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EATIVE INDU
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STYLE
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N° 4 — VOL. 2 —
AOÛT
JUIN, JUILLET,
2011
S DE MODE D’HUI
E
G
A
M
I
&
T
R
S AUJOUR
SPÉCIAL A ? — HANDICAPÉS HIER, MANNEQUDEINLA
FALAISE
L 14709 - 4 - F: 5,00 ! - RD
France 5 € |
Esp/It/Port/Bel/
Lux 6,90 € |
Suisse 12 CHF |
Maroc 65 MAD |
Canada 8,25 CAD|
De 9 € | UK 6£ |
ULOU
LLES BENSIMON
ISTOIRE DE LO
QU’EN PENSE GI
DE MODE ? — L’H
LM
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QU’EST-CE
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Maroc 65 MAD |
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De 9 € | UK 6£ |
ÉDITO
La question du film s’est soudainement reposée au luxe.
Après les spots de pub, les documentaires ou les biopics,
une machine ou deux sont venues ajouter leur grain
de sel : iPhone comme iPad demandent leur dîme
d’images animées.
De là, deux lectures possibles : soit on juge que cette
occurrence n’est qu’une manifestation de plus de la
marque, considérant que « contenu » rime ici avec promo.
Soit on l’envisage comme une nouvelle modalité dans
la manière de faire vivre l’ADN d’une marque. Pas de
miracle pour autant : si le patrimoine est aux abonnés
absents, les films les plus créatifs n’y feront rien. Mais s’il
y a un récit, une personnalité, pour tout dire un projet et
un regard (comme la récente exposition « Madame Grès »
au Musée Bourdelle l’a habilement démontré), alors la
forme « film » peut devenir le véhicule d’un récit moderne,
mixant patrimoine et présent.
Et nous y gagnerons peut-être quelque raison d’acquérir
un iPad — car il faut bien avouer que jusqu’ici…
Angelo Cirimele
ISSEY MIYAKE 11, rue Royale 75011 PARIS - 01 48 87 01 86 - distribué par "Ça va se voir"
MAGAZINE NO 4
3
01 55 90 52 90 www.eresparis.com
MAGAZINE NO 4
4
MAGAZINE NO 4
5
SOMMAIRE
P.12 — Brèves
P.84 — Portfolio
MODE MASCULINE
Photographie : Nicolas Descottes
P.16 — Magazines
ANOTHER MAGAZINE / ME / BLEND / LIVRAISON
THE NEW ORDER
TEXTES
© Olivier Roller
P.26 — Shopping
243 EUROS
Portfolio de Ill Studio, stylisme Olivia Bidou
P.96 — Contre
EN GÉNÉRAL, EN PARTICULIER ET TOUT COURT
Par Robert Stadler
TEXTES
P.98 — Mood-board
FOULARDS 50’S
Par Florence Tétier
P.36 — Interview
GILLES BENSIMON
par Cédric Saint André Perrin
P.102 — Chronique
SHÉRIF, FAIS-MOI PEUR
Par Judicaël Lavrador
P.40 — Images
LES ATHLÈTES
Par Céline Mallet
P.104 — Rencontre
MARC A.
Par Mathias Ohrel
P.42 — Biographie
LOULOU DE LA FALAISE
Par Marlène Van de Casteele
P.106 — Consumer
COS MAGAZINE
Par Angelo Cirimele
P.46 — Chronique
T’AS PAS D’AMIS ?
Par Stéphane Wargnier
P.108 — Design
LE CULTE ET LA BOUTIQUE
Par Pierre Doze
P.48 — Logo
POUR INFO
Par Yorgo Tloupas
P.110 — Art contemporain
XAVIER DOUROUX
Par Emmanuelle Lequeux
P.50 — Lexique
À PROPOS DES MAGAZINES DE MODE
Par Anja Aronowsky Cronberg
PORTFOLIO
P.52 — Off record
LE FILM DE MODE
Par Angelo Cirimele
P.116 — Portfolio
BARCELONA
Lina Persson
MODE
P.126 — Abonnement / Exposition
P.56 — Portfolio
UNDERGROUND
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Arabella Mills
P.127 — Agenda
P.129 — 10 chiffres
P.72 — Portfolio
THE POOL
Photographie : Alex Vanagas
Stylisme : June Nakamoto
20-22 sept. 2011 / automne hiver 1213 / Premier Salon Mondial des Tissus d’Habillement
Parc d’Expositions Paris-Nord Villepinte France / T. 33[0]4 72 60 65 00 / info@premierevision.com
www.premierevision.com
MAGAZINE NO 4
7
CONTRIBUTEURS
NICOLAS DESCOTTES
ARABELLA MILLS
ROBERT STADLER
JUNE NAKAMOTO
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Écouter Maria Callas dans Orphée et Eurydice de Gluck.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Trouver de nouveaux hôpitaux en fin de construction afin
de compléter ma recherche photographique.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Nora.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Work, and it is unfortunately still confidential…
Le projet qui vous tient cœur ?
A family extension, 4 months to go.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
The New Yorker (JFK Airport, always my last buy before
leaving NYC).
Votre principale occupation ces jours-ci ?
M’organiser en dépit des mois de mai et juin en gruyère.
Le projet qui vous tient à cœur ?
La diminution de la pile de livres non lus chez moi.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Pas acheté mais offert : Inventario.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Des shootings et m’occuper de ma famille grandissante.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Continuer mes études de chinois et réfléchir à comment
être plus efficace pour mener davantage de projets.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Vogue Paris (mais je suis abonnée) et le Pariscope,
car je suis très cinéphile.
LINA PERSSON
PIERRE DOZE
FLORENCE TÉTIER
JONATHAN DE VILLIERS
Votre principale occupation ces jours-ci ?
I am focusing my energy on an upcoming solo show
and some limited edition book projects.
Le projet qui vous tient à cœur ?
I am fascinated by movement and dance. I would love to be
more involved in documenting and making choreography.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Unpublished, issue #2, I was given the magazine at Mia,
Milan Image Art fair, last week.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Un complot : j’ai un garçon, dont je suis le père depuis
sept jours.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Une nuit de sommeil ininterrompue, et aussi produire une
thèse pour éviter de casser les pieds de tout le monde avec
des questions toujours effleurées de manière touristique,
donc jamais vidées.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Je n’en achète plus depuis très longtemps, ils me sont
fournis par la SNCF, salon grand voyageur.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Rattraper le retard pris dans tous mes autres projets
à cause du bouclage de Novembre 3 ! Notamment la
commande d’une série de 12 collages pour l’horoscope de
l’été. Et trouver un appartement à Paris !
Le projet qui vous tient à cœur ?
Le magazine Novembre, que j’ai lancé avec Maxime Büchi,
Florian Joye et Jeanne-Salomé Rochat,
et dont je fais la creative direction.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
The Gentlewoman et Oops. (Oui, en même temps.)
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Getting well, (I’ve just come out of hospital
after meningitis).
Le projet qui vous tient à cœur ?
Fatherhood.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
The Wire (UK left-field music magazine).
PHOTOGRAPHE
FASHION EDITOR
PHOTOGRAPHE
CRITIQUE DESIGN
MAGAZINE NO 4
8
DESIGNER
STYLISTE
CREATIVE DIRECTOR
PHOTOGRAPHER
MAGAZINE NO 4
9
STYLE, MEDIA & CREATIVE INDUSTRY
MAGAZINE
N° 4 - VOL. 2 - JUIN, JUILLET, AOÛT 2011
Rédacteur en chef
Angelo Cirimele
—
Directeur artistique
Yorgo Tloupas
assisté de Charlie Janiaut
—
Photographes
Jonathan de Villiers, Nicolas Descottes, Ill studio,
Charlie Janiaut et Juliette “thejudge” Villard (magazines),
Alex Vanagas
—
Stylistes
Arabella Mills, June Nakamoto, Olivia Bidou (accessoires).
—
Contributeurs
Anja Cronberg, Pierre Doze, Judicaël Lavrador, Emmanuelle
Lequeux, Céline Mallet, Mathias Ohrel, Cédric Saint André
Perrin, Robert Stadler, Florence Tétier, Yorgo Tloupas,
Marlène Van de Casteele, Stéphane Wargnier.
—
Illustratrice
Florence Tétier, Alix Veilhan
—
Iconographe
Nathalie Belayche
—
Remerciements
Carré 91, quai de Valmy Paris 10e, Étienne Bardelli, Étienne
de Bouchony et le Comptoir Général Paris 10e, Monsieur X
—
Traduction
Kate van den Boogert, Thibaut Mosneron Dupin
—
Secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
—
Publicité
ACP
32, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Tel : 06 16 399 242
contact@magazinemagazine.fr
—
Couverture
Photographie : Alex Vanagas assistée de Anaelle Elegoet
Stylisme : June Nakamoto chez Shotview assistée de
Naoko Soeya
Mannequin : Maja chez IMG
Maquillage : Min k
Coiffure : Kazuko Kitaoka
Maillot de bain bicolore : Eres
Jupe en python : Louis Vuitton
Chapeau : Stetson
Collier : Corpus Christi
—
Retouches
Janvier
—
Imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
—
Conseil distribution et diffusion shop
KD Presse
Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
—
Distributeur France
MLP
—
Issn n° 1633 – 5821
CPAPP : 0413 K 90779
—
Directeur de publication
Angelo Cirimele
—
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris
T 06 16 399 242
—
magazinemagazine.fr
contact@magazinemagazine.fr
—
© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
5 nominés, 1 seul vainqueur pour le prix du client de l’année.
MONOPRIX
L’élite des professionnels, des arts graphiques, de l’audiovisuel
et de la publicité ont élu Monoprix client de l’année 2011.
Plus de 1500 travaux présentés, 130 jurés,
63 prix, 30 marques différentes.
Les nominés étaient : Eurostar, Louis Vuitton, Les Lupains (Les Moulins de
Bachasson), Monoprix, Réunion des Musées Nationaux (Exposition Monet)
Merci à tous les clients audacieux, innovants, volontaires.
MAGAZINE NO 4
10
BRÈVES
On connaissait les
marques de distributeurs
(MDD) dans la grande
consommation, voici que
le principe apparaît
dans les concept stores
puisque Merci présente
sa propre ligne de bijoux
au milieu de collections
de créateurs.
We are familiar with
supermarkets stocking
their own brands, now the
idea hits concept stores
as Merci presents its own
jewellery line amongst
the designer collections.
Après quelques
années d’absence,
le magazine Mixte
ferait son retour
mi-septembre dans une
version semestrielle.
Les fondateurs
Tiziana Humler et
Christian Ravera seraient
toujours aux commandes
et rejoints par Nathalie
Fraser à la rédaction en
chef du magazine.
After a few years of
absence, Mixte magazine is
to return mid-September,
in a quarterly format.
Founders Tiziana
Humler and Christian
Ravera will still be at the
helm, joined by Nathalie
Fraser as Editor in Chief
of the magazine.
Du 12 au 18 septembre,
soit deux semaines avant
la Fashion Week, Paris
accueillera une « Design
Week », à l’initiative du
salon Maison & Objet, et
qui devrait mobiliser les
lieux dédiés au design
dans la capitale : boutiques,
hôtels, lieux d’exposition…
From 12-18 September,
a fortnight before
Fashion Week, Paris will
host a ‘Design Week’,
at the initiative of the
Maison & Objet trade fair,
The last
Thierry Mugler show,
which reunited Nicola
Formichetti and
Lady Gaga, went way
over budget to almost a
million Euros.
sera consacré à la scène
créative mexicaine à
travers des images et de
nombreux textes critiques
ou narratifs. Parution
prévue en juin.
The second issue of the
magazine Peeping Tom is
dedicated to the Mexican
creative scene via images
and numerous critical
and narrative texts.
Out in June.
Les Inrocks fête ses
25 ans cet automne. Penser
à un cadeau. Un nouveau
logo ? Je plaisante…
Les Inrocks will
celebrate its 25th birthday
this autumn. Think of a
gift. A new logo ?
Only kidding…
Le toulousain
Printemps de Septembre
serait programmé en mai
à partir de 2013, et pourrait
donc changer de nom.
From 2013, the
Toulouse festival
‘Printemps de Septembre’
will take place in May,
and so may change its
name.
and which will mobilise
design addresses of the
capital: shops, hotels,
exhibition spaces…
Le dernier défilé
femme de Thierry Mugler,
qui a rassemblé Nicola
Formichetti et Lady Gaga,
aurait largement dépassé
son budget initial pour
avoisiner le million d’euros.
On parle de plus
en plus d’un Vanity
Fair français et d’une
transfuge du Figaro pour
le diriger.
We’re hearing more and
more talk of a French Vanity
Fair and of a defection from
Figaro to run it.
Médailles et
décorations. Sont faits
officiers dans l’ordre des
Arts et des Lettres : Peter
Knapp et Étienne Robial ;
sont faits chevaliers
dans l’ordre des Arts et
des Lettres : Catherine
de Smet, François Alaux
(H5), Hervé de Crécy (H5)
et Ludovic Houplain (H5).
Fermez le ban.
Le deuxième numéro
du magazine Peeping Tom
Medals and awards.
Peter Knapp and Étienne
MAGAZINE NO 4
12
Robial are now Officers
of the Order of Arts and
Letters, and Catherine de
Smet, François Alaux (H5),
Hervé de Crécy (H5) and
Ludovic Houplain (H5),
Knights of the Order of
Arts and Letters.
Dans la continuité
de la Galerie des Galeries
et de son partenariat
avec la Fiac, les
Galeries Lafayette projette
de lancer une fondation.
Prévue pour 2013, elle
pourrait prendre place
dans le Marais sur 2 500 m2.
Continuing with
their commitment
to contemporary art
(Galerie des Galeries,
the FIAC partnership),
the Galeries Lafayette
is planning to launch
a foundation. Expected
to open in 2013, it may
install in the Marais
over 2,500m2.
Le nouveau logo de
Mugler a été dessiné
par Maxime Buechi
(Sang Bleu), qui a aussi
signé avec Ian Party
ceux de Balenciaga et
Rick Owens. Infos sur
swisstypefaces.com
The new Mugler logo
was designed by Maxime
Buechi (Sang Bleu), who
also designed, with Ian
Party, the Balenciaga
and Rick Owens logos.
More information on
swisstypefaces.com
La Carpenters Gallery,
dédiée au design, basée
à Londres et dirigée par
un duo français, va ouvrir
un espace de 600 m2 à
Paris début octobre.
The Carpenters Gallery,
dedicated to design, based
in London and directed
by a French duo, is to
open a 600m2 space in
Paris early October.
proposera des foulards
inédits, et Yazbukey, pour
une collection de sacs et
de chaussures. Quant à
La Redoute, y est invitée
cette année Vanessa Bruno.
The 3 Suisses invites
two designers for its
Autumn-Winter 2011
catalogue: Emmanuel
Bossuet (Eem studio) will
present new scarves, and
Yazbukey, a collection
of bags and shoes. As for
La Redoute, this year it
invites Vanessa Bruno.
La styliste Sarah
Burton, aujourd’hui
en charge du studio
Alexander McQueen,
lancerait sa
propre marque.
The designer Sarah
Burton, currently in
Le magazine Foam
prépare une foire dédiée
à la photographie, dont
la première édition est
prévue pour septembre
2012 à Amsterdam.
Foam Magazine is
preparing a photography
fair, the first edition is
planned for September
2012 in Amsterdam.
charge at Alexander
McQueen, will be
launching her own label..
Les 3 Suisses invite
deux créateurs pour son
catalogue automnehiver 2011 : Emmanuel
Bossuet (Eem studio), qui
En ville, le long
métrage de Valérie Mréjen
et Bertrand Schefer,
présenté à la Quinzaine
MAGAZINE NO 4
13
des réalisateurs cannoise,
sortira le 27 juillet.
En Ville, the feature
film by Valérie Mréjen
and Bertrand Schefer,
which premiered at the
Director’s Fornight at
Cannes, will be released
nationally on 27 July.
Le modèle économique
des applications iPad
reste encore largement
à inventer. Ainsi, deux
hebdos viennent d’opter
pour la gratuité : Elle et
Madame Figaro.
The business model
for iPad applications still
remains to be defined.
Two weeklies have chosen
the free model: Elle and
Madame Figaro.
Après Miami, Art
Basel pourrait labelliser
une troisième foire en
Asie, puisqu’elle vient de
racheter Art Hong Kong.
After Miami, Art
Basel could brand a third
Asian fair, as it’s just
bought Art Hong Kong.
L’impossible est le
(beau) nom du nouveau
magazine que
prépare Michel Butel.
Mais on n’avance plus de
date de sortie…
L’impossible (The
Impossible) is the
(fine) name of the new
magazine Michel Butel is
developping. But with no
confirmed release date for
the moment.
La foire Paris Photo
(9-13 novembre) émigre
au Grand Palais, sous la
houlette de son nouveau
directeur Julien Frydman
(ex-Magnum), et mettra à
l’honneur la photographie
africaine subsaharienne.
The Paris Photo
fair (9-13 November),
which is moving to the
Grand Palais under the
leadership of its new
director Julien Frydman
(formerly at Magnum), will
celebrate Sub-Saharan
African photography.
« Airborne », le nouveau
parfum signé Chalayan
et développé avec Comme
des Garçons devrait voir le
jour cet automne.
‘Airborne’, the new
perfume by Chalayan and
developed with Comme
des Garçons, should be
out this autumn.
Le changement de
direction à la tête de
Chloé a finalement eu
des répercutions à la
direction artistique :
Hannah MacGibbon cède
sa place à Clare Waight
Keller, en provenance de
Pringle of Scotland.
In the end, the change
of direction at Chloé
had repercussions on
publishers in photography
and graphic design,
will take place from
10-13 November, during
Paris Photo. Aside from
the ‘book fair’ aspect,
this second edition will
feature workshops and
magazine launches. Info
on offprintparis.com
Pour fêter le
150e anniversaire de la
naissance de son créateur,
Lalique revient en
joaillerie. Rendez-vous
à la rentrée.
To celebrate the
150th anniversary of the
birth of its creator, Lalique
returns to jewellery,
launching in September.
the artistic direction
too: Hannah MacGibbon
gives up her place to
Clare Waight Keller, from
Pringle of Scotland
Un nouveau club
parisien, Silencio, au 142
rue Montmartre (Paris 2e),
designé par David Lynch,
ouvrira ses portes durant
les Designer’s Days (1620 juin). Vrai club avec
carte de membre, il dispose
d’une salle de cinéma et
de créations musicales et
design exclusives.
A new Parisian
nightclub, Silencio, at
142 rue Montmartre
(Paris 2nd), designed by
David Lynch, will open its
doors during Designer’s
Days (16-20 June). A real
club with a member’s card,
it will include rooms for
music, design and film.
Jean-Jacques Annaud
aurait réalisé le nouveau
film « J’adore de Dior ».
Jean-Jacques Annaud
has directed the new
‘J’adore de Dior’ film.
Le prochain salon
Offprint, qui rassemble
des éditeurs indépendants
et internationaux
en photographie et
graphisme, se tiendra du
10 au 13 novembre, durant
Paris Photo. Outre l’aspect
book fair, cette deuxième
édition proposera
des workshops et des
lancements de magazine.
Infos sur offprintparis.com
The next Offprint
fair, which reunites
independent international
Précédemment à la tête
de la section Air du Temps
du Nouvel Observateur,
Marie-Pierre Lannelongue
devient rédactrice
en chef du Monde
MAGAZINE NO 4
14
magazine. Un tournant
mode et lifestyle ?
Previously at the
head of the Air du Temps
section of the Nouvel
Observateur, Marie-Pierre
Lannelongue has been
named Editor in Chief of
Le Monde magazine.
A watershed in fashion
and lifestyle?
Le nouveau synonyme
de « touche-à-tout » est
peut-être « directeur
artistique »… En effet,
après le graffiti, les night
clubs, les concept stores,
André est le nouveau
directeur artistique
de l’Officiel Hommes.
Premier numéro (rose ?)
en septembre.
The new synonym
for ‘jack of all trades’ is
perhaps ‘artistic director’…
In fact, after the graffiti,
the night clubs, the
concept stores, André is
the new artistic director
of the magazine Officiel
Hommes. A first issue
(pink?) out for September.
Puisque les grands
hôtels sont devenus
des showrooms design,
pourquoi ne pas y ajouter
la dimension boutique ?
Le Royal Éclaireur,
rencontre du Royal
Monceau et de l’Éclaireur,
proposera donc une
suite de 175 m2 dont les
objets et l’agencement
seront en vente auprès de
vendeurs munis d’iPad, en
attendant des caméras en
3D pour essayage virtuel.
Presque du Jacques Tati
dans le texte…
Since hotels have
now become design
showrooms, why not add
the store dimension?
Le Royal Éclaireur, a
meeting between the Royal
Monceau and l’Éclaireur,
will propose a 175m2 suite
where the objects and
the decor will be on sale
to clients with iPads,
pending the 3D cameras
for virtual fittings. It’s
pure Jacques Tati.
David Carson, le
fondateur du magazine
Raygun (1992-2000) et
initiateur d’une tendance
graphique « surf et côte
ouest », vient de publier
un nouveau magazine
portant son nom. Carson,
donc, est un bimestriel
consacré au design, à
l’art, à l’illustration, la
photographie… Infos sur
carsonmag.net
David Carson, the
founder of Raygun
magazine (1992-2000)
and initiator of the
‘West Coast surf’ graphic
trend, has just published
Big Bang, a new
monthly magazine
dedicated to utopias
of all types (social,
scientific, cultural...) is
launching in September.
a new magazine bearing
his name. So, Carson,
a bi-monthly magazine
dedicated to design, art,
illustration, photography…
Info on carsonmag.net.
restaurants, boutiques
de créateurs à Paris…
En vente chez Colette et
disponible pour iPhone.
gogoparis.com
Gogo magazine
reappears in the form of a
biannual guide: 300 chic
addresses to discover the
bars, restaurants, and
designer stores of Paris...
On sale at Colette and
also available for iPhone.
gogoparis.com
Big Bang, un nouveau
mensuel consacré aux
utopies en tous genres
(sociales, scientifiques,
culturelles…) est
annoncé pour la rentrée.
Indépendant, grand
format, son équipe
compte, entre autres,
Thierry Keller et Jérôme
Ruskin (Usbek & Rika),
Luc Lemaire et Gabriel
Gaultier (Leg), qui est
l’initiateur du projet.
Independent, large
format, its team includes,
among others, Thierry
Keller and Jérôme Ruskin
(Usbek & Rika), Luc
Lemaire and Gabriel
Gaultier (Leg), who’s the
initiator of the project.
Le magazine GoGo
reparaît sous forme
de guide semestriel :
300 adresses chics
pour découvrir bars,
MAGAZINE NO 4
15
La collaboration entre
Bruno Colin (ex-Wad
magazine) et Diesel à la
direction artistique de la
marque aura duré un peu
plus d’un an, après quoi
chacun semble revenir à
son métier.
The collaboration
between Bruno Colin
(ex-Wad magazine) and
Diesel on the artistic
direction of the brand
lasted a little over a year,
after which it seems each
party returns to their
original occupation.
MAGAZINES
ANOTHER
MAGAZINE
Angleterre, semestriel, 406 p., no 20, 230 x 300 mm, 10 €
anothermag.com
On devrait toujours trouver une idée pour fêter son anniversaire. Pour ses 10 ans – celui
d’un enfant, mais l’âge adulte pour un magazine de style –, Another Magazine a demandé à dix designers d’imaginer un gâteau… pour une fête chez Selfridges ; on pouvait
y goûter du Lanvin, du Gucci, du Givenchy et, of course, du Chanel by Karl. Tout Another
Magazine est là : mixer la création et les idées, avec pas mal de business derrière la tête.
Pour ce 20e numéro, Jefferson Hack propose un best of de rencontres, un retour sur des
parcours, et montre la fidélité réciproque du titre et de talents comme Nick Knight, aussi
brillant à fabriquer qu’à déconstruire les images, ou encore Erwan Frotin, dont les natures mortes continuent à flatter l’œil. On peut être agacé par le côté opportuniste à peine
voilé du magazine, mais force est de reconnaître que les photographes dont on a envie
de voir le travail sont là (Andrea Spotorno, Kacper Kasprzyk), qu’Another sait prendre
le temps nécessaire à une rencontre et pas seulement dans sa section « documents », qui
est la partie la plus arty du titre ; bref, le savoir-faire s’est même bonifié. Probablement
que le titre a suivi l’évolution de cette décade, de l’enthousiasme créatif de la mode vers
sa rentabilité. C’est donc assez naturellement que les expérimentations graphiques sont
laissées à Another man quand Another vise le statement. Le site fait preuve d’une belle
vitalité et l’expérience nowness, que Jefferson Hack dirige pour Louis Vuitton, ne doit
pas y être étrangère. Rendez-vous dans dix ans !
EXTRAIT
almost to the point of toxic, and not obviously natural at all.
For the Jill Sander women’s range a few months later, nature was the
starting point once again. On this occasion that shades that are more
often seen in the world — soft blues and greens, for example — are used
very sparingly, while more exotic hues — the tiniest trace of pigment
at the heart of a flower, say, or the breast of a rare bird — appear across
great expanses of fabric.
“People see fluorescent colours and they think they’re not natural,” says
Simons, “but they are. I’ve always liked it when I come across something
that makes me see things in a different way — that’s how I was trying to
use colour this time. People reacted by talking about the intensity of the
colour and how the juxtaposition between them was so different from
what they had seen elsewhere but that’s not true. It sounds so stupid but
when I’m snorkelling on holiday in the South of Italy, for example, I see
colours like these.”
There is an instinctive creativity at play here, but the process by which
such radiance is achieved is more methodical and time consuming.
[…] Susannah Frankel, p. 138.
THE JIL SANDER DESIGNER EXPLORES HOW COLOUR
INFORMED HIS LATEST COLLECTION.
“I liked the idea of colour as a starting point, as something that was going to define the collection,” says the designer Raf Simons of his current
offering for Jil Sander, the rainbow appearance of which has gone quite
some way towards defining not just his own work, but the spring/summer season itself.
Deepest emerald, violent fuchsia, intense flame, sunshine yellow, cerulean blue and fondant rose — to name but a few — are juxtaposed in
ever more inventive and unexpected ways. Splashy florals in equally
bright shades and candy-coloured stripes that brings F. Scott Fitzgerald’s
French Riviera to mind, couldn’t fail but lift spirits.
“In fact, I started thinking in that way when we launched the menswear
in Florence,” the designer continues. “It was connected to the idea of
nature and anti-nature. We knew we were going to show outside and
the cliché of being inspired by nature’s colours appealed to me.” But this
well-worn theme was duly subverted — colour as vivid in this instance,
EDITORS IN CHIEF :
CREATIVE DIRECTOR :
FASHION DIRECTOR :
EDITOR :
Jefferson Hack
David James
Cathy Edwards
Nancy Waters
PUBLISHER :
Another publishing
MAGAZINE NO 4
16
MAGAZINES
ME
États-Unis, semestriel, 74 p., no 20, 255 x 335 mm, 11 €
memagazinenyc.com
Un changement de format peut donner une résonance profondément différente à un
projet éditorial. Me magazine est passé d’un format A5 à 25 x 35, qui le fait dépasser
d’une tête ses voisins de kiosque. Le principe est resté le même, ou presque : une
personne, souvent un créateur, dont on brosse le portrait à travers un kaléidoscope
de témoignages de proches, comme une géographie sentimentale – ou un ancêtre de
Facebook si on est technophile. Je dis « presque », car la plupart sont de parfaits inconnus, mais Me magazine s’est depuis penché sur le cas de Rodarte, ou du designer
de bijoux Eddie Borgo dans ce 20e et dernier numéro. Ce dispositif de portraits un peu
secs ne pouvait probablement perdurer grâce aux seuls acteurs lambdas. Parallèlement,
le format s’émancipe du fanzine pour voler vers le chic d’une brochure altière, qui
ne présente que des images noir et blanc au milieu d’un système graphique épuré.
Pas de sommaire sinon la liste des noms en couverture, mais un enchaînement de
déclarations et de récits à la première personne, esquissant un univers créatif à un
moment T et dans une ville donnée : New York. Et le fait est que ces récits valent pour
eux-mêmes autant que pour le projet plus général auquel ils participent. L’éditrice,
rédactrice en chef et DA de Me, est Claudia Wu, ex-editor du magazine Index, que cette
nouvelle formule de Me n’est pas sans rappeler. Son projet : mettre la lumière sur
d’autres créateurs et oublier les produits ; mais c’est aussi une vitrine créative pour sa
DA ainsi qu’un bel outil de relations sociales. C’est probablement pourquoi il n’y a pas
de pages de publicité dans Me.
EXTRAIT
SALLY SINGER
I never wanted to be a writer and never thought I would work in fashion.
I wanted to be a historian, an academic, and to teach at a research-based
institution which would require a load of no more than two classes a
year. When I was in grad school, I was so specific. That I ended up in
fashion is an utter fluke and largely because Alexandra Shulman of
British Vogue has a massive imagination and enormous faith in me.
As did Gilles Bensimon, Caroline Miller, and Anna Wintour. I have been
very blessed to have worked for people who saw more in me than I ever
would have.
I remember that day very well, and I remember the sketches you showed
Virginia and Filipa. If I had a funny expression on my face, it was because of the following: I knew who you were as “Eddie Spaghetti” because that is how Keegan and Florence (who worked for me at the time)
referred to you, if not just plain “Spaghetti.” I was embarrassed to know
something so intimate and familiar having never met you. Also, I knew
you’d done a substantial cuff for Camilia for a W shoot, something in
your sketches. I remembered seeing the credit. And, again, I felt a bit
embarrassed, a bit of a credit stalker, and wasn’t sure if I should bring
it up.
What do I love about California? The crazily beautiful natural wonders
that are all throughout the state: Yosemite, Mount Lassen, the redwoods,
the Pacific Coast beaches. I love hummingbirds and eucalyptus trees
and fuschias and Monarch butterflies.
What I also love about California is its ability to nurture local subcultures. It’s such a massive state and so spread out population-wise (even
where it’s high-density it’s really not). So it’s ripe for growing superniche alternatives. When something is local in CA, it’s really, really local.
That can be the psychobilly scene in Anaheim or a Coffee Roasters in
San Francisco. Just think about it: the beats, surf punk; Dogtown and
Z-Boys, the Castro scene of the 70’s (pre the shootings of Moscone and
Milk), krunking… If you love new forms of expression, nurtured in near
isolation, you gotta head west.
[…] Sally Singer, p. 41.
EDITOR IN CHIEF
GUEST EDITOR :
EDITOR AT LARGE :
PUBLISHER :
& CREATIVE DIRECTOR :
Eddie Borgo
Tiffany Limos
Claudia Wu
Claudia Wu
MAGAZINE NO 4
18
MAGAZINES
BLEND
Pays-Bas, trimestriel, 290 p., no 5, 230 x 330 mm, 18 €
blend.nl
Ce jeune magazine néerlandais (2010) traite de création contemporaine et son approche est autant mentale que visuelle. Les thèmes choisis ne sont pas uniquement
des prétextes à des cartes blanches, mais des lignes de force qui traversent tout le
magazine, par exemple : « hard sell, soft sell » ou « the modern minimalism » dans le
5e numéro. Au-delà des champs de la mode et de l’art, on trouve traités dans Blend la
culture, les médias et aussi les people. Un graphisme épuré, des partis pris photographiques entiers (des mannequins hors des canons classiques) et des séries images qui
recèlent toujours une idée – ce qui se fait rare. Un changement de papier vient opportunément glisser un peu de mat dans ce flot brillant. Les textes anglais témoignent de
l’ambition internationale de Blend et de problématiques créatives valides au-delà du
contexte néerlandais. On ne peut pas dire que Blend fonctionne comme un cahier de
tendances, mais plutôt comme un stimuli pour la communauté créative, qui voit en
images et en mots un concept interrogé.
EXTRAIT
In contrast to this stood Minimalism, in which artists explicity stated
not to make self-expressionistic art but instead represent the essence of
design. Frank Stella started his career in 1960 with his “black Paintings”:
pieces consisting of only black and white pinstripes. His ‘What you see
is what you see’ —motto summarizes minimalist art that pretends to
not have a second layer. Minimalism liberated artists from previously
complex restrictions in art: by going back to the use of only fundamental shapes and colors, they freed themselves from complexity, but then
again paradoxically restricted themselves with these new design rules.
The geometric compositions of Minimalist art were a strict grid of horizontal, vertical and diagonal lines. The sculptures and installations were
often made from industrial materials: rough and without emotions. The
spectactor was to derive the meaning of the artwork by his or her own
perception, since the artists pretended to have minimal intentions with
their pieces. Minimalist artists wanted to show the objective reality by
capturing the essence of art: they deconstructed reality into fundamental elements. By doing so, they gave the spectators the freedom to decide
for themselves what to understand from these forms.
[…] Lisa Goudsmit, p. 48.
THE MODERN MINIMALISM
Welcome to the 2010s. Please allow us to introduce to you: The Modern
Minimalist. Minimalism is not just about simplicity in design esthetics; it is a lifestyle. Whereas Minimalism originally started out as an
art movement in the 1960s and continued as a general design esthetic
in the 20th century, today’s minimalism represents so much more. It is
about reducing certain aspects of life to their essence, like art, fashion,
design and food. Where does this longing for minimalism come from
and how is it represented in creativity and every day life?
Less is more
The art movement Minimalism changed the Western World in the 1960s.
In the post-Second World War Western world, a group of visual artists including prominent figures like Donald Judd, Sol LeWitt, Richard Serra and
Franck Stella responded to popular movement Abstract Expressionism.
They broke down the ruling norms in the art world of the 50s and early
60s. Abstract Expressionism as a subjective view on reality. The core of
Abstract Expressionism was the self-expressionistic need of its artists.
EDITOR IN CHIEF :
Perre Van Den Brink
CREATIVE DIRECTON :
Perre Van Den Brink & Wouter Vandenbrink
FASHION DIRECTOR :
Joff
MAGAZINE NO 4
20
PUBLISHER:
Blend BV
MAGAZINES
LIVRAISON
Suède, annuel, 540 p., no 4, 235 x 335 mm, 30 €
livraison.se
Livraison est à la frontière du livre et du magazine. Son format, ses 540 pages et sa
périodicité annuelle en font un table book autant qu’une publication régulière qui
composerait une collection. Pourtant, le contenu de Livraison s’apparente bien à celui
d’un magazine, certes conceptuel. Une idée ou une question (secret identities, hidden
objects ou open landscapes/closed rooms pour ce dernier numéro) permet de solliciter
des contributeurs, dont la proposition peut prendre la forme d’un texte ou d’une série
d’images. Ainsi, ce 4e opus s’articule autour des lieux préférés et figure ceux de photographes hollandais, japonais, suisses, suédois… Le magazine se livre comme une
série de voyages hétérogènes, urbains ou en pleine nature, au milieu d’univers minéraux ou foisonnants. Pas d’indication géographique, sinon les coordonnées GPS qui
autorisent une recherche curieuse. Les lieux n’indiquent rien en eux-mêmes et c’est
souvent l’écriture photographique qui en dévoile la poésie ou l’étrangeté. Ce Livraison
no 4 fonctionne en cela qu’il active un musée du souvenir et renvoie au lecteur cette
question : quel est votre lieu favori ? Plus encore que les images, ce sont les textes,
souvent en forme de récit, qui stimulent l’imagination de lieux peut-être perdus ou
aujourd’hui inaccessibles. Dans une acception plus pragmatique, Livraison peut être
envisagé comme une somme thématique et visuelle, un état de l’art photographique sur un sujet donné. En adoptant une périodicité annuelle, le magazine a préféré arrêter le temps plutôt que le poursuivre, mais numérote chacun de ses 1 500 ou
2 000 exemplaires pour en signifier sa dimension précieuse.
EXTRAIT
EDITORS LETTER
Once in my mind starts to wander, there is no way of telling it to stop, so
I let myself be flooded in memories until they take over completely. I am
enjoying floating on this gentle stream. My memory guides me around
the favourite bars of my past life, the cottage where I spent all my summers as a child (it almost feels like I am there, my hands are touching
the old cabinet where I hid all my secret stuff — like cigarettes and alcohol) and that were very special place, built in the early 20th century by a
nobleman, somewhere in a faraway country. Everything is there — the
ageing photographs on the walls, the chrysanthemum in the window,
the creaking floorboards; the stereo that plays a random hit now considered a classic. I see people I haven’t thought of in a long time and they tell
me important things I used to know. Old people always seem to live for
the moment. Maybe I should have listened to them more carefully. I do
not want to be one of them.
I discover that some of my favourite places I haven’t even visited yet.
I remember those the best: Although I don’t know what they look like to
the naked eye. I know already what will happen when I go there. I know
what they will feel like. Maybe I will get disappointed if I ever do —but
I am willing to take the risk. I am longing for new places to love.
This is the reason why I have asked you to draw me a map of the places
that carry around, just like I carry mine with me.
[…] p. 3.
EDITOR IN CHIEF :
Marie Birde
EDITOR :
Marie Jobelius
No one ever asked me this question — it is I who want to know: What
can all the places I have been to tell about myself? I struggle to find an
answer, but when I try to remember, there are far too many of them. My
memory fails me and the pictures I try to grasp slide out of my hands into
the distance. Everything turns into a blur.
I think I told you this once before. I am not very good at concentrating:
I have a tendency to daydream. So I do exactly that. I let go. I allow my
mind to wander, and suddenly: The important places, the ones I want
to remember, appear very clearly. I see my own reflection in all these
places — from every single one that mattered to me I brought something,
so I carry all these little pieces around with me. They are all fragments of
something bigger.
ART DIRECTION :
Sandberg & Timonen
MAGAZINE NO 4
23
CONTRIBUTING EDITOR :
Anja Cronberg
PUBLISHER :
Livraison
MAGAZINES
THE NEW ORDER
Nouvelle-Zélande, semestriel, 160 p., no 4, 210 x 297 mm, 20 €
slamxhype.com
On comprend souvent le projet des magazines à la manière dont leur contenu est
organisé. En cela, The New Order porte bien son titre puisqu’il s’affranchit des règles de rythme, recommandant d’alterner formats courts et longs, sujets familiers et
étranges, gens et choses. The New Order est plutôt une galerie de personnages, comme
le proposerait la salle d’un musée ou une pièce de théâtre, dont le sens demeurerait
encore caché – mais ce n’est que le quatrième numéro. Des gens méconnus pour la
plupart, malgré le designer en vogue sur la couverture, cultivant presque tous une
relation créative et expérimentale au style, à l’art et au graphisme. Un fabricant de lunettes (Dita), Adam Kimmel, Soulland, Ben Drury… Convaincu que cette brochette de
créateurs façonneront le style de demain, le magazine propose des showcases de leur
travail, parfois agrémenté d’une interview. La partie visuelle s’apparente à une mise
en scène inspirée d’une collection et de l’idée autour de laquelle elle s’articule. Ainsi,
une ligne de Jun Takahashi de la marque Undercover, en référence à Underman, un
anti-héros de feuilleton japonais, donne lieu à d’étonnantes images de science-fiction,
low-fi, reconstituées dans une forêt. Ce magazine du bout du monde, puisque édité à
Auckland, garde un œil curieux et exigeant sur la scène créative japonaise, pas encore
parvenue dans nos contrées tempérées. Avec un graphisme sobre et des séries mode
surprenantes, The New Order est sec et sûr de son fait.
EXTRAIT
WHAT IF
Never Made (Taschen) is about the director’s mysterious unmade film
on Napoléon Bonaparte. Slated for production immediately following
the release of 2001: A Space Odyssey, and starring Jackson Nicholson as
the lead, “Napoleon” was to be a sweeping epic complete with grandiose battle scenes and thousands of extras. But the large-scale biopic of
Napoleon, the leader and Emperor of France, was not meant to be. At one
point Kubrick wrote his financial backers telling them he was unsure
how the film would turn out, but he reassured them by telling them he
expected to create “the best movie ever made.” The project was cancelled.
Known for his slow method of working (it took him five years to develop
2001: A Space Odyssey), his technical perfectionism and his meticulous
attention to detail, Kubrick embarked on two years of intensive research
to write his original screenplay. With the help of dozens of assistants,
and an Oxford Napoleon specialist, he amassed an unparalleled trove of
research and preproduction material, including approximately 15,000 location scouting photographs from Yugoslavia, Italy, Romania, Belgium,
and Brienne.
[…] Joy Yoon, p. 132.
There are times when I find myself trapped in a theater, squirming in
a butt-numbing plush velour seat wondering to myself, “What the hell
am I watching?” I want to say that I research my films before I venture
out to the theater. And that statement is partially true. I read reviews,
I watch trailers, but sometimes, I leave it to destiny to guide me down the
path to cinema nirvana. But with my luck, its safe to say, I’m mentally
scarred for life.
Sometimes I’d like to write to all the directors that lead me astray and ask
for money back. Oliver Stone, you owe me $25, which includes the price
of popcorn and of a bottle Pepto Bismo for Alexander. But I’ll be lenient and deduct $5 for your 1982 Conan the Barbarian script. Spike Jonze,
I rented Omen from Blockbuster because you told me over the phone
that it was “awesome”. It wasn’t. You owe me $3.27. Sacha Baron Cohen,
you suck. But let’s move on. I’m not the kind of girl that likes to dwell.
At the moment, a film that was never made currently piques my interest. Alison Castle’s Stanley Kubrick’s Napoleon: The greatest Movie
EDITORIAL DIRECTOR :
EDITOR IN CHIEF :
ART DIRECTOR:
PUBLISHER:
James Oliver
Joy Yoon
Anthony Coleman
Noise Media Ltd
MAGAZINE NO 4
24
Ça aurait sûrement contrarié ces chics types du
Bauhaus, mais vous préférez les vases sans fleurs
dedans, surtout s’ils sont dessinés par Aalto (79 €
sur madeindesign.com). Les fruits aussi, c’est
pour donner une touche de couleur à l’immaculée
cuisine, donc de l’orange (4 € au marché d’Aligre,
Paris 12e) puisque que c’est la couleur de la saison.
Mais votre esprit de contradiction ne résiste pas au
romantisme de Venise, surtout si une biennale s’y
déroule ; vous y invitez votre moitié (140 € les deux
pass), qui ne se déplace plus sans sa pochette 50’s
et forcément orange (9,90 € chez H&M). Vous
passerez aussi un après-midi à la plage, seul
endroit où vous pouvez lire, sans culpabiliser, la
presse people (10 € au kiosque).
SHOPPING
243
Photographie : Ill studio
Stylisme : Olivia Bidou
VASE
ORANGES
PRESSE
PASS BIENNALE
POCHETTE
79€
4€
10€
140 €
10€
243€
MAGAZINE NO 4
26
MAGAZINE NO 4
27
On vous répète d’acheter de l’art, mais vous n’aimez rien tant que la
mode ; vous trouvez donc un compromis avec ce foulard en soie de
Cy Twombly (90 € à la galerie Yvon Lambert), multiple et accessoire à
la fois. Vous êtes à sec, mais trouvez la parade : vous vendez quelques
grammes d’or (pour 171 € sur achat-or-paris.com) et le commerce peut
reprendre. Entre-temps, vous avez beau maintenir vos cheveux avec
un serre-tête (Monika Soszynska, 100 € au Bon Marché, Paris 7e), il
fait trop chaud et seul votre ventilateur (120 € sur Ebay) peut vous
secourir… ou un remède d’enfant ? Une bonne vieille glace (4 € chez
Amorino) et la torpeur s’éloigne.
FOULARD
OR
SERRE-TÊTE
VENTILATEUR
GLACE
90€
-171€
200€
120€
4€
243€
MONTRE
ESPADRILLES
ROSES
LETTRE D’AMOUR
MAGAZINE PHOTO
Vous ne quittez pas Paris cet été ? Ce n’est pas une
raison pour vous interdire d’envoyer des cartes
postales (2 € chez Quasimodo souvenir, 17 rue
d’Arcole, Paris 4e). Votre éventail fluo (3 € à Belleville)
ne parvient pas à lutter contre la chaleur, vous
décidez d’aller au sauna (38 € à la Mosquée de Paris)
en voiture, toutes vitres ouvertes. Vous dédaignez
le parcmètre et le PV pour le stationnement vous
coûtera maintenant 20 €. Pour conjurer le mauvais
œil, vous achetez ce sautoir poisson de Yazbukey,
qui ne passera pas inaperçu (180 € chez Colette, 213
rue Saint-Honoré, Parie 1er, colette.fr).
50€
95€
12€
46€
40€
243€
C’est l’été, votre Swatch Jeremy Scott vous
le confirme (50 € chez Colette, 213 rue SaintHonoré, Paris 1er, colette.fr) et, chaussant vos
espadrilles (95 € chez Zespa, zespa.fr), vous vous
précipitez pour acheter deux roses (12 € chez Les
Bouquets Roses, 243 rue des Pyrénées, Paris 20e), si
l’amour venait à se présenter. En attendant, vous
feuilletez un vieux Photo (40 € sur Ebay), dont la
nouvelle formule ne vaut décidément rien. Mais,
ne pouvant plus attendre, vous décidez de jouer le
faux et demandez à un écrivain public de rédiger
une lettre d’amour (46 € sur ta.plume.free.fr), dont
vous seriez le destinataire, un peu aussi pour vous
trouver un point commun avec Sophie Calle.
CARTES POSTALES
ÉVENTAIL
SAUNA
PV
SAUTOIR
2€
3€
38€
20€
180€
243€
Vous avez acheté un iPhone, comme tout le monde, mais c’est de ce
Bang & Olufsen qui vous relie à votre bureau (125 € aux Puces du
Design) que vous continuez à passer la plupart de vos coups de fil.
Tout vous incite à mettre du orange dans votre vie cet été ? Vous optez
pour des pigments bruts (12 € au BHV) et vous souvenez ainsi de
la profondeur des monochromes d’Yves Klein. Envie de changer de
tête ? On ne pense pas assez au postiche (19 € chez MGC, 10 passage
de l’Industrie, Paris 10e), pourtant, ça vous change une silhouette… Et
sur votre lancée, vous élisez une nouvelle eau de toilette (75 € sur
diptyqueparis.com). Mais rien ne vaut la fiction ; vous ouvrez alors un
livre de poche nouvelle génération au format à l’italienne et en papier
bible (12 € sur editionspoint2.com).
TÉLÉPHONE
PIGMENTS
PERRUQUE
EAU DE TOILETTE
LIVRE DE POCHE
125€
12€
19€
75€
12€
243€
MAGAZINE NO 4
32
20-23
octobre
2011
TEXTES
P.36 : INTERVIEW
GILLES BENSIMON
P.40 : IMAGES
LES ATHLÈTES
P.42 : BIOGRAPHIE
LOULOU DE LA FALAISE
P.46 : CHRONIQUE
T’AS PAS D’AMIS ?
P.48 : LOGO
UN BOULOT MONSTRE
P.50 : LEXIQUE
À PROPOS DES MAGAZINES
DE MODE
P.52 : OFF RECORD
LE FILM DE MODE
grand palais
& tuileries,
Paris
fiac.com
Organisé par
!"#$%&"'#%()*+,'%-
MAGAZINE NO 4
35
INTERVIEW
GILLES
BENSIMON
Photographe de mode français, Gilles Bensimon a débuté sa collaboration au
magazine Elle en 1967. Installé à New York depuis 1985, il a participé au lancement
de l’édition américaine dont il deviendra directeur de création de 1999 à 2009.
Star de l’âge d’or des top models, il a shooté Christy Turlington, Claudia Schiffer
ou encore Cindy Crawford, et a été marié à Elle Macpherson. Ses images sur le
vif, dynamiques et élégantes ont assuré son succès auprès de célébrités comme
Jennifer Lopez, Sarah Jessica Parker ou Beyoncé.
Comment devient-on photographe de mode ?
Certains garçons rêvent de devenir pompiers,
moi je ne voulais rien faire. J’avais bien une attirance
pour les photos de famille, les clichés de mariage, mais
bon… J’ai préparé les Arts Décoratifs, sans les faire ; j’avais
un certain détachement par rapport à la vie – je ne me
suis jamais considéré comme un exemple. Et puis je
me suis retrouvé à assister un photographe et tout s’est
enchaîné. En revanche, la mode m’a toujours intéressé.
Quelle est la fonction d’un magazine de mode ?
Il faut que l’on ait envie de ressembler aux
gens que l’on voit dedans. Il y a quelques années, j’ai
acheté un kilt long d’Hedi Slimane, je ne l’ai jamais
mis. Mais un magazine m’en avait donné envie.
Quels magazines appréciez-vous actuellement ?
De temps à autre je regarde Monocle, cela
m’amuse. C’est sec ! Tyler Brûlé, l’éditeur, est un peu janséniste. J’avoue ne jamais vraiment finir les articles ;
c’est sans doute lié à la mise en page peu comestible.
Mais ça m’intéresse, car il propose l’image d’un monde
qui lui convient à lui. C’est personnel et cohérent.
En quel sens ?
La mode me passionne, car elle raconte des
choses sur les gens qui la porte. On s’habille toujours
pour des raisons précises : pour se faire respecter au
boulot, se faire baiser, montrer sa réussite ; pas juste
parce qu’il fait froid et qu’il faut bien se couvrir. Et puis
cela donne de l’énergie : un T-shirt qui vous va bien, ça
vous porte !
[…] La plaie, dans mon métier,
c’est la généralisation du moodboard. Devoir s’inspirer de
photos déjà faites par d’autres
[…] Je n’aime que les choses
immédiates ! […] J’envisage
les photos comme des traces
d’instants vécus.
Comment avez-vous vu évoluer la presse ?
Les magazines de mode ont une existence relativement récente, une cinquantaine d’années tout au
plus, ce n’est pas beaucoup ! Avant, il existait bien des
revues, mais elles ne touchaient que peu de gens et
le phénomène demeurait assez élitiste. Ce qui a tout
changé, c’est l’avènement du prêt-à-porter dans les
années 60. Des gens comme Hélène Lazareff ont su
refléter dans les pages de Elle cette envie de changement et d’une mode pour la première fois abordable.
Cet aspect social, ce lien avec l’époque et le réel a quelque peu déserté la presse de mode contemporaine.
Je ne suis pas persuadé que la fonction d’un
magazine de mode soit de refléter la réalité ; il s’agit
davantage de faire rêver. L’important, c’est de ne pas
s’ennuyer en feuilletant un magazine. Lorsque Carine
Roitfeld dirigeait Vogue Paris, j’avais toujours envie
de le regarder, il s’en dégageait une forme de bonne
humeur, d’énergie et de force. Ça lui ressemblait,
il y avait une identité. Il existe plein d’autres éditions
de Vogue que je n’ouvre jamais. J’ai peut-être tort, mais
je n’en attends pas grand-chose.
Pensez-vous qu’un magazine doive porter l’empreinte
de celui qui l’anime ? Vous-même avez longtemps
incarné le Elle US…
Oui et non. Le Elle US, je l’ai certes incarné,
mais je ne l’ai pas inventé seul, disons plutôt qu’avec
le directeur artistique, nous avons adapté au marché
américain l’esprit du Elle.
C’est-à-dire ?
En arrivant
MAGAZINE NO 4
36
aux
États-Unis,
nous
nous
sommes rendu compte qu’il y avait
beaucoup de femmes très belles dans ce
pays mais qu’elles n’en étaient pas vraiment conscientes. Comme toujours, il y
existait des stéréotypes dominants : à l’époque, dans
les années 80, il fallait être blonde avec un brushing.
Bon… Nous nous sommes donc attachés à retranscrire
dans les pages du journal des styles de femmes que l’on
voyait dans la rue mais qui n’étaient pas représentés
dans la presse. On essayait de styliser ce qui nous semblait être « l’esprit » de la femme américaine.
moins le cas en Europe. Je trouve certains titres plus
forts. Enfin, je ne désespère pas de la presse américaine,
car les Latinos l’emportent aux États-Unis. Du coup, les
femmes sont plus sophistiquées. Les Latines sont toujours impeccables : elles se coiffent, font des manucures,
se maquillent… Leur énergie influera. Par le passé, j’ai
fait des covers avec Salma Hakey ; les ventes se sont
envolées ! En tout cas, la mode, le plaisir de s’habiller,
c’est plus un truc de Latins ou de juifs. Les Wasp ergotent pour des trucs en solde chez Barney’s ; ils n’ont pas
autant ce goût de l’apparence.
Et quelle image de la femme reflètent pour vous les
magazines aujourd’hui ?
Le monde de l’art reflète parfaitement notre
époque ; Jeff Koons nous ressemble, il est très grand,
très brillant et très cher ! Les magazines de mode me
semblent moins connectés au présent. Je les trouve
trop stéréotypés. Prenez les mannequins : elles se ressemblent beaucoup plus qu’avant ! Quand on parle de
l’époque des super-modèles, on ne les confondait pas.
Kate Moss ne ressemblait pas à Linda Evangelista, qui
ne ressemblait pas à Naomie Campbell ou à Cindy
Crawford. Les filles d’aujourd’hui me semblent moins
marquantes. Du coup, on a fini par utiliser des vedettes
pour les covers.
L’influence de la mode sur les femmes vous semble-telle croître ?
Une fille qui est hippy chic ne va pas changer. Celle qui s’habille femme d’artiste en Comme des
Garçons ou Yohji Yamamoto, de même. Chaque femme
a son style et je ne pense pas que les défilés aient une
grande influence. Plus que la mode, c’est leur corps, le
personnage qu’elles ont envie de représenter qui détermine la façon qu’ont les femmes de s’habiller. Et puis,
les tendances, les vraies, viennent plutôt de la rue.
Vous avez travaillé avec les plus grands tops sans
jamais verser dans les dérives sexy outrancières de
l’époque. Vos images sont plus « peps » que sensuelles.
J’aime beaucoup les images sexy, celles d’un
Terry Richardson me plaisent beaucoup, mais j’ai trop
de pudeur pour faire ce genre de choses. Quand je photographie incognito des gens dans la rue, ils sont d’ailleurs
toujours de dos. Par timidité, pour ne pas déranger.
Quels photographes vous intéressent pour l’instant ?
Plus que les photographes, ce sont les photographies qui m’intéressent, et le plus souvent des images de reportage dans les quotidiens. Je m’attache au
regard des personnages, à la composition, aux arrièreplans. Au cinéma, d’ailleurs, je regarde souvent davantage les arrière-plans, les figurants, que l’acteur principal. Chez Hitchcock, c’est même un jeu…
Quelles sont les différences entre les presses de mode
américaine et française ?
Les États-Unis sont un grand pays. Les gens
du Midwest ne sont pas ceux de la côte Est ; pour vendre un magazine, il faut qu’il plaise à un tas de monde
différent. D’où un certain formatage… C’est un peu
Certains photographes vous ont pourtant marqué ?
L’idée même du grand photographe m’ennuie.
C’est vrai, certaines images d’Hans Feurer m’ont passionné. Comme celles de Bob Richardson [le père de Terry
Richardson, ndlr], dont j’ai encore intacte en mémoire
une série en Grèce pour le Vogue français des années 70.
MAGAZINE NO 4
37
Je suis par contre moins
sensible aux images très
esthétisantes. J’admire évidemment Richard Avedon,
mais ses photos ne me passionnent pas plus que ça.
retouché ses photos ; le résultat ne manquait pourtant
ni de charme, ni de sex-appeal. La retouche ne se justifie à mes yeux que pour les personnes d’un certain âge,
afin d’estomper certaines ingratitudes. Lorsque l’on
parle avec quelqu’un qui a dans les 70-80 ans, on est
capté par son regard, séduit par son attitude, pris par
ses propos. Sur une photographie ne restera de cet instant qu’un masque de chair. Par élégance, on se doit de
styliser quelques trucs sur le visage, sans aller jusqu’à
de la chirurgie lourde.
Qu’est-ce qui a le plus changé dans l’image de mode
au cours de votre carrière ?
Je feuilletais dernièrement un magazine et
découvrais, avec effarement, une énième série façon
La Strada. D’un pénible ! Complètement bidon : avec un
faux metteur en scène, un décor de cirque… La plaie,
dans mon métier, c’est la généralisation du mood-board.
Devoir s’inspirer de photos déjà faites par d’autres.
Refaire à l’infini des images clichés. Je n’aime que les
choses immédiates ! Une capture sur le vif, à l’endroit
où l’on est, au moment présent. J’envisage les photos
comme des traces d’instants vécus.
Vous préparez beaucoup vos séances ?
Non, c’est le moment qui compte. Ce n’est pas
que je sois désinvolte, j’éprouve toujours une grande
angoisse avant les shootings. Je ne cesse d’y penser,
mais je n’aime pas m’y préparer. J’ai réalisé dernièrement le portrait d’un homme très impliqué dans l’environnement. C’était au mois de novembre, au bord d’un
lac, ou plutôt d’un marais. Il pleuvait des cordes, c’était
horrible ! On ne savait plus comment s’en sortir, alors je
lui ai demandé de rentrer dans l’eau tout habillé sous la
pluie. J’avais la photo ! Pour les séries de mode, c’est un
peu pareil, il faut savoir saisir les accidents. Vivre l’instant. Souvent, en voyage, je ne travaille pas le matin,
on commence par déjeuner. Cela donne à l’équipe l’impression d’être en vacances. Si vous demandez à tout
le monde de se lever à 4 heures du matin à cause de
la lumière, l’ambiance n’est pas vraiment la même. Et
l’ambiance, c’est important ! Vous comprenez, sur un
shooting, les mannequins passent leur temps à se faire
manipuler : les rédactrices ajustent leurs vêtements, les
coiffeurs replacent les cheveux, les maquilleurs retouchent leur teint. C’est assez stressant ! Alors, pour se
protéger, elles rentrent en elles et se cachent derrière
la carapace d’un personnage. Elles reproduisent du
coup les mêmes images d’elles. Les filles connues ont
souvent la même expression sur toutes les photos. C’est
bien d’arriver à les emmener ailleurs, et pour cela il est
important de créer un climat de confiance.
On trouve de plus en plus de vidéos de mode sur
Internet ou iPad, cela vous intéresse ?
Si ces vidéos sont seulement des « images en
mouvement », non, cela ne m’intéresse pas. Je préfère le
cinéma, qui raconte des histoires.
Vous réalisez nombre de vos clichés de mode dans
la rue.
Oui, mais cela marche mieux dans des endroits
un peu exotiques, sans que l’on sache trop bien où l’on
est. Un peu de poésie ne fait pas de mal au réel.
Le numérique a-t-il modifié votre façon de travailler ?
J’aime bien le numérique, car ça va vite, on
fait rapidement l’editing. Mais quand je shoote, je ne
regarde pas l’écran pendant la séance, je regarde le
résultat plus tard.
Le lendemain ?
Non, longtemps après. En fait, je ne suis pas
pressé de regarder. J’ai une idée de ce que l’on a fait et
je sais.
Le rapport aux images a beaucoup évolué ces dernières années.
On reçoit tant d’images à travers Internet et la
télévision qu’on ne leur attache plus vraiment d’importance. J’ai une petite théorie là-dessus : il y a les images
choisies, celles qui vous marquent, et les images reçues,
que l’on oublie. Les plus marquantes sont souvent celles qui vous ont demandé un effort : il a fallu se rendre dans un musée, ouvrir un livre, voir un film en
DVD. Celles venant directement à nous ont rarement le
même impact.
Mais lorsqu’il s’agit d’images publicitaires et que les
clients sont présents sur la prise de vue… vous êtes
bien obligé de décider avec eux ?
Ah ! Mais là, je n’ai même pas mon mot à dire…
Tout le monde intervient ! Mais pourquoi pas ? c’est
comme ça, il s’agit de commandes.
Quels autres bouleversements ont marqué votre activité ?
Photoshop ! Et je n’en raffole pas… Quand je
travaille, j’essaye d’avoir mon image et j’utilise le
moins possible la retouche. Helmut Newton n’a jamais
Est-ce à dire que les images se sont banalisées ?
Là, par exemple : regardez, nous sommes dans
MAGAZINE NO 4
38
C’est avec des rédactrices comme Nicole Crassat ou
Carlyn Cerf que j’ai fait mes meilleures photos. Le problème, c’est plutôt lorsque l’on collabore avec des gens
pas très inspirés qui vous disent juste : « On va shooter
des pull-overs ! » Là, le photographe a intérêt à assurer…
un restaurant, à la table d’à côté une dame fait des photos
de sa copine. On se demande bien pourquoi. Elles ne les
regarderont sans doute jamais ces photos. Non, faire des
photos est devenu une sorte de rituel. Une façon de dire
nous passons un bon moment ensemble à l’Hôtel Costes.
C’est un geste symbolique signifiant l’importance de ce
moment. Mais les photos…
D’une certaine façon, les rédactrices sont devenues
des stars. Les avant-textes des magazines de mode
décortiquant aujourd’hui leur look à la sortie des
défilés, comme hier celui des stars sur le tapis rouge.
Quand je travaillais au Elle US, il y avait une
rédactrice, une petite Française avec du charme, que Bill
Cunningham (photographe spécialiste du style de rue
à New York ) s’est mis à poursuivre pour la prendre en
photo. Rapidement, elle a changé sa façon de s’habiller ;
elle est devenue plus spectaculaire. Je ne sais pas si
c’était un mieux… Il est vrai qu’aujourd’hui, le nombre
de photographes présents
sur les défilés, non pour
les podiums mais pour
shooter les gens à la sortie, est devenu délirant. Je
pense que c’est lié à l’idée
de reconnaissance. Un
phénomène très warholien. Anna Dello Russo,
par exemple, je ne sais
pas vraiment ce qu’elle
fait ; je la vois au show
Dior avec des vêtements
extravagants, les photographes mitraillent ! Bon,
très bien, mais l’élégance
pour moi c’est davantage
Carlyn Cerf, qui s’habille
non pas pour être vue
mais se sentir à l’aise. Un pantalon noir, un imperméable, un beau pull ; elle sait qu’elle a besoin de se
déplacer. Elle est dans la vie.
[…] la mode, le plaisir de
s’habiller, c’est plus un truc de
Latins ou de juifs. Les Wasp
ergotent pour des trucs en solde
chez Barney’s ; ils n’ont pas
autant ce goût de l’apparence.
Tout le monde est d’ailleurs devenu un peu photographe.
Oui, et sur les séances, c’est même insupportable. Tout le monde sort son téléphone et mitraille :
le maquilleur, les assistants, le client. Parfois, c’est un
making of, un autre jour un film pour Internet. On
aboutit à une espèce de confusion. Les mannequins ne
savent plus qui et où regarder. J’ai demandé à ce que
cela cesse sur mes prises de vue.
Le statut de photographe star en prend un coup.
Le photographe a perdu de sa superbe. Dans
le métier, les gens tendent d’ailleurs à penser que l’on
peut s’en passer. Une jolie fille, avec un maquilleur, sur
une plage, ça ira bien ! Qu’importe le photographe, on
s’en sortira toujours à la retouche… Moi, je sais juste
que ce n’est pas l’appareil qui fait la photo. C’est comme
la mise en page, avec les computers, tout le monde est
devenu DA. À mes débuts, on faisait les maquettes
manuellement, on réalisait les tirages, les découpait,
c’était long, mais il y avait de l’émotion. Maintenant,
deux clics et le journal est fait. Avec les machines, tout
le monde perd un peu de son pouvoir. Dans les journaux, il n’est pas rare de voir les rédactrices décider
elles-mêmes de la mise en page, assises derrière le
maquettiste. « Mets cette photo en plus grand, j’aime
bien la robe », réclament-elles…
On voit même des rédactrices se muer en mannequin
sur les campagnes publicitaires de marques de mode.
Tout le monde veut exister un peu… Enfin, moi,
je déteste être photographié, je ne m’aime pas assez.
Propos recueillis par
Cédric Saint André Perrin
Depuis le triomphe du numérique, les rédactrices de
mode ont d’ailleurs pris le pouvoir sur les séances,
maîtrisant la composition des photos via les écrans.
Elles doivent avoir le pouvoir de toute façon,
car ce sont elles qui déterminent l’angle d’une série !
À gauche : Elle US, mai 2000
À droite : Elle US, mars 1992
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IMAGES
LES ATHLÈTES
À l’opposé des corps parfaits peaufinés par Photoshop et parfois la chirurgie
qu’exhibe la publicité, deux marques ont récemment fait appel à des handicapés
pour incarner leurs produits. Mais est-ce pour autant un véritable renversement?
« Au-delà du parfum »… et au-delà de l’homme : filant
sur ses prothèses inspirées de pattes de guépard, le
sprinter et champion paralympique Oscar Pistorius est
le super-héros de la campagne pour le parfum A*men
de Thierry Mugler. Les fameuses lames de course en
fibre de carbone y ont été customisées à l’aide d’une
imposante armature métallique afin d’intégrer pleinement l’esthétique futuriste voulue par le créateur du
parfum Alien. Pendant ce temps, sur le Net, le making
of d’une prochaine campagne L’Oréal laisse apparaître
l’ancienne athlète handisport Aimée Mullins en nouvelle ambassadrice. L’ex-modèle d’Alexander McQueen
et créature pour Matthew Barney y alterne des prothèses de différentes natures : échasses mécaniques complétées de baskets, ou faux-semblants munis de talons.
de la beauté. Révolution ? La mode et plus largement
l’univers cosmétique ont toujours rêvé d’un corps qui
s’émanciperait de la nature, un corps qui outrepasserait les accidents et les déterminismes pour explorer
les possibles plastiques de la seule sphère esthétique.
Or, les corps travaillés de Pistorius et Mullins, qui plus
est « compensés » et reconfigurés à l’aide de la virtuosité
scientifique, peuvent effectivement être des exemples
spectaculaires de ce désir : voir les jambes de course de
Pistorius, si bien pensées qu’elles l’avantageraient par
rapport aux athlètes « ordinaires », ou Aimée Mullins
s’amusant de ses douze paires de jambes, superstructures techniques ou fantaisies alternant les tailles, les
formes et les matériaux au gré des collaborations dont
elle aura pu bénéficier.
Deux personnes amputées des deux jambes dans
leur plus jeune âge et donc porteuses d’un lourd handicap se voient simultanément promues par le business
En s’emparant de ces deux corps, Mugler et
L’Oréal jouent sur plusieurs tableaux. Ils réinterrogent
les standards de la beauté en repoussant ses limites,
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[…] La mode et plus largement
l’univers cosmétique ont
toujours rêvé d’un corps qui
s’émanciperait de la nature, qui
outrepasserait les accidents et
les déterminismes pour explorer
les possibles plastiques de la
seule sphère esthétique.
vite, du corps comme « un outil de pouvoir » et de revanche, pour peu que l’on s’en donne la peine, que l’on en
ait la volonté. Belle, Blonde, haute et un peu raide sur
ses prothèses fuselées, elle parle de perspectives inouïes,
allant et venant sur la scène à grandes enjambées, ses
faux talons martelant la trajectoire implacable de son
destin : héroïne pressée par un monde impitoyable.
ils se positionnent à l’avant-garde en se montrant
conscients de ce à quoi est confronté le corps contemporain à l’heure de la technologie bionique, ils esquissent
de nouveaux horizons tout en faisant preuve d’ouverture et de tolérance – à l’image du fameux credo « démocratique » de L’Oréal : « Vous le valez bien ». En réalité,
les aventures édifiantes d’Oscar Pistorius et d’Aimée
Mullins condensent de manière dramatique deux grandes mythologies actuelles : le culte de la performance
allié à une conscience suraiguë de soi et du corps ; un
corps ici complété par la science, puis dompté à des fins
sportives, transcendé à des fins artistiques, maîtrisé et
médiatisé à des fins commerciales.
Céline Mallet
Toujours sur Internet, on peut entendre Aimée
Mullins méditer ce parcours lors d’un discours pour la
TED Foundation. Il y est bien sûr question de nos fragilités, de « nos glorieuses infirmités », mais aussi, et bien
Campagne A*Men de Thierry Mugler et couverture de Die Zeit Magazine,
novembre 1998.
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41
BIOGRAPHIE
LOULOU
DE LA FALAISE
Trois petits tours de poignet et puis s’en va… À coup de bracelets cliquetants
et d’étoffes bigarrées flottant au vent, Loulou la belle, l’aristo-bohème, a su envoûter
le grand garçon timide, mi ange mi démon, que fut le mythe vivant Saint Laurent, et
pénétrer le monde merveilleux de la mode et ses faux-semblants…
1948 Naissance de Louise Vava Lucia Henriette Le
Bailly de la Falaise – « Ma mère voulait que je sois poète…
Alors elle m’a appelée Louise. » (1) – ; fille du comte
Alain Le Bailly de la Falaise, écrivain et traducteur, et
de sa seconde épouse Maxime Birley, elle-même fille
de Sir Oswald Birley, portraitiste renommé de la classe
dirigeante britannique et de Rhoda Birley, Irlandaise
excentrique et autoritaire qui parcourait le Sussex au
volant de sa voiture, telle une héroïne hitchcockienne.
ne l’amuse guère plus d’un an. Elle rêve déjà à des
horizons plus dansants. Elle fait alors comme tout le
monde, elle divorce, et prend l’avion pour New York.
Dans la ferme intention de s’amuser et, qui vivra
verra, de faire son trou dans la mode ; sa seule issue,
lui semble-t-il. Après quelques petits boulots en tant
que mannequin, elle travaille comme junior editor à
Queen Magazine avant de concevoir des tissus et des
motifs imprimés pour le styliste Halston (parmi lesquels un imprimé décoré de petits lapins en érection.
Shocking !) Le charme opère… Le gratin new-yorkais
(Fred Hughes, le lieutenant d’Andy Warhol, le styliste
Fernando Sanchez, la créatrice de bijoux Elsa Peretti)
l’adoptent. Quand elle débarque à Paris, dix-huit
mois plus tard, sur invitation de Fernando Sanchez
devenu son boyfriend, c’est toujours pour s’amuser.
1950 Allergique au conformisme et aux petites
robes noires, Maxime de la Falaise – « The only truly
chic English Woman », aux dires du photographe
Cecil Beaton, qui lui assène aussi ce compliment : « Vous
êtes la seule Anglaise de ma connaissance qui arrive
à avoir du chien dans des tenues vraiment hideuses » –
est cette fille élégante chargée d’attirer la clientèle
anglaise chez Elsa Schiaparelli, Paquin et Jacques Fath.
Et se revendique plutôt comme « la fière propriétaire
d’une paire de jeans et d’un soutien-gorge balconnet »
avant d’être une bonne épouse et une bonne mère. « Je
ne connaissais rien aux lois françaises et, en ce tempslà, une femme qui osait divorcer était automatiquement perçue comme une “mère indigne” et perdait tous
ses droits », regrette alors Maxime de la Falaise. Après
le divorce de ses parents, Loulou et son petit frère sont
placés dans une famille d’accueil en Seine-et-Marne.
[…] Elle rêve déjà à des horizons
plus dansants. Elle fait alors
comme tout le monde, elle
divorce, et prend l’avion pour
New York. Dans la ferme
intention de s’amuser et de faire
son trou dans la mode.
1955 Pensionnaire en Angleterre la semaine, enfant
écartelée entre son père, sa mère et sa famille d’accueil le week-end, Loulou et ses grands yeux écartés
suspend ses rêves dans son imaginaire, converse avec
ses amis les fantômes – « Il faut croire aux fantômes
pour en voir… J’en ai vu… » – et « sculpte des dieux du
vent dans des bouts de bois » en attendant d’être plus
grande. « Je sais que les enfants ont terriblement souffert […] La force de Loulou vient en grande partie du
fait qu’elle a eu à protéger son frère et à se protéger
elle-même », concède Maxime de la Falaise.
1968 Comme tous les dimanches après-midi d’été,
Fernando convie son ancien camarade de classe, Yves
Saint Laurent, et sa bande chez lui, place Furstenberg,
pour une tea party – un horaire encore très à la mode :
« C’est un horaire étrange. Je suis née à cette heure-là.
Ma mère me disait que c’était celle des cocktails, et
ma grand-mère celle du thé », se souvient Loulou. « Ce
moment permet toutes les fantaisies. Moi, je mettais
de l’alcool dans mon thé », renchérit Betty Catroux (2).
En plus de la fameuse brioche chaude et du joint de
Marijuana roulé maison, comme le veut la tradition ; en
1966 Sur un coup de tête, Loulou se marie à
Desmond FitzGerald, 29e chevalier de Glin ; un prince
pas si charmant. Jouer à la châtelaine du haut de son
donjon néogothique du comté de Limerick (Irlande)
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42
Il voulait aussi goûter à
cette friandise-là. » Dans
le
Swinging
London,
Loulou a fréquenté la
bande des Stones et celle
des Beatles, les Guiness et
les décorateurs en vogue,
tout en récitant des poèmes devant Edward Heath, le
chef du parti conservateur, ami de sa grand-mère,
Lady Birley. Un curriculum vitae qui fascine l’artiste
maudit Saint Laurent, ce garçon timide aux lunettes
de notaire devenu baba cool pour pimenter sa vie trop
sage. Quant à la petite hippie anglaise, elle ne veut
plus endosser le rôle de la princesse emmurée sous sa
cloche de verre, pas plus qu’elle ne souhaite jouer à la
bourgeoise irréprochable tenant en laisse un labrador
sable – cette cliente que Yves exècre et qu’il ne veut
plus servir. « J’aime le présent, la jeunesse de maintenant… Je me sens en accord avec la jeunesse anglaise…
pas la française… », déclare-t-elle dans Vogue Paris, en
mai 1969. Et de confesser plus tard : « Les Parisiens “de la
haute” étaient tellement collet monté… Toutes les femmes
croyaient que j’avais des vues sur leur mari, mais quand
ce n’était pas le cas, elles se sentaient insultées… »
plus des mannequins, call-girls et vedettes de cinéma, l’hôte concupiscent se
fait un malin plaisir de débusquer chaque semaine de nouveaux invités pour
renouveler l’air frais : Jeanloup Sieff,
Talitha Getty, Jack Nicholson apportent leur lot de distractions au « gang
Sanctos Sanctum » (Yves Saint Laurent, Pierre Bergé,
Betty Catroux, Clara Saint, Thadée Klossowski). Mais ce
jour-là, c’est Loulou l’oxygène… « Une jeune fille flotte
à travers l’appartement, secouée d’accès de fou rire. Ses
traits et son expression font penser à un tableau du préraphaélite Edward Burne-Jones, mais sans le tragique.
Chargée d’une vitalité électrique, planant à la ganja,
elle est ravissante, fluide et aérienne dans une tunique
en chiffon et un pantalon en satin assorti signés Ossie
Clark. Elle porte un collier en verroterie, un foulard
est noué sur ses cheveux ébouriffés comme une tête de
pissenlit [...] Elle arbore à son poignet filiforme l’une
de ces pinces en métal avec lesquelles les garçons de
café fixent les nappes sur les tables par les journées
venteuses. » (3) Envoûté par ce tourbillon de vitalité et
d’audace, Yves Saint Laurent ne perd pas une miette de
la scène : les volutes de sa tunique, sa grâce pétillante,
sa beauté romanesque, son rire de gamine et son accent
châtié le transportent loin dans la haute société londonienne d’avant-guerre. Le couturier au goût si français en perd son latin. « Loulou ne partira pas à l’assaut
des fortifications qui protègent Yves. Elle n’en a pas
besoin : elle les enjambe d’un pas léger comme si elles
n’avaient jamais existé. Ils sont tous amoureux d’elle,
Fernando, Yves, et même Pierre. Amoureux et fascinés.
C’est une synthèse du plus pur lignage aristocratique
qui la relie au passé du Vieux Continent – qualités dont
tous les couturiers raffolent – et de la modernité la plus
cool, celle du Swinging London des années 60. » (4)
1972 Yves Saint Laurent invite Loulou dans son fief,
à Marrakech, pour un séjour d’une semaine. Une
invitation test avec un défi vestimentaire à la clé,
« Couture » oblige. Défi qu’elle relève haut la main,
aussi à l’aise en tong, en sarong, qu’en robe longue.
Plus intéressée par le jeu des accessoires, Loulou s’habille de « riens », de tissus chamarrés dont elle s’enrubanne avec habileté, de pierres ésotériques dénichées
au cours de ses voyages, stupéfiant ses hôtes par son
don de l’improvisation. « Nous n’avions que des chiffons, des oripeaux, mais Loulou savait les transformer
pour créer un nouveau look. Elle était la mieux habillée
de toutes, rien qu’avec une épingle à nourrice ! » témoigne sa mère. Avec son naturel jamais décontenancé,
aucunement intimidée par les bouledogues d’Yves
Saint Laurent et par le plus féroce, Pierre Bergé – qui
lui rappelle un personnage de Tintin –, elle joue la
fille de l’air, la sauvageonne intrépide balayant dans
son sillage des fragrances de mystère… « Yves n’aimait
1970 « C’était l’époque où la mode connaissait le plus
grand changement de son histoire et où les mentalités changeaient énormément aussi. Pour la première
fois, les femmes n’étaient plus forcées d’avoir l’air
de “dames”, elles pouvaient avoir l’air qui leur chantait. Je crois qu’Yves a été très frappé par la liberté du
Londres des années 60 qu’il a vue en moi tout de suite.
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43
couturier se nourrit de ses muses sur lesquelles il
projette une facette de sa personnalité, ses idéaux ou
ses vieux démons. « La mode, c’est pour beaucoup une
affaire de petits garçons fantasmant sur leurs mères ou
sur des générations passées, et donc évoluant dans un
univers qui est plus ou moins révolu quand ils atteignent leurs 21 ans », analyse Loulou. « Quand on voyait
un défilé de Saint Laurent, on voyait une Loulou, une
Betty, une Clara, une Paloma… On avait presque l’impression de voir défiler ses amies sur scène », constate
l’une de ses amies. Rigoureuse et acharnée à la tâche,
Loulou joue bientôt un rôle actif au sein de la Maison.
Celle qui passait ses nuits au Sept – « là, j’étais chez
moi. Fabrice Emaer, le propriétaire, me comptait parmi
ses bébés roses. […] Il y avait les bébés roses, les petits
nouveaux, et les bébés d’or, les stars qui entretenaient
les bébés roses. J’étais mieux acceptée dans le milieu
gay. Chez Castel, les machos trouvaient que je n’étais
pas une femme à machos. Chez Régine, il fallait être
accompagnée d’un homme mûr » – ou au Palace, rétorque à présent à ces oiseaux de nuit qui voudraient
l’emmener faire la bringue : « Vite, vite, il faut que je
dorme parce que demain je dois être belle pour mon
patron ! » Bûcheuse infatigable – « je travaillais tous les
jours, c’est sans doute ce qui m’a aussi sauvée. J’ai toujours eu ce truc qui faisait que, même si j’avais très peu
dormi, et parfois pas du tout, il fallait que j’aille bosser.
Si bien que, quel que fût mon état, j’y allais ». Celle qui
incarne désormais l’image de la Maison doit être irréprochable, dévouée corps et âme à son patron.
pas les femmes conventionnelles. Même si, plus tard,
il s’est rapproché d’une esthétique plus bourgeoise, il
ne s’entourait que d’amies ou de collaboratrices susceptibles de l’éloigner du conformisme qu’il aurait pu
suivre. » (5) Le mythe Saint Laurent ne l’impressionne
pas ; quand d’autres l’approchent sur la pointe des
pieds, elle saute à pieds joints devant lui avec toute
son effronterie. « Tout le monde était là pour répéter à
Saint Laurent qu’il était un génie. Loulou, elle, était
là pour déranger », raconte Hélène de Ludinghausen,
directrice de salon chez YSL. De retour à Paris, les
jeux sont faits ; il ne peut plus se passer d’elle et l’intègre au studio haute couture. « Je ne sais pas s’ils
avaient une idée très claire de ce qu’elle allait faire
pour eux. Pierre a sans doute pensé qu’elle mettrait de
l’ambiance au studio », relate Maxime de la Falaise.
1977 Et d’une loyauté sans faille. Y compris le jour de
son mariage. Ce jour conte de fée où, toute d’organza
blanc, de perles, de plumes et de diamants vêtue, elle
fait le serment à une journaliste de ne porter que
du « Saint Laurent Rive Gauche ». Une publicité gratuite qui serait déplacée si la fiancée n’était pas arrivée dans la Rolls noire de Pierre Bergé, si le fiancé
n’avait été le « fils de » Balthus, Thadée Klossowski de
Rola – qu’elle a chipé à Clara Saint, l’une des plus
vieilles copines de Saint Laurent – et si la note de
la noce n’avait été entièrement réglée par le couple
mécène. Échange de bons procédés. Loulou, la muse,
et Thadée, le chevalier blanc du chic – mais au fait,
que fait-il ? demande-t-on. Il brille, et ça suffit pour
faire de lui quelqu’un –, s’unissent à la mairie du
14e arrondissement tandis que se pressent à l’intérieur
les people Bianca Jagger, Marisa Berenson, Paloma
Picasso, Hélène de Rothschild… Quatre minutes de
cérémonie à la suite desquelles Loulou et Thadée
deviennent le couple le plus glamour de Paris, quatre minutes relayées par un mitraillage d’images et
de témoignages larmoyants – « Je ne l’ai encore jamais
vue comme ça, elle a l’air si gamine, si mignonne. Vous
savez, d’habitude, elle est tellement, tellement haute,
tellement stylée, si parfaite. Là, elle est un peu différente, vous ne trouvez pas ? Mais je suis sûr qu’elle
redeviendra elle-même dans cinq minutes », pense tout
haut Saint Laurent. Un rayonnement international
1974 Après Betty, l’ombre maniaco-dépressive, Yves
dégaine sa seconde carte, Loulou, le double effet cannabis, libérateur, désinhibant et hilarant. « Je donnais cette impression d’insouciance parce que pour moi
c’était un moyen de dire bon, faisons comme si tout
allait bien ! J’ai tendance à réagir comme ça, à empêcher
la réalité de m’affecter. » Un jour héroïne romantique
et tragique, un autre cocotte des années 40, le suivant
Desdémone en bouquet garni ou Marlène Dietrich aux
sourcils en croissant de lune, Loulou se prête volontiers au jeu de rôles qui lui incombe. La mode selon
Saint Laurent est une pièce de théâtre, un roman ou
un film d’épouvante. Peuplé de fantômes du passé et
de personnages fantasques, le monde imaginaire du
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44
qui rejaillit sur la Maison Saint Laurent. Ou comment faire du marketing sans en avoir l’air. Quant
à la pauvre Clara Saint, elle n’a plus qu’à ravaler sa
fierté… « Cette soirée n’était pas drôle pour moi, c’est
vrai. Je suis allée au cinéma avec des amis. Mais bon,
Loulou était vraiment l’égérie, la muse de la Maison
et c’était normal qu’on lui organise une soirée pour
son mariage. Comment Yves aurait-il pu faire autrement ? » Et à retourner, dès le lendemain, officier dans
son bureau de presse. La fidélité des muses ne doit
jamais être ébranlée. Adoubée, une muse doit jurer
fidélité, pour le meilleur et pour le pire.
procuration. Elle lui souffle à l’oreille les dernières
nouvelles mondaines, il vibre de ses escapades nocturnes récitées. Elle le représente aux yeux de Paris
et de la haute société.
1990 Il lui dédicace ses collections hommages et lui
fait relire ses vers inspirés : « Loulou de la Falaise,
dite Loulou. Un nom qui pourrait être celui d’une favorite de Louis XIV, un surnom qui évoque une héroïne
d’Alban Berg. C’est en résumé tout ce qui émane d’elle.
Elle n’est que facettes multicolores et brillantes, nymphe au corps d’hermaphrodite, elle imprime à tout ce
qu’elle fait ce jeu des contrastes les plus opposés mais
qu’elle seule sait faire se rejoindre. Son élégance devient
exubérance et s’encanaille. L’aristocratique et hautain
dessin de son corps n’entrave en rien le parfum de trouble sensualité qui étonne, intrigue, accapare, dérange.
Cette réserve lointaine est un appel plein de mystères.
Ne nous y trompons pas : dans le voile impudique de
dentelle noire se cache une petite fille qui est une vraie
femme. » Mais un fantasme ne doit jamais devenir
familier et suppose une limite à l’amitié. La superficialité exigée, qui gangrène progressivement toute la
closerie Saint Laurent, est devenue un mode de vie.
[…] la muse doit être docile,
légère, disponible à toute heure
du jour et de la nuit ; elle
doit écouter mais ne jamais
s’attendre à l’être en retour, tout
en oubliant ses susceptibilités.
2003 De sa passion pour les matériaux naturels (la
verroterie, la rocaille, le bois, la fourrure), de sa passion pour les couleurs, que l’on veut chères à Yves
Saint Laurent (le noir, le rouge vif, le bleu océan),
et toutes ses « loulouteries », comme les appelle Saint
Laurent, naît une collection de « bijoux évolutifs ».
Tous ces éléments détournés de leur fonction originelle, glanés depuis l’enfance au fil des promenades
bohèmes de Loulou et arrangés à la sauce romance,
font de sa vie, son œuvre et une biographie croustillante bien ficelée avec tout ce qu’il faut de larmes,
de paillettes, de gloires, et de souffrances enfouies
pour contenter la presse.
1980 Par définition, la muse doit être docile, légère,
disponible à toute heure du jour et de la nuit, elle
doit jouir d’une grande culture visuelle, disposer
d’un goût assuré et d’un bon esprit, elle doit écouter
mais ne jamais s’attendre à l’être en retour, tout en
oubliant ses susceptibilités. « Yves avait un rapport
amoureux avec ses mannequins. Il fallait être parfaite,
maquillée, avec du rouge à lèvres. […] Pour Yves, je faisais un effort tous les jours. Si j’arrivais sans rouge à
lèvres, il me disait : “Tu as mauvaise mine aujourd’hui.”
Si j’arrivais en talons plats, il me disait : “Qu’est-ce que
tu as ? On dirait une souris.” Certains jours, il me lançait : “On dirait une mitte.” […] J’ai tout fait, j’ai eu les
cheveux rouges, les cheveux longs, courts, des carrés
de traviole. » Une muse doit tout à son divin créateur, son talent doit servir le sien, sa souffrance
n’est jamais à la hauteur de la sienne. « Loulou nous
raconte qu’Yves Saint Laurent est un tel génie qu’il n’en
peut plus, tout simplement, qu’il doit avaler un million
de pilules et que, quand il est déprimé, tout le bureau
l’est aussi, sauf elle. Elle dit qu’elle fait comme si elle
était heureuse, quoi qu’il arrive. C’est pour ça qu’elle
tombe malade, parce qu’elle essaie tout le temps d’avoir
l’air heureuse et que ça met son foie à rude épreuve.
Ça fait quinze mois qu’elle ne boit pas, mais elle ne
pense pas que la cocaïne lui fasse du mal. » (6) Pour la
peine, Loulou a renoncé à ses pantalons pattes d’eph’
et ses oripeaux de bohémiennes, tout comme Yves
a renoncé au Monde. Une saison poupée russe en
chapka et bottes de cosaque, une autre héroïne exotique distillant dans son étoffe les relents sulfureux
d’opium, elle incarne toutes ses collections. Il vit par
Marlène Van de Casteele
Page précédente : Photo, Peter Knapp
À gauche : Courtesy Loulou de la Falaise
1. Vogue, « Les boutiques de Vogue », mai 1969.
2. Madame Figaro, « Conversation Betty Catroux et Loulou de la Falaise »,
no 20 034, 27 décembre 2008.
3. Alicia Drake, Beautiful People, Éditions Denoël, 2008, p. 146.
4. Ibid.
5. Madame Figaro, « Conversation Betty Catroux et Loulou de la Falaise »,
no 20 034, 27 décembre 2008.
6. Consigné dans le journal intime d’Andy Warhol, 11 février 1980.
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CHRONIQUE
T’AS PAS
D’AMIS ?
Pour entretenir l’amitié sur le Web, les marques ont inventé un nouveau cheval de
Troyes, le Community Manager. Qui papote au ras du réseau…
[…] Comment parler le vuitton,
le kooples ou l’acne en temps
réel ? À qui confier la voix de la
marque ? Sans doute pas, comme
souvent, au geek de service en
stage non rémunéré.
L’été a volé la vedette au printemps. Des rhododendrons aux jupes des filles, autour de vous, tout vibre
de la sensualité de l’heureuse saison. Et pourtant, vous
ne vous sentez pas bien. Vous esquivez les signes de
cette dionysiaque exubérance, car vous avez le sentiment qu’elle n’est pas pour vous. Elle vous exclut parce
que vous êtes désespérément seul. Ou du moins, vous
vous croyez seul, car « à la base de chaque être, il existe
un principe d’insuffisance » (Bataille). Heureusement,
le monde moderne a inventé ce qu’il vous faut : « la
communauté de ceux qui n’ont pas de communauté »
(Blanchot), autrement dit les réseaux sociaux, où l’on
peut se rassembler pour discuter, comme au comptoir, sous l’aile fraternelle de son nouveau pote, le
Community Manager.
les services marketing ont inventé une nouvelle fonction miracle, le « médiateur de conversation », comme
disent les Canadiens. À lui la charge de donner l’illusion à l’internaute qu’il est enfin en contact avec le
cœur de la société, qui lui répond du tac au tac, sur
Twitter ou Facebook.
Descendant de leur ancestral piédestal, toutes
les marques, y compris les plus luxueuses, abandonnent la rassurante logique verticale d’une communication se répandant vers les différents publics pour se
plonger dans le dangereux bain de l’interactivité horizontale de la Toile, où chacun interpelle qui bon lui
semble. Peur d’être perçus comme has been, ou fantasme d’entrer enfin en contact direct avec l’insaisissable client potentiel, les as du blogomarketing prônent
le bavardage 2.0, au ras du réseau.
Ringard, le vieux bouche à oreille ; aujourd’hui,
c’est le « clavier à écran » que tentent de maîtriser les
entreprises soucieuses de leur e-réputation. À 360°, elles
ouvrent le filet des forums de discussion et des blogs
susceptibles d’attirer le chaland prêt à se laisser convertir en maillon de la chaîne de diffusion du discours de
la marque. Et pour recruter plus efficacement et animer
cette communauté « d’amis » qui ne se connaissent pas,
Loin de la dictature des chartes graphiques
qui régnaient sur la communication du siècle dernier,
nulle charte linguistique pour encadrer les porte-parole
de la marque qui tchatchent sur le Web. Comment parler le vuitton, le kooples ou l’acne en temps réel ? À qui
confier la voix de la marque ? Sans doute pas, comme
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souvent, au geek de service en stage non
rémunéré, qui risque, comme ce fut le
cas en mars chez Marc Jacobs, de se venger en direct de sa vie quotidienne en
postant sur le site officiel : « Vous n’avez
aucune idée à quel point Robert [Robert
Duffy, PDG de la marque, ndlr] est difficile. […] Bonne chance ! Je prie pour
vous si vous obtenez ce boulot. Robert
est un tyran. » De même si le réseau s’enflamme contre les problèmes de qualité
de la dernière collection ou s’il s’interroge un peu trop
bruyamment sur les frasques pitoyables du designer
star, charge au gestionnaire de la communauté de lui
faire changer de conversation… s’il y arrive ! À moins
qu’il ne parvienne à isoler rapidement les trublions
par quelque tour de passe-passe technologique. Gap n’a
pas eu cette chance, qui a voulu lancer un sympathique débat sur la sortie de son nouveau logo, sans doute
minutieusement mis au point, et qui s’est vu infliger
la cuisante humiliation de devoir revenir à l’ancien
sous la pression netocratique. Difficile de descendre
dans l’arène de la transparence quand on est issu d’un
monde où rien ne doit être négatif…
Hier, les marques prestigieuses jouaient un
rôle de référent pour un public d’adeptes, aujourd’hui,
elles s’inventent d’incertaines communautés d’amis, au
risque de perdre leur part de mystère. Peut-être seraientelles bien inspirées de considérer le fameux adage de
Marx (Groucho) : « Je ne supporterais pas de faire partie
d’un club qui m’accepterait comme membre. »
Stéphane Wargnier
Bande d’amis, photographie de Quentin Bertoux.
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LOGO
UN BOULOT
MONSTRE
[…] Mais très vite, une fois la
surprise passée, le dilemme
a pris forme et a rongé les nuits
du jeune patron d’agence, qui
s’est senti comme pris au piège.
Pour Jean-François Rosen, c’était une semaine comme les autres. Lundi-mardi au
travail à Soluxionne, l’agence de communication qu’il avait lancée en 1989, basée
dans la zone d’activité du Cap Nord, en périphérie de Dijon.
Au programme : la gestion des projets en cours (menus
et signalétique pour la Pizzeria della Citta, rapport
d'activité du Conseil Général de La Côte d'Or) et relance
des factures impayées, nombreuses et pesantes en ces
temps de crise. Mercredi à l'ESAA, une école de design
à Troyes, en tant qu'intervenant extérieur, puis jeudivendredi de nouveau à Dijon.
Le brief était des plus classiques, sur le fond
peu différent d'une commande purement commerciale :
le Front National a changé, son image doit changer
aussi. Un nouveau sang (c'était le terme employé dans
le PDF du parti, ironiquement), une nouvelle époque,
donc un nouveau logo. La première réaction de JeanFrançois Rosen a été l'incrédulité. Était-ce une plaisanterie d’amis au goût douteux ? Pourquoi faire appel à
Soluxionne ? Mais très vite, une fois la surprise passée,
le dilemme a pris forme, et a rongé les nuits du jeune
patron d'agence, qui s'est senti comme pris au piège.
D'un côté ses soucis financiers qui, depuis un an, mettaient en danger sa petite entreprise et réduisaient
à néant les loisirs de sa famille. De l'autre une offre
improbable, effrayante, mais qui pourrait à coup sûr
lui permettre de payer ses dettes, de partir en vacances,
de dénouer son ventre de l'angoisse quotidienne qui lui
pesait tant. Dès le début, il prend la décision de garder
ce client potentiel secret. Seule sa femme est mise dans
la confidence. Elle est tout aussi choquée et surprise
que lui, mais son quotidien, rendu très éprouvant par
les difficultés financières de la famille, la fait pencher
pour une solution qu'elle suggère à son mari : le projet
serait pris en charge par Soluxionne, mais dans le plus
grand anonymat.
Mais le coup de téléphone reçu vendredi
matin à l'agence, aussi inattendu que surprenant, allait
changer le cours de son année, voire de sa vie. L'ironie
du sort, c'est que son workshop avec les étudiants de
Troyes portait sur la difficulté du rapport avec le client,
de la commande qui n'inspire pas, qui déroute même.
Recevoir un appel d'un parti politique en besoin de
design frais aurait pu, d'une certaine manière, être
un bon exemple concret à donner aux élèves. Mais cet
appel ne venait pas de n'importe quel parti : le Front
National était au bout du fil.
Le service de la communication du parti
avait apparemment été aiguillé vers Soluxionne suite
au design par l'agence du logo de la région FrancheComté qui, semble-t-il, avait tapé dans l'œil de certains élus FN. Pour Jean-François, aussi habitué qu'il
soit à gérer des clients institutionnels, voire étatiques, c'était quand même un choc. Abstentionniste
depuis des années, il savait tout de même que son
grand-père avait francisé son nom, passant de
Rozenkopf à Rosen, en 1947. Il avait aussi toujours
vu le FN comme une faction parasite, un mouvement
de frange, sans réelle présence dans sa région. Il ne
connaissait aucun membre du parti, s'entendait bien
avec les quelques immigrés qu'il pouvait fréquenter
dans sa vie quotidienne, et globalement se considérait apolitique, plus soucieux de créer des visuels de
qualité que de débattre de l'identité nationale.
Jean-François hésite, en perd l'appétit. Mais
après la réception d'une lettre d'huissier de plus, le
menaçant de saisies pour une facture d'imprimerie
impayée, il finit par prendre la décision d'accepter la
commande, avec des conditions claires et fermes. En
aucun cas le FN ne pourrait divulguer le nom de
l'agence responsable du nouveau sigle. Le budget serait
revu à la hausse, tenant compte des enjeux et risques
pour Soluxionne. Et la liberté créative serait accrue,
avec un nombre limité de retours client-agence.
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48
Mais une fois le projet pris en charge s’est posé
un tout autre problème : le design. La flamme tricolore
est un sigle que tous les Français connaissent, qu’ils
la méprisent ou la vénèrent. Elle est tristement reconnue de par le monde comme le symbole de la dérive
nationaliste française, elle s’est même exportée en vertblanc-rouge, utilisée par des partis d’extrême droite italiens. Elle se lit de très loin, collée illégalement sur
les ponts d’autoroute, souillant des régions entières
comme un message de mauvais augure, réminiscence
des signes peints dans les quartiers juifs de l’Allemagne des années 30. C’est un monstre, mais certainement
pas sacré pour Jean-François Rosen. Il décide donc de
prendre le parti (sic) de la modernité à l’extrême (sic),
et d’épurer (sic) la forme. Exit le blanc, qui devient une
contre-forme, se lisant en négatif entre le bleu et le
rouge. Fini les contours, les fioritures, les ombres portées. La flamme devient une courbe élancée, que JeanFrançois récupère dans le fichier Illustrator d’un logo
qu’il a créé auparavant pour les matelas Noctulis, la
tournant à 90° pour que ce qui était un « N » stylisé
devienne du feu. Dans ses recherches de références, il
a un frisson d’effroi quand il se rend compte que les
deux « S » du logo des Waffen SS s’emboîtent bien et
peuvent servir de base à cette nouvelle flamme. Il a
presque un haut-le-cœur quand il réalise que le logo
Gaz de France, qu’il affectionne tout particulièrement,
est fait d’une flamme très proche formellement de celle
qu’il a dessinée pour ce nouveau sigle. Si jamais la
presse s’aperçoit du lien avec le gaz, Jean-François se
dit que le scandale « Durafour crématoire » paraitra
bien anodin en comparaison. Et pourtant il continue, il s’attelle à la tâche avec ardeur, presque avec
passion. Le nouveau logo prend forme, il apparaît
sur l’écran de Mac presque comme un intrus, mais
s’impose vite à lui comme étant la bonne option.
Pendant de longues semaines, il prépare une
présentation fleuve pour le « client », hésite un instant
à y inclure ses références douteuses, puis se force à
réaliser des simulations sur Photoshop, montrant le
nouveau logo collé sur des murs de villages français, et
crée même une animation Web des nouvelles flammes
dansantes, dans un souci de service complet.
Le jour de la présentation, il monte à SaintCloud et pénètre dans le Paquebot avec la désagréable
sensation d’être un collaborateur venant au Lutétia en
1942, offrant ses services à l’ennemi. Il avale un pastis avant sa réunion et s’attelle à vendre son travail
d’un coup d’un seul, pour ne plus avoir à revenir ici. À
son grand soulagement, à mesure que les pages de son
PDF défilent, les huiles du parti acquiescent, hochent
la tête avec un sourire d’appréciation, et semblent
ravies d’avoir trouvé une agence à leur pied. Puis JeanFrançois Rosen comprend. Dans le couloir, l’assistant
du responsable de la communication, après lui avoir
proposé au passage une carte d’adhérent, lui glisse que
le FN s’est heurté au refus d’une douzaine d’agences, et
après avoir un temps envisagé d’utiliser un dessin créé
par la nièce de Marine Le Pen, est ravi d’avoir pu compter sur Soluxionne pour trouver une solution finale.
Yorgo Tloupas
NB : Ce texte est une fiction ; le logo, lui, n’en est hélas
pas une.
Images : Ancien et nouveau logo du Front National
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LEXIQUE
À PROPOS
DES MAGAZINES
DE MODE
[…] La première poupée de mode
avait taille humaine.
Elle aurait été envoyée à la fin
du XIVe siècle par la cour de
France à Anne de Bohème, la
femme de Richard II.
Les magazines de mode servent à montrer des vêtements, c’est entendu. Autrefois
destinés à de riches privilégiés, ils ont accompagné la démocratisation du prêt-àporter, jusqu’à la mode de la rue. Retour sur une histoire mouvementée.
1 : L’empressement à disséminer les modes est un
phénomène aussi vieux
que la mode elle-même.
Au tout début, les tendances étaient diffusées par
les voyageurs qui, au retour de leurs pérégrinations, décrivaient oralement ou bien écrivaient à
propos des vêtements des
riches et des puissants.
la cire, du bois ou du fil
de métal enveloppé dans
de la soie à, le plus souvent, la porcelaine. Les
poupées de mode furent
dès l’origine affublées du
nom affectueux de « poupées Pandore », d’après
la première femme de la
mythologie grecque. Elles
traversaient les terres et
les océans pour rejoindre leurs nouveaux propriétaires. Rien ne les
arrêtait, pas même les
guerres : escortes militaires, passeports, immunité
diplomatique, il fallait ce
qu’il fallait afin que les aristocrates sachent quels vêtements porter.
2 : Avant l’apparition des
planches et des magazines, les dernières tendances se propageaient par le
truchement des poupées
de mode. La première poupée de mode avait taille humaine. Elle aurait été envoyée à la fin du XIVe siècle
par la Cour de France à Anne de Bohème, la femme de
Richard II. La reine d’Angleterre devait faire le choix
du dessin et de la matière de la robe qu’elle porterait
pour le mariage de Charles VI et Isabeau de Bavière. Il
lui fallait donc connaître les dernières tendances de
France.
4 : Au XVIIIe siècle, la planche de mode remplaça progressivement la poupée Pandore, en même temps que la diffusion du courrier par la poste devenait plus fiable.
5 : Le rôle des magazines de mode allait être d’ouvrir la
voie aux nouvelles tendances ; ils furent précédés par
les journaux satiriques qui documentaient la mode
tout en la tournant en dérision. L’un des plus fameux
de ces journaux était La Muse Historique de Jean Loret,
qui parut chaque semaine en France entre 1650 et 1655,
et comprenait des chroniques mondaines sur la haute
société et la scène bohème.
3 : Les poupées de mode furent les principaux vecteurs
de diffusion des tendances pendant les quatre siècles
qui suivirent. Elles se transformèrent progressivement : tout d’abord ce fut leurs dimensions, de la taille
humaine à la taille des poupées actuelles, autour de
vingt centimètres de haut ; et aussi leur matériau, de
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50
6 : Vers la fin du XVIIe siècle, la chronique de mode
commença de se défaire de sa veine satirique.
Le Mercure galant, édité par Jean Donneau de Visé à
partir de 1672, initia ce mouvement. Cette revue littéraire joua très vite un rôle primordial pour la diffusion – autant en France qu’à l’étranger – des informations de mode, de luxe, de décorum, et sur la vie à la
cour de Louis XIV.
Marion Stuyvesant Fish. Josephine Redding, la première rédactrice en chef, une femme très en vue, trouva le
titre. C’est en 1909 que la revue fut rachetée par l’éditeur
Condé Nast.
10 : Le magazine de mode s’est révélé avec le temps
une source d’information solide et fiable ; il a survécu
à la Grande Dépression, aux deux Guerres mondiales,
au boom de la culture jeune des années 50, et il continue de s’adapter à nos besoins et désirs toujours changeants. Dans les années 80, alors que la culture de rue
devenait de plus en plus importante dans les médias,
très vite les magazines de mode ont relayé le nouveau
phénomène. Apparus en 1980, The Face et I-D sont venus défier le pouvoir des magazines traditionnels et
élitistes, et la vieille garde a très rapidement dû céder
la place aux jeunes branchés.
7 : Le premier magazine de mode pur, Le Cabinet des
modes, revue hebdomadaire, apparut à Paris en 1785.
Il changeait de nom un an plus tard. Le Magasin des
modes françaises et anglaises allait se consacrer dès
lors à l’habillement masculin anglais.
8 : Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, le marché américain de la mode connut un grand essor. En
conséquence, de nombreux magazines furent créés
outre-Atlantique. Le Harper’s Bazaar naquit en 1867,
McCall en 1876, The Delineator en 1879, Ladies’ Home
Journal en 1883 et Vogue en 1892 – et ceux-ci ne sont
que quelques-uns des périodiques apparus sur le marché à la fin du siècle.
Anja Aronowsky Cronberg
Traduit de l’anglais par
Thibaut Mosneron Dupin
9 : Alors que la plupart des magazines de mode étaient
destinés exclusivement aux femmes, la vocation de
Vogue, créé par Arthur B. Turnure, ancien étudiant
de Princeton, était d’atteindre toute l’élite new-yorkaise, donc aussi bien les hommes que les femmes.
Turnure connaissait quelques-unes des familles les
plus importantes de la ville. Dès le début, Vogue bénéficia du soutien de personnes prestigieuses telles
que Cornelius Vanderbilt, William Jay, A. M. Dodge ou
Harper’s Bazar, 1894
iD n° 2, novembre 1980
The Face n° 65, juin 1985
The Ladies Home Journal, novembre 1896
Vogue n° 1, 189
The Delineator, 1892
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51
OFF RECORD
LE FILM DE
MODE
Si le media de prédilection de la mode est la presse papier, quelques machines
(Smartphone et iPad) sont venues compliquer la donne en demandent leur
part de contenu, si possible en film. Nouveaux médias = nouvelles
narrations ? Tour d’horizon à visage couvert des ces nouveaux enjeux de
représentation pour le luxe.
La demande de « films » (on ne dit plus vidéo) dans
l’industrie du luxe est en forte augmentation. Quand
situez-vous ce tournant et à quoi l’attribuez-vous ?
L’élément déclenchant est sans aucun doute
Internet, mais le vrai accélérateur a été l’arrivée des
smartphones et autres iPad, donc il y a deux à trois ans.
Ces machines sont accessibles et leur utilisation est
ludique. Ça a renvoyé cette question aux marques : que
va-t-on pouvoir y mettre et que peut-on en faire ? Les
magazines online ont aussi ce questionnement et il y a
une forte demande de séries mode rédactionnelles.
notamment –, parce que ça consiste à créer du contenu
à peu de frais, au sens de la prod comme de l’idée,
qu’on n’a pas eu à chercher bien loin… Mais ça peut
être intéressant de le tirer vers le Web documexntaire,
c’est-à-dire de créer des épisodes à partir d’une situation de reportage. Une autre famille est constituée par
les films « image », qui s’apparentent aux campagnes
publicitaires et qui veulent donner le mood et l’état
d’esprit de la marque. Enfin, il y a les films « produit »,
dans lesquels les marques communiquent sur un
accessoire, un parfum, etc. Ce qui est délicat, c’est que
l’exercice s’apparente à un film publicitaire classique
et les exigences du client sont identiques, alors que les
films Web ont des budgets largement inférieurs…
Internet a pourtant une dizaine d’années ; pourquoi
tant de retard à l’allumage ?
Il y a certainement une frilosité en France,
vieux pays du Vieux Continent, et comme les grandes
Maisons sont françaises… Mais des marques américaines comme Tommy Hilfiger ou anglaises comme
Burberry sont beaucoup plus audacieuses en termes
de contenus vidéo pour ces nouveaux médias et les
ont investis depuis bien plus longtemps. Les Maisons
françaises suivent le mouvement, à leur rythme… Il
faut dire aussi que le contenu « film » pour ces nouveaux médias est encore en train de s’inventer, que
c’est encore largement de l’expérimentation. C’est justement pour cette raison que le moment est excitant !
Plus personne ne parle aujourd’hui d’augmented reality (AR) [prolongement animé d’images fixes obtenu
en présentant un magazine à un écran d’ordinateur,
ndlr]. La mode est passée ?
La mode est effectivement passée, parce que
l’augmented reality restait quelque chose de ludique.
Les possibilités techniques de l’AR ne sont pas encore
assez performantes pour intéresser les marques. On n’a
pas réussi à le potentialiser, notamment en le reliant
au e-commerce.
Vous pensez que demain les médias seront mixés, magazine, téléphone, puce RFID, dans l’espace urbain ?
Je crois à une mixité totale et à une fluidité
qui va aller grandissant. Ça deviendra naturel d’utiliser son téléphone pour accéder à des contenus qu’on
croise dans la rue ou dans un magazine, on achètera aussi plus spontanément avec son téléphone ou
son iPad. Pour revenir au film, ce que demandent les
marques aujourd’hui, c’est de créer des passerelles
naturelles et efficaces entre les films et leurs sites de
e-commerce. Techniquement, on arrivera à quelque
chose de satisfaisant, mais le problème réside dans
la disponibilité des produits ! Dans les films, ce sont
des prototypes qui sont shootés, dont les produits ne
seront en boutique que trois ou quatre semaines plus
tard au mieux ! Le temps de la mode n’est pas le même
selon qu’on parle de création, de communication ou
de distribution… et c’est à eux de régler ce décalage.
Les blogs fonctionnent finalement comme des journaux
intimes qui intégreraient beaucoup de photos, des films
Pourquoi les Maisons françaises éprouvent ces difficultés à communiquer sur Internet ?
Je crois qu’elles ne sont pas structurées pour
ça. Internet, les applications Smartphone et iPad, c’est
nouveau, et il faudrait que les marques créent des
pôles en interne. Mais l’ambiance n’est pas géniale du
point de vue économique, donc on n’engage pas et on
« recycle » des gens qui étaient dans d’autres secteurs et
qui souvent n’y connaissent rien… Les vrais décideurs ne
sont pas familiers de ces enjeux ; ce sont leurs enfants
qui vont sur Facebook, pas eux. Si on ajoute les sociétés
de conseil extérieures qui ont vu le jour pour pallier ces
manques, ça crée un vrai magma. Aboutir à une vraie
stratégie peut demander énormément de temps.
À part le film de défilé, quelles sont les autres formes :
le making of, le reportage ?
Il y a toujours une demande importante des
marques pour des making of – de leurs films pub
MAGAZINE NO 4
52
et quelques textes courts. Avez-vous une intuition de ce
que l’iPad peut changer ?
L’iPad a surtout été adopté par les professionnels de l’image pour montrer des photos, des films, des
références… et les books sont devenus aujourd’hui plus
légers. Mais on peut difficilement travailler avec ces
tablettes (softwares, photos, films ou même téléphone…).
L’iPad 2 devrait permettre plus de choses, nous dit-on…
décline en film ce qui serait sinon de la photo : le set,
l’ambiance, mais aussi la coiffure, le make up et surtout le mannequin… Le luxe vient au film à ce prix-là :
il faut que ce soit des gens de mode qui réalisent les
images. Mais, par exemple, sur un tournage, une fois
que le coiffeur a décidé que la mèche doit être à gauche ou à droite, il doit quitter le plateau et on tourne !
Sur un set photo, il peut intervenir toutes les 10 secondes… En film, un styliste, ça devient un wardrobe, ça
bouleverse leurs repères ! En film, on va privilégier
l’émotion, l’histoire, et pas le détail du vêtement ou de
la coiffure.
Selon vous, que va-t-on mettre à l’avenir sur les déclinaisons iPad des magazines ?
Plus de vidéos, et peut-être une autre manière
de faire de la publicité pour les marques, toujours en
utilisant la vidéo mais d’une autre manière.
Vous voulez dire que le moment de vie qui doit ressortir
d’un plateau n’y est pas toujours ?
Oui, et surtout ce devrait être des comédiennes
qui jouent, pas des mannequins, qui sont très bien
pour la photo, mais au-delà… Dans un film, de mode
ou pas, la comédienne ou le comédien doit incarner un
rôle, l’intérioriser et l’exprimer. Que je sache, les mannequins sont très jolis à regarder, mais ils ne savent
pas jouer la comédie. […] On dit souvent que la publicité est un milieu peu ouvert, qui recycle les mêmes
références et qui produit un résidu de culture. Mais la
mode a aussi ses références, en termes de vêtements,
d’accessoires et d’images. Quand on présente à la DA
d’une marque des références qui n’appartiennent pas à
la mode mais au cinéma ou à l’art, il y a souvent une
gêne, parce qu’ils ne les maîtrisent pas. Et ça posera un
problème quand il s’agira de produire des films pour
le site de la marque… Dommage, car adapter ou réinterpréter des références cinématographiques pourrait
vraiment nourrir leur univers de marque.
Ce n’était pas déjà la valeur ajoutée qu’on nous vendait
avec les sites Internet des journaux il y a dix ans : on
va pouvoir regarder des vidéos ? Un peu comme ce que
la télé propose…
C’est un peu vrai…
Avez-vous déjà vu récemment des tentatives d’équivalent film de séries mode qui vous ont convaincu ? Sur
quoi reposent-elles : narration, atmosphère ?
J’aime bien le film Prada réalisé par Steven
Meisel ; il est d’ailleurs dans les mood-boards de toutes
les agences de pub en ce moment. C’est très simple :
des images animées de la campagne avec les mannequins qui dansent sur le même fond que la campagne
print ; ça va très bien avec les motifs, avec un track
de Ratatat pour le son et c’est super ! Dans la mode, il
suffit parfois d’une idée ou même d’un gimmick pour
les séduire.
Et des films de mode, où en voit-on ?
Sur les plates-formes comme Youtube, mais
aussi sur les sites de magazines, comme ceux de Dazed
& Confused, 10, Dossier… La réalité est que ça circule
assez peu ; ça reste destiné aux influencers et c’est à peu
près tout.
[…] Le luxe vient au film
à ce prix-là : il faut que ce soit
des gens de mode qui réalisent
les images.
Pourtant, en termes de films de mode, rien ne fait référence depuis Dim Dam Dom. La mode, c’est l’affaire du
film ou de l’image fixe ?
D’abord, la photo et la mode ont une histoire
très forte, presque consubstantielle. La photo de mode
ne disparaîtra jamais, mais le film aura plus de place,
essentiellement parce que les supports comme Internet
auront besoin de matière ! Et ce sera vrai pour les sites
des magazines, ceux des marques mais aussi pour les
réseaux sociaux.
Pourtant, pendant dix ans, on a entendu sans cesse
qu’il y avait une porosité entre l’art et la mode, une
curiosité, un enrichissement réciproque…
Je ne sais pas… peut-être pour certains stylistes, mais pas dans toutes les Maisons en tout cas.
Le coût de production d’un film (équipe, tournage, post
production) est très supérieur à celui d’une série photo.
Pensez-vous que les mentalités et les pratiques vont
évoluer ?
C’est une question de culture : les marques
qui ont l’habitude de faire du broadcast et des campagnes qui vont en télé connaissent le prix des choses.
Maintenant, leur budget Internet est souvent la dernière roue de leur carrosse. Aujourd’hui, il y a aussi un
certain nombre de jeunes réalisateurs freelance avec
de nouvelles caméras haute définition [Canon 5D, 1D
ou 7D, ndlr], peu chères et qui leur permettent de fabriquer des images pour un budget assez peu élevé.
C’est une marque, Louis Vuitton, qui finance le site sur
lequel on peut aujourd’hui voir quelques expérimentations en film, sur la mode et d’autres sujets.
Oui, et c’est encore des Anglais qui le font,
puisque c’est l’équipe d’Another magazine. Les AngloSaxons ont un rapport aux nouveaux médias beaucoup plus naturel, de même qu’ils achètent davantage
sur Internet, les marques et les magazines expérimentent beaucoup plus, comme s’ils y croyaient.
Le fait que les réalisateurs de films de mode actuels
semblent avoir peu de culture cinématographique est
une faiblesse ou une force ?
Aujourd’hui, ce sont surtout des photographes
de mode qui vont vers la vidéo – même si on voit
aussi des films d’artiste sur Nowness. C’est ce qui fait
la nouveauté et la limite de la chose. Typiquement, on
Le retour sur investissement d’un site est peut-être
moins évident à cerner que celui d’un film télé.
Peut-être, mais je crois que là aussi, c’est une
question de culture. Certaines marques travaillent des
années sur la refonte d’un site Internet alors que pour
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53
Dans un film, de mode ou pas, la comédienne ou le comédien
doit incarner un rôle, l’intérioriser et l’exprimer.
Que je sache, les mannequins sont très jolis à regarder, mais
ils ne savent pas jouer la comédie. […]
la plupart, elles ont un site car il faut en avoir un, sans
se demander ce qu’elles pourraient en faire. Et sans
avoir recruté la personne adéquate qui pourrait mener
cette réflexion.
un hasard puisque leur DA, Nicola Formichetti, est un
très bon communiquant. On voit bien que le défilé a
été conçu pour la vidéo et Internet, car il n’y avait pas
beaucoup d’endroits dans la salle pour vraiment voir
les vêtements. La marque Mugler mise d’ailleurs beaucoup sur Internet et les réseaux sociaux, et donne en
cela l’impression d’appartenir à la génération actuelle ;
ce n’est pas le cas de toutes les marques !
Depuis quinze ans, les magazines de mode ont représenté un appel d’air pour de jeunes photographes.
Sentez-vous la même effervescence avec le film ?
Le film de mode représente de nouveaux horizons pour les photographes ; ils sont très attirés par ça
en ce moment, créativement d’abord, mais aussi parce
qu’ils sentent qu’il y a une demande de la part des
sites et des marques et qu’ils entrevoient un avenir
lucratif. Et c’est d’ailleurs le même cas de figure avec
les agents de photographes, qui voudraient aussi faire
de la production film, mais ce n’est pas le même métier
et, la plupart du temps, ils se plantent.
Nicola Formichetti a longtemps été styliste, pour Dazed
& Confused notamment. Vous pensez que son intuition
d’Internet lui vient de là ?
Peut-être, mais c’est intéressant de noter que,
bien que venant de la presse, il la squeeze allègrement
en misant sur les réseaux sociaux, comme son amie
Lady Gaga d’ailleurs…
Pouvez-vous nous communiquer des fourchettes de
prix pour réaliser un film ?
Les premiers prix pour une caméra sont
autour de 2 000 euros, ce qui est devenu très abordable
pour du matériel professionnel. Mais on peut aussi
utiliser des caméras plus sophistiquées qui vont de
100 000 à 400 000 euros. Un film d’atmosphère pour
une marque, c’est autour de 50 000 euros. Un film de
défilé, ça commence à 30 000 et ça peut monter jusqu’à
300 000 euros.
Au-delà de l’univers créatif, la raison pour laquelle la
mode attire tant de photographes est la perspective de
réaliser une campagne publicitaire – et rémunératrice.
Qu’en est-il pour le film ?
La motivation première reste créative et
humaine : on vit d’autres expériences en faisant un
film, quelque chose de plus fort, de plus collectif, qui
compose une ambiance, qui raconte une histoire…
au point que certains ont même envie d’aller vers le
cinéma et le long métrage. On peut aussi d’une certaine
manière s’échapper du monde de la mode, créer des
personnages, les faire parler, leur écrire des textes…
MODE
P.56 : UNDERGROUND
PHOTOGRAPHIE JONATHAN DE VILLIERS, STYLISME ARABELLA MILLS
P.72 : THE POOL
PHOTOGRAPHIE ALEX VANAGAS, STYLISME JUNE NAKAMOTO
P.84 : MODE MASCULINE
PHOTOGRAPHIE NICOLAS DESCOTTES
À quoi correspond cet écart ?
S’il faut plusieurs edits originaux pour différents médias, donc multiplier les équipes ; s’il faut
retransmettre en live dans le monde entier par satellite ;
s’il faut tourner le dimanche, terminer dans la nuit…
Le développement du film suppose que les marques
sachent ce qu’elles veulent dire, comme Chanel avec le
film de Jeunet pour le No 5, ou Vanessa Bruno avec Lou
Doillon. Autrement dit : croyez-vous à la maturité des
marques pour leur image film ?
Ce n’est pas évident pour certaines de se représenter en film. Mais comme pour les vêtements qu’ils
créent chaque saison, leur passé est important ; certaines n’ont pas d’archives, et d’autres, pas de passé du
tout. D’autres encore ont un jeune designer et n’ont pas
envie de communiquer sur le monsieur qui porte le
nom de la marque… Mais il y a aussi un bon côté : le
film de mode offre plus de liberté que la photo, dont
les codes sont beaucoup plus maîtrisés.
Comment voyez-vous évoluer les rapports de la mode,
du film et d’Internet ?
Je pense qu’il y a un gap entre les utilisateurs des nouveaux médias et les décideurs dans les
Maisons. Ça changera profondément quand une nouvelle génération arrivera aux commandes, des gens qui
auront toujours connu Internet, les réseaux sociaux et
les contenus qu’on y fait circuler. Et, connaissant la
résistance des Maisons au changement, il vaut mieux
être patient…
Sur un film pour une marque, qui est DA ? le réalisateur ou le créateur ?
Tous les cas de figure sont possibles, mais le
résultat est toujours meilleur si le designer de la Maison
est impliqué. Dans la dernière Fashion Week, ce dont
on a le plus parlé est du défilé Mugler, et ce n’est pas
Propos recueillis par
Angelo Cirimele
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UNDERGROUND
Photographie : Jonathan de Villiers
Stylisme : Arabella Mills assistée de Frederick Chance-sy
Mannequin : Alima chez Next
Coiffure : Jean-Luc Amarin chez Airport Agency
Maquillage : Fusako Okuno chez Artlist Paris
Casting : Zo’Estica
PULL TRICOTÉ EN NYLON :
JIL SANDER
TOP EN SOIE :
LANVIN
PANTALON EN SOIE, LAINE ET LUREX :
ROCHAS
ROBE EN PATCHWORK D’ÉCHARPES VINTAGE :
COMME DES GARÇONS
DERBIES EN CUIR :
LANVIN
COLLANTS :
TSUMORI CHISATO
ROBE EN GAZAR :
LANVIN
FOULARD EN TWILL DE SOIE :
LANVIN
COLLANTS :
TSUMORI CHISATO
SANDALES EN CUIR :
MARNI
SAC :
CHRISTIAN LOUBOUTIN
VESTE EN SOIE :
DRIES VAN NOTEN
TOP EN MOUSSELINE :
DRIES VAN NOTEN
JUPE EN PYTHON :
LOUIS VUITTON
FOULARD EN TWILL DE SOIE :
HERMÈS
VESTE MATELASSÉE IMPRIMÉ BOUCHE :
BERNHARD WILLHELM
TOP ET JUPE EN SOIE, COLLANTS :
TSUMORI CHISATO
SANDALES EN VEAU VELOURS :
PIERRE HARDY
LUNETTES :
MYKITA
BLOUSON MATELASSÉ - LIE SANG BONG
JUPE PLISSÉE EN SOIE - LIE SANG BONG
TOP EN TULLE IMPRIMÉ - JUNKO SHIMADA
COLLIERS EN TRICOT ET FLEURS PORTÉS EN CEINTURE :
MARNI
BLOUSON BRODÉ :
INGRID VLASOV
TOP EN SATIN IMPRIMÉ :
LANVIN
JUPE EN LAINE :
BERNHARD WILLHELM
SAC FRANGÉ :
MARNI
TOP MATELASSÉ :
MARNI
JUPE PAILLETÉE :
TSUMORI CHISATO
COLLANTS :
TSUMORI CHISATO
ESCARPINS :
JUNKO SHIMADA
SAC :
LANVIN
THE POOL
Photographie : Alex Vanagas assisté de Anaelle Elegoet
Stylisme : June Nakamoto chez shotview assistée de Naoko Soeya
Mannequin : Maja chez IMG
Coiffure : Kazuko Kitaoka
Maquillage : Min k
LUNETTES DE SOLEIL :
JIMMY FAIRLY chez BUBBLE WOOD
ROBE NOIRE DÉCOLLETÉE EN JERSEY DE CRÊPE :
ANTHONY VACCARELO
COLLIER PORTÉ EN BRACELET & SANDALES
EN CUIR NOIR :
HERMÈS
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF
TURQUOISE ET DORÉ :
CORPUS CHRISTI
BAGUE :
COLLECTION PARTICULIÈRE
CHEMISE À CARREAUX EN COTON :
SCHOTT
MAILLOT DE BAIN IMPRIMÉ :
INSIGHT chez BUBBLE WOOD
BOTTINES 8 TROUS EN CUIR VERNIS :
DR. MARTENS
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF
TURQUOISE ET DORÉ :
CORPUS CHRISTI
PULL EN MAILLE :
GUCCI
ROBE BUSTIER EN JEAN :
ZADIG & VOLTAIRE
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF
TURQUOISE ET DORÉ :
CORPUS CHRISTI
SANDALES EN CUIR NOIR :
ACNE
FOULARD :
GUCCI
TOP ET SHORT IMPRIMÉS EN POLYAMIDE BLEU :
MARNI
BOTTINES 8 TROUS EN CUIR VERNIS :
DR. MARTENS
ROBE BUSTIER FULL GIPPE DEVANT :
CARVEN
CHAPEAU :
STETSON
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF
TURQUOISE ET DORÉ & COLLIER CHAÎNE
ARGENTÉE AVEC 2 PENDENTIFS :
CORPUS CHRISTI
ROBE BUSTIER FULL GIPPE DEVANT :
CARVEN
CHAPEAU :
STETSON
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF
TURQUOISE ET DORÉ & COLLIER CHAÎNE
ARGENTÉE AVEC 2 PENDENTIFS :
CORPUS CHRISTI
VESTE EN NATTÉ DE SOIE NATURELLE 4 POCHES, JUPE EN TOILE DE BURE
COULEUR NATURELLE, SOUTIEN-GORGE DE BAIN, CEINTURE FINE :
VÉRONIQUE LEROY
FOULARD IMPRIMÉ EN SOIE :
GUCCI
MOCASSINS :
MELLOW YELLOW
BAGUE :
COLLECTION PARTICULIÈRE
PULL EN MAILLE :
HENRICK VIBSKOV chez BUBBLE WOOD
CHEMISE EN JEAN :
LEVI’S
JOGGING GRIS EN JERSEY DE COTON :
VIRGINIE CASTAWAY CHEZ BUBBLE WOOD
CEINTURE FIN EN CUIR MARRON :
VERONIQUE LEROY
COLLIER CHAÎNE ARGENTÉE, PENDENTIF TURQUOISE ET DORÉ :
CORPUS CHRIST
LUNETTES :
RAY BAN
CHEMISE EN JEAN :
GUCCI
ROBE COL ROND :
AZZEDINE ALAÏA
MODE
MASCULINE
Photographie : Nicolas Descottes
FABIO DE MARCO
VIA COLA DI RIENZO, ROME
BARRACUDA
BOULEVARD ROCHECHOUART, PARIS
BARRACUDA
BOULEVARD ROCHECHOUART, PARIS
FABIO DE MARCO
VIA COLA DI RIENZO, ROME
BARLAIM
BOULEVARD SAINT-MICHEL, PARIS
PRÉFÉRENCE
RUE DU FAUBOURG DU TEMPLE 75010
TEXTES
P.86 : CONTRE
EN GÉNÉRAL, EN PARTICULIER ET TOUT COURT
P.88 : MOOD-BOARD
FOULARDS 50’s
102 : CHRONIQUE
SHÉRIF, FAIS-MOI PEUR
104 : RENCONTRE
MARC A.
P.106 : CONSUMER
COS MAGAZINE
P.108 : DESIGN
LE CULTE ET LA BOUTIQUE
P.110 : ART CONTEMPORAIN
XAVIER DOUROUX
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CONTRE
EN GÉNÉRAL, EN
PARTICULIER ET
TOUT COURT
Les choses agaçantes sont omniprésentes. Alors pourquoi garder son flegme
quand on peut également s’en énerver ?
Contre les vendeurs du BHV qui, avec un sourire
crispé, me répondent « Bonjour » alors que je demande
où se trouvent les chaussettes.
Contre les bandeaux dans les cheveux des femmes ;
dans ceux des hommes, n’en parlons pas.
Contre les femmes qui disent (et dictent) exactement
ce qu’elles aiment au lit.
Contre la radinerie du basilic au restaurant.
Contre les parents qui disent à leur enfant : « laisse
passer le monsieur, il est pressé » au lieu de m’agresser
directement.
Contre le mauvais emploi du mot « archétype » et ses
conséquences formelles simplistes comme les dessins
de maison ou d’abat-jour stylisés.
Contre le graphisme du site de la SNCF.
Contre les femmes qui n’osent pas dire ce qu’elles
aiment au lit.
Contre les Français qui disent « c’est très fin » alors que
ça n’a aucun goût.
Contre le monosourcil chez l’homme.
Contre les gens qui se targuent de ne pas aimer les
petits chiens.
Contre les femmes qui, par un malentendu sur leur
émancipation, n’acceptent pas la galanterie masculine.
Contre l’emploi abusif du mot concept dans le milieu créatif.
Contre la mauvaise haleine chez les gens sympas.
Contre le regard qu’un inconnu me lance en guise de complicité à propos du comportement d’un autre inconnu.
Contre les pieds blancs avec des zones couleur crevette
qui, au printemps, sortent pour la première fois des
grosses chaussures après y avoir passé tout l’hiver.
Contre les femmes qui attendent ostensiblement qu’on
les resserve ou qu’on allume leur cigarette.
Contre les e-mails signés « Cdlt ».
Contre les T-shirts à col en V chez les mecs musclés.
Contre les types qui laissent pendre une ou les deux
jambes en conduisant leur scooter.
Contre le string.
Contre la conduite des véhicules immatriculés 94.
Contre les commerciaux qui commencent leurs phrases avec : « Pour être tout à fait honnête avec vous… »
Contre les serveurs qui, alors que je leur fais remarquer
que la viande a un problème, me rétorquent : « J’en ai
vendu toute la journée et vous êtes le premier à vous
en plaindre. »
Contre la réceptionniste du salon de beauté qui hurle
dans le hall d’accueil : « C’est pour une épilation du
dos ! »
Contre ceux qui commandent des haricots pour ensuite
me piquer mes frites.
Contre les Italiens qui se caressent ouvertement les
parties génitales en parlant dans leur portable.
Contre les restaurants où les serveurs saupoudrent mes
pâtes de parmesan pour aussitôt repartir avec.
Contre les noms de menus comme « Formule pronto »
au bar du TGV.
Contre la couleur pourpre.
Contre l’ironie.
Contre les commerciaux qui terminent une conversation avec un clin d’œil et en me serrant la main.
Contre la revendication du bon goût.
Contre les enfants gras.
Contre les deadlines.
Contre les gens qui m’invitent au restaurant en disant :
« Tu m’inviteras la prochaine fois… »
Robert Stadler
Contre les sacs à dos portés en donnant le maximum de
longueur aux lanières.
Contre la mode suivie au pied de la lettre.
Robert Stadler, designer autrichien, est installé à Paris depuis vingt ans. Il co-
Contre les grands tétons chez les mecs.
Contre le graphisme français qui met des blobs et des
smileys partout.
Contre les chevilles épaisses chez les filles.
Contre le design des voitures depuis vingt-cinq ans.
fonde les Radi designers, collectif actif jusqu’en 2008. Depuis 2000, il travaille
en solo, en répondant à des commandes de design et d’architecture intérieure,
et en concevant des expositions. Il est représenté par la Carpenters Workshop
Contre les chaussures à bout carré.
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Gallery et la Galerie TripleV.
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MOOD-BOARD
FOULARDS 50’S
ILLUSTRATIONS FLORENCE TÉTIER
1. Sofia Loren
2. Jean Seberg
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3. Mademoiselle, janvier 1958, photo
by George Barkentin
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99
4. Sofia Loren
5. Publicité pour rouge à lèvres
6. Jean Patchett photographed by
Clifford Coffin
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100
7. publicité pour Angel Face de
Pond’s
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101
CHRONIQUE
SHÉRIF,
FAIS-MOI PEUR
Une expo collective, pour être attractive, ne dépend plus seulement de sa
thématique ou de son casting, mais de la forme que lui donne son commissaire.
La forme c’est la scénographie (terme venu des arts vivants, en passe
de supplanter celui de display, et de rendre carrément désuet celui d’accrochage
dans les arts plastiques…
… mais plus encore, la forme, c’est la règle du jeu. C’està-dire que la question n’est plus tellement ce sur quoi
porte l’expo, mais comment elle le porte : dégagé sur les
côtés ou court sur le devant, dans le noir ou sur scène.
Et, ça change tout.
Ça change déjà des accrochages de l’art conceptuel, où le white cube était intouchable, et les œuvres,
impérativement alignées à la même hauteur. Sans
doute à l’époque où les mouvements artistiques se succédaient les uns après les autres et imposaient (temporairement) leur suprématie, chacun restait dans son
camp. La Bad Painting avec la Bad Painting, les Neogeo avec les Neo-geo, tandis que les Support-Surface
étaient carrément des autocrates. Du coup, non seulement les œuvres étaient très homogènes conceptuellement et formellement, mais en outre, tout le monde
se connaissait. Ce qui simplifiait souvent le dialogue
entre les participants à l’exposition et les règles de cohabitation. Dans les années 90, une nouvelle génération
de très jeunes commissaires ressent le besoin de faire
bouger les lignes et de redéfinir les règles, en commençant par reposer la question de l’exposition. En partie
parce qu’en France, cette génération « est la première,
comme l’écrivait Éric Troncy en 1992, à devoir faire face
à une gestion administrative endémique et oligarchique des arts plastiques ». Autrement dit, tandis que l’art
contemporain s’est doté au début des années 80 des
Frac et que les centres d’art s’affirment, ces institutions
servent encore majoritairement les intérêts des artistes
bien établis. Du coup, les Bourriaud, Sanz, Jouannais,
Troncy ou Moisdon se fixent de nouvelles problématiques : comment travailler ensemble ? comment faire
qu’une exposition parte de ça : de cet esprit communautaire et dissident ? « No Man’s Time » à Nice, « Traffic »
à Bordeaux, « Il faut reconstruire l’Hacienda » à Tours,
« Surface de réparations » à Dijon, « Ozone » à Nevers
prendront alors la forme de laboratoires étendant les
limites de temps et d’espace (la forme du labyrinthe
notamment pour « No Man’s Time ») de l’exposition,
envisagée comme un langage artistique en soi. Au passage, on remarquera que toutes ces expos-laboratoires
ont lieu en province et non à Paris, les institutions artistiques de la capitale – et cela n’a guère changé depuis –
étant plus conservatrices.
[…] parfois, les commissaires
durcissent tellement les règles du
jeu que les artistes semblent de
moins en moins concernés.
Puis, au début des années 2000, ce type d’exposition s’internationalise. La multiplication des biennales et la prospection de nouvelles scènes artistiques
(russes, chinoises, indiennes, sud-américaines, africaines) requièrent la figure du chief-curator, un professionnel qui, de Moscou à Prague en passant par
Sydney, décline ses concepts d’exposition à l’échelle
du « glocal ». « Utopia Station » de Hans Ulrich Obrist,
en 2003 à la Biennale de Venise, faisait date en proposant une exposition en forme de forum participatif : le
curator invite les spectateurs à jouer les premiers rôles
aux côtés des artistes.
Depuis, une nouvelle génération, qui a beaucoup appris de la génération précédente dans des cursus universitaires professionnalisants (le commissariat
est devenu un métier), sait que monter une exposition
ne peut consister seulement à accrocher des œuvres au
mur. D’autant qu’il faut se distinguer du marché en plein
essor et ne pas passer pour celui qui promeut les artistes au détriment des idées ou de l’engagement. D’autant
MAGAZINE NO 4
102
aussi que de nouvelles formes d’œuvre, immatérielles
(à commencer par la performance), exigent de redéfinir la forme de l’expo, de lui insuffler une temporalité
tout autre. À l’image de l’« Exposition chorégraphiée »
de Mathieu Copeland, qui réunit à la Ferme du Buisson
une série de performances non pas à un horaire précis
mais en continu. À l’image aussi, exemple inverse, de
l’exposition-cabaret de Raimundas Malasauskas, qui
mettait en scène un petit spectacle d’artistes pour une
soirée au Berry Zèbre en 2008. À Rentilly, en octobre
dernier, le Frac Ile-de-France présentait des sculptures
de sa collection selon un plan de table bien réglé. La
hauteur du socle variait selon la date d’achat de l’œuvre, avec cette équation en guise de titre : « 1 an = 5 cm ».
Du coup, tandis que le Richard Fauguet, acquis tout
récemment, faisait du rase-mottes sur un socle minus,
le bronze noueux de l’obscur André Beaudin, acquis
en 1983, était perché tout là-haut. Habile manière de
remettre à l’honneur des pièces vieillottes tout en les
réinsérant socialement : les plus datées étaient en effet
quasiment hors de portée, mais là quand même. Ce
mode de présentation est aussi une manière de retracer
(et d’assumer) l’histoire chaotique de la collection, et
plus tellement celle des œuvres elles-mêmes. Ailleurs,
au musée de Rochechouart, une des salles rassemble
ainsi, dans un accrochage à l’éclectisme revendiqué,
toutes les œuvres achetées en 1985.
Le problème c’est que la concurrence se durcit et qu’à force, on ne sait plus trop quoi inventer :
les commissaires indépendants sont nombreux, souvent brillants, mais les places sont chères et les budgets limités. Stimulante, la situation pousse chacun à
être de plus en plus audacieux, pour le meilleur… ou
pour le pire. On n’en jugera pas ici. Disons simplement
que, parfois, les commissaires durcissent tellement les
règles du jeu que les artistes semblent de moins en
moins concernés. Et on les comprend. Ainsi, on vous
livre la proposition de Raphaële Jeune pour la première partie de son cycle d’expos, intitulée « Plutôt que
rien : démontages », à Montreuil cette année : « Chaque
artiste est invité à intervenir, le temps d’un jour, dans
le centre d’art de la Maison populaire, avec une œuvre,
une installation ou une modalité de présence choisie
en réponse au contexte… “Démontages” place au centre
le processus apparition/présence/disparition de l’œuvre, tel que l’artiste le négocie, dans une temporalité
contractée, dans un espace-chantier jamais stabilisé et
à partir d’un propos curatorial perpétuellement transformé. » À ce stade du statement, n’en jetez plus, il y a
tout (et même trop de tout) ce qui fait aujourd’hui une
expo de curator. À tel point que la recette en devient
indigeste en même temps qu’indigente. Du coup, une
des artistes invités, Marie Reinert, livra cette proposition : « mettre en pratique l’activité de l’artiste comme
instrument du curateur », ou comment, toute la journée,
elle demande à Raphaële Jeune de lui donner des instructions à distance, par webcam interposée, et de se
servir d’elle comme son outil, comme un corps dans un
espace. Cette manière qu’ont les (jeunes) commissairesshérifs de faire la loi dans leur village-expo contraint
les artistes à enfreindre les lois… ou à s’y plier.
Judicaël Lavrador
Illustration, Alix Veilhan
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103
RENCONTRE
MARC A.
Hollywood. « Liz Taylor n’a pas demandé beaucoup pour ses funérailles :
une cérémonie avec ses enfants seulement, et arriver un quart d’heure
en retard pour la dernière fois. Tu te figures ? »…
… me signale Sabino dans sa langue mélodieuse, pendant que je texte à Marc A. que nous sommes enfin
là. Le portail s’ouvre curieusement, nous sortons les
jambes pour éteindre les cigarettes, et montons en
première vers la villa perchée sur les hauteurs de
Sunset Plaza.
marqué du chiffre 5, en Helvetica, sur l’autre épaule
– « depuis le jour ou j’ai rencontré ma femme, un cadeau
pour elle, mais il a dix-huit ans et commence à devenir
un peu pâlot », et dans le dos, un long verset programmatique « en corps de lettrage maigre et fin », qui servira de titre à un livre, ou fera l’objet d’une expo.
Marc est en haut pour nous accueillir, chaleureux comme un vieux pote, et c’est agréable. Je lui
demande si c’est lui qui a dessiné les portes impressionnantes en métal. « Les svastikas que tu vois là ? Plutôt
me tirer une balle. Le propriétaire ici est un nazi ! »
Marc est français, « techniquement pas juif »,
super doué, souvent primé – « ex æquo avec David Carson
en 2004 » – et travaille à Los Angeles depuis presque
douze ans. Il a une femme américaine, des enfants
déjà grands, un tiercé gagnant de concurrents modèles
– « Fabien Baron, Doug Lloyd, et peut-être ex æquo Trey
Laird » – et deux adresses : les hauts de Hollywood et
« Ce genre d’endroit, tu ne trouves pas par
annonce, t’aurais des centaines de gens qui viendraient
visiter pour le plaisir de l’œil. L’ami d’un client louait ça
comme un truc zen, pour lire un livre, regarder la vue,
s’asseoir près de la piscine ou prendre un Nespresso sur
la terrasse. Il voulait se barrer, et je comprends maintenant pourquoi : le proprio m’a dit avec une grande
fierté qu’il avait traité la voisine de fucking jewish cunt.
Il a eu un restraining order, c’est-à-dire une obligation
de distance avec la fille. Moi, je suis scorpion : quand
je vois le danger, je me précipite. Donc j’ai testé un peu,
je lui ai dit c’est vrai, à Hollywood, il y a beaucoup
de connasses, d’idiotes, de gens méchants, de fucking
cunts. Et je rajoute que j’ai du sang juif. Le mec est
devenu blême. »
Marc, à la mort de sa grand-mère paternelle,
s’est fait tatouer sur l’épaule cette étoile jaune qu’elle
n’avait jamais portée. « Je l’ai scannée, je l’ai vectorisée,
je l’ai donnée à mon tatoo artist et je lui ai demandé
d’avoir jusqu’à la fin de mes jours sur la peau le mot
“JUIF”, avec ces lettres un peu curly de l’alphabet hébreux
traitées de manière cartoonish, caricaturales, comme
pour un dirty word. Pour moi, les grands-parents meurent quand les petits-enfants meurent, parce qu’ils survivent à travers leur mémoire. Quand moi je vais mourir, c’est vraiment là que ma grand-mère va mourir. »
Les gens du Scent Bar, où il a fait le lancement
de son parfum – qui célèbre olfactivement l’orgasme
féminin et s’appelle Petite Mort –, lui ont demandé
d’accrocher au mur son mémento personnel : il a mis
la maquette d’une maison qu’il fait construire dans
le désert, et l’aiguille de ses tatouages. Marc est aussi
[…] C’est simple : une agence a
un seul objectif, ne pas perdre
le budget, alors qu’un créatif
indépendant veut faire la
meilleure campagne.
les canaux de Venice. Il raconte avec l’enthousiasme
des gens qu’il décrit, et la même fascination naïve pour
les rêves réels : « Abbot Kinney était le maire de Venice,
un fou furieux qui a visité la vraie Venise et a voulu
en rentrant toute sa ville en gondoles. Mais au bout de
trente ans, les canaux coûtaient tellement cher à entretenir qu’il a fallu les remplir et créer des routes à la place.
Les ouvriers se sont mis en grève avant la fin, et il reste
ces six canaux devenus bobos dans lesquels j’habite. »
« Mon épouse est américaine. Elle est née a
New York, sa famille vit ici ; entre 1991 et 1999, je suis
venu seize fois (tous les noëls, tous les étés). La première année, ça a été pire qu’un choc thermique : comment les gens peuvent vivre ici, quelle monstruosité !
Et le truc a grown on me. Je trouve que cette ville est
toujours aussi abominable, mais j’avais l’impression de
vivre dans des chaussons à Paris, j’habitais depuis cinq
ans rue de l’Arbre sec, je voyais les mêmes gens, j’allais
dans les mêmes vernissages et les mêmes restaurants,
MAGAZINE NO 4
104
ma vie était trop réglée. Je
voulais vraiment me mettre en danger. En juin, ça
fera douze ans que nous
sommes ici. »
Sans doute Marc
s’est dit aussi I’m gonna
make it, I’m gonna be
famous, I’m gonna be
rich. J’ose « un peu comme
les Marciano et autres
Christian Audigier » ? « Attention, eux sont venus en
81 pour les pires raisons : leurs fantasmes de palmiers
et de blondes à gros nichons, mais surtout Mitterrand,
la peur du communisme et de ne plus pouvoir faire
d’argent. » Marc, lui, travaille beaucoup pour la beauté.
Et pour la mode. Mais plus pour Max A. par exemple : « Un jour, on est sur le photoshoot pour BCBG. Je
vois un alignement de chaussures. Je dis à la styliste
qu’il y a une erreur parce que ce n’est pas nous qui
avons fait ces chaussures ; je venais de les shooter avec
Steven Meisel pour Tom Ford. Elle me fait : “T’as pas
bien compris, dans deux mois on aura exactement les
mêmes, le frère de Max est déjà en train de les copier.”
Elle voulait me rassurer, elle a cru que je pensais que
ça n’allait pas ressembler à la réalité… »
a fait ça. Si je fais que des plans pour payer mon mortgage, les écoles des enfants à Boston à 40 000 dollars
par an et mon lifestyle, c’est me tirer une balle dans le
pied. J’attire les gens pour les raisons qui effraient les
autres : trop minimal, trop sévère, trop intellectuel, je
ne sais pas… pas assez tendance. Tant mieux. »
Le book de Marc : beaucoup, beaucoup de choses
belles, faites grâce à la confiance des marques. « Avec Tom
Ford, ça marchait parce qu’il n’y avait pas de brief. C’était
“make it look good”. Les meetings duraient cinq minutes. Aujourd’hui, les gosses sortent de l’école à 20 ans et
disent qu’ils sont DA, moi j’ai attendu dix ans. »
Si on ne lui demande pas de faire trop de compromis – « j’entends les mots du marketing en regardant les images », dit-il à propos d’une campagne très
consensuelle –, Marc est capable de faire beaucoup
entre deux cigarettes : « En un an, 130 produits, le design
des boîtiers, des bouteilles, des jarres, des compacts de
maquillage, le redesign du logo… des budgets que même
une agence de quarante personnes en France n’arrive
pas à avoir. Je les obtiens parce que je montre aux gens
ce que j’ai fait jusqu’ici. Il n’y a pas de montagne trop
haute pour moi ; plus c’est haut, plus j’ai envie de monter. C’est simple : une agence a un seul objectif, ne pas
perdre le budget, alors qu’un créatif indépendant veut
faire la meilleure campagne. Quand t’es indépendant,
tu gères trois à cinq projets en même temps. En dessous
de trois c’est pas viable, au-delà de cinq mon cerveau
ne peut pas se diviser autant. Donc mon objectif, c’est
de faire quelque chose de bon aujourd’hui pour que ça
me fasse bouffer demain. Les gens veulent le mec qui
Marc accueille avec chaleur deux jeunes déménageurs, et fait en cinq minutes l’inventaire de ce qu’il
faudra transporter. Puis nous reprenons le cours aimable et gai de notre conversation sur tout, mais surtout
sur la vie et sur la mort.
Avant notre avion, Sabino et moi avons roulé
un moment sur Mulholland Drive. Juste avant de
redescendre Sunset vers l’océan, un texto a fait tinter
mon iDevice : « Scorpion avec les yeux clairs = réflexe
de séduire et de se faire aimer, pour finalement piquer
ou se piquer avec sa queue. » Je ne sais pas à qui était
destiné ce message, mais il a résonné clairement avec
ce qu’avait dit Marc.
Mathias Ohrel
Photo : © DR
MAGAZINE NO 4
105
CONSUMER
COS
MAGAZINE
Montrer des vêtements ? Ce serait trop simple. Un consumer doit aujourd’hui
traduire l’esprit d’une marque, le concept d’une ligne, donc agréger
des contenus qui n’ont a priori rien à voir avec la marque pour constituer un objet
qui lui sera familier.
La fast fashion est un concept assez simple à appréhender : quiconque est entré deux fois dans une boutique
H&M, Zara ou consorts aura compris. Un prix attractif,
une qualité moyenne et un renouvellement régulier.
Mais dès lors qu’on souhaite monter en gamme, pour
des raisons d’image ou de marge, le discours demande
à être nourri. Concrètement, il faut faire circuler des
images, un esprit et un style. Un site Internet ? Cela va
sans dire, mais pour cultiver un univers de marque,
d’autant plus si elle se crée de toutes pièces, un magazine peut être d’un grand secours.
COS est l’acronyme de « collection of style »,
label chic de H&M, qui a ses boutiques en propre. Les
vêtements et accessoires sont conçus dans un style
épuré, avec des matières plus nobles et une saisonnalité plus marquée. La traduction graphique du concept
passe par un logo non plus au pinceau mais évidé et
en relief, dans des tons blanc et gris, loin du rouge
tapageur du grand frère.
Mais c’est le magazine de la marque COS qui
semble être la traduction la plus réussie. Si la parenté
avec The Gentlewoman transpire à toutes les pages, le
magazine ne s’en cache pas, à travers ses contributeurs
ou son graphisme. Concrètement, la qualité est celle
d’un magazine classique (mais gratuit), sauf sa diffusion en boutiques et les produits montrés qui le relient
à une seule marque. Autrement dit : Willy Vanderperre,
Benjamin Alexander Huseby, Ola Rindal, Maurice
Sheltens, Daniel Riera – pour les images – et des textes
d’Emily King ou Jina Khayyer livrent ce qui se fait de
mieux pour les clients d’une marque.
[…] COS propose des portraits à
travers des professions comme
si les vêtements valaient pour
l’usage et non seulement
l’apparence, comme s’ils
devaient aussi traduire une
intériorité, bien que leurs lignes
soient des plus épurées.
La structure est toutefois singulière, entre deux
portfolios qui présentent la mode et les accessoires dans
des séries en studio, COS traite sa thématique (« work »
dans ce numéro) et propose des portraits à travers des
professions (personal assistant, voice artist, pop star,
baker…) comme si les vêtements valaient pour l’usage et
non seulement l’apparence, comme s’ils devaient aussi
traduire une intériorité, bien que leurs lignes soient
des plus épurées. Les papiers passent du mat gris recyclé au brillant très fin et fragile, rappelant une expérience qui peut aussi être vécue avec les vêtements. Les
natures mortes de Maurice Sheltens côtoient un portfolio romantique d’Ola Rindal sans âme qui vive, et on
découvre un portrait de David Pearson par Emily King,
qui designe les couvertures de la collection Penguin
Books. C’est donc à un voyage qui va du vêtement à la
vie, et vice versa, qu’on est convié à la lecture de COS
magazine et on se réjouit d’être si bien traité.
Le processus de repérer ce qui se crée d’audacieux dans la sphère créative et de le recycler dans
une relation marchande n’est toutefois pas nouveau ;
la publicité opère de la sorte avec les clips, les typographies et plus généralement les images. Ce qui est neuf,
c’est de repérer une approche éditoriale (ton, idée, graphisme…) et d’en passer commande pour une marque
– avec la liberté qui constitue son intérêt. L’opération
se joue entre Stockholm et Amsterdam ; pas encore à
Paris…
MAGAZINE NO 4
106
Angelo Cirimele
MAGAZINE NO 4
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DESIGN
LE CULTE ET
LA BOUTIQUE
Le design s’expose beaucoup plus qu’il ne s’achète. De fait, sa vie se
déroule largement hors de la boutique, dans le cadre de manifestations qui ne
sont pas nécessairement commerciales. Il s’y distingue des pratiques
artistiques aussi bien que de la marchandise.
Dans un courrier récent, dont l’objet était le Salon international du meuble de Milan, j’évoquais, à l’attention
de ma correspondante, la dimension simili-religieuse
du phénomène de la grande exposition. Celle qui se
tient annuellement à Milan, close en avril, est un événement toujours formidable. Le design y occupe infiniment plus de place que la mode, il déplace une quantité
de population incomparable. Il sature les hôtels, qui se
livrent à des pratiques spéculatives extraordinaires, il
multiplie les inaugurations privées, donnant à certaines rues l’aspect d’un bateau de croisière à ponts multiples. Environ un demi-million de personnes, venues
pour l’occasion, se croisent dans la ville au cours de
la semaine, et l’on a très fort envie de croire que c’est
mues par une autre passion que celle de la promenade
inaugurant l’hyperboutique de l’objet et du mobilier de
l’année. Pour les seules joies du commerce, de l’échange
de chiffres et d’emballages, des promesses du papier
glacé ? Ce serait trop bête.
[…] Ma correspondante est
une personne très sérieuse,
elle acquiesce mais en
orthographiant de manière
erronée worship — le culte — en
whoreship ,- un néologisme qui
pourrait signifier « putasserie »
Où donc une forme de ferveur mystique devrait
être lue, au-delà du seul étalage sans fin des marchandises. Bien sûr, le regard se porte sur une vitrine très
éclairée et non sur une boîte noire. C’est une délivrance
du sacré façon reliquaire. Une opération de l’ordre du
rituel qui tiendrait de la mise en œuvre de possibles
fétiches dans ce lieu reconnu par tous comme étant
celui où, un jour, s’est tenu le miracle (le prodige de
l’Italie fabuleuse). Une manifestation œcuménique
aussi, rassemblant les membres très éparpillés d’un
troupeau devenu innombrable, leur permettant de
se reconnaître (je choisis la religion chrétienne par
facilité ou habitude, mais ça n’a pas vraiment d’importance ; je renonce à identifier un prophète unique,
je reste tout aussi discret sur l’identité de Dieu ou sa
possible représentation). Les apôtres – au nombre de
douze, certainement pas plus –, les fidèles orthodoxes,
les hérétiques, les relapses, quelques sorcières, un ou
deux schismatiques, tous sont présents. Évidemment,
il y a toujours beaucoup plus de mécréants que toute
autre chose. Mais ça c’est sûrement normal, et il n’en
a probablement jamais été autrement, et aucune discipline n’y échappe – c’est la médiocrité qui fait le nombre, c’est elle qui compte, donne matière à la quantité.
Cette année, le gonflement du phénomène de
la réédition (meubles, luminaires) acquiert une force
inhabituelle dès lors qu’il est placé dans la proximité
immédiate de cette saison chrétienne de la résurrection, Pâques. Ce retour de certains objets est à la fois
lumière et vengeance – les copieurs et les imbéciles
vont devoir faire pénitence. Ma correspondante est une
personne très sérieuse. Dans sa réponse, en anglais,
elle acquiesce aimablement à cette lecture irrationnelle
envisagée mais en orthographiant de manière erronée
worship – le culte –, whoreship –, un néologisme (qui
pourrait signifier putasserie) malencontreux et innocent de sa part qui permet d’assembler deux phénomènes qui ne deviendraient qu’un seul. Bien sûr, à
partir de là, mon interlocutrice ne sera plus d’accord. Et
nos positions doivent alors diverger, et la mienne ne
s’imprimer qu’ici puisque nous voulons évidemment
conserver ce raccourci au dessin brutal.
La proposition serait alors de ne plus jamais
tenter d’identifier une pureté, une droiture, une conformité à la règle mais au contraire de célébrer du design
sa dimension volage essentielle. Le contrat d’infidélité
permanent serait le seul auquel il se tiendrait. Il coucherait avec tous les métiers, échelles et matériaux. La
prestation du designer est rétribuée dans cette perspective-là. Le designer travaille d’ailleurs au sein d’une
discipline qui n’a pas de définition puisqu’elle en a
plus de cent. On peine à savoir même s’il s’agit encore
d’une discipline, au sens propre, tant c’est sa licence
d’action qui la caractérise le plus souvent, un défaut
MAGAZINE NO 4
108
devenu profession. Et l’exposition internationale de
grande ampleur renforce bien sûr ces caractères : le but
est précisément ici de montrer le plus de choses possibles
puisqu’il y a le plus de monde concevable. L’équation
est élémentaire, et son résultat troublant. Le temps est
compté, les espaces aussi, alors les choses se montent
dessus. Les contrastes sont d’ordre violent. Il n’y a pas de
classement topographique, ou très peu. Le pire côtoie le
mieux ou le moins mauvais. Le disciple va devoir s’ingénier à repérer les morceaux de la vraie croix au milieu
des babioles distrayantes, des avatars d’idoles.
Par l’effet d’une étrange simultanéité, d’autres
expositions importantes, plus du tout commerciales
cette fois, permettaient de rendre compte de la spiritualité rampante : « Vaudou », exposition scénographiée
par Enzo Mari à la Fondation Cartier (1), et « 20 ans
de travail » de Pierre Charpin au Grand Hornu (2). Le
designer marxiste Mari parlait déjà beaucoup de Dieu.
Il met ici en scène les fétiches noircis de matières ignobles (patine sacrificielle euphémise le cartel) – faisant
par ailleurs mine d’oublier par quels procédés, bien
plus sombres encore, ils ont été soustraits à leur place
et à leurs fonctions. Le design principal ne craint donc
plus de s’associer aux ténèbres des superstitions, puisque désormais, clairement, les abrutissements désastreux se sont déplacés vers de tout autres icônes.
Pierre Charpin conduit, plus à l’écart des capitales, l’exercice périlleux de l’exposition rétrospective
dans la très belle institution belge du Grand Hornu.
Il pose joliment sa place entre « la politique de la table
rase » [...] et celle « de la table basse ». Il se décrit parfois
fabricant de grigris, avec un certain fatalisme, regrettant que son travail ne soit pas plus souvent confronté
aux perspectives industrielles (même si l’un n’empêche
pas l’autre). Charpin possède un grand talent pour le
dessin du fétiche, et c’est un malheur qui génère pas
mal de beautés – on sait pire malédiction.
accueillons facilement la réalité, peut-être parce que
nous soupçonnons que rien n’est réel. » (3) La grande
foire internationale du design est une démonstration
qui relève de cet ordre. Les pièces de galerie accomplissent ce travail de sape tout au long de l’année. Ce sont,
chacun, les épisodes d’une négation du réel, par sa
convocation même. Par le filtre de l’utile – philtre, toujours plus clairement –, par la médiation de l’objet et du
mobilier d’usage (domestique surtout, pour ce qui nous
regarde ici) se donne à lire le monde rêvé. Intervient
alors Charlie Sheen, légitimement convoqué puisqu’il
appartient, en tant qu’il est acteur, à ce domaine du
simulacre que nous côtoyons. Convoqué devant le juge
pour avoir eu recours aux services de prostituées, il
explique : « Je ne les paye pas pour l’amour. Je les paye
pour qu’elles s’en aillent. » Cette foudroyante déclaration trouvera une application immédiate dans le sens
de notre propos : le design est cette action que l’on
rémunère afin qu’elle fasse s’évanouir le réel.
Pierre Doze
À gauche : Zanotta, Girotondo, ©Pierre Charpin
À droite : Sculpture vaudou Fon, Bénin, ©Yuji Ono
Le fait est que ce réel dont parle le design
n’existe pas. Quelques signes nous avaient déjà renseignés sur la situation. Plusieurs voix, des textes
nombreux. Tous extérieurs au terrain, bien sûr – audedans, le bavardage est aussi atone qu’un mutisme. Le
plus fort et le plus convainquant, bref extrait : « Nous
1. « Vaudou », Fondation Cartier, Paris, jusqu’au 25/09/2011.
fondation.cartier.com
2. « 20 ans de travail », Pierre Charpin au Grand Hornu (Belgique),
jusqu’au 11/09/2011. grand-hornu-images.com
3. Jorge Luis Borges, L’Aleph, Gallimard, « L’Imaginaire », 1977.
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109
ART CONTEMPORAIN
XAVIER
DOUROUX
Xavier Douroux est l’un des créateurs du Consortium, centre d’art dijonnais qui
célèbre en juin prochain ses 34 ans en s’offrant un superbe bâtiment dessiné par
Shigeru Ban. Il revient avec nous sur l’histoire de ce lieu, unique en son genre, et
évoque sa manière de tenter de réinventer des liens entre art et société.
Le Consortium de Dijon, que vous codirigez avec Franck
Gautherot et Éric Troncy, demeure le seul centre d’art
français qui soit encore géré par ses fondateurs. Créée
en 1977, cette association demeure unique en son genre.
Comment définiriez-vous ses spécificités ?
Nous travaillons dans un endroit qui nous
appartient, ce qui pour un proudhonien comme moi
signifie que nous appartenons autant à cette structure
qu’elle nous appartient. Nous ne sommes pas un service
public, mais nous défendons l’idée de bien commun.
Pour pouvoir travailler sérieusement, nous avons pensé
dès nos débuts qu’il nous fallait nous isoler. Notre idée
est d’accompagner les artistes de toutes générations
avec l’exposition comme outil, la production comme
moyen, dans le cadre d’un projet intellectuel de l’ordre
du partage. Cela nous a permis d’être crédibles auprès
des artistes, avec qui nous travaillons toujours sur la
durée et pour qui nous avons développé aussi d’autres
outils, les Presses du réel pour l’édition, nées en 1993, et
Anna Sanders pour la production cinéma, née en 1995.
Jamais nous n’avons voulu démontrer, mais toujours
rester dans l’expérience.
Quel regard portez-vous sur le travail des autres centres d’art ?
Il y a énormément d’endroits en France qui
sont dans la « sur-découverte » ; ils ratissent très large et
très profond ; ça remue beaucoup mais ça ne ramène pas
grand-chose. Ou alors il faudrait que les lieux concernés s’engagent pleinement. Nous, quand on trouve
que c’est bien, on trouve que c’est vraiment bien, et on
s’engage sur une monographie (nous faisons très peu
d’expositions de groupe), un livre, un film… Aller dans
le jeunisme à tout crin, remuer tout ça crée un effet de
trouble. Ce n’est pas un reproche, car beaucoup le font
avec un grand talent. Mais notre spécificité consiste à
ne pas craindre de prendre le risque du ridicule.
Vous définissez votre activité comme éminemment
politique. En quel sens ?
Nous voulons produire l’occasion d’une expérience politique qui ait des effets mesurables, qui
puisse contaminer, s’étendre. Le genre de chose que
l’on n’offre pas assez aux gens.
Concrètement, en quoi vos projets esthétiques peuventils proposer une expérience politique ?
Quand Philippe Parreno organise chez nous
en 1995 son « Snow Dancing », le dispositif est activé par
la convocation de 300 personnes, qui viennent faire la
fête en jeans et produisent une situation d’exposition.
Quelque chose se produit qui est de l’ordre du mystère,
et qui pour ceux qui reviennent le lendemain devient
lumineux. Il s’agit de tout sauf de passivité. Ce n’est pas
pour autant que nous sommes favorables à la participation du spectateur. Mais cette œuvre avait une manière
de capturer l’attention, d’être très directe en restant extrêmement complexe. Elle contient en soi sa capacité à être
intelligente. Notre utopie consiste à croire qu’une bonne
œuvre contient l’essentiel de sa pédagogie.
Vous avez été parmi les premiers à soutenir et défendre cette génération aujourd’hui portée aux nues
des Philippe Parreno, Pierre Huyghe, Dominique
Gonzalez-Foerster… Quel regard posez-vous sur leur
travail aujourd’hui ?
Nous sommes restés très proches de cette
génération, même si nous portons parfois sur elle un
regard critique. Certains se sont brûlé les ailes, car le
système les a accueillis à bras ouverts et les a placés
dans une situation des plus inconfortables. Pour pouvoir s’en sortir, il faut le cynisme d’un vieux militant
marxiste comme Liam Gillick, cynisme au sens de qualité. D’autres n’ont pas cette carapace.
Vous voulez dire qu’ils se sont soumis aux pressions
du marché ?
MAGAZINE NO 4
110
Pas
seulement.
Ils ont parfois été maladroits en investissant
des territoires comme les
industries
culturelles.
Pour envahir le cinéma
commercial
comme
objet, il faut savoir gérer
pressions, tentations et
facilités.
pas produire grand-chose,
d’autant plus que les
artistes eux-mêmes refusaient de se laisser enfermer dans ce mouvement,
et sont très vite passés à
autre chose. On ne peut
nier cependant que cela a
été un moment important
pour les artistes français.
Vous participez pourtant de ce mouvement en
direction du cinéma avec
votre structure Anna Sanders, qui a produit notamment certains films de Parreno ou de Charles de Meaux,
ainsi que la mythique série des Ann Lee, personnage
de manga offert par Huyghe et Parreno à l’inspiration
de leurs comparses.
On ne peut pas dire qu’Anna Sanders soit un
élément de l’industrie du cinéma. Par exemple, nous
n’avons pas participé à l’aventure du Zidane de Parreno
et Douglas Gordon, même si en l’occurrence nous avons
été sauvés par le gong plus que par notre intelligence.
Ce que je constate, c’est que c’est dangereux pour leur
équilibre financier et psychologique, leur équilibre de
vie. Ils ne sont ni Cattelan ni Carsten Höller, ils sont
français, donc pas à l’aise pour gérer ces situations-là.
Ceci dit, le dernier film de Pierre Huyghe intitulé The
Host and the Cloud est selon moi un chef-d’œuvre.
Vous avez été à l’avantgarde de ce mouvement
dans les années 90, mais
aujourd’hui votre programmation semble attirer
moins d’intérêt ; comment l’expliquez-vous ?
J’ai été très surpris ces dernières années par
l’absence de commentaires sur notre programme. Ou
par leur aspect caricatural. Par exemple, une artiste
que nous défendons beaucoup comme Rachel Harrison
a été réduite à un post-Combine Paintings à la
Rauschenberg, ou à une nostalgie rococo, ce qui pour
moi est révolutionnaire aujourd’hui. Nous ne sommes
pas dans le formatage mais dans l’approche de spectres,
de fantômes, du surnaturel, autant de choses qui me
semblent très contemporaines. De manière générale, les
gens ont toujours mis des décennies à comprendre ce
que nous faisions : quand notre collection a été dévoilée
par l’exposition du centre Pompidou en 1998, les commentateurs avaient déjà vingt ans de retard.
Un des moments forts de l’histoire du Consortium est
lié au développement de l’Esthétique relationnelle telle
que l’a théorisée Nicolas Bourriaud en 1995. Comment
considérez-vous ce concept aujourd’hui ?
C’était un formidable titre, un formidable slogan, dont nous avons joué comme d’une partition. Le
succès de ce livre honore son auteur, mais il ne pouvait
Vous évoquez justement votre collection. C’est une
autre caractéristique du Consortium d’avoir développé
ainsi une collection alors que cette pratique est d’ordinaire réservée aux musées. Comment évolue-t-elle
aujourd’hui ?
Le 15 septembre prochain, nous allons annoncer notre désir d’en faire donation au musée des Beaux-
MAGAZINE NO 4
111
[…] Nous voulons que
[la collection du Consortium]
devienne bien commun.
Pour moi, le don est le dernier
geste révolutionnaire possible ;
il produit des ondes de choc
qu’il m’intéresse d’étudier.
Arts de Dijon. Nous croyons beaucoup à l’opportunité
de Dijon et de la Bourgogne, région placée au cœur de
l’Europe. Et nous voulons participer de ce mouvement.
Nous allons donc offrir les 350 œuvres de la collection.
Elle est due pour beaucoup à la générosité des artistes,
cela aurait donc été une aberration de la vendre. Nous
voulons qu’elle devienne bien commun. Pour moi, le
don est le dernier geste révolutionnaire possible ; il produit des ondes de choc qu’il m’intéresse d’étudier. C’est
comme de jeter un pavé dans l’eau très claire, cela force
les gens à prendre position.
Vous avez ouvert le 9 juin un tout nouveau bâtiment
de 4 500 m2 (2 000 m2 d’espaces d’exposition) dessiné par
l’architecte Shigeru Ban. Comment l’avez-vous conçu ?
Cela faisait longtemps que l’idée nous trottait dans la tête. Il y a quinze ans déjà, nous avions
tenté en vain de créer le premier musée universitaire
de France, puis il y a eu différentes tentatives de créer
des plates-formes ouvertes sur la production. Nous
voilà aujourd’hui avec un bâtiment plus classique. Le
Consortium a longtemps été identifié comme un lieu de
production, mais je ne suis plus sûr que cela soit vraiment un enjeu majeur. Cette réalité est beaucoup plus
partagée qu’avant, et ses effets ne nous satisfont qu’à
moitié, au-delà du discours caricatural qui consiste à
se demander pourquoi ajouter encore des objets dont
le marché s’empare. Ce qu’il faut surtout comprendre,
c’est que ce bâtiment ne serait pas tel qu’il est sans tout
ce que je viens d’expliquer. Il est avant tout une zone
d’activité. Par exemple, nous accueillons notamment
une association qui s’occupe d’adolescents. Je préfère
les voir là que près d’un service social ou d’un hôpital psychiatrique. Ce qui ne veut pas dire pour autant
qu’on les oblige à se connecter à l’art. Bref, le projet du
Consortium va bien au-delà de ce bâtiment.
Vous vous efforcez de vous insérer au maximum dans
le tissu urbain. De quelle manière ?
Il s’agit de donner des signes très clairs à la
ville. Il y a une vraie demande : politique, car les élus
prennent conscience de l’importance de ce lieu; sociétale
aussi, dans un objectif de partage des savoirs, même si
ces expériences restent très individuelles. Nous avons
notamment fait beaucoup de visites du chantier, qui
font que ce bâtiment n’est pas perçu comme un ovni
mais comme l’aboutissement d’un travail commun, un
lieu qui veut interagir avec ce qui l’entoure. Par exemple par le restaurant que nous allons y installer. Nous
voulons être dans une vraie réciprocité avec le monde,
et chaque détail y participe.
Comment cela se concrétise-t-il avec l’exposition
inaugurale ?
Il s’agit de portes ouvertes plus que d’une
MAGAZINE NO 4
112
exposition. C’est au spectateur de s’emparer de chaque chose pour faire sa propre composition. Nous ne
voulions pas montrer un geste architectural avec des
salles vides. Nous déployons donc un ensemble d’œuvres (issues de la collection ou prêtées) d’artistes avec
qui nous avons travaillé dès les années 80, comme
Richard Prince ou Cindy Sherman. Ou encore Pierre
Huyghe, qui déploie de manière très informelle son
Association des temps libérés. Mais il y a aussi un
hippopotame du sculpteur animalier Pompon, et trois
sculptures de Frémiet (auteur de la Jeanne d’Arc de la
place des Pyramides) – deux artistes dijonnais. C’était
important de rappeler que cette ville a généré des
sculpteurs qui ont marqué l’espace public.
En pleine période de crise, alors que l’État affirme
toujours davantage sa volonté de se désengager du
domaine culturel, comment avez-vous monté le budget
d’investissement de ce bâtiment ?
Toutes les collectivités locales qui nous aident
habituellement, Ville, Département, Région, État, nous
ont soutenus, ainsi que l’Europe, pour un budget global de 6 millions d’euros. Mais cela a été difficile à
monter, et notre budget de fonctionnement demeure
ridicule. Nous espérons que ce bâtiment va générer ses
ressources propres, et nous comptons aussi sur des projets à l’étranger : Doha [capitale du Qatar, ndlr] nous a
contactés pour faire apparaître des œuvres à l’échelle de
la ville, et nous travaillons aussi avec la Corée.
Le caractère politique de votre projet s’articule aussi dans
votre manière de prendre des décisions collectives.
Le Consortium relève d’une pratique collective
assez incompréhensible pour les gens de l’extérieur ;
tout naît d’une négociation qui n’a pas de cadre, ou
qui le réinvente. La confrontation en interne, c’est un
bon garde-fou contre le génie. Le Consortium est par
essence un endroit où l’on n’est jamais mis très à l’aise.
Dieu sait s’il y a ici des individualistes forcenés, mais
nous essayons de faire en sorte que l’intérêt à soi participe d’un intérêt commun, dans une articulation des
deux. L’équipe s’est vue renforcée récemment d’Anne
Pontégnie et Stéphanie Moisdon, mais il en est beaucoup d’autres dont l’avis compte. Aucun d’entre nous
n’a les mêmes centres d’intérêt. Par exemple, Éric se passionne pour les questions de display, de mise en scène
d’une exposition, qui ont cessé de m’intéresser. Moi, je
cherche plutôt à trouver des rotules entre art et société.
Relier art et société, vous le faites notamment dans le
cadre des Nouveaux commanditaires, programme de
la Fondation de France dont vous êtes le médiateur en
Bourgogne et l’un des premiers initiateurs. Il consiste
à inviter des groupes sociaux, villages, associations, à
faire appel à un artiste afin de produire ensemble une
œuvre d’art. Que recherchez-vous à travers ce processus typiquement français ?
Quand j’ai commencé, il y a quinze ans, l’équipe
du Consortium était plutôt sceptique. On m’a renvoyé un
miroir caricatural, arguant du fait que l’art ne pouvait
être un cautérisateur social. Mais depuis sept ans, nous
avons atteint notre vitesse de croisière, et une cinquantaine de projets ont été initiés dans la région.
Quelle nécessité l’art peut-il avoir pour la société ?
Il s’agit pour les commanditaires de ne plus
être esclaves, ou victimes, de se laisser transporter audelà par l’art. Le processus qui fait naître l’œuvre ne
s’interrompt pas quand elle existe, il y a un impact, des
rebonds. Des tas de secteurs de la société s’avèrent capables de porter quelque chose sur la table, c’est plutôt
rassurant sur l’état de notre environnement. Les gens,
MAGAZINE NO 4
113
[…] L’art et sa démocratie
nous intéressent. Pas la
démocratisation de l’art.
enfin, s’autorisent des choses. Un village s’autorise à
penser une œuvre non comme un objet mais comme
un processus, à être solidaire jusqu’à devenir quasi
co-auteur d’une œuvre dont la forme, si elle avait été
pensée a priori, les aurait totalement effrayés. Tout le
village de Blessey peut revivre par exemple grâce à une
intervention de Rémy Zaugg sur son lavoir. Les nouveaux commanditaires n’interviennent pas seulement
dans les cas de fracture sociale ou de crise morale d’un
groupe. Certaines commandes sont très légères, par
exemple celle d’un club d’amateurs de Vespa autour de
l’objet de leur passion.
De mères d’enfants décédés du sida à un groupe d’adolescents incapables de faire le deuil de l’un d’eux mort
dans un accident, certains projets sont pourtant pleins
de gravité.
Il est vrai que beaucoup de projets tournent
autour de la disparition, de la mort. Il ne faut pas avoir
peur de la commémoration ou du monument, qui
ne sont ni réac ni critiquables en soi. L’essentiel est
de savoir pourquoi le monument est là. Auparavant,
il y avait des saints patrons, des confréries, autant de
structures qui avaient une nécessité sociale. Il faut
aujourd’hui provoquer l’apparition d’autre chose.
Comment juger de la réussite de tels projets ?
Simplement parce que les œuvres ainsi produites sont bonnes, voire très bonnes. Et ces projets
sont très populaires, ce dont je me méfie énormément.
Les gens les adorent car ces œuvres les touchent profondément ; elles ont une puissance émotionnelle très
forte, une capacité à provoquer des récits qui se transmettent. Il ne s’agit pas pour autant de prendre position
contre la commande d’État, de proposer une réplique
démocratique à une réponse élitiste ou libérale du toutmarché. L’art et sa démocratie nous intéressent. Pas la
démocratisation de l’art. Nous cherchons à ce que l’art
crée sa propre démocratie, et à en tirer des conclusions
sur le fonctionnement de la démocratie même. Il n’est
pas étonnant que ce projet soit né dans un pays qui
s’interroge sur la question du bien public. Si le ministère des Affaires étrangères devait modifier sa politique
culturelle, il devrait promouvoir ce type d’opération
plutôt que de chercher à imposer des jeunes artistes ou
galeristes. D’ailleurs, quelques pays européens comme
l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie se lancent peu à peu
dans l’aventure.
Certains artistes sont-ils dubitatifs vis-à-vis du processus des nouveaux commanditaires ?
Bien sûr, il est plus facile de convaincre
des artistes établis de participer. Un jeune plasticien
comme Cyprien Gaillard, que j’aime beaucoup, est très
réticent vis-à-vis de ce processus, car il est économiquement peu intéressant pour lui et produit une visibilité moindre. Ce qui me frappe aussi, c’est combien ces
œuvres sont négligées par la critique d’art, comme si
leur origine interdisait toute analyse esthétique. Ce qui
est ridicule : on ne rejette pas La Mort de Marat sous
prétexte que c’est une commande de la République.
Peut-être leur aspect « socio-culturel » gêne-t-il un
pays réputé pour son formalisme ?
Pourtant il n’y a pas plus formalistes que nous !
J’aimerais que la critique soit le lieu de passage de telles œuvres, non leur coup d’arrêt. Il faut savoir prendre
le risque du monde, pas simplement vivre à travers les
quelques images que nous apportent les artistes.
Propos recueillis par
Emmanuelle Lequeux
Images : ©Le Consortium
MAGAZINE NO 4
114
PORTFOLIO
P.108 : BARCELONA
PHOTOGRAPHIE : LINA PERSSON
BARCELONA
Photographie : LINA PERSSON
linapersson.com
ABONNEMENT
Abonnement France
1 an / 4 numéros / 15 euros.
AGENDA
ÉTÉ 2011
Par chèque, à l’ordre d’ACP à l’adresse suivante :
ACP – Magazine
32, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Abonnement Europe
1 an / 4 numéros / 25 euros.
JUIN
Ou en ligne sur :
magazinemagazine.fr
Abonnement États-Unis, Asie
1 an / 4 numéros / 35 euros.
15 au 19 juin
Art 42 Basel, pour le
shopping – ou les fêtes.
modeaparis.com
16 au 20 juin
Designer’s Days, parcours
et conversations liés
au design, rives droite
et gauche.
designersdays.com/
Magazine n° 5, septembre, octobre, novembre paraîtra le 15 septembre.
EXPOSITION
16 juin au 28 août
La publicité recycle
l’histoire, contexte et
références de la publicité
en exposition.
lesartsdecoratifs.fr
Ce printemps, nous avons organisé une exposition autour de Magazine à la galerie 12Mail
et avons invité quelques amis à faire bon usage du sticker de couverture.
Plus sur 12mail.fr
1.
3.
17 juin au 2 septembre
Sophie Bramly,1981 & +,
exposition photographique
qui documente
l’émergence de la culture
hip hop dans le Bronx des
années 80. Vernissage.
12mail.fr
4.
22 au 26 juin
Défilés prêt-à-porter
masculin, printemps-été
2012
modeaparis.com
2.
5.
22 juin
Pater d’Alain Cavalier,
105’, 2011, fiction politique
remarquée à Cannes.
En salles.
23 juin au 25 septembre
My Winnipeg, exposition
consacrée à la scène
artistique de Winnipeg
(Canada), dont sont entre
autres issus Guy Maddin
et Marcel Dzama.
lamaisonrouge.org
1 — ROBERT STADLER
2 — GEOFFROY DE BOISMENU
3 — LEMMY PAR SYLVIA TOURNERIE
4 — CHLOÉ TERCÉ ET CAPUCINE MERKENBRACK
5 — RACHEL CAZADAMONT
MAGAZINE NO 4
126
24 et 26 juin
Palmarès du Festival
du film d’animation
d’Annecy ; normalement
le meilleur.
forumdesimages.fr
27 juin au 2 septembre
Summer school de l’IFM.
Jusqu’au 10 juillet
Derniers jours de
l’exposition Le Vent
d’après, des travaux des
diplômés 2010 de l’École
des beaux-arts de Paris.
beauxartsparis.fr
Plusieurs modules, d’une
semaine ou deux, et de
différents niveaux.
ifm-paris.com
JUILLET
1er au 3 juillet
Festival Design Parade 6,
expositions, concours
de jeunes designers
et rencontres à la
Villa Noailles, Hyères.
villanoailles-hyeres.com
11 juillet au 5 août
Vitrines sur l’art.
Les Galeries Lafayette
confie ses vitrines à huit
lieux parisiens dont
Pompidou, les Arts Déco,
le musée d’Art moderne,
la Gaîté lyrique et le BAL.
galerieslafayette.com
Jusqu’au 10 juillet
Derniers jours de
l’exposition The Wapping
project — Yohji Yamamoto,
photographies et
installations. Victoria et
Albert Museum, Londres.
vac.ac.uk
13 au 17 juillet
54e Biennale de Venise, en
visite accompagnée par
Art Process.
art-process.com
13 juillet
Reprise de Deep End
de Jerzy Skolimowski,
1971, 90’. Adolescence, sexe
et Londres des années 70.
En salles.
4 au 7 juilllet
Défilés couture automnehiver 2011-2012.
modeaparis.com
4 juillet au 18 septembre
Rencontres d’Arles.
Exposition Chris Marker
et un statement : « From
here on », signé par
les cinq commissaires
dont Clément Chéroux
(Pompidou), Erik
Kessels (KesselsKramer),
Joan Fontcuberta.
Semaine d’ouverture
du 4 au 10 juillet.
rencontres-arles.com
15 et 16 juillet
10e édition du concours
ITS (International Talent
Support), organisé
par Diesel à Trieste
et consacré à la mode
et la photographie.
itsweb.org
Jusqu’au 17 juillet
Derniers jours de
l’exposition Saint Laurent
rive gauche, la révolution
de la mode, dont la
directrice artistique est
Loulou de la Falaise.
fondation-pb-ysl.net
5 juillet au 21 novembre
Exposition Hussein
Chalayan, récits de mode ;
vêtements, installations,
défilés, projections et
travaux de recherche.
lesartsdecoratifs.fr
Jusqu’au 23 juillet
Derniers jours de
l’exposition consacrée
à la typographie Futura
à la galerie Anatome.
galerie-anatome.com
6 juillet
Vernissages du Marais :
Goodman (group
show), Lambert (Shrigley),
Ropac (Esser).
Marais
27 juillet
En ville de Valérie Mréjen
et Bertrand Schefer,
2011, 75’. Remarqué à
MAGAZINE NO 4
127
Cannes cette année.
En salles.
Jusqu’au 31 juillet
Les 50 ans de la Semaine
de la Critique en 50 films
à la cinémathèque ;
carré, non ?
cinémathèque.fr/
AOÛT
Jusqu’au 7 août
Derniers jours de
l’exposition Savage
Beauty consacrée à
Alexander McQueen au
Metropolitan Museum de
New York.
metmuseum.org
Jusqu’au 7 août
Derniers jours de
l’exposition Nul si
découvert, 4e partie du
cycle Érudition concrète
conçu par Guillaume
Desanges au Plateau.
fracidf-leplateau.com
3 au 21 août
11e édition de Cinéma au
clair de lune, c’est gratuit
et chaque soir dans un
quartier différent de Paris.
forumdesimages.fr
17 août
The Future de
Miranda July, 2011.
Le nouveau film de la
réalisatrice américaine,
présenté au Festival de
Berlin.
En salles.
24 août
This Must be the Place
de Paolo Sorrentino, 2011.
La relève du cinéma
italien, Prix du jury
à Cannes.
En salles.
27 août au 11 septembre
Visa pour l’image,
festival international
de photojournalisme.
visapourlimage.com
10 CHIFFRES
400 000
visiteurs ont découvert la Biennale de Venise en 2009, établissant ainsi un nouveau
record – sport favori de l’art contemporain depuis quelque années. L’édition 2011 et 54e
du nom vient d’ouvrir ses portes jusqu’au 27 novembre ; encore un effort…
4 500
c’est le nombre de mètres carrés du nouveau Consortium à Dijon, dont 2 000 m2
d’espaces d’exposition conçus par l’architecte Shigeru Ban. L’exposition d’ouverture
présentera des pièces de la collection du Consortium.
.
20 000
euros, c’est le tarif journalier pour la location du triangle Piazza devant le Centre
Pompidou, qui a accueilli une boite de conserve Monoprix ou plus récemment la
« preppy house » de Tommy Hilfiger.
6
c’est le nombre de foires d’art contemporain à Paris, du 20 au 23 octobre. Outre la Fiac
(Grand Palais et Tuileries), on pourra visiter Art Elysées (Champs-Elysées), Chic Art
Fair (Cité de la mode et du design), Cutlog (Bourse du commerce), Show Off (Port des
Champs-Elysées) et Slick (Esplanade du Palais de Tokyo).
100 000
francs suisses (ou 120 000 euros) sont attribués au lauréat du Prix Pictet pour la photographie. Etabli depuis seulement 3 ans, ce prix met la barre assez haut, puisque les dotations des prix concurrents oscillent entre 10 000 et 50 000 euros. Mauvaise nouvelle:
le prix est thématique et cette année il fallait représenter le développement durable…
MAGAZINE NO 4
129
10
galeries d’art contemporain sont maintenant installées à Belleville, faisant du XXe
le quartier incontournable en la matière : Marcelle Alix, Balice-Hertling, Bugada &
Cargnel, Castillo/Corales, Crèvecœur, Gaudel de Stampa, Jocelyn Wolff, Samy Abraham
et Suzanne Tarasiève. La Biennale de Belleville, qui pourrait bien se manifester à sa
manière en année creuse, y est aussi pour quelque chose.
1 710 000
euros est le prix record de l’année 2010 pour la vente d’une œuvre :
Untitled #153 de Cindy Sherman.
20 000
euros, ce sont les frais de scolarité annuels de la Parsons shool of art and design, qui
fait peau neuve : nouvelle adresse et nouvelle direction. Un détail : le cursus dure 4 ans.
5
commissaires ont signé le manifeste de l’édition 2011 des Rencontres photographique
d’Arles. Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim
Schmid envisagent la photographie à l’heure d’Internet et des Smartphones, qui font
de nous des éditeurs et de nouveaux regardeurs.
rencontres-arles.com/
9000
euros, c’est le prix d’un tirage de Jean-Paul Goude (84 x 90 cm), figurant Grace Jones
et qui sera repris pour la pochette d’un de ses albums. Le photographe aura sa
rétrospective aux Arts déco parisiens à partir du 10 novembre.
MAGAZINE NO 4
130
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Des outils inspirés
Sautoir cravate
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Hermès,
artisan contemporain
d e p u i s 18 37.