Article de doctrine

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Article de doctrine
No 38
Bureau de dépôt : Louvain 1
Paraît 6 fois par an
5 avril 2015
http://www.jtl.lu
Marc THEWES, rédacteur en chef
DOCTRINE
SOMMAIRE
■ Le rôle de la magistrature dans le
développement de l’arbitrage Avant-propos, par V. Bolard . . . . . . . . .
■ Le point de vue français,
par G. Pluyette . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
■ Le point de vue belge,
par C. Verbruggen . . . . . . . . . . . . . . . .
■ Le point de vue luxembourgeois,
par T. Hoscheit . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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40
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Le rôle de la magistrature
dans le développement de l’arbitrage
Avant-propos
■ Appel - Jugement intermédiaire - Ouverture
du droit d’appel - Décision sur le principal
et institution d’une mesure d’instruction Conditions cumulatives - Notion de
principal - Décision sur la loi applicable Notion de mesure d’instruction - Surséance
à statuer.
Cour de cassation, 27 novembre 2014 . 52
■ Appel - Jugement sur incident (caution
judiciaire) - Ouverture du droit d’appel Application de la loi - Interprétation Recours aux travaux préparatoires - Caution
judiciaire - Droit accordé aux nationaux et
aux ressortissants des États membres de
l’Union européenne - Caution judiciaire Contrariété au droit d’accès au tribunal
(non) - Principe constitutionnel d’égalité Réservé aux nationaux (non) - Reconnu au
profit de tout individu touché par l’ordre
juridique luxembourgeois - Appréciation Critère de comparaison - Situations
comparables.
Cour d’appel, 4e ch., 5 novembre 2014,
observations de T. Hoscheit . . . . . . . . . 52
■ Compétence des juridictions de l’ordre
judiciaire à l’égard des décisions
administratives individuelles - Impossibilité
de remettre en cause, au moyen d’une
action déclaratoire ou au moyen d’une
demande de dommages-intérêts, un acte
administratif à objet financier - Effet de
forclusion de l’expiration du délai du recours
contentieux devant le tribunal administratif.
Cour d’appel, 2e ch., 21 janvier 2015 . . 58
■ Principes généraux du droit - Nul ne peut se
contredire au détriment d’autrui Application en matière de droit administratif
(droit des marchés publics).
Trib. adm., 26 mai 2014, note . . . . . . . 60
■ Droits de l’homme - Condamnation du
Luxembourg par la Cour européenne des
droits de l’homme pour violation du droit au
procès équitable en matière civile - Droit
d’obtenir la réouverture du procès devant
les tribunaux nationaux (non) - Droit à des
dommages-intérêts additionnels (non) Autorité de chose jugée de l’arrêt de la Cour
européenne.
Trib. arr. Luxembourg, 1re ch.,
28 janvier 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
■ Dates retenues.
ISSN 2030-8590
P912528
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réé en octobre 2013, le Think Tank
pour le développement de l’arbitrage à Luxembourg est né d’une
double conviction. D’une part,
l’intérêt de l’arbitrage n’est pas purement
commercial. L’arbitrage est aussi, dans une
perspective intellectuelle, une discipline passionnante et il a même, dans une perspective
p oli tiq ue au sens nob le, u ne fonct ion
enthousiasmante : en particulier, l’arbitrage
international permet des échanges entre les
peuples qui sans cela n’auraient pas lieu.
D’autre part, le Grand-Duché est naturellement appelé à jouer un rôle éminent en ce domaine, en raison de sa situation géopolitique,
de sa vieille tradition de neutralité, de son plurilinguisme, de son multiculturalisme juridique et de la méthode instinctivement comparatiste des juristes luxembourgeois.
Le Think Tank regroupe à ce jour une cinquantaine d’avocats, de professeurs de droit et de
magistrats1. Ils travaillent actuellement à un
projet de réforme de la loi luxembourgeoise.
L’implication conjuguée de praticiens et de
théoriciens est inspirée du prestigieux Comité
français de l’arbitrage auquel la place de Paris
doit une large part de son succès. Nécessaire
au regard des enjeux intellectuels de la discipline, elle favorise une action raisonnée et efficace (ainsi le Comité français de l’arbitrage
a-t-il été à l’origine de la dernière réforme
française du droit de l’arbitrage). La présence
des magistrats n’est pas non plus une anomalie. Comme l’illustre encore l’exemple français, l’arbitrage a besoin des juges.
À cet égard, il faut se départir de l’idée fausse
suivant laquelle le succès de l’arbitrage traduirait un échec de la justice étatique. Historiquement, l’arbitrage a peut-être précédé la
justice étatique et il conserve un domaine qui
lui est propre. Dans certains cas — on songe
notamment aux relations commerciales avec
les organisations étatiques — l’arbitrage est
une condition sine qua non de l’échange :
(1) Les magistrats, universitaires et avocats qui souhaiteraient rejoindre le Think Tank sont cordialement invités
à envoyer un courriel à l’adresse info@bf-avocats.com.
sans clause compromissoire, les parties ne
consentiraient pas au contrat. Mais on peut aller plus loin. Selon une formule aujourd’hui
répandue, l’arbitrage est le « mode normal de
règlement des différends du commerce
international »2. Ceci suggère que l’arbitrage
n’est pas réellement un mode « alternatif » de
règlement des conflits3 : dans le domaine propre de l’arbitrage, c’est le recours au juge étatique qui est, en quelque sorte, une anomalie.
Même dans ce domaine propre, l’intervention
du juge étatique doit être possible, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’arbitrage. L’arbitrage « ne peut pas se dispenser du concours
de la justice étatique pour atteindre sa pleine
efficacité »4. Ceci explique pourquoi « la réputation d’une place d’arbitrage dépend en
bonne partie de la qualité et des modalités de
traitement du contentieux lié à l’arbitrage »5. Il
ne faut donc pas seulement que les magistrats
comprennent l’arbitrage et se contentent de
tolérer passivement son existence : il faut
qu’ils soutiennent activement l’institution, en
assurant au besoin le bon déroulement de
l’instance arbitrale et en garantissant le respect
des exigences nécessaires à son fonctionnement. C’est ce qu’illustre la figure moderne du
juge d’appui. En bref, le succès de l’arbitrage
est tributaire de la justice étatique.
C’est donc naturellement que le Think Tank a
décidé d’organiser sa première conférence sur
« Le rôle de la magistrature dans le développement de l’arbitrage ». Cette conférence s’est
tenue le 20 octobre 2014, en collaboration
avec la Chambre de commerce de Luxembourg et le Comité français de l’arbitrage. Le
Think Tank remercie vivement M. le ministre
(2) Voir par exemple E. GAILLARD, « La jurisprudence de
la Cour de cassation en matière d’arbitrage
international », conférence donnée à la Cour de cassation française le 13 mars 2007, disponible en ligne à
l’adresse https://www.courdecassation.fr/IMG/File/
pdf_2007/13-03-2007/13-03-2007_gaillard.pdf, nos 7 et
10.
(3) E. GAILLARD, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, Paris, L.G.D.J., 2008, p. 69, note
108.
(4) Voir T. HOSCHEIT, contribution infra.
(5) Voir C. VERBRUGGEN, contribution infra.
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de la Justice Félix Braz, qui a bien voulu l’honorer de sa présence à cette occasion. Il adresse aussi ses remerciements à ceux qui ont rendu cet événement possible, et notamment à
Mme Anne-Sophie Theissen, secrétaire générale du Centre d’arbitrage de la Chambre de
commerce, à Me Caroline Malinvaud, présidente du Comité français de l’arbitrage, à
Me Philippe Leboulanger, président sortant du
Comité français de l’arbitrage et à Me Jacques
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Pellerin, vice-président du Comité français de
l’arbitrage, qui est venu le représenter lors de
la conférence.
Le Think Tank remercie tout aussi chaleureusement les trois conférenciers, c’est-à-dire M. le
président Thierry Hoscheit, qui a présenté le
point de vue luxembourgeois ; M. Gérard
Pluyette, conseiller doyen honoraire de la
Cour de cassation française, qui a présenté le
point de vue français et Madame Caroline Ver-
bruggen, juge au tribunal de première instance de Bruxelles, qui a présenté le point de vue
belge. Nous vous souhaitons bonne lecture de
leurs remarquables contributions.
Vincent BOLARD
Avocat à la Cour, docteur en droit
Chargé de cours associé
à l’Université de Luxembourg
Le point de vue français
L’arbitrage est une pratique très ancienne en
tant que mode de résolution des litiges. Mais il
n’a pas seulement cette fonction conventionnelle de justice privée, c’est aussi un enjeu de
pouvoir. Dans son article publié en 2005 dans
la Revue de l’arbitrage, intitulé « Arbitrage et
pouvoir politique en France du XVII e au
XXe siècle »1, Mme Carine Jallamin a montré
que jusqu’au XIXe siècle, l’arbitrage apparaît
comme un enjeu de pouvoir entre l’organe du
gouvernement et les juges. En effet, plus le pouvoir se méfie de la justice d’État et plus il veut
la soumettre, plus il tend en retour à favoriser
l’arbitrage, comme ce fut le cas au cours des
deux derniers siècles de l’Ancien régime ainsi
que dans les premières années de la Révolution
qui ont consacré l’arbitrage généralisé et obligatoire. Plus, au contraire, le pouvoir s’appuie
sur sa justice et lui accorde toute sa confiance,
plus il cherche à réduire l’arbitrage, comme le
montrent au XIXe siècle la codification napoléonienne et la condamnation par les juges de
la clause compromissoire. Une évolution s’est
ensuite fait jour en faveur de l’arbitrage. Avant
1981, il n’existait en droit français que peu de
règles propres à l’arbitrage ; mais entre 1960 et
1970, par une série d’arrêts, la Cour de cassation a affirmé, en matière internationale, une
conception très libérale de l’arbitrage ; je veux
parler des arrêts Gosset, Galakis et Hecht2. Les
décrets de 1980 et 1981 correspondent à une
codification a minima marquée par un profond
libéralisme, laissant dès lors aux juges et à la jurisprudence la charge de sa mise en œuvre de
façon pragmatique ; le décret du 13 janvier
2011 a parachevé cette œuvre en consacrant
principalement la jurisprudence de ces trente
dernières années.
L’idée essentielle qui me paraît avoir guidé les
juges est, comme l’a exactement relevé le professeur Gaillard en 20073, celle d’une grande
faveur à l’arbitrage, qui s’explique, d’abord,
parce que la situation de concurrence ou même
d’enjeu de pouvoir entre la justice étatique et
l’arbitrage s’était nettement atténuée et, surtout,
parce que les impératifs nouveaux du commerce international et la mondialisation des échanges imposaient un système d’arbitrage international attractif, efficace, sûr et prévisible.
Pour expliquer ce rôle des juges français, je
voudrais aborder trois points qui m’ont paru essentiels au gré de toutes les affaires dont j’ai pu
connaître au cours de ces trente dernières
années : d’abord, la reconnaissance d’un principe d’autonomie de l’arbitrage, notamment en
matière internationale ; ensuite, un principe
d’assistance et de coopération à la constitution
du tribunal, enfin, la nécessité pour le juge étatique d’exercer un certain contrôle de la procédure ou de la sentence, le tout, dans le respect
de la volonté des parties et dans un mouvement
inéluctable d’une judiciarisation accrue de l’arbitrage.
(1) C. JALLAMIN, Rev. arb., 2005, p. 3, et les références.
(2) Cass. fr., 1re ch. civ., 7 mars 1963, Gosset ; 2 mai
1966, Galakis ; 4 juillet 1972, Hecht, R.C.D.I.P., 1974,
p. 82, note LEVEL ; J.D.I., 1972, p. 843, note B. OPPETIT.
(3) E. GAILLARD, « La jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’arbitrage international », Rev. arb.,
2007, p. 709.
Dans une communication au colloque de Dijon tenu en avril 2013 sur l’ordre public4, le
La reconnaissance de l’autonomie
de l’arbitrage en tant que mode
juridictionnel de résolution
des litiges
Ce principe s’est traduit d’abord par un effacement du concept d’inarbitrabilité, puis par la
reconnaissance de règles matérielles dont celle
de la validité de la convention d’arbitrage international et enfin, par l’application du principe
compétence-compétence.
A. L’effacement du concept
d’inarbitrabilité
(4) L. RAVILLON, « Que reste-il du concept d’inarbitrabilité ? », in L’ordre public et l’arbitrage, actes du collo-
doyen Laurence Ravillon a bien montré que ce
concept tend à s’effacer pour une certaine forme « de présomption d’arbitrabilité » fondée
sur une approche et un parti pris favorables à
l’arbitrage et sur la confiance des parties. Cette
évolution incontestable résulte de la jurisprudence postérieure à l’arrêt Galakis de 1966 qui
a jugé que l’interdiction pour l’État de compromettre n’est pas applicable à un contrat passé
pour les besoins et dans les conditions conformes aux usages du commerce maritime.
Dans cette jurisprudence, je voudrais citer l’arrêt Labinal de la Cour d’appel de Paris du
19 mai 19935, rendu sous la présidence du président Guy Canivet auquel j’ai participé ; à propos d’un litige impliquant des règles impératives du droit de la concurrence, la cour a jugé
qu’en matière internationale « l’arbitrabilité du
litige n’est pas exclue du seul fait qu’une réglementation d’ordre public est applicable au rapport litigieux », et que « l’arbitre a la compétence pour apprécier sa propre compétence quant
à l’arbitrabilité du litige au regard de l’ordre public international et dispose du pouvoir d’appliquer les principes et les règles relevant de cet
ordre public, ainsi que de sanctionner leur méconnaissance éventuelle sous le contrôle du
juge de l’annulation ».
Cet arrêt est fondamental. Cette solution novatrice a été étendue en matière d’arbitrage interne par un arrêt de la Cour de cassation du
9 avril 2002, puis, reprise par la Cour d’appel
de Paris le 20 mars 2008. De même, la définition économique très extensive de l’internationalité du litige donnée par la Cour suprême et
confirmée en 2012 dans le second arrêt Inserm6
est de nature à réduire le domaine de l’inarbitrabilité. Enfin, cette extension de l’arbitrabilité
que des 15 et 16 mars 2013 de l’Université de Bourgogne, Paris, LexisNexis, 2014 p. 57 et les références.
(5) Paris, 19 mai 1993, Rev. arb., 1993, p. 645, note
C. JARROSSON ; J.D.I., 1993, p. 957 note L. IDOT.
(6) Trib. conflits, 1er mai 2010, Rev. arb., 2010, étude
M. Audit et les références ; R.F.J.A., 2010, p. 959 concl.
M. Guyommar, p. 971, note P. D ELVOLVE ; cfr CE,
19 avril 2013, Syndicat mixte des aéroports de Charente
c. St é Ryanai r, Rev. a rb. , 2013, p. 761, note
M. LAAZOUZI.
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s’est faite même pour des matières traditionnellement considérées comme non arbitrables, car
trop imprégnées d’ordre public ; c’est ainsi que
sont devenus arbitrables, sous certaines réserves, le droit de la concurrence7, le droit de la
propriété intellectuelle ou industrielle (Paris,
28 février 2008 pour l’examen de la titularité
d’un brevet par voie incidente8), de même le
droit de la consommation (arrêt Jaguar9) ou le
droit international du travail. Cette évolution
traduit bien la confiance du juge étatique dans
l’arbitrage, dans le respect de la volonté commune des parties.
des règles matérielles, très simple, est d’une
grande efficacité.
Ce principe de validité de la convention d’arbitrage en matière internationale est une création
prétorienne qui a été voulue par la Cour de cassation comme un instrument de politique judiciaire pour favoriser en France l’arbitrage international et le rendre attractif et effectif, sous réserve de l’intervention de l’ordre public. Enfin,
c e p r i n c i p e s e c o m b i n e ave c c e l u i d e
« compétence-compétence ».
C. Le principe compétence-compétence
B. Deuxième trait de cette faveur
pour l’arbitrage : l’élaboration
de règles matérielles
C’est d’abord le principe de la validité de la
convention d’arbitrage international, création
de la jurisprudence, qui s’est construit peu à
peu par une série d’arrêts de la Cour d’appel de
Paris et de la première chambre civile de la
Cour de cassation ; il constitue une règle matérielle du droit de l’arbitrage international10.
I l faut d’ abord citer l’ arrêt Dalico du
20 décembre 199311 qui, dans une formulation
particulièrement nette, a réaffirmé l’indépendance de la clause par rapport au contrat principal et par rapport à tout droit étatique ; la première chambre de la Cour de cassation précise
« qu’en vertu de la règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient ou par référence et
que son existence et son efficacité s’apprécient
sous réserve des règles impératives du droit
français de l’arbitrage et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à
une loi étatique » ; ce principe a été amplifié
par l’arrêt Zanzi du 5 janvier 1999 et réaffirmé
dans l’arrêt Copropriété Jules Verne du 7 juin
200612 et Soerni du 8 juillet 2009. Ce dernier
précise que la règle matérielle se déduit du
principe de validité de la clause, fondé sur la
volonté commune des paries et sur l’exigence
de bonne foi.
Les conséquences en sont déterminantes, car
ce principe permet à l’arbitrage international de
ne plus se référer à des lois nationales, même à
celles du siège de l’arbitrage, et de s’affranchir
de la méthode conflictualiste, et donc de la règle des conflits de lois, chère aux internationalistes. Cette solution a suscité et suscite toujours
de vives critiques en doctrine, mais la pratique
judiciaire et arbitrale démontre que ce système
(7) Ce sont les arrêts Mitsubishi aux États-Unis du
2 juillet 1985 et Eco Swiss de la C.J.C.E. du 1er juin
1999, Rev. arb., 1999, p. 631, note L. IDOT, et cfr les références en notes à l’article de L. RAVILLON, p. 66.
(8) Paris, 28 février 2008, Rev. arb., 2009,p. 168, note
T. AZZI.
(9) Cass. fr., 1re ch. civ., 21 mai 1997, Rev. arb., 1997,
p. 537, note E. GAILLARD.
(10) Cfr C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien, 2013,
pp. 489 et s., nos 585 et s.
(11) Cass. fr., 1re ch. civ., 20 décembre 1993, Rev. arb.,
1994, p. 11, note H. GAUDEMET-TALLON ; J.D.I., 1994,
p. 432, note E. GAILLARD.
(12) Cass. fr., 1re ch. civ., 5 janvier 1999, Zanzi, Rev.
arb., 1999, p. 260, note P. FOUCHARD ; Cass. fr., 1re ch.
civ., 7 juin 2006, Copropriété maritime Jules Verne, Rev.
arb., 2006, p. 945, note E. GAILLARD.
Il s’agit d’un principe fondateur du droit de l’arbitrage qui s’est imposé non seulement en France, mais aussi à l’étranger et dans les conventions internationales ; il se déduisait des
articles 1458 et 1466 du nouveau Code de procédure pénale ; il suffit de rappeler que ce principe, selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer sur sa propre compétence, a été affirmé
dans l’arrêt Zanzi de 1999 déjà évoqué13 ; il
comporte deux effets, l’un positif, l’autre
négatif14.
a) L’effet positif permet aux arbitres de se prononcer sur leur propre compétence quand celle-ci est contestée ;
b) L’effet négatif, qui revient à introduire une règle de priorité, interdit aux juridictions étatiques de connaître des contestations relatives à
la compétence du tribunal arbitral tant que les
arbitres ne se sont pas prononcés sur cette
question. Les arbitres se prononcent sous le
contrôle a posteriori du juge étatique de l’annulation. La portée de cet effet négatif de la nullité
manifeste de la clause a été précisée par deux
arrêts de la première chambre civile, l’arrêt ABS
du 26 juin 2001 et l’arrêt Bureau Veritas du
27 avril 200415, en ajoutant un autre tempérament au principe compétence-compétence en
cas d’inapplicabilité manifeste de la convention
d’arbitrage.
Je voudrais souligner l’apport considérable apporté par cette référence à « l’inapplicabilité
manifeste » pour avoir participé au délibéré de
l’affaire Bureau Véritas ; je me souviens bien
des débats, qui ont été très discutés. Sauf à ruiner le principe de priorité reconnu au tribunal
arbitral pour statuer sur sa compétence, cet
examen du juge étatique est celui de l’évidence, de l’incontestable et donc, prima facie, c’est
exactement la démarche du juge des référés
saisi d’une demande de provision ; or, parfois,
les juges non-spécialistes du droit de l’arbitrage
sont enclins à faire prévaloir leurs connaissances sur la question litigieuse pour affirmer que
la clause est manifestement inapplicable ; il
faut se garder de cette attitude qui risque peu à
peu d’affaiblir l’effet négatif du principe
« compétence-compétence ».
Ainsi, le juge étatique marque une grande faveur à l’égard de l’arbitrage international. Cette
faveur vers une autonomie de l’arbitrage inter(13) Cfr supra, note 11.
(14) Cfr C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien 2013 ;
pp. 582 et s., nos 664 et s.
(15) Cass. fr., 1re ch. civ., 26 juin 2001, American Bureau of Shipping, Rev. arb., 2001, p. 529, note
E. GAILLARD ; Cass. fr., 1re ch. civ., 27 avril 2004, Bureau
Veritas, Rev. arb., 2004, p. 851.
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national s’est particulièrement marquée dans
l’arrêt de principe Putrabali de la première
chambre civile de la Cour de cassation du
29 juin 200716, rendu sous la présidence et au
rapport du président Jean-Pierre Ancel. Faut-il
le rappeler, cet arrêt a estimé que l’annulation
d’une sentence arbitrale dans le pays où elle a
été rendue n’interdit pas sa reconnaissance et
son exécution sur le territoire français dans la
mesure où « la sentence internationale, qui
n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice
internationale ». Il fallait oser affirmer ce principe.
Mais encore faut-il que le tribunal puisse se
constituer conformément à la volonté des parties sans paralysie ni manœuvres dilatoires. À
cette fin, les décrets de 1980 et 1981 ont donné
au juge étatique une mission d’assistance et de
coopération à l’arbitrage par l’intervention de
celui qui m’est très cher, que l’on a dénommé,
« le juge d’appui ». Dans le souci de rendre effectif l’arbitrage voulu par les parties, la jurisprudence lui a reconnu une véritable fonction
de ce que j’ai appelé « la consolidation de
l’arbitrage ».
La consécration du juge d’appui
dans sa fonction de consolidation
de l’arbitrage
Comme l’a relevé Philippe Fouchard en 1990,
« le talon d’Achille de l’arbitrage, c’est le désaccord entre les parties au moment de se donner leur juge, spécialement après la naissance
du litige. L’efficacité de cette justice privée suppose donc l’existence d’un relais, l’intervention
d’une autorité de nomination pour pallier les
blocages apparaissant alors dans la constitution
du tribunal arbitral, pour désigner le ou les arbitres en cas de refus ou de désaccord entre les
parties (ou des arbitres déjà nommés), ou pour
trancher les incidents ultérieurs de récusation et
de remplacement des arbitres17 ».
Cette réflexion résume toute la problématique
de celui que la jurisprudence française a dénommé « le juge d’appui ». C’est la mission
d’aide, d’assistance et de coopération à l’arbitrage que les décrets de 1980 et 1981 ont introduit en France, à laquelle la jurisprudence a
donné une grande ampleur ; il a été dénommé
en tant que tel par la Cour de cassation en 2005
et, surtout, il a été consacré par le législateur
dans le nouveau décret sur l’arbitrage du
13 janvier 201118. C’est cette jurisprudence,
audacieuse, qui délibérément a donné une interprétation extensive aux textes pour assurer
une véritable effectivité à l’intervention du juge
d’appui, qui a fait de ce juge un juge à part en(16) Cass. fr., 1re ch. civ., 29 juin 2007, Putrabali, Rev.
arb., 2007, p. 507, note E. GAILLARD.
(17) P. FOUCHARD, in P. FOUCHARD, E. GAILLARD et B.
GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996, no 828 p. 499 ; P. FOUCHARD,
« La coopération du président du Tribunal de grande instance à l’arbitrage », Rev. arb., 1985, p. 5.
(18) P. CHEVALIER, « Le nouveau juge d’appui », in Le
nouveau droit français de l’arbitrage, Paris, Lextenso éd.,
2011, pp. 143 et s. ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit
de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien 2013, « L’intervention du juge d’appui pour résoudre les difficultés de constitution du tribunal arbitral »,
pp. 260 et s., nos 259 et s., puis pp. 696 et s., nos 764 et
s.
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tière au seul service de l’arbitrage dans le respect des principes fondamentaux.
A. Une volonté d’assurer l’effectivité
de l’arbitrage par le règlement
des incidents
La jurisprudence ne s’est pas limitée à une interprétation étroite du texte de l’article 1444 du
N.C.P.C., mais bien au contraire, a étendu sa
compétence au règlement des incidents postérieurs à la constitution du tribunal arbitral. Ce
fut l’affaire de La belle Créole ; dans une formule très générale, le président du T.G.I. de Paris
du 30 octobre 1990 a défini, l’étendue de sa
compétence, en ces termes : « La disposition de
l’article 1493, alinéa 2, du N.C.P.C. ne limite
pas l’intervention du juge étatique, pour l’exercice de sa mission d’instance technique et de
coopération judiciaire à l’arbitrage, aux seules
opérations de constitution du tribunal ab initio,
mais lui donne le pouvoir de régler, dans le respect de la volonté commune des parties, une
difficulté relative à un événement postérieur affectant la constitution du tribunal arbitral, ne
permettant plus à ce dernier de poursuivre
l’exercice des prérogatives attachées au pouvoir de juger ». Dans cette formule, tout est dit ;
en déclarant le recours contre cette décision irrecevable, la Cour d’appel de Paris a confirmé
cette interprétation qui a été réitérée à de nombreuses reprises. Cela vise les circonstances les
plus diverses : décès, démission, empêchement
d’un arbitre intervenus au cours de l’instance
arbitrale.
On doit également citer l’arrêt Nioc c. État d’Israël de la première chambre civile du 1er février
200519 ; cet arrêt a consacré le droit à l’arbitre
en étendant la compétence internationale du
président du T.G.I. de Paris en cas de déni de
justice. Il suffit de rappeler rapidement les circonstances de fait. La société iranienne Nioc
avait conclu un contrat avec l’État d’Israël concernant la réalisation des travaux pour le transport du pétrole. En cas de litige, la clause d’arbitrage stipulait la désignation du troisième arbitre par la C.C.I. en cas de désaccord des
premiers arbitres. Or la société Nioc ayant désigné un arbitre, l’État d’Israël s’est refusé à désigner le second. Le blocage était total et durable. La société Nioc se tourne alors vers le juge
d’appui français qui en première instance refuse d’intervenir, l’arbitrage ne se déroulant pas
en France et n’étant pas soumis à la loi de procédure française ; or la Cour d’appel de Paris
infirme pour se reconnaître compétente. Il convient de relire l’attendu de principe : « Mais attendu que l’impossibilité pour une partie d’accéder au juge, fût-il arbitral, chargé de statuer
sur sa prétention, à l’exclusion de toute juridiction étatique, et d’exercer ainsi un droit qui relève de l’ordre public international consacré
par les principes de l’arbitrage international et
l’article 6.1 de la Convention européenne des
droits de l’homme, constitue un déni de justice
qui fonde la compétence internationale du président du tribunal de grande instance de Paris,
dans sa mission d’assistance et de coopération
du juge étatique à la constitution d’un tribunal
arbitral, dès lors qu’il existe un rattachement
(19) Cass. fr., 1re ch. civ., 1er février 2005, État d’Israël c.
Sté Nioc, Rev. arb., 2005, p. 693, note H. MUIR WATT ;
R.C.D.I.P., 2006, p. 140, note T. CLAY.
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avec la France ». La Cour d’appel ayant relevé
que la société Nioc était dans l’impossibilité de
saisir les tribunaux israéliens ou iraniens pour
nommer l’arbitre et qu’il existait un lien, fût-il
ténu avec la France, la Cour de cassation a jugé
qu’elle en avait déduit à bon droit que cet état
de fait constituait un déni de justice justifiant la
compétence du juge d’appui français. En consolidant ainsi cet arbitrage international, la
Cour de cassation rend effectif ce droit à l’arbitre comme la Cour européenne et la Cour de
cassation a reconnu le droit au juge. Cet arrêt
Nioc a été considéré par la doctrine et la pratique française et internationale de l’arbitrage
comme étant l’une des décisions majeures de
ces dernières années, ce qui a conduit le législateur de 2011 à consacrer cette solution dans
l’article 1505, alinéa 4, du C.P.C. qui dispose
qu’en matière internationale, le juge compétent
est le président du T.G.I. de Paris lorsque « l’une
des parties est exposée à un risque de déni de
justice ». Il ne s’agit pas d’un cas d’école, car il
aurait pu se produire à propos de l’arrêt du
28 mars 2013, Rouger c. Mattéi.
Allant plus loin, la Cour de cassation, dans des
décisions récentes a reconnu au juge d’appui le
pouvoir d’ordonner des mesures préparatoires
ou préventives pour permettre la constitution
du tribunal arbitral. S’agissant de l’obligation de
révélation par l’arbitre des liens susceptibles
d’exister avec une partie, mettant en cause, le
cas échéant, son indépendance ou son impartialité, un arrêt de la première chambre civile
de la Cour de cassation du 20 juin 200620 a reconnu au juge d’appui le pouvoir d’ordonner
une mesure préparatoire d’instruction, sans excéder ses pouvoirs, dans la mesure où la partie
refusait de révéler le nombre d’arbitrage dans
lequel il avait nommé ce même arbitre et la nature des arbitrages ; cette mesure consistait en
une injonction de fournir des informations :
« Que la Cour d’appel a exactement décidé
qu’en ordonnant une mesure préparatoire, le
juge d’appui n’avait pas excédé ses pouvoirs,
dès lors qu’il avait pour mission de résoudre les
difficultés de constitution du tribunal arbitral de
manière à ce que cette juridiction soit investie
de la confiance des parties ».
B. Comment cette jurisprudence
s’est-elle construite ?
Elle s’est peu à peu élaborée grâce à la procédure mise en œuvre par le juge d’appui, puis
surtout par le respect des principes essentiels
du droit de l’arbitrage.
1. La procédure en référé
Le choix de cette procédure me paraît avoir été,
en 1980 et 1981, déterminant pour l’avenir de
cette coopération du président du T.G.I., dont
celui de Paris, que certains 21 ont qualifié
« d’institution permanente d’arbitrage ». Sa rapidité, sa simplicité, son absence de formalisme
dans le respect du contradictoire permettent au
juge de prendre des mesures immédiates et
exécutoires.
(20) Cass. fr., 1re ch. civ., 20 juin 2006, Prodim c. Nigioni, Rev. arb., 2007, p. 3, note ORTSCHEIDT.
(21) J.-L. DELVOLVE, Rev. arb., 1981, p. 487.
Ayant été juge d’appui à Paris de 1982 à 1990,
je voudrais expliquer comment ce juge concevait sa mission. La désignation d’un arbitre repose sur la transparence, la confiance et l’acceptation de la décision. Il faut donc rechercher
le maximum d’adhésion à la mesure ordonnée,
alors qu’une partie justement résiste pour des
motifs les plus divers, sinon, l’arbitrage commence mal. Toute désignation autoritaire est juridiquement possible, mais ne correspond pas
du tout à l’esprit de l’arbitrage, fondé sur l’accord des parties. Cette intervention du juge étatique est favorisée par une procédure très souple, par une démarche empirique du juge et
une pratique judiciaire qui recherchent cette
efficacité22.
a. Une procédure souple et rapide
Le décret du 13 janvier 2011, en instituant le
juge d’appui, a bien clarifié l’identification du
juge compétent ; le nouvel article 1459 du
C.P.C. a précisé qu’en matière d’arbitrage interne, c’était le président du tribunal de grande
instance ou, si les parties en convenaient, le
président du tribunal de commerce pour les
seuls cas visés aux articles 1452 à 1454 du
C.P.C. ; en matière d’arbitrage international, le
décret a heureusement maintenu la concentration de compétence exclusive en la personne
du président du tribunal de grande instance de
Paris. En outre, en matière de récusation, de démission ou d’empêchement d’un arbitre, c’est
la seule compétence du président du tribunal
de grande instance.
L’article 1460 du C.P.C. a défini les règles de
procédure : « le juge d’appui est saisi soit par
une partie, soit par le tribunal arbitral ou l’un de
ses membres. La demande est formée, instruite
et jugée comme en matière de référé ». La procédure du référé présente de nombreux
avantages :
— Simplicité et sans forme : la saisine du juge
d’appui doit être faite par voie d’assignation,
mais il a été jugé qu’elle puisse être engagée
par requête conjointe des parties23 lorsque les
circonstances le justifient, ce qui peut se produire si la difficulté de constitution ne traduit
pas une réelle opposition des parties (par exemple, simple difficulté des deux arbitres pour
choisir le troisième, président du tribunal arbitral). Mais surtout, la procédure orale favorise
une libre discussion entre le juge et les parties,
dont les échanges personnels et directs, avec la
participation de leurs avocats, peuvent permettre l’émergence de solutions consensuelles. Enfin, cette procédure assure une forte implication du juge d’appui, dont l’objectif est de parvenir à une solution au conflit.
— Procédure contradictoire et au fond : cette
condition, déjà introduite dans la réforme de
1980, est essentielle, car elle permet un examen approfondi du différend en prenant en
considération les arguments de chacune des
parties, sans que puisse être opposée l’existence d’une contestation sérieuse, exclusive de la
compétence du juge des référés ; c’est un véritable débat qui s’instaure devant le juge d’ap(22) Cfr G. PLUYETTE, « La désignation d’un arbitre par le
juge d’appui », in Mélanges en l’honneur de Pierre
Mayer, à paraître aux éditions Litec en octobre 2015 ;
cet article, auquel on peut se référer, développe l’ensemble de cette question.
(23) T.G.I. Paris, ord. req., 22 février 1984, Rev. arb.,
1985 p. 91 ; Cass. fr., 2e ch. civ., 19 mai 1999, Rev. arb.,
p. 593, note A. HORY.
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DOCTRINE
pui, permettant le plus souvent de mettre à jour
les véritables difficultés ou les réticences d’une
partie à s’engager dans la procédure arbitrale.
C’est avant tout une procédure très rapide,
adaptée à l’urgence, qui peut utiliser le jour fixe
pour éviter la paralysie de l’arbitrage et qui doit
s’inscrire dans un délai très court pour agir24.
— Décision sans recours et revêtue de l’autorité de la chose jugée : selon l’article 1460,
alinéa 3, du C.P.C., « Le juge d’appui statue par
ordonnance non susceptible de recours. Toutefois, cette ordonnance peut être frappée d’appel lorsque le juge déclare n’y avoir lieu à désignation pour une des causes prévues à
l’article 1455 ». Ainsi, l’ordonnance qui nomme un arbitre est assortie de l’autorité de la chose jugée au regard des contestations qui sont
soulevées25 ; cependant, l’ordonnance peut faire l’objet d’un appel-nullité pour excès de
pouvoir26.
b. La pratique judiciaire :
une démarche empirique
Comme le relève Philippe Fouchard, dans l’article majeur qu’il a consacré à ce sujet en
198527, les textes ne fournissant qu’un cadre
procédural général, le juge étatique dispose
d’une grande latitude quant à la manière concrète de mener à bien sa mission. La désignation d’un arbitre repose sur la transparence, la
confiance28 et l’acceptation de la décision par
les parties et leurs avocats ; il faut donc rechercher le maximum d’adhésion à la mesure ordonnée, sinon, l’arbitrage commence mal29 ; il
(24) Le décret du 13 janvier 2011 a fixé un délai d’un
mois à la partie pour choisir un arbitre ou aux arbitres
pour désigner le troisième, à défaut duquel le juge d’appui peut procéder à sa désignation (article 1452 du
C.P.C.).
(25) Autant la décision du juge d’appui qui nomme un
arbitre se présente en quelque sorte comme une décision d’administration arbitrale, lorsqu’il statue sur une
demande de récusation, c’est une véritable décision de
nature quasi juridictionnelle qu’il prend et qui ne peut
pas être remise en cause lors du recours en nullité contre
la sentence, sauf preuve de circonstances nouvelles
postérieures ; en revanche, la décision prise par un centre d’arbitrage sur une même demande de récusation,
qui n’a pas l’autorité de chose jugée, peut être remise en
cause lors du recours contre la sentence, pour composition irrégulière du tribunal arbitral ; cette distorsion de
régime pose une question très sérieuse qui devrait, à
l’avenir, être étudiée.
(26) Cfr Cass. fr., 1re ch. civ., 22 septembre 2010, Bull.
civ., I, no 175 ; Cass. fr., 1re ch. civ., 19 décembre 2012,
n o 11-10535 ;_et sur l’ensemble de la question :
C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne
et international, Paris, Montchrestien 2013 ; nos 270 et
s., p. 267.
(27) P. FOUCHARD, « La coopération du président du Tribunal de grande instance à l’arbitrage », Rev. arb., 1985,
p. 5, et, dans le recueil réuni en son hommage, Écrits Droit de l’arbitrage - Droit du commerce international,
publié par le Comité français de l’arbitrage, 2007,
pp. 25 et s. Dans cet article, le professeur P. Fouchard a
analysé l’intégralité des ordonnances du président du tribunal de Paris concernant le rôle et les interventions du
juge étatique en tant que « juge d’appui » pendant les
cinq premières années de l’application du décret pour
en présenter une synthèse remarquable. Les références
aux décisions publiées dans la Revue de l’arbitrage permettent de connaître leur texte et, notamment, les formules de dispositifs utilisés par les juges d’appui.
(28) Pour le professeur Éric Loquin, « l’arbitrage est
d’abord une relation de confiance entre les parties et les
arbitres », ce qui explique la jurisprudence récente
beaucoup plus exigeante en matière d’indépendance et
d’impartialité des arbitres.
(29) Parfois, sans respecter les demandes de la partie,
son avis ou même les prendre en considération, le juge
d’appui et, notamment certains présidents de tribunaux
de commerce, ont désigné et désignent toujours, d’office
cet arbitre ; ceci est très regrettable, car il compromet la
faut associer le plus possible les parties et, surtout, la partie résistante, à la procédure de désignation de l’arbitre sans permettre le dilatoire,
tout en étant au plus près de leur volonté ; deux
moyens peuvent être utilisés :
— D’abord, c’est donner à la partie un délai de
réflexion pour nommer elle-même l’arbitre. Or
plusieurs situations peuvent se présenter : soit,
le défendeur est défaillant, soit, il oppose une
exception de fond pour contester la procédure
d’arbitrage. Lorsque le défendeur défaillant refuse de désigner un arbitre, plutôt que de nommer celui-ci immédiatement, le juge d’appui
doit impartir à cette partie un bref délai (de huit
jours à quinze jours) pour y procéder, ce qui
peut clore l’incident, ou pour donner son avis
sur des noms suggérés par ce juge ; c’est souvent suffisant pour débloquer la situation ; il
doit alors donner acte de cette nomination ou
la confirmer30. En effet, souvent, c’est le principe même de l’arbitrage qui est mis en cause, la
partie estimant qu’elle ne doit pas être attraite à
la procédure ou soutenant que la clause compromissoire est manifestement nulle ou insuffisante, ou même que le juge saisi n’est pas compétent pour statuer sur la demande de désignation d’arbitre. Le juge d’appui doit
préalablement trancher cette exception d’incompétence avant de désigner l’arbitre ; s’il la
rejette, il doit laisser à la partie la possibilité de
nommer personnellement cet arbitre en lui ménageant toujours ce bref délai de réflexion ou
en organisant une discussion contradictoire
avec les parties présentes à l’audience ou leurs
avocats pour rechercher le nom d’un arbitre faisant consensus. Si, en revanche, la partie qui
soulève cette exception d’incompétence avait
désigné, à titre subsidiaire, un nom d’arbitre, le
juge d’appui ne peut pas nommer une autre
personne, car il doit respecter ce choix31.
— Ensuite, il faut user de la technique du renvoi d’audience32, sans formalisme, à très bref
délai et à jour fixe pour proposer des solutions,
contrôler l’exécution des mesures prises ou statuer sur les difficultés relatives à la constitution
définitive du tribunal arbitral ;
Nous voyons donc que les techniques utilisées
par le juge d’appui sont les plus diverses ; elles
doivent s’adapter aux spécificités du litige et à
la personnalité des parties, ainsi qu’à la personnalité et les qualités de l’arbitre pressenti ; elles
doivent toujours tendre à l’efficacité pour permettre une constitution rapide du tribunal arbitral.
poursuite sereine de l’arbitrage, suscite de multiples difficultés et contribue à judiciariser la procédure au lieu
de l’apaiser. Mais surtout, il porte atteinte au crédit de la
place de Paris comme centre international de l’arbitrage
ainsi qu’au rôle du juge d’appui français comme facilitateur de la constitution du tribunal arbitral. Cfr infra, la
nécessité d’associer les parties au processus de désignation.
(30) Cfr P. FOUCHARD, « La coopération du président du
Tribunal de grande instance à l’arbitrage », Rev. arb.,
1985, p. 5, notes 8, 9, 12 et 63 ; cependant, au cours de
cette démarche, peuvent se greffer des oppositions ou
des incidents de récusation de l’arbitre dont le juge d’appui se trouve alors saisi.
(31) Cass. fr., 1re ch. civ., 8 juin 1999, Rev. arb., 2000
p. 116, note E. LOQUIN ; C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT,
Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien 2013 ; no 777, p. 708.
(32) Cette technique procédurale du renvoi d’audience
et du suivi des mesures a été mise en œuvre dès les années 1970 au tribunal de grande instance de Paris en référés dans le contentieux des conflits collectifs du travail
(occupation d’usines ; grèves, etc.) elle a été ensuite
étendue à l’arbitrage par le premier président Drai pour
la mise en application de la réforme de 1980 et 1981.
37
2. Le respect des principes essentiels
Il s’agit principalement du respect de la volonté
des parties, du refus de toute immixtion dans
les opérations d’arbitrage, de la subsidiarité de
la compétence du juge étatique par rapport au
centre préconstitué d’arbitrage.
L’intervention du juge d’appui est supplétive de
volonté ; c’est l’interprétation qui a été donnée
par la jurisprudence depuis de nombreuses années et qui a été clairement confirmée par le
décret du 13 janvier 2011 dans les
articles 1451 à 1456 du C.P.C., qui énoncent
que faute d’accord des parties, les différends
sont réglés « par la personne chargée d’organiser l’arbitrage, ou, à défaut, tranchés par le juge
d’appui ». À défaut, il signifie qu’il s’agit d’une
compétence subsidiaire et donc résiduelle du
juge, qui s’apprécie en fonction et dans les limites du règlement de l’institution d’arbitrage33.
À cet égard, les règlements des centres préconstitués d’arbitrage, tels ceux de la C.C.I., de
l’A.F.A. ou des autres centres professionnels
comme la Chambre d’arbitrage internationale
de Paris, sont de plus en plus complets et actualisés pour prévoir et régler tous les cas d’intervention (nomination d’arbitre, récusation, remplacement, démission ou décès, etc.). Ces centres modifient périodiquement leur règlement
pour les adapter aux circonstances nouvelles
nées de la pratique arbitrale et de la jurisprudence nationale ou internationale. C’est ainsi
qu’ont été introduites les procédures d’urgence
ou la possibilité de mesures provisoires ou conservatoires ordonnées par le tribunal arbitral. Le
juge d’appui étatique n’a plus alors vocation à
intervenir fréquemment comme c’était le cas au
cours des années 1985 à 199534 ; il se borne à
suppléer la carence de l’institution ou à régler
une difficulté de constitution du tribunal arbitral.
Pour illustrer l’esprit dans lequel doit intervenir
le juge d’appui, je voudrais citer un arrêt pour
lequel la Cour de cassation a imposé à un juge
d’appui d’exercer tous ses pouvoirs (Cass. fr.,
1re ch. civ., 20 février 2007, no 06-1410735) ;
pour un même litige, les parties étaient convenues de deux clauses contradictoires désignant
successivement la C.C.I. et l’A.F.A. comme centres préconstitués d’arbitrage ; la Cour d’appel
avait jugé ces clauses manifestement inapplicables, car contradictoires et avait renvoyé les
parties devant le juge étatique considéré comme seul compétent, car il aurait fallu « une
nouvelle manifestation de volonté des parties
pour la rendre efficiente ». L’arrêt est cassé au
visa du principe compétence-compétence et
l’article 1493 du N.C.P.C., car le juge d’appui
(33) T.G.I. Paris, réf., 23 octobre 2013, no 13/57483,
Dassier, D., 25 décembre 2014, no 44, p. 2546, obs.
T. CLAY ; T.G.I. Paris, réf., 22 janvier 2010, Rev. arb.,
2010. 571, note J.-B. RACINE ; cfr G. PLUYETTE, « La désignation d’un arbitre par le juge d’appui », in Mélanges
en l’honneur de Pierre Mayer, à paraître aux éditions Litec en octobre 2015.
(34) Voir notamment les affaires Philipps Brothers, Rev.
arb., 1990, pp. 497 et 880, République de Guinée, Rev.
arb., 1988, p. 371, et les références dans le Traité susvisé
à la note no 1.
TGI Paris, réf., 23 octobre 2013, no 13/57483, Dassier,
D., 25 décembre 2014, no 44, p. 2546, obs T. CLAY ;
voir cependant Cass. fr., 1re ch. civ., 25 juin 2014, Nycool A, J.C.P., 2014, p. 857, obs. J. ORTSCHEIDT, qui applique une conception étroite de l’excès de pouvoir en limitant l’application du principe de subsidiarité, ce qui
apparaît contestable.
(35) Cass. fr., 1re ch. civ., 20 février 2007, no 06-14107.
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pouvait intervenir pour faire respecter la volonté de recourir à l’arbitrage nonobstant la divergence sur le choix du centre d’arbitrage qui
n’était pas déterminante de leur volonté :
« qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres
à caractériser une inapplicabilité manifeste de
la clause dès lors qu’elle ne constatait pas une
absence de volonté des parties de recourir à
l’arbitrage et que le juge d’appui, seul compétent pour statuer sur les difficultés de constitution du tribunal arbitral, n’avait pas été saisi, la
Cour d’appel a violé le principe et le texte
susvisé ». En l’espèce, la Cour d’appel aurait dû
renvoyer l’examen du litige au juge d’appui.
Cette faveur à l’égard de l’arbitrage international ne saurait être acceptable sans limites, sans
un contrôle de la décision des arbitres.
Le contrôle de la procédure
et de la sentence
Dès lors qu’une partie demande la reconnaissance ou l’exécution en France de la sentence,
l’État doit pouvoir faire respecter ses principes
fondamentaux, par un contrôle de la procédure
suivie ainsi que des conséquences de la sentence. Je ne peux pas examiner toute la jurisprudence qui s’est développée : respect de la contradiction, principe de bonne foi et de loyauté,
égalité des parties dans la désignation de l’arbitre, droit d’accès au juge (affaire Pirelli), interdiction de se contredire au détriment d’autrui et
reconnaissance formelle de l’estoppel dans
l’arrêt Golshani (2005)36, etc. ; je veux simplement aborder deux points qui sont les plus délicats actuellement en ce qui concerne le rôle
des juges : le contrôle des qualités de l’arbitre :
indépendance et impartialité et le contrôle de
l’ordre public de fond en matière internationale
(article 1520, § 5, du C.P.C.).
A. Le contrôle des qualités de l’arbitre :
indépendance et impartialité
L’arbitre remplit une mission juridictionnelle,
fondée sur la confiance des parties en ses qualités personnelles et professionnelles ; il est un
juge et doit être indépendant (absence de liens
avec les parties) et impartial (absence de
préjugé) ; un arrêt récent l’a réaffirmé avec force (Cass. fr., 1re ch. civ., 16 mars 1999) : « l’indépendance et l’impartialité sont de l’essence
de la fonction arbitrale »37.
Pour le juge étatique, cette double exigence est
une obligation légale inscrite dans le Code de
procédure civile au titre des causes de
(36) Sté Pirelli c. Sté Licensing Projects ; Paris,
17 novembre 2011, Rev. arb., 2011, p. 266, note
F.X. TRAIN ; D., 2011, p. 3031, note T. CLAY, arrêt cassé
par Cass. fr., 1re ch. civ., 28 mars 2013, no 11.277 70 ;
Rev. arb. 2013, p. 747, note F.X. TRAIN ; Cass. fr., 1re ch.
civ., 6 juillet 2005, D., 2005, pan. 3060, obs. T. CLAY ;
Rev. arb. 2005, p. 993, note P. PINSOLLE ;
(37) Cass. fr., 2e ch. civ., 13 avril 1972, Ury c. Galeries
Lafayette, no 70 12774 ; Paris, 5 mai 1989, Dutco, Rev.
arb., 1989, p. 723, note BELLET ; Cass. fr., 1re ch. civ.,
16 mars 1989, Bull. civ., I, no 88 ; et plus généralement
sur la question : B. AUDIT et L. D’AVOUT, Droit international privé, 7 e éd., Economica, n os 1212 et s. ;
C. SERAGLINI et J. ORTSCHEIDT, Droit de l’arbitrage interne
et international, Paris, Monchrestien, 2013, nos 222 et
s. ; D. COHEN, « Indépendance des arbitres et conflits
d’intérêts », Rev. arb., 2011, p. 611.
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DOCTRINE
récusation ; mais en matière d’arbitrage, aucun
texte ne la prescrivait, et c’est la jurisprudence
qui l’a imposée aux arbitres par une création
prétorienne dont les arrêts successifs en ont
dessiné les contours depuis 1981. Cette jurisprudence a été consacrée par le décret de 2011
dans l’article 1456, § 2, du C.P.C., applicable
en matière internationale, et qui a imposé aux
arbitres un devoir de révélation ; cette règle
s’impose aussi dans la plupart des pays et systèmes d’arbitrage étrangers.
L’étude de la jurisprudence démontre la grande
variété des situations pouvant se présenter, qui
intéressent davantage l’indépendance que l’impartialité. Si dans un premier temps, elle s’est limitée aux seuls cas de récusation visés par
l’article 341 du C.P.C., la Cour de cassation a
abandonné cette conception restrictive, ce que
le décret de 2011 a confirmé, imposant à l’arbitre dans l’article 1456 du C.P.C. de révéler
« toute circonstance susceptible d’affecter son
indépendance et son impartialité ».
Sans établir un catalogue plus ou moins exhaustif des circonstances, on peut relever d’abord
tout ce qui a trait à des rapports de subordination
de fait ou de droit entre l’arbitre et la partie, l’arbitre et les coarbitres, ou l’arbitre et les avocats
ou conseils des parties. Cela vise aussi les relations d’amitié ou des relations professionnelles
ou d’affaires pouvant exister entre eux.
Je voudrais seulement évoquer deux situations
qui ont donné lieu à décisions judiciaires
récentes :
D’abord, les désignations multiples d’un même
arbitre pour des litiges similaires ; c’est la théorie dite « du courant d’affaires », notamment,
dans le droit de la distribution ou dans le droit
de la construction ; par deux arrêts du
20 octobre 201038, la première chambre civile
a jugé « que le caractère systématique de la désignation d’une même personne, par les sociétés d’un même groupe, sa fréquence et sa régularité sur une même période, dans des contrats
comparables, ont créé les conditions d’un courant d’affaires entre cette personne et les sociétés du groupe, partie à la procédure, de sorte
que l’arbitre devait révéler ces circonstances
pour permettre à la partie adverse d’exercer son
droit de récusation ». De même, très délicate
est la situation de l’arbitre nommé dans plusieurs arbitrages qui concernent des litiges connexes ou interdépendants39.
Ensuite, actuellement, ce sont les relations pouvant exister entre l’arbitre et l’avocat, conseil
d’une partie, qui posent des difficultés relatives
à l’indépendance de l’arbitre ; deux arrêts illustrent cette situation, ils font encore l’objet de
recours :
— L’arrêt Technimont : la Cour d’appel de Paris, le 12 février 200940, a annulé la sentence
(38) Cass. fr., 1re ch. civ., 20 octobre 2010, deux arrêts,
J.C.P., éd. G, 2011, I, 1286, no 1, obs. SERAGLINI ; D.,
2010, pan., p. 2933, obs. T. CLAY.
(39) T.G.I. Paris, réf., 2 mars 2012, Rev. arb., 2013,
p. 183, note critique de J. ORTSCHEIDT.
(40) Paris, 12 février 2009, Rev. arb., 2009, p. 186, note
T. CLAY ; Reims, 2 novembre 2011, Rev. arb., 2012,
p. 112, note M. HENRY ; J.C.P., éd. G, 2011, I, 1432,
no 5, obs. J. BEGUIN ; Cah. arb., 2011, p. 1109, note
T. CLAY. Cet arrêt a été à nouveau cassé par une décision
de la Cour de cassation du 25 juin 2014, J.C.P., 2014,
doctr. 857, § 4, obs. C. SERAGLINI ; J.C.P., 2014, act. 742,
obs. T. CLAY ; chron. T. CLAY, « Techimon, saison 4 - Entre révélation et réaction », Cah. arb., 2014-3, p. 547 ;
cfr B. AUDIT et L. D’AVOUT, op. cit., no 1212.
arbitrale, motifs pris du défaut d’indépendance
et d’impartialité de l’arbitre, président du tribunal, désigné par la société Technimont, résultant de liens entretenus entre cette partie et la
structure d’avocats à laquelle appartenait l’arbitre par l’intermédiaire de filiales. C’est le phénomène de la mondialisation des cabinets
d’avocats, qui créent des cabinets secondaires
dans toutes les places économiques du monde :
Asie, Proche-Orient, Amérique du Nord et du
Sud. Des conflits d’intérêts peuvent survenir en
raison des dossiers traités par ces filiales à propos de litiges intéressant des groupes de sociétés multinationaux.
— L’arrêt Néoelectra, très important, de la première chambre civile du 10 octobre 201241 ; il
était reproché à un arbitre, professeur de droit,
de ne pas avoir révélé que huit ans avant le début de l’arbitrage, il avait été conseil d’un grand
cabinet d’avocats, alors que l’avocat de la partie qui l’avait désigné, avait rejoint ce cabinet et
qu’entre 2000 et 2008, ce professeur avait donné des consultations juridiques pour ce cabinet.
La Cour d’appel de Paris avait annulé la sentence en reprochant à l’arbitre de ne pas avoir satisfait à son obligation de révélation ;
B. Le contrôle de l’ordre public de fond
en matière internationale
(article 1520, § 5, du C.P.C.)
Cette question, très importante, fait toujours
l’objet de très vives discussions en doctrine42,
tant en France qu’à l’étranger ; elle me parait
devoir évoluer dans la jurisprudence française ;
ce n’est pas le principe du contrôle en luimême qui fait difficulté, mais c’est l’intensité de
ce contrôle par le juge étatique.
Deux thèses se sont affrontées : l’une, dite
maximaliste et l’autre, dite minimaliste ; pour le
contrôle maximaliste, le juge procède à un examen détaillé, approfondi et minutieux de la façon dont l’arbitre a appliqué la règle d’ordre
public ; la conception minimaliste laisse une
plus grande liberté à l’arbitre, le juge se contentant de vérifier la sentence dans son ensemble,
sans procéder au réexamen des points tranchés
par l’arbitre mettant en cause l’ordre public international français.
La jurisprudence récente, mue principalement,
mais à tort, par la crainte de procéder à une révision au fond du litige, a adopté la conception
minimaliste dans l’arrêt Thales de la Cour d’appel de Paris du 18 novembre 2004, très critiqué, puis par l’arrêt SNF, plus nuancé, de la
Cour de cassation du 4 juin 200843 ; ce dernier
(41) Cass. fr., 1re ch. civ., 10 octobre 2012, J.C.P., éd. G,
2012, 1354, no 1, obs. SERAGLINI ; Rev. arb., 2013, note
C. JARROSSON.
(42) Voir notamment, G. PLUYETTE, « Actualités du droit
de l’arbitrage : l’obligation de révélation des arbitres et
le contrôle de l’ordre public de fond par la Cour de
cassation », in Mélanges en l’honneur du professeur Bernard Audit, L.G.D.J., 2014 p. 630 ; et, sur l’ensemble de
cette question : S ERAGLINI et O RTSCHEIDT , op. cit.,
nos 980 et s. avec toutes les références citées ; B. AUDIT
et L. D’AVOUT , op. cit., n os 1258 et s. ; P. M AYER ,
« L’étendue du contrôle, par le juge étatique, de la conformité des sentences arbitrales aux lois de police », in
Mélanges H. Gaudemet-Tallon, Paris, Dalloz, 2008,
p. 459 ; colloque de Dijon, « L’ordre public », Paris,
LexisNexis, 2014, Université de Bourgogne, vol. 42 ;
P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, « La sentence arbitrale étrangère contraire à une loi d’ordre public du for », colloque
franco-russe de Paris, octobre 2013.
(43) Paris, 18 novembre 2004, Thalès Air Défense c. GIE
Euromissile, J.C.P., éd. G, 2005, II, 10038, note
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2015
39
DOCTRINE
arrêt a posé comme principe, « s’agissant de
l’ordre public international, seule la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est examinée par le juge de l’annulation au regard de la
compatibilité de la solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation
alléguée ». Certains ont considéré qu’ainsi ce
contrôle était devenu illusoire, se limitant à la
seule apparence de régularité, à la seule évidence comme en matière de référé. Cette formulation de la Cour de cassation est restée en
l’état, et je pense, à la réflexion, qu’elle devrait
être modifiée, car elle a été mal perçue en France et à l’étranger alors que cela ne correspondait pas à une volonté de la Cour suprême de
supprimer tout contrôle44.
* * *
En conclusion de cette longue — peut être trop
longue — intervention, je voudrais vous présenter deux observations :
La première observation : cette faveur donnée à
l’arbitrage est-elle légitime ?
Je pense que oui, et tout particulièrement en
matière internationale, qui met en cause le
commerce international. Il n’y a plus de situation de rivalité ou de concurrence entre la justice arbitrale et la justice étatique ; il y a un partage des fonctions au service des parties en litige, dans un souci de complémentarité ; la
mondialisation des échanges l’impose alors
que tout système juridique devient un enjeu
économique et politique ; mais cette faveur
n’est pas sans conditions : non seulement l’État
doit pouvoir faire respecter ses principes essentiels relevant de l’ordre public si la sentence est
exécutée sur son territoire, mais en revanche,
l’État concerné doit assurer aux parties des juges étatiques avertis et compétents.
Deuxième observation : elle concerne la
« personnalité » du juge étatique.
Cette jurisprudence, favorable au développement de l’arbitrage, dépend non seulement de
la bonne maîtrise par les magistrats des règles,
mais aussi de leur connaissance du milieu de
l’arbitrage, notamment, international. Formation et information sont deux impératifs essentiels à maintenir.
Formation : il faut à cet égard rendre hommage
à tous les juges qui, pendant ces trente dernières années, se sont spécialisés dans cette matière et ont forgé cette jurisprudence ; je veux parler de tous les magistrats qui, après Pierre Bellet, se sont succédé au tribunal de Paris, dans
les cours d’appel et à la Cour de cassation ; on
se doit de citer les présidents Pierre Drai, Guy
Canivet, Jean-Pierre Ancel, Dominique Hascher et souligner l’apport de la première chambre de la Cour d’appel de Paris qui a été
déterminante ; ils sont tous les artisans de cette
jurisprudence. Ils ont contribué à former des filières de magistrats spécialistes de l’arbitrage.
Cet impératif de formation doit être poursuivi à
l’E.N.M., car le rôle du juge se construit à partir
de textes très souples, peu directifs, pour lesquels il faut donner un contenu pratique pour
les rendre effectifs ; ceci explique la longue maturation des solutions autour de principes dégagés par le juge : « Vu le principe compétencecompétence, etc. C’est pourquoi, si en matière
internationale la compétence du juge est centralisée à Paris, en matière interne, une compétence régionale devrait être instituée comme en
matière de brevets et autres.
Actuellement, l’E.N.M. a décidé de mettre en
place, en collaboration avec le C.F.A., une session de formation de trois jours pour tous les
magistrats intéressés (notamment, les présidents de juridiction appelés à exercer le rôle de
juge d’appui) sur l’arbitrage interne et
international ; cette mesure est extrêmement
importante.
Information du juge : la situation française présente une particularité très heureuse à mon
avis : les magistrats dialoguent, en toute indépendance et liberté, avec tous ceux qui participent aux réflexions sur l’arbitrage lors des colloques, tables rondes, projets de réformes, etc.
Cela permet aux juges de mieux connaître les
réalités et les problèmes pratiques de l’arbitrage
interne ou international et de mesurer les conséquences de leurs décisions.
Je pense donc que les magistrats ont
aujourd’hui et encore plus que par le passé un
rôle essentiel à tenir dans le développement de
l’arbitrage pour le respect des principes fondamentaux au service des justiciables et de la justice.
Gérard PLUYETTE
Conseiller doyen honoraire
de la Cour de cassation française
Les Codes poche Promoculture-Larcier
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- Lois et règlements
> Organisation judiciaire
> Profession d'avocat
- Règlements intérieurs
G. CHABOT ; J.D.I., 2005, p. 357, note A. MOURRE ;
Cass. fr., 1re ch. civ.,4 juin 2008, Cytec, Rev. arb., 2008,
p. 473, note I. FADLALLAH.
(44) P. DE VAREILLES-SOMMIÈRES, « Les lois de police et
politiques législatives », R.C.D.I.P., 2011, p. 207 et P. DE
VAREILLES-SOMMIÈRES, « La sentence arbitrale étrangère
contraire à une loi d’ordre public du for », colloque franco-russe de Paris, octobre 2013, à paraître ; dans cet article, le professeur de Vareilles-Sommières ne préconise
pas l’abandon du terme « flagrant », mal perçu, car mal
utilisé, mais suggère un dédoublement du contrôle de
l’ordre public en présence d’une loi de police : un contrôle classique se formulant en termes d’atteinte à un
principe essentiel du droit français, et un contrôle de la
flagrance de la violation, qui permet de s’assurer que
l’arbitre n’a pas dénaturé la loi de police en retenant une
solution clairement contraire ou incompatible avec une
disposition elle-même claire de la loi de police en
cause ; cela s’apparenterait au contrôle de dénaturation
des actes et des écrits auquel procède habituellement la
Cour de cassation.
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2015
40
DOCTRINE
Le point de vue belge
1
Introduction
1. La présente contribution a pour objet l’examen du rôle du juge étatique belge en rapport
avec les procédures arbitrages se déroulant en
Belgique1, qu’elles présentent ou non un élément d’extranéité2. Elle est limitée à l’examen
du droit nouveau, découlant de la réforme du
droit de l’arbitrage intervenue par la loi du
24 juin 20133, entrée en vigueur le
1er septembre 2013 et applicable aux arbitrages commencés après cette date4.
Il ne sera traité ici que des dispositions du droit
belge de l’arbitrage qui traitent de l’intervention
du juge étatique ; pour ce qui est des autres aspects de la réforme, il sera renvoyé aux commentaires déjà nombreux en la matière5.
Par ailleurs, la présente contribution s’inscrit
dans l’optique d’une présentation sommaire du
droit belge, à la demande du Think Tank pour
le développement de l’arbitrage à Luxembourg,
et ne constitue nullement une étude approfondie, qui excéderait de loin le cadre de ces
travaux6.
Nous nous attacherons à évoquer les sujets
suivants : l’importance du rôle du juge étatique
dans l’arbitrage (ci-après, 2), le règlement des
compétences concurrentes entre le juge étatique et le tribunal arbitral (ci-après, 3), le rôle du
(1) Sauf lorsqu’il sera précisé que les dispositions visent
également les sentences arbitrales étrangères, par exemple au stade de la procédure d’exequatur.
(2) En effet, le droit belge de l’arbitrage, tant avant
qu’après la réforme issue de la loi du 24 juin 2013, organise un régime unique de l’arbitrage, sans distinction
entre arbitrage national et international, à la différence
de la solution consacrée par exemple en droit français.
(3) Loi du 24 juin 2013 modifiant la sixième partie du
Code judiciaire relative à l’arbitrage, M.B., 28 juin
2013, 2e éd., p. 41263.
(4) Cfr articles 59 et 60 de la loi précitée du 24 juin
2013. Ce qui signifie que tous les arbitrages commencés
avant le 1er septembre 2013 demeurent régis par le droit
antérieur, lequel demeure dès lors encore applicable actuellement à pas mal de procédures.
(5) Cfr notamment M. PIERS et D. DE MEULEMEESTER,
« The adoption of the UNCITRAL Model Law encourages arbitration in Belgium », b-Arbitra, 2013/2, pp. 367
et s. D. et G. MATRAY, « La conduite de la procédure arbitrale sous l’empire du nouveau droit belge de
l’arbitrage », b-Arbitra, 2014/1, pp. 81 et s. M. DAL, « La
nouvelle loi sur l’arbitrage », J.T., 2013, pp. 785 et s.
O. CAPRASSE, « Le nouveau droit belge de l’arbitrage »,
Rev. arb., 2013. M. PIERS (éd.), De nieuwe arbitragewet
2013, Anvers, Intersentia, 2013. V. FONCKE, « Evidence
in arbitration under the new Belgian Arbitration Act », bArbitra, 2014/1, pp. 29 et s. L. DEMEYERE et H. VERBIST,
« De nieuwe Arbitragewet van 24 juni 2013 », R.W.,
2014-2015, pp. 83 et s. G. KEUTGEN, « La réforme 2013
du droit belge de l’arbitrage », R.D.I.D.C., 2014, pp. 65
et s.
(6) En termes d’études approfondies sur la question, on
pourra se référer, pour le droit belge antérieur à la réforme de 2013, aux contributions de H. BOULARBAH, J.-F.
TOSSENS, J. VAN COMPERNOLLE et G.-A. DAL, dans le chapitre « Efficacité : arbitrage et justice étatique », in Hommage à Guy Keutgen pour son action de promotion de
l’arbitrage, CEPANI-Bruylant, 2013, pp. 747 et s. Cfr
également G. CLOSSET-MARCHAL, « Le juge étatique et
l’instance arbitrale », J.T., 2010, p. 245 et G. DE LEVAL,
« L’arbitre et le juge étatique : quelle collaboration ? »,
R.D.I.D.C., 2005, pp. 6 et s.
juge étatique comme juge d’appui lors du démarrage et pendant l’arbitrage (ci-après, 4) et le
rôle du juge étatique comme juge de contrôle
après que le tribunal arbitral a statué (ci-après,
5). Nous serons ensuite en mesure de tracer
quelques conclusions (ci-après, 6).
2
L’importance du rôle du juge
étatique dans l’arbitrage
un principe de subsidiarité à l’intervention judiciaire.
En Belgique comme ailleurs, le législateur est
conscient de la nécessité de fixer des règles
adéquates à l’intervention du juge étatique. Il a
été reconnu pendant les travaux préparatoires
que ceci est « essentiel pour l’image de l’arbitrage dans notre pays et à l’étranger. Le choix du
lieu de l’arbitrage se fait en effet souvent notamment en fonction de l’efficacité de l’appareil judiciaire national »10. Effectivement, la réputation d’une place d’arbitrage dépend en bonne
partie de la qualité et des modalités de traitement du contentieux lié à l’arbitrage.
Pour autant, dernier paradoxe : si le juge étatique est important pour l’arbitrage, à l’inverse, il
faut bien reconnaître que le contentieux lié à
l’arbitrage constitue le plus souvent pour le
juge étatique un phénomène marginal.
2. L’arbitrage est un mode de résolution des
conflits par lequel les parties confient la mission de juger à des personnes privées librement
choisies. C’est une forme de justice privée, et il
peut apparaître a priori paradoxal d’évoquer
l’importance du rôle à jouer par le juge étatique
dans l’arbitrage.
Pourtant, l’arbitrage, fondé sur l’autonomie de
la volonté des parties, reste sous un certain contrôle des tribunaux. Ceux-ci jouent un rôle essentiel de garde-fou, ou « filet de sécurité »,
pour garantir la qualité de l’arbitrage7. En particulier, les tribunaux étatiques peuvent intervenir comme gardien des principes essentiels qui
doivent être respectés par toute procédure
arbitrage ; ceux-ci, exprimés depuis la réforme
au nouvel article 1699 du Code judiciaire sont
le principe d’égalité des parties, le respect des
droits de la défense et du principe du contradictoire, et la loyauté des débats8.
Certes, dans les arbitrages qui se passent bien,
sans incident, avec des parties, des conseils et
des arbitres de bonne volonté et de bonne foi
accomplissant leurs devoirs avec professionnalisme, le juge étatique n’interviendra généralement jamais. Mais si le contexte de l’arbitrage
est difficile et que des incidents se multiplient,
le juge étatique devra intervenir, et il est alors
important que les modalités de son intervention
soient définies de manière optimale, pour que
celle-ci soit rapide et efficace.
Un des moteurs de la réforme de l’arbitrage en
2013 a précisément été la volonté d’assurer une
organisation plus efficace de l’intervention du
juge étatique9. Cela a été fait en prévoyant,
d’une part, une centralisation des tribunaux
compétents, avec pour objectif d’assurer une
certaine spécialisation des juges, d’autre part,
des procédures judiciaires plus rapides (un seul
degré de juridiction). Le tout en reconnaissant
En tout état de cause, l’arbitrage peut suivre son
cours, la saisine du juge étatique n’étant pas
suspensive (article 1682, § 2, du Code judiciaire).
(7) Surtout, la qualité ou la régularité de la procédure. Le
contrôle ne porte pas sur l’exactitude de la décision au
fond. Ce contrôle est qualifié de « disciplinaire » par
H. BOULARBAH, « Le juge étatique, “bon samaritain de
l’arbitrage”, brèves variations autour des pouvoirs d’assistance et de contrôle du juge étatique pour assurer l’efficacité et la qualité de la procédure arbitrale », in Hommage à Guy Keutgen pour son action de promotion de
l’arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 753.
(8) Au sujet de ces principes, voir D. et G. MATRAY, op.
cit., b-Arbitra. Voir aussi, I. VEROUGSTRAETE, « De basisprinciples van de arbitrageprocedure », in De nieuwe
Arbitragewet 2013, M. PIERS (éd.), Anvers, Intersentia,
2013, p. 37.
(9) L’autre moteur a été la volonté d’assurer une plus
grande similarité entre le droit belge de l’arbitrage et la
loi type de la C.N.U.D.C.I. relative à l’arbitrage commercial international, ce conformément à l’objectif de celleci de promouvoir un droit de l’arbitrage international
uniforme et universel.
(10) Exposé des motifs, p. 15.
(11) Il s’agit bien d’un déclinatoire de juridiction, et non
de compétence.
(12) Les propositions formulées par le professeur Boularbah (« Le juge étatique “bon samaritain de l’arbitrage”
(...) », op. cit., pp. 755 et s.) pour limiter le contrôle de
la convention d’arbitrage au stade du déclinatoire de juridiction n’ont à cet égard pas été suivies.
3
Le règlement des compétences
concurrentes entre le juge étatique
et le tribunal arbitral
3. La réforme n’a pas apporté de réel changement quant au règlement des compétences
concurrentes entre le juge étatique et le tribunal
arbitral, quand l’un et l’autre sont saisis d’un
même litige.
Au fond, la règle est celle de la prééminence du
tribunal arbitral. En vertu de l’article 1682,
§ 1er, du Code judiciaire, le juge étatique saisi
d’un différend faisant l’objet d’une convention
d’arbitrage se déclare sans juridiction11, à condition que la demande lui en ait été faite par
une partie in limine litis, mais à moins qu’en ce
qui concerne le différend, le juge ne constate
que convention d’arbitrage n’est pas valable ou
a pris fin. Ce faisant, le système permet donc,
dans une certaine mesure, au juge étatique belge de juger de la validité de la convention d’arbitrage, le législateur ne reconnaissant pas l’effet négatif du principe de compétencecompétence12.
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2015
DOCTRINE
4. En ce qui concerne les mesures provisoires et
conservatoires, le système est celui des compétences parallèles des juges des référés étatiques
et des arbitres13. L’article 1683 du Code judiciaire prévoit expressément qu’une « (...) demande en justice, avant ou pendant la procédure arbitrale, en vue de l’obtention de mesures
provisoires ou conservatoires et l’octroi de telles mesures ne sont pas incompatible avec une
convention d’arbitrage et n’impliquent pas renonciation à celle-ci ».
Le juge des référés reste donc en principe compétent, sous les seules conditions de droit commun de l’urgence et du provisoire, même si les
parties sont liées par une convention d’arbitrage, même si l’arbitrage a commencé, et même
si l’arbitrage prévoit lui-même la possibilité
d’un référé arbitral. Selon la thèse défendue par
la majorité des auteurs, la notion d’urgence qui
conditionne l’intervention du juge des référés
impliquerait cependant que celui-ci ne soit pas
compétent si la partie qui le saisit dispose d’un
recours équivalent (en termes de rapidité et
d’efficacité) devant les arbitres14.
L’article 1698 du Code judiciaire précise, par
ailleurs, que le juge des référés dispose, pour
prononcer des mesures provisoires et conservatoires en relation avec une procédure d’arbitrage, belge ou étrangère, des mêmes pouvoirs
que ceux qui sont les siens en relation avec une
procédure judiciaire. Son intervention ne peut,
d’autre part, pas être exclue15.
En vertu des articles 1691 et suivants du Code
judiciaire, le tribunal arbitral peut lui aussi ordonner des mesures provisoires et conservatoires, mais ses pouvoirs, d’une part, peuvent être
exclus par les parties, d’autre part, ne sont pas
aussi étendus que ceux du juge des référés
étatique16. S’inscrivant dans la tendance générale du développement du référé arbitral17, le
législateur belge a prévu dans le cadre de la réforme de 2013 que les mesures provisoires et
conservatoires prononcées par le tribunal arbitral peuvent faire l’objet d’un exequatur par le
juge étatique (cfr infra).
5. Il existe un cas dans lequel le juge supplée
au tribunal arbitral. En cas de demande d’interprétation, de rectification ou en vue de compléter la sentence arbitrale, lorsque le tribunal arbitral ne peut plus être réuni pour le faire, le tribunal de première instance s’en chargera
(article 1715, § 6, du Code judiciaire).
(13) Cfr à ce sujet, récemment, les exposés d’O. MIGNOLET et J.-F. VAN DROOGHENBROECK, in L’arbitre et le juge
étatique - Études de droit comparé à la mémoire de Giuseppe Tarzia, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 161 et s.
Voir aussi D. DEMEULEMEESTER, « Voorlopige of bewarende maatregelen in arbitrage », in M. PIERS (éd.), op. cit.,
pp. 65 et s.
(14) Cfr pour un exposé récent de cette thèse, J.-F. VAN
DROOGHENBROECK, op. cit., pp. 214 et s., et les nombreuses références citées. H. BOULARBAH, « Le juge étatique
“bon samaritain de l’arbitrage” (...) », op. cit., p. 763.
(15) La question est controversée, mais nous rejoignons
les auteurs qui le défendent. Cfr en ce sens J.-F. VAN
DROOGHENBROECK, op. cit., pp. 228 et s., citant également les auteurs se prononçant en sens contraire.
H. BOULARBAH, « Le juge étatique “bon samaritain de
l’arbitrage” (...) », op. cit., pp. 762-763.
(16) Notamment, il n’y a pas devant le tribunal arbitral
de possibilité d’obtenir des mesures sur requête unilatérale. Les arbitres ne peuvent pas non plus ordonner des
saisies. Le recours aux arbitres présente également une
faiblesse si leur compétence fait l’objet d’une contestation.
(17) Cfr en ce sens le développement par les centres
d’arbitrages, au cours des dernières années, de l’institution de l’arbitre d’urgence.
4
Le juge étatique comme juge
d’appui lors du démarrage
et pendant l’arbitrage
A. Caractéristiques de l’intervention
du juge d’appui
6. Rôle du juge d’appui. — Lors du démarrage
et pendant l’arbitrage, les parties n’ont en principe pas besoin de recourir au juge étatique. Ce
recours s’avère cependant nécessaire pour débloquer d’éventuelles difficultés de l’arbitrage.
Lorsqu’il intervient à ce stade, le juge étatique
peut être qualifié de « juge d’appui »18, dans
une relation de partenariat avec l’arbitrage. Son
objectif est d’apporter son assistance au bon
déroulement de l’arbitrage, plus précisément
d’assister et de faciliter la mise en place de celui-ci. L’intervention du juge étatique revêt dans
ce cadre une nature administrative et non
juridictionnelle19.
7. Rapidité de l’intervention, centralisation et
subsidiarité. — Le juge d’appui belge est le président du tribunal de première instance, statuant comme en référé, ce qui garantit la rapidité de ses décisions (article 1680 du Code judiciaire). Cela a pour conséquence que la
procédure peut être menée endéans des délais
très courts, comme en référés, sans cependant
que l’urgence doive être prouvée.
Par ailleurs, le président du tribunal de première instance statue par une décision sans recours, sauf dans le cas où il refuse de nommer
un arbitre (article 1680, § 1er, in fine), ce qui est
également conforme à l’objectif de rapidité recherché.
À la suite de la réforme, seuls les présidents des
cinq tribunaux de première instance des ressorts de Cour d’appel sont compétents, en fonction du lieu de l’arbitrage : il s’agit des tribunaux de Bruxelles20, Gand, Anvers, Mons et
Liège. En réduisant le nombre de magistrats susceptibles d’avoir à connaître de ce type de contentieux, le législateur entend favoriser leur
spécialisation.
Le caractère subsidiaire de l’intervention du
juge d’appui est reconnu : ainsi notamment, il
n’intervient pas si les parties ont prévu d’autres
procédures (par exemple article 1685, § 4, b),
du Code judiciaire, in fine). Son intervention
respecte dès lors le principe d’autonomie de la
volonté et de liberté des parties à l’arbitrage.
B. Les domaines d’intervention
du juge d’appui
8. Contentieux lié à la constitution du tribunal.
— Le premier domaine d’intervention du juge
(18) Le législateur n’utilise cependant pas expressément
les termes de « juge d’appui », termes qui sont inspirés
du droit français, cfr articles 1459 et 1460 du C.P.C. (tels
que modifiés par le décret du 13 janvier 2011).
(19) H. BOULARBAH, « Le juge étatique “bon samaritain
de l’arbitrage” (...) », op. cit., pp. 758 et s.
(20) On notera qu’à Bruxelles cependant, le tribunal de
première instance est lui-même dédoublé entre un tribunal de première instance francophone et un tribunal de
première instance néerlandophone.
41
d’appui — sans doute le plus connu — est le
contentieux lié à la constitution du tribunal arbitral, avec au premier chef la nomination de
ou des arbitres.
L’article 1685, § 2, du Code judiciaire énonce
la règle selon laquelle, en principe, les parties
peuvent convenir de la procédure de désignation de l’arbitre ou des arbitres. Le
paragraphe 3 du même article prévoit une règle
de nomination par défaut, si les parties n’ont
rien prévu.
Si cependant une défaillance intervient dans le
processus de désignation des arbitres — que
cela soit une défaillance d’une ou de plusieurs
parties, des deux arbitres pour choisir le troisième, ou de l’institution arbitrale choisie par les
parties elles-mêmes — le président du tribunal
de première instance, saisi par requête unilatérale de la partie la plus diligente, procède à la
nomination du ou des arbitres (article 1685,
§ 3, a), b), c), et § 4, a) et b), du Code judiciaire).
Une nouveauté doit être signalée à cet égard.
Le droit belge prévoit maintenant expressément
dans le chef de l’arbitre pressenti un devoir de
révéler « toute circonstance de nature à soulever des doutes légitimes sur son indépendance
ou son impartialité » (article 1686, § 1er, du
Code judiciaire)21. Le président du tribunal de
première instance ou son greffier devra dès lors
en principe dorénavant prendre un contact
préalable avec l’arbitre qu’il entend nommer,
pour vérifier l’indépendance et l’impartialité de
cette personne, ainsi que son absence de révélation à faire. L’article 1685, § 5, du Code judiciaire prévoit d’ailleurs précisément que
« Lorsqu’il désigne un arbitre, le président du
tribunal tient compte de toutes les qualifications requises de l’arbitre en vertu de la convention des parties et toutes considérations propres
à garantir la désignation d’un arbitre indépendant et impartial ».
9. Dans d’autres cas, le juge d’appui est saisi
par citation pour connaître de difficultés liées à
la composition du tribunal arbitral lorsque celui-ci est déjà constitué : si un arbitre doit être
remplacé22 (article 1689, §§ 1er et 2, du Code
judiciaire), lorsqu’un arbitre souhaite se retirer
sans que les parties n’y consentent
(article 1685, § 7, du Code judiciaire) ou en
présence d’une incapacité ou carence d’un arbitre (article 1688, § 1er, du Code judiciaire).
La procédure est la même en cas de demande
en récusation d’un arbitre (cfr article 1686, § 2,
du Code judiciaire et article 1687 du Code judiciaire). À cet égard, il faut souligner que la réforme a fortement amélioré la procédure, dans
un souci d’efficacité, pour limiter les nuisances
qui peuvent résulter de procédures en récusation qui procèdent d’une stratégie dilatoire.
La procédure a été repensée, pour répondre à
un impératif de rapidité. Comme pour les autres
cas d’intervention du juge d’appui, le président
du tribunal de première instance statue comme
en référé et sa décision est sans recours, ce qui
devrait permettre l’intervention d’une décision
définitive dans les semaines suivant la saisine
(21) Au sujet de la consécration nouvelle de ce devoir
de révélation dans la loi, cfr notre étude « Le devoir de
révélation de l’arbitre », in Liber amicorum Georges-Albert Dal, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 913 et s.
(22) Uniquement en l’absence de procédure prévue par
les parties.
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42
du juge. Par ailleurs, le législateur a expressément prévu que la saisine du tribunal n’est que
subsidiaire, par rapport à une procédure conventionnelle de récusation, par exemple une
procédure de récusation prévue dans le règlement d’arbitrage auquel les parties se sont soumises (article 1687, § 1er, du Code judiciaire).
Enfin, la saisine du juge d’appui ne suspend pas
l’arbitrage, qui peut se poursuivre (article 1687,
§ 2, b).
2015
DOCTRINE
l’arbitrage : il ne peut d’ailleurs être saisi par
une partie qu’avec l’accord du tribunal arbitral.
Une telle intervention pourrait s’avérer utile,
par exemple, si un témoin pressenti refuse de
venir témoigner devant le tribunal arbitral26, s’il
est nécessaire de statuer sur la fausseté alléguée
d’un acte authentique, d’ordonner la production d’un document à un tiers, ou de permettre
la mise en œuvre de mesures d’instruction dont
l’exécution doit avoir lieu à l’étranger (commission rogatoire)27.
10. Gestion du délai de l’arbitrage. — Le juge
d’appui peut également être amené à jouer un
rôle important dans la gestion du délai de l’arbitrage (article 1680, § 3, du Code judiciaire).
Le Code judiciaire prévoit que les parties peuvent fixer un délai endéans lequel le tribunal arbitral doit rendre sa sentence, ou prévoir les
modalités en vertu desquelles un tel délai sera
fixé et, le cas échéant, prorogé. Si elles ne l’ont
pas fait et que le tribunal tarde à rendre sa sentence, plus de six mois s’étant écoulés depuis la
désignation du dernier arbitre, les parties peuvent saisir le juge d’appui afin que celui-ci impartisse un délai au tribunal arbitral
(article 1713, § 2, du Code judiciaire).
L’intervention du juge d’appui est, dans ce cas,
sollicitée afin d’accélérer un arbitrage qui, de
l’avis des parties, serait trop lent ; on songe, par
exemple, à l’hypothèse dans laquelle le tribunal aurait pris l’affaire en délibéré, mais tarderait à rendre sa sentence.
Si le juge d’appui fixe un délai, celui-ci devra
impérativement être respecté par les arbitres.
En effet, une sentence rendue hors délai — que
celui-ci ait été fixé par le juge d’appui, par les
parties elles-mêmes ou par une institution d’arbitrage — est généralement considérée comme
annulable, les arbitres ayant dans ce cas statué
alors que leurs pouvoirs avaient expiré23.
11. Mesures en vue de l’obtention des preuves.
— Enfin, le juge d’appui peut être sollicité pour
« prendre toutes mesures nécessaires en vue de
l’obtention de la preuve, conformément à
l’article 1709 du Code judiciaire »
(article 1680, § 4, du Code judiciaire).
C’est à la suite d’une erreur matérielle que
l’article 1680, § 4, du Code se réfère à
l’article 1709 du Code judiciaire, ce qui doit se
lire comme une référence à l’article 1708 du
Code judiciaire. En vertu de cette disposition,
« Une partie peut, avec l’accord du tribunal arbitral, demander au président du tribunal de
première instance statuant comme en référé
d’ordonner toutes les mesures nécessaires en
vue de l’obtention des preuves (...) ».
Cette nouvelle règle24 constitue la transposition
de l’article 27 de la loi type de la C.N.U.D.C.I.
relative à l’arbitrage commercial international ;
elle a aussi été inspirée de l’exemple espagnol
(article 33 de la loi relative à l’arbitrage)25.
On voit bien que l’intervention du juge d’appui
est prévue en tant que facilitateur de
(23) Cfr en ce sens, Cass., 5 mars 2009, R.W., 2010,
p. 487.
(24) Dans le droit antérieur, la possibilité de faire intervenir le juge étatique n’était pas formulée de manière
générale, mais uniquement ponctuelle, cfr article 1696,
§§ 4 et 5, ancienne version du Code judiciaire (avant la
loi du 24 juin 2013).
(25) Doc. parl., Ch., s.o. 2012-2013, exposé des motifs,
Doc. 53 2743/001, p. 33.
5
Le juge étatique comme juge
de contrôle après que le tribunal
arbitral a statué
12. Après que le tribunal a statué, l’intervention
du juge étatique n’est plus prévue au titre de
juge d’appui, mais bien comme juge de contrôle de ce qui a été décidé par le tribunal arbitral.
Ce contrôle est cependant limité. Tout d’abord,
il n’existe aucune possibilité de faire appel de
la sentence devant le juge étatique. Une procédure d’appel peut uniquement être prévue par
les parties devant un autre tribunal arbitral,
mais il est très rare que les parties le fassent28.
Le contrôle n’existe que vis-à-vis de certains
fondements limitativement énumérés par la loi,
sans révision au fond de ce qui a été jugé par les
arbitres, ni effet dévolutif29.
Nous examinerons ci-après les trois domaines
d’intervention du juge de contrôle : le recours
en annulation contre la sentence arbitrale (A),
la procédure de reconnaissance et exécution de
la sentence arbitrale (B), et enfin la procédure
de reconnaissance et exécution des mesures
provisoires et conservatoires prononcées par le
tribunal arbitral (C).
(26) Le juge d’appui pourra à ce moment-là lui ordonner
de venir témoigner devant lui.
(27) Cfr à propos de ces mesures, et plus généralement
du nouveau principe d’assistance générale de la juridiction étatique belge pour l’obtention des preuves, J. VAN
COMPERNOLLE, « Rôle respectif de l’arbitre et du juge étatique dans l’administration de la preuve en droit belge »,
in L’arbitre et le juge étatique (...), op. cit., pp. 189 et s.
(28) Cfr article 1716 du Code judiciaire : la possibilité
pour les parties d’organiser un appel de la sentence arbitrale, déjà prévue antérieurement, a été maintenue
dans le droit nouveau, même si elle ne se rencontre que
rarement, un tel appel pouvant être considéré comme
antinomique avec l’objectif de rapidité généralement recherché par les parties à l’arbitrage.
(29) À la différence du droit français, le droit belge ne
prévoit aucun cas dans lequel, après annulation de la
sentence, le juge étatique statue lui-même au fond,
même dans le cas d’arbitrages purement internes (mais
il est vrai que le droit belge ne prévoit pas de distinction
entre arbitrage interne et international). Ceci peut être
source de frustrations pour les parties, comme dans le
cas où un litige fait l’objet d’une sentence arbitrale qui
est annulée, d’un arbitrage recommencé, d’une nouvelle
annulation, etc., le processus peut paraître sans fin et
non raisonnable. Comp. en France, la procédure de révision pour fraude, où la cour d’appel se prononce le cas
échéant sur le fond du litige (cfr, dans l’affaire Tapie, premier arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 17 février
2015). Voir, en faveur d’un pouvoir d’évocation par le
juge de l’annulation : H. BOULARBAH, « Le juge étatique
“bon samaritain de l’arbitrage” (...) », op. cit., p. 767.
A. Recours en annulation
contre la sentence
1. Le juge de l’annulation
et la procédure
13. Recours en annulation. — Le recours en
annulation est celui par lequel une partie à l’arbitrage sollicite le juge étatique en vue de faire
annuler, en tout ou en partie, la sentence arbitrale rendue. La sentence ne sera annulée que
si un ou plusieurs motifs d’annulation — tels
qu’énumérés de manière limitative par la loi —
sont rencontrés30. Si la sentence est annulée,
elle est censée n’avoir jamais existé, et il appartient le cas échéant aux parties d’initier un nouvel arbitrage31.
14. Juge de l’annulation. — Le juge de l’annulation n’est pas identique au juge d’appui : il ne
s’agit pas du président du tribunal de première
instance statuant comme en référé, mais d’une
chambre ordinaire de ce tribunal, statuant au
fond. Son intervention revêt par ailleurs pleinement une nature juridictionnelle.
Comme pour le juge d’appui cependant, seuls
les tribunaux de première instance des cinq ressorts de Cour d’appel sont compétents, avec le
même objectif de spécialisation de la juridiction.
Le tribunal, saisi par citation, statue en premier
et dernier ressort (article 1680, § 5, du Code judiciaire). Il s’agit là d’une innovation majeure
de la réforme. Le législateur a voulu modifier le
régime antérieur, dans lequel la procédure en
annulation pouvait durer plusieurs années, en
tenant compte du fait que le recours était à
l’époque d’abord exercé devant le tribunal de
première instance, le jugement rendu pouvant
ensuite lui-même faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel, avec encore un recours
possible devant la Cour de cassation.
L’on conviendra que ceci n’était pas idéal, sachant que les parties choisissent généralement
l’arbitrage dans un souci de rapidité, et que, si
la sentence est finalement annulée, un second
arbitrage va devoir être mené32. C’est pour cette raison qu’un certain nombre de pays voisins
ont prévu de ne pas soumettre le contentieux
de l’annulation à un double degré de juridiction, soit en le confiant directement à la Cour
d’appel, comme en France, soit même en le
confiant directement à la Cour suprême, comme le fait la Suisse33.
(30) Au sujet du recours en annulation, il peut être fait
référence, pour le droit antérieur à la réforme, à l’étude
c o m p l è t e d e B. H A N O T I A U e t O. C A P R A S S E ,
« L’annulation des sentences arbitrales », J.T., 2004,
pp. 413 et s. Pour le droit issu de la réforme, voir
H. VERBIST, « De vordering tot vernietiging van de arbitrale uitspraak na de hervorming van het Belgische arbitragerecht door de Wet van 24 juni 2013 », in M. PIERS
(éd.) De nieuwe Arbitragewet 2013, op. cit., p. 105.
M. DAL, « Les recours contre les sentences arbitrales en
droit belge », in L’arbitrage et le juge étatique, op. cit.,
p. 345.
(31) Sauf si la sentence a été annulée en raison d’un grief
touchant à la validité de la convention d’arbitrage ou à
l’inarbitrabilité du litige (H. BOULARBAH, « Le juge étatique “bon samaritain de l’arbitrage” (...) », op. cit.,
p. 767).
(32) Sous la seule réserve, identifiée précédemment, du
cas où l’annulation est prononcée en raison d’un grief
qui touche à la validité de l’arbitrage ou à l’arbitrabilité
du litige.
(33) Le contentieux de l’annulation est directement jugé
par le Tribunal fédéral, équivalent de notre Cour de cassation.
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2015
DOCTRINE
En Belgique, le législateur a opté pour la compétence en premier et dernier ressort du tribunal de première instance, choix conjoncturel
principalement dicté par l’existence d’un important arriéré au niveau de certaines cours
d’appel du pays, en particulier à Bruxelles. Le
projet initial prévoyait que le recours serait jugé
par une chambre collégiale du tribunal, ce qui
était assez logique, vu l’absence d’appel contre
cette décision34. Pour tenir compte d’une observation formulée par le Conseil d’État35, le
gouvernement a cependant malheureusement
abandonné l’idée d’une chambre collégiale :
c’est donc par un juge unique au tribunal de
première instance que le recours sera tranché
en premier et dernier ressort36. Seul le recours
en cassation subsiste contre la décision rendue
(cfr article 609, § 1er, du Code judiciaire).
15. Conditions de recevabilité. — Pour que le
recours en annulation soit recevable, il est nécessaire que la sentence ne puisse plus être attaquée devant les arbitres (article 1717, § 1er,
du Code judiciaire). Il n’y a par ailleurs pas de
recours possible contre la seule sentence par laquelle tribunal se déclare compétent
(article 1690, § 4, du Code judiciaire).
Le recours en annulation doit être formé dans
les trois mois de la communication de la sentence ou de la communication de la décision
du tribunal arbitral en rectification ou interprétation (1717, § 4, du Code judiciaire). Ce délai
est en principe applicable à toutes les causes
d’annulation, en ce compris la contrariété à
l’ordre public, l’inarbitrabilité du litige ou la
fraude, alors qu’auparavant ces causes pouvaient être invoquées même en dehors du délai
de trois mois. Dans le cas de la fraude, l’absence de règle particulière quant au délai paraît résulter d’une omission du législateur ; il est dès
lors possible qu’un recours formé sur cette base
en dehors du délai puisse cependant être
admis37.
16. Subsidiarité du recours. — Plusieurs règles
sont inspirées par un objectif de « sauver » la
sentence, et de limiter l’annulation de celle-ci à
ce qui est réellement nécessaire.
Ainsi, certains griefs ne peuvent pas être invoqués si la partie qui en avait connaissance ne
s’en est pas prévalue pendant l’arbitrage
(article 1717, § 5, du Code judiciaire). Cette règle procède d’un principe de cohérence ou
« estoppel » qui se retrouve également à
l’article 1679 du Code judiciaire, qui énonce,
de manière générale, qu’« une partie qui, en
(34) Doc. parl., Ch., s.o. 2012-2013, Doc. 53 2743/001,
p. 49.
(35) Doc. parl., Ch, s.o. 2012-2013, Doc. 53 2743/001,
p. 84. Le Conseil d’État critiquait le fait que l’intervention du juge d’appui était le fait d’un juge unique, alors
qu’une chambre à trois juges était prévue pour le contentieux de l’annulation. Il ne comprenait pas la différence de nature de l’intervention du juge dans les deux
cas. Malheureusement le législateur, sans doute par facilité (ou par souci d’économie ?) a suivi son avis et prévu
dans tous les cas l’intervention d’un seul juge, sauf pour
les parties à en demander trois, cfr note suivante.
(36) Sauf pour les parties à solliciter une chambre collégiale, ce qu’elles peuvent toujours faire en vertu de
l’article 91, alinéa 8, du Code judiciaire, lorsque la demande est formulée avant tout autre moyen.
(37) Ce par application du principe général de droit
fraus omni corrumpit, même si, en principe, un principe
général de droit n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’un texte de loi clair en sens contraire. En revanche, il est reconnu que le principe général de droit a vocation à combler une lacune législative.
connaissance de cause et sans motif légitime,
s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée
avoir renoncé à s’en prévaloir ».38
Par ailleurs, le législateur a ajouté dans deux
griefs une condition d’incidence sur la sentence
(cfr infra), ceci également dans un but de limiter
l’annulation des sentences.
Enfin, autre règle ayant pour objectif de sauver
la sentence arbitrale lorsque c’est possible,
l’article 1717, § 6, du Code judiciaire prévoit la
possibilité pour le tribunal de suspendre la procédure d’annulation — à son initiative ou celle
d’une partie — « afin de donner au tribunal arbitral la possibilité de reprendre la procédure
arbitrale ou de prendre toute autre mesure que
ce dernier juge susceptible d’éliminer les motifs
d’annulation ».
Cette disposition s’inscrit dans une tendance
générale de sauvetage des décisions, arbitrales
ou judiciaires.39
2. Les griefs pouvant justifier
l’annulation
17. Article 34 de la loi type C.N.U.D.C.I. — Le
législateur a fait le choix, assumé, de remodeler
les causes d’annulation des sentences, par rapport au droit antérieur, en reprenant de manière
quasi textuelle l’article 34 de la loi type
C.N.U.D.C.I., lui-même inspiré de l’article V
de la Convention de New York. Il y a cependant
ajouté trois griefs supplémentaires, tandis qu’il
a complété dans un sens plus restrictif deux
d’entre eux.
Ce faisant, le législateur a réduit de 13 à 9 le
nombre de griefs d’annulation40 . Il a aussi
abandonné la règle, critiquée par une certaine
doctrine, selon laquelle une cause de récusation d’un arbitre ne pouvait constituer simultanément une cause d’annulation41.
18. Griefs devant être prouvés par le demandeur en annulation. — Suivant la structure de
loi type C.N.U.D.C.I., l’article 1717, § 3, du
Code judiciaire distingue, d’une part, entre les
griefs qui doivent être invoqués par le demandeur, et ceux que le juge peut lui-même constater.
(38) Cette disposition est elle-même une transposition
de l’article 4 de la loi type C.N.U.D.C.I.
(39) Cfr au sujet de cette tendance actuelle, parfois exprimée comme reflétant l’idée d’un « service aprèsvente » offert aux utilisateurs de la justice : article 1715
du Code judiciaire, concernant la possibilité pour le tribunal arbitral de rectifier, interpréter ou compléter la
sentence ; article 33 du règlement du CEPANI ;
article 35 du règlement de la C.C.I. Voir aussi la loi du
24 octobre 2013 et les articles 794 et suivants nouveaux
du Code judiciaire, concernant la possibilité pour le
juge étatique d’interpréter, rectifier et réparer l’omission
affectant sa décision.
(40) Les griefs qui ont été supprimés concernaient :
l’omission du tribunal de statuer sur un ou plusieurs
points du litige, le non-accomplissement de certaines
formalités, la sentence contenant des dispositions contradictoires, la sentence fondée sur une preuve reconnue
fausse, et la découverte depuis la sentence d’un document ou d’un élément de preuve qui aurait eu une influence décisive sur la sentence s’il avait été connu.
(41) Ancien article 1704, 5o, du Code judiciaire, règle
critiquée par H. BOULARBAH, « Ouvertures à cassation
des décisions judiciaires et causes d’annulation des sentences arbitrales : brèves comparaisons sur le contrôle
de deux catégories d’actes juridictionnels », in Mélanges
John Kirkpatrick, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 73 et s.,
p. 96, no 22. Quant à l’incidence de cet abandon, cfr
notre étude précitée, « Le devoir de révélation de
l’arbitre ».
43
Les griefs qui doivent être prouvés par le demandeur en annulation sont :
(i) l’incapacité d’une partie ou la non-validité
de la convention arbitrale, selon la loi choisie
par les parties ou, à défaut, selon le droit belge ;
(ii) le fait que la partie n’a pas été dûment informée de la désignation d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou le fait qu’il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses
droits ; dans ce dernier cas cependant, la sentence ne peut être annulée s’il est établi que l’irrégularité n’a pas eu d’incidence sur la sentence arbitrale42 ;
(iii) le fait que la sentence porte sur un différend
non visé ou n’entrant pas dans les prévisions de
la convention d’arbitrage, ou qu’elle contient
des décisions qui dépassent les termes de la
convention d’arbitrage, étant entendu toutefois
que si la dissociation est possible, seule la partie de la sentence contenant des décisions irrégulières est annulée ;
(iv) l’absence de motivation de la sentence43 ;
(v) l’irrégularité de la constitution du tribunal
arbitral ou de la procédure arbitrale, par rapport
à la convention des parties — à condition que
celle-ci ne soit pas elle-même contraire à une
règle de droit impérative applicable — ou, à défaut de telle convention, à la sixième partie du
Code ; en cas d’irrégularité de la procédure arbitrale, la sentence ne peut être annulée s’il est
établi que cette irrégularité n’a pas eu d’incidence sur la sentence44 ;
(vi) l’excès de pouvoir commis par le tribunal
arbitral45.
L’énumération faite par le législateur est
limitative ; les parties ne pourraient, conventionnellement, en ajouter d’autres46. Les griefs
(i), (ii), (iii) et (v) doivent avoir été invoqués par
la partie qui s’en prévaut pendant l’arbitrage ; à
défaut, elle ne sera pas recevable à le faire au
stade de l’annulation (article 1717, § 5, du
Code judiciaire).
19. Griefs pouvant être soulevés d’office par le
juge de l’annulation. — Le législateur a retenu
les trois griefs suivants qui, en raison de leur importance, peuvent être soulevés d’office par le
juge :
(i) l’objet du différend n’est pas susceptible
d’être réglé par l’arbitrage ;
(ii) la sentence est contraire à l’ordre public ;
(iii) la sentence a été obtenue par fraude.47
(42) Cette condition d’incidence a été ajoutée par le législateur belge ; elle ne figure pas à l’article 34 (2) (a) (ii)
de la loi type C.N.U.D.C.I.
(43) Ce grief ne figure pas dans la loi type C.N.U.D.C.I.
Il était déjà prévu dans le droit belge antérieur (cfr
article 1704.2.i du Code judiciaire dans sa version antérieure à la loi du 24 juin 2013).
(44) Comme la précédente, cette condition d’incidence
a été ajoutée par le législateur belge ; elle ne figure pas
à l’article 34 (2) (a) (iv) de la loi type C.N.U.D.C.I.
(45) Ce grief ne figure pas dans la loi type C.N.U.D.C.I.
Il était déjà prévu dans le droit belge antérieur (cfr
article 1704.2.d) du Code judiciaire dans sa version antérieure à la loi du 24 juin 2013. Ce grief n’est pas
théorique ; ainsi, notamment, il est rencontré lorsque les
arbitres ont rendu leur sentence après l’échéance du délai que les parties leur avaient fixé ; cfr Cass., 5 mars
2009, R.W., 2010, p. 487.
(46) B. HANOTIAU et O. CAPRASSE, « L’annulation des
sentences arbitrales », J.T., 2004, p. 417, no 28. La situation demeure inchangée après la réforme.
(47) Ce grief ne figure pas dans la loi type C.N.U.D.C.I.
Il était déjà prévu dans le droit belge antérieur (cfr
article 1704, 3o) qui détaillait même ce grief en trois situations différentes : sentence obtenue par fraude, sen-
JTL_038_02_2015.fm Page 44 Monday, May 11, 2015 1:42 PM
44
3. La possibilité d’exclure
conventionnellement le recours
en annulation
20. En vertu de l’article 1718 du Code judiciaire, les parties à l’arbitrage peuvent, si elles ne
sont ni belges ni pourvues en Belgique d’un domicile, résidence, siège statutaire, principal
établissement ou d’une succursale, exclure le
recours en annulation d’une sentence arbitrale.
Cette exclusion doit se faire par une déclaration
expresse dans la convention d’arbitrage ou
dans une convention expresse. La réforme n’a
pas altéré la règle qui était déjà prévue à
l’article 1717, 4o, du Code judiciaire, dans sa
version antérieure48.
On retrouve donc ici le principe d’autonomie
de la volonté sur lequel l’arbitrage est fondé :
lorsque les parties n’ont pas de lien avec la Belgique, elles peuvent préalablement exclure toute intervention du juge belge au stade de l’annulation. Dans ce cas, le seul contrôle judiciaire possible se fera au stade de la
reconnaissance et de l’exécution de la sentence, dans le ou les pays où elles seront poursuivies.
B. La procédure de reconnaissance
et exécution de la sentence arbitrale
21. Exequatur de la sentence. — La sentence
arbitrale bénéficie, dès son prononcé, de
l’autorité de la chose jugée, mais pas de la force
exécutoire. C’est là une différence avec les jugements rendus par les tribunaux étatiques, qui
s’explique par le fait que seul l’État bénéficie du
pouvoir de contrainte ou imperium49. Si la partie condamnée par une sentence arbitrale
n’exécute pas volontairement sa condamnation, l’autre partie doit dès lors recourir au juge
étatique afin que celui-ci lui confère la force
exécutoire, ce qui est nécessaire afin de permettra son exécution forcée en Belgique. La
procédure d’exequatur est nécessaire à cette fin
tant en ce qui concerne les sentences rendues
en Belgique que les sentences rendues à
l’étranger, le Code organisant une seule procédure applicable dans les deux hypothèses50.
Elle ne peut jamais être exclue51.
tence fondée sur une preuve déclarée fausse par une décision judiciaire passée en force de chose jugée ou sur
une preuve reconnue fausse, découverte depuis son prononcé d’un document ou autre élément de preuve qui
aurait eu une influence décisive sur la sentence et qui
avait été retenu par le fait de la partie adverse.
(48) On rappellera que cette exclusion du recours en
annulation pour les parties non liées à la Belgique avait
d’abord été prévue comme automatique. Vu le peu de
succès rencontré par la mesure, le législateur a, en 1998,
modifié la règle pour rendre l’exclusion optionnelle, à
l’instar de ce qui est prévu en droit suisse. Dans sa récente réforme, le droit français a repris une règle similaire.
(49) Cfr à ce sujet, C. J AROSSON , « Réflexions sur
l’imperium », in Études offertes à P. Bellet, Paris, Litec,
1991.
(50) Dans le droit antérieur, des dispositions différentes
(mais fort similaires) régissaient les deux situations.
(51) Pour une étude récente du droit de l’exequatur
après la réforme de 2013, voir J. ERAUW, « Rond arbitrage rijzen vragen van internationale aard inzake bevoegdheid, toepasselijk recht en exequatur », in M. PIERS
(éd.), De nieuwe Arbitragewet, op. cit., pp. 131 et s.
2015
DOCTRINE
1. Le juge de l’exequatur
et la procédure
22. Juge de l’exequatur. — Le juge de l’exequatur est le même que le juge de l’annulation, à
savoir une chambre ordinaire du tribunal de
première instance, seul cinq d’entre eux étant
compétent52.
Le tribunal territorialement compétent est le tribunal de première instance du siège de la Cour
d’appel dans le ressort duquel la personne contre laquelle la déclaration exécutoire est demandée a son domicile et, à défaut de domicile, sa résidence habituelle ou, le cas échant,
son siège social, ou à défaut, son établissement
ou sa succursale. Si cette personne n’a ni domicile, ni résidence habituelle, ni siège social ni
établissement ou succursale en Belgique, la demande est portée devant le tribunal de première instance du siège de la Cour d’appel de l’arrondissement dans lequel la sentence doit être
exécutée (article 1720, § 2, du Code judiciaire).
La demande en exequatur est introduite et instruite sur requête unilatérale. L’ordonnance accordant l’exequatur est toutefois susceptible de
tierce opposition, donnant naissance à un débat contradictoire.
23. Conditions de recevabilité. — Comme
pour le recours en annulation, l’article 1719,
§ 2, énonce que la sentence arbitrale ne peut
faire l’objet d’un exequatur que si elle ne peut
plus être attaquée devant les arbitres, ce qui
suppose que les parties n’aient pas organisé de
procédure d’appel.
La partie qui requiert l’exequatur doit fournir
l’original de la sentence ou une copie certifiée
conforme, ainsi que l’original de la convention
d’arbitrage ou une copie certifiée conforme.
24. Prévalence d’un traité international. —
Lorsqu’il y a lieu à application d’un traité international, celui-ci prévaut sur les dispositions de
droit belge (article 1721, § 3, du Code judiciaire). Dans ce cas, la procédure d’exequatur a
lieu en principe selon les dispositions du Code,
mais les motifs de refus d’exequatur à examiner
sont ceux prévus par un tel traité53.
25. Jugement d’exequatur donnant lieu aux
droits d’enregistrement. — L’exequatur en Belgique d’une sentence arbitrale belge ou étrangère donne lieu à un droit d’enregistrement de
3 %, à payer par le débiteur, ce qui est de nature à favoriser l’exécution spontanée des sentences arbitrales54.
2. Les griefs justifiant le refus
d’exequatur
26. Article 36 de la loi type C.N.U.D.C.I. —
Comme pour les motifs d’annulation, le législateur a calqué les griefs justifiant un refus d’exequatur sur ce qui est prévu à la loi type
(52) Dans le droit antérieur, la compétence était donnée
au président du tribunal de première instance (cfr
article 1710, 1 o , ancien du Code judiciaire et
article 1719, 1o, ancien du Code judiciaire).
(53) Par exemple, dans un cas d’application de la Convention de New York.
(54) Cfr pour un examen approfondi de la question,
Y. HERINCKX, « Droits d’enregistrement et sentences
arbitrales », b-Arbitra, 2013, pp. 275 et s. et « Droits
d’enregistrement et sentences arbitrales : nouveaux
développements », b-Arbitra, 2014, pp. 421 et s.
C.N.U.D.C.I. (elle-même inspirée de l’article V
de la Convention de New York), reprenant tant
l’architecture de celle-ci que le texte des griefs
eux-mêmes, sous réserve de quelques modifications.
27. Griefs devant être prouvés par le requérant. — Les sept griefs suivants doivent être
prouvés par le requérant (article 1721, § 1er, a),
du Code judiciaire) :
(i) l’incapacité d’une partie ou la non-validité
de la convention arbitrale (selon la loi choisie
par les parties ou, à défaut, selon loi du pays où
la sentence a été rendue) ;
(ii) le fait que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de
la nomination d’un arbitre ou de la procédure
arbitrale, ou qu’il lui a été impossible pour une
autre raison de faire valoir ses droits ; dans ce
cas il n’y a cependant refus de reconnaissance
ou de déclaration exécutoire si l’irrégularité n’a
pas eu d’incidence sur la sentence55 ;
(iii) la sentence porte sur un différend non visé
ou n’entrant pas dans les prévisions de la convention d’arbitrage, ou contient des décisions
qui dépassent les termes de la convention d’arbitrage, étant entendu toutefois que si la dissociation est possible, seule la partie de la sentence contenant des décisions irrégulières est
annulée ;
(iv) la sentence n’est pas motivée « alors qu’une
telle motivation est prescrite par les règles du
droit applicables à la procédure arbitrale dans
le cadre de laquelle la sente nce a été
prononcée » ;56
(v) la constitution du tribunal arbitral, ou la procédure arbitrale, n’a pas été conforme à la convention des parties ou, à défaut, à la loi du pays
où l’arbitrage a eu lieu ; cependant, sauf l’irrégularité touchant la constitution du tribunal arbitral, les irrégularités ne peuvent donner lieu à
refus de reconnaissance ou de déclaration exécutoire de la sentence arbitrale si elles n’ont pas
eu d’incidence sur la sentence57 ;
(vi) la sentence n’est pas encore devenue obligatoire ou a été annulée ou suspendue par un
tribunal du pays dans lequel ou en vertu de la
loi duquel elle a été rendue ;
(vii) le tribunal arbitral a excédé ses pouvoirs.
28. Griefs pouvant être soulevés d’office par le
juge de l’exequatur. — Le législateur a retenu
les deux griefs suivants qui, en raison de leur
(55) On retrouve ici, comme pour le grief d’annulation,
l’exigence que la violation des droits de la défense ait eu
un impact sur la sentence, ce en vue d’éviter que la sentence ne soit pas reconnue et exécutée en raison d’un
vice de pure forme.
(56) Le grief d’absence de motivation ne se retrouve pas
dans la loi type, pas plus qu’à l’article V de la Convention de New York. Par rapport à sa formulation au titre de
motif d’annulation, il est précisé ici que l’absence de
motivation est prise en compte si le droit applicable à la
procédure arbitrale prescrivait une telle motivation. Le
texte semble donc considérer, à l’instar de la doctrine
traditionnelle, qu’une sentence arbitrale étrangère non
motivée pourrait être reconnue et exécutée en Belgique
si cette absence de motivation est conforme au droit applicable à l’arbitrage, et que cette reconnaissance ne serait pas contraire à l’ordre public international belge.
Une telle opinion a cependant récemment été remise en
cause ; cfr Civ. Bruxelles, 30 mars 2011, R.D.C./T.B.H.,
2012, p. 186, note C. VERBRUGGEN, « Le refus d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère dépourvue de
motivation ».
(57) Cfr supra, examen du grief d’annulation similaire :
exigence d’impact sur la sentence.
JTL_038_02_2015.fm Page 45 Monday, May 11, 2015 1:42 PM
2015
45
DOCTRINE
C. La procédure de reconnaissance
et exécution des mesures provisoires
et conservatoires prononcées
par le tribunal arbitral
29. Exequatur d’une mesure provisoire ou conservatoire prononcée par un tribunal arbitral.
— Le législateur, inspiré par les articles 17 H et
I de la loi type C.N.U.D.C.I., a instauré en droit
belge une procédure de reconnaissance et exécution des mesures provisoires et conservatoires prononcées par un tribunal arbitral. Ce régime est applicable quel que soit le pays où la
mesure a été prononcée (décision belge ou
étrangère) (cfr article 1696 du Code judiciaire).
Le juge compétent est le tribunal de première
instance58. La règle de compétence territoriale
n’est pas précisée, pas plus que ne l’est le mode
d’introduction ; de ce dernier silence, on devrait en principe déduire que la procédure est
introduite par citation, sauf s’il s’agit de mesures provisoires ou conservatoires prononcées
par une véritable sentence arbitrale.
Le tribunal peut subordonner le caractère exécutoire de la mesure à la constitution d’une garantie (article 1696, § 3, du Code judiciaire).
Pour accorder ou refuser la force exécutoire, le
tribunal ne procède à aucune révision au
fond59. Il ne peut qu’examiner les motifs de refus limitativement énumérés.
réfère simplement à la disposition similaire
concernant les griefs pouvant être soulevés
d’office par le juge de l’exequatur d’une sentence arbitrale.
cessus arbitral n’intervient pas en accord avec
les principes fondamentaux de celui-ci, comme
le respect des droits de la défense. Il est cependant tout aussi essentiel que l’intervention du
juge étatique soit organisée de manière efficace
et rapide, afin de préserver le choix des parties
d’une procédure en principe rapide.
6
Sur ce point, la récente réforme de 2013 a nettement amélioré l’intervention du juge étatique,
en éliminant le double degré de juridiction, en
limitant le nombre de tribunaux concernés
pour y accroître une certaine spécialisation, et
en consacrant une intervention plus rapide du
juge d’appui, par le biais de la procédure comme en référés.
Conclusions
32. Le rôle du juge étatique est fondamental, et
ce même si un arbitrage réussi est en principe
un arbitrage sans juge étatique
L’examen « chronologique » de l’intervention
du juge étatique en rapport avec les procédures
d’arbitrages auquel nous avons brièvement procédé permet également de faire apparaître l’importance croissante de cette intervention60 .
L’intervention du juge d’appui peut généralement être exclue par les parties, ce qui découle
de la simple référence à un règlement d’arbitrage qui règle lui-même la plupart des incidents
que le juge d’appui aurait pu régler, l’intervention du juge de l’annulation peut l’être dans
certains cas (si les parties n’ont aucun lien avec
la Belgique), tandis que l’intervention du juge
de l’exequatur de la sentence ne pourra jamais
être exclue.
L’intervention du juge étatique est essentielle
pour garantir un recours aux parties si le pro(60) Cfr dans le même sens, avec même un plaidoyer
pour accentuer ce caractère croissant : H. BOULARBAH,
« Le juge étatique “bon samaritain de l’arbitrage” (...) »,
op. cit., pp. 753 et s.
30. Griefs justifiant le refus d’exequatur des
mesures provisoires ou conservatoires devant
être prouvés par le requérant. — Les griefs justifiant le refus d’exequatur des mesures provisoires et conservatoires devant être prouvés par
le requérant sont :
(i) les griefs prévus à l’article 1721, § 1er, a), (i)
à (v) du Code judiciaire (cfr supra, griefs devant
être prouvés par le requérant sollicitant l’exequatur d’une sentence, (i) à (v)) ; ou
(ii) le fait que la mesure provisoire ou conservatoire a été rétractée ou suspendue par le tribunal arbitral ou annulée ou suspendue par le tribunal de l’État dans lequel a lieu l’arbitrage ou
conformément à la loi selon laquelle cette mesure a été accordée (1697, § 1er, a), (iii), du
Code judiciaire) ; ou
(iii) le fait que la décision du tribunal arbitral
concernant la constitution d’une garantie n’a
pas été respectée.
(58) Une chambre ordinaire du tribunal, à juge unique.
(59) Ceci est précisé par l’article 1697, § 2, du Code
judiciaire : « Le tribunal (...) n’examine pas, lorsqu’il
prend sa décision, le bien-fondé de la mesure provisoire
ou conservatoire ».
Les parties et les arbitres n’auront qu’à s’en
féliciter !
Caroline VERBRUGGEN
Juge au tribunal de première instance
francophone de Bruxelles61
(61) Les opinions exprimées dans ce texte sont les vues
strictement personnelles de l’auteur, exposées lors de la
conférence relative au rôle de la magistrature dans le développement de l’arbitrage qui s’est tenue le lundi
13 octobre 2014 à Luxembourg, organisée par la Chambre de commerce de Luxembourg et le Think Tank pour
le développement de l’arbitrage à Luxembourg.
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n
31. Griefs pouvant être constatés d’office par
le juge de l’exequatur - Renvoi. —
L’article 1697, § 1er, b), du Code judiciaire se
Avec la nette amélioration de l’intervention du
juge étatique qui en résulte, on peut penser
que, désormais en Belgique, l’intervention du
juge étatique dans un arbitrage jouera son rôle
de « filet de sécurité », empêchant un arbitrage
irrégulier de sortir ses effets, sans que cette intervention du juge n’ait un effet d’enlisement de
la procédure.
Also
a
importance, peuvent être soulevés d’office par
le juge :
(i) l’objet du différend n’est pas susceptible
d’être réglé par l’arbitrage ;
(ii) la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public.
Par rapport au grief d’annulation similaire, on
notera la formulation différente du grief de contrariété à l’ordre public : il faut que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence arbitrale soit contraire à l’ordre public.
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2015
46
DOCTRINE
Le point de vue luxembourgeois
1. Le Think Tank pour le développement de
l’arbitrage à Luxembourg, créé en octobre 2013
à l’initiative de Me Vincent Bollard, nous invite
dans le cadre de cette conférence à nous interroger sur le rôle de la magistrature dans le développement de l’arbitrage, étant sous-entendu
qu’il s’agit à première vue d’analyser l’influence positive que la magistrature peut insuffler au
développement de l’arbitrage. Dans une approche comparatiste, l’objectif de la conférence
consiste à juxtaposer les vues et les expériences
luxembourgeoise, française et belge afin de
pouvoir en tirer des conclusions sur les travaux
du Think Tank. Chargé de présenter le point de
vue luxembourgeois, la tâche se présente à première vue comme étant assez aride, tant il est
vrai que l’arbitrage, et par voie de conséquence
la jurisprudence sur l’arbitrage, est peu développé au Luxembourg. Par ailleurs, la législation régissant l’arbitrage semble dépassée,
vieillotte et lacunaire. On serait finalement tenté de dire que la doctrine sur l’arbitrage représente l’aspect le plus abouti dans cet environnement juridique1. Dans ces conditions, c’est
de l’accord des coorateurs que nous avons décidé d’adopter une vue plus générale et de
planter le décor afin de relever les nombreux
aspects sur lesquels on peut s’interroger en réfléchissant au rôle du magistrat dans le développement de l’arbitrage, en agrémentant ce
tour d’horizon des quelques fleurs que nous offre la situation juridique propre au Luxembourg.
2. En guise d’introduction, il convient dans un
premier temps de circonscrire la notion d’arbitrage. Celui-ci peut être défini comme étant un
mode de règlement juridictionnel d’un litige
par une autorité (le ou les arbitres) qui tient son
pouvoir de juger non d’une délégation permanente de l’État ou d’une institution internationale, mais de la convention des parties2. En termes raccourcis, ou vulgarisés, d’aucuns parlent
de justice privée. La caractéristique institutionnelle essentielle de l’arbitrage réside ainsi dans
l’absence de pouvoir juridictionnel obligatoire
au profit de l’instance arbitrale, et dans la création de ce pouvoir à travers la volonté commune des parties qui conviennent par la voie conventionnelle de soumettre leur différend à un
ou plusieurs arbitres. L’arbitrage en tant qu’institution privée s’oppose ainsi en de nombreux
points à la justice étatique.
3. Cette opposition étant caractérisée, il faut
brièvement s’interroger sur les raisons qui poussent les parties à avoir recours à l’arbitrage, et
par voie de conséquence sur les raisons qui devraient amener un législateur à vouloir appuyer
le développement de l’arbitrage. Ces raisons
sont essentiellement au nombre de trois.
D’une part, le processus arbitral est marqué par
un haut degré de confidentialité et de discrétion, pour ne pas dire de secret. Dans certaines
catégories de litiges, il peut être de l’intérêt personnel, professionnel, commercial ou écono(1) P. KINSCH, « La législation luxembourgeoise en matière d’arbitrage », Bull. du Cercle François Laurent,
1997, bulletins II et III.
(2) G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri
Capitant, P.U.F.
mique des parties à ce que le processus de résolution du litige se déroule hors des feux de la
rampe. S’il est vrai que la publicité des débats
et des décisions des juridictions étatiques constitue une des garanties essentielles à un procès
équitable et transparent, il n’en est pas moins
vrai que pareille publicité peut dans certaines
circonstances apporter plus de nuisances que
d’effets bénéfiques. Il apparaît donc opportun
de proposer aux parties des modes de résolution de leurs litiges qui soient soustraits à la
pression qui peut résulter d’un débat public.
L’arbitrage offre cette possibilité en faisant
échapper tant la procédure que souvent la sentence arbitrale finale à la connaissance du
grand public.
D’autre part, le processus arbitral peut permettre aux parties de résoudre leurs conflits endéans un laps de temps plus réduit que ne le
permettrait le recours à une juridiction étatique.
L’idée de célérité semble consubstantielle à la
notion d’arbitrage3, et les arbitres sont généralement conscients des attentes des parties. Ceci
ne signifie pas que des procédures d’arbitrage
ne puissent pas s’éterniser pendant des mois ou
même des années, mais l’idée généralement
admise est toutefois que les arbitres agissent rapidement.
De troisième part, le recours à l’arbitrage assure
aux parties un haut degré de flexibilité. Il leur
permet de choisir leurs juges. Cette possibilité
du choix ne doit pas être vue comme étant affectée d’une connotation péjorative ou comme
signe de défiance à l’égard des juridictions étatiques, mais il est un fait que certains litiges requièrent des compétences soit techniques, soit
juridiques particulières que les parties ne sont
pas certaines de rencontrer au sein des juridictions étatiques. L’arbitrage leur permet ainsi de
désigner des personnes revêtues des compétences requises pour régler leur différend. La flexibilité s’exprime encore à travers les règles de
procédure auxquelles les parties s’astreignent,
en ce qu’elles peuvent librement constituer le
corps de règles procédurales sous l’égide duquel l’arbitrage se déroule.
Un quatrième argument, tenant au coût de la
procédure et en ce que l’arbitrage permettrait
de faire des économies en comparaison avec le
recours à une juridiction étatique, est plus controversé. Il semble certain que chacune des parties doit, tout comme dans les procédures étatiques, honorer les prestations fournies par ses
conseils, et qu’elles doivent en sus supporter le
coût des honoraires et frais du ou des arbitres,
alors que les juridictions étatiques sont financées par le budget de l’État sans contributions
particulières par les litigants. Le coût financier
pur de l’arbitrage semble donc supérieur. Mais
on peut y opposer un potentiel gain en honoraires des conseils juridiques des parties, si la pro(3) À titre d’exemple, on note en droit luxembourgeois
que l’article 1228 du Nouveau Code de procédure civile
fixe la durée maximale de l’instance arbitrale, sauf accord contraire des parties, à trois mois, et que
l’article 1233 dispose expressément que le compromis
prend fin à l’expiration du délai applicable, la jurisprudence affectant le dépassement de ce délai de la sanction de la nullité de la sentence arbitrale (Trib. arr.
Luxembourg, 3 janvier 1966, Bull. du Cercle François
Laurent, 1996, no II, pp. 282-292).
cédure arbitrale se déroule plus rapidement
qu’une procédure judiciaire étatique, ainsi que
le gain immatériel que les parties peuvent escompter en termes de sécurité juridique accrue
lorsque leur différend est toisé par des professionnels aguerris dans un domaine particulier
et en un laps de temps réduit par rapport à ce
que nécessiterait une procédure étatique.
4. Ces avantages liés à la procédure d’arbitrage
ont conduit au fil du temps à son expansion qui
se manifeste à travers plusieurs éléments.
Il faut d’abord souligner l’existence de nombreux organismes nationaux et internationaux
auxquels les parties peuvent avoir recours pour
organiser la mise en place d’une procédure
d’arbitrage4. Ces organismes peuvent fournir de
nombreux éléments indispensables au bon déroulement des procédures, tels que des arbitres,
une infrastructure immobilière, un support logistique, un corps de règles procédurales.
En termes quantitatifs, le nombre de litiges traités par voie d’arbitrage est en croissance constante, que l’on considère ces chiffres en termes
de nombre de litige ou d’impact économique à
travers la valeur des transactions concernées.
L’importance de l’arbitrage se reflète finalement
dans les textes normatifs internationaux. Le texte le plus important est constitué par la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance de l’exécution des sentences arbitrales étrangères. D’autres aspects sont traités
par d’autres conventions, souvent régionales,
telles que la Convention européenne du
21 avril 1961sur l’arbitrage commercial international.
Même des actes normatifs auxquels l’arbitrage
est en principe étranger s’intéressent à l’institution. L’exemple récent le plus frappant est le règlement (U.E.) n° 1215/2012 du Parlement
européen et du Conseil du 12 décembre 2012
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles Ibis).
En vertu de son article 1er, § 2, d), l’arbitrage est
expressément exclu de son champ d’application. Mais le considérant n° 12 consacre quatre
alinéas exhaustifs aux implications que cette
exclusion a sur la question de savoir si une convention d’arbitrage est caduque, inopérante ou
inapplicable et sur la portée de l’exclusion au
regard des problèmes relatifs à des demandes
accessoires (constitution du tribunal arbitral,
compétence des arbitres, déroulement de la
procédure arbitrale) et au regard de l’annulation, de la révision, de la reconnaissance et de
l’exécution d’une sentence arbitrale : il est précisé que l’exclusion s’étend à tous ces aspects.
Ces développements consacrés à l’arbitrage par
ce considérant culminent dans l’affirmation de
la primauté de la Convention de New York de
1958 sur le règlement no 1215/20125.
(4) Pour ne mentionner que quelques-uns de ces organismes, citons la ICC (International Chamber of Commerce), International Court of Arbitration à Paris, la
Chambre de commerce à Luxembourg, le Centre belge
d’arbitrage et de médiation à Bruxelles, la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale à Zurich ou la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève.
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2015
DOCTRINE
5. L’arbitrage a ainsi su prendre ainsi sa place
nonobstant les défis et les problèmes tant pratiques que juridiques auxquels il se trouve confronté.
Parmi ces problèmes, il faut souligner en premier lieu les problèmes d’efficacité auxquels se
heurte la procédure d’arbitrage. Elle vit de son
acceptation par les parties concernées, qui y
ont recours volontairement et sont censées se
soumettre au verdict rendu par les arbitres en
l’exécutant volontairement. Tel n’est cependant
malheureusement pas toujours le cas, et l’exécution forcée de la sentence arbitrale se heurte
alors à ce qui fait au départ sa force : étant de
nature conventionnelle, elle se trouve dépourvue de l’autorité que confère à une décision de
justice son origine étatique. La sentence arbitrale ne peut donc être mise à exécution en tant
que telle sans intervention de la justice étatique. L’ordre juridique mondial a pourvu à ces
problèmes à travers la Convention de New York
de 1958 et les différents ordres juridiques nationaux ont organisé des procédures de reconnaissance des sentences arbitrales.
Au Luxembourg, ces procédures sont régies par
les articles 1241 et suivants du Nouveau Code
de procédure civile qui opèrent, à l’instar de
nombreux autres droits nationaux, une différence entre sentences arbitrales nationales, qui
sont reconnues à travers une ordonnance du
président du tribunal d’arrondissement dont les
effets peuvent être contestés par une action en
nullité portée devant le tribunal d’arrondissement avec la possibilité d’un appel subséquent
devant la Cour d’appel, et les sentences arbitrales étrangères, qui sont reconnues par le biais
d’une ordonnance du président du tribunal
d’arrondissement soumise à contrôle par un recours porté directement devant la Cour d’appel.
Ces questions d’efficacité de la sentence arbitrale à l’issue de la procédure trouvent un corollaire au seuil de l’instance arbitrale lorsqu’il
s’agit de démarrer la procédure. À un stade ultérieur, d’autres questions encore peuvent venir
perturber le déroulement normal de la procédure arbitrale.
Le problème provient de ce que l’accord conventionnel qui met en place l’arbitrage entre
deux ou plusieurs parties ne peut en règle générale prévoir tous les détails et incidents qui peuvent émailler la procédure. Il en est certainement ainsi de la simple clause compromissoire
insérée dans un contrat qui impose le recours à
l’arbitrage pour pallier les éventuels problèmes
qui pourraient surgir à l’occasion de l’exécution (ou de l’inexécution) de ce contrat. Pouvant être plus ou moins complète, elle n’envisage pas le cas concret qui donne naissance au litige et risque d’être lacunaire. Il en est encore
souvent ainsi du compromis d’arbitrage qui règle, une fois le différend né, le recours des parties à l’arbitrage. Conclu en présence d’un litige
né et actuel, le compromis est généralement
plus précis et plus pertinent que le compromis
quant aux points à régler pour démarrer efficacement la procédure. Mais il peut néanmoins
présenter des lacunes.
(5) Pour une présentation plus complète de l’interaction
entre le règlement 1215/2015 et l’arbitrage, voir notamment S. MENÉTREY et J.-B. RACINE, « L’arbitrage et le règlement Bruxelles Ibis », in E. GUINCHARD (dir), Le nouveau règlement Bruxelles Ibis, Bruxelles, Bruylant, 2014.
Les parties doivent alors disposer d’une solution de recours pour régler leurs problèmes de
mise en place et de déroulement de la procédure afin de tirer le plein profit de leur volonté de
recourir à l’arbitrage. Différentes voies sont
possibles.
Celle qui cadre le plus avec l’origine conventionnelle de l’arbitrage est celle qui amène les
parties à trouver un accord pour résoudre la
question litigieuse. Mais dans la mesure où la
situation est contentieuse et conflictuelle, cette
voie n’est pas toujours praticable.
Une deuxième solution consiste à avoir recours
au soutien fourni par les organismes nationaux
et internationaux qui appuient le développement de l’arbitrage. Cette voie a pu être prévue
dès la clause compromissoire ou le compromis
d’arbitrage, et elle peut être employée de l’accord des parties, à l’effet de confier à un tel organisme le soin de régler les points litigieux.
Mais cette voie relève à nouveau d’un accord
entre parties. Et il a même pu arriver que l’institution désignée ne fût pas clairement identifiable, empêchant qu’il y soit pris recours.
La troisième issue finalement consiste à avoir
recours au juge étatique en lui demandant de
résoudre le conflit qui forme obstacle au démarrage et/ou au déroulement de la procédure
d’arbitrage. C’est ainsi que le juge étatique est
amené à jouer un rôle dans le développement
de l’arbitrage à travers ce qu’il est admis d’appeler le juge d’appui.
6. La place du juge d’appui dans l’architecture
du processus de règlement des litiges à travers
l’arbitrage étant ainsi brièvement définie, il reste à remplir cette notion de vie, ce qui amène à
s’interroger successivement sur ses pouvoirs
(1), ses compétences (2) et les conditions de
l’efficacité de son intervention (3)6.
Les pouvoirs du juge d’appui
7. La notion de pouvoir dans ce contexte vise à
s’interroger sur le rôle du juge d’appui à l’égard
du fondement juridique de son intervention,
qui est constitué par la nécessité de donner
plein effet à l’accord des parties d’avoir recours
à une procédure d’arbitrage pour régler leur différend. Il est certain qu’en l’absence de pareil
accord, l’arbitrage ne peut avoir lieu et l’intervention du juge d’appui ne se conçoit donc
pas. Cet accord, consigné dans la clause compromissoire figurant au contrat de base ou dans
un compromis autonome négocié après la survenance du litige, peut être plus ou moins bien
rédigé, de même qu’il peut être plus ou moins
complet, pouvant laisser ouvertes beaucoup de
choses, allant de questions fondamentales, tel
que la question de la validité même de l’accord, jusqu’à des questions purement accessoires ou pratiques liées au déroulement de la procédure.
(6) Ces développements conduisent à aborder non seulement le juge d’appui au sens communément admis
aujourd’hui, mais plus globalement l’intervention de
tout juge étatique. Ces domaines d’intervention d’autres
juges étatiques que le juge d’appui sont spécialement
mentionnés (cfr infra, au no 16 pour la récusation et au
no 25 pour les mesures provisoires) et les conclusions
pertinentes sont relevées par la suite (cfr infra,
sub no 31).
47
La question fondamentale qui se pose est ainsi
celle de savoir s’il appartient au juge d’appui de
combler toutes les lacunes que présente l’accord des parties afin de sauver le processus arbitral d’un blocage dans lequel il pourrait se retrouver lorsque les parties n’arrivent pas à trouver une issue consensuelle.
8. Une première interrogation fait appel à la
question de savoir si l’intervention du juge
d’appui et ses pouvoirs devraient varier selon
que l’arbitrage prend appui sur une clause
compromissoire ou un compromis. Il pourrait
être soutenu que la clause compromissoire, rédigée ex ante, n’a pas pu entrevoir toutes les hypothèses et peut ainsi plus facilement justifier
l’intervention du juge étatique appelé à en
combler les lacunes, alors que le compromis,
rédigé une fois le litige né, aurait dû aborder
tous les problèmes auxquelles les parties se
heurtent dans le cadre de l’organisation de l’arbitrage et que faute par elles d’y avoir veillé, il
n’appartiendrait pas au juge étatique d’y pourvoir.
Il ne semble pas toutefois qu’une telle distinction doive être retenue. L’objectif de l’institution du juge d’appui est d’apporter son soutien
à toute procédure d’arbitrage, peu importe son
origine et les circonstances de sa genèse. Il
n’existe aucune raison majeure de priver les arbitrages engendrés à travers un compromis d’un
appui qu’on accorderait à une clause compromissoire. Il faut écarter toute idée d’une sanction « privée » qui viendrait frapper les parties
en raison de leur incapacité à prévoir ou à régler tous les incidents par la voie consensuelle.
Abonder en ce sens reviendrait finalement à
priver l’arbitrage d’un soutien indispensable à
son bon fonctionnement.
9. Le point crucial touchant l’intervention du
juge d’appui tient à la technique et à la méthodologie du travail juridictionnel. Le juge étatique ne peut pas créer le droit. Son rôle consiste
à l’appliquer, qu’il soit de source nationale ou
internationale, légale (au sens large) ou conventionnelle. Dans le cadre du soutien apporté
à l’arbitrage, il s’agit pour lui d’appliquer l’accord contractuel des parties (clause compromissoire ou compromis). Ainsi, la mise en œuvre d’un accord contractuel fait appel, sauf l’hypothèse de la stipulation claire, à une
démarche d’interprétation de la stipulation
contractuelle.
Or l’accord d’arbitrage, comme toute autre
clause contractuelle, peut être affecté de tares
diverses, allant de la simple rédaction négligente sans réel impact objectivement vérifiable sur
sa portée à l’absence pure et simple de stipulation pour régler un problème spécifique.
Le juge étatique se retrouve dans son rôle naturel lorsqu’il procède à l’interprétation des stipulations contractuelles obscures, ambiguës ou
en apparence contradictoires. Il semble encore
logique que ce faisant, il fasse application des
règles communément admises en matière d’interprétation des contrats, notamment en ce
qu’il doit rechercher la commune intention des
parties et donner aux clauses qui lui sont soumises un sens qui permet d’en assurer l’application, plutôt qu’un sens qui conduirait à leur
ineffectivité7.
(7) On relira à cet effet utilement les articles 1156 à
1164 du Code civil traitant de l’interprétation des conventions.
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Mais la seule technique de l’interprétation ne
permet pas toujours de résoudre tous les problèmes. Certains points ont tout simplement pu
avoir été laissés à l’écart ; d’autres peuvent faire
l’objet de stipulations contradictoires non seulement en apparence, mais de façon certaine
sans que l’intention commune des parties ne
soit décelable.
On peut alors admettre que le juge fasse œuvre
de droit si les parties, en désaccord sur la règle
à adopter, s’accordent néanmoins à confier au
juge ce rôle. Bien qu’une telle démarche puisse
susciter des interrogations au regard de l’office
du juge étatique et de la question de savoir si
les justiciables peuvent étendre ce dernier audelà de ce que lui attribue la loi, aucune objection de principe ne s’oppose à notre sens à ce
que ce pouvoir « créateur » soit reconnu au
juge d’appui.
Mais il n’est pas certain qu’en toutes circonstances, les parties en litige s’accordent pour
confier ce rôle au juge étatique. La partie qui
voudra échapper à la juridiction arbitrale aura
tendance à former obstacle à sa mise en place
en faisant fruit des carences de la stipulation
contractuelle afin d’en écarter l’application.
Lorsqu’il est saisi d’une telle situation, il existe
un risque que sous le couvert d’interprétation,
le juge crée le droit, en invoquant au soutien de
sa démarche la nécessaire mise en œuvre effective de l’accord arbitral. La question revient ainsi en définitive à savoir si par une vision extensive de son rôle, le juge d’appui doit être amené
à tenter de sauver en tout état de cause tous les
accords d’arbitrage pathologiques.
L’institution de l’arbitrage y aurait certainement
à gagner en efficacité, et une telle démarche
peut effectivement se targuer d’un argument de
poids, qui consiste à vouloir donner effet à la
volonté des parties, qui était de soumettre leur
différend à un arbitrage. Devant l’impossibilité
matérielle de pouvoir tout prévoir dans l’accord
d’arbitrage, le recours au juge d’appui qui amène à donner effet à l’accord contractuel doit
être préféré à la solution qui consisterait à brider l’intervention du juge d’appui et à laisser
inappliquée la volonté des parties.
10. Tout en reconnaissant ainsi un pouvoir extensif au juge d’appui, il faut s’interroger dans
le cadre de sa compétence sur les aspects, problèmes et incidents à l’égard desquels il peut
intervenir.
Les compétences du juge d’appui
11. L’intervention classique du juge d’appui se
situe au stade de la constitution et du maintien
du tribunal arbitral en tant que sa composition
personnelle est concernée (A). Cette intervention peut être précédée par des interrogations
en droit sur la possibilité même de constituer
un tribunal arbitral (B). Par la suite, le déroulement de l’instance arbitrale est de nature à donner naissance à de nombreux incidents par rapport auxquels se pose la question de la possible
intervention du juge d’appui (C), la matière des
mesures provisoires suscitant des observations
à part (D).
2015
DOCTRINE
A. La constitution du tribunal arbitral
12. Contrairement aux juridictions étatiques,
les tribunaux arbitraux ne sont pas des institutions pérennes au fonctionnement desquelles
se trouvent affectées un nombre déterminé et
défini de personnes. Bien que certains organismes d’arbitrage gèrent des listes de personnes
qualifiées aptes et disposées à assurer des missions d’arbitrage, il faut pour chaque litige individuel désigner le ou les arbitres appelés à intervenir. Ce processus de constitution du tribunal arbitral se déroule en règle générale sans
problèmes majeurs lorsque les modalités sont
prévues dans l’accord arbitral, soit directement,
soit par renvoi à un règlement d’arbitrage. Lorsque l’accord sur ces points n’est pas clair, notamment lorsque les modalités de désignation
prêtent à discussion ou lorsque le centre d’arbitrage qui doit procéder à la nomination des arbitres ou dont le règlement doit gouverner ces
questions n’est pas clairement désigné, le juge
d’appui exerce normalement son rôle d’interprétation des clauses contractuelles.
Mais en l’absence totale de règles, le recours au
juge étatique en sa fonction de juge d’appui
disposant d’attributions propres est la voie naturelle à suivre. Les questions potentielles qui
surgissent ici peuvent toucher à la désignation
des personnes appelées à constituer le tribunal
arbitral (1) et aux qualités des personnes désignées par les parties (2).
1. La désignation des arbitres
par le juge d’appui
13. L’intervention du juge d’appui par rapport à
cette question est une des seules à être envisagée, bien que de façon complexe et lacunaire,
par le droit luxembourgeois.
14. Le droit luxembourgeois est d’abord compliqué dans la mesure où il prévoit des règles
différentes pour les différents cas de figure. En
cas de carence d’une des parties de désigner
l’arbitre qu’elle entend voir siéger dans le tribunal arbitral, l’autre partie saisit le président du
tribunal d’arrondissement par voie de requête
et le président rend une ordonnance unilatérale
(article 1227, alinéa 6). Si les arbitres désignés
par les parties ne parviennent pas à s’accorder
sur le nom du tiers arbitre, la partie la plus diligente saisit le président du tribunal d’arrondissement par voie de requête, et le président rend
une décision contradictoire (article 1227,
alinéa 8). La procédure est encore contradictoire s’il y a plus de deux parties qui ont des intérêts distincts et qu’elles ne parviennent pas à
s’accorder sur les noms des trois arbitres
(article 1227, alinéa 8). Le code règle finalement la situation du tribunal arbitral composé
de deux arbitres qui ne parviennent pas à se départager, pour dire que le président du tribunal
d’arrondissement peut être saisi par voie de requête pour voir nommer un tiers appelé à départager les deux arbitres en place
(article 1238). Cette disposition ne précise pas
s’il s’agit d’une procédure unilatérale ou contradictoire, mais s’agissant de la nomination
d’un tiers, on doit appliquer par analogie les règles prévues pour le tiers arbitre.
15. L’approche du droit luxembourgeois est ensuite lacunaire dans la mesure où il n’envisage
que la situation des tribunaux arbitraux composé de trois arbitres (article 1227 du Nouveau
Code de procédure civile) et de deux arbitres
(article 1238 du Nouveau Code de procédure
civile), en ignorant la situation du tribunal arbitral composé par un seul arbitre. Cette lacune
peut toutefois aisément être comblée en admettant que la situation de l’arbitre unique correspond à celle du tiers arbitre dans une composition collégiale de trois arbitres, et qu’on peut
dès lors appliquer par analogie au processus de
nomination de l’arbitre unique les règles prévues pour le tiers-arbitre.
Les lacunes du droit luxembourgeois se révèlent encore dans l’absence de prise en considération d’autres circonstances qui peuvent affecter la composition du tribunal arbitral. La nomination d’un nouvel arbitre peut s’avérer
nécessaire en cas de décès ou de démission
d’un arbitre. Le remplacement d’un arbitre peut
encore s’imposer en cas de carence, de refus ou
d’empêchement d’un arbitre à assumer sa fonction ou en cas de révocation ou de récusation
d’un arbitre8. Il paraît logique que dans ces cas
de figure, pour autant que le droit procédural
applicable ne s’y oppose pas expressément, le
juge d’appui puisse assumer sa mission et
(re)compléter la composition du tribunal arbitral.
2. Le contrôle par le juge d’appui
des qualités des arbitres désignés
par les parties
16. L’arbitre, comme tout juge, doit en son for
intérieur répondre à certaines qualifications indispensables à l’exercice de toute fonction intervenant dans la résolution des litiges : honnêteté, indépendance, impartialité. Ces qualifications s’imposent même aux arbitres désignés
unilatéralement par les parties respectives. La
sanction du respect de ces critères essentiels
peut être reportée à la fin du processus arbitral,
lorsqu’il s’agit d’attribuer à la sentence arbitrale
la force exécutoire en l’insérant dans l’ordre juridique étatique : généralement, la reconnaissance de la sentence peut être refusée ou la
sentence peut être annulée sur base d’un certain nombre de motifs qui recouvrent le manque d’impartialité et d’indépendance d’un ou
de plusieurs arbitres.
Peut-on concevoir qu’un tel contrôle se fasse ex
ante, en permettant au juge étatique d’écarter
un arbitre qui ne remplirait pas les conditions
essentielles à l’exercice de sa mission ? Le procédé approprié pour y parvenir est sans aucun
doute la récusation de l’arbitre concerné. Le
droit luxembourgeois conçoit explicitement en
l’article 1235 du Nouveau Code de procédure
civile la possibilité de récuser un arbitre, mais
sans y consacrer des dispositions procédurales
particulières. La jurisprudence en a tiré la conclusion logique que les règles de droit commun
applicables à la récusation des juges tirées des
articles 521 du Nouveau Code de procédure ci(8) Il est vrai que le droit luxembourgeois soumet la plupart de ces hypothèses à des conditions particulières :
— la révocation ne peut intervenir que de l’accord de
toutes les parties (article 1229) ;
— un arbitre ne peut pas se déporter après que les opérations d’arbitrage aient débuté (article 1235) ;
— un arbitre ne peut être récusé que pour des causes
postérieures au compromis (article 1235) ;
— le décès, le refus, le déport et l’empêchement d’un arbitre mettent en principe fin à l’arbitrage, sauf si l’accord
prévoit qu’il sera passé outre ou prévoit des solutions de
rechange (article 1233, point 1).
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2015
49
DOCTRINE
vile s’appliquent en l’espèce, y compris les règles de compétence matérielle. Une telle demande relève partant du tribunal d’arrondissement siégeant en composition collégiale.
On est alors amené à s’interroger sur la question de savoir si cet incident relève toujours du
champ d’action du juge d’appui au sens strict,
pour être tenté de répondre par la négative à
cette question, dès lors que la demande en récusation n’est pas propre à l’arbitrage, mais
qu’il s’agit d’une procédure prévue de façon
générale à l’égard de tous les juges et de toutes
les juridictions. Cette procédure n’étant pas
spécialement conçue pour les besoins de l’arbitrage, la notion de juge d’appui n’a plus vocation à être utilisée dans ce cadre.
17. Un autre aspect ayant trait à la personnalité
des arbitres peut tenir en leurs qualifications intrinsèques, surtout professionnelles. Il n’est pas
inhabituel que les parties au compromis ou à la
clause arbitrale conviennent que les arbitres,
ou du moins certains d’entre eux, doivent posséder certaines qualifications professionnelles.
Cette pratique se retrouve surtout lorsque le
contrat qui donne (potentiellement) lieu au litige est d’une technicité particulière et que les
parties considèrent qu’un homme du métier
peut apporter des éclaircissements utiles à la résolution du litige. Le différend survient alors au
stade de la constitution du tribunal arbitral lorsqu’une des parties néglige de tenir compte de
ces exigences, ou lorsque les parties sont en désaccord sur la question de savoir si un arbitre
proposé remplit les conditions convenues au
départ. Là encore, la sanction de la constitution
irrégulière du tribunal arbitral peut être repoussée au stade de la reconnaissance ou de la procédure d’annulation de la sentence arbitrale, en
ce que pareille composition irrégulière peut
conduire au refus de reconnaissance respectivement à l’annulation de la sentence arbitrale.
Mais ne convient-il pas de donner aux parties
au seuil de l’instance les moyens de prévenir les
contestations sur ce point ? On peut concevoir
une action en vérification des qualités des arbitres, qui pourrait prendre la forme soit d’une action contestataire, par laquelle une des parties
demanderait à voir écarter l’arbitre proposé par
la partie adverse, soit d’une action déclaratoire,
par laquelle une des parties demanderait à voir
reconnaître que l’arbitre par elle proposé répond aux critères conventionnellement fixés.
Dans un tel cadre, on peut encore envisager le
règlement d’autres contestations, comme celle
de savoir si une personne morale peut être désignée en tant qu’arbitre, respectivement quelle
personne physique au sein d’une telle personne
morale peut assumer concrètement les missions
d’arbitrage. Le droit luxembourgeois ne prévoit
pas pareille action.
B. L’existence de l’arbitrage
18. Lorsque le juge d’appui est approché par
une partie au compromis ou à la clause d’arbitrage afin de régler des problèmes de constitution du tribunal arbitral, il est demandé au juge
de donner force à l’accord contractuel des parties. Cette demande peut être combattue par un
certain nombre d’arguments qui visent à tenir
en échec la possibilité même de procéder par
voie d’arbitrage, en mettant en cause soit la validité de l’accord contractuel, soit la portée de
cet accord.
Ainsi, comme pour tout contrat, on peut mettre
en cause l’existence du compromis ou de la
clause compromissoire, en niant qu’ils aient été
conclus, ou encore leur validité, en soutenant
l’existence d’une tare (absence de cause, vice
du consentement...) qui entraînerait qu’une des
conditions de validité de la convention ferait
défaut. D’autres questions peuvent être soulevées dans ce cadre, comme celle de savoir si
une clause arbitrale peut être incluse dans un
contrat de consommation, ou si elle ne doit pas
au contraire être considérée comme clause
abusive sujette à annulation.
Plus spécifiquement, on peut soutenir que le
compromis ou la clause arbitrale ne sont pas
valides pour un motif propre au domaine de
l’arbitrage, notamment en ce qu’ils couvriraient
un différend qui serait soustrait à l’arbitrabilité.
On peut penser d’une façon générale à ce qui
touche à l’ordre public ou plus particulièrement en droit luxembourgeois aux matières visées à l’article 1225 du N.C.P.C. : l’état et la capacité des personnes, les relations conjugales,
les demandes en divorce et en séparation de
corps, la représentation des incapables, les causes des incapables, les causes des personnes
absentes ou présumées absentes.
Le compromis ou la clause arbitrale peuvent
encore être contestés quant à leur caractère
autosuffisant sur la question de savoir s’ils contiennent tous les éléments pour déterminer leur
champ d’application ou pour pouvoir être efficacement mis en œuvre.
De façon encore plus particulière, on peut faire
valoir que le compromis ou la clause arbitrale,
bien que valables en la forme et quant à la matière couverte, seraient inapplicables. Différents motifs peuvent donner lieu à discussion
sur ce point. Quant à la matière, il peut être
soutenu que le compromis vise des différends
autres que celui qui est à toiser concrètement
(par exemple, un compromis visant les problèmes relatifs à l’exécution d’un contrat peut-il
couvrir les questions de nullité de ce contrat ?).
Quant aux personnes, la contestation peut porter sur la question de savoir si le compromis
peut produire ses effets à l’encontre de la partie
contre laquelle il est invoqué (par exemple,
lorsque l’arbitrage était prévu dans un contrat
qui a par la suite été cédé à un tiers). D’un
point de vue temporel peut se poser la question
de savoir si le différend peut encore être soumis
à l’arbitrage par suite de l’écoulement du délai
prévu pour arbitrer9.
19. On peut concevoir différentes manières
pour approcher cette question générale de l’applicabilité de l’accord arbitral.
On peut soit confier au juge d’appui le pouvoir
de toiser intégralement en tout état de cause et
jusque dans le moindre détail l’ensemble de
ces contestations, de façon à prévenir toute
contestation ultérieure et assurer pleine et entière efficacité à la sentence arbitrale rendue
(9) Dans une des rares décisions rendues ces dernières
années, le président du tribunal d’arrondissement de
Luxembourg était appelé à constituer un tribunal arbitral
après que les arbitres originaires n’aient pas statué endéans le délai convenu dans le compromis. Le président
rejette la demande au motif que dans de telles circonstances, les parties ne sont pas admises à faire revivre la
procédure d’arbitrage, au risque de soustraire le litige de
manière indéfinie à la compétence naturelle des juridictions étatiques (ordonnance du président du Trib. arr.
Luxembourg du 22 avril 2009).
après que l’ensemble de ces exceptions ait été
écarté par le juge étatique à un stade précoce
de la procédure. Mais cette approche est peu
respectueuse de l’autonomie de la procédure
d’arbitrage et de la confiance dont on peut à
première vue faire bénéficier cette institution.
Pour cette raison, le principe de la compétencecompétence du tribunal arbitral s’est imposé au
fil du temps dans de nombreux systèmes juridiques. C’est ainsi le tribunal arbitral lui-même,
le cas échéant constitué à l’aide du juge d’appui, qui est appelé à toiser les différents moyens
et arguments qui s’attaquent à sa compétence
et à ses pouvoirs pour trancher le différend qui
lui est soumis.
Une voie intermédiaire est empruntée par certains droits qui confèrent au juge étatique le
pouvoir d’écarter les compromis et clauses arbitrales qui sont « manifestement » nulles,
inapplicables, inexistantes... Tel est notamment
le cas en France. Nous laissons au lecteur le
soin de lire les observations de notre excellent
coorateur, M. le doyen Gérard Pluyette sur cette
question. Nous tenons toutefois à y ajouter une
interrogation générale sur la mise en œuvre de
la notion de « manifeste » qui peut être difficile,
sinon même dangereuse, à manipuler, surtout
dans le cadre de décisions qui sont appelées à
trancher définitivement une question de droit10.
20. Le droit luxembourgeois ne consacre aucune disposition spécifique à cette problématique, et n’attribue par ailleurs pas de compétence à un juge étatique pour toiser ex ante l’une
quelconque ou toutes ces questions, avant le
début de la procédure arbitrale.
C. Le déroulement
de l’instance arbitrale
21. Une fois les arbitres désignés, la procédure
arbitrale prend son envol devant eux. Cette procédure, comme toute autre procédure contentieuse, est de nature à susciter de nombreux
points de discussion entre les parties. Outre
ceux mentionnés au point précédent tenant à
l’existence, la validité, l’étendue... des pouvoirs
et de la compétence des arbitres, qu’il est utile
de leur abandonner sur la base du principe de
la compétence-compétence, d’autres incidents
peuvent émailler la procédure au sujet desquels
l’interrogation d’une possible intervention du
juge étatique s’impose.
22. Il nous semble toutefois que cette intervention du juge étatique doive être écartée pour
tout ce qui concerne les moyens de procédure
classiques auxquels peut se trouver confrontée
toute juridiction, tels que la recevabilité de la
demande sous toutes ses coutures (formulation
des demandes ; intérêt, qualité, pouvoir et
compétence pour agir...), les moyens dilatoires,
le respect de règles d’importance majeure (droit
de la défense, respect du contradictoire...), les
fins de non-recevoir (prescription, autorité de
chose jugée...)... Par extension du principe de la
compétence-compétence, le tribunal arbitral
doit pouvoir lui-même régler tous ces aspects
(10) Il nous semble en effet qu’il y a une différence non
seulement de degré, mais de nature entre une décision
au fond rendue au vu d’une situation « manifeste » et
une décision rendue au provisoire au constat d’un état
de droit ou de fait « manifeste ».
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primaires tenant au déroulement de l’instance
et tirés du droit procédural ordinaire.
Il devrait encore en être de même pour des
questions préliminaires touchant plus spécifiquement au droit de l’arbitrage, tel que la détermination du lieu de l’arbitrage11 ou de la loi applicable (aux aspects procéduraux et au fond).
23. Des questions plus délicates sont celles tenant à la mission des arbitres et à la durée de
l’arbitrage respectivement de la prolongation
du délai pour arbitrer. Ces questions touchent
directement aux pouvoirs des arbitres, que ce
soit quant à la matière ou dans le temps. Idéalement, ces aspects sont réglés par les parties,
mais des questions peuvent surgir à cet égard.
Or il paraît peu opportun de confier à des arbitres, formant une justice privée, le soin de statuer sur leurs propres pouvoirs. Le désaccord
des parties sur ces aspects devrait logiquement
mener à la fin de l’arbitrage, sinon pouvoir être
porté devant le juge étatique, qui sera le cas
échéant chargé de rechercher la commune intention des parties en vue de fixer ces points.
24. Le tribunal arbitral peut enfin se trouver
confronté à des problèmes dans le cadre de
l’instruction, juridique ou factuelle, du différend qui lui est soumis.
Du côté juridique, n’étant pas une juridiction
étatique, le tribunal arbitral se trouve normalement exclu des mécanismes de coopération
institués au niveau national et international
pour mettre l’organe de décision en mesure de
collecter les informations nécessaires à une
bonne instruction du litige, en commençant par
des mécanismes basiques de demande de renseignements sur le contenu d’un droit étranger
pour aller jusqu’au système complexe des
questions préjudicielles (adressées soit à une
juridiction nationale, telle que des juridictions
constitutionnelles, soit à une juridiction internationale, telle que la Cour de justice de
l’Union européenne). Peut-on concevoir que le
tribunal arbitral renvoie les parties à se pourvoir
devant le juge d’appui, ou saisisse lui-même ce
dernier, pour assurer la mise en œuvre de tels
mécanismes de collaboration ?
D’un point de vue factuel, l’instance arbitrale
peut requérir l’audition de témoins, qui peuvent se montrer récalcitrants à déférer à une invitation du tribunal arbitral. N’étant pas investi
de l’imperium, le tribunal arbitral ne dispose
d’aucun pouvoir de contrainte pour menacer
les témoins potentiels en vue de les inciter à
comparaître en vue de leur audition, de même
qu’un éventuel faux témoignage ne peut pas
faire l’objet de poursuites pénales. Dans le
même domaine, le tribunal arbitral ne dispose
pas de moyen de contrainte directe pour amener une partie ou un tiers à verser aux débats un
document dont celui-ci serait détenteur et que
(11) La question du lieu n’est pas anodine, puisque ce
lieu emporte un certain nombre d’effets : il détermine le
juge d’appui territorialement compétent, il détermine la
compétence du juge étatique pour statuer sur la nullité
de la sentence arbitrale, il peut servir de critère pour déterminer la loi applicable. Il y a évidemment un problème majeur si le lieu de l’arbitrage n’est pas désigné par
les parties et qu’il faut saisir le juge d’appui pour régler
certaines questions, par exemple celle du lieu de l’arbitrage. Comment déterminer dans cette hypothèse le juge
d’appui territorialement compétent ? Une solution de
bon sens est certainement d’avoir recours au juge étatique du lieu de situation du défendeur dans la procédure
arbitrale.
2015
DOCTRINE
l’autre partie entend invoquer à son profit. Peuton envisager l’intervention du juge d’appui
dans le cadre de l’administration de la preuve
afin de renforcer l’efficacité de celle-ci ?
Le souci d’efficacité conduit à répondre par
l’affirmative à ces deux questions, mais l’intervention du législateur semble nécessaire pour
dessiner les contours d’une telle implication du
juge d’appui.
D. Les mesures provisoires
25. Le tour d’horizon de ce que le juge étatique
peut apporter en termes de soutien aux procédures d’arbitrage ne serait pas complet ni on
n’abordait pas la question des mesures provisoires, bien qu’on ne parle plus ici de juge
d’appui au sens strict, puisqu’en règle générale
les droits nationaux connaissant sous des formes plus ou moins variées et plus ou moins élaborées les mécanismes de mesures provisoires
et/ou conservatoires. Celles-ci existent donc en
dehors de toute procédure d’arbitrage.
Il est cependant un fait que la procédure d’arbitrage peut requérir la prise de mesures provisoires ou conservatoires pour conserver le statu
quo et garantir l’efficacité de la sentence arbitrale qui sera rendue à l’issue de la procédure.
Le tribunal arbitral est certainement autorisé à
prendre de telles mesures à l’égard des parties,
mais ces mesures se heurtent à la fois à des problèmes d’efficacité lorsqu’elles visent des tiers
et à des problèmes de rapidité, puisqu’il faut
faire assurer leur force exécutoire par le juge
national pour qu’elles puissent produire leurs
effets.
Cette réalité exige que le juge étatique puisse
intervenir, ce qui soulève un problème en termes de compétence, puisque par l’effet de la
clause compromissoire ou du compromis, la
connaissance du litige est en principe soustraite
à la compétence des juridictions étatiques. Il est
cependant généralement admis que la compétence exclusive du tribunal arbitral pour connaître du fond du litige ne forme pas obstacle à
la compétence du juge étatique pour intervenir
par voie de mesures provisoires ou conservatoires. Ce pouvoir est, par exemple, expressément
reconnu dans le règlement Bruxelles Ibis et ses
prédécesseurs12.
Les conditions d’efficacité
du juge d’appui
26. Le domaine d’intervention du juge d’appui
étant ainsi circonscrit, il convient de s’interroger sur les moyens les plus appropriés pour permettre à l’institution du juge d’appui d’exercer
convenablement son rôle d’appui au développement de l’arbitrage. Trois notions nous paraissent ici particulièrement intéressantes.
(12) Pour une présentation plus complète de la matière
des mesures provisoires dans le domaine de l’arbitrage
sous cet angle, voir J.-F. VAN DROOGHENBROECK et C. DE
BOE, « Les mesures provisoires et conservatoires dans le
règlement Bruxelles Ibis », in E. GUINCHARD (dir.), Le
nouveau règlement Bruxelles Ibis, Bruxelles, Bruylant,
2014.
A. Les éléments de procédure
27. Ainsi que nous l’avons souligné, une des
caractéristiques essentielles qui contribuent à
l’attrait de la procédure arbitrale est sa rapidité,
à quoi il faut ajouter le caractère dépouillé des
exigences procédurales. Afin que l’arbitrage
continue à exercer son attrait, il semble donc
indispensable que la procédure devant le juge
étatique, lorsque son intervention s’avère nécessaire ou utile, revête les mêmes caractéristiques. Les règles procédurales devant le juge
étatique doivent donc être conçues de telle façon à ce que ces règles soient aisément compréhensibles, accessibles et applicables, que le
juge d’appui puisse être saisi aisément, sans formalisme excessif, et que la procédure se déroule rapidement et là encore sans exigences formelles particulières.
28. À cet effet, il semble tout d’abord utile que
les règles en question soient regroupées dans
un ensemble cohérent et continu, de façon à ce
qu’elles se retrouvent à un même endroit d’un
code ou d’une loi, sans être éparpillées à différents endroits. Le droit luxembourgeois actuel
ne correspond pas nécessairement à cette exigence, si on considère que les seules dispositions traitant du juge d’appui se trouvent dans
les articles 1227 et 1238 du N.C.P.C.
29. La facilité de la saisine peut être assurée à
travers la possibilité, prévue en droit luxembourgeois, de présenter la demande par voie de
requête. Ceci implique toutefois que les parties
soient convoquées par la voie du greffe. Mais,
si on a alors recours aux règles de droit commun, il n’est certain que cette modalité soit toujours la plus appropriée, respectivement la plus
rapide, surtout dans le domaine du commerce
international lorsqu’il s’agit de convoquer les
parties à leur établissement à l’étranger, puisqu’il faut alors néanmoins recourir à un exploit
d’huissier.
30. La rapidité et la simplicité de la procédure
finalement peuvent être atteintes par le recours,
prévu en droit luxembourgeois, à une procédure orale, dépourvue de conclusions écrites.
L’ampleur réduite des débats dont peut être saisi le juge d’appui par rapport aux différents
points qui peuvent lui être soumis, conjuguée à
la considération que très souvent l’arbitrage a
lieu en matière commerciale où la procédure
est en règle générale orale, ne s’oppose pas à de
telles modalités.
31. Il paraît toutefois difficile de faire observer
ces caractéristiques pour tous les incidents au
sujet desquels le juge étatique peut être susceptible d’intervenir. Certains incidents ne sont en
effet pas propres au droit de l’arbitrage, mais
sont d’application commune à toutes les procédures juridictionnelles. Nous avons eu l’occasion de citer la récusation (cfr supra, au no 16)
et les mesures provisoires (cfr supra, au no 25).
Un autre exemple à cet égard est la procédure
du faux incident civil, par laquelle une partie
entend voir tenir pour faux une pièce versée
aux débats. Ces procédures font l’objet d’une
réglementation de droit commun autonome,
recourant pour certaines en raison de l’importance de l’incident à un formalisme lourd, à laquelle il paraît difficile de déroger pour les
seuls besoins de l’arbitrage. Aussi convient-il
de souligner que ces matières ne ressortent pas
du juge d’appui au sens strict, mais du juge étatique au sens large.
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51
DOCTRINE
B. Les qualités du juge d’appui
32. Le droit de l’arbitrage, à l’instar d’autres
droits, revêt des caractéristiques particulières et
répond à des besoins spécifiques. Si chaque
magistrat doit être à même de s’approprier la
matière, il peut toutefois paraître opportun de
confier le traitement des dossiers d’arbitrage à
des magistrats qui non seulement ont subi une
formation particulière dans cette matière et disposent d’une bonne connaissance des mécanismes de l’arbitrage, mais encore qui ont une
fibre, une sensibilité, un intérêt marqué pour
ces dossiers. Comme en toute matière, des magistrats répondant à ces caractéristiques sont le
plus efficacement en mesure de saisir les points
cruciaux des débats et d’y apporter rapidement
les réponses dictées par l’intérêt du développement de l’arbitrage dans le cadre du droit applicable. Une concentration du contentieux de
l’arbitrage entre les mains d’un nombre limité
de magistrats peut alors paraître une solution
utile.
34. En guise de conclusion, il convient de noter
que dès lors que les décisions du juge produisent pleine autorité de chose jugée, toute extension de son champ de compétence entraîne par
un mécanisme de vases communicants une réduction de l’office du juge de la reconnaissance
ou de l’annulation de la sentence. Des pouvoirs
accrus du juge d’appui contribuent ainsi à une
meilleure organisation de la procédure arbitrale
elle-même et à une reconnaissance plus rapide
de la sentence arbitrale, contribuant ainsi de façon considérable au développement de l’arbitrage. On peut s’interroger sur la question de
savoir si un tel transfert de la fonction juridic-
Thierry HOSCHEIT
Magistrat
Vice-président au tribunal d’arrondissement
de Luxembourg
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C. L’autorité de chose jugée
par le juge d’appui sur la procédure
de reconnaissance de la sentence
33. Nous avons déjà souligné que l’intervention du juge d’appui au seuil de la procédure
d’arbitrage peut éviter des discussions à l’issue
de la procédure d’arbitrage au stade de la demande de reconnaissance respectivement d’annulation de la sentence arbitrale. Il en est ainsi
aussi en raison de la nature des procédures de
reconnaissance respectivement d’annulation
qui est telle que les parties peuvent y présenter
un certain nombre de moyens tirés de l’irrégularité de la procédure arbitrale pour voir dénier
tout effet à la sentence arbitrale.
Pour éviter que de tels moyens ne soient utilisés
à des fins dilatoires ou procédurières, il faut que
la question soumise au juge d’appui au cours
de la procédure arbitrale soit toisée par lui par
une décision qui jouit de l’autorité de la chose
jugée au principal. Ceci implique non seulement que le juge d’appui se voie reconnaître le
statut d’un juge plein et entier, ce qui en soit
n’est pas discutable puisque c’est une caractéristique qui découle de l’institution même, mais
encore qu’il se voit reconnaître, pour régler les
obstacles qui peuvent se dresser sur le chemin
du bon déroulement de la procédure arbitrale,
les pouvoirs pleins et entiers pour statuer comme juge du fond, et non seulement les pouvoirs
d’un juge statuant au provisoire pour statuer sur
base de considérations tirées de l’urgence ou
de l’absence de contestation sérieuse.
Le juge d’appui qui statue avec les pouvoirs du
juge du fond apporte ainsi une réelle plus-value
en termes de développement de l’arbitrage,
puisque le nombre de moyens dont disposent
les parties pour s’opposer à l’exécution de la
sentence arbitrale s’en trouve réduit, dans la
mesure où la problématique a été soumise au
juge d’appui. Dans ces conditions, l’intervention du juge d’appui apporte encore une plusvalue par rapport à celle d’institutions d’arbitrage qui peuvent également être appelées à régler
les problèmes liés au déroulement de l’arbitrage, puisqu’il paraît difficile de reconnaître aux
décisions de ces institutions une force qui puisse lier les juges appelés à statuer sur la reconnaissance ou la nullité d’une sentence arbitrale.
tionnelle du juge étatique vers le juge privé est
souhaitable. Rien ne devrait toutefois s’y opposer, dès lors que l’arbitrage répond à un besoin
réel, du moins du commerce international, que
les arbitres répondent aux qualités requises
pour consciencieusement remplir leur tâche et
que les juges étatiques conservent un dernier
droit de regard sur le bon fonctionnement de
l’institution.
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DE FISCALITÉ
LUXEMBOURGEOISE
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