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M AG A ZIN E St yl e, m edi a& cre ativ e in dus try comm ent no 3 le g —V lam OL. 2 une o —M brè u r se r ve h ARS etro , AV isto RIL, ire u ve MAI du c -t-il 2011 ool en s —c o l des omm ? — ent po les foir urquo i es d ’art la Sain son t t de Marti n ven ues s est la évé nem Saint M ent iell artins es ? ? SPÉ CIAL MODE & BU SINE SS ÉDITO Avez-vous remarqué que les magazines n’ont plus de baseline ? Terminé « le poids des mots, le choc des photos » et autre « magazine de l’homme moderne ». Aujourd’hui, les magazines ont des noms génériques : Numéro, Another, Industrie – sans compter Magazine. Que se cache-t-il derrière cette stratégie d’effacement ? Probablement que la presse écrite n’a plus grand-chose à revendiquer, pas même un regard singulier, ou alors purement stylistique. Un point de vue ? pour quoi faire ? Et, de fait, si on regarde les différents titres, les mêmes infos s’y débattent sous des atours variés, mais peu de sujets sont produits ex nihilo ou dans le dos de la fée actualité. Alors, si les variations concernent le style, les magazines sont devenus une affaire de direction artistique, et c’est (presque) tout. Heureusement, un presque subsiste… Angelo Cirimele magazine no 3 3 magazine no 3 4 magazine no 3 5 Sommaire p.12 — Brèves P.76 — Portfolio SHOP ASSISTANT Photographie : Charles Fréger P.16 — Magazines Under Current / A Perfect Guide / Vintage Magazine / Too Much / Work Style TEXTES P.26 — Shopping 26 E fESTIVAL INTERNATIONAL DE MODE ET DE PhOTOGRAPhIE 426 EUROS Portfolio de Fred Lebain P.88 — Contre La musique au restaurant Par Gabriel Gaultier TEXTES P.90 — Mood-board Capes 60’s, 70’s, 80’s Par Florence Tétier P.36 — Interview Le glamour vu d’en bas Par Farid Chenoune fESTIVAL 29 AVRIL - 2 MAI ExPOSITIONS 29 AVRIL - 29 MAI P.94 — Chronique Quoi de neuf, doc ? Par Judicaël Lavrador P.39 — Biographie Kenzo Par Marlène Van de Casteele DÉfILÉS RENCONTRES P.44 — Images Le sexe des anges Par Céline Mallet www.VILLANOAILLES -hyERES.COM P.46 — Lexique Cool Par Anja Aronowsky Cronberg VILLA NOAILLES, COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION TOULON PROVENCE MÉDITERRANÉE P.48 — Chronique Jeunes pousses Par Stéphane Wargnier ExPOSITIONS P.96 — Off record art Le dessous des foires par Emmanuelle Lequeux P.99 — Histoire L’éventail Par Marlène Van de Casteele P.102 — Design Le dessein et la forme par Pierre Doze P.104 — Rétrovision revista Estudios par Pierre Ponant P.50 — Rencontre Vincent B. Par Mathias Ohrel PORTFOLIO P.52 — Off record mode La mode de demain Par Angelo Cirimele P.108 — Useless landscape Portfolio De Pablo Leon de la Barra P.118 — Abonnement MODE P.119 — Agenda P.56 — Portfolio Brygida Photographie : Alex Vanagas Stylisme : Sara Bascuñán Alonso P.121 — 10 Chiffres Par Clément Corraze P.68 — Portfolio LELA Photographie : Alexandra Catière Stylisme : Élisa Nalin © Daniel Sannwald magazine no 3 6 magazine no 3 7 CONTRIBUTEURS alex vanagas photographer PROFESSEUR de DESIGN & MODE Céline Mallet FARID CHENOUNE ÉCRIT SUR LA MODE journaliste et critique d’art Votre principale occupation ces jours-ci ? Photography and a bit of video work too. Le projet qui vous tient à cœur ? It has to do with bikes, cars, and the metro — getting around town. Le dernier magazine que vous avez acheté ? A travel magazine about Arizona. Votre principale occupation ces jours-ci ? Surfer avec adresse entre les cartons: je déménage. Le projet qui vous tient cœur ? Dessiner davantage. Le dernier magazine que vous avez acheté ? i-D (mais j’ai beaucoup trop de magazines…) Votre principale occupation ces jours-ci ? Régler des problèmes administratifs. Le projet qui vous tient à cœur ? Un livre. Le dernier magazine que vous avez acheté ? Vestoj. Votre principale occupation ces jours-ci ? De retour de Mexico, écrire des papiers sur une année du Mexique qui ne verra sans doute jamais le jour. Le projet qui vous tient à cœur ? La seconde édition de la biennale de Belleville, prévue pour l’automne 2011 Le dernier magazine que vous avez acheté ? Les Inrocks, avec Eric et Ramzy en couv ! ELISA NALIN CHARLES FRÉGER JudicaËl Lavrador CLÉMENT CORRAZE Votre principale occupation ces jours-ci ? Organiser ma semaine milanaise des défilés. Le projet qui vous tient à cœur ? Mes études et mes activités bouddhistes. Le dernier magazine que vous avez acheté ? Vogue Italia. Votre principale occupation ces jours-ci ? Je réalise une série sur le paganisme en Europe, qui sera mon prochain livre. Je travaille aussi activement au déploiement de notre réseau POC (pocproject.com) en Amérique et en Asie. Le projet qui vous tient à cœur ? Partir en vacances avec ma famille. Le dernier magazine que vous avez acheté ? Pop. Votre principale occupation ces jours-ci ? Chanter Heart in a Cage des Strokes (“See, i’m stuck in a cityyyyyy / But iiiiiiii belong in a field…”). Le projet qui vous tient à cœur ? D’abord maîtriser L’Anatomie du scénario avec John Truby. Après on verra. Le dernier magazine que vous avez acheté ? Beaux-Arts (mais on me l’a donné). Votre principale occupation ces jours-ci ? Aménager un bateau pour un célèbre malletier. Le projet qui vous tient à cœur ? Trouver plus de temps pour écrire... Et accessoirement nourrir lepositionnement des marques pour lesquelles je travaille afin de mieux porter leur vision. Le dernier magazine que vous avez acheté ? Lurve et Purple, je ne sais pas en acheter un seul à la fois. PHOTOGRAPHE STYLISTE ET CONSULTANTE magazine no 3 8 emmanuelle lequeux EVENT MAKER Critique d’art magazine no 3 9 Style, media & creative industry MAGAZINE n° 3 - VOL. 2 - MARS, AVRIL, MAI 2011 Rédacteur en chef Angelo Cirimele — Directeur artistique Yorgo Tloupas assisté de Charlie Janiaut — Photographes Alexandra Catière, Charles Fréger, Charlie Janiaut (magazines), Fred Lebain, Pablo Leon de la Barra, Alex Vanagas — Stylistes Sara Bascuñán Alonso, Clara Lidström (accessoires), Élisa Nalin — Contributeurs Clément Corraze, Anja Aronowsky Cronberg, Farid Chenoune, Pierre Doze, Gabriel Gaultier, Judicaël Lavrador, Emmanuelle Lequeux, Céline Mallet, Mathias Ohrel, Pierre Ponant, Florence Tétier, Yorgo Tloupas, Marlène Van de Casteele, Stéphane Wargnier — Illustratrice Florence Tétier — Iconographe Nathalie Belayche — Remerciements Jean-Charles Bassenne, Sarah Bouakline, Jean-Paul Hirsch, Galerie Jousse, le Trianon, Gabriel Vieille, Monsieur X — Traduction Kate van den Boogert, Philippe Gontreux — Secrétaire de rédaction Anaïs Chourin — Publicité Favori Grégoire Marot Axelle Blanc 233 rue Saint-Honoré 75001 Paris T 01 42 71 20 46 axelle@favoriparis.com Couverture Photographie : Alex Vanagas Stylisme : Sara Bascuñán Alonso Mannequin : Brygida chez Next Models Maquillage : Fumihiro Ban Coiffure : Shuko Samida Juste au corps : Barbara Bui — Retouches Janvier — Imprimeur SIO 94120 Fontenay-sous-Bois — Conseil distribution et diffusion shop KD Presse Éric Namont 14 rue des Messageries 75010 Paris T 01 42 46 02 20 kdpresse.com — Distributeur France MLP — Commission paritaire en cours — Issn no 1633 – 5821 — Directeur de publication Angelo Cirimele — Éditeur ACP - Angelo Cirimele 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 — magazinemagazine.fr contact@magazinemagazine.fr — © Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. magazine no 3 10 brèves Après APC, c’est avec Adam Kimmel que la marque américaine Carhartt a inauguré une collaboration : 29 pièces pour l’automne-hiver 2011 qui reviennent aux origines workwear. La diffusion, réduite à quelques détaillants, fait penser à une opération d’image plus que de produits. After APC, the American brand Carhartt has established a collaboration with Adam Kimmel: 29 pieces for FallWinter 2011, which return to the origins of workwear. The distribution, reduced to just a few sales points, makes one think that it’s more about image than product. Ça y est, le groupe français Lagardère a cédé ses magazines (102, dans 15 pays) au groupe Hearst, qui en possède lui 200, mais aussi 38 hebdos, 15 quotidiens et 29 chaînes de télé ; on ne serait pas surpris que quelques titres fusionnent. The French press group Lagardère have finally surrendered their magazines (102, in 15 countries) to Hearst, who has 200 of their own, but also 38 weekly and 15 daily papers, and 29 TV channels ; we wouldn’t be surprised if a few titles merge. On a maintenant l’impression que ça fait partie du package : quand un mannequin incarne une marque, elle dessine en plus une collection capsule. On ne compte plus les Kate Moss (Top Shop, Longchamp), Lou Doillon (La Redoute), Audrey Marnay (Claudie Pierlot)… et c’est au tour d’Erin Wasson, la nouvelle égérie de Zadig & Voltaire de concevoir la sienne. We get the impression that now it’s part of the package: when a model is the face of a brand, she designs a capsule collection as well. After Kate Moss (Top Shop, Longchamp), Lou Doillon (La Redoute), Audrey Marnay (Claudie Pierlot), it’s Erin Wasson’s turn, the new face of Zadig & Voltaire, to design hers. Décidément, quand ce ne sont pas des financiers… NY department store Barneys. Two advertising executives have bought the Courrèges brand from founders André and Coqueline ; Frédéric Torloting and Jacques Bungert are co-presidents of Young & Rubicam France. Londres, ce n’est pas que Saint Martins, c’est aussi Marks & Spencer. Le magasin britannique va faire son retour à Paris, de surcroît sur les ChampsÉlysées, à l’automne 2011. Ses nouveaux voisins, aussi en projet d’installation, pourraient être Abercrombie & Fitch, mais aussi Banana Republic et Zara. London is not just St Martins, it’s also Marks & Spencer. The British chain returns to Paris, and what’s more, to the Champs-Élysées, in Autumn 2011. Its new neighbours, also planning to open there, could be Abercrombie & Fitch, but also Banana Republic and Zara. La chaîne Arte aussi se pique de fashion week et propose un concours de look qui sera jugé par un jury de professionnels et dont le prix sera une séance photo professionnelle doublée d’une exposition. The Arte channel gets into fashion week presenting a competition which will be judged by a professional jury, and boasting a prize of a professional photo shoot plus an exhibition. Côté reconversion, Dennis Freedman, le DA emblématique de W pendant vingt ans, est désormais responsable de l’image et de la DA des magasins américains Barneys. Dennis Freedman, W magazine’s emblematic AD for 20 years, is now creative director for the Ce sont deux publicitaires qui ont racheté la marque Courrèges à André et Coqueline ; Frédéric Torloting et Jacques Bungert sont co-présidents de Young et Rubicam France. magazine no 3 12 Dans sa quête de nouveaux espaces publicitairement encore vierges, Mail’Inside, une agence française, a eu l’idée d’utiliser l’intérieur des enveloppes postales… ou quand le développement durable n’est pas forcément une bonne idée. In its quest for new advertising spaces, Mail’Inside, a French agency, had the idea of using the inside of envelopes. Or when sustainable development might not be such a good idea… Le groupe Inditex, justement, qui possède la chaîne Zara, réfléchit à un concept de distribution pour les chaussures et les accessoires, signe que la standardisation a encore de la marge. The Inditex group, which owns Zara, is studying a distribution concept for its shoes and accessories, a sign that standardisation still has some life left in it. winner and response in May 2011. Information on fondation-giacometti.fr/ Paco Rabanne prépare donc son retour sur la scène mode pour septembre avec un défilé femme réalisé par le DA indien Manish Arora. En attendant, le sac 69 reprend des couleurs et la marque a initié une collaboration avec le collectif H5. édition a eu lieu début février et a proposé une mode occidentalisée, avec « micro-minijupes » et bustiers courts. More chic than Paris or Milan, Fashion Week in Islamabad (Pakistan) is the place to be seen. The first edition took place at the beginning of February and promoted a Westernised style, with micro miniskirts and short bustiers. C’est par un simple « L » que Christian Lacroix a signé les modèles qu’il a dessinés pour la marque espagnole Desigual. It’s with a simple ‘L’ that Christian Lacroix signed the models that he designed for the Spanish brand Desigual. Un Prix pour lutter contre la contrefaçon des œuvres d’art ? Ça existe, ça s’appelle le Prix Annette Giacometti, qui récompense une exposition, un livre ou un article. L’occasion d’un vrai discours critique ? Premier lauréat et premières réponses en mai 2011. Infos sur fondation-giacometti.fr/ A prize for fighting against forgery in art? It exists, it’s called the Annette Giacometti Prize, which rewards an exhibition, a book or an article. The opportunity for a real critical statement? The first Paco Rabanne is preparing his return to fashion for September with a catwalk show (womenswear) by Indian AD Manish Arora. In the meantime, the 69 bag comes back to life, and the brand is also working on a collaboration with the collective H5. Après le serpent de mer Vanity Fair, dont une version française pourrait voir le jour chez Condé Nast, le groupe Marie Claire étudierait la possibilité d’adapter Harper’s Bazaar au marché français. After Vanity Fair, which could see a French version from Condé Nast one day, the Marie Claire group may be studying the possibility of adapting Harper’s Bazaar to the French market. Plus chic que Paris ou Milan, c’est à la fashion week d’Islamabad (Pakistan) qu’il fallait être vu. La première Le commissaire du prochain Prix Ricard sera Éric Troncy. Rendez-vous en octobre. Éric Troncy is curator magazine no 3 13 of the next Ricard prize. See you in October. Outre ses nombreuses activités, Karl Lagerfeld a récemment trouvé le temps de jouer dans une publicité allemande pour Volkswagen et de réaliser les visuels de la campagne Dior homme Printemps/Été 2011. Apart from his numerous activities, Karl Lagerfeld recently found the time to feature in a German ad for Volkswagen, and to shoot the campaign for Dior Homme, Spring/ Summer 2010. C’est Thierry Marx qui sera le nouveau chef du restaurant du Mandarin oriental, nouveau palace parisien dans un bâtiment années 30, dont l’ouverture est prévue à l’été 2011, au 247 rue Saint-Honoré (1er). Thierry Marx will be the chef of the restaurant at the Mandarin Oriental, the new palace hotel in a 30s building, opening this summer, at 247 rue Saint-Honoré (1st). The next edition of the Art Paris fair will take place at the Grand Palais from 31 March to 3 April. In parallel, it will present diverse events including a nocturnal circuit through 10 Parisian addresses. Pour succéder à JeanJacques Aillagon, qui devrait quitter la direction du château de Versailles à l’automne prochain pour cause de limite d’âge (65 ans), un nom circule : celui de Catherine Pégard, ex-journaliste politique au Point et conseillère du président de la République. Une professionnelle, donc… One name is in the air to take over from JeanJacques Aillagon, who should retire from the presidency of the Château de Versailles next Autumn due to his age (65), that of Catherine Pégard, former political journalist at the Point and adviser to the President of the Republic. So, a professional… Comment récupérer la parole éparpillée et parfois libre des blogs de mode ? Glamour US vient de trouver la solution : en les hébergeant sur une plateforme de son site Internet. « Young & Posh Blogger Network » présente 17 blogs américains mais aussi Le magazine anglais Grafik, consacré au design graphique comme son titre le laisse supposer, a inauguré une nouvelle formule, après quelques mois d’absence ; il aurait été racheté dans l’intervalle par Pyramid, qui édite aussi Étapes en France. The English magazine Grafik, dedicated to graphic design, as you might have guessed, has launched a new format, after a few months absence when it was bought by Pyramid, who also publish Étapes in France. européens, avec campagne de pub à la clé. Tout ça pour faire la promo de Glamour…… How do you collect the scattered and sometimes free words of fashion blogs. Glamour US has found a solution: by hosting them on a platform on its website. “Young & Posh Blogger Network” presents 17 American but also European blogs, with an ad campaign thrown in. All that to promote Glamour… Le magazine CB News devrait reparaître début avril, sous pavillon belge. The magazine CB News should reappear early April, now published by a Belgian company. Le restaurant parisien Corso 3e du nom ouvrira ses portes en avril place de la Bastille (4e)… Constituant ainsi la première chaîne Costes avec les ouvertures avenue Trudaine (9e) et place Franz-Liszt (10e). Toujours designé par Robert Stadler, le Corso Bastille intégrera des luminaires spécialement conçus pour l’endroit, en attendant des chaises pour cet été. The Parisian restaurant Corso opens its third address in April on La prochaine édition de la foire Art Paris se déroulera au Grand Palais du 31 mars au 3 avril. Elle proposera parallèlement divers événements, dont un parcours nocturne regroupant dix lieux parisiens. magazine no 3 14 Place de la Bastille (4th), thus becoming the first Costes chain, with addresses already on Avenue Trudaine (9th) and Place Franz Liszt (10th). Also designed by Robert Stadler, Corso Bastille will feature light fittings especially designed for the space, and this summer, chairs too. Le cinéma parisien Racine Odéon a fait peau neuve et dévoile un aménagement de la designer Matali Crasset. Espace du producteur et distributeur Haut et Court, il en a profité pour adopter un nom passe-partout : le Nouvel Odéon. Infos sur nouvelodeon.com « Stratigraphie » est la première exposition personnelle de la graphiste Leslie David, qui présentera un travail en couleur et au crayon à La Surprise, nouvelle galerie parisienne dédiée à la création graphique. Du 10 mars au 18 avril, la-surprise.com ‘Stratigraphie’ is the first solo show from the graphic designer Leslie David, who will present coloured pencil works at La Surprise, a new Parisian gallery dedicated to graphic design. From 10 March to 18 April, la-surprise.com. récente. Diffusion confidentielle et infos sur ill-studio.com Ill studio, a Parisian collective of graphic designers, are to publish a book on their recent work. Limited distribution and infos on ill-studio.com L’affiche du 64e Festival de Cannes (11 — 22 mai 2011) sera désignée par H5. The poster for the 64th Cannes Film Festival (11 — 22 May 2011) will be designed by H5. (lingerie) est Helena Christensen, top des années 90 et fondatrice de Nylon magazine, confirmant la longévité des anciennes stars versus l’interchangeabilité des ados russes. The new face of the lingerie brand Triumph is Helena Christensen, the 90s top model and founder of Nylon Magazine, confirming the longevity of old stars versus the interchangeabilty of Russian teenagers. Futur 5-étoiles, la Maison Champs-Élysées située sur le rond-point éponyme, sera décorée par Maison Martin Margiela, et inaugurée en avril. A new 5 star hotel, the Maison Champs-Élysées, located on the roundabout of the same name, will be decorated by Maison Martin Margiela and inuagurated in April. The Parisian cinema Racine Odéon has been redecorated by designer Matali Crasset. Owned by the production and distribution company Haut et Court, the space also boasts a new, generic, name: Le Nouvel Odéon. More info at nouvelodeon.com Ill studio, collectif parisien de designers graphiques, va publier un livre sur leur production Certes, les plus grands architectes ont signé de nombreuses boutiques de luxe ces dernières années. Et c’est naturellement que Taschen édite Shopping Architecture Now!, qui rassemble les plus beaux exemples. Reste qu’un beau livre sur des boutiques laisse une curieuse trace de ce qu’est l’époque. It’s true, the most important architects have worked on many luxury shops over the last few years. So naturally Taschen publish C’est Terry Richardson qui a shooté les nouvelles campagnes Maje et Blumarine. Le photographe américain tient une moyenne de 10 campagnes annuelles. Terry Richardson shot Maje and Blumarine’s latest campaigns; the American photographer shoots on average ten a year. La nouvelle égérie de la marque Triumph magazine no 3 15 Shopping Architecture Now!, which selects the most beautiful examples. Nevertheless, a coffee table book on shops leaves a strange trace of the times. Do it yourself ! est un DVD consacré à Vivienne Westwood et réalisé par Letmiya Sztalryd, qui a suivi la créatrice anglaise pendant un an. Sortie le 9 mars (Arte éditions). Do It Yourself ! is a DVD about Vivienne Westwood and directed by Letmiya Sztalryd, who followed the English designer for a year. Released on 9 March (Arte Editions). MAGAZINES UNDER CURRENT Angleterre, semestriel, 144 p., no 4, 230 x 300 mm, 8 € undercurrentmagazine.com Un grand format au papier mat pour une série d’histoires de mode qui donnent une température du moment. Under Current fait partie des magazines qu’on regarde, parfois d’un œil distrait, à la recherche de nourriture visuelle pour un mood-board ou simplement pour humer l’air du temps. Pas de surprises mais une atmosphère : des noirs et blancs et des corps masculins et féminins, des changements de papier (pas toujours justifiés), des histoires et des rencontres, de jeunes mannequins aux airs innocents ou des estampes plus sensuelles. Bien que le nom du magazine invite à la subtilité (sousjacent, dans le texte), le thème de ce numéro, « Eros », livre quelques approches plus immédiates : de la figure de la poupée de Hans Bellmer à la vision cash de Gaspar Noé, en passant par la masturbation en art. Malheureusement, les séries mode restituent souvent platement l’érotisme attendu et masquent mal la vitrine qu’est Under Current pour la styliste qui le dirige. Extrait For most ignorant British folk — and I include myself in this bracket, sadly — the first few times you travel to America on a plane, you don’t imagine you’re heading to a land made from soil, crusty magma or the scalped remains of those first basket-weaving, arrow-dodging European colonists, but rather a country that — when viewed from 30,000 ft — resembles nothing more than a gigantic meat patty or Big Mac. For me —a molly-coddled suburban child brought on a sugary diet of Teen Wolf and those funny smelling plastic figurines from Star Wars— all that Americana ingested as a youngster meant that when it came to my impression of what life might be like across the pond I honestly thought I would be met by the cast of Young Guns 2 or that old scary rancher from City Slickers. Basically, cartoonish cowboys who all look a little like Clint Eastwood, chewing on beef jerky, eating ten-inch thick hamburgers and sucking on long mustardy hot dogs. Even in my early teens I thought Ronald McDonald little more than a very posh drive- thru ; the national dish being a saucer of ketchup. Unsurprisingly, such spectacular naivety was soon shot to ribbons when I started visiting regularly for work reasons through-out my twenties, and now I look forward to a trip to the States with messy salivation. Los Angeles is a city I’ve had the pleasure of visiting almost once every two months for the past ten years, and modern Californian cuisine has become a reason unto itself to get my legs across the pond. I’m not going to deny that on more than one occasion I’ve driven from the Avis hire car zone at LAX directly to the noisy counter of the In & Out Burger on Sunset Blvd. With the metallic taste of my scalding hot ‘rubber’ tikka masala from the plane still nuking my taste buds, the canary yellow and lipstick re ?? In & Out Burger zig-zag sign greets hungry, tired, stagnant travelers such as myself like a junk food epiphany; bloodshot, weary eyes sure of the flame-grilled, carb-heavy hit about to be gratefully received. The place is like a Hail Mary with extra homemade mayo. Famous as a rest bite for famished Oscar winners who hit the venue after the day-long ceremony and before heading to Vanity Fair’s boozy bash, I&O burgers really are joy to behold. […] Jonathan Heaf p. 35 EDITORS IN CHIEF : Creative director PUBLISHER : Melina Nicolaide, Yannis Tsitsovits, & fashion editor: Undercurrent publications Ltd. Wiliam Alderwick Melina Nicolaide Hamburger Hills Two tails of how modern Los Angeles eat today magazine no 3 16 MAGAZINES a perfect guide Suède, semestriel, 210 p., no 20, 230 x 300 mm, 5,90 € aperfectguide.se A Perfect Guide to Fashion and Travel pour être précis. Et ça tombe bien parce que mode et voyage ont souvent à voir – que les histoires de mode fassent voyager au sens propre ou figuré. Mais le magazine suédois entend sa tâche de manière plus immédiate : renseigner sur des villes ou des pays grâce à des contacts locaux (souvent acteurs du monde de la création), qui se racontent leur ville et listent les lieux à fréquenter – et malheureusement pas ceux à éviter. Entretiens, images, infos pratiques sur les lieux en question… A Perfect Guide mêle l’utile et le superflu, et s’est trouvé au passage un bon prétexte pour voyager. Le magazine a été bien inspiré de solliciter Tim McIntyre pour la direction artistique, que ses passages à Interview et Arena Homme Plus ont aguerri. La section mode est mixte et assez créative, sans toutefois jouer complètement le jeu du voyage. Pour les destinations lointaines et pas forcément synonymes de glamour, A Perfect Guide publie des doubles pages de cartes postales, qui sont une vraie plongée dans le réel ; parallèlement, il peut aussi présenter un portfolio d’images plus poétiques et en surimpression, qui délivrera une atmosphère plus qu’une information brute. Un agacement pour conclure : les textes ne sont pas tous traduits en anglais, et le suédois reste un mystère pour beaucoup de lecteurs – signe aussi que la presse de style ne peut se passer de textes. Extrait thru ; the national dish being a saucer of ketchup. Unsurprisingly, such spectacular naivety was soon shot to ribbons when I started visiting regularly for work reasons through-out my twenties, and now I look forward to a trip to the States with messy salivation. Los Angeles is a city I’ve had the pleasure of visiting almost once every two months for the past ten years, and modern Californian cuisine has become a reason unto itself to get my legs across the pond. I’m not going to deny that on more than one occasion I’ve driven from the Avis hire car zone at LAX directly to the noisy counter of the In & Out Burger on Sunset Blvd. With the metallic taste of my scalding hot ‘rubber’ tikka masala from the plane still nuking my taste buds, the canary yellow and lipstick re ?? In & Out Burger zig-zag sign greets hungry, tired, stagnant travelers such as myself like a junk food epiphany; bloodshot, weary eyes sure of the flame-grilled, carb-heavy hit about to be gratefully received. The place is like a Hail Mary with extra homemade mayo. Famous as a rest bite for famished Oscar winners who hit the venue after the day-long ceremony and before heading to Vanity Fair’s boozy bash, I&O burgers really are joy to behold. […] Jonathan Heaf p. 35 Hamburger Hills Two tails of how modern Los Angeles eat today For most ignorant British folk — and I include myself in this bracket, sadly — the first few times you travel to America on a plane, you don’t imagine you’re heading to a land made from soil, crusty magma or the scalped remains of those first basket-weaving, arrow-dodging European colonists, but rather a country that — when viewed from 30,000 ft — resembles nothing more than a gigantic meat patty or Big Mac. For me —a molly-coddled suburban child brought on a sugary diet of Teen Wolf and those funny smelling plastic figurines from Star Wars— all that Americana ingested as a youngster meant that when it came to my impression of what life might be like across the pond I honestly thought I would be met by the cast of Young Guns 2 or that old scary rancher from City Slickers. Basically, cartoonish cowboys who all look a little like Clint Eastwood, chewing on beef jerky, eating ten-inch thick hamburgers and sucking on long mustardy hot dogs. Even in my early teens I thought Ronald McDonald little more than a very posh drive- Editor in chief & ART DIRECTOR: Henrik Raspe creative director: Tim McIntyre editor at large : Jonathan Heaf magazine no 3 18 Publisher: A Perfect Guide MAGAZINES VINTAGE MAGAZINE États-Unis, semestriel, 108 p., no 2, 225 x 295 mm, 23 € vintagezine.com On pourrait se pencher sur ce que les applications iPad vont changer à la presse. On préférera se tourner vers ce que la presse papier a de spécifique : le papier. Et Vintage magazine en est une saisissante démonstration. Passé la couverture, la première page est froissée, et la typo, celle d’une machine à écrire, puis les 100 pages de ce deuxième numéro seront au diapason : découpes, petits livrets insérés, variété de papiers, mais presque jamais de grille pouvant faire penser à un ordinateur. Vintage est donc conçu de manière vintage, parfois jusqu’au désuet, avec dessins au crayon et imagerie datée. Les textures et les ruptures de rythme nous font retomber en enfance et jouent du rétroviseur : on célèbre tel lieu mythique des années 50 ou tel dîner de gentlemen du xviiie, on fait un détour par Mad Men et ses Trente Glorieuses… bref, c’était mieux avant. Nul doute que oui, mais nous ne pouvons pas nous résoudre à avancer à reculons. Aussi, Vintage n’est pas un manifeste mais un hommage à Flair, magazine publié en 1950 et 1951, très illustré et conçu comme une expérimentation de papiers et de techniques ; pile où la presse est en train d’arriver. Extrait Claw at the table : The Gastronomic Criticism of Grimod de La Reynière fermier générale, or tax collector. The position had opened to the family only after a great-grandfather became a sécretaire du roi to Louis XIV, elevating the bourgeois Grimods into the Grimods de La Reynière, members of the noblesse de la robe. Along with arriviste status came wealth, which Laurent showcased in a new manse, the Hôtel Grimod de La Reynière. Built in the mid-1770s, the hotel particulier overlooked the Champs-Élysées and was famous for its wall panels, executed by the painter Charles-Louis Clérisseau and inspired by frescoes from the recently discovered cities of Pompeii and Herculaneum. The house was excruciatingly chic. So was Grimod’s mother, the beautiful Suzanne de Jarente de Sénar, who came from the highest ranks of the French aristocracy, the noblesse d’épée. The Jarentes traced their lineage to the eleventh century and ancestors who had fought in the Crusades. Like many other ancient families of the sword, their nobility had outlived their money, and Suzanne made no secret of her disappointment at marrying down. The final nail in the marital coffin, however, came when the couple’s first and only surviving child was born ten months after the nuptials with grossly malformed hands. […] Cathy K. Kaufman p. 88 Seventeen of Paris’s most distingued artists, men of letters, and jurists braved the winter chill for a supper at the city’s most fashionable home, Hosted by Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière (1758-1837), a 25-year-old lawyer and sometimes theater critic with a reputation for staging outlandish entertainments, the event, soon to be known as the “funeral supper”, was notorious even before it took place. In retrospect, Grimod’s youthful use of the table for social and political commentary seems an odd prequel to his mature career as a founder of French gastronomic writing and the world’s first restaurant critic. But nothing about Grimod was conventional or predictable, and he remains a fascinating, if enigmatic, figure. At the time of the funeral supper, the La Reynière family was, to say the least, dysfunctional. Grimod was an overage adolescent, rebelling against his aristocratic parents and the injustices of the world with flamboyant pranks while unapologetically enjoying the privileges of his rank. Grimod’s father, Laurent, was a retired fourth generation EDITOR IN CHIEF : Ivy Baer Sherman DESIGN : Regis Scott PUBLISHER : Vintage magazine Ltd magazine no 3 20 MAGAZINES TOO MUCH Japon, trimestriel, 96 p., no 1, 185 x 255 mm, 16 € toomuchmagazine.com À la manière d’un Monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, la presse de style est les deux pieds dans la mondialisation – sans que la question se soit jamais posée. Les champs qu’elle traite – mode, art et design – sont les attributs d’une vie urbaine et chaque objet produit est voué à exister dans les dix villes qui comptent. Mais l’urbanisation galopante d’un côté et le village global de l’autre ont changé nos habitudes de vie. Se partager entre deux ou trois villes du monde rejoue notre rapport aux traditions, à la langue et la culture entendue comme un background. Too Much est à ce carrefour-là, celui où l’humain se frotte à la géographie et le magazine observe les étincelles ou les glissements que provoquent ces contacts. Basé à Tokyo, Too Much, “magazine of romantic geography”, brasse des sujets sur l’architecture en questionnant le studio Sanaa, des données sociologiques et démographiques, s’intéresse à la dépression des Japonais ou à la double culture de Nicola Formichetti, styliste toucheà-tout. Un cahier d’initiatives et d’idées saugrenues offre une autre perspective : la condition sine qua non pour y participer est que son patronyme contienne le nom Suzuki. Too Much a ceci de singulier qu’il traite d’architecture et d’urbanisme en montrant des gens – comme Apartamento le fait pour les intérieurs –, c’est peut-être ce qui a manqué dans la décennie précédente. Extrait Moments as (non) Monuments An interview with Sam Chermayeff and Jack Hogan (Sanaa) Sam Chermayeff and Jack Hogan are architects working under Kazuyo Sejima + Ryue Nishizawa at SANAA, which in March of 2010 received the Pritzker Architecture Prize for their “deceptive simple” structures. SANAA manifest a humane direction for contemporary architecture, one focused around ‘people meeting in architecture’ the driving theme for Sejima’s curation of the coming 2010 Venice Biennale of Architecture. What were your first impressions of Tokyo? Sam: A typical North American or European city as (has?) a certain logic, or we have certain expectations that they’ll have a logic; you can expect radials or grids whereas Tokyo has no apparent logic. Jack: For a society that is rather hierarchical, Tokyo has less of a physical sense of hierarchy than a city like London where you can feel you are at the center. In Tokyo, you never have a sense of being at the center of the city. There really is no center, while Western cities have a stronger sense of convergence. What sites in Tokyo would take on a power if there is no center ? Sam: In Tokyo the sites are just points. Every tourist goes to Shibuya crossing and so do we, we can orientate ourselves around Shibuya crossing too. Other points for us are the river in Nakameguro which is just a nice urban space I particularly like, but the points that are most important are probably those where masses of people are outside. Like Chuo-dori —the main street in Ginza— when it is closed for ‘pedestrian paradise’ on weekends. There are undoubtedly other places but as a general rule those active places with masses of people moving are the centers in Tokyo, as opposed to somewhere like Paris, whose centers is buildings or structures, for me anyway. And where does the power of these spaces come from ? Jack: With regard to orientation; directions are often punctuated by the names of convenience stores, imbuing them with undue power. Their logos —along with the names of train stations— are the only landmarks that most foreigners can decipher on Google maps, for example. It is intriguing, and perhaps depressing, that these bright beacons serve as the primary cues for most of the turning points of my routes. […] Ana Finel Honigma Editor in chief : editorS : ART DIRECTOR & DESIGN : Publisher : Yoshi Tsujimura Audrey Fondecave, Akinobu Maeda Ok Fred Cameron Allan McKean magazine no 3 22 MAGAZINES WORK STYLE Suisse, trimestriel, 100 p., no 5, 210 x 270 mm, 12 € theworkstylemagazine.com Il faut oser mettre le mot « work » dans le titre d’un magazine, tant cette catégorie est assimilée aux loisirs. Même dans ce cas, où il s’agit d’un business magazine avec un peu de lifestyle dedans. Work Style est suisse, côté Lugano, son layout épuré et efficace se révèle très agréable à feuilleter, voire à lire. Et, de fait, tous les sujets qu’on rencontre dans la presse de style sont aussi traités ici, mais sous l’ange de l’entreprise : design, voyage, mode, art, enfants… le tout pas des contributeurs internationaux. Seul hic : Work Style ressemble à une pâle copie de Monocle, tant dans sa forme que dans le contenu – business, design, voyages d’affaires. Mais on pourrait aussi se réjouir que la presse de style ne se consulte pas seulement entre initiés et que ce qu’elle fait de mieux puisse inspirer et se retrouver sur le bureau d’un CEO curieux. Ça fera peut-être évoluer leurs goûts et leurs commandes, mais c’est une autre – et longue – histoire. À la différence d’un magazine de mode classique, un business magazine se doit de justifier ses sujets. Ainsi, pour traiter de mode, Work Style choisit quelques dirigeants et une styliste propose une sélection d’objets qui lui conviendraient, comme une sorte de coaching privé, mais aux yeux de tous. Idem pour les cityguides : ce sont de vraies fiches techniques en forme de poster que le magazine édite séparément. Enfin, il faut saluer la récente énergie de la presse de style suisse qui, avec Dorade, Novembre et Work Style sort enfin de sa léthargie. Extrait Investing in culture, the way forward Culture contributes to create a country’s identity, increase its popularity in the World and —as a consequence— its tourism industry. Culture is a distinctive element of a country, as are its landscape and industry. When we talk of culture, we immediately think of arts and entertainment, as well as museums and specific initiatives promoted by the public and private sectors. Culture is an intangible asset. For instance, in 2009, Spain earned $53.2billion from tourism-related activities, while France made $48.7billion. Last year, Brooklyn earned $20billion from cultural tourism —from people who visited because they had seen Brooklyn in a film, documentary, television programme, or a magazine. Culture identity More people travel to see and experience the culture of ancient Rome, because they have an awareness of that culture: its cultural identity, in other words. Cultural identity is formed by artists such as movie stars, filmmakers, authors, composers, painters, but also via jokes, cults and other aspects. Art is international, and the great artists are timeless. Therefore, people seek artists like Mozart and Shakespeare. People need to be trained to appreciate culture. This training comes at all levels, from primary school to college and university, in arts and sciences. An indicator of a nation’s good governance is the extent of its cultural programs. Cultures and companies For companies, culture is a sign of good management that shows commitment to its social responsibility. Described in this way, culture seem to be an essential element for every developed country. Yet it is not. Often, for budgetary reasons, funds are shifted in favour of other areas, and culture goes without. However, a country full of culture is rich. A shared sentiment I approached then the economic subject because I used the term ‘rich’, thinking about culture as a promoter of wealth for a country. The element that I want to show clearly in this article is the ‘sense of culture’. A state is rich when it ‘feels the culture’ —What does that resemble? Perhaps it resembles what one might call ‘civic sens’. Culture is also a shared sentiment. […] Gabriel James Byrne p. 29 Chairman : editor IN CHIEF : EDITOR: Publisher: Mirko Nesurini Giorgio Tedeschi Paola Bettinelli Partecipazioni editoriali magazine no 3 24 Vous en avez assez des iPhone, 3, 4 et bientôt 5 ; vous décidez d’opter pour le vintage avec ce très bel Ericsson rouge (10 € sur Ebay), assorti à une bonne partie de votre garde-robe. Moyennant quoi, on vous offre un Lys (4 € chez Monceau Fleurs, 11 boulevard Henri-IV, Paris 4e) – signe d’un destin princier ? En prévision de votre avenir, vous décidez de regarder Paris d’en-bas, c’est-à-dire de la Seine (12 € avec les Vedettes du Pont-Neuf, Paris 1er ), mais les palais pourraient bien se faire désirer et vous vous consolez avec ce collier géométrique, noir et blanc, et dangereux par ses angles (Argument par Anne-Sophie Chhim, 580 € sur argument-bijoux.com). Et un tour à la table de jeu ne sera pas de trop pour vous offrir ces présents (Cercle de jeu – Académie de billard, 84 rue de Clichy, Paris 9e). SHOPPING 426 photographie : Fred Lebain Stylisme : Clara Lidström COLLIER LYS TÉLÉPHONE BATEAUX MOUCHES CASINO 580€ 4 € 10 € 12 € -180 € 426 € magazine no 3 26 magazine no 3 27 C’est en feuilletant ce vieux Vogue de 1957 (80 € aux Archives de la Presse, 51 rue des Archives, Paris 3e) que vous avez décrété que le chapeau serait votre ami ce printemps, un Stetson de préférence (98 € chez Céline Robert, 12 rue Commines, Paris 3e). Mais n’est-ce pas trop théâtral ? Vous retournez l’objection et décidez de prendre des cours de théâtre en passant devant ce cheval bâton, parfait animal pour le scénographe Tadeusz Kantor (130 € à l’Atelier Fanny Vallon, fannyvallon. com). Contente de vous, vous fondez sur ces 6 macarons assortis (8 € chez Gérard Mulot, 6 rue du Pas-de-la-Mule, Paris 3e) et décidez que ce chandelier en bronze vous sera sûrement utile si l’électricité venait à manquer (110 € au marché Vernaison, Saint-Ouen). Vous avez choisi de vous offrir un moment de nostalgie en renouant avec quelques vieux 45 - tours, leur pochette et leur musique qu’on peut attraper avec les mains (5 € aux Archives de la Presse, 51 rue des Archives, Paris 3e). Mais le passé ne dure qu’un temps et vous décidez de changer de tête (et de vie, espère-t-on secrètement) avec une coupe courte (90 € chez Tony & Guy, 6 rue de Charonne, Paris 11e), de parfum (Tulipe de Byredo, 95 € chez Colette, 213 rue Saint-Honoré, Paris 1er ) en espérant que votre poisson rouge n’y voit que du feu (6 € à l’Animalerie du Châtelet, 2 quai de la Mégisserie, Paris 1er). Bon prince, vous lui installez un sound system pour lui tout seul (ou presque) avec ces haut-parleurs Jambox de Jawbone (230 € chez Colette, 213 rue SaintHonoré, Paris 1er). CHAPEAU MACARONS COURS DE THÉÂTRE CHANDELIER VOGUE 98 € 8 € 130 € 110 € 80 € 426 € HAUT-PARLEURS 45 TOURS POISSON PARFUM COIFFEUR 230 € 5 € 6 € 95 € 90 € 426 € « Il faut davantage se préoccuper de la forme », avez-vous décrété. Ça commencera par celle de vos lèvres, avec ce rouge Lancôme (26 € chez Lancôme, 29 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e), puis par ce soliflore aux formes anguleuses qui ne sauraient mieux servir les méandres d’une fleur (Victoria Wilmotte chez Tools Galerie, 150 €), enfin votre silhouette, qu’un coach vous aidera à redessiner (120 € les deux séances sur coach-gym.com). Vous vous perdrez dans vos pensées devant un tirage de ce dessin de Jeremy Schneider (40 € sur la-surprise.com) et irez à la rencontre du printemps armée de votre écharpe ajourée (90€ chez Surface to Air, 108 rue Vieille-du-Temple, Paris 3e). DESSIN GYM ÉCHARPE VASE ROUGE À LÈVRES 40 € 120 € 90 € 150 € 26 € 426 € Oui pour les fleurs, mais si on les fabrique soi-même, ou avec l’aide des « Clouds » que les frères Bouroullec ont conçus pour Kvadrat (140 € les 4 sur ligneroset.fr). On cherchera des inspirations 60 dans le livre Sacha de Sacha Van Dorssen (60 € chez Comme un roman, 39 rue de Bretagne, Paris 3e). Aller chercher des idées, ce n’est pas forcément aller au bout du monde : emmener son assistant(e) au Havre (60 € allerretour par le train) et regarder de plus près les constructions d’Auguste Perret, où l’on prendra des notes avec un stylo Montblanc vintage (160 € sur Ebay). Un verre de vin blanc ne sera pas le pire ennemi pour remettre en perspective les idées rencontrées (6 € au Café Beaubourg, 100 rue Saint-Martin, Paris 4e). STYLO VERRE DE VIN NUAGES LIVRE ALLER-RETOUR 160 € 6 € 140 € 60 € 60 € 426 € magazine no 3 32 textes P.36 : interview le glamour vu d’en bas P.39 : BIOGRAPHIE Kenzo P.44 : IMAGES Le sexe des anges P.46 : LEXIQUE Cool P.48 : chronique jeunes pousses P.50 : RENCONTRE Vincent B. P.52 : OFF RECORD MODE La mode de demain magazine no 3 34 magazine no 1 35 INTERVIEW LE GLAMOUR VU D’EN BAS […] parfois, il ne s’agit même plus d’invendus, mais d’un modèle de la collection, produit dès le départ en prévision d’une vente flash qui aura lieu plusieurs mois ou un an après. Quand on lui dit qu’elle fait de la mode, elle éclate de rire. Elle dit qu’elle fait simplement du business et que, dans les profondeurs du marché où elle opère, on est très loin de la mode. Violaine Micol est grossiste en fins de séries, autrement dit « déstockeuse »… … Elle travaille pour l’une des trois ou quatre discrètes sociétés qui, en France, rachètent les ultimes stocks d’invendus des marques – vêtements et accessoires – pour les revendre à des solderies. À peine arrivée jeunette de Grenoble à Paris il y a quinze ans sans connaître quiconque, elle est par hasard embringuée dans ce métier dont elle ignorait jusqu’à l’existence. Depuis, elle circule dans les arrière-cours de l’industrie. Elle traque « les invendus en fin de parcours », et c’est aussi la mode qu’elle observe. La mode après la mode : la mode « n-1 » (n moins un), celle de l’année précédente, la mode des outlets et des villages de marques, la mode des ventes flash sur Internet et, quand vient son heure, celle qui finira dans les solderies. La mode et son glamour vus d’en bas. grands magasins, comme le Printemps, ou encore ceux de sites de ventes flash comme brands4friends.com en Allemagne ou privalia.com en Espagne, dont nous rachetons aussi les stocks qu’ils n’ont pu écouler. Localiser ces stocks a l’air plus compliqué qu’il n’y paraît ? C’est compliqué. Et de plus en plus. D’abord, d’une entreprise à l’autre, les invendus dépendent rarement des mêmes postes. C’est un travail de contact et de relations de long terme qui permet un jour « d’ouvrir une ligne », c’est-à-dire de devenir un partenaire de déstockage de la marque. C’est ce qui m’est arrivé par exemple avec Nike Europe. De plus, les responsables de ces stocks dans les entreprises sont extrêmement sollicités et, une fois sur deux, il y a la mallette qui va avec : je te vends 50 000 pièces, mais je veux 50 centimes par pièce pour moi. Comme ça… Moi, je ne le fais pas. D’abord parce que ce n’est pas ma personnalité, ensuite parce que je ne sais pas faire, enfin parce que c’est une histoire d’hommes, ce n’est pas considéré comme un boulot de femmes. Personne n’a d’ailleurs jamais essayé de me faire comprendre qu’il aimerait être intéressé et moi je n’ai jamais essayé de le proposer. J’ai perdu beaucoup d’affaires comme ça sans comprendre, et un jour j’ai compris. Le problème, c’est que quelqu’un qui touche ne décroche pas. Vous parlez d’invendus « en fin de parcours ». Ces stocks de marque que vous rachetez puis revendez à des solderies, d’où viennent-ils ? Si un vêtement ou un accessoire en arrive là, c’est que sa marque n’a pas réussi à le vendre au cours des étapes successives de sa vie commerciale. Il a d’abord fait partie d’une collection, été mis en vente en boutique, puis à nouveau au moment des soldes, pour échouer finalement dans un de ces magasins outlet que les marques ouvrent dans les « villages de marques » (par exemple à Marne-la-Vallée ou sur l’île Saint-Denis). Pourtant, à aucune de ces étapes il n’a trouvé preneur, y compris même pendant les soldes de ces « villages », où s’ajoute à la démarque de base de 30 % une seconde de 50 % ! Les invendus ont toujours été la bête noire des marques. Vous avez commencé en 1995. Comment cela se passait ? À l’époque, le déstockage était un univers honteux. Il ne fallait surtout pas en parler, les marques étaient terrorisées à l’idée que les clients fuient s’ils découvraient que leurs articles finissaient dans des solderies à des prix ridicules. C’était donc le grand silence : chez les déstockeurs, chez les marques et chez les consommateurs. L’image de la marque devait à tout C’est à ce moment-là que vous les détectez ? Pas seulement. Il y a d’autres opportunités, par exemple une collection qui ne marche pas et que la marque ne peut pas mettre dans ses outlets parce que trop récente. Mais aussi les invendus de marques qui n’ont tout simplement pas d’outlet ou ceux des magazine no 3 36 sont rassurées aussi par la durée limitée, un à trois jours, des ventes flash. Trop s’exposer dans ces ventes sur Internet peut détériorer leur image. Le canal des solderies est, lui, beaucoup plus discret, et les marques apprécient aussi cette sous-exposition. prix être protégée. C’est d’ailleurs toujours la préoccupation première des marques : ne pas ternir leur image. On trouve encore des entreprises où les invendus sont un sujet tabou. Je pourrais citer un grand magasin parisien où la présidence ne veut pas en entendre parler. C’est aux responsables des achats de se débrouiller. S’ils ont des invendus, c’est qu’ils ont mal travaillé. Quelle est la différence entre les stocks vendus dans ces ventes et ceux écoulés dans les solderies ? L’assortiment. Dans une vente flash, chaque modèle doit être disponible dans toutes les tailles et en quantités suffisantes. Les stocks que j’achète, au contraire, sont la plupart du temps explosés et leur assortiment totalement aléatoire. Ce qui fait que, dans le parcours commercial des invendus, je viens aussi après les sites. Comment font-ils alors ? Je ne sais pas. En France, à partir de 2006, le succès du site de vente privée fondé par Jacques-Antoine Granjon a donné une nouvelle aura commerciale à ces invendus et en a presque métamorphosé le statut. Vous partagez cette analyse ? Je connais bien cette histoire pour avoir travaillé avec Jacques-Antoine Granjon jusqu’en 1999 avant de rejoindre AMS, la société où je suis toujours. Il n’était alors que déstockeur. Vente-privée.com a inventé un concept que tout le monde applaudit encore parce qu’il est incroyablement bien fait. Mais il a été très difficile à imposer. Les marques n’avaient pas confiance. Samsonite a, je crois, été l’une des premières à sauter le pas. Les autres ont suivi peu à peu. En quoi l’engouement pour ces ventes flash et ces invendus « reglamourisés » a-t-il changé la donne pour les marques ? C’est très simple. Pouvoir vendre jusqu’à 60 000 pièces en trois jours, c’est une manne pour les marques. C’est un tiroir-caisse, du cash immédiat ! D’ailleurs, parfois, il ne s’agit même plus d’invendus, mais de stocks spéciaux de tel ou tel modèle de la collection, produits dès le départ en prévision d’une vente flash qui aura lieu plusieurs mois ou un an après. Ce type de stockage par anticipation est de plus en plus fréquent. C’est comme si la collection était devenue une simple collection capsule destinée à la publicité, aux magazines, c’est-à-dire à l’image. Ou, alors, au contraire, la marque pressent le succès d’un modèle dans le réseau traditionnel mais, pour ne pas se priver des bénéfices Les raisons de ce succès ? Un : la mise en scène des produits sur le site. Le temps d’une vente, ils redeviennent à nouveau désirables. Deux : le principe du club privé rassure les marques même si tout le monde sait qu’être parrainé pour y entrer est un jeu d’enfant. Trois : les marques magazine no 3 37 […] Ce qui rapporte de l’argent, c’est la rue : tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter le costume première ligne de chez Dolce & Gabbana mais qui veulent avoir marqué « D & G » sur leurs vêtements, ou « CK » pour Calvin Klein. assurés d’une vente flash, elle gonfle sa production pour disposer « d’invendus » le moment venu. Ce qui rapporte de l’argent, c’est la rue : tous ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter le costume première ligne de chez Dolce & Gabbana mais qui veulent avoir marqué « D&G » sur leurs vêtements, ou « CK » pour Calvin Klein. C’est là que se fait l’argent ; non dans les circuits de vente traditionnels mais dans les outlets et sur Internet. BIOGRAPHIE KENZO Premier Japonais débarqué à Paris, Kenzo Takada enflamme les années 70 avec son hymne à la jeunesse et ses défilés spectaculaires. Ses coupes destructurées, ses mariages de couleurs explosifs et son art du métissage désarçonnent le milieu, compassé et solennel, de la couture parisienne. brûle ses invendus en présence d’un huissier –, ni les petites marques branchées ou les créateurs trendy qui ont très peu de stock. Vous voyez, c’est bien du business, pas de la mode ! Du point de vue des marques, certainement. Mais du point de vue des gens qui achètent ? La crise, Internet, l’explosion de l’offre de mode, l’émulation et la concurrence stylistiques tous azimuts ont donné naissance à des consommateurs barbares, décomplexés et accrochés à de nouvelles formes de shopping. La vente flash en est une. Que viennent chercher les visiteurs sur ces sites ? D’abord, je ne crois pas que ces achats sur Internet ou dans les solderies répondent à des besoins réels, concrets et circonstanciés. Ce sont des achats d’impulsion. Ce que cherchent les gens, ce sont des prix et de la mode… ou plutôt de la marque ! D’ailleurs, en tant que déstockeur, nous avons pour principe de ne jamais acheter des pièces dégriffées ou des marques totalement inconnues, nous savons que ça ne se vendrait pas. Donc on surfe sur la notoriété acquise des marques. La « sensibilité », pour ne pas dire la dépendance aux marques est de plus en plus forte, même dans les solderies. Même au fin fond, dans les coins les plus reculés du système, on doit renouveler les offres de marques sous peine de lassitude, et ces marques doivent être de plus en plus fortes, puissantes, on leur fait de plus en plus confiance. Avant, je pouvais faire découvrir à mes clients des petites marques intéressantes. Pendant des années, j’ai travaillé avec une marque de lingerie italienne sublime baptisée Valéry, elle se vendait comme des petits pains. Aujourd’hui, ce serait impossible. C’est Lejaby et quelques autres… ou rien ! Je le sais par expérience. À côté de notre métier de déstockeur grossiste, nous développons maintenant des licences avec des marques. Par exemple, une ligne d’underwear masculine pour une marque de beachwear très prisée des 18-25 ans. Le résultat est évident : dans le réseau traditionnel des petites boutiques, nous vendons 5 pièces ici, 30 là. Mais sur vente-privee.com, on peut monter jusqu’à 25 000 en un jour ! Dois-je préciser que ceci n’est vrai que pour ce que j’appelle les grosses marques. Cela ne concerne ni la haute couture, ni les grandes marques de luxe – dont on dit que l’une d’elles Propos recueillis par Farid Chenoune magazine no 3 38 1939 Naissance de Kenzo Takada à Himeji (Japon), à l’ombre du château fort, des cerisiers en fleurs et des geishas qui peuplent sa maisonnée – son père, un ancien fonctionnaire, « un homme taciturne, probe et plutôt rigide », a choisi de vivre « assis derrière la caisse tout au fond de la machiaï » (la maison de thé). créateur de mode n’a pas de prix, surtout depuis qu’il a vu le premier défilé de Pierre Cardin au Japon. 1964 Diplômé et auréolé de son premier Prix (il gagne un million de yens pour un deux-pièces blanc sur le thème « la laine en été »), il se fait engager par le fabricant de prêt-à-porter Mikua et la chaîne de grands magasins San-Aï. Il rêve cependant à des horizons plus chantants. « Le Japon d’après-guerre, ce n’était pas drôle. Travailler, travailler, travailler, travailler, ce n’était vraiment pas joyeux. » Son immeuble doit être démoli pour les jeux Olympiques d’hiver. Avec les 350 000 yens de dédommagement, il profite de l’aubaine et prend un congé de six mois pour visiter l’Europe. Hong-Kong, Saigon, Colombo, Djibouti, Alexandrie ; le tour des capitales en trente jours avant d’accoster à Marseille, direction Paris, respectant scrupuleusement l’itinéraire prévu par l’agence de voyages comme le parfait petit touriste japonais muni de son Nikon. Catapulté dans la capitale de ses rêves, hypnotisé par le tumulte parisien et le manque de repères, il essaie de s’accoutumer à cette nouvelle ville. Difficile quand on ne parle pas la 1958 Comme toute jeune fille de bonne famille avant son mariage, la fille aînée suit une école de couture. Le petit frère rêverait d’en faire autant… Pour se consoler, il abreuve sa sœur en magazines et expérimente les patrons encartés. « C’est ainsi que je me suis faufilé dans la mode et que, dans mes rêves, j’ai cousu des robes pour les filles aux grands yeux d’un Occident lointain. » Une lubie qui le pousse à délaisser l’université de langues étrangères de Kobe pour s’inscrire au Tokyo Bunka Fashion College, la plus grande école de mode du Japon. En franchissant les portes de cet établissement, tout juste ouvertes aux garçons, le jeune homme doit faire face à l’opprobre paternelle. De petits boulots en cours du soir, il subventionne lui-même ses frais de scolarité. Son rêve de devenir magazine no 3 39 « Les mannequins qui venaient de New York débarquaient en jeans usés qu’elles décoraient de fleurs. C’était une jolie idée ; elle m’avait plu et j’ai demandé aux filles de garder leurs jeans pour mes défilés. » langue… De croquis en défilés, le jeune homme en pull chaussette brave sa timidité pour se présenter un jour chez Louis Féraud, ses dessins sous le bras. Zizi Féraud lui en achète cinq. Puis le magazine Elle et le Jardin des Modes. Puis Dominique Peclers, directrice des bureaux de style du Printemps. Une bonne pub qui lui permet de décrocher un job chez Pisanti et Relations Textiles avant de trouver un local, galerie Vivienne, qu’il redécore dans une ambiance de forêt tropicale, à la façon du Douanier Rousseau. « Quand nous avons enfin posé le tapis vert, nous étions si heureux et émus que nous avons passé une nuit blanche à contempler le décor. » 1970 Véritable havre de paix et lieu de rencontre, la boutique Jungle Jap intrigue artistes et professionnels de la mode. Les tricots XXS s’entrechoquent avec les jacquards « pop » et les rayures en tous sens. Comme le remarque Olivier Saillard : « la fraîcheur de sa création tranche avec les propositions radicales et utopiques des couturiers Courrèges et Cardin ». Tandis que les métrages de tissus chinés au marché Saint-Pierre alimentent les machines à coudre du premier étage, Kenzo Takada organise son premier défilé à l’écart des salons prestigieux de la haute couture et des manifestations internationales du prêt-à-porter féminin. Au programme : minikimonos fleuris, pantalons amples déstructurés, fuseaux tricotés, turbans et robes en yukuta (matière traditionnelle nippone). La presse, peu nombreuse, est séduite. Mariella Righini note dans le Nouvel Observateur : « Pas de japoniaiserie dans sa collection, pas de folklore de bazar oriental. Pas d’exotisme à la Saint-Germain-des-Prés… C’est plus dans l’art floral que dans le kimono qu’il faut chercher l’inspiration de Kenzo. » Lors de sa deuxième présentation, il propose des « blousons-patchworks », mélange de denim et d’imprimés fleuris, et fait défiler ses tricots sur des jeans retroussés à mi-mollet : « Les mannequins qui venaient de New York à Paris pour les collections débarquaient en jeans usés qu’elles décoraient de fleurs. L’influence hippie, bien sûr. C’était une jolie idée ; elle m’avait plu et j’ai demandé aux filles de garder leurs jeans pour mes défilés. » Peu après, l’un des blousons fait la couverture de Elle. Ses ateliers fonctionnent bientôt à plein régime et fournissent, dans une frénésie créative, cinq collections par an. Un an plus tard, il s’aligne sur les dates officielles des présentations de prêt-à-porter. 1971 À Paris, la rumeur court vite... On le voit traîner avec sa clique au Sept, le club mondain du moment – « Pull en V rétréci et pantalon rayé pattes d’éléphant, Kenzo y arbore tous les soirs un sourire béat plein de dents blanches.1 » –, on le dit jalousé par Saint Laurent parce qu’il a acquis les faveurs de Loulou de la Falaise, la muse du Dieu vivant : « Je me sentais plus proche de cette créativité juvénile, cosmopolite dans l’esprit, que de la solennité parisienne ; ça chiffonnait pas mal les couturiers, qui avaient plutôt leurs entrées chez la comtesse de Paris », se souvient Loulou. Son hymne à la jeunesse, qui tranche avec le caractère guindé de la haute couture, en agace plus d’un, mais acheteurs et journalistes ne rateraient pour rien au monde son prochain défilé… Le cinquième a lieu dans le grand hall de la galerie des Champs-Élysées, puis est également présenté à New York et au Japon – et c’est la cohue. Les commandes affluent. Mais comment faire face quand il n’y a pas assez de tissu pour reproduire les modèles du défilé ? Après quelques virées au casino pour rafler la mise, comptant sur sa bonne étoile, il retourne au Japon emprunter de l’argent à ses amis, acheter des cotonnades et des tissus de kimono à bas prix. Ah ! les magazine no 3 40 qui reflétaient la liberté qu’il avait trouvée, et ses collections insufflaient à la mode un sens de la démocratie qui transcendait les classes sociales, les rôles assignés à chaque sexe et les groupes ethniques.3 » kimonos de son enfance, comme il les a contemplés !… Mais c’est seulement maintenant qu’il a cette révélation : la coupe occidentale du vêtement, attentive aux lignes du corps, est finalement plus contraignante. Pour l’automne-hiver 1971-1972, il inaugure alors son concept « d’anti-couture », en parfaite rébellion contre la technique traditionnelle parisienne : il élimine pinces et fermetures éclair, il superpose la coupe kimono, nette, droite, carrée, à la coupe près du corps, favorisant la technique du dessin à plat, il rompt avec des saisons d’emmanchures étroites et de manches ajustées, il récuse ses leçons d’écolier : « la silhouette impeccable, la ligne galbée, la coupe parfaite ». « J’ai délibérément cherché à créer des formes non structurées, non définies, à introduire une ampleur nouvelle, différente, en m’appuyant sur la technique du kimono. » 1974 Sommée d’abandonner la galerie Vivienne pour d’inextricables questions de bail, l’équipe doit déménager passage Choiseul. Gilles Raysse, un gérant hétérodoxe, un risque-tout parti chercher de l’or en Guyane avant de devenir photographe de mode à New York, tente le premier d’organiser la croissance. Plus de nénuphar dans la boutique mais une énorme rose : « C’est un tableau de Magritte qui m’a inspiré. J’ai simplement remplacé sa pomme par ma rose. » Pendant ce temps, Kenzo poursuit ses explorations, œuvrant pour une décontraction du vestiaire féminin. « Sa petite robe noire est un short court et collant qu’il impose l’hiver comme l’été, le soir comme le jour. Sa robe du soir est une salopette de dîner en satin.4 » Après avoir créé des costumes d’homme pour les femmes et désentoilé les manteaux pour une plus grande souplesse, il remet au goût du jour le tweed (Printemps-Été 73), relance la jupe longue après des saisons de minijupes et de pantalons, tout en accréditant la mode des superpositions (Automne-Hiver 73-74) – « Des jupes et des robes que je pourrais mettre les unes sur les autres pour faire valser les couleurs… » Et tandis que la crise économique menace et que la mode se gargarise d’exotisme – « les filles s’habillent en garçon. Les Français s’enchinoisent, s’africanisent, s’indianisent. Les collections de Kenzo, qui empruntent à tous les folklores, expriment parfaitement ce “melting-mode”. 5 » –, Kenzo s’en va puiser ses inspirations au Pérou, en Inde, en Afrique, au Japon… « Je ne me force pas à courir après des idées en voyageant, je suis le plus souvent passif. Mais si, par hasard, 1972 La présentation groupée des collections de Jungle Jap, Dorothée Bis (par Jacqueline Jacobson) et Ter et Bantine (par Chantal Thomass) à la salle Wagram en octobre 1971 donne le « la » de la décennie, inaugurant l’ère des défilés spectacles. Toutes classes confondues, en une joyeuse désinvolture, filles et garçons défilent bras dessus, bras dessous, avec pour seule consigne : s’éclater. De la salle Wagram au musée d’Orsay (où, en avril 72, l’affluence est telle que le défilé doit être interrompu), de la Bourse du commerce à la porte Maillot, les shows Kenzo sont un prélude à la fête. « En tant qu’étranger, il pouvait faire preuve de plus d’audace que ne le font la plupart des créateurs français, trop intégrés dans la société pour se permettre d’en bousculer les codes.2 » Comme faire défiler des Japonaises en culotte de zouave (Printemps-Été 79), des Occidentales en boubous (Printemps-Été 76) ou des Africaines en kimono (Printemps-Été 83). « Kenzo créait des vêtements magazine no 3 41 « Non, vraiment, je ne suis pas doué pour la mode sexy […] Bien sûr, l’érotisme existe au Japon. Mais il est différent du sex-appeal à l’occidentale. Je préfère la grâce spontanée à la séduction préméditée. Pour moi, dans la mode sexy, il entre toujours une part de calcul. » C. collections pour les jeunes, mais je me heurtais au problème des prix. J’ai failli abandonner. » Mais quand la gauche arrive au pouvoir et propulse Jack Lang au ministère de la Culture, l’espoir renaît. La mode s’intellectualise, le défilé prend ses quartiers au Louvre sous des chapiteaux géants affrêtés pour l’événement, et son histoire entre au musée des Arts de la Mode, Pavillon de Marsan. quelque chose me frappe, je deviens aussitôt attentif. Je me souviens, par exemple, d’une dame âgée rencontrée à Bali. Elle portait un chemisier, une jupe et une ceinture dont les motifs étaient tout à fait disparates. Elle les avait sans doute mélangés n’importe comment, avec la plus totale indifférence. Mais quel effet ! […] Ça me dérangeait, et en même temps, c’était si étrange que j’étais captivé… » Avant de se faire rattraper par Pierre Bergé. Ce dernier l’invite à rejoindre son groupe Mode et Création pour représenter les créateurs de prêt-à-porter au sein de la Chambre syndicale de la mode. Une invitation qui sonne comme la fin d’une ère. À l’insouciance succède la compétition, aux années festives, les années fric. 1980 La mode, elle, devient théâtrale, excessive. Elle moule les corps sculptés dans les salles de gym pour n’être plus que suggestive et sexy. Kenzo ne sombre pas dans la tendance : « Non, vraiment, je ne suis pas doué pour la mode sexy. C’est une mode pour femme adulte, pour la “femme-femme”, comme vous dites. C’est une mode clin d’œil, aguicheuse et désinvolte. […] Bien sûr, l’érotisme existe au Japon. Mais il est différent du sexappeal à l’occidentale. Je préfère la grâce spontanée à la séduction préméditée. Pour moi, dans la mode sexy, il entre toujours une part de calcul. » La mode est devenue un objet de consommation. Kenzo n’y échappe pas. Il a beau vouloir rester à l’écoute de la rue, proposer des « petites pièces » sans prétention, faciles à porter et bon marché – « dès 1980, je me suis efforcé d’introduire dans chaque collection des modèles abordables, bien finis et techniquement très soignés » –, c’est la loi de la griffe désormais. Il marche au pas de son nouveau gestionnaire, François Beaufumé qui, du prêt-à-porter masculin, des parfums à la vaisselle, développe en tous sens la petite entreprise en boîte à licences et décline en toute impunité la trilogie « fleurs, couleurs, folklore » jusqu’à l’overdose. New York, Londres, Milan, 1976 La Maison emménage place des Victoires, où sont réunis la boutique et le studio. Les défilés se tiennent désormais ici, en plusieurs séances, afin d’accueillir tout le monde. Fin de la plaisanterie. « Quand je jette un regard sur mes années 70, je me rends compte, avec le recul, que j’ai créé beaucoup de vêtements pour leur effet spectaculaire. Faire des vêtements pour faire un beau défilé, c’est un jeu très excitant mais qui doit avoir ses limites. En fait, dans les années 70, je me faisais plaisir. Dans les années 80, j’ai davantage pensé à faire plaisir. » À l’aube des années 80, l’inflation n’épargne pas la mode. Encore faut-il être riche pour s’offrir des fringues chez Kenzo : « Je voulais continuer à faire des magazine no 3 42 Épilogue Depuis le départ de son créateur, la marque Kenzo est en stagnation. LVMH fait taire les rumeurs de cession en s’apprêtant à lancer une offensive de relance commerciale. Son successeur, Antonio Marras, attend le couperet final… Tokyo, les boutiques fleurissent aux quatre coins du montde. Et les fêtes délirantes prennent une tournure plus commerciale. 1993 Lorsque François Beaufumé se pique de faire entrer la maison Kenzo dans le giron du groupe LVMH, rien ne va plus. Pressurisé par la valse des financiers, las de cette mode tiroir-caisse, Kenzo ne s’amuse plus. Il vend son nom (et son âme) au groupe LVMH pour se délester du fardeau de la gestion de son entreprise. Marlène Van de Casteele 1999 Avant de partir, il organise un dernier show d’adieu pharaonique — sponsorisé par une marque de téléphonie — devant 4 000 personnes au Zénith. Les réjouissances durent 48 heures et le champagne coule à flots. 2006 Quand il souhaite à nouveau utiliser son nom, il se heurte à un long procès l’opposant à LVMH. La raison sociale Kenzo appartenant à LVMH, il doit à présent employer son patronyme, Takada, pour créer une nouvelle marque. Signée avec Asiatides, la collection « L’Atelier des 5 sens » se décline autour de l’art de vivre. Il crée aussi chez Sony un label de musique, KT Music, une nouvelle ligne de vêtements pour La Redoute, Yumé (rêve), une ligne pour Baccarat. Des regrets ? « Pas le moins du monde. Moi, j’ai tourné la page, j’ai pris du recul, je fais ce que j’ai envie de faire. » 1. In Beautiful people, Alicia Drake, éditions Denoël, 2006, p. 181. 2. In Kenzo, contribution de Bradley Quinn, Mythologies modernes, Rizzoli International Publications, 2010. 3. Ibid. 4. In Histoire idéale de la mode contemporaine, Olivier Saillard, Les Arts Décoratifs, 2010. 5. In Kenzo, Ginette Sainderichin, éditions du May, 1989. P.39, Automne-Hiver 1975 - Stern magazine, photo: Hans Feurer © Kenzo, 2009 Ultime page à tourner, la vente de son « ambassade du Japon » à la Bastille (maison de 1 000 m2 avec jardin japonais) et de sa collection d’œuvres d’art. Bilan : 14 millions d’euros, de quoi s’assurer une confortable retraite… Rizzoli New York, 2010 P.41, Kenzo Takada dans le première boutique KENZO, Galerie Vivienne, Paris, 1970, photo: Hiroyuki Iwata © Kenzo, Rizzoli New York, 2010 P.42, Dessin pour la collection Printemps-Eté 1976 Kenzo Takada/KENZO Archives magazine no 2 43 IMAGES LE SEXE DES ANGES Déjà la belle saison en planète mode : les dieux et déesses des campagnes publicitaires s’apprêtent à arborer un hâle sensuel. Chez Givenchy, en revanche, c’est au pays des neiges et des glaces que l’on nous emmène, en deux photographies signées Mert & Marcus. La lumière y est spectrale, et le héros, le mannequin Stephen Thompson, atteint d’albinisme, diaphane. Deux jeunes femmes l’accompagnent : la blonde Daphne porte une robe dont les multiples zips et les ruchés redessinent l’anatomie ; la brune Mariacarla est méconnaissable, les orbites sombres et la bouche entravée par un masque issu de la collection homme aussi immaculé que le reste. Au-delà, chaque couple s’offre au regard de manière complexe puisque les silhouettes se confondent par un effet de surimpression, l’une d’elles étant altérée ou semi-transparente. Pendant une fraction de seconde apparaît un être double ou hanté, une étrange créature bicéphale. […] Dans la rêverie alchimique, on dit que l’œuvre au « blanc » symbolise la réunion harmonieuse des contraires : les anges à deux têtes de Mert et Marcus signalent ce désir d’unité. hommes ; tous partagent une même allure déconstruite et longiligne. Dans la rêverie alchimique, on dit que l’œuvre au « blanc » symbolise la réunion harmonieuse des contraires : les anges à deux têtes de Mert et Marcus signalent ce désir d’unité, dans le même temps que leur bizarrerie légèrement morbide s’inquiète de son impossibilité fondamentale. Qu’est-ce qui peut faire courir un créateur de mode hors des tendances et des sentiers mercantiles ? La disparition, l’effacement des corps et leurs aspérités au profit d’une autre configuration, une troisième unité « originaire » et fantasmatique : la perfection du corps androgyne et ce que cet idéal pourrait être. La fascination de la mode pour le corps adolescent est la facette la plus apaisée de ce rêve très ancien. Mais ce dernier reste aussi pourvoyeur de drames : il serait à l’origine des formes les plus extravagantes, baroques, prospectives ou sciences fictionnelles avec lesquelles certains créateurs métamorphosent les corps et les contredisent. On peut lire le petit théâtre orchestré par Mert et Marcus comme une allusion à cette quête. L’atmosphère y est évanescente voire glaciale : le désir d’indifférenciation peut être aussi un vœu de haute pureté stérile — c’est le risque, pas sûr qu’il soit question d’amour dans cette histoire. Pour les rencontres et l’exaltation moites sur la plage abandonnée, les coquillages, les crustacés, etc., on sera prié d’aller voir ailleurs. Aux dires des critiques, c’est un romantisme sombre qui caractérise l’esprit de Riccardo Tisci pour Givenchy, un tempérament gothique qui se manifeste effectivement ici dans le mépris affiché envers la vulgarité d’une belle saison où les chairs sont d’ordinaire sommées de s’exposer. On peut ajouter que le pâle Stephen Thompson et son patrimoine génétique contrarié évoquent les figures masculines de la littérature décadente de la fin du xixe siècle – les Dorian Gray, les Des Esseintes : des esthètes enfermés dans la tour d’ivoire d’un égotisme maladif, des beautés déchues, ambiguës, à la sexualité problématique. Une autre caractéristique de l’art de Tisci pourrait être cette relation trouble et troublée aux deux sexes, le jeune homme étant en charge de l’ensemble des collections. Les vestiaires masculin et féminin de l’été Givenchy développent ainsi un même dandysme en noir et blanc, se vampirisant l’un l’autre ; les femmes empruntent aux hommes costume et gilet oversized, les hommes, des shorts aux allures de jupettes et leurs leggings aux femmes ; le modèle transsexuel Léa T. défile chez les femmes tandis que les femmes s’invitent chez les Céline Mallet Campagne Givenchy Printemps-Eté 2011, photo Mert Alas & Marcus Piggott, courtesy Givenchy magazine no 3 44 magazine no 3 45 LEXIQUE Cool On n’emploie plus le terme « cool », ou alors au deuxième degré. Le concept a pourtant une histoire, qui se construit contre l’establishment. Retour en dix points sur une notion rebelle. 1 : De temps à aut re naît une tendance qui donne à celui qui l’adopte un look plus nerdy que sexy. Lunettes surdimensionnées, pantalons trop courts, chaussures ringardes ou chemises boutonnées jusqu’en haut : autant d’éléments d’un style qui, pour les non-initiés, a plus à voir avec ce que portaient nos grands-parents que ce que l’on s’attendrait à voir sur le dos d’un jeune trendsetter. Ce type de tendance n’est qu’un exemple parmi d’autres du rejet de ce que le mainstream considère comme « sexy » ; elle marque l’individualité de celui qui l’adopte, elle indique qu’il est Cool. dans le terme « hip » utilisé par Mailer la réponse à leur volonté de vivre autre chose qu’une existence dominée par les banlieues pavillonnaires et les réunions en costume de flanelle grise. « Hip » et « cool » devinrent des mots à la mode au cours de cette ère naissante, et l’attitude correspondante – une conception de l’existence exaspérée par le langage – se mit à rejoindre progressivement le cœur même de la société depuis les marges bohèmes de celle-ci. Le Cool a toujours été présenté comme la posture de l’opprimé, […] et s’est construit sur l’idée qu’avec les bonnes fringues, les bonnes drogues et la bonne musique viendrait la bonne attitude. 2 : Le concept de Cool aurait été au départ un moyen pour les esclaves africains de garder leur dignité face à leurs maîtres blancs. Tout au long de l’histoire, il a continué d’incarner cette attitude blasée qu’adopte l’opprimé pour signifier que, si son corps est enchaîné, son esprit, lui, ne le sera jamais. 3 : Cette posture de nonchalance a par la suite été associée aux jazzmen et bluesmen Noirs des années 20, avant d’imprégner, dans les années 50, la culture mainstream blanche à travers des polars particulièrement durs, les films noirs des années 30 et 40, et enfin par celui du rock’n’roll un peu plus tard. 6 : Selon l’article « Les Hippies – Philosophie d’une sousculture », publié en 1967 dans Time Magazine, le terme hippie est dérivé « de l’adjectif utilisé avant-guerre par le jitterbugs [danseurs de swing des années 30, ndt] « hep » : être « hep » c’est être « dans le coup » ; « hep » est par la suite devenu « hip » (substantif : « hipster ») durant l’ère bebop et beatnik des années 50, puis tomba en désuétude avant d’être remis au goût du jour par la vague psychédélique. 4 : Malgré ses racines très codées racialement, l’idée de cool a également marqué les cultures américaine et européenne. Le sociologue Norbert Elias a ainsi parlé de l’émergence d’une « nouvelle civilité » dans l’Europe du xviiie siècle, qui prohiba de plus en plus sévèrement l’expression spontanée des émotions ; l’historien Peter N. Stearns a quant à lui étudié la « nouvelle culture des émotions » aux États-Unis, qui transforma les normes victoriennes du xixe siècle en une attitude plus froide, plus imperturbable. 7 : Les T-shirts blancs et les jeans popularisés par James Dean dans les années 60, tout comme les blousons de motard arborés par Marlon Brando, les marinières chères à Andy Warhol, ou encore les cols roulés noirs et pantalons en velours vus sur les hipsters européens, ont permis d’établir des standards vestimentaires qui, encore aujourd’hui, servent de passerelle vers le cool. 5 : La fin des années 50 donna lieu à un profond changement culturel. Cette transformation fut illustrée notamment par Organization Man, ouvrage de William H. Whyte de 1958, et par l’essai White Negro publié par Norman Mailer en 1957. Beaucoup, désespérés par un conformisme toujours plus frustrant, trouvèrent alors magazine no 3 46 Et bien que chacune de ces images soit assez élémentaire, le simple fait qu’elles aient pu s’intégrer dans notre conscience collective comme des raccourcis culturels vers l’avantgarde et la pensée anti-etablishment prouve à quel point s’est répandue et se répand encore l’attitude propre au Cool. 8 : Au sein d’une culture où la société mainstream représentait tout autant la répression et l’exploitation que la corruption et « l’inauthenticité », la contre-culture des années 60 a réagi en produisant une alternative habitée par des idéaux de « pureté » et « d’authenticité ». En ce sens, se préoccuper du cool revenait donc à rechercher « l’authentique ». La philosophe Agnes Heller considère que l’authenticité reste la valeur la plus sublime de la modernité ; à en juger par la célébration de l’individualisme dans les médias de masse contemporains, difficile de lui donner tort. chacune d’entre elles s’est construite sur l’idée qu’avec les bonnes fringues, les bonnes drogues et la bonne musique viendrait la bonne attitude. Le Cool pourrait donc être conçu comme la colle qui fait tenir ensemble toutes les sous-cultures, au cours de leur long et minutieux effort d’exacerbation des fissures existant entre dominants et subalternes, hétéros et homos, mainstream et underground. Le Cool est la raison pour laquelle « ils » sont différents de « nous » et fonctionne comme un signifiant essentiel du principe de distinction. Il est absolument indispensable à chaque groupe d’individus visant à retourner une position d’outsider en celle d’insider. En d’autres termes, quelle que soit la sous-culture que l’on scrute à la loupe, on y trouvera toujours le même dénominateur commun : le Cool n’incarne pas tant son salut que sa raison d’être. 9 : Dans La Société du spectacle, en 1967, le poète et réalisateur Guy Debord a notoirement avancé que la contre-culture, dans son projet de révolutionner la société et de résister au « spe ctacle », se retrouverait absorbée, après un temps, par le spectacle même auquel elle cherchait à résister et finirait inévitablement par ne constituer qu’une partie du spectacle parmi d’autres. On pourrait aisément affirmer que c’est précisément ce sort qu’ont connu l’ensemble des opposants au mainstream. 10 : Des esclaves africains en lutte pour préserver leur dignité face aux maîtres blancs, jusqu’aux jeunes occupés à faire des doigts d’honneur à l’establishment (quand ce n’est pas littéralement à lui mettre des doigts, mais alors les émotions prennent l’ascendant sur le cool), le Cool a toujours été présenté comme la posture de l’opprimé, et a joué en tant que tel un rôle crucial dans le développement des sous-cultures, puisque Anja Aronowsky Cronberg Traduit de l’anglais par Philippe Gontreux Hippies, Haight Ashburry, San Francisco , 1967, photo DR magazine no 3 47 CHRONIQUE JEUNES POUSSES L’écosystème de la mode semble avoir soudain besoin de voir émerger de nouveaux talents, qui fleurissent sous les spots des magazines de printemps. Allez hop ! Debout là-dedans ! Fini de faire la marmotte, conforté par l’assurance que votre « hypersomnie » est un symptôme parfaitement identifié de « dépression saisonnière ». Assommé par les bulletins de Météo France égrenant les « épisodes neigeux », pluvieux et pourquoi pas grincheux, vous suciez du sucre sous votre lampe « plein spectre lumière du jour ». À moins qu’à la pointe de la luminothérapie high-tech, vous n’arboriez une paire de « luminettes® », lunettes à LED incrustées qui « maintiennent la vision sans aucune gêne » (merci à tobelight.fr d’adresser son chèque à la rédaction ; la presse papier est fragile…). Terminé tout ça ! Le printemps est à vos fenêtres : ouvrez-les ! Avec l’heure d’été qui s’annonce, l’appétit va revenir. Bien sûr, depuis la parution du livre de Jonathan Safran Foer (Faut-il manger les animaux ?), vous regardez votre séduisant jeune boucher vaguement hipster comme un maillon criminel de la mafia agro-alimentaire qui cherche à vous empoisonner en torturant porcs et poulets. Le marchand de clémentines corses au bilan carbone incertain perturbe tout autant votre éco-responsabilité. Vous êtes un peu interdit devant la lourde charge morale qu’impliquent tous ces « gestes pour la planète » à faire à chaque instant… Ne vous laissez pas envahir par le doute, « commencement du désespoir » ! Vous aimez la mode, vous n’êtes donc ni nihiliste, ni cynique, puisque l’invention du présent vous intéresse. De plus, vous savez que la crise est sinon derrière vous, du moins derrière les grands groupes du luxe, et ça vous rassure. Et puis, cet engouement généralisé pour les « jeunes talents de la mode », ça sent bon le renouveau politiquement correct ! Même le ministre de la Culture l’a dit dans Elle : « Il faut aider les jeunes créateurs ! » Offrant ainsi une superbe campagne de publicité à l’un des plus importants sites français de vente en ligne, BrandAlley qui abrite la Elle Fashion Factory. Et en pré-commandant, à moins 50 %, les vêtements de tous ces jeunes talents dont vous n’aviez jamais entendu […] Même le ministre de la Culture l’a dit dans Elle : « Il faut aider les jeunes créateurs ! » Offrant ainsi une superbe campagne de publicité à l’un des plus importants sites français de vente en ligne. parler, vous participez en direct à la version mode des AMAP de votre quartier : de l’Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne, qui vous fournit votre panier de légumes certifiés bio chaque semaine, à cette vertueuse Entreprise de Développement d’une Mode de Proximité inventée par Elle et le ministère, il n’y a qu’un pas. Franchissez-le ! Même si l’opération est loin du « fait main » des « top-of-wear », ventes hebdomadaires de ses collections à des amis d’amis, développées dans les années 90 par Adeline André, elle tente tout autant de « recréer du lien » entre la mode et ses consomm’acteurs. Pas facile en effet de se projeter en février dans la mode de l’été quand on étrenne à peine ses vêtements achetés aux soldes d’hiver. « Profitez des soldes d’hiver et préparez les soldes d’été », clamait en janvier une banque… Les penderies sont au bord de l’asphyxie ? Rien de tel qu‘une poignée de nouveaux noms en couverture pour tenter de créer un appel d’air. Ainsi, Elle réinvente le « Bon Magique » à l’heure du tout-à-l’écran, quand Vogue se prépare à stariser « ses » jeunes et que la Fédération de la Couture rajeunit son calendrier des défilés : après des années d’occupation du terrain par les grandes marques, le printemps des médias fait éclore son lot de jeunes pousses, prêtes « à se faire une place dans la jungle de la mode ». Souhaitons que leur vision s’enracine dans une réalité, sous peine de devenir une mode « hors corps » sous engrais médiatique, comme il existe des cultures « hors sol » déconnectées de tout terroir. Car le véritable humus d’une mode qui tient debout, c’est sa connexion aux envies du jour. Sa sève, c’est l’actualité des désirs. Incarnée. Stéphane Wargnier Patron de robe en 4 tailles. magazine no 3 48 magazine no 3 49 RENCONTRE VINCENT B. Angelo avait donné mon numéro à Vincent. Je me souviens d’échanges au téléphone, lorsqu’il était le bras droit du patron d’un groupe de communication important : « Tu peux m’écrire un scénario de jeu interactif avec des personnages hyper aspirationnels pour demain matin ?… … un truc young, witty, sexy, gimmicky et glamorous. Une relecture de L’Odyssée suffisamment référencée pour une appropriation et une identification totales des joueurs. On a vendu de la talkability et de l’advocacy maximum au client. Je m’occupe de la strat 360, du territoire et de la mécanique, tu fais le scénario. Je t’envoie la prez Keynotes par mail. » Ce genre-là. une vie faite de ça, avec des très hauts et des très bas. À Oléron, je n’ai pas de surprise, j’ai renoncé au plaisir, mais j’ai découvert la joie. » Vincent a tourné le dos à quinze ans d’une carrière brillante dans l’univers impitoyable et violent de Christophe Lambert et ses amies les grosses agences de pub et leurs clients difficiles. Pétri de Donjons et Dragons, armé d’une solide culture et d’un master en Californie, d’une expérience à New York et, après avoir démarré comme professeur en DUT, équipé d’un MBA en France et d’un grand capitaine d’industrie pour mentor, Vincent a rapporté de gros budgets et la pression est montée. Après un passage éclair « chez l’annonceur », occupant quatre jours seulement le double poste de directeur du planning stratégique et directeur Mais derrière le champ sémantique du pubard hyper charrette en train de réinventer le nu total sous les habits pour trois compètes en même temps, l’âme sensible du Dom Juan tardif rattrapé par sa misanthropie chronique envoyait des messages. Et quand nous nous sommes revus pour dîner dans toutes les langues à une grande table de La Fidélité, c’est de chiens, de Curzio Malaparte et de retrait du monde que nous avions parlé. Depuis, Vincent B. a tout plaqué. Il vit à l’île d’Oléron avec ses deux énormes chiens, dont un Dogue de Bordeaux. « La première fois que j’ai vu un chien de cette race c’était à l’Avenue, je suis tombé amoureux. Je suis repassé lui faire des amabilités tous les jours ensuite, je pensais à lui, j’étais gaga. J’aime les gros pépères, je pense m’acheter un mastiff en plus du SaintBernard et du Dogue. » Il déclare aussi, dans un grand sourire en suspens au-dessus de l’entrecôte à point qu’il termine dans le 9e arrondissement minéral et bruyant de Paris : « Je vis dans le présent ! Pas dans le prochain week-end, les prochaines vacances, la soirée à venir ; mais dans le ravissement quotidien et gratuit. » Son profil sur Facebook – « ultime vanité » – a disparu, mais depuis des mois ses énormes chiens Victor et Tatum – « comme Art Tatum mais aussi comme la femme de John McEnroe pour ceux qui ne connaissent pas le jazz » – occupent l’écran, dans un rayon de soleil ou en surplomb de la mer. « C’est pas compliqué, je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que je vis à l’île d’Oléron. Non, je crois que c’est la première fois que je suis heureux ! J’ai remarqué que je passe mon temps à sourire, là-bas. Tous les jours, je fais la même promenade avec mes chiens, et tous les jours il y a matière à ravissement. J’ai surfé vendredi dans des vagues magnifiques. Je suis un contemplatif, je suis bien dans la nature. J’ai une vie saine. Est-ce que j’avais des ravissements à Paris ? Non. Je sortais, je me disais tiens, elle, elle est jolie, des tentations, des excitations, des déceptions… […] Est-ce que j’avais des ravissements à Paris ? Non. Je sortais, je me disais tiens, elle, elle est jolie, des tentations, des excitations, des déceptions… une vie faite de ça, avec des très hauts et des très bas. du planning digital de Lancôme pour le monde entier, il avait repris un gros job depuis plus d’un an quand ça s’est arrêté. Mais au lieu de retrouver autre chose, Vincent a pris un retrait anticipé. « J’ai été très malheureux à 30 ans, j’ai démissionné en 2009, et je crois que la quarantaine va très très bien se passer. Loin de l’univers ultra normé que j’ai essayé de fuir toute ma vie », dit-il pour rassurer tout le monde. L’appel d’Oléron a été plus fort que la passion de Vincent pour le concept de contenu de marque. Ancien bassiste et batteur, érudit de jazz et amateur des hussards noirs, tourmenté et serein en fonction des décennies, Vincent n’est pas dingue, ne magazine no 3 50 boit de vin que s’il est sucré, comme les enfants, et a manifestement regretté que son père militaire n’ait pas été plus affectueux. Il a déjà trouvé un modèle économique décroissant pour sa nouvelle vie : « Quand tu as fini ta thèse, tu peux avoir un job de prof permanent à l’école contre lequel tu obtiens un salaire pas énorme, pour un nombre d’heures dérisoire. » D’où le doctorat en sciences de gestion « sur les fictions trans-médias, c’est-à-dire les séries télé que tu consommes via le produit principal [la série TV, ndlr], mais aussi un roman, un jeu vidéo, des choses sur Internet, sur les mobiles, etc., d’un point de vue marketing ». « Capable dans la même journée de passer de Julien Gracq à Call of Duty », les femmes, j’ai développé une grande crainte, une misogynie rampante, même si visuellement je suis toujours fou d’elles. J’étais laid jusqu’à 20 ans, et de 25 à 30 ans j’étais un chasseur ; j’ai fait de la conquête, énormément, parce que ça me rassurait. Puis j’ai essayé de me guérir d’un petit problème de dissociation du tendre et du sexuel. En 2011, je suis célibataire. Mais j’ai remarqué que si j’étais encore dans le business de draguer, je pourrais vendre ça comme un truc mystérieux, romantique, osé, audacieux. Et m’en parer, comme le mec seul sur son rocher avec ses deux chiens. La femme qui se laisserait prendre à ce récit-là serait une pauvre idiote. » Vincent a trouvé un moyen de concilier son amour de la nature, du cinéma, de la solitude, de ses chiens, des jeux vidéo, de la littérature, de la bande dessinée et du roman graphique. Il a troqué ses costumes de designer contre une combi néoprène et surfe sur ses fantasmes de sâdhu à l’écart du monde : « Supprimer les tentations, ça aide énormément à être apaisé. Quand tu décides de réduire ton niveau de vie, quand il n’y a pas de boutiques, de belles femmes, tout devient doux. À Paris, finalement, je ne sortais jamais, je n’allais pas au Baron, il fallait tellement être interactif toute la journée que je voulais qu’on me foute la paix le soir. Pour accepter un dîner avec des gens que je ne connaissais pas, il aurait fallu que je prenne un Xanax. Si ton plaisir c’est d’être au milieu des arbres et regarder la mer, pourquoi ne pas le faire ? » Il a aimé le Houellebecq – « sauf le dernier chapitre » –, relit Vies Minuscules de Pierre Michon – « c’est sublime ! » –, découvre Le Maître et Marguerite, et prend en main le plus souvent possible « un gros roman de guerre, Les Nus et les Morts, de Norman Mailer ». « Mais je lis beaucoup moins que le soir à Paris, quand je travaillais. C’était le moment où la vie commençait. Ici, j’ai moins besoin de créer cette bulle. » Le doctorat, un sacerdoce ? Vincent est trop libidineux pour ça. Il se demande même si sa retraite de thésard ne serait pas plus douce avec une amoureuse. « À force d’avoir les relations que j’ai eues avec Avant d’envoyer ce papier, je suis descendu au Théâtre de l’Œuvre, en dessous de chez moi, voir le Don Juan de Brecht. D’après Molière. Et même si je n’ai pas compris pourquoi « Don » plutôt que « Dom », ça m’a rappelé quelqu’un. Vincent B. n’a pas beaucoup parlé de son père militaire de carrière, mais la figure paternelle était l’Invité de pierre – la statue spectrale du Commandeur –, de notre dîner entre garçons au Corneil, dans le 9e arrondissement. Mathias Ohrel Dessin de costume du rôle « Le Commandeur », représentation Don Juan de Moliere à Comedie Francaise, 1947, © Bridgeman Art Library / Bibliotheque de la Comedie Francaise, Paris, France / Archives Charmet. magazine no 3 51 off record MODE LA MODE DE DEMAIN […] si la Saint Martins réussit une chose, c’est de donner une identité à ses étudiants. Et s’ils ne la trouvent pas seuls, Louise Wilson, leur directrice, la trouve pour eux. Le paysage est assez figé, tout change et rien ne change. Pourtant la mode continuera de se réinventer, d’une autre manière de celles que nous avons connues. Qui nommera-t-on héritier ? Où trouvera-t-on les successeurs ? Voici quelques pistes sur la formation des stylistes et de possibles modèles économiques de demain, à visage couvert bien entendu. Vous remarquiez un jour le manque de jeunes créateurs et le fait que des grandes maisons auraient besoin, un jour ou l’autre, d’un successeur à leur styliste… Effectivement, les grandes maisons n’ont pas créé de pépinière. Si on regarde dans le rétroviseur, on s’aperçoit que les années 90 ont été très riches en jeunes créateurs et on ne mesurait pas forcément alors la chance qu’on avait… De nombreuses marques existaient, avec leur identité, et même si ça restait compliqué de les imposer, elles parvenaient à être visibles dans la presse et les boutiques. C’était aussi le moment où les Belges se sont imposés, les Martin Margiela, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, en même temps que McQueen et Chalayan, même si leur développement n’a pas toujours été celui auquel ils aspiraient. On n’avait pas l’impression que ce serait facile, mais on sentait que c’était possible, ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui. […] Fin des années 90, les groupes se sont aperçus qu’ils pouvaient prendre des Galliano, des McQueen, des Margiela, les placer chez eux et ainsi récupérer des produits et des filières de communication plus « cool ». Aujourd’hui, ces marques ont épuisé leurs directeurs artistiques et leurs créateurs. Parallèlement, ils n’ont laissé aucune place aux petites marques en faisant une opération « main basse sur la ville », aussi bien dans la presse que dans la distribution. pendant quinze ans à travers jusqu’à douze collections par an… Et si on lui cherchait un successeur, la tâche ne serait pas facile puisque les stylistes de talent avec une certaine expérience ne se bousculent pas… La succession des créateurs peut aussi se faire en interne – comme chez Gucci, de Tom Ford à Frida Giannini – et très bien se passer… C’est l’École italienne, davantage du côté du produit que de celui novateur de la marque. Peut-être aussi que l’on change d’époque et que la période des stylistes stars est en train de se clore… Absolument, l’âge d’or des stylistes semble dépassé. J’ai toujours trouvé la scène londonienne très intéressante parce qu’elle était riche de créateurs et assez libre. Le travail de Louise Wilson à la Saint Martins était de ce point de vue exemplaire, car elle parvenait à hisser des étudiants à un niveau incroyable. La limite de ce modèle est que les étudiants issus de cette école ne veulent pas monter de maison, tout juste une petite marque artisanale, et rester créateur. Mais aujourd’hui, les gens n’ont pas tant besoin de vêtements que d’une Maison, au sens d’univers de signes dans lequel on se sente bien. Prenons Christopher Kane, peut-être le créateur le plus talentueux de sa génération – en tout cas, le défilé que tout le monde a regardé –, eh bien, il n’a pas de Maison et reste un styliste. Vous pouvez rappeler en deux mots ? Les pressions sur la presse sont assez simples : étant donné le volume publicitaire que les groupes représentent, il est facile de demander à ne pas partager le gâteau [la visibilité des produits dans les pages rédactionnelles, ndlr] avec les petites marques. Mais sur la distribution aussi il y a eu des pressions. On ne s’en rend pas forcément compte à Paris, mais en Italie par exemple, où les boutiques multimarques sont plus répandues, les marques incontournables comme Prada ou Saint Laurent imposent des minima de commande sur leurs pièces phare chaque saison (it-bags, chaussures, etc.), qui de fait écartent les plus petites marques du paysage. Cette pression sur les détaillants est moins visible, et ce n’est pas près de changer, car il est tabou de parler d’argent dans la mode, pour les petites comme les grandes marques. […] Aujourd’hui, on a l’impression que les marques ont pressé leur DA jusqu’à la dernière goutte (comme Galliano chez Dior), où il est en poste depuis 1996. Même si un créateur est talentueux, ce n’est pas facile de coller à son époque C’est-à-dire ? Ça signifie qu’ils ne sont pas directeurs artistiques en plus d’être stylistes. Toute cette scène londonienne, les Marios Schwab ou Richard Nicoll, est brillante et fait de très beaux vêtements, mais elle ne sait pas créer une image de marque au-delà du vêtement. D’où cela vient-il ? À la Saint Martins, on les fait travailler un projet de fin d’année sur lequel toute leur scolarité repose. Ils y investissent toute leur énergie et sont poussés en cela en même temps que dirigés par leur directrice. C’est parfait pour un système pédagogique mais pas pour un cadre professionnel. Parce qu’une fois diplômés, les étudiants reproduisent ce qu’ils ont appris, à savoir : plancher sur un nouveau projet chaque saison, donc tous les six mois, ce qui au final ne donne ni une collection ni une direction. Une collection, ce magazine no 3 52 n’est pas simplement une idée, c’est deux vestes, trois manteaux, etc. une identité à ses étudiants. Et s’ils ne la trouvent pas seuls, Louise Wilson la trouve pour eux. Ce n’est pas tant de la vampirisation que du coaching. Pourtant, nombre de créateurs qui dessinent de grandes marques sont issus de cette école : John Galliano, Phoebe Philo, Riccardo Tisci, peut-être Gareth Pugh demain… C’est vrai, mais je trouve que la nouvelle génération ne fonctionne plus sur le modèle des Philo, Tisci, etc. Gareth Pugh, c’est différent. Il est aujourd’hui le chouchou et celui auquel on pense quand il est question de succession, mais il a une histoire particulière : il n’a pas été accepté au MA (Master) et s’est rabattu sur un BA (Bachelor) de la Saint Martins. Ses vêtements n’étaient pas toujours géniaux mais, à côté, il a beaucoup expérimenté autour de son image en organisant des défilés dans des clubs et plein d’autres choses… de cette manière, il s’est construit un univers. Parce qu’en fait, apprendre à dessiner des vêtements, c’est très bien, mais il y a toujours des gens capables de ça ; ce qui est précieux, c’est de construire un univers. […] Je reviens à Christopher Kane : on n’a jamais vu un visuel de ce créateur. La seule chose qui soit disponible sur Internet, ce sont des filles sur fond blanc dans un défilé ; on ne peut pas faire plus minimal et c’est catastrophique pour la communication. Les designers londoniens ont presque tous la même approche, ils ne trouvent pas d’autre solution parce qu’ils ne sont pas formés à ça. Et l’École belge, dont quelques bons stylistes sont issus, quelle était sa formule ? Anvers reste une école « carrée » avec de très bons intervenants, et qui demande beaucoup de travail. Le contexte belge est peut-être aussi plus propice à l’étude qu’à une vie dissolue… Dans les années 80, c’était une identité très belge, mais je crois qu’aujourd’hui on vient de loin pour y étudier, même du Japon ! […] C’est difficile d’énoncer des règles définitives sur la formation ; aux États-Unis, il n’y a pas vraiment de formation et pourtant des créateurs émergent… Mais la seule constante, c’est un fort coaching de la part des enseignants, quitte à laisser une empreinte sur les étudiants. J’avais eu l’occasion de regarder les travaux d’étudiants des Arts appliqués de Vienne, en Autriche, qui avaient suivi les cours de Raf Simmons et de Véronique Branquinho, et ils avaient été marqués au fer rouge, jusque dans leur charte graphique ! Tout était de très bon niveau, et on se dit que si la sensibilité doit s’exprimer, elle s’appuiera sur une qualité déjà présente. Résumons ce qu’est la mode au-delà du vêtement… un nom, une charte graphique, des boutiques… Il n’y a évidemment pas de recette. Mais je suis surpris du conformisme des jeunes créateurs, tous les défilés sont identiques : 32 silhouettes sur fond blanc, avec un casting qui ne surprend pas. Un Helmut Lang faisait un défilé sur Internet avant tout le monde ! Le Carrousel du Louvre n’accueille plus de défilés mais, pour autant, ça n’a pas donné d’impulsion aux stylistes : ils refont la même chose ailleurs, c’était bien la peine de déménager ! La solution est alors peut-être la direction à deux têtes : l’une créative et l’autre commerciale… Oui, le mythe Saint Laurent-Bergé… Mais c’est très français de faire cette dichotomie : soit on est créatif, soit on est commercial, et au milieu il n’y a rien. Quand on regarde des Alexander Wang ou Proenza Schouler, ils arrivent aujourd’hui à un bon équilibre entre les produits et la griffe. Comment continuer à inventer aujourd’hui ? Il y a une offre de vêtements tellement pléthorique que c’est difficile de créer une différence. Prenons les collaborations Top Shop, H&M ou même le site Asos, qui propose des pièces à 85 euros dont on sent qu’elles sont conçues par un studio d’étudiants de 25 ans sortis des meilleures écoles… Cette qualité et cette créativité à ce prix sont assez incroyables. Top Shop a fait produire deux ou trois silhouettes par des étudiants de la Saint Martins… jusque-là, c’était les vitrines d’Harrods qu’on leur confiait, ça avance ! Et comment se fait-il que la France produise peu de stylistes, comparé à l’Angleterre ? C’est aussi un mystère pour moi… Je pensais que le post-graduate de l’IFM serait la bonne formation, mais ils ont peut-être mis la charrue avant les bœufs : on demande aux étudiants de faire un projet de marque avec des aspects marketing très développés… Mais bien qu’ils soient en post-grade, ils ne savent pas encore qui ils sont « créativement ». Je veux dire que si la Saint Martins réussit une chose, c’est de donner magazine no 3 53 […] aujourd’hui, les gens n’ont pas tant besoin de vêtements que d’une Maison, au sens d’un univers de signes dans lequel on se sente bien. L’enjeu est peut-être aussi le modèle économique choisi… Je ne suis pas devin, mais je pense qu’on ne pourra plus fonctionner comme nous l’avons fait ces vingt dernières années. Par exemple, le modèle créateur, vêtements très chers et défilés, je ne sais pas s’il est pérenne. C’est devenu tellement facile de délocaliser et de produire des vêtements de bonne qualité que le jeu intéressant sera peut-être de faire une marque avec des pièces à 300 ou 400 euros en boutique, deux lookbooks et go!… Et je suis sûr que quelqu’un dans cette génération va se dire que c’est plus rentable et plus excitant. Parce que les marques de créateur ne sont jamais rentables… Il faut accepter des money jobs à côté pour survivre et on n’arrive plus à développer sa propre marque. Même Galliano, malgré tous ses assistants, n’y arrive pas. Donc dès le départ, on sait que c’est un modèle qui va dans le mur, il faut donc en inventer un autre ! on a produit ses pièces avant, on est sûr de soi et on garde des secrets ! Ça ne peut pas être une solution pour toutes les marques, car il faut maîtriser son circuit de distribution, mais les autres inventeront autre chose ! Qu’indique, selon vous, que la page Roitfeld se soit tournée à Vogue Paris ? Il y a vingt ans, Carine Roitfeld était styliste à Glamour et Emmanuelle Alt à 20 ans justement… La nouvelle rédactrice en chef était déjà rédactrice en chef mode de Vogue, donc rien de neuf sous le soleil. Maintenant, il me semble qu’elles sont stylistes, et que rédacteur en chef, c’est un autre métier. […] Ce qui est intéressant, c’est que Carine Roitfeld nous était « vendue » comme une star et on peut dire, sans être désobligeant, qu’elle a été virée comme une malpropre. Donc la star, c’est bien Vogue et pas Carine Roitfeld. Medium is the message, en anglais. La mode et sa représentation sont de plus en plus visibles dans l’art. C’est que la mode est plus présente dans la vie par rapport aux années 60 par exemple ? Quelles en sont les implications sociales ? Ce qui fausse toute réponse sur les enjeux sociaux, c’est que la mode est devenue la poule aux œufs d’or. À partir du moment où on essaye de vendre trois sacs par saison aux minettes, les implications sociales passent au second plan. Et pour les créateurs qui ne sont plus « jeunes », quelles sont les perspectives ? Les grandes Maisons ont aussi leurs problèmes. Internet a accentué la sensation de décalage entre ce qui est présenté dans les défilés et ce qui est en boutique. Tous les vêtements sont visibles trois heures après le défilé mais disponibles six mois plus tard. Or, il n’y a aucune raison qu’on montre quelque chose aujourd’hui et que les gens en aient envie dans six mois ! Sur des pièces « imprimées », des Burberry, Balenciaga, Prada… c’est difficile de maintenir la désirabilité, car avant même que ce soit l’été, on voit des avant-premières dans les magazines, puis des rédactrices prises en photo en train de les porter, puis les trois people du moment, et enfin le motif repris chez H&M ou Zara… c’est difficile que la cliente sorte ensuite 2 500 euros pour l’avoir. Au point qu’on pourrait dire que le prêt-à-porter qui défile en mars et en octobre, c’est la nouvelle « Couture », en ce sens que ce sont des pièces livrées tard, vendues dans des réseaux élitistes et à des prix assez élevés. Parallèlement, ce que les marques vendent n’est pas forcément visible, les collections croisière par exemple, et est disponible pendant la Couture. Bref, on marche sur la tête. MODE P.56 : brygida Photographie Alex vanagas, stylisme sara bascuñán alonso P.68 : lela Photographie alexandra catière, stylisme Élisa nalin P.76 : shop assistant Photographie charles fréger Que voyez-vous advenir dans cette nouvelle décennie qui soit en rupture avec la précédente ? Je pense que le système arrive au terme d’un cycle et qu’il va devoir se demander comment maintenir la désirabilité du consommateur. Et les solutions seront propres à l’identité de chaque marque, à son réseau, à sa souplesse… Il y a aussi un autre aspect : bien que je ne sois pas hippie dans l’âme, je crois que la mode va être obligée de se préoccuper de comment on produit et avec qui. C’est déjà le cas dans l’alimentation et l’habitat, je ne vois pas pourquoi ça ne le deviendrait pas avec le vêtement, qu’on porte au plus près du corps… Jusqu’à quand pourra-t-on vendre une robe de créateur 2 250 euros sans aucune certitude sur où la teinture a été faite et sur sa filière de production ? Je ne serais pas surpris que des certifications écologiques et « éthiques » fassent leur apparition dans les années à venir. Quelles solutions ? Et peut-on raccourcir les cycles… Soit on interdit les photos pendant une durée donnée, ce qu’a fait Tom Ford. Ou alors, quelqu’un qui est maître de son réseau de distribution dira : ce que vous verrez défiler est ce qui sera en boutique dans deux jours. Soit on délocalisera en Chine et ce sera fait en deux semaines, ou des ateliers seront relocalisés et produiront en circuit court. Ou encore on est organisé, Propos recueillis pas Angelo Cirimele magazine no 3 54 magazine no 3 55 BRYGIDA Une visite de l’exposition « Pom Pom Dust » de Florence Doléac à la galerie Jousse, Paris, février 2011. photographie : Alex Vanagas Stylisme : Sara Bascuñán Alonso Mannequin : Brygida Surowiec chez Next Models Coiffure : Shuko Samida Maquillage : Fumihiro Ban TRENCH : CACHAREL T-SHIRT : ISSEY MIYAKE PANTALON : DENIM STUDIO JUSTAUCORPS et ceinture : CACHAREL SWEAT : CACHAREL ROBE : TARA JARMON bracelets : barbara bui ROBE EN SOIE : CACHAREL FOULARD : VIVIENNE WESTWOOD CHAUSSURES : MALOES T-SHIRT : ISSEY MIYAKE JUPE : OSKLEN CHAUSSURES : NO NAME JUSTE AU CORPS : BARBARA BUI CHAUSSURES : NO NAME pantalon et veste : TARA JARMON CHAUSSURES : MALOES BLAZER : VIVIENNE WESTWOOD ANGLOMANIA T-SHIRT : ISSEY MIYAKE CEINTURE : CACHAREL PANTALON : DENIM STUDIO CHAUSSURES : NO NAME LELA photographie : Alexandra Catière Stylisme : Elisa Nalin Mannequin : Lela Rose chez Major Model Coiffure : Armand Fauquet chez Artlist 2 Maquillage : Natsuki Oneyama Assistant stylisme : Marie Dehe Assistant photo : Sarah Houcke Remerciements a l‘équipe du Trianon. letrianon.fr Robe LONGUE ET TOP PORTÉ EN GILET : KENZO COLLIER : LANVIN BAGUE : DALILA BARKACHE CHAUSSURES : ROCHAS Robe, sandales et bracelets : Prada resort Collier : Lanvin Ceinture tressée : Sonia Rykiel Chemise en satin, Short en soie ET Col amovible en crêpe de soie : Miu Miu Resort BAGUE ET BOUCLE D’OREILLE : DALILA BARKACHE Robe : VIKTOR & ROLF Veste : JIL SANDER Collier : LANVIN BAgue : DALILA BARKACHE PANTALON EN SOIE : SESSUN SANDALES : FENDI BAGUE : DALILA BARKACHE Trench : Lahssan Chemisier : Fendi Pantalon et Ceinture portée en lavallière : Sessun Bracelets en plexiglas : Miu Miu et Sonia Rykiel Chaussures en polyester : Rochas Bague : Dalila Barkache Sur le sol : Blouse à pois : Sonia Rykiel Robe longue : Thakoon Robe : ROCHAS Chaussures : TABITHA SIMMONS SHOP ASSIstant American Apparel Paris, printemps 2011 Photographe : Charles Fréger assisté de Giulia Marchi guillain — 22 ANS AILIN — 20 ANS BENJAMIN — 26 ANS PURA — 29 ANS LAURENT — 24 ans CLARA — 24 ANS JULIEN — 23 ANS RALPH — 22 ANS SARA — 21 ANS textes P.88 : CONTRE La musique au restaurant P.90 : MOOD-BOARD capes 60’s, 70’s, 80’s 94 : CHRONIQUE quoi de neuf, doc ? P.96 : OFF RECORD ART LE DESSOUS DES FOIRES P.99 : HISTOIRE L’éventail P.102 : DESIGN Le dessein et la forme P.104 : RÉTROVISION revista estudios magazine no 1 magazine no 3 86 87 CONTRE La musique au restaurant les magasins de fringues tuent le rock […] si le rock, c’est une bande-son pour choisir des collants ou des jeans, c’est la fin. C’est la dictature du « cool » : la musique, c’est sympa ! Inconcevables, insupportables, insensées… certaines choses nous irritent et il est temps de mettre les points sur les « i ». Je suis contre la musique dans les restaurants. Je demande : quel rapport entre manger et écouter de la musique ? C’est une confusion des sens assez particulière, comme si on balançait des odeurs de bouffe à l’opéra… […] La vérité est que les gens ont peur que le silence s’installe. Même quand on est reçu chez des gens, ils mettent de la musique, comme s’ils avaient peur du blanc. Quand tu reçois tes parents chez toi, tu ne mets pas de musique ! Ils ne comprendraient pas. […] C’est devenu un phénomène généralisé : il n’y a plus beaucoup de restaurants dans lesquels il n’y a pas de musique… Plus loin, il y a un Corse, il passe de la salsa. Ce n’est même pas une question de bonne ou mauvaise musique ; c’est encore pire quand elle est bien ! On est partagé, il y a une partie du cerveau qui aime le morceau et l’autre qui pense qu’il n’a rien à faire là… […] On parlait du Chateaubriand tout à l’heure ; c’est une cuisine inventive, qui demande de la concentration, on ne pourrait pas écouter de la musique en même temps. Ça reviendrait à ce que, pendant que tu savoures la délicieuse nourriture de l’endroit, ce moment-là soit associé à We Will Rock You des Queen, par exemple. Si c’était un choix de faire déguster tel potage accompagné de telle musique – comme on associe un vin –, ce serait autre chose. Mais que, de manière aléatoire, quelqu’un branche son iPod avec la sélection qu’il écoute sur son vélo en venant au boulot, c’est un peu ennuyeux. […] Ça me fait penser aux gens qui travaillent en écoutant de la musique, c’est profondément incompatible ! Le summum, c’est la musique instrumentale ou classique, ça en dit long sur la conception de la musique : si c’est juste un papier peint, c’est pathétique. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment les magasins de fringues tuent le rock de cette manière ; si le rock, c’est une bande-son pour choisir des collants ou des jeans, c’est la fin. C’est la dictature du « cool » : la musique, c’est sympa ! La vendeuse qui danse le rock parce que c’est cool… Ce n’est pas « cool » le rock, c’est une musique de Noirs ; une musique de Noirs qui enfilent des Blanches ! Ce n’est pas une musique de Blanches qui enfilent des jeans… […] Et maintenant, il y a de la musique aussi dans les gares ! Un jour, je me goure de sortie et je me retrouve dans une petite gare – Chaville ou un truc dans le genre –, une petite gare bien jolie de la région parisienne, et là, sur les deux voies, après le passage du train, on entend une radio en permanence, même là… La musique entre dans ta tête, même si tu n’as pas envie de ça ; c’est une présence communicante permanente. […] Le pire que j’ai vécu, c’était à la montagne, la seule fois où je suis allé aux sports d’hiver… D’abord c’était une expérience horrible, parce que c’est le royaume du mauvais goût : tout le monde est moche, mal habillé et emballé dans trois couches de vêtements. Alors je veux fuir tout ça, je prends le téléphérique et je monte le plus haut possible : là, c’est très beau, on est écrasé, on est sur le toit du monde, avec le Mont-Blanc d’un côté et les Grandes Jorasses de l’autre… et des hautparleurs à l’extérieur. Même ce spectacle seul doit être magazine no 3 88 insupportable, il lui faut un accompagnement musical. Un peu plus bas, un chalet sert du vin chaud, c’est très agréable… il y a de la musique ! On a toujours une oreille qui traîne, alors on reconnaît tel jingle ou tel morceau, et comme c’est redoutablement efficace, ça va te rester en tête la journée… Il n’y a plus de silence ! […] Ce que j’aime à la campagne, et en ville aussi d’ailleurs, ce sont les grands espaces. D’un seul coup, ta pensée peut divaguer. Comme quand on prend l’autoroute ; on se fout de savoir si c’est beau ou moche, on sort de Paris, on est à Courcouronnes, il y a des poteaux électriques, des câbles, tout est beau, comme à la campagne. Ça se complique quand les gens y ajoutent des trucs… […] La seule bonne nouvelle au milieu de l’envahissement de notre espace intime par la musique, ce sont les taxis, qui se sont mis à écouter TSF. C’est l’un des rares endroits où l’espace sonore s’est amélioré, sachant qu’on venait des Grosses Têtes. D’un seul coup, tu es boulevard Magenta, sous la pluie battante, une lumière grise, et tu écoutes du jazz à l’arrière d’un taxi. Tu te retrouves dans un bon polar. Tu as l’impression d’avoir rendez-vous pour un contrat. Gabriel Gaultier Propos recueillis par Angelo Cirimele Gabriel Gaultier est président de l’agence de publicité Leg. Restaurant chinois, Shangai. magazine no 3 89 MOOD-BOARD capes 60’s, 70’s, 80’s ILLUSTRATIONS FLORENCE TéTIER Valentino, 1978 Cape en cachemire bleu de Sartimaglie, col entonnoir fermé par un lien. Jupe culotte en daim roux, à petit lien à la ceinture. Blouse en satin de Taroni. Bottes en cuir et daim roux. Chapeau cloche. In L’Officiel n° 645, 1978 Pierre Cardin, 1960 Cape enveloppante à petite carrure, fermée sur le côté par un fermoir à glissière. Chapeau en casque à hublot d’inspiration très interplanétaire. In L’Officiel de la mode, n° 545456, 1960 magazine no 3 90 Yves Saint Laurent, 1970 Cape en velours pure laine vierge. Chapeau d’Artagnan. Jupe en daim fendue sur le devant. In L’Officiel n° 578, 1970 magazine no 3 91 Yves Saint Laurent Rive Gauche, 1980 Cape poncho en mohair gansé marron. Cardigan en cachemire. Blouse en soie. In L’Officiel n° 665, 1980 Pucci, 1965 Cape imprimée avec capuche, 1965. Pierre Cardin, 1981 Poncho en drap d’Hurel, en double demi-cercle. Epaules élargies par des effets de plis plats, col entonnoir. Boutonnage asymétrique Feutre à larges bords. In L’Officiel n° 675, 1981 magazine no 3 92 magazine no 3 93 CHRONIQUE QUOI DE NEUF, DOC ? Quand les artistes documentent leur travail, il faut s’attendre à tout, y compris à ce que cette documentation finisse par être elle-même une œuvre d’art. La doc., une idée neuve. des images ou des textes, leur activité . Sur thefreezoo. blogspot.com notamment, la Résidence Silence de l’artiste Serge Comte, installé en Islande. Un site permet aux artistes d’exister en dehors du temps professionnel, finalement très limité, qu’est celui de l’exposition. En dehors de leur actualité, l’information continue à circuler et à se fabriquer. Un artiste comme Stéphane Degoutin (nogoland.com) met en ligne ses réflexions et donne des pistes sur des pièces à venir. Il pense et Contrairement à l’idée reçue, archiver n’est plus la dernière étape d’un travail, celle qui vient parachever le tout : l’album souvenir ne s’ouvre plus au moment où l’expo se referme, car, aujourd’hui, les outils numériques permettent de diffuser les informations plus vite. Les artistes ne se privent pas de documenter leur travail quasiment en live, au moment où la pièce est prête et avant même qu’elle ne soit exposée. Le Net bouleverse donc d’abord le timing de la documentation. Et de là, son contenu, sa nature et son volume. Car, si hier les dossiers étaient imprimés, massicotés et reliés a posteriori, aujourd’hui, gain d’argent et de temps, ils sont envoyés par mail. « Génération pdf » : l’expression fait d’ailleurs son chemin dans le milieu de l’art. Le pdf y est le format le plus convenu et le plus pratique pour faire connaître son travail. Mieux, les artistes s’affichent sur le Net via leur propre site, ou bien via des sites de documentation collectifs, ou bien encore via leur page Facebook. Être présent sur le Net n’est pas une fin en soi : reste à déterminer le contenu de la documentation qu’on entend y diffuser, et celle de la forme. Avoir un site en son nom propre n’est certes pas la solution la plus facile, puisque, sans parler du coût financier pour ceux qui sont contraints de faire appel à un webmaster, sa maintenance et sa mise à jour régulière restent (plus pour très longtemps cependant) contraignantes. C’est en partie ces difficultés-là que documentsdartistes.org veut pallier. Ce site de la Drac Paca regroupe les dossiers de plus de deux cents artistes de la région, dont par exemple Noël Dolla, Émilie Perotto, Anita Molinero, mais aussi ceux d’artistes émergents à peine connus. […] Il est donc devenu intéressant de penser sa documentation non seulement comme une archive mais aussi comme un journal de bord, une fenêtre constamment ouverte sur l’atelier, comme un dépassement des limites de l’exposition. théorise par le biais du réseau ». Il est donc devenu intéressant de penser sa documentation non seulement comme une archive mais aussi comme un journal de bord, une fenêtre constamment ouverte sur l’atelier. En balançant sur Facebook ou sur leur propre site les images d’une œuvre encore inachevée, ou bien des clichés de son transport, les artistes ne visent pas seulement à livrer leurs secrets de fabrication. C’est plutôt une manière pour eux d’envisager l’œuvre dans sa continuité, une extension du domaine de sa visibilité, un dépassement des limites de son exposition… laquelle n’est plus qu’un moment intermédiaire. Il y a un avant et un après exposition qui sont tout aussi importants. L’idée de documenter son travail sur le Net de manière groupée est celle qu’adoptent aussi de jeunes artistes. En y ajoutant pourtant une conception originale de la documentation. Comme le remarque Nicolas Thély, maître de conférences en esthétique à l’université Paris 1, « ils sont de plus en plus nombreux à se servir du Net pour enregistrer leur activité, leurs performances, pour valider leur pratique. Une trace est laissée qui leur permet de dire en quelque sorte : cela a été fait. C’est le cas par exemple d’un groupe de jeunes artistes qui ont créé des résidences fictives dans leur appartement aux quatre coins du monde. Chaque résidence propose un blog qui documente, par Du coup, la documentation se révèle être une forme créative. Et pas seulement sur le Net : certains artistes réalisent ainsi de simples fanzines, ou magazine no 3 94 des petits feuillets photocopiés et pliés, qui recensent leurs travaux en même temps que leurs images ou œuvres cultes. Le jeune Blaise Parmentier livra ainsi au cours de la biennale de Belleville, en septembre dernier, un document tout en images montrant ses travaux de graffeur conceptuel en même temps que ses « sources » artistiques. L’objet, modeste et gratuit, s’adressant à tous les spectateurs, s’apparente immédiatement à un multiple tout en restant un objet utile pour mieux connaître l’univers du jeune artiste. Un artiste plus connu comme Nicolas Chardon ne se prive pas lui non plus de réaliser son fanzine – en collaboration avec Clément Rodzielski – à l’occasion d’une de ses expositions. Titré Palme, imprimé au format A3, sur papier jaune, plié, le livret devient là encore un document explicatif précieux et cependant original, pour un coût de revient dérisoire. En somme, la forme qu’on prête à la documentation de son œuvre tend à devenir un prolongement de celle-ci et non pas seulement un à-côté. Elle doit épouser l’esprit du travail et réinventer les formats traditionnels. Et on ne parle pas seulement ici de graphisme : il faut également réfléchir aux modes de diffusion. Ainsi, Nicolas Chardon a fait de Palme une édition d’artiste, tirée à 150 exemplaires dont 30 signés. Que dire enfin d’un artiste comme Jorge Satorre, dont les dessins consistent à raconter ses jours passés à réfléchir à la nature et à la forme de sa participation à une exposition, sinon que le jeune Mexicain inverse les choses : l’œuvre étant le résultat de la documentation de son activité. bien décollé du parvis du Palais de Tokyo un matin de mai 2006… nombreux sont ceux qui préfèrent biaiser les faits. Un choix stratégique et artistique qui se veut, là encore, cohérent avec l’esprit du travail de l’artiste. Lequel joue la plupart du temps avec les croyances, les doutes, la méfiance, les influences, les ondes, l’invisible. Pendant longtemps, en guise de reproduction de ses œuvres, Loris Gréaud n’a proposé ainsi à la presse qu’une reproduction d’une peinture réalisée par des peintres professionnels vietnamiens d’une photo de ses pièces… Nombreux sont ceux qui remettent ainsi en cause l’authenticité et la fiabilité de leur propre documentation en passant par des formes alternatives de récit telles que la rumeur ou la légende. En creux, ils contestent l’aspect scientifique de l’histoire de l’art telle qu’elle est écrite par les spécialistes, et mènent une critique institutionnelle qui ne se braque plus contre les murs des musées ou des galeries, mais qui vise, de manière plus immatérielle, à falsifier les sources, à instiller de vrais-faux souvenirs et donc à rêver à voix haute leur propre histoire de l’art. Cette transparence pleine et entière qui règne sur Internet, et donc sur Facebook, celle qui préside à l’impératif professionnel de documenter son travail d’artiste, est cependant contredite en partie par… les cachottiers. Parce qu’en matière de documentation, on peut aussi décider de ne rien donner. De tout cacher ou de piper les dés. Coquetterie ou vraie défiance par rapport au tout information et à l’autopromotion, ce choix-là prend différentes formes : de Tino Sehgal – refusant mordicus de livrer à la presse (ou à qui que ce soit d’ailleurs) des images de ses performances – à Pierre Huyghe – filtrant les informations sur son parcours artistique (et notamment sur sa période ripoline) –, en passant par Loris Gréaud – qui fait croire, mails et photos à l’appui, que sa montgolfière a bel et Judicaël Lavrador Palme, fanzine de Nicolas Chardon réalisé avec Clément Rodzielski. magazine no 3 95 Off record art Le dessous des foires De rendez-vous consacrés aux professionnels du monde de l’art, les foires et les biennales sont devenues des événements au sens spectaculaire du terme : couverture presse, stars et paillettes, fêtes et circuits… Bref, l’art comme un lifestyle. Comment ce glissement s’est-il opéré et quels en sont les enjeux ? Éléments de réponse à visage couvert. Vous participez depuis des années à l’élaboration et la communication de nombreuses foires et biennales d’art contemporain. Comment considérez-vous leur évolution depuis les années 70 ? Les foires et les biennales, c’est aujourd’hui la même chose ! On est loin du temps où un artiste refusait de mettre les pieds dans une foire : c’était comme si une vache était entrée dans une boucherie ! Pour comprendre cette évolution, il faut faire un bref historique des choses. Outre la foire historique de Chicago née au début du xxe siècle, la première grande foire d’art contemporain a été montée par Cologne en Allemagne à la fin des années 60. Il ne faut pas oublier que les foires sont nées notamment parce que les galeristes voulaient contrôler ce que leurs confrères avaient à proposer. Avec Düsseldorf et Francfort, Cologne formait alors le triangle d’or de tout le marché de l’art mondial. Les plus grands galeristes s’y trouvaient… et les plus grands artistes, à commencer par Joseph Beuys. tableaux d’Ingres sur les cimaises de la foire. Les gens sortaient tout et n’importe quoi. C’est de la Grande-Bretagne que semble venir le tournant, au milieu des années 90. En 97, Saatchi monte l’exposition « Sensation » qui révèle au public tous les young British artists comme Damien Hirst. C’est une révolution ! Dans le sens où il fait comme Mac Laren avec les Sex Pistols : il fait un casting comme au cinéma et réunit un groupe de jeunes gens super beaux et super sympas, qui adorent se faire photographier dans les journaux. Avant, en Grande-Bretagne, il n’y avait tout simplement rien. C’est à cette époque que le marché commence à monter en puissance. […] La dernière Documenta qui ait refusé d’être considérée comme un événement commercial est celle de Jan Hoet en 1992, ou peut-être celle de Catherine David en 1997. A l’époque, ces commissaires refusaient de livrer à l’avance la liste des artistes qu’ils invitaient, afin d’éviter que le marché ne spécule sur eux. Cette foire de Cologne a-t-elle connu un succès immédiat, en un temps où le marché de l’art était encore une curiosité marginale ? La foire était fantastique mais souffrait d’un gros handicap : les grands collectionneurs juifs, notamment les trustees des musées américains, étaient encore très perturbés par l’Allemagne et refusaient de s’y rendre. C’est pour cela que la foire de Bâle a été créée. Cette ville suisse a vu naître le premier manifeste sioniste et bénéficiait d’un capital de sympathie. Des galeristes, dont Beyeler, se sont donc rassemblés pour créer la foire de Bâle, qui a bénéficié du très fort ancrage de l’art moderne de la cité, avec notamment les Kunsthalle et Kunstmuseum. Les premiers succès de Bâle sont dus à ces grands collectionneurs juifs. La crise des années 70 ne semble pas affecter ces foires. Jusqu’à la fin des années 80, tout va très bien. Le marché était alors très local. Vers 87-88, c’est la catastrophe. Quelqu’un de la galerie Lisson me rappelait récemment que, jusqu’en 92, ils étaient bien contents de vendre une pièce pendant une foire. Les seules à avoir résisté sont alors les grandes galeries, celles qui étaient capables de sortir leurs trésors de guerre pour survivre : à Art Basel, la galerie Templon montrait des Picasso. À cette époque, j’ai même vu des La création d’une foire par le magazine Frieze en 2001 vient justement surfer sur cette vague. En 2001, les Anglais entrent dans leurs glory days dans le domaine de la finance et des services. Laissant de côté l’association des galeristes londoniens qui ont imaginé la London Art Fair, le magazine Frieze magazine no 3 96 crée son propre événement. C’est du jamais-vu dans le monde de l’art. Et pour moi, c’est inadmissible… Pourquoi inadmissible ? En 2008, pendant la crise, certaines galeries ont dit aux directeurs de Frieze qu’ils n’avaient plus le budget pour venir à la foire. On leur a aussitôt fait comprendre que les rédacteurs pourraient soudain devenir moins attentifs à leur programmation ! Aujourd’hui, on est très détendu par rapport à ça, et pourquoi pas ? Mais le fait est qu’il n’y a plus aucune voie critique ou éditoriale possible. Ça me fait mal de voir aujourd’hui Art Forum, ce magazine que je lis depuis toujours, géré par des rédacteurs en chef incultes, qui demandent à Brad Pitt ce qu’il va acheter. Seuls les blogs permettent peut-être aujourd’hui un retour de l’esprit critique. de leur interdire de communiquer dessus. C’était déjà foutu avec la biennale de Venise de Francesco Bonami en 2003 : en invitant une multitude de curateurs à collaborer, en « multi-démocratisant » la biennale, il a tout bousillé. Après lui, plus rien n’était possible. Invité à collaborer, le commissaire-star Hans Ulrich Obrist a fait entrer le loup dans la bergerie avec son Utopia Station. Ils ont complètement décomplexé les relations au marché. Selon vous, il n’est donc plus possible de produire une biennale digne de ce nom ? C’est impossible pour une seule personne de concevoir une biennale. Déjà, tu n’as jamais deux ans effectifs pour y réfléchir. Ensuite, ce n’est pas ton point de vue sur l’art que tu développes alors, mais ta capacité à collecter des fonds. Tu vas chez Gagosian ou chez son voisin pour voir s’ils ne peuvent pas t’aider à produire. Et tu n’as plus de temps pour conceptualiser ton projet. Certes, il y a bien un directeur du sponsoring à Venise, mais aucun directeur de sponsoring n’est capable de faire ce boulot. Celui auquel les collectionneurs potentiels veulent avoir affaire, c’est le curateur : c’est face à lui qu’ils acceptent d’acheter la pièce avant qu’elle ne soit montrée à Venise. Parfois, ils commandent directement la pièce à l’artiste avant de la ramener à la maison une fois la biennale finie. En plus, l’équipe d’une biennale n’a pas le temps de faire du baby-sitting avec les artistes, c’est donc également la galerie qui joue ce rôle. Quel rôle joue Internet dans cette évolution ? Avant, le milieu de l’art était très pyramidal, avec au sommet des gens inaccessibles. Avec Internet, tout s’est aplati, toutes les hiérarchies ont disparu, et le goût pour l’art s’est popularisé : plus besoin de se déplacer pour découvrir une œuvre ou une exposition. On ne sait plus qui a le pouvoir avec tout ce surcroît d’info. Mais une chose est sûre : il y a beaucoup d’argent, et ce sont ces mêmes nouveaux milliardaires qui ont créé Internet qui choisissent désormais d’investir sur le marché de l’art comme un nouveau capital-risque. Vous disiez ne plus voir aucune différence aujourd’hui entre les foires et les biennales : d’où vient ce sentiment ? La dernière Documenta qui ait refusé d’être considérée comme un événement commercial est celle de Jan Hoet en 1992, ou peut-être celle de Catherine David en 1997. À l’époque, ces commissaires refusaient de livrer en avance la liste des artistes qu’ils invitaient afin d’éviter que le marché ne spécule sur eux. On en est loin aujourd’hui. Pour sa biennale de Venise en 2009, Daniel Birnbaum s’est posé un instant la question, mais elle était déjà insoluble : ce sont les galeries qui financent désormais les œuvres, impossible N’y a-t-il donc aucune exception ? Toutes les biennales fonctionnent désormais comme cela, sauf peut-être Sharjah. Cet événement a commencé dans une paix royale, en un temps où personne ne se préoccupait de l’art du Moyen-Orient. magazine no 3 97 […] Art Basel avait un gros problème : le monde entier venait, mais il était interdit de communiquer là-dessus […] On a résolu le problème en créant des conversations entre grands collectionneurs et grands commissaires. Et la presse a pu en parler. Aujourd’hui, par la faute des directeurs de communication, ils ont sur-communiqué, se sont collés à Art Dubai pour attirer plus de monde ; c’est ainsi qu’ils ont créé l’explosion, et toute explosion attire les requins. Heureusement, Sharjah jouit encore d’un très beau budget, et elle n’a pas besoin de passer des accords avec des galeries. Elle travaille de façon beaucoup plus saine. En comparaison, Venise a un tout petit budget, même si cela n’a pas toujours été le cas : il y a un musée dans la lagune qui recèle toutes les œuvres que la biennale a produites, payées, et gardées. Mais personne ne le connaît. Comment la création d’Art Basel Miami en 2001 vientelle bousculer elle aussi les choses ? Ce que Miami a changé, c’est notamment la relation au sponsor. Avant, les galeristes qui participaient à des foires refusaient qu’il se passe quoique ce soit en dehors de leurs stands. À Miami, les VIP lounge ont commencé à se transformer en étals de marques de luxe, des champagnes à Cartier. Bâle a gardé sa rigueur, mais Miami a décomplexé tout le monde. Moi, quand j’ai vu qu’ils avaient invité David Guetta sur la plage, j’ai annulé mes billets. Pourtant, ça marche. Quand j’ai su que les responsables du DIFC de Dubai, l’équivalent du World Trade Center, voulait créer une foire, je les ai amenés à Miami : aussitôt, ils ont voulu acheter l’événement. On leur a fait comprendre que ce n’était pas possible, ils ont donc créé Art Dubai en 2007. C’était la première fois de ma vie que je voyais un sponsor acheter directement la moitié de la foire ! Cela a été fondamental : sans Art Dubai, jamais le Qatar n’aurait eu l’idée de créer un musée, jamais les Émirats arabes unis ne seraient venus à Venise. Cela a décomplexé toute la région sur le rôle qu’elle pouvait jouer dans le monde. Vous disiez qu’Art Basel a gardé sa rigueur. Pourtant, les sponsors y font eux aussi peu à peu irruption. Art Basel avait un gros problème : le monde entier venait, mais il était interdit de communiquer là-dessus. À l’époque, la presse était très pudique sur le sujet. On a résolu le problème en créant des conversations entre grands collectionneurs et grands commissaires. Et la presse a pu en parler. C’est important aussi pour que les gens puissent y approfondir leurs L’ÉVENTAIL Victime de son folklore touristique, l’éventail périssait dans la boîte aux cadeaux délaissés, entre les tours Eiffel en plastique et les taxis jaunes en magnets. Mais voici qu’il réapparaissait cet été, sous le coup du réchauffement climatique, dans les rames de métro surchauffées ou aux premiers rangs des défilés. Avec pour fonction première : éventer. connaissances, notamment sur les marchés émergents, Moyen-Orien, Inde, Amérique latine. Aujourd’hui, toutes les foires font ça. À Dubai, en un temps où c’était encore le Wild West, on a créé aussi le Global Art Forum, que s’est appropriée toute la région. Comment analysez-vous cette profusion délirante aujourd’hui d’événements liés à l’art contemporain ? Quand j’étais enfant, on attendait avec hâte Documenta, São Paulo, Venise, l’Armory Show, Art Basel, Cologne, et basta ! Aujourd’hui, tout le calendrier est truffé de grands événements. Ça devient impossible, les gens ne peuvent pas voyager tout le temps. Un de mes clients veut ouvrir un très grand musée début 2013 : j’ai été incapable de lui trouver une date disponible ! Idem pour la Ville de Milan, qui veut organiser une biennale. Ils ont tout : le lieu, le désir, le budget. Mais pas de date ! Comment voyez-vous l’avenir ? Paradoxalement, je le vois dans de tout petits salons. Il y aura peut-être deux axes de développement : les jeunes de moins de 40 ans continueront à voyager tout autour de la planète ; les plus âgés auront besoin de circonstances différentes pour leurs achats. Je crois aussi beaucoup aux projets d’Abu Dhabi, même si rien n’est encore décidé : à qui vont appartenir les œuvres, qui va les acheter, est-ce un musée universel ? On n’en sait rien pour l’instant, mais ce qui est génial c’est qu’ils vont se donner la chance de se tromper mille fois, parce qu’ils en ont les moyens, et qu’ils sauront en faire un vrai laboratoire du futur. Quand je pense qu’Helsinski est tentée par la construction d’un musée Guggenheim, cela me fait mal ! Ils ont quarante musées merveilleux là-bas, ils n’ont besoin de personne. Qui sont donc les gens du Guggenheim pour oser donner un branding à une ville si merveilleuse ? Propos recueillis par Emmanuelle Lequeux Vue de la foire d’art contemporain de Tokyo. magazine no 3 98 HISTOIRE Au commencement était Ève qui, gênée par le regard insistant d’Adam sur sa nudité, se protégea d’une branche d’arbre arrachée, avant de s’en éventer. Puis ce fut au tour de la grande prêtresse du feu, à qui l’on attribue une large feuille et une palme tressée pour entretenir le feu sacré. Ensuite, le souverain tout-puissant que l’on voulait protéger dans sa lutte contre les mouches qui envahissaient le sud de la Méditerranée. Et pour finir, les dames de l’Antiquité qui, pour rafraîchir leurs visages ruisselants, employaient des dépouilles de paon… Rudimentaires, les ancêtres de l’éventail, matériaux primitifs destinés à protéger du soleil, à rafraîchir ou à repousser les insectes, n’en fournissent pas moins la forme qui sied depuis à l’éventail. Attribut sacré, instrument d’asservissement ou objet du quotidien, il reflète au fil du temps le statut social de l’éventé. Tandis que les Égyptiens en font un objet de cérémonie, un emblème de paix céleste et de méritocratie, l’Empire romain ne le brandit que pour mieux asservir les peuples qu’il écrase sur son passage : ainsi l’Empereur se fait-il pomper l’air par une nuée d’esclaves agitant une plume fixée au bout d’un long manche. L’aristocratie romaine en fait aussi un accessoire de mode, prenant modèle sur la femme grecque qui, dès le ive siècle avant J.-C., s’embellit d’un flabellum en feuille de myrte, d’acacia ou de lotus. Les premiers Chrétiens, n’y voyant que la fonction première du chasse-mouches – d’où son appellation « d’esmouchoir » –, décident de le rétrograder. Mais il se fait bientôt une place au cœur de la communion chrétienne quand on l’intègre dans le rituel liturgique pour éloigner les insectes de la coupe de vin et du pain consacrés, au point d’en devenir un attribut pontifical. Jusqu’au xie siècle cependant, l’usage civil de l’esmouchoir, composé d’un manche et de longs fils de crin, reste très limité en Europe – il est vrai que son aspect archaïque le rend repoussant. Ce n’est véritablement qu’au xvie siècle qu’il devient un accessoire décoratif. Pendant ce temps, le Japon, qui avait reçu de la Chine l’éventail « écran » – ce bout de tissu fixé à une hampe apparu au viie siècle avant J.-C. –, élabore l’éventail plié, le sensu. Conçu au viie siècle après J.-C. par un artisan japonais qui aurait été inspiré par les mouvements d’ailes déployées d’une chauve-souris, l’éventail pliant laisse s’exercer à loisir les meilleurs artistes-peintres et développe autour des uchiwa et des Ogi tout un cérémonial de préséances courtisanes. Mais ce n’est que bien plus tard, en 1540, sous l’action des conquistadors portugais, que l’éventail plié japonais s’exporte jusqu’aux portes de l’Europe, passant de Lisbonne à Florence non sans éveiller la curiosité de Catherine de Médicis, alors en séjour en Italie. À son retour en France, elle introduit cet objet magazine no 3 99 […] « Va, je te hais », peste l’arrogante en levant son éventail vers l’épaule droite. « Quand te verrai-je ? » s’inquiète la prude soucieuse en effleurant son œil droit de son éventail fermé. « M’es-tu fidèle ? » minaude la coquette en soulevant l’éventail de sa main droite… et éventaillistes (organisés en corporation depuis 1678) s’en donnent à cœur joie. Ces éventails œuvres d’art n’en restent pas moins réservés à l’aristocratie. Jusqu’à ce que Martin Petit invente, en 1770, le moule à plisser, afin de faciliter la production de masse. de coquetterie comme un nouvel accessoire de mode à caractère mixte. C’est ainsi qu’apparaît, en 1588, le terme « esventail» – rappelons que depuis une charte de 1384, il était dénommé « esventour ». Marie de Médicis l’impose ensuite comme l’indispensable accessoire de cour ; sur quoi, en Angleterre, Elizabeth Ier décrète qu’elle n’accepterait de ses sujets pour tout présent qu’un éventail. Se développe alors au xviie siècle, en France et en Italie, une production de qualité, grâce aux prouesses techniques de peaussiers et d’artistes peintres s’exerçant à la reproduction miniature de scènes mythologiques ou historiques. Et tandis que son port se démocratise – l’usage étant de le suspendre à la ceinture par un ruban –, les langues se délient secrètement en imaginant, sous-jacent, tout un langage codé… « Va, je te hais », peste l’arrogante en levant son éventail vers l’épaule droite. « Quand te verrai-je ? » s’inquiète la prude soucieuse en effleurant son œil droit de son éventail fermé. « M’es-tu fidèle ? » minaude la coquette en soulevant l’éventail de sa main droite… Devenu le plus fidèle allié de la femme et, par voie de conséquence, l’ennemi du mari cocu, toute l’attention est marquée sur ce petit objet qui concentre de plus en plus de ruses (les premiers éventails « à système » renferment des mécanismes articulés ou de menus objets : crayons, lorgnettes, ciseaux…), et d’ornementation : montures en ivoire, en nacre ou en écaille, motifs guirlandes, amours roses et scènes galantes, les tabletiers Aux portes de la Révolution, les scènes peintes s’inspirent des idées républicaines. La mode est désormais aux portraits des glorieux républicains ou aux tableaux des grands événements du jour, tandis que l’éventail imprimé (récemment inventé) se fait le support de chansons, de poèmes et de propagande politique. Des bouleversements sociaux auxquels ne résistera pas l’éventail. Face à la disparition de certains circuits de production et à l’évolution de la mode – les robes légères du Directoire laissent assez passer les courants d’air pour s’éventer davantage –, l’éventail s’incline. Sous la Restauration, sa taille diminue et son décor se simplifie, laissant l’avantage au petit éventail brisé (constitué de lamelles d’ivoire reliées entre elles par un ruban) qui, faute de personnalité, ne fait que pasticher les styles du siècle précédent. Cependant, contrairement au xviiie siècle, où la peinture de feuilles d’éventail reste considérée comme un art mineur ne méritant pas d’être signé, à présent de grands noms s’illustrent (Manet, Renoir, Gauguin, Pissaro) en miniature. La révolution de 1848 tentera une fois encore d’anéantir l’éventail, mais les commandes pour l’exportation permettront de sauver le marché et la France en reste le seul producteur. Au point qu’entré progressivement dans la vie des classes bourgeoises, l’éventail devient la coqueluche de ces dames : impossible de se rendre à un bal, un concerto ou une garden party sans ce cher compagnon. réclames produit, objets commémoratifs ou testeur parfum, l’éventail a bon dos. Facile à glisser dans une lettre, bon marché, il est le support idéal de tout commerçant ou couturier, tel Paul Poiret qui en utilisait à grands frais, faisant appel aux plus talentueux illustrateurs de l’époque afin de les offrir à la postérité. Mais la guerre de 1914-18 lui porte un coup fatal. À présent que la femme travaille, fume, conduit, inutile de combler le vide par une gestuelle affectée. L’éventail se perd dans la boîte à gants. Les années 50 le ressuscitent tant bien que mal, mais rien n’y fait. Son langage est désuet. Sauf pour Karl Lagerfeld qui, friand de conversations légères, s’amuse avec son ombre et sa caricature dans les années 80. Depuis, il a adopté les mitaines au détriment de l’éventail, qui ne fait plus que de sporadiques apparitions dans la haute couture et le monde du spectacle. Marlène Van de Casteele Page précédente : La femme au voile (Portrait de la femme de l’artiste), 1768, Huile sur toile, Alexandre Roslin - Collection National Museum, Stockholm À gauche : 1620, Florence Photo © Victoria and Albert Museum, London À droite de haut en bas : 18e siècle, France ou Grande Bretagne : 1760-1770, France 1850-1870, Japon La fin du siècle voit l’éventail publicitaire pointer le bout de son nez : éventails événementiels, magazine no 3 100 1775-1800, France Photos © Victoria and Albert Museum, London magazine no 3 101 DESIGN Le dessein et la forme Une première exposition, à Paris, propose une collection de luminaires dessinés par de jeunes designers issus de l’Ecal. La seconde rassemble à Bordeaux les dessins des frères Bouroullec. Les deux parlent distinctement d’image, et d’éclairements. Mais ce sont d’abord des invitations à la foi. Credibile est, quia absurdum est 1 : à l’image de ce prêtre ânonnant un latin que le disciple n’a jamais compris mais qui emporte sa ferveur, le designer doit permettre de croire, plus que de donner à comprendre. Je crois parce que c’est absurde : parce que dépassant la raison (à ce stade pas question de crétinisme encore, ni d’escroquerie), c’est une promesse brouillée, une objectivité brumeuse plutôt. À l’image de ces deux expositions inaugurant la saison 11 : neuf cents représentations, photographies de dessins et de quelques machines pour l’album des frères Bouroullec1. Dix-huit objets variablement lumineux dans la proposition de l’Ecal2. Parce qu’il est temps de distinguer le design ici exposé d’un rapport à la clarté – éclairage d’un processus d’un côté (Bouroullec), d’un lieu et d’un outil de l’autre (Ecal) –, au sens aussi de la morale et d’une probité impeccable qui ont pu fonder sa démarche en d’autres temps. Mystère des dessins des frères B., qui réunissent expressionnisme, lignes inspirées, visions et projection industrielle. La sévérité du trait, l’apparente modestie formelle, et la perspective du chic invincible versant suisse Ecal. Ces deux présentations pourraient être l’occasion de s’exercer à séparer le mensonge vrai de la fausse vérité. Ou le moment de s’intéresser à un étant, envisagé indépendamment de considérations éthiques. Je suis simultanément ébloui – le métier veut ça –, troublé, un effet collatéral de la distance qu’il est prudent de maintenir pour respirer et tenter de penser. De ces états douteux et vagues n’attendre en conséquence rien de lumineux, sinon une inconfortable révélation : le design est oxymore. La réconciliation provisoire de paradoxes est son unique boulot. Une tâche peu claire. Chaque dessin réussi n’est que l’illusion d’une paix. L’armistice précaire, un équilibre ponctuel, quelques perfections fragiles – il est mirage d’une heureuse association de contraires. Temps, argent, fonctions, commanditaire, destinataires, prix, discours, circonstances d’exposition, histoire, rôles… Composition contextuellement stable mais sans cesse menacée de chute dans l’ordre de la frivolité ornementale. L’obscure clarté, c’est lui. La hâte posée, l’inquiétude sereine. Ou parce que le design est né du politique – comment oublier qu’il ne tient son aura que de cette ambition-là ? – c’est l’assourdissant silence qui le caractériserait mieux encore. La revendication muette. Parce que le design tient presque inévitablement la main gantée du marchand, ce qu’il semble dire avant tout est la mondanité tranquille, celle de notre âge lâche, mais habillée de rigueur, posture anachorète, dans la combinaison de super-héros marxiste et protestant héritée de ses pères. Est-ce un mal ? Conserver la combinaison, certainement, au vu de la manière dont elle est portée. L’ambition de changer le monde ne peut-elle être différemment approchée ? Les Rolling Stones n’ont inventé ni le blues ni le rock’n’roll. Ils n’ont pas plus été esclaves dans une plantation de coton : leur légitimité sur ce terrain d’inspiration n’en est pas moins incontestable. Le designer contemporain vit lui aussi de l’esprit des fantômes. Accepter que plus rien alors ne pourra plus être limpide, tout en espérant plus de lucidité – attitude pas nécessairement cynique – de la part du designer. Il lui faudrait savoir conjuguer les nuances de ténèbres, et abandonner l’imbécile et brutale transparence aux souteneurs de pouvoir. Envisager le travail sans faux-semblants et confier au dessin cet emploi. À lui la duplicité. Accepter par ailleurs de reconnaître le décoratif là où il se trouve, identifier le stylisme et les concessions au joli. […] Chaque dessin réussi n’est que l’illusion d’une paix. L’armistice précaire, un équilibre ponctuel, quelques perfections fragiles — il est mirage d’une heureuse association de contraires. et il ne le dit qu’avec ses mots d’enfant. Il est encore proche du petit animal, à peine social, étranger à ses jeux essentiels. L’adulte sait, lui, la nécessité de lire l’habit et sa splendeur, et cela défie la raison (exemple récent et désastreux du complètement médiocre dernier roman de Houellebecq, de l’extatique cécité collective engendrée). L’économie et la tension d’un trait animé d’insatisfaction esthétique et politique ont fait la puissance du dessin. Le dessein social du design a désormais, au mieux, des contours très indécis, celui que l’on va lire, avec toutes ses différences et convergences, dans ces travaux de l’Ecal et ceux des frères Bouroullec. Il serait seulement énième pirouette du joli si cet état n’était révélé que par la voix de l’enfant du conte précisément. Lorsqu’elle a mué, la voix n’est plus innocente mais cette inédite beauté qu’elle annonce est autrement excitante. L’initiale promesse moderne n’est plus, mais c’est aussi là que peut loger la nouvelle générosité et l’essentielle politesse de la discipline. À condition pour elle d’acquérir une autre grâce à la place. Et à nous d’être capables de la lire : dans le déraisonnable se tiennent encore des critères permettant de distinguer le valide du médiocre. Ils relèvent d’abord de l’émotion. Pierre Doze 1. Plus fréquemment tordu en Credo quia absurdum. Citation de Tertullien issue de De Carne Christi, Le Cerf, 1976. 2. « Album », exposition de Ronan et Erwan Bouroullec. Arc en Rêves, centre d’architecture, Bordeaux, du 27 janvier au 27 mars 2011. 3. « A New Generation of Lights », L’Ecal à Paris. Galerie Kreo, 31, rue Dauphine, L’image, celle traduite par ces deux expositions, occupe sur le terrain du design et de ses représentations une place grandissante, au rang des instruments nécessaires au prosélytisme, à la conviction ou à l’embrouille. Dommage lorsqu’il s’agit de cette photographie qui fait mine d’avoir confondu les commandes magazine no 3 102 de l’illumination et celles de la buse d’enfumage – si on parlait ici de marketing, de l’atterrante réclame. Dommage lorsque l’objet réalisé a oublié ce qui devait le distinguer d’une simple figuration en deux dimensions. Photographie ou croquis, texte imprimé en vis-à-vis ou non, l’image renseigne, convoie le sens d’une information et permet à celui qui la lit d’ouvrir aussi largement que possible sa raison et sa sensibilité à de possibles nouvelles perspectives, pas forcément explicites. Surtout l’image séduit, elle suscite une excitation, entretient le mystère et donne à envisager l’accomplissement éventuel d’un rêve laissé obscur : en quel cas, c’est une ivresse et une autre brume qu’elle génère, le rideau scintillant du désir qu’elle agite. Les murs entièrement couverts de documents de « l’exposition album » se placent de ce côté-là du vertige. À y réfléchir, cet habit de lumière-là devrait depuis longtemps ressembler à un costume de soirée réalisé au tricotin, informe et tout mité d’échecs. Il résiste pourtant. L’envie d’être abusé est plus forte. « Le roi est nu ! »4 prononce l’imprécateur élémentaire devant les faux-semblants et les approximations dont s’alimente le design. Lorsque nous sommes seuls à multiplier ses mots, à lui inventer des fondements de plus en plus bizarres. Mais les nouveaux habits de l’empereur, ce costume idéal du conte d’Andersen, parviennent effectivement à le rendre somptueux : il faut lire différemment sa conclusion. L’enfant qui voit le roi nu a raison, mais il n’est qu’un enfant et il n’a que raison, Paris 6e, du 15 janvier au 5 février 2011. 4. Contes, Andersen. Éd. Folio Gallimard, 1994. À gauche : Ronan & Erwan Bouroullec, Album Arc en Rêve centre d’architecture, Bordeaux © Studio Bouroullec À droite : « Les souches », ECAL, Julien Renault. Photo Michel Bonvin / Ecal Courtesy Galerie Kréo magazine no 3 103 RÉTROVISION Revista Estudios À Paris, en 1937, au cœur de l’Exposition internationale des arts et techniques, entre la démesure architecturale et le face-à-face propagandiste des pavillons de l’URSS et de l’Allemagne nazie, se tient un espace laboratoire, le pavillon de la République espagnole. L’Espagne vit des heures cruciales, plongée dans la guerre civile qui oppose la jeune république et son Front populaire, issu des élections, au putsch d’une partie de l’armée ralliée au Caudillo Francisco Franco. L’Espagne devient le champ d’expérimentation de ce que l’on n’appelle pas encore les armes de destruction massive – déversées par les légions nazies et fascistes – et du langage ambigu des social-démocraties européennes face à un mouvement révolutionnaire luimême animé par des luttes entre tendances anarchiste, trotskiste et communiste. Le pavillon espagnol résonne comme un manifeste contre le fascisme et révèle une relation nouvelle entre le pouvoir et les avant-gardes artistiques. Commandité par le gouvernement de Juan Negrín López, la Generalitat de Catalogne et la province autonome du Pays basque, sa conception est confiée à l’architecte catalan Josep Lluís Sert et à son homologue des Asturies, Luis Lacasa. Issus du courant rationaliste, les deux architectes interprètent cette commande comme la volonté politique d’un peuple et conçoivent ce pavillon comme une opportunité exceptionnelle pour dénoncer les entraves au progrès que représentent les forces conservatrices engagées dans le conflit contre la république et les intellectuels et artistes qui la soutiennent. Situé sur l’esplanade du Trocadéro, le pavillon représente un geste plastique et politique. Plastique par ses dimensions et la qualité de son concept, de son ossature (deux étages de plateaux montés comme sur des pilotis et ouverts sur un patio) et des matériaux utilisés : béton, métal, bois et verre. Politique par le contenu du message social et culturel. Un message porté par Picasso, qui réalise pour l’occasion la photomonteur, qui assemble des éléments baroques et oniriques lui permettant d’échapper au cadre idéologique avec beaucoup d’ironie. peinture Guernica, exposée au rez-de-chaussée du bâtiment, par Joan Miró avec Le Paysan catalan dans la Révolution (El Segador), mais aussi par les œuvres de Julio González et du sculpteur Calder, ainsi que par les photomontages de Josep Renau. L’ensemble architectural devient un forum « d’agit-prop » où s’exprime une rhétorique nouvelle autour de l’engagement artistique. Josep Renau est une figure clé de ce débat. Affichiste renommé, théoricien (on lui doit divers textes et ouvrages sur la fonction politique de l’affiche et du graphisme), il est aussi directeur général des BeauxArts au sein du gouvernement Negrín et maître d’œuvre du pavillon espagnol. Communiste peintre plutôt magazine no 3 104 que peintre communiste, Josep Renau incarne un certain idéal de l’engagement politique de l’artiste. Par son travail, Josep Renau est aussi un vecteur de l’introduction des avant-gardes dans le paysage graphique espagnol des années 30. Originaire de Valence, où il a intégré dès l’âge de 13 ans l’École des beaux-arts de San Carlos, Josep Renau entre très vite en révolte permanente contre les principes pédagogiques et théoriques d’un « autre siècle ». Il adopte le style Art déco, en vogue à Valence, en mélangeant des apports fauves, cubistes et futuristes. Il introduit progressivement dans ses affiches de cinéma, de spectacles et de corridas de nouvelles constructions d’éléments visuels, l’utilisation de typographies modernes et la photographie. S’il avoue son admiration pour le « monteur » Dada Heartfield, c’est plutôt du côté des constructivistes russes qu’il cherche ses références plastiques. Ses premiers photomontages traduisent un univers austère en noir et blanc, sans aucune distanciation humoristique, juste au service de la révolution. Son style va néanmoins évoluer et laisser apparaître un double personnage. D’un côté le doctrinaire, fondateur de l’Union des écrivains et artistes prolétariens, section espagnole de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, et d’un autre, le Après avoir illustré des ouvrages pour des éditeurs de la mouvance libertaire, comme El dolor universal de Sébastien Faure ou La conquista del pan de Pierre Kropotkine, Josep Renau réalise la maquette de la revue anarcho-syndicaliste Orto en 1932. Il publie par ailleurs ses photomontages en couverture et pages intérieures de la revue anarchiste Estudios. Fondée en 1928 à Valence par un groupe d’intellectuels proche de la FAI, Estudios est une revue culturelle, sociologique, et aborde toutes les problématiques de la sexologie. La révolution sexuelle que prône le psychiatre et […] Diagonales, déséquilibre des compositions, typos modernes, travail à l’aérographe se mettent au service d’un message et du combat antifasciste. psychanalyste autrichien Wilhelm Reich est au cœur des débats ouverts par Estudios. Débats menés par des théoriciens libertaires mais aussi des médecins, sociologues et scientifiques. La parole donnée aux femmes, l’aspect pédagogique relayant les mots d’ordre concernant la contraception, l’avortement, l’hygiène de vie magazine no 3 105 lui aussi à l’Union des écrivains et artistes prolétariens. Il participe à la création de l’Atelier des arts plastiques de l’Alliance des intellectuels, et en 1932 expose à la première exposition de l’art révolutionnaire. et surtout la contestation de l’ordre moral imposé par l’obscurantisme d’un catholicisme violent et prédateur font d’Estudios l’un des médias anarchistes les plus lus, et bien au-delà de la seule mouvance libertaire. Certains numéros tirent à plus de 60 000 exemplaires. La libération du corps, le naturisme mais aussi des sujets d’actualité des arts et de la culture définissent Estudios comme un véritable média d’avant-garde. Si la maquette n’offre rien de nouveau en matière de mise en page, hormis quelques variations et inventions graphiques pour le lettrage des têtes de rubriques, c’est sur les unes et des cahiers polychromes en pages centrales que s’expriment ces ouvertures au débat des formes contemporaines. Les photomontages de Josep Renau y alternent avec les images d’un autre artiste de Valence, Manuel Monleón Burgos. Ce dernier est autodidacte, formé comme apprenti dans un atelier de miniatures et d’éventails, il approche les milieux libertaires et adhère au groupe espérantiste de Valence. Sa pratique du naturisme se reflète dans ses travaux, où le nu est omniprésent. Sa rencontre avec Josep Renau l’amène à un style graphique plus percutant. Diagonales, déséquilibre des compositions, typos modernes, travail à l’aérographe se mettent au service d’un message et du combat antifasciste. Monleón adhére Estudios paraît jusqu’en 1937, la guerre et l’avancée des troupes franquistes bloquant l’approvisionnement en matériels d’impression. En avril 1939, Manuel Monleón est arrêté et incarcéré dans l’un des bagnes franquistes tenus par des militaires italiens. Il y passe plusieurs années. À sa sortie, il crée une petite agence publicitaire et fonde une revue d’arts graphiques. Dans les années 50, il s’exile en Colombie où il pratique le graphisme. Il revient à Valence en 1962 et y meurt en 1976. Josep Renau, échappant à la répression franquiste, s’exile à Mexico où il devient un graphiste incontournable de la production cinématographique mexicaine des années 50. Sa proximité avec le Parti communiste mexicain lui faisant craindre un assassinat, il se réfugie en 1957 à Berlin-Est, où il abandonne tout travail publicitaire pour ne se consacrer qu’à la peinture et au photomontage. Josep Renau meurt en 1982 sans finaliser son projet de retour en Espagne, devenue une jeune démocratie mais échappant à la courte agonie et à la descente aux enfers de ce qui aurait dû être le paradis des travailleurs. magazine no 3 106 Pierre Ponant PORTFOLIO P.108 : useless landscape Photographie Pablo Leon de la Barra useless landscape From a special publication by Pablo Internacional magazine centrefortheaestheticrevolution.blogspot.com photographie : Pablo Leòn de la Barra RIO DE JANEIRO SALVADOR rio de janeiro MEXICO rio de janeiro MEXICO rio de janeiro LIMA RIO de janeiro LA HAVANE MEXICO rio de janeiro LA HAVANE LA HAVANE mexico LA HAVANE SALVADOR GUADALAJARA CALI GUADALAJARA RIO DE JANEIRO Abonnement Abonnement France 1 an / 4 numéros / 15 euros. Agenda PRINTEMPS 2011 Par chèque, à l’ordre d’ACP à l’adresse suivante : ACP – Magazine 32, boulevard de Strasbourg 75010 Paris Abonnement Europe 1 an / 4 numéros / 25 euros. Ou en ligne sur : magazinemagazine.fr Abonnement États-Unis, Asie 1 an / 4 numéros / 35 euros. Où TROUVER MAGAZINE ? Paris Province Agora Presse 19, rue des Archives Paris 4e 01 42 74 47 24 Artazart 83, quai de Valmy Paris 10e 01 40 40 24 00 Centre Pompidou-Flammarion Piazza Beaubourg Paris 4e 01 44 78 43 22 Colette 213, rue Saint-Honoré Paris 1er 01 55 35 33 90 Drugstore Publicis 133, avenue des Champs-Élysées Paris 8e 01 44 43 79 00 La Hune 170, boulevard Saint-Germain Paris 6e 01 45 48 35 85 Lazy Dog 25, rue de Charonne Paris 11e 01 49 29 97 93 Palais de Tokyo 13, avenue du Président-Wilson Paris 16e 01 49 52 02 04 WH Smith 248, rue de Rivoli Paris 1er 01 44 77 88 99 Yvon Lambert 108, rue Vieille-du-Temple Paris 3e 01 42 71 09 33 Bordeaux Librairie Mollat, 11, rue Vital-Carles 05 56 56 40 40 Lille Le Furet du Nord, 15, place du Gal-de-Gaulle 03 20 78 43 43 Lyon Agora presse, 3, rue Adolphe-Max 04 78 38 19 63 Marseille Librairie du Vieux-Port, 29, quai des Belges 09 77 75 82 28 Montpellier Presse, 1, place de la Comédie 04 67 60 98 24 Nice Maison de la presse, 1, place Masséna 04 93 87 79 42 Nantes Agora Presse, 2, place de l’Écluse 02 40 48 67 71 Rennes Le Chercheur d’art, 1, rue Hoche 02 23 20 15 48 Strasbourg Librairie, 2, quai des Pêcheurs 03 88 25 50 31 Toulouse Ombres Blanches, 50, rue Léon Gambetta 05 34 45 53 33 Ainsi que dans les kiosques de presse internationale. Magazine no 4, juin, juillet, août 2011, paraîtra le 15 juin. MARS 1er au 9 mars Défilés prêt-à-porter automne-hiver 2011-2012. modeaparis.com 1er mars au 8 mai Nouvelles expositions au Jeu de Paume : Aernout Mik, Société Réaliste, Alex Cecchetti et Mark Geffriaud. jeudepaume.org 16 mars au 31 juillet Miro sculpteur, exposition rassemblant près de 150 œuvres. Musée Maillol. museemaillol.com 6 avril La Nostra Vita de Daniele Luchetti (2010, 93’), film d’un réalisateur dans la mouvance de Nanni Moretti, et Pina de Wim Wenders (2011, 100’), documentaire sur la chorégraphe Pina Bausch. En salles 16 mars au 14 août Unravel, Knitwear in fashion est une exposition consacrée à la maille dans la mode mêlant des stylistes jeunes et installés. MoMu, Anvers. momu.be 18 au 21 mars Le Salon du Livre invite les littératures nordiques. Porte de Versailles. salondulivreparis.com/ 8 avril au 21 mai Wani, exposition des commissaires Paul Ardenne et Marie Maertens sur les objets artistiques non identifiés. Fondation Ricard. fondation-entreprisericard.com Jusqu’au 20 mars Derniers jours. La photographe Sacha Van Dorssen en 300 images de mode, des années 60 à 90. Institut néerlandais. institutneerlandais.com 20 avril Tomboy de Céline Sciamma. Deuxième film de la réalisatrice, qui joue toujours des frontières de l’identité sexuelle. En salles 25 au 28 mars Drawing Now, la 5e édition du salon du dessin contemporain accueille 80 galeries au Carrousel du Louvre. salondudessin contemporain.com 29 avril au 2 mai 26e Festival de Hyères, sélection internationale de jeunes stylistes et photographes. Expositions et tables rondes. Villa Noailles, Hyères. villanoailles-hyeres.com AVRIL MAI 4 mars au 3 avril Format, festival de photographie contemporaine. Londres. formatfestival.com 1er avril au 10 juin Magazine Magazine, une rétrospective du magazine que vous tenez entre les mains, ancienne et nouvelle formules. 12 Mail. 12mail.com 12 mars au 14 juillet The Wapping project — Yohji Yamamoto. Exposition du créateur japonais, photographies et installations. Victoria & Albert Museum, Londres. vac.ac.uk 1er avril au 4 juin La Parisienne, exposition qui reconstitue à l’aide de fictions (récits et images) l’appartement d’une Parisienne. Galerie des Galeries. galerieslafayette.com 6 au 8 mai Les Puces du design. Le marché du mobilier vintage fait un focus sur le made in Italy des années 50 à 90, et sur Jean-Louis Avril, adepte du carton. Quai de Loire. pucesdudesign.com 2 au 6 mars Inauguration de la Gaîté Lyrique, nouvel espace dédié aux arts numériques. gaite-lyrique.net 2 mars au 4 juillet François Morellet, Réinstallation. Exposition consacrée à l’artiste français adepte des néons. Centre Pompidou. centrepompidou.fr 3 au 6 mars Armory Show, foire d’art contemporain new-yorkaise. thearmoryshow.com 4 au 8 mars Cinenordica, semaine du cinéma nordique à Paris. Cinéma du Panthéon. cinenordica.com Jusqu’au 15 mai Derniers jours de l’exposition L’Orient des femmes, dans laquelle Christian Lacroix a sélectionné des costumes magazinemagazine.fr magazine no 3 118 magazine no 3 119 traditionnels du Proche-Orient. Musée du quai Branly. quaibranly.fr Jusqu’au 31 mai Derniers jours de l’exposition Zoom Cieslewicz, présentant des collages et affiches du graphiste polonais Roman Cieslewicz. Cité nationale de l’histoire et de l’immigration. histoire-immigration.fr 21 mai au 5 juin Festival international de l’affiche et du graphisme de Chaumont. Expositions, tables rondes et concours étudiant. chaumont-graphisme.com 25 mai au 19 septembre Paris, Delhi, Bombay… Exposition du commissaire et rédacteur en chef Fabrice Bousteau, mettant en regard l’art contemporain indien et français. Centre Pompidou. centrepompidou.fr 28 avril au 30 août L’art de l’automobile, chefs-d’œuvre de la collection Ralph Lauren. Autrement dit : 17 voitures de 1930 à nos jours. Les Arts Décoratifs. lesartsdecoratifs.fr 31 mai au 4 septembre La scène artistique mexicaine contemporaine, dans le cadre de l’année France-Mexique. Musée d’Art moderne de la ville de Paris. mam.paris.fr 10 Chiffres COMPILÉS PAR CLÉMENT CORRAZE 1350 760 euros, c’est le budget nécessaire à l’acquisition d’un tshirt Destroy chez Balmain. À croire que la femme du XXe siècle ne sait plus rapiécer ses vêtements elle-même. Et si elle n’en a pas les moyens, Zara le fera pour elle. 26 et 300 c’est respectivement le nombre de dossiers envoyés par les candidats pour les concours de photographie et de mode du prochain Festival de Hyères. Pour les 10 finalistes en lice dans chaque catégorie, les enjeux évoluent avec l’arrivée du 2ème Bureau de Sylvie Grumbach et celle d’un Prix Première Vision. Rendez-vous le 29 avril à la Villa Noailles. 352 000 personnes ont pu visiter l’exposition Basquiat, une fréquentation record pour le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris depuis sa réouverture en 2006. Mais une bagatelle comparée au score de l’exposition Claude Monet aux Galeries nationales du Grand Palais qui caracole en tête avec 913 064 visiteurs (la plaçant ainsi comme l’exposition de peinture la plus visitée de France). « Les pharaons vus par les Impressionnistes » au Louvre devrait permettre de dépasser la barre du million mais aucun projet sérieux n’a encore été annoncé… % des applications téléchargées ne sont utilisées qu’une seule fois. Distinguer le nécessaire du contingent est souvent subjectif, il n’en reste pas moins que l’utilité conditionne la fidélité. 16 257 9500 euros, c’est le prix auquel ne s’est pas envolée une Nissan customisée par Yves Saint Laurent lors d’une enchère organisée par Sidaction dans le cadre du dernier Dîner de la mode. Heureusement pour la recherche qu’on dénombrait plus de 700 convives et que la table de 10 couverts était facturée 9000 €. euros, c’est le loyer au mètre carré de la 5th Avenue de New York qui reste en 2011 la rue commerçante la plus chère du monde, loin devant nos Champs Elysées nationaux (6.800 €). Malgré la paternité du business, il faut croire qu’on ne jouera jamais dans la cour des grands. magazine no 3 121 47 9 000 c’est le nombre de m2 supplémentaires dont devrait bénéficier le Palais de Tokyo en mars 2012. Les travaux menés par les architectes Lacaton et Vassal devraient commencer fin avril, date à partir de laquelle l’institution cessera d’accueillir des manifestations privées (pour la privatisation de la Friche, comptez 25 000 €). Certains privilégiés pourront admirer les lieux une dernière fois en mode festif durant les prochaines collections. Les autres peuvent toujours aller voir Traces, l’installation d’Amos Gitaï jusqu’au 17 avril 2011. c’est le nombre de magazines pour lesquels vous bénéficiez d’un accès virtuel et illimité moyennant 7 euros par mois. Interview, V, Metal, Lurve ou Dansk font parties de la sélection et on s’en réjouit même si la qualité haptique en prend un coup. otheredition.com 26 3200 visiteurs uniques par jour de Manystuff pour le blog référence en design graphique. Comme si ses 3 800 posts ne suffisaient pas à rendre compte de la création actuelle, Charlotte Cheetham étend une fois de plus ses activités et opère un glissement vers une réalité curatoriale tangible. « Kunstkammer – Représentation d’un cabinet d’amateur », jusqu’au 25 mars, 12Mail, 12, rue du Mail 75002 Paris. % des voitures vendues l’année dernière à l’échelle mondiale, étaient grises métallisées, 24% étaient noires, 16% grises ou blanches... A l’ère de l’uniformisation du goût, on imagine que la couleur fait peur. magazine no 3 122 magazine no 3 123 Carré géant en summer twill. Hermes.com Des couleurs inspirées Hermès, artisan contemporain d e p u i s 18 37.
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