Rapport Sur le Développement Humain Arabe 2005

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Rapport Sur le Développement Humain Arabe 2005
Rapport Sur le
Développement Humain
Arabe 2005
Vers La Liberté de la Femme dans le Monde
Arabe
Le Bureau Régional pour les Etats Arabes
© Bureau Régional pour les
Etats Arabes – PNUD 2006
One Plaza, New York 10017,USA. 2006
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Chadi Mohamed Awad
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ISBN: 92-1-626004-1
Imprimé dans le Royaume Hachémite de Jordanie
Les analyses et les recommandations relatives aux politiques contenues dans ce rapport n’expriment pas nécessairement
les points de vue du Programme des Nations Unies pour le Développement, de son Comité Exécutif ou des pays
membres. Le rapport est une publication indépendante, commandée par le Programme des Nations Unies pour le
Développement. Il est le fruit du travail commun d’une équipe de consultants et de conseillers de renommée et de
l’Equipe du Rapport sur le développement humain arabe chargée par le Bureau Régional pour les Etats Arabes de le
préparer.
La publication originale de ce travail est en langue arabe. En cas de divergence, c’est la langue originale qui prévaut.
Introduction:
Le Directeur Général du Programme des Nations
Unies pour le Développment(PNUD)
Le Rapport sur le développement humain
arabe de cette année est le quatrième de la série
de rapports qui ont largement contribué au
débat en cours sur les défis du développement
auxquels fait face le monde arabe.
Le premier rapport, paru en 2002, avait
défini trois déficits fondamentaux en matière
de développement dans les domaines de
l’acquisition du savoir, des libertés politiques
et des droits des femmes. Ces déficits ont
handicapé le processus de développement
humain dans toutes les parties de la région
arabe, en dépit de ses extraordinaires richesses
naturelles et de ses énormes capacités à réaliser
le développement économique et social.
Le deuxième et le troisième rapports ont
été centrés sur les déficits dans les domaines
respectivement du savoir et de la liberté.
Le Rapport de cette année apporte la
preuve irréfutable que l’épanouissement
total des capacités des femmes arabes est
une exigence cardinale indispensable au
développement dans tous les pays arabes. Il
soutient également, de manière convaincante,
que la « renaissance » arabe, tant attendue,
sera de l’ordre de l’irréalisable tant que
ne seront pas supprimés ces obstacles qui
empêchent les femmes de jouir de leurs droits
humains et d’apporter leur totale contribution
au développement, et tant qu’ils n’auront pas
laissé place à de meilleures voies conduisant
aux « outils » du développement, y compris
l’instruction et la protection sanitaire. Après
avoir placé les femmes arabes au cœur du
processus de développement social, culturel,
économique et politique dans l’ensemble de la
région, le Rapport va plus loin en soulignant
que la moitié de la population avait droit à la
moitié de la participation. Le Rapport souligne
que les femmes arabes, indépendamment des
aspects statistiques, ont réussi des avancées
substantielles qui ont changé les configurations
économiques, politiques, démographiques et
sociales dans la région. Tout en saluant ces
avancées et en appelant au renforcement de la
tendance que représente ce changement positif
et fort, le Rapport analyse ce qui persiste
comme obstacles et propose de prendre des
dispositions précises pour les lever.
Les Rapports sur le développement
humain arabe ont réussi, de manière qui a
dépassé toutes les attentes, à provoquer un
débat vivant au sujet des défis, des chances et
des dispositions à prendre pour que la bonne
gouvernance, le respect des droits humains et
le développement humain deviennent des traits
propres de l’Etat arabe moderne. Ayant débuté
comme une expérience, courageuse en soi, ces
rapports constituent dorénavant un point de
départ pour d’autres efforts et ouvrent des
horizons de créativité et de changement dans
toute la région.
La réforme, politique ou autre, ne peut
advenir, et à plus forte raison réussir, sans un
échange actif d’opinions. Ce processus peut
parfois être concomitant à la convergence et au
rapprochement des points de vue conduisant à
l’unanimité. Mais le bilan peut, dans d’autres
cas, se réduire à un accord des parties sur leurs
désaccords. Et si l’on prend en compte la nature
problématique des questions abordées par les
Rapports sur le développement humain arabe,
on ne sera pas surpris que leur établissement
participe de cette dernière catégorie, le rapport
de cette année ne faisant pas exception.
A ce propos, j’estime qu’il est nécessaire
de rappeler la position soulignée par mon
prédécesseur Mark Malloch Brown dans
l’introduction du rapport de l’année passée :
« les Rapports du développement humain ne
sont des documents officiels émanant ni du
Programme pour le Développement ni des
Nations Unies et n’ont pas pour objet de l’être.
Ils n’expriment le point de vue officiel d’aucun
d’entre eux. Le but de ces rapports est d’apporter
un soutien à l’émergence d’un discours nouveau
et dynamique dans l’espace public dans toutes
les régions du monde arabe et au-delà… J’estime
nécessaire de dire que le PNUD et les Nations
Unies ne partagent pas certains points de vue
des auteurs du Rapport. » Les quatre Rapports
sur le développement humain arabe ont été
préparés par des auteurs, réunis autour d’une
vision commune à laquelle ils sont parvenus
en accord avec le Programme des Nations
Unies pour le Développement au moment du
lancement de cette série en l’an 2002.
Les Rapports sur le développement
humain arabe, y compris le rapport de cette
année, développent des points de vues que ne
partage pas le Programme des Nations Unies
pour le Développement. Ils utilisent, parfois,
un langage agressif qui n’est pas nécessaire. Le
PNUD a, depuis 2002, contribué à la mise en
place d’une tribune de débat dans et au-delà
la région. Toutefois, le langage utilisé dans
certaines composantes de ce débat n’a pas
toujours été conforme à la problématique de la
réforme et au compromis passé sur la nécessité
de recourir à une argumentation rationnelle.
Le Monde arabe et la région du Moyen
Orient ont souffert, durant de longues années,
de profondes divisions, de la violence et des
conflits, avec aussi la participation de parties
étrangères. La Direction du Programme des
Nations pour le Développement croit que
la mise en œuvre de la liberté et de la bonne
gouvernance, l’objectif déclaré des Rapports
du développement humain arabe, exige
modération, argumentation rationnelle et
respect des points de vue de l’ « Autre ». Ce
sont là autant de qualités qui ont marqué
l’âge d’or de la grandeur arabe. Cet âge a été
caractérisé par la prospérité des mondes arabe
et musulman, dont l’autorité était telle qu’ils
pouvaient fixer les normes et les critères aux
autres. En outre, le progrès du monde arabe
à l’ère actuelle des puissances économiques
planétaires appelle davantage de coopération
solide et de complémentarité économique.
Un tel processus ne peut advenir sans que les
Etats, les gouvernements et les institutions de la
société civile unissent leurs rangs, malgré leur
diversité. Et comme l’attestent les opérations de
coopération dans d’autres parties du monde, le
II
progrès exige que l’on fasse preuve de prudence
et que l’on soit disposé au compromis et, en
même temps, que l’on établisse une stratégie
solide portant sur le long terme en vue de la
réalisation d’une unité plus large.
Bien que nous ne partagions pas tous les
sentiments et les appréciations contenus dans
ce rapport, il n’empêche qu’il nous incite à
penser, plus attentivement, les facteurs qui les
sous-tendent. Il ne nous échappe guère que
les sentiments de colère qui éclatent dans des
parties précises de ce Rapport sont partagés
par de larges franges de la population dans la
région. Ils se sont accentués suite aux derniers
évènements et aux lourdes pertes en vies
innocentes.
Les Rapports sur le développement humain
arabe ont été, selon tous les critères, au centre
d’un extraordinaire intérêt. Ils ont contribué,
de manière à ce jour inégalée, à stimuler le
débat sur les voies que la région arabe devrait
suivre pour réaliser les objectifs de la bonne
gouvernance, du développement équitable et
de plus de droits humains.
La publication de ces Rapports a été rendue
possible grâce aux efforts consentis par de
nombreuses personnes. Je voudrais toutefois
saisir l’occasion qui m’est donnée ici pour
saluer, tout particulièrement, le rôle dirigeant
joué par une personnalité, je veux nommer
Rima Khalaf Hunaidi. Rima a veillé, depuis le
début, à l’orientation de cette « expérience »
que sont les Rapports sur le développement
humain arabe. Sans sa direction, la publication
des quatre rapports n’aurait pas été possible.
Rima a pris sa retraite il y a quelque temps, au
cours de l’année, après avoir dirigé le Bureau
Régional des Etats Arabes, Programme des
Nations Unies pour le Développement pendant
près de six ans. La préparation de ce rapport
a débuté alors qu’elle assurait la direction de
ce Bureau. Rima continue d’être cette force
motrice qui anime les débats en cours à propos
de la réforme dans tous les coins de la région et
même au delà de la région. Je voudrais à cette
occasion lui souhaiter pleine réussite dans ses
nouveaux projets.
Kamal Derwich
Directeur Général, PNUD
Préface
Le Directeur Régional–PNUD
Bureau Régional pour les Etats Arabes
Le quatrième rapport de la série de Rapports
sur le développement humain arabe complète,
sans détours, l’investigation sur certaines
entraves au développement humain arabe
commencée par les précédents rapports.
Le rapport de l’année 2005 analyse, avec la
même indépendance d’esprit qui a caractérisé
les rapports précédents, les dimensions
dynamiques de l’essor des femmes dans le
monde arabe. L’intérêt de ce rapport est centré
sur la question de toutes les femmes dans
les pays arabes, sans distinction. Il place le
caractère problématique de l’égalité des droits,
des capacités et des chances dans son contexte
historique, culturel, religieux et sociétal, ainsi
que dans le cadre économique et politique. Il
trace, en outre, les grandes lignes d’une vision
au sujet de la réalisation de l’égalité entre les
genres qui doit être fondée sur la garantie des
droits de la citoyenneté complète pour tous à
travers la réforme de la gouvernance arabe.
Ce rapport, à l’instar des autres de la série,
est authentiquement arabe, dans sa conception,
sa préparation et sa propriété. Il ne part pas
de simples formules abstraites du changement
loin de l’interaction des forces dans la région.
Les auteurs et les conseillers appartiennent à
divers courants intellectuels, philosophiques
et culturels dans le monde arabe ; ils ont, tous,
des positions fermes sur les questions traitées,
et sont prêts à assumer les risques encourus
du fait du traitement d’un tel sujet chargé de
sensibilités culturelles, religieuses et sociales.
Ces auteurs et conseillers sont conscients
que l’idéal serait que les vastes réformes, à
la réalisation desquelles ils oeuvrent, soient
le fruit d’une unanimité à plusieurs niveaux,
basée sur un accord entre toutes les parties,
sur le respect du droit à la différence et sur la
reconnaissance de points de départ communs.
Néanmoins, ils constatent aujourd’hui la
dégradation du débat sur la réforme, qui se
réduit à des joutes oratoires intempestives
d’exclusion, alors que les forces conservatrices
montantes tentent de ramener les choix
politiques à leur niveau le plus bas.
L’intellectuel arabe qui essaie, par les
temps qui courent, d’introduire les idées
« occidentales » sur l’égalité entre les deux
sexes dans l’arène de ces contradictions
polarisées est assuré d’être immédiatement
mis à l’index. Dans cet environnement
et à ce moment précis où l’occupation
israélienne des territoires palestiniens,
l’agression israélienne contre des pays voisins
et l’intervention militaire des puissances
étrangères se poursuivent, les défenseurs de
l’idée du changement démocratique venant
de l’intérieur et visant l’accélération de la
promotion des femmes, seront considérés
comme des instruments au service d’un modèle
discrédité. Alors que l’ingérence étrangère
s’ingénie à dévier les positions des modérés
arabes de leur objectif et que des forces
locales les étouffent, ces modérés se sentent
davantage alertés, déprimés et en colère. La
colère est de par sa nature même un motif
de débat, mais elle peut facilement être mal
interprétée dans un contexte conflictuel et être
considérée comme une forme d’acharnement.
Les échos de la colère reviennent à maintes
reprises dans ce rapport, accompagnés parfois
d’un appel au combat. Ceci peut être un motif
de frayeur pour les uns, et l’expression réelle
d’un souci politique, intellectuel et moral des
auteurs du rapport, pour les autres. Mais nous
continuons de croire que le fait de mettre à
la disposition des auteurs une tribune, qui
ne s’offre à eux nulle part ailleurs dans la
région, facilitera la diffusion d’un ensemble
de messages bénéfiques et utiles que le monde
doit entendre.
Les conditions des femmes dans les pays
arabes continuent, la plupart du temps,
III
de changer au mieux, au fur et à mesure
que les jours passent. Les femmes arabes
ont signé des contributions nationales et
internationales formidables dans les domaines
de la littérature, des sciences et de la politique,
ainsi que dans d’autres domaines de l’activité
humaine. Elles ont ainsi réalisé des avancées
équivalentes à celles des hommes, quand elles
ne les ont pas surpassés. Pourtant, la majorité
d’entre elles continuent de se battre pour
recevoir un traitement équitable. Comparées
à leurs semblables dans le monde, elles sont
créditées du plus bas niveau de participation
politique. Des pouvoirs conservateurs, des
lois discriminatoires, une sensibilité masculine
chauvine et la mentalité traditionaliste
continuent de guetter les femmes, de freiner
leurs aspirations, activités et comportements.
En outre, les employeurs continuent
d’imposer des contraintes au développement
des revenus et de la liberté des femmes.
Dans la plupart des cas, la pauvreté bloque
et l’épanouissement des femmes et l’usage
de leurs capacités. La conjonction des hauts
niveaux d’analphabétisme et le bas niveau de
l’emploi des femmes à l’échelle internationale a
conduit à « créer des défis graves ». Bien qu’un
nombre de plus en plus grand de femmes aient
réussi, avec le soutien des hommes, à accéder
à un plus grand degré d’égalité au sein de la
société et à plus de justice dans leurs rapports
familiaux et personnels, nombreuses sont celles
qui sont toujours victimes d’une ségrégation
légalisée, de la soumission sociale et de la
domination masculine, élevée de nos jours au
statut de sacré. En plus, rejetée en principe,
la violence psychologique et physique démolit
la santé de la personne et tout sentiment de
sécurité chez les femmes. Pire encore, elle leur
enlève leur droit à la vie. Ceci dit, ces atteintes
à l’égard des femmes ne concernent pas que le
monde arabe, elles font partie intégrante d’un
problème mondial.
Ce Rapport pose un système complet de
priorités visant à accélérer la promotion des
femmes. Les femmes ont des exigences qui,
dans l’optique du développement humain,
ne peuvent pas se ramener au seul accès
aux instruments du développement qui leur
permettent d’aider la société à progresser ; car
en tant qu’êtres humains, elles sont la partie
IV
qui doit prendre en charge ce processus même
de développement.
Aussi le Rapport insiste t-il sur le besoin
d’éliminer les sources de la ségrégation
à l’égard des femmes que charrient les
traditions arabes et de faire appel à l’ijtihad et
à l’exégèse éclairée en matière religieuse pour
pouvoir venir à bout des entraves culturelles.
Le Rapport brosse en même temps les traits
généraux de modèles de changement en matière
de méthodes d’éducation, d’enseignement et
d’information, ce qui peut modifier les normes
sociales et effacer l’image stéréotypée blessante
préétablie et d’introduire un bouleversement
fondamental dans les rapports entre les deux
sexes dans un cadre culturel où règnent les
rapports d’égalité. Le Rapport propose une
série de réformes juridiques pour garantir
les droits politiques, civiques et économiques
des femmes. Les exigences qu’impliquent
ces propositions varient entre l’action pour
une totale conformité entre les législations
nationales, d’une part, la Convention
internationale pour l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes
(CEDEW) et les conventions internationales
du travail et, d’autre part, en réservant aux
femmes des quotas dans les instances politiques
ainsi que l’adoption de lois modernistes en
matière de statut personnel. Le Rapport
demande également que soient imposées les
dispositions qui garantissent la protection
des droits civiques et personnels de toutes
les femmes, y compris les étrangères dans les
pays arabes. Le Rapport invite, dans un cadre
plus général, à ouvrir le domaine économique
devant les femmes pour leur permettre de
trouver une solution à la pauvreté de revenu et
à investir dans les domaines de l’enseignement,
de la santé et dans les filets de sécurité sociale
en vue d’infléchir l’extension de la pauvreté
humaine. Les conclusions du rapport dans
leur totalité représentent un cadre favorable
au déploiement des efforts de développement
consentis par la société civile et par les
organisations régionales et internationales,
y compris le Programme des Nations Unies
pour le Développement.
Tout le monde ne sera pas d’accord, bien
évidemment, avec ce qu’avancent les auteurs
du rapport. Nous nous attendons donc à
voir s’ouvrir un débat vigoureux autour des
analyses qu’ils développent. Mais seule une
petite minorité pourra nier que l’amélioration
de la situation des femmes dans le monde arabe
fait, en dernière analyse, partie intégrante du
progrès de la société en direction de formes
de pouvoir démocratique et de progrès qui
soutiennent le droit de citoyenneté pour
tous. Si cette conclusion du rapport venait
à provoquer une discussion et à stimuler la
production d’idées novatrices à propos des
voies à suivre pour atteindre ces deux objectifs
concomitants, alors les auteurs sentiront qu’on
leur a réservé le respect qu’ils méritent pour
les efforts qu’ils ont consentis.
Les lecteurs remarqueront que nous
avons, une fois de plus, arrêté notre
couverture des évènements du monde dans la
première partie de ce rapport à la fin du mois
de janvier 2006. La publication du rapport
a été retardée, plus d’une fois, ce qui nous
empêchés, malheureusement, d’aborder des
développements importants survenus durant
l’année en cours. Je suis toutefois assurée que
les prochains rapports accorderont l’attention
qu’il faut à ces évolutions.
Le Rapport sur le développement humain
arabe pour l’année 2005 est le fruit de l’effort
conjugué de nombreuses personnes. J’aimerais
saluer tous ceux et celles qui ont participé à sa
préparation, à son contrôle et à sa rédaction.
Je voudrais à cette occasion nommer plus
particulièrement ma collègue distinguée Dr
Rima Khalaf Hunaidi qui m’a précédée à ce
poste. Elle a été l’esprit créatif, l’inspiratrice
et la cheville ouvrière de cette collection, et
l’ensemble de ces rapports portent la marque
de ses orientations. Je voudrais aussi exprimer
ma sincère reconnaissance à l’Equipe centrale,
notamment aux auteurs principaux parmi
lesquels le chercheur et savant Dr Nader
Farjani et la Dr Islah Jad, pour leur total
engagement et leurs efforts précieux. Je
voudrais également exprimer mes sentiments
respectueux au Comité des Conseillers
pour les conseils et l’appui apportés par
ses membres brillants, ce qui a permis aux
différentes livraisons du Rapport de se
conformer aux principes généraux de base
tout en restant étroitement liés à la réalité de
la région. Je me dois de remercier le Directeur
Général du Programme des Nations Unies
pour le Développement, Kamal Derwich
pour son soutien courageux à la publication
de la dernière livraison de la première partie
de cette série inhabituelle, malgré quelques
divergences de points de vue et les risques
qu’implique une telle posture. Je voudrais
tout particulièrement saluer mes collègues de
la section des programmes régionaux au sein
du Bureau régional pour les Etats arabes, sous
la direction de Nada Nashef, pour le soutien
constant qu’ils ont apporté à ce très difficile
projet.
Pour terminer, je voudrais exprimer toute
mon estime pour le soutien apporté par deux
de nos associés régionaux, le Fonds Arabe de
Développement Economique et Social et le
Programme du Golfe arabe pour le soutien
des organisations des Nations Unies pour le
développement, pour leur collaboration et
pour le soutien qu’ils ont voulu apporter à ce
travail.
Dans la mesure où l’idée originelle d’une
série de rapports en quatre temps vient
d’être bouclée, j’ai le plaisir d’affirmer que
d’autres rapports paraîtront successivement
prochainement.
Amat Al Alim Al Sawsawa
Secrétaire Générale Adjointe des Nations Unies, Directrice du Bureau
Régional pour les Etats Arabes, Programme des Nations Unies pour le Développement
VI
Présentation
Fonds Arabe de Développement Economique
et Social
Il ne peut y avoir de développement
économique et social loin du développement
humain qui constitue l’axe et la finalité du
développement global. C’est ce à quoi les
trois premières livraisons de la première série
de rapports sur le développement humain
arabe se sont intéressées, ont confirmé et ce
dont elles se sont préoccupées. Ce quatrième
rapport vient bien évidemment compléter la
série en s’attaquant à un sujet important des
questions et problématiques retenues par la
série, à savoir la femme arabe et son rôle dans
le développement global.
Lorsque ce rapport analyse, explique et
traite des questions des femmes arabes, qu’il
recherche à cerner les obstacles qui entravent
l’amélioration de leur situation juridique,
économique et sociale et qu’il souligne leur
participation aux affaires de la société, il
n’apporte rien de nouveau ou d’étranger à
la littérature sur le développement, qu’elle
soit ancienne ou contemporaine. Une telle
littérature souligne l’importance de la
participation sociale au développement sans
discrimination sur la base de la race ou du sexe.
Le rapport participe des efforts théoriques et
pratiques qui ont débuté avec le début de la
Nahda arabe, au début du vingtième siècle, et
qui s’efforçaient de trouver des solutions aux
questions et droits des femmes arabes. Ces
efforts se sont poursuivis sous forme de thèses
et d’écrits avec la participation de nombreux
penseurs, chercheurs et réformateurs reconnus
et sous forme d’action des mouvements de
femmes depuis les années vingt du siècle
dernier en vue de promouvoir leur statut.
Une telle dynamique a fini par engendrer, vers
la fin du siècle, des mouvements sociaux et
politiques au sein de la société civile arabe qui
oeuvrent à l’élaboration de visions d’ensemble
en matière de développement et à la traduction
de leurs objectifs sur le terrain. L’un de ces
objectifs est d’assurer la totale participation
des femmes arabes au sein de l’Etat et de la
société.
Ce Rapport éclaire le contexte des femmes
arabes sous ses différents aspects politiques,
économiques, sociaux et juridiques ; il éclaire
aussi les évolutions que la condition de ces
femmes a connues en positif et en négatif et
expose les difficultés auxquelles les femmes
sont confrontées pour assurer pleinement leur
rôle en matière de développement économique
et par rapport au processus de modernisation
politique et sociale. Les auteurs du Rapport
proposent des orientations politiques et
intellectuelles et des exigences juridiques
et sociales, sur tous les plans, en vue de la
promotion des femmes arabes et pour qu’elles
s’acquittent convenablement de leur rôle et de
leur responsabilité et pour affirmer leur entière
participation au sein de la société arabe. Il n’y a
pas de doute que cette évolution est suivie avec
intérêt par les institutions de développement,
notamment en l’occurrence le Fonds arabe de
développement économique et social qui a
tenu, dans le cadre de ses orientations et de
ses politiques de développement, et à travers
ses programmes et projets sociaux, à rendre
effective la participation des femmes arabes
au développement. Il a en outre tenu, dans les
limites de sa contribution au Rapport, à ce que
ce dernier, par son style et son contenu, rende
compte de la réalité des femmes arabes, de
manière objective, fidèle et courageuse.
Ce rapport qui s’attaque à une
problématique de cette importance, peut bien
entendu, comporter des lacunes pour ce qui
est des données retenues, quand il ne s’agit pas
d’erreurs légères, ce qui est tout à fait normal
quand il s’agit de traiter d’un sujet d’une telle
complexité et d’une telle sensibilité. Il est
possible que certains de ses passages et analyses
comportent des digressions et des détails qui
VII
peuvent être interprétés comme des insertions
sans intérêt pour son objet. Il s’agit de cas
d’espèce prévisibles eu égard au concept de
développement humain que l’on sait lâche,
au contenu changeant, dont les axes sont
multiples et les problématiques diversifiées
et complexes. Ses synthèses et conclusions
peuvent comporter des points d’accord
nombreux et des points de désaccords, peutêtre beaucoup plus nombreux, ce qui est
évidemment tout à fait réaliste et reflète la
pluralité des orientations. Il est indispensable,
dans tous les cas, de signaler que ce rapport est
le fruit du travail de penseurs, de chercheurs
et d’experts indépendants qui n’ont aucun
statut officiel. Leur contribution à ce Rapport
exprime, autant que faire se peut, la diversité
culturelle et intellectuelle de la société arabe
et reflète dans les limites du possible son
ancrage géographique, conformément à la
conviction et à la volonté des institutions
qui y ont participé et selon laquelle il était
nécessaire d’aménager un espace pour tous
dans ce rapport, en vue d’élaborer un projet
d’émancipation des femmes arabes.
Il importe aussi de souligner que ce rapport,
eu égard à son contenu, sa méthodologie, ses
conclusions et ses visions ne constitue pas la
fin du parcours ; il ne représente pas non plus
l’unique projet à s’attaquer à la question de la
promotion des femmes. Il est tout simplement
une tentative supplémentaire, qui ne manque
certes pas d’audace, visant à ouvrir un débat,
au plan arabe, autour des questions et thèses
qu’il a développées. Il s’agit de faire face à ces
problématiques et d’aboutir à des solutions
économiques, sociales et politiques qui
bénéficient de l’adhésion la plus large et qui
garantissent la réalisation des objectifs du
projet de promotion des femmes arabes.
Dans la mesure où ce type de présentation
n’est pas le lieu d’une contribution
approfondie à ce débat, il nous semble
nécessaire de souligner un certain nombre de
vérités à l’occasion de la présentation de ce
rapport et à la tête desquelles nous pouvons
retenir ce qui suit :
Premièrement : les femmes arabes
ont assumé leur rôle à toutes les étapes
de l’évolution de la société arabe à travers
l’histoire, malgré des tentatives circonscrites de
VIII
le marginaliser. Le rôle important joué par les
femmes arabes dans l’économie traditionnelle,
la structure familiale et sociale ont été ceux
de l’associé fondamental indispensable. Les
luttes des femmes en vue de confirmer leur
participation par le biais des mouvements
politiques, de libération et des institutions de
la société civile durant les dernières décennies
se sont accrues, ont progressé et marqué des
avancées importantes, qui sont aujourd’hui
appréciées et respectées par tous les courants
de la société arabe.
Deuxièmement : les femmes arabes ont
réalisé une grande performance en matière
d’acquisition autonome des capacités. Elles
ont ainsi progressé de manière notable dans
le domaine de l’enseignement, prouvé leurs
mérites et compétences dans les différents
domaines du travail et des affaires, confirmé
leur capacité à accéder à des postes de
direction, augmenté leur participation à
l’activité économique et ont vu leur poids peser
davantage sur l’action publique nationale dans
tous les Etats arabes. C’est pourquoi les efforts
de développement arabe doivent s’appuyer
sur ces acquis et veiller à en améliorer les
indicateurs, tout en travaillant à employer
ces capacités pour assurer une plus grande
participation des femmes au sein du marché
du travail et accroître leur contribution à
l’activité économique sur la base de l’équité et
l’égalité entre les deux sexes. D’un autre côté,
les efforts en matière de réforme politique
doivent œuvrer à la consolidation des règles de
bonne gouvernance sur le plan général comme
au niveau institutionnel et à l’amélioration
des systèmes et législations conformément
aux principes de liberté, d’égalité et de justice
sociale. C’est la condition sine qua non pour
qu’aboutissent et la réforme économique et
la réforme politique. Celles-ci devant être
les deux ailes du développement arabe avec
lesquelles il volera en direction des objectifs
du projet de renaissance arabe.
Troisièmement : les droits des femmes
arabes et leur promotion ne constituent
ni une forme de luxe théorique, ni un
simple appel à la réforme ; ils représentent
aujourd’hui une composante essentielle
du système des droits de l’homme que la
Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes
est venue confirmer. Les appels au respect des
droits des femmes et la revendication de leur
essor économique et social participent d’un
mouvement mondial que le droit international
appuie. L’action visant à les mettre en œuvre
a évolué en un mouvement de société appuyé
par les forces de la société civile arabe, dans
le cadre d’institutions au sein desquelles
les femmes arabes occupent des positions
importantes et participent activement à la
réalisation de leurs objectifs.
Ce rapport, avec ses points forts et
ses points faibles, est aujourd’hui soumis
à l’appréciation du citoyen arabe, quelles
qu’en soient la position et la responsabilité.
C’est que le citoyen, après tout, représente
et la finalité et l’objectif d’un tel rapport. Je
souhaite que sa publication soit un début et
non une fin ; l’occasion d’un débat civilisé et
constructif qui rapproche les uns des autres au
lieu de les éloigner, qui unifie au lieu de semer
la division, pour la promotion des femmes
arabes et l’essor de notre nation.
Pour finir, je voudrais exprimer mes
sincères remerciements et respects à l’attention
de toutes les personnes qui ont contribué à la
préparation et à la publication de ce rapport,
ainsi qu’au Programme des Nations Unies
pour le Développement pour les efforts
consentis en matière de suivi et de direction du
rapport. Mes remerciements vont également à
toutes les institutions et parties qui y ont été
associées.
Que Dieu nous accorde plein succès !
Abdel Latif Youseff El Hamed
Directeur Général / Président du Conseil d’Administration du
Fonds Arabe de Développement Économique et Social
IX
Présentation: Son Altesse le Président du
Programme arabe du Golfe pour les organismes
de développement des Nations Unies
Les femmes arabes et les mécanismes du changement attendu
L’observateur de la dynamique sociétale
dans le monde arabe note un ensemble de
transformations positives produites par le
Rapport sur le développement humain arabe
depuis sa publication pour la première fois
en 2002 sous le titre « Créer des opportunités
pour les générations futures», et la campagne
de protestation qui a accompagné ce premier
rapport ainsi que le traitement réservé à son
contenu et aux significations données aux
résultats et recommandations auxquels les
chercheurs sont arrivés.
Le Rapport sur le développement humain
pose, en réalité, des questions essentielles
qui ont un impact direct et profond sur le
développement dans ses trois dimensions,
sociale, économique et politique. C’est
pourquoi ce rapport, qu’un groupe de
spécialistes « préoccupés » par les causes
de l’être humain arabe a pris l’initiative de
préparer, est – de notre point de vue – parmi les
réalisations les plus importantes de la pensée
arabe en matière de développement de ce
troisième millénaire, avec tout ce qu’il connaît
comme changements et transformations
favorables au genre humain.
La quatrième livraison du Rapport sur le
développement humain revêt une importance
toute particulière parce qu’il soulève la question
du développement des femmes, considérée
comme la question centrale dans toutes les
sociétés arabes. Poser de manière spécifique la
question des entraves au développement des
femmes arabes survient, dans l’ordre, après la
troisième livraison du Rapport qui a été centrée
sur les dialectiques de la liberté dans le monde
arabe, la deuxième qui a traité du « sujet du
savoir » et la première qui s’est attaqué à la
manière de « créer des opportunités pour les
générations futures».
Pour anticiper la polémique que ne
manquera pas de provoquer cette dernière
livraison, nous disons que nous croyons
que les spécialistes et chercheurs qui se sont
attaqués à la question objet du rapport ont
éclairé des aspects d’une grande importance
de la question des femmes arabes, notamment
la vision surannée concernant la femme, son
statut et son rôle.
Cette vision est – malheureusement – liée
à la conception que d’aucuns se font de la
religion, alors que l’analyse réaliste la ramène
aux us et coutumes. La religion n’a rien à voir
avec les comportements erronés à l’égard
des femmes, mais nos sociétés font prévaloir
la coutume sur le dogme et instituent des
présupposés qui n’ont de fondement ni dans
le Coran ni dans les vrais Hadith-s (dits du
Prophète).
Les souffrances et privations des femmes
arabes sont dues à l’accumulation des us et
coutumes ; c’est la raison pour laquelle la
révision de ladite vision est une priorité forte.
Ceci exige la mise en place de dispositifs
sociétaux, culturels en premier lieu, pour
éduquer les générations selon une vision saine
des femmes et de leur rôle. Ce rapport, de par
ses données statistiques et les informations
qu’il véhicule et qui vont au fond des questions,
représente une partie de ces dispositifs
nécessaires ; c’est pourquoi nous continuerons
à soutenir sa publication en coordination avec
nos associés du développement.
Bien que nous croyions que la
réhabilitation des femmes et la sauvegarde
de leurs droits relèvent de la responsabilité
partagée des sociétés arabes, surtout après que
tous les Etats arabes aient signé la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, nous
estimons, en même temps, que les femmes
sont les plus aptes à défendre leurs droits
et à faire connaître leur cause. Tant que les
femmes arabes n’auront pas assumé cette
XI
responsabilité, le traitement de leur affaire sera
retardé pour longtemps encore. Néanmoins
les indices de l’évolution réelle et le suivi que
nous avons de quelques exemples d’activistes
femmes arabes suscitent l’espoir.
Nous avons la conviction que les femmes
arabes (mères, sœurs, épouses et filles) ne sont
pas moins capables que les femmes dans les
sociétés qui nous ont devancés sur l’échelle du
progrès. Les femmes arabes sont créatives et
prennent des initiatives quand les moyens leur
sont offerts, et c’est ce qui nous a conduit à
parrainer une organisation de développement
spécialisée dans les questions des femmes, le
Centre des femmes arabes pour la formation
et la recherche (CAWTR), dont nous avons
confié la direction, la gestion et l’établissement
des programmes à une élite féminine qui a su
s’imposer et réaliser le plus important des
objectifs stratégiques qui consiste à rendre
CAWTR une référence arabe pour ce qui
concerne les questions des femmes et la
formation des cadres féminins, contribuer à
corriger la fausse image des femmes et faire
entendre leurs voix et leurs revendications
aux centres de décision. Il n’y a pas d’avenir
pour une nation qui bloque les énergies de
la moitié de ses habitants, qui ignore leurs
revendications et marginalise leurs droits.
Nous adoptons la même orientation aux
niveaux de l’Université arabe ouverte (AOU)
et de la Banque des pauvres, qui vise les franges
les plus pauvres de la population. Les femmes
ont fait preuve d’une grande capacité à utiliser
les petits crédits et les micro–crédits et d’une
crédibilité plus grande que les hommes, en
matière de respect des engagements pris
auprès des institutions de crédit.
Tout en soulignant l’importance du fait
de légiférer, d’édicter des systèmes et des
lois, de faire évoluer les constitutions et de
les moderniser pour garantir les droits des
femmes, il est indispensable que cela soit
précédé par un travail de fondation d’une
pensée éclairée. En effet, les législations,
fussent-elles contemporaines, évoluées et
satisfaisant aux attentes, ne fonctionnent pas
dans un vide intellectuel et de valeurs.
Notre perception des femmes doit
être dominée par les valeurs positives en
adéquation avec la religion et les véritables
traditions arabes. De telles valeurs doivent être
développées d’abord au travers de l’éducation
et diffusées par le biais des programmes de
l’éducation, en commençant par les crèches
et en terminant par l’enseignement supérieur
ainsi qu’au travers des médias connus pour
leur sérieux dans le traitement des problèmes
et des préoccupations de la société. De
tels mécanismes sont un outil important
du changement escompté au niveau de la
configuration culturelle. Il ne peut y avoir
de changement tant que nous n’aurions
pas développé le fonds de notre culture qui
détermine nos jugements et l’idée que nous
nous faisons de nous-mêmes.
Que Dieu nous accorde plein succès pour
le bien de la personne arabe !
Talal Bin Abdul Aziz
Président
Programme Arabe du Golfe pour les Organismes
de Développement des Nations Unies
XII
Les participants à la préparation de ce rapport
(Selon l’ordre alphabétique)
L’équipe des conseillers
Rima Khalaf Hunaidi (Présidente), Ahmed Kamal
Aboulmagd, Haifa Abu Ghazaleh, Fowziyah Abu-Khalid,
Nidal Al-Ashkar, Aziz Al-Azmeh, Khadija Ahmed AlHaisami, Nasser Al-Kahtani / Jebrine Al-Jebrine (Programme
Arabe du Golfe Pour les Organisations du développement
des Nations Unies), Farida Allaghi, Nabil Alnawwab /
Fatima Sbaity (Commission Economique et Sociale Pour
l’Asie occidentale), Soukaina Bouraoui, Mohamed Charfi,
Hani Fahs, Ziad Fariz, Mohammed Fayek, Fahmy Howeidy,
Taher H. Kanaan, Clovis Maksoud, Bader Malallah (Arab
Fund for Economic and Social Development), Abdelouahab
Rezig, Abdulaziz Sager, Leila Sharaf, Haifa Zangana.
L’équipe Centrale
Nader Fergany (Co-Leader), Islah Jad (Co-Leader), Kamal
Abdellatif, Ebtisam Al-Kitbi, Mohamed Nour Farahat,
Haytham Manna, Naila Silini.
Les auteurs ayant contribué à la préparation
Kamal Abdellatif, Rula Abu-Duhou, Fowziyah Abu-Khalid,
Lamis Abu Nahleh, Badria Abd Allah Al-Awadhi, Ali
Abdel Gadir Ali, Aziz Al-Azmeh, Baqer Alnajjar, Madawi
Al-Rasheed, Mustapha K. Al Sayyid, Mohammed Aref,
Mohsen Awad, Munir Bashshur, Noha Bayoumi, Rachida
Benmessaoud, Azmi Bishara, Mohamed Charfi, Hafidha
Chekir, Khadija Cherif, Mouna Cherkaoui, Violette
Daguerre, Abdelwahab El-Affendi, Hoda Elsadda, Ikbal
El Ameer El Samalouti, Heba Raouf Ezzat, Mohamed Nour
Farahat, Samir Farid, Mona Fayad, Hala Fouad, Abdelaziz
Guessous, Hassina Hamzaoui, Nadia Hijab, Fahmi Howeidy,
Islah Jad, Nadim Jarjoura, Nahawand Kadiri, Elham Kallab,
Azza M. Karam, Fadia Kiwan, Eileen Kuttab, Maroun
Lahham, Latifa Lakhdar, Mohammed Malki, Haytham
Manna, Moncef Marzouki, Zineb Miadi, Emily Nasrallah,
Naziha Rjiba, Nader Said, Rafif Sidaoui, Naila Silini,
Mustapha Touaiti, Mohsen Tlili, Marie Rose Zalzal.
(Anglaise)
Leila Ahmed, Sakiko Fukuda-Parr, Ziad Hafez, Rami G.
Khouri, Dina Rizk Khoury, Tufan Kolan, Omar Noman,
Maureen O’Neil, William Orme, Marina Ottaway, Eugene L.
Rogan, Mark Tessler, Richard J. Wilson.
UNDP RBAS / UNOPS
Amat Al Alim Ali Alsoswa, Nada Al-Nashif, Benjamin Craft,
Melissa Esteva, Ghaith Fariz (coodinateur du rapport), Oscar
Fernandez-Taranco, Jacqueline Ghazal, Sausan Ghosheh,
Randa Jamal, Mary Jreidini, Azza M. Karam (Coordinateur
du rapport), Jeremy King, Madi Musa, David Morrison, Julia
Niggebrugge, Winmin Nu, William Orme, Ghia Osseiran.
Comité d’édition
La version arabe: Fayiz Suyyagh
La version anglaise: Zahir Jamal (Editeur), Barbara Brewka
(Assistance éditoriale)
Réalisation de l’enquête de “ la liberté de la
femme ”
• Middle East Marketing and Research Consultants
(MEMRC) / Amman, Jordan (Coordination +
Questionnaire Design & Unifying Data Files)
• Market Egypt / Cairo, Egypt
• Societé d’Etudes de Realisation de Consultants (SEREC) /
Casablanca, Morocco.
• Statistics Lebanon Ltd. / Beirut, Lebanon.
Comité de traduction
Humphrey Davies (Coordinateur), Susan Smith AbouSheika, Peter Daniel, Philip Gordon, Hala Halim, Jeff Hayes,
Nancy Roberts, Paul Roochnik, Nehad Salem, Yasmine
Pauline Salih, Mahmud Suqi, David Wilmsen, Patrick Werr.
Comité de lecture
(Arabe)
Conception de la couverture :
Khalid Abdalla, Ghanim Alnajjar, Abdulkarim El-Eryani,
Nawal Faouri, Samia Fessi, Najla Hamadeh, Maryam Sultan
Lootah, Gamil A. Mattar, Hassan Nafaa, Hassan Rahmouni,
Marie Rose Zalzal.
Conseillé technique pour le design et
l’impression:
Shady Mohamed Awad
Hassan Shahin
XIII
Sommaire
Introduction: Le Directeur Général du Programme des Nations Unies pour le Développment(PNUD)
Préface: Le Directeur Régional–PNUD Bureau Régional pour les Etats Arabes
Présentation: Fonds Arabe de Développement Economique et Social
Présentation: Son Altesse le Président du Programme arabe du Golfe pour les organismes de développement
des Nations Unies
RESUME
Introduction
1.Les évolutions en matière de développement humain dans le monde arabe depuis la parution du 3e radh 2004
VII
XI
1
1
1
Les courants islamistes et le processus de réforme
1
L’amplification du militantisme de la société civile 2
Le discours mensonger sur la réforme
3
Une vague d’élections majoritairement défaillantes 3
L’aggravation des violations des droits de l’homme dans les pays arabes
Les violations causées par l’occupation et les conflits armés internes
Violation des libertés publiques,(et) des libertés d’opinion et d’expression
Les réformateurs et les activistes des droits de l’homme menacés
3
3
4
4
Un environnement régional et international handicapant La question du terrorisme et ses conséquences en matière de liberté dans le monde arabe
La guerre au terrorisme
L’Occupation continue de faire peser des menaces sur le développement humain
4
5
5
5
Le progrès réalisé pour surmonter les déficits en matière de développement humain
II Vers la promotion des femmes dans le monde arabe : concepts et problématiques XIV
I
III
6
6
Les concepts La question de l’”intErne” et de l’”extErne”
Le pouvoir despotique et la promotion des femmes
La sous-évaluation de l’apport des femmes à l’activité économique
La condition des femmes dans le monde arabe
6
7
7
8
8
L’Acquisition des capacités : on refuse leurs chances aux femmes
La Santé
L’éducation
8
8
9
L’usage des capacités humaines
Les activités économiques
Les femmes arabes dans la sphère politique
Des réalisations remarquables des femmes ARABES
9
9
10
11
Les niveaux de bien être
L’extension de la pauvreté et l’affaiblissement des femmes
la liberté personnelle bafouée
11
11
12
Les mouvements arabes des femmes : combats et expériences
12
Valuation des avancees favorables aux femmes 14
Le contexte social de la condition des femmes La culture
L’héritage religieux : la différenciation en terme de genre en matière de jurisprudence
La femme arabe dans les proverbes populaires
15
15
15
16
Les femmes dans la pensee arabe contemporaine
Vers la naissance d’une nouvelle source d’autorite
16
16
Le début du dépassement des limites imposées par une jurisprudence biaisée qui consacre l’infériorité des femmes Les femmes et les médias
Les Femmes dans le roman arabe
L’image des femmes dans le cinéma D’autres formes de production culturelle
17
17
17
18
18
Les structures sociales Tribalisme et patriarcat
La famille et le statut des femmes
Socialisation et education 19
19
20
21
Les structures juridiques
Les postures a propos de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes Les situations constitutionnelles
L’egalité devant la loi
Droits politiques et droits publics des femmes Systèmes des quotas de femmes dans les parlements
Incrimination et punition
21
21
22
22
22
22
22
Les codes du statut personnel
L’absence de codification dans certains etats
La nationalité
Loin de la loi officielle
L’egalité entre l’homme et la femme dans la conscience des juristes arabes
23
23
23
23
23
L’economie Politique
24
Les Etablissements Publics Et Les Femmes Arabes : La Liberation Et La Marginalisation 25
Les femmes et la société civile
25
Les positions des différentes forces politiques sur la question des femmes arabes 26
Les POSITIONS des mouvements ISLAMISTES SUR LES FEMMES
26
Les PRESSIONS EXTERIEURES VISANT A PROMOUVOIR LES FEMMES DANS LES PAYS ARABES
26
UNE VISION STRATEGIQUE : DEUX AILES POUR LA PROMOTION DES FEMMES TRAITS PRINCIPAUX
LA PREMIERE AILE : LA RE FORME DE SOCIETE NECESSAIRE A LA PROMOTION DES FEMMES
LA DEUXIEME AILE : UN MOUVEMENT SOCIAL CAPABLE DE MENER A BIEN LE TRAVAIL DE
PROMOTION DES FEMMES
1.Mettre fin à la privation des femmes en matière de santé, et en matière d’accès au savoir par l’instruction La protection sanitaire Mettre fin au reniement du droit des filles et des femmes à l’éducation
2. Démonter les obstacles qui empêchent les femmes d’investir leurs capacités comme elles l’entendent
27
27
28
CONCLUSION
Première partie : 28
29
29
29
29
29
31
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis
la publication du troisième rapport
Introduction
33
Le contenu du processus de réforme conformément au Rapport sur le développement humain arabe et
la place des courants islamistes dans ce processus
33
Le printemps de la réforme arabe n’a pas encore fleuri
36
L’amplification des luttes de la société civile
36
Le discours mensonger sur la réforme
Une vague d’élections majoritairement défaillantes
39
39
Conclusion
L’aggravation des violations des droits de l’homme dans les pays arabes 33
41
42
XV
Les violations causées par l’occupation et les conflits armés internes
42
La violation des libertés publiques et des libertés d’opinion et d’expression
43
Les réformateurs et les activistes des droits de l’homme menacés
44
Les restrictions visant les libertés d’association et de réunion pacifique
Un environnement international et régional handicapant
46
47
Une loi américaine de dissuasion de l’antisémitisme 47
Le problème du terrorisme et ses répercussions sur la liberté dans le monde arabe
La guerre au terrorisme
Les lois antiterroristes dans les pays arabes
La justice d’exception
Les mesures illégales
La dégradation de la situation des femmes
La guerre absurde : la guerre à la pensée et à la croyance
;La lutte antiterroriste et le respect des droits de l’homme 47
48
49
49
49
50
50
50
La question palestinienne
Un désengagement qui ne met pas fin à la main mise israélienne sur Gaza
La colonisation n’a pas cessé de faire échec au développement humain dans les territoires occupés
Violation des libertés des individus et des libertés de déplacement
Accentuation la violence des colons à l’encontre des civils palestiniens
Le mur avale les terres et met en échec le développement
La dégradation des conditions de vie
Les débuts d’une réforme palestinienne 51
51
52
52
53
53
54
55
Les méfaits de l’occupation de l’Irak mis à découvert
Le coût humain de l’occupation : l’usage d’armes prohibées et la torture
Le développement de la corruption
Le coût global de l’invasion et de l’occupation de l’Irak
Le désir populaire de mettre fin à l’occupation
55
56
57
58
58
Conclusion
Les avancées entreprises pour surmonter les déficits du développement humain
58
59
L’Elargissement de l’espace de la liberté
Renforcement et protection de la culture des droits de l’homme
Vers la liquidation de l’héritage des années d’oppression au Maroc
A la recherche de la réconciliation nationale en Algérie
Une orientation démocratique limitée aux Emirats
L’élargissement de la participation populaire en Jordanie
59
59
59
60
60
60
L’acquisition du savoir
60
La promotion des femmes
60
Conclusion
Le contenu de la deuxième partie du Rappaort
61
62
Deuxième partie:
Vers La Promotion Des Femmes Dans Le Monde Arabe Premièrement : Le Cadre de Référence
63
Chapitre I : Concepts et problématiques
65
Les concepts fondamentaux et l’évolution historique relatifs à la naissance de la discrimination à l’égard des
femmes et aux moyens pour la combattre
65
Les concepts
65
La promotion des femmes
User des droits de l’homme
La garantie de l’égalité totale des chances
La garantie de l’intégralité des droits de la citoyenneté3 pour les femmes
XVI
65
65
65
66
L’égalité dans le respect de la différence
La promotion des femmes et le développement humain dans le monde arabe, une corrélation causale
Les moyens de lutte contre la discrimination A l’egard des femmes ; l’évolution des concepts de femmes et de développement Au plan international
Evaluation critique de l’application des concepts de femmes et développement dans la région arabe
Les problématiques de la promotion des femmes
La question de l’interne/externe
L’immixtion étrangère dans les affaires de la nation n’augure rien de bon pour la question de la promotion des femmes
Le pouvoir despotique et la promotion des femmes La dévalorisation de la participation des femmes à l’activité économique
Conclusion
66
68
69
69
70
72
72
73
74
77
78
Deuxiement : La Situation Des Femmes Dans Le Monde Arabe
79
Chapitre II: L’Acquisition des capacités humaines
81
Introduction
Les obstacles à l’acquisition des capacités humaines de base
81
82
La santé
Les indicateurs de la santé reproductive
Perte d’années saines suite à la mauvaise santé
Problèmes de santé spéciaux
Obésité et diabète
Le syndrome de l’immunodéficience acquise (SIDA)
82
82
83
83
83
85
ACQUISITION du savoir au moyen de l’enseignement
La diffusion quantitative
L’accès aux différents cycles de l’enseignement selon le genre
L’éducation préscolaire
L’enseignement primaire
L’enseignement secondaire, universitaire et professionnel
L’enseignement supérieur
L’analphabétisme toujours élevé chez les femmes
Les filles sont de meilleures apprenantes
86
86
87
87
89
90
91
93
94
Chapitre III: L’utilisation des capacités humaines
99
Introduction
L’espace de l’activité économique
Caractéristiques de la participation de la femme à l’activité économique et questions y afférentes
99
100
Evolution de la participation des femmes aux niveaux de l’économie et du marché du travail dans les pays arabes.
102
Répartition de la force de travail féminine selon les principaux secteurs d’activité économique
102
La place de la femme d’un point de vue fonctionnel
103
Les causes de la faiblesse de la participation économique des femmes arabes.
La culture masculine dominante
Rareté des opportunités de travail
La discrimination de genre en matière d’emploi et de salaires
Augmentation du niveau de fécondité
Des lois qui handicapent les femmes, d’autres qui les “ protègent ”
Faiblesse des services d’appui
L’impact des programmes d’ajustement structurel
105
105
105
105
106
106
106
106
La baisse de la participation économique des femmes conduit à la baisse des revenus
Le domaine politique
Une participation faiblement diversifiée
99
106
108
111
XVII
Les femmes et l’Etat arabe : coopération ou confrontation.
113
Les femmes au sein des partis politiques dans les pays arabes
113
Les femmes dans les mouvements islamistes.
114
Des femmes, des restrictions et des partis
Les réalisations des femmes dans les domaines des activités humaines et créatives.
Réalisations remarquables de femmes arabes
Première génération
La création littéraire
La création artistique : le cas du cinéma
Les réalisations des femmes dans la production du savoir
Les sciences sociales
Les sciences naturelles et exactes
L’astronomie
Le sport
Des femmes d’affaires : la force économique ascendante dans les pays arabes
Conclusion
Chapitre IV: Le niveau du bien être humain
Introduction
Reliefs de la pauvreté et genre Pauvreté et genre du chef de famille
Extension de la pauvreté et affaiblissement des femmes
la liberté personnelle bafouée
115
116
117
117
118
119
121
121
122
124
126
126
128
129
129
129
129
130
130
Les formes de violence à l’égard Dles femmes dans le monde arabe
Les crimes d’honneur
La violence domestique
L’excision
violence contre les femmes sous l’occupation.
Les femmes appartenant aux catégories défavorisées dans les pays arabes.
132
132
133;
134;La
135
135
Les femmes dans les zones desertiques et les campagnes marginalisées.
Les femmes dans les zones D’habitat anarchique
travailleuses immigrées etrangères
La situation des travailleuses dans le secteur du travail domestique.
135;
137;Les
138
139
Conclusion
Chapitre V: Les expEriences de promotion des femmes dans le monde arabe
140
141
Le mouvement des femmes et leur rôle dans le processus de libération 142
L’enracinement chez les femmes de la conscience des questions qui leur sont spécifiques pendant l’indépendance
145
Le front politique
145
Le front social
146
Le front revendicatif
Evaluation des réalisations accomplies au profit des femmes
148
152
L’expérience tunisienne
154
L’expérience marocaine
Autres expériences arabes
157
159
Conclusion
160
III: Le Contexte sociEtal de la condition des femmes dans les pays arabes
161
Chapitre Six: Structures culturelles
163
Introduction
XVIII
163
l’héritage religieux traditionnel promeut et renforce le principe de hiérarchie sociale
Le texte et l’interprétation
163
Les principes universels et les branches: les problèmes d’interprétation
164
La codification en matière jurisprudence islamique légifère en faveur de la suprématie des hommes
La femme arabe dans les proverbes courants Du soutien de l’éthique de la discrimination de genre Lesattitudes qui promeuvent l’infériorité des femmes dans les proverbes arabes :
Les perceptions positives des femmes
Les femmes dans la pensée arabe contemporaine Vers l’émergence d’une nouvelle référence
Le moment de la perception de l’écart : l’autre femme dans le miroir de soi Le moment de la prise de conscience de la transformation : premières tentatives de réduire les prétentions de la
jurisprudence à consolider l’infériorité.
Le moment de la prise de conscience de l’institutionnalisation : vers l’édification du rationalisme pragmatique dans
l’approche des questions relatives aux femmes arabes
Les aspects de la nouvelle conscience : indicateurs et paradoxes
La femme dans le roman arabe 164
168
168
169
170
170
170
171
172
173
174
176
A la recherche d’une nouvelle image des femmes arabes :
176
L’image de femmescroisées dans le roman arabe
176
Le roman féminin : prémices de la conscience individuelle et premiers affrontements avec la culture de l’infériorité
L’image des femmes dans le cinéma
La femme au cinéma : une image superficielle et typique
Amour, Liberté, Violence :
La femme dans la culture de l’information
177
179
179
181
182
La bataille pour l’image des femmes dans la phase de tarnsition de la société arabe.
182
Autres messages des médias ne contribuant pas à la promotion des femmes.
183
Conclusion
Chapitre VII: Structures sociales
184
185
Introduction
Les structures organiques : Les structures organiques entre le renforcement de l’autoritarisme et les préalables de sortie
185
de cet autoritarisme 185
Au début, fut l’agnat
185
La tribu arabe et l’Islam
187
Autoritarisme et esprit de corps
L’agnat et les femmes dans les sociétés contemporaines
Du foyer à la société
188
189
191
La rébellion produit des formes intermédiaires de liberté
194
La famille et la place des femmes
196
La relation équivoque entre hommes et femmes dans les sociétés arabes : synergie et conflit
Une autre image du patriarcat
Socialisation et enseignement (Programmes et méthodes pédagogiques et modes d’évaluation)
198
198
200
Conclusion 203
Chapitre viii: Structure juridique
163
205
Introduction L’attitude vis-à-vis de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes 205
205
Situations constitutionnelles
208
Droits politiques et publics des femmes 210
XIX
Le système des quotas pour les femmes dans les parlements 210
Les relations de travail
211
Incrimination et punition
Codes du statut personnel 214
216
Absence de codification dans certains Etats arabes
216
Codification unifiée du statut personnel dans les pays arabes
217
Caractéristiques générales de la législation arabe sur la famille
218
Une vue comparative
219
Loin de la loi officielle
222
La nationalité
La femme arabe dans la conscience des hommes de loi arabes
223
224
Conclusion
228
Chapitre ix: Les structures économico–politiques
229
Introduction Le mode de production dominant, le niveau de performance économique et leurs impacts 229
229
Les Structures Politiques
231
Les institutions du pouvoir et la liberation ou la marginalisation des femmes arabes
231
Les partis politiques et la cause dEs femmes
232
des quotas pour les femmes dans les institutions politiques
234
La société civile arabe et la question de la femme
Le rôle des médias
235
236
Attitudes des forces politiques vis-à-vis des femmes arabes 237
Les attitudes des mouvements islamistes vis-à-vis de la femme
Le contexte international des conditions des femmes arabes 238
243
Les pressions extérieures en faveur de l’autonomisation des femmes dans les pays arabes
Le rôle des organisations internationales et regionales
Les principales avancées
243
244
247
1. Institutionnalisation des mecanismes d’autonomisation des femmes
247
2. Apparition des institutions et mecanismesregionaux arabes pour faire avancer le statut des femmes
247
3.Transversalité, reseautage et coordination
247
4. coopération avec les gouvernements et les organisations non gouvernementales
247
Chapitre X: Une vision stratégique : Les deux ailes de la promotion des femmes
Introduction Premièrement : Les grandes lignes de la vision de la promotion des femmes dans le monde arabe Deuxièmement : La première aile : Quelques aspects de la réforme sociétale nécessaire a la promotion des femmes
251
251
252
255
Epurer les constructions culturelles des sources de discrimination à l’égard des femmes qui y sont disséminées 1 – Encourager la créativité et la recherche islamique pour contourner les entraves culturelles à la promotion des femmes
2 – L’éducation, l’instruction et les médias : combattre l’image stéréotypée des femmes pour répandre une culture égalitaire
255
255
256
La réforme de la gouvernance
La réforme législative 257
257
La lutte contre la pauvreté contribue à la promotion des femmes 258
La lutte contre la restriction des droits personnels des femmes
Troisièmement : la deuxième aile de la promotion des femmes : Un mouvement sociétal capable d’assurer la promotion
259
des femmes dans tout le monde arabe
259
Quatrièmement : Programmes prioritaires de la vision de la promotion des femmes dans le monde arabe
261
A – L’élimination de la plus grande privation dont souffrent les femmes en matière de santé et d’acquisition du savoir par l’instruction XX
262
La prise en charge sanitaire Mettre fin au reniement du droit des filles et des femmes à l’éducation
Orientations stratégiques pour en finir avec la privation des filles de l’enseignement fondamental
Amélioration du cadre sociétal de l’éducation des filles 262
262
263
263
B - Lever les obstacles qui entravent l’usage par les femmes de leurs capacités humaines dans les différents domaines
de l’activité humaine en toute liberté264
Conclusion
265
Bibliographie 267
Annexe 1: Liste des documents de base (Nom de l’auteur, titre du document, nombre de pages)
275
ANNEXE II : SONDAGE D’OPINION SUR LA PROMOTION DES FEMMES DANS LE MONDE ARABE
279
ANNEXE 3 : DOCUMENTS
303
Annexe IV: Tableaux de statistique relatifs au développement humain dans les pays arabes
315
Liste des Encadrés
Première partie :
I-1
Une commission judiciaire qui finit par falsifier la volonté des électeurs.
41
I-2
Le désengagement de Gaza c’est du formol pour geler la paix
51
I-3
Le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme : Gaza reste un territoire occupé
51
I-4
La vie sur les Mahsom (check points) : témoignages israéliens
52
I-5
Défiguration de la première des deux kibla
54
Première partie :
1-1
L’inégalité des sexes dans l’histoire de l’humanité
67
1-2
Faire progresser le statut de la femme est un pas vers la civilité
68
1-3
Passages de la “ Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ”
68
1-4
Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies 1325 (2000) - Extraits
73
1-5
Haifa Zangana : Les femmes irakiennes et le discours de l’occupation américaine
74
1-6
L’opinion du public arabe, dans quatre pays arabes, exprime son soutien à la promotion des femmes
75
2-1
Fowziyah Abu-Khalid : La diversité des images des femmes arabes dans le miroir de la réalité.
81
2-2
Les Objectifs du millénaire pour le développement
84
2-3
Déclaration du Caire des Leaders Religieux de la région arabeen réponse à l’épidémie de VIH/SIDA 13 décembre 2004
86
2-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
94
2-5
Les filles surpassent les garçons dans l’enseignement fondamental au Bahreïn
95
2-6
La supériorité des filles dans l’enseignement primaire au Koweït
3-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
96
101
3-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
104
3-3
L’Opinion de la jeunesse arabe sur les questions des femmes dans la région arabe
107
3-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
109
3-5
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
112
3-6
Une femme brillante : une arabe qui rejoint en France les Immortels
122
4-1
Kamal Darwich : à l’occasion de la journée mondiale sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre 2005).
131
4-2
L’opinion du public par rapport aux questions de la promotion des femmes, dans quatre pays arabes, 2005
132
XXI
4-3
L’Organisation Mondiale de la Santé : Les femmes n’ont pas de refuge, où se mettre à l’abri de la violence domestique.
4-4
La ségrégation à l’égard des femmes sous l’occupation en Palestine
135
4-5
Des “ bonnes ” asiatiques sont agressées par leurs employeurs
140
133
5-1
Les droits des femmes, entre constitution et lutte politique
148
5-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
156
6-1
Fahmi Howeidy : L’égalité est au fondement de l’Islam
165
6-2
Mohammed ‘Abdou : De la critique de la polygamie
167
6-3
Abdelhadi Boutaleb : la jurisprudence (fiqh) de commodité
167
6-4
Cheikh Mohammed Al Ghazâli : Le détournement des enseignements de l’Islam au sujet des femmes
170
6-5
La liberté est une femme
171
6-6
Nazira Zayn al-Din: Le temps, la liberté et la libération
173
7-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
186
7-2
Su’ad Joseph : Patriarcat et développement dans le monde arabe
189
7-3
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
192
7-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
193
7-5
Les femmes bédouines comptent sur elles–mêmes
194
7-6
Un père supporter de sa fille
199
7-7
Mohamed Mahdi Al–Jawahiri : Instruisez-la!
200
8-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
209
8-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
212
8-3
Al-Tahir al-Haddad : les femmes dans la magistrature
214
8-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes ont le droit de choisir leurs époux sur un pied d’égalité que les hommes
216
8-5
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005, Divorce de la femme avec sa volonté unique
220
8-6
224
8-7
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Opinion sur l’attribution de la nationalité de la mère aux enfants
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005, Les femmes ont le droit d’être juges
226
8-8
La crainte que les femmes obtiennent la totalité des sièges au parlement
227
9-1
Shaykh Muhammad Mahdi Shams al-Din : Il n’y a aucune objection pour que les femmes occupent la fonction suprême
239
9-2
Abd Al-Halim abu Shaqqa : Le droit des femmes à élire et à se faire élire
239
9-3
Heba Raouf Ezzat : Le développement du discours islamiste au sujet des femmes
241
9-4
Le rôle des agences des Nations Unies et des organismes régionaux dans le soutien à l’autonomisation des femmes
246
10-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Il est d’une importance vitale que se produise une promotion humaine dans le monde arabe au moyen de la promotion des femmes
252
Liste des figures
2-1
Taux de mortalité maternelle (pour 100,000 naissances vivantes), 2000, et pourcentage de naissances assistées par un personnel
qualifié, année la plus récente disponible durant la période 1993-2003
82
2-2
Moyenne de la perte d’années saines suite à la mauvaise santé (années), rapport des femelles aux mâles (%), pays arabes et pays de la
comparaison, 2002
84
2-3
Taux d’obésité et surpoids (population 15 ans et +) selon le genre, Pays arabes et de la comparaison, 2005
85
2-4
Taux d’instruction féminin comme pourcentage du taux d’instruction masculin (15 ans et +), régions du monde, 2003
87
2-5
Taux brut combiné d’inscription, tous les niveaux de l’enseignement, femelles comme pourcentage des mâles (%),pays arabes,
2002/2003
88
2-6
Taux brut combiné d’inscription, enseignement supérieur, femelles comme pourcentage des mâles, régions du monde, 2002/2003
88
2-7
Taux d’inscription des filles dans l’enseignement primaire (%) et taux des filles comme un pourcentage du taux des garçons, pays
arabes, 2002/2003
Taux net d’inscription des filles dans l’enseignement secondaire (%) et inscription des filles en tant que pourcentage de celui des
garçons, pays arabes, 2002/2003
89
2-8
XXII
90
2-9
Taux féminin brut d’accès à l’enseignement supérieur, et inscriptions des filles comme (%) des inscriptions des garçons, pays arabes,
2002/2003
2-10 Pourcentage des filles parmi les lauréats de l’enseignement secondaire, cinq pays arabes, 2003-2005
97
3-1
99
LeTaux d’activité économique des femmes (15 ans et plus) et l’activité féminine en % de l’activité masculine, régions du monde, 2003
92
3-2
Taux de chômage féminin en % du taux de chômage masculin Quelques pays arabes, plus récente année disponible
100
3-3
Répartition de la force de travail en fonction du genre et des principaux secteurs d’activité, cinq pays arabes, 1995-2002
103
3-4
L’année à laquelle les femmes ont obtenu le droit de vote sans restrictions et le droit de se présenter aux élections, pays arabes
110
3-5
Les femmes aux parlements, moyennes régionales
110
3-6
Seats in parliament (lower or single house) held by women (% of total), Arab countries, 29 March 2006
111
3-7
Pourcentage des femmes arbes chercheurs par spécialisation
117
Liste des Tableaux
2-1 Les raisons de l’arrêt de l’enseignement après l’enseignement primaire en Palestine, par genre (%)
91
2-2 Pourcentage des étudiantes de l’ensemble des étudiants de certaines spécialités dans les universités arabes, 2002/2003
93
3-1 Femmes arabes médaillées durant les quatre derniers Jeux Olympiques (1984-2000)
125
4-1 Taux d’excision (année 2000 %)
134
4-2 Travailleuses immigrées dans les pays arabes, 2002
139
5-1 Ordre de promulgation des codes de la famille
155
8-1 Ratification par les pays arabes de la CEDAW et déclarations et réserves par rapport à la Convention le 3 juillet 2006 207
(classé par ordre croissant et selon la date de ratification)
XXIII
XXIV
RESUME
Introduction
“ Vers la promotion des femmes dans le
monde arabe ” est la quatrième livraison de
la série de Rapports sur le Développement
Humain Arabe, soutenus par le PNUD. Cette
publication, qui examine les insuffisances en
matière de promotion des femmes, clôt une
analyse globale des déficits de développement
qui affectent la région.
Le Rapport commence par un aperçu des
tendances que la région a connues en matière
de développement tout au long de la période
écoulée depuis la publication du troisième
Rapport. L’analyse de la problématique centrale
du Rapport commence par souligner, à grands
traits, les concepts centraux et les questions
qui déterminent et situent les dimensions
de la promotion des femmes dans les pays
arabes en termes de droits de l’homme et de
développement humain. Le rapport présente
ensuite une analyse de la condition des femmes
dans les sociétés arabes en centrant l’intérêt sur
l’acquisition et l’usage des capacités essentielles
et sur le niveau de bien être qui en découle.
Après une évaluation des acquis historiques des
mouvements des femmes arabes et des entraves
à leur développement, le rapport montre
l’interaction existant entre les composantes
culturelles, religieuses, économiques, sociales,
juridiques et politiques des sociétés arabes,
interaction qui influence le statut actuel et le
devenir des femmes. Pour conclure, le Rapport
propose une vision stratégique, sous forme
de lignes directrices, pour la promotion des
femmes dans le monde arabe.
RESUME
i. Les évolutions en matière
de développement humain
dans le monde arabe depuis
la parution du 3 e radh 2004
Comme pour les précédents, le présent Rapport
commence par examiner, aux plans nationaux,
régional et international, les évènements qui
sont censés avoir eu un impact sur l’ensemble
du processus de développement humain dans
la région, depuis la publication du dernier
rapport.
Les courants islamistes et le
processus de réforme
La réforme politique large et profonde
conduisant à l’émergence de la société de
liberté et de bonne gouvernance est la voie qui
permet de créer la société de la liberté au sens
global et qui équivaudrait au développement
humain.(Rapport sur le Développement
Humain Arabe, 2004). Trois conditions
cardinales doivent être réunies pour amorcer
le processus de réforme et en garantir la
réussite. La première condition indispensable
est l’absolu respect, de la part de toutes
les parties concernées par le processus de
réforme, des libertés clés à savoir les libertés
d’opinion, d’expression et d’association ; la
deuxième condition est d’accepter le principe
de participation pour que toutes les forces
de la société intègrent le processus politique,
notamment celles qui sont créditées d’un fort
ancrage populaire ; la troisième condition est
le respect des principes des droits de l’homme
par toutes les parties.
Aucune force politique ne peut
faire semblant d’ignorer que la religion,
particulièrement l’islam, est un élément
crucial du tissu culturel et spirituel du peuple
La réforme politique
large et profonde
conduisant à
l’émergence de la
société de liberté et de
bonne gouvernance
est la voie qui
permet de créer la
société de la liberté
au sens global et
qui équivaudrait
au développement
humain.
la religion,
particulièrement
l’islam, est un élément
crucial du tissu
culturel et spirituel du
peuple arabe.
L’une des principales
problématiques qui
risque de ralentir le
processus de réforme
réside dans les
réactions négatives
auxquelles peuvent
conduire les résultats
du processus de
réforme politique
qui pourraient ne
pas être du goût des
forces hégémoniques
à l’intérieur et à
l’extérieur du monde
arabe.
arabe. Cependant, la réouverture de la porte
de la réflexion jurisprudentielle (ijtihad)
indépendante, son encouragement et sa
consolidation reste une exigence fondamentale
si l’on veut que se produise le mariage créatif,
nécessaire à la société de liberté et de bonne
gouvernance, entre la liberté dans son acception
globale contemporaine et les finalités de la
loi islamique (sharia). Il importe d’ajouter
que les courants islamistes qui en appellent
à la renaissance du monde arabe se doivent
d’inscrire dans leur agenda, et de considérer
comme étant de leur responsabilité, le devoir
de jouer un rôle d’avant-garde pour ce qui est
de la satisfaction de cette exigence.
Les courants islamistes constituent un large
éventail avec une extrême diversité interne. La
plus grande majorité des courants islamistes
dans les pays arabes représentent des forces
importantes de la société avec un profond
ancrage populaire, lequel est l’aboutissement
d’une action sociale et politique menée sur
plusieurs années parmi les petites gens.
Les positions des courants dominants
sur certains problèmes de société tels que
le respect des droits de l’homme, la bonne
gouvernance ou la démocratie, ont connu
une importante évolution pendant les cinq
dernières décennies.
Ces questions revêtent une extrême
importance pour l’avenir, car si ces courants
arrivent au pouvoir, ils ne pourront plus
prétendre à un pouvoir théocratique. En
outre, la plupart de ces courants dominants
connaissent l’émergence remarquable en leur
sein d’une nouvelle génération de dirigeants,
relativement plus jeunes et éclairés, qui sont
de plus en plus présents à la tête de leurs
structures organisationnelles. En plus, ils sont
traversés par une dynamique ascendante en
vue de davantage de démocratie interne qui
part de la base la plus large.
Néanmoins ces développements positifs ne
signifient nullement que ces courants dominants
ont réussi à lever totalement les craintes que les
autres forces de la société dans les pays arabes
ont des retombées négatives éventuelles sur la
liberté et la bonne gouvernance d’une arrivée
de ces courants au pouvoir, notamment pour
ce qui touche aux questions des femmes et des
minorités.
L’une des principales problématiques qui
risque de ralentir le processus de réforme
dans les pays arabes réside dans les réactions
négatives auxquelles peuvent conduire les
résultats du processus de réforme politique
qui pourraient ne pas être du goût des forces
hégémoniques à l’intérieur et à l’extérieur
du monde arabe. A titre d’illustration de
cette problématique, on peut citer le rejet
par certains régimes arabes et certaines
puissances internationales de l’écrasant succès
du Mouvement de la résistance islamique
(Hamas) lors des législatives palestiniennes qui
ont été, de l’avis de tous, libres et honnêtes.
Des réactions similaires ont été enregistrées à
la suite des succès réalisés par le mouvement
des “Frères musulmans” en Egypte lors des
dernières élections législatives.
L’amplification du militantisme de la société
civile
Les organisations arabes de la société civile
ont connu un développement qui ressemble
fort à un saut qualitatif en termes de rythme
d’activité, d’espace couvert et d’impact. Ces
organisations ont apporté un solide soutien aux
mouvements politiques et ont fait même preuve
de la capacité d’être parfois les initiatrices de
la dynamique de changement politique et ce
à travers leurs prises de positions constantes,
exprimées dans la presse indépendante et
sur les chaînes satellitaires, comme au moyen
des colloques et des rencontres publiques et
privées ou encore par l’entremise du réseau
d’information Internet.
Ainsi, en Egypte, le mouvement “Kifaya”
(ça suffit !) s’est publiquement opposé à la
réélection du président de la République et au
transfert du pouvoir à son fils, posture qui a
obtenu le soutien d’un large mouvement opposé
à la prolongation du mandat présidentiel et
à l’introduction de la succession par héritage
avec la participation des “Frères musulmans”,
de “l’Union nationale pour le changement
démocratique” et de “l’Alliance nationale
pour la Réforme et le changement”. Au Liban,
on a assisté à un mouvement de masse où
des groupes de la population ont rejoint les
courants politiques actifs sur la scène politique
Rapport sur le développement humain arabe 2005
pour participer au débat public en vue de
réformer l’Etat et les institutions et traduire
la citoyenneté en droits à la représentation
politique et en matière de liberté d’expression.
En Syrie, des forces politiques d’opposition
ont publié la “Déclaration de Damas” insistant
pour que le parti au pouvoir adopte une
modification complète de la Constitution, (et)
revoie le référendum présidentiel et organise
l’alternance du pouvoir politique. Tout au long
de cette période, l’action civile s’est distinguée
par un accroissement du pluralisme et par
l’usage d’Internet sur une large échelle, ce qui
traduit une plus grande confiance en soi de la
société civile et le sens qu’elle a de sa mission
dans l’espace public.
Le discours mensonger sur la réforme
Les gouvernements arabes ont annoncé une
série de réformes visant à consolider la liberté
et la bonne gouvernance, mais la plupart des
projets de réformes sont restés lettres mortes.
Certains régimes politiques ont rétréci le
champ de la réforme qu’ils ont engagée, (;) alors
que d’autres ont continué à violer les droits
humains et politiques tout en prétendant veiller
à garantir le changement avec clairvoyance.
Certains observateurs notent d’ailleurs que les
réformes paraissent devenir un simple rideau
de fumée pour cacher la poursuite du statu quo
oppressif.
Une vague d’élections
majoritairement
défaillantes
Une vague d’élections, dont plusieurs ont
échoué sur des circonstances défavorables ou
ont été marquées par des dysfonctionnements,
a déferlé sur la région tout au long de la
période en question. Des élections considérées
comme libres et honnêtes par la plupart des
observateurs se sont tenues dans les territoires
palestiniens occupés, et ce malgré les dures
conditions de l’occupation et les fortes pressions
étrangères ; élections qui ont conduit au succès
du mouvement Hamas déjouant ainsi tous les
pronostics. En janvier 2005, l’Irak a connu
l’organisation d’élections pour la constitution
RESUME
de l’Assemblée Nationale Provisoire dans un
contexte marqué par une grande insécurité
et une campagne de terreur qui visait les
candidats et les électeurs à la fois. Et malgré
cela, quelque 70% de l’électorat ont participé
en décembre 2005 à l’élection de l’Assemblée
Nationale, élections marquées par des fraudes
et le vol des urnes. L’Arabie Saoudite a
connu, quant à elle, pour la première fois, des
élections municipales. Ce pas progressiste a été
néanmoins miné par l’exclusion des femmes et
la restriction du nombre de membres éligibles
au Conseil municipal. En Egypte, l’article 76 de
la Constitution a été amendé pour permettre à
plusieurs candidats de briguer la présidence
de la République. Toutefois l’amendement
a été accompagné d’une série de conditions
contraignantes qui le réduisent à une simple
formalisation du système référendaire en
vigueur en matière de choix du Président. Ainsi,
des partis de l’opposition légale ont-ils boycotté
les élections présidentielles qui s’en sont suivies
et qui se sont soldées par une victoire écrasante
du président en exercice. Mais l’aspect le plus
remarquable de cette élection est que le taux de
participation, selon les statistiques officielles,
n’a pas dépassé le quart des personnes en
droit de voter. Des magistrats, qui avaient
en charge le contrôle du déroulement des
élections législatives qui ont suivi, ont fait
état d’irrégularités en faveur des candidats du
parti au pouvoir dans deux circonscriptions
importantes. Il est évident que la réforme des
élections dans la région a beaucoup de chemin
à parcourir avant que celles-ci ne deviennent
une composante de la société de la liberté et de
la bonne gouvernance.
L’aggravation des violations
des droits de l’homme dans
les pays arabes
Certains observateurs
notent d’ailleurs
que les réformes
paraissent devenir
un simple rideau de
fumée pour cacher la
poursuite du statu quo
oppressif.
Les femmes ont
souffert doublement
des violations graves
sous les occupations
étrangères
Les violations causées par l’occupation et
les conflits armés internes
Les violations individuelles et collectives des
droits de l’homme ont empiré durant la période
couverte par le Rapport. Les femmes ont
souffert doublement des violations graves sous
les occupations étrangères, dans un contexte
de détérioration des conditions humanitaires,
Les réformateurs et
les défenseurs des
droits de l’homme
sont devenus, dans
la plupart des Etats
arabes, des cibles
permanentes des
actions répressives.
marqué à la fois par l’explosion de l’anarchie et
par la multiplication des viols et la souffrance
subie du fait de l’absence des chefs de famille
pour cause du conflit ou d’emprisonnement de
longue durée.
Les conflits armés internes représentent un
autre champ des violations graves des droits de
l’homme. Les femmes y sont particulièrement
vulnérables au viol et à l’assassinat, non
seulement à cause des assauts des militaires,
mais également au cours des mouvements
d’exode et d’émigration. Des instances
internationales des droits de l’homme ont
dénoncé les atrocités commises aussi bien par
les forces gouvernementales et leurs alliés que
par les forces rebelles, atrocités pouvant être
qualifiées de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité.
La Somalie est restée prisonnière des
conflits armés et de l’absence de la loi, ce qui
s’est traduit par un accroissement du nombre
de victimes civiles. Un gouvernement d’un
pays arabe a lancé une vaste campagne militaire
pour mater une rébellion menée par un leader
de l’opposition dans l’une des provinces. D’une
manière générale, les conflits politiques ont
été une source supplémentaire de violations
des droits de l’homme. Dans le même sens,
trois gouvernements arabes ont annoncé avoir
déjoué des tentatives de coups d’Etat, ce qui
s’est traduit par des procès et des sentences
très sévères.
Violation des libertés publiques,(et) des
libertés d’opinion et d’expression
Les libertés publiques, plus particulièrement
les libertés d’opinion et d’expression, sont
soumises à de plus en plus de pression. D’un
geste sans précédent, un Etat du Golfe a
retiré la nationalité aux membres d’une tribu
locale. Le problème a été finalement résolu
sous la pression locale et internationale, par
la réhabilitation des uns dans leur nationalité
et par la naturalisation des autres. Au lieu de
mettre en application les engagements pris
en vue de la consolidation de la liberté des
médias, un autre Etat a rendu encore plus
sévères les sanctions et pénalités à l’encontre
des journalistes. De même, un troisième Etat
a pris l’initiative de proposer des projets de loi
visant à limiter la liberté de la presse. La région
est restée une place à fort taux de risque pour
les journalistes. Parmi les zones de conflits
armés dans le monde, le monde arabe est la
région qui occupe la première place en terme
d’assassinats et d’enlèvements des journalistes
et des autres personnels des médias.
Les réformateurs et les activistes des droits
de l’homme menacés
Les réformateurs et les défenseurs des droits
de l’homme sont devenus, dans la plupart
des Etats arabes, des cibles permanentes des
actions répressives officielles, y compris en les
poursuites judiciaires et les arrestations ; ils
sont même parfois victimes d’assassinats. En
outre nombreuses sont les organisations de la
société civile qui font face à des défis d’ordre
légal qui freinent leurs activités. Tel a été le
cas dans trois Etats du Golfe où les demandes
de constitution d’associations des droits de
l’homme ont été gelées. Les autorités ont
fermé un certain nombre d’organisations de
la société civile. Dans un autre Etat d’Afrique
du Nord, les autorités ont continué à dresser
des obstacles devant les entités civiles, les
associations professionnelle, les syndicats et les
organisations des droits de l’homme. Et parmi
les autres pays arabes, ce même Etat d’Afrique
du Nord s’est fait remarquer par les restrictions
qu’il impose en matière de liberté d’expression,
et d’usage de l’Internet en particulier. Un
sondage portant sur onze pays arabes montre
que la liberté relative d’utilisation d’Internet
n’est effective que dans trois seulement d’entre
eux, à savoir la Jordanie, le Qatar et les Emirats
Arabes Unis.
Dans un autre Etat du Golfe, plusieurs
organisations de la société civile ont été sujettes
au harcèlement officiel, et le gouvernement
a refusé de reconnaître un certain nombre
d’entre elles.
Un environnement
régional et international handicapant
L’environnement régional et international
fait peser une forte hypothèque sur le
développement humain et les droits de
Rapport sur le développement humain arabe 2005
l’homme en raison notamment de l’occupation
étrangère en Palestine et en Irak et de la “guerre
au terrorisme”. Le Rapport attire l’attention
sur le fait que la poursuite de l’occupation
et l’incapacité de réformer la gouvernance
mondiale en vue d’assurer la sécurité et de
garantir le bien être humain pour tous, peuvent
pousser la région vers plus d’extrémisme et de
protestations violentes.
La question du terrorisme et ses
conséquences en matière de liberté dans le
monde arabe
La guerre au terrorisme
La région arabe et plus particulièrement les
courants islamistes ont été taxés d’être le terreau
du terrorisme. Cette campagne a conduit à une
confusion entre, d’une part, ce qui peut être
qualifié, à juste titre, d’actes visant à terroriser
les innocents, ce que le Rapport dénonce
comme étant un affront à la conscience
humaine et, d’autre part, la résistance légitime
à l’occupation étrangère, reconnue par les
conventions de Genève et les résolutions des
Nations Unies. Les actes terroristes se sont
étendus à plusieurs pays arabes où des milliers
de personnes ont été tuées et blessées.
En accord avec les tendances dans le
monde, des gouvernements arabes ont, au
nom de la lutte contre le terrorisme, consolidé
les juridictions d’urgence et fait adopter des
législations supplémentaires de lutte contre
le terrorisme. Des dizaines de personnes
poursuivies furent tuées et des milliers de
citoyens arrêtés par décisions administratives.
Certains d’entre eux ont subi la torture et
de mauvais traitements. La plupart des Etats
arabes soumettent les affaires de terrorisme à
des tribunaux spéciaux tels que les tribunaux
militaires, les cours de sûreté de l’Etat ou les
tribunaux d’exception. Ce sont des cours qui
ne réunissent généralement pas les normes
internationales du procès équitable.
L’Occupation continue de faire peser des
menaces sur le développement humain
L’occupation israélienne n’a pas cessé de
priver les Arabes de Palestine des droits
RESUME
fondamentaux politiques, économiques et
sociaux et de menacer la sécurité et la stabilité
dans toute la région.
Le Rapport considère que le retrait israélien
de Gaza participe d’un plan de désengagement
unilatéral, initié par le Premier ministre israélien
Ariel Sharon, dans le but de se débarrasser des
coûts sécuritaires de l’occupation et pour éviter
de s’engager dans des négociations sérieuses en
vue d’un accord. Dans le même temps, Israël
s’est réservé le droit d’intervenir militairement
dans la Bande de Gaza, d’en contrôler l’espace
aérien, les eaux territoriales et la plupart des
passages frontaliers. De telles considérations
ont amené le Rapporteur Spécial de la
Commission des droits de l’homme de l’ONU
à tirer la conclusion que Gaza est toujours un
territoire occupé.
Le Rapport détaille comment la
construction du “Mur de séparation” a accéléré
la destruction systématique de l’économie
palestinienne et a très sévèrement affecté les
conditions sanitaires et de vie des Palestiniens,
dont des milliers se sont retrouvés séparés de
leurs terres agricoles. La présence du Mur et la
fermeture des frontières ont entraîné une très
grave dégradation des conditions de vie dans
tous les territoires palestiniens.
En Irak, le coût élevé sur le plan humain
de l’occupation est devenu on ne peut plus
clair, dans un contexte d’insécurité et de
conflit interne croissants. Avec l’élection
de l’Assemblée Nationale Permanente et la
formation d’un nouveau gouvernement en
2006, le plus grand défi auquel le pouvoir en
place doit faire face est d’engager les réformes
nécessaires au niveau de la Constitution en
vue de garantir l’unité de l’Irak, son intégrité
territoriale, la protection des droits de l’homme,
de réaliser la réconciliation nationale et mettre
un terme à l’anarchie et à la corruption ; bâtir un
Irak unifié, débarrassé des forces d’occupation
étrangères et des actes terroristes.
Les preuves sur l’extension de la pratique
de la torture par les forces d’occupation
et par le gouvernement irakien précédent
continuent de s’accumuler. La destruction
matérielle des richesses de l’Irak occasionnée
par l’occupation va au-delà de la mainmise sur
le pétrole pour englober la richesse symbolique
et le patrimoine culturel et civilisationnel, qui
En accord avec les
tendances dans
le monde, des
gouvernements
arabes ont, au nom
de la lutte contre le
terrorisme
La construction du
“Mur de séparation” a
accéléré la destruction
systématique
de l’économie
palestinienne.
En Irak, le coût élevé
sur le plan humain
de l’occupation est
devenu on ne peut
plus clair, dans un
contexte d’insécurité
est un patrimoine de l’humanité tout entière.
Le progrès réalisé pour surmonter les déficits en matière de développement
humain
La promotion des
femmes, en termes de
droits de l’homme, est
une composante de
l’accès de la société
à la liberté, dans son
acception globale.
Les femmes diffèrent
des hommes, mais
cela ne signifie
nullement qu'elles
sont déficientes
Le principal trait de la période couverte par
l’analyse est la multiplication des restrictions
des libertés publiques en vue de perpétuer les
pouvoirs répressifs en place. Néanmoins des
évolutions positives en matière d’élargissement
de la marge des libertés dans la région se sont
fait jour.
Ainsi, en Egypte, le Conseil National pour
les Droits de l’Homme a publié son premier
rapport annuel (2004-2005). Il y a mis en
exergue les violations les plus graves des droits
de l’homme dans le pays et a demandé que
soit mis un terme à l’état d’urgence. Le Centre
National des Droits de l’Homme en Jordanie a
également publié son premier rapport annuel.
A Bahreïn, décision a été prise d’enseigner la
démocratie et les droits de l’homme dans les
écoles du pays. Une association des droits de
l’homme a été constituée dans les Emirats
Arabes Unis. Les efforts se sont poursuivis
au Maroc en vue d’apurer une partie de la
longue histoire répressive avec la présentation
par l’Instance Equité et Réconciliation de son
rapport final avec des recommandations en
vue d’entreprendre des réformes législatives,
institutionnelles et culturelles dans le pays.
Le Président algérien annonça une initiative
similaire pour la réconciliation nationale dans
son pays.
En outre, neuf Etats arabes ont connu
la nomination des femmes à des postes
de responsabilités aux échelles nationale,
provinciale et municipale, ce qui permet de
consolider le processus de promotion des
femmes.
II Vers la promotion des
femmes dans le monde arabe :
concepts et problématiques
Les concepts
Le Rapport considère que, de par leur
simple qualité d’êtres humains, les femmes
et les hommes disposent, sur un même pied
d’égalité, du droit inné de vivre dignement,
matériellement et moralement. Tel est d’ailleurs
l’objectif suprême du développement humain.
Aussi le Rapport conçoit-il la promotion des
femmes dans un cadre qui intègre en même
temps les droits humains et le développement
humain. En outre, la promotion des femmes,
en termes de droits de l’homme, est une
composante de l’accès de la société à la liberté,
dans son acception globale. La définition de la
liberté ne se réduit pas ici à la totale jouissance
des libertés civiles et politiques, qui sont le pilier
de la citoyenneté ; elle recouvre également le
fait de se libérer de l’ignorance, de la maladie,
du besoin, de la peur et de toutes les formes de
rabaissement de la dignité humaine.
En terme de développement humain, la
promotion de la femme requiert :
• l'égalité complète entre les femmes et
les hommes en matière d'accès aux
opportunités, d'acquisition des capacités
humaines et de leur utilisation ;
• la garantie des droits de la citoyenneté
à toutes les femmes sur un même pied
d'égalité avec les hommes ;
• la reconnaissance et le respect des différences
entre les deux sexes. Les femmes diffèrent
des hommes, mais cela ne signifie nullement
qu'elles sont déficientes. Il n’est guère
acceptable, sous quelque condition que ce
soit, d'utiliser cette différence de genre pour
défendre les théories de l'inégalité entre
les sexes ou pour soutenir un quelconque
principe de ségrégation entre eux.
D'un point de vue historique, les différentes
organisations non gouvernementales des
femmes ont visé des objectifs différents.
Certaines d’entre elles se sont concentrées
sur la promotion de l'égalité en droits et sur
la levée des discriminations enracinées dans les
législations arabes, au niveau du statut personnel
comme au plan des garanties sociales. D'autres
ont ciblé les activités de développement social
ou de bienfaisance, en mobilisant des crédits,
en soutenant les projets générateurs de revenus
pour les femmes ou en offrant des services dans
les domaines de la santé, de l’éducation et dans
d'autres domaines. Seule une minorité relative
de ces organisations s'est attelée principalement
à la promotion des femmes, en tant qu’objectif
Rapport sur le développement humain arabe 2005
collectif devant être assuré par la société dans
son ensemble.
La question de l’”intErne” et de l’”extErne”
La diffusion du concept de “promotion des
femmes” dans la région arabe a été mal perçue
par certaines forces sociopolitiques. Elles ont
considéré qu’il s’agissait d’un concept “imposé”
par l’Occident, qui n’a de fondements ni dans
la réalité ni dans les besoins des sociétés arabes,
lesquelles s’en remettent au rôle joué par la
famille en tant que fondement essentiel de la
société.
Certains ont ainsi été amenés à opposer
une forte résistance aux programmes de
développement qui adoptent la perspective
genre et à s’opposer aux gouvernements et aux
organisations des femmes qui agissent dans ce
sens.
Cependant, opérer une séparation
chirurgicale forcée entre ce qui relève de
l’interne et ce qui participe de l’externe
n’est plus possible aujourd’hui. Ce que nous
qualifions de nos jours de culture “étrangère”
vit à l’intérieur même des sociétés arabes,
notamment tout ce qui a trait aux valeurs et
aux modes de comportement, pour cause de
globalisation croissante des sociétés arabes.
Cette séparation n’est pas non plus bénéfique
au monde arabe qui aspire au progrès ; et c’est
une aspiration authentique qui dure depuis les
débuts de la Renaissance arabe (Nahda) et qui
est positivement influencée par les meilleures
réalisations de l’humanité, entreprises sous
l’égide de la civilisation occidentale dominante.
En termes plus précis, il y a en général
une concordance heureuse entre la lutte
pour l’émancipation des femmes dans les
pays arabes, en ce qu’elle est une tendance
émancipatrice au sein de la société, et les
mouvements de libération des femmes dans
le monde, y compris en Occident. Les efforts
des organisations internationales revêtent à
cet égard une importance toute particulière,
notamment pour ce qui est des conventions,
des résolutions, des mécanismes et des activités
internationales visant la protection des droits
des femmes et leur traitement équitable.
Toutefois, l’incitation à la réforme, formulée
de l’étranger, et parfois imposée par la force, a
RESUME
été d’une grossièreté telle qu’elle a provoqué
des réactions négatives parmi certaines franges
de la société. Ces réactions ont pris pour
cible la stratégie de promotion des femmes,
telle qu’elle a été imposée par les puissances
occidentales dominantes, car considérée
comme une atteinte à la fois à la culture arabe
et à l’indépendance nationale.
Le Rapport maintient que la promotion
des femmes doit rester, dans la théorie comme
dans la pratique, un axe essentiel de tout projet
arabe pour la renaissance humaine. Le progrès
des femmes, conçu comme une lutte à la fois
contre le despotisme intérieur et contre les
ingérences extérieures, fait partie intégrante de
la construction d’une renaissance qui apportera
la liberté, la dignité et la puissance à tous les
Arabes, hommes et femmes à la fois.
L’incitation à la
réforme, formulée
de l’étranger, et
parfois imposée par
la force, a été d’une
grossièreté telle
qu’elle a provoqué des
réactions négatives
parmi certaines
franges de la société.
Le pouvoir despotique et la promotion des
femmes
Paradoxalement, des régimes répressifs ont pu,
pour des considérations qui leur sont propres,
réaliser des avancées importantes en faveur
des droits des femmes, avancées qui auraient
été impossibles si les choses avaient été laissées
au seul soin du développement naturel de la
société, lequel reste tributaire des contraintes
héritées. Mieux encore, il a fallu parfois recourir
aux mécanismes de la répression politique
pour accélérer le processus de promotion des
femmes. Toutefois, le Rapport note que tout
“ progrès ” réalisé par décision d’en haut du
pouvoir, fut-il éclairé, finira impérativement
par être confronté à une résistance de la base
populaire. Aussi soutient-il que la transition
vers des systèmes de bonne gouvernance et
des sociétés de liberté dans les pays arabes
jouera un rôle central dans la mise en place des
avancées historiques attendues en matière de
promotion des femmes dans le monde arabe,
car une telle évolution bénéficiera, du même
coup, d’un large soutien de la société, ce qui lui
garantira la pérennité et la vigueur du soutien
populaire.
La promotion des
femmes doit rester,
dans la théorie comme
dans la pratique, un
axe essentiel de tout
projet arabe pour la
renaissance humaine.
La sous-évaluation de l’apport des femmes
à l’activité économique
La société arabe ne reconnaît pas la réelle
contribution des femmes à l’activité sociale et
économique et à la production des éléments
du bien être humain ; elle ne les récompense
pas convenablement pour leur contribution.
Dans la mesure où la majorité des femmes
travaillent au sein de leurs familles sans être
rémunérées, leur contribution n’est pas
officiellement reconnue comme faisant partie
de l’activité économique. Un tel préjudice
historique s’est traduit pars la dévaluation de
la participation des femmes à tous les genres
d’activités humaines en général et à l’activité
économique en particulier. L’appréciation à
sa juste valeur de la contribution des femmes
à la production des éléments du bien être
humain nécessite la mise en place d’un cadre
théorique créatif, qui dépasse les limites du
système de la Compatibilité nationale, lequel
se contente de l’échange marchand et de la
valeur monétaire des produits et services. Ceci
peut se faire en recourant à une définition
large du bien être humain, conforme au
concept du développement humain. Une
telle perspective exige, d’un point de vue
procédural, une certaine patience et assiduité
dans l’élaboration et l’amélioration des outils
statistiques et de recherche devant servir à
mesurer avec précision la contribution des
femmes à la production du bien être humain
et au développement humain. Il s’agit là d’un
champ qui reste ouvert à la recherche.
La condition des femmes dans le monde
arabe
La condition des femmes dans les pays arabes
est le produit de l’interaction complexe de
facteurs culturels, sociaux, économiques et
politiques dont certains revêtent un caractère
problématique ; ceci implique le besoin de
procéder à une étude, à la fois vaste et profonde,
des diverses composantes de la société arabe.
Le Rapport examine la situation des femmes
dans le monde arabe par rapport aux principaux
axes de développement humain : l’acquisition
et l’utilisation des capacités humaines ainsi que
le niveau du bien être humain qui en découle ;
il aborde plus particulièrement les volets santé
et éducation. Le Rapport évalue également
l’expérience en matière de progrès des femmes,
en traitant de deux principaux facteurs de
succès de la promotion des femmes : l’étendue
du désir qu’à la société arabe de voir se réaliser
ce progrès ; les actions sociales adoptées pour
atteindre cet objectif.
L’Acquisition des capacités :
on refuse leurs chances aux
femmes
La Santé
Les femmes dans les pays arabes,
particulièrement les moins développés, sont
exposées à un niveau inadmissible de risques
de maladies et de mortalité, liés à la grossesse
et aux accouchements. Le taux moyen de
mortalité atteint chez les femmes 270 décès
pour 100 000 accouchements. Ce taux de
mortalité s’élève à 1 000 décès et plus pour
100 000 accouchements dans les pays arabes les
plus pauvres (Mauritanie, Somalie) et descend
à 7 pour 100 000 accouchements au Qatar.
Les maladies font perdre aux femmes un
nombre relativement plus important d’années
de leur vie, et il semble que cela n’est pas lié
au niveau de vie, ni à des facteurs de risque
ou à la mortalité résultant de la grossesse et
de l’accouchement ; ce qui semble indiquer
que cette déperdition en terme de longévité
doit être attribuée à des styles généraux de vie
caractérisés par la ségrégation à l’égard des
femmes.
Les pays arabes restent parmi les régions
du monde les moins touchées par le virus du
Sida. Néanmoins, les femmes et les filles arabes
sont de plus en plus infectées par la maladie et
représentent aujourd’hui la moitié du nombre
de personnes porteuses du virus dans le monde
arabe.
Les femmes sont de nos jours beaucoup
plus exposées au risque d’infection du virus.
On estime, en effet, que la probabilité de
contamination des jeunes femmes arabes se
situant dans la tranche d’âge 15-24 ans est de
deux fois celle des jeunes garçons de la même
tranche.
L’éducation
Malgré la grande expansion de la scolarisation
des filles dans les pays arabes, les femmes
Rapport sur le développement humain arabe 2005
continuent de souffrir, plus que les hommes,
de ne pas avoir les chances d’acquérir du
savoir. Que les filles excellent dans leurs études
et surpassent parfois en cela les garçons ne
change rien à cette situation !
Les indicateurs fondamentaux montrent
que la région arabe présente l’un des taux les
plus élevés d’analphabétisme féminin (le taux
d’analphabétisme féminin est de 50%, contre
un tiers seulement parmi la population mâle).
La région affiche également l’un des taux les
plus faibles en matière d’accès des filles aux
différents niveaux de l’enseignement, bien que
les Etats arabes, notamment les Etats du Golfe,
aient réussi à augmenter le taux de scolarisation
des filles ; ce qui a permis de réduire le fossé
qui séparait les deux sexes en matière d’accès
aux trois niveaux de l’enseignement.
Cette plus grande privation relative des
filles de l’accès à l’instruction contraste avec
les tendances relevées au sein de l’opinion
publique arabe dans un sondage qui a indiqué
que la grande majorité des gens soutiennent
que les femmes ont droit à l’éducation sur un
même pied d’égalité que les hommes.
Bien que le nombre d’étudiantes
universitaires augmente sans cesse, celles-ci
continuent de se concentrer dans des spécialités
telles que la littérature et les sciences humaines
et sociales, où elles représentent la majorité
des étudiants. Or de telles formations sont les
moins valorisantes au niveau du marché du
travail.
Par contre, le taux de féminisation des
branches qui dispensent la formation la plus
appréciée par les employeurs, telles que
les études d’ingénieur et les sciences, reste
remarquablement bas. Ceci contraste avec
le résultat de l’enquête d’opinion favorable
au droit des étudiantes à choisir la spécialité
qu’elles désirent.
Les données disponibles montrent que, dans
la région arabe, les filles sont plus performantes
à l’école que les garçons. Dans tous les pays à
propos desquels on dispose de données, le taux
d’échec scolaire des filles est plus bas que celui
des garçons. Cependant, dans les pays arabes,
la ségrégation à l’égard des femmes continue
de freiner l’accès du sexe féminin au savoir
par le truchement de l’enseignement, malgré
l’accumulation des indices qui montrent que
RESUME
les filles sont les meilleures apprenantes dans
ces pays, notamment pendant les premières
phases de la scolarisation.
Dans l’ensemble des pays arabes à propos
desquels les données sont disponibles, les filles
représentent, globalement plus de la moitié
du nombre de lauréats et lauréates. Comme
les filles comptent, en moyenne, moins de la
moitié du nombre de personnes qui accèdent à
l’enseignement, ceci confirme leur performance
scolaire. Il importe de souligner que les filles
réalisent une telle performance scolaire bien
qu’elles soient confrontées à un environnement
social et familial handicapant, qui est, pour
certaines d’entre elles, travaillé par un mythe
selon lequel le destin de la fille est de rester
à la maison, l’éducation et le travail étant
prioritairement réservés au genre masculin.
Aussi le Rapport souligne-t-il que les pays
arabes tireront des bénéfices considérables en
donnant aux personnes des deux sexes, sur un
même pied d’égalité, leurs chances d’acquérir
et d’utiliser le savoir pour faire avancer la
société ; ce sont les pratiques discriminatoires
et nocives empêchant les femmes d’avancer qui
privent la région de ces bénéfices.
sexes, sur un même
L’usage des capacités humaines
dominantes du
Les activités économiques
La lenteur de la croissance économique
implique un faible niveau de la demande sur
le travail féminin. De plus, les conceptions
traditionnelles dominantes du rôle de la femme,
selon lesquelles il revient aux hommes de
subvenir aux besoins des familles, découragent
tout recours privilégié au travail féminin,
contribuant ainsi à un taux de chômage
féminin plus important que le taux de chômage
masculin. En outre, l’activité des femmes hors
du domicile familial rencontre toutes sortes
d’entraves qui freinent le développement de
leur potentiel. La plus importante en est qu’elles
ne sont pas traitées sur un pied d’égalité avec
les hommes en termes de conditions de travail
et de rémunération, sans parler de l’égalité
des chances pour ce qui concerne l’accès aux
fonctions supérieures de décision.
Malgré le bas niveau de participation des
femmes à l’activité économique, la région
Les pays arabes
tireront des bénéfices
considérables
en donnant aux
personnes des deux
pied d’égalité.
Les conceptions
traditionnelles
rôle de la femme,
selon lesquelles il
revient aux hommes
de subvenir aux
besoins des familles,
découragent tout
recours privilégié
au travail féminin,
contribuant ainsi à
un taux de chômage
féminin plus important
que le taux de
chômage masculin.
La région arabe a
affiché l’accroissement
le plus élevé de la
participation des
femmes à cette
activité entre 1990 et
2003 dans le monde.
10
arabe a affiché l’accroissement le plus élevé
de la participation des femmes à cette activité
entre 1990 et 2003 dans le monde. Il a été de
19% contre 3% seulement au niveau mondial.
Et pourtant la participation économique de
la femme arabe reste la plus faible du monde,
puisque le taux de féminisation ne dépasse
pas 33,3% (femmes âgées de 15 ans et plus)
alors que la moyenne mondiale est de 55,6%.
Plus encore, leur participation ne dépasse pas
42% de celle des hommes. On se retrouve, là
encore, avec le taux le plus faible au monde, le
taux moyen mondial étant de 69%.
l’exception des économies caractérisées
par un bas niveau de revenus où les femmes
travaillent dans des conditions déplorables,
l’activité de celles-ci est concentrée dans le
secteur des services, caractérisé dans le monde
arabe par une productivité faible et un bas
niveau des revenus. Les femmes perçoivent ainsi
généralement de bas salaires en contrepartie de
leur travail.
Nombreuses sont les causes du bas niveau
de participation économique des femmes. On
peut en citer le machisme dominant, qui fait
que certains employeurs préfèrent employer
des hommes plutôt que des femmes, la rareté
des opportunités de travail offertes en général,
la discrimination entre les sexes en matière de
conditions de travail et de rémunération et le
niveau élevé de procréation. Des législations,
en matière de droit du travail et de statut
personnel pénalisent les femmes. Certaines
censées les “protéger”, restreignent leurs
libertés en exigeant d’elles de demander la
permission préalable du père ou du mari pour
pouvoir travailler, voyager ou déposer une
demande de crédit bancaire. La faiblesse des
services d’appui et les programmes d’ajustement
structurel ont également contribué à amenuiser
les chances des femmes de trouver du travail.
Le taux de dépendance dans la région arabe
reste l’un des plus élevé au monde, puisque
chaque travailleur pourvoit aux besoins de
plus de deux personnes ne travaillant pas, alors
que ce nombre est inférieur à 1 en Asie de l’Est
et au Pacifique. Le bas niveau de participation
des femmes en est la cause principale. La
situation devient même plus grave quand cette
participation élevée du travailleur à l’entretien
de la famille se conjugue avec une absence
de plans de retraite et l’inexistence d’un filet
national de sécurité sociale englobant toutes
les catégories de travailleurs.
Le déploiement croissant du secteur
informel que caractérise le faible niveau
de couverture sociale des travailleurs, rend
exorbitant le poids des frais occasionnés par
l’entretien familial pour un nombre de salariés
qui reste limité. De même, et faute d’appui
social suffisant, la pression devient de plus en
plus forte sur les femmes, appelées à s’occuper
des enfants, des personnes âgées, des malades,
des invalides et des personnes handicapées.
Aussi, ne pas réussir à mobiliser le capital
humain, notamment les femmes ayant un haut
niveau d’éducation, c’est mettre des freins
au développement économique et dilapider
des énergies et d’importants investissements
qui auraient pu contribuer à garantir le
développement pour tous.
Les femmes arabes dans la sphère politique
Lors de l’enquête de terrain entreprise pour les
besoins de ce rapport, le public arabe a insisté
clairement sur le droit des femmes à participer
à l’activité politique et à occuper toutes les
hautes fonctions exécutives, lieux précisément
desquels les femmes ont été, le plus souvent,
exclues.
Dans la plupart des pays arabes (à
l’exception des Etats du Golfe) les femmes ont
obtenu le droit de voter et d’être candidates
aux élections parlementaires dans les années
cinquante et soixante du siècle dernier. Le
Liban a été le premier pays arabe à garantir ces
deux droits aux femmes en 1952.
Par la suite, le recours aux systèmes de
quotas a permis d’étendre la participation des
femmes dans les parlements au Maroc et en
Jordanie. Mais, en dépit de ces changements
positifs, la représentation des femmes arabes
dans les parlements est restée inférieure de
quelque 10% à la moyenne mondiale.
Les femmes arabes participent au pouvoir
exécutif dans certains pays arabes depuis le
milieu du siècle dernier. La première femme
ministre a été nommée en Egypte en 1956 et
en Algérie en 1962. Le nombre de pays arabes
ayant désigné des femmes ministres a augmenté,
surtout pendant les trois dernières années, à tel
Rapport sur le développement humain arabe 2005
point que les femmes font partie de tous les
gouvernements arabes, à l’exception de celui
de l’Arabie Saoudite. Toutefois, que le nombre
de femmes augmente ou diminue au sein des
ministères, cela ne reflète pas nécessairement
une tendance générale à la promotion des
femmes. En effet, les femmes au pouvoir sont
souvent choisies parmi les élites ou au sein
des cercles proches du parti au pouvoir pour
améliorer l’image des régimes en place.
Des réalisations remarquables des femmes
ARABES
Certaines femmes arabes ont signé des avancées
remarquables dans les différents domaines de
l’activité humaine, y compris ceux pour lesquels
elles ne sont pas préparées sur un même pied
d’égalité avec les hommes, comme l’athlétisme
et les sciences naturelles et exactes.
La création littéraire : les femmes auteurs
ont prouvé leurs capacités dans ce domaine
autant que leurs homologues hommes et les
ont même, dans certains cas, surpassés.
L’art, et le cinéma à titre d’exemple : les
femmes arabes ont joué un rôle remarquable
dans la constitution effective du cinéma.
Les sciences sociales : les travaux de
féministes pionnières telles Nawal al-Sa’dawi et
Fatima Mernissi, par exemple, communiquent
la joie de découvrir dans l’histoire du monde
arabe, dans son patrimoine, ses croyances et sa
renaissance des “continents” qu’on ignorait.
Bien que ces auteures se soient alignées sur
un dualisme catégorique et sévère, basé sur
l’antagonisme mâle/femelle, les auteures de
la génération suivante, sans sacrifier leur
orientation féministe, ont dépassé cette
question et produit des écrits au caractère
scientifique beaucoup plus équilibré.
Les sciences naturelles et exactes : malgré
les barrières difficiles qui les empêchent
d’accéder aux domaines de la science, un groupe
de femmes arabes s’est fait remarquer par des
contributions sans égal dans les domaines des
sciences naturelles et exactes. La vérité, c’est
que les femmes scientifiques et techniciennes
arabes ont réalisé des exploits quand il leur
a été donné de participer à la création et à la
concurrence à l’échelle internationale.
L’athlétisme : pendant les six derniers
RESUME
Jeux Olympiques (1984-2004), six femmes
des pays arabes, cinq des pays du Maghreb
arabe et la sixième de Syrie, ont gagné l’une
des trois meilleures médailles, les deux tiers
des médailles en or, ce qui représente une
performance remarquable quand on sait que
seul le quart des médaillés hommes des pays
arabes en ont gagné.
Le secteur des affaires : la forte tendance
vers l’économie de marché qui s’est fait jour
dernièrement et la demande croissante de
promotion des femmes dans les pays arabes
ont contribué à l’accroissement du nombre de
femmes chefs d’entreprises, dans les économies
arabes et au renforcement de leur participation
dans les organisations professionnelles du
secteur des affaires et même à la constitution
de leurs organisations propres, y compris
dans quelques-uns des pays arabes les plus
conservateurs par rapport aux questions des
femmes.
Les niveaux de bien être
Il n’existe pas de preuve scientifique claire
sur la féminisation de la pauvreté, au sens
de l’absence de revenu. Mais les femmes,
apparemment, souffrent de niveaux plus
élevés de “pauvreté humaine”, mesurés par la
privation par rapport aux trois dimensions du
critère de développement humain que sont la
santé, le savoir et le revenu.
Plus particulièrement, les femmes
souffrent d’une atteinte visible à leur liberté
personnelle.
L’extension de la pauvreté et l’affaiblissement
des femmes
Le Rapport indique que l’extension de la
pauvreté de revenu conduit généralement à
l’affaiblissement de la position des femmes
en matière de représentation parlementaire,
d’emplois professionnels et techniques et de
contrôle des ressources économiques.
la liberté personnelle bafouée
Les formes de violence exercées contre les
femmes arabes confirment que la législation
arabe, les gouvernements arabes, en plus des
L’incitation à la
réforme, formulée
de l’étranger, et
parfois imposée par
la force, a été d’une
grossièreté telle
qu’elle a provoqué des
réactions négatives
parmi certaines
franges de la société.
Certaines femmes
arabes ont signé
des avancées
remarquables dans les
différents domaines
de l’activité humaine,
y compris ceux pour
lesquels elles ne sont
pas préparées sur un
même pied d’égalité
avec les hommes
Il n’existe pas de
preuve scientifique
claire sur la
féminisation de la
pauvreté, au sens de
l’absence de revenu.
Mais les femmes,
apparemment,
souffrent de niveaux
plus élevés de
“pauvreté humaine”
11
Le pas le plus
important à faire
en matière de lutte
contre la violence à
l’égard des femmes
dans le monde arabe
est de dénoncer et
de combattre toute
tentative de cacher
cette violence ou
d’en faire disparaître
les traces, en public
comme en privé
Les femmes
étrangères, travaillant
comme domestiques
dans les pays arabes,
sont souvent victimes
d’abus.
L’opinion publique
arabe, dans sa
majorité écrasante,
condamne toutes les
formes de violence à
l’encontre les femmes
comme le montre
l’enquête d’opinion
réalisée pour les
besoins de ce Rapport
12
mouvements sociaux ont à faire face à la grande
tâche d’assurer la sécurité et le développement
dans son acception globale. En effet, on oppose
une forte résistance dans certains pays arabes à
la moindre discussion de la violence à l’égard
des femmes.
Le pas le plus important à faire en matière
de lutte contre la violence à l’égard des femmes
dans le monde arabe est de dénoncer et de
combattre toute tentative de cacher cette
violence ou d’en faire disparaître les traces, en
public comme en privé. Continuer à garder le
silence sur cette affaire a un coût très élevé pour
la société, les individus et même pour les Etats.
Les formes de violence et de ségrégation, que
les femmes ont pris l’habitude de considérer
comme relevant de comportements normaux,
doivent également être rangées dans la catégorie
des pratiques condamnables.
Ces formes de violence vont des crimes
d’honneur – la femme est assassinée sous
prétexte de sauver l’honneur de la famille – à
la violence familiale, répandue et condamnée
dans plusieurs régions du monde. En outre,
la pratique de la circoncision des filles, très
répandue dans certains pays arabes, occasionne
de graves complications de santé pour les
femmes.
Les
femmes
vivant
dans
des
environnements difficiles, particulièrement
ceux des zones de conflits ou sous occupation,
font face à des difficultés additionnelles. Les
femmes vivant dans les campagnes et dans
les régions marginalisées et insalubres ou
dans des colonies de peuplements instables
ignorent généralement tout de leurs droits et
des services mis à leur disposition. Le plus
souvent, elles ne possèdent que rarement des
papiers d’identification, comme par exemple
l’attestation de naissance, qui leur permettent
de bénéficier de ces services. En outre,
nombreuses sont les femmes qui endurent la
violence sous une forme ou sous une autre.
Les femmes étrangères, travaillant comme
domestiques dans les pays arabes, sont souvent
victimes d’abus. Les législations du travail ne
les protègent pas, alors qu’elles endurent un
travail à durée non déterminée et sont interdites
de la liberté de mouvement et de déplacement.
En outre, certaines travailleuses de ce secteur
sont exposées à des violences physiques et
psychologiques de la part de leurs employeurs,
y compris l’agression sexuelle.
Heureusement, l’opinion publique arabe,
dans sa majorité écrasante, condamne toutes
les formes de violence à l’encontre les femmes
comme le montre l’enquête d’opinion réalisée
pour les besoins de ce Rapport.
Les mouvements arabes
des femmes : combats et
expériences
Le facteur qui semble avoir le plus grand impact
dans l’histoire du mouvement des femmes a été
l’implication de celui-ci dans la bataille pour la
libération du colonialisme avant de s’engager
dans la bataille pour la libération des femmes
dans les sociétés arabes.
La première génération d’associations
de femmes (constituées vers la fin du xixè
siècle) avaient centré leur activité sur l’action
caritative. C’est pourquoi elles ont émergé au
sein des classes aisées des sociétés arabes. Leur
étendard a été hissé par des femmes aristocrates
ou appartenant aux familles dirigeantes.
La période coloniale a eu un fort
impact sur le mouvement des femmes à
travers la désarticulation de la structure
des pays islamiques occupés. Les structures
traditionnelles, économiques et sociales, ont été
secouées comme l’ont l’été les systèmes culturels
et de valeurs. Il devenait donc nécessaire
d’investir le sentiment national et de provoquer
un état général de conscience en vue de faire
de la lutte nationale la priorité des priorités. La
conséquence en a été que le développement
social, y compris la promotion des femmes, a
été relégué au second plan et est resté tributaire
de l’aboutissement de la lutte nationale.
Les années 1940 et 1950 ont été très riches
en travail d’élaboration du discours au féminin.
Les partis politiques ont ainsi procédé à la
constitution d’associations des femmes qu’ils
ont placées sous leur égide, ce qui a permis
aux hommes d’intégrer le mouvement des
femmes. Ainsi, juste après la fin de la Seconde
Guerre mondiale, une nouvelle constellation
d’associations féministes se développa, sur
toute l’étendue du monde arabe.
Le mouvement des femmes arabes est
passé par une série de transformations pendant
Rapport sur le développement humain arabe 2005
la période coloniale en raison des changements
sociaux. Parmi ces transformations, le Rapport
cite la diffusion de l’éducation au sein de la
population féminine ; l’accès de beaucoup
de femmes à des professions valorisantes
socialement
en
devenant
médecins,
enseignantes d’université, ingénieurs et avocates
; quelques femmes ont occupé des postes de
direction à la tête des partis politiques et au
sein des gouvernements. Le développement
d’une conscience de la situation vécue par les
femmes s’est ainsi enraciné, ce qui a fait croître
la sympathie au sein de la société pour les
questions des femmes.
Les gouvernements se sont efforcés de
rassembler les associations des femmes dans
des “ syndicats ”, pratique commune dans
le monde arabe, visant à contenir les femmes
dans un cadre contrôlé et dirigé par la structure
masculine d’autorité. Certains chercheurs
qualifient cette pratique de féminisation du
discours au pouvoir.
Cette tendance a coïncidé pendant les
trois dernières décennies avec un autre
développement significatif, la prédominance
des mouvements islamiques, d’une part, et la
propagation des idées développées par ceux
qui prêchent le retour à l’islam des as-Salaf asSalih (les pieux ancêtres ), d’autre part.
Ces mouvements ont concentré leur
discours sur les femmes, jugées responsables
des difficultés de la société. Ils ont basé leurs
attaques sur l’idée que l’instauration de l’égalité
dans la vie publique réduirait les chances des
hommes sur le marché du travail, alors que
l’homme est le chef de famille et que la femme
elle-même compte sur lui pour l’entretenir.
Dès la conférence des Nations Unies
tenue en 1975 au Mexique et sous l’influence
des organisations internationales oeuvrant
à la promotion des femmes, de nouvelles
expressions de ce qui est appelé “ féminisation
de l’Etat ” ont commencé à émerger.
Un certain nombre de régimes arabes
ont considéré que les groupes islamistes
constituaient un instrument pouvant être utilisé
pour affaiblir les forces ouvrières et de gauche.
C’est ce qui a conduit au développement du
mouvement de la revivification islamique
(ihya’ia) qui a étendu son intérêt à tous les
aspects de la vie publique et privée et dont le
RESUME
discours a attiré de larges franges de la jeunesse,
particulièrement les jeunes femmes.
En réponse à ces évolutions, un appel
à contenir l’islam dans la seule sphère de la
croyance personnelle et des valeurs spirituelles
s’est fait entendre. Certains groupes ont été
obligés de modifier leur position et d’en appeler
à l’ouverture de la porte de l’effort indépendant
d’interprétation au sujet des questions liées aux
femmes et d’adopter une démarche éclairée
dans l’interprétation des versets coraniques
à caractère réglementaire ( ayat al-ahkam) en
vue de fonder un nouveau discours sur les
femmes se nourrissant de l’héritage islamique.
La deuxième moitié des années 70 a connu
les premières tentatives de constitution
d’organisations de défense des femmes,
indépendantes des organisations politiques
officielles. Les discussions ont été centrées
sur l’incapacité du code du statut personnel
à garantir l’égalité et sur les défaillances qui
entachent ses articles, en dépit de sa dimension
avant-gardiste, comparé avec les législations
sur la famille dans de nombreux pays arabes.
L’attention s’est également polarisée sur les
violences infligées aux femmes et sur leurs
retombées sur leur statut social.
Le mouvement des femmes a connu un
saut qualitatif dans les années 80, en terme
de constitution et d’extension de l’impact
des associations. Des associations actives
politiquement et liées aux partis politiques ont
vu le jour. Les années 80 représentent également
un moment crucial dans le processus de
transformation des mouvements des femmes,
particulièrement dans les pays du Maghreb. Ce
n’est pas un hasard si les noms des nouvelles
associations de femmes comportent des mots
tels que “ démocratique, ” “ progressiste ” et
“ droits ”. Alors qu’ils devaient avancer dans
un chemin plein d’obstacles et qu’ils étaient
assiégés et intimidés par les régimes en place,
ces mouvements se sont distingués par leur
indépendance et leur courage.
La nouvelle génération d’associations des
femmes s’est distinguée par son approche
qualitative du thème de la femme et des
questions des femmes, et par son insistance
pour que ces questions soient obligatoirement
considérées comme aussi importantes et
centrales que celles de la démocratie, du
13
Les nouveaux
gouvernements
nationaux ont feint
d’oublier ou d’ignorer
certaines ou la plupart
de ces revendications,
plus particulièrement
celles relatives
au code du statut
personnel.
L’expérience
tunisienne reste un
modèle en matière
d’émancipation des
femmes dans le
monde arabe. Un
demi-siècle s’est
écoulé depuis la
promulgation de son
“ Code du statut
personnel ” au
terme duquel la loi
tunisienne a consacré
le principe de l’égalité
des femmes et des
hommes.
14
développement et des droits de l’homme.
Le discours international sur les femmes a
eu une influence significative sur le mouvement
des femmes arabes. Il y a trouvé une force
d’entraînement importante qui l’a aidé à
reformuler ses demandes et à s’attacher à
la lutte pour les satisfaire. Cette nouvelle
conscience a été renforcée par l’apport des
conférences internationales, principalement
celles dans l’organisation desquelles les agences
des Nations Unies ont joué un rôle de premier
plan. Ces conférences ont visé à secouer les
conceptions traditionnelles qui continuent de
s’accrocher à la question des femmes. C’est la
raison pour laquelle la priorité la plus grande
a été accordée aux codes du statut personnel,
suivis en cela par la problématique de l’effectivité
des législations qui garantissent l’égalité des
femmes et des hommes dans la vie politique
et économique. Ces rencontres ont également
insisté sur l’engagement des associations des
femmes à inviter les gouvernements arabes à
mettre en application les accords internationaux
qu’ils ont approuvés, particulièrement la
Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes
(CEDAW).
Les années 90 sont considérées comme
des années difficiles pour la société arabe,
chargées de contradictions, de difficultés et de
déceptions successives et amères. Le Rapport
considère qu’une telle situation complexe de
la société arabe dépasse le mouvement des
femmes ainsi que ses capacités et ressources,
ce qui souligne à quel point le combat pour
l’émancipation des femmes, dans toutes ses
dimensions, reste le combat que doivent mener
toutes les sociétés arabes.
VALUATION DES AVANCEES FAVORABLES AUX FEMMES La participation des femmes aux mouvements
nationaux a aidé la cause des femmes et rendu
leurs revendications légitimes aux yeux de la
société. Néanmoins, et en dépit de quelques
acquis en faveur des femmes, le fait que cellesci aient accepté que le traitement de leurs
revendications politiques et sociales soit ajourné
jusqu’après l’obtention de l’indépendance a eu
des retombées regrettables (l’Algérie en est
l’excellente illustration). Car, les nouveaux
gouvernements nationaux ont feint d’oublier
ou d’ignorer certaines ou la plupart de ces
revendications, plus particulièrement celles
relatives au code du statut personnel. D’une
manière générale, et excepté les amendements
apportés à la loi régissant le statut personnel
en Tunisie, on a maintenu un rapport de force
déséquilibré au sein de la famille.
Aussi l’impact des mouvements des
femmes dans les pays arabes a-t-il été différent
d’un pays à l’autre. Le principal résultat que
ces mouvements aient réussi à obtenir et sur
lequel on peut s’accorder est que les femmes
sont confinées dans un statut de mineures et
qu’il est nécessaire d’œuvrer pour le changer.
L’intérêt particulier porté à la révision du statut
personnel a poussé de nombreux Etats arabes à
prendre des mesures concrètes pour améliorer
les codes de la famille et les législations relatives
au mariage et au divorce en général.
L’expérience tunisienne : L’expérience
tunisienne reste un modèle en matière
d’émancipation des femmes dans le monde
arabe. Un demi-siècle s’est écoulé depuis
la promulgation de son “ Code du statut
personnel ” au terme duquel la loi tunisienne
a consacré le principe de l’égalité des femmes
et des hommes. Le changement de la loi sur
la famille, tel qu’institué par le Président
Habib Bourguiba, s’est inspiré des idées du
mouvement réformiste qui a estimé que la
promotion des femmes aura un effet positif sur
les plans sociaux, économiques et politiques.
En outre, il est à noter que les lois incorporées
dans ce “ Code du statut personnel ” ont été
puisées dans le travail élaboré sur l’initiative de
deux écoles de jurisprudence islamique, l’école
Malékite et l’école Hanafite.
Cependant, les changements successifs
apportés au droit de la famille ont coïncidé avec
des restrictions à la liberté d’action des femmes
activistes et la monopolisation et le contrôle
par l’Etat du discours sur la promotion des
femmes, ne laissant qu’une marge assez faible
à l’initiative et aux revendications des femmes.
Ceci montre d’une manière on ne peut plus
claire que la promotion des femmes est en train
de se transformer en un instrument politique
visant à édulcorer l’image de l’Etat à l’étranger,
bien que cela se fasse aux dépens des femmes.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
L’expérience marocaine : Le mouvement
des femmes marocaines a pris conscience que
la modification du Code du statut personnel
était la clé qui permettrait aux femmes de se
prendre en charge. La lutte de la société civile
a été couronnée par la promulgation, en 2004,
du nouveau Code de la famille.
S’agissant des expériences, à l’heure
actuelle, dans les autres pays arabes, les
femmes égyptiennes sont parvenues à avoir le
droit, accordé en 2000, de prendre l’initiative
du divorce (khul’), après avoir abandonné les
droits financiers qu’implique le divorce. Elles
ont également obtenu le droit de voyager sans
autorisation du mari et d’obtenir la nationalité
égyptienne pour leurs enfants nés d’un mari
étranger.
En Jordanie, l’âge légal du mariage a été
relevé à dix-huit ans pour les deux conjoints,
et les femmes ont pu avoir le droit d’obtenir un
passeport sans permission préalable de leurs
maris.
En Algérie, le Code de la famille demeure
toujours en vigueur. Cependant, il a connu
des évolutions positives entre le texte de la
loi de 1984 et les amendements qui y ont été
introduits en 2005.
Le Rapport aboutit à la conclusion que
la révision de la situation des femmes arabes
constitue aujourd’hui la condition sine qua
non à la constitution d’une société civile plus
forte. Il faut ainsi rejeter le présupposé selon
lequel on devrait refuser toutes les formes
d’évolution dans ce sens, considérées comme
faisant partie intégrante de la civilisation de
l’ “ Autre ”.
LE CONTEXTE SOCIAL DE LA
CONDITION DES FEMMES La Culture
Le rapport prend en considération les modèles
sociaux qui contribuent à déterminer la
position des femmes dans les sociétés arabes
aujourd’hui. Il se concentre sur trois sources
essentielles d’impact : l’héritage religieux, la
culture populaire, la production arabe dans les
domaines intellectuel, artistique et des médias.
RESUME
L’héritage religieux : la différenciation en
terme de genre en matière de jurisprudence
Dans l’histoire arabo-islamique, la culture
religieuse ne réfère pas aux textes consacrés par
la mémoire collective des musulmans comme
sacrés ; elle renvoie plutôt aux interprétations
de ces textes, qui ont été différentes de par leur
contenu, leur énonciation et leur formulation
dans la mémoire collective de la société. Elle
renvoie également aux coutumes et traditions
qui ont été consolidées pour préserver un ordre
donné de la famille et de la société.
Les principes généraux qui se dégagent
de ces interprétations permettent de
répertorier les grands traits d’un système
social qui répond aux objectifs acceptés par
la communauté musulmane pour vivre sous le
signe de la complémentarité et du consensus,
tout en admettant et en reconnaissant le
principe de l’égalité de tous les êtres humains,
mâles et femelles. Mais d’un autre côté, les
interprétations jurisprudentielles, telles qu’elles
se présentent dans certaines écoles de la
jurisprudence islamique (fiqh), ont contribué à
poser un certain nombre de normes approuvant
le principe de la discrimination entre les sexes.
La sévérité législative de la jurisprudence
islamique recouvre d’autres questions qui
puisent leur source dans la réalité de la société
arabo-musulmane elle-même, surtout que les
juristes ont lu les dispositions canoniques dans
l’optique de la coutume. Ceci s’explique par le
fait qu’ils avaient le sentiment que toute autre
lecture introduirait une rupture dans l’ordre
social, lequel consolide une cohésion sociale
conforme à leurs yeux à “ l’ordre naturel ”.
La place des hommes a toujours été
privilégiée et prioritaire dans les études
jurisprudentielles liées aux femmes. Cette
position privilégiée s’est retrouvée consolidée
par une lecture du Coran qui prend d’emblée
fait et cause pour l’homme. Mais ceci n’a pas
empêché des interprétations légales éclairées
de voir le jour.
Dans la mesure où la dynamique
de changement dans les sociétés arabes
contemporaines est différente de celle des
sociétés arabes au moment de la constitution
des écoles de jurisprudence, les efforts
d’interprétation des Anciens (as–Salaf) ne sont
Le mouvement des
femmes marocaines
a pris conscience
que la modification
du Code du statut
personnel était la clé
qui permettrait aux
femmes de se prendre
en charge.
La révision de la
situation des femmes
arabes constitue
aujourd’hui la
condition sine qua
non à la constitution
d’une société civile
plus forte. Il faut ainsi
rejeter le présupposé
selon lequel on
devrait refuser
toutes les formes
d’évolution dans ce
sens, considérées
comme faisant
partie intégrante
de la civilisation de
l’ “ Autre ”.
15
Les proverbes ayant
trait aux femmes et
qui circulent au sein
des classes sociales
arabes fournissent
généralement une
bonne illustration de
la perception qui tient
les femmes dans un
statut d’infériorité.
Un grand nombre de
textes populaires et
faisant partie de la
tradition montrent
d’autres images de la
femme : intelligente,
maîtrisant l’art de la
parole, quelque chose
d’une enchanteresse
dans le sens positif du
terme.
16
plus appropriés à la nature des transformations
sociales à l’œuvre, qui se déroulent à des
rythmes différents dans la réalité des sociétés.
C’est pourquoi, il est important d’œuvrer, à
nouveau, pour donner libre cours à l’ijtihad et
intérioriser l’esprit du texte coranique afin de
produire les textes jurisprudentiels basés sur
des valeurs d’égalité. De tels textes élaboreront
une jurisprudence sur les femmes qui dépasse
l’équivalence linguistique et historique entre de
ce qui est féminin et ce qui est naturel (grossesse,
accouchement, allaitement au sein, éducation
des enfants, cuisine). C’est ce qui contribuera à
la promotion des valeurs culturelles féminines
et les transformera en attitude publique.
La Femme Arabe Dans Les Proverbes
Populaires
La culture populaire arabe brosse des
images contradictoires des femmes, des
filles et des épouses aux différentes étapes
de leurs vies. Les proverbes ayant trait aux
femmes et qui circulent au sein des classes
sociales arabes fournissent généralement
une bonne illustration de la perception qui
tient les femmes dans un statut d’infériorité.
Ceci révèle jusqu’à quel point la conscience
populaire courante est étrangère à la réalité des
transformations fondamentales qui traversent
les sociétés arabes. Ces proverbes évoquent les
conditions des femmes dans un style fabulateur
sans se préoccuper des paradoxes qu’une telle
fabulation crée par rapport à l’image réelle des
femmes et des filles telle qu’elle se dégage de la
réalité sociale.
Dans la tradition populaire connue, des
centaines de proverbes populaires projettent
une attitude proche de celle qui conduisait à
enterrer des filles vivantes. Afin de justifier la
ségrégation à l’encontre du sexe féminin, ces
proverbes emploient des arguments moraux
ou recourent à un argumentaire qui mobilise
le langage des contes et des fables. Certains
puisent des justifications dans le registre de la
psychologie. Mais ces proverbes, quel que soit
leur mode d’expression, servent à souligner
la position sociale et morale inférieure des
femmes dans la société. Certains proverbes
vont même plus loin en soutenant que la femme
n’était qu’à moitié saine d’esprit, qu’à moitié
croyante, n’avait droit, en matière d’héritage,
qu’à la moitié de la part réservée à l’homme et
qu’elle valait même la moitié d’un homme. Ceci
conduit à échafauder un profil qui détermine
l’existence biologique et domestique des
femmes et qui dénigre leur indépendance et
leur valeur.
Il importe toutefois d’indiquer qu’un
grand nombre de textes populaires et faisant
partie de la tradition montrent d’autres images
de la femme : intelligente, maîtrisant l’art de
la parole, quelque chose d’une enchanteresse
dans le sens positif du terme.
Les FEMMES DANS LA PENSEE ARABE CONTEMPORAINE
Vers la naissance d’une nouvelle source
d’autorite
La réflexion arabe contemporaine sur les
femmes et les théories qui la fondent sont
étroitement liées au mouvement de la
Renaissance arabe et à ses luttes contre toutes
les formes d’autorité traditionnelle héritée.
Dans les tous débuts de la transformation
sociale qui conduira à cette Renaissance, vers la
fin du dix-neuvième siècle, les réformateurs et
les intellectuels avaient compris que les sociétés
européennes avaient des traits spécifiques qui
“étaient à la base de la puissance et du progrès
de ces sociétés. Le projet de réforme de Shaykh
Rifa’a Rafi’ Al Tahtawi est une excellente
illustration de ce moment de la pensée arabe.
Le début du dépassement des limites
imposées par une jurisprudence biaisée qui
consacre l’infériorité des femmes
Ce qui a caractérisé l’approche de la question
des femmes de la part de réformateurs tels que
Qasim Amin, Nazira Zayn Al, puis par la suite
Al-Tahir Al-Haddad et d’autres, c’est leur
conscience aiguë du besoin de changement et
de la nécessité de l’introduire. Ils ne pouvaient
même pas penser un instant qu’il pouvait y
avoir de contradiction significative entre les
sociétés européennes, les valeurs et le style de
vie qui commencent à s’installer dans la société
arabe contemporaine et les principes de la loi
islamique. Ils ont été à l’origine d’une vague de
Rapport sur le développement humain arabe 2005
polémiques à propos de la réinterprétation de
certains versets du Coran afin de démasquer
les interprétations biaisées. Leurs efforts
représentent des moments forts de l’histoire
intellectuelle arabe, parce qu’ils ont réussi à
ouvrir très large une porte aux femmes dans le
mur épais et solide de la société arabe.
La participation des femmes au sein des
associations civiles, s’occupant du droit et de
l’activité politique, a contribué à la rééducation
la société pour l’amener à accepter une présence
féminine active. Cette évolution a participé
au processus de remplacement de l’image
stéréotypée traditionnelle des femmes par celle
de femmes s’occupant d’autres activités dans
un climat de liberté d’action, de production et
de créativité.
Aujourd’hui, l’aspect le plus en vue du
combat mené par les femmes dans le monde
arabe est celui de dépasser la place qui est la
leur dans la société, d’occuper des places qui
permettent d’agir à une échelle plus globale
et de suivre les grandes transformations des
sociétés arabes, y compris celles impliquant des
questions de promotion, de développement
et de progrès. Dorénavant, le projet de la
réforme politique, de la réforme économique
et l’interaction positive avec le système des
droits de l’homme, font partie des objectifs
directs poursuivis par les femmes arabes.
L’expression de cette évolution en est donnée
par la présence croissante des femmes dans les
organisations de la société civile et de la société
politique.
Les femmes et les médias
Le Rapport remarque que le mouvement des
femmes a tiré profit de l’usage des médias tels
que l’Internet, des clubs de discussion, des
chaînes de télévision et de leurs programmes
spéciaux ; autant d’activités qui ouvrent des
perspectives basées sur la force du dialogue.
Ces médias ont facilité l’émergence d’un
nouveau discours de la libération qui permet
aujourd’hui aux femmes d’occuper des espaces
publics qu’elles ne pourraient pas atteindre
au moyen de la seule lecture des matériaux
imprimés sur des livres et des journaux. Ces
nouveaux médias ont aidé à promouvoir la
conscience en matière de genre dans le sens de
RESUME
la cohésion et de l’égalité sociales, en se basant
sur les principes de l’entraide et de l’équité
qui constituent l’alternative
appropriée
aux principes de la discrimination et de la
ségrégation entre les deux sexes.
Les stations de télévision et de radio, plus
particulièrement les chaînes satellitaires et
la presse écrite, ont commencé à recruter de
plus en plus de femmes dans quelques pays.
Mais, à quelques exceptions près, la propriété
des moyens d’information politique reste
un monopole du sexe masculin. Les femmes
ne jouent aucun rôle dans l’élaboration des
politiques ou dans la prise des décisions en
matière d’information. Le Rapport s’interroge
sur l’ampleur de l’impact positif qu’aura, sur
les orientations générales des programmes et
sur l’image populaire de la femme, la présence
croissante des femmes arabes dans l’espace
médiatique.
Les femmes dans le roman arabe
Le Rapport montre que les romans écrits par
des femmes mettent en scène quatre images
de femmes : la femme privée de droits, la
femme militante, la femme rebelle, et la femme
“ multiple ”. Le terme “ multiple ” signifie ici
le dédoublement et la fragmentation ; il traduit
l’existence d’identités multiples dans la même
personne. La plupart des écrits reflètent la
présence, de plus en plus grande, de l’image
de la femme “ multiple ” dans des espaces jadis
occupés par des images stéréotypées qui ont
réduit les femmes arabes à un modèle incapable
de s’adapter aux transformations dont ces écrits
rendent compte. En forgeant de nouvelles
sensibilités linguistiques et esthétiques, ces
genres d’écriture renforcent les valeurs capables
de détruire de tels stéréotypes.
Les romans arabes éclairent, d’un autre
côté, des aspects de l’oppression des femmes
et de leur utilisation comme instruments
servant à perpétuer la dominance masculine.
La confusion et les contradictions que certains
romans révèlent indiquent un état d’éclatement
culturel que l’on ne peut expliquer qu’à la
lumière du contexte de globalisation et de
l’étape historique de transition des sociétés
arabes, qui sont aussi le cadre de l’univers de
la fiction.
17
L’image des femmes dans le cinéma
Les romans arabes
éclairent, d’un autre
côté, des aspects
de l’oppression des
femmes et de leur
utilisation comme
instruments servant
à perpétuer la
dominance masculine.
Le cinéma arabe a joué parfois un rôle
important, en faisant prendre conscience
au public des questions des femmes et des
injustices qui les ont frappées du fait des
traditions et des lois injustes. Le cinéma arabe
a dévoilé, au moyen de l’image, les mécanismes
de la soumission des femmes, ce qui constitue
l’une de ses contributions les plus importantes
pour faire face aux valeurs de hiérarchisation
sociale sur des bases sexuelles.
Cependant, le cinéma arabe joue, de par
son caractère commercial, et comme tous
les autres arts, une double fonction. D’une
part, en utilisant la force des images mobiles,
il généralise les valeurs de discrimination
sexuelle. Et, en même temps, le nouveau genre
de cinéma, surtout celui émergeant dans plus
d’un pays arabe, envoie des messages de type
nouveau qui accompagnent les attentes des
nouvelles générations de jeunes femmes à la
recherche de liberté et d’affirmation de leur
personnalité pour devenir ces êtres humains
autonomes.
D’autres formes de production culturelle
Le cinéma arabe a
joué parfois un rôle
important, en faisant
prendre conscience au
public des questions
des femmes et des
injustices qui les ont
frappées du fait des
traditions et des lois
injustes.
18
Les séries télévisées sont particulièrement
influentes en matière de dénonciation de
l’image traditionnelle des femmes ainsi que
de sa consécration comme le font les spots
publicitaires qui présentent des femmes dans
des images et des postures contradictoires.
Ceci ne concerne pas seulement les chaînes de
télévision arabes mais un vaste réseau de chaînes
qui interviennent à l’intérieur des familles
arabes par l’intermédiaire d’expressions, de
langues et d’attitudes qui comportent plus de
différences que de similitudes.
Les salles de séjour arabes sont devenues
un véritable champ de bataille dans le cadre
de la guerre de l’information. Comme pour les
guerres d’interprétation qui se déroulent sur-lechamp de la jurisprudence islamique, pour les
conflits des proverbes populaires et les luttes
de la société civile arabe pour consolider les
valeurs de liberté et d’égalité, il s’agit là d’un
conflit dans lequel les citoyens sont appelés
à faire un choix difficile entre des options
différentes.
La plupart des chaînes satellitaires arabes
présentent, par exemple, des programmes
religieux qui visent à diffuser une culture
islamique. Les docteurs religieux (fuqaha)
appelés à émettre des avis conformes à la
doctrine (fatawi) veillent à la préservation du
système patriarcal dominant dans les sociétés
arabes, sans consentir le moindre effort
pour moderniser la jurisprudence islamique.
Il y a également un nombre croissant de
médias conservateurs qui oeuvrent pour la
consolidation l’image de femmes situées aux
échelons inférieurs de la hiérarchie du genre. En
même temps, un nombre croissant de chaînes,
qui se réclament de la modernité, donnent de
la femme une image dégradante ; des femmes
traitées, en premier lieu, en tant que disposant
d’un corps et en tant que marchandises.
Les médias arabes agissent dans des
sociétés dirigées par des forces centralisées
puissantes où les mondes de l’argent, de
l’autorité et des médias se recoupent, dans
le cadre d’une concurrence féroce entre
les chaînes satellitaires arabes et étrangères
pour un marché publicitaire étroit. C’est ce
qui fait que des secteurs importants de ces
médias courent après un large public arabe qui
dispose, particulièrement parmi les Arabes du
Golfe, d’un pouvoir d’achat significatif, et au
sujet duquel ils ont des idées préconçues.
Les STRUCTURES SOCIALES Tribalisme et patriarcat
La société tribale arabe comprend parfaitement
bien l’importance structurelle et fonctionnelle
des femmes pour son existence. Elle conçoit
l’honneur, la dignité et la protection comme
faisant partie d’un tout fait de chacun de ses
membres et du groupe, et par conséquent
entre les femmes et le groupe. Ceci fait que
toute question touchant au statut des femmes
est considérée comme faisant partie du coeur
même de la sécurité et du statut social du
groupe lié par la consanguinité.
L’Islam a apporté avec lui le concept de
umma (communauté musulmane) comme
l’expression de l’identité collective en
remplacement en cela de la tribu. Cependant,
les tribus arabes de Bédouins, mais également
Rapport sur le développement humain arabe 2005
dans une large mesure les tribus semi–
sédentaires, ont préservé leurs structures
autoritaires.
Bien que l’Islam ait établi la notion de
responsabilité individuelle des hommes et
femmes et ait souligné le respect dû pour les
deux sexes et pour leurs droits, la formation
socioculturelle et économico–politique, née
des conquêtes a réduit l’ampleur des vastes
perspectives que la nouvelle religion avait
ouvertes devant les femmes.
L’avènement du système autoritaire
moderne a joué un grand rôle dans la réduction
du développement des établissements civils.
Le capitalisme européen a introduit dans la
région de nouvelles valeurs concernant l’Etat,
la politique et la société. Ces valeurs n’ont
toutefois pas été le produit de processus
locaux ; elles n’ont, par conséquent, pas achevé
le cycle au moyen duquel auraient été mis en
place les fondements des institutions de l’Etat
de droit et les expressions d’une société civile
qui résiste à l’oppression.
Dans un premier temps, l’Etat arabe, qui
avait la prétention de tout régenter et tout faire,
a contribué à une plus grande participation des
femmes à la sphère publique, dans les domaines
du travail, de la sécurité sociale, aussi bien
qu’à la protection relative de la maternité et
de l’enfance. Mais la sclérose bureaucratique,
le rejet des différentes initiatives sociales
et civiles entreprises ainsi que l’adoption
du système du dignitaire local (un homme,
naturellement) comme intermédiaire unique
entre l’autorité et la société, ont rendu les
droits des femmes tributaires de la nature et
des vicissitudes de l’autorité. La symbiose
entre le pouvoir et le système patriarcal a fait
que ces premières réalisations sont devenues
autant d’opportunités pour réaliser des
bénéfices personnels. La situation des femmes
a ainsi continué à se détériorer avec le recul des
droits des citoyens et le recours, à nouveau,
aux rapports patriarcaux organiques comme
moyens finals de défense au sein d’une société
dans laquelle les gens se sont vus interdire les
diverses formes d’activité civile.
Les rapports au sein la famille ont continué
à être régis par l’autorité du père sur les enfants
et du mari sur l’épouse; une autorité née
historiquement à l’ombre de la domination du
RESUME
système patriarcal. Et on ne peut pas considérer
que les changements survenus au niveau du
cadre autoritaire de la famille constituent une
avancée radicale. On ne peut pas non plus
soutenir que ces changements aient affecté
sensiblement la nature fonctionnelle du rapport
entre les sexes. Et même si de tels changements
ont eu quelque effet sur certaines formes de
discrimination entre les hommes et les femmes,
ils n’ont pas introduit une transformation
qualitative de la nature des rapports entre
eux, excepté dans des cercles limités. Ainsi
l’héritage du système patriarcal fut-il une
consécration de la domination masculine aux
niveaux économiques, sociaux, culturels,
légaux et politiques.
La croyance en l’idée de la nécessité de
soumettre les femmes au contrôle varie bien
évidemment d’un pays à l’autre, d’une classe
sociale à l’autre, et en fonction des niveaux de
vie et de la conscience publique. Elle est plus
manifeste au sein des secteurs sociaux les plus
pauvres et les plus marginalisés, du point de
vue du rôle et de la place qu’ils occupent dans
la société, et qui bénéficient par conséquent le
moins de la sécurité juridique et sociale ; ce sont
en outre ces secteurs qui sont les plus enclins
à être influencés par la culture patriarcale
dominante.
Mais, malgré l’absence des libertés
fondamentales, les femmes ont essayé
d’instrumentaliser les conditions sociales,
et même les pratiques traditionnelles, pour
défendre leurs droits par l’entremise d’instances
de bienfaisance, médicales ou littéraires ainsi
que par l’intermédiaire de groupes familiaux
féminins. Elles ont aussi formé des délégations
pour revendiquer leurs droits dans des pays où
l’espace social est plus permissif que l’espace
idéologique. Il n’est d’ailleurs pas impossible
que certaines femmes actives et inventives tirent
profit de ces marges étroites de protection
pour constituer des groupes de la société civile
s’occupant des droits des femmes. L’ironie
de l’histoire est que ces groupes ont réussi à
provoquer le changement de l’intérieur même
des structures qui ont essayé d’empêcher qu’il
ne se produise.
Dans quelques sociétés, l’accumulation
quantitative de petites victoires qualitatives
par des femmes a fait reculer l’hégémonie
Toute question
touchant au statut des
femmes est considérée
comme faisant partie
du coeur même de la
sécurité et du statut
social du groupe lié
par la consanguinité.
19
patriarcale, à degrés variables. Et les femmes
ont su faire face aux défis de l’adaptation aux
bouleversements difficiles et ont confirmé
qu’elles étaient les protectrices de l’existence
sociale dans les pires situations. C’est le cas
des femmes qui vivent à l’ombre du siège et
des exactions en Irak ou qui font face à la
violence multiforme au Soudan, au Liban, en
Irak et en Palestine. En ce sens, les structures
sociales ne pouvaient pas empêcher les femmes
d’être présentes, à différents degrés et sous
diverses formes, en tant qu’acteur effectif dans
le contexte de la transition historique que de
nombreux pays arabes connaissent.
La famille et le statut des femmes
Dans quelques
sociétés,
l’accumulation
quantitative de petites
victoires qualitatives
par des femmes a fait
reculer l’hégémonie
patriarcale, à degrés
variables.
20
La famille continue d’être la première
institution sociale qui reproduit les rapports,
valeurs et pressions patriarcaux par le biais
de la discrimination entre les deux sexes. De
telles pressions sur les femmes deviennent plus
violentes encore dans les moments de crise
durant lesquels les femmes deviennent sujettes
à la surveillance. Le droit que le mâle a de
disposer du corps de la femme, de le contrôler,
l’utiliser, le dissimuler, l’évacuer ou le punir,
n’en devient que plus flagrant. Cette violence
est un facteur nouveau qui vient s’ajouter
à la féminisation de la pauvreté, de la misère
politique, de la dépendance, de la domination
et de l’aliénation.
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les codes du
statut personnel ont constitué la cristallisation
la plus emblématique et la plus profonde de ce
problème. Le mariage reste la première forme
la plus importante du rapport entre les femmes
et les hommes, du point de vue du conscient
comme de l’inconscient, de la religion comme
de la société, en termes de licite ou d’illicite,
de sacré ou de profane. Ces lois représentent
la cristallisation la plus prononcée du rapport
entre le patriarcal et l’illicite et le tabou dans
la société arabe. On constate, en effet, que
les lois les plus importantes
concernant
la discrimination de genre trouvent refuge
dans ce rapport, à tel point que les lois de la
famille sont devenues cette tanière protectrice
de la culture, des traditions et des coutumes,
religieuses ou populaires.
Les éléments de modernité s’interpénètrent
dans la culture traditionnelle des sociétés
arabes, que ce soit à l’échelle d’un seul ou de
plusieurs Etats. Néanmoins, de larges secteurs
sociaux demeurent toujours plus près de la
tradition que l’innovation. Et la fille paye
lourdement le tribut de son indépendance au
sein des milieux où l’individuation, au sens
juridique et économique, reste faible.
Toutefois, la famille arabe est une entité
complexe multidimensionnelle que l’on ne peut
réduire à un seul trait, absolu et généralisable.
La société ne peut pas non plus accepter que
la paternité ait uniquement une signification
négative. Dans le cas contraire, une telle
vision unilatérale de l’autorité encouragerait
la démission et accréditerait l’idée selon
laquelle il serait illusoire de se soulever contre
l’autoritarisme et de changer le statu quo. En
plus, insister sur le statut des femmes réprimées
enlèverait toute valeur à leurs vies, ce qui
réduirait leur existence, en fin de compte,
à des années perdues. En fait, quel que soit
l’environnement dans lequel elle évolue, auraitil été le plus dur qui soit, une femme a toujours
la possibilité de s’arroger la liberté de prendre
des décisions, ce qui est source d’un bonheur
inespéré. C’est cette liberté qui est la source
d’inspiration du changement.
Socialisation et education
Dans les régimes totalitaires, les systèmes
scolaires prodiguent rarement suffisamment
d’encouragement à l’initiative et à la recherche,
au développement de la création, de la critique
ou encore aux aptitudes personnelles. En dépit
du fait que les femmes arabes aient investi les
domaines politique, social et économique,
l’écart entre les avancées réalisées par les
femmes dans le monde arabe et les images
stéréotypées des femmes dans les programmes
scolaires, reste énorme. Ces images confinent
invariablement les femmes dans les rôles de
mère et de femme au foyer.
Au regard de cette vision qui marginalise
les femmes, les spécialistes de l’éducation
appellent à la révision des programmes
scolaires et à l’élaboration de nouveaux
fondements pour asseoir le contenu de ces
programmes afin de soustraire les filles au
cadre superficiel dévalorisant dans lequel elles
Rapport sur le développement humain arabe 2005
continuent à être rangées. Ils soutiennent
également l’idée de faire participer les femmes
arabes à l’élaboration des politiques éducatives
dans les Etats arabes dont elles sont presque
totalement exclues. La participation féminine
à la rédaction des programmes scolaires est, en
effet, estimée à moins de 8% sur la base d’un
échantillonnage aléatoire des programmes
arabes d’enseignement.
LES STRUCTURES JURIDIQUES
Nombreuses sont les lois qui sont
discriminatoires à l’égard des femmes dans
les pays arabes. Bien que les dispositions
constitutionnelles, dans presque tous ces pays,
stipulent que la protection des droits des
femmes était garantie, il faut bien constater
que ces droits sont souvent bafoués ou
contredits par d’autres législations ou encore
non appliqués. Le Rapport recense un certain
nombre de dispositions et de pratiques qui
révèlent le parti pris du législateur arabe contre
les femmes.
Les postures a propos de la convention
sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes
La plupart des Etats arabes ont ratifié la
Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des
femmes (CEDAW) et sont ainsi liés par ses
dispositions, à l’exception de celles au sujet
desquelles des réserves ont été exprimées. Les
réserves des Etats arabes sur les dispositions de
la Convention sont d’ailleurs nombreuses, ce
qui constitue une source d’inquiétude et met
en doute l’existence d’une réelle volonté de
respecter les dispositions de ladite convention.
La réserve la plus remarquée concerne l’article
2 de la Convention, qui stipule le principe de
l’égalité entre les hommes et les femmes ; la
ratification de la Convention perd, pour ainsi
dire, toute sa signification.
Les Etats arabes justifient leurs réserves
à propos du contenu de la Convention en
mobilisant deux arguments : les articles
concernés contredisent la législation nationale;
ils contredisent les dispositions de la Charia
islamique. Ce dernier argument peut conduire
RESUME
à formuler une réserve d’ordre général sur la
Convention, et l’Etat concerné s’affranchit de
tout engagement à respecter tout article non
conforme à la Charia. Il se trouve que l’Etat ne
justifie même pas ses réserves parfois.
Néanmoins, il y a actuellement un
mouvement dans un certain nombre d’Etats
arabes, créé sous l’impulsion des organisations
de la société civile et
des institutions
nationales, pour amener les Etats à revoir les
réserves formulées afin d’être en phase avec les
évolutions législatives à l’intérieur de chaque
Etat. Ce mouvement positif mérite d’être
encouragé. D’un autre côté, l’Etat et la société
civile doivent doubler d’efforts pour faire
connaître la Convention à l’opinion publique
comme au sein des cercles législatifs et des
institutions en charge de l’application de la
loi.
Les Situations Constitutionnelles
L’Egalité devant la loi
Les constitutions de la plupart des Etats arabes
comportent des dispositions affirmant le
principe de l’égalité en général et le principe
de l’égalité entre les hommes et les femmes en
particulier. Quelques-unes réservent même des
volets spécifiques à l’égalité des femmes et des
hommes, comme l’égalité en matière d’accès
à la fonction publique, l’égalité en droits
politiques et l’égalité en droits et devoirs.
Certaines constitutions ont également intégré
des dispositions sur l’égalité des chances, sur
l’obligation pour l’Etat de préserver la famille,
de protéger les mères et les enfants, sur le
besoin de trouver l’équilibre approprié entre les
obligations des femmes envers leurs familles et
leur activité sociale ; ainsi que sur l’interdiction
de l’emploi des femmes dans certaines
industries ou à des heures déterminées.
On doit mettre au crédit des législateurs
arabes, et surtout des constitutionnalistes,
d’avoir respecté le principe des différences
de genre et d’avoir élaboré des textes qui
organisent les implications législatives qui en
découlent. Mais en même temps, il est reproché
au législateur d’avoir, dans plusieurs volets de
la loi, beaucoup trop insisté sur les différences
de genre et codifié la discrimination de genre,
Nombreuses sont
les lois qui sont
discriminatoires à
l’égard des femmes
dans les pays
arabes. Bien que
les dispositions
constitutionnelles,
dans presque tous
ces pays, stipulent
que la protection des
droits des femmes
était garantie, il
faut bien constater
que ces droits sont
souvent bafoués ou
contredits par d’autres
législations ou encore
non appliqués.
La réserve la plus
remarquée concerne
l’article 2 de la
Convention, qui
stipule le principe
de l’égalité entre
les hommes et
les femmes ; la
ratification de la
Convention perd, pour
ainsi dire, toute sa
signification.
21
violant de ce fait le principe de l’égalité, qui est
l’un des fondements sanctifiés par les canons
religieux; sans oublier que le respect de ce
principe est un engagement international aux
termes des traités internationaux.
Droits politiques et droits publics des
femmes
Les constitutions de
la plupart des Etats
arabes comportent des
dispositions affirmant
le principe de l’égalité
en général et le
principe de l’égalité
entre les hommes
et les femmes en
particulier.
22
Les législations d’un grand nombre d’Etats
arabes comportent des dispositions garantissant
les droits politiques des femmes et stipulant le
principe de l’égalité des hommes et des femmes
en matière d’exercice du droit de participer
aux processus électoraux et de postuler à des
fonctions publiques.
Mais malgré la clarté des dispositions
constitutionnelles et législatives qui, dans la
plupart des cas, garantissent aux femmes le
droit à la participation politique, l’ampleur
de cette participation est encore insignifiante.
Vu le bas niveau de la représentation féminine
dans les parlements des pays du Mashreq arabe
(partie orientale du monde arabe), il devient
nécessaire de penser sérieusement à suivre
l’expérience du Maroc et de généraliser le
système des quotas à réserver aux femmes dans
ces parlements.
Systèmes des quotas de femmes dans les
parlements
Même si les législations arabes ont franchi
une étape importante dans l’affirmation
de l’égalité formelle de genre en matière de
participation politique, une telle avancée a
été de peu de secours aux femmes au regard
d’un environnement culturel et social hostile
à l’acquisition et à l’exercice libre des femmes
de leurs droits politiques. Aussi l’intervention
du législateur devient-elle nécessaire pour
apporter un soutien positif aux femmes et ce
en leur réservant une part précise du nombre
de sièges du parlement; l’objectif étant d’aider
la société à lever l’injustice historique que les
femmes ont subie. Une telle action traduirait
dans les faits le principe d’égalité des chances,
consacré par nombreuses constitutions arabes.
Le Rapport déclare son ferme soutien à une
telle orientation.
Incrimination et punition
Des manifestations de ségrégation entre
hommes et femmes peuvent être relevées dans
les législations pénales de certains Etats arabes.
Quelques-unes de ces lois illustrent les formes
les plus importantes de ségrégation. Comme
dans le cas de crime d’adultère, les hommes
sont jugés coupables seulement si l’acte a lieu
dans le domicile conjugal, alors que les femmes
sont coupables indépendamment du lieu de
déroulement de l’acte.
Les législateurs arabes ont fait quelques
efforts en vue de limiter la ségrégation à l’égard
des femmes en matière de législations pénales.
Cependant ces efforts restent parcellaires et
ad hoc; il importe de les intensifier et de les
développer dans le cadre d’une approche
globale de la question.
Les codes du statut
personnel
Les codes arabes du statut personnel, concernant
les Musulmans et les non-Musulmans,
témoignent de la ségrégation légalisée pour
cause de genre. Dans la plupart des cas, ceci
s’explique par le fait que les règles en matière
de statut personnel sont principalement
dérivées d’interprétations et d’édits religieux
qui remontent très loin dans le temps, quand
la culture dominante de la société était celle de
la discrimination en matière de genre ; culture
qui allait acquérir un caractère sacré et absolu
dans un contexte où régna la confusion entre
ce qui relevait des principes immuables de la
foi religieuse et ce qui appartenait à l’histoire
sociale.
Néanmoins, les résultats de l’enquête de
terrain menée pour les besoins de ce rapport
montrent que le public arabe a, sur les
questions du statut personnel, une attitude
beaucoup plus émancipée, comme quand il
affirme le droit de la femme au choix de son
conjoint.
L’absence de codification dans certains
Etats
Certains Etats arabes se refusent à établir
une codification nationale des questions du
Rapport sur le développement humain arabe 2005
statut personnel, et c’est ce qui rend difficile
le changement du système légal conservateur
en matière de statut personnel. Au lieu d’une
telle codification, ces Etats ont laissé le soin de
traiter de ces questions à la magistrature, dont
l’effort d’interprétation tend le plus souvent à
puiser dans le registre des idées conservatrices
de la jurisprudence islamique classique. Des
pays arabes comme l’Egypte, le Liban, Qatar
et Bahrayn ne disposent absolument pas d’une
législation unifiée en matière de statut personnel,
tandis que d’autres disposent de législations
unifiées en matière de statut personnel pour
les Musulmans. Pour les non-Musulmans,
les règles régissant leur statut personnel sont
dérivées des canons communautaires ou
religieux respectifs, qui sont d’une manière
générale, pour les deux conjoints, très sévères
sur les questions de divorce qu’elles interdisent
même dans certains cas.
D’une manière générale, on peut soutenir
que les législations en matière de statut
personnel sont beaucoup plus progressistes et
plus éloignées des pratiques ségrégationnistes
au Maghreb arabe qu’au Mashreq arabe.
La nationalité
La règle générale qui détermine la nationalité
d’origine dans les législations arabes, est celle
de la descendance paternelle. Autrement dit,
les enfants d’un père portant la nationalité d’un
Etat arabe donné acquièrent automatiquement
cette nationalité. La nationalité de la mère n’est
accordée aux enfants que si l’identité du père
est inconnue ou s’il est apatride.
Les législateurs arabes ont tout récemment
oeuvré pour parer aux
conséquences
inhumaines du refus d’accorder la nationalité
aux enfants des citoyennes mariées à des
étrangers (Egypte, Algérie, Liban).
Loin de la loi officielle
L’environnement social est dans beaucoup
de cas un facteur décisif de discrimination
à l’encontre des femmes, indépendamment
du contenu de la loi officielle. En raison des
us et coutumes répandues dans la société à
propos de ce qui convient ou non pour une
épouse dévouée, décente et vertueuse de faire,
RESUME
nombreuses sont les femmes qui évitent d’aller
devant la magistrature pour exiger leurs droits
ou ceux de leurs enfants. En conséquence, les
conflits conjugaux sont résolus, dans beaucoup
de sociétés arabes, soit dans un cadre familial
soit au moyen des canaux officieux de
l’arbitrage tribal. Comme ces mécanismes sont
le produit de cadres de référence masculins,
culturels et de valeurs, il est évident qu’ils sont
favorables aux hommes.
L’egalité entre l’homme et la femme dans la
conscience des juristes arabes
La culture tribale arabe, qui consacre la
ségrégation à l’égard des femmes, a fortement
influencé les interprétations jurisprudentielles,
consacrant de leur côté l’idée de l’infériorité des
femmes par rapport aux hommes. Autrement
dit, la dimension culturelle masculine a
été un facteur décisif dans l’orientation
qu’allaient prendre de telles interprétations
jurisprudentielles et dans le processus qui allait
les entourer de la sacralité religieuse.
L’analyse des attitudes des législateurs
arabes hommes révèle leur hostilité au
principe de l’égalité de genre, et ce en dépit
des dispositions de leurs constitutions
nationales et des conventions internationales
auxquelles leurs Etats ont souscrit. Souvent,
l’application du principe de l’égalité de genre
par l’intermédiaire des membres masculins
arabes de la magistrature est confrontée à
des réserves, alimentées à l’heure actuelle
par le développement des courants religieux
fondamentalistes et par leur influence culturelle
sur la conscience des magistrats. Dans certains
Etats arabes, la vision masculine des hommes
de la magistrature arabe est perceptible dans
leur opposition à la nomination des magistrats
femmes. Il y a des indications générales qui
montrent que les juges ont tendance à utiliser
leur autorité discrétionnaire pour alléger ou
aggraver les sentences quand la femme est
concernée comme plaideur ou comme partie
dans une affaire. Les échos de cette tendance
à la discrimination à l’encontre des femmes se
retrouvent chez bon nombre d’interprètes de la
loi, une fois confrontés au principe de l’égalité
devant la loi. Face à ces postures et visions,
il y a un corps de la jurisprudence islamique
Le public arabe a,
sur les questions du
statut personnel, une
attitude beaucoup
plus émancipée,
comme quand il
affirme le droit de la
femme au choix de
son conjoint.
Les législations
en matière de
statut personnel
sont beaucoup
plus progressistes
et plus éloignées
des pratiques
ségrégationnistes au
Maghreb arabe qu’au
Mashreq arabe.
23
éclairée qui interprète les textes concernés en
les ramenant à leur contexte et qui a tendance
à adhérer largement au principe de l’égalité
entre les femmes et les hommes. Cependant,
c’est la première école de pensée - c’est à dire
la conservatrice - qui continue de l’emporter
dans la pratique et qui trouve toujours une
oreille sympathique chez les gens ordinaires,
en raison de l’appui accordé à cette école par
les religieux conservateurs.
L’ECONOMIE POLITIQUE
L’analyse des attitudes
des législateurs arabes
hommes révèle leur
hostilité au principe
de l’égalité de genre,
et ce en dépit des
dispositions de
leurs constitutions
nationales et
des conventions
internationales
auxquelles leurs Etats
ont souscrit.
24
L’économie politique influence énormément
le niveau de promotion des femmes dans les
pays arabes. Le mode de production ainsi que
le fonctionnement économique dans les pays
arabes est dominé par les économies de rente
et par une croissance économique faible.
Ces deux caractéristiques combinées se
traduisent par la faiblesse des structures de
production et par un bas niveau des taux
d’expansion des économies arabes. Ceci
prépare le terrain à la diffusion du chômage
et de la pauvreté. Le résultat global en est la
mise en place d’un type d’activité économique
porteur de conséquences désastreuses sur la
promotion économique des gens. D’autres
conditions sociales viennent amplifier ses
retombées les plus graves sur les femmes en
raison de leur faiblesse dans le domaine de
l’économie formelle.
Parmi ces effets négatifs, il faut compter
la montée des taux de chômage dans les pays
arabes, notamment chez les diplômés de
l’enseignement. Le chômage s’accompagne
inévitablement de l’aggravation de la pauvreté,
d’une plus grande injustice en matière de
distribution des revenus et de la richesse,
puisque la force de travail représente la
ressource économique la plus importante pour
la majorité écrasante des gens des économies
les moins développées. La conjonction de
tous ces facteurs signifie un plus grand
rétrécissement du marché du travail dans tout
le monde arabe et de bas taux d’expansion par
la création de nouvelles opportunités d’emploi.
Ce qui amplifie l’impact de ces facteurs sur le
niveau du chômage, c’est la baisse du niveau de
qualification de la main-d’œuvre dans le monde
arabe. Cet état de fait a conduit à son tour les
employeurs à faire appel à la main d’œuvre
étrangère. Il est bien évident que les groupes
sociaux les plus faibles, y compris les femmes,
sont les plus touchés par les retombées néfastes
de cette évolution.
Dans des conditions où se conjuguent
un marché du travail étroit, un bas niveau
de création d’emplois, une expansion de
l’éducation féminine, un mauvais parti pris de
la société consistant à s’élever contre le travail
des femmes et à donner le travail en priorité aux
hommes, le chômage des femmes ne pouvait
qu’augmenter, particulièrement parmi les
femmes instruites, même dans des pays arabes
qui font appel à des travailleurs non arabes.
Nous avons assisté, dans le même temps, à
un retrait de l’Etat de l’activité économique et
des activités de services ainsi qu’à la limitation
de l’emploi dans la fonction publique. Or ce
dernier avait représenté la forme préférée
d’emploi pour les femmes et un lieu de
protection de leurs droits. Ainsi la région
arabe abrite t-elle un phénomène détestable
consistant en une abondance de capital humain
féminin qualifié mais qui affiche des niveaux
de chômage supérieurs à la moyenne!
Les disparités des salaires en défaveur des
femmes, notamment dans le secteur privé, est
un autre facteur qui a affaibli d’un point de
vue économique ces dernières, dans la mesure
où il a réduit leurs revenus relatifs quand elles
travaillent.
LES ETABLISSEMENTS PUBLICS ET LES FEMMES ARABES : LA LIBERATION ET LA
MARGINALISATION
La nomination d’une femme à un poste
ministériel est de règle dans la plupart des
gouvernements arabes depuis les années 90
du siècle dernier au moins, et la pratique s’est
affirmée depuis. Cependant, la participation
des femmes à ces gouvernements a été
symbolique (un ou deux ministres féminins
dans la plupart des cas), sociale (habituellement
des ministères des affaires sociales ou des
ministères en rapport avec les questions des
femmes), ou circonstancielle (le nombre de
ministres féminins varie avec les nombreux
remaniements gouvernementaux).
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Ceci dit, la représentation permanente des
femmes dans les instances gouvernementales
arabes est indéniablement une réalité, que l’on
doit aux pressions internes, externes ou aux
deux à la fois.
Néanmoins, un tel progrès a des limites.
Dans le cadre d’une culture dominée par
l’influence masculine, la tendance est que les
femmes qui occupent des postes de décision
soient mises à l’écart. Alors que le nombre
de femmes au parlement a augmenté, et que
l’égalité des sexes s’est consolidée dans les
principes des constitutions arabes, la promotion
des femmes arabes demeure relativement
partielle. En outre, certains Etats n’appliquent
toujours pas le principe de l’égalité de genre
au niveau de leurs lois électorales. D’ailleurs, le
nombre de sièges parlementaires tenus par des
femmes ne signifie pas nécessairement que des
femmes soient démocratiquement représentées
; il se peut que cette présence soit l’expression
de concessions faites à un mouvement de
femmes, soutenu par l’Etat, contre d’autres
femmes qui ont des postures se situant à la
marge des forces politiques dominantes.
Les partis politiques arabes ont fait de la
cause des femmes la leur, mais leurs chemins se
sont par la suite séparés. L’échec des politiques
centrées sur la réforme et le changement dans
la région a engendré de fortes divergences qui
se sont soldées par des scissions politiques
sévères. Le résultat en a été une balkanisation
de la carte des politiques partisanes dans les
pays arabes et l’éclatement des positions des
partis politiques à propos de la question des
femmes. Néanmoins, ceci n’a pas empêché
ces partis d’inscrire la question des femmes au
premier rang de leurs préoccupations.
D’un autre côté, des changements positifs
se sont produits en raison des demandes
insistantes des mouvements des femmes arabes
– et l’acceptation croissante des gouvernements
– d’appliquer le principe des quotas comme
voie d’accès des femmes aux centres de
décision. Le système des quotas a également
contribué à amener les femmes au sein des
conseils des gouvernements locaux.
RESUME
Les femmes et la société
civile
De nombreuses législations dans les pays
arabes imposent aux associations civiles à
caractère féminin de ne pas intervenir dans la
politique ou dans les affaires politiques. C’est
là un obstacle légal à la libre expression de
l’opinion et signifie qu’il s’agit de séparer la
politique des activités de la société civile et de
l’action citoyenne et de bienfaisance.
En dépit de l’importance du soutien apporté
par ces organisations et associations, pour ce
qui est des services offerts, dans différents
domaines, à des franges de la population
féminine qui en ont besoin, les doutes
subsistent quant à leur capacité à changer les
rapports de forces dominants dans les sociétés
arabes, rapports qui ne sont pas favorables aux
femmes. Les franges de la population féminine
qui subissent les plus grandes privations et qui
sont les plus indigentes sont souvent hors de
la portée de l’action de ces organisations. En
outre, la représentation des femmes dans ces
organisations, toutes positions économiques
et sociales confondues, reste faible et se limite
habituellement aux femmes instruites de la
classe moyenne. En plus, le développement de
ce type d’organisations sociales ne signifie pas
nécessairement une plus grande représentation
politique ou sociale des différentes franges de
la population féminine. Il semble d’ailleurs que
bon nombre de ces organisations ne cherchent
pas fondamentalement à organiser les femmes
pour défendre leurs droits et intérêts, mais
plutôt des droits en général dont la satisfaction
répondrait aux intérêts de toutes les femmes.
Les disparités des
salaires en défaveur
des femmes,
notamment dans le
secteur privé, est
un autre facteur qui
a affaibli d’un point
de vue économique
ces dernières, dans la
mesure où il a réduit
leurs revenus relatifs
quand elles travaillent.
Alors que le
nombre de femmes
au parlement a
augmenté, et que
l’égalité des sexes
s’est consolidée
Les positions des différentes
forces politiques sur la question des femmes arabes
Les différentes forces politiques sur la scène
arabe ne s’opposent pas à la promotion
des femmes arabes et à leur participation
politique et sociale. Elles estiment toutes que
l’égalité juridique et politique des femmes est
acceptable. Le problème est celui de rendre
effectives ces visions dans la vie partisane et
politique.
dans les principes
des constitutions
arabes, la promotion
des femmes arabes
demeure relativement
partielle.
25
Les POSITIONS des mouvements
ISLAMISTES SUR LES FEMMES
le défi posé est
comment développer
une vision islamique
alternative des
femmes qui soit
capable de coexister avec des
tendances différentes
ou opposées et de
promouvoir fortement
les femmes dans
le discours comme
dans la réalité, non
pas parce qu’il faut
considérer cette
promotion comme
l’aboutissement de
la construction de la
société islamique mais
en ce qu’elle en est
l’une des conditions
de cette construction.
La position des mouvements salafistes a
toujours été claire, à savoir, que la place d’une
femme est d’être à la maison et que son rôle est
de s’occuper de la famille. Et s’ils ont accepté
le droit de vote pour les femmes par analogie
avec le principe d’allégeance, ils estiment par
contre inacceptable d’accorder aux femmes le
droit de se présenter comme candidates aux
élections et d’occuper des fonctions publiques
“ saddan lil-dhara’i ” (pour éviter les pièges).
Ainsi les conceptions du courant Salafiste,
dans leur ensemble s’opposaient à l’efficacité
et à l’activisme féminin dans la société civile.
Ce courant adopte une vision de principe de
la division du travail social qui cantonne les
femmes aux rôles de la reproduction, de la
maternité et de l’éducation des enfants, et qui
met en garde contre la mixité. Le maximum
que l’on peut attendre des salafistes c’est
qu’ils consentent, en matière d’activité sociale
des femmes, d’accepter qu’elles assurent une
activité indépendante dans les domaines de
l’activité civile de bienfaisance.
Sur l’autre côté de la scène, le mouvement
des Frères musulmans adopte une position de
principe favorable à l’obtention de leurs droits
politiques par femmes. Il accepte en outre, à
cet égard, des interprétations élaborées par des
docteurs contemporains en sciences religieuses
de l’intérieur du mouvement ou proches de lui,
tels que Al-Ghazali et Al-Qaradawi.
Aussi, le défi posé aux islamistes à propos
des femmes est comment développer une
vision islamique alternative des femmes qui
soit capable de co-exister avec des tendances
différentes ou opposées et de promouvoir
fortement les femmes dans le discours
comme dans la réalité, non pas parce qu’il
faut considérer cette promotion comme
l’aboutissement de la construction de la société
islamique mais en ce qu’elle en est l’une des
conditions de cette construction.
depuis le début des années 90. Une importance
accrue est accordée à des questions telles que
les droits de l’homme, les droits des femmes,
les droits des minorités et la transition
démocratique.
On a ainsi assisté à une demande insistante
pour l’introduction de changements dans
le statut des femmes ; des pressions de plus
en plus fortes se sont exercées sur les Etats
arabes pour les amener à réagir positivement
à ces demandes. Néanmoins la question des
droits politiques des femmes est devenue pour
beaucoup de dirigeants arabes une sorte de
façade démocratique. Les femmes constituent
la meilleure enseigne que les Etats peuvent
afficher pour échapper à la critique politique
des conditions antidémocratiques prévalant
à l’intérieur de ces Etats, à un moment où
les rapports sur les droits de l’homme et les
rapports concernant la condition des femmes
constituent autant de sources de pression pour
les amener à engager des changements.
Le Rapport observe que la nouvelle vague
d’intérêt occidental pour la consolidation de
la place des femmes a conduit des donateurs à
financer n’importe quel(s) projet(s), pourvu que
des institutions de femmes ou des personnalités
féminines connues s’en chargent ou à soutenir
tous les projets visant à consolider le statut
des femmes. Rares sont cependant les études
sérieuses entreprises pour évaluer l’impact de
ces projets sur la place des femmes arabes dans
leur société, au sein de la famille et par rapport
à l’Etat. Mais il y a une orientation occidentale
claire, et une disposition claire de la part de
certains Etats arabes à l’accepter, qui consiste
à renforcer la représentation des femmes sur
le plan politique comme aux conseils des
ministres et au parlement.
A cet effet, le Rapport examine une série
d’évolutions au niveau de la conscience et
de la situation des femmes arabes en rapport
avec l’accélération du mouvement des
femmes dans le monde depuis la Conférence
internationale de Pékin sur les femmes, tenue
en l’an 1995.
Les PRESSIONS EXTERIEURES VISANT A PROMOUVOIR LES FEMMES DANS LES PAYS ARABES
L’agenda international a radicalement changé
26
Rapport sur le développement humain arabe 2005
UNE VISION STRATEGIQUE : DEUX AILES POUR LA PROMOTION DES FEMMES Traits Principaux
Le Rapport souligne que la promotion des
femmes arabes doit aller au-delà d’un simple
embellissement symbolique qui permet à
quelques femmes arabes distinguées d’occuper
des positions dirigeantes dans les différents
domaines de l’activité humaine, notamment
dans les institutions de l’Etat. Il s’agit plutôt
d’étendre cela à l’ensemble des larges masses
des femmes arabes.
En termes de développement humain,
la promotion des femmes arabes nécessite,
premièrement, d’offrir réellement leur
chance à toutes les femmes arabes d’acquérir
les capacités humaines, en premier lieu et
tout particulièrement la santé. L’exigence
fondamentale est que toutes les filles et femmes
arabes doivent également pouvoir acquérir le
savoir sur un pied d’égalité avec les garçons et
les hommes. En second lieu, offrir toutes les
chances aux femmes de participer activement,
sur décision personnelle librement prise, à tous
les types d’activités humaines, en dehors du
cadre familial sur un pied d’égalité avec leurs
homologues de sexe masculin.
Il importe également d’accorder une valeur
sociale appropriée au rôle que les femmes
assurent au sein de la famille, en ce qu’il est une
contribution indispensable à l’établissement
d’une structure sociale saine capable de porter
un projet de Renaissance du monde arabe.
Tout ceci demande d’accorder une importance
extrême à la réforme du système éducatif dans
les pays arabes, afin de garantir à toutes les filles
la chance d’acquérir le savoir et de l’utiliser, au
sein de la famille et en dehors d’elle.
En conformité avec les appels, formulés dans
les rapports précédents sur le développement
humain arabe, pour une réforme globale de
société, basée sur l’ensemble des droits, la
promotion des femmes arabes nécessite tout
particulièrement :
• le total respect des droits de la citoyenneté
de toutes les femmes arabes ;
• la protection des droits des femmes dans le
domaine du statut personnel et des rapport
RESUME
familiaux ;
• la garantie du total respect des droits
et libertés personnels des femmes et en
particulier leur protection contre toutes les
formes de violence physique ou morale, tout
au long de leur vie.
L'accomplissement de ces droits exige une
réforme juridique et institutionnelle profonde
et à long terme, visant à mettre la législation
nationale en conformité avec la composante
du système international des droits de l'homme
concernant la protection des droits des femmes,
c'est à dire plus précisément la CEDAW.
Le Rapport en appelle également à
l'adoption, provisoirement, du principe
de la ségrégation positive pour élargir la
participation des femmes à tous les champs
d'activité humaine et selon les circonstances
particulières de chaque société. Ceci permettra
de démanteler les structures de discrimination
à l’égard des femmes constituées au long des
siècles.
Le Rapport envisage également la réforme
de société qui permet de promouvoir le statut
des femmes comme l’aile d’un oiseau s’élevant
dans les airs et symbolisant l'élévation des
femmes dans le monde arabe.
La seconde aile, indispensable, consiste
en l’existence d'un large mouvement combatif
et efficace dans la société civile arabe, dans le
cadre duquel se mobiliseront les femmes arabes
et les défenseurs masculins de la promotion des
femmes en vue d’apporter leur contribution à
la réforme de société attendue et de permettre
à toutes les femmes de récolter les fruits du
changement et de les utiliser au service d’une
renaissance des femmes arabes et de la région
dans son ensemble.
La Premiere Aile : La Re Forme De Societe
Necessaire A La Promotion Des Femmes
Ceci suppose une évolution dans les postures
et la réforme des cadres culturels. Il vise tout
particulièrement la modernisation de l’exégèse
religieuse et l’interprétation jurisprudentielle
par l’adoption, sur une grande échelle, de
l’effort éclairé d’interprétation (ijtihad). Cet
ijtihad en matière de fiqh, doit se libérer des
carcans des institutions religieuses existantes,
de leurs personnages, pour devenir un droit et
Les femmes
constituent la
meilleure enseigne
que les Etats peuvent
afficher pour échapper
à la critique politique
des conditions
antidémocratiques
prévalant à l’intérieur
de ces Etats,
Le Rapport envisage
également la réforme
de société qui permet
de promouvoir le
statut des femmes
comme l’aile d’un
oiseau s’élevant dans
les airs et symbolisant
l'élévation des
femmes dans le
monde arabe.
27
un devoir, exercés par tout savant musulman
qui a la capacité d’intervenir sur les questions
religieuses, qu’il soit femme ou homme.
Les efforts visant à surmonter les obstacles
inhérents aux différentes attitudes doivent
s’étendre à l’élaboration de nouveaux
programmes et instruments d’éducation sociale
favorables à l’égalité de traitement entre les sexes.
Ces efforts doivent s’associer aux médias pour
faire connaître les dispositions de la CEDAW
au public. Les efforts visant à surmonter
les obstacles structurels comporteront des
réformes politiques et législatives profondes
dans les domaines retenus dans ce rapport.
Les dernières concerneront singulièrement les
fonctions de la magistrature à tous les niveaux,
les fonctions politiques, administratives,
locales, académiques et les autres postes de
direction.
Il est indispensable, tout particulièrement,
de veiller à la diffusion de la culture de l’égalité
et du respect des droits de l’homme parmi les
hommes de la magistrature et tous ceux qui ont
en charge l’application de la loi.
Cette première aile abordera également
la question de la justice sociale, en vue de
réduire l’extension du champ de la pauvreté
de revenu ; ceci doit se faire à travers le
soutien au développement économique et la
réalisation d’une plus grande justice en matière
de répartition des revenus. Elle cherchera en
même temps à faire face au développement de
la pauvreté humaine, au sens de privation des
capacités humaines et de leur utilisation efficace.
Et parmi les mécanismes les plus importants
de réalisation simultanée de la justice sociale et
de la lutte contre la pauvreté humaine, il y a
l’augmentation des dépenses pour l’éducation,
la santé et les filets de sécurité sociale.
Enfin, l’une des priorités, inscrite sous
cette aile, est la lutte contre toute tentative
de bafouer la liberté personnelle des femmes.
Ceci demande d’approfondir la conscience
que la violence contre les femmes quelles
qu’en soient les formes est une atteinte à leur
humanité. D’où la nécessité d’appliquer les lois
qui criminalisent la violence contre les femmes,
et que l’Etat et la société civile aménagent des
lieux sûrs pour accueillir les femmes victimes
de violence.
28
La deuxieme aile : un mouvement social
capable de mener a bien le travail de
promotion des femmes
Le Rapport estime que la promotion
des femmes ne peut pas être détachée de
l’existence d’un mouvement large et efficace
dans la société civile arabe visant à réaliser
le développement humain pour tous. Un tel
mouvement sera l’instrument qui permettra
aux femmes arabes et à leurs appuis masculins
d’atteindre la promotion des femmes dans le
monde arabe.
Ce mouvement sera constitué de deux
niveaux. Le premier se situe à l’échelle
nationale et implique toutes les composantes
de la société, dans chaque pays arabe. Le
second est à caractère régional et concerne
tout le monde arabe ; il se basera sur les
réseaux transfrontières, ce qui permettra de
garantir la coordination des efforts nationaux
et de les appuyer dans la perspective de
l’émergence d’un mouvement arabe général
pour la promotion des femmes arabes, en tirant
profit dans ce sens des nouvelles technologies
d’information et de communication. Le
mouvement donnera naissance, dans le monde
arabe, à des organisations actives de la société
civile, liées aux organisations internationales,
politiquement neutres, et aux organisations
des Nations Unies oeuvrant dans le domaine
du progrès des femmes.
Ce mouvement se concentrera, dans
un premier temps, sur deux ensembles de
priorités:
1.Mettre fin à la privation des femmes en
matière de santé, et en matière d’accès au
savoir par l’instruction
La protection sanitaire
Il s’agit de garantir que toutes les femmes
bénéficient des services de santé, dans
l’acception positive et intégrale du terme.
Ainsi, l’orientation générale consistant à
assurer la santé positive pour tous, comme
partie intégrante du développement humain,
englobe automatiquement la nécessité de
s’occuper tout spécialement des besoins des
personnes indigentes en général et des femmes
en particulier. Il est important à cet effet de
Rapport sur le développement humain arabe 2005
mettre en application les recommandations
du Rapport sur la réduction de la pauvreté et
notamment la pauvreté humaine.
Mettre fin au reniement du droit des filles et
des femmes à l’éducation
L’élimination définitive du reniement du droit
humain des filles et des femmes à l’éducation,
sur une période qui ne dépasse par exemple
pas dix ans est un objectif au sujet duquel
on doit être intraitable. C’est pourquoi, le
mouvement de promotion des femmes, dans
ses composantes officielle et civile, nationale et
arabe, est appelé à s’engager sur un programme
sérieux, avec un agenda qui ne dépasse pas
dix ans, pour éradiquer définitivement, dans
tous les pays arabes, les manifestations de
privation des filles et des femmes de leur droit
à l’éducation. On entend par programme
précisément l’éradication de l’analphabétisme
des femmes et l’accomplissement de toutes les
structures de l’instruction de base d’ici l’année
2015.
2. Démonter les obstacles qui empêchent
les femmes d’investir leurs capacités comme
elles l’entendent
Les priorités de cet axe central incluent les
points suivants :
• Augmenter rapidement les taux de
développement économique en créant des
opportunités de travail à grande échelle.
L'augmentation significative du prix du
pétrole au cours des dernières années
constitue une source de revenu qui est aussi
une chance historique de développement des
économies arabes à travers la diversification
et l’amélioration de l’infrastructure
productive.
• S’attaquer aux entraves culturelles à l'emploi
des femmes de leurs pleines capacités dans
tous les domaines du développement
humain, choisis librement par elles.
• Garantir l'égalité constitutionnelle, juridique
et réglementaire en matière d’accès aux
opportunités d’emploi, pour toute personne
qui le désire, indépendamment du genre.
• Garantir que les femmes bénéficient des
conditions de travail appropriées dans
le respect de leur dignité humaine, et si
RESUME
nécessaire, recourir à une discrimination
positive, pour sauvegarder les fonctions
familiales des femmes, sans toutefois leur
faire payer de tels avantages en diminuant
les privilèges de travail qu’elles ont vis-à-vis
des hommes.
• Construire des mécanismes d'un marché
du travail efficace et moderne aux niveaux
régional et national, ouvert aux femmes et
aux hommes sur un même pied d’égalité.
CONCLUSION
Ce Rapport soutient que la promotion des
femmes constitue, en réalité, une condition
sine qua non de la Renaissance arabe, qui est
indissociable et intimement lié au devenir
du monde arabe et à l’accomplissement du
développement humain en son sein.
En dépit de l’égalité en droits des femmes
arabes, en vertu du droit international, de leurs
talents prouvés, des réalisations qui ont été
les leurs dans différents domaines d’activité
humaine et de leurs contributions inestimables
au progrès de la famille et de la société,
beaucoup de ces femmes ne bénéficient pas des
encouragements nécessaires pour développer
leurs capacités et les employer sur un même
pied d’égalité avec les hommes. Des facteurs
culturels, légaux, sociaux, économiques et
politiques les empêchent d’avoir les mêmes
possibilités d’accès à l’éducation, à la santé,
aux opportunités de travail, aux droits de
citoyenneté et à la représentation dans la vie
publique. Dans la vie privée, les modèles
traditionnels d’éducation, les pratiques
discriminatoires au sein de la famille et les
dispositions des codes du statut personnel se
conjuguent pour consolider la perpétuation
de l’inégalité et l’oppression qui touchent les
femmes. A un moment où le monde arabe a
besoin de bâtir les capacités de ses citoyens
et de les libérer, la moitié de ses potentialités
humaines reste dans la plupart des cas étouffée
ou négligée.
L’adoption provisoire du principe de
ségrégation positive est légitime et impératif,
sur le court terme, pour élargir la participation
des femmes dans les différents domaines de
l’activité humaine et pour lever la ségrégation
qui a visé les femmes pendant des siècles.
l’orientation générale
consistant à assurer
la santé positive
pour tous, comme
partie intégrante
du développement
humain, englobe
automatiquement la
nécessité de s’occuper
tout spécialement des
besoins des personnes
indigentes en général
et des femmes en
particulier.
L’élimination définitive
du reniement du
droit humain des
filles et des femmes
à l’éducation, sur
une période qui ne
dépasse par exemple
pas dix ans est un
objectif au sujet
duquel on doit être
intraitable.
29
La promotion des
femmes constitue, en
réalité, une condition
sine qua non de la
Renaissance arabe,
qui est indissociable
et intimement
lié au devenir du
monde arabe et à
l’accomplissement
du développement
humain en son sein.
30
Cependant, une avancée générale des femmes
arabes nécessite l’accélération du rythme des
réalisations et l’extension des acquis à travers
un projet collectif de Renaissance : une grande
transformation historique qui mobilise la
société arabe tout entière et qui vise à garantir
le droit de citoyenneté à tous les Arabes,
femmes et hommes à la fois.
Les auteurs du Rapport forment le souhait
que la transformation qu’ils appellent de leur
vœu se réalise conformément à l’alternative
pour l’avenir, privilégiée par le Rapport, c’est à
dire le “ Processus de la prospérité humaine ”
(izdihar), basé dans les sociétés arabes sur
un processus pacifique de négociation dans
l’optique de la redistribution de la puissance
et la construction d’un système de bonne
gouvernance qui respecte les libertés clés,
d’opinion, d’expression et d’association. Ceci
conduira à l’émergence d’une société civile
dynamique, efficace et utile qui sera à l’avantgarde du processus pacifique de négociation,
évitant ainsi le désastre contre lequel le Rapport
a mis en garde et qui se profile à l’horizon, au
vu des nuées chargées qui s’accumulent dans
le ciel de plus d’un pays arabe occupant une
place centrale.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Première partie :
Les Évolutions Du Développement
Humain Dans Le Monde Arabe Depuis
La Publication Du Troisième Rapport
Première partie :
Les évolutions du développement
humain dans le monde arabe
depuis la publication du
troisième rapport
Introduction
La première partie du quatrième Rapport
sur le développement humain arabe (2005)
présente une recension et une évaluation
des évènements qui se sont déroulés sur les
plans nationaux, régional et international,
considérés par l’Equipe du Rapport comme
ayant eu un impact important sur l’ensemble
du processus de développement humain
dans le monde arabe depuis la parution du
troisième rapport de cette série.
La recension des évènements dans le
troisième rapport s’est arrêtée au milieu
de l’année 2004. Aussi cette recension
commencera t-elle ici à partir de cette date et
couvrira la période qui s’achève avec le mois
de janvier 2006.
Cette partie du rapport est dominée par la
problématique la plus urgente dans le monde
arabe aujourd’hui, et sur laquelle le troisième
Rapport sur le développement humain arabe a
été centré, il s’agit de la question de la réforme
dans le monde arabe.
Les
rapports
successifs
sur
le
développement humain arabe ont provoqué
un large débat autour de la problématique de
la réforme dans le monde arabe, approfondi la
conscience de la question, à telle enseigne qu’il
n’y a plus personne à l’intérieur ou à l’extérieur
du pouvoir pour oser de nos jours discuter la
nécessité d’entreprendre une telle réforme. Le
débat s’est déplacé vers la nature de la réforme
escomptée. Des initiatives de réforme ont ainsi
vu le jour, elles ont été le fait des régimes arabes
eux-mêmes ou de puissances internationales,
et ce bien qu’elles aient été différentes dans
leurs objectifs comme dans leurs contenus.
Sur un autre plan, les forces de changement
dans tous les pays arabes ont accentué leurs
revendications pour la mise en œuvre d’une
réforme véritable qui ne consiste pas en de
simples dispositifs formels mais qui s’attaque
au fond des problèmes des pays arabes que
sont l’oppression politique, la marginalisation
des gens et l’absence des conditions de la
bonne gouvernance.
Dans la mesure où les perspectives du
développement humain dans le monde
arabe et les occasions de sa mise œuvre sont
fortement liées à la réalisation de la réforme
qui construit une bonne gouvernance fondée
sur le respect des droits humains et la garantie
des libertés, nous entamerons ce chapitre en
observant l’action des principaux acteurs de
la scène arabe, plus précisément les forces de
la société civile et les gouvernements arabes,
pour évaluer l’impact de ladite action sur le
processus de changement. Nous exposerons
ensuite l’impact des changements survenus
dans l’environnement régional et mondial
sur les occasions de mise en œuvre du
développement humain dans les pays arabes.
Nous terminerons par décrire certaines
évolutions positives advenues en matière de
promotion des femmes, de respect des droits et
des libertés et de consolidation des fondements
de la société du savoir.
Le contenu du processus
de réforme conformément
au Rapport sur le
développement humain
arabe et la place des
courants islamistes dans ce
processus
La réforme politique, vaste et profonde,
conduisant à l’émergence de la société de
la liberté et de la bonne gouvernance est la
voie conduisant à la constitution de la société
de liberté au sens global qui équivaut au
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
33
L’exclusion de toute
force de la société
est, par principe,
foncièrement contraire
aux principes de
la démocratie ; de
surcroît, l’expérience
dans la région
arabe montre que
l’exclusion d’une
force importante de la
société peut conduire
aux affres de la guerre
civile que personne ne
peut accepter.
Aucune force politique
qui se respecte
dans le monde
arabe ne peut faire
semblant d’ignorer
que la religion,
particulièrement
l’islam, est un élément
crucial du tissu
culturel et spirituel du
peuple arabe.
34
développement humain (Troisième Rapport
sur le développement humain arabe).
La
condition
indispensable
au
déclenchement de ce processus de réforme et
pour en garantir la réussite est le respect total
et catégorique des libertés clés : les libertés
d’opinion, d’expression et d’association au sein
de la société civile, dans son acception large qui
réunit la société civile et la société politique au
sens des définitions conventionnelles.
La seconde condition d’efficacité du
processus de réforme est que la participation
constitue l’essence même du processus
démocratique ; autrement dit, le processus
politique doit associer toutes les forces de la
société, notamment celles qui sont créditées
d’un fort ancrage populaire.
L’exclusion de toute force de la société
est, par principe, foncièrement contraire
aux principes de la démocratie ; de surcroît,
l’expérience dans la région arabe montre que
l’exclusion d’une force importante de la société
peut conduire aux affres de la guerre civile que
personne ne peut accepter.
La troisième condition est que la participation
au processus de réforme doit être conditionnée
par le respect par toutes le parties des principes
de liberté et des droits humains. Ceci suppose
plus précisément que l’architecture légale et
institutionnelle du processus de réforme, et
enfin de compte de la société de la liberté et
de la bonne gouvernance, garantisse qu’une
majorité, quelle qu’elle soit, même si elle est
élue démocratiquement, n’impose pas au reste
de la société une domination qui contredit les
principes de liberté et de bonne gouvernance.
Les différences de position par rapport à
ces trois conditions semblent représenter le
principal clivage entre les réformistes arabes,
d’une part, les régimes arabes et les initiatives
extérieures de réforme, d’autre part.
De telles questions se posent tout
particulièrement eu égard à la montée en
puissance des courants islamistes sur la
scène politique arabe. Malheureusement, le
traitement de ces questions est parfois d’un
simplisme dommageable.
La première vérité à considérer à ce sujet
est qu’aucune force politique qui se respecte
dans le monde arabe ne peut faire semblant
d’ignorer que la religion, particulièrement
l’islam, est un élément crucial du tissu culturel
et spirituel du peuple arabe. Et toutes les
forces qui ont pratiqué la politique dans les
pays arabes sans comprendre cet enseignement
ont fini à la marge du politique, si ce n’est pire,
quand bien même aurait-elles parfois à leur
crédit des performances momentanées.
Il est utile de rappeler ici l’une des
conclusions importantes du troisième Rapport
sur le développement humain arabe à propos
de la liberté et de la gouvernance. Cette
conclusion est qu’il n’y a pas de contradiction
fondamentale entre l’existence la société de
la liberté et de la bonne gouvernance et les
finalités universelles de la shari’a islamique.
Mais la mise en place de ce type de société dans
le monde arabe nécessite le développement
de l’analyse critique dans le domaine de la
jurisprudence islamique (ijtihad fiqhi) en vue
de poser les règles de concordance entre la
liberté au sens général du terme, qui englobe
à la fois la liberté de la nation et celle du
citoyen, et les finalités universelles de la shari’a
islamique, en dépassement de nombreuses
interprétations qui se sont multipliées aux
époques de la décadence et qui sont venues
consacrer l’oppression et le despotisme.
La réouverture le plus largement possible
de la porte de la réflexion jurisprudentielle
(ijtihad) indépendante, son encouragement et
sa consolidation est une exigence fondamentale
si l’on veut que se produise le mariage créatif
entre la liberté dans son acception globale
contemporaine et les finalités universelles de
la loi islamique (sharia). Il importe d’ajouter
que les courants islamistes qui en appellent
à la renaissance du monde arabe se doivent
d’inscrire dans leur agenda, et de considérer
comme étant de leur responsabilité, le devoir
de jouer un rôle d’avant-garde par rapport à
cette exigence.
La deuxième vérité que nous ne devons pas
oublier est que les courants islamistes forment
un large éventail avec une extrême diversité
interne.
Il est vrai qu’il existe des groupes
d’islamistes d’un radicalisme extrême qui ne
s’inscrivent pas dans la logique du changement
pacifique, choisissent de recourir à la violence
brutale pour atteindre leurs fins et n’hésitent
pas à terroriser les innocents. Aussi ces groupes
Rapport sur le développement humain arabe 2005
se sont-ils eux-mêmes exclus du camp de la
réforme arabe. Toutefois, c’est auprès de ces
groupes égarés par rapport aux chemins des
réformateurs arabes, qui ne le considèrent
d’ailleurs pas comme faisant partie des groupes
oeuvrant à la construction de la société de la
liberté et de la bonne gouvernance, que certains
médias occidentaux et certains cercles officiels
puisent leurs stéréotypes qu’ils généralisent à
l’ensemble de l’Islam et des musulmans sous
l’appellation d’ “ islam jihadiste ” et qu’ils
accusent de “ terrorisme ”. Il n’y a pas plus
éloigné de la vérité que cette superficialité
condamnable.
La majorité écrasante des courants
islamistes dans les pays arabes représentent
de larges forces de la société avec un profond
ancrage populaire, lequel est l’aboutissement
d’une action sociale et politique menée sur
plusieurs années parmi les petites gens. A
titre d’exemple on peut citer le mouvement
des “ Frères musulmans ” en Jordanie et
en Egypte, le Mouvement de la résistance
islamique “ Hamas ” et le Parti de la justice et
du développement “ PJD ” au Maroc. Parmi
ces mouvements, il y en a qui, en raison de
leur activité d’opposition, subissent toutes les
formes d’oppression et de souffrance, exercées
sur eux par les systèmes de pouvoir en place et
par l’occupation étrangère comme c’est le cas
en Palestine.1
Il faut reconnaître que les positions de ces
courants du centre ont connu une évolution
importante durant les cinq dernières décennies
sur des questions vitales de société comme celles
du respect des droits humains et de la bonne
gouvernance/démocratie, ce qui fait qu’ils ne
peuvent, une fois au pouvoir, prétendre à un
pouvoir théocratique. Les cas de la Jordanie
et du Maroc et, de la Turquie bien que dans
un cadre différent, confirment ce point de
vue. Mieux encore, d’aucuns estiment que la
participation de ces courants au pouvoir peut
conforter leur caractère civil et non religieux.
En outre, nombreux sont les courants de
cette mouvance du centre qui connaissent en
leur sein l’émergence remarquée d’une nouvelle
1
génération de dirigeants éclairés, relativement
plus jeunes. Cette génération est de plus
en plus présente à la tête de leur structures
organisationnelles. De plus on assiste à une
dynamique qui s’amplifie au niveau de la base
la plus large de ces organisations en faveur de
plus de démocratie interne.
Néanmoins, cette évolution positive ne
signifie pas que ces courants du centre ont levé
toutes les craintes des autres forces de la société
dans les pays arabes quant à l’impact négatif
sur la liberté et la bonne gouvernance que
risquerait de produire leur arrivée au pouvoir.
En effet des questionnements importants
subsistent au sujet de la position de ces
courants sur des questions comme la garantie
des droits des femmes, notamment en matière
de statut personnel, et les droits civiques et
politiques des groupes et cultures minoritaires,
particulièrement les minorités religieuses. C’est
pourquoi se fait ressentir le besoin de l’ijtihad
en vue d’aboutir, comme nous l’avons déjà
souligné, à une totale concordance entre les
finalités universelles de la shari’a islamique et
la société de liberté et de bonne gouvernance,
ainsi que l’adoption par ces courants des
résultats de cet effort d’interprétation.
Une telle exigence nous amène à parler
d’une autre composante au sein des courants
islamistes, qui est elle opposée à l’islam
“ jihadiste ”. Il s’agit d’un groupe de ulama
qui font preuve d’indépendance d’esprit dans
le travail d’interprétation et qui oeuvrent avec
patience et détermination à l’établissement de
la concordance demandée entre les finalités
universelles de la shari’a islamique et la société
de la liberté, ce qui les place au cœur même
du camp de la réforme arabe. Ils proposent
par exemple, dans l’optique de l’interprétation
islamique éclairée, de fonder le pouvoir sur la
volonté populaire, de garantir et de respecter
les droits civiques et politiques des femmes
et des groupes minoritaires. Le rapport sur le
développement humain arabe a essayé de faire
connaître le fruit de cet effort d’interprétation,
mais malheureusement, cette composante de
l’islamisme et les conclusions de ses travaux
Owen Poket , The Guardian (2003) ( La visite a eu lieu le premier mai 2006) http://www.guardian.co.uk/alqaida/story/0,12469,881096,00.htm
Human Right Watch (2005) (La visite a eu lieu le premier mai 2006) http://hrw.org/reports/2005/egypt0505/2.htm
La majorité écrasante
des courants
islamistes dans
les pays arabes
représentent de
larges forces de
la société avec un
profond ancrage
populaire, lequel
est l’aboutissement
d’une action sociale
et politique menée
sur plusieurs années
parmi les petites gens.
En effet des
questionnements
importants subsistent
au sujet de la position
de ces courants sur
des questions comme
la garantie des
droits des femmes,
notamment en
matière de statut
personnel, et les droits
civiques et politiques
des groupes et
cultures minoritaires,
particulièrement les
minorités religieuses.
Amnesty Intrnational (2001) (La visite a eu lieu le premier mai 2006) http://web.amnesty.org/report2001/webmepcountries/PALESTINIAN+AUTHORI
TY?OpenDocument
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
35
La position de
principe, adoptée par
le troisième Rapport
sur le développement
humain arabe consiste
à respecter les
résultats de la volonté
populaire exprimée
lors d’opérations
démocratiques saines,
telles que les élections
honnêtes.
La crise générale
a conduit à des
processus de
démêlement, de
renouvellement et
de naissance de
nouvelles initiatives et
formes de faire et de
mener une activité.
restent peu connues, notamment au niveau des
cercles du pouvoir à l’étranger.
L’une des problématiques qui risque de
ralentir le processus de réforme dans les pays
arabes réside dans les réactions négatives
auxquelles peuvent conduire les résultats du
processus de réforme politique qui pourraient
ne pas être du goût des forces hégémoniques à
l’intérieur et à l’extérieur du monde arabe. A
titre d’illustration de cette problématique, on
peut noter le rejet par certains régimes arabes
et certaines puissances internationales de
l’écrasant succès du Mouvement de la résistance
islamique (Hamas) lors des législatives
palestiniennes qui ont été, de l’avis de tous,
libres et honnêtes. Des réactions similaires ont
été enregistrées à la suite des succès réalisés
par le mouvement des “Frères musulmans” en
Egypte lors des dernières élections législatives,
particulièrement lors du premier tour marqué
par une marge relativement importante de
liberté et d’honnêteté.
Le refus de certains défenseurs de la
réforme à l’intérieur et à l’extérieur du monde
arabe d’admettre les résultats de l’expression
libre et honnête de la volonté populaire est
devenu l’une des entraves à la réforme.
La position de principe, adoptée par
le troisième Rapport sur le développement
humain arabe à ce sujet consiste à respecter les
résultats de la volonté populaire exprimée lors
d’opérations démocratiques saines, telles que
les élections honnêtes.
Le printemps de la réforme
arabe n’a pas encore fleuri
De nombreux observateurs ont salué quelques
évolutions auxquelles a conduit la dynamique
sociopolitique dans les pays arabes et qui
ont eu lieu après l’achèvement du travail de
préparation du Rapport sur le développement
humain arabe pour l’année 2004. Ils les ont
pris pour l’expression de prémices importantes
d’un mouvement de réforme arabe qu’ils
ont qualifié, dans un style romantique, de
“ printemps arabe ”.
Néanmoins, il nous semble difficile, dans
une vision de liberté et de bonne gouvernance,
telle que proposée par le précédent Rapport
sur le développement humain arabe, de
pouvoir qualifier les évolutions, que la scène
arabe a connues depuis l’achèvement de la
préparation dudit Rapport, d’expression d’une
large et profonde réforme telle que voulue par
le rapport. Ce serait même ignorer la réalité
que de considérer ce qui s’est passé comme des
prémices solides d’un processus devant aboutir
à cette réforme large et profonde. Les nuées de
“ l’automne arabe ” n’ont toujours pas disparu,
en dépit de l’amplification de la vague de
protestation contre le pouvoir et l’accentuation
de la revendication d’une réforme radicale de
la part des citoyens dans les différents pays
arabes.
L’amplification des luttes de
la société civile2
L’activité des organisations de la société civile
a connu une forte poussée durant la période
passée ; poussée qui représente presque un
saut qualitatif dans la manière de faire de ces
organisations, dans leurs champs d’action et de
leur impact. En outre, ces organisations se sont
associées aux mouvements politiques et ont
même, parfois, pris la direction d’actions pour le
changement politique. Une telle transformation
a été aussi marquée par la confirmation
d’une présence dense et courageuse lors de
manifestations de rues ainsi que par une action
visant à arracher le droit d’expression, à travers
la presse indépendante ou au moyen des chaînes
satellitaires, des colloques et des rencontres
publiques et privées. Plus important encore
est l’usage efficace fait par ces organisations
des nouvelles technologies de l’information et
de la communication pour faire passer leurs
opinions et communiquer. La crise générale
a conduit à des processus de démêlement, de
renouvellement et de naissance de nouvelles
initiatives et formes de faire et de mener une
activité.
Cette grande transformation s’est illustrée
de manière éclatante en Egypte où la scène
politique a connu des transformations
importantes pour ce qui est du mode d’action
publique, ce qui a été largement apprécié
2
Nous adoptons ici, comme dans le troisième Rapport sur le développement humain arabe, un concept élargi de la société civile qui intègre les deux
concepts conventionnels de société civile et de société politique.
36
Rapport sur le développement humain arabe 2005
par le public. En effet, Les derniers mois de
2004 ont été marqués par la constitution du
“ Mouvement égyptien pour le changement ”,
connu par son mot d’ordre “ kifaya ”(ça
suffit !), devenu une sorte de marque du
mouvement, qui traduit sa revendication de ne
pas permettre la réélection du Président de la
République ou le transfert du pouvoir à son fils.
Les mots d’ordre “ Non à la prolongation ” (du
mandat présidentiel) “ non à la succession par
héritage ” ont gagné le soutien de larges pans
de la société égyptienne ; des manifestations de
soutien à ces mots d’ordre se sont ainsi répétées
dans les villes égyptiennes. Le mouvement a eu
dans ses rangs des personnalités de toutes les
couleurs politiques et a gagné à lui le soutien de
la plupart des principaux partis politiques, des
syndicats et des organisations professionnelles.
D’autres forces de l’opposition ont rejoint
le camp des manifestants. Vient en tête de
ces forces la Jamaa des Frères musulmans
qui a organisé des manifestations monstres,
réprimées par les forces de sécurité ce qui
a provoqué le décès d’une personne. Des
mouvements revendiquant la réforme ont
vu le jour dans les milieux des professeurs
universitaires, des avocats, des journalistes,
des écrivains et des artistes. Et diverses
composantes des forces d’opposition ont
tissé d’autres formes d’alliance, dont les plus
importantes sont “L’Union nationale pour
le changement démocratique” et “L’Alliance
nationale pour la Réforme et le changement”.
Le Liban a connu, après l’assassinat de
l’ancien Premier ministre Rafik Al-Hariri, un
souffle populaire avec une participation de
la plupart des couleurs politiques, de larges
secteurs des organisations de la société civile
et des mouvements politiques. La compétition
publique directe et pacifique qui s’est produite
au Liban entre différents programmes et
conceptions politiques a poussé un grand
nombre de Libanais à intégrer la vie politique
et civique. Malgré le poids de l’héritage
politique et confessionnel, les voix qui en
appellent à la modernisation des structures de
l’Etat et des institutions de la société, sur des
bases civiles pour que la citoyenneté occupe
la place nécessaire qui lui sied, est aujourd’hui
une partie prenante du conflit quotidien et des
discussions publiques.
Au Bahrayn, des associations politiques et
des organisations civiles ont mené une large
campagne de protestation en demandant
l’accélération du rythme de la réforme politique,
et refusant du même coup les amendements
constitutionnels de l’année 2002. En avril
2005, plus de 30 associations et organisations
politiques et civiles ont signé un communiqué
où elles rejettent le projet de loi antiterroriste,
considérant qu’il sape largement les libertés
publiques et personnelles et menace les acquis
obtenus par le peuple du Bahrayn durant les
quatre dernières années en matière de liberté
d’expression, d’opinion et de mouvement
politique et social.
Des informations concernant des
mouvement similaires à celui de “ kifaya ”
sont parvenues d’autres pays arabes comme
“ irhalou ! ” (Allez-vous en !) au Yémen et
“ Khalas’ ” (y’en a assez ! ) en Libye.
En Syrie, des forces politiques importantes
de l’opposition ont publié avec des personnalités
de premier plan, civiles et de la culture,
“ La Déclaration de Damas ” qui se veut un
document d’unification de ceux et celles qui
revendiquent le changement démocratique,
après la tenue du Congrès du parti au pouvoir
qui a fixé le plafond du changement à des
modifications limitées en évitant d’aborder les
questions de fond comme la démocratisation
de la Constitution, l’abandon de l’usage du
référendum pour le choix du candidat unique
à la présidence et l’adoption du principe de
l’alternance pacifique au pouvoir.
Au Kuweit, un groupe d’islamistes a
annoncé en janvier 2005 la formation du
“ Parti de la umma ”, comme premier parti
politique déclaré au Kuweit. Il tentent ainsi
d’arracher le droit de constituer des partis car
ils estiment que la constitution le garantit alors
que le gouvernement l’interdit.
Au Soudan, un grand mouvement des
organisations civiles et politiques s’est produit
dans le sillage de la tendance à l’application
de l’accord de paix et l’adoption d’une
nouvelle constitution garantissant les libertés
publiques. La plupart des partis politiques qui
étaient interdits ont repris leur activité légale,
et les organisations de la société civile ont
déployé leur activité sur tous les plans. Mais le
gouvernement continue de s’efforcer d’étouffer
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
37
l’activité civile d’opposition en ayant recours à
de nouveaux instruments, dont le plus en vue
consiste à inciter ses soutiens à provoquer leurs
adversaires, comme ce fut le cas quand des
étudiants soutenant le gouvernement ont mis le
feu aux bâtiments de l’Université Oum Darman
pour empêcher la tenue des élections de l’Union
des étudiants ; le gouvernement craignait alors
de voir l’opposition les emporter.
En Jordanie, les syndicats ont mené une
campagne de protestation contre le nouveau
projet de loi sur les syndicats professionnels
qui dispose que ces derniers devaient obtenir
l’autorisation préalable du ministère de
l’Intérieur avant de pouvoir tenir des assemblées
générales et des réunions et leur impose de
ramener les sujets de discussion, dans toutes
leurs réunions professionnelles, leurs conseils
et lors des réunions de leurs commissions, aux
“ questions strictement professionnelles ”.
Les syndicalistes ont estimé que cette loi allait
fermer l’une des fenêtres ouvertes sur la libre
expression et la liberté de réunion devant les
affiliés aux syndicats dont le nombre dépasse
les cent cinquante mille membres.
S’agissant de l’Arabie Saoudite, plusieurs
organisations, arabes et internationales, des
droits de l’homme ont demandé la relaxe
de détenus qui ont purgé leurs peines.3 De
nombreuses organisations ont sollicité l’accord
du Roi Abdullah à l’occasion de son accession
au trône pour former une commission de
suivi de la situation des détenus politiques. Il
faut rappeler que le roi a promulgué le 8 août
2005 une grâce spéciale en faveur de quatre
initiateurs de la réforme4 et a demandé qu’un
certain nombre d’hommes de religion soient
chargés d’ouvrir une discussion avec des
détenus poursuivis pou incitation à la violence
ou pour en avoir fait usage, afin de parvenir par
le dialogue et l’amabilité, au rejet de la violence
civile.
Parmi les traits saillants de la nouvelle
dynamique on peut remarquer, en plus de
l’émergence de mouvements populaires qui ont
pu réunir des personnes de couleurs politiques
diverses et différentes, une tendance à la
pluralité de l’action civile. Une telle tendance
s’est traduite par des tentatives de constitution
de syndicats parallèles à ceux qui sont tombés
sous la domination officielle, ce qui peut
être considéré comme l’expression d’une
protestation devant le fait que les syndicats en
place soient tombés sous le contrôle officiel
ou qu’ils aient perdu de leur efficace, en
confirmation de l’idée de la diversité syndicale
et civile.
On peut également observer, durant cette
période, que les activistes de la société civile et
de ses organisations ont poursuivi leur action de
construction, de mise en œuvre et d’activation
des réseaux qui consolident la solidarité et
la coopération entre ces organisations dans
tout le monde arabe ; que ces structures
agissent pour les droits civiques, sociaux,
économiques ou environnementaux ou encore
pour la lutte contre la corruption. L’action du
Centre arabe des sources et de l’information
sur la violence contre la femme (AMMAN),
((http://www.amanjordan.org/english/index.
htm) en Jordanie s’est ainsi vue renforcée
par plusieurs sites d’information et d’analyse
qui permettent d’arriver à une intelligence
commune des événements et d’établir des
ponts pour assurer une meilleure coopération
entre les organisations non gouvernementales
comme le Réseau arabe d’information sur les
droits de l’homme (HRinfo) (http://www.
hrinfo.net/en/), le Réseau des sites des
organisations humanitaires et de bienfaisance
(IBH) (http://www.ibh.fr/english%20index/
english.htm), le site “ Sada ”(écho) de défense
des droits et libertés (http://perso.wanadoo.fr/
taysiralony/) et le Réseau euro–méditerranéen
des droits de l’homme (REMDH) (http://www.
euromedrights.net/). La tendance qui s’affirme
au niveau de ces structures est celle de dépasser
l’organisation d’activités communes sur le
plan arabe pour la constitution de groupes de
pression communs, arabes et internationaux.
On peut soutenir que la dynamique de
la société civile et de ses organisations a
commencé, en fin de compte, à s’orienter
dans une nouvelle direction que caractérise
plus de vitalité et une plus grande confiance
en soi, ce qui représente une avancée réelle
3
La commission arabe des droits de l’homme a publié une liste qui n’est pas définitive comprenant 120 détenus qui ont fini par purger leurs peines
en mars 2005.
4
38
Matrouk AL-Faleh, Abdallah al-Hamed, Ali Dmini et Abd ar-Rahman al-Lahem.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
vers l’activation du travail civil et la réalisation
d’une des plus importantes conditions de la
transition démocratique dans le monde arabe.
Le discours mensonger sur la réforme
Des régimes arabes ont annoncé le lancement
de programmes de réforme politique. Mais
la plupart des initiatives de réforme n’ont
constitué qu’une infime partie de l’agenda
de la réforme, laquelle doit représenter une
évolution sérieuse dans le sens de la société
de la liberté et de la bonne gouvernance.
D’autres aspects de la réforme ont été vidés de
leur contenu escompté en raison des entraves
et des “ règles ” qui assurent la reproduction
du système d’étouffement de la liberté. Les
autorités de pays qui prétendent s’inscrire dans
la réforme se sont évertuées à poursuivre leurs
violations graves des droits des défenseurs
de la réforme. D’aucuns considèrent que la
prétention réformiste est devenue une sorte de
paravent qui sert à couvrir la pérennisation des
structures despotiques actuelles.
Une vague d’élections majoritairement
défaillantes
Le modèle de liberté et de bonne gouvernance,
retenu par le troisième Rapport sur le
développement humain arabe, comporte
l’idée du choix populaire de représentants
devant siéger dans les institutions du pouvoir,
à condition que les élections soient libres
et honnêtes et que la citoyenneté pour tous
soit assurée, dans le cadre d’une société qui
garantisse la liberté du choix rationnel parmi
plusieurs alternatives que le citoyen peut
étudier à travers le débat de société, public et
libre. Aussi faut-il fêter toute élection se tenant
dans le monde arabe et réunissant de telles
conditions de sincérité.
Néanmoins, la bonne gouvernance, telle
que définie dans le troisième Rapport, ne se
réduit pas à la tenue d’élections, fussent-elles
dénuées de faiblesses. En effet des “ dispositifs
démocratiques ” peuvent coexister avec diverses
Une femme brillante : Hanane Achraoui
Diplomate palestinienne, négociatrice
et professeur d’université. Elle a réussi
sa licence de littérature anglaise à l’Université américaine de Beyrouth et obtenu
son doctorat en littérature du Moyen
âge à l’Université de Virginie en 1971.
Son activité s’est déployée dans un
nombre d’institutions palestiniennes, y
compris l’Union générale des femmes
palestiniennes au Liban (1967-1972), le
Centre palestinien d’information dépendant de l’Organisation de libération de
la Palestine (1968-1970). Les autorités
israéliennes d’occupation lui ont interdit de retourner en Cisjordanie durant
la période 1967-1973. Après son retour,
elle enseigna comme professeur de littérature anglaise à l’Université de Bir Zeit
(1974-1995) où elle occupa le poste de
doyen de la Faculté des Lettres de 1986 à
1990, en sa qualité de première femme à
occuper ce poste à l’université.
Hanane est devenue célèbre après sa
nomination comme porte-parole officielle
lors des négociations de la Conférence
internationale pour la paix de Madrid
en 1991, à l’occasion de laquelle elle
a révélé ses talents linguistiques et sa
grande capacité à parler à l’Occident et à
défendre les causes de son peuple devant
les représentants des médias. Elle est élue,
en 1996, membre du Conseil législatif
palestinien en sa qualité de représentante
de la ville d’Al-Qods. Elle occupa le
poste de ministre de l’Enseignement
supérieur pour quelques temps. Elle a été
remarquée par son opposition à certaines
politiques de l’Autorité palestinienne en
matière de négociations et par sa défense
des principes de démocratie et de bonne
gouvernance. Elle démissionna de
l’Autorité palestinienne pour constituer
une organisation non gouvernementale,
“ L’Initiative
palestinienne
pour
la promotion du dialogue et de la
démocratie ”(MIFTAH), dont elle est
la directrice générale et, depuis 1998, la
présidente.
En 2006, Hanane Achraoui a été
l’une des fondatrices de la liste électorale
dénommée “ la troisième voie ” qui
a mené campagne lors des élections
législatives du 25 janvier 2006, a obtenu
2,41% des voix des électeurs et occupe
au Conseil législatif palestinien deux
sièges.
formes de rupture avec le modèle de liberté et
de bonne gouvernance, tout particulièrement
les violations graves de la liberté au sens global
retenu par le Rapport, y compris notamment la
dimension libération nationale.
En Palestine occupée, des élections pour
élire le Président de l’Autorité palestinienne
parmi de nombreux candidats ont eu lieu.
Elles ne furent d’ailleurs pas les premières.
Ces élections ont fait l’objet d’un grand
intérêt international. Elles furent, en général,
considérées comme sincères, bien que les
autorités israéliennes aient grandement
perturbé leur déroulement, au point d’agresser
physiquement le second plus important
candidat à l’un des points de passage et de lui
interdire de mener sa campagne électorale à
Al-Qods.5
On peut sans exagération dire que les
élections législatives palestiniennes du mois
de janvier 2006 ont représenté une véritable
Islah Jad
La plupart des
initiatives de réforme
n’ont constitué
qu’une infime partie
de l’agenda de la
réforme, laquelle
doit représenter une
évolution sérieuse
dans le sens de la
société de la liberté
et de la bonne
gouvernance.
5
Docteur Mustapha Al Barghouti fut séquestré pendant plus de deux heures dans la partie Est de la ville d’Al-Qods le dernier jour de la campagne
des présidentielles palestiniennes.
“ Intifada électronique ” http://www.electronicintifada.net/v2/article3485.shtml (2005) (visité le 14 avril 2006)
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
39
secousse politique par le déroulement du
processus électoral que par leurs résultats. En
dépit de la jeunesse de l’expérience, des dures
conditions de l’occupation et des énormes
pressions étrangères, les élections se sont
déroulées en douceur et dans un esprit de
responsabilité. La victoire est revenue à l’aile
la plus forte de l’opposition (Le Mouvement
de la résistance islamique/ Hamas). Une
telle expérience est chargée de significations
fondamentales qui portent à la fois sur le
concept d’alternance pacifique et sur la capacité
de développer une conception plurielle du
programme politique, économique et social.
L’Irak, également occupé, a connu le 25
janvier 2005 des élections pour la formation du
Conseil national provisoire, chargé d’établir
la Constitution du pays, dans un climat de
presque totale insécurité et d’une campagne de
terreur violente à l’encontre des candidats et
des électeurs.
Dans un premier temps la tenue
d’élections ne faisait pas partie de l’agenda
de l’autorité d’occupation. Son plan, annoncé
à la mi-novembre 2003, consistait à choisir
les représentants au Conseil National au sein
de congrès tenus dans les différentes régions
et auxquels participeraient des personnalités
irakiennes choisies par une commission
organisationnelle dans chaque région désignée
par l’autorité d’occupation. Mais la violence
de la réaction à ce plan de la part des forces
nationalistes irakiennes et des dignitaires
religieux, particulièrement Ayatoullah AlSistani, et leur insistance pour la tenue
d’élections pour la constitution du Conseil
national, ont contraint l’autorité d’occupation
à faire marche arrière et à se soumettre à la
volonté irakienne.
Après la préparation par le Conseil
National d’une nouvelle constitution, adoptée
par référendum populaire le 15 octobre 2005,
les élections du Conseil législatif se sont tenues
le 15 décembre 2005. Ces élections créditées
d’une forte participation, évaluée à 70%, ont
néanmoins été marquées d’irrégularités telles
que les fraudes et les vols des urnes selon la
déclaration du Président de la Commission
supérieure indépendante des élections en
Irak (Journal Acharq al-Awsat, London, 16
décembre 2005).
40
En Arabie Saoudite, et pour la première
fois, des élections municipales se tiennent en
2005. Dans l’optique de ce rapport, ces élections
ont souffert d’un défaut essentiel : l’exclusion
des femmes. Et si on ajoute à cette exclusion
le fait que l’on ait demandé aux électeurs de
choisir la moitié seulement des membres des
conseils municipaux, on se rend compte que
le chemin à parcourir pour arriver à l’élection
d’une assemblée nationale législative dans son
intégralité par tous les citoyens reste long. Et
pourtant ces élections représentent un premier
pas franchi dans le sens de la réforme, dans la
mesure où elles ont stimulé un débat national
autour de la question de la participation
populaire.
Au Liban, et pour la première fois, des
élections parlementaires ont eu lieu pendant
le printemps 2005 après le retrait des troupes
syriennes.
En Egypte, le régime en place a provoqué un
grand scandale après la demande du Président
de la République d’amender un article de
la Constitution, l’article 76, pour permettre
l’élection du président de la République parmi
plusieurs candidats ; proposition présentée
comme étant une première en matière de
réforme politique. Or l’article amendé
comportait un grand nombre de conditions
contraignantes qui le réduisent à une simple
réglementation, extrêmement formalisée, de
l’actuelle formule du référendum pour le choix
du président.
Le texte amendé a été soumis à un
référendum populaire, que certaines forces
d’opposition ont appelé à boycotter. Une
commission
judiciaire
indépendante,
constituée par le “ Club des magistrats ”, a fini
par déclarer que la falsification des résultats a
été une pratique courante à l’occasion de ce
référendum. Des atrocités ont été commises,
le jour même du référendum, contre les
personnes qui manifestaient pacifiquement
contre la tenue de ce référendum.
Les élections présidentielles ont été
organisées le 7 septembre 2005. Si certains
partis politiques d’opposition légale les ont
boycottées, un certain nombre de chefs de
partis légaux, dont la majorité occupent une
position marginale sur l’échiquier, ont décidé
par contre de mener campagne ; la liste des
Rapport sur le développement humain arabe 2005
candidats comprenait, outre le président en
exercice, neufs autres personnes. L’annonce
des résultats de l’élection est venue affirmer
une victoire écrasante du président en
exercice avec un taux de 88,5% des voix, ses
deux plus importants rivaux ayant obtenu
moins de 10% des voix. Mais le chiffre le plus
important des résultats de ces élections a été
le taux de participation qui n’a pas dépassé,
selon les statistiques officielles, le quart6 des
personnes en droit de voter. Ce qui n’est
nullement surprenant après des décennies
d’étouffement de la vitalité politique de la
société, d’emprisonnement des libertés clés, de
recours aux lois d’urgence pour gouverner en
raison de l’indigence des alternatives.
Les élections des membres du Parlement se
sont déroulées en trois temps en novembre et
décembre, et elles ont connu un grand nombre
d’irrégularités.
En effet, de l’aveu de magistrats chargés
des commissions électorales, les résultats
de l’élection, dans deux circonscriptions
importantes au moins, ont été falsifiés au profit
du candidat du parti au pouvoir. Les détails
de la falsification, dans l’un de ces cas, ont été
rendus publics dans un article courageux signé
par la conseillère Noha Zene7,qui dirigeait
l’une des circonscriptions à Damanhour.8
Certains magistrats supervisant les
élections ainsi que des électeurs ont été l’objet
de nombreuses agressions. C’est ce qui a
poussé les magistrats à demander à prendre en
charge le contrôle total de toutes les étapes du
processus électoral, la constitution d’une police
judiciaire autonome et que l’armée assure la
protection de l’opération électorale, comme la
loi l’y autorise en Egypte.9
Dans des circonscriptions où les candidats
du parti au pouvoir couraient le risque
d’échouer, tout particulièrement pendant les
deuxième et troisième tours, il y a eu recours
aux forces de sécurité pour empêcher les
Encadré I-1
Une commission judiciaire qui finit par
falsifier la volonté des électeurs.
•Les commissions ont remarqué la
faible affluence (des électeurs) dans les
bureaux de vote ; nombreuses sont les
commissions devant lesquelles aucun
électeur ne s’est présenté. La moyenne
des personnes qui se sont présentées
devant les autres commissions n’a pas
dépassé 3% des inscrits.
•95% des sous-commissions ont été
présidées par des fonctionnaires qui
n’avaient aucune indépendance et
aucune immunité et qui ont fait l’objet
de pressions et de menaces de la part
des policiers ; ces commissions ont
totalement échappé au contrôle de la
magistrature. Ces commissions ont été
le théâtre de la violation de la loi et de
la falsification des registres de présence
et des cartes des électeurs.
Source :
Rapport de la Commission constituée par le Club des magistrats.
“ Al Arabi ” (2005) “ La conscience de l’Egypte ” (visite du 2 avril 2006) http://www.al-araby.com/articles/966/050703-966-jrn01.htm
électeurs d’arriver aux bureaux de vote, ce qui
a provoqué, par moments, des affrontements
violents au cours desquels des blessés et des
morts sont tombés.10
Il y a eu également recours à l’arme de
l’argent consistant en l’achat des voix des
pauvres, les femmes plus particulièrement,
ce qui a donné lieu à ce que l’on a qualifié
d’ “ esclavage électoral ”.11
S’agissant de la part réservée aux femmes à
la Chambre des représentants, les listes du parti
au pouvoir n’ont comporté que 6 candidates
sur 444 candidatures. La Jamaa des Frères
musulmans a réalisé par contre une avancée
remarquable. En fin de compte, les résultats
déclarés n’ont pas accordé au parti au pouvoir
la majorité écrasante qu’il détenait dans la
précédente chambre (sans intégrer certains
candidats indépendants au parti).
Conclusion
A la lumière de ce qui précède, il convient sans
nul doute de saluer, mais sans exagération, la
vague d’élections tenues dans un certain nombre
de pays arabes, parce qu’elles représentent le
début de la consécration du droit de choisir,
6
Les résultats officiels donnent un taux de participation dépassant la moitié !
7
Pour lire le texte intégral de son témoignage, voir Noha Zene (2005) http://admins.20at.com/shhada-noha0ene1.htm (visité le 10 mars 2006).
8
Amira Houidi, “ Al Jazeera ” (2005) (visite du 9 mai 2006) http://english.aljazeera.net/NR/exeres/ABA/39240-04C7-4CE5-8164-7569EB6EA4A8.
htm
9
Al Jazeera (2005) (visite du 12 avril 2006) http://english.aljazeera.net/NR/exeres/D153BDBA-873B-4543-B273-396F53B17B0E.htm
10
Daniel Welmaz, “ Washington Post ” (2005) (visite du 1er juin 2006). http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2005/12/07/
AR2005120702611.html
11
Al Arabya (2005) (visite du 26 mai 2006) http://www.alarabiya.net/Articles/2005/11/27/18990.htm
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
41
particulièrement dans des pays où les élections
étaient tenues pour une hérésie politique, pour
ne pas dire un blasphème. Néanmoins, des
observateurs considèrent que “ les élections
contrôlées ”12 sont les derniers outils trouvés
pour consolider les régimes alliés de l’Occident
(Milne, en anglais, 2005).
Ce qui est sûr c’est que la réforme des
élections, pour en faire l’un des éléments
constitutifs de la société de la liberté et de
la bonne gouvernance, va prendre encore
beaucoup de temps. La mise en place d’une
telle société, aujourd’hui en formation, exige
beaucoup de réformes radicales qui doivent,
par delà les élections, concerner surtout les
structures juridiques et politiques.
Des observateurs
considèrent que “ les
élections contrôlées ”
sont les derniers
outils trouvés pour
consolider les régimes
alliés de l’Occident
(Milne, en anglais,
2005).
L’aggravation des
violations des droits de
l’homme dans les pays arabes
En dépit des nombreux programmes de
réforme annoncés par les régimes arabes, les
violations des droits de l’homme, individuels
ou collectifs, ont empiré durant la période
couverte par le Rapport.
Les violations causées par l’occupation et les conflits
armés internes
Les pires violations se sont produites dans
le cadre des occupations étrangères et sont,
en tant que telles, considérées comme des
violations graves des droits de l’homme.
Les femmes ont souffert doublement
des violations graves sous les occupations
étrangères ; premièrement, parce qu’elles
sont les plus affectées par la dégradation de la
situation humanitaire ; deuxièmement, parce
qu’elles sont doublement responsables de leurs
familles, les chefs de famille étant absents pour
cause soit d’actes de violence ou de détention ;
troisièmement, en raison de l’insécurité et
de la multiplication des crimes de viols qui
accompagnent les situations où sévissent
anarchie et pouvoir de la force ; les rapports
sur l’Irak témoignent de l’état d’infortune des
femmes irakiennes. Une situation analogue est
vécue par les femmes palestiniennes dans les
Territoires palestiniens occupés. Celles-ci se
retrouvent sans abris et sans moyens après les
nouvelles campagnes de démolition de leurs
maisons pour diverses raisons ; des dizaines
d’entre elles ont accouché aux barrages de
contrôle israéliens alors qu’elles attendaient
l’autorisation de les franchir.
D’un autre côté, des dizaines de milliers
de civils continuent de tomber dans le cadre
des conflits internes armés. Le “ Darfour ” est
devenu un foyer de conflit armé remplaçant
ainsi le sud Soudan avant même que le pays
ne célèbre les accords de paix qu’il a signés
pour mettre un terme au plus long conflit que
le continent africain ait connu. Ce nouveau
conflit a entraîné dévastation et désolation
pour les originaires de la région en raison des
massacres et des destructions perpétrées. Les
forces gouvernementales et les forces alliées,
d’un côté, les rebelles, de l’autre, ont commis
des violations graves des droits de l’homme,
pouvant être qualifiées de crimes de guerre et
de crimes contre l’humanité.13
En Somalie, les différentes démarches
comme l’accord entre les différents groupes
somaliens, obtenu avec le soutien de l’Instance
gouvernementale pour le développement
“ IGAD ”, la constitution d’un nouveau
Conseil national et le choix d’un président de
la République n’ont pas réussi à mettre fin aux
combats internes ; le pays est en proie à des
tueries et à l’absence de loi.
Un gouvernement arabe a lancé une
énorme campagne militaire pour venir à bout
d’une rébellion dirigée par le leader d’une
organisation d’opposition dans une région
du pays. Le gouvernement a fait preuve d’un
usage disproportionné de la force, ce qui a
conduit après une courte période d’accalmie,
à une reprise de la rébellion pour venger les
victimes. Le ministre de l’Intérieur a déclaré
que le nombre de tués parmi les forces armées,
12
Dont on manipule les résultats.
13
Rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies au Darfour sur Décision du Conseil de Sécurité 1564 (2004).
Global Policy (2005) (visite du 2 mai 2006)
http://www.globalpolicy.org/security/issues/sudan/2005/darfurcoi.pdf
42
Rapport sur le développement humain arabe 2005
les forces de sécurité et les citoyens s’élevait
à 525 personnes, sans compter 2708 blessés ;
le ministre a omis d’indiquer le nombre de
victimes parmi les affiliés et des soutiens de
l’organisation d’opposition, estimé à des
centaines selon les sources sans parler du grand
nombre de citoyens détenus.
Les femmes ont été l’objet de violations
graves dans le cadre des conflits internes
armés. Des violations se sont produites lors des
attaques et contre attaques dans leurs lieux de
résidence au Darfour et en Somalie. Mais les
violations les plus graves ont eu lieu au cours
des mouvements d’exode et d’émigration
durant lesquelles de nombreuses femmes ont
été violées et agressées physiquement dans les
centres d’exode où elles se sont réfugiées.
Les conflits politiques ont constitué un
foyer supplémentaire de violations des droits
de l’homme. Ainsi, trois gouvernements arabes
ont annoncé avoir déjoué des tentatives de
coups d’Etat, ce qui s’est traduit par des procès
et des sentences très sévères. Bien qu’un
dirigeant ait gracié par la suite les inculpés,
une personnalité importante et estimée de ce
pays a payé le prix, pour avoir assuré le suivi
des procès, sous forme d’une condamnation à
18 mois de prison dont elle a purgé six avant
d’être relaxée à la suite d’une campagne de
soutien aux échelons arabe et international.
La violation des libertés
publiques et des libertés
d’opinion et d’expression
Les libertés publiques sont soumises à de plus en
plus de pressions venant de l’intérieur comme
de l’extérieur. En octobre 2004, un Etat du
Golfe a pris une série de décisions graves et sans
précédent consistant à retirer leur nationalité
aux membres d’une tribu locale — l’une des
branches d’une tribu qui a historiquement vécu
sur les lieux —, décision qui a touché 972 chefs
de familles et par conséquent les membres de
leurs familles au nombre de 5266, autrement
dit tous les membres de la tribu.
Ces décisions furent suivies de dispositions
gouvernementales consistant à les expulser de
leurs lieux de travail, à les obliger à remettre les
habitations qu’ils occupent en leur qualité de
citoyens, à les priver de tous les privilèges de
la citoyenneté tels que l’accès aux services de
santé, à l’enseignement, à l’électricité, à l’eau
potable et aux activités commerciales, à leur
intimer l’ordre via les différents services de
sécurité de régulariser leur situation de noncitoyens ! Pour justifier de telles décisions,
les autorités en question ont prétendu que les
membres de ladite tribu étaient originaires
d’un autre Etat dont ils continuent à garder
la nationalité. Plusieurs épouses ont alors
demandé à divorcer pour pouvoir conserver
leur nationalité (La Commission arabe des
droits de l’homme, 2005)14. Le problème a
finalement été résolu, sous la pression locale et
internationale, par la réhabilitation d’une partie
des personnes concernées dans leur nationalité
et par la naturalisation des autres.
Dans un autre Etat, on observe un
ralentissement des réformes législatives visant
à l’abrogation des textes instituant les peines
privatives de liberté dans les délits en matière
d’édition. Au lieu de mettre en application la
promesse d’annuler les peines privatives de
liberté dans les affaires d’édition donnée par
le Président de la république lors du dernier
congrès du parti au pouvoir, certains projets de
lois de “ la réforme ” politique ont aggravé les
peines dans les affaires d’édition et d’expression.
Ainsi la loi organisant la mise en application
des droits politiques a t-elle, dans son article
48, aggravé la peine d’emprisonnement
pour toute personne accusée de publier ou
de diffuser des informations mensongères à
propos des élections ou du référendum en vue
d’en influencer les résultats, ce qui ouvre toute
grande la porte aux enquêtes portant sur les
intentions.
Selon l’Organisation arabe des droits de
l’homme, d’autres pays ont pris l’initiative
d’autres projets de lois visant à renforcer
les restrictions sur les libertés d’information
Les libertés publiques
sont soumises à
de plus en plus de
pressions venant de
l’intérieur comme de
l’extérieur.
14
La Commission arabe des droits de l’homme et le Délégué du Haut Commissariat aux droits de l’homme ont promis d’enquêter sur toutes les
atteintes relatives à ce dossier, lequel a représenté un véritable test pour la Commission nationale des droits de l’homme qui a déployé de grands
efforts pour mettre fin à ce drame. Bureau du Délégué du Haut commissariat aux droits de l’homme (2005) (Visite effectuée le 9 mars 2006).
http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/rsd/rsddocview.html?tbl=RSDCOI&id=441821a525&count=1
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
43
Les réformateurs et
les défenseurs des
droits de l’homme
sont devenus, dans
la plupart des Etats
arabes, des cibles
permanentes des
actions répressives.
(L’Organisation arabe des droits de l’homme,
2005a). La région occupe la première place en
matière de décès et d’assassinats de spécialistes
des médias dans les zones de conflits armés15.
La Commission arabe des droits de l’homme
a publié une liste non exhaustive de 72
journalistes décédés en Irak depuis le 8 avril
2003 et les noms de 9 autres portés disparus
(Qays al-Azzaoui et Haytam Manna, en arabe,
2005 : 25). De nombreux journaux ont été
suspendus et des journalistes arrêtés dans de
nombreux pays arabes. La chaîne satellitaire Al
Jazeera s’est vu retirer l’autorisation d’exercer
dans certains pays arabes et des poursuites ont
été engagées contre ses journalistes. Le célèbre
journaliste de la chaîne Al Jazeera, “ Ahmed
Mansour ” a été agressé physiquement au Caire
en novembre 2005. La chaîne satellitaire Al
Manar s’est également vu interdire de diffuser
dans certains Etats européens et huit personnes
travaillant pour la chaîne satellitaire Al Arabia
sont mortes en Irak, le décès de trois d’entre
elles étant directement lié aux opérations des
forces d’occupation.
Le 26 septembre 2006, la Cour nationale
espagnole a prononcé des peines allant de
6 à 27 années de réclusion à l’encontre des
présumés membres de ce qui a été considéré
comme une cellule syro-espagnole. Une
commission constituée de trois magistrats de la
Cour nationale a procédé, dans un lieu spécial
et sous très forte protection, à l’audition de
107 témoins, dont plus de la moitié étaient des
membres des forces de sécurité. Quatre-vingtdeux organisations non gouvernementales et
syndicales et plus de 1300 personnalités dans le
monde ont qualifié ces jugements d’injustes et
ont exigé que l’affaire ne soit pas politisée dans
le cadre de ce qui est dénommé “ la guerre au
terrorisme ”. La Cour suprême d’Espagne a
accepté le pourvoi en cassation.16
Il importe de signaler que le fait de
s’attaquer au quatrième pouvoir et aux moyens
de communication modernes a conduit au
développement d’une conscience générale
de la nécessité de l’alliance entre l’espace de
l’information et l’espace non gouvernemental.
15
16
Il faut dire que de nouvelles formes de
résistance et d’action en vue du changement
ont vu le jour ; elles s’appuient sur l’interaction
et la coopération entre les deux espaces quand
il s’agit de servir le processus de constitution
de la conscience démocratique, la lutte
contre la corruption et l’approfondissement
et la diffusion de l’idée de participation à la
responsabilité et à la prise de décision.
Les réformateurs et les
activistes des droits de
l’homme menacés
Les réformateurs et les défenseurs des droits
de l’homme sont devenus, dans la plupart des
Etats arabes, des cibles permanentes des actions
répressives officielles, y compris en faisant l’objet
de poursuites judiciaires et d’arrestations ;
ils sont même parfois victimes d’assassinats.
A cela s’ajoutent les obstacles croissants que
constituent dans la plupart des Etats arabes les
restrictions légales aux libertés d’expression
et d’association. La plupart des activités
syndicales et civiques sont toujours interdites
légalement. A titre d’illustration, un Etat du
Golfe a poursuivi et jugé quelques dizaines de
personnes pour constitution d’une organisation
religieuse ; elles furent condamnées à des
peines très sévères avant d’être graciées par le
détenteur du pouvoir à la suite de protestations
populaires sans précédent. De même des
demandes de constitution d’organisations des
droits de l’homme sont restées sans suite dans
de nombreux pays arabes, toutefois l’Etat des
Emirats arabes unis a donné son accord pour la
constitution d’une association civile des droits
de l’homme au début de l’année 2006.
Un Etat du Mashreq a connu de nombreuses
arrestations de réformateurs et d’activistes des
droits de l’homme. L’un des réformateurs est
décédé dans des circonstances douteuses, et
des dizaines de citoyens ont été emprisonnés
sans être présentés à la justice. En outre, des
membres de la tendance islamiste ont été
arrêtés à leur retour dans cet Etat. Les autorités
ont également fermé tous les forums de la
Rapports de “ Reporters sans frontières ” et les communiqués de l’Union des journalistes arabes sur les victimes des conflits armés (www.rsf.org).
Peter Bergen, Commission arabe de droits de l’homme (2005) (visite effectuée le 16 mars 2006) http://www.achr.nu/art63.htm.
A Goodman, CNN (2005) (visite effectuée le 26 septembre 2005) http://www.cnn.com/2005/WORLD/europe/09/26/spain.terror.trial/index.html
44
Rapport sur le développement humain arabe 2005
société civile nés durant les toutes dernières
années dans le cadre de ce qui a été qualifié
de “ printemps ”, et n’ont pas hésité, en juin
2005, à interpeller le conseil d’administration
du seul forum restant, suite à la lecture
lors de l’une de ses réunions de la lettre du
leader du Mouvement des Frères musulmans
interdit. Il faut dire que le gouvernement avait
délibérément restreint les activités dudit forum,
en entravant son action et en inondant ses
réunions de membres des services de sécurité
et de personnes qui soutiennent le pouvoir
en vue d’infléchir les discussions en son sein
dans un sens déterminé. Le forum continue
d’être interdit de réunion au début de chaque
mois. Les autorités ont libéré cinq des détenus
du “ printemps ” après avoir purgé le quart
de la durée légale de leur peine. Cependant
les autorités ont refusé de relaxer un certain
nombre de réformateurs détenus et de cadres
kurdes et islamistes dont les organisations des
droits de l’homme exigent la libération.
Dans un Etat de l’Afrique du Nord, les
autorités ont continué à dresser des obstacles
devant les instances civiles et les associations
professionnelles indépendantes, telles que
les ligues des avocats, des journalistes et des
professeurs d’universités ainsi qu’à refuser
de reconnaître les syndicats indépendants et
les organisations indépendantes des droits de
l’homme. Amnesty International a rapporté
que l’activité de l’Institut arabe des droits
de l’homme a été effectivement gelée après
le gel de son financement en application des
dispositions de la loi antiterroriste et après que
les autorités aient fait opposition à la présence
d’une personne déterminée au sein de son
Conseil d’Administration. Le gouvernement a
bloqué le courrier de l’Institut et a interdit la
diffusion des ouvrages qu’il publie. Suite à une
large campagne civile de soutien dans la région
et dans le monde, les autorités ont fait marche
arrière, en mettant un terme aux restrictions
et intimidations et en autorisant l’Institut à
recevoir ses moyens de financement comme
par le passé.
A l’occasion de la tenue du Sommet
mondial sur la société de l’information pour
l’année 2005, des organisations internationales
des droits de l’homme ont annoncé qu’elles
doutaient que le pays hôte n’étouffait ces mêmes
droits et libertés que la réunion est censée
soutenir puisque les opposants s’exprimant
sur la toile internationale sont emprisonnés,
les sites sont surveillés, les organisations des
droits de l’homme font l’objet d’intimidations
et les agences indépendantes d’information
sont fermées (Amnesty International, “ Des
mots vides de sens” sur les droits de l’homme
au Sommet des Nations Unies sur la société de
l’information, 2006).
Ce pays n’est pas le seul à être dans cette
situation selon un rapport publié par le Réseau
arabe d’information sur les droits de l’homme
avec pour titre : “ L’Internet dans le monde
arabe, un nouveau terrain de répression ” en
juin 2004 sur la base d’un sondage couvrant
onze pays arabes. Le rapport constate que
la liberté relative en matière d’utilisation de
l’Internet était effective seulement dans trois
Etats, à savoir la Jordanie, Qatar et les Emirats.
Les autres Etats s’efforcent de contrôler le
contenu des informations circulant sur la toile
et dépensent d’immenses sommes pour le
contrôle d’Internet, “ en plus de l’utilisation
de nouveaux moyens… comme le contrôle à
la source au moyen de programmes de filtrage
électronique… Certains Etats ont également
recours à la monopolisation de l’offre de
service… (en plus de) la fabrication de délits
pour jeter les personnes qui ont dépassé les
lignes rouges – d’ailleurs inconnues ! – en
prison pour des allégations sans fondement”.
Dans un Etat du Golfe, les organisations de
la société civile et les organisations des droits
de l’homme ont subi des pressions officielles.
Un centre des droits de l’homme a ainsi été
menacé de poursuites légales en raison de sa
participation aux réunions de la Commission
des droits de l’homme de l’ONU à Genève en
mai 2005. Au début du mois de février 2006,
douze activistes dudit centre ont été condamnés
à deux ans d’emprisonnement à la suite d’une
manifestation organisée à l’aéroport. Une
activiste du mouvement des femmes avait
déjà été traduite en justice, en juin 2005, pour
offense à la magistrature et des organisations
locales et internationales ont été sollicitées
pour lui apporter leur soutien. En outre, le
gouvernement refuse de reconnaître un grand
nombre d’organisations civiles constituées
sur initiative civique comme le Syndicat des
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
45
journalistes, le Conseil laïc, la Commission des
martyrs et victimes de la torture, la Commission
des chômeurs, la Commission de la liste
féminine, l’Union des femmes et l’Association
sociétale de lutte contre la violence à l’égard
des femmes.
En Afrique du Nord un Etat a connu une
augmentation du nombre de cas battus et
agressés physiquement parmi les défenseurs
de la réforme, dont le rédacteur en chef d’un
journal d’opposition17 et quatre journalistes
femmes18. Des actes similaires se sont produit
dans un autre Etat de la même région19.
Deux journalistes ont été assassinés20 et
une tentative d’assassinat a visé une journaliste
au Liban. Un autre journaliste a été assassiné
en Libye dans des circonstances douteuses et le
président d’une association active au Darfour a
été arrêté.
Les restrictions visant les
libertés d’association et de
réunion pacifique
Les restrictions concernant le droit de réunion
pacifique se sont renforcées. Un pays du Mashreq
a ainsi interdit 70% des marches pacifiques
selon le Centre national des droits de l’homme
dans ledit pays. Des marches pacifiques pour
exiger la réforme ont été dispersées par la force
et des centaines de manifestants ont été arrêtés
dans un autre pays arabe. Dans un troisième
pays, un sit-in symbolique tenu à l’occasion de
la commémoration de la Déclaration universelle
des droits de l’homme a été dispersé par la
force et quelques participants ont été arrêtés.
L’interdiction de manifester est toujours en
vigueur dans un quatrième pays.
Dans une capitale arabe, le drame qui a
résulté de la dispersion d’un sit-in de Soudanais
demandeurs d’asile, et qui s’est soldé par 25
décès, le 30 décembre 2005, pour cause de
mauvaise gestion, a montré que la société civile
peut être sensible aux préoccupations arabes
et non pas seulement nationales. En effet, un
large rassemblement non gouvernemental s’est
constitué en solidarité avec les victimes et pour
engager les poursuites légales.
Dans un pays du Golfe, les autorités se
sont attaquées à des manifestations organisées
pour demander la réforme. La loi promulguée,
relative aux associations politiques, fut
considérée par les associations politiques et
les associations des droits humains comme
restrictive des libertés et contraire aux chartes et
traités internationaux. Six grandes associations
politiques ont ainsi décidé de fermer leurs
portes volontairement pour trois jours pendant
le mois de juillet 2005.
Les autorités d’un pays maghrébin ont
dispersé par la force des manifestations
organisées pour dénoncer l’invitation adressée
par le gouvernement à l’ancien Premier
ministre israélien Sharon pour assister au
Sommet mondial sur la société de l’information
tenu dans ce pays. Il importe de rappeler que la
répression de ces manifestations n’a pas donné
lieu à des protestations de la part les cercles
occidentaux. D’ailleurs, un avocat est toujours
emprisonné pour avoir commis un article
sur le sujet. D’un autre côté, des prisonniers
appartenant à un parti d’opposition, détenus
depuis une décennie et demi dans des
conditions très dures, sont entrés dans des
grèves de la faim prolongées.
En matière de droit d’association, la
commission des partis d’un pays déterminé
a accordé l’autorisation d’exercer à deux
partis politiques, tout en la refusant à trois
autres. De même, les autorités d’un autre
pays du Maghreb arabe ont refusé d’accorder
l’autorisation d’exercer à des partis politiques
(L’organisation arabe des droits de l’homme,
2005). Pour bloquer la formation d’un parti
politique, le gouvernement d’un autre pays a
nié avoir reçu une demande de constitution de
ce parti !
17
Le rédacteur en chef exécutif d’un journal d’opposition a été agressé le premier novembre 2004. Cet acte a été relaté par l’ensemble de la presse,
par les rapports et communiqués des organisations des droits de l’homme, par le syndicat des journalistes et par le rapport produit par le Conseil
national pour les droits de l’homme.
18
Quatre journalistes femmes ont été agressées le 25 mai 2005.
19
Le leader du parti communiste a été gravement agressé le 12 octobre 2004. Deux activistes femmes ont été agressées de la même manière.
20
Le journaliste Samir Kassir, le célèbre chroniqueur du journal Le Jour (an-Nahar) a été assassiné le 2 juin 2005 dans l’explosion de sa voiture.
Jabrane Touini, président du Conseil d’administration du journal Le Jour l’a été le 12 décembre 2005.
46
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Un environnement
international et régional
handicapant
Le contexte international qui a suivi les
évènements su 11 septembre a produit des
modes de pensée et des méthodologies qui ont
eu un impact handicapant et menaçant pour
les éléments de la transition vers la liberté et
la bonne gouvernance. Parmi ces systèmes,
il y a celui de la construction des systèmes
parallèles en droit international (consistant
en la mise sur pied d’alliances provisoires à
propos d’un événement et d’un lieu donnés au
détriment de l’institution des Nations Unies, la
signature d’accords bilatéraux qui paralysent
l’action du Tribunal Pénal International
et la constitution d’alliances qui limitent
l’effet des traités internationaux relatifs au
développement et à l’environnement). Une
telle démarche a caractérisé le comportement
de la superpuissance qui fait preuve
d’éclectisme, fait prévaloir l’approche des
deux poids deux mesures, l’intérêt sur le droit,
la force sur la justice et transforme les droits
de l’homme en une idéologie justifiant des
thèses handicapantes pour le développement
telles que celles de l’anarchie constructive, de
la guerre préventive et de la solution sécuritaire
pour faire face au terrorisme.
Dès lors se sont succédés sur les plans
international et régional des événements
qui présagent une aggravation du poids
handicapant de l’environnement international
sur le processus de transition vers la liberté et
la bonne gouvernance telle que définie par le
Rapport sur le développement humain arabe
(particulièrement sa troisième livraison) et tout
particulièrement sur la dimension libération
nationale.
Une loi américaine de
dissuasion de l’antisémitisme
Le premier de ces évènements est la
promulgation par l’Administration actuelle
du “the Global Antisemitism Review Act”
en octobre 2004. A la suite de quoi, ladite
administration a commencé, par l’entremise
d’un bureau spécialisé formé au sein des Affaires
étrangères, à surveiller et à repérer ce que cette
administration qualifie d’“ antisémitisme ” à
travers le monde.
Il n’y a pas de doute que toute agression
dirigée contre les adeptes d’une religion
donnée ou tout appel dans ce sens est un acte
grave qu’il s’agit de combattre par tous les
moyens. Mais dans l’optique de ce Rapport, il
serait plus utile de le faire dans le cadre de la
lutte contre la ségrégation religieuse ou raciale
en tout lieu et à l’égard de quiconque le fait.
La dangerosité d’une telle loi réside dans le
fait que, l’article 10 des conclusions du Congrès,
considère toute opposition au sionisme et toute
incitation à l’encontre d’Israël comme une
forme d’antisémitisme. Ce qui peut conduire
à considérer que la critique des pratiques
d’Israël dans les Territoires occupés ou la
dénonciation des politiques ségrégationnistes à
l’encontre des citoyens israéliens tombent sous
le coup de cette loi. Certains académiciens
israéliens sont d’accord sur cette interprétation.
Ainsi, l’un d’eux estime que “ l’accusation
d’antisémitisme est devenue un instrument
puissant servant à faire taire l’opposition aux
politiques répressives d’Israël ” (Kimmerling,
en anglais, 2003).
Cette loi est à même de permettre à Israël
de persister à vouloir imposer son discours
public dans tout ce qui a trait à la question
palestinienne, entravant ainsi toutes les
discussions ou négociations pouvant conduire
à une paix juste et à une solution durable du
conflit arabo-israélien.
Le problème du terrorisme
et ses répercussions sur la liberté dans le monde arabe
La multiplication des actes terroristes dans
les pays arabes, d’une part, et la guerre
aveugle antiterroriste, d’autre part, ont eu
des conséquences désastreuses sur la vie et les
libertés des Arabes. Les actes d’une violence
interne destructrice se sont succédés dans un
certain nombre de pays arabes, rappelant les
prémices inquiétantes de l’alternative de “ la
destruction en perspective” contre laquelle
le troisième Rapport sur le développement
humain arabe a mis en garde.
Les actes terroristes et la lutte antiterroriste
ont accentué l’impasse dans laquelle se trouvent
Il n’y a pas de doute
que toute agression
dirigée contre les
adeptes d’une religion
donnée ou tout appel
dans ce sens est un
acte grave qu’il s’agit
de combattre par
tous les moyens. Mais
dans l’optique de ce
Rapport, il serait plus
utile de le faire dans
le cadre de la lutte
contre la ségrégation
religieuse ou raciale
en tout lieu et à
l’égard de quiconque
le fait.
La dangerosité d’une
telle loi réside dans le
fait que, l’article 10
des conclusions du
Congrès, considère
toute opposition au
sionisme et toute
incitation à l’encontre
d’Israël comme une
forme d’antisémitisme
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
47
Les actes terroristes et
la lutte antiterroriste
ont accentué
l’impasse dans
laquelle se trouvent
les droits de l’homme
et le développement
dans la région.
Cette campagne
a engendré une
confusion entre,
d’une part, ce qui
peut être qualifié, à
juste titre, d’actes
visant à terroriser
les innocents, ce qui
est condamnable
humainement et
moralement et est un
affront à la conscience
humaine et, d’autre
part, la résistance
légitime à l’occupation
étrangère, reconnue
par les conventions
de Genève et par
les résolutions
des Nations
les droits de l’homme et le développement
dans la région. Les actions terroristes se sont
poursuivi dans les pays arabes suivants :
la Jordanie, le Bahreïn, l’Algérie, l’Arabie
Saoudite, la Syrie, le Koweït, le Liban et le
Yémen, en plus des actions terroristes qui se
sont mélangées aux actes légitimes de résistance
en Irak. Il n’y a pas de doute que les agressions
dirigées contre les civils, quelle que soit leur
nationalité, sont des actes odieux qu’il faut
condamner. Les agressions se sont étendues
et ont touché, pour la première fois, durant
la période couverte par le Rapport, le Qatar,
la Mauritanie et l’Egypte21, après une période
d’accalmie qui dure depuis 1997 dans le cas
de ce dernier. Les actes terroristes ont fait des
milliers de victimes entre tués et blessés.
Sous prétexte de mener la lutte
antiterroriste, les gouvernements ont consolidé
les lois d’urgence22 et fait promulguer
d’autres lois antiterroristes ; des dizaines de
personnes recherchées sont abattues ; des
milliers de citoyens sont arrêtés sur décisions
administratives, certains d’entre eux ayant
été l’objet de toutes sortes de tortures et de
traitements dégradants ; des milliers d’autres
citoyens n’ont pas été relaxés bien que les
tribunaux les aient innocentés ou bien qu’ils
aient terminé de purger les peines encourues
en Egypte (Le Conseil national pour les droits
de l’homme, 2005). Des dizaines d’accusés ont
été traduits devant des tribunaux d’exception
qui ne réunissaient pas les conditions du procès
équitable.
Les sources ont révélé l’implication de
certains gouvernements arabes dans des
pratiques d’interrogatoires et de torture pour
les besoins d’enquêtes menées par les Etats
Unis, à travers un “ archipel ” de centres
secrets de détention, dirigés par les services
de renseignement américains, à l’encontre de
présumés coupables d’avoir mené des actions
terroristes (Amnesty International, 2005a).
Unies à propos
La guerre au terrorisme
La région arabe, et plus particulièrement
ses courants islamistes, sont taxés d’être le
terreau du terrorisme depuis la déclaration
par l’Administration américaine actuelle
de sa guerre au “ terrorisme ” à la suite des
événements du 11 septembre 2001. Cette
campagne a engendré une confusion entre,
d’une part, ce qui peut être qualifié, à juste
titre, d’actes visant à terroriser les innocents,
ce qui est condamnable humainement et
moralement et est un affront à la conscience
humaine et, d’autre part, la résistance légitime
à l’occupation étrangère, reconnue par les
conventions de Genève et par les résolutions
des Nations Unies à propos de la résistance à
l’occupation étrangère et aux régimes racistes.
Autant la violence représente le choix premier
du terrorisme, autant la violence constitue le
dernier recours de la résistance lorsqu’elle
aura épuisé tous les autres moyens tels que
l’information, la diplomatie, les manifestations
et la désobéissance civile.
Il importe de rappeler, à ce propos, que
l’Assemblée Générale des Nations Unies, lors
de sa soixantième session – 2005, a défini
le terrorisme comme “ les actes criminels
conçus ou calculés pour terroriser l’ensemble
d’une population, un groupe de population
ou certaines personnes ” et considère qu’ils
“ sont injustifiables en toutes circonstances et
quelles que soient les considérations politiques,
philosophiques,
idéologiques,
raciales,
ethniques, religieuses ou autres invoquées pour
les justifier. ” (Résolution, A/RES/60/43).
Les autorités d’occupation ont été enclines
à qualifier d’actions terroristes toutes les formes
de résistance à ses pratiques. Les tentatives
faites par certains Etats pour arrimer leurs
préoccupations propres à la guerre américaine
au terrorisme a ajouté à la confusion qui entoure
la définition du terrorisme, ce qui augmente
les risques de voir la guerre au terrorisme
constituer un ravissement des intérêts de
de la résistance à
l’occupation étrangère
et aux régimes
racistes
48
21
L’Egypte a été la cible d’une série d’attaques terroristes durant la période couverte par le rapport. La première s’est produite le 8 octobre 2004,
en trois points au Sinaï et en même temps et elle a fait plusieurs victimes dont 5 égyptiennes et 34 touristes étrangers en majorité israéliens. La
deuxième attaque a été perpétrée le 7 avril 2005, dans la zone d’Al Azhar au Caire et a fait 3 morts. La troisième a lieu le 30 avril 2005 sous forme
de deux attaques simultanées dans deux points au centre du Caire.
22
Le Gouvernement provisoire en Irak a imposé l’état d’urgence en novembre 2004 qu’il a renouvelé en mars 2005. L’état d’urgence est toujours de
mise en Algérie, au Soudan, en Syrie et en Egypte.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
puissances étrangères. En effet l’ancien Premier
ministre israélien Ariel Sharon n’a-t-il pas
récupéré le terme “ terrorisme ” pour en faire
un moyen de renforcement de ses intérêts, la
définition américaine ambiguë du “ terrorisme
au plan international ” lui a facilité la tâche
dans sa répression des Palestiniens (Brzezinski,
en anglais, 2004 :32). Un tel mélange des
cartes ajouté à une définition lâche du
terrorisme, répondant aux agendas des forces
d’occupation, ont conduit à l’amenuisement
des chances de voir cette guerre réussir à
éradiquer le terrorisme.
La situation ainsi créée par la “ guerre au
terrorisme ” a des retombées désastreuses
sur le développement humain dans le monde
arabe. En effet, la violence de l’occupation
et de l’usurpation et la contre–violence qui
vient en réaction à cette violence sont de
nature à conduire au renfermement sur soi, à
l’enfermement dans le passé et à l’enfoncement
dans le conservatisme social. De même, les
implications d’une telle évolution sur la
situation des femmes arabes, particulièrement
sous l’occupation, sont très néfastes.
Les lois antiterroristes dans les pays arabes
Dans le sillage de la lutte antiterroriste, de
nouvelles lois ont été promulguées et d’autres
ont été amendées en vue de la criminalisation
de nouveaux actes, de l’aggravation des peines
encourues pour des actions considérées comme
terroristes et dans le sens d’un assouplissement
des normes établies en matière de poursuites et
de garanties offertes à l’accusé tant qu’il n’a pas
été condamné.
Au Bahreïn, par exemple, la Commission
parlementaire des Affaires étrangères, de la
Défense et de la Sûreté nationale a été le théâtre
d’un débat houleux à propos d’un projet de loi
antiterroriste. Des membres de la Commission
considèrent que ce projet s’inscrit à l’opposé
de l’orientation arrêtée par le gouvernement
23
du royaume consistant à aller dans le sens de
la réforme et de la ratification des deux traités
internationaux relatifs aux droits de l’homme ;
il s’agit notamment des volets du projet relatifs
aux lourdes peines, à l’adoption de la peine de
mort, à la restriction des libertés, singulièrement
la liberté de pensée et parce que ce projet
conduit à considérer tout opposant comme un
terroriste. En outre, le projet de loi criminalise
les critiques à l’égard de la constitution et toute
demande pour l’amender, même lorsqu’elle
émane des membres de la chambre des
représentants, alors que cela relève de leurs
prérogatives constitutionnelles.23
D’un autre côté, la campagne antiterroriste
a fait que l’applications de certaines lois a
été ignorée : l’Algérie qui avait introduit dans
le Code pénal une mention criminalisant
expressément le recours à la torture des détenus
n’a pas appliqué ce texte et n’a pas engagé
d’enquêtes suite aux allégations de torture.24
La justice d’exception
La plupart des Etats arabes renvoient les
affaires de terrorisme devant une magistrature
spéciale : tribunaux militaires, cours de sûreté
de l’Etat ou cours martiales. Ces tribunaux
comme on le sait ne réunissent pas les critères
du procès équitable. Ils se contentent le plus
souvent des instructions préliminaires, les
aveux étant arrachés parfois sous la torture,
l’accusé n’a pas le droit de préparer sa défense
devant eux et leurs sentences sont définitives et
sans la moindre possibilité d’appel.25
Les mesures illégales
En plus des lois et projets de lois, des mesures
sont prises administrativement en totale
contradiction avec les codes de procédure
pénale26, qui sont à l’origine très sévères. Ces
mesures comportent des dispositions, imposées
dans le cadre de la coopération antiterroriste
Le journal al-Wassat du Bahreïn du 25 avril 2005.
24
“ Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a fait savoir que les autorités avaient rejeté sans la moindre enquête toutes les allégations
de torture portées à leur connaissance. Le rapporteur spécial n’a pas été autorisé à se rendre en Algérie, malgré ses demandes formulées ” de longue
date (Amnesty International, 2005a : 123)
25
Ces tribunaux prononcent parfois des peines de mort.
26
L’importance du code de procédure pénale réside dans le fait qu’il organise la méthode qui servira à la société de se défendre face aux crises. Ses
moyens, même s’ils sont techniques, sont liés aux droits de l’homme, et leur réussite reste tributaire de leur niveau de cohérence avec le système
juridique et social du pays concerné.
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
49
internationale, contraires au droit international
et parfois contraires au droit interne ; l’abus
en matière de mesures policières comme les
descentes nocturnes, la torture et le recours à
la force pour obtenir des aveux ; la détention
dans des centres illégaux où l’on pratique toutes
sortes de torture ; les écoutes téléphoniques
hors de toute autorisation justifiée de la justice ;
la détention prolongée sans accusation et sans
limites dans le temps ; la consultation des
comptes bancaires des personnes sur lesquelles
pèsent des soupçons et l’exécution de la peine
de mort sans passer par la magistrature.
La dégradation de la situation des femmes
La guerre aux
croyances et aux
idées portées par
des personnes
non affiliées à
des organisations
terroristes et qui n’ont
pas eu recours à des
actes violents est
une guerre absurde ;
elle est même une
guerre aux droits de
l’homme.
En dépit des efforts pour promouvoir la
situation des femmes, le terrorisme et la
campagne menée pour le combattre ont entraîné
un effondrement de la situation sécuritaire
générale et une sévère régression du processus
démocratique ; les femmes ont en été les
premières victimes, particulièrement dans les
zones de conflits armés, spécialement en Irak.
Le traitement dégradant infligé aux femmes
détenues par certaines forces américaines en
Irak, et plus particulièrement dans la prison
d’Abu Ghraib, est un cas à retenir.
La guerre absurde : la guerre à la pensée et
à la croyance
La guerre au terrorisme a été menée contre
les organisations terroristes, et à leur tête Al
Qaïda ; et à cause de cette guerre les droits de
l’homme sont violés. La nouvelle orientation est
de mener la guerre aux “idéologies agressives”
(“agressive ideologies”) selon la terminologie
de l’Administration américaine27, c’est à dire
à la liberté de pensée et de croyance, qui sont
un des droits humains. Dans plus d’un pays
arabe, on assiste à un début de discussion sur
la contribution des idées à la lutte antiterroriste
et sur la nécessité de restreindre le champ
des idées. Mais les Etats arabes souffrent
précisément du grand nombre de restrictions
et non du contraire. Il n’y a pas doute que
27
les dogmes puissent pousser à commettre des
actes terroristes, comme ils peuvent servir de
point d’appui à l’exhortation et à l’incitation
au crime. Toutefois, il n’est pas concevable de
recourir aux moyens de guerre pour faire face
aux idées, c’est plutôt à d’autres idées qu’il faut
faire appel, idées ne devant pas être agressives.
En outre, l’incitation au crime tombe sous
le coup du droit pénal quelle qu’en soit la
justification.
La guerre aux croyances et aux idées
portées par des personnes non affiliées à des
organisations terroristes et qui n’ont pas eu
recours à des actes violents est une guerre
absurde ; elle est même une guerre aux droits
de l’homme.
La lutte antiterroriste et le respect des
droits de l’homme
La lutte antiterroriste n’est pas antinomique
avec le respect des droits de l’homme. Elle est
même au cœur de ce respect. La contrepartie
du droit de la personne à la vie et à la sûreté
personnelle c’est le devoir pour l’Etat d’assurer
la sécurité des citoyens et la sûreté de la
société. C’est pourquoi, et dans des situations
exceptionnelles, l’autorité peut, afin de garantir
la sûreté de la société, restreindre la liberté des
individus, dans les limites du strict nécessaire
et utile (la Déclaration de Berlin comporte
des principes et mesures que les Etats doivent
respecter dans la guerre contre le terrorisme)28
L’éradication du terrorisme a besoin en
premier lieu d’une décision politique qui doit
prendre en compte les exigences du droit
et de la justice dans la solution des conflits
internationaux, dans le cadre de la légalité
internationale ; elle nécessite en second lieu
que soit acceptée l’idée de la participation de la
société au traitement du phénomène et de ses
causes. Elle suppose également que l’on passe
de la logique sécuritaire réduite à celle de la
sécurité humaine, en adoptant un programme
de développement humain dans son acception
globale et en s’engageant à rester dans les
limites de la suprématie de la loi.
Discours prononcé par le président américain Georges W. Bush devant l’Assemblée Générale des Nations Unies le 14 septembre 2005.
28
La Déclaration de Berlin : déclaration de la CIJ sur la défense des droits de l’homme et de l’Etat de droit dans la lutte contre le terrorisme, 29 août
2004.
50
Rapport sur le développement humain arabe 2005
L’éradication du terrorisme exige
également des sociétés arabes d’entreprendre
une évaluation critique du patrimoine à la
lumière de la raison éclairée ; en effet les droits
de l’homme ne deviennent effectifs que si l’être
humain, quel qu’il soit, est considéré comme
la valeur axiale et centrale et que si le débat
et l’acceptation de l’autre, différent, sont des
valeurs qui se consolident.
La question palestinienne
Un désengagement qui ne met pas fin à la
main mise israélienne sur Gaza
La fin de la colonisation dans la bande de
Gaza et le retrait des forces israéliennes
le 12 septembre 2005 ont représenté un
événement exceptionnel par rapport à la
réalité catastrophique du peuple palestinien.
Néanmoins ce retrait était entouré de beaucoup
de mauvaises intentions et n’annonçait pas une
décrispation en vue d’un règlement du conflit.
La vraie nature de ces intentions a été trahie par
Dove Wisjlass, conseiller du Premier ministre
israélien, lorsqu’il a révélé que le véritable
objectif de l’opération de retrait de la Bande
de Gaza était précisément de suspendre le
processus de paix et d’empêcher la constitution
d’un Etat palestinien (Encadré 1-2).
Avec ce retrait, qui participe du plan
de désengagement unilatéral engagé par le
Premier ministre israélien pour alléger les
coûts sécuritaires de l’occupation et pour
éviter de s’engager dans des pourparlers
sérieux en vue d’un règlement, Israël se réserve
le droit d’intervenir militairement dans la
Bande de Gaza et d’en contrôler l’espace
aérien comme les eaux territoriales. Les forces
israéliennes se déploient ainsi intensément tout
autour de la Bande pour en contrôler tous
les points de passages et par conséquent les
échanges commerciaux, les droits de douane
et la circulation des personnes. Le Rapporteur
spécial des Nations Unies pour les droits de
l’homme a été amené devant ces évolutions à
considérer que Gaza était toujours un territoire
occupé (Encadré 1-3).
Encadré 1-2
Le désengagement de Gaza c’est du formol
pour geler la paix
“Le désengagement, en réalité, c’est ça :
c’est du formol. Il fournit la quantité de
formol nécessaire pour s’assurer qu’il n’y
ait pas de processus politique d’engagé
avec les Palestiniens… ”
“ L’important, c’est le gel du
processus politique. Et en gelant ce
processus, vous empêchez la création d’un
Etat palestinien et vous empêchez toute
discussion sur le devenir des réfugiés, les
frontières et Jérusalem. Effectivement,
c’est tout ce package qu’on appelle
“ Etat palestinien ”, avec tout ce que
cela comporte, qui a été éliminé de nos
calepins. Définitivement. ”.
Source : Shavit, en anglais, 2004
Encadré 1-3
Le Rapporteur spécial de la Commission des droits
de l’homme : Gaza reste un territoire occupé
“ .., il semble évident que la bande de
Gaza restera un territoire occupé assujetti aux dispositions de la Convention
de Genève du 12 août 1949 relative à
la protection des personnes civiles en
temps de guerre (quatrième Convention
de Genève), puisque Israël continuera à
en contrôler les frontières. Le retrait des
colons juifs de la bande de Gaza entraînera la décolonisation d’une partie du
territoire palestinien, mais ne mettra pas
fin à son occupation. ”
Source : Dugard, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme
dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Nations Unies, 2005 : 2
(visite du 24 mars 2006) http://domino.un.org/unispal.nsf/eed216406b50bf6485256ce10072f637/
02bf82d785fe854a85257088004c374c!OpenDocument
L’aspect honorable, peut-être le plus
important et qui mérite d’être vraiment salué,
est de réaliser que le courage et la bravoure
sans relâche de la résistance à Gaza ont été la
principale raison derrière le désir d’Israël de
fuir l’enfer de Gaza.
Mais si le retrait de Gaza a été la source d’un
optimisme croissant des citoyens, il a, en même
temps, alimenté les craintes de voir l’occupation
de la Cisjordanie se consolider, car le territoire
de Gaza ne représente que 5,8% des territoires
occupés depuis 1967, ce qui veut dire que plus
de 94% des terres palestiniennes sont toujours
sous occupation. Les colons israéliens de Gaza
étaient 8475 (soit 2% seulement de l’ensemble
des colons). Ceci dit, Israël a installé, rien
qu’en en l’an 2004, quelque 12.800 colons en
Cisjordanie. Il a également annexé de nouvelles
terres, y compris l’extension de la colonie Maali
Adoumim (autour d’Al Qods), pour plus de
2700 km2, avec des allusions israéliennes de
plus en plus pressantes de rattacher la colonie
à Al Qods29.
29
Palestine Monitor (2006) (Visite effectuée le 7 mai 2006) http://www.palestinemonitor.org/nueva_web/facts_sheets/settlers_disengagement_
violations.htm
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
51
La mise en œuvre du plan de désengagement
unilatéral a été accompagnée et suivie, selon les
rapports des organisations des droits de l’homme
palestiniennes, de violations graves dans les
territoires occupés dont de nombreuses sont
du niveau de crimes de guerre, conformément
au droit international humanitaire. En plus
des incursions quotidiennes dans les villes et
villages palestiniens, des violations de domiciles
et de l’arrestation d’un grand nombre de leurs
occupants, les forces d’occupation ont continué
à tirer à balles réelles sur les civiles, à mener
des opérations de démolition, d’arrachage
d’arbres et d’agressions contre les propriétés,
d’expropriation des terres pour la construction
du Mur d’annexion dans les terres de
Cisjordanie, dont elles ont accéléré l’utilisation
autour de la ville d’Al Qods occupée pour la
séparer de son environnement géographique
en Cisjordanie, en plus de l’extension de leurs
Encadré 1-4
La vie sur les Mahsom (check points) : témoignages israéliens
“ Les pertes en temps que les Israéliens
infligent, chaque jour, aux trois millions
et demi de Palestiniens revêtent une
grande importance : en ce qu’elles affaiblissent leur capacité à gagner leur vie,
affectent leurs activités économiques,
familiales et culturelles, leur temps libre,
leurs études, leurs arts créatifs et en rapetissant le cadre de vie des individus ”
(p. 15)
Hawarah (6 septembre) : Un soldat
a dit que sur les adultes de sexe masculin
qui essaient de traverser les points de
contrôle, il fallait arrêter un sur neuf.
(19 septembre) : Toutes les personnes
portant le nom de “ Mohammad ” ont
été appréhendées, c’est là un grand
nombre de personnes. ” (p.17)
Shavi Shomron (extrait des rapports
de Bit Eba) : “ Il était clair que ce qui
se passait ici constituait une sanction
collective ”.(p. 18)
“ La mesure de “ arrêt de toute
vie” - Il s’agit là d’une autre formule
visant à retarder (les gens aux points
de contrôle) appelée par l’armée “ arrêt
de toute vie ” ; la dénomination de la
mesure informe bien sur sa nature : le
gel total de la circulation pendant des
heures continues. Des centaines, peut–
être des milliers, de personnes, et parmi
elles des personnes âgées, des malades,
des femmes enceintes, des bébés, des
femmes qui allaitent sont ainsi interdites
de mouvement ; on leur ordonne
d’arrêter le déroulement de leur vie. ”
(p.24)
“ Bit Fourik (14 juillet) : des
centaines de personnes attendent de
passer, ils sortent de Naplouse. Mais le
point de contrôle est fermé – l’“ arrêt de
toute vie ” est de rigueur. De l’autre côté
du point de contrôle, il y a un homme
allongé sous perfusion ! Il s’est évanoui
après avoir passé des heures à attendre
sous le soleil. Son évacuation de la région
était impossible. Des dizaines de femmes
se bousculaient dans les zones où sont
détenues les personnes arrêtées.
L’une d’elles changeait debout les
couches de son bébé ; une autre, portait
dans ses bras un enfant âgé de quelque
cinq ans habillé d’un pyjama d’hôpital.
L’enfant semblait avoir perdu conscience
ou s’endormait profondément et
sa mère qui criait : il est gravement
malade. ”(p.25)
Source: Mahsom Watch30, 2004 : 15-24
30
52
projets de colonisation dans le même territoire
et le renforcement des restrictions sur les
déplacement à travers les points de contrôle
(Le Centre palestinien pour les droits de
l’homme, 2005).
Après son retrait de la Bande de Gaza,
Israël ne s’est pas empêché de mener des
attaques contre la population du territoire
au moyen de missiles et de l’artillerie sous
prétexte de réagir à des attaques adverses. Il
a même trouvé de nouvelles méthodes pour
terroriser la population et lui faire peur ; il
s’agit des explosions produites par ses avions
militaires qui franchissent le mur du son et
qui survolent le territoire. Les organisations
palestiniennes et israéliennes des droits de
l’homme ont dénoncé une telle pratique qui
crée des situations de peur et de panique parmi
les citoyens, notamment les enfants, et conduit
à des avortements de femmes enceintes dont on
a comptabilisé plus de 70 cas (Journal Asharq
al-Awsat, 11novembre 2005 :10).
La colonisation n’a pas cessé de faire
échec au développement humain dans les
territoires occupés
L’occupation israélienne des Territoires
palestiniens se poursuit avec ce qui
l’accompagne comme mesures qui affectent
dorénavant le tissu social palestinien et ce qui le
cimente, détruisent les possibilités de libération,
d’indépendance et de développement et ce en
plus des dégâts causés aux civils et la perte de
vies humaines des deux côtés.
Violation des libertés des individus et des
libertés de déplacement
Le blocus militaire israélien des Territoires
palestiniens s’est poursuivi au moyen de
barrages militaires fixes et mobiles, ce qui
a conduit à un éclatement de la Cisjordanie
en 240 zones isolées. En plus des points de
contrôle permanents, au nombre de 605 en avril
2005, Israël commence à utiliser des points de
contrôle “ mobiles ”, dont le nombre s’élève à
374 points en juin 2005 ; ceci est considéré par
le Rapporteur Spécial de la Commission des
droits de l’homme comme une violation de la
Mahsom Watch est une organisation humanitaire israélienne fondée en février 2001.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
dignité humaine en plus du fait qu’il représente
une violation de la liberté de déplacement des
Palestiniens31. En outre, les forces d’occupation
ont instauré des limitations supplémentaires
rendant plus difficile encore le mouvement de
la population, comme l’interdiction faite aux
Palestiniens d’emprunter de nombreuses voies
utilisées par les colons juifs, ce qui rappelle
les pratiques abjectes de ségrégation raciale
et comme le fait d’exiger d’eux d’obtenir des
autorisations spéciales pour pouvoir prendre
les routes externes.
“ Plus de 8 000 prisonniers palestiniens,
parmi lesquels 120 femmes, sont encore dans
les prisons israéliennes. Plus de 300 enfants de
moins de 18 ans se trouvent dans des centres
de détention israéliens; 40 % d’entre eux ont
été condamnés à une peine d’emprisonnement
et 60 % sont en détention provisoire … Des
allégations continuent d’être faites selon
lesquelles les détenus et les prisonniers seraient
soumis à des tortures et à des traitements
inhumains (passages à tabac, enchaînement
dans des positions douloureuses, coups de
pieds, bandage prolongé des yeux, privation
de l’accès à des soins médicaux, exposition à
des températures extrêmes et distribution de
nourriture et d’eau en quantités insuffisantes. ”
(Dugard, en français, 2005 : 14)
Accentuation la violence des colons à
l’encontre des civils palestiniens
La période a connu une accentuation des
actes violents perpétrés par des colons juifs à
l’encontre des civils palestiniens. Les écoliers
sont passés à tabac et terrorisés par les colons
lorsqu’ils se rendent à l’école. Des cultures ont
été détruites, des moutons et des chèvres volés.
Les colons ont également volontairement
empoisonné des puits ainsi que des champs dans
la communauté d’At-Tutwani. (John Dugard,
2005, en anglais, 2005 : 11, 16). Amnesty
International a confirmé que des produits
chimiques toxiques ont été répandus dans
les champs d’Al-Khalil (Hebron), entraînant
la mort du bétail et l’empoisonnement des
champs. Madame Kate Allen, représentante
de l’organisation a déclaré que “ ces incidents
d’empoisonnement paraissent faire partie d’une
offensive visant exprès les revenus des paysans
palestiniens ”. Amnesty a indiqué qu’Israël n’a
pas essayé d’éliminer ces produits chimiques
et n’a même pas essayé d’enquêter sur les cas
d’empoisonnement (BBC, 25 avril 2005).
Les victimes arabes du terrorisme ne sont
pas aptes à recevoir les mêmes indemnités
que leurs semblables juifs. En effet, la loi
israélienne d’indemnisation des victimes du
terrorisme n’accorde aucun droit aux victimes
si les auteurs de l’agression sont juifs, car ils
ne rentrent pas dans la catégorie “ ennemi de
l’existence de l’Etat d’Israël ”32. Le 6 août 2005,
un soldat israélien tire avec son fusil mitrailleur
sur des civils arabes israéliens qui circulaient
dans en bus en Israël, il en tua quatre et en
blessa 15 autres. Malgré la gravité du crime
qui a visé des civils et malgré sa qualification
d’action terroriste et sa dénonciation comme
telle, y compris de la part de responsables
israéliens, le tribunal du ministère israélien
de la Défense a jugé que les victimes “ne
pouvaient pas être considérées comme des
victimes d’une opération de terrorisme parce
que l’assassin est juif” (The Guardian, “ Israël
a jugé que l’assassin juif n’était pas terroriste ”,
1er septembre 2005).
Sur un autre plan Israël poursuit sa violation
du droit des Palestiniens à un environnement
propre en déversant les eaux usées des colonies
de peuplement juives dans les territoires
palestiniens. Cette pratique constitue un grave
problème auquel est confronté l’environnement
palestinien, surtout que de nombreuses
colonies de peuplement en Cisjordanie n’ont
recours à aucune forme de traitement des eaux
usées provenant de l’activité industrielle ou des
maisons (Dugard, en anglais, 2005 : 16)
Le mur avale les terres et met en échec le
développement
La période a connu
une accentuation
des actes violents
perpétrés par
des colons juifs à
l’encontre des civils
palestiniens. Les
écoliers sont passés à
tabac et terrorisés par
les colons lorsqu’ils se
rendent à l’école
Les victimes arabes
du terrorisme ne sont
pas aptes à recevoir
les mêmes indemnités
que leurs semblables
juifs.
À côté de ces évolutions, la construction du mur
se poursuit, bien que la Cour Internationale de
31
(John Dugard, 2005, en anglais) Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés.(2005). (Visite effectuée le 24 mars 2006) http://domino.un.org/unispal.nsf/eed216406b50bf6485256ce10072f637/
02bf82d785fe854a85257088004c374c!OpenDocument
32
Institute for Counter-Terrorism, (2005) (Visite effectuée le 30 mars 2006) http://www.ict.org.il/editorials/editorialdet.cfm?editorialid=3
Jon Elmer ( The New Standard .(2005) . (Visite effectuée le 30 mars 2006). http://newstandardnews.net/content/index.cfm/items/2300
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
53
La construction du
mur se poursuit,
bien que la Cour
Internationale de
Justice l’ait déclaré
illégal et ait arrêté
la nécessité de
mettre un terme à sa
construction et à son
utilisation ainsi que de
verser des indemnités
en contrepartie des
dégâts occasionnés
par sa mise en place.
Encadré 1-5
Justice l’ait déclaré illégal et ait arrêté la nécessité
de mettre un terme à sa construction et à son
utilisation ainsi que de verser des indemnités
en contrepartie des dégâts occasionnés par sa
mise en place.
La construction du mur a eu des retombées
graves sur la vie des Palestiniens qui vivent dans
son voisinage. Le mur a séparé des milliers de
Palestiniens de leurs terres agricoles. Israël
refuse de leur accorder des autorisations
pour s’y rendre. Ceux d’entre eux qui ont
pu disposer de telles autorisations se sont
rendu compte que les portes du mur ne sont
pas ouvertes aux heures fixées (Dugard, en
anglais, 2005 : 2). Quelque cinquante mille
Palestiniens résident dans la zone fermée située
entre le mur et la “ ligne verte ”, “et alors que
tout colon ou toute personne d’origine juive,
de n’importe quelle région du monde, peut
circuler librement dans la zone fermée et
autour, le Palestinien qui travaille ou vit dans
ladite zone a besoin d’une autorisation pour
pouvoir continuer à vivre chez lui et atteindre
la source de sa subsistance”. (Surveillance des
droits de l’homme, en anglais, 2005).
Le mur va engendrer de grands risques
sanitaires pour les Palestiniens selon un
communiqué de “Médecins du Monde”, du “
Croissant rouge palestinien” et de “Médecins
pour les droits de l’homme–Israël”. Il va
empêcher quelque 10 000 Palestiniens qui
souffrent des maladies chroniques et plus de
100 000 femmes enceintes de recevoir les soins
de santé de base qui leur sont indispensables.
En outre, si sa construction est achevée, le mur
priverait plus de 130 000 Palestiniens de la
vaccination. Le tiers des villages palestiniens
sera dans l’incapacité d’atteindre les systèmes
des services de santé (BBC, 15 février 2005).
La construction du mur a isolé la ville d’Al
Qods de manière forcée de la Cisjordanie,
ce qui rend plus difficiles la négociation et
Défiguration de la première des deux kibla
Jérusalem est une ville historique d’une
grande beauté, que le mur a beaucoup
contribué à défigurer. Les responsables
du projet de construction et de l’édifiDugard, en anglais, 2005 :13
54
cation du mur à Jérusalem ont agi sans
respect aucun pour l’environnement.
Tout cela a été fait pour transformer Jérusalem en ville juive.
l’application des résolutions des Nations Unies
à son sujet et plus délicate pour les musulmans
et les chrétiens la tâche de se rendre aux lieux
de culte qu’elle abrite. La construction du mur
et la mise en place des points de contrôle, qui
revêtent dorénavant un caractère permanent,
ont isolé les parties de la Cisjordanie les unes
des autres, ce qui affaiblit la possibilité de
voir le rêve de l’Etat palestinien indépendant
et souverain et les résolutions de la légalité
internationale se réaliser à ce propos.
La destruction systématique de l’économie
palestinienne et son annexion à l’économie
israélienne ainsi que les mesures prises dans
le sens de l’éclatement géographique et pour
imposer des réalités géopolitiques sur le terrain
ont été accompagnées d’une forte campagne
pour affaiblir les institutions palestiniennes
afin d’éviter que ne se réalisent des actions
sérieuses de développement humain.
La dégradation des conditions de vie
S’agissant des conditions économiques et
de vie, les données montrent que les taux
de pauvreté sont en augmentation. En effet
les diverses estimations indiquent qu’ils ont
progressé de 50% au niveau national, et
atteignent 80% dans certaines régions (comme
le sud de la Bande de Gaza). Le revenu moyen
mensuel par famille a baissé pour passer de 445
à 333 dollars américains (soit le quart) entre
2000 et 2005 ; plus de 53% des familles ont vu
leurs revenus baisser sévèrement. Les familles
ont pris de nombreuses mesures d’adaptation
pour surmonter cette baisse. Les femmes ont
joué un rôle décisif à la fois dans ces mesures
et par rapport à leurs conséquences. Les
données montrent que, durant la dernière
année (et jusqu’à mars 2005), 58% des familles
ont réduit leurs dépenses, 16% d’entre
elles se sont rabattues sur l’élevage et les
cultures domestiques — tâches assurées tout
particulièrement par les femmes (Institut central
des statistiques palestinien, communiqué de
presse, août 2005). D’autres données montrent
que plus de 50% des femmes ont été obligées de
vendre leurs bijoux pour subvenir aux besoins
de la famille (Université Bir Zeit, Programme
des études du développement, 2002 et 2004).
Les taux de chômage ont varié entre 32%
au début de l’année 2005 et quelque 27% à
Rapport sur le développement humain arabe 2005
l’automne de la même année.33 Mais la tranche
d’âge la plus affectée par le chômage, surtout
dans la Bande de Gaza, est celle des jeunes.
En effet les données montrent que 47,5% des
jeunes (entre 20 et 24 ans) dans la Bande de
Gaza étaient au chômage, comparés à 27,7%
des jeunes de la même tranche d’âge en
Cisjordanie. Les jeunes femmes (20-24) ont été
les plus affectées parmi toutes les catégories,
le taux de chômage en leur sein a atteint
48,4% contre une moyenne de 31,6% pour les
jeunes hommes (Institut central de statistiques
palestinien, communiqué de presse, juillet
2005).
En matière de santé, les niveaux de
vaccination contre plusieurs maladies ont
commencé à baisser puisqu’ils ont atteint 66%
pour les oreillons, la rougeole et la rubéole.
La part des enfants de faible poids atteint
5% et celle des enfants qui ne grandissent pas
suffisamment est de 10% (PNUD, en anglais,
2005).
Les débuts d’une réforme palestinienne
Le travail de réforme palestinien est allé de
l’avant à travers l’organisation des élections
présidentielles, la seconde de genre, en date
du 20 janvier 2005. De même, des élections
municipales ont également été tenues dans
un grand nombre de localités et les élections
législatives ont été organisées au début de
l’année 2006, lesquelles ont montré que les
forces religieuses bénéficient d’une audience
croissante.
Aux demandes de l’opinion publique
palestinienne, aux pressions des forces sociétales
et des organisations non gouvernementales
ainsi que des parties internationales, l’Autorité
palestinienne a répondu positivement et a
engagé une série de réformes des appareils de
sécurité et d’autres institutions du pouvoir.
Néanmoins, les Palestiniens dans leur majorité
continuent de considérer que régler la question
de l’absence de sécurité et de l’autorité de la
loi constitue la plus importante des priorités.
En effet, selon un sondage d’opinion
(Université Bir Zeit, Programme des études de
33
34
développement, 2005), 54% des Palestiniens
la considèrent comme une priorité pour eux.
Car, parmi les manifestations de l’anarchie
sécuritaire, on peut noter que l’entendue
de la diffusion des armes et leur utilisation
illégale ainsi que l’augmentation de la violence
familiale et les assassinats de femmes ont
atteint un niveau sans précédent34. Dans le
même sens, le travail de restructuration des
institutions gouvernementales palestiniennes a
débuté. Ainsi des institutions et des ministères
ont-ils fusionné ou ont été supprimés. De
nouvelles institutions ont été créées pour
répondre aux nouveaux besoins de la société,
comme le ministère des Affaires des femmes
palestiniennes dont la création a été considérée
comme une victoire importante du mouvement
féministe. Néanmoins, les évènements en cours
confirment que l’amélioration de la situation
des femmes palestiniennes a également besoin
qu’il y ait un engagement général et total dans
des politiques nationales publiques sensibles
au genre social qui participent à la promotion
générale dans la voie de la fin de l’occupation
israélienne.
Dans le cadre d’une
initiative de la Ligue
des Etats arabes
Les méfaits de l’occupation de l’Irak mis à découvert
Le processus politique en Irak, comme nous
l’avons déjà indiqué, a connu des évolutions
importantes au cours de l’année 2005 : la tenue
d’élections législatives, le vote pour le choix de
la constitution irakienne, lesquels constituent
des actions positives que les Irakiens n’ont
jamais pu expérimenter avec une telle fougue.
Dans le cadre d’une initiative de la Ligue
des Etats arabes, une rencontre s’est tenue
au Caire entre les 19 et 21 novembre 2005
et a réuni les différentes fractions et forces
politiques irakiennes en préparation d’un
congrès national de réconciliation à Bagdad
au début de l’année 2006. Tout en dénonçant
les opérations terroristes, les participants
se sont mis d’accord sur la légitimité de la
résistance à l’occupation, ce qui est un droit
légitime pour tout le monde, et ont exigé que
soit arrêté un échéancier pour mettre fin à la
Les participants se
sont mis d’accord
sur la légitimité
de la résistance à
l’occupation, ce qui
est un droit légitime
pour tout le monde,
et ont exigé que soit
arrêté un échéancier
pour mettre fin à la
présence étrangère en
Irak.
Le taux atteint 21,2% selon la définition sévère du chômage retenue par l’Organisation Internationale du Travail.
Le Centre des femmes pour l’aide légale et le conseil (WCLAC) (2005) (visite effectuée le romain 2006) http://www.wclac.org
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
55
présence étrangère en Irak.
Avec l’élection de l’Assemblée Nationale
Permanente et la formation d’un nouveau
gouvernement en 2006, le plus grand défi
auquel le pouvoir en place doit faire face est
d’engager les réformes nécessaires au niveau
de la Constitution en vue de garantir l’unité de
l’Irak, son intégrité territoriale, la protection des
droits de l’homme, de réaliser la réconciliation
nationale et de mettre un terme à l’anarchie et à
la corruption ; bâtir un Irak unifié, débarrassé
des forces d’occupation étrangères et des actes
terroristes.
Toutefois une telle opération politique
s’est produite à un moment marqué par de
nombreuses pratiques négatives et inadaptées,
relatives entre autres aux problématiques de
la reconstruction de l’Etat irakien et de ses
institutions sous l’occupation et de l’éclatement
de l’Irak sous le poids des tendances
confessionnelles. Le bilan définitif des
évolutions de l’année écoulée reste la poursuite
de l’occupation avec ses répercussions graves.
Le coût humain de l’occupation : l’usage
d’armes prohibées et la torture
La télévision officielle italienne a diffusé au
mois de novembre 2005 un film qui accuse
l’armée américaine d’avoir utilisé des bombes
au phosphore blanc, qui brûlent peau et chair et
dont l’usage est prohibé, dans l’attaque menée
contre les civils et les régions habitées dans la
ville de Fallujah (BBC, 8 novembre 2005).
Les preuves continuent de s’accumuler
sur l’usage sur une large échelle de la torture
sous l’occupation. Les organisations non
gouvernementales des droits de l’homme ont
porté plainte en octobre 2005 auprès de la
Commission des droits de l’homme des Nations
Unies à Genève contre l’Administration
américaine pour avoir commis des violations
graves des droits de l’homme au sein de
“dizaines” de centres semblables à la prison
d’”Abu Ghraib”, de funeste renommée. (Inter
Press Service, 26 octobre 2005).35
Il faut aussi noter que certains éléments
du gouvernement irakien ont participé aussi à
56
35
Inter Press Service (Agence de presse).
36
Iraq Body Count
la torture des Irakiens. En effet, en novembre
2005, des informations diffusées ont fait état de
la découverte par les forces américaines d’un
“centre secret de torture” à la cave du bâtiment
du ministère irakien de l’Intérieur dans une
zone de la banlieue de Bagdad (New York
Times, 16 novembre 2005).
C’est ce qui a amené le Premier ministre
d’Irak sous occupation, Ayyad Allaoui, à
protester en déclarant que les violations des
droits de l’homme sont de nos jours pires
qu’elles ne l’étaient sous l’ancien régime. (The
Observer, 27 novembre 2005).
Malgré l’information donnée dans un
rapport publié par la revue britannique
“Lancet”, en novembre 2004, (Burnham,
2004) relative à la mort de plus de 100 000
civils depuis le début de l’occupation de l’Irak,
les agressions visant des civils ne se sont pas
arrêtées. Les forces de la Coalition ont même
étendu leurs opérations militaires à plusieurs
villes irakiennes, poursuivi leur bombardement
des objectifs civils et pris d’assaut les hôpitaux
et les lieux de culte sous prétexte de poursuivre
“les rebelles et les terroristes”. Elles ont
continué à arrêter des milliers de personnes, et
leurs soldats commettent des crimes de guerre
tels que l’assassinat des prisonniers et des
blessés et la torture infligée aux détenus. Les
enquêtes menées par les forces de la Coalition
et les peines légères retenues contre les
auteurs de ces crimes laissent une impression
d’impunité et d’encouragement à la poursuite
de ces pratiques. Vers la fin de l’année 2005,
le président américain a évalué le nombre de
tués parmi les civils irakiens à 30 000, chiffre
proche du niveau évalué par la société de
comptabilisation des tués en Irak36 qui varie
entre 27 000 et 31 000 tués à peu près.
La tragédie du peuple irakien a été
amplifiée par l’implication de quelques milices
locales, d’organisations terroristes et de bandes
criminelles dans les crimes perpétrés contre les
civils : assassinats, enlèvements et destructions
qui ont fait des milliers de victimes civiles et
risquent aujourd’hui d’allumer le feu d’une
guerre confessionnelle. (Amnesty International,
2005b).
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Le développement de la corruption
Certains aspects de la corruption sont relevés
dans un rapport d’audit financier, préparé
par le Bureau de Bahreïn, dépendant d’une
société américaine d’audit célèbre37 pour
le compte du Conseil international pour
le conseil et l’orientation38 de l’autorité
d’occupation de l’Irak, lequel a été constitué
en octobre 2003, et publié au début du mois
de juillet 2005 dans la presse britannique
(The Guardian, 7 juillet 2005). Le rapport
dévoile la gravité de la corruption financière de
l’autorité d’occupation et du Gouvernement
provisoire. Il souligne que cette autorité et ce
gouvernement se sont illégalement emparé
des ressources financières du peuple irakien
destinées à la reconstruction de l’Irak, détruit
par les forces de la coalition d’occupation.
Durant les 8 mois au cours desquels Bremer
était Gouverneur d’Irak disposant de tous les
pouvoirs sur le pays, quelque 9 milliards de
dollars, pour l’essentiel de l’argent du peuple
d’Irak, ont “disparu”39 (quand Bremer quitte
l’Irak, le 28 juin 2004, l’autorité de la Coalition
a déjà dépensé 20 milliards de dollars pris sur
les ressources financières de l’Irak40 contre
300 millions de dollars seulement financés par
le gouvernement américain).41 Les auditeurs
des comptes ont découvert que l’autorité
d’occupation n’avait pas tenu de comptabilité
pour tout ce qui concerne les centaines de
millions de dollars en liquide qu’elle a gardés
dans ses caisses, et que 8,8 milliards de dollars
virés sur le compte du Gouvernement provisoire
irakien ont été dépensés sans laisser de traces.
Apparemment, l’indulgence en matière de
contrôle de l’affectation des ressources de
l’Irak s’est poursuivie après le départ de Bremer
(Harriman, en anglais, 2005).
Il n’est donc pas surprenant qu’un sondage
effectué par le ministère des affaires étrangères
américaines en 2005 et portant sur un
échantillon de 2000 Irakiens ait conclu que “la
37
KPMG
38
IAMB (International Advisory and Monitoring Board for Iraq)
39
majorité des Irakiens disent que le niveau de
la corruption est plus grand aujourd’hui qu’il
ne l’était ” sous l’ancien régime (Les Affaires
étrangères américaines, en anglais, 2005)
La corruption financière générée par
l’occupation se manifeste aussi dans la
destruction, sur une large échelle, des ressources
pétrolières de l’Irak, attestée, documents à
l’appui, par l’ouvrage de l’ancien ministre du
pétrole Issam al-Jalabi, publié sous le titre
“Une lecture dans l’industrie du pétrole en
Irak et dans la politique pétrolière”. Il y révèle
comment des établissements furent détruits
et des documents, appareils et équipements
furent volés pendant la guerre et même après
que le pays eut été occupé, à tel point que deux
ans après “la libération” l’industrie pétrolière
n’arrivait toujours pas à atteindre les niveaux de
production d’avant guerre. L’Irak est devenu,
pour la première fois de son histoire, un pays
importateur de produits pétroliers pour un
coût équivalent à 3 milliards de dollars par an
(Mohamed Arrif, en arabe, 2005).
Une étude menée récemment conclut
que les pertes subies par l’Irak à la suite des
accords de participation à la production passés
avec les sociétés multinationales pétrolières,
sous réserve, varient entre 74 et 194 milliards
de dollars, en comptabilisant le baril à 40
dollars avec une exploitation de 12 champs
pétrolifères, sur 60 champs au moins, sans
parler de la perte du contrôle national sur
l’industrie pétrolière au profit desdites sociétés
internationales. Le manque à gagner moyen par
personne et par an pour les citoyens irakiens
sur trente ans, la durée des accords, équivaut
au Produit intérieur brut par personne en Irak
aujourd’hui (Platform et al., en anglais, 2005).
La dilapidation des richesses de l’Irak
entreprise par l’occupation va au-delà du
pétrole pour toucher une richesse symbolique
qui concerne l’humanité tout entière, nous
entendons le grand pillage et la destruction
des traces de la civilisation humaine en Irak.
L’autorité
d’occupation et
du Gouvernement
provisoire. se sont
illégalement emparé
des ressources
financières du peuple
irakien destinées à
la reconstruction de
l’Irak, détruit par les
forces de la coalition
d’occupation.
La majorité des
Irakiens disent que
le niveau de la
corruption est plus
grand aujourd’hui
qu’il ne l’était ”
La dilapidation
des richesses de
l’Irak entreprise par
l’occupation va audelà du pétrole pour
toucher une richesse
symbolique qui
concerne l’humanité
tout entière
Fax News (2004) (Visite effectuée le 18 juillet 2006) http://www.foxnews.com/story/0,2933,129489,00.html
CNN (2005) (visite effectuée le 18 juillet 2006) http://edition.cnn.com/2005/WORLD/meast/01/30/iraq.audit/Times, (2005). (Visite effectuée le 18
juillet 2006) http://www.ftimes.com/main.asp?SectionID=1&SubSectionID=1&ArticleID=25316&TM=74844.16
40
Global Policy (2004) http://www.globalpolicy.org/security/issues/iraq/dfi/2004/06fuelingsuspicion.pdf
41
The Guardian (2005) (Visite effectuée le 10 avril 2006) http://www.guardian.co.uk/Iraq/Story/0,2763,1522983,00.html
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
57
Eleanor Robson, de la Faculty of Oriental
Studies à l’Université d’Oxford, a comparé ce
pillage “à la dévastation de Bagdad42, par les
Mongols en 1258”43 Le livre “Le pillage du
musée irakien, Bagdad” auquel les meilleurs
archéologues d’Irak ont contribué, rapporte
des informations sur 7000 pièces retrouvées
parmi les 15 000 pièces volées ; aucune pièce
n’a été rapatriée en Irak à ce jour. Le sort de
la collection de cachets sumériens du musée
n’est pas encore clair. C’est une collection
de quelque 6 000 pièces, certains cachets
remontant à l’aube de la création de l’écriture.
La construction par les forces d’occupation de
bases militaires et d’aéroports à côté de sites
archéologiques importants a occasionné des
destructions sur une large échelle (Mohamed
Arrif, en arabe, 2005b).
Les estimations
courantes du coût
économique de
l’invasion et de
l’occupation de l’Irak,
y compris les coûts
financiers directs
l’évaluent à 500
milliards de dollars à
peu près
Le coût global de l’invasion et de
l’occupation de l’Irak
Les estimations courantes du coût économique
de l’invasion et de l’occupation de l’Irak, y
compris les coûts financiers directs (estimés
par une étude récente à quelque 255 milliards
de dollars, dont 40 milliards financés par des
associés de la Coalition) en plus du manque
à gagner en termes de revenus du pétrole et
la destruction de capitaux, l’évaluent à 500
milliards de dollars à peu près. On s’attend à ce
que ce montant double d’ici à 2015 (American
Entreprise Institut Brookings, en anglais,
2005).
Le désir populaire de mettre fin à
l’occupation
Les assertions sur le désir populaire de voir
l’occupation prendre fin se sont multipliées
au sein des cercles de l’un des deux pôles
de la coalition d’occupation de l’Irak. Un
sondage, financé par le ministère britannique
de la Défense et couvrant l’ensemble de l’Irak,
ébruité par le journal “Sunday Telegraph”
à la suite de fuites, montre que plus de 99%
des Irakiens ne croient pas que la présence des
58
forces de la Coalition assure plus de sécurité
dans le pays et que la moitié presque des
sondés sympathisent avec les attaques violentes
lancées contre les forces de la Coalition (The
Guardian, 23 octobre 2005).
Pour faire face à la montée du rejet
populaire de la poursuite de l’occupation,
l’état major de l’armée américaine en Irak a eu
recours à la corruption de journaux irakiens
pour les amener à publier des articles insistant
sur le caractère positif de l’action des Etats Unis
en Irak, corruption reconnue pour la première
fois vers la fin de l’année 2005 (Washigton fost,
3 décembre 2005).
Conclusion
A la lumière de ce qui précède, on peut dire
que l’environnement régional et international
fait peser une forte hypothèque sur le
développement humain et sur les droits de
l’homme, en raison notamment de l’occupation
étrangère en Palestine et en Irak et de la “guerre
au terrorisme”.
Le citoyen arabe souffre de la violation de
ses droits et de ses libertés fondamentales, à
commencer par le droit à la vie, en passant par
les droits civils et politiques et en terminant par
les droits économiques et sociaux.
Telle est la situation présentement. Mais les
implications négatives de cet environnement
régional et international, handicapant pour
le développement humain, limitent les
possibilités de renaissance du monde arabe,
car elles handicapent la réforme, entravent la
possibilité de parvenir à des solutions pacifiques
et justes à la violation par l’occupation de la
liberté de la nation et du citoyen, ce qui est
susceptible d’entraîner la région vers davantage
d’extrémisme et vers des formes violentes de
protestation, faute d’une gouvernance juste au
plan mondial, garante de la sécurité et agissant
pour le bien être humain de tous.
42
The looting of the Iraq Museum, Baghdad
43
The Guardian (2003) (visite effectuée le 28 avril 2006) http://www.guardian.co.uk/Iraq/Story/0,,979734,00.html
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Les avancées entreprises
pour surmonter les déficits
du développement humain
L’Elargissement de l’espace
de la liberté
La tendance générale au cours de la période
couverte par la présente analyse a été celle de
la poursuite du processus de restriction de la
liberté et du renforcement de la structure du
pouvoir despotique en place tel qu’on l’a montré
dans les sections précédentes de cette partie du
Rapport. Toutefois, des évolutions positives en
matière d’élargissement de l’espace des libertés
sont repérables dans les pays arabes.
Renforcement et protection de la culture
des droits de l’homme
En Egypte le Conseil national pour les droits de
l’homme a publié son premier rapport annuel
(2005). Que le rapport ait abordé certaines
violations parmi les plus graves des droits de
l’homme dans le pays et qu’il ait demandé
que soit mis un terme à l’état d’urgence a
agréablement surpris les milieux des droits de
l’homme ! Il reste maintenant aux autorités de
prendre les mesures efficaces pour assurer les
droits de l’homme et sanctionner ceux qui les
violent en s’appuyant sur ce genre de rapport.
(Mohamed Salim Al Awdah, en rabe, 2005).
En Jordanie, le Centre national des droits
de l’homme a également publié son premier
rapport annuel.
La Tunisie a ratifié la Charte arabe des droits
de l’homme et la Syrie a rejoint la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants.
Des sessions de formation aux droits de
l’homme ont été organisées à l’intention des
religieux et de la police en Egypte.
Décision a été prise de rendre obligatoire
l’enseignement de la démocratie et des droits
de l’homme dans les écoles de Bahreïn.
Un centre des Nations Unies pour le
renforcement des droits de l’homme dans la
région arabe est en cours de construction.
Une association des droits de l’homme a
été constituée aux Emirats.
Les nouvelles autorités mauritaniennes
ont organisé, pour la première fois, une
grande rencontre civile et politique avec la
participation de toutes les composantes de
l’opposition pour débattre des problématiques
posées par la situation actuelle dans le pays et
contribuer à dessiner les traits de la phase de
transition. De nombreuses organisations non
gouvernementales et des centres de recherche
en développement ont reçu l’autorisation
d’exercer.
Vers la liquidation de l’héritage des années
d’oppression au Maroc
Selon les critères de l’histoire politique, il
ne serait pas excessif de considérer que le
plus grand événement de l’année 2005 au
Maroc a été représenté par les auditions
publiques organisées par l’Instance Equité et
Réconciliation pour permettre aux nouvelles
générations au Maroc de connaître des faits et
des données atroces que le pays a vécus durant
la période allant du début de l’indépendance
à l’année 1999. Cette action s’inscrit dans la
logique de la justice transitionnelle dans un
Maroc qui cherche à se réconcilier avec luimême en liquidant de certains aspects d’un
héritage marqué par des degrés élevés de
despotisme et d’oppression.
Une série d’auditions a ainsi été programmée
pour entendre un échantillon de victimes,
appartenant aux différentes composantes de
l’opposition politique nationaliste et de gauche,
qui ont subi différentes formes d’oppression
dans les prisons et dans les centres lieux de
crimes consistant à martyriser l’humanité des
êtres humains.
Les membres de l’Instance ont réuni
plus de vingt mille dossiers et décidé de faire
entendre 200 témoignages directs, retransmis
directement sur les stations de radios et de
télévisions marocaines. L’Instance a présenté
son rapport final qui réunit les résultats et
les conclusions de ses travaux concernant les
différentes missions qui lui ont été assignées
ainsi que des recommandations et propositions
en vue de réformes constitutionnelles,
institutionnelles et éducatives nécessaires à
même d’aider à tourner la page et pour garantir
que ce qui s’est passé ne se reproduise plus.
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
59
A la recherche de la réconciliation nationale
en Algérie
L’acquisition du
savoir est considérée
par les pouvoirs en
place comme par les
bailleurs de fonds
comme un domaine
neutre politiquement
qui est par conséquent
ouvert à une action
élargie, contrairement
à l’action visant
Le Président algérien a adopté une initiative
visant à dépasser le climat de conflit et
d’hostilité dans le pays, hérité des années 90,
en proposant une Charte pour la paix et la
réconciliation nationale, largement plébiscitée
par référendum populaire.
Une orientation démocratique limitée aux
Emirats
Le chef de l’Etat des Emirats a annoncé
engager le pays dans processus démocratique
consistant à élire la moitié des membres du
Conseil national de l’Union, constitué de 40
membres, par 4000 personnes, représentant les
élites de la société désignées par les cheikhs des
sept Emirats.
L’élargissement de la participation
populaire en Jordanie
chimère. En effet,
En Jordanie, une commission désignée par
le Roi et représentant les divers courants
politiques a proposé un agenda national pour
la réforme économique, sociale et politique.
Elle recommande en autres d’apporter des
amendements importants aux lois sur les partis
et sur les élections. La plus grande question est
de savoir si le gouvernement va appliquer les
recommandations de la commission, lesquelles
sont à même de développer la vie politique et
d’élargir la participation populaire.
l’éducation, tout
L’acquisition du savoir
à surmonter le
déficit en liberté.
Mais la neutralité
politique des modes
d’acquisition du
savoir est une grande
particulièrement,
est un instrument
maniable pouvant
servir à reproduire
ou à renforcer la
domination intérieure
ou extérieure
60
L’acquisition du savoir est considérée par les
pouvoirs en place comme par les bailleurs de
fonds comme un domaine neutre politiquement
qui est par conséquent ouvert à une action
élargie, contrairement à l’action visant à
surmonter le déficit en liberté. Mais la neutralité
politique des modes d’acquisition du savoir est
une grande chimère. En effet, l’éducation, tout
particulièrement, est un instrument maniable
pouvant servir à reproduire ou à renforcer la
domination intérieure ou extérieure.
Les efforts visant à modifier les programmes
et les méthodes d’enseignement se sont
multipliés ; certains de ces efforts satisfont
aux échéanciers d’entreprises de “ réforme ”
sous l’impulsion étrangère qui ne servent
pas nécessairement la renaissance du monde
arabe.
Plus précisément, les programmes arabes
d’enseignement font face, actuellement, à des
pressions étrangères visant à les faire “ évoluer ”
pour intégrer les valeurs favorables à la
promotion des droits de l’homme, des femmes
et des valeurs de démocratie et de tolérance. Un
tel changement est certainement nécessaire sur
plusieurs plans, non seulement l’introduction
de telles valeurs universelles mais aussi pour
moderniser ces programmes et introduire des
aspects importants ayant trait à la révolution
des communications et à l’interactivité rapide
entre les peuples et les Etats dans le monde.
Mais s’attaquer à ces programmes parce qu’ils
comportent des valeurs ‘islamiques’ pouvant
conduire à ‘l’extrémisme’ peut aboutir à un
résultat tout à fait opposé et renforcerait la
résistance interne au changement.
La promotion des femmes
La question de la promotion des femmes, qui
est au cœur du présent Rapport, est l’un des
aspects du déficit de développement humain
pour le dépassement duquel les Etats arabes
ont eu l’habitude d’œuvrer. Ils l’ont toutefois
fait de manière inconséquente. L’illustration de
cette inconséquence est que l’action se contente
d’une promotion de façade qui consiste à faire
accéder des femmes distinguées à des postes
de direction au sein de la structure du pouvoir
en place, sans que la promotion s’étende à la
base la plus large des femmes, ce qui appelle
automatiquement une promotion de tous l es
citoyens.
Néanmoins on peut repérer les tendances
positives suivantes dans le domaine de la
promotion des femmes :
• Au Koweït, la promulgation par le
Parlement (Majliss al-Oumma) de la loi
accordant aux femmes le droit de vote
et d’éligibilité aux élections générales et
locales est le couronnement de décennies de
luttes des femmes et de leurs soutiens. Cette
promulgation a été suivie par la nomination
d’une femme ministre du Plan, poste
qu’aucune femme n’a jamais occupé dans
l’histoire du Koweït.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
• En Egypte, une femme est nommée, pour
la première fois présidente d’une société
holding de pétrole, onze femmes ont été
nommées au Conseil consultatif (Majliss alChoura), l’âge légal du mariage des filles a
été relevé à 18 ans et le ministère des Forces
travailleuses et de l’Emigration est revenu,
lors d’un remaniement ministériel opéré à la
fin de l’année 2005, pour la première fois, à
une femme.
• Un remaniement ministériel opéré en avril
2005 en Jordanie s’est accompagné par la
nomination de quatre femmes ministres.
Toutefois, la formation d’un nouveau
gouvernement en novembre 2005 a ramené
à un le nombre de ministres femmes.
• Au Liban une femme ministre est nommée
pour la première fois en 2005. Six femmes
ont gagné les élections législatives.
• Aux Emirats, un remaniement ministériel a
permis, pour la première fois, à une femme
d’accéder au gouvernement et le nombre de
femmes ministres est passé à deux dans la
dernière formation gouvernementale.
• En Tunisie, une femme est pour la première
fois nommée préfet (wali).
• Au Qatar, une femme dirige le Secrétariat
général du Conseil municipal.
• En Syrie, une femme est nommée membre
de la direction nationale du Parti Baath.
• En Arabie Saoudite, l’obligation pour la
femme d’avoir l’autorisation du tuteur
pour pouvoir obtenir une carte d’identité
a été abrogée. Deux femmes sont devenues
membres du Conseil représentatif des
journalistes ; trois femmes ont été élues au
Conseil d’administration de l’Association
nationale des droits de l’homme. Les
femmes ont participé aux élections des
chambres de commerce de la ville de Riad.
Deux candidates ont réussi à intégrer le
conseil de ces chambres. Une délégation de
40 dames saoudiennes s’est rendu en visite
de travail officielle en Grande Bretagne et
le Roi Abdallah a rencontré des groupes
professionnels de femmes qui lui ont
présenté des revendications générales.
• A Bahrayn, l’autorisation préalable du mari
pour l’obtention par la femme du passeport
est levée ; la femme est en outre associée à la
gestion de la circulation routière.
En Algérie, une femme est nommée présidente
de l’Université de Boumerdes.
La Libye a ratifié l’Accord portant création de
l’Organisation de la femme arabe.
Conclusion
Le monde arabe a continué, tout au long de
la période couverte par ce rapport, à vivre un
état d’enfantement du développement dont
personne ne peut prévoir l’aboutissement. D’un
côté, quelques réformes dans les domaines de
la diffusion du savoir et de la promotion des
femmes ont été entreprises. Excepté dans un
pays arabe ou deux, il n’y a plus un parlement,
un ministère ou un conseil municipal qui n’a
pas au moins une femme dans ses rangs, qui
participe avec compétence à la réalisation des
missions qui sont de son ressort. D’ailleurs de
nombreux Etats arabes commencent à revoir
les systèmes éducatifs en vue de la promotion
des femmes. Mais la marche dans la voie de la
réforme politique reste toujours incertaine. Le
fossé qui sépare réalité et aspirations des forces
vives des pays arabes continue de se creuser à
cause de la lenteur de la réforme, d’une part,
et de la vitalité des forces de la société civile
qui ont réussi à franchir le barrage de la peur,
qui les a longtemps bloquées et à élaborer leurs
revendications en matière de réforme d’une
manière plus claire et plus agressive, d’autre
part. Bien que représentant une avancée en
comparaison avec les pratiques précédentes, les
élections tenues sont loin de réunir en général
les conditions des élections libres et honnêtes
pour l’avènement desquelles militent les forces
de la société civile. En outre, de nombreux
régimes ont annoncé des programmes de
réforme politique, mais leur mise en œuvre est
restée limitée et timide. Les libertés politiques
et civiles continuent en effet à être violées en
l’absence d’une force de dissuasion pour faire
barrage à de telles violations. Bien qu’il se
soit un peu élargi, le droit à la participation
politique est toujours soumis à des restrictions
et fait face, dans la pratique concrète, à des
limitations légales et à d’autres limitations
encore.
Les réformateurs et les activistes des droits
de l’homme continuent d’être la cible constante
des mesures répressives ; ils risquent dans leur
La marche dans la
voie de la réforme
politique reste
toujours incertaine.
Le fossé qui sépare
réalité et aspirations
des forces vives des
pays arabes continue
de se creuser à cause
de la lenteur de la
réforme, d’une part,
et de la vitalité des
forces de la société
civile qui ont réussi
à franchir le barrage
de la peur, qui les a
longtemps bloquées
et à élaborer leurs
revendications en
matière de réforme
d’une manière
plus claire et plus
agressive, d’autre
part.
Les évolutions du développement humain dans le monde arabe depuis la publication du troisième rapport
61
quête des libertés et des droits de perdre non
seulement leur bien être, mais même leur vie.
En dépit de la multiplication des initiatives
internationales pour la réforme dans le monde
arabe, l’impact négatif de l’environnement
international sur le processus de réforme s’est
accentué. Le terrorisme et la guerre qui est
menée contre lui menacent dorénavant non
seulement le droit du citoyen arabe à la liberté
et au développement mais aussi son droit à
la vie. S’agissant des situations d’occupation
étrangère, l’occupation israélienne en Palestine
tout particuluèrement continue de priver les
Arabes de leurs droits politiques, économiques
et sociaux les plus élémentaires et menace la
sécurité et la paix dans la région tout entière.
Pour toutes ces raisons, le processus de
développement a été perturbé et est resté
aléatoire, ce qui a maintenu le monde arabe
dans le statu quo, non loin du processus de
“ la destruction en perspective ” contre lequel
le troisième Rapport sur le développement
humain arabe a mis en garde.
Mais l’espoir de voir le processus de “ la
prospérité humaine ” (izdihar) l’emporter
n’est pas perdu. C’est dans cette optique, et
dans l’espoir de renforcer la tendance de cet
izdihar, que ce quatrième rapport est publié.
Le contenu de la deuxième
partie du Rappaort
La deuxième partie de ce Rapport comporte
une étude du troisième volet du déficit retenu
par le premier Rapport sur le développement
humain arabe, à savoir le déficit en matière de
promotion des femmes dans les pays arabes.
Il s’agit d’établir une vision stratégique pour
surmonter ce déficit et assurer la promotion
des femmes dans le monde arabe.
Le premier chapitre pose les fondements
conceptuels du rapport en reprenant les
concepts fondamentaux de la série de rapports
sur le développement humain arabe, c’est à dire
la liberté et les droits de l’homme, en centrant
l’intérêt sur l’égalité entre les femmes et les
hommes dans une perspective de sauvegarde
de la dignité humaine. Le chapitre aborde
ensuite quelques questions problématiques
relatives au statut des femmes dans le monde
arabe de nos jours.
62
Le contenu du chapitre montre, notamment
dans sa deuxième partie, que la situation des
femmes dans les pays arabes est l’aboutissement
de la conjonction de plusieurs facteurs culturels,
sociaux, économiques et politiques qui
s’interpénètrent de manière complexe, et dont
certains sont problématiques. Ceci nécessite,
à la lumière de l’approche méthodologique
retenue par le “ Rapport sur le développement
humain arabe ”, une analyse aussi vaste et
profonde que possible de nombreux éléments
constitutifs des sociétés arabes afin d’établir un
diagnostic des situations des femmes dans les
pays arabes, d’essayer d’expliquer leur statut
actuel et d’élaborer une vision stratégique pour
leu promotion dans le monde arabe.
Le rapport tente dans un premier temps
d’établir un diagnostic de la condition actuelle
des femmes dans les pays arabes par rapport aux
axes du développement humain, d’acquisition
et d’utilisation des capacités humaines par les
femmes, du niveau du bien être humain qui
en résulte et de l’égalité entre les femmes et
les hommes en droits humains, en accordant
une attention particulière aux expériences
en matière de promotion des femmes dans
les pays arabes, étant bien entendu que la
volonté d’entreprendre cette promotion et
l’action sociale qui la traduit sont deux facteurs
centraux de promotion des femmes (chapitres
2-5).
Après le diagnostic, le rapport essaie
d’expliquer la condition des femmes dans le
monde arabe à travers une analyse du contexte
sociétal qui l’influence, en centrant l’intérêt
sur les structures culturelles – notamment la
religion et plus précisément l’islam –, sociales
et politiques (chapitres 6-9).
Sur la base du diagnostic et de l’essai
d’explication, le rapport présente dans le
dernier chapitre (chapitre 10), une vision
stratégique, sous forme de grandes lignes,
pour la promotion des femmes dans le monde
arabe. Cette promotion est considérée comme
l’élément complémentaire principal des deux
autres, à savoir celui de la construction de
la société du savoir et celui de la liberté et
de la bonne gouvernance, de construction
d’une renaissance humaine du monde arabe
conformément à la vision globale élaborée par
le Rapport du développement humain arabe.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Deuxième partie
Vers La Promotion Des Femmes Dans
Le Monde Arabe
Premièrement : Le Cadre de Référence
Chapitre I
Concepts et
problématiques
Les concepts fondamentaux
et l’évolution historique
relatifs à la naissance de la
discrimination à l’égard des
femmes et aux moyens pour
la combattre
Les concepts
La promotion1 des femmes2
La promotion des femmes, en ce qu’elle est un
état de perfection sociétale, se réalise dans le
cadre de la société de la liberté, défendue par
le troisième Rapport arabe de développement
humain (2004), par l’élimination de toutes
les formes d’atteinte à la dignité humaine
pour toutes les femmes, en leur garantissant,
notamment, les droits à la citoyenneté complète,
et qu’elles usent de tous les droits de l’homme
sur un pied d’égalité avec les hommes, dans les
pays arabes.
La définition de la liberté retenue ici ne
signifie pas seulement d’user des libertés
civiles et politiques, qui sont le fondement
de la citoyenneté, mais englobe également
l’émancipation de toutes les formes de
rabaissement de la dignité humaine, telles
que l’ignorance, la maladie, l’indigence et
la peur. Comme nous l’avons souligné dans
le “ Rapport arabe sur le développement
humain : année 2004 ”, ce concept global de
liberté équivaut, d’une part, au concept de
développement humain retenu par le Rapport
et, d’autre part, à l’ensemble du système des
droits de l’homme.
User des droits de l’homme
La finalité suprême de la promotion des femmes
dans le monde arabe, son premier principe
structurant, est que les femmes dans le monde
arabe, toutes les femmes, puissent user de tous
les éléments du système des droits de l’homme
sur un pied d’égalité avec les hommes.
Pratiquement, la notion de “ promotion
des femmes dans le monde arabe ” appelle,
dans le cadre du concept de développement
humain, qui est un processus de changement
social, l’émancipation des femmes des entraves
juridiques et politiques qui les ligotent et les
placent dans un bas niveau social et leur
permettre de disposer des instruments de leur
propre promotion par le développement de
leurs capacités. Pour ce faire, il faut garantir
l’égalité complète entre les femmes et les
hommes en matière d’acquisition des capacités
humaines, de base notamment, à savoir être
en bonne santé, dans son acception globale,
l’acquisition du savoir tout au long de la vie,
en commençant par l’égalité complète entre les
filles et les garçons.
La garantie de l’égalité totale des chances
La garantie de l’égalité des chances en
matière d’utilisation efficace des capacités
humaines dans tous les domaines de l’activité
humaine, dans la production comme dans
les activités sociales et politiques, conduit au
rapprochement des deux sexes en matière
d’utilisation des éléments du bien être humain,
sur les plans moral et matériel.
L’égalité totale des chances est donc le
1
Le premier “ Rapport arabe sur le développement humain ” paru en 2002 avait utilisé l’expression “ autonomisation des femmes ”, mais
“ promotion des femmes ” et non pas “ promouvoir les femmes ” nous semble plus approprié. Il s’agit d’insister sur l’action militante des femmes
pour obtenir leur droits et promouvoir leur statut à travers la construction de leurs capacités et l’usage efficace qu’elles en font dans un contexte
sociétal favorable. Ce sont là des fondements importants de la vision stratégique qui clôt ce rapport.
2
La promotion des
femmes, en ce
qu’elle est un état de
perfection sociétale,
se réalise dans le
cadre de la société
de la liberté, par
l’élimination de toutes
les formes d’atteinte
à la dignité humaine
pour toutes les
femmes,
Finalité suprême de
la promotion des
femmes dans le
monde arabe, son
premier principe
structurant, est que
les femmes dans le
monde arabe, toutes
les femmes, puissent
user de tous les
éléments du système
des droits de l’homme
sur un pied d’égalité
avec les hommes.
Par femme ou femmes ce rapport entend le “ genre ”, autrement dit l’ensemble des femmes des pays arabes sans distinction ou discrimination.
Concepts et problématiques
65
second principe structurant du processus de
“ promotion des femmes arabes ” dans le cadre
du respect du droit à la liberté, dans son sens
global, pour tous.
Aussi, ce dont il est fondamentalement
question ici, ce n’est pas seulement de rendre
justice aux femmes citoyennes des Etats
arabes, bien que cela soit nécessaire, mais de
traiter équitablement tous les citoyens arabes,
et toutes les femmes dans les pays arabes. Ceci
nous amène à traiter de la question des droits
de la citoyenneté.
La garantie de
l’intégralité des droits
de la citoyenneté
pour tous les
citoyens arabes, plus
particulièrement
les femmes, est le
troisième principe
structurant du
processus de
“ promotion des
femmes dans le
monde arabe ”.
La garantie de l’intégralité des droits de la
citoyenneté3 pour les femmes
Le Rapport arabe sur le développement
humain pour l’année 2004 a retenu une
définition globale de la liberté qui marie liberté
individuelle et justice, qui assure l’équilibre
entre le développement humain, d’un côté,
et tout le système des droits de l’homme, tel
que retenu par le droit international des droits
de l’homme, d’un autre côté, et qui lie la
sauvegarde de la liberté à la mise en place d’un
système de bonne gouvernance, garantissant
les droits inaliénables de la citoyenneté pour
tous les citoyens arabes.
Dans la mesure où les droits de la citoyenneté
ne sont pas totalement respectés dans les pays
arabes et qu’il y a aggravation des privations des
femmes de ces droits, le développement exige
le respect des droits de la citoyenneté pour
tous, particulièrement pour les femmes, sur un
pied d’égalité avec les hommes. La féminité ne
doit pas justifier l’atteinte à la dignité humaine
des femmes ni la restriction des droits effectifs
de la citoyenneté. Dans ce cadre, on ne peut
pas considérer comme une discrimination en
matière de droits de la citoyenneté la ségrégation
positive temporaire qui vise à faciliter l’accès
des femmes aux centres de décision desquels
elles ont été exclues pendant de longs siècles
marqués par le monopole des hommes.
Ainsi, la garantie de l’intégralité des droits de
la citoyenneté pour tous les citoyens arabes, plus
particulièrement les femmes, est le troisième
principe structurant du processus de “ promotion
des femmes dans le monde arabe ”.
3
66
L’égalité dans le respect de
la différence
Certes, les femmes sont différentes des hommes
mais ne leur sont pas inférieures !
Cette différence est en partie biologico–
physiologique, elle n’est pas une déficience ;
c’est même parfois un atout. (Nader Ferjani,
en arabe, 2006). Elle est, en partie, historico–
sociologique, porteuse d’une dépréciation
des femmes, bien que présentant parfois des
avantages pour elles (comme le droit aux
congés de grossesse et de maternité dans les
codes du travail eu égard à la fonction sociale
de reproduction assurée par la femme).
Néanmoins, le mauvais usage des
différences des fonctions reproductives, et
des charges qui en résultent, a donné aux
hommes un avantage sur les femmes dans
le domaine de liberté de mouvement, ce qui
a consolidé leur domination du domaine
public de la société et leur a donné l’occasion
de constituer le monde des représentations
(le système cognitif) du genre humain
conformément à cette domination. En même
temps, la marginalisation des femmes, amenées
à s’occuper de la progéniture, a contribué à
la faiblesse de leur contribution à la fois à la
confection du monde des représentations
et à l’activité humaine publique. Mais cette
retraite relative leur a permis en même temps
d’acquérir une plus grande capacité à lire les
indications symboliques relatives aux états
du corps et aux situations existentielles, liés
au désir de continuer à vivre en bonne santé,
particulièrement lorsqu’il s’agit des enfants
(Nadeau, en anglais, 1996 : 50-60)
L’égalité entre les femmes et les hommes ne
signifie pas nier les différences entre eux. Les
vérités de la biologie ont fondé la différence,
mais celle-ci a été renforcée et excessivement
amplifiée sans raison valable par les héritages
culturels en faveur des hommes.
Contrôler cette différence entre les femmes
et les hommes et la resituer à sa véritable place,
sans la dramatiser ni la sous-estimer, est une
condition nécessaire à l’élaboration du principe
d’égalité entre les deux sexes.
En effet, la dramatisation de cette
Au sens de l’égalité totale en droits et obligations de tous les citoyens
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 1-1
L’inégalité des sexes dans l’histoire de l’humanité
La relation première et fondamentale entre l’homme et la femme a, de
longue date, été au cœur de la continuité de l’espèce humaine, du rejet
de la violence et de la poursuite de l’affection et de la compassion, toutes
des valeurs qui refusent la disparition de l’espèce, indépendamment des
modes de vie, et qui furent au cœur de la protection contre l’extinction
de l’espèce et de la capacité de création et de renouvellement. Toutefois,
avec l’ère de l’utilisation des minerais, un nouveau type de relation
femme–homme a vu le jour. Cette relation, dorénavant liée à la vie
citadine et à l’activité masculine a éloigné la force de travail féminine
physique et mentale de l’espace public et a entraîné le recul de la valeur
morale de la production au profit de la force musculaire, processus qui
s renforcera par la suite par la compétence militaire. La différence de
nature et de fonction entre les deux sexes s’est ainsi transformée en une
ségrégation en droits et obligations.
Néanmoins la société patriarcale n’a pas pu faire disparaître les
femmes des espaces symboliques au sein desquels elles ont coexisté
avec les hommes en tant que déesse de la fertilité et de la beauté ; leur
présence a été constante dans la légende, les croyances anciennes et la
politique. La légende d’Osiris, déesse mère et Terre, et d’Isis–Nature,
est l’image représentative de la forte présence de la femme dans les
conditions de la production humaine et matérielle qui traversera la
Méditerranée sans difficulté.
Les femmes ont aussi assumé des rôles dirigeants importants dans
la région arabe. Les rôles assumés par les reines égyptiennes dans la
société, l’administration, les gouvernements et en matière de modes
d’organisation familiale, de mariage et de divorce reflètent le poids
des femmes à l’époque des Pharaons. Les femmes avaient une haute
importance sociale et religieuse à Bilad ar-Rafidaini4, illustrée par les
statues de la maternité et de la fertilité, particulièrement par celles
d’Ishtar, déesse de l’amour, de la fertilité et de la vie. L’image de la
femme a également été identifiée à la lune, qui fut liée à la vie sexuelle
des êtres humains et à la fertilité. Bien que la division du travail au
sein de la société babylonienne fut davantage patriarcale, il n’empêche
qu’elle a garanti aux femmes de nombreux droits, et en premier chef
les droits d’appropriation, au travail, au divorce, etc.
La réaction des femmes face à leur assujettissement a pris plusieurs
formes, négatives par moments et efficaces dans d’autres. Des incursions
ont violé “ l’image préétablie ” et ébranlé les fondements symboliques
et idéologiques de l’autorité de l’homme soit à travers l’accès au pouvoir
de femmes de fortes personnalités, soit à travers leur action d’arrière
plan, faisant des gouvernants, des dirigeants et des ulama.
La révolution française a ébranlé le cercle vicieux de la logique
patriarcale. Malgré le lourd héritage historique, dont même de grands
noms des Lumières n’ont pas pu se débarrasser, la question existentielle
centrale a été posée à nouveau : la discrimination à l’égard des femmes
est-elle de l’ordre du culturel ou du naturel ? Des personnages
distingués tels que Condorcet et Laclos ont eu le courage d’y répondre
en insistant que rien dans la nature n’autorise une ségrégation qui est
la conséquence de l’existence sociale. Il n’y a aucune raison pour que
l’un des deux sexes devienne la cause définitive de l’existence de l’autre
sexe.
Une telle rupture révolutionnaire est venue libérer les femmes en
leur qualité d’individus et a permis de poser la question de leurs droits
sous un angle tout à fait nouveau. Les femmes ont ainsi, en tant que
citoyennes, investi avec force la vie publique, même en l’absence des
droits de la citoyenneté et leur action dans les quartiers populaires a
été plus loin que la simple révolte ; elles ont été à l’origine de journées
mémorables de la révolution( 5 et 6 octobre 1789). Les femmes sont
montées aux tribunes, ont occupé des sièges aux parlements, se
sont organisées dans des clubs privés et ont rédigé des pétitions. Un
tel saut qualitatif ne pouvait ne pas faire peur aux hommes les plus
révolutionnaires. Olympe De Gouges, l’auteur de la “ Déclaration des
droits des femmes et de la citoyenneté ” paya de sa vie, guillotinée par
les révolutionnaires, le prix d’avoir transgressé l’esprit de l’époque.
Cependant la bataille menée par l’humanité contre la logique de
ségrégation a débuté avec la naissance du concept positif des droits
de l’homme, celui qui ne part pas d’un présupposé sacré qui place
les femmes hors de la définition de la personne humaine. Il a fallu
depuis cette naissance deux cents ans pour que l’humanité s’accorde
sur le premier texte universel qui vise à éliminer toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes. Puis, un siècle plus tard, le monde
arabe s’inscrit dans cette logique. En s’inspirant du processus européen,
on a commencé à vouloir se réapproprier l’esprit premier de l’égalité
islamique entre les deux sexes, comme l’attestent les écrits de Qasim
Amine, Mohamed Abduh et d’un groupe d’intellectuels islamiques
éclairés qui ont considéré que la lutte contre cette discrimination
permettait de retrouver l’authenticité de l’Islam. Mansour Fahmi et
Salama Moussa ont adopté la thèse selon laquelle la rupture avec le
passé était la condition d’une refonte de la relation entre les deux sexes
sur la base de l’égalité dans le cadre du mouvement qui sera qualifié
de Nahda.
Source : Haitam Manaa’, Document d’appui du rapport
différence, avec des conséquences que la réalité
de la différence ne pourrait supporter, pourrait
conduire à une ségrégation à l’encontre des
femmes et à les priver de leurs droits. De même,
la sous–estimation de la différence conduit à
rendre les choses superficielles et à les réduire à
des modes d’égalité formelle qui peuvent à leur
tour porter atteinte aux droits des femmes.
C’est la raison pour laquelle ce rapport,
tout en tenant compte du principe de
différence, rejette toute discrimination en
droits et en obligations entre l’un et l’autre
4
sexes et souligne que le traitement correct
de cette différence, sous l’égide de l’égalité
et de la dignité humaine, peut constituer une
base solide d’une promotion humaine. C’est
pourquoi nous adoptons une posture qui allie
l’égalité totale en droits de la citoyenneté pour
tous les citoyens, hommes et femmes, au respect
de la différence entre les deux sexes, dans le
respect de la dignité de tous les membres de la
société et pour que ce respect de la différence
ne conduise absolument pas à restreindre les
droits des femmes, et pour qu’ils soient tous
Nous adoptons une
posture qui allie
l’égalité totale en
droits de la citoyenneté
pour tous les citoyens,
hommes et femmes, au
respect de la différence
entre les deux sexes,
(Pays des deux affluents, le Tigre et l’Euphrate, l’Irak d’aujourd’hui) (NT).
Concepts et problématiques
67
la mise en œuvre
du développement
humain dans le
monde arabe suppose
nécessairement la
promotion des femmes
arabes telle que nous
la définissons.
en mesure d’acquérir les capacités humaines et
d’en faire usage avec compétence dans tous les
types d’activités sociétales. Il s’agit en d’autres
termes de les intégrer tous, sur un même
pied d’égalité dans un processus sérieux de
développement humain dans les pays arabes.
Cette posture est conforme à celle
affirmée dans les “ Rapports arabes sur le
développement humain ”, notamment le
dernier, consistant à adopter l’ensemble du
système des droits de l’homme, tel qu’il est
Encadré 1-2
Faire progresser le statut de la femme
est un pas vers la civilité
Globalement, le progrès des nations
dépend de différents et divers facteurs
dont le progrès de la femme est l’un des
plus importants, et la décadence des
nations résulte également de différents
et divers facteurs dont le rabaissement
de la femme est l’un des plus importants.
Ce rabaissement du statut de la femme
chez nous est l’obstacle le plus important
qui nous empêche d’avancer vers la
destination où se trouve notre bien.
Source : Qasim Amine, en arabe, 1899 : 132-133
Encadré 1-3
Passages de la “ Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes ”
Résolution
de
l’Assemblée
générale des Nations Unies 34/180
Adoptée le 18 décembre 1979
Entrée en vigueur : le 3 septembre 1981.
Article premier :
Aux fins de la présente Convention,
l’expression “discrimination à l’égard des
femmes” vise toute distinction, exclusion
ou restriction fondée sur le sexe qui a
pour effet ou pour but de compromettre
ou de détruire la reconnaissance, la
jouissance ou l’exercice par les femmes,
quel que soit leur état matrimonial, sur
la base de l’égalité de l’homme et de la
femme, des droits de l’homme et des
libertés fondamentales dans les domaines
politique, économique, social, culturel et
civil ou dans tout autre domaine.
Article2 Les Etats parties condamnent la
discrimination à l’égard des femmes sous
toutes ses formes s’engagent à :
Source : Texte de la convention, annexe 3
(a)inscrire dans leur constitution
nationale ou toute autre disposition
législative appropriée le principe de
l’égalité des hommes et des femmes,
(b)instaurer
une
protection
juridictionnelle des droits des femmes
sur un pied d’égalité avec les hommes
et garantir, par le truchement des
tribunaux nationaux compétents
et d’autres institutions publiques,
la protection effective des femmes
contre tout acte discriminatoire.
Article 5
Les Etats parties prennent toutes les
mesures appropriées pour modifier les
schémas et modèles de comportement
socioculturel de l’homme et de la femme
en vue de parvenir à l’élimination des
préjugés et des pratiques coutumières,
ou de tout autre type, qui sont fondés sur
l’idée de l’infériorité ou de la supériorité
de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle
stéréotypé des hommes et des femmes.
contenu dans le droit international des droits
de l’homme ; la partie qui nous en intéresse ici
et la “ Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des
femmes ” (Encadré 1-3 et Annexe 3)
La promotion des femmes et
le développement humain dans le monde arabe, une
corrélation causale
La présente série de Rapports arabes sur le
développement humain, a soutenu, dès la
première livraison, 2002, qu’il existe une
corrélation étroite qui est à la limite d’un
rapport causal, entre le développement
humain dans le monde arabe et la promotion
des femmes arabes5.
La corrélation causale entre deux catégories
logiques signifie que la véracité de l’une dépend
de l’autre.
Il a été établi dans la série de “ rapports
arabes sur le développement humain ” que le
“ développement humain ” signifie entre autres
que toute personne, de par sa simple qualité
d’être humain, et de par le respect dû à sa
dignité humaine innée, a un droit inaliénable à
vivre dignement, matériellement et moralement,
ce qui nécessite qu’elle dispose d’une chance
égale d’acquérir les capacités humaines et de
les exercer efficacement en vue du plus haut
niveau de bien être humain possible pour tous.
Il s’ensuit un rejet total de toutes les formes de
ségrégation entre tous les êtres humains, quel
que soit le critère de ségrégation.
Il se dégage clairement de cette définition
que la mise en œuvre du développement humain
dans le monde arabe suppose nécessairement
la promotion des femmes arabes telle que nous
la définissons.
D’un autre côté, la promotion des femmes
arabes signifie que le développement humain a
lieu, tant que sa mise en œuvre est corrélative à
l’élimination de toutes les formes de privation
de tous les êtres humains au sein de la société
de la liberté, dans son acception globale, y
compris l’acquisition des capacités humaines
et leur utilisation efficace.
5
Il faut dire que cette position fait l’objet de divergences parmi certains observateurs et peut être au sein du public arabe en général (Rapport arabe sur le développement humain : année 2003.
Encadré “ Ce que pensent les Arabes des trois déficits ”, p. 19)
68
Rapport sur le développement humain arabe 2005
La corrélation causale entre la promotion
des femmes arabes et le développement humain
dans le monde arabe devient donc totale quand
le développement humain concerne tous les
citoyens des Etats arabes.
En d’autres termes, la promotion des
femmes est une condition nécessaire au
développement humain (il n’y a pas de
développement humain sans promotion des
femmes), mais non suffisante nécessairement
(autrement-dit, la mise en œuvre du
développement humain suppose que d’autres
types de changement social aient lieu et se
produisent habituellement corollairement à
la promotion des femmes dans le cadre d’une
promotion sociétale globale).
Les moyens de lutte contre
la discrimination A l’egard des femmes ; l’évolution des
concepts de femmes et de
développement La corrélation causale
entre la promotion
des femmes arabes
Au plan international
et le développement
Les programmes et politiques de développement
relatifs aux femmes sont passés par plusieurs
étapes qui reflètent les changements de
paradigmes des politiques de développement
économique dans le monde. Dans la période
entre les années cinquante et les années
soixante dix, par exemple, la pensée dominante
considérait que la “ modernisation ”, qui
s’identifiait généralement à l’industrialisation
et à l’augmentation du taux de mécanisation,
allait dans les Etats en développement
améliorer les revenus et les conditions de
vie de toutes les composantes de la société,
y compris les femmes. Cette période a été
humain dans le
monde arabe devient
donc totale quand
le développement
humain concerne tous
les citoyens des Etats
arabes.
Une femme brillante : Nazik al-Malaika
La poétesse irakienne Nazik al-Malaika est
considérée comme la pionnière de la poésie
arabe moderne dans le monde arabe et parmi
les premiers à avoir composé un poème
prosodique ; elle a également joué un rôle
précurseur dans le domaine de la théorisation
critique de la poésie moderne.
Nazik al-Malaika est née dans la ville de
Bagdad en l’an 1923 d’un père intellectuel,
qui portait un grand intérêt aux questions
jurisprudentielles et logiques et aimait les
lettres et la poésie, et d’une mère, elle–même
poétesse, Salma Abdel Razzaq. Nazik a été
portée sur la poésie dans cet environnement
fertile depuis qu’elle était petite écolière. Il
n’était pas surprenant de la voir publier en
1945 son poème “ Le Choléra ” qui a inauguré
le passage de la poésie classique arabe, dite
perpendiculaire, à la poésie libre.
La poétesse a poursuivi ses études et
devient lauréate de l’Institut des beauxarts, “ division du luth ”, en 1949. Elle
part aux Etats Unis en 1950 où elle suivit
un enseignement du latin et de littérature
comparée à l’Université de Princeton en New
Jersey. Elle a également, en plus de sa maîtrise
de la langue anglaise, étudié la langue française,
ce qui lui a permis de traduire des œuvres
dans ces différentes langues en langue arabe.
Elle rentre en Irak en 1959 pour retrouver ses
préoccupations littéraires dans les domaines
de la poésie et de la critique littéraire. Son
expérience à l’étranger et sa connaissance
des plus récents courants qui traversaient la
littérature mondiale, comme la littérature
allemande, italienne, russe, chinoise, indoue,
en plus de la littérature française, anglaise et
américaine, ont accentué son ouverture sur la
littérature universelle et enrichi sa vision et sa
sensibilité poétiques. Ceci a clairement marqué
l’approfondissement de sa démarche novatrice
en matière de création poétique comme dans
le domaine des théorisations d’une nouvelle
métrique de poésie. Nazik al-Malaika vécut en
Irak et travailla dans ses universités jusqu’en
1960, y compris l’Université de Basra, sans
arrêter d’écrire de la poésie.
Au début des années soixante, la poétesse
s’est engagée dans une nouvelle expérience
de vie en s’installant au Liban. Beyrouth
constituait en effet le poumon de la littérature
arabe durant cette décennie et jusqu’au milieu
des années 70. La poétesse s’est mise à publier
ses écrits poétiques et critiques ; ils sont
prodigieux au plan poétique et interpellent
sur le plan de la critique, dans la mesure
où elle fait face et combat les présupposés
poétiques et critiques longtemps à l’oeuvre
qui s’endormaient sur leurs lauriers jusqu’au
jour où Nazik a commencé à les défier en
compagnie d’intellectuels de sa génération
d’Irak et du monde arabe, comme Badr Chakir
al–Sayab plus particulièrement, Baland alHaydari, Abdelwahab Bayyati et la poétesse
Lamia’a Imara.
Nazik al-Malaika a publié de nombreux
recueils de poésie et d’études critiques.
Nombreux aussi sont ses poèmes qui n’ont
pas intégré les collections de recueils et sont
restés éparpillés dans de nombreux revues
et journaux irakiens et arabes. Son œuvre
poétique comprend la collection suivante de
recueils : “ L’amoureuse de la nuit ” 1947 ;
“ Etincelles des cendres ” 1949 ; “ Le fond
de la vague ” 1957 ; “ L’arbre de la lune ”
1968 ; “ La tragédie de la vie et une chanson
pour la personne humaine.. ” 1970 ; “ La mer
change de couleurs ” 1977 ; “ Pour la prière et
la révolution ” 1978.
Ses œuvres critiques comprennent “ Les
questions de la poésie contemporaine ” en
1962, “ Le minaret et le balcon rouge ” en
1965, “ Psychologie de la poésie ” en 1993.
Faouzia Abou Khaled
Source : Le journal “ Azzamane ”(Le temps), (2004). (visite effectuée le 12 avril 2006). http://www.azzaman.com/azzaman/articles/2004/09/09-26/698.htm
Concepts et problématiques
69
La première décennie
des femmes (19761985), inaugurée
lors de la première
Conférence mondiale
des Nations Unies
sur les femmes
tenue au Mexique en
1975 a représenté
une forte impulsion
pour faire évoluer
les orientations
en matière de
développement
relatives aux femmes.
70
marquée par la prédominance de “ l’optique
humanitaire ” dans le traitement de la question
des femmes, qui s’est intéressé à leur rôle
reproducteur et a axé l’action sur les questions
relatives à l’éducation et à la santé publique.
Cette même période a connu le début de le
passage de l’optique humanitaire à celle du
développement.
La première Décennie des femmes
(1976-1985), inaugurée lors de la première
Conférence mondiale des Nations Unies sur les
femmes tenue au Mexique en 1975 a représenté
une forte impulsion pour faire évoluer les
orientations en matière de développement
relatives aux femmes. Cette décennie a connu
la diffusion de l’orientation “ Les femmes
dans le développement ”6 qui a reconnu la
différence de situation des femmes et de leur
expérience dans le domaine du développement
par rapport à celles des hommes, ce qui s’est
traduit par l’élaboration de nouvelles stratégies
visant à améliorer la situation des femmes
dans les Etats en développement, en insistant
sur le rôle productif des femmes au détriment
de leur rôle reproductif. Dans le cadre de
cette orientation, les agences internationales
d’aide ont commencé à mettre en œuvre des
programmes générateurs de revenus, comme
ceux consistant à apprendre aux femmes diverses
compétences et métiers, à les intégrer dans des
entreprises de production, des coopératives
de production ou de commercialisation et à
œuvrer au développement de techniques qui
permettent de soulager leur charge de travail.
On insista également sur la revendication d’une
égale participation des femmes en matière
d’éducation et d’emploi, en considérant les
femmes comme productrices indépendantes
et non pas comme dépendantes de leurs maris.
Cette approche a été critiquée pour avoir centré
l’intérêt sur les aspects productifs de la vie des
femmes et ignoré leurs fonctions reproductives
qui ont été considérées comme faisant partie
de la sphère “ privée ” et ne relevant donc
pas des projets de développement visant au
renforcement des activités génératrices de
revenus (Rathegeber, en anglais, 1990).
Dans le début de la seconde décennie
6
Women in Development
7
Gender and Development
des femmes, inaugurée par la Conférence
des Nations Unies _ Nairoubi en 1985,
on assista à la diffusion de l’optique du
genre et du développement7. Cette optique
part d’une vision interne de l’organisation
sociale, économique et politique en vue de
comprendre les mécanismes de distribution
des rôles entre les hommes et les femmes
ainsi que les responsabilités et les attentes
précises de chaque partie. C’est pourquoi,
cette orientation s’intéresse à l’analyse de la
nature de la contribution des femmes dans
l’environnement du travail, dans et hors du
foyer, y compris la production non marchande,
et refuse la division du travail public/privé qui a
été employée en général comme un instrument
de dévalorisation du travail effectué par les
femmes pour la sauvegarde de la famille et
du foyer. Cette optique accorde également de
l’importance au rôle que doit assumer l’Etat
dans l’émancipation des femmes, notamment
en matière d’offre de services sociaux possibles
aux femmes dans l’exercice de leurs différents
rôles, reproductifs, productifs, sociaux ou
politiques. Cette optique souligne, en outre,
que les femmes ont un rôle essentiel à jouer
en tant qu’actrices du changement et ne sont
pas de simples réceptrices passives des aides au
développement. C’est pourquoi, elle accorde
une importance toute particulière à la nécessité
de l’organisation autonome des femmes pour
qu’elles deviennent une force politique active
du changement (Rathegeber, en anglais,
1990).
Evaluation critique de l’application des
concepts de femmes et développement dans
la région arabe
Les approches du développement que l’on
vient de présenter ont été l’objet d’un intérêt
palpable dans la région arabe. Entre les années
cinquante et soixante dix du siècle dernier, de
nombreuses élites nationales, qui sont arrivées
au pouvoir, étaient animées d’une vision
moderniste de leurs sociétés, centrée sur la
planification centralisée, l’industrialisation et
l’utilisation optimale des ressources humaines.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Les régimes mis en place par ces élites ont
étendu, comme en Tunisie, en Algérie, en Irak,
en Syrie et en Egypte, leur offre de services dans
les domaines de la santé et de l’enseignement
à toutes les catégories de femmes. Ils se sont
intéressés à l’intégration des femmes dans les
secteurs publics de production. Des femmes
arabes nombreuses ont pu obtenir des acquis
importants durant cette période tels que
l’enseignement public gratuit, l’élargissement
de leur participation au marché du travail,
particulièrement dans le secteur public
gouvernemental, les assurances maladies et
sociales. Cette période a également connu la
promulgation de législations nouvelles qui ont
accordé aux femmes de nombreux droits tels
que le droit au travail, à l’éducation et à la santé
en plus des droits politiques comme le droit
d’élire et de se porter candidates aux élections
législatives. Des femmes ont été nommées à des
postes ministériels et des femmes “ modèles ”
dans les différents champs de la science et du
savoir ont été honorées pour montrer le soutien
apporté par l’Etat aux nouveaux rôles assumés
par les femmes dans l’espace public.
Mais, malgré ces réalisations importantes de
Etat dont l’intervention est qualifiée tantôt de
“ développementaliste ou interventionniste ”8
tantôt de “ féminisme d’Etat”9, d’aucuns ont
critiqué ces politiques qu’ils ont considérées
comme des octrois de droits venus d’en haut,
donnés par l’Etat, loin de toute participation des
forces qui en bénéficient et qui sont capables de
les défendre et de les développer. Au moment
où l’Etat “ octroyait ” ces avantages au nom de
la modernité, il portait des coups aux unions
et institutions indépendantes de femmes ou
oeuvrait, soit pour les intégrer dans ses cadres
exécutifs soit pour les marginaliser, ce qui a
conduit à neutraliser un espace qui servait à
la critique des faux pas de la modernité ellemême et de ses difficultés (Kandiyoti, en
anglais, 1991 ; Molyneux, en anglais, 1991 ;
Hatem, en anglais, 1994a et 2000). Ces Etats
ont été également critiqués pour avoir hésité à
introduire des amendements radicaux aux lois
en général, et celles relatives à l’organisation
interne de la famille en particulier. Ces lois ont
8
Developmentalist
9
State Feminsm
Concepts et problématiques
entretenu l’idée selon laquelle la femme devait
dépendre de l’homme et s’appuyer sur lui.
Dans le sillage de la vague de programmes
de restructuration de l’économie de la fin des
années soixante dix qui accordaient un rôle
plus important aux mécanismes de marché et
au secteur privé, le rôle de l’Etat a reculé en
matière de développement national comme
l’a été celui du secteur public, le plus grand
employeur des femmes, sans pour autant
que se développe la capacité du secteur privé
d’absorber le nombre grandissant de femmes
demandeuses d’emplois.
Le retrait de l’Etat de plusieurs activités
productives de biens et de services, a
engendré une expansion des organisations non
gouvernementales qui ont été encouragées à
remplir le vide ainsi laissé, particulièrement
dans le domaine de l’offre de services sociaux
et des aides économiques.
La Conférence des Nations Unies de
Nairoubi de 1985 ainsi que les conférences
internationales qui ont suivi ont représenté
des étapes importantes dans le processus
d’introduction des concepts de femmes et
de développement dans la région arabe.
Elles ont largement contribué à amener
les gouvernements et les organisations non
gouvernementales arabes à traiter des questions
des femmes et du développement.
Bien qu’un grand nombre d’organisations
arabes de la société civile continuent d’agir
dans l’optique de l’action humanitaire,
de
nombreuses
organisations
civiles,
particulièrement les nouvelles organisations
non gouvernementales qui se sont multiplié à
partir du milieu des années quatre–vingt, ont
adopté l’optique genre et développement.
Ceci a conduit à la production d’une grande
quantité de documents, de recherches et
d’orientations qui analysent la situation des
femmes dans l’optique genre. L’action de ces
courants, en faisant prendre conscience des
formes de discrimination à l’égard des femmes,
a aidé à faire pression sur les gouvernements
pour les amener à adopter des politiques plus
équitables envers les femmes et à agir pour
résorber les déficits en matière de genre.
Au moment où l’Etat
“ octroyait ” ces
avantages au nom
de la modernité, il
portait des coups aux
unions et institutions
indépendantes de
femmes ou oeuvrait,
soit pour les intégrer
dans ses cadres
exécutifs soit pour les
marginaliser.
La Conférence
des Nations Unies
de Nairoubi de
1985 ainsi que
les conférences
internationales
qui ont suivi ont
représenté des
étapes importantes
dans le processus
d’introduction des
concepts de femmes
et de développement
dans la région arabe.
71
La diffusion par
l’entremise de ces
organisations du
concept de genre et
de développement
dans la région arabe
a été accueillie avec
circonspection par
certaines forces
politiques et sociales
actives de la société
D’aucuns ont
considéré que
le concept
d’ “ autonomisation ”
ne permettait de
réaliser le changement
attendu, parce qu’il
est fondamentalement
centré sur
l’autonomisation des
individus isolés
72
La diffusion par l’entremise de ces
organisations du concept de genre et de
développement dans la région arabe a été
accueillie avec circonspection par certaines
forces politiques et sociales actives de la
société qui ont considéré qu’il s’agit d’un
concept “imposé” par l’Occident et qui n’a de
fondements ni dans la réalité ni dans les besoins
des sociétés arabes, lesquelles s’en remettent au
rôle joué par la famille en tant que fondement
essentiel de la société et non à l’individu (Fahmi
Houaidi, en arabe, 1998). D’aucuns ont été
ainsi amenés à s’opposer aux programmes de
développement qui adoptent l’optique genre
ainsi qu’à l’Etat et aux organisations de femmes
qui agissent conformément à cette optique.
De même, certaines organisations
travaillant dans le domaine du développement
ont adopté le concept d’ “ autonomisation
des femmes ” comme orientation générale des
politiques et des activités de développement
des femmes. Le concept d’ “ autonomisation ”,
comme tous les concepts de développement
des femmes, ont été à l’origine de nombreuses
polémiques au sein des cercles féministes et de
développement. D’aucuns ont considéré que le
concept d’ “ autonomisation ” ne permettait de
réaliser le changement attendu, parce qu’il est
fondamentalement centré sur l’autonomisation
des individus isolés et ignore l’autonomisation
collective qui vise à changer les structures
sociales, économiques et politiques, sources
d’oppression et de ségrégation, non seulement
à l’encontre des femmes, mais également à
l’encontre de la majorité des pauvres et des
marginaux (Agarwal, en anglais, 1994 ; Radtke
et Stam, en anglais, 1994 ; Rowlands, en anglais,
1998 ; Kabeer, en anglais, 2003)
La mise en œuvre concrète du concept
d’autonomisation par les organisations non
gouvernementales, oeuvrant au développement
des femmes, a pris des formes différentes. Une
partie d’entre elles a opté pour l’autonomisation
des femmes à travers la revendication de
l’égalité en droits des femmes et l’élimination
de toutes les formes de discrimination que
comportent les législations arabes aux plans
des droits de la nationalité, du statut personnel
et de la sécurité sociale. Une autre partie a
centré son action sur l’offre de crédits et sur le
travail dans des projets générateurs de revenus
ou encore sur l’action consistant à dispenser
des services dans les domaines de la santé, de
l’enseignement ou dans d’autres secteurs. En
dépit de l’importance de ces interventions en
matière de soutien apporté à certaines femmes
et aux individus, l’autonomisation des femmes
dans son volet collectif est loin d’être obtenue
comme on le montrera dans les chapitres 2
et 3.
Les problématiques de la
promotion des femmes
La question de l’interne/
externe
Il importe de souligner que la question
des femmes est une question universelle
qui ne concerne pas que le monde arabe.
L’élargissement du champ de vision autorise
l’espoir de voir le changement se faire comme
ce fut le cas dans d’autres régions du monde, il
suffit pour cela que l’on fasse l’effort de lever
les obstacles qui entravent ce changement.
En outre, opérer une séparation chirurgicale
forcée entre ce qui relève de l’interne et ce
qui participe de l’externe n’est plus possible
aujourd’hui. Ce qui est qualifié d’“ externe ”
vit en fait à l’intérieur même des sociétés
arabes, comme culture, tout particulièrement,
et comme valeurs et modes de comportement,
pour cause de globalisation croissante des
sociétés arabes.
Cette séparation n’est pas non plus
bénéfique, car l’aspiration au progrès dans
le monde arabe, qui est une aspiration
authentique, a été positivement influencée
par les meilleures réalisations de l’humanité,
entreprises sous l’égide de la civilisation
occidentale qui domine depuis les débuts de la
Nahda arabe et continue de le faire.
Plus particulièrement, il y a en général
une concordance, en partie heureuse, entre
la lutte pour l’émancipation des femmes dans
les pays arabes, en ce qu’elle est une tendance
émancipatrice au sein de la société, et les
mouvements de libération des femmes dans
le monde, y compris en Occident. Les efforts
des organisations internationales revêtent à
cet égard une importance toute particulière,
notamment pour ce qui est des conventions,
Rapport sur le développement humain arabe 2005
des résolutions, des mécanismes et des activités
internationales visant la protection des droits
des femmes et leur traitement équitable.
Ces tendances positives n’empêchent
cependant pas que la question de
l’autonomisation des femmes ait recoupé dans
les derniers temps des visées politiques de
puissances dominantes mondialement dans
la région arabe, ce qui sera connu sous le
label des initiatives de réformes impulsées de
l’extérieur. De telles initiatives sont centrées
sur l’autonomisation des femmes, considérée
comme le genre de réforme que les régimes
despotiques peuvent supporter, contrairement
à l’éradication des structures du despotisme.
Ceci pourrait expliquer pourquoi la meilleure
performance relative concerne l’autonomisation
des femmes, alors que la réforme politique
trébuche, notamment à travers l’augmentation
de la représentation féminine dans les postes
de direction de l’Etat par la nomination de
femmes célèbres. Néanmoins, cette présence
féminine aux postes de direction est loin de
refléter la présence active et effective des
femmes dans tous les domaines.
L’immixtion étrangère dans les affaires
de la nation n’augure rien de bon pour la
question de la promotion des femmes
L’histoire contemporaine montre que la
souffrance qu’engendre chez les Arabes la
mainmise étrangère s’est transformée en
une plus grande oppression des femmes. La
défaite face aux ennemis de la nation, couplée
à l’incapacité arabe de leur tenir tête pour
défendre la dignité et le respect de soi, a donné
naissance à un sentiment d’humiliation et
d’impuissance. C’est un sentiment douloureux
dont on essaie, d’un côté, de nier l’existence
et qu’on tente, de l’autre côté, de transcender,
pour sauver l’amour propre blessé en
s’accrochant à des points forts imaginaires,
au niveau de soi-même et de l’identité, ce qui
se traduit à travers l’oppression des franges
sociales que l’on croit faibles, sous un angle ou
sous un autre, y compris les femmes.
Cette problématique a revêtu un autre
habillage depuis que l’Administration
américaine actuelle a fait connaître sa volonté
d’œuvrer à la reconfiguration du tissu
Concepts et problématiques
Encadré 1-4
Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies 1325
(2000) - Extraits
–Demande instamment aux États
Membres de faire en sorte que les
femmes soient davantage représentées
à tous les niveaux de prise de décisions
dans les institutions et mécanismes
nationaux, régionaux et internationaux
pour la prévention, la gestion et le
règlement des différends
–Demande à toutes les parties à un
conflit armé de prendre des mesures
particulières pour protéger les femmes
et les petites filles contre les actes de
violence sexiste, en particulier le viol
et les autres formes de sévices sexuels,
ainsi que contre toutes les autres formes
de violence
Texte de la résolution, Annexe 3
sociétal arabe dans le cadre de sa “ guerre ”
au terrorisme, tel qu’elle le définit. En effet,
il importe de ne pas mélanger à ce propos,
d’une part, les actions participant d’actes
criminels visant à terroriser des innocents
qu’il faut dénoncer sans réserve et, d’autre
part, la résistance légitime reconnue par le
droit international des droits de l’homme à
l’occupation et aux régimes racistes.
Dans ce cadre, la “ libération ” des femmes
arabes a occupé une place de choix à l’ordre
du jour de la réforme initiée de l’extérieur, sans
que l’élimination des structures du despotisme
et de l’autoritarisme soit considérée elle aussi
comme prioritaire. En outre la question de la
menace d’une intervention étrangère dans la
région arabe est restée ouverte, un moyen de
pression utilisé par les puissances dominantes
au sein de l’architecture du pouvoir mondial
pour faire passer leurs plans dans la région.
Le projet américain pour les femmes arabes
se manifeste de la manière la plus claire dans la
tentative de créer un “ modèle d’orientation ”
pour les femmes en terre irakienne (Encadré
1-5) visant à recomposer le tissu sociétal du
pays, comme si la femme irakienne était venue
au monde à l’instant même de l’invasion et de
l’occupation. On continue de feindre d’ignorer
la tradition de lutte des femmes irakiennes,
à commencer par la longue lutte nationale
menée par elles du temps de l’occupation
britannique, puis leur combat sous le précédent
pouvoir despotique et, pour terminer, par le
combat qu’elles mènent de nos jours contre
l’occupation américano-britannique.
Une telle attitude étrangère, douteuse,
a amené de nombreux Arabes à qualifier cet
attachement à vouloir libérer les femmes de
mission douteuse inscrite sur l’agenda de
La question de
l’autonomisation
des femmes ait
recoupé dans les
derniers temps des
visées politiques
de puissances
dominantes
mondialement.
73
La promotion des
femmes doit rester,
dans la théorie comme
dans la pratique,
un axe essentiel de
tout projet arabe
pour la renaissance
humaine. Ceci doit se
faire dans l’optique
de la lutte à la fois
contre le despotisme
intérieur et contre
les ingérences
la mainmise occidentale sur le monde arabe
et à traiter ceux qui la soutiennent de pions
à la solde de l’Occident colonial. Ceci n’a
pas manqué de faire du tort à la cause de la
promotion des femmes dans les pays arabes et
à ceux qui la revendiquent.
L’incitation à la réforme, formulée de
l’extérieur, et parfois imposée, a été d’une
grossièreté telle qu’elle a provoqué des réactions
négatives parmi certaines franges de la société
à l’égard de l’autonomisation des femmes
dans l’optique des puissances occidentales
dominantes au sein de l’architecture mondiale
du pouvoir ; elles l’ont considérée comme
une atteinte à la fois à la culture arabe et à
l’indépendance nationale.
Ceci ne veut pas dire que la lutte sociétale
pour la promotion des femmes devrait être
Encadré 1-5
Haifa Zangana : Les femmes irakiennes et le discours de
l’occupation américaine
De nombreuses organisations irakiennes
et iarko-américaines de femmes ont été
constituées juste quelque mois avant le
début de la guerre menée contre l’Irak
et ce pour deux raisons. La première
raison est de l’ordre du circonstanciel
et consiste à fournir une justification
morale à la guerre, à un moment de
forte opposition croissante à la guerre en
Amérique et dans le monde. La seconde,
d’ordre stratégique, vise à utiliser la
réussite de l’agenda féminin en Irak
comme un modèle reproductible sur
les plans arabe et islamique en vue de
la consolidation des projets politiques,
militaires et économiques des Etats Unis.
Les femmes, membres des organisations
concernées ont déployé une activité
intense et fiévreuse sans précédent, de
défense et de soutien de l’Administration
américaine, pendant la période de
préparation de la guerre et pour diffuser
le discours américain dans l’après
guerre.
Il est remarquable que, dans le
prolongement du discours américain
destiné à l’Irak et à la région tout entière,
tous les programmes des organisations
féminines déclarées et les discours de
leurs membres féminins, résidant en
Irak ou à l’extérieur du pays, ont été
épurés de termes ayant un enracinement
profond dans la société irakienne, et
Source : Zangana, en anglais, 2005
74
même presque dans toutes les sociétés
dans toutes les régions du monde,
des termes qui rendent compte des
concepts de nationalisme, d’intégrité
nationale et d’indépendance, sans parler
de la revendication de mettre fin à
l’occupation. Ces termes ont été évacués
de l’usage parce qu’ils expriment les
sentiments et les principes qui accordent
à tout peuple occupé le droit, aux plans
légal, de la légitimité et moral, de résister
à l’occupation.
C’est la raison pour laquelle les
organisations féminines concernées
n’ont pas pu,
malgré les grands
moyens matériels mis à leur disposition
et le soutien qui leur est apporté par
l’administration américaine et les
gouvernements provisoires irakiens,
obtenir de réussite parmi les femmes
irakiennes et gagner à leurs projets la
voix des femmes irakiennes. Elles n’ont
pas réussi à élargir leurs rangs qui ne
comptent en fin de compte les membres
fondatrices à peu près, parce qu’elles
ne représentent tout simplement pas les
femmes irakiennes et n’ont aucun lien
avec leurs priorités, leur réalité et leurs
aspirations. Les programmes de ces
organisations ne représentaient qu’un
autre volet de la mise en œuvre du projet
américain en Irak.
abandonnée. Au contraire, une réaction
d’abandon laisserait le champ libre aux plans
de la réforme imposée de l’extérieur et leur
permettrait de passer. Mais, malheureusement,
quelques retombées du sentiment de
répugnance provoqué par ces plans ont atteint
l’appel sincère à la promotion des femmes dans
une optique nationalitaire et humaniste solide.
La réponse forte à opposer à ces plans
condamnables et à ceux qui les utilisent comme
alibi pour bloquer ou retarder la jouissance par
les femmes arabes de tous leurs droits, c’est
de considérer que la promotion des femmes
doit rester, dans la théorie comme dans la
pratique, un axe essentiel de tout projet arabe
pour la renaissance humaine. Ceci doit se faire
dans l’optique de la lutte à la fois contre le
despotisme intérieur et contre les ingérences
extérieures, et pour la construction d’une
renaissance qui apportera la liberté, la dignité
et la puissance à tous les Arabes, hommes et
femmes à la fois.
Le pouvoir despotique et la promotion des
femmes
L’idéal serait que la promotion des femmes
arabes se réalise selon les grandes lignes définies
au début du présent chapitre dans le cadre de
la transition vers la société de liberté et de
bonne gouvernance (Troisième Rapport arabe
sur le développement humain – 2004), qui vise
la réalisation du développement humain dans
l’ensemble du monde arabe.
Toutefois, l’expérience historique indique
que le contraire n’est pas toujours vrai, c’est à
dire que le rapport entre la nature du pouvoir,
d’une part, et la réalisation d’avancées en
matière de promotion des femmes, d’autre
part, a toujours été, et le restera probablement,
un rapport complexe et délicat, en raison au
moins de la complexité du contexte sociétal
qui conditionne cette promotion.
En effet, des régimes politiques oppressifs
ont contribué à des avancées importantes
favorables aux droits des femmes ; avancées
impossibles à entreprendre si les choses avaient
été laissées au seul soin du développement
naturel de la société, lequel reste tributaire
de toutes sortes de contraintes. En tête de ces
avancées, il y a l’expansion de la scolarisation
Rapport sur le développement humain arabe 2005
des filles dans un environnement sociétal
promotion des femmes. Mais les avancées ne se
conservateur, à telle enseigne que l’on peut
limitent pas à cette performance générale que
soutenir que, malgré son despotisme, le
l’on peut inscrire au crédit de tous les régimes
pouvoir a été en avance sur la société en
arabes à peu près. Des pays arabes ont marqué
matière de soutien à l’éducation des filles dont
des avancées novatrices, selon tous les critères,
on sait l’importance dans le domaine de la
dans le cadre de systèmes de gouvernance qui
Encadré 1-6
L’opinion du public arabe, dans quatre pays arabes, exprime son soutien à la promotion des femmes
La méthodologie adoptée par le Rapport arabe sur le développement
humain a voulu que des enquêtes de terrain soient menées, autour du
sujet du rapport, dans le bu de compléter la base de données relative
au sujet, à travers des éclairages et des informations que ne permettent
pas d’obtenir les sources habituelles de données et d’informations.
Pour ce qui concerne la présente livraison, l’équipe du Rapport
a dirigé la confection et la mise en œuvre d’une enquête de terrain
en vue de sonder l’opinion du public au sujet d’un ensemble de
questions ayant trait au sujet de la promotion des femmes dans
quatre pays arabes (Jordanie, Liban, Egypte, Maroc) aux positions
géographiques et structures sociales différentes et représentant plus
du tiers de la population de la région arabe (36,5%), ce qui laisse
présager des positions diversifiées du public à propos des questions
de la promotion des femmes. L’enquête de terrain a porté, dans
chaque pays retenu, sur un échantillon représentatif de l’ensemble de
la société constitué de mille personnes à peu près, réparties à égalité
entre des femmes et des hommes âgés de plus de 18 ans. L’enquête
de terrain a été confiée à des instituts opérant dans les pays concernés,
indépendants de l’équipe du rapport (annexe2).
Nous présentons une partie des résultats de l’enquête
dans des encadrés tout au long de chapitres du rapport sous
l’intitulé : “ L’opinion du public sur les questions de la promotion
desBVgdX
femmes, quatre pays arabes, 2005 ”. Chaque encadré comporte
deux graphiques, celui de droite résume le résultat de l’enquête en
rapport avec la question objet de l’enquête dans les quatre pays réunis
et celui de gauche montre l’une des réponses les plus importantes à la
:\neiZposée dans chacun des quatre pays concernés.
question
L’enseignement le plus important tiré des résultats de l’enquête
de terrai, à notre sens, est que le public arabe, représenté par les
échantillons
A^WVc des quatre pays arabes où s’est déroulé l’enquête, aspire à
un plus haut degré d’égalité entre les hommes et les femmes, différent,
en reflet des structures sociales dominantes, selon les axes de l’égalité,
d’un pays à l’autre, en fonction de la puissance des structures sociétales
?dgYVc^Z
traditionnelles dans le pays.
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
L’égalité de genre est-elle liée au concept global de liberté, selon le pays ?
A^‚Z
BVgdX
A^‚Z
-)
:\neiZ
A^WVc
Traditional methods
of measuring
the
CZhieVha^‚Z
?dgYVc^Z
employment
of
BVcfjVci
&%
+
women’s
capabilities,
especially in economic
A^‚Z
Il n’est pas étonnant que les résultats de l’enquête, présentés dans
le rapport, montrent la prédominance de l’aspiration à un niveau
d’égalité de genre plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, d’une part, et
A^‚Z
ce qui peut découler du maintien
en l’état des structures sociales qui
-)
entravent la promotion des
femmes arabes, d’autre part. Cependant,
ces résultats doivent également être compris à la lumière de l’écart
habituel entre les opinions et le comportement effectif – on sait qu’ils
peuvent être clairement différents - et dans la mesure où les régimes
dans les pays arabes expriment faiblement la volonté populaire.
En conséquence, les résultats de l’enquête apportent un soutien
populaire prospectif des orientations enterms,
matière de
promotion
des
entail
a severe
femmes telles qu’elles se déploient dans les différents chapitres du
rapport et présentées clairement dans la vision
stratégique (chapitre
injustice.
dix)
C’est pourquoi les résultats de l’enquête de terrain présentés
tout au long du rapport dans les encadrés “ opinion du public ”
représentent parfois un soutien à l’analyse du rapport, mais la plupart
du temps ils s’interpénètrent de manière dialectique avec les parties
analytiques du rapport dans une vision prospective stratégique au
point de fusionner dans le chapitre dix.
CZhieVha^‚Z
&%
Concepts et problématiques
BVcfjVci
+
75
les mécanismes
du despotisme
politique ont été
parfois utilisés pour
accélérer le processus
de promotion des
femmes.
La transition vers
des systèmes de
bonne gouvernance
dans des sociétés
de liberté dans les
pays arabes peut
jouer un rôle central
dans la réalisation
d’avancées, de portée
historique, nécessaires
à la promotion
des femmes dans
le monde arabe.
De telles avancées
bénéficieront d’un
large soutien sociétal
leur garantissant
la continuité et la
vigueur de l’adoption
populaire.
ne réunissent pourtant pas les conditions d’une
société de liberté et de bonne gouvernance.
L’exemple le plus célèbre en la matière est la
Tunisie qui a obtenu un progrès exemplaire
dans le domaine des droits des femmes, suite
à des décisions d’un leader qui bénéficia d’une
légitimité nationale et historique ; même si
son régime n’a pas sauvegardé la liberté et la
démocratie.
Ailleurs, les exemples de telles avancées
sont nombreux. Ainsi, les femmes ont occupé
des positions relativement avancées dans la
société sous le régime despotique précédent en
Irak. Des progrès en matière de promotion des
femmes sont atteints dans d’autres pays comme
en Egypte, par exemple, où cette promotion
s’est appuyée sur le soutien du somment du
pouvoir en la personne de la “ première dame ”
en l’absence d’un large soutien populaire. On
peut également citer la promulgation du droit
de la femme au “ khoul’ ”10 en Egypte en
l’an 2000, à propos duquel un débat animé,
et parfois houleux, a secoué la société tout
entière ainsi que le parlement avant ladite
promulgation.
On peut dire que les mécanismes du
despotisme politique ont été parfois utilisés
pour accélérer le processus de promotion des
femmes. Il n’est pas surprenant que ce type
de “ progrès ” conduise à une résistance de la
base populaire.
Dernièrement, la question posée par cette
action du pouvoir a recoupé celle de l’interne/
externe. En effet, des avancées dans le domaine
des droits des femmes ont été réalisées sous
l’égide de régimes qui puisent leur légitimité
fondamentalement dans le soutien qui leur
est apporté par l’extérieur. De telles avancées
s’expliquent probablement par le désir de
ces régimes de s’attirer la bienveillance des
puissances dominantes au sein du système
mondial et qui exigent que la réforme soit
entreprise dans les pays arabes et qu’elle doit
englober l’autonomisation des femmes. Une
telle option paraît être la moins onéreuse pour
les régimes en place, surtout si le processus
de réforme n’est pas conduit jusqu’à son
terme, c’est à dire jusqu’à l’autonomisation
10
76
de tous les citoyens et de la base la plus large
des femmes en particulier. Ceci expliquerait
peut-être pourquoi la tenue d’une rencontre
au “ sommet ” sur les femmes arabes serait
faisable alors que l’organisation d’un sommet
similaire sur la sauvegarde de la liberté et des
droits de l’homme serait difficilement réalisable
eu égard à l’architecture actuelle du pouvoir
dans les pays arabes.
Voilà pour ce qui est du volet positif du
soutien apporté par le pouvoir despotique à la
cause de la promotion des femmes. Mais sur
un autre plan, des pouvoirs répressifs peuvent
parfois prendre pour prétexte les positions de
certaines forces conservatrices de la société, même si ces dernières sont d’emblée privées
des droits d’expression et d’association ; ces
pouvoirs ne trouvent aucun complexe à vouloir
leur complaire, en se débarrassant du calendrier
de promotion des femmes. L’illustration la
plus importante de cette posture est le refus
de ratifier la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes ou encore les réserves faites à propos
d’articles importants de cette convention au
moment de la ratification en justifiant une telle
attitude par les positions des forces sociétales
conservatrices.
C’est la raison pour laquelle la position
défendue par le Rapport est que la transition
vers des systèmes de bonne gouvernance dans
des sociétés de liberté dans les pays arabes
peut jouer un rôle central dans la réalisation
d’avancées, de portée historique, nécessaires à
la promotion des femmes dans le monde arabe.
De telles avancées bénéficieront d’un large
soutien sociétal leur garantissant la continuité
et la vigueur de l’adoption populaire. Dans une
telle situation idéale, les décisions du pouvoir
doivent exprimer la volonté populaire dans la
transparence totale. Le climat de liberté et de
bonne gouvernance met en place les fondements
des règles d’égalité entre tous les citoyens, en
général, et en garantissant la constance du
respect des droits des femmes qui doit être une
composante essentielle de la société de liberté
et de bonne gouvernance, en particulier.
Divorce moyennant indemnité versée par la femme au mari (NT)
Rapport sur le développement humain arabe 2005
La dévalorisation de la participation des
femmes à l’activité économique
La société arabe ne reconnaît pas, à l’instar
de nombreuses sociétés en développement,
l’ampleur de la participation des femmes à
l’activité socioéconomique et à la production
des composantes du bien être humain ; elle
ne consacre pas cette participation comme
il se doit. Dans la mesure où la majorité des
femmes travaillent au sein de leur famille sans
contrepartie salariale, leur apport à l’économie
n’est pas intégré à la comptabilité de l’activité
économique officielle.
Une telle injustice historique a conduit à la
dévalorisation de la contribution des femmes
aux différentes activités humaines en général
et plus particulièrement dans le domaine
économique.
Ce qui est couramment admis, par exemple,
c’est que la contribution des femmes à l’activité
économique dans les pays arabes reste faible.
Le fondement théorique de la mesure de
cette contribution renvoie au système de la
comptabilité nationale, lequel renvoie à son
tour à la théorie néoclassique. Son fondement
essentiel consiste à définir le produit humain
selon l’indice des marchandises et des services
en circulation sur les marchés et à leur imputer
une valeur monétaire. Ce fondement théorique
est critiqué pour ses nombreuses faiblesses,
notamment sous l’angle de la contribution des
femmes au bien être humain.
Premièrement, les critères de l’échange
sur les marchés et la valeur monétaire limitent
la définition du bien être humain à un
espace, tellement étroit, que la littérature du
développement a depuis longtemps dépassé et
qui n’a pas sa place dans l’optique précisément
du développement humain.
Deuxièmement, la part la plus importante
de la production de marchandises et de
services par les femmes est comptabilisée sous
la rubrique du travail non salarié au foyer.
Une telle logique, basée en premier chef sur
la comptabilité nationale, néglige toutes les
formes de production des composantes du bien
être humain, assurées par des femmes dans un
cadre familial pour la simple raison qu’elles
ne s’échangent pas sur les marchés ou parce
qu’on ne leur attribue pas de valeur monétaire.
Concepts et problématiques
Mais peut-on penser l’individu ou la société et
concevoir la créativité et la production, même
dans une acception étroite de ces termes, en
l’absence de telles composantes ?
Troisièmement, les opérations statistiques
habituelles souffrent de nombreuses faiblesses,
plus particulièrement dans les pays en
développement, qui s’aggravent lorsqu’il
s’agit de mesurer la contribution des femmes
à l’activité économique. Ce dysfonctionnement
n’est pas sans lien avec la vision dévalorisante
des femmes et de leur contribution au sein
de la société, notamment dans les sociétés en
développement.
En conclusion, les statistiques habituelles
réduisent amplement, et de manière erronée,
l’apport des femmes à l’économie. Une
plus grande précision des définitions et une
meilleure qualité des opérations statistiques,
se traduiront sans aucun doute par de gros
écarts en matière d’évaluation de l’ampleur
de la contribution des femmes à l’activité
économique.
Si les statistiques disponibles sous-évaluent
cette contribution, elles ne rendent pas compte,
a fortiori, de l’ampleur de la participation des
femmes à la production du bien être humain,
que ce soit directement ou indirectement, du
fait de l’effet multiplicateur qui conduit à une
survalorisation relative de la contribution des
hommes ; or ce bien être ne peut advenir hors
de la contribution sociétale des femmes. Cette
insistance sur ce volet de la participation des
femmes ne doit évidemment pas être entendue
comme un appel à limiter l’emploi des capacités
des femmes à un usage familial ; l’essentiel est
de souligner que la contribution des femmes,
comme celle de toutes les personnes, à la
production des éléments du bien être humain, à
l’intérieur et à l’extérieur de la sphère familiale,
doit être évaluée à sa juste valeur, ce que les
critères monétaires étroits ne permettent pas
d’obtenir. Pour ce qui est des femmes, plus
particulièrement, la décision concernant le
champ de déploiement de leurs capacités doit
leur revenir et elles doivent la prendre en toute
liberté.
Ceci nous amène à la conclusion que les
méthodes classiques de mesure de l’emploi
des capacités des femmes, notamment dans le
domaine de l’activité économique, conduisent
La société arabe
ne reconnaît
pas, à l’instar de
nombreuses sociétés
en développement,
l’ampleur de la
participation des
femmes à l’activité
socioéconomique et
à la production des
composantes du bien
être humain ; elle ne
consacre pas cette
participation comme il
se doit.
La décision concernant
le champ de
déploiement de leurs
capacités doit leur
revenir et elles doivent
la prendre en toute
liberté.
77
si on utilise un critère
plus élaboré de bien
être humain qui
doit être conforme
à l’optique du
développement
humain adoptée
par ce rapport, alors
toute évaluation
de la contribution
des femmes à la
production du bien
être humain dans
les pays arabes ainsi
que de leur capacité
à participer à la
à une dévalorisation criante et injuste de leur
apport effectif à la production des composantes
du bien être humain ; apport qui doit être
hautement apprécié, si ce n’est pas selon les
critères monétaires, c’est du moins selon les
critères autrement supérieurs de la valeur
humaine.
La preuve en ce sens est administrée par les
grilles alternatives aux grilles traditionnelles de
mesure, comme les enquêtes effectuées selon
la méthode du budget-temps, qui révèlent que
la contribution des femmes à la production
des composantes du bien être humain est
très importante à tel point qu’elle surpasse
parfois celle des hommes, notamment dans
les sociétés des pays en développement. En
effet, le plus gros des activités des femmes
en matière de production des composantes
du bien être humain comme les corvées
consistant à approvisionner le foyer en eau
et en combustibles pour les besoins de la
cuisson, de l’éclairage et du chauffage, ne sont
pas considérées par le regard du statisticien
qui reste prisonnier du champ de vision de la
logique du système de la comptabilité nationale
et de ses instruments statistiques.
Au Maroc, à titre d’illustration, on trouve
que la part de la participation des femmes à
l’activité économique en 1997-1998 a atteint
71,4% en zone rurale et 34,6% en zone urbaine
avec une participation de 50,6% à l’échelle
nationale. Ces taux sont clairement supérieurs
à ceux obtenus par la méthode classique
(Direction de la Statistique, Maroc, en français,
1998).
Mais, si on utilise un critère plus élaboré
de bien être humain qui doit être conforme à
l’optique du développement humain adoptée
par ce rapport, alors toute évaluation de la
contribution des femmes à la production du
bien être humain dans les pays arabes ainsi que
de leur capacité à participer à la promotion
humaine dans le monde arabe, aussi élevée
fût–elle, ne recouvrira jamais leur apport réel.
Pour pouvoir mesurer à sa juste valeur
cet apport des femmes à la production des
éléments du bien être humain, il est nécessaire
d’établir un fondement théorique novateur
qui va au-delà du système de comptabilité
nationale, qu’on sait prisonnier de la logique de
l’échange marchand et de la valeur monétaire
des produits et services, et une définition large
du bien être humain conformes au concept de
développement humain. Sur un plan pratique,
un tel effort nécessite l’élaboration de nouveaux
outils de recherche et statistiques qui permettent
de mesurer avec précision la contribution des
femmes à la production du bien être humain et
de mettre en œuvre le développement humain.
Il s’agit là d’un immense domaine de réflexion
et de recherche.
promotion humaine
dans le monde arabe,
aussi élevée fût–elle,
ne recouvrira jamais
leur apport réel.
78
Conclusion
Le chapitre a posé les fondements conceptuels du présent rapport en mobilisant les concepts
centraux de la série de Rapports arabes sur le développement humain, à savoir les concepts de
liberté et de droits de l’homme, tout en insistant sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans
le respect de la dignité humaine. Le chapitre a ensuite abordé quelques questions problématiques
relatives au statut des femmes dans le monde arabe à l’heure actuelle.
Le contenu du chapitre montre, notamment dans sa deuxième partie, que la situation des
femmes dans les pays arabes résulte de l’interaction de plusieurs facteurs culturels, sociaux,
économiques et politiques qui s’interpénètrent de manière complexe. Certains de ces facteurs
revêtent un caractère problématique ce qui nécessite une vaste et profonde analyse de nombreuses
composantes des sociétés arabes en vue d’établir un diagnostic des conditions des femmes dans
les pays arabes, de tenter d’en donner une explication en vue d’élaborer une vision stratégique
pour la promotion des femmes dans le monde arabe.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Deuxiement : La Situation Des Femmes
Dans Le Monde Arabe
Chapitre II
L’Acquisition des
capacités humaines
Introduction
Dans les pays arabes les femmes ont
relativement beaucoup moins d’opportunités
d’acquérir les capacités humaines et d’en
faire effectivement usage dans les différents
domaines d’activité. Elles sont, en outre,
beaucoup plus privées que les hommes
des droits de la citoyenneté et des droits
de l’homme en général. En termes de
développement humain, un tel niveau de
privation constitue une marginalisation des
femmes. Toutefois, force est de constater
que le niveau d’acquisition des capacités
humaines et de leur utilisation par les
femmes sont très contrastés d’un pays arabe
Encadré 2-1
Fowziyah Abu-Khalid : La diversité des images des femmes arabes dans le miroir de la réalité.
Y a-t-il sculpture, porterait-elle en elle des possibilités et des rêves
innombrables, qui ressembleraient à une représentation de la femme
arabe ?
Y a-t-il portrait, serait-il de chair, de sang et d’amour, capable de
refléter le monde éphémère d’aujourd’hui dans ses traits ?
N’y a-t-il pas assez d’obscurité pour faire ressortir l’image de
la femme arabe ou bien n’y a-t-il pas assez de lumière pour tout
simplement la prendre ?
Les images des femmes arabes mises en scène par la littéraire sont
multiples ; il y a celles de la femme aliénée ou de la femme rebelle
et, entre les deux, il y a les figures des femmes militantes ou de celles
tiraillées entre les postures de démission, de coexistence et de défit. De
même, par rapport au discours politique, les images des femmes sont
tout aussi diversifiées. Elles peuvent être celles de la femme neutre ou de
la femme impliquée au niveau des présupposés dudit discours et de ses
déclinaisons à la fois. Nous avons aussi les figures de femmes partagées
entre les propositions théoriques de ce discours relatif à leur identité
entre acquises, opposantes ou indifférentes, comme elles peuvent être
de simples corps de femmes sur lesquels le discours expérimente ses
fantaisies. Un tel discours pourra alors considérer comme de l’ordre
du permis de cacher ou souligner des traits de l’image, non pas
pour refléter la représentation que les femmes et la société ont des
femmes mais plutôt celle que ce discours se fait d’elles. Ainsi, l’image
des femmes arabes épouse-t-elle tantôt celle produite par le discours
libéral occidental d’émancipation ou celle du discours islamique éclairé
d’émancipation, tantôt celle proposée par la rhétorique religieuse de la
fermeture ou celle véhiculée par des discours éclectiques ou factices
et tous les discours officiels dominants qui s’en rapprochent ou s’en
éloignent.
Plurielle dans la littérature arabe et dans la rhétorique politique,
l’image des femmes arabes l’est autant, et se manifeste dans une
profusion de formes, dans le miroir de la réalité.
Que n’a-t-on pas vu ces femmes à la silhouette élancée du sud
de l’Arabie Saoudite, dans leur habit ample, pliées sur leur labour,
leurs têtes cachées par des chapeaux de feuilles de palmier, non pas
pour se cacher des regards, mais parce que le soleil ne cesse d’essayer
de ressembler à l’éclat des paumes de leurs mains qui s’activent au
sommet des monts Sarawat et qui descendent jusqu’aux plaines de
Tihama en semant de l’albu’aitiran (Artemisi Judaica), du cade et du
blé, qui mélangent leur henné et massent leurs talons abîmés sous les
pluies saisonnières ?
Que n’a-t-on pas vu ces femmes algériennes non moins fières
et belles que Djamila Bouhared, retissant l’obscurité en nouveaux
rêves, comme si elles ne craignaient nullement la gravité de l’échec ni
n’avaient peur de voir se reproduire les désastres du passé ?
Que n’a-t-on pas vu ces écolières d’al-Sham s’avancer fièrement,
défiant la sévérité des tenues kaki et la marche militaire, évoluant sur
la pointe des pieds avec légèreté dans leurs jupes couleur de sucrerie
et d’abricot, comme des vrilles de jasmin ouvrant silencieusement leur
chemin par derrière les murs et les portes et répandant leur parfum
exprès à travers les quartiers comme si elles faisaient fi du couvre-feux
et des barbelés qui encerclent le Golan ?
Que n’a-t-on pas vu des dames âgées, leur épine dorsale rongée
épine après épine, ne se plaignant guère de crainte de subir l’humiliation
de se plaindre si ce n’est à Dieu, n’ayant de foyer que les rues arabes
en long et en large sans que quiconque remarque leur existence quand
ce ne sont pas les hommes des services municipaux qui viennent
confisquer les produits et les besoins « féminins » que leurs mains ont
confectionnés ou des articles des produits chinois à bon prix.
Que n’a-t-on pas vu, au fin fond de la campagne égyptienne, une
femme qui s’enfonce comme une graine dans les profondeurs du sol,
malaxant, faisant cuire au four, donnant le sein et protégeant les champs
avec ses sept vies ? Puis elle en ressort avec un corps qui ne ressemble ni
à une fleur de coton, ni à un épi de blé, mais à un point d’interrogation
amère qui lui acère la chair tel la bilharzia. Mais elle peut par moments
personnifier les mariées d’un Nil, qui changent le destin des filles de
l’Egypte dans des directions non moins conflictuelles.
Source Fowziyah Abu-Khalid, en arabe, Texte d’appui au Rapport.
L’Acquisition des capacités humaines
81
7V]gZ^c
?dgYVc^Z
:6J
:\neiZ
à l’autre et à l’intérieur même de chaque
DbVc Les indicateurs de la santé reproductive
pays. Néanmoins les données statistiques
A^WnZ
Les femmes dans les pays arabes,
disponibles, à ce propos, et pouvant être
Ijc^h^Z
particulièrement les moins développés, sont
comparées internationalement ne suffisent
6a\‚g^Z
exposées à un niveau inadmissible de risques
pas à rendre compte de ces disparités.
A^WVc
de maladies et de mortalité, liés à la grossesse et
Hng^Z
aux accouchements (Graphique 2-1). Le taux
Les obstacles à l’acquisition
BVgdX
moyen de mortalité atteint chez les femmes
des capacités humaines de
>gV`
270 décès pour 100 000 accouchements. Ce
base
8dbdgZh
taux de mortalité s’élève à 1 000 décès et plus
NZbZc
pour 100 000 accouchements dans les pays
La santé
HdjYVc arabes les plus pauvres (Mauritanie, Somalie)
9_^Wdji^
La santé est entendue ici dans le sens positif
et et descend à 7 pour 100 000 accouchements au
BVjg^iVc^Z Qatar, par exemple.
complet, selon la définition de l’Organisation
HdbVa^Z
Le taux des naissances effectuées sous
mondiale de la santé (OMS), c’est comme
le
contrôle d’un personnel médical qualifié
total bien-être physique et mental.
dépasse les quatre-vingts pour cent dans
Graphique 2-1
Taux de mortalité maternelle (pour 100,000 naissances vivantes), 2000, et pourcentage de naissances assistées par un personnel
qualifié, année la plus récente disponible durant la période 1993-2003
;gVcXZ
;gVcXZ
8]^cZ
8]^cZ
>cYZ
>cYZ
FViVg
?dgYVc^Z
@dlZ^i
:6J
6gVW^ZHVdjY^iZ
FViVg
7V]gZ^c
@dlZ^i
?dgYVc^Z
7V]gZ^c
:6J
DbVc
:\neiZ
A^WnZ
DbVc
6a\‚g^Z
A^WnZ
6gVW^ZHVdjY^iZ
Ijc^h^Z
Ijc^h^Z
6a\‚g^Z
A^WVc
A^WVc
HdjYVc
Hng^Z
Hng^Z
BVgdX
>gV`
>gV`
:\neiZ
8dbdgZh
8dbdgZh
NZbZc
9_^Wdji^
HdjYVc
BVjg^iVc^Z
9_^Wdji^
BVgdX
BVjg^iVc^Z
HdbVa^Z
HdbVa^Z
NZbZc
Taux de mortalité maternelle
Naissances assistées (%)
*Estimation déduite par les méthodes régressive et semblable
Source: Organisation mondiale de la santé, 2005..
;gVcXZ
82
8]^cZ
>cYZ
?dgYVc^Z
:6J
FViVg
Rapport sur le développement humain arabe 2005
la plupart des pays arabes, ce qui prouve
que la couverture sanitaire s’est améliorée.
Néanmoins, cette couverture reste encore
faible dans les pays les moins développés tels
que la Somalie, la Mauritanie et le Yémen ;
le taux des naissances, sous contrôle médical
qualifié, n’atteint pas vingt-cinq pour cent dans
ce dernier pays, par exemple.
La surveillance effective de la grossesse,
qui exige quatre visites médicales, est très
contrastée selon les pays et ne dépend pas
nécessairement du niveau du revenu, puisque,
par exemple, elle est plus élevée au Liban qu’au
Qatar.
La surveillance de la grossesse et le
soin continu dispensé au nouveau-né sont
conformes aux Objectifs du millénaire pour
le développement (OMD), qui ont retenu les
objectifs d’amélioration de la santé maternelle
et la réduction des taux de mortalité infantile.
sont confrontées, sont ignorés ce qui nuit
sérieusement à leur bien-être mental et social.
Ne pouvant donner naissance à des enfants,
certaines femmes recourent à des traitements
dangereux (cautérisation, dilatation et
curettage). Ceci les expose à des risques
sanitaires très graves, en plus des pressions
sociales et au divorce, dont le taux est élevé
parmi cette catégorie de femmes (UNIFEM,
en arabe, 2004 : 54).
Perte d’années saines suite à la mauvaise
santé
L’indice de la “ perte d’années saines suite à
la mauvaise santé ” est devenu l’un des indices
les plus importants de mesure de l’étendue la
carence de santé, dans son sens intégral, dans
une société donnée.1
Le graphique 2-2 montre que les femmes,
en moyenne, perdent un nombre relativement
plus grand d’années saines de leur vie suite à la
mauvaise santé que les hommes. Cette disparité
selon le genre s’accentue dans les pays arabes
les plus riches.
Mais dans la mesure où les femmes
bénéficient d’un haut niveau de soins de santé
lors de la grossesse et de l’accouchement,
plus particulièrement dans les pays arabes
riches (Graphique 1-2), cela implique donc
que le taux de déperdition relativement plus
élevé chez les femmes est attribuable à des
différences générales de style de vie qui ne
dépendent pas nécessairement du niveau de
richesse de la société. Ceci indique plutôt que
le taux relativement plus élevé de maladie
parmi les femmes doit être rapporté à une
discrimination fondamentale de genre face à
laquelle la richesse matérielle n’est d’aucun
secours.
Le taux moyen de fertilité demeure
élevé dans la région arabe en dépit de
la baisse qu’il a connue, en passant de
4.13 naissances par femme durant la
période 1995-2000 à 3.81 naissances par
femmes pour la période 2000-2005. Il
demeure en effet élevé comparé au reste
des mondes en voie de développement,
où le taux n’excède pas 2.9 naissances
par femme (l’Organisation mondiale de
la santé, 2005). Les taux de fertilité sont
particulièrement élevés dans les pays
arabes les moins développés, tels que
le Yémen, autrement dit les pays qui
ne disposent pas un appareil de santé
capable de dispenser les soins de santé
nécessaires aux mères et aux enfants en
bas âge.
Il importe également de noter les
conséquences fâcheuses des grossesses
non désirées parmi les femmes mariées
dans le monde arabe. Celles-ci aboutissent Problèmes de santé spéciaux
non seulement aux avortements et aux
avortements risqués, mais également à des
Obésité et diabète
pressions physiques et psychologiques
La région arabe connaît une transformation
sur les mères et leurs enfants.
De même, les problèmes de stérilité et de
fausses couches, auxquels les femmes arabes
continue du mode de vie et des styles de
vie urbains envahissent les villages et les
1
Comparativement, l’indice de “ l’espérance de vie à la naissance ” indique l’ampleur de la baisse des taux de mortalité dans la société et donc de
l’espérance pour une personne de rester en vie. L’importance de l’indice “perte d’années saines suite à la mauvaise santé” est qu’il montre le nombre
moyen d’années de maladie chez un individu.
L’Acquisition des capacités humaines
83
Encadré 2-2
Les Objectifs du millénaire pour le développement
Objectif1 - Réduction de l’extrême pauvreté et de la faim : Réduire
de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le
revenu est inférieur à un dollar par jour ; Réduire de moitié, entre 1990
et 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim.
Objectif 2 - Assurer l’éducation primaire pour tous : D’ici à 2015,
donner à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les
moyens d’achever un cycle complet d’études primaires.
Objectif 3 - Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des
femmes : Éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements
primaire et secondaire d’ici à 2005, si possible, et à tous les niveaux de
l’enseignement en 2015, au plus tard.
Objectif 4 - Réduire la mortalité infantile : Réduire de deux tiers,
entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans.
Objectif 5 - Améliorer la santé maternelle : Réduire de trois quarts,
entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle.
Objectif 6 - Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres
maladies : D’ici à 2015, avoir stoppé la propagation du VIH/sida et
avoir commencé à inverser la tendance actuelle.
Objectif 7 - Assurer un environnement durable. Objectif 8 - Mettre en place un partenariat mondial pour le
développement.
Graphique 2-2
Moyenne de la perte d’années saines suite à la mauvaise santé (années), rapport
des femelles aux mâles (%), pays arabes et pays de la comparaison, 2002
>cYZ
8]^cZ
:6J
DbVc
A^WnZ
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HdbVa^Z
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NZbZc
Source: Organisation mondiale de la Santé, 2004
2
zones désertiques. Cette transformation
s’accompagne d’une tendance à la baisse des
taux des maladies provoquées par les bactéries,
les virus et les parasites et d’une augmentation
des maladies chroniques telles que le cancer,
l’hypertension, le diabète et les maladies
cardiovasculaires.
L’extension des atteintes de diabète de
l’âge mur dans le monde arabe est source
d’inquiétude. Le facteur de risque le plus
important dans l’atteinte du diabète de l’âge
mur est l’obésité, que l’OMS considère comme
étant (avec le SIDA) l’épidémie de notre
époque, avec plus d’un milliard d’adultes
souffrant de surpoids2 et au moins 300 millions
souffrant d’obésité (l’Organisation mondiale
de la santé, 2003).
L’OMS mesure les niveaux d’obésité/
surpoids par l’augmentation de l’Indice de
masse corporelle.3 Il est clair que l’obésité/
surpoids est un problème répandu dans les
pays riches, dans le monde comme dans la
région arabe. Mais le plus important pour ce
qui nous concerne ici est que les pourcentages
de femmes souffrant d’obésité/surpoids sont
plus élevés que ceux des hommes dans tous
pays arabes disposant de statistiques, par
opposition aux pays de la comparaison, où les
hommes sont, apparemment, en moyenne, en
surpoids plus que les femmes (graphique 2-3).
Le problème de l’obésité et du surpoids
a empiré avec l’urbanisation de la société, la
baisse du besoin en terme d’effort physique
et le manque d’équipements sportifs,
particulièrement dans les écoles où les élèves
overweight
3
L’IMC qui se calcule en rapportant le poids (en kg ) au carré de la hauteur (mètres). Une personne est considérée en surpoids quand l’indice est supérieur à 25 et obèse quand l’indice est
supérieur à 30.
84
Rapport sur le développement humain arabe 2005
sont en surnombre et dans les zones rurales.
Le problème a d’autant plus empiré que les
entreprises encouragent la consommation
de produits alimentaires excessivement
riches en sucre, en graisses et en sel, c’est à
dire les produits alimentaires qui, quand les
prédispositions culturelles sont favorables,
facilitent l’apparition de risques sanitaires
extrêmement graves, particulièrement parmi
les enfants et les femmes. En outre, divers
facteurs culturels et sociaux peuvent ne pas
encourager les femmes et les filles à faire du
sport, notamment lorsqu’on sait que d’aucuns
tentent d’enraciner l’idée selon laquelle le
corps de la femelle serait une “ awra ” (une
déficience).
Le syndrome de l’immunodéficience acquise
(SIDA)
La région arabe demeure l’une des régions
actuellement les moins affectées par le virus
du SIDA.4 Néanmoins, les femmes et les
filles arabes sont de plus en plus infectées au
point de représenter actuellement la moitié
des personnes portant le virus dans la région.
Les experts estiment que les femmes sont
maintenant plus exposées au risque d’attraper le
virus et de contracter la maladie : la probabilité
d’infection parmi les personnes de sexe féminin
plus jeunes, appartenant à la tranche d’âge 15
- 24 ans, est deux fois celle des mâles de la
même tranche d’âge (Programme Commun
des Nations Unies sur le VIH/SIDA, en arabe,
2004, 5). Ceci s’explique principalement par le
bas niveau d’autonomisation des femmes dans
la région arabe en général, la dégradation de
la qualité des services de santé dispensés aux
femmes, la pauvreté des moyens de contrôle et
de diagnostic et la pénurie d’informations sur
les méthodes de protection contre le virus du
SIDA dans le cadre de la culture du silence
qui entoure les questions de santé sexuelle et
reproductive.
Beaucoup de filles et de femmes dans
les pays arabes ont peu de connaissances au
sujet de leurs corps, de leur santé sexuelle
et reproductive et du virus du SIDA. Les
taux élevés d’analphabétisme et les bas taux
de scolarité des filles dans des pays arabes
4
Graphique 2-3
Taux d’obésité et surpoids (population 15 ans et +) selon le genre, Pays arabes
et de la comparaison, 2005
@dlZ^i
:\neiZ
:6J
7V]gZ^c
Ijc^h^Z
BVgdX
A^WVc
9_^Wdji^
8]^cZ
>cYZ
:iVih"Jc^h
;ZbZaaZh
B}aZh
Source: Organisation mondiale de la Santé, 2005.
compliquent le problème davantage. Une
étude effectuée dans 32 pays a prouvé que le
niveau de conscience concernant la réalité du
virus du SIDA était cinq fois plus élevé chez
les femmes qui avaient reçu une instruction
supérieure à l’enseignement de base que chez
les femmes analphabètes (l’UNICEF, en arabe,
2004, 31).
En outre, les femmes dans de nombreuses
parties du monde arabe ne sont pas
économiquement indépendantes, ce qui
accentue leur dépendance vis à vis des hommes
et les expose davantage à l’assujettissement
sexuel et à la violence physique. Ceci limite
par conséquent leur capacité à se protéger de
la contamination par le virus du SIDA, et ce
d’autant plus qu’un grand nombre d’hommes
sexuellement actifs n’utilisent pas de
préservatifs exposant de ce fait leurs épouses
au danger de l’infection. Selon les estimations,
la grande majorité de femmes infectées par
le virus dans la région arabe l’ont contracté
Le nombre de porteurs du virus dans la région arabe a été estimé en 2004 à 540 mille personnes.
L’Acquisition des capacités humaines
85
auprès de leurs maris (Programme Commun
des Nations Unies sur le VIH/SIDA, en arabe,
2004, 39-40).
Il est à noter également que les pratiques
telles que la mutilation génitale femelle
(circoncision des filles) augmentent la
probabilité d’infection des personnes
concernées. Ceci peut résulter de l’utilisation
d’instruments non stérilisés pendant la
circoncision ou d’une déchirure ou blessure
lors des rapports sexuels, avec saignement ou
hémorragie augmentant ainsi les probabilités
de transmission du virus par le compagnon qui
en serait porteur. Ce problème se manifeste
de nos jours sous sa forme plus monstrueuse
dans Darfour au sud Soudan, où beaucoup de
femmes circoncises ont été violées pendant le
conflit ce qui a entraîné une forte diffusion du
virus du SIDA parmi elles.
Ceci ajoute à la douleur des femmes
atteintes du SIDA c’est qu’elle sont l’objet
de discrimination, d’exclusion et de
marginalisation dans leurs sociétés.
ACQUISITION du savoir au moyen de l’enseignement
La diffusion quantitative
En dépit du très haut taux de diffusion de
l’éducation des filles dans les pays arabes
durant les cinq dernières décennies (premier et
second Rapports arabes sur le développement
humain), les femmes arabes ne sont pas bien
préparées pour participer efficacement et
fructueusement à la vie publique en acquérant
le savoir par le biais de l’enseignement.
L’illustration la plus claire en est le fait
que les filles et les femmes sont privées
plus que les hommes de l’éducation et de
l’acquisition du savoir, particulièrement les
types de savoirs générateurs d’un rendement
social élevé. Comme on peut le constater sur
les graphiques (2-4) – (2-6), la région arabe
a un taux des plus bas au monde en matière
d’éducation des femmes, autrement dit, un
taux d’analphabétisme parmi les plus élevés
(le taux d’analphabétisme féminin est de 50%
comparé au masculin qui est de 33 %), et le
taux relativement le plus bas d’opportunités
d’accès aux divers niveaux de l’enseignement,
particulièrement l’enseignement supérieur, en
comparaison avec les hommes.
La privation relativement plus élevée des
filles des opportunités d’instruction concerne
tous les niveaux d’enseignement et tous les pays
arabes. Le niveau d’accès féminin à l’éducation
reste est toujours inférieur au niveau masculin
(trois quarts de femelles contre quatre
cinquièmes de mâles) bien que la situation
diffère d’un pays à l’autre (graphique 2-5).
Le taux d’inscription des filles dans plusieurs
pays producteurs de pétrole arabes ainsi qu’en
Jordanie, au Liban, en Palestine et en Tunisie est
plus élevé que celui des garçons. Le taux relatif
le plus élevé de privation de l’éducation se situe
Encadré 2-3
Déclaration du Caire des Leaders Religieux de la région arabeen
réponse à l’épidémie de VIH/SIDA 13 décembre 2004
Nous, leaders religieux musulmans et chrétiens… nous sommes mis
d’accord sur les points suivants:
• Considérant la valeur de tout être humain et conscients de la place
accordée par Dieu à tous les hommes - quels que soient leur situation,
passé ou condition médicale - et face au danger de l’épidémie du
VIH/SIDA,
• La maladie est une épreuve de Dieu, et que toute personne peut être
atteinte selon le choix souverain de Dieu, nous considérons que les
malades sont nos frères et nos sœurs, et nous demeurons solidaires,
afin qu’Il les assiste dans leur guérison.
• Nous plaidons pour le droit des femmes à réduire leur vulnérabilité
face au VIH/SIDA.
• Les personnes vivant avec le VIH/SIDA et leurs familles,
responsables ou non de leur contamination, méritent protection,
soins, traitement, appui et éducation. Nous appelons nos institutions
religieuses à soutenir spirituellement et psychologiquement ces
personnes, tout en leur assurant une aide matérielle en collaboration
avec d’autres institutions. De même, nous appelons à ne jamais
perdre espoir en la grâce de Dieu, à aspirer à une vie active et
productive en confrontant le destin avec foi et courage.
• Il est nécessaire de dénoncer et d'abolir toutes formes de
discrimination, d’isolement, de marginalisation et de stigmatisation à
l’encontre des personnes vivant avec le VIH/SIDA. Il est primordial
que ces personnes puissent jouir de l’ensemble des droits humains
et des libertés fondamentales
Source : http://www.harpas.org/temp/Cairo%20Declaration_French.pdf
86
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Graphique 2-4
Taux d’instruction féminin comme pourcentage du taux d’instruction masculin (15 ans et +),
régions du monde, 2003
6h^ZYjHjY
EVnhaZhbd^chY‚kZadee‚h
EVnhVgVWZh
6[g^fjZhjW"hV]Vg^ZccZ
6h^ZYZa:hiZiEVX^ÄfjZ
6b‚g^fjZaVi^cZZi8VgV^WZh
:jgdeZ8ZcigVaZZiDg^ZciVaZZi
:iVihYj8dbbdclZi]
EdjgXZciV\Z
Source: PNUD, 2005
dans les pays arabes les moins développés, tels
que Djibouti et le Yémen, et dans les pays où la
population est nombreuse, tels que le Soudan,
l’Egypte et le Maroc.
Cette plus grande privation relative des
filles des opportunités de l’éducation est à
l’opposé de l’opinion du public arabe, dégagée
par l’enquête de terrain, et qui affirme, avec
unanimité des réponses, que les femmes ont
droit à l’éducation sur un pied d’égalité avec
les hommes.
L’accès aux différents cycles de
l’enseignement selon le genre
Bien que les pays arabes, particulièrement ceux
du Conseil de coopération de Golfe, aient réussi
à augmenter le taux de scolarisation des filles,
ce qui a réduit les écarts entre les sexes dans
les trois niveaux de l’enseignement, de grands
écarts entre les deux genres persistent dans un
certain nombre de pays à tous les niveaux du
système éducatif.
L’éducation préscolaire
Les statistiques montrent que l’éducation
préscolaire est largement insuffisante dans
L’Acquisition des capacités humaines
les pays arabes. L’enfant arabe bénéficie en
moyenne de 0.4 an d’instruction préscolaire
comparé à 1.6 an en Amérique latine et
aux Caraïbes, à 1.8 an en Europe Centrale
de l’Est et 2.2 ans en Amérique du Nord et
en Europe de l’ouest (l’UNESCO, 2005 :
1). Plus généralement le taux d’inscription
dans le préscolaire dans la région arabe est
inférieur à 20 % et atteint les niveaux les
plus bas en Algérie, à Djibouti, à Oman,
en Arabie Saoudite et au Yémen, où il est
inférieur à 5 %. Le Koweït, le Liban et
les Emirats Arabes Unis sont considérés
comme les pays qui ont le plus réussi dans ce
domaine puisque le taux d’inscription dans
l’enseignement préscolaire atteint 70 %.
De même, le taux de féminisation durant
cette période de l’enseignement est toujours
inférieur à la moyenne dans les pays en voie de
développement (42 % contre 47 % en 1995)
(RADH, 2002 : 48). D’une manière générale,
la plupart des pays de la région n’accordent
toujours pas la priorité nécessaire à cette
étape de l’éducation, qui est largement
laissée aux soins d’établissements privés
qui courrent fondamentalement derrière le
profit, quand ce ne sont pas des institutions
87
Graphique 2-5
Taux brut combiné d’inscription, tous les niveaux de l’enseignement, femelles comme pourcentage
des mâles (%),pays arabes, 2002/2003
:6J
@dlZ^i
7V]gZ^c
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Ijc^h^Z
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6a\‚g^Z
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BVjg^iVc^Z
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8dbdgZh
9_^Wdji^
NZbZc
EdjgXZciV\Z
*Données de l’année 2000/2001 (source : PNUD,en anglais, 2003).
Source: PNUD,en anglais, 2005.
Graphique 2-6
Taux brut combiné d’inscription, enseignement supérieur, femelles comme pourcentage des mâles,
régions du monde, 2002/2003
6b‚g^fjZYjCdgYZi
:jgdeZYZaDjZhi
:jgdeZ8ZcigVaZZiDg^ZciVaZ
6b‚g^fjZaVi^cZZi8VgV^WZh
6h^Z8ZcigVaZ
6h^ZYZa:hiZiEVX^ÄfjZ
EVnhVgVWZh
6h^ZYjHjYZiYZaDjZhi
6[g^fjZhjW"hV]Vg^ZccZ
EdjgXZciV\Z
Source: UNESCO web site (http://stats.uis.unesco.org/ReportFolders/reportfolders.aspx, Tableau M)
88
Rapport sur le développement humain arabe 2005
féminines qui s’en chargent. Ceci pointe
une croyance selon laquelle que la prise en
charge de l’enfance est considérée avant tout
comme une préoccupation féminine et non
pas une affaire publique.
L’enseignement primaire
Le taux de scolarisation des filles
dans l’enseignement primaire varient
considérablement d’un pays arabe à l’autre.
Il atteint 95 % en Tunisie et en Syrie, mais
descend sous 50 % à Djibouti et au Soudan
(graphique 2-7). Ceci dit, force est de constater
que la plupart des pays arabes ont marqué
de grands pas dans le sens de la réduction de
l’écart éducatif entre les deux sexes au niveau de
l’enseignement primaire : le rapport du nombre
de filles au nombre de garçons a dépassé les
90 % dans tous les Etats arabes exceptés les
Iles Comores, le Maroc et le Yémen.
Graphique 2-7
Taux d’inscription des filles dans l’enseignement primaire (%) et taux des filles comme un
pourcentage du taux des garçons, pays arabes, 2002/2003
;ZbVaZ
;ZbZaaZhXdbbZYZhb}aZh
Ijc^h^Z
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8dbdgZh
HdjYVc
9_^Wdji^
EdjgXZciV\Z
* Les enquêtes nationales en Arabie Saoudite indiquent que le taux d’inscription féminin dans l’enseignement primaire atteint 95%, mais ce chiffre
n’a pas encore été intégré à la base de données internationale utilisée pour construire ce graphique.
Source: PNUD, 2005
L’Acquisition des capacités humaines
89
L’enseignement secondaire, universitaire et
professionnel
En général, les taux d’accès des filles à
l’enseignement secondaire sont inférieurs à
ceux du primaire. Ils n’atteignent les 80 % et
plus que dans quatre pays arabes : le Bahreïn,
la Jordanie, la Palestine et le Qatar. A Djibouti
et en Mauritanie ces taux sont inférieurs à 20 %
(graphique 2-8). Quant à l’écart de genre, neuf
pays arabes ont pu le résorber totalement,
cet écart demeure néanmoins très grand au
Yémen, où le rapport filles/garçons dans
l’enseignement secondaire est de seulement
46% et à Djibouti où il est de 69 %.
Malgré l’habituelle insistance sur le système
des us et coutumes pour expliquer les écarts
de genre en matière d’accès à l’enseignement
secondaire, un certain nombre d’expériences
ont démontré que l’adoption par des
gouvernements de politiques sérieuses visant à
réduire les écarts dans ce secteur porte ses fruits.
En Palestine, par exemple, le pourcentage de
filles inscrites dans les spécialités scientifiques
est passé de 38,9 % en 1995 à 45,1 % en 1999.
Cet accroissement est dû à l’augmentation du
nombre de classes ouvertes près des domiciles
des filles et dans leurs villages, le nombre de
branches scientifiques de premier niveau
destinées aux filles est ainsi passé de 33 branches
en 1995 à 160 en 1999. Une étude a montré que
les causes économiques représentent le facteur
limitatif le plus important des possibilités pour
les filles, particulièrement les plus pauvres, de
terminer leurs études secondaires, et que les
facteurs empêchant les mâles d’accomplir ces
mêmes études après le primaire diffèrent de
ceux qui entravent leur accomplissement par
les filles comme le montre le tableau (2-1).
Ledit tableau montre clairement que la
situation économique difficile de la famille
affecte négativement l’éducation des filles plus
Graphique 2-8
Taux net d’inscription des filles dans l’enseignement secondaire (%) et inscription des filles en tant
que pourcentage de celui des garçons, pays arabes, 2002/2003
;ZbVaZ
;ZbZaaZhXdbbZYZhb}aZh
7V]gZ^c
EVaZhi^cZ
FViVg
?dgYVc^Z
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@dlZ^i
:6J
DbVc
6a\‚g^Z
Ijc^h^Z
6gVW^ZHVdjY^iZ
Hng^Z
BVgdX
NZbZc
9_^Wdji^
BVjg^iVc^Z
EdjgXZciV\Z
Source: PNUD, en anglais, 2005.
90
Rapport sur le développement humain arabe 2005
qu’elle ne le fait pour les garçons. De même,
l’instruction des filles apparaît aux yeux des
familles beaucoup moins importante que celle
des filles. Le tableau montre également que
c’est la nécessité de travailler qui explique
principalement que les garçons n’arrivent pas
à poursuivre leur scolarité.
Les écarts de genre s’accentuent dans
l’enseignement professionnel et technique où
les taux d’inscription des filles par rapport
aux garçons est inférieur à 50 % (UNESCO,
en anglais, 2002). En Palestine, par exemple,
malgré une augmentation du taux moyen
d’inscription des filles qui a atteint 23,8 % de
l’ensemble des étudiants inscrits dans cette
branche en 1999 contre 18,8 % en 1995, les
mâles constituent toujours presque 77 %
de cette branche (Abu`Awwad, en arabe,
2003, 41). Ce type d’enseignement tend
généralement à faire prévaloir la division
sexuelle traditionnelle du travail dominante
dans la société. Les filles sont généralement
orientées vers les activités de services pour
travailler comme secrétaires, infirmières ou
esthéticiennes, tandis que les garçons sont
orientés vers les branches de l’enseignement
industriel, agricole et professionnel.5
Certaines études relatives au rôle de
l’éducation hors programme (apprentissage
technique, éducation physique, musique et
champs, initiation professionnelle) dans la
consolidation de l’inégalité entre les deux sexes
ont montré que la participation des étudiantes
était généralement négligée lors des séances
d’éducation physique, particulièrement dans les
écoles mixtes. On est également plus exigeant
avec les étudiantes qu’avec les étudiants en
matière de respect du port des tenues scolaires
et le niveau de participation des filles aux
activités scolaires hors programme est inférieur
à celui des garçons. De même, les garçons
refusent la participation aux classes d’économie
ménagère ou de couture (Abu Nahla, en arabe,
1996 ; Shukhshayr, en arabe, 2000).
L’enseignement supérieur
Les données montrent que l’égalité entre les deux
sexes au niveau de l’enseignement supérieur a
été atteinte dans douze pays arabes (Algérie,
Arabie Saoudite, Bahreïn, EAU, Jordanie,
Koweït, Liban, Libye, Oman, Palestine, Qatar
et Tunisie). Le nombre de femmes inscrites
dans l’enseignement supérieur est supérieur à
celui des hommes aux Emirats Arabes Unis au
Koweït et au Qatar. Néanmoins, il faut noter
qu’un grand nombre d’hommes des pays en
question poursuivent leurs études supérieures
à l’étranger. La plupart des pays ne fournissent
des données que sur l’inscription dans les
établissements du pays. Il est fort probable,
néanmoins, que cette insuffisance des données
rapportées est révélatrice d’un écart qui n’est
pas correctement évalué entre les deux sexes
dans l’enseignement supérieur (l’UNESCO, en
arabe, 2002 : 48).
En général, l’accès des femmes arabes à
Tableau 2-1
Les raisons de l’arrêt de l’enseignement après l’enseignement primaire en Palestine,
par genre (%)
Raisons de la non poursuite
Gender
Total
Désire travailler
Perception de l’éducation
par la famille
Statut économique
de la famille
Masculin
60
12
28
100
Féminin
37
30
33
100
Source: Abu Nahla, en arabe, 1996: 117.
5
Une grande responsabilité incombe aux gouvernements pour changer l’image stéréotypée qui situe l’enseignement professionnel dans une position des plus basses. A titre d’illustration, le ministère palestinien de L’Education et de l’enseignement a ouvert de nouveaux domaines de formation
professionnelle devant les filles, alors qu’ils leur étaient longtemps fermés. En 1998, l’enseignement industriel a été ouvert aux filles, bien que limité
à la seule industrie de l’ordinateur. Le domaine agricole leur a été également ouvert, bien qu’on les ait cantonnées à la production végétale et non
à l’animale. Les étudiants ont été également encouragés à poursuivre des études commerciales où les filles occupaient une place prépondérante
puisqu’elles y représentaient 85 % en 1995 et sont passées à 60% du nombre d’étudiants (Appel d’ Abu`Awwad, en arabe, 2003 : 42)
L’Acquisition des capacités humaines
91
Graphique 2-9
Taux féminin brut d’accès à l’enseignement supérieur, et inscriptions des filles comme (%) des
inscriptions des garçons, pays arabes, 2002/2003
BVjg^iVc^Z
;ZbZaaZhXdbbZYZhb}aZh
;ZbVaZ
NZbZc
9_^Wdji^
HdjYVc
8dbdgZh
BVgdX
EVaZhi^cZ
?dgYVc^Z
Ijc^h^Z
A^WVc
6gVW^ZHVdjY^iZ
DbVc
A^WnZ
@dlZ^i
7V]gZ^c
:6J
FViVg
EdjgXZciV\Z
Source: PNUD, en anglais, 2005.
l’enseignement supérieur varie selon les pays ;
il atteint son pic aux EAU et en Libye, où le
taux d’inscription des filles est de plus de 50 %.
Au Liban, ce taux a atteint 48 % au cours de
l’année universitaire 2002/2003. Les taux
d’inscription les plus bas se retrouvent aux
Comores, à Djibouti, en Mauritanie, au Soudan
et au Yémen, ils n’ont pas excédé 10 %.
En dépit de l’augmentation de leur
nombre dans l’enseignement universitaire,
les filles continuent d’être concentrées dans
des spécialisations telles que la littérature,
les sciences humaines et sociales, où elles
constituent la majorité, spécialités qui ne sont
pas très demandées sur le marché du travail.
L’accès des filles aux branches de l’ingénierie
et de l’industrie reste sensiblement faible
92
comme le montre le tableau (2-2).
Une telle situation s’explique aussi par la
propension chez les filles à s’orienter vers les
métiers à temps partiel qui ne contredisent ni la
vision traditionnelle de leur rôle reproducteur
ni la division du travail dominante au niveau du
foyer et en matière de protection de la famille
comme l’enseignement ou les activités à temps
partiel dans la fonction publique. En outre,
certaines universités arabes introduisent des
critères discriminatoires à l’égard des étudiantes
en faveur des étudiants. Ainsi, à l’université
du Koweït, par exemple, les étudiants en
ingénierie et pétrole sont acceptés sur la base
d’une moyenne cumulative de 67.9, alors qu’il
est exigé des filles d’avoir une moyenne de 83.5
pour être acceptées dans les mêmes spécialités.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Tableau 2-2
Pourcentage des étudiantes de l’ensemble des étudiants de certaines spécialités dans
les universités arabes, 2002/2003
Pays
Sciences humaines et Gestion, droit, sciences
littérature
sociales
Sciences
Engineering, industrie
et bâtiment
Bahrein
83
60
71
24
Djibouti
52
52
18
25
Jordanie
37
37
51
30
Liban
56
56
42
21
Mauritanie
23
23
14
-
Maroc
45
45
34
22
Palestine
34
34
49
35
Qatar
65
65
72
16
Arabie Saoudite
30
30
41
1
Source: http://gmr.uis.unesco.org/ (composé à partir de plusieurs tableaux).
Néanmoins, les filles dans la région sont de
plus en plus enclines à poursuivre des études
dans les domaines scientifiques et techniques
de pointe, bien que les écarts existent toujours
entre sexes dans les branches d’orientation des
filles. Par exemple, on note des écarts au sein
des spécialités de la même branche ; la plupart
du temps les étudiantes des écoles d’ingénieurs
optent pour l’architecture et le génie chimique,
alors que les garçons s’orientent vers le génie
mécanique et l’électronique. Dans les études de
médecine, les étudiants choisissent la chirurgie
et les spécialités fines tandis que les étudiantes
optent pour la gynécologie, la pédiatrie et la
médecine dentaire.
L’analphabétisme toujours élevé chez les
femmes
La région arabe a connu une forte expansion
sans précédent de la scolarisation des filles,
ce qui lui a permis de réduire le déficit
qu’elle avait par rapport aux autres régions
du monde. Néanmoins, le succès remporté
en matière d’augmentation du taux de
scolarisation des filles, attesté par les rapports,
ne signifie pas un succès en matière de lutte
contre l’analphabétisme féminin hors école.
En effet, si quelques pays, d’un niveau de
développement humain moyen, comme la
L’Acquisition des capacités humaines
Jordanie et la Palestine, ont réussi à relever le
taux d’alphabétisation des d’adultes femmes
(âgés de quinze ans et plus) à 85 %, six pays
arabes pays affichent un taux inférieur à
50 % : les Comores, l’Egypte, la Mauritanie,
le Maroc, le Soudan et le Yémen. Les taux
d’analphabétisme dans le monde arabe sont
supérieurs au taux moyen mondial et même
au taux moyen dans les pays en voie de
développement. Les pays arabes entrent dans
le 21e siècle en traînant un passif d’environ 60
millions d’adultes analphabètes, c’est à dire
40 % de tous les adultes, composés pour la
plupart de femmes pauvres et rurales (RADH
2002 : 51).
Il est à rappeler que les résultats de
l’enquête d’opinion ont souligné le droit
des filles à l’instruction dans n’importe quel
niveau d’enseignement et au libre choix de
la spécialité (Encadré 2-4). Bien que seule
une minorité (n’excédant pas 10 %) n’a pas
été d’accord sur le droit pour les filles de
choisir les spécialités qu’elles préfèrent, les
spécialisations que certaines réponses ont
considéré comme relevant du seul domaine
masculin comprennent les sciences militaires
(la plupart des interviewés marocains), les
sciences de l’ingénieur (plus de 15 % de ceux
qui ont répondu à cette question en Egypte, en
Jordanie et au Liban) et la médecine.
93
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
?dgYVc^Z
Encadré 2-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
?dgYVc^Z
BVcfjVci
Les filles ont le droit d’accéder à tous les niveaux de l’enseignement,
y compris9VXXdgY
l’université,
EVhYVXXdgY
sur un pied d’égalité avec les garçons %
'
9VXXdgY
BVgdX
BVgdX
:\neiZ
9VXXdgY
.-
9VXXdgY
.-
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
?dgYVc^Z
BVcfjVci
%
?dgYVc^Z
BVcfjVci
%
EVhYVXXdgY
'
9VXXdgY
EVhYVXXdgY
'
9VXXdgY
Les filles doivent avoir le droit de choisir leur domaine de spécialisation à l’université
BVgdX
9VXXdgY
.-
BVgdX
:\neiZ
Dj^
.%
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
?dgYVc^Z
?dgYVc^Z
BVcfjVci
%
EVhYVXXdgY
'
Cdc
,
9VXXdgY
BVcfjVci
(
9VXXdgY
BVgdX
:\neiZ
A^WVc
?dgYVc^Z
94
Dj^
.%
Les filles sont de meilleures apprenantes
Dj^
.%
Les données internationales indiquent que
les filles dans la région arabe ont un meilleur
rendement scolaire que les garçons. Les taux
de déperdition scolaire chez les filles sont
inférieurs à ceux des garçons dans tous pays
Cdc
,
9VXXdgY
BVcfjVci
(
pour lesquels on dispose de données, excepté
les EAU. La probabilité pour qu’une fille
termine la cinquième classe est supérieure
à 90% en Algérie, en Arabie Saoudite, aux
Emirats Arabes Unis, en Jordanie, à Oman et
en Tunisie. De même, le pourcentage de filles
qui redoublent de classe est inférieur à celui des
BVcfjVci
(
Cdc
,
Rapport sur le développement humain arabe 2005
garçons dans les pays de la région sur lesquels
les données sont disponibles6 à l’exception du
Soudan (Institut de statistique de l’UNESCO,
en anglais, 2002 : 42-43).
Cependant, la discrimination à l’égard des
personnes de sexe féminin dans les pays arabes
limite leur accès au savoir par l’intermédiaire
de l’enseignement en dépit de l’accumulation
des indications et des preuves que les filles
arabes ont un meilleur rendement scolaire
que les garçons, particulièrement pendant les
premières étapes de l’échelle scolaire comme
illustré par les encadrés (2-5) et (2-6).
En Egypte, par exemple, au milieu de
l’année 2005, s’est répété la scène annuelle des
filles qui récoltent la majorité des premières
places au Baccalauréat - le grand obstacle sur
l’échelle de l’enseignement dans la plupart
des pays arabes. En dépit de l’idée fausse
que les sciences humaines conviennent mieux
à la nature des femmes, une fille a obtenu la
première place dans les sections sciences
et lettres à la fois, et parmi les dix premiers,
il y’avait 11 filles sur 12 lauréats7 en sciences
humaines et 7 filles sur 15 en sciences.
La supériorité des filles lors des examens
du baccalauréat ne concerne pas que la seule
Egypte (graphique 2-10), elle peut même être
écrasante en sciences humaines aux Emirats
Arabes Unis et en Palestine. Dans tous les
pays arabes pour lesquels les données sont
disponibles, les filles représentent plus de 50 %
des lauréats. Comme en moyenne la part des
filles ayant accès à l’enseignement est inférieur
à la moitié des inscrits, ceci prouve leur plus
grand rendement scolaire. Le plus haut degré
de réussite scolaire des filles se confire dans une
grande variété de circonstances, dans les pays
arabes connus pour leur opulence comme dans
ceux marqués par les difficultés économiques,
et même sous l’occupation la plus dure,
soulignant ainsi la nature intrinsèque et non
circonstancielle du phénomène.
Il importe de rappeler que l’inscription
Encadré 2-5
Les filles surpassent les garçons dans l’enseignement fondamental au Bahreïn
Les résultats d’une étude de terrain confirment amplement le meilleur rendement scolaire des filles. Sur les 20 élèves qui ont reçu les meilleures
notes dans chacun de deux examens, en langue arabe et en mathématiques, 12 étaient des filles. Sur les 20 écoles dont les élèves ont obtenu les
plus moyennes les plus élevées dans les deux examens, 19 étaient des écoles de filles. Sur les 20 élèves les moins bons dans les examens scolaires,
il n’y avait qu’une une fille. Les résultats de l’analyse prouvent que les filles ont un niveau d’acquisition supérieur à celui des garçons, et plus élevé
encore dans la langue arabe.
Moyenne des résultats en langue arabe et en maths (sur 100), selon le nombre de classes redoublées et par genre, Bahreïn, 1999
CdbWgZYZXaVhhZhgZYdjWa‚Zh
IdiVa
;^aaZh
<Vgdch
BdnZccZ
Alors le redoublement, par exemple, est lié à une baisse du niveau d’acquisition, amplifié par la multiplication des classes redoublées par l’élève(
le symbole « 0 » indique que l’élève n’a redoublé dans aucune classe), les filles maintiennent leur supériorité dans tous les cas.
Source: Bahreïn, Ministère de l’Education, Centre de recherches pédagogiques et de développement, Almishkat, en arabe, 1999.
6
Il s’agit de : Algérie, Arabie Saoudite, Bahreïn, Djibouti, Irak, Egypte, Emirats Arabes Unis, Jordanie, Koweït, Liban, Maroc, Oman, Palestine, Soudan et Tunisie
7
Les lauréats peuvent être ex-aequo.
L’Acquisition des capacités humaines
95
Encadré 2-6
La supériorité des filles dans l’enseignement primaire au Koweït
Les résultats d’un projet d’indicateurs éducation entrepris par la Société koweitienne pour le progrès des enfants arabes montrent la supériorité
écrasante des filles, avec un écart statistique significatif, en matière d’acquisition scolaire pour toutes les matières concernées par l’étude.
Les résultats obtenus par les filles dans l’enseignement primaire comparés à ceux des garçons, Koweït, 2000
6kZgV\ZHXdgZ
;^aaZh$<Vgdch
BVi]
6c\aV^h
HX^ZcXZh
6gVWZ
FjVa^ÄXVi^dch
YZaVk^Z
Note: la note la plus élevée = 30
:YjXVi^dc
^haVb^fjZ
<Vgdch
;^aaZh
;^aaZh$<Vgdch
Source: Al-Sarraf, en arabe, 2001, 108.
relativement plus élevée des filles dans les
sciences humaines s’explique en grande partie
par les secteurs d’activité ouverts à l’emploi des
femmes, eu égard aux perceptions sociétales
courantes. Or ces emplois sont beaucoup
plus liés aux sections auxquelles préparent les
sections Lettres de l’enseignement secondaire
qui déterminent à leur tour l’orientation des
filles vers une section ou vers l’autre.
La supériorité scolaire relative des filles
concerne tous les niveaux de l’enseignement, y
compris l’enseignement supérieur.
Il est très important de souligner que les filles
obtiennent de tels succès dans l’enseignement
bien qu’elles soient confrontées à un
environnement social et familial handicapant,
qui est, pour certaines d’entre elles, travaillé par
un mythe selon lequel le destin de la fille est de
rester à la maison, l’éducation et le travail étant
fondamentalement réservés au genre masculin.
Dans de telles conditions, le résultat logique
est la confirmation de l’excellence des filles
dans le domaine de l’acquisition du savoir, ce
qui leur permet d’être compétente et même de
surpasser les hommes malgré un certain degré
96
de handicap sociétal.
Dans une perspective positive, l’égalité entre
les hommes et les femmes dans l’acquisition et
l’utilisation du savoir auraient des retombées
positives énormes sur la société arabe qui en
tirerait avantage dans toutes les formes d’activité
humaine. Aujourd’hui, les traditions et les
pratiques discriminatoires nuisibles empêchent
la nation de récolter les fruits de ces atouts.
En réalité, le principe de justice exige que
les meilleurs possibles soient encouragés et
non pas seulement de rendre effective l’égalité
de tous. Si la justice était faite, les récompenses
que la nation recueilleraient de la promotion
des femmes à travers la consolidation de la
possibilité de mise en œuvre du projet pour la
Renaissance humaine sont presque illimitées.
La libération des énergies captives des
filles et des femmes arabes dans les domaines
du savoir et de la créativité par la création d’un
environnement familial et social qui valorise
l’excellence, indépendamment du genre, est la
condition sine qua non du “ processus de la
prospérité humaine ” (izdihar) dans le monde
arabe.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Graphique 2-10
Pourcentage des filles parmi les lauréats de l’enseignement secondaire, cinq pays arabes, 2003-2005
=jbV^cZh
EdjgXZciV\ZYZÄaaZh
HX^ZcXZh
:\neiZ
EVaZhi^cZ
NZbZc
:6J
@dlZ^i
Source: Réalisé à partir de plusieurs sources gouvernementales, Nader Fergany.
Une femme brillante : Mervat Badawi
Mervat Badawi a grandement contribué au développement du monde
arabe, non seulement par sa production théorique, mais également,
et c’est probablement l’aspect le plus important, par sa contribution
pratique sur le terrain, à travers, notamment son rôle dirigeant au
sein d’une des plus importantes institutions de développement
arabe commun, le Fonds arabe pour le développement économique
et social (FADES). Attestent de la valeur de cette contribution, la
diversité de ses centres d’intérêts et son travail sans relâche, pour
faire aboutir de grands projets de développement, notamment celui
du réseau électrique entre les pays arabes, pour lequel elle a consacré
beaucoup de son énergie dans un combat qui n’a pas discontinué
jusqu’à son décès.
Mervat Badawi s’est distinguée très tôt parmi les esprits arabes
exceptionnels aussi bien lors de ses études ou comme chercheur ;
elle était toujours la plus jeune parmi ses des pairs dans tout travail
scientifique qu’elle eut à entreprendre.
Au tout début de ses années vingt, elle a obtint sa licence en
sciences économiques de l’université du Caire et de l’université de
Paris où elle décrocha par la suite d’autres diplômes supérieurs (en
mathématiques et en sciences informatiques). Elle obtient ensuite un
doctorat d’Etat en économie quantitative et un autre doctorat en génie
électrique et régulation. Avant d’atteindre la quarantaine, Mervat
Badawi obtint le prix de l’Etat français en sciences économiques et la
chaire de professeur à l’université de Paris.
Depuis le début des années 1970, Mervat Badawi a occupé
un certain nombre de postes universitaires à l’université de Paris,
atteignant le sommet de la pyramide de la recherche universitaire en
L’Acquisition des capacités humaines
France avec sa nomination comme Directeur de recherche à l’Institut
national de la recherche scientifique à Paris alors qu’elle était âgée de
moins de trente ans.
Elle fut appelée par le Fonds arabe pour le développement
économique et social (FADES) pour déployer ses compétences dans
le monde arabe. Son action soutenue et intense au sein du Fonds et
en matière de développement dans le monde arabe en général s’est
poursuivi jusqu’à ce qu’elle occupa le poste technique le plus élevé au
sein du Fonds, celui de directrice du secteur technique.
Mervat Badawi était aussi une figure remarquable dans de
nombreuses instances arabes et internationales. Ses compétences
linguistiques ont beaucoup contribué à son efficacité au sein de ces
instances. Elle était entre autres, et à titre d’exemple, membre du
Conseil des Gouverneurs du Centre de recherche en développement
international, du Canada, du Comité de surveillance du Groupe
consultatif sur la recherche agricole internationale, et du Conseil des
Directeurs du Programme de financement du commerce arabe.
Il importe de souligner ici, tout particulièrement, que Mervat
Badawi a contribué de manière inégalée avec sérieux, compétence
et assiduité aux travaux du Rapport arabe sur le développement
humain, au soutien à sa publication, en tant que représentante du
FADES au sein Conseil consultatif du Rapport. Elle a contribué à
l’élaboration de son concept de développement et de son contenu
depuis les tous débuts de sa conception jusqu’au moment où elle nous
quitta, en professionnelle, en automne de 2004.
Nader Fergany
97
Chapitre III
L’utilisation des
capacités humaines
Introduction
La société humaine ne peut ni exister ni
se développer humainement sans que les
femmes jouent un rôle central dans la
construction de l’édifice social. Ce rôle ne
se limite pas à la seule fonction biologique
et vitale proprement dite, relative à la
continuité de l’espèce par la reproduction
et en veillant sur la progéniture et en la
protégeant, fonction par rapport à laquelle
les femmes assurent un rôle central depuis
l’origine de l’humanité. Elles participent, en
effet, à toutes sortes d’activités humaines
depuis les premières époques de la formation
des sociétés humaines, avant même l’époque
de la sédentarisation.
Cependant, un mélange de facteurs
politiques, économiques et sociaux, en
plus des facteurs culturels (montée de
l’hégémonie masculine), allaient consacrer
une rupture entre les sphères publique et
privée de l’édifice social : la première allait
être dominée par les hommes et c’est dans
cette sphère que seront puisés les critères
des valeurs sociales ; les femmes ayant été,
à un degré ou un autre, reléguées à la sphère
privée (la famille), où leur contribution
vitale n’était pas appréciée socialement à sa
juste mesure. Ainsi, la société tout entière se
trouvera privée de l’utilité publique due à
leur contribution efficace dans les domaines
de la production et de la chose publique.
L’espace de l’activité
économique
Les statistiques disponibles montrent que
la participation des femmes à l’activité
économique reste faible, à tel point que le
niveau de contribution des femmes dans la
L’utilisation des capacités humaines
région arabe est classé parmi les plus bas
dans le monde (figure 1-3). Nous évoquons ce
graphique, en attirant l’attention, encore une
fois, sur le fait que ces statistiques ne rendent
que partiellement compte de la contribution
effective des femmes (Chap. I).
De prime abord, la lenteur de la croissance
économique se traduit par un faible niveau
de la demande sur la main-d’œuvre féminine
dans la région. En outre, la dominance des
conceptions traditionnelles du rôle des
femmes est liée précisément à la prévalence des
hommes dans la subsistance des familles et à la
baisse de la préférence de l’emploi féminin, ce
qui favorise l’augmentation manifeste des taux
de chômage des femmes, en comparaison avec
les hommes.
L’expérience dans les pays arabes montre
La société humaine
ne peut ni exister
ni se développer
humainement sans
que les femmes jouent
un rôle central dans
la construction de
l’édifice social.
Graphique 3-1
Taux d’activité économique des femmes (15 ans et plus) et l’activité féminine
en % de l’activité masculine, régions du monde, 2003
6h^ZYZa:hi
ZiEVX^ÄfjZ
:jgdeZ8ZcigVaZ
ZiYZa:hiZi:8
EVnhaZhbd^ch
Y‚kZadee‚h
6[g^fjZ
HjW"hV]Vg^ZccZ
D89:
6h^ZYjHjY
6b‚g^fjZAVi^cZ
Zi8VgV^WZh
;ZbZaaZZcYZb}aZ
:iVih6gVWZh
;ZbZaaZ
EZgXZciV\Z
Source: PNUD, 2005.
99
Bien que les femmes
contribuent fortement
à la production du
bien-être humain,
contribution
incorrectement
comptabilisée, leur
apport aux différents
domaines de l’activité
que les femmes sont les premières à perdre
l’opportunité de travailler, en temps de
récession économique, et les dernières à en
trouver en temps de reprise économique. A
titre d’exemple, on peut citer la forte baisse
du nombre des travailleuses que l’Egypte
a enregistrée durant la première moitié des
années quatre-vingt-dix du siècle dernier,
période de récession économique, surtout dans
le secteur des entreprises privées, contre une
augmentation du nombre de travailleurs au
cours de la même période (Ferjani, en anglais,
1998).
S’agissant de la privation dont pâtissent
les femmes sur le plan de la participation
à l’activité économique, et bien que leur
désir de travailler soit effectif, les statistiques
disponibles, tout insuffisantes qu’elles soient,
indiquent quand même une augmentation du
taux de chômage chez les femmes plus élevée
que chez les hommes (Figure 3-2).
Un tel phénomène est contraire aux
considérations de compétence économique
proprement dite ; car si on prend en compte
les excellents résultats obtenus par les femmes
dans le domaine de l’acquisition du savoir par
l’entremise de l’enseignement, alors c’est le
genre qui dispose des plus grandes capacités
en termes de connaissances, en l’occurrence les
femmes, et donc le plus apte à développer la
productivité, qui pâtit le plus du chômage.
Mais, il est important de signaler que
l’opinion publique arabe prend, selon
les résultats d’une enquête sur le terrain,
une direction opposée aux situations de
discrimination dominantes sur les marchés
arabes du travail. Cette opinion soutient en
effet, avec force le droit des femmes à l’égalité
en matière d’opportunités, de conditions et de
revenus du travail (Encadré 3-1).
Caractéristiques de la
participation de la femme
à l’activité économique et
questions y afférentes
Bien que les femmes contribuent fortement à la
production du bien-être humain, contribution
Graphique 3-2
Taux de chômage féminin en % du taux de chômage masculin Quelques pays arabes, plus récente
année disponible
humaine hors du
cadre familial buttent
sur des difficultés et
des entraves multiples
qui en restreignent
l’ampleur.
:\neiZ
Hng^Z
FViVg
6gVW^ZHVdjY^iZ
?dgYVc^Z
@dlZ^i
:6J
A^WVc
BVgdX
Ijc^h^Z
6a\‚g^Z
8^h_dgYVc^ZZi
7VcYZYZ<VoV
NZbZc
Source: World Bank, 2004.
100
EZgXZciV\Z
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 3-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femme doivent avoir droit au travail sur un pied d’égalité avec les hommes
?Zhj^hYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
BVgdX
BVgdX
:\neiZ
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
DWhZgkVi^dch
DWhZgkVi^dch
eZgYjZh
eZgYjZh
?dgYVc^Z
?dgYVc^Z
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?ZcZhj^h
eVhYVXXdgY
eVhYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
Les femmes doivent avoir droit au revenu du travail sur un pied d’égalité avec les hommes
?Zhj^hYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
BVgdX
BVgdX
:\neiZ
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
DWhZgkVi^dch
DWhZgkVi^dch
eZgYjZh
eZgYjZh
?dgYVc^Z
?dgYVc^Z
?ZcZhj^h
?ZcZhj^h
eVhYVXXdgY
eVhYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
Les femmes doivent avoir droit aux mêmes conditions de travail que les hommes
BVgdX
BVgdX
:\neiZ
:\neiZ
A^WVc
A^WVc
?dgYVc^Z
?dgYVc^Z
DWhZgkVi^dch
DWhZgkVi^dch
eZgYjZh
eZgYjZh
?ZcZhj^h
?ZcZhj^h
eVhYVXXdgY
eVhYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
?Zhj^hYVXXdgY
L’utilisation des capacités humaines
101
Le secteur des services
s’accapare la part
la plus importante
de la force féminine
arabe de travail. La
productivité et les
revenus du travail
tendent à baisser dans
le secteur des services
des économies arabes.
incorrectement comptabilisée1, leur apport aux
différents domaines de l’activité humaine hors
du cadre familial buttent sur des difficultés
et des entraves multiples qui en restreignent
l’ampleur. Cependant, ce qu’il y’a de plus
important à noter c’est que les femmes, en
cas d’un emploi, ne jouissent pas de l’égalité
traitement avec les hommes en matière de
conditions de travail et de revenus, sans
parler de l’égalité des chances en matière de
promotion jusqu’à accéder au sommet de la
hiérarchie de prise de décision dans le domaine
des projets économiques, privés ou publics.
fut de plus de 50%, durant la période allant de
1990 à 2003, en Arabie Saoudite, en Jordanie
et à Oman. Quant au fossé entre les femmes et
les hommes en matière d’activité économique,
il a atteint son point ultime en Palestine où la
participation des femmes n’a guère dépassé
14% par rapport à celle des hommes, suivi
d’Oman (27%) et de l’Arabie Saoudite (29%).
Evolution de la participation des femmes aux
niveaux de l’économie et du marché du travail dans les
pays arabes.
Les bases de données internationales n’offrent
pas une assise solide pour une étude exhaustive
de la répartition sectorielle du travail des
femmes dans les pays arabes. Le graphique (33) résume les données disponibles dans la base
de données du PNUD pour l’année 2005. Elles
concernent cinq pays arabes seulement, bien
que la répartition sectorielle utilisée se limite
aux trois secteurs fondamentaux : l’agriculture,
l’industrie et les services.
Il découle de la figure en question que le
secteur des services s’accapare la part la plus
importante de la force féminine arabe de
travail. Il importe de signaler à ce propos que
la productivité et les revenus du travail tendent
à baisser dans le secteur des services des
économies arabes en raison de l’augmentation
des parts du secteur public et du secteur
informel en main-d’œuvre des services.
S’agissant de l’écart de la répartition
sectorielle de la main d’œuvre selon le genre,
une plus grande concentration des femmes
se manifeste dans le secteur des services, avec
les conséquences qui en découlent comme
indiquées plus haut, sauf dans les économies
où prévaut le secteur primaire (l’agriculture),
comme le montre la figure en question dans le
cas du Yémen, qui connaît une concentration
de la main d’œuvre féminine dans le secteur
primaire au détriment des deux autres, et où la
productivité et les revenus sont même enclins à
la baisse par rapport au secteur des services.
La région arabe, comparée aux autres régions
du monde, a affiché l’accroissement le plus
élevé de la participation des femmes à l’activité
économique entre 1990 et 2003. Il a été de
19% contre 3% seulement au niveau mondial.
Et pourtant la participation économique des
femmes arabes reste la plus faible du monde,
puisque le taux de féminisation ne dépasse
pas 33,3% (femmes âgées de 15 ans et plus)
alors que la moyenne mondiale est de 55,6%.
Plus encore, leur participation ne dépasse pas
42% de celle des hommes, la plus basse dans
le monde, puisque la participation des femmes
atteint 83% en Asie de l’Est et au Pacifique et
73% en Afrique subsaharienne, le taux moyen
mondial étant de 69%.
Le taux le plus élevé en matière de
participation économique des femmes dans les
pays arabes est atteint en Mauritanie (63,1%),
suivie du Katar (42,6%), où le taux des
travailleuses immigrées est en augmentation,
et puis du Maroc (41,9%). Dans cinq pays
arabes que sont la Libye, Oman, l’Arabie
Saoudite, la Jordanie et la Palestine, ce taux de
participation reste inférieur à 30%, bien que
le taux d’accroissement de cette participation
Répartition de la force
de travail féminine selon les principaux secteurs
d’activité économique
1
Les statistiques officielles couvrent uniquement un des domaines d’activité des femmes à savoir l’activité officielle. Les autres domaines de cette
activité tels que le travail dans le secteur non officiel, l’activité de subsistance quotidienne, le travail sans contrepartie salariale et le bénévolat, ne
sont pas pris en compte dans les statistiques officielles. En dépit de quelques tentatives entreprises pour aboutir à une évaluation plus précise du
travail des femmes par la méthode du budget/temps. Mais cette méthode n’a été appliquée qu’au Maroc, en Palestine et à Oman, ce qui nous oblige
à utiliser les méthodes traditionnelles de calcul de la participation économique des femmes. Nous pouvons ainsi comparer la région arabe aux autres
régions du monde, et les Etats arabes entre eux.
102
Rapport sur le développement humain arabe 2005
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Graphique 3-3
Répartition de la force de travail en fonction du genre et des principaux secteurs d’activité,
cinq pays arabes, 1995-2002
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Source: PNUD, 2005.
La place de la femme d’un point de vue fonctionnel
Dans les pays arabes où l’on dispose de données
(Oman, Palestine, Katar, Egypte et Maroc), les
femmes travaillent en grande partie comme
fonctionnaires ou comme employées. Cette
part atteint en Egypte 68% de l’ensemble des
femmes actives sur le marché du travail, 55%
en Palestine, s’élève à 88% à Oman et à 100%
au Qatar. Elle n’est inférieure à 50% qu’au
Maroc où elle est de 34%. Par ailleurs, les parts
des hommes et des femmes travaillant comme
fonctionnaires diffèrent peu. Cependant, il
existe une grande différence dans la nature du
travail des non-fonctionnaires. C’est que le plus
grand nombre d’hommes non-fonctionnaires
travaillent soit pour leur propre compte, soit
en tant qu’employeurs, alors que la part la plus
élevée de femmes non-fonctionnaires travaillent
comme ‘‘travailleuses participantes parmi les
membres de la famille’’, autrement-dit, elles
exercent un travail relevant du domaine privé,
travail non rémunéré la plupart du temps.
Cette catégorie occupe parmi les femmes 20%
en Egypte, 52% au Maroc et 33% en Palestine,
contre une part des hommes respectivement de
8%, 22% et 7% pour les trois pays. Cet écart
pourrait sembler profiter à première vue aux
femmes ; en réalité, il signifie une augmentation
des tâches et des responsabilités quotidiennes
qui leur incombent.
A l’échelle des Etats arabes, le niveau le
plus élevé de femmes actives dans le secteur
administratif2 revient aux femmes saoudiennes
(2), qui a atteint 31% de l’ensemble des
répertoriés dans ce domaine, viennent ensuite
l’Irak avec 15%, la Palestine avec 12%, le
Bahreïn avec 10%, Oman avec 9% et les
Emirats arabes unis avec 8%. Le niveau le plus
bas de femmes dans ce secteur est celui des
femmes yéménites (4%).3
Il est important de rappeler que le public
a exprimé lors du sondage d’opinion son
large soutien à l’appropriation et à la gestion
des avoirs et des projets économiques, par les
femmes, même si ce soutien diminue quelque
peu pour ce qui est de la gestion (Cadre 3-2).
2
Ceci concerne les postes suivants : responsables en législation, administrateurs gouvernementaux, juristes, hauts responsables, directeurs de
sociétés, directeurs généraux. Cette situation s’explique en partie par les traditions consistant à séparer les genres dans l’administration et les services
publics, comme dans l’enseignement par exemple.
3
Nations Unies : Statistiques (2005) (visite effectuée le 6 mars 2006) http://unstats.un.org/unsd/demographic/products/indwm/ww2005/tab5f.htm
L’utilisation des capacités humaines
103
Encadré 3-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes doivent avoir le même droit que les hommes de posséder des capitaux
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Les femmes doivent avoir le même droit que les hommes de posséder des entreprises économiques
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Les femmes doivent avoir le même droit que les hommes de diriger des entreprises économiques
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104
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Les causes de la faiblesse de
la participation économique
des femmes arabes.
Plusieurs facteurs contribuent à expliquer la
baisse de la participation des femmes dans la
vie économique et l’augmentation du chômage
féminin. Certains ont trait à la demande de la
main d’œuvre féminine, d’autres à son offre.
La culture masculine dominante
La culture dominante réserve aux femmes le
statut d’entretenues par les hommes, ce qui
accorde à ces derniers la priorité à l’emploi et
à ses revenus. Cette orientation néglige le fait
que la contribution des femmes au revenu de
la famille et à l’entretien de familles entières n’a
eu de cesse de prendre de l’importance dans
toutes les sociétés, y compris dans les sociétés
arabes. Elle néglige également, en réalité, le fait
que le degré de responsabilité et de sacrifice
dont font preuve les femmes pour subvenir aux
besoins de la famille et pour la protéger n’est
en rien inférieur à celui des hommes.
Certains employeurs préfèrent embaucher
des hommes plutôt que des femmes, pensant
que cela est moins onéreux et prenant prétexte
du coût des congés de maternité payés pour se
dispenser de l’embauche des femmes. Comme
si le congé de maternité était un privilège
réservé à la femme et non un droit au nouveauné et un service rendu à la société ! Et bien que
de nombreux Etats arabes exaltent le discours
sur la protection et le soutien de la famille,
le fait d’inscrire à la charge des entreprises
et non à la charge des Etats le coût du rôle
reproducteur que la femme assure en matière
de reproduction de la société réduit les chances
d’emploi des femmes.
Rareté des opportunités de travail
Le bas niveau de développement économique
ne procure pas les opportunités de travail
nécessaires à l’absorption de l’augmentation
de la force de travail, aussi bien masculine que
féminine. Cependant, cette faiblesse de l’offre
d’emplois se répercute négativement beaucoup
plus sur les femmes que sur les hommes. La
figure 3-2 montre que le chômage féminin est
L’utilisation des capacités humaines
plus important que le chômage masculin dans
les deux tiers des pays arabes sur lesquels des
statistiques sont disponibles ; le niveau de ce
chômage a atteint même le double de celui des
hommes dans presque la moitié de ces pays.
Le défi que représente la création
d’opportunités de travail pour les femmes
deviendra plus grand durant les prochaines
années, particulièrement au regard des
estimations qui indiquent que le taux
d’accroissement de l’offre de la force de travail
féminine dépassera le taux d’accroissement de
l’ensemble de la force de travail. Ainsi, le taux
annuel du développement de la force de travail
dans les Etats arabes, pour la période allant de
l’an 2000 à l’an 2010, est estimé à 3,5%, alors
que le taux du développement de la force de
travail féminine est estimé à 5% pour la même
la même période (Banque mondiale, en anglais,
2003 : 4).
La culture dominante
réserve aux femmes le
statut d’entretenues
par les hommes, ce
qui accorde à ces
derniers la priorité
à l’emploi et à ses
revenus.
La discrimination de genre en matière
d’emploi et de salaires
La ségrégation entre les hommes et les femmes
en matière d’emploi et de salaires a contribué
à la réduction de la participation des femmes
à la vie économique. Les salaires des hommes
dépassent de loin ceux des femmes pour les
différents postes, surtout dans le secteur privé.
Cette discrimination par rapport aux salaires
dans ce secteur pousse les femmes à travailler
dans le secteur public qui assure l’égalité en
matière de salaires et de conditions de travail.
Toutefois, dans la majorité des Etats arabes,
le secteur public a commencé à connaître une
contraction suite aux politiques d’ajustement
structurel.
Plus le niveau éducatif baisse et plus le
fossé entre les salaires des hommes et ceux des
femmes s’agrandit. En Jordanie, par exemple,
les femmes universitaires obtiennent 71% des
salaires de leurs collègues hommes. Ce rapport
diminue pour atteindre 50% pour celles qui
se sont arrêtées au niveau de l’enseignement
fondamental. Quant aux femmes analphabètes,
leurs salaires n’atteignent que 33% des salaires
des hommes (Moghadam, en anglais, 2005).
Ainsi, la souffrance des femmes augmente
avec la baisse du niveau éducatif, lequel est
habituellement lié au niveau de pauvreté.
La contribution des
femmes au revenu
de la famille et à
l’entretien de familles
entières n’a eu de
cesse de prendre de
l’importance dans
toutes les sociétés,
y compris dans les
sociétés arabes.
105
Augmentation du niveau de fécondité
Les lois relatives
au travail ou au
statut personnel
sont considérées
comme des entraves
importantes à la
participation des
femmes à la vie
économiquea.
L’indice de participation des femmes au travail
est corrélé aux taux de fécondité, à l’indice de
l’âge moyen au premier mariage, à l’indice du
mariage pour la tranche d’âges de 15 - 19 ans
de l’ensemble de la population, ainsi qu’aux
niveaux de scolarisation. La participation
des femmes à l’activité économique constitue
également le facteur le plus influent sur le
niveau de fécondité. Dans les Etats arabes, le
taux le plus bas de participation des femmes
au travail se situe en Palestine, qui est en
même temps un des pays les plus procréatifs,
présentant les taux les plus élevés de mariage
précoce (15-19 ans), alors qu’un Etat comme
la Tunisie se situe tout à fait à l’opposé de la
Palestine, puisque l’on y enregistre des taux
de mariages précoces et de fécondité bas (2,1
contre 4,2 dans la région arabe et un taux de
participation économique élevé (32%) (Mona
Fayad, Papier du Rapport).
Des lois qui handicapent les femmes,
d’autres qui les “ protègent ”
L’insuffisance de
l’infrastructure en
matière de moyens
de transport et de
crèches n’encourage
pas les femmes à
travailler, et ce sans
parler de l’absence de
sécurité sociale pour
les enfants comme
pour les personnes
âgées, dont le suivi
est à la charge des
femmes.
106
Les lois relatives au travail ou au statut
personnel sont considérées comme des entraves
importantes à la participation des femmes à
la vie économique. Certaines législations en
matière de statut personnel et de droit du
travail restreignent leurs libertés en exigeant
d’elles l’autorisation préalable du père ou
du mari pour pouvoir travailler, voyager
ou contracter un crédit bancaire. Certaines
législations du travail empêchent également
les femmes d’accéder à des domaines de travail
en vue de la “ protéger ” (voir chapitre 8).
La “ protection ” se métamorphose ainsi en
ségrégation entre les hommes et les femmes,
et restreint, par conséquent, la participation
des femmes à l’activité économique (Abu
Harithiyyehet Qawwas, en anglais, 1997).
Faiblesse des services d’appui
L’insuffisance de l’infrastructure en matière de
moyens de transport et de crèches n’encourage
pas les femmes à travailler, et ce sans parler
de l’absence de sécurité sociale pour les
enfants comme pour les personnes âgées,
dont le suivi est à la charge des femmes. Il y
a également d’autres facteurs qui affectent
les chances des femmes de trouver un travail,
comme par exemple l’absence de liens entre
l’enseignement et les besoins du marché du
travail, le faible niveau de la formation continue
en vue du développement des compétences des
femmes en quête de travail, enfin les difficultés
auxquelles les femmes sont confrontées pour
obtenir des facilités de crédits.
L’impact des programmes d’ajustement
structurel
Durant les années quatre-vingts et quatrevingt dix, plusieurs pays arabes ont adopté
des programmes d’ajustement structurel
consistant en la libéralisation du commerce, la
privatisation, le renforcement du secteur privé,
l’augmentation de la productivité, et ce en vue
d’asseoir les équilibres internes et externes
et d’assurer la croissance économique. Les
évaluations de l’impact de ces politiques sur
les femmes, sur la main d’œuvre féminine et
sur leur participation à l’activité économique
divergent. Si contraction économique du
secteur public a conduit à la réduction des
opportunités de travail officiel pour les femmes,
certains pensent que ces politiques ont procuré
aux femmes des opportunités plus grandes
de travail dans les activités économiques du
secteur informel en expansion, bien que ce
secteur n’offre pas aux femmes la protection
juridique et les garanties de travail.
La baisse de la participation économique des femmes
conduit à la baisse des
revenus
Le taux de dépendance dans la région arabe
reste l’un des plus élevé au monde, puisque
chaque travailleur pourvoit aux besoins de plus
de deux personnes ne travaillant pas, alors que
ce nombre est inférieur à une personne en Asie
de l’Est et dans la région du Pacifique. Le bas
niveau de participation des femmes en est la
cause principale. Au regard de la tendance des
salaires réels à la stagnation et l’augmentation
des taux de chômage, il devient plus difficile
aux travailleurs en nombre réduit d’assurer un
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 3-3
L’Opinion de la jeunesse arabe sur les questions
des femmes dans la région arabe
Le Bureau régional pour les Etats arabes – PNUD a accueilli en
novembre 2005 une réunion consultative de jeunes arabes4 autour
des questions des femmes arabes ainsi qu’un forum de concertation
par liaison électronique avec des jeunes leaders représentants
différents pays arabes.
Les participants ont souligné que la culture, l’enseignement,
l’économie et la participation politique ont un impact décisif sur le
rôle des femmes dans la société arabe, même si ces facteurs constituent
eux-mêmes des indicateurs reflétant la situation des femmes dans
la région. Les jeunes ont considéré que la religion, notamment la
religion musulmane, contribue grandement à la structuration de la
réflexion sur les droits des femmes, sur leurs rôles et responsabilités.
Ils ont également insisté sur la nécessité de respecter les points de
vue religieux, tout en reconnaissant les divergences entre ces points
de vue et les interprétations relatives aux questions des femmes.
S’agissant de l’enseignement, les jeunes sont tombés d’accord
sur la nécessité de revoir les programmes éducatifs, particulièrement
l’image qu’ils véhiculent des femmes. Il y avait en même temps une
invitation générale à accorder plus d’importance à l’enseignement
de la culture sexuelle qu’il faut considérer comme un thème
fondamental parmi les programmes éducatifs, d’autant plus
que la religion musulmane, – selon les dires des jeunes – est une
religion d’ouverture qui n’interdit nullement l’élargissement de la
connaissance, mais plutôt l’encourage.
Les jeunes se sont penchés également sur le phénomène de la
violence croissante à l’encontre des filles dans les écoles, et sur le
fait qu’il n’y a pas suffisamment de lois pour protéger les filles et
jeunes femmes de cette violence. Ils ont aussi abordé l’augmentation
de la déperdition scolaire et exprimé leur inquiétude face à
l’analphabétisme croissant parmi les jeunes femmes, qu’ils ont
niveau de vie acceptable à leurs familles. La
situation devient même plus grave quand cette
participation élevée du travailleur à l’entretien
de la famille se conjugue avec une absence
de plans de retraite et l’inexistence d’un filet
national de sécurité sociale englobant toutes
les catégories de travailleurs.
Une étude récente a montré que les systèmes
de retraite ne touchent pas les travailleurs du
secteur privé et du secteur agricole. Alors que
les taux de couverture atteignent, par exemple,
70% des travailleurs en Libye, où la majorité
écrasante d’entre eux sont employés par le
secteur public, le niveau de couverture baisse
au Maroc, où le secteur agricole est grand,
pour atteindre 20% (Robalino et al., en anglais,
2005). Avec l’extension du secteur informel où
la couverture des travailleurs est faible, le poids
de la dépendance devient énorme pour le petit
4
considéré comme un indicateur très inquiétant qui affecte in fine le
développement durable dans la région dans son ensemble.
Le bas niveau du nombre de femmes participant aux processus
de prise de décisions politiques a poussé les jeunes participants à
lancer un appel pour que des dispositions de discrimination positive
soient prises, comme de réserver un quota pour les femmes au sein
des institutions législatives. Constatant que la le système patriarcal,
qui continue d’opérer dans la région arabe, constitue l’une des
causes de l’inégalité entre les deux sexes en matière de participation
politique, ils ont appelé les médias arabes à jouer un rôle plus actif,
en mettant surtout en exergue l’impact positif des femmes occupant
des postes de décision, et ce, en s’en référant à des exemples courants
de cheminements réussis des femmes dans les différents pays.
Les jeunes ont tenu à faire part de leurs remarques positives à
propos de l’accroissement du nombre de femmes dans les centres
économiques de leadership dans le monde arabe, y compris dans
les Etats les plus conservateurs. Il ont toutefois observé que, bien
que cela soit un indicateur positif, il n’en implique pas moins pour
ces femmes une certaine responsabilité. Elles se doivent, en effet,
d’assumer un rôle central dans l’élargissement du marché arabe et
dans la création de plus d’opportunités de travail ; plus important
encore, elles doivent introduire l’idée de la responsabilité sociale
partagée dans le secteur économique arabe. La question de
l’augmentation du nombre de jeunes, particulièrement les filles et les
jeunes femmes, en situation de chômage a été également débattue.
Un appel a été lancé aux gouvernements arabes pour qu’ils accordent
plus d’intérêt aux jeunes, des deux sexes, de cette génération, et ce
d’autant plus que la maîtrise de la technologie du 21e siècle paraît
être l’un de leurs nombreux savoir-faire qui est à même de consolider
le développement de manière générale en fin de compte
nombre de personnes du marché du travail.
De même, et faute d’appui social suffisant, la
pression devient de plus en plus forte sur les
femmes, appelées à s’occuper des enfants, des
personnes âgées, des malades, des invalides
et des personnes handicapées. Aussi sera-t-il
impossible de réaliser des niveaux de revenu
individuel élevés, et a fortiori du bien être
humain, sans une contribution plus importante
des femmes arabes à la force de travail.
Aussi, ne pas réussir à mobiliser le capital
humain, notamment les femmes ayant un haut
niveau d’éducation, c’est mettre des freins
au développement économique et dilapider
des énergies et d’importants investissements
qui auraient pu contribuer à garantir le
développement pour tous. Le faible niveau
d’emploi des femmes ainsi que les restrictions
touchant leurs revenus du travail sont en
Le faible niveau
d’emploi des
femmes ainsi que les
restrictions touchant
leurs revenus du
travail sont en
contradiction avec
les principes d’égalité
les plus élémentaires,
lesquels principes font
partie des piliers de
la citoyenneté et des
droits de l’homme.
S’agissant des participants, voir l’Annexe 5.
L’utilisation des capacités humaines
107
le droit de voter et
contradiction avec les principes d’égalité les
plus élémentaires, lesquels principes font
partie des piliers de la citoyenneté et des
droits de l’homme. Ceci mine les fondements
du développement économique, s’écarte
certainement des exigences du développement
humain et réduit les chances de promotion des
femmes arabes, objet de ce rapport.
d’être candidates
Le domaine politique
Dans la plupart
des pays arabes les
femmes ont obtenu
aux élections
parlementaires dans
les années cinquante
et soixante du siècle
dernier. Le Liban a été
le premier pays arabe
à garantir ces deux
droits aux femmes en
1952.
Les femmes arabes
participent au pouvoir
exécutif dans certains
pays arabes depuis
le milieu du siècle
dernier.
108
Nous commençons ce volet par la présentation
des tendances très positives des opinions
exprimées par le public arabe dans les pays
arabes où a eu lieu l’enquête de terrain, (Annexe
2), qui insistent, particulièrement au Maroc et
au Liban, sur le droit des femmes au travail
et à l’occupation des hauts postes exécutifs, y
compris celui de chef d’Etat, même si un tel
soutien va en se réduisant au fur et à mesure
que les postes sont plus élevés (Encadré 3-4).
Dans la plupart des pays arabes (à
l’exception des Etats du Golfe) les femmes ont
obtenu le droit de voter et d’être candidates
aux élections parlementaires dans les années
cinquante et soixante du siècle dernier. Le
Liban a été le premier pays arabe à garantir ces
deux droits aux femmes en 1952. Le troisième
millénaire a apporté une certaine amélioration
à la situation des femmes dans les Etats du
Golfe où, en effet, ces mêmes droits leur ont
été octroyés à Oman et au Qatar en 2003, et où,
après 40 ans de lutte, les femmes koweitiennes
ont obtenu en 2005 tous leurs droits politiques
(Annexe 4, tableau 23 et figure 3-4).
Le recours aux systèmes de quotas a
permis d’élargir la présence des femmes
dans les parlements au Maroc et en Jordanie.
Mais, en dépit de ces changements positifs,
la représentation des femmes arabes dans les
parlements est restée la plus faible au monde
(Figure 3-5).
L’accès des femmes aux chambres
parlementaires diffère de façon manifeste selon
les pays (Figure 3-6). Ainsi, la plus grande
représentativité des femmes arabes dans les
conseils parlementaires a été réalisée, au début
de 2006, en Irak (25,5%), suivi par la Tunisie,
où les femmes ont obtenu 22,8% des sièges aux
élections parlementaires de 2004, puis par le
Soudan avec 66 représentantes, soit 14,7% des
sièges, ensuite la Syrie, avec 30 représentantes,
soit 10,8% des sièges et enfin Djibouti, le Maroc
et la Somalie, avec respectivement 10,8%,
10,8% et 8% des sièges. Les taux les plus bas
de la participation féminine ont été atteints au
Bahreïn (0), au Yémen (0,3%) et en Egypte
(2%). Il n’existe pas de chambres législatives
élues dans les Emirats arabes unis et l’Arabie
saoudite, et le Qatar n’a toujours pas connu
d’élections législatives.
Les femmes parlementaires arabes
occupent parfois des postes importants dans
les chambres parlementaires, tel que celui de
vice-président du parlement en Egypte, en
Tunisie, au Maroc et en Algérie. Mais il n’est
pas arrivé qu’une parlementaire ait occupé le
siège de présidente de la chambre.
Par ailleurs, il existe dans certains Etats
arabes, à côté des parlements élus, des conseils
supérieurs entièrement ou partiellement
nommés. Le pouvoir exécutif qui nomme
ces conseils a pris l’habitude d’y augmenter
relativement le nombre de femmes en
compensation de leur échec dans les élections
du conseil représentatif élu.
Les femmes arabes participent au pouvoir
exécutif dans certains pays arabes depuis le
milieu du siècle dernier. La première femme
ministre a été nommée en Egypte en 1956, en
Irak en 1959 et en Algérie en 1962. Le nombre
de pays arabes ayant désigné des femmes
ministres a augmenté, surtout pendant les trois
dernières années, à tel point que les femmes
font partie de tous les gouvernements arabes,
à l’exception de celui de l’Arabie Saoudite.
Le nombre de femmes ministres varie d’une
période à l’autre et d’un gouvernement à l’autre,
attendu qu’il n’existe dans aucun pays arabe
de quotas fixes pour les femmes. De même que
l’augmentation ou la diminution du nombre de
femmes ministres ne reflète pas nécessairement
la tendance à la promotion des femmes. De
manière générale, les femmes sont beaucoup
plus employées dans les Etats républicains
(ex. : Tunisie, Syrie, Irak, Egypte) que dans
les monarchies (ex. : Maroc, Jordanie, Pays du
Golfe), bien que ces dernières aient récemment
opté pour la nomination de femmes comme
ministres.
Dans les premières étapes de la participation
des femmes aux gouvernements arabes, les
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 3-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes doivent avoir le même droit que les hommes à l’activité politique
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Les femmes doivent avoir le droit d’être ministre
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Les femmes doivent avoir le droit d’être Premier ministre
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Les femmes doivent avoir le droit d’être Chef de l’Etat
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L’utilisation des capacités humaines
109
Graphique 3-4
L’année à laquelle les femmes ont obtenu le droit de vote sans restrictions et le droit de se présenter aux élections, pays arabes,
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Source: “Inter-Parliamentary Unit.” (2005). www.ipu.org/wmn-e/suffrage.htm (Accessed 29 March 2006). 29 March 2006).
Graphique 3-5
Les femmes aux parlements, moyennes régionales
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Source: www.ipu.org\wmn-e\world.htm, 15 October 2005.
110
EVgi
Rapport sur le développement humain arabe 2005
portefeuilles de l’enfance, des questions des
femmes ou du développement social ont été
souvent confiés aux femmes. Cependant, et
bien que les femmes arabes n’aient pas obtenu
jusqu’à présent la responsabilité d’un ministère
de souveraineté, comme la défense, l’intérieur
ou les affaires étrangères, elles ont néanmoins
commencé à assurer la direction de ministères
importants comme ceux de la planification,
l’industrie, le commerce, les communications et
l’information. En outre, les femmes au sein des
gouvernements arabes n’ont pas pu accéder au
poste de Premier ministre ou de Vice-premier
ministre, exception faite de la Jordanie où une
femme a occupé pour la première fois, en 1999,
le poste de Vice-premier ministre.
D’autres données indiquent que les
femmes occupent des postes importants dans
l’administration locale (quatre femmes en
Egypte et deux au Liban), et siègent à des
conseils locaux au Soudan, en Palestine, en
Jordanie, en Mauritanie et aux Comores.
Cependant, on constate qu’il y a une difficulté
à nommer ou à élire des femmes à des postes
exécutifs à l’échelle du village, de la région et
de la juridiction, de telle sorte qu’elles sont
presque absentes de ces postes dans la plupart
des pays arabes. Le pourcentage des femmes
dans la magistrature a atteint 50% au Maroc,
22,5% en Tunisie, 11% en Syrie et 5% au
Liban. Une femme est devenue magistrate dans
la Haute cour constitutionnelle en Egypte. Le
nombre de magistrates a atteint le chiffre 76 au
Soudan, 53 au Yémen et 14 en Jordanie. Les
femmes arabes participent également comme
membres dans les conseils d’administration des
organisations non gouvernementales où elles
constituent 45% au Liban, 42% en Palestine et
18% en Egypte (UNIFEM, 2004).
Malgré les différences de performance
entre femmes arabes occupant des postes de
direction, on peut dire que la performance
moyenne des femmes n’était pas moins
excellente que celle des hommes. Des femmes
parlementaires et ministres se sont affirmées et
furent considérées comme des modèles pour les
femmes dans le monde arabe. Dans le sondage
d’opinion (annexe 2), quelque deux-tiers des
réponses ont considéré que la performance
des femmes était proche de celle des hommes,
sinon meilleure.
L’utilisation des capacités humaines
Graphique 3-6
Seats in parliament (lower or single house) held by women (% of total), Arab
countries, 29 March 2006
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Source: www.ipu.org\wmn-e\classif.htm, 29 March 2006.
* http://www.elections.ps/pics/Statistic_reg_voters_2-ar.jpg
Une participation faiblement
diversifiée
L’accès des femmes à des postes élevés au sein
de l’Etat n’implique pas nécessairement leur
promotion politique. Dans de tels postes, les
femmes, pas plus que les hommes, ne peuvent
être des acteurs politiquement influents en
l’absence des libertés et du pluralisme politique
dans le monde arabe.
En effet, les femmes au pouvoir sont
souvent choisies parmi les élites ou au sein
des cercles proches du parti au pouvoir
pour améliorer l’image des régimes en place,
Malgré les différences
de performance
entre femmes arabes
occupant des postes
de direction, on
peut dire que la
performance moyenne
des femmes n’était
pas moins excellente
que celle des hommes.
111
Encadré 3-5
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Quelle est la performance des femmes dans les postes de direction par rapport aux hommes ?
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L’accès des femmes
à des postes élevés
au sein de l’Etat
n’implique pas
nécessairement leur
promotion politique.
Dans de tels postes,
les femmes, pas plus
que les hommes,
ne peuvent être des
particulièrement les régimes despotiques.
Elles peuvent être choisies également suite
à des pressions étrangères, comme c’est le
cas en Irak ou dans certains pays du Golfe.
Aussi, l’augmentation de la représentation
de certaines femmes dans la sphère politique
n’empêche pas la poursuite des persécutions à
l’encontre d’autres d’entre elles, en particulier
les activistes des mouvements islamistes ou des
organisations des droits de l’homme agissant
pour la réforme et la démocratie5.
On constate également que, en général, la
représentation la plus élevée des femmes se
trouve dans les pays au système du parti unique,
qui restreint d’habitude le pouvoir et l’autorité
à un petit groupe de loyalistes et où prévalent
les valeurs consacrant la loyauté en lieu et place
de la compétence. D’ailleurs, les programmes
électoraux des femmes dans ces Etats, comme
dans d’autres, sont souvent conformes à ceux
de l’organisation politique mère.
Dans les pays caractérisés par l’économie
de rente ou par l’étendue du clientélisme7, de la
corruption, du népotisme et du favoritisme, les
femmes sont soit écartées du monde politique
au moyen de la loi, soit marginalisées en raison
de leur incapacité à avoir de l’influence et à
faire pression, de manière détournée, sur les
politiques, à l’instar de ce que font les hommes ;
elles peuvent aussi s’en remettre totalement au
pouvoir ou au parti dirigeant en les flattant et en
se rapprochant d’eux grâce aux connaissances
et aux amitiés.
acteurs politiquement
influents en l’absence
des libertés et du
pluralisme politique
dans le monde arabe.
5
Les femmes islamistes sont confrontées dans certains pays arabes à des violations de domicile ce sème entre autres l’effroi parmi les enfants ;
elles sont même utilisées comme otages en vue d’exercer une pression sur leurs proches. Parfois, cela va jusqu’à l’emprisonnement, la torture et le
harcèlement sexuel. Certains gouvernements recourent également à l’expulsion des épouses des prisonniers politiques de leur travail pour sanctionner
toute la famille où pour les obliger à divorcer. En Tunisie, une décision administrative, abrogée récemment, portant le numéro 108, stipulait
l’interdiction du port du voile, les personnes voilées ont été en conséquence l’objet de campagnes de persécution dans les institutions publiques, la
rue, les moyens de transport et les hôpitaux ; elles étaient agressées, leurs habits déchirés et elles étaient appréhendées et conduites dans les postes
de police. Certaines d’entre elles ont été empêchées de passer les examens de l’enseignement public pour la même raison. (Naziha Rajiba, Papier
utilisé pour préparer ce rapport). Cette persécution ne touche pas seulement les femmes islamistes, mais aussi les activistes des organisations qui
prennent leur défense et même tous ceux et celles qui leur viennent en aide.
6
Ce sont des relations de dépendance au terme desquelles un individu fait allégeance à un politicien capable de rendre service à l’individu en
question ou au groupe ou de leur permettre de réaliser un intérêt. (Pour plus de détails voir Waterbury, en anglais,1977).
112
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Les femmes et l’Etat
arabe : coopération ou confrontation.
Les femmes arabes font face à un dilemme
préoccupant, s’agissant du meilleur type de
rapport à entretenir avec l’Etat ; s’agit-il pour
elles de réaliser leurs intérêts en intégrant les
institutions de l’Etat ou bien en agissant de
l’extérieur, dans le cadre des institutions de
la société civile ?7 Certaines études arabes
indiquent que, en matière de promotion des
femmes, il n’y a pas de différences notables
entre les régimes despotiques et les régimes
libéraux (Hatem, en anglais, 1994 : 661-676).
De même, l’augmentation de la représentation
des femmes dans les régimes despotiques,
qui s’accompagne de la marginalisation de
la politique en tant qu’activité publique,
rend confuse leur participation et sépare les
femmes qui sont au pouvoir de leurs bases
au cas où elles en auraient. Cette situation a
un impact négatif sur la revendication de la
promotion des femmes par l’augmentation de
leur représentation politique. Quant à l’action
hors des institutions étatiques, elle provoque
toutes formes de répression et de persécution
à l’encontre des femmes activistes, surtout
lorsque les droits sociaux des femmes sont
articulés à l’insuffisance en matière de droits et
des libertés civiques et politiques de manière
générale.
Les femmes au sein des partis
politiques dans les pays
arabes
Il importe de rappeler tout d’abord que la liberté
de constituer des partis n’est pas garantie dans
les pays arabes. Certains d’entre eux, comme
les pays du Golfe et la Libye, en interdisent
foncièrement la constitution. D’autres les
autorisent au terme de la constitution mais
restreignent leur création ou leur action
ultérieurement par le biais de la loi et dans la
pratique concrète(RDHA, 2004).
Les relations que les femmes ont aux partis
politiques arabes diffèrent selon la période
et l’architecture politique de chaque pays.
De nombreux mouvements de résistance à la
colonisation ont réussi à attirer et à organiser
un grand nombre de femmes tout au long du
vingtième siècle (comme en Tunisie, en Algérie,
en Palestine et au sud Liban), mais, après
l’indépendance, les partis politiques n’ont pas
œuvré, de manière durable, à l’élargissement
de leurs bases féminines. Ils n’ont pas non
plus élaboré des programmes intégrés pour la
promotion des femmes, en tenant compte leurs
différences de situations. Les partis politiques
et les mouvements qui ont justifié les droits
“ octroyés ” aux femmes par la contribution
de celles-ci à la guerre de libération à côté des
hommes, n’ont pas maintenu leur position sur
les droits des femmes, parce qu’ils n’avaient pas
conçu ces droits sur la base du concept d’égalité
en ce qu’elle est une valeur qui s’appuie sur
le droit des femmes en tant qu’être humain à
part entière ou comme citoyenne à part entière
(Azmi Bichara, en arabe, document d’appui du
Rapport).
Les partis nationalitaires (panarabes) et
communistes de la région se sont intéressés
à l’organisation des femmes pour prouver le
caractère progressiste de leurs idées. Mais
nombreux sont les partis arabes, progressistes
ou conservateurs, qui ont eu recours à la
création de corps séparés pour l’organisation
des femmes, dont la direction est souvent
assurée par une femme. Ce genre d’organisation
a donné naissance à un espace “ particulier ”
aux femmes dans l’espace général du parti.
Bien que certains croient que cela pouvait
aider progressivement les femmes à accéder à
la sphère politique publique, le maintien de
cet espace ‘particulier’ a restreint le rôle des
femmes dans le parti et par conséquent dans
la société.
En fait, quand il arrive que les femmes
soient associées à la vie partisane, leur activité
se déploie uniquement au niveau de la base
élargie du parti, et dans le cadre du cercle
familial (Mouna Fayad, en arabe,1998). Les
femmes arrivent rarement à occuper une place
Les partis politiques
n’ont pas œuvré, de
manière durable, à
l’élargissement de
leurs bases féminines.
Ils n’ont pas non
plus élaboré des
programmes intégrés
pour la promotion
des femmes, en
tenant compte
leurs différences de
situations.
7
Pour un suivi de cette polémique, voir : (Yeatmann, en anglais, 1990 et le livre de 1996), (Karam, en anglais, 1998) et (Goetz, en anglais, 1997,
2003).
L’utilisation des capacités humaines
113
Ces partis se sont
donnés récemment
pour objectif
d’organiser les
femmes.
C’est que certains de
ces mouvements ont
parfois combattu les
revendications des
mouvements laïcs de
femmes, consistant
à la tête d’un parti, à l’exception de l’Algérie où
une femme dirige le parti des travailleurs8.
Dans un pays dont le parti au pouvoir qui
se flatte des réalisations qu’il a accomplies au
profit des femmes comparativement au reste
des Etats arabes, on trouve dans le parti du
Rassemblement constitutionnel démocratique
au pouvoir en Tunisie que le pourcentage des
adhérentes est de 20,1%, tandis qu’elles ne
constituent que 2,6% de l’ensemble des chefs
de sections, et il n’y a pas de femmes à la tête
des commissions de coordination qui opèrent
au niveau de chaque wilâya. De même, il n’y
a qu’une seule femme parmi les 8 membres
du bureau politique, et une seule secrétaire
générale adjointe chargée des questions des
femmes9. Au Yémen, le pourcentage des
femmes aux postes de direction de l’ensemble
des partis politiques ne dépasse pas 2%. Le
Congrès Populaire Général, parti au pouvoir,
est crédité de la première place pour ce qui est
du nombre de femmes occupant des postes de
direction (Belkis Abou Asbah, 2004, d’après
Khadija Cherif, document d’appui du Rapport).
Et l’on présume, depuis le sixième congrès, que
les femmes constitueront 15% des dirigeants.
Nous remarquons le même phénomène en
Egypte, puisque la présence des femmes aux
instances dirigeantes des partis n’est que
symbolique. Ainsi, la haute instance du parti
Al-Wafd compte deux femmes parmi les 40
membres, soit 5%. L’on trouve également au
secrétariat général du parti du Rassemblement
trois femmes parmi les 64 membres, soit une
représentation de 4,6%. Dans le Parti nassérien,
seules deux femmes siègent dans le Comité
central, ce qui représente 7,2% de l’ensemble
des membres (Centre égyptien des droits de
l’homme, 2005).
à changer les lois
et les politiques qui
Les femmes dans les
mouvements islamistes.
La situation se présente, jusqu’à un certain
point, de manière tout à fait différente pour ce
qui est de la représentation des femmes dans
les partis islamistes. Ces partis se sont donnés
récemment pour objectif d’organiser les
femmes. Au Hizbollah, au Liban, par exemple,
les femmes s’impliquent dans le cadre des
“ instances féminines ”, structures féminines
du parti. Elles sont actives dans la plupart des
institutions sociales, éducatives, culturelles et
médiatiques du parti. Elles jouent également
un rôle efficace dans la résistance, néanmoins
elles restent absentes des principaux conseils
du parti, comme le “ Choura al-qarar ”, le
Conseil politique, le Conseil exécutif et le
Conseil central (Kasem Kasir, en arabe, 2004).
En Palestine, le Parti Islamique de Salut
National présente une autre configuration de
la présence féminine en son sein, puisqu’elles
constituent environ 27% de sa base, 15% des
membres du bureau politique (la plus haute
instance du parti), (soit 2 membres sur 11) (Jad,
en anglais, 2004a). Nous trouvons également
au Maroc une porte-parole officielle du Cheikh
Abdesselam Yassine10 et du mouvement
Justice et Bienfaisance, qui a en son sein 20%
de femmes dirigeantes.
Les cas cités supra pourraient représenter
un indicateur de la promotion politique des
femmes au sein des mouvements islamistes,
sauf qu’ils sont porteurs de contradictions
d’un autre genre. C’est que certains de
ces mouvements ont parfois combattu les
revendications des mouvements laïcs de
femmes, consistant à changer les lois et les
politiques qui marginalisent les femmes arabes,
comme ce fut le cas de la posture au parlement
koweitien de la koutla islâmiya qui s’est
opposée à l’acquisition des femmes de leurs
droits politiques au vote et à l’éligibilité.
marginalisent les
femmes arabes
8
Madame Louisa Hanoun préside ce parti d’opposition de tendance trotskyste. Elle s’est portée candidate en avril 2003 aux élections présidentielles
pour devenir ainsi la deuxième femme concurrençant les hommes dans le monde arabe après la palestinienne feu Samiha Khalîl qui s’est présenté aux
élections présidentielles contre l’ex-président feu Yasser Arafat en 1995.
9
La page web du Parti du Rassemblement Constitutionnel Démocratique www.rcd.tn
10
Il s’agit de Madame Nadia Yassine, fille du Cheikh Abdessalam Yassine, leader du mouvement Al Adl oual-Ihsan (Justice et bienfaisance) au
Maroc. Madame Nadia se prépare à occuper la place de son père à la tête du mouvement et œuvre à la modernisation de l’image des femmes
islamistes au Maroc. Voir (Yassine, en français, 2005) et (Dahbi, en français, 2004).
114
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Des femmes, des restrictions
et des partis
Si la participation politique des femmes arabes
continue d’être faible, c’est pour des raisons en
partie liées à l’héritage culturel et au système
patriarcal dominant dans les Etats arabes,
comme dans plusieurs autres Etats au monde,
système qui consacre la discrimination par la
non–reconnaissance des capacités des femmes
à assumer des responsabilités, y compris les
responsabilités politiques. Les autres raisons ont
trait à l’état de l’activité politique dans les Etats
arabes et à la nature des partis eux-mêmes. Il
manque, en effet, à l’activité politique un niveau
satisfaisant de sécurité et d’assurance pour les
personnes qui s’y investissent (UNIFEM, 2004,
267-268), ce qui a créé, particulièrement chez
les jeunes générations, une méfiance quant à
l’honnêteté et à la transparence des pratiques
politiques et même un rejet général de l’idée
d’intégrer des partis politiques. Certains
partis adoptent d’ailleurs de moins en moins
l’idée de programmes politiques généraux, à
la faveur de programmes de plus en plus liés
à la personne du chef unique. Par ailleurs, la
tribu revêt parfois l’habit partisan, comme au
Yémen. L’influence des chefferies tribales se
fait clairement voir, écartant ainsi les femmes
qui n’appartiennent pas à la tribu, et donc au
parti : (Nacdhouane Mohamed Essmiri, en
arabe, 2001 : 59-60).
De nombreuses études ont également
indiqué le rôle joué par les codes électoraux
en matière de restriction ou d’augmentation de
la participation des femmes en politique. Au
Yémen, par exemple, une étude montre que le
nombre des femmes candidates aux élections
représentatives est passé de 24 en 1993 à 11
en 2003, avec une seule qui ait remporté les
élections (Sabbagh, en anglais, 2004). On
a expliqué un tel recule par l’amendement
apporté au code électoral qui interdit
l’éligibilité des candidats libres tant qu’ils n’ont
pas obtenu 300 signatures de personnes de leur
circonscription électorale. Ce qui représente
une difficulté pour tous les candidats, et plus
particulièrement pour les femmes, en raison
des difficultés traditionnelles de déplacement
qu’elles rencontrent. En revanche, le nombre
des votantes est passé de 18% en 1993 à 27%
L’utilisation des capacités humaines
en 1997 et à 42% en 2003. Cela signifie que
le processus électoral suscite un intérêt accru
chez les femmes.
Il n’en est pas de même en Jordanie où ont
été votées des lois qui facilitent la participation
des femmes grâce à l’annulation de la carte
électorale et à l’autorisation donnée d’utiliser
la carte d’identité. Par ailleurs, l’ancien système
mettait les femmes et les jeunes sous la coupe
des mâles plus âgés, ce qui constituait une
certaine pression morale. De même pour ce
qui concerne le déplacement, le remplacement
du vote selon le lieu de résidence par le vote
selon le lieu d’inscription a été également un
facteur encourageant (Sabagh, en anglais,
2004). Cependant, certains pensent que la loi
électorale qui institué le scrutin uninominal n’a
pas été favorable aux femmes. De fait, cette loi
a resitué “ le processus électoral dans son cadre
tribal et familial. Sachant que ces structures
préfèrent soutenir la candidature d’un homme
plutôt que d’une femme ” (Emilie Nafagh, en
arabe, 1998).
On retrouve la même situation au Liban où
l’une des entraves les plus importantes devant
la candidature des femmes aux élections,
était le code électoral à caractère familial,
communautaire et confessionnel (Oussama
Maqdissi, en arabe, 2000 : 81). Lorsqu’une
communauté quelconque dispose d’un nombre
déterminé de sièges, c’est rare qu’elle autorise
des femmes à la représenter.
Le poids de plus en plus grand de l’argent
dans les élections dans des pays arabes constitue
un grand obstacle à la candidature des femmes
arabes, surtout lorsqu’on pense à leurs
capacités financières limitées et à la faiblesse de
leur autonomie économique. Ainsi, au Liban,
par exemple, la personne doit verser dix mille
lires libanaises (à peu près sept mille dollars
américains) rien que pour être candidate, sans
compter le coût de la campagne électorale. La
même chose vaut pour les palestiniennes “ aux
ressources financières limitées à cause de la
tradition qui privilégie l’emploi des hommes ”
(Kawar, en anglais, 2001 :20).
La pauvreté et l’analphabétisme sont des
facteurs importants qui entravent sérieusement
la participation politique des femmes. Les
candidats, en effet, sont souvent enclins à
acheter les voix des pauvres. Les hommes
Le poids de plus
en plus grand de
l’argent dans les
élections dans des
pays arabes constitue
un grand obstacle à
la candidature des
femmes arabes
115
Certains évoquent, par
ailleurs, l’incapacité
des femmes à utiliser
les “méthodes
des hommes”
consistant dans
l’usage de la force
et des “magouilles”
(la baltaga selon
l’expression
égyptienne), sans
parler du dénigrement,
attentatoire à
la moralité des
femmes, auquel leurs
adversaires ont la
plupart du temps
recours.
et les chefs de tribus sont souvent rétribués
pour canaliser les voix de leurs femmes vers
un candidat déterminé. De même que sont
exploitées les analphabètes ou les femmes
nécessiteuses pour leur suggérer de voter pour
tel ou tel candidat. Les femmes, plus que les
hommes, se trouvent dans ce cas victimes des
pressions familiales et tribales.
Certains évoquent, par ailleurs, l’incapacité
des femmes à utiliser les “méthodes des
hommes” consistant dans l’usage de la force et
des “magouilles” (la baltaga selon l’expression
égyptienne), sans parler du dénigrement,
attentatoire à la moralité des femmes, auquel
leurs adversaires ont la plupart du temps
recours. Le recours à la violence s’est étendu
au point de devenir une caractéristique des
élections dans plusieurs pays arabes ; ainsi
les électeurs favorables à un candidat sontils empêchés par la force par les soutiens du
candidat rival d’atteindre les bureaux de vote.
Des candidats ont été l’objet de menaces de
mort en Jordanie, en Egypte, en Algérie et au
Yémen (UNIFEM, 2004 : 280). Des candidates
aux conseils locaux en Palestine ont été rouées
de coups de la part de leurs familles pour
les empêcher par la force de déposer leurs
candidatures, auxquelles elles n’étaient pas
favorables ou parce que la famille préfère un
candidat homme.
Les réalisations des
femmes dans les domaines
des activités humaines et
créatives.
Les compétences
intellectuelles et
scientifiques des
femmes arabes se sont
manifestées durant
les trois dernières
décennies.
116
Avec le développement des universités et
des instituts nationaux dans la majorité des
pays arabes et la fréquentation féminine sans
précédent de l’enseignement supérieur, les
compétences intellectuelles et scientifiques
des femmes arabes se sont manifestées durant
les trois dernières décennies. Cependant, il
existe toujours un écart entre les hommes et les
femmes, favorable aux premiers, en termes de
nombre de savants et de chercheurs dans les
domaines scientifiques, même si l’écart est par
contre favorable aux femmes dans les domaines
des sciences humaines, de l’éducation et de la
littérature ( UNESCO, 2003 : 6).
On peut remarquer que la présence des
femmes arabes est toujours beaucoup plus
importante dans les activités intellectuelles,
littéraires et médiatiques que dans les
activités scientifiques, sportives et artistiques,
singulièrement le théâtre. Cela est peut-être
dû au fait que la contribution des femmes
arabes à la création théâtrale a été tardive en
comparaison avec les autres genres de création ;
rares sont à la fois les écrivaines de pièces de
théâtre et ces pièces elles-mêmes. Il se pourrait
également que le financement insuffisant
de la part de l’Etat de la création artistique,
écrite ou visuelle, ait sa part de responsabilité
dans cette situation, comme, d’ailleurs, la
campagne menée par certains mouvements
fondamentalistes radicaux rétifs à la création
visuelle en général, qu’il s’agisse du théâtre
ou du cinéma ou encore la rareté de l’écriture
théâtrale dans le monde arabe en comparaison
avec les autres genres artistiques.
L’implication des femmes arabes dans le
domaine de l’écriture remonte, à peu près,
au début du vingtième siècle, au moment où
l’Egypte et le Liban étaient le fief de la presse
arabe féminine.
A la fin du vingtième siècle, le nombre
des femmes de lettres au Mashreq arabe a
été estimé à 475, majoritairement en Egypte,
(167), en Syrie et en Palestine (avec 81 femmes
chacune). (Le Conseil Supérieur de la Culture,
Fondation Nour, 2002) Il est importe de noter
ici que le nombre de femmes arabes créatrices
est en augmentation, bien qu’elle soit lente,
sauf en Irak, où la diffusion de la création des
femmes arabes auprès du public commence à
diminuer. De même, la qualité de l’écriture,
les styles et les différents modes d’expressions
utilisés dans le traitement de leurs sujets par
un grand nombre de femmes arabes créatrices,
laissent entrevoir qu’elles font évoluer le métier
de l’écriture et qu’elles essaient de cerner une
réalité sociale de plus en plus complexe.
Dans le domaine du sport, la contribution
des femmes reste modeste. Elle régresse même
du fait de l’insuffisance des infrastructures
sportives nécessaires, que ce soit dans les
écoles ou dans les universités et à la lutte, et
aussi en raison le combat mené par certaines
forces fondamentalistes radicales contre la
participation des femmes à ce genre d’activités.
Dernièrement, Certains sports, typiquement
Rapport sur le développement humain arabe 2005
“féminins”, ont vu le jour dernièrement,
particulièrement dans les pays du Golfe.
Cependant, bien que ces sports conviennent
parfaitement à la constitution physique de la
jeune fille arabe, ils n’encouragent pas en fait
au changement des stéréotypes sur les femmes
et les hommes et n’encouragent pas les femmes
à se professionnaliser dans le sport et à en faire
un métier à l’instar des hommes sportifs.
les différents domaines de l’activité humaine.
Nous célébrons tout au long de ce rapport un
petit échantillon de femmes ayant brillé au
moyen d’encadrés mis en exergue tout au long
de ce chapitre. Nous présenterons dans ce qui
suit des indications rapides sur la contribution
des femmes dans différents domaines de
l’activité humaines dans le monde arabe.
Première génération
Réalisations remarquables
de femmes arabes
Malgré le contexte social défavorable ou tout
au moins décourageant pour les femmes, qui a
fait naître les tendances générales signalées dans
le dernier chapitre, l’histoire arabe ancienne et
contemporaine est riche en femmes célèbres
ayant été au faîte des réalisations humaines dans
La première génération réunit les premières
pionnières les plus importantes, comme Houda
Chaâraoui, qui a initié en Egypte, en son temps,
une renaissance proche d’une révolution
sociale. Elle a fondé et dirigé “ L’Union
Générale des Femmes ”, qui était en relation
avec les unions des femmes à travers le monde
arabe et le monde. Au Liban, il y avait Ibtihaj
Malgré le contexte
social défavorable
ou tout au moins
décourageant pour
les femmes, qui a fait
naître les tendances
Graphique 3-7
Pourcentage des femmes arbes chercheurs par spécialisation
générales signalées
dans le dernier
GZaVi^dchejWa^fjZh
ZiYdXjbZciVi^dc
chapitre, l’histoire
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arabe ancienne et
contemporaine est
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riche en femmes
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différents domaines
de l’activité humaine.
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HdX^dad\^Z
Source: Bayyumi, Hatit and Ghandur, in Arabic, 1999.
L’utilisation des capacités humaines
117
les femmes écrivaines
ont confirmé qu’elles
écrivaient, étaient
capables, qu’elles
égalaient leurs
collègues hommes, et
les surpassaient même
parfois.
118
Kaddoura, avant–gardiste dans le domaine
social, elle a senti le besoin de la société à
l’entraide et à la coopération pour faire face
à des problèmes divers et variés, au point que
Anbara Salam Al-Khâlidy, autre pionnière de
son temps dit d’elle : “ Ibtihâj, c’est l’histoire de
la renaissance féminine contemporaine dans ce
pays … c’est une immense institution, qui s’est
élevée au Liban, et les regards des femmes de
tous les pays arabes se sont tournés vers elle.”
Elle dit également : “ Elle était la première voix
féminine qui s’est élevée dans notre Mashrek
arabe revendiquant les droits politiques des
femmes… ” Elle n’était pas seule sur la scène,
elle était accompagnée de ses collègues femmes,
audacieuses, coopérantes et croyant en l’action
collective.
Nous ne pourrons citer ici toutes les
femmes de la première renaissance, nous nous
contenterons de quelques noms, de spécialités
et domaines divers : Julia Taama Damachqia,
fondatrice de la revue al-mar’atu al-jadîdatu
(La femme nouvelle), l’une des vingt-quatre
publications éditées par des femmes à l’aube
du siècle écoulé ; les deux sommités de la
médecine au Liban, Anas Baz et Saniyya
Habboub, qui se sont imposé à un moment
où l’université refusait que les étudiantes aient
accès aux facultés de médecine. Rouz AlYoussouf, femme unique de son temps, qui
a dit cette phrase célèbre : “ J’ai fait de moimême cette dame que je suis”. Elle figurait
parmi les pionniers du théâtre et parmi les
meilleures actrices avant de fonder Dâr Rouz
Al-Youssouf qui compte toujours parmi
les maisons de presse les plus importantes.
D’autres femmes d’éducation et écrivaines ont
marqué leur temps de leur forte emprunte,
comme Widâd Al-Maqdisy, Anbara Salam
(Liban) et Marie Ajmi (Syrie).
L’écriture féminine ne connut pas époque
aussi remarquable et avancée avant Miy Ziyâda,
qui se désignait comme la “ demoiselle Miy ”.
Se présentant, elle écrivit : “ Je suis née dans
un pays, mon père est originaire d’un pays,
ma mère d’un autre encore, je réside dans
un tout autre pays … les fantômes de moimême se déplacent d’un pays à l’autre ; à quel
pays puis-je appartenir alors et lequel dois-je
défendre ? ”.
Miya, qui a vécu et livré par écrit une telle
perplexité, appartient en fait à tous les pays
arabes. Elle a écrit nombre d’ouvrages, traduit à
partir de plusieurs langues et collaboré avec de
grands hommes de lettres sur un pied d’égalité
et en sa qualité d’associée. Elle a provoqué
une révolution littéraire et sociale lorsqu’elle a
lancé “ La Conférence du mardi ”, son salon
littéraire célèbre, qui était un espace de liberté
vers lequel poètes et écrivains se précipitaient,
munis de leurs productions, pour lire, discuter
et contribuer à la fécondation de cet âge d’or,
unique dans l’histoire de la littérature arabe
contemporaine. Rien d’étonnant, finalement,
pour une époque qui a compté parmi ses
pionniers des écrivains et des poètes comme
Ahmed Chawki, Lotfi Sayyid, Khalid Matrân,
Chabli Chmeyyel, Taha Hussein, Georgy
Zaydan, Abbas Mahmoud Al-Akkad, Yacoub
Sarrouf, et autres encore. La seule dame qui
faisait partie des pionniers du salon, c’était
l’écrivaine Malika Hafni Nasef (Imili Nasrallah,
document d’appui du Rapport).
La création littéraire
Des plumes féminines ont percé dans l’univers
littéraire ; elles se sont exprimées avec audace
et esthétique. Certaines ont surpris critiques et
lecteurs. De sorte que plus personne ne pouvait
adresser à une écrivaine une question telle que
“ qui écrit pour vous ? ”
Oui, les femmes écrivaines ont confirmé
qu’elles écrivaient, étaient capables, qu’elles
égalaient leurs collègues hommes, et les
surpassaient même parfois.
Parmi les noms qui ont émergé dans
les années soixante du siècle dernier et qui
continuent de marquer la scène littéraire,
on peut citer les romancières Layla baâlabki
et Layla Osayrane, suivies par Hanane EchCheikh, Houdâ Barakate et Miya Monassa
(Liban), Salwâ Baler, Radwa Achour (Egypte)
et Colette Khoury (Syrie). Au Koweït, l’écriture
de Layla Al-Othman s’est fait remarquer au
point qu’elle a failli la conduire en prison. En
Irak, Nazeh Al-Malâika était à l’avant-garde
des pionniers de la poésie moderne et avec
elle il y avait Lamia Abbas Imara, alors que
Dizi Al-Amir a excellé dans la nouvelle (Imili
Nasrallah, document d’appui du Rapport)
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Une femme brillante : Fadwa Toukane (1917-2003) extrait de son autobiographie
A l’âge de six ans, j’entrai à l’école publique des
filles à Naplouse. A onze ans, ils m’ont mis le voile et
contrainte à rester à la maison. Mon frère, le poète
feu Ibrâhim, découvrit mon penchant instinctif à la
poésie. Il s’est alors intéressé à mon cas et devint
mon professeur, qui m’a appris l’art de la poésie. Je
suis la création de Ibrahim et c’est lui mon créateur
littéraire.
J’étais au regard de mes cousins la fausse note
et la brebis égarée. Mon adolescence et mon enfance
étaient une cible à l’épée du “ tortionnaire ” que
j’ai évoqué dans mon premier recueil publié en
1952. Le fouet ou l’épée s’abattait sur ma puberté
aux prétextes des traditions et des normes morales
stupides. En réalité, les pressions qu’ils exerçaient
sur moi étaient pour soulager une haine et une
colère à cause de la voie de la poésie dans laquelle
je me mis à m’engager et à laquelle je commençais
à consacrer ma vie avec un mysticisme surprenant.
Ils s’habillaient à la manière européenne, parlaient
anglais, français et turc, mangeaient avec fourchettes
et couteaux et tombaient amoureux. Et pourtant, ils
me surveillaient à cause de mes aspirations et de mon
désir de me réaliser moi-même par le moyen de la
poésie, de la culture et du savoir.
Ils incarnaient ce dédoublement de la
personnalité arabe ; une partie est favorable à
l’évolution et à l’accompagnement des rythmes de
la vie contemporaine, l’autre partie est sclérosée,
paralysée et habitée par un égoïsme ancré dans
l’homme arabe, avec tout ce que cela implique
comme démarche orientale à travers laquelle il a
continué à traiter la femme. Dans ce climat, je ne
pouvais pas interagir avec la vie avec la force que se
doit d’avoir le poète. Ainsi, mon unique univers dans
cette terrible réalité, marqué par un vide sentimental,
se réduisait à l’univers des livres, des études et de
l’écriture, alors que ma féminité gémissait comme un
animal blessé dans sa cage.
Mes thèmes poétiques étaient variés et alternaient
entre les tendances subjectives, contemplatives,
humaines et nationales.
Après la première nakba (tragédie) de la
Palestine, la transformation sociale, qui se produit
généralement après la guère, commence à prendre
son cours dans ma ville Naplouse. Et le voile tomba.
La femme moderne a pu ainsi émerger et évoluer.
Les perspectives de l’enseignement supérieur lui sont
devenues accessibles. Elle acquit son indépendance
économique et moi je quittai le “goulot du harem ”
pour la vie que je touchais de mes propres doigts et
qui me touchait à son tour. Ma poésie allait acquérir
plus de maturité et faire des expériences plus denses.
Après la guerre de 1967, j’ai consacré ma poésie à
la résistance à l’occupation sioniste. Mes rencontres
avec le public se sont multipliées lors de colloques
sur la poésie, finalement interdites par les autorités
d’occupation. Il y a une expression célèbre de
Dayan, ancien ministre israélien de la défense, où il
dit que chaque poème produit par Fadwa Tokane
œuvre à la naissance de dix hommes de la résistance
palestinienne.
En 1978, j’obtins le Prix de la Poésie que la
commission culturelle italienne de Palerme décerne
aux poètes de la région du pourtour méditerranéen.
Les femmes arabes ont joué un rôle remarquable
dans la naissance effective du cinéma. Le
même rôle dont elles se sont acquittées lors du
processus de la libération sociale et de prise de
conscience politique que l’Egypte a connu au
début du vingtième siècle. Bien que la naissance
du cinéma ait eu lieu en 1896, le monde arabe,
et l’Egypte en premier lieu, a accueilli, la même
année, cet art nouveau qui a rapidement connu
une véritable diffusion sur une large échelle
avant que son contenu ne se traduise dans
une production visuelle égyptienne et arabe
proprement dite. Les femmes ont contribué à
en élaborer l’horizon culturel et artistique sur
les plans de la production, de la comédie et de
la réalisation.
Le cinéma arabe/égyptien a pu naître grâce
L’utilisation des capacités humaines
égyptien a pu naître
grâce aux efforts des
femmes. Celles–ci
sont devenues par
la suite une matière
vivante dans des films
qui les ont présentées
comme une grille
de lecture de la
réalité ou comme un
Source: Campbell, 1996.
La création artistique : le cas du cinéma
Le cinéma arabe/
miroir où se reflète
aux efforts des femmes. Celles–ci sont devenues
par la suite une matière vivante dans des films
qui les ont présentées comme une grille de
lecture de la réalité ou comme un miroir où se
reflète l’esprit, l’âme et les sentiments qui leur
sont propres en tant qu’êtres vivants ou encore
comme une tribune à travers laquelle on peut
apercevoir les différents détails de la société
de la société, de la culture, de l’éducation, de
la conscience, de l’art et de la science. Bien
que le climat social dominant à l’époque fut
imprégné d’une éducation religieuse fermée,
d’une culture traditionnelle conservatrice
et d’un contexte social lourd, autant de
facteurs qui se sont conjugués pour priver les
femmes de nombreux droits, mais celles-ci
ont compris que sortir de ce tunnel obscur
était possible si les conditions de sortie étaient
réunies remplies : que les femmes prennent
l’esprit, l’âme et les
sentiments qui leur
sont propres en tant
qu’êtres vivants.
119
Une femme brillante : Salma Khadra Jayyussi
La doctoresse Salma Khadra Jayyussi est écrivaine, poétesse, critique
littéraire est professeur arabo-américaine. Elle a grandi à Akka et
à Al Qods. Citoyenne palestinienne, elle fut parmi les premiers
créateurs du mouvement poétique arabe contemporain, issu, pour
la première fois, de la nakba (tragédie). Elle fut également parmi
les premières poétesses dont les textes sont publiés dans la revue
Thelibanaise
worksMajallat
of al-adîb. Sa production poétique est couronnée par
la publication de recueils de poésie divers, entre autres al-awdatu
mina au-nabεi
al-hâlim (littéralement : Le retour de la source
pioneering
feminists
rêveuse), en 1960.
... evince
joy ina the
SalmaaJayyussi
obtenu en 1945 une licence en littérature arabe
et en littérature anglaise à l’université américaine de Beyrouth. Elle
discovery
of unknown
a ensuite obtenu
un doctorat en littérature arabe de la Faculté des
Etudes orientales et africaines de l’Université de Londres.
“continents”
Dès l’obtention de son doctorat en 1970, elle entama une vie
professionnelle
in the
history, comme professeur de littérature arabe, à Khartoum
d’abord, (1970-1973), ensuite aux universités d’Alger et de
Constantine
entre 1973
heritage,
beliefs
and et 1975.
Elle est invitée en 1975 par l’Université de Yotah en qualité de
renaissance
of thede littérature arabe. Elle resta aux Etats-Unis et
professeur visiteur
enseigna dans diverses institutions académiques, dont les universités
Arab
world.Washington et Texas.
de Yotah,
Elle lança, alors qu’elle était aux Etat–Unis, le Projet de
traduction des Lettres arabes (PROTA) en vue de traduire la
littérature arabe en anglais et dans d’autres langues, aspirant ainsi
à faire disparaître les fossés entre les cultures. PROTA se donnait
pour mission de “ diffuser la culture et la littérature arabes à
l’étranger ”. En moins de dix ans, le projet a permis la publication
d’un certain nombre d’ouvrages traduits, et a largement contribué
à la publication d’un ensemble de ressources en anglais sur la
littérature arabe en particulier. A la fin des années quatre-vingt du
siècle dernier, Jayoussi lança une autre branche de PROTA, dédiée à
la traduction des études de la culture arabe, en plus de la traduction
des oeuvres littératures, branche depuis connue sous le nom “ Ligue
entre Orient et Occident ”.
PROTA a pu, suite à cela, publier un très grand nombre de
livres, comprenant des anthologies et des oeuvres indépendantes. Et
parmi les recueils remarquables traduits par PROTA et rédigés par
la doctoresse Salma Al-Jayoussi, il y a la Littérature de la Péninsule
arabique moderne et l’Encyclopédie de la littérature palestinienne
contemporaine. Elle a réalisé plus de 40 oeuvres littéraires, dont
neuf anthologies de littérature arabe. Elle a écrit également d’autres
livres, dont “ Le patrimoine de l’Espagne musulmane ” et l’épopée
populaire célèbre “ Les aventures de Sayf Ibn Dî Yazan ”, faisant
partie des travaux publiés par “ La Ligue Orient Occident ”.
Elle a également publié deux livres sur Jérusalem, le premier, en
collaboration avec Thomas Thompson, est intitulé “ Jérusalem, dans
l’histoire ancienne et dans les coutumes ”, le second, “ Jérusalem,
articles, souvenirs et poésie ”, en collaboration avec Dâfir Ishâq AlAnsâri.
Sources : Université d’Arizona : (1994). (La visite a eu lieu le 17 mars 2006) http: //fp.arizona.edu/mesassoc/Bulletin/allen.htm
“ Centre culturel Khalil Sakâkinî. (La visite a eu lieu le 17 mars 2006).
Une femme brillante : Oum Kalthoum (mai 1904-janvier 1975).
“ L’astre de l’orient, Oum Kalthoum ”, c’est ainsi
que des millions de personnes l’ont appelée dans le
monde arabe tout au long d’un demi-siècle au cours
duquel elle a su donner au public sans discontinuer
et elle a pu avoir un succès extraordinaire grâce à sa
belle voix, son chant extraordinaire, son expression
captivante et grâce aux plus belles paroles et à la
plus belle musique que les gens aient fredonnées.
Le passage de statut de petite paysanne dans
un village à celui d’“ Astre de l’Orient ” est le
cheminement d’un combat et d’une persévérance
pour l’excellence, que Oum Kalthoum n’a pas arrêtés
jusqu’à la fin de ses jours. En temps de guerres et de
conflits, au milieu des rois comme parmi les petites
gens, Oum Kalthoum a chanté à la gloire et à la fierté
de tous, ses chansons ont émerveillé et fait vibrer au
plus profond d’eux-mêmes les Arabes d’Orient et
d’Occident, des décennies durant
On dit à son propos que rien n’a pu unir
les Arabes comme a pu le faire la voix d’Oum
Kalthoum. La chanson interprétée par elle
est devenue le symbole de l’arabité, le vecteur
unificateur de l’affect arabe et l’expression par la
parole, la mélodie et l’interprétation des sentiments
arabes authentiques.
Oum Kalthoum était connue pour sa forte
120
personnalité, et le respect qu’elle avait d’elle-même
et de son art. Elle a ainsi réussi à avoir le respect
des rois et des zouamas (chefs d’Etats) comme du
peuple ; elle était aimée partout et se distinguait
dans le monde de l’art et dans la société à un niveau
si élevé, jamais atteint par une chanteuse en Orient.
Quand l’Egypte a essuyé la fameuse défaite de
1967, l’artiste a décidé de créer une instance de
rassemblement national et a organisé une tournée
hors d’Egypte pour soutenir l’effort de guerre.
Oum Kalthoum a obtenu de nombreux prix et
décorations lors de ses nombreux et longs voyages
artistiques. En 1955, elle a été décorée au Liban de
la Médaille du Cèdre et du Prix du mérite premier
ordre. En 1968, elle a reçu le Prix d’Etat du mérite
égyptien. En Jordanie, elle a été décorée à l’insigne
de la renaissance, le grade les Deux affluents en
Irak, le Prix du mérite syrien, l’Etoile du mérite
pakistanais, le Grand Cordon de la république en
Tunisie en 1968 et Wissam al kafaa marocain.
Les chansons de Oum Kalthoum font toujours
battre le cœur de nombreuses gens et occupent le
haut des ventes dans le monde arabe jusqu’à nos
jours.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Une femme brillante : Fairouz (novembre 1935)
Fayrouz : chanteuse exceptionnelle. Son véritable
nom est Nouhad Hadâd. Née au Mont Liban, au
Liban. Elle s’est inscrite à l’Institut du Conservatoire.
Le compositeur Wadiî Sabrâ, directeur de l’Institut
à l’époque, refusa qu’elle paie les moindres frais
d’inscription.
Soutenue par les frères Fulayfil, elle devient
membre de la chorale de la radio libanaise. Elle
fit partie de cette chorale pendant deux mois. Le
compositeur Halîm Ar-Roumi ayant été séduit par
sa voix, lui a proposé de chanter en solo. Il lui a
également demandé de choisir entre deux noms
artistiques, Fayrouz ou Chahrazad. Elle choisit alors
d’être Fayrouz. Halîm Ar-Roumi a décidé en 1951
de la présenter aux frères Rahbani, Assi et Mansour,
qui travaillaient à un projet de chanson exceptionnel
et différent, qui s’appuie sur la revivification du
patrimoine libanais en utilisant un style moderne de
composition musicale
Les premières apparitions de Fairouz et des
frères Rahbani ont eu lieu en 1956 au Festival de
Baâlabak. De plus en plus célèbres, ils vont donner
des concerts partout dans le monde. Fayrouz ne s’est
pas contentée de collaborer avec les frères Rahbani,
mais elle a travaillé avec plusieurs compositeurs,
comme Muhammad Abdelwahab et Filimoun
Wahba. Elle a en même temps réinterprété certaines
chansons du compositeur Sayyid Darwich, comme
Zourouni kulli sana marra (Venez me voir une
fois tous les ans) et d’autres encore. Elle a également
joué l’héroïne de plusieurs pièces de théâtres et
de comédies musicales à succès dont entre autres,
Loulou, bayyâa al-khawâtim, Ayyâm FakhrEddine, El-Mahatta jisr al-qamar, mîss ar-rîm. A
la fin des années soixante-dix, Fairouz et Assî se sont
séparés. Elle a continué cependant à interpréter des
chansons que son fils Ziyâd composait pour elle.
Fairouz a refusé de quitter Beyrouth durant la
guerre civile libanaise. Elle s’est remise à chanter dès
la fin de la guerre. Ce retour marque une nouvelle
période de collaboration avec son fils Ziyâd Rahbani
qui développe une nouvelle vision de la musique
qui consiste à marier de la plus belle des manières
la musique orientale et la musique occidentale. Le
premier album ainsi produit s’intitulait kifek inta
(Comment vas-tu ?) Ses succès musicaux se sont
succédé depuis, le dernier en date est l’album wala
kaif (Ne me dites pas comment), sorti en 2001. En
2005, elle a été désignée Docteur honoris causa par
l’université américaine de Beyrouth pour sa voix.
Sources: “Fairouz.” (2006).http://www.fairouz.com/fairouz/tribute/fb.html (Accessed 24 March, 2006).
“Fairuzonline.” (2006). http://www.fairuzonline.com/alegend.htm (Accessed 24 March, 2006).
Toute personne qui
lit les travaux des
pionnières féministes,
remarquera cette
fascination devant
la découverte de
continents inconnus
de notre histoire,
notre patrimoine,
notre dogme et
notre renaissance,
qui font pour elles
conscience qu’elles sont des êtres humains
qui disposent d’une aptitude au savoir et à la
science, et qu’elles sont une partie prenante
de la société, de l’éducation et de la culture.
Grâce à un mouvement politique, social et
culturel au sein duquel elles ont occupé une
place remarquable, les femmes égyptiennes et
arabes se sont libérées du cercle étroit que la
société masculine a construit pour elles (Houda
Chaâraoui, par exemple).
L’arrivée de femmes arabes, dès la fin
du dix-neuvième siècle, pour travailler dans
le domaine de la musique et de la chanson,
comme Assia Dagher, Marie Kouini, Aziza
Amir et d’autres, a permis au cinéma arabe
de commencer à se frayer son propre chemin,
lentement et difficilement, en vue de créer un
nouveau produit artistique. Grâce à ces artistes
femmes, des créations variées ont vu le jour
et ses ont étendu à d’autres arts, comme la
danse, la chanson, la musique et la production
cinématographique, sans que soient oubliées
l’écriture littéraire, la lutte politique, artistique
et sociale (Nadim Jarjoura, document d’appui
du Rapport).
L’utilisation des capacités humaines
office de bouées de
Les réalisations des femmes dans la
production du savoir
sauvetage auxquelles
Les sciences sociales
elles s’accrochent et
Nous célébrons ici les excellentes réalisations
féminines dans la production du savoir ;
autrement dit celles qui ont introduit une
innovation, une révolutionnarisation de ou une
rupture par rapport à la connaissance acquise.
Nous focaliserons sur les chercheuses
“féministes” pour faire apparaître la singularité
de leurs thèses, particulièrement au regard de
la problématique de l’authenticité et de la
contemporanéité, problématique qui touche
profondément à la situation des femmes dans
nos sociétés, oscillant en permanence entre le
modèle occidental moderniste et le modèle
traditionaliste émanant d’un patrimoine aux
aspects complexes sur les plans religieux et
moral.
Toute personne qui lit les travaux des
pionnières féministes, comme Naoual EsSaâdaoui et Fatima Mernissi, par exemple,
remarquera cette fascination devant la
qui les aident et les
sauvent dans cette
lutte acharnée pour
mettre les pieds hors
des frontières, pour
s’éloigner du seuil du
harem, avec tout ce
que ce mot connote
comme répression,
privation et exclusion.
121
Encadré 3-6
Une femme brillante : une arabe qui rejoint en France les Immortels
Le 16 juin 2005, l’Algérienne Assia Djebar a été élue
membre de l’Académie française, connue sous le
nom “ Les Immortels ”. Elle eut auparavant le Prix
Neustadt de littérature universelle en reconnaissance
de sa capacité à “ dépasser les frontières culturelles,
linguistiques et historiques ” dans sa production
poétique et romanesque, prix déjà obtenu par
Gabriel Garcia Marquez. Assia Djebbar est aussi une
réalisatrice primée à la Biennale de Venise en 1979.
Elle écrit essentiellement en français, mais ses œuvres
sont traduites dans plusieurs langues.
Luminary: Nawal Saadawi
Un groupe de
femmes arabes s’est
Elle a beaucoup milité pour les droits des femmes.
Elle a écrit sur la société, la pensée, le patrimoine,
la politique et la liberté. Elle compte parmi les
plus célèbres écrivains égyptiens de renommée
internationale et ses écrits ont été traduits dans plus
d’une douzaine de langues. Elle a rejoint l’Université
du Caire où elle a obtenu le doctorat en psychologie
en 1955. Elle a, ensuite, commencé à travailler dans
le secteur de sa spécialité, et à pratiquer la médecine
générale, jusqu’à ce qu’elle devienne responsable au
ministère de la Santé. Elle a beaucoup écrit sur les
femmes arabes et sur leur situation désastreuse. Elle
a appelé à leur émancipation vis-à-vis des restrictions
sociales et à leur participation à la vie politique et
économique. Elle ne s’est pas contentée de l’écriture,
mais a exercé une activité syndicale et associative.
A ce titre, elle a mené des enquêtes de terrain sur
les femmes dans différents endroits d’Egypte. Elle
a participé à des colloques et des conférences à
l’échelle régionale, arabe et internationale. En raison
de ses nombreux écrits relatifs à ses positions sur la
religion et la politique, sa vie est menacée par certains
extrémistes. C’est pourquoi il a été ordonné de mettre
sa résidence à Al-Jiza sous surveillance, jusqu’au
moment où elle a quitté le pays pour travailler
comme professeur conférencier dans les universités
de l’Amérique du Nord.
Source: Fouad, background paper for the Report.
fait remarquer par
des contributions
sans égal dans les
domaines des sciences
naturelles et exactes.
122
découverte de continents inconnus de notre
histoire, notre patrimoine, notre dogme et
notre renaissance, qui font pour elles office
de bouées de sauvetage auxquelles elles
s’accrochent et qui les aident et les sauvent
dans cette lutte acharnée pour mettre les pieds
hors des frontières, pour s’éloigner du seuil du
harem, avec tout ce que ce mot connote comme
répression, privation et exclusion. Il semble que
la situation des chercheuses et pionnières qui
se sont réfugiées dans la modernité et la laïcité
et ont provoqué une rupture définitive avec la
tradition et la religion ne pouvait certainement
pas être différente. Bien évidemment, on ne
peut pas ne pas reconnaître le rôle important
de ces écrivaines qui fascinent le lecteur
par leurs brillantes intuitions et leur audace
imprévisible, malgré un contexte historique,
social et religieux souvent hostile, même sous
les régimes nationaux les plus progressistes, à
l’époque de la libération du joug colonial.
L’inimitié à l’égard de l’institution
académique masculine résidait au fond de cette
écriture libérée des règles méthodologiques
rigoureuses, surtout que ces écrivaines ont
toutes adopté dans la logique dualiste aiguë et
catégorique, fondée sur l’opposition masculin/
féminin. Quoi qu’il en soit, la génération
suivante, dont l’écriture sera caractérisée par
une posture scientifique plus pondérée, saura
dépasser cette question, sans pour autant
perdre de son orientation féminine spécifique
(Hala Fouad, document d’appui du Rapport).
Parmi les phénomènes récents les plus
marquants dans le domaine de la production du
savoir et de sa diffusion dans une perspective
féminine, on peut noter la constitution, par
des femmes, avec parfois la participation de
collègues hommes, de groupes de recherches,
de discussion et de diffusion en vue de la
promotion des femmes dans le monde arabe.
Les sciences naturelles et exactes
On peut ne pas être surpris de voir des femmes
arabes exceller dans les domaines de la création
littéraire et artistique ou dans certains domaines
du savoir qui sont sensés leur “convenir”,
selon une croyance partagée, comme ceux des
sciences humaines et sociales.
Et pourtant, un groupe de femmes arabes
s’est fait remarquer par des contributions sans
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Une femme brillante : Fatema Mernissi
Chercheuse et écrivaine marocaine, elle a étudié
en France et en Amérique. Elle travaille en tant
qu’enseignante chercheuse à l’Institut Universitaire
de la Recherche Scientifique, Université Mohammed
V – Rabat. Elle est également membre du Conseil
consultatif de l’Université des Nations Unis.
Elle écrit en anglais et en français et tous ses
ouvrages ont été traduits à l’arabe. Elle dirige
plusieurs groupes de recherche en sociologie
et plusieurs séries de publications relatives aux
champs des femmes et de la sociologie. Elle a publié
plusieurs ouvrages dont à titre d’exemple : Le sexe,
l’idéologie et l’islam, 1983 ; Le Harem politique (le
prophète et les femmes), 1983 ; Sultans oubliées
(femmes chefs d’Etat en islam) 1994 ; Le Harem
européen, 1987 ; Rêves de femmes : contes d’
enfance au harem (traduit de l’anglais : Dreams of
trespass : tales of a harem girlhood), 1994
Fatima Mernissi est considérée comme l’une
des plus grandes chercheuses dans le domaine
des études féministes dans une perspective
sociologique.
Si l’on s’arrête rapidement sur les plus
importantes de ses œuvres, on constatera que
Le Harem politique (le prophète et les femmes)
occupe la première place de ces travaux. Dans
ce livre, Mernissi investit un espace des plus
sensibles, pour ne pas dire un espace tabou, de
notre patrimoine musulman. Il s’agit d’un espace à
caractère problématique qui continue de dérouter
et de susciter des questionnements chez nombreux
et nombreuses d’entre nous, même si nous ne le
déclarons pas ou omettons délibérément de le
faire. Elle aboutit, à travers une lecture intelligente
et captivante, à des résultats choquants, eu égard
aux habitudes et conventions. Sultanes oubliées est
l’ouvrage qui vient en deuxième place en importance
et en audace. Mernissi y discute la problématique
du pouvoir en Islam, elle introduit une séparation
tranchée entre, d’un côté, le dirigeant politique
séculier et, de l’autre, le Calife, ombre d’Allah
sur terre et chef spirituel des musulmans, à qui
incombe l’application de la shariâ ou loi islamique.
Mernissi nous présente ensuite sa lecture propre
et captivante des biographies de certaines femmes
ayant pris le pouvoir dans différentes régions du
monde musulman, mais qui ont été reléguées
dans le coin de l’oubli par l’histoire, ont été
marginalisées ou introduites par les historiens, avec
des prises de position aux connotations machistes
qui ont transformé ces expériences de femmes en
des moments de démoralisation de la nation et de
sa décadence au moins.
Source: Fouad, background paper for the Report.
Une femme brillante : Zoha Hadid, “ La dame ” de l’architecture internationale.
L’architecte irakienne, Zoha Hadid, est devenue
une sommité internationale dans sa profession qui
conjugue art, science et technique. Elle obtint une
licence en mathématiques à l’Université américaine
de Beyrouth. Elle a étudié l’architecture à la fameuse
école d’architecture la AA de Londres. En 1982,
alors qu’elle était répétitrice à la même école, elle
remporta, sur 538 architectes, le concours pour le plan
d’architecture du building The Peak à Honk Kong.
Par la suite, elle remporta une série de compétitions
internationales, dont celui en 1996 du Habitual
bridge, au milieu de Londres, et qui comprend des
théâtres, des complexes cinématographiques des
hôtels et des restaurants.
Au début du 21e siècle, il a été donné à Zoha
Hadid de concevoir et d’exécuter une série de grands
projets architecturaux, dont le musée D’art moderne
à Cincinnati Art Museum aux Etats-Unis, le Musée
d’art moderne à Rome, l’usine de fabrication des
voitures automobiles BMW à Leipzich en Allemagne
et la plate forme du saut sur glace à Bergisel en
Autriche. Le fait qu’elle ait remporté le projet
de construction d’un pont reliant l’île de Dubai,
la capitale des Emirats Arabes Unis, au reste du
pays, est une première historique, non seulement
parce qu’il s’agit du premier pont construit par
une femme, mais parce qu’il s’agit du premier
pont conçu et construit par un architecte. En 2005,
l’architecte irakienne devint la première femme à se
voir décerner le Prix Pritzker d’architecture, prix
comparable au Prix Nobel en sciences. Zoha Hadid,
même quinquagénaire, continue de concurrencer
non seulement les architectes internationaux,
mais de se faire concurrence à elle-même. Dans
sa dernière conception du musée Odrupgaard de
Copenhague au Danemark, elle délaisse les lignes
droites tranchées, inspirées, dit-on, de l’écriture
koufie, pour les courbures naturelles et généreuses,
féminines, si l’on peut dire, et les murs inclinés.
Elle précise qu’elle a essayé, dans la construction
du musée, de “ fondre l’espace architectural dans
le paysage naturel ou dans le jardin qui l’englobe ”.
Cette “ évolution impressionnante entre des lieux
fermés et des lieux ouverts ”, c’est ce qui la fascine
le plus dans l’architecture arabe qui réalise, selon
elle, la fonction principale de toute architecture, à
savoir : “ l’impression de grâce que l’architecture
dégage lorsqu’on passe d’un espace fermé, comme
le lieu de prière de la mosquée de la Zaytuna à Tunis
au patio de la mosquée ouvert à la lumière, à l’air et
à la nature ”
Source : Mohamed Arif, document d’appui du Rapport.
L’utilisation des capacités humaines
123
Une femme brillante : Houda Zoghbi : Première femme de science arabe élue
10
membre de l’Académie américaine des sciences.
Originaire du Liban, elle est professeur de pédiatrie,
de neurologie et d’hérédité cellulaire à la prestigieuse
Faculté Baylor aux Etats-Unis.
Elle s’est distinguée, en matière d’études
des cellules du cerveau, par ses travaux sur les
maladies de la dégénérescence des cellules du
cerveau, qui ont représenté une grande avancée
dans la compréhension des maladies du système
nerveux, comme la maladie d’Alzheimer ; elle
a montré le rôle d’un neurone particulier
dans la dégénérescence neuronale, telle la
perte d’équilibre, et comment l’augmentation
du niveau d’une protéine, qui se trouve
normalement dans le système neuronal, peut
constituer un poison provoquant l’apparition
des maladies de dégénérescence neuronale
telles que celles d’Alzheimer et de Parkinson.
Source: ‘Aref, background paper for the Report.
Des femmes ayant brillé en astronomie :
Maha Ashour-Abdalla
Professor of Professeur de physique et d’astronomie,
directrice du Centre pour le développement de
l’innovation digitale à l’université Los Angeles
en Californie. Elle fut lauréate de l’université
d’Alexandrie en physique. Elle a obtenu un doctorat
en astrophysique et la physique du plasma à l’
Imperial College à Londres.
Cette savante égyptienne, dont le nombre de
recherches publiées dépasse 300, compte parmi les
meilleurs spécialistes du phénomène appelé “ aurore
boréale ”, phénomène d’une beauté magique, qui est
provoqué par la pénétration des vents solaires avec
l’espace magnétique de la terre, et qui est visible
sous forme de plis lumineux s’éloignant de plusieurs
milliers de kilomètres des pôles nord et sud.
Chadia Rifaii Habal
Son long parcours scientifique a débuté à l’université
de Damas où elle a eu une licence en physique et en
mathématiques. Ensuite elle a obtenu un master en
physique à l’université américaine de Beyrouth. Enfin
elle a obtenu un master et un doctorat en physique
de l’université de Cincinnati aux Etats-Unis.
Les activités de Rifaï, mère de deux enfants, ont
touché à l’enseignement universitaire, à la direction
d’équipes scientifiques d’observation de l’éclipse
solaire à travers le monde, à la contribution au
développement de la première navette spatiale qui
sera envoyée au point le plus proche du soleil en
2007, au pilotage d’un mouvement académique des
égal dans les domaines des sciences naturelles
et exactes. La vérité, c’est que les femmes
scientifiques et techniciennes arabes ont été en
mesure de réaliser des exploits quand il leur
a été donné de participer à la création et à la
concurrence à l’échelle internationale.
11
124
femmes de sciences, connu sous le nom “ femmes
aventurières ”.
Les travaux de cette savante arabe et de ses
collèges sur les vents solaires ont “fait exploser des
bombes ” selon la revue Science qui a lancé cette
expression en relevant les réactions contradictoires
relatives aux découvertes de Chadia Rifaï et de ses
collègues, considérées tantôt comme une “ hérésie ”,
tantôt comme un “une avancée géante ”, ou encore
comme “ suscitant la polémique ”, ou enfin comme
“ révolutionnaire ”.
Layla Abdelhaq Belkoura
Jeune savante marocaine spécialiste en astrophysique
et écrivaine de fiction scientifique, ayant une
renommée internationale grâce à son premier livre
paru en anglais et en arabe tadbîr as-samâwât (
Minding the heaven). Le roman raconte comment
sept savants ont découvert la constellation de la voie
lactée qui englobe notre astre terrestre, son système
solaire ainsi que des milliards d’autres étoiles.
Sur le mode affectif propre aux enseignants
d’astronomie, le livre de Layla Belkoura nous
fait entreprendre un voyage sous le ciel de la nuit
découverte vers ce qu’elle appelle “ la couche interne
de la voûte céleste ” : “ Si tu t’allonges sur ton dos
dans un endroit serein et obscur, fixant les étoiles,
tu ressentiras la lente dérive de la voûte céleste qui
déplace les étoiles dans tout le champ de ton regard,
d’Est en Ouest, en les jetant en dessous de toi, à
l’autre bout du globe terrestre. ”
L’astronomie
L’astronomie a attiré l’intérêt de nombreuses
femmes scientifiques arabes des plus brillantes.
Serait-ce la nostalgie d’un un passé grandiose,
qui a connu la naissance de l’astronomie en
Mésopotamie et dans le pays du Nil, ainsi
que son développement extraordinaire,
ensuite, pendant l’époque de l’apogée de la
National Academy of Sciences (NAS) - Houston
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Tableau 3-1
Femmes arabes médaillées durant les quatre derniers Jeux Olympiques (1984-2000)
Nom
Année
Nation
El Moutawakal, Nawal
1984
Maroc
Boulmerka, Hassiba
1992
Algérie
Shouaa, Ghada
1996
République Arabe Syrienne
Merah-Benida, Nouria
2000
Algérie
Bidouane, Nouzha
2000
Maroc
Benhassi, Hasna
2004
Maroc
production scientifique arabo-musulmane au
moyen âge ? Serait-ce parce que l’astronomie
est “ absolument le reflet le plus beau de l’âme
humaine, et la plus belle illustration de sa
réalisation intellectuelle ”, selon l’expression
du savant français Pierre–Simon Laplace.
Les sciences relatives à l’astronomie et
à l’espace ont suscité l’intérêt de savantes
du Mashrek et du Maghreb arabes, de
différentes spécialités comme la physique, les
mathématiques, la géologie ou la géographie.
Quatre d’entre elles ont brillé dans le champ
difficile de l’astronomie moderne, née du
mariage de l’astronomie et de la physique.
A l’instar de la majorité des savantes arabes
célèbres, trois d’entre elles ont été d’abord
lauréates d’universités arabes avant de
poursuivre les études supérieures et la
recherche dans des universités de renommée
internationale.
Les savantes arabes en astronomie
administrent la preuve que l’idée selon laquelle
la constitution biologique de la femme serait
incompatible avec la science est totalement
erronée. Le président de l’Université de
Harvard, Lawrence Summers, est tombé dans
ce travers, l’année dernière, quand il a expliqué,
dans un discours public, la faible contribution
des femmes aux sciences par leurs occupations
familiales et leur “ aptitude intrinsèque ”. La
grande vague de protestations qui en a résulté à
l’intérieur et à l’extérieur du milieu académique
américain, a obligé Summers et son université à
s’excuser pour ces déclarations.
La savante marocaine Layla Belkoura,
et ses collègues, évoquées ici, ont commencé
leur cheminement scientifique par la physique
dont Ernst Rethesford, l’un des plus célèbres
L’utilisation des capacités humaines
savants du vingtième siècle, dit : “ Les sciences
se divisent en deux parties : La physique et la
philatélie. ”
Layla Belkoura obtint un diplôme de
physique de l’Université Cornell aux EtatsUnis, puis un doctorat d’astrophysique de
l’Université du Colorado. “ L’année de la
physique ” célébrée l’année dernière, en 2005,
a révélé que la physique est restée prisonnière
du clivage entre la théorie de la relativité et
la théorie quantique et qu’elle n’a réalisé de
sérieux progrès qu’à travers les découvertes
réalisées par les astronomes dans le domaine
de la physique de l’univers. La percée réalisée
par Belkoura dans ce domaine scientifique
difficile ne l’a pas amenée à renier “l’influence
extraordinaire” de son père, Ibrahim Belkoura,
sur son parcours intellectuel. Dans une lettre
personnelle, elle dit : “ Bien que je n’aie pas
suivi ses pas, il est spécialiste en économie,
il m’a formée à réfléchir selon des méthodes
particulières et à dire clairement ce que je
pense. Il m’a appris comment essayer de saisir
l’image globale ou le contenu entier de la
question ”.
La plus belle des savantes arabes se trouve
sans conteste dans la préface de l’édition arabe
du livre Tadbir as-samâwât (Penser les cieux ),
signée de la jeune astrophysicienne syrienne,
Rim Tenkmani qui y écrit :
“ J’ai été abasourdie, moi qui n’ai pu écrire
cette brève préface qu’après que mon bébé se
soit livré au sommeil, de savoir que Layla a
commencé ce livre étant enceinte et l’a achevé
au moment où elle devint mère. ”
Elle conclut la préface en écrivant : “ Layla
se dresse en modèle extraordinaire des femmes
arabes, par sa capacité à assumer en même
125
temps le rôle que la vie a choisi pour elle et
le rôle qu’elle s’est choisi dans la vie. Il s’agit
de deux rôles créatifs, pourquoi alors ne
s’épauleraient-ils pas l’un l’autre. ” (Mohamed
Arif, document d’appui du Rapport).
Le sport
Des femmes des pays
international.
La place marginale laissée à l’exercice physique
dans la conception traditionnelle du rôle des
femmes n’a pas empêché des femmes des pays
arabes, bien que peu nombreuses, de réaliser
les meilleures performances sportives sur le
plan international, en remportant lors des jeux
olympiques des médailles d’or, d’argent et de
bronze.
Lors des six derniers tournois (1984-2004),
six femmes du monde arabe ont remporté
chacune l’une des trois meilleures médailles
en heptathlon et en athlétisme. Cinq d’entre
elles sont du Maghreb12, et la sixième de Syrie,
soit les deux tiers de l’ensemble des médailles
en or, c’est-à-dire, un taux de distinction, sans
doute, élevé en comparaison avec le quart
seulement pour les hommes de l’ensemble des
pays arabes.
Les femmes ont joué
Des femmes d’affaires : la force
économique ascendante dans les pays
arabes
arabes, bien que
peu nombreuses, de
réaliser les meilleures
performances
sportives sur le plan
dans les pays arabes
un rôle indéniable
dans le domaine des
affaires, et ce, avant
même l’avènement
de l’Islam. L’une
des réalisations au
crédit de l’islam en
matière des droits des
femmes, c’est qu’il
lui a reconnu une
autonomie en terme
de responsabilité
financière.
Les femmes ont joué dans les pays arabes un
rôle indéniable dans le domaine des affaires,
et ce, avant même l’avènement de l’Islam.
L’une des réalisations au crédit de l’islam en
matière des droits des femmes, c’est qu’il
lui a reconnu une autonomie en terme de
responsabilité financière. C’est ce qui favorisé
la continuité de la présence des femmes dans
le secteur des affaires, soit directement soit
comme partenaires d’hommes membres de
leurs familles ou d’ailleurs. La tendance de
plus en plus affirmée dernièrement à évoluer
vers l’économie libre de marché, en plus de la
revendication grandissante de la promotion
des femmes dans les pays arabes, ont contribué
à l’accroissement de la participation des
femmes chefs d’entreprises dans les économies
arabes, à leur forte participation au sein des
organisations patronales du secteur privé et
même à l’émergence d’organisations propres
de femmes chefs d’entreprises dans les pays les
plus conservateurs à l’égard des questions des
femmes.
On entend ici par femmes d’affaires toutes
les femmes qui mettent sur pied ou qui gèrent
un projet générateur de revenu pour elles et
pour les autres. Les histoires de réussites des
femmes en affaires se sont multipliées à telle
enseigne que de tels succès ne constituent
plus des événements remarquables, comme ce
fut le cas jusqu’au début des deux dernières
décennies.
Bien que les données sur le nombre des
femmes d’affaires soient pauvres, il n’empêche
que le peu dont on dispose montre à l’évidence
une augmentation croissante du nombre
d’entre elles. Au Bahreïn, par exemple, leur
nombre passe de 193 en 1991 à 815 en 2001
(soit une augmentation de 322%) (Chamlou et
Reem, en anglais, 2003). En Arabie Saoudite,
le nombre de femmes d’affaires est estimé
entre 20 et 40.000 (Esim , en anglais, 2005).
En Tunisie, le nombre d’entreprises dont la
propriété revient à des femmes est passé de
2000 en 1998 à 5.000 en 2005. Beaucoup de
ces entreprises sont familiales, comme c’est le
cas des projets économiques en général dans le
monde arabe.
Le secteur des services connaît une forte
concentration des entreprises détenues par
des femmes : 77% au Yémen, 59% en Egypte
et 37% au Maroc (GEM, en anglais, 2004).
Une enquête menée au Maroc en 2004 montre
que la majorité des femmes chefs d’entreprises
sont lauréates des universités, et les trois
quarts d’entre elles dirigent elles-mêmes leurs
entreprises (AFEM, WWW.afem.ma).
Parallèlement à l’accroissement de la part
des femmes dans les domaines des d’affaires
et de la fortune, le nombre des directrices
de succursales de banques et de sociétés
d’investissement, dont les prestations sont
dédiées aux femmes, a augmenté également.
Ainsi la première agence pour les femmes
au Bahreïn fut-elle fondée au sein du Fonds
12
Ce sont les pays arabes où le respect des droits et du statut social des femmes est relativement plus élevé. Ceci montre que le respect des droits
des femmes est lié à de meilleures réalisations de leur part dans le domaine de l’activité humaine
126
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Leading Women Entrepreneurs
• Assila El-Hârithy, Oman
Elle a imposé à son père de poursuivre ses études à
l’étranger. Lauréate de l’Université de Harvard pour
les affaires, elle a participé à la direction du groupe
d’affaires de sa famille “ Groupe Al-Hârithy ”,
qui a débuté son activité dans l’immobilier pour
l’étendre aux technologies de l’information et de la
communication. Elle est la première femme à rejoindre
la Chambre de commerce de Oman et première
présidente de la société nationale du pétrole.
• Tourya Yacoub, Yemen
Elle a commencé par la création d’une entreprise
de confection de vêtements pour enfants avant
de finir ses études universitaires. Elle a ensuite
participé, en utilisant son héritage, à une entreprise
de communication. Elle ouvre ensuite un forum
d’Internet. Elle oeuvre à mettre sur pied une société
de médecine naturelle. Elle est l’exemple même pour
sa petite sœur qui souhaite collaborer avec elle.
Enc. 105/2
• Khalda Ahmed Al-Kitami, Koweït
D’une famille de huit filles, son père l’a désignée
membre de la direction de la société “ Al-Khanini
- Al-Kitami pour le commerce ” dont elle devient
présidente en 1995 et le resta après le décès de son
père. Elle vend toutefois sa part dans ladite société
par la suite et crée sa propre société d’immobilier.
Elle est également propriétaire d’une pharmacie
depuis vingt ans.
• Raghda Kordy, Jordanie
Elle a fondé la première société de médicaments
totalement informatisée en Jordanie (101 salariés).
Elle s’est associée à sa mère pour la création d’une
maison de mode. Elle a participé à la création de
la section jordanienne du Forum international des
femmes.
• Nadia, Dajjany, Jordanie
Elle a fait des études d’architecture, mais elle est
devenue l’étoile montante de la joaillerie dans son pays.
Elle a fondé sa société en 2003, elle fut la première
du genre à être enregistrée auprès du ministère du
Commerce et de l’Industrie. Aujourd’hui, ses modèles
sont vendus et même imités dans toute la région.
Enc. 105/3
• Souad Al-Amiry, Palestine
Architecte ayant participé à la constitution de
l’institution culturelle “ Riwaq ” à Ramallah, la
ville occupée, en vue de l’archivage du patrimoine
architectural. A partir de 1996, l’entretien et à la
restauration de la beauté de ce patrimoine sont
devenus possibles. Riwâq allait employer grand
nombre de Palestiniens travaillant à la rénovation
de plus de 30 édifices en Cisjordanie, et surtout
les régions rurales, générant ainsi des créations
d’emplois.
• Sabira Ar-Riyâmy, Oman
Elle travailla comme journaliste à la télévision
omanaise. Ensuite, elle a fondé avec son mari, en
1995, une société de gestion de l’événementiel,
première du genre à Oman, pour un chiffre d’affaires
annuel d’un million de dollars.
Enc. 105/4
• Izzat Fahmi, Egypte
Elle a imposé son cachet propre au monde de
l’orfèvrerie. Elle a exposé ses pièces dans plus de 200
galeries de par le monde, y compris dans plusieurs
musées. Après avoir terminé ses études à la faculté
des arts. Elève de “ Astwat As-Sâgha ”, dans l’ancien
quartier Khan Al-Khalily, elle a été la première femme
à s’engager dans cette voie. Elle a été désignée par le
“ Conseil international de l’or ” comme l’un de ses
membre permanent et arbitre.
• Loubna Olyan, Arabie Saoudite
Présidente exécutive de la société d’investissement
“ Alyan ”, elle est considérée, selon la revue Fortune,
parmi les 50 femmes les plus puissantes hors des
Etats-Unis.
• Leïla Khayat, Tunisie
Présidente exécutive de la société industrielle Plastiss
(125 travailleurs) dont elle a pris la direction après le
décès de son mari. Elle était professeur de littérature
française, mais a appris la gestion au moyen de cours
du soir. Il ne lui a pas fallu longtemps pour doubler
le niveau de la production et le nombre d’employés.
Elle est présidente de l’Union des femmes d’affaires
et a été pendant sept ans présidente de l’Association
internationale des femmes d’affaires.
• Maria Habry et Houda Baroudy, Liban
Elles se sont battis une renommée régionale et
internationale à travers la société de textile et de mode
Bakja, qui a pu réaliser en cinq ans dix expositions à
travers le mode.
• Rime Akra, Liban
Après plusieurs années de pratique dans le domaine
de la broderie, Rime a créé sa propre maison de
création à New York en 1995. Cette maison a été à la
tête des meilleures sociétés de modélisme spécialisées
dans les tenues de soirée et de mariage, puisqu’elle est
le fournisseur de plus de 200 points de vente au détail,
parmi les meilleurs en Europe et aux Etats Unis.
• Mouna Bahri, Egypte
Elle fonde l’entreprise “ Mubako ” de bonneterie qui
passe de trois machines à coudre et trois employés en 1974
à 700 employés aujourd’hui. La valeur de l’entreprise
est estimée à 70 millions de livres égyptiennes. Plusieurs
membres de sa famille y travaillent, y compris son père,
son mari, son fils, ses filles et leurs maris. La production
est destinée au marché intérieur et à l’exportation. Pour
Mouna, elle doit sa réussite au soutien de son père, de
son mari et de sa grand-mère.
Source: Hijab, background paper for the Report.
L’utilisation des capacités humaines
127
Il était tout à
fait naturel que
l’augmentation du
nombre de femmes
d’affaires allait
être accompagné
d’une expansion des
associations féminines
qui oeuvrent à la
levée des contraintes
qui entravent
l’action des femmes
dans le domaine
des affaires, telles
que les difficultés
d’accès au marché,
à l’information, au
financement et au
savoir.
128
Koweïtien d’Investissement. Elle propose des
services bancaires islamiques et est dirigée
par une dame du Bahreïn qui assure en même
temps les opérations d’audit de tout le groupe
bancaire.
Il était tout à fait naturel que l’augmentation
du nombre de femmes d’affaires allait être
accompagné d’une expansion des associations
féminines qui oeuvrent à la levée des
contraintes qui entravent l’action des femmes
dans le domaine des affaires, telles que les
difficultés d’accès au marché, à l’information,
au financement et au savoir. Aujourd’hui, en
Egypte il existe 22 associations de femmes
d’affaires, alors qu’en 1952, il n’y en avait
guère qu’une seule. Au Maroc, Salwa Belqziz,
propriétaire d’une société des technologies de
l’information et de la communication, a créé
l’association AFEM des femmes d’affaires
marocaines dont le nombre d’adhérentes est
passé de 70 en 2000 à 184 en 2004. Au Yémen,
Kaboul Al-Moutawakil et sa sœur ont créé “Le
Centre International de Communication” en
2001 pour venir en aide aux filles âgées de 18
à 35 ans et les amener à intégrer le marché du
travail et la société civile. Les activités du centre
se sont également étendues pour englober la
formation en matière de droits de l’homme et
de compétences en communication en faveur
des directrices des associations de femmes. En
Mauritanie, l’association des commerçantes
compte 270 membres.
L’organisation des femmes s’étend
également aux chambres de commerce.
Dans la région du Golfe plus précisément,
les Chambres du commerce et de l’industrie
jouent un rôle important dans la promotion des
femmes d’affaires. Ainsi plus de 400 femmes
ont participé au premier forum des femmes
d’affaires du Conseil de Coopération du Golfe,
accueilli par Oman et organisé par sa chambre
du commerce et de l’industrie, en collaboration
avec l’Union des Chambres dudit Conseil.
La réunion de la “ Chambre de Jeddah du
commerce et de l’industrie ”, en 2005, marque
un tournant avec la candidature de femmes
aux dix-huit sièges du Conseil. Deux d’entre
elles l’ont remporté malgré l’énorme différence
en nombre de voix entre les femmes et les
hommes (100/4000), (Nadia Hijab, en anglais,
document d’appui du Rapport).
Conclusion
Ce chapitre montre que les femmes, dans les
pays arabes, en dépit de leur présence accrue
dans les domaines de l’activité humaine, hors
du cadre familial, continuent de faire face à un
niveau de privation relativement plus élevé en
matière d’utilisation de leurs capacités humaines
dans les domaines d’activité traditionnelle tels
que l’activité économique officielle et l’activité
politique au sein desquels l’homme tend à
garder son rôle prépondérant.
Cependant, il faut compter à l’actif des
femmes dans les pays arabes d’avoir pu
investir ces domaines à un rythme croissant ;
certaines ont pu même signer des innovations
reconnues dans des domaines considérés,
jusqu’à une période proche, du ressort exclusif
des hommes.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Chapitre IV
Le niveau du bien être
humain
Introduction
Nous avons examiné, dans les deux
chapitres précédents, la situation relative des
femmes dans les pays arabes selon les deux
axes qui constituent deux déterminants
fondamentaux du bien être humain, dans
l’optique du développement humain : les
capacités humaines, d’une part, et leur
utilisation, d’autre part. L’objet de ce chapitre
est d’établir un diagnostic de la situation des
femmes par rapport à différents aspects du
bien être humain dans les pays arabes.
Reliefs de la pauvreté et
genre
Malgré l’insuffisance des bases de données,
et comme le montre une étude d’appui
au Rapport portant sur cinq pays arabes
(Jordanie, Tunisie, Egypte, Maroc, Yémen),
il n’existe aucune preuve de la “ féminisation
de la pauvreté ” ; autrement dit, les femmes
souffrent à un degré plus élevé de la pauvreté,
définie dans son acception classique par
l’indicateur de la faiblesse du revenu et des
dépenses (Ali Abdelkader Ali, Document
d’appui au Rapport).
Cependant, la définition de la pauvreté
basée sur l’indicateur du niveau de privation
en terme d’acquisition des capacités humaines,
de leur utilisation ainsi que du niveau de
jouissance des conditions du bien être humain,
est celle qui convient le mieux dans le cadre du
concept de développement humain. Elle révèle
en effet que les femmes souffrent relativement
plus de la “ pauvreté humaine ” qui mesure
la privation par rapport aux composantes de
l’indice du développement humain, à savoir :
la santé, le savoir et le revenu.
Le deuxième chapitre a mis en évidence
Le niveau du bien être humain
que les femmes souffrent d’une privation
relativement plus grande dans le domaine
de l’acquisition des deux capacités
humaines fondamentales : le savoir, à travers
l’enseignement, et la santé, au sens positif et
global du terme.
En ce qui concerne l’utilisation des
capacités humaines dans le domaine de
l’activité économique, il apparaît que les taux
de chômage sont relativement plus élevés chez
les femmes, et sont, de surcroît, exposées au
licenciement à des niveaux relativement plus
élevés en temps de récession, particulièrement
dans les grandes entreprises privées. De même,
les femmes ne bénéficient pas non plus de la
création des opportunités de travail autant que
les hommes, en cas de reprise économique.
Les femmes qui travaillent pâtissent
également de la baisse relative du revenu
de leur travail en comparaison avec ceux de
leurs collègues hommes. Cette inégalité est
plus marquée dans le secteur privé que dans
la fonction publique et le secteur public qui
se montrent beaucoup plus respectueux des
dispositions juridiques relatives à l’égalité des
revenus du travail.
Pauvreté et genre du chef de
famille
Une analyse précise se doit de séparer entre
deux types de situations où les femmes assurent
la charge de chef de famille : le cas où la femme
est contrainte d’assumer la charge de chef de
famille, du fait du veuvage, de la séparation
ou de l’abandon, et le cas où elle l’assume
volontairement en raison, par exemple, de
l’immigration à la recherche de travail, et ce,
malgré la présence d’un chef de famille homme
sur le plan légal.
Une analyse minutieuse montre que les
129
familles dirigées par des femmes ne sont pas
nécessairement les plus pauvres. Certaines
occupent plutôt une position meilleure au vu
de certains indicateurs du bien être social, dont
le revenu et la richesse, et ce, particulièrement
dans le cas de la responsabilité féminine
volontaire. En revanche, les familles qui ont
pour chef des femmes par la force des choses
s’avèrent dans leur grande majorité plus
pauvres que la minorité des familles dirigées
par des hommes non mariés.
Extension de la pauvreté et
affaiblissement des femmes
Cependant, même s’il n’existe pas de preuves
concrètes confortant la thèse de la féminisation
de la pauvreté, il est possible d’aborder la
question de l’influence de la pauvreté sur
l’affaiblissement de la position des femmes, et
ce, au moyen des indices agrégés de la pauvreté
qui sont représentatifs de l’extension de la
pauvreté dans les milieux des femmes.
Pour pouvoir suivre l’impact de l’étendue
de la pauvreté sur l’autonomisation des femmes,
on a construit un modèle régressif faisant
intervenir “ l’indice sexospécifique” comme
variable dépendante (qu’il s’agit d’expliquer),
d’une part, et d’autre part l’indice du nombre
de têtes (niveau de l’étendue de la pauvreté)
et l’indice de la pauvreté humaine, comme
variables explicatives, en se basant sur les
données disponibles dans le Rapport arabe
du développement humain pour l’année 2004
(Ali Abdelkader Ali, Document d’appui au
Rapport). A ce propos, il convient de signaler
que l’indice sexospécifique est disponible pour
quatre pays arabes seulement sur les 79 pays
pour lesquels cet indice a été calculé. Il s’agit
du Bahreïn (avec un indice dont la valeur
est de 0,395), de l’Arabie Saoudite : 0,207,
de l’Egypte : 0,266, et du Yémen : 0,123. Au
niveau international, la Norvège a enregistré
la valeur la plus élevée avec 0,908 alors que le
Yémen a enregistré la valeur la moins élevée.
En ce qui concerne l’influence de la pauvreté
de revenu sur l’autonomisation des femmes, les
résultats de l’analyse montrent que l’extension
de cette pauvreté de revenu conduit en moyenne
à l’affaiblissement de la position des femmes
(comme le montre l’indice sexospécifique),
ainsi qu’à leur fragilisation en matière de
représentation
parlementaire
nationale,
d’activités professionnelles et techniques et
de contrôle des ressources économiques, en
comparaison avec les hommes.
Les résultats montrent également que
l’étendue de la pauvreté humaine handicape,
en moyenne, les femmes (comme le montre
l’indice sexospécifique), en matière d’accès aux
hautes fonctions législatives, administratives
et d’organisation ainsi que dans le domaine
des activités professionnelles et techniques.
En revanche, ces résultats ne montrent pas
une influence, significative statistiquement,
de l’étendue de la pauvreté humaine sur la
participation politique des femmes dans les
pays en voie de développement, comme le
reflète le nombre de sièges parlementaires
occupés par les femmes.
la liberté personnelle
bafouée
Le droit des femmes à jouir des libertés
personnelles bute toujours sur un ensemble
d’entraves. Le simple fait de mettre en relation
les femmes et la liberté suscite l’inquiétude chez
certains et met en branle les us et coutumes.
Ainsi, au nom de la protection des femmes ou
au prétexte de la protection de “ l’honneur ”,
certains imposent de nombreuses restrictions
à la liberté de mouvement des femmes,
restrictions validées sur le plan légal au nom
tantôt de l’obéissance, tantôt de la défense de
“ l’honneur ”.
Les formes de violence exercées contre
les femmes arabes soulignent à quel point la
législation arabe et les gouvernements arabes, en
plus des mouvements sociaux, doivent prendre
à coeur la grande tâche d’assurer la sécurité et
le développement dans son acception globale.
Par ailleurs, le fait de parler de la violence1
à l’égard des femmes dans les pays arabes ne
signifie pas qu’il n’en existe pas dans le reste
des régions du monde. Il s’agit en fait d’un
1
La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes dans l’article 1 comme suit : tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin,
et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes,
la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.
130
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 4-1
Kamal Darwich* : à l’occasion de la journée mondiale sur l’élimination
de la violence à l’égard des femmes (25 novembre 2005).
La violence à l’égard des femmes détruit la vie
des agressées ainsi que leurs sociétés. Elle entrave
également le développement. S’il est difficile d’estimer
l’ampleur de l’étendue de la violence à l’égard des
femmes, car elle n’est souvent pas dénoncée, l’OMS
estime qu’un quart des femmes dans le monde sont
violées et battues ou contraintes à avoir des rapports
sexuels durant leur vie. Aucun pays et aucune
société ne peuvent prétendre être épargnés de la
violence domestique, car cette violence dépasse les
frontières culturelles, des classes, de l’enseignement,
du revenu, de la race et de l’âge. Les femmes sont
exposées à la violence au travail, au foyer, dans les
zones de conflits et même lorsqu’elles sont sous la
protection de l’Etat.
La violence contre les femmes est encore
aujourd’hui un crime sur lequel on fait l’impasse
internationalement, et les auteurs de ce crime ne
sont le plus souvent pas poursuivis.
* Administrateur du Programme des Nations Unies pour le Développement PNUD
problème international, et la lutte contre cette
violence fait partie maintenant du programme
international des Droits de l’homme. En effet,
les travaux de la Conférence mondiale sur les
Droits de l’Homme ont été couronnés par
l’adoption de la Déclaration sur l’élimination
de la violence à l’égard des femmes en
décembre 1993. Cette déclaration insiste
dans le préambule sur le fait, d’une part, que
la violence à l’égard des femmes traduit des
rapports de force historiquement inégaux
entre hommes et femmes, lesquels ont abouti
à la domination et à la discrimination exercées
par les premiers et freiné la promotion des
secondes et, d’autre part, qu’elle représente
un obstacle à la réalisation de l’égalité, de la
paix et du développement et constitue une
violation des Droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Par ailleurs, cette Déclaration
a proclamé le 25 novembre journée mondiale
sur l’élimination de la violence à l’égard des
femmes dans le monde.
Il est encore difficile de débattre de la
violence à l’égard des femmes dans le monde
arabe sur la base des données statistiques2, car
on oppose une forte résistance dans certains
pays arabes à la moindre discussion de la
violence à l’égard des femmes. En outre, les
études de terrain qui permettent d’observer
les phénomènes de violence dans les sociétés
arabes sont à leurs débuts. En effet, ce dont
on dispose sur ces phénomènes aujourd’hui
parvient des informations sur les violences
diffusées par les médias, des communications
présentées dans des colloques arabes et
internationaux, les rapports des organisations
des Droits de l’homme et des femmes ceux
des centres d’accueil des femmes victimes de
violence. Les témoignages de ces dernières
montrent, même s’il est difficile de traduire
ces témoignages en données chiffrées, que
le pas le plus important à faire en matière de
lutte contre la violence à l’égard des femmes
dans le monde arabe est de dénoncer et de
combattre toute tentative de la dissimuler, que
cette violence ait été exercée en public ou dans
un lieu privé. Continuer à garder le silence sur
cette affaire a un coût très élevé pour la société,
les individus et même pour les Etats, bien
qu’ils n’en aient toujours pas pris conscience.
Il est également important que des formes de
violence et de ségrégation, que les femmes
ont pris l’habitude de considérer comme
relevant de comportements normaux, doivent
également être rangées dans la catégorie des
pratiques condamnables.
Fort heureusement, la population arabe
tend à condamner toutes les formes de
préjudices corporels et psychologiques subis
par les femmes (Encadré 4-2).
2
L’article quatre de la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes souligne que les Etats qui condamnent cette violence sont
appelés à favoriser la recherche, rassembler des données et compiler des statistiques se rapportant à l’incidence des différentes formes de violence à
l’égard des femmes, y compris en particulier la violence au foyer.
Le niveau du bien être humain
131
Encadré 4-2
L’opinion du public par rapport aux questions de la promotion
des femmes, dans quatre pays arabes, 2005
Les femmes ne doivent pas être agressées physiquement par les hommes
?Zhj^hYVXXdgY
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Les femmes ne doivent pas être agressées psychologiquement par les hommes
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Les formes de violence à
l’égard Dles femmes dans le
monde arabe
Les crimes d’honneur
Tuer des femmes considérées comme ayant
enfreint à l’honneur est une coutume tribale
ancienne, mais toujours en usage dans beaucoup
de sociétés arabes locales comme en Jordanie,
en Irak, en Palestine, au Liban et en Egypte. Il
s’agit d’un crime avec préméditation commis
par un père, un frère, un mari, peut-être aussi un
fils. Les femmes sont assassinées sous prétexte
de défendre l’honneur. Beaucoup d’entre elles
132
sont tuées car elles ont eu à subir l’affront du
viol (L’Instance libanaise pour la lutte contre
la violence à l’égard des femmes, 2001 :17).
Dans de nombreuses sociétés arabes, d’aucuns
continuent toujours de tenir les coupables de ce
genre de crimes pour des héros qui ont, par leur
forfait, effacé le déshonneur causé à la famille
par la femme tuée. De même, beaucoup de cas
de suicide sont liés à la question de l’honneur ;
en effet, on contraint les femmes à se tuer pour
fuir la responsabilité de le faire.
Les statistiques indiquent, à titre d’exemple,
qu’en Palestine, entre le mois de mai 2004 et le
mois de mars 2005, vingt femmes ont été tuées,
en plus de 15 cas ayant survécu après un passage
Rapport sur le développement humain arabe 2005
à l’acte dans le cadre des crimes d’honneur.
Les statistiques officielles font également cas
de 20 femmes tuées annuellement en Jordanie,
sous le même prétexte, et parfois en raison
de la convoitise des hommes qui désirent
s’attribuer la plus grande part de l’héritage au
détriment des femmes (UNIFEM, 2005 :17)
ou même pour dissimulation d’outrages
sexuels commis par des membres proches de la
famille. L’Organisation RAWAN a enregistré
également des crimes d’honneur commis
sur des femmes kurdes au nord de l’Irak
(UNIFEM, 2004 :140).
Malgré les efforts couronnés de succès
de certaines organisations de la société civile
pour amender les codes pénaux (en Jordanie,
en Algérie, au Liban, au Maroc) et traiter les
crimes d’honneur comme le reste des meurtres,
ces codes continuent toujours, dans un certain
nombre de pays arabes, de protéger les
meurtriers en leur accordant des circonstances
atténuantes. Beaucoup de magistrats, par
ailleurs, utilisent leur pouvoir discrétionnaire
pour alléger les sentences encourues par les
meurtriers (voir chap. VIII).
La violence domestique
La violence domestique n’est pas un
phénomène arabe spécifique. Elle existe dans
de larges régions du monde où elle se trouve
condamnée. Ce qui est inquiétant en revanche,
dans les pays arabes, c’est la persistance à
vouloir en renier l’existence3.
Les témoignages présentés lors de colloques
et de procès symboliques montrent que le
foyer peut se transformer, dans de nombreuses
régions du monde arabe, de recours et de
refuge sûrs en un espace où toutes les formes de
violence peuvent être exercées sur les épouses
qui peuvent être battues et subir la violence
sexuelle et sur les petites filles qui peuvent être
victimes de harcèlement sexuel et même de viol
de la part des adultes masculins.
Encadré 4-3
L’Organisation Mondiale de la Santé : Les femmes n’ont pas de
refuge, où se mettre à l’abri de la violence domestique.
Une étude, portant sur dix pays, montre
que la part des femmes ayant subi des
violences physiques ou sexuelles durant
leur vie, de la part d’un homme membre
de la famille, va de 15% au Japon à 71%
en Ethiopie. La violence est parfois
tellement forte qu’elle provoque des
cassures au niveau des os et des séquelles
au niveau de la vue.
Les femmes sont plus exposées à la
violence de la part de ceux qui résident
au foyer que des personnes étrangères
dans la rue. (Lee Jong-Wook, Directeur
de l’OMS).
La violence domestique débouche sur
des résultats destructeurs, non seulement
pour les femmes qui la subissent, mais
aussi pour ceux qui en sont témoins, en
particulier les enfants. (Yakin Ertürk,
Rapporteuse Spéciale des Nations Unis
sur la violence contre les femmes).
Source : AFP, 24 novembre 2005.
Source: Agence France-Presse, 24 Novembre 2005.
La responsable du bureau d’orientation
familiale de l’association Nahdhatu fatât albahrein (La Renaissance des filles du Bahreïn)
dit à ce propos : “ Nous sommes confrontées
à toutes les formes de violence physique et
psychologique, en majorité d’origine familiale.
Il n’est pas normal que les femmes subissent
une telle violence. Il s’agit d’une pratique qui
les avilit et dévalorise leur statut. Ce qu’on
peut craindre, vraiment craindre, c’est qu’elles
s’y habituent et n’arrivent plus à y faire face et
briser le mur du silence ”4.
Dans un rapport récent5, intitulé “ Les
Etats du Conseil de Coopération du Golfe ;
les femmes méritent la dignité et le respect ”,
Amnesty International centre son intérêt sur
les différentes formes de discrimination à
l’égard des femmes dans ces Etats, notamment
la violence au foyer. Le rapport estime que “ les
femmes qui souffrent de la violence domestique
ayant trait au genre n’ont le plus souvent aucun
choix pratique à faire que celui de rester au
foyer et de courir le risque de subir plus de
violence encore. Les pressions économiques
et sociales résultant des positions et des
comportements fondés sur la discrimination
contribuent également à mettre les femmes en
danger de violence (Zineb Muadi, en arabe,
Document d’appui au Rapport).
3
En réponse au rapport d’Amnesty International sur la violence à l’égard des femmes du Golfe, la présidente du Haut Conseil de la Femme a
souligné, suivie en cela par de nombreuses journalistes à travers leurs chroniques ou leurs déclarations aux médias, que “ les cas de violence étaient
des actes individuels et ne pouvaient pas être qualifiés de phénomène social ” sauf que “… Tout le monde au Bahreïn sait que les cas de violence à
l’égard des femmes n’étaient enregistrés ni au niveau des postes de police ni dans les hôpitaux…” (Mouna Abbas Fadhl, écrivaine du Bahreïn)
4
Mouna fadhl, “Portail des femmes”, (2005) (Site visité le 10 avril 2006). http:/www.womengateway.com./arwg/qadhay+Almaraaa/violenceatameez.htm
5
Numéro du document : 04/004/2005 MDE 11 mai 2005.
Le niveau du bien être humain
133
D’autres types de violence à l’égard des
femmes sont exercés également au vu et au
su de l’Etat, comme celle pratiquée en Arabie
Saoudite par les mutawiîn (“ les gardiens de
bonne conduite ”) ou par des groupes religieux
qui s’érigent en surveillants et en censeurs
en matière d’habits et de comportements des
femmes. En plus, les femmes, pour gagner
leur vie, souffrent de nombreuses formes de
violence dans les lieux de travail, qu’il s’agisse
du harcèlement sexuel ou des exactions, en
courant le risque de licenciement abusif en cas
de refus. A noter par ailleurs que la rareté des
données concernant ce dernier type de violence
rend difficile l’évaluation de son étendue.
L’excision
L’étendue de la pratique de l’excision6 dans
beaucoup de pays arabes (tableau 4-1) conduit
à de graves complications sanitaires propres
aux femmes. Car l’opération d’excision peut
provoquer le décès suite à une hémorragie ou
causer une douleur aiguë durant l’opération
d’ablation pouvant déboucher sur un choc
neurologique. Elle peut également causer
des complications tardives, telles que
l’inflammation de la plaie en raison de l’absence
de stérilisation, l’empoisonnement sanguin,
le tétanos mortel, l’inflammation hépatique
épidémique ou une maladie de la déficience
immunitaire. Ces affections peuvent perturber
dangereusement l’appareil urinaire, provoquer
Tableau 4-1
Taux d’excision (année 2000 %)
Pays
Année
Taux
Djibouti
98
Somalie
98
Egypte
2000
97
Soudan
1990
89
Yémen
1997
23
Source: WHO (http://www.emro.who.int/rhrn/part5.htm).
une baisse de la fécondité, quand ce pas la
stérilité ; tout cela accompagné de difficultés
lors de l’accouchement si la plaie provoquée
par à l’excision s’est gravement dégradée.
En outre, l’absence de sensation de plaisir
ou des douleurs lors du rapport sexuel peuvent
faire échec à une sexualité normale. Quelque
meilleure que soit la préparation des filles à
l’excision, les retombées psychologiques de
l’opération ne peuvent être que négatives,
donnant lieu à un sentiment d’infériorité
sexuelle. Ceci dit, la lutte contre la pratique de
l’excision est rendue plus difficile encore par
son acceptation accrue comme fait culturel
dans certains milieux. Une étude, faite sur
la base d’un sondage d’opinion effectué en
Egypte en 2000, avance que 80% des femmes
ayant des filles ont reconnu avoir procédé
à leur excision ou que cette excision allait
avoir lieu. Ce pourcentage montre une légère
amélioration par rapport aux sondages de
1995 qui faisait état de 87% des femmes ayant
exprimé leur intention d’exciser leurs filles.
Des études faites en Egypte ont prouvé que,
parmi les facteurs facilitateurs de l’étendue
de la pratique de l’excision, il y a la baisse du
niveau éducatif, la résidence en milieu rural
et, en particulier, les croyances personnelles.
La même étude montre que huit femmes sur
dix, en milieu rural, pensent que les hommes
préfèrent les femmes excisées, contre quatre
sur dix en milieu urbain. Le caractère culturel
de cette pratique devient évident quand on
sait que cette pratique est aussi bien répandue
en milieu musulman qu’en milieu copte, bien
qu’à un degré moindre (El-Zanaty et Way, en
anglais, 2001).
Un développement positif en matière de
droits des femmes et des enfants en Egypte s’est
produit quand le Conseil d’Etat, la plus haute
cour administrative du pays, s’est prononcé le
28 décembre 1997 en faveur de la décision du
ministère de la Santé d’interdire l’excision, sauf
sous assistance médicale, alors qu’un tribunal
d’un niveau relativement moins élevé s’était
prononcé pour l’annulation de ladite décision.
6
La défiguration des organes génitaux prend, dans différents pays, des formes diverses. Certaines consistent dans l’ablation partielle ou totale du clitoris ou encore dans l’ablation totale du clitoris
avec les deux lèvres. Dans certains cas extrêmes, il y a ablation de tous les organes génitaux externes et la suture partielle du sexe en laissant une fissure pour le passage de l’urine et des écoulements menstruels. Ces ablations sont opérées sans anesthésie et peuvent par conséquent provoquer des complications sanitaires dont certaines douleurs aiguës qui surviennent lors de l’urination,
des menstruations et des rapports sexuels. L’ablation des organes sexuels provoque parfois le décès de certaines jeunes filles du fait d’hémorragies ou d’inflammations. (“L’Egalité maintenant”,
Postures de femmes. 20.1 juin, 2001.)
134
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Le Conseil d’Etat a considéré que l’excision
ne fait pas partie des droits de l’individu,
conformément à la Shariâ islamique, et ce,
en l’absence de tout texte l’autorisant dans
le Coran et la Sunna. Ledit Conseil a conclu
que la pratique de l’excision est un acte illégal,
même lorsqu’elle a lieu avec le consentement
de la fille ou de ses parents. Le Ministère de la
Santé soudanais va, de son côté, dans le sens
d’arrêter des dispositions légales pour interdire
l’excision.
défavorisées et marginalisées. Il s’agit d’une
situation caractérisée par la pauvreté, la
misère et l’oppression les plus grandes et
où il y a le moins de chance, de moyen et de
développement. Toutes les données relatives à
la situation dans les régions désertiques et les
campagnes corroborent la difficile condition
des femmes dans ces régions et montrent
qu’elles font face à une accumulation de
difficultés et de défis liés à des conditions
exceptionnelles7, à des données et des facteurs
déterminés par la nature rigoureuse des
La violence contre les femmes sous
l’occupation.
Encadré 4-4
Les femmes sont exposées dans les territoires
arabes sous occupation à des formes de violence
pratiquées par les autorités d’occupation.
En Irak, des villes et des quartiers entiers
ont été le théâtre d’opérations de déplacements
abusifs de plusieurs milliers de familles. En
outre, le sentiment d’insécurité a obligé les
femmes à s’enfermer chez elles et à éviter de
se rendre au travail. Les femmes détenues dans
la prison d’Abou Ghraïb ont subi des atteintes
et des violations graves, telles que le viol et
différentes sortes d’humiliation, au point que
certaines d’entre elles se sont suicidées après
leur libération. D’autres femmes ont été tuées
par l’un des leurs pour laver le “déshonneur”.
Les femmes ont été prises comme otages pour
obliger les hommes de leurs familles à se rendre
ou à faire des aveux à l’encontre de la résistance
en Irak occupé (Hayfâ Zanka, Al-quds al-arabî,
octobre 2005).
Les femmes appartenant aux
catégories défavorisées
dans les pays arabes.
Les femmes dans les zones
desertiques et les campagnes
marginalisées.
La situation des femmes arabes des
régions désertiques et des campagnes est
historiquement liée à celles des catégories
sociales, des communautés et des régions
La ségrégation à l’égard des femmes sous l’occupation en
Palestine
Du fait de l’occupation et de
l’existence du mur, les droits des
femmes sont bafoués dans une plus
large mesure que ceux des hommes :
les Palestiniennes sont régulièrement
la
cible
de
harcèlements,
d’intimidations et de sévices commis
par les soldats israéliens, aux points
de contrôle et aux portes. Elles
sont humiliées devant leur famille
et subissent des violences sexuelles
tant de la part de soldats que de celle
de colons. On compte environ 120
Palestiniennes en détention, dont
11 sont maintenues en détention
administrative, sans avoir été jugées
ni même inculpées. Les détenues
sont victimes de violence sexiste au
cours des enquêtes et pendant leur
détention. En outre, la situation
dans les prisons ne cesse d’être
préoccupante pour les conditions
de vie et la santé des détenues. Les
restrictions à la liberté de circulation
par suite de l’occupation entravent
gravement l’accès des Palestiniennes
à l’éducation et à la santé. Ces mêmes
restrictions limitent leurs chances
d’être autonomes et font que moins
de femmes cherchent à bénéficier
d’un enseignement de type scolaire
ou à accéder à l’emploi … La santé
des femmes a décliné parce qu’elles
sont dans l’impossibilité de se
rendre dans les centres de santé. Les
femmes enceintes courent le risque
d’attentes interminables aux points
de contrôle. Depuis le début de la
deuxième Intifada, en mars 2004,
55 Palestiniennes ont accouché à un
point de contrôle, et 33 enfants nés à
des points de contrôle étaient mortnés en raison de retards ou d’un refus
de laisser accéder à un établissement
de soins.
Il a été établi que le chômage et
la pauvreté consécutifs à l’occupation
engendraient des divorces et des violences
dans la famille. La loi israélienne de 2003
sur la nationalité et l’entrée en Israël a pour
but d’empêcher le regroupement familial
lorsqu’un des deux époux est résident sur
le territoire palestinien occupé. Du fait de
cette loi, ce sont des milliers de membres
des familles concernées qui vivent
séparés les uns des autres, sans moyens
légaux de rejoindre leurs proches. Le
seul moyen de préserver l’unité familiale
consiste à résider illégalement en Israël,
dans la peur continuelle d’être contrôlé
et expulsé.
Tout cela a des effets considérables
sur l’état psychologique des Palestiniennes.
Cette loi, qui ne s’applique pas aux
colons israéliens vivant dans le territoire
palestinien occupé ni aux Juifs israéliens
ayant épousé un étranger, instaure un
régime discriminatoire fondé sur la
nationalité, qui pénalise exclusivement
les Palestiniens.
Source : Dugard, le Rapporteur Spécial pour les Droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés, 2005.
7
Parmi les manifestations de ces conditions exceptionnelles on peut noter la rareté des éléments statistiques, des données d’ordre quantitatif et qualitatif sur les sociétés en zones désertiques et
dans les campagnes, des informations classées selon le genre et les études scientifiques sur les catégories marginalisées (Nations Unies, ESCWA, en arabe, 2005 : 22.71).
Le niveau du bien être humain
135
étendues désertiques et semi-désertiques et par
les déplacements épuisants à la recherche de
moyens de survie nécessaires à la préservation
de la vie et garantissant un seuil minimum
d’organisation sociale (Abdeljebbar Ar-Râoui,
en arabe, 1972 :223). Par ailleurs, il faut noter
que ce seuil ne s’éloigne pas de celui fixé par
Ibn Khaldoun depuis le 15e siècle8.
Les zones désertiques et les campagnes
marginalisées arabes, de par leur étendue
sauvage et leur faible contact avec la
civilisation moderne, sont toujours régies par
l’esprit de corps familial, la consanguinité, la
loyauté à l’autorité tribale et la suprématie
des coutumes, des traditions et des rites dans
le cadre d’une économie traditionnelle
liée à la terre, à l’élevage, au climat et aux
industries rudimentaires. Tout ceci renvoie à la
domination masculine qui astreint les femmes
aux seules activités de reproduction, au travail
voué au service de l’époux et de la famille et à
certains travaux d’élevage et d’agriculture de
survie (Nadin Hijâb, en arabe, 1988 :192).
Les défis et les difficultés auxquels font face
les femmes arabes dans les zones désertiques et
les campagnes marginalisées sont nombreuses
et varient selon leur âge et leur situation dans
une structure sociale complexe (Mohamed
Hassan Ghamirî, en arabe,1989 : 1). Ils ont
trait aux droits fondamentaux de l’existence
avec ce que de tels droits impliquent comme
conditions de vie telles que l’alimentation,
l’habitat, l’habit, l’instruction et la protection
médicale. Les femmes dans ces zones doivent
faire face dès leur petite enfance aux difficultés
de disposer du seuil minimum de subsistance.
Dans certains pays, comme le Soudan, l’Irak,
la Mauritanie et le Yémen, et surtout dans
leurs zones d’indigence sociale, les femmes
sont confrontées au dénuement, à la carence
alimentaire et à de nombreuses formes de
violence ( Le Centre des femmes arabes pour
la formation et la recherche, en arabe, 1988).
La vie des femmes dans ces régions est
menacée du fait de l’incapacité évidente de
réunir les conditions d’une une vie décente et
du manque de la protection humaine. Dans le
meilleur des cas, ces femmes reçoivent certains
services minima de la part des caravanes de
la santé que l’on remarque dans des pays du
Golfe et du Maghreb en particulier. Ce sont
des caravanes qui s’occupent dans la plupart
des cas du domaine familial, organisent des
consultations gratuites avant le mariage et
s’occupent de la santé reproductive (Nation
Unis, Unesco, 2005 : 17). Elles ne réunissent
cependant pas toutes les spécialités en
médecine, ce qui ne leur permet pas d’assurer
les conditions d’une sécurité sanitaire intégrale.
Elles paraissent ainsi constituer, malgré l’aide
d’urgence qu’elles apportent parfois, une
faveur consentie par les régimes au pouvoir et
non comme un droit humain acquis.
Les filles, dans de tels milieux, sont
privées de tous les droits fondamentaux, et
en particulier, du droit à l’instruction et au
savoir, qui constitue un levier pouvant les
aider à se soustraire des situations qui leur sont
imposées. Au moment où les filles citadines
jouissent, même relativement, de ce que les
institutions et les organismes leur offrent
en matière d’enseignement, de travail et de
distraction, dont les aspects et les résultats
sont nettement visibles au changement positif
de leur situation, les filles, dans les régions
déshéritées, se saignent aux quatre veines
contre les rigueurs de l’environnement rural,
dans la privation et l’absence des moindres
équipements et des moindres services, sans
parler de l’ignorance de leurs droits. Tout cela
influe négativement sur leur santé physique,
mentale et psychologique et se traduit, pour
elles, par des taux de l’espérance de vie à la
naissance et de la capacité humaine à vivre
longtemps et en bonne santé sont beaucoup
plus bas que ceux pour les femmes arabes en
général (Le Centre des femmes arabes pour la
formation et la recherche, en arabe, 2001 :30).
Dans certains pays, les filles sont amenées
de force des campagnes dans les villes pour y
être exploitées comme domestiques dans des
conditions qui s’apparentent à un nouveau
mode d’asservissement et d’esclavage. Il s’agit
là, sans conteste, d’un point noir de la situation
8
La bédouinité n’a fait l’objet que d’un nombre restreint d’études historiques et sociologiques. C’est pourquoi l’analyse d’Ibn Khaldoun sur les bédouins occupe toujours une place particulière, dans la mesure où elle constitue une référence dans la pensée relative à la ruralité, la bédouinité et la
tribalité. 5ibn Khaldoun, s. d.) et (Mouhieddine Saber et Louise Kamel Malika. En arabe, 1986) et (Mohammad Al-Marzouki, en arabe,1980).
136
Rapport sur le développement humain arabe 2005
du développement humain dans tous les pays
arabes9.
Les filles arabes vivant dans les milieux
bédouins et ruraux marginalisés sont privées
même des aspects quantitatifs de la diffusion
de la scolarisation qui s’est relativement
généralisée dans toutes les sociétés arabes.
Elles vivent dans un état d’analphabétisme au
niveau de la lecture, d’ignorance de l’écriture
et des moyens d’expression, qui ne va pas sans
menacer son entité et son humanité et fait
perdurer l’oppression dont elle est victime.
Cette situation est en totale contradiction avec
le niveau d’évolution en terme d’enseignement,
de savoir, de libération politique et sociale que
l’humanité connaît aujourd’hui sur une large
échelle.
Mais ce qui menace encore plus les
femmes arabes dans les zones désertiques et
les campagnes marginalisées c’est davantage
de dénuement, de besoin et de dégradation,
c’est l’absence de volonté, de politiques et
de plans stratégiques en vue d’y remédier
radicalement. Car dans le meilleur des cas, les
appareils au pouvoir exploitent ces situations
et pour prendre des dispositions sous formes
de solutions et d’aides conjoncturelles dans le
domaine des infrastructures de base relatifs à
l’habitat, aux routes et à l’eau potable, sous
divers libellés et dans le cadre de différents
programmes10. Toutefois ces dispositions
restent en deçà de l’exigence des droits
garantis par la loi. Ces opérations sont le plus
souvent instrumentalisées dans le cadre de
la propagande politique et de la recherche
de la loyauté aux appareils du pouvoir. Sur
un autre plan, les taux d’échec scolaire et
d’abandon scolaire précoce chez lez filles
sont en augmentation, avec parallèlement une
accentuation du caractère précoce des mariages
de ces filles et de leur mise au travail dans les
domaines pastoral et du travail de la terre ainsi
qu’une accentuation de leur enfermement
dans la logique de l’exploitation masculine des
personnes de sexe féminin (Mohcine At-tilili,
en arabe, Texte d’appui au rapport).
Les femmes dans les zones
D’habitat anarchique
Il n’existe pas de bases de données scientifiques
sur les bidonvilles dans les pays arabes, en
général, ni sur la situation des femmes dans
ces milieux, en particulier. Mais les études de
terrain entreprises dans de nombreuses régions
indiquent que les habitants des zones d’habitat
anarchique se distinguent par le très bas niveau
de leurs conditions sociales, qui se traduisent
dans le bas niveau éducatif et des compétences
techniques ce qui compromet sérieusement
leurs chances de travail. Tout cela affecte leur
existence tout entière : absences d’opportunités
de travail et d’habitat convenable. Les familles
des zones d’habitat anarchique se caractérisent
par un taux élevé de femmes chef de famille. Ce
taux qui atteint 21% en Egypte, se situe dans
certaines zones d’habitat anarchique dans une
fourchette de 25 à 33% du total des familles
habitant ces zones. Par ailleurs, l’augmentation
du nombre des familles qui ont une femme
pour chef traduit en fait l’augmentation des
taux de divorce, de séparation et de veuvage
dans ces mêmes zones. Les femmes chefs de
familles dépendent des aides, des virements en
monnaie et en nature beaucoup plus que les
hommes chefs de famille (Iqbal, As-Samalouti,
en arabe, Texte d’appui du Rapport).
Les femmes qui vivent dans les bidonvilles
ressentent plusieurs formes de privation, en
raison de leurs conditions économiques et
environnementales difficiles qui affectent les
relations familiales et l’autorité des parents sur
les enfants. Ces femmes ignorent généralement
tout de leurs droits et des services mis à leur
disposition. Le plus souvent, elles ne possèdent
que rarement des papiers d’identification,
comme par exemple l’attestation de naissance,
qui leur permettent de bénéficier de ces
services.
Enfin, les femmes souffrent dans ces régions
de certaines formes de violence, puisqu’une
part importante des familles continue de
pratiquer l’excision des filles, comme en
Egypte par exemple. De même, environ 8,13%
9
Pour ce qui est de la relation entre genre et pauvreté, de la nécessité d’étudier les causes structurelles de la pauvreté, de la marginalisation et de la
privation et pour éviter au genre d’en être victime (Droy, en français, 1990 : 40-41).
10
A titre d’exemple, le programme pour l’élimination des zones marginalisées, subventionné par Le Fond national de solidarité, 26-26, en Tunisie.
Le niveau du bien être humain
137
de l’ensemble des femmes appartenant à la
tranche d’âge de 15 à 49 ans ont été mariées
avant d’atteindre l’âge de 16 ans. Le tiers des
épouses ont subi des préjudices physiques de
la part de leurs maris au moins une fois dans
leur vie conjugale.
Bien que les bidonvilles souffrent d’un
déficit général de services, y compris les
services de santé, une part élevée des femmes
se refusent pourtant à recourir aux services mis
à leur disposition et leur préfèrent la médecine
populaire. Ce comportement s’explique par
la culture dominante dans ces bidonvilles
qui est celle des personnes ayant émigré des
campagnes dans la plupart des cas.
Les travailleuses immigrées
etrangères
Bien que les situations des travailleuses
immigrées, qu’elles soient arabes ou
étrangères, se ressemblent sur plusieurs plans,
l’intérêt sera centré dans cette partie sur les
travailleuses immigrées étrangères. L’intérêt
porté au sort de ces dernières s’est accru ces
derniers temps et s’accroît davantage encore
avec l’augmentation des plaintes venant des
individus, des organisations internationales
des droits de l’homme et de certains pays
exportateurs de main d’œuvre, faisant état
de violations sans relâche des droits des
travailleuses immigrées, plus précisément des
travailleuses asiatiques, en particulier, dans le
secteur des services domestiques dans les pays
d’accueil de la région arabe.
Sur ce plan, les caractéristiques générales
des travailleuses étrangères accueillies diffèrent
selon les Etats arabes. Ces caractéristiques se
ressemblent dans les Etats du Conseil de
Coopération des Etats du Golfe pour ce qui est
de leur répartition selon le genre, la profession
et l’ethnie. Toutefois, elles diffèrent dans les
autres Etats arabes accueillant et exportant la
main d’œuvre, comme la Jordanie et le Liban.
Les Etats du Golfe accueillent une main
d’œuvre féminine provenant aussi bien des
Etats développés d’Occident que des Etats
en voie de développement, à savoir l’Asie, le
monde arabe et l’Afrique. Cette main d’œuvre
occupe tous les emplois offerts aux femmes,
les emplois supérieurs comme les emplois
138
inférieurs sur l’échelle des fonctions, ceux qui
sont socialement acceptés et ceux qui ne le sont
pas. D’autre part, la répartition professionnelle
des travailleuses immigrées diffère d’une
nationalité à l’autre. D’une manière générale,
les travailleuses immigrées en provenance du
sud et du sud-est de l’Asie se concentrent dans
le secteur des services, en particulier dans celui
des services domestiques. Alors qu’aux Emirats
Arabes Unis, par exemple, on peut trouver
des employées européennes dans le secteur
des banques. Les employées arabes, quant à
elles, travaillent dans plusieurs secteurs, en
particulier, dans l’Enseignement et la Santé.
Le nombre des femmes immigrées dans la
région du Golfe arabe est estimé à 7,3 millions
en 2002, et on estime à environ un million
d’entre elles qui travaillent (Tableau 4-2).
Bien que les statistiques disponibles ne font
pas mention de leurs domaines de travail, ni
de leurs nationalités, on peut affirmer que la
majorité d’entre elles travaille dans le secteur
des services, plus précisément dans celui du
travail comme domestiques, qui tend à absorber
presque 30% des travailleuses, (Baqir AnNajjar, en arabe, Texte d’appui au Rapport).
Une autre partie d’entre elles travaille dans les
secteurs de la Santé et de l’Enseignement, des
banques, de l’hôtellerie et de la restauration
ainsi que dans certaines industries alimentaires
ou pharmacologiques et dans des activités de
divertissement.
Par ailleurs, le commerce du sexe absorbe
une main d’œuvre féminine provisoire, en
grand nombre, et qui va croissant, une main
d’œuvre en quête de gains rapides, dont
la durée du séjour ne dépasse pas pendant
quelques mois, voir quelques semaines. De
temps à autre, les médias locaux du Golfe se
font l’écho de descentes de la police locale dans
certains lieux de prostitution, ou d’opérations
d’appréhension de bandes faisant commerce
de la traite des blanches. Souvent, les acteurs
impliqués dans ce genre de commerce sont
originaires de certains Etats arabes, des exrépubliques de l’Union soviétique et de certains
Etats de l’Asie de l’Est et de l’Afrique de l’Est.
Hormis les Etats du Golfe, la Jordanie et
le Liban sont les deux pays qui accueillent
le plus de travailleuses immigrées. Les
quelques rares études disponibles, en plus
Rapport sur le développement humain arabe 2005
des observations sur le terrain, indiquent que
le secteur des services, du travail domestique,
est l’employeur principal des travailleuses
immigrées, particulièrement qui proviennent
du Sri–Lanka et des Philippines et ce bien que
le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et
du divertissement en Jordanie ait commencé à
absorber un nombre croissant de travailleuses
immigrées.
La situation des travailleuses dans le
secteur du travail domestique.
Le secteur du service du travail domestique
représente le plus grand employeur des
travailleuses immigrées, non seulement dans
les pays du Conseil de Coopération des
Etats du Golfe, mais également dans certains
autres pays arabes connus pour leur richesse,
plus précisément la Jordanie et le Liban. La
situation des employées dans ce secteur ouvrier
dans toute la région arabe se caractérise par les
traits suivants :
• Le bas niveau des salaires. Le salaire moyen
des travailleurs de ce secteur ne dépasse pas
les 150 dollars par mois et peut dans certains
cas descendre sous les 100 dollars. L’échelle
des salaires, dans ce secteur, est liée à la
nationalité : les salaires sont bas lorsqu’il
s’agit des Ethiopiennes et des Sri–Lankaises
et peuvent descendre dans certains cas de
figure jusqu’à 95 dollars. Dans certains cas
de travailleuses émigrées des Philippines,
par exemple, les salaires peuvent atteindre
250 et 300 dollars par mois.
• Elles ne sont pas couvertes par le droit
du travail. Les codes arabes du travail ne
couvrent pas les travailleurs, hommes et
femmes, employés comme domestiques.
Leurs salaires ne sont pas soumis à
l’augmentation annuelle. Leurs contrats de
travail ne stipulent pas non plus de droit aux
congés payés, hebdomadaires ou annuels.
• Les horaires de travail domestique ne sont
pas fixés. Ils peuvent commencer, pour
les femmes de ménage, à cinq heures ou
six heures du matin et prendre fin à des
heures reculées de la nuit. De manière
générale, le travail domestique s’apparente
plus à une mise à disposition permanente
et instantanée de ces travailleuses au service
Le niveau du bien être humain
Table 4-2
Travailleuses immigrées dans les pays arabes, 2002
Pays
Nombre
(en milliers)
% de la force de travail
féminine dans le pays
Arabie Saoudite
426
6.8
Emirats Arabes Unis
261
4.8
Koweit
241
71.5
Oman
145
79.2
Bahrain
36
1.4
Qatar
38
71.6
Source: Alnajjar, Papier d’appui au Rapport
des employeurs.
• Les employées ne jouissent pas dans ce
secteur de la liberté de circulation et de
déplacement. Ainsi, elles ne sont autorisées
à rendre visite ni aux amis, ni aux proches
lorsqu’elles en ont, ni à nouer de relations
avec leurs semblables hors du cadre de la
famille qui les emploie, ni à voyager, sauf
dans les cas urgents, par exemple, en cas de
décès d’un proche dans le pays d’origine.
Par ailleurs, leurs passeports sont souvent
confisqués par leur garant et ne leur sont
remis que le jour du voyage.
• Certaines employées se plaignent dans
ce secteur des préjudices physiques et
psychologiques qui leurs sont causés par
le maître ou la maîtresse de maison. Ces
préjudices peuvent, parfois, provoquer
des handicaps irréversibles ou le décès.
La presse locale se fait l’écho de récits
d’employées portant des traces de brûlures
sur des parties du corps faites par les
maîtres de maison. Cette situation a donné
lieu à une contre–violence de la part de ces
domestiques, pouvant prendre différentes
formes comme de tuer l’employeur ou de se
venger sur les enfants mineurs de la famille
de l’employeur ou de détruire les biens et le
mobilier de la famille.
• Les agressions sexuelles. Les employées
sont souvent victimes d’agressions sexuelles
perpétrées par le maître de maison, qui
est bien souvent d’un âge très avancé, par
l’un des ses fils ou bien par l’un des jeunes
hommes qui travaillent chez la même
famille tel que le chauffeur, le cuisinier
139
Encadré 4-5
Des “ bonnes ” asiatiques sont agressées par leurs employeurs
Un tribunal jordanien a condamné à cinq ans de
prison un citoyen jordanien poursuivi pour avoir
violé sa domestique siri-lankaise et tenté de la tuer
(journal palestinien “ Al Ayam ”, 8 décembre 2005)
“ Kosoma ” a été agressée physiquement
La servante Kosoma a raconté le récit de sa vie
dans l’un des Etats arabes en disant : “ Quand, après
trois mois de travail, j’ai demandé à la maîtresse de
maison de verser mon salaire, elle s’est acharnée sur
moi, me rouant de coups de pieds et de bâton ”. Elle
a ajouté : “ Parfois, elle tenait une pièce en métal
porté à blanc et me brûlait le corps ou chauffait un
couteau et l’appliquait à mon corps. ” Kosoma essaie
toujours de comprendre pourquoi sa maîtresse la
traitait avec une telle cruauté sans qu’elle ait fait quoi
que ce soit pour mériter un tel traitement. Kosoma
déclare que ses employeurs ne la supportaient plus,
et ils lui avaient dit qu’ils allaient l’emmener au poste
de police et qu’elle allait être arrêtée. Mais au lieu de
cela, la maîtresse de maison l’a mise dans un avion en
partance pour le Sri-Lanka, sachant qu’ainsi elle ne
sera jamais inquiétée par la justice pour torture.
Le fait que Kosoma soit âgée de 41 ans n’a pas
servi à grand chose. Elle se rappelle les viols successifs
commis sur elle par le fils de l’employeur âgé de 18
ans. Elle raconte : “ Quand j’ai essayé de lui résister,
il m’a menacé de me tuer ”. Elle ajouta : “ Je m’en
suis plainte auprès de sa mère, mais elle m’a répondu
simplement : “ Je te donnerai des pilules contre la
grossesse. ” Elle s’est ensuite mise à me frapper. ”
Source : BBC, site Internet, mercredi 23 février 2005. In (Mouncif
Al Marzouki, en rabe, Texte d’appui du Rapport.
Source: BBC web site: 23 February 2005 (Marzouki, background paper for the Report).
ou le fermier. L’agression sexuelle peut
également être le fait d’autres d’individus et
parfois l’un des voisins d’un travailleur dans
les boutiques du quartier.
Le traitement cruel, inhumain et dégradant à
l’égard des employées domestiques, notamment
lorsqu’elles sont d’origine étrangère, ne fait pas
seulement honte aux sociétés qui se murent
dans le silence à son sujet ; il est également
révélateur d’un dysfonctionnement profond de
leurs valeurs morales. Rétablir ces employées
dans leur dignité pourrait ne pas se dissocier
du rétablissement de tous les citoyens dans
la leur dont certains, pour se consoler de
l’injustice subie, violentent eux-mêmes plus
faibles qu’eux.
La violation des droits des travailleuses
en provenance de la Thaïlande, du Sri–Lanka
et d’autres pays asiatiques et africains est un
phénomène désormais difficile à dissimuler ;
il commence plutôt à prendre une dimension
politique dans la mesure où il fait l’objet de
pourparlers inter–Etats. Plus grave encore,
c’est qu’en plus de son impact sur le bien être de
femmes qui vivent parmi nous, ce phénomène
reflète une crise des valeurs à l’intérieur des
sociétés arabes qui se comportent à l’égard
des femmes étrangères comme si elles étaient
des êtres inférieurs, qui réuniraient même tous
les éléments de l’infériorité, à savoir la triple
qualité, de femme, de pauvre et d’étrangère
étrangère11.
Conclusion
Ce chapitre clôt la partie consacrée au diagnostic de la situation des femmes dans le monde arabe. Il
fait figure d’introduction à l’examen des différents aspects du contexte sociétal pouvant expliquer
cette situation à l’heure actuelle. De cette analyse, il ressort que les femmes sont soumises à un
niveau de déficit en terme de bien être humain qui se trouve en porte à faux avec le projet de la
renaissance humaine dans le monde arabe.
11
L’une des évolutions positives à noter, à ce propos, consiste dans les réalisations accomplies dans le cadre du programme “Protection des droits
des femmes immigrées travaillant en Jordanie”, mis en œuvre par Le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme, en collaboration avec le ministère du Travail jordanien, et qui a mis au point un contrat de travail unifié destiné aux travailleurs domestiques non–jordaniens.
L’importance de ce contrat de travail réside dans ses articles qui stipulent une journée de repos par semaine, la protection sanitaire, une assurance
vie, une prime de fin de contrat à l’employée. Le contrat est formellement exigé pour l’obtention du titre du séjour et de l’autorisation de travail. Il
constitue également une base solide pour la protection des droits des travailleuses immigrées et implique le soutien du pays d’accueil, à travers son
Ministère du Travail et ses services de sécurité, en plus du soutien des ambassades accréditées.
140
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Chapitre v
Les expEriences de
promotion des femmes
dans le monde arabe
Introduction
Les trois chapitres précédents ont présenté un
diagnostic de la situation des femmes dans le
monde arabe selon les axes du processus du
développement humain suivants : l’acquisition
des compétences humaines, leur utilisation et
le niveau de bien-être humain. Ce diagnostic
a abouti à la conclusion que la promotion des
femmes dans le monde arabe est encore hors
de portée, en dépit des avancées réalisées. Ce
chapitre s’attellera à montrer comment les
mouvements des femmes ont contribué, dans
le monde arabe, à l’accomplissement de ces
réalisations, et à pointer les défis auxquels ces
mouvements devront faire face, étant entendu
que ces mouvements sont l’un des leviers les
plus importants de la promotion des femmes
dans le monde arabe.
Ce chapitre tentera donc d’analyser la
réalité actuelle des mouvements des femmes en
tant que mouvements sociaux oeuvrant pour
le changement de la situation des femmes et
pour l’amélioration de leur situation dans la
société, et ce, en passant en revue les moments
historiques les plus importants qui ont
caractérisé leurs parcours dans les différents
pays arabes.
Il faut préciser que les mouvements des
femmes que les sociétés arabes ont connus sont
nés et ont évolué dans un environnement fait
de privations et dans un cadre où s’entremêlent
différents contextes socio-économiques - au
niveau local, régional et international - qui ont
déterminé leur parcours. Ce qui est contrariant,
c’est que, à chaque fois que la question des
femmes est évoquée, la discussion devient
vive et les questions commencent à fuser :
Le mouvement de libération des femmes
dans le monde arabe doit-il être dissocié des
revendications de la société et de ses besoins ?
Est-il un mouvement contre les hommes ? Les
groupes revendiquant les droits des femmes
arabes sont-ils soumis des agendas qui leur sont
propres et émanent-ils de la réalité de la société
arabe ? Les féministes revendiquant les droits
des femmes ne miment-ils pas des mouvements
de libération des femmes en Occident ?
Comment doit-on expliquer l’intérêt que
l’Occident porte au statut des femmes en
Orient ? Les mouvements de libération des
femmes agissent-ils contre l’intérêt des familles
arabes ? Existe-t-il même un programme tenu
secret visant méthodiquement la destruction
des familles arabes ? La revendication des droits
des femmes, a-t-elle pour objectif d’affaiblir
la religion ? Enfin, y a-t-il effectivement des
mouvements de libération des femmes qui
aspirent à provoquer un changement social
à une large échelle ? (Elsadda, Document
d’appui au Rapport).
L’examen de ces problématiques conduit
inéluctablement à répondre à plusieurs
questions qui résument la situation des
mouvements des femmes en particulier, et dont
l’une des plus importantes a trait à l’examen
des facteurs qui ont bloqué le changement
du statut des femmes arabes et qui l’ont
maintenu dans à un niveau très bas, et ce,
malgré la multiplication des organisations de
femmes. On commence même à constater des
régressions par rapport à certaines dispositions
législatives qui avaient été promulguées à en
faveur des femmes. Une telle évolution appelle
une explication. Cette régression signifie-t-elle
que le monde arabe a conscience qu’il entre
dans le troisième millénaire tout en traînant
derrière lui des questions non résolues comme
le droit des femmes à l’enseignement, au
travail et à l’activité politique ? Il y a même des
sociétés arabes qui continuent de débattre sur
la question de savoir si les femmes ont le droit
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
141
ou non au voyage sans autorisation des maris,
et même à la conduite des automobiles ?
L’étude de l’histoire du mouvement des
femmes et de son évaluation fait ressortir
un processus en trois étapes concomitantes
et complémentaires. Ces étapes sont
éminemment importantes pour comprendre
la cause des femmes, qui est un mouvement
pour la libération des femmes et pour qu’elles
arrachent leur droit intégral et inaliénable à
peser sur la marche de la société. La première
étape est relative au choc de la colonisation
et aux retombées, qui en ont découlé, sur la
réalité des femmes, des familles et des foyers.
La deuxième étape concerne la construction
de l’Etat–nation de l’après indépendance aussi
bien que les tensions au tours du concept de
“ construction ”, sa nature et ses acteurs. Quant
à la troisième étape, elle est liée à l’émergence
d’une conscience féminine nouvelle qui tire
sa force de l’entité féminine elle-même et du
soutien qui lui est prodigué par le discours
international sur la libération des femmes, sur
leur autonomisation et leur intégration (Malki,
Document d’appui au Rapport).
De fait, ces trois étapes ont joué un rôle
dans l’enracinement chez les femmes de la
conscience de leur situation dans la société,
d’une part, et dans la nature du discours
réformiste, qui se développait en fonction
des différentes et diverses préoccupations,
d’autre part. Le facteur le plus influent dans
l’histoire du mouvement des femmes, semble
être sa participation à la lutte de libération
menée contre la colonisation, et ce, avant son
engagement dans la lutte de la libération des
femmes dans leurs sociétés.
C’est la raison pour laquelle l’histoire du
mouvement des femmes dans les pays arabes est
articulée ici en deux étapes : la première concerne
la contribution du mouvement des femmes
au processus de libération des pays arabes,
la seconde concerne l’enracinement dans la
conscience des femmes des questions féminines
pendant la période de l’indépendance.
Le mouvement des femmes et
leur rôle dans le processus
de libération
Le mérite dans l’émergence du mouvement
142
des femmes revient aux femmes elles-mêmes,
puisque cette émergence a été le résultat aussi
bien de la conscience qu’elles avaient de leur
place dans la société que de leur prise de
conscience que l’infériorité de leur statut n’était
pas le fait d’une “ fatalité sacrée ” qu’elles
devaient accepter. Par ailleurs, il convient
d’indiquer que cette émergence a coïncidé avec
le mouvement réformiste dont les germes sont
apparus dès la fin du dix-neuvième siècle.
Ce qui a pu être mis en œuvre par ces
femmes n’était ni simple à réaliser ni aisément
acceptable dans des circonstances historiques
où des visions contrastées se bousculaient.
Il y avait, d’une part, la vision de ceux qui,
totalement subjugués, prônaient l’ouverture sur
la civilisation de l’autre, d’autre part, il y avait
la vision de ceux qui rejetaient cette civilisation,
revendiquant obstinément le retour au as-salaf
as-sâlih (les pieux ancêtres). Au travers cette
étape de l’histoire du mouvement des femmes,
on peut relever un ensemble de constatations
qui se résument comme suit :
Ces mouvements avaient centré leur
activité sur l’action caritative. C’est pourquoi
elles ont émergé au sein des classes aisées des
sociétés arabes. Leur étendard a été hissé par
des femmes aristocrates ou appartenant aux
familles dirigeantes Cela ne saurait nullement
diminuer la valeur de l’action caritative en ellemême. Mais lorsque celle-ci constitue le seul
objectif du mouvement des femmes, elle fait
figure de sillage à l’intérieur duquel le discours
qui prône la promotion des femmes peut être
circonscrit. En fait, l’implication dans l’action
caritative peut interpeller la société en entier
et ne saurait en aucun cas être l’exclusivité des
femmes au détriment des hommes (Al-Shatti et
Rabw, 2001 :26).
L’histoire du mouvement des femmes
montre que l’Egypte comptait parmi les pays les
plus importants à avoir vu apparaître un grand
nombre d’associations de femmes. De fait,
l’Egypte a connu la naissance de la première
“ association des femmes scientifiques ” qui
remonte à 1881, faisant de la conscientisation
des femmes par rapport aux questions qui les
touchent un de ses objectifs primordiaux.
On peut également mentionner l’audace
avec laquelle ces associations se sont illustrées
en posant les questions qui sont liées à la mise
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
en état d’infériorité des femmes, et dont l’une
des plus cruciales concerne la nécessité de la
révision des codes du statut personnel. C’est, in
fine, dans la perspective de ce genre de finalités
que des associations, telles que L’Association
caritative Mohamed Ali (1908) et L’union
féminine éducative (1910) ont été créées.
En fait, les mouvements des femmes n’ont
pu atteindre un certain degré de maturité
que pendant les années quarante, période qui
devait immortaliser la résistance des sociétés
arabes touchées par la colonisation. Ainsi,
les revendications se sont focalisées sur la
nécessité de revoir la question de la polygamie
et celle du droit des femmes à une scolarisation
généralisée. Ce qui est surprenant, en fait, c’est
la multiplication de ces associations qui sont
présentes dans presque tous les pays arabes :
on peut citer pour l’Egypte, Al-Hizb An-Nisâî
al-Misrî (Le parti des femmes égyptiennes)
(1942) et le Ittihâd bint An-Nil (L’Union de
filles du Nil) (1948) ; pour la Tunisie : Ittihâd
An-Nisâa At-tûnusiyât(L’Union des femmes
tunisiennes) (1944) ; pour le Maroc : Ittihâd
Nisâa al-Maghrib (L’Union des femmes du
Maroc) (1944), Jamiat Akhawât As-Safa
(L’Association des sœurs de la pureté) (1946),
Jamiat An-Nisâ Al-Maghribiyât (L’Association
des femmes marocaines) (1947) ; pour le
Liban : Al-Majliss An-nisâï Al-Lubnanî (Le
Conseil des femmes libanaises) (1943), Jamiat
Al-Mara’a al-Lubnâniya (L’association de la
femme libanaise) (1947).
L’Irak a également vu naître en 1945 AlIttihâd An-Nisâï Al-Irâki (L’Union des
femmes irakiennes), alors qu’au Soudan, sont
fondées en 1945, Râbitat Al-Fatayât AtTaqâfiya (Le Syndicat culturel des filles), et
Jamïat Al-Mar’a fi As-Soudân (L’Association
des femmes au Soudan). La même année, a été
crée, en Jordanie, Jamïat Al-Ittihâd An-Nisâï
Al-Urdonî (La société de l’union des femmes
jordaniennes) (ESCWA, 2006 a, sous presse).
Les femmes, plus que les hommes, ont
souffert d’une profonde déchirure du fait
plusieurs facteurs. D’abord, le choc de la
colonisation a poussé les femmes, dans
Une femme brillante : Huda Sha’rawi (juin 1897- décembre 1947)
Huda a fondé une association pour la
protection des femmes en 1907. En 1908,
elle a réussi à convaincre l’Université
d’Egypte de réserver une salle de
conférences pour les activités organisées
par les femmes. L’activité de son mari, Ali
al-Sha‘rawi, homme politique remarqué
par son rôle joué dans la révolution de
1919, avait un impact énorme sur ses
activités. Elle a participé à la direction
des manifestations des femmes en 1919
et a créé la Commission de la délégation
centrale des femmes dont elle a pris la
direction.
En 1921 et alors que les Egyptiens
accueillaient Sa‘d Zaghlul qui retournait
en Egypte, Huda Sha’rawi a appelé à
élever l’âge légal du mariage à 16 ans
pour les filles et à 18 ans pour les garçons.
Elle a œuvré également à imposer des
restrictions au droit des hommes à
répudier les femmes. De même, elle a
milité pour la scolarisation des femmes
et soutenu leur action professionnelle
et politique. Elle a aussi combattu la
pratique de la polygamie et appelé les
femmes à refuser le port du voile, qu’elle
a elle-même enlevé.
Elle a fondé Al-Ittihad An-Nisâï ALMisrî (L’Union féminine égyptienne) en
1923 qu’elle a dirigée jusqu’en 1947. Elle
était également membre fondateur de
Al-Ittihâd An-Nisâï Al-Arabî (L’Union
des femmes arabes). Elle a créé la revue
L’Egyptienne en 1925 et la revue AlMisriya (La femme égyptienne) en 1937.
En 1938, Huda Sha’rawi a organisé
pour les femmes un congrès pour la
défense de la Palestine. Elle a également
appelé, dans le cadre de la lutte pour
la Palestine, les femmes à accomplir ce
qu’il faut d’efforts en vue de rassembler
équipements et vêtements et à se porter
volontaires dans les services de soin et
d’urgence.
Parmi ses écrits :
‘Asr al-Harîm (“ Le Temps du harem ”),
qui relate les souvenirs d’une femme
égyptienne pendant la période 1880-1924.
Cet ouvrage a été traduit en anglais par la
journaliste britannique Margot Badran.
Source : “ Sunshine for Women ” (2006). (Visite du site : avril 2006) http://www.pinn.net/-sunshine/whm2001/
huda2.html
les Etats colonisés, dans des domaines qui
étaient jusqu’alors du ressort unique des
hommes. D’autre part, elles devaient faire
face à un dilemme : choisir le combat pour
l’indépendance ou opter pour le travail comme
salariées dans les unités de production créées
dans le contexte de l’expansion de l’occupant
et la mise en place de ses colonies.
La prise de conscience de la nécessité de
scolariser les femmes et l’appel formulé par
les mouvements des femmes à cette fin, bien
que cette scolarisation ait été considérée
comme réduite, étaient l’un des facteurs les
plus importants ayant persuadé les femmes
de l’importance de l’enseignement et de ses
retombées directes sur la question des femmes
et sur les possibilités de leur libération.
Malgré le retard enregistré par le Maroc, en
comparaison avec certains pays du Mashreq,
dans l’appel à la libération des femmes et
dans la création d’associations oeuvrant à leur
soutien1, son élite n’est pas restée insensible aux
1
A titre indicatif, Mohamed Ali a fondé l’école des sages femmes et a crée des opportunités de formations aux jeunes filles dans le domaine de la
filature, du textile, de la confection des chapeaux et des vêtements, dans l’objectif de fournir l’armée en tenues. Son petit–fils, Al-Khidioui Ismaïl a
adopté la même démarche lorsqu’il a créé à son tour une école pour filles As-Sounniya, en 1873. D’autres écoles ont été ouvertes en Syrie, en Irak,
au Liban et dans d’autres pays arabes.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
143
appels des penseurs de la Nahda concernant la
scolarisation des jeunes filles et leur libération
des anciennes traditions qui jugulaient leurs
capacités d’émancipation2. Ainsi, durant les
années quarante, a été créé au Maroc, par
exemple, dans la ville de Tétouan, alors sous
occupation espagnole Jamiat Akhawât Assafa. Le parti de l’Istiqlal a créé également
en 1947 une des premières cellules de travail
féminines. Au lendemain de la tragédie de la
Palestine (1948), l’association Akhawât AsSafâ ont tenu leur deuxième congrès, où elles ont
formulé un certain nombre de revendications,
comme l’abrogation de la polygamie, sauf en cas
de force majeure, l’organisation juridique de la
séparation de corps entre le mari et l’épouse,
et ce, pour préserver l’équilibre familial, enfin
l’interdiction du mariage avant l’âge de seize
ans (Daoud, 1993 : 248).
En Egypte, à cette époque, le mouvement
des femmes était plus conscient des questions
des femmes et de la nécessité de les ordonner
selon des priorités à définir. Ainsi, en 1948,
Duriya Shafiq a créé l’association Les Filles du
Nil et veilla, dans ces discours réformistes, à
revendiquer l’égalité totale sur le plan des droits
politiques entre les femmes et les hommes.
Malgré les critiques et les qualifications élitistes
que ce mouvement a dû affronter, elle avait fait
preuve d’assez d’audace pour faire face aux
dénégateurs de la promotion des femmes. La
réussite de son action réside dans le fait qu’elle
a situé le discours sur la libération des femmes
dans le même contexte que celui du discours
sur la libération du joug de la colonisation.
De cela, il en découle que l’importance
de la période coloniale qui a eu un fort
impact sur le mouvement des femmes à
travers la désarticulation de la structure
des pays islamiques occupés. Les structures
traditionnelles, économiques et sociales, ont
été secouées comme l’ont l’été les systèmes
culturels et de valeurs. Il devenait donc
nécessaire d’investir le sentiment national et
de provoquer un état général de conscience
en vue de faire de la lutte nationale la priorité
des priorités. La conséquence en a été que le
développement social, y compris la promotion
des femmes, a été relégué au second plan et est
2
144
resté tributaire de l’aboutissement de la lutte
nationale.
Les années 1940 et 1950 ont été très
riches en travail d’élaboration du discours au
féminin. Les partis politiques ont ainsi procédé
à la constitution d’associations des femmes
qu’ils ont placées sous leur égide. On constate
également l’implication des hommes en tant
que membres actifs dans le mouvement des
femmes. Mais en même temps, on se doit de
pointer leur désir de monopoliser le discours
sur les femmes dans le but justement de les
contrôler, de s’assurer de la fidélité de l’action
qui en constitue le prolongement et à en
s’ériger porte-parole. Ce fut là sans doute la
première dérive du mouvement des femmes,
dérive qui a consisté à conférer à la dimension
“ existentielle ” des revendications féminines
une coloration politique.
Ainsi, dès la fin de la seconde guère
mondiale, sont apparues, dans les pays de
l’orient et de l’occident arabes, des associations
de femmes à caractère particulier, certaines
sont nées dans le giron des partis communistes,
comme L’Union des femmes tunisiennes
(1944), L’Union des femmes du Maroc (1944),
L’Union des femmes d’Algérie (1945), ou
encore, L’Association de la femme libanaise
soutenue par le parti communiste libanais
(1947). D’autres, en revanche, ont émergé
dans le giron des partis conservateurs, comme
l’Association des Sœurs de la Pureté (1946)
soutenue au Maroc par le parti Ach-Chourâ,
l’Association de la sœur musulmane(1951),
soutenue en Irak par le parti conservateur de
l’époque. D’autres encore ont vu le jour sous
l’égide des partis socialistes, comme l’Union
des femmes tunisiennes(1955) soutenue par le
parti socialiste tunisien.
En réalité, la conscience politique était
prégnante, que ce soit chez les hommes ou
chez les femmes. C’est la raison pour laquelle
on peut presque dire que les mouvements des
femmes ont failli oublier, dans ces circonstances
difficiles, les objectifs en vertu desquelles ils
ont été créés ; ce qui n’a pas manqué d’en
affecter le fonctionnement partout dans le
monde arabe. En fait, les femmes de toutes
les classes sociales se sont imprégnées de cette
On pense principalement aux écrits de Al-Hajoui, ministre des Affaires culturelles à l’époque, voir son ouvrage L’Apprentissage des filles.
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
conscience politique. Cet état de fait s’est
reflété dans les discours des mouvements des
femmes qui ont cru que l’issue des questions
des femmes était tributaire de la libération
nationale, peut-être même, constituait-elle un
résultat naturel de cette libération : était-il alors
possible d’envisager le contraire, dès lors que
les femmes s’étaient engagées dans le combat
pour la libération à côté des hommes, faisant
ainsi déjà l’expérience de l’égalité ?
L’enracinement chez les
femmes de la conscience
des questions qui leur
sont spécifiques pendant
l’indépendance
Aborder le sujet de la promotion des femmes
dans cette période de l’histoire des Etats arabes,
c’est encourir sérieusement le risque de heurter
les sensibilités, car il s’agit d’un sujet qui reste
déterminé par un ensemble de faits historiques
qu’il incombe à l’analyste d’évaluer à l’aune
de ces considérations, dont un fait qui est des
plus importants, à savoir que les Etats arabes
ont recouvré leur souveraineté à des périodes
différentes. A cela, il faut ajouter que la nature
des régimes était de deux types : monarchie
constitutionnelle ou nationaliste populaire.
Ces deux types ont influencé l’élaboration
de la vision sur le statut des femmes et sur la
marge de changement permise. Cependant,
la différence dans les types de régime n’a pas
évacué la volonté sincère de faire évoluer la
situation des femmes, même si cette résolution
était conditionnée par un ensemble de
facteurs : les gouvernements ont œuvré à faire
fusionner beaucoup d’associations de femmes
et ont tenu à leur appliquer la désignation
d’Unions. Ainsi, le régime en Tunisie a-t-il
procédé à la dissolution, par exemple, des
deux organisations suivantes : l’Union des
femmes musulmanes et l’Union des femmes
tunisiennes. Il a également octroyé aux femmes
adhérentes au Parti Destour la responsabilité de
la formation de l’Union tunisienne des femmes Al-Ittihâd An-Nisâï At-Tounoussi. Depuis,
l’action des femmes a été organisée sous la
houlette de l’autorité au pouvoir, qui agissait
selon ses ordres et en parfaite intelligence qu’il
s’agisse des choix politiques à suivre et des
revendications prioritaires à définir.
Ce sur quoi il faut attirer l’attention, c’est
que ces réformes ont eu lieu dans un contexte
d’optimisme généralisé où régnait la confiance dans
la capacité incontestable de réaliser les objectifs que
les mouvements des femmes se sont fixés et qui, de
surcroît, constituent leur raison d’être. On pensait
que toutes les difficultés allaient être aplanies par les
régimes en place, auxquels revient le mérite d’avoir
réussi l’indépendance. Par conséquent, pourquoi donc
n’amèneraient-ils pas également la liberté aux femmes,
dès lors qu’elles ont contribué à l’avènement de cette
indépendance.
Le mouvement des femmes est passé dans cette
époque par un ensemble de changements, suite aux
transformations sociales, et particulièrement celles
qui ont affecté les femmes dans les pays arabes. On
peut citer, par exemple, l’extension de la scolarisation
des jeunes filles, l’accès des femmes à des professions
bénéficiant socialement d’un statut respectable
(médecins, universitaires, ingénieurs, avocates…)
Certaines ont même occupé des postes de direction
dans les partis politiques et les gouvernements. La
prise de conscience de la situation qu’elles vivent s’est
trouvée ainsi ancrée dans la société. La sensibilité à leurs
questions a largement gagné la société, sans parler des
organisations internationales spécialisées en matière de
questions féminines qui ont commencé à influencer les
mouvements sociaux internes. Ces facteurs ont joué un
rôle principal dans la sensibilisation des mouvements
des femmes aux questions féminines d’une part, et
dans la prise de conscience qu’elles doivent prendre en
charge elles-mêmes la défense de leur cause (Guessouss,
Document d’appui au Rapport).
Cependant, ces mouvements ont eu à
affronter un ensemble de difficultés qui
ont entravé la marche du mouvement des
femmes dans la bonne direction et l’ont forcé
à mener son combat sur plusieurs fronts, qui
peuvent être ramenés essentiellement à trois :
le front politique, le front social et le front
revendicatif.
Le front politique
Comme indiqué auparavant, les gouvernements
ont œuvré à faire fusionner les associations
féminines et à leur donner la désignation
d’union. Il importe d’indiquer à ce propos que
les Etats arabes se partagent la responsabilité
d’avoir cantonné l’action féminine dans
un espace contrôlé et orienté par l’autorité
masculine. Ainsi, les femmes qui désiraient
participer à la vie publique se devaient de le
faire dans le cadre des organisations officielles
des femmes, soumises au régime. Leur discours
était donc calqué sur celui des hommes du
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
145
pouvoir et se devaient d’observer ainsi le
silence par rapport aux problèmes qu’elles
affrontaient.
Il convient d’indiquer que cette vision de la
question féminine était liée à des faits sociaux
dont les plus importants sont :
• L’extension de l’analphabétisme dans la
plupart des pays arabes, en particulier
l’analphabétisme des femmes. C’est ce qui
a donné à la question de la scolarisation
une importance de premier ordre dans
les programmes de tous les mouvements
sociaux (partis, syndicats, associations
civiles et associations féminines).
• La prépondérance des conceptions
traditionnelles quant au rôle des femmes
et à leur fonction sociale. La limitation de
ce rôle dans ce qu’on appelle aujourd’hui
le rôle positif, c’est-à-dire sa fonction en
tant que mère, éducatrice et gestionnaire de
maison.
• La prédominance de la conviction
que le travail des femmes répond à un
besoin matériel provisoire, généré par
des circonstances passagères et n’est pas
considéré comme prouvant son existence.
Telles furent les fondements du discours
des partis politiques au pouvoir qui ont
remplacé d’anciennes formes par de nouvelles,
au point que certains chercheurs n’ont pas
hésité à parler de féminisation du discours du
pouvoir. Ainsi, le projet moderniste a-t-il pris
en charge, dans tous les pays arabes désireux de
réforme, la mission d’adapter les citoyens à une
conception sociale déterminée. C’est pourquoi
la politisation du statut de la mère dans le
discours nationaliste a été mise en avant pour les
femmes. Mais en même temps la reconnaissance
de leur statut en tant qu’individus n’a pas été
établie. Les mouvements des femmes qui se
sont impliqués dans l’action des associations
caritatives ont connu le même sort par ailleurs.
Malgré le travail important de ces associations,
qui a consisté à installer des femmes dans le
domaine public, particulièrement les femmes
appartenant aux classes moyennes, l’action
caritative a consacré la perception dominante
selon laquelle la femme est considérée comme
mère, source de générosité, d’affection et de
protection. Ce qui signifie du coup que le rôle
des femmes assumé en famille s’est vu élargir et
146
s’étendre à la société. C’est pourquoi l’action
caritative a fait office d’instrument de liaison,
accepté socialement en tant que tel, entre le
domaine privé et le domaine public, sans que
cela menace la structure sociale dominante,
fondée sur une hiérarchie établie entre
sexe masculin et sexe féminin (Guessouss,
Document d’appui au Rapport).
Le front social
Le phénomène le plus manifeste est la pléthore
d’associations civiles publiques, en particulier
d’associations féminines. Toutes sont fondées
sur le principe de la défense des femmes et du
redoublement d’efforts pour monopoliser le
discours sur la promotion des femmes.
Ce phénomène a coïncidé durant les trois
dernières décennies avec un autre phénomène,
celui de la dominance des mouvements
islamistes d’une part et de l’extension de
l’appel au retour aux pieux ancêtres, d’autre
part. Ce discours activiste a vu le jour dans
un environnement favorable, attendu qu’il
s’est développé à l’ombre de traditions et de
coutumes auxquelles les sociétés musulmanes
recouraient continuellement en cas d’arbitrage
et dans lesquelles elles ne percevaient aucune
séparation entre le sacré et le culturel. C’est
donc contre ces coutumes que les mouvements
des femmes ont été fondés. La majorité
des souches sociales ont adhéré aisément à
ces mouvements islamistes parce qu’ils ne
revendiquèrent pas le changement de son statut
social. Ces mouvements ont été aidés en cela
par l’extension terrible de l’analphabétisme
dans les milieux des femmes ; ce qui a rendu la
communication difficile.
Le discours de ces mouvements vise à
faire porter aux femmes la responsabilité des
difficultés des sociétés. L’argument invoqué à
cette fin est que l’égalité dans la vie publique
contribue à réduire les opportunités d’accès
des hommes au marché du travail, alors
qu’ils ont la responsabilité de la famille dont
la subsistance dépend de leur travail. La
véritable place des femmes selon ce discours
est qu’elles soient au foyer pour prendre soin
de leurs maris, assurer la reproduction, veiller
à l’éducation des enfants, et par conséquent à
se départir de leurs ambitions de participation
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
à la vie publique considérées non réalistes.
On doit indiquer qu’il existe dans la forme
du discours une différence entre les courants
salafistes et l’école des Frères musulmans
quant aux positions adoptées à l’égard
des femmes : La position des mouvements
salafistes a toujours été claire, à savoir, que
la place d’une femme est d’être à la maison
et que son rôle est de s’occuper de la famille.
Ainsi les conceptions du courant Salafiste,
dans leur ensemble s’opposaient à l’efficacité
et à l’activisme féminin dans la société civile.
Ce courant adopte une vision de principe de
la division du travail social qui cantonne les
femmes aux rôles de la reproduction, de la
maternité et de l’éducation des enfants, et qui
met en garde contre la mixité. Le maximum
que l’on peut attendre des salafistes c’est
qu’ils consentent, en matière d’activité sociale
des femmes, d’accepter qu’elles assurent
une activité indépendante dans les domaines
de l’activité civile caritative. le mouvement
des Frères musulmans adopte une position
de principe favorable à l’obtention de leurs
droits politiques par femmes y compris la
participation aux élections, sans pour autant
procéder au traitement des réformes afférentes
au domaine du statut personnel, comme
la polygamie, le droit des femmes à être
responsables juridiquement d’elles-mêmes et
de leurs enfants et le droit au divorce.
Les associations féminines, en plein
combat, n’ont pas pris conscience de la portée
du danger du courant salafiste qui a fait de la
condamnation de la promotion des femmes
une des priorités de son discours. En réalité,
ce discours n’a pas surpris les composantes
de la société, et il semble qu’il se soit appuyé
sur les retombées des crises économiques
vécues par les pays arabes. Ainsi, les femmes
se sont-elles retrouvées à nouveau dans la
situation du “ bouc émissaire ” : elles doivent
céder sur leurs revendications comme ce fut
le cas dans la période de la résistance à la
colonisation. Cette situation a empiré lorsque
les courants conservateurs se sont renforcés sur
la scène politique arabe alors que les courants
nationalistes, panarabes, libéraux et socialistes
se sont trouvés affaiblis dans leur majorité.
A partir de la première Conférence
mondiale sur les femmes qui a eu lieu en 1975
au Mexique, et sous l’effet des mécanismes
internationaux visant la promotion des
femmes, des signes nouveaux du féminisme
étatique ont commencé à voir le jour. Les
Etats se sont alors engagés à développer leurs
législations conformément aux conventions
internationales sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes.
La sincérité de leur résolution s’est traduite
par la revivification de centres, d’institutions
et d’organisations s’occupant des affaires
des femmes. Dans ce contexte on a assisté
à l’apparition d’un nouveau phénomène
consistant en l’adoption par les épouses de
chefs d’Etats de la cause de la promotion des
femmes. On peut évoquer, à titre d’exemple,
le cas de Jihane Sadate qui s’est considérée
comme l’incarnation de la femme égyptienne et
sa porte voix. Elle a pu, à partir de sa position
et par des décisions venues d’en haut, réaliser
des acquis pour les femmes égyptiennes, sans
impliquer les organisations féminines. En
contrepartie de ces acquisitions offertes d’en
haut, les Etats ont dressé des obstacles pour
entraver l’action de tous les mouvements
féminins populaires indépendants et capables
de protéger leurs acquis ; c’est pourquoi il a été
facile, par la suite, de revenir sur ces acquis,
comme en Irak et en Egypte.
Un certain nombre de régimes arabes
ont considéré que les groupes islamistes
constituaient un instrument pouvant être utilisé
pour affaiblir les forces ouvrières et de gauche.
C’est ce qui a conduit au développement du
mouvement de la revivification islamique
(ihya’ia) qui a étendu son intérêt à tous les
aspects de la vie publique et privée et dont
le discours a attiré de larges franges de la
jeunesse, particulièrement les jeunes femmes.
Il a été possible, alors, à ce courant, au Soudan,
par exemple, de fonder le code du statut
personnel sur des concepts qui consacrent la
ségrégation entre les femmes et les hommes,
mais enveloppés dans un référentiel religieux.
Il a failli réussir en Algérie. De même, il s’est
enraciné dans l’affect des classes sociales
moyennes et pauvres dans tous les Etats comme
en Tunisie, au Liban, au Maroc et dans Etats du
Golfe. La situation s’est aggravé en Egypte où
des organisations islamistes ont construit des
écoles, des hôpitaux et des banques également.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
147
On a alors commencé à apercevoir le début
d’un retour à une vision de la construction de
dâr al-islâm (Espace de l’Islam), vision qui
interpelle la structure des sociétés islamiques
qui se trouve tapie dans les interstices des
codes de la jurisprudence islamique.
Les milieux sociaux possédant une culture
traditionnelle se sont fait l’écho de ce discours,
milieux déçus par les projets qui tardent à
se réaliser, désespérés de pouvoir changer
l’existant, n’ayant plus aucun recours que
l’isolement et l’espoir d’une grâce pour un
pêché commis à l’encontre de “ cette oumma ”.
Les associations féminines, telles que La
femme nouvelle, en Egypte, et L’Association
des femmes démocrates, en Tunisie, ont appelé
à la nécessité de limiter l’islam dans le cadre
de la foi individuelle et des valeurs spirituelles.
Encadré 5-1
Elles ont refusé avec énergie l’idée défendue
par les islamistes stipulant que la laïcité est un
fait exceptionnel lié à l’expérience européenne.
Certaines associations, au Maroc, en Palestine,
en Jordanie et dans les Etats du Golfe, ont
été contraintes de changer de position et de
demander l’ouverture de la porte de l’ijtihad
au sujet des questions liées aux femmes et
l’adoption d’une méthode éclairée dans la
lecture des versets fondamentaux en vue de
fonder un discours rénové qui s’alimente du
patrimoine islamique.
Le front revendicatif
Les fronts politique et social ont eu une
influence directe sur le genre de revendications
défendues par le mouvement féminin ;
Les droits des femmes, entre constitution et lutte politique
En Egypte, trois initiatives pour amender le code du statut personnel
en faveur des femmes ont été prises dans les années soixante-dix.
L’Etat a adopté quelques dispositions qui procurent aux femmes
une certaine protection et une certaine stabilité. La loi 44 de l’année
1977 a été ensuite promulguée ; elle rend obligatoire la déclaration
par l’époux du nom de l’épouse ou des épouses qui sont sous sa
tutelle avant de contracter un nouveau mariage, et oblige le notaire à
procéder à la déclaration de la première épouse ou des épouses dans
un écrit certifié par lui. Cette loi a également donné droit de divorce
à la première épouse en cas de préjudice vécu, sans qu’elle soit tenue
de prouver ce préjudice en cas de polygamie, mais à condition qu’elle
fasse la demande de divorce pendant l’année où elle a été informée
du deuxième mariage de l’époux. De plus, la loi donne à l’épouse le
droit de résider dans la maison du mari en toute autonomie et ce, tant
que les enfants sont mineurs, sauf si son divorçant lui procure une
autre maison alternative. En 1985, l’un de tribunaux par thèmes a
prononcé l’inconstitutionnalité de cette loi et s’est référé à la Haute
Cour constitutionnelle qui a prononcé son annulation en mai 1985,
pour vice de forme entachant les dispositions de sa promulgation,
sans se prononcer pourtant sur le contenu de la loi. En effet, cette
loi a été promulguée sur décision républicaine pendant la période de
congé du parlement et sans qu’elle lui ait été présentée en vue de son
adoption, conformément à la Constitution. Cette loi n’avait pas non
plus un caractère exceptionnel justifiant l’utilisation par le Président
de la République de ses prérogatives exceptionnelles. Cette loi a été
associée également au nom de l’épouse du Président, Madame Jihane
Sadate, ce qui a provoqué une polémique à laquelle ont été mêlées
d’autres prises de positions opposées au régime en place. En somme,
cette loi a particulièrement souffert du fait de l’avoir arrimée à l’activité
féminine de l’Etat.
Lorsque l’information relative à une éventuelle décision corroborant
la non constitutionnalité de la loi 1979 a été connue, plusieurs groupes
divers de femmes activistes dans le domaine de la défense des droits
des femmes se sont élevés contre une telle décision et ont organisé une
grande campagne pour s’opposer à l’annulation de la loi 44 et pour le
maintien des acquis qu’elle représente. Les femmes ont constitué une
commission de “ défense de la famille et de la femme ” qui a tenu ses
premières réunions au sein de l’Association créée par Huda Sha’raoui,
laquelle association a été choisie pour ce qu’elle symbolise comme
valeurs historiques et morales. La commission a tenté d’organisation
des mouvements de protestation du plus grand nombre de femmes.
L’annonce des rassemblements a été publiée dans les journaux et les
membres de la commission ont rédigé des articles sur cette question
dans des journaux et des revues. Mais ladite commission a du faire face
à une campagne impitoyable des courants conservateurs de la société,
qui n’ont pas hésité à tenir des propos blessants à l’égard des femmes
membres qui ont du essuyer toutes sortes de vexations. La commission
ne pouvait pas se procurer facilement un lieu public pour la tenue des
réunions qu’elle organisait, parfois, dans les domiciles de membres de
la commission qui ont accompli des efforts épuisants pour assurer la
coordination et l’action commune.
La commission a cependant réussi à porter la cause des droits des
femmes devant l’opinion publique. Elle a présenté au gouvernement
des propositions et des revendications qui défendent les acquis des
femmes. La commission a su tirer profit, dans la défense de sa cause,
des circonstances internationales et de l’approche de la Conférence
mondiale sur les femmes qui devait se tenir à Nairobi en 1985. Ce qui
a aidé à accélérer la présentation d’une autre loi devant le Conseil du
peuple en remplacement de la loi annulée. La loi 100 de l’année 1985
qui a été alors promulguée comportait des articles similaires à ceux de la
loi 1979. Cependant, la Loi 1985 est venue faire des concessions en vue
d’apaiser le courant conservateur de l’Etat. L’une des plus importantes
concessions et l’annulation du droit des femmes à divorcer sans avoir
à prouver le préjudice motivant le divorce, et ce, en cas où l’époux
prend une autre épouse. La loi stipule donc la nécessité d’apporter la
preuve du préjudice physique ou moral qui atteste de l’impossibilité
du compagnonnage conjugal.
Source : Huda As-Sadda, Document d’appui au Rapport
148
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
revendications qui sont l’expression de
préoccupations liées étroitement à la réalité
sociale ainsi qu’aux priorités de l’heure définies
par le mouvement.
C’est la raison pour laquelle il était nécessaire
d’adopter des méthodes qui puissent s’adapter
avec les situations déjà citées. La seconde moitié
des années soixante-dix a connu les prémices
des premières actions dans le sens de la création
d’organisations féminines indépendantes des
organismes politiques officiels. En Tunisie,
a été créé un forum féminin, connu sous le
nom du Club Tahar-Haddad, en 1978. C’est
un groupe d’étudiantes d’orientation de
gauche, qui a pris l’initiative de le revivifier, en
réaction à l’unicité du regard sur les questions
des femmes et au monopole de l’Etat de ces
questions et de leur utilisation dans son discours
politique. Il a aussi été constitué réaction à
un discours salafiste répandu, qui prônait la
confiscation de la liberté octroyée aux femmes
et de leurs acquis. Les débats se sont focalisés
sur l’incapacité du code du statut personnel à
contribuer à la réalisation de l’égalité et sur les
lacunes caractérisant ses articles, et ce, malgré
sa dimension avant-gardiste en comparaison
avec la situation des législations sur la famille
dans beaucoup de pays arabes. Les débats ont
également porté sur les formes de violence
visant les femmes et leurs retombées sur sa
position dans la société.
Le mouvement des femmes a réalisé, dans
les années quatre-vingt un saut qualitatif vers la
création d’associations et leur maintien dans la
durée. Ainsi, au Maroc, en plus des associations
officielles comme l’Union nationale des femmes
marocaines créée en 1969, et les associations
à caractère institutionnel, qui existent en un
grand nombre depuis d’Indépendance, d’autres
associations à orientation politique, liées aux
partis politiques, mais qui ont œuvré en même
temps à inscrire leur cause en tant que priorité
stratégique dans leurs programmes, ont vu le
jour. L’Association démocratique des femmes
du Maroc, dépendant du Parti du Progrès et
du Socialisme, a été créée en 1985, suivie, en
Des femmes brillantes : Un groupe de femmes. Une rencontre : Femmes et mémoire, Le Caire.
Le groupe de chercheuses participant à la rencontre sur les femmes
et la mémoire s’intéresse à la lecture de l’histoire arabe d’un point
de vue qui prend en considération la représentation culturelle et
sociale du sexe. Cette rencontre comprend des chercheuses de divers
horizons, appartenant également à des institutions différentes. Leurs
méthodologies, leurs visions, ainsi que leurs objectifs scientifiques
sont multiples. D. Houdâ As-Sadda (professeur de littérature
anglaise à l’Université du Caire), l’une des chercheuses de renommée
participant à ce rassemblement, se pose la question suivante :
Pourquoi ce rassemblement ? Pour nous présenter ensuite une
réponse importante, suggestive et significative eu égard à ce contexte,
qui dit : “ Nous essayons de nous efforcer pour que le style soit
commun, étant donné que l’action commune fait généralement défaut
dans notre l’environnement culturel. Nous sommes même envahies
par le désir réel et pressant de vaincre l’isolement imposé à beaucoup
de femmes qui s’intéressent à la recherche scientifique, afin d’assurer
la communication entre nous et de réaliser la cohabitation dans un
environnement positif où peuvent se développer la participation
effective et l’échange des expériences à plusieurs niveaux.
Ce groupe de chercheuses réunies lors de cette rencontre, vise des
objectifs politiques en premier lieu, et non seulement des objectifs
académiques et intellectuels, qui n’auraient d’autres finalités que la
recherche du savoir en lui-même. Etant donné que cette pratique
politique du savoir peut être considérée comme une prise de position
par rapport à la vie, comme un intérêt porté à la contribution positive
à la réalité culturelle et sociale, en vue de provoquer un changement
ou un progrès vers une vie culturelle et sociale plus équitable et plus
équilibrée pour nous individus de la société. Dans ce sens, le groupe
de chercheuses de cette rencontre centre son intérêt sur la lecture
de l’histoire arabe du point de vue du genre (gender), en partant
du fait que les femmes constituent une partie importante de la
société, qu’elles ont joué un rôle crucial dans la construction et la
représentation de l’histoire arabe, qu’elles ont été mises à l’écart de
l’histoire officielle écrite, pour des raisons nombreuses et diverses, à
la faveur de la dominance d’un système de conceptions et de valeurs
masculines de différents niveaux et dont les manifestations sont
diverses. Le groupe considère que la marginalisation des femmes,
la réduction de l’étendue et de la teneur de leur participation ont
conduit à la déformation de l’histoire et de la mémoire collective
qui a une grande particulière et importance dans la formation de
l’identité et dans la détermination des éléments d’appartenance et
de mise en relation des membres d’une même société. C’est ce qui
donne à la dimension historique une importance particulière.
Les actes de la rencontre “ La femme et la mémoire ” se sont
diversifiées sous forme de colloques et congrès, en plus des
publications d’ouvrages et d’écrits élaborés à cet effet.
A titre d’illustration, la rencontre a publié un travail de recherche
important, intitulé Zaman an-nisâa wa ‘adh-dhâkirat al-badîlat “ Le
temps des femmes et la mémoire alternative ”, en 1996. Il s’agit des
actes importants de la conférence tenue par le groupe intitulé : La
lecture de l’histoire du point de vue des femmes : le temps des femmes
et la mémoire alternative. Ont participé à ce congrès des chercheuses
de Palestine, du Liban, du Maroc, des égyptiennes résidant aux EtatsUnis, et autres chercheurs s’intéressant au sujet. Les perspectives de
recherche ont été nombreuses, manifestant richesse et vivacité dans
les approches.
Source : Hala Fouad, Document d’appui au Rapport.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
149
1987, par celle de L’Union du travail féminin,
allié à l’Organisation du l’Action Démocratique
Populaire, puis par l’Organisation de la Femme
istiqlalienne, dépendant du Parti de l’Istiqlal,
en 1988. D’autres organisations ont ensuite vu
le jour comme la Ligue Démocratique pour les
Droits de la Femme, alliée au Parti de l’Avantgarde, le Forum des Femmes Démocratiques,
affilié au Parti de l’Union Socialistes des Forces
Populaires.
Les années quatre-vingt représentent
également une période déterminante dans
la mutation des mouvements des femmes,
particulièrement dans les pays du Maghreb.
Ces mouvements se sont distingués par leur
autonomie, voie qui s’est avérée bien difficile
et épineuse, au regard des restrictions et des
tentatives d’étouffement entreprises par
les régimes en place. De fait, un ensemble
d’organismes académiques a pris l’initiative
de créer l’Association des femmes tunisiennes
pour la recherche sur le développement, en
1987. Son objectif s’est limité au soutien et à
l’encouragement des recherches féminines. En
1989, l’Association des Femmes Démocratiques
a été créée avec pour credo l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes. Cette dénomination se voulait
l’expression du désir d’insister sur son
autonomie, de sa neutralité, de son refus de
se soumettre au parti au pouvoir, de sa lutte
contre le discours islamiste, en même temps
que de sa combativité. Elle s’est également
constituée sur la base d’une volonté franche
d’en appeler à la consolidation du discours
laïque et à la séparation de la religion et l’Etat.
Cette association a considéré que la citoyenneté
de la femme restera incomplète tant que cette
vision réformiste n’a pas été mise en oeuvre et
tant que toutes les réserves des Etats arabes
relatives la Convention de Copenhague ne sont
pas dissipées.
Ce n’est pas un hasard si les désignations
des
associations
féminines
nouvelles
comportent des mots tels que “ démocratique ”,
“ progressiste ” et “ droits ”. En Algérie,
des femmes appartenant à des partis de
gauches ont fondé des associations féminines
indépendantes3 dont on peut évoquer
L’Association pour l’égalité au regard de la loi
entre les hommes et les femmes, L’Association
pour l’égalité et la citoyenneté, L’Association
pour la promotion et la Défense des droits des
femmes.
En se constituant ces associations avaient
conscience de l’étroitesse de leur marge de
manœuvre pour pouvoir poser leurs problèmes
et défendre leur cause, espace d’autant plus
exigu lorsqu’on prend en considération les
différentes formes de pression auxquelles elles
doivent faire face.
Il y a les pressions exercées par le parti
au pouvoir qui les considéraient comme des
mouvements bâtards, à l’instar des partis
d’opposition. Une désaffection dangereuse
leur fut alors opposée de la part de la société
puisqu’on considérait que leur création ne
visait pas tant à avertir sur la détérioration
des situations des femmes qu’à manifester une
prise de position contre le régime. Il faut noter
qu’elles n’avaient pas hésité à sympathiser avec
les partis d’opposition à orientation progressiste,
en particulier avec les organisations des droits
de l’homme.
Cette nouvelle génération d’associations
se distingue par une approche qualitative
du sujet des femmes et de la question
féminine. Bien qu’elles soient affiliées aux
partis démocratiques, elles n’ont pas hésité à
souligner que la question des femmes ne doit
plus figurer, comme jadis, comme une question
secondaire dans les agendas et programmes des
partis, mais, au contraire, elle doit dorénavant
être traitée comme une question centrale au
même titre que les questions ayant trait à la
démocratie, au développement et aux droits de
l’homme. Ce sont là autant de conclusions qu’il
est aisé de tirer de leurs documents fondateurs
et organisationnels, des décisions arrêtées lors
de leurs congrès et des interstices des écrits de
leurs organes de presse.
Le poids des facteurs internationaux n’est
pas de moindre importance dans le processus
de formation et d’émergence de cette prise de
conscience. L’Equipe du Rapport est encline à
penser que Il y a trouvé une force d’entraînement
3
Ces associations ne pouvaient en réalité voir le jour sans le concours de circonstances qui ont favorisé leur création, dont la promulgation d’une loi
portant organisation des associations en 1989.
150
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
Des femmes brillantes : Groupement des chercheuses libanaises
L’activité de ce groupe diversifié, interdisciplinaire
et contrasté se concentre sur les situations des
femmes dans les sociétés arabes modernes. Les
chercheuses de ce groupe publient périodiquement
un ouvrage spécialisé, dont les thèmes les plus en
vue sont : femmes et pouvoirs, femmes et écriture,
recherche scientifique et chercheurs en sciences
humaines dans le monde arabe, la place des femmes
en politique au Liban et dans le monde arabe, les
moyens d’information et de communication dans les
sociétés arabes, les universités dans le monde arabe.
Les titres montrent la nature des espaces investis
parce groupe et qu’il essaie d’analyser et dont il tente
de découvrir les articulations implicites et explicites.
On constate que la présence masculine dans ce
groupe de chercheuses est plus grande que parmi
celui de Rencontre : femmes et la mémoire, par
exemple. Cela est dû peut-être à la nature périodique
de la publication caractérisée par la diversité des
auteurs et des contributeurs.
Ces chercheuses ont organisé, en association
avec “ Rencontre : femmes et mémoire ” et le Centre
des Etudes Arabes et du Moyen Orient, à Beyrouth,
une conférence sur le thème : “ Les Femmes arabes
dans les années vingt : présence et identité ” en 2001.
Ce fut une conférence importante et réussie.
Source : Hala Fouad, Document d’appui au Rapport.
importante qui l’a aidé à reformuler ses
demandes et à s’attacher à la lutte pour les
satisfaire. Cela s’est manifesté dans la volonté
d’adapter les lois et les législations nationales
avec les sources de ces associations ou à travers
l’emprunt des moyens de soutien et d’aide
grâce à la mise en réseau4 de l’architecture
organisationnelle des mouvements des femmes
dans les pays arabes avec leurs homologues
dans le monde. Si les organisations féminines
à orientation politique sont apparues dans la
deuxième moitié des années quatre-vingts,
comme montré précédemment, Cette nouvelle
conscience a été renforcée par l’apport des
conférences internationales, principalement
celles dans l’organisation desquelles les agences
des Nations Unies ont joué un rôle de premier
plan. Au compte de ces rassemblements, il
faut citer la conférence du Sommet de la terre
tenue à Rio en 1992, la Conférence mondiale
sur les Droits de l’homme, à Vienne en 1993,
la Conférence internationale sur la population
et le développement au Caire en 1994, le
Sommet mondial pour le développement
social à Copenhague en 1995, la Conférence
mondiale sur les femmes de Pékin en 1995.
Le dénominateur commun de ces conférence
est le principe fondateur selon lequel il
existe une correlation entre la démocratie, le
développement, les droits de l’homme et la
paix, et qu’il ne peut y avoir ni démocratie, ni
développement sans la participation effective
des femmes (I’Mhamed Maliki, Document
d’appui au Rapport).
4
5
Tel a été le front revendicatif que les
associations féminines créées dans les années
quatre-vingts ont ouvert et dont elles ont assumé
la responsabilité. Ces revendications visent,
toutes, à déstructurer la vision traditionnelle qui
continue de peser sur la question des femmes.
C’est pourquoi les codes des statuts personnels
figuraient parmi les revendications prioritaires,
suivis de l’adoption de législations garantissant
l’égalité des femmes et des hommes dans la vie
politique et économique, tout en agissant pour
amener les gouvernements arabes à appliquer les
conventions internationales qu’ils ont ratifiées,
en particulier, la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes.
Les années 90 sont considérées comme
des années difficiles pour la société arabe,
chargées de contradictions, de difficultés et de
déceptions successives et amères. Le Rapport
considère qu’une telle situation complexe de
la société arabe dépasse le mouvement des
femmes ainsi que ses capacités et ressources,
ce qui souligne à quel point le combat pour
l’émancipation des femmes, dans toutes ses
dimensions, reste le combat que doivent mener
toutes les sociétés arabes.5
La conséquence en a été la multiplication
des associations actives et autorisées, dont
le nombre a atteint en 2000, pour les seuls
Liban et Egypte entre 200 et 250 associations
indépendantes (Ben Nafisa, 2000), pour
atteindre en 2003-2004, le chiffre de 22.500
pour tout le monde arabe, (UNIFEM, 2004).
Networking.
Troisième Rapport arabe sur le développement humain, année 2004.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
151
Le phénomène diffère cependant d’un pays
à l’autre ; en tout cas, il illustre, sans aucun
doute, une explosion apparente de l’activité
associative, donnant l’illusion que les sociétés
arabes bougent et qu’elles avancent pour
surmonter leurs situations. Mais, jusqu’à quel
point le rôle de ces associations a-il été utile ? Et
comment doit-on expliquer le paradoxe entre
la pléthore de ces associations et l’absence des
femmes au niveau des conseils d’administration
et des centres de décisions si leur taux est
de 45% au Liban et de 42% en Palestine,
il est de 18% en Egypte. Bien qu’il existe 87
associations au Yémen, la présence des femmes
dans les sphères de décision ne dépasse guère
6% (ESCWA, 2006 a, sous presse). Les femmes
sont même absentes des associations de défense
des Droits de l’Homme : il n’y a guère plus que
trois femmes sur un total de 25 membres dans
l’instance administrative de la Ligue tunisienne
pour la défense des droits de l’homme. La
situation est identique en Egypte et au Maroc.
En dépit de cette multiplication des
associations, la voix des femmes n’a pas été
entendue durant cette période. Ce paradoxe
ne peut être expliqué sans prendre en compte
les pressions des organisations internationales
qui ont amené beaucoup d’Etats arabes à
faire des concessions et à accepter d’intégrer
la représentation féminine dans leurs projets
de développement, mais à condition que la
présence des femmes soit muette et immobile.
C’est probablement dans ce contexte qu’il
faut comprendre la création de l’Organisation
de la femme arabe, fondée en 2002 dans le
cadre d’un accord ratifié à cette fin. Depuis,
les efforts consentis à travers région arabe se
sont concentrés sur l’institutionnalisation de
l’Organisation et sur la préparation d’un plan
de travail pour les années à venir (2004-2007).
L’adoption de ce plan de travail a eu lieu
lors du Deuxième Sommet de l’Organisation
qui a eu lieu au Bahreïn en juin 2005, date
à laquelle on comptait l’adhésion de 15
pays arabes. Tous ces Etats ont convenu
de l’établissement de programmes couvrant
tous les pays arabes. L’Organisation est une
institution intergouvernementale réunissant
tous les gouvernements qui ont rallié la charte
fondatrice. L’organisation a néanmoins œuvré
depuis sa création à développer sa coopération
152
avec les ONG, à l’instar des organisations
internationales travaillant dans ce domaine.
La création de l’Organisation de la Femme
arabe a traduit l’intérêt particulier porté par
les gouvernements arabes aux questions des
femmes. Cependant, ces gouvernements ont à
faire face à plusieurs défis dont principalement :
doter l’Organisation en ressources, opérer une
ouverture sur la société civile dans les différents
pays arabes, éviter la bureaucratisation qui
a caractérisé l’action d’autres organisations
régionales. Mais on peut espérer que cette
organisation soit véritablement en mesure de
défendre la situation des femmes dans un sens
positif (Fadya Kiouan, Document d’appui au
Rapport).
On ne peut pas nier que la situation sociétale
arabe soit embrouillée et dépasse la capacité
et le potentiel des mouvements féminins, fait
qui confirme que le combat pour la liberté
des femmes dans ses différentes dimensions
est celui de toutes les sociétés arabes. C’est ce
qui explique que les résultats restent modestes,
en dépit des efforts épuisants accomplis à cet
égard. Cependant, cela n’a pas empêché ce
mouvement d’exploiter les moyens à sa portée
pour influer sur la vie sociale. Ces moyens sont
les grands axes qui sous-tendent l’action et le
discours du mouvement des femmes dans la
perspective de faire évoluer la situation des
femmes dans les pays arabes.
Evaluation des réalisations
accomplies au profit des
femmes
La participation des femmes aux mouvements
nationaux a, sans aucun doute, conforté le
statut des femmes et donné une légitimité à
leurs revendications au regard de la société.
En Egypte, par exemple, la période qui va des
années vingt aux années cinquante est une des
périodes les plus fructueuses et les plus riches,
qui a connu des actions féminines nombreuses
et diversifiées. En 1923, Huda Sha‘rawi a créé
l’Union féministe égyptienne qui a joué un rôle
social et politique important dans l’éveil des
consciences à la cause des femmes et dans la
revendication de leurs droits. Cette Union a
usé de la méthode des pétitions pour mobiliser
l’opinion publique et exercer des pressions
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
sur les autorités politiques pour les amener à
répondre favorablement aux revendications
des femmes. L’Union est entrée en conflit
politique avec le Gouvernement Wafd (bien
que l’Union fut liée au début de sa création
au parti), puisque certaines des femmes
membres de l’Union ont adopté une posture
radicale vis-à-vis des questions de la libération
nationale, de la démocratie et de la solidarité
arabe. Ce conflit a atteint son paroxysme
lorsque l’Union s’est opposée au traité de
1936. En Tunisie, se développa un mouvement
réformiste libéral puissant au sein duquel s’est
distingué Tahar Haddad. Ce mouvement a
souligné le lien entre la promotion du statut
des femmes et la modernisation du pays, mais
là aussi la priorité a été donnée à l’agenda de
la libération nationale. Quant à la situation en
Algérie en 1958, quand la France a exhorté
les femmes à brûler leur voiles dans l’une
des places publiques importantes d’Alger en
criant “ L’Algérie française ” (Rabiaâ Naciri,
2003 :23), les femmes algériennes ont décidé de
porter le voile pour souligner leur appartenance
nationale et ont accepté de surseoir à leurs
revendications propres et de tenir l’action pour
l’indépendance pour prioritaire.
Cependant, nonobstant quelques acquis
réalisés par les femmes grâce à leur participation
à la libération nationale dans le sillage des
mutations sociales, comme la confirmation
de leur aptitude et de leur efficacité ainsi
que la légitimation de leurs revendications, le
fait qu’elles aient accepté de surseoir à leurs
revendications politiques et sociales a eu
des conséquences fâcheuses pour elles. Les
nouveaux gouvernements nationaux ont fait
semblant d’oublier ou d’ignorer toutes ou de
certaines de ces revendications, en particulier
celles relatives aux codes du statut personnel,
malgré les différences importantes d’un pays
à l’autre. A noter que l’Algérie présente une
excellente illustration à ce sujet. De manière
générale, et exception faite des amendements
qui ont touché les codes du statut personnel en
Tunisie, il y a eu préservation des rapports de
forces inégaux au sein des familles. Les femmes
sont alors entrées dans une nouvelle phase de
contradictions qui secouent et les structures
sociales et les concepts sociaux.
On peut soutenir que, de manière générale,
l’augmentation perceptible des associations et
des organisations féminines dans le monde
arabe constitue un fait positif. En effet, un
pluralisme sain au niveau du discours et des
activités est perceptible. Ces associations ou
ces rassemblements oeuvrent dans des espaces
très divers : on peut citer, à titre d’exemple,
les organisations des Droits de l’Homme qui
consacrent leur action à la modification des
législations ou encore les organisations à vocation
de recherche scientifique, qui s’activent pour
changer les conceptions culturelles qui vont
à l’encontre des droits des femmes. Au niveau
des discours, on peut constater également une
diversité ; il y a des organisations qui adoptent
un discours religieux de défense des droits des
femmes en se basant sur un référentiel religieux
(islamique ou chrétien) ; d’autres organisations
adoptent un discours laïque ; d’autres encore
aspirent à l’élaboration d’un discours nouveau
qui dépasse le discours moderniste postulant
l’existence d’une opposition entre authenticité
et modernité ou entre ce qui relève de l’ordre
du temporel et ce qui relève de l’ordre du
séculier. Il reste qu’il y a unanimité sur le fait
que les droits des femmes font partie des droits
de la nation. Cette question des droits des
femmes est une priorité extrême en Palestine
et en Irak, en particulier. (Houda As-Sadda,
Document d’appui au rapport).
La réalité reste, en fin de compte, le
meilleur témoignage pouvant permettre de
rendre compte de la situation des femmes à
l’heure actuelle, et le meilleur indicateur de
leur évolution, bien qu’elles aient parcouru
une certaine distance depuis que la volonté de
changer leur situation a été traduite en acte.
Il découle des développements ci-dessus
qu’il est permis de dire que les objectifs pour la
réalisation desquels les mouvements féminins
sont apparus depuis la fin du dix-neuvième
siècle n’ont pas encore été réalisés en totalité.
On peut même dire que la plupart de ces
objectifs sont actuellement tributaires d’une
vision réformiste nouvelle. Cela prouve que les
défis qu’affrontent les mouvements féminins
sont complexes, parce qu’ils sont le produit,
premièrement, de circonstances politiques et
deuxièmement, de circonstances économiques.
C’est ce qui explique que le discours féministe
n’évolue pas et continue de tourner autour des
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
153
mêmes questions.
Personne n’ignore que le mouvement
féminin dans les pays arabes a eu une
influence plus ou moins grande selon les
pays. Il est possible d’affirmer, de prime
abord, que l’impact le plus important qu’il ait
réussi consiste dans l’étendue de la prise de
conscience de l’infériorité des femmes et de
la nécessité de remédier à cette infériorité. Il
s’agit d’une prise de conscience acceptée par
les femmes arabes, et ce, quelle que soit leur
appartenance religieuse, sociale ou culturelle ;
conscience qui a grandi en son fort intérieur
pendant plus d’un siècle. Le fait que le discours
des mouvements se soit focalisé sur la révision
du statut personnel a pu pousser plusieurs pays
arabes à s’engager clairement dans la voie du
développement des codes du statut personnels
et des législations relatives au mariage et au
divorce de manière générale. Dans ce qui suit,
il sera question deux exemples d’avancées dans
ce sens :
L’expérience tunisienne
L’expérience tunisienne reste un modèle du
genre dans les Etats arabes. Voici un demisiècle que le Code du Statut Personnel a
été promulgué, période durant laquelle les
Une femme brillante : Aïcha Balagha
Aïcha Balagha est née à Casablanca,
en 1916 de père tunisien (Othman
Omar, avocat et journaliste,
directeur du journal Al-Haqiqa,
“ La Vérité ”).
Elle a obtenu son baccalauréat
en 1937. Elle fut la troisième
femme à obtenir ce diplôme après
Tawhida Ibn Cheikh et Hassiba
Ghallab.
En 1947, elle a donné une
conférence sur la libération des
femmes au siège de l’Association
des Anciens de la Sâdiqiya.
Elle a combattu la colonisation
française pour la libération des
femmes et le développement de ses
statuts.
Sourrce: Naila Silini
154
Elle était membre fondatrice
de
plusieurs
organisations
nationalistes, telles que “ Education
et famille ”, “ l’Organisation
des Droits de l’Homme ” et
“ l’Organisation
féminine
africaine ”.
Elle a contribué à l’émergence
de l’Union nationale de la femme
tunisienne, dont elle a présidé les
instances fondatrices de 1956 à
1958, date de la tenue du premier
congrès.
Elle a occupé le poste de
Directeur de l’institut de Marseille,
de 1961 à 1979, date où elle a
quitté la fonction publique pour la
retraite.
spécialistes de la législation tunisienne ont
essayé à travers ce Code de décliner le principe
d’égalité entre femmes et hommes et se sont
efforcés d’apporter les amélioration de ses
articles en rapport avec les questions posées
à la société tunisienne changeante. Il est donc
possible de dire que le changement de la loi
sur la famille, tel qu’institué par le Président
Habib Bourguiba (2000), s’est inspiré des idées
du mouvement réformiste qui a estimé que la
promotion des femmes aura un effet positif sur
les plans sociaux, économiques et politiques.
En outre, il est à noter que les lois incorporées
dans ce “ Code du statut personnel ” ont été
puisées dans le travail élaboré sur l’initiative
de deux écoles de jurisprudence islamique,
l’école Malékite et l’école Hanafite. En 1948,
la décision a été prise de constituer une
commission composée de vingt-deux membres
et présidée par le ministre de la Justice de
l’époque, à savoir, Muhammad Amin Bay
(1962), commission qui devait examiner les
dispositions de la Shar’a. Muhammad al-‘Aziz
Ju‘ayt (1970), le Shaykh al-Islam al-Maliki sur le
territoire tunisien a joué un rôle essentiel dans
les travaux de cette commission. Il a participé
à la mise au point des éléments du Code, de
ses parties, de ses articles, ainsi que de leur
examen et der leur discussion. Les travaux
de la commission ont abouti au “ Code de la
loi de la Shari’a ” composé de deux parties :
celle relative au statut personnel et celle
relative au fonds immobilier. Ce code reçut
l’aval des grands ulémas de l’époque, dont, à
titre d’exemple, Cheikh Mohammed Abbas,
Cheikh Al-Hanifa, Cheikh Ali Ibn Al-Khawja,
le mufti hanafite, le savant Cheikh Mohammed
Al-Fadel Ibn Achour, le savant Cheikh ‘Abd
al-Rahman bin Yusuf (Décret relatif au Code
de loi de la Shari’a, 1952, du ministre de la
Justice de Tunisie, 3 juillet 1952, Documents
de la bibliothèque du ministère de la Justice).
Le Code a été proposé aux autorités
gouvernementales concernées, mais elle ne fut
publiée qu’à la date de l’indépendance totale,
c’est-à-dire au moment où le gouvernement
tunisien a pensé reprendre le projet à
nouveau. Il chargea des spécialistes en droit,
en jurisprudence islamique et en questions
judiciaires, qui devaient élaborer un nouveau
Code conforme dans sa forme au droit
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
moderne, qui concorde avec les principes
modernes et qui ne soit pas en contradiction
avec l’esprit de la religion musulmane (Majallat
al-Qada’ wal-Tashri‘,1975 : 145) (Revue de
Justice et de législation). On peut donc faire
remarquer que le Code du Statut personnel
était fondamentalement une revendication
sociale pour la promulgation duquel toutes les
appartenances et les orientations politiques ont
convenu. On doit aussi souligner qu’il s’agissait
là d’un ce souci qui habitait toute la société
tunisienne, même au moment de sa lutte pour
la libération, car la vision qu’elle avait de la
liberté était globale, alliant la politique et le
social.
De nombreuses réalisations ont été
accomplies dans les domaines de la santé, de
l’économie et dans le domaine professionnel
après la promulgation du Code du Statut
personnel. Etant donné la complexité et
l’ampleur des questions traitées par cette
loi, on se contentera d’évoquer le code de la
famille, dans le tableau ci-joint, qui a impliqué
différentes lois et amendements tout au long
d’un demi-siècle, et ce dans l’objectif de
comprendre le mouvement de la société au
travers des lois qui l’organisent.
Ce sont quelques types de réalisations qui
ont préparé les femmes tunisiennes à s’engager
dans la voie de leur promotion. Il faut indiquer
qu’il existe d’autres statuts dont l’application
est en vigueur et qui sont autorisés par le Code
du Statut personnel, par exemple : le code de
la famille ne stipule pas la prise en compte de la
religion des personnes contractant une union
conjugale, de sorte que la femme tunisienne a
la possibilité de prendre pour mari un homme
qui n’est pas de la même confession au même
titre, en cela, que l’homme. Cela a pu permettre
aux épouses ayant des conjoints étrangers
d’octroyer leurs nationalités aux enfants issus
de mariages avec ces conjoints, qu’ils soient nés
en Tunisie ou à l’étranger, à condition qu’il y
ait accord des pères.
Mais aussi importantes qu’elles soient, ces
réalisations avaient besoin d’autres réformes
que les mouvements indépendants des femmes
ont pris le soin de revendiquer. Le Code du
Statut personnel, bien qu’ayant procédé à
l’amendement des statuts relatifs à l’héritage,
a maintenu la règle selon laquelle la part
d’héritage de l’homme équivaut à la part de
Table 5-1
Ordre de promulgation des codes de la famille
Lois
Section
Date
Contenu des lois
Interdiction de la polygamie
18
1956
Peine d’emprisonnement pour ceux qui transgressent cette interdiction
Le divorce en tant que prérogative
des tribunaux
L’âge légal du mariage
30
===
5
1956
La demande de divorce est une
prérogative à la fois du mari et de
l’épouse
31
===
Les obligations conjugales
La garde des enfants.
Création d’un fonds de garantie de
pension alimentaire.
1956
La femme doit servir son mari en raison de son statut de chef de famille
et obéir à ses ordres.
1993
Suppression de l’expression “obéir” : le mari en tant que chef de famille
doit subvenir aux besoins de l’épouse et des enfants selon ses moyens et
leurs besoins. L’épouse doit contribuer à cette subvention si elle en a les
moyens.
23
154
67
65
17 ans pour les filles, 20 ans pour les garçons
1956
Si l’enfant n’a pas de père ni de tuteur légal, le juge désigne un tuteur.
1981
Le père est le tuteur de l’enfant mineur, et en cas de décès, c’est la mère
qui devient tutrice.
1993
Si la mère est tutrice , elle doit avoir les prérogatives de gestion sur les
questions qui se rapportent au voyage de l’enfant en tutelle, de ses
études et de ses moyens financiers.
1993
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
155
Encadré 5-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Refus de la polygamie, selon le pays et le genre
;ZbbZh
BVgdX
=dbbZh
:\neiZ
A^WVc
?dgYVc^Z
9‚hVXXdgY
Polygamy should be subject to the consent of wives concerned
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La majorité des répondants, femmes et hommes, se sont prononcés pour l’interdiction de la polygamie. Ceux et celles qui approuvent la
polygamie ont assorti cette approbation de la condition du consentement des épouses concernées par la polygamie.
deux femmes réunies. Il s’agit d’une impasse
dans laquelle se trouvent de larges franges de la
société. C’est, notamment, le cas des pères qui
ont vécu durant les cinquante années écoulées
en compagnie de femmes qui ont in fine, le
statut de mère, d’épouse, de sœur et de filles.
Cette revendication reste difficile à réaliser
même à l’heure actuelle. Cette situation pousse,
156
par ailleurs, beaucoup de juristes à s’ingénier
à trouver des issues qui puissent garantir le
principe de l’égalité : comme, par exemple, la
possibilité pour le père de procéder à une vente
formelle d’une partie de son bien ou à une
répartition de son héritage entre ses enfants,
et ce, de son vivant ou encore la possibilité
d’adopter l’islam chiite pour ceux qui n’ont
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
pas eu de fils.
Cependant, les changements positifs
successifs apportés au droit de la famille ont
coïncidé avec des restrictions à la liberté d’action
des femmes activistes et la monopolisation et le
contrôle par l’Etat du discours sur la promotion
des femmes, ne laissant qu’une marge assez
faible à l’initiative et aux revendications des
femmes. Ceci montre d’une manière on ne
peut plus claire que la promotion des femmes
est en train de se transformer en un instrument
politique visant à édulcorer l’image de l’Etat à
l’étranger, bien que cela se fasse aux dépens
des femmes.
Le pouvoir, en Tunisie, a tenté, par exemple,
de tirer profit du différend existant entre
“ L’Association des [femmes] démocrates ”
et le courant islamiste. Cependant, différentes
formes de brimades furent opposées au
désir tenace d’indépendance manifesté
par cette association, tel que le refus de
lui accorder des subventions au moment
même où d’énormes fonds sont octroyés aux
associations gouvernementales, la mise sous
surveillance policière du siège de l’association
en vue d’installer le sentiment de peur chez les
femmes, la pratique de la violence physique et
verbale à l’encontre des militantes, les obstacles
dressés devant leurs activités, et enfin, le blackout médiatique total sur toutes les informations
émanant de l’Association.
Ce qui est frappant également, c’est que
ces réformes officielles du statut personnel sont
accompagnées de mesures de marginalisation
des femmes qui tiennent à l’autonomie de
leurs actions et refusent l’utilisation de leurs
succès scientifiques et sociaux en vue de
redorer le discours politique officiel, et de
leur remplacement par des femmes alliées au
parti au pouvoir, fut-ce au détriment de la
compétence. Ce phénomène est général, en
réalité, dans tous les Etats arabes ; c’est une
spécificité politique qui trouve son origine
dans la nature des régimes au pouvoir. En
vérité, cette concomitance avec les réalisations
révolutionnaires en matière de promotion des
femmes particulièrement en Tunisie, ne va pas
sans poser la question de savoir si le modèle
de promotion des femmes adopté par les
autorités politiques des pays arabes contribue
effectivement au changement des modes
politiques et s’il est apte à conduire ces Etats
vers une renaissance globale.
L’expérience marocaine
Le mouvement des femmes marocaines a pris
conscience que la modification du Code du
statut personnel était la clé qui permettrait aux
femmes de se prendre en charge. Ainsi eut lieu
la campagne pour une pétition signée par un
million de personnes, organisée par l’Union
de l’action féminine à l’occasion du 8 mars
1991. Le document revendique l’amendement
de (Moudawana) ou code du statut personnel
et faisait valoir certains principes notamment
que la famille est construite sur la base de
l’équilibre entre les époux, sur le principe de
l’égalité entre homme et femmes, de sorte que
la capacité juridique soit effective à partir de
l’âge de majorité légal, sur le fait que le divorce
soit soumis aux dispositions de la justice, sur le
conditionnement de la polygamie, sur le droit
des femmes à la tutelle sur leurs enfants.
A rappeler que de nombreuses critiques
ont été formulées à l’encontre de ce
document ; on a pu même considérer que
chaque signataire dudit document commettait
un acte relevant du “ crime d’apostasie ”.
Toujours est-il que les conditions pour que la
nécessité d’un amendement de la moudawana
soient cmprises n’étaient pas encore mures et
que les forces d’inertie avaient pesé de leur
poids sur la société marocaine. A noter que
le roi Mohammed V avait déjà défini le cadre
référentiel du statut de la moudawana (1957)
mettant ainsi fin au débat sur son amendement,
en prévention à toute dérive susceptible de
déboucher sur des tiraillements politiques et
des surenchères partisanes6.
Les amendements apportés, en 1993, au
Code du statut personnel, permettent de faire
une double lecture : la première réfère à la
notion de progrès qui permet de considérer que
6
Le Roi Hassan II a insisté dans son discours du 29 septembre 1992 sur le fait qu’”il se faisait sienne la cause des femmes et qu’il prenait en charge
de la défendre lui-même ”, appelant les associations féminines à lui présenter leurs revendications, qui sont axées principalement sur les questions de
la tutelle, de la pension, de la maternité, de la répudiation, du divorce et de la polygamie.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
157
les amendements en question, même s’ils sont
loin d’avoir permis de réaliser les objectifs du
mouvement féminin, ont ouvert une perspective
qui peut être exploitée en vue d’arriver à un
véritable changement. La seconde lecture fait
voir que ces amendements ne sont que des
atermoiements que le courant conservateur,
traditionaliste exerce toujours des pressions
pour conter le changement et que ce qui a été
acquis ne change rien au système discriminatoire
de la moudawana. Parmi les critiques évidentes
exprimées à l’égard des amendements de 1993,
on peut évoquer l’absence de recours à les
conventions internationales sur les femmes
et les enfants, sachant que le Maroc n’avait
pas encore totalement adhéré aux accords
et aux conventions afférentes. Il avait, en
effet, émis des réserves sur certains articles
concernant l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’encontre des femmes
sous prétexte qu’ils n’étaient pas en conformité
avec ses spécificités religieuses, morales et
sociales. De même qu’il avait pris ses distances
par rapport à l’article 16 relatif à l’arbitrage
en cas de différend entre deux ou plusieurs
Etats sur l’interprétation ou l’application de
la Convention (Malki, Document d’appui au
Rapport).
Entre la date de promulgation des
amendements portés au code du statut
personnel (1993) et la fin du vingtième siècle,
d’importantes évolutions se sont produites
au Maroc. D’un côté, les négociations entre
l’institution royale et les partis nationaux nés
du mouvement national ont débouché sur la
désignation d’un gouvernement dirigé par
l’élite nationale restée écartée du pouvoir
pendant trente-cinq ans. Les discours du roi ont
insisté, à plusieurs occasions, sur l’importance
que devait revêtir la cause des femmes. Si,
effectivement, les évolutions internes ont été
d’une grande importance dans l’impulsion
du mouvement féminin marocain, avec ses
différentes organisations et associations,
à progresser dans sa lutte, la dynamique
étatique, à contribué, de son côté, à stimuler la
conscience féminine et à élargir son horizon.
Le projet d’amendement de la moudawana,
initié dès 2003, s’est articulé autour quatre
axes prioritaires : l’implication des femmes
dans l’éducation, développement de la santé
158
reproductive, l’intégration au développement
économique, enfin, l’autonomisation des
femmes. Quant aux amendements proposés, ils
portent sur l’âge du mariage qui a relevé à 18
ans afin de le rendre conforme à la Convention
internationale des droits de l’enfant, sur la tutelle
paternelle devenue secondaire, sur le divorce
en donnant au mari et à l’épouse le droit de
demander la séparation de corps lorsque la vie
conjugale devient impossible ; sur l’interdiction
de la polygamie, sauf sur autorisation du juge
et sur unification de l’âge de la garde pour les
deux sexes (15 ans). En plus, des modifications
qui ont concerné d’autres domaines, comme ,
par exemple, le mariage des mères divorcées, la
pension alimentaire et la séparation des biens
après le divorce, la création des tribunaux de
la famille, la reconnaissance aux juges femmes
le droit de notification en matière de statut
personnel.
Un tel projet ne pouvait être accepté sans
réactions contradictoires sur ses tenants et ses
aboutissants. Le fait est que, cette fois-ci, il ne
s’agissait pas d’une simple confrontation de
points de vue, mais de tensions sociales effectives
qui ont failli se transformer en discorde. Il s’est
avéré donc que la promulgation du Code la
famille p dont l’application a débuté le 3 février
2004 n’était pas chose fortuite ni une sorte de
donation. Ce fut plutôt le couronnement du
processus de lutte des femmes marocaines
avec ses défaites et ses victoires. Cette n’était
pas seulement le fait de la société féminine,
les hommes y ont également participé avec le
soutien des forces démocratiques à l’intérieur
et à l’extérieur du Maroc.
Néanmoins, bien des choses n’ont pas
encore été réalisées et il reste, encore à œuvrer
à la consolidation et à l’approfondissement
des acquis et à les améliorer. Ceci est
tributaire de la capacité des femmes ellesmêmes à continuer à s’approprier leur cause,
en toute liberté et responsabilité. L’horizon
lointain de la libération des femmes, de leur
autonomisation et de leur promotion exige
de repenser l’imaginaire social de la personne
marocaine pour que la prise de conscience de
la question féminine soit fondée chez elle sur
deux valeurs : la démocratie et la modernité
(Maliki, Document d’appui au Rapport).
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
Autres expériences arabes
Deux exemples d’avancées sur la question
des femmes viennent d’être présentés. Ils ont
l’avantage de stimuler la cause de la promotion
des femmes. Mais d’autres pays sont également
résolus à réviser certains articles de leurs
législations en la matière. On peut en citer, à
titre d’exemple :
L’Egypte : Les femmes égyptiennes ont
acquis leurs droits politiques en 1956, après
une lutte qui a duré plus de cinquante ans. Le
gouvernement issu de la révolution a adopté
plusieurs revendications des organisations
féminines existantes, particulièrement celles
relatives aux droits politiques, au droit à
l’enseignement et au droit travail. Il y a eu
convergence entre les revendications féminines
et les besoins gouvernementaux croissants
en main d’oeuvre. Par ailleurs, les idéologies
socialistes dominantes étaient favorisaient
l’élargissement de la participation populaire
dans la vie parlementaire. D’où l’amendement
en 1956 de la Constitution qui devait permettre
de satisfaire certaines revendications du
mouvement féminin de l’époque. Les avancées
législatives se sont succédées, pour aboutir à la
constitution de 1971 qui a confirmé les acquis
de la constitution de 1956. L’article 14 stipulait
que les fonctions publiques sont un droit pour
tous les citoyens, hommes et femmes. Les
articles 10 et 11 ont stipulé l’obligation pour
l’Etat de veiller à la protection de la maternité
et de l’enfance, et à la prise en charge des
solutions qui permettent aux femmes de
concilier leurs obligations familiales avec les
exigences du travail dans le secteur public.
D’autres lois garantissant l’égalité des droits à
l’enseignement et au travail sont promulguées.
Elles instituent des garanties en matière de
sécurité sociale et d’assurance pour les femmes
qui travaillent. Ces amendements législatifs ont
permis, notamment, aux femmes d’accéder
à la sphère politique. Mais aucune loi n’a été
promulguée pour réorganiser la place des
femmes au sein de la famille. Autrement dit, les
codes du statut personnel, promulgués en 1925
et 1929, sont restés tels quels, et ce, malgré les
aspirations de nombreuses femmes. En fait, les
femmes égyptiennes n’ont pu avoir, jusqu’à
aujourd’hui, que le droit au divorce, en vigueur
depuis 2002, assorti de l’abandon des droits
financiers exigibles en cas de divorce. Elles ont
également obtenu le droit au voyage individuel
et à l’octroi de la nationalité égyptienne à leurs
enfants.
En ce qui concerne la Jordanie, l’âge légal
du mariage a été relevé à 18 ans pour les deux
conjoints et les femmes ont obtenu le droit
d’obtention du passeport sans autorisation
préalable du mari.
Quant au Liban, un collectif d’organisations
non gouvernementales a préparé un projet de
loi du statut personnel reproduisant 18 codes
de statut personnel en fonction des différentes
confessions religieuses.
En Algérie, le code de famille continue de
traîner des restrictions qui pèsent de tout leur
poids sur les femmes, comme, par exemple,
la polygamie, même si le législateur l’a
conditionnée notamment par le consentement
de la première femme ou encore de considérer
la tutelle du mari comme une condition de
validité du mariage. Cependant, certains
points positifs peuvent être retenus lorsque
l’on compare ce qui a été décidé en 1984 et
les rectifications promulguées en 2005. Par
exemple, la loi sur le mariage mixte stipulait
dans l’article 31 avant que “ le mariage de la
femme musulmane à un non musulman n’est
pas autorisé ”, l’article a été abrogé en 2005 en
affirmation du principe de l’égalité entre les
femmes et les hommes en matière de mariage
avec les étrangers qui n’appartiennent pas à la
communauté de religion. L’article 72 tel qu’il
est amendé, en 2005 stipule l’obligation pour
le mari d’assurer un foyer à la femme divorcée
lorsqu’elle a a garde des enfants (Revue de la
Lettre juridique, 2005).
Il est à espérer que ces avancées, qui restent
cependant modestes pour la plupart, constituent
le signal que le train du changement commence
à bouger au Mashreq arabe (Jordanie, Liban,
et Egypte) et au Maghreb arabe (Algérie et
Maroc) bien qu’il faille constater que son
mouvement se fait plus lent dans les pays du
Golfe arabe.
Les expériences de promotion des femmes dans le monde arabe
159
Conclusion
Pour être optimiste, l’Equipe du Rapport constate l’existence d’un mouvement et d’une
activité, sur une large échelle, dans le domaine des droits des femmes. Et si on devait procéder
à une programmation pour l’avenir, on devrait s’accorder sur le fait qu’il existe des conditions
générales, d’ordre social, politique, économique, et culturel qui influent sur le mouvement des
femmes nécessairement. Mais on avait à repérer quelque fossé dans l’action des organisations
sociales, on trouverait un de nature intellectuelle. On entend par-là qu’il y a un besoin pressant
d’une recherche scientifique dans maintes spécialités, qui puisse prendre en compte la dimension
qualitative, et ce, dans l’objectif d’élaborer de nouveaux questionnements, et partant, de
nouveaux discours qui puissent dépasser les modèles qui prédominent jusqu’à maintenant. Il est
acquis que le fait de reconsidérer la position des femmes revient à consacrer les fondements de
la société civile. De ce fait, il s’avère alors possible de dépasser l’axiome selon lequel il faudrait
refuser toutes les formes de progrès pour le simple fait qu’elles représentent une composante de
la civilisation de l’autre.
160
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
Trois partie :
Le contexte societal de la condition des
femmes dans les pays arabes
Chapitre VI
Structures culturelles
Introduction
Les structures culturelles jouent un rôle
central dans la formation du contexte
sociétal de la condition des femmes dans le
monde arabe.
De prime abord, le domaine des
interprétations religieuses est un lieu de
conflit à propos de la place des femmes
dans l’imaginaire collectif et dans les
modes de comportement dominants. Aussi
le patrimoine religieux représente-t-il l’un
des déterminants les plus importantsdu
référentiel culturel du contexte sociétal.
La production intellectuelle arabe de la
période de la Renaissance arabe, contribue
également au processus de formation de la
conscience collective à propos du statut des
femmes dans les sociétés arabes. Partant,
ce chapitre, consacré au volet des structures
culturelles du contexte sociétal de la
condition des femmes, traitera-t-il de l’effet
du patrimoine religieux et de la production
intellectuelle arabe sur la situation actuelle
des femmes dans les pays arabes.
Ceci dit, il y’a d’autres expressions de ces
structures culturelles qui s’alimentent à la fois
dans deux sources précédemment citées et
dans diverses autres références. C’est pourquoi
nous nous appuierons aussi , dans l’étude des
structures culturelles, sur un ensemble de
composantes qui influencent la conscience et
le comportement, telles la culture populaire, la
création littéraire et artistique et les médias.
Structures culturelles
l’héritage religieux
traditionnel promeut et
renforce le principe de
hiérarchie sociale
Le texte et l’interprétation
Nous traiterons à présent de la référence
religieuse islamique afin de montrer comment
cette dernière conçoit l’homme et la société.
Avant de présenter l’image des femmes et le
système de relations qu’elles entretiennent
avec les hommes tel que le reflète le produit
culturel islamique, il importe de noter que
la culture socio-religieuse n’a pas été basée,
dans l’histoire arabo-islamique, sur les textes
considérés dans la mémoire collective des
musulmans comme sacrés, mais s’est appuyé
plutôt et surtout sur différentes formulations
et expressions des interprétations du contenu
de ces textes. Cette culture s’est également
appuyée sur des coutumes et des traditions
qui ont été consolidées pour conserver un
ordre donné de la famille et de la société. Elle
véhicule les représentations, les conceptions et
les différentes formes de rationalité produites
tout au long de l’histoire en question (Arkoun,
1984 :12), (Fahmi Jadan, 1985 :442).
Si le message de l’Islam comporte un
ensemble de fondements majeurs relatifs
aux questions qui ont trait à l’organisation
de l’Univers et de la société, ces fondements
généraux revêtent différents aspects. En
effet, les processus d’interprétation au niveau
des récepteurs obéissent aux exigences de
l’évolution à l’œuvre dans la société comme
en matière de méthodes d’intelligence et de
lecture des textes.
On s’imagine, au regard de l’évolution des
systèmes de savoir et d’interprétation dans la
pensée moderne, que le produit théorique de
La culture socioreligieuse n’a pas été
basée, dans l’histoire
arabo-islamique, sur
les textes considérés
dans la mémoire
collective des
musulmans comme
sacrés, mais s’est
appuyé plutôt et
surtout sur différentes
formulations et
expressions des
interprétations du
contenu de ces textes.
Cette culture s’est
également appuyée
sur des coutumes et
des traditions qui ont
été consolidées pour
conserver un ordre
donné de la famille et
de la société.
163
l’interprétation d’un texte donné n’équivaut
pas tout à fait à l’esprit du contenu du texte,
mais qu’il se meut, sous l’effet de mécanismes
de pensée qui contribuent à l’opération de
production des significations, en un autre
aspect de la pratique théorique. Il devient
alors interprétation, c’est-à-dire un effort de
rationalisation et de compréhension qu’il ne
convient pas de placer sur un pied d’égalité
avec le texte originel. Dans la mesure où
l’interprétation est un processus de réflexion
qui a lieu à un moment de l’histoire, à
l’intérieur de la société et avec les moyens de
connaissance disponibles, elle devient alors
une composante du système d’idées au sein
de la société, marqué à l’instar des systèmes
historiques symboliques à travers l’histoire par
les marques de changement et d’altération.
Les principes universels et
les branches: les problèmes
d’interprétation
Le texte du Coran comporte un ensemble de
versets qui fondent une vision d’ensemble
de l’homme, de la société, de la nature et
de l’histoire. Il est certain que cette vision
a constitué au moment de son apparition,
au regard de l’histoire, un grand tournant
dans l’histoire de la société arabe. Elle s’est
construit à travers la critique et le dépassement
de nombreuses traditions et coutumes qui
attentatoires aux conditions de l’humanité de
l’être humain. Les propositions alternatives
élaborées par cette vision étaient conformes
aux niveaux de développement du savoir et de
la société des points de vue de l’histoire arabe
et de l’histoire mondiale au moment de son
élaboration.
On peut illustrer les grandes lignes de cette
vision, à titre d’exemple et non à titre exhaustif,
par les Sourates qui suivent : “ — Humains,
Nous vous avons créés d’un mâle et d’une
femelle. Si Nous avons fait de vous des peuples
et des tribus, c’est en vue de votre connaissance
mutuelle. Le plus digne au regard de Dieu,
c’est celui qui se prémunit davantage. — Dieu
est Connaissant, Informé ” (Les Appartements,
13) ; “ Humains, prémunissez-vous envers
votre Seigneur. Il vous a créés d’une âme
unique dont il tira pour celle-ci une épouse, et
164
de l’une et de l’autre Il a répandu des hommes
en nombre, et des femmes ” (Les Femmes, 1) ;
“ — Nous proposâmes le dépôt aux cieux, à
la terre et aux monts : ils déclinèrent de s’en
charger, tant ils en éprouvaient de transe.
L’homme, lui s’en est chargé… — Par comble
d’ignorance et d’iniquité ” (Les Coalisés, 72).
Ces versets prouvent le caractère universel
des prescriptions coraniques au sujet de
l’origine et de la nature des êtres humains
et le principe d’égalité devant fonder les
relations de genre. Ceci confirme la noblesse
de la perception coranique des êtres humains.
Ces versets soulignent à l’évidence le principe
similitude de toutes les créatures, le principe
de leur participation dans la vie sur la base de
l’échange et de la solidarité (Les Appartements).
Ces versets affirment également que l’être
humain est mis à l’épreuve par le Créateur
ainsi que l’audace de l’être humain, homme ou
femme, qui a accepté le principe de l’aventure
de faire face à sa destinée (Les Coalisés).
Les principes généraux contenus dans ces
verstes, et dans bien d’autres – ce n’est pas le
lieu de les exposer ni de les détailler, permettent
de tracer les grands traits d’un système social
qui répond aux objectifs acceptés par la
communauté musulmane en vue d’une vie
basée sur la complémentarité et le consensus,
tout en reconnaissant le principe de l’égalité
des êtres humains – hommes et femmes. Or,
nombre de jurisconsultes (fùqaha) ont placé
les exemples de versets coraniques que nous
avons cités à un niveau inférieur sur l’échelle
de l’interprétation par rapport à d’autres
versets dévolus à une législation pointilleuse
à propos de questions de détails se rapportant
à la relation homme / femme. Au lieu de
rapprocher les versets subsidiaires de l’esprit
des versets du principe et du général, on a
utilisé lesdits versets sur la similitude et l’égalité
pour justifier le contraire, c’est à dire justifier et
légitimer la hiérarchie existente.
La codification en matière
jurisprudence islamique
légifère en faveur de la suprématie des hommes
Le travail de codification en matière de
jurisprudence islamique en rapport avec les
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
Encadré 6 – 1
Fahmi Howeidy : L’égalité est au fondement de l’Islam
Le chercheur doit avoir continuellement présentes à l’esprit trois
considérations, s’il veut préserver son impartialité et son objectivité quand
il examine la situation des femmes dans une perspective islamique.
Primo : la question des femmes ne doit pas être approchée
indépendamment des principes de base et des piliers du message de
l’Islam, qui confèrent aux créatures sacralité et immunité. Ils considèrent
que chaque créature a droit au respect. Toutes les créatures de Dieu
–selon le texte coranique - sont “ comme vous en communauté ” (Les
Bestiaux (al-An’am), 38), y compris bêtes de somme, oiseaux et autres
créatures qui vivent sur terre et en mer tout en priant, tous, Dieu le
Très–Haut (…) Parmi toutes ces créatures, l’être humain est la créature
qui a été élue par Dieu, il est Son représentant sur terre. Ce statut spécial
est un attribut de l’être humain, qu’il soit homme ou femme, puisque
le droit à la dignité est attesté dans le Coran pour tout descendant
d’Adam, quelle que soit sa race, son ethnie ou sa religion.
Secundo : les traditions ont pris le dessus sur les prescriptions,
dans l’expérience arabe tout particulièrement. Le premier âge de
l’Islam – celui précisément des califes bien guidés – a connu la grande
transformation de la condition des femmes. Celles-ci ont été libérées
de l’oppression de la période antéislamique, quand on les méprisait au
point de les enterrer vivantes pour ne pas avoir à supporter la honte de
leur existence même. Mais la période qui a suivi fut marquée par de
nombreux reculs en la matière, entre autres régressions essuyées par
la nation dans les autres aspects de la vie. Les acquis des femmes ont
été progressivement érodés au point que l’idée “ d’enterrer vivantes les
nouveau-nées” a refait relativement surface, mais cette fois de façon
symbolique et non pas physique. Lors des phases de déclin, les sociétés
ont retrouvé les traditionnels sentiments de honte attachés à l’existence
même des femmes et à tous leurs modes de présence, que ce soit dans
les activités de la vie sociale ou collective ou dans l’accomplissement des
prières et dans les mosquées.
Tertio : l’égalité entre les femmes et les hommes est au fondement
des principes l’Islam, sauf quand les textes stipulent expressément une
spécialisation d’un genre ou d’un dans un domaine par rapport auquel
il se distingue, pour des raisons qui n’ont rien à avoir la masculinité ou
la féminité mais qui ont trait à la responsabilité sociale ou à la situation
juridique. On ne doit pas à cet égard perdre de vue la signification
du texte coranique qui dit que les deux parties ont été d’un même et
unique esprit : “ Humains, prémunissez-vous envers votre Seigneur. Il
vous a créés d’une âme unique dont il tira pour celle-ci une épouse,
et de l’une et de l’autre Il a répandu des hommes en nombre, et des
conditions des femmes, telle qu’il a été réalisé
par les différents rites islamiques, occupe une
place stratégique dans la culture islamique
justifiant la relation hiérarchique entre les
femmes et les hommes. En effet, les efforts de
codification jurisprudentielle ont produit une
littérature qui allait accorder au système social
une certaine légitimité et faisant en sorte qu’il
passe pour conforme à l’esprit du message de
l’Islam. La légitimité d’un tel produit a été
consolidée du fait de l’autorité des jurisconsultes
(fùqaha) que leur confère leur savoir et leur
1
femmes ” (Les Femmes, 1).
Al Razi cite Abu Muslim qui dit que le sens de “ a créé de
celui-ci son épouse ”, est qu’Il l’a créé de son espèce, et ainsi il lui
ressemble (Mohamed Rachid Rida, en arabe, 1973 : 266). Aussi la
vérité importante, que consigne ce verset, est-elle que l’humanité vient
d’un couple formé de l’homme et de la femme, créés l’un et l’autre
d’une même espèce ou d’une même substance. Comme si ce verset
visait, selon cette interprétation, à souligner l’idée de ressemblance et
d’égalité, de rejeter l’idée de discrimination et de préférence de l’une
des deux composantes de l’espèce humaine sur l’autre, parce qu’ils sont
égaux à l’origine (Al-Ghannushi, en arabe, 2000 :9). Il est admis qu’ils
sont égaux en matière de droits à la vie et à la dignité, lesquels sont
considérés comme des droits essentiels de tous les êtres humains en
Islam. Ils sont aussi égaux en matière de responsabilité : “ Les croyants
et les croyantes sont en rapports mutuels de protection : ils commandent
le convenable et proscrivent le mauvais ” (Le Repentir, 71)1.
C’est pourquoi, ils sont égaux dans la responsabilité légale qu’ils
assument et dans la rétribution qui les attend dans l’au-delà : Dieu leur
répondit : “ Moi Je ne laisse perdre l’action d’aucun agissant parmi vous,
homme ou femme, en réciprocité (La Famille de ‘Imrân, 195) – Dieu
a promis aux croyants et aux croyantes “ des Jardins de sous lesquels
des ruisseaux coulent et où ils seront éternels, des demeures excellentes
aux Jardins d’Eden ” (Le Repentir, 72) et “ Au croyant non plus qu’à
la croyante, une fois que Dieu a tranché, avec Son Envoyé, sur un cas,
il ne reste plus le choix sur leur propre cas. ” (Les Coalisés, 36) – Ils
sont également égaux dans la rétribution. Ainsi les versets des sanctions
parlent-ils du voleur et de la voleuse (La Table pourvue, 38) ainsi que
de celui ou de celle qui se rend coupable de fornication (La Lumière, 2).
L’homme et la femme sont également égaux quant à l’aptitude à gérer
les biens et à passer contrats financiers. En effet, chacun d’entre eux,
s’il est sain d’esprit et mûr, jouit d’une personnalité juridique totale, qui
lui procure le droit de gérer ses propres biens par vente, legs, testament,
bail, procuration, gage, achat et tous autres transactions financières. La
règle est que “ les hommes auront une part de ce qu’ils se seront acquis,
les femmes une part de ce qu’elles se seront acquis ” (Les Femmes, 32).
Le contrat de mariage, dans la loi musulmane, ne donne aucun droit à
l’époux sur les affaires financières et les transactions que son épouse
entreprend, sous prétexte qu’il a un droit de tutelle sur elle ; puisque
ce droit est personnel et non financier. Par conséquent, ce droit ne lui
donne aucun prétexte pour intervenir dans les choix financiers de son
épouse.
statut officiel. En effet, on recourait à eux non
seulement dans les affaires du statut personnel
mais aussi dans les différentes questions
intéressant la société et la vie en général (Slini,
Papier d’appui au Rapport).
L’on peut dire que la vision masculine
dans l’histoire des sociétés islamiques a violé
le principe divin selon lequel Dieu couvre de
ses bienfaits les êtres humains (les femmes
comme les hommes) et a tout fait pour
renforcer la distinction et la discrimination et
même à consolider cette vision masculine. Le
Nous adoptons la traduction française du Coran réalisée par Jaques Berque, Le Coran : essai de traduction, Albin Michel
Structures culturelles
la vision masculine
dans l’histoire des
sociétés islamiques a
violé le principe divin
selon lequel Dieu
couvre de ses bienfaits
les êtres humains (les
femmes comme les
hommes
165
Les interprétations
jurisprudentielles,
élaborées par
les écoles de
jurisprudence
islamique, ont
contribué à la création
d’un ensemble de
normes qui valident
le principe de
discrimination entre
les deux sexes.
La primauté et la
préférence ont
toujours été accordées
aux hommes
dans les études
jurisprudentielles
relatives aux
femmes. Une telle
prédisposition s’est
retranchée derrière
une lecture biaisée du
Coran favorable aux
hommes.
166
sexe féminin s’est ainsi trouvé frappé d’une
malédiction éternelle. Des dizaines de hadiths
furent rédigés dans une optique d’interprétation
visant à qualifier les femmes de démoniaques et
à les transformer en créatures qui représentent
le mal absolu.
En matière de production des lois, la
jurisprudence islamique (fiqh) s’est référée au
contenu du Coran et de la Sunna. Cependant,
avant tout et après tout, elle a fait usage de ce
qu’elle a considéré comme étant les exigences
de “ la société équilibrée ”, qui vise à codifier
le statut personnel. Les dispositions de la
Loi islamique concernant les femmes ont été
établies en relation avec la situation et les
conditions de la société islamique au moment
de l’élaboration de ces dispositions. Elles ont
été mises en place, en dépit de la diversité
des efforts d’interprétation, pour protéger la
morale de la hiérarchie sociale existante et les
règles de discrimination entre les femmes et les
hommes.
Les interprétations jurisprudentielles,
élaborées par les écoles de jurisprudence
islamique, ont contribué à la création d’un
ensemble de normes qui valident le principe de
discrimination entre les deux sexes. Le contenu
des sourates qui reconnaissent la tutelle à
l’homme et la moitié de l’héritage à la fille a
été transformé en principes fondamentaux et
généraux alors qu’ils ne le sont pas, car leur
teneur évoque des questions subsidiaires.
Ils ont même été élargis pour concerner la
relation des femmes et des hommes dans
toutes les circonstances et de façon générale,
dans le but de consolider le principe de
discrimination entre les deux sexes. L’autorité
de ces sourates a été appuyée et renforcées par
le recours à la tradition du prophète (sunna).
En effet, de nombreux hadiths apocryphes ou
faiblement soutenables ont été instrumentalisés
pour diminuer l’humanité des femmes. En
conséquence, l’image positive d’égalité et de
similitude et dignité conférée aux êtres humains
dans le Coran s’est transformée en un ensemble
de dispositions contradictoires, reposant sur
la distinction entre ce qui est parfait et ce qui
est imparfait, entre l’origine et la branche,
entre le majeur et le mineur, l’affermi et le
déformé (Howeidy, en arabe, Papier d’appui
au Rapport), (Boutaleb, 2005 :59-65).
La stratégie d’interprétation jurisprudentielle qui a conduit à la production de lois
affirmant l’infériorité des femmes est centrée
sur deux principes : le premier consiste à
négliger les versets coraniques fondamentaux
qui reconnaissent l’égalité et le fait que les êtres
humains sont honorés par Dieu ou à en faire
usage pour justifier les versets subsidiaires,
dans le cadre d’une argumentation justifiant
une codification de la hiérarchie entre les deux
sexes. Le deuxième principe consiste à négliger
l’esprit de noblesse qui détermine le mode du
dit coranique dans sa globalité.
La sévérité législative de la jurisprudence
islamique recouvre d’autres questions qui
puisent leur source dans la réalité de la société
arabo-musulmane elle-même, surtout que les
juristes ont lu les dispositions canoniques dans
l’optique de la coutume. Ceci s’explique par le
fait qu’ils avaient le sentiment que toute autre
lecture introduirait une rupture dans l’ordre
social, lequel consolide une cohésion sociale
conforme à leurs yeux à “ l’ordre naturel ”.
La primauté et la préférence ont toujours
été accordées aux hommes dans les études
jurisprudentielles relatives aux femmes. Une
telle prédisposition s’est retranchée derrière
une lecture biaisée du Coran favorable aux
hommes. Les affirmations des livres écrits sur
les questions patrimoniales révèlent l’existence
d’un réseau de notions, de conceptions et
différents modes d’argumentation mis en
œuvre pour doter l’homme d’une attestation
d’honorabilité lui conférant un rang supérieur à
celui des femmes au sein de la société. L’homme
est ainsi le père, l’époux, le fils ou tout autre
mâle de l’agnat de la femme. Le plus souvent,
les jurisconsultes sont demeurés fidèles à cette
vision qui a servi de fondement de nombreuses
règles dans différents domaines de la société ; ce
qui a rendu plus compliqué encore tout travail
visant à édifier un système permettant l’égalité
dans les relations des hommes aux femmes au
sein de cette société (Silini, Papier d’appui
au Rapport). Néanmoins, les interprétations
légales éclairées ne manquent pas (Encadré 6
– 2).
Historiquement, la vision masculine
dominante en matière d’interprétation du
Coran et d’élaboration de normes avait ses
critiques qui faisaient prévaloir la raison et
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
faisaient ressortir la richesse des significations
les plus humaines dans le domaine de
l’organisation des relations entre hommes et
femmes dans la société arabo–musulmane.
Le patrimoine arabo-musulman et certaines
étapes de l’évolution de la culture islamique
sont chargés de prémices, d’intuitions et de
postures qui ont essayé de remettre en cause
assez radicalement les valeurs prévalant dans
la culture islamique. Ainsi, Abu al–Hassan alBasri a–t–il critiqué la polygamie, les Ismaélites
en ont-ils rejeté catégoriquement le principe
et dans certains de ses écrits Ibn ‘Arabi (560
/ 638 de l’Hégire) a-t-il considéré les femmes
comme des êtres bien supérieurs aux images
dévalorisantes répandues à leur sujet (AlRashikhi, en arabe, 2004 :161), (Hamadi, en
arabe, 2003 :63 – 80).
On peut donc parler de textes de résistance
à l’hégémonie de la vision masculine de
l’infériorité des femmes par rapport aux
hommes, qui bien que n’ayant pas changé une
telle hégémonie, montrent bien que la culture
islamique était plurielle et qu’il était possible
de dépasser la vision dominante et que les
différences d’opinion de vue étaient légitimes.
Aujourd’hui, des défenseurs de l’effort louable
(ijtihâd) parmi les jurisconsultes éclairés et
les ulama – qui prennent en considération
les lois du changement et de l’évolution
des sociétés – tendent d’élaborer une noble
vision des perceptions que le Coran présente
des différents phénomènes sociaux et des
changement historiques (Dayalmi, 2000, en
arabe, :79-83).
La littérature jurisprudentielle élimine les
versets prônant explicitement les principes
d’égalité et d’honneur divin accordé aux
humains dans le texte coranique, pour
n’invoquer – dans les différents aspects en
matière de législation – que le clan. Celui-ci
constitue le point de départ pour le législateur.
Par conséquent, la femme devient dès lors
dépositaire de la reproduction du clan. Les
efforts jurisprudentiels, dans la plupart des
édits produits, ne dépassent guère un ensemble
de données relatives apparentées à deux
éléments : un discours d’ordre général qui trace
les contours de principes fondamentaux, d’une
part, et une interprétation qui considère ce
qu’elle accomplit comme étant le plus proche
Structures culturelles
de l’esprit du texte et de la réalité d’une société
déterminée, d’autre part. C’est dire la relativité
et la spécificité du produit jurisprudentiel,
voire la possibilité de le transcender en se
référant aux même principes, c’est-à-dire les
principes fondamentaux déclarés dans le Texte
absolu, les intérêts de l’humanité et dans les
finalités attendues (AL Shatibi, en arabe, n.d.:
67 – 68). Les exemples précités déduits des
lois relatives aux femmes reflétent en réalité
la fidélité des jurisconsultes aux coutumes qui
ont régi le mouvement de sociétés en quête
d’une cohésion, qui assurerait leur équilibre eu
égard à leur dynamique sociale. Dans la mesure
où la dynamique de changement dans les
sociétés arabes contemporaines est différente
de celle des sociétés arabes au moment de
la constitution des écoles de jurisprudence,
les efforts d’interprétation des Anciens (as–
Salaf) ne sont plus appropriés à la nature
des transformations sociales à l’œuvre, qui
se déroulent à des rythmes différents dans
la réalité des sociétés. C’est pourquoi, il est
important d’œuvrer, à nouveau, pour donner
libre cours à l’ijtihad et intérioriser l’esprit
Encadré 6-2
Mohammed ‘Abdou : De la critique de la polygamie
“ S’agissant de savoir s’il est permis
d’annihiler cette habitude, c’est à dire
la polygamie, je réponds qu’il n’y a pas
de doute là dessus. Premièrement, parce
que la condition de la validité de la
polygamie c’est d’avoir la certitude que
l’équité a lieu. Or, cette condition ne
peut inéluctablement pas être remplie…
Deuxièmement, ce qui a prévalu c’est
le mauvais traitement des femmes par
leurs époux et leur privation de leurs
droits à la pension et au bien être ; c’est
pourquoi il est permis augouvernat et
aux responsables qui ont en charge de
faire respecter la loi d’interdire cette
polygamie pour en finir avec l’état
d’illégalité dominant. Troisièmement,
il s’est avéré que la dégénérescence des
rapports et l’inimitié entre les enfants
sont dues au fait qu’ils sont de mères
différentes. Si chacun d’entre eux est
élevé dans la haine de l’autre, une fois
majeurs les uns seront les ennemis les plus
acharnés des autres (…). C’est pourquoi
il est permis au gouvernant ou à l’homme
de religion d’interdire la polygamie et le
concubinage afin de protéger les foyers
de la corruption des mœurs ”.
Source : Mohammed ‘Abdou, en arabe, 1980 : 94-95-
Encadré 6-3
Abdelhadi Boutaleb : la jurisprudence (fiqh) de commodité
Il appartient à l’effort indépendant
d’interprétation de s’ouvrir sur la
jurisprudence de commodité, c’est-à-dire
sur la justice et l’équité. Il ne doit pas se
contenter de rapporter les propos des
jurisconsultes anciens, notamment les
propos abusifs qui sont contraires aux
principes nobles de l’Islam. C’est cela qui
assurerait les dispositions susceptibles de
réaliser la réforme des rapports familiaux
dans le monde musulman, dans le cadre
des véritables orientations de l’Islam qui
visent à instaurer équité, justice, clémence
et égalité.
Source : Boutaleb, en arabe, 2005
167
Les femmes sont non
seulement diminuées
dans notre société
par les interprétations
jurisprudentielles
traditionnelles
et conservatrices
mais aussi par le
contenu des contes,
des légendes et
des propos qui leur
assignent un rang bien
déterminé en société.
168
du texte coranique afin de produire les textes
jurisprudentiels basés sur des valeurs d’égalité.
De tels textes élaboreront une jurisprudence
sur les femmes qui dépasse l’équivalence
linguistique et historique entre de ce qui
est féminin et ce qui est naturel (grossesse,
accouchement, allaitement au sein, éducation
des enfants, cuisine). C’est ce qui contribuera à
la promotion des valeurs culturelles féminines
et les transformera en attitude publique.
(Dayalmi, 2000 :51-57).
Le Coran a assuré les êtres humains (femmes
et hommes) d’une place élevée sur terre. Si
dans le passé, les jurisconsultes étaient fidèles
aux exigences et coutumes de leur société,
aujourd’hui ces exigences et ces coutumes ne
satisfont plus aux besoins de notre époque et
de notre société.
C’est pourquoi l’ouverture sur les lois
internationales, qui éliminent toutes les
formes de discrimination entre les femmes et
les hommes, ne porte nullement atteinte à la
croyance religieuse, dans la mesure où lois sont
les plus proches de l’esprit des textes religieux
et des changements en cours dans les société
arabes contemporaines.
La femme arabe dans les
proverbes courants Du soutien de l’éthique de la discrimination de genre
La culture populaire arabe brosse des
images contradictoires des femmes, des
filles et des épouses aux différentes étapes
de leurs vies. Les proverbes ayant trait aux
femmes et qui circulent au sein des classes
sociales arabes fournissent généralement
une bonne illustration de la perception qui
tient les femmes dans un statut d’infériorité.
Ceci révèle jusqu’à quel point la conscience
populaire courante est étrangère à la réalité des
transformations fondamentales qui traversent
les sociétés arabes. Ces proverbes évoquent les
conditions des femmes dans un style fabulateur
sans se préoccuper des paradoxes qu’une telle
fabulation crée par rapport à l’image réelle des
femmes et des filles telle qu’elle se dégage de la
réalité sociale.
Les générations successives dans l’histoire
de notre société se sont transmis un grand
nombre de proverbes et les ont reproduits.
Ces proverbes consolident et perpétuent
l’infériorité des femmes. Ce qui revient à dire
que les femmes sont non seulement diminuées
dans notre société par les interprétations
jurisprudentielles
traditionnelles
et
conservatrices mais aussi par le contenu des
contes, des légendes et des propos qui leur
assignent un rang bien déterminé en société.
Il est vrai que les adages courants
reprennent, à leur manière, les données de
textes, de légendes et de propos appartenant
à des références imbriquées et à des temps très
anciens, si bien que les propos de ces adages
sont l’expression de situations totalement
différentes de celles de la société d’aujourd’hui.
Mais il n’en reste pas moins que la façon
dont sont répands et transmis ces proverbes,
les substitutions et les changements qui
touchent leurs vocables et leurs expressions les
transforment en produit et mémoire collectifs
servant à perpétuer et consolider des valeurs
déterminées au sein de la société (Al Sa’ati, en
arabe, 2003 : 75-84).
A l’examen de quelques exemples et
échantillons de proverbes arabes courants à
propos des femmes et de leurs conditions,
on peut relever beaucoup d’images
contradictoires, notamment ceux relatifs aux
mères et aux épouses, aux femmes mariées et
aux non mariées.
Cependant, ces contradictions contingentes
ne changent en rien la vision générale
prédominante. C’est une vision favorable aux
hommes, aux valeurs qu’ils ont adoptées et
diffusées par plusieurs moyens dans la société.
L’étude des expressions, des degrés
d’infériorité des femmes et leurs caractéristiques
générales tels qu’illustrés dans les proverbes
courants dans les sociétés arabes trahissent les
mécanismes d’une conflictualité sociétale. Ces
mécanismes se traduisent par des mots et des
expressions qui visent à légitimer l’infériorité
et à l’admettre, voire à la transformer en une
spécificité immuable. Les proverbes constituent
des registres où sont entreposés des propos
mémorables issus de l’expérience humaine à
travers l’histoire. Comme ils sont parfois dits
par des derviches, des saints, des purs de cœur,
des cheikhs et des aqtab qui usent de mots
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
et de rythmes particuliers, où dominent la
concision et les procédés rhétoriques cherchant
à produire l’effet efficace, ils acquièrent grâce à
leur statut spirituel le privilège de l’expression
rigoureuse et véridique. Ainsi sont-ils appris et
reproduits et largement courants, notamment
dans les sociétés où les femmes et les filles
souffrent d’analphabétisme.
Lesattitudes qui promeuvent
l’infériorité des femmes dans
les proverbes arabes :
Dans la société arabe d’aujourd’hui, plusieurs
systèmes de valeurs coexistent. Les langues,
les attitudes et les valeurs s’y imbriquent de
façon complexe et diversifiée. Il est vrai que
les proverbes courants dans les différents
franges de la société arabe sont favorables
aux valeurs masculines et à l’exclusion des
femmes présentées comme “ inférieures ” et
“ démoniaques ”. Néanmoins, les évolutions
des mentalités survenues dans le cadre des
transformations sociétales à l’œuvre dans le
monde arabe depuis la seconde moitié du siècle
dernier, montrent indubitablement que bon
nombre de ces proverbes n’ont rien à voir avec
la réalité. Réalité marquée la présence active
des femmes au cœur même des processus de
changement social en cours (Afarfar, en arabe,
1996 : 60-63).
Commençons par fixer les traits généraux
de la tendance à l’exclusion dans les proverbes
en référant à l’ensemble des proverbes courants
dans plusieurs pays arabes (les pays du Machreq
arabe, l’Egypte, la Maghreb arabe). Dans la
tradition populaire connue, des centaines de
proverbes populaires projettent une attitude
proche de celle qui conduisait à enterrer des
filles vivantes. Afin de justifier la ségrégation
à l’encontre du sexe féminin, ces proverbes
emploient des arguments moraux ou recourent
à un argumentaire qui mobilise le langage
des contes et des fables. Certains puisent des
justifications dans le registre de la psychologie.
Mais ces proverbes, quel que soit leur mode
d’expression, servent à souligner la position
sociale et morale inférieure des femmes dans la
société. Certains proverbes vont même plus loin
en soutenant que la femme n’était qu’à moitié
saine d’esprit, qu’à moitié croyante, n’avait
Structures culturelles
droit, en matière d’héritage, qu’à la moitié de
la part réservée à l’homme et qu’elle valait
même la moitié d’un homme. Ceci conduit à
échafauder un profil qui détermine l’existence
biologique et domestique des femmes sans
considération pour leur autonomie.
Les exemples suivants illustrent en quelque
sorte les différentes explications que nous
avons présentées :
• Voix de diable vaut mieux que voix de
fillette ”
• Toi femme qui donnes naissance à des filles,
tu n’auras que soucis jusqu’à la mort ”.
Dans les proverbes, l’image des femmes
ne correspond pas à celle de rancunière,
d’insidieuse, d’infidèle, d’impulsive mais elle
est plutôt synonyme de démoniaque, de frivole.
C’est pourquoi ces proverbes recourent à une
description qui agence de façon inconsciente
des images qui contredisent les principes
que recèlent les principes et les prétextes
d’exclusion. Ainsi la femme devient-elle
détentrice d’une force pouvant égaler celle de
l’action démoniaque dans sa toute puissance et
sa capacité à anéantir quiconque lui barrerait
la route. Il est clair que le message véhiculé
par ces proverbes est de répandre une culture
de la méfiance à l’égard du genre féminin.
Ceci donne précisément lieu à des postures
d’opposition, revêtant la forme de contes que
les grand-mères racontent à leurs petites filles
(Mernissi, en arabe, 1983 : 40 – 59).
En revanche, l’homme -dans ces proverbesdemeure la voie qui mène à bon port, puisque
la femme ne peut se passer de lui à condition
qu’elle accepte l’ordre hiérarchique confirmé
par les interprétations du patrimoine religieux
traditionnel et généralisé au moyen de
proverbes dialectaux. C’est là un indicateur du
préjudice social à l’égard des femmes. Certains
de ces proverbes considèrent que si “ la fille est
une calamité ”, “ le mariage est un abri ”. Dans
tous les cas, il devient légitime de diffuser la
prétention véhiculée par le proverbe qui dit
au nom d’une femme : “ Autant l’enfer de
mon époux que le paradis de mes parents ” ou
encore ce proverbe plus violent : “ Pour la fille
c’est ou son époux ou sa tombe ”.
Or, le mariage ici est indissociable du
système des valeurs du système institutionnel
169
Encadré 6-4 Cheikh Mohammed Al Ghazâli : Le détournement des
enseignements de l’Islam au sujet des femmes
Les musulmans se sont détournés des
enseignements de leur religion dans
leur traitement des femmes. Des propos
obscurantistes et des hadiths établis ou
apocryphes se sont répandu parmi eux
et ont fini par faire sombrer la femme
musulmane dans une grande ignorance
et dans l’imprévoyance totale, qui ne
conviennent ni à la religion ni à la vie
d’ici-bas. L’instruction des femmes
était considérée comme un péché ; on
lui interdisait même de se rendre à la
mosquée ! Qu’elle s’intéresse aux affaires
des musulmans, à leur présent ou à leur
avenir, cela relevait de l’impossible !
Le mépris de la féminité était chose
courante ; le ravissement de ses droits
matériels et moraux était la coutume
dominante ! Il y a trois ans, un orateur
célèbre, gagné par la peine et la colère,
s’est dressé pour crier fort : est révolu le
temps où la femme ne sortait que trois
fois : du ventre de sa mère au monde, de la
maison de son père vers le foyer conjugal
et de son foyer vers la tombe ! Moi je dis
que Dieu maudisse ces temps à jamais,
qu’ils ne fassent jamais de retour dans
l’histoire de notre nation ! Ce sont des
temps propres à l’ère antéislamique non à
l’Islam. Il sont le triomphe des traditions
arbitraires et ne constituent nullement la
voie du droit chemin. La régression de
la umma islamique jusqu’à faire partie
du tiers-monde est en grande partie le
résultat de ces traditions aberrantes.
Source : Abu Shaqqa, en arabe, 1999 :5
existant dans les sociétés qui tiennent à établir
la discrimination entre les deux sexes selon
une conception patriarcale où l’homme (le
mari ou le père) demeure le garant de l’ordre
hiérarchique dans la société (Sabbar, en arabe,
1998 : 49-67).
Les perceptions positives des
femmes
Pourtant, on ne peut passer sous silence le fait
qu’il existe des proverbes antithétiques à ceux
cités ci-avant. Dans la tradition orale populaire
et dans plusieurs textes du patrimoine, d’autres
images sont présentes : celles des femmes
intelligentes, maîtrisant l’art de la parole, en
quelque sorte enchanteresse dans le sens positif
du terme. A titre d’exemple Schéhérazade
exerce – dans la littérature populaire - une
capacité remarquable d’influence par la
narration. D’autres attitudes ainsi que des
propos courants agencent des images totalement
différentes de celles courantes dans la culture
populaire sur le rôle de la mère et sa place au
sein de la famille et de la société. Il est possible
d’interpréter les images contradictoires des
femmes dans la mentalité populaire comme
étant l’expression d’états psychologiques
multiples. On ne doit donc pas leur attribuer le
caractère d’un parti pris théorique immuable et
clos. Il s’agit en fait d’attitudes qui reflètent des
170
états et des conceptions versatiles, bien qu’elles
tendent la plupart du temps à la consolidation
de l’infériorité des femmes (Shams al-Din, en
arabe, 2002).
Effectivement, il y a de nombreux
proverbes qui élèvent les femmes, dans leur
rôle de mères ou de filles. Parmi ceux où la
mère et la fille sont positivement évoquées, où
la mère est considérée comme une source de
protection, d’amour et d’attention, on cite à
titre indicatif :
• “ La mère construit bien un nid, le père le
détruit.”
• “ N’a pas de soucis celui qui a sa mère. ”
• “ Celui qui perd sa mère, le Ciel lui dit :
ô humain, elle est partie à jamais celle qui
t’aimait sur terre. ”
• “ Le paradis et sous les pieds des mères, il
faut donc leur obéir. ” (Hadith) Dans certains proverbes, la fille est
synonyme de vie : “ N’a pas vécu celui qui n’a
pas eu de filles. ”
Ainsi les proverbes populaires courants
oscillent-ils entre le négatif et le positif, ce qui
montre clairement le caractère contradictoire
de la phase de transition que traversent les
sociétés arabes quant à leur conception de la
femme et de son rôle dans la société.
Les femmes dans la pensée
arabe contemporaine
Vers l’émergence d’une
nouvelle référence
Avant d’examiner l’image des femmes dans la
pensée arabe contemporaine et de reconstituer
quelques éléments de la référence théorique qui
la sous-tend, il est nécessaire de souligner que
la manière avec laquelle on abordait la situation
des femmes et leur réalité était déterminée par
une vision théorique qui liait la question des
femmes à celle de la Renaissance arabe. C’est la
raison pour laquelle la réflexion sur la question
des femmes, dans certaines productions de
cette pensée, allait s’orienter vers la recherche
de la manière de se libérer du poids de la
référence traditionnelle héritée dans toutes ses
manifestations.
Etant donnée l’ampleur du sujet, nous
allons centrer l’intérêt sur les moments
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
importants qui ont marqué l’évolution des
questions des femmes dans la pensée arabe
contemporaine : il s’agira du moment de la
perception de l’écart, puis de celui de la prise
de conscience de la transformation et enfin celui
de l’institutionnalisation. Cela nous permettra
d’observer les transformations de la conscience
arabe et ses paradoxes en fin de compte (Kamal
Abdellatif, en arabe, 2003 : 9 – 13).
Le moment de la perception de l’écart :
l’autre femme dans le miroir de soi Par perception de l’écart, nous entendons ce
moment de la pensée arabe quand les chercheurs
ont identifié les débuts de la transformation qui
va conduire à ce qui est connu comme l’ère de
la Renaissance arabe. C’est à dire quand les
élites politiques et celles qui allaient concevoir
les programmes de réformes intellectuelles et
sociales ont compris que les sociétés européennes
avaient des caractéristiques déterminées qui
étaient à la base de leur puissance et leur
progrès. Selon cette perception, toute réflexion
sur le dépassement du retard vécu par les
sociétés arabes présupposait la recours aux
bases et aux prémisses qui ont engendré – dans
le passé comme dans le présent – la renaissance
et la puissance en Europe et dans le monde
développé.
Le projet réformiste du Cheikh Rifa’a
Râfi’ al-Tahtawi (1801-1873) représente, par
excellence, ce moment dont on a parlé. Cette
section réfère a quelques-uns de ses écrits pour
illustrer certains aspects de ce moment de la
pensée arabe. Il s’agira de deux textes : Le
Guide fidèle pour l’éducation des filles et
des garçons, et La Purification de l’or dans
l’aperçu abrégé de Paris (Al-Tahtawi, en arabe
1834 et 1870).
Les écrits de Rifà’a Al-Tahtawi était d’une
nature polémique manifeste. Défenseur dans
son projet de renaissance des idées de réforme
et de civilisation, il a recouru, concernant la
question des femmes, à cerner l’ensemble des
conceptions qui entravent l’évolution de leurs
conditions comme tel que le refus de leur
apprendre à lire et à écrire. Il s’est également
élevé contre les conceptions qui taxaient les
femmes de déloyauté, d’artifice, de ruse et de
déraison. Car selon l’expression de Al-Tahtawi,
Structures culturelles
la fonction des femmes d’après certains ne va
pas au-delà de “ faire fonction de récipient qui
assure la procréation ”.
Quand il s’élève contre le discours
traditionnel dominant au sujet de l’instruction
des femmes, Al-Tahtawi insiste sur l’importance
du savoir dans la vie. Il ne se contente pas
d’énumérer les bienfaits de l’instruction dans
la vie des femmes, mais il va au-delà, en faisant
prévaloir un esprit qui ouvre des perspectives
d’évolution de la réalité des femmes arabes vers
des changements inhabituels dans le système
social et culturel de son époque. Ainsi a-t-il lié
l’instruction et le savoir à la question du travail.
L’instruction, selon lui, “ permet à la femme en
cas de besoin d’exercer les mêmes travaux et
d’occuper les mêmes fonctions que l’homme
(…) le travail protège la femme contre ce qui
n’est pas bienséant. Si le chômage est blâmable
pour les hommes, il l’est encore plus pour les
femmes ” (Al-Tahtawi, en arabe, 1973 : 210 ).
Dans les textes de Al-Tahtawi, relatifs à
l’instruction des filles, la question de la mixité
et du voile est présente dans la mesure où elle
traduit certains aspects de la nature de la société
arabe. Pour défendre l’instruction et le travail des
femmes, Al-Tahtawi a eu recours à l’histoire et à
certaines dispositions de la Charia islamique, en
essayant de concilier l’histoire et le patrimoine
Encadré 6 – 5 :
La liberté est une femme
A périodes noires en Europe et ailleurs,
la femme était rejetée et méprisée.
Elle faisait partie des biens. L’homme
pouvait vendre son épouse aux enchères
publiques. Les écrivains et les poètes
mettaient toute leur imagination à la
satiriser et à la critiquer. Les théologiens
ont longtemps débattu de la question
: “ la femme a-t-elle un esprit ? ” ; ils
ont même prétendu qu’elle était “ la
voie vers l’enfer ”, “ l’usine où le diable
confectionne ses armes, sa voix est le
sifflement des vipères ”, qu’elle était “ les
flèches de Satan ”, “ venimeuse comme
le cobra, rancunière comme le dragon ”
(…)
Lorsque les lueurs de la civilisation
moderne ont pointé à l’horizon et que
les sciences et les connaissances sont
devenues tributaires de l’expérimentation
et de l’examen après avoir été assujetties
aux doctrines et aux traditions, la question
des femmes a pris de l’importance.
On a donc compris (…) que la réussite
dépendait de l’instruction des femmes et
de leur promotion, car la femme constitue
le pilier de la famille, l’éducatrice des
enfants et la partenaire de l’homme dans
la vie. On leur assura progrès, instruction
et prestige. Aussi a–t–elle commencé à
revendiquer ses droits. Les écrivains n’ont
pas été unanimes sur la quantité de ces
droits, mais ils se sont mis d’accord sur
le respect et la vénération de la femme, à
tel point que l’être féminin est devenu le
symbole de la vertu et de la fierté. Ainsi,
quand ils veulent décrire concrètement la
liberté, ils érigent une statue sous forme
de femme. Il en va de même pour l’unité,
l’éloquence, le travail et autres vertus : ils
les représentent comme des femmes.
Source, Zaydan,en arabe, 2002.
171
avec les acquis des temps modernes dans les
domaines de la connaissance et de la vie en
général. En même temps et de la même manière,
il a essayé d’asseoir les fondements d’une mixité
qui ne porterait pas atteinte à la pudeur, tout
en tenant à rejeter tout ce qui contribue à
l’isolement des femmes et à leur éloignement de
la réalité sociale, le travail exigeant que la femme
sorte du foyer. Selon lui, cela est tributaire de la
confiance fondée sur la bonne éducation, car la
nouvelle éducation permet de préparer les filles
à assimiler les valeurs des temps modernes et
à s’adapter aux exigences de celles-ci. (Kamal
Abdellatif, Papier d’appui au Rapport).
Le moment de la prise de conscience de
la transformation : premières tentatives de
réduire les prétentions de la jurisprudence
à consolider l’infériorité.
Si les textes de Al-Tahtawi ont constitué
le foyer inaugural du premier moment, les
écrits des réformateurs et des pionniers de la
deuxième période ont traduit une profonde
assimilation, d’une façon ou d’une autre,
l’ensemble des éléments de l’alternative qui
a travaillé l’œuvre de Al-Tahtawi, à savoir
l’autre image des femmes puisée dans les
références de l’histoire européenne moderne et
contemporaine.
A cet égard, ni Qasim Amin (1865 – 1908)
ni Al-Tahar Al-Haddad (1899 – 1935) n’ont
hésité à défendre le principe selon lequel il
fallait tirer profit des expériences de l’histoire et
de la société européennes. En même temps, ils
rejetaient l’existence de quelque contradiction
que ce soit entre les principes de la Charia et
les valeurs de la vie nouvelle naissante dans les
sociétés contemporaines. Ils se sont également
efforcés d’engager un débat à propos de la re–
classification et la ré–interprétation de certains
versets coraniques dans le but de dénoncer
l’interprétation biaisée qui en a été faite en
défense de valeurs déterminées. Leur réflexion
a aussi influencé le travail pionnier accompli
par de Nazira Zayn al-Din (1908 – 1976) dans
“ Dévoilement et voilement ” (Zayn al-Din, en
arabe, 1998).
Les textes de Qasim Amin, par exemple,
présentent les éléments essentiels pour
comprendre les mutations survenues dans
172
la perception des élites arabes de la nature
de la situation des femmes dans les sociétés
arabes ainsi que de la nature des questions
qui accompagnent le changement. Les
manifestations de ce changement ont apparu,
à des degrés variables, dans les pays arabes,
malgré l’hégémonie coloniale qui constituait la
caractéristique la plus apparente de la majorité
de ces sociétés.
L’œuvre de Qasim Amin a été en mesure
de présenter un diagnostic de la situation
des femmes égyptiennes et à travers elles des
femmes arabes, eu égard aux liens humains qui
structurent le monde arabe, ainsi qu’à l’histoire
et aux valeurs communes, même quand leur
expression se fait sous différentes formes. Le fil
conducteur de ce diagnostic a été de montrer
l’infériorité des femmes structure le champ
social observable.
Les manifestations de cette infériorité, tels
qu’ils ont été exposés dans les textes de Qasim
Amin peuvent être regroupés comme suit :
les femmes sont confinées au foyer si elles ne
travaillent pas ; la séparation lors des repas ;
elles sont soumises à la surveillance du père, de
l’époux, du frère ou du fils ; la répudiation ; les
femmes ne sont pas dignes de confiance ; elles
n’ont pas leur place en matière de biens publics
et dans institutions de l’espace public; elles
n’ont pas leur place en matière de croyance
religieuse ; elles n’ont pas de goût et la vertu
nationale fait défaut chez elles.
Le diagnostic de Qasim Amin prend une
allure critique et a un caractère réformateur et
partisan. L’exposé de l’état des lieux évoque
éloquemment la nature des rapports sociaux
qui consolident l’infériorité des femmes et qui
leur sont préjudiciables. Plus important encore,
il souligne la dialectique de reproduction et de
renforcement de ladite infériorité. Son but est
de chercher les voies et moyens pour l’éliminer
et la dépasser (Fahmi, 1964 :115-132).
A cette fin, Qasim Amin formule son projet
de réforme et écrit alors “ La Libération des
femmes ” (1899) et “ La Femme nouvelle ” (1900)
en s’inspirant à des écrits où s’interpénètrent les
idées représentant le nouvel esprit réformateur
et progressiste de la pensée de la Renaissance
arabe et les idées véhiculées par la nouvelle
pensée sociale en Europe, et notamment
certaines thèses et concepts de la philosophie
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
positiviste. On découvre que la base théorique
qui structure sa vision et son projet de réforme
est essentiellement fondée sur les références et les
principes qui sont apparus avec l’émergence de
la société industrielle et les transformations qui
s’en ont suivies à l’échelle du corps social comme
au niveau de la vision générale de la société et de
l’histoire (Qasim Amin, 1899 et 1900).
Qasim Amin a également appelé à libérer
la femme du joug des traditions en supprimant
le voile et en réduisant le droit de l’homme au
divorce. Il a aussi appelé à l’égalité en droits
civils entre les femmes et les hommes quant
aux. Dans ce programme réformateur, il y a
suffisamment d’éléments qui indiquent que
nous sommes effectivement en présence d’une
mutation majeure dans la perception des
questions des femmes arabes, une mutation
qui trace les contours d’une critique forte et
qui nous met au seuil de nouveaux horizons
dans la considération de la question féminine ;
même quand les moyens font défaut traduire
ce programme dans la réalité.
Les réformateurs comme Qasim Amin,
Nazira Zayn al-Dine et puis par la suite alTahir al-Haddad et bien d’autres, au regard de
leur façon de traiter la question des femmes,
avaient une conscience aiguë de la nécessité de
changer la condition des femmes. Cependant,
ce qui renforce ce moment et lui confère
toute sa dimension symbolique active dans les
structures et les contours de la pensée arabes,
est le large front ouvert au cœur des fortes
résistances de la société arabe. En effet, l’appel
de Qasim Amin à l’émancipation des femmes a
eu, comme nous l’avons dit précédemment, des
échos discontinus et contradictoires. Chose qui
a suscité une vive et dynamique polémique qui
a contribué, à son tour, au développement des
outils et des notions qui sous-tendent la pensée
arabe en matière d’émancipation des femmes et
de développement de la société arabe (Kamal
Abdelatif, Papier d’appui au Rapport).
Le moment de la prise de conscience de
l’institutionnalisation : vers l’édification du
rationalisme pragmatique dans l’approche
des questions relatives aux femmes arabes
L’analyse contenue dans les paragraphes
précédents montre que le combat pour
Structures culturelles
l’émancipation des femmes dans la pensée et dans
la réalité arabes doit redoubler pour vaincre les
idées et les attitudes qui continuent de façonner
l’affectivité, l’imaginaire et la raison des individus
et des communautés dans la plupart des pays
arabes. Dans ce contexte, le changement survenu
dans l’approche des questions des femmes arabes
durant les trois dernières décennies du siècle
derniers, a contribué, et ne cesse de contribuer,
à la consolidation de la résistance aux différentes
perceptions qui tiennent les femmes pour des
êtres inférieurs.
L’on peut parler d’un processus
progressif et lent de satisfaction de certaines
revendications féminines dans certains pays
arabes, notamment au chapitre des codes de
Statut personnel et des lois qui permettent
aux femmes de participer à la vie politique.
Cependant, jusqu’à ce jours ce processus
n’a toujours pas pu neutraliser les pressions
exercées sur les femmes dans nombre d’aspects
et de domaines de la vie.
On a commencé à travailler selon l’esprit
qui structure ce moment de la pensée arabe
quand les acteurs ont pris conscience que
l’efficacité du discours théorique réformateur,
qui a longtemps marqué la pensée politique
et sociale arabe, tout au long de la première
moitié du XXe siècle, n’a pas engendré les
résultats à même de contrecarrer les traditions
et les pensées conservatrices relatives à la
question des femmes et à l’amélioration de leur
statut dans les sociétés arabes. Pour faire face à
cette déficit, nombre de gouvernements arabes
ont œuvré, depuis les années soixante dix
du siècle dernier, pour introduire la variable
féminine dans les plans et programmes de
développement, dans le cadre d’une nouvelle
conception du développent qui ne se réduit
pas au seul développement économique, mais
qui cherche à faire, de façon prioritaire, du
Encadré 6 – 6
Nazira Zayn al-Din: Le temps, la liberté et la libération
“ Que nous le voulions ou non, nous ne
pouvons pas nous dresser comme une
barrière face au courant de renaissance
moderne et aux idées nouvelles qu’il nous
apporte dans le domaine de la sociologie.
La religion s’est libérée, la science s’est
libérée, la raison s’est libérée, la pensée
s’est libérée, l’art et la société se sont
libérés. Tout dans ce monde a échappé au
joug de l’esclavage et de l’esclavagisme ”.
Source : Nazira Zayn al-Din , 1998 : 121
173
développement économique un levier pour le
renforcement des sphère du développement
social et puis du développement humain
général.
Dans ce contexte, on peut parler de
l’internationalisation de la question féminine
à l’instant même où on a pris conscience
du processus d’institutionnalisation. En
effet, des conférences régionales, locales et
internationales se sont multipliées dans le but
de mettre un terme aux conditions dégradantes
des femmes dans le monde et pour se mettre
d’accord sur un discours revendicatif tout en
prenant en considérations les disparités des
situations des femmes dans les divers pays du
monde. On peut également parler à cet instant
du progrès réalisé en terme d’approche qui est
passé de celle du traitement social relatif à un
sexe donné, à celle élaborée à la lumière de la
réflexion relative au développement humain.
Les aspects de la nouvelle
conscience : indicateurs et
paradoxes
Tout observateur des thèmes féminins dans la
pensé arabe contemporaine, ne manquera pas
de noter l’apparition de nouveaux indicateurs
témoignant de la nature des transformations
que cette question a connues quand elle a
revêtu un aspect institutionnel. L’adhésion des
femmes à des associations civiles s’intéressant
à l’action politique et aux droits humains
a contribué à l’habilitation de la société et
à la rééducation pour qu’elle admette la
présence féminine active. L’une des finalités
de cette transformation fut de dissiper l’image
stéréotypée des femmes empruntée à une
histoire en voie de déclin et devenue un critère
absolu. Cette image va céder la place, dans
l’histoire actuelle, à d’autres actions dotant la
femme d’un espace plus vaste et plus propice
à l’action, à l’innovation, à la production et à
la créativité.
Il est certain que les sciences économiques,
la sociologie, la psychologie, la psychanalyse
et l’évolution de la conscience en matière
de vie sexuelle ont contribué ensemble à
l’enrichissement des conceptions et attitudes
qui se partagent le champ de la pensée relatif
aux questions des femmes et de la société. Elles
174
ont constitué une nouvelle source d’autorité
s’appuyant les avancées épistémologiques
modernes en matière de pensée scientifique
et analytique et de méthodologies novatrices.
Ceci a permis du même coup de restreindre
le champ de la pensée conservatrice, des
connaissances et des attitudes traditionnelles
dans ce domaine.
La forte présence de concepts et termes liés
aux résultats des sciences humaines a conduit
à la production de nouveaux concepts ciblant
la situation des femmes à travers le monde. Ces
concepts ont été approfondis grâce aux efforts
déployés par les mouvements des femmes
qui se sont intéressés à cette question, tout
en soulignant l’importance de l’histoire et de
la culture dans la formation des mentalités
et des hiérarchies au sein de la société. Une
série de concepts tels que ceux d’égalité, de
justice, de participation, d’autonomisation, de
genre et de développement humain sont de
plus en plus utilisés comme instruments de
réflexion sur la réalité des femmes arabe. De
nouvelles conceptions recoupant ces concepts
ont vu le jour à propos des questions sociales et
politiques et de développement.
Cette transformation intellectuelle et
méthodologique adossée aux champs des
sciences sociales ainsi que le projet de la
critique de la raison arabo-musulmane qui
a produit des avancées significatives dans
la critique des traditions dogmatiques, ont
contribué au développement de la pensée et
de la société dans le monde arabe(Al-Jabiri, en
arabe,1984, 1986, 1990, 2000) et (Arkoun ; en
français, 1984 ). Cette évolution se ressent dans
la manière d’examiner les questions des femmes
arabes et la manière de dépasser leur statut
actuel. Il en résulte, sur le plan du discours
et des conceptions, de nouvelles données
ayant permis à la pensée arabe contemporaine
de contenir fortement les conceptions
traditionnelles au niveau de la culture comme
au plan du patrimoine populaire.
L’aspect le plus important du combat et de
l’activisme des femmes à travers le monde arabe
est qu’elles aient transcendé le statut même
de femmes pour inscrire leur action dans une
vision plus large qui s’articule aux questions
soulevées par les grandes transformations en
cours dans les sociétés arabes, y compris celles
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
de la renaissance, du développement et du
progrès. Les femmes arabes considèrent les
projets de réforme politique et économique
et l’établissement d’une interaction positive
avec le système des droits de l’Homme dans
le monde comme faisant partie des objectifs
directs qu’elles visent. C’est la raison pour
laquelle la présence féminine au sein des
organisations de la société civile et de la société
politique a connu une nette croissance. Cette
évolution augure d’une forte implication des
femmes dans les questions de changement
et de leur participation à l’avènement de ce
changement, ce qui leur permettra d’occuper
une plus grande place dans le traitement des
affaires publiques. Il est important de ne pas
minimiser l’importance de cette participation,
dans un combat qui englobe – sans exception
– les différents domaines de la vie en société
(Kamal Abdellatif, Papier d’appui au
Rapport).
Le mouvement des femmes s’est investi,
vers la fin du siècle dernier, dans le projet
de changement social qui accorde un rôle
important aux intermédiaires sociaux dans
la réalisation des objectifs sociaux. L’activité
de ce mouvement donne lieu à une série de
recommandations et de mesures visant à
élargir l’éventail des sphères sensibilisées aux
questions des femmes. La pensée nouvelle
s’est manifestée à travers des médias tels que
l’Internet, les clubs de discussion, les chaînes
de télévision et de leurs programmes spéciaux ;
autant d’activités qui ouvrent des perspectives
basées sur la force du dialogue, de proposition
et de l’élaboration des conceptions. Ces médias
ont facilité l’émergence d’un nouveau discours
de la libération qui permet aujourd’hui aux
femmes d’occuper des espaces publics qu’elles
ne pourraient pas atteindre au moyen de la
seule lecture des matériaux imprimés sur des
livres et des journaux, lesquels reculent petit
à petit devant le génie des nouveaux médias
capables d’exercer une influence à même
d’ébranler tous les aspects conservateurs du
patrimoine, et notamment les traditions et les
idées qui légitiment la hiérarchisation et la
considèrent comme une “ seconde nature ”.
Les nouveaux médias ont aidé à promouvoir la
conscience en matière de genre dans le sens de
la cohésion et de l’égalité sociales, en se basant
Structures culturelles
sur les principes de solidarité et d’équité qui
constituent l’alternative
appropriée aux
principes de discrimination et de ségrégation
entre les deux sexes (Menissi, en français,
1984 :13-35 et Kamal Abdellatif, Papier
d’appui au Rapport).
Cependant, cette transformation qualitative
de la pensée arabe ne devrait pas nous faire
omettre la grande contradiction que pourrait
noter l’observateur s’intéressant à l’histoire des
idées : la réapparition, sur une large échelle, des
conceptions traditionnelles et de points de vue
conservateurs au sujet du rôle des femmes dans
la société, à travers des discours, les tenues et
les rites de la vie quotidienne. Le tout visant
à contrecarrer les transformations réalisées
par les mécanismes de l’institutionnalisation,
qui ont déplacé les questions des femmes de
l’échelle locale à l’échelle universelle et ont
approfondi ces questions en les articulant à
celles du développement humain.
Il faudrait évoquer à ce propos les réseaux
mondialisés de production de fatwas qui
offrent au discours conservateur et à la pensée
traditionnelle des lieux et des fronts hostiles
à tous les discours prônant l’émancipation, le
développement et l’intégration des femmes
dans les sphères de la production et de la
création.
Ce retour continuel des régressions et des
résistances qui instrumentalisent les traditions
pour faire face aux problématiques de la
société arabe – en voilant les femmes, en les
tenant cloîtrées au foyer- nous met face à un
paradoxe flagrant : il indique que la société,
les établissements scolaires et les organisations
de la société civile, malgré leur foisonnement,
continuent à ne pas accorder l’intérêt nécessaire
à la consolidation des valeurs du savoir
moderne et de la réforme politique. Or ce sont
ces valeurs qui permettront de généraliser les
espaces de liberté, de l’alternance du pouvoir
ainsi que l’esprit de citoyenneté. En tout
cela, il s’avère nécessaire de réduire le champ
des valeurs conservatrices qui ne prête pas
d’intérêt aux variantes de l’histoire, ni n’en
perçoit les qualités, dans la conception de soi
et de la société (KAMAL Abdellatif, en arabe,
1997 :67-80)
Le mouvement des
femmes s’est investi,
vers la fin du siècle
dernier, dans le projet
de changement
social qui accorde un
rôle important aux
intermédiaires sociaux
dans la réalisation des
objectifs sociaux
Les nouveaux médias
ont aidé à promouvoir
la conscience en
matière de genre dans
le sens de la cohésion
et de l’égalité sociales,
en se basant sur
les principes de
solidarité et d’équité
qui constituent
l’alternative
appropriée aux
principes de
discrimination et de
ségrégation entre les
deux sexes
175
La femme dans le roman
arabe A la recherche d’une
nouvelle image des femmes
arabes :
Dans sa diversité et sa
richesse, la sensibilité
romanesque arabe
aux thèmes sociaux
a contribué à
contenir ces types de
stéréotypes répandus
sur les femmes.
Cette partie présente des exemples précis,
en vue d’illustrer le rôle joué par la création
romanesque dans les opérations de
consolidation ou d’ébranlement et de critique
des valeurs sociales et culturelles relatives
aux conditions des femmes dans les sociétés
arabes.
Le roman arabe a joué un rôle salutaire en
détruisant l’image stéréotypée dominante des
femmes dans notre société. Dans sa diversité
et sa richesse, la sensibilité romanesque
arabe aux thèmes sociaux a contribué à
contenir ces types de stéréotypes répandus
sur les femmes, si bien que nous rencontrons
dans les univers romanesques des dizaines
d’exemples et d’images reflétant les couleurs
du spectrogramme féminin dans la réalité.
Cependant, en tentant de construire de
nouvelles perceptions des femmes dans la
fiction, le roman arabe ne s’est pas contenté
de s’attaquer aux images stéréotypées des
femmes, mais il a veillé également à mettre
en lumière des aspects de la représentation
par les femmes de leur propre asservissement
et certaines formes de leur complicité dans
la reproduction de la domination masculine.
L’amalgame et la contradiction contenus dans
bon nombre d’œuvres romanesques indiquent,
en quelque sorte, des cas d’imbrication des
valeurs. Ce phénomène peut être expliqué par
le contexte général qui surdétermine la création
romanesque à l’étape historique de transition
par laquelle passent les sociétés arabes.
L’image de femmescroisées
dans le roman arabe
Pour mieux approcher les univers des femmes
dans le roman arabe, nous employons la notion
d’ “ image ”. Nous l’utilisons également pour
pouvoir comprendre le rôle exercé par l’art
romanesque dans la constitution des situations
des femmes au sein de la société. Bien que les
“ images ” puissent être très réductrices de la
176
diversité qui le trait caractéristique premier
dans le vécu quotidien et un trait spécifique
de la narration dans les œuvres romanesques,
elles permettent néanmoins de construire
des modèles reflétant – sur une large échelle
- les luttes et les changements en cours dans la
réalité. Nous nous intéresserons ici aux images
dans leur interaction enrichissante les unes
avec les autres. En effet, le roman arabe offre
un registre de données qui expriment le degré
de conscience qu’ont les créateurs et créatrices
arabes des problématiques de la réalité sociale
arabe dans sa complexité, sa transformation et
son déroulement.
Dans leurs œuvres narratives, les grands
romanciers arabes (tels que Najib Mahfuz,
‘Abd al Rahman Munif, Hanna Mina et
d’autres) ont créé des univers qui traduisent
de grandes compétences dans l’observation
des transformations et des contradictions de la
réalité sociale arabe dans toutes ses dimensions
et notamment en ce qui concerne les relations
femmes–hommes.
A titre d’exemple, l’univers romanesque
de Mahfuz – l’un des univers fondateurs les
plus proéminents des espaces narratifs dans
l’écriture arabe contemporaine – observe,
décrit et construit sur un plan imaginaire un
nombre considérable d’images et de positions
des femmes dans les sociétés égyptienne et
arabe. A elle seule, la trilogie Bayn al-Qasrayn
(Entre les deux palais) (1957a), Qasr al-Shawq
(Le palais du désir) (1957b) et al-Sukkariyyah
(La rue du sucre, quartier du Caire) (1957c)
publiée à la fin des années cinquante du siècle
dernier, présente un panorama de profils de
femmes dans notre réalité arabe sur une période
de plus d’un demi-siècle. On y trouve une
variation d’images de femmes ainsi que celles
de leur souffrance. Les descriptions reflètent
minutieusement les scènes, les attitudes, les
événements et les différents aspects de la vie
et de la mort, de la tristesse et de la joie, de la
violence, du plaisir, du mariage et du divorce.
Ce qui crée parfois un univers plus complexe et
plus riche que le monde réel dans sa complexité
et sa richesse.
On peut donc parler d’un réseau de valeurs
se rapportant à un point de vue déterminé sur les
femmes, à travers une succession d’événements
et une multiplicité de personnages féminins
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
dans cette trilogie. Cependant, si le texte
est dominé par ‘Ahmed Abd al-Jawad’ qui
représente la tyramine paternelle masculine, on
trouve à l’opposé la soumission de son épouse
‘ Madame Amina’ avec toute sa constitution
psychologique et sociale. Toute approche
critique visant à dessiner les univers de ‘Madame
Amina’, immunisée par sa soumission, nous
amènerait parfois à percevoir, dans le roman
de Najib Mahfuz, ce que l’on ne peut ni voir,
ni en dessiner nettement les contours dans la
réalité. Néanmoins, la progéniture d’ ‘ Ahmed
Abd al-Jawad’ et d’ ‘Amina’ va générer
au cœur même de la société du roman les
différents germes annonçant un changement
qualitatif sur le regard porté par la société sur
les femmes. C’est précisément ce qui pousse
l’Equipe du Rapport à considérer la trilogie
comme étant l’histoire du despotisme et des
formes de soumission vécues par les femmes
à travers le monde et qu’elles continuent de
subir. La trilogie relate également l’histoire de
cette dichotomie domination/soumission et ce
qui s’en dégage comme tendances à la rébellion
contre une réalité qui ne convient plus aux
nouvelles valeurs de notre société.
Cela ne signifie nullement que le contraste
est construit de la façon la plus simple qui soit.
En effet, les personnages des autres hommes
- les fils d’ ‘Abd al-Jawad’ – et les autres
personnages - les filles et des petites filles d’
‘Amina’ – révèlent d’autres aspects latents ou
décrits des deux personnages principaux. On
peut en effet lire dans le romantisme de ‘Fahmi’,
l’hésitation de ‘Kamal’ et l’extravagance de
‘Yacine’ - le fils aîné issu d’un premier mariage
de Kamal – quelque chose qui explique la
relation que ‘Amina’ entretient avec ses deux
filles ‘Khadija et A’icha’.
Il en va de même pour les petits-fils. Dans
al-Sukkariyyah,qui est le drnier volume
de la Trilogie, l’âge de la génération de
femmes marxistes militantes est atteint et
les lecteurs se retrouvent face aux prémices
annonçant la naissance d’une nouvelle société,
un monde plein de contradictions où opèrent
des valeurs contradictoires. A ce point précis
du développement du roman recoupe le
développement complexe de la situation réelle
à travers laquelle les sociétés arabes, pour ce
qui est de la relation hommes-femmes, abritent
Structures culturelles
de nombreuses contradictions comme celle de
la cohabitation des d’infériorité et de libération
à travers les images d’imitation, de complicité
et de changements de rôles. Ainsi en racontant
la réalité de manière romanesque, le roman
devient une lampe qui éclaire ce qui se passe
dans la réalité.
Le roman féminin :
prémices de la conscience
individuelle et premiers
affrontements avec la culture de l’infériorité
Les images de femmes produites par les
romancières arabes ont des traits spécifiques
mais n’allant pas jusqu’à soumettre cette
création romanesque à la logique du sexe et
du sexisme. Elles offrent au lecteur l’occasion
de découvrir une autre langue, voire d’autres
langues dans l’approche de la question de
l’infériorité des femmes et les moyens de
la dépasser. Les écrits de ces romancières
sont autant de tentatives visant à construire,
au niveau de l’écriture, des sensibilités
linguistiques et esthétiques favorables à la
création d’espaces imaginatifs dans le roman
arabe, et favorables à de nouvelles alternatives
en terme de valeurs. La tendance naît avec
la parution des romans Ana Ahya (Je vis)
(Ba’labakki, 1958), la publication des travaux
de Colette Khoury tels que Ayyamun ma’ah
(Des jours avec lui) et Layla wahida (Une seule
nuit) (Khouri, 1959 et 1961), le romans de
Ghada al-Samman et les écrits de la génération
de Ahlam Mustaghanimi, Huda Barakat,
Radwa ‘Ashur, Laila Al Atrash, Sahar Khalifa
et Layla al-‘Uthman, à titre d’illustration. Dans
ces écrits, le lecteur est confronté à certains
éléments de la fragmentation des femmes. Il
existe en effet des éléments et des données
qui approchent l’univers des femmes dans
l’imaginaire romanesque, qui présuppose
un enchevêtrement et une imbrication de
cet imaginaire avec la réalité des femmes en
société.
Dans son analyse textuelle précieuse de
romans de femmes arabes, Bothayna Sha’ban
(1999) a essayé de dégager les caractéristiques
générales de ce genre de roman et le rôle qu’il
a joué dans le diagnostic des manifestations
Les sociétés arabes,
pour ce qui est de
la relation hommesfemmes, abritent
de nombreuses
contradictions
comme celle de la
cohabitation des
d’infériorité et de
libération .
177
Les romans écrits par
des femmes mettent
en scène quatre
images de femmes
: la femme privée de
ses droits, la femme
militante, la femme
rebelle, et la femme
“ multiple ”
Les œuvres
romanesques qu’il
est possible d’inscrire
sous l’image de
rébellion présentent
un cri de protestation
par lequel les femmes
créatrices proclament,
par personnages
romanesques
interposés, la
nécessite d’en finir
avec l’ère de la
tyrannie sous toutes
ses formes, latentes
comme apparentes
178
de l’infériorité et de l’exclusion des femmes
ainsi que les initiatives entreprises par les
personnages romanesques pour les dépasser.
Dans une autre étude de la production
romanesque des femmes arabes, Fowziyah
Abu-Khalid a essayé de construire un modèle
en quatre parties qui lui a permis de dépasser
les stéréotypes traditionnels sur la femme (
la femme–énigme, la femme–tentation, la
femme–conspiration et la femme–honneur)
et d’élaborer une approche qui transforme
les multiples faits et images de ces romans en
modèles qui peuvent être analysés et qui sont
en mesure d’aider à identifier des modèles
de femmes fragmentées au sein des univers
romanesques. (Fowziyah Abu–Khalid, Papier
d’appui au Rapport).
Les romans écrits par des femmes mettent
en scène quatre images de femmes : la femme
privée de ses droits, la femme militante, la femme
rebelle, et la femme “ multiple ”.. Chacune
représente le parcours d’un profil de femmes,
son évolution ainsi que ses contradictions.
A titre indicatif, l’image de la femme privée
de ses droits se retrouve dans le roman Misku
al-Ghazal (Le musc de la gazelle) (Al-Shaykh,
1988) , dans ‘Khadija wa Sawsan’(Khadija et
Sawsan) (‘Ashur, 1989). Il faut reconnaître que
l’image de la femme privée de ses droits est
un profil à plusieurs facettes dans la création
artistique propre à l’écriture arabe. Elle peut
être représentée dans le cadre de la relation
d’inégalité entre hommes et femmes, comme
elle peut exprimer l’asservissement imposé
l’édifice social et ses mécanismes tels que les us
et contenumes, les structures tribales, sectaires,
de classe ou patriarcales. L’on en trouve un
exemple dans ‘Wasmiyya’ qui émerge de la mer
dans un travail précoce de Layla Al ‘Uthman.
Ces écrits présentent au lecteur un autre code
reflétant l’interrelation et la confusion entre
l’image des femmes privées de leurs droits
et la réalité (Al ‘Uthman, 2000). Un autre
exemple de ce profil de femmes est présenté
par la romancière et nouvelliste saoudienne
Qumasha al-‘Alyan dans son roman Untha al‘Ankabut (L’araignée femelle) (al-‘Alyan, 2000)
dans lequel elle resta fidèle à ce sens littéral du
proverbe saoudien local qui dit : “Brise une
côte à la fille, il lui en poussera dix ” (Fowziyah
Abu–Khalid, Papier d’appui au Rapport).
L’image de la ‘femme militante’ se présente
à travers un rôle combatif dans plusieurs textes
romanesques produits dans les différents pays
arabes. C’est le cas par exemple de Al-Watan
fi Al-‘Aynayn (La patrie chérie) (Na’na’,
1979)et de Al–Ghulama (L’adolescente)
(Mamduh, 2000)ainsi que des deux romans de
Sahar Khalifa : Al-Sabbar (Le Cactus)’ (1976)
et Abbad al-Shams (le Tournesol) (1984) qui
présentent des modèles de femmes arabes
résistantes en Palestine occupée. Quant à la
romancière libanaise Hanan Al-Shaykh, elle
présente dans sa Hikayat Zahra (Histoire d’une
fleur) (1980) la vie d’une femme populaire au
sud Liban, pendant la guerre civile. Elle y
retrace la souffrance et les formes de résistance
qui traduisent les aptitudes de l’être humain à
affronter sa destinée en société (Sha’ban, en
arabe,, 1999 :168).
Ainsi l’image de la ‘femme révoltée’ brise
– t – elle celles conventionnelles de femelles
dociles et se satisfaisant de peu ou de femelles
belles, captivantes et démoniaques. Cette
image transforme la femme en acteur positif
dans les combats de la société en dehors des
valeurs d’ordre courantes dans la culture arabe
dominante, qui ignorent les changements de la
réalité et ses données.
Les images de la ‘femme révoltée’ sont
instructives car elles montrent la signification de
la révolte et ses dimensions diverses ; la révolte
des femmes n’est pas une valeur négative dans
la mesure l’énergie de la résistance est orientée
vers la production de nouvelles valeurs au
sein de la société. Il est vrai que la révolte est
souvent entendue au sens de réaction face à une
réalité déterminée. Mais l’analyse profonde de
ses dimensions et de ses aspects multiples nous
permettent de mieux approcher ses objectifs ce
qui contribue à mieux faire face l’imitation et
aux traditions dans les rapports sociaux.
Les œuvres romanesques qu’il est possible
d’inscrire sous l’image de rébellion présentent
un cri de protestation par lequel les femmes
créatrices proclament, par personnages
romanesques interposés, la nécessite d’en finir
avec l’ère de la tyrannie sous toutes ses formes,
latentes comme apparentes. C’est pourquoi
le sujet de la liberté constitue, dans les écrits
précités, un centre de gravité où la critique
cible la domination des hommes et la violence
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
masculine et donne la parole à la femme en ce
qu’elle est un être humain aspirant à l’égalité, à
la liberté et à la citoyenneté.
Dans le cas du quatrième et dernier modèle,
appelé par Fowziyah Abu-Khalid “ femme
plurielle ”, on est confronté à autre image qui
assimile toutes les autres et les dépasse. C’est
que le terme de pluralité désigne ici justement
l’éclatement et la fragmentation. Quelques-unes
de ses connotations réfèrent à l’imbrication,
la contradiction, la complicité, l’assimilation
et l’hésitation. Ainsi se trouve-t-on devant ce
modèle en présence d’un réseau complexe
d’images plurielles qui ne s’achèvent que pour
recommencer et se perpétuer, exprimant de
la sorte la profondeur des mutations en cours
dans cette phrase transitoire actuelle de nos
sociétés arabes.
La pluralité dans ce modèle d’images
exprime non pas l’être des femmes seulement
mais il touche aussi à l’entité du groupe et de
la société, celle des femmes et des hommes,
de la femme avec sa semblable. Elle touche
également au sujet du rapport entre le
sentimental et le rationnel, le particulier et le
général, le réel et l’espéré. Dans tous ces cas,
il s’agit de la situation de la femme arabe dans
ses vies multiformes. (Fowziyah Abu-Khalid,
Papier d’appui au Rapport).
Dans l’œuvre de Sahar Khalifa,
“ Mémoires d’une femme irréaliste ”, apparaît
manifestement dans le texte un processus de
déstructuration de l’image stéréotypée des
femmes. Ce processus est illustré par la narration
de menus détails, entreprise avec grand soin, et
où le texte ouvre une fenêtre sur une femme
réaliste et non réaliste à la fois. Ainsi notons–
nous la pluralité dans l’un. Dans le début du
roman, on trouve le passage suivant : “ Je suis
la fille de l’inspecteur. Je le suis demeurée
jusqu’à mon mariage ; je suis donc devenue la
femme du commerçant. Parfois, je suis l’une et
l’autre à la fois. Quand mon mari se moque de
moi, il m’appelle : “ ô fille de l’inspecteur ”, et
quand mon père se met en colère il m’appelle :
“ ô femme de commerçant ! ” ”.
La contradiction est donc de fait, entre
l’être essentiel latent et l’être social accepté
par autrui. Or, l’écart est bien grand entre
ce que, elle, voit comme étant une bonne
compréhension et un équilibre parfait, et ce
Structures culturelles
que les autres conçoivent. “ C’est pourquoi
il m’était difficile de paraître idiote. J’ai donc
gardé mes interrogations, mes impressions et les
morsures de mes lèvres en mon for intérieur ”
(Khalifa, 1986 :5)
Dans la trilogie d’Ahlam Mustaghanimi
, Dhakirat Al-Jasad (Mémoire du cops),
Fawda Al-Hawass (Anarchie des sens) et
‘Abir Sabil (Un homme de passage), nous
sommes en face d’univers féminins complexes,
ce qui brise le rythme de domination masculine
qui met toutes les femmes dans le même moule
(Mustaghanim, 1993, 1998, 2004).
La quatrième image des femmes dans
le roman féminin arabe apparaît dans les
œuvres de Huda Barakat et ‘Ulwiya Subh qui
dépeignent plusieurs aspects de la guerre civile
au Liban. On peut aussi la retrouver dans
les romans de Batul Al-Khudari Kam Badat
Al-Sama’ Qariba (Que le ciel a semblé si
poche !) (2000) et Ghayib (Absent) (2004)
qui reflètent la réalité des femmes irakiennes
dans les conditions de l’embargo puis par
l’occupation américaine ainsi que les questions
du multiconfessionnalisme (Fowziyah AbuKhalid, Papier d’appui au Rapport).
La plupart des écrits reflètent la présence,
de plus en plus grande, de l’image de la
femme “ multiple ” dans des espaces jadis
occupés par des images stéréotypées qui ont
réduit les femmes arabes à un modèle, fermé
et appauvrissant incapable de s’adapter
aux transformations dont ces écrits rendent
compte. L’imaginaire romanesque traduit les
préoccupations de héros qui ne sont pas de
simples personnages d’œuvres romanesques,
ils sont plutôt des individus qui affrontent leur
destin au sein de la société, faisant preuve d’un
esprit positif et historique. Le roman arabe
traduit certains souffles ardents de cet esprit,
en vue d’une société qui reconnaisse l’égalité
entre les deux sexes.
La plupart des écrits
reflètent la présence,
de plus en plus
grande, de l’image de
la femme “ multiple ”
dans des espaces
jadis occupés par des
images stéréotypées
qui ont réduit les
femmes arabes à
un modèle, fermé
et appauvrissant
incapable de s’adapter
aux transformations
dont ces écrits rendent
compte.
L’image des femmes dans le
cinéma
La femme au cinéma : une
image superficielle et
typique
Le modèle le plus représentatif de la réalité
179
Le cinéma arabe a
joué parfois un rôle
des femmes dans le cinéma arabe c’est bien
celui qui a été élaboré par la production
égyptienne. Le cinéma égyptien a en effet
cumulé une production cinématographique
pendant plus de sept décennies. Il a également
présenté ce qui reflète le regard porté par la
société sur elle–même et sur les rapports entre
ses membres, à la lumière d’un ensemble de
valeurs dominantes et de valeurs alternatives
naissantes dans la réalité sociale.
Dans les études effectuées sur l’image
des femmes dans le cinéma arabe, quelques
essais de recherche tendent à définir avec
netteté cette image. Ainsi, dans les premières
recherches ayant accompagné les exploits du
cinéma égyptien, l’image des personnages
féminins dans les films produits entre 1962
et 1972 et dont le nombre atteint les 410, se
décline comme suit :
43.4%
sans profession précise
20.0%
femme au foyer, épouse, divorcée,
veuve, vieille fille
20.5%
femmes ouvrières
public des questions
10.5%
étudiantes
des femmes et des
9.5%
artistes
injustices qui les ont
5.4%
délinquantes
important, en faisant
prendre conscience au
frappées du fait des
traditions et des lois
injustes.
180
(Farid, Papier d’appui au Rapport)
Le plus grand pourcentage et le plus
significatif est certainement celui des femmes
sans profession précise, c’est–à–dire de
simples femelles. L’on peut dire que la femme
en tant que femelle – sans plus – représente le
personnage féminin avec un taux qui dépasse
80 % dans les films arabes commerciaux. Ce
genre de films exerce une grande influence sur
le public. Dans ces films, la femme est réduite
à une diablesse qui ne cherche que le plaisir
à l’intérieur ou en dehors de l’institution du
mariage, qui ne veut que s’accaparer d’un
homme, n’importe lequel ; car obtenir un
homme est considéré comme le but suprême
de toute femme (Ramzi, 2004 :177).
Une autre étude des caractéristiques les
plus importantes du cinéma des années 90
portant sur 31 films produits entre 1990 et
2001 aboutit aux conclusions suivantes :
• On observe une réduction de l’image des
femmes à des modèles semblables, le but
étant de caresser les instincts du public et
de l’exciter.
• L’exagération dans la représentation de la
violence exercée par/contre la femme.
• La plupart des rôles politiques joués par des
femmes dans les films de l’échantillon sont
superficiels et inefficaces. Par ailleurs, ce
rôle n’est pas compatible avec ceux qu’elle
joue dans la réalité.
• Dans les années 90, le cinéma a négligé
la question des femmes paysannes et
ouvrières. L’intérêt a été centré uniquement
sur la femme moderne sans que pour autant
soient traitées les différentes dimensions de
sa personnalité sur le plan humain.
• D’après les films de l’échantillon en question,
le cinéma n’a pas présenté un modèle de
femme idéale qui est censée résister quand
elle est appelée à affronter ses problèmes.
• Les films n’ont pas présenté des images
aspirant à un meilleur rôle social, politique
et culturel des femmes. Ce qui veut dire que
le cinéma arabe ne s’intéresse guère aux
questions de l’évolution des conditions des
femmes dans le monde arabe. (Farid, Papier
d’appui au rapport).
En dépit de tout ce qui précède, l’on peut
dire que Le cinéma arabe a joué parfois un rôle
important, en faisant prendre conscience au
public des questions des femmes et des injustices
qui les ont frappées du fait des traditions et
des lois injustes. A ce propos, on peut citer le
film al-Ustahda Fatima” ‘Professeur Fatma’
(1952) réalisé par Fatin ‘Abd Al- Wahhab (joué
par Fatin Hamama et Kamal Al-Shinnawi) . Ce
film parle d’une femme avocate qui affronte le
refus de son fiancé de l’idée de la voir travailler
idée de travailler. Elle va donc le défier et
prouver qu’elle est compétente dans le domaine
professionnel comme dans la vie de tous les
jours. L’actrice Fatin Hamama mérite d’être
citée : elle a incarné plus d’un rôle qui traite de
la réalité des femmes et de leur souffrance sous
le joug de la pauvreté, du crime, de la répression
et de l’abattement. Dans “Du‘a al-Karawan”
(La prière du Karawàn ) (1959) réalisé par
Henri Barakat (joué par Fatin Hamama,
Ahmed Mazhar, Amina Rizq et Zahra al-‘Ula
), la femme est la proie au viol, à la misère, àla
torture psychologique et spirituelle, avant de
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
connaître l’amour d’un homme différent, épris
d’humanisme ; ce qui va la libérer de cet enfer
terrestre. Dans un autre film d’Henri Barakat
Afwah wa-Aranib (Bouches et lapins) (1977)
(joué par Fatin Hamama,
Mahmud Yasin, et Farid Shawqi),), la femme
vit dans la pauvreté et la misère et affronte
son destin, causé par l’homme (falsification
d’un acte de mariage en contrepartie d’une
somme d’argent), avant que la vérité n’éclate
à la dernière minute. Un autre film de Fatin
Hamama jette l lumière sur la réalité des femmes
à travers l’examen de la question du divorce. Il
s’agit du film “Uridu Hallan” (Je veux une
solution) (1975) réalisé par Sa‘id Marzuq (joué
par Fatin Hamama, Rushdi Abaza et Amina
Rizq), qui raconte l’histoire d’une femme dont
la vie devient insupportable avec son époux et
qui demande le divorce ; commence alors un
calvaire avant de l’obtenir.
Amour, Liberté, Violence :
Le film égyptien “Bahibb is-Sima” (J’aime
le cinéma) de Usama Fawzi, a provoqué une
forte secousse dans le monde de l’industrie
cinématographique en Egypte et dans le monde
arabe pendant le second semestre de l’année
2004 parce qu’il amis en scène le personnage
d’une femme copte qui souffre de frustration
sexuelle à cause de l’extrémisme religieux
de son époux, ce qui la pousse à entretenir
une relation sexuelle avec un autre homme.
La censure a interdit le film puis l’a autorisé
après en avoir supprimé quelques scènes,
pour réduire le nombre de scène censurées,
par la suite. Mais quelques personnalités et
institutions civiles ont saisi le tribunal de cette
affaire et appelé à l’interdiction du film. Le
plus important, c’est que Al Azhar a soutenu
l’église copte contre ce film.
La deuxième grande affaire est survenue au
cours de la première moitié de l’année 2005.
Elle concerne le film égyptien Al-Bahithat ‘an
Al-Hurriyya (Celles à la recherche de liberté)
réalisé par Inas Al-Dighaydi. . Il s’agit d’un
film qui traite des problèmes de trois femmes
originaires du Maroc, d’Egypte et du Liban,
et vivant à Paris en quête de leur liberté,
inexistante dans leurs propres pays. Des
dizaines d’articles hostiles au film ont été écrits,
Structures culturelles
son titre a été changé en ‘Des femmes en quête
de sexe’, ses affiches ont été dénaturées dans la
rue, des appels ont été lancés pour le boycotter
et sa réalisatrice a été l’objet de nombreuses
accusations mensongères ; elle a même été
menacée de mort.
En Syrie, Muhammad Malas a réalisé le
film ‘Bâb al Maqâm’ tiré d’un fait réel qui a
eu lieu à Alep au début du siècle actuel. C’est
l’histoire d’un jeune homme syrien qui a tué
sa sœur parce qu’elle aimait fredonner les
chansons d’Oum Kalthoum à son domicile ;
comme elle aime ces chansons elle ne pouvait
qu’être éprise d’amour. Dans ce cas alors,
elle “ ne sert plus à rien ” selon l’expression
de son père dans le film. Le tournage du film
est terminé depuis environ un an, mais il n’a
toujours pas été projeté au public.
Dans le même contexte, on note un intérêt
croissant porté par le cinéma maghrébin
(Tunisie, Algérie et Maroc) à des questions
qui étaient considérées comme taboues. Il
s’agit des problèmes de violence sexuelle, de
l’arbitraire des lois, de la marginalisation et
de l’exclusion. Le septième art y dévoile en
effet les aspects de l’infériorité des femmes et
veille à les représenter aussi bien par l’image
et l’allusion que par des attitudes critiques et
de refus. Ce qui consolide le rôle du cinéma
nouveau dans l’ébranlement de la domination
masculine régnante.
Le cinéma arabe a dévoilé, au moyen
de l’image, les mécanismes de la soumission
des femmes, ce qui constitue l’une de ses
contributions les plus importantes pour faire
face aux valeurs de hiérarchisation sociale sur
des bases sexuelles. On peut considérer que
ces films participent du combat mené contre
les valeurs de soumission héritées et légitimées
par les traditions désuètes.
Cependant, le cinéma arabe joue, comme
tous les autres arts, une double fonction. D’une
part, en utilisant la force des images mobiles,
il généralise les valeurs de discrimination
sexuelle. Et, en même temps, le nouveau genre
de cinéma, surtout celui émergeant dans plus
d’un pays arabe, envoie des messages de type
nouveau qui accompagnent les attentes des
nouvelles générations de jeunes femmes à la
recherche de liberté et d’affirmation de leur
personnalité pour devenir ces êtres humains
Un intérêt croissant
porté par le cinéma
maghrébin (Tunisie,
Algérie et Maroc) à
des questions qui
étaient considérées
comme taboues
181
autonomes sans restriction ni dépréciation
aucunes.
La femme dans la culture de
l’information
La bataille pour l’image
des femmes dans la phase
de tarnsition de la société
arabe.
Le nouveau genre
de cinéma, surtout
celui émergeant dans
plus d’un pays arabe,
envoie des messages
de type nouveau qui
accompagnent les
attentes des nouvelles
générations de
jeunes femmes à la
recherche de liberté
et d’affirmation de
leur personnalité
pour devenir ces êtres
humains autonomes.
182
La révolution informationnelle exerce une
présence massive dans la vie des sociétés
humaines. De nos jours, et grâce aux innovations
qui la traversent, elle est considérée comme une
nouvelle forme d’institution culturelle capable
d’orienter l’opinion publique. Le monde de
l’image exerce une influence considérable sur
les différents domaines de la connaissance et de
la vie en général. Il ne serait possible d’évaluer
les conséquences psychologiques et sociales
de ce qui se passe actuellement dans le monde
sous l’effet de ces innovations que dans un
temps ultérieur, cette expérience étant encore
récente dans le monde arabe, voire à travers le
monde entier, mais à des degrés différents.
L’usage de la télévision et de l’Internet a
connu une expansion remarquable à la fin du
siècle écoulé et au début du troisième millénaire.
De même, les moyens culturels modernes
occupent dorénavant une place importante
dans le traitement des affaires féminines comme
dans l’élaboration d’une nouvelle image des
femmes dans la conscience et l’esprit arabes.
En effet, ces moyens modernes exercent leur
action en matière de définition des images des
femmes de manière à la transformer en un être
agissant dans le paysage en mutation des pays
arabes, en positif comme en négatif.
Dans ce contexte, il est possible de
parler de l’influence des Les séries télévisées
sont particulièrement influentes en matière
de dénonciation de l’image traditionnelle
des femmes ainsi que de sa consécration
comme le font les spots publicitaires qui
présentent des femmes dans des images et
des postures contradictoires. Ceci ne concerne
pas seulement les chaînes de télévision
arabes mais un vaste réseau de chaînes
qui interviennent à l’intérieur des familles
arabes par l’intermédiaire d’expressions, de
langues et d’attitudes qui comportent plus de
différences que de similitudes. Il s’agit d’un
véritable champ de bataille dans le cadre de
la guerre de l’information. Comme pour les
guerres d’interprétation qui se déroulent surle-champ de la jurisprudence islamique, pour
les conflits des proverbes populaires et les
luttes de la société civile arabe en vue d’asseoir
les prémisses et les fondements de la pensée
sociologique moderne, qui prône les valeurs
de liberté et d’égalité dans notre culture et nos
valeurs sociales(Ramzi, en arabe,2004 :19).
A considérer certains aspects des images
des femmes dans l’information audiovisuelle,
on constate qu’elles traduisent les diverses
contradictions de la phase transitoire par
laquelle passent les sociétés arabes. En effet,
plusieurs images coexistent avec plus ou moins
de tolérance ; les dynamismes de la réalité
sociale au niveau culturel soutiennent certaines
images et sont hostiles à d’autres. En tous cas,
la contradiction constitue une caractéristique
prédominante dans plusieurs aspects de ces
images des femmes, aussi bien dans la réalité
que dans l’imaginaire collectif.
Comme la présence des femmes dans les
moyens d’information est un sujet à débat,
il suffit de citer à titre d’illustration leur rôle
dans la diffusion et la consolidation de la
culture soutenant l’infériorité des femmes
– certaines émissions de délivrance de Fatwa
(iftà’). Néanmoins, d’autres émissions
montrent clairement certains aspects positifs
qui reflètent la culture favorable au progrès de
la jurisprudence traditionnelle (fiqh).
Enonciation des fatwas et
limites de la jurisprudence
traditionnelle
La plupart des chaînes satellitaires arabes
présentent des émissions religieuses en vue de
diffuser une culture islamique allant de pair
avec les changements survenus dans la vie.
Ces chaînes donnent à ces émissions des titres
directs tel que : “ la religion et la société ”,
“ la Charia et la vie ”, “ les problèmes du
musulman contemporain ”. De telles émissions
ont recours au même langage utilisé dans la
production d’avis dits conformes à la doctrine
des fatwa (ifta’) et font de quelques docteurs
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
en religion des stars, comme elle transforme
le public présent et participant à l’élaboration
des questions de ces émissions en acteurs, si
bien que la discussion devient très animée et se
transforme parfois en champ propice à exercer
l’influence requise sur les téléspectateurs.
Dans “ la charia et la vie ”, émission
présentés par la chaîne Aljazira, par exemple,
le téléspectateur est confronté à plusieurs
thèmes ayant trait aux questions de la vie
familiale, les relations entre les deux sexes, etc.
Malgré la modération qui caractérise certaines
émissions de ce programme, la majorité des
positions affichées sont de nature à perpétuer
l’infériorité des femmes, car se référant à une
interprétation déterminée de quelques textes
et habitudes en vigueur dans nos sociétés
(Touaiti, Papier d’appui au Rapport).
Si l’on présuppose que le changement en
cours dans nos sociétés requiert de donner libre
cours à l’effort d’interprétation indépendant
des jurisconsultes et savants spécialisés, il n’en
est pas moins vrai que les réseaux de délivrance
des fatwa (ifta’) -qui ne cessent de se répandre
à travers le monde grâce aux réalisations de
la révolution informatique- contribuent à
renforcer beaucoup de valeurs qui ne sont plus
adaptées au changement social en cours dans
les sociétés arabes (Touaiti, Papier d’appui au
Rapport).
Ainsi, les fatwa transmises par les moyens
d’information n’ont – elles pas porter sur les
questions de l’ijtihad. Elles se sont le plus
souvent contentées de soutenir la hiérarchie et la
discrimination entre les femmes et les hommes,
sans prendre en considération les nouvelles
donnes de la société et les variables de l’histoire.
Ce qui revient à dire que les jurisconsultes à
qui il incombe de délivrer les fatwas tiennent
à sauvegarder le système patriarcal dominant
dans les sociétés arabes, sans fournir d’effort
pour actualiser la jurisprudence islamique ou
la faire évoluer à la lumière des nouveautés de
la vie et des exigences de la société.
Autres messages des médias
ne contribuant pas à la promotion des femmes.
La couverture et les activités médiatiques dans
le monde arabe connaissent une explosion
Structures culturelles
avec une grande diversité et une tendance
à la polarisation. Il en résulte beaucoup de
conséquences négatives dans le domaine de la
promotion des femmes dans le monde arabe.
D’une part, Il y a également un nombre
croissant de médias conservateurs qui oeuvrent
pour la consolidation l’image de femmes
situées aux échelons inférieurs de la hiérarchie
du genre. En même temps, un nombre
croissant de chaînes, qui se réclament de la
modernité, donnent de la femme une image
dégradante ; des femmes traitées, en premier
lieu, en tant que disposant d’un corps et en
tant que marchandises, qu’il s’agisse des spots
publicitaires ou des vidéos clips.
Malgré, la diversité des messages
d’information, une grande partie d’entre eux
comporte des valeurs expriment l’émergence
de l’individu au détriment de la communauté,
valorisent la gratification du moment et le
plaisir immédiat, les valeurs liées au gain facile
et rapide et le vedettariat. Une telle industrie
se soucie peu des valeurs esthétiques élevées
comme la culture de l’effort sur le long terme,
de la solidarité, de l’entraide et la serviabilité.
Des chercheurs estiment que les films célèbres
sont aussi des instruments et moyens effectifs
pour écouler les produits alimentaires, la
musique, les vêtements et les jouets (Barber,
en français, 1999 :70-74). Ce qui nous intéresse
ici, c’est que ces tendances déprécient le plus
souvent les femmes et leur dignité d’êtres
humains.
Les médias arabes adoptent souvent
des stratégies et des critères dans le travail
l’embauche et en matière de relations avec
les autres médias et le public participant du
fonctionnent d’un système d’information
dirigé par une idéologie capitaliste patriarcale
(David, en anglais, 1996)(1). Les médias arabes
agissent dans des sociétés dirigées par des
forces centralisées puissantes où les mondes
de l’argent, de l’autorité et des médias se
recoupent, dans le cadre d’une concurrence
féroce entre les chaînes satellitaires arabes et
étrangères pour un marché publicitaire étroit.
C’est ce qui fait que des secteurs importants
de ces médias courent après un large public
arabe au sujet duquel ils ont des idées
préconçues s’inspirant en général des moyens
d’information occidentaux. Ils ne prennent
Il y a également un
nombre croissant de
médias conservateurs
qui oeuvrent pour la
consolidation l’image
de femmes situées aux
échelons inférieurs
de la hiérarchie du
genre. En même
temps, un nombre
croissant de chaînes,
qui se réclament de la
modernité, donnent
de la femme une
image dégradante ;
des femmes traitées,
en premier lieu, en
tant que disposant
d’un corps et en tant
que marchandises,
qu’il s’agisse des spots
publicitaires ou des
vidéos clips.
183
pas en considération les changements survenus
au niveau de ce public ni les différences qui le
caractérisent. C’est pourquoi certaines stations
ont veillé, au début du lancement de leurs
émissions, à recourir à des hommes pour le volet
politique et à faire appel aux femmes pour ce qui
est de la distraction. Ainsi ont – elles constitué
un modèle d’information ayant abouti à réduire
les femmes d’information à celles d’entre elles
que l’on voit à la télévision. Cependant, ce
modèle a aussitôt commencé à se rétrécir sous
l’effet d’une concurrence frénétique et des
changements survenus dans tous les domaines,
si bien que les critères formels à eux seuls sont
devenus insuffisants pour s’engager dans le jeu
de la concurrence : on recommande désormais
davantage de culture, de maîtrise des langues
et d’encyclopédisme (Kadiri, Papier d’appui
au Rapport).
Conclusion Ce chapitre a essayé de présenter certains aspects et quelques exemples du rôle exercé par les
structures culturelles dans la consolidation de ou dans la lutte contre l’infériorité des femmes,
dans les sociétés arabes. On a passé en revue différents moments du patrimoine culturel arabe
qui ont montré que celui–ci est un enjeu entre des interprétations basées sur un parti pris
conservateur, entravant le processus d’évolution sociétal en cours, et certaines composantes qui
visent à s’approprier et à asseoir les références de modernité au sein de la culture et de la société
dans les pays arabes.
Partant, il est impossible de négliger la dialectique vivante que reflètent les manifestations des
modes culturels dominants dans la société arabe. Les processus d’enfantement et les tensions
qui accompagnent l’évolution des conditions des femmes au sein de la société reflètent en fait le
dynamisme de cette dernière. Elles traduisent également une évolution dans la conscience et la
société, dont il ne faut pas minimiser l’importance. Il est vrai que plusieurs rigidités se manifestant
dans la continuité de la domination masculine, toujours hostile à toutes les formes de résistance
indiquent que la mutation en cours se heurte à des difficultés. Mais les multiples avancées,
réalisées grâce à l’avant –garde consciente et agissante dans de la société et dans le champ de la
culture, exercent une influence susceptible d’aboutir au dépassement des aspects conservateurs
de cette culture. Il est certain qu’un tel objectif ne peut être réalisé que lorsque tous les acteurs
s’orientent vers l’élargissement des horizons de l’effort d’interprétation indépendant (ijtihàd),
capable de répandre les valeurs des Lumières et les principes de développement humain de sorte
que le projet de libération dans la société se trouve renforcé.
184
RAPPORT ARABE SUR LE DEVELOPPEMENT HUMAIN 2005
Chapitre VII
Structures sociales
Introduction
Dans le chapitre précédent, il a été question
de la relation entre un certain nombre de
constructions culturelles et la situation
actuelle des femmes dans le monde arabe.
Ce chapitre traitera d’un autre aspect du
contexte social qui influe sur le statut des
femmes, il s’agira des structures sociales,
censées avoir contribué à conditionner les
situations des femmes dans les pays arabes.
Alors que les deux précédentes livraisons
du Rapport arabe sur le développement humain
ont été centrées sur les deux questions du savoir
et de la liberté – autrement dit la dimension
culturelle et cognitive, ainsi que les éléments
politiques et civils du développement –, le sujet
de la promotion des femmes se présente comme
le lieu d’articulation des fondements matériels
et moraux du développement. En effet, ce sujet
est en relation directe, comme on l’a vu, avec
les constructions culturelles d’une part, et la
reproduction de l’être humain et la production
des moyens de l’existence matérielle d’autre
part.
Cette vision intégrée et transversale, invite
à s’arrêter sur les structures sociétales, qui sont
un facteur essentiel participant du processus
de conditionnement des statuts des femmes
dans les pays arabes.
Les structures organiques :
Les structures organiques
entre le renforcement
de l’autoritarisme et les
préalables de sortie de cet
autoritarisme
Quel type de relation existe-t-il entre le système
1
patriarcal et les structures sociétales arabes ?
Quel est l’effet du “ mariage arabe ”1, des
relations de parenté et des différents modes
de production humaine sur la relation entre
les hommes et les femmes ? Peut-on parler de
structures sociétales favorables au patriarcat ?
Les “ allégeances tribales – communautaires –
familiales comptent-elles parmi les allégeances
traditionnelles les plus ancrées et les plus
influentes dans la vie arabe contemporaine ?
Peut-on parler d’une primauté accordée
aux structures sociétales aux dépends des
structures culturelles ? Ou, y aurait-il une sorte
d’articulation entre ces structures, de sorte
qu’il devient difficile de distinguer, à chaque
fois, ce qui relève du sociétal et ce qui relève du
culturel ? Quels sont les signes qui marquent
la continuité et la rupture, la constance et le
changement advenus au niveau des structures
sociétales ? Comment se manifestent ces
signes, eu égard à l’influence des facteurs
économiques, culturels et politiques ?
Ce chapitre veillera donc à dégager les
différentes constructions qui influent sur les
structures sociétales, et ce, dans le but de
souligner le rôle qu’elles jouent dans la vie
des gens, d’une part ; et d’autre part, en vue
relever les passerelles et les articulations entre
les structures sociales et les autres facteurs,
constituant ainsi une sorte de dispositif
protecteur du système patriarcal.
Au début, fut l’agnat
Dans la société arabe historique, les liens
de parenté reposent sur l’agnat. Ce dernier
constitue, dans la langue arabe mais aussi selon
les coutumes, le fondement même des liens
tribaux. En effet, cette notion repose, comme
Ce mariage privilégie le mariage interne à la tribu, la communauté ou la famille élargie, l’endogamie et le mariage entre cousins et cousines.
Structures sociales
185
l’affirment les Bédouins, et comme le consigne
le célèbre dictionnaire de langue arabe Lisan
al-‘Arab d’Ibn Manzur qui écrit: “ Sur al-taraf
( paternité, filiation), et sur al-janib ( fraternité,
parenté de l’oncle paternel). Ce qui revient
à dire, dans le langage mathématique, que
l’agnat reposerait sur les deux axes, vertical
et horizontal, les plus proches de la base
(l’homme), ainsi que sur ceux qui sont les plus
proches de lui du côté des parents paternels
mâles, capables de combattre, de vaincre et de
protéger (Ibn Manzur, en arabe, 1982).
En effet, l’individu est entouré et protégé
(mais assume également des devoirs) par
la génération qui le précède (le père), la
génération qui le suit (les enfants) et sa propre
génération (frères et cousins du côté paternel).
Sans doute, l’aspect collectif de ce groupe,
était-il, à l’origine, le résultat de conditions de
vie dures (rareté des ressources, déséquilibre
entre croissance démographique et ressources
naturelles). Cependant, ces conditions de
vie ont abouti à la formation de ce que les
anthropologues qualifient de “ mariage
arabe ”. Il s’agira dans ce cas d’assurer pour
la communauté la reproduction humaine et
les instruments de production des moyens de
subsistance. Les caractéristiques propres à
ce type de mariage se sont maintenues dans
le contexte citadin. Elles se sont renforcées,
d’une façon ou d’une autre, par l’émergence
d’un système sociopolitique qui a joué un rôle
prépondérant dans les structures fondamentales
des Etats et des anciennes formes de pouvoir
politique.
L’agnat prive l’homme de son identité en
tant qu’individu, l’oblige à être solidaire des
autres, dans un cadre qui repose sur la loyauté
de sang et de vengeance. L’agnat lui procure,
en contrepartie, des privilèges au sein du
groupe lui-même.
Quant à la femme, elle paie le prix le plus
fort de ce troc relatif au système patriarcal : elle
devient le moyen de production fondamental
au sein de la tribu, bénéficiant parfois des
privilèges que procure cette position.
Cependant, la société tribale arabe,
profondément consciente de l’importance de la
présence de la femme en son sein, importance
structurelle et fonctionnelle, considère
l’honneur, la dignité et la protection comme
un tout indissociable et complémentaire qui
Encadré 7-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Doit-on interdire le mariage entre proches du premier degré ?
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Rapport sur le développement humain arabe 2005
lie chacun des membres de cette société à ce
même groupe, et donc la femme au groupe.
Ceci implique que la situation de la femme
relève désormais de la sécurité même, du statut
et de l’honneur du groupe de parenté. De là,
le caractère souple et enchevêtré de l’exercice
du pouvoir dans la tribu, caractère qui dote les
constantes sociales d’une certaine dynamique.
Il permet également l’apparition d’espaces
multiples pour la participation et la découverte
de soi, d’une part ; et pour la re-détermination
de la nature du rôle en fonction du progrès
social réalisé, d’autre part.
Il est utile de signaler que nombre de
spécificités du “ mariage arabe ”, au sens
anthropologique classique, sont aujourd’hui
non seulement objet de protestations de la part
de la société civile et politique, mais aussi sujets
de critiques sociales. En effet, on remarque la
multiplication des modes de rejets de la notion
traditionnelle du prix du sang versé et des
crimes d’honneur ; et ce, outre la question
centrale relative à la tendance récente des
arabes qui approuvent l’interdiction du mariage
entre proches du premier degré, notamment en
Jordanie et au Liban (Encadré 7-1).
La tribu arabe et l’Islam
L’Islam a introduit le concept de umma
(la communauté musulmane) en tant
qu’expression de l’identité collective venue
remplacer celle de tribu. Cependant, les tribus
arabes, principalement bédouines, mais aussi
les tribus citadines–rurales, ont maintenu
inchangées leurs structures autoritaires. Ceci
est particulièrement clair dans la composition
des délégations qui sont allées rencontrer le
Prophète Mohamed ou de lui faire allégeance,
comme dans les moments d’apostasie envers
l’Islam et de retour à cette religion.
Quand les armées arabes se sont lancées
dans les conquêtes au-delà de la Péninsule
arabique, les tribus guerrières se déplaçaient
sur les lieux conquis, avec femmes et enfants,
et dressaient leurs campements selon leurs
divisions tribales. La répartition des butins de
guerre et des dons et l’affectation au combat
obéissaient, à l’intérieur du ‘quartier général
militaire’, au principe de l’affiliation. Le chef
de tribu était l’intermédiaire du Khalifat auprès
Structures sociales
de sa tribu, gérait les affaires de ses concitoyens
et était responsable de leurs actes.
Pour la majorité des armées lors des
premières conquêtes, l’étendard des tribus
accompagnait celui de ‘l’Etat Major’ de l’armée.
Ce dernier comprenait un commandant, qui
était à la tête de toute l’armée, et des chefs
locaux représentant chacun des groupes de
parentés participant au combat (Al-Duri, 1978 :
18-21). Ceci donnait à l’armée l’apparence
d’une coalition intertribale et interrégionale,
avec, à sa tête, un chef unique désigné par le
Khalifat, et des chefs de groupes désignés selon
le rapport de force à l’intérieur de ces mêmes
groupes.
Bien que l’Islam ait instauré la notion de
responsabilité individuelle, pour les hommes
et les femmes, et qu’il ait honoré de façon
égale les hommes et les femmes et octroyé aux
femmes des droits fondamentaux, la formation
économique, sociale et politico-économique
des conquêtes a réduit les larges horizons que la
nouvelle religion a ouverts devant les femmes.
Mudawi Al-Rashid considère que les droits
que l’Islam a garanti aux femmes, comme
le droit à l’héritage, ont, en quelque sorte,
menacé l’unité économique de la société tribale
dans le monde bédouin comme dans le monde
citadin. Aussi les tribus arabes, notamment les
bédouines pastorales ou celles non–nomades
fixées après l’avènement de l’Islam, ont-elles
entrepris, historiquement, deux sortes de
mesures à même de garantir la continuité de
l’activité économique locale du groupe.
Ces tribus ont donc privé, sur le plan
pratique, les femmes de leur droit à l’héritage,
bien que l’Islam ait légalement institué ce
droit. Ces tribus ont également maintenu la
loi qui oblige la femme à se marier avec son
cousin ou un de ses proches. La tribu a, ainsi,
pu préserver de l’éparpillement son économie
et de ses ressources : la terre, le cheptel, etc.
(Al-Rashid, Papier d’appui au Rapport). De
même, les guerres successives qui ont permis
de construire l’empire arabo–musulman et
sa civilisation ont conduit à l’émergence du
système de ségrégation entre les sexes, de
la polygamie y compris le mariage avec des
femmes esclaves.
L’on peut affirmer à ce propos que cette
structure n’a été sérieusement ébranlée, au
187
point d’entraîner une modification de ses
composantes fondamentales, de ses fonctions
et de la nature des relations humaines, que
pendant deux périodes deux reprises :
La première dura tout au long de la
consolidation du capital de l’Etat vers la fin
du règne des Umayyades et pendant celui des
Abbassides ( Au VIIIe siècle et suivants). C’est
celle du développement d’une société citadine
dynamisée par différentes activités civiles
et marquée par la montée des sentiments
d’appartenance à une profession, à une classe
sociale et à une religion, par la multiplication
des mariages exogames et par l’économie
politique des femmes esclaves aux dépends de
la famille et de la tribu. Néanmoins, la chute
de Bagdad (10 février 1258) et le déclin de la
civilisation arabo–musulmane ont infléchi la
tendance à la consolidation de ce changement
qui a donné naissance à ce que l’on a qualifié
à l’époque de mujtama’ hadari (Société de la
civilité ou civilisée) qui reposait aux yeux des
Sufis (mystiques) sur “ l’homme parfait ”
(c’est à dire, dans les termes d’aujourd’hui, la
société de concorde civile qui garantit les droits
essentiels à l’être humain).
La seconde a eu lieu avec l’arrivée du
capitalisme occidental dès le début du XIXe
siècle qu’accompagneront l’étouffement de la
formation socio-économique pré-capitaliste
et l’émergence de nouvelles structures et
de nouvelles forces. Cette émergence s’est
accompagnée d’une déstructuration des
unités reposant le travail familial patriarcal
et d’une tendance progressive à l’exercice
par les femmes de métiers nouveaux dans
l’enseignement, le journalisme, les usines, les
entreprises publiques et privées, côte à côte
avec les hommes.
Autoritarisme et esprit de
corps
Si l’avènement du système autoritaire moderne
a joué un grand rôle dans la réduction du
développement des établissements civils.
Le capitalisme européen a introduit dans la
région de nouvelles valeurs concernant l’Etat,
la politique et la société. Ces valeurs n’ont
toutefois pas été le produit de processus
locaux ; elles n’ont, par conséquent, pas achevé
188
le cycle au moyen duquel auraient été mis en
place les fondements des institutions de l’Etat
de droit et les expressions d’une société civile
qui résiste à l’oppression. Il n’a d’ailleurs
pas été facile à l’Etat–Nation de sacrifier les
fondements de la citoyenneté et des rapports
civils, notamment dans des circonstances
de dépendance économique et face au défi
d’accéder au rang des pays développés.
L’atteinte aux libertés fondamentales a
marqué la société civile naissante et le recul du
processus d’édification d’un champ d’action
civile non gouvernementale. Devant ce déficit
des institutions civiles qui pouvaient protéger
les individus, ceux-ci se sont tournés vers le
pouvoir organique de la asabya (esprit de
corps). Le clan s’accroche ainsi à ses intérêts
propres et à son système de valeurs communes
que les individus défendent coûte que coûte,
car il s’agit du dernier recours pour venir
au secours de l’identité, de la solidarité, de
la sécurité de l’auto–défense et de l’unique
définition possible du “ Nous ”.
Hisham Sharabi l’exprime dans les
termes suivants : “ L’allégeance tribale n’est
pas l’expression d’un credo, elle repose
plutôt sur un besoin essentiel. La persistance
des liens communautaires ou d’allégeance
confessionnelle dans la société néo-patriarcale
prouve à tel point est étroite la relation qui
lie la société patriarcale moderne aux formes
primitives. En effet, la cité, la société, comme
l’Etat, n’ont pas pu développer des formes
sociétales capables de générer des structures
originales alternatives ” (Sharabi, en arabe,
1993 : 48). On peut admettre la pertinence
d’un tel propos quand considère l’ensemble des
obstacles qui se dressent devant l’émergence
d’une société civile digne de cette appellation,
qui s’attache à une ligne de conduite qui fait
que sa spécificité ne l’empêche pas d’être
acquise aux fondements communs du rôle de
l’Etat qui doit protéger les droits individuels
et garantir la participation sociétale à la
gestion des affaires publiques. Ceci conduit à
deux hypothèses : la première soutient que la
structure de la ville arabe, qui est ruralisée, ne
peut pas supporter la notion de société civile qui
est née et a grandi sein des villes européennes
(Al-Falih, en arabe, 2002 :34). La seconde
hypothèse considère que la récupération par
Rapport sur le développement humain arabe 2005
les pouvoirs politiques des initiatives de la
société est responsable en premier chef de la
persistance des relations tribales et claniques
dans le style de vie moderne des villes, c’està-dire que les systèmes, valeurs et coutumes
ancrées dans les zones rurales et bédouines, se
perpétuent même en ville à l’ombre d’Etats non
démocratiques qui ont neutralisé les formes de
médiation post-organique entre l’individu et
l’Etat (Haytam Manaa’, en arabe, 1986 :12 et
suivantes).
L’élimination systématique des expressions
de la société civile – qui a commencé à
se développer dans le monde arabe sous
différentes formes au début du XXe siècle
– au moyen des restrictions imposées à sa
liberté d’organisation, d’encadrement, de
solidarité, d’entre–aide et d’expression de sa
propre entité indépendamment du pouvoir
politique, a poussé les individus et les groupes
à se réfugier dans les solidarités ethniques
pré–urbaines. Ce retour aux liens organiques
s’est clairement illustré dans la consolidation
du clan patriarcal, et, pour des cas précis,
dans le communautarisme (une forme qui
réunit structure sociale et formation politico–
confessionnelle).
La priorité a été accordée à la sécurité du
groupe organique (communauté, tribu, clan)
au détriment des droits de l’individu. Il devient
manifeste que la famille arabe était centrée
sur le pouvoir du père de famille, considéré
comme l’élément qui garantissant la sécurité
dans un régime qui prive les individus de leurs
droits élémentaires et fait obstacle au processus
d’individuation nécessaire à l’apparition des
droits des personnes en tant que telles.
Il est certain que le caractère englobant de
l’Etat a contribué, au début, à susciter une plus
large contribution des femmes aux sphères
publiques et aux domaines du travail, de la
sécurité sociale et de la protection relative de la
maternité et de l’enfance. Cependant, Mais la
sclérose bureaucratique, le rejet des différentes
initiatives sociales et civiles entreprises ainsi que
l’adoption du système du dignitaire local (un
homme, naturellement) comme intermédiaire
unique entre l’autorité et la société, ont rendu
les droits des femmes tributaires de la nature
et des vicissitudes de l’autorité. La symbiose
entre le pouvoir et le système patriarcal a fait
Structures sociales
que ces premières réalisations sont devenues
autant d’opportunités pour réaliser des
bénéfices personnels. La situation des femmes
a ainsi continué à se détériorer avec le recul des
droits des citoyens et le recours, à nouveau,
aux rapports patriarcaux organiques comme
moyens finals de défense au sein d’une société
dans laquelle les gens se sont vus interdire les
diverses formes d’activité civile.
Il est à remarquer à ce propos que tout
affrontement entre le pouvoir et les noyaux
de la société civile et des droits fondamentaux
conduisait à une plus grande régression vers les
structures organiques. Ces dernières ont permis
l’apparition de formes nouvelles marquées
par un enchevêtrement entre reproduction
humaine et production de nouveaux moyens
de survie matériels et culturels. Comme
le note Halim Barakat , “ l’esprit de corps
familial élargi naît –aussi - des nécessités de
coopération ” (Barakat, en arabe, 1985 :82).
L’agnat et les femmes dans
les sociétés contemporaines
L’agnat et le mariage arabes ne sont point
une donnée immuable. Ils n’ont plus cette
pureté originelle bédouine qui a dessiné leurs
contours historiques. De surcroît, ce type de
clanisme n’est propre au monde arabe, tant au
sens racial que national du terme car certains
de ses traits peuvent être observés dans les
sociétés amazighe et kurde. Cependant, le
clan et la tribu, qui constituent des refuges
essentiels au sein des structures politiques
autoritaires, historiques et contemporaines,
continuent de marquer de leurs empreintes
les relations entre les sexes. Elles placent les
Encadré 7-2
Su’ad Joseph : Patriarcat et développement
dans le monde arabe
La plupart des écrivains dans le monde
arabe s’accordent à dire que les liens et
les valeurs de parenté constituent la pièce
angulaire de la structure des sociétés
arabes. En effet, ces liens et ces valeurs
maintiennent et renforcent le sentiment
que l’individu a de soi et de son identité
et façonnent sa situation sociale société.
Ils sont également la source principale
de la sécurité économique. Le lien
de parenté détermine l’appartenance
politique, tisse un réseau de ressources
politiques essentielles et détermine aussi
les identités religieuses. La centralité de
la parenté a son impact sur le patriarcat :
la parenté introduit le patriarcat dans
tous les aspects de la vie.
Source : Joseph, en arabe, 2005
189
femmes au centre d’un réseau où les facteurs
relevant du coutumier, du social, du religieux
et du juridique s’interpénètrent dans un
processus complexe qui va fixer la nature de
leur rôle et de leur devenir. On peut repérer les
caractéristiques de ces structures organiques,
mais à des degrés différents, dans la Péninsule
Arabique, les campagnes jordanienne, syrienne,
irakienne et égyptienne, ainsi qu’en Afrique du
Nord, en Somalie et en Mauritanie.
Le groupe de parenté, qui se perpétue
même de nos jours, est un groupe humain
où le pouvoir patriarcal consolide la nature
héréditaire des structures économiques et des
positions dans les domaines de la chefferie et
de la souveraineté aux dépends des femmes
qui sont marginalisées, se reproduisant ainsi
dans des formes adaptées au capitalisme
contemporain.
En effet, les relations de la reproduction
humaine dans les sociétés arabes renforcent,
pour les femmes, l’endogamie et le mariage
avec le cousin paternel à l’intérieur de la
tribu; tout en maintenant la liberté des mâles
à se marier à l’extérieur ou à l’intérieur de la
tribu. Les groupes de parenté ont adopté ce
mode de mariage au départ, en tant que droit
pour l’homme et en tant qu’obligation pour
la femme, dans le but d’assurer la solidité des
liens de l’agnat par filiation et par liens de
parenté. Ce ‘droit’ absolu du cousin paternel
a trait au système de relations et de valeurs qui
repose sur l’exercice du contrôle total sur la
capacité reproductive des femmes de la tribu
en vue de conserver le patrimoine économique
et le pouvoir social. Chose qui gêne la femme et
la prive de son droit de choisir son partenaire.
Ce mode social est considéré, dans certains
milieux académiques, comme un facteur
important et une composante essentielle du
patrimoine social qui contribue à instaurer
la domination et prive les femmes de leurs
droits les plus élémentaires. Ce patrimoine
est considéré également comme un facteur
important de l’oppression sociale que subit
la femme. C’est donc ainsi que l’acte de
domination et de sanction devient un acte
collectif, exercé par le groupe de parenté, ‘le
Groupe’, sur l’individu qu’est ‘la femme’.
Ceci ne s’applique pas uniquement aux choix
de mariage, mais également au prix du sang
190
versé, aux crimes d’honneur et à l’absence de
frontières claires et nettes entre ce qui est de
l’ordre du personnel et ce qui est de celui du
familial.
Beaucoup de sociologues arabes croient
que bien que la tribu fasse partie du passé,
ses valeurs et ses conceptions continuent de
travailler la conscience arabe pour ce qui est de
son mode d’approche des questions relatives
aux femmes, et ce même après la disparition
de l’économie pastorale et du nomadisme.
D’autres sociologues, par contre, notent des
changements dans les relations de parenté en
tant qu’unités socio-économiques à la suite
de l’expansion du secteur des services, de la
mainmise de l’Etat sur les différents aspects de la
vie et de l’ampleur des emplois bureaucratiques
(Barakat, en arabe,1985 :178).
Ce n’est pas un secret que les femmes
arabes sont toujours exposées à l’autoritarisme
moral et matériel, direct et indirect. Le degré
et l’ampleur de cette domination varient d’un
contexte à un autre, selon le stade de la vie par
lequel la femme passe. En effet toute analyse de
l’autoritarisme doit prendre en considération
ce que l’on pourrait appeler “ le cycle de la vie
de la femme ”. En effet, la jeune fille pourrait
souffrir de cet autoritarisme beaucoup plus
que sa sœur mariée ou avancée dans l’âge. La
femme mariée et la mère sont exposées à des
formes de domination différentes de celles
que subissent les femmes âgées, divorcées,
célibataires avancées dans l’âge, ou veuves.
Aussi doit-on prendre en considération que la
domination n’est pas une situation absolue et
uniforme, dont les femmes souffrent au même
degré et selon les mêmes modes. Il s’agit plutôt
d’une situation en relation avec l’âge, avec la
situation sociale, l’aisance économique, le
rang politique de la famille, le système social
dominant et d’autres facteurs qui influent sur
la place des femmes dans la société.
Les relations au sein de la famille sont
restées sous l’emprise de l’autorité que le père
exerce sur ses enfants et le mari sur son épouse,
une autorité née, historiquement, à l’ombre
de la domination du système patriarcal.
Les changements subis par cette autorité, y
compris le renforcement de la famille nucléaire
aux dépends de la famille élargie et le recul du
mariage entre proches, n’ont pas été radicaux.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Ils n’ont pas non plus touché en profondeur
le caractère fonctionnel de la relation entre les
hommes et les femmes. Si ces changements
ont touché certaines formes de discrimination
entre hommes et femmes, ils n’ont cependant
pas introduit un changement qualitatif dans
la nature de la relation qui les lie, à part dans
certains milieux restreints.
Les progrès enregistrés dans les relations
entre les hommes et les femmes ont été plus
favorables aux premiers. En effet, les hommes
ont vu s’ouvrir devant eux de nouveaux horizons
et ont bénéficié de libertés individuelles non
autorisées aux femmes, ce qui a renforcé leur
domination sur les plans économique, social,
culturel, juridique et politique. Simultanément,
les femmes n’ont pas toujours suffisamment
bénéficié du droit d’accès à l’enseignement
et au travail professionnel nécessaire au
rééquilibrage du rapport de forces pour un
plus grand équilibre de genre.
Et même lorsqu’une femme, poussée par
la nécessité économique, réussit à obtenir
un travail salarié, elle ne reçoit pas, dans de
nombreux cas, de contribution substantielle
de l’homme aux travaux ménagers. Son accès
au travail ne lui permet pas de se réaliser ni de
s’affirmer. Il n’est en fait qu’une aide apportée
par la femme à sa famille pour en améliorer le
niveau de vie. Toutefois, tel n’est pas le cas pour
les femmes cadres solides économiquement
qui ont de plus en plus recours aux services
ménagers. Le travail salarié dans les formations
socio-économiques faibles, ne produit pas,
comme c’est le cas dans les pays capitalistes
développés, un processus d’individualisation
des femmes et des groupes vulnérables. La
raison en est la faiblesse de l’individualisation
de façon générale chez le maillon le plus faible
de la structure sociale (les femmes), qui n’ont
pas eu accès aux droits en tant que femmes en
soi et pour elles-mêmes. En fait, elles n’ont joui
de leurs droits, au sens du système de valeurs
dominant, qu’à travers leur rôle dans le groupe
et/ou au foyer.
Une crise économique a été provoquée dans
la région par le déclin des formes de production
non adaptées à la situation mondiale, mais sans
qu’apparaissent pour autant des infrastructures
alternatives. La crise s’est aggravé avec la
généralisation du travail salarié au détriment
Structures sociales
des configurations sociales traditionnelles qui
garantissaient une sorte de protection sociale
et économique, et reliaient les ressources
économiques de base au centre mondial et non
pas à un réseau d’échange local ou régional.
L’une des manifestations de cette crise fut
l’exportation d “ ordures industrielles ” au
sens écologique, social et économique du
terme vers les pays du Sud. De nouvelles élites
financières ont été créées dont certaines ont mis
la main sur les richesses les plus importantes
du pays au moyen d’un système de corruption,
de mécanismes internes de despotisme et du
réseau mondial d’oppression. Ce processus
s’est accompagné d’un appauvrissement
croissant des classes sociales moyennes et
de la marginalisation des secteurs sociaux
intermédiaires qui représentent les lieux
d’articulation de l’architecture de la division
travail transitoire dans nombre de pays arabes.
Une telle situation pose un véritable dilemme
pour les lauréats mâles, particulièrement ceux
qui sont hautement qualifiés et spécialisés, qui
se retrouvent forcés d’entrer en compétition
avec les femmes sur un marché de travail en
crise, dans la plupart des pays arabes.
Du foyer à la société
La femme n’est plus séquestrée chez elle. Les
opportunités ouvertes par l’enseignement et le
travail lui ont permis de participer davantage
à la vie publique, et ce, en sachant néanmoins
que certaines personnes continuent toujours
à considérer que ces opportunités sont plutôt
des moyens d’améliorer les chances de mariage
de la femme, d’améliorer sa capacité à prendre
soin du mari et à éduquer les enfants. Certains
n’hésitent pas à considérer comme nécessaire
de contrôler la liberté de la femme pour
préserver l’honneur de la famille, allant jusqu’à
lui imposer le voile, lui interdire la mixité sur
les bancs de l’école et dans la société de façon
générale.
Néanmoins, les sondages effectués montrent
clairement que le port ou non du voile relève du
respect des la libertés individuelles (Encadré 73). Par ailleurs, les personnes sondées tendent
à approuver la mixité entre les hommes et les
femmes sur les lieux de travail et dans la société
de façon générale. Néanmoins, la mixité dans
191
Encadré 7-3
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes doivent-elles porter le hijab (voile) ?
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les différents stades de la scolarisation n’est pas
largement approuvée en Jordanie et en Egypte
(Encadré 7 – 4).
La nécessité d’exercer un contrôle sur
les femmes est un point de vue inégalement
partagé. En effet, cette opinion varie selon
les pays, les milieux sociaux, le niveau de vie
et la conscience générale. Elle se manifeste
chez les catégories sociales les plus pauvres,
marginalisées socialement et sont, par
conséquent, les moins protégées juridiquement
et socialement et les sensibles à la culture
patriarcale dominante. Les campagnes et
les zones désertiques arabes sont encore
régies par l’esprit de corps familial, le lien de
parenté et d’allégeance à l’autorité tribale,
ainsi qu’à la domination des us et coutumes
et des rites. Tout cela se passe dans le cadre
d’une économie d’auto-subsistance jusqu’à
une certaine mesure, économie liée à la terre,
au cheptel, au climat, aux métiers d’artisans
(Al-Rasheed, Papier d’appui au Rapport).
L’absence de temps libre, la multiplication
des tâches assurées par les femmes jouent
également un rôle très important. A l’origine de
ces phénomènes il y a un réseau de facteurs liés
à la prédominance des mâles et des conditions
192
de vie qui empêchent les femmes de participer
à la plupart des activités publiques, réduisant
leur rôle à la reproduction, aux travaux
ménagers au sens large, et à la participation aux
travaux pastoraux et agricoles pour garantir la
survie du groupe.
Les études relatives au monde arabe
signalent l’absence des femmes du domaine
politique institutionnel, leur présence est
relativement importante dans le secteur
caritatif, moindre sur la scène civile et
culturelle de façon générale, insignifiante dans
le domaine économique et une quasi–nulle
dans le domaine religieux officiel. Cependant
les structures autoritaires n’ont pas empêché
la présence féminine dans les secteurs de
la presse, de la professions d’avocats, de la
pharmacie, de l’ingénierie, de la médecine et
des nouvelles technologies d’information et de
communication.
Il y a un siècle, cette présence était
porteuse de significations multiples dans une
société qui essayait de redécouvrir ce qu’elle
était réellement. Aujourd’hui on est face
d’une situation conflictuelle entre, d’un côté,
un secteur assez large de la société qui est
entré dans le marché du travail et dans la vie
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 7-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Accord sur la mixité entre les sexes à tous les niveaux de l’enseignement
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Structures sociales
193
Encadré 7-5
Les femmes bédouines comptent sur elles–mêmes
‘Amsha al-Husaun, de Badiyat al-Shamiyya est
une quinquagénaire. Elle garde et trait ses brebis,
amasse du bois, prépare le pain sur le Saj2. Elle lave
le linge à la main. Son mari est impotent. Bien qu’elle
habite une tente faite de poils de bestiaux, loin des
autres demeures, elle ne se plaint pas de solitude
puisqu’elle est continuellement occupée. Elle tisse la
laine avec son fuseau manuel. Elle ne cache pas son
L’absence de
politiques sociales
protégeant les
femmes et le peu de
services rendus par
l’Etat jouent un rôle
important dans la
transformation des
femmes en victimes et
non de bénéficiaires
de la flexibilité des
opportunités de
travail.
La soumission aux,
ou la rébellion contre,
les liens organiques
n’obéissent pas
nécessairement à
des considérations
religieuses.
Source : Bandar, en arabe, 1990
publique comme prolongement de la formation
sociale traditionnelle et, de l’autre côté, un
second secteur dont l’accès marché au travail
indiquait qu’il participait d’une nouvelle vision
des relations sociales. C’est un secteur qui
choisit la famille nucléaire, l’individualisation
et l’indépendance financière tout en jouant
un rôle diffèrent de celui fixé d’avance par les
relations sociales horizontales.
Les femmes paient le prix fort dans le cadre
des règles du nouveau marché : l’instabilité des
contrats de travail à durée déterminé, le travail
dans des zones franches où les conditions sont
humiliantes pour les femmes. Et ce bien que
ces mêmes changements sont, en principe,
censés permettre de concilier plus aisément
travail salarié et famille (souplesse des heures
de travail et possibilité de travailler à partir
du domicile). L’absence de politiques sociales
protégeant les femmes et le peu de services
rendus par l’Etat jouent un rôle important
dans la transformation des femmes en victimes
et non de bénéficiaires de la flexibilité des
opportunités de travail.
La rébellion produit des
formes intermédiaires de
liberté
La force des structures sociales basées sur les
valeurs tribales traditionnelles qui conduit
à des attitudes d’adaptation marquées par
la résignation, le découragement et les
concessions, ne doit pas faire oublier les
réactions vigoureuses et violentes qui expriment
insubordination et révolte. Cependant cette
situation basée sur des relations familiales
2
194
sourire quand elle lève la tête pour dire : “ Notre
vie est dure. La vie se passe selon les saisons. Si
nous ne nous servons pas nous–mêmes, personne
ne nous servira. Ceux qui nous rendent des services
nous demandent beaucoup plus en retour. D’autres
encore nous demandent de leur procurer du beurre
et du fromage gratuitement, alors qu’ils ne nous
donnent que des soucis ”.
contraignantes et non démocratiques, ne
permet pas d’enraciner une culture dominante
reposant sur l’égalité des droits et des devoirs.
En d’autres termes, ces formes de rejet ne sont
pas en mesure de produire un système des
droits humains considérant que les droits des
femmes font partie intégrante de son identité
et de son contenu.
Il importe de noter que la soumission aux,
ou la rébellion contre, les liens organiques
n’obéissent pas nécessairement à des
considérations religieuses, puisque l’on trouve
des deux côtés des femmes voilées ou des
femmes qui contribuent aux activités publiques
à travers des organismes éducatifs, caritatifs ou
religieux. On ne peut pas, non plus, à cause des
restrictions imposées à la liberté de réunion et
d’association, dans la majorité des pays arabes,
considérer que les réunions, les conseils, les
séances officielles, les réunions entre amis,
les soirées de lecture de poèmes populaires,
les cérémonies festives, le Ramadan, les rites
religieux ne constituent toujours qu’un retour
pur et simple au mode de vie traditionnel. La
majorité de ces activités peut être considérée
comme relevant du besoin naturel chez les
humains de se réunir, de se rencontrer et de
communiquer, activités que les lois autoritaires
ont interdites. Aussi a-t-on vu apparaître des
formes intermédiaires qui délimitent, par des
frontières floues, les liens organiques et les
activités civiles.
En effet, dans un contexte où les libertés
fondamentales font défaut, les femmes ont
essayé d’instrumentaliser les conditions
sociales, et même les pratiques traditionnelles,
pour défendre leurs droits par l’entremise
NDT. (Plateau rond et bombé sur lequel on cuit le pain serviette (Dictionnaire bilingue Abdannour)
Rapport sur le développement humain arabe 2005
d’instances caritatives, médicales ou littéraires
ainsi que par l’intermédiaire de groupes
familiaux féminins. Elles ont aussi formé des
délégations pour revendiquer leurs droits dans
des pays où l’espace social est plus permissif
que l’espace idéologique ce qui est souvent le
cas dans de nombreux pays (Arabie Saoudite
et pays du Golfe, à titre d’exemple) où sont
investis des domaines de protection et de
participation organique où certaines femmes
actives et inventives tirent profit de ces marges
étroites de protection pour constituer des
groupes de la société civile s’occupant des droits
des femmes. L’ironie de l’histoire est que ces
groupes ont réussi à provoquer le changement
de l’intérieur même des structures qui ont
essayé d’empêcher qu’il ne se produise.
Cependant, la dimension négative des
relations organiques se renforce au fur et à
mesure que les restrictions touchent la liberté
de se réunir et de mener des actions publiques
indépendantes de l’Etat. Le rejet des structures
claniques ou reposant sur des liens de parenté
n’est propre ni aux franges sociales religieuses,
ni à une classe sociale donnée ou à un sexe
donné. Les formes de solidarité traditionnelles
organiques paraissent, comme il a été dit
précédemment, plus fortes dans les milieux
pauvres. En effet les formes organiques de
solidarité traditionnelle sont plus fortes dans
la société rurale, parmi les habitants des
bidonvilles et des quartiers nés de l’exode rural
vers la ville. On a l’impression que parmi des
secteurs importants de ces populations il y a
un profond sentiment de se protéger contre la
misère au moyen de l’esprit de corps patriarcal
traditionnel.
L’interaction entre les sphères économique,
politique et internationale influe sur les formes
de relation entre les hommes et les femmes. En
effet, le recul enregistré en matière de droits
économiques pour la majorité, la relativité de
la souveraineté, dans un contexte de refonte
des formes de domination dans la région,
rendent aisée la confusion entre discours social
et discours idéologique conservateur qui lie la
défense de l’entité sociale et de la souveraineté
nationale à une conception déterminée de
l’identité qui réduit le rôle des femmes et
considère leur promotion comme un produit
made in à l’étranger.
Structures sociales
Néanmoins, l’accumulation quantitative de
petites victoires qualitatives par des femmes
dans leur lutte démocratique a fait reculer
l’hégémonie patriarcale, à degrés variables,
selon la diversité des sociétés et des cultures.
Malgré le lourd héritage, l’ancrage des
coutumes et les obstacles difficiles que les
femmes doivent surmonter, force est de
constater que les femmes d’aujourd’hui
diffèrent de leurs mères ou encore de leurs
grands-mères, du fait de la prise de conscience,
de l’instruction, de l’exercice d’une profession
et des réalisations de la civilisation du xxe siècle.
Ces réalisations ont trait aux idées de libération
et aux victoires obtenues dans les domaines des
droits de l’homme et des droits des femmes.
Les femmes ont su faire face aux défis de
l’adaptation aux bouleversements difficiles et
ont confirmé qu’elles étaient les protectrices
de l’existence sociale dans les pires situations.
C’est le cas des femmes qui vivent à l’ombre du
siège et des exactions en Irak ou qui font face à
la violence multiforme au Soudan, au Liban, en
Irak et en Palestine. En ce sens, les structures
sociales ne pouvaient pas empêcher les femmes
d’être présentes, à différents degrés et sous
diverses formes, en tant qu’acteur effectif dans
le contexte de la transition historique que de
nombreux pays arabes connaissent.
D’autre part, le rapprochement entre les
hommes et les femmes, s’il n’a pas aboli les
disparités, a quand même abouti à l’apparition
de relations moins conflictuelles à différents
endroits. Ce rapprochement a permis aux
relations éducatives d’emprunter une voie
beaucoup plus proche de la démocratie que de
l’autoritarisme. C’est ainsi que les enfants ont
acquis une confiance en eux, et sont devenus
plus confiants dans ceux qui représentent
pour eux le modèle à suivre pour développer
leur personnalité et réussir, notamment parce
que l’image de la mère et sa place constituent
pour ces enfants un élément essentiel dans la
construction de l’image positive qu’ils ont
d’eux-mêmes.
Le monde arabe est appelé à trouver une
nouvelle situation d’équilibre des individus,
basée sur l’égalité nominale. Elle montre
clairement combien sont importantes les
libertés fondamentales et l’édification d’une
société civile au sens large, c’est à dire un large
La dimension
négative des relations
organiques se renforce
au fur et à mesure
que les restrictions
touchent la liberté de
se réunir et de mener
des actions publiques
indépendantes de
l’Etat
195
réseau de différentes structures intermédiaires
entre l’individu et l’Etat, permettant de
couvrir des espaces non gouvernementaux,
un gouvernement, quel qu’il soit, ne pouvant
représenter toutes les personnes dans tous les
domaines. Cette situation montre aussi à quel
point il est nécessaire d’articuler le programme
politique et civil à un minimum de garanties
sociales et économiques, pour ne pas dire de
droits, la confrontation avec les structures
organiques ne devant pas transformer
d’habitants de taudis en sans logis.
Un pacte civil passé entre la société et l’Etat
en vue de garantir les droits des individus,
hommes et femmes, représente la condition
sine qua non pour que les individus se sentent
qu’ils sont en sécurité, physique et morale,
qu’ils ont leur rôle à jouer dans le foyer et dans
la société et que le droit à l’instruction et aux
soins leur est légalement reconnu.
Le droit naturel de créer des associations
libres et indépendantes constitue un un élément
clé dans la transition de l’individu à la personne/
citoyenne. Plus la constitution d’associations
civiles devient-elle une action évidente pour
la société et plus il devient possible de ne plus
se concentrer sur les situations particulières
à une frange de femmes pour s’occuper de la
situation plus générale de toutes les femmes,
et ce à travers des formes nouvelles de
coopération, de solidarité et de participation
civile. Dès lors, l’égalité pourra devenir une
revendication sociale. La culture civile, dans la
mesure où elle dispose des conditions pratiques
et pas seulement des fondements de sa critique
intellectuelle des liens organiques, pourra alors
constituer un concurrent puissant à la culture
de la discrimination.
Pour faire face à l’obéissance et à la
dépendance qu’impose l’attachement au
lien par agnation, il faut mettre en place les
conditions de vie et juridiques de l’autonomie
des personnes, des deux sexes, et rejeter la
discrimination, quelle qu’en soit la cause ou
la motivation, tout en assurant les conditions
matérielles pour oser penser et dépasser ce qui
existe.
196
La famille et la place des
femmes
La famille constitue encore et toujours
la première institution responsable de la
reproduction des relations et des valeurs
patriarcales par le biais de la discrimination
entre les hommes et les femmes. Elle assure la
fonction d’éducation sociale et la socialisation
dans un climat traversé par les contradictions
et les problèmes structurels graves, avec des
mécanismes de contrôle et de pression, qui font
que les femmes paraissent plutôt assujetties à
un modelage que maîtresses de leur destin ou,
comme déjà remarqué, participant elles-mêmes
à la reproduction du système qui la contrôle.
Bien que les femmes participent aux
domaines des sciences et du travail, les questions
de la sexualité et de l’honneur n’ont quasiment
pas été affectées par les grands changements
structurels qui ont marqué le siècle dernier. En
effet, dans des sociétés patriarcales où l’homme
domine les différents aspects de la vie sociale,
culturelle, politique et économique, le droit
des femmes à la sécurité physique et morale est
toujours l’objet de violations acceptées dans
le cadre du système des valeurs dominant. En
niant l’individualité de la femme, on a rejeté du
même coup la possibilité de l’individualisation
du droit privé de la femme ainsi que la
définition de la vie privée et de la personne
telles qu’elles sont décrites dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme. En même
temps, cette violation met la société face à une
contradiction là où coexistent les relations
organiques et les relations civiles : si la faiblesse
de l’individualisation a fait que les femmes
n’ont pas pu obtenir des droits, pour lesquels le
groupe ne s’est pas mobilisé, ce dernier (tribu,
communauté…) a été lui-même le vecteur et la
médiation qui ont permis l’acquisition d’autres
garanties et d’autres droits. Ceci implique qu’il
est nécessaire de rechercher dans certaines
sociétés arabes des formes et des voies nouvelles
pour la promotion des femmes qui n’excluent
pas la médiation du groupe organique.
De telles pressions sur les femmes
deviennent plus violentes encore dans les
moments de crise durant lesquels les femmes
deviennent sujettes à la surveillance. Le droit
que le mâle a de disposer du corps de la femme,
Rapport sur le développement humain arabe 2005
de le contrôler, l’utiliser, le dissimuler, l’évacuer
ou le punir, n’en devient que plus flagrant.
Cette violence est un facteur nouveau qui
vient s’ajouter à la féminisation de la pauvreté,
de la misère politique, de la dépendance, de la
domination et de l’aliénation.
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, les codes du
statut personnel ont constitué la cristallisation
la plus emblématique et la plus profonde de ce
problème. Le mariage reste la première forme
la plus importante du rapport entre les femmes
et les hommes, du point de vue du conscient
comme de l’inconscient, de la religion comme
de la société, en termes de licite ou d’illicite,
de sacré ou de profane. Ces lois représentent
la cristallisation la plus prononcée du rapport
entre le patriarcal et l’illicite et le tabou dans
la société arabe. On constate, en effet, que
les lois les plus importantes
concernant
la discrimination de genre trouvent refuge
dans ce rapport, à tel point que les lois de la
famille sont devenues cette tanière protectrice
de la culture, des traditions et des coutumes,
religieuses ou populaires.
On peut dégager des débats et des
événements qui ont lieu lors de la préparation
ou de la promulgation des codes du Statut
personnel en Algérie, en Syrie et au Maroc
que la nationalisation ou la privatisation de la
moitié de l’économie du pays a été beaucoup
plus aisée que la promulgation d’un code du
Statut personnel civil, choisi au sein d’un pays
musulman.
Le corps de la femme, comme le dit Lima
Abu ‘Awda, évolue dans un cadre social où les
frontières sont clairement tracées et définies.
Chacune de ces frontières est dotée d’un
dispositif de lois et d’interdits que la femme
est supposée ne point transgresser. C’est ce qui
explique les dispositions dans les législations
arabes qui ne retiennent pas ou atténuent
les peines l’encontre des personnes qui
commettent des crimes dits ‘d’honneur’. D’où
l’importance de l’introduction de législations
garantissant les droits humains dans tout ce qui
a trait à ces crimes dits ‘d’honneur’. Lors d’un
entretien avec nombre de jeunes filles qui ont
trouvé refuge auprès d’associations d’accueil en
Suisse, une seule et même phrase revenait sans
cesse : “ Me tuer ne coûte rien au meurtrier ”.
Le contenu du document “ Arrêtez le meurtre
Structures sociales
des femmes ”, signé par des dizaines de milliers
de personnes à l’intérieur et à l’extérieur
de la Syrie, donne une idée sur l’ampleur et
l’importance de cette tumeur socio–juridique :
“ Toujours, et selon des formes variées et pour
des prétextes différents, l’article 548 du Code
pénal, ainsi que les articles 239 et 242 du même
code, finissent par éviter que le meurtrier
condamné à la peine normale après quelques
mois de prison dont le nombre dépasse
rarement celui des doigts de la main !!
Il s’agit tantôt de l’honneur, tantôt d’un
élan de colère ou encore des susceptibilités
communautaires ! ! Mais il s’agit dans tous
les cas du sang de jeunes filles que versent des
meurtriers dont le sort ne doit pas être autre
que celui de meurtriers ! ! ” (18 Septembre
2005).
Bien que les éléments de modernité
interfèrent avec la culture traditionnelle dans
les sociétés arabes, ce qui ne permet une
généralisation d’une situation à toutes les
sociétés, que ce soit à l’intérieur d’un même Etat
ou entre des Etats différents, il reste néanmoins
que de larges pans de la société sont beaucoup
plus proches de la tradition que du renouveau.
Le prix que la jeune fille doit payer dans les
milieux où le niveau d’individualisation reste
faible, au sens juridique et économique, pour
accéder à son indépendance, est fort élevé.
C’est pourquoi, ces jeunes filles cherchent
refuge dans le mariage précoce afin d’assouvir
leurs besoins sans ressentir de la culpabilité,
de la haine et le mépris de soi, ni le sentiment
d’être tombées dans le péché. Elles cherchent
par ce mariage à accéder au statut de femmes
respectables, acceptées par leurs propres
mères, leurs familles et la société.
Il est très probable que le premier homme
qu’elles auront rencontré soit celui à qui elles
se lieront pour le restant de leur vie, et ce
notamment dans les milieux conservateurs, ;
et quand ce ne sont pas les membres de leurs
familles qui décident pour elles, sans que la
jeune mariée ait connu son prétendant au
préalable ou qu’elle l’ait du moins connu
suffisamment. Dans tous les cas, le mariage
précoce, de simple coutume sociale, devient
un problème aux multiples causes et aux
nombreuses dimensions. Une étude menée aux
Emirats Arabes montre que les fortes pressions
197
sociales exercées sur les jeunes filles, ainsi que
le manque d’affection et de compréhension
de la part de leurs familles, sont à l’origine
de comportements violents enregistrés chez
ces jeunes filles. En effet, les cas de suicide
chez elles sont trois fois supérieurs aux cas
enregistrés chez les jeunes garçons3 (Daguerre,
Document d’appui au Rapport).
La relation équivoque entre
hommes et femmes dans les
sociétés arabes : synergie et
conflit
Certains écrits féministes mettent hommes
et femmes en position de contradiction et
d’opposition totales. Malgré l’ampleur de
la discrimination à l’égard des femmes dans
les pays arabes, cette attitude paraît être une
simplification abusive qui ne reflète point la
nature réelle de cette relation fondamentale
dans les sociétés arabes.
On peut noter, par exemple, que les
premiers partisans de la cause féminine étaient
des hommes. C’est le cas de Butrus Al-Bustani
qui a écrit sur l’importance de l’enseignement
pour les filles. C’est aussi le cas de Qasim Amin
qui a appelé à l’émancipation de des femmes, ou
encore de Al-Tahir al-Haddad, Abdul Rahman
al-Kawakibi et bien d’autres. Ces penseurs
considéraient que la cause de la femme est
partie intégrante d’une cause plus large, celle
de la modernisation et du développement
de la société. De la même manière, parmi les
défenseurs et partisans de la promotion des
femmes aujourd’hui il y a un grand nombre
d’hommes actifs dans le domaine des droits
humains, convaincus que la cause des femmes
est au cœur même de celle des droits humains.
Une autre image du patriarcat
Il y a une généralisation d’images comme
celle de la figure du père comme despote et
symbole de l’oppression imposant sa volonté
et son autorité à des membres soumis de la
famille. Une telle soumission favoriserait une
tendance au rejet et au refus du changement
dans la société, inhiberait l’émergence de
l’individu qui interroge, critique et fait preuve
d’indépendance et généraliserait également
les notions de constance, de stagnation et de
soumission au dominant. De telles images ne
reflètent pas tout à fait la réalité des sociétés
arabes. En effet, quand on observe la vie
quotidienne, on découvre d’autres aspects de
la relation entre paternité et femmes, que ces
dernières soient épouses ou filles.
On peut considérer, à titre d’exemple, les
contributions des femmes arabes à toutes les
formes de résistance, notamment en Palestine.
On découvre alors d’autres dimensions d’une
paternité qui se distingue par le libéralisme,
des femmes qui exercent leur droit d’exprimer
leurs opinions politiques et de prendre des
décisions les concernant, et ce bien que la
représentation politique des femmes n’est pas
égale. Mais c’est là un autre sujet de débat.
Quand on compare trois générations
successives de femmes dans n’importe quel
pays arabe, on peut retracer les étapes du
processus de développement qui est à l’œuvre
d’une génération à une autre, ainsi que les
sauts qualitatifs accomplis, au niveau du savoir
et des spécialités, du travail et de ses différents
domaines, ainsi qu’au niveau de la participation
aux affaires publique. On peut ajouter à cela
le contrôle de la fécondité, le progrès de la
maturité psychologique et de la confiance en
soi chez les femmes, l’utilisation des nouvelles
technologies qui ont permis même aux femmes
de niveau culturel modeste d’interagir avec les
autres cultures du monde.
Ces rapides rappels montrent certains
changements positifs au niveau de la famille
arabe qui ont conduit, dans une certaine
mesure, au changement de comportement chez
les jeunes et dans le système des interdits. Il faut
rappeler, à ce propos, que les disparités dans
le libéralisme des pères et leur façon d’exercer
leur autorité dépendent de leur niveau culturel
et économique, ainsi que du milieu social. De
plus on ne peut oublier, non plus, que ces
changements sont d’ordre social, national et
international en rapport avec des étapes de
développement politique et économique.
3
L’enquête a porté sur 82 cas de jeunes filles ayant tenté de se suicider. Leur âge varie de 15 à 24 ans. La majorité d’entre elles sont célibataires.
Vingt d’entre elles n’étaient pas à leur première tentative de suicide.
198
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Les pères, notamment ceux ayant bénéficié
d’une certaine instruction, approuvent que
leurs filles et de leurs épouses aient accès
à l’instruction et les incitent à progresser
professionnellement en leur en fournissant
les moyens et en leur montrant les voies qui
y mènent. En attestent le nombre croissant
de jeunes filles présentes sur les bancs des
universités, la forte majorité des femmes dans
certaines facultés et certains métiers, ainsi
que leur supériorité dans les études. Certains
pères vont jusqu’à défendre leurs filles face des
courants intolérants qui veulent leur imposer
une certaine tenue vestimentaire.
Les manifestations de la relation homme,
épouse et enfants sont multiples et variées. Ces
rapports sont très complexes et ne peuvent être
qualifiés tout simplement d’oppressifs, sévères
et tyranniques. Que dira-on alors de l’amour,
de la solidarité, de la personnalité de la femme
qui est fière d’elle–même grâce au sentiment
qu’elle a d’être appuyé par son père, grâce aux
différentes formes de protection et de soutien
qu’il met à sa disposition ? On remarquera que
les femmes qui réussissent leur vie conjugale
et professionnelle sont celles qui sont très
fortement liées à leurs pères.
La famille arabe a de nombreuses
caractéristiques que l’on ne peut réduire à
une seule, absolue et généralisée. On ne peut
Encadré 7-6
Un père supporter de sa fille
Je ne sais comment mon père, Rafiq, a pu, dans
les années soixante du siècle dernier – lui qui
n’a pas été à l’université, ni même voyagé – être
animé par la volonté de m’envoyer – alors que
j’étais âgée de vingt ans – poursuivre mes
études à Paris.
Il n’a point été découragé par la
prudence de ma mère, ni par les avertissements
des proches, ni non plus par la crainte que la
famille avait de Paris pour leur jeune fille ; la
crainte de ce Paris, pays de l’égarement. Sa
détermination dépassait de loin mon propre
courage, je l’avoue. Et ce, alors que moi, je
ne connaissais de Paris que ce que laissaient
apparaître les cartes postales de la tour Eiffel,
les noms célèbres d’hommes de lettres français,
la Sorbonne et le Quartier latin.
J’ai grandi dans une famille nombreuse,
composée de neuf enfants qui occupaient les
chaises, les fenêtres et les lits de la maison :
six filles et trois garçons. Ils s’activaient de
façon égale, à l’école comme à l’université,
transformaient la maison en grande salle
d’étude que mon père alimentait par ses achats
de livres, bien supérieurs à ses achats de pain.
En période d’examens, mon père était
comblé de bonheur. La maison était inondée
de livres, de stylos et de leçons apprises par
cœur. Il faisait fi des propos des voisins qui
lui répétaient : “ Pourquoi envoies-tu la fille
à l’école, alors qu’elle n’est pas pour toi, mais
pour son mari ? ”
Il se prévalait du fait qu’il est précurseur,
à un moment et dans un village où aller à
l’école –à proximité de la maison, bien sûr
– était considéré comme un instant de répit en
attendant le futur prétendant.
Nous étions six filles. Les gens disaient
de Rafiq, que “ Dieu lui a donné autant de
filles que l’amour qu’il avait pour elles ”. Mais
mon père, qui avait beaucoup lu et qui avait
été influencé par les hommes de lettres de
la Renaissance et les appels à l’émancipation
de la femme, considérait donc que chacune
d’entre nous était, à ses yeux, un projet de
création, à travers lequel il reproduisait le
modèle de ma mère instruite, cultivée et
audacieuse, bien différente des femmes de
sa génération. Il avait foi en l’importance
des femmes, foi qu’il exprimait à travers
l’instruction de ses propres filles.
Quand le village entier s’était déplacé à
l’aéroport de Beyrouth lors de mon départ
pour Paris, pour me faire les adieux dans les
pleurs et l’affection, me prodiguant nombre
de conseils, mon père n’a point entaché
ma joie par un quelconque de ces conseils
classiques.
Mais il tissait, entre lui et moi, les fils
d’une complicité cachée. Il me confiait le
fardeau qu’il portait avec plaisir, celui d’être
un précurseur. Je me sentais tels les héros des
pièces de théâtre que nous jouions à l’école.
Si je trébuche, je suis maudite par les dieux ;
si je réussis, j’ouvre une voie tout éclairée à
toutes les filles de ma génération.
J’ai été profondément habitée par ce
soucis d’être le modèle, en signe de gratitude
envers mon père, mais cela n’a point déformé
mon regard ouvert, avec étonnement, sur
tout ce qui est nouveau, ni mon cœur avide
de désirs et de joies.
Mon père, qui attendait mes lettres avec
impatience, pour en lire les passages les
plus touchants aux voisins et aux visiteurs,
était mon éternel allié lors de mes moments
d’enthousiasme et mes moments d’inertie,
mes moments ternes et mes moments
brillants. Il ne voulait comme marque de
reconnaissance que le fait que je réussisse,
que j’accède au sentiment naturel de
l’égalité, que je ressente toute la chaleur de
cette vie qui m’a été procurée.
Cette alliance secrète qui scellait son
audace à ma réaction positive nourrissait
son ambition réinvestie en moi, attisait mon
désir ardent d’emprunter, jusqu’au bout, la
voie agréable de l’inconnu.
Au lieu que le père récompense la fille,
c’est désormais la fille qui essayait, par le
biais de sa réussite, de récompenser son
père.
Je me rends compte aujourd’hui, alors
que je suis riche d’expériences humaines
et intellectuelles auxquelles mon père m’a
permis d’accéder grâce à l’aventure de ce
voyage, avec pour seul bagage une valise qui
ne contenait que l’ambition, l’étonnement et
le défi -, et quand je regarde les filles de mon
village, un demi siècle exactement après les
péripéties de cette histoire- que chacune de
ces filles puise ses forces, jusqu’à ce jour,
dans le modèle de mon père, de mon propre
parcours, pour convaincre son père à elle
que l’instruction des filles et leur voyage en
vue de poursuivre leurs études, sont une
réussite, un modèle à suivre, la voie qui
éclaire le futur des femmes de ce siècle.
Ilham Kallab, Beyrouth, juin 2005
Structures sociales
199
Encadré 7-7
Mohamed Mahdi Al–Jawahiri : Instruisez-la!
Instruisez–la ! Le vrai déshonneur est
le fait que vous considériez le savoir
comme une honte.
A l’ère de la décadence, nous suffit le
fait que nous n’ayons même pas résolu
les petits soucis.
Instruisez-la ! Procurez-lui l’éducation
qui façonne les grandes âmes.
Pour mener au mieux un peuple,
prouvez d’abord que vous pouvez mener
au meilleur un foyer.
En méprisant la femme aujourd’hui, vous
méprisez beaucoup plus les hommes.
pas non plus généraliser une seule conception
négative du patriarcat4.
Cette perspective unique répand la
soumission et pousse à croire en la difficulté
de se soulever contre l’autoritarisme et aspirer
au changement. En outre, affirmer que les
femmes sont opprimées prive leur vie de toute
valeur, la réduit à de simples années perdues.
Dans tout cadre, aussi dur soit-il, si la femme
peut accéder à sa liberté de prise de décision,
cela lui procurera un bonheur inattendu. Cette
liberté est la source qui inspire le changement
(Nouha Bayoumi, Annexe au Rapport).
Socialisation et enseignement
(Programmes et méthodes
pédagogiques et modes
d’évaluation)
La problématique de la socialisation et de
l’enseignement nous met la personne face au
caractère complexe et multidimensionnel de
la relation entre les hommes et les femmes
dans le monde arabe, de sorte qu’il est difficile
de calquer des modèles ou de transposer des
solutions ou abolir les modes de développement
particuliers au nom de la généralisation des
expériences. Globalement, la problématique
de la socialisation et de l’enseignement, se
présentent pour la société et pour l’Etat comme
deux murs opposés, parfois imbriqués.
Le premier est le mur de l’éducation
traditionnelle. Il serait, au moins en apparence,
le mur le plus solide et le plus enraciné des
deux puisqu’il est le produit de toute une
histoire, et puisque les changements que
les temps modernes ont connus n’ont pas
pu permettre d’ériger un autre mur, encore
plus haut, pour le remplacer. Ce mur réunit
fondements historiques de la culture, dans leurs
dimensions religieuses, cognitives et populaires,
en un ciment armé qui a tantôt islamisé les
traditions, tantôt imposé à la religion ce qu’elle
ne peut supporter. Mais dans les deux cas, il
s’agissait d’un mariage pragmatique auquel les
traditionalistes se sont rarement opposés.
Le second mur est celui de l’Occident, c’est
à dire la source la plus puissante des notions de
libération et d’égalité à notre époque. Dans ce
sens, la culture et le mode de vie occidentaux
ont constitué, pour la majorité des partisans
de la libération des femmes et de l’égalité
entre les deux sexes, la source d’inspiration
essentielle durant environ un siècle. Dans
la majorité des cas, ce ‘modèle occidental’ a
été considéré comme un nouvelle direction
vers laquelle se tourner, c’est à dire comme
un modèle à suivre et à imiter. L’Equipe du
Rapport partage, à ce propos, ce que disait le
poète égyptien Georges Henein qui affirmait
que l’imitation intellectuelle chez certains
était si ample et si vaste qu’elle s’est arrogée à
l’avance le pouvoir de se soumettre les esprits
et les dispositions mentales. On peut, selon une
expression d’Ahmed Chabchoub, parler d’une
“ modernité imposée ”, puis d’une “ modernité
désirée ” (Chabchoub, 2000 : 64 et suivantes),
avant de passer à une modernité créative,
considérée comme le moyen de passage obligé
entre le suivisme (historique et occidental) et la
créativité dans les domaines de la socialisation
et de l’enseignement.
Cependant, cette transition implique ce
que le chercheur Munir Bashshur appelle “ une
maturité spirituelle et culturelle de la famille
qui ne distingue pas entre mâle et femelle
dans l’éducation ou tout autre domaine. Elle
implique également une symbiose générale
entre les différentes autres institutions de la
société, dont l’école, et cette maturité. Le but
étant de la renforcer et de l’appuyer. Mais
4
Cf (Bayoumi, en arabe, 1998 : 260). Etude sur le terrain qui a souligné le rôle positif du père dans la motivation de ses filles pour les inciter à se
sentir concernées par les affaires publiques et l’exercice de la critique des politiques menées. Ce qui a contribué à renforcer leur personnalité, leur
audace et leur détermination. Ceci montre l’importance du soutien du père à ses filles. En effet, cette éducation a influencé leur vie conjugale lors du
choix du mari qui leur convenait, mari qui devait être proche d’elles politiquement, indépendamment de son appartenance sociale ou communautaire.
Elles ont aussi contribué à l’éducation de leurs enfants, la formation de leur personnalité et leur ont offert l’occasion de faire leurs propres choix (p.
272).
200
Rapport sur le développement humain arabe 2005
d’où pourrait émerger cette maturité sinon
des institutions éducatives, dont l’école, qui,
dans ce cas, constitueront, du même coup et
le moyen de reforme et sa propre finalité? ”
(Bashshur, Papier d’appui au Rapport).
Si l’on veut que ces institutions deviennent
des outils effectifs d’amélioration du niveau
voulu de maturité morale et culturelle, il est
nécessaire de considérer leur composition et
leurs éléments, de considérer l’action qu’elles
mènent, leurs modes de fonctionnement, la
dynamique qui les sous-tend, et ce en guise de
préliminaire à l’introduction des modifications
qui s’imposent.
La société arabe a confié à l’école et aux
institutions qui président à la socialisation des
enfants – quand ces institutions existent – la
responsabilité de compléter le travail accompli
par la famille en matière de formation de
l’esprit et d’éducation aux valeurs. L’école est
le produit de sa propre époque ; elle n’est pas
mieux lotie que la société en ce qui concerne le
manque d’institutions de bonne gouvernance
et de relations civiles. Elle se situe, en effet,
après la famille dans la reproduction des
modes d’éducation reposant sur le domptage,
la marginalisation et la violence. Les systèmes
scolaires dans les régimes autoritaires
n’encouragent pas, le plus souvent, l’esprit
d’initiative, le développement des potentialités
créatrices et l’épanouissement suffisant des
aptitudes personnelles.
Malgré la distance parcourue par les
femmes arabes dans les domaines politique,
social et économique, le fossé qui sépare un
tel progrès et les stéréotypes sur les femmes
reproduits par les programmes d’enseignement
reste énorme. Les images des femmes confinent
invariablement celles-ci dans un cadre
maternel, réduit aux taches ménagères. Le plus
souvent, le livre scolaire dans le monde arabe
confine l’image de la femme dans un cadre
social déterminé. L’image reproduite par les
programmes d’enseignement est peut-être l’un
des facteurs les plus importants qui favorisent
et renforcent une représentation de la fille.
En effet, il est très rare qu’une personne de
sexe féminin apparaisse, dans les manuels du
Ministère de l’Education et de l’Enseignement,
en train de lire un livre ou à l’intérieur d’une
bibliothèque. Le seul endroit où elle devrait se
Structures sociales
trouver, selon les concepteurs de ces manuels,
est la cuisine ou le champs.
A titre d’exemple, une étude menée par
le département de sociologie de l’université
de Damas, montre que la société aspire à
donner aux femmes un rôle nouveau. Mais
les programmes d’enseignement renforcent
davantage l’image traditionnelle qui les
confinent au foyer. Cette étude s’est penchée
sur les illustrations contenues dans un manuel
scolaire destiné aux élèves de la quatrième
année du cycle primaire. Elle a montré que
les manuels en vigueur font usage d’une image
stéréotypée de la femme qui la placent sur un
second plan derrière l’homme et jamais à côté
de lui. Cette étude montre également que 75
% des images publiées dans ce manuel étaient
beaucoup plus favorables à l’homme qu’à la
femme. Cette dernière est toujours présentée
dans des cadres ménagers (la cuisine, à titre
d’exemple) ; alors qu’elle n’est jamais présentée
à l’intérieur de lieux de travail, lieux qui sont
toujours le monopole de l’homme.
En Egypte, une étude ayant intitulée
“ l’Education des enfants femelles en Egypte ”
menée par la chercheuse Zayneb Shahine a
montré “ l’existence d’un sexisme clair et net
contre la jeune fille dans toutes les publications
égyptiennes ”. Elle a signalé l’absence totale de
noms féminins sur les couvertures des revues
destinées aux enfants qui affichent toutes des
noms masculins comme “ Mickey ”, “ Samir ”,
“ ‘Ala’al-Din ” et “ Bulbul ”. Son analyse
du contenu de ces revues a montré qu’elles
attribuent aux mâles la majorité des qualités et
des rôles positifs ; alors qu’elles attribuent aux
femelles les qualités et les rôles où apparaissent
faiblesse, absence d’autonomie d’opinion
et dans la prise de décision. Ces notions
s’enracinent donc dans les esprits des jeunes
dès les premières étapes de l’enseignement.
On peut dire également que l’expérience
palestinienne récente ne constitue pas une
exception à la règle. Là aussi, les contenus
en vigueur actuellement dans les écoles en
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza renforcent
cette vision traditionnelle et dégradante de la
femme. En effet, on n’y voit nullement que la
femme accompagne les changements survenus
dans la situation des femmes depuis les années
vingt du siècle dernier.
201
Ainsi, l’image des femmes dans les manuels
scolaires, quel que soit le niveau scolaire, est
celle de “ la mère qui prépare à manger et le
père qui est au travail ; la maman qui repasse
le linge et sa fille Rabab qui l’aide à la cuisine ;
le père qui lit le journal alors que son fils
Basim joue sur le terrain ”. Dans une étude
menée par la chercheuse Aliya Al-‘Asali sur
le portrait des femmes dans les manuels de
l’éducation civique en première année du cycle
fondamental et jusqu’en sixième, il apparaît
que l’image des femmes n’était pas représentée
de façon claire, systématique et juste. En ce qui
concerne les métiers, les femmes paraissent
cantonnées dans des métiers bien précis. Elles
sont quasiment absentes quand il s’agit de
métiers variés, contrairement aux hommes. Les
femmes n’apparaîssent pas, non plus, dans des
images où elles prennent des décisions comme
cela est souvent le propre de l’image des
hommes : l’image de maire, de juge, d’avocat,
de président d’association, de président d’un
syndicat, de directeur d’une école, de directeur
d’un camping et bien d’autres images où les
femmes sont absentes. Ceci dit, les cursus
scolaires ont cependant subi des modifications
importantes en Tunisie.
Les sociologues attirent l’attention sur
l’importance du rôle que joue l’image à l’école,
dans les premières étapes de l’enseignement
fondamental, ainsi que sur l’effet qui est
exercé sur la constitution des orientations
intellectuelles des enfants, orientations qu’il
serait difficile de modifier par la suite. Parmi
les faits négatifs reprochés aux matières
d’enseignement figure la négligence des vraies
capacités des femmes, leur aptitude à créer
et à réaliser, au point qu’elles apparaissent, le
plus souvent, dans l’image d’être aux positions
négatives, sans volonté, marginalisés, incapables
de participer avec les hommes à la prise de
décisions importantes relatives à la famille ou à
son avenir. Une telle conception marginale du
rôle des femmes incite les éducateurs à exiger
la modification des contenus des programmes
d’enseignement et à établir des fondements
et des concepts nouveaux pour les matières
enseignées. Le but est de délivrer la jeune fille
du moule superficiel et dégradant, de rendre
visibles les avancées réalisées par les femmes
arabes en accédant aux meilleurs postes, et à
202
leur participation aux domaines qui étaient
depuis toujours réservés aux hommes.
Les spécialistes en matière d’éducation
soulignent la nécessité d’intégrer dans l’esprit
même de ces programmes d’enseignement les
droits sociaux, politiques et juridiques des
femmes, leurs droits au travail, à l’expression
et au choix libre.
Ajoutons à cela la participation de
des femmes à la conception des politiques
d’enseignement dont elles ont été longtemps
exclues dans les pays arabes. On estime, en effet,
à moins de 8 % la participation de la femme à
la conception des programmes d’enseignement
selon un échantillon aléatoire des programmes
d’enseignement arabes (Commission Arabe
des Droits Humains, en arabe, 2002).
Il est à signaler que certains gouvernements
arabes ont commencé à changer les programmes
d’enseignement pour les rendre compatibles
avec les récents développements sociaux. Mais
il faut un certain temps pour que cette nouvelle
conscience soit communiquée à travers le
processus pédagogique en comportements
pratiques.
Il est également impératif que la nouvelle
production culturelle et les mesures pratiques
soient orientées vers l’acquisition par l’élève,
ainsi que par la maître, d’une nouvelle
méthode pour traiter les valeurs et les principes
selon un esprit qui interroge, qui fait preuve
d’inspiration et de déduction, mais tout en
étant prudent que le nouveau ne soit pris pour
une idéologie alternative.
Il n’est pas possible de parler d’un modèle
d’enseignement ou d’une recette “ valable en
tout temps et tout lieu ”. L’expérience limitée
menée dans le monde arabe et dans d’autres
pays du Sud, montre qu’il est nécessaire
d’éviter de verser à ce propos dans le discours
idéologique. Même quand l’enseignement des
droits de l’homme et des droits des femmes
est introduit dans le répertoire académique, il
est nécessaire que ces contenus soient toujours
soumis à l’œil critique des défenseurs de ces
droits.
Elever le niveau de maturité spirituelle et
culturelle va au-delà des chiffres et des calculs de
taux. Il va également au-delà de la recomposition
ou de la distribution des individus en fonction
de leur niveau d’instruction et leur sexe. C’est
Rapport sur le développement humain arabe 2005
une question relative aux ressources spirituelles
et culturelles qui nourrissent notre esprit, et qui
sont disponibles dans les sphères sociales, dont
l’école est l’une des composantes. En un mot,
c’est une question beaucoup plus profonde
et beaucoup plus difficile qui requiert un
engagement plus ferme, un effort plus grand,
une solide maîtrise du processus de suivi.
L’enseignement est un acteur essentiel de
ce processus, mais à condition que son action
soit durable et globale. Elle doit concerner
l’école comme l’université. La famille a certes
son mot à dire, mais aussi les moyens audiovisuels et écrits d’information. La bataille pour
la promotion des femmes arabes sera gagnée
seulement si les potentialités créatrices de la
société, artistes, écrivains, poètes, journalistes
et syndicalistes, s’ y investissent ensemble.
Conclusion Ce chapitre a essayé d’éclairer le caractère complexe, aux multiples facettes, de la discrimination
entre les hommes et les femmes dans les sociétés arabes. Il montre, en effet, la difficulté de traiter
la cause féminine à partir de données préétablies ou abstraites. La Convention sur l’élimination de
toutes les discrimination à l’égard des femmes, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, défend des principes qui ne sont pas le résultat direct de combats menés sur le terrain,
ni l’expression de revendications civiles directes ou intellectuelles au niveau mondial. Aussi, et
quelle que soit la dimension exemplaire et positive de cette convention, elle reste un ensemble
de textes qui descendent d’en haut, pour aller vers des personnes et des groupes fort différents,
fort variés de par leurs cultures, leurs situations sociales, leurs modes et conditions de vie. En
somme, il est difficile, voire impossible, d’introduire ces grands principes, de façon automatique
ou arbitraire, dans les systèmes de valeurs locaux ; ou encore de les adapter de la même manière,
aux structures collectives ou nucléaires, rurales et urbaines, autoritaires et démocratiques, laïques
et religieuses.
Aussi le défi essentiel des partisans de la promotion des femmes, que ces partisans soient
des hommes ou des femmes, réside-t-il dans la recherche des moyens les plus efficaces de faire
accepter et épouser l’idée de l’égalité totale entre les hommes et les femmes par un public fort
diffèrent, et donner un sens à des textes qui sont en contradiction avec les coutumes locales, à
travers les conditions culturelles, sociales ou politiques propres de promotion. Il n’est point aisé
d’affronter les préjugés et le système socio–politiques dominants à travers une lecture externe et
réductrice, qui vise à imposer des voies calquées sur l’expérience d’autrui. Il n’est pas facile, non
plus, de créer une situation de conscience humaine des droits des femmes qui soi en mesure de
mobiliser la victime ainsi que son entourage, au moment opportun et voulu, sans être capable de
dialoguer directement avec les consciences des personnes directement concernées. Ce chapitre
pose de nombreuses questions qui seront traitées plus en détail dans le chapitre dix.
Structures sociales
203
Chapitre Viii
Structure juridique
Introduction Les structures culturelles et sociales
déterminent les valeurs ainsi que les
comportements des individus et des
institutions au sein de la société ; à ce titre,
elles agissent sur la situation des femmes. Or,
l’Etat joue un rôle direct dans la régulation
des relations sociales, ce qui se reflète sur
les conditions des femmes à travers le droit
positif. Quelles sont donc les retombées de
ce dernier sur la condition féminine dans le
monde arabe ? Autrement dit, quelle est la
position du législateur arabe vis-à-vis de la
question féminine ? Sa position concorde-telle avec la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes (CEDAW) et avec les autres
conventions internationales ? Y a-t-il une
discrimination entre les deux sexes consacrée
par les textes juridiques ? Comment
les hommes de loi – juges, législateurs,
interprètes de loi, officiels responsables
de l’exécution de la loi – conçoivent-ils le
principe d’égalité entre les hommes et les
femmes ?
L’importance que revêt la réponse à
ces questions réside dans le fait que le droit
exprime de façon claire et explicite l’orientation
de l’institution étatique et des valeurs qui la
régissent, outre le fait que ce droit constitue
l’instrument efficace et puissant de régulation
des rapports sociaux, et notamment dans les
sociétés où l’Etat joue un rôle majeur dans le
processus d’organisation sociale. L’examen de
la position de la loi vis-à-vis des femmes révèle
donc le rapport existant entre l’institution
officielle et la question féminine, montre jusqu’à
quel point cette institution est convaincue du
principe d’égalité et illustre la place que cette
Structure juridique
question occupe dans la culture populaire, du
moment que la loi reflète, dans une certaine
mesure, cette culture.
C’est pourquoi ce chapitre commencera
par identifier la position des Etats arabes
par rapport à la ratification de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes et les
réserves qu’ils ont présentées sur certains de
ses articles, réserves qui vident –parfois- ladite
ratification de tout contenu. Suivra ensuite
l’analyse des textes juridiques du droit positif
ayant trait au principe d’égalité entre les
femmes et les hommes, puis la place qu’occupe
cette question d’égalité dans la conscience
(juridique) des hommes de loi arabes.
L’attitude vis-à-vis
de la Convention sur
l’élimination de toutes les
formes de discrimination à
l’égard des femmes La plupart des Etats arabes ont signé et ratifié
la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes
(CEDAW) et sont ainsi liés par ses dispositions,
à l’exception de celles au sujet desquelles des
réserves ont été exprimées. Quant au protocole
facultatif à la Convention, qui n’admet pas de
réserve et donne aux individus comme aux
groupes la possibilité de porter plainte auprès
le Comité des Nations unies pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes. Le
seul Etat arabe à avoir signé ce protocole est
la Libye.
On sait que l’Article 19 de la Convention de
Vienne sur le droit des traités permet aux Etats
d’exprimer des réserves au moment de ratifier
un traité ou d’y adhérer. Il définit la réserve
comme étant une “ déclaration unilatérale,
La plupart des Etats
arabes ont signé et
ratifié la Convention
sur l’élimination de
toutes les formes
de discrimination à
l’égard des femmes
(CEDAW) et sont
ainsi liés par ses
dispositions, à
l’exception de celles
au sujet desquelles
des réserves ont été
exprimées.
205
Les réserves des Etats
arabes sur les textes
de la convention sont
un fait inquiétant
et font douter de la
réelle volonté chez
ces Etats de respecter
leurs engagements
quel que soit son libellé ou sa désignation, faite
par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou
approuve un traité ou y adhère, par laquelle
il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique
de certaines dispositions du traité dans leur
application à cet Etat”. (Article 2, paragraphe
1(d))
Par ailleurs, l’article 28 de la CEDAW
stipule que les Etats parties peuvent présenter
leurs réserves au moment de la signature, la
ratification ou l’adhésion à la convention, bien
que le second paragraphe du même article
souligne qu’“ aucune réserve incompatible
avec l’objet et le but de la présente Convention
ne sera autorisée ”. Or, la majorité des Etats
arabes parties ont exercé le droit d’introduire
des réserves.
La CEDAW serait le maillon faible du droit
international des droits de l’homme, eu égard
à la faiblesse des mécanismes de sa mise en
application et au nombre de réserves qu’elle
suscite1. Or, les réserves des Etats arabes
sur les textes de la convention (et elles sont
nombreuses) sont un fait inquiétant et font
douter de la réelle volonté chez ces Etats de
respecter leurs engagements. L’une des réserves
la plus inquiétante est celle qui a trait à l’Article
2 de la Convention, qui stipule le principe
d’égalité entre les hommes et les femmes, car
les réserves sur cet article majeur rendent sans
objet les ratifications de la Convention.
On peut remarquer que les réserves des
Etats arabes se sont concentrées sur les matières
suivantes :
• Article 2, qui stipule l’égalité devant la loi,
l’interdiction de la discrimination à l’égard
des femmes dans les constitutions et
législations nationales (Egypte, Irak, Libye,
Maroc, Algérie, Bahreïn, Syrie, Emirats
Arabes Unis) ;
• Article 9, concernant les droits de la
nationalité (Egypte, Tunisie, Irak, Jordanie,
Maroc, Koweït, Algérie, Liban, Arabie
Saoudite, Bahreïn, Syrie, Emirats Arabes
Unis et Oman) ;
• Article15, concerne l’égalité des hommes et
des femmes quant à leurs capacités légales
et civiles (Tunisie, Jordanie, Maroc, Algérie,
Bahreïn, Syrie, Emirats Arabes Unis et
Oman) ;
• Article 16, relatif au mariage et aux rapports
familiaux (Egypte, Tunisie, Irak, Libye,
Jordanie, Maroc, Koweït, Algérie, Liban,
Bahreïn, Syrie, Emirats Arabes Unis et
Oman) ;
• Article 29, relatif à l’arbitrage entre les
Etats parties et le du recours à la Cour
Internationale de Justice en cas de conflit
d’interprétation ou d’application de la
Convention (Egypte, Yémen, Tunisie,
Irak, Maroc, Koweït, Algérie, Liban Arabie
saoudite, Bahreïn, Syrie, Emirats, Oman).
Les Etats arabes justifient leurs réserves
à propos du contenu de la Convention en
mobilisant deux arguments : les articles
concernés contredisent la législation nationale;
ils contredisent les dispositions de la Shari’a
islamique. Ce dernier argument peut conduire
à formuler une réserve d’ordre général sur la
Convention et l’Etat concerné s’affranchit
de tout engagement à respecter tout article
non conforme à la Shari’a. (Egypte, Arabie
saoudite, Mauritanie, Oman). Les réserves
peuvent porter sur des articles bien déterminés
s’opposant à la Shari’a, comme c’est le cas des
réserves de la Libye et du Maroc à propos de
l’article 2. La réserve émise par la Libye, par
exemple, à propos de cet article a évoqué les
règles successorales relatives aux hommes et aux
femmes et recommandées par la Shari’a. Celle
présentée par le Maroc au sujet du même article
a d’abord évoqué les règles constitutionnelles de
la succession au trône, qui écartent les femmes,
puis le code du statut personnel, sous prétexte
que les droits des femmes y diffèrent de ceux
des hommes, lesquels droits sont puisés dans la
Shari’a, qui veille à son tour à l’équilibre entre
les deux sexes.
Dans ce cadre s’inscrit également la réserve
de l’Irak, de la Libye, du Maroc, du Koweït
et de la Syrie sur l’article 16 qui réfère à
l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes dans toutes les relations de mariage
et familiales. Cette réserve évoque ce qui est,
1
Au mois de mars 2005, le nombre d’Etats ayant ratifié la Convention a atteint 180, c’est à dire plus de 90 pour cent des pays membres des Nations
unies. Bien que vingt Etats environ (dont la France, l’Irlande, le Lesotho, les Iles Maurice) aient retiré, partiellement ou intégralement, leurs réserves,
depuis la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de 1995, 54 pays ont toujours des réserves sur des articles importants de la Convention.
206
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Tableau 8-1
Ratification par les pays arabes de la CEDAW et déclarations et réserves par rapport à la Convention
le 3 juillet 2006 (classé par ordre croissant et selon la date de ratification)
Pays
Date de
signature
Date of de réception
de l’instrument
de ratification,
d’adhésion ou de
succession
Egypte
16-juil-1980
18-sept-1981
Yémen
30-mai-1984
30-mai-1984
Tunisie
24-juil-1980
20-sept-1985
Irak
13-août-1986
13-août-1986
Libye
16-mai-1989
16-mai-1989
Jordanie
3-déc-1980
1-juil-1992
Maroc
21-juin-1993
21-juin-1993
Koweït
2-sept-1994
2-sept-1994
Iles Comores
31-oct-1994
31-oct-1994
Algérie
22-mai-1996
22-mai-1996
Liban
21-avr-1997
21-avr-1997
Articles objet des réserves
2
7
9
15
16
*
29
Notes
Et tout ce qui est contraire à la Shari’a islamique
-
*
*
*
*
*
Et tout ce qui exige des relations irako-israéliennes
*
Djibouti
2-déc-1998
2-déc-1998
A. Saoudite
7-sept-2000
7-sept-2000
Et tout ce qui contredit la Sharia
Mauritanie
10-mai-2001
10-mai-2001
Tout ce qui contredit la Sharia
Bahreïn
18-juin-2002
18-juin-2002
Syrie
28-mars-2003
28-mars-2003
EAU
6-oct-2004
Oman
*
Et tout ce qui exige des relations syro-israéliennes
6-oct-2004
7-févr-2006
Et tout ce qui contredit la Sharia
Qatar
Soudan
Somalie
* Tout ce qui contredit la Shari’a islamique
Source: www.un.org\womenwatch\daw\cedaw
dans l’article précité, en contradiction avec
la Shari’a islamique (Rapport d’Amnesty
International sur les réserves des Etats du
Moyen Orient et de l’Afrique du Nord sur
la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes,
Document n° 51 IOR/009/2004).
Parfois, l’Etat ne donne aucune
justification à la réserve qu’il présente : c’est
le cas de l’Egypte et du Koweït sur l’article 9,
paragraphe 2 relatif à la reconnaissance de la
nationalité de l’enfant. Ces pays ne donnent pas
de justification précise susceptible de montrer
que c’est dû à une opposition avec la Shari’a, la
législation nationale ou à une autre raison.
Un autre type de réserves a été introduit
uniquement par l’Irak et la Syrie, à savoir que
Structure juridique
l’adhésion à la convention ne doit nullement
impliquer quelque relation que ce soit avec
Israël.
Nombreux sont les cas qui ont eu recours au
premier argument pour justifier leurs réserves, à
savoir que “ l’article de la Convention contredit
la législation nationale ”. Il s’agit de l’Algérie qui
a fait des réserves sur les articles 9 (paragraphe
2), 15 (paragraphe 4) et 16 ; du Koweït au sujet
de l’article 9 (paragraphe 2), du Maroc sur
les articles 2, 9 (paragraphe 2) et 15, et de la
Tunisie à l’égard des articles 9 (paragraphe 2),
15 (paragraphe 4) et 16. Aucun de ces Etats n’a
limité la durée dans le temps de ses réserves
tant que la législation nationale n’est pas
revue et mise en conformité avec la CEDAW.
Plusieurs dispositions des législations de ces
207
Il ne semble pas
en effet y avoir
d’interprétation
cohérente chez ces
Etats arabes d’un
concept clair et
définitif pour une
application de la
Shari’a en références
aux dispositions de la
CEDAW.
Seule une petite
minorité du public
arabe est au courant
de la Convention.
Les constitutions de
la plupart des Etats
arabes comportent des
dispositions affirmant
le principe de l’égalité
en général et le
Etats ont un caractère discriminatoire. Au lieu
de modifier ces dispositions en vue d’éliminer
la discrimination et de protéger les femmes, les
Etats qui ont émis des réserves en arguant de
la contradiction avec la législation nationale,
ne respectent pas en réalité l’engagement pris
de modifier les lois discriminatoires contenues
dans leurs législations nationales.
S’agissant du deuxième argument invoqué
par certains Etats pour justifier les réserves,
à savoir la prétendue incompatibilité avec la
Shari’a islamique, il est clair que les Etats qui
ont mobilisé cet argument ne disposent pas
de méthodologie consistante pour expliquer
leurs réserves. Il ne semble pas en effet y avoir
d’interprétation cohérente chez ces Etats
arabes d’un concept clair et définitif pour une
application de la Shari’a en références aux
dispositions de la CEDAW.
Il est manifestement important que les Etats
arabes prennent l’initiative de reconsidérer leurs
réserves. Il importe, à ce propos, de rappeler
la Déclaration et la Plateforme pour l’action
de Pékin de 1995, qui insiste sur la nécessité
d’éviter de faire des réserves, autant que faire
se peut, afin de protéger les droits humains
des femmes. De même, la Plateforme pour
l’action de Pékin recommande aux Etats de
s’engager à “ Limiter leurs éventuelles réserves
à la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes,
formuler les réserves de façon aussi précise et
restrictive que possible, veiller à ce qu’aucune
réserve ne soit incompatible avec l’objet et le
but de la Convention ou contraire au droit
conventionnel international et reconsidérer
régulièrement les réserves qu’ils ont formulées,
en vue de les retirer; retirer les réserves qui sont
contraires à l’objet et au but de la Convention
sur toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes ou qui sont incompatibles avec le
droit conventionnel international ”.
Néanmoins, sur incitation des organisations
de la société civile et d’institutions nationales,
des révisions sont actuellement en cours dans
plusieurs pays arabes pour amener l’Etat
à revoir sa position sur les réserves émises
à propos de la Convention, en fonction de
l’évolution législative au sein de chaque pays.
Il s’agit là d’un phénomène positif digne
d’encouragement.
Il est important que cela aille en parallèle
avec l’intensification des efforts déployés par
l’Etat et les institutions de la société civile en
vue d’amener l’opinion publique, les instances
législatives et les institutions responsables de
l’application de la loi à prendre conscience de
l’intérêt de la Convention. En effet, l’enquête
d’opinion montre que seule une petite
minorité du public arabe est au courant de la
Convention (encadré 8-1). Il faut aussi déployer
des efforts similaires pour attirer l’attention
sur les violations existantes aussi bien dans le
domaine législatif que dans la pratique.
Situations
constitutionnelles
Les constitutions de la plupart des Etats arabes
comportent des dispositions affirmant le
principe de l’égalité en général et le principe
de l’égalité entre les hommes et les femmes
en particulier.2 Quelques-unes réservent
même des volets spécifiques à l’égalité des
femmes et des hommes, comme l’égalité
en matière d’accès à la fonction publique3,
l’égalité en droits politiques4 et l’égalité en
droits et devoirs5. Certaines constitutions ont
également intégré des dispositions sur l’égalité
des chances6, sur l’obligation pour l’Etat de
préserver la famille, de protéger la maternité et
les enfants, sur le besoin de trouver l’équilibre
approprié entre les obligations des femmes
envers leurs familles et leur activité sociale7 ;
ainsi que sur l’interdiction de l’emploi des
femmes dans certaines industries ou à des
principe de l’égalité
entre les hommes
et les femmes en
particulier.
208
2
l’article 40 de la constitution égyptienne, l’art.52 de la constitution jordanienne, l’art.7 de la constitution libanaise, le chapitre 6 de la constitution
tunisienne, le chap.29 de la constitution d’Algérie, le chapitre 5 de la constitution du Maroc et l’article 18 de la constitution de la Jordanie.
3
l’art.14 de la constitution égyptienne, l’art. 22 de la constitution jordanienne et l’art.12 de la constitution libanaise.
4
L’article 21 de la constitution libanaise et l’art. 8 de la constitution marocaine.5 Article 6 of the Tunisian constitution and Article 31 of the Algerian
constitution.
5
Le chapitre 6 de la constitution tunisienne et le chap. 31 de la constitution algérienne.
6
L’article 8 de la constitution égyptienne par exemple.
7
Les articles 10 et 11 de la constitution égyptienne par exemple.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 8-1
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Etes-vous au courant de la CEDAW ?
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-.
EVhVjXdjgVci
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(
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6jXdjgVci
6jXdjgVci
Si oui, approuvez-vous
l’application intégrale de la CEDAW dans votre pays ?
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Dj^
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Dj^
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Si oui, approuvez-vous l’application intégrale de la CEDAW dans tous les pays arabes ?
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Dj^
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Structure juridique
209
La législation
arabe a conçu, en
même temps, des
textes ayant plutôt
tendance à légitimer,
à plusieurs égards,
la discrimination
entre les hommes
et les femmes, en
contradiction même
avec le principe
d’égalité qui
constitue l’un des
fondements des lois
divines et représente
un engagement
international
L’article 4 de la
Convention sur
l’élimination de
toutes les formes
de discrimination à
l’égard des femmes
a toléré la distinction
positive en faveur des
femmes, à condition
que cela soit à titre
temporaire
heures déterminées8.
Si le législateur arabe – et en premier lieu le
législateur constitutionnel- a le mérite d’avoir
respecté le principe de différence entre l’homme
et la femme et réservé à cette différence des
textes qui organisent les effets législatifs qui
en découlent, il n’en est pas moins vrai que
la législation arabe a conçu, en même temps,
des textes ayant plutôt tendance à légitimer,
à plusieurs égards, la discrimination entre les
hommes et les femmes, en contradiction même
avec le principe d’égalité qui constitue l’un des
fondements des lois divines et représente un
engagement international en vertu des chartes
internationales contemporaines. Il est évident
que le respect de la différence est louable alors
que la légitimation de la discrimination ne l’est
point et s’oppose à l’esprit et aux valeurs de
notre époque.
Droits politiques et publics
des femmes Les législations d’un grand nombre d’Etats
arabes comportent des dispositions garantissant
les droits politiques des femmes et stipulant
le principe de l’égalité des hommes et des
femmes dans l’exercice du droit de participer
aux processus électoraux pour voter et être
éligible. Dernièrement, le Koweït a rejoint les
Etats dont les lois stipulent la jouissance par
les femmes des droits politiques au même titre
que les hommes, en vertu de la modification
de loi adoptée au mois de mai 2005. Dans
certains la référence au principe de l’égalité
des femmes en matière de jouissance des droits
politiques est inscrite dans le texte même de la
constitution9.
Néanmoins,
malgré
les
garanties
constitutionnelles et législatives du droit des
femmes à la participation politique, l’étendue
réelle de cette participation demeure très faible.
Vu le bas niveau de la représentation féminine
dans les parlements des pays du Mashreq
arabe (partie orientale du monde arabe), il
devient nécessaire de penser sérieusement à
suivre l’expérience du Maroc et de généraliser
8
le système des quotas à réserver aux femmes
dans ces parlements. L’Egypte avait adopté
pour un certain temps un système de quotas
qu’elle a abandonné par la suite, sous prétexte
qu’il était anticonstitutionnel, alors que la
Cour constitutionnelle suprême ne s’est pas
prononcée sur le sujet.
Le système des quotas
pour les femmes dans les
parlements
En réalité, et contrairement à ce que d’aucuns
pourraient croire, l’adoption du système des
quotas réservé aux femmes dans les chambres
des députés ne s’oppose nullement au principe
d’égalité devant la loi. Les femmes arabes
ont été pendant longtemps victimes d’une
injustice historique qui les a exclues de la
participation politique et les lois arabes ont
été traditionnellement formulées de manière
à perpétuer cette exclusion. En effet, certaines
législations écrites ont ouvertement privé les
femmes du droit à la participation politique.
Mais quand le législateur arabe a fait un pas
en avant pour reconnaître l’égalité formelle
entre les hommes et les femmes en matière de
participation politique, une telle égalité n’était
pas d’un grand secours pour le sexe féminin
à cause du contexte socioculturel inamical
pour les femmes et qui entrave encore, dans
plusieurs sociétés arabes, la jouissance des
femmes de leurs pleins droits politiques. C’est
pourquoi l’intervention du législateur en faveur
des femmes – qui consiste à leur allouer des
quotas des sièges parlementaires - vise à aider
la société à bannir cette injustice historique qui
a porté préjudice aux femmes. Cela concrétise
le principe d’égalité des chances stipulé dans
plusieurs constitutions arabes.
Dans ce cadre, l’article 4 de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes a toléré
la distinction positive en faveur des femmes, à
condition que cela soit à titre temporaire. Ainsi
a-t-il stipulé ce qui suit : “ L’adoption par les
Etats parties de mesures temporaires spéciale
L’art. 69 de la constitution jordanienne.
9
Voir par exemple l’article 21 de la constitution libanaise, l’article 8 de la constitution marocaine, les articles 34, 35 et 42 de la constitution du
Qatar, l’article premier de la Loi égyptienne pour l’exercice des droits politiques, l’article 2 de la Loi de la chambre des députés jordanienne, l’article 2
du code électoral tunisien et l’article premier de la Loi pour l’exercice des droits politiques du Bahreïn.
210
Rapport sur le développement humain arabe 2005
visant à accélérer l’instauration d’une égalité de
fait entre les hommes et les femmes n’est pas
considéré comme un acte de discrimination tel
qu’il est défini dans la présente Convention, mais
ne doit en aucune façon avoir pour conséquence
le maintien de normes inégales ou distinctes ;
ces mesures doivent être abrogées dès que les
objectifs en matière d’égalité de chances et de
traitement ont été atteints. ” Il va de soi que
ces mesures spéciales en faveur des femmes,
évoquées par la Convention et considérées par
elle comme légitimes, comportent aussi des
mesures législatives. Que ces mesures soient
soumises à la condition d’être temporaires est un
fait compréhensible, puisqu’elles sont liées à une
situation historique à dépasser, à savoir l’absence
d’égalité effective, dont souffrent les femmes ;
mais l’aspect temporaire de ces mesures évoquées
par la Convention ne signifie pas qu’il doit être
stipulé par la législation qui le préconise.
Par ailleurs, la Déclaration et la
Plateforme pour l’action de Pékin appellent
les gouvernements à réviser l’effet produit par
leurs régimes électoraux sur la représentation
politique des femmes aux parlements. C’est
précisément en raison de cet effet que la
Cinquième Recommandation générale du
Comité pour l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes a
explicitement stipulé qu’il fallait encourager
les Etats à recourir à davantage de mesures
spéciales comme la discrimination positive
et le traitement préférentiel ou le régime des
quotas réservés aux femmes aux parlements.
Dans ce sens, plusieurs recommandations ont
vu le jour grâce à l’Union Interparlementaire
et à la Commission des Nations Unies sur le
Statut de la Femme et qui considèrent que le
taux de 30% constitue le seuil minimum pour
le quota des femmes dans les postes de prise de
décisions à l’échelon national aussi bien dans le
domaine législatif que dans l’exécutif (Farhât,
en arabe, 2003).
Les expériences à travers le monde en
matière d’application des instruments législatifs
10
pour rehausser la présence féminine dans les
parlements ont été variables : certains pays ont
adopté le système des quotas dans les listes
électorales des partis (Suède, France, Finlande,
Norvège), alors que d’autres ont opté pour le
système de l’élection proportionnelle à titre
individuel tout en réservant un quota déterminé
pour les femmes au parlement (Allemagne).
Parmi les pays africains ayant adopté le système
des quotas et où le taux de participation des
femmes a connu une nette augmentation, on
trouve l’Erythrée, le Sénégal, le Ghana et enfin
le Maroc (‘Abd al-Mun’im, 2002, 26).
Ce bref survol de quelques aspects
du patrimoine mondial en matière de
discrimination positive en faveur des femmes
conduit à considérer que les législateurs dans
les Etats arabes qui n’ont pas adopté le système
des quotas mettent un terme à leur hésitation et
qu’ils adoptent des textes législatifs qui réservent
des sièges pour les femmes aux parlements, que
ce soit au moyen des candidatures individuelles
ou par liste électorale.
Les relations de travail
La législation du travail dans plusieurs Etats
arabes, comporte des dispositions de protection
des femmes qui travaillent. En effet cette
protection est même explicitement stipulée
dans certaines constitutions nationales, comme
c’est le cas de la constitution jordanienne
(article 69) et la constitution égyptienne (article
11). Des législations comportent des textes
explicites qui interdisent la discrimination
dans les rapports de travail pour des raisons
liées au genre10.
En outre, certaines législations reconnaissent
à la femme au travail le droit de bénéficier
du congé de maternité11, et interdisent son
licenciement ou la cessation de son emploi
pendant le congé de maternité12 ou au cours
de la grossesse13.Ces législations reconnaissent
aussi à la femme son droit à un congé pour
qu’elle prenne soin de son enfant14 et à une
Article 5 du code du travail tunisien.
11
Art 91 de la loi du travail en Egypte, Art.61 de celui du Bahreïn, Art. 25 de celui du Koweït, Art. 37 de celui du Maroc, Art. 64 de celui de la
Tunisie.
12
Art. 92 de la loi du travail égyptienne et articles similaires dans les législations arabes.
13
Article 27 du code du travail jordanien et articles similaires dans les législations arabes.
14
Article 94 du code égyptien de l’enfant et Art. 67 du code jordanien du travail.
Structure juridique
211
Bien que la plupart
des textes de loi
arabes garantissent
l’égalité en matière
de droit des femmes
au travail, il existe
néanmoins des
restrictions à ce droit,
disséminées dans
plusieurs.
période pour l’allaitement du bébé15. Le droit
jordanien va même jusqu’à accorder à l’épouse
ou à l’époux qui travaillent d’accompagner
le conjoint pour aller travailler en dehors du
district ou du royaume. (art.68)
Bien que la plupart des textes de loi arabes
garantissent l’égalité en matière de droit des
femmes au travail, il existe néanmoins des
restrictions à ce droit, disséminées dans plusieurs
de ces textes. Les codes de la famille dans
plusieurs pays arabes, par exemple, pénalisent
les épouses qui quittent le foyer conjugal pour
aller travailler sans le consentement de leurs
maris. Ceci se passe malgré le fait que l’opinion
publique dans certains pays comme le Liban
et le Maroc tend plutôt à être d’accord que
l’épouse doit être libre de pouvoir voyager sans
être accompagnée (encadré 8-2).
En Libye, le code du travail interdit le
travail des femmes qui est incompatible avec
‘’leur nature’’.
En Arabie Saoudite, de fortes restrictions
entravent le travail des femmes. En effet, un
décret royal de 1985 prohibe l’emploi des
femmes dans tous les secteurs à l’exception de
l’enseignement des filles et de l’activité comme
infirmières ; de même qu’il leur interdit de
côtoyer les hommes dans les lieux de travail
(Hijab et El-Solh, en anglais, 2003).
Comme indiqué auparavant, dans plusieurs
législations arabes, il y’a des restrictions qui
entravent le travail de nuit des femmes, bien
qu’il y ait des exceptions.
Sous prétexte de protéger les femmes,
certaines législations vont jusqu’à interdire
l’emploi de celles-ci dans des travaux bien
définis ou à des moments bien déterminés (la
nuit)16. Si de telles décisions prétendent assurer
la protection des femmes, elles constituent en
fait une restriction de leur liberté de travail,
comme on le verra ultérieurement.
A titre d’exemple, l’on peut citer le droit
égyptien du travail qui interdit aux femmes de
travailler la nuit sauf dans des cas et occasions
déterminées par une décision du ministre du
Travail. La loi a également interdit aux femmes
les emplois susceptibles d’être nocifs à leur
santé ou à leur bonne moralité, ainsi que les
travaux forcés, qui sont définis par une décision
ministérielle. Une décision émanant du ministre
Encadré 8-2
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes doivent pouvoir voyager seules
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15
Article 71 du code égyptien de l’enfant et Art. 70 du code jordanien du travail.
Voir, par exemple, les articles 89 et 90 de la loi du travail égyptienne, les articles 67, 68, 77 et 78 du code du travail tunisien, les articles 23 et 24 de la loi du travail du secteur civil koweitien et les
articles 59 et 60 de la loi du travail bahreïnie.
16
212
Rapport sur le développement humain arabe 2005
du Travail a toléré l’emploi des femmes dans
certains secteurs tels que l’hôtellerie et les
institutions soumises à la supervision du
ministère de Tourisme, les théâtres, les salles
de cinéma, d’opéra et autres lieux similaires. Il
en va de même pour les locaux commerciaux
ouverts de nuit dans les ports, les hôpitaux, les
cliniques, les maisons de soin, les pharmacies,
etc. En revanche, une décision du ministre
égyptien interdit l’emploi des femmes dans
plusieurs domaines comme dans les bars, les
casinos, les studios meublés, les pensions qui
ne sont pas sous la tutelle du ministère du
Tourisme, les discothèques, sauf si ces femmes
sont des danseuses ou artistes adultes. Cette
décision interdit aussi l’emploi des femmes dans
les brasseries ou dans les mines et les carrières,
les fours pour fonte de métaux on encore dans
les industries d’explosifs et d’autres industries
dangereuses pour la santé.
Des textes semblables existent dans
plusieurs législations arabes avec une
différence quant à la nature des travaux que les
femmes peuvent exercer ou non. Aux Emirats
Arabes, l’article 27 de la loi du travail stipule
“ qu’il n’est pas permis d’employer les femmes,
de nuit – le mot nuit désigne une durée non
inférieure à onze heures consécutives allant
de 10 h du soir et 7 h du matin ”. Au Bahreïn,
l’article 59 du code du travail dans le secteur
public stipule qu’il n’est pas permis d’employer
les femmes, la nuit, entre 8h du soir et 7h du
matin. Exception faite des hôpitaux et autres
établissements où l’emploi est décidé suite à
un arrêté du ministre du Travail et des Affaires
sociales.
Au Liban, et grâce au mouvement féminin,
l’interdiction du travail des femmes pendant la
nuit a été retirée.
La philosophie qui préside à l’interdiction
du travail des femmes dans des lieux déterminés
ou à des moments bien définis ne saurait être
due au seul souci de les protéger moralement,
car elles jouissent dans certains pays de la
possibilité de travailler nuit et jour dans les
établissements touristiques, les dancings et les
bars autorisés par les autorités du tourisme.
On ne pourrait pas non plus se contenter de
dire que de telles dispositions visent seulement
à protéger les femmes contre les travaux forcés,
étant donné que cette dernière exécute des
Structure juridique
travaux forcés en dehors de toute protection
juridique : c’est le cas de son travail aux champs
et en tant que bonnes. En réalité, il est difficile,
pour le chercheur, de parvenir à un critère
régissant l’interdiction du travail féminin.
C’est que cela est tributaire de perceptions
ad hoc et variables, à propos desquels il n’y a
pas d’accord, sur ce qui convient ou non que
les femmes fassent. C’est là une tutelle que
s’octroie le législateur arabe pour limiter la
liberté des femmes de travailler.
Il est à noter que plusieurs législations
arabes relatives à l’organisation du travail
féminin nocturne ont restreint ce droit si bien
que l’interdiction en est devenue la règle et
la possibilité l’exception, ce qui s’oppose à la
convention de l’Organisation Internationale
du Travail à propos de l’emploi des femmes
(la convention sur le travail de nuit (femmes),
1948), qui a interdit leur emploi, de nuit, dans
les établissements industriels seulement, selon
la définition des établissements industriels
contenue dans la convention. Les législateurs
arabes ont commis un excès de restrictions en
interdisant aux femmes l’exercice de certains
emplois, allant ainsi à l’encontre du principe
même d’égalité entre les hommes et les femmes
en matière de droit au travail.
Il importe de souligner à ce propos que
de nombreux d’Etats arabes ont signé la
convention de l’Organisation Internationale
du Travail relative à l’égalité de rémunération.
Ces Etats sont : l’Algérie, l’Arabie Saoudite,
Djibouti, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis,
l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc,
la Syrie, la Tunisie et le Yémen. Dans leurs
textes législatifs, certains Etats arabes stipulent
l’égalité de rémunération pour le même travail
effectué (le cas par exemple de l’Irak, du
Koweït, de la Libye et de la Syrie). D’autres
ne le signalent pas (Bahreïn). D’autres encore
stipulent l’égalité de rémunération uniquement
pour le travail dans le secteur public (Arabie
Saoudite et Qatar).
Malgré la pluralité des formes de
protection garantie aux femmes dans le
domaine des relations de travail, par les
législations concernées, il existe des aspects
discriminatoires en vertu de la loi ou parce
que cette dernière les tolère et n’intervient
pas pour les éliminer. En effet, un grand
le droit égyptien du
travail qui interdit aux
femmes de travailler
la nuit sauf dans
des cas et occasions
déterminées par une
décision du ministre
du Travail.
213
les codes pénaux
et les procédures
pénales, dans les Etats
arabes, s’occupent
des femmes soit en
tant que symbole
de pudeur et de
vertu, soit en tant
qu’objet qui a besoin
de protection eu
égard à sa fonction
reproductive, soit en
tant que partie dans
une entité familiale
qui mérite d’être
protégée contre
l’abandon et la
négligence
nombre de femmes travaillent dans le cadre de
contrats de travail temporaire. De ce fait, elles
ne bénéficient pas de la protection garantie
par le droit du travail. Une autre catégorie
de femmes, plus nombreuse, notamment
celles qui exercent un travail saisonnier ou
un travail agricole ou en tant que bonnes,
n’est pas protégée par la loi. Dans plusieurs
Etats arabes, beaucoup de femmes souffrent
de l’absence d’un texte juridique qui garantit
aux conjoints un regroupement familial dans
le même lieu de travail quand ils travaillent
dans deux lieux différents. Par ailleurs, maints
emplois sont prohibés aux femmes, même
s’il n’existe pas de texte juridique à cet effet.
Sans parler des postes de chef de l’Etat ou de
Premier ministre, les femmes sont privées, dans
plusieurs Etats arabes, des postes exécutifs de
commandement tels les postes de préfet et de
président d’université. Dans d’autres Etats
arabes (Egypte et pays du Golfe), les femmes
ne peuvent pas encore postuler à une fonction
poste de juge. Bien qu’une femme ait été
désignée de façon symbolique comme juge à la
Cour constitutionnelle suprême en Egypte, les
fonctions inférieures et moyennes et la plupart
des hautes fonctions dans le domaine de la
magistrature demeurent loin d’être à la portée
des femmes.
Parfois, les travailleuses arabes sont
victimes, dans le lieu du travail, de certaines
formes de harcèlement sexuel de la part de
leurs supérieurs. Dans son acception générale
sur le plan international, le harcèlement sexuel
est synonyme de l’usage, par les supérieurs,
de leur autorité de fonction pour obtenir une
concession sexuelle de la femme qui leur est
soumise hiérarchiquement. Cependant, dans
Encadré 8-3
Al-Tahir al-Haddad : les femmes dans la magistrature
Il n’y a rien dans les textes du Coran
qui empêche les femmes d’assumer
n’importe quel poste de l’Etat ou dans
la société, aussi important soit ce travail.
Source : (al Haddad, en arabe, 1929 :17-18).
17
18
Ceci montre que ces questions n’ont rien
à voir avec l’essence de l’Islam, sinon le
Coran n’aurait pas omis de les aborder
avec la clarté requise.
les législations pénales arabes, il n’existe pas de
définition élaborée pour le délit de harcèlement
sexuel. Si les législations sanctionnent les délits
d’atteinte à la pudeur de la femme --comme
le viol, l’outrage à la pudeur, la demande de
corruption sexuelle – et sanctionne sévèrement
certains de ces délits si le coupable détient une
autorité sur la victime, le délit de harcèlement
sexuel au sens reconnu internationalement ne
donne pas lieu à sanction s’il ne comporte pas
les conditions de ces délits, définies par les lois
pénales arabes. C’est pourquoi le législateur
arabe est appelé à condamner l’acte de
harcèlement sexuel et à le considérer comme
un acte en soi, même si ce délit n’accède pas
au rang de crimes définis par les lois en vigueur
comme l’atteinte à la pudeur.
Incrimination et punition
En général, les codes pénaux et les procédures
pénales, dans les Etats arabes, s’occupent des
femmes soit en tant que symbole de pudeur et
de vertu, soit en tant qu’objet qui a besoin de
protection eu égard à sa fonction reproductive,
soit en tant que partie dans une entité familiale
qui mérite d’être protégée contre l’abandon
et la négligence. La production de textes
législatifs qui tournent autour de ces trois
axes dans la politique pénale concernant les
femmes, est abondante. En effet, il existe des
lois qui sanctionnent l’adultère17 qu’il soit
commis par l’époux ou l’épouse ; d’autres qui
sanctionnent le crime d’atteinte à la pudeur et
le viol18; d’autres encore qui sanctionnent le
délit de prostitution et de débauche (fujur),
et enfin celles qui sanctionnent l’enlèvement
d’une femme ou l’avortement, comme il existe
des lois qui visent à confirmer la véracité du
mariage et la consolidation de la famille.
Parmi les textes qui visent à maintenir
l’entité de la famille, figure l’article 279 du code
pénal jordanien qui retient l’emprisonnement
contre toute personne ayant contracté mariage
en violation du droit de la famille ou toute
autre loi, ou ayant marié une fille mineure ou
organisé pour elle une cérémonie de mariage.
L’article 281 du code pénal jordanien stipule
Par exemple, les articles 282-286 du code pénal jordanien, les articles 487-491 du code pénal libanais et les articles du code pénal égyptien.
Le articles 292-299 du code pénal jordanien, les articles 505-510 du code pénal libanais, les 267-269 du code pénal égyptien et les articles 486-487 du code pénal marocain.
214
Rapport sur le développement humain arabe 2005
la prison ferme contre le mari ayant répudié
sa femme sans recourir en personne ou par un
mandataire au juge dans un délai de 15 jours
pour demander l’enregistrement officiel de
cet acte de divorce. Dans ce cadre s’inscrivent
les dispositions de l’article 483 du code pénal
libanais qui stipulent la condamnation à une
amende tout homme de religion qui marie un
mineur en deçà de 18 ans sans inscrire dans
l’acte l’approbation du tuteur, ainsi que les
articles 479 et 482 du code pénal marocain
qui détaillent les peines pour délits contre la
famille.
Des textes des codes de procédure pénale
de ces pays retiennent des considérations de
genre, comme celles relatives à la fouille des
femmes et à l’exécution des sanctions, qu’elles
soient corporelles (impossibilité de l’exécution
de la peine de mort contre les femmes enceintes
ou en allaitement) ou privatives de liberté (les
règles spéciales aux femmes emprisonnées).
Ceci dit, la discrimination à l’égard des
femmes est présente dans les codes pénaux de
certains Etats arabes. La plus importante des
manifestations de cette discrimination se trouve
en Egypte : elle consiste dans la différence de
traitement des hommes et des femmes dans le
cas de l’adultère. Cette différence porte à la fois
sur la définition du crime et sur la stipulation
de la peine. Les hommes sont jugés coupables
seulement si l’acte a lieu dans le domicile
conjugal, alors que les femmes sont coupables
indépendamment du lieu de déroulement de
l’acte. Les femmes adultères sont condamnées
à deux années de prison au maximum, alors
que l’époux n’est passible que de six mois
d’emprisonnement au maximum19. Il est à noter
que cette discrimination n’a aucun fondement
qui soit puisé dans la Shari’a islamique mais
qu’elle est seulement empruntée aux lois
étrangères. Cette discrimination se traduit
aussi par le fait que seul l’époux bénéficie
de circonstances atténuantes s’il surprend
sa femme en flagrant délit d’adultère et qu’il
la tue ainsi que son amant, puisqu’il n’est
condamné qu’à l’emprisonnement pour délit
(article 237 du code pénal égyptien). Mais si la
femme tue son mari pour le même motif, elle
est condamnée pour crime.
19
De même, l’art 562 du code pénal libanais
emprunte la même voie que celui de l’Egypte
pour ce qui est des circonstances atténuantes
accordées à l’époux qui tue son épouse et
son amant en flagrant délit sans pour autant
octroyer le même droit à la femme qui tue
son mari avec sa maîtresse. Quant au délit
d’adultère dans le droit libanais, les articles 487,
488 et 489 du code pénal sont discriminatoires
à l’égard des femmes en termes de conditions
d’établissement de l’acte d’adultère, des
preuves et de la peine dont sont passibles ceux
qui l’ont perpétré : ces articles considèrent
l’épouse comme ayant commis l’adultère, que
cet acte se soit produit dans le foyer conjugal
ou ailleurs ; alors que l’époux n’est poursuivi
pour adultère que si l’acte est commis dans le
foyer conjugal (à l’image du droit égyptien) ou
s’il prend une maîtresse au su de tout le monde
en n’importe quel lieu. La sanction dont est
passible l’homme poursuivi pour adultère va
d’un mois à un an d’emprisonnement, alors
que la femme poursuivie pour le même motif
est condamnée à une peine allant de trois mois
à deux ans d’emprisonnement. Le partenaire
de la femme adultère n’écope de la même
peine que s’il est marié, alors que la femme
partenaire est condamnée à la même peine que
l’homme adultère, qu’elle soit mariée ou non.
L’authentification du délit d’adultère confirme
également la discrimination, car elle est plus
aisée à l’égard de l’épouse que de l’époux.
Dans un certain nombre de législations arabes,
ces formes de discrimination dans le délit
d’adultère n’existent pas (cf. l’art 491 du code
pénal marocain et l’art 316 du code pénal du
Bahreïn).
Quelques efforts sont déployés pour
limiter les formes de discrimination à l’égard
de des femmes dans le domaine du code pénal.
En Egypte par exemple, l’art 291 – avant
son abrogation – stipulait ce qui suit : “ si le
kidnappeur se marie légalement de la femme
qu’il a kidnappée, il est exempt de tout
châtiment ”. Par le biais d’une telle disposition,
la législation cherche le moyen de couvrir le
crime, afin d’éviter pour la victime et sa famille
les conséquences sociales et psychologiques
qu’un tel crime provoque pour garantir la
la discrimination à
l’égard des femmes
est présente dans
les codes pénaux de
certains Etats arabes.
Articles 274 et 277 du code pénal égyptien.
Structure juridique
215
Over twenty years
ago, the secretariat
of the Council of Arab
Ministers of Justice
drafted a model
Unified Personal
Status Code. The
project adopted
the personal status
regulations that
prevailed in Arab
States at the time and
that continue today in
many of them, bearing
the stamp of classical
Islamic jurisprudence.
stabilité et la pérennité à la petite famille issue
de ce mariage.
L’application de cette disposition a montré
que le texte portait préjudice aux femmes
pour plusieurs raisons : d’une part, il induit en
tentation le criminel au lieu de le dissuader de
commettre le délit d’enlèvement et, d’autre part,
il est un prétexte pour échapper à la sanction
dont est passible celui qui commet un crime
grave comme celui de l’enlèvement, sans parler
du viol. A la lumière de ces considérations et
d’autres, l’article 291 a été aboli pour que la
sanction du crime d’enlèvement reprenne sa
force dissuasive et protectrice des femmes, et
pour que le coupable n’échappe en aucun cas
au châtiment.
Il semble que les législateurs arabes aient
fait des efforts pour réduire les formes de
discrimination à l’égard des femmes dans les
législations pénales. Toutefois, ces efforts
demeurent ad hoc et à caractère partiel, ce
qui nécessite de les intensifier et de les faire
évoluer.
et les non–Musulmans, témoignent de la
ségrégation légalisée pour cause de genre. Dans
la plupart des cas, ceci s’explique par le fait
que les règles en matière de statut personnel
sont principalement dérivées d’interprétations
et d’édits religieux qui remontent très loin
dans le temps, quand la culture dominante
de la société était celle de la discrimination en
matière de genre ; culture qui allait acquérir
un caractère sacré et absolu dans un contexte
où régna la confusion entre ce qui relevait des
principes immuables de la foi religieuse et ce
qui appartenait à l’histoire sociale.
Néanmoins, les résultats de l’enquête de
terrain menée pour les besoins de ce rapport
montrent que le public arabe a, sur les
questions du statut personnel, une attitude
beaucoup plus émancipée, comme quand il
affirme le droit des femmes de pouvoir choisir
leurs conjoints.(Encadré 8-4)
Codes du statut personnel Les codes arabes du statut personnel sont
conservateurs et résistent au changement
parce que de nombreux Etats arabes sont
réfractaires au développement d’un code
national du statut personnel. Ils préfèrent au
contraire se décharger de cette responsabilité
sur la magistrature qui tend le plus souvent à
Si l’on considère la discrimination juridique
comme la différence en matière de règle de
droit au lieu de l’égalité présumée des statuts
juridiques des citoyens, alors Les codes arabes
du statut personnel, concernant les Musulmans
Absence de codification dans
certains Etats arabes
Encadré 8-4
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes ont le droit de choisir leurs époux sur un pied d’égalité que les hommes
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216
Rapport sur le développement humain arabe 2005
puiser ses arguments dans le registre des idées
conservatrices de la jurisprudence islamique
classique (fiqh). Certains pays arabes sont
donc dépourvus d’une législation unifiée en
matière de code du statut personnel, comme
le Bahreïn, l’Egypte, le Qatar et le Liban; alors
que d’autres disposent de législations unifiées
pour le statut personnel des musulmans.
En Egypte, par exemple, où les législations
régissant le statut personnel des musulmans
sont multiples – certaines remontent à 1920
et 1929 – on a recours, en cas d’absence de
texte de loi, aux points de vue prévalant dans
la jurisprudence de l’école hanafite. Nul doute
que la référence aux opinions défendues
par la jurisprudence islamique classique
peut conduire à l’application de solutions
incompatibles avec l’esprit de l’époque actuelle
et avec la culture des droits de l’Homme.
L’illustration en est donnée par le jugement
prononcé par la cour de cassation ordonnant
la séparation de son épouse d’un intellectuel
égyptien, accusé d’apostasie pour avoir publié
des livres contenant des opinions considérées,
par le tribunal, comme attentatoires à la
religion islamique. Le tribunal a appliqué en
l’occurrence les avis de la doctrine hanafite
qui stipulent que la femme de l’apostat doit
divorcer de lui. C’est pourquoi il est essentiel de
disposer d’une codification du statut personnel
claire et précise qui va dans le sens de la clarté
juridique qui est une condition fondamentale
de la lutte contre la discrimination.
Les non–musulmans en Egypte sont
soumis à leurs canons confessionnels en
matière de statut personnel, sauf si les époux
n’appartiennent pas à la même doctrine,
confession ou credo, auquel cas la Shari’a
islamique qui est appliquée étant donné qu’elle
est considérée comme la loi commune. Certains
hommes de loi coptes considèrent que c’est là
une autre forme de discrimination.
Au Liban, il n’existe pas non plus de
législation unifiée en matière de statut
personnel. Les affaires familiales sont soumises
aux règles des communautés, qu’elle soit
musulmane ou chrétienne. Le Liban reconnaît
dix-huit confessions, chacune ayant sa propre
loi religieuse. C’est peut être là la raison qui
a amené le Liban à émettre des réserves sur
l’art 16 de la Convention pour l’élimination de
Structure juridique
toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes, qui établit le principe d’égalité
dans les relations familiales.
L’Arabie Saoudite, le Bahreïn et Qatar ne
disposent pas de leur côté de codes unifiés de
statut personnel. Dans ces pays, ce sont les
cadis qui sont en charge des affaires familiales
qu’ils traitent en application des dispositions
de la jurisprudence islamique. Dernièrement,
le roi du Bahreïn a constitué un comité pour
préparer un projet de loi de la famille. Bien que
le comité ait achevé son travail, le projet n’est
toujours pas devenu une loi.
Dans certains Etats, la situation semble de
loin meilleure pour ce qui est de l’instrument
de régulation légale. En Jordanie par exemple,
la Loi du statut personnel pour les musulmans
n°61 de 1976, a codifié les dispositions de la
jurisprudence islamique ayant trait aux relations
familiales, allant des fiançailles à la dissolution
du mariage. Les non musulmans en Jordanie
restent soumis aux dispositions de leurs codes
confessionnels propres. C’est aussi le cas en
Algérie, au Koweït, au Maroc et en Tunisie,
comme cela sera détaillé plus loin. En fait le
code tunisien du statut personnel est applicable
à tous les Tunisiens sans considération aucune
de leur religion.
Codification unifiée du statut personnel dans les
pays arabes
Certains pays arabes
sont dépourvus d’une
législation unifiée en
matière de code du
statut personnel
Le secrétariat du Conseil des ministres arabes
de la Justice a, il y a plus de 20 ans, élaboré
un projet de Code unifié du statut personnel.
Ce projet a adopté les dispositions du code
du statut personnel qui prévalaient à l’époque
dans les Etats arabes et qui demeurent
encore en vigueur dans plusieurs d’entre
eux, dispositions portant le cachet de la
jurisprudence islamique classique. Cependant,
le projet n’a pas fourni d’effort notable pour
éliminer les formes de discrimination de genre,
que comportent les législations relatives au
statut personnel, en prenant en considération
les exigences de notre époque actuelle dans le
cadre des finalités fondamentales de la Shari’a.
En effet, l’article 31 du projet de code permet
à l’homme de prendre quatre épouses en
même temps, sauf s’il y a un doute à propos
217
La Ligue des Etats
arabes est interpellée
sur deux questions :
premièrement, elle
doit réviser le projet
pour le moderniser
conformément aux
exigences de l’esprit
de l’époque et avec
les engagements
internationaux des
Etats arabes
La nationalité du père
demeure le critère
premier pour l’octroi
de la nationalité
à l’épouse et aux
enfants, le contraire
n’est, toutefois, pas
toujours vrai
de sa capacité à les traiter équitablement. Le
projet n’a pas posé clairement les dispositions à
prendre pour annuler un mariage polygamique
en cas d’absence certaine d’équité. L’article 52
du projet fait que seul le mari est tenu d’assurer
la pension alimentaire même quand l’épouse est
aisée. L’article 83 stipule que la dissolution du
mariage peut se faire par la volonté du mari, et
s’appelle divorce (talaq), ou par consentement
mutuel et s’appelle répudiation (mukhala’a),
moyennant compensation (khul’) financière
avancée par l’épouse au mari. L’article 96 du
projet contraste ainsi avec à la position plus
avancée adoptée par certaines législations
arabes ultérieures et qui fait que le (khul’) est
du seul ressort de la femme.
Le projet comporte, néanmoins, quelques
points positifs qui tendent à alléger les formes
de discrimination des législations arabes
du statut personnel. Il s’agit par exemple
des dispositions de l’article 6 qui permet de
stipuler des conditions lors de l’établissement
du contrat de mariage et qui retient que le
divorce n’est effectué par l’époux que suite
à une déclaration devant le juge, qui se doit
-avant de la recevoir- d’essayer de réconcilier
les époux.
En tout cas, ce projet de Code unifié du
statut personnel est vieux de plusieurs années
et est, sur plusieurs points, dépassé par la
réalité législative arabe. Partant, la Ligue
des Etats arabes est interpellée sur deux
questions : premièrement, elle doit réviser le
projet pour le moderniser conformément aux
exigences de l’esprit de l’époque et avec les
engagements internationaux des Etats arabes ;
deuxièmement, elle doit œuvrer pour que
cette législation devienne réalité à travers un
traité adopté par le Conseil de la Ligue des
Etats arabes suivi d’efforts pour intégrer ses
dispositions dans les législations nationales.
Caractéristiques générales
de la législation arabe sur la famille
Avant d’aborder en détail les législations arabes
de la famille sous l’angle du principe d’égalité
entre les hommes et les femmes, le Rapport
s’intéressera à quelques caractéristiques
générales de ces législations sous ce même
218
angle. La plupart des législations arabes sont
marquées par un déficit en matière d’égalité de
genre au niveau du code de la famille. L’idée
que les hommes doivent entretenir les femmes
(qiwama) et qu’ils ont un degré de supériorité
par rapport à elles est attestée par les textes
islamiques. Dans la pratique juridique cette
vision s’est traduite, dans certaines législations,
dans des lois qui requièrent l’obligation pour les
maris d’entretenir financièrement leurs épouses
lesquelles sont tenues d’obéir aux maris, des
lois qui garantissent aux hommes seuls le droit
de décider le divorce, des lois qui garantissent
aux hommes le droit de ramener les épouses,
de par leur seule volonté, au foyer conjugal
dans le cas du divorce révocable (talaq rij’i).
L’autorité du mari sur l’épouse se manifeste
dans de nombreuses autres dispositions. En
effet, dans les législations de plusieurs Etats
arabes le droit des femmes de travailler et leur
liberté de déplacement sont restreints, car
soumis à l’approbation des époux. La tutelle
aux biens des enfants mineurs est réservée
au père puis au grand-père paternel. Malgré
les amendements apportés aux codes de
la nationalité dans certains Etats arabes, la
nationalité du père demeure le critère premier
pour l’octroi de la nationalité à l’épouse et
aux enfants, le contraire n’est, toutefois, pas
toujours vrai.
Les législateurs arabes justifient, le plus
souvent, la suprématie des hommes sur les
femmes dans les relations conjugales par le
fait que les hommes occupent une position
économique plus forte que les femmes et
ont, de ce fait, l’obligation d’entretenir leurs
épouses et leurs enfants. C’est l’argument
utilisé par certains Etats arabes pour justifier
les réserves émises à propos de l’article 16 de
la CEDAW ; en soutenant que l’égalité entre
les hommes et les femmes était assurée dans
toutes les affaires ayant trait au mariage et aux
relations familiales, car l’entretien des épouses
et des enfants par les maris rééquilibre les
rapports entre les époux. Cependant, le fait
de s’appuyer sur la justification économique
pour perpétuer l’inégalité dans les relations
de couple ne tient plus la route dans la réalité
sociale contemporaine de nombreuses sociétés
arabes, où les épouses participent côte à côte
avec les époux pour assurer le revenu de la
Rapport sur le développement humain arabe 2005
famille. Ceci vaut aussi bien pour les familles à
revenu moyen que pour les familles pauvres.
Les initiatives de rénovation d’un certain
nombre de législations arabes relatives à la
famille et pour lever quelques-unes des formes
de discrimination qui les entachent visent à
éliminer les pratiques les plus pernicieuses
tout en gardant intacts les principes
fondamentaux : il s’agit par exemple de
l’interdiction de l’exécution de la contrainte
par force en matière d’application du principe
d’obéissance, de l’obligation faite au mari et
au notaire d’informer la première épouse si
l’époux se résout à se marier d’une seconde
femme, de conditionner le droit de l’époux à la
polygamie par l’existence d’une raison valable
et par sa capacité à garantir l’équité entre ses
épouses. Les législateurs ont également établi
le droit des femmes à demander le divorce
pour préjudice (darar) si le mari venait à
prendre une seconde épouse ainsi que le droit
de répudiation moyennant compensation
(khul’), le but étant de garantir un équilibre
quant au droit des deux parties à mettre fin à
la relation conjugale. Un mari est dorénavant
tenu d’informer son épouse de son intention
de divorcer et d’enregistrer une reconnaissance
de sa part qu’elle en a été informée ; il a aussi
l’obligation de notifier le divorce et d’en
prévenir sa divorcée. Les législateurs ont en
outre retenu le droit des femmes d’envisager,
dans l’acte de mariage, des conditions n’allant
pas à l’encontre de l’un des fondements de la
Shari’a, le droit de l’épouse de maintenir la
garde des enfants dès qu’ils ont atteint l’âge
requis, tant que cela est dans l’intérêt de ces
enfants, et le droit des épouses à garder le
domicile conjugal pour cette garde d’enfants
(hadana).
Il est à souligner que l’opinion publique
arabe tend à prendre des positions plus
avancées par rapport à la codification actuelle
relative aux droits des femmes sur les questions
ayant trait à la demande du divorce et au droit
de tutelle sur les enfants (encadré 8-5).
Les règles de statut personnel pour les non
musulmans sont dérivées dans leurs canons
doctrinaux et confessionnels. La plupart du
temps, ces règles vont jusqu’à prohiber le
droit de l’époux et de l’épouse à demander
le divorce. Les membres de la communauté
Structure juridique
chrétienne orthodoxe peuvent divorcer sous
certaines conditions et seulement par décision
du tribunal, alors que pour les catholiques,
on n’admet que le régime de séparation de
corps, bien que l’on permette la possibilité de
parvenir à l’annulation de l’acte de mariage ou
de l’invalider pour cause de vice l’ayant entaché
dès sa conclusion. Quant aux droits des deux
parties pendant la relation conjugale, il semble
que la suprématie de l’homme y prévaut.
Une vue comparative
En général, on peut remarquer que les
législations du statut personnel sont plus
progressistes et moins discriminatoires au
Maghreb qu’au Mashrek. En effet, de nombreux
Etats du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie,
bien qu’à des degrés divers) ont réussi des
avancées en vue d’éliminer l’injustice à l’égard
des femmes en matière de statut personnel sans
pour autant porter atteinte aux fondements de
la Shari’a.
En tête de ces législations qui se sont
rapproché du point d’instauration du principe
d’égalité dans les relations conjugales, on
trouve la législation de Tunisie, suivie par celle
du Maroc puis celle de l’Algérie, comme on
l’exposera de manière détaillée ultérieurement.
La leçon que l’on peut tirer de nombreux
textes des codes de la famille au Maghreb,
c’est qu’il est possible que le législateur arabe
s’en tienne aux fondements de la Shari’a tout
en adoptant des interprétations qui tendent à
mettre en oeuvre l’égalité entre les hommes et
les femmes et à lever l’injustice historique dont
elles ont été victimes dans le cadre des relations
familiales.
Il est utile de procéder à une comparaison
des plus importantes dispositions de la loi du
statut personnel au Kuweit avec les codes du
statut personnel au Maghreb. Ceci permettra
de mettre en relief le caractère progressiste
évoqué ci-dessus desdits codes maghrébins.
La loi koweïtienne constituera la base de cette
comparaison dans la mesure où elle réunit
dans ses aspects généraux comme dans ses
nombreux détails, les principes contenus dans
les législations et les pratiques judiciaires du
Mashreq. Le Rapport centrera l’intérêt ici sur
ces zones de la législation arabe sur la famille
Les initiatives de
rénovation d’un
certain nombre de
législations arabes
relatives à la famille et
pour lever quelquesunes des formes de
discrimination qui les
entachent visent à
éliminer les pratiques
les plus pernicieuses
tout en gardant
intacts les principes
fondamentaux
Les législations du
statut personnel sont
plus progressistes et
moins discriminatoires
au Maghreb qu’au
Mashrek.
219
Encadré 8-5
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Divorce de la femme avec sa volonté unique
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Droit de tutelle sur ses enfants au même titre que l’homme
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9VXXdgY
qui sont généralement les plus vulnérables à la
discrimination législative : aptitude au mariage
et conclusion du contrat de mariage ; les
dispositions relatives aux effets du mariage ;
les dispositions relatives à sa dissolution.
Le code unifié du statut personnel koweitien
pour les musulmans contient des dispositions
de protection des femmes mais comporte
également de nombreuses manifestations
de discrimination de genre : le mariage est
valablement conclu par le consentement du
tuteur de la fiancée et l’approbation du fiancé
ou de son mandataire ou de toute personne
désignée par lui à cet effet (article 9). La
polygamie est autorisée pour les hommes sans
restrictions, à part la disposition selon laquelle,
220
“ il n’est pas permis à un homme de se marier
à une cinquième avant la dissolution de son
mariage avec l’une de ses quatre épouses et la
fin du délai de viduité(‘idda) de la divorcée.”
(article 23). Le même article stipule également
que “ l’acte de mariage ne doit être notarié
ni ratifié tant la jeune fille n’a pas dépassé les
quinze ans et le jeune homme les dix-huit ans
au moment de la ratification ”. L’article 31
accorde à la femme ayant perdu sa virginité ou
ayant l’âge de vingt-cinq ans et plus, le droit
d’exprimer son avis sur son mariage mais ne
peut conclure elle-même l’acte de mariage dont
la conclusion revient à son tuteur. Si le tuteur
(wali) s’oppose de manière injustifiée au désir
d’une femme de se marier, celle-ci peut recourir
Rapport sur le développement humain arabe 2005
au juge qui peut prononcer un jugement en sa
faveur ou rejeter sa requête. La même démarche
est valable quand de nombreux tuteurs de même
rang s’opposent tous au mariage d’une femme
ou ne s’accordent pas sur ce mariage (art.34).
L’une des conditions de la validité du contrat
de mariage est que l’homme soit compétent
(kuf’) en matière de mariage au moment de la
conclusion du contrat. Une femme et son tuteur
ont le droit d’annuler le contrat de mariage si le
mari ne remplit plus cette condition (art. 35).
La loi définit la compétence (kafaa) au sens des
prescriptions religieuses (art.36). Elle définit
le divorce comme la dissolution du contrat
de mariage légitime, sur initiative du mari
ou son mandataire en prononçant la formule
spécifique à cet effet (art.85).
La législation koweïtienne en matière de
statut personnel comporte dans son article
88 des dispositions qui visent à protéger les
femmes et qui stipulent que le mari n’a pas le
droit d’amener sa seconde épouse au domicile
de la première sans le consentement de cette
dernière. Cette législation interdit également le
recours à la contrainte par corps pour appliquer
un jugement d’un tribunal ordonnant à une
épouse de retourner au domicile conjugal.
Le code tunisien du statut personnel
(majalla) est un modèle du genre dans le
monde arabe pour ce qui est de la promotion
sur le plan légal du principe d’égalité dans les
relations conjugales et pour ce qui est d’éviter
les interprétations religieuses archaïques
préjudiciables aux droits des femmes. La
loi tunisienne du statut personnel est le seul
code du statut personnel dans le monde arabe
à s’appliquer à tous les citoyens du pays,
indépendamment de leur affiliation religieuse.
L’importance que la législation tunisienne
accorde au principe d’égalité se traduit dans
différentes dispositions de sa loi de la famille :
le chapitre 18 de son code du statut personnel,
par exemple, stipule que “ la polygamie est
proscrite ”, et pénalise quiconque transgresse
cet interdit. La jeune fille a acquis le droit
de contracter elle-même mariage, y compris
lorsqu’elle est encore vierge.
Les dispositions tunisiennes relatives au
divorce reposent également sur le principe
de l’égalité complète entre les femmes et les
hommes. D’après l’article 30 du code du statut
Structure juridique
personnel, le divorce ne peut être obtenu
“ qu’auprès du tribunal ”. Dans son deuxième
paragraphe, l’article 31 reconnaît le droit de
dédommagement à celui qui, des deux époux,
aurait été lésé matériellement ou moralement
en conséquence d’un divorce pour sévices ou
en cas de divorce demandé unilatéralement sans
raison valable. La garde des enfants (hadana)
est organisée de façon équitable entre époux
au cours de leur mariage ; l’article 57 stipule en
effet que “ la garde des enfants relève des droits
des parents tant qu’ils continuent à mener une
vie conjugale ”. L’article 67 stipule que la
garde des enfants, en cas de divorce, incombe
à l’un des deux parents si la dissolution du
mariage se fait par acte de divorce, le juge
prend en considération l’intérêt de l’enfant
pour attribuer le droit de le garder à l’un des
parents.
Les codes de la famille en Algérie et au
Maroc traduisent une tendance dans ces pays
à limiter la polygamie au moyen d’un ensemble
de dispositions telles que les conditions de
l’équité, de la raison valable et du contrôle
de la justice. L’article 8 du code algérien de
la famille permet aux hommes de prendre
plusieurs épouses conformément à la Shari’a.
Néanmoins, ils doivent prouver qu’ils ont
une raison valable pour le faire et qu’ils ont
la capacité d’entretenir plusieurs épouses
équitablement. L’épouse ou les épouses
précédentes doivent être avisées et elles
peuvent demander le divorce en cas d’absence
de consentement. De même un homme ne
peut prendre de deuxième épouse que si deux
conditions sont réunies : le consentement de la
première épouse (ou les épouses précédentes)
et l’autorisation du tribunal compétent. Une
disposition similaire est contenue dans l’article
40 du code marocain de la famille. L’article
13 du code algérien de la famille interdit la
coercition en matière de mariage, stipulant
qu’un tuteur ne doit pas forcer une femme sous
tutorat à se marier et qu’il ne peut contracter
de mariage en son nom sans son consentement.
Au Maroc, la tutelle matrimoniale est devenue
un droit de la femme adulte : l’article 24 stipule
que “ la tutelle matrimoniale (wilaya) est un
droit qui appartient à la femme. La femme
majeure exerce ce droit selon son choix et son
intérêt ”. L’article 25 stipule que “ la femme
les législations du
statut personnel sont
plus progressistes et
moins discriminatoires
au Maghreb qu’au
Mashrek
Because of what is
commonly considered
appropriate...many
women refrain from
pursuing their family
rights through official
legal processes.
221
3) L’expérience de la
réglementation des
relations au sein de
la famille dans les
pays du Maghreb a
confirmé la possibilité
de concilier les
fondamentaux de la
Shari’a et le principe
d’égalité entre les
époux et les épouses
au niveau de ces
relations
222
majeure peut contracter elle-même son mariage
ou déléguer à cet effet son père ou à l’un de ses
proches ”.
Dans tous les cas, il n’est possible de
confirmer ou de déclarer un divorce en Algérie
que par décision de justice précédée par une
tentative de réconciliation. En outre, La femme
peut aussi (selon l’article 54) demander le
divorce (khul’), mais doit verser en contrepartie
une compensation au mari. Au Maroc, le
nouveau Code de la Famille (la mudawwana)
stipule que le divorce est requis par l’époux
ou par l’épouse, selon des conditions propres
à chacun d’eux, sous le contrôle de la justice.
Quiconque des époux qui veut divorcer “ doit
demander au tribunal l’autorisation d’en faire
dresser acte par deux adoul habilités à cet
effet.. ” (article 79) En d’existence d’enfants,
une première tentative de réconciliation
est entreprise, puis une deuxième. L’article
83 stipule que si la réconciliation des deux
conjoints s’avère impossible, le tribunal fixe un
montant que l’époux consigne au secrétariatgreffe du tribunal, dans un délai ne dépassant
pas trente jours, afin de s’acquitter des droits
dus à l’épouse et aux enfants.
L’article 86 stipule que si l’époux ne
consigne pas le montant prévu à l’article 83
dans le délai imparti, il est censé renoncer à son
intention de divorce. Mais si le montant exigé
est consigné par l’époux, le tribunal l’autorise
à faire instrumenter l’acte de divorce par deux
adoul dans le ressort territorial du même
tribunal. L’épouse peut réclamer le divorce
si ce droit lui revient, en plus de l’exercice de
ce droit pour préjudice subi (darar) ou pour
absence du conjoint ou pour manquement
à l’une des conditions stipulées dans l’acte
de mariage. La réparation moyennant
compensation (khul’) a lieu suite à l’accord des
deux époux, contrairement aux dispositions du
droit égyptien qui a soumis ce genre de divorce
à la seule volonté de l’épouse.
En conclusion, l’on peut dire que cette
brève lecture des codes du statut personnel
au Maghreb et au Machrek arabes aboutit au
constat suivant :
1)Il y a un besoin urgent de promulguer des
législations du statut personnel dans les
Etats arabes qui n’en ont pas de manière à ce
que toutes les dispositions relatives au statut
personnel soient unifiées et pour l’affaire ne
soit pas laissée aux seules appréciations du
juge et son interprétation de la jurisprudence
islamique(fiqh).
2)Ces nouvelles codifications doivent viser
à réguler les relations au sein de la famille
dans le sens de l’égalité entre les hommes et
les femmes.
3)L’expérience de la réglementation des
relations au sein de la famille dans les pays
du Maghreb a confirmé la possibilité de
concilier les fondamentaux de la Shari’a
et le principe d’égalité entre les époux et
les épouses au niveau de ces relations. Les
manifestations d’inégalité dans les systèmes
juridiques arabes sont dues beaucoup plus
aux considérations relevant de l’histoire, des
us et coutumes qu’aux fondements religieux.
C’est pourquoi la révision des lois arabes sur
la famille en vue d’abolir la discrimination à
l’égard des femmes s’avère obligatoire.
Loin de la loi officielle
L’environnement social est dans beaucoup
de cas un facteur décisif de discrimination à
l’encontre des femmes, indépendamment du
contenu de la loi. En raison des us et coutumes
répandues dans la société à propos de ce qui
convient ou non pour une épouse dévouée,
décente et vertueuse de faire, nombreuses
sont les femmes qui évitent d’aller devant la
magistrature pour exiger leurs droits ou ceux
de leurs enfants. En conséquence, les conflits
conjugaux sont résolus, dans beaucoup de
sociétés arabes, soit dans un cadre familial soit
au moyen des canaux officieux de l’arbitrage
tribal. Comme ces mécanismes sont le produit
de cadres de référence masculins, culturels et
de valeurs, il est évident qu’ils sont favorables
aux hommes.
Mais, même lorsque les femmes arabes ont
recours à la justice officielle pour revendiquer
leurs droits garantis par les codes du statut
personnel, elles sont confrontées à toutes sortes
d’entraves à cause de la complexité et de la
lenteur des procédures et des comportements
qui ne prennent pas en considération ni les
spécificités de la famille ni ses besoins sociaux
et psychologiques.
Dans cette perspective, l’expérience
Rapport sur le développement humain arabe 2005
des tribunaux de la famille introduits en
Egypte mérite d’être encouragée, étudiée et
généralisée à tout le monde arabe, eu égard
aux considérations sociales qui ont été prises
en compte dans leur constitution ainsi qu’au
niveau de leurs procédures et leur fonction.
Il importe toutefois d’œuvrer à surmonter
les aspects négatifs de cette expérience,
révélés par la pratique, et de faire évoluer ces
tribunaux de telle sorte que les juges disposent
de suffisamment de temps et de l’expertise
nécessaire et pour que ces tribunaux soient
dotés des ressources humaines et financières
à même de leur permettre de s’acquitter
convenablement de leur mission.
Un autre problème défavorable aux
droits des femmes consiste dans l’apparition
de nouvelles formules de mariage dans
les sociétés arabes. Tout en respectant les
formalités religieuses du mariage - comme le
consentement, l’acceptation, la déclaration
et la dot – ces nouvelles formules sont
substantiellement incompatibles avec la raison
même de l’institution du mariage qui est la
constitution d’un foyer basé sur l’affection et
la compassion mutuelles, c’est à dire un lien
qui tend à servir à créer une famille saine. Dans
ces mariages de convenance qui prennent
différentes appellations dans les sociétés
arabes (misyar en Arabie Saoudite et siyahi
au Yémen, par exemple), l’homme contracte
mariage avec une femme moyennant une dot
sans s’engager pour autant à habiter avec elle
sous le même toit ou à lui fournir une pension
alimentaire de façon continue. Dans certains
milieux arabes démunis, il y a apparition de
formes de mariage où des hommes riches (âgés
le plus souvent) se lient à des filles mineures
(pauvres le plus souvent). Il s’agit là en
réalité d’une sorte d’esclavage réglementé des
femmes sous forme de mariage qui conduit à
de nombreuses tragédies humaines. C’est la
raison pour laquelle certains législateurs arabes
se battent pour contenir le phénomène (cas de
l’Egypte).
Un autre phénomène commence à se
répandre au sein de la jeunesse arabe qui est
celui du mariage coutumier urfi (c’est-à-dire
un mariage non consigné par un fonctionnaire
public compétent). On est en fait devant une
forme secrète et non certifiée de mariage
Structure juridique
qui se répand parmi les jeunes ne pouvant
assumer les responsabilités financières du
mariage. Certains époux l’utilisent comme
un moyen leur permettant de contourner la
loi et les droits des femmes garantis dans le
cas du mariage certifié ; la règle étant que les
tribunaux opposent une fin de non recevoir
aux revendications des femmes vivant un
mariage non certifié si l’époux en arrive à nier
l’existence des relations conjugales.
Ces formules de mariages sont des pratiques
visant à contourner la loi officielle sous couvert
de leur non-opposition aux formalités de la
religion même si elles sont contraires à son
esprit et ses finalités, outre qu’elles portent
préjudice aux droits des femmes stipulés par
les lois.
Ces formules de
mariages sont des
pratiques visant à
contourner la loi
officielle sous couvert
de leur non-opposition
aux formalités de la
religion même si elles
sont contraires à son
esprit et ses finalités,
La nationalité
outre qu’elles portent
La règle générale qui détermine la nationalité
d’origine dans les législations arabes, est celle
de la descendance paternelle. Autrement dit,
les enfants d’un père portant la nationalité d’un
Etat arabe donné acquièrent automatiquement
cette nationalité. La nationalité de la mère n’est
accordée aux enfants que si l’identité du père
est inconnue ou s’il est apatride. (Cf. l’article
6 du Code tunisien de la nationalité ; il faut
néanmoins noter que le droit tunisien accorde
la nationalité tunisienne à l’enfant de mère
tunisienne et de père étranger avec l’accord de
ce dernier ; voir aussi les paragraphes 3 et 4 de
l’article 3 du code de la nationalité jordanien
qui accorde la nationalité aux enfants d’un
père jordanien ou aux enfants nés dans le
royaume de mère jordanienne mais dont le
père est inconnu ou apatride. Les codes de
la nationalité du Bahreïn et du Maroc, les
articles 4 et 6 respectivement, contiennent des
dispositions similaires.
Ces codes de la nationalité sont clairement
discriminatoires à l’égard des femmes et
contreviennent aux dispositions de l’article
9 de la CEDAW, ce qui explique d’ailleurs
pourquoi plusieurs Etats arabes ont émis des
réserves à propos de cet article.
Dernièrement, les législateurs arabes ont
travaillé à surmonter les situations inhumaines
qui résultent du refus des Etats arabes d’accorder
la nationalité aux enfants de citoyennes mariées
préjudice aux droits
des femmes
La règle générale
qui détermine la
nationalité d’origine
dans les législations
arabes, est celle
de la descendance
paternelle
223
La société arabe est
prête à accepter le
principe d’égalité
complète pour ce
qui est du droit de
la mère d’attribuer
sa nationalité à ses
enfants
à des étrangers. En Egypte, par exemple, la loi
n° 154 du 2004 a été promulguée ; elle accorde
le droit à la nationalité égyptienne aux enfants
de mère égyptienne et de père étranger. Cela
a permis de résoudre le problème de milliers
de personnes issues de mères égyptiennes et de
pères étrangers et qui n’avaient pu obtenir la
nationalité égyptienne.
D’après l’opinion du public arabe telle
qu’elle ressort de l’enquête du Rapport, il est
clair que la société arabe est prête à accepter le
principe d’égalité complète pour ce qui est du
droit de la mère d’attribuer sa nationalité à ses
enfants (encadré 8 – 6).
En Algérie, l’article 6 du code de la
nationalité, publié en 2005, stipule qu’est
considéré comme Algérien l’enfant né de
père algérien et/ou de mère algérienne. Au
Maroc, le code de la nationalité datant de 1958
n’accordait la nationalité marocaine qu’aux
seuls enfants nés de père marocain. Cette loi
a été modifiée, l’enfant de mère marocaine
bénéficie dorénavant du droit à la nationalité.
Une autre forme de discrimination se
manifeste dans le code de la nationalité
libanaise. Outre le fait que la consanguinité du
côté paternel est la base dans l’attribution de la
nationalité - c’est là d’ailleurs une caractéristique
commune à toutes les législations des pays objet
de l’enquête – il existe dans cette législation une
certaine discrimination entre la mère libanaise
d’origine et la mère libanaise par naturalisation
! En effet, le droit libanais accorde à la mère
étrangère ayant acquis la nationalité libanaise le
droit d’accorder cette nationalité à ses enfants
mineurs si elle reste en vie après le décès de
son époux (étranger), alors que l’application
de cette même loi prive de ce droit la femme
d’origine libanaise (mariée à un étranger). Les
organisations de la société civile au Liban font
pression pour modifier ce code de la nationalité
et éliminer cette discrimination, en instaurant
l’égalité entre le père et la mère pour ce qui
est de la nationalité des enfants. Elles exigent
également que le Liban retire les réserves
faites sur le paragraphe 2 de l’article 9 de la
CEDAW. Il est à noter que les organisations
de la société civile libanaise sont connues pour
leur activité et leur pouvoir d’influence dans ce
domaine. Elles avaient joué un rôle décisif dans
l’abrogation de la loi qui privait les citoyennes
libanaises de leur nationalité dès qu’elles se
mariaient à des étrangers.
La femme arabe dans la
conscience des hommes de
loi arabes
Pour que l’égalité entre les hommes et les
femmes devienne réalité dans le monde arabe,
il ne suffit pas d’incorporer le principe dans
les législations arabes, au regard à l’existence
Encadré 8-6
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Opinion sur l’attribution de la nationalité de la mère aux enfants
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224
Rapport sur le développement humain arabe 2005
effective chez les juristes arabes d’une culture
ou d’une conscience juridique qui s’oppose
explicitement ou implicitement à ce principe
d’égalité. Par conscience juridique, il faut
entendre les valeurs juridiques qui déterminent
et orientent l’action des hommes de loi lors
l’établissement des lois et de leur application.
Par juristes arabes on entend tous ceux qui ont
la responsabilité de la loi dans le monde arabe,
à savoir les législateurs qui établissent les lois,
les juges qui les appliquent eu à leur autorité
discrétionnaire, les avocats qui aident les juges à
comprendre et à appliquer la loi, les interprètes
de loi comme les professeurs universitaires et
d’autres encore. La prise de conscience par tous
ces gens de l’importance du principe d’égalité
entre les hommes et les femmes constitue l’une
des conditions nécessaires à son application
dans la réalité concrète. Bien que ne disposant
pas d’études de terrain sérieuses susceptibles
d’évaluer la conscience juridique des juristes
arabes par rapport à ce principe d’égalité
entre les hommes et les femmes, les indications
disponibles laissent penser que certains d’entre
eux sont influencés par la culture masculine
et la culture de la discrimination. Sur le plan
historique, nul besoin de procéder à une
recherche minutieuse pour se rendre compte
que la culture arabe tribale - qui perpétue la
discrimination à l’égard des femmes ainsi
que leur infériorité par rapport aux hommes
- a influencé certaines interprétations de la
jurisprudence islamique discriminatoires à
l’égard des femmes. C’est dire à quel point la
dimension culturelle masculine a été décisive
dans l’orientation prise par les interprétations
de cette jurisprudence qui l’ont revêtue d’un
caractère religieux sacré.
L’analyse des attitudes des législateurs
arabes hommes révèle leur hostilité au principe
de l’égalité de genre, et ce en dépit des
dispositions de leurs constitutions nationales et
des conventions internationales auxquelles leurs
Etats ont souscrit. Deux exemples illustrent
la validité de cette hypothèse : le premier est
représenté par l’opposition de la plupart des
membres de l’Assemblée nationale koweïtienne
à garantir aux femmes leurs droits politiques
(Al’Awadhi, Papier d’appui au Rapport) ; le
second est celui de nombreux membres de
l’Assemblée du Peuple Egyptien qui se sont
Structure juridique
opposés à la reconnaissance du droit pour les
femmes de pouvoir mettre fin volontairement à
la relation conjugale conformément au régime
islamique du divorce moyennant compensation
(khul’). Dans les deux cas précités, les
législateurs arabes de sexe masculin se sont
appuyés sur des interprétations salafistes qui
insistent sur la suprématie des hommes sur les
femmes. L’un des membres de l’Assemblée du
peuple égyptien est allé même jusqu’à prendre
le comportement de la volaille dans le poulailler
comme la preuve que les femelles des oiseaux,
des animaux et, a fortiori, des humains sont
de nature subordonnées aux mâles (cette
expression fut supprimée des minutes de la
session ).
Souvent, l’application du principe de
l’égalité de genre par l’intermédiaire des
membres masculins arabes de la magistrature
est confrontée à des réserves, alimentées à
l’heure actuelle par le développement des
courants religieux fondamentalistes et par
leur influence culturelle sur la conscience des
magistrats. Dans certains Etats arabes, la vision
masculine des hommes de la magistrature
arabes est perceptible dans leur opposition à la
nomination des magistrats femmes, considérées
comme non aptes à occuper ce poste. Les
arguments présentés à l’appui de cette position
sont soit leur incompatibilité naturelle avec les
exigences de la profession soit les traditions
et la culture de la société. Pourtant, la déesse
de la justice chez les Egyptiens anciens (Mâ’t)
était bien une divinité femelle. Au milieu du
siècle dernier, le célébrissime juriste d’Egypte,
‘Abd al-Razzaq al-Sanhuri, qui était à l’époque
président du Conseil d’Etat (l’instance
judiciaire compétente dans la résolution des
litiges administratifs) a refusé de se prononcer
en faveur de l’éligibilité des femmes à exercer
comme juges, bien qu’il lui ait reconnu le droit
constitutionnel de le faire. Il a justifié son refus
par des considérations de convenance sociale.
Ces mêmes considérations continuent de faire
barrage en Egypte à l’accès des femmes sur un
pied d’égalité avec les hommes à différentes
fonctions de la magistrature. Néanmoins,
dans une tentative de se disculper dans cette
affaire, les autorités égyptiennes ont désigné
une femme au poste de conseiller près la Cour
constitutionnelle suprême, sans que cette
Pour que l’égalité
entre les hommes et
les femmes devienne
réalité dans le monde
arabe, il ne suffit
pas d’incorporer le
principe dans les
législations arabes, au
regard à l’existence
effective chez les
juristes arabes
d’une culture ou
d’une conscience
juridique qui s’oppose
explicitement ou
implicitement à ce
principe d’égalité
L’analyse des attitudes
des législateurs arabes
hommes révèle leur
hostilité au principe
de l’égalité de genre,
et ce en dépit des
dispositions de
leurs constitutions
nationales et
des conventions
internationales
auxquelles leurs Etats
ont souscrit
225
Il y a des indications
générales attestant que
les juges ont tendance,
dans les crimes
d’honneur, à prononcer
des sentences légères
à l’encontre d’hommes
coupables lorsque la
victime est une femme
accusée de moeurs
légères
décision entraîne pour autant l’admission des
femmes aux fonctions inférieures et moyennes
de la magistrature.
La discrimination exercée par la
communauté judiciaire à l’égard des femmes se
manifeste également dans la manière d’utiliser
leur autorité discrétionnaire par les juges des
cours pénales pour prononcer des peines légères
ou sévères dans des affaires qui impliquent
des femmes. Il y a des indications générales
attestant que les juges ont tendance, dans les
crimes d’honneur, à prononcer des sentences
légères à l’encontre d’hommes coupables
lorsque la victime est une femme accusée
de moeurs légères. Or la femme ne bénéficie
pas du même allégement de la peine quand
elle est coupable de crime contre un homme
accusé de mœurs légères. Les lois pénales
ont tendance à condamner à la peine capitale
les femmes qui tuent avec préméditation
leurs époux, quelles que soient les raisons du
crime ; le contraire n’est pas toujours vrai.
On peut à ce propos retenir une hypothèse
étayée par une observation sommaire, mais
qui doit être confirmée, à savoir que les juges
hommes réduisent la sphère de l’honneur au
seul comportement des femmes et prononcent
des peines légères dans les crimes commis à
l’encontre des femmes accusées de mœurs
légères. Cette tendance trouve un appui,
Enadré8-7
Les convenances sociales empêchent la désignation des femmes comme juges :
“ Les principes constitutionnels suprêmes stipulent l’égalité entre la
femme et l’homme en droits et en devoirs. Lors de son application
aux fonctions et emplois publics, cette égalité consiste à ne pas priver
la femme, de façon absolue, d’occuper de telles fonctions. Sinon,
cela serait en contradiction avec le principe d’égalité et une atteinte
à l’un des principes constitutionnels fondamentaux suprêmes. Cela
présuppose que l’administration dispose d’autorité estimatoire quant
au niveau d’évolution atteint par la femme pour être apte à occuper
telle fonction ou tel poste. Si l’administration juge que la femme a
franchi cette étape et rempli les conditions requises, elle peut – ou
plutôt doit- lui offrir l’opportunité accordée à l’homme sans porter
atteinte à l’égalité entre eux. A notre époque, la femme égyptienne a
fait preuve de son aptitude à occuper des postes et exercer plusieurs
emplois tels que la médecine, la dispense des soins et l’enseignement
ainsi que d’autres fonctions au sein du ministère des affaires sociales,
le ministère des affaires islamiques, les fonctions de la hisba et de
la conservation foncière. En effet la femme est préférée à l’homme
dans certains travaux vu les qualités qui la caractérisent. Le fait de
la préférer à l’homme dans ce genre d’activités n’est pas considéré
comme préjudiciable au principe d’égalité entre l’homme et la femme.
En revanche, l’administration peut, sans abus, juger si le moment
n’est pas encore venu - à cause des considérations sociales – que la
femme occupe certains postes et fonctions publiques. Pour ce faire,
l’administration, en vertu de son autorité estimatoire, a le pouvoir de
peser les circonstances liées à ces fonctions, tout en tenant compte
des conditions du milieu, ainsi que des situations et limites que les
coutumes imposent … ”
Extrait du jugement de la Cour administrative Egyptienne, daté
du 22 décembre 1953 dans l’affaire n°243 de l’année judiciaire 6
L’opinion du public sur les questions de la promotion des femmes, quatre pays arabes, 2005
Les femmes ont le droit d’être juges
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226
Rapport sur le développement humain arabe 2005
dans certains Etats arabes, dans la sévérité
réservée par le législateur pénal aux femmes.
En effet, de nombreuses législations pénales
arabes condamnent les femmes adultères à des
peines plus sévères que celles dont les hommes
adultères sont passibles. Bien que le principe
général soit que la tentative de crime soit punie
par la loi, la tentative de causer un avortement
d’une femme ne l’est pas. La femme qui tue
son mari en flagrant délit d’adultère n’est
pas allégée, alors qu’elle l’est quand c’est un
homme qui commet le crime. La tendance
de la magistrature à être partiale à l’égard des
femmes est semblable à celle la législation qui
va dans le même sens.
Les échos de cette tendance à la
discrimination à l’encontre des femmes se
retrouvent chez bon nombre d’interprètes
de la loi, une fois confrontés au principe de
l’égalité devant la loi. On n’abordera pas les
écrits de certains ulémas contemporains de
la Shari’a qui continuent de se réclamer des
opinions de la jurisprudence classique dans leur
interprétation de la prééminence des hommes
sur les femmes. Face à ces postures et visions,
il y a un corps de la jurisprudence islamique
éclairée qui interprète les textes concernés en
les ramenant à leur contexte et qui a tendance
à adhérer largement au principe de l’égalité
entre les femmes et les hommes. Cependant,
c’est la première école de pensée - c’est à dire
la conservatrice - qui continue de l’emporter
dans la pratique et qui trouve toujours une
oreille sympathique chez les gens ordinaires,
en raison de l’appui accordé à cette école par
les religieux conservateurs. A titre d’exemple,
lors des dernières élections présidentielles
en Egypte, il n’y a eu de candidature de
femmes ; certes quelques-unes ont présenté
effectivement leurs papiers de candidature,
mais elles ont été écartées car ces papiers ne
remplissaient pas les conditionnées requises
stipulées lors de l’amendement contesté de
l’article 76 de la Constitution égyptienne. Ce
qui est plus surprenant encore, c’est que l’exmufti d’Egypte signe une fatwa, publiée dans
le journal Al Ahrâm du 28 février 2005, où il
soutient qu’il n’était pas permis à une femme
de se porter candidate à la présidence de la
République. A l’appui de cette position il
invoque le refus des jurisconsultes (fuqaha)
de voir une femme assurer la grande wilaya
qui signifie pour lui la présidence de la
République.
Ce qui importe davantage ici, c’est la
position des experts du droit positif sur la
question de l’égalité de genre. Certains d’entre
eux considèrent par exemple que le fait de
réserver des quotas aux femmes au parlement
en prétextant que cela violerait le principe de
l’égalité devant la loi (Charkaoui et Nasif, en
arabe, 1984, 350). Cet argument ne peut pas
résister face à la jurisprudence en matière de
droits humanitaires, qui retient l’idée de la
discrimination positive en faveur des femmes
pour lever l’injustice qui les a prappées au cours
de l’histoire. C’est précisément le principe
retenu par la CEDAW( cf. par exemple, Ja’far,
en arabe, s.d., 127).
Le conservatisme d’un large secteur
des juristes arabes contemporains au sujet
de l’égalité entre les femmes et les hommes
explique pourquoi tous les grands changements
législatifs en faveur des femmes ont été initiés
et appuyés sous les auspices de l’institution
du chef de l’Eta arabe (comme si les chefs
des régimes arabes voulaient se disculper des
violations commises en matière des droits de
Lors des dernières
élections
présidentielles en
Egypte, il n’y a eu
de candidature de
femmes ; certes
quelques-unes ont
présenté effectivement
leurs papiers de
candidature, mais
elles ont été écartées
car ces papiers ne
remplissaient pas les
conditionnées requises
Encadré 8-8
La crainte que les femmes obtiennent la totalité des sièges au parlement
“…Les textes qui distinguent les femmes des
hommes en leur accordant des sièges limités,
outre la possibilité d’occuper d’autres sièges, sont
considérés comme anticonstitutionnels et illogiques.
Quant à leur non constitutionalité, ces textes sont
en contradiction avec la teneur de l’article 40 de la
Constitution, qui stipule que les citoyens sont égaux
devant la loi. Pour ce qui est de leur aspect illogique,
cette législation a réservé aux femmes un nombre
déterminé de sièges obligatoires. En même temps,
les femmes ont le droit de se porter candidates dans
toutes les circonscriptions, et les électeurs ont le droit
d’élire les femmes dans toutes ces circonscriptions.
Partant, cette législation peut nous amener à la
probabilité – minime mais néanmoins existante - que
tous les membres du pouvoir législatif soient des
femmes, le contraire n’est pas vrai ”.
Source : Ja’far, en rabe, n.d., 127
Structure juridique
227
Le processus
d’élaboration de la loi,
de son application et
de son interprétation,
dans le monde
arabe, est régi, en
premier lieu, par une
culture masculine.
Ceci n’empêche pas
l’existence de quelques
tendances favorables à
l’égalité et au soutien
positif des femmes,
mais ces tendances
n’ont pas un impact
suffisant.
228
l’homme et inscrire à leur actif des avancées
dans le domaine des droits des femmes).
La participation par exemple des femmes
koweïtiennes à la vie politique suite à la dernière
modification législative n’avait pu avoir lieu
face à l’opposition des courants salafistes sans
le soutien direct du gouvernement. Le code
du statut personnel qui a instauré le recours
au régime du khul’ en Egypte n’aurait pu
être promulgué sans le soutien explicite de
l’institution présidentielle. De même, le roi
du Maroc a mis tout son influence religieuse
et politique pour faire adopter le code de la
famille qui a levé de nombreuses injustices à
l’égard des femmes. Il semble donc que les
institutions du pouvoir arabes essaient de
compenser le retard qu’accuse la conscience
juridique arabe, mais seulement à propos des
questions relatives aux droits des femmes.
Cela conduit également à s’interroger
sur les facteurs qui agissent dans le sens
du changement de la structure juridique
traditionnelle pour l’amener à se libérer de son
attitude discriminatoire à l’égard des femmes,
alors que la culture juridique dominante
s’y oppose. Ce changement, comme il a été
noté, est le fait des élites au pouvoir dans le
monde arabe. Cette tendance au changement
chez ces élites pourrait être induite par des
pressions étrangères explicites ou implicites.
Mais le facteur le plus important et le plus
efficace, de changement consiste dans l’action
persévérante en vue de créer et promouvoir
la demande intérieure de ce changement, à
travers la dynamisation de la société civile et en
influençant la culture populaire pour en faire
une culture favorable à l’égalité de genre.
Conclusion
Les pages précédentes ont décrit se sont arrêtées sur les traits les plus saillants du mode de
régulation des relations où les femmes sont partie par le système juridique arabe. Il en ressort
que les femmes arabes ont obtenu leurs droits politiques dans la plupart des législations arabes,
mais elle n’en jouissent pas, pour des raisons extra–juridiques. Les codes du travail, pénaux, de la
nationalité, comportent beaucoup de formes de discrimination à l’égard des femmes, même si des
initiatives sont prises dans le domaine législatif pour éliminer cette discrimination, notamment
dans les questions relatives à la nationalité et au statut personnel.
Ceci dit, la discrimination la plus manifeste à l’égard des femmes dans les systèmes juridiques arabes
réside dans le domaine des législations en matière de statut personnel. Bien que les législateurs
arabes dans de nombreux Etats du Mashrek arabe aient œuvré pour introduire des amendements
de ces législations pour alléger leurs conséquences discriminatoires, ces tentatives n’ont pas eu
ce caractère progressiste que l’on retrouve dans les législations du Maghreb arabe, comme la
législation tunisienne, le nouveau Code de la famille marocain et la législation algérienne.
Ceux qui ont en charge le droit - législateurs, juges et experts - font en règle générale preuve de
partialité à l’encontre des femmes, que ce soit en matière législative, dans la pratique ou dans le
domaine de la théorisation relative à la jurisprudence islamique. Par conséquent, on peut dire
que le processus d’élaboration de la loi, de son application et de son interprétation, dans le
monde arabe, est régi, en premier lieu, par une culture masculine. Ceci n’empêche pas l’existence
de quelques tendances favorables à l’égalité et au soutien positif des femmes, mais ces tendances
n’ont pas un impact suffisant.
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Chapitre IX
Les structures
économico–politiques
Introduction
Le but de ce chapitre est d’apporter un
éclairage sur l’impact des structures
économico–politiques des pays arabes sur la
condition des femmes arabes tout en prenant
considération l’interaction entre l’économie
et la politique et en soulignant le rôle de cette
dernière dans l’affaiblissement des femmes
dans les pays arabes.
Le mode de production
dominant, le niveau de
performance économique et
leurs impacts
L’analyse développée dans les des deux livraisons
du Rapport arabe sur le développement
humain de 2003 et 2004 a conclu que les deux
principaux traits du mode production et du
niveau de performance économique dans les
pays arabes sont la dominance d’un mode
de production centré sur la rente et le faible
niveau de croissance économique.
La conjonction de ces deux traits entraîne
l’affaiblissement des structures de production
des économies arabes et le bas niveau de leur
d’expansion, créant ainsi les conditions de
l’extension du chômage et de la pauvreté. De
plus, les économies de rente et le faible niveau
de performance des structures institutionnelles,
nécessaires à la bonne gouvernance des
entreprises et de la société dans son ensemble,
sont articulés à une culture du gain facile
et au développement de la corruption. Ceci
a pour résultat l’émergence d’un genre
d’activités économiques qui a des retombées
désastreuses sur l’autonomisation économique
des individus. D’autres conditions sociétales
accentuent l’impact d’un tel type d’activité sur
les femmes à cause de la vulnérabilité de leur
Les structures économico–politiques
position économique.
Parmi ces effets désastreux, il faut
compter l’accroissement des taux de chômage
dans les pays arabes, notamment parmi les
jeunes diplômés du système d’enseignement.
Pauvreté et bas niveau d’équité dans la
répartition des revenus et de la richesse
accompagnent nécessairement le chômage,
dans la mesure où la force de travail représente
la base économique la plus importante pour la
majorité écrasante des gens dans les économies
les moins développées.
Cet ensemble de facteurs traduit aussi bien
l’étroitesse du marché de l’emploi dans les
pays arabes que ses faibles taux d’expansion
par la création de nouveaux emplois. Le
niveau du chômage est exacerbé par le faible
niveau de qualification au niveau du marché
du travail régional arabe. C’est ce qui a poussé
un certain nombre de pays arabes à faire appel
à la main-d’œuvre étrangère. Evidemment, ce
sont les couches sociales les plus faibles, dont
les femmes, qui souffriront le plus de cette
situation.
Les résultats de ce mode de production et
le ralentissement de la croissance économique
ont atteint un niveau alarmant dans les pays
arabes depuis le milieu des années 70 du
siècle dernier, eu égard aux programmes de
“ réforme économique ” et “ d’ajustement
structurel ”, que certains chercheurs ont
qualifié de “ restructuration capitaliste ”.
Ceci s’est produit dans certains pays arabes
caractérisés par des marchés libres non
régulés dans un contexte de mondialisation
économique en l’absence des structures
institutionnelles nécessaires à la performance
économique et à une répartition équitable,
conditions indispensables à l’existence d’un
système capitaliste efficient capable d’assurer
un développement économique rapide et
L’émergence d’un
genre d’activités
économiques qui
a des retombées
désastreuses sur
l’autonomisation
économique des
individus. D’autres
conditions sociétales
accentuent l’impact
d’un tel type
d’activité sur les
femmes à cause de la
vulnérabilité de leur
position économique.
229
soutenu et de soutenir le développement
humain. (Fergani, en arabe, 1998:47-82).
L’étroitesse du marché du travail et le faible
niveau de création de nouveaux emplois, d’une
part, la progression de l’éducation des femmes,
d’autre part, et en troisième lieu la préférence
irrationnelle de la société pour accorder les
emplois disponibles aux hommes et non
aux femmes (chapitre 3) se combinent pour
accroître le chômage des femmes, notamment
parmi les femmes instruites, même dans les
pays arabes qui font appel à une main-d’œuvre
étrangère provenant de pays hors du monde
arabe.
On assiste, dans le même temps, à un retrait
de l’Etat de l’activité économique et des activités
de services ainsi qu’à la limitation de l’emploi
dans la fonction publique. Or ce dernier
avait représenté la forme préférée d’emploi
pour les femmes et un lieu de protection de
leurs droits. Ainsi la région arabe abrite t-elle
un phénomène détestable consistant en une
abondance de capital humain féminin qualifié
mais qui affiche des niveaux de chômage
supérieurs à la moyenne!
Les disparités des salaires en défaveur des
femmes, notamment dans le secteur privé,
représentent un autre facteur qui a affaibli
d’un point de vue économique ces dernières,
dans la mesure où se sont traduite par la
réduction de leurs revenus relatifs quand elles
travaillent. Or, comme mentionné auparavant,
il s’agit là de l’une des plus importantes sources
de revenus chez la plus grande majorité des
gens dans les pays les moins développés. Ceci
signifie que les femmes sont exposées au risque
de l’appauvrissement et de l’affaiblissement
engendré par la faiblesse de l’offre d’emplois et
au faible niveau relatif de revenu par rapport
aux hommes.
Le boom pétrolier a contribué, pour une
période donnée, à l’expansion de l’activité
économique et des services publics, ce qui a
entraîné une forte demande sur la main-d’œuvre
arabe dans les pays arabes pétroliers, y compris
1
la main d’œuvre féminine, particulièrement
dans les secteurs de l’enseignement, de la santé
et de l’administration publique. Toutefois,
cette demande de main-d’œuvre s’est
contracté quand la valeur réelle du pétrole a
décliné et la croissance économique a ralenti
dans l’ensemble de la région arabe au milieu
des années 1980. L’effet du boom pétrolier
était similaire à celui de l’engagement de
pays arabes dans des guerres (la guerre entre
l’Irak et l’Iran par exemple). L’absence des
hommes qui ont rejoint le front a permis
l’accroissement de l’emploi féminin surtout
dans les services publics et l’administration. Or
ce sont précisément les secteurs à la réduction
desquels les politiques d’ajustement structurel
se sont attelées. La fin du boom pétrolier
comme celle de la guerre, donnaient lieu à
des tentatives visant à restreindre le travail des
femmes afin que le chômage ne s’accroisse pas
parmi les hommes.
L’analyse de coupe transversale de la
relation entre le taux de croissance et la
structure économique, d’une part, et la Mesure
d’autonomisation de genre (GEM)1, d’autre
part, couvrant un échantillon international de
80 pays, y compris quatre pays arabes (Bahreïn,
Arabie Saoudite, Egypte et Yémen) a conclu à
ce qui suit :
• le niveau de développement d'un pays, tel
que reflété par la valeur réelle du revenu,
est significativement et positivement lié à
l’autonomisation des femmes. Cette relation
explique environ 64% des variations de la
mesure GEM entre pays ;
• cependant, la relation entre la croissance
économique et l’autonomisation des femmes
a un faible pouvoir prédictif dans la mesure
où le coefficient de détermination est plutôt
faible2 ; et
• la transformation structurelle durant
le processus de développement devrait
entraîner une autonomisation plus grande
des femmes en raison de l’augmentation de
la part relative du secteur des services dans
Gender empowerment measure
2
On constate par exemple que le Yémen pourra, selon cette relation, accroître la mesure d’autonomisation de genre et le faire passer de 0,123 à
0,163 s’il pouvait augmenter le revenu réel par personne en le faisant passer de 889 dollars (en termes de parité du pouvoir d’achat) de 1995 au
niveau du revenu réel de l’Egypte qui est de 3950 dollars en 2003, année de la comparaison. En utilisant le taux moyen d’accroissement du revenu
réel par tête pour la période 1990-2000 qui a atteint environ 2,4 %, qui est un taux relativement élevé, on peut aboutir à la conclusion que le Yémen
pourra réaliser une telle autonomisation des femmes sur une période de quelque 63 années.
230
Rapport sur le développement humain arabe 2005
le PIB, car cette variable est positivement et
significativement associée au GEM.
De tels résultats tendent tous à encourager les
Etats arabes à poursuivre l'approfondissement
des
réformes
institutionnelles
visant
l’autonomisation des femmes, car la probabilité
pour que se réalise une telle autonomisation
au moyen des seules réformes économiques
entreprises pour appuyer le processus de
développement pourra prendre beaucoup de
temps, comme le montre le cas du Yémen, à
titre d’illustration (Abdel Gadir Ali, Papier
d’appui au Rapport).
Les Structures Politiques
Les institutions du pouvoir et la liberation ou la marginalisation des femmes
arabes
Il n’y a pas de doute que les femmes arabes ont
réalisé des progrès en matière de participation
politique durant les trois dernières années,
avec la reconnaissance légale de leurs droits
de voter et de présenter leur candidature pour
l’élection des conseils locaux et du parlement.
Leur présence est également en progression
aux plus hauts postes des instances exécutives
dans la plupart des conseils de ministres dans
les Etats arabes.
La nomination de femmes ministres est
devenue une règle générale dans la plupart
des gouvernements arabes au moins depuis
les années 1990 et s’est affirmée depuis.
Néanmoins, la participation des femmes à ces
gouvernements s’est caractérisée par:
• son caractère symbolique : il n’y a le plus
souvent s’une ou deux ministres ;
• son caractère social : les ministres femmes
sont la plupart du temps en charge de
départements sociaux ou ayant en général
un rapport aux femmes ;
• son caractère temporaire : les ministres
femmes changent avec les remaniements
ministériels.
Ceci dit, il faut bien reconnaître que
la représentation féminine est devenue
une réalité permanente dans les instances
3
gouvernementales arabes, du fait de la pression
interne et externe (Guessous, Papier d’appui
au Rapport). Néanmoins, un tel progrès reste
limité comme on peut le voir à travers les trois
points suivants :
Premièrement, le rôle joué par les femmes
au sein des instances de décision, exécutives ou
législatives. Les fonctions de Premier ministre3,
de ministres à la tête des ministères qui jouent
un rôle essentiel dans l’allocation des ressources,
la définition de la politique extérieure et
la protection de la sécurité intérieure et
extérieure sont entre les mains d’hommes.
De même, la présidence des parlements et de
la plupart de des commissions parlementaires
leur reviennent en général. Dans les Etats qui
autorisent la constitution de partis politiques,
la majorité des leaders de ces partis sont aussi
des hommes.
Deuxièmement, à un moment où le
nombre de femmes siégeant dans les conseils
des représentants a connu un bond en avant,
la sécurité personnelle des femmes n’est pas
garantie. En réalité, elles doivent même avoir
perdu d’autres droits comme c’est le cas en
Irak.
Troisièmement, le caractère limité des
progrès en matière d’autonomisation des
femmes arabes devient manifeste lorsqu’on
compare leur situation à celle des femmes dans
les autres parties du monde (Al Sayyid, Papier
d’appui au Rapport).
Les systèmes politiques arabes peuvent
différer sur la marge démocratique qu’ils
offrent, les droits qu’ils garantissent aux
femmes, le niveau de participation politique
atteint et sur jusqu’à quel points les organes
constitutionnels et législatifs qui déterminent
les mécanismes de prise de décision existent.
Mais dans tous les cas, le pouvoir réel de
décision à tous les niveaux dans le monde
arabe est toujours entre les mains des hommes.
Le mode de prise de décisions et d’élaboration
des politiques reflète une vision patriarcale des
intérêts de l’élite masculine dominante (Al Baz,
en arabe, 2002).
Plus encore, alors que le principe d’égalité
entre les deux sexes constitue l’un des principes
généraux des constitutions arabes certains Etats
De tels résultats
tendent tous à
encourager les Etats
arabes à poursuivre
l’approfondissement
des réformes
institutionnelles visant
l’autonomisation
des femmes, car la
probabilité pour que
se réalise une telle
autonomisation au
moyen des seules
réformes économiques
entreprises pour
appuyer le processus
de développement
pourra prendre
beaucoup de temps
La nomination de
femmes ministres
est devenue une
règle générale
dans la plupart des
gouvernements arabes
au moins depuis les
années 1990 et s’est
affirmée depuis
La Jordanie a été le premier Etat arabe qui a vu une femme nommée aux fonctions de vice-Premier ministre.
Les structures économico–politiques
231
Le nombre de sièges
occupés par des
femmes ne veut
pas nécessairement
dire qu’elles sont
représentées de façon
démocratique
Les partis politiques
dans les pays arabes
ont toujours accordé
de l’importance
à la question des
femmes depuis son
apparition. Toutefois,
ils l’ont intégrée dans
leurs programmes
politiques avec
leurs composantes
économiques, sociales
et culturelles
232
arabes n’ont pas appliqué ce principe dans
leurs lois électorales. Ceci est le cas de l’Arabie
Saoudite qui a exclu les femmes des premières
élections municipales de février 2005, du
Koweït dont la loi électorale, promulguée en
1962 – avant son amendement en mai 2005
– avait restreint le droit de candidature et de
vote aux seuls hommes.
L’un des paradoxes est que, à première
vue, les statistiques relatives à la participation
politique montrent un accroissement du taux
de participation politique des femmes dans les
Etats dirigés par des régimes dictatoriaux, ce
qui confirme la faiblesse de la relation entre
l’accroissement du nombre de femmes dans
l’autorité politique et le progrès dans le sens de
la démocratie.
De même, devant l’intérêt particulier
porté par les organismes des Nations Unies
à l’autonomisation des femmes et la décision
d’un certain nombre d’Etats et d’institutions
étrangères de lier leur aide à l’amélioration
de la situation des femmes dans la région, de
nombreux Etats arabes ont tenté de contourner
cette condition par le recours à la représentation
formelle des femmes, alors que les citoyens en
général et les femmes en particulier restent
marginalisés quand il s’agit des affaires
publiques (Fayyad, en arabe,2004).
Aussi, le nombre de sièges occupés par des
femmes ne veut pas nécessairement dire qu’elles
sont représentées de façon démocratique. Il
peut, en fait refléter des concessions faites à un
groupe de femmes soutenues par l’Etat contre
d’autres femmes qui, de par leurs postures,
et bien qu’elles constituent une composante
des forces réellement actives de la société,
font l’objet de marginalisation. L’existence
d’entités féminines n’est pas l’expression d’un
vaste mouvement social des femmes, mais
plutôt l’expression d’équilibres élitistes au
niveau du pouvoir, d’intérêts économiques
et de considérations politiques, internes et
externes. C’est ce que reflète la composition
des élites féminines dominantes et leur absence
de représentativité des différents secteurs et
courants des femmes (Ezzat, Texte d’appui au
Rapport).
Les Etats arabes sont dirigés par différents
types de pouvoirs : monarchies, dynasties
régnantes, démocraties pluralistes ou
gouvernements à l’ombre de l’occupation. Ces
différentes formes de pouvoir façonnent– et
limitent – les moyens de participation à l’activité
politique et civile des femmes et des hommes.
Dans de telles conditions, les femmes souffrent
d’une double injustice : l’autoritarisme de
l’Etat–nation moderne les empêche les femmes
et les hommes de jouir de leurs droits complets
politiques et civiques; et les lois de ces Etats
tiennent les femmes pour des mineures qui
ont besoin de la tutelle et de la protection
de leurs proches mâles pour tout ce qui a
trait aux droits fondamentaux des personnes
comme le mariage, le divorce, la garde des
enfants, le travail, le voyage et même le droit
pour les enfants de porter la nationalité de la
mère. C’est dire que le contrat social appliqué
aux femmes arabes se base sur le concept du
patriarcat et que l’on n’est pas encore dans
la situation du contrat “ de la fraternité des
hommes ” ; autrement dit, les femmes arabes
sont effectivement soumises à l’autorité des
mâles (le père, le frère, le mari, etc.) Ceci
signifie que les femmes ne sont pas encore
considérées par l’Etat comme des individus et
que la relation entre les femmes et l’Etat et la
société n’est pas directe, mais se fait par le biais
de la filiation aux hommes considérés comme
des ‘individus’ et des citoyens eu égard à leur
rôle de chef de famille (Jad, Texte d’appui au
Rapport).
Les partis politiques et la cause dEs femmes
Les partis politiques arabes ont épousé la cause
des femmes dans leurs programmes, mais ils
ont divergé sur :
• le poids à accorder à la question dans les
programmes politiques généraux de ces
partis ;
• les références intellectuelles qui fondent
leurs visions et attitudes sur la question.
Les partis politiques dans les pays arabes ont
toujours accordé de l'importance à la question
des femmes depuis son apparition. Toutefois, ils
l’ont intégrée dans leurs programmes politiques
avec leurs composantes économiques, sociales
et culturelles en la considérant comme un
volet de la problématique sociale générale et
non pas comme une question de genre qu’il
Rapport sur le développement humain arabe 2005
fallait distinguer dans le discours politique
général. Ainsi, ces partis ont fait valoir des
revendications exigeant le droit des femmes à
l'éducation, à l'emploi, à la protection sanitaire
et sociale ainsi que la garantie de leurs droits
au niveau du Code du statut personnel comme
dans la vie politique par la reconnaissance de
leur droit au vote et à se porter candidates.
Cependant, les conditions politiques et
idéologiques, qui ont présidé à la constitution
et à l’évolution, positive et négative, de ces
partis, ont pesé sur la nature de l'intérêt qu’ils
ont porté à la question des femmes. La plupart
de ces partis politiques ont vu le jour dans le
contexte politique de la domination coloniale
occidentale. C’est la raison pour laquelle ils ont
été amenés à centrer leur intérêt sur la cause
nationale, en réclamant l'indépendance de
leurs pays et en participant, sous différentes
formes, à la résistance anticoloniale. La
question sociale, y compris la cause des
femmes, a ainsi été reportée jusqu'à l'obtention
de l'indépendance.
Une fois l’indépendance acquise, les
partis politiques ont commencé à élaborer
des programmes généraux sur les réformes
à entreprendre où le politique, le social et
le culturel s’interpénètrent. Dans ce cadre,
la question des femmes a pris une nouvelle
dimension, les femmes formant la moitié de
la société. Cependant, les mots d’ordre sur
la réforme se sont, en général, appuyé sur
la pensée positiviste en considérant que la
réforme globale (la société) ne peut avoir lieu
qu’à travers la réforme partielle (la famille)
et que la réforme de cette dernière exige la
considération de la situation des femmes en
tant composante essentielle de la famille.
Aussi s’est-on intéressé aux codes du statut
personnel, non pas parce qu’ils devraient
garantir des droits humains et sociaux d’égalité
pour les femmes et leur permettre d’acquérir
les compétences et les capacités qui lui
permettent de participer à la prise en charge
de leurs familles et donc de leurs sociétés, mais
pour réglementer leurs relations avec leurs
maris et leur garantir quelques droits au sein de
la structure familiale traditionnelle. En outre,
l’importance de l’éducation des femmes a été
mise en exergue, non pas parce que l’éducation
est l’un des droits fondamentaux des femmes,
Les structures économico–politiques
Une femme brillante : Djamila Bouhired
“ Nom : Djamila Bouhired
Numéro de cellule : 90
Prison militaire : Oran
Âge : 22 ans
Les yeux comme les cierges d’un
“ temple ”
Les cheveux arabes noirs
Comme l’été !
Comme une cascade de tristesse ! ”
C’est ainsi que le poète Nizar alQabbani immortalise avec ces lignes la
femme militante algérienne.
Etant
l’une
des
militantes
algériennes qui ont combattu au nom de
la révolution nationale algérienne pour
la libération nationale du colonialisme
français, Bouhired a rejoint les rangs du
mouvement de résistance clandestin en
1956 alors qu’elle n’avait encore atteint
ses 20 ans. Elle fut arrêtée lors d’une
opération des forces spéciales françaises.
Traduite devant un tribunal en juillet
1957, elle est condamnée à la peine
capitale. La forte pression de l’opinion
publique internationale qui s’est
mobilisée pour la soutenir a néanmoins
forcé les Français à retarder l’exécution
de la sentence ; elle fut transférée en
1958 à la prison de Reims, en France.
Suite aux progrès réalisés lors des
négociations entre la France et l’Algérie,
à la signature des Accords d’Evian et à
l’annonce de l’indépendance de l’Algérie
en mai 1962, les prisonniers algériens ont
été graduellement libérés, et Bouhired
était parmi eux. Après l’indépendance,
Bouhired a assuré la présidence de
l’Union des femmes algériennes, jusqu’à
sa démission.
Se rappelant le jour de sa
condamnation à la peine capitale,
Djamila Bouhired dit, “ Ce fut le jour le
plus beau de ma vie, j’étais convaincue
que j’allais mourir pour l’histoire la plus
merveilleuse au monde… Je me rappelle
toujours que sur le chemin du retour
de la salle d’audience du tribunal à la
prison, les frères prisonniers ont crié à
notre attention pour savoir quel était
le verdict. Nous avons répondu en
chantant l’hymne que les condamnés
à mort fredonnent. Cet hymne débute
ainsi : “ Dieu est Grand…. Nous nous
sacrifions pour la mère patrie. ” J’étais
avec Djamila Bou `Azza et ce fut un
moment fort en émotions. Des milliers
et des milliers de voix ont répété
l’hymne avec nous, pour nous donner
du courage ”.
Elle se rappelle, aussi, le jour où
elle et ses camarades femmes furent
libérées de prison. Elle dit qu’elle a
erré dans les rues de Paris pendant 48
heures sans but et sans se reposer. Paris
l’a impressionnée tellement qu’elle s’est
demandée naïvement, “ si leur pays est
si beau, comment se fait-il qu’ils veulent
mettre la main sur le nôtre ? ”
Farida Allaghi
mais parce que une telle éducation a un impact
positif sur l’éducation des enfants et parce que
les hommes éduqués et les cadres de l’Etat
peuvent ainsi vivre avec des femmes instruites
à l’image du modèle européen. Ces partis
politiques ont eu recours à une multitude de
références intellectuelles allant de la pensée
néo-salafiste, au nationalisme, au libéralisme
en passant par le socialisme selon le système
intellectuel adopté par l’un ou l’autre de ces
partis.
Ces partis politiques se sont inspirés dans
leurs projets de réformes, relatifs aux femmes,
des idées et des efforts d’interprétation d’un
certain nombre d’intellectuels réformateurs
tels que Rifa‘a al-Tahtawi, Muhammad
‘Abdu, Qasim Amin, Farah Antoine, al-Tahir
al-Haddad, Salama Musa, Muhammad Ibn
al-Hasan al-Hajawi, Allal al-Fasi et d’autres
233
Le trait général des
partis politiques dans
les pays arabes, qu’ils
dans l’opposition ou
au pouvoir, est le
faible niveau de la
présence féminine
dans l’activité
partisane
Le développement
des revendications
des mouvements
des femmes arabes
et le fait que les
gouvernements
acceptent de plus en
plus de considérer le
quota comme moyen
de faire accéder les
femmes aux centres
de prise de décision
ont abouti à quelques
changements positifs.
234
encore.
Toutefois, les échecs politiques successifs
des différents projets et appels à la réforme ou
au changement sur la scène arabe ont conduit
à de fortes divergences sur l’évaluation des
contextes arabe et international, entraînant
du même coup de sévères divisions politiques.
Ceci s’est traduit par une balkanisation de la
carte partisane dans les pays arabes et à une
atomisation des attitudes des partis politiques
par rapport à la question des femmes. On
assista alors à une diversification des positions
et une multiplication des propositions. Ceci n’a
cependant pas empêché ces partis politiques
de considérer la question féminine comme une
composante essentielle de leur discours et de
leur action. Il en a résulté ce qui suit :
• la constitution de secteurs féminins
dépendant de ces partis politiques ;
• la constitution d'association et d’unions
féminines formellement indépendantes
mais dépendantes des partis au niveau de
l'encadrement et de l'orientation ;
• associer des femmes aux instances
dirigeantes, même si c’est à des taux faibles
et variés d’un parti à l’autre ;
• la coordination avec les organisations de la
société civile, y compris les organisations
féminines, en matière de revendications ;
• l’inscription de la cause des femmes dans
leurs programmes et revendications.
Ces revendications peuvent concerner
les hommes et les femmes à la fois
(enseignement, santé, emploi, promotion
sociale, etc.), comme elles peuvent propres
aux femmes (Code du statut personnel, les
droits politiques représentés en principe dans
leur droit à pouvoir voter et être candidates
aux élections municipales et parlementaires,
l’égalité d’accès aux postes de direction des
différents organismes et administrations, la
revendication du système des quotas pour
les femmes par certains partis).
Ces partis politiques ont réussi, malgré
leurs divergences et leurs positionnements
politiques d’un pays arabe à l’autre, et en dépit
du blocus qui leur est imposé par les régimes
en place, à faire avancer la cause des femmes
à travers :
• les alliances et les blocs partisans ;
• la coordination avec les organisations de la
société civile qui partagent leurs visions ;
• la coordination avec les mouvements
féminins pour appuyer les positions et les
revendications ;
• la coopération avec les organes officiels, les
partis au pouvoirs ou administratifs quand
les alliances politiques conjoncturelles
l’exigent.
Ces efforts ont contribué à la réalisation
de nombreuses avancées en faveur des femmes
dans les pays arabes (Guessous, Texte d’appui
au Rapport). Mais en dépit de ces avancées, le
trait général des partis politiques dans les pays
arabes, qu’ils dans l'opposition ou au pouvoir,
est le faible niveau de la présence féminine
dans l’activité partisane qu’illustrent l'absence
quasi-totale des femmes dans les instances
dirigeantes à tous les niveaux et dans tous les
espaces et la présence timide et limitée dans les
structures moyennes et inférieures.
des quotas pour les femmes
dans les institutions
politiques
L’application du système de quota doit être une
étape d’un processus global de développement,
autrement elle ne serait qu’un geste symbolique
dont l’effet disparaît avec l’arrêt du système.
D’aucuns pensent que l’application du système
des quotas en Jordanie, dont l’expérience
démocratique est récente, a permis de porter
quelques femmes au parlement, a représenté
un pas pour briser les barrières dressées face à
la participation politique active des femmes et
a encouragé les tribus à présenter des femmes
candidates. Toutefois, il y a un consensus
qu’il ne s’agit là que d’un geste temporaire en
attendant que le contexte et la société soient
plus favorables à la mise en œuvre de l’égalité
totale.
Le développement des revendications des
mouvements des femmes arabes et le fait que
les gouvernements acceptent de plus en plus
de considérer le quota comme moyen de faire
accéder les femmes aux centres de prise de
décision ont abouti à quelques changements
positifs. Au Maroc, le pourcentage de femmes
parlementaires est passé de 1% en 1995 à 11%
en 2003. En Jordanie, ce taux passe de 2,5%
en 1995 à 5,5% en 2003 et en Tunisie de 6,8%
Rapport sur le développement humain arabe 2005
en 1995 à 11,5% en 2003 (UNIFEM, en arabe,
2004, 270). En IraK, le taux participation des
femmes aux élections a atteint 25% en 2005.
L’UNIFEM estime, dans son rapport sur les
acquis des femmes, que les expériences de la
Jordanie, du Maroc et de la Tunisie confirment
que le système des quotas représente un
nouveau mécanisme pour accroître la
représentation des femmes dans les différentes
instances législatives.
Le système des quotas a aussi contribué
à introduire les femmes dans les conseils
des gouvernements locaux où la résistance à
l’entrée des femmes est plus forte. Les femmes
y ont accédé pour la première fois en Palestine,
quand le Ministère du gouvernement local a
promulgué – suite aux fortes pressions exercées
par le mouvement féminin palestinien – un
décret pour nommer une seule femme dans
chacun de quelques conseils de gouvernement
local. Cependant, lors des premières élections
de ces conseils, tenues en décembre 2004 dans
le cadre de l’Autorité palestinienne, 59 femmes
ont remporté des sièges sur 139 candidates
contre 254 sièges pour les hommes sur 852
candidats. En d’autres termes, les femmes ont
obtenu 17% des 306 sièges sur les 26 points
dans lesquels se sont déroulées les élections. Sur
l’ensemble des femmes élues, 35 l’ont remporté
face à des hommes – ce qui représente un plus
pour le mouvement des femmes palestiniennes
– et 24 furent élues sur la base du principe
du ‘quota’ (Le journal palestinien Al–Ayyam,
2004:9).
Les élections législatives palestiniennes de
2006 offrent un exemple unique qui permet
d’évaluer l’impact du système des quotas sur
l’ampleur de la participation parlementaire
féminine. Les élections se sont déroulées
sur la base d’un système mixte qui permet
d’élire la moitié des membres du conseil à
partir de listes partisanes et l’autre moitié
directement dans les circonscriptions. Des
quotas de femmes sur les listes partisanes ont
été fixés. Le nombre des femmes candidates
dans les circonscriptions a été de 15 sur 414
candidats, mais aucune d’entre elles n’a été
élue; alors que les candidates faisant partie des
listes partisanes étaient 70 sur un total de 314
candidats ; 17 d’entre elles ont été élues, à un
taux de 24%. Ainsi, les femmes occupant des
Les structures économico–politiques
sièges dans le conseil législatif élu en 2006 ont
représenté 12,9% (soit 17 sur 132 membres),
contre 5,6% dans le conseil précédent. Ceci est
du à l’absence de quotas réservés aux femmes
lors des élections législatives palestiniennes de
1996, contrairement à celles de 2006 qui ont
retenu des quotas de trois femmes par liste,
sans qu’il y ait cependant de quotas au niveau
des circonscriptions.
La démocratie authentique accroît la
participation des femmes, et la participation
authentique des femmes consolide la
démocratie dans les pays arabes.
La société civile arabe et la question de la femme
Le monde arabe assiste, depuis le début
des années 1990, à une forte expansion des
associations actives et des organisations non
gouvernementales. Une grande partie de ces
organisations travaillent sur les questions
d’autonomisation des femmes sur les plans
politique, économique, juridique et social.
Quelques-unes d’entre elles ont réussi à
organiser des campagnes nationales pour
modifier quelques lois injustes à l’égard des
femmes, comme par exemple la modification
du code pénal jordanien en matière de ce qui
est appelé délits d’honneur, pour l’adoption
du système des quotas comme en Algérie,
en Jordanie, au Maroc, en Palestine et dans
d’autres pays ou encore pour faire pression sur
les gouvernements pour prendre les mesures à
même de mettre fin à la violence à l’égard des
femmes.
De nombreuses lois dans les pays arabes
imposent aux associations civiles, à caractère
féminin ou civil, de ne pas s’impliquer en
politique ou de toucher aux questions politiques.
Ceci agit comme une barrière juridique contre
la libre expression de l’opinion, ce qui implique
que la politique est soustraite aux activités de
la société civile et à toute activité civile et social
(Hatab, en arabe, 2004:157-169).
En dépit de l’importance du soutien
apporté par ces organisations et associations,
pour ce qui est des services offerts, dans
différents domaines, à des franges de la
population féminine qui en ont besoin, les
doutes subsistent quant à leur capacité à
La démocratie
authentique accroît
la participation
des femmes, et
la participation
authentique des
femmes consolide la
démocratie dans les
pays arabes.
235
Les médias sont
une arme à double
tranchant : ils sont
un terrain pour
l’action des forces
de changement des
relations du genre
social mais ils peuvent
aussi constituer une
arme entre les mains
des forces hostiles au
changement.
changer les rapports de forces dominants
dans les sociétés arabes, rapports qui ne sont
pas favorables aux femmes. Certaines études
indiquent que la plus grande présence de
ces organisations est concentrée dans les
centres urbains, loin des régions pauvres et
marginalisées (Ben Nefissa en anglais, 2001;
Hanafi et Tabar en anglais, 2002:31-37 ; Jad,
en anglais, 2004b; al-Shalabi, en arabe, 2001;
ESCWA, en arabe, 2006b; sous impression).
Les franges de la population féminine qui
subissent les plus grandes privations et qui
sont les plus indigentes sont souvent hors de
la portée de l’action de ces organisations. En
outre, la représentation des femmes dans ces
organisations, toutes positions économiques
et sociales confondues, reste faible et se limite
habituellement aux femmes instruites de la
classe moyenne. En plus, le développement de
ce type d’organisations sociales ne signifie pas
nécessairement une plus grande représentation
politique ou sociale des différentes franges de
la population féminine. Il semble d’ailleurs que
bon nombre de ces organisations ne cherchent
pas fondamentalement à organiser les femmes
pour défendre leurs droits et intérêts, mais
plutôt des droits en général dont la satisfaction
répondrait aux intérêts de toutes les femmes.
L’expérience montre que le discours produit
par cette forme d’organisation est facile à
réfuter et à rejeter par n’importe quelle autre
force politique disposant d’une large base
sociale qu’elle représente et dont elle défend
les intérêts, même lorsque d’aucuns estiment
qu’une telle force politique œuvre à l’encontre
des intérêts des femmes, comme les mouvements
politiques socialement conservateurs.
Le rôle des médias
Les médias jouent généralement un rôle
important dans la stimulation de la participation
politique et dans le changement des stéréotypes
sur les rôles du genre social. Cependant, les
médias sont une arme à double tranchant :
ils sont un terrain pour l’action des forces de
changement des relations du genre social mais
ils peuvent aussi constituer une arme entre les
mains des forces hostiles au changement. Ainsi
peut remarquer les contradictions du discours
médiatique quand il s’agit par exemple du
236
traitement des questions de la violence à l’égard
des femmes telles que les ‘crimes de l’honneur’
ou la circoncision ou lorsqu’il s’agit de modifier
les codes du Statut personnel.
Les médias audiovisuels arabes, surtout
les chaînes satellitaires, ont connu une grande
expansion. Le nombre de femmes dans
ces médias s’est également accru comme le
montrent les statistiques relatives à certains
pays arabes. Néanmoins d’autres pays comme
le Yémen, par exemple, accusent un faible taux
de participation féminine dans les mass médias
(audiovisuels et écrits), bien que le nombre de
femmes travaillant dans ce secteur augmente
progressivement. La société et la famille
continuent de tenir le travail dans ce domaine
pour indigne et inacceptable. De plus, l’intérêt
que les femmes portent à ces médias ne va pas
au-delà des préoccupations traditionnelles des
femmes comme l’art culinaire, la gestion du
foyer et les produits cosmétiques. Aussi, bien
que l’intérêt des femmes pour le travail dans
les médias se fasse de plus en plus fort dans
des pays arabes, comme la Palestine, le Liban
et d’autres encore, il n’y a pas d’indication sur
une tendance chez un grand nombre d’entre
elles pour devenir reporters.
De même, il n’y a pas d’indications sur
une tendance chez les femmes à devenir
propriétaires à copropriétaires des moyens
d’information. Il est plus habituel que des
femmes détiennent la propriété de sociétés
qui éditent des publications sociales plutôt
que des sociétés d’édition de publications
politiques. En tout cas, les femmes sont loin
de contribuer à l’élaboration des politiques et
de participer à la prise de décision. Ainsi au
Liban, la part des agences de publicité dont la
propriété revient à des femmes reste faible et ne
dépasse pas 11,68% de l’ensemble des agences
publicitaires. En Palestine, aucune femme ne
fait partie du directoire de la rédaction de l’un
des trois journaux palestiniens, tandis qu’il n’y
a qu’une seule femme rédactrice en chef d’un
journal en Irak.
La question reste posée quant à l’ampleur
de l’impact positif qu’aura, sur les orientations
générales des programmes et sur l’image de
la femme, la présence croissante des femmes
arabes dans l’espace médiatique, surtout eu
égard à la présence de plus en plus grande des
Rapport sur le développement humain arabe 2005
médias commerciaux qui associent la liberté
sociale des femmes et la liberté de choisir un
détergent ou une machine électrique donnés.
L’égalité y est présentée comme l’égalité des
femmes de consommer et leur liberté d’acheter,
selon des considérations publicitaires régies
par le marché de la publicité, avec ce qui s’en
suit comme déformation de la conscience
de la société et des femmes d’elles-mêmes. A
cela, il faut ajouter une absence des femmes
des sphères d’élaboration des politiques
médiatiques, surtout celles d’entre elles dont
la conscience des relations de genre pourrait
aider à dans la prise de décision concernant ce
que devrait être l’image à donner des femmes.
Le fait d’insister sur des types précis de
consommation de produits de nettoyage et de
toilette renforce l’image stéréotypée des femmes
dans ces domaines. De plus, la nouvelle vague
de médias commerciaux centrent l’intérêt sur le
corps des femmes comme une source de désir
et de tentation pour les hommes, par le biais
de la publicité et de la promotion de parfums,
de vêtements, de moyens d’épilation, etc. Ce
nouveau rôle assuré par un nombre de médias
arabes ne renforce pas seulement les anciens
stéréotypes sur les hommes et les femmes, mais
encourage aussi les forces qui s’opposent à tout
changement de ces rôles. Une telle situation
appelle une attitude vigoureuse de l’Etat
ainsi que des forces de la société civile pour
faire en sorte que les moyens d’information
jouent utilement leur rôle en vue de changer
les stéréotypes et les relations du genre social
dominants.
Attitudes des forces
politiques vis-à-vis des
femmes arabes
On peut dire que les différentes forces
politiques présentes sur la scène arabe ne
s’opposent pas à la promotion des femmes
et à leur participation politique et sociale.
Ces forces politiques considèrent acceptable
l’égalité des femmes aux plans légal et politique.
Le problème réside dans la concrétisation de
ces visions dans la vie partisane et politique.
La participation des femmes reste faible dans
tous les partis politiques. Elle est peut être
plus importante dans les partis au pouvoir
Les structures économico–politiques
dominants qui utilisent la mobilisation de masse,
notamment dans les régimes qui n’adoptent
pas le pluripartisme comme en en Syrie et en
Tunisie. La seule exception par rapport à cette
attitude relative à la promotion des femmes est
représentée par le courant salafiste qui régresse
sur le plan politique dans plusieurs pays, mais
dont l’influence est en général manifeste dans
la Péninsule arabique, bien que variant d’un
Etat à l’autre.
Il importe de souligner que les postures
des courants et des forces politiques ne sont
pas des postures tranchées axées uniquement
sur des idéologies, mais sont celles de forces
politiques agissant dans un espace général
régi par une culture politique et sociale. Aussi
faudrait-il mesurer le discours aux actes et
comprendre la relation dialectique complexe
entre les deux niveaux. Par exemple, la parti
au pouvoir dans un pays arabe comme l’Egypte
peut soutenir la participation des femmes,
mais au moment des élections ce parti montre
plus d’intérêt aux calculs politiques étroits
au lieu de respecter l’obligation de principe
telle qu’elle ressort du discours. Ce parti n’a
présenté la candidature que de 6 femmes sur
444 candidats lors des dernières élections
parlementaires, alors qu’il avait promis de
présenter 25 candidates (Reuters). Un parti
politique de gauche au Maroc peut être
intellectuellement progressiste sur la question
des femmes, mais les femmes n’occupent
qu’un nombre limité de sièges au sein de ses
comités centraux, etc. Il faut aussi souligner
les disparités entre les différents courants
à travers les pays : la gauche au Maghreb ne
prend pas nécessairement les mêmes positions
que la gauche au Mashrek sur les questions
de l’Etat, de la religion et des femmes. Les
Frères Musulmans au Maroc n’adoptent pas
les mêmes stratégies politiques et les mêmes
pratiques comme ceux de Syrie et d’Egypte.
C’est la raison pour laquelle les postures des
forces politiques ressemblent beaucoup plus
à une matrice complexe qui ne peut pas être
subdivisée seulement verticalement en forces
politiques, mais qui doit être étudiée aussi
en détail horizontalement pour comprendre
les disparités géographiques et territoriales
et mêmes régionales entre elles (Ezzat, Texte
d’appui au rapport).
La participation
des femmes reste
faible dans tous les
partis politiques.
Elle est peut être
plus importante
dans les partis au
pouvoir dominants
qui utilisent la
mobilisation de
masse, notamment
dans les régimes qui
n’adoptent pas le
pluripartisme .
237
Les attitudes des mouvements
islamistes vis-à-vis de la femme
Le niveau de l’activité
des femmes dans
l’espace politique
diffère selon les
courants qui adoptent
la vision intellectuelle
des Frères Musulmans
238
La position des mouvements salafistes a
toujours été claire, à savoir, que la place d’une
femme est d’être à la maison et que son rôle est
de s’occuper de la famille. Et s’ils ont accepté
le droit de vote pour les femmes par analogie
avec le principe d’allégeance, ils estiment par
contre inacceptable d’accorder aux femmes le
droit de se présenter comme candidates aux
élections et d’occuper des fonctions publiques
“ saddan lil-dhara’i ” (pour éviter les pièges).
Ainsi les conceptions du courant salafiste,
dans leur ensemble s’opposaient à l’efficacité
et à l’activisme féminin dans la société civile.
Ce courant adopte une vision de principe de
la division du travail social qui cantonne les
femmes aux rôles de la reproduction, de la
maternité et de l’éducation des enfants, et qui
met en garde contre la mixité. Le maximum
que l’on puisse attendre des salafistes c’est
qu’ils consentent, en matière d’activité sociale
des femmes, d’accepter qu’elles assurent une
activité indépendante dans les domaines de
l’activité civile caritative.
Il faut dire que, tenu pour constituer
la source principale du terrorisme et visé
depuis les événements du 11 septembre 2001,
aussi bien dans ses expressions pacifiques
que violentes, le mouvement salafiste vit une
situation de désarroi tant au niveau de ses
structures organisationnelles qu’au plan des
thèses traditionnellement défendues par lui.
Bien que ce courant ait historiquement opposé
un refus aux idées de mixité et de participation
politique des femmes, ses rangs ont connu de
grandes divergences, pour ne dire conflits, au
sujet du rôle que doivent jouer les femmes.
Il y a en effet une tendance qui accorde la
priorité au concept de supériorité masculine
(qiwama) sur ceux de souveraineté (wilaya) et
de participation alors que d’autres ont engagé
des femmes salafistes dans des opérations
militaires (en IraK par exemple) ou ont accepté
des droits politique des femmes tout en
excluant la petite et la grande imamas comme
au Koweït (une telle orientation est rejetée par
une grande majorité au Yémen et en Arabie
Saoudite). Cependant, toutes les composantes
du mouvement acceptent l’idée d’une activité
sociale indépendante des femmes dans le
domaine de l’activité civile caritative.
Sur l’autre côté de la scène, le mouvement
des Frères musulmans adopte une position de
principe favorable à l’obtention de leurs droits
politiques par femmes. Il accepte en outre, à
cet égard, des interprétations élaborées par des
docteurs contemporains en sciences religieuses
de l’intérieur du mouvement ou proches
de lui comme al-Ghazali et al-Qaradawi,
par exemple. En 1994, avant la tenue au
Caire de la Conférence sur la population, les
Frères Musulmans en Egypte ont publié un
document intitulé “ La Femme musulmane
dans la société musulmane ” reflétant une
position modérée qui accepte la participation
politique des femmes (excepté pour la grande
imama). Le projet de réforme proposé en
2004 par les Frères Musulmans en Egypte
comporte également une position modérée
sur les questions relatives à la situation des
femmes. Les organisations du mouvement
en Algérie, en Irak, au Liban et en Tunisie
ont des positions qui prennent pour point de
départ le mot d’ordre de l’Etat civil qui assure
aux femmes leurs droits politiques les plus
importants. Il y a un courant chiite politique
large en Irak et au Bahreïn qui partage ce point
de vue avec les Frères Musulmans. Le courant
shiite conservateur a par contre tendance à
imposer des restrictions fondamentales au
rôle des femmes dans la vie publique et à leur
participation dans la vie politique.
Le niveau de l’activité des femmes dans
l’espace politique diffère selon les courants
qui adoptent la vision intellectuelle des Frères
Musulmans. Au sein du Parti de la Justice et
du Développement au Maroc, on constate
une présence significative des femmes et de
plusieurs figures qui se sont distinguées lors
des débats d’il y a quelques années sur le Code
du statut personnel. Les femmes ont été aux
premières lignes lors des élections législatives
tenues au Maroc en 2002 et 15 candidates sur
la liste des candidats du parti à ces élections ont
été élues. Mais dans la mesure où le système
de la proportionnelle fait que le nombre de
sièges est rapporté à la part des voix obtenues
par le parti, six seulement d’entre elles ont pu
devenir parlementaires sur les 35 femmes qui
Rapport sur le développement humain arabe 2005
Encadré 9-1
Shaykh Muhammad Mahdi Shams al-Din : Il n’y a aucune objection pour que les
femmes occupent la fonction suprême
“ (Sur) la question de l’éligibilité des femmes pour
occuper la fonction suprême de l’Etat, nous en
sommes arrivés, après examen des preuves – bien
entendu Dieu, le Grand et le Glorieux, sait mieux
que quiconque la réalité de Ses commandements
– au fait que le consensus passé entre fukaha
(jurisconsultes musulmans) et qui consiste à déclarer
illégitime toute action de la part des femmes visant
le pouvoir, est une prétention qui ne s’appuie sur
aucune base crédible”.
Source : Shams al-Din, en arabe, 2001, 5.
Encadré 9-2
Abd Al-Halim abu Shaqqa : Le droit des femmes à élire et à se faire élire
La loi islamique approuve le droit des femmes
à voter
La règle fondamentale stipule : “ les choses sont
à l’origine permises”. Dans la mesure où la Loi
islamique ne comporte aucune indication interdisant
aux femmes le droit d’élire, nous considérons que
ce droit est légitime à la base. Quant à l’application
pratique, nous choisissons parmi ce qui est licite
ce qui convient à nos circonstances et sert nos
intérêts.
Nous reproduisons ici un avis émis par Dr.
Mustafa Al-Siba’i, puisse Dieu bénir son âme. Dr.
Al-Siba’i était professeur de Shari’a (loi islamique)
et doyen de la faculté de Shari’a (études et
jurisprudence islamiques) de l’université de Damas.
Son opinion que nous citons est celle d’un groupe
de spécialistes de la Shari’a, qui ont débattu de la
question de savoir jusqu’à quel point la Shari’a
approuve le droit des femmes d’élire et de se faire
élire. Dr. Al-Siba’i a dit, “ … après discussion et
analyse des différents points de vues, nous avons
considéré que l’Islam n’interdit pas ce droit aux
femmes. L’élection est un exercice par lequel la
nation choisit ses représentants pour légiférer et
contrôler l’action du gouvernement. L’opération
électorale est une procuration au cours de laquelle
la personne se présente au bureau de vote pour
accorder sa voix à ceux qu’il choisit comme ses
représentants au parlement, pour parler en son
nom et défendre ses droits. Il n’est pas interdit à la
femme en Islam de donner une procuration à une
personne pour défendre des droits et d’exprimer sa
volonté en tant que citoyenne…”
Le droit d’une femme d’être candidate à l’élection
aux assemblées législatives
La discussion là aussi tourne autour de deux axes
: le premier, la Shari’a approuve le droit de la
femme de se présenter aux élections et, le second,
l’introduction de conditions particulières pour que
la femme exerce ce droit.
Premièrement : la Shari’a approuve le droit de la
femme à se présenter aux élections.
Nous réitérons que la règle fondamentale selon
laquelle “ les choses sont à l’origine permises ”.
Dans la mesure où la Loi islamique ne comporte
aucune indication interdisant aux femmes le droit
d’élire, nous considérons que ce droit est légitime
à la base. Quant à l’application pratique, nous
choisissons parmi ce qui est licite ce qui convient
à nos circonstances et sert nos intérêts.. Nous
reproduisons ici une opinion du ` Dr. Mustapha
Al-Siba’i. Mustafa, puisse Dieu bénir son âme,
dans laquelle il dit : “ … Si les principes de l’Islam
n’interdisent pas à une femme d’être électrice,
lui interdisent-ils d’être représentante ? Avant de
répondre à cette question, nous devons savoir la
nature de la députation au nom de la umma. Elle
couvre nécessairement deux fonctions principales
:
1. La fonction de légiférer: la production des lois
et des règlements.
2. La fonction de contrôle : le contrôle du
comportement et des actions du pouvoir
exécutif.
S’agissant de légiférer, il n’y a rien en Islam
qui interdise qu’une femme soit législatrice, parce
que le travail législatif nécessite, avant tout, le
savoir et la connaissance des besoins de la société
et ses nécessités de base. L’Islam accorde le droit
au savoir aux hommes et aux femmes sur un pied
d’égalité. Notre histoire a connu un grand nombre
de femmes de sciences dans les disciples du Hadith,
de la jurisprudence, de la littérature, etc. ”
Deuxièmement : l’introduction de conditions
particulières pour que la femme exerce ce droit
Le contrôle de l’autorité exécutive entre dans
la catégorie du fait d’ordonner le convenable et
d’interdire le blâmable, et à cet égard les hommes
et les femmes sont égaux du point de vue l’Islam.
Allah, le Glorieux et le Sublime, dit dans le Coran
: “ Les croyants et les croyantes sont alliés les
uns des autres. Ils commandent le convenable,
interdisent le blâmable.. ” (Coran, AT-TAWBAH
(LE DÉSAVEU ou LE REPENTIR), vers 71). Par
conséquent, il n’y a rien dans les textes explicites
de l’Islam qui puisse priver les femmes de leur
aptitude à exercer l’activité parlementaire dans ses
volets législation et contrôle du pouvoir exécutif ”.
Source : Abu Shaqqa, en arabe, 1999, 446-448.
Les structures économico–politiques
239
ont accédé au parlement après le boom de la
représentation féminine au parlement suite
à l’arrangement national de faire figurer les
femmes sur de la liste nationale des partis. Dans
une autre partie du monde arabe, on constate
une présence remarquée des femmes au sein
de l’Union Islamique du Kurdistan, avec cinq
femmes sur 35 membres du bureau politique,
trois femmes islamistes appartenant à l’Union
Islamique siègent au parlement du Kurdistan.
En outre trois femmes de cette Union siègent
au parlement irakien.
La force du mouvement salafiste dans
certains pays, particulièrement dans la
Péninsule arabique, est telle qu’elle pousse les
Frères Musulmans, en dépit de leur ouverture
Une femme brillante : Zaynab Al-Ghazali
Zaynab Al-Ghazali a été considérablement
influencée par l’éducation religieuse qui lui a été
prodiguée par son père, qui était un des ulama
de l’Azhar al Sharif. Son père l’habitude d’appeler
sa fille Nasiba, référence heureuse Nasiba AlMaziniyya Al-Ansariyya bint Ka’b, qui faisait partie
des compagnons célèbres du Prophète. Après la
mort de son père, Zaynab Al-Ghazali a regagné
avec sa mère le Caire pour vivre avec ses frères, qui
y étudiaient et travaillaient. Son frère aîné refusa
son instruction. Elle alla elle-même demander au
directeur d’une école de filles de l’y inscrire. AlGhazali étudia dans des écoles publiques mais
ceci n’était pas assez pour elle. Elle commença à
se rendre aux cours de sciences religieuses donnés
par les cheikhs de l’Université Al Azhar afin de
combiner les sciences modernes de l’enseignement
public avec leurs contreparties traditionnelles appris
directement auprès des cheikhs.
Après obtention de son baccalauréat, Al-Ghazali
rencontre Huda Sha’rawi et devient membre de
l’Union des femmes. Il était prévu qu’elle se rende
en France dans le cadre d’une bourse d’études, mais
elle ne l’a pas fait bien qu’ayant été choisie, avec
deux autres jeunes femmes de l’Union. Al-Ghazali a
continué à être active au sein de l’Union en reprenant
à son compte les idées de Huda Sha’rawi et son
projet pour le développement des femmes et leur
préparation à assumer leur rôle culturel et social,
tout en continuant à faire ses prières, à jeûner, à lire
le Coran et à porter la casquette.
Par la suite, un certain incident a constitué
un tournant dans sa vie entraînant la naissance de
la Zaynab voilée, qui démissionne de l’Union des
femmes sans toutefois jamais avoir de doute à propos
de la foi de Huda Sha’ rawi, de sa sincérité et son
amitié en dépit du caractère laïc de son mouvement
et de sa position sur la question du voile.
La démarche d’Al-Ghazali constitue une réponse
précoce aux appels à la libération des femmes selon
une vision islamique et une réponse irréfutable
à tous ceux qui ont cherché à lier le retard des
femmes à l’Islam. Elle fonda l’Association des dames
musulmanes en 1937 sur son initiative personnelle
qui n’avait rien à voir quelque organisation politique
ou masculine qu’elle soit et a obtenu une autorisation
du ministère des Affaires religieuses, alors qu’elle
n’avait pas encore dépassé ses dix-huit ans. Elle
240
tenait des réunions hebdomadaires régulières pour
encourager l’activisme et le prosélytisme. Suite à son
succès, elle se rapprocha de la Djamaa des Frères
musulmans pour finalement intégrer l’association
dans la Djamaa.
L’association ne s’est pas contentée des activités
caritatives. Elle s’est également tournée vers l’action
politique qu’on ne peut pas dissocier de l’action
sociale. En effet, dans l’esprit de Al-Ghazali,
la politique influence les activités caritatives,
culturelles et sociales… Dans la mesure où l’objectif
de l’association est de défendre l’Islam, d’exiger
l’application de la Shari’a et d’appeler les musulmans
à suivre les enseignements du Livre de Dieu, elle s’est
naturellement heurtée à tous les partis politiques et
au pouvoir en place... Cette confrontation atteint
son apogée avec son arrestation à son domicile le
20 août 1964 dans le cadre d’une d’une campagne
contre les Frères musulmans qui s’est soldée, pour
Zaynab Al-Ghazali par une condamnation à la
prison à perpétuité. Elle sera libérée en 1971. AlGhazali parle de cette épreuve douloureuse dans
son ouvrage célèbre, Ayyamun min hayati (Jours
de ma vie) (Dar el-Shorouk, 1995), qui est considéré
comme un document historique sur une période
historique importante - de 1964 à 1971 - dans la vie
du mouvement islamique contemporain.
Zaynab Al-Ghazali a une vision optimiste et
positive du rôle des femmes musulmanes. Malgré
son discours ressassé sur “ le royaume de la femme,
sur le trône duquel elle s’assiérait et qui fait d’elle
une reine dans son foyer ”, elle considérait que le
développement et la modernisation du monde
musulman passaient par l’intermédiaire des femmes
et que la promotion de la société commence et finit
avec elle. Elle a visité la plupart des pays du monde
musulman pour défendre les idées et soutenir
la cause des mouvements islamistes pendant la
deuxième moitié du vingtième siècle. Elle a de
nombreux écrits, certains sont en cours d’édition.
Il en a été publié Nazarat fi Kitab Allah (Vues du
le Livre de Dieu), Nahwa Ba’tin Jadid (Vers une
nouvelle Renaissance), Ila Ibnati (A m