
Par ailleurs, il faudra s’intéresser de façon plus précise aux
évolutions des actifs en portefeuille, par zone géographique,
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par secteur, par type d’opérations et par nature de contreparties ? Toute inflexion marquée devra être comprise et remise
dans son contexte économique.
C’est ainsi que les exercices de stress tests, dont nous allons
maintenant parler, trouveront toute leur efficacité. Ceux-ci
sont d’autant plus importants que l’équilibre financier de la
banque est en train de se dégrader et qu’ils sont ciblés sur les
activités en fort développement ou portant sur des périmètres
à environnement général moins porteur.
AGIR : LA DÉCLINAISON DES STRESS TESTS
LES ÉVÉNEMENTS EXTRÊMES DE RISQUES CRÉDIT
Objectifs d’un stress test
La notion de stress test est devenue essentielle tant pour la gestion et le contrôle des risques que pour répondre aux exigences réglementaires internationales.
L’évaluation de la prise de risque
Un stress test conduit à une expression chiffrée de la perte en
cas de crise et répond à un besoin de gestion des risques, ceci
en aval ou en amont des prises de décisions.
• En amont de la décision, par exemple dans le cadre de l’évaluation d’une stratégie, le rendu d’un stress test permet d’estimer les pertes adossées à un choc sur le portefeuille envisagé
[Cf. Bâle II art. 726, 750 et 765].
• En aval de la prise de décision, un tel exercice sert à évaluer
la résistance du portefeuille à une conjoncture défavorable ou
un choc. De ce fait, il permet d’établir des recommandations
en termes de Portfolio Management (par exemple, réduction
d’expositions considérées comme à risque ou fortement
consommatrices de fonds propres) [Cf. Bâle II art. 434
et 435].
Comparaison de portefeuilles
Comparer l’effet d’un stress sur différents portefeuilles permet
de tirer des conclusions intéressantes sur le niveau ou la politique de risque.
Ainsi, un stress test peut être mené sur le portefeuille actuel de
Calyon (ou un sous-portefeuille), mais aussi :
• sur le même portefeuille à une date passée, pour apprécier
de manière dynamique la sensibilité, toutes choses égales par
ailleurs, du livre au temps, à la conjoncture ou à l’évolution
de nos politiques de crédit ;
• sur un portefeuille simulé (projections de portefeuille, ou
/...
portefeuille défini comme « optimal ») ;
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/... • sur des benchmarks (portefeuilles d’autres entités du groupe,
échantillons des agences de notation).
Applications réglementaires
Le stress testing répond également à des exigences réglementaires.
Les accords de « Convergence internationale de la mesure et
des normes de fonds propres » ou accords Bâle II, font état
d’exigences fortes en la matière. Le Pilier I des accords (Exigences minimales de fonds propres) recommande qu’il soit
fait usage d’exercices de stress afin de « procéder à une simulation en regard du risque de crédit pour estimer l’effet de certaines conditions particulières sur leurs exigences de fonds propres
réglementaires ».
De plus, le pilier II (Processus de surveillance prudentielle)
spécifie que « l’organe de direction doit tenir compte du stade
du cycle économique dans lequel l’établissement opère. Des simulations de crise rigoureuses, de caractère prospectif, devraient être
effectuées pour déceler les éventuels événements ou changements
des conditions du marché qui pourraient avoir des répercussions
défavorables sur leur établissement ».
L’application au sein de Calyon des nouvelles normes comptables internationales IAS-IFRS (International Accounting
Standards/ International Financial Reporting Standards), auxquelles sont soumises les institutions financières de l’Union
européenne, fait appel à la notion de stress. En effet, résulte
de ces nouvelles normes la nécessité de provisionner la perte
encourue sur une contrepartie ou un groupe de contreparties
due à une dégradation de l’environnement. Le calcul de cette
provision s’appuie donc sur une mesure stressée de nos risques
(Cf. Bâle II art. 434 et 435).
Typologie des stress tests
Typologie selon la nature du choc
Il existe deux grandes catégories de stress tests. Ces deux types
de stress peuvent être combinés au sein d’un même exercice
en vue de réaliser des comparaisons d’impact.
Les tests de sensibilité consistent à modifier un nombre
limité de paramètres afin de tester la résilience du portefeuille. Un test de sensibilité appliqué aux portefeuilles de
crédit consistera par exemple à augmenter ou à baisser d’une
note la qualité de crédit d’un portefeuille.
Les scénarios de stress. Ils consistent dans un premier temps
à élaborer un nouvel état du monde aussi exhaustif et pertinent que possible. Puis dans un deuxième, à tester la résilience du portefeuille face à ce nouvel environnement. Un
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« état du monde » est défini par un environnement économique, financier et politique spécifique dont émane une forte
intensité de risque. Ce scénario doit, pour des raisons évidentes d’appropriation des résultats, être réaliste mais intense
et être adapté au périmètre considéré.
Typologie selon la nature du risque évalué
On peut distinguer des stress :
• de crédit : chocs ayant un impact sur le rating ou la probabilité de défaut des contreparties, les possibilités de récupération, ... entraînant notamment une hausse du coût du risque
(perte moyenne, perte extrême...) ;
• de concentration : stress sur des poches de concentration
du portefeuille (concentrations individuelles, sectorielles, géographiques, etc) ;
• de risque résiduel : stress sur les collatéraux (qualité des
sûretés, solidité des garants...).
Certains stress – et précisément les scénarios de stress – peuvent être une combinaison des trois.
Stress historiques / hypothétiques
Les stress historiques décrivent une situation où la conjonction des événements de risque s’est déjà manifestée dans le
passé. On pose ainsi la question de savoir ce que deviendrait
le portefeuille si telle ou telle crise devait se renouveler
(exemples : la crise financière asiatique, un événement terroriste de type 11 septembre 2001). Ces crises étant passées,
leurs conséquences sur l’environnement sont connues, donc
plus faciles à tester.
Les stress hypothétiques décrivent une situation qui est vraisemblable mais fictive. Ils demandent une plus forte expertise
mais permettent de répondre à des scénarios plus en phase
avec l’environnement actuel.
Caractéristiques d’un stress test
Quelle que soit sa nature, un stress test doit être défini par les
éléments suivants :
Le scénario, entendu au sens large :
Pour un test de sensibilité : définition de la ou des variable(s)
impactée(s) et de l’intensité du choc.
Pour un scénario de stress : description d’un scénario aussi
lisible et complet que possible. Le scénario est ensuite décliné
sur la base de variables considérées comme pertinentes, c’està-dire susceptibles d’impacter directement la qualité du portefeuille (prix de matières premières, croissance, inflation,
/...
change, taux, prix de l’immobilier...).
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/... Horizon de temps du scénario
Ceci dans le but de pouvoir appréhender toute réaction
conjoncturelle ou structurelle des acteurs touchés mais aussi
afin de prendre en compte une réaction éventuelle de la
banque.
Périmètre du test
Le périmètre d’un stress est implicitement déterminé par le
scénario. Le périmètre de stress peut donc être global, régional, visant un métier plus particulièrement ou une classe d’actifs. Selon l’objectif de l’exercice, la propagation d’un stress
d’un sous-portefeuille à un autre peut ou non être envisagée.
Cadre de l’analyse
Le résultat attendu d’un exercice de stress est l’estimation de
la perte en cas d’occurrence du choc. La notion de perte doit
être spécifiée.
Quelles sont les mesures de pertes que l’on souhaite
impacter :
• Coûts du risque : perte moyenne (EL), perte exceptionnelle
(UL), autre notion de capital économique, besoin en fonds
propres, dotation aux provisions spécifiques, etc.
• Autres postes du compte de résultats : impact sur l’activité,
le PNB, les charges d’exploitation...
Quel est le jeu de paramètres de risque de référence : choisiton un exercice sur base réglementaire (Cooke, Bâle Standard,
IRB), un exercice sur paramètres internes (Méthodologie Commune Simplifiée, paramètres du Modèle Interne de Portefeuille)
ou un jeu de paramètres ad hoc ?
LES ÉVÉNEMENTS EXTRÊMES
DE RISQUES DE MARCHÉ
De façon assez récurrente, les activités de marché des grandes
banques internationales sont affectées par des mouvements
relativement violents et auxquels on attribue les qualificatifs
de crise ou de krack.
L’outil de mesure des risques de marché communément
reconnu par les différentes autorités de tutelle (FED, FSA,
Commission bancaire...) est la VaR (Value at Risk). Cet indicateur mesure la perte potentielle sur une période donnée
(1 jour pour Calyon) avec un intervalle de confiance en général de 99 %. Malheureusement, par construction, la VaR ne
permet pas d’appréhender les conditions extrêmes de marchés
et peut présenter un aspect faussement rassurant pour une
direction générale de banque, notamment lorsque le passé
récent n’a enregistré aucun accident particulier.
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C’est pourquoi les autorités de tutelle bancaires imposent aux
établissements assujettis de compléter leur dispositif de suivi
des risques de marché par la mise en œuvre de scenarios de
crise, mettant en œuvre trois approches complémentaires :
• Les scenarios historiques, qui consistent à répliquer sur les
positions actuelles de la banque l’effet sur les différents paramètres de marché de crises majeures survenues dans le passé ;
• Les scenarios hypothétiques, qui anticipent des chocs vraisemblables, ajustés en fonction des évolutions économiques ;
• Les scenarios adverses, qui consistent à adapter les hypothèses pour simuler les situations les plus défavorables, mais
vraisemblables, en fonction de la structure du portefeuille de
la banque au moment où le scenario est calculé.
Pour éclairer le sujet par des exemples, on trouvera ci-dessous
des scenarii utilisés par les plus grandes banques de marché.
Scenario historique du krack obligataire de 1994 caractérisé
par :
• Une hausse massive des taux, accompagnée de forts mouvements de volatilité.
• Une évolution contrastée des marchés actions.
• Peu de mouvements sur le change et les matières premières.
Scenario historique sur le crédit en 1998 (crise russe) caractérisé par :
• Une hausse des spreads de crédit sur les marchés émergents.
• Une contagion de cette hausse aux marchés européen et
américain.
Scénario hypothétique d’incertitude, suite à la survenance
d’un événement majeur non anticipé se caractérisant par :
• Une baisse significative des marchés actions (– 20%).
• Une baisse significative des taux.
• Une appréciation du dollar et du prix du pétrole.
• Une hausse des spreads émetteurs.
Sur les scenarios adverses, les établissements bancaires s’attachent à simuler des situations où non seulement les
paramètres de marché évoluent de façon très défavorable par
rapport à leurs positions, mais en plus leur temps de déboulement augmente sensiblement en raison d’une absence de
liquidité.
Les résultats des scenarios de stress sont devenus de véritables
outils de pilotage des risques de marché pour les dirigeants
des grandes banques d’investissement. Les régulateurs n’ont
pas encore imposé la fixation de limites en matière de pertes /...
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/... maximales, mais ils commencent à exiger a minima la mise en
place de seuils d’alerte et une certaine normalisation des
hypothèses sous-jacentes.
LES ÉVÉNEMENTS EXTRÊMES
DE RISQUES OPÉRATIONNELS
Un nombre relativement important de sinistres provenant du
domaine diversifié des risques opérationnels (1) ont touché l’industrie financière depuis le milieu des années 90. Certains ont
impacté l’ensemble de l’économie : terrorisme (World Trade
Center et autres attentats), catastrophes naturelles (Tsunami,
Katrina...), défaillance des « utilities » (pannes électriques aux
États-Unis notamment en 2003), risque de pandémie (SARS
dans la région asiatique en 2002, grippe aviaire aujourd’hui) ;
d’autres par contre sont spécifiques aux établissements bancaires : amendes record (encore aux États-Unis...) pour non
respect de la muraille de Chine en matière de conseils d’investissement, corruption transitant par les circuits financiers
(blanchiment, fraudes, financement du terrorisme).
Dans cette période où le principe de précaution s’impose
comme règle dominante du risk management collectif, il n’est
pas surprenant que les régulateurs et plus généralement les
pouvoirs publics aient lancé différentes actions en profondeur
pour renforcer la prévention de ces risques opérationnels
exceptionnels (facteur fréquence) ou en atténuer les conséquences (facteur impact).
C’est fondamentalement pour cette raison que la réforme
Bâle II, démarrée il y a six ans, a choisi d’incorporer pour la
première fois les risques opérationnels au sein de l’exigence en
fonds propres des banques (pilier 1). De plus, la méthode de
mesure avancée (Advanced Measurement Approach, analogue à
la méthode IRBA du risque de crédit) impose que le modèle
interne de calcul du capital inclut une analyse des scénarios
relatifs aux événements sévères, en complément des données
de pertes internes, des données externes de sinistralité et des
facteurs liés à l’environnement de l’activité et aux contrôles
permanents.
On peut d’ailleurs se demander si cette exigence, vertueuse
dans son principe, n’est pas poussée trop loin par certains
régulateurs. Si le capital réglementaire d’une banque doit bien
lui permettre de couvrir ses risques exceptionnels endogènes
(défaillance des systèmes d’information vitaux, indisponibilité
(1) Rappel (définition Bâle II) : tout risque de perte résultant de la défaillance ou
de l’inadéquation des processus internes, des ressources, des systèmes, ou d’événements extérieurs, risque juridique inclus, risque stratégique exclu.
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des locaux essentiels aux activités, non-conformité importante
dans les marchés de capitaux ou la gestion des actifs des tiers,
voire crue centennale en région parisienne), il n’est pas destiné à absorber les risques systémiques exogènes affectant l’ensemble du système socio-économique : pandémie majeure de
type grippe aviaire rendant indisponible pendant plusieurs
semaines une fraction notable du personnel (et de la population...), nouvelle attaque terroriste de grand ampleur,
défaillance prolongée des infrastructures.
En terme bâlois, on passe alors du pilier 1 au pilier 2, qui
prend notamment en compte les stress scénarios en matière de
risque de crédit et de risque de marchés.
Le bénéfice de la construction de tels scénarios réside
d’ailleurs plus dans leurs enseignements qualitatifs ou organisationnels (sensibilisation du management, mise au point de
cellules de crise) que dans leurs impacts quantifiés sur les
fonds propres qui constituent des ordres de grandeur plausibles et non des estimations scientifiques.
À l’instar des exemples de New York et de Londres, la Banque
de France et la Fédération bancaire française ont lancé à cet
égard, début septembre 2005, un groupe de travail dit
« robustesse » (2) réunissant les représentants des principales
institutions financières, des autorités et des pouvoirs publics
et visant à adapter le niveau la place de Paris aux nouvelles
exigences de continuité d’activité du secteur financier (redémarrage rapide en cas de crise systémique).
Après examen d’une dizaine de scénarii de crise (malveillance,
défaillances de fournisseurs clé...), ce groupe se concentre
pour le moment principalement sur deux d’entre eux : la crue
centennale et la pandémie de grippe aviaire.
Dans le cadre du règlement 97-02, l’objectif est ainsi d’améliorer la résilience de la place de Paris :
• En évaluant son degré de préparation globale, notamment
en regardant dans quelle mesure les Plans de Continuité d’Activité existants des établissements financiers ont pris en
compte les crises extrêmes.
• En déterminant les activités essentielles qui devront être
assurées par les banques.
• En faisant les recommandations en conséquence.
• En analysant la faisabilité des tests (simulation totale, partielle...).
Si (parce que ?) les chocs récents ont été relativement bien
absorbés (3) , leur multiplicité, dans un contexte de faiblesse /...
(2) Travaux suivis par le pôle Sécurité de la Direction des Risques Groupe de Crédit
Agricole S.A.
(3) Mieux d’ailleurs par les banques que par les assurances.
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/... historique du niveau de risque de crédit, incite donc les pou-
voirs publics à accentuer la pression sur les établissements
financiers en matière de prévention des risques opérationnels
exceptionnels et extrêmes. Il faut en tirer parti tout en faisant
en sorte que chacun assume ses responsabilités propres...
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Vivre et gagner
avec le risque extrême
JEAN-PAUL BETBÈZE
CHEF ÉCONOMISTE, DIRECTEUR DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, CRÉDIT AGRICOLE S.A.
P ar définition, le risque extrême est extrêmement coûteux
sans être extrêmement rare. Il faut donc le prendre au sérieux,
sans être considéré comme indûment inquiet au sein de l’entreprise, ou comme excessivement protecteur par les financiers ou par les actionnaires. De plus en plus en effet, nous
devons reconnaître ces sortes de risques et vivre avec eux,
c’est-à-dire comprendre comment ils naissent et les assumer.
EVITER DEUX APPROCHES DU RISQUE EXTRÊME
P our cela, il faut d’abord éviter deux approches, que l’on
pourrait nommer héroïque et séparatiste. De quoi s’agit-il ?
L’approche héroïque met l’accent sur le cataclysme. C’est
ainsi la plaie d’Egypte qui fait monter les eaux ou flamber
l’immeuble. Et on trouvera toujours des experts qui indiqueront alors que la probabilité est décidément très faible pour se
prémunir, d’autant que les pompiers sont toujours présents et
les bonnes volontés particulièrement abondantes par temps de
crise très grave. À quoi bon s’inquiéter ? Après moi le risque
extrême !
En réalité, une catastrophe ne vient jamais seule dans le
monde interdépendant qui est le nôtre. C’est le réseau d’effets
de la crue ou de l’incendie qui fait croître le drame. Dans les
sociétés interdépendantes que nous créons, face de la globalisation, le risque devient plus aisément et plus vite extrême. Le
risque devient extrême, et de plus en plus, par les désorganisations qu’il implique que par sa seule occurrence. Sa probabilité croît.
Donc, ne séparons pas. Étudions toujours, à partir de sources
différentes, les séquences qui peuvent se mettre en place. Et
l’on pourra trouver des ressemblances, parfois des invariants
de réactions et de comportements. Le risque qui devient
extrême a des origines multiples, mais souvent un tronc com/...
mun de causes et d’effets. C’est lui qu’il faut traiter.
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/... EVITER ENSUITE LES DEUX RISQUES
DU RISQUE EXTRÊME
L e premier risque du risque extrême est celui du labyrinthe.
C’est de se perdre dans des suites difficilement imaginables. Il
faut donc en rester à des logiques robustes, voire simplistes,
en se disant que dans notre univers chaotique elles ont des
probabilités significatives de se produire, en tout cas de faire
réagir.
Le deuxième risque est celui du Désert des Tartares, comme
ce sous-lieutenant du livre de Dino Buzzati qui périt d’ennui
en bordure d’un désert que personne ne franchit, avec l’idée
qu’une menace se profile au loin. Quand elle advient, quand
l’armée ennemie attaque, le sous-lieutenant est ramené à l’arrière pour être soigné tandis qu’il croise des troupes fraîches.
« À quoi sert l’existence ? » Peut être à la lecture philosophique de ce livre... sauf si on se demande : peut-on seulement veiller, pour voir venir le risque extrême ?
Donc : ne pas se perdre, mais chercher des logiques fortes de
protection et de réaction ; donc : ne pas veiller pour prévenir,
mais veiller pour agir sont deux leçons pour éviter les deux
risques du risque.
L’EXTRÊME PEUT-IL ÊTRE QUOTIDIEN ?
P ar construction non, sauf si ces gestions de cas extrêmes
peuvent entrer dans notre quotidien. Ainsi, prendre des versions compatibles de systèmes informatiques permet à l’un de
fonctionner si un autre est en défaut. Il ne s’agit pas d’une
très grande usine unique dont les coûts seraient très bas, mais
d’usines réparties où les process seraient les mêmes. Bien sûr,
on pourra toujours dire que le nouveau programme informatique implanté dans divers endroits pourra, aussi, répartir le
virus, mais au moins on n’aura pas la propagation de l’incendie ! Choisir des structures permet, d’une certaine façon, de
sélectionner des types de risques extrêmes. Il faut ensuite tirer
les avantages de ce choix, par exemple en termes de coût, mais
aussi s’accoutumer à des pannes ou à des alertes de niveau
inférieur, par exemple substituer une fabrication à une autre
par rotation, pour éviter des ruptures qui laisseraient sans
réaction.
Par construction, l’extrême ne peut être quotidien. Mais se
dire qu’il peut survenir et que les mesures que l’on prend,
vérifications, rotations de tâches, duplications, certifications.... sont non seulement des façons de l’éviter ou de le
réduire, mais aussi de l’affronter, est un exercice salutaire.
Il ne s’agit pas de rendre l’extrême quotidien, ce qui est
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Vivre et gagner avec le risque extrême
J E A N - P A U L
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impossible, mais de s’habituer à des chocs, des aléas, bref de
s’endurcir.
On peut aller au-delà, et faire de ces gestions des différences,
chocs et ruptures, une force spécifique de l’entreprise. Par
construction, l’entreprise « produit » de la norme, de la régularité, comme base de sa qualité. Dire qu’elle peut aussi gérer
des aléas, des ruptures de charge, des chocs, est une façon de
la renforcer. Il s’agit d’accroître sa réactivité, la polyactivité
de ses membres. Encore une fois, ceci ne vient pas... par
hasard mais par l’implication consciente et constante de la
hiérarchie. Le responsable, c’est – aussi – celui qui pense, et
de plus en plus, à intégrer l’extrême dans le quotidien.
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Service aux lecteurs
Pour obtenir un de ces dossiers, entourez le numéro qui vous intéresse.
Le prix de chaque numéro est de 7 €.
Nous demandons de bien vouloir régler de préférence
par chèque bancaire ou CCP.
278 Relation banque entreprise :
la nouvelle donne
279 Aménagement du territoire :
la nouvelle équation
280 Le réveil des matières premières
281 Quelle innovation en agriculture ?
282 Les impacts de l’UEM
sur le système bancaire
283 La banque face aux progrès
technologiques
284 Les nouveaux marchés
de la carte bancaire
285 Les nouvelles tendances
de la distribution bancaire
286 L’évolution des exploitations agricoles
287 L’Amérique latine en pleine mutation
288 Les marchés mondiaux de produits
agricoles à l’aube du XXe siècle
289 Les banques à l’heure
des concentrations
290 Nouveaux défis pour
les collectivités locales
291 Ambitions et atouts de l’agriculture
française
292 La Chine après Deng Xiaoping
293 Le commerce extérieur français
294/ Stratégies bancaires à l’aube
295 du XXIe siècle
296 Nourrir l’humanité
297 La protection sociale à la recherche
d’un équilibre.
298 Protection de l’environnement
et lutte contre la pollution
299 Nouvelle donne pour les entreprises
300 Investissement immobilier :
stratégies pour demain
301 Les mutations de l’agriculture française
302/ Stratégies bancaires : nouvelles
303 dynamiques européennes
304 Une nouvelle architecture
du système financier international ?
305 L’agriculture française :
dix ans pour l’an 2000
106
306 Développement économique
et collectivités locale
307 Vent de reprise en Asie
308 Le financement de l’agriculture
en France et en Europe
309 L’Europe bancaire en mouvement
310 Le passage à l’euro fiduciaire
311 Le crédit à la consommation
en France et en Europe
312 Acteurs et stratégies
de l’Europe bancaire hors France
313 Banque et risque
314 L’Europe centrale
aux portes de l’Union
315 La gestion d’actifs :
bilan d’un succès
316 Banque et nouvelles technologies
317 Banque et immobilier
318 L’Europe des services bancaires
et financiers
319 Le secteur bancaire et financier,
acteur du développement durable
320 Les nouveaux aux territoires
de la bancassurance
321 De nouvelles exigences
pour les banques
322 Vers un marché unique
du crédit immobilier en Europe ?
323 Dynamiques chinoises
324 La consolidation bancaire en Europe
325 À nos marques !
326 Agriculture et ruralité
dans les pays en développement
327 Banque de financement
et d’investissement :
modèles et développements
328 Face aux risques extrêmes :
banques et assurances