Questions Réponses
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Focus Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur. SCOR fait ses meilleurs efforts pour assurer l’exactitude de l’ensemble des informations fournies et décline toutes responsabilités en cas d’imprécision, inexactitude ou omission. Sommaire Introduction 5 Préambule 6 L’arthrose aujourd’hui : Les nouveaux concepts 8 Rappel sur l’arthrose e L’arthrose du XXI siècle 8 8 Le traitement 14 Questions / Réponses 16 L’arthrose et la tarification du risque 17 L’évaluation du risque en Décès / IAD 17 L’incapacité et l’invalidité 17 La dépendance 18 Questions / Réponses 19 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde 21 Définitions 21 Les différentes formes d’arthrite 21 Evolution de la polyarthrite rhumatoïde 23 Données démographiques 24 Diagnostic et prise en charge initiale 24 Les conséquences de la maladie 26 Stratégie thérapeutique 27 Conclusion 29 Questions / Réponses 30 Tarifer la polyarthrite rhumatoïde Le diagnostic 34 34 Le pronostic 34 Classification 35 Etude de la mortalité 36 Tarification du risque décès 36 Questions / Réponses 38 La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic 41 Une affection polymorphe 41 Données épidémiologiques 42 Traitements 43 Les conséquences de la spondylarthropathie 43 Conclusion 45 Questions / Réponses 46 Sommaire Tarifer la spondylarthrite ankylosante Le pronostic 49 49 Tarification 49 Exemples pratiques de tarification 50 Conclusion 51 Questions / Réponses 52 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans 54 Rappels physiopathologiques 54 Les définitions de l’ostéoporose 54 Reconnaître l’ostéoporose 54 Epidémiologie de l’ostéoporose 55 Conséquences médico-socio-économiques des fractures 58 Prise en charge de l’ostéoporose 60 Questions / Réponses 62 Comment tarifer l’ostéoporose ? 65 L’ostéoporose dans le contexte de l’assurance 65 Comment repérer une ostéoporose ? 65 Sélection et tarification 66 Questions / Réponses 68 Conclusion 69 Introduction La rhumatologie est un domaine peu connu mais en pleine expansion. Les individus souffrent de plus en plus de rhumatismes – ou en tout cas le déclarent –, qu’ils soient inflammatoires ou dégénératifs. Avec cette nouvelle publication, nous souhaitons vous faire partager notre expérience des pathologies rhumatologiques que nous rencontrons le plus dans notre activité quotidienne de tarification, et que nous avons approfondie dans le cadre des Rencontres Médicales de SCOR. Ces manifestations sont pour nous l’occasion de partager avec vous nos réflexions sur les avancées médicales et leur impact sur le métier d’assureur vie. Nous commencerons par vous proposer un panorama rapide de la rhumatologie qui est, en France, une spécialité médicale à part entière. Ce n’est pas le cas dans tous les pays d’Europe. Il est important de bien distinguer les différentes pathologies les unes des autres, afin de mieux apprécier le risque et de proposer les conditions d’acceptation les plus adaptées. Dans cette optique nous allons définir en profondeur les pathologies les plus fréquemment rencontrées dans les dossiers de souscription traités par les assureurs : L’arthrose La polyarthrite rhumatoïde La spondylarthrite ankylosante L’ostéoporose Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 5 Préambule La rhumatologie traite les affections des os, mais pas uniquement. Elle comprend : • les pathologies des os et des articulations ; • les pathologies péri et abarticulaires, qui touchent à l’articulation et ce qui l’entoure : tendons, muscles, etc. ; • les affections musculo-squelettiques ; • les maladies de système (maladies proches de la Médecine Interne). Dans le cas d’atteinte simultanée de plusieurs organes, on parle de maladie systémique. Il peut s’agir par exemple d’une polyarthrite rhumatoïde compliquée d’une vascularite avec atteinte cutanée, ce qui peut entraîner d’importantes nécroses cutanées. Traditionnellement, on classifie les rhumatismes en deux catégories : les pathologies « mécaniques » et les pathologies inflammatoires. R a p p e l Une articulation est constituée de deux parties osseuses articulées entre elles qui se terminent par un cartilage articulaire, le tout dans une cavité : la cavité synoviale. La membrane ou tissu synovial est ce qui tapisse l’intérieur de l’articulation et sécrète le liquide synovial, sorte « d’huile moteur » de l’articulation. On observe également une capsule articulaire qui donne la congruence de l’articulation et le tout est animé par des muscles et des tendons. Le muscle est la partie qui se contracte pour faire bouger les os, le tendon étant la partie terminale du muscle qui s’insère sur l’os. 2 Il s’agit de pathologies sans inflammation systémique. La première de ces pathologies est l’arthrose. Dans cette catégorie se trouvent également différentes atteintes osseuses. On pourra ainsi rencontrer des ostéoporoses, des algodystrophies (déminéralisation particulière de l’os), des ostéonécroses (enfoncements osseux), des tendinopathies, des rhumatismes abarticulaires, etc. 3 1 Les principaux rhumatismes Leur classification présentée ci-dessous est générale et schématique et peut être remise en cause en raison de certains phénomènes interactifs et intriqués. De manière générale, on parle d’arthrose lorsque le cartilage est atteint. Quand la membrane synoviale, tissu qui tapisse l’articulation par l’intérieur, est atteinte ou inflammée, on parle d’arthrite. Le tissu synovial sécrète du liquide, ce qui fait gonfler l’articulation. Une prolifération intervient alors, avec un tissu hypertrophique, l’inflammation « mangeant » le cartilage et l’os, ce qui détruit l’articulation. Le phénomène est donc différent de celui de l’arthrose. Lorsque le tendon est atteint, on parle de tendinite. Si l’os est atteint, cela peut entraîner une ostéoporose. L’os est un organisme vivant, comportant des travées protéiques formant une trame. Lorsque ces travées sont atteintes, l’os devient plus fragile. Il existe plusieurs autres types d’atteintes osseuses mais l’ostéoporose est la plus connue. Lorsque le muscle est atteint, on parle de myopathie, de myosite, etc. 6 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Les pathologies « mécaniques » Les pathologies inflammatoires On distingue quatre catégories principales de pathologies inflammatoires : • Les maladies systémiques et les connectivites C’est dans cette première catégorie que l’on retrouve toutes les pathologies rhumatologiques importantes, en premier lieu la polyarthrite rhumatoïde. Elle est très fréquente et se caractérise par son importance en termes de handicap, de pronostic et de prise en charge. La connectivite correspond quant à elle, à une atteinte du tissu conjonctif. Les spondylarthropathies représentent le deuxième grand type de pathologies. C’est un terme général qui englobe la spondylarthrite ankylosante ou pelvispondylite rhumatismale, les entéro-colopathies etc. Nous ajouterons aussi dans cette liste le lupus, une pathologie complexe et donc très difficile à apprécier en risque aggravé. On rencontre également d’autres pathologies telles que la fibromyalgie. Même s’il n’est pas prouvé que cette maladie fasse partie des pathologies inflammatoires, SCOR Global Life traite de plus en plus de dossiers concer- nant des cas de fibromyalgie, également délicats en termes d’évaluation. En effet, cette pathologie entraîne une invalidité et une incapacité majeures sans nécessairement engager le pronostic vital. des hémopathies qui peuvent atteindre les os. Les tumeurs osseuses primitives, elles, partent des cellules osseuses. Elles peuvent être bénignes ou malignes. Les métastases osseuses sont des tumeurs secondaires. • Les rhumatismes métaboliques ou micro-cristallins Les syndromes paranéoplasiques sont des cancers qui créent des manifestations osseuses ou articulaires sans présence de cellule cancéreuse au niveau des os ou des articulations. Ce sont des manifestations annexes au cancer. Il s’agit de rhumatismes qui sont en rapport avec des dépôts de cristaux dans les articulations. On pense classiquement à la goutte, la plus connue du public étant la goutte du gros orteil. La chondrocalcinose articulaire consiste en des dépôts de cristaux de pyrophosphate de calcium dans l’articulation et qui peuvent donner des douleurs articulaires, des arthrites. L’hémochromatose correspond à une surcharge en fer dans l’articulation. • Les pathologies infectieuses Les microbes peuvent atteindre toutes les parties de l’organisme, y compris les os et les articulations. Lorsqu’un microbe ou un germe atteint une articulation, de façon iatrogène, suite à un geste intempestif ou en raison d’un terrain particulier, cela peut se traduire par des arthrites septiques. Au niveau de la colonne vertébrale, les germes peuvent atteindre les disques intervertébraux et les vertèbres sus et sous-jacentes. On parle alors de spondylodiscites. Le germe peut atteindre les os en eux-mêmes, ce sont les ostéites infectieuses. La maladie d’Osler est une maladie particulière, à laquelle les cardiologues sont régulièrement confrontés. Avec cette maladie, les germes se localisent au niveau des valves cardiaques. Des manifestations rhumatologiques peuvent alors se produire, par des emboles septiques ou d’autres phénomènes. • Les pathologies tumorales Les tumeurs et les cancers peuvent également atteindre les os. Le myélome est une hémopathie particulière provoquant la sécrétion anormale d’une immunoglobuline (protéine sanguine) qui attaque l’os. Les leucémies sont Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 7 L’arthrose aujourd’hui : les nouveaux concepts Pr Francis Berenbaum • Hôpital Saint-Antoine, Paris L’arthrosique typique est une personne âgée qui se plaint de douleurs auprès de son médecin. Ce dernier lui explique généralement que « c’est l’âge », que ses articulations sont usées, puis il lui prescrit un anti-inflammatoire. Imaginez-vous à la place du patient : vous apprenez que c’est la fin, que vous êtes victime de la vieillesse, que la médecine ne peut pas grand-chose pour vous et vous vous résignez à prendre un anti-inflammatoire. Tout ceci ne contribue pas beaucoup à vous remonter le moral. C’était pourtant la façon dont on voyait les choses il y a une dizaine d’années, mais cette vision traditionnelle est en plein bouleversement. Cette maladie, auparavant laissée de côté dans l’enseignement parce que l’on n’avait pas beaucoup à dire à son sujet par rapport à d’autres pathologies comme la polyarthrite rhumatoïde ou les connectivites, est aujourd’hui reconsidérée suite à de nombreuses avancées. des formations nodulaires déformant les articulations, avec des conséquences inesthétiques et douloureuses. En cas de déformation trop prononcée, cela peut aller jusqu’au handicap avec une difficulté pour tenir les objets. Dans ce cas, il n’y a plus de pincement : le cartilage est détruit, et on voit apparaître des ostéophytes ou des géodes, des « trous », dans l’os. L’autre localisation constante de l’arthrose est la colonne vertébrale : à partir de trente-cinq ans, 100 % des patients sont concernés par l’arthrose au niveau de la colonne vertébrale. Le rachis cervical est touché dans tous les cas, alors que pour certains le segment lombaire est indemne. L’arthrose se caractérise par des ostéophytes, des becs de perroquet et une condensation de l’os. 2 1 L’arthrose du XXIe siècle Rappel sur l’arthrose L’arthrose est un pincement de l’articulation. Sur la radiographie ci-après, on constate qu’il n’y a plus d’interligne articulaire [ 1 ]. De plus l’os se condense et l’on voit apparaître des constructions osseuses, les ostéophytes. Si on ouvre l’articulation, le genou par exemple, on peut trouver un reste de cartilage sain mais l’arthrose se caractérise essentiellement par la destruction cartilagineuse. L’arthrose atteint plus particulièrement les membres inférieurs, le genou et la hanche, et la main pour ce qui est des membres supérieurs. Une forme particulière d’arthrose est celle des inter-phalangiennes distales, qui aboutit à 1 8 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Deux dogmes relatifs à l’arthrose sont en train de s’écrouler. A Premier dogme : l’arthrose est « la maladie du vieux » En 1933, on pouvait dire que l’arthrose était aux articulations ce que les rides sont à la peau, ou encore les cheveux blancs au scalp. Ce n’est plus vrai parce que la population vieillit [ 2 ] et l’arthrose commence toujours au même âge. Cependant, la notion de vieillesse est une donnée sociologique. Etre âgé de soixante-cinq ans en 1930 signifiait peut-être être vieux, mais ce n’est plus le 2 Vieillissement de la population 22% 20% 2,4% 18% 2,1% 16% 2,0% 14% 12% 10% 2,0% 1,4% 4,3% 8% 1,7% 1,9% 4,5% 4,5% 4,3% 6,6% 6,4% 7,0% 2000 2005 2010 1,5% 7,1% 6,8% 4,8% 4,2% 6% 4% 5,8% 8,5% 9,7% 10,6% 10,8% 2020 2025 2030 2% 0% 1996 65 à 74 ans 2015 75 à 84 ans 85 ans et plus % de la population au dessus de 65 ans et prévision jusqu’en 2030 cas à notre époque. Aujourd’hui à soixante ans on profite de ses petits-enfants, on voyage etc. Or l’arthrose commence à la soixantaine et culmine à soixante-dix ans. Il n’est donc plus possible de dire que l’arthrose est une « maladie de vieux » et expliquer à ces patients que c’est parce qu’ils sont vieux qu’ils souffrent. Certes il s’agit d’une maladie liée à l’âge mais on ne peut plus se contenter de cette vision fataliste, tant pour le patient en termes de ressenti que pour le médecin dans sa façon d’aborder le problème. Le pic de prévalence de l’arthrose se situe à soixante-cinq ans. Les Anglo-saxons, qui observent de façon pragmatique que des articulations peuvent parfois être inflammatoires et douloureuses et que l’os peut être touché, ne parlent pas d’arthrose mais « d’ostéo-arthrite ». Si l’on se projette jusque dans les années 2030 aux Etats-Unis, les individus âgés de 65 à 74 ans représenteront 11 % de la population en 2030, contre 6,6 % aujourd’hui. Nous savons que nous dirigeons vers un véritable vieillissement de la population. Nous n’avons pas de données aussi précises pour les autres pays développés mais on peut penser que le phénomène sera identique. B Deuxième dogme : l’arthrose est due à l’usure du cartilage Lorsque l’on parle d’usure, on parle d’une altération qui paraît extrêmement passive. L’usure naît naturellement du frottement répété sur n’importe quelle matière, vivante ou non. Ainsi présentée, elle est inévitable et l’on ne peut rien contre ce phénomène dégénératif. Ce dogme est totalement remis en cause. En 1920, on considérait que l’arthrose était une maladie d’usure du cartilage. Francis Broussais a dit que « tout tissu qui ne répond pas par l’inflammation aux causes d’irritation ou de destruction qui agissent sur lui peut être considéré comme n’étant pas doué de vie ». On dit d’un tissu qu’il est inflammatoire lorsqu’il est capable d’exprimer un certain degré d’inflammation. Le cartilage est un tissu qui n’est pas vascularisé et qui, par conséquent, ne peut pas manifester son inflammation. Cepen- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 9 L’arthrose aujourd’hui : les nouveaux concepts dant, le cartilage est bien capable d’exprimer un certain degré d’inflammation telle qu’on la définit aujourd’hui. Pour désigner l’arthrose, on a également parlé de « rhumatisme chronique sénile » ou de « rhumatisme chronique dégénératif ». C ration d’os) se créent ainsi que des géodes (des trous), sous le cartilage, dans l’os sous-chondral. Il s’agit de fissures qui atteignent d’abord le cartilage puis l’os, faisant office de clapet : le liquide synovial rentre, remplit une petite cavité mais ne peut pas sortir, ce qui finit par creuser un trou. C’est ainsi que l’on explique aujourd’hui les géodes que l’on peut observer. Définition de l’arthrose L’arthrose est une perte de cartilage, mais pas uniquement. Les chercheurs s’intéressent maintenant au tissu synovial car l’arthrose se caractérise également par un certain degré d’inflammation synoviale, qui n’a rien à voir avec la polyarthrite rhumatoïde. Ils étudient également de plus en plus l’os. Le cartilage est normalement une surface lisse, qui peut se fissurer dans sa partie superficielle. Ce tissu est constitué de cellules, les chondrocytes, ce qui lui confère un caractère de tissu vivant. Les chondrocytes, qui sont enchâssés dans la matrice cartilagineuse, ont tendance à se regrouper en amas au bord des fissures ; on a même l’impression qu’ils se multiplient, ce qui semble traduire une sorte de réaction. Malheureusement, cette réaction ne paraît pas suffisante. En effet, le cartilage se détache et des fragments tombent dans la cavité articulaire. L’inflammation apparaît au microscope lorsque l’on examine le tissu synovial, sous la forme de foyers bleus qui correspondent à des cellules inflammatoires. Il s’agit de lésions focales avec un certain degré d’inflammation. Un autre élément caractéristique de l’arthrose concerne les modifications osseuses [ 3 ]. Des ostéophytes (prolifé- Le cartilage est un tissu très sucré, en raison des nombreuses glycoprotéines qui le composent et qui accroissent sa capacité à conserver les molécules d’eau. Le cartilage plein d’eau est doté de bonnes propriétés mécaniques. En effet, il a besoin d’être extrêmement efficace du point de vue biomécanique afin d’effectuer plusieurs milliers de mouvements par jour. Avec l’arthrose, le cartilage perd des protéines riches en sucre et le collagène de type 2, qui constitue la trame du cartilage, se modifie pour devenir un collagène d’un type autre et d’une qualité moindre. Ces phénomènes génèrent une matrice de mauvaise qualité qui rend l’ensemble plus fragile face à une agression mécanique. Le deuxième élément important à observer est la dégradation de la matrice qui diminue en raison d’un processus de destruction très actif : la synthèse d’enzymes par les chondrocytes. Ces cellules se mettent à synthétiser des enzymes qui affaiblissent la matrice. On passe ainsi d’un système extrêmement passif à un système très actif ; la dégradation de la matrice n’est pas la conséquence d’une usure mais d’une activité accrue des chondrocytes. On peut alors parler d’inflammation, si l’on définit celle-ci comme l’augmentation d’activité d’un tissu. 3 Os et arthrose Sclérose de l’os sous-chondral - Ostéophytes 10 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Géodes sous-chondrales 4 Dégradation du cartilage Cytokines ROS Composants matrice Stress mécanique… Médiateurs pro-dégradatifs Voies de signalisation inductibles Chondrocyte Régulations transcriptionnelles et post-transcriptionnelles MMPs Prostaglandines Cytokines NO ATP… (MB. Goldring & F. Berenbaum, Clin Orthop Relat Res) On a découvert qu’il existe un déséquilibre de synthèse à l’origine de l’arthrose. Dans un cartilage sain, on observe un équilibre entre les facteurs anaboliques pour la fabrication de matrice et les facteurs cataboliques pour la destruction de celle-ci. L’arthrose provoque un déséquilibre en faveur des facteurs cataboliques. Il y a alors davantage d’enzymes destructeurs de matrice que de facteurs anaboliques capables d’en fabriquer à nouveau. Les chercheurs se sont demandé pour quelle raison les chondrocytes se mettaient à synthétiser plus de ces enzymes, appelées métalloprotéases (MLP). Si le chondrocyte se met à fabriquer plus de MLP, c’est parce qu’il reçoit une information au niveau de sa membrane cellulaire. Ensuite, en appuyant sur un bouton -le récepteur-, toute une cascade de signalisation se met en marche depuis la membrane jusqu’au noyau, où se situe la bibliothèque de tous nos gènes [ 4 ]. Pour qu’une synthèse de protéine puisse avoir lieu, il faut que le livre soit pris dans la bibliothèque puis lu. La pression sur le bouton enclenche un processus qui aboutit à sortir le livre de la bibliothèque afin qu’il soit lu. C’est ce livre qui permet la synthèse. Cette signalisation intracellulaire aboutit à une augmentation de synthèse de MLP. Nous savons aujourd’hui ce qui appuie sur le bouton : il s’agit notamment des cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL1 (interleukine 1) ou le TNF (tumor necrosis factor). D’autres éléments interviennent également, qui constituent différents types de boutons-poussoirs. Ces aspects sont importants sur le plan thérapeutique, car si l’on empêche les molécules de communiquer entre elles, on peut éviter la synthétisation des MLP ; si l’on inhibe les enzymes, on peut empêcher la dégradation du cartilage ; si l’on empêche d’appuyer sur le bouton, la signalisation intracellulaire ne se fait pas, etc. Nous entrevoyons ici les différentes cibles thérapeutiques de l’avenir. D Initiation du processus arthrosique Il existe deux hypothèses à ce sujet. Une première approche concerne le stress mécanique, une surcharge sur un cartilage normal qui finit par se dégrader. L’obésité Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 11 L’arthrose aujourd’hui : les nouveaux concepts – facteur de risque majeur de la gonarthrose – est clairement l’exemple d’un stress mécanique avec un surpoids constant appuyant sur le cartilage du genou. Le genu varum ou le genu valgum, déformations au niveau des genoux, sont d’autres cas de stress mécanique exercé sur le compartiment externe ou interne selon le cas. Pour passer d’une arthrose asymptomatique à une arthrose symptomatique, un élément déclencheur intervient nécessairement. 50 % des patients souffrant par exemple de gonarthrose vont ressentir une douleur et seuls 10 ou 15 % finiront peut-être par consulter un médecin. Bien que l’on évoque un stress mécanique et une surcharge, on ne peut pas pour autant parler d’usure. Le stress mécanique joue effectivement un rôle dans l’activation des chondrocytes. Certains récepteurs situés à la membrane du chondrocyte sont capables de répondre au stress mécanique. En cas de surcharge, ces récepteurs, les intégrines, viennent provoquer la cascade de signalisation dans la cellule qui se met ensuite à synthétiser plus d’enzymes. C’est la surcharge qui donne un signal à la cellule pour qu’elle se mette à fabriquer les enzymes qui dégradent la matrice. Ce phénomène peut s’étudier en laboratoire en prélevant des morceaux de cartilage que l’on comprime afin de voir de quelle façon s’activent les cellules. Une étude de Michel Lequesne, réputé pour ses travaux sur l’arthrose de hanche, a observé que sur 100 % de la population, 60 % souffriront d’une arthrose anatomique, 30 % d’une arthrose radiologique, 15 % d’une arthrose symptomatique et 5 % seulement consulteront. La deuxième hypothèse de l’initiation du processus arthrosique est celle d’un cartilage anormal. Il s’agit à la base d’un cartilage qui n’est pas de bonne qualité. On évoque alors une cause génétique. Dans le cas de l’arthrose des mains, la surcharge est rare et ne concerne que quelques professions (couturières) ou certains peuples (les Chinois, qui utilisent des baguettes pour manger). Pour expliquer l’arthrose digitale, l’élément génétique n’est pas connu mais une susceptibilité génétique existe. On a également remarqué que les patients atteints d’arthrose digitale souffraient également d’arthrose de hanche ou de genou. L’arthrose symptomatique est l’association d’une arthrose anatomique, d’une douleur et éventuellement d’un handicap lié à la destruction articulaire. Cette notion de handicap est importante. Aux Etats-Unis, l’arthrite ou le rhumatisme représentent 17 % des causes de handicap et 13,5 % des lombalgies, ce qui est très nettement supérieur aux autres causes de handicap. Le handicap locomoteur est un handicap majeur comparativement à d’autres handicaps possibles. En outre, plus les patients avancent en âge et plus les handicaps s’accumulent. Si l’on distingue les handicaps les uns des autres, on constate que nous sommes, avec l’arthrose, face à un véritable problème de santé publique. Les conséquences de l’arthrose sont considérables en termes de nombre de jours d’alitement ou de jours d’arrêt de travail engendrés. 5 Biomécanique [5] Pour schématiser , l’activation du chondrocyte aboutit à une matrice altérée par la synthèse de MLP. On peut parler de pathologie mécanique, mais pour autant, ce facteur mécanique n’aboutit pas à une maladie dégénérative mais une maladie réellement active. Certaines molécules sont capables d’activer le chondrocyte : les cytokines, en particulier l’IL1 pour le cartilage. Le facteur génétique intervient également sur la fragilisation du cartilage. La génétique de l’arthrose est encore un domaine peu connu mais de nombreuses équipes explorent ce sujet à travers le monde. 12 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Génétique Cytokines Activation chondrocyte Matrice altérée Arthrose anatomique Prothèse totale de genou, par année : projection sur la population féminine américaine jusqu’en 2030 6 300 000 274.000 Effet du veillissement de la population 250 000 204.000 Effet de l'augmentation de la population 200 000 150 000 100 000 basé sur une répartition âge et sexe constante (1996) basé sur les prévisions d'âge et sexe du Census Bureau 50 000 0 1996 2000 2005 2010 2015 2020 2025 2030 On peut mesurer l’importance du handicap par la fré- Si une radio fait apparaître une arthrose asymptoma- quence de la mise en place d’une prothèse totale. L’ac- tique, cela signifie-t-il que le patient risque davantage ceptation de la pose d’une telle prothèse suppose en ef- d’évoluer vers une arthrose grave aboutissant à la pro- fet que le patient souffre d’un handicap majeur. Or on thèse ou à la dépendance, qu’une personne présentant constate une augmentation de la mise en place de pro- une arthrose symptomatique avec le même degré ana- thèses totales de genou chez les plus de soixante-cinq tomique de destruction ? Certains travaux apportent des ans [ 6 ]. C’est une bonne et une mauvaise nouvelle : les éléments de réponse. chirurgiens n’hésitent plus à mettre en place de telles prothèses, mais la fréquence augmente en raison du Une étude de 1999 sur la pose d’une prothèse totale à vieillissement de la population. Les projections pour 2030 trois ans a révélé que le fait d’avoir mal (plus de cin- sur la population américaine prouvent cette tendance. quante sur une échelle de cent d’évaluation visuelle analogique de la douleur) multiplie par près de deux le [7] . Le risque de mise en place d’une prothèse totale de hanche nombre de mises en place de ces prothèses aux Etats-Unis ou de genou. Une étude récente va exactement dans le va pratiquement doubler d’ici 2030. On peut imaginer que même sens pour la coxarthrose et c’est également vérifié les autres pays développés suivront à peu près le même pour la gonarthrose. Un patient qui a mal au genou et schéma. dont la radio révèle une arthrose, a effectivement plus Il en va de même pour la prothèse totale de hanche de risque de se voir poser une prothèse dans les trois Comment faire la corrélation entre ce qui est anatomique ans. Une arthrose radiologique découverte lors d’un bilan et ce qui est symptomatique ? de santé peut évoluer vers une arthrose plus grave mais Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 13 L’arthrose aujourd’hui : les nouveaux concepts Prothèse totale de hanche, par année : projection sur la population féminine américaine jusqu’en 2030 7 160 000 143.000 140 000 120 000 105.000 100 000 Effet du veillissement de la population Effet de l'augmentation de la population 80 000 60 000 basé sur une répartition âge et sexe constante (1996) basé sur les prévisions d'âge et sexe du Census Bureau 40 000 20 000 0 1996 2000 2005 2010 2015 le risque est moindre que dans le cas où l’arthrose est découverte suite à l’apparition de douleurs. Il est difficile d’expliquer ce phénomène. Une première méthode consiste à comparer les patients souffrant d’arthrose symptomatique aux autres à l’aide de l’IRM, afin de détecter des signes pouvant permettre de comprendre pourquoi les patients ont mal. Une étude a été menée en ce sens pour comparer deux populations souffrant d’arthrose, l’une avec douleur et l’autre sans. On a ainsi pu déceler des anomalies dans l’os sous-chondral (œdème) plus fréquentes chez les patients qui souffrent. Il ne s’agit cependant que d’une étude, une IRM n’étant pas prescrite habituellement pour une arthrose. Il est donc nécessaire de comprendre pourquoi les patients souffrent, et cela a permis de réaffirmer qu’il faut s’intéresser à l’os pour une bonne compréhension des phénomènes douloureux de l’arthrose. 14 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 2020 2025 2030 3 Le traitement Le traitement d’aujourd’hui est différent de ce qu’il sera en 2020. Une véritable révolution, semblable à celle qu’a connue la polyarthrite rhumatoïde entre 1990 et 2000, est actuellement en cours. Aujourd’hui, il existe deux types de traitements : le traitement non médicamenteux et le traitement médicamenteux. • Le traitement non médicamenteux Il consiste à faire en sorte que les patients conservent une activité physique correcte. Une activité régulière aide à lutter contre les autres handicaps éventuellement associés auxquels il faut prêter attention. Les exercices physiques ont un intérêt majeur pour conserver une certaine qualité de l’articulation. Cet intérêt a été démontré essentiellement en termes de qualité de vie, plus qu’en termes de douleur. Comme pour la polyarthrite rhumatoïde, il existe des traitements de fond et des traitements symptomatiques. Il n’existe pas d’autre traitement de fond de l’arthrose que l’exercice physique. • Le traitement médicamenteux Il existe plusieurs types de traitements symptomatiques médicamenteux : les antalgiques, les anti-inflammatoires, les anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente (Chondrosulf®, glucosamine sulfate, etc.) qui sont pratiquement aussi peu anti-arthrosiques que le paracétamol. Aujourd’hui, leur prescription est liée à la présence de la douleur. On ne peut pas parler de traitement antiarthrosique. Le traitement médicamenteux est d’action lente et quelques semaines sont nécessaires avant qu’il ne se mette à agir. Il possède en outre un effet rémanent pendant quelques semaines en cas d’arrêt. Quoiqu’en dise le marketing aujourd’hui, il s’agit d’un traitement symptomatique. Des études très intéressantes sont menées qui pourraient montrer un léger effet sur la dégradation du cartilage, mais leurs résultats sont pour l’instant controversés. l’amaigrissement est efficace, mais certains sports doivent être évités. Ainsi, un patient atteint de coxarthrose ou de gonarthrose devra éviter les sports de piste (basket, volley, athlétisme) à un trop haut niveau, alors que le vélo et la natation ne posent pas de problème. Il existe en outre une liste de maladies professionnelles associées à l’arthrose : le carreleur souffre d’arthrose fémoro-patellaire, les outils vibrants provoquent l’arthrose du coude. Nous sommes déjà passés de l’ère de la maladie dégénérative liée à l’usure et traitée par des analgésiques à des traitements pluridisciplinaires de l’arthrose, comme il en existe pour la polyarthrite rhumatoïde par exemple. Le traitement de l’arthrose doit être appréhendé de différentes façons. Les laboratoires pharmaceutiques tentent aujourd’hui de découvrir des molécules capables d’arrêter la cascade vicieuse qui aboutit à la dégradation du cartilage, par différents biais comme les anti-cytokines. On commence à s’approcher des médicaments utilisés par la polyarthrite rhumatoïde. Les traitements anti-TNF font fureur dans la polyarthrite rhumatoïde en ce moment, à juste titre. Pour l’arthrose, un essai est en cours qui consiste à injecter de l’anti-IL1 dans l’articulation, ce que personne n’aurait cru possible il y a vingt ans. Il existe d’autres traitements symptomatiques : • les traitements locaux, sous forme d’injections intraarticulaires de corticoïdes, efficaces dans les arthroses inflammatoires avec épanchement articulaire, réveils nocturnes ou raideur matinale, ou sous forme d’injection d’acide hyaluronique, traitement symptomatique considéré comme efficace par les rhumatologues et qui constitue une alternative qui peut parfois être intéressante si les traitements précédents ne sont pas suffisants ; • la physiothérapie (massages) peut également rendre service, avec par exemple la rééducation du muscle vaste interne de la cuisse pour l’arthrose fémoropatellaire ; En 1973, Stanislas de Sèze, l’un des grands noms de la rhumatologie française, s’interrogeait en ces termes : « toutes ces hypothèses encore fragiles vont-elles un jour déboucher sur un progrès dans la thérapeutique anti-arthrosique qui, reconnaissons-le, en aurait bien besoin ? Il faut convenir en effet que depuis un demi-siècle, la thérapeutique médicale de l’arthrose est demeurée misérable. Pourquoi le rêve de régénérer le cartilage arthrosique ne deviendrait-il pas un jour réalité, à l’heure où, des deux côtés de l’Atlantique, la biochimie enzymatique occupe l’activité des chercheurs les plus avisés ? L’espoir de voir sortir du cerveau et des alambics des alchimistes modernes une thérapeutique capable de régénérer le cartilage arthrosique n’apparaît pas plus déraisonnable que ne l’était il y a vingt ans l’espoir de voir un homme marcher sur la lune ». Stanislas de Sèze s’est montré très clairvoyant. Il aura certainement fallu plus de temps qu’il ne l’espérait, mais la recherche avance. • le dernier des divers moyens utilisés est la prothèse totale. Il ne faut pas oublier les traitements de la cause, en particulier l’obésité. Une très bonne étude a montré que Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 15 L’arthrose aujourd’hui : les nouveaux concepts Questions Réponses neau et les données sont devenues difficiles à obtenir. Il est possible aujourd’hui d’envoyer des fragments de cartilage à cette société qui se charge de multiplier les chondrocytes des demandeurs puis de leur renvoyer pour utilisation, bien que cette technique soit encore très « acrobatique ». « Où en est la recherche sur la greffe de cartilage comme traitement de l’arthrose ? » Pr Francis Berenbaum L’idée est simple puisqu’il s’agit de « boucher les trous » qui affectent le cartilage. Une équipe suédoise a réalisé une étude sur ce thème. Ayant prélevé du cartilage dans une zone non portante, elle en a extrait les chondrocytes puis les a cultivés. Ensuite, elle a récupéré un culot de cellules chondrocytaires, capables de fabriquer de la matrice cartilagineuse, et les a positionnées dans le trou cartilagineux. Puis elle a utilisé de l’os pour boucher le trou sur le cartilage afin d’éviter que les cellules s’échappent. A terme, l’os finit par disparaître et les cellules ont eu le temps de fabriquer de la matrice pour combler le trou. L’idée est intéressante, intelligente et a abouti à une belle publication montrant le bouchement du trou. Mais les patients choisis ne souffraient pas du tout d’arthrose. Il s’agissait de jeunes patients ayant subi un traumatisme et dont tout le cartilage était sain, à l’exception de l’endroit où se situait le trou, à cause du traumatisme. Pour plusieurs patients, cela a donné des résultats positifs mais sans groupe contrôle. On ignore ce qu’il serait advenu si le trou n’avait pas été bouché. En outre, l’étude remonte à plusieurs années et il est difficile de savoir ce que sont devenus les patients ou ce que deviennent les nouveaux patients traités de cette manière. Une entreprise de biotechnologie s’est lancée sur ce cré- 16 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Dans l’arthrose, le reste du cartilage n’est pas sain. Les recherches en matière de greffe sont nombreuses. Mais aujourd’hui, il est difficile de contourner le problème qui réside dans le fait que le cartilage périphérique n’est pas sain. On tente de mieux comprendre le chondrocyte pour voir s’il est possible de le modifier lorsqu’il est malade et ne peut plus fabriquer suffisamment de matrice. La thérapie cellulaire permet de mieux comprendre comment cette cellule se différencie. Il existe des pistes mais on ne peut pas encore parler de greffes de cartilage efficaces dans l’arthrose. « Les diabétiques ont-ils moins d’arthrose que les autres ? Peut-on imaginer d’injecter du sucre dans le cartilage ? » Pr Francis Berenbaum C’est une question que l’on commence à se poser mais pour d’autres raisons. Les diabétiques, comme le cartilage arthrosique, fabriquent des produits finaux de glycation, sucrés, qui s’accumulent à certains endroits et qui ont la capacité d’activer le chondrocyte. Une étude épidémiologique sur la fréquence de l’arthrose chez les diabétiques comparativement aux non diabétiques est en cours. L’arthrose et la tarification du risque Dr Dominique Lannes • Médecin-conseil - SCOR Global Life Nous allons aborder l’évaluation du risque de l’arthrose en assurance, avec tout d’abord le cas d’un jeune proposant souffrant d’une arthrose unique, localisée uniquement à l’articulation métatarso-phalangienne. L’assureur et le réassureur ont dû faire face à un sinistre de plusieurs millions d’euros. De quel type de dossier étaitil question ? Il s’agissait d’un footballeur professionnel appartenant à une grande équipe, qui avait dû trop stimuler ses chondrocytes à force de taper dans le ballon. Ce stress mécanique répété a eu pour conséquences des difficultés pour courir et donc pour jouer au football. Cet exemple montre que l’arthrose peut entraîner des incapacités. Nous aborderons les grandes règles de tarification. Cependant, il existe des cas particuliers pour lesquels il est nécessaire de faire du sur-mesure, en faisant appel à l’expérience, notamment dans les cas d’arthrose inhabituelle par leur localisation, leur intensité, et qui sont à relier à l’activité et/ou à la profession. Précisons que les douleurs dorsolombaires (atteinte de la colonne vertébrale pouvant être d’origine arthrosique) sont la deuxième principale cause d’arrêt de travail. 1 ne figure pas sur la liste des maladies devant être prises en charge à 100 %*. Si le médecin ou le proposant indique que l’arthrose est couverte à 100 %, c’est qu’il s’agit d’une arthrose grave ou invalidante. Si la personne est en invalidité pour arthrose, cette arthrose est probablement déjà sévère, de même si elle entraîne la prise continue et majeure d’antalgiques ou d’AINS, ou si une prothèse articulaire est déjà en place ou prévue. Dans ces différents cas, nous tarifons un léger sur-risque de 25 %. Deux exemples pour mieux comprendre la raison de ce sur-risque. Le premier concerne un individu qui déclarait une arthrose couverte à 100 %. Il s’agissait d’une arthrose rachidienne, avec un canal lombaire étroit, qui comprimait lentement la moelle épinière, entraînant une paraplégie progressive. Au niveau IAD, le risque était certain et son arthrose était prise en charge à 100 %. Le second exemple concerne un individu déclarant souffrir d’une coxarthrose opérée par prothèse de hanche. Son opération a donné lieu à une infection nosocomiale et a nécessité une nouvelle intervention. En conclusion, on peut qualifier le plus souvent le risque de normal. L’évaluation du risque en Décès / IAD Nous nous sommes posé une question simple : le fait de souffrir d’arthrose constitue-t-il un sur-risque en termes de mortalité ? Avoir des cartilages usés, ou avoir subi de très nombreux stress mécaniques qui ont stimulé les chondrocytes au niveau des cartilages peut-il être corrélé à une usure plus générale de l’organisme et donc à une surmortalité accrue ? Apparemment, aucune étude n’a montré que les arthrosiques, à âge égal, avaient une mortalité supérieure aux non arthrosiques. Cela étant, l’arthrose augmente avec l’âge, tout comme la mortalité. A priori, dans le cas d’un proposant souffrant d’arthrose (coxarthrose ou gonarthrose), le risque est normal dans la majorité des cas. On peut parfois noter une surmortalité, notamment si le proposant déclare une arthrose couverte à 100 % par la sécurité sociale, car cette pathologie 2 L’incapacité et l’invalidité Les douleurs dorsolombaires sont à l’origine d’un grand nombre d’arrêts de travail en France. Dans la plupart des cas, l’exclusion est de mise. Cela n’est pas satisfaisant mais nous n’avons pas trouvé mieux pour l’instant. Nous faisons tout pour accepter les proposants en incapacité à des tarifs raisonnables. Nous connaissons les limites de l’exclusion mais il faut bien admettre qu’elle doit intervenir assez souvent dans le cas de l’arthrose. * Le système d’assurance maladie français prend totalement en charge les frais de santé liés à certaines maladies nécessitant un traitement prolongé et coûteux. Ces maladies appelées « affections longue durée » sont répertoriées sur une liste précise, mais des patients peuvent obtenir des prises en charge à 100 % pour des maladies hors liste particulièrement graves. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 17 L’arthrose et la tarification du risque Si l’arthrose est prise en charge à 100 % par la Sécurité Sociale française, si la personne est déjà en invalidité pour arthrose, et s’il y a prise continue d’antalgiques majeurs ou d’AINS pour l’arthrose, la prudence veut que nous refusions ces proposants pour l’incapacité et l’invalidité. L’exclusion (le cas le plus fréquent) doit être claire, non ambiguë, compréhensible par le proposant, limitée et formelle. Elle doit véritablement « sauter aux yeux » du proposant qui doit la comprendre. En cas de sinistre, il faut éviter les litiges et les conflits d’experts, ce qui n’est pas toujours facile. A titre d’exemple, si un proposant déclarait une arthrose rachidienne, nous proposerions l’exclusion de « toute atteinte dégénérative disco-vertébrale, lombo-sacrée, cervicale, ou dorsale selon la localisation, ses suites et conséquences ». Cette exclusion a le mérite de prendre en compte les disques inter-vertébraux et les vertèbres. Cependant le terme « dégénérative » est susceptible de ne pas être compris par un proposant, de même que « discovertébrale » aussi nous préférons l’exclusion suivante : « A l’exclusion de toute atteinte de la colonne vertébrale ou de toute atteinte para-vertébrale qui n’est pas due à une infection, une tumeur ou une fracture, ses suites et conséquences ». Dans ce cas, nous expliquons ce que nous allons prendre en charge et nous excluons tout le reste. Cette exclusion a le mérite d’être simple et compréhensible mais elle n’est pas applicable dans tous les cas et ne peut éviter tous les litiges. En cas d’arthrose du genou, l’exclusion peut concerner « toute atteinte dégénérative du genou » ou « toute atteinte du genou qui n’est pas due à une infection, une tumeur ou une fracture ». Cela a le mérite d’être simple, limité et précis même si aucune exclusion n’est parfaite. L’avenir et la jurisprudence nous diront si ces exclusions sont correctes. Le plus souvent donc, nous avons recours à une exclusion et de temps en temps, au refus. Avant d’aborder la tarification, prenons un autre cas : une femme de trente-cinq ans déclare une polyarthrose diffuse et est sur le point de se trouver en invalidité alors que ses radios sont normales. De quelle pathologie s’agit-il ? Elle est atteinte d’une fibromyalgie. La fibromyalgie n’a rien à voir avec l’arthrose mais, de temps en temps, elle peut 18 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie apparaître sous le terme de polyalgie diffuse ou de polyarthrose, etc. Il s’agit généralement de femmes jeunes, avec un environnement de fibromyalgie (traitements nombreux, hospitalisations, bilans et douleurs multiples…). Il convient de se méfier de la fibromyalgie qui peut se cacher derrière une polyarthrose. La tarification demeure possible dans le cas d’arthrose plutôt diffuse, peu sévère, non invalidante, ne nécessitant pas de prise en charge thérapeutique particulière. Le sur-risque peut être de 25, 50, 75 %, etc. selon le type d’arthrose et selon la profession exercée pour certains types d’arthrose particulière. L’évaluation se fera au cas par cas. 3 La dépendance En France, l’arthrose est présente dans de très nombreux dossiers de contrats dépendance. Cela semble normal dans la mesure où ces dossiers concernent des personnes plutôt âgées. Pour la sélection du risque, tout commence par un questionnaire médical simplifié rempli par le proposant. Si ce dernier déclare un traitement, une invalidité ou une prise en charge à 100 %, il est alors nécessaire d’obtenir un questionnaire médical rempli par le médecin. L’arthrose traitée est également concernée. Pour la tarification dépendance de l’arthrose, on demandera au médecin dans ce questionnaire si le patient est capable d’accomplir les actes de la vie quotidienne (marcher, faire les courses, etc.). Dès que l’on constate un trouble moteur, surtout sur les membres inférieurs, le dossier est refusé. Un individu qui déclare une arthrose et qui utilise déjà une canne ne pourra donc être assuré en dépendance. En fonction de la localisation de l’arthrose, du nombre d’articulations touchées (mono, oligo, poly articulaire), de l’existence d’une invalidité, d’une prise en charge totale des frais de santé par le système public d’assurance maladie, d’une prothèse de hanche ou de genou prévue, le risque ira d’un risque normal au refus, voire à l’ajournement si certaines informations sont manquantes. La dépendance totale ou partielle pourra être accordée pour les cas les moins graves. Dans les cas les plus graves, la dépendance partielle ne sera pas accordée. Seule la dépendance totale le sera. Questions Réponses Dr John Evans Nous assurons de nombreux footballeurs professionnels. Nous avons tendance à exclure l’articulation lorsque le ligament croisé antérieur, par exemple, a été opéré. Pourtant, souvent, le joueur reprend ensuite son activité professionnelle et peut poursuivre sa carrière sans le moindre arrêt de travail. Estimez-vous que l’exclusion puisse être levée durant la durée de la carrière professionnelle d’un footballeur ? Ou bien, une fois qu’il y a eu une intervention sur un genou, considérez-vous qu’il convient de conserver une réserve par rapport à cette articulation ? Dans le cas d’une arthrose du genou ayant abouti à une exclusion, si l’individu se luxe le genou, estil pris en charge ou pas, sachant que vous ne parlez dans l’exclusion proposée que de fracture, de tumeur ou d’infection ? Dr Dominique Lannes Le sinistre devrait en effet être pris en charge car il n’est pas lié à l’arthrose, mais étant donné que la luxation est un traumatisme et non une fracture, il ne le sera pas. Lors de la rédaction de l’exclusion, nous avons hésité entre les termes « fracture » et « traumatisme ». C’est un sujet sensible puisque nous voyons bien dans ce cas, qu’un assuré qui subit un tel traumatisme ne serait pas pris en charge alors qu’il le mériterait puisque celui-ci n’est pas lié à l’arthrose. C’est la limite de l’exclusion qui peut s’avérer injuste parfois. Nous continuons de réfléchir pour intégrer le traumatisme. Pr Francis Berenbaum La question est très difficile. Tout dépend de la qualité de l’intervention et de la possibilité ensuite de conserver une articulation bien stable après l’opération. Si le genou reste instable après l’opération, le risque d’arthrose persiste. En cas de méniscectomie, même partielle, le risque d’arthrose augmente. En cas de rupture du ligament croisé isolée, lorsque l’intervention répare les ligaments et que l’articulation est stable, sans traumatisme méniscal associé, on peut très bien imaginer alors qu’il n’y aura pas d’évolution vers une arthrose. Tout dépend de la possibilité ou non de conserver une articulation très stable. Dès lors qu’un sportif est professionnel, il y a hyper-utilisation de l’articulation par rapport à un sportif non professionnel, ce qui complique les choses. A la base, le professionnel est déjà à risque. Après un traumatisme sur un genou, tout dépend des séquelles et du geste opératoire. Il est difficile de généraliser, il faut s’en tenir au cas par cas. Michel Dufour L’objectif était d’être plus restrictif au niveau du libellé de l’exclusion et d’être plus large au moment de l’étude du sinistre. Dr Dominique Lannes Certes, mais si on prend l’exclusion au pied de la lettre, en l’absence de fracture, il ne peut y avoir de prise en charge. Le raisonnement est-il le même pour un footballeur qui a été victime d’une rupture du ligament croisé mais qui ne s’est pas fait opérer ? Des études comparatives ont-elles été menées entre genou opéré et non opéré ? Pr Francis Berenbaum Je n’ai pas eu connaissance d’études de ce type. En revanche, j’ai lu beaucoup d’études sur les ménis- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 19 L’arthrose et la tarification du risque cectomies. Il faut véritablement s’appuyer sur l’expertise de l’orthopédiste, seul à même d’évaluer si l’articulation est stable ou pas du point de vue clinique. Pour un professionnel, il peut être nécessaire d’aller plus loin dans l’évaluation de la stabilité. La clé de l’arthrose du genou chez le sportif est la stabilité. Pourquoi utiliser l’expression « colonne vertébrale » dans l’exclusion plutôt que « colonne discovertébrale » ? Dr Dominique Lannes L’avantage d’utiliser les termes « colonne vertébrale » est que le proposant comprend ce que cela signifie. Le Professeur Berenbaum nous a, lui aussi, parlé de colonne vertébrale et il sait également ce que cela signifie. Les disques font bien partie de la colonne vertébrale… Nous avons réfléchi, sur la base de la jurisprudence, à un concept compréhensible par le proposant et qui entraîne le moins de litiges possibles. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait utiliser des termes très simples. La colonne vertébrale englobe selon nous tout le rachis et les disques. On parle également de « région paravertébrale ». Nous avons connu un très grand nombre de sinistres dans lesquels des douleurs lombaires se sont transformées en douleurs paralombaires ou paravertébrales. Le terme « région paravertébrale » permet de verrouiller ce point. Pourquoi ne pas avoir envisagé une surprime plutôt qu’une exclusion ? Dr Dominique Lannes Il nous arrive de proposer des surprimes, plutôt lorsqu’il s’agit d’arthrose diffuse et non grave. Dans le cas d’une arthrose plutôt localisée, au genou ou à la hanche, « l’idéal » est plutôt l’exclusion. Michel Dufour Il est vrai que ce type de demandes existe. On peut toutefois se demander pour quelle raison l’assuré préfère absolument payer une surprime plutôt que d’accepter une exclusion. Il y a là matière à bien étudier le dossier et à rapprocher tous les paramètres (contexte professionnel, âge, environnement…). 20 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Cela soulève des interrogations. On peut donner suite à cette demande dans quelques cas d’arthrose très légère mais de notre point de vue de réassureur nous faisons preuve d’une méfiance indéniable vis-à-vis de ce type de demandes. Dr John Evans Il est possible de se protéger dans certains cas en jouant sur la franchise. Plus la franchise est longue avant le paiement des indemnités d’incapacité professionnelle, plus nous sommes prêts à examiner la demande. Lorsque la franchise est très courte, surtout lorsqu’il s’agit de professions manuelles ou exposées, nous préférons l’exclusion. Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec • Service de Rhumatologie du Professeur Kahan - Hôpital Cochin, Paris La polyarthrite est un rhumatisme inflammatoire chronique, souvent grave et sévère, qui peut conduire à l’invalidité s’il est négligé [ 8 ]. L’objectif est de diagnostiquer précocement la polyarthrite rhumatoïde pour proposer des traitements adaptés et éviter les destructions ostéo-cartilagineuses et les déformations. la membrane synoviale très vascularisée devient très inflammatoire et sécrète un liquide synovial extrêmement inflammatoire. C’est une maladie inflammatoire potentiellement très agressive [ 9 ]. 2 1 Les différentes formes d’arthrite Définitions Les rhumatologues sont les spécialistes des maladies de l’appareil locomoteur : os, articulations, muscles et tendons, et colonne vertébrale (les disques étant fréquemment atteints). L’articulation est le point de rencontre de deux surfaces osseuses recouvertes de cartilage. La cavité articulaire est fermée par la membrane synoviale qui est très vascularisée. Elle sécrète le liquide synovial qui est très important puisqu’il lubrifie l’articulation. Autour, on trouve les ligaments, les muscles et les tendons. Il existe deux maladies de l’articulation : l’arthrose et l’arthrite. Le suffixe « ite » indiquant une inflammation, l’arthrite est donc une inflammation de l’articulation. L’arthrose désigne la disparition du cartilage et l’arthrite une inflammation de la synoviale (synovite). En cas d’arthrite, 8 Derrière l’arthrite se cachent de nombreuses maladies. A L’arthrite infectieuse ou septique On distingue tout d’abord ce qui constitue la hantise du rhumatologue, l’arthrite infectieuse. Il convient de toujours chercher à éliminer cette cause avant de parler d’arthrite d’autre nature. Lorsqu’un germe atteint une articulation, il va la détruire. Lorsqu’une articulation gonfle, il faut systématiquement suspecter une arthrite infectieuse, et la faire ponctionner par un rhumatologue afin d’éliminer la possibilité d’une infection. Parmi les arthrites infectieuses, on peut citer la tuberculose, les sepsis à staphylocoques, à streptocoques, etc. B L’arthrite micro-cristalline La deuxième cause d’arthrite se rencontre surtout chez la personne très âgée. L’arthrite micro-cristalline prend 9 Os Cartilage Liquide synovial Membrane synoviale Lésion du cartilage Lésion osseuse Articulation normale Articulation arthritique Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 21 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde naissance lorsqu’un corps étranger tel qu’un cristal de calcium ou un cristal d’acide urique (goutte) s’introduit dans une articulation. Parmi les arthrites non infectieuses et non micro-cristallines, on trouve d’autres maladies telles que la polyarthrite rhumatoïde. C Le tabagisme est l’un des facteurs les plus intéressants : on peut expliquer au patient que l’un des premiers trai11 La polyarthrite rhumatoïde L’arthrite rhumatoïde n’est pas seulement une synovite. Généralement, elle est associée à un épaississement et une multiplication de la membrane synoviale qui envahit la cavité articulaire : le pannus synovial [ 10 ]. L’arthrite est une maladie polymorphe, qui peut se manifester par l’atteinte d’une seule articulation (monoarthrite rhumatoïde), de moins de cinq articulations (oligoarthrite rhumatoïde), ou de plus de cinq articulations (polyarthrite rhumatoïde). La polyarthrite rhumatoïde est une maladie multifactorielle -déclenchée par plusieurs facteurs [ 11 ]. Elle survient sur un terrain génétique particulier mais pour qu’elle se manifeste, il faut des facteurs d’environnement qui ont probablement un rôle beaucoup plus important que les facteurs génétiques. On connaît peu le terrain génétique. Nous progressons chaque jour dans ce domaine grâce aux études génétiques qui sont menées. Il semble que le système HLA (Human Leucocyte Antigen) porté par les globules blancs, qui permet de faire des greffes en assurant la compatibilité entre donneur et receveur, soit très particulier en cas de polyarthrite. La plupart du temps, on peut retrouver un système HLA spécifique de la polyarthrite. On trouve le DR4, ou DRB1O4 selon la nouvelle nomenclature, dans 40 à 60 % des cas, et le DRB101, ou DR1, dans 20 à 30 % des cas. Il existe donc bien un terrain génétique particulier. De nombreux facteurs environne10 Hypertrophie de la synoviale, amincissement du cartilage, épanchement de liquide synovial 22 mentaux sont à prendre en compte et tous ne sont pas connus. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Pathogénie Terrain génétique / facteurs environnementaux Dérèglement immunitaire (cytokines pro-inflammatoires, auto anticorps…) Réaction inflammatoire auto-entretenue Synovite chronique Prolifération synoviale Pannus Destruction ostéo-cartilagineuse tements consiste évidemment à arrêter de fumer. De plus, les polyarthrites sont souvent plus graves avec le tabagisme. L’alimentation intervient peut-être aussi, sans que l’on en ait toutefois la certitude. Les facteurs hormonaux, quant à eux, jouent probablement un rôle dans la mesure où la polyarthrite rhumatoïde touche plutôt les femmes à la ménopause, ce qui semble indiquer qu’il existe un terrain hormonal particulier. Mais le facteur hormonal n’est sûrement pas seul en cause, puisque la polyarthrite rhumatoïde touche également les enfants et les personnes âgées. Le stress psycho-affectif est susceptible de déclencher la maladie, qu’il soit dû à un deuil, un divorce, un problème d’arrêt de travail prolongé etc. Les malades ont d’ailleurs besoin de comprendre ces phénomènes pour mieux se traiter. Enfin, les facteurs infectieux, bactéries ou virus, jouent aussi certainement un rôle. En tous les cas, il n’y a pas de facteur unique, même si l’un d’eux est parfois prédominant. Il faut essayer de trouver, avec l’aide des malades, le facteur déclenchant. Ainsi, ils peuvent un peu mieux accepter leur maladie. La polyarthrite rhumatoïde est une anomalie du système immunitaire qui attaque l’articulation au lieu de la protéger. Il s’agit d’une maladie auto-immune : les patients fabriquent des auto-anticorps contre eux-mêmes. Pour expliquer le déclenchement de cette maladie, on peut évoquer un terrain génétique particulier associé à un ou plusieurs facteurs environnementaux, entraînant un dérèglement du système immunitaire. Souvent, après stimulation antigénique, la collaboration macrophagelymphocyte déclenche une activation du lymphocyte T stimulant la sécrétion de cytokines qui aggrave le pannus et les destructions cartilagineuses. Il s’ensuit une réaction inflammatoire chronique auto-entretenue : la synovite chronique et la prolifération synoviale responsables de la destruction cartilagineuse et des déformations. Il faut bien expliquer tout ceci aux patients pour qu’ils puissent comprendre pourquoi on leur propose des traitements agressifs potentiellement toxiques. 3 Evolution de la polyarthrite rhumatoïde La polyarthrite rhumatoïde est une maladie très capricieuse et sournoise. Les poussées sont totalement imprévisibles et les rémissions plus ou moins longues et complètes. Or la première question que pose un malade atteint d’une polyarthrite rhumatoïde concerne son évolution. Le problème est que nous ne savons pas exactement comment cette pathologie évolue. Cette inconnue en terme d’évolution, propre aux maladies chroniques comme le diabète ou la sclérose en plaques, place le malade en situation d’incertitude quant à son avenir et peut perturber fortement la relation médecin/malade ou médecin/soignants, avec à la clef des problèmes thérapeutiques importants. Avec une polyarthrite rhumatoïde, la vie du patient est totalement bouleversée en raison du retentissement psychique et socioprofessionnel. On ne prend pas toujours bien conscience de la souffrance engendrée par la polyarthrite rhumatoïde. La situation doit être expliquée aux patients pour éviter qu’ils négligent leur maladie ou se tournent uniquement vers des médecines non-traditionnelles. Le retentissement physique est évident : le patient souffre, de manière incessante. Il ne dort pas la nuit, il est raide au réveil – on parle de raideur matinale – et il est fatigué. Il ne peut se rendre au travail, car il éprouve des difficultés pour sortir de son lit, ouvrir un pot de confiture, ou encore prendre une douche. Sa vie est bouleversée. Lorsque les articulations gonflent, la maladie devient visible. Mais la douleur est éminemment subjective et le patient est souvent considéré comme un « tire-auflanc » s’il ne se rend pas au travail ou s’il ne sort pas de son lit. Dans les groupes de discussion que nous animons, les patients nous confient qu’ils se sentent très isolés et incompris, à la fois par les médecins et par leur propre entourage. Leur maladie est silencieuse et souvent invisible. La fatigue et la douleur aidant, le patient risque de se laisser aller et de se sédentariser puis finir par perdre son autonomie et une certaine qualité de vie (sociale Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 23 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde et quotidienne) avec comme perspective le handicap et l’invalidité. C’est donc un problème majeur. Nous disposons de l’échelle HAQ, une échelle de capacité fonctionnelle [ 12 ] pour mesurer la capacité des malades à s’habiller, se préparer, se lever, se nourrir, marcher ou attraper un objet. Elle n’est pas satisfaisante mais c’est la seule à être reconnue en France et en Europe. Le retentissement psychique est aussi très important. Les patients sont stressés et anxieux face à une maladie imprévisible qui les contraint à faire le deuil de leur vie antérieure. Ils risquent de se replier sur eux-mêmes et se retrouvent souvent isolés. Ils se voient contraints de changer leurs habitudes de vie, comme se soumettre à de nombreuses prises de sang, suivre des régimes particuliers, prendre des médicaments souvent toxiques. Certains doivent porter des attelles la nuit. C’est une maladie qui a des conséquences sur la vie relationnelle, affective et sexuelle. Ces aspects préoccupent fortement les malades et il est aussi important de les prendre en charge que de leur prescrire des médicaments. Sur le plan socio-économique, la polyarthrite rhumatoïde entraîne des arrêts de travail répétés, des arrêts en longue maladie, des mi-temps thérapeutiques, des reclassements professionnels. De nombreux malades sont obligés d’arrêter de travailler alors qu’ils préfèreraient continuer. Travailler permet en effet souvent d’oublier 12 Capacité fonctionnelle Echelle HAQ (Health Assessment Questionnaire) sa maladie. Il s’ensuit de plus une baisse des revenus qui provoque une insécurité économique. A cela s’ajoutent les consultations répétées, les hospitalisations, les gestes chirurgicaux et des traitements très coûteux. Le fait de parler davantage de cette maladie contribuera peut-être à en améliorer la prise en charge. 4 Données démographiques La polyarthrite rhumatoïde touche 0,5 à 1 % de la population selon les pays. Elle est trois fois plus fréquente chez la femme. L’âge moyen de survenue est de quarante-cinq ans environ, soit un âge où l’activité professionnelle est encore importante. Selon une enquête de la Société Française de Rhumatologie, la prévalence (nombre de malades à un moment donné dans une population) en France est de 0,31 %, ce qui équivaut au nombre de malades souffrant de spondylarthrite. L’incidence annuelle (nombre de nouveaux cas en France chaque année) est d’environ 8,8/100 000. Environ 300 000 personnes sont touchées chaque année en France. Les associations donnent des chiffres plus importants mais difficiles à vérifier. Selon des données émanant de la Sécurité Sociale française, le nombre de déclarations annuelles de polyarthrites était stable entre 1989 et 1996. La moyenne annuelle serait de 8 500 cas signalés, avec une incidence approximative de 20/100 000 pour la population considérée et une prévalence globale de 0,4 % pour l’ensemble de la population. Cette estimation équivaut à 150 000 cas pour la France. 8 domaines d’activités de la vie quotidienne : (dimensions) : 2-3 questions pour chacun • s’habiller et se préparer • se lever • se nourrir • marcher • faire sa toilette • atteindre et attraper • prendre • autres activités (faire les courses…). 24 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 5 Diagnostic et prise en charge initiale A Diagnostic précoce La polyarthrite rhumatoïde doit faire l’objet d’un diagnostic très précoce. C’est la raison pour laquelle nous devons faire évoluer la situation et parler de cette maladie. Souvent les patients consultent après deux ou trois ans d’évolution, lorsqu’il est déjà un peu tard. Pourtant, il est très facile de poser le diagnostic précocement chez une femme d’âge moyen souffrant de douleurs polyarticulaires qui touchent en particulier les mains (interphalangiennes proximales et métacarpo-phalangiennes), surtout en cas d’atteinte bilatérale et symétrique avec gonflement des articulations. Toutefois, il existe des modes de présentation trompeurs pour lesquels la phase précoce est plus difficile à déceler : il peut s’agir par exemple d’un homme souffrant d’une monoarthrite au genou. Dans ce cas, il convient de ne pas penser à l’arthrose mais bien à l’arthrite. Les atteintes du pied peuvent également être spécifiques de la polyarthrite mais on ne pense pas souvent à cette pathologie. La raideur matinale qui entraîne des difficultés à sortir du lit peut aussi être un symptôme. Il ne faut pas hésiter à demander l’avis d’un rhumatologue lorsqu’au moins trois articulations sont gonflées, en cas d’atteinte du pied ou de la main, et en cas de raideur de plus de trente minutes. Le diagnostic peut être confirmé par quelques examens complémentaires. La vitesse de sédimentation et la C-reactive-protein (CRP), qui sont des marqueurs de l’inflammation, ne sont pas très intéressants car une sinusite suffit à les faire augmenter. Si l’on y associe d’autres marqueurs plus spécifiques et des radiographies, ils prennent tout leur intérêt bien que les radiographies soient souvent normales au début. Souvent, les patients viennent avec une sérologie Latex Waaler-Rose très positive. Mais il faut savoir que 5 % des sujets âgés sont porteurs sains et ne souffrent pas de polyarthrite. Ce marqueur n’est donc pas du tout spécifique mais est intéressant s’il montre, dès le début, un taux élevé. C’est alors un facteur pronostique défavorable. 30 % des polyarthrites sont séropositives pour les facteurs rhumatoïdes dans les six premiers mois. 70 % des polyarthrites deviennent séropositives après trois ans d’évolution : il ne faut donc pas attendre la séropositivité (ce terme devant être utilisé avec prudence devant les malades qui y associent d’autres pathologies). Les anti-CCP (anti-citrullines) sont des anticorps intéressants. Il s’agit d’un nouveau marqueur encore peu répandu mais spécifique et sensible. C’est un bon marqueur pour le diagnostic : s’il est positif, on peut penser que l’on est en présence d’une polyarthrite rhumatoïde débutante, le diagnostic n’étant cependant jamais certain à 100 %. B Mesure de l’activité de la maladie Il existe plusieurs façons de mesurer l’activité de la maladie. L’indice DAS 28 est un indice européen à quatre variables qui mesure le nombre d’articulations douloureuses, gonflées, l’activité de la maladie appréciée par le patient sur une échelle de 0 à 10 et la vitesse de sédimentation. La maladie est active si le DAS 28 est supérieur à 3,2 [ 13 ]. Un autre indice, l’indice SDAI, est la somme de cinq paramètres. Il mesure notamment le nombre d’articulations douloureuses gonflées et l’évaluation globale de la maladie par le patient et par le médecin. Cet indice peut remplacer le DAS. C Analyse des radiographies Une fois que l’on a mesuré l’activité de la maladie, il convient de chercher les lésions radiologiques. Il arrive cependant que les radiographies soient normales et donc d’aucune aide. Une échographie (voire une IRM) peut être demandée pour confirmer le pannus. Les radiographies montrent les lésions lorsqu’il y a des « géodes » dans l’os. Les lésions radiologiques progressent souvent rapidement et dans les deux ou trois premières années de la maladie. Une lésion radiologique signifie une destruction de l’os et du cartilage ; elle est définitive et irré13 Indice DAS 28 Indice composite à 4 variables : • nombre d’articulations douloureuses, • nombre d’articulations gonflées (synovites), • appréciation globale du patient, • vitesse de sédimentation (VS). Maladie active : DAS 28 > 3,2 Rémission : DAS 28 < 2,6 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 25 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde versible. 10 à 26 % des patients sont victimes d’érosion dans les trois premiers mois, 60 % la première année et 75 % dans les deux ans. Cela renforce la nécessité de mettre en place rapidement des traitements de fond. La polyarthrite est véritablement une urgence diagnostique et thérapeutique. D des traitements beaucoup plus agressifs parce que la polyarthrite rhumatoïde est en train de causer des dégâts radiologiques [ 14 ]. 6 Les facteurs de mauvais pronostic On peut déterminer des facteurs de mauvais pronostic en voyant les malades dès le début de la maladie. La polyarthrite risque d’être potentiellement érosive : • si l’évolution de la maladie est longue, • si le dérouillage matinal dure plus d’une heure, • si plus de trois articulations sont atteintes, • en cas de douleur à la pression des métacarpo-phalangiennes, • en cas de facteurs rhumatoïdes positifs, • et si des érosions sont déjà apparues. Le pronostic peut aussi être mauvais avec un début aigü et un nombre élevé d’articulations atteintes, un important handicap fonctionnel initial, un niveau économique défavorisé et un niveau d’études faible. L’apparition de nodules sous-cutanés est également, semble-t-il, un facteur de mauvais pronostic, de même qu’une vitesse de sédimentation et une protéine C-réactive élevées. Il existe souvent une dissociation entre les lésions inflammatoires et les lésions de destruction. Certains patients sont très satisfaits de leur traitement et de leur état général. Leur bilan est tout à fait satisfaisant mais sur les radiographies, on constate que les lésions progressent rapidement avec des destructions osseuses importantes. Il est très difficile d’expliquer au malade qu’il va passer à Les conséquences de la maladie La polyarthrite rhumatoïde est un problème de santé publique qui a des conséquences sur la vie quotidienne des patients. Dans la moitié des cas, les patients cessent toute activité professionnelle en moins de cinq ans. Il est possible que la situation s’améliore grâce aux nouveaux traitements, mais les chiffres restent préoccupants. Actuellement, on estime que 25 % des patients auront au moins une prothèse. Là encore, on peut penser que la chirurgie sera moins fréquemment proposée si l’on donne des traitements plus précoces et plus incisifs. En outre, 10 % des patients présenteront une invalidité grave en moins de deux ans, ce qui est considérable. L’espérance de vie est diminuée de cinq à dix ans et la mortalité est multipliée par 2,26 par rapport à la population témoin du même âge. Cette mortalité est liée à la maladie ellemême ou peut être d’origine iatrogène. Il faut garder ceci en mémoire car la polyarthrite rhumatoïde est une maladie potentiellement grave. Il semble cependant qu’avec les traitements de fond, notamment le Methotrexate®, la situation s’améliore notamment sur le plan cardio-vasculaire, source de mortalité importante. Les complications de la polyarthrite rhumatoïde sont avant tout infectieuses. Avec les nouveaux traitements, 14 Déformations des mains 26 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie nous avons vu apparaître des tuberculoses, d’autant que cette maladie connaît actuellement une recrudescence en France. L’ostéoporose peut également apparaître parce qu’il s’agit d’une conséquence de la polyarthrite rhumatoïde, mais aussi parce que les traitements la favorisent, ou encore parce que nous avons affaire à des femmes en pré-ménopause. On constate également des complications cardio-vasculaires et un nombre supérieur de lymphomes chez les malades atteints de polyarthrite rhumatoïde. 7 Stratégie thérapeutique Face à la polyarthrite rhumatoïde, il faut agir énergiquement. L’idéal est d’induire une rémission. Il faut commencer par soulager la douleur et l’inflammation, puis diminuer la raideur, et essayer de soulager la fatigue, qui peut être induite par la maladie elle-même, par les troubles du sommeil qu’elle provoque ou par les médicaments. Il faut maintenir la fonction des articulations, éviter les déformations, conserver l’autonomie et ne pas négliger le traitement physique grâce à des exercices spécifiques. Il est nécessaire d’essayer d’améliorer la qualité de vie, et de maintenir l’insertion professionnelle. Il faut également essayer de stopper l’évolution de la maladie, freiner et réparer les lésions ostéo-cartilagineuses. Il est impératif de se lancer dans une lutte de tous les instants car la prise en charge est extrêmement compliquée. On doit commencer par informer les patients de façon très précoce. Il faut leur expliquer leur maladie ; le traitement, ses raisons et comment le respecter, comment se surveiller, faire des exercices physiques, se nourrir. Il faut aussi leur indiquer qu’on peut les aider sur le plan psychologique s’ils en ont besoin [ 15 ]. Aux médicaments qui soulagent la douleur et l’inflammation (antalgiques, anti-inflammatoires), il faut associer des traitements de fond car ils sont très importants pour lutter contre le pannus et éviter les destructions ostéocartilagineuses. Il est possible d’y associer des interventions locales. Si une personne répond bien au traitement symptomatique et au traitement de fond mais garde une synovite du genou, il ne faut pas hésiter à proposer une infiltration d’un dérivé cortisonique. On peut également proposer un geste chirurgical si un patient a un poignet gonflé, pour éviter les ruptures tendineuses. Une prise en charge multidisciplinaire est nécessaire. Ainsi, il est utile de proposer des règles diététiques aux patients car on ne peut pas manger n’importe quoi lorsque l’on souffre d’une polyarthrite rhumatoïde. Il faut aussi leur expliquer la nécessité de faire de la gymnastique, de porter des attelles, de faire de l’ergothérapie et d’aménager l’habitat. Au besoin, proposer de rencontrer un psychologue ou de faire appel aux associations de malades est utile, si les patients pensent que leur entourage n’est pas à la hauteur. Jadis, le traitement de fond était administré de façon progressive, par étapes successives, du moins dangereux au plus agressif. Aujourd’hui, l’attitude est inverse. On attaque très fort et très vite, quitte à alléger ensuite le traitement si nécessaire. C’est une véritable révolution. Il faut traiter vite, idéalement dans les trois premiers mois car les lésions progressent rapidement au cours des deux ou trois premières années [ 16 ] . Il est véritablement nécessaire de faire appel à un spécialiste pour débuter un traitement de fond car choisir le bon n’est pas simple. Le choix se fait en fonction de chaque cas, selon l’activité de la maladie, les traitements et les maladies associées. 15 INFORMATION EDUCATION GESTES LOCAUX CHIRURGIE MEDICAMENTS • symptomatiques • de fond PR REGLES DIETETIQUES APPROCHE PSYCHO-SOCIALE TRAITEMENTS PHYSIQUES Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 27 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde 16 Traiter vite et fort Moyenne géométrique du Score de Sharp 12 Traitement tardif Traitement précoce 10 8 6 4 2 0 0 12 24 36 48 Temps (mois) Van Aken - Ann Rheum Dis 2004 La polyarthrite rhumatoïde est une maladie agressive qui nécessite un traitement agressif avec des médicaments dangereux. Il est très important d’expliquer ceci au patient pour qu’il ne néglige pas les traitements prescrits. Il n’existe pas de consensus précis à ce niveau. On choisit souvent en première ligne des traitements comme le Methrotrexate® ou le Leflunomide®, qui sont des traitements d’ancrage. On peut également utiliser d’autres médicaments plus anciens comme le Plaquénil®, la Salazopyrine® ou l’Allochrysine®. Tous ces traitements sont potentiellement dangereux et nécessitent une surveillance régulière avec examens sanguins afin de détecter d’éventuels effets indésirables. En l’absence de réponse au traitement, on peut soit augmenter les doses, soit pratiquer des associations thérapeutiques. Si la maladie est vraiment agressive ou s’il y a des marqueurs de mauvais pronostic, des traitements plus récents sont disponibles, à base de biothérapie ou d’agents thérapeutiques type anti-TNF Alpha : Remicade®, Humira® ou Enbrel®. 28 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Remicade® fut le premier disponible. Ce médicament reste à usage hospitalier, sous forme de perfusion tous les deux mois. Il nécessite de bien vérifier les contre-indications ainsi que l’absence d’infection, de tuberculose, de terrain allergique particulier, de sclérose en plaques ou d’insuffisance cardiaque. Cela suppose un bilan assez lourd. Ce médicament peut provoquer des allergies et c’est la raison pour laquelle il est administré en milieu hospitalier avec une surveillance rigoureuse. En outre, il est très coûteux. Humira® est un médicament plus récent. Si le Remicade® est un anticorps monoclonal anti-TNF chimérique (mélange homme-souris), l’Humira® est un anticorps monoclonal anti-TNF purement humanisé, donc moins allergisant. Il est également très coûteux et s’administre par injection sous-cutanée à raison de deux injections par mois. Il est important de respecter les contre-indications et les précautions d’emploi et de mettre en place une surveillance régulière. On convient d’arrêter ce médicament quinze jours avant une chirurgie et d’attendre également quinze jours après la cicatrisation de la plaie avant de reprendre le traitement. Enbrel® est un anti-TNF mais pas un anticorps monoclonal. C’est un récepteur soluble. Il s’administre sous forme de deux injections sous-cutanées par semaine. Le patient doit revenir tous les six mois à l’hôpital pour faire un bilan et vérifier l’absence de complications. Ces médicaments sont intéressants car ils agissent très vite. Avec le Plaquénil®, il fallait attendre quatre à six mois avant que le médicament agisse. Avec le Methotrexate® ou le Leflunomide®, il faut attendre un à deux mois. Avec les agents anti-TNF, on constate souvent une réponse dès la première injection ou perfusion : c’est en cela qu’ils sont révolutionnaires. L’efficacité de chacun de ces médicaments est équivalente et il est possible de passer de l’un à l’autre en cas d’échec. Ces médicaments font l’objet d’un suivi attentif par l’Observatoire mis en place par la Société Française de Rhumatologie. Celui-ci vérifie notamment l’absence de complication infectieuse, de lymphome ou de cancer. Pour l’heure, les données concernant la survenue de lymphome suite à la prise de ce médicament sont plutôt rassurantes mais il convient d’attendre d’avoir davantage de recul. L’importance de la prise en charge Il faut que le médecin généraliste soit associé au traitement et que les malades puissent tout de suite le consulter en cas de problème. En effet, nous prescrivons des traitements compliqués, agressifs et difficiles à suivre. Sans ce soutien, le malade est livré à lui-même. Il existe en outre des associations de malades qui peuvent transmettre de l’information et donner des conseils. La prise en charge globale doit être physique, psychique, sociale et nutritionnelle, centrée sur le malade et son entourage, avec le réseau ville-hôpital et l’aide des associations de malades. Il existe par ailleurs des programmes d’éducation collective des patients. A l’hôpital Cochin, nous parlons aux malades de leur maladie, des traitements, de la gestion de la douleur et du stress, de la vie sociale et de la nutrition. Ce programme est animé par une équipe multidisciplinaire et comprend une infirmière, une diététicienne et une assistante sociale. Le programme s’étend sur deux jours pendant lesquels nous expliquons aux malades ce qui se passe et nous les laissons parler entre eux afin qu’ils se sentent moins isolés. Francis Berenbaum pratique également l’éducation du patient à l’hôpital Saint-Antoine, mais en hospitalisation pendant une journée et de façon individuelle. En province, d’autres équipes assurent l’éducation des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. En ce qui concerne l’éducation physique, un médecin rééducateur explique quelle activité il convient de pratiquer. Il montre l’intérêt de porter des attelles ou des semelles pour soulager les pieds et comment vivre mieux cette maladie. Il explique aux patients les bienfaits de la relaxation : certains exercices respiratoires simples peuvent permettre d’éviter la prise de médicaments complémentaires pour lutter contre la douleur. 8 Conclusion La polyarthrite rhumatoïde nécessite une stratégie rigoureuse, un diagnostic rapide, un traitement précoce, une prise en charge spécialisée et une approche globale. Il faut offrir au patient la possibilité de rencontrer les médecins, le psychologue, l’assistance sociale, l’infirmière, l’ergothérapeute, etc. Sans cette approche globale, la prise en charge n’est pas satisfaisante. La polyarthrite rhumatoïde nécessite également un suivi régulier. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 29 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde Questions Réponses Avec une polyarthrite rhumatoïde érosive en rémission depuis plusieurs années, quel est le risque de voir apparaître une nouvelle poussée ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Cela dépend, car j’estime que chaque cas est particulier. Pr Francis Berenbaum Le fait qu’il y ait des érosions n’est pas bon signe. Avec une polyarthrite rhumatoïde érosive, le risque de nouvelle poussée est plus important que dans le cas d’une polyarthrite rhumatoïde non érosive. Toutefois, il est très difficile de se prononcer sur ce risque au cas par cas. Quel régime alimentaire préconisez-vous ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Il n’existe pas de régime type. Nous expliquons aux malades que, certaines manipulations diététiques peuvent agir sur certains facteurs de l’inflammation, tels que l’acide arachidonique en jouant sur certaines graisses par exemple. Nous leur expliquons qu’en dépit de la fatigue et de la sédentarisation, il faut essayer d’avoir une alimentation variée et équilibrée. Il est inutile de recourir aux compléments alimentaires si l’on mange de tout en faible quantité. Avec la cortisone, il ne faut pas manger trop salé mais davantage de protéines. Nous expliquons également que la polyarthrite rhumatoïde et ses traitements favorisent l’ostéoporose et qu’il faut par conséquent préférer les régimes riches en calcium. Nous donnons aux patients des explications pour leur permettre de mieux lire les étiquettes. Nous leur conseillons par ailleurs la prise de vitamine D pour favoriser la fixation du calcium. Il y a beaucoup à dire et nous y consacrons une après-midi entière. Souvent les malades sont très satisfaits de ces informations en matière de nutrition. Il n’y a pas d’aliment à éviter, nous montrons simplement ce qui est recommandé et ce qui ne l’est pas. Nous avons préparé cette information avec une diététicienne, en privilégiant à la fois l’aspect médical et l’aspect diététique pratique. 30 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Si le patient est en rémission sous traitement, essayez-vous d’alléger le traitement ? Quelle est votre stratégie en la matière ? Pr Francis Berenbaum A ma connaissance, une seule étude a abordé la question. Elle incluait deux cents patients atteints de polyarthrite rhumatoïde et qui étaient en rémission sous traitement de fond. Le traitement de fond a été arrêté chez cent patients et poursuivi pour les cent autres. Au bout d’un an, 40 % des patients qui n’avaient plus de traitement de fond ont fait une poussée, alors qu’ils n’étaient que 20 % à avoir fait une poussée dans le groupe ayant poursuivi le traitement de fond. Si l’on est optimiste, on peut estimer que 60 % des patients qui ont interrompu le traitement n’ont pas connu de nouvelle poussée. Si l’on est pessimiste, on peut considérer que les patients qui ont cessé le traitement de fond ont connu deux fois plus de poussées que ceux qui l’ont poursuivi. Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Nous essayons toujours, dans la mesure du possible, de limiter ou de réduire les corticoïdes. Nous expliquons aux patients « corticophobes » qui ont du mal à comprendre la prescription des corticoïdes, que des études ont démontré qu’il existe un effet sur les érosions osseuses. Pr Francis Berenbaum Pr Francis Berenbaum Il y a deux écoles. Les Français aiment beaucoup les corticoïdes. D’après des études françaises, 70 % des patients atteints de polyarthrites rhumatoïdes sont sous corticoïdes contre 30 % seulement chez les Américains. Il n’y a pas consensus sur la question. A chaque fois que de nouvelles études paraissent, la surmortalité baisse. Cela signifie qu’en agissant vite et tôt, on peut agir sur la mortalité. Les toutes dernières études n’arrivent plus vraiment à mettre en évidence une surmortalité pour un groupe de malades suivi précisément avec un traitement de fond efficace. Il s’agit d’une évolution sensible. Compte tenu du vieillissement de la population, dans quel état se trouvent les personnes très âgées qui viennent consulter pour une polyarthrite rhumatoïde ? La maladie s’éteint-elle avec l’âge ? C’est un espoir qui nous renforce dans la nécessité d’agir vite. Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Dr John Evans Chez les sujets âgés, nous avons parfois des difficultés à faire le diagnostic. Il est difficile de faire la distinction entre une maladie de Horton avec une pseudopolyarthrite rhizomélique, qui est une atteinte des ceintures se caractérisant par des difficultés à marcher, de la fatigue et une vitesse de sédimentation très élevée, et une véritable polyarthrite. Il existe en outre des formes de passage. On peut rencontrer une polyarthrite à tout âge de la vie. Il faut aussi y penser chez la personne très âgée. Il existe plusieurs marqueurs de l’inflammation, dont certains sont présents avant même l’atteinte articulaire. La CRP en est un exemple très parlant. Nous donnons maintenant des statines larga-manu car elles semblent réduire la CRP et protéger le malade contre les complications coronaires. Qu’en est-il au niveau de la rhumatologie ? Pr Francis Berenbaum Si un patient présente une polyarthrite rhumatoïde à quarante ou cinquante ans, sans traitement de fond adéquat ou si le traitement de fond n’a pas empêché l’évolution, cela peut déboucher sur de l’arthrose secondaire vers quatre-vingts ans. Une articulation qui a été le siège d’une polyarthrite devient une articulation à fort risque d’arthrose. Certains patients conservent un handicap majeur parce qu’une arthrose s’est installée sur une articulation détruite par la polyarthrite. On parle alors d’une arthrose secondaire à la polyarthrite. A quoi est liée principalement la surmortalité de la polyarthrite rhumatoïde ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Elle est d’origine cardio-vasculaire. Les études actuelles le démontrent. Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Les statines ont le vent en poupe en rhumatologie comme étant des facteurs anti-inflammatoires. Elles sont très discutées en ce qui concerne l’ostéoporose. Il se peut qu’elles fassent partie, demain, de la panoplie des traitements proposés par le rhumatologue. Pr Francis Berenbaum Une étude publiée en mai 2007 a démontré que les statines diminuent l’activité de la maladie. Quelles sont les principales causes de décès liés à la spondylarthrite ankylosante ? Les mêmes que pour la polyarthrite rhumatoïde ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Cette question est difficile. Une étude est en train de démontrer que la spondylarthrite provoque davantage de lymphomes. Le terrain n’est pas le même puisque la spondylarthrite ankylosante survient chez le patient plus jeune. En outre, le profil évolutif n’est pas iden- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 31 Panoramique de la polyarthrite rhumatoïde tique. Il existe certainement des facteurs communs mais aussi probablement des facteurs différents. Le sex ratio est également très différent. Dr Patrick Malamud En ce qui concerne le traitement des polyarthrites rhumatoïdes, vous rejoignez les cancérologues en utilisant des médicaments de plus en plus dangereux. Qu’observez-vous comme effet iatrogène, notamment en termes d’effets mortels des antiTNF ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Nous n’avons pas encore suffisamment de recul à ce sujet. Il est trop tôt pour tirer des conclusions. Il y a des risques infectieux qui peuvent être mortels. Certaines infections opportunistes à germes exceptionnels peuvent être gravissimes et nous pouvons rencontrer des problèmes, mais pour l’instant nous surveillons et nous n’avons pas le recul suffisant pour déterminer s’il existe un risque de cancer ou de lymphome induit par ce médicament. Michel Dufour La comparaison avec les affections tumorales est frappante. Notre obsession est l’évaluation du risque. Or on constate que l’aspect iatrogénique est fondamental avec les produits que vous utilisez, en plus de l’impact de la maladie et de ses conséquences. L’impact sur le pronostic vital et les complications éventuelles que peuvent engendrer les molécules sont impressionnants. Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Depuis que l’on traite les polyarthrites rhumatoïdes plus précocement et de façon plus incisive, nous avons moins de problèmes. C’est parce qu’il existe des risques qu’un suivi spécialisé du patient est nécessaire. On connaît ces risques et on peut les maîtriser en surveillant les patients, même si on ne peut éviter certaines complications gravissimes et rares. Si les transaminases augmentent, vous pouvez diminuer les doses ou arrêter le médicament. On connaît bien les effets indésirables des médicaments à court et moyen terme. On connaît même les effets à long terme de molécules telles que le Méthotrexate®, utilisé dès les années 80, pour le- 32 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie quel nous avons un recul tout à fait suffisant. Sur le plan de la mortalité cardio-vasculaire, les résultats sont meilleurs depuis qu’on utilise ce médicament. On peut se demander s’il existe une interaction avec l’acide folique qui diminuerait le risque d’une hyper homocystéinémie. Michel Dufour Il semble que l’on parle moins de l’utilisation des sels d’or… Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec On en parle un peu moins. Il n’est plus possible aujourd’hui d’attendre six mois pour qu’un traitement donne des résultats. L’Arava® ou le Méthotrexate® agissent sur la même cellule, avec un délai d’action de quatre semaines, voire un peu plus dans certains cas. Nous n’hésitons donc pas à donner une chance d’amélioration beaucoup plus rapide au malade. Pr Francis Berenbaum On commence par le Méthotrexate®, on attend trois mois et en l’absence de réponse suffisante à dose maximale efficace, on ajoute un anti-TNF. C’est la meilleure attitude à adopter en termes de bénéfice/risque. Notre attitude thérapeutique est aujourd’hui plus simple qu’avant. Si le Methotrexate® dont on peut augmenter les doses progressivement, est finalement inefficace, on ajoute un anti-TNF. Cette attitude est aujourd’hui pratiquement consensuelle à quelques réticences près. Aux Etats-Unis, les médecins expérimentent même les anti-TNF en première intention. Une étude va démarrer pour tenter de valider un traitement à base de Méthotrexate® + anti-TNF d’emblée pendant trois mois. Il s’agit de commencer par frapper très fort avant d’envisager d’arrêter les anti-TNF si nécessaire. Du point de vue des médecins, c’est la meilleure attitude en termes de bénéfices/risques. Certes il existe des risques infectieux, mais ils sont de mieux en mieux maîtrisés. On sait bien contrôler la tuberculose : on peut la rechercher et la traiter avant d’administrer les anti-TNF. Pour les autres infections, si le patient suit déjà des traitements immunosuppresseurs, le risque est augmenté. Dans les études, il s’agit le plus souvent d’infections ORL, même s‘il y a des exemples d’infections graves. Reste le problème tumoral, pour lequel nous avons un recul de sept ans sur des dizaines de milliers de patients : les Américains ne parviennent pas à mettre en évidence de différence de risque de lymphome ou de cancer parmi les patients qui sont sous anti-TNF comparativement à ceux qui ne le sont pas, mais avec la réserve que le recul ne soit pas encore suffisant pour que l’on puisse affirmer que le risque est anodin. L’infection est connue et le risque peut être évalué facilement. En ce qui concerne le cancer et le lymphome, malgré les dizaines de milliers de patients traités depuis plusieurs années et l’absence de différence significative constatée, nous n’avons pas encore le recul suffisant pour affirmer qu’il n’y a absolument aucun risque. Sur le court et le moyen terme, nous sommes sûrs de notre fait et nous ne surveillons pas les patients sous anti-TNF, alors que même avec le Méthotrexate®, nous mettons en place une surveillance tous les deux mois pour faire un bilan hépatique, une numération, etc. polyarthrite rhumatoïde ou le lupus, mais il justifie un risque supplémentaire. Pr Francis Berenbaum Si une surveillance particulière est préconisée, c’est parce que le TNF est également une molécule qui intervient dans la défense contre les tumeurs. On peut donc craindre en prescrivant un « antidéfenseur » d’altérer la barrière. Cependant, pour le moment, on ne note statistiquement aucune différence significative chez les patients traités par anti-TNF. En revanche, nous avons tous connu des exemples de lymphome ou de leucémie apparus chez un patient sous anti-TNF, comme chez les patients qui ne le sont pas d’ailleurs. Dr Patrick Malamud L’idée selon laquelle la polyarthrite rhumatoïde constitue un risque supplémentaire d’apparition de lymphomes, est-elle vérifiée ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Tout à fait, selon les dernières études, le risque est multiplié par deux. On a deux fois plus de risques d’avoir un lymphome lorsque l’on est atteint de polyarthrite rhumatoïde. C’est également valable pour la spondylarthrite ankylosante. Dr Dominique Lannes Dès lors que le malade souffre d’une pathologie auto-immune, qu’il s’agisse du lupus ou de la polyarthrite rhumatoïde, le risque de lymphome est nécessairement plus élevé. La maladie lymphomateuse survient sur une anomalie. A force d’exciter une partie bien précise du génome des lymphocytes, avec un mauvais terrain, le risque de lymphome est accru. C’est le même type de stimulation que celle qui est à l’origine du lymphome de Burkitt avec l’EBV. Le phénomène est moins criant pour la Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 33 Tarifer la polyarthrite rhumatoïde Dr Patrick Malamud • Médecin-Conseil - SCOR Global Life Pour tarifer la polyarthrite rhumatoïde, il faut d’abord une certitude diagnostique, ce qui n’est pas toujours évident dans un dossier d’assurance puisque l’on n’examine pas le patient. Une bonne connaissance des complications est aussi primordiale, puisque la pathologie est potentiellement mortelle. La bonne appréciation des facteurs pronostiques nous permettra également d’évaluer la surmortalité liée à un cas de polyarthrite rhumatoïde. Enfin, nous avons besoin d’un dossier de sélection complet. 1 Le diagnostic Lorsqu’un patient se présente chez un praticien, celui-ci peut l’examiner, et disposer ensuite de tous les examens radiologiques ou biologiques que la personne a en sa possession, voire demander des examens complémentaires. La difficulté pour le médecin-conseil ou le tarificateur est qu’il ne peut avoir accès à toute cette information mais qu’il lui faut néanmoins des éléments précis pour ne pas risquer de mal apprécier le dossier, en sousou sur-tarifant la polyarthrite rhumatoïde. La polyarthrite rhumatoïde est une maladie très polymorphe et peut conduire à des difficultés diagnostiques. Les présentations de la polyarthrite rhumatoïde peuvent être extrêmement trompeuses et peuvent induire les médecins en erreur. Pour être certain du diagnostic, il faut avoir communication d’un certificat émanant d’un rhumatologue certifié, qui pourra donner toutes les informations permettant une tarification correcte : • le diagnostic • la date à laquelle le diagnostic a été posé • l’historique (début retrouvé de la maladie, temps d’évolution de la polyarthrite rhumatoïde avant traitement) • les traitements suivis par le patient • les complications éventuelles 2 Le pronostic Une fois le diagnostic connu, il faut chercher à connaître tous les facteurs pronostiques. Ils sont loin de figurer 34 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie dans les dossiers portant la mention de polyarthrite… Tout d’abord, la polyarthrite n’est pas forcément une polyarthrite rhumatoïde. Des précisions supplémentaires sont nécessaires afin de chercher à connaître les facteurs pronostiques. Il est possible au minimum d’exiger un certificat précisant certains éléments : • le nombre d’articulations atteintes gonflées et douloureuses ; • la durée du dérouillage matinal s’il existe ; • l’existence de réveils nocturnes dus aux douleurs articulaires ; • les mesures sur les échelles de handicap fonctionnel, à condition que ces mesures soient fiables et reproductibles. La connaissance des facteurs pronostiques biologiques est très appréciable. La vitesse de sédimentation en rhumatologie a une grande importance. Elle serait même un peu plus fiable pour montrer l’existence d’une poussée de polyarthrite rhumatoïde. Le taux de CRP est au moins aussi important. Les facteurs sériques d’auto-immunité, lorsqu’ils existent, sont des facteurs biologiques essentiels (facteurs rhumatoïdes par les tests Latex ou Waaler-Rose). Les anti-citrullines commencent également à être de pratique courante. On peut aussi s’intéresser aux facteurs génétiques HLA DR1 et DR4. Mais il ne s’agit pas de facteurs pronostiques importants pour nous. Il est préférable de s’en tenir à la VS, au CRP et aux facteurs sériques d’auto-immunité Latex et Waaler-Rose (facteurs rhumatoïdes). A cela s’ajoutent les facteurs pronostiques radiologiques que sont le pincement articulaire, les érosions et le nombre de prothèses articulaires que la polyarthrite rhumatoïde a nécessité. Ce dernier facteur est réellement très important. Le traitement est-il un facteur pronostique ? On a coutume de considérer que si la corticothérapie est inférieure à 7,5 mg, la polyarthrite rhumatoïde est « contrôlée ». Tout le monde sait que Méthotrexate® et anti-TNF ne sont pas des médicaments anodins. Mais sans ces traitements, agressifs, la survie des patients n’augmentera pas. Nous nous garderons de prendre en compte ces traitements comme facteur pronostique, sauf en cas de complications qui leurs seraient imputables, bien que pour l’instant nous n’ayons pas connaissance d’effet iatrogène à long terme. Le pronostic vital est essentiellement lié à la présence ou non de complications viscérales (vascularites) ou des localisations extra-articulaires en général. Un dossier dans lequel il est question de vascularites ne doit pas être assuré en raison du risque vital qui n’est pas acceptable dans un dossier d’assurance. 3 Classification Pour simplifier le travail des assureurs, nous proposons • Précisions Pr Francis Berenbaum Ceci concerne-t-il les vascularites cutanées pures ? [ 17/18 ] de schématiser quatre formes de polyarthrite rhumatoïde. A Dr Patrick Malamud Je pensais plus particulièrement à des vascularites systémiques. En cas de complication cérébrale ou cardiaque, il est clair qu’un dossier doit être refusé. Une question : un nodule n’est-il pas le signe d’une vascularite systémique ? Forme légère Cette forme se caractérise par des poussées occasionnelles sur un mode oligo-articulaire, de longues périodes de rémission, des traitements de fond dits « légers ». En fait, on ne peut parler de traitement léger puisque les meilleurs pronostics concernent les patients pour lesquels les traitements sont les plus agressifs au départ. Dans Pr Francis Berenbaum Non. La vascularite cutanée pure et les nodules ne sont pas des facteurs aggravant le risque vital. cette forme légère, il n’y a pas de syndrome inflammatoire ni d’érosions. B Dr Patrick Malamud Donc, en dehors des nodules et des vascularites cutanées pures, toutes les autres localisations viscérales sont à refuser. Forme modérée Les signes sont plus importants que pour la forme légère mais l’on reste sur une polyarthrite rhumatoïde qui n’est pas incontrôlable. 17/18 Vascularite cutanée Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 35 Tarifer la polyarthrite rhumatoïde C Forme sévère On retrouve dans cette forme des signes tels que la synovite, le dérouillage matinal, les réveils nocturnes, la résistance aux traitements de fond, le syndrome inflammatoire et la destruction rapide des articulations. D Forme grave La forme grave se caractérise surtout par des complications vasculaires, liées essentiellement à des vascularites (exception faite des vascularites cutanées pures et des nodules). 4 Etude de la mortalité La polyarthrite rhumatoïde est une maladie grave. Une étude de Minaur et Coll. parue en 2004, fait état du suivi sur quarante ans de cent malades atteints de polyarthrite rhumatoïde. Le but de l’étude était le devenir fonctionnel mais aussi l’analyse des causes de décès. Ce sont des polyarthrites diagnostiquées il y a plus de quarante ans. Il ne faut pas croire qu’il s’agit du reflet de la façon dont la maladie est traitée aujourd’hui mais de ce que l’on constate sur des patients alors soignés depuis quarante ans. Après 39,7 années, seize patients étaient en vie. Treize décès sont directement liés à la polyarthrite rhumatoïde. Les soixante décès restants sont majoritairement liés à des causes cardiovasculaires. On observe cependant davantage de tumeurs et de lymphomes que dans la population générale. Onze décès sont liés à la polyarthrite rhumatoïde et/ou à son traitement. Dans ces cas, il n’a pas été possible de faire la preuve de l’origine du décès. On sait que la corticothérapie peut tuer si elle est mal surveillée. Il faut garder à l’esprit que cette étude s’étale sur quarante ans. Dans les années 50, on prescrivait des corticoïdes simplement pour la remise en forme. Avec l’étude Minaur, on constate une aggravation progressive de la mortalité. Le taux de mortalité standardisé (excès de mortalité par rapport à une population de référence) augmente constamment : il était de 1,15 après onze ans 36 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie d’étude, de 1,42 après vingt ans et de 2,13 après quarante ans. La surmortalité est environ deux fois plus forte que dans la population générale. La polyarthrite rhumatoïde est donc bien une maladie grave qui tue, au moins indirectement. Sur les courbes de survie des patients de l’étude Minaur on constate une différence marquée entre les populations témoins et les populations atteintes de polyarthrite rhumatoïde [ 19 ]. Puisque la surmortalité est deux fois celle de la population générale, il faut s’attendre à une surtarification des dossiers. 5 Tarification du risque décès Dr Patrick Malamud Pour une forme légère, avec peu de poussées et de longues périodes de rémission, une surmortalité de 50 à 75 % paraît tout à fait adaptée. Le patient paiera donc 1,5 ou 1,75 fois sa prime. Il est évident que si nous avions la preuve que les antiTNF vont entraîner une surmortalité de 1,2 au bout de vingt ans, nous réviserions immédiatement les tarifications : la surprime ne serait plus que de 20 à 25 %. Mais les données ne sont pas encore disponibles. Nous sommes alors obligés de nous référer aux études qui suivent les patients sur le long terme. Pr Francis Berenbaum Tenez-vous compte de l’âge ? Dr Patrick Malamud Le tarif de base tient compte de l’âge par définition. Un assuré de soixante ans paie une prime plus importante qu’un assuré de vingt-cinq ans. En l’occurrence, nous parlons de sur-tarification par rapport à la tarification moyenne. Pour une polyarthrite rhumatoïde plus évoluée avec des signes laissant penser à un contrôle imparfait, nous proposons une tarification de 100 à 150 %. Pour les formes sévères, avec un traitement qui ne donne pas de résultat, des érosions multiples, une prothèse de 19 1 0.9 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 PR hommes 0.3 PR femmes 0.2 Population masculine totale 0.1 Population féminine totale 0 0 10 20 30 40 ans Courbe de survie de la population atteinte de polyarthrite rhumatoïde comparée à celle de la population normale de Bath pendant la période de l’enquête, par sexe. hanche et une prothèse de genou, de multiples signes cliniques, les tarifications dépassent 200 % et nous pouvons aller jusqu’au refus en cas de forme viscérale, cardiaque ou autre. Pour les formes graves, nous refusons les dossiers. En matière de dépendance, d’assurance complémentaire, il n’est pas possible de proposer une tarification pour les malades atteints de polyarthrite rhumatoïde. On ne peut pas accorder une assurance incapacité ou invalidité à ces patients sous peine de devoir nécessairement payer un sinistre. Ces personnes vont obligatoirement connaître des arrêts de travail, qu’ils soient ou non bien soignés. En outre, ils sont fatigués et ne peuvent pas toujours se rendre au travail. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 37 Tarifer la polyarthrite rhumatoïde Questions Réponses bénigne, sans destruction articulaire, avec un traitement simple et bien équilibré, le risque est faible car ces patients, qui ont passé le cap des premières années, ont un pronostic plutôt favorable. Dr Dominique Lannes Quant à l’incapacité, j’ai entendu Madame Le Quintrec indiquer que 50 % des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde ne travaillent plus après cinq ans. Nous savons très bien que certains patients atteints d’une polyarthrite rhumatoïde continuent de travailler et ne seront pas en incapacité. Mais si l’on raisonne en masse, sur la base des statistiques, on ne peut faire autrement que de refuser ces demandeurs. Dr Dominique Lannes Madame Le Quintrec a rappelé que la polyarthrite rhumatoïde était une maladie imprévisible. Elle peut passer d’une forme bénigne à une forme moyenne. C’est une situation très difficile à évaluer pour un assureur. En outre, les dossiers sur lesquels nous nous prononçons ne sont pas toujours complets. Au moment de l’entrée dans l’assurance, le proposant et son médecin traitant ont tendance à minimiser la gravité de la maladie. Il faut comprendre que nous nous engageons sur vingt, trente ou quarante ans sans retour en arrière possible. Quels sont vos conseils ? Dr Patrick Malamud Plus le certificat médical de présentation sera précis, plus notre tarification sera en rapport avec ce qui nous est présenté. Pr Francis Berenbaum Il est très difficile de pouvoir juger du pronostic pour une polyarthrite rhumatoïde débutante, même si des critères pronostiques de gravité voient le jour actuellement. Mais s’il s’agit d’une polyarthrite rhumatoïde qui évolue déjà depuis dix ans et qui se trouve dans le premier schéma, vous ne prenez pas un gros risque à l’assurer. C’est dans les premières années de la maladie que les lésions apparaissent. Si une fois ces premières années passées, la polyarthrite rhumatoïde est toujours de forme 38 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Pr Francis Berenbaum Si vous vous appuyez sur des chiffres, vous avez certainement raison. En revanche, il faut absolument que vous les réévaluiez très régulièrement parce que le contexte thérapeutique évolue rapidement et va être bouleversé. Dr Patrick Malamud C’est bien le sens de notre mission ! Pour la tarification, nous utilisons un logiciel et en vertu des données de ce logiciel, les polyarthrites rhumatoïdes avec une rémission de plus de cinq ans sont prises au tarif normal pour l’assurance décès. Dr John Evans Ne pensez-vous pas qu’il existe, avec la polyarthrite rhumatoïde, un sur-risque cardiovasculaire ? Pr Francis Berenbaum Le sur-risque cardiovasculaire est lié au fait qu’on laissait jadis des inflammations persister alors qu’avec les traitements de fond actuels, on supprime ces inflammations. Ce faisant, nous agissons également sur le facteur cardiovasculaire. En outre, les traitements de fond sont de plus en plus efficaces et nous permettent de diminuer la corticothérapie, qui est un facteur de risque supplémentaire, ainsi que la sédentarité. Cet ensemble contribuera à ce que le sur-risque cardiovasculaire chez les patients dont la maladie est bien contrôlée, régresse voire disparaisse dans les années à venir. Etes-vous souvent confrontés à des plaintes de patients à l’encontre des assurances ? Dr Janine-Sophie Giraudet-Le Quintrec Les patients sont désespérés parce qu’ils ne parviennent pas à trouver une assurance qui les accepte. C’est du moins ce que nous entendons de leur part. Ils ont déjà une maladie épouvantable et n’ont pas la possibilité de pouvoir souscrire un emprunt. C’est catastrophique pour eux. Souvent, les malades se renseignent pour un emprunt. Leur banque, faute de garanties complémentaires, leur refuse le prêt. Les malades ne peuvent pas le vivre autrement que comme un refus. C’est un problème récurrent. Michel Dufour Cette difficulté ne concerne pas la majorité des contrats. Dans bon nombre de cas, des contrats emprunteur peuvent être émis avec une couverture en décès et une couverture en PTIA. La garantie incapacité-invalidité ne représente pas la majorité des contrats emprunteurs. Certaines banques refusent d’accorder les prêts faute de garanties. Vous pouvez prendre une assurance à titre individuel mais pas en tant qu’emprunteur collectif. Michel Dufour Effectivement, pour les contrats emprunteur collectif, qui sont les contrats de premier niveau, la garantie de base décès toutes causes ne sera pas accordée. Il y a une action à mener à ce niveau. Nous ne demandons pas mieux, en tant qu’assureur et réassureur, que de disposer de repères quitte à donner des couvertures, même en incapacité, sur de très courtes durées. Si vous nous donnez les paramètres idoines nous permettant de nous engager sur une couverture de cinq ans, voire de dix ans, nous sommes preneurs. Dr Patrick Malamud En matière de progrès thérapeutique, je pourrais citer l’exemple du Glivec. Il s’agit d’une molécule extraordinaire qui, à raison de quatre gélules par jour, permet une rémission complète cytogénétique et moléculaire des leucémies myéloïdes chroniques. C’est plus facile à supporter qu’une greffe de moelle. J’ai eu à me prononcer sur plusieurs dossiers présentant une rémission complète cytogénétique et moléculaire. Mais nous n’avons que quatre à cinq ans de recul par rapport à ce traitement et il fallait que je m’engage sur un emprunt sur vingt ans. Je n’ai pas pu le faire car je n’ai aucune preuve que ce jeune homme de vingt-sept ans en rémission sera encore en vie dans dix ans. Tant que nous n’avons pas de références, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre ces décisions. Or les références en matière de thérapeutique anti-TNF sont encore succinctes. Pourquoi ne pas recourir aux exclusions dans certaines circonstances ? Dr Patrick Malamud Je ne vois pas comment prévoir des exclusions sur une maladie générale. Dr Dominique Lannes Il paraît difficile de recourir à l’exclusion en matière d’incapacité pour la polyarthrite rhumatoïde, d’autant plus que Madame Le Quintrec nous a indiqué que ses patients souffraient avant tout d’asthénie et de fatigue. On ne peut pas inclure l’asthénie dans la liste des exclusions des articulations. Il est difficile de jouer l’exclusion dans cette pathologie, à moins qu’il ne s’agisse que de couvrir l’incapacité par accident. Nous donnons l’impression d’être très restrictifs, mais nous avons véritablement fait au mieux pour abaisser les tarifications. Nous avons expliqué que certaines polyarthrites rhumatoïdes étaient d’un niveau de risque pratiquement normal, nous en tenons compte. Mais en matière d’incapacité, nous nous orientons vers le refus compte tenu des critères que nous avons étudiés. L’expérience aidant, nous sommes cependant prêts à revoir notre position lorsque les traitements agressifs d’emblée porteront leurs fruits. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 39 Tarifer la polyarthrite rhumatoïde Dr Patrick Malamud Je ne vois pas comment nous pourrions faire des exclusions saines, formelles et simples à comprendre sur des maladies générales sans nous exposer à des sinistres. Comment prouver qu’un lymphome trouve son origine dans la polyarthrite rhumatoïde ? Tous les experts nous riraient au nez ! Michel Dufour Il faut en effet que les exclusions soient formelles et limitées. Nous ne sommes absolument pas dans ce cadre-là. Dr Patrick Malamud Pour une arthrose bien localisée, il est facile d’exclure. Il n’en va pas de même avec la polyarthrite rhumatoïde. Adoptez-vous la même attitude concernant la spondylarthrite ankylosante pour les garanties arrêt de travail et invalidité ? Dr Patrick Malamud Tout dépend de la forme de la spondylarthrite ankylosante. Il faut analyser la forme (périphérique, axiale) au cas par cas. Les spondylarthrites ankylosantes à forme périphérique peuvent se rapporter à la polyarthrite rhumatoïde. La tarification est tout de même globalement plus légère que pour la polyarthrite. Nous ne prévoyons pas d’exclusion pour les garanties arrêt de travail. En revanche, nous acceptons cette garantie pour certains cas de spondylarthrite ankylosante légère avec une surprime modérée. Ce sont des spondylarthrites sans poussée, avec prises ponctuelles d’anti-inflammatoires. On peut prévoir dans ce cas une surprime très modérée pour l’incapacité-invalidité. 40 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic Dr Corinne Miceli-Richard • CHU Kremlin Bicêtre Ce chapitre aborde la spondylarthrite ankylosante (SPA) et les spondylarthropathies. La spondylarthrite ankylosante est un sous-groupe des spondylarthropathies. Ce rhumatisme inflammatoire, fréquent, qui touche l’adulte jeune, est une affection polymorphe dans sa présentation clinique et dans sa sévérité. De ce point de vue, il est important d’obtenir un certain nombre d’informations pour tarifer correctement les dossiers présentés. Si les anti-TNF ont constitué une avancée majeure dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, c’est encore plus vrai dans la SPA. Les éléments ci-dessous, qui concernent les conséquences de ce rhumatisme en termes d’activité professionnelle ou de mortalité, sont à nuancer dans la mesure où aucune étude sur la mortalité ou l’impact sur l’activité professionnelle n’intègre des données pour les patients ayant été traités par anti-TNF. 1 Une affection polymorphe Les spondylarthropathies sont des affections extrêmement polymorphes. Elles ne se résument pas au rhumatisme se déclarant à l’âge de vingt ans en moyenne et conduisant à une ankylose de la colonne vertébrale. Le terme « ankylosante » est d’ailleurs inadapté car il tend à inquiéter le patient et parce que, grâce aux nouvelles thérapies, ce type d’évolution pourra être évité. Les spondylarthropathies constituent un ensemble assez vaste. thies. Les arthrites réactionnelles, soit les rhumatismes survenant dans le mois qui suit une infection génitale ou digestive, ont pratiquement disparu. Le SAPHO est une forme inflammatoire de rhumatisme ayant pour caractéristique une inflammation osseuse. Le rhumatisme des entérocolopathies fait suite à une inflammation chronique du tube digestif, plus connue sous le nom de maladie de Crohn. Enfin, les spondylarthropathies peuvent prendre la forme de spondylarthrite ankylosante indifférenciée. Elles sont l’association chez un même patient (fréquemment chez la femme), d’une arthrite et de douleurs inflammatoires de la colonne, sans la forme ankylosante de la colonne vertébrale. Par conséquent, on ne peut réduire les spondylarthropathies à la seule SPA. Quelles sont les caractéristiques communes à ces différents rhumatismes ? 1 Ces rhumatismes sont associés à l’antigène HLA B27. Cet antigène, naturel, est présent chez 7 % à 8 % de la population en général. En revanche, il concerne entre 50 % et 90 % des patients touchés par ce rhumatisme et est donc un facteur de prédisposition génétique, même si cette prédisposition reste à ce jour inexpliquée. Le HLA B27 sert, dans le système immunitaire, à présenter des antigènes et à se défendre contre des microbes. Selon la forme du rhumatisme, l’association au HLA B27 est évidente. En revanche, sur les formes de spondylarthropathies psoriasiques, la présence de HLA B27 ne concerne que 18 % de la population. 2 Ces rhumatismes ont en commun de présenter une atteinte de l’enthèse, soit une inflammation des zones d’insertion des tendons sur l’os. Cette inflammation se traduit souvent par des douleurs sur la partie postérieure du talon [ 20 ]. 20 La forme qui touche la colonne vertébrale est la spondylarthrite ankylosante. Un patient atteint de cette pathologie souffre du dos la nuit, ressent le besoin de se déplacer, de se lever vers cinq heures du matin, pour calmer sa douleur. Outre cette forme axiale de la maladie, les spondylarthropathies peuvent prendre la forme d’arthrite qui touche les articulations périphériques, souvent des membres inférieurs (genou, cheville). Le rhumatisme psoriasique est également associé aux spondylarthropa- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 41 La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic 3 Ils peuvent toucher la colonne vertébrale, la partie haute, médiane ou basse du rachis, ainsi que la sacroiliaque (atteinte axiale). Une inflammation se déclare au niveau de la colonne vertébrale ainsi que sur les ligaments entourant la colonne. Au fil du temps, cette inflammation conduit à une « colonne bambou », avec le développement de ponts osseux [ 21 ]. 4 Ils peuvent prendre la forme d’arthrites périphériques, sur un orteil par exemple. 5 Ces rhumatismes s’accompagnent de manifestations extra-articulaires (psoriasis, uvéites -inflammations de l’œil-, entérocolopathies inflammatoires). Le psoriasis consiste en un épaississement de la peau qui prend un aspect blanchâtre, et peut toucher le cuir chevelu, les ongles, l’œil… En résumé, ce rhumatisme peut prendre des formes très variées et ne peut se réduire à son « chef de file », la SPA. D’ailleurs, les dossiers sur lesquels il faut statuer ne comprennent pas forcément le terme de « spondylarthrite ankylosante » mais bien celui de « spondylarthropathie ». Une description des manifestations du patient doit être associée au dossier. 21 Colonne « bambou » 42 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 2 Données épidémiologiques La spondylarthropathie est un rhumatisme inflammatoire qui touche plutôt le jeune adulte. En moyenne, il se déclare autour de vingt-quatre ans. Toutefois, le diagnostic n’est pas réalisé immédiatement. En effet, ce rhumatisme se manifeste assez lentement, de façon parfois atypique, conduisant à un retard du diagnostic. La seule étude épidémiologique concernant les spondylarthropathies disponible en France a été réalisée en Bretagne par Alain Saraux, par le biais d’une enquête téléphonique. Il apparaît que la prévalence de la spondylarthropathie (0,47 %) est très proche de celle de la polyarthrite rhumatoïde (0,62 %). Ces deux rhumatismes inflammatoires sont les plus courants en Europe. Par le passé, on disait de la SPA qu’elle était le « rhumatisme de l’homme », estimant qu’elle était dix fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme. En réalité, elle serait trois fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme. En revanche, s’agissant de l’ensemble des spondylarthropathies, on n’observe pas de différence significative liée au sexe. la nuit, douleur le matin, intensité de la douleur…), notamment grâce à l’etanercept, molécule utilisée en injection sous-cutanée une fois par semaine. S’agissant de la fréquence des différents sous-groupes, il apparaît que la forme axiale, ankylosante, est loin de constituer la totalité de ce rhumatisme. Une étude réalisée en Allemagne par Braun a montré qu’elle n’en représentait que 45 %. Les formes indifférenciées représenteraient 35 %, contre 15 % pour les formes avec une atteinte périphérique. Les conséquences, au quotidien, de la spondylarthropathie sont multiples tant sur le plan de la santé physique que mentale. Le traitement permet une amélioration de 40 % de la santé physique, notamment les fonctions physiques. L’amélioration s’apprécie également sur des paramètres rhumatologiques (nombre d’articulations gonflées, douleurs matinales…). 3 Traitements Le recours aux anti-inflammatoires est fréquemment utilisé de par sa simplicité. Très souvent, les patients sont sous anti-inflammatoires quotidiennement ou seulement en fonction de leur douleur. Un autre traitement consiste à utiliser des antalgiques, comme le Doliprane®. Des traitements de fond peuvent être utilisés pour les formes périphériques : Sulfasalazine, Salazopyrine et Methotrexate. Pour éviter l’enraidissement en position vicieuse, le recours entre autres à la rééducation à la physiothérapie est nécessaire. Pour les traitements locaux, des infiltrations sont effectuées. Les anti-TNF ont révolutionné le traitement des spondylarthropathies. Leur arrivée est relativement récente puisque les premières publications sur le sujet datent de 2000. Les études contrôlées ayant permis d’autoriser l’utilisation de ces molécules dans l’indication « spondylarthropathie » ont été publiées en 2002. L’efficacité des anti-TNF est considérable puisqu’ils permettent une amélioration de l’état des malades chez 50 % à 80 % de ceux-ci. Ces traitements sont efficaces lorsque les patients présentent des formes sévères de la maladie qui ne répondent pas aux traitements simples. 80 % des patients enregistrent, après quatre mois, une amélioration de leur santé de 20 % sur un certain nombre de critères (réveil Une étude allemande a montré que l’utilisation d’une molécule, le Rémicade®, en perfusion, permet une amélioration de 50 % du BASDAI (Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity Index). L’amélioration, sous placebo, n’est que de 9 %. Il est d’ailleurs conseillé de se servir d’un questionnaire BASDAI qui fournit une bonne idée de l’état de santé du patient. Le BASDAI, qui prend en compte des critères simples, est désormais utilisé systématiquement pour les patients reçus en consultation qui présentent ce rhumatisme inflammatoire. Le BASDAI est une échelle visuelle analogique que remplit le patient. Elle vise le degré de fatigue, le niveau de douleur sur le cou, les hanches, les articulations périphériques, l’intensité de la raideur… autant d’éléments qui doivent être pris en compte dans l’évaluation de l’activité d’un rhumatisme. L’amélioration de la santé des patients se mesure aussi à travers leur consommation d’anti-inflammatoires. Dans 72 % des cas, les patients peuvent réduire de plus de la moitié leur consommation d’anti-inflammatoires et même la supprimer dans 60 % des cas. Dans cette dernière hypothèse, les conséquences fonctionnelles du rhumatisme du patient sont nulles. 4 Les conséquences de la spondylarthropathie Les conséquences de la spondylarthropathie sur l’activité professionnelle et la mortalité sont rares. En outre, les Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 43 La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic données disponibles ne tiennent pas compte de l’effet des anti-TNF. A Sur l’activité professionnelle La plupart des résultats en la matière sont issus des travaux de l’équipe Boonen. Par rapport à la population générale, la spondylarthropathie augmente la mortalité de 50 %. En outre, le risque de perte d’emploi est trois fois plus important. Cet aspect, comme la mortalité, est corrélé à l’activité de la maladie et au handicap fonctionnel. L’un des freins à l’introduction sur le marché des antiTNF est leur coût élevé. Un traitement par anti-TNF coûte, sur une année, environ de 13 000 euros. Par conséquent, en dépit de son efficacité, il n’est pas possible d’administrer ce traitement à toutes les personnes souffrant de rhumatisme inflammatoire. La diffusion de ce traitement a donc posé la question du coût du traitement en général. Un patient qui prend des anti-TNF et dont l’état de santé s’est considérablement amélioré, va diminuer sa consommation d’anti-inflammatoires, ne sera pas hospitalisé, n’aura plus besoin de radiographie ni d’infiltration, et ne s’absentera plus de son travail… Finalement, les études ont permis de mettre en balance le coût des antiTNF et celui des autres traitements. En définitive, même si ce médicament est coûteux, il permet de réaliser d’importantes économies par ailleurs. A ce jour, entre 61 % et 89 % des patients souffrant d’une spondylarthropathie exercent une activité professionnelle normale. L’inaptitude au travail est relativement marginale (de 3 % à 9 % des patients). Des travaux ont été entrepris dans plusieurs pays autour de l’interruption de l’activité professionnelle en raison d’une spondylarthropathie. L’inaptitude permanente ne serait que de 3 % au Mexique, sans doute en raison du coût d’une telle interruption. En Europe, le taux d’interruption est de l’ordre de 36 % après une évolution de la maladie pendant vingt ans. Aux Etats-Unis, 5 % des patients sont contraints d’interrompre totalement leur activité professionnelle, après cinq ans de maladie. Ces études ont également essayé de mettre en évidence les facteurs prédictifs de l’interruption de l’activité pro- 44 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie fessionnelle. Il en ressort que, lorsque le diagnostic est effectué avant l’âge de trente-cinq ans, la personne a deux fois plus de risques d’interrompre son activité. Le travail manuel est un autre facteur aggravant de l’interruption d’activité. Les personnes qui, à cause de leur rhumatisme, essayent de limiter leurs activités (par une modification du poste de travail) ont 2,3 fois plus de risque d’interrompre définitivement leur activité professionnelle. Pour les personnes contraintes de modifier complètement leur activité professionnelle à cause de leur rhumatisme, le risque d’interruption totale est 6,9 fois plus élevé. Une étude américaine a identifié d’autres facteurs prédictifs de l’interruption de l’activité professionnelle : • âge auquel la maladie se déclare • années d’études : les personnes ayant un niveau d’études plus élevé sont en général moins handicapées, sans doute grâce à une meilleure information • activité physique • sexe féminin : les femmes arrêtent plus facilement leur activité professionnelle • comorbidité : la présence d’une affection parallèle favorise l’interruption de l’activité. Une étude hollandaise a également pointé les facteurs suivants : • difficultés d’accès au lieu de travail • difficultés de mobilité sur le lieu de travail • attitude négative des collègues • attitude négative des supérieurs • absence de soutien des collègues / supérieurs. A défaut d’interrompre leur activité professionnelle, certains patients connaissent des périodes de chômage. Différentes études ont en effet souligné la prévalence non négligeable du chômage chez les personnes atteintes de rhumatisme inflammatoire (entre 14 % et 50 %). Une étude américaine a tenté d’identifier des facteurs prédictifs du chômage dans cette population : sexe, qualité de vie, douleur… Des études européennes ont souligné, pour leur part, le rôle de l’âge et du BASDAI. Lorsque ce dernier enregistre des valeurs élevées, le risque de chômage pour la population concernée peut augmenter de 25 %. B Sur la mortalité Une étude menée aux Etats-Unis et parue en 1998 s’est intéressée au risque de mortalité en cas de rhumatisme psoriasique. Ce dernier évolue de façon pratiquement similaire à la polyarthrite rhumatoïde. Le SMR, ratio standardisé de mortalité prenant en compte l’âge et le sexe des patients, souligne que le risque de mortalité est plus élevé de 62 % pour les personnes atteintes de ce rhumatisme par rapport à la population générale. Les facteurs prédictifs de la mortalité identifiés sont les suivants : • la vitesse de sédimentation (inflammation) • le traitement de fond à l’inclusion, soulignant une forme plus sévère de rhumatisme • la présence d’érosions, signifiant que le rhumatisme n’est pas contrôlé. Par conséquent, les patients qui ont un risque de mortalité plus important sont ceux qui présentent une inflammation chronique et un rhumatisme inflammatoire non contrôlé. S’agissant de la spondylarthrite ankylosante, sur sa forme axiale, les études ont fourni des résultats pas toujours fiables dans la mesure où autrefois, un des traitements de cette pathologie consistait en une irradiation rachidienne. Or irradier un rachis peut entraîner le développement d’une hémopathie. Aussi, les chiffres montrant un sur-risque de mortalité étaient biaisés par le risque d’hémopathie ainsi que par le risque de cancer du colon. En réalité, la moitié des études disponibles intègre des données de radiothérapie sur la colonne vertébrale. Selon les études, ces traitements entraînent une augmentation des cancers de 50 % à 140 %. polyarthrite rhumatoïde. L’inflammation chronique entraîne une modification de la paroi des artères et ainsi un sur-risque de mortalité cardio-vasculaire. C’est pourquoi le diagnostic d’un rhumatisme doit s’accompagner d’un bilan cardio-vasculaire. En présence d’autres facteurs de risque que l’inflammation chronique, comme un cholestérol élevé ou une hypertension artérielle, les patients sont immédiatement traités. Il est essentiel de bien prendre en compte la dimension cardio-vasculaire. Une étude américaine portant sur une population de 50 000 patients identifie un sur-risque de mortalité de 50 % et souligne qu’une grande part du risque de mortalité peut être attribuée au risque cardio-vasculaire 5 Conclusion Retenons que la spondylarthrite ankylosante ne constitue qu’un petit groupe des spondylarthropathies. Ce groupe est particulièrement polymorphe. Il existe une majorité de formes bénignes de ce rhumatisme inflammatoire. Les anti-TNF ont révolutionné la prise en charge des spondylarthropathies. Les formes sévères sont candidates au traitement anti-TNF mais sont aussi celles qui auront un retentissement sur l’activité professionnelle et la mortalité. Par conséquent, elles méritent une attention particulière. Les études intégrant l’efficacité des anti-TNF seront particulièrement intéressantes de ce point de vue. Par conséquent, les résultats relatifs à la mortalité due à la SPA sont largement biaisés par la mortalité due au cancer, lequel est secondaire à l’irradiation. Les valeurs les plus réalistes quant à la mortalité due à la SPA ont été identifiées par des études anglaises et finlandaises. Elles présentent un SMR compris entre 1,66 et 1,50. Un des éléments majeurs de la surmortalité tient aux problèmes cardio-vasculaires. Il en est de même pour la Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 45 La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic Questions Réponses Une deuxième interrogation porte sur les tumeurs solides. Les études les plus récentes ont conclu à un sur-risque minime de cancer cutané. Toutefois, il convient d’observer un échantillon de patients beaucoup plus large pour tirer des enseignements. Qu’arrive-t-il en cas d’arrêt des anti-TNF ? Dr Corinne Miceli-Richard Alors qu’il est très facile de déterminer le moment auquel il convient d’administrer ces produits, il est beaucoup plus compliqué d’envisager le moment opportun pour arrêter le traitement. L’arrivée des anti-TNF constitue en effet une révolution dans la rhumatologie. Nous savons que l’efficacité de ce traitement, en particulier dans la spondylarthrite ankylosante, est impressionnante. Il existe trois médicaments anti-TNF : Enbrel®, Rémicade®, Humira®. Il convient de mesurer leur effet sur la spondylarthrite ainsi que l’état cardiovasculaire du patient. Les effets secondaires des anti-TNF ne sont pas encore clairement identifiés. Nous en saurons davantage au cours des prochaines années. Dr Corinne Miceli-Richard Il existait autour de ces traitements quelques appréhensions sur la survenue éventuelle de tumeurs ou de lymphomes. TNF signifie Tumor Necrosis Factor. Il s’agit d’une protéine servant dans la défense anti-tumorale. Dans la polyarthrite rhumatoïde, le traitement est suspensif. Des perfusions sont effectuées toutes les quatre ou six semaines. A chaque fois que le traitement s’arrête, les patients souffrent. Dans les spondylarthropathies, il est plus facile d’espacer les perfusions, de diminuer les doses voire pour certains patients, d’interrompre le traitement. J’ai en effet reçu des patients pour lesquels l’intervalle entre les perfusions dépassait douze semaines et pour lesquels le traitement a été arrêté, sans rechute de ces patients. Toutefois, ce traitement reste suspensif, les patients en ont besoin sur le long terme. Le rhumatisme prend différentes formes. Dans certains cas, il évolue par poussée et dans ce cas, une interruption du traitement est envisageable. Dans d’autres cas, il évolue d’un seul tenant et il est difficile d’interrompre le traitement. Qu’en est-il du syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter ? Dr Corinne Miceli-Richard Les premières études sur la polyarthrite rhumatoïde, montraient un léger sur-risque de lymphome. Toutefois, il était très difficile de confirmer ce lien dans la mesure où une inflammation chronique entraîne elle-même un sur-risque de lymphome de 100 %. Ce sur-risque sous anti-TNF étaitil réellement lié à la molécule ou bien à l’activité de la maladie ? Les dernières études sont tout à fait rassurantes sur ce point et établissent une corrélation directe avec l’activité de la maladie : la molécule elle-même n’est pas en cause dans les lymphomes. 46 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie En France, on aime donner le nom des médecins ayant décrit les rhumatismes. On parle désormais d’« arthrite réactionnelle ». Ce syndrome est marginal. Il touche moins de 2 % des patients. Que se passe-t-il lorsque vous demandez à vos patients de remplir un questionnaire relatif à la qualité de vie ? Quelle est votre expérience en la matière ? Lorsque, en tant qu’assureurs, nous proposons à nos assurés de donner ce type de renseignements, ils tendent à surestimer leurs capacités… Dr Corinne Miceli-Richard Tous ces questionnaires, dont le BASDAI, sont des éléments essentiels du suivi d’un patient. Ce dernier va toujours répondre de la même façon. Ses réponses vont s’appuyer sur les mêmes éléments, qu’il s’agisse de la douleur ou de son handicap. Par conséquent, ce n’est pas la valeur absolue mais la valeur relative, c’est-à-dire l’évolution des appréciations, dont il faut tenir compte. Il est ainsi possible de suivre un patient donné sur le long terme. Par contre, comparer les résultats d’un questionnaire d’un individu à un autre est peu pertinent dans la mesure où chaque patient à son propre vécu et sa propre appréciation de la douleur. En revanche, qu’il s’agisse de polyarthrite rhumatoïde ou de SPA, nous savons que la tolérance des patients à la douleur est excellente : malgré leur douleur, les patients agissent presque normalement. Leur « coping » à la maladie est élevé. A l’inverse, les patients souffrant de fibromyalgie réagissent mal à la douleur alors que leur handicap au quotidien, est relativement peu important. Il n’existe donc pas d’étude mesurant la qualité de vie et la reliant au risque d’incapacité du travail… Dr Corinne Miceli-Richard Les questionnaires dont je parlais sont assez génériques. Ils sont utilisés dans toute la rhumatologie et intègrent la douleur, la santé mentale, la santé physique… Pourriez-vous évoquer l’antigène HLA B27 et les maladies inflammatoires présentant un risque cardio-vasculaire ? Dr Corinne Miceli-Richard Il n’y a pas de lien direct entre cet antigène et les pathologies cardiaques. Ce lien, s’il existe, est très lointain. Certaines pathologies, de type insuffisance aortique, ne sont pas nécessairement liées au HLA B27 dans la mesure où ces pathologies sont observées pour beaucoup de rhumatismes inflammatoires. Il n’y a pas non plus de lien direct entre cet antigène et les pathologies cardio-vasculaires. On a mis en évidence le lien direct entre le HLA B27 et le rhumatisme grâce à des rats transgéniques. On a ainsi fait en sorte que le rat exprime sur ses cellules le HLA B27. Ainsi, le rat présente une atteinte inflammatoire de la colonne, des arthrites, une inflammation de l’œil. En revanche, il ne présente pas d’atteinte du cœur ni de pathologies cardio-vasculaires. Par conséquent, sur la base de ce moyen quelque peu artificiel, nous n’avons pas de raison de penser que le HLA B27 intervient dans les manifestations cardio-vasculaires mais plutôt dans les manifestations inflammatoires de l’œil, des articulations ou de la colonne vertébrale voire dans les manifestations inflammatoires digestives. Si l’inflammation favorise les pathologies cardiovasculaires, le lien entre ces dernières et le HLA B27 n’est pas direct. Le sexe intervient-il dans l’évolution de la maladie ? Dr Corinne Miceli-Richard Nous avons vu que le fait d’être une femme a plus de retentissement sur l’activité professionnelle. J’ignore le contenu des analyses menées. Le résultat tient peut-être au fait qu’au sein de certaines cellules familiales, la femme peut interrompre plus facilement son activité professionnelle que son mari. En réalité, les raisons de ce sur-risque n’ont pas été analysées. En revanche, nous savons que les formes de ce rhumatisme chez les femmes sont souvent bien plus bénignes. L’atteinte ankylosante de la colonne touche davantage l’homme. A l’échelle de la population, l’homme est également plus exposé aux travaux manuels. Dès lors, le facteur sexuel est plutôt défavorable à l’homme. Je pensais que les formes périphériques étaient plus graves que les formes axiales. Ainsi, l’atteinte de hanche était considérée comme un facteur de mauvais pronostic. Dr Corinne Miceli-Richard Ces facteurs de mauvais pronostic ont été étudiés par Bernard Amor. La hanche, curieusement, est une articulation périphérique. Pour la spondylar- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 47 La Spondylarthrite ankylosante : bilan et pronostic thrite, on considère que la forme axiale est plus sévère. Le rhumatisme psoriasique est fréquent chez les personnes atteintes de spondylarthropathie. L’inverse est-il vrai ? Dr Corinne Miceli-Richard Le rhumatisme psoriasique ne touche que 2 % à 3 % de la population générale et 20 % à 30 % dans le groupe des spondylarthropathies. Il y a bien un sur-risque. Toutefois, cela n’est valable que sur des échelles de la population générale très faibles. Le risque passe peut-être de 3 % à 4,5 % en cas d’une atteinte cutanée de type psoriasique. Quel est le risque infectieux des traitements antiTNF ? Dr Corinne Miceli-Richard Ce risque est réel. Il y a notamment un risque de résurgence de tuberculose. Un dépistage de la tuberculose est désormais opéré. En outre, on observe un risque relatif de 100 % à 200 % de développer une infection sévère et bactérienne chez la population qui a reçu le traitement par rapport à la population placebo. Ces risques ont été démontrés. Par ailleurs, s’agissant de la SPA, les études ont été publiées en 2002. En réalité, les études ont été publiées sur des analyses commencées en 2000. Nous disposons donc d’un certain recul. Les premières applications dans la polyarthrite rhumatoïde datent d’une dizaine d’années. Sur ce sujet, il n’y a pas de raison de voir apparaître des infections particulières. En revanche, s’agissant du risque tumoral, dans la mesure où l’échantillon de patients doit être important, quelques interrogations demeurent. L’activité des anti-TNF Alpha se maintient-elle avec le temps ? Dr Corinne Miceli-Richard Dans la polyarthrite rhumatoïde, on observe des échappements au traitement au point que l’on est contraint de changer un anti-TNF pour un autre. 48 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Dans la polyarthrite rhumatoïde, la plupart des patients qui prennent du Rémicade® sont sous Methotrexate®. Des anticorps favorisant cet échappement se développent. Dans la SPA, les échappements sont moins importants. Une étude préliminaire réalisée à l’Hôpital Ambroise-Paré indique que l’association du Methotrexate® et du Rémicade® n’est pas nécessaire. Les anticorps qui se développent contre la molécule ne nuisent pas à l’efficacité du traitement. La maintenance du traitement dans la spondylarthrite ankylosante est bien meilleure que dans la polyarthrite rhumatoïde. En outre, un espacement des traitements n’est pas envisageable avec la polyarthrite rhumatoïde, alors qu’il l’est dans la spondylarthrite ankylosante. De la même façon, il est beaucoup moins nécessaire de recourir au changement d’anti-TNF dans la spondylarthrite que dans la polyarthrite rhumatoïde, même si l’on n’en connaît pas parfaitement les raisons. Tarifer la spondylarthrite ankylosante Dr Gabriela Mendoza Sassi • Médecin-conseil SCOR Global Life Pour tarifer la spondylarthrite, il faut être sûr du 2 diagnostic, connaître les complications et apprécier les facteurs pronostiques. Afin d’être certain du diagnostic, il nous faut un certificat rhumatologique spécialisé qui doit mentionner : Tarification A • la date du diagnostic, afin de nous permettre de calculer le temps d’évolution de la maladie ; • l’historique de la maladie, pour déterminer les lésions présentées par le patient, les marqueurs biologiques ; • les traitements passés ou actuellement suivis par le patient ; • les complications. 1 Le pronostic Lorsque l’on examine le dossier d’un proposant atteint de spondylarthrite, on ignore la façon dont sa maladie va évoluer. Pour envisager cette évolution, nous pouvons nous appuyer sur sept facteurs prédictifs, décrits par le professeur Amor. Ces facteurs, lorsqu’ils sont observés pendant les deux premières années d’évolution de la maladie, vont permettre de prévoir l’évolution de la spondylarthrite pour les quinze années suivantes. Les critères pronostiques du professeur Amor sont les suivants : • l’inflammation de l’articulation coxo-fémorale : 4 points • la vitesse de sédimentation (>30) : 3 points • la mauvaise réponse aux AINS : 3 points • la raideur du rachis constatée par le patient : 3 points • la présence d’un doigt ou orteil « en saucisse » : 2 points • la présence d’oligoarthrite : 1 point • le début de la maladie avant l’âge de seize ans : 1 point. Si le total des points est égal ou inférieur à trois, alors la maladie sera bénigne (sensibilité : 92,5 %, spécificité : 78 %). Données épidémiologiques Les données épidémiologiques en termes de mortalité servent à établir la tarification. Une étude de K. Lehtinen, en 1993, sur une cohorte de 398 patients atteints de spondylarthrite ankylosante, suivis pendant vingt-cinq ans, a déterminé une mortalité 1,5 fois supérieure à la population générale. La tarification doit également s’appuyer sur des données relatives à l’incapacité et à l’invalidité. Après quinze ans, 50 % des patients atteints d’une spondylarthrite sévère ne travaillent plus. B Données cliniques, signes d’évolutivité et complications La tarification se base par ailleurs sur les signes d’évolutivité : présence de douleur, de synovite, de raideur matinale, vitesse de sédimentation et CRP élevées. Ces signes sont des facteurs négatifs pour l’évolution de la maladie. Nous retenons comme complications les éléments suivants : • atteinte viscérale • atteinte de hanche • orteils en griffe • prothèse articulaire • cyphose dorsale évoluée • insuffisance respiratoire. C Présence et type de traitement La tarification s’appuie aussi sur la nécessité ou non pour le patient de suivre un traitement et sur le type de traitement (anti-inflammatoire ou traitement de fond). Pour le traitement de fond, on distingue les immunosuppresseurs des anti-TNF. Si ce total est égal ou supérieur à sept, la maladie pourra être sévère mais la sensibilité est seulement de 50 % (spécificité : 97 %). Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 49 Tarifer la spondylarthrite ankylosante 3 Exemples pratiques de tarification A Exemple I Un homme de trente-huit ans demande une couverture de prêt immobilier, pour un capital de 85 000 euros pendant vingt ans. Ce proposant a bénéficié d’un diagnostic de spondylarthrite en 2003. Son rapport médical fait état d’un traitement par AINS, d’une VS et d’une CRP normales, de l’absence de douleur et de complication. On peut considérer qu’il s’agit d’une spondylarthrite « légère », présentant des points positifs : • absence actuellement d’évolution clinique • VS et CRP normales • absence de traitement de fond • absence de complication. Pour une spondylarthrite « légère », nous retenons les principes suivants : • décès : pas de surmortalité • IAD : acceptée • incapacité / invalidité : surprime de 50 %. Toutefois, selon les lésions radiologiques présentées par le proposant, les garanties complémentaires pourront être refusées. B Exemple II Un homme de cinquante-deux ans demande une couverture de prêt immobilier pour un capital de 85 000 euros pendant dix ans. Ce proposant souffre d’une spondylarthrite ankylosante depuis 1982, confirmée par le rapport médical, traitée par AINS et sulfasalazine, et qui est non évolutive. Une cyphose dorsale et une insuffisance respiratoire modérée ont été identifiées ainsi que l’absence d’atteinte viscérale, d’atteinte de la hanche, d’orteils en « griffe » et de prothèse articulaire. La vitesse de segmentation est de 30 tandis que la CRP s’établit à 15. Les épreuves fonctionnelles respiratoires ne sont pas disponibles. Il s’agit ici d’une spondylarthrite « modérée », qui évolue depuis plus de vingt ans mais qui, actuellement, ne présente pas d’évolution clinique. Il y a là un point positif pour la tarification. En revanche, plusieurs points négatifs sont à relever : 50 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie • la persistance d’un « traitement de fond » • des VS et CRP élevées • la présence de cyphose dorsale • une insuffisance respiratoire modérée. Dans ce cas, la tarification serait la suivante : • décès : surprime de 50-75 % • IAD : acceptée • incapacité / invalidité : refus. C Exemple III L’exemple III concerne un homme de trente-deux ans qui demande une couverture de prêt immobilier pour un capital de 145 000 euros pendant vingt ans. Dans le questionnaire médical, le proposant fait état d’une spondylarthrite ankylosante, débutée en 2000, traitée par Rémicade®, stabilisée, ainsi que de la persistance d’une raideur matinale de quarante-cinq minutes, avec atteinte de la hanche, orteils en « griffe », sans cyphose dorsale ni insuffisance respiratoire, ni prothèse articulaire. Par ailleurs, la vitesse de sédimentation est de 35 tandis que la CRP s’élève à 12. Cela correspond à une spondylarthrite « sévère ». Le point positif est que la maladie a été cliniquement stabilisée par Rémicade®. En revanche, plusieurs points négatifs sont à souligner : • raideur matinale • VS et CRP élevées • atteinte de la hanche • orteils « en griffe ». Dans ce cas, la tarification serait la suivante : • décès : surprime de 75 % à 100 % • IAD : refus • incapacité / invalidité : refus 4 Conclusion Le nombre de proposants atteints de spondylarthrite ankylosante est en augmentation depuis 2000. La tarification tient compte des facteurs pronostiques, des facteurs positifs comme des facteurs négatifs. Les anti-TNF sont en train de changer l’histoire naturelle de la maladie. Toutefois, le recul reste insuffisant pour se prononcer sur la façon dont ils vont influencer la mortalité et l’incapacité/invalidité. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 51 Tarifer la spondylarthrite ankylosante Questions Réponses nement de la personne. Cette démarche n’est pas simple pour l’assureur, en France, dans la mesure où il a les plus grandes difficultés à obtenir des informations sur ce volet. De tels renseignements sont parfois considérés comme étant contraires à la liberté individuelle. Nous devons en effet être très attentifs au respect de l’individu. Nous menons une réflexion sur la façon d’appréhender le risque de l’incapacité du travail. Par le passé, la réponse était simple : un refus de l’assurance voire une exclusion. Aujourd’hui, on cherche à tarifer dans la mesure où l’on souhaite assurer nos clients sur le plus grand nombre de points. Malheureusement, les données font défaut. Dr Dominique Lannes Dr Corinne Miceli-Richard L’exercice de votre métier est difficile. Procéder à des évaluations à partir de dossiers médicaux n’est pas simple. Je m’étonne un peu que vous n’intégriez pas, dans votre schéma, le type de travail du patient, ni la durée des arrêts de travail occasionnés par le rhumatisme. Cela vaut tout particulièrement pour l’incapacité. En tant que médecin, au regard des trois exemples présentés, je suis beaucoup plus inquiète pour le patient II, dont le traitement de fond semble peu efficace, que pour le patient III, sous Rémicade®. Il est délicat d’évaluer ces situations. Parmi les critères d’Amor, l’atteinte périphérique a peu de poids. Les éléments importants sont plutôt l’atteinte axiale et l’atteinte de la hanche. Pour les médecins, une spondylarthropathie grave est celle qui donne lieu à un traitement par anti-TNF. Pour administrer ce dernier, on identifie avant tout l’atteinte de la hanche, un syndrome inflammatoire, une vitesse de sédimentation élevée, la mauvaise réponse aux AINS, la raideur du rachis. Vous avez raison de reprendre ces critères. Cependant, l’activité professionnelle du proposant fait défaut. L’inconvénient des exclusions, qui peuvent pourtant être assez pratiques dans l’étude d’un dossier, est de vider en partie le contrat de sa substance. L’évaluation est certes difficile mais elle représente une avancée par rapport à une exclusion systématique. Michel Dufour Nous tenons compte de la profession de l’individu, sans parfois en être réellement conscients. Dans tout dossier d’assurance, la profession du proposant est mentionnée. Tout tarificateur qui étudie un dossier prend connaissance de la pathologie, de la profession. Ces éléments sont pris en compte pour majorer ou minorer le tarif de la police. Lorsque l’assurance incapacité est refusée, il n’est pas rare qu’il soit demandé au tarificateur de se justifier. Toutefois, ces démarches restent informelles, elles s’appuient sur l’expérience. Il est difficile d’intégrer ces éléments dans un logiciel de tarification. Dr Corinne Miceli-Richard Il convient également de tenir compte de la durée de l’arrêt de travail. Michel Dufour Nos réflexions, par le passé, étaient basées sur un modèle biomédical. Or, comme cela a été indiqué précédemment, nous devons prendre en compte le volet « bio-psycho-social », c’est-à-dire l’environ- 52 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Michel Dufour Nous en tenons bien compte. Les tarificateurs ont connaissance des arrêts de travail et agissent en conséquence. Certains dossiers donnent-ils lieu à une exclusion ? Dr Dominique Lannes En général, les rhumatismes inflammatoires ne donnent pas lieu à une exclusion dans la mesure où il est très difficile d’exclure une maladie générale. En revanche, les refus sont possibles. Toute la problématique est que, en cas de sinistre, il est difficile de conclure que l’arrêt de travail est dû à la polyarthrite et d’invoquer l’exclusion. Lorsque l’on pose une exclusion sur une maladie et que le patient est en arrêt de travail en raison de cette maladie, ce patient ne va pas réclamer de bénéfice… Le problème se pose uniquement en cas d’invalidité. Il a été prouvé qu’un certain nombre de demandes de prestations sont évitées lorsque l’exclusion est posée. Dr Gabriela Mendoza L’exclusion concerne souvent la colonne vertébrale. Il arrive, en cas de SPA, d’exclure toute affection qui n’est pas tumorale ou infectieuse. Ainsi, si la personne souffre d’une tumeur vertébrale ou d’une infection, nous prenons en compte cet élément. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 53 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans Dr Mickaël Rousière • CHU Saint-Antoine, Paris 1 Rappels physiopathologiques Le tissu osseux est un tissu de l’organisme qui joue différents rôles essentiels : • soutien de l’ensemble de la charpente du corps, • protection (les côtes par rapport aux poumons et au cœur, la boîte crânienne par rapport au cerveau), • mouvement, • stockage des minéraux, • formation des globules rouges (par la moelle osseuse). On distingue l’os compact (80 % de la masse du squelette, 20 % du remodelage osseux) de l’os trabéculaire (20 % de la masse du squelette, 80 % du remodelage osseux). Les os sont composés ainsi : • une charpente, la matrice • des cellules ayant un rôle dans la destruction et la recomposition de l’os • des cristaux chargés en calcium, lequel assure la solidité à l’os. L’os est un tissu vivant qui se renouvelle en permanence. Dans un premier temps, l’os est détruit par les cellules ostéoclastes. Ensuite, d’autres cellules ostéoblastes vont être chargées de reconstruire l’os afin de réparer les éventuelles lésions. Ce processus de destruction / reconstruction de l’os qui est équilibré quantitativement, s’appelle le remodelage osseux. L’intégrité du squelette est préservée. En cas d’ostéoporose, les cellules chargées de la reconstruction de l’os sont peu efficaces alors que les cellules chargées de la destruction osseuse sont hyperactives, ce qui conduit à une perte osseuse, entraînant une fragilité de l’os. Cette perte osseuse va s’aggraver au fil du temps. 2 Les définitions de l’ostéoporose La définition de l’ostéoporose a beaucoup évolué à travers les siècles. Au sens étymologique, l’ostéoporose est 54 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie un os poreux, comprenant des petits trous. Au début du XXe siècle, on estime que la gravité de l’ostéoporose se mesure à la fracture, notamment la fracture du col du fémur. Ensuite, des études histologiques ont été menées avec des biopsies osseuses. La véritable définition de l’ostéoporose date de 1993, suite à une conférence de consensus. Toutefois, cette définition très littéraire est peu utilisable dans la pratique : « Maladie diffuse du squelette caractérisée par une diminution de la masse osseuse et des altérations micro-architecturales du tissu osseux, ayant pour conséquence une augmentation de la fragilité osseuse et du risque fracturaire ». Un os ostéoporotique présente des travées osseuses plus fines, perforées et mal connectées entre elles. La définition « pratique » a été donnée par l’OMS en 1994 et porte sur la densitométrie osseuse. Elle s’appuie sur la distinction entre « ostéopénie », « ostéoporose » et « ostéoporose confirmée ». 3 Reconnaître l’ostéoporose L’ostéoporose est donc une maladie diffuse du squelette caractérisée par une diminution de la masse osseuse et des perturbations de la micro-architecture ayant pour conséquences : • une augmentation de la fragilité osseuse ; • une augmentation du risque de fracture. La reconnaissance de l’ostéoporose ne peut se limiter à un examen médical permettant de mesurer la taille des patients. En effet, ce critère est très tardif puisque l’on admet qu’une fracture des vertèbres entraîne une perte de taille de deux à trois centimètres. D’autres causes, comme les scolioses, peuvent également entraîner une perte de taille, aussi ce signe est peu spécifique. La radiographie de la colonne vertébrale n’est pas non plus satisfaisante dans la mesure où elle ne permet pas de reconnaître que la fracture. S’agissant des examens biologiques, aucun test sanguin ne permet à ce jour, de diagnostiquer une ostéoporose. Il convient donc de s’appuyer sur l’ostéodensitométrie qui est l’examen de référence pour le diagnostic de l’ostéoporose aujourd’hui. Cet examen est fiable et anodin dans la mesure où l’irradiation est faible. L’ostéodensitométrie permet de mesurer la densité minérale osseuse au rachis lombaire et au col du fémur. Les rayons X traversent le corps humain. Plus l’os est dense, plus les rayons X sont arrêtés et moins ils sont récupérés sur le détecteur. La durée de cet examen, totalement indolore, est de dix minutes. L’examen permet de mesurer la quantité de calcium présente dans les os, que l’on rapporte à une surface d’os pour déterminer une densité minérale osseuse. Cette densité minérale osseuse fournit des chiffres assez peu compréhensibles en tant que tels. Toutefois, sachant que la masse osseuse est maximale entre l’âge de vingt ans et trente ans, il est possible de comparer la densité minérale osseuse d’un patient à une population de référence, considérée comme normale. On étudie ainsi la valeur de la densité osseuse du patient par rapport à la valeur d’un individu de même âge (Z score) ainsi que la variation de cette valeur par rapport à un sujet jeune (T score). Par exemple, la densitométrie osseuse d’une femme de soixante ans est comparée à celle d’une femme jeune afin de déterminer la quantité d’os perdue au fil des années. La mesure de la densité minérale osseuse va refléter le risque d’une éventuelle fracture ultérieure. A chaque fois que l’on diminue d’une unité le T score, le risque de fracture du col fémoral est multiplié par deux. Plus la densitométrie osseuse est basse, plus le risque de fracture est élevé. Cet examen permet donc de prédire un éventuel risque fracturaire pour une personne donnée. La conférence de consensus a permis de donner une valeur seuil à partir de laquelle on définit l’ostéoporose. Ainsi, lorsque l’écart-type du T score est compris entre - 1 et + 1, la densité est normale. S’il est compris entre - 2,5 et - 1, on parle d’ostéopénie. S’il est inférieur à - 2,5, on parle d’ostéoporose. A partir de cette valeur, on considère en effet que le risque de fracture est très élevé (+ 400 %). L’ostéopénie n’est pas une maladie mais un état transitionnel. Une étude américaine a démontré sur plusieurs dizaines de milliers de patients qu’une diminution d’un point de l’écart-type doublait le risque de fracture. 4 Epidémiologie de l’ostéoporose On estime à environ quatre millions le nombre de femmes ostéoporotiques en France. La plupart d’entre elles l’ignorent. Des estimations plus précises faisaient état de 3,7 millions de femmes ostéoporotiques. Près de la moitié d’entre elles présentent déjà des fractures. Toutefois, seules 802 000 patientes ont été diagnostiquées et traitées. La prévalence de l’ostéoporose est la suivante : • femmes de plus de 50 ans : 30 % • femmes de plus de 65 ans : 50 % • femmes de plus de 80 ans : 70 % Une étude de Ribot menée en 1995 montre que, sur un échantillon de femmes âgées de plus de quarante-cinq ans qui se rendent à une consultation de ménopause, 40 % d’entre elles sont atteintes d’ostéoporose, au moins au rachis lombaire. Cette pathologie est donc particulièrement fréquente. L’ostéoporose est une épidémie silencieuse compte tenu de l’absence de douleur, de symptôme… jusqu’à la fracture. Cette caractéristique pose des difficultés en termes de diagnostic et de traitement. L’épidémiologie de l’ostéoporose est de mieux en mieux connue. Celle des fractures est connue depuis longtemps déjà. La fracture est un événement douloureux qui amène les gens à consulter, ce qui permet de disposer de bases de données plus complètes. C’est particulièrement vrai pour les fractures du col fémoral dans la mesure où les individus sont systématiquement hospitalisés. Outre la douleur, ces fractures (poignet, vertèbres, col du fémur) ont des conséquences majeures en termes de morbidité, de mortalité et de coût socioéconomique. Elles sont d’autant plus fréquentes que la population vieillit. A partir de l’âge de soixante-dix ans, l’augmentation de la prévalence des fractures du col du fémur est exponentielle. On prévoit qu’en 2040, le soin de ces fractures Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 55 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans constituera l’essentiel de l’activité professionnelle des chirurgiens orthopédistes. Toutefois, la fracture du poignet est souvent la première fracture qui survient chez la femme ménopausée. Les fractures liées à l’ostéoporose concernent des traumatismes minimes. Dans les mois ou années qui suivent cette fracture du poignet, de nombreuses femmes vont présenter une algodystrophie, qui est une réaction locale, vasculaire et nerveuse, conduisant à une raideur du poignet et à des douleurs la nuit. Cette algodystrophie, très gênante, met beaucoup de temps à guérir, entre quelques mois et deux ou trois ans. En outre, ces fractures du poignet peuvent être annonciatrices d’autres fractures. En France, une femme dont le poignet a été fracturé a cinq fois plus de risque de connaître, au cours des années suivantes, une fracture des vertèbres et deux à trois fois plus de risque de subir une fracture de la hanche. Cette population doit donc être prise en charge dès la première fracture. D’ailleurs, cette exigence est parfois juridique. Ainsi, aux Etats-Unis, des femmes ont intenté vingt ans plus tard, un procès à leur chirurgien qui ne les avait pas prévenues du risque d’ostéoporose lorsqu’elles avaient présenté une fracture du poignet. Les données américaines concernant le risque de fracture sont conformes aux données françaises. La fracture vertébrale est très fréquente. Elle touche une femme sur trois âgée de plus de soixante-cinq ans. Ces fractures sont également annonciatrices d’autres fractures ou de « tassements ». Chaque fracture annonce la suivante. Une patiente qui subit une fracture du poignet risque une fracture vertébrale et si rien n’est fait, une fracture du col du fémur. La fracture vertébrale est une pathologie fréquente. Mais une fois sur deux, elle n’est pas reconnue comme une véritable fracture. En effet, à la différence de la fracture du poignet ou du col du fémur, la fracture des vertèbres n’est pas toujours apparente. Elle peut ne donner lieu qu’à de petites douleurs. Une femme de soixante-cinq ans qui a mal au dos pense immédiatement qu’elle souffre d’arthrose. Elle considère alors inutile de consulter un médecin, or il est possible qu’elle souffre d’une fracture vertébrale. Le problème est qu’une fracture vertébrale a le même impact fonctionnel qu’une fracture du col du fémur, en termes par exemple, de risque de nouvelle fracture. Ainsi, même si la fracture vertébrale n’occasionne pas de grandes douleurs, elle présente un risque important de fracture du col du fémur. Le risque de fracture vertébrale augmente de façon exponentielle avec l’âge. Une étude française, menée auprès de femmes de la région Picardie, montre également qu’une femme de plus de quatre-vingt-cinq ans sur deux souffre au moins d’une fracture vertébrale. Lorsque l’on compare un os normal avec un os souffrant d’une fracture vertébrale, on observe que le dessus de l’os est totalement effondré. La charpente ne soutient plus du tout le tour de l’os [ 22 ]. Les fractures vertébrales provoquent des douleurs chroniques aiguës. Elles ont également pour conséquence 22 Ostéoporose micro-architecture Patiente saine Patiente ostéoporotique R. Rizzoli - Atlas of postmenopausal osteoporosis - 2004 56 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie une perte de taille, qui a d’ailleurs un grave retentissement psychique sur les patientes. De plus, les femmes qui multiplient les fractures vertébrales peuvent souffrir de problèmes respiratoires, voire de problèmes de digestion et dans des cas très rares, de problèmes d’incontinence. Cela étant, les risques essentiels sont la perte de taille et les douleurs chroniques. La femme souffrant de fractures vertébrales peut également souffrir d’une dépression liée aux symptômes précédemment évoqués (perte de taille, douleurs chroniques). Les fractures vertébrales annoncent les autres fractures. A cet égard, une étude américaine a été menée auprès de 9 600 femmes pendant huit ans. Elle montre qu’une femme ayant subi une fracture des vertèbres voit multiplié par quatre le risque de refaire une fracture des vertèbres et multiplié par deux le risque de subir une fracture du col du fémur. Toutes les études sont concordantes sur ce caractère prédictif des fractures du col du fémur par rapport aux fractures vertébrales. D’ailleurs, plus une femme ayant subi une fracture vertébrale avance dans le temps, plus son risque de faire une fracture du col du fémur augmente. Parmi les femmes qui ont subi une première fracture vertébrale, une sur cinq subira une deuxième fracture vertébrale dans l’année qui suit. De plus, une femme présente un risque de fracture plus élevé si elle a déjà 23 Les rhumatologues français s’intéressent depuis peu à l’ostéoporose et des études françaises sont désormais disponibles [ 24 ]. La moitié des fractures ostéoporotiques ne sont pas vertébrales, mais environ 40 000 fractures vertébrales sont enregistrées chaque année en France. Plus de la moitié des fractures ostéoporotiques sont non vertébrales Facteur prédictif de fracture du col 4 Les fractures vertébrales sont, parmi les fractures ostéoporotiques, les conséquences les plus connues de la perte osseuse post-ménopause. Toutefois, les fractures non vertébrales et notamment celles du col fémoral sont également fréquentes, mais aussi graves et coûteuses et responsables d’une grande partie de la mortalité, de la morbidité et des dépenses liées à l’ostéoporose. 24 Fractures vertébrales RR 5 connu des fractures dans le passé. Ainsi, en moyenne, 20 % des femmes connaissent une récidive de fractures vertébrales. Ce taux atteint 25 % lorsque la patiente a déjà connu deux fractures des vertèbres antérieures. En définitive, plus on a subi de fractures, plus on a de risques d’en connaître d’autres. Une patiente ayant subi une fracture des vertèbres court un risque plus grand d’une nouvelle fracture vertébrale ou non-vertébrale, du col du fémur par exemple [ 23 ]. Dans le jargon médical, nous utilisons le terme « cascade fracturaire » pour caractériser cette succession de fractures. Nous rencontrons ainsi des femmes qui se font hospitaliser tous les ans ou tous les six mois pour une nouvelle fracture. Cela explique l’importance d’une prise en charge dès la première fracture. Incidence annuelle Fracture clinique Fracture radiologique 120 000 3 80 000 2 40 000 1 Fractures vertébrales symptomatiques 0 Melton 99 Gunnes 98 Black 99 Ismail 01 Melton et al. Osteoporos Int 1999 • Gunnes et al. Acta Orthop Scand 1999 Black et al. JBMR1999 • Ismail et al. Osteoporosis Int 2001 Vertébrale Hanche Poignet autres (Morphométrique) Estimations d’après P. Fardellone Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 57 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans Toutefois, si toutes les fractures vertébrales issues des données radiologiques sont prises en compte, le nombre de fractures vertébrales atteint 120 000 par an. Enfin, on enregistre chaque année en France 50 000 fractures du col du fémur, 40 000 fractures du poignet et 40 000 autres types de fractures (bassin, humérus, etc.). Ainsi au total, 200 000 fractures sont liées à l’ostéoporose chaque année. L’incidence d’une fracture de la hanche [ 25 ] augmente de manière exponentielle à partir de l’âge de soixante-dix ans. Elle est multipliée par trois pour les femmes ayant subi une fracture antérieure. De plus, une fracture de la hanche peut avoir de graves conséquences. Ainsi, sur quatre personnes ayant subi une fracture de la hanche, une risque de décéder dans l’année suivante, le risque de mortalité après une fracture étant donc de l’ordre de 25 %. Sur ces mêmes quatre personnes, une seulement sera en mesure de revenir à une activité normale, et deux connaîtront une diminution de leurs capacités fonctionnelles. Sur ces deux personnes, une entrera en institution (maison de retraite) et l’autre aura besoin d’une aide à domicile. Globalement, après une telle fracture 5 % des personnes décèdent dans l’année qui suit, 25 % des personnes se portent bien, 50 % des personnes auront besoin d’une aide totale (en institution) ou partielle (aide à domicile). La fracture de la hanche est donc grave puisqu’on peut en mourir. Elle est également coûteuse puisque le patient sera contraint de financer l’aide à domicile ou l’entrée en institution. 5 Conséquences médico-socioéconomiques des fractures Les fractures ostéoporotiques sont fréquentes et augmentent avec l’âge. Dès la tranche d’âge « 55-59 ans », le risque de fracture (notamment du poignet) augmente déjà de manière significative. Les fractures ostéoporotiques sont coûteuses. Une étude américaine a estimé ce coût [ 26 ] mais elle ne tient compte que du coût de la fracture lié à l’hospitalisation. On constate ainsi qu’une fracture du col du fémur coûte 26 Les fractures ostéoporotiques sont coûteuses Coût d’une fracture du col fémoral • Élevé et relativement constant • Coût moyen estimé par patient = 19 100 € Coût d’une fracture vertébrale • Moindre et variable. • Coût moyen estimé par patient = 500 € Dolan P & Torgerson DJ OI 1998 • Johnell O Am J Med 1997 Haetjens P et al. J Bone & Joint Surgey 2001 • Ankjaer-Jensen A et al. OI 1996 Kanis J et al. Health Technology Assessments 2002 25 Fracture du col fémoral 58 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 19 000 euros. Une fracture vertébrale ne coûte que 500 euros. Toutefois, il faut savoir que la majorité des personnes n’est pas hospitalisée mais soignée à domicile, or le coût de cette prestation est significatif. Une étude anglaise a présenté des chiffres comparables à ceux de l’étude américaine. Cette étude souligne que le coût direct d’une fracture du col fémoral est très élevé. En effet, la personne doit être hospitalisée ce qui représente un coût supérieur à 1 000 euros. De plus, ce type de fracture implique également une rééducation, une opération et la mise en place d’une prothèse (pour un coût de 1 500 euros). Enfin, une étude suédoise estime que le coût d’une fracture du col du fémur, si l’on prend en compte le coût direct dans la semaine qui suit et tous les comptes qui seront engendrés dans l’année qui suit la fracture (consultations, rééducation, médicaments, séances de kinésithérapie, aide à domicile), s’élève à 14 000 euros par malade. La fracture vertébrale représente un coût direct moins élevé, mais si l’on prend en compte toutes les dépenses – sachant que ce type de fracture occasionne des douleurs chroniques –, on parvient à un coût total de 12 000 euros par an et par malade. Au final, ces fractures fémorales sont donc coûteuses, tant pour la société que pour les personnes. Une évaluation de la qualité de vie chez les femmes atteintes d’ostéoporose et ayant subi des fractures a montré qu’après une fracture de la hanche, la qualité de vie de cette patiente est diminuée de 80 % après un an. Dans le cas d’une fracture des vertèbres, la diminution de la qualité de vie est de 70 %. Une fracture vertébrale sur dix donne lieu à une hospitalisation. Dans tous les autres cas, les fractures sont gérées à domicile. Parfois, ces fractures ne donnent pas lieu à une hospitalisation parce qu’elles ne sont pas reconnues comme telles : les patients pensent qu’il s’agit simplement d’une crise d’arthrose. Une personne qui subit une fracture des vertèbres, voit le risque d’être hospitalisée dans l’année qui suit la fracture augmenter de 18 %. La fracture vertébrale, et les fractures en général, témoignent probablement d’un état de santé précaire des personnes. Quelle que soit la raison pour laquelle une personne est hospitalisée, le fait qu’elle ait une fracture des vertèbres dans ses antécédents augmente en moyenne la durée de séjour en hôpital de cinq jours, ce qui représente un coût supplémentaire. Les fractures vertébrales occasionnent également d’autres pathologies. On dit que ces fractures sont silencieuses mais ce n’est pas exact. 41 % des femmes qui ont subi une fracture vertébrale souffrent de douleurs chroniques. De la même façon, 41 % des femmes qui ont subi une fracture vertébrale souffrent par la suite d’impotence fonctionnelle. De plus, qu’elles soient radiologiques ou cliniques, les fractures occasionnent en moyenne près d’un an de douleurs modérées. Souvent, il est dit aux patients que les fractures des vertèbres guérissent en six à huit semaines, or ce point doit être relativisé puisqu’ils souffrent pendant près d’un an. De même, une fracture clinique occasionne en moyenne cinquante jours de repos complet au lit et près de cent jours d’activité limitée. Fractures ostéoporotiques et mortalité Toutes les fractures ostéoporotiques augmentent la mortalité. La mortalité augmente pour les fractures du fémur, mais aussi pour les fractures vertébrales. Des sociétés américaines ont même réussi à évaluer le nombre d’années de vie perdues après une fracture. En l’occurrence, si une personne subit une fracture des vertèbres à l’âge de soixante ans, elle perd globalement deux années par rapport à une espérance de vie normale. Si une personne subit une fracture du col du fémur à soixante ans, son espérance de vie est réduite de onze ans. Mais en fait, plus la personne vieillit, plus elle se rapproche de son espérance de vie normale. Or le calcul porte bien sur le nombre d’années perdues par rapport à l’espérance de vie théorique. Par conséquent, une personne de quatre-vingts ans a certes presque atteint son espérance de vie théorique, mais en cas de fracture du col du fémur, la probabilité qu’elle décède dans l’année qui suit est de 25 %. Nous avons ainsi pu calculer les courbes de mortalité. D’autres chiffres, issus d’autres études permettent d’identifier certaines tendances. Ainsi le graphique suivant [ 27 ] montre que les fractures de l’avant-bras augmentent peu la mortalité. En effet, la courbe en vert est quasiment similaire à la courbe de mortalité de la population générale. En revanche, lorsqu’une personne subit une fracture du fémur ou d’une vertèbre, sa mortalité augmente de plus de 50 % après cinq ans. Ces chiffres sont sévères, mais ils montrent bien qu’après une fracture ostéoporotique fait augmenter, la mortalité augmente dans de fortes proportions. En fait, dans le domaine de l’ostéoporose, on utilise souvent cet adage : « plus c’est grave, plus c’est grave ». Si l’on prend le cas d’une première fracture des vertèbres, le risque de mortalité est multiplié par 2,3 à un horizon de dix ans. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 59 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans Pour conclure, on peut dire que les fractures ostéoporotiques sont douloureuses, fréquentes et coûteuses à la fois en termes d’incapacité fonctionnelle, de maladies et de mortalité. Ces fractures sont graves et occasionnent une grande mortalité. Même si les chiffres sont un peu discordants, on constate que de 20 à 25 % des patients meurent dans l’année qui suit, et qu’un patient sur deux verra une diminution de ses capacités de vie. Le graphique ci-après [ 28 ] illustre le taux de survie relative après une fracture du col du fémur et une fracture vertébrale. Vous pouvez constater qu’entre la mortalité attendue et ce qu’on peut observer, il existe une nette différence. On a très certainement une multiplication du taux de mortalité par un facteur au moins égal à trois après ces fractures. 6 Prise en charge de l’ostéoporose Comment prévenir et améliorer la prise en charge de l’ostéoporose ? Il faut d’abord la détecter. Ce n’est pas toujours facile, face à des personnes de soixante ans qui commencent à avoir de l’arthrose, de la tension artérielle, du cholestérol etc., donc qui doivent gérer un grand nombre de médicaments. Il faut alors chercher les facteurs de risques et proposer systématiquement aux patients une mesure de la densité minérale osseuse. Il convient également de leur donner des traitements préventifs. Des médicaments ont prouvé leur efficacité dans le traitement de l’ostéoporose. Le calcium et la vitamine D représentent le traitement minimum. Mais on doit aussi envisager d’autres traitements plus efficaces. La prise en charge est à la fois médicamenteuse et non médicamenteuse. Le premier élément est l’hygiène de vie. On incite ainsi les patients à faire du sport et à manger des produits riches en calcium. Le cardiologue conseille souvent aux personnes âgées de prendre garde au cholestérol. Il faut savoir que les produits allégés contiennent moins de matières grasses, mais pas moins de calcium. Ainsi, dans un yaourt normal ou un yaourt à 0 % de matières grasses, la quantité de calcium est la 60 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie même. Il en est de même pour le lait. On conseille également aux femmes de pratiquer des activités physiques (au moins quarante-cinq minutes à une heure de marche par jour) et aux fumeuses, d’arrêter le tabac. Il existe différents traitements médicamenteux. L’industrie pharmaceutique a bien perçu que l’ostéoporose était un sujet de plus en plus important et a lancé sur le marché tout un panel de molécules. Il est un peu difficile de savoir dans quel ordre elles seront utilisées. Nous utilisons de moins en moins le traitement hormonal de la ménopause, même si on peut assister actuellement à un renouveau de cette méthode. L’Agence du Médicament a publié en 2004 et réactualisé en 2006 un guide de prescription. Nous disposons ainsi de modèles de traitement des patientes en fonction de leurs antécédents de fracture, de leur âge et de leur densité minérale osseuse. Nous pouvons ainsi déterminer à quel moment un traitement de l’ostéoporose peut être commencé. Ils fonctionnent tous à peu près de la même façon. Globalement, tous les médicaments préviennent d’environ 50 % le risque de fracture des vertèbres. Autrement dit, lorsque l’on propose un traitement à une femme ostéoporotique, on ne prévient qu’une fracture vertébrale sur deux. En ce qui concerne les fractures non vertébrales, notamment les fractures du col du fémur, le risque est réduit de 30 à 50 % par certaines de ces molécules. Globalement, toutes les molécules n’ont pas démontré leur efficacité pour le col du fémur, sauf trois : l’actonel TM, le fosamax TM et le protelos TM. Le médecin doit penser au traitement médicamenteux. Mais il convient également d’éduquer les personnes afin d’améliorer l’efficacité des traitements, ce qui représente un vrai problème. Souvent l’on ne sait pas comment s’y prendre. Nous savons que lorsque l’on diminue le nombre de prises de médicaments, l’observance est meilleure. Toutefois, avec les traitements modernes de l’ostéoporose qui supposent la prise d’un comprimé par semaine, on constate qu’à l’issue d’un an, l’observance n’est que de 60 %. En d’autres termes, seulement 60 % des personnes continuent après un an de prendre le médicament prescrit, ce qui est regrettable. L’ostéoporose n’est pas une fatalité. On peut la dépister et la prévenir ; la diagnostiquer et la traiter. 27 Mortalité après fracture ostéoporotique Mortalité (%) 80 Vertèbre 60 Extrémité supérieure du fémur 40 Extrémité supérieure de l’humérus Avant-bras 20 0 0 1 2 3 4 5 Temps (années) Johnell, Kanis et al. Osteoporosis Int 2004 28 Les fractures du col fémoral sont graves Taux de survie relative après fracture ostéoporotique % Survivants attendu observé 100 100 80 80 60 60 40 FESF 40 Fracture vertébrale 20 20 0 0 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 Années après la fracture Adapté de Cooper C. Am J Epidemiol. 1993 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 61 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans Questions Réponses envoyées chez le rhumatologue, afin de dépister l’ostéoporose. Dr Gabriela Mendoza Le tabac peut aussi être un facteur commun. Dr Mickaël Rousière Les femmes que nous recevons aujourd’hui sont celles qui fumaient peu avant. Maintenant, elles fument toutes, alors qu’autrefois elles ne fumaient pas. On parle dans nos cercles de l’effet des statines utilisées contre le cholestérol comme facteur protecteur pour l’ostéoporose. Avez-vous également constaté ce phénomène ? Une femme sur quatre meurt dans l’année suivant une fracture du col du fémur. C’est un chiffre impressionnant. Dr Mickaël Rousière Même avec l’évolution de la médecine, si l’on compare les études réalisées il y a vingt ans et celles réalisées actuellement, cette mortalité reste identique. Aujourd’hui, on meurt toujours autant d’une fracture du col du fémur qu’on en mourait il y a vingt ou trente ans. Dr Gabriela Mendoza Parce qu’on ne dépiste toujours pas assez l’ostéoporose. Dr Mickaël Rousière Le problème est d’identifier la cause réelle de la mort. Il peut s’agir de complications postopératoires. Une opération chirurgicale peut provoquer pour une personne âgée des infections pulmonaires. Il existe également une mortalité cardiovasculaire très importante. Il y a probablement une association entre les facteurs de risque de l’ostéoporose et les facteurs de risque cardio-vasculaire. Une femme ostéoporotique devrait même être envoyée de manière systématique chez un cardiologue, de façon à rechercher les facteurs de risque cardio-vasculaire. A l’inverse, les femmes souffrant de problèmes cardio-vasculaires devraient être 62 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Dr Mickaël Rousière On a assisté à une sorte d’envolée sur les statines. Nous y avons cru à un moment. Mais finalement, l’effet s’il existe, est probablement marginal. On a pu démontrer, par le biais de l’inflammation, qu’elles augmentaient un petit peu la densité minérale osseuse et diminuaient quelque peu l’hyper-remodelage osseux. Mais en définitive, si l’on reprend les grandes études cardiologiques qui ont comporté un recueil de fractures, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de diminution du risque fracturaire. Nous avons nourri les mêmes espoirs pour les bétabloquants. Des hypothèses avaient été avancées sur le rôle des bétabloquants. Finalement, le modèle physiopathologique est attrayant. Mais en pratique, on n’a pas l’impression que cela diminue réellement le risque fracturaire. Cela dit, ce n’est pas mauvais en soi. Les bétabloquants et les statines ne sont pas délétères pour l’os. Pourquoi l’ostéoporose est-elle si fortement féminine ? Dans la continuité de cette question, est-ce que le pronostic et les complications sont les mêmes ? Dr Mickaël Rousière Pour répondre à votre deuxième question, l’ostéoporose chez l’homme est grave. On meurt autant d’une fracture du col du fémur chez l’homme que chez la femme. Pourquoi parle-t-on moins de l’os- téoporose masculine ? Elle est probablement un peu moins fréquente que l’ostéoporose féminine, pour une raison majeure qui est l’absence de ménopause chez l’homme. Les hommes ne souffrent pas à cinquante ans de cette carence hormonale qui est tout de même un véritable facteur déclenchant de l’ostéoporose chez la femme. Pendant très longtemps, on s’est intéressé à l’ostéoporose féminine. Quelques données concernant l’homme commencent aujourd’hui à apparaître. L’industrie pharmaceutique a commencé à s’intéresser à cette pathologie qui se développe de plus en plus. Finalement, on se rend compte que cette pathologie ne se retrouve pas de manière anecdotique chez l’homme. Il est d’ailleurs probable que la majorité des cas ne sont pas diagnostiqués. Je pense que c’est possible d’autant plus que les hommes ont de mauvaises habitudes de vie ; ils boivent et fument. Si on réalisait des études de densitométrie au sein de la population, on trouverait probablement des cas d’ostéoporose chez les hommes. Il faut aussi prendre en compte la définition de l’ostéoporose. On peut affirmer que les hommes peuvent souffrir d’ostéoporose mais il est vrai également qu’ils subissent moins de fractures que les femmes parce que l’architecture de l’os est un peu différente. L’os cortical est plus épais. Les mailles sont un peu plus épaisses et un peu mieux connectées entre elles. A densité minérale osseuse égale entre un homme et une femme, même si elle est basse, il existe tout de même plus de fractures chez la femme que chez l’homme, au moins jusqu’à l’âge de 80 ans. Au-delà de 80 ans, il est relativement courant qu’un homme se casse le col du fémur. Mais en fait, nous manquons de données épidémiologiques. Actuellement, de grandes études sont mises en œuvre aux Etats-Unis. Elles consistent en un suivi de densitométrie chez des hommes de plus de cinquante ans. L’objectif est d’obtenir des données épidémiologiques sur l’ostéoporose de l’homme. On parle peu de ce sujet. Pourtant, il faudra bien s’y intéresser puisque l’espérance de vie des hommes augmente également. Parmi les patientes pré-ménopausées, observezvous un décalage dans le temps, c'est-à-dire une survenue de l’ostéoporose avec le décalage cor- respondant ? Le risque est-il le même ou est-il aggravé du fait de la survenue plus précoce ? Dr Mickaël Rousière La question est difficile parce qu’il existe en fait très peu d’études sur la femme pré-ménopausée. L’ostéoporose de la femme avant la ménopause est tout de même rare. Généralement, elle est liée à un événement pathologique notable. Il peut s’agir par exemple d’une femme souffrant d’un cancer, d’une hémopathie ou d’une maladie qui impose des traitements lourds. Avant l’âge théorique de la ménopause, ces femmes n’ont pas une densité minérale osseuse basse. Elles ne subissent pas beaucoup de fractures. Généralement, on ne leur propose pas de traitement pour l’ostéoporose en tant que telle. Souvent, on demande au gynécologue un traitement hormonal, qui ne pose d’ailleurs pas de problème mammaire ou cardio-vasculaire jusqu’à l’âge théorique de la ménopause. Par conséquent, jusqu’à cinquante ans, l’ostéoporose ne pose pas de problème. Par contre, après cinquante ans, l’évolution est la même que pour les autres femmes. Je signale d’ailleurs que quasiment aucun laboratoire n’a proposé un traitement pour les femmes préménopausées. En l’absence de carence, les supplémentations vitamino-calciques sont-elles utiles ? N’ont-elles pas un effet délétère, notamment au point de vue rénal ? Dr Mickaël Rousière Oui et non. Il faut s’y intéresser, c’est certain. Pour autant, faut-il procéder à la supplémentation systématique ? Probablement pas. Les grandes études américaines, qui sont sorties récemment, montrent que la supplémentation en vitamine D et en calcium ne diminue pas le risque de fracture. D’un point de vue statistique, ces études sont très bien faites. Cependant, du point de vue de la pratique, elles sont nulles puisqu’elles concernent des gens qui ont déjà un apport en calcium et en vitamine D satisfaisant. Il faut probablement supplémenter les personnes qui en ont besoin. En ce qui concerne le calcium, une démarche très simple peut être sui- Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 63 Prise en charge de l’ostéoporose : un choix pour trente à quarante ans vie. Il s’agit d’un questionnaire alimentaire qui prend cinq minutes au patient pour le remplir et deux minutes au médecin pour l’analyser. Il permet d’avoir une idée de l’apport quotidien. Chez une femme ménopausée, on situe l’apport théorique à 1,2 gramme de calcium par jour. Il est très facile de savoir si une femme a un apport quotidien supérieur ou inférieur à 1,2 gramme. Personnellement, je soumets ce questionnaire de manière systématique. Je ne supplémente que les femmes dont l’apport quotidien en calcium est inférieur à 1 gramme. En ce qui concerne la vitamine D, une méthode simple consiste à réaliser un dosage de la vitamine D. Il faut savoir qu’en moyenne, la carence en vitamine D concerne entre deux tiers et trois quarts des femmes françaises ménopausées. De plus, récemment, la normale inférieure du dosage a été augmentée. Avant, la normale était comprise entre 20 et 50. Aujourd’hui, on considère qu’elle est comprise entre 30 et 50 nanogrammes par millilitre. La limite est donc augmentée et par conséquent, le nombre de personnes en dessous de cette norme augmente. Avec cette norme, on arrive à plus de trois quarts de femmes ménopausées présentant une carence en vitamine D. On pourrait presque proposer une supplémentation systématique. Je précise d’ailleurs que cela ne concerne pas uniquement la femme ménopausée. Une étude américaine a ainsi montré qu’un étudiant en médecine de vingt-cinq ans sur deux était carencé en vitamine D. Dr Gabriela Mendoza Le seuil a été relevé, mais sur des bases scientifiques. On a considéré ce nouveau seuil sur la réaction d’hyperparathyroïdie secondaire. Jusqu’à présent, le seuil était beaucoup trop bas. Aujourd’hui, nous avons un seuil plus haut qui correspond à la réalité physiologique. Il faut donc supplémenter 80 % des patientes en vitamine D. Dr Mickaël Rousière Dans la zone comprise entre 20 et 30 nanogrammes, il y avait encore un hyper-remodelage de l’os. On ne parvenait pas à remettre le remodelage osseux normal. 64 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Je le constate dans la pratique. Le dosage de la vitamine D est pertinent. Cinq fois sur six, il conduit à une démarche thérapeutique. De plus, les médicaments utilisés pour le traitement des personnes, qui sont très chers, fonctionnent d’autant mieux chez les personnes qui ne sont pas carencées en calcium et en vitamine D. Les médicaments de traitement de l’ostéoporose fonctionnent moins bien chez les personnes carencées en vitamine D. Il existe même un risque théorique qu’une carence sévère en vitamine D facilite les fractures. Pour le calcium, il existe donc un questionnaire français très simple à remplir. Il estime très bien les apports alimentaires en calcium. En ce qui concerne la vitamine D, je choisis personnellement de supplémenter près de 95 % de mes patientes. Comment tarifer l’ostéoporose ? Dr Dominique Lannes • Médecin-conseil SCOR Global Life 1 L’ostéoporose dans le contexte de l’assurance Aujourd’hui, l’ostéoporose touche la femme de plus de cinquante ans, après la ménopause. Imaginons le portefeuille d’un assureur dont c’est la population cible. Le risque craint par l’assureur est la fracture, et il augmente avec l’âge. La durée des contrats d’assurance, des prêts bancaires s’allonge de plus en plus. Beaucoup de femmes s’assurent à l’âge de trente, quarante, cinquante ans. Elles rejoindront à terme cette population à risque d’ostéoporose. Par ailleurs, en France de nouveaux contrats « seniors » ont été mis en place. L’âge limite pour y souscrire est de soixante-quinze ans. La personne peut s’assurer jusqu’à quatre-vingt-cinq ans. Nous sommes donc précisément dans la zone de risque majeur d’ostéoporose. Enfin, des contrats « dépendance » apparaissent de plus en plus. L’âge moyen de souscription de ces contrats est de soixante-deux ans, précisément dans cette population menacée par l’ostéoporose. Pour ces contrats qui s’allongent, une nouvelle approche du risque apparaît. Une nouvelle segmentation dans l’assurance est sans doute à réinventer. 2 Comment repérer une ostéoporose ? A Contexte L’ostéoporose concerne donc la femme de plus de cinquante ans. Il peut arriver qu’aucune ostéoporose ne soit détectée dans une déclaration d’assurance. Mais certaines femmes sont ostéoporotiques sans le savoir. D’autres femmes ne le sont pas et sont traitées préventivement. A priori, elles ne risquent rien. Il existe également des femmes qui ont une ostéoporose avérée, qu’elle soit traitée ou non, et qui présentent un risque fracturaire ou qui ont déjà subi des fractures. Finalement, c’est cette population a priori qui nous intéresse dans l’évaluation du risque, en sachant que le problème des femmes qui n’ont rien déclaré et qui sont pourtant ostéoporotiques demeure. Il s’agit donc d’essayer de repérer les femmes qui ont une ostéoporose avérée et qui présentent un grand risque de fracture ou qui en ont déjà subi. On peut penser que le risque le plus important lié à une fracture concerne la dépendance. L’Incapacité Temporaire de Travail (ITT) et l’Invalidité sont également des risques importants, mais à un degré moindre. Dans cette tranche de population, on peut se demander s’il ne faudra pas revoir notre approche pour ces personnes qui souscrivent des assurances décès à des âges très avancés, compte tenu des statistiques évoquées par le Docteur Rousière. B Comment repérer une ostéoporose sur le questionnaire médical ? En examinant les dossiers, on identifie la façon dont répondent les personnes ainsi que leurs traitements. Assez souvent, les femmes connaissent le mot « ostéoporose », mais elles peuvent aussi utiliser les termes « déminéralisation osseuse », « décalcification » ou « fragilité osseuse ». Ce sont les quatre dénominations les plus souvent employées. Bien sûr, elles peuvent déclarer des fractures. Il n’est pas question de dire qu’un polytraumatisme après un accident de voiture chez une femme de trente-cinq ans est un cas d’ostéoporose. Nous restons bien dans le cas d’une femme de plus de cinquante ans qui déclarerait des fractures consécutives à une chute de sa hauteur. Il s’agit donc plutôt de fractures du col du fémur, du poignet, et les fameuses fractures vertébrales. A cet égard, le terme « tassement vertébral » est encore consacré par l’usage. On parle encore beaucoup de tassements vertébraux dans nos questionnaires médicaux. Il faut être attentif à ces fractures qui touchent les femmes de plus de cinquante ans. La question des traitements est plus compliquée. Il est difficile de tous les décrypter. En relevant dans un dictionnaire des médicaments la liste des traitements déclarés, on distingue le traitement d’appoint, le traitement adjuvant, le traitement préventif de première intention, Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 65 Comment tarifer l’ostéoporose ? le traitement préventif de deuxième intention, le traitement préventif de fractures, etc. Le plus simple est de chercher le nom du médicament dans le dictionnaire de référence et déterminer à quelle classe d’ostéoporose il correspond. C Comment repérer une ostéoporose sur le certificat médical ? Dans les certificats médicaux, les médecins parlent d’ostéoporose plus ou moins fracturaire. Certains médecins parlent aussi d’ostéopénie. D Comment repérer une ostéoporose sur les examens complémentaires ? L’ostéodensitométrie est la solution la plus évidente. Le problème est que cet examen n’est demandé que de temps en temps, d’ailleurs nous ne le demandons pas. En France, la Sécurité Sociale rembourse cet examen qui est le plus fiable et le plus objectif. Nous pensons qu’à terme, toute femme à la ménopause pratiquera cet examen. Nous pourrons alors demander à la personne sa dernière ostéodensitométrie osseuse. Nous demanderons de plus en plus ce test, notamment dans le cadre de l’assurance dépendance. 3 Sélection et tarification A Sélection médicale Lorsqu’on identifie une ostéoporose, un certificat médical doit être rempli (causes, traitements, fractures, tassements vertébraux). En ce qui concerne la dernière ostéodensitométrie osseuse réalisée, comme nous venons de le voir, le sujet est encore en débat. En effet cet examen prédit les fractures, mais aussi éventuellement la mortalité ou la dépendance, de façon non négligeable. Actuellement nous ne le demandons pas systématiquement mais dans les années qui viennent, nous la demanderons certainement pour certaines assurances. 66 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie B Tarification Décès/IAD Aujourd’hui, nous estimons que l’ostéoporose n’a pas beaucoup d’impact en termes de tarification Décès. C’est notamment le cas parce que l’ostéoporose n’apparaît jamais comme cause de décès dans les certificats médicaux. Pour l’instant, une ostéoporose traitée sans fracture représente un risque normal en Décès. Une ostéoporose sans traitement représente un risque tarifé de « normal à 25 % ». Une ostéoporose avec fracture représente également un risque à 25 %. Il faudra peut-être revoir cette approche avec les données fournies par le Docteur Rousière sur le risque de mortalité. Nous avons désormais l’ostéoporose sous notre microscope et nous allons suivre ce sujet de façon attentive. C Tarification ITT/Invalidité On peut considérer que le risque est plus important, bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’études reliant l’ostéoporose à l’ITT. Il faut savoir que les fractures sont la première cause d’arrêt de travail en France. Pour l’instant, une ostéoporose traitée sans fracture représente un risque de « normal à 25 % ». Une ostéoporose avérée avec fracture induit une tarification à 50 %, avec une exclusion de la fracture vertébrale. Une ostéoporose avérée avec fracture et sans traitement induit une exclusion. Nous ne sommes pas favorables à l’exclusion de l’ostéoporose en ITT. Par contre, pour une personne qui déclare une fracture vertébrale, il serait légitime d’exclure toute atteinte à la colonne vertébrale. Nous préférons cette exclusion qui est simple, non ambiguë, claire, et que tout le monde peut comprendre. Il s’agirait donc « d’une exclusion de toute atteinte de la colonne vertébrale qui n’est pas due à une infection ou à une tumeur, ses suites et ses conséquences ». D Tarification Dépendance Apparemment l’ostéoporose, par le biais de la fracture, est une porte d’entrée dans la dépendance. Pour l’instant, l’ostéoporose sans fracture représente une tarification à 25 %. Une personne qui déclare être traitée préventivement pour l’ostéoporose et qui se porte bien, se voit attribuer une tarification normale. Cela passera certainement un jour par l’ostéodensitométrie osseuse, qui sera le reflet objectif de la situation de la personne vis-à-vis du risque de fracture. Dans le cas d’une ostéoporose avec fracture, nous ajournons systématiquement trois mois pour la dépendance. Après cette période de trois mois, les séquelles de la fracture sont appréciées. Par exemple, s’il s’agit d’une fracture du col du fémur et si la personne ne peut plus marcher, il y aura une décision de refus. S’il existe une preuve de l’efficacité d’un traitement, le dossier est accepté moyennant une tarification à 25 %. Si la fracture n’est pas traitée et si nous avons l’impression qu’il s’agit d’une fracture ostéoporotique, la tarification est à 50 % et la dépendance partielle est refusée. Nous sommes un peu plus sévères dans ce cas. Dans le cas d’une ostéoporose avec plusieurs fractures, nous suivons la même démarche. Nous pouvons alors aller jusqu’au refus ou à une tarification à 50 % s’il existe un traitement efficace. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 67 Comment tarifer l’ostéoporose ? Questions Réponses Dr Mickaël Rousière L’examen est fiable à la condition qu’il soit bien réalisé techniquement. Parfois, il est fait n’importe comment et le résultat est inexploitable. Dans ce cas, je suis obligé de demander un nouvel examen et les résultats sont parfois complètement différents. Il faut donc avoir le bon appareil, les bonnes courbes de référence. Surtout, c’est un examen qui est très sensible à la position de la patiente. Notamment, si vous réalisez deux examens, vous devez respecter les mêmes conditions de mesure. C’est un examen facile à condition qu’on prenne un peu de temps pour installer correctement le patient. Dr John Evans Le discours concernant l’ostéodensitométrie est à peu près le même que celui qu’on tenait pour l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) il y a quinze ans. On disait qu’on n’obtiendrait jamais d’EFR, que c’était trop cher. Aujourd’hui, elle est quasi-systématique. Toute affection des bronches donne presque toujours lieu à une EFR. Cela ne choque plus aucun assureur. Ce sera la même chose pour l’ostéodensitométrie d’ici une dizaine d’années. C’est un instrument objectif, il est difficile de s’en passer. Ne pensez-vous pas qu’une femme à la ménopause, qui lit la presse féminine abondant d’articles sur le sujet, allant voir son gynécologue ou éventuellement son rhumatologue, ne demande pas cet examen, qui de surcroît est indolore ? Dr Patrick Malamud C’est effectivement un point très favorable. Cet examen ne suppose pas la moindre injection. Il est relativement rapide. Il dure environ dix minutes ou un quart d’heure. C’est certain qu’il y a là une piste pour un avenir assez proche. Je pense au parallèle avec les échographies cardiaques. Quand nous avons commencé à faire de la tarification, nous n’avions pas toujours des résultats d’échographies dans les dossiers. Aujourd’hui, c’est devenu monnaie courante. 68 Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie Comment reconnaît-on la qualité d’une ostéodensitométrie ? Dr Mickaël Rousière C’est le problème de la spécialité dans la rhumatologie. Par exemple, pour le col du fémur, il faut que le rachis soit droit à l’examen. Parfois, les patients sont installés de travers sur la table… Il faut que dans le cadre d’une fenêtre de mesure, l’os soit au milieu et relativement rectiligne. De plus, certains appareils ont une courbe de mesure américaine adaptable à la population française. Or les vieilles courbes de 91 et 92 sont fausses. Si l’appareil comporte une référence 91 ou 92, on peut craindre que l’examen ne soit pas fiable. Il peut aussi arriver que le technicien ne pense pas à changer la courbe de référence. En outre, on doit également prendre en compte la couleur de peau. Il existe en effet des différences génétiques entre les peaux blanche, noire et asiatique. Il est nécessaire que le praticien ait l’habitude de réaliser cet examen, mais je constate que pour au moins une ostéodensitométrie sur deux, on peut formuler des critiques importantes. Il reste encore beaucoup à accomplir dans ce domaine. Conclusion Nous avons présenté dans ce Focus les pathologies rhumatismales les plus fréquemment rencontrées dans notre activité des risques aggravés. Certes il en existe d’autres mais nous avons préféré aborder les plus représentatives de notre activité afin de vous faire profiter de notre expérience. Nous pouvons conclure que ces dernières années, les progrès de la médecine et leurs conséquences pour la rhumatologie ont été considérables en ce qui concerne : • l’apparition des nouveaux traitements, • leur place dans les stratégies thérapeutiques, • l’amélioration de la prise en charge et de la qualité de vie des personnes, • l’augmentation de la survie dans certaines pathologies rhumatismales. Ces avancées, notamment l’amélioration de la qualité de vie et de la survie, ont des retentissements importants sur la façon d’analyser et d’évaluer les dossiers des personnes atteintes par ces affections en médecine d’assurance. Chez SCOR Global Life nous essayons constamment d’adapter nos pratiques de tarification aux avancées réalisées dans les domaines du diagnostic et du traitement. Nous devons prendre en compte ces avancées médicales en les intégrant à nos politiques de sélection et de tarification des risques afin de réussir à proposer des solutions d’assurabilité à la plus grande majorité des personnes malades. Ainsi, chaque fois que cela sera possible et en fonction des informations recueillies permettant une appréciation objective du risque, nous chercherons à offrir les conditions d’assurance les plus adaptées. Novembre 2009 L’articulation du risque en rhumatologie 69 DEJAJLMC Imprimeur L’articulation du risque en rhumatologie Auteurs Dr Maria Gabriela Mendoza Stéphanie Kermeur Responsable de Rédaction Bérangère Mainguy Tél. : +33 (0)1 46 98 70 00 Responsable de Publication Gilles Meyer life@scor.com © 2009 – ISSN : 1959-7711 SCOR Global Life SE Societas Europaea au capital de 250 040 000 € 1, avenue du Général de Gaulle 92074 Paris La Défense Cedex - France RCS Nanterre 433 935 558 www.scor.com
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