Berliner Requiem

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Berliner Requiem
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Vom Tod im Wald - Violinkonze
Chœeur de La Chapelle Royale
Ensemble Musique Oblique
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Kurt Weill aurait-il poursuivi la carrière honorable de chef d’orchestre d’un théâtre de
province s’il n’avait pas ressenti le besoin de rencontrer Busoni à Berlin en décembre 1920
et de se fixer dans la capitale ? Berlin ne l’a-t-il pas détourné de sa vocation de compositeur
de musique de chambre et religieuse de souche judaïque ? Serait-il tout de même devenu
le compositeur de Broadway si Hitler n’avait pas accédé au pouvoir ? Fascinantes en soi,
ces conjectures n’aident en rien à éclairer la démarche jusqu’au-boutiste de cet autre enfant
terrible de l’année 1900 (avec Antheil, Copland et Krenek), et qui fut, de par ses postulats
esthétiques, un produit de la République de Weimar.
Les fructueuses années d’étude chez Busoni (1921-23) ne détournent pas Weill de l’activité
culturelle du Berlin de l’après-guerre. Il fréquente le poète expressionniste Johannes
Becher ; il participe aux manifestations du Groupe Novembre, association d’artistes
révolutionnaires ; cet activisme sera décisif pour son évolution.
Le Concerto pour violon et instruments à vent est la première grande œuvre écrite par Weill
au terme de son passage dans la classe de Busoni. Il fut composé au printemps 1924 à
l’intention de Joseph Szigeti. Mais après la création de l’œuvre à Paris le 11 juin 1925 par
Marcel Darrieux, c’est le grand violoniste Stefan Frenkel qui en fit sa partition d’élection pour
le jouer dans toute l’Allemagne.
Si certains principes esthétiques de Busoni demeurent présents, la démarcation avec la
démarche compositionnelle de son maître est déjà sensible. Une autre référence s’impose,
Stravinsky, envers lequel Weill se montra longtemps redevable, principalement dans la
clarté objective de ses textures et l’esprit novateur du spectacle tel qu’il s’illustra dans
l’Histoire du Soldat ou Oedipus Rex. L’opéra en un acte Der Protagonist, créé en 1926,
avec sa démultiplication de l’action et l’utilisation dialectique des instruments à vent, sera
une autre manifestation de l’influence de Stravinsky. Le Concerto succédait à une série
d’œuvres de Weill, comme la suite Quodlibet tirée de la pantomime Zaubernacht et le cycle
de lieder Frauentanz, où les instruments à vent jouaient un rôle prépondérant. À la même
époque, Hindemith, dans ses Musiques de chambre, sa Musique de concert et Stravinsky
(Symphonies d’instruments à vent, Concerto pour piano et vents, Octuor) éprouvaient eux aussi
abondamment les ressources des cuivres dans un souci d’objectivité et de transparence
polyphonique.
Le premier mouvement, Andante con moto, est structuré par le motif de scansion initial de
la percussion et le duo de clarinettes qui évoque l’écriture et l’esprit d’Hindemith. Dans
ce mouvement, la tension constante entre le soliste et l’orchestre est rehaussée par un
vocabulaire atonal complexe qui, bien qu’évoluant au sein d’une structure formelle clarifiée
par les cadences des différentes sections, ne laisse que peu de points de repères. Trilles,
notes répétées et motifs mélodiques clairement sculptés au niveau du rythme (contrebasse,
cor) ainsi que l’équilibre étudié entre sections contrapuntiques et homophoniques sont les
facteurs principaux de l’écriture.
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Si l’esprit de Busoni, Hindemith et Stravinsky était omniprésent dans le premier mouvement,
le second, de coupe tripartite, évoque l’atmosphère de Mahler et de Berg, de par la notion
de jeu qu’il introduit dans le Notturno. L’intervention du xylophone, l’extension du rythme
pointé, les ponctuations des vents et la mélodie de style populaire de café viennois (Un poco
tranquillo) en font un court moment de paix. La tension est de retour dans la Cadenza où la
virtuosité de la partie de violon est extrême. Elle se dissout dans la Serenata, dominée par
la cellule rythmique de triolets et la cantilène toute stravinskienne du violon (comme dans le
premier mouvement, la parenté avec certains passages du Sacre est frappante).
Dans le finale Allegro molto un poco agitato, le soliste, bien qu’exposant les motifs principaux,
ne mène plus une vie propre comme dans le début de l’œuvre. Ce sont les vents, relayés
par les percussions, qui font avancer le discours. Une énergie pugnace, qui éclate dans les
sections con brio et con fuoco à la rythmique carrée, emporte irrésistiblement la pièce vers
sa conclusion. Il n’y a que le passage central, Un poco meno mosso, qui fasse planer une
sorte de halo sonore, courte plage de temps lisse avant la reconquête du temps strié – pour
reprendre le vocabulaire de Boulez.
Le Concerto occupe une place importante dans l’évolution de Weill : il constitue la dernière
œuvre instrumentale de la période allemande (si l’on excepte la Suite tirée de l’Opéra de
quat’sous) et son langage manifeste des traits de nature dramatique ainsi que des prémices
du style caractéristique qui sera le sien après 1927. Œuvre de musique pure, il n’en dévoile
pas moins certains traits d’écriture que Weill appliquera dans sa musique de scène : le
contour rythmique typé des motifs, les cellules rythmiques en ostinato, le recours aux
instruments à vent, facteurs de clarté sonore. Dans le même temps, son langage atonal, qui
sera encore celui du Protagoniste, s’épurera pour faire place vers 1927 à un idiome tonal,
véhicule des œuvres composées en collaboration avec Brecht.
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La rencontre décisive eut lieu en 1927 au restaurant Schlichter, rendez-vous de l’intelligentsia
berlinoise. Dans les colonnes de l’hebdomadaire radiophonique La Radio allemande, Weill
avait fait peu avant une critique élogieuse de la pièce Homme pour homme ; une collaboration
semblait inévitable. Au Mahagonny-­Songspiel, présenté au festival de Baden-Baden l’été de
la même année, succédera toute une série d’œuvres de caractère épique dont l’Opéra de
quat’sous, l’opéra Grandeur et Décadence de la Ville de Mahagonny, le Requiem berlinois, la
cantate radiophonique du Vol de Lindbergh, la comédie avec musique Happy End, et l’opéra
pour écoliers Der Jasager. En rapprochant unilatéralement Brecht et Weill, la postérité n’a
pas toujours été clairvoyante quant à la nature de leur collaboration et à leurs divergences
de base concernant la conception du monde ou des problèmes esthétiques aussi importants
que la rénovation de l’opéra. Ceci n’enlève rien à l’extraordinaire impact suscité par leurs
productions, à leurs convergences de vue certaines sur la nature du théâtre musical et de la
symbiose née entre une langue crue, réaliste et sans concessions et une musique incisive,
ouverte aux influences les plus diverses. C’est avant tout la poésie que Weill admirait chez
Brecht, et son admiration ressort dans les deux cantates Vom Tod im Wald et le Requiem
berlinois, qui donnent un éclairage visionnaire à ces fameuses “années vingt dorées”.
Le Requiem berlinois illustre deux aspects fondamentaux de l’engagement de Weill dans les
années vingt : sa contribution à la création d’un répertoire spécifiquement destiné à la radio
et sa lutte contre les conservatismes de toutes natures. Ses nombreux écrits sur la radio
le montrent : Weill a cru très tôt au potentiel pédagogique, social et esthétique du nouveau
média. Les conditions de son développement étaient liées à l’apparition d’une nouvelle
société née des bouleversements issus de la guerre et au rapprochement de couches
sociales restées étrangères les unes aux autres.
Le Requiem était une commande de l’émetteur de Francfort. Sa composition coïncidait avec
le dixième anniversaire de la fin des hostilités et de la révolution spartakiste. Un poème
de Brecht, Rosa la Rouge, fut refusé par les autorités de la radio et l’œuvre ne fut diffusée
sur aucun autre émetteur. Peu après, Weill quittait son poste de rédacteur de La Radio
allemande, qu’il occupait depuis 1924.
Requiem profane, la cantate est une émanation de l’homme des grandes villes et s’adresse
à lui ; c’est une sorte de “montage de plaques commémoratives, d’épitaphes, de chants
funèbres correspondant aux sentiments des couches les plus larges de la population”.
L’effectif est à cet égard restreint (ténor, baryton, chœur d’hommes, instruments à vent,
guitare, banjo, percussion), l’écriture dépouillée est adaptée au fond spirituel de l’œuvre.
Un Grand Choral d’actions de grâces encadre la pièce et transmet, par son économie de
moyens, par l’écriture homophonique et les dures scansions des vents, le ton d’ensemble
à la fois grave et cynique. La Ballade de la fille noyée est accompagnée des accords de la
guitare, l’écriture homophonique rehausse la poésie et le tragique du texte. La conclusion
survient sur une fioriture de la partie de ténor, sorte de bénédiction profane destinée à
cette “charogne entre les charognes” abandonnée de Dieu. Marterl (épitaphe) évolue dans
l’atmosphère musicale si caractéristique de Weill-Brecht : rythme lent de danse, mélodie au
saxophone, accompagnement égal, mélange de chromatisme intérieur et de progressions
par quintes. Il n’est plus ici expressément question de Rosa la Rouge, comme dans le
poème Grabschrift initialement prévu pour la création, mais d’une jeune femme du nom de
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Johanna Beck. Suivent les deux Chroniques du Soldat inconnu sous l’Arc de triomphe dont
la violence du texte (c’est l’esprit des pièces de Brecht-Eisler, de la Décision) est mise en
valeur par les rythmes pointés incisifs et l’ostinato. Tandis que la Première Chronique évoque
l’atmosphère de Mahagonny par son alternance de tutti homophonique et de passages
mélodiques faussement nostalgiques portés par le saxophone, la Seconde Chronique prend
le caractère d’un récitatif liturgique.
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La cantate pour basse et dix instruments à vent (deux clarinettes, basson, contrebasson,
deux cors, deux trompettes, trombone ténor, trombone basse) Vom Tod im Wald (“La Mort
dans la forêt”) devait être insérée au début du Requiem. Weill renonça au projet peu avant
la création, convaincu de la disparité d’atmosphère existant avec les autres poèmes. Elle ne
fut jouée que lors de sa création, le 23 novembre 1927, à la Philharmonie de Berlin. Jamais
une œuvre de Weill n’aura été aussi sombre ; l’écriture, atonale, se rattache davantage à
l’esprit du Concerto pour violon qu’aux œuvres ultérieures. L’hymne à l’existence animale,
au retour et à l’absorption dans la nature est caractéristique des premières poésies de
Brecht. La peinture de cette mort-retour aux sources rejoint celle du cadavre de la fille
noyée. Écrit en 1922, le texte fut inséré dans la pièce Baal avant d’être publié sous une
forme révisée dans la troisième leçon (Chroniques) des Sermons domestiques.
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PASCAL HUYNH